Skip to main content

Full text of "Oeuvres complètes de J.-J. Rousseau"

See other formats


^^f  i/  7o 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

University  of  Toronto 


http://www.archive.org/details/oeuvrescomplte06rous 


ŒUVRES  COMPLETES 


J.  J.  ROUSSEAU 


A  ^A  MÊME  LIBRAffirE 


brochés.     .     :  :'■     Œ«^'-«    complètes    Trcizo         , 

16  A-.  25 


Essai 


'^«"^  I  :   Notice  sur  J    ,    r, 

Tome  ri  ,■  Emile, 
Tome  m  :  ;r;„  ^,^„_ 

Tom  XII  •  ^      ^""""«^  (suite). 


Chaque  volume  se  venrl  «^      . 

vend  séparément  l  f,,. 


ŒUVRES  COMPLÈTES 


DE 


J.  J.  80USSE4U 


TOME   SIXIÈME 


PARIS 

LIBRAIKIE  HACHETTE  ET  Ci« 

79,  BOULEVARD    SAINT-GERMAIN,  79 
4909 

8I8UOTHECA 
Ottavlfrfy^ 


i 


.^•^^ 


91^ 


<f 


POÉSIES  DIVERSES. 


LE   VERGER   DES   CHARMETTES". 

Rara  domus  tenuem  non  aspernalur  amicum  : 
Raraque  non  bumilcm  calcat  Taslosa  clieulem. 


AVERTISSEMENT. 

J'ai  eu  le  malheur  autrefois  de  refuser  des  vers  à  des  personnes  que 
j'honorois  et  que  je  respectoi?  infiniment,  parce  que  je  m'étois  désor- 
mais interdit  d'en  faire.  J'ose  espérer  cependant  que  ceux  que  je  publie 
aujourd'hui  ne  les  offenseront  point;  et  je  crois  pouvoir  dire,  sans  trop 
de  raffinement,  qu'ils  sont  l'ouvrage  de  mon  cœur,  et  non  de  mon 
esprit.  Il  est  même  aisé  de  s'apercevoir  que  c'est  un  enthousiasme  im- 
promptu.  si  je  puis  parler  ainsi,  dans  lequel  je  n'ai  guère  songé  à 
briller.  De  fréquentes  répétitions  dans  les  pensées  et  même  dans  les 
tours,  et  beaucoup  de  négligence  dans  la  diction,  n'annoncent  pas  un 
homme  fort  empressé  de  la  gloire  d'être  un  bon  poète.  Je  déclare  de 
plus  que,  si  l'on  me  trouve  jamais  à  faire  des  vers  galans ,  ou  de  ces 
sortes  de  belles  choses  qu'on  appelle  des  jeux  d'esprit,  je  m'abandonne 
-volontiers  à  toute  l'indignation  que  j'aurai  méritée. 

Il  faudroit  m'excuser  auprès  de  certaines  gens  d'avoir  loué  ma  bien- 
faitrice, et,  auprès  des  personnes  de  mérite,  de  n'en  avoir  pas  assez 
dit  de  bien.  Le  silence  que  je  garde  à  l'égard  des  premiers  n'est  pas  sans 
fondement:  quant  aux  autres,  j'ai  l'honneur  de  les  assurer  que  je  serai 
toujours  infiniment  satisfait  de  m'entendre  faire  le  même  reproche.  ■ 

Il  est  vrai  qu'en  félicitant  Mme  de  Warens  sur  son  penchant  à  faire 
du  bien,  je  pouvois  m'étendre  sur  beaucoup  d'autres  vérités  non  moins 
honorables  pour  elle.  Je  n'ai  point  prétendu  être  ici  un  panégyriste, 
mais  simplement  un  homme  sensible  et  reconnoissant  qui  s'amuse  à  dé- 
crire ses  plaisirs. 

On  ne  manquera  pas  de  s'écrier  :  a  Un  malade  faire  des  vers  1  un  homme 
à  deux  doigts  du  tombeau  !  »  C'est  précisément  pour  cela  que  je  fais  des 
vers.  Si  je  me  portois  moins  mal .  je  me  croirois  comptable  de  mes  occu- 
pations au  bien  de  la  société;  l'état  où  je  suis  ne  me  permet  de  tra- 
vailler qu'à  ma  propre  satisfaction.  Combien  de  gens  qui  regorgent  de 

1 .  Maison  de  campagne  près  de  Chambéry,  habitée  par  Mme  de  Warens 
en  1736.  Celle  pièce  de  vers  doit  élre  de  l'automne  de  celte  année.  J.  J.  Rous- 
seau avoit  un  peu  plus  de  vingt-quatre  ans.  La  description  de  cette  maison 
se  trouve  à  la  fin  du  cinquième  livre  des  Confessions.  (Éi!.: 

RoiSSEVU  VI  * 


2  POÉSIES  DIVERSES. 

biens  et-de  santé  ne  passent  pas  autrement  leur  vie  entière  !  Il  faudroil 
aussi  savoir  si  ceux  qui  me  feront  ce  reproche  sont  disposés  à  m'era- 
ployer  à  quelque  chose  de  mieux. 


Verger  cher  à  mon  cœur,  séjour  de  l'innocence. 
Honneur  des  plus  beaux  jours  que  le  ciel  me  dispense , 
Solitude  charmante,  asile  de  la  paix, 
Puissé-je,  heureux  verger,  ne  vous  quitter  jamais  ! 

0  jours  délicieux,  coulés  sous  vos  ombrages! 
De  Philomèle  en  pleurs  les  languissans  ramages , 
D'un  ruisseau  fugitif  le  murmure  flatteur, 
Excitent  dans  mon  âme  un  charme  séducteur. 
J'apprends  sur  votre  émail  à  jouir  de  la  vie  : 
J'apprends  à  méditer  sans  regret,  sans  envie, 
Sur  les  frivoles  goûts  des  mortels  insensés; 
Leurs  jours  tumultueux,  l'un  par  l'autre  poussés, 
N'enflamment  point  mon  cœur  du  désir  de  les  suivre. 
A  de  plus  grands  plaisirs  je  mets  le  prix  de  vivre. 
Plaisirs  toujours  charmans,  toujours  doux,  toujours  purs, 
A  mon  cœur  enchanté  vous  êtes  toujours  sûrs. 
Soit  qu'au  premier  aspect  d'un  beau  jour  près  d'éclore 
J'aille  voir  ces  coteaux  qu'un  soleil  levant  dore, 
Soit  que  vers  le  midi  chassé  par  son  ardeur. 
Sous  un  arbre  touffu  je  cherche  la  fraîcheur; 
Là,  portant  avec  moi  Montaigne  ou  La  Bruyère, 
Je  ris  tranquillement  de  l'humaine  misère  ; 
Ou  bien,  avec  Socrate  et  le  divin  Platon, 
Je  m'exerce  à  marcher  sur  les  pas  de  Caton  : 
Soit  qu'une  nuit  brillante,  en  étendant  ses  voiles, 
Découvre  à  mes  regards  la  lune  et  les  étoiles; 
Alors,  suivant  de  loin  La  Hire  et  Cassini , 
Je  calcule,  j'observe,  et,  près  de  l'infini. 
Sur  ces  mondes  divers  que  l'éther  nous  recèle. 
Je  pousse ,  en  raisonnant ,  Huyghens  et  Fontenelle 
Soit  enfin  que,  surpris  d'un  orage  imprévu, 
Je  rassure,  en  courant,  le  berger  éperdu. 
Qu'épouvantent  les  vents  qui  sifflent  sur  sa  tête. 
Les  tourbillons,  l'éclair,  la  foudre,  la  tempête; 
Toujours  également  heureux  et  satisfait. 
Je  ne  désire  point  un  bonheur  plus  parfait. 

0  vous,  sage  Warens,  élève  de  Minerve, 
Pardonnez  ces  transports  d'une  indiscrète  verve; 
Quoique  j'eusse  promis  de  ne  rimer  jamais. 
J'ose  chanter  ici  les  fruits  de  vos  bienfaits. 
Oiii.  si  mon  cœur  jouit  du  sort  le  plus  tranquille, 
Si  je  suis  la  vertu  dans  un  chemin  facile , 
Si  je  goûte  en  ces  lieux  un  repos  innocent, 


POÉSIES   DIVERSES. 

Je  ne  dois  qu'à  vous  seule  un  si  rare  présent. 

Vainement  des  cœurs  bas,  des  âmes  mercenaires, 

Par  des  avis  cruels  plutôt  que  salutaires, 

Cent  fois  ont  essayé  de  m'ôter  vos  bontés  : 

Ils  ne  connoissent  pas  le  bien  que  vous  goûtez 

En  faisant  des  heureux,  en  essuyant  des  larmes  : 

Ces  plaisirs  délicats  pour  eux  n'ont  point  de  charmes. 

De  Tite  et  de  Trajan  les  libérales  mains 

N'excitent  dans  leurs  cœurs  que  des  ris  inhumains. 

Pourquoi  faire  du  bien  dans  le  siècle  où  nous  sommes? 

Se  trouve-t-il  quelqu'un,  dans  la  race  des  hommes, 

Digne  d'être  tiré  du  rang  des  indigens? 

Peut-il  dans  la  misère  être  d'honnêtes  gens? 

Et  ne  vaut-il  pas  mieux  employer  ses  richesses 

A  jouir  des  plaisirs  qu'à  faire  des  largesses? 

Qu'ils  suivent  à  leur  gré  ces  sentimens  affreux, 

Je  me  garderai  bien  de  rien  exiger  d'eux. 

Je  n'irai  pas  ramper  ni  chercher  à  leur  plaire; 

Mon  cœur  sait,  s'il  le  faut,  affronter  la  misère. 

Et,  plus  délicat  qu'eux,  plus  sensible  à  l'honneur, 

Regarde  de  plus  près  au  choix  d'un  bienfaiteur. 

Oui,  j'en  donne  aujourd'hui  l'assurance  publique, 

Cet  écrit  en  sera  le  témoin  authentique , 

Que ,  si  jamais  le  sort  m'arrache  à  vos  bienfaits , 

Mes  besoins  jusqu'aux  leurs  ne  recourront  jamais. 

Laissez  des  envieux  la  troupe  méprisable 
Attaquer  des  vertus  dont  l'éclat  les  accable. 
Dédaignez  leurs  complots,  leur  haine,  leur  fureur; 
La  paix  n'en  est  pas  moins  au  fond  de  votre  cœur, 
Tandis  que,  vils  jouets  de  leurs  propres  furies, 
Alimens  des  serpens  dont  elles  sont  nourries , 
Le  crime  et  les  remords  portent  au  fond  des  leurs 
Le  triste  châtiment  de  leurs  noires  horreurs. 
Semblables  en  leur  rage  à  la  guêpe  maligne , 
De  travail  incapable,  et  de  secours  indigne, 
Qui  ne  vit  que  de  vols,  et  dont  enfin  le  sort 
Est  de  faire  du  mal  en  se  donnant  la  mort , 
Qu'ils  exhalent  en  vain  leur  colère  impuissante: 
Leurs  menaces  pour  vous  n'ont  rien  qui  m'épouvante. 
Ils  voudroient  d'un  grand  roi  vous  ôter  les  bienfaits; 
Mais  de  plus  nobles  soins  illustrent  ses  projets 
Leur  basse  jalousie  et  leur  fureur  injuste 
N'arriveront  jamais  jusqu'à  son  trône  auguste; 
Et  le  monstre  qui  règne  en  leurs  cœurs  abattus 
N'est  pas  fait  pour  braver  l'éclat  de  ses  vertus. 
C'est  ainsi  qu'un  bon  roi  rend  son  empire  aimable; 
Il  soutient  la  vertu  que  l'infortune  accable  : 
Quand  il  doit  menacer ,  la  foudre  est  en  ses  mains, , 


POÉSIES   DIVERSES. 

Tout  roi.  sans  s'élever  au-dessus  des  humains, 

Contre  les  criminels  peut  lancer  le  tonnerre; 

Mais,  s'il  fait  des  heureux,  c'est  un  dieu  sur  la  terre. 

Charles,  on  reconnoît  ton  empire  à  ces  traits: 

Ta  main  porte  en  tous  lieu.x  la  joie  et  les  bienfaits; 

Tes  sujets  égalés  éprouvent  ta  justice; 

On  ne  réclame  plus,  par  un  honteu-x  caprice, 

Un  principe  odieux,  proscrit  par  l'équité. 

Qui,  blessant  tous  les  droits  de  la  société. 

Brise  les  nœuds  sacrés  dont  elle  étoit  unie, 

Refuse  à  ses  besoins  la  meilleure  partie,      '      '^ 

Et  prétend  affranchir  de  ses  plus  justes  lois 

Ceux  qu'elle  fait  jouir  de  ses  plus  riches  droits. 

Ah!  s'il  t'avoit  suffi  de  te  rendre  terrible. 

Quel  autre,  plus  que  toi.  pouvoit  être  invincible. 

Quand  l'Europe  t'a  vu ,  guidant  tes  étendards . 

Seul  entre  tous  ses  rois  briller  au  champ  de  sîars? 

Mais  ce  n'est  pas  assez  d'épouvanter  la  terre: 

11  est  d'autres  devoirs  que  les  soins  de  la  guerre  : 

Et  c'est  par  eux,  grand  roi,  que  ton  peuple  aujourd'hui 

Trouve  en  toi  son  vengeur,  son  père  et  son  appui. 

Et  vous ,  sage  Warens ,  que  ce  héros  protège , 

En  vain  la  calomnie  en  secret  vous  assiège; 

Craignez  peu  ses  effets,  bravez  son  vain  courroux; 

La  vertu  vous  défend,  et  c'est  assez  pour  vous  : 

Ce  grand  roi  vous  estime ,  il  connoît  votre  zèle , 

Toujours  à  sa  parole  11  sait  être  fidèle; 

Et,  pour  tout  dire  enfin,  garant  de  ses  bontés, 

Votre  cœur  vous  répond  que  vous  les  méritez. 

On  me  connoît  assez,  et  ma  muse  sévère 
Ne  sait  point  dispenser  un  encens  mercenaire; 
Jamais  d'un  vil  ilatteur  le  langage  afiecté 
N'a  souillé  dans  mes  vers  l'auguste  vérité. 
Vous  méprisez  vous-même  un  éloge  insipide , 
Vos  sincères  vertus  n'ont  point  l'orgueil  pour  guida. 
Avec  vos; ennemis  convenons,  s'il  le  faut. 
Que  la  sagesse  en  vous  n'exclut  point  tout  défaut. 
Sur  cette  terre,  hélas!  telle  est  notre  misère, 
Que  la  perfection  n'est  qu'erreur  et  chimère.  ' 
Connoître  mes  travers  est  mon  premier  souhait, 
Et  je  fais  peu  de  cas  de  tout  homme  parfait. 
La  haine  quelquefois  donne  un  avis  utile  : 
Blâmez  cette  bonté  trop  douce  et  trop  facile 
Qui  souvent  à  leurs  yeux  a  causé  vos  malheurs. 
Recnnnoissez  en  vous  les  foibles  des  bons  cœurs  ; 
Mais  sachez  qu'en  secret  l'éternelle  sagesse 
Hait  leur  fausse  vertu  plus  que  votre  foiblesse, 
£l  qu'il  vaut  mieux  cent  fois  se  montrer  à  ses  yeux 


POESIES  DIVERSES.  5 

Imparfait  comme  vous,  que  vertueux  comme  eux. 

Vous  donc  dès  mon  enfance  attachée  à  m'instruire, 
A  travers  ma  misère,  hélas!  qui  crûtes  lire 
Que  de  quelques  talens  le  ciel  m'avoit  pourvu, 
Qui  daignâtes  former  mon  cœur  à  la  vertu . 
Vous  que  j'ose  appeler  du  tendre  nom  de  mère, 
Acceptez  aujourd'hui  cet  hommage  sincère , 
Le  tribut  légitime  et  trop  bien  mérité. 
Que  ma  reconnoissance  offre  à  la  vérité. 
Oui,  si  quelques  douceurs  assaisonnent  ma  vie, 
Si  j'ai  pu  jusqu'ici  me  soustraire  à  lenvie; 
Si,  le  cœur  plus  sensible  et  l'esprit  moins  grossier, 
Au-dessus  du  vulgaire  on  m'a  vu  m'élever: 
Enfin  .  si  chaque  jour  je  jouis  de  moi-même, 
Tantôt  en  m'élançant  jusqu'à  l'Être  suprême, 
Tantôt  en  méditant,  dans  un  profond  repos. 
Les  erreurs  des  humains,  et  leurs  biens  et  leurs  maux 
Tantôt,  philosophant  sur  les  lois  naturelles, 
J'entre  dans  le  secret  des  causes  éternelles , 
Je  cherche  à  pénétrer  tous  les  ressorts  divers. 
Les  principes  cachés  qui  meuvent  l'univers; 
Si,  dis-je,  en  mon  pouvoir  j'ai  tous  ces  avantages; 
Je  le  répète  encor.  ce  sont  là  vos  ouvrages, 
Vertueuse  Warens  :  c'est  de  vous  que  je  tiens 
Le  vrai  bonheur  de  l'homme  et  les  solides  biens. 

Sans  craintes,  sans  désirs,  dans  cette  solilude, 
Je  laisse  aller  mes  jours  exempts  d'inquiétude  : 
Oh!  que  mon  cœur  touché  ne  peut-il  à  son  gré 
Peindre  sur  ce  papier  dans  un  juste  degré 
Des  plaisirs  qu'il  ressent  la  volupté  parfaite! 
Présent  dont  je  jouis,  passé  que  je  regrette. 
Temps  précieux,  hélas!  je  ne  vous  perdrai  plus 
En  bizarres  projets,  en  soucis  superflus. 
Dans  ce  verger  charmant  j'en  partage  l'espace. 
Sous  un  ombrage  frais  tantôt  je  me  délasse; 
Tantôt  avec  Leibnitz,  Malebranche  et  Newton, 
Je  monte  ma  raison  sur  un  sublime  ton. 
J'examine  les  lois  des  corps  et  des  pensées; 
Avec  Locke  je  fais  l'histoire  des  idées; 
Avec  Kepler,  Wallis,  Barrow,  Raynaud,  Pascal, 
Je  devance  Archimède,  et  je  suis  L'Hospital'. 
Tantôt,  à  la  physique  appliquant  mes  problèmes, 
Je  me  laisse  entraîner  à  l'esprit  des  systèmes  ; 
Je  tâtonne  Descarie  et  ses  égaremens, 
Sublimes,  il  est  vrai,  mais  frivoles  romaus. 

(.  Le  marquis  de  L'Hospital,  auteur  de  V.-in.iljse  des  in/lilment  petits,  et 
de  plusieurs  autres  ouvrages  de  malliêmatinucs. 


POÉSIES  DIVERSES. 

J'abandonne  bientôt  l'hypothèse  infidèle, 

Content  d'étudier  l'histoire  naturelle. 

Là,  Pline  et  Nieuwentit.  m'aidant  de  leur  savoir, 

M'apprennent  à  penser,  ouvrir  les  yeux,  et  voir. 

Quelquefois,  descendant  de  ces  vastes  lumières, 

Des  différens  mortels  je  suis  les  caractères. 

Quelquefois,  m'amusant  jusqu'à  la  fiction, 

Télémaque  et  Séthos  me  donnent  leur  leçon; 

Ou  bien  dans  Cléveland  j'observe  la  nature. 

Qui  se  montre  à  mes  yeux  touchante  et  toujours  pure. 

Tantôt  aussi,  de  Spon  parcourant  les  cahiers 

De  ma  patrie  en  pleurs  je  relis  les  dangers. 

Genève,  jadis  sage,  ô  ma  chère  patrie! 

Quel  démon  dans  ton  sein  produit  la  frénésie 

Souviens-toi  qu'autrefois  tu  donnas  des  héros , 

Dont  le  sang  t'acheta  les  douceurs  du  repos. 

Transportés  aujourd'hui  d'une  soudaine  rage. 

Aveugles  citoyens,  cherchez-vous  l'esclavage? 

Trop  tôt  peut-être,  hélas!  pourrez-vous  le  trouver  : 

Mais,  s'il  est  encor  temps,  c'est  à  vous  d'y  songer. 

Jouissez  des  bienfaits  que  Louis  vous  accorde. 

Rappelez  dans  vos  murs  cette  antique  concorde. 

Heureux  si ,  reprenant  la  foi  de  vos  aïeux. 

Vous  n'oubliez  jamais  d'être  libres  comme  eux! 

G  vous,  tendre  Racine!  ô  vous,  aimable  Horace! 

Dans  mes  loisirs  aussi  vous  trouvez  votre  place; 

Claville,  Saint- Aubin.  Plutarque  ,  Mézeray, 

Despréaux ,  Cicéron ,  Pope ,  Rollin ,  Barclay  , 

Et  vous,  trop  doux  La  Mothe,  et  toi,  touchant  Voltaire, 

Ta  lecture  à  mon  cœur  restera  toujours  chère. 

Mais  mon  goût  se  refuse  à  tout  frivole  écrit 

Dont  l'auteur  n'a  pour  but  que  d'amuser  l'esprit  : 

Il  a  beau  prodiguer  la  brillante  antithèse, 

Semer  partout  des  fleurs,  chercher  un  tour  qui  plaise; 

Le  cœur,  plus  que  l'esprit,  a  chez  moi  des  besoins. 

Et,  s'il  n'est  attendri,  rebute  tous  ces  soins. 

C'est  ainsi  que  mes  jours  s'écoulent  sans  alarmes. 
Mes  yeux  sur  mes  malheurs  ne  versent  point  de  larmes. 
Si  des  pleurs  quelquefois  altèrent  mon  repos, 
C'est  pour  d'autres  sujets  que  pour  mes  propres  maux. 
Vainement  la  douleur,  les  craintes,  la  misère, 
Veulent  décourager  la  fin  de  ma  carrière; 
D'Épictète  asservi  la  stoïque  fierté 
M'apprend  à  supporter  les  maux,  la  pauvreté; 
Je  vois,  sans  m'affliger,  la  langueur  qui  m'accable; 
L'approche  du  trépas  ne  m'est  point  effroyable-. 
Et  le  mal  dont  mon  corps  se  sent  presque  abattu 
N'est  pour  moi  qu'un  sujet  d'affermir  ma  vertu. 


POÉSIES  DIVERSES. 


VIRELAI  A  MADAME  LA  BARONNE  DE  V/ARENS- 

Madame,  apprenez  la  nouvelle 
De  la  prise  de  quatre  rats; 
Quatre  rats  n'est  pas  bagatelle, 
Aussi  n'en  badiné-je  pas; 
Et  je  vous  mande  avec  grand  zèle 
Ces  vers  qui  vous  diront  tout  bas  : 
Madame,  apprenez  la  nouvelle 
De  la  prise  de  quatre  rats. 

A  l'odeur  d'un  friand  appas , 
Rats  sont  sortis  de  leur  caselle  ; 
Mais  ma  trappe,  arrêtant  leurs  pas, 
Les  a,  par  une  mort  cruelle. 
Fait  passer  de  vie  à  trépas. 
Madame,  apprenez  la  nouvelle 
De  la  prise  de  quatre  rats. 

Mieux  que  moi  savez  qu'ici-bâs 
N'a  pas  qui  veut  fortune  telle; 
C'est  triomphe  qu'un  pareil  cas  : 
Le  fait  n'est  pas  d'une  alumelle. 
Ainsi  donc  avec  grand  soûlas, 
Madame  ,  apprenez  la  nouvelle 
De  la  prise  de  quatre  rats. 


FRAGMENT  D'UNE  ËPITRE  A  M.  BORDES. 
Après  un  carême  ennuyeux , 
Grâce  à  Dieu  ,  voici  la  semaine 
Des  divertissemens  pieux. 
On  va  de  neuvaine  en  neuvaine , 
Dans  chaque  église  on  se  promène; 
Chaque  autel  y  charme  les  yeux; 
Le  luxe  et  la  pompe  mondaine 
Y  brillent  à  l'honneur  des  cieux. 
Là,  maint  agile  énergumène 
Sert  d'arlequin  dans  ces  saints  lieux; 
Le  moine  ignorant  s'y  démène , 
Récitant  à  perte  d'haleine 
Ses  orémus  mystérieux , 
Et  criant  d'un  ton  furieux  : 
«  Fora,  fora,  par  saint  Eugène!  t 
Rarement  la  semonce  est  vaine  ; 
Diable  et  fra  s'entendent  bien  mieux, 
L'un  à  l'autre  obéit  sans  peine. 
Sur  des  objets  plus  gracieux 
La  diversité  me  ramène. 


PO!i:SIES  DIVERSES. 

Dans  ce  temple  délicieux, 
Où  ma  dévotion  m'entraîne, 
Quelle  agitation  soudaine 
Me  rend  tous  mes  sens  précieux? 
Illumination  brillante, 
Peintures  d'une  main  savante, 
Parfams  destinés  pour  les  dieux, 
Mais  dont  la  volupté  divine 
Délecte  l'humaine  narine 
Avant  de  se  porter  aux  cieuxl 
Et  toi,  musique  ravissante. 
Du  Carcani  chef-d'œuvre  harmonieux  , 
Que  tu  plais  quand  Catine  chante! 
Elle  charme  à  la  fois  notre  oreille  et  nos  yeux. 
Beaux  sons,  que  votre  effet  est  tendre! 
Heureux  l'amant  qui  peut  s'attendre 
D'occuper  en  d'autres  momens 
La  bouche  qui  vous  fait  entendre , 
A  des  soins  encor  plus  charmans! 
Mais  ce  qui  plus  ici  m'enchante , 
C'est  mainte  dévote  piquante. 
Au  teint  frais,  à  l'œil  tendre  et  doux. 
Qui,  pour  éloigner  tout  scrupule, 
Vient  à  la  Vierge,  à  deux  genoux. 
Offrir,  dans  l'ardeur  qui  la  brûle. 
Tous  les  vœux  qu'elle  attend  de  nous. 

Tels  sont  les  familiers  colloques, 
Tels  sont  les  ardens  soliloques. 
Des  gens  dévols  en  ce  saint  lieu. 
Ma  foi,  je  ne  m'étonne  guères, 
Quand  on  fait  ainsi  ses  prières. 
Qu'on  ait  du  goût  à  prier  Dieu. 


VERS  POUR  MADAME  DE  FLEURIEU, 

Qui ,  m'ayanl  vu  dans  une  assemblée  sans  que  j'eusse  l'honneur  d'Clre  connu 
d'elle,  dit  à  M.  l'inlendanl  de  Lyon  quo  je  paroissois  avoir  de  l'esprit,  el 
qu'elle  le  gageroil  sur  ma  seule  pliysionomie. 

Déplacé  par  le  sort,  trahi  par  la  tendresse, 

Mes  maux  sont  comptés  par  mes  jours  : 
Imprudent  quelquefois,  persécuté  toujours. 
Souvent  le  châtiment  surpasse  la  foiblesse. 
0  fortune!  à  ton  gré  comble-moi  de  rigueurs; 
Mon  cœur  regrette  peu  tes  frivoles  grandeurs, 
De  tes  biens  inconstans  sans  peine  il  te  tient  quitte. 
Un  seul  dont  je  jouis  ne  dépend  point  de  toi  : 
La  divine  Fleurieu  m'a  jugé  du  mérite; 
Ma  gloire  est  assurée  et  c'est  assez  pour  moi. 


POÉSIES   DIVERSES. 


ÉPITRE   A   M.  BORDES. 

Toi  qu'aux  jeux  du  Parnasse  Apollon  même  guide, 

Tu  daignes  exciter  une  muse  timide; 

De  mes  foibles  essais  juge  trop  indulgent, 

Ton  goût  à  ta  bonté  cède  en  m'encourageant. 

Mais,  hélas!  je  n'ai  point,  pour  tenter  la  carrière. 

D'un  athlète  animé  l'assurance  guerrière; 

Et,  dès  les  premiers  pas,  inquiet  et  surpris. 

L'haleine  m'abandonne,  et  je  renonce  au  prix. 

Bordes,  daigne  juger  de  toutes  mes  alarmes: 

Vois  quels  sont  les  combats,  et  quelles  sont  les  armes. 

Ces  lauriers  sont  bien  doux,  sans  doute,  à  remporter  ; 

Mais  quelle  audace  à  moi  d'oser  les  disputer! 

Quoi!  j'irois  sur  le  ton  de  ma  lyre  rustique 

Faire  jurer  en  vers  une  muse  helvétique: 

Et.  prêchant  durement  de  tristes  vérités, 

Révolter  contre  moi  les  lecteurs  irrités! 

Plus  heureux^  si  tu  veux,  encor  que  téméraire, 

Quand  mes  foibles  talens  trouveroienl  l'art  de  plaire; 

Quand,  des  sifflets  publics  par  bonheur  préservés, 

Mes  vers  des  gens  de  goût  pcmrroient  être  approuvés. 

Dis-moi  sur  quel  sujet  s'exercera  ma  muse. 

Tout  poète  est  menteur,  et  le  métier  l'excuse; 

Il  sait  en  mots  pompeux  faire  d'un  riche  fat 

Un  nouveau  Mécénas,  un  pilier  de  l'État. 

Mais  moi.  qui  connois  peu  les  usages  de  France, 

Moi,  lier  républicain  que  blesse  l'arrogance. 

Du  riche  impertinent  je  dédaigne  l'appui. 

S'il  le  faut  mendier  en  rampant  devant  lui , 

Et  ne  sais  applaudir  qu'à  toi,  qu'au  vrai  mérite  : 

La  solte  vanité  me  révolte  et  m'irrite. 

Le  riche  me  méprise  ;  et ,  malgré  son  orgueil , 

Nous  nous  voyons  souvent  à  peu  près  de  même  œiL 

Mais,  quelque  haine  en  moi  que  le  travers  inspire, 

Mon  cœur  sincère  et  franc  abhorre  la  satire  : 

Trop  découvert  peut-être,  et  jamais  criminel. 

Je  dis  la  vérité  sans  l'abreuver  de  fiel. 

Ainsi  toujours  ma  plume,  implacable  ennemis 
Et  de  la  flatterie  et  de  la  calomnie. 
Ne  sait  point  en  ses  vers  trahir  la  vérité; 
Et,  toujours  accordant  un  tribut  mérité, 
Toujours  prête  à  donner  des  louanges  acquises. 
Jamais  d'un  vil  Crésus  n'encensa  les  sottises. 

0  vous  qiM  dans  le  sein  d'une  humble  obscurité 
Nourrissez  les  vertus  avec  la  pauvreté, 
Dont  les  désirs  bornés  dans  la  sage  indigence 


10  POÉSIES  DIVERSES. 

Méprisent  sans  orgueil  une  vaine  abondance, 

Restes  trop  précieux  de  ces  antiques  temps 

Où  des  moindres  apprêts  nos  ancêtres  contens, 

Recherchés  dans  leurs  mœurs,  simples  dans  leur  parure, 

Ne  sentoient  de  besoins  que  ceux  de  la  nature: 

Illustres  malheureux,  quels  lieux  habitez-vous? 

Dites,  quels  sont  vos  noms?  Il  me  sera  trop  doux 

D'exercer  mes  talens  à  chanter  votre  gloire , 

A  vous  éterniser  au  temple  de  mémoire; 

Et  quand  mes  foibles  vers  n'y  pourroient  arriver , 

Ces  noms  si  respectés  sauront  les  conserver. 

Mais  pourquoi  m'occuper  d'une  vaine  chimère? 
Il  n'est  plus  de  sagesse  où  règne  la  misère  ; 
Sous  le  poids  de  la  faim  le  mérite  abattu 
Laisse  en  un  triste  cœur  éteindre  la  vertu. 
Tant  de  pompeux  discours  sur  l'heureuse  indigence 
M'ont  bien  l'air  d'être  nés  du  sein  de  l'abondance  : 
Philosophe  commode ,  on  a  toujours  grand  soin 
De  prêcher  les  vertus  dont  on  n'a  pas  besoin. 

Bordes,  cherchons  ailleurs  des  sujets  pour  ma  muse; 
De  la  pitié  qu'il  fait  souvent  le  pauvre  abuse, 
Et,  décorant  du  nom  de  sainte  charité 
Les  dons  dont  on  nourrit  sa  vile  oisiveté , 
Sous  l'aspect  des  vertus  que  l'infortune  opprime 
Cache  l'amour  du  vice  et  le  penchant  au  crime 
J'honore  le  mérite  aux  rangs  les  plus  abjects  ; 
Mais  je  trouve  à  louer  peu  de  pareils  sujets. 

Non ,  célébrons  plutôt  l'innocente  industrie 
Qui  sait  multiplier  les  douceurs  de  la  vie, 
Et,  salutaire  à  tous  dans  ses  utiles  soins, 
Par  la  route  du  luxe  apaise  les  besoins. 
C'est  par  cet  art  charmant  que  sans  cesse  enrich 
On  voit  briller  au  loin  ton  heureuse  patrie'. 

Ouvrages  précieux,  superbes  ornemens, 
On  diroit  que  Minerve,  en  ses  arausemens, 
Avec  l'or  et  la  soie  a  d'une  main  savante 
Formé  de  vos  dessins  la  tissure  élégante. 
Turin,  Londres,  en  vain,  pour  vous  le  disputer, 
Par  de  jaloux  efforts  veulent  vous  imiter  : 
Vos  mélanges  charmans ,  assortis  par  les  Grâces , 
Les  laissent  de  bien  loin  s'épuiser  sur  vos  traces. 
Le  bon  goût  les  dédaigne,  et  triomphe  chez  vous; 
Et,  tandis  qu'entraînés  par  leur  dépit  jaloux. 
Dans  leurs  ouvrages  froids  ils  forcent  la  nature, 
Votre  vivacité ,  toujours  brillante  et  pure , 
Donne  à  ce  qu'elle  pare  un  œil  plus  délicat, 

4    La  ville  de  Lyon.  / 


POÉSIES   DIVERSES.  11 

Et  même  à  la  beauté  prête  encor  de  l'éclat. 

Ville  heureuse,  qui  fais  l'ornement  de  la  France, 
Trésor  de  l'univers,  source  de  l'abondance, 
Lyon ,  séjour  charmant  des  enfans  de  Plutus . 
Dans  tes  tranquilles  murs  tous  les  arts  sont  reçus  : 
D'un  sage  protecteur  le  goût  les  y  rassemble; 
Apollon  et  Plutus,  étonnés  d'être  ensemble, 
De  leurs  longs  différends  ont  peine  à  revenir. 
Et  demandent  quel  dieu  les  a  pu  réunir. 
On  reconnoît  tes  soins ,  Fallu  '  :  tu  nous  ramènes 
Les  siècles  renommés  et  de  Tyr  et  d'Athènes  : 
De  mille  éclats  divers  Lyon  brille  à  la  fois, 
Et  son  peuple  opulent  semble  un  peuple  de  rois. 

Toi,  digne  citoyen  de  cette  ville  illustre, 
Tu  peux  contribuer  à  lui  donner  du  lustre, 
Par  tes  heureux  talens  tu  peux  la  décorer , 
Et  c'est  lui  faire  un  vol  que  de  plus  différer. 

Comment  oses-tu  bien  me  proposer  d'écrire , 
Toi  que  Minerve  même  avoit  pris  soin  d'instruire, 
Toi,  de  ses  dons  divins  possesseur  négligent. 
Qui  viens  parler  pour  elle  encore  en  l'outrageant? 
Ah  !  si  du  feu  divin  qui  brille  en  ton  ouvrage 
Une  étincelle  au  moins  eût  été  mon  partage, 
Ma  muse  quelque  jour,  attendrissant  les  cœurs. 
Peut-être  sur  la  scène  eût  fait  couler  des  pleurs. 
Mais  je  te  parle  en  vain-,  insensible  à  mes  plaintes, 
Par  de  cruels  refus  tu  confirmes  mes  craintes. 
Et  je  vois  qu'impuissante  à  fléchir  tes  rigueurs, 
Blanche'  n'a  pas  encore  épuisé  ses  malheurs. 


ÉPITRE  A  M.  PARISOT  , 

ACHEVÉE     t,E      iO     JUILt-ET      <742. 

Ami,  daigne  souffrir  qu'à  tes  yeu-x  aujourd'hui 
Je  dévoile  ce  cœur  plein  de  trouble  et  d'ennui  : 
Toi  qui  connus  jadis  mon  âme  tout  entière . 
Seul  en  qui  je  trouvois  un  ami  tendre,  un  père, 
Rappelle  encor  pour  moi  tes  premières  bontés  ; 
Rends  tes  soins  à  mon  cœur,  il  les  a  mérités. 

Ne  crois  pas  qu'alarmé  par  de  frivoles  craintes 
De  ton  silence  ici  je  te  fasse  des  plaintes; 
Que  par  de  faux  soupçons,  indignes  de  tous  deux, 
Je  puisse  t'accuser  d'un  mépris  odieux. 

4.  Intendant  de  Lyon. 

•2.  Blanche  de  Bourbon,  tragédie  de  M.  Bol  des,  qu'au  grand  rcgrel  de  ses 
mis  il  refuse  conslamraenl  de  mellrc  au  liicàlrc. 


POÉSIES   DIVERSES. 

Non,  tu  voudrois  en  vain  t'obstiner  à  te  taire  : 
Je  sais  trop  expliquer  ce  langage  sévère 
Sur  ce  triste  projet  que  je  t'ai  dévoilé; 
Sans  m'avoir  répondu,  ton  silence  a  parlé. 
Je  ne  m'excuse  point  dès  qu'un  ami  me  blâme; 
Le  vil  orgueil  n'est  pas  le  vice  de  mon  âme  : 
J'ai  reçu  quelquefois  de  solides  avis 
Avec  bonté  donnés ,  avec  zèle  suivis. 
J'ignore  ces  détours  dont  les  vaines  adresses 
En  autant  de  vertus  transforment  nos  foiblesses, 
Et  jamais  mon  esprit,  sous  de  fausses  couleurs, 
Ne  sut  à  tes  regards  déguiser  ses  erreurs. 
Mais  qu'il  me  soit  permis,  par  un  soin  légitime, 
De  conserver  du  moins  des  droits  à  ton  estime  : 
Pèse  mes  sentimens,  mes  raisons,  et  mon  choix, 
Et  décide  mon  sort  pour  la  dernière  fois. 

Né  dans  l'obscurité,  j'ai  fait  dès  mon  enfance 
Des  caprices  du  sort  la  triste  expérience: 
Et  s'il  est  quelque  bien  qu'il  ne  m'ait  p.oint  ôlé, 
Même  par  ses  faveurs  il  m'a  persécuté. 
Il  m'a  fait  naître  libre,  hélas!  pour  quel  usage? 
Qa"il  m'a  vendu  bien  cher  un  si  vain  avantage  ! 
Je  suis  libre  en  effet;  mais  de  ce  bien  cruel 
J'ai  reçu  plus  d'ennui  que  d'un  malheur  réel. 
Ah!  s'il  falloit  un  jour,  absent  de  ma  patrie, 
Traîner  chez  l'étranger  ma  languissante  vie. 
S'il  falloit  bassement  ramper  auprès  des  grands. 
Que  n'en  ai-je  appris  l'art  dès  mes  plus  jeunes  ans! 
Mais  sur  d'autres  leçons  on  forma  ma  jeunesse. 
On  me  dit  de  remplir  mes  devoirs  sans  bassesse. 
De  respecter  les  grands,  les  magistrats,  les  rois. 
De  chérir  les  humains,  et  d'obéir  aux  lois  : 
Mais  on  m'apprit  aussi  qu'ayant  par  ma  naissance 
Le  droit  de  partager  la  suprême  puissance. 
Tout  petit  que  j'étois,  foible,  obscur  citoyen, 
Je  faisois  cependant  membre  du  souverain; 
Qu'il  falloit  soutenir  un  si  noble  avantage 
Par  le  cœur  d'un  héros,  par  les  vertus  d'un  sage; 
Qu'enfin  la  liberté,  ce  cher  présent  des  cieux. 
N'est  qu'un  fléau  fatal  pour  les  cœurs  vicieux. 
Avec  le  lait,  chez  nous,  on  suce  ces  maximes. 
Moins  pour  s'enorgueillir  de  nos  droits  légitimes 
Que  pour  savoir  un  jour  se  donnw  à  la  fois 
Les  meilleurs  magistrats  et  les  plus  sages  lois. 

a  'Vois-tu,  me  disoit-on,  ces  nations  puissantes 
Fournir  rapidement  leurs  carrières  brillantes? 
Tout  ce  vain  appareil  qui  remplit  l'univers 
N'est  qu'un  frivole  éclat  qui  leur  cache  leurs  ï^vs. 


POÉSIES   DIVERSES.  13 

Par  leur  propre  valeur  ils  forgent  leurs  entraves  : 

Ils  font  les  conquérans,  et  sont  ds  vils  esclaves; 

Et  leur  vaste  pouvoir,  que  l'art  avoit  produit, 

Par  le  luxe  bientôt  se  retrouve  détruit. 

Un  soin  bien  différent  ici  nous  intéresse, 

Notre  plus  grande  force  est  dans  notre  foiblesse  : 

Nous  vivons  sans  regret  dans  l'humble  obscurité  ; 

Mais  du  moins  dans  nos  murs  on  est  en  liberté. 

Nous  n'y  connoissons  point  la  superbe  arrogance, 

Nuls  titres  fastueux,  nulle  injuste  puissance. 

De  sages  magistrats,  établis  par  nos  voix. 

Jugent  nos  différends,  font  observer  nos  lois. 

L'art  n'est  point  le  soutien  de  notre  république  : 

Être  juste  est  chez  nous  l'unique  politique; 

Tous  les  ordres,  divers  sans  inégalité. 

Gardent  chacun  le  rang  qui  leur  est  affecté. 

Nos  chefs,  nos  magisLrats,  simples  dans  leur  parure, 

Sans  étaler  ici  le  luxe  et  la  dorure , 

Parmi  nous  cependant  ne  sont  point  confondus  : 

Ils  en  sont  distingués,  mais  c'est  par  leurs  vertus. 

Puisse  durer  toujours  cette  union  charmante! 

Hélas!  on  voit  si  peu  de  probité  constante! 

Il  n'est  rien  que  le  temps  ne  corrompe  à  la  fin: 

Tout,  jusqu'à  la  sagesse,  est  sujet  au  déclin.» 

Par  ces  réflexions  ma  raison  exercée 
M'apprit  à  mépriser  celte  pompe  insensée 
Par  qui  l'orgueil  des  grands  brille  de  toutes  parts, 
Et  du  peuple  imbécile  attire  les  regards. 
Mais  qu'il  m'en  coûta  cher  quand,  pour  toute  ma  vie, 
La  foi  m'eut  éloigné  du  sein  de  ma  patrie; 
Quand  je  me  vis  enlin,  sans  appui,  sans  secours, 
A  ces  mêmes  grandeurs  contraint  d'avoir  recours! 

Non,  je  ne  puis  penser,  sans  répandre  des  larmes. 
A  ces  momens  affreux,  pleins  de  trouble  et  d'alarmes, 
Où  j'éprouvai  qu'enfin  tous  ces  beaux  sentimens. 
Loin  d'adoucir  mon  sort,  irritoient  mes  tourmens. 
Sans  doute  à  tous  les  yeux  la  misère  est  horrible  : 
Mais  pour  qui  sait  penser  elle  est  bien  plus  sensible. 
A  force  de  ramper  un  lâche  en  peut  sortir  : 
L'honnête  homme  à  ce  prix  n'y  sauroit  consentir. 
Encor  si  de  vrais  grands  recevoient  mon  hommage, 
Ou  qu'ils  eussent  du  moins  le  mérite  en  partage. 
Mon  cœur  par  les  respects  noblement  accordés 
Reconnoîtroit  des  dons  qu'il  n'a  pas  possédés  : 
Mais  faudra-t-il  qu'ici  mon  humble  obéissance 
De  ces  fiers  campagnards  nourrisse  l'arrogance? 
Quoi!  de  vils  parchemins,  par  faveur  obtenus. 
Leur  donneront  le  droit  de  vivre  sans  vertus  ! 


Ik  POÉSIES   DIVERSES. 

Et,  malgré  mes  efforts,  sans  mes  respects  serviles, 
Mon  zèle  et  mes  talens  resteront  inutiles! 
Ah  !  de  mes  tristes  jours  voyons  plutôt  la  fin 
Que  de  jamais  subir  un  si  lâche  destin. 

Ces  discours  insensés  troubloient  ainsi  mon  âme; 
Je  les  tenois  alors;  aujourd'hui  je  les  blâme  : 
De  plus  sages  leçons  ont  formé  mon  esprit; 
Mais  de  bien  des  malheurs  ma  raison  est  le  fruit. 

Tu  sais,  cher  Parisot,  quelle  main  généreuse 
Vint  tarir  de  mes  maux  la  source  malheureuse; 
Tu  le  sais,  et  tes  yeux  ont  été  les  témoins 
Si  mon  cœur  sait  sentir  ce  qu'il  doit  à  tes  soins. 
Mais  mon  zèle  enflammé  peut-il  jamais  prétendre 
De  payer  les  bienfaits  de  cette  mère  tendre? 
Si  par  les  sentimens  on  y  peut  aspirer. 
Ah  !  du  moins  par  les  miens  j"ai  droit  de  l'espérer. 

Je  puis  compter  pour  peu  ses  bontés  secourables; 
Je  lui  dois  d'autres  biens,  des  biens  plus  estimables, 
Les  biens  de  la  raison,  les  sentimens  du  cœur, 
Même  par  les  talens  quelques  droits  à  l'honneur. 
Avant  que  sa  bonté,  du  sein  de  la  misère, 
Aux  plus  tristes  besoins  eût  daigné  me  soustraire, 
J'étois  un  vil  enfant,  du  sort  abandonné, 
Peut-être  dans  la  fange  à  périr  destiné, 
Orgueilleux  avorton,  dont  la  fierté  burlesque 
Mèloit  comiquement  l'enfance  au  romanesque, 
Aux  bons  faisoit  pitié,  faisoit  rire  les  fous. 
Et  des  sots  quelquefois  excitoit  le  courroux. 
Mais  les  hommes  ne  sont  que  ce  qu'on  les  fait  être  . 
A  peine  à  ses  regards  j'avois  osé  paroître, 
Que,  de  ma  bienfaitrice  apprenant  mes  erreurs., 
Je  sentis  le  besoin  de  corriger  mes  mœurs  : 
J'abjurai  pour  toujours  ces  maximes  féroces, 
Du  préjugé  natal  iruits  amers  et  précoces, 
Qui  dès  les  jeunes  ans,  par  leurs  acres  levains, 
Nourrissent  la  fierté  des  cœurs  républicains; 
J'appris  à  respecter  une  noblesse  illustre, 
Qui  même  à  la  vertu  sait  ajouter  du  lustre. 
Il  ne  seroit  pas  bon  dans  la  société 
Qu'il  fût  entre  les  rangs  moins  d'inégalité. 
Irai-je  faire  ici,  dans  ma  vaine  marotte, 
Le  grand  déclamateur ,  le  nouveau  don  Quichotte  ? 
Le  destin  sur  la  terre  a  réglé  les  états , 
Et  pour  moi  sûrement  ne  les  changera  pas. 
Ainsi  de  ma  raison  si  longtemps  languissante 
Je  me  formai  dès  lors  une  raison  naissante  : 
Par  les  soins  d'une  mère  incessamment  conduit, 
Bientôt  de  ses  bontés  je  recueillis  le  fruit 


POÉSIES  DIVERSES.  15 

Je  connus  que  surtout  cette  roideur  sauvage 

Dans  le  monde  aujourd'hui  seroit  d'un  triste  usage; 

La  modestie  alors  devint  chère  à  mon  cœur; 

Jairaai  l'humanité,  je  chéris  la  douceur; 

Et,  respectant  des  grands  le  rang  et  la  naissance, 

Je  souffris  leurs  hauteurs,  avec  cette  espérance 

Que,  malgré  tout  l'éclat  dont  ils  sont  revêtus, 

Je  les  pourrai  du  moins  égaler  en  vertus. 

Enfin,  pendant  deux  ans,  au  sein  de  ta  patrie, 

J'appris  à  cultiver  les  douceurs  de  la  vie. 

Du  Portique  autrefois  la  triste  austérité 

A  mon  goût  peu  formé  raêloit  sa  dureté  : 

Épictète  et  Zenon,  dans  leur  fierté  sloiique, 

Me  faisoient  admirer  ce  courage  héroïque 

Qui.  faisant  des  faux  biens  un  mépris  généreu.x , 

Par  la  seule  vertu  prétend  nous  rendre  heureux 

Longtemps  de  cette  erreur  la  brillanle  chimère 

Séduisit  mon  esprit,  roidit  mon  caractère: 

Mais,  malgré  tant  d'efforts,  ces  vaines  fictions 

Ont-elles  de  mon  cœur  banni  les  passions? 

Il  n'est  permis  qu'à  Dieu,  qu'à  l'essence  suprême, 

D'être  toujours  heureuse .  et  seule  par  soi-même  : 

Pour  l'homme,  tel  qu'il  est  pour  l'esprit  et  le  cœur, 

Otez  les  passions,  il  n'est  plus  de  bonheur. 

C'est  toi,  cher  Parisot,  c'est  ton  commerce  aimable, 

De  grossier  que  j'étois,  qui  me  rendit  traitable  : 

Je  reconnus  alors  combien  il  est  charmant 

De  joindre  à  la  sagesse  un  peu  d'amusement. 

Des  amis  plus  polis,  un  climat  moins  sauvage. 

Des  plaisirs  innocens  m'enseignèrent  l'usage  : 

Je  vis  avec  transport  ce  spectacle  enchanteur 

Par  la  route  des  sens  qui  sait  aller  au  cœur. 

Le  mien,  qui  jusqu'alors  avoit  été  paisible, 

Pour  la  première  lois  enfin  devint  sensible  : 

L'amour,  malgré  mes  soins,  heureux  de  m'égarer, 

Auprès  de  deux  beaux  yeux  m'apprit  à  soupirer. 

Bons  mots,  vers  élégans,  conversations  vives, 

Un  repas  égayé  par  d'aimables  convives , 

Petits  jeux  de  commerce  et  d'où  le  chagrin  fuit 

Où,  sans  risquer  la  bourse,  on  délasse  l'esprit; 

En  un  mot,  les  attraits  d'une  vie  opulente, 

Qu'aux  vœux  de  l'étranger  sa  richesse  présente, 

Tous  les  plaisirs  du  goût,  le  charme  des  beaux-arts, 

A  mes  yeux  enchantés  brilloient  de  toutes  parts. 

Ce  n'est  pas  cependant  que  mon  âme  égarée 

Donnât  dans  le  travers  d'une  mollesse  outrée  : 

L'innocence  est  le  bien  le  plus  cher  à  mon  cœur; 

La  débauche  et  l'excès  sont  des  objets  d'horreur  .  • 


16  POÉSIES   DIVERSES. 

Les  coupables  plaisirs  sont  les  tourmens  de  i'âme, 
Jls  sont  trop  achetés  s'ils  sont  dignes  de  blâme. 
Sans  doute  le  plaisir,  pour  être  un  bien  réel, 
Doit  rendre  l'homme  heureux  et  non  pas  criminel  : 
Mais  il  n'est  pas  moins  vrai  que  de  notre  carrière 
Le  ciel  ne  défend  pas  d'adoucir  la  misère; 
Et,  pour  finir  ce  point  trop  longtemps  débattu, 
Rien  ne  doit  être  outré,  pas  même  la  vertu. 

Voilà  de  mes  erreurs  un  abrégé  fidèle  : 
C'est  à  toi  de  juger,  ami,  sur  ce  modèle. 
Si  je  puis,  près  des  grands  implorant  de  l'appui, 
A  la  fortune  encor  recourir  aujourd'hui. 
De  la  gloire  est-il  temps  de  rechercher  le  lustre? 
Me  voici  presque  au  bout  de  mon  sixième  lustre  : 
La  moitié  de  mes  jours  dans  l'oubli  sont  passés, 
Et  déjà  du  travail  mes  esprits  sont  lassés. 
Avide  de  science ,  avide  de  sagesse , 
Je  n'ai  point  aux  plaisirs  prodigué  ma  jeunesse  : 
J'osai  d'un  temps  si  cher  faire  un  meilleur  emploi  ; 
L'étude  et  la  vertu  furent  la  seule  loi 
Que  je  me  proposai  pour  régler  nca  conduite; 
Mais  ce  n'est  point  par  art  qu'on  acquiert  du  mérite 
Que  sert  un  vain  travail  par  le  ciel  dédaigné , 
Si  de  son  but  toujours  on  se  voit  éloigné? 
Comptant  par  mes  talens  d'assurer  ma  fortune, 
Je  négligeai  ces  soins,  cette  brigue  importune, 
Ce  manège  subtil,  par  qui  cent  ignorans 
Ravissent  la  faveur  et  les  bienfaits  des  grands. 

Le  succès  cependant  trompe  ma  confiance  : 
De  mes  foibles  progrès  je  sens  peu  d'espérance, 
Et  je  vois  qu'à  juger  par  des  effets  si  lents 
Pour  briller  dans  le  monde  il  faut  d'autres  talens. 
Et,  qu'y  ferois-je,  moi,  de  qui  l'abord  timide 
Ne  sait  point  affecter  cette  audace  intrépide, 
Cet  air  content  de  soi,  ce  ton  fier  et  joli 
Qui  du  rang  des  badauds  sauve  l'iiomme  poli? 
Faut-il  donc  aujourd'hui  m'en  aller  dans  le  monde 
Vanter  impudemment  ma  science  profonde , 
Et,  toujours  en  secret  démenti  par  mon  cœur. 
Me  prodiguer  l'encens  et  les  degrés  d'honneur? 
Faudra-t-il,  d'un  dévot  affectant  la  grimace. 
Faire  servir  le  ciel  à  gagner  une  place , 
Et,  par  l'hypocrisie  assurant  mes  projets. 
Grossir  l'heureux  essaim  de  ces  hommes  parfaits. 
De  ces  humbles  dévots,  de  qui  la  modestie 
Compte  par  leurs  vertus  tous  les  jours  de  leur  vie 
Pour  glorifier  Dieu  leur  bouche  a  tour  à  tour 
Quelque  nouvelle  grâce  à  rendre  chaque  jour. 


POÉSIES   DIVERSES  17 

Mais  l'orgueilleux  en  vain,  d'une  adresse  ciirétienne, 
Sous  la  gloire  de  Dieu  veut  étaler  la  sienne  : 
L'homme  vraiment  sensé  fait  le  mépris  qu'il  doit 
Des  mensonges  du  fat,  et  du  sot  qui  les  croit. 
Non,  je  ne  puis  forcer  mon  esprit,  né  sincère, 
A  déguiser  ainsi  mon  propre  caractère; 
Il  en  coûteroit  trop  de  contrainte  à  mon  cœur  : 
A  cet  indigne  prix  je  renonce  au  bonlieur. 
D'ailleurs  il  faudroit  donc,  fils  lâche  et  mercenaire, 
Trahir  indignement  les  bontés  d'une  mère , 
Et,  payant  en  ingrat  tant  de  bienfaits  reçus, 
Laisser  à  d'autres  mains  les  soins  qui  lui  sont  dus. 
Ah  !  ces  soins  sont  trop  chers  à  ma  reconnoissance  : 
Si  le  ciel  n'a  rien  mis  de  plus  en  ma  puissance, 
Du  moins  d'un  zèle  pur  les  vœux  trop  mérités 
Par  mon  cœur  chaque  jour  lui  seront  présentés. 
Je  sais  trop ,  il  est  vrai ,  que  ce  zèle  inutile 
Ne  peut  lui  procurer  un  destin  plus  tranquille  : 
En  vain  dans  sa  langueur  je  veux  la  soulager; 
Ce  n'est  pas  les  guérir  que  de  les  partager. 
Hélas  !  de  ses  tourmens  le  spectacle  funeste 
Bientôt  de  mon  courage  étouffera  le  reste  : 
C'est  trop  lui  voir  porter,  par  d'éternels  efforts, 
Et  les  peines  de  l'âme  et  les  douleurs  du  corps. 
Que  lui  sert  de  chercher  dans  cette  solitude 
A  fuir  l'éclat  du  monde  et  son  inquiétude. 
Si  jusqu'en  ce  désert,  à  la  paix  destiné. 
Le  sort  lui  donne  encore,  à  lui  nuire  acharné, 
D'un  affreux  procureur  le  voisinage  horrible. 
Nourri  d'encre  et  de  fiel,  dont  la  griffe  terrible 
De  ses  tristes  voisins  est  plus  crainte  cent  fois 
Que  le  hussard  cruel  du  pauvre  Bavarois? 

Mais  c'est  trop  t'accabler  du  récit  de  nos  pe'nes  : 
Daigne  mé  pardonner,  ami,  ces  plaintes  vaines; 
C'est  le  dernier  des  biens  permis  aux  malheureux, 
De  voir  plaindre  leurs  maux  par  les  cœurs  généreux. 
Telle  est  de  mes  malheurs  la  peinture  naïve. 
Juge  de  l'avenir  sur  cette  perspective; 
Vois  si  je  dois  encor,  par  des  soins  impuissans, 
Offrir  à  la  fortune  un  inutile  encens. 
Non,  la  gloire  n'est  point  l'idole  de  mon  âme; 
Je  n'y  sens  point  brûler  cette  divine  flamme 
Qui,  d'un  génie  heureux  animant  les  ressorts-. 
Le  force  à  s'élever  par  de  nobles  efforts. 
Que  m'importe  après  tout  ce  que  pensent  les  hommes? 
Leurs  honneurs,  leurs  mépris  font-ils  ce  que  nous  sommes? 
Et  qui  ne  sait  pas  l'art  de  s'en  faire  ad-nirer 
A  la  félicité  ne  peut-il  aspirer? 

Kl>ij~s*-,AU  VJ'  2 


18  POÉSIES   DIVERSES. 

L'ardente  ambition  a  l'éclat  en  partage, 
Mais  les  plaisirs  du  cœur  font  le  bonheur  du  sage. 
Que  ces  plaisirs  sont  doux  à  qui  sait  les  goûter! 
Heureux  qui  les  connoît  et  sait  s'en  contenter! 
Jouir  de  leurs  douceurs  dans  un  état  paisible. 
C'est  le  plus  cher  désir  auquel  je  suis  sensible. 
Un  bon  livre,  un  ami,  la  liberté,  la  paix. 
Faut  il  pour  vivre  heureux  former  d'autres  souhaits? 
Les  grandes  passions  sont  des  sources  de  peine  : 
J'évite  les  dangers  où  leur  penchant  entraîne; 
Dans  leurs  pièges  adroits  si  l'on  me  voit  tomber, 
Du  moins  je  ne  fais  pas  gloire  d'y  succomber. 
De  mes  égaremens  mon  cœur  n'est  point  complice; 
Sans  être  vertueux  je  déteste  le  vice  ; 
Et  le  bonheur  en  vain  s'obstine  à  se  cacher, 
Puisqu'enfin  je  connois  où  je  dois  le  chercher. 


L'ALLÉE  DE  SYLVIE'. 

Qu'à  m'égarer  dans  ces  bocages 
Mon  cœur  goûte  de  voluptés! 
Que  je  me  plais  sous  ces  ombrages! 
Que  j'aime  ces  flots  argentés  ! 
Douce  et  charmante  rêverie, 
Solitude  aimable  et  chérie, 
Puissiez-vous  toujours  me  charmer! 
De  ma  triste  et  lente  carrière 
Rien  n'adouciroit  la  misère 
Si  je  cessois  de  vous  aimer. 
Fuyez  de  cet  heureux  asile , 
Fuyez  de  mon  âme  tranquille. 
Vains  et  tumultueux  projets; 
Vous  pouvez  promettre  sans  cesse 
Et  le  bonheur  et  la  sagesse. 
Mais  vous  ne  les  donnez  jamais. 
Quoi  !  l'homme  ne  pourra-t-il  vivre, 
A  moins  que  son  cœur  ne  se  livre 
Aux  soins  d'un  douteux  avenir? 
Et  si  le  temps  coule  si  vite, 
Au  lieu  de  retarder  sa  fuite. 
Faut-il  encor  la  prévenir? 
Oh!  qu'avec  moins  de  prévoyance 
La  vertu ,  la  simple  innocence, 
For.t  des  heureux  à  peu  de  frais! 
Si  peu  de  bien  suffit  au  sage , 


«.  Dans  le  parc  do  Chenonecaux.  (Eu.) 


POÉSIES  DIVERSES.  19 

Qu'avec  le  plus  léger  partage 

Tous  ses  désirs  sont  satisfaits. 

Tant  de  soins,  tant  de  prévoyance. 

Sont  moins  des  fruit-;  de  la  prudence 

Que  des  fruits  de  l'ambition. 

L'hommî  conte;.t  du  nécessaire 

Craint  peu  la  fortune  contraire, 

Quand  son  cœur  est  sans  passin. 

Passions,  source  de  délices. 

Passions,  source  de  supplices; 

Cruels  tyrans,  doux  séducteurs, 

Sans  vos  fureurs  impétueuses , 

Sans  vos  amorces  dangereuses, 

La  paix  seroit  dans  tous  les  cœurs. 

Malheur  au  mortel  méprisable 

Qui  dans  son  âme  insatiable 

Nourrit  l'ardente  soif  de  l'or! 

Que  du  vil  penchant  qui  l'entraîne 

Chaque  instant  il  trouve  la  peine 

Au  fond  même  de  son  trésor! 

Malheur  à  l'âme  ambitieuse 

De  qui  l'insolence  odieuse 

Veut  asservir  tous  les  humains! 

Qu'à  ses  rivaux  toujours  en  butte, 

L'abîme  apprêté  pour  sa  chute 

Soit  creusé  de  ses  propres  mains!  » 

Malheur  à  tout  homme  farouche, 

A  tout  mortel  que  rien  ne  touche 

Que  sa  propre  félicité  ! 

Qu'il  éprouve  dans  sa  misère. 

De  la  part  de  son  propre  frère, 

La  même  insensibilité  1 

Sans  doute  un  cœur  né  pour  le  crimo 

Est  fait  pour  être  la  victime 

De  ces  affreuses  passions-, 

Mais  jamais  du  ciel  condamnée 

On  ne  vit  une  âme  bien  née 

Céder  à  leurs  séductions. 

11  en  est  de  plus  dangereuses. 

De  qui  les  amorces  flatteuses 

Déguisent  bien  mieux  le  poison, 

Et  qui  toujours,  dans  un  cœur  tendre, 

Commencent  à  se  faire  entendre 

En  faisant  taire  la  raison  : 

Mais  du  moins  leurs  leçons  charmantes 

N'imposent  que  d'aimables  lois; 

La  haine  et  ses  fureurs  sanglantes 

S'endorment  à  leur  douce  voix. 


20  POÉSIES  Diverses. 

Des  sentimens  si  légitimes 
Seront-ils  toujours  combattus? 
Nous  les  mettons  au  rang  des  crimes 
Ils  devroient  être  des  vertus. 
Pourquoi  de  ces  penchans  aimables 
Le  ciel  nous  fait-il  un  tourment? 
Il  en  est  tant  de  plus  coupables 
Qu'il  traite  moins  sévèrement  1 
0  discours  trop  remplis  de  charmes. 
Est-ce  à  moi  de  vous  écouter  ? 
Je  fais  avec  mes  propres  armes 
Les  maux  que  je  veux  éviter. 
Une  langueur  enchanteresse 
Me  poursuit  jusqu'en  ce  séjour; 
J'y  veux  moraliser  sans  cesse , 
Et  toujours  j'y  songe  à  l'amour. 
Je  sens  qu'une  âme  plus  tranquille. 
Plus  exempte  de  tendres  soins, 
Plus  libre  en  ce  charmant  asile, 
Philosopheroit  beaucoup  moins. 
Ainsi  du  feu  qui  me  dévore 
Tout  sert  à  fomenter  l'ardeur  : 
Hélas!  n'est-il  pas  temps  encore 
Que  la  paix  règne  dans  mon  eœur'/ 
Déjà  de  mon  septième  lustre 
Je  vois  le  terme  s'avancer; 
Déjà  la  jeunesse  et  son  lustre 
Chez  moi  commence  à  s'effacer. 
La  triste  et  sévère  sagesse 
Fera  bientôt  fuir  les  amours; 
Bientôt  la  pesante  vieillesse 
Va  succéder  à  mes  beaux  jours. 
Alors  les  ennuis  de  la  vie 
Chassant  l'aimable  volupté, 
•  On  verra  la  philosophie 
Naître  de  la  nécessité  ; 
On  me  verra  par  jalousie, 
Prêcher  mes  caduques  vertus, 
Et  souvent  blâmer  par  envie 
Les  plaisirs  que  je  n'aurai  plus. 
Mais  malgré  les  glaces  de  l'âge, 
Raison,  malgré  ton  vain  effort, 
Le  sage  a  souvent  fait  naufrage 
Quarid  il  croyoit  toucher  au  port. 

0  sagesse,  aimable  chimère, 
Douce  illusion  de  nos  cœurs , 
C'est  sous  ton  divin  caractère 
Que  nou'  encensons  nos  erreurs. 


POÉSIES   DIVERSES.  %l 

Chaque  borcme  t'habille  à  sa  mode; 
Sous  le  masque  le  plus  commode 
A  leur  propre  félicité 
Ils  déguisent  tous  leur  foiblesse , 
Et  donnent  le  nom  de  sagesse 
Au  penchant  qu'ils  ont  adopté. 

Tel,  chez  la  jeunesse  étourdie, 
Le  vice  instruit  par  la  folie, 
Et  d'un  faux  titre  revêtu , 
Sous  le  nom  de  philosophie, 
Tend  des  pièges  à  la  vertu. 
Tel,  dans  une  route  contraire, 
On  voit  le  fanatique  austère 
En  guerre  avec  tous  ses  désirs, 
Peignant  Dieu  toujours  en  colère. 
Et  ne  s'attachant,  pour  lui  plaire,  , 

Qu'à  fuir  la  joie  et  les  plaisirs. 
Ah!  s'il  existoit  un  vrai  sage. 
Que,  différent  en  son  langage, 
Et  plus  différent  en  ses  mœurs, 
Ennemi  des  vils  séducteurs. 
D'une  sagesse  plus  aimable , 
D'une  vertu  plus  sociable. 
Il  joindroit  le  juste  milieu 
A  cet  hommage  pur  et  tendre 
Que  tous  les  cœurs  auroient  dû  rendre 
Aux  grandeurs,  aux  bienfaits  de  Dieu! 


ÉPITRE  A  M.  DE  L'ÉTANG ,  VICAIRE  DE  MARCOUSSIS. 

En  dépit  du  destin  jaloux, 

Cher  abbé,  nous  irons  chez  vous. 

Dans  votre  franche  politesse, 

Dans  votre  gaieté  sans  rudesse, 

Parmi  vos  bois  et  vos  coteaux 

Nous  irons  chercher  le  repos; 

Nous  irons  chercher  le  remède 

Au  triste  ennui  qui  nous  possède, 

A  ces  affreux  charivaris , 

A  tout  ce  fracas  de  Paris. 

O  ville  où  règne  l'arrogance , 

Où  les  plus  grands  frinons  de  Franco 

Régentent  les  honnêtes  gens. 

Où  les  vertueux  indigens 

Sont  des  objets  de  raillerie; 

Ville  où  la  charlatanerie, 

Le  ton  haut,  les  airs  insolens, 


12  POÉSIES  DIVERSES. 

Écrasent  les  humbles  talens 

Et  tyrannisent  la  foi  tune; 

Ville  où  l'auteur  de  Rodoguns 

A  rampé  devant  Chapelain; 

Où  d'un  petit  magot  vilain 

L'amour  fit  le  héros  des  belles; 

Où  tous  les  roquets  des  ruelles 

Deviennent  des  hommes  d'État; 

Où  le  jeune  et  beau  magistrat 

Étale,  avec  les  airs  d'un  fat, 

Sa  perruque  pour  tout  mérite; 

Où  le  savant,  bas  parasite, 

Chez  Aspasie  ou  chez  Piiryné 

Vend  de  l'esprit  pour  un  dîné  : 

Paris,  malheureux  qui  t'habite I 

Mais  plus  malheureux  mille  fois 

Qui  t'habite  de  son  pur  choix. 

Et  dans  un  climat  plus  tranquille 

Ne  sait  point  se  faire  un  asile 

Inabordable  aux  noirs  soucis. 

Tel  qu'à  mes  yeux  est  Marcoussis  î 

Marcoussis  qui  sait  tant  nous  plaire; 

Marcoussis  dont  pourtant  j'espère 

■Vous  voir  partir  un  beau  matin 

Sans  vous  en  pendre  de  chagrin! 

Accordez  donc,  mon  cher  vicai  e, 

Votra  demeure  hospitalière 

A  gens  dont  le  soin  le  plus  doux 

Est  d'aller  passer  près  de  vous 

Les  momens  dont  ils  sont  les  maîtrei. 

Nous  connoissons  déjà  les  êtres 

Du  pays  et  de  la  maison; 

Nous  en  chérissons  le  patron, 

Et  désirons,  s'il  est  possible. 

Qu'à  tous  autres  inaccessible, 

Il  destine  en  notre  faveur 

Son  loisir  et  sa  bonne  humeur. 

De  plus,  prières  des  plus  vives 

D'éloigner  tous  fâcheux  convives, 

Taciturnes,  mauvais  plaisans. 

Ou  beaux  parleurs,  ou  médisans. 

Point  de  ces  gens  que  Dieu  confonde, 

De  ces  sots  dont  Paris  abonde , 

Et  qu'on  y  nomme  beaux  esprits, 

Vendeurs  de  fumée  à  tout  prix 

Au  riche  faquin  qui  les  gâte. 

Vils  flatteurs  de  qui  les  empâte. 

Plus  vils  détracteurs  du  bon  sens 


POÉSIES  DIVERSES.  23 

De  qui  méprise  leur  encens. 
Point  de  ces  fades  petits-maîtres, 
Point  de  ces  hobereaux  champêtres 
Tout  fiers  de  quelques  vains  aïeux 
Presque  aussi  méprisables  qu'eux. 
Point  de  grondeuses  pies-grièches, 
Voix  aigre,  teint  noir,  et  mains  sèches; 
Toujours  syndiquant  les  appas 
Et  les  plaisirs  qu'elles  n'ont  pas, 
Dénigrant  le  prochain  par  zèle , 
Se  donnant  à  tous  pour  modèle , 
Médisantes  par  charité, 
Et  sages  par  nécessité. 
Point  de  Crésus.  point  de  canaille; 
Point  surtout  de  cette  racaille 
Que  l'on  appelle  grands  seigneurs, 
Fripons  sans  probité ,  sans  moeurs , 
Se  raillant  du  pauvre  vulgaire 
Dont  la  vertu  fait  la  chimère; 
Mangeant  fièrement  notre  bien, 
Exigeant  tout,  n'accordant  rien, 
Et  dont  la  fausse  politesse, 
Rusant,  patelinant  sans  cesse. 
N'est  qu'un  piège  adroit  pour  duper 
Le  sot  qui  s'y  laisse  attraper. 
Point  de  ces  fendans  militaires 
A  l'air  rogue.  aux  mines  altières, 
Fiers  de  commander  des  goujats, 
Traitant  chacun  du  haut  en  bas. 
Donnant  la  loi,  tranchant  du  maître, 
Bretailleurs ,  fanfarons  peut-être, 
Toujours  prêts  à  battre  ou  tuer, 
Toujours  parlant  de  leur  métier, 
El  cent  fois  plus  pédans,  me  semble, 
Que  tous  les  ergoteurs  ensemble. 
Loin  de  nous  tous  ces  ennuyeux! 
Mais  si,  par  un  sort  plus  heureux, 
II  se  rencontre  un  honnête  homme 
Qui  d'aucun  grand  ne  se  renomme, 
Qui  soit  aimable  comme  vous , 
Qui  sache  rire  avec  les  fous 
Et  raisonner  avec  le  sage , 
Qui  n'affecte  point  de  langage , 
Qui  ne  dise  point  de  bon  mot, 
Qui  ne  soit  pas  non  plus  un  sot, 
Qui  soit  gai  sans  chercher  à  l'être. 
Qui  soit  instruit  sans  le  paroître , 
Qui  ne  rie  que  par  gaieté , 


S4  POÉSIES   DIVERSES. 

Et  jamais  par  malignité, 
De  moeurs  droites  sans  être  austères, 
Qui  soit  simple  dans  ses  manières, 
Qui  veuille  vivre  pour  autrui , 
Afin  qu'on  vive  aussi  pour  lui  ; 
Qui  sache  assaisonner  la  table 
D'appétit,  d'humeur  agréable; 
Ne  voulant  point  être  admiré, 
Ne  voulant  point  être  ignoré, 
Tenant  son  coin  comme  les  autres, 
Mêlant  ses  folies  aux  nôtres, 
Raillant  sans  jamais  insulter, 
Raillé  sans  jamais  s'emporter, 
Aimant  le  plaisir  sans  crapule, 
Ennemi  du  petit  scrupule , 
Buvant  sans  risquer  sa  raison, 
Point  philosophe  hors  de  saison; 
En  un  mot  d'un  tel  caractère 
Qu'avec  lui  nous  puissions  nous  plaire, 
Qu'avec  nous  il  se  plaise  aussi  : 
S'il  est  un  homme  fait  ainsi, 
Donnez-le-nous,  je  vous  supplie, 
Mettez-le  en  notre  compagnie; 
Je  brûle  déjà  de  le  voir. 
Et  de  l'aimer,  c'est  mon  devoir; 
Mais  c'est  le  vôtre,  il  faut  le  dire. 
Avant  que  de  nous  le  produire, 
De  le  connoître.  C'est  assez; 
Montrez-le-nous  si  vous  osez. 


IMITATION  LIBRE  D'UNE  CHANSON  ITALIENNE  DE  MÉTASTASE',    j 

Grâce  à  tant  de  tromperies,  ' 

Grâce  à  tes  coquetteries, 

Nice,  je  respire  enfin. 

Mon  cœur,  libre  de  sa  chaîne, 

Ne  déguise  plus  sa  peine; 

Ce  n'est  plus  un  songe  vain. 

Toute  ma  flamme  est  éteinte  : 
Sous  une  colère  feinte 
L'amour  ne  se  cache  plus. 
Qu'on  te  nomme  en  ton  absence, 
Qu'on  t'adore  en  ma  présence. 
Mes  sens  n'en  sont  point  émus. 

<.  M.  de  Nivernois  a  réclamé  celle  pièce,  qui  n'a  élé  attribuée  à  Rousseau  A 
que  par  les  premiers  éditeurs  de  ses  OEuvres.  Jean-Jacques  ne  s'est  jarpais  1 
donné  pour  en  être  l'auteur.  Ou  ignore  l'époque  où  elle  fut  composée.  (Éd.)       ' 


POÉSIES  DIVERSES.  2^ 

En  paix  sans  toi  je  sommeille  ; 
Tu  n'es  plus,  quand  je  m'éveille, 
Le  premier  de  mes  désirs. 
Bien  de  ta  part  ne  m'agite; 
Je  t'aborde  et  je  te  quitte 
Sans  regrets  et  sans  plaisirs. 

Le  souvenir  de  tes  charmes, 
Le  souvenir  de  mes  larmes, 
Ne  fait  nul  eiïet  sur  moi. 
Juge  enfin  comme  je  t'aime  : 
Avec  mon  rival  lui-même 
Je  pourrois  parler  de  toi. 

Sois  fière ,  sois  inhumaine , 
Ta  fierté  n'est  pas  moins  vaine 
Que  le  seroit  ta  douceur. 
Sans  être  ému  je  t'écoute, 
Et  tes  yeux  n'ont  plus  de  roule 
Pour  pénétrer  dans  mon  cœur. 

D'un  mépris,  d'une  caresse, 
Mes  plaisirs  ou  ma  tristesse 
Ne  reçoivent  plus  la  loi. 
Sans  toi  j'aime  les  bocages; 
L'horreur  des  antres  sauvages 
Peut  me  déplaire  avec  toi. 

Tu  me  parois  encor  belle; 
Mais,  Nice,  tu  n'es  plus  cello 
Dont  mes  sens  sont  enchantés. 
Je  vois,  devenu  plus  sage, 
Des  défauts  sur  ton  visage 
Qui  me  sembloient  des  beauté.s. 

Lorsque  je  brisai  ma  chaîne. 
Dieux  t  que  j'éprouvai  de  peine  î 
Hélas!  je  crus  en  mourir; 
Mais,  quand  on  a  du  courage, 
Pour  se  tirer  d'esclavage 
Que  ne  peut-on  point  souffrir  ! 

Ainsi  du  piège  perfide 

Un  oiseau  simple  et  timide 

Avec  effort  échappé, 

Au  prix  des  plumes  qu'il  laisse, 

Prend  des  leçons  de  sagesse 

Pour  n'être  plus  attrapé. 

Tu  crois  que  mon  cœur  t'adore, 
■Voyant  que  je  parle  encore 


2Ô  POÉSIES   DIVERSES, 

Des  soupirs  que  j'ai  poussés  : 
Mais  tel,  au  port  qu'il  désire, 
Le  nocher  aime  à  redire 
Les  périls  qu'il  a  passés. 

Le  guerrier  couvert  de  gloire 
Se  plaît,  après  la  vicloire, 
A  raconter  ses  exploits: 
Et  l'esclave,  exempt  de  peine, 
Montre  avec  plaisir  la  chaîne 
Qu'il  a  traînée  autrefois. 

Je  m'exprime  sans  contrainte; 
Je  ne  parle  point  par  feinte, 
Pour  que  tu  m'ajoutes  foi  ; 
Et,  quoi  que  tu  puisses  dire, 
Je  ne  daigne  pas  m'instruire 
Comment  tu  parles  de  moi. 

Tes  appas,  beauté  trop  vaine, 
Ne  te  rendront  pas  sans  peine 
Un  aussi  fidèle  amant. 
Ma  perte  est  moins  dangereuse; 
Je  sais  qu'une  autre  t  ompeuse 
Se  trouve  plus  aisément. 


ÉNIGME. 

Enfant  de  l'art,  enfant  de  la  nature, 
Sans  prolonger  les  jours  j'empêche  de  mourir: 

Plus  je  suis  vrai,  plus  je  fais  d'imposture; 
Et  je  deviens  trop  jeune  à  force  de  vieillir. 


VERS  A  MADEMOISELLE  THEODORE', 

QUI    NE    PARLOIT   JAMAIS    A    L'aUTEUR  QUE    DE    MUSIQUli. 

Sapho ,  j'entends  ta  voix  brillante 

Pousser  des  sons  jusques  aux  cieux; 

Ton  chant  nous  ravit,  nous  enchante; 

Le  Maure  ne  chante  pas  mieux. 
Mais  quoi!  toujours  des  chants  !  Crois-tu  que  l'harmonie 
Seule  ait  droit  de  borner  tes  soins  et  tes  plaisirs? 
Ta  voix,  en  déployant  sa  douceur  infinie, 
Veut  en  vain  sur  ta  bouche  arrêter  nos  désirs-; 

Tes  yeux  charmans  en  inspirent  mille  autres, 
Qui  méritoient  bien  mieux  d'occuper  tes  loisirs. 

Mlle  Théodore  éloil  de  l'Académie  rojale  de  musique.  (Éd.) 


POÉSIES   DIVERSES.  27 

Mais  tu  n'es  point,  dis-tu,  sensible  à  nos  soupirs, 

Et  tes  goûts  ne  sont  point  les  nôtres. 
Quel  goût  trouves-tu  donc  à  de  frivoles  sons? 
Ah  !  sans  tes  fier-  mépris,  sans  tes  rebuts  sauvages. 
Cette  bouche  charmante  auroit  d'autres  usages 
Bien  plus  délicieux  que  de  vaines  chansons. 
Trop  sensible  au  plaisir,  quoi  que  tu  puisses  dire, 
Parmi  de  froids  accords  tu  sens  peu  de  douceur; 
Mais,  entre  tous  les  biens  que  ton  âme  désire. 
En  est-il  de  plus  doux  que  les  plaisirs  du  cœur? 
Le  mien  est  délicat,  tendre,  empressé,  fidèle. 

Fait  pour  aimer  jusqu'au  tombeau. 
Si  du  parfait  bonheur  tu  cherches  le  modèle, 
Aime-moi  seulement,  et  laisse  là  Rameau. 


ÉPIT.^PHE 

DE   DEUX   .'V.M.'^NS  QUI   SE    SONT    TUÉS  A   SAlNT-ÉTIENNE    EX   FOREZ. 
AU    MOIS   DE   JUIN    1770. 

Ci  gisent  deux  amans  :  l'un  pour  l'autre  ils  vécurent. 
L'un  pour  l'autre  ils  sont  morts,  et  les  lois  en  murmurent. 
La  simple  piété  n'y  trouve  qu'un  forfait; 
Le  sentiment  admire,  et  la  raison  se  tait. 


STROPHES 
Aoulées  à  celles  dont  se  compose  le  Siècle  pastoral ,  idylle  de  Oressel'. 

Mais  qui  nous  eût  transmis  l'histoire 
De  ces  temps  de  simplicité? 
Étoit-ce  au  temple  de  mémoire 
Qu'ils  gravoient  leur  félicité? 
La  vanité  de  l'art  d'écrire 
L'eût  bientôt  fait  évanouir: 
Et.  sans  songer  à  le  Récrire, 
Ils  se  conteutoient  d'en  jouir. 

Des  traditions  étrangères 

En  parlent  sans  obscurité; 

Mais  dans  ces  sources  mensongères 

Ne  cherchons  point  la  vérité. 

Cherchons-la  dans  le  cœur  des  hommes, 

Dans  ces  regrets  trop  superflus 

Qui  disent  dans  ce  que  nous  sommes 

Tout  ce  que  nous  ne  sommes  plus. 

'.  Rousseau  a  mis  celle  idylle  en  musique;  elle  fait  partie  du  recueil  d© 
es  romances  gravées. 


28  POESIES  DIVERSES. 

Qu'un  savant  des  fastes  des  âges 
Fasse  la  règle  de  sa  foi  ; 
Je  sens  de  plus  sûrs  témoignages 
De  la  mienne  au  dedans  de  moi. 
Ah  !  qu'avec  moi  le  ciel  rassemble , 
Apaisant  enfin  son  courroux , 
Un  autre  coeur  qui  me  ressemble; 
L'âge  d'or  renaîtra  pour  nous. 


VERS  SUR  LA  FEMME. 

Objet  séduisant  et  funeste, 
Que  j'adore  et  que  je  déteste  ; 
Toi  que  la  nature  embellit 

Des  agrémens  du  corps  et  des  dons  de  l'esprit , 
Qui  de  l'homme  fais  un  esclave; 
Qui  t'en  moques  quand  il  se  plaint, 
Qui  l'accables  quand  il  te  craint, 
Qui  le  punis  quand  il  te  brave  ; 
Toi,  dont  le  front  doux  et  serein 
Porte  le  plaisir  dans  nos  fêtes; 
Toi,  qui  soulèves  les  tempêtes 
Qui  tourmentent  le  genre  humain; 
Etre  ou  chimère  inconcevable  , 
Abîme  de  maux  et  de  biens , 

Seras-tu  donc  toujours  la  source  inépuisable 
De  nos  mépris  et  de  nos  entretiens? 


BOUQUET  D'UN  ENFANT  A  SA  MERE. 

Ce  n'est  point  en  offrant  des  fleurs 
Que  je  veux  peindre  ma  tendresse; 
De  leur  parfum,  de  leurs  couleurs, 
En  peu  d'instans  le  charme  cesse. 
La  rose  naît  en  u»  moment. 
En  un  moment  elle  est  flétrie  : 
Mais  ce  que  pour  vous  mon  cœur  sent 
Ne  finira  qu'avec  la  vie. 


INSCRIPTION 

MISE  AU  BAS  DUN  PORTRAIT  DE  FREDÉPIC  II. 

Il  pense  en  philosophe  et  se  conduit  en  roi. 

Derrière  l'estampe  : 
La  gloire,  l'intérêt,  voilà  son  dieu,  sa  loi. 


POÉSIES  DIVERSES.  29 

QUATRAIN  A  MADAME  DUPIN. 

Raison .  ne  sois  point  éperdue  , 
Près  d'elle  on  te  trouve  toujours; 
Le  sage  te  perd  à  sa  vue , 
Et  te  retrouve  en  ses  discours. 


.  QUATRAIN 

Uis  par  lui-même  au-dessous  d'un  de  ces  nombreux  portraits  qui  porloient 
son  nom,  et  dont  il  éioit  si  méconienl'. 

Hommes  savans  dans  l'art  de  feindre , 
Qui  me  prêtez  des  traits  si  doux, 
Vous  aurez  beau  vouloir  me  peindre, 
Vous  ne  peindrez  jamais  que  vous. 

*.  Voy.  le  yjcond  Dialogue  de  Rcusseau  jugede  Jean- Jacques.  (Éd.) 


Ft5    DES    POESIES   DIVERSES. 


BOTANIQUE. 

LETTRES  ÉLÉMENTAIRES  SUR  LA  BOTANIQUE, 

A  MADAME  DELESSERT. 

Lettre  I. 
V  *       -j  '     i,  ^"  22  août  <77l. 

Votre  Idée  à  amaser  un  peu  la  vivacité  de  votre  fiUe,  et  de  l'exercer 
a  lat  ent.on  sur  des  objets  agréables  et  variés  comme  es  plantes  me 
paroit  excellente;  mais  je  n'aurois  osé  vous  la  proposer,  de  pe^? 
de  fa.re  le  M  Josse.  Puisqu'elle  vient  devons,  je  l'approuve  de  tou 
mon  cœur,  et  j'y  concourrai  de  même,  persuadé  qu'à  tout  âge  l'éfuJe 
de  a  nature  emousse  le  goût  des  amusemens  frivoles,  prévint  le  tu-^ 
multe  des  passions ,  et  porte  à  l'âme  une  nourriture  qui  lïi  profite  en  a 
remplissant  du  plus  digne  objet  de  ses  contemplations 

Vous  avez  commencé  par  apprendre  à  la  petite  les  noms  d'autant  de 
plan  es  que  vous  en  aviez  de  communes  sous  les  yeux  :  c'éloit  pr'c Lé! 
ment  ce  qu'il  fulloit  faire.  Ce  petit  nombre  de  plantes  qu'elle  conToît 
de  vue  sont  les  pièces  de  comparaison  pour  étendre  ses  connoissanceT 
mais  elles  ne  suffisent  pas.  Vous  me  demandez  un  petit  cajabgue  d  ^ 
plantes  les  plus  connues  avec  des  marques  pour  les  reconnoître.  Je°trouve 
a  cela  quelque  embarras  :  c'est  de  vous  donner  par  écrit  ce    marque 
ou  caractères  d'une  manière  claire  et  cependant  peu  diffuse  Cek  me 
paroit  impossible  sans  employer  ia  langue  ae  la  chose  ;  et  les  'termes^: 
ce  te  langue  formen   un  vocabulaire  à  part  que  vous  ne  auriez  entendre 
s  il  ne  vous  est  préalablement  expliqué  eiuenure , 

D'ailleurs  ne  connoître  simplement  les  plantes  que  de  vue    et  ne 
savoir  que  leurs  noms ,  ne  peut  être  qu'une  étude  trop  insipide  pour  d  s 
esprits  comme  les  vôtres;  et  il  est  à  présumer  que  votre  fi  le  ne  st 
amuseroit  pas  longtemps.  Je  vous  propose  de  prendre  quelques  notion 
prehmmaires  de  la  structure  végétale  ou  de  l'organisation  des  p  antes 
afin,  dussiez-vous  ne  faire  que  quelques  pas  dans  le  plus  beau    S; 
plus  riche  des  trois  règnes  de  la  nature,  d'y  marcher  du  moins  a  • 
quelques  lumières.  I   ne  s'agit  donc  pas  encore  de  la  nomench?  îe      u 
n  est  qu  un  savoir  d'herboriste.  J'ai  toujours  cru  qu'on  pouvoit  être  m 
res-grand  botani.te  sans  connoître  une  seu^e  ,laL  par  so  °  om    e" 
sans  vouloir  faire  de  votre  fille  un  très-grand  botaniste,  je  crÔriéan 
n.oinsqu',     lui  sera  toujours  utile  d'apprendre  à  bien  fuir  coSô 
regard.    Ne  vous  effarouchez  pas  au  reste  de  l'entreprise   VoVco 
nonrez  bientôt  qu'elle  n'est  pas  grande.  Il  n'y  a  rien  de  comp  Lé  m 
de  d.ffiale  a  suivre  dans  ce  que  j'ai  à  vo.s  proposer.  Il  ne  s'aToûe 
d  avoir  la  pat.ence  de  commencer  par  le  commencement.  Après  cêk?oM 
n'avance  qu'autant  qu'on  veut.  ^ 


LETTRES  ÉLÉMENTAIRES  SUR  LA  BOTANIQUE.        31 

Nous  touchons  à  l'arrière-saison,  e'  les  plan'es  dont  la  structure  a  le 
plus  de  simplicité  sont  déjà  passées.  D'ailleurs  je  vous  demande  quel  ;ue 
lempspour  mettre  un  peu  d'ordre  dans  vos  observations.  Mais,  en  atten- 
d;mt  que  le  printemps  nous  mette  à  portée  de  commencer  et  de  suivre 
le  cours  de  la  nature,  je  vais  toujours  vous  donner  quelques  mots  du 
vocabulaire  à  retenir. 

Une  plante  parfait?  est  composée  de  racine,  de  tige,  di  branches,  de 
feuilles,  de  fleurs  et  de  fruits  (car  on  appelle  fruit  en  botanique,  tant 
dans  les  herbes  que  dans  les  arbres,  toute  la  fabrique  de  la  semence). 
Vous  connoissez  déjà  tout  cela,  du  moins  assez  pour  entendre  le  mot  : 
mais  ily  a  une  partie  principale  qui  demande  un  plus  grand  examen; 
c'est  la  fructification ,  c'est-à-dire  la  fleur  et  le  fruit.  Commençons  par 
Ja  fleur,  qui  vient  la  première.  C'est  dans  cette  partie  que  la  uature  a 
renfermé  le  sommaire  de  son  ouvrage  :  c'est  par  elle  qu'elle  le  perpétue, 
et  c'est  aussi  de  toutes  les  parties  du  végétal  la  plus  éclatante  pour' 
l'ordinaire,  toujours  la  moins  sujette  aux  variations. 

Prenez  un  lis.  Je  pense  que  vous  en  trouverez  encore  aisément  en  pleine 
fleur.  Avant  qu'il  s'ouvre ,  vous  voyez  à  l'extrémité  de  la  tige  un  bouton 
oblong ,  verdâtre  ,  qui  blanchit  à  mesure  qu'il  est  prêt  à  s'épanouir  ;  et , 
quand  il  est  tout  à  fait  ouvert,  vous  voyez  son  enveloppe  blanche 
prendre  la  forme  d'un  vase  divisé  en  plusieurs  segniens.  Cette  partie 
enveloppante  et  colorée  qui  est  blanche  dans  le  lis  s'appelle  la  corolle , 
et  non  pas  la  fleur  comme  chez  le  vulgaire,  parce  que  la  fleur  est  un 
composé  de  plusieurs  parties  dont  la  corolle  est  seulement  la  principale. 

La  corolle  du  lis  n'est  pas  d'une  seule  pièce ,  comme  il  est  facile  à 
voir.  Quand  elle  se  lane  et  tombe,  elle  tombe  en  six  pièces  bien  sépa- 
rées, qui  s'appellent  des  pétales.  Ainsi  la  corolle  du  lis  est  composée 
de  six  pétales.  Toute  corolle  de  fleur  qui  est  ainsi  de  plusieurs  pièces 
s'appelle  corolle  polypétale.  Si  la  corolle  u'étoit  que  d'une  seule  pièce . 
comme  par  exemple  dans  le  liseron  appelé  clochette  des  champs,  elle 
s'appelleroit  monopétale.  Revenons  à  notre  lis. 

Dans  la  corolle  vous  trouverez ,  précisément  au  milieu ,  une  espèce 
de  petite  colonne  attachée  tout  au  fond  et  qui  pointe  directement  vers 
le  haut.  Cette  colonne,  prise  dans  son  entier,  s'appelle  le  pistil  ;  prise 
dans  ses  parties,  elle  se  divise  en  trois  :  l»  sa  base  renflée  en  cylindre 
avec  trois  angles  arrondis  tout  autour  :  cette  base  s'appelle  le  germe; 
2°  un  filet  posé  sur  le  germe  :  ce  filet  s'appelle  style  ;  3°  le  style  est 
couronné  par  une  espèce  de  chapiteau  avec  trois  échancrures  :  le  chapiteau 
s'appelle  le  stigmate.  Voilà  en  quoi  consistent  le  pistil  et  ses  trois  parties. 

Entre  le  pistil  et  la  corolle  vous  trouvez  six  autres  corps  bien  dis- 
tincts ,  qui  s'appellent  les  étamines.  Chaque  étamine  est  composée  de 
deux  parties  :  savoir,  une  plus  mince  par  laquelle  l'étamine  tient  au 
fond  delà  corolle,  et  qui  s'appelle  le  filet;  une  plus  grosse  qui  tient  à 
l'extrémité  supérieure  du  filet ,  et  qui  s'appelle  anthère.  Chaque  anthère 
est  une  boite  qui  s'ouvre  quand  elle  est  mûre,  et  verse  une  poussière 
jaune  très-odorante ,  dont  nous  parlerons  dans  la  suite.  Cette  poussière 
jusqu'ici  n'a  point  de  nom  françois;  chez  les  botanistes  on  l'appelle  le 
pollen,  mot  qui  signifie  poussière. 


32  LETTRES  ÉLÉMENTAIRES 

Voilà  l'analyse  grossière  des  parties  de  la  fleur.  A  mesure  que  la  co- 
rolle se  fane  et  tombe,  le  germe  grossit,  et  devient  une  capsule  trian- 
^'ulaire  allongée ,  dont  l'intérieur  contient  des  semences  plates  distribuées 
en  trois  loges.  Cette  capsule,  considérée  comme  l'enveloppe  des  graines, 
prend  le  nom  de  pcricarpe.  Mais  je  n'entreprendrai  pas  ici  l'analyse-du 
fruit.  Ce  sera  le  sujet  d'une  autre  lettre. 

Les  parties  que  je  viens  de  vous  nommer  se  trouvent  également  dans 
les  fleurs  de  la  plupart  des  autres  plantes,  mais  à  divers  degrés  de  pro- 
portion, de  situation,  et  de  nombre.  C'est  par  l'analogie  de  ces  parties, 
et  par  leurs  diverses  combinaisons,  que  se  déterminent  les  diverses 
familles  du  règne  végétal:  et  ces  analogies  des  parties  de  la  fleur  se  lient 
avec  d'autres  analogies  des  parties  de  la  plante  qui  semblent  n'avoir 
aucun  rapport  à  celles-là.  Par  exemple,  ce  nombre  de  six  étamines, 
quelquefois  seulement  trois,  de  six  pétales  ou  divisions  de  la  corolle,  et 
cette  forme  triangulaire  à  trois  loges  de  l'ovaire ,  déterminent  toute  la 
famille  des  liliacées;  et  dans  toute  cette  même  famille,  qui  est  très- 
nombreuse  ,  les  racines  sont  toutes  des  oignons  ou  bulbes  plus  ou  moins 
marquées,  et  variées  quant  à  leur  figure  ou  composition.  L'oignon  du 
lis  est  composé  d'écaillés  en  recouvrement;  dans  l'asphodèle,  c'est  une 
liasse  de  navets  allongés;  dans  le  safran,  ce  sont  deux  bulbes  l'une  sur 
l'autre  ;  dans  le  colchique,  à  côté  l'une  de  l'autre,  mais  toujours  des  bulbes. 

Le  lis,  que  j'ai  choisi  parce  qu'il  est  de  la  saison,  et  aussi  à  cause  de 
la  grandeur  de  sa  fleur  et  de  ses  parties  qui  les  rend  plus  sensibles, 
manque  cependant  d'une  des  parties  constitutives  d'une  fleur  parfaite, 
savoir ,  le  calice.  Le  calice  est  cette  partie  verte  et  divisée  communément 
en  cinq  folioles,  qui  soutient  et  embrasse  par  le  bas  la  corolle,  et  qui 
l'enveloppe  tout  entière  avant  son  épanouissement,  comme  vous  aurez 
pu  le  remarquer  dans  la  rose.  Le  calice,  qui  accompagne  presque  toutes 
les  autres  fleurs,  manque  à  la  plupart  des  liliacées,  comme  la  tulipe, 
la  jacinthe,  le  narcisse,  la  tubéreuse,  etc.,  et  même  l'oignon,  le  poi- 
reau ,  l'ail .  qui  sont  aussi  de  véritables  liliacées  ,  quoiqu'elles  paroisseut 
fort  différentes  au  premier  coup  d'œil.  Vous  verrez  encore  que,  dans 
toute  cette  même  famille,  les  tiges  sont  simples  et  peu  rameuses,  les 
feuilles  entières  et  jamais  découpées;  observations  qui  confirment,  dans 
cette  famille ,  l'analogie  de  la  fleur  et  du  fruit  par  celle  des  autres  par- 
ties de  la  plante.  Si  vous  suivez  ces  détails  avec  quelque  attention  ,  et 
que  vous  vous  les  rendiez  familiers  par  des  observations  fréquentes, 
vous  voilà  déjà  en  état  de  déterminer ,  par  Tinspection  attentive  et  suivie 
d'une  plante ,  si  elle  est  ou  non  de  la  famille  des  liliacées,  et  cela,  sans 
savoir  le  nom  de  cette  plante.  Vous  voyez  que  ce  n'est  plus  ici  un 
simple  travail  de  la  mémoire,  mais  une  étude  d'observations  et  de  faits, 
vraiment  digne  d'un  naturaliste.  Vous  ne  commencerez  pas  par  dire  tout 
cela  à  votre  fille,  et  encore  moins  dans  la  suite,  quand  vous  serez  ini- 
tiée dans  les  mystères  de  la  végétation  ;  mais  vous  ne  lui  développerez 
par  degrés  que  ce  qui  peut  convenir  à  son  âge  et  à  son  sexe,  en  la  gui- 
dant pour  trouver  les  choses  par  elle-même  plutôt  qu'en  les  lui  appre 
nant.  Bonjour,  chère  cousine;  si  tout  ce  fatras  vous  convient,  je  suis  ù 
vos  ordres. 


JUR  LA  BOTA^JIQUE.  33 

s. 

3-1  Lettre   IL 

Du  IS  octobre  <77«. 

Puisque  vous  saisissez  si  bien ,  chère  cousine ,  les  premiers  linéamens 
des  plantes,  quoique  si  légèrement  marqués,  que  votre  œil  clairA-oyant 
sait  déjà  distinguer  un  air  de  famille  dans  les  liliacées.  et  que  notre 
a  chère  petite  botaniste  s'amuse  de  corolles  et  de  pétales ,  je  vais  vous 
proposer  une  autre  famille  sur  laquelle  elle  pourra  derechef  esercer 
son  petit  savoir  :  avec  un  peu  plus  de  difficultés  pourtant .  je  l'avoue , 
à  cause  des  fleurs  beaucoup  plus  petites,  du  feuillage  plus  varié;  mais 
avec  le  même  plaisir  de  sa  part  et  de  la  vôtre ,  du  moins  si  vous  en 
prenez  autant  à  suivre  cette  route  fleurie  que  j'en  trouve  à  vous  la 
tracer. 

Quand  les  premiers  rayons  du  printemps  auront  éclairé  vos  progrès 
en  vous  montrant  dans  les  jardins  les  jacinthes .  les  tulipes ,  les  nar- 
cisses, les  jonquilles  et  les  muguets,  dont  l'analyse  vous  est  déjà 
connue,  d'autres  fleurs  arrêteront  bientôt  vos  regards,  et  vous  deman- 
deront un  nouvel  examen.  Telles  seront  les  giroflées  ou  violiers;  telles 
les  juliennes  ou  girardes.  Tant  que  vous  les  trouverez  doubles ,  ne  vous 
attachez  pas  à  leur  examen  :  elles  seront  défigurées .  ou .  si  vous  vou- 
lez .  parées  à  notre  mode  :  la  nature  ne  s'y  trouvera  plus  :  elle  refuse 
de  se  reproduire  par  des  monstres  ainsi  mutilés;  car  si  la  partie  la  plus 
brillante,  savoir  la  corolle,  s'y  multiplie,  c'est  aux  dépens  des  parties 
plus  essentielles  qui  disparoissent  sous  cet  éclat. 

Prenez  donc  une  giroflée  simple .  et  procédez  à  l'analyse  de  sa  fleur. 
Vous  y  trouverez  d'abord  une  partie  extérieure  qui  manque  dans  les  lilia- 
cées .  savoir .  le  calice.  Ce  calice  est  de  quatre  pièces ,  qu'il  faut  bien  appe- 
ler feuilles  ou  folioles,  puisque  nous  n'avons  point  de  mot  propre  '^our 
les  exprimer,  comme  le  mot  pétales  pour  les  pièces  de  la  corolle.  Ces 
quatre  pièces ,  pour  l'ordinaire ,  sont  inégales  de  deux  en  deux ,  c'est- 
à-dire  deux  folioles  opposées  l'une  à  l'autre,  égales  entre  elles,  plus 
petites  :  et  les  deux  autres ,  aussi  égales  entre  elles  et  opposées ,  plus 
crandes ,  et  surtout  par  le  bas .  où  leur  arrondissement  fait  en  dehors 
une  bosse  assez  sensible. 

Dans  ce  calice  vous  trouverez  une  corolle  composée  de  quatre  pé- 
tales dont  je  laisse  à  part  la  couleur,  parce  qu'elle  ne  fait  point 
caractère.  Chacun  de  ces  pétales  est  attaché  au  réceptacle  ou  fond  du 
calice  par  une  partie  étroite  et  pâle  qu'on  appelle  l'onglet ,  et  déborde 
le  calice  par  une  partie  plus  large  et  plus  colorée,  qu'on  appelle  la 

lame. 

Au  centre  de  la  corol]e  est  un  pistil  allongé ,  cylindrique  ou  à  peu 
près,  terminé  par  un  style  très-court,  lequel  est  terminé  lui-même  par 
un  stigmate  oblong ,  bifide .  c'est-à-dire  partagé  en  deux  parties  qui  se 
réfléchissent  de  part  et  d'autre. 

Si  vous  examinez  avec  soin  la  position  respective  du  calice  et  de  la 
corolle .  vous  verrez  que  chaque  pétale .  au  lieu  de  correspondre  exacte- 
ment à  chaque  foliole  du  calice ,  est  posé  au  contraire  entre  les  deux , 
de  sorte  qu'il  répond  à  l'ouverture  qui  les  sépare:  et  cette  position  aller- 

Rues- EAU  VI  3 


«î/i  LETTRES   ÉLÉMENTAIRES 

native  a  lieu  dans  toutes  les  espèces  de  fleurs  qui  ont  un  nombre  égal 
de  pétales  à  la  corolle  et  de  folioles  au  calice. 

Il  nous  reste  à  parler  des  étamines.  Vous  les  trouverez  dans  la  giroflée 
au  nombre  de  six,  comme  dans  les  liliacées,  mais  non  pas  de  même 
égales  entre  elles,  ou  alternativement  inégales;  car  vous  en  verrez  seu- 
lement deux  en  opposition  l'une  de  l'autre,  sensiblement  plus  courtes 
que  les  quatre  autres  qui  les  séparent,  et  qui  en  sont  aussi  séparées  de 
deux  en  deux. 

Je  n'entrerai  pas  ici  dans  le  détail  de  leur  structure  et  de  leur  posi 
tion-,  mais  je  vous  préviens  que,  si  vous  y  regardez  bien,  vous  trou-  J 
verez  la  raison  pourquoi  ces  deux  étamines  sont  plus  courtes  que  les 
autres,  et  pourquoi  deux  folioles  du  calice  sont  plus  bossues,  ou,  pour' 
parler  en  termes  de  botanique,  plus  gibbeuses,  et  les  deux  autres  plus  ; 
aplaties. 

Pour  achever  l'histoire  de  notre  giroflée,  il  ne  faut  pas  l'abandonner 
après  avoir  analysé  sa  fleur,  mais  il  faut  attendre  que  la  corolle  se  flé- 
trisse et  tombe,  ce  qu'elle  fait  assez  promptement,  et  remarquer  alors 
ce  que  devient  le  pistil,  composé,  comme  nous  l'avons  dit  ci-devant,  de 
l'ovaire  ou  péricarpe,  du  style,  et  du  stigmate.  L'ovaire  s'allonge  beau- 
coup et  s'élargit  un  peu  à  mesure  que  le  fruit  mûrit  :  quand  il  est  mûr, 
cet  ovaire  ou  fruit  devient  une  espèce  de  gousse  plate  appelée  silique- . 

Cette  silique  est  composée  de  deux  valvules  posées  l'une  sur  l'autre, 
et  séparées  par  une  cloison  fort  mince  appelée  médiastin. 

Quand  la  semence  est  tout  à  fait  mûre ,  les  valvules  s'ouvrent  de  bas 
en  haut  pour  lui  donner  passage,  et  restent  attachées  au  stigmate  par 
leur  partie  supérieure. 

Alors  on  voit  des  graines  plates  et  circulaires  posées  sur  les  deux 
faces  du  médiastin;  et  si  l'on  regarde  avec  soin  comment  elles  y  tien- 
nent, on  trouve  que  c'est  par  un  court  pédicule  qui  attache  chaque 
graine  alternativement  à  droite  et  à  gauche  aux  sutures  du  médiastin, 
c'est-à-dire  à  ses  deux  bords,  par  lesquels  il  étoit  comme  cousu  avec 
les  valvules  avant  leur  séparation. 

Je  crains  fort,  chère  cousine,  de  vous  avoir  un  peu  fatiguée  par  cette 
longue  description  :  mais  elle  étoit  nécessaire  pour  vous  donner  le  ca- 
ractère essentiel  de  la  nombreuse  famille  des  crucifères  ou  fleurs  en  ] 
croix,  laquelle  compose  une  classe  entière  dans  presque  tous  les  sys- 
tèmes des  botanistes;  et  cette  description,  difficile  à  entendre  ici  sans 
figure ,  vous  deviendra  plus  claire ,  j'ose  l'espérer ,  quand  vous  la  sui- 
vrez avec  quelque  attention ,  ayant  l'objet  sous  les  yeux. 

Le  grand  nombre  d'espèces  qui  composent  la  famille  des  crucifères  a 
déterminé  les  botanistes  à  la  diviser  en  deux  sections  qui ,  quant  à  la 
fleur,  sont  parfaitement  semblables,  mais  diffèrent  sensiblement  quant 
au  fruit. 

La  première  section  comprend  les  crucifères  à  silique,  comme  la 
giroflée  dont  je  viens  de  parler,  la  julienne,  le  cresson  de  fontaine,  les 
choux,  les  raves,  les  navets,  la  moutarde,  etc. 

La  seconde  section  comprend  les  crucifères  à  silicule ,  c'est-à-dire 
dont  la  silique  en  diminutif  est  extrêmement  courte,   presque  aussi 


SUR  LA  BOTANIQLc.  35 

large  que  longue ,  et  autrement  divisée  en  dedans  ;  comme ,  entre  autres , 
le  cresson  alénois,  dit  nasitort  ou  natou,  le  thlaspi,  appelé  fara^pi  par 
les  jardiniers,  le  cochléaria,  la  lunaire,  qui,  quoique  la  gousse  en  soit 
.'ort  grande,  n'est  pourtant  qu'une  silicule,  parce  que  sa  longueur  ex- 
cède peu  sa  largeur.  Si  vous  ne  connoissez  ni  le  cresson  alénois,  ni  le 
cochléaria,  ni  le  thlaspi,  ni  la  lunaire,  vous  connoissez,  du  moins  Je 
le  présume,  la  bourse-à-pasteur,  si  commune  parmi  les  mauvaises 
herbes  des  jardins.  Hé  bien,  cousine,  la  bourse-à-pasteur  est  une  cru- 
cifère à  silicule,  dont  la  silicule  est  triangulaire.  Sur  celle-là  vous  pou- 
[  vez  vous  former  une  idée  des  autres,  jusqu'à  ce  qu'elles  vous  tombent 
sous  la  main. 

Il  est  temps  de  vous  laisser  respirer,  d'autant  plus  que  cette  lettre, 
avant  que  la  saison  vous  permette  d'en  faire  usage,  sera,  j'espère, 
suivie  de  plusieurs  autres,  où  je  pourrai  ajouter  ce  qui  reste  à  dire  de 
nécessaire  sur  les  crucifères,  et  que  je  n'ai  pas  dit  dans  celle-ci.  Mais  il 
est  bon  peut-être  de  vous  prévenir  dès  à  présent  que  dans  cette  famille, 
et  dans  beaucoup  d'autres,  vous  trouverez  souvent  des  fleurs  beaucoup 
plus  petites  que  la  giroflée,  et  quelquefois  si  petites,  que  vous  ne  pour- 
rez guère  examiner  leurs  parties  qu'à  la  faveur  d'une  loupe,  instrument 
dont  un  botaniste  ne  peut  se  passer,  non  plus  que  d'une  pointe,  d'une 
lancette,  et  d'une  paire  de  bons  ciseaux  fins  à  découper.  En  pensant 
que  votre  zèle  maternel  peut  vous  mener  jusque-là,  je  me  fais  un  ta- 
bleau charmant  de  ma  belle  cousine  empressée  avec  son  verre  à  éplu- 
cher des  monceaux  de  fleurs,  cent  fois  moins  fleuries,  moins  fraîches  et 
moins  agréables  qu'elle.  Bonjour,  cousine,  jusqu'au  chapitre  suivant. 

Lettre   IIL 

Du  16  mai  1772. 
Je  suppose ,  chère  cousine ,  que  vous  avez  bien  reçu  ma  précédente 
réponse ,  quoique  vous  ne  m'en  parliez  point  dans  votre  seconde  lettre. 
Répondant  maintenant  à  celle-ci,  j'espère,  sur  ce  que  vous  m'y  mar- 
quez, que  la  maman,  bien  rétablie,  est  partie  en  bon  état  pour  la 
Suisse,  et  je  compte  que  vous  n'oublierez  pas  de  me  donner  avis  de 
relïet  de  ce  voyage  et  des  eaux  qu'elle  va  prendre.  Gomme  tante  Julie 
a  dû  partir  avec  elle,  j'ai  chargé  M.  G.,  qui  retourne  au  Val-de-Tra- 
vers,  du  petit  herbier  qui  lui  est  destiné,  et  je  l'ai  mis  à  votre  adresse, 
afin  qu'en  son  absence  vous  puissiez  le  recevoir  et  vous  en  servir,  si 
tant  est  que ,  parmi  ces  échantillons  informes ,  il  se  trouve  quelque  chose 
à  votre  usage.  Au  reste ,  je  n'accorde  pas  que  vous  ayez  des  droits  sur  ce 
chiffon.  Vous  en  avez  sur  celui  qui  l'a  fait,  les  plus  forts  et  les  plus 
chers  queje  connoisse;  mais  pour  l'herbier,  il  fut  promis  à  votre  sœur, 
lorsqu'elle  herborisoit  avec  moi  dans  nos  promenades  à  la  Croix-de- 
Vague,  et  que  vous  ne  songiez  à  rien  moins  dans  celles  où  mon  cœur  et 
mes  pieds  vous  suivoient  avec  grand'maman  en  Yaise.  Je  rougis  de  lui 
avoir  tenu  parole  si  tard  et  si  mal;  mais  enfin  elle  avoit  sur  vous,  à  cet 
égard,  ma  parole  et  l'antériorité.  Pour  vous,  chère  cousine,  si  je  ne 
vous  promets  pas  un  herbier  de  ma  main ,  c'est  ]  our  vous  en  procurer 
UQ  plus  précieux  de  la  main  de  votre  fille,  si  vous  continuez  à  suivra 


36  LETTRES  ÉLÉMENTAIRES 

avec  elle  cette  douce  et  charmante  étude  qui  remplit  d'intéressantes  ob- 
servations sur  la  nature  ces  vides  du  temps  que  les  autres  consacrent  à 
l'oisiveté  ou  à  pis.  Quant  à  présent,  reprenons  le  fil  interrompu  de  nos 
familles  végétales. 

Mon  intention  est  de  vous  décrire  d'abord  six  de  ces  familles ,  pour  vous 
familiariser  avec  la  structure  générale  des  parties  caractéristiques  des 
plantes.  Vous  en  avez  déjà  deux;  reste  à  quatre  qu'il  faut  encore  avoir 
la  patience  de  suivre  :  après  quoi,  laissant  pour  un  temps  les  autres 
branches  de  cette  nombreuse  lignée,  et  passant  à  l'examen  des  parties 
différentes  de  la  fructification,  nous  ferons  en  sorte  que,  sans  peut-être 
connoître  beaucoup  de  plantes,  vous  ne  serez  du  moins  jamais  en  terre 
étrangère  parmi  les  productions  du  règne  végétal. 

Mais  je  vous  préviens  que  si  vous  voulez  prendre  des  livres  et  suivre 
la  nomenclature  ordinaire ,  avec  beaucoup  de  noms  vous  aurez  peu 
d'idées:  celles  que  vous  aurez  se  brouilleront,  et  vous  ne  suivrez  bien 
ni  ma  marche  ni  celle  des  autres,  et  n'aurez  tout  au  plus  qu'une  con- 
noissance  de  mots.  Chère  cousine,  je  suis  jaloux  d'être  votre  seul  guide 
dans  cette  partie.  Quand  il  en  sera  temps  .  je  vous  indiquerai  les  livres  que 
vous  pourrez  consulter.  En  attendant,  ayez  la  patience  de  ne  lire  que 
dans  celui  de  la  nature  et  de  vous  en  tenir  à  mes  lettres. 

Les  pois  sont  à  présent  en  pleine  fructification.  Saisissons  ce  moment 
pour  observer  leur  caractère.  Il  est  un  des  plus  curieux  que  puisse 
offrir  la  botanique.  Toutes  les  fleurs  se  divisent  généralement  en  régu- 
lières et  irrégulières.  Les  premières  sont  celles  dont  toutes  les  parties 
s'écartent  uniformément  du  centre  de  la  fleur,  et  aboutiroient  ainsi  par 
leurs  extrémités  extérieures  à  la  circonférence  d'un  cercle.  Cette  uni- 
formité fait  qu'en  présentant  à  l'œil  les  fleurs  de  cette  espèce,  il  n'y 
distingue  ni  dessus  ni  dessous,  ni  droite  ni  gauche  :  telles  sont  les  deux 
familles  ci-devant  examinées.  Mais,  au  premier  coup  d'œil,  vous  verrez 
qu'une  fleur  de  pois  est  irrégulière,  qu'on  y  distingue  aisément  dans  la 
corolle  la  partie  plus  longue,  qui  doit  être  en  haut,  de  la  plus  courte, 
qui  doit  être  en  bas,  et  .qu'on  connoît  fort  bien,  en  présentant  la  fleur 
vis-à-vis  de  l'œil,  si  on  la  tient  dans  sa  situation  naturelle  ou  si  on  la 
renverse.  Ainsi,  toutes  les  fois  qu'examinant  une  fleur  irrégulière  on 
parle  du  haut  et  du  bas,  c'est  en  la  plaçant  dans  sa  situation  naturelle. 

Comme  les  fleurs  de  cette  famille  sont  d'une  construction  lort  parti- 
culière, non-seulement  il  faut  avoir  plusieurs  fleurs  de  pois  et  les  dis- 
séquer successivement,  pour  observer  toutes  leurs  parties  l'une  après 
l'autre,  il  faut  même  suivre  le  progrès  de  la  fructification  depuis  la 
première  floraison  jusqu'à  la  maturité  du  fruit. 

Vous  trouverez  d'abord  un  calice  monophylle ,  c'est-à-dire  d'une  seule 
pièce  terminée  en  cinq  pointes  bien  distinctes ,  dont  deux  un  peu  plus 
larges  sont  en  haut ,  et  les  trois  plus  étroites  en  bas.  Ce  calice  est  re- 
courbé vers  le  bas,  de  même  que  le  pédicule  qui  le  soutient,  lequel 
pédicule  est  très-délié,  très-mobile;  en  sorte  que  la  fleur  suit  aisément 
le  courant  de  l'air,  et.  présente  ordinairement  son  dos  au  vent  et  à  la 
pluie. 

Le  calice  examiné,  on  l'ôte,  en  le  déchirant  délicatement  de  manière 


SUR  LA  BOTANIQUE.  37 

que  le  reste  de  la  fleur  demeure  entier,  et  alors  vous  voyez  clairement 
que  la  corolle  est  polypétale. 

Sa  première  pièce  est  un  grand  et  large  pétale  qui  couvre  les  autres, 
et  occupe  la  partie  supérieure  de  la  corolle ,  à  cause  de  quoi  ce  grand 
pétale  a  pris  le  nom  de  pavillon.  On  l'appelle  aussi  Vélendard.  Il  fau- 
drcit  se  boucher  les  yeux  et  l'esprit  pour  ne  pas  voir  que  ce  pétale  est 
là  comme  un  parapluie  pour  garantir  ceux  qu'il  couvre  des  principales 
injures  de  l'air. 

En  enlevant  le  pavillon  comme  vous  avez  fait  le  calice,  vous  remar- 
querez Gu'il  est  emboîté  de  chaque  côté  par  une  petite  oreillette  dans 
les  pièces  latérales ,  de  manière  que  sa  situation  ne  puisse  être  dérangée 
par  le  vent. 

Le  pavillon  ôté  laisse  à  découvert  ces  deux  pièces  latérales  auxquelles 
il  étoit  adhérent  par  ses  oreillettes  :  ces  pièces  latérales  s'appellent  les 
ailes.  Vous  tr  uverez  en  les  détachant  qu'emboîtées  encore  plus  forte- 
ment avec  celle  qui  reste ,  elles  n'en  peuvent  être  séparées  sans  quelque 
effort.  Aussi  les  ailes  ne  sont  guère  moins  utiles  pour  garantir  les  côtés 
de  la  fleur  que  le  pavillon  pour  la  couvrir. 

Les  ailes  ôtées  vous  laissent  voir  la  dernière  pièce  de  la  corolle;  pièce 
qui  couvre  et  défend  le  centre  de  la  fleur,  et  l'enveloppe,  surtout  par 
dessous,  aussi  soigneusement  que  les  trois  autres  pétales  enveloppent 
le  dessus  et  les  côtés.  Cette  dernière  pièce,  qu'à  cause  de  sa  forme  on 
appelle  la  nacelle,  est  comme  le  coffre-fort  dans  lequel  la  nature  a  mis 
son  trésor  à  l'abri  des  atteintes  de  l'air  et  de  l'eau. 

Après  avoir  bien  examiné  ce  pétale ,  tirez-le  doucement  par  dessous 
en  le  pinçant  légèrement  par  la  quille,  c'est-à-dire  par  la  prise  mince 
qu'il  vous  présente,  de  peur  d'enlever  avec  lui  ce  qu'il  enveloppe  :  je 
suis  sûr  qu'au  moment  où  ce  dernier  pétale  sera  forcé  de  lâcher  prise 
et  de  déceler  le  mystère  qu'il  cache,  vous  ne  pourrez  en  l'apercevant 
vous  abstenir  de  faire  un  cri  de  surprise  et  d'admiration. 

Le  jeune  fruit  qu'enveloppoit  la  nacelle  est  construit  de  cette  ma- 
nière :  une  membrane  cylindrique  terminée  par  dix  filets  bien  distincts 
entoure  l'ovaire ,  c'est-à-dire  l'embryon  de  la  gousse.  Ces  dix  filets 
sont  autant  d'étamines  qui  se  réunissent  par  le  bas  autour  du  germe, 
et  se  terminent  par  le  haut  en  autant  d'anthères  jaunes  dont  la  pous- 
sière va  féconder  le  stigmate  qui  termine  le  pistil,  et  qui,  quoique 
jaune  aussi  par  la  poussière  fécondante  qui  s'y  attache,  se  distingue 
aisément  des  étamines  par  sa  figure  et  par  sa  grosseur.  Ainsi  ces  dix  éta- 
mines  forment  encore  autour  de  l'ovaire  une  dernière  cuirasse  pour  le 
oréserver  des  injures  du  dehors. 

Si  vous  y  regardez  de  bien  près,  vous  trouverez  que  ces  dix  éta- 
mmes  ne  font  par  leur  base  un  seul  corps  qu'en  apparence  :  car  dans 
la  partie  supérieure  de  ce  cylindre ,  il  y  a  une  pièce  ou  étamine  qui 
d'abord  paroît  adhérente  aux  autres,  mais  qui,  à  mesure  que  la  fleur 
se  fane  et  que  le  fruit  grossit ,  se  détache  et  laisse  une  ouverture  en 
dessus  par  laquelle  ce  fruit  grossissant  peut  s'étendre  en  entr'ouvrant  et 
écartant  de  plus  en  plus  le  cylindre  qui,  sans  cela,  le  comprimant  et 
l'étranglant  tout  autour,  l'emnêcheroit  de  grossir  et  de  profiter.  SI  la 


38  LETTRES  ÉLÉMENTAIRES 

neur  n'est  pas  assez  avancée ,  vous  ne  verrez  pas  cette  étamine  déta- 
chée du  cylindre;  mais  passez  un  camion  dans  deux  petits  trous  qua 
vous  trouverez  près  du  réceptacle  à  la  base  de  celte  étamine,  et  bien- 
tôt vous  verrez  l'étamine  avec  son  anthère  suivre  l'épingle  et  se- déta- 
cher des  neuf  autres  qui  continueront  toujours  de  faire  ensemble  un 
seul  corps,  jusqu'à  ce  qu'elles  se  flétrissent  et  dessèchent  quand  le 
germe  fécondé  devient  gousse  et  qu'il  n'a  plus  besoin  d'elles. 

Cette  pousse,  dans  laquelle  l'ovaire  se  change  en  mûrissant,  se  dis- 
tmgue  de  la  sikque  des  crucifères,  en  ce  que  dans  la  silique  les  graines 
sont  attachées  alternativement  aux  deux  sutures,  au  lieu  que  dans  la 
gousse  elles  ne  sont  attachées  que  d'un  côté,  c'est-à-dire  à  une  seule- 
ment des  deux  sutures,  tenant  alternativement  à  la  vérité  aux  deux 
valves  qui  la  composent,  mais  toujours  du  même  côté.  Vous  saisirez 
parfaitement  cette  diflerence  si  vous  ouvrez  en  même  temps  la  gousse 
d'un  pois  et  la  silique  d'une  giroflée,  ayant  attention  de  ne  les  prendre 
ni  l'une  m  l'autre  en  parfaite  maturité,  afin  qu'après  l'ouverture  du 
fruit  les  graines  restent  attachées  par  leurs  ligamens  à  leurs  sutures  et 
à  leurs  valvules. 

Si  je  me  suis  bien  fait  entendre,  vous  comprendrez,  chère  cousine, 
quelles  étonnantes  précautions  ont  été  cumulées  par  la  nature  pour 
amener  l'embryon  du  pois  à  maturité,  et  le  garantir  surtout,  au  mi- 
lieu des  plus  grandes  pluies,  de  l'humidité  qui  lui  est  funeste,  sans 
cependant  l'enfermer  dans  une  coque  dure  qui  en  eût  fait  une  autre 
sorte  de  fruit.  Le  suprême  ouvrier,  attentif  à  la  conservation  de  tous  les 
êtres,  a  mis  de  grands  soins  à  garantir  la  fructification  des  plantes  des 
atteintes  qui  lui  peuvent  nuire  ;  mais  il  paroît  avoir  redoublé  d'atten- 
tion pour  celles  qui  servent  à  la  nourriture  de  l'homme  et  des  ani- 
maux, comme  la  plupart  des  légumineuses.  L'appareil  de  la  fructifica- 
tion du  pois  est,  en  diverses  proportions,  le  même  dans  toute  cette  fa- 
mille. Les  fleurs  y  portent  le  nom  de  papilionacées  ,  parce  qu'on  a  cru 
y  voir  quelque  chose  de  semblable  à  la  figure  d'un  papillon  :  elles  ont 
généralement  un  pavillon,  deux  ailes,  une  nacelle,  ce  qui  fait  commu- 
nément quatre  pétales  irréguliers.  Mais  il  y  a  des  genres  où  la  nacelle 
se  divise  dans  sa  longueur  en  deux  pièces  presque  adhérentes  par  la 
quille ,  et  ces  fleurs-là  ont  réellement  cinq  pétales:  d'autres,  comme  le 
trèfle  des  prés,  ont  toutes  leurs  parties  attachées  en  une  seul?  pièce, 
et ,  quoique  papilionacées ,  ne  laissent  pas  d'être  monopétales. 

Les  papilionacées  ou  légumineuses  sont  une  des  familles  des  plantes 
les  plus  nombreuses  et  les  plus  utiles.  On  y  trouve  les  fèves,  les  ge- 
nêts, les  luzernes,  sainfoins,  lentilles,  vesces,  gesses,  les  haricots, 
dont  le  caractère  est  d'avoir  la  nacelle  contournée  en  spiial.-,  ce  qu'on 
prendroit  d'abord  pour  un  accident;  il  y  a  des  arbres,  entre  autres 
celui  qu'on  appelle  vulgairement  acacia,  et  qui  n'est  pas  le  véritable 
acacia;  l'indigo,  la  réglisse,  en  sont  aussi  :  mais  nous  parlerons  de 
tout  cela  plus  en  détail  dans  la  suite.  Bonjour,  cousine.  J'embrasse 
tout  ce  que  vous  aimez. 


I 


SUR  LA  BOTANIQUE.  39 

Lettre  IV. 

Du  19  juin  <772. 

Vous  m'avez  tiré  de  peine,  chère  cousine:  mais  il  me  reste  encore  da 
l'inquiétude  sur  ces  maux  d'estomac  appelés  maux  de  cœur,  dont 
votre  maman  sent  les  retoirrs  dans  l'attitude  d'écrire.  Si  c'est  seulement 
l'effet  d'une  plénitude  de  bile,  le  voyage  et  les  eaux  suffiront  pour 
l'évacuer:  mais  je  crains  bien  qu'il  n'y  ait  à  ces  accidens  quelque 
cause  locale  qui  ne  sera  pas  si  facile  à  détruire,  et  qui  demandera  tou- 
jours d'elle  un  grand  ménagement,  même  après  son  rétablissement. 
J'attends  de  vous  des  nouvelles  de  ce  voyage,  aussitôt  que  vous  en  au- 
rez; mais  j'exige  que  la  maman  ne  songe  à  m'écrira  que  pour  m  ap- 
prendre son  entière  guérison.  ,,,     V-       r. 

Je  ne  puis  comprendre  pourquoi  vous  n'avez  pas  reçu  1  herbier.  Dans 
la  persuasion  que  tante  Julie  étoit  déjà  partie ,  j'avois  remis  le  pa- 
quet à  M.  G.  pour  vous  l'expédier  en  passant  à  Dijon.  Je  n'apprends 
d'aucun  côté  qu'il  soit  parvenu  ni  dans  vos  mains ,  ni  dans  celles  de 
votre  sœur .  et  je  n'imagine  plus  ce  qu'il  peut  être  devenu. 

Parlons  de  plantes ,  tandis  que  la  saison  de  les  observer  nous  y  invite. 
Votre  solution  de  la  question  que  je  vous  avois  faite  sur  les  étaraines 
des  crucifères  est  parfaitement  juste,  et  me  prouve  bien  que  vous  m  avez 
entendu  ,  ou  plutôt  que  vous  m'avez  écouté  ;  car  vous  n'avez  besoin  que 
d'écouter  pour  entendre.  Vous  m'avez  bien  rendu  raison  de  la  gibbosite 
de  deux  folioles  du  calice,  et  de  la  brièveté  relative  de  deux  étammes. 
dans  la  gironée.  par  la  courbure  de  ces  deux  étamines.  Cependant  un 
»as  de  plus  vous  eût  menée  jusqu'à  la  cause  première  de  cette  structure  : 
car  si  vous  recherchez  encore  pourquoi  ces  deux  étamines  sont  amsi 
recourbées  et  par  conséquent  raccourcies,  vous  trouverez  une  petite 
plande  implantée  sur  le  réceptacle .  entre  l'étamine  et  le  germe ,  et 
c'e^t  cette  glande  qui,  éloignant  l'étamine,  et  la  forçant  à  prendre  le 
I  contour,  la  raccourcit  nécessairement.  Il  y  a  encore  sur  le  même  ré- 
ceptacle deux  autres  glandes,  une  au  pied  de  chaque  paire  des  grandes 
étamines;  mais  ne  leur  faisant  point  faire  de  contour,  elles  ne  les  rac- 
courcissent pas,  parce  que  ces  glandes  ne  sont  pas,  comme  les  deux 
premières,  en  dedans,  c'est-à-dire  entre  l'étamine  et  le  germe,  mais 
en  dehors,  c'est-à-dire  entre  la  paire  d'étamines  et  le  calice.  Ainsi 
ces  quatre  étamines .  soutenues  et  dirigées  verticalement  en  droite 
iicrne,  débordent  celles  qui  sont  recourbées ,  et  semblent  plus  longues, 
parce  qu'elles  sont  plus  droites.  Ces  quatre  glandes  se  trouvent,  ou 
du  moins  leurs  vestiges .  plus  ou  moins  visiblement  dans  presque  toutes 
les  fleurs  crucifères ,  et  dans  quelques-unes  bien  plus  distinctes  que 
dans  la  giroflée.  Si  vous  demandez  encore  pourquoi  ces  glandes,  je 
vous  répondrai  qu'elles  sont  un  des  instrumens  destinés  par  la  nature 
à  unir  le  règne  végétal  au  règne  animal,  et  les  faire  circuler  l'un  dans 
l'autre  :  mais ,  laissant  ces  recherches  un  peu  trop  anticipées ,  reve- 
nons, quant,  à  présent,  à  nos  familles. 

Les  fleurs  que  je  vous  ai  décrites  jusqu'à  présent  sont  toutes  poljT)e- 
tales.  J'aurois  dû  commencer  peut-être  par  les  monopétales  régulières, 


40  LETTRES  ÉLÉMENTAIRES 

dont  la  structure  est  beaucoup  plus  simple  :  cette  grande  simplicité 
même  est  ce  qui  m'en  a  empêché.  Les  monopétales  régulières  consti- 
tuent moins  une  famille  qu'une  grande  nation  dans  laquelle  on  compte 
plusieurs  familles  bien  distinctes;  en  sorte  que,  pour  les  comprendre 
toutes  sous  une  indication  commune,  il  faut  employer  des  carac- 
tères si  généraux  et  si  vagues ,  que  c'est  pa:roître  dire  quelque  chose 
en  ne  disant  en  effet  presque  rien  du  tout.  Il  vaut  mieux  se  renferme* 
da'ns  des  bornes  plus  étroites,  mais  qu'on  puisse  assigner  avec  plus  da 
précision. 

Parmi  les  monopétales  irrégulières  ,  il  y  a  une  famille  dont  la  physio- 
nomie est  si  marquée  qu'on  en  distingue  aisément  les  membres  à  leut 
air.  C'est  celle  à  laquelle  on  donne  le  nom  de  fleurs  en  gueule,  parce 
que  ces  fleurs  sont  fendues  en  deux  lèvres,  dont  l'ouverture,  soit  na- 
turelle, soit  produite  par  une  légère  compression  des  doigts,  leur 
donne  l'air  d'une  gueule  béante.  Cette  famille  se  subdivise  en  deux  sec- 
tions ou  lignées  :  l'une,  des  fleurs  en  lèvres,  ou  labiées;  l'autre,  des 
fleurs  en  masque ,  ou  personnées  ;  car  le  mot  latin  persona  signifie  un 
masque,  nom  très-convenable  assurément  à  la  plupart  des  gens  qui 
portent  parmi  nous  celui  de  personnes,  Le  caractère  commun  à  toute  la 
famille  est  non-seulement  d'avoir  la  corolle  monopétale,  et,  comme  je 
l'ai  dit,  fendue  en  deux  lèvres  ou  babines,  l'une  supérieure,  appelée 
casque,  l'autre  inférieure,  appelée  barbe,  mais  d'avoir  quatre  étamines 
presque  sur  un  même  rang,  distinguées  en  deux  paires,  l'une  plus 
longue  et  l'autre  plus  courte.  L'inspection  de  l'objet  vous  expliquera 
mieux  ces  caractères  que  ne  peut  faire  le  discours. 

Prenons  d'abord  les  labiées.  Je  vous  en  donnerois  volontiers  pour 
exemple  la  sauge ,  qu'on  trouve  dans  presque  tous  les  jardins.  Mais  la 
construction  particulière  et  bizarre  de  ses  étamines ,  qui  l'a  fait  retran- 
cher par  quelques  botanistes  du  nombre  des  labiées ,  quoique  la  nature 
ait  semblé  l'y  inscrire ,  me  porte  à  chercher  un  autre  exemple  dans  les 
orties  mortes,  et  particulièrement  dans  l'espèce  appelée  vulgairement 
ortie  blanche,  mais  que  les  botanistes  appellent  plutôt  lamier  blanc, 
parce  qu'elle  n'a  nul  rapport  à  l'ortie  par  sa  fructification ,  quoiqu'elle 
en  ait  beaucoup  par  son  feuillage.  L'ortie  blanche,  si  commune  par- 
tout, durant  très-longtemps  en  fleur,  ne  doit  pas  vous  être  difficile  à 
trouver.  Sans  m'arrêter  ici  à  l'élégante  situation  des  fleurs ,  je  me  borne 
à  leur  structure.  L'ortie  blanche  porte  une  fleur  monopétale  labiée 
dont  le  casque  est  concave  et  recourbé  en  forme  de  voûte,  pour  recou- 
vrir le  reste  de  la  fleur,  et  particulièrement  ses  étamines,  qui  se  tien- 
nent toutes  quatre  assez  serrées  sous  l'abri  de  son  toit.  Vous  discerne- 
rez aisément  la  paire  plus  longue  et  la  paire  plus  courte,  et,  au  milieu 
des  quatre ,  le  style  de  la  même  couleur,  mais  qui  s'en  distingue  en  ce 
qu'il  est  simplement  fourchu  par  son  extrémité ,  au  lieu  d'y  porter  une 
anthère  comme  font  les  étamines.  La  barbe ,  c'est-à-dire  la  lèvre  infé- 
rieure, se  replie  et  pend  en  bas,  et,  par  cette  situation,  laisse  voir 
presque  jusqu'au  fond  le  dedans  de  la  corolle.  Dans  les  lamiers  cette 
barbe  est  refendue  en  longueur  dans  son  milieu,  mais  cela  n'arrive  pas 
de  même  aux  autres  labiées. 


sua   LA  BOTANIQUE.  41 

5i  vous  arrachez  la  corolle,  vous  arracherez  avec  elle  les  étarainet 
qui  y  tiennent  par  leurs  filets,  et  non  pas  au  réceptacle,  où  le  styli 
restera  seul  attaché.  En  examinant  comment  les  étamines  tiennent  ù 
d'autres  fleurs,  on  les  trouve  généralement  attachées  à  la  corolle  quand 
elle  est  monopétale,  et  au  réceptacle  ou  au  calice  quand  la  corolle  est 
polypétale  :  en  sorte  qu'on  peut,  en  ce  dernier  cas,  arracher  les  pé- 
tales sans  arracher  les  étamines.  De  cette  observation  l'on  tire  une 
règle  belle,  facile,  et  même  assez  sûre,  pour  savoir  si  une  corolle  est 
d'une  seule  pièce  ou  de  plusieurs .  lorsqu'il  est  difficile ,  comme  il  l'est 
quelquefois,  de  s'en  assurer  immédiatement. 

La  corolle  arrachée  reste  pe.xée  à  son  fond ,  parce  qu'elle  étoit  atta- 
chée au  réceptacle,  laissant  une  ouverture  circulaire  par  laquelle  le 
pistil  et  ce  qui  l'entoure  pénétroit  au  dedans  du  tube  et  de  la  corolle. 
Ce  qui  entoure  ce  pistil  dans  le  lamier  et  dans  toutes  les  labiées,  ce 
sont  quatre  embryons  qui  deviennent  quatre  graines  nues,  c'est-à-dire 
sans  aucune  enveloppe;  en  sorte  que  ces  graines,  quand  elles  sont 
mûres ,  se  détachent ,  et  tombent  à  terre  séparément.  Voilà  le  caractère 
des  labiées. 

L'autre  lignée  ou  section,  qui  est  celle  des  personnées ,  se  distingue 
des  labiées,  premièrement  par  sa  corolle,  dont  les  deux  lèvres  ne  sont 
pas  ordinairement  ouvertes  et  béantes,  mais  fermées  et  jointes,  comme 
vous  le  pourrez  voir  dans  la  fleur  de  jardin  appelée  mxiflaxide  ou  mufle 
de  veau,  ou  bien,  à  son  défaut,  dans  la  linaire,  cette  fleur  jaune  à 
éperon,  si  commune  en  cette  saison  dans  la  campagne.  Mais  un  carac- 
tère plus  précis  et  plus  sûr  est  qu'au  lieu  d'avoir  quatre  graines  nues 
au  fond  du  calice ,  comme  les  labiées ,  les  personnées  y  ont  toutes  une 
capsule  qui  renferme  les  graines ,  et  ne  s'ouvre  qu'à  leur  maturité  pour 
les  répandre.  J'ajoute  à  ces  caractères  qu'un  grand  nombre  de  labiées 
sont  ou  des  plantes  odorantes  et  aromatiques,  telles  que  l'origan,  la 
marjolaine,  le  thym,  le  serpolet,  le  basilic,  la  menthe,  l'hysope,  la 
lavande,  etc. ,  ou  des  plantes  odorantes  et  puantes ,  telles  que  diverses 
espèces  d'orties  mortes,  staquis,  crapaudines,  marrube;  quelques-unes 
seulement,  telles  que  la  bugle,  la  brunelle,  la  toque,  n'ont  pas 
d'odeur ,  au  lieu  que  les  personnées  sont  pour  la  plupart  des  plantes 
sans  odeur,  comme  la  rauflaude,  la  linaire,  l'euphraise,  la  pédiculaire, 
la  crête-de-coq  ,  l'orobanche,  lacymbalaire,  lavelvote,  la  digitale;  je 
ne  connois  guère  d'odorantes  dans  cette  branche  que  la  scrofulaire, 
qui  sente  et  qui  pue ,  sans  être  aromatique.  Je  ne  puis  guère  vous  citef 
ici  que  des  plantes  qui  vraisemblablement  ne  vous  sont  pas  connues, 
mais  que  peu  à  peu  vous  apprendrez  à  connoître,  et  dont  au  moins  à 
leur  rencontre  vous  pourrez  par  vous-même  déterminer  la  famille.  Ja 
voudrois  même  que  vous  tâchassiez  d'en  déterminer  la  lignée  ou  sec- 
tion par  la  physionomie,  et  que  vous  vous  exerçassiez  à  juger,  au 
simple  coup  d'œil,  si  la  fleur  en  gueule  que  vous  voyez  est  une  labiée, 
eu  une  personnée.  La  figure  extérieure  de  la  corolle  peut  suffire  pour 
vous  guider  dans  ce  choix  ,  que  vous  pourrez  vérifier  ensuite  en  ôtant  la 
•corolle,  et  regardant  au  fond  du  calice:  car,  si  vous  avez  bien  jugé,  la 
fleur  que  vous  aurez  nommée  labiée  vous  montrera   Quatre  graines 


42  LETTRES  ÉLÉMENTAIRES 

nues,  et  celle  que  vous  aurez  nommée  personnée  vous  montrera  uni 
péricarpe  :  le  contraire  vous  prouveroit  que  vous  vous  êtes  trompée;  etJ 
par  un  second  examen  de  la  même  plante,  vous  préviendrez  une  erreur|| 
semblable  pour  une  autre  fois.  Voilà,  chère  cousine,  de  l'occupationl 
pour  quelques  promenades.  Je  ne  tarderai  pas  à  vous  en  préparer  pourjl 
celles  qui  suivront. 

Lettre  V. 

Dii  46  juillet  177-2. 

Je  vous  remercie,  chère  cousine,  des  lionnes  nouvelles  que  vous 
m'avez  données  de  la  maman.  J'avois  espéré  le  bon  effet  du  changement 
d'air,  et  je  n'en  attends  pas  moins  des  eaux,  et  surtout  du  régime  aus 
tère  prescrit  durant  leur  usage.  Je  suis  touché  du  souvenir  de  cette 
bonne  amie,  et  je  vous  prie  de  l'en  remercier  pour  moi.  Mais  je  ne  veux 
pas  absolument  qu'elle  m'écrive  durant  son  séjour  en  Suisse;  et,  si  elle 
veut  me  donner  directement  de  ses  nouvelles,  elle  a  près  d'elle  un  bon  Z 
secrétaire  '  qui  s'en  acquittera  fort  bien.  Je  suis  plus  charmé  que  sur- 
pris qu'elle  réussisse  en  Suisse  :  indépendamment  des  grâces  de  son 
âge ,  et  de  sa  gaieté  vive  et  caressante ,  elle  a  dans  le  caractère  un 
fonds  de  douceur  et  d'égalité  dont  je  l'ai  vue  donner  quelquefois  à  la 
grand'maman  l'exemple  charmant  qu'elle  a  reçu  de  vous.  Si  votre  sœur 
s'établit  en  Suisse ,  vous  perdrez  l'une  et  l'autre  une  grande  douceur 
dans  la  vie,  et  elle  surtout  des  avantages  difficiles  à  remplacer.  Mais 
votre  pauvre  maman,  qui,  porte  à  porte,  sentoit  pourtant  si  cruelle- 
ment sa  séparation  d'avec  vous,  comment  supportera-t-elle  la  sienne  à 
une  si  grande  distance?  C'est  de  vous  encore  qu'elle  tiendra  ses  dé- 
dommagemens  et  ses  ressources.  Vous  lui  en  ménagez  une  bien  pré- 
cieuse en  assouplissant  dans  vos  douces  mains  la  bonne  et  forte  étofl'e 
de  votre  favorite,  qui,  je  n'en  doute  point,  deviendra  par  vos  soin^ 
aussi  pleine  de  grandes  qualités  que  de  charmes.  Ah!  cousine,  l'heu- 
reuse mère  que  la  vôtre  ! 

Savez-vous  que  je  commence  à  être  en  peine  du  petit  herbier  ?  Je  n'en 
ai  d'aucune  part  aucune  nouvelle,  quoique  j'en  aie  eu  de  M.  G.  de- 
puis son  retour,  par  sa  femme,  qui  ne  me  dit  pas  de  sa  part  un  seul 
mol  sur  cet  herbier.  Je  lui  en  ai  demandé  des  nouvelles;  j'attends  sa 
réponse.  J'ai  grand'peur  que,  ne  passant  pas  à  Lyon,  il  n'ait  confié  le 
paquet  à  quelque  quidam  qui,  sachant  que  c'étoient  des  herbes  sèches, 
aura  pris  tout  cela  pour  du  foin.  Cependant,  si,  comme  je  l'espère  en- 
core, il  parvient  enfin  à  votre  sœur  Julie  ou  à  vous,  vous  trouverez 
que  je  n'ai  pas  laissé  d'y  prendre  quelque  soin.  C'est  une  perte  qui, 
quoique  petite,  ne  me  seroit  pas  facile  à  réparer  prcmptement,  sur- 
tout à  cause  du  catalogue ,  accompagné  de  divers  petits  éclaircissemens 
écrits  sur-le-champ  ,  et  dont  je  n'ai  gardé  aucun  double. 

Consolez-vous,  bonne  cousine,  de  n'avoir  pas  vu  les  glandes  des  cru- 
cifères. De  grands  botanistes  très-bien  oculés  ne  les  ont  pas  mieux  vues. 
Tournefort  lui-même  n'en  fait  aucune  mention.  Elles  sont  bien  claires 

i.  La  sœur  de  Mme  Dclesserl,  que  Rousseau  appeloil  lanto  Julie,  (Éd.) 


SUR  LA  BOTANIQUE.  43 

,ars  peu  de  genres,  quoiqu'on  en  trouve  des  vestiges  presque  dans 
ous.  et  c'est  à  force  d'analyser  des  fleurs  en  croix .  et  d'y  voir  toujours 
.es  inégalités  au  réceptacle,  qu'en  les  examinant  en  particulier  on  a 
rouvé  que  ces  glandes  appartenoient  au  plus  grand  nombre  des  genres, 
t  qu'on  les  suppose,  par  analogie,  dans  ceux  même  où  on  ne  les  dis- 
ingue  pas.  . 

Je  comprends  qu'on  est  fâché  de  prendre  tant  de  peine  sans  apprendre 
es  noms  des  plantes  qu'on  examine:  mais  je  vous  avoue  de  bonne  foi 
[u'il  n'est  pas  entré  dans  mon  plan  de  vous  épargner  ce  petit  chagrin. 
)n  prétend  que  la  botanique  n'est  qu'une  science  de  mots  qui  n'exerce 
[ue  la  mémoire,  et  n'apprend  qu'à  nommer  des  plantes  :  pour  moi,  je 
le  connois  point  d'étude  raisonnable  qui  ne  soit  qu'une  science  de  mots; 
it  auquel  des  deux,  je  vous  prie,  accorderai-je  le  nom  de  botaniste, 
le  celui  qui  sait  cracher  un  nom  ou  une  phrase  à  l'aspect  d'une  plante , 
;ans  rien  connoître  à  sa  structure ,  ou  de  celui  qui ,  connoissant  très- 
5ien  cette  structure,  ignore  néanmoins  le  nom  très-arbitraire  qu'on 
ionne  à  cette  plante  en  tel  ou  en  tel  pays?  Si  nous  ne  donnons  à  vos 
înfans  qu'une  occupation  amusante,  nous  manquons  la  meilleure  moi- 
.ié  de  notre  but,  qui  est,  en  les  amusant,  d'exercer  leur  intelligence 
tde  les  accoutumer  à  l'attention.  Avant  de  leur  apprendre  à  nommer 
^e  qu'ils  voient,  commençons  par  leur  apprendre  à  le  voir.  Cette 
science,  oubliée  dans  toutes  les  éducations,  doit  faire  la  plus  importante 
partie  de  la  leur.  Je  ne  le  redirai  jamais  assez  :  apprenez-leur  à  ne  jamais 
se  payer  de  mots,  et  à  croire  ne  rien  savoir  de  ce  qui  n'est  entré  que 
Jans  leur  mémoire. 

Au  reste,  pour  ne  pas  trop  faire  le  méchant,  je  vous  nomme  pour- 
tant des  plantes  sur  lesquelles ,  en  vous  les  faisant  montrer ,  vous  pouvez 
aisément  vérifier  mes  descriptions.  Vous  n'aviez  pas,,  je  le  suppose, 
feousvos  yeux  une  ortie  blanche  en  lisant  l'analyse  des  labiées;  mais 
vous  n'aviez  qu'à  envoyer  chez  l'herboriste  du  coin  chercher  de  l'ortie 
blanche  fraîchement  cueillie ,  vous  appliquiez  à  sa  fleur  ma  description . 
et  ensuite,  examinant  les  autres  parties  de  la  plante  de  la  manière  dont 
iious  traiterons  ci-après,  vous  connoissiez  l'ortie  blanche  infiniment 
mieux  que  l'herboriste  qui  la  fournit  ne  la  connoîtra  de  ses  jours;  en- 
core irouverons-nous  dans  peu  le  moyen  de  nous  passer  d'herboriste  : 
mais  il  faut  premièrement  achever  l'examen  de  nos  familles.  Ainsi  je 
viens  à  la  cinquième,  qui,  dans  ce  moment,  est  en  pleine  fructifi- 
cation. 

Représentez-vous  une  longue  tige  assez  droite ,  garnie  alternative- 
ment de  feuilles  pour  l'ordinaire  découpées  assez  menu ,  lesquelles  em- 
brassent par  leur  base  des  branches  qui  sortent  de  leurs  aisselles.  De 
l'extrémité  supérieure  de  cette  tige  parlent ,  comme  d'un  centre,  plu- 
sieurs pédicules  ou  rayons,  qui,  s'écartant  circulairement  et  régulière- 
ment comme  les  côtes  d'un  parasol,  couronnent  cette  tige  en  forme 
d'un  vase  plus  ou  moins  ouvert.  Quelquefois  ces  rayons  laissent  un 
espace  vide  dans  leur  milieu,  et  représentent  alors  plus  e.xactement  le 
creux  du  vase:  quelquefois  aussi  ce  milieu  est  fourni  d'autres  rayons 
plus  courts,  qui,  montant  moins  obliquement,  garnissent  le  vase,  et 


^^  LETTRES   ÉLÉMENTAIRES 

formant  conjointement  avec  les  premiers  la  figure  à  peu  près  ,i'un  demi 

globe  ,  dont  la  partie  convexe  est  tournée  endessus  ^  '^   '  ""  "«J"' 

Chacun  de  ces  rayons  ou  pédicules  est  terminé  à  son  extrémité  nor 

pas  e.icore  par  une  fleur,  mais  par  un  autre  ordre  de  rayons  pTupe  Us 

2o  *  rerriigt"""  '-'  '''"-'''''^  '''-'-'-^^^  -™-  "'p--: 

Ainsi  voilà  deux  ordres  pareils  et  successifs  :  l'un,  de  grands  ravons 

zr:s^^p  ''^''-^'^  '-'''^  -^°-  --^^^^'-  Vi  ts^ 

Les  rayons  des  petits  parasols  ne  se  subdivisent  plus    mais  chacun 
IW  ''"''^'  ''"^^  ''''''  "^^^  ''-'  nous'parCoTs  tout  I 

Si  vous  pouvez  vous  former  l'idée  de  la  figure  que  je  viens  de  vou J 
decnre  vous  aurez  celle  de  la  disposition  des  fleurs  dan  laTmme  des 
amMl^res  ou  porte-parasols,  car  le  mot  latin  u.^MlasiZ■!n^t\ 

Quoique  cette  disposition  régulière  de  la  fructification  soit  frannantP 
et  assez  constante  dans  toutes  les  ombellifères    ce  n'^/t  1  ..?^f     ' 
elle  qui  constitue  le  caractère  de  la  fammerce'<5.rac  èeTttïd^ 
structure  même  de  la  fleur ,  qu'il  faut  maintenant  vous  dTcrire 

Mais  11  convient,  pour  plus  de  clarté,  de  vous  donner  ici  une  distinr  I 
tion  générale  sur  la  disposition  relative-  de  la  fleur  et  di.  ^ni  1  I 
toutes  les  plantes,  distinction  qui  facilite  exTrêmeLnt  ^e^'™  ' -^ 
ment  méthodique,  quelque  système  qu'on  veunieThoTr  pour  cela    '"  l 

Il  y  a  des  plantes  et  c'est  le  plus  grand  nombre ,  par  exempe  1  œillet 

à  ce  leTà'Te  n^iï^T"' ";■"""'  ''''  ''  '''^''-  NoÏÏ7on"   o  ^ 
a  ceiies  la  le  nom  de  fleurs  infères,  parce  que  les  pétales  embnssint  4 
1  ovaire  prennent  leur  naissance  au-dessous  de  lui  embrassant  | 

Dans  d'autres  plantes  en  assez  grand  nombre,  l'ovaire  se  trouva 
place    non  dans  les  pétales,  mais  au-dessous  d'eux'  ce  m.e  vm,.  n. 
voir  dans  la  rose;  car  le  gratte-cul,  qui  en  estTe'f'ruil    eirc/co^S 

ovaire  et  ne  l'envelopp:  ^as^^l'ap  elVerlî  SS^^;:^^ s^^^l^:^ 

Tnci^é"  m  îsTm?;'/"r  '"  '^"'^-  ""  P°^^-^'  faire  dTsmols'; 
irancises,  mais  il  me  paroit  avantageux  de  vous  tenir  tnnmnpc  i„     i 

près  qu'il  se  pourra  des  termes  admis  d^ns  îa  bln^rp    =,r      P^"' 

lire  ae  ces  deux  langues ,  comme  si ,  pour  connoître  les  plantes    1  fa  Unit 

commencer  par  être  un  savant  grammairien.  ^  '        '^°'* 

Tournefort  exprimoit  la  même  distinction  en  d'autres  termes  •  -i.ne 

asdltfle;r;.«-^'"Vi''^°'^  ^"^  ''  P'^^''  devendt  S  Vans  :•• 
nièr.Hfi""^''''  '^  '^'^°'*  ^"«  le  calice  devenoit  fruit.  Cette  ma  ' 
niere  de  s  exprimer  pouvoit  être  aussi  claire ,  mais  elle  n'étoit  certa^P 

.uanVirenT^r''-  ^'"  ^"''^  ^"  -it,  voici  une  occasordw"" 
(uand  ,1  en  sera  temps,  vos  jeunes  élèves  à  savoir  démêler  les  mêmeà 
Idées ,  rendues  par  des  termes  tout  difl-érens. 


SUR  LA  BOTANIQUE.  ,        45 

Je  vous  dirai  maintenant  que  les  plantes  ombellifères  ont  la  fleur 
«père,  ou  posée  sur  le  fruit.  La  corolle  de  celle  fleur  est  à  cinq  pétales 
ppelés  réguliers,  quoique  souvent  les  deux  pétales  qui  sont  tournés 
n  dehors  dans  les  fleurs  qui  bordent  rombelle  soient  plus  grands  que 
îs  trois  autres. 

La  figure  de  ces  pétales  varie  selon  les  genres,  mais  le  plus  commu- 
.ément  elle  est  en  cœur;  l'onglet  qui  porte  sur  l'ovaire  est  fort  mince; 
a  lame  va  en  selargissant;  son  bord  est  émarginé  (légèrement  échan- 
ré),  ou  bien  il  se  termine  en  une  pointe  qui,  se  repliant  en  dessus, 
.onne  encore  au  pétale  l'air  d'être  émarginé  ,  quoiqu'on  le  vît  pointu  s'il 
toit  déplié. 

Entre  chaque  pétale  est  une  étamine  dont  l'anthère,  débordant  ordi- 
lairement  la  corolle,  rend  les  cinq  étamines  plus  visibles  que  les  cinq 
létales.  Je  ne  fais  pas  ici  mention  du  calice ,  parce  que  les  ombellifères 
l'en  ont  aucun  bien  distinct. 

Du  centre  de  la  fleur  partent  deux  styles  garnis  chacun  de  leur  stig- 
nate .  et  assez  apparens  aussi ,  lesquels ,  après  la  chute  des  pétales  et 
les  étamines ,  restent  pour  couronner  le  fruit. 

La  figure  la  plus  commune  de  ce  fruii  est  un  ovale  uu  peu  allongé, 
[ui,  dans  sa  maturité,  s'ouvre  par  la  moitié,  et  se  partage  en  deux 
iemences  nues  attachées  au  pédicule,  lequel,  par  un  art  admirable,  se 
livise  en  deux ,  ainsi  que  le  fruit ,  et  tient  les  graines  séparément  sus- 
)endues,  jusqu'à  leur  chute. 

Toutes  ces  proportions  varient  selon  les  genres,  mais  en  voilà  l'ordre 
e  plus  commun.  Il  faut,  je  l'avoue,  avoir  l'œil  très-atlentif  pour  bien 
listinguer  sans  loupe  de  si  petits  objets;  mais  ils  sont  si  dignes  d'atten- 
ion ,  qu'on  n'a  pas  regret  à  sa  peine. 

Voici  donc  le  caractère  propre  de  la  famille  des  ombellifères  :  corolle 
upère  à  cinq  pétales ,  cinq  étamines ,  deux  styles  portés  sur  un  fruit  nu 
iisperme ,  c'est-à-dire  composé  de  deux  graines  accolées. 

Toutes  les  fois  que  vous  trouverez  ces  caractères  réunis  dans  une 
'ructification .  comptez  que  la  plante  est  une  ombellifère,  quand  même 
îlle  n'auroit  d'ailleurs ,  dans  son  arrangement .  rien  de  l'ordre  ci-devant 
narqué.  Et  quand  vous  trouveriez  tout  cet  ordre  de  parasols  conforme 
i  ma  description,  comptez  qu'il  vous  trompe,  s'il  est  démenti  par  l'exa- 
nen  de  la  fleur. 

S'il  arrivoit,  par  exemple,  qu'en  sortant  de  lire  ma  lettre  vous  trou- 
vassiez, en  vous  promenant,  un  sureau  encore  en  fleur,  je  suis  presque 
issuré  qu'au  premier  aspect  vous  diriez  :  «  Voilà  une  ombellifère.  »  En 
y  regardant,  vous  trouveriez  grande  ombelle,  petite  ombelle,  petites 
ifleurs  blanches,  corolle  supère,  cinq  étamines  :  c'est  une  ombellifère 
'assurément;  mais  voyons  encore  :  je  prends  une  fleur. 

D'abord ,  au  lieu  de  cinq  pétales ,  je  trouve  une  corolle  à  cinq  divisions , 
il  est  vrai,  mais  néanmoins  d'une  seule  pièce  :  or,  les  fleurs  des  om- 
bellifères ne  sont  pas  monopétales.  Voilà  bien  cinq  étamines;  mais  je 
ne  vois  point  de  styles ,  et  je  vois  plus  souvent  trois  stigmates  que  deux  ; 
plus  souvent  trois  graines  que  deux  :  or,  les  ombellifères  n'ont  jamais 
ni  plus  ni  moins  de  deux  stigmates,  ni  plus  ni  moins  de  deux  graines 


46  LETTRES  ÉLÉMENTAIRES 

pour  chaque  fleur.   Enfin,  le  fruit  du  sureau  est  une  baie  molle ,  e  s 
celui  des  ombellifères  est  sec  et  nu.  Le  sureau  n'est  donc  pas  une  o'm 
beilifère. 

Si  vous  revenez  maintenant  sur  vos  pas  en  regardant  de  plus  près  i 
la  disposition  des  fleurs ,  vous  verrez  que  cette  disposition  n'est  qu'ei 
apparence  celle  des  ombellifères.  Les  grands  rayons,  au  lieu  de  parti; 
exactement  du  même  centre,  prennent  leur  naissance  les  uns  plus  iiaut 
les  autres  plus  bas;  les  petits  naissent  encore  moins  régulièrement  :  toul 
cela  n'a  point  l'ordre  invariable  des  ombellifères.  L'arrangement  des 
fleurs  du  sureau  est  en  corijm.be,  ou  bouquet,  plutôt  qu'en  ombelles, 
Voilà  comment,  en  nous  trompant  quelquefois,  nous  finissons  par  ap- 
prendre à  mieux  voir. 

Le  chardon-roland ,  au  contraire ,  n'a  guère  le  port  d'une  ombellifère , 
et  néanmoins  c'en  est  une,  puisqu'il  en  a  tous  les  caractères  dans  sa 
fructification.  Où  trouver,  medirez-vous,  le  chardon-roland?  par  foute 
la  campagne;  tous  les  grands  chemins  en  sont  tapissés  à  droite  et  à 
gauche  ;  le  premier  paysan  peut  vous  le  montrer ,  et  vous  le  reconnoîtrez 
presque  vous-même  à  la  couleur  bleuâtre  ou  vert  de  mer  de  ses  feuilles, 
à  leurs  durs  piquans,  et  à  leur  consistance  lisse  et  coriace  comme  du 
parchemin.  Mais  on  peut  laisser  une  plante  aussi  intraitable;  elle  n'a 
pas  assez  de  beauté  pour  dédommager  des  blessures  qu'on  se  fait  en 
l'examinant  :  et  fût-elle  cent  fois  plus  jolie ,  ma  petite  cousine ,  avec  ses 
petits  doigts  sensibles,  seroit  bientôt  rebutée  de  caresser  une  plante  di; 
si  mauvaise  humeur. 

La  famille  des  ombellifères  est  nombreuse,  et  si  naturelle,  que  sej 
genres  sont  très-difficiles  à  distinguer;  ce  sont  des  frères  que  la  grande 
ressemblance  fait  souvent  prendre  l'un  pour  l'autre.  Pour  aider  à  s'y 
reconnoître ,  on  a  imaginé  des  distinctions  principales  qui  sont  quelque- 
fois utiles,  mais  sur  lesquelles  il  ne  faut  pas  non  plus  trop  compter 
Le  foyer  d'où  partent  les  rayons,  tant  de  la  grande  que  de  la  petite 
ombelle,  n'est  pas  toujours  nu;  il  est  quelquefois  entouré  de  folioles 
comme  d'une  manchette.  On  donne  à  ces  folioles  le  nom  d'iiuolucrp. 
(enveloppe).  Quand  la  grande  ombelle  a  une  manchette ,  on  donne  à  cett» 
manchette  le  nom  de  grand  involucre  :  on  appelle  petits  mvolucres  ceux 
qui  entourent  quelquefois  les  petites  ombelles.  Cela  donne  lieu  à  trois 
sections  des  ombellifères. 

1°  Celles  qui  ont  grand  involucre  et  petits  involucres; 
2"  Celles  qui  n'ont  que  les  petits  involucres  seulement; 
3°  Celles  qui  n'ont  ni  grand  ni  petits  involucres. 
Il  serableroit  manquer  une  quatrième  division  de  celles  qui  ont  Ui 
grand  involucre  et  point  de  petits,  mais  on  ne  connoît  aucun  genre  ou 
soit  constamment  dans  ce  cas. 

Vos  étonnans  progrès ,  chère  cousine ,  et  votre  patience  m'ont  telle 
ment  enhardi  que ,  comptant  pour  rien  votre  peine ,  j'ai  osé  vous  décrir 
la  famille  des  ombellifères  sans  fixer  vos  yeux  sur  aucun  modèle;  ce  q 
•a  rendu  nécessairement  votre  attention  beaucoup  plus  fatigante.  Cèpe 
dant  j'ose  douter,  lisant  comme  vous  savez  faire,  qu'après  une  ou  de 
lectures  de  ma  lettre ,  une  ombellifère  en  fleurs  échappe  à  votre  esp 


Sun   LA  BOTANIQUE.  47 

•n frappant  Tos  yeux;  et,  dans  cette  saison,  vous  ne  pouvez  manquer 
l'en  trouver  plusieurs  dans  les  jardins  et  dans  la  campagne. 

Elles  ont,  la  plupart,  les  fleurs  blanches.  Telles  sont  la  carotte,  le 
•,erfeuil .  le  persil ,  la  ciguë ,  l'angélique ,  la  berce ,  la  berle ,  la  boucage , 
e  chervis  ou  girole ,  la  perce-pierre ,  etc. 

Quelques-unes,  comme  le  fenouil,  l'anet,  le  panais,  sont  à  fleurs  jau- 
les  :  il  y  en  a  peu  à  fleurs  rougeâtres,  et  point  d'aucune  autre  couleur, 
I  «  Voilà,  me  direz-vous,  une  belle  notion  générale  des  ombellifères  : 
mais  comment  tout  ce  vague  savoir  me  garantira-t-il  de  confondre  la 
:iguë  avec  le  cerfeuil  et  le  persil ,  que  vous  venez  de  nommer  avec  elle? 
La  moindre  cuisinière  en  saura  là-dessus  plus  que  nous  avec  toute  notre 
loctrine.»  Vous  avez  raison.  Mais  cependant,  si  nous  commençons  pat 
.es  observations  de  détail,  bientôt,  accablés  par  le  nombre,  la  mémoire 
nous  abandonnera,  et  nous  nous  perdrons  dès  les  premiers  p  dans  ca 
règne  immense:  au  lieu  que,  si  nous  commençons  par  bien  u^^.  noîtrj 
les^grandes  routes,  nous  nous  égarerons  rarement  dans  les  sentiers,  et 
noul  nous  retrouverons  partout  sans  beaucoup  de  peine.  Donnons  cepen- 
lant  quelque  exception  à  l'ulilité  de  l'objet,  et  ne  nous  exposons  pas, 
tout  en  analysant  le  règne  végétal ,  à  manger  par  ignorance  une  omelette 

à  la  ciguë.  ...  ., 

La  petite  ciguë  des  jardins  est  une  ombellifere .  ainsi  que  le  peisil  et 
le  cerfeuil.  Elle  a  la  fleur  blanche  comme  l'un  et  l'autre  ';  elle  est  avec 
le  dernier  dans  la  section  qui  a  la  petite  enveloppe  et  qui  n'a  pas  la 
crrande;  elle  leur  ressemble  assez  par  sou  feuillage,  pour  qu'il  ne  soi- 
pas  aisé  de  vous  en  marquer  par  écrit  les  dilTé>ences.  Mais  voici  des 
caractères  suffisans  pour  ne  vous  y  pas  tromper.  ^ 

Il  faut  commencer  par  voir  en  fleurs  ces  diverses  plantes,  car  c  est 
en  cet  état  que  la  ciguë  a  son  caractère  propre  :  c'est  d'avoir  sous  chaque 
petite  ombelle  un  petit  involucre  composé  de  trois  petites  folioles  poin- 
tues, assez  longues,  et  toutes  trois  tournées  en  dehors;  au  lieu  que  les 
folioles  des  petites  ombelles  du  cerfeuil  l'enveloppent  tout  autour,  et 
sont  tournées  également  de  tous  les  côtés.  A  l'égard  du  persil ,  à  peine 
a-t-il  quelques  courtes  folioles,  fines  comme  des  cheveux,  et  distribuées 
indifl"éremraent,  tant  dans  la  grande  ombelle  que  dans  les  petites,  qui 
toutes  sont  claires  et  maigres. 

Quand  vous  vous  serez  bien  assurée  de  la  ciguë  en  fleurs,  vous  vous 
confirmerez  dans  votre  jugement  en  froissant  légèrement  et  flairant  son 
feuillage;  car  son  odeur  puante  et  vireuse  ne  vous  la  laissera  pas  con- 
fondre°av'ec  le  persil  ni  avec  le  cerfeuil ,  qui ,  tous  deux  ,  ont  des  odeurs 
agréables.  Bien  sûre  enfin  de  ne  pas  faire  de  quiproquo,  vous  exami- 
nerez ensemble  et  séparément  ces  trois  plantes  dans  tous  leurs  états  et 
par  toutes  leurs  parties,  surtout  parle  feuillage, -qui  les  accompagne 
plus  constamment  que  la  fleur;  et  par  cet  examen,  comparé  et  répété 
jusqu'à  ce  que  vous  ayez  acquis  la  certitude  du  coup  d'œil,  vous  par- 

i    La  fleur  du  persil  est  un  peu  jaunàlve;  mais  plusieurs  fleurs  d'ombel- 
[iifères  paroissenl  jaunes,  à  cause  de  l'ovaire  et  des  anthères,  et  ne  laissent 
(tas  d'avoir  des  pétales  blan:s. 


kS  LETTRES  ELEMENTAIRES 

viendrez  à  distinguer  et  connoître  imperturbablement  la  ciguë.  L'étuc'.'.* 
nous  mène  ainsi  jusqu'à  la  porte  de  la  pratique,  après  quoi  celle-ci  fait 
la  facilité  du  savoir. 

Prenez  haleine,  chère  cousine,  car  voilà  une  lettre  excédante;  j 
n'ose  même  vous  promettre  plus  de  discrétion  dans  celle  qui  doit  1 
suivre;  mais  après  cela  nous  n'aurons  devant  nous  qu'un  chemin  bord 
de  flejrs.  Vous  en  méritez  une  couronne  pour  la  douceur  et  la  constanc 
avec  laquelle  vous  daignez  me  suivre  à  travers  ces  broussailles,  san- 
vous  rebuter  de  leurs  épines. 

Lettre  VL 

Du  2  mai  <773. 

Quoiqu'il  vous  reste,  chère  cousine,  bien  des  choses  à  désirer  dar. 
les  notions  de  nos  cinq  premières  familles  ,  et  que  je  n'aie  pas  toujoui  - 
su  mettre  mes  descriptions  à  la  portée  de  notre  petite  botanophile  (am?  - 
trice  de  la  botanique) ,  je  crois  néanmoins  vous  en  avoir  donné  une  idu 
suffisante   pour  pouvoir,  après  quelques  mois  d'herborisation,    voi: 
familiariser  avec  l'idée  générale  du  port  de  chaque  famille  :  en  sor: 
qu'à  l'aspect  d'une  plante  vous  puissiez  conjecturer  à  peu  près  si  el'. 
appartient  à  quelqu'une  des  cinq  familles,  et  à  laquelle,  sauf  à  vérifie 
ensuite,  par  l'analyse  de  la  fructification,  si  vous  vous  êtes  trompée  c 
non  dans  votre  conjecture.  Les  ombellifères,  par  exemple,  vous  oi. 
jetée  dans  quelque  embarras,  mais  dont  vous  pouvez  sortir  quand  il 
vous  plaira ,  au  moyen  des  indications  que  j'ai  jointes  aux  descriptions  : 
car  enfin  les  carottes,  les  panais,  sont  choses  si  communes,  que  rie 
n'est  plus  aisé,  dans  le  milieu  de  l'été,  que  de  se  faire  montrer  l'une  ci 
l'autre  en  fleurs  dans  un  potager.  Or,  au  simple  aspeet  de  l'ombelle  e 
de  la  plants  qui  la  porte,  on  doit  prendre  une  idée  si  nette  des  ombel 
lifères ,  qu'à  la  rencontre  d'une  plante  de  cette  famille ,  on  s'y  tromper 
rarement  au  premier  coup  d'œil.  Voilà  tout  ce  que  j'ai  prétendu  jus 
qu'ici;  car  il  ne  sera  pas  question  sitôt  des  genres  et  des  espèces;  et. 
encore  une  fois  ,  ce  n'est  pas  une  nomenclature  de  perroquet  qu'il  s'agit 
d'acquérir,  mais  une  science  réelle,  et  l'une  des  sciences  les  plus  ai 
niables  qu'il  soit  possible  de  cultiver.  Je  passe  donc  à  notre  sixièm 
famille  avant  de  prendre  une  route  plus  méthodique  :  elle  pourra  vou 
embarrasser  d'abord,  autant  et  plus  que  les  ombellifères.  Mais  mon  bu 
■n'est,  quant  à  présent,  que  de  vous  en  donner  une  notion  générale 
d'autant  plus  que  nous  avons  bien  du  temps  encore  avant  celui  de  i 
pleine  floraison,  et  que  ce  temps,  bien  employé,  pourra  vous  aplani 
des  difficultés  contre  lesquelles  il  ne  faut  pas  lutter  encore. 

Prenez  une  de  ces  petites  fleurs  qui,  dans  cette  saison,  tapissent  le 
pâturages,  et  qu'on  appelle  ici  pâquerettes, petites  marguerites,  ou  viar 
^guérites  tout  court.  P>egardez-la  bien;  car,  à  son  aspect,  je  suis  sûr  (! 
vous  surprendre  en  vous  disant  que  cette  fleur ,  si  petite  et  si  mignonne  , 
est  réellement  composée  de  deux  ou  trois  cents  autres  fleurs  toutes  par- 
faites ,  c'est-à-dire  ayant  chacune  sa  corolle ,  son  germe ,  son  pistil ,  ses 
étaraines,  sa  graine,  en  un  mot  aussi  parfaite  en  son  espèce  qu'une  fleur 
de  jacinthe  ou  de  lis.  Chacune  de  ces  folioles,  blanches  en  dessus,  roses 


SUR  LA  BOTANIQUE.  49 

en  dessous ,  qui  forment  comme  une  couronne  autour  de  la  marguei  ilu , 
et  qui  ne  vous  paroissent  tout  au  plus  qu'autant  de  petits  pétales,  sont 
réellement  autant  de  véritables  fleurs;  et  chacun  de  ces  petits  brins 
jaunes  que  vous  voyez  dans  le  centre ,  et  que  d'abord  vous  n'avez  peut- 
ètrepris  que  pour  des  étamines,  sont  encore  autantde  véritables  fleurs. Si 
vous  aviez  déjà  les  doigts  exercés  aux  dissections  botaniques ,  que  vous 
vous  armassiez  d'une  bonne  loupe  et  de  beaucoup  de  patience ,  je  pourrois 
vous  convaincre  de  cette  vérité  par  vos  propres  yeux  ;  mais ,  pour  le 
présent,  il  faut  commencer,  s'il  vous  plaît,  par  m'ei  croire  sur  ma  pa- 
role, de  peur  de  fatiguer  votre  attention  sur  des  atomes.  Cependant, 
pour  vous  mettre  au  moins  sur  la  voie ,  arrachez  une  des  folioles  blanches 
de  la  couronne,  vous  croirez  d'abord  cette  foliole  plate  d'un  bout  à  l'au- 
tre; mais  regardez-la  bien  par  le  bout  qui  étoit  attaché  à  la  fleur,  vous 
verrez  que  ce  bout  n'est  pas  plat ,  mais  rond  et  creux  en  forme  de  tube  ,  et 
que  de  ce  tube  sort  un  petit  filet  à  deux  cornes  :  ce  filet  est  le  style  four- 
chu de  cette  fleur,  qui,  comme  vous  voyez,  n'est  plate  que  par  le  haut. 
Regardez  maintenant  les  brins  jaunes  qui  sont  au  milieu  de  la  fleur, 
et  que  je  vous  ai  dit  être  autant  de  fleurs  eux-mêmes  :  si  la  fleur  est 
assez  avancée,  vous  en  verrez  plusieurs  tout  autour,  lesquels  sont  ou- 
verts dans  le  milieu ,  et  même  découpés  en  plusieurs  parties.  Ce  sont  des 
corolles  monopétales  qui  s'épanouissent,  et  dans  lesquelles  la  loupe 
vous  feroit  aisément  distinguer  le  pistil  et  même  les  anthères  dont  il  est 
entouré  :  ordinairement  les  fleurons  jaunes,  qu'on  voit  au  centre,  sont 
encore  arrondis  et  non  percés;  ce  sont  des  fleurs  comme  les  autres, 
mais  qui  ne  sont  pas  encore  épanouies;  car  elles  ne  s'épanouissent  que 
successivement  en  avançant  des  bords  vers  le  centre.  En  voilà  assez 
pour  vous  montrera  l'œil  la  possibilité  que  tous  ces  brins,  tant  blancs 
que  jaunes,  soient  réellement  autant  de  Heurs  parfaites;  et  c'est  un  fait 
très-constant  :  vous  voyez  néanmoins  que  toutes  ces  petites  fleurs  sont 
pressées  et  renfermées  dans  un  calice  qui  leur  est  commun ,  et  qui  est 
celui  de  la  marguerite.  En  considérant  toute  la  marguerite  comme  une 
seule  fleur,  ce  sera  donc  lui  donner  un  nom  très-convenable  que  de 
l'appeler  une  fleur  composée;  or  il  y  a  un  grand  nombre  d'espèces  et  de 
genres  de  fleurs  formées  comme  la  marguerite  d'un  assemblage  d'autres 
fleurs  plus  petites,  contenues  dans  un  calice  commun.  Voilà  ce  qui 
constitue  la  sixième  famille  dont  j'avois  à  vous  parler;  savoir,  celle  des 
(leurs  composées. 

Commençons  par  ôter  ici  l'équivoque  du  mot  de  fleur,  en  restreignant 
ce  nom  dans  la  présente  famille  à  la  fleur  composée ,  et  donnant  celui  de 
fleurons  aux  petites  fleurs  qui  la  composent;  mais  n'oublions  pas  que, 
dans  la  précision  du  mot ,  ces  fleurons  eux-mêmes  sont  autant  de  véri- 
tables fleurs. 

Vous  avez  vu  dans  la  marguerite  deux  sortes  de  fleurons;  savoir,  ceux 
de  couleur  jaune  qui  remplissent  le  milieu  de  la  fleur,  et  les  petite-s  lan- 
guettes blanches  qui  les  entourent  :  les  premiers  sont,  dans  leur  peti- 
tesse, assez  semblables  de  figure  aux  fleurs  du  muguet  ou  de  la  jacinthe, 
et  les  seconds  ont  quelque  rapport  aux  fleurs  du  chèvrefeuille.  Nous 
laisserons  aux  premiers  le  do!?i  de  (levronsy  et,   pour  distinguer  las 

RorssEAtr  vt  & 


5C  LETTRES  ÉLÉMENTAIRES 

aut-os,  nous  les  appellerons  demi- fleurons;  car,  en  effet,  ils  ont  assez 
lair  de  fleurs  monopétales  qu'on  auroit  rognées  par  un  côté  en  n'y  iais 
sant  qu'une  languette  qui  feroit  à  peine  la  moitié  de  la  corolle 

Ces  deux  sortes  de  fleurons  se  combinent  dans  les  fleurs  composées  de 
manière  a  diviser  toute  la  famille  en  trois  sections  bien  distinctes 

La  première  section  est  formée  de  celles  qui  ne  sont  composées  que  d- 
languettes  ou  demi-fleurons ,  tant  au  milieu  qu'à  la  circonférence  -on  le^ 
appelle  fleurs  demi-fleuronnées ;  et  la  fleur  entière  dans  cette  section 
est  toujours  d'une  seule  couleur,  le  plus  souvent  jaune.  Telle  est  la 
fleur  appelée  dent-de-lion  ou  pissenlit  ;  telles  sont  les  fleurs  de  laitues 
de  chicorée  (celle-ci  est  bleue) ,  de  scorsonère ,  de  salsifis ,  etc.  ' 

La  seconde  section  comprend  les  fleurs  fleuroniiées ,  c'est-à-dire  qui 
ne  sont  composées  que  de  fleurons .  tous  pour  l'ordinaire  aussi  dune  seu^e 
couleur  :  telles  sont  les  fleurs  d'immortelle,  de  bardane,  d'absinthe 
d  armoise  de  chardon ,  d'artichaut ,  qui  est  un  chardon  lui-même ,  doni 
on  mange  le  calice  et  le  réceptacle  encore  en  bouton ,  avant  que  la  fleur 
soit  eclose ,  et  même  formée.  Cette  bourre  ,  qu'on  ôte  du  milieu  de  l'ar- 
tichaut ,  n  est  autre  chose  que  l'assemblage  des  fleurons  qui  commencent 
a  se  former,  et  qui  sont  séparés  les  uns  des  autres  par  de  lon-s  poils 
implantes  sur  le  réceptacle.  °    ^ 

La  troisième  section  est  celle  des  fleurs  qui  rassemblent  les  deux 
sortes  de  fleurons.  Cela  se  fait  toujours  de  manière  que  les  fleurons  en- 
lers  occupent  le  centre  de  la  fleur,  et  les  demi-fleurons  forment  le  con- 
tour ou  la  circomerence,  comme  vous  avez  vu  dans  la  pâquerette  Les 
fleurs  de  cette  section  s'appellent  radiées,  les  botanistes  ayant  donné  t 
nom  de  rayon  au  contour  d'une  fleur  composée,  quand  il  est  formé  de- 
languettes  ou  demi-fleurons.  A  l'égard  de  l'aire  ou  du  centre  de  la 
fleur  occupe  par  es  fleurons,  on  l'appelle  le  disque,  et  on  donne  aussi 
quelquefois  ce  même  nom  de  disque  à  la  surface  du  réceptacle  où  sont 
plantes  tous  les  fleurons  et  demi-fleurons.  Dans  les  fleurs  radiées  le  dis 
que  est  souvent  d'une  couleur  et  le  rayon  d'une  autre  :  cependant  il  v  a 
aussi  des  genres  et  des  espèces  où  tous  les  deux  sont  de  la  même  couleur 
Tachons  a  présent  de  bien  déterminer  dans  votre  esprit  l'idée  d'une 
fleur  composée.  Le  trèfle  ordinaire  fleurit  en  cette  saison;  sa  fleur  est 
pourpre  :  s  il  vous  en  tomboit  une  sous  la  main,  vous  pourriez  en 
voyant  tant  de  petites  fleurs  rassemblées,  être  tentée  de  prendre  le 'tout 
pour  une  fleur  composée.  Vous  vous  tromperiez;  en  quoi?  en  ce  oue 
pour  constituer  une  fleur  composée ,  il  ne  suffit  pas  d'ïne  agrégat  on  dé 

tiesde  la  fuctification  leur  soient  communes,  de  manière  que  toutes 
aient  part  a  la  même,  et  qu'aucune  n'ait  la  sienne  séparémen  Ces 
deux  parties  communes  sont  le  calice  et  le  réceptacle.  Il  est  vrai  que  la 

ïrr^  H'"h'"!i'  °"  ^'^"'°'  ^'  §^°"P^  ^'  ^'^''  <i'''  ^'^»  semble  qu'une 
paroit  d  abord  portée  sur  une  espèce  de  calice  ;  mais  écartez  un  peu  ce 
prétendu  calice  et  vous  verrez  qu'il  ne  tient  point  à  la  fleur,  mais  qu'il 
est  attache  au-dessous  d'elle  au  pédicule  qui  la  porte.  Ain  i  ce  calice 
apparent  n'en  est  point  un;  il  appartient  au  feuillage  et  non  pas  à  a 
fleur;  et  cette  prétendue  fleur  n'est  en  efl^et  qu'un  assemblage  de  fleurs 


SUR  LA  BOTANIQUE.  51 

légumineuses  fort  petites,  dont  chacune  a  son  calice  particulier,  et  qui 
n'ont  absolument  rien  de  commun  entre  elles  que  leuratiaclie  au  même 
pédicule.  L'usage  est  pourtant  de  prendre  tout  cela  pour  une  seule 
fleur;  mais  c'est  une  fausse  idée,  ou,  si  l'on  veut  absolument  regarder 
comme  une  fleur  un  bouquet  de  cette  espèce,  il  ne  faut  pas  du  moins 
l'appeler  une  fleur  composée,  mais  une  fleur  agrégée  ou  une  tète  {flos 
aggregatus,  flos  capitatus,  capituZu?n).  Et  ces  dénominations  sont  en 
effet  quelquefois  employées  en  ce  sens  par  les  botanistes. 

Voilà,  chère  cousine,  la  notion  la  plus  simple  et  la  plus  naturelle  que 
je  puisse  vous  donner  de  la  famille ,  ou  plutôt  de  la  nombreuse  classe 
des  composées .  et  des  trois  sections  ou  familles  dans  lesquelles  elles  se 
subdivisent.  Il  faut  maintenant  vous  parler  de  la  structure  des  fructifi- 
cations particulières  à  cette  classe ,  et  cela  nous  mènera  peut-être  à  en 
déterminer  le  caractère  avec  plus  de  précision. 

La  partie  la  plus  essentielle  d'une  fleur  composée  est  le  réceptacle  sur 
lequel  sont  plantés,  d'abord  les  fleurons  et  demi-fleurons  ,  et  ensuite 
les  graines  qui  leur  succèdent.  Ce  réceptacle,  qui  forme  un  disque 
d'une  certaine  étendue,  fait  le  centre  du  calice,  comme  vous  pouvez 
voir  dans  le  pissenlit,  que  nous  prendrons  ici  pour  exemple.  Le  calice, 
dans  toute  cette  famille,  est  ordinairement  découpé  jusqu'à  la  base  en 
plusieurs  pièces,  afin  qu'il  puisse  se  fermer,  se  rouvrir,  et  se  renverser, 
comme  il  arrive  dans  le  progrès  de  la  fructification,  sans  y  causer  de 
déchirure.  Le  calice  du  pissenlit  est  formé  de  deux  rangs  de  folioles 
insérés  l'un  dans  l'autre,  et  les  folioles  du  rang  extérieur  qui  soutient 
l'autre  se  recourbent  et  replient  en  bas  vers  le  pédicule,  tandis  que  les 
folioles  du  rang  intérieur  restent  droites  pour  entourer  et  contenir  les 
demi-fleurons  qui  composent  la  fleur.         . 

Une  forme  encore  des  plus  communes  aux  calices  de  cette  classe  est 
d'être  imbriqués ,  c'est-à-dire  formés  de  plusieurs  rangs  de  folioles  en 
recouvrement,  les  unes  sur  les  joints  des  autres,  comme  les  tuiles  d'un 
toit.  L'artichaut,  le  bluet,  la  jacée,  la  scorsonère,  vous  offrent  des 
exemples  de  calices  imbriqués. 

Les  fleurons  et  demi-fleurons  enfermés  dans  le  calice  sont  plantés  fort 
dru  sur  son  disque  ou  réceptacle  en  quinconce,  ou  comme  les  cases 
d'un  damier.  Quelquefois  ils  s'entre-touchent  à  nu  sans  rien  d'intermé- 
diaire, quelquefois  ils  sont  séparés  par  des  cloisons  de  poils  ou  de  petites 
écailles  qui  restent  attachées  au  réceptacle  quand  les  graines  sont  tom- 
bées. Vous  voilà  sur  la  voie  d'observer  les  différences  de  calices  et  de 
réceptacles;  parlons  à  présent  de  la  structure  des  fleurons  et  demi-fleu- 
rons ,  en  commençant  par  les  premiers. 

Un  fleuron  est  une  fleur  monopétale ,  régulière ,  pour  l'ordinaire ,  dont 
la  corolle  se  fend  dans  le  haut  en  quatre  ou  cinq  parties.  Dans  cette 
corolle  sont  attachés,  à  son  tube,  les  filets  des  étamines  au  nombre  de 
cinq.  Ces  cinq  filets  se  réunissent  par  le  haut  en  un  petit  tube  rond  qui 
entoure  le  pistil ,  et  ce  tube  n'est  autre  chose  que  les  cinq  anthères  ou 
étamines  réunies  circulairement  en  un  seul  corps.  Cette  réunion  des 
étamines  forme,  aux  yeux  des  botanistes.  !e  caractère  essentiel  des 
fleurs  composées ,  et  n'appartient  qu'à  leurs  fleurons  exclusivement  a 


52  LETTRES  ÉLÉMENTAIRES 

toutes  sortes  de  fleurs.  Ainsi  vous  aurez  beau  trouver  plusieurs  flears 
portées  sur  un  même  disque,  comme  dans  les  scabieuses  et  le  chardon 
à  foulon,  si  les  anthères  ne  se  réunissent  pas  en  un  tube  autour  du 
pistil,  et  si  la  corolle  ne  porte  pas  sur  une  seule  graine  nue,  ces 
fleurs  ne  sont  pas  des  fleurons  et  ne  forment  pas  une  fleur  composée.  Au 
contraire ,  quand  vous  trouveriez  dans  une  fleur  unique  les  anthères 
ainsi  réunies  en  un  seul  corps,  et  la  corolle  superposée  sur  une  seule 
graine,  cette  fleur,  quoique  seule,  seroit  un  vrai  fleuron,  etappartien- 
droit  à  la  famille  des  composées,  dont  il  vaut  mieux  tirer  ainsi  le  carac- 
tère d'une  structure  précise  que  d'une  apparence  trompeuse. 

Le  pistil  porte  un  style  plus  long  d'ordinaire  que  le  fleuron,  au-dessus 
duquel  on  le  voit  s'élever  à  travers  le  tube  formé  par  les  anthères.  Il  se 
termine  le  plus  souvent,  dans  le  haut,  par  un  stigmate  fourchu  dont  on 
voit  aisément  les  deux  petites  cornes.  Par  son  pied,  le  pistil  ne  porte 
pas  immédiatement  sur  le  réceptacle,  non  plus  que  le  fleuron;  mais 
l'un  et  l'autre  y  tiennent  par  le  genre  qui  leur  sert  de  base,  lequel 
croît  et  s'allonge  à  mesure  que  le  fleuron  se  dessèche  ,  et  devient  enfin 
une  graine  longuette  qui  reste  attachée  au  réceptacle  ,  jusqu'à  ce  qu'elle 
soit  mûre.  Alors  elle  tombe  si  elle  est  nue ,  oy  bien  le  vent  l'emporte 
au  loin  si  elle  est  couronnée  d'une  aigrette  de  plumes,  et  le  réceptacle 
reste  à  découvert  tout  nu  dans  des  genres,  ou  garni  d'écaillés  ou  de 
poils  dans  d'autres. 

La  structure  des  demi-fleurons  est  semblable  à  celle  des  fleurons  ;  les 
étamines,  le  pistil  et  la  graine  y  sont  arrangés  à  peu  près  de  même: 
seulement,  dans  les  fleurs  radiées,  il  y  a  plusieurs  genres  où  les  demi- 
fleurons  du  contour  sont  sujets  à  avorter,  soit  parce  qu'ils  manquent 
d'étamines,  soit  parce  que  celles  qu'ils  ont  sont  stériles,  et  n'ont  pas  la 
force  de  féconder  le  germe  ;  alors  la  fleur  ne  graine  que  par  les  fleurons 
du  milieu. 

Dans  toute  la  classe  des  composées,  la  graine  est  toujours  sessile, 
t'est-à-dire  qu'elle  porte  immédiatement  sur  le  réceptacle  sans  aucun 
pédicule  intermédiaire.  Mais  il  y  a  des  graines  dont  le  sommet  est  cou- 
ronné par  une  aigrette  quelquefois  sessile,  et  quelquefois  attachée  à  la 
|raine  par  un  pédicule.  Vous  comprenez  que  l'usage  de  cette  aigrette 
ist  d'éparpiller  au  loin  les  semences,  en  donnant  plus  de  prise  à  l'air 
pour  les  emporter  et  semer  à  distance. 

A  ces  descriptions  informes  et  tronquées ,  je  dois  ajouter  que  les  ca- 
lices ont,  pour  l'ordinaire,  la  propriété  de  s'ouvrir  quand  la  fleur  s'é- 
panouit, de  se  refermer  quajid  les  fleurons  se  sèment  et  tombent,  afin 
de  contenir  la  jeune  graine  et  l'empêcher  de  se  répandre  avant  sa  ma- 
turité; enfin  de  se  rouvrir  et  de  se  renverser  tout  à  fait  pour  offrir  dans 
leur  centre  une  aire  plus  large  aux  graines  qui  grossissent  en  mûris- 
sant. Vous  avez  dû  souvent  voir  le  pissenlit  dans  cet  état,  quand  les 
enfans  le  cueillent  pour  souffler  dans  ses  aigrettes,  qui  forment  un 
globe  autour  du  calice  renversé. 

Pour  bien  connoître  cette  classe ,  il  faut  en  suivre  les  fleurs  dès  avant 
leur  épanouissement  jusqu'"à  la  pleine  maturité  du  fruit,  et  c'est  dans 
celte  succession  qu'on  voit  des  métamorphoses  et  un  enchaînement  de 


SUR  LA  BOTANIQUE.  53 

merveilles  qui  tiennent  tout  esprit  sain  qui  les  observe  dans  une  conti- 
nuelle admiration.  Une  fleur  commode  pour  ces  observations  est  celle 
des  soleils,  qu'on  rencontre  fréquemment  dans  les  vignes  et  dans  les 
jardins.  Le  soleil,  comme  vous  voyez,  est  une  radiée.  La  reine-mar- 
guerite ,  qui ,  dans  l'automne,  fait  l'ornement  des  parterres,  en  est  une 
aussi.  Les  chardons'  sont  des  fleuronnées  :  j'ai  déjà  dit  que  la  scorso- 
nère et  le  pissenlit  sont  des  demi-fleuronnées.  Toutes  ces  fleurs  sont 
assez  grosses  pour  pouvoir  être  disséquées  et  étudiées  à  l'œil  nu  sans 
le  fatiguer  beaucoup. 

Je  ne  vous  en  dirai  pas  davantage  aujourd'hui  sur  la  famille  ou  classe 
des  composées.  Je  tremble  déjà  d'avoir  trop  abusé  de  votre  patience  par 
des  détails  que  j'aurois  rendus  plus  clairs  si  j'avois  su  les  rendre  plus 
courts:  mais  il  m'est  impossible  de  sauver  la  difficulté  qui  naît  de  la 
petitesse  des  objets.  Bonjour,  chère  ccusinç. 

Lettre  YIL  —  Sur  les  arbres  fruiiien. 

J'attendois  de  vos  nouvelles ,  chère  cousine ,  s.ans  impatience ,  parce 
que  M.  T. .  que  j'avois  vu  depuis  la  réception  de  votre  précédente  lettre, 
m'avoit  dit  avoir  laissé  votre  maman  et  toute  votre  famille  en  bonne 
santé.  Je  me  réjouis  d'en  avoir  la  confirmatiou  par  vous-même ,  ainsi 
que  des  bonnes  et  fraîches  nouvelles  que  vous  me  donnez  de  ma  tante 
Gonceru.  Son  souvenir  et  sa  bénédiction  ont  épanoui  de  joie  un  cœur 
à  qui ,  depuis  longtemps ,  on  ne  fait  plus  guère  éprouver  de  ces  sortes 
de  mouvemens.  C'est  par  elle  que  je  tiens  encore  à  quelque  chose  de 
bien  précieux  sur  la  terre  ;  et  tant  que  je  la  conserverai .  je  continuerai , 
quoi  qu'on  fasse,  à  aimer  la  vie.  Voici  le  temps  de  profiter  de  vos  bontés 
ordinaires  pour  elle  et  pour  moi;  il  me  semble  que  ma  petite  offrande 
prend  un  prix  réel  en  passant  par  vos  mains.  Si  votre  cher  époux  vient 
bientôt  à  Paris,  comme  vous  me  le  faites  espérer,  je  le  prierai  de  vou- 
loir bien  se  charger  de  mon  tribut  annuel*;  mais  s'il  larde  un  peu,  je 
vous  prie  de  me  marquer  à  qui  je  dois  le  remettre,  afin  qu'il  n'y  ait 
point  de  retard ,  et  que  vous  n'en  fassiez  pas  l'avance  comme  l'année 
dernière,  ce  que  je  sais  que  vous  faites  avec  plaisir,  mais  à  quoi  je  ne 
dois  pas  consentir  sans  nécessité. 

Voici ,  chère  cousine,  les  noms  des  plantes  que  vous  m'avez  envoyées 
en  dernier  lieu.  J'ai  ajouté  un  point  d'interrogation  à  ceux  dont  je  suis 
en  doute ,  parce  que  vous  n'avez  pas  eu  soin  d'y  mettre  des  feuilles  avec 
la  fleur,  et  que  le  feuillage  est  souvent  nécessaire  pour  déterminer  l'es- 
pèce à  un  aussi  mince  botaniste  que  moi.  En  arrivant  à  Fourrière, 
vous  trouverez  la  plupart  des  arbres  fruitiers  en  fleurs,  et  je  me  souviens 
que  vous  aviez  désiré  quelques  directions  sur  cet  article.  Je  ne  puis  en 
ce  moment  vous  tracer  là-dessus  que  quelques  mots  très  à  la  hâte ,  étant 
très-pressé ,  et  afin  que  vous  ne  perdiez  pas  encore  une  saison  pour  cet 
examen. 

i .  Il  faut  prendre  garde  de  n'y  pas  mêler  le  cîiardon  à  fonloD  ou  des 
bonnetiers,  qui  n'est  pas  un  vrai  chardon. 

2.  La  renie  de  «00  livres  qu'il  faisoilà  sa  lanle  Gonceru.  (Éd.^ 


54  LETTRES  ÉLÉMENTAIRES 

Il  ne  faut  pas,  chère  amie,  donner  à  la  botanique  une  importance 
qu'elle  n'a  pas;  c'est  une  étude  de   pure  curiosité,  et  qui  n'a  d'autre 
utilité  réelle  que  celle  que  peut  tirer  un  être  pensant  et  sensible  de  l'ob- 
servation de  la  nature  et  des  merveilles  de  l'univers.  L'homme  a  déna- 
turé beaucoup  de  choses  pour  les  mieux  convertir  à  son  usage  :  en  cela 
il  n'est  point  à  blâmer;  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'il  les  a  sou- 
vent déligurées,  et  que,  quand  dans  les  œuvres  de  ses  mains  il  croit 
étudier  vraiment  la  nature,  il  se  trompe.  Cette  erreur  a  lieu  surtout 
ilans  la  société  civile;  elle  a  lieu  de  même  dans  les  jardins.  Ces  fleurs 
doubles ,  qu'on  admiré  dans  Jes  parterres,  sont  des  monstres  dépourvus 
de  la  faculté  de  produire  leur  semblable,  dont  la  nature  a  doué  tous  les 
êtres  organisés.  Les  arbres  fruitiers  sont  à  peu  près  dans  le  même  cas 
par  la  greffe  :  vous  aurez  beau  planter  des  pépins  de  poires  et  de  pommes 
des  meilleures  espèces,  il  n'en  naîtra  jamais  que  des  sauvageons.  Ainsi 
pour  connoître  la  poire  et  la  pomme  de  la  nature,  il  faut  les  chercher' 
non  dans  les  potagers,  mais  dans  les  forêts.  La  chair  n'en  est  pas  si 
grosse  et  si  succulente ,  mais  les  semences  en  mûrissent  mieux    en  mul- 
tiplient davantage ,  et  les  arbres  en  sont  infiniment  plus  grands  et  plus 
vigoureux.  Mais  j'entame  ici  un  article  qui  me  mèneroit  trop  loin  :  re- 
venons à  nos  potagers. 

Nos  arbres  fruitiers,  quoique  greffés,  gardent  dans  leur  fructification 
tous  les  caractères  botaniques  qui  les  distinguent;  et  c'est  par  l'étude 
attentive  de  ces  caractères,  aussi  bien  que  par  les  transformations  de  la 
greffe,  quon  s'assure  qu'il  n'y  a,  par  exemple,  qu'une  seule  espèce  de 
poire  sous  mille  noms  divers ,  par  lesquels  la  forme  et  la  saveur  de  leur» 
fruits  les  a  fait  distinguer  en  autant  de  prétendues  espèces  qui  ne  sont 
au  fond ,  que  des  variétés.  Bien  plus ,  la  poire  et  la  pomme  ne  sont  que 
deux  espèces  du  même  genre,  et  leur  unique  différence  bien  caractéris- 
tique est  que  le  pédicule  de  la  pomme  entre  dans  un  enfoncement 
du  fruit,  et  celui  de  la  poire  tient  à  un  prolongement  du  fruit  un  peu 
allonge.  De  même  toutes  les  sortes  de  cerises ,  guignes ,  griottes ,  bigar- 
reaux, ne  sont  que  des  variétés  d'une  même  espèce  :  toutes  les  prunes 
ne  sont  qu'une  espèce  de  prunes  ;  le  genre  de  la  prune  contient  trois 
espèces  principales ,   savoir  :  la  prune  proprement  dite ,  la  cerise  et 

I  abricot ,  qui  n'est  aussi  qu'une  espèce  de  prune.  Ainsi ,  quand  le  savant 
Linnaeus,  divisant  le  genre  dans  ses  espèces,  a  dénommé  la  prune 
prune ,  la  prune  cerise  et  la  prune  abricot ,  les  ignorans  se  sont  moq^xés 
de  lui  ;  mais  les  observateurs  ont  admiré  la  justesse  de  ses  réductions  etc 

II  faut  courir ,  je  me  hâte.  ' 
Les  arbres  fruitiers  entrent  presque  tous  dans  une  famille  nombreuse 

dont  le  caractère  est  facile  à  saisir,  en  ce  que  les  étamines,  en  grand 
nombre,  au  lieu  d'être  attachées  au  réceptacle,  sont  attachées  au  calice 
par  les  intervalles  que  laissent  les  pétales  entre  eux;  toutes  leurs  fleurs 
sont  polypetales  et  à  cinq  communément.  Voici  les  principaux  caractères 
génériques. 

Le  genre  de  la  poire,  qui  comprend  aussi  la  pomme  et  le  coin.  Calice 
monophylle  à  cinq  pointes.  Corolle  à  cinq  pétales  attachés  au  calice 
une  vingtaine  d'étamines  toutes  attachées  au  calice.  Germe  ou  ovairo 


SUR   L.\   BOTANIQUE.  55 

infère,  c'est-à-dire  au-dessous  de  la  corolle  ,  cinq  styles.  Fruits  charnus 

à  cinq  logettes,  contenant  des  graines,  etc. 
Le  genre  de  la  prune,  qui  comprend  l'ahricot,  la  cerise  et  le  Taurier- 

cerise.  Calice,  corolles  et  anthères  à  peu  près  comme  la  poire;  mais  le 

germe  est  supère,  c"esl-à-dire  dans  la  corolle,  et  il  n'y  a  qu'un  style. 

Fruit  plus  aqueux  que  charnu ,  contenant  un  noyau  ,  etc. 
Le  genre  de  l'amande ,  qui  comprend  aussi  la  pêche.  Presque  comme 
prune,  si  ce  n'est  que  le  germe  est  velu,  et  que  le  fruit,  mou  dans 
pèche,  sec  dans  l'amande,  contient  un  noyau  dur,  raboteux,  parsemé 
'  cavités,  etc. 
Tout  ceci  n'est  que  bien  grossièrement  ébauché  .  mais  c'en  est  assez 

pour  vous  amuser  cette  année.  Bonjour,  chère  cousine. 

Lettre  VIIL  —  Sur  les  herbiers'. 

nu  H  avril  «773. 
Grâce  au  ciel,  chère  cousine,  vous  voilà  rétablie.  Mais  ce  n'est  pas 
sans  que  votre  silence  et  celui  de  M.  G. ,  que  j'avois  instamment  prié  de 
m'écrire  un  mot  à  son  arrivée  ,  ne  m'ait  causé  bien  des  alarmes.  Dans  des 
inquiétudes  de  cette  espèce,  rien  n'est  plus  cruel  que  le  silence,  parce 
qu'il  fait  tout  porter  au  pis;  mais  tout  cela  est  déjà  oublié,  et  je  ne  sens 
plus  que  le  plaisir  de  votre  rétablissement.  Le  retour  de  la  belle  saison, 
la  vie  moins  sédentaire  de  Fourrière ,  et  le  plaisir  de  remplir  avec  succès 
la  plus  douce  ainsi  que  la  plus  respectable  des  fonctions,  achèveront 
bientôt  de  l'afTermir;  et  vous  en  sentirez  moins  tristement  l'absence 
passagère  de  votre  mari ,  au  milieu  des  chers  gages  de  son  attachement, 
et  des  soins  continuels  qu'ils  vous  demandent. 

La  terre  commence  à  verdir,  les  arbres  à  bourgeonner,  les  fleurs  à 
s'épanouir  :  il  y  en  a  déjà  de  passées:  un  moment  de  retard  pour  la 
botanique  nous  reculeroit  d'une  année  entière  :  ainsi  j'y  passe  sans 

,  autre  préambule. 

Je  crains  que  nous  ne  l'ayons  traitée  jusqu'ici  d'une  manière  trop 
abstraite,  en  n'appliquant  point  nos  idées  sur  des  objets  déterminé-: 
c'est  le  défaut  dans  lequel  je  suis  tombé,  principalement  à  l'égard  des 
ombellifères.  Si  j'avois  commencé  par  vous  en  mettre  une  sous  les  yeux, 
je  vous  aurois  épargné  une  application  très-fatigante  sur  un  objet  ima- 
ginaire, et  à  moi  des  descriptions  difficiles,  auxquelles  un  simple  coup 

'  d'œil  auroit  suppléé.  Malheureusement,  à  la  distance  où  la  loi  delà 
nécessité  me  tient  de  vous,  je  ne  suis  pas  à  portée  de  vous  montrer  du 
doigt  les  objets;  mais  si,  chacun  de  notre  côté,  nous  en  pouvons  avoir 
sous  les  yeux  de  semblables,  nous  nous  entendrons  très-bien  l'un 
l'autre  en  parlant  de  ce  que  nous  voyons.  Toute  la  difficulté  est  qu'il 
faut  que  l'indication  vienne  de  vous;  car  vous  envoyer  d'ici  des  plantes 
sèches  seroit  ne  rien  faire.  Pour  bien  reconnoitre  une  plante,  il  faut 
commencer  par  la  voir  sur  pied.  Les  herbiers  servent  de  mémoratif  pour 
celles  qu'on  a  déjà  connues,  mais  ils  font  malconnoitre  celles  qu'on  n'a 

1.  Nous  plaçons  celle  lettre  après  les  deux  précédcnles,  malgré  sa  date, 
pour  la  rapproclier  de  la  lettre  IX,  dont  \e  sujet  esl  le  môme.  (Éd.) 


56  LETTRES  ÉLÉMENTAIRES 

pas  vues  auparavant.  C'est  donc  à  vous  de  m'envoyer  des  plantes  que 
vous  voudrez  connoître  et  que  vous  aurez  cueillies  sur  pied;  et  c'est  à 
moi  de  vous  les  nommer,  de  les  classer,  de  les  décrire,  jusqu'à  ce  que, 
par  des  idées  comparatives .  devenues  familières  à  vos  yeux  et  à  votre 
esprit,  vous  parveniez  à  classer,  ranger  et  nommer  vous-même  celles 
que  vous  verrez  pour  la  première  fois  :  science  qui  seule  distingue  le 
vrai  botaniste  de  l'herboriste  ou  nomenclateur.  Il  s'agit  donc  ici  d'ap- 
prendre à  préparer,  dessécher  et  conserver  les  plantes,  ou  échantillons 
déplantes,  de  manière  à  les  rendre  faciles  à  reconnoître  &t  à  déter- 
miner. C  est ,  en  un  mot ,  un  herbier  que  je  vous  propose  de  commencer. 
Voici  une  grande  occupation  qui,  de  loin,  se  prépare  pour  notre  petite 
amatrice;  car,  quant  à  présent,  et  pour  quelque  temps  encore,  il  faudra 
que  l'adresse  de  vos  doigts  supplée  à  la  foiblesse  des  siens. 

Il  y  a  d'abord  une  provision  à  faire;  savoir,  cinq  ou  six  mains  de 
papier  gris,  et  à  peu  près  autant  de  papier  blanc,  de  même  grandeur, 
assez  fort  et  bien  collé,  sans  quoi  les  plantes  se  pourriroient  dans  le 
papier  gris,  ou  du  moins  les  fleurs  y  perdroient  leur  couleur;  ce  qui 
est  une  des  parties  qui  les  rendent  reconnoissables,  et  par  lesquelles  un 
herbier  est  agréable  à  voir.  Il  seroit  encore  à  désirer  que  vous  eussiez 
une  presse  de  la  grandeur  de  votre  papier,  ou  du  moins  deux  bouts  de 
planches  bien  unies,  de  manière  qu'en  plaçant  vos  feuilles  entre  deux, 
vous  les  y  puissiez  tenir  pressées  par  les  pierres  ou  autres  corps  pesans 
dont  vous  chargerez  la  planche  supérieure.  Ces  préparatifs  faits,  voici 
ce  qu'il  faut  observer  pour  préparer  vos  plantes  de  manière  à  les  con- 
server et  les  reconnoître. 

Le  moment  à^  choisir  pour  cela  est  celui  où  la  plante  est  en  pleine  , 
fleur,  et  où  même  quelques  fleurs  commencent  à  tomber  pour  faire  ^ 
place  au  fruit  qui  commence  à  paroître.  C'est  dans  ce  point  où  toutes 
les  parties  de  la  fructification  sont  sensibles,  qu'il  faut  tâcher  de 
prendre  la  plante  pour  la  dessécher  dtfns  cet  état. 

Les  petites  plantes  se  prennent  tout  entières  avec  leurs  racines ,  qu'on 
„  join  de  bien  nettoyer  avec  une  brosse,  afin  qu'il  n'y  reste  point  de 
terre.  Si  la  terre  est  mouillée,  on  la  laisse  sécher  pour  la  brosser,  ou 
L.^n  on  lave  la  racine;  mais  il  faut  avoir  alors  la  plus  grande  attention 
de  la  bien  essuyer  et  dessécher  avant  de  la  mettre  entre  les  papiers, 
sans  quoi  elle  s'y  pourriroit  infailliblement,  et  communiqueroit  sa 
pourriture  aux  autres  plantes  voisines.  Il  ne  faut  cependant  s'obstiner 
à  conserver  les  racines  qu'autî.nt  qu'elles  ont  quelques  singularités 
remarquables;  car ,  dans  le  plus  grand  nombre ,  les  racines  ramifiées  et 
fibreuses  ont  des  formes  si  semblables,  que  ce  n'est  pas  la  peine  de  les 
conserver.  La  nature,  qui  a  tant  fait  pour  l'élégance  et  l'ornement  dans 
la  figure  et  la  couleur  des  plantes  en  ce  qui  frappe  les  yeux ,  a  destiné 
les  racines  uniquement  aux  fonctions  utiles,  puisque  étant  cachées  dans 
la  terre,  leur  donner  une  structure  agréable  eût  été  cacher  la  lumière 
sous  le  boisseau. 

Les  arbres  et  toutes  les  grandes  plantes  ne  se  prennent  que  par  échan- 
tillon; mais  il  faut  que  cet  échantillon  soit  si  bien  choisi,  qu'il  con- 
tienne toutes  les  parties  constitutives  du  genre  et  de  l'espèce,  afin  qu'il 


SUR  LA  BOTA?vJQUE.  57 

puisse  suffire  pour  reconnoître  et  déterniiner  la  plante  qui  l'a  fourni. 
Il  ne  suffit  pas  que  toutes  les  parties  de  la  fructification  y  soient  sensi- 
bles, ce  qui  ne  serviroit  qu'à  distinguer  le  genre;  il  faut  qu'on  y  voie 
Lien  le  caractère  de  la  foliation  et  de  la  ramification,  c'est-à-dire  la 
naissance  et  la  forme  des  feuilles  et  des  branches ,  et  même  .  autant  qu'il 
se  peut,  quelque  portion  de  la  tige;  car,  comme  vous  verrez  dans  la 
suite,  tout  cela  sert  à  distinguer  les  espèces  différentes  des  mêmes 
genres,  qui  sont  parfaitement  semblables  par  la  fleur  et  le  fruit.  Si  les 
branches  sont  trop  épaisses,  on  les  amincit  avec  un  couteau  ou  canif, 
en  diminuant  adroitement  par-dessous  de  leur  épaisseur,  autant  que 
cela  se  peut,  sans  couper  et  mutiler  les  feuilles.  Il  y  a  des  botanistes 
qui  ont  la  patience  de  fendre  Técorce  de  la  branche  et  d'en  tirer  adroi- 
tement le  bois,  de  façon  que  l'écorce  rejointe  paroît  vous  montrer  en- 
oore  la  branche  entière ,  quoique  le  hois  n'y  soit  plus  :  au  moyen  de 
quoi  l'on  n'a  point  entre  les  papiers  des  épaisseurs  et  bosses  trop  consi- 
dérables, qui  gâtent,  défigurent  l'herbier,  et  font  prendre  une  mauvaise 
forme  aux  plantes.  Dans  les  plantes  où  les  (leurs  et  les  feuilles  ne  vien- 
nent pas  en  même  temps,  ou  naissent  trop  loin  les  unes  des  autres,  on 
prend  une  petite  branche  à  fleurs  et  une  petite  branche  à  feuilles;  et. 
les  plaçant  ensemble  dans  le  même  papier,  on  offre  ainsi  à  l'œil  les  di- 
verses parties  de  la  même  plante,  suffisantes  pour  la  faire  reconnoîlre. 
Quant  aux  plantes  où  l'on  ne  trouve  que  des  feuilles,  et  dont  la  fleur 
n'est  pas  encore  venue  ou  est  déjà  passée  ,  il  les  faut  laisser ,  et  attendre . 
pour  les  reconnoître,  qu'elles  montrent  leur  visage.  Une  plante  n'est 
pas  plus  sûrement  reconnoissable  à  son  feuillage  qu'un  homme  à  son 
habit. 

Tel  est  le  choix  qu'il  faut  mettre  dans  ce  qu'on  cueille  :  il  en  faut 
mettre  aussi  dans  le  moment  qu'on  prend  pour  cela.  Les  plantes 
cueillies  le  matin  à  la  rosée ,  ou  le  soir  à  l'humidité ,  ou  le  jour  durant 
la  pluie,  ne  se  conservent  point.' 11  faut  absolument  choisir  un  temps 
Bec,  et  même,  dans  ce  temps-là,  le  moment  le  plus  sec  et  le  plus  chaud 
de  la  journée ,  qui  est  en  été  entre  onze  heures  du  matin  et  cinq  ou  six 
heures  du  soir.  Encore  alors,  si  l'on  y  trouve  la  moindre  humidité, 
faut-il  les  laisser,  car  infailliblement  elles  ne  se  conserveront  pas. 

Quand  vous  avez  cueilli  vos  échantillons,  vous  les  apportez  au  logis, 
toujours  bien  au  sec ,  pour  les  placer  et  arranger  dans  vos  papiers. 
Pour  cela  vous  faites  votre  premier  lit  de  deux  feuilles  au  moins  de 
papier  gris,  sur  lesquelles  vous  placez  une  feuille  de  papier  blanc,  et 
sur  cette  feuille  vous  arrangez  votre  plante ,  prenant  grand  soin  que 
toutes  ses  parties ,  surtout  les  feuilles  et  les  fleurs ,  soient  bien  ouvertes 
et  bien  étendues  dans  leur  situation  naturelle.  La  plante  un  peu  flétrie, 
mais  sans  l'être  trop ,  se  prête  mieux  pour  l'ordinaire  à  l'arrangement 
qu'on  lui  donne  sur  le  papier  avec  le  pouce  et  les  doigts.  Mais  il  y  en  a 
de  rebelles  qui  se  grippent  d'un  côté ,  pendant  qu'on  les  arrange  de 
l'autre.  Pour  prévenir  cet  inconvénient ,  j'ai  des  plombs,  des  gros  sous, 
des  liards,  avec  lesquels  j'assujettis  les  parties  que  je  viens  d'arranger, 
tandis  que  j'arrange  les  autres,  de  façon  que,  quand  j'ai  fini,  ma  plante 
te  trouve  presque  toute  couverte  de  ces  pièces  qui  la  tiennent  en  état. 


-8  LETTRES   ÉLÉMENTAIRES 

-Après  cela  on  pose  une  seconde  feuille  blanche  sur  la  première  et  o 
la  presse  avec  la  main,  afin  de  tenir  la  plante  assujettie  dans  la  situa 
tion  quon  lui  a  donnée,  avançant  ainsi  la  main  gauche  qui  presse 
mesure  qu'on  retire  avec  la  droite  les  plombs  et  les  gros  sous  qui  sor 
entre  les  papiers  :  on  met  ensuite  deux  autres  feuilles  de  papier  gri 
sur  la  seconde  feuille  blanche,  sans  cesser  un  seul  moment  de  tenir  l 
plante  assujettie,  de  peur  qu'elle  ne  perde  la  situation  qu'on  lui  : 
donnée.  Sur  ce  papier  gris  on  met  une  autre  feuille  blanche:  sur  cett 
feuille  une  plante  qu'on  arrange  et  recouvre  comme  ci-devant,  jusqu'i 
ce  qu  on  ait  placé  toute  la  moisson  qu'on  a  apportée ,  et  qui  ne  doit  pa 
être  nombreuse  pour  chaque  fois,  tant  pour  éviter  la  longueur  du  tra- 
vail, que  de  peur  que,  durant  la  dessiccation  des  plantes,  le  papier  n( 
contracte  quelque  humidité  par  leur  grand  nombre,  ce  qui  gâteroi 
mfaïUiblement  vos  plantes,  si  vous  ne  vous  hâtiez  de  les  changer  dt 
papier  avec  les  mêmes  attentions;  et  c'est  même  ce  qu'il  faut  faire  de 
temps  en  temps  jusqu'à  ce  qu'elles  aient  bien  pris  leur  pli,  et  qu'elle' 
soient  toutes  assez  sèches. 

Votre  pile  de  plantes  et  de  papiers  ainsi  arrangée  doit  être  mise  en 
presse,  sans  quoi  les  plantes  se  gripperoient  :  il  y  en  a  qui  veulent  être 
plus  pressées,  d  autres  moins;  l'expérience  vous  apprendra  cela,  airsi 
qua  les  changer  de  papier  à  propos,  et  aussi  souvent  qu'il  faut,  sans 
vous  donner  un  travail  inutile.  Enfin ,  quand  vos  plantes  seront  bien 
sèches,  vous  les  mettrez  bien  proprement  chacune  dans  une  feuille  de 
papier,  les  unes  sur  les  autres,  sans  avoir  besoin  de  papiers  intermé- 
diaires, et  vous  aurez  ainsi  un  herbier  commencé,  qui  s'augmentera 
sans  cesse  avec  vos  connoissances,  et  contiendra  enfin  l'histoire  de 
toute  la  végétation  du- pays  :  au  reste,  il  faut  toujours  tenir  un  herbier 
bien  serre  et  un  peu  en  presse,  sans  quoi  les  plantes,  quelque  sèches 
qu  elles  fussent  ,'attireroient  l'humidité  de  l'air  et  se  gripperoient  encore. 
Aoici  maintenant  l'usage  de  tout  ce  travail  pour  parvenir  à  la  con- 
noissance  particulière  des  plantes  et  à  nous  bien  entendre  lorsque  nous 
en  parlerons. 

11  faut  cueillir  deux  échantillons  de  chaque  plante  :  l'un,  plus  °Tand 
pour  la  garder;  l'autre,  plus  petit,  pour  me  l'envoyer.  Vous  les  numé- 
roterez avec  soin,  de  façon  que  le  grand  et  le  petit  échantillon  de  cha- 
que espèce  aient  toujours  le  même  numéro.  Quand  vous  aurez  une 
ilouzame  ou  deux  d'espèces  ainsi  desséchées,  vous  me  les  enverrez  dans 
un  petit  cahier  par  quelque  occasion.  Je  vous  enverrai  le  nom  et  la  d.> 
cnption  des  mêmes  plantes;  par  le  moyen  des  numéros,  vous  les  recoi, 
noitrez  dans  votre  herbier,  et  de  là  sur  la  terre  ,  où  je  suppose  que  vous 
aurez  commencé  de  les  bien  examiner.  Voilà  un  moyen  sûr  de  faire  des 
progrès  aussi  sûrs  et  aussi  rapides  qu'il  est  possible  loin  de  votre  guide. 
AT.  U.  J'ai  oublié  de  vous  dire  que  les  mêmes  papiers  peuvent  servir 
plusieurs  fois ,  pourvu  qu'on  ait  soin  de  les  bien  aérer  et  dessécher  aupa- 
ravant. Je  dois  ajouter  aussi  que  l'herbier  doit  être  tenu  dans  le  lieu 
le  plus  sec  de  la  maison,  et  plutôt  au  premier  qu'au  rez  de-chaussée'. 

i.  Dans  le  Dictionnaire  élémentaire  de  Botanique  de  Bulliard,  revu  par  Ri- 


SUR   LA  BOTANIQUE.  59 

LiîTTRE  IX.  —  Sur  le  format  des  herbiers  et  sur  la  synonymie. 

A    M.  DE    MALESHERBES. 

^.  Si  j'ai  tardé  si  longtemps,  monsieur,  à  répondre  en  détail  à  la  lettre 
jue  vous  avez  eu  la  bonté  de  ra'écrire  le  3  janvier,  c'a  été  d'abord  dans 
'idée  du  voyage  dont  vous  m'aviez  prévenu,  et  auquel  je  n'ai  appris 
lue  dans  la  suite  que  vous  aviez  renoncé,  et  ensuite  par  mon  travail 
oûrnalier,  qui  m'est  venu  tout  d'un  coup  en  si  grande  abondance, 
jue ,  pour  ne  rebuter  personne ,  j'ai  été  obligé  de  m'y  livrer  tout  entier  ; 

1  Îin-S°,  Paris,  1802) ,  au  mot  Herbier,  se  trouve  une  assez  longue  cita- 
que  rameur  de  cet  article  annonce  être  extraite  d'un  manuscrit  de  Rous- 
-t,,Li.  Celte  ciiaiion  ne  peut  mieux  trouver  sa  place  qu'ici,  et  nous  la  ferons 
précéder  de  ce  que  dit  Buliiard  ou  Richard  à  coite  occasion. 

«  On  sait  que  J.  J.  Rousseau  aimoit  passionnément  la  botanique,  et  qu'il 
iravailioit  môme  à  faire  dans  celle  science  quelques  réformes  avantageuses. 
Il  s'est  longtemps  occupé  de  l'art  delà  dessiccation  dis  plantes  ;  il  nous  a 
laissé  plusieurs  herbiers  de  ditTérens  formats.  Parmi  les  livres  rares  et  pré- 
cieux qui  composent  la  bibliolhèque  du  savant  Malesherbes,  on  trouve  deux 
petits  herbiers  de  Jean-Jacques,  faits  avec  tout  le  soin  et  tout  l'art  possibles: 
l'un  est  de  formai  in-8°,  et  ne  renferme  que  des  cryptoguires;  et  l'autre,  du 
formai  in-4°,  est  composé  de  plantes  à  fleurs  distinctes. 

«  M.  Tourmevel,  ayant  appris  que  j'élois  sur  le  point  de  faire  imprimer  cet 
ouvrage,  a  bien  voulu  concourir  de  la  manière  la  plus  obligeante  à  en  aug- 
menter l'utilité,  en  me  communiquant  un  manuscrit  du  philosophe  genevois, 
sur  la  nécessité  d'un  herbier,  et  sur  les  moyens  les  plus  simples  et  les  plus 
avantageux  en  même  temps  de  travailler  à  s'en  faire  un. 

«  Jean-Jacques,  après  avoir  montré  la  nécessité  d'un  herbier,  après  s'êlre 
élevé  contre  ces  prétendus  botanistes  qui  ont  des  herbiers  de  huit  à  dix  mille 
plaines  éirangcres,  et  qui  ne  connoissent  pas  celles  qu'ils  foulent  continuelle- 
ment aux  pieds,  dil  : 

«  On  peut  se  faire  un  très-bon  herbier  sans  savoir  un  mot  de  botanique; 
«  tous  ceux  qui  se  disposent  à  étudier  la  botanique  devroient  commencer  par 
«  là.  Quand  ils  auroienl  desséché  un  assez  bon  nombre  de  plantes,  et  qu'il  ne 
tt  ne  s'agirait  plus  que  d'y  ajouter  les  noms,  il  y  a  des  gens  qui  leur  ren- 
Œ  droient  ce  serv'ice  pour  de  l'argent,  ou  pour  quelque  chose  d'équivalent; 
a  d'ailleurs  n'avons-nous  pas  dans  presque  toutes  les  villes  un  peu  considéli 
o  râbles  des  jardins  botaniques  où  les  plantes  sont  disposées  dans  un  ordre 
ot  méthodique,  marquées  d'un  étiquet  sur  lequel  leur  nom  est  inscrit.''  Pour 
a  peu  que  l'on  ait  une  idée  de  la  méthode  adoptée,  et  les  premières  notions 
a  de  l'A,  B,  G  de  la  botanique ,  c'est-à-dire  les  premiers  élémens  de  celte 
«  science,  on  y  trouve  les  plantes  que  l'on  cherche;  on  les  compare;  on  en 
c  prend  les  noms,  et  c'en  est  assez  :  l'usage  fait  le  reste  et  nous  rend  bota- 
«  nistes.  Mais  ne  comptez  guère  sur  les  meilleurs  livres  de  botanique,  pour 
«nommer,  d'après  eux,  des  plantes  que  vous  ne  ccnnoitriez  pas  :  si  ces 
oc  livres  ne  sont  pas  accompagnés  de  bonnes  figures,  ils  vous  fatigueront  sans 
a.  succès  ;  à  chaque  pas  ils  vous  offriront  de  nouvelles  difficultés,  et  ne  vous 
o  apprendront  rien..-.  Ne  vous  attendez  pointa  conserver  une  plante  dans 
a  tout  son  éclat  ;  celles  qui  se  dessèchent  le  mieux  perdent  encore  beaucoup 
a  de  leur  fraîcheur....  De  tous  les  moyens  employés  à  la  dessiccation  des 
«  plantes,  le  plus  simple,  celiil  de  la  pression,  est  le  préférable  pour  un  ber- 
«  bier.  Les  couleurs  peuvent  être  conservées  aussi  bien  que  par  la  dessicca- 
«  tien  îu  sable ,  et  les  plantes  desséchées  y  sont  moins  volumineuses  el 


If: 


CO  LETTRES   ÉLÉMENTAIRES 

ce  qui  a  fait  à  la  botanique  une  diversion  de  plusieurs  mois.  Mais  enflj 
voilà  la  saison  revenue,  et  je  rae  prépare  à  recomnaencer  mes  courset 
champt-'lres,  devenues,  par  une  longue  habitude,  nécessaires  à  mo' 
humeur  et  à  ma  santé. 

En  parcourant  ce  qui  me  restoit  en  plantes  sèches,  je  n'ai  guèr 
trouvé  hors  de  mon  herbier,  auquel  je  ne  veux  pas  toucher,  que  que 
ques  doubles  de  ce  que  vous  avez  déjà  reçu;  et  cela  ne  valant  pas  1 
peine  d'être  rassemblé  pour  un  premier  envoi,  je  trouverois  convenabl |t: 
de  me  faire,  duran-t  cet  été,  de  bonnes  fournitures,  de  les  préparer 

(c  moins  fragiles...  Ayez  une  bonne  provision  de  quatre  sortes  de  papiers 
«  1°  du  papier  gris,  épais  cl  peu  collé:  2°  du  papier  gris,  épais  et  collé  ;  3"  di 
«  gros  papier  blanc  sur  lequel  on  puisse  écrire  ;  cl  4°  du  papier  blanc  su 
«  lequel  vous  fixerez  vos  piaules,  lorsque  la  dessiccation  sera  complèle... 
«  Lorsque  vous  voudrez  dessécher  une  plante,  il  faut  la  cueillir  par  un  beai 
«  lenips;  cl  lorsque  ses  llcurs  .seront  épanouies,  laissez- la  quelques  heures  S( 
«  faner  à  l'air  libre —  Dès  que  ses  parties  seront  amollies,  éiendez-la  avc( 
«  soin  sur  une  feuille  de  papier  gris  de  la  première  espèce  dont  j'ai  parlé 
a  niellez  dessous  celle  feuille  une  feuille  de  carton,  cl  dessus,  douze  à  quinze 
a  doubles  de  pap'cr  de  la  première  espèce;  mettez  le  tout  cnlrc  doux  ais  d( 
o  bois,  ou  deux  plancbcs  bien  unies,  que  vous  chargerez  d'abord  médiocre- 
a  ment,  cl  dont  vous  augmenterez  peu  à  peu  la  [iression,  à  mesure  que  la 
a  dessiccation  s'opérera,  il  est  plus  avantageux  do  se  servir  de  ces  petites 
«  presses  de  brocheuses,  parce  que  l'on  scnc  si  peu  et  autant  qu'on  le  veut: 
«  au  bout  d'une  heure  ou  deux,  serrez-la  davantage,  cl  laissez-la  ainsi  vin.^l- 
«  quatre  heures  au  plus;  relirez-la  ensuite;  changez-la  de  papier,  cl  mettez 
«  dessous  une  autre  feuille  de  carton  bien  sèche,  ainsi  que  les  fcuilliîsde  pa 
.(  picr  que  vous  allez  meltre  dessus  ;  remettez  le  tout  en  presse;  serrez  plus  que 
a  la  première  fois  ;  laissez  ainsi  deux  Jours  votie  plante  sans  y  toucher;  chan- 
a  gcz-Ia  encore  une  Iroisiôme  fois  de  papier  ;  mais  prenez  du  papier  gris  collé; 
a  serrez  encore  davanluge  la  presse,  et  ne  mettez  dessus  que  trois  ou  quatre 
«  doubles  de  papiers,  ou  seulement  une  feuille  de  carton  dessus  cl  une  des- 
«  sous;  laissez-la  ainsi  en  presse  deux  ou  trois  l'ois  vingt-quatre  heures:  si, 
a  lorsque  vous  retirerez  votre  plante,  elle  ne  vous  pareil  pas  assez  privée  de 
a  son  humidité,  vous  la  changerez  encore  plusieurs  fois  de  papiers.  (li  y  a 
a  des  plantes  qu'il  suITit  de  changer  deux  fo  s  de  papiers,  et  d'autres  qu'il  faut 
«  cliangcr  Jusqu'à  six  fois  :  celles  qui  sont  de  nature  aqueuse  exigent  qu'on 
«  en  accélère  la  dessiccation.)  Mais  si,  au  contraire,  les  parties  qui  la  corn- 
«  posent  ont  déjà  perdu  de  leur  llexibilité,  il  faut  la  mettre  dans  une  feuille 
a  de  gros  papier  blanc,  oii  on  l,i  laisscia  en  presse  jusqu'à  ce  que  la  dcssic- 
,t  cation  soit  jiailailemcnt  achevée  ;  ce  sera  alors  qu'il  faudra  songer  à  assurer 
a  pour  longtemps  la  conservation  de  votre  plante;  elle  pourra  être  employée 
o  a  la  formalion  de  voti'c  herbier;  il  ne  s'agit  plus  que  de  la  fixer,  de  la  nora- 
«  mer  cl  de  la  mcllre  en  i)lace....  Pour  gaianlir  voire  herbier  des  ravages 
a  qu'y  feroienl  les  insectes,  il  faut  tremper  le  papier  sur  lequel  vous  voulez 
.<  fixer  vos  plantes  dans  une  forte  dissilution  d'alun,  le  faire  bien  sécher,  ely 
Il  allacher  vos  plantes  avec  de  |ictites  bandelettes  de  papier,  que  vous  collerez 
Il  avec  de  la  colle  à  bouche;  c'est  avec  ci  lie  colle  que  vous  pourrez  aussi  as- 
u.  sujettir  les  organes  de  la  fructificalion  des  plantes,  lorsque  vous  aurez  eu  la 
«  patience  de  les  dessécher  à  part....  Il  seroit  bon  d'avoir  plusieurs  échantillons 
«  de  la  môme  plante,  surtout  si  elle  est  sujette  à  varier —  11  faut  renfermer 
«  vos  i>lanies  dans  des  boîtes  de  tilleul  que  vous  étiqueterez;  il  faut  qu'ellei 
«  soient  en  un  lieu  Sec,  etc.  » 


SUR  LA  BOTANIQIJE.  61 

ailler  et  ranger  durant  l'hiver;  après  quoi  je  pourrois  continuer  de 

■■(  ême    d'année  en  année ,  jusqu'à  ce  que  j'eusse  épuisé  tout  ce  que  je 
lojurrois  fournir.  Si  cel  arrangement  vous  convient,  monsieur,  le  m  y 
)nformerai  avec  exactitude;  et  dès  à  présentée  commencerai  mes  col- 
.,  :ctions  Je  désirerois  seulement  savoir  quelle  forme  vous  préférez.  Mou 
lée  seroit  de  faire  le  fond  de  chaque  herbier  sur  du  papier  a  lettres  tel 
ne  celui-ci  •  c'est  ainsi  que  j'en  ai  commencé  un  pour  mon  usage ,  et  je 
>ns  chaque  jour  mieux  que  la  commodité  de  ce  format  compense  am- 
iement  l'avantage  qu'ont  de  plus  les  grands  herbiers.  Le  papier  sur 
>auel  sont  les  plantes  que  je  vous  ai  envoyées  vaudroit  encore  mieux, 
lais  ie  ne  puis  retrouver  du  même;  et  l'impôt  sur  les  papiers  a  telle- 
lent  dénaturé   leur  fabrication,   que  je  n'en  puis  plus  trouver  pour 
oter  qui  ne  perce  pas.  J'ai  le  projet  aussi  d'une  forme  de  petits  her- 
iers  à  mettre  dans  la  poche  pour  les  plantes  en  miniature,  qui  ne  sont 
as  les  moins  curieuses,  et  je  n'y  ferois  entrer  néanmoms  que  des 
'lantes  oui  pourroient  y  tenir  entières,  racine  et  tout;  entre  autres, 
a  plupart  des  mousses,  les  glaux,  peplis,  montia,   sagina,   passe- 
nerre    etc   II  me  semble  que  ces  herbiers  mignons  pourroient  devenir 
harraàns  et  précieux  en  même  temps.  Enfin  il  y  a  des  plantes  d  une 
-erlaine  grandeur  qui  ne  peuvent  conserver  leur  port  dans  un  petit 
^suace    et  des  échantillons  si  parfaits,  que  ce  seroit  dommage  de  les 
ûutiler.  Je  destine  à  ces  belles  plantes  du  papier  grand  et  fort;  et  j  en 
u  déjà  quelques-unes  qui  font  un  fort  bel  effet  dans  cette  forme 

11  va  longtemps  que  j'éprouve  les  difficultés  de  la  nomenclature,  e 
l'ai  souvent  été   tenté  d'abandonner  tout  à  fait  cette  partie.  Mais  .1 
'audroit  en  même  temps  renoncer  aux  livres  et  à  profiter  des  observa- 
is d'aut.ui;  et  il  me  semble  qu'un  des  plus  grands  charmes  de  la 
botanique  est,  après  celui  de  voir  par  soi-même,  celui  de  vérifier  ce 
qu'ont  vu  les  autres  :  donner,  sur  le  témoignage  de  mes  propres  yeux 
mon  assentiment  aux  observations  fines  et  justes  d'un  auteur  me  paroi 
une  véritable  jouissance;  au  lieu  que,  quand  je  ne  trouve  pas  ce  qu  il 
dit    ie  suis  toujours  en  inquiétude  si  ce  n'est  point  moi  qui  vois  mal 
D'ailleurs,  ne  pouvant  voir  par  moi-même  que  si  peu  de  chose    il  faut 
bien  sur  le  reste  me  fier  à  ce  que  d'autres  ont  vu;  et  leurs  différentes 
nomenclatures  me  forcent  pour  cela  de  percer  de  mon  mieux  le  chaos 
Se  la  synonymie.  Il  a  fallu,  pour  ne  pas  m'y  perdre,  tout  rapporter  a 
une  nornenciature  particulière  ;  et  j'ai  choisi  celle  de  Lmnaeus ,  tant  par 
L  nréférence  que  j'ai  donnée  à  son  système,  que  parce  que  ses  noms, 
Tomposés  seulement  de  deux  mots,  me  délivrent  des  longues  phrases 
les  autres.  Pour  y  rapporter  sans  peine  celles  de  Tournefort,  il  me 
faut  très-souvent  recourir  à  l'auteur  commun  que  tous  deux  citent  assez 
ron^tarament,  savoir,  Gaspard  Bauhin.  C'est  dans  son  Pmax  que  je 
cherche   leur   concordance  :  car  Linnaeus  me  paroit  faire  une  chose 
convenable  et  juste,  quand  Tournefort  n'a  fait  que  prendre  la  phrase 
de  Bauhin ,  de  citer  l'auteur  original ,  et  non  pas  celui  qui  l  a  transcrit , 
comme  on  fait  très-injustement  en  France.  De  sorte  que  ,  quoique  pres- 
que toute  la  nomenclature  de  Tournefort  soit  tirée  mol  à  mot  du  Pinax, 
-^on  croiroit»  à  lire   les  botanistes  françois,  qu'il  n'a  jamais  existe  m 


1 

62  LETTRES  ÉLÉ3IENTAIRES 

Bauhin  ni  Pinaxan  monde;  et,  pour  comble,  ils  font  encore  un  crir 
a  Lmnœus  de  n  avoir  pas  imité  leur  partialité.  A  l'é-ard  des  niant 
dont  Tournefort  n'a  pas  tiré  les  noms  du  Pinax,  on  en°tpouve  aiséme 
la  concordance  dans  les  auteurs  françois  linnseistes,  tels  que  Sauva-. 
Gouan    Gérard    Guettard,  et  d'Alibard,  qui  l'a  presque  toujours  suh 

J  ai  fait  cet  hiver  une  seule  herborisation  dans  le  bois  de  Boulo"-ne 
J  en  ai  rapporté  quelques  mousses.  Mais  il  ne  faut  pas  s'attendre"  qu'c 
puisse  compléter  tous  les  genres,  même  par  une  espèce  unique   II  y  e 
a  de  bien  difficiles  à  mettre  dans  un  herbier,  et  il  y  en  a  de  si  rare' 
qu  Ils  n  ont  jamais  passé  et  vraisemblablement  ne  passeront  jamais  soui 
mes  yeux.  Je  crois  que ,  dans  celte  famille  et  celle  des  algues    il  faut  ^ 
tenir  aux  genres,  dont  on  rencontre  assez  souvent  des  espèces     pou 
avoir  le  plaisir  de  s  y  reconnoître,  et  négliger  ceux  dont  la  vue  ne  iiou 
reprochera  jamais  notre  ignorance,  ou  dont  la  figure  extraordinair 
nous  fera  faire  effort  pour  la  vaincre.  J'ai  la  vue  fort  courte,  mes  veu 
deviennent  mauvais,  et  je  ne  puis  plus  espérer  de  recueillir  que  ce  au 
se  présentera  fortuitement  dans  les  lieux  à  peu  près  où  je  saurai  qu'es 
ce  que  je  cherche.  A  l'égard  de  la  manière  de  chercher,  j'ai  suivi  M  de 
Jussieu  dans  sa  dernière  herborisation,  et  je  la  trouvai  si  tumultueu-( 
et  SI  peu  utile  pour  moi,  que,  quand  il  en  auroit  encore  fait,  i'auroi' 
renonce  a  1  y  suivre.  J'ai  accompagné  son  neveu  l'année  dernière    mol 
vingtième,  a  Montmorency,  et  j'en  ai  rapporté  quelques  jolies  plantos 
entre  autres  la  lysimachia  (eneZia ,  que  je  crois  vous  avoir  envoyée  Mais 
j^ai  trouve  dans  cette  herborisation  que  les  indications  de  Tournefort  et 
de  Vaillant  sonttrès-faulives,  ou  que,  depuis  eux,  bien  des  plantes  ont 
change  de  sol.  J  ai  cherché  entre  autres ,  et  j'ai  engagé  tout  le  monde 
a  chercher  avec  soin  le  plantago  monanthos  à  la  queue  de  l'étan-^  de 
Montmorency,  et  dans  tous  les  endroits  où  Tournefort  et  Vaillant  l'in- 
diquent, et  nous  n'en  avons  pu  trouver  un  seul  pied  :  en  revanche    j'ai 
trouvé  plusieurs  plantes  de  remarque ,  et  même  tout  près  de  Paris ,  dans 
des  lieux  où  elles  ne  sont  point  indiquées.  En  général  j'ai  toujours  été 
malheureux  en  cherchant  d'après  les  autres.  Je  trouve  encore  mieux 
mon  compte  à  chercher  de  mon  chef. 

J'oubliois,  monsieur,  de  vous  parler  de  vos  livres.  Je  n'ai  fait  encore 
qu'y  jeter  les  yeux;  et  comme  ils  ne  sont  pas  de  taille  à  porter  dans  la 
poche,  et  que  je  ne  lis  guère  l'été  dans  la  chambre,  je  tarderai  peut- 
être  jusqu'à  la  fin  de  l'hiver  prochain  à  vous  rendre  ceux  dont  vous 
n'aurez  pas  affaire  avant  ce  temps-là.  J'ai  commencé  de  lire  l'Anthologie  '  ' 
de  Pontevera,  et  j'y  trouve  contre  le  système  sexuel  des  objections  qui 
me  paroissent  bien  fortes,  et  dont  je  ne  sais  pas  comment  Linnœus  s'est 
tiré.  Je  suis  souvent  tenté  d'écrire  dans  cet  auteur  et  dans  les  autres 
les  noms  de  Linnœus  à  côté  des  leurs  pour  me  reconnoître.  J'ai  déjà 
même  cédé  à  cette  tentation  pour  quelques-unes,  n'imaginant  à  cela 
rien  que  d'avantageux  pour  l'exemplaire.  Je  sens  pourtant  que  c'est 
une  liberté  que  je  n'aurois  pas  dû  prendre  sans  votre  agrément,  et  je 
Tattendrai  pour  continuer. 

Je  vous  dois  des  remercîments ,  monsieur,  pour  l'emplacement  que 
vous  avez  la  bonté  de  ra'offrir  pour  la  dessiccation  des  plantes  :  mais 


SUR  LA  BOTANIQUE.  6S 

•jj  uoique  ce  soit  un  avantage  dont  je  sens  bien  la  privation,  la  néces- 

jl,ité  de  les  visiter  souvent,  et  l'éloignement  des  lieux,  qui  me  feroit 
onsuœer  beaucoup  de  temps  en  courses ,  m'empêchent  de  me  prévaloir 
e  cette  otTre. 

La  fantaisie  m'a  pris  de  faire  une  collection  de  fruits  et  de  graines  de 
DUte  espèce,  qui  devroient.  avec  un  herbier,  faire  la  troisième  partie 
'un  cabinet  d'iiistoire  naturelle.  Quoique  j'aie  encore  acquis  très-peu 

fje  chose,  et  que  je  ne  puisse  espérer  de  rien  acquérir  que  très-lente- 
aent  et  par  hasard,  je  sens  déjà  pour  cet  objet  le  défaut  de  place  : 

,)t  .lais  le  plaisir  de  parcourir  et  de  visiter  incessamment  ma  petite  col- 
action  peut  seul  me  payer  la  peine  de  la  faire  ;  et  si  je  la  tenois  loin  de 
aes  yeux,  je  cesserois  d'en  jouir.  Si  par  hasard  vos  gardes  et  jardiniers 
rouvoient  quelquefois  sous  leurs  pas  des  faînes  de  hêtres,  des  fruits 
.'aunes,  d'érables,  de  bouleau,  et  généralement  de  tous  les  fruits  secs 
es  arbres  des  forêts  ou  d'autres,  qu'ils  en  ramassassent,  en  passant, 
[Uelques-uns  dans  leurs  poches,  et  que  vous  voulussiez  bien  m'en  faire 
larvenir  quelques  échantillons  par  occasion,  j'aurois  un  double  plaisir 
l'en  orner  ma  collection  naissante. 

Excepté  l'Histoire  des  mousses  par  Dillenius,  j'ai  à  moi  les  autres 
ivres  de  botanique  dont  vous  m'envoyez  la  note  ;  mais,  quand  je  n'en 
.urois  aucun,  je  me  garderois  assurément  de  consentir  à  vous  priver, 
)Our  mon  agrément ,  du  moindre  des  amusemens  qui  sont  à  votre  portée^ 
e  vous  prie,  monsieur,  d'agréer  mon  respect. 

Lettre  X.    Sur  les  mousses. 

A   M.    DE   MAL£SH£RBES. 

A  Paris,  le  19  décembre  1771. 
Voici,  monsieur,  quelques  échantillons  de  mousses  que  j'ai  rassem- 
blés à  la  hâte,  pour  vous  mettre  à  portée  au  moins  de  distinguer  les 
)rincipaux  genres  avant  que  la  saison  de  les  observer  soit  passée.  C'est 
me  étude  à  laquelle  j'employai  délicieusement  l'hiver  que  j'ai  passé  à 
A^ootton,  où  je  me  trouvois  environné  de  montagnes,  de  bois  et  de  ro- 
chers tapissés  de  capillaires  et  de  mousses  des  plus  curieuses.  Mais, 
lepuis  lors,  j'ai  si  bien  perdu  cette  famille  de  vue,  que  ma  mémoire 
iteinte  ne  me  fournit  presque  plus  rien  de  ce  que  j'avois  acquis  en  ce 
çenre;  et  n'ayant  point  l'ouvrage  de  Dillenius.  guide  indispensable  dans 
;es  recherches ,  je  ne  suis  parvenu  qu'avec  beaucoup  d'effort ,  et  sou- 
'ent  avec  doute,  à  déterminer  les  espèces  que  je  vous  envoie.  Plus  je 
n'opiniâtre  à  vaincre  les  difficultés  par  moi-même  et  sans  le  secours  de 
)ersonne,  plus  je  me  confirme  dans  l'opinion  que  la  botanique,  telle 
pi'on  la  cultive ,  est  une  science  qui  ne  s'acquiert  que  par  tradition  : 
)n  montre  la  plante ,  on  la  nomme  ;  sa  figure  et  son  nom  se  gravent  en- 
;emble  dans  la  mémoire.  Il  y  a  peu  de  peine  à  retenir  ainsi  la  nomen- 
îlature  d'un  grand  nombre  de  plantes  :  mais,  quand  on  se  croit  pour 
3ela  botaniste,  on  se  trompe,  on  n'est  qu'herboriste;  et  quand  il  s'agit 
i3' déterminer  par  soi-même  et  sans  guide  les  plantes  qu'on  n'a  jamais 
vues,  c'est  alors  qu'on  se  trouve  arrêté  tout  court,  et  qu'on  est  au  bout 


bk  LETTRES   ÉLÉMENTAIRES 

de  sa  doctrine.  Je  suis  resté  plus  ignorant  encore  en  prenant  la  routi 
contraire.  Toujours  seul  et  sans  autre  maître  que  la  nature  .  j"ai  mis  de: 
efTorts  incroyables  à  de  très-foibles  progrès.  Je  suis  parvenu  à  pouvoir 
en  bien  travaillant,  déterminer  à  peu  près  les  genres;  mais  pour  les  es- 
pèces,  dont  les  diiïérenccs  sont  souvent  très-peu  marquées  par  h 
nature,  et  plus  mal  énoncées  par  les  auteurs,  je  n'ai  pu  parvenir? 
en  distinguer  avec  certitude  qu'un  très-petit  nombre,  surtout  dans  1: 
famille  des  mousses,  et  surtout  dans  les  genres  difficiles,  tels  que  le: 
hypnum,  les  jungermania,  les  lichens.  Je  crois  pourtant  être  sûr  de 
celles  que  je  vous  envoie ,  à  une  ou  deux  près  que  j'ai  désignées  par  an 
point  interrogaiit,  afin  que  vous  puissiez  vérifier,  dans  Vaillant  et  dans 
Dillenius,  si  je  me  suis  trompé  ou  non.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  crois  qu'il 
faut  commencer  à  connoître  empiriquement  un  certain  nombre  d'es- 
pèces pour  parvenir  à  déterminer  les  autres,  et  je  crois  que  celles  que 
je  vous  envoie  peuvent  suffire,  en  les  étudiant  bien,  à  vous  familiariser 
avec  la  famille  et  à  en  distinguer  au  moins  les  genres  au  premier  coup 
d'œil  par  le  faciès  propre  à  chacun  d'eux.  Mais  il  y  a  une  autre  diffi- 
culté :  c'est  que  les  mousses  ainsi  disposées  par  brins  n'ont  point  sur  le 
papier  le  même  coup  d'œil  qu'elles  ont  sur  la  terre  rassemblées  par 
touffes  ou  gazons  serrés.  Ainsi  l'on  herborise  inutilement  dans  un  her- 
bier et  surtout  dans  un  moussier,  si  l'on  n'a  commencé  par  herboriser 
sur  la  terre.  Ces  sortes  de  recueils  doivent  servir  seulement  de  mémo- 
ratifs,  mais  non  pas  d'instruction  première.  Je  doute  cependant,  mon- 
sieur, que  vous  trouviez  aisément  le  temps  et  la  patience  de  vous 
appesantir  à  l'e-xamen  de  chaque  touffe  d'herbe  ou  de  mousse  que  vous 
trouverez  en  votre  chemin.  Mais  voici  le  moyen  qu'il  me  semble  que 
vous  pourriez  prendre  pour  analyser  avec  succès  toutes  les  productions 
végétales  de  vos  environs,  sans  vous  ennuyer  à  des  détails  minutieux, 
'nsupportables  pour  les  esprits  accoutumés  à  généraliser  les  idées  et  à 
regarder  toujours  les  objets  en  grand.  Il  faudroit  inspirer  à  quelqu'un 
de  vos  laquais,  garde  ou  garçon  jardinier,  ïin  peu  de  goût  pour  l'élude 
des  plantes,  et  le  mener  à  votre  suite  dans  vos  promenades,  lui  faire 
cueillir  les  plantes  que  vous  ne  connoîtriez  pas ,  particulièrement  les 
mousses  et  les  graminées,  deux  familles  difficiles  et  nombreuses.  Jl  fau- 
droit qu'il  tâchât  de  les  prendre  dans  l'état  de  floraison  où  leurs  carac- 
tères déterminans  sont  les  plus  marqués.  En  prenant  deux  exemplaires 
de  chacun,  il  en  mettroit  un  à  part  pour  me  l'envoyer,  sous  le  même 
numéro  que  le  semblable  qui  vous  resteroit,  et  sur  lequel  vous  feriez 
mettre  ensuite  le  nom  de  la  plante,  quand  je  vous  l'aurois  envoyé.  Vous 
vous  éviteriez  ainsi  le  travail  de  cette  détermination,  et  ce  travail  ne 
seroit  qu'un  plaisir  pour  moi,  qui  en  ai  l'habitude  et  qui  m'y  livre  avec 
passion.  Il  me  semble,  monsieur,  que  de  cette  manière  vous  auriez  fait 
en  peu  de  temps  le  relevé  des  productions  végétales  de  vos  terres  et  des 
environs,  et  que,  vous  livrant  sans  fatigue  au  plaisir  d'observer,  vous 
pourriez  encore,  au  moyen  d'une  nomenclature  assurée,  avoir  celui  de 
comparer  vos  observations  avec  celles  des  auteurs.  Je  ne  me  fais  pour- 
tant pas  fort  de  tout  déterminer.  Mais  îa  longue  habitude  de  fureter  des 
campagnes  m'a  rendu  familières  la  plupart  des  plantes  indigènes.  11  n'y 


à 


SUR  LA  BOTANIQUE.  65 

a  que  les  jardins  et  productions  exotiques  où  je  me  trouve  en  pays 
perdu.  Eniin  ce  que  je  n'aurai  pu  déterminer  sera  pour  vous,  monsieur, 
un  objet  de  reclierches  et  de  curiosité  qui  rendra  vos  arauseraens  plus 
piquans.  Si  cet  arrangement  vous  plaît,  je  suis  à  vos  ordres,  ev  vous 
pouvez  être  sûr  de  me  procurer  un  amusement  très-intéressant  pour 
moi . 

J'attends  la  note  que  vous  m'avez  promise  pour  travailler  à  la  rem- 
plir autant  qu'il  dépendra  de  moi.  L'occupation  de  travailler  à  des  her-. 
biers  remplira  très-agréablement  mes  beaux  jours  d'été.  Cependant  je 
ne  prévois  pas  d'être  jamais  bien  riche  en  plantes  étrangères;  et,  selon 
moi,  le  plus  grand  agrément  de  la  botanique  est  de  pouvoir  étudier  et 
connoître  la  nature  autour  de  soi  plutôt  qu'aux  Indes.  J'ai  été  pourtant 
assez  heureux  pour  pouvoir  insérer,  dans  le  petit  recueil  que  j'ai  eu 
l'honneur  de  vous  envoyer,  quelques  plantes  curieuses,  et  entre  autres 
le  vrai  papier,  qui  jusqu'ici  n'étoit  point  connu  en  France,  pas  même 
de  M.  de  Jussieu.  Il  est  vrai  que  je  n'ai  pu  vous  en  envoyer  qu'un  l)rin 
bien  misérable .  mais  c'en  est  assez  pour  distinguer  ce  rare  et  précieux 
souchet.  Voilà  bien  du  bavardage  ;  mais  la  botanique  m'entraîne,  et  j'ai 
le  plaisir  d'en  parler  avec  vous  :  accordez-moi,  monsieur,  un  peu  d'in- 
dulgence. 

Je  ne  vous  envoie  que  de  vieilles  mousses;  j'en  ai  vainement  cherché 
de  nouvelles  dans  la  campagne.  Il  n'y  en  aura  guère  qu'au  mois  de  fé- 
vrier, parce  que  l'automne  a  été  trop  sec:  encore  faudra-t-il  les  cher- 
;  cher  au  loin.  On  n'en  trouve  guère  autour  de  Paris  que  les  mêmes 
répétées. 

LETTRES  ADRESSÉES  A  Mme  LA  DUCHESSE  DE  PORTLAND. 

Lettre  I. 

A  WooltoD,  le  20  octobre  <76G. 
■Vous  avez  raison .  madame  la  duchesse ,  de  commencer  la  correspon- 
dance que  vous  m?  faites  l'honneur  de  me  proposer,  par  m'envoyer 
des  livres  pour  me  mettre  en  état  de  la  soutenir  :  mais  je  crains  que  ce 
ne  soit  peine  perdue  :  je  ne  retiens  plus  rien  de  ce  que  je  lis  :  je  n'ai 
plus  de  mémoire  pour  les  livres,  il  ne  m'en  reste  que  pour  les  per- 
sonnes, pour  les  bontés  qu'on  a  pour  moi:  et  j'espère  à  ce  titre  profiter 
plus  avec  vos  lettres  qu'avec  tous  les  livres  de  l'univers.  Il  en  est  un, 
madame,  où  vous  savez  si  Lien  lire,  et  où  je  voudrois  bien  apprendre 
à  épeler  quelques  mots  après  vous.  Heureux  qui  sait  prendre  assez  de 
goût  à  cette  intéressante  lecture  pour  n'avoir  besoin  d'aucune  autre .  et 
qui,  méprisant  les  instructions  des  hommes,  qui  sont  menteurs,  s'at- 
tache à  celles  de  la  nature .  qui  ne  ment  point!  Vous  l'éludiez  avec  au- 
tant de  plaisir  que  de  succès:  vous  la  suivez  dans  tous  ses  règnes; 
aucune  de  ses  productions  ne  vour  "^t  étrangère  ;  vous  savez  assortir 
les  fossiles,  les  minéraux,  les  coquillages,  cultiver  les  plantes,  appri- 
voiser les  oiseaux  :  et  que  n'apprivoiseriez-vous  pas?  Je  connois  uu 
animal  un  peu  sauvage  qui  vivroit  avec  grand  plaisir  dans  votre  ména- 
Rolsseau  VI  5 


66  LETTRES 

gerie,  en  attendant  l'honneur  d'être  admis  un  jour  en  monîïe  dans 
votre  cabinet.  * 

J'aurois  bien  les  mêmes  goûts  si  j'étois  en  état  de  les  satisfaire;  m.ais 
un  solitaire  et  un  commençant  de  mon  âge  doit  rétrécir  beaucoup  l'uni- 
vers, s'il  veut  le  connoître;  et  moi,  qui  me  perds  comme  un  insecte 
parmi  les  herbes  d'un  pré,  je  n'ai  garde  d'aller  escalader  les  palmiers 
de  l'Afrique  ni  les  cèdres  du  Liban.  Le  temps  presse,  et,  loin  d'aspirer 
à  savoir  un  jour  la  botanique,  j'ose  à  peine  espérer  d'herboriser  aussi 
bien  que  les  moutons  qui  paissent  sous  ma  fenêtre ,  et  de  savoir  comme 
eux  trier  mon  foin. 

J'avoue  pourtant ,  comme  les  hommes  ne  sont  guère  conséquens ,  et 
que  les  tentations  viennent  par  la  facilité  d'y  succomber,  que  le  jardin 
de  mon  excellent  voisin,  M.  de  Granville ,  m'a  donné  le  projet  ambi- 
tieux d'en  connoître  les  richesses  :  mais  voilà  précisément  ce  qui  prouve 
que,  ne  sachant  rien,  je  ne  suis  fait  pour  rien  apprendre.  Je  vois  les 
plantes,  il  me  les  nomme,  je  les  oublie;  je  les  revois,  il  me  les  re- 
nomme, je  les  oublie  encore  ;  et  il  ne  résulte  de  tout  cela  que  l'épreuve 
que  nous  faisons  sans  cesse,  moi  de  sa  complaisance,  et  lui  de  mon  in- 
capacité. Ainsi ,  du  côté  de  la  botanique  ,  peu  d'avantage;  mais  un  très- 
grand  pour  le  bonheur  de  la  vie,  dans  celui  de  cultiver  la  société  d'un 
voisin  bienfaisant,  obligeant,  aimable,  et,  pour  dire  encore  plus,  s'il 
est  possible,  à  qui  je  dois  l'honneur  d'être  connu  de  vous. 

Voyez  donc,  madame  la  duchesse,  quel  ignare  correspondant  vous 
vous  choisissez ,  et  ce  qu'il  pourra  mettre  du  sien  contre  vos  lumières.  Je 
suis  en  conscience  obligé  de  vous  avertir  de  la  mesure  des  miennes; 
après  cela,  si  vous  daignez  vous  en  contenter,  à  la  bonne  heure;  je 
n'ai  garde  de  refuser  un  accord  si  avantageux  pour  moi.  Je  vous  ren- 
drai de  l'herbe  pour  vos  plantes,  des  rêveries  pour  vos  observations; 
je  m'instruirai  cependant  par  vos  bontés  :  et  puissé-je  un  jour,  devenu 
meilleur  herboriste ,  orner  de  quelques  fleurs  la  couronne  que  vous 
doit  la  botanique,  pour  l'honneur  que  vous  lui  faites  de  la  cultiver  ! 

J'avois  apporté  de  Suisse  quelques  plantes  sèches  qui  se  sont  pour- 
ries en  chemin  :  c'est  un  herbier  à  recommencer,  et  je  n'ai  plus  pour 
cela  les  mêmes  ressources.  Je  détacherai  toutefois  de  ce  qui  me  reste 
quelques  échantillons  des  moins  gâtés,  auxquels  j'en  joindrai  quel- 
ques-uns de  ce  pays  en  fort  petit  nombre ,  selon  l'étendue  de  mon  sa- 
voir, et  je  prierai  M.  Granville  de  vous  les  faire  passer  quand  il  en  aura 
l'occasion;  mais  il  faut  auparavant  les  trier,  les  démoisir,  et  surtout 
retrouver  les  noms  à  moitié  perdus  ;  ce  qui  n'est  pas  pour  moi  une  pe- 
tite affaire.  Et,  à  propos  des  noms,  comment  parviendrons-nous,  ma- 
dame, à  nous  entendre?  Je  ne  connois  point  les  noms  anglois;  ceux 
que  je  connois  sont  tous  du  Pinax  de  Gaspard  Bauhin  ou  du  Specics 
plantarum  de  M.  Linnaeus,  et  je  ne  puis  en  faire  la  synonymie  avec 
Gérard,  qui  leur  est  antérieur  à  l'un  et  à  l'autre,  ni  avec  le  Synopsis, 
qui  est  antérieur  au  second,  et  qui  cite  rarement  le  premier;  en  sorte 
que  mon  Species  me  devient  inutile  pour  vous  nommer  l'espèce  de 
plante  que  j'y  connois ,  et  pour  y  rapporter  celle  que  vous  pouvez  me 
faire  connoître.  Si  par  hasard,  madame  la  duchesse,  vous  aviez  aussi  la 


SUR  LA  BOTANIQUE.  6Î 

Species  plantarum  ou  le  Pinax,  ce  point  de  réunion  nous  seroit  très- 
commode  pour  nous  entendre,  sans  quoi  je  ne  sais  pas  trop  comment 
nous  ferons. 

J'avois  écrit  à  milord  Maréchal  deux  jours  avant  de  recevoir  la  lettre 
dont  vous  m'avez  honoré.  Je  lui  en  écrirai  bientôt  une  autre  pour 
m'acquitter  de  votre  commission,  et  pour  lui  demander  ses  félicitations 
sur  l'avantage  que  son  nom  m'a  procuré  près  de  vous.  J'ai  renoncé  à 
tout  commerce  de  lettres .  hors  avec  lui  seul  et  un  autre  ami.  Vous  se- 
rez la  troisième ,  madame  la  duchesse  ,  et  vous  me  ferez  chérir  toujours 
plus  la  botanique  à  qui  je  dois  cet  honneur.  Passé  cela,  la  porte  est 
fermée  aux  correspondances.  Je  deviens  de  jour  en  jour  plus  pares- 
seux-, il  m'en  coûte  beaucoup  d'écrire  à  cause  de  mes  incommodités; 
et,  content  d'un  si  bon  choix  ,  je  m'y  borne,  bien  sûr  que  ,  si  je  l'éten- 
dois  davantage,  le  même  bonheur  ne  m'y  suivroit  pas. 

Je  vous  supplie,  madame  la  duchesse,  d'agréer  mon  profond  respect. 

Lettre  II. 

A  Wootton,  le  <2  février  (767. 

Je  n'aurois  pas,  madame  la  duchesse,  tardé  un  seul  instant  de  cal- 
mer, si  je  l'avois  pu  ,  vos  inquiétudes  sur  la  santé  de  milord  Maréchal; 
mais  je  craignis  de  ne  faire .  en  vous  écrivant .  qu'augmenter  ces  in- 
quiétudes, qui  devinrent  pour  moi  des  alarmes.  La  seule  chose  qui  me 
rassurât  étoit  que  j'avois  de  lui  une  lettre  du  22  novembre;  et  je  pré- 
sumois  que  ce  qu'en  disoient  les  papiers  publics  ne  pouvoit  guère  être 
plus  récent  que  cela.  Je  raisonnai  là-dessus  avec  M.  Granville .  qui  de- 
voit  partir  dans  peu  de  jours ,  et  qui  se  chargea  de  vous  rendre  compte 
de  ce  que  nous  avions  pensé,  en  attendant  que  je  pusse,  madame,  vous 
marquer  quelque  chose  de  plus  positif  :  dans  cette  lettre  du  22  no- 
vembre ,  milord  Maréchal  me  marquoit  qu'il  se  sentoit  vieillir  et  affoi- 
blir.  qu'il  n'écrivoit  plus  qu'avec  peine,  qu'il  avoit  cessé  d'écrire  à  ses 
parens  et  amis ,  et  qu'il  m'écriroii  désormais  fort  rarement  à  moi- 
même.  Cette  résolution ,  qui  peut-être  étoit  déjà  l'effet  de  sa  mala- 
die, fait  que  son  silence  depuis  ce  temps-là  me  surprend  moins,  mais 
il  me  chagrine  extrêmement.  J'attendois  quelque  réponse  aux  lettres 
que  je  lui  ai  écrites:  je  la  demandois  incessamment,  et  j'espérois  vous 
en  faire  part  aussitôt;  il  n'est  rien  venu.  J'ai  aussi  écrit  à  son  ban- 
quier à  Londres ,  qui  ne  savoit  rien  non  plus ,  mais  qui ,  ayant  faif. 
des  informations,  m'a  marqué  qu'en  effet  milord  Maréchal  avoit  été 
fort  malade,  mais  qu'il  étoit  beaucoup  mieux.  Voilà  tout  ce  que  j'en 
sais,  madame  la  duchesse.  Probablement  vous  en  savez  davantage  à  pré 
sent  vous-même;  et,  cela  supposé ,  j'oserois  vous  supplier  de  vouloir 
bien  me  faire  écrire  un  mot  pour  me  tirer  du  trouble  où  je  suis.  A 
moins  que  les  amis  charitables  ne  m'instruisent  de  ce  qu'il  m'importe 
de  savoir,  je  ne  suis  pas  en  position  de  pouvoir  l'apprendre  par  moi- 
même. 

Je  n'ose  presque  plus  vous  parler  de  plantes ,  depuis  que,  vous  ayant 
trop  annoncé  les  chiffons  que  j'avois  apportés  de  Suisse,  je  n'ai  pu  en- 
core vous  rien  envoyer.  Il  faut,  madame,  vous  avouer  toute  ma  mi- 


68  LETTRES 

sère  :  outre  que  ces  débris  valoient  peu  la  peine  de  vous  être  offerts, 
j'ai  été  retardé  par  la  difficulté  d'en  trouver  les  noms,  qui  manquoient 
à  la  plupart;  et  cette  difficulté  mal  vaincue  m'a  fait  sentir  que  j'avois 
fait  une  entreprise  trop  pénible  à  mon  âge,  en  voulant  m'obstiner  à 
connoîlre  les  plantes  tout  seul.  Il  faut,  en  botanique,  commencer  par 
être  guidé;  il  faut  du  moins  apprendre  empiriquement  les  noms  d'un 
certain  nombre  de  plantes  avant  de  vouloir  les  étudier  méthodique- 
ment :  il  faut  premièrement  être  herboriste,  et  puis  devenir  botaniste 
après,  si  l'on  peut.  J'ai  voulu  faire  le  contraire,  et  je  m'en  suis  mal 
irouvé.  Les  livres  des  botanistes  modernes  n'instruisent  que  les  bota- 
nistes, ils  sont  inutiles  aux  ignorans.  Il  nous  manque  un  livre  vraiment 
élémentaire,  avec  lequel  un  homme  qui  n'auroit  jamais  vu  de  plantes 
pût  parvenir  à  les  étudier  seul.  'Voilà  le  livre  qu'il  me  faudroit  au  dé- 
faut d'instructions  verbales;  car  où  les  trouver?  Il  n'y  a  point  autour 
de  ma  demeure  d'autres  herboristes  que  les  moutons.  Une  difficulté 
plus  grande  est  que  j'ai  de  très-mauvais  yeux  pour  analyser  les  plantes 
par  les  parties  de  la  fructification.  Je  voudrois  étudier  les  mousses  et 
les  gramens  qui  sont  à  ma  portée;  je  m'éborgne,  et  je  ne  vois  rien.  Il 
semble,  madame  la  duchesse,  que  vous  ayez  exactement  deviné  mes 
besoins  en  m'envoyant  les  deux  livres  qui  me  sont  les  plus  utiles.  Le 
Synopsis  comprend  des  descriptions  à  ma  portée  et  que  je  suis  en  état 
de  suivre  sans  m'arracher  les  yeux,  et  le  Petiver  m'aide  beaucoup  par 
ses  figures,  qui  prêtent  à  mon  imagination  autant  qu'un  objet  sans  cou- 
leur peut  y  prêter.  C'est  encore  un  grand  défaut  des  botanistes  mo- 
dernes de  l'avoir  négligée  entièrement.  Quand  j'ai  vu  dans  mon  Lin- 
nœus  la  classe  et  l'ordre  d'une  plante  qui  m'est  inconnue,  je  voudrois 
me  figurer  cette  plante,  savoir  si  elle  est  grande  ou  petite,  si  la  fleur 
est  bleue  ou  rouge,  me  représenter  son  port.  Rien.  Je  lis  une  descrip- 
tion caractéristique,  d'après  laquelle  je  ne  puis  rien  me  représenter. 
Cela  n'est-il  pas  désolant? 

Cependant,  madame  la  duchesse,  je  suis  assez  fou  pour  m'obstiner, 
ou  plutôt  je  suis  assez  sage;  car  ce  goût  est  pour  moi  une  affaire  de 
raison.  J'ai  quelquefois  besoin  d'art  pour  me  conserver  dans  ce  calme 
jrécieux  au  milieu  des  agitations  qui  troublent  ma  vie,  pour  tenir  au 
loin  ces  passions  haineuses  que  vous  ne  connoissez  pas,  que  je  n'ai 
guère  connues  que  dans  les  autres,  et  que  je  ne  veux  pas  laisser  ap- 
procher de  moi.  Je  ne  veux  pas ,  s'il  est  possible,  que  de  tristes  souvenirs 
viennent  troubler  la  paix  de  ma  solitude.  Je  veux  oublier  les  hommes 
et  leurs  injustices.  Je  veux  m'attendrir  chaque  jour  sur  les  jnerveiiles 
de  celui  qui  les  fit  pour  être  bons,  et  dont  ils  ont  si  indignement  dé- 
gradé l'ouvrage.  Les  végétaux  dans  nos  bois  et  dans  nos  montagnes 
sont  encore  tels  qu'ils  sortirent  originairement  de  ses  mains,  et  c'est  là 
que  j'aime  à  étudier  la  nature;  car  je  vous  avoue  que  je  ne  sens  plus  le 
même  charme  à  herboriser  dans  un  jardin.  Je  trouve  qu'elle  n'y  est 
plus  la  même;  elle  y  a  plus  d'éclat,  mais  elle  n'y  est  pas  si  touchante. 
Les  hommes  disent  qu'ils  l'embellissent,  et  moi  je  trouve  qu'ils  la  défi- 
gurent. Pardon,  madame  la  duchesse;  en  parlant  des  jardins  j'ai  peut- 
être  un  peu  médit  du  vôtre;  mais,  si  j'étois  à  portée,  je  lui  ferois  bien 


SUI\  LA  BOTANIQUE.  69 

réparation.  Que  n'y  puis-je  faire  seulenaent  cinq  ou  six  herborisations  à 
votre  suite,  sous  M.  le  docteur  Solander!  lime  semble  que  le  petit 
fonds  de  connoissances  que  je  tâcherois  de  rapporter  de  ses  in- 
structions et  des  vôtres  suffiroit  pour  ranimer  mon  courage,  souvent 
prêt  à  succomber  sous  le  poids  de  mon  ignorance.  Je  vous  annonçois  du 
bavardage  et  des  rêveries:  en  voilà  beaucoup  trop.  Ce  sont  des  herbo- 
risations d'hiver;  quand  il  n'y  a  plus  rien  sur  la  terre,  j'herborise 
dans  ma  tète,  et  malheureusement  je  n'y  trouve  que  de  mauvaise 
herbe.  Tout  ce  que  j'ai  de  bon  s'est  réfugié  dans  mon  cœur,  madame 
la  duchesse,   et  il  est  plein  des  sentimens  qui  vous  sont  dus. 

Mes  chiffons  de  plantes  sont  prêts  ou  à  peu  près;  mais,  faute  de  sa- 
voir les  occasions  pour  les  envoyer,  j'attendrai  le  retour  de  M.  Gran- 
ville  pour  le  prier  de  vous  les  faire  parvenir. 

Lettre  IIL 

Woollon,  28  février  1767. 
Madame  la  duchesse, 

Pardonnez  mon  importunité  :  je  suis  trop  touché  de  la  bonté  que 
vous  avez  eue  de  me  tirer  de  peine  sur' la  santé  de  milord  Maréchal, 
pour  différer  à  vous  en  remercier.  Je  suis  peu  sensible  à  mille  bons 
offices  où  ceux  qui  veulent  me  les  rendre  à  toute  force  consultent  plus 
leur  goût  que  le  mien.  Mais  les  soins  pareils  à  celui  que  vous  avez  bien 
voulu  prendre  en  cette  occasion  m'affectent  véritablement,  et  me  trou- 
veront toujours  plein  de  reconnoissance.  C'est  aussi ,  madame  la  du- 
chesse ,  un  sentiment  qui  sera  joint  désormais  à  tous  ceu.î  que  vous 
m'avez  inspirés. 

Pour  dire  à.  présent  un  petit  mot  de  botanique,  voici  l'échantillon 
d'une  plante  que  j'ai  trouvée  attachée  à  un  rocher,  et  qui  peut-être 
vous  est  très-connue ,  mais  que  pour  moi  je  ne  connoissois  point  du 
tout.  Par  sa  figure  et  par  sa  fructification,  elle  paroîl  appartenir  aux 
fougères;  mais,  par  sa  substance  et  par  sa  stature,  elle  semble  être  de 
la  famille  des  mousses.  J'ai  de  trop  mauvais  yeux ,  un  trop  mauvais 
microscope,  et  trop  peu  de  savoir  pour  rien  décider  là-dessus.  Il  faut, 
madame  la  duchesse,  que  vous  acceptiez  les  hommages  de  mon  igno- 
rance et  de  ma  bonne  volonté  ;  c'est  tout  ce  que  je  puis  mettre  de  ma 
part  dans  notre  correspondance ,  après  le  tribut  de  mon  profond  res- 
pect. 

Lettre  IV. 

A.  "Woollon,  le  29  avril  1767. 

Je  reçois,  madame  la  duchesse,  avec  une  nouvelle  reconnoissance, 
les  nouveaux  témoignages  de  votre  souvenir  et  de  vos  bontés  dans  le 
livre  que  M.  Graaville  m'a  remis  de  votre  part,  et  dans  l'instruction  que 
vous  avez  bien  voulu  me  donner  sur  la  petite  plante  qui  m'étoit  incon- 
nue. "Vous  avez  trouvé  un  très-bon  moyen  de  ranimer  ma  mémoire 
éteinte,  et  je  suis  très-sûr  de  n'oublier  jamais  ce  que  j'aurai  le  bonheur 
d'apprendre  de  vous.  Ce  petit  adiantum  n'est  pas  rare  sur  nos  rochers; 
et  j'en  ai  même  vu  plusieurs  pieds  sur  des  racines  d'arbres,  qu'il  sera 
facile  d'en  détacher  pour  le  transplanter  sur  vos  murs. 


70 

'^  LETTRES 


retir::;  ,r S  ^  ;j  -^^  '  '^  -^---  bien  des  erreurs  dans  I. 
'le  vous  faire  lent  J  ai  ]ns  rll^^  ^-  ^"i'""'"'  '"'''  ^'^"  ''  'Charger 
nœus  à  celles  qù  'r^^ en  latent  uolTZ'  ''  "T^  <^"  ^^^"'^^  ^^  L'"' 
qu'avec  celle  que  vous  vmHri»  k  "  " '"  ^'  ""^^  '^  ^^"^  confiance 
la  peine  de  Sav^tir  D.  !  .  .""  "'''■'^"'''  '^^'^"'^  ^^"^^  '  ^^  prendre 
plante  qui  me  v  en   d    vo^fm  H  ^^P°""^^  l^'  ™^™^  J°'"t  "ne  petite 

dont  n'ayant  pTtouvrînT,^^r''^"''''^'''-.P'''''-  ^'^^'^^"'^'  '' 
laisser  ei  blanc    CeUe  n L,!  rn^         T''"''' ^ '^  P"' ^^  P^^'^  «^^  le 

ccfe^tq^elle  je'sîs'le'^ir"^  "^r"  ^^ï"'  "^'"'"^^  ''  '^-h--' 

de  la  san  é  de  mZd  Marécha  m!  '^°""''-  P^"^^^"^^  ^^'^  ^^^  "«"telles 
obligeante  entrerais.  ™^^^-,Ne  pourrois-je  poun  encore,  par  votre 
Je  fifnartir  pTh  '  ^  °''  f  '''°'"  '^'™^«  lettres  lui  parviennent'^ 
sa  d  rni  e 'i  ne  dl'  T''  ^'  ^^""'"^^^  ^"^  J«  ^"'  ^^  écrite  depuis 
"ent  d   pp^eidr^s'U  "s  "  e'oit  "t?"''  1 1°"'^  '  ^'^  ^'^'^^^^'^  -"'- 

«f^^^d^r/r^^^Sats^^^— -^-coupdL^^^ 

fonS  ïe^sper^'''  "'''"^^  ^^  '"^^^^^^'  d'agréer  avec  bonté  mon  pro- 
Lettre  V, 

Perraettez,  raadarae  la  duchesse,  que,  quoique  hali'tan'ïÏors'derAn 
vts  bTnléi'î^'r"-  f''''  ''  "^  '^PP^'-  à  ^°^^«  souveni  Celi.  de" 
retraUe  J'v  .î  .  .  ',"^™''  "^^"^^^  ''  '^«"^"^ue  à  embellir  ma 
retraite.  J  y  ai  apporte  le  dernier  livre  que  vous  m'avez  envové  •  .t  « 
m'amuse  a  faire  la  comparaison  des  plantes  de  ce  cTnton  avec  celles  d^ 
votre  Ile.  S,  j'osois  me  flatter,  madame  la  duchesse,  que  mes  ob  erva 
lions  pussent  avo.r  pour  vous  le  moindre  intérêt,  le  désir  dTvouspTair; 
me  les  rendro.t  plus  importantes,  et  l'ambition  de  vous  apVar^i  me 
fa,t  aspirer  au  titre  de  votre  herboriste,  comme  si  j'avoisTes  connor 

fe°vons^".r'''r''°l'"'"'^^"^'^  ''  P^--'^^-  Accordez-mo     madame" 
je  Aous  en  supplie,  la  permission  de  joindre  ce  titre  an  nm,,/!.' 

^:.i:^':'''  '  "^"'  ^^^^  ''^'''  ^''^  --  -  lïaihrur^e^x" s  s 

d.  Portl.nH    '  '""'  "T  '"'P'^"'  ''  l'herboriste  de  madame  la  duchesse 
de  Portland  se  consolera  sans  peine  de  la  mort  de  J.  J.  Rousseau  Tn 
reste,  je  tâchera,  bien  que  ce  ne  soit  pas  là  un  titre  purement  hono 
raire   je  souhaite  qu'il  m'attire  aussi  l'honneur  de  vos  orS    et  "e    I 
mériterai  du  moins  par  mon  zèle  à  les  remolir  ^ 

de'ra%'e'S^;iîte'°";i';vnnT"  "T''''.  "°"  '  ''  ^'  "^  ''''  ?"-*  du  lieu 
oe  ma  retraite   ,  n  ayant  pu  demander  encore  la  permission  que  jait 

J.  Le  château  de  Tne,  oii  llousseau  clait  sous  le  nom  de  Renou.  (Éd.) 


SUR  LA  BOTANIQUE.  71 

besoin  d'obtenir  pour  cela.  S'il  vous  plaît,  en  attendant,  m'honorer 
d'une  réponse,  vous  pourrez,  madame  la  duchesse ,  l'adresser  sous  mon 
ancien  nom  à  Mess... ,  qui  me  la  feront  parvenir.  Je  finis  par  remplir  un 
devoir  qui  m'est  bien  précieux ,  en  vous  suppliant .  madame  la  duchesse , 
d'agréer  ma  très-humble  reconnoissance  et  les  assurances  de  mon  pro- 
fond respect. 

Lettre  VL 

12  septembre  <767. 

Je  suis  d'autant  plus  touché,  madame  la  duchesse,  des  nouveaux 
témoignages  de  bonté  dont  il  vous  a  plu  m'honorer,  que  j'avois  quelque 
crainte  que  l'éloignement  ne  m'eût  fait  oublier  de  vous.  Je  tacherai  de 
mériter  toujours  par  mes  sentimens  les  mêmes  grâces,  et  les  mêmes 
souvenirs  par  mon  assiduité  à  vous  les  rappeler.  Je  suis  comble  de  la 
permission  que  vous  voulez  bien  m'accorder,  et  très-fier  de  l'honneur 
de  vous  appartenir  en  quelque  chose.  Pour  commencer,  madame,  a 
remplir  des  fonctions  que  vous  me  rendez  précieuses,  je  vous  envoie 
ci-ioints  deux  petits  échantillons  de  plantes  que  j'ai  trouvées  a  mon  voi- 
sina'-e  parmi  les  bruyères  qui  bordent  un  parc  ,  dans  un  terrain  assez 
humide  où  croissent  aussi  la  camomille  odorante,  le  sagina  procura- 
iens  l'hieracium  umhellatum  de  Linnaeus ,  et  d'autres  plantes  que  je  ne 
puis  vous  nommer  exactement,  n'ayant  point  encore  ici  mes  livres  de 
botanique ,  excepté  le  Flora  Britannica,  qui  ne  m'a  pas  quitte  un  seul 

™DTc"es  deux  plantes,  l'une,  n»  2,  me  paroît  être  une  petite  gentiane, 
appelée  .  dans  le  Synopsis,  centaurium  palustre  luteum  mtmmum  no-, 
siras.  Flor.  Brit.  131.  ,         . 

Pour  l'autre,  n°  1 ,  je  ne  saurois  dire  ce  que  c est,  a  moins  que  ce 
ne  soit  peut-être  une  élatine  de  Linnaeus ,  appelée  par  Vaillant  alsma- 
stnim  serpyllifolium ,  etc.  La  phrase  s'y  rapporte  assez  bien  ;  mais  1  éla- 
tine doit  avoir  huit  étamines,et  je  n'en  ai  jamais  pu  découvrir  que 
ciuatre  La  fleur  est  très-petite  ;  et  mes  yeux ,  déjà  foibles  naturellement , 
ont  tant  pleuré,  que  je  les  perds  avant  le  temps  :  ainsi  je  ne  me  fie  plus 
à  eux  Dites-moi  de  grâce  ce  qu'il  en  est,  madame  la  duchesse -,  c  est 
moi  qui  devrois,  en  vertu  de  mon  emploi,  vous  instruire;  et  c  est  vous 
qui  m'instruisez.  Ne  dédaignez  pas  de  continuer,  je  vous  en  supplie;  et 
permettez  que  je  vous  rappelle  la  plante  à  ileur  jaune  que  vous  envoyâtes 
l'année  dernière  à  M.  Granville,  et  dontje  vous  ai  renvoyé  un  exem- 
plaire pour  en  apprendre  le  nom. 

Et  à  propos  de  M.  Granville,  mon  bon  voisin ,  permettez,  madame, 
que  je  vous  témoigne  l'inquiétude  que  son  silence  me  cause.  Je  lui  ai 
écrit,  et  il  ne  m'a  point  repondu,  lui  qui  est  si  exact.  Seroit-il  malade? 
J'en  suis  véritablement  en  peine. 

Mais  i^  le  suis  plus  encore  de  milord  Maréchal,  mon  ami,  mon  pro- 
tecteur   mon  père,  qui  m'a  totalement  oublié.  Non,  madame,  cela  ne 
sauroit  être.  Quoi  qu'on  ait  pu  faire,  je  puis  être  dans  sa  disgrâce,  mais 
^  je  suis  sûr  qu'il  m'aime  toujours.  Ce  qui  m'afflige  de  ma  position ,  c  est 
î   qu'elle  m'ôte  les  moyens  de  lui  écrire.  J'espère  pourtant  en  avoir  dans 
Jeul'occasion,etjen'ai  pas  besoin  de  vous  dire  avec  quel  empresse- 


>"  LETTRES 

ment  je  la  saisirai.  En  attendant,  j'implore  vos  bontés  pour  avoir  de  ses 
nouvelles,  et,  si  j  ose  ajouter,  pour  lui  faire  dire  un  mot  de  moi. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  profond  respect, 
Madame  la  duchesse . 

Votre  Irès-liumble  et  très-obéissant  serviteur, 
Herboriste. 

P.  S.  J'avois  dit  au  jardinier  de  M.  Davenport  que  je  lui  montreroiï 
les  rochers  où  croissoit  le  petit  adiantutn,  pour  que  vous  pussiez,  ma- 
dame, en  emporter  des  plantes.  Je  ne  me  pardonne  point  de  l'avoir 
oublié.  Ces  rochers  sont  au  midi  de  la  maison  et  regardent  le  nord.  Il 
est  très-aisé  d'en  détacher  des  plantes,  parce  qu'il  y  en  a  qui  croissent 
sur  des  racines  d'arbres. 

Le  long  retard,  madame,  du  départ  de  cette  lettre,  causé  par  des 
difficultés  qui  tiennent  à  ma  situation,  me  met  à  portée  de  rectifier 
avant  qu'elle  parte  ma  balourdise  sur  la  plante  ci-jointe  n»  1  ;  car .  ayant 
dans  l'intervalle  reçu  mes  livres  de  botanique,  j'y  ai  trouvé,  à  l'aide 
des  figures,  que  Michelius  avoit  fait  un  genre  de  cette  plante  sous  le 
nom  de  linocarpon ,  et  que  Linnaeus  l'avoit  mise  parmi  les  espèces  du 
lin.  Elle  est  aussi  dans  le  Synopsis  sous  le  nom  de  radiola ,  et  j'en 
aurois  trouvé  la  figure  dans  le  Flora  Britannica  que  j'avois  avec  moi; 
mais  précisément  la  planche  15,  où  est  celte  figure,  se  trouve  omise 
dans  mon  exemplaire  et  n'est  que  dans  le  Synopsis,  que  je  n'avois  pas. 
Ce  long  verbiage  a  pour  but,  madame  la  duchesse,  de  vous  expliquer 
comment  ma  bévue  tient  à  mon  ignorance  ,  à  la  vérité ,  mais  non  pas  à  ma 
négligence.  Je  n'en  mettrai  jamais  dans  la  correspondance  que  vous  me 
permettrez  d'avoir  avec  vous ,  ni  dans  mes  efforts  pour  mériter  un  titre 
dont  je  m'honore  :  mais,  tant  que  dureront  les  incommodités  de  ma 
position  présente,  l'exactitude  de  mes  lettres  en  souffrira,  et  je  prends 
le  parti  de  fermer  celle-ci  sans  être  sûr  encore  du  jour  où  ie  la  pourrai 
faire  pa.îtir. 

Lettre  VII. 

Ce  4  janvier  4  768. 

Je  n'aurois  pas  tardé  si  longtemps,  madame  la  duchesse,  à  vous  faii- 
mes  très-humbles  remercîmens  pour  la  peine  que  vous  avez  prise  d'écrir| 
en  ma  faveur  à  milord  Maréchal  et  à  M.  Granville,  si  je  n'avois  éiL 
détenu  près  de  trois  mois  dans  la  chambre  d'un  ami  qui  est  tombé  maJ 
lade  chez  moi ,  et  dont  je  n'ai  pas  quitté  ie  chevet  durant  tout  ce  tempsJ 
sans  pouvoir  donner  un  moment  à  nul  autre  soin.  Enfin  la  Providencèj 
a  béni  mon  zèle;  je  l'ai  guéri  presque  malgré  lui.  Il  est  parti  hier  bien 
rétabli  ;  et  le  premier  moment  que  son  départ  me  laisse  est  employé] 
madame  ,  à  remplir  auprès  de  vous  un  devoir  que  je  mets  au  nombre' de 
mes  plus  grands  plaisirs. 

Je  n'ai  reçu  aucune  nouvelle  de  milord  Maréchal;  et,  ne  pouvant  lui' 
écrire  directement  d'ici ,  j'ai  profité  de  l'occasion  de  l'ami  qui  vient  de  : 
partir,  pour  lui  faire  passer  une  lett.'-e  :  puisse-t-elle  le  trouver  dans' 
cet  état  de  santé  et  de  bonheur  que  les  plus  tendres  vœux  de  mon  cœul 
demandent  au  ciel  pour  lui  tous  les  jours!  J'ai  reçu  de  mon  excellenf 


SUR   LA   BOTANIQUE.  '^ 

voisin,  M.  GranviUe,  uue  lettre  qui  m'a  tout  réjoui  le  cœur.  Je  compte 
de  lui  écrire  dans  peu  de  jours. 

Permettrez-vous ,  madame  la  duchesse ,  que  je  prenne  la  liberté  de 
disputer  avec  vous  sur  la  plante  sans  nom  que  vous  aviez  envoyée  a 
M  Granville ,  et  dont  je  vous  ai  renvoyé  un  exemplaire  avec  les  plantes 
de  Suisse,  pour  vous  supplier  de  vouloir  bien  me  la  nommer.  Je  ne 
croi«  pas  que  ce  soit  le  viola  lutea,  comme  vous  me  le  marquez:  ces 
deux  plantes  n'avant  rien  de  commun,  ce  me  semble,  que  la  couleur 
jaune  de  la  fleur.  Celle  en  question  me  paroît  être  de  la  famille  des  lilia- 
cées  à  six  pétales,  six  étamines  en  plumasseau  :  si  la  racine  etoit  bul- 
beuse, je  la  prendrois  pour  un  ornithogale :  ne  l'étant  pas.  elle  me 
paroît  ressembler  fort  à  un  anthericum  ossifragum  de  Linnaeus,  appela 
par  Gaspard  Bauhin  pseudo-asphodelus  anglicus  ou  scoticus.  Je  vous 
avoue ,  madame .  que  je  serois  très-aise  de  m'assurer  du  vrai  nom  de 
celte  plante  ;  car  je  ne  peux  être  indifférent  sur  rien  de  ce  qui  me  vient 
de  vous.  ,     .         ,  ,,  ^ 

Je  ne  croyois  pas  qu'on  trouvât  en  Angleterre  plusieurs  des  nouvelles 
plantes  dont  vous  venez  d'orner  vos  jardins  de  Bullslrode  ;  mais ,  pour 
trouver  la  nature  riche  partout,  il  ne  faut  que  des  yeux  qui  sachent  voir 
ses  richesses.  Voilà,  madame  la  duchesse,  ce  que  vous  avez  et  ce  qui 
me  manque:  si  j'avois  vos  connoissances,  en  herborisant  dans  mes  en- 
virons .  je  suis  sûr  que  j'en  tirerois  beaucoup  de  choses  qui  pourroient 
pput-ètre  avoir  leur  place  à  Bullslrode.  Au  retour  de  la  belle  saison  je 
prendrai  note  des  plantes  que  j'observerai,  à  mesure  que  je  pourrai  les 
connoître;  et,  s'il  s'en  trouvoit  quelqu'une  qui  vous  convint,  je  trou- 
verois  les  moyens  de  vous  l'envoyer ,  soit  en  nature .  soit  en  graines.  Si , 
par  exemple,  madame .  vous  vouliez  faire  semer  le  gentiann  fuiformis , 
Yen  recueillerois  facilement  de  la  graine  l'automne  prochain:  car  j  ai 
découvert  un  canton  où  elle  est  en  abondance.  De  grâce,  madame  la 
duchesse  puisque  j'ai  Ihonneur  de  vous  appartenir ,  ne  laissez  pas  sans 
fonction  un  titre  où  je  mets  tant  de  gloire.  Je  n'en  connois  [  oint ,  je  vous 
proteste,  qui  me  flatte  davantage  que  celle  d'être  toute  ma  vie.  avec  un 
profond  respect,  madame  la  duchesse ,  votre  tres-humble  et  tres-obeis- 

sant  serviteur ,  _ 

'  Herboriste. 

Lettre  VIII. 

A  Lyon,  le  2  juillet  4768. 

S'il  étoit  en  mon  pouvoir ,  madame  la  duchesse ,  de  mettre  de  l'exac- 
titude dans  quelque  correspondance,  ce  seroit  assurément  dans  cehe 
dont  vous  m'honorez;  mais,  outre  l'indolence  et  le  découragement  qui 
me  subjuguent  chaque  jour  davantage,  les  tracas  secrets  dont  on  me 
tourmente  absorbent  malgré  moi  le  peu  daclivilé  qui  me  reste,  et  mt- 
voilà  maintenant  embarqué  dans  un  grand  voyage .  qui  seul  seroit  une 
terrible  affaire  pour  un  paresseux  tel  que  moi.  Cependant,  comme  la  bota- 
nique en  est  le  principal  objet,  je  tâcùerai  de  l'approprier  à  l'honneur 
que  j'ai  de  vous  appartenir,  en  vous  rendant  compte  de  mes  herborisa- 
lions,  au  risque  de  vous  ennuyer,  madame,  de  détails  triviaux  qui 
n'ont  rien  de  nouveau  pour  vous.  Je  pourrois  vous  en  faire  rt'interessan'! 


^'*  LETTRES 

^e&uTqui     eul  n    bT^i''^^^^^^        prochaine  avec  deux  de  ces 
me  la  rendront  trè-uile    si  ^L^^^-  ^°"'  ^''  ^"^^'''^^ 

Quelque  riche  que  soit  le  jardin  de  l'École  vétérinaire   je  n'ai  cpnpn 

celles  ,„,  vous  ma„,„en,Je  pourvois  °"i7Z„„e„rrv„LTe3''r 
voyer  fr.Kh.s  „„  sèches ,  selon  la  manière  que  von,  1,  voudriez    n^^ 
laugmenlolion  de  votre  jardin  ou  de  voire  herbier    Do™.,  i' ^^ 
ordres,  madame,  pour  les  Aines    Ho„i  J,,!      "'™K'^-,  Donnez-moi  vos 

S':rrd';;Tnië'rrst\^^^^^ 

A  M.  Renou,  chez  Mess... 
châlel  n"-.âlg:  :o7:,cé  e    "cœu"; '"carîeti's  ruflimeT'  '  ''™- 

foni  rTpe:,"'"""'  """"""  '^  ""*=''»•  '■'^"<"  --  "»■"«  "on  pr«- 
Lettre  IX. 

Madame  la  duchesse,        ^  "'""■^°'"  '"  ^""P'^'"^'  ^'  "'  ^°ûi  I769. 

tre^don,\'!.^n  °''.'°"'\'"''^'  immédiatement  après  la  réception  de  la  let- 
tre dont  ^ou3  mavez  honoré  le  5. juin  dernier,  m'ont  empêché  de  vou^ 
témoigner  p  us  tôt  ma  joie  ,  tant  pour  la  consevation  de  votre  santé  aue 
pour  le  rétablissement  de  celle  du  cher  fils  dont  vous  éUez  eu  alaîme" 


SUR  LA   BOTANIQUE.  75 

t  ma  gratitude  pour  les  marques  de  souvenir  qu'il  vous  a  plu  m'ac- 
■Jjrder.  Le  second  de  ces  voyages  a  été  fait  à  votre  intention;  et,  voyant 
,.  jsser  la  saison  de  l'herborisation  que  j'avois  en  vue,  j'ai  préféré  dans 
3tte  occasion  le  plaisir  de  vous  servir  à  l'honneur  de  vous  répondre.  Je 
ais  donc  parti  avec  quelques  amateurs  pour  aller  sur  le  mont  Pila,  à 
ouze  ou  quinze  lieues  d'ici,  dans  l'espoir,  madame  la  duchesse,  d'y 
•cuver  quelques  plantes  ou  quelques  graines  qui  méritassent  de  trouver 
lace  dans  votre  herbier  ou  dans  vos  jardins  :  je  n'ai  pas  eu  le  bonheur 
e  remplir  à  mon  gré  mon  attente.  Il  étoit  trop  tard  -pour  les  fleurs  et 
our  les  graines;  la  pluie  et  d'autres  accidens,  nous  ayant  sans  cesse 
jntrariés,  m'ont  fait  faire  un  voyage  aussi  peu  utile  qu'agréable;  et  je 
'ai  presque  rien  rapporté.  Voici  pourtant,  madame  la  duchesse,  une 
ote  des  débris  de  ma  'chétive  collecte.  C'est  une  courte  liste  des  plantes 
ont  j'ai  pu  conserver  quelque  chose  en  nature,  et  j'ai  ajouté  une  étoile 
chacune  de  celles  dont  j'ai  recueilli  quelques  graines,  la  plupart  en 
ien  petite  quantité.  Si  parmi  les  plantes  ou  parmi  les  graines  il  se 
'ouve  quelque  chose  eu  le  tout  qui  puisse  vous  agréer,  daignez,  ma- 
ame,  m'honorer  de  vos  ordres,  et  me  marquer  à  qui  je  pourrois  en- 
oyer  le  paquet,  soit  à  Lyon,  soit  à  Paris,  pour  vous  le  faire  parvenir, 
e  tiens  prêt  le  tout  pour  partir  immédiatement  après  la  réception  de 
otre  note:  mais  je  crains  bien  qu'il  ne  se  trouve  rien  là  digne  d'y  en- 
'er,  et  que  je  ne  continue  d'être  à  votre  égard  un  serviteur  inutile 
lalgré  son  zèle. 

J'ai  la  mortification  de  ne  pouvoir,  quant  à  présent,  vous  envoyer, 
ladamela  duchesse,  de  la  graine  de  gentiana  filiformis ,  la  plante  étant 
'ès-petite,  très-fugitive,  difficile  à  remarquer  pour  les  yeux  qui  ne 
3nt  pas  botanistes,  un  curé,  à  qui  j'avois  compté  m'adresser  pour 
ela,  étanl  mort  dans  l'intervalle,  et  ne  connoissant  personne  dans  le 
ays  à  qui  pouvoir  donner  ma  commission. 

Une  foulure  que  je  me  suis  faite  à  la  main  droite  par  une  chute,  ne 
le  permettant  d'écrire  qu'avec  beaucoup  de  peine ,  me  force  à  finir  cette 
ttre  plus  tôt  que  je  n'aurois  désiré.  Daignez,  madame  la  duchesse, 
gréer  avec  bonté  le  zèle  et  le  profond  respect  de  votre  très-humble  et 
:ès-obéissant  serviteur, 

Herboriste 
Lettre  X. 

A  Monquin,  le  21  décerabre  <769. 
C'est,  madame  la  duchesse,  avec  bien  de  la  honte  et  du  regret  que 
m'acquitte  si  tard  du  petit  envol  que  j'avois  eu  l'honneur  de  vous 
nnoncer ,  et  qui  ne  valoit  assurément  pas  la  peine  d'être  attendu.  Enfin  , 
uisque  mieux  vaut  tard  que  jamais,  je  fis  partir  jeudi  dernier,  pour 
,yon,  une  boîte  à  l'adresse  de  M.  le  chevalier  Lambert,  contenant  les 
lantes  et  graines  dont  je  joins  ici  la  note.  Je  désire  extrêmement  que  le 
Dut  vous  parvienne  en  bon  état;  mais  comme  je  n'ose  espérer  que  li 
oîte  ne  soit  pas  ouverte  en  route ,  et  même  plusieurs  fois ,  je  crains 
Drt  que  ces  herbes,  fragiles  et  déjà  gâtées  par  l'humidité,  ne  vous  ar- 
ivent  absolument  détruites  ou  méconnoissables.  Les  graines  au  moins 
lOurroient,  madame  la  duchesse,   vous  dédommager  des  plantes,  sj 


76  LETTRES 

eJles  étoient  plus  abondantes  ;  mais  vous  pardonnerez  leur  misère  a, 
divers  accidens  qui  ont  là-dessus  contrarié  mes  soins.  Quelques-uns  I 
ces  accidens  ne  laissent  pas  d'être  risibles.  quoiqu'ils  m'aient  don 
bien  du  chagrin.  Par  e.\emple,  les  rats  ont  mangé  sur  ma  table  presq 
toute  la  graine  de  bistorte  que  j'y  avois  étendue  pour  la  faire  sécbe 
et ,  ayant  mis  d'autres  graines  sur  ma  fenêtre  pour  le  même  effet ,  i 
coup  de  vent  a  fait  voler  dans  la  chambre  tous  mes  papiers ,  et  j'ai  é, 
condamné  à  la  pénitence  de  Psyché  ;  mais  il  a  fallu  la  faire  moi-mêm» 
et  les  fourmis  ne  sont  point  venues  m'aider.  Toutes  ces  contrariét 
m'ont  d'autant  plus  fâché,  que  j'aurois  bien  voulu  qu'il  pût  aller  ju; 
qu'à  Callwich  un  peu  du  superflu  de  Bullstrode;  mais  je  tâcherai  d'èti 
mieux  fourni  une  autre  fois;  car,  quoique  les  honnêtes  gens  qui  dispc 
sent  de  moi ,  fâchés  de  me  voir  trouver  des  douceurs  dans  la  botanique 
cherchent  à  me  rebuter  de  cet  innocent  amusement  en  y  versant  1 
poison  de  leurs  viles  âmes,  ils  ne  me  forceront  jamais  à  y  renonce 
volontairement.  Ainsi ,  madame  la  duchesse ,  veuillez  bien  m'honorer  d 
vos  ordres  et  me  faire  mériter  le  titre  que  vous  m'avez  permis  de  pren 
dre;  je  tâcherai  de  suppléer  à  mon  ignorance  à  force  de  zèle  pour  exé 
cuter  vos  commissions. 

Vous  trouverez,  madame,  une  ombellifère  à  laquelle  j'ai  pris  1; 
liberté  de  donner  le  nom  de  seseli  Halleri ,  faute  de  savoir  la  trouvei 
dans  le  Species ,  au  lieu  qu'elle  e.st  bien  décrite  dans  la  dernière  éditioi 
des  Plantes  de  Suisse  de  M.  Haller,  n"  762.  C'est  une  très-belle  plante 
qui  est  plus  belle  encore  en  ce  pays  que  dans  les  contrées  plus  méri- 
dionales, parce  que  les  premières  atteintes  du  froid  lavent  son  vert 
foncé  d'un  beau  pourpre,  et  surtout  la  couronne  de  graines,  car  elle  ne 
fleurit  que  dans  l'arrière-saison  ,  ce  qui  fait  aussi  que  les  graines  ont 
peme  a  mûrir  et  qu'il  est  difficile  d'en  recueillir.  J'ai  cependant  trouvé 
le  moyen  d'en  ramasser  quelques-unes  que  vous  trouverez ,  madame  la 
duchesse,  avec  les  autres.  Vous  aurez  la  bonté  de  les  recommandera 
votre  jardmier;  car,  encore  un  coup,  la  plante  est  belle,  et  si  peu 
commune,  qu'elle  n'a  pas  même  encore  un  nom  parmi  les  botanistes 
Malheureusement  le  spécimen  que  j'ai  l'honneur  de  vous  envoyer  est 
mesquin  et  en  fort  mauvais  état;  mais  les  graines  y  suppléeront 

Je  vous  SUIS  extrêmement  obligé,  madame,  delà  bonté  que  vous  avez 
eue  de  me  donner  des  nouvelles  de  mon  excellent  voisin  M.  Granville 
et  des  témoignages  du  souvenir  de  son  aimable  nièce  miss  Dewes  J'es- 
pere  qu'elle  se  rappelle  assez  les  traits  de  son  vieux  berger  pour  con- 
venir qu'il  ne  ressemble  guère  à  la  figure  de  cyclope  qull  a  plu  à 
M.  Hume  de  faire  graver  sous  mon  nom.  Son  graveur  a  peint  mon 
visage  comme  sa  plume  a  peint  mon  caractère.  Il  n'a  pas  vu  que  la  seule 
chose  que  tout  cela  peint  fidèlement  est  lui-même. 

Je  vous  supplie ,  madame  la  duchesse ,  d'agréer  avec  bonté  mon  pro- 
fond respect.  ^ 

Lettre   XI. 
,  .  A  Paris,  le  <7  avril  1772. 

J  ai  reçu  ,  madame  la  duchesse,  avec  bien  de  la  reconnoissance    et  la 
lettre  dont  vous  m'avez  honoré  le  17  mars,  et  le  nombreux  envoi  de  * 


SUR  LA   BOTANIQUE.  '^7 

^traînes  dont  vous  avez  bien  voulu  enrichir  ma  petite  collection.  Cet 
anvoi  en  fera  de  toutes  manières  la  plus  considérable  partie,  et  réveille 
mon  zèle  pour  la  compléter  autant  -lu'il  se  peut.  Je  suis  bien  sen- 
aussi  à  la  bonté  qu'a  M.  le  docteur  Solander  d'y  vouloir  contribuer 
--■  lour  quelque  chose;  mais  comme  je  n'ai  rien  trouvé,  dans  le  paquet, 
Wui  m'indiquât  ce  qui  pouvoit  venir  de  lui,  je  reste  en  doute  si  le  petit 
•-  lombre  de  graines  ou  fruits  que  vous  me  marquez  qu'il  m'envoie  etoit 
3  oint  au  même  paquet,  ou  s'il  en  a  fait  un  autre  à  part  qui,  cela  sup- 
•1  )ûsé ,  ne  m'est  pas  encore  parvenu. 

Je  vous  remercie  aussi,  madame  la  duchesse,  de  la  bonté  que  vous 
ivez  de  m'apprendre  l'heureux  mariage  de  miss  Dewes  et  de  M.  Spa- 
'ow:  je  m'en  réjouis  de  tout  mon  cœur,  et  pour  elle,  si  bien  faite  pour 
-endre  un  honnête  homme  heureux  et  pour  l'être ,  et  pour  son  digne 
bncle.  que  l'heureux  succès  de  ce  mariage  comblera  de  joie  dans  ses 
vieux  jours.  .,       .  , 

:  Je  suis  bien  sensible  au  souvenir  de  milord  Nuncham:  j  espère  qu  il 
ne  doutera  jamais  de  mes  sentimens,  comme  je  ne  doute  point  de  ses 
bontés.  Je  me  serois  flatté  durant  l'ambassade  de  milord  Harcourt  du 
plaisir  de  le  voir  à  Paris .  mais  on  m'assure  qu'il  n'y  est  point  venu ,  et 
ce  n'est  pas  une  mortification  pour  moi  seul. 

Avez-vous  pu  douter  un  instant,  madame  la  duchesse,  que  je  c'eusse 
reçu  avec  autant  d'empressement  que  de  respect  le  livre  des  Jardins 
anglois  que  vous  avez  bien  voulu  penser  à  m'envoyer?  Quoique  son  plus 
grand  prix  fût  venu  pour  moi  de  la  main  dont  je  l'auro:s  reçu,  je  n'i- 
anore  pas  celui  qu'il  a  par  lui-même,  puisqu'il  est  estime  et  traduit 
dans  ce  pavs  :  et  dailleurs  j'en  dois  aimer  le  sujet ,  ayant  ete  le  premier 
*n  terre  ferme  à  célébrer  et  faire  connoître  ces  mêmes  jardins.  Ma. s 
celui  de  Bullstrode .  où  toutes  les  richesses  de  la  nature  sont  rassem- 
blées et  assorties  avec  autant  de  savoir  que  de  goût ,  menteroit  bien  un 
chantre  particulier. 

Pour  faire  une  diversion  de  mon  goût  à  mes  occupations,  je  me  suis 
proposé  de  faire  des  herbiers  pour  les  naturalistes  et  amateurs  qui  vou- 
dront en  acquérir.  Le  règne  végétal .  le  plus  riant  des  trois .  et  peut-être 
le  plus  riche ,  est  très-négUgé ,  et  presque  oublié  dans  les  cabinets  d  his- 
toire naturelle ,  où  il  devroit  briller  par  préférence.  J'âi  pense  que  de 
petits  herbiers,  bien  choisis  et  faits  avec  soin,  pourroient  favoriser  le 
eoût  de  la  botanique .  et  je  vais  travaiUer  cet  été  à  des  collections  que 
te  mettrai,  j'espère,  en  état  d'être  distribuées  dans  un  an  d'ici  Si  par 
ha'^ard  il  -^e  trouvoit  parmi  vos  connoissances  quelqu'un  qui  voulût  ac- 
auerir  de  pareils  herbiers,  je  les  servirois  de  mon  mieux,  et  je  conti- 
nuerai de  même  s'ils  sont  contens  de  mes  essais.  Mais  je  souhaiterois 
narliculièrement,  madame  la  duchesse,  que  vous  m'honorassiez  quel- 
quefois de  vos  ordres,  et  de  mériter  toujours,  par  des  actes  de  mon 
»«le ,  l'honneur  que  j'ai  de  vous  appartenir. 


•^^  LETTRES 

Lettre  XII. 


T„  j„-  ,  ,      ,  A  Paris,  le  < 9  mai  1772 

Je  dois  madame  la  duchesse,  le  principal  plaisir  que  m'ait  lait 
poème  sur  les  jardms  anglois ,  que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoVe 
a  la  mam  dont  ,1  me  vient.  Car  mon  ignorance  dans  la  langue  an^ois, 
qu,  mempeche  d'en  entendre  ^a  poésie.,  ne  me  laisse  pas  partager 
pla.sir  que  l'on  prend  à  le  lire.  Je  croyois  avoir  eu  Vhonneur  de°vôi 
marquer,  madame,  que  nous  avons  cet  ouvrage  traduit  ici -vous  Iv 
suppose  que  je  préférois  l'original,  et  cela  seroit  très-vrai  si  j'étois  e 
état  de  le  lire  mais  je  n'en  comprends  tout  au  plus  que  les  notes  a, 
ne  sont  pas,  a  ce  qu'il  me  semble,  la  partie  la  plus  intéressante^^ 
1  ouvrage.  Si  mon  etourdene  m'a  fait  oublier  mon  incapacité  j'en  sui 
pun,  par  mes  vains  efforts  pour  la  surmonter.  Ce  qui  n'empêche  pas  ou 
cet  envoi  ne  me  soit  précieux  comme  un  nouveau  témoignage  de  vo 
bontés  et  une  nouvelle  marque  de  votre  souvenir.  Je  vous  supplie  ma 
dame  la  duchesse ,  d'agréer  mon  remercîment  et  mon  respect         ' 

Je  reçois  en  ce  moment,  madame,  la  lettre  que  vous  me  fîtes  l'hon 
neur  de  m  ecnre  l'année  dernière  en  date  du  25  mars  1771  Celui  au 
me  1  envoie  de  Genève  (M.  Moultou)  ne  me  dit  point  les  raisons  de  « 

{^uf  c'qlt  j^e'i  sds.""'"^  ""^^"^"^  ^"''^  ""''  '  P^^  '^  '^  f-^«  '  -Uà 
Lettre  XIII. 

p.    t  .  1     j     ,  Paris,  le  19  juilleH772 

G  est ,  madame  la  duchesse ,  par  un  quiproquo  bien  inexcusable ,  mais 
bien  involontaire ,  que  j'ai  si  tard  l'honneur  de  vous  remercier  des  fruits 
rares  que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer  de  la  part  de  M  le  doc 
teur  Solander ,  et  de  la  lettre  du  24  juin ,  'par  laqueUe  vous !;  z  bîe„ 
voulu  me  donner  avis  de  cet  envoi.  Je  dois  aussi  à  ce  savant  naturaliste 
des  remercîmens,  qui  seront  accueillis  bien  plus  favorablement,  si  vous 
daignez,  madame  la  duchesse,  vous  en  charger,  comme  vous  ^vez 7a" 
1  envoi,  que  venant  directement  d'un  homme  qui  n'a  point  l'honn  u 
d  être  connu  de  lui.  Pour  comble  de  grâce,  vous  voulez  bien  encore  nie 
promettre  les  noms  des  nouveaux  genres  lorsqu'il  leur  en  auia  donné 
ce  qui  suppose  aussi  la  description  du  genre  ;  car  les  noms  dépourvus 
d  Idées  ne  sont  que  des  mots,  qui  servent  moins  à  orner  la  mémoire 
qu  a  la  charger.  A  tant  de  bontés  de  votre  part,  je  ne  puis  vouToZr 
SreobHgé"  "'"'  ''  reconnoissance,  que^e  pllisir  q'ue  j'ai" de  vous 
Ce  n'est  point  sans  un  vrai  déplaisir  que  j'apprends  que  ce  erand 
voyage    sur  lequel  toute  l'Europe  savanïe  avoiMes  yeutn^ufa  pa 
heu.  C  est  une  grande  perte  pour  la  cosmographie ,  pour  la  navSon 
et  pour  l'histoire  naturelle  en  général,  et  c'est,  j'en  suis  très  sïr    un 
chagrin  pour  cet  homme  illustre  que  le  zèle  de  l'instruction  pub  ique 
rendoit  insensible  aux  périls  et  aux  fatigues  dont  l'expérience  l'avnit 
deja  SI  parfaitement  instruit.  Mais  je  vois  chaqu      ou?mieux  quele 

i:iZsSiT.rr  'r  "?"'  ^^  'l-l^P^rès^el-rv^ee'tdV 
jalousie  fait  plus  de  mal  aux  âmes  que  celui  des  lumières    qui  en  est  la 
cause ,  ne  peut  faire  de  bien  aux  esprits.  ^ 


SUR  T-A   «OTANIQUE.  79 

Je  n'ai  certainement  pas  oublié,  madame  la  duchesse,  que  vous  aviez 
désiré  de  la  graine  du  gentiana  fil  if  or  mis  ;  mais  ce  souvenir  n'a  fait 
qu'augmenter  mon  regret  d'avoir  perdu  cette  plante,  sans  me  fournir 
aucun  moyen  de  la  recouvrer.  Sur  le  lieu  même  où  je  la  trouvai ,  qui 
•'est  à  Trye,  je  la  cherchai  vainement  l'année  suivante,  et  soit  que  je 
^n'eusse  pas  bien  retenu  la  place  ou  le  temps  de  sa  florescence ,  soit 
^qu'elle  n'eût  point  grené,  et  qu'elle  ne  se  fût  pas  renouvelée,  il  me  fut 
impossible  d'en  retrouver  le  moindre  vestige.  J'ai  éprouvé  souvent  la 
même  mortification  au  sujet  d'autres  plantes  que  j'ai  trouvées  disparues 
des  lieux  où  auparavant  on  les  rencontroit  abondamment;  par  exemple, 
le  plantago  uniflora,  qui  jadis  bordoit  l'étang  de  Montmorency  et  dont 
j'ai  fait  en  vain  l'année  dernière  la  recherche  avec  de  meilleurs  bota- 
nistes et  qui  avoient  de  meilleurs  yeux  que  moi.  Je  vous  proteste ,  ma- 
dame la  duchesse ,  que  je  ferois  de  tout  mon  cœur  le.  voyage  de  Trye 
pour  y  cueillir  cette  petite  gentiane  et  sa  graine,  et  vous  faire  par- 
venir l'une  et  l'autre,  si  j'avois  le  moindre  espoir  de  succès.  Mais  ne 
l'ayant  pas  trouvée  l'année  suivante  ,  étant  encore  sur  les  lieux  ,  quelle 
apparence  qu'au  bout  de  plusieurs  années,  où  tous  les  renseignemens 
qui  me  restoient  encore  se  sont  effacés,  je  puisse  retrouver  la  trace  de 
cette  petite  et  fugace  plante?  Elle  n'est  point  ici  au  jardin  du  Roi, 
ni,  que  je  sache,  en  aucun  autre  jardin,  et  très-peu  de  gens  même  la 
connoissent.  A  l'égard  du  carthamus  lanatus ,  j'en  joindrai  de  la  graine 
aux  échantillons  d'herbiers  que  j'espère  vous  envoyer  à  la  fin  de  l'hiver. 
J'apprends ,  madame  la  duchesse ,  avec  une  bien  douce  joie ,  le  parfait 
rétablissement  de  mon  ancien  et  bon  voisin  M.  Granville.  Je  suis  très- 
touché  de  la  peine  que  vous  avez  prise  de  m'en  instruire,  et  vous  avez 
par  là  redoublé  le  prix  d'une  si  bonne  nouvelle. 

Je  vous  supplie,  madame  la  duchesse,  d'agréer,  avec  mon  respect, 
mes  vifs  et  vrais  remercîmens  de  toutes  vos  bontés. 

Lettre  XIV. 

A  Paris,  le  22  octobre  1773. 
J'ai  reçu,  dans  son  temps,  la  lettre  dont  m'a  honoré  madame  la  du- 
chesse, le  7  octobre;  quant  à  celle  dont  il  y  est  fait  mention,  écrite 
quinze' jours  auparavant,  je  ne  l'ai  point  reçue  :  la  quantité  de  sottes 
lettres  qui  me  venoient  de  toutes  parts  par  la  poste  me  force  à  re- 
buter toutes  celles  dont  l'écriture  ne  m'est  pas  connue,  et  il  se  peut 
qu'en  mon  absence  la  lettre  de  madame  la  duchesse  n'ait  pas  été  dis- 
tinguée des  autres.  J'irois  la  réclamer  à  la  poste,  si  l'expérience  iie 
m'avoit  appris  que  mes  lettres  disparoissoient  aussitôt  qu'elles  soo.t 
rendues,  et  qu'il  ne  m'est  plus  possible  de  les  ravoir. 

C'est  ainsi  que  j'en  ai  perdu  une  de  M.  Linnaeus  que  je  n'ai  jamais  yu. 
ravoir,  après  avoir  appris  qu'elle  étoit  de  lui,  quoique  j'aie  employé 
pour  cela  le  crédit  d'une  personne  qui  en  a  beaucoup  dans  les  postes. 

Le  témoignage  du  souvenir  de  M.  Granville,  que  madame  la  duchesse 

a  eu  la  bonté  de  me  transmettre ,  m'a  fait  un  plaisir  auquel  rien  n'eût 

manqué  ,  si  j'eusse  appris  en  même  temps  que  sa  santé  étoit  meilleure. 

M    de  Saint-Paul  doit  avoir  fait  passer  à  madame  la  duchesse  deus 


80 


LETïftbS 


échantillons  d'herbiers  portatifs  qui  me  paroissoient  plus  comrrodes  t 
presque  aussi  utiles  que  les  grands.  Si  j'avois  le  bonheur  que  l'un  o 
l  autre ,  ou  tous  les  deux ,  fussent  du  goût  de  madame  la  duchesse  i 
me  ferois  un  vrai  plaisir  de  les  continuer,  et  cela  me  conserveroit  pou 
la  botanique  un  reste  de  goût  presque  éteint,  et  que  je  regrette  J'at 
tends  là-dessus  les  ordres  de  madame  la  duchesse,  et  je  la  supplie  d'à 
gréer  mon  respect. 

Lettre  XV. 

A  Paris,  le  \i  juillet  4  776. 
Le  témoignage  de  souvenir  et  de  bonté  dont  m'honore  madame  la  du- 
chesse de  Portland  est  un  cadeau  bien  précieux  que  je  recois  avec  autant 
de  reconnoissance  que  de  respect.  Quant  à  l'autre  cadeau  qu'elle  m'an- 
nonce ,  je  la  supplie  de  permettre  que  je  ne  l'accepte  pas.  Si  la  ma^mi- 
ficence  en  est  digne  d'elle ,  elle  n'est  proportionnée  ni  à  ma  situation  ni 
a  mes  besoins.  Je  me  suis  défait  de  tous  mes  livres  de  botanique  j'en 
ai  quitté  l'agréable  amusement,  devenu  trop  fatigant  pour  mon  â°-e  Je 
n'ai  pas  un  pouce  de  terre  pour  y  mettre  du  persil  ou  des  œillets  à 
plus  forte  raison  des  plantes  d'Afrique;  et,  dans  ma  plus  grande  passion 
pour  la  botanique,  content  du  foin  que  je  trouvois  sous  mes  pas  je 
n'eus  jamais  de  goût  pour  les  plantes  étrangères  qu'on  ne  trouve  parmi 
nous  qu'en  exil  et  dénaturées  dans  les  jardins  des  curieux.  Celles  que 
veut  bien  m'envoyer  madame  la  duchesse  seroient  donc  perdues  entre 
mes  mains;  il  en  seroit  de  même  et  par  la  même  raison  de  ÏHerbarium 
amhomense ,  et  cette  perte  seroit  regrettable  à  proportion  du  prix  de  ce 
livre  et  de  l'envoi.  Voilà  la  raison  qui  m'empêche  d'accepter  ce  superbe 
cadeau  ,  si  toutefois  ce  n'est  pas  l'accepter  que  d'en  garder  le  souvenir 
et  la  reconnoissance ,  en  désirant  qu'il  soit  employé  plus  utilement 

Je  supplie  très-humblement  madame  la  duchesse  d'agréer  mon  pro- 
fond respect. 

On  vient  de  m'envoyer  la  caisse;  et,  quoique  j'eusse  extrêmement 
désire  d  en  retirer  la  lettre  de  madame  la  duchesse,  il  m'a  paru  plus 
convenable ,  puisque  j'avois  à  la  rendre ,  de  la  renvoyer  sans  l'ouvrir 


LETTRE  A  M.  DU  PEYROU. 

^0  octobre  1764. 

Traité  historique  des  plantes  qui  croissent  dans  la  Lorraine  et  le 
Trois-Évêchés ,  parjl.  P.  J.  Buç'hoz,  avocat  au  parlement  de  Metz 
docteur  en  médecine .  etc.  ' 

Cet  ouvrage,  dont  deux  volumes  ont  déjà  paru,  en  aura  vin^-t  in-8 
avec  des  planches  gravées.  °  ' 

J'en  étois  ici ,  monsieur ,  quand  j'ai  reçu  votre  docte  lettre  •  je  suis 
charme  de  vos  progrès.  Je  vous  exhorte  à  continuer;  vous  serez  notre 
maître,  et  vous  aurez  tout  l'honneur  de  notre  futur  savoir.  Je  vous 
conseille  pourtant  de  consulter  M.  Marais  sur  les  noms  des  plantes 
plus  que  sur  leur  étymologie;  car  asphodelos ,  et  non  pas  asphodeilos' 
na  pour  racine  aucun  mot  qui  signifie  ni  mort  ni  herhe,  mais  tout  aii 


sua  LA  BOTANIQUE.  Ol 

plus  un  verLe  qui  signifie  je  tue,  parce  quelles  pétales  de  l'asphoJèla 
ont  quelque  ressemblance  à  des  fers  de  pique.  Au  reste,  j'ai  connu  des 
asphodèles  qui  avoient  de  longues  tiges  et  des  feuilles  semblables  à 
celles  des  lis.  Peut-être  faut-il  dire  correctement  du  genre  des  aspho- 
dèles. La  plante  aquatique  est  bien  nénufar,  autrement  jvjmphc-ea, 
comme  je  disois.  Il  faut  redresser  ma  faute  sur  le  calament,  qui  ne 
s'appelle  pas  en  latin  calamentum,  mais  calamintha, ,  comme  qui  diroit 
belle  menthe. 

Le  temps  ni  mon  état  présent  ne  m'en  laissent  pas  dire  davantage. 
Puisque  mon  silence  doit  parler  pour  moi ,  vous  savez ,  monsieur,  com- 
bien j'ai  à  me  taire. 


LETTRE  A  M.  LIOTARD,   LE  NEVEU, 

HERBORISTE   A    GRENOBLE. 

Bourgoin,  le  7  novembre (768. 
J'ai  reçu,  monsieur,  les  deux  lettres  que  vous  m'avez  fait  l'amitié  de 
m'écrire.  Je  n'ai  point  fait  de  réponse  à  la  première,  parce  qu'elle  étoit 
une  réponse  elle-même,  et  qu'elle  n'en  exigeoit  pas.  Je  vous  envoie  ci- 
joint  le  catalogue  qui  étoit  avec  la  seconde,  et  sur  lequel  j'ai  marqué 
les  plantes  que  je  serois  bien  aise  d'avoir.  Les  dénominations  de  plu- 
sieurs d'entre  elles  ne  sont  pas  exactes,  ou  du  moins  ne  sont  pas  dans 
mon  Speci'es  de  l'édition  de  1762.  'Vous  m'obligerez  de  vouloir  bien  les 
y  rapporter,  avec  le  secours  de  M.  Clappier,  que  je  remercie  et  que  je 
salue.  J'accepte  l'ofl're  de  quelques  mousses  que  vous  voulez  bien  y 
joindre ,  pourvu  que  vous  ayez  la  bonté  d'y  mettre  aussi  très-exacte- 
ment les  noms  ;  car  je  serois  peut-être  fort  embarrassé  pour  les  déter- 
miner sans  le  secours  de  mon  Dillenius ,  que  je  n'ai  plus.  A  l'égard  du 
prix,  je  le  réglerois  de  bon  cœur  si  je  pouvois  n'écouter  que  la  libéralité 
que  j'y  voudrois  mettre;  mais,  ma  situation  me  forçant  de  me  borner 
en  toutes  choses  aux  prix  communs,  je  vous  prie  de  vouloir  bien  régler 
celui-là  de  façon  que  vous  y  trouviez  honnêtement  votre  compte,  sans 
oublier  de  joindre  à  celte  note  celle  des  ports ,  et  autres  menus  frais 
qui  doivent  vous  être  remboursés;  et,  comme  je  n'ai  aucune  corres- 
pondance à  Grenoble,  je  vous  enverrai  le  montant  par  le  courrier,  à 
moins  que  vous  ne  m'indiquiez  quelque  autre  voie.  L'offre  de  venir 
vous-même  est  obligeante;  mais  je  ne  l'accepte  pas,  attendu  que  je  n'en 
pourrois  profiter,  qu'il  ne  fait  plus  le  temps  d'herboriser,  et  que  je  ne 
suis  pas  en  état  de  sortir  pour  cela.  Portez-vous  bien  ,  mon  cher  mon- 
sieur Liotard  ;  je  vous  salue  de  tout  mon  cœur, 

Renou. 

Pourriez-vous  me  dire  si  le  pistacia  terebinthus  et  Vosiris  alba 
croissent  auprès  de  Grenoble  ?  Je  crois  avoir  trouvé  l'un  et  l'autre  au- 
dessus  de  la  Bastille' ,  mais  je  n'en  suis  pas  sûr. 

i.  Montagne  auprès  de  laquelle  Grenoble  est  située.  (Éd.) 

RoLSSEAD  vi:  fi 


82  LETTRES 

LETTRES  ADRESSÉES  A  M.  DE  LA  TOURETTE, 

CONSEILLER   EN   LA    COUR   DES  MONNOIES   DE   LYO». 

Lettre   I. 

A  Monquin,  le  \'~G0  '. 

J'ai  différé,  monsieur,  de  quelques  jours  à  vous  accuser  la  réceptio» 
du  livre  que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer  de  la  part  de  M.  Gouan  ^ 
et  à  vous  remercier,  pour  me  débarrasser  auparavant  d'un  envoi  que 
j'avois  à  faire ,  et  me  ménager  le  plaisir  de  m'entretenir  un  peu  plus 
longtemps  avec  vous. 

Je  ne  suis  pas  surpris  que  vous  soyez  revenu  d'Italie  plus  satisfait  de 
la  nature  que  des  hommes;  c'est  ce  qui  arrive  généralement  aux  bons 
observateurs,  même  dans  les  climats  où  elle  est  moins  belle.  Je  sais 
qu'on  trouve  peu  de  penseurs  dans  ce  pays-là  :  mais  je  ne  conviendrois 
pas  tout  à  fait  qu'on  n'y  trouve  à  satisfaire  que  les  yeux,  j'y  voudrois 
ajouter  les  oreilles.  Au  reste,  quand  j'appris  votre  voyage,  je  craignis, 
monsieur,  que  les  autres  parties  de  l'histoire  naturelle  ne  fissent  quel- 
que tort  à  la  botanique,  et  que  vous  ne  rapportassiez  de  ce  pays-là 
plus  de  raretés  pour  votre  cabinet  que  de  plantes  pour  votre  herbier. 
Je  présume,  au  ton  de  votre  lettre,  que  je  ne  me  suis  pas  beaucoup 
trompé.  Ah  !  monsieur,  vous  feriez  grand  tort  à  la  botanique  de  l'aban- 
donner, après  lui  avoir  si  bien  montré,  par  le  bien  que  vous  lui  avez.; 
déjà  fait,  celui  que  vous  pouvez  encore  lui  faire. 

Vous  me  faites  bien  sentir  et  déplorer  ma  misère,  en  me  demandant, 
compte  de  mon  herborisation  de  Pila.  J'y  allai  dans  une  mauvaise 
saison ,  par  un  très-mauvais  temps ,  comme  vous  savez ,  avec  de  très- 
mauvais  yeux,  et  avec  des  compagnons  de  voyage  encore  plus  ignorans 
que  moi,  et  privé  par  conséquent  de  la  ressource  pour  y  suppléer  que 
j'avois  à  la  grande  Chartreuse.  J'ajouterai  qu'il  n'y  a  point,  selon  moi,. 
de  comparaison  à  faire  entre  les  deux  herborisations ,  et  que  celle  de 
Pila  me  paroît  aussi  pauvre  que  celle  de  la  Chartreuse  est  abondanfe  et 
riche.  Je  n'aperçus  pas  une  aslrantia ,  pas  une  pirola ,  pas  une  solda- 
nelle,pas  une  ombellifère,  excepté  le  meum;  pas  une  saxifrage,  pas 
une  gentiane,  pas  une  légumineuse,  pas  une  belle  didyname,  excepté 
la  mélisse  à  grandes  fleurs.  J'avoue  aussi  que  nous  errions  sans  guides, 
et  sans  savoir  où  chercher  les  places  riches,  et  je  ne  suis  pas  étonné 
qvi'avec  tous  les  avantages  qui  me  manquoient,  vous  ayez  trouvé  dans 
cette  triste  et  vilaine  montagne  des  richesses  que  je  n'y  ai  pas  vues. 
Quoi  qu'il  en  soit,  je  vous  envoie,  monsieur,  la  courte  liste  de  ce  que 
j'y  ai  vu ,  plutôt  que  de  ce  que  j'en  ai  rapporté  ;  car  la  pluie  et  ma  mala- 
dresse ont  fait  que  presque  tout  ce  que  j'avois  recueilli  s'est  trouvé 
gâté  et  pourri  à  mon  arrivée  ici.  Il  n'y  a  dans  tout  cela  que  deux  ou 
trois  plantes  qui  m'aient  fait  un  grand  plaisir.  Je  mets  à  leur  tète  le 

4 .  Pour  l'explicalion  de  celle  manière  de  dater,  comme  pour  connoUre  le 
mclir  (lu  quatrain  placé  en  lêtc  de  chacune  des  lettres  qui  vonl  suivre,  voyc» 
dans  la  Correspondance  la  noie  qui  se  rapporte  ;V  la  leilre  à  l'abbé.  M.***,  dus 
9  février  1770.  (Ed.) 


SUR  LA  BOTANIQUE.  83 

Sonchus  alpims,  plante  de  cinq  pieds  de  haut,  dont  le  feuillage  et  le 
port  sont  admirables,  et  à  qui  ses  grandes  et  belles  fieurs  bleues  don- 
nent un  éclat  qui  la  rendroit  digne  d'entrer  dans  votre  jardin.  J  aurois 
voulu,  pour  tout  au  monde,  en  avoir  des  graines:  mais  cela  ne  me  fut 
pas  possible,  le  seul  pied  que  nous  trouvâmes  étant  tout  nouvellement 
en  fleurs;  et,  vu  la  grandeur  de  la  plante,  et  qu'elle  est  extrêmement 
aqueuse,  à  peine  en  ai-je  pu  conserver  quelques  débris  à  demi  pourris. 
Comme  j'ai  trouvé  en  route  quelques  autres  plantes  assez  jolies,  j'en  ai 
ajouté  séparément  la  note,  pour  ne  pas  la  confondre  avec  ce  que  j'ai 
trouvé  sur  la  montagne.  Quant  à  la  désignation  particulière  des  lieux, 
il  m'est  impossible  de  vous  la  donner:  car,  outre  la  difficulté  de  la  faire 
intelligiblement ,  je  ne  m'en  ressouviens  p  is  moi-même  :  ma  mauvaise 
vue  et^'mon  étourderie  font  que  je  ne  sais  presque  Jamais  où  je  suis;  je 
ne  puis  venir  à  bout  de  m'orienter,  et  je  me  perds  à  chaque  instant 
quand  je  suis  seul ,  sitôt  que  je  perds  mon  renseignement  de  vue. 

Vous  souvenez-vous,  monsieur,  d'un  petit  souchet  que  nous  trou- 
vâmes en  assez  grande  abondance  auprès  de  la  grande  Chartreuse,  et 
que  je  crus  d'abord  être  le  cyperus  fuscus ,  Lin.?  Ce  n'est  point  lui,  et 
il  n'en  est  fait  aucune  mention,  que  je  sache,  ni  dans  le  Species ,  ni 
dans  aucun  auteur  de  botanique,  hors  le  seul  Michelius ,  dont  voici  la 
phrase  :  Cyperus  radiée  repente,  odora,  locustis  unciam  longis  et 
Uneam  îatis  (lab.  31 .  f.  1).  Si  vous  avez,  monsieur,  quelque  renseigne- 
ment plus  précis  ou  plus  sûr  dudit  souchet,  je  vous  serois  très-oblige 
de  vouloir  bien  m'en  faire  part. 

La  botanique  devient  un  tracas  si  embarrassant  et  si  dispendieux 
quand  on  s'en  occupe  avec  autant  de  passion  ,  que ,  pour  y  mettre  de  la 
réforme .  je  suis  tenté  de  me  défaire  de  mes  livres  de  plantes.  La  no- 
menclature et  la  synonymie  forment  une  étude  immense  et  pénible  ; 
quand  on  ne  veut  qu'observer,  s'instruire,  et  s'amuser  entre  la  nature 
et  soi.  l'on  n'a  pas  besoin  de  tant  de  livres.  Il  en  faut  peut  être  pour 
prendre  quelque  idée  du  système  végétal,  et  apprendre  à  observer; 
mais,  quand  une  fois  on  aies  yeux  ouverts,  quelque  ignorant  d'ailleurs 
qu'on  puisse  être .  on  n'a  plus  besoin  de  livres  pour  voir  et  admirer 
sans  cesse.  Pour  moi ,  du  moins,  en  qui  l'opiniâtreté  a  mal  suppléé  à  la 
mémoire,  et  qui  n'ai  fait  que  bien  peu  de  progrès,  je  sens  néanmoins 
qu'avec  les  gramens  d'une  cour  ou  d'un  pré  j'aurois  de  quoi  m'occuper 
tout  le  reste  de  ma  vie,  sans  jamais  m'ennuyer  un  moment.  Pardon, 
monsieur ,  de  tout  ce  long  bavardage.  Le  sujet  fera  mon  excuse  auprès 
de  vous.  Agréez ,  je  vous  supplie,  mes  très-humbles  salutations. 

Lettre  IL 

Monquin,  le  il^lO. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  1 
Ciel ,  démasque  les  imposteurs , 
Et  force  leurs  barbares  cœurs 
A  s'ouvrir  aux  regards  des  hommes. 
C'en  est  fait,  monsieur,  pour  moi  de  la  botanique:  il  n'en  est  plus 
question  quant  à  présent,  et  il  y  a  peu  d'apparence  que  je  sois  dans  le 


84  LETTRES 

cas  d'y  revenir.  D'ailleurs  je  vieillis,  je  ne  suis  plus  ingambe  pour  her- 
boriser; et  des  incommodités  qui  m'avoient  laissé  d'assez  longs  relâches 
menacent  de  me  faire  payer  cette  trêve.  C'est  bien  assez  désormais 
pour  mes  forces  des  courses  de  nécessité  ;  je  dois  renoncer  à  celles 
d'agrément ,  ou  les  borner  à  des  promenades  qui  ne  satisfont  pas  l'avi- 
dité d'un  botanophile.  Mais,  en  renonçant  à  une  élude  charmante,  qui 
pour  moi  s'étoit  transformée  en  passion,  je  ne  renonce  pas  aux  avan- 
tages qirelle  m'a  procurés,  et  surtout,  monsieur,  à  cultiver  votre  con- 
noissance  et  vos  bontés  .  dont  j'espère  aller  dans  peu  vous  remercier  en 
personne.  C'est  à  vous  qu'il  faut  renvoyer  toutes  les  exhortations  que 
vous  me  faites  sur  l'entreprise  d'un  dictionnaire  de  botanique,  dont  il 
est  étonnant  que  ceux  qui  cultivent  cette  science  sentent  si  peu  la  né- 
cessité. Votre  âge,  monsieur,  vos  talens,  vos  connoissances,  vous  don- 
nent les  moyens  de  former,  diriger  et  exécuter  supérieurement  cette 
entreprise  ;  et  les  applaudissemens  avec  lesquels  vos  premiers  essais  ont 
été  reçus  du  public  vous  sont  garans  de  ceux  avec  lesquels  il  accueille- 
roit  un  travail  plus  considérable.  Pour  moi,  qui  ne  suis  dans  celte 
étud€,  ainsi  que  dans  beaucoup  d'autres,  qu'un  écolier  radoteur,  j'ai 
songé  plutôt,  en  herborisant,  à  me  distraire  et  m'arauser  qu'à  m'in- 
struire,  et  n'ai  point  eu,  dans  mes  observations  tardives  .'la  sotte  idée 
d'enseigner  au  public  ce  que  je  ne  savois  pas  moi-même.  Monsieur,  j'ai 
vécu  quarante  ans  heureux  sans  faire  des  livres;  je  me  suis  laissé  en- 
traîner dans  cette  carrière  tard  et  malgré  moi  :  j'en  suis  sorti  de  bonne 
heure.  Si  je  ne  retrouve  pas,  après  l'avoir  quittée,  le  bonheur  dont  je  jouis- 
sois  avant  d'y  entrer,  je  retrouve  au  moins  assez  de  bon  sens  pour  sentir 
que  je  n'y  étois  pas  propre,  et  pour  perdre  à  jamais  la  tentation  d'y  rentrer. 

J'avoue  pourtant  que  les  difficultés  que  j'ai  trouvées  dans  l'étude  des 
plantes  m'ont  donné  quelques  idées  sur  le  moyen  de  la  faciliter  et  de  la 
rendre  utile  aux  autres,  en  suivant  le  fil  du  système  végétal  par  une 
méthode  plus  graduelle  et  moins  abstraite  que  celle  de  Tournefort  et  de 
tous  ses  successeurs,  sans  en  excepter  Linnœus  lui-même.  Peut-être 
mon  idée  est-elle  impraticable.  Nous  en  causerons,  si  vous  voulez, 
quand  j'aurai  l'honneur  de  vous  voir.  Si  vous  la  trouviez  digne  d'être 
adoptée,  et  qu'elle  vous  tentât  d'entreprendre  sur  ce  plan  des  institu- 
tions botaniques,  je  croirois  avoir  beaucoup  plus  fait  en  vous  excitant 
à  ce  travail,  que  si  je  l'avois  entrepris  moi-même. 

Je  vous  dois  des  remercîmens,  monsieur,  pour  les  plantes  que  vous 
avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer  dans  votre  lettre ,  et  bien  plus  encore 
pour  les  éclaircissemens  dont  vous  les  avez  accompagnées.  Le  papyrus 
m'a  fait  grand  plaisir,  et  je  l'ai  mis  bien  précieusement  dans  mon  her- 
bier. Votre  antirrhinum  purpureum  m'a  bien  prouvé  que  le  mien 
n'étoit  pas  le  vrai,  quoiqu'il  y  ressemble  beaucoup;  je  penche  à  croire 
avec  vous  que  c'est  une  variété  de  Yarvense  ;  et  je  vous  avoue  que  j'en 
trouve  plusieurs  dans  le  Species,  dont  les  phrases  ne  suffisent  point 
pour  me  donner  des  différences  spécifiques  bien  claires.  Voilà,  ce  me 
semble ,  un  défaut  que  n'auroit  jamais  la  méthode  que  j'imagine,  parce 
qu'on  auroit  toujours  un  objet  fixe  et  réel  de  comparaison,  sur  lequel 
on  pourroit  aisément  assigner  les  difl'érences. 


SUR  LA  BOTANIQUE.  B5 

Parmi  les  plantes  dont  je  vous  ai  précédemment  envoyé  la  liste .  j'en 
ai  omis  une  dont  Linnœus  n'a  pas  marqué  la  patrie,  et  que  j'ai  irouvée 
à  Pila;  c'est  le  rubia  peregrina  :  je  ne  sais  si  vous  l'avez  aussi  remar- 
quée: elle  n'est  pas  absolument  rare  dans  la  Savoie  et  dans  le  Dauphiné. 

Je  suis  ici  dans  un  grand  embarras  pour  le  transport  de  mou  bagage , 
consistant ,  en  grande  partie ,  dans  un  attirail  de  botanique.  J'ai  surtout . 
dans  des  papiers  épars,  un  grand  nombre  de  plaates  sèches  en  assez 
mauvais  ordre,  et  communes  pour  la  plupart,  mais  dont  cependant 
quelques-unes  sont  plus  curieuses  :  mais  je  n'ai  ni  le  temps  ni  le  cou- 
raee  de  les  trier,  puisque  ce  travail  me  devient  désormais  inutile.  Avant 
de^jeter  au  feu  tout  ce  fatras  de  paperasses ,  jai  voulu  prendre  la  liberté 
de  vous  en  parler  à  tout  hasard  :  et  si  vous  eti.'Z  tenté  de  parcourir  ce 
foin .  qui  véritablement  n'en  vaut  pas  la  peine ,  j'en  pourrois  faire  une 
liasse  qui  vous  parviendroit  par  M.  Pasquet;  car.  pour  moi,  je  ne  sais 
comment  emporter  tout  cela,  ni  qu'en  faire.  Je  crois  me  rappeler,  par 
exemple,  qu'il  s'y  trouve  quelques  fougères,  entre  autres  le  polypo- 
dium  fragrans.  que  j'ai  herborisées  en  Angleterre,  et  qui  ne  sont  pas 
communes  partout.  Si  même  la  revue  de  mon  herbier  et  de  mes  livres 
de  botanique  pouvoit  vous  amuser  quelques  momens ,  le  tout  pourroit 
être  déposé  chez  vous,  et  vous  le  visiteriez  à  votre  aise.  Je  ne  doute 
pas  que  vous  n'ayez  la  plupart  de  mes  livres.  Il  peut  cependant  s'en 
trouver  d'anglois.  comme  Parkinson,  et  le  Gérard  émaculé,  que  peut- 
être  n'avez-vous  pas.  Le  Valerius  Cordus  est  assez  rare  ;  j'avois  aussi 
Tragus .  mais  je  l'ai  donné  à  M.  Clappier. 

Je  suis  surpris  de  n'avoir  aucune  nouvelle  de  M.  Gouan ,  à  qui  j'ai 
envoyé  les  carex  '  de  ce  pays  qu'il  paroissoit  désirer,  et  quelques  autres 
petites  plantes,  le  tout  à  l'adresse  de  M.  de  Saint-Priest ,  qu'il  m'avoit 
donnée.  Peut-être  le  paquet  ne  lui  est-il  pas  parvenu  :  c'est  ce  que  je 
ne  saurois  vérifier,  vu  que  jamais  un  seul  mot  de  vérité  ne  pénètre  à 
travers  l'édifice  de  ténèbres  qu'on  a  pris  soin  d'élever  autour  de  moi. 
Heureusement  les  ouvrages  des  hommes  sont  périssables  comme  eux , 
mais  la  vérité  est  éternelle  :  post  tenebras  lux. 
Agréez ,  monsieur ,  je  vous  supplie ,  mes  plus  sincères  salutations. 

Lettre  IIL 

Monquin,  le  4  7^70. 

Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  !  etc. 

Ne  faites ,  monsieur ,  aucune  attention  à  Li  bizarrerie  de  ma  date-, 
c'est  une  formule  générale  qui  n'a  nul  trait  à  ceux  à  qui  j'écris .  mais 
seulement  aux  honnêtes  gens  qui  disposent  de  moi  avec  autant  d'équité 
que  de  bonté.  C'est,  pour  ceux  qui  se  laissent  séduire  par  la  puissance  et 
tromper  par  l'imposture,  un  avis  qui  les  rendra  plus  inexcusables,  si, 
jugeant  sur  des  choses  que  tout  devroit  leur  rendre  suspectes,  ils  s'ob- 
stinent à  se  refuser  aux  moyens  que  prescrit  la  justice  pour  s'assurer  de 
la  vérité. 

4 .  Je  me  souviens  d'avoir  mis  par  mégarde  un  nom  pour  un  autre  :  carex 
vulpina,  pour  carex  leporina. 


86  LETTRES 

C'est  avec  regret  que  je  vois  reculer,  par  mon  état  et  par  la  mauvaise 
saison,  le  moment  de  me  rapprocher  de  vous.  J'espère  cependant  ne 
pas  tarder  beaucoup  encore.  Si  j'avois  quelques  graines  qui  valussent 
la  peine  de  vous  être  présentées,  je  prendrois  le  parti  de  vous  les  en- 
voyer d'avance,  pour  ne  pas  laisser  passer  le  temps  de  les  semer;  mais 
j'avois  fort  peu  de  chose,  et  je  le  joignis  avec  des  plantes  de  Pila,  dans 
xm  envoi  que  je  fis  il  y  a  quelques  mois  à  Mme  la  duchesse  de  Portland , 
et  qui  n'a  pas  été  plus  heureux ,  selon  toute  apparence ,  que  celui  que 
j'ai  fait  à  M.  Gouan,  puisque  je  n'ai  aucune  nouvelle  ni  de  l'un  ni  de 
l'autre.  Comme  celui  de  Mme  de  Portland  étoit  plus  considérable,  et 
que  j'y  avois  mis  plus  de  soin  et  de  temps,  je  le  regrette  davantage; 
mais  il  faut  bien  que  j'apprenne  à  me  consoler  de  tout.  J'ai  pourtant 
encore  quelques  graines  d'un  fort  beau  seseli  de  ce  pays,  que  j'appelle 
seseli  Ualleri,  parce  que  je  ne  le  trouve  pas  dans  Linnxus.  J'en  ai  aussi 
d'une  plante  d'Amérique ,  que  j'ai  fait  semer  dans  ce  pays  avec  d'autres 
graines  qu'on  m'avoit  données,  et  qui  seule  a  réussi.  Elle  s'appelle 
gombaut  dans  les  îles,  et  j'ai  trouvé  que  c'étoit  ïhibiscus  esculentus; 
il  a  bien  levé ,  bien  fleuri  ;  et  j'en  ai  tiré  d'une  capsule  quelques  graines 
bien  mûres,  que  je  vous  porterai  avec  le  seseli ,  si  vous  ne  les  avez  i  as. 
Comme  l'une  de  ces  plantes  est  des  pays  chauds,  et  que  l'autre  grène 
fort  tard  dans  nos  campagnes,  je  présume  que  -rien  ne  presse  pour  les 
mettre  en  terre ,  sans  quoi  je  prendrois  le  parti  de  vous  les  envoyer. 

Votre  galium  rotundifolium ,  monsieur,  est  bien  lui-même  à  mon 
avis,  quoiqu'il  doive  avoir  la  fleur  blanche,  et  que  le  vôtre  l'ait  flave; 
mais  comme  il  arrive  à  beaucoup  de  fleurs  blanches  de  jaunir  en  sé- 
chant ,  je  pense  que  les  siennes  sont  dans  le  même  cas.  Ce  n'est  point  du 
tout  mon  rubia  peregrina ,  plante  beaucoup  plus  grande,  plus  rigide, 
plus  âpre,  et  de  la  consistance  tout  au  moins  de  la  garance  ordinaire, 
outre  que  je  suis  certain  d'y  avoir  vu  des  baies  que  n'a  pas  votre  ga- 
lium, et  qui  sont  le  caractère  générique  des  rubia.  Cependant  je  suis, 
je  vous  l'avoue,  hors  d'état  de  vous  en  envoyer  un  échantillon.  Voici, 
là-dessus,  mon  histoire. 

J'avois  souvent  vu  en  Savoie  et  en  Dauphiné  la  garance  sauvage ,  et 
j'en  avois  pris  quelques  échantillons.  L'année  dernière,  à  Pila,  j'en  vis 
encore  ;  mais  elle  me  parut  différente  des  autres ,  et  il  me  semble  que 
j'en  mis  un  spécimen  dans  mon  portefeuille.  Depuis  mon  retour,  li- 
sant, par  hasard,  dans  l'article  rubia  peregrina,  que  sa  feuille  n'avoit  • 
point  de  nervure  en  dessus,  je  me  rappelai  ou  crus  me  rappeler  que 
mon  rubia  de  Pila  n'en  avoit  point  non  plus;  de  là  je  conclus  que 
c'étoit  le  rubia  peregrina.  En  m'échauffant  sur  cette  idée ,  je  vins  à 
conclure  la  même  chose  des  autres  garances  que  j'avois  trouvées  dans  ; 
ces  pays,  parce  qu'elles  n'avoient  d'crdinaire  que  quatre  feuilles;  pour 
que  cette  conclusion  fût  raisonnable ,  il  auroit  fallu  chercher  les  plantes 
et  vérifier;  voilà  ce  que  ma  paresse  ne  me  permit  point  de  faire,  vu  le 
désordre  de  mes  paperasses,  et  le  temps  qu'il  auroit  fallu  mettre  à  cette 
recherche.  Depuis  la  réception,  monsieur,  de  votre  lettre,  j'ai  mis 
plus  de  huit  jours  à  feuilleté.''  tous  mes  livres  et  papiers  l'un  après 
l'autre,  sans  pouvoir  retrouver  ma  plante  de  Pila,  que  j'ai  peut-êtro  V 


I  SUR  LA  BOTANIQUE.  87 

■Jetée  avec  tout  ce  qui  est  arrivé  pourri.  J'en  ai  retrouvé  quelques-unes 
des  autres;  mais  j'ai  eu  la  mortification  d'y  trouver  la  nervure  bien 
marquée,  qui  m'a  désabusé,  du  moins  sur  celles-là.  Cependant  ma  mé- 
moire, qui  me  trompe  si  souvent,  me  retrace  si  bien  celle  de  Pila, 
■que  j'ai  peine  encore  à  en  démordre,  et  je  ne  désespère  pas  qu'elle  ne 
se  retrouve  dans  mes  papiers  ou  dans  mes  livres.  Quoi  qu'il  en  soit, 
figurez-vous  dans  l'échantillon  ci-joint  les  feuilles  un  peu  plus  larges 
•et  sans  nervure;  voilà  ma  plante  de  Pila. 

Quelqu'un  de  ma  connoissance  a  souhaité  d'acquérir  mes  livres  de 
botanique  en  entier,  et  me  demande  même  la  préférence  ;  ainsi  je  ne  me 
prévaudrai  point  sur  cet  article  de  vos  obligeantes  offres.  Quant  au 
fourrage  épars  dans  des  chiffons ,  puisque  vous  ne  dédaignez  pas  de  le 
parcourir,  je  le  ferai  remettre  à  M.  Pasquet;  mais  il  faut  auparavant 
que  je  feuillette  et  vide  mes  livres ,  dans  lesquels  j'ai  la  mauvaise  habi- 
tude de  fourrer,  en  arrivant,  les  plantes  que  j'apporte,  parce  que  cela 
€st  plus  tôt  fait.  J'ai  trouvé  le  secret  de  gâter,  de  cette  façon,  presque 
tous  mes  livres ,  et  de  perdre  presque  toutes  mes  plantes ,  parce  qu'elles 
tombent  et  se  brisent  sans  que  j'y  fasse  attention,  tandis  que  je  feuil- 
lette et  parcours  le  livre  ,  uniquement  occupé  de  ce  que  j'y  cherche. 

Je  vous  prie,  monsieur,  de  l'aire  agréer  mes  remercîmens  et  saluta- 
tions à  M.  votre  frère.  Persuadé  de  ses  bontés  et  des  vôtres,  je  me  pré- 
vaudrai volontiers  de  vos  offres  dans  l'occasion.  Je  finis,  sans  façon, 
«n  vous  saluant,  monsieur,  de  tout  mon  cœur. 

Lettre  IV. 

Monquin,  le  n^lO. 

Pauvres  aveugles  que  nous  sommes!  etc. 

Voici,  monsieur,  mes  misérables  herbaiUes,  où  j'ai  bien  peur  que 
TOUS  ne  trouviez  rien  qui  mérite  d'être  ramassé,  si  ce  n'est  des 
plantes  que  vous  m'avez  données  vous-même,  dont  j'avois  quelques- 
unes  à  double,  et  dont  après  en  avoir  mis  plusieurs  dans  mon  herbier, 
je  n'ai  pas  eu  le  temps  de  tirer  le  même  parti  des  autres.  Tout  l'usage 
que  je  vous  conseille  d'en  faire  est  de  mettre  le  tout  au  feu.  Cependant, 
si  vous  avez  la  patience  de  feuilleter  ce  fatras,  vous  y  trouverez,  je 
crois,  quelques  plantes  qu'un  officier  obligeant  a  eu  la  bonté  de  m'ap- 
porter  de  Corse ,  et  que  je  ne  connois  pas. 

Voici  aussi  quelques  graines  du  seseli  Halleri.  Il  y  en  a  peu,  et  je  ne 
l'ai  recueilli  qu'avec  beaucoup  de  peine ,  parce  qu'il  grène  fort  tard  et 
"mûrit  difficilement  en  ce  pays  :  mais  il  y  devient,  en  revanche,  une 
très-belle  plante,  tant  par  son  beau  port  que  par  la  teinte  de  pourpre 
que  les  premières  atteintes  du  froid  donnent  à  ses  ombelles  et  à  ses 
tiges.  Je  hasarde  aussi  d'y  joindre  quelques  graines  de  gombaut ,  quoi- 
que vous  ne  m'en  ayez  rien  dit,  et  que  peut-êlre  vous  l'ayez  ou  ne  vous 
en  souciiez  pas,  et  quelques  graines  de  V hep tapliy lion .  qu'on  ne  s'avise 
guère  de  ramasser,  et  qui  peut-être  ne  lève  pas  dans  les  jardins,  car 
je  ne  me  souviens  pas  d'y  en  avoir  jamais  vu. 

Pardon,  monsieur,  de  la  hâte  extrême  avec  laquelle  je  vous  écris 


^^  LETTRES 

peuvent  vous   convenir     et  sH a  que  eur^e'uî  ?^^^^  '^^"^^  ^^' 

som  de  vous  les  procurer.  Je  ne  d\3e  pas  m'u/tZie;  r"' 
vous  assure,  que  de  cultiver  vos  bontés-  et  si  iamaU  fp^if  l'  •"' 
d'être  un  peu  mieux  connu  de  vous  que  de  M  •**  Tu  d  t  !'  ?""^'''' 
conno  tre.  j'espère  que  vous  ne  m'en\  ouverez  pàs^Lline  Te";  ""' 
salue  de  tout  mon  cœur  "veiez  pas  maigne.  Je  vous 

Lettre  V. 

r,,  ,  A  Paris,  le  U|70. 

Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  1  etc. 

vant  Tp^-''  '^°"'''r  '  ''"'^  '■'''^'■^  ^°^Pte  de  mon  voyage  en  arri 
vant  a  Pans;  mais  .1  m'a  fallu  quelques  jours  pour  m'arrm  Jr  pf^ 
remettre  au  courant  avec  mes  anciennes  connoScTs^aSd'l' 
voya^.e  de  deux  jours ,  j'en  séjournai  trois  ou  quatre  à  Dijon    d'où    Zr 
a  même  raison,  j'allai  faire  un  pareil  séjour  à  Auxerre   In  es  avnlV'^ 
le  plaisir  de  voir  en  passant  M.  de  Buffon,  qui  reTl'accueilIe  ni." 
ob  -géant.  Je  vis  aussi  à  Montbard  M.  DaubLntonTe  subdJl?"    ttt 
après  une  heure  ou  deux  de  promenade  ensemble  dans  le  ardin    me  m 
quej  avo.s  déjà  des  coramencemens.  et  qu'en  continuant  d.   V.      ,f 
,e  pourrois  devenir  un  peu  botaniste.  M^is  le  le  Zl^rS'   S 
voir  avant  mon  départ,  je  parcourus  avec  lui  sa  pépinîè^e'    mal" ré   n 
pluie  qui  nous  incomraodoit  fort:  et  n'y  connoissant  nrll',,^  • 
démentis  si  bien  la  bonne  opinion'qu'il  'vouJ^e  d   mofla^vë  lie"  ouS 
rétracta  son  éloge  et  ne  me  dit  plus  rien  du  tout.  Malg  é  ce  mauv.i 
succès,  je  n'ai  pas  laissé  d'herboriser  un  peu  durant  ma  routretl 
me  trouver  en  pays  de  connoissance  dans  la  campagne  eTdans  le^  bois 
Dans  presque  toute  la  Bourgogne  j'ai  vu  la  terre  œuver       à  droi  e  e  à 
Sn  P-,   %'''V^"^'  ^■•«"le  gentiane  jaune  que  je  n'avois  pT  rou 
ver  à  Pila.  Les  champs,  entre  Montbard  et  Chablis,  sont  plefns  de ïï" 
bocastanum,  mais  la  bulbe  en  est  beaucoup  plus  âc  e  q^'en  In^Ieterre 
et  presque  immangeable;  l'œnanthe  fistulosa  et  la  coqle  outde  !.«: 
Ulla)y  sont  aussi  en  quantité  :  mais  n'ayant  traversera  forTt  de  Fon 
tamebleau  que  très  à  la  hâte,  je  n'y  ai  rien  vu  du  tout  de  remarquaWe 
rVuVeTerie'Lr^^'^"^""^-  ^"^  ^'  ^"-^  --  -s  pieTs^pTÎi! 
J'allai  hier  voir  M.  Daubenton  au  jardin  du  Roi;  j'y  rencontrai  en  me 
promenant  M.  Richard,  jardinier  de   Trianon,  àveriequel   î^em 
pressa. ,  comme  vous  jugez  bien ,  de  faire  conno i'ssance.  Il  me  promi  da 


I 


SUR  LA  BOTAîylQLE.  Si; 

ne  faire  voir  son  jardin,  qui  est  beaucoup  plus  riche  que  celui  du  Roi 
ï  Paris  :  ainsi  me  voilà  à  portée  de  faire ,  dans  l'un  et  dans  1  autre . 
quelque  connoissance  avec  les  plantes  exotiques,  sur  lesquelles ,  comme 
TOUS  avez  pu  voir,  je  suis  parfaitement  ignorant.  Je  prendrai,  pour 
voir  Trianon  plus  à  mon  aise .  quelque  moment  où  la  cour  ne  sera  pas 
à  Versailles ,  et  je  tâcherai  de  me  fournir  à  double  de  tout  ce  qu  on  me 
permettra  de  prendre,  afin  de  pouvoir  vous  envoyer  ce  que  vous  pour- 
riez ne  pas  avoir.  J'ai  aussi  vu  le  jardin  de  M.  Cochin,  qui  ma  paru 
fort  beau  :  mais .  en  l'absence  du  maître ,  je  n'ai  ose  toucher  a  nen.  Je 
suis    depuis  mon  arrivée ,  tellement  accablé  de  visites  et  de  dîners ,  que , 
si  ceci  dure,  il  est  impossible  que  j'y  tienne,  et  malheureusement  je 
manque  de  force  pour  me  défendre.  Cependant ,  si  je  ne  prends  bien  vite 
un  autre  train  de  vie .  mon  estomac  et  ma  botanique  sont  en  grand 
péril.  Tout  ceci  n'est  pas  le  moyen  de  reprendre  la  copie  de  musique 
d'une  façon  bien  lucrative:  et  j'ai  peur  qu'à  force  de  dîner  en  vaille  je 
ne  finisse  par  mourir  de  faim  chez  moi.  Mon  âme  navrée  avoit  besoin 
de  quelque  dissipation,  je  le  sens;  mais  je  crains  de  n'en  pou\oir  ici 
régler  la  mesure .  et  j'aimerois  encore  mieux  être  tout  en  moi  que  tout 
hors  de  moi.  Je  n'ai  point  trouvé,  monsieur,  de  société  mieux  tempérée 
et  qui  me  convînt  mieux  que  la  vôtre:  point  d'accueil  plus  selon  mon 
cœur  que  celui  que.  sous  vos  auspices,  j'ai  reçu  de  l'adorable  Melanie. 
S'il  m'étoit  donné  de  me  choisir  une  vie  égale  et  douce,  je  voudroi., 
tous  les  jours  de  la  mienne .  passer  la  matinée  au  travail ,  soit  a  ma  co- 
pie   «oit  sur  mon  herbier  :  dîner  avec  vous  et  Mélanie  ;  nourrir  ensuite . 
une  heure  ou  deux .  mon  oreille  et  mon  cœur  des  sons  de  sa  voix  et  de 
ceux  de  sa  harpe:  puis  me  promener  tète  à  tète  avec  vous  le  reste  rie  la 
journée,  en  herborisant  et  philosophant  selon  notre  fantaisie.  i.yon  ma 
laissé  des  regrets  qui  m'en  rapprocheront  quelque  jour  peut-être  :  si 
cela  m'arrive,  vous  ne  serez  pas  oublié,  monsieur,  dans  mes  projets  : 
puissiez-vous  concourir  à  leur  exécution  !  Je  suis  fâche  de  ne  savoir  pas 
ici  l'adresse  de  M.  votre  frère,  s'il  y  est  encore  :  je  n'aurois  pas  tarde  si 
longtemps  à  l'aller  voir,  me  rappeler  à  son  souvenir,  et  le  pner  ûe 
Touloir  bien  me  rappeler  quelquefois  au  vôtre  et  a  celui  de  M.      . 

Si  mon  papier  ne  finissoitpas,  si  la  poste  n'alloit  pas  partir,  je  ne 
saurois  pas  finir  moi-même.  Mon  bavardage  n'est  pas  mieux  ordonne 
sur  le  papier  que  dans  la  conversation.  Veuillez  supporter  i  un  comme 
vous  avez  supporté  l'autre.  Vale,  et  me  ania. 

Lettre  VI. 

A  Paris,  le  4  7V-70. 

Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  !  etc. 
Je  ne  voulois,  monsieur,  m'accuser  de  mes  torts  qu'après  les  avoir 
réparés:  mais  le  mauvais  temps  qu'il  fait  et  la  saison  qui  se  gâte  me 
"  punissent  d'avoir  né-ligé  le  jardin  du  Roi  tandis  qu  il  faisoit  beau  et 
me  mettent  hors  d'état  de  vous  rendre  compte ,  quant  a  présent ,  du 
plantage  uniflora  .  et  des  autres  plantes  curieuses  dont  j  aurois  pu  vous 
parler,  si  j'avois  su  mieux  profiter  des  bontés  de  M.  de  Jussieu.  Je  ne 


90  LETTRES 

désespère  pas  pourtant  de  profiter  encore  de  quelque  beau  jour  d'au- 
tomne pour  faire  ce  pèlerinage,  et  aller  recevoir,  pour  cette  année, 
les  adieux  de  la  syngénésie  :  mais,  en  attendant  ce  moment,  permet- 
tez, monsieur,  que  je  prenne  celui-ci  pour  vous  remercier,  quoique 
tard,  de. la  continuation  de  vos  bontés  et  de  vos  lettres,  qui  me  feront 
toujours  le  plus  vrai  plaisir,  quoique  je  sois  peu  exact  à  y  répondre. 
J'ai  encore  à  m'accuser  de  beaucoup  d'autres  omissions  pour  lesquelles 
je  n'ai  pas  moins  besoin  de  pardon.  Je  voulois  aller  remercier  M.  votre 
frère  de  l'honneur  de  son  souvenir,  et  lui  rendre  sa  visite;  j'ai  tardé 
d'abord,  et  puis  j'ai  oublié  son  adresse.  Je  le  revis  une  fois  à  la  comé- 
die italienne:  mais  nous  étions  dans  des  loges  éloignées,  j^e  ne  pus 
l'aborder,  et  maintenant  j'ignore  même  s'il  est  encore  à  Paris.  Autre 
tort  ine.xcusable  :  je  me  suis  rappelé  de  ne  vous  avoir  point  remercié 
de  la  connoissance  de  M.  Robinet,  et  de  l'accueil  obligeant  que  vous 
m'avez  attiré  de  lui.  Si  vous  comptez  avec  votre  serviteur,  il  restera 
trop  insolvable;  mais  puisque  nous  sommes  en  usage,  moi  de  faillir, 
vous  de  pardonner,  couvrez  encore  cette  fois  mes  fautes  de  votre  in-, 
dulgence,  et  je  tâcherai  d'en  avoir  moins  besoin  dans  la  suite,  pourvu 
toutefois  que  vous  n'exigiez  pas  de  l'exactitude  dans  mes  réponses  : 
car  ce  devoir  est  absolument  au-dessus  de  mes  forces,  surtout  dans  ma 
position  actuelle.  Adieu  ,  monsieur;  souvenez-vous  quelquefois,  je  vous 
supplie  ,  d'un  homme  qui  vous  est  bien  sincèrement  attaché  ,  et  qui  ne 
se  rappelle  jamais  sans  plaisir  et  sans  regret  les  promenades  char- 
mantes qu'il  a  eu  le  bonheur  de  faire  avec  vous. 

On  a  représenté  Pygmalion  à  Montigny;  je  n'y  étois  pas,  ainsi  je 
n'en  puis  parler.  Jamais  le  souvenir  de  ma  première  Galathée  ne  me 
laissera  le  désir  d'en  voir  une  autre. 

Lettre  VU. 

A  Paris,  le  17^^70. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  !  etc. 

Je  ne  sais  presque  plus,  monsieur,  comment  oser  vous  écrire,  après 
avoir  tardé  si  longtemps  à  vous  remercier  du  trésor  de  plantes  sèches 
que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer  en  dernier  lieu.  N'ayant  pas 
encore  eu  le  temps  de  les  placer,  je  ne  les  ai  pas  extrêmement  exami- 
nées; mais  je  vois  à  vue  de  pays  qu'elles  sont  belles  et  bonnes;  je  ne 
doute  pas  qu'elles  ne  soient  bien  dénommées,  et  que  toutes  les  obser- 
vations que  vous  me  demandez  ne  se  réduisent  à  des  approbations.  Cet 
envoi  me  remettra,  je  l'espère,  un  peu  dans  le  train  de  la  botanique, 
que  d'autres  soins  m'ont  fait  extrêmement  négliger  depuis  mon  arrivée 
ici;  et  le  désir  de  vous  témoigner  ma  bien  impuissante,  mais  bien  sin- 
cère reconnoissance,  me  fournira  peut-être  avec  le  temps  quelque 
chose  à  vous  envoyer.  Quant  à  présent  je  me  présente  tout  à  fait  à  vide, 
n'ayant  des  semences  dont  vous  m'envoyez  la  note  que  le  seul  doroni- 
ciim  pardiilianches  que  je  crois  vous  avoir  déjà  donné ,  et  dont  je  vous 
envoie  mon  misérable  reste.  Si  j'eusse  été  prévenu  quand  j'allai  à  Pila 
l'année  dernière,  j'aurois  pu  vous  apporter  aisément  un  litron  des  se- 
mences du  prenanthes  purpurea,  et  il  y  en  a  quelques  autres,  comme 


SUR  LA  BOTANIQUE.  91 

.  tamus  et  la  gentiane  perfoliée ,  que  vous  devez  trouver  aiséraeiit  au- 
^ur  de  vous.  Je  n'ai  pas  oublié  le  plantago  momnthos ,  mais  o^  na  pu 
ae  le  donner  au  jardin  du  Roi.  où  il  n'y  en  avoit  qu'un  seul  pied  sans 
.eur  et  sans  fru f.  j'en  ai  depuis  recouvré  un  petit  v.la.n  échantillon 
ue  ie  vouTenverrai  avec  autre  chose  ,  si  je  ne  trouve  pas  mieux:  mais, 
'omme  il  c  oit  en  abondance  autour  de  l'étang  de  Montmorency  j  y 
ioZe  aller  herboriser  le  printemps  prochain^  et  vous  envoyer,  si  se 
eut  plantes  et  graines.  Depuis  que  je  suis  à  Pans,  je  n'a.  ete  enco  e 
rae  trois  ou  quatre  fois  au  jardin  du  Roi;  et  quoiqu'on  m'y  accueille 
^ec  la  plus  grande  honnêteté  et  qu'on  m'y  donne  volontiers  des  echan- 
ilons  de  plantes,  je  vous  avoue  que  je  n'ai  pu  m'enhard.r  encore  a 
emander  des  graines.  Si  j'en  viens  là,  c'est  pour  vous  servir  que  jen 
urli  le  courage,  mais  cela  ne  peut  venir  tout  d'un  coup  J  ai  parle 
à  M  de  îussieu  du  papyrus  que  vous  avez  rapporté  de  Naples;  û  doute 
nue  ce  soit  le  vrai  papier  nilotica.  Si  vous  pouviez  lui  en  envoyer ,  soit 
Xn  e.  s  t  graines,  soit  par  moi,  soit  par  d'autres  ja.  vu  que  cela 
fur  roit  grand  plaisir,  et  ce  seroit  peut-être  un  excellent  moyen  d  ob- 
en  r  de  lui  beaucoup  de  choses  qu'alors  nous  aurions  bonne  grâce  a 
Sander  quoique  je  sache  bien  par  expérience  qu  il  est  charme 
d'orger  gratuitement:  mais  j'ai  besoin  de  quelque  chose  pour  m  en- 
hardir .  quand  il  faut  demander.  .    ,         , 

Je  remets,  avec  celte  lettre,  à  MM.  Boy  de  La  Tour  qui  s'en  retour- 
nent   une  boîte  contenant  une  araignée  de  mer  qui  vient  de  bien  loin; 
car  on  me  l'a  envovée  du  golfe  du  Mexique.  Comme  cependant  ce  n  est 
pas  une  pièce  bienVare  et  qu'elle  a  été  fort  endommagée  dans  le  tra- 
it   ihé.ùois  à  vous  l'envoyer:  mais  on  me  dit  qu'elle  peut  se  raccom- 
moder et  trouver  place  encore  dans  un  cabinet  :  cela  suppose,  je  vous 
^rie  de  lui  en  donner  une  dans  le  vôtre,  en  considération  d  un  homme 
oui  vous  sera  toute  sa  vie  bien  sincèrement  attache.  J  ai  mis  dans  la 
même  boîte  les  deux  ou  trois  semences  de  doronic  et  autres  que  j  avois 
sous  la  main.  Je  compte  l'été  prochain  me  remettre  au  courant  de  la 
botanique  pour  tâcher  de  mettre  un  peu  du  mien  dans  une  correspon- 
dance qui  m'est  précieuse,  et  dont  j'ai  eu  jusqu'ici  seul  tout  le  profit. 
Je  crains  d'avoir  poussé  Tetourderie  au  point  de  ne  vous  avoir  pas  re- 
mercîé  de  la  complaisance  de  M.  Robinet .  et  des  honneletes  don  il  m  a 
Slé    J'ai  ausS  laissé  repartir  d'ici  M.  de  Fleurieu  sans  aller  lui 
Sre  mes  devons,  comme  je  le  devois  et  voulois  faire.  Ma  volonté, 
monsieur,  n'aura  jamais  de  tort  auprès  de  vous  m  des  vôtres;  mais 
ma  né-li-ence  m'en  donne  souvent  de  bien  inexcusables  que  je  vous 
prie  toutefois  d'excuser  dans  votre  miséricorde.  Ma  femme  a  ete  tres- 
sensible  à  Ihonneur  de  votre  souvenir,   et  nous  vous   prions  Un  et 
l'autre  d'agréer  nos  très-humbles  salutations. 

Lettre  VIII. 

A  Paris,  le  il-fli. 

Pauvres  aveugles  que  nous  sommes  !  etc. 
Jai  reçu,  monsieur,  avec  grand  plaisir,  de  vos  nouvelles,  des  témoi- 
.  gnages  de  votre  souvenir,  et  des  détails  de  vos  intéressantes  occupa- 


92  LETTRES 

lions.  Mais  vous  me  parlez  d'un  envoi  de  plantes  par  M.  l'abbé  Rosier 
que  je  n'ai  point  reçu.  Je  me  souviens  bien  d'en  avoir  reçu  un  de  votr 
part,  et  de  vous  en  avoir  remercié,  quoique  un  peu  tard,  avant  votr 
voyage  de  Paris:  mais  depuis  votre  retour  à  Lyon,  votre  lettre  a  et. 
pour  moi  votre  premier  signe  de  vie;  et  j'en  ai  été  d'autant  plu 
charmé,  que  j'avois  presque  cessé  de  m'y  attendre. 

En  apprenant  les  changeraens  survenus  à  Lyon,  j'avois  si  bien  pré 
jugé  que  vous  vous  regarderiez  comme  affranchi  d'un  dur  esclavage ,  e 
que,  dégagé  de  devoirs,  respectables  assurément,  mais  qu'un  hom'mt 
de  goût  mettra  difficilement  au  nombre  de  ses  plaisirs,  vous  en  goû- 
teriez un  très-vif  à  vous  livrer  tout  entier  à  l'étude  de  la  nature,  que 
j'avois  résolu  de  vous  en  féliciter.  Je  suis  fort  aise  de  pouvoir  du  moins 
exécuter  après  coup,  et  sur  votre  propre  témoignage,  une  résolution 
que  ma  paresse  ne  m'a  pas  permis  d'exécuter  d'avance ,  quoique  très- 
sûr  que  cette  félicitation  ne  viendroit  pas  mal  à  propos. 

Les  détails  de  vos  herborisations  et  de  vos  découvertes  m'ont  fait  bat- 
tre le  cœur  d'aise.  Il  me  sembloit  que  j'étois  à  votre  suite  ,  et  que  je  par- 
tageois  vos  plaisirs  :  ces  plaisirs  si  purs ,  si  doux ,  que  si  peu  d'hommes 
savent  goûter,  et  dont,  parmi  ce  peu-là,  moins  encore  sont  dignes 
puisque  je  vois  ,  avec  autant  de  surprise  que  de  chagrin ,  que  la  botanique 
elle-même  n'est  pas  exempte  de  ces  jalousies  ,  de  ces  haines  couvertes  et 
cruelles  qui  empoisonnent  et  déshonorent  tous  les  autres  genres  d'études. 
Ne  me  soupçonnez  point,  monsieur,  d'avoir  abandonné  ce  goût  déli- 
cieux ;  il  jette  un  charme  toujours  nouveau  sur  ma  vie  solitaire.  Je  m'y 
livre  pour  moi  seul,  sans  succès,  sans  progrès,  presque  sans  commu- 
nication, mais  chaque  jour  plus  convaincu  que  les  loisirs  livrés  à  la 
contemplation  de  la  nature  sont  les  momens  de  la  vie  où  l'on  jouit  le 
plus_  délicieusement  de  soi.  J'avoue  pourtant  que,  depuis  votre  départ 
j'ai  joint  un  petit  objet  d'amour-propre  à  celui  d'amuser  innocemment 
et  agréablement  mon   oisiveté.   Quelques  fruits  étrangers  ,   quelques 
graines  qui  me  sont  par  hasard  tombées  entre  les  mains ,  m'ont  inspiré 
la  fantaisie  de  commencer  une  très-petite  collection  en  ce  genre.  Je  dis 
commencer,   car  je  serois  bien  fâché  de  tenter  de  l'achever,  quand  la 
chose  me  seroit  possible,  n'ignorant  pas  que,  tandis  qu'on  est  pauvre 
on  ne  sent  que  le  plaisir  d'acquérir;  et  que,  quand  on  est  riche,  aii 
contraire ,  on  ne  sent  que  la  privation  de  ce  qui  nous  manque ,  et  l'in- 
quiétude inséparable  du  désir  da  compléter  ce  qu'on  a.  Voiis  devez 
depuis  longtemps  en  être  à  cette  inquiétude,  vous,  monsieur,  dont  la 
riche  collection  rassemble  en  petit  presque  toutes  les  productions  de  la 
nature,  et  prouve,  par  son  bel  assortiment,  combien  M.  l'abbé  Rosier 
a  eu  raison  de  dire  qu'elle  est  l'ouvrage  du  choix  et  non  du  hasard. 
Pour  moi ,  qui  ne  vais  que  tfitonnant  dans  un  petit  coin  de  cet  immense 
labyrmthe,  je  rassemble  fortuitement  et  précieusement  tout  ce  qui  me 
tombe  sous  la  main,  et  non-seulement  j'accepte  avec  ardeur  et  recon- 
noissance  les  plantes  (]ue  vous  voulez  bien  m'offrir;  mais,  si  vous  vous 
trouviez  avec  cela  quelques  fruits  ou  graines  surnuméraires  et  de  rebut 
dont  vous  voulussiez  bien  m'enrichir.  j'en  ferois  la  gloire  de  ma  petite 
collection  naissante.  Je  suis  confus  de  ne  pouvoir,  dans  ma  misère. 


SUR  LA  BOTANIQUE.  93 

en  rous  ofTrir  en  échange,  au  moins  pour  le  moment.  Car,  quoique 
îusse  rassemblé  quelques  plantes  depuis  mon  arrivée  à  Paris,  ma  né- 
ligence  et  l'humidité  de  la  chambre  que  j'ai  d'abord  habitée  ont  tout 
lissé  pourrir.  Peut-être  f,erai-je  plus  heureux  cette  année,  ayant  résolu 
'employer  plus  de  soin  dans  la  dessiccation  de  mes  plantes .  et  surtout 
e  les  coller  à  mesure  qu'elles  sont  sèches;  moyen  qui  m'a  paru  le 
leilleur.  pour  les  conserver.  J'aurai  mauvaise  grâce ,  ayant  fait  une 
echerche  vaine,  de  vous  faire  valoir  une  herborisation  que  j'ai  faite  à 
lontmorency  Tété  dernier  avec  la  caterve  du  jardin  du  Roi  :  mais  il  est 
ertain  qu'elle  ne  fut  entreprise  de  ma  part  que  pour  trouver  le  plan- 
ago  monanthos ,  que  j'eus  le  chagrin  d'y  chercher  inutilement.  M.  de 
ussieu  le  jeune,  qui  vous  a  vu  sans  doute  à  Lyon,  aura  pu  vous  dire 
.vec  quelle  ardeur  je  priai  tous  ces  messieurs,  sitôt  que  nous  appro- 
ihâmes  de  la  queue  de  l'étang,  de  m'aider  à  la  recherche  de  cette 
liante;  ce  qu'ils  firent,  et  entre  autres  M.  Thouin,  avec  une  complai- 
ance  et  un  soin  qui  méritoient  un  meilleur  succès. 
"  Nous  ne  trouvâmes  rien  :  et  après  deux  heures  d'une  recherche 
Dutile,  au  fort  de  la  chaleur,  et  le  jour  le  plus  chaud  de  l'année,  nous 
ûraes  respirer  et  faire  la  halte  sous  des  arbres  qui  n'étoient  pas  loin, 
incluant  unanimement  que  le  plantago  uniflora.  indiqué  par  Tourne- 
brt  et  M.  de  Jussieu  aux  environs  de  l'étang  de  Montmorency,  en  avoit 
ibsolument  disparu.  L'herborisation  au  surplus  fut  assez  riche  en  plantes 
ommunes;  mais  tout  ce  qui  vaut  la  peine  d'être  mentionné  se  réduit  à 
'osmonde  royale,  le  hjthrum  hyssopifolia .  le  bjsimachia  lenella,  le 
teplis  portula.  le  drosera  rolundifolia .  le  cyperus  fuscus,  le  schœnus 
ligricans,  eiVhydrocotyîe ,  naissante  avec  quelques  feuilles  petites  et 
ares,  sans  aucune  fleur. 

Le  papier  me  manque  pour  prolonger  ma  lettre.  Je  ne  vous  parle 
loint  de  moi ,  parce  que  je  n'ai  plus  rien  de  nouveau  à  vous  en  dire ,  et 
[ue  je  ne  prends  plus  aucun  intérêt  à  ce  que  disent,  publient,  impri- 
nent,  inventent,  assurent,  et  prouvent,  à  ce  qu'ils  prétendent ,  mes 
iontemporains ,  de  l'être  imaginaire  et  fantastique  auquel  il  leur  a  plu 
le  donner  mon  nom.  Je  finis  donc  mon  bavardage  avec  ma  feuille ,  vous 
iriant  d'excuser  le  désordre  et  le  grifi'onnage  d'un  homme  qui  a  perdu 
oute  habitude  d'écrire,  et  qui  ne  la' reprend  presque <jue  pour  vous.  Je 
'ous  salue,  monsieur,  de  tout  mon  cœur,  et  vous  prie  de  ne  pas  m'ou- 
ilier  auprès  de  M.  et  Mme  de  Fleurieu. 

Lettre   IX. 

A  Paris,  le  <7f73. 
Pauvres  aveugles  que  nous  sommes!  etc. 

Votre  seconde  lettre  ,  monsieur,  m  a  fait  sentir  bien  vivement  le  tort 
l'avoir  tardé  si  longtemps  à  répondre  à  la  précédente ,  et  à  vous  remer- 
îier  des  plantes  qui  l'accompa^noient.  Ce  n'est  pas  que  je  n'aie  été  bien 
iensible  à  votre  souvenir  et  à  votre  envoi  :  mais  la  nécessité  d'une  vie 
-rop  sédentaire,  et  l'inhabitude d'écrire  des  lettres,  en  augmentent  jour- 
lellement  la  difficulté ,  et  je  sens  qu'il  faudra  renoncer  bientôt  à  tout 


94  LETTRES  SUR  LA  BOTANIQUE. 

commerce  épistolaire,  même  avec  les  personnes  qui,  comme  vous 
monsieur ,  me  l'ont  toujours  rendu  instructif  et  agréable. 

Mon  occupation  principale  et  la  diminution  de  mes  forces  ont  raient 
mon  goût  pour  la  botanique,  au  point  de  craindre  de  le  perdre  tout  ;' 
fait.  Vos  lettres  et  vos  envois  sont  bien  propres  à  le  ranimer.  Le  retou 
de  la  belle  saison  y  contribuera  peut-être  :  mais  je  doute  qu'en  aucui 
temps  ma  paresse  s'accommode  longtemps  de  la  fantaisie  des  collections 
Celle  de  graines  qu'a  faite  M.  Thouin  avoit  excité  mon  émulation ,  e 
j'avois  tenté  de  rassembler  en  petit  autant  de  diverses  semences  et  d» 
fruits,  soit  indigènes,  soit  exotiques,  qu'il  en  pourroit  tomber  sous  m; 
main  :  j'ai  bien  fait  des  courses  dans  cette  intention.  J'en  suis  reveni 
avec  des  moissons  assez  raisonnables,  et  beaucoup  de  personnes  obli- 
geantes ayant  contribué  à  les  augmenter,  je  me  suis  bientôt  senti,  dans 
ma  pauvreté ,  l'embarras  des  richesses  ;  car ,  quoique  je  n'aie  pas  en  toul 
un  millier  d'espèces,  l'effroi  m'a  pris  en  tentant  de  ranger  tout  cela;  ei 
la  place  d'ailleurs  me  manquant  pour  y  mettre  une  espèce  d'ordre,  j'a: 
presque  renoncé  à  cette  entreprise;  et  j'ai  des  paquets  de  graines  qui 
m'ont  été  envoyés  d'Angleterre  et  d'ailleurs,  depuis  assez  longtemps, 
sans  que  j'aie  encore  été  tenté  de  les  ouvrir.  Ainsi,  à  moins  que  cette 
fantaisie  ne  se  ranime,  elle  est,  quant  à  présent,  à  peu  près  éteinte. 

Ce  qui  pourra  contribuer  avec  le  goût  de  la  promenade,  qui  ne  me 
quittera  jamais,  à  me  conserver  celui  d'un  peu  d'iierborisation,  c'est 
l'entreprise  des  petits  herbiers  en  miniature  que  je  me  suis  chargé  de 
faire  pour  quelques  personnes,  et  qui,  quoique  uniquement  composés 
de  plantes  des  environs  de  Paris,  me  tiendront  toujours  un  peu  en 
haleine  pour  les  ramasser  et  les  dessécher. 

Quoi  qu'il  arrive  de  ce  goût  attiédi,  il  me  laissera  toujours  des  sou- 
venirs agréables  des  promenades  champêtres  dans  lesquelles  j'ai  eu 
l'honneur  de  vous  suivre,  et  dont  la  botanique  a  été  le  sujet;  et,  s'il 
me  reste  de  tout  cela  quelque  part  dans  votre  bienveillance,  je  ne 
croirai  pas  avoir  cultivé  sans  fruit  la  botanique,  même  quand  elle  aura 
perdu  pour  moi  ses  attraits.  Quant  à  l'admiration  dont  vous  me  parlez, 
méritée  ou  non ,  je  ne  vous  en  remercie  pas ,  parce  que  c"est  un  senti- 
ment qui  n'a  jamais  flatté  mon  cœur.  J'ai  promis  à  M.  de  Châteaubourg 
que  je  vous  remercierois  de  m'avoir  procuré  le  plaisir  d'apprendre  pai 
lui  de  vos  nouvelles,  et  je  m'acquitte  avec  plaisir  de  ma  promesse.  Ma 
femme  est  très-sensible  à  l'honneur  de  votre  souvenir,  et  nous  vous 
prions,  monsieur,  l'un  et  l'autre,  d'agréer  nos  remercîmens  et  nos 
salutations. 


NOTES  DE  J.  J.  ROUSSEAU 

ur  l'eu f rage  inlilulé  :  La  Botanique  mise  a  la  portée  de  tout  le  monde,  ou 
CoUecliou  des  planlcs  d'usage  dans  ia  médecine,  dans  les  alimens  el  dans 
les  aris;  avec  des  notices  insiruclives  puisées  dans  les  auteurs  les  plus 
célèbres,  contenant  la  description,  le  climat,  la  culture,  les  propriétés  el 
les  vertus  propres  à  chaque  plante,  précédée  d'une  Introduction  à  la  bola- 
nique,  ou  Dictionnaire  abrégé  des  principaux  termes  employés  dans  celle 
science,  avec  cette  épigraphe  : 

Segnius  irritant  animos  demissa  per  auren; 
Quam  qu»  sunl  coulis  subjecla  Tidelibus. 

HOR. 

EXÉCCTÉ  ET  PUBLIÉ  PAR   LES  SIECR   ET  DAME  REGXADI-T,  AVEC  APPROBATION 
ET  PRIVILÈGE  DU  ROI.   PARIS,    1774,  IX-FOL. 


lettre  à  M.  Vahhê  de  Pramont  ',  chanoine  de  l'église  de  Vanner. 

A  Paris,  le  13  avril  «778. 

Vos  plantes  gravées,  monsieur,  sont  revues  et  aTrangées  comme  vous. 
'avez  désiré.  Vous  êtes  prié  de  vouloir  bien  les  faire  retirer.  Elles  pour- 
voient se  gâter  dans  ma  chambre ,  et  n'y  feroient  plus  qu'un  embarras . 
)arce  que  la  peine  que  j'ai  eue  à  les  arranger  me  fait  craindre  d'y  tou- 
;her  derechef.  Je  dois  vous  prévenir,  monsieur,  qu'il  y  a  quelques 
euilles  du  discours  extrêmement  barbouillées  et  presque  illisibles ,  dif- 
îciles  même  à  relier  sans  rogner  de  l'écriture,  que  j'ai  quelquefois  pro- 
ongée  étourdiment  sur  la  marge.  Quoique  j'aie  assez  rarement  succombé 
i  la  tentation  de  faire  des  remarques,  l'amour  de  la  botanique  et  le 
lésir  de  vous  complaire  m'ont  quelquefois  emporté.  Je  ne  puis  écrire 
isiblement  que  quand  je  copie ,  et  j'avoue  que  je  n'ai  pas  eu  le  courage 
le  doubler  mon  travail. en  faisant  des  brouillons.  Si  ce  griffonnage  vous 
légoûtoit  de  votre  exemplaire  après  l'avoir  parcouru,  je  vous  en  offre, 
nonsieur,  le  remboursement,  avec  assurance  qu'il  ne  restera  pas  à  ma 
ïliarge. 

Agréez,  monsieur,  mes  très-humbles  salutations. 

J.  J.  Rousseau. 

1  '.  Le  Safran  des  Indes  {Curcuma  îonga ,  L.). 
a  II  me  semble  qu'on  devroit  voir  au  moins  des  vestiges  des  quatre 
itamines  avortées ,  surtout  avant  la  formation  du  fruit.  » 
3.  L'Olivier  {Olea  Europx,  L.). 

».  L  exemplaire  de  l'ouvrage  sur  lequel  Rousseau  a  écrit  les  notes  qui 
Juivent  appartenoil  à  cel  abbé.  (Ed.) 

•2. .Ces  numéros  sont  ceux  d'un  catalogue  qui  est  à  la  tète  de  l'ouvrage,  el 
ijui  est  de  la  main  de  Jean-Jacques.  Les  notes  de  Rousseau  sont  entre  guille- 
uicis.  (Éd.) 


9G  NOTES 

a  Leurs  bords  (aux  feuilles)  pour  l'ordinaire  se  replient  eu  dessouj 
On  ne  trouve  en  aucune  contrée  aue  l'olivier  prospère  à  plus  de  vinfi 
lieues  de  la  mer.  » 

4.  La  Circée  {Circsea  Lutetiana,  L.). 

a  On  doit  remarquer  ici  que  par  le  mot  de  pistil  Fauteur  n'enten! 
pas  seulement  l'organe  par  le  moyen  duquel  l'ovaire  est  fécondé,  ma;, 
l'ovaire  même  et  toutes  ses  dépendances.  C'est  ce  qu'il  ne  faut  pas  oui 
blier  en  lisant  ces  descriptions,  et  c'est  pour  l'avoir  oublié  moi-mêai| 
que  je  l'ai  contredit  mal  à  propos  à  l'article  de  la  saxifrage.  » 

7.  La  Gratiole  {Gratiola  officinalis ,  L.). 

a  Les  étamines  sont  au  nombre  de  cinq,  et  on  n'en  voit  que  quatr 
dans  la  figure.  Se  trouve  au  bord  des  eaux.  » 

11.  La  Toute-bonne  des  prés  {Salvia  pratensis,  L.). 
a  Les  feuilles  radicales  et  les  caulinaires  ne  sont  ni  bien  représentée 

dans  l'estampe,  ni  bien  décrites  dans  le  discours.  » 

12.  L'Orvale  {Salvia  sdarea,  L.). 
«  On  chercheroit  inutilement  les  semences  et  leur  lettre'  dans  l'es 

tampe;  elles  n'y  sont  pas.  » 

13.  La  grande  Valériane  {Valeriana,  Phu.). 
a  Sa  racine  sort  souvent  tellement  de  terre,  que  la  plante  paroît  tou 

à  fait  déchaussée.  » 

15.  Le  Safran  {Crocus  sativus  officinalis  ^  L.). 

tt  II  produit  une  seule  fleur  à  la  fois,  car  il  en  naît  successivemeni 
plusieurs  autres  à  mesure  que  les  premières  se  dessèchent.  Jean  Bàuhin. 
tout  sage  et  savant  qu'il  étoit,  a  pris  les  stigmates  pour  des  étamines. 

18.  Le  Chiendent  {Panicum  daclylon,  L.). 

a  Le  chiendent  qu'on  vend  à  Paris  est  une  autre  plante  encore  pluîi 
commune  que  celle-là.  y> 

20.  Le  Seigle  {Secale  céréale^  L.). 

a  On  ne  le  trouve  plus ,  non  plus  que  le  froment  indigène  et  naturel^ 
nulle  part.  >> 

22.  Le  Froment  [Tridcum  hibernum,  L.). 
L'époque  de   la  domesticité  du  froment  se  perd  dans  la  nuit  des 

temps. 

a  II  falloit  ajouter  une  chose  qui,  selon  moi,  valoit  bien  la  peine 
d'être  dite  :  c'est  qu'on  ignore  encore  quelle  contrée  du  monde  le  pro- 
duit naturellement;  que  s'il  n'est  naturel  à  aucune  terre,  d'où  donc 
nous  est-il  venu?  Je  sais  que  de  précédens  naturalistes  très-peu  instruits 
l'estiment  un  produit  de  la  culture,  et  croient  bonnement  que  le  fro- i 
ment  n'est  autre  chose  qu'une  sorte  de  chiendent  cultivé;  mais  cette 
idée  est  destituée  de  tout  fondement,  et  il  n'y  a  point  de  botaniste  qui 
ne  sache  que  le  froment  a  ses  caractères  propres  qui  le  distinguent  de 
tous  les  graraens  connus;  quoiqu'il  y  en  ait  quelques-uns  qu'on  rapporta 
méthodiquement  au  même  genre,  mais  sans  rapprocher  leur  espèce  de 
celle-là.  » 

23.  Le  Chardon  a  foulon  [Dipsacus  fidlonum,  L.). 

i.  C'est-à-dire  les  lettres  de  renvoi  aux  figures.  (Éd.) 


SUR  LA  BOTANIQUE   DE  REGîs'AULT.  97 

«  Dans  l'espèce  des  champs,  dont  le  cultivé  n'est  qu'une  variété,  la 
pointe  épineuse  du  calice  n'est  point  recourbée,  mais  droite,  ce  qui  fait 
qu'on  ne  s'en  sert  pas  pour  draper.  » 

24.  La 'Verge  a  pasteur  {Dipsacus  pilosrts ,  L.). 

Cette  plante  que  l'on  confond  facilement  avec  le  chardon  à  foulon. 

a  C'est  ce  que  l'auteur  lui-même  a  fait  ici  sans  s'en  douter,  dans  sa 
figure  et  dans  sa  description ,  qui  appartiennent  l'une  et  l'autre  au  char- 
don à  foulon  sauvage,  dont  le  cultivé  n'est  qu'une  variété.  La  véritable 
verge  à  pasteur,  qui  n'est  pas  aussi  commune  qu'il  le  dit,  est  beaucoup 
plus  rameuse,  a  les  têtes  beaucoup  plus  petites,  et  les  feuilles  péiio- 
lées.  garnies  de  deux  oreillettes  :  j'ai  rétabli  le  vrai  titre  de  sa  plante 
au-dessous  de  celui  qu'il  y  a  mis;  et  ce  titre  est  le  chardon  à  foulon 
sauvage.  » 

L'auteur  dit  dans  sa  description  :  «  La  forme  de  la  languette  de  la 
corolle  est  un  des  principaux  caractères  qui  distinguent  la  verge  à  pas- 
teur du  chardon  à  foulon,  y 

Ces  mots  sont  soulignés  par  Jean-Jacques ,  qui  met  en  note  :  «  Ceci  est 
une  suite  de  la  méprise.  » 

'2b.  La  Scabieuse  des  prés  [Scabiosa  arvensfs.  L.). 

Une  radicule  qui  pointe  vers  le  ciel  «  est  une  expression  bien  étrange. 
En  général  la  fructification  de  la  scabieuse  est  ici  assez  mal  décrite:  il 
ne  seroit  pas  même  aisé  de  la  corriger,  parce  que  les  figures  sont 
inexactes.  Par  exemple,  la  figure  B,  qui  devroit  représenter  un  des 
fleurons  réguliers  du  centre ,  le  représente  irrégulier  et  peu  différent  de 
la  figure  D ,  qui  représente  un  des  fleurons  irréguliers  du  centre.  » 

26.  Le  Muguet  des  bois  {Asperula  odorata,  L.). 

«  Ce  nom  de  muguet  des  bois  est  bien  mal  donné ,  comme  s'il  y  avoit 
"-un  muguet  des  jardins  ou  des  prés. 

et  On  distingue  cette  plante  du  grateron  par  la  forme  de  la  tige,  qui 
est  carrée  dans  le  grateron.  s 

Il  ne  faut  pas,  dit  l'auteur,  confondre  cette  plante  avec  celle  qu'on 
nomme  vulgairement  hépatique. 

a  Puisqu'on  voulolt  distinguer  les  plantes  vulgairement  nommées 
hépatiques,  il  en  falloit  citer  une  autre  bien  plus  connue  que  le  mar- 
chanlia  qu'on  décrit  ici;  savoir  l'hépatique  des  jardiniers,  sorte  de 
petite  anémone  à  fleurs  blanches  très-printanières,  et  qu'on  appelle 
autrement  herbe  de  la  Trinité. 

.  Les  botanistes  suisses  ont  soin  d'en  bien  garnir  leur  Faltranck. 
ns  pour  sa  prétendue  qualité  vulnéraire,  qu'à  cause  de  l'excellent 
l'arium  qu'elle  y  répand.  » 

I    27.  La  petite  Garance  ou  l'Herbe  a  esquinancie  {Asperula  cya- 
nea,  L.). 

Ses  fleurs  sont  monopétales ,  chacune  d'elles  est  un  tube  court. 

a  Pas  si  court  que  dans  la  figure  ;  le  tube  allongé  est  le  principal  carac- 
tère des  asperula.  » 
Les  semences  qui  succèdent  au  pistil  sont  attachées  deux  à  deux, 
a  On  en. a  mis  six  dans  la  figure,  il  n'y  en  a  que  quatre  ordinaire- 
•  mant.  » 

U.jCiSLAU   VI 


98  NOTES 

28.  Le  Caille-lait  {Callium  verum,  L.). 

a  Dans  les  terrains  qui  lui  conviennent,  le  caille-lait  jaune,  en  fleur, 
a  une  assez  forte  odeur  de  miel.  » 

30.  La  Garance  [Rubia  tinctorum,  L). 

La  corolle  est  un  tube  divisé  en  cinq  segmens  ovales  et  pointus. 

«  Aussi  souvent  et  plus  régulièrement  en  quatre.  » 

3t.  Le  grand  Plantain  {Ptantago  major,  L.),  ou  Plantain  a  bou- 
quet. 

«  Je  croirois  que  ce  qu'on  doit  appeler  plantain  à  bouquet  est  le 
plantago  rosea  de  Jean  Bauhin,  variété  de  celui-ci  très-commune  en 
Allemagne,  mais  que  je  ne  me  rappelle  pas  d'avoir  jamais  vue  en 
France.  » 

34.  Le  Pied-de-lion  [Alchimilla  vulgaris,  L.). 

«  On  l'appelle  en  Suisse  porte-rosée ,  à  cause  qu'à  la  faveur  de  la  plis- 
sure  de  ses  feuilles    il  s'y  ramasse  beaucoup  de  rosée.  » 

38.  Le  Gremil  {LUhospermum  arvense ,  L.). 

Il  y  a  deux  espèces  de  gremils  très-communs;  celui-ci  est  le  gremil 
rampant. 

«.  11  se  peut  que  le  gremil  rampant  soit  très-commun  autour  de  Paris, 
quoique  je  ne  l'y  aie  jamais  vu,  du  moins  s'il  faut  entendre  par  ce  nom 
commun,  je  le  crois,  le  lithospermumpurpureo-cœruleum  de  Linnaeus; 
mais  le  gremil  le  plus  commun  dans  ces  environs  est  celui  à  semences 
rudes .  appelé  par  Linnœus  lithospermum  arvense.  » 

40.  L'Orcanette  {Anchusa  tinctoria,  L.). 

«  On  n'aperçoit  dans  la  figure  G  aucun  vestige  d'anthères;  cepen- 
dant ,  quoique  les  filets  soient  courts ,  et  malgré  le  velu  du  tube ,  on  dis- 
lingue très-bien  les  anthères  quand  la  corolle  est  ouverte.  » 

46.  La  Primevère  {Primula  veris  officinalis ,  L.). 

tt  Dans  quelques  provinces,  les  fleurs  de  primevère  s'appellent  des 
cocus,  sans  doute  à  cause  de  leur  couleur;  mais  le  nom  de /Zeurs  de 
coucou  appartient  au  lychnis  des  marais.  » 

48.  La  Nummulaire  {Lysimachia  nummularia ,  L.). 
La  nummulaire,  que  l'on  nomme  encore  monnoyère. 

a  II  me  semble  que  l'herbe  appelée  vulgairement  monnoyère ,  à  cause 
de  la  forme  de  ses  siliques,  est  le  thlaspi  arvense.  » 

Ses  tiges  portent  des  feuilles  alternes  opposées  l'une  vis-à-vis  de 
l'autre. 

a  Je  n'entends  pas  comment  des  feuilles  peuvent  être  en  même  temps 
alternes  et  opposées.  » 

49.  Le  Mouron  mâle  et  femelle  {Anagallis  arvensis,  L.). 

a  Les  feuilles  sont  pointillées  de  noir  en  dessous ,  et  les  fruits  s'ouvrent 
en  travers.  » 

50.  Le  petit  Liseron  ou  Lizet  {Convolvulus  arvensis ,  L.). 

Les  plus  foibles  plantes  deviennent  pour  elle  un  moyen  d'élévation* 
elle  s'unit  intimement  à  leurs  tiges,  et  monte  en  se  roulant  par  \\a 
mouvement  opposé  à  la  course  du  soleil. 

a  Cette  direction  se  marque  en  tournant  et  s'écartant  de  droite  à  gau- 
che et  revenant  devant  soi.  » 


SUR  LA  BOTAMQL'E   DE  REGNAULT.  99 

Corolle  monopétale  à  cinq  divisions. 
«  Et  plus  souvent  dix  légères  découpures.  ■ 
Ses  feuilles  sont  en  forme  de  flèche ,  aiguës, 
a  Des  deux  côtés.  » 

51.  La  Scammonée  de  Syrie  \Convolvulx(s  scammonia ,  L.). 

a  Les  feuilles  sont  légèrement  échaucrées  à  chaque  angle  de  ïtut 
base.  » 

52.  La  Raiponce  {Campanula  rapuncubts ,  L.). 

a  Semences  très-menues,  elles  sont  à  peine  visibles  dans  la  figure.  » 

54.  Le  Chèvrefeuille  {Lonicera  periclymenum ,  L.). 

a  On  a  confondu  ici  deux  espèces  de  chèvrefeuille  différentes.  La  figure 
€t  la  description  appartiennent  au  chèvrefeuille  de  jardin  ;  mais  les  noms 
qui  sont  au  titre  sont  ceux  du  chèvrefeuille  des  bois.  Celui  qui  est  ici 
décrit  doit  s'appeler  :  lonicera  caprifolium ,  l.  periclymenum  perfolia- 
tiim,  G.  B.,  p.  302.  » 

55.  La  Belle-de-nuit  {ilirabilis  Jalapa,  L.]. 

a  On  ne  parle  point  ici  du  disque  ou  nectaire  qui  soutient  la  fleur,  et 
qui  rend  sa  construction  très-remarquable.  » 

56.  La  Stramoine  {Datura  Stramonium  ,  L.), 

a.  C'est  une  plante  d'Amérique  qui  s'est  naturalisée  parmi  nous.  » 

57.  La  Jusquiame  [Hyoscyamus  niger,  L.). 

a  Les  étamines  affectent  conjointement  l'inclinaison  d'un  seul  côté.  » 

58.  Le  Tabac  {Nicoliana  tabacum ,  L.). 

Les  rejetonsdu  haut  de  la  tige  soutiennent  des  fleurs  en  godet, 
a  Dont  le  long  tube  se  renfle  aux  deux  tiers  de  sa  longueur,  et  dont 
le  limbe  est  découpé  en  cinq  divisions.  » 

60.  La  Mandragore  {Atropa  mandragora,  L.). 
Le  pistil  devient,  par  sa  maturité,  un  fruit  rond. 
«  Et  quelquefois  allongé. 

a.  On  peut  voir  dans  Jean  Bauhin  les  détails  de  toutes  ces  petites  jon- 
gleries. » 

61.  La  Belladone  [Atropa  belladonna,  L.]. 

Ce  mot,  dit  Jean-Jacques,  en  parlant  du  nom  spécifique,  que  l'auteur 
avoit  écrit  avec  une  seule  n,  que  les  François  écrivent  et  prononcent 
mal,  doit  être  écrit  avec  deux  n. 

(e)  La  section  du  fruit  qui  doit  répondre  à  ce  renvoi  a  été  oubliée  dans 
la  figure. 

64.  La  Pomme  de  terre  {Solanum  Tuberosum ,  L.). 

La  corolle  de  la  fleur  est  monopélale. 

a  Dans  plus  de  la  moitié  de  l'Angleterre  ,  le  paysan,  pendant  six  mois 
de  l'année ,  ne  mange  que  des  pommes  de  terre  cuites  à  l'eau  en  place  d". 
pain.  Je  ne  parle  pas  ici  d'après  des  livres  ou  des  ouï-dire  ;  je  rapporte 
ce  que  j'ai  vu. 

»  Mais  pourquoi  toutes  ces  pénibles  et  inutiles  préparations?  Toute  la 
préparation  que  demande  la  pomme  de  terre  est  d'être  cuite  à  l'eau , 
pelée  et  mangée.  Elle  est  plus  légère,  plus  nourrissante  et  tout  aussi 
agréable  ainsi  que  de  toute  autre  façon.  » 

69.  Le  Nerprun  (Rhimnus  catharlicûs ,  L.). 


100  NOTES 

Les  pétioles  se  terminent  dans  la  feuille  par  une  nervure  droite, 
laquelle  se  ramifie  assez  régulièrement. 

«  En  courbures  concentriques.  » 

La  graine  d'Avignon  se  tire  des  baies  d'une  espèce  de  rhamnus,  qui 
n'est  qu'une  variété  du  nerprun. 

a  Les  dernières  observations  de  MM.  Scopoli  et  Linnœus  en  font  une 
espèce  distincte  sous  le  i.om  de  rhamnus  infectorhis.:o 

70.  La  Bourgène  ou  l'Aune  noir  (Rhamnus  frangula,  L.). 

On  l'a  appelé  aune  noir  par  le  rapport  qu'on  a  trouvé  de  ses  feuilles 
avec  celles  de  cet  arbre. 

a  Et  parce  qu'ils  se  plaisent  l'un  et  l'autre  aux  lieux  ombragés  près 
des  eaux  ;  car  du  reste  les  feuilles  de  la  bourdaine  ressemblent  beaucoup 
plus  à  celles  du  hêtre  qu'à  celles  de  l'aune. 

n  Les  botanistes  ne  s'accordent  pas  entre  eux  sur  ce  qu'on  doit  regar- 
der comme  calice  et  corolle  dans  le  genre  d'arbrisseaux.  » 

72.  Le  Groseillier  a  grappe  a  fruit  rouge  {Ilibes  rubrum,  L.). 

■  Nota  que  le  groseillier  à  fruit  blanc  n'est  qu'une  variété  de 
celui-ci.  » 

75.  La  Vigne  [Vitis  vinifera ,  L.). 

Nous  avons  observé  qu'assez  ordinairement  les  pétales  sont  non-seule- 
ment rapprochés,  mais  qu'ils  sont  réunis  par  leur  sommet,  et  qu'ils 
forment  une  espèce  de  coiffe  qui  sert  d'enveloppe  aux  parties  sexuelles. 
et  nous  avons  remarqué  que  cette  coiffe  tombe  d'une  pièce  quand  la  fleur 
se  développe. 

«  Ce  que  l'on  dit  ici  des  pétales  est  vrai ,  mais  seulement  du  calice ,  et 
c'est  même  une  conformité  bien  digne  de  remarque  qu'a  le  calice  de  la 
figne  avec  la  coiffe  des  mousses.  A  l'égard  des  pétales,  ils  sont  très- 
petits,  ne  se  réunissent  point  du  tout  au  sommet,  et  tombent  très- 
promptement,  ce  qui  peut-être  a  été  cause  que  l'auteur. ne  les  a  pas 
remarqués.  » 

Toutes  les  parties  de  la  fleur  reposent  dans  un  calice  d'une  seule  pièce , 
divisé  en  cinq  dents  peu  apparentes. 

tt  Ceci  est  une  seconde  çrreur,  suite  assez  naturelle  de  la  précé- 
dente. » 

76.  La  petite  Pervenche  (Ftnco  minor,  L.). 

Pour  en  obtenir  des  fruits,  on  met  la  plante  dans  un  pot  où  il  y  a  peu 
de  terre,  et  la  sève,  ne  pouvant  plus  se  dissiper  dans  la  racine,  passe 
dans  les  tiges  et  puis  gonfle  le  pist:l.  qui  devient  fruit. 

a  C'est  au  contraire  en  tarissant  une  partie  du  suc  nutritif  trop  abon- 
dant, qu'on  laisse  au  suc  médullaire  la  force  de  vaincre  la  résistance  et 
de  faire  nouer  les  fruits.  C'est  par  le  même  principe  que  les  jardiniers 
coupent  une  partie  du  chevelu  des  fraisiers  et  autres  légumes  qu'ils 
transplantent,  pour  les  faire  mieux  fructifier.  » 

J'ignore  pourquoi  les  paysans  des  Vosges  n'imitent  pas  ceux  de  la 
Suisse;  ils  ont  autour  d'eux  les  mêmes  ressources. 

a  C'est  apparemment  «ur  cette  idée  qu'on  a  fait  venir  à  Paris  des 
vaches  suisses ,  dans  la  pe.'suasion  qu'elles  y  donneroient  d'aussi  bon  lait 
oue  dai>s  leur  pays.  » 


SUR  LA  BOTAMQLE  DE  REGNAULT.  101 

83.  L'Ambroisie  ou  Thé  du  Mexique  { Chenopodium  Ambrosio'- 
des.L.). 

....  la  maturité  des  grains. 

«  Il  faut  dire  de  la  graine ,  car  il  n'y  en  a  qu'une  pour  chaque  (leur, 
du  moins  je  le  crois  ainsi  :  si  je  m'abuse  ici  moi-même,  comme  cela 
pourroit  bien  être .  c'est  alors  une  exception  bien  remarquable  au  genre 
des  chenopodium  » 

84.  La  Bette  ou  Poirée  {Beta  vulgaris  cicla,  L.). 

Elle  croît  naturellement  dans  quelques  endroits  au  bord  de  la 
mer. 

a  II  est  vrai  que  Ray  ne  fait  qu'une  espèce  de  la  bette  maritime  et  de 
celle-ci;  mais  tous  les  autres  botanistes  les  distinguent,  et  Linnseus  est 
seulement  en  doute  si  celle  de  nos  jardins  n'est  point  engendrée  par  l'au- 
tre, comme  plusieurs  autres  plantes  qui  naissent  d'un  père  et  d'une 
mère  différens  d'espèces  et  même  de  genre.  » 

85.  La  Soude  {Salsola  soda,  L.). 

a  Cette  lettre  d  ne  montre  dans  la  figure  rien  qui  ressemble  à  la 
graine  de  la  soude.  » 

86.  La  petite  Centaurée  {Gentiana  centaurium ,  L.). 

«  Les  branches  de  la  petite  centaurée  sont  opposées  deux  à  deul 
comme  les  feuilles;  mais,  dans  l'étage  qui  touche  au  sommet,  l'opposi- 
tion manque  par  un  côté ,  et  la  branche  ou  la  fleur  est  toujours  tronquée. 
Cette  observation  mérite  d'être  laite,  parce  qu'étant  constante,  elle  fait 
caractère  pour  l'espèce.  La  figure  exprime  en  quelque  sorte  cette  muti- 
lation, mais  le  bout  de  branche  où  manque  la  fleur  est  encore  de 
trop.  » 

88.  La  Sanicle  {Sanicula  Europxa,  L.). 

D'après  une  remarque  de  M.  Adamson ,  une  feuille  de  la  plante  placée 
sur  le  pédicule  de  l'ombelle ,  quelque  court  qu'il  soit ,  nous  apprend  que 
cette  ombelle  est  terminale. 

«  D'après  cette  règle  déterminez,  si  vous  pouvez,  quelles  ombelles 
sont  terminales  dans  la  figure  et  quelles  sont  axillaires.  » 

Le  fruit  est  hérissé  de  poils  durs. 

a  11  se  partage  en  deux  graines  ovoïdes  en  dehors  et  planes  en 
dedans.  » 

89.  La  Perce-feuille  (Buplevrum  rolundifolium .  L.). 

Ses  fleurs  sont  disposées  en  ombelles,  et  ressemblent  un  peu  à  celles 
du  fenouil  commun. 

a  Ce  sont  des  ombelles  de  la  même  couleur ,  voilà  toute  la  ressem- 
blance. Ce  buplevrum  est  commun  sur  les  hauteurs  de  Ménilmontant.  » 

90.  L'Ammi  {Ammimajus ,  L.). 

•  Elle  est  très-abondante  aux  environs  de  Paris,  surtout  en  deçà  de 
Pantin  et  autour  de  Clignancourt.  » 

Le  fruit  est  couvert  de  poils  rudes. 

«  Je  l'ai  toujours  vu  strié  à  la  vérité ,  mais  lisse  et  sans  poils.  Je  soup- 
çonne qu'on  a  pu  prendre  pour  l'ombelle  de  l'ammi  celle  de  la  carotte, 
qui  lui  ressemble  beaiicoup  ;  la  figure  cependant  est  bien  celle  de 
l'ammi.  » 


102  NOTES 

9!.  Le  Meum  {Aîhamanta  meum,  L.). 

On  le  rencontre  communément  sur  le  mont  Pila. 

«  Je  l'y  ai  trouvé  en  effet  en  grande  abondance  dans  les  prés  de  l'uni- 
que maison  qui  est  presque  au  sommet.  La  figure  représente  assez  bien 
la  plante,  mais  non  son  port;  le  feuillage  est  beaucoup  plus  convergent 
et  serré.  » 

98.  La  Ciguë  aquatique  (Phellandrium  aquaiicum). 

L'auteur  dit  dans  sa  description  :  D'ailleurs,  les  caractères  étant  si 
ressemhlans,  eu  égard  au  pistil,  dans  cette  famille,  on  ne  saurait  douter 
que  le  calice  ne  soit  un  caractère  propre  aux  fleurs  en  ombelle. 

a  Les  deux  lignes  soulignées  me  paraissent  un  galimatias  qui  n'a 
aucun  sens.  » 

99.  La  petite  Ciguë  [Aethusa  cynapium ,  L.). 

Jo  me  souviens  d'avoir  mangé  à  Douvres  une  omelette  où  l'on  avoit 
mis  par  mégarde  de  la  ciguë  au  lieu  de  cerfeuil.  L'omelette  étoit  à  moi- 
lié  mangée  quand  je  m'en  aperçus  ;  ma  femme  s'arrèla,  je  continuai,  et 
nous  n'en  fûmes  incommodés  ni  l'un  ni  l'autre  ;  mais ,  quoique  les  vaches  , 
les  chevaux ,  les  brebis  et  les  chèvres  broutent  cette  plante ,  son  goût 
désagréable  et  cuivreux  nous  avertit  assez  qu'elle  n'est  pas  faite  pour 
entrer  dans  nos  alimens. 

Sa  tige  est  tachetée  sur  la  surface  de  marques  brunes  comme  la  peau 
d'un  serpent. 

«  Je  ne  me  souviens  pas  d'avoir  vu  de  oes  taches  sur  la  tige  de  la  petite 
ciguë,  mais  la  grande  en  a  presque  toujours.  Au  reste,  on  a  omis  dans 
la  figure  et  dans  la  description  l'enveloppe  de  la  petite  ombelle ,  dont  les 
trois  pointes  extérieures  font  un  caractère  très-distinct  et  très-apparent. 
En  tout,  la  figure  n'est  pas  bonne,  et  ressemble  à  quelque  espèce  de 
séséli  bien  autant  qu'à  la  ciguë.  » 

100.  La  Coriandre  {Coriandrum  sativum,  L.). 

Cette  plante  croît  naturellement  dans  les  plaines  de  l'Italie. 

a  Je  l'ai  trouvée  indigène  en  plusieurs  provinces  de  France,  et  il  n'y 
a  pas  trois  ans  qu'elle  éloil  assez  abondante  sur  les  hauteurs  qui  bor- 
dent la  rivière  au-dessous  du  palais  Bourbon.  Les  décombres  des  jardins 
pouvoient  l'y  avoir  semée;  mais  on  ne  s'avise  guère  de  cultiver  la  co- 
riandre dans  les  jardins  d'ornement,  et  il  s'en  faut  beaucoup  que  la 
fleur  n'ait  l'éclat  et  la  figure  qu'on  lui  donne  ici  pour  la  beauté  du  coup 
d'œil.  » 

Sa  racine  est  foible  et  peu  fibreuse. 

a  Ce  n'est  donc  pas  celle  qu'on  nous  psint  ici.  « 

101.  Le  Cerfeuil  musqué  {Scandix  odorata ,  L.). 
Cette  plante  croît  naturellement  dans  les  Alpes. 

«  El  en  Angleterre  :  il  n'est  point  dans  le  Synopsis  de  Ray;  cepen- 
dant je  suis  très-sûr  de  l'avoir  trouvé  à  Wootton ,  dans  des  fonds  sau- 
vages très-éloignés  de  jardins  et  de  toute  habitation.  » 

102.  Le  Cerfeuil  [Scandix  cerefolium,  L.). 

Celte  plante  croîl  sans  soin  dans  les  pays  septentrionaux, 
a  II  n'en  auroil  pas  besoin  non  plus  parmi  nous  :  il  vient  partout  où 
il  est  .semé,  pourvu  que  le  terrain  ne  soit  pas  trop  sec.  « 


SUR  LA  BOTANIQUE  DE  REGNAULT.       103 

"  104.  Le  Séséli  de  Marseille  {Seseli  torluosum,  L.). 

Les  fleurs  ont  cinq  étamines,  dont  une  avorte  quelquefois. 

a  C'est  apparemment  pour  cela  qu'on  n'en  a  mis  que  quatre  dans  les 
deux  figures:  mais  il  falloit  peindre  la  règle  et  dire  l'exception,  ou  du 
moins  ne  la  peindre  qu'une  fois.  » 

106.  L'Anet  {Ânethum  graveolens ,  L.). 

Le  pistil  est  composé  de  deux  cotylédons. 

a  On  ne  sauroit  employer  ici  ce  mot  sans  dénaturer  toutes  les  idées 
que  les  botanistes  y  ont  attachées ,  et  je  doute  qu'aucun  d'eux  en  ait 
jamais  fait  un  pareil  usage.  » 

lOT.  Le  Fenouil  commun  {Anethum  fœniculum,  L.). 

«  Commun  dans  les  vignes  aux  environs  de  Paris.  » 

109.  L'Anis  {Pinpinella  anisum  ,  L.). 

•  On  auroit  dû ,  ce  me  semble ,  parler  des  feuilles  radicales ,  ou  du 
moins  en  mettre  une  dans  la  figure,  parce  qu'elles  sont  entières  le  plus 
souvent,  et  par  là  font  caractère.  » 

110.  L'ACHE  {Apium  graveolens,  L.). 

"  Quoiqu'on  ait  ici  colorié  les  fleurs,  elles  sont  ordinairement  blan- 
ches. » 

116.  Le  Tamarix  [Tamarix  Germanica,  L.). 

Celte  plante  a  reçu  le  nom  de  tamarix  d'Allemagne  pour  la  distin- 
guer de  celle  qui  croît  en  Italie  et  en  Espagne ,  et  qu'on  appelle  tamarix 
de  Narbonne ,  eUqui  n'est  qu'une  variété  du  nôtre. 

«Voilà  ce  que  j'oserai  ne  pas  croire,  puisqu'il  y  a  des  difi'érences 
très-marquées  même  dans  la  fructification.  » 

Aussi  en  difl'ère-t-il  peu. 

a.  Il  devient  beaucoup  plus  grand,  et  Clusius  assure  en  avoir  vu  en 
Espagne  dont  un  homme  auroit  eu  peine  à  embrasser  le  tronc.  » 

118.  La  Couronne  impériale  {Friiillaria  impenaZis,  L.). 

Il  On  a  oublié  dans  la  figure  des  graines  celle  qui  doit  répondre  à  \'h.  » 

119.  L'Asperge  (Asparagus  officinalis,  L.). 
Cette  plante  se  cultive  dans  les  jardins  potagers. 

a  On  pouvoit  dire  ici  qu'elle  est  indigène  en  plusieurs  endroits  du 
royaume,  entre  autres  dans  l'île  Mognat.  à  Lyon,  où  j'en  ai  cueilli 
dans  la  prairie ,  et  mangé  d'excellentes  chez  le  propriétaire  et  unique 
habitant  de  l'île.  » 

C'est  à  la  couleur  de  ses  stipules  qu'on  doit  s'attacher  pour  connoître 
les  asperges  de  meilleure  qualité;  il  faut  choisir  celles  qui  les  ont  du 
yiolet  le  plus  foncé. 

a  Celte  couleur  est  accidentelle  :  elle  dépend  de  la  température  de 
l'air,  et  non  de  la  qualité  de  l'asperge,  d 

120.  Le  Muguet  {Convallaria  maialis,  L.). 

La  tige  qui  porte  les  fleurs  est  enveloppée  à  sa  base  d'une  gaine  com- 
posée de  plusieurs  membranes. 

«  La  naissance  de  cette  hampe  dans  cette  gaîne  et  la  forme  triangu- 
laire des  deux  pétioles  appliqués  de  plat  l'un  contre  l'autre  méritent  le 
coup  d'œil  d'un  curieux.  On  retrouve  à  peu  près  la  même  forme  de  con- 
struction dans  les  pédicules  des  épis  de  quelques  scirpus.  » 


104  iSOTES 


121.  Le  Sceau  de  Salomon  {Convallaria  polygonatum ,  L.). 
a  II  y  en  a  une   autre  espèce  toute  semblable ,  mais  un  peu  plus 

grande,  qui  porte  plusieurs  Heurs  attachées  à  chaque  pédicule.  » 

122.  L'Aloès  succotbin  {Aloe  perfoliata  vera,  L.). 

On  ne  peut  guère  espérer  de  la  voir  fleurir  sans  le  secours  des  serres 
ihaudes. 

a  C'étoit  peut-être  ici  le  lieu  de  dire  un  mot  des  fables  qu'on  a  débi 
fées,  et  que  les  gazettes  propagent  encore,  sur  les  miraculeuses  florai 
Bons  de  l'aloès.  » 

L'aloès  tient  un  rang  distingué  dans  la  médecine;  mais  il  doit  èxvn 
administré  par  une  main  habile  :  c'est  un  bon  remède  dont  l'abus  est 
dangereux;  c'est  aux  gens  de  l'art  qu'il  faut  laisser  le  soin  d'en  pres- 
crire l'usage,  et  aux  pharmaciens  celui  d'en  faire  les  préparations. 

o  Médecins  et  apothicaires,  faites  ici  la  révérence.  » 

124.  La  Patience  des  jardins  {Rumex  Patientia,  L.). 
Le  fruit  qui  succède  au  pistil  est  composé  de  trois  valves. 

ût  Et  l'une  des  trois  valves  porte  ordinairement  sur  son  dos  une  petite 
bulbe  ou  verrue.  » 

On  emploie  les  racines  de  patience  comme  celle  de  l'oseille,  à  la- 
quelle on  la  substitue. 

«  On  lui  substitue  même  l'herbe,  en  Suisse,  dans  nos  cuisines.  La 
patience  y  porte  le  nom  de  choux  gras. 

«  En  revanche,  ils  n'en  font  aucun  usage  en  pharmacie.  » 

125.  La  Parelle  des  marais  {Rumex  aquaticus ,  L.). 

a  Dans  cette  parelle,  et  dans  toutes  autres,  les  pédicules  qui  portent 
les  fleurs  sont  tous  articulés.  Ce  caractère  générique  méritoit,  ce  me 
semble,  d'être  observé,  et  ne  l'a  encore  été,  que  je  sache,  par  aucun 
botaniste.  » 

126.  L'Oseille  ronde  [Rumex  sculatus  ,  L.). 

«  On  s'est  ici  trompé  de  titre.  L'oseille  des  jardins,  à  Paris,  est  le 
rumex  acetosa  de  Linnaeus,  acetosa  pratensis.  L'auteur  auroit  pu 
s'apercevoir  de  l'erreur  dans  sa  description,  puisque  les  fleurs  de  sa 
plante  sont  dioïques ,  et  celles  du  rumex  scxitatus  hermaphrodites.  Ce 
qui  l'a  pu  tromper  est  le  nom  d'horlensis  donné  par  C.  B.  à  ce  dernier. 
Mais  c'est  qu'à  Genève  et  en  Suisse  l'oseille  cultivée  dans  les  jardins 
n'est  pas,  comme  à  Paris,  l'oseille  longue,  mais  l'oseille  ronde,  ou  le 
rumex  scutatus  connu  dans  nos  Alpes.  » 

127.  Le  Colchique  {Colchicum  autumnale,  L.). 

Sa  racine  est  composée  de  deux  tubercules  blancs,  dont  l'un  est 
charnu  et  l'autre  barbu. 

a  C'est-à-dire  l'un  vieux  et  l'autre  récent.  » 

M.  Stork ,  si  connu  par  des  expériences  admirables  sur  les  différens 
poisons  tirés  du  règne  végétal,  les  a  étendues  à  ce  colchique....  On  sait 
que  Triccius  avoit  donné  l'exemple  de  cette  sage  témérité,  celle  de  faire 
des  expériences  sur  soi-même,  longtemps  avant  M.  Stork....  Il  est  rare 
de  trouver  des  savans  qui  se  dévouent  en  quelque  sorte  pour  le  bien  de 
l'humanité,  jusqu'à  éprouver  sur  eux-mêmes  les  effets  hasardeux  que 
produisent  les  plantes  vénéneuses  et  les  poisons  en  général;  il  faut  au 


l 


J 


SUR   LA   BOTANIQUE   DE   REGNAULT.  1'»:) 

moins  autant  de  courage  pour  s'y  résoudre  qu'il  en  fallut  à  Alexandre 
pour  boire  sans  réflexion  la  médecine  présentée  par  Philippe, 
a  Sans  réflexion  ?  C'étoit  donc  un  étourdi  !  0  modernes,  modernes  !  a 

128.  La  grande  Capucine  {Tropœoîum  majus,  L.). 

a  Mme  de  Linnée  a  remarqué  que  ces  fleurs  rayonnent  et  jettent  ur.e 
sorte  de  lueur  avant  le  crépuscule.  Ce  que  je  vois  de  plus  sûr  daiis  celle 
observation,  est  que  les  dames  dans  ce  pays-là  se  lèvent  plus  malin  que 
dans  celui-ci.  » 

129.  La  Lauréole  mâle  et  femelle  {Daphne  laureola,  Daplme 
Uazereum ,  L.). 

La  dénomination  de  mâle  et  de  femelle  qu'on  a  donnée  à  ces  deux  ar- 
brisseau.xne  caractérise  leur  sexe  d'aucune  manière,  et  ils  portent  tous 
deux  des  fleurs  hermaphrodites:  mais  c'est  un  vieil  usage  que  le  temj)S 
a  respecté,  et  que  nous  n'osons  détruire  dans  la  crainte  de  nous  ériger 
«n  novateurs. 

a  11  est  si  bien  détruit,  depuis  longtemps,  que  c'est  une  espèce 
d'innovation  de  le  rétablir.  Les  auteurs  et  les  jardiniers  n'ont  même  été 
jamais  trop  bien  d'accord  entre  eux  sur  ces  dénominations,  et  par 
exemple  on  donne  plus  souvent  le  nom  garou  au  thyméléa  qu'à  la  lau- 
réole ou  laurelle.  » 

130.  La  Bistorte  {Polygonum  bistorta,  L.). 

La  racine  est  ordinairement  torse,  contournée  et  repliée  sur  elle- 
même  comme  un  serpent. 

a  II  falloit  cependant,  dans  la  figure,  rendre  la  configuration  de 
cette  racine  la  plus  commune  et  de  laquelle  la  plante  a  tirée  sou 
nom.  » 

....  les  neuf  étamines  qui  environnent  le  pistil. 

«  J'en  ai  vu  rarement  même  jusqu'à  huit.  » 

131.  La  Renouée  ou  Traînasse  {Polygonum  aviculare.). 

La  renouée  est  une  de  ces  plantes  que  la  nature  semble  avoir  pris 
plaisir  à  semer  sous  dos  pas. 

o  Cela  est  très-bien  dit,  car  cette  singulière  plante  ne  prospère  et 
fructifie  jamais  mieux  qua  quand  elle  est  bien  foulée  aux  pieds.  » 

Le  calice,  qui  tient  lieu  de  corolle  à  la  fleur,  pourroit  passer  pour 
une  corolle  lui-même  à  cause  de  la  bordure  colorée  qui  orne  l'extrémité 
de  la  division  :  il  n'est  pourtant  regardé  que  comme  un  calice  par  les 
plus  grands  botanistes. 

a  Et  avec  raison,  puisqu'il  est  persistant  jusqu'à  la  maturité  du  fruit.» 

C'est  un  tube  monophylle,  divisé  profondément  en  cinq  parties  Ces 
divisions  sont  disposées  sur  deux  rangs ,  les  divisions  du  second  rang 
sont  en  même  nombre  que  celles  du  premier:  celui-ci  est  disposé  de 
manière  à  remplir  l'office  de  calice,  si  on  regardoit  l'autre  comme  une 
corolle. 

<<  Tout  ceci  n'est  pas  clairement  dit,  et  ne  peut  guère  s'entendre  que 
par  ceux  qui  connoissent  déjà  la  structure  du  fruit.  » 

132.  Le  Blé  noir  ou  Sarrasin  {Polygonum  fagopyrum,  L.). 

^Le  nom  du  blé  de  Sarrasin  nous  fait  assez  connoilre  qu'il  nous  a  été 
Apporte  d'Afriaue. 


106  NOTES 

«  Ce  n'est  là  tout  au  plus  qu'une  présomption  très-légère.  On  pour 
roit  dire  la  même  chose  du  blé  de  Turquie,  et  l'on  se  tromperoit  é-ale 
ment.  Il  est  très-possible  qu'il  doive  ce  nom  de  .sarrasin  uniquement  à 
sa  couleur.  »  ^ 

Les  paysans  en  font  dans  le  Tyrol  une  bouillie  épaisse  connue  sous 
le  nom  de  polenta. 

«  J'ignore  ce  qui  se  pratique  dans  le  Tyrol;  mais  en  Italie  rien  n'est 
si  commun  que  la  polenta,  et  elle  se  fait  avec  du  blé  de  Turquie 
jamais,  que  je  sache,  avec  du  sarrasin.  »  ' 

Nous  ne  devons  pas  passer  sous  silence  la  nourriture  abondante  que 
les  abeilles  vont  butiner  sur  les  fleurs  du  sarrasin. 

«  On  auroit  pu  remarquer  à  ce  sujet  que  les  fleurs  de  sarrasin  répan- 
dent une  forte  odeur  de  miel.  » 

133.  Le  Raisjn  de  renard  (Paris  quadrifolia,  L.). 

Les  feuilles  sont  ordinairement  au  nombre  de  quatre;  rarement  on 
nen  trouve  que  trois,  et  il  est  aussi  rare  que  le  nombre  aille  jusqu'à 

a  Je  l'avois  à  six  feuilles  dans  mon  herbier.  » 
Le  fruit  est  une  baie  globuleuse. 

«  Dans  la  figure,  le  fruit  est  dépouillé   de  son  enveloppe,  ce  que 
l'auteur  auroil  dû  dire.  ?>  t-r   i  "^  4uc 

134.  Le  Rapontic  {lîheum  rhaponticum,  L.). 
Les  fleurs  sont  à  pétales. 

<x  C'est  tout  le  contraire;  elles  sont  apétales.  » 

135.  La  Rhubarbe  [Rheum  rhabarbarum ,  L.). 

Ne  pourrions-nous  pas  lui  donner,  comme  les  Chinois,  les  nrénara- 
tions  convenables  ?  i^    h  -» 

»  Mais  il  faudroit  au  moins  commencer  par  bien  déterminer  l'espèce 
et  11  est  maintenant  reconnu  que  ce  n'est  pas  celle-ci  qui  est  la  vraie- 
rhubarbe ,  mais  celle  qui  porte  le  nom  de  rheum  palmatum.  Celle-ci 
porte  dans  Linnœus  le  nom  de  rheum  undulatum;  à  l'égard  du  nom 
trivial  de  rhabarbarum,  y  ignore  s'il  se  trouve  dans  ses  premières  édi- 
tions; mais  dans  les  deux  dernières,  il  ne  se  trouve  point,  et  j'ionor© 
d'où  notre  auteur  l'a  tiré.  »  x-        '       j  o 

13G.  La  Fraxinelle  [Dictamnus  albus  ,  L.). 
Les  folioles  sont  entières,  oblongues. 

«  Ces  folioles  sont  bordées  de  petites  glandules  noires  qui  rendent  la 
plante  facile  a  connoître  au  premier  coup  d'œil.  » 
Chaque  capsule  renferme  deux  ou  trois  graines  noires  et  luisantes 
«  On  poXirroit  ajouter  que  l'élasticité  de  ces  capsules  les  fait  ouvrir 
par  la  grande  chaleur,  et  lancer  leur  graine  avec  bruit  et  bien  plus  im- 
pétueusement que  la  balsamine.  Le  buis  fait  encore  la  même  chose  à 
peu  près.  Le  concombre  sauvage  fait  plus  ;  il  vous  mouille  et  vous 
inonde  en  même  temps  d'une  eau  acre  et  raordicante  qui  fait  cuire  les 
yeux.  » 

Toutes  ses  parties  sont  couvertes  d'huile  essentielle  et  inflammable, 
au  point  que,  si  l'on  en  approche  une  flamme  dans  les  temps  secs,  elle- 
Drend  feu  comme  l'esprit-de-vin ,  sans  pourtant  consumer  la  plante. 


SUR  LA  BOTANIQUE  DE  REGNAULT.      107 

o  Cet  efl'et  n'a  lieu  que  foiblement  et  rarement  (dans  ce  climat  ;  mais  il. 
îst  surprenant  en  Provence.  » 

137.  La  Hue  (Uuia  graveolens ,  L.). 

Elle  porte  à  son  sommet  des  fleurs  composées  de  cinq  pétales. 
«  Plus  souvent  quatre.  » 

138.  La  Saxifrage  {Saxifraga  granulata  ,  L.). 
Les  parties  sexuelles  consistent  en  dix  étamines  et  un  pistil, 
a  L'auteur  ne  compte  jamais  qu'un  pistil  dans  ces  sortes   de  cas; 

"nais  il  y  en  a  certainement  deux  dans  la  saxifrage,  lesquels  sont  bien 
cparés  et  bien  évidens  quand  le  fruit  approche  de  sa  maturité.  Cela  se 
/oit  encore  mieux  dans  d'autres  espèces  .du  même  genre. 

a  Si  avant  que  d'examiner  l'ouvrage,  j'avois  lu  ses  définitions'  des- 
,ermes,  je  n'aurois  point  fait  cette  note;  mais  je  l'ai  corrigée  ail- 
eurs.  » 

139.  La  Saponaire  (Saponaria  officinalis ,  L.). 

Il  succède  aux  pétales  une  capsule  oblongue  enveloppée  dans  le  ca- 
ice  où  l'on  trouve  les  semences  mêmes ,  presque  rondes  et  en  grand 
nombre. 

a  Quoiqu'il  soit  ici  parlé  de  capsule,  comme  elle  n'est  point  exprimée 
lans  la  figure,  on  pourroit,  sur  le  tour  de  la  phrase  et  sur  la  figure 
-nêrae,  penser  que  les  graines  n'ont  point  d'autre  enveloppe  que  le 
alice,  si  on  n'avertissoit  ici  du  contraire.  » 

140.  L'Œillet  [Dianlhus  caryopJnjLluSy  L.). 
Celte  plante  est  originaire  des  Moluques. 

a  Ceci  m'a  bien  l'air  encore  d'un  quiproquo;  cela  est  vrai  du  clou  de 
ïirofle,  qui  s'appelle  aussi  cartiopliyllus  :  mais  quant  à  notre  œillet, 
quoique  Ruellius  et  Cordus  soutiennent  qu'il  n'a  pas  été  connu  dès- 
anciens,  d'autres  savans  critiques  ne  sont  pas  de  leur  avis  :  on  sait 
i'ailleurs  que  l'œillet  simple  est  indigène  en  plusieurs  lieux  de  l'Apennin 
et  des  Alpes ,  et  qu'on  le  cultivoit  en  Europe  longtemps  avant  que  l'exis- 
tence des  Moluques  y  fût  connue,  x 

On  le  multiplie  plus. souvent  par  les  marcottes  que. par  la  graine: 
car  les  fleurs  qui  viennent  sur  les  pieds  élevés  de  graine  deviennent 
sauvages,  et  donnent  des  fleurs  plus  petites  et  variées,  mais  moins 
odorantes  et  simples. 

a  Preuve  bien  claire  que  la  beauté  de  cette  fleur  est  due  en  partie  à 
la  culture,  et  que  celle  qu'on  trouve  dans  les  montagnes  n'en  diffère 
pas  essentiellement.  » 

141.  Le  Nombril  de  Vénus  {Cotylédon  umhilicus ,  L.). 
Cette  plante  se  rencontre  ordinairement  sur  les  rochers  humides,  et 

parmi  les  débris  des  vieux  édifices. 

a  Mais  seulement  dans  les  lieux  montagneux ,  car  je  doute  qu'il  se 
trouve  en  aucun  pays  de  plaine.  » 

Celte  fleur  est  monopétale;  c'est  un  tube  au  fond  duquel  il  se  trouve 
un  nectar. 

a  Je  croirois  qu'il  faut  dire  nectaire;  nectar  e.st  la  liqueur,  et  nectaire 
le  vase  qui  la  contient.  »  (Voy.  n°  179.) 

144.  Le  Cabaret  [Asarum  Europucum  ,  L.). 


108  NOTES 

Nous  l'avons  cherché  inutilement  à  Saint-Maur,  où  l'on  dit  cepemJan 
qu  il  se  trouve.  ' 

....  les  fleurs  portées  sur  des  peduncuZes  courts 

a  Je  crois  que  l'harmonie  de  chaque  langue  exige  qu'on  dise  pedun- 
culus  en  latin ,  et  pédoncule  en  francois.  » 

145.  Le  Pourpier  (Portulaca  oleracea,  L.). 
Le  style  se  divise  en  quatre  stigmates. 

a  On  en  a  mis  cinq  dans  la  figure. 

146.  La  Salicaire  (Lythnim  salicaria ,  L.). 

Les  étamines  sont  ordinairement  en  même  nombre  que  les  pétales 
«  En  nombre  double  de  celui  des  pétales. 

a  La  figure  montre  la  disposition  des  étamines  mieux  que  le  discours 
ne  l'explique.  » 

147.  L'AiGREMOiNE  {Aqrimonia  eupaloria,  L.). 
Les  fleurs  sont  à  cinq  pétales  rangés  en  gi-appes. 
«  Plutôt  en  épis.  » 

150.  La  petite  Ésule  (Euphorbia  cyparisias,  L.). 

«  Une  remarque  à  faire  est  que  les  étamines  ne  se  développent  oue 
successivement ,  et  qu'il  n'en  paroît  guère  à  la  fois  que  trois  ou  quatre  » 

Les  capsules  s  ouvrent  en  deu.Y  valves ,  comme  on  le  voit  dans  la 
figure. 

«  Ou  plutôt  comme  on  ne  le  voit  pas.  » 

151.  La  grande  Joubarbe  [Sempervivum  tectorum,  L.).  S^ 
Le  pistil  est  composé  de  douze  à  quinze  ovaires.       '                          J 

«  Ordinairement  en  même  nombre  que  les  étamines.  »  3 

152.  Le  Myrte  {Myrtus  communis,  L.).  j 
Ses  baies  sont  connues  sous  le  nom  de  myrtiUes. 

«  Cela  étant,  il  seroit  bon,  pour  éviter  l'équivoque,  d'ôter  ce  nom 
aux  vrais  myrtilles  qui  se  mangent,  qui  sont  les  fruits  du  vaccinium 
myrtillus,  arbrisseau  très-connu  dans  les  pays  de  raoniao-nes   » 

157.  Le  Prunier,  petit  Dam.as  noir  [Pruna  domestica    L.). 

«  {B)  Damassena  v  ' 

Le  prunier  est  originaire  de  Syrie  et  de  Dalmatie  ;  il  est  naturalisé 
depuis  longtemps  dans  nos  climats. 

a  II  est  sans  contredit-indigène  dans  toute  l'Europe  :  le  prunus  insi- 
titia  et  le  prunus  domestica  sont  une  seule  et  même  espèce  qui  varie 
uniquement  par  la  greffe  et  par  la  culture.  »  ' 

160.  La  Reine  des  prés  {Spirxa  ulmaria,  L.). 

Elle  vient  sans  culture  dans  les  prés. 

a  Surtout  aux  bords  des  ruisseaux.  » 

161..  L'Églantier  {Piosa  canina,  L.). 

le  calice  accompagne  les  ovaires  jusqu'à  leur  maturité;  à  mesure 
que  les  ovaires  mûrissent,  le  calice  se  gonfle  et  perd  sk  couleur-  il'se 
referme  enfin  a  la  maturité.  ' 

«  Il  est  clair  que  la  rosj  est  une  fleur  supère,  où  l'ovaire  est  au- 
dessous  du  calice  et  de  la  corolle  ;  mais  ici  l'auteur  donne  le  nom 
d  ovaires  aux  semences  mêmes  contenues  dans  le  fruit  :  tout  cela  ne  me 
paroit  pas  suffisimment  développé.  > 


SUR  LA  BOTANIQUE  DE  REGNALLT.       100 

,i^  Quelques  botanistes  prétendent  que  chaque  graine ,  en  particulier, 
>t  un  fruit  elle-même. 

;  a  Voilà  encore  une  idée  qui  demanderoit  explication.  Qu'entend-on 
Jar  ce  mot  de  fruit  appliqué  aux  graines?  Entend-on  que  ces  graines 
jnt  autant  de  capsules  où  sont  enfermées  d'autres  graines?  La  chose 
'est  pas  impossible ,  et  nous  en  avons  un  exemple  bien  mémorable 
ans  le  guettarda,  où  ce  que  Linnaeus  lui-même  a  pris  pour  les  graines 
e  trouve  être  des  capsules  qui  les  contiennent,  et  qu'une  plus  grande 
apsule  enfermoit.  La  chose  est  bien  facile  à  vérifier  dans  le  gratte-cul  : 
lais  quand  cela  seroit.  encore  faudroit-il  renverser  toutes  les  idées  re- 
nés pour  donner  à  chacune  de  ces  capsules  contenues  dans  le  péri- 
arpe  le  nom  de  fruit.  Cette  description  est  pleine  d'acceptions  nou- 
elles .  qui  demauderoient  autant  de  nouvelles  définilions.  » 

lf;2.  Le  Fraisier  {Fragaria  lesca.  L.). 

Le  calice  est  un  tube  divisé  en  dix  feuilles. 

a  Plus  grandes  et  plus  petites  alternativement.  » 

162  bis.  L'Argentine  [Potentilla  anserina.  L.). 

Le  calice  est  d'une  seule  pièce  partagée  en  dix  divisions,  qui  parois- 
ient  disposées  sur  deux  rangs.  Celles  du  premier  rang  sont  unies. 
)vales  et  terminées  en  pointe-,  celles  du  second  rang  sont  alternatives 
ivec  les  premières. 

«  Ces  dispositions  du  calice  en  compartimens  alternatifs  se  voient 
iussi  dans  la  fraise,  dans  la  tormentille  et  dans  d'autres  icosandres.  » 

163.  La  QuiNTEFEUiLLE  [Potentilla  reptans ,  L.). 
Nous  avons  représenté  le  calice  vu  de  face,  divisé  en  dix  parties, 

dont  cinq  longues  et  cinq  courtes. 
a  Alternativement.  » 

On  l'employoit  du  temps  d'Hippocrate  pour  guérir  les  fièvres. 
a  Apparemment  ce  n'est  plus  la  mode.  » 

164.  La  Tormentille  {Tormentilla  erecta,  L.). 

a  Ajoutez  dans  la  tormentille  le  quart  en  sus  de  toutes  les  parties  de 
la  fructification ,  vous  aurez  la  quintefeuille.  Retranchez  dans  la  quinte- 
feuille  la  cinquième  partie  de  la  fructification,  vous  aurez  la  tormen- 
tille. sauf  toutefois .  dans  l'espèce,  la  différence  du  port  et  de  la 
foliation,   différence  bien  petite  et  presque  nulle   dans  le   potentilla 

xerna.  » 

Les  étamines  sont  attachées  sur  les  bords  du  tube  du  calice. 

a  11  me  semble  que  le  calice  n'a  point  de  tube  ni  petit  ni  grand,  li 
auroit  fallu  dire  que  les  étamines  sont  attachées  au  réceptacle,  à  cô;é 
des  pétales  et  sur  les  bords  du  calice.  » 

1G6.  La  Benoîte  {Geum  urhanum,  L.). 

Sa  racine  répand  une  odeur  de  girofle,  ce  qui  lui  a  fait  donner  per 
Pline  le  nom  de  caryophyllata. 

a.  Pline  n'a  point .  que  je  sache ,  parlé  de  cette  plante .  à  moins  que 
ce  ne  r.oit  celle  dont  il  parle  sous  le  nom  de  geum.  renouvelé  par  Lin- 
naeus; mais  quant  au  nom  de  caryophyllata.  il  est  moderne,  et  ne  se 
trouve  dans  aucun  ancien.  Eh  !  comment  s'y  trouveroit-il  ?  on  l'a  donné 
i  -jette  planta  ^^larce  que  sa  racine  sent  le  girofle.  Or  le  girofle  n'étoit 


110  NOTES 

pss  connu  des  anciens.  J'avoue  cependant  que  Phine,  livre  XII,  parli 
d'un  caryoplïyllon  qu'il  dit  se  trouver  aux  Indes;  mais  je  ne  crois  pa 
que  personne  retrouve  notre  girofle  dans  la  courte  description  qu'i 
en  fait.  » 

166.  La  Chélidoine  (Chelidonium  majus ,  L.). 

a  Sans  la  forme  difTérente  du  fruit,  la  chélidoine  seroit  un  pavot.  » 

1G8.  Le  Coquelicot  {Papaver  rhxas ,  L.). 

a.  On  auroii  dû  peut-êlre  faire  mention  de  l'extrême  caducité  des  pé 
taies,  qu'il  est  presque  impossible  de  conserver  attachés  à  la  fleur.  » 

169.  Le  Pavot  noir  {Papaier  somniferum ,  L.  B). 
Les  fleurs  sont  pendantes. 

a.  Elles  sont  pendantes  avant  leur  épanouissement,  elles  se  redresseni 
à  la  floraison. 

a  Je  ne  sais  comment  cela  se  fait;  mais  on  ne  vend  chez  les  épiciers 
de  Paris,  sous  le  nom  d'huile  d'olive,  que  de  l'huile  de  pavot.  ElU 
vn'est  pas  aussi  agréable  au  goût  que  celle  dont  elle  porte  le  nom,  mais 
elle  est  tout  aussi  saine.  » 

170.  Le  Pavot  blanc  {Papaver  somniferum ,  L.  Y.]. 
L'opium....  causant  aux  nerfs  un  étourdissemenl  qui  réveille. 

a  Un  élourdissement  qui  réveille  n'est  pas  une  expression  facile  à 
entendre.  » 

Au  reste ,  la  propriété  enivrante  et  destructive  de  l'opium  a  fait  re- 
courir à  cette  drogue  quelques-uns  de  ces  insensés  qui  brisent  volon- 
tairement les  liens  d£  leur  existence,  et  qui  s'imaginent  que  le  froid 
mortel,  circulant  pesamment  dans  leurs  veines  avec  l'opium,  les  dé- 
robera insensiblement  au  fardeau  de  la  vie ,  en  leur  épargnant  les  hor- 
reurs de  la  mort.  Ce  moyen  ne  leur  a  pas  réussi. 

a  II  falloit  ajouter  que  lorsqu'il  ne  réussit  pas,  il  laisse  très-souvent 
l'infortuné  qui  l'a  tenté,  pour  le  reste  de  sa  vie,  dans  un  état  pire  que 
la  mort.  » 

173.  Le  Ladanum  (Cistus  Creticus ,  L.). 

La  tige  s'élève  d'environ  huit  pouces,  et  il  y  a  lieu  de  croire  qu'ellL 

•  parvient  à  une  hauteur  plus  considérable  dans  les  climats  où  elle  croît 

naturellement. 

a  De  deux  à  trois  pieds,  selon  la  relation  de  Touri.efort.  j> 

174.  L'HÉLiANTHÈME  (Cislus  heltanthemum ,  L.). 
a  Dans  le  genre  des  cisles,  le  calice  est  composé  de  cinq  feuilles, 

mais  dans  la  plupart  des  espèces,  et  pirticulièrement  dans  celle-ci' 
deux  de  ces  feuilles  sont  beaucoup  plus  petites  que  les  trois  autres, 
et  alternent  avec  elles;  cette  inégalité  fait  un  des  caractères  du 
genre.  » 

175.  La  Pivoine  male  [Pœonia  officinalis ,  L.). 
On  la  rencontre  aux  environs  de  Montpellier, 
a  Et  dans  les  montagnes  de  Suisse.  » 

176.  Le  Pied-d'alouette  t^Delphinium  consolida,  L.). 

Cette  plante  difiere  peu  de  celle  des  jardins,  mais  la  tige  de  ceit:  ilei- 
nière  esi  beaucoup  plus  haute. 
a.  Et  moins  rameuse,  en  quoi  les  deux  figures  sont  à  contre-sens.  » 


SUR  LA  BOTANIQUE  DE  REGNAULT.       111 

«  Les  graines,  dont  le  discours  ne  parle  pas,  sont  représentées  en  D. 

177  bis.  Le  Napel  {Aconitum  Napellus ,  L.). 

Cette  plante  croît  dans  quelques  montagnes  de  la  Suisse ,  au  pays  des 
Grisons,  en  Bavière. 

«  Et  sur  le  mont  Pila.  » 

Les  anciens  ne  nous  ont  pas  laissé  un  exemple  de  modération ,  dans 
l'usage  qu'ils  faisoient  de  cette  plante  à  la  guerre.  Le  suc  de  sa  racine 
aiguisoit  leurs  flèches,  et  leurs  cruelles  mains  lançoient  avec  le  fer  le 
poison  et  la  mort. 

a  Ne  diroit-on  pas  à  cette  tournure  que  c'étoit  une  pratique  commune 
parmi  les  anciens?  quand  nous  le  serons  devenus,  nos  descendans, 
qui  se  croiront  plus  sages,  parce  qu'ils  seront  peut-èlre  encore  plus 
bavards,  ne  manqueront  pas  de  dire:  «  Ah  1  les  mauvaises  gens  que 
«  nos  ancêtres!  ils  raordoient  leurs  balles  afin  que  les  plaies  fussent 
a  incurables,  et  qu'aucun  blessé  ne  pût  échapper  à  la  mort.  » 

179.  L'AvcoLiE  [A quUegia  vidgaris ,  L.). 

La  disposition  des  cinq  extrémités  des  nectars. 

a  Je  crois  qu'on  doit  les  appeler  nectaires;  nectaire  est  le  vase,  et 
nectar  la  liqueur.  » 

182.  L'ÉCLAiRETTE  {Ranuiiculus  ficaria ,  L.). 

«  Dans  cette  figure  D,  le  calice  paroît  composé  de  quatre  feuilles, 
parce  que  l'enlumineur  a  mal  à  propos  teint  en  vert  une  des  capsules 
du  fruit,  qu'il  a  prise  pour  une  des  feuilles  du  calice.  Les  trois  autres 
même  sont  si  petites  qu'elles  pourroient  bien  n'être  encore  qu'autant 
de  capsules.  » 

On  la  pile  et  on  l'applique  sur  les  hémorroïdes  et  les  écrouelles. 

»  Elle  ne  pouvoit  manquer  de  guérir  des  unes  et  des  autres  par  vertu 
signative,,  vu  que  les  tubercules  de  ses  racines  en  ont  la  figure.  » 

183.  La  Renoncule  scélérate  (Ra)mncuZus  sceZerafus,  L.). 

«  Les  chèvres  en  mangent  impunément,  mais  les  brebis  ni  les  vaches 
n'y  touchent  point  à  moins  d'une  extrême  faim.  » 

184.  Le  Bassinet  rampant  {Ranunculus  repens,  L.). 
La  renoncule  des  prés ,  que  plusieurs  botanistes  ont  nommée  le  bassi- 

nel  rampant,  est  le  bouton  d'or. 

«  Le  bouton  d'or  est  une  autre  espèce,  et  ne  rampe  pas.  » 

La  culture  l'a  transportée  avec  succès  dans  les  jaidins  d'ornement. 

a.  Je  n'y  ai  jamais  vu  celle-là  qu'en  mauvaise  herbe,  et  je  doute  qu'on 
l'y  cultive.  » 

La  culture  de  cette  plante  en  a  procuré  une  variété  double,  connue 
sous  le  nom  de  bouton  d'or,  ainsi  que  les  variétés  doubles  de  la  renon- 
cule bassinet  et  de  la  renoncule  rare. 

«  Il  y  a  ici  plusieurs  quiproquo;  1°  le  bouton  d'or  n'est  point  une  va- 
riété du  bassinet  rampant,  mais  une  espèce  très-distincts;  2°  le  ra- 
nunculus polyanthemos  n'est  point  non  plus  une  variété  du  ranuncuJns 
repens,  mais  une  autre  espèce  à  feuilles  plus  découpées;  3"  enfin  le 
bouton  d'or  et  le  ranunculus  acris  ne  sont  exactement  que  la  même 
plante.  » 

185.  L'Ellébore  noir  {Uelleborus  niger,  L.). 


112  NOTES 

Les  fleurs  naissent  à  l'extrémité  des  tiges  solitaires  ou  disposées  et 
corymbe. 

a  En  corymbe?  je  ne  sache  pas.  Quelquefois  on  voit  deux  fleurs,  ra- 
rement trois  sur  la  même  tige,  mais  pas  au  delà.  » 

186.  L'Ellébore  a  fleur  verte  {Hellehorus  viridis,  L.). 

a  Les  fleurs  sont  portées,  le  plus  souvent,  deux  ou  plusieurs  sui 
chaque  tige.  » 

187.  L'Ellébore  griffon  [Helleborus  fœtidus^  L.). 
Jean-Jacques  donne  pour  synonyme  à  cette  plante  Vhelleborus  nigei 

silrestris  adulterinus  etiam  hieme  virens. 

187  bis.  La  Bugle  {Àjuga  reptans ,  L.). 

a  N.  B.  La  (igure  ne  représente  pas  le  jet  rampant  qui  part  ordinni- 
r^raent  du  collet  de  la  racine  ou  de  l'aisselle  d'une  des  premières 
feuilles.  Ce  jet  peut  manquer  à  quelques  individus;  mais  il  se  trouve 
au  plus  grand  nombre,  il  fait  le  plus  saillant  des  caractères  distinctifs 
de  l'espèce,  et  justifie  le  nom  trivial  qui,  sur  la  figure,  paroît  très-mal 
appliqué,  y 

188.  L'IvETTE  {Teucrium  chamcrpilys ,  L.). 

Les  rameaux  sortent  des  aisselles  des  feuilles,  et  portent  les  mêmes 
caractères  que  la  tige. 

a  N.  B.  Omissions  dans  le  texte  :  les  fleurs  sont  de  même  axillaires 
et  communément  solitaires.  » 

L'auteur  ayant  appelé  cette  plante  Vive  musquée,  Jean-Jacques  met 
en  note  : 

«  L'auteur  se  trompe  ici  :  l'ivette  et  l'ive  musquée  sont  deux  plantes 
difl'érentes.  » 

190.  La  Sauge  des  bois  {Teucrium  scorodonia,  L.). 

De  nos  jours ,  un  célèbre  botaniste ,  M.  Linnée ,  a  rangé  parmi  les 
sauges  {salvise)  l'ornim,  l'orvale,  la  toule-bonne  des  prés. 

a  C'est  qu'en  eff'et  toutes  ces  plantes  sont  du  même  genre;  mais  il  a 
conservé  à  chaque  espèce  le  nom  qu'elle  avoit  auparavant.  » 

On  a  dit  avec  raison  qu'il  seroit  avantageux  de  connoître,  d'adopter 
une  nomenclature  universelle ,  quelle  qu'elle  soit. 

«  Elle  l'est  par  toute  l'Europe ,  hors  la  France  ;  il  n'y  a  plus  qu'une 
nomenclature,  et  il  n'y  a  point  de  plante  connue  sur  laquelle, 
avec  deux  mots  seuls,  sans  phrase,  sans  synonymie,  les  botanistes  de 
toutes  les  contrées  ne  s'entendent  entre  eux  aujourd'hui.  Les  François 
seuls  s'obstinent  à  conserver  l'ancien  jargon  pharmaceutique,  ou  du 
moins  les  phrases  de  Tournefort,  que  ce  grand  botaniste  abandonneroit 
lui-même ,  s'il  revenoit  à  présent.  Ce  qu'il  y  a  de  plaisant  est  que ,  k  s 
phrases  de  Tournefort  étant  presque  toutes  tirées  de  Gaspard  Bauhiu 
tout  l'honneur  qu'en  cela  les  François  veulent  faire  à  leur  compatriote 
remonte  à  un  Suisse  en  toute  équité.  » 

191.  Le  Scordium  {Teucrium  scordiiim,  L.). 

Les  feuilles  de  la  germandrée  aquatique  ont  une  odeur  légèreme 
aromatique. 

«  Assez  forte  d'ail.  » 

t9.S.  L'Hysope  [Hyssopus  ofRcinalis ,  L.). 


SUR  LA  BOTANIQUE  DE  REGNAULT.       113 

a  On  auroit  dû .  ce  me  semble ,  avertir ,  ou  dans  la  figure  ou  dans  le 
discours,  que  les  fleurs  de  l'hysope  se  contournent  communément  d'un 
seul  côté.  Quoique  cette  remarque  ne  soit  pas  sans  exception ,  elle  est 
assez  constante  pour  faire  caractère .  et  très-commode  aux  commen- 
çans  pour  distinguer  l'hysope  au  premier  coup  d'œil.  » 

200.  L\  Menthe  poivrée  [Mentha  piperata ,  L.). 
Les  Anglois  cultivent  cette  plante. 

tt  II  est  vrai  qu'ils  la  placent  dans  leurs  jardins,  mais  elle  est  abon- 
dante et  naturelle  dans  leur  pays,  comme  ici  la  menthe  bâtarde.  » 

La  corolle  laisse  voir  les  étamines. 

«Il  falloit  dire  les  quatre  étamines^  car  la  ligure  n'en  montre  que 
trois.  T> 

201.  Le  Pouliot  {Mentha  pulegium,  L.). 

a  Les  verticilles  des  fleurs  sont  d'ordinaire  bien  plus  nombreux  et 
serrés  qu'ils  ne  sont  marqués  dans  la  figure.  » 

Le  pouliot  thym  lui  ressemble  beaucoup. 

ce  Pas  trop ,  ce  me  semble ,  car  elle  est  droite  et  ve'ue ,  et  le  pouliot  est 
glabre  et  rampant.  » 

202.  Le  Lierre  terrestre  [Glechoma  hederacea,  L.). 
Le  pétale  ouvert  pour  laisser  voir  les  quatre 'étamines. 

a.  Qu'on  ne  voit  point  dans  la  figure ,  et  qui  font  pourtant  le  caractère 
du  genre.  t> 

Nul  botaniste  n'est  plus  digne  que  cet  homme  célèbre  (en  parlant  de 
Linnée)  d'introduire  des  nouveautés  dans  la  sc^nce  qu'il  a  si  fort  il- 
lustrée. 

a  II  falloit  une  refonte  générale  dans  la  nomenclature  absolument 
barbare ,  insupportable  et  inintelligible.  Linnœus  entreprit  cette  re- 
fonte ,  qu'il  étoit  peut-être  seul  capable  d'exécuter.  11  a  rendu  compte 
de  son  travail  et  de  ses  raisons  -au  public .  qui  a  presque  unanimement 
adopté  sa  réforme.  Elle  n'est  pas  parfaite  et  sans  faute,  puisque  c'est 
l'ouvrage  dun  homme;  mais  les  grandes  lumières  qu'elle  a  déjà  jetées 
dans  la  botanique  suffisent  pour  en  faire  sentir  le  prix.  Elle  est  établie 
et  généralement  reçue;  il  ne  s'agit  plus  d'y  toucher  que  pour  l'établis- 
sement des  nouveaux  genres  à  mesure  qu'on  en  découvrira.  Une  seconde 
refonte,  fût-elle  meilleure  que  la  sienne,  ne  seroit  jamais  aussi  univer- 
sellement adoptée ,  et  ne  serviroit  qu'à  rejeter  la  botanique  dans  ce 
labyrinthe  obscur  de  nomenclature  et  de  synonymie  dont  ce  grand 
homme  a  eu  tant  de  peine  à  la  tirer,  d 

202  bis.  Le  Lamier  {Lamium  album ,  L.). 

Son  odeur  est  aussi  moins  fétide  que  celle  des  autres  orties. 

a  Comment  peut-on .  dans  un  ouvrage  destiné  à  l'instruction ,  adopter 
sans  réclamation  des  noms  donnés  par  la  plus  crasse  ignorance .  et 
compter  ainsi,  parmi  les  orties,  une  plante  qui  n'y  a  pas  le  moindre 
rapport?  Au  reste,  cène  sont  point  les  orties  qui  sont  fétides,  mais 
bien  les  lamium,  sans  excepter  celui-ci.  » 

203.  La  Bétoine  [Bclonica  officinalis ,  L.). 

Les  fleurs  naissent  au  som.met  des  tiges  disposées  en  épi. 
a  Lequel  d'ordinaire  est  obtus  et  tronqué  jjar  le  haut.  » 


H4  NOTES 

205.  La  Ballote  {Ballota  nigra,  L.). 

L'espèce  dont  la  tige  est  couverte  d'une  sorte  de  laine  blanche  croit 
en  Sibérie. 
a  Ballota  lanata,  fleur  blanche,  feuille  de  groseillier.  » 

206.  Le  Marrube  blanc  {Marruhium  vulgare ,  L.). 

Le  calice  est  divisé  depuis  cinq  jusqu'à  dix  dents  minces  et  aiguës. 

«  Et  recourbées  en  dehors;  dans  d'autres  espèces  le  calice  n'a  que 
cinq  dents,  mais  dans  celle-ci  il  en  a  constamment  davantage.  » 

Toute  la  plante  rend  une  odeur  aromatique  forte  et  agréable. 

«  Et  très-semblable  à  celle  de  la  pomme  reinette.  « 

208.  La  Mélisse  des  Moluques  [Molucella  Isevis,  L.). 
.  Jusqu'à  la  raison ,  cette  faculté  de  l'âme  dont  nous  sommes  si  fiers 
tout  varie  en  nous  selon  les  climats;  la  couleur,  la  forme  et  le  naturei 
des  différens  peuples  semblent  dépendre  de  l'air  qu'ils  respirent,  de  la 
nourriture  qu'ils  prennent,  et  de  la  température  du  pays  qu'ils  liabi- 
tent.  Lïmraorlel  Montesquieu  avoit  puisé  dans  Hippocrate'el  dans  BoJin 
le  beau  système  de  l'influence  des  climats,  mais  peut-être  a-t-il  un  peu 
trop  généralisé  la  conséquence  morale  qu'il  fait  découler  de  ce  principe 
physique.  On  ne  sauroit  en  eff"et  l'adopter  sans  beaucoup  de  modifica- 
tion, car  des  causes  étrangères  et  des  institutions  politiques  ont  pu 
souvent  aider  ou  détruire,  augmenter  ou  aff"oiblir  l'influence  du  climat 
sur  les  hommes. 

«C'est  ce  qu'il  a  dit  mille  fois,  mais  personne  n'a  voulu  l'eu- 
tendre.  » 

211.  La  Marjolaine  (Origanum  majorana,  L.). 

Le  calice  est  un  tube  divisé  en  cinq  dents  courtes. 

«  Et  inégales.  » 

214.  La  Mélisse  {Melissa  officinalis ,  L.). 

Le  calice  est  divisé  en  cinq  segmens; 

«  Inégaux  et  presque  labiés.  » 

Forestus  recommande  la  mélisse  pour  les  palpitations  de  cœur    Ron- 
delet, pour  la  paralysie,  Sima-Pauli,  pour  la  mélancolie ,  et  Rivière 
pour  la  manie.  ' 

«  Chaque  auteur  la  gratifie  d'une  vertu;  c'est  comme  les  fées  mar- 
raines ,  dont  chacune  douoit  sa  filleule  de  quelque  beauté  ou  qualité 
particulière.  » 

214  bis.  Le  Calament  {Melissa  calaminlha,  L.). 

Les  fleurs  sont  portées  sur  des  pédicules  cylindriques  courts. 

a  Et  fourchées  le  plus  souvent.  » 

Le  calice  est  divisé  à  son  extrémité  en  quatre  dents  aiguës. 

ce  En  cinq  ,  et  inégales. 

a  Les  feuilles  et  les  fleurs  sont  trop  petites  dans  la  figure,  de  sorte 
qu'elle  ressemble  au  melissa  nepeta  plutôt  qu'au  vrai  calament  Au 
reste ,  ces  deux  plantes  varient  si  fort  et  sont  entre  elles  si  ressemblantes 
que  Crautz  doute,  avec  raison,  si  l'on  doit  les  séparer.  » 

216.  Le  Basilic  {,Ocymum  hasilicum.  L.). 

«Pour  entendre  bien  la  description  de  cette  plante,  il  falloit  ajouter 
que  la  fleur  du  basilic  est  renversée,  comme  cela  se  voit  par  la  situation 


-SUR  LA  BOTANIQUE  DE  REGNAULT.      115 

et  l'influxion  des  étamiaes;  en  sorte  que  la  lèvre  supérieure  est  en  bas 
et  ]a  lèvre  inférieure  en  haut.  » 

217.  La  Brunelle  [Brunella  vulgaris .  L.). 

Le  nom  de  hrunclla  vient  de  ce  que  cette  plante  est  estimée  par  les 
Allemands  comme  propre  à  guérir  l'esquinancie ,  qu'ils  appelleo*^  die 
hraune. 

a  C'est  là  l'étymologie  donnée  par  G.  Bauhin  et  par  Tournefort:  mais 
le  nom  de  prunella ,  qui  ne  paroît  pas  moins  ancien ,  peut  bien  la  rendre 
douteuse.  » 

218.  L'EupnRAiSE  {Euphrasia  vulgaris ,  L.). 

Quoique  les  fleurs  soient  partagées  en  deux  lèvres,  elles  n'ont  point 
été  rangées  parmi  les  fleurs  labiées. 

a  Et  ne. dévoient  point  l'être  :  cette  division  de  gueule  en  deux  seo- 
tions ,  savoir  :  les  labiées  et  les  personnées,  qu'on  semble  attribuer  ici 
à  M.  Adamson ,  a  été  établie  avant  lui  par  Tournefort .  et  il  a  fort  bien 
rangé  Teuphraise  dans  la  seconde,  comme  ont  fait  après  lui  tous  les 
autres  botanistes  sans  exception.  Personati  flores,  dit-il,  a  labiatis 
differunt  capsulo  seminum ,  qux  a  calyce  omnino  diversa  est ,  quum 
lahiatorum  capsula  prius  fuerit  calyx  florum.  » 

Elle  est  estimée  propre  à  éclaircir.  fortifier  et  même  rétablir  la  vue. 

a  Ce  n'est  point  le  sentiment  de  M.  Adamson,  à  beaucoup  près.  Voyez 
ce  qu'il  en  dit .  Famille  des  plantes ,  t.  II ,  p.  205.  » 

219.  La  Cymbalaire  (Antirrhinum  cymhalaria  ,  L.). 

a  Cet  e  se  trouve  deux  fois  dans  la  figure,  l'une  dans  le  bas  pour 
montrer  la  capsule  du  fruit  que  la  figure  ne  représente  en  aucune  sorte , 
et  l'autre  plus  haut  pour  montrer  le  pistil  et  le  calice ,  dont  le  discours 
ne  dit  rien  du  tout.  » 

220.  La  fausse  Velvote  {Ânlirrhinum  spurium,  L.). 

ail  est  bon  de  remarquer  que  la  vraie  velvote  {antirrhinum  spu- 
rtum)est  une  espèce  difi'érente  de  celle-ci,  quoique  assez  ressemblante; 
elle  est  du  même  genre  ;  elle  a  les  fleurs  à  peu  près  de  même  couleur  et 
de  même  figure;  elle  se  couche  et  rampe  à  terre  comme  elle;  sa  tige  et 
ses  feuilles  sont  également  velues  :  les  feuilles  sont  alternes  de  même  et 
très  à  peu  près:  mais  elles  ont  néanmoins  une  différence  très-marquée 
et  qui  saute  à  l'œil  :  c'est  d'être  amincies  des  deux  côtés  à  leur  base, 
taillées  en  fer  de  pique  ,  et  d'ailleurs  plus  pointues  et  plus  aUongées  que 
celles  de  cette  plante-ci ,  qui  même  ne  sont  pas  assez  arrondies  dans  la 
figure;  aussi  Tournefort  la  nomme-t-il  à  feuille  de  nummulaire.  » 

221.  La  Linaire  [Antirrhinum  linaria,  L.). 

(L'auteur  donne  également  à  cette  plante  le  nom  de  lin  sauvage.) 
a  Cette  dénomination  est  mauvaise ,  attendu  qu'il  y  a  d'autres  lins 
sauvages  qui  ne  sont  point  des  linaires.  n 

222.  Le  Mufle  de  veau  [Antirrhinum  majus ,  L.). 

Cette  plante  croît  communément  aux  lieux  incultes  et  dans  les  vigno- 
bles. 

a  Mais  plus  communément  encore  dans  les  crevasses  ou  fentes  des 
murs  de  terrasse.  » 

224.  La  Digitale  {Digitalis  purpura ,  L.). 


ï 


116  NOTES 

«Ses  fleurs  sont  secondaires,  jiour  parler  en  termes  de"botanique , 
c'est-à-dire  tournées  et  pendantes  d'un  seul  côté,  ce  qui  de  loin  donne 
à  cette  superbe  plante  l'apparence  d'un  étendard.  » 

228.  La  Passerage  (Lepidium  lalifoliuvi,  L.). 

Les  feuilles  radicales  sont  dentelées  tout  autour  en  manière  de  scie. 

a  Les  bords  de  la  feuille  sont  d'ordinaire  tellement  roulés  ou  repliés, 
que  sa  dentelure  ne  s'aperçoit  guère  que  par  ceux  qui  savent  déjà  qu'elle 
y  est.  » 

229.  Le  Tabouret  {Thlaspi  bursa  pastoris ,  L.). 

Le  pistil  est  entouré  de  six  étamines  dont  quatre  sont  longues  et 
égales,  et  les  deux  autres  sont  constamment  courtes. 

a  Opposées  l'une  à  l'autre.  » 

Le  pislil  devient  un  fruit  plat  en  forme  de  cœur,  et  renferme  des  se- 
mences menues  qui  s'attachent  aux  deux  côtés  d'une  cloison  qui  traverse 
les  valves. 

a  D'une  cloison  qui  sépare  les  valves.  » 

a  La  figure  f  n'est  pas  bien  faite  et  représente  mal  l'intérieur  du 
fruit.  » 

230.  L'Herbe  aux  cuillers  [Cochlearia  officinalis,  L.). 
Cette  plante  qu'on  appelle  aussi  le  cran. 

«  Prenons  garde  encore  ici  aux  équivoques.  Ce  qu'on  appelle  en  di- 
verses provinces  et  même  à  Paris  le  cran  est  bien  un  cochlearia ,  au  moins 
dans  le  système  de  Linnaeus ,  mais  ce  n'est  pas  le  vrai  cochlearia  dont 
il  s'agit  dans  cet  article  :  c'est  le  cochlearia  armoracia ,  autrement  ap- 
pelé raifort,  dont  on  mange  la  racine  ratissée  en  guise  de  moutarde.  » 

Quand  la  plante  est  fraîche ,  on  la  mange  seule  ou  en  salade. 

a  Une  salade  de  cochlearia  doit  être  une  chose  immangeable.  » 

Cette  plante  n'a  pas  été  connue  de  Dioscoride ,  et  on  a  cru  la  recon- 
,ioître  dans  deux  plantes  différentes  dont  Pline  parle  sous  les  noms  de 
telephium  et  de  Britannica  ;  mais  ce  n'est  là  qu'une  conjecture. 

a  Et  même  bien  peu  vraisemblable;  car  cette  plante,  comme  l'ont  re- 
marqué Gesner  et  Lobel ,  a  très-peu  de  rapport  au  telephium  de  Pliue , 
et  moins  encore  au  Britannica.  » 

232.  Le  Thlaspi  de  Crète  {Iberis  umbeUata ,  L.). 

Ses  feuilles  ressemblent  à  celles  de  l'ibériette ,  ce  qui  a  déterminé  eu 
partie  Linnaeus  à  le  transporter  du  genre  des  thlaspi,  où  Tournefort 
l'avoit  placé ,  à  celui  de  l'ibériette. 

a  Ce  n'est  point  la  fi^'ure,  des  feuilles  qui  a  déterminé  Linnaeus  à  cette 
transposition ,  mais  celle  de  la  corolle ,  laquelle ,  au  lieu  d'être  régu- 
lière comme  dans  le  thlaspi,  a  les  deux  pétales  extérieurs  plus  grands 
que  les  autres ,  ce  qui  est  le  caractère  de  l'ibérie.  » 

233.  Le  Cresson  des  prés  {Cardamine  pratensis ,  L.]. 

Les  siliques  ont  cela  de  particuher ,  que  leurs  lames ,  se  recoquillant 
par  une  espèce  de  ressort ,  se  roulent  en  volute  et  répandent  les  se- 
mences de  part  et  d'autre  avec  assez  de  force. 

ail  falloit  donc  mettre  cette  révolution  des  valves  dans  la  figure, 
ainsi  qu'a  fait  Tournefort.  » 

238.  La  Giroflée  jaune  {Cheiranthus  cheii-i ,  L.). 


SUR  LA  BOTANIQUE  DE  REGNAULT.  lyj 

On  en  compte  jusqu'à  trente-quatre  espèces  de  variétés. 

a  Est-il  bien  sûr  que  de  ce  grand  nombre  de  variétés ,  plusieurs  n'aient 
pas  pour  espèce  mère  l'autre  giroflée  de  jardins,  ch<;iranlhus  incanus? 
Ce  qui  m'a  fait  naître  ce  doute  ou  qui  m'y  confirme  est  que  je  vois  aussi 
ce  nombre  de  trente-quatre  dans  les  variétés  de  l'une  et  de  l'autre  dont 
Tournefort  a  donné  la  liste.  » 

239.  Le  Navet  {Brassica  râpa,  L.*. 

a  Le  laconisme  de  cet  article  sur  la  culture  .joint  à  la  synonymie  em- 
plovée  au  titre,  me  confirme  ce  que  j'ai  dit  à  l'article  rare,  qu'on  avoit 
pris  le  navet  pour  elle.  J'ai  vu  par  toute  l'Angleterre  d'immenses  champs 
de  navets  destinés  à  la  pâture  des  bestiaux.  Je  ne  me  souviens  pas  d'y 
avoir  vu  jamais  un  seul  cliamp  de  raves.  » 

240.  Le  Chou  rouge  {Brassica  rubra,  L.]. 

On  préfère  le  chou  rouge  pour  la  tisane  et  les  bouillons  qu'on  prescrit 
aux  pulmoniques. 

«  Quel  dommage  que  les  apothicaires  nous  aient  drogué  ce  bon  chou! 
il  seroit  le  meilleur  pour  les  cuisines,  et  on  le  préfère,  avec  raison, 
dans  mon  pays ,  à  tous  les  autres.  » 

241.  Le  Chou  bl.\nc  {Brassica  oleracea  capitata.  L.). 
Les  Allemands  et  les  Hollandois  en  font  un  grand  usage. 

a  Les  Suisses  encore  plus,  et  toutes  leurs  montagnes  sont  pleines  de 
choux  bien  plus  savoureux  que  ceux  de  la  plaine.  » 

Quelques  curieux  sont  parvenus  au  moyen  du  salpêtre,  de  la  laque, 
à  obtenir  de  nouvelles  espèces  de  choux  fort  agréables  à  la  vue  par  la 
variété  des  couleurs. 

a  On  en  peut  voir  l'effet  aux  Tuileries .  à  droite  en  sortant  par  le  Pont- 
Tournant,  à  la  porte  du  suisse.  ^ 

243.  La  Moutarde  [Sinapis  nigra ,  L.). 

Le  calice  est  compose  de  quatre  feuilles  longues  et  étroites. 

>i  Évasées  et  colorées.  » 

Le  fruit  du  silique  (c). 

o  Cette  figure  (e)  manque  dans  la  planche.  Au  reste  la  grande  hgure 
de  la  planche ,  même  avec  ses  siliques ,  ressemble  à  la  sanve  beaucoup 
plus  qu'à  la  vraie  moutarde. 

244.  Le  Radis  {Raphanus  sativus .  L.). 

tt  En  Suisse,  en  Savoie  et  dans  plusieurs  provinces  de  France  on  ne 
connoît  sous  le  nom  de  radis  que  le  navet  rond  .  et  sous  celui  de  navet 
que  le  navet  long.  La  rave  s'appelle  raifort;  le  raifort  s'appelle  cran  ou 
meresic ,  du  nom  allemand.  J'ai  vu  des  gens  de  diverses  provinces  dis- 
puter longtemps  sans  s'entendre .  faute  d'être  au  fait  de  cette  synony- 
mie C'est  à  Paris  que  la  première  erreur  est  née-,  car  le  nom  de  rave 
appartient  généralement,  et  de  toute  ancienneté,  au  navet  rond.  Gas- 
pard et  Jean  Bauhin  le  lui  donnent,  et  Linnaeus  en  a  fait  son  nom  tri- 
vial. Je  ne  suis  pas  sans  soupçon  que  toute  la  partie  de  cet  article  qui 
traite  de  la  culture  appartient  à  la  rave  savoyarde ,  et  non  pas  à  celle  de 

Paris.  »  .        ■        -,  \ 

■2k^j.  Le  Bec  de  grue  op.dinaibe  [Géranium  ctcutarium,  L.). 
Cette  plante ,  qu'un  botaniste  appelle  le  géranium  musqué. 


118  NOTES 

a  Le  géranium  musqué  est  une  autre  espèce  ,  maïs  très-ressemblanie.  » 
L'illustre  Tournefort  a  compté  soixante-dix  espèces  de  géranium; 

Linnaeus  en  décrit  cinquante-sept  dans  son  ouvrage  sur  les  espèces  des 

plantes, 
a  D'où  vous  conclurez,  ainsi  que  de  la  lecture  de  M.  Adamson,  que 

l'illustre  Tournefort  a  bien  plus  connu  de  plantes  que  n'a  fait  Linnaeus. 

Notez  que  Tournefort  étoit  mort,  et  Linnaeus  vivant,  quand  cela  s'écri- 

voit  ainsi.  » 

247.  L'Herbe  a  Robert  {Géranium  Robertianum ,  L.), 
Les  feuilles  sont  opposées  à  la  tige 

a  Cette  expression,  dont  l'auteur  se  sert  souvent,  est  équivoque  et  ne 
rend  pas  bien  son  idée.  Il  veut  dire  que  les  feuilles  de  la  tige  sont  op- 
posées, quoique  celles  des  branches  ne  le  soient  pas  toujours.  " 

248.  Le  Pied  de  pigeon  (Géranium  rotundifolium,  L.). 

«  Je  serois  embarrassé,  je  l'avoue,  de  dire  en  quoi  cette  espèce,  ici 
décrite  et  dépeinte,  diffère  du  géranium  molle.  » 

Quelques  personnes  nous  ont  reproché  un  peu  d'inégalité  dans  la 
manière  dont  nos  explications  sont  rédigées  :  il  s'est  trouvé  des  articles 
beaucoup  plus  courts  les  uns  que  les  autres,  et  on  a  conclu  de  là  que 
nous  les  avions  négligés;  mais  nous  avons  trop  à  cœur  de  justifier  notre 
travail  aux  yeux  du  public  pour  ne  pas  appeler  à  son  jugement  de  la 
témérité  de  ces  accusations.  Il  faut  remarquer  que  cet  ouvrage  étant 
morcelé  nécessairement  dans  la  forme  où  on  le  distribue,  il  est  impos- 
sible à  présent  d'en  voir  la  suite  et  d'en  saisir  l'ensemble. 

a  Je  me  reconnois  de  bonne  foi  au  nombre  de  ces  accusateurs  témé- 
raires. Mais  quand  on  voit  d'un  côté  de  longs  détails  répétés  et  super- 
flus, et  de  l'autre  des  descriptions  imparfaites  et  mutilées,  qui  est-ce 
qui  s'iroit  imaginer  que  l'ensemble  doit  raccorder  tout  cela?» 

249.  La  Guimauve  {Althœa  ofjicinalis ,  L.). 

Les  feuilles  sont  faites  comme  celles  de  la  mauve  ordinaire;  mais  plus 
grandes,  plus  épaisses. 

«  Et  plus  allongées.  » 

Des  aisselles  des  feuilles  naissent  les  fleurs  en  cloche. 

a  En  rose  et  non  pas  en  cloche;  car  les  malvacées,  quoiqu'elles  pa- 
roissent  monopétales,  ne  le  sont  point.  L'auteur  le  reconnoît  lui-même, 
puisqu'il  nous  offre  un  pétale  séparé.  » 

Le  calice  de  la  fleur  coupé  en  cinq  comme  elle. 

tt  A  mon  avis,  on  auroit  dû  parler  du  double  calice.  J'ai  écrit  ceci 
étourdiment  avant  d'avoir  lu  la  suite,  sur  laquelle  il  y  auroit  encore  à 
disputer.  » 

250.  La  Rose  trémière  {Alcea  rosea,  L.). 
Les  fleurs  sont  monopétales. 

ot  C'est  une  question  difficile  à  résoudre  entre  les  savans  botanistes, 
si  les  malvacées  sont  monopélales  ou  polypétales.  Tournefort  et  Ray 
sont  du  premier  sentiment;  mais  Morison,  Linnasus,  Haller,  Adamson, 
sont  du  second.  Les  cucurbitacées,  ou  du  moins  celles  d'entre  elles 
dont  la  corolle  est  difficile  à  détacher  du  calice ,  offrent  matière  au 
même  doute.  » 


SUR  LA  BOTANIQUE  DE  REGNAULT.       119 

2d1.  La  Mauve  'Jlaha  sylvestris.  L.). 

Cette  plante  étoit  fort  connue  chez  les  anciens,  et  entroit  dans  le  ca- 
talot'ue  de  leurs  aliraens;  il  en  est  souvent  question  à  cet  égard  dans  les 
écrits  des  Romains .  même  sous  le  siècle  d'Auguste.  Nous  avons  rapporte 
ce  passage  où  Horace  ,  se  félicitant  de  la  vie  simple  et  frugale ,  dit  qu  il 
est  nourri  de  chicorées  et  de  mauves  légères  :  Me  pascunt  cichorea 
ievesque  malvx.  Dans  un  autre  endroit  le  même  poète,  fatigue  du  luxe 
et  du  bruit  de  la  superbe  Rome,  soupire  pour  la  solitude  de  Tibur,  et 
compare  ses  mauves  simples,  mais  salutaires,  aux  mets  recherches  et 
dangereux  qui  parent  la  table  des  grands. 

a  II  n'est  peut-être  pas  inutile  de  répéter  que  cette  mauve  dHorace 
n'est  point  la  même  qu'on  décrit  ici.  » 

•^52   La  Fometerre  bulbeuse  {Fumaria  l)ulhosa,L.). 

Les  neursde  la  fumeterre,  selon  de  Tournefort.  approchent  beaucoup 
des  fleurs  légumineuses;  mais  elles  ne  sont  composées  que  de  deux 
feuilles.  ,       ,  ^ 

«  Eh!  combien  de  légumineuses  qui  n'en  ont  qu  une!  En  est-ce  assez 
pour  les  ôter  de  leur  famille  naturelle?  » 

253.  La  Fometerre  {Fumaria  officinalis ,  L.). 

Geoffroi ,  chimiste  francois  .  prétend  avoir  trouvé  dans  cette  plante  tel 
et  tel  sel.  ce  que  nie  Cartheuzer,  chimiste  allemand,  non  nostrum 
-inlerios  tantascomponere  lites. 

«  Sans  doute  ;  ehl  quel  téméraire  oseroit  s'interposer  dans  des  débats 
de  cette  importance?  » 

On  l'appelle  aussi  coridale.  . 

.  La  coridale  est  une  autre  plante ,  c'est  la  fumeterre  jaune ,  dont 
même  Pontedera  a  fait  un  genre  séparé.  Dillenius,  à  peu  près  dans  le 
même  temps,  en  a  fait  aussi  un  genre,  et  précisément  sous  le  même 

nom.  » 

2âG.  LE  Lupin  (tupi'nus  a^bws,  L.). 

Le  lupin  dévore  la  terre  où  il  est  cultivé,  aussi  fait-on  dériver  son 
nom  lupinus  de  lupo.  ,       ,        ,. 

a  J'ai  vu  de  mes  yeux,  en  Dauphiné,  prospérer  la  culture  sans  autre 
en-rais  que  les  lupins  semés  sur  la  place  et  puis  enfouis  en  labourant, 
\u°  reste  il  y  a  peu  de  plantes  dont  le  port  soit  plus  agréable.  Si  j  avois 
un  jardin,  j'en  ferois  mettre  assurément  dans  les  plates-bandes,  x. 

257.  La  Fève  des  marais  {Vicia  faba,  L.). 

Sa  racine  est  garnie  de  tubercules. 

a  Ces  sortes  de  tubercules  ne  sont  pas  rares  dans  les  racines  des  lé- 
gumineuses. » 

'>o9   Le  Baguenaudier  {Colutea  arhorescens*,  L.). 

Ses  fleurs  ont  dix  étamines,  dont  huit  réunies  à  leur  base  par  une 

membrane.  ^.  ,     g.  ,..->  -* 

ce  Celte  division  par  huit  et  par  deux  est  contredite  par  la  bgure  d, 
qui  montre  neuf  et  un ,  comme  la  plupart  des  autres  légumineuses.  La 
saison  ne  me  permet  pas  d'en  faire  à  présent  la  vérification,  mais  j  ai 
souvent  disséqué  la  fructification  du  baguenaudier  sans  y  faire  cette 
remarque,  qui,  si    elle  etoit  fondée,   devroit,  ce   semble,    avoir  ele 


120  NOTES 

faite  au  moins  par  quelques  botanistes  comme  une  bien  singulière  ex- 
ception.  » 

26?..  Le  Galéga  {Galega  officinalis,  L.). 

Il  croît  naturellement  en  Italie-,  cependant  on  le  rencontre,  quoique 
peu  communément,  dans  les  bois  au.v  terrains  gras  et  exposés  au  midi 
«  Le  parc  de  Saint-Cloud  en  est  rempli.  » 

263.  La  Baebe  de  renabd  {Astragahts  tragacantha,  L  ) 

Ses  feuilles  se  terminent  par  deux  folioles  et  souvent  par  l'extrémité 
même. 

a  Mais  ne  faut-il  pas  nécessairement  que  cette  extrémité  soit  touiours 
précédée  de  deux  folioles  terminales?  » 

264.  Le  CvLEN  {Psoralea  glandulosa ,  L.). 

Tournefort  parle  d'une  espèce  de  psoralea  qui  est  herbacée,  et  celle-ci 
est  ligneuse  ;  elles  ne  peuvent  donc  pas  être  avoisinées  dans  sa  méthode 

oc  Dans  la  même  classe  par  la  méthode  de  ce  savant.  » 

266.  Le  Mélilot  {Trifolhim  Melilotus  officinalis ,  L.). 

On  en  a  vu  à  la  hauteur  d'un  homme. 

«  On  le  voit  souvent  à  cette  hauteur  dans  les  clairières  des  bois  où 
itseleve  et  cherche  le  grand  air  parmi  d'autres  plantes  qui  servent  à 
le  soutenir.  » 

271.  L'Oranger  (Ci'trws  auran<mm,  L.). 

Les  étamines  sont  réunies  par  la  base  de  leurs  filets. 
«  Le  plus  souvent  en  plusieurs  groupes.  » 

272.  La  Toute-saine  [Hypericum  androsxmum,  L  ) 

Cette  plante  diffère  essentiellement  du  miUe-pertuis,  en  ce  que  ses 
leuilles  sont  beaucoup  plus  grandes. 

«  Que  son  fruit  est  une  baie  et  non  pas  une  capsule.  » 

Ces  deux  plantes  ont  quelques  rapports. 

«  Elles  sont  du  même  genre.  » 

Ses  feuilles,  pressées  entre  les  doigts,  rendent  une  odeur  vineuse 
STrmm   l        """  '"''  presque  rouge,  d'où  lui  vient  le  nom  d'andro- 

273.  Le  Mille-pertuis  (Fypencumper/bratMm,  L.). 

Ses  tiges  s'élèvent  d'un  pied  et  demi. 

«  Il  falloit  parler  des  filets  marqués  sur  les  deux  côtés  de  la  tige  et 
qui  se  croisent  à  chaque  opposition  des  branches.  »  ' 

27.5.  La  Laitue  sauvage  {Lactuca  scariola ,  L.). 

a  II  eût  été  peut-être  à  propos  de  décrire  et  de  figurer  les  feuilles  ra- 
dicales nécessaires  pour  bien  distinguer  les  deux  principales  espèces  de 
laitue  sauvage.  »  r  t-    -^ 

Les  étamines  ne  paroissent  point  au  dehors  du  tube;  elles  sont  pla- 
cées à  la  même  hauteur,  aux  parois,  vers  le  milieu  de  sa  lon^-ueur 
«  Et  forment  un  tube  cylindrique  autour  du  style.  »  ° 

La  laitue  est  adoucissante ,  calmante ,  humectante ,  etc. ,  etc     etc 
«  Il  me  semble  que  dans  l'énumération  de  toutes  ces  propriétés'  vraies 
ou  fausses,  il  eût  fallu  distinguer  la  laitue  avant  et  après  sa  floraison- 
car  dans  ces  deux  états,  elle  change  extrêmement  d'aspect,  de  saveur' 
et  vraisemblablement  de  vertu.  »  ' 


SLR   LA   BOTANIQLE   DE   REGNALLT.  121 

276.  Le  PissENLiT  {Lcontodon  taraxacum ,  L.). 
:    Ses  graines  sont  garnies  d-aigrettes.  ,    fi„„^^    nu  Plies  v  ^on» 

«  Ou  l'on  n'a  point  mis  ces  aigrettes  dans  la  figure,  ou  elles  y  .on 

tout  à  fait  imperceptibles,  d  ,,      t  \ 

^•^T    T  i  Pli osELLE  (ffieracïum  pt/ose((a,  L.). 

Le  caracSre  propre  des  fleurs  est  d'être  solitaire  au  sommet  des  tige^ 

^EUes  sont  plutôt  axiUaires  ;  mais  le  pédicule ,  étant  très-long ,  peut 
passer  pour  une  espèce  de  hampe.  ■■        ^   ^.  .      ^  . 

')7Q    T  iv  Chicorée  endive  (Ciclwnum  Endivia,  L.]. 

Les'anciensconnoissoient  cette  plante  et  l'employoïent  beaucoup 
dans  leur  cuisine  Horace,  faisant  l'éloge  de  sa  sobriété  se  felicitoit  du 
goSt  phiîosoihique  qui  le'portoit  à  se  nourrir  de  chicorée  et  de  mauves 

^'ïjîne  crois  pas  que  Uvesque  malvx  ait  pu  jamais  signifier  etles 

-n^^^bkrcn^;?t:=n^ 

isse;  mai 'celle  dont  .1  s'agit  a  la  feuille  et  la  tige  lisses  aussi.  . 
281    LE  Chardon  hémobroïdal  {Serratula  arv^nsis ,  L.). 

■     «;t  rarine  est  rampante  et  garnie  de  quelques  fibres. 

'  f  PouZotneS  dire  des  tubercules  qui  s'attachent  communeme'. 
à  saSe  t  qui  lui  ont  fait  donner  le  nom  de  chardon  hemorrordal  .^ 
car  ce  tùb  rîules  ayant  quelques  ressemblances  avec  les  hémor- 
roïdes la  plante  ne  sauroit  manquer  d'être  un  spécifique  pour  le 
guérir"  Iv   /j'ai  encore  eu  tort  d'écrire  cette  note  avant  d  avoir  lu 

'"ÏlXïcuTe'o^ca'lionné  par  la  piqûre  des  insectes,  qui  se  rencontre 
quelquefois  à  la  tige, 

a  Et  à  la  racine,  »  .    ,      ,  .  -a^. 

Scellé  et  porté  dans  la  poche ,  guérit  les  hémorroïdes. 

tes  feu  lies  sont  alternatives  et  ailées:  leurs  ailes  se  prolongen  en 
rétrogradant  le  îong  de  la  tige  ,  et  occupent  assez  souvent  1  espace  d  une 

''fc'ettÏdS;  en  termes  de  botanique,  que  les  feuilles  sont  décur- 

^^^28?.'  LE  Chardon  Marie  [Cardum  Marianus ,  L.). 
Les  feuilles  sont  toutes  maculées  par  des  veines  blanches. 

tt  Pas  toujours.  »  ,■„=,. 

T  éraerv  prétend  que  sa  racine  est  bonne  a  manger.  _ 

^Cest  son  calice  et  son  réceptacle  qui  peuvent  se  manger  a  la  poi- 
vrade !  ainsi  que  ceux  de  la  grande  carline,  dont  nos  paysans  suisse. 
font  souvent  leur  déjeuner.  »  .       t  n 

•'84   Le  C\rthame  {Carthamus  Unclorius,  L.). 

co=  fionrc;  nasseut  Dour  être  utiles  dans  la  jaunisse. 

inférieur  à  celui-ci  pour  la  vertu.      .  , 

a  Aussi  le  jaune  en  est-il  bien  moins  fonce.  » 
286.  LA  G.Ibde-roi3E  {Santolûm  cliamxcy  par  issus ,  L.). 


122  NOTES 

Celle  plante  a  un  réceplacle  sur  lequel  reposent  les  fleurons  qui  com- 
posent la  fleur.  ^ 

«  Un  réceptacle  garni  d'écaillés.  » 

'281.  La  Tanaisie  {Tanacetum  vulgare,  L.). 

Ses  fleurs  sont  portées  sur  un  réceptacle  plat  et  écailleux 

«  Ici  je  crois  que  l'auteur  se  trompe ,  et  que  le  réceptacle  de  la  tanaisie 
est  nul.  Il  reste  aussi  à  vérifier  s'il  est  bien  sûr  que  les  fleurons  du 
contour  ne  soient  pas  hermaphrodites.  M.  Scopoli  prétend  qu'ils  le  sont 
auquel  cas  il  faudroit  rétablir  la  poUjgamia  œqualis  du  titre-  mais  ie 
lai  du  corriger  ici  (le  mot  œqualis  est  remplacé  par  celui  superfliia) 
parce  que  la  description  de  l'auteur  se  contredit.  »  ^    i      )> 

288.  La  Menthe  coq  (  Tanacetum  balsamita,  L.). 

ce  Cette  plante,  qui  s'appeloit  aussi  pâte\  s'employoit  jadis  beaucoup 
dans  la  cuisine,  surtout  pour  les  pièces  de  four  dont  elle  portoit  le  nom 
On  continue  a  s  en  servir  de  même  dans  les  autres  pays.  Mais  en  France  ' 
elleaete  proscrite,  ainsi  que  le  raisin  de  Corinthe,  qui  est  pourtant 
un  assaisonnement  très-agréable  à  tout  palais  dont  la  mode  ne  dirige 
pas  le  goût.  »  r  c  uiii^d 

289.  L'Absinthe  {Artemisia  absinthium ,  L.). 

a  En  parlant  des  étamines.  on  pouvoit  ajouter  que  les  fleurons  du 
contour  n'en  ont  point,  de  même  que  dans  l'armoise.  » 

291.  Le  Pied  de  chat  {Gnaphalium  dioicum  ,  L.).' 

.  L'individu  mâle  est  beaucoup  plus  beau,  et  sa  fleur,  couleur  de 
rose  pale,  beaucoup  plus  grande.  » 

292.  Le  Tussilage  {Tussilago  farfara,  L.). 

Sa  tige  est  en  forme  de  hampe  couverte  de  plusieurs  feuilles  florales 
et  sort  de  terre  au  printemps  avant  les  feuilles.  ' 

a  Ce  sont  les  feuilles,  au  contraire,  qui,  sorties  de  terre  l'été  précé- 
dent, ont  prévenu  la  fleur  de  plus  de  huit  mois.  On  trouvera  dans  mon 
Species  l  observation  d'où  j'ai  conclu  ce  fait,  et  dans  mo.i  petit  herbier 
la  preuve  de  1  observation  sur  la  plante  même;  il  ne  faudroit  pas  nar 
analogie  conclure  la  même  chose  du  colchique;  car  il  donne  ses  fruits 
avec  ses  feuilles ,  preuve  invincible  que  la  floraison  avoit  précédé   » 

293.  Le  Pétasite  {Tussilago  petasiti's,  L.). 

M  deBomare  remarque  que  les  feuilles  du  pétasite  croissent  quel- 
quefois a  la  hauteur  d'un  homme,  de  sorte  qu'en  passant  au  travers  de 
cette  espèce  de  palissade  de  verdure,  il  semble  qu'o.i  se  promène  entre 
des  arbres. 

«  Ceci,  un  peu  exagéré  quant  au  pétasite,  dont  les  feuilles,  quoique 
tnis-grandes,  ne  s'élèvent  pas  beaucoup,  est  très-vrai  pour  celles  du 
cacalia,  qui  leur  ressemblent  assez,  et  dans  lesquelles  je  me  suis  sou- 
vent trouvé  comme  enseveli  dans  les  Alpes.  » 

'.'94.  La  Jacobée  {Senecio  Jacobxa ,  L.). 

Quelques  praticiens  l'ont  regardée  comme  une  espèce  de  séneçon  par  ' 
rapport  à  sa  figure  et  à  ses  vertus.  "  ' 

«  Ce  ne  sont  ni  les  vertus  ni  la  figure  de  la  plante  qui  ont  engagé 
non  les  praticiens,  mais  les  botanistes,  à  la  réunir  au  genre  des  sene-j 
çoûs  :  c  est  uniquement  le  caractère  de  la  fructification ,  qui ,  ne  laissant 


SUR  LA  BOTANIQUE  DE  REGNAULT.       123 

"•[aucunes  limites  précises  à  chacun  de  ses  deux  genres  dans  la  gradation 
Ides  espèces,  force  ainsi  de  n'en  faire  qu'un  seul.  » 
'     Dans  le  xvi'  siècle,  on  employoit  la  décoction  de  cette  plante  dans 
4es  maladies  d'entrailles. 

a  Apparemment  que  la  mode  en  a  passé.  » 

295.  L'Œil-de-Christ  (ister  ameHus,  L.). 

Dioscoride  parle  de  l'aster  dans  son  livre  des  descriptions  des  plantes 
Kju'il  composa  sous  le  règne  d'Auguste. 

«  Ceci  me  paroît  dit  bien  affirmativement  :  rien  n'est  plus  douteux, 
^3  me  semble,  que  le  temps  où  Diocoride  a  vécu,  et  il  n'est  pas  non 
plus  très-certain  que  l'aster  dont  parle  cet  auteur  soit  celui  quon  dé- 

•crit  ici.  « 

Le  P.  Rapin  ne  l'a  pas  oublié  dans  son  beau  poëme  des  Jardins ,  qui 
n'a  d'autre  défaut  peut-être  que  d'être  écrit  dans  une  langue  morte.... 
Nous  ne  saurions  trop  inviter  quel(iues-uns  de  nos  poètes  à  réparer  la 
•disette  de  notre  littérature  à  cet  égard. 

«  Voilà  ce  que  je  défie  de  faire,  tant  qu'ils  aimeront  la  campagne,  les 
détails  champêtres  et  les  amusemens  rustiques  aussi  peu  qu'ils  font 
aujourd'hui.  » 

297.  L'AuïiÉE  [Inulahelenium,  L.). 

Cette  plante  croît  naturellement  en  Angleterre, 

oc  Et  en  France  aussi.  Je  l'ai  trouvée  assez  souvent  dans  la  garenne 
<ie  Trye ,  aux  environs  de  Gomer-Fontaine.  » 

Tous  les  fleurons  et  demi-fleurons  sont  rassemblés  dans  un  réceptacle 
«u  enveloppe. 

«  Il  paroît  que  notre  auteur  ne  donne  que  le  nom  d  enveloppe  au  ca- 
i  lice  agrégatif  des  composées,  et  qu'il  n'en  distingue  point  le  réceptacle 
ou  pbcenla  des  graines.  C'est  ce  qu'il  est  bon  de  remarquer  une  fois 
pour  l'intelligence  de  ses  articles.  » 

2'J8.  Le  Doronic  {Doronicum  pardalianches ,  L.). 

A  ses  fleurs  succèdent  des  semences  noirâtres,  menues  et  garnies 
chacune  d'une  aigrette. 

ce  Excepté  celles  du  contour,  qui  sont  à  peu  près  nues. 

a.  Les  deux  graines  (de  la  figure)  sont  représentées  avec  des  aigrettes 
-4outes  semblables ,  ce  qui  n'est  pas.  » 

299.  La  Paquer5:tte  {Bellis  perennis,  L.). 
Elle  se  rencontre  sur  les  gazons. 

<i  Feu  Mme  de  Jars  en  avoit  fait  semer  à  Stain  dans  un  pré  où  il 
n'en  venoit  point,  et  où  il  n'en  vint  point;  elle  dédaignoit  celles  que  la 
nature  prodiguoit  dans  les  prairies  voisines.  » 

La  base  des  fleurs  est  attachée  sur  un  réceptacle  conique. 

et  U  ne  l'est  pas  d'abord ,  mais  il  s'allonge  à  mesure  que  les  fleurons 
^tombent  et  que  les  graines  mûrissent.  » 

300.  La  Matricaire  {Matricaria  parthenium  ,  L.). 
Le  pistil  est  terminé  par  trois  stigmates  recourbés. 

oc  Ce  fait  est  à  vérifier;  car  il  feroit  une  exception  bien  singulière  et 
«n  caractère  bien  commode.  » 

301.  La  Camumille  romaine  {Anthémis  nuhilis ,  L.]. 


124  NOTES 

Cette  plante  croît  en  abondance  dans  les  campagnes  d'Italie.     ' 
X  Je  l'ai  trouvée  en  abondance  dans  les  prairies  du  Bourbonnois ,  ma 
à  fleur  simple,  qui  est  son  état  naturel.  » . 

303.  L'CEiL-DE-BŒUF  {Anthémis  tinctoria  ,  L.). 

n  Cette  figure  me  paroît  représenter  le  chrysanthemum  coronarium 
qu'on  appelle  en  effet  œil-de-bœuf,  beaucoup  mieux  que  l'anthem^ 
tinctoria.  Et  la  preuve  que  ce  n'est  pas  un  anthémis  est  que  le  récep 
tacle  (f  )  est  représenté  ras  et  dénué  des  écailles  qui  font  le  caractère  de 
anthémis.  Mais  pour  les  écailles  du  calice,  elles  représentent  un  anthe 
mis  beaucoup  mieux  qu'un  chrysanthemum.  Auroit-on  peut-être  ic 
confondu  deux  plantes  qui  réellement  se  ressemblent  beaucoup  ?  » 

304.  L'EoPATOiRE  DE  Mesné  {Achillea  ageratum,,  L.). 
Le  pistil  est  composé  de  l'ovaire,  du  style  et  d'un  seul  stigmate. 

«  Les  fleurs  composées  ont  généralement  un  double  stigmate ,  ou  s 
l'on  veut,  un  stigmate  partagé  en  deux,  et  l'on  voit  distinctement' ai 
renvoi  [c]  de  la  figure  que  celle-ci  ne  fait  pas  exception.  » 

205.  La  Mille-feuille  {Achillea  millefolium,  L.). 

Son  utilité  l'a  renaue  recommandable  de  temps  immémorial.  Si  nous 
en  croyons  quelques  historiens,  Achille  fut  le  premier  à  qui  le  hasarda 
découvrit  ses  propriétés,  et  qui  seul  les  mit  en  usage.  Le  nom  à.'achil- 
lea,  sous  lequel  elle  est  connue  des  botanistes,  vient  à  l'appui  de  cette 
découverte. 

ot  Ceci  n'est  pas  tout  à  fait  exact.  Il  est  vrai  que  la  mille-feuille  a  été 
mise  récemment  dans  le  genre  des  achillea;  mais  ce  n'est  pas  d'elle 
que  lui  en  vient  le  nom,  c'est  de  la  plante  appelée  par  Jean  Bauhin 
achillea  millefolia  odorata,  et  par  Linnœus  achillea  noMlis.  Il  est 
encore  vrai  que  Pline,  qui  se  trompoit  souvent  en  botanique,  a  con- 
fondu ces  deux  plantes;  mais  la  preuve  qu'il  se  trompoit,  est  que  Dios- 
coride,  en  décrivant  V achillea,  dit  que  ses  corymbes  sont  semblables 
à  ceux  de  la  mille-feuille,  dont,  ajoute-t-il,  il  a  été  parlé  ci-devant. 
Tourrefort  a  fait  de  Vachillea  une  mille-feuille,  et  non  de  la  mille- 
feuille  un  achillea.  Dodonée'  est  un  des  premiers  parmi  les  modernes 
qui  ait  confondu  ces  deux  noms.  » 

307.  Le  Blkv et  {Centaurea  cyanus,  L.). 

Les  fleurons  qui  se  trouvent  à  la  circonférence  sont  beaucoup  plus 
grands  et  partagés  en  deux  lèvres. 

«  Inégales.  » 

Les  deux  sortes  de  fleurons  qui  distinguent  le  bleuet  de  la  jacee 
portent  sur  deux  embryons  de  graine  dont  chacune  devient  une  se- 
mence. 

«  Voilà  une  observation  qu'il  importe  de  bien  vérifier;  car  si  les  fleu- 
rons neutres  sans  pistils  et  sans  étamines  ne  laissent  pas  de  fructifier, 
adieu  tout  le  système  sexuel.  Il  me  semble  d'avoir  vu  toujours  les  em- 
bryons du  contour  avorter  dans  le  bleuet  comme  dans  toutes  les  autres 
centaurées;  mais  on  affirme  ici  si  positivement  le  contraire,  qu'il  faut 
répéter  l'observation  plus  attentivement  pour  être  en  état  de  prononcer 


i.  Ou  Dudoens,  médecin  el  Lolanisle  du  xvi'  siècle.  (Éd.) 


I 


SUR  LA  BOTANIQUE  DE  REGNAULT.  12b 

lec  certitude.  Je  destine  à  cette  vérification  une  promenade  dans  les 
a;,iamps  l'été  prochain.  Àmicus  Plato ,  sed  magis  arnica  veritas.  » 
308.  L\  3xcIe  (Centaurea  Jacia,  L.) 
:  a  11  falloit  faire  mention  des  fleurons  du  contour;  il  fallait  dire  que  le 
,  jceptacle  étoit  garni  d'une  vergetle,  ou  le  montrer  au  moins  dans  la 
„Jgure.  Cet  article,  ainsi  que  quelques  autres,  est  fait  un  peu  négli- 
i;;emment.  » 

4  309-  Le  Chardon  bénit  {Centaurea  ienedicta,  L.). 
\(,  Toutes  les  graines  sont  rassemblées  autour  d'un  réceptacle  commun 
ifjans  le  fond  du  calice. 

a  Je  suis  surpris  qu'on  ne  fasse  ici  nulle  mention  des  fleurons  neutres 
,.u  contour,  qui  ont  engagé  Linnasus  à  tirer  cette  plante  du  genre 
m'eus  pour  la  ranger  avec  les  centaurées.  » 
^i   310.  Le  Chardon  étoile  [Centaurea  calcitrapa  ,  L.). 

Cette  plante  croît  le  long  des  grands  chemins  et  aux  lieux  cultivés. 
^ean-Jacques  a  mis  à  la  place  du  mot  cultivés  : 
«  Battus  par  les  pas  des  hommes.  » 

Les  découpures  des  feuilles  sont  toujours  anguleuses,  sans  néan- 
noins  être  terminées  par  des  épines  comme  dans  la  plupart  des  char- 
Ions. 

a  C'est  que  la  chausse-trape  est  une  centaurée ,  et  non  pas  un  char- 
ion,  s 

Quoique  cette  fleur  soit  peinte  d'après  le  naturel,  il  est  rare  de 
trouver  les  fleurons  aussi  grands  et  aussi  évasés  qu'ils  le  sont  dans 
cet  le  figure. 

<  Ils  le  sont  presque  toujours  quand  on  attend  que  l'épanouissement 
jsoit  parfait.  » 

[-  Les  élamines  sont  rassemblées  sous  la  forme  d'un  tube  par  une  mem- 
brane découpée  à  son  sommet  en  cinq  petites  dents;  cette  membrane 
est  une  espèce  de  corolle. 

«  Comme  cette  idée  est  fausse  en  botanique,  il  semble  qu'on  n'auroit 
pas  dû  la  présenter  dans  un  livre  destiné  à  l'instruction.  Il  semble 
iaussi  que  les  fleurons  du  disque  difl'èrent  assez  de  ceux  du  contour  pour 
[mériter  sinon  une  description,  du  moins  une  figure  expresse. 
311.  Le  Souci  de  jardin  {Calendula  officinal is ,  L.). 
La  fleur  passée ,  les  embryons  deviennent  des  capsules  bordées  quel- 
quefois de  deux  grandes  ailes,  et  le  plus  souvent  courbes.  La  figure  h 
fait  voir  la  semence  enchâssée  dans  une  de  ces  capsules. 

(£  Tout  ceci  n'est  pas  très-exact ,  et  la  difl'érente  configuration  des 
graines  a  plus  de  régularité  qu'il  ne  semble.  Mais  cette  explication  de- 
manderoit  un  détail  qui  ne  sauroit  trouver  place  ici.  » 

313.  La  Balsamine  [Impatiens  balsamina  ,  L.). 

Cette  plante  se  trouve  quelquefois  aux  environs  de  Paris, 
c  Si  ce  u'esl  pas  dans  les  jardins ,  il  faut  au  moins  que  ce  soit  auprès, 
c.>-  cette  plante  n'est  pas  indigène.  • 

314.  Le  Satyrion  [Orchis  maculata,  L.]. 

a  On  a  confondu  ici  (dans  la  description)  deux  plantes  toutes  diff'é- 
rer.les,  quoiqu'elles  aient  toutes  deux  les  feuilles  maculées,  ce  qui  peut- 


L 


126  NOTES 

être  a  été  cause  du  quiproquo.  La  racine  et  toute  la  figure  a  appa- 
tiennent  à  Vorchis  mascula  de  Linnaeus,  ainsi  que  les  synoiîynies  oit' 
de  Dodonée.  de  Mathiole  et  de  Gérard;  la  grande  figure  et  sa  descrii 
tion,  à  la  racine  près,  appartiennent  à  Vorchis  maculata,  qui  n'a  pi 
les  racines  testiculées,  mais  palmées.  Le  nom  françois  satyrion  et  i 
description  des  propriétés  appartiennent  encore  à  Vorchis  mascula  c 
non  pas  à  celui-ci.  » 

316.  L'Aristoloche  clématite  (Aristolochia  clematitis,  L.). 

Cette  plante  croît  dans  les  pays  chauds. 

«  Pourquoi  nous  renvoyer  si  loin  chercher  une  plante  qui  pullule  e 
infecte  les  vignes  dans  tous  les  environs  de  Paris?  » 

316.  La  Serpentaire  {Arum  dracunculus ,  L.). 
Le  stigmate  (d)  a  la  figure  d'une  corne. 

«  Voilà  vraiment  un  maître  stigmate ,  et  dont  nul  autre  n'approchf 
dans  tout  le  règne  végétal  !  mais  les  vrais  stigmates  sont  sur  les  ovaires, 
et  la  partie  à  laquelle  on  donne  ici  ce  nom  paroît  n'être  autre  chose 
que  le  réceptacle  allongé.  » 

317.  Le  Pied  de  veau  {Arum  maculatum,  L.). 
Les  feuilles  sont  entières,  faites  en  forme  de  flèche  et  maculées, 
a  Souvent.  » 

11  s'élève  du  centre  des  feuilles  une  seule  tige  droite,  cylindrique  et 
cannelée ,  portant  à  son  sommet  une  enveloppe  que  les  anciens  bota- 
nistes appellent  les  fleurs. 

a  Et  à  laquelle  les  nouveaux  donnent  le  nom  de  spathes.  s 

Chacun  des  ovaires  est  composé  d'un  embryon  ovoïde,  qui  ne  laisse 
point  apercevoir  de  style,  et  qui  est  terminé  par  un  stigmate  articu- 
laire. 

t  L'auteur  abandonne  ici  le  prétendu  stigmate  de  la  serpentaire, 
quoique  ce  soient  deux  plantes  du  même  genre.  » 

318.  La  Larme  de  Job  {Coix  îacrima ,  L.). 

Cette  plante  peut  entrer  dans  l'electuaire  de  Justin,  à  la  place  du 
grémil. 

«  Comme  ces  graines  sont  fort  dures  l'une  et  l'autre ,  il  n'en  faut  pas 
davantage  pour  avoir  les  mêmes  vertus.  » 

319.  Le  B'jis  (Buxits  sempervirens ,  L.). 
La  fleur  mâle  est  à  pétales. 

«  Apétales,  c'est-à-dire  sans  pétales,  ce  qui  est  le  contraire  de  à  2' 
laies.  » 

322.  La  Pimprenelle  {Poterium  sanguisorba,  L.). 

a  On  a  confondu  ici  deux  plantes  différentes  en  joignant  le  nom  de  la 
grande  pimprenelle  à  la  description  de  la  petite,  qui  est  celle  de  nos 
jardins.  » 

324.  Le  Liège  [Quercus  suber,  L.). 

On  voit  dans  cette  figure  la  place  qu'occupent  les  deux  semences. 

..  Ces  deux  semences  prétendues  sont  seulement  les  deux  lobes  ou 
cotylédons  du  fruit,  entre  lesquels  un  germe  unique  est  intermé- 
diaire. » 

327.  La  Pesse  {Pinus  abies ,  L.). 


SUR  LA  BOTANiaUE  DE  REGNAULT.       '27" 

"  Le  rameau  gravé  représente  mal  ]a  figure  et  le  port  delà  passe.  Les 
.■feuilles  sont  trop  longues,   trop  rares,  pas  assez  rapprochées  de  la 
■  branche.  Cette  branche  ne  se  divise  pas  vers  ses  extrémités  en  trois 
^fourchons ,  comme  font  presque  toujours  celles  de  la  pesse.  Enfin  le  cône 
^représenté  en  h  pointe  en  haut  comme  ceux  des  sapins,  au  lieu  que 
*ceux  de  la  pesse  sont  réfléchis  et  inclinés  vers  la  terre.» 
328.  Le  Cyprès  {Cupressus  semperiirens ,  L.). 
Lr5  deux  espèces  de  cyprès  croissent  dans  les  pays  chauds. 
■  II  y  a  entre  ces  deux  variétés  la  même  différence  à  peu  près  qu'entre 
^le  peuplier  commun  et  le  peuplier  d'Italie ,  qui  n'est  non  plus  qu'une 
variété  de  l'autre.  » 
333.  La  Couleuvree  (Bryonia  alba,  L.) 

Les  fleurs  mâles  et  les  fleurs  femelles  croissent  sur  des  pieds  diffé- 
rens. 

a  L'auteur  se  trompe  ;  les'  deux  sexes  naissent  sur  le  même  pied , 
omme  dans  toutes  les  cucurhitacées:  cependant  il  se  trouve  quelque- 
fo's  par  hasard  des  individus  dioïques.» 
337.  L.\  Salsep.\reille  {Smilax  sarsaparilla ,  L.). 
Les  ombelles  ne  sont  que  partielles. 

«  Comme  on  ne  sauroit  donner  le  nom  de  partie  au  tout,  une  om- 
belle unique  ne  doit  pas  non  plus ,  à  mon  avis ,  s'appeler  partielle.  D'ail- 
leurs on  ne  doit  pas.  en  botanique,  donner  le  nom  d'ombelles  à  celles 
qui  n'en  ont  pas  le  vrai  caractère,  déterminé  par  Ray,  Tournefort, 
Linnaeus  et  tous  les  botanistes  modernes.» 

339.  Le  Houx-frelon^Bk^cus  acuîeatus .  L). 
o  Toute  cette  description  manque  d'exactitude ,  et  a  besoin  d'être 

refaite. 

a  En  deçà  de  Vincennes  les  paysans  appellent  tonnerre  le  lychnis 
iioïca.  y> 

«  La  plupart  des  plantes  n'ont  point  de  noms  françois .  mais  toutes 
int  un  nom  anglois.  La  raison  en  est  que  les  Anglois  étudient  et  aiment 
.&  botanique .  et  s'en  font  à  la  campagne  une  récréation  charmante  .  au 
ieii  que  les  François  ne  la  regardent  que  comme  une  étude  d'apothi- 
caire, et  ne  voient  dans  l'émail  des  prairies  que  des  herbes  pour  les 
avemens.  On  voit  ici  que  notre  auteur  lui-même  emploie  les  trois 
juarts  de  ses  descriptions  à  parler  de  tisanes  et  d'emplâtres.  On  pré- 
;end  que  cela  est  fort  utile  :  mais  on  conviendra  que  tout  cela  n'est  pas 
brt  attrayant.  » 

340.  La.  Pariétaire  [Parietaria  officinaîis ,  L.). 

Les  fleurs  sont  partie  hermaphrodites,  partie  femelles  sur  le  même 
îied. 

a  Elles  sont  d'ordinaire  groupées  par  trois,  une  hermaphrodite  dans 
e  milieu  et  une  fleur  femelle  de  chaque  côté.  » 

Les  anthères  s'ouvrent  avec  explosion  en  quatre  parties,  et  c'est  dans 
e  moment  de  l'explosion ,  laquelle  produit  un  bruit  à  la  portée  de_nos 
)rganes .  que  la  semence  prolifique  s'échappe  et  va  féconder  le  pistiL 

»  J'ai  souvent  fait  partir  cette  détente  avec  la  pointe  d'une  épingle, 
nais  sans  jamais  parvenir  à  entendre  le  bruit.  » 


128  NOTES 

-341.  Le  GiNSENG  [Panax  quinquefolium ,  L.). 

«  Je  ne  m'arrêterai  pas  à  critiquer  ici  cette  description  ni  la  figure.  Jt 
dirai  seulement  qu'elles  n'ont  pas  plus  de  rapport  aux  descriptioa' 
qu'ont  faites  du  ginseng  les  botanistes  les  plus  exacts  et  les  mieux  in- 
struits, que  n'en  a  la  racine  ici  figurée  avec  les  racines  en  très-grant 
nombre  de  cette  plante ,  que  j'ai  eu  souvent  l'occasion  de  voir  et  d'exa- 
miner. » 

346.  La  Rue-de-muraille  {Asplenium  ruta  muraria^  L.). 

Les  fleurs  sont  ramassées  par  paquets  sur  la  sun'ace  inférieure  des 
feuilles. 

a  Ces  paquets  paroissent  ronds  quand  la  fructification  commence,  e 
c'est  ainsi  qu'on  les  a  marqués  dans  la  figure;  mais  à  mesure  que  l 
fructification  approche  de  la  maturité,  ils  s'allongent ,  deviennent  li 
néaires,  se  réunissent  enfin,  et  garnissent  presque  tout  le  dos  de  la 
feuille.  » 

Les  figures  d  et  e  offrent  la  même  capsule  ouverte,  et  qui  ne  tient ^ 
par  la  contraction  du  cordon  annulaire  qui  reste  attaché  à  la  capsule, 
par  une  portion  de  sa  longueur  {ftg.  d) ,  plus  à  la  même  capsule 
(fig.  e)  que  par  une  de  ses  extrémités. 

a  Les  deux  lignes  soulignées  sont  inintelligibles,  et  pariassent  devoir 
se  tourner  ainsi  : 

«  A  laquelle  (capsulé) ,  par  la  contraction  du  cordon  annulaire  qui  s'en 
«  détache  (fig.  d) ,  ce  cordon  ne  tient  plus  que  par  une  de  ses  extrémités 
a  (fig.  e).  » 

347.  Le  Capillaire  {Asplenium  adianthum  nigrum,  L.). 

a  On  auroit  dû  avertir  ceux  qui  mettent  les  couleurs  de  peindre  la 
côte  noire.  La  phrase  de  G.  Bauhin  suffisoit  pour  y  faire  penser.  »        j 

349.  La  Fougère  mâle  {Pohjpodium  fUix  mas ,  L.).  m 

On  a  prétendu  jusqu'à  présent  qu'en  coupant  cette  racine  obliquemenf 
elle  présentoit  la  figure  d'un  aigle  à  deux  têtes  ;  nous  croyons  qu'ainsi 
que  dans  les  marbres,  dans  les  vieilles  murailles,  dans  les  tisons,  dan& 
le  dépôt  du  marc  de  café ,  on  y  voit  tout  ce  qu'on  veut  y  voir. 

«  Tous  ces  adages  sont  très-vrais;  mais  cela  n'empêche  pas  que  la 
racine  d'une  des  espèces  de  fougère ,  coupée  en  travers  de  biais  sur  ua 
individu  un  peu  gros ,  ne  présente  assez  fidèlement ,  et  toute  imagina- 
tion à  part,  la  figure  de  l'aigle  éployé  à  deux  têtes.  Mais  il  est  bon 
d'observer  que  la  fougère  qui  présente  cette  figure  n'est  point  celle-ci , 
mais  celle  qui  porte  dans  Linnaeus  le  nom  de  pteris  aquilina  ^  et  que 
plusieurs  appellent  fougère  femelle,  différente  d'une  autre  fougère 
femelle  qui  est  un  polypodium.  53 

La  coque  est  entourée  d'un  cordon  annulaire  qui  la  contracte. 

«  Il  la  dilate ,  au  contraire ,  et  l'ouvre  en  se  rompant  et  se  redrei 
sant.  » 

La  cendre  de  cette  plante  entre  dans  la  fabrication  du  verre. 

«  Tout  ceci  appartient  encore  au  pteris  plutôt  qu'à  la  fougère  mâle 


SUR   LA  BOTANIQUE   DE  REGNAULT. 


129 


TABLE 

DES   PLANTES   GRAVÉES   DANS   LE    PREMIER   VOLUME   DE   CET   OUVRAGE', 

Rangées  suivanl  le  système  de  Linnœus. 


î. 

2. 
3. 
4. 
5. 
6. 
7. 
8. 
9. 
10. 

11. 
12. 

13. 
14. 
15. 
IG. 
17. 
18. 
19 
20. 
21. 
22. 
23. 
24. 
25. 
26 
27. 
28. 
29. 
30. 
31. 
32. 

33. 
34. 
35. 
3(5. 
37. 
38. 


Le  Safran  des  Indes. 

Le  Troëne. 

L'OlivifT. 

La  Circée. 

La  Véronique. 

Le  Beccabunga. 

La  Gratiole. 

La  Verveine. 

Le  Romarin. 

La  petite  Sauge.  (Voy.  les  ad- 
ditions.) 

La  Toute-bonne  des  prés. 

L'Orvale  ou  Toute-bonne. 

La  grande  Valériane. 

La  Mâche.  (Voy.  les  additions.) 

Le  Safran. 

L'Iris  de  Florence. 

La  Flambe. 

Le  Chiendent. 

L'Avoine. 

Le  Seigle. 

L'Orge. 

Le  Froment. 

Le  Chardon  à  foulon. 

La  Verge  à  pasteur. 

La  Scabieuse  des  prés. 

Le  Muguet  des  bois. 

La  petite  Garance. 

Le  Caille-lait. 

Le  Grateron.  66. 

La  Garance.  67. 

Le  grand  Plantain. 

L'Herbe  aux  puces.    (Voy.  les    68. 
additions.) 

Le  Cornouiller. 

Le  Pied  de  lion. 

La  Cuscute. 

Le  Houx. 

L'Héliotrope. 

Le  Grémil. 


39.  La  Buglose. 

40.  L'Orcanette. 

41.  La  Cynoglosse. 

42.  La  Pulmonaire. 

43.  La  grande  Consoude. 

44.  La  Bourrache. 

45.  La  Vipérine. (Voy.  lesadditious.) 

46.  La  Primevère. 

47.  Le  Cyclamen. 

48.  La  Nummulaire. 

49.  Le  Mouron. 

50.  Le  Liset. 

51.  La  Scammonée. 

52.  La  Raiponce. 

53.  Le  Café. 

54.  Le  Chèvrefeuille. 

55.  La  Belle-de-nuit. 
bï>\bis).  Le  Bouillon  blanc.  (Voy. 

les  additions.) 

56.  La  Stranioine. 

57.  La  Jusquiame. 

58.  Le  Tabac. 

59.  Le  petit  Tabac. 

60.  La  Mandragore. 

61.  La  Belladone. 
G2.  Le  Coqueret. 

63.  La  Douce-amère. 

64.  La  Pomme  de  terre. 

65.  La  Pomme  d'amour. 
La  Morelle. 

L'Aubergine.    (Voy.  les   addi- 
tions.) 

Le  Copsique. 

69.  Le  Nerprun. 

70.  La  Bourdaine. 

71.  Le  Jujubier. 

72.  Le  Groseillier  rouge. 

73.  Le  Cassis. 

74.  Le  Lierre. 

75.  La  Vif'ne. 


t.  La  Botanique  mise  a  (a  ^tortce  de  tout  le  monde.  (Ér. 
IU)l.ss^.^u  VI 


130 


NOTES 


76 

La  petite  Pervenche. 

120.  Le  Muguet. 

77. 

La  grande  Pervenche. 

121.  Le  Sceau  de  Salomon. 

78 

Le  Laurier-rose. 

122.  L'Aloès  succotriii. 

79 

L'Apocyn. 

123.  L'Épine-vinette. 

80 

Le  Dompte -venin.    (Voy 

les    124.  La  Patience. 

additions.) 

125.  La  Parelle  aquatique. 

81 

La  Turquette. 

126.  L'Oseille  longue'. 

82 

Le  Bon-Henri. 

127.  Le  Colchique. 

83. 

Le  Thé  du  Mexique. 

128.  La  grande  Capucine. 

84. 

La  Bette. 

129.  La  Lauréole  mâle  et  femelle 

85. 

La  Soude. 

130.  La  Bistorte. 

86. 

La  petite  Centaurée. 

131.  La  Renouée. 

87 

Le  Panicaut. 

132.  Le  Sarrasin. 

88. 

La  Sanicle. 

133.  Le  Paris. 

89. 

La  Perce-feuille. 

134.  Le  Rhapontic. 

90. 

L'Ammi. 

135.  La  Rhubarbe. 

91 

Le  Meum. 

136.  La  Fraxinelle. 

92. 

L'Angélique. 

1.37.  La  Rue. 

93. 

L'Angélique  sauvage. (Voy 

les    138.  La  Saxifrage. 

additions.) 

139.  La  Saponaire. 

94. 

La  Berle. 

140.  L'Œillet. 

95. 

Le  Pison. 

141.  Le  Cotylédon. 

96. 

Le  Persil  de  Macédoine 

142.  L'Orpin. 

97. 

La  Férule  galbanum. 

143.  Le  Phytolacca, 

98. 

Le  Phellandrium. 

144.  Le  Cabaret. 

99. 

La  petite  Ciguë. 

145.  Le  Pourpier. 

100. 

La  Coriandre. 

146.  La  Salicaire. 

101. 

Le  Cerfeuil  musqué. 

147.  L'Aigremoine. 

102. 

Le  Cerfeuil. 

148.  L'Euphorbe. 

103. 

L'Impératoire. 

149.  L'Épurge. 

104. 

Le  Fenouil  tortu. 

150.  La  petite  Ésule. 

105. 

Le  Maceron. 

151.  La  Joubarbe. 

106. 

L'Anet. 

152.  Le  Myrte. 

107. 

Le  Fenouil. 

153.  Le  Grenadier  à  fruit. 

108. 

Le  Carvi. 

164.  Le  Pêcher. 

109. 

L'Anis. 

155.  L'Amandier. 

110. 

L'Ache. 

156.  Le  Merisier. 

111. 

Le  Sumac. 

157.  Le  Prunier. 

112. 

La  Viorme. 

158.  Le  Pommier. 

113. 

L'Hièble. 

159.  Le  Cognassier. 

114. 

Le  Sureau. 

160.  L'Ulmaria. 

115. 

Le  Tamaris. 

161.  Le  Rosier  sauvage. 

116. 

Le  Lin- 

162.  Le  Fraisier. 

117. 

L'Oignon. 

162  {bis).  L'Argentine. 

118. 

La  Couronne  impériale. 

163.  La  Quintefeuille, 

119. 

L'Asperge. 

164.  La  Tormentille. 

4.  Soi»«  le  tilrc  d'oseille  ronde. 


SLTi  LA  BOTANIQUE  DE  REGNAULT. 


131 


'165.  La  Benoîte. 

210. 

L'Origan. 

166.  La  Chélidoine. 

211. 

La  Marjolaine. 

167.  Le  Pavot  cornu. 

212. 

Le  Serpolet. 

168.  Le  Coquelicot. 

213. 

Le  Thym. 

169.  Le  Pavot  noir. 

214. 

La  Mélisse. 

170.  Le  Pavot  blanc. 

214 

{bis).  Le  Calament. 

171.  Le  Nénufar. 

215 

La  Mélisse  bâtarde. 

172.  Le  Tilleul. 

21G 

Le  Basilic. 

173.  Le  Ladanum. 

217. 

La  Brunelle. 

174.  L'Hêlianthum. 

218. 

L'Euphraise.  " 

175.  La  Pivoine. 

219. 

La  Cymbalaire. 

176.  Le  Pied  dalouette. 

220. 

La  fausse  Velvole. 

177.  La  Staphisaigre. 

221. 

La  Linaire. 

177  {bis).  Le  Napel. 

222. 

La  Muflaude. 

178.  L'Anthora. 

223. 

La  Scrofulaire    (Voy.  les 

ad- 

179.  L'Ancholie. 

ditions.) 

180.  La  Nielle. 

224. 

La  Digitale. 

181.  La  Clématite. 

226. 

L'Agnus-castus. 

182.  L'Éclairelte. 

226. 

L'Acanthe. 

^83.  La  Renoncule  scélérate. 

227. 

Le  Cresson  alénois. 

184.  Le  Bassinet  rampant. 

228. 

La  Passerage. 

•185.  L'Ellébore  noir. 

229. 

Le  Tabouret. 

186.  L'Ellébore  vert. 

2.30. 

L'Herbe  aux  cuillsrs. 

187.  Le  Pied  de  griffon. 

231. 

Le  Raifort  sauvage. 

187  {bis).  LaBugle. 

232. 

Le  Thlaspi  de  Crète. 

188.  L'Ivette. 

233. 

Le  Cresson  des  prés. 

189.  Le  Marum. 

234. 

La  Roquette  sauvage. 

190.  La  Sauge  des  bois. 

235. 

Le  Vélar. 

191.  Le  Scordium. 

236. 

Le  Barleria. 

192.  La  Germandrée. 

237. 

L'Alliaire. 

193.  Le  Polion.(Voy.  les  additions.) 

238. 

La  Giroflée  jaune. 

194.  La  Sarriette. 

239. 

Le  Navet. 

195.  L'Hysope. 

240. 

Le  Chou  rouge. 

196.  La  Cataire. 

241. 

Le  Chou  blanc. 

197.  La  Lavande. 

-242. 

La  Boquette. 

198.  Le  Stœchas. 

243. 

La  Moutarde. 

199.  La  Menthe  à  épi. 

244. 

La  Rave. 

■200.  La  Menthe  poivrée. 

245. 

Le  Pastel. 

■201.  Le  Pouliot. 

246. 

Le  Géranium  cicuiia 

202.  Le  Lierre  terrestre. 

247. 

L'Herbe  à  Robert. 

202  (bîs) .  Le  Lamier  ou  Ortie  blanche. 

248. 

Le  Pied  de  pigeon. 

203.  La  Bétoine. 

249. 

La  Guimauve. 

204.  L'Ortie  morte. 

250. 

La  Rose  trémière. 

205.  La  Ballotte. 

251. 

La  Mauve. 

206.  Le  Marrube. 

252. 

La  Fumeterre  bulbeuse. 

207.  L'Agripaume. 

253. 

La  Fumeterre. 

208.  La  Mdluque  lisse. 

254. 

Le  Genêt  d'Espagne.  (Voy 

let 

209.  Le  Dictame  de  Crète. 

additions.)    - 

132  NOTF.S 

265.  L'Arrète-hœuf.  300. 

256.  Le  Lupin.  301. 

257.  La  Fève  de  marais.  302. 

258.  Le  Pois  cliiche.  303. 

259.  Le  Baguenaudier.  304. 

260.  La  Réglisse.  305. 

261.  L'Indigo.  30G. 
26Î.  Le  Galéga.  307. 
203.  La  Barbe  de  renard.  308. 

264.  Le  C'.ilen.  309. 

265.  Le  Bannier.  310 

266.  Le  Mélilol.  311. 

267.  Le  Trèfle.                         •  312. 

268.  Le  Fenugue.  313. 

269.  La  Luzerne.  314. 

270.  Le  Citronnier.  315. 

271.  L'Oranger.  316. 

272.  La  Toute-saine.  317. 

273.  Le  Mille-peftuis,  318, 

274.  Le  Laiteron.  319. 

275.  La  Laitue  sauvage.  320. 

276.  La  Dent  de  lion.  321. 

277.  La  Piloselle.  322. 
27».  La  Lampsane.  323. 

279.  L'Endive. 

280.  La  Bardane.  324. 

281.  Le  Chardon  hémorroïdal  325. 

282.  Le  Chardon -Marie.  326. 

283.  La  Carline.  _     327. 

284.  Le  Carthame.  328. 

285.  L'Eupatoire.  329. 

286.  La  Garde-robe.  3-30. 

287.  La  Tanaisie.  331. 

288.  La  Menthe-coq.  332. 

289.  L'Absinthe.  ,     333. 

290.  L'Armoise.  3.'^4. 

291.  Le  Piedchatier.  335. 

292.  Le  Tussilage.  336. 

293.  Le  Pétasite. 

294.  La  Jacobée.  337. 

295.  L'Œil  de  Christ.  338. 

296.  La  Verge  d'or.  339. 

297.  L'Aunée.  340. 

298.  Le  Doronic.  341. 
Î99.  La  Pâquerette.  342. 


La  Matricaire 

La  Camomille  loraaine. 

La  Maroute. 

L'Œil  de  bœuf. 

L'Eupatoire  de  Mesné. 

La  Mille-feuille. 

La  grande  Centaurée. 

Le  Bluet. 

La  Jacée. 

Le  Chardon  bénit. 

La  Chausse-trape. 

Le  Souci  des  jardins. 

La  Violette  odorante. 

La  Balsamine. 

Le  Satyrion  '. 

L'Aristoloche  clématite. 

La  Serpentaire. 

Le  Pied  de  veau. 

La  Larme  de  Job. 

Le  Buis. 

Le  Mûrier  noir. 

Le  petit  Glouteron. 

La  Pimprenelle-. 

Le  Chêne  vert.  (Voy.  les  ad- 
ditions.) 

Le  Liège. 

Le  Noyer. 

Le  Piri. 

La  Pesse. 

Le  Cyprès. 

Le  Ricin. 

La  Pomme  de  merveille. 

Le  Concombre  sauvage. 

Le  Concombre. 

La  Couleuvrée. 

Le  Saule. 

Le  Pistachier. 

Le  Chanvre.  (Voy.  les  addi- 
tions.) 

La  Salsepareille. 

La  Mercuriale. 

Le  Houx-frelon. 

La  Pariétaire. 

Le  Ginseng. 

Le  Figuier. 


4.  Doux  plantes  différentes  som  ici  confondues. 
a.  C'esl  la  petite  qu'on  a  prise  ici  pour  la  grande. 


SUR    LA   SOTAiNIQUE   Dli   REGNAULT.  133 

344.  La  Scolopendre.  347.  Le  Capillaire  noir. 

345.  La  Doradille.  348.  Le  Polypode. 

346.  La  Sauve-vie.  349.  La  Fougère  mâle. 

a  J'ai  pris  le  parti  de  couper  tout  à  fait  les  barbouillages  presque  illi- 
sibles dont  j'avois  parlé  dans  ma  lettre  à  M.  l'abbé,  attendu  que  les 
corrections,  très-difficiles  à  déchiffrer ,  auroient  été  presque  introuva- 
bles, qu'il  vaut  mieux  qu'on  n'y  trouve  rien  que  d'y  trouver  des  fautes, 
et  que  le  relieur  peut  aisément  coller  sur  ces  vides  du  papier  blanc, 
qu'il  est  facile  ensuite  de  mieux  remplir.  Que  si  M.  l'abbé  trouve  ces 
rapiécemens  trop  désagréables,  tout  ce  que  j'y  puis  faire  est  de  lui 
réitérer  l'offre  que  j'ai  déjà  eu  l'honneur  de  lui  faire.  A  l'égard  des 
taches  et  de  la  malpropreté  des  titres  et  de  plusieurs  feuilles,  il  voudra 
bien  se  rappeler  que  je  lui  rends  l'exemplaire  dans  le  même  état  où  il 
me  l'a  remis.  » 

ADDITIONS. 

10.  La  petite  Sauge  {Sahia  officinalis ,  L.). 

Les  fleurs  sont  soutenues  par  des  feuilles  florales. 

«  Par  des  bractées  ou  feuilles  florales.  » 

14.  La  Mâche  [Valeriana  locusta ,  L.). 

On  la  nomme  Valerianella  ,  comme  qui  diroit  petite  Vale'riann,  parce 
que  la  mâche  a  quelque  ressemblance  avec  la  valériane. 

n  A  lés  caractères  de  la  valériane.  » 

32.  L'Herbe  aux  puces  [Plantago  psillium ,  L.). 

Elle  se  trouve  dans  les  terrains  incultes. 

a  Et  sablonneux.  » 

45.  La  'Vipérine  {Echium  vulgare  ,  L.). 

Ses  tiges  sont  marquées  de  taches  rouges. 

«  Et  plus  souvent  noires.  » 

Les  fleurs  ont  au  milieu  quatre  étamines  et  un  pistil. 

a  Cinq  étamines  inégales  et  un  pistil.  » 

5.5  bis.  Le  Bouillon  blanc  {Verhascum  thapsus ,  L.). 

Le  pistil  est  placé  au  centre  de  la  corolle ,  et  s'attache  au  fond  du 
calice. 

«  Monophylle  à  cinq  divisions.  » 

67.  L'Aubergine  {Solanummelongena,  L.). 

Le  nombre  des  étamines  est  ordinairement  conforme  à  celui  des  di?i« 
sions  de  la  corolle. 

«  Égal  au  lieu  de  conforme.  » 

80.  Le  Dompte-venin  {.isclepias  vincetoxicum ,  L.). 

Elle  fleurit  en  juin  et  juillet. 

«  Et  plus  tard.  » 

"93.  L'Angélique  sauvage  (inf/ei?ca  syZfesîm,  L.). 

Elle  cioîl  le  long  des  haies. 

a  Et  des  ruisseaux.  -■> 

95.  Le  Sison  {Sison  amomum  ,  L.). 

Les  ombelles  partielles.  i 


134    NOTES  SUn  LA  BOTANIQUE  DE  REGNAULT 

a  Les  enveloppes  partielles  ,  et  non  pas  les  ombelles  » 
En  outre  l'exlrémilé  du  pétale  se  roule  jusqu'à  la  moitié  de  sa  lon- 
gueur. 
«  Se  roule  en  dessus.  » 

y6.  Le  Persil  de  Macédoine  {Bubon  Macedonicum ,  L.). 
Le  surnom  de  celte  espèce  de  persil. 

J.  J.  Rousseau  a  effacé  les  mots  soulignés ,  et  a  mis  de  ce  préiendn.. 
Les  vertus  de  cette  plante  sont  communes  avec  celles  du  persil. 
«  Lui  sont  communes.  » 
19.3.  Le  Polion  [Tenerium  polium,  L.). 
les  feuilles  sonl  sessiles  ou  attachées  à  la  tige. 
«  Elles  sont  crénelées.  » 
194.  La  Sarriette  [Salurcia  hortensis ,  L.). 
Les  feuilles  sont  longues,  étroites,  terminées  en  pointes  unies. 
«  Et  pointillées.  » 

223.  La  Scrofulaire  {Scrophularia  aqualica,  L.). 
Les  feuilles  sont  entières,  ova'es,  terminées  en  pointe. 
a  Obtuse.  » 

254.  Le  Genêt  d'Espagne  {Spartium  junceum ,  L.). 
Ses  rameaux  sortent  ordinairemenl  de  l'aisselle  d'une  feuille 
a  Toujours.  » 

'6Tà.  Le  Chêne  vert  [Quercus  ilex,  L.). 
Ses  fleurs  forment  un  épi  connu  sous  le  nom  de  chaton. 
a  Un  épi  pendant.  5) 

33G.  Le  Chanvre  mâle  et  femelle  {Cannabis  satira,  L  ). 
Les  fleurs  du  chanvre  mâle  ne  sont  composées  que  d'étamines.- 
«  Et  d'un  calice.  » 


FIN   DES   NOTES   SUR   TA  BOTANIQUE  DE   REÎNMIT.T. 


FRAGMENS  POUR  UN  DICTIONNAIRE 

DES  TERMES  D'USAGE  EN  BOTANIQUE. 

INTRODUCTION. 

Le  premier  malheur  de  la  botanique  est  d'avoir  été  regardée  dès  sa 
naissance  comme  une  partie  de  la  médecine.  Cela  fit  qu'on  ne  s'attacha 
qu'à  trouver  ou  supposer  des  vertus  aux  plantes,  et  qu'on  négligea  la 
connoissance  des  plantes  mêmes;  car  comment  se  livrer  aux  courses 
immenses  et  continuelles  qu'exige  cette  recherche,  et  en  même  temps 
aux  travaux  sédentaires  du  laboratoire,  et  aux  traitemens  des  malades, 
par  lesquels  on  parvient  à  s'assurer  de  la  nature  des  substances  végé- 
tales, et  de  leurs  effets  dans  le  corps  humain?  Cette  fausse  manière 
d'envisager  la  botanique  en  a  longtemps  rétréci  l'étude,  au  point  de  la 
borner  presque  aux  plantes  usuelles,  et  de  réduire  la  chaîne  végétale  à 
un  petit  nombre  de  chaînons  interrompus;  encore  ces  chaînons  mêmes 
ont-ils  été  très-mal  étudiés,  parce  qu'on  y  regardoit  seulement  la  ma- 
tière, et  non  pas  l'organisation.  Comment  se  seroit-on  beaucoup  occupé 
de  la  structure  organique  d'une  substance,  ou  plutôt  d'une  masse  rami- 
fiée .  qu'on  ne  songeoit  qu'à  piler  dans  un  mortier?  On  ne  cherchoit  des 
plantes  que  pour  trouver  des  remèdes  ;  on  ne  cherchoit  pas  des  plantes , 
mais  des  simples.  C'étoit  fort  bien  fait,  dira-t-on;  soit  :  mais  il  n'en  a 
pas  moins  résulté  que,  si  l'on  connoissoit  fort  bien  les  remèdes,  on  ne 
laissoit  pas  de  connoître  fort  mal  les  plantes,  et  c'est  tout  ce  que 
j'avance  ici. 

La  botanique  n'étoit  rien  :  il  n'y  avoit  point  d'étude  de  la  botanique, 
et  ceux  qui  se  piquoient  le  plus  de  connoître  les  plantes  n'avoient  au- 
cune idée  ni  de  leur  structure,  ni  de  l'économie  végétale.  Chacun  con- 
noissoit de  vue  cinq  ou  six  plantes  de  son  canton ,  auxque-lles  il  donnoit 
des  noms  au  hasard,  enrichis  de  vertus  merveilleuses  qu'il  lui  plaisoit 
de  leur  supposer;  et  chacune  de  ces  plantes  changée  en  panacée  uni- 
verselle suffisoit  seule  pour  immortaliser  tout  le  genre  humain.  Ces 
plantes,  lransfo:mées  en  baume  et  en  emplâtres,  disparoissoient  promp- 
tement,  et  faisoient  bientôt  place  à  d'autres,  auxquelles  de  nouveaux 
venus,  pour  se  distinguer,  attribuoient  les  mêmes  effets.  Tantôt  c'étoit 
une  plante  nouvelle  qu'on  décoroit  d'anciennes  vertus,  et  tantôt  d'an- 
ciennes plantes  proposées  sous  de  nouveaux  noms  suffisoient  pour  enri- 
chir de  nouveaux  charlatans.  Ces  plantes  avoient  des  noms  vulgaires, 
différens  dans  chaque  canton;  et  ceux  qui  les  indiquoient  pour  leurs 
drogues  ne  leur  donnoient  que  des  noms  connus  tout  au  plus  dans  le 
lieu  qu'ils  habitoient;  et,  quand  leurs  récipés  couroient  dans  d'autres 
pays,  on  ne  savoit  plus  de  quelle  plante  il  y  étoit  parlé  ;  chacun  en  sub- 
stituoit  une  à  sa  fantaisie ,  sans  autre  soin  que  de  lui  donner  le  même 
nom.  Voilà  tout  l'art  que  les  Myrepsus,  les  Hildegardes,  les  Suardus, 
les  Villanova ,  et  les  autres  docteurs  de  ces  temps-là ,  mettoient  à  l'étud* 


■s5 


136  WGÏIONNAIRE  DE  BOTANIQUE. 

des  plantes  dont  ils  ont  parlé  dans  leurs  livres  ;  et  il  seroit  difficile  peut 
être  au  peuple  d'en  reconnoître  une  seule  sur  leurs  noms  ou  sur  leurs 
descriptions. 

A  la  renaissance  des  lettres ,  tout  disparut  pour  faire  place  aux  anciens 
livres  :  il  n'y  eut  plus  rien  de  bon  et  de  vrai  que  ce  qui  étoit  dans 
Aristote  et  dans  Galeii.  Au  lieu  d'étudier  les  plantes  sur  la  terre,  or 
ne  les  étudioit  plus  que  dans  Pline  et  Dioscoride;  et  il  n'y  a  rien  s 
fréquent  dans  les  auteurs  de  ces  temps-là  que  d'y  voir  nier  l'existence 
d'une  plante  par  l'unique  raison  que  Dioscoride  n'en  a  pas  parlé.  Mais 
ces  doctes  plantes ,  il  falloit  pourtant  les  trouver  en  nature  pour  les 
employer  selon  les  préceptes  du  maître.  Alors  on  s'évertua;  l'on  se  mil 
à  chercher,  à  observer,  à  conjecturer;  et  chacun  ne  manqua  pas  de 
l'aire  tous  ses  efforts  pour  trouver  dans  la  plante  qu'il  avoit  choisie  les 
caractères  décrits  dans  son  auteur;  et,  comme  les  traducteurs,  les 
commentateurs,  les  praticiens,  s'accordoient  rarement  sur  le  choi.x,  on 
donnoit  vingt  noms  à  la  même  plante,  et  à  vingt  plantes  le  même  nom, 
chacun  soutenant  que  la  sienne  étoit  la  véritable ,  et  que  toutes  les  au- 
tres, n'étant  pas  celles  dont  Dioscoride  avoit  parlé,  dévoient  être  pro- 
scrites de  dessus  la  terre.  De  ce  conflit  résultèrent  enfin  des  recherches, 
à  la  vérité  plus  attentives,  et  quelques  bonnes  observations  qui  méri- 
tèrent d'être  conservées,  mais  en  même  temps  un  tel  chaos  de  nomen- 
clature, que  les  médecins  et  les  herboristes  avoient  absolument  cessé 
de  s'entendre  entre  eux.  Il  ne  pouvoit  plus  y  avoir  communication  de 
lumières,  il  n'y  avoit  plus  que  des  disputes  de  mots  et  de  noms,  et 
même  toutes  les  recherches  et  descriptions  utiles  étoient  perdues,  faute 
de  pouvoir  décider  de  quelle  plante  chaque  auteur  avoit  parlé. 

Il  commença  pourtant  à  se  former  de  vrais  botanistes,  tels  que  Clu- 
sius,  Cordus,  Césalpiu.  Gesner,  et  à  se  faire  de  bons  livres,  et  instruc- 
tifs, sur  cette  matière,  dans  lesquels  même  on  trouve  déjà  quelques 
traces  de  méthode.  Et  c'étoit  certainement  une  perte  que  ces  pièces 
devinssent  inutiles  et  inintelligibles  par  la  seule  discordance  des  noms. 
Mais  de  cela  même  que  les  auteurs  commençoient  à  réunir  les  espèces 
et  à  séparer  les  genres,  chacun  selon  sa  manière  d'observer  le  port  et 
la  structure  apparente,  il  résulta  de  nouveaux  inconvéniens  et  une  nou- 
velle obscurité,  parce  que  chaque  auteur,  réglant  sa  nomenclature  sur 
sa  méthode,  créoit  de  nouveaux  genres,  ou  séparoit  les  anciens,  selon 
que  le  requéroit  le  caractère  des  siens  :  de  sorte  qu'espèces  et  genres, 
tout  étoit  tellement'  mêlé ,  qu'il  n'y  avoit  presque  pas  de  plante  qui  n'eût 
autant  de  noms  diflereus  qu'il  y  avoit  d'auteurs  qui  l'avoient  décrite  ,  ce 
qui  rendoit  l'étude  de  la  concordance  aussi  longue  et  souvent  plus  diffi- 
cile que  celle  des  plantes  mêmes. 

Enfin  parurent  ces  deux  illustres  frères  qui  ont  plus  fait  eux  seuls 
pour  le  progrès  de  la  botanique  que  tous  les  autres  ensemble  qui  les  ont 
précédés  et  même  suivis,  jusqu'à  Tournefort  :  hommes  rares,  dont  le 
savoir  immense  et  les  solides  travaux ,  consacrés  à  la  botanique ,  les 
rendent  dignes  de  l'immortalité  qu'ils  leur  ont  acquise;  car,  tant  que 
cette  science  naturelle  ne  tombera  pas  dans  l'oubli ,  les  noms  de  Jean  et 
de  Gaspard  Bauhin  vivront  avec  elle  dans  la  mémoire  des  nommes. 


INTRODUCTION.  137 

Ces  deux  hommes  enUeprirent,  chacun  de  son  côté,  une  histoire  uni- 
verselle des  plantes;  et,  ce  qui  se  rapporte  plus  immédiatement  à  cet 
article,  ils  entieprirent  l'un  et  l'autre  d'y  joindre  une  synonymie,  c'est- 
à-dire  une  liste  exacte  des  noms  que  chacune  d'elle  portoit  dans  tous  les 
;iuteurs  qui  les  avoient  précédés.  Ce  travail  devenoit  absolument  néces- 
saire pour  qu'on  pût  profiter  des  observations  de  chacun  d'eux:  car, 
sans  cela,  il  devenoit  presque  impossible  de  suivre  et  démêler  chaque 
[liante  à  travers  tant  de  noms  differens. 

L'aîné  a  exécuté  à  peu  près  celle  entreprise  dans  les  trois  volumes 
in-folio  qu'on  a  imprimés  après  sa  mort,  et  il  y  a  joint  une  critique  si 
juste  ,  qu'il  s'est  rarement  trompé  dans  ses  synonymies. 

Le  plan  de  son  frère  étoit  encore  plus  vaste,  comme  il  paroït  par  le 
piemier  volume  qja'il  en  a  donné,  et  qui  peut  faire  juger  de  l'immensité 
de  tout  l'ouvrage,  s'il  eût  eu  le  temps  de  l'exécuter  :  mais,  au  volume 
près  dont  je  viens  de  parler,  nous  n'avons  que  les  titres  du  reste  dans 
son  Pmao:;;  et  ce  Pinax .  fruit  de  quarante  ans  de  travail,  est  encore 
aujourd'hui  le  guide  de  tous  ceux  qui  veulent  travaillersur  cette  matière, 
et  consulter  les  anciens  auteurs. 

Comme  la  nomenclature  des  Bauhin  n'étoit  formée  que  des  titres  de 
leurs  chapitres,  et  que  ces  titres  comprenoient  ordinairement  plusieurs 
mots ,  de  là  vient  l'habitude  de  n'employer  pour  noms  de  plantes  que 
des  phrases  louches  assez  longues,  ce  qui  rendoit  cette  nomenclature 
non-seulement  traînante  et  embarrassante,  mais  pédantesque  et  ridi- 
cule. Il  y  auroit  à  cela,  je  l'avoue,  quelque  avantage,  si  ces  phrases 
avoient  été  mieux  faites:  mais,  composées  indifféremment  des  noms  des 
lieux  d'où  venoient  ces  plantes ,  des  noms  des  gens  qui  les  avoient  en- 
voyées, et  même  des  noms  d'autres  plantes  avec  lesquelles  on  leur 
trouvoit  quelque  similitude,  ce«  phrases  étoient  des  sources  de  nou- 
veaux embarras  et  de  nouveaux  doutes,  puisque  la  connoissance  d'une 
seule  plante  exigeoit  celle  de  plusieurs  autres,  auxquelles  sa  phrase 
renvoyoit  ,  et  dont  les  noms  n'étoient  pas  plus  déterminés  que  le 
sien. 

Cependant  les  voyages  ae  long  cours  enrichissoient  incessamment  la 
botanique  de  nouveaux  trésors:  et  tandis  que  les  anciens  noms  acca- 
bloient  déjà  la  mémoire,  il  en  falloit  inventer  de  nouveaux  sans  cesse 
pour  les  plantes  nouvelles  qu'on  découvroit.  Perdus  dans  ce  labyrinthe 
immense,  les  botanistes,  forcés  de  chercher  un  fil  pour  s'en  tirer,  s'at- 
tachèrent enfin  sérieusement  à  la  méthode.  Herman  ,  Rivin ,  Ray,  pro- 
posèrent chacun  la  sienne:  mais  l'immortel  Tournefort  l'emporta  sur 
eux  tous  :  il  rangea  le  premier ,  systématiquement ,  tout  le  règne  végétal . 
et  réformant  en  partie  la  nomenclature ,  la  combina  par  ses  nouveaux 
genres  avec  celle  de  Gaspanl  1  auhin.  Mais  loin  de  la  débarrasser  de  ses 
longues  phrases,  ou  il  en  ajouta  de  nouvelles,  ou  il  chargea  les  an- 
ciennes des  additions  que  sa  méthode  le  forçoit  d'y  faire.  Alors  s'intro- 
duisit l'usage  barbare  de  lier  les  nouveaux  noms  aux  anciens  par  un  qui, 
quœ ,  qwod  contradictoire,  qui  d'une  même  plante  faisoit  deux  genres 
tout  differens. 

«  Dens  leonis  qui  pilosella  folio  minus  villoso  ;  Doria  qux  jacobaea 


138  DICTIONNAIRE  DE  BOTANIQUE. 

a  orientalislimonii  folio  :  Titanokeratophyton  qmd  lithophytonmarinuro  ■ 
«albicans.  •■ 

Ainsi  la  nomenclature  se  chargeoit;  les  noms  des  plantes  devenoient  ' 
non  seulement  des  phrases,  mais  des  périodes.  Je  n'en  citerai  quuâ  ; 
seul  de  Plukenet,  qui  prouvera  que  je  n'exagère  pas.  «  Gramen  rayloi- 
«cophorum  Carohnianum,  seu  gramen  altissimum,  panicula  max-ima  ^ 
«  speciosa ,  e  spicis  majonbus  compressiusculis  utrinque  pinnatis  blat-  ' 
«  tara  molendanam  quodaramodo  referentibus,  composita,  foliis  convo- 
«  lutus  mucronatis  pungentibus.  »  (Almag.  137). 

C'en  étoit  fait  de  la  botanique  si  ces  pratiques  eussent  été  suivies 
Devenue  absolument  insupportable,  la  nomenclature  ne   pouvoit  plu'; 
subsister  dans  cet  étal,  et  il  falloit  de  toute  nécessité  qu'il  s'y  fît  une 
reforme    ou  que  la  plus  riche,  la  plus  aimable,  la  plus  facile  des  trois 
parties  de  1  histoire  naturelle  ,  fût  abandonnée. 

Enfin  M.  Linnaeiis,  plein  de  son  système  sexuel  et  des  vastes  idées 
quil  lui  avoit  suggérées,  forma  le  projet  d'une  refonte  générale  dont 
tout  le  monde  sentoit  le  besoin,  mais  dont  nul  n'osoit  tenter  l'entre- 
prise. Il  lit  plus,  il  l'exécuta:  et,  après  avoir  prépar.^  dans  son  Critica 
botamca ,  les  règles  sur  lesquelles  ce  travail  devoit  être  conduit    il  déter-  . 
mina,  dans  son  Gênera  plantarum ,  les  genres  des  plantes,  ensuite  les 
espèces  dans  son  Species;  de  sorte  que,  gardant  tous  les  anciens  noms 
qui  pouvoient  s'accorder  avec  ces  nouvelles  règles,  et  refondant  tous 
les  autres,  il  établit  enfin  une  nomenclature  éclairée,  fondée  sur  les  j 
vrais  principes  de  l'art,  qu'il  avoit  lui-même  exposés.  Il  conserva  tous  ' 
ceux  des  anciens  genres  qui  étoient  vraiment  naturels  ;  il  corrigea    sim-  ' 
plifia,  réunit,  ou  divisa  les  autres,  selon  que  le  requéroient  les'vrais 
caractères;  et,  dans  la  confection  des  noms,  il   suivoit,  quelquefois" 
même  un  peu  trop  sévèrement,  ses  propres  règles. 

A  l'égard  des  espèces,  il  falloit  bien,  pour°les  déterminer,  des  des- 
criptions et  des  différences  :  ainsi  les  phrases  restoient  toujours  indis- 
pensables ;  mais  s'y  bornant  à  un  petit  nombre  de  mots  techniques  bien 
choisis  et  bien  adaptés,  il  s'attacha  à  faire  de  bonnes  et  brèves  défini- 
tions tirées  des  vrais  caractères  de  la  plante,  bannissant  rigoureusement 
tout  ce  qui  lui  étoit  étranger.  Il  fallut  pour  cela  créer,  pour  ainsi  dire 
a  la  botanique  une  nouvelle  langue  qui  épargnât  ce  long  circuit  de  pa- 
roles qu'on  voit  dans  les  anciennes  descriptions.  On  s'est  plaint  que  les 
mots  de  cette  langue  n'étoient  pas  tous  dans  Cicéron.  Cette  plainte  au- 
roit  un  sens  raisonnable,  si  Cicéron  eût  fait  un  traité  complet  de  bota- 
nique. Ces  mots  cependant  sont  tous  grecs  ou  latins ,  e.xpressifs ,  courts 
sonores,  et  forment  même  des  constructions  élégantes  par  leur  extrême 
précision.  C'est  dans  la  pratique  journalière  de  l'art  qu'on  sent  tout  l'a- 
vantage de  cette  nouvelle  langue ,  aussi  commode  et  nécessaire  aux  bo- 
tanistes qu  est  celle  de  l'algèbre  aux  géomètres. 

Jusque-là  M.  Linnseus  avoit  déterminé  le  plus  grand  nombre  des 
plantes  connues,  mais  il  ne  les  avoit  pas  nommées;  car  ce  n'est  pas 
nommer  une  chose  que  de  la  définir  :  une  phrase  ne  sera  jamais  un 
vrai  mot,  et  n  en  sauroit  avoir  l'usage.  11  pourvut  à  ce  défaut  par  l'in- 
vention des  noms  triviaux  au'il  joignit  à  ceux  des  genres  pour  distin- 


INTRODUCTION.  139' 

jer  les  espèces.  De  cette  manière  le  nom  de  chaque  plante  n'est  com- 
Dsé  jamais  que  de  deux  mots;  et  ces  deux  mots  seuls,  choisis  avec 
scernement  et  appliqués  avec  justesse,  font  souvent  mieux  connoître 
plante  que  ne  faisoient  les  longues  phrases  de  Micheli  et  de  Plukenet. 
our  la  connoître  mieux  encore  et  ]Aus  régulièrement,  on  a  la  phrase, 
u'il  faut  savoir  sans  doute,  mais  qu'on  n'a  plus  besoin  de  répéter  à 
>ut  propos  lorsqu'il  ne  faut  que  nommer  l'objet. 
Rien  n'étoit  plus  maussade  et  plus  ridicule,  lorsqu'une  femme  ou 
uelqu'un  de  ces  hommes  qui  leur  ressemblent  vous  demandoit  le- 
cm  d'une  herbe  ou  d'une  fleur  dans  un  jardin,  que  la  nécessité  de 
cacher  en  réponse  une  longue  enfilade  de  mots  latins,  qui  ressera- 
loient  à  des  évocations  magiques;  inconvénient  suffisant  pour  rebuter 
es  personnes  frivoles  d'une  étude  charmante  ofTerte  avec  un  appareil 
ussi  pédantesque. 

Quelque  nécessaire,  quelque  avantageuse  que  fût  cette  réforme,  il  ne 
illoit  pas  moins  que  le  profond  savoir  de  M.  Linnœus  pour  la  faire 
vec  succès,  et  que  la  célébrité  de  ce  grand  naturaliste  pour  la  faire 
niversellement  adopter.  Elle  a  d'abord  éprouvé  de  la  résistance,  elle 
u  éprouve  encore;  cela  ne  sauroit  être  autrement  :  ses  rivaux  dans  la 
lême  carrière  regardent  cette  adoption  comme  un  aveu  d'infériorité 
u'ils  n'ont  garde  de  faire;  sa  nomenclature  paroît  tenir  tellement  à 
on  système  qu'on  ne  s'avise  guère  de  l'en  séparer;  et  les  botanistes 
u  premier  ordre ,  qui  se  croient  obligés,  par  hauteur,  de  n'adopter  le 
yslème  de  personne,  et  d'avoir  chacun  le  sien,  n'iront  pas  sacrifier 
fiurs  prétentions  aux  progrès  d'un  art  dont  l'amour  dans  ceux  qui  le 
trofessent  est  rarement  désintéressé. 

]  Les  jalousies  nationales  s'opposent  encore  à  l'admission  d'un  système 
Itranger.  On  se  croit  obligé  de  soutenir  les  illustres  de  son  pays,  sur- 
but  lorsqu'ils  ont  cessé  de  vivre;  car  même  l'amour-propre,  qui  faisoit 
ouflVir  avec  peine  leur  supériorité  durant  leur  vie,  s'honore  de  leur 
;loire  après  leur  mort. 

/  Malgré  tout  cela,  la  grande  commodité  de  cette  nouvelle  nomencla- 
kire,  et  son  utilité,  qiie  l'usage  a  fait  connoître,  l'ont  fait  adopter 
jresque  universellement  dans  toute  l'Europe,  plus  tôt  ou  plus  tard  à  la 
'érité,  mais  enfin  à  peu  près  partout,  et  même  à  Paris.  M.  de  Jussieu 
•ient  de  l'établir  au  jardin  du  Roi,  préférant  ainsi  l'utilité  publique  à 
a  gloire  d'une  nouvelle  refonte ,  que  sembloit  demander  la  méthode 
les  familles  naturelles,  dont  son  illustre  oncle  est  l'auteur.  Ce  n'est  pas 
jue  cette  nomenclature  linnéenne  n'ait  encore  ses  défauts,  et  ne  laisse 
îe  grandes  prises  à  la  critique;  mais,  en  attendant  qu'on  en  trouve 
me  plus  parfaite,  à  qui  rien  ne  manque,  il  vaut  cent  fois  mieux  adop- 
.er  celle-là  que  de  n'en  avoir  aucune ,  ou  de  retomber  dans  les  phrases 
Je  Tournefort  et  de  Gaspard  Bauhin.  J'ai  même  peine  à  croire  qu'une 
■neilleure  nomenclature  pût  avoir  désormais  assez  de  succès  pour  pro- 
scrire celle-ci,  à  laquelle  les  botanistes  de  l'Europe  sont  déjà  tout  ac- 
;oulumés;  et  c'est  par  la  double  chaîne  de  l'habitude  et  de  la  commo- 
iité  qu'ils  y  renonceroient  avec  plus  de  peine  encore  qu'ils  n'en  eurent 
i  l'adopter.  Il  faudroit,  pour  opérer  ce  changement,  un  auteur  dont  ift- 


140  DICTIONNAIRE  DR  BOTANIQUE. 

crédit  efTaçàt  celui  de  M.  Linnaeus,  et  à  l'autorité  duquel  l'Europe  en 
tière  voulût  se  soumettre  une  seconde  fois,  ce  qui  me  paroît  difficile   lo: 
espérer;  car  si  son  système,  quelque  excellent  qu'il  puisse  être,  n"es  j» 
adopté  que  par  une  seule  nation,  il  jettera  la  botanique  dans  un  nou  à 
veau  labyrinthe,  et  nuira  plus  qu'il  ne  servira.  ta 

Le  travail  même  de  M.  Linnaeus.  bien  qu'immense,  reste  encore  im  s 
parfait,  tant  qu'il  ne  comprend  pas  toutes  les  plantes  connues,  et  tan  i 
qu'il  n'est  pas  adopté  par  tous  les  botanistes  sans  exception;  car  le  ( 
livres  de  ceu.x  qui  ne  s'y  soumettent  pas  exigent  de  la  part  des  lecteur;  i 
le  même  travail  pour  la  concordance  auquel  ils  étoient  forcés  pour  le:  | 
livres  qui  ont  précédé.  On  a  obligation  à  M.  Crantz,  malgré  sa  passior 
contre  M.  Linnaeus,  d'avoir,  en  rejetant  son  système,  adopté  sa  no- 
menclature. Mais  M.  Haller,  dans  son   grand  et   excellent  Traité  det 
plantes  alpines ^  rejette  à  fois  l'un  et  l'autre,  et  M.  Adanson  fait  encore 
plus  :  il  prend  une  nomenclature  toute  nouvelle,   et  ne  fournit  aucun 
lenseigiîement  pour  y  rapporter   celle  de  M.  Linnaeus.  M.  Haller  cite 
lûujours  les  genres  et  quelquefois  les  phrases  des  espèces  de  M.  Lin- 
nœus,  mais  M.  Adanson  n'en  cite  jamais  ni  genre  ni  phrase.  M.  Haller 
s'atiache  à  une  synonymie  exacle,  par  laquelle,  quand  il  n'y  joint  pas 
la  phrase  de  M.  Linnaeus,  on  peut  du  moins  la  trouver  indirectement 
par  le  rapport  des  synonymes.  Mais  M,  Linuceus  et  ses  livres  sont  tout 
à  fait  nuls  pour  M.  Adanson  et  pour  ses  lecteurs;  il  ne  laisse  aucun 
renseignement  par  lequel  on  s'y  puisse  reconnoître  :  ainsi  il  faut  opter 
entre  M.  Linnœus  et  M.  Adanson,  qui  l'exclut  sans  miséricorde,  et  je- 
ter tous  les  livres  de  l'un  ou  de  l'autre  au  feu,  ou  bien  il  faut  entre- 
prendre un  nouveau  travail,  qui  ne  sera  ni  court  ni  facile,  pour  faire 
accorder  deux  nomenclatures  qui  n'offrent  aucun  point  de  réunion. 

Déplus,  M.  Linnaeus  n'a  point  donné  une  synonymie  comp'èle.  Il 
s'est  contenté,  pour  les  plantes  anciennement  connues,  de  citer  les 
Bauhin  et  Clusius,  et  une  figure  de  chaque  plante.  Pour  les  plantes 
exotiques  découvertes  récemment,  il  a  cité  un  ou  deux  auteurs  mo- 
dernes, et  les  figures  de  Rheedi,  de  Ruraphius,  et  quelques  autres,  et 
s'en  est  tenu  là.  Son  entreprise  n'exigeoit  pas  de  lui  une  compilation 
plus  étendue ,  et  c'étoit  assez  qu'il  donnât  un  seul  renseignement  sûr 
pour  chaque  plante  dont  il  parloit. 

Tel  est  l'état  actuel  des  choses.  Or,  sur  cet  exposé,  je  demande  à 
tout  lecteur  sensé  comment  il  est  possible  de  s'attacher  à  l'étude  des- 
plantes  en  rejetant  celle  de  la  nomenclature.  C'est  comme  si  l'on  vouloit 
se  rendre  savant  dans  une  langue  sans  vouloir  en  apprendre  les  mots.. 
Il  est  vrai  que  les  noms  sont  arbitraires,  que  la  connoissance  des, 
plantes  ne  tient  point  nécessairement  à  celle  de  la  nomenclature,  etj 
(ju'il  est  aisé  de  supposer  qu'un  homme  intelligent  pourroit  être  un  ex-' 
cellent  botanisle,  quoiqu'il  ne  connût  pas  une  seule  plante  par  son 
^dom;  mais  qu'un  homme,  seul,  sans  livres  et  sans  aucun  secours  des 
lumières  communiquées,  parvienne  à  devenir  de  lui-même  un  très-raé- 
iliocre  botaniste,  c'est  une  assertion  ridicule  à  faire,  et  une  entreprise 
impossible  à  exécuter.  Il  s'agit  de  savoir  si  trois  cents  ans  d'études  et 
d'observations  doivent  être  perdus  pour  la  botanique,  si  trois  cents  vu- 


INTRODUCTION.  Ik] 

urnes  de  figures  et  de  descriptions  doivent  être  jetés  au  feu,  si  les  cou- 
aoissances  acquises  par  tous  les  savans  qui  ont  consacré  leur  bourse, 
leur  vie  et  leurs  veilles,  à  des  voyages  immenses,  coûteux,  pénibles  et 
périlleux,  doivent  être  inutiles  à  leurs  successeurs,  et  si  chacun  par- 
tant toujours  de  zéro  pour  son  premier  point,  pourra  parvenir  de  lui- 
même  aux  mêmes  connoissances  qu'une  longue  suite  de  recherches  et 
d'études  a  répandues  dans  la  masse  du  genre  humain.  Si  cela  n'est  pas , 
et  que  la  tro'sième  et  la  plus  aimable  partie  de  l'histoire  naturelle  mé- 
rite l'attention  des  curieux,  qu'on  me  dise  comment  on  s'y  prendra 
pour  faire  usage  des  connoissances  ci-devant  acquises ,  si  l'on  ne  com- 
mence par  apprendre  la  langue  des  auteurs,  et  par  savoir  à  quels  ob- 
jets se  rapportent  les  noms  employés  par  chacun  d'eux.  Admettre  l'étude 
de  la  botatiiq.ue  et  rejeter  celle  de  la  nomenclature,  c'est  donc  tomber 
dans  la  plus  absurde  contradiction. 


Abkeuvoirs,  ou  gouttières.  Trous  qui  se  forment  dans  le  bois  pourri 
des  chicots,  et  qui,  retenant  l'eau  des  pluies,  pourtissent  enfin  le  reste 
du  tronc. 

Abrupte.  On  donne  l'épithète  d'abrupte  aux  feuilles  pinnées,  au  som- 
met desquelles  manque  la  foliole  impaire  terminale  qu'elles  ont  ordi- 
inairement. 
I     AcAULis.  sans  tige. 

Aigrette.  Toufle  de  filamens  simples  ou  plumeux  qui  couronnent  les 
!  semences  dans  plusieurs  genres  de  composées  et  d'autres  fleurs.  L'ai 
I  grette  est  ou  sessile ,  c'est-à-dire  immédiatement  attachée  autour  de 
l'embryon  qui  la  porte,  ou  pédiculée,  c'est-à-dire  portée  par  un  pied 
appelé  en  latin  stipes,  qui  la  tient  élevée  au-dessus  de  l'embryon.  L'ai- 
grette sert  d  abord  de  calice  au  fleuron,  ensuite  elle  le  pousse  et  le 
chasse  à  mesure  qu'il  se  fane,  pour  qu'il  ne  reste  pas  sous  la  semence 
et  ne  l'empêche  pas  de  mûrir;  elle  garantit  cette  même  semence  nue 
de  l'eau  de  la  pluie  qui  pourroit  la  pourrir;  et  lorsque  la  semence  est 
mûre,  elle  lui  sert  d'aile  pour  être  portée  et  disséminée  au  loin  par  les 
vents. 

Ailée.  Une  feuille  composée  de  deux  folioles  opposées  sur  le  même 
pétiole  s'appelle  feuille  ailée. 

Aisselle.  Angle  aigu  ou  droit,  formé  par  une  branche  sur  une  autre 
branche,  ou  sur  la  tige,  ou  par  une  feuille  sur  une  branche. 

Amande.  Semence  enfermée  dans  un  noyau. 
•  Androgyne.  Qui  porte  des  fleurs  mâles  et  des  fleurs  femelles  sur  le 
même  pied.  Ces  mots  andro(/î/He  et  monoïque  signifient  absolument  la 
même  chose,  excepté  que  dans  le  premier  on  fait  plus  d'attention  au 
différent  sexe  des  fleurs;  et  dans  le  second,  à  leur  assemblage  sur  le 
même  individu. 

Angiosperme;  à  semences  enveloppées.  Ce  terme  d'angiosperme  con- 
vient également  aux  fruits  à  capsule  et  aux  fruits  à  baie. 

\NTnÈRE.. Capsule  ou  boite  portée  par  le  filet  de  l'étamine,  et  qui. 
s'^nvranl  au  moment  de  la  fécondation,  répand  la  poussière  prolifique 


J42  DICTIONNAIRE   DE  BOTANIQUE.  j 

Anthologie.  Discours  sur  les  fleurs.  C'est  le  titre  d'un  livre  d( 
Pontedera,  dans  lequel  il  combat  de  toute  sa  force  le  système  sexuel 
qu'il  eût  sans  doute  adopté  lui-même,  si  les  écrits  de  Vaillant  et  d« 
Linnaeus  avoient  précédé  le  sien. 

ÀPiiRODiTES.  M.  Adanson  donne  ce  nom  à  des  animaux  dont  chaqut 
individu  reproduit  son  semblable  par  la  génération,  mais  sans  aucur. 
acte  extérieur  de  copulation  ou  de  fécondation,  tels  que  quelques  pu- 
cerons, les  conques,  la  plupart  des  vers  sans  sexe,  les  insectes  qui  se 
reproduisent  sans  génération,  mais  par  la  section  d'une  partie  de  leui 
corps.  En  ce  sens,  les  plantes  qui  se  multiplient  par  boutures  et  pai 
caieuY  peuvent  être  appelées  aussi  aphrodites.  Cette  irrégularité,  si 
contraire  à  la  marche  ordinaire  de  la  nature,  offre  bien  des  difficultés 
à  la  définition  de  l'espèce  :  est-ce  qu'à  proprement  parler  il  n'existeroit 
point  d'espèces  dans  la  nature ,  mais  seulement  des  individus?  Mais  on 
peut  douter,  je  crois,  s'il  est  des  plantes  absolument  aphrodites,  c'est- 
à-dire  qui  n'ont  réellement  point  de  sexe  et  ne  peuvent  se  multiplier 
par  copulation.  Au  reste,  il  y  a  cette  différence  entre  ces  deux  mots 
aphrodite  et  asexe,' que  le  premier  s'applique  aux  plantes  qui,  n'ayant 
point  de  sexe,  ne  laissent  pas  de  multiplier,  au  lieu  que  l'autre  ne  con- 
vient qu'à  celles  qui  sont  neutres  ou  stériles,  et  incapables  de  repro- 
duire leur  semblable. 

Aphylle.  On  pourroit  dire  effeuillé;  mais  e/j'euiZie  signifie  dont  on  a 
ôté  les  feuilles,  et  aphylle,  qui  n'en  a  point. 

Arbre.  Plante  d'une  grandeur  considérable,  qui  n'a  qu'un  seul  et 
principal  tronc  divisé  en  maîtresses  branches. 

Arbrisseau.  Plante  ligneuse  de  moindre  taille  que  l'arbre,  laquelle 
se  divise  ordinairement  dès  la  racine  en  plusieurs  tiges.  Les  arbres  et 
les  arbrisseaux  poussent,  en  automne,  des  boutons  dans  les  aisselles 
des  feuilles,  qui  se  développent  dans  le  printemps  et  s'épanouissent  en 
fleurs  et  en  fruits  :  différence  qui  les  distingue  des  sous-arbrisseaux. 

Articulé.  Tige,  racines,  feuilles,  silique  :  se  dit  lorsque  quelqu'une 
de  ces  parties  de  la  plante  se  trouve  coupée  par  des  nœuds  distribués 
de  distance  en  distance. 

Axillaire.  Qui  sort  d'une  aisselle. 

Baie.  Fruit  charnu  ou  succulent  à  une  ou  plusieurs  loges. 

Balle.  Calice  dans  les  graminées. 

Boulon.  Groupe  de  fleurettes  amassées  en  tête. 

Bourgeon.  Germe  des  feuilles  et  des  branches. 

Bouton.  Germe  des  fleurs. 

Bouture.  Est  une  jeune  branche  que  l'on  coupe  à  certains  arbres 
moelleux,  tels  que  le  figuier,  le  saule,  le  cognassier,  laquelle  reprend 
en  terre  sans  racine.  La  réussite  des  boutures  dépend  plutôt  de  leur  fa- 
cilité à  produire  des  racines,  que  de  l'abondance  de  la  moelle  des  bran- 
ches; car  l'oranger,  le  buis,  l'if  et  la  sabine,  qui  ont  peu  de  moelle, 
reprennent  facilement  de  bouture. 

Branches.  Bras  plians  et  élastiques  du  corps  de  l'arbre  :  ce  sont 
elles  qui  lui  donnent  la  figure;  elles  sont  ou  alternes,  ou  opposées,  ou 
«rerticillées.  Le  bourgeon  s'étend  peu  à  peu  en  branches  posées  collatê- 


BRANCHE  —  CAPRIFICATION.  ]Zi3 

f.  ralement  et  composées  des  mêmes  parties  de  la  tige;  et  l'on  prétend 
que  l'agitation  des  branches  causée  par  le  vent  est  aux  arbres  ce  qu'est 
aux  animaux  l'impulsion  du  cœur.  On  distingue  : 

1°  Les  maîtresses  branches,  qui  tiennent  immédiatement  au  tronc,  et 
d'où  partent  toutes  les  autres  ; 

2°  Les  branches  à  bois ,  qui ,  étant  les  plus  grosses  et  pleines  de  bou- 
tons plats ,  donnent  la  forme  à  un  arbre  fruitier ,  et  doivent  le  conserver 
en  partie; 

3°  Les  branches  à  fruits  sont  plus  foibles  et  ont  des  boutons  ronds; 

4°  Les  chiffonnes  sont  courtes  et  menues; 

ô"  Les  gourmandes  sont  grosses,  droites  et  longues; 

6°  Les  veules  sont  longues  et  ne  promettent  aucune  fécondité  ; 

7*  La  branche  aoûtée  est  celle  qui ,  après  le  mois  d'août,  a  pris  nais- 
sance, s'endurcit,  et  devient  noirâtre; 

8°  Enfin  la  branche  de  faux-bois  est  grosse  à  l'endroit  où  elle  devroit 
être  menue ,  et  ne  donne  aucune  marque  de  fécondité. 

BcLBE.  Est  une  racine  orbiculaire  composée  de  plusieurs  peaux  ou 
tuniques  emboîtées  les  unes  dans  les  autres.  Les  bulbes  sont  plutôt  des 
boutons  sous  terre  que  des  racines ,  ils  en  ont  eux-mêmes  de  véritables , 
généralement  presque  cylindriques  et  rameuses. 

Caïeux.  Bulbes  par  lesquelles  plusieurs  liliacées  et  autres  plantes  se 
reproduisent. 

Calice.  Enveloppe  extérieure ,  ou  soutien  des  autres  parties  de  la 
fleur,  etc.  Comme  il  y  a  des  plantes  qui  n'ont  point  de  calice,  il  y  en  a 
aussi  dont  le  calice  se  métamorphose  peu  à  peu  en  feuilles  de  la  plante, 
et  réciproquement  il  y  en  a  dont  les  feuilles  de  la  plante  se  changent  en 
calice  :  c'est  ce  qui  se  voit  dans  la  famille  de  quelques  renoncules, 
comme  l'anémone,  la  pulsatille,  etc. 

Campaniforme,  ou  Campanulée.  Voy.  Cloche. 

Capillaires.  On  appelle  feuilles  capillaires,  dans  la  famille  des 
mousses,  celles  qui  sont  déliées  comme  des  cheveux.  C'est  ce  qu'on 
trouve  souvent  exprimé  dans  le  Synopsis  de  Ray,  et  dans  VHisloire  des 
mousses  de  Dillen,  par  le  mot  gr€C  de  trichudcs. 

On  donne  aussi  le  nom  de  capillaires  à  une  branche  de  la  famille  des 
fougères,  qui  porte  comme  elles  sa  fructification  sur  le  dos  des  feuilles, 
et  ne  s'en  distingue  que  par  la  stature  des  plantes  qui  la  composent, 
beaucoup  plus  petite  dans  les  capillaires  que  dans  les  fougères. 

Caprification.  Fécondation  des  fleurs  femelles  d'une  sorte  de  figuier 
dioïque  par  la  poussière  des  étamines  de  l'individu  mâle  appelé  caprifi- 
guier.  Au  moyen  de  cette  opération  de  la  nature,  aidée  en  cela  de  l'in- 
dustrie humaine,  les  figues  ainsi  fécondées  grossissent,  mûrissent,  et 
donnent  une  récolte  meilleure  et  plus  abondante  qu'on  ne  l'obtiendroit 
sans  cela. 

La  merveille  de  cette  opération  consiste  en  ce  que.  dans  le  genre  du 
figuier,  les  fleurs  étant  encloses  dans  le  fruit,  il  n'y  a  que  celles  qui 
sont hermaphodites  ou  androgynes  qui  semblent  pouvoir  être  fécondées: 
car,  quand  les  sexes  sont  tout  à  fait  séparés,  on  ne  voit  pas  comment 
la  poussière  des  fleurs  mâles  pourroit  pénétrer  sa  propre  enveloppe  et 


t^'4  DICTIONNAIRE   DE  BOTANIQUE. 

celle  du  fruit  femelle  jusqu'aux  pistils  qu'elle  doit  féconder.  C'est  un 
insecte  qui  se  charge  de  ce  transport  :  une  sorte  de  moucheron  particu- 
lière au  caprifiguier  y  pond,  y  éclôt,  s'y  couvre  de  la  poussière  des 
étamines,  la  porte  par  l'œil  de  la  figue  à  travers  les  écailles  qui  en  gar- 
nissent l'entrée,  jusque  dans  l'intérieur  du  fruit,  et  là,  cette  poussière, 
ne  trouvant  plus  d'obstacle,  se  dépose  sur  l'organe  destiné  à  la  recevoir.  ^ 

L'histoire  de  cette  opération  a  été  détaillée  en  premier  lieu  par  Théo- 
phraste,  le  premier,  le  plus  savant,  ou,  pour  mieux  dire,  l'unique  et 
vrai  botaniste  de  l'antiquité;  et,  après  lui,  par  Pline  chez  les  anciens; 
chez  les  modernes  par  Jean  Bauhin;  puis  par  Tournefort,  sur  les  lieux 
mêmes;  après  lui ,  par  Pontedera,  et  par  tous  les  compilateurs  de  bota- 
nique et  d'histoire  naturelle,  qui  n'ont  fait  que  transcrire  la  relation 
de  Tournefort. 

Capsulaire.  Les  plantes  capsulaires  sont  celles  dont  le  fruit  esta 
capsules.  Ray  a  fait  de  cette  division  sa  dix-neuvième  classe,  herba 
rasculifera. 

Capsule.  Péricarpe  sec  d'un  fruit  sec;  car  on  ne  donne  point,  par 
e.xemple,  le  nom  de  capsule  à  l'écorce  de  la  grenade,  quoique  auss' 
sèche  et  dure  que  beaucoup  d'autres  capsules,  parce  qu'elle  enveloppe 
un  fruit  mou. 

Capuchon  {calyptra).  Coiffe  pointue  qui  couvre  ordinairement  l'urne 
des  mousses.  Le  capuchon  est  d'abord  adhérent  à  l'urne,  mais  ensuite 
il  se  détache  et  tombe  (;uand  elle  approche  de  la  maturité. 

Caryophyllée.  Fleur  caryophyllée  ou  en  œillet. 

Chaton.  Assemblage  de  fleurs  mâles  ou  femelles  spiralement  attachées 
à  un  axe  ou  réceptacle  commun,  autour  duquel  ces  fleurs  prennent  la 
figure  d'une  queue  de  chat.  Il  y  a  plus  d'arbres  à  chatons  mâles  qu'il  n'y 
en  a  qui  aient  aussi  des  chatons  femelles. 

Chaume  [culmiis).  Nom  particulier  dont  on  distingue  la  tige  des  gra- 
minées de  celles  des  autres  plantes,  et  à  qui  l'on  donne  pour  caractère 
propre  d'être  géniculée  et  fistuleuse,  quoique  beaucoup  d'autres  planter 
aient  ce  même  caractère,  et  que  les  laîches  et  divers  gramens  des  Indes 
ne  l'aient  pas.  On  ajoute  que  le  chaume  n'est  jamais  rameux ,  ce  qui 
néanmoins  souffre  encore  exception  dans  Varundc  calamagrostis ,  et 
dans  d'autres. 

Cloche.  Fleurs  en  cloche,  ou  campaniformes. 

Coloré.  Les  calices,  les  balles,  les  écailles,  les  enveloppes,  les  par- 
ties extérieures  des  plantes  qui  sont  vertes  ou  grises  communément, 
sont  dites  colorées  lorsqu'elles  ont  une  couleur  plus  éclatante  et  plus 
vive  que  leurs  semblables  :  tels  sont  les  calices  de  la  circée,  de  la  mou- 
tarde, de  la  carline ,  les  enveloppes  de  l'astrantia;  la  corolle  des  orni- 
thogales  blancs  et  jaunes  est  verte  au-dessous ,  et  colorée  en  dessus  ;  les 
écailles  du  xéranthème  soijt  si  colorées  qu'on  les  prendroit  pour  des 
pétales;  et  le  calice  du  polygala,  d'abord  très-coloré,  perd  sa  couleur 
peu  à  peu,  et  prend  enfin  celle  d'un  calice  ordinaire. 

Cordon  ombilical  dans  les  capillaires  et  fougères. 

Cornet.  Sorte  de  nectaire  infundibuliforme. 

CoRïMBE.  Disposition  de  fleur  aui  tient  'fî  milieu  entr    l'ombelle  et  h 


CORYMBE  —  COTYLÉDON.  145 

panicule;  les  pédicules  sont  gradués  le  long  de  la  tige  comme  dans  la 
panicule,  et  arrivent  tous  à  la  même  hauteur,  formant  à  leur  sommet 
une  surface  plane. 

Le  corymbe  diflere  de  l'ombelle  en  ce  que  les  pédicules  qui  le  for- 
ment, au  lieu  de  partir  du  même  centre,  partent,  à  différentes  hau- 
teurs, de  divers  points  sur  le  même  axe. 

CoRYMBiFÈREs.  Ce  mot  sembleroit  devoir  désigner  les  plantes  à  fleurs 
en  corymbe,  comme  celui  d'ombellifères  désigne  les  plantes  à  fleurs  en 
parasol.  Mais  l'usage  n'a  pas  autorisé  celte  analogie,  l'acception  dont  je 
vais  parler  n'est  pas  même  fort  usitée;  mais,  comme  elle  a  été  employée 
par  Ray  et  par  d'autres  botanistes,  il  La  faut  connoître  pour  les  en- 
tendre. 

Les  plantes  corymbifères  sont  donc,  dans  la  classe  des  composées  et 
dans  la  section  des  discoïdes,  celles  qui  portent  leurs  semences  nues, 
c'est-à-dire  sans  aigrettes  ni  filets  qui  les  couronnent  :  tels  sont  les 
bidens  ,  les  armoises  ,  la  tanaisie ,  etc.  On  observera  que  les  demi-fleu- 
ronnées,  à  semences  nues,  comme  lalampsane,  l'hyoseris,  la  cata- 
nance.  etc.,  ne  s'appellent  pas  cependant  corymbifères,  parce  qu'elles 
ne  sont  pas  du  nombre  des  discoïdes. 

Cosse.  Péricarpe  des  fruits  légumineux.  La  cosse  est  composée  ordi- 
nairement de  deux  valvules,  et  quelquefois  n'en  a  qu'une  seule. 

CossoN.  Nouveau  sarment  qui  croît  sur  la  vigne  après  qu'elle  est 
taillée. 

Cotylédon.  Foliole ,  ou  partie  de  l'embryon  ,  dans  laquelle  s'élaborent 
€t  se  préparent  les  sucs  nutritifs  de  la  nouvelle  plante. 

Les  cotylédons,  autrement  appelés  feuilles  séminales,  sont  les  pre- 
mières parties  de  la  plante  qui  paroissent  hors  de  terre  lorsqu'elle  com- 
mence à  végéter.  Ces  premières  feuilles  sont  très-souvent  d'une  autre 
forme  que  celles  qui  les  suivent,  et  qui  sont  les  véritables  feuilles  de  la 
plante:  car,  pour  l'ordinaire,  les  cotylédons  ne  tardent  pas  à  se  flétrir 
et  à  tomber  peu  après  que  la  plante  est  levée  ,  et  qu'elle  reçoit  par  d'au- 
tres parties  une  nourriture  plus  abondante  que  celle  qu'elle  tiroit  par 
eux  de  la  substance  même  de  la  semence. 

Il  y  a  des  plantes  qui  n'ont  qu'un  cotylédon,  et  qui,  pour  cela,  s'ap- 
pellent monocotylédones  :  tels  sont  les  palmiers,  les  liliacées,  les  gra- 
minées ,  et  d'autres  plantes  ;  le  plus  grand  nombre  en  ont  deux  ,  et  s'ap- 
pellent dicotylédones;  si  d'autres  en  ont  davantage,  elles  s'appelleront 
polycotylédones.  Les  acotylédones  sont  celles  qui  n'ont  pas  de  cotylé- 
dons, telles  que  les  fougères,  les  mousses,  les  champignons,  et  toutes 
les  cryptogames.  • 

Ces  difleiences  de  la  germination  ont  fourni  à  Ray,  à  d'autres  bota- 
nistes, et  en  dernier  lieu  à  MM.  de  Jussieu  et  Haller,  la  première  ou 
plus  grande  division  naturelle  du  règne  végétal. 

Mais,  pour  classer  les  plantes  suivant  cette  méthode,  il  faut  les  exa- 
miner sortant  de  terre  dans  leur  première  germination,  et  jusque  dans 
la  semence  même;  ce  qui  esi  souvent  fort  difficile,  surtout  pour  les 
plantes  marines  et  aquatiques,  et  pour  les  arbres  et  plantes  étrangèr66 
ou  alpines  qui  refusent  de  germer  et  nsHre  dans  nos  jardins. 

Rousseau  ve  10 


ikd  DICTIONNAIRE  DE  BOTANIQUE. 

Chucifère,  ou  Cruciforme,  disposé  en  forme  de  croix.  On  donne- 
spécialement  le  nom  de  crucifère  à  une  famille  de  plantes  dont  le  carac- 
tère est  d'avoir  des  fleurs  composées  de  quatre  pétales  disposés  en  croix , 
sur  un  calice  composé  d'autant  de  folioles,  et,  autour  du  pistil,  six 
étamines,  dont  deux,  égales  entre  elles,  sont  plus  courtes  que  les 
quatre  autres  ,  et  les  divisent  également. 

CupoLES.  Sortes  de  petites  calottes  ou  coupes  qui  naissent  le  plus 
souvent  sur  plusieurs  lichens  et  algues,  et  dans  le  creux  desquelles  on 
voit  les  semenc3s  naître  et  se  former,  surtout  dans  le  genre  appq,lé  jadis 
hépatique  des  fontaines,  et  aujourd'hui  marchantia. 

Cy ME  ,  ou  Cymier.  Sorte  d'ombelle ,  qui  n'a  rien  de  régulier ,  quoique 
tous  ses  rayons  partent  du  même  centre  ;  telles  sont  les  fleurs  de  l'obier , 
du  chèvrefeuille,  etc. 

Demi-fleuron.  C'est  le  nom  donné  par  Tournefort,  dans  les  fleurs 
composées,  aux  fleurons  échancrés  qui  garnissent  le  disque  des  lactu- 
cées,  et  à  ceux  qui  forment  le  contour  des  radiées.  Quoique  ces  deux 
sortes  de  demi-fleurons  soient  exactement  de  même  figure,  et  pour  cela 
confondus  sous  le  même  nom  par  les  botanistes,  ils  diflerent  pourtant 
essentiellement  en  ce  que  les  premiers  ont  toujours  des  étamines,  et 
que  les  autres  n'en  ont  jamais.  Les  demi-fleurons,  de  même  que  les 
fleurons,  sont  toujours  supères,  et  portés  par  la  semence,  qui  est  portée 
à  son  tour  par  le  disque,  ou  réceptacle  de  la  fleur.  Le  demi-fleuron  est 
formé  de  deux  parties,  l'inférieure,  qui  est  un  tube  ou  cylindre  très- 
court;  et  la  supérieure,  qui  est  plane,  taillée  en  languette,  et  à  qui 
l'on  en  donne  le  nom.  (Voy.  Fleuron,  Fleur.) 

DiÉciE,  ou  DiŒGiE,  habitation  séparée.  On  donne  le  nom  de  diécie 
à  une  classe  de  plantes  composées  de  toutes  celles  qui  portent  leurs 
fleurs  mâles  sur  un  pied ,  et  leurs  fleurs  femelles  sur  un  autre  pied. 

DiGiTÉ.  Une  feuille  est  digitée  lorsque  ses  folioles  parlent  toutes  du 
sommet  de  son  pétiole  comme  d'un  centre  commun.  Telle  est,  par 
exemple,  la  feuille  du  marronnier  d'Inde. 

DioïQUE.  Toutes  les  plantes  de  la  diécie  sont  dioïques. 

Disque.  Corps  intermédiaire  qui  tient  la  fleur  ou  quelques-unes  de 
ses  parties  élevées  au-dessus  du  vrai  réceptacle. 

Quelquefois  on  appelle  disque  le  réceptacle  même,  comme  dans  les 
composées;  alors  on  distingue  la  surface  du  réceptacle,  ou  le  disque, 
du  contour  qui  le  borde  ,  et  qu'on  nomme  rayon. 

Disque  est  aussi  un  corps  charnu  qui  se  trouve  dans  quelques  genres- 
de  plantes,  au  fond  du  calice,  dessous  l'embryon;  quelquefois  les  éta-  - 
mines  sont  attachées  autour  de  ce  disque^ 

Drageons.  Branches  enracinées  qui  tiennent  au  pied  d'uh  arbre,  ou 
au  tronc,  dont  on  ne  peut  les  arracher  sans  l'éclater. 

ÉCAILLES,  ou  Paillettes.  Petites  languettes  paléacées,  qui,  dans- 
plusieurs  genres  de  fleurs  composées,  implantées  sur  le  réceptacle, 
distinguent  et  séparent  les  fleurons  :  quand  les  paillettes  sont  de  sim- 
ples filets,  on  les  appelle  des  poils;  mais,  quand  elles  ont  quelque  lar- 
îe"r,  elles  prennent  le  nom  d'écaillés.  - 

U  est  singulier  dans  le  xéranlhème  à  fleur  double,  que  les  écailles- 


ÉCAILLES  —  ÉTAMINES.  147 

autour  du  disque  s'allongent,  se  colorent,  et  prennent  l'appnrence  de 
vrais  demi-fleurons,  au  point  de  tromper  à  l'aspect  quiconque  n'y  regar- 
deroit  pas  de  bien  près. 

On  donne  très-souvent  le  nom  d'écaillés  aux  calices  des  chatons  et 
des  cônes  :  on  le  donne  aussi  aux  folioles  des  calices  imbriqués  des 
fleurs  en  tête,  tels  que  les  chardons,  les  jacées,  et  à  celles  des  calices 
de  substance  sèche  et  scarieuse  du  xéranthème  et  de  la  catananche. 

La  lige  des  plantes  dans  quelques  espèces  est  aussi  chargés  d'écailles 
ce  sont  des  rudimens  coriaces  de  feuilles  qui  quelquefois  en  tiennent 
lieu  .  comme  dans  l'orobanche  et  le  tussilage. 

Enfin  on -appelle  encore  écailles  les  enveloppes  imbriquées  des  balles 
de -plusieurs  liliacées,  et  les  balles  ou  calices- aplatis  des  schœnus  et 
d'aulres  graminacées. 

ÉGORGE.  Vêtement  ou  partie  enveloppante  du  tronc  et  des  branches 
d'un  arbre.  L'écorce  est  moyenne  entre  l'épiderme  à  l'extérieur,  et  le 
liber  à  l'intérieur;  ces  trois  enveloppes  se  réunissent  souvent,  dans 
l'usage  vulgaire  .  sous  le  nom  commun  d'écorce. 

ÉDULE  edulù) .  bon  à  manger.  Ce  mot  est  du  nombre  de  ceux  qu'il 
est  à  désirer  qu'on  fasse  passer  du  latin  dans  la  langue  universelle  de 
la  botanique. 

E^■TRE-^■ŒUDS.  Ce  sont,  dans  les  chaumes  des  graminées,  les  inter- 
valles qui  séparent  les  nœuds  d'où  naissent  les  feuilles.  Il  y  a  quelques 
gramens,  mais  en  bien  petit  nombre,  dont  le  chaume,  nu  d'un  bout 
à  l'autre,  est  sans  nœud,  et,  par  conséquent,  sans  entre-nœuds,  tel, 
par  exemple,  que  Vaira  caridea. 

Enveloppe.  Espèce  de  calice  qui  contient  plusieurs  fleurs,  comme 
dans  le  pied-de-veau ,  le  figuier ,  les  fleurs  à  fleurons.  Les  fleurs  garnies 
d'une  enveloppe  ne  sont  pas  pour  cela  dépourvues  de  calice. 

ÉPERON.  Protubérance  en  forme  de  cône  droit  ou  recourbé ,  faite 
dans  plusieurs  sortes  de  fleurs  parle  prolongement  du  nectaire:  tels 
sont  les  éperons  des  orchis,  des  linaires,  des  ancolies,  des  pieds- 
d'alouette,  de  plusieurs  géraniums,  et  de  beaucoup  d'autres  plantes. 

ÉPI.  Forme  de  bouquet  dans  laquelle  les  fleurs  sont  attachées  autour 
d'un  axe  ou  réceptacle  commun  formé  par  l'extrémité  du  chaume  ou  de 
la  tige  unique.  Quand  les  fl.eurs  sont  pédiculées ,  pourvu  que  tous  les 
pédicules  soient  simples  et  attachés  immédiatement  à  l'axe,  le  bouquet 
s'appelle  toujours  épi:  mais  dans  l'épi,  rigoureusement  pris,  les  fleurs 
sont  sessiles. 

ÉPiDERME  (1')  est  la  peau  fine  extérieure  qui  enveloppe  les  couches 
corticales;  c'est  une  membrane  très-fine,  transparente,  ordinairement 
sans  couleur,  élastique  et  un  peu  poreuse. 

Espèce.  Réunion  de  plusieurs  variétés  ou  individus  sous  un  carac- 
tère commun  qui  les  distingue  de  toutes  les  autres  plantes  du  même 
genre. 

EXAMINES.  Agents  masculins  de  la  fécondation  :  leur  forme  est  ordi- 
nairement celle  d'un  filet  qui  supporte  une  tête  appelée  anthère  ou  som- 
met. Cette. anthère  est  une  espèce  de  capsule  qui  contient  la  poussière 
prolifique  :  cette  poussière  s'échappe,  soit  par  explosion,  soit  par  dila- 


148  DICTIONNAIRE  DE  BOTANIQUE. 

tation,  et  va  s'introduire  dans  le  stigmate  pour  être  portée  jusqu'aux 
ovaires  qu'elle  féconde.  Les  étamines  varient  par  la  forme  et  par  le 
nombre. 

ÉTENDARD.  Pétale  supérieur  des  fleurs  légumineuses. 

Fane.  La  fane  d'une  plante  est  l'assemblage  des  feuilles  d'en  bas. 

FÉCONDATION.  Opération  naturelle  par  laquelle  les  étamines  por- 
tent, au  moyen  du  pistil,  jusqu'à  l'ovaire  le  principe  de  vie  nécessaire 
à  la  maturation  des  semences  et  à,  leur  germination. 

Feuilles.  Sont  des  organes  nécessaires  aux  plantes  pour  pomper 
l'humidité  de  l'air  pendant  la  nuit  et  faciliter  la  transpiration  durant  le 
jour  :  elles  suppléent  encore  dans  les  végétau.x  au  mouvement  pro-  .\ 
gressif  et  spontané  des  animaux,  en  donnant  prise  au  vent  pour  agiter 
les  plantes  et  les  rendre  plus  robustes.  Les  plantes  alpines,  sans  cesse 
battues  du  vent  et  des  ouragans ,  sont  toutes  fortes  et  vigoureuses  :  au 
contraire ,  celles  qu'on  élève  dans  un  jardin  ont  un  air  trop  calme ,  y 
prospèrent  moins,  et  souvent  languissent  et  dégénèrent. 

Filet.  Pédicule  qui  soutient  l'étamine.  On  donne  aussi  le  nom  de 
filets  aux  poils  qu'on  voit  sur  la  surface  des  tiges ,  des  feuilles ,  et  même 
des  fleurs  de  plusieurs  plantes. 

Fleur.  Si  je  livrois  mon  imagination  aux  douces  sensations  que  ce 
mot  semble  appeler,  je  pourrois  faire  un  article  agréable  peut-être  aux 
bergers ,  mais  fort  mauvais  pour  les  botanistes  :  écartons  donc  un  mo- 
ment les  vives  couleurs,  les  odeurs  suaves,  les  formes  élégantes,  pour 
chercher  premièrement  à  bien  connoître  l'être  organisé  qui  les  ras- 
semble. Rien  ne  paroît  d'abord  plus  facile  :  qui  est-ce  qui  croit  avoir 
besoin  qu'on  lui  apprenne  ce  que  c'est  qu'une  fleur?  «Quand  on  ne  me 
demande  pas  ce  que  c'est  que  le  temps ,  disoit  saint  Augustin ,  je  le  sais 
fort  bien;  je  ne  le  sais  plus  quand  on  me  le  demande.  »  On  en  pourroit 
dire  autant  de  la  fleur  et  peut-être  de  la  beauté  même ,  qui ,  comme  elle , 
est  la  rapide  proie  du  temps.  En  effet,  tous  les  botanistes  qui  ont  voulu 
donner  jusqu'ici  des  définitions  de  la  fleur  ont  échoué  dans  cette  entre- 
prise, et  les  plus  illustres,  tels  que  MM.  Linnaeus,  Haller,  Adanson, 
qui  sentoient  mieux  la  difficulté  que  les  autres,  n'ont  pas  même  tente 
de  la  surmonter ,  et  ont  laissé  la  fleur  à  définir.  Le  premier  a  bien  donné 
dans  sa  Philosophie  botanique  les  définitions  de  Jungins,  de  Ray,  de 
Tournefort,  de  Pontedera,  de  Ludwig,  mais  sans  en  adopter  aucune  et 
sans  en  proposer  de  son  chef. 

Avant  lui  Pontedera  avoit  bien  senti  et  bien  exposé  cette  difficulté  ; 
mais  il  ne  put  résister  à  la  tentation  de  la  vaincre.  Le  lecteur  pourra 
bientôt  juger  du  succès.  Disons  maintenant  ea  quoi  cette  difficulté  con 
siste .  sans  néanmoins  compter ,  si  je  tente  à  mon  tour  de  lutter  contre 
elle,  de  réussir  mieux  qu'on  n'a  fait  jusqu'ici. 

On  me  présente  une  rose,  et  l'on  me  dit:  «Voilà  une  fleur.»  C'est  me 
la  montrer ,  je  l'avoue ,  mais  ce  n'est  pas  la  définir ,  et  cette  inspection  ne 
me  suffira  pas  pour  décider  sur  toute  autre  plante  si  ce  que  je  vois  est 
ou  n'est  pas  la  fliur;  car  il  y  a  une  multitude  de  végétaux  qui  n'ont, 
dans  aucune  de  leurs  parties,  la  couleur  apparente  que  Ray,  Tourne- 
fort  ,  Jungins ,  font  entrer  dans  la  définition  de  la  fleur ,  et  qui  pourtant 


FLEUR.  149 

portent  des  fleurs  non  moins  réelles  que  celles  du  rosier,  quoique  bier 
moins  apparentes. 

On  prend  généralement  pour  la  fleur  la  partie  colorée  de  la  fleur,  qui 
est  la  corolle;  mais  on  s'y  trompe  aisément  :  il  \  a  des  bractées  et  d'au- 
tres organes  autant  et  plus  colorés  que  la  fleur  même  et  qui  n'en  font 
point  partie,  comme  on  le  A'oit  dans  l'ormin,  dans  le  blé  de  vache,  dano 
plu- leurs  amarantes  et  chenopodium;  il  y  a  des  multitudes  de  fleurs 
qui  n'ont  point  du  tout  de  corolle,  d'autres  qui  l'ont  sans  couleur,  si 
petite  et  si  peu  apparente,  qu'il  n'y  a  qu'une  recherche  bien  soigneuse 
qui  puisse  l'y  faire  trouver.  Lorsque  les  blés  sont  en  fleur,  y  voit-on 
des  pétales  colorés?  en  voit-on  dans  les  mousses,  dans  les  gramir/es? 
en  voit-on  dans  les  chatons  du  noyer,  du  hêtre  et  du  chêne,  dans 
l'aune,  dans  le  noisetier,  dans  le  pin,  et  dans  ces  multitudes  d'arbres 
et  d'herbes  qui  n'ont  que  des  fleurs  à  étamines?  Ces  fleurs  néanmoins 
n'en  portent  pas  moins  le  nom  de  fleur  :  l'essence  de  la  fleur  n'est  donc 
pas  dans  la  corolle. 

Elle  n'est  pas  non  plus  séparément  dans  aucune  des  autres  parties 
constituantes  de  la  fleur,  puisqu'il  n'y  a  aucune  de  ces  parties  qui  ne 
manque  à  quelques  espèces  de  fleurs  :  le  calice  manque,  par  exemple,  à 
presque  toute  la  famille  des  liliacées,  et  l'on  ne  dira  pas  qu'une  tulipe 
ou  un  lis  ne  sont  pas  une  fleur.  S'il  y  a  quelques  parties  plus  essentielles 
que  d'autres  à  une  fleur,  ce  sont  certainement  le  pistil  et  les  étamines: 
or,  dans  toute  la  famille  des  cucurbitacées,  et  même  dans  toute  la  classe 
des  monoïques,  la  moitié  des  fleurs  sont  sans  pistil ,  l'autre  moitié  sans 
étamines ,  et  cette  privation  n'empêche  pas  qu'on  ne  les  nomme  et  qu'elles 
ne  soient  les  unes  et  les  autres  de  véritables  fleurs.  L'essence  de  la  fleur 

;  consiste  donc  ni  séparément  dans  quelques-unes  de  ces  parties  dites 

'stituantes ,  ni  même  dans  l'assemblage  de  toutes  ces  parties.  En  quoi 
i  ne  consiste  proprement  cette  essence  ?  Voilà  la  question  ,  voilà  la  dif- 
liculté.  et  voici  la  solution  par  laquelle  Pontedera  a  tâché  de  s'en  tirer: 

a  La  fleur ,  dit-il ,  est  une  partie  dans  la  plante,  difl'érente  des  autres 
pir  sa  nature  et  par  sa  forme .  toujours  adhérente  et  utile  à  l'embryon , 
■ii  la  fleur  a  un  pistil;  et  si  le  pistil  raan(jue ,  ne  tenant  à  nul  embryon.» 

Cetle  définition  pèche,  ce  me  semble,  en  ce  qu'elle  embrasse  trop; 
car,  lorsque  le  pistil  manque,  la  fleur  n'ayant  plus  d'autres  caractères 
que  de  différer  des  autres  parties  de  la  plante  par  sa  nature  et  par  sa 
forme,  on  pourra  donner  ce  nom  aux  bractées,  aux  stipules,  aux  nec- 
tarium,  aux  épines,  et  à  tout  ce  qui  n'est  ni  feuilles  ni  branches;  et 
quand  la  corolle  est  tombée  et  que  le  fruit  api  roche  de  sa  mat'.r^té  , 
on  pourroit  encore  donner  le  nom  de  fleur  au  calice  et  au  réceptacle, 
quoique  réellement  il  n'y  ait  alors  plus  de  fleur.  Si  donc  cette  définition 
convient  omni ,  elle  ne  convient  pas  soli,  et  manque  par  là  d'une  des 
deux  pnncipales  conditions  requises  :  elle  laisse  d'ailleurs  un  vide  dans 
l'esprit ,  qui  est  le  plus  grand  défaut  qu'une  définition  puis  e  avoir;  car, 
après  avoir  assigné  l'usage  de  la  fleur  au  profit  de  l'embryon  quand  elle 
y  adhère,  elle  fait  supposer  totalement  inutile  celle  qui  n'y  adhère  pas, 
et  cela  remplit  mal  l'i^iée  que  le  botaniste  doit  a*oir  du  concours  des. 
parties  et  de  leur  emploi  dans  le  jeu  de  la  machine  organique. 


150  DICTIONNAIHE   DE  BOTANIQUE. 

Je  crois  que  le  défaut  général  vient  ici  d'avoir  trop  considéré  la  fleur 
comme  une  substance  absolue,  tandis  qu'elle  n'est,  ce  me  semble, 
qu'un  être  collectif  et  relatif;  et  d'avoir  trop  raffiné  sur  les  idées ,  tandis 
qu'il  falloit  se  borner  à  celle  qui  se  présentoit  naturellera?nt.  Selon  cette 
idée .  la  fleur  ne  me  paroît  être  que  l'état  passager  des  parties  de  la 
fructification  durant  la  fécondation  du  germe:  de  là  suit  que,  quand  ' 
toutes  les  parties  de  la- fructification  seront  réunies,  il  n'y  aura  qu'une 
fleur;  quand  elles  seront  séparées,  il  y  en  aura  autant  qu'il  y  a  de  par- 
ties essentielles  à  la  fécondation;  et,  comme  ces  parties  essentielles  ne 
sont  qu'au  nombre  de  deux,  savoir,  le  pistil  et  les  étamines,  il  n'y 
aura  par  conséquent  que  deux  fleurs,  l'une  mâle  et  l'autre  femelle,  qui 
soient  nécessaires  à  la  fructification.  On  en  peut  cependant  supposer 
une  troisième  qui  réuniroit  les  se.\es  séparés  dans  les  deux  autres;  mais 
alors ,  si  toutes  ces  fleurs  étoient  également  fertiles,  la  troisième  ren- 
droit  les  deux  autres  superflues  et  pourroit  seule  suffire  à  l'œuvre,  ou 
bien  il  y  auroit  réellement  deux  fécondations;  et  nous  n'examinons  ici 
la  fleur  que  dans  une. 

La  fleur  n'est  donc  que  le  foyer  et  l'instrument  de  la  fécondation  : 
une  seule  suffit  quand  elle  est  hermaphrodit  ■;  quand  elle  n'est  que 
mâle  ou  femelle ,  il  en  faut  deux  :  savoir ,  une  de  chaque  sexe  ;  et  si  l'on 
fait  entrer  d'autres  parties,  comme  le  calice  et  la  corolle,  dans  la  com-  j 
position  de  la  fleur ,  ce  ne  peut  être  comme  essentielles  ,  mais  seulement  | 
comme  nutritives  et  conservatrices  de  celles  qui  le  sont.  Il  y  a  des  fleurs 
sans  calice;  il  y  en  a  sans  corolle;  il  y  en  a  même  sans  l'un  et  sans 
l'autre  :  mais  il  n'y  en  a  point ,  et  il  n'y  en  sauroit  avoir  qui  soient  en 
même  temps  sans  pistil  et  sans  étamines. 

La  fleur  est  une  partie  locale  et  passagère  de  la  plante  qui  précède  la 
fécondation  du  germe,  et  dans  laquelle  ou  par  laquelle  elle  s'opère. 

Je  ne  m'étendrai  pas  à  justifier  ici  tous  les  termes  de  cette  définition, 
qui  peut-être  n'en  vaut  pas  la  peine;  je  dirai  seulement  que  le  mot  pré- 
cède m'y  paroît  essentiel,  parce  que  le  plus  souvent  la  corolle  s'ouvre  et 
s'épanouit  avant  que  les  anthères  s'ouvrent  à  leur  tour;  et,  dans  ce  cas, 
il  est  incontestable  que  la  fleur  préexiste  à  l'œuvre  de  la  fécondation. 
J'ajoute  que  cette  fécondation  s'o;  ère  dans  elle  ou  par  elle ^  parce  que, 
dans  les  fleurs  mâles  des  plantes  androgynes  et  dioiques,  il  ne  s'opère 
aucune  fructification ,  et  qu'elles  n'en  sont  pas  moins  des  fleurs  pour  cela. 

Voilà,  ce  me  semble,  la  notion  la  plus  juste  qu'on  puisse  se  faire  de 
la  fleur,  et  la  seule  qui  ne  laisse  aucune  prise  aux  objections  qui  ren- 
versent toutes  les  autres  définitions  qu'on  a  tenté  d'en  donner  jusqu'ici  : 
il  faut  seulement  ne  pas  prendre  trop  strictement  le  mot  durant,  que 
j'ai  employé  dans  la  mienne;  car,  même  avant  que  la  fécondation  du 
germe  soit  commencée,  on  peut  dire  que  la  fleur  existe  aussitôt  que  les 
organes  sexuels  sont  en  évidence,  c'est-à-dire  aussitôt  que  la  corolle 
est  épanouie;  et  d'ordinaire  les  anthères  ne  s'ouvrent  pas  à  la  poussière 
séminale  dès  l'instant  que  la  corolle  s'ouvre  aux  anthères.  Cependant  la 
fécondation  ne  peut  commencer  avant  que  les  anthères  soient  ouvertes  : 
de  même  l'œuvre  de  la  fécondation  s'achève  souvent  avant  que  la  corolle 
86  flétrisse  et  tombe;  or,  jusqu'à  cette  chute,  on  peut  dire  que  la  fleur 


FLEUR.  151 

«xiste  encore.  Il  faut  donc  donner  nécessairemer.t  un  peu  d'extension 
■au  mot  durant  ,  pour  pouvoir  dire  que  la  fleur  et  l'œuvre  de  la  fécon- 
•dation  comnaencent  et  finissent  ensemble. 

Comme  généralement  la  fleur  se  fait  remarquer  par  sa  corolle,  partie 
'bien  plus  apparente  que  les  autres  par  la  vivacité  de  ses  couleurs,  c'est 
dans  cette  corolle  aussi  qu'on  fait  machinalement  consister  l'essence  de 
la  fleur;  et  les  botanistes  eux-mêmes  ne  sont  pas  toujours  exempts  de 
cette  petite  illusion,  car  souvent  ils  emploient  le  mot  de  fleur  pou< 
celui  de  corolle  ;  mais  ces  petites  impropriétés  d'inadvertance  impor 
tent  peu  quand  elles  ne  changent  rien  aux  idées  qu'on  a  des  chosev 
quand  on  y  pense.  De  là  ces  mots  de  fleurs  monopétales,  polypétales, 
de  fleurs  labiées,  personnées,  Ce  fleurs  régulières,  irrégulières,  otc. , 
qu'on  trouve  fréquemment  dans  les  livres  même  d'institution.  Cette 
petite  impropriété  étoit  non-seulement  pardonnable,  mais  presque 
forcée  à  Tournefort  et  à  ses  contemporains,  qui  n'avoient  pas  encore  le 
mot  de  corolle,  et  l'usage  s'en  est  conservé  depuis  eux  par  l'habitude, 
5ans  grand  inconvénient  :  mais  il  ne  seroit  pas  permis  à  moi  qui 
remarque  cette  incorrection  de  l'imiter  ici;  ainsi  je  renvoie  au  mot 
Corolle  à  parler  de  ses  formes  diverses  et  de  ses  divisions. 

Mais  je  dois  parler  ici  des  fleurs  composées  et  simples,  parce  que 
c'est  la  fleur  même  et  non  la  corolle  qui  se  compose ,  comme  on  le  va 
voir  après  l'exposition  des  parties  de  la  fleur  simple. 

€n  divise  cette  fleur  en  complète  et  incomplète.  La  fleur  complète  est 
■celle  qui  contient  toutes  les  parties  essentielles  ou  concourantes  à  la 
fructification,  et  ces  parties  sont  au  nombre  de  quatre  :  deux  essen- 
tielles, savoir,  le  pistil  et  l'étamine,  ou  les  étamines;  et  deux  acces- 
soires ou  concourantes,  savoir,  la  corolle  et  le  calice;  à  quoi  l'on  doit 
ajouter  le  disque  ou  réceptacle  qui  porte  le  tout. 

La  fleur  est  complète  quand  elle  est  composée  de  toutes  ces  parties; 
quand  il  lui  en  manque  quelqu'une,  elle  est  incomplète.  Or,  la  fleur 
incomplète  peut  manquer  non-seulement  de  corolle  et  de  cahce.  mais 
même  de  pistil  ou  d'étamines;  et.  dans  ce  dernier  cas,  il  y  a  toujours 
v.'.ie  autre  fleur,  soit  sur  le  même  individu,  soit  sur  un  difi"érent,  qui 
te  l'autre  partie  essentielle  qui  manque  à  celle-ci;  de  là  la  division 

.  ileurs  hermaphrodites,  qui  peuvent  être  complètes  ou  ne  l'être  pas, 
et  en  fleurs  purement  mâles  ou  femelles,  qui  sont  toujours  incomplètes. 

La  fleur  hermaphrodite  incomplète  n'en  est  pas  moins  parfaite  pour 
cela,  puisqu'elle  se  suffit  à  elle-même  pour  opérer  la  fécondation:  mais 
elle  ne  peut  être  appelée  complète ,  puisqu'elle  manque  de  quelqu'une 
des  parties  de  celles  qu'on  appelle  ainsi.  Une  rose,  un  œillet,  soni,  par 
exemple,  des  fleurs  parfaites  et  complètes,  parce  qu'elles  sont  pourvues 
•  de  toutes  ces  parties.  Mais  une  tulipe,  un  lis.  ne  sont  point  des  fleurs 
■complètes,  quoique  parfaites,  parce  qu'elles  n'ont  point  de  calice;  de 
même  la  jolie  petite  fleur  appelée  paronychia  est  parfaite  comme  herma- 
jihrodite,  mais  elle  est  incomplète,  parce  que,  malgré  sa  riante  couleur, 
il  lui  manque  une  corolle. 

Je  pourrois ,  sans  sortir  encore  de  la  section  des  fleurs  simples ,  parier 
■  ici  des  fleurs  régulières,  et  des  fleurs  appelées  irrégulières.  Mais,commf. 


152  DICTIONNAIRE  DE  BOTANIQUE. 

ceci  se  rapporte  principalement  à  la  corolle,  il  vaut  mieux  sur  cet  ar- 
ticle renvoyer  le  lecteur  à  ce  mot.  Reste  donc  à  parler  des  oppositions 
que  peut  souffrir  ce  nom  de  fleur  simple. 

Toute  fleur  d'où  résulte  une  seule  fructification  est  une  fleur  simple. 
Mais  si  d'une  seule  fleur  résultent  plusieurs  fruits,  cette  fleur  s'appel- 
lera composée,  et  cette  pluralité  n'a  jamais  lieu  dans  les  fleurs  qui  n'ont 
qu'une  corolle.  Ainsi  toute  fleur  composée  a  nécessairement  non-seule- 
ment plusieurs  pétales,  mais  plusieurs  corolles;  et,  pour  que  la  fleur 
soit  réellement  composée  et  non  pas  une  seule  agrégation  de  plusieurs 
fleurs  simples,  il  faut  que  quelqu'une  des  parties  de  la  fructification 
soit  commune  à  tous  les  fleurons  composans ,  et  manque  à  chacun  d'eux 
en  paiticuiier. 

Je  prends,  par  exemple,  une  fleur  de  laiteron,  la  voyant  remplie  de 
plusieurs  petites  fleurettes,  et  je  me  demande  si  c'est  une  fleur  com- 
posée. Pour  savoir  cela,  j'examine  toutes  les  parties  de  la  fructification 
l'une  après  l'autre,  et  je  trouve  que  chaque  fleurette  a  des  étamines,  un 
pistil,  une  corolle,  mais  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  réceptacle  en  forme  de 
disque  qui  les  reçoit  toutes,  et  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  grand  calice  qui 
les  environne:  d'où  je  conclus  que  la  fleur  est  composée,  puisque  deux 
parties  de  la  fructification,  savoir  le  calice  et  le  réceptacle,  sont  com- 
munes à  toutes  et  manquent  à  chacune  en  particulier. 

Je  prends  ensuite  une  fleur  de  scabieuse,  où  je  distingue  aussi  plu- 
sieurs fleurettes:  je  l'examine  de  même,  et  je  trouve  que  chacune  d'elles 
est  pourvue  en  son  particulier  de  toutes  les  parties  de  la  fructification  . 
sans  en  excepter  le  calice  et  même  le  réceptacle,  puisqu'on  peut  re- 
garder comme  tel  le  second  calice  qui  sert  de  base  à  la  semence.  Je  con- 
clus donc  que  la  scabieuse  n'est  point  une  fleur  composée,  quoiqu'elle 
rassemble  comme  elle  plusieurs  fleurettes  sur  un  même  disque  et  dans 
un  même  calice. 

Comme  ceci  pourtant  est  sujet  à  dispute,  surtout  à  cause  du  récep- 
tacle, on  tire  des  fleurettes  mêmes  un  caractère  plus  sûr,  qui  convient 
à  toutes  celles  qui  constituent  proprement  une  fleur  composée  et  qui  ne 
convient  qu'à  elles:  c'est  d'avoir  cinq  étamines  réunies  en  tube  ou  cy- 
lindre par  leurs  anthères  autour  du  style,  et  divisées  par  leurs  cinq 
filets  au  bas  de  la  corolle  :  toute  fleur  dont  les  fleurettes  ont  leurs  an- 
thères ainsi  disposées  est  donc  une  fleur  composée,  et  toute  fleur  où 
l'on  ne  voit  aucune  fleurette  de  cette  espèce  n'est  point  une  fleur  com- 
posée ,  et  ne  porte  même  au  singulier  qu'improprement  le  nom  de  fleur, 
puisqu'elle  est  réellement  une  agrégation  de  plusieurs  fleurs. 

Ces  fleurettes  partielles  qui  ont  ainsi  leurs  anthères  réunies,  et  dont 
l'assemblage  forme  une  fleur  véritablement  composée,  sont  de  deux 
espèces;  les  unes,  qui  sont  régulières  et  tubulées,  s'appellent  propre- 
ment fleurons,  les  autres,  qui  sont  échancrées  et  ne  présentent  par  le 
haut  qu'une  languette  plane  et  le  plus  souvent  dentelée,  s'appellent 
demi-fleurons  :  et  des  combinaisons  de  ces  deux  espèces  dans  la  fleur  totale 
résultent  trois  sortes  principales  de  fleurs  composées:  savoir,  celles  qui 
ne  sont  garnies  que  de  fleurons ,  celles  qui  ne  sont  garnies  que  de  demi- 
fleurons,  et  celles  qui  sont  mêlées  des  uns  et  des  antres. 


FLELU.  15:^ 

Les  fleurs  à  fleurons  ou  fleurs  fieuronnées  se  divisent  encore  en  deux 
îspèces  .  relativement  à  leur  forme  extérieure.  Celles  qui  présentent  une 
igure  arrondie  en  manière  de  tète  .  et  dont  le  calice  approche  de  la  forme 
lémisphérique,  s'appellent  fleurs  en  tète,  capitoti  :  tels  sont,  par 
îxempie,  les  cliardons .  les  artichauts .  la  chàusse-trape. 

Celles  dont  le  réceptacle  est  plus  aplati,  en  sorte  que  leurs  fleurons 
forment  avec  le  calice  une  figure  à  peu  près  cylindrique .  s'appellent 
fleurs  en  disque,  discoïdei  :  ià  santoline ,  par  exemple,  et  Yeupatoire, 
offrent  des  fleurs  en  disque  ou  discoïdes. 

Les  fleurs  à  demi-fleurons  s'appellent  demi-fleuronnées ,  et  leur  figure 
extérieure  ne  varie  pas  assez  régulièrement  pour  offrir  une  division 
semblable  à  la  précédente.  Le  salsifis,  la.  scorsonère,  le  pissenlit ,  la. 
chicorée ,  ont  des  fleurs  demi-fleuronnées. 

A  regard  des  fleurs  mixtes ,  les  demi-fleurons  ne  s'y  mêlent  pas  parmi 
les  fleurons  en  confusion,  sans  ordre;  mais  les  fleurons  occupent  le 
centre  du  disque,  les  demi-flenrons  en  garnissent  la  circonférence  ei 
forment  une  couronne  à  la  fleur,  et  ces  fleurs  ainsi  couronnées  portent 
le  !;ora  de  (leurs  radiées.  Les  reines-marguerites  et  tous  les  asters,  le 
souci .  les  soleils ,  la  poire  de  terre .  portent  tous  des  fleurs  radiées. 

Toutes  ces  sections  forment  encore  dans  les  fleurs  composées,  et  rela- 
tivement au  sexe  des  fleurons,  d'autres  divisions  dont  il  sera  parlé  dans 
l'article  Fleuron. 

Les  fleurs  simples  ont  une  autre  sorte  d'opposition  dans  celles  qu'on 
appelle  fleurs  doubles  ou  pleines. 

La  fleur  double  est  celle  dont  quelqu'une  des  parties  est  multipliée  au 
delà  de  son  nombre  naturel,  mais  sans  que  cette  multiplication  nuise  à 
la  fécondatioii  du  germe. 

Les  fleurs  se  doublent  rarement  par  le  calice  ,  presque  jamais  par  les 
étamines.  Leur  multiplication  la  plus  commune'  se  fait  par  la  corolle. 
Les  exemples  les  plus  fréquens  en  sont  dans  les  fleurs  polypétales . 
comme  œillets,  anémones,  renoncules;  les  fleurs  monopétales  dou- 
blent moins  communément.  Cependant  on  voit  assez  souvent  des  cam- 
panules, des  primevères,  des  auricules,  et  surtout  des  jacinthes  à  fleur 
double. 

Ce  mot  de  fleur  double  ne  marque  pas  dans  le  nombre  des  pétales 
une  simple  duplication,  mais  une  multiplication  quelconque.  Soit  que 
le  nombre  des  pétales  devienne  double,  triple,  quadruple,  etc.,  tant 
qu'ils  ne  multiplient  pas  au  point  d'étouffer  la  fructification,  la  fleur 
garde  toujours  le  nom  de  fleur  double;  mais,  lorsque  les  pétales  trop 
multipliés  font  disparoître  les  étamines  et  avorter  le  germe ,  alors  la 
fleur  perd  le  nom  de  fleur  double  et  prend  celui  de  fleur  pleine. 

On  voit  par  là  que  la  fleur  double  est  encore  dans  l'ordre  de  la  na- 
ture, mais  que  la  fleur  pleine  n'y  est  plus  et  n'est  qu'un  véritable 
monstre. 

Quoique  la  plus  commune  plénitude  des  fleurs  se  fasse  par  les  pé- 

~ .  il  y  en  a  néanmoins  qui  se  remplissent  par  le  calice ,  et  nous  en 

s  un  exemple  bien  remarquable  dans  Vimmortelle ,  appelée  xéran- 

t'.'.iiie.  Celte  fleur,  qui  paroît  radiée  et  qui  réellement  est  discoïde, 


154  DICTIONNAir.E  DE  BOTANIQUE. 

porte,  ainsi  que  la  carline ^  un  calice  imbriqué  ,  dont  le  langinlcrieur  a^. 
ses  folioles  longues  et  colorées;  et  cette  fleur,  quoique  composée, 
double  et  multiplie  tellement  par  ses  brillantes  folioles,  qu'on  les  preii- 
droit,  garnissant  la  plus  grande  partie  du  disque,  pour  autant  de  de-j' 
mi-fleurons. 

Ces  fausses  apparences  abusent  souvent  les  yeux  de  ceux  qui  ne  sont 
pas  botanistes;  mais  quiconque  est  initié  dans  l'intime  structure  des 
(leurs  ne  peut  s'y  tromper  un  moment.  Une  fleur  demi-fleuronnée  res- 
semble extérieurement  à  une  fleur  polypétale  pleine;  mais  il  y  a  tou- 
jours cette  diiïérence  essentielle,  que  dans  la  première  chaque  demi- 
fleuron  est  une  fleur  parfaite   qui  a  son   embryon,  son  pistil  et  ses, 
élamines,au  lieu  que,  dans  la  fleur  pleine,  chaque  pétale  multiplié 
n'est  toujours  qu'un  pétale  qui  ne  porte  aucune  des  parties  essentielles 
à  la  fructification.  Prenez  l'un  après  l'autre  les  pétales  d'une  renoncule 
simple,  ou  double,  ou  pleme,  vous   ne  trouverez  dans  aucun  nulle' 
autre  chose  que  le  pétale  même;  mais  dans  le  pissenlit  chaque  demi-^ 
fleuron  garni  d'un  style  entouré  d'étamines  n'est  pas  un  simple  pétale,: 
mais  une  véritable  fleur.  j 

On  me  présente  une  fleur  de  nymphéa  jaune,  et  l'on  me  demande  si; 
c"est  une. composée  ou  une  fleur  double.  Je  réponds  que  ce  n'est  ni  l'un  : 
ni  l'autre.  Ce  n'est  pas  une  composée,  puisque  les  folioles  qui  l'entou- 
rent ne  sont  pas  des  demi-fleurons;  et  ce  n'est  pas  une  fleur  double, 
parce  que  la  duplication  n'est  l'état  naturel  d'aucune  fleur,  et  que 
l'état  naturel  de  la  fleur  de  nymphéa  jaune  est  d'avoir  plusieurs  en- 
ceintes de  pétales  autour  de  son  embryon.  Ainsi  celte  multiplicité 
n'empêche  pas  le  nymphéa  jaune  d'être  une  fleur  simple. 

La  constitution  commune  au  plus  grand  nombre  des  fleurs  est  d'être 
hermaphrodites;  et  cette  constitution  paroît  en  effet  la  plus  convenable 
au  règne  végétal,  où  les  individus  dépourvus  de  tout  mouvement  pro- 
gressif et  spontané  ne  peuvent  s'aller  chercher  l'un  l'autre  quand  les 
sexes  sont  séparés.  Dans  les  arbres  et  les  plantes  où  ils  le  sont,  la  na- 
ture, qui  sait  varier  ses  moyens,  a  pourvu  à  cet  obstacle:  mais  il  n'en. 
est  pas  moins  vrai  généralement  que  des  êtres  immobiles  doivent,  pour 
perpétuer  leur  espèce,  avoir  en  eux-mêmes  tous  les  instruraens  propres 
à  cette  fin. 

Fleur  mutilée.  Est  celle  qui,  pour  l'ordinaire,  par  défaut  de  cha- 
leur, perd  ou  ne  produit  point  la  corolle  qu'elle  devroit  naturellement 
avoir.  Quoique  cette  mutilation  ne  doive  point  faire  espèce,,  les  plantes 
où  elle  a  lieu  se  distinguent  néanmoins  dans  la  nomenclature  de  celles 
de  même  espèce  qui  sont  complètes,  comme  on  peut  le  voir  dans  plu- 
sieurs espèces  de  quamoclit,  de  cucubales ,  de  tussilages,  de  campn- 
yiules .  etc. 

Fleurette.  Petite  fleur  complète  qui  entre  dans  la  structure  d'une 
fleur  agrégée. 

Fleuron.  Petite  fleur  incomplète  qui  entre  dans  la  structure  d'une 
ileur  composée.  (  Voy.  Fleur.  ) 

Voici  quelle  est  la  structure  naturelle  des  fleurons  composans  : 

1.  Corolle  monopétale  tubulée  à  cina  dents,  supère. 


FLEURON  —  GERME.  155 

2.  Pistil  allongé,  terminé  par  deux  stigmates  réfléctiis. 

3.  Cinq  étamines  dont  les  lilets  sont  séparés  par  le  bas,  mais  for- 
naiit,  par  l'aàhérence  de  leurs  anthères,  un  tube  autour  du  pistil. 

4.  Semence  nue.  allongée,  ayant  pour  base  le  réceptacle  commun, 
!l  servant  elle-même  ,  par  son  sommet,  de  réceptacle  à  la  corolle. 

5.  Aigrette  de  poils  ou  d'écaillés  couronnant  la  semence,  et  figurant 
jn  calice  à  la  base  de  la  corolle.  Cette  aigrette  pousse  de  bas  en  haut 
ie  la  corolle,  la  détache  et  la  fait  tomber  lorsqu'elle  est  flétrie,  et  que 
la  semence  accrue  approche  de  sa  maturité. 

Cette  structure  commune  et  générale  des  fleurons  souffre  des  excep- 
tions dans  plusieurs  genres  de  composées,  et  ces  différences  constituent 
même  des  sections  qui  forment  autant  de  branches  dans  cette  nom- 
breuse famille. 

Celles  de  ces  différences  qui  tiennent  à  la  structure  même  des  fleu- 
rons ont  été  ci-devant  expliquées  au  mot  Fleur.  J'ai  maintenant  à  parler 
de  celles  qui  ont  rapport  à  la  fécondation. 

L'ordre  commun  des  fleurons  dont  je  viens  de  parler  est  d'être  her- 
maphrodites, et  ils  se  fécondent  par  eux-mêmes.  Mais  il  y  en  a  d'autres 
qui .  ayant  des  étamines  et  n'ayant  point  de  germe,  portent  le  nom  de 
mâles:  d'autres  qui  ont  un  germe  et  n'ont  point  d'étamines  s'appellent 
fleurons  femelles;  d'autres  qui  n'ont  ni  germe  ni  étamines,  ou  dont  le 
germe  imparfait  avorte  toujours,  portent  le  nom  de  neutres. 

Ces  diverses  espèces  de  fleurons  ne  sont  pas  indifféremment  entre- 
mêlées dans  les  fleurs  composées;  mais  leurs  combinaisons  méthoiiques 
€t  régulières  sont  toujours  relatives  ou  à  la  plus  sûre  fécondation,  ou 
à  la  plus  abondante  fructification ,  ou  à  la  plus  pleine  maturification 
des  p;raines. 

Fructification.  Ce  mot  se  prend  toujours  dans  un  sens  collectif, 
et  comprend  non-seulement  l'œuvre  de  la  fécondation  du  germe  et  de 
la  maturification  du  fruit,  mais  l'assemblage  de  tous  les  instrumens 
naturels  destinés  à  cette  opération. 

Fruit.  Dernier  produit  de  la  végétation  dans  l'individu,  contenant 
les  semences  qui  doivent  la  renouveler  par  d'autres  individus.  La  se- 
mence n'est  ce  dernier  proJuit  que  quand  elle  est  seule  et  nue.  Quand 
elle  ne  l'est  pas,  elle  n'est  que  partie  du  fruit. 

Ce   mot   a  ,   dans    la   botanique  ,   un   sens   beaucoup    plus   étendu 

<iue  dans  l'usage  ordinaire.  Dans  les  arbres,  et  même  dans  d'autres 

•plantes,  toutes  les  semences,  ou  leurs  enveloppes  bonnes  à  manger, 

-1  ..rtent  en  général  le  nom  de  fruit.  Mais,  en  botanique,  ce  même  nom 

inique  plus  généralement  encore  à  tout  ce  qui  résulte,  après  la 

:;■,  de  la  fécondation  du  germe.  Ainsi  le  fruit  n'est  proprement  autre 

-e  que  l'ovaire  fécondé,  et  cela,  soit  qu'il  se  mange  ou  ne  se  mange 

- .  soit  que  la  semence  soit  déjà  mûre  ou  qu'elle  ne  le  soit  pas  encore. 

Genre.  Réunion  de  plusieurs  espèces  sous  un  caractère  commun  qui 

î  s  distingue  de  toutes  les  autres  plantes. 

Germe." Embryon,  ovaire,  fruit.  Ces  termes  sont  si  près  d'être  syno- 
jixmes,  qu'avant  d'en  parler  séparément  dans  leurs  articles  je  crois 
d -voir  "les  unir  ici.  Le  germe  est  le  premier  rudiment  de  la  nouvelle 


(d 


l^iG  DICTIONNAIRE   DE  BOTANIQUE. 

jilante;  il  devient  embryon  ou  ovaire  au  moment  de  la  fécondation,  e 
ce  même  embryon  devient  fruit  en  mûrissant  :  voilà  les  difTérence  ^ 
exactes.  Maison  n'y  fait  pas  toujours  attention  dans  l'usage,  et  l'oi 
prend  souvent  ces  mots  l'un  pour  l'autre  indifféremment. 

11  y  a  deux  sortes  de  germes  bien  distincts,  l'un  contenu  dans  la  se 
mence ,  lequel  en  se  développant  devient  plante ,  et  l'autre  contenu  dan; 
la  fleur ,  lequel  par  la  fécondation  devient  fruit.  On  voit  par  quelle  aller 
native  perpétuelle  chacun  de  ces  deux  germes  se  produit,  et  en  est  produit 

On  peut  encore  donner  le  nom  de  germe  aux  rudimens  des  feuille: 
enfermées  dans  les  bourgeons,  et  à  ceux  des  fleurs  enfermées  dans  le; 
boutons. 

Germination.  Premier  développement  des  parties  de  la  plante  conte- 
nue en  petit  dans  le  germe. 

Glandes.  Organes  qui  servent  à  la  sécrétion  des  sucs  de  la  plante. 

Gousse.  Fruit  d'une  plante  léguminense.  La  gousse,  qui  s'appelU 
aussi  légume,  est  ordinairement  composée  de  deux  panneaux  nommés 
cosses,  aplatis  ou  convexes,  collés  l'un  sur  l'autre  parjieux  suture; 
longitudinales .  et  qui  renferment  des  semences  attachées  alternativemem 
par  la  suture  aux  deux  cosses,  lesquelles  se  séparent  par  la  maturité 

Grappe  (rrtcemws).  Sorte  d'épi  dans  lequel  les  fleurs  ne  sont  ni  ses- 
siles  ni  toutes  attachées  à  la  râpe,  mais  à  des  pédicules  partiels  dans 
lesquels  les  pédicules  principaux  se  divisent.   La  grappe  n'est  autr«|ii 
chose  qu'une  panicule  dont  les  rameaux  sont  plus  serrés,  plus  courts. 
et  souvent  plus  gros  que  dans  la  panicule  proprement  dite. 

Lorsque  l'axe  d'une  panicule  ou  d'un  épi  pend  en  bas  au  lieu  de  si  - 
lever  vers  le  ciel,  on  lui  donne  alors  le  nom  de  grappe;  tel  est  l'épi  du 
groseillier,  telle  est  la  grappe  de  la  vigne. 

Greffe.  Opération  par  laquelle  on  force  les  sucs  d'un  arbre  à  passer 
par  les  couloirs  d'un  autre  arbre,  d'où  il  résulte  que  les  couloirs  de  ces 
deux  plantes  n'étant  pas  de  même  figure  et  dimension,  ni  placés  exac- 
tement les  uns  vis-à-vis  des  autres,  les  sucs,  forcés  de  se  subtiliser  en 
se  divisant,  donnent  ensuite  des  fruits  meilleurs  et  plus  savoureux. 

Greffer.  Est  engager  l'œil  ou  le  bourgeon  d'une  saine  branche  d'ar- 
bre dans  l'écorce  d'un  autre  arbre,  avec  les  précautions  nécessaires  et 
dans  la  saison  favorable,  en  sorte  que  ce  bourgeon  reçoive  le  suc  du 
second  arbre,  et  s'en  nourrisse  comme  il  auroit  fait  de  celui  dont  il  a 
été  détaché.  On  donne  le  nom  de  greffe  à  la  portion  qui  s'unit,  et  de 
sujet  à  l'arbre  auquel  il  s'unit. 

Il  y  a  diverses  manières  de  greffer  :  la  greffe  par  approche ,  en  fente , 
en  couronne,  en  flûte,  en  écusson'. 

Gymnosperme.  a  semences  nues. 

Hampe.  Tige  sans  feuilles,  destinée  uniquement  à  tenir  la  fructifica- 
tion élevée  au-dessus  de  la  racine. 

Infère,  Supère.  Quoique  ces  mots  soient  purement  latins,  on  est 
obligé  de  les  employer  en  françois  dans  le  langage  de  la  botanique, 
sous  peine  d'être  diffus,  lâche  et  louche,  pour  vouloir  parler  purement. 
La  même  nécessité  doit  être  supposée,  et  la  même  excuse  répétée  dans 
tous  les  mots  latins  que  je  serai  forcé  de  franciser;  car  c'est  ce  que  ie' 


IiNFÈUE  —  MASQUE  157 

j  •  ferai  Jamais  que  pour  dire  ce  que  je  ne  pourrois  aussi  bien  faire  ea- 

•  ndre  dans  un  françois  plus  correct. 

);  Il  Y  a  dans  les  fleurs  deux  dispositions  différentes  du  calice  et  de  la 
irolle,  par  rapport  au  germe,  dont  l'expression  revient  si  souvent. 
.  l'il  faut  absolument  créer  un  mot  pour  elle.  Quand  le  calice  et  la  co- 
[  )lle  portent  sur  le  germe,  la  fleur  est  dite  supers.  Quand  le  germe  porte 
ir  le  calice  et  la  corolle,  la  fleur  est  dite  infère.  Quand  de  la  corolle 
1  transporte  le  mot  au  germe,  il  faut  prendre  toujours  l'opposé.  Si  la 
jroUe  est  infère,  le  germe  est  supère  ;  si  la  corolle  est  supère ,  le  germe 
jt  infère  :  ainsi  l'on  a  le  choix  de  ces  deux  manières  d'exprimer  la 
lème  chose. 

Comme  il  y  a  beaucoup  plus  de  plantes  où  la  fleur  est  infère  que  de 
elles  où  elle  est  supère,  quand  cette  disposition  n'est  point  exprimée, 
n  doit  toujours  sous-entendre  le  premier  cas,  parce  qu'il  est  le  plus 
rdinaire-,  et  si  la  description  ne  parle  point  de  la  disposition  relative 
e  la  corolle  et  du  germe ,  il  faut  supposer  la  corolle  infère  :  car  si  elle 
toit  supère.,  l'auteur  de  la  description  l'auroit  expressément  dit. 

LÉGUME.  Sorte  de  péricarpe  composé  de  deux  panneaux,  dont  les 
lori^s  sont  réunis  par  deux  sutures  longitudinales.  Les  semences  sont 
tlachées  alternativement  à  ces  deux  valves  par  la  suture  supérieure; 
'inférieure  est  nue.  L'on  appelle  de  ce  nom  en  général  le  fruit  des 
liantes  légumineuses. 

LÉGUMINEUSES.  Voy.  Fleurs  ,  Plantes. 

Liber  (le)  est  composé  de  pellicules  qui  représentent  les  feuillets 
l'un  livre;  elles  touchent  immédiatement  au  bois.  Le  liber  se  détache 
.eus  les  ans  des  deux  autres  parties  de  l'écorce,  et,  s'unissant  avec 
l'auLier,  il  produit  sur  la  circonférence  de  l'arbre  une  nouvelle  couche 
5ui  en  augmente  le  diamètre. 

Ligneux.  Qui  a  la  consistance  de  bois. 

LiLiAcÉES.  Fleurs  qui  portent  le  caractère  du  lis. 

Limbe.  Quand  une  corolle  monopétale  régulière  s'évase  et  s'élargit  par 
le  haut,  la  partie  qui  forme  cet  évasement  s'appelle  le  limbe,  et  se  dé- 
coupe ordinairement  en  quatre,  cinq,  ou  plusieurs  segments.  Diverses 
campanules,  primevères.  Userons,  et  autres  fleurs  monopétales,  offrent 
des  exemples  de  ce  limbe,  qui  est,  à  l'égard  de  la  corolle,  à  peu  près 
ce  qu'est,  à  l'égard  d'une  cloche,  la  pirlie  qu'on  nomme  le  pavillon  : 
le  différent  degré  de  l'angle  que  forme  le  limbe  avec  le  tube  est  ce  qui 
fait  donner  à  la  corolle  le  nom  d'infundibuliforme ,  de  campaniforme , 
ou  d'hypocratériforme. 

Lobes  des  semences  sont  deux  corps  réunis,  aplatis  d'un  côté,  con 
vexes  de  l'autre  :  ils  sont  distincts  dans  les  semences  légumineuses. 

Lobes  des  feuilles. 

Loge.  Cavité  intérieure  du  fruit  :  il  est  à  plusieurs  loges  quand  il  es; 
partagé  par  des  cloisons. 

•  Maillet.  Branche  de  l'année  à  laquelle  on  laisse  .  pour  le  replanter, 
deux  chicots  du  vieux  bois  saillant  des  deux  côtés.  Cette  sorte  de  bou- 
ture se  pratiq.ue  seulement  sur  la  vigne ,  et  même  assez  rarement. 

JIasque.  Fleur  en  masque  est  une  fleur  monopétale  irrégulière. 


158  DICTIONNAIRE  DE  BOTANIQUE. 

Mo^'ÉClE  ou  MoNŒCiE.  Habitation  commune  aux  deux  sexes.  On  donna 
le  nom  de  monœcie  à  une  classe  de  plantes,  composée  de  toutes  celles 
qui  portent  des  fleurs  mâles  et  des  fleurs  femelles  sur  le  même  pied. 

Monoïques.  Toutes  les  plantes  de  la  monœcie  sont  monoïques.  On 
appelle  plantes  monoïques  celles  dont  les  fleuis  ne  sont  pas  hermaphro- 
dites, mais  séparément  mâles  et  femelles  sur  le  même  individu  :  ce 
mot,  formé  de  celui  de  monœcie,  vient  du  grec,  et  signifie  ici  que  les 
deux  sexes  occupent  bien  le  même  logis ,  mais  sans  habiter  la  même 
chambre.  Le  concombre,  le  melon,  et  toutes  les  cucurbitacées,  sont 
des  plantes  monoïques. 

Mufle  (fleur  en).  Voy.  Masque. 

Nœuds.  Sont  les  articulations  des  tiges  et  des  racines. 

Nomenxlat.ure.  Art  de  joindre  aux  noms  qu'on  impose  aux  plantes 
l'idée  de  leur  structure  et  de  leur  classification. 

Noyau.  Semence  osseuse  qui  renferme  une  amande. 

Nu.  Dépourvu  des  vêtements  ordinaires  à  ses  semblables. 

On  appelle  graines  nues  celles  qui  n'ont  point  de  péricarpe:  ombelles 
nues,  celles  qui  n'ont  point  d'involucre;  tiges  nues,  ceLes  qui  ne  sont 
point  garnies  de  feuilles,  etc. 

Nuits  de  fer  [noctes  Jerreœ).  Ce  sont,  en  Suède,  celles  dont  la  froide 
température,  arrêtant  la  végétation  de  plusieurs  plantes,  produit  leur 
dépérissement  insensible,  leur  pourriture,  et  enfin  leur  mort.  Leurs 
premières  atteintes  avertissent  de  rentrer  dans  les  serres  les  plantes 
étrangères ,  qui  périroient  par  ces  sortes  de  froids. 

Œil.  (Voy.  Cmbilic.)  Petite  cavité  qui  se  trouve  en  certains  fruits 
à  l'extrémité  opposée  au  pédicule  :  dans  les  fruits  infères ,  ce  sont  les 
divisions  du  calice  qui  forment  l'ombilic,  comme  le  coing,  la  poire,  la 
pomme,  etc.;  dans  ceux  qui  sont  supères,  l'ombilic  est  la  cicatrice 
laissée  par  l'insertion  du  pistil. 

Œilletons.  Bourgeons  qui  sont  à  côté  des  racines  des  artichauts  et 
d'autres  plantes,  et  qu'on  détache  afin  de  multiplier  ces  plantes. 

Ombelle.  Assemblage  de  rayons  qui,  partant  d'un  même  centre,  di- 
vergent comme  ceux  d'un  parasol.  L'ombelle  universelle  porte  sur  la 
tige  ou  sur  une  branche-,  l'ombelle  partielle  sort  d'un  rayon  de  l'om- 
belle universelle 

Ombilic.  C'est,  dans  les  baies  et  autres  fruits  mous  et  infères,  le 
réceptacle  de  la  fleur  dont,  après  qu'elle  est  tombée,  la  cicatrice  reste 
sur  le  fruit,  comme  on  peut  le  voir  dans  les  airelles.  Souvent  le  calice 
reste  et  couronne  l'ombilic,  qui  s'appelle  alors  vulgairement  œil  :  ainsi 
l'œil  des  poires  et  des  pommes  n'est  autre  chose  que  l'ombilic  autour 
duquel  le  calice  persistant  s'est  desséché.- 

Ongle.  Sorte  de  tache  sur  les  pétaleL  ou  sur  les  feuilles,  qui  a  sou- 
vent la  figure  d'un  ongle,  et  d'autres  figures  différentes,  comme  on 
peut  le  voir  aux  fleurs  des  pavots,  des  roses,  des  anémones,  des  cistes, 
et  aux  feuilles  des  renoncules,  des  persicaires,  etc. 

Onglet.  Espèce  de  pointe  crochue  par  laquelle  le  pétale  de  quehiueS: 
corolles  est  fixé  sur  le  calice  ou  sur  le  réceptacle;  l'onglet  des  œillets 
est  plus  long  que  celui  des  roses. 


OPPOSÉES  —  PÉDICULE.  159 

Opposées.  Les  teuilles  opposées  sont  juste  o.u  nombre  de  deux,  nia- 
'cées,  l'une  vis-à-vis  de  l'autre,  des  deux  côtés  de  la  tige  ou  des  bran- 
'ches.  Les  feuilles  opposées  peuvent  être  pédiculées  ou  sessiles;  s'il  y 
avoil  plus  de  deux  feuilles  attachées  à  la  même  hauteur  autour  de  la 
;li"e,  alors  cette  pluralité  dénatureroit  l'opposition,  et  cette  disposition 
;Jes  feuilles  prendroit  un  nom  différent.  (Voy.  Verticillé.) 

Ovaire.  C'est  le  nom  qu'on  donne  à  l'embryon  du  fruit,  ou  c'est  le 
fruit  même  avant  la  fécondation.  Après  la  fécondation,  l'ovaire  perd  ce 
nom,  et  s'appelle  simplement  fruit,  ou  en  particulier  péricarpe,  si  la 
;)lante  est  angiosperme;  semence  ou  graine,  si  la  plante  est  gymno- 
jperme. 

Palmée.  Une  feuille  est  palmée  lorsqu'au  lieu  d'être  composée  de 
plusieurs  folioles  ,  comme  la  feuille  digitée  ,  elle  est  seulement  découpée 
n  plusieurs  lobes  dirigés  en  rayons  vers  le  sommet  du  pétiole,  mais  se 
éunissant  avant  que  d'y  arriver. 

Panicule.  Ëpi  rameux  et  pyramidal.  Cette  figure  lui  vient  de  ce  que 
es  rameaux  du  bas,  étant  les  plus  larges,  forment  entre  eux  un  plus 
arge  espace,  qui  se  rétrécit  en  montant,  à  mesure  que  ces  rameaux 
leviennent  plus  courts^  moins  nombreux,  en  sorte  qu'une  panicule 
parfaitement  régulière  se  termineroit  enfin  par  une  fleur  sessile. 

Parasites.  Plantes  qui  naissent  ou  croissent  sur  d'autres  plantes,  et 
se  nourrissent  de  leur  substance.  La  cuscute ,  le  gui .  plusieurs  mousses 
5t  lichens,  sont  des  plantes  parasites. 

Parenchyme.  Substance  pulpeuse,  ou  tissu  cellulaire  qui  forme  le 
:orps  de  la  feuille  ou  du  pétale  :  il  est  couvert  dans  l'une  et  dans, 
'autre  d'un  épiderme. 
Partielle.  Voy.  Ombelle. 

Parties  de  la  fructification.  Voy.  Étamines,  Pistil. 
Pavillon.  Synonyme  d'étendard. 

Pédicule.  Base  allongée,  qui  porte  le  fruit.  On  dit  peduiKiiliis  en 
alin,  mais  je  crois  qu'il  faut  dire  pédicule  en  françois  :  c'est  l'ancien 
jsage,  et  il  n'y  a  aucune  bonne  raison  pour  le  changer.  Pedunculus 
îonne  mieux  en  latin,  et  il  évite  l'équivoque  du  nom  pediculus;  mais 
e  mot  pédicide  est  net,  et  plus  doux  en  françois;  et,  dans  le  choix 
les  mots,  il  convient  de  consulter  l'oreille,  et  d'avoir  égard  à  l'accent 
le  la  langue. 

L'adjectif  pédicule  me  paroît  nécessaire  par  opposition  à  l'autre  ad- 
ectif  sessile.  La  botanique  est  si  embarrassée  de  termes ,  qu'on  ne  sau- 
•oit  trop  s'attacher  à  rendre  clairs  et  courts  ceux  qui  lui  sont  spéciale- 
nent  consacrés. 

Le  pédicule  est  le  lien  qui  attache  la  fleur  ou  le  fruit  à  la  branche, 
5u  à  la  tige.  Sa  substance  est  d'ordinaire  plus  solide  que  celle  du  fruit 
ju'il  porte  par  un  de  ses  bouts,  et  moins  que  celle  du  bois  auquel  il  est 
ittaché  par  l'autre.  Pour  l'ordinaire,  quand  le  fruit  est  mûr,  il  se  dé- 
tache et  tombe  avec  son  pédicule.  Mais  quelquefois,  et  surtout  dans  les 
plantes  herbacées,  le  fruit  tombe  et  le  pédicule  reste,  comme  on  peut 
le  voir  dans  le  genre  des  rumcx.  On  y  peut  remarquer  encore  une  autre 
liariicularité  :  c'est  que  les  pédicules,  qui  tous  sont  verticillés  atinur 


160  DICTIONNAIRE   DE  BOTANIQUE 

de  la  tige ,  sont  aussi  tous  articulés  vers  leur  milieu.  Il  semble  qu'en  ce 
eus  le  fruit  devroit  se  détacher  à  l'articulation  ,  tomber  avec  une  nioilié 
lia  pé.iicule ,  et  laisser  l'autre  moitié  seulement  attachée  à  la  plante. 
Voilà  néanmoins  ce  qui  n'arrive  pas.  Le  fruit  se  détache ,  et  tombe  seul. 
Le  pédicule  tout  entier  reste ,  et  il  faut  une  action  expresse  pour  le 
diviser  en  deux  au  point  de  l'articulation. 

Perfoliée.  La  feuille  perfoliée  est  celle  que  la  branche  enfile,  et  qui 
entoure  celle-ci  de  tous  côtés. 

PÉRiANTHE.  Sorte  de  calice  qui  touche  immédiatement  la  fleur  ou 
le  fruit. 

Perruque.  Nom  donné  par  Vaillant  aux  racines  garnies  d'un  chevelu 
touffu  de  fibrilles  entrelacées  comme  des  cheveux  emmêlés. 

Pétale.  On  donne  le  nom  de  pétale  à  chaque  pièce  entière  de  la 
corolle.  Quand  la  corolle  n'est  que  d'une  seule  pièce,  il  n'y  a  aussi 
qu'un  pétale  ;  le  pétale  et  la  corolle  ne  sont  alors  qu'une  seule  et  même 
chose  ,  et  cette  sorte  de  corolle  se  désigne  par  l'épithète  de  monopétale. 
Quand  la  corolle  est  de  plusieurs  pièces,  ces  pièces  sjnt  autant  de  pé- 
tales, et  la  corolle  qu'elles  composent  se  désigne  par  leur  nombre  tiré 
d*i  grec,  parce  que  le  mot  de  pétale  en  vient  aussi,  et  qu'il  convient, 
quand  on  veut  composer  un  mot,  de  tirer  les  deux  racines  de  la  même 
langue.  Ainsi  les  mots  de  monopétalo,  de  dipétale,  de  tripélale,  de 
tétrapétale .  de  pentapétale,  et  enfin  de  polypétale,  indiquent  une  co- 
rolle d'une  .seule  pièce,  ou  de  deux,  de  trois,  de  quatre,  de  cinq,  etc.; 
;.:nfin,  d'une  multitude  indéterminée  de  pièces. 

Pétaloïde.  Qui  a  des  pétales.  Ainsi  la  fleur  pélaloïde  est  l'opposé  de 
la  fleur  apétale. 

Quelquefois  ce  mot  entre  comme  seconde  racine  dans  la  composition 
d'un  autre  mot,  dont  la  première  racine  est  un  nom  de  nombre  :  alors 
il  signifie  une  corolle  monopétale  profondément  divisée  en  autant  de; 
sections  qu'en  indique  la  première  racine.  Ainsi  la  corolle  tripétaloïdf 
est  divisée  en  trois  segmens  ou  demi-pétales,  la  pentapétaloïde  er 
cinq ,  etc. 

PÉTIOLE.  Base  allongée  qui  porte  la  feuille.  Le  mot  pétiole  est  oppose 
à  sessile ,  à  l'égard  des  feuilles ,  comme  le  mot  pédicule  l'est  à  l'égarc 
des  fleurs  et  des  fruits.  (Voy.  Pédicule,  Sessile.)  , 

PiNNÉE.  Une  feuille  ailée  à  plusieurs  rangs  s'appelle  feuille  pin- 
née. 

Pistil.  Organe  femelle  de  la  fleur  qui  surmonte  le  germe,  et  pa, 
lequel  celui-ci  reçoit  l'intromission  fécondante  de  la  poussière  des  an! 
liières  :  le  pistil  se  prolonge  ordinairement  par  un  ou  plusieurs  styles 
quelquefois  aussi  il  est  couronné  immédiatement  par  un  ou  plusieur: 
stigmates,  sans  aucun  style  intermédiaire.  Le  stigmate  reçoit  la  poussier 
prolifique  du  sommet  des  étamines,et  la  transmet  par  le  pistil  dan 
l'intérieur  du  germe,  pour  féconder  l'ovaire.  Suivant  le  système  sexuel 
la  fécondation  des  plantes  ne  peut  s'opérer  que  par  le  concours  dei 
deux  sexes;  et  l'acte  de  la  fructification  n'est  plus  que  celui  de  1 
génération.  Les  filets  des  étamines  sont  les  vaisseaux  spermaliques,  le 
anthères  sont  les  testicules ,  la  poussière  qu'elles  répandent  est  la  liqueu 


PISTIL  —  POLYGAMIE.  ÎGl 

sémiivale,  le  stigmate  devient  la  vulve,  le  style  est  la  trompe  ou  le 
vagin ,  et  le  germe  fait  l'office  d'ulérus  ou  de  matrice. 

Placenta.  Réceptacle  des  semences.  C'est  le  corps  auquel  elles  sont 
immédiatement  attachées.  M.  Linnaeus  n'admet  point  ce  nom  de  pla- 
centa, el  emploie  toujours  celui  de  réceptacle.  Ces  mots  rendent  pour- 
tant des  idées  fort  difiérentes.  Le  réceptacle  est  la  partie  par  où  le  fruit 
t'ent  à  la  plante  :  le  placenta  est  la  partie  par  où  les  semences  tiennent 
au  péricarpe.  Il  est  vrai  que,  quand  les  semences  sont  nues,  il  n'y  a 
point  d'autre  placenta  que  le  réceptacle;  mais  toutes  les  fois  que  le  fruit 
est  angiosperme,  le  réceptacle  et  le  placenta  sont  difïérens. 

Les  cloisons  {dissepimenta)  de  toutes  les  capsules  à  plusieurs  loges 
sont  de  véritables  placentas,  et  dans  des  capsules  uniloges  il  ne  laisse 
pas  d'y  avoir  souvent  des  placentas  autres  que  le  péricarpe. 

Plante.  Production  végétale  composée  de  deux  parties  principales, 
savoir  :  la  racine  par  laquelle  elle  est  attachée  à  la  terre  ou  à  un  autre 
corps  dont  elle  tire  sa  nourriture,  et  l'herbe  par  laquelle  elle  inspire  et 
respire  l'élément  dans  lequel  elle  vit.  De  tous  les  végétaux  connus,  la 
trufTe  est  presque  le  seul  qu'on  puisse  dire  n'être  pas  plante. 

Plantes.  Végétaux  disséminés  sur  la  surface  de  la  terre,  pour  la 
vêtir  et  la  parer.  Il  n'y  a  point  d'aspect  aussi  triste  que  celui  de  la  terre 
nue:  il  n'y  en  a  point  d'aussi  riant  que  celui  des  montagnes  couronnées 
d'arbres,  des  rivières  bordées  de  bocages,  des  plaines  tapissées  de  ver- 
dure, et  des  vallons  émaillés  de  fleurs. 

On  ne  peut  disconvenir  que  les  plantes  ne  soient  des  corps  organisés 
et  vivans,  qui  se  nourrissent  et  croissent  par  intussusception  ,  et  doi.t 
chaque  partie  possède  en  elle-même  une  vitalité  isolée  et  indépendante 
(les  autres,  puisqu'elles  ont  la  faculté  de  se  reproduire'. 

Poils  ou  Soies.  Filets  plus  ou  moins  solides  et  fermes  qui  naissent 
sur  certaines  parties  des  plantes;  ils  sont  carrés  ou  cylindriques,  droits 
ou  couchés,  fourches  ou  simples,  subulés  ou  en  hameçons:  et  ces  di- 
verses figures  sont  des  caractères  assez  constans  pour  pouvoir  servir  à 
classer  ces  plantes.  Voyez  l'ouvrage  de  M.  Guettard,  intitulé  :  Obser- 
■Mtions  sur  les  plantes. 

Polygamie.  Pluralité  d'habitation.  Une  classe  de  plantes  porte  le 
2om  de  polygamie,  et  renferme  toutes  celles  qui  ont  des  fleurs  herma- 
phrodites sur  un  pied,  et  des  fleurs  d'un  seul  sexe,  mâles  ou  femelles, 
fur  un  autre  pied. 

Ce  mot  de  polygamie  s'applique  encore  à  plusieurs  ordres  de  la  classe 
ies  fleurs  composées;  et  alors  on  y  attache  une  idée  un  peu  différente. 

Les  fleurs  composées  peuvent  toutes  être  regardées  comme  polygames  , 
puisqu'elles  renferment  toutes  plusieurs  fleurons  qui  fructifient  séparé- 
ment, et  qui  par  conséquent  ont  chacun  sa  propre  habitation  ,  et  pour 
ainsi  dire  sa  propre  lignée.   Toutes  ces  habitations  séparées  se  con- 

).  Cet  article  ne  me  paroit  pas  achevé ,  non  plus  que  beaiico'jp  d'aulres, 
ipioiquDn  ail  rassemblé  dans  les  trois  paragiaplios  ei-dessns,  (|ul  coinposont 
celui-ci,  trois  morceaux  de  l'auteur,  Inus  sur  aulatii  de  chiffons.  {Noie  des 
f  iilcurs  de  Genève.) 

Rousseau  vi  II 


1C2  DICTIONNAIRE   DE  BOTANIQUE. 

joignent  (le  dirTércntes  manières,  et  par  là  forment  plusieurs  sortes  de 
combinaisons. 

Quand  tous  les  fleurons  d'une  fleur  composée  sont  hermaphrodites, 
l'ordre  qu'ils  forment  porte  le  nom  de  polygamie  égale. 

Quand  tous  ces  fleurons  composans  ne  sont  pas  hermaphrodites,  ils 
forment  entre  eux,  j  our  ainsi  dire,  une  polygamie  bâtarde,  et  cela  de 
plusieurs  façons  : 

1°  Polygamie  superflue^  lorsque  les  fleurons  du  disque  étant  tous 
hermaphrodites  fructilient,  et  que  les  fleurons  du  contour  étant  femelles 
fructifient  aussi; 

2°  Polygamie  inutile,  quand  les  fleurons  du  disque  étant  herma 
phrodites  fructifient,  et  que  ceux  du  contour  sont  neutres  et  ne  fruc- 
tilient point: 

3°  Polygamie  nécessaire,  quand  les  fleurons  du  disque  étant  mâles, 
et  ceux  du  contour  étant  femelles,  ils  ont  besoin  les  uns  des  autres 
pour  fructifier; 

4°  Polygamie  séparée,  lorsque  les  fleurons  composans  sont  divisés 
entre  eux,  soit  un  à  un,  soit  plusieurs  ensemble,  par  autant  de  calices 
partiels  renfermes  dans  celui  de  toute  la  fleur. 

On  pourroit  imaginer  encore  de  nouvelles  combinaisons,  en  suppo- 
sant, par  exemple,  des  fleurons  mâles  au  contour,  et  des  fleurons 
hermaphrodites  ou  femelles  au  disque;  mais  cela  n'arrive  point. 

Poussière  prolifique.  C'est  une  multitude  de  petits  corps  sphériques 
enfermés  dans  chaque  anthère,  et  qui,  lorsque  celle-ci  s'ouvre  et  les 
verse  dans  le  stigmate,  s'ouvrent  à  leur  tour,  imbibent  ce  même  stig- 
mate d'une  humeur  qui,  pénétrant  à  travers  le  pistil,  va  féconder  l'em- 
bryon du  fruit. 

Pbovin.  Branche  de  vigne  couchée  et  coudée  en  terre.  Elle  pousse 
des  chevelus  par  les  nœuds  qui  se  trouvent  enterrés.  On  coupe  ensuite 
le  bois  qui  tient  au  cep,  et  le  bout  opposé  qui  sort  de  terre  devient  un 
nouveau  cep. 

PuLPiî.  Substance  molle  et  charnue  de  plusieurs  fruits  et  racines. 

Racine.  Partie  de  la  plante  par  laquelle  elle  tient  à  la  terre  ou  au 
corps  qui  la  nourrit.  Les  plantes  ainsi  attachées  par  la  racine  à  leur 
matrice  ne  peuvent  avoir  de  mouvement  local  ;  le  sentiment  leur  seroit 
inutile,  puisqu'elles  ne  peuvent  chercher  ce  qui  leur  convient,  ni  fuir 
ce  qui  leur  nuit  :  or  la  nature  ne  fait  rien  en  vain. 

Radicales.  Se  dit  des  feuilles  qui  sont  les  plus  près  de  la  racine.  Ce 
mot  s'étend  aussi  aux  tiges  dans  le  même  sens. 

Radicule.  Racine  naissante. 

Radiée.  Voy.  Fleur. 

RÉCEPTACLE.  Celle  des  parties  de  la  fleur  et  du  fruit  qui  sert  de  siège 
à  toutes  les  autres,  et  par  où  leur  sont  transmis  de  la  plante  les  sucs 
nutritifs  qu'elles  en  doivent  tirer. 

Il  se  divise  le  plus  généralement  en  réceptacle  propre,  qui  ne  soutient 
(prune  seule  fleur  et  un  seul  fruit,  et  qui  par  conséquent  n'appartient 
qu'aux  plus  simples,  et  en  réceptacle  commijin ,  qui  porte  et  reçoit  plu- 
sieurs fleurs. 


RÉCEl'TACLI':  —  SPATIIE.  163 

Uuand  la  fieur  est  infère,  c'est  le  même  réceptacle  qui  porte  to.ile  la 
ïiuciification.  Mais  quand  la  fleur  tst  supère .  le  ré^eplacle  propre  es( 
<iouble;  et  celui  qui  porte  la  fleur  n'est  pas  le  naêrae  que  celui  qui  porte 
le  fruit.  Ceci  s'entend  de  la  construction  la  plus  commune:  maison 
peut  proposer  à  ce  sujet  le  problème  suivant,  dans  la  solution  du(]ucl  la 
nature  a  rais  une  de  ses  plus  ingénieuses  inventions. 

Quand  la  fleur  est  sur  le  fruit,  comment  se  peut-il  faire  que  la  fleur 
<t  le  fruit  n'aient  cependant  qu'un  seul  et  même  réceptacle? 

Le  réceptacle  commun  n'appartient  pronrement  qu"au.ï  fleurs  com- 
posées, dont  il  porte  et  unit  tous  les  fleurons  en  une  fleur  régulière:  en 
sorte  que  le  retranchement  de  quelques-uns  causeroit  l'irrégularité  de 
tous;  mais,  outre  les  fleurs  agrégées  dont  on  peut  dire  à  |  eu  pès  l.i 
même  chose,  il  y  a  d'autres  sortes  de  réceptacles  communs  qui  méritent 
encore  le  même  nom,  comme  ayant  le  même  usage  :  tels  sont  Vomhellp, 
Vépi.  la  -panicule,  le  llnjrse ,  la  cyme ,  le  spadix ,  dont  on  trouvera  les 
-articles  chacun  à  sa  place. 

RÉGULIÈRES  (fleurs).  Elles  sont  symétriques  dans  toutes  leurs  parties, 
comme  les  crucifères,  les  Hliacées ,  etc. 

RÉNiFOR-ME.  De  la  figure  d'un  rein. 

Rosacée.  Polypétale  régulière  comme  est  la  rose.' 

Rosette.  Fleur  en  rosette  est  une  fleur  monopétale  dont  le  tube  est 
nul  ou  très-court,  et  le  limbe  très-aplaii. 

Semence.  Germe  ou  rudiment  simple  d'une  nouvelle  plante ,  uni  à 
une  substance  propre  à  sa  conservation  avant  qu'elle  germe,  et  qui  la 
nourrit  durant  la  première  germination  jusqu'à  ce  qu'elle  puisse  tirer 
«on  aliment  immédiatement  de  la  terre. 

Sessile.  Cet  adjectif  marque  privation  de  réceptacle.  Il  indique  que 
la  feuille,  la  fleur  ou  le  fruit  auxquels  on  l'applique  tiennent  immédia- 
Ttement  à  la  plante,  sans  l'entremise  d'aucun  pétiole  ou  pédicule. 

Se.xe.  Ce  mot  a  été  étendu  au  règne  végétal,  et  y  est  devenu  familier 
-«lepuis  l'établissement  du  système  sexuel. 

SiLiQUE.  Fruit  composé  de  deu.ï  panneaux  retenus  par  deux  sutures 
longitudinales  auxquelles  les  graines  sont  attachées  des  deux  côtés. 

La  silique  est  ordinairement  biloculaire,  et  partagée  par  une  cloison 
à  laquelle  est  attachée  une  partie  des  graines.  Cependant  cette  cloison 
ne  lui  étant  pas  essentielle  ne  doit  pas  entrer  dans  sa  définition,  comme 
on  peut  le  voir  dans  le  cléome ,  dans  la  chélidoine ,  etc. 

SoiEs.  Voy.  Poils. 

Solitaire.  Une  fleur  solitaire  est  seule  sur  son  pédicule. 

Sous-AFBBissEAU.  Plante  ligueusc,  ou  petit  buisson  moindre  que  l'ar- 
brisseau, mais  qui  ne  pousse  point  en  automne  de  boutons  à  fleurs  ou 
à  fruits  :  tels  sont  le  thym ,  le  romarin ,  le  groseillier .  les  bruyères ,  etc. 

Spadix  ou  RÉGIME.  C'est  le  rameau  floral  dans  la  famille  des  pal- 
miers; il  est  le  vrai  réceptacle  de  la  fructification,  entouré  d'un  si  athe 
qui  lui  sert  de  voile. 

Spathe.  Sorte  de  calice  membraneux  qui  sert  d'enveloppe  aux  fleurs 
avant  leur  épanouissement,  et  se  déchire  pour  leur  ouvrir  le  passage 
aux  approches  de  la  fécondation. 


ICk  DlCTlON.NAllii:    DE   BOTANJQLE. 

Le  spalhe  esl  caraclérislique  dans  la  famille  des  palmiers  et  dans 
celle  dis  liliacées. 

Sfiralr.  Ligi.e  qui  lait  plu  leurs  tours  en  s'écartant  du  centre,  ou 
en  s'en  approcha  ni. 

Stigmaie.  Sommet  du  pistil,  qui  s'humecte  au  moment  de  la  fécon- 
dation .  pour  que  la  poussière  prolifique  s'y  attache. 

Stipule.  Sorte  de  Ibliole  ou  d'écaiKe,  qui  naît  cà  la  base  du  pétiole, 
du  pédicule,  ou  de  la  branche.  Les  stipules  sont  ordinairement  exté- 
rieures à  la  partie  qu'elles  accompagnent,  et  lui  servent  en  quelque 
manière  de  console:  mais  quelquefois  auisi  elles  naissent  à  côté,  vis-à- 
vis,  ou  au  dedans  même  de  l'angle  d'insertion. 

M  Adanson  dit  qu'il  n'y  a  de  vraies  stipules  que  celles  qui  sont  atta- 
cliees  aux  tiges .  comme  dans  les  airelles  ,  les  apocyns ,  les  jujubiers  ,  les 
tithym;i]cs,  les  châtaigniers,  1  s  tilleuls,  les  mauves,  les  câpriers  :  elles  tien- 
nent lieu  de  feuilles  dans  les  plantes  qui  ne  lesontpas  verticillées.  Dans  les 
lilantes  légumineuses,  la  situation  des  stipules  varie.  Les  rosiers  n'eu 
ont  pas  de  vraies,  mais  seulement  un  prolongement  ou  appendice  de 
feuille,  ou  une  extension  du  pétiole.  Il  y  a  aussi  des  stipules  membra- 
neuses comme  dans  l'espargoute. 

Style.  Partie  du  pistil  qui  tient  le  stigmate  élevé  au  -  dessus  du 
gerii  e. 

Suc  NOURRICIER.  Partie  de  la  sève  qui  est  propre  à  nourrir  la 
plante. 

SupÈRE.  (Voy.  Ikfere.) 

Supports 7'u/cra).  Di.x  espèces,  savoir  :  la  stipule,  la  bractée,  la  vrille, 
l'épine,  l'aiguillon,  le  pédicule,  le  pétiole,  la  hampe,  la  glande,  et 
l'ccaille. 

Surgeon  (s'urcîfZws).  Nom  donné  au.\  jeunes  branches  de  l'œillet,  etc., 
au.vquelles  on  fait  prendre  racine  en  les  buttant  en  terre  lorsqu'elles 
tiennent  encore  à  la  tige  :  cette  opération  est  une  espèce  de  marcotte. 

Syxos-ymie.  Concordance  de  divers  noms  donnés  par  diflérents  auteurs 
aux  mêmes  plantes.  ' 

La  synonymie  n'est  point  une  étude  oiseuse  et  inutile. 

Talon.  Oreillette  qui  se  trouve  à  la  base  des  feuilles  d'oranger.  C'est 
5:iS3i  l'endroit  où  tient  l'œilleton  qu'on  détache  d'un  pied  d'artichaut, 
et  cet  endroit  a  un  peu  de  racine. 

■fERMiN\L.  Fleur  terminale  est  celle  qui  vient  au  sommet  de  la  tige, 
ou  d'une  branche. 

Tebnée.  Une  feuille  ternée  est  composée  de  trois  folioles  attacliées  au 
même  pétiole. 

Tète.  Fleur  en  tête  ou  capitée  est  une  fleur  agrégée  ou  composée, 
dont  les  fleurons  sont  disposés  sphériquement  ou  à  peu  près. 

Tmyrse.  Épi  romeux  -et  cylindrique;  ce  terme  n'est  pas  extrêmement 
usité.  1  arce  que  les  exemples  n'en  sont  pas  fréquens. 

Tige.  Tronc  de  la  plante  d'où  sortent  toutes  ses  autres  parties  qui  sont 
hors  de  terre:  elle  a  du  rapport  avec  la  côte  en  ce  que  celle-ci  est  quel- 
quefois unique  et  se  ramifie  comme  elle .  par  exemple  ,  dans  la  fougère  : 
elle  z'sa  distingue  aussi  en  ce  qu'uniforme  dans  son  contour  elle  n'a  ni 


TIGE  —  IJTlilCULliS.  165 

f,i*e  .  ni  dos .  ni  côté  déterminés  ,  au  lieu  que  tout  cela  se  trouve  dans  la 
côle. 

Plusieurs  plantes  nont  point  de  tige,  d'autres  n'ont  qu'une  tige  nue 
ei  sans  feuilles,  qui  pour  cela  change  de  nom.  (Voy.  Hampe.) 

La  tige  se  ramilie  en  brandies  de  différentes  manières. 

Toque.  Figure  de  bonnet  cylindrique  avec  une  marge  relevée  en  ma- 
n:è:e  de  chapeau.  Le  fruit  du  paliurus  a  la  forme  d'une  toque. 

Tb.'Cf.r.  Courir  horizontalement  entre  deux  terres,  comme  fait  le 
chieiideni.  Ainsi  le  mot  tracer  ne  convient  qu'aux  racines.  Quand  on  dii 
donc  que  le  f.-aisier  trace ,  on  dit  mal  ;  il  rampe  ,  et  c'est  autre  chose. 

ÏRAcniiES  DES  PL.ANTES.  Sout .  selon  Malpighi ,  certains  vaisseaux  for- 
més par  les  contours  spiraux  d'une  lame  mince,  plate,  et  assez  large, 
qui,  se  roulant  et  contournant  ainsi  en  tire-bourre,  forme  un  tuyau 
eiran'-'lé  .  et  comme  divisé  en  sa  longueur  en  plusieurs  cellules  ,  etc. 

Tr.xînasse  ou  Tbaî.née.  Longs  filets  qui,  dans  certaines  plantes, 
rampent  sur  la  terre,  et  qui,  d'espace  en  espace,  ont  des  articulations 
par  lesquelles  elles  jettent  en  terre  des  radicules  qui  produisent  de  nou- 
velles paiites. 

Tuniques.  Ce  sont  les  peaux  ou  enveloppes  concentriques  des  oi- 
grioiis. 

Urns.  Boîte  ou  capsule  remplie  de  poussière,  que  portent  la  plupart 
des  mousses  en  lleuj.  La  construction  la  plus  commune  de  ces  urnes  est 
délre  élevées  au-dessus  de  la  plante  par  un  pédicule  plus  ou  moins 
long;  de  porter  à  leur  sommet  une  espèce  de  coifle  ou  de  capuchon 
pointu  qui  les  couvre,  adiiérent  d'abord  a  l'urne,  mais  qui  s'en  détache 
ensuite,  et  tombe  lorsqu'elle  est  prête  à  s'ouvrir;  de  s'ouvrir  ensuite  aux 
deux  tiers  de  leur  hauteur,  comme  une  boîte  à  savonnette,  par  un  cou- 
vercle qui  s'en  dttache  et  tombe  à  son  tour  après  la  chute  de  la  coiffe; 
d'être  doublement  cil  ée  autour  de  sa  jointure,  afin  que  l'humidiie  ne 
puisse  pénétrer  dans  l'intérieur  de  l'urne  tant  qu'elle  est  ouverte  :  enfin . 
de  pencher  et  se  courber  en  en-bas  aux  approches  de  la  maturité,  pour 
verser  à  terre  la  poussière  qu'elle  contient. 

L'opinion  j-'énérale  des  botanistes  sur  cet  article  est  que  cette  urne 
avec  son  pédicule  est  une  étamine  dont  le  pédicule  e.stleiîlet.  dont 
l'urne  est  l'anthère,  et  dont  la  poudre  qu'elle  contient  et  qu'elle  verse 
est  la  poussière  fécondante  qui  va  fertiliser  la  fleur  femelle  :  en  consé- 
quence de  ce  système  on  donne  communément  le  nom  d'anthère  à  la 
capsule  dont  nous  parlons.  Cependant,  comme  la  fructification  des 
mousses  n'est  pas  jusqu'ici  parfaitement  connue,  et  qu'il  n'est  pas  d'une 
certitude  invincible  que  l'anlhèie  dont  nous  parlons  soit  véritablement 
une  anthère,  je  crois  qu'en  attendant  une  plus  grande  évidence,  sans 
se  presser  d'adopter  un  nom  si  décisif,  que  de  plus  grandes  lumières 
pourroient  forcer  ensuite  d'abandonner,  il  vaut  mieux  conserver  celui 
d'urne  donné  par  Vaillant,  et  qui,  quelque  système  qu'on  adopte,  peut 
subsister  sans  inconvén-ent. 

Utricules.  Sortes  de  petites  outres  percées  par  les  deux  bouts,  et 
communi(iiianl  successivement  de  l'une  à  l'autre  parleurs  ouvertures, 
comme  les  aludels  d'un  alambic.  Ces  vaisseaux  sont  ordinairement  pleins 


\i 


DICTIONNAIRE   DE   BOTANIQUE. 


(le  sève.  Ils  occupent  les  espaces  ou  mailles  ouvertes  qui  se  trouvent  en- 
tre les  libres  loiigiiudiiiales  et  le  bois. 

Vrgétal.  Corps  organisé,  doué  de  vie  et  privé  de  sentiment. 

On  ne  me  passera  pas  cette  définition,  je  le  sais.  On  veut  que  les  mi- 
néraux vivent,  que  les  végétau.x  sentent,  et  que  la  matière  même  in- 
forme soit  douée  de  sentiment.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  nouvelle  phy- 
sique, jamais  je  n'ai  pu,  je  ne  pouri'ai  jamais  parler  d'après  les  idées 
d'autrui .  quand  ces  idées  ne  sont  pas  les  miennes.  J'ai  souvent  vu  mort 
un  arbre  que  je  voyois  auparavant  plein  de  vie:  mr.is  la  mort  d'une 
pierre  est  une  idée  qui  ne  sauroit  m'entrerdans  l'esprit.  Je  vois  un  sen- 
timent p.\qu  s  dans  mon  chien,  mais  je  n'en  aperçois  aucun  dans  un 
chou.  Les  paradoxes  de  Jean-Jacques  sont  fort  célèbres.  J'ose  demander 
s'il  en  avança  jamais  d'aussi  fou  que  celui  que  j'aurois  à  combattre  si 
j'eiitrois  ici  dans  cette  discussion,  et  qui  pourtant  ne  choque  personne. 
Mais  je  m'arrête  ,  et  rentre  dans  mon  sujet. 

Puisque  les  végétaux  naissant  et  vivent,  ils  se  détruisent  et  meurent: 
c'est  l'irrévocable  loi  à  laquelle  tout  corps  est  soumis  :  par  conséquent. 
ils  se  reproduisent;  mais  comment  se  fait  cette  reproduction?  En  tout 
ce  qui  est  soumis  à  nos  sens  dans  le  règne  végétal ,  nous  la  voyons  se- 
faire  par  la  voie  de  la  fructification  ;  et  l'on  peut  présumer  que  cette  loi' 
de  la  nature  est  également  suivie  dans  les  parties  du  même  règne  dont 
l'organisation  échappe  à  nos  yeux.  Je  ne  vois  ni  fleurs  ni  fruits  dans  les- 
hysstis ,  dans  les  ci^nfcrva,  dans  les  tntffcs;  mais  je  vois  ces  végétaux  se 
perpétuer ,  et  l'analogie  sur  laquelle  je  me  fonde  pour  leur  attribuer  les- 
mêmes  moyens  qu'aux  autres  de  tendre  à  la  même  fin,  cette  analogie- 
dis-je,  me  paroît  si  sûre ,  que  je  ne  puis  lui  refuser  mon  assentiment. 

Il  est  vrai  que  la  plupart  des  plantes  ont  d'autres  manières  de  se  re- 
produire, comme  par  caïeux,  par  boutures,  par  drageons  enracinés. 
Mais  ces  moyens  sont  bien  plutôt  des  supplémens  que  des  principes 
d'instituion  ;  ils  ne  sont  point  communs  à  toutes;  il  n'y  a  que  la  fructi- 
fication qui  le  soit,  et  qui,  ne  souffrant  aucune  exception  dans  celles 
qui  nous  sont  bien  connues,  n'en  laisse  point  supposer  dans  les  autres 
substances  végétales  qui  le  sont  moins. 

Velu.  Surface  tapissée  de  poils. 

Verticillé.  Attache  circulaire  sur  le  même  plan,  et  en  nombre  de- 
plus  de  deux  autour  d'un  axe  commun. 

VivACE.  Qui  vit  plusieurs  années;  les  arbres,  les  arbrisseaux,  les- 
sous-arbrisseaux,  sont  tous  vivaces.  Plusieurs  herbes  mêmes  le  sont, 
mais  seulement  par  leurs  racines.  Ainsi  le  chèvrefeuille  et  le  houblon, 
tous  deux  vivaces,  le  sont  différemment  :  le  premier  conserve  pendant 
l'hiver  ses  tiges,  en  sorte  qu'elles  bourgeonnent  et  fleurissent  le  prin- 
temps suivant;  mais  le  houblon  perd  les  siennes  à  la  fin  de  chaque  au- 
tomne, et  recommence  toujours  chaque  année  à  en  pousser  de  son  pied 
de  nouvelles. 

Les  plantes  transportées  hors  de  leur  climat  sont  sujettes  à  varier  sur 
cet  article.  Plusieurs  plantes  vivaces  dans  les  pays  chauds  deviennent 
parmi  nous  annuelles,  et  ce  n'est  pas  la  seule  altération  qu'elles  subis- 
se;.! ilaiis  nos  jirdins. 


VIVACE  —  VULGAIRE.  157 

De  sorte  que  la  botanique  exotique  étudiée  en  Europe  donne  souvent 
de  bien  fau-ses  observations. 

Vrilles  ou  Mains.  Espèce  de  filets  qui  terminent  les  branches  dans 
certaines  plantes,  et  leur  fournissent  les  moyens  de  s'attacher  à  duu- 
tres  corps.  Les  vrilles  sont  simples  ou  rameuses:  elles  prennent,  eiaut 
libres,  toutes  sortes  de  directions,  et,  lorsqu'elles  s'accrochent  à  un 
corps  étranger,  elles  l'embrnssent  en  spirale. 

VuLGAiBE.  On  désigne  ordinairement  ainsi  l'espèce  principale  de  cha- 
que genre  la  plus  anciennement  connue  dont  il  a  tiré  son  nom ,  et  qu'on 
re^ardoit  d'abord  comme  une  espèce  unique. 


F;:i    DU    IIK  TTON'iAir.E    Dr    eOTAN'IQUi. 


^ 


MUSIQUE. 


LErriiE  SUR  la  musique  Françoise, 

Sunt  verba  el  voces,  prœteieaque  niliil. 


AVERTISSEMENT. 

La  querelle  excitée  l'année  dernière  à  l'Opéra  n'ayant  abouti  qu'à  des 
injures,  dites,  d'un  côté,  avec  beaucoup  d'esprit,  et  de  l'autre  avec 
beaucoup  d'animosité,  je  n'y  voulus  prendre  aucune  part;  car  cette 
espèce  de  guerre  ne  me  convenoit  en  aucun  sens,  et  je  sentois  bien 
que  ce  n'étoit  pas  le  temps  de  ne  dire  que  des  raisons.  Maintenant  que 
les  Bouffons  sont  congédiés,  ou  près  de  l'être,  et  qu'il  n'est  plus  ques- 
tion de  cabales,  je  crois  pouvoir  hasarder  mon  sentiment,  et  je  le  dirai 
avec  ma  franchise  ordinaire,  sans  cramdre  en  cela  d'offenser  personne  ; 
il  me  semble  même  que,  sur  un  pareil  sujet,  toute  précaution  seroit 
injurieuse  pour  les  lecteurs;  car  j'avoue  que  j'aurois  fort  mauvaise 
opinion  d'un  peuple'  qui  donneroit  à  des  chansons  une  importance  ridi- 
cule, qui  feroit  plus  de  cas  de  ses  musiciens  que  de  ses  philosophes,  et 
chez  lequel  il  faudroit  parler  de  musique  avec  plus  de  circonspection 
que  des  plus  graves  sujets  de  morale. 

C'est  par  la  raison  que  je  viens  d'exposer  que  ,  quoique  quelques-uns 
m'accusent,  à  ce  qu'on  dit,  d'avoir  manqué  de  respect  à  la  musique 
francoise  dans  ma  première  édition,  le  respect  beaucoup  plus  grand  et 
l'estime  que  je  dois  à  la  nation  m'empêchent  de  rien  changer,  à  cet 
égard,  dans  celle-ci. 

Une  chose  presque  incroyable,  si  elle  regardoit  tout  autre  que  moi , 
c'est  qu'on  ose  m'accuser  d'avoir  parlé  de  la  langue  avec  mépris  dans 
un  ouvrage  où  il  n'en  peut  être  question  que  par  rapport  à  la  musique. 
Je  n'ai  pas  changé  là-dessus  un  seul  mot  dans  cette  édition  ;  ainsi ,  en  la 
parcourant  de  sang-froid,  le  lecteur  pourra  voir  si  cette  accusation  est 
juste.  Il  est  vrai  que ,  quoique  nous  ayons  eu  d'excellens  poètes  et  même 
quelques  musiciens  qui  n'étoient  pas  sans  génie,  je  crois  notre  langue 
peu  propre  à  la  poésie,  et  point  du  tout  à  la  musique.  Je  ne  cmins  pas 
de  m'en  rapporter  sur  ce  point  aux  poètes  mêmes;  car,  quant  aux  mu- 
siciens, chacun  sait  qu'sm  peut  se  dispenser  de  les  consulter  sur  toute 
affaire  de  raisonnement.  (En  revanche,  la  langue  francoise  me  paroît 

*.  De  peur  que  mes  lecteurs  ne  prennent  les  dernières  lignes  de  cet  alinéa 
pour  Mil  saiiie  ajoutée  après  coup  ,  je  dois  les  avertir  qu'elles  sont  liiées 
exacteiiienl  do  la  piemièic  cdilion  de  celle  Lettre;  toul  ce  qui  suit  (ut  ajouté 
dans  la  seconde. 


AVEUTJSSEMENT.  1G9 

celle  des  philosophes  et  des  saQ;es'  :  elle  semble  faite  pour  êt.'3  l'organe 
de  la  vérité  et  de  la  raison.  Malheur  à  quiconque  offense  l'une  ou  l'autre 
dans  des  écrits  qui  la  déshonorent!  Quant  à  moi,  le  plus  dij^'ne  hcm- 
mage  que  je  croie  pouvoir  rendre  à  cette  belle  et  sage  langue  dont  j'ai 
le  bonlieur  de  faire  usage,  est  de  tâcher  de  ne  la  point  avilir. 

Quoique  je  ne  veuille  et  ne  doive  point  changer  de  ton  avec  le  public, 
que  je  n'attende  rien  de  lui ,  et  que  je  me  soucie  tout  aussi  peu  de  ses 
satires  que  de  ses  éloges,  je  crois  le  respecter  beaucoup  plus  que  ceite 
foule  d'écrivains  mercenaires  et  dangereux  qui  le  flattent  pour  leur  in- 
térêt. Ce  respect,  il  est  vrai,  ne  consiste  pas  dans  de  vains  niénage- 
mens  qui  marquent  l'opinion  qu'on  a  de  la  foiblesse  de  ses  lecteurs, 
mais  à  rendre  hommage  à  leur  jugement,  en  appuyant  par  des  raisons 
solides  le  sentiment  qu'on  leur  propose  ;  et  c'est  ce  que  je  me  suis  tou- 
jours efforcé  de  faire.  Ainsi,  de  quelque  sens  qu'on  veuille  envisager  les 
choses^  en  ap|iréciant  équitablement  toutes  les  clameurs  que  cette  letlre 
a  excitées,  j'ai  bien  peur  qu'à  la  fin  mon  plus  grand  tort  ne  soit  d'avoir 
raison;  car  je  sais  trop  que  celui-là  ne  me  sera  jamais  pardonné. 


Vous  souvenez-vous,  monsieur,  de  l'histoire  de  cet  enfant  de  Silésie  dont 
parle  M.  de  Fontenelle  et  qui  étoit  né  avec  une  dent  d'or?  Tous  les  doc- 
teurs de  l'Allemagne  s'épuisèrent  d'abord  en  savantes  dissertations  pour 
expliquer  comment  on  pouvoit  naître  avec  une  dent  d'or  :  la  dernière 
chose  dont  on  s'avisa  fut  de  vérifier  le  lait,  et  il  se  trouva  que  la  dent 
n'étoit  pas  d'or.  Pour  éviter  un  semblable  inconvénient,  avant  que  de 
parler  de  l'excellence  de  notre  musique,  il  seroit  peut-être  bon  de  s'as- 
surer de  son  existence,  et  d'examiner  d'abord  ,  non  pas  si  elle  est  d'or, 
mais  si  nous  en  avons  une. 

Les  Allemands,  les  Espagnols  et  les  Anglois  ont  longtemps  prétendu 
posséder  une  musique  propre  à  leur  langue  :  en  effet  ils  avoient  des 
opéras  nationaux  qu'ils  admiroient  de  très-bonne  foi  ;  et  ils  étoient  bien 
persuadés  qu'il  y  alloit  de  leur  gloire  à  laisser  abolir  ces  chefs-d'œuvre 
insuppo! tables  à  toutes  les  oreilles,  excepté  les  leurs.  Enfin  le  plaisir 
l'a  emporté  chez  eux  sur  la  vanité,  ou,  du  moins,  ils  s'en  sont  fait  une 
mieux  entendue  de  sacrifier  au  goût  et  à  la  raison  des  préjugés  qui  ren- 
dent souvent  les  nations  ridicules  par  l'honneur  même  qu'elles  y  atta- 
chent. 

Nous  sommes  encore  en  France,  à  l'égard  de  notre  musique,  dans 
les  sentimens  où  ils  étoient  alors  sur  la  leur  :  mais  qui  nous  assurera 
que,  pour  avoir  été  plus  opiniâtres,  notre  entêtement  en  soit  mieux 
fondé?  Ignorons-nous  combien  l'habitude  des  plus  mauvaises  choses 
peut  fasciner  nos  sens  en  leur  faveur^,  et  combien  le  raisonnement  et  la 
réflexion  sont  nécessaires  pour  rectifier  dans  tous  les  beaux-arts  l'ap- 

! 

K.  C'est  le  seniimenl  de  l'auteur  de  la  Lettre  sur  les  sourds  et  les  muets, 
senlinienl  qu'il  soutient  très-bien  dans  l'addition  à  cet  ouvrage ,  el  qu'il  prouve 
«ncore  mieux  par  tous  ses  écrits. 
'      2,  Les  curieux  seront  peut-être  bien  aises  de  trouver  ici  le  passage  suivant. 


170  Lirnr.E 

probalion  mal  entendue  que  le  peuple  donne  souvent  aux  productions 
du  plus  mauvais  goûl,  et  détruire  le  faux  plaisir  qu'il  y  prend?  Ne 
seroit-il  donc  point  à  propos ,  pour  bien  juger  de  la  musique  françoite  , 
indépendamment  de  ce  qu'en  pense  la  populace  de  tous  les  états,  qu'o  i 
essayât  une  fois  de  la  soumettre  à  la  coupelle  de  la  raison,  et  de  voir  m 
elle  en  soutiendra  l'épreuve  ?  «  Concedo  ipse  hoc  raultis,  disoit  Platon  . 
«  voluptate  musicam  judicandam;  sed  illam  ferme  musicara  esse  dico 
«  pulcherrimfm  .  quœ  optimos  satisque  eruditos  delectet'.  » 

Je  n'ai  pas  dessein  d'approfondir  ici  cet  examen  :  ce  n'est  pas  l'affaire 
d'une  lettre  ni  peut-êlre  la  mienne.  Je  voudrois  seulement  lâcher  de 

liié  d'un'ancien  partisan  du  Coin  de  la  reine,  et  que  je  m'absiiens  de  liaduii' 
pour  de  fort  bonnes  raisons*  : 

«  El  rc'vcrsus  est  rex  piissimus  Carolus ,  et  celebravil  Romae  pasrlia  ciim 
«  domno  aposlolico.  Eece  oila  esl  conlenlio  per  dics  l'eslos  [uisi-luc  inlrr 
«•  canlorcs  Romanorum  elGalioruui  :  dicebanl  seGalli  melius  caïUnre  el  pu!- 
><  clirius  quam  l^omani  :  dicebant  se  Romani  doclissime  caïuileiuis  ecoie- 
«  siaslicas  profeirc,  sicul  docli  fueranl  a  sancio  Gregorio  papa;  Gallos  cor- 
ci  l'uple  canlare,  cl  canlilenam  sanam  deslruendo  dilacerare.  Qux  conieiuiu 
a  unie  domnum  regem  Carolum  pervenil.  Galli  vero,  propler  securilaleiii 
n  domni  régis  Caroli,  valde  exprobrabanl  canlorUjus  Romanis.  Romani  veiu, 
«  prupler  aucloiiialem  niagnœ  doclrinœ,eossiuilos,  ruslicos  el  indoclos  velui 
«  brilla  animalia,  afTn-mabanl,  eldoclrinam  sancli  Gregorii  prjelerfhant  ruslici- 
«  lalieoruin.  Kl  qunm  allercalio  de  neulra  parle  finircl,  ail  domnus  piissimus 
"  rex  Carolus  ad  suos  canlores  :  »  Dicile  palam,  Quis  purior  esl,  el  quis  mclioi , 
a  aiil  Cons  vivus,  aul  rivuh'  ejus  longe  decurrenles?»  Rcspondcrunloinnes  una 
a  voce,  lonlem  ,  velul  capul  cl  oi'igincm,  purioiem  cssc,  rivulos  auiem  pjns 
a  (pianlo  longius  a  fonie  rece.^seriiil,  lanlo  lurliulenlos  el  sordibus  ac  immini- 
«  diliis  corruptos.  El  ail  domnus  rex  Carolus  :  «Reverlimini  vos  ad  fonteni. 
«  sancli  Gregorii,  quia  manifeste  corrupislis  canlilenam  ecciesiaslicam.  »  Mosi 
a  peliil  domnus  rex  Carolus  ab  Adriano  papa  canlorcs  qui  Franciam  corngc- 
"  renl  de  canlu.  Al  illc  dedil  ei  Tbeodorum  el  Benediclum,  doclissimos  can- 
«  tores,  qui  a  sancio  Gr.goiio  erudili  fueranl,  Iribuilfiue  Anliplionarios  sancli 
a  Gregorii,  qiios  ipse  nolaveral  nota  Romana.  Domnus  vero  rex  Carolus  rever- 
«  lens  in  Franciam  misil  unum  canlorem  in  Melis  civilale,  allerum  in  Sucs- 
«  sonis  civilale,  (iraecipiens  de  omnibus  civilalibus  Francia;  magisUos  scliolae 
«  Anlipiionarios  eis  ad  corrigendum  iradere,  et  ab  eis  disccrc  canlare.  Cor- 
«  rccli  snnl  ergo  Anliplionavii  Francorum,  quos  unusquisque  pro  siio  arbilrio 
«  viiiaverai,  ad;lcns  vcl  minuens  .  cl  omnes  Franciae  canlorcs  didictrunl  no- 
«  Inm  Romanain,  (|uam  nunc  vocanlnolam  Franciscam,  cxccploquod  tieiiiul/n- 
«  cl  vinnuliis,  sive  collisibiles  vcl  sccaliiles  voccs  in  canlu  non  polcranl  per- 
«  f.Tie  exprimere  Franci.  nalurali  voce  ])arbarica  frangcntes  in  gullurc  voces, 
a  poliiis  (juani  expvimcnles.  Majus  auiem  magislerium  canlandi  in  Melis  re- 
a  niansil,  quaniuinque  magislerium  Romanum  supeial  Mclcnse  in  arle  can- 
«  landi,  lanlo  superal  Melcnsis  canlilena  cèleras  scbulas  Gallorura.  SimilikT 
«  crudicriinl  Romani  canlorcs  supra  diclos  canlores  Francorum  in  arle  orga- 
«  nandi.  El  domnus  rex  Carolus  ilerum  a  Roma  arlis  giammalicae  el  compn- 
«  lalrniîE  magislros  secum  adduxil  in  Fianciam,  et  ubique  sludium  liueranmi 
•  cxpandere  jussil.  Anleipsum  enim  domnum  regem  Carolum,  in  Gallia  uulluii» 
a  sludium  l'ucral  llberalium  arlium.  » 

4.  De  Leg.,lib.  H.  [to.) 

*  \  oy.  le  Uictioniiaire  de  musique^  au  mol  Plaiii'Cliant, 


SUR   LA   MUSIQUE   FRANÇOISE.  171 

ali'pr  quelques  principes  sur  lesquels,  en  attendant  qu'on  en  trouve  de 
Meilleurs,  les  maîtres  de  l'art,  ou  plutôt  les  philosophes,  pussent  di- 
iger  leurs  recherches  :  carPdisoil  autrefois  un  sage,  c'est  ;iu  poêle  à 
•lire  delà  poés'e.  et  au  rauS^en  à  faire  de  la  musique:  mais  il  n'ap- 
larlienl  ([u'au  philosophe  de  bien  parler  de  l'une  et  de  l'autre.  _ 

Toute  musique  ne  peut  être  composée  que  de  ces  trois  choses  :  mé-  -s?-'^'-^^^ 
iodie  ou  chaut,  harmonie  ou  accompagnement,  mouvement,  ou  me- 
sure'. ~    ''' 

Quoique  !e  chant  tire  son  principal  caractère  de  la  mesure,  comme  ^^ 

1  naît  immédiatement  de  l'harmonie,  et  qu'il  assujettit  toujours  l'ac- 
;ompagnement  à  sa  marche,  j'unirai  ces  deux  parties  dans  un  même 
irticle-,  puis  je  parlerai  de  la  mesure  séparément. 

L'harmonie,  ayant  son  principe  dans  la  nature,  est  la  même  pour 
outes  les  nations;  ou  si  elle  a  quelques  différences .  elles  sont  intro- 
luiles  parcelles  de  la  mélodie  :  ainsi  c'est  de  la  mélodie  seulement  qu'il 
aut  tirer  le  caractère  particulier  d'une  musique  nationale,  d'autant  plus 
[ue  ce  caractère  étant  principalement  donné  par  la  langue,  le  chant 
)ropremenl  dit  doit  ressentir  sa  plus  grande  intîuence. 

On  peut  concevoir  des  langues  plus  propres  à  la  musique  les  unes 
ue  les  autres  :  on  en  peut  concevoir  qui  ne  le  seroient  point  du  tout. 
irLe  en  pourroit  être  une  qui  ne  seroit  composée  que  de  sons  mi.xtes, 
le  syilahes  niuelles,  sourdes  ou  nasales,  peu  de  voyelles  sonores,  beau- 
ou|)  de  consonnes  et  d'articulations,  et  qui  raanqueroit  encore  d'autres 
onditions  essentielles  dont  je  parlerai  dans  l'article  de  la  mesure. 
Ihercîions,  par  curiosité,  ce  qui  résulteroit  de  la  musique  appliquée  à 
me  telle  langue. 

Premièrtm.enl,  le  défaut  d'éclat  dans  le  son  des  voyelles  obligeroit 
l'en  donner  beaucoup  à  celui  des  notes;  et,  parce  que  la  langue  seroit 
onrde,  la  musique  seroit  criarde.  En  second  lieu,  la  dureté  et  la  fré- 
jiience  des  consonnes  forceroient  à  exclure  beaucoup  de  mots,  âne 
irocéder  sur  les  autres  que  par  des  intonations  élémentaires;  et  la  mu- 
i(|ue  seroit  insipide  et  monotone  :  sa  marche  seroit  encore  lente  et  en- 
niyeuse  pai'  la  même  raison:  et  quand  on  voudroit  presser  un  peu  le 
nouvenient,  sa  vitesse  ressembleroit  à  celle  d'un  corps  duretangu- 
eux  qui  roule  sur  le  pavé. 

Comme  une  telle  musique  seroit  dénuée  de  toute  mélodie  agréable, 
)n  tâcheroit  d'y  suppléer  par  des  beautés  factices  et  peu  naturelles;  on 
a  chargeroit  de  modulations  fréquentes  et  régulières,  mais  froides. 
>ans  grâces  et  sans  expression  :  on  inventeroit  des  fredons^  des  cadences  . 
les  ports  de  voix,  et  d'autres  agremens  postiches,  qu'on  prodiguero  t 
Jans  le  chant,  et  qui  ne  feroient  que  le  rendre  plus  ridicule  sans  le 
rendie  moins  plat.  La  musique,  avec  toute  cette  maussade  parure,  res- 
leroit  languissante  et  sans  expression;  et  ses  images,  dénuées  de  force 

4.  Quoiqu'on  entende  itar  mesure  la  détermination  du  nombre  et  du  rap- 
port des  Iriups  ,  cl  par  mouvement  celle  du  degré  de  vitesse,  j'ai  ciu  pouvoir 
ici  cniirondre  cçs  choses  sous  l'idée  générale  de  modinealions  de  la  durée  oii 
du  l' iiii  s. 


1 72  LETTRE 

cl  d'énergie,  peiiidroient  peu  d'objets  en  beaucoup  de  noies,  comme  ces 
écritures  gothiques  dont  les  lignes,  remplies  de  traits  et  de  lettres  figu- 
rées, ne  contiennent  que  deux  ou  trois  mots,  et  qui  renferment  très- 
peu  de  sens  en  un  grand  espace.  * 

L'impossibilité  fl'inventer  des  chants  agréables  obligeroit  les  composi- 
teurs à  tourner  tous  leurs  soins  du  côté  de  l'harmonie;  et,  faute  de 
beautés  réelles ,  ils  y  introduiroient-des  beautés  de  convention ,  qui  n'au- 
ro'ent  presque  d'autre  mérite  que  la  difficulté  vaincue  :  au  lieu  d'une 
lionne  musique,  ils  imagineroient  une  musique  savante;  pour  suppléer 
au  chant,  ils  multiplieroient  les  accompagnemens;  il  leur  en  coûteroil 
mo'ns  de  placer  beaucoup  de  mauvaises  parties  les  unes  au-dessus  des 
autres,  que  d'en  faire  une  qui  fût  bonne.  Pour  ôter  l'insipidité,  ils 
augmenteraient  la  confusion;  ils  croiroient  faire  de  la  musique,  et  ih 
ne  feroient  que  du  bruit. 

Un  autre  efiet  qui  résulteroit  du  défaut  de  mélodie  seroit  que  les  mu:^ 
siciens,  n'en  ayant  qu'une  fausse  idée,  trouveroient  partout  une  m.é- 
lodie  cà  leur  manière  :  n'ayant  pas  de  véritable  chant,  les  parties  de 
chant  ne  leur  coûteroient  rien  à  multiplier,  parce  qu'ils  donneroieni 
hardiment  ce  nom  à  ce  qui  n'en  seroit  pas,  même  jusqu'à  la  basse  con- 
tinue, à  l'unisson  de  laquelle  ils  feroient  sans  façon  réciter  les  basses- 
tiilles,  sauf  à  couvrir  le  tout  d'une  sorte  d'accompagnement  dont  la 
prétendue  mélodie  n'auroit  aucun  rapport  à  celle  de  la  partie  vocale. 
Partout  où  ils  verroient  des  notes  ils  trouveroient  du  chant,  attendu 
qu'en  effet  leur  chant  ne  seroit  que  des  notes,  voces ,  prœterecique 
nihil. 

Passons  niainlenant  à  la  mesure,  dans  le  sentiment  de  laquelle  con- 
siste en  grande  partie  la  beauté  et  l'expression  du  chant.  La  mesure  est 
à  peu  près  à  la  mélodie  ce  que  la  syntaxe  est  au  discours:  c'est  elle  (jui 
fait  l'enchaînement  des  mots,  qui  distingue  les  phrases,  et  qui  donne 
un  sens,  une  liaison  au  tout.  Toute  musique  dont  on  ne  sent  point  la 
mesure  ressemble,  si  la  faute  vient  de  celui  qui  l'exécute,  à  une  écri- 
ture en  chiffres,  dont  il  faut  nécessairement  trouver  la  clef  pour  en  dé- 
mêler le  sens;  mais  si  en  efiet  cette  musique  n'a  pas  de  mesure  sen- 
sible .  ce  n'esl  alors  qu'une  collection  confuse  de  mots  pris  au  iiasard  et 
écrits  sans  suite,  aux(]uels  le  lecteur  ne  trouve  aucun  sens,  parce  que 
l'auteur  n'y  en  a  point  mis. 

J'ai  dit  i|ue  toute  musi(|ue  nationale  tire  son  principal  caractère  de  U 
langue  qui  lui  est~lTrojrre-,  et  je  dois  ajouter  que  c'est  principalement  la 
jirosodie  de  la  langue  qui  constitue  ce  caractère.  Comme  la  musujux 
vocale  a  précédé  de  beaucoup  l'Instrumentale,  celle-ci  a  toujours  retu 
de  l'autre  ses  tours  de  chant  et  sa  mesure;  et  les  diverses  mesures  de 
la  musique  vocale  n'ont  pu  naître  que  des  diverses  manières  dont  on 
pouvoit  scander  le  discours  et  placer  les  brèves  et  les  longues  les  unes 
à  l'égard  des  autres  :  ce  qui  est  très-évident  dans  la  musique  grecque, 
dont  toutes  les  mesures  n'étoient  que  les  formules  d'autant  de  rhythnies 
fournis  par  tous  les  arrangemens  des  syllabes  longues  ou  l)rèves,  et  des 
p:eds  dunt  la  langue  et  la  poésie  étoieuL  susceptibles.  De  sorle  c|ue, 
<]uoiqu'on  jmisse  très-bien  distinguer  dans  le  rhythnie  musical  la  nie- 


SUR   LA   MUSIQUE   FP.ANÇOISL;.  173 

sure  de  ]a_prosodie .  la  mesure  du  vers  et  la  mesure  du  chant,  il  ne 
fa^ut  pas  douter  que  la  musique  la  plus  agréable,  ou  du  moins  la  mieux 
cadencée,  ne  soit  celle  où  ces  trois  mesures  concourent  ensemble  le 
plus  pai'faltement  qu'il  est  possible. 

Après  ces  éclaircissemens  je  reviens  à  mon  hypothèse,  et  je  suppose 
que  la  même  langue  dont  je  viens  de  parler  eût  une  mauvaise  prosodie, 
peu  marquée,  sans  exactitude  et  sans  précision;  que  les  longues  et  les 
Di'èves  n'eussent  pas  entre  elles,  en  durées  et  en  nombres,  des  rapports 
simples  et  propres  à  rendre  le  rhythme  agréable,  exact,  régulier; 
»]u'elle  eût  des  longues  plus  ou  moins  longues  les  unes  que  les  autres, 
lies  brèves  plus  ou  moins  brèves,  des  syllabes  ni  brèves  ni  longues,  et 
que  les  différences  des  unes  et  des  autres  fussent  indéterminées  et 
presque  incommensurables  :  il  est  clair  quela  musique  nationale,  étant 
contrainte  de  recevoir  dans  sa^m^sure  les  irrégularités  de  la  prosodie, 
n'en  auroit  qu'une  fort  vague,  inégale  et  très-peu  sensible  ;  que  le  récitatif 
se  sentiroit  surtout  de  cette  irrégularité;  qu'on  ne  sauroit  presque  com- 
ment y  faire  accorder  les  valeurs  des  notes  e^t  celles  des  syllabes;  qu'on 
seroit  contraint  il'y  changer  de  mesure  à  tout  moment ,  et  qu'on  ne  pour- 
voit jamais  y  rendre  les  vers  dans  un  rhythme  exact  et  cadencé;  que, 
même  dans  les  airs  mesurés,  tous  les  mouvemens  seroient  peu  naturels 
et  sans  précision;  que,  pour  peu  de  lenteur  qu'on  joignît  à  ce  défaut, 
l'idée  de  l'égalité  des  temps  se  perdroit  entièrement  dans  l'esprit  du 
chanteur  et  de  l'auditeur:  et  qu'enfin  la  mesure  n'étant  plus  sensibU , 
ni  ses  retours  égaux,  elle  ne  seroit  assujettie  qu'au  caprice  du  musi- 
cien .  qui  pourroit ,  à  chaque  instant ,  la  presser  ou  ralentir  à  sou  gré , 
de  sorte  qu'il  ne  seroit  pas  possible  dans  un  concert  de  se  passer  de 
quelqu'un  qui  la  marquât  à  tous,  selon  la  fantaisie  ou  la  commodité 
d'un  seul. 

C'est  ainsi  que  les  acteurs  contracleroient  tellement  l'habitude  de 
s'asservir  la  mesure ,  qu'on  les  entend  roi  t  même  l'altérer  à  dessein  dans 
les  morceaux  où  le  compositeur  seroit  venu  à  bout  de  la  rendre  sensible. 
Marquer  la  mesure  seroit  une  faute  contre  la  composition,  et  la  suivre 
en  seroit  une  contre  le' goût  du  chant  :  les  défauts  passeroient  pour  des 
beautés,  et  les  beautés  pour  des  défauts:  les  vices  seroient  établis  en 
règles;  et,  pour  faire  de  la  musique  au  goût  de  la  nation,  il  ne  faudroit 
que  s'attacher  avec  soin  à  ce  qui  déplaît  à  tous  les  autres. 

Aussi ,  avec  quelque  art  que  l'on  cherchât  à  couvrir  les  défauts  d'une 
pareille  musique,  il  seroit  impossible  qu'elle  plût  jamais  à  d'autres 
oreilles  qu'à  celles  des  naturels  du  pays  où  elle  seroit  en  usage  :  à  force 
d'essuyer  des  reproches  sur  leur  mauvais  goût,  à  force  d'entendre  dans 
une  langue  plus  favorable  de  la  véritable  musique,  ils  cherchei-oient  à 
en  rapprocher  la  leur,  et  ne  feroient  que  lui  ôter  son  caractère  et  la 
convenance  qu'elle  avoit  avec  la  langue  pour  laquelle  elle  avoit  été 
faite.  S'ils  vouloient  dénaturer  leur  chant,  ils  le  rendroient  dur,  baro- 
que, et  presque  inchantable;  s'ils  se  contentoient  de  l'orner  par  d'au- 
tres accompagneraens  que  ceux  qui  lui  sont  propres,  ils  ne  feroient  que 
marquer  mieux  sa  platitude  par  un  contraste  inévitable  :  ils  ôteroient  à 
leur  musique  la  seule  beauté  dont  elle  étoit  susceptible,  en  ôtant  à 


ii 

I  ■ 


174  LETTKE 

toutes  ses  parties  runiformité  de  cai-actère  qui  la  faisoil  être  une;  eie\'f\ 
accoutumant  les  oreilles  à  dédaigner  le  chant  pour  n'écouter  que  1 
symphonie,  ils  parviendroient  enfin  à  ne  faire  servir  les  voix  que  d'ac 
eempagnement  à  l'accompagnement. 

Voilà  par  quel  moyen  la  musique  d'une  telle  nation  se  diviseroit  e: 
musique  vocale  et  en  musique  insliumentale;  voilà  comment,  en  don 
nant  des  caractères  diflerens  à  ces  deux  espèces,  on  en  feroit  un  tou 
monstrueux.  La  symphonie  voudroit  aller  en  mesure-,  et  léchant  n 
pi  uvanl  souffrir  aucune  gène,  on  entendroit  souvent  dans  les  même 
morceaux  les  acteurs  et  l'orcliestre  se  contrarier  et  se  faire  ohstacl 
mutuellement  :  cette  incertitude  et  le  mélange  des  deux  caractères  in 
troduiroienl  dans  la  manière  d'accompagner  une  froideur  et  une  làcliel 
qui  se  tourneroient  tellement  en  habitude,  que  les  symphonistes  n 
pourroient  pns,  noèn^e  en  exécutant  la  boime  musique,  lui  laiiiser  ds  1 
force  et  de  l'éner^'ie.  En  la  jouant  comme  la  leur,  ils  l'énerveroient  en 
tièrement;  ils  feroient  fort  les  doux,  doux  les  fort,  et  ne  connoîtroien 
pas  une  des  nuances  de  ces  deux  mots.  Ces  autres  mots,  rinforzando^ 
dolce',  risoluto  ,  con  guslo  ,  spiriloso,  sostenato  ,  con  brio ,  n'auroien 
pas  même  de  synonymes  dans  leur  langue,  et  celui  d'expression  n'; 
auroit  aucun  sens  :  ils  substitueroient  je  ne  sais  combien  de  petits  orne 
■mens  froids  et  maussades  à  la  vigueur  du  coup  d'archet.  Quelque  nom^ 
breux  que  fût  l'orchestre,  il  ne  feroit  aucun  effet,  ou  n'en  feroit  qu'ui 
très-désagréable.  Comme  l'exécution  seroit  toujours  lâche,  et  que  le 
symphonistes  aimeroient  mieux  jouer  proprement  que  d'aller  en  me 
sure,  ils  ne  seroient  jamais  ensemble  :  ils  iie  pourroient  venir  à  bou 
de  tirer  un  son  net  et  juste,  ni  de  rien  exécuter  dans  son  caractère;  e 
les  étrangers  seroient  tout  surpris  que ,  à  quelques-uns  près ,  un  orciies 
tre  vanté  comme  le  premier  du  monde  seroit  à  peine  digne  des  tréteau; 
d'une  guinguette'.  Il  devroit  naturellement  arriver  que  de  tels  musi' 
ciens  prissent  en  haine  la  musique  qui  auroit  mis  leur  honte  en  évi' 
dence;  et  bientôt,  joignant  la  mauvaise  volonté  au  mauvais  goût^  il 
metlroient  encore  du  dessein  prémédité  dans  la  ridicule  exécution  don 
ils  auroient  bien  pu  se  fier  à  leur  maladresse. 

D'après  une  autre  supposition  contraire  à  celle  que  je  viens  de  faire 
je  pourrois  déduire  aisément  toutes  les  qualités  d'une  véritable  mu- 
sique ,  faite  pour  émgyvoir ,  pour  imiter ,  pour  plaixe  et  pour  porter  ai 
cœur  les  plus  douces  impressions  de  l'iiarmonie  et  du  chant:  mais 
comme  ceci  nous  écarteroil  trop  de  notre  sujet,  et  surtout  des  idée: 
qui  nous  sont  connues,  j'aime  mieux  me  borner  à  quelques  observation: 

4.  Il  n'y  a  peul-étre  pas  quatre  symphonistes  françois  qui  sachent  la  dif- 
férence de  piano  et  dolce;  el  c'est  fort  inutilement  qu'ils  la  sauroient,  carqu 
d'entre  eux  seroit  en  étal  de  la  rendre? 

2.    Comme  on  m'a  assuré  qu'il  y  avoit  parmi  les  symphonistes  de  l'Opcr; 

■  non-seulement  de  très-bons  violons,  ce  que  je  confesse  qu'ils  sont  presqn' 

tous,  pris  séparément,  mais  Je  véritablement  honnêtes  gens,  qui  ne  se  prèteu 

point  aux    rabales  de  leurs  confrères  pour  mal  servir  le  public,  je  me  hàlf 

d'ajouter  ici  cette  distinction,  pour  réparer,  autant  qu'il  est  en  moi,  le  lor 

■que  je  puis  avoir  vis-à-vis  de  ceux  qui  la  méritent. 


SLT.    LA   MUSIQUE   FRANÇOISE.  175 

ur  la  musique  italienne,  qui  puissent  nous  aider  i  mieux  juger  de  1t 
nôtre. 

Si  l'on  demandoit  laquelle  de  toutes  les  langues  doit  avoir  une  meil- 
leure grammaire,  je  répondrois  que  c'est  celle  du  peuple  qui  raisonne 
ie  mieux:  et  si  l'on  demandoit  lequel  de  tous  les  peuples  doit  avoir  une 
meilleure  musique ,  je  dirois  que  c'est  celui  dont  la  langue  y  est  la  plus  ' 
propre.  C'est  ce  que  j'ai  déjà  établi  ci-devant  ,  et  que  j'aurai  occasion 
Je  confirmer  dans  la  suite  de  cette  lettre.  Or,  s'il  y  a  en  Europe  une 
langue  propre  à  la  musique,  c'est  certainement  l'italienne;  car  celte 
langue  est  dmice  ,  sojQpre  ,  harmouiçuse  et  acceninée  plus  qu'aucune  au- 
tre .  et  ces  quitre  qualités  sont  précisément  les  plus  convenables  au  chant. 

Elle  est  douce,,  parce  que  les  articulations  y  sont  peu  composées, 
que  la  rencontre  des  consonnes  y  est  rare  et  sans  rudesse,  et  qu'un  très- 
Trand  nombre  de  syllabes  n'y  étant  formées  que  de  voyelles,  les  fré- 
.luentes  élisions  en  rendent  la  prononciation  plus  coulante-,  elle  est  so- 
nore, parce  que  la  plupart  des  voyelles  y  sont  éclatantes,  qu'elle  n'a 
[pas  de  (liphthongues  composé  s.  qu'elle  a  peu  ou  point  de  voyelles  na- 
l?ales.  el  que  les  articulations  rares  et  faciles  distinguent  mieux  le  .-ron 
les  syllabes,  qui  en  devient  plus  net  et  plus  plein.  A  l'égard  de  l'har- 
monie, qui  dépend  du  nombre  et  de  la  prosodie  autant  que  des  sons, 
l'avantage  de  la  lingue  italienne  est  manifeste  sur  ce  point;  car  il  faut 
•tniai'(iuer  que  ce  qui  rend  une  langue  harmonieuse  et  véritablement 
pittoresque  dépend  moins  de  la  force  réelle  de  ses  leinies  (]ue  de  la  dis- 
lance qu'il  y  a  du  doux  au  fort  entre  les  sons  qu'elle  emidoie,  et  du 
;hi'ix  qu'o>  en  peut  faire  pour  les  tableaux  qu'on  a  à  ]ieindre.  Ceci  sup- 
tlposé ,  que  ceux  qui  pensent  que  l'italien  n'est  que  je  langage  de  la  dou- 
eur  et  de  la  tendresse  prennent  la  peine  de  comparer  entre  elles  ces 
jeux  strophes  du  Tasse  : 

Teneri  sdegni.  e  placide  e  tranquille 

Repuise,  e  cari  vezzi ,  e  liele  paci, 

Sorrisi .  parolelte.  e  dolci  stdle 

Di  pianto..e  sospir  t.oncli  ,  e  molli  bacci  : 

Fuse  tai  cose  tutte.  e  noscia  uiiille, 

Ed  al  foco  terapiô  di  lent-  fa:i  ; 

E  ne  fnrmo  quel  ^i  mii-abil  ciiilo 

Li  ch'  ella  aveva  il  bel  liancj  succinto. 

Cbiama  pli  ah'tator  dell'  ombre  eterne 
Il  rauco  suon  del  a  tariarea  tiomba  : 
Treman  le  spaziose  aire  caverne. 
E  l'aer  cieco  a  quel  roiiior  rinibcmha; 
Ne  si  slridendo  mai  dalle  superiie 
Regioni  del  cielo  il  folgor  piomla. 
Ne  si  scossa  giammai  tréma  la  terra 
Quan  lo  i  vapori  in  sen  gravida  serra. 

Il  s'ils  désespèrent  de  rendre  en  franço^s  la  douce  harmonie  de  i  uns, 
lL-':'s  essajent  d'exprimer  la   rauque  dureté  de  l'autre.   Il  nesl   pas 


17G  LETTRE 

besoin,  pour  juger  de  ceci,  d'entendre  la  langue,  il  ne  faut  qu'avoi 
des  oreilles  et  de  la  bonne  foi.  Au  reste,  vous  observerez  que  cett 
dureté  de  la  dernière  strophe  n'est  point  sourde,  mais  très-sonore,  e 
qu'elle  n'est  que  pour  l'oreille  et  non  pour  la  prononciation;  car  1 
langue  n'articule  pas  moins  facilement  les  r  multipliées  qui  font  1 
rudesse  de  cette  strophe,  que  les  i  qui  rendent  la  première  si  coulante 
Au  contraire ,  toutes  les  fois  que  nous  voulons  donner  de  la  dureté 
l'harmonie  de  notre  langue ,  nous  sommes  forcés  d'entasser  des  cou 
sonnes  de  toute  espèce  qui  forment  des  articulations  difficiles  et  rudes 
ce  qui  retarde  la  marche  du  chant,  et  contraint  souvent  la  musiqu 
d'aller  plus  lentement,  précisément  quand  le  sens  des  paroles  exigeroi 
le  plus  de  vitesse. 

Si  je  voulois  m'étendre  sur  cet  article ,  je  pourrois  peut-être  vou 
faire  voir  encore  que  les  inversions  de  la  langue  italienne  sont  beau 
coup  plus  favorables  à  la  bonne  mélodie  que  l'ordre  didactique  de  1 
nôtre,  et  qu'une  phrase  musicale  se  développe  d'une  manière  plu 
agréable  et  plus  intéressante,  quand  le  sens  du  discours,  longtemp 
suspendu,  se  résout  sur  le  verbe  avec  la  cadence,  que  quand  il  se  déve 
loppe  à  mesure,  et  laisse  affoiblir  ou  satisfaire  ainsi  par  degrés  le  dési 
de  l'esprit,  tandis  que  celui  de  l'oreille  augmente  en  raison  contrair 
jusqu'à  la  fin  de  la  phrase.  Je  vous  prouverois  encore  que  l'art  des  sus 
pensions  et  des  mots  entrecoupés,  que  l'heureuse  constitution  de  1. 
langue  rend  si  familier  à  la  musique  italienne,  est  entièrement  inconni 
dans  la  nôtre,  et  que  nous  n'avons  d'autre  moyen  pour  y  suppléer,  qui 
des  silences  qui  ne  sont  jamais  du  chant,  et  qui,  dans  ces  occasions 
montrent  plutôt  la  pauvreté  de  la  musique  que  les  ressources  du  musicien 

Il  me  resteroit  à  parler  de  l'accent;  mais  ce  point  important  demandi 
une  si  profonde  discussion,  qu'il  vaut  mieux  la  réserver  à  unemeilleuri 
main  :  je  vais  doue  passer  aux  choses  plus  essentielles  à  mon  objet,  e 
tâcher  d'examiner  notre  musique  en  elle-même. 

Les  Italiens  prétendent  que  notre  mélodie  est  plate  et  sans  aucui 
chant,  et  toutes  les  nations  '  neutres  confirment  unanimement  leui 
jugement  sur  ce  point;  de  notre  côté,  nous  accusons  la  leur  d'êtn 
bizarre  et  baroque"*.  J'aime  mieux  croire  que  les  uns  ou  les  autres  si 
(rompent ,  que  d'être  réduit  à  dire  que ,  dans  des  contrées  où  les  science; 
et  tous  les  arts  sont  parvenus  à  un  si  haut  degré,  la  musique  seule  es 
encore  à  naître. 

Les  moins  prévenus  d'entre  nous  ^  se  contentent  de  dire  que  la  musi- 

) .  a  11  a  été  un  temps,  dit  milord  Scliaflesbury  ,  où  l'usage  de  parler  fran- 
îois  avoit  mis  parmi  nous  la  musique  françoisc  à  la  mode.  Mais  biciilôl  1; 
musique  italienne,  nous  montrant  la  nature  de  plus  près,  nojs  dégoûla  d( 
l'autre,  et  nous  la  fit  apercevoir  aussi  lourde,  aussi  plate  et  aussi  maussad 
qu'elle  l'est  en  effet.  » 

•2.  11  me  semble  qu'on  n'ose  plus  tant  faire  ce  reproche  à  la  mélodie  ila 
lienne,  depuis  qu'elle  s'est  fait  entendre  parmi  nous  :  c'est  ainsi  que  ccttt 
musi(|iie  admirable  n'a  qu'à  se  montrer  telle  qu'elle  est  pour  se  justifier  d( 
tous  les  loris  dont  on  l'accuse. 

A.  Plusieurs  condamnent  l'exclusion  totale  que  les  amateurs  de  musiqw 


SUR  LA  MUSIQUE   FRANÇOISE.  177 

que  ilalienne  et  la  françoise  sont  toutes  deux  bonnes .  chacune  dans  son 
genre,  chacune  pour  la  langue  qui  lui  est  propre  :  mais,  outre  que  les 
autres  nations  ne  conviennent  pas  de  cette  parité,  il  resteroit  toujours 
à  savoir  laquelle  des  deux  langues  peut  comporter  le  meilleur  genre  de 
musique  en  soi;  question  fort  agitée  en  France,  mais  qui  ne  le  sera 
jamais  ailleurs  ;  question  qui  ne  peut  être  décidée  que  par  une  oreille 
parfaitement  neutre,  et  qui,  par  conséquent,  devient  tous  les  jours 
plus  difficile  à  résoudre  dans  le  seul  pays  où  elle  soit  en  problème. 
Voici  sur  ce  sujet  quelques  expériences  que  chacun  est  maître  de  vé- 
rifier, et  qui  me  paroissent  pouvoir  servir  à  cette  solution,  du  moins 
quant  à  la  mélodie ,  à  laquelle  seule  se  réduit  presque  toute  la  dis- 
pute. 

J'ai  pris  dans  les  deux  musiques  des  airs  également  estimés  chacun 
dans  son  genre,  et,  les  dépouillant  les  uns  de  leurs  ports  de  voix  et  de 
leurs  cadences  éternelles,  les  autres  des  notes  sous-entendues  que  le 
compositeur  ne  se  donne  point  la  peine  d'écrire ,  et  dont  il  se  remet  à 
l'intelligence  du  chanteur  ',  je  les  ai  solfiés  exactement  sur  la  note, 
sans  aucun  ornement,  et  sans  rien  fournir  de  moi-même  au  sens  ni  à  la 
liaison  de  la  phrase.  Je  ne  vous  dirai  point  quel  a  été  dans  mon  esprit  le 
résultat  de  cette  comparaison  ,  parce  que  j'ai  le  droit  de  vous  proposer 
mes  raisons,  et  non  pas  mon  autorité  :  je  vous  rends  compte  seulement 
des  moyens  que  j'ai  pris  pour  me  déterminer,  afin  que,  si  vous  les 
trouvez  bons,  vous  puissiez  les  employer  à  votre  tour.  Je  dois  vous 
avertir  seulement  que  cette  expérience  demande  bien  plus  de  précaution 
qu'il  ne  semble.  La  première  et  la  plus  difficile  de  toutes  est  d'être  de 
bonne  foi,  et  de  se  rendre  également  équitable  dans  le  choix  et  dans  le 
jugement.  La  seconde  est  que ,  pour  tenter  cet  examen ,  il  faut  nécessai- 
rement être  également  versé  dans  les  deux  styles;  autrement,  celui  qui 
seroit  le  plus  familier  se  présenteroit  à  chaque  instant  à  l'esprit  au  pré- 
judice de  l'autre  :  et  celte  deuxième  condition  n'est  guère  plus  facile 
que  la  première;  car  de  tous  ceux  qui  connoissent  bien  l'une  et  l'autre 
musique  .  nul  ne  balance  sur  le  choix  ;  et  l'on  a  pu  voir  par  les  plaisans 
barbouillages  de  ceux  qui  se  sont  mêlés  d'attaquer  l'italienne ,  quelle 
connoissance  ils  avoient  d'elle  et  de  l'art  en  général. 

Je  dois  ajouter  qu'il  est  essentiel  d'aller  bien  exactement  en  mesure  ; 
mais  je  prévois  que  cet  avertissement,  superflu  dans  tout  autre  pays, 

clonnenl  sans  balancer  à  la  musique  françoise  :  ces  modérés  conciliateurs  ne 
voudroienl  pas  de  goûls  exclusifs ,  comme  si  l'amour  des  bonnes  choses  devoit 
faire  aimer  les  mauvaises. 

i.  C'est  donner  toute  la  faveur  à  la  musique  françoise,  que  de  s'y  prendre 
ainsi  :  car  ces  noies  sous-entendues  dans  l'ilalienne  ne  sont  pas  moins  de 
l'essence  de  la  mélodie  que  celles  qui  sont  sur  le  papier.  11  s'agit  moins  de  ce, 
— >4ui  est  écrit  que  de  ce  qui  doit  se  chanter,  el  cette  manière  de  noter  doit 
seulement  passer  pour  une  sorte  d'abréviation  au  lieu  que  les  cadences  et  les 
poris  de  voix  du  chant  françois  sont  bien,  si  l'on  veut,  exigés  par  le  goiit,  mais 
ne  constituent  point  la  mélodie  el  ne  sont  pas  de  son  essence  ;  c'est  [lour 
ei'e  une  sorte  de  fard  qui  couvre  sa  laideur  sans  la  détruire,  el  qui  ne  la  rend 
'^uc  p'us  ridicule  aux  oreilles  sensibles. 

ItoLSlSI  AU  VI  "  12 


j78  LETTUE 

sera  fori  inutile  dans  celui-ci ,  et  celte  seule  omission  entraîne  nécessai- 
rement l'incompétence  du  jugement. 

Avec  toutes  ces  précautions,  le  caractère  de  chaque  genre  ne  tarde 
pas  à  se  déclarer ,  et  alors  il  est  bien  difficile  de  ne  pas  revêtir  les  phrases 
des  idées  qui  leur  conviennent,  et  de  n'y  pas  ajouter,  du  moins  par 
l'esprit,  les  tours  et  les  ornemens  qu'on  a  la  force  de  leur  refuser  par  le 
chant.  Il  ne  faut  pas  non  plus  s'en  tenir  à  une  seule  épreuve,  car  un  ai'- 
peut  plaire  plus  qu'un  autre,  sans  que  cela  décide  de  la  préférence  du 
genre:  et  ce  n'est  qu'après  un  grand  nombre  d'essais  qu'on  peut  établir 
un  jugement  raisonnable  :  d'ailleurs,  en  s'ôtant  la  connoissance  des 
paroles,  on  s'ôte  celle  de  la  partie  la  plus  importante  de  la  mélodie,  qui 
est  l'expression:  et  tout  ce  qu'on  peut  décider  par  cette  voie,  c'e-t  si  la. 
modulation  est  bonne  et  si  le  chant  a  du  naturel  et  de  la  beauté.  Tout^ 
cela  nous  montre  combien  il  est  difficile  de  prendre  assez  de  précautions 
contre  lespréjugés  ,  et  combien  le  raisonnement  nous  est  nécessaire  pour 
nous  mettre  en  état  de  juger  sainement  des  choses  de  goût. 
^   J'ai  fait  une  autre  épreuve  qui  demande  moins  de  précautions,  et  qui 
vous  paroîtra  peut-être  plus  décisive.  J'ai  donné  à  chantera  desltalieii^ 
les  plus  beaux  airs  de  Lulli ,  et  à  des  musiciens  françois  des  airs  de  Léo- 
et  de  Pergolèse,  et  j'ai  remarqué  que,  quoique  ceux-ci  fussent  fort  éloi- 
gnés de  saisir  le  vrai  goût  de  ces  morceaux,  ils  en  sentoient  pourtant  la 
mélodie,  et  en  tiroient  à  leur  manière  des  phrases  de  musique  chan- 
tantes,  agréables  et  bien  cadencées.  Mais  les  Italiens,  solfiant  très-exac- 
tement nos  airs  les  plus  pathétiques,  n'ont  jamais  pu  y  reconnoître  ni 
phrases  ni  chant;  ce  n'étoit  pas  pour  eux  de  la  musique  qui  eût  du  sens 
mais  seulement  des  suites  de  notes  placées  sans  choix,  et  comme  au 
hasard  ;  ils  les  chantoient  précisément  comme  vous  liriez  des  mots  arabes 
écrits  en  caractères  françois  '. 

"l'roisième  expérience.  J'ai  vu  à  Venise  un  Arménien,  homme  d'esprit 
qui  n'avoit  jamais  entendu  de  musique,  et  devant  lequel  on  exécuta, 
dans  un  même  concert,  un  monologue  françois  qui  commence  par  ce- 
vers  : 

Temple  sacré,  séjour  tranquille 

et  un  air  de  Galuppi,  qui  commence  par  celui-ci: 

Voi  che  languite  senza  speranza. 

L'un  et  l'autre  furent  chantés,  médiocrement  pour  le  françois  et  mal' 
pour  l'italien,  par  un  homme  accoutumé  seulement  à  la  musique  frnn- 
çoise,  et  alors  très-enthousia.ne  de  celle  de  M.  Rameau.  Je  remarquai, 
dans  l'Arménien,  durant  tout  le  chant  françois,  plus  de  surprise  que 
de  plaisir:  mais  tout  le  monde  observa,  dès'les  premières  mesures  de 
l'air  italien ,  que  son  visage  et  sss  yeux  s'adoucissoient  :  il  étoit  enchanté ,. 

i.  Nos  musiciens  prétendent  lirer  im  grand  avantage  de  celle  difTérunce 
J\io,is  exécutons  la  musique  italienne,  disent  ils  avec  leur  ficilé  accouliimée^ 
et  les  [laliens  ne  peuvent  exécuter  la  nôtie;  donc  notre  musique  vaut  mieux  qui 
la  leur,  lis  ne  voient  pas  qu'ils  dovroienl  lirer  une  conséquence  toute  Cùf.- 
Iraire,  et  diie,  dune  les  Italiens  ont  une  môlodie,  et  nous  n'en  avons  voint, 


SUR  LA  MUSIQUE   FRANÇOISE.  179 

il  prètoit  son  âme  aux  impressions  de  la  musique;  et,  quoiqu'il  enten- 
dit peu  la  langue,  les  simples  sons  lui  causoient  un  ravissement  sen- 
sible.^Dès  ce  moment  on  ne  put  plus  lui  faire  écouter  aucun  air  fran- 
çois.    ^ 

Mais,  sans  chercher  ailleurs  des  exemples,  n'avons-nous  pas  même 
parmi  nous  plusieurs  personnes  qui,  ne  connoissant  que  notre  Opéra, 
croyoient  de  bonne  foi  n'avoir  aucun  goût  pour  le  chant,  et  n'ont  été 
désabusées  que  par  les  intermèdes  italiens?  C'est  précisément  parce 
qu'ils  n'aimoient  que  la  véritable  musique,  qu'ils  croyoient  ne  pas  aimer 
la  musique. 

J'avoue  que  tant  de  faits  m'ont  rendu  douteuse  l'existence  de  notre 
mélodie,  et  m'ont  fait  roupçonner  qu'elle  pourroit  bien  n'être  qu'une 
sorte  de  plain-chant  modulé,  qui  n'a  rien  d'agréable  en  lui-même,  qui 
ne  plaît  qu'à  l'aide  de  quelques  ornemens  arbitraires,  et  seulement  à 
ceux  qui  sont  convenus  de  les  trouver  beaux.  Aussi  à  peine  notre  mu- 
sique est-elle  supportable  à  nos  propres  oreilles,  lorsqu'elle  est  exécutée 
par  des  voix  médiocres  qui  manquent  d'art  pour  la  faire  valoir.  Il  faut 
dçs  Fel  et  des  Jelyotte  pour  chanter  la  musique  françoise;  mais  toute 
voix  est  bonne  pour  l'italienne,  parce  que  les  beautés  du  chant  italien 
sont  dans  la  musique  même,  au  lieu  que  celles  du  chant  françois,  s'il 
en  a,  ne  sont  quo  dans  l'art  du  chanteur  '. 

Trois  choses  me  paroissent  concourir  à  lâ_pfixfectioQ-d.e-la  mélodie  - 
italienne.  La  première  est  la  douoaur  de  la  langue,  qui,  rendant  toutes 
les  inflexions  faciles,  laisse  au  goût  du  musicien  la  liberté  d'en  faire  ui^ 
choix  plus  exquis,  de  varier  davantage  les  combinaisons,  et  de  donner 
à  chaque  acteur  un  tour  de  chant  particulier,  de  même  que  chaque 
homme  a  son  geste  et  son  ton  qui  lui  sont  propres  et  qui  le  distinguent 
d'un  autre  homme. 

La  deuxième  est  la  hardiesse  des  modulations,  qui,  quoique  moins  : 
servilement  préparées  que  les  nôtres,  se  rendent  plus  agréables  en  se 
rendant  plus  sensibles,  et,  sans  donner  de  la  dureté  au  chant,  ajoutent 
une  vive  énergie  à  l'expression.  C'est  par  elle  que  le  musicien,  passant 
brusquement  d'un  Ion  ou  d'un  mode  à  un  autre,  et  supprimant,  quand 
il  le  faut ,  les  transitions  intermédiaires  et  scolastiques ,  sait  exprimer 
les  réticences,  les  interruptions,  les  discours  entrecoupés,  oui  sont  le 
langage  des  passions  impétueuses,  que  le  bouillant  Métastase  a  em- 
ployé  si  souvent,  que  les  Porpora ,  les  Galuppi,  les  Cocchi,  les  Jom- 

^ .  Au  reste,  c'est  une  erreur  de  croire  qu'en  général  les  chanteurs  italiens 
aient  moins  de  voix  que  les  françois.  Il  faut,  au  contraire,  qu'ils  aient  le 
timbre  plus  fort  et  plus  harmonieux  pour  pouvoir  se  faire  entendre  sur  les 
lliéàlres  immenses  de  l'Ilalie,  sans  cesser  de  ménager  les  sons,  comme  le  veut 
la  musique  italienne.  Le  chant  françois  exige  tout  l'effort  des  poumons,  toute 
l'étendue  de  la  voix.  «Plus  fort,  nous  disent  nos  maîtres;  enflez  les  sons,  ou- 
vrez la  bouche,  donnez  toute  votre  voix.  — Plus  doux,  disent  les  maîtres  ita- 
liens; ne  forcez  point,  chantez  sans  gêne;  rendt'Z  vos  sons  doux,  flexibles  et 
coulans;  réservez  les  éclats  pour  ces  momens  rares  et  passagers  oii  il  faut 
sut  prendre  et  déchirer.  »  Or  il  me  paroît  que,  dans  la  nécessité  de  se  faire  en- 
tendre, celui-là  doit  avoir  plus  de  voix,  qui  peut  se  passer  de  crier. 


KO  LLTTUC 

nielli .  les  Perez.  les  Terraiieglias,  ont  su  rendre  avec  succès,  et  que 
nos  poètes' lyriques  coni.oisseiu  aussi  jeu  que  nos  musiciens. 

Le  troisième  avantage,  el  celui  qui  prèle  à  la  mélodie  son  plus  grand 
eflel,  est  l'exii'ême  prçcision  de  mesure  qui  s'y  fait  sentir  dans  les  mou- 
vemens  les  plus  lents  ainsi  que  dans  les  plus  gais,  précision  qui  rend 
le  chant  animé  et  intéressant,  les  accompagnemens  vifs  et  cadencés: 
([ui  multiplie  réel  ement  les  chants,  en  faisant  d'une  même  combinaison 
de  sons  aulant  de  diflërenlis  mélodies  qu'il  y  a  de  manières  de  les 
scander:  qui  porte  au  cœur  tous  les  sentimens,  et  à  l'esprit  tous  les 
tableaux:  qui  donne  au  musicien  le  moyen  de  mettre  en  air  tous  les 
caractères  dn  paroles  imaginables,  plusieurs  dont  nous  n'avons  pas 
même  l'idée'  :  et  qui  rend  tous  les  mouvemens  propres  à  exprimer  tous 
les  caractères',  ou  un  seul  mouvement  propre  à  contraster  et  changer 
de  caractère  au  gré  du  compositeur. 

Voilà,  ce  me  semble,  les  sources  d'où  le  chant  italien  tire  ses 
charmes  et  son  énergie:  à  quoi  l'on  peut  ajouter  une  nouvelle  et  très- 
forte  preuve  de  l'avantage  de  sa  mélodie,  en  ce  qu'elle  n'exige  pas,  au- 
tant que  la  nôtre,  de  ces  fréquens  renversemens  d'harmonie  qui  don- 
nent à  la  basse  continue  le  véritaide  chant  d'un  dessus.  Ceux  qui 
trouvent  de  si  grandes  beautés  dans  la  mélodie  françoise  devroient  bien 
nous  dire  à  laquelle  de  ces  choses  elle  en  est  redevable,  ou  nous  mon- 
trer les  avantages  qu'elle  a  pour  y  suppléer. 

Quand  on  commence  à  connoître  la  mélodie  iîali-en-ner-on  ne  lui 
trouve  d'abord  que  des  grâces,  et  on  ne  la  croit  fnopre  qu'à  exprimer 
des  s  Mitimens  agréables;  mais,  pour  peu  qu'on  étudie  son  caractère 
pathétique  et  tragique",  on  est  bientôt  surpris  de  la  force  que  lui  prête 
l'art  des  compositeurs  dans  les  giands  morceaux  de  musique,  (-'est  à 
l'aide  de  ces  modulations  savantes,  de  cette  harmonie  simple  et  pure, 
de  ces  accompa.gnemens  vifs  et  brillans,  que  ces  chants  divins  déchirent 
ou  ravissent  l'âme,  mettent  le  spectateur  hors  de  lui-même,  et  lui  ar- 
rachent, dans  ses  transports,  des  cris  dont  jamais  nos  tranquilles 
opéras  ne  furent  honorés. 

Comment  le  musicien  vient-il  à  bout  de  produire  ces  grands  effets? 
Est-ce  à  force  de  contraster  les  mouvemens,  de  muUiplier  les  accords, 
les  notes,  les  parties?  est-ce  à  force  d'entasser  dessins  sur  dessins,  in- 


1.  Pour  ne  pas  sortir  du  genre  comique,  le  seul  connu  à  Paris,  voyez  les 
airs  :  a  Quando  sciollo  aviô  il  conlralU),  etc.  lo  o  un  vespajo,  etc.  0  i|uesio  ci 
Il  qucllo  l'ai  a  risolverc,  tic.  A  un  guslo  da  slordirc,  olc.  Stizzoso  mio,  »\.'iy.- 
II  zoso,  Ole.  lo  sono  uiia  donzclia,  etc.  Quanti  niacslri,  quanti  dottoii,  etc.  I 
«  shirri  sia  lo  aspellano,  etc.  Ma  dunque  il  icslamenln  ,  etc.  Senti  me,  so 
«  brami  slare,  o  ciip  risa!  clie  piacere!  »  etc.;  tous  caracièrcs  d'airs  dont  la 
musique  françoise  n'a  p;is  les  premiers  élémens,  et  dont  elle  n'est  pas  en  clal 
U'cxprimer  un  seul  mttl. 

2.  Je  me  conlenierai  d'en  citer  un  seul  exemple,  mais  Irès-fiappanl  ;  c'est 
l'air  ^e  pur  d'un  in/clice,  elc,  de  lu  Fausse  Suivante,  air  irès-palliélique,  sur 
un  mouvemcnl  Irés-yai,  auquel  il  n'a  manqué  qu'une  voix  pour  le  chanter, 
un  orcliesuc  pour  l'acrompagner,  des  oreilles  pour  l'entendre  ,  et  la  seconde 
vaille  qu'il  ne  l'allnil  pas  supprimer. 


SUR   LA   MUSiaUli   FRANÇUlSE.  181 

strumens  sur  instrumens?  Tout  ce  fatras,  qui  n'est  qu'un  mauvais 
supplément  où  le  génie  manque,  éloufTeroit  le  chant  loin  de  l'animer. 
et  détruiroil  l'intérêt  en  partageant  l'attention.  Quelque  harmonie  que 
puissent  faire  ensemble  plusieurs  parties  toutes  bien  chantantes,  l'ellel 
de  ces  beaux  chants  s'évanouit  aussitôt  qu'ils  se  font  entendre  à  la  fois , 
et  il  ne  reste  que  celui  d'une  suite  d'accords,  qui,  quoi  qu'on  puisse 
dire,  est  toujours  froide  quand  la  mélodie  ne  l'anime  pas  :  de  sorte 
que  plus  on  entasse  des  chants  mal  à  propos,  et  moins  la  musique  est 
agréable  et  chantante,  parce  qu'il  est  impossible  à  l'oreille  de  se  prêter 
au  même  instant  à  plusieurs  mélodies,  et  que.  l'une  effaçant  l'impres- 
sion de  l'autre,  il  ne  résulte  du  tout  que  de  la  confusion  et  du  bruit. 
Pour  qu'une  musique  devienne  intéressante,  pour  qu'elle  porte  à  l'âme 
les  tentimens  qu'on  y  veut  exciter,  il  faut  que  toutes  les  parties  con- 
courent à  fortifier  l'e.ïpression  du  sujet;  que  l'harmonie  ne  serve  qu'à 
le  rendre  plus  énergique;  que  l'accompagnement  l'embellisse  sans  le 
couvrir  ni  le  défigurer-,  que  la  basse,  par  une  marche  un-iforme  et 
simple,  guide  en  quelque  sorte  celui  qui  chante  et  celui  qui  écoute, 
sans  que  ni  l'un  ni  l'autre  s'en  aperçoive  :  il  faut,  en  un  mot,  que  le 
tout  ensemble  ne  porte  à  la  fois  qu'une  mélodie  à  l'oreille  et  qu'une 
idée  à  l'esprit. 

Cette  unité  de  mélodie  me  paroît  une  règle  indispensable  et  non 
moins  importante  en  musique  que  l'unité  d'action  dans  une  tragédie: 
car  elle  est  fondée  sur  le  même  principe ,  et  dirigée  vers  le  même  objet. 
Aussi  tous  les  bons  compositeurs  italiens  s'y  conforment-ils  avec  un 
soin  qui  dégénère  quelquefois  en  affectation;  et,  pour  peu  qu'on  y  ré- 
fléchisse ,  on  sent  bientôt  que  c'est  d'elle  que  leur  musique  tire  son  prin- 
cipal effet.  C'est  dans  cette  grande  règle  qu'il  faut  chercher  la  cause 
des  fréquens  accompagnemens  à  l'unisson  qu'on  remarque  dans  la  mu- 
sique italienne,  et  qui,  fortifiant  l'idée  du  chant,  en  rendent  en  même 
temps  les  sons  plus  moelleux,  plus  doux,  et  moins  fatigans  pour  la 
voix.  Ces  unissons  ne  sont  point  praticables  dans  notre  musique ,  si  ce 
n'est  sur  quelques  caractères  d'airs  choisis  et  tournés  exprès  pour  cela: 
jamais  un  air  pathétique  françois  ne  seroit  supportable  accompagné  de 
celle  manière,  parce  que.  la  musique  vocale  et  l'instrumentale  ayant 
parmi  nous  des  caractères  différens,  on  ne  peut,  sans  pêcher  contre  la 
mélodie  et  le  goût,  appliquer  à  l'une  les  mêmes  tours  qui  conviennent 
à  l'autre  :  sans  compter  que ,  la  mesure  étant  toujours  vague  et  indéter- 
minée, surtout  dans  les  airs  lents,  les  instrumens  et  la  voix  ne  pour- 
roient  jamais  s'accorder,  et  ne  marcheroient  point  assez  de  concert 
pour  produire  ensemble  un  effet  agréable.  Une  beauté  qui  résulte  en- 
core de  ces  unissons ,  c'est  de  donner  une  expression  plus  sensible  à  la 
mélodie,  tantôt  en  renforçant  tout  d'un  coup  les  instrmnens  sur  un 
passage ,  tantôt  en  les  radoucissant ,  tantôt  en  leur  donnant  un  trait  de 
chant  énergique  et  saillant,  que  la  voix  n'auroit  pu  l'aire,  et  que  l'au- 
diteur, adroitement  trompé,  ne  laisse  pas  de  lui  attribuer  quand  l'or- 
chestre sait  le  faire  sortir  à  propos.  De  là  naît  encore  cette  parfaite 
correspondance  de  la  symphonie  et  du  chant,  qui  fait  que  tous  les 
traits  qu'on  admire  dans  l'une  ne  sont  que   des  développemens  de 


182  LETTRE 

l'autre:  de  sorte  que  c'est  toujours  dans  la  partie  vocale  qu'il  faut  cher- 
cher la  source  de  toutes  les  beautés  de  l'accompagnement  :  cet  accom- 
pagnement est  si  bien  un  avec  le  chant,  et  si  exactement  relatif  aux  pa- 
roles, qu'il  semble  souvent  déterminer  le  jeu  et  dicter  à  l'acteur  le 
^'este  qu'il  doit  faire';  et  tel  qui  n'auroit  pu  jouer  le  rôle  sur  les  pa- 
roles seules  le  jouera  très-juste  sur  la  musique,  parce  qu'elle  fait  bien 
ta  fonction  d'interprète. 

Au  reste,  il  s'en  faut  beaucoup  que  les  accompagnemens  italiens 
soient  toujours  à  l'unisson  de  la  voix.  Il  y  a  deux  cas  assez  fréquens 
où  le  musicien  les  en  sépare  :  l'un,  quand  la  voix,  roulant  avec  légè- 
reté sur  des  cordes  d'harmonie,  fixe  assez  l'attention  pour  que  l'accom- 
pagnement ne  puisse  la  partager;  encore  alors  donne- t-on  tant  de  sim- 
plicité à  cet  accompagnement ,  que  l'oreille ,  affectée  seulement  d'accords 
agréables,  n'y  sent  aucun  chant  qui  puisse  la  distraire  :  l'autre  cas  de- 
mande un  peu  plus  de  soin  pour  le  faire  entendre. 

a  Quand  le  musiciçn  saura  son  art,  dit  l'auteur  de  la  Lettre  sur  les 
sourds  et  les  muets,  les  parties  d'accompagnement  concourront  ou  à 
fortifier  l'expresbion  delà  partie  chantante,  ou  à  ajouter  de  nouvelles 
idées  que  le  sujet  demandoit,  et  que  la  partie  chantante  n'aura  pu 
rendre.  »  Ce  passTge  me  paroit  renfermer  un  précepte  trèo-ulile,  et 
voici  comment  je  pense  qu'on  doit  l'entendre. 

Si  le  chant  est  de  nature  à  exiger  quelques  additions ,  ou ,  comme  di- 
soient nos  anciens  musiciens,  quelques  diminutions^ ,  qui  ajoutent  à 
l'expression  ou  à  l'agrément,  sans  détruire  en  cela  l'unité  de  mélodie, 
de  sorte  que  l'oreille,  qui  blàmeroit  peut-être  ces  additions  faites  pa:'  la 
voix ,  les  approuve  dans  l'accompagnement  j  et  s'en  laisse  doucement 
att'ectersans  cesser  pour  cela  d'être  attentive  au  chant;  alors  rhabile 
musicien,  en  les  ménageant  à  propos  et  les  employant  avec  j^oùt,  em- 
bellira son  sujet,  et  le  rendra  plus  expiessif  sans  le  rendre  moins  un; 
et  quoique  l'accompagnement  n'y  soit  pas  exactement  semblable  à  la 
partie  chantmte,  l'un  et  l'autre  ne  feront  pourtant  qu'un  chant  et 
qu'une  mélodie.  Que  si  le  sens  des  paroles  comporte  une  idée  accessoire, 
que  le  chap.t  n'aura  pas  pu  rendre,  le  musicien  l'enchâssera  dans  des  si- 
lences ou  dans  des  tenues,  de  manière  qu'il  puisse  la  présenter  à  l'au- 
diteur sans  le  détourner  de  celle  du  chant.  L'avantage  seroit  encore 
plus  grand  si  cette  idée  accessoire  pouvoit  être  rendue  par  un  accom- 
pagnement contraint  et  continu,  qui -fît  plutôt  un  léger  murmure 
qu'un  véritable  chant,  comme  seroit  le  bruit  d'une  rivière  ou  le  ga- 
zouillement des  oiseaux  :  car  alors  le  compositeur  pourroit  séparet 
tout  à  fait  le  chant  de  l'accompagnement;  et,  destinant  uniquement  ce 
dernier  à  rendre  l'idée  accessoire,  il  disposera  son  chant  de  manière  à 

i.  Oa  en  trouve  des  exemples  fréquens  dans  les  intermèdes  qui  nous  ont 
élé  donnés  celle  année,  enlre  aulres  dans  l'air  ^  un  gusto  da  stordiie ,  du 
Maître  de  musique;  dans  celui  Son  [ladione ^  de  la.  Femme  oigiicilleuse ;  dans 
celui  T'i  sio  hen,  du  Tracollo;  dans  cehd  Tti  iwn  pend,  no,  sigaora,  de  la  Bolié- 
mienne,  et  dans  presque  tous  ce>;x  qui  demandent  du  jeu. 

2.  On  Ircuvera  le  niot  Diininiiiion  dans  le  quatrième  voluinc  de  l'Cncjr- 
clopédie . 


SL'R  LA.  MUSIQUi:   FRANÇOISE.  183 

«donner  des  jours  fréquens  à  Torcliestre,  en  observant  avec  soin  que  la 
^ynlj'ilonie  soit  toujours  dominée  par  la  partie  cliaulaute.  ce  qur  dé- 
pend encore  plus  de  l'ait  du  compositeur  que  de  l'exécution  des  in- 
strumens  :  mais  ceci  demande  une  expérience  consommée,  pour  éviter 
la  duplicité  de  mélodie. 

Vo<Li  tout  ce  que  la  règle  de  l'unité  peut  accorder  au  goût  du  musi- 
cien pour  pafer  le  chant  ou  le  rendre  plus  expressif,  soit  en  embellis- 
sant le  sujet  principal,  soit  en  y  ajoutant  un  autre  qui  lui  reste  assu- 
jetti :  rhais  de  faire  chanter  à  part  des  violons  d'un  côié^  de  l'autie 
tles  flûtei,  de  l'auire  des  bassons,  chacun  sur  un  dessin  paiticulier  et 
presque  sans  rapport  entre  eux,  et  d'appeler  tout  ce  chaos  de  la  uiusi- 
•que  ,  c'est  insulter  également  l'oreille  et  le  jugement  des  audiieurs. 

Une  autre  chose  qui  n'est  pas  moins  contraire  que  la  multiplie -tion 
•des  parties  à  la  règle  que  je  viens  d'établir,  c'est  l'abus  ou  plutôt  l'usage 
•des  fugues,  imitations,  doubles  dessins,  et  autres  beautés  arLiitrai:es 
et  de  pure  convention,  qui  n'ont  pres(jue  de  mérite  que  la  diiliculté 
vaincue,  et  qui  toutes  ont  été  inventées  dans  la  naissance  de  l'art  pour 
-^iaire  briller  le  savoir,  en  attendant  qu'il  fût  question  du  génie.  Je  ne 
dis  pas  qu'il  soit  tout  à  fait  impossible  de  conserver  l'unité  de  mélodie 
dans  une  fugue  .  en  conduisant  habilement  rallenlion  de  l'auditeur  d'une 
partie  à  l'autre  à  mesure  que  le  sujet  y  passe;  mais  ce  travail  est  si  pé- 
nible .que  presque  personne  n'y  réussit,  et  si  ingrat,  qu'à  peine  le  suc- 
cès peut-il  dédommager  de  la  fatigue  d'un  tel  ouvrage.  Tout  cela,  n'a- 
jjoulissant  qu'à  faire  du  bruit,  ainsi  que  la  plupart  de  nos  chœurs  si 
ad'.niiés',  est  également  indigne  d'occuper  la  plume  d'un  homme  de 
^é'^ie  et  l'aitenlion  d'un  homme  de  goût.  A  l'égard  des  contre-fugues, 
■doubles  fugues,  fugues  renversées,  basses  contraintes,  et  au^ires  sot- 
_iiies-diXfieiles  que  l'oreille  ne  peut  souffrir  et  que  la  raison  ne  peut  jus- 
tifier, ce  sont  évidemment  des  restes  de  barbarie  et  de  mauvais  goût, 
•qui  ne  subsistent,  comme  les  portails  de  nos  églises  gotiiiques,  que 
pour  la  honte  de  ceux  qui  ont  eu  la  patience  de  les  faire. 

Il  a  été  un  temps  où  l'Italie  étoit  barbare  :  et,  mèine  après  la  renais- 
sance des  autres  arts,  que  l'Europe  lui  doit  tous,  la  musique  plus  tar- 
'live  n'y  a  point  pris  aisément  cette  pureté  de  goût  qu'on  y  voit  briller 

ijourd'hui;  et  l'on  ne  peut  guère  donner  une  plus  mauvaise  idée  de 
-:  qu'elle  étoit  alors,  qu'en  remarquant  qu'il  n'y  a  eu  pendant  long- 
temps qu'une  même  musique  en  France  et  en  Italie',  et  que  les  musi- 

1.  Les  Italiens  ne  sont  pas  eux-mêmes  tout  à  fait  revenus  de  ce  iircjugé 
iiaibare.  lisse  (liquenl  encore  d'avoir,  dans  leurs  églises,  de  la  njiisi(|ue 
bruy.nnte;  ils  ont  souvent  dus  messes  et  des  molt^ts  à  i|ualre  ciiœuvs,  chacun 
sur  un  dessin  clirPcreni;  mais  les  grands  niailres  ne  font  que  rire  de  tout  ce 
latras.  Je  me  souviens  que  Tevradeglias,  me  [larlanl  de  plusieiu-.s  moifls  de  sa 
-composition  où  il  avoit  mis  des  chœurs  travailles  avec  un  grand  soin,  étoit 
honteux  d'en  avoir  fait  (ii;  si  beaux  ,  et  s'en  cxcusoit  sur  sa  jeunesse,  a  Autre- 
lois  ,  disoil-il,  j'aimois  à  faire  du  bruit;  à  présent  je  lâche  de  fa're  de  la 
mnsii|iic.  -n 

2.  L'aiiljc  du  Ros  se  tourmente  beaucoup  r""r  faiio  honneur  aux  Pays-Bas 
du  rcaouvcllemeul  de  la  musique,  et  cela  puurroit  s  admclire  si  l'un  duunoit 


184  LETTUE 

cieiis  des  deux  contrées  communiquoient  familièrement  entre  eux, 
"ion  pourUiDl  sans  qu'on  pût  remarquer  déjà  dans  les  nôtres  le  germe 
(3e  ctjlte  jalausiequi  -eal  inséparable  de  l'infériorité.  Lulli  même ,  alarmé 
de  Tairivée  de  Corelli .  se  hâta  de  le  faire  ciiasser  de  France  :  ce  qui  lui 
fut  d'autant  plus  aisé  que  Corelli  éloit  plus  grand  homme,  et,  par  con- 
séquent, moins  courtisan  que  lui.  D;uis  ces  temps  où  la  musique  nais- 
îoit  à  peine,  elle  avoit  en  Italie  cette  ridicule  emphase  de  science  har-' 
monique,  ces  pédar.tesques  prétentions  de  doctrine  qu'elle  a  chèrement 
conservées  parmi  nous,  et  par  lesquelles  on  distingue  au'ourd'hui 
celte  musique  méthodique,  compassée,  mais  sans  génie,  s^ns  invention 
et  sans  goût,  qu'on  appelle  à  l^aris  musique  écrite  par  excellence,  et  qui, 
tout  au  plus,  n'est  bonne,  en  effet,  qu'à  écrire,  et  jamais  à  exécuter. 

Depuis  même  que  les  Italiens  ont  rendu  l'harmonie  plus  pure,  plus  sim- 
ple, et  donné  tous  leurs  soins  à  la  perfection  de  la  mélodie,  je  ne  nie 
pas  qu'il  ne  soit  encore  demeuré  parmi  eux  quelques  légères  traces  des 
fugues  et  dessins  gothiques,  et  quelquefois  de  doubles  et  triples  mélo- 
dies :  c'est  de  quoi  je  pourrois  citer  plusieurs  exemples  dans  les  inter- 
mèdes qui  nous  sont  connus,  et  entre  autres  le  mauvais  quatuor  qui  est  à  la 
lin  de  la  Femme  orgueilleuse.  Mais  outre  que  ces  choses  sortent  du  ca- 
ractère établi,  outre  qu'on  ne  trouve  jamais  rien  de  semblable  dans  les 
trngédiesy  et  qu'il  n'est  pas  plus  juste  de  j'iger  de  l'opéra  italien  sur  ces 
fai'cts,  que  de  juger  notie  théâtre  l'runcois  sur  l'Impromptu  de  campa- 
gne ou  le  Bnron  de  La  Crasse;  il  faut  aussi  rendre  justice  à  l'art  avec 
lequel  les  compositeurs  ont  souvent  évité  ,  dans  ces  intermèdes ,  les  piè- 
ges qui  leur  éioient  tendus  par  les  poètes,  et  ont  fait  tourner  au  profit 
de  la  règle  des  situations  qui  sembloient  les  forcer  à  l'enfreindre. 

De  toutes  les  parties  de  la  musique,  la  plus  difficile  à  traiter,  sans 
sortir  de  l'unité  de  mélodie,  est  le  duo:  et  cet  article  mérite  de  nous 
arrêter  un  moment.  L'auteur  de  la  Lettre  sur  Ompliale  a  déjà  remarqué- 
que  les  duos  sont  hors  de  la  nature:  car  rien  n'est  moins  naturel  que  de 
voir  deux  personnes  se  parler  à  la  fois  durant  un  certain  temps,  soit 
pour  dire  la  même  chose  ,  soit  pour  se  contredire ,  sans  jamais  s'écouter 
ni  se  répondre.  Et  quand  cette  supposition  pourroit  s'admettre  en  cer- 
tains cas,  il  est  bien  certain  que  ce  nu  seroit  jamais  dans  la  tragédie, 
où  cette  indécence  n'est  convenable  ni  à  la  dignité  des  personnages  qu'on 
y  fait  parler,  ni  à  l'éducation  qu'on  leur  suppose. '.Or ,  le  meilleur  moyen 
de  sauver  cette  absurdité  c'est  de  traitex.  le  plus  qu'il  est  possible,  le 
duo  en  dialog^iie,  et  ce  premier  soin  regarde  le  poète  :  ce  qui  regarde  le 
musicien,  c'est  de  trouver  un  chant  convenable  au  sujet,  et  distribué  de 
telle  sorte  que,  chacun  des  interlocuteurs  parlant  alternativement,  toute 
la  suite  du  dialogue  ne  forme  qu'une  mélodie ,  qui ,  sans  changer  de  su- 
ie nom  lie  musique  à  un  continuel  remplissage  d'accords;  mais  si  l'harmonie 
n'csl  que  la  base  commune  ,  et  que  la  mélodie  seule  conslilue  le  caractère, 
non-seulement  la  musique  moderne  est  née  en  Italie,  mais  il  y  a  qucl(]Ue  ap- 
parence que,  dans  tou.cs  nos  langues  vivantes ,  la  musique  iialienne  est  la 
seule  (jui  puisse  réellement  exister.  Du  temps  d'Oriande  fi  de  Goudimcl,  on 
|faisoil  de  l'Iiaimonie  cl  dos  sons;  LuUi  y  a  joint  un  peu  de  cadence;  Corjlli, 
■  Huiinoucini.  Vinci  etPeigulèsc,  sont  'es  premiers  qui  aiuU  lail  de  la  musique. 


sur.    LA    MLSlQLt:   FRANÇOISE.  185 

jel ,  ou  du  moins  sans  altérer  le  mouvement,  passe  dans  son  progrès 
dune  partie  à  l';iutre  sans  cesser  d'être  une.  et  sans  enjamber.  Quand 
un  joint  ensemble  les  deux  parties,  ce  qui  doit  se  faire  rarement  et  du- 
ret  peu,  il  faut  trouver  un  chant  susceptible  d'une  mareliejjar .tierces 
4m_i'ar  sixtes,  dans  lequel  la  seconde  partie  fasse  son  effet  sans  distraire 
l'oreille  de  la  première  :  il  faut  garder  la  dureté  des  dissonances,  les 
sous  perçans  et  renforces,  le  fortissimo  de  l'orcheslre.  pour  des  in- 
stans  de  désordre  et  de  transport  où  les  acteurs,  semblant  s'oublier  eux- 
mêmes,  portent  leur  égarement  dans  l'âme  de  tout  spectateur  sensible, 
et  lui  font  éprouver  le  pouvoir  de  l'harmonie  sobrement  ménagée.  Mais 
ces  instans  doivent  être  rares  et  amenés  avec  art.  Il  faut,  par  une  mu- 
sique douce  et  affectueuse,  avoir  déjà  disposé  l'oreille  et  le  cœur  à  l'é- 
motion pour  que  l'un  et  l'autre  se  prêtent  à  ces  ébranlemens  violens  : 
et  il  faut  qu'ils  passent  avec  la  rapidité  qui  convient  à  noire  foiblesse: 
car,  quand  l'agitation  est  trop  forte,  elle  ne  sauroit  durer  ;  et  tout  ce 
qui  est  au  delà  de  la  nature  ne  touche  plus. 

En  disant  ce  que  les  duos  doivent  être,  j'ai  dit  précisément  ce  qu'ils 
sont  dans  les  opéras  italiens.  Si  quelqu'un  a  pu  entendre  sur  un  théâtre 
d'Italie  un  duo  tragique  chanté  par  de  bons  acteurs,  et  accompagné  par 
un  véritable  orchestre,  sans  en  être  attendri;  s'il  a  pu  d'un  œil  sec  as- 
sister aux  adieux  de  Mandane  et  d'Arbace,  je  le  tiens  digne  de  pleurer 
à  ceux  de  Libye  et  d'Épaphus. 

Mais  .  sans  insister  sur  les  duos  tragiques,  genre  de  musique  dont  oit-i 
n'a  pas  même  l'idée  à  Paiis.  je  puis  vous  citer  un  duo  comique  qui  est 
connu  de  tout  le  inonde .  et  je  le  citerai  hardiment  comme  un  modèle  de 
chant ,  d'uniié  .  de  mélodie .  de  dialogue  et  de  goût .  auquel .  selon  moi . 
rieu  ne  manquera,  quand  il  sera  bien  exécuté,  que  des  auditeurs  qui 
sachent  l'entendre  :  c'est  celui  du  premier  acte  de  la  Séria  Padrmia . 
«  Lo  conosco  a  quegl'  occhietti .  ■»  etc.  J'avoue  que  peu  de  musiciens  fran- 
Lûis  sont  en  état  d'en  sentir  les  beautés;  et  je  dirois  volontiers  de  Per- 
golèse.  comme  Cicéron  disoit  d'Homère,  que  c'est  avoir  déjà  fait  beau- 
coup de  progrès  dans  l'art  que  de  se  plaire  à  sa  lecture. 

.T'espère,  monsieur,  que  vous  me  pardonnerez  la  longueur  de  cet  ar- 
ticle en  faveur  de  sa  nouveauté  et  de  l'importance  de  son  objit  :  j'a  cru 
devoir  m'élendre  un  peu  sur  une  règle  aussi  essentielle  que  celle  dej'n- 
n'o.é  dejnélodie :  règle  dont  aucun  théoricien,  que  je  sache,  n'a  parlé 
jusqu'à  ce  jour,  que  les  compositeurs  italiens  ont  seuls.sentie  et  prati- 
(juée,  sans  se  douter  peut-être  de  son  existence,  et  de  laquelle  dépen- 
dent la  douceur  du -chant .  la  force  de  l'expression,  et  presque  tout  le 
charme  de  la  bonne  musique.  Avant  que  de  quitter  ee  sujet,  il  me  reste 
à  vous  montrer  qu'il  en  résulte  de  nouveaux  avantages  pour  l'harmonie 
même .  aux  dépens  de  laquelle  je  semblois  accorder  tout  l'avantage  à  la 
mélodie,  et  que  l'expression  du  chant  donne  lieu  à  celle  des  accords  en 
forçant  le  compositeur  à  les  ménager. 

Vous  ressouvenez-vous,  monsieur,  d'avoir  entendu  quelquefois,  dans 
les  intermèdes  qu'on  nous  a  donnés  cette  année,  le  fiis  de  l'entrepreneur 
italien,  jeune  enfant  de  dix  ans  au  plus,  accompagner  quelquefois  à 
l'Opéra?  Nous  fûmes  frapi^és,  dès  le  premier  jour,  de  l'effet  que  pro- 


■Î86  LETTRE 

.iuisoil  su.is  SCS  petits  doigts  raccorrpagnemcnt  du  clavec-,!:  et  tout  le 
spectacle  s  ai.er.ut  a  son  jeu  précis  et  brillant  que  ce  n'etoit  pa's  l'ac- 
compagnateur ordinaire.  Je  cherchai  aussitôt  les  raisons  de  cette  diiïé- 

■  ence.  car  je  ne  doutois  pas  que  le  sieur  Noblet  ne  fût  bon  harmoniste 
et  n  accompagiîat  très-exactement  :  mais  quelle  fut  ma  surprise  en  ob- 
servant les  mains  du  ,  etit  bonhon.me.  de  voir  qu'.l  ne  remrd?s°oit 
presque  jamais  les  accords,  qu'il  supprimoit  beaucoup  de  sons  et  n'em- 
vt'Z    h'?^''"^,  ^"'  ^'"'  '^°'§'*'  '^°"'  '■^'"  ^°"'"^''  f^'-esqi'e  toujours  f 

■  il  '  '"  ^''''  ■  T°'  ■  '^''"■'■J'  ''  moi-même,  l'harmonie  complète 
tau  momsueiïet  que  l'harmonie  mutiiée,  et  nos  accompagnateurs  en 
rendant  tous  les  accords  pleins,  ne  font  qu'un  bruit  confus,  tandisque 
celui-c.  avec  mo:ns  de  sons,  fait  plus  d-i.avmonie,  ou.  du  moins  rend 
son  accompagnement  plus  sensible  et  plus  agréable!  »  Ceci  fut  pour  moi 
un  pi  obleme  inquiel-int  :  et  j'en  compris  encore  mieux  toute  l'importance 
quand  après  d  autres  observations,  je  vis  que  les  Italiens  accompa- 
f-i.oient  tous  de  la  même  manière  que  le  petit  bambin .  et  que  par  con- 
séquent, cette  épargne  dans  leur  accompagnement  devoit  tenir  au  même 
prmcipe  que  celle  qu'ils  afTectent  dans  leur  partition 

Jecomprenois  Lien  que  la  basse,  étant  le  fondement  de  toute  Ihar- 
monie,  do.t  toujours  dominer  sur  le  reste,  et  que,  quand  les  autres 
parues  letouiïent  ou  la  couvrent,  il  en  resuite  une  confusion  qui  peut 
re.jdre  lharn:on,e  plus  sourde;  et  je  m'e.xpliquois  ainsi  pourquoi  le 
Italiens,  si  econom.es  de  leur  main  droile  dans  Taccompagnement  re- 
doublent ordinairement  à  la  gauche  l'octave  de  la  basse:  pourquoi  ils 
mettent  tant  de  contre-basses  dans  leurs  orchestres,  et  pourquoi  L 
font  Si  souvent  marcher  leurs  quintes  ■  avec  la  basse,  au  lieu  de  leur 
.:onner  une  autre  j^rtie,  comme  les  Français  ne  manquent  jamais  de 
taire.  Mais  ceci ,  qui  pouvoit  rendre  raison  de  la  netteté  des  accords 
n  en  rendoit  pas  de  leur  énergie,  et  je  vis  bientôt  qu'il  devoit  v  avo^r 
quelque  principe  plus  caché  et  plus  fin  de  l'e.xpression  que  je  remar- 
quois  dans  la  simplicité  de  l'haimonie  italienne,  tandis  que  je  trouvois 
la  notre  si  composée,  si  froide  et  si  languissanle 

Je  riie  souvins  alors  d'avoir  lu  dans  quelque  ouvrage  de  M  Rameau 
rue  chaque  consonnance  a  son  caractère  particulier,  c-esl-à-dire  une 
rnaïuere  d  affecter  lame  qui  lui  est  propre-,  que  l'effet  de  la  tierce  nest 
io,nt  e  même  que  celui  de  la  quinte,  ni  l'eflel  de  la  quarte  le  même 
aie  celui  de  la  sixte  :  de  même  les  tierces  et  les  sixtes  mineures  doi- 
vent produire  des  affections  différentes  de  celles  que  produisent  les 
tierces  et  les  s:xtes  majeures;  et  ces  faits  une  fois  accorde^  il  s'ensu't 
-sez  évidemment  que  ies  dissonances  et  tous  les  intervalles  possibles 
-eront  aussi  dans  le  même  cas;  expérience  que  la  raison  confirme 
puisque,  toutes  les  fois  que  les  rapports  sont  ditférens,  l'impression  n» 
sauroit  être  la  même. 

^  «.  0,1  peut  remarquer  à  l'orchostro  de  notre  Opéra  que,  dans  la  muM(nm 
uahcnrie  les  quintes  ne  Jouent  pics<|ue  jamais  leur  partie  quaiid  HIe  es!  à 
Inciavede  la  basse;  peul-èlre  ne  daifen.-t-on  pas  mémela  copier  en  pareil 
onn.  .  "^  ''"'  '^""''"f  «^"l  '  orchestre  ignorcroienl  ils  que  ce  dttaut  de  liaiscn 
cnlic  !a  basse  cl  le  dessus  icnJ  l'haimonic  ln<p  sùchc  > 


I 


SLR    LA   MUSIOUC    FISANÇOISE.  187 

otOr,  mcdisois-je  à  moi-même  en  laisonnanl  d'après  celle  supposilion  , 
je  VOIS  clairement  que  deux  consonnances  ajoutées  l'une  à  l'autre  mal  à 
propos,  quoique  selon  les  règles  des  accords,  pourront,  même  en  aug- 
mentant l'harmonie,  attbiblir  mutuellement  leur  eiïet,  le  combattre  ov. 
le  partager.  Si  tout  l'efiet  d'une  quinte  m'est  nécessaire  pour  l'expres- 
sion dont  j'ai  besoin,  je  peu\  risquer  d'alToiblir  cette  expression  par  un 
troisième  son  ,  qui .  divisant  cette  quinte  en  deux  autres  intervalles,  en 
modifiera  nécessairement  l'efTel  par  celui  des  deux  tierces  dans  lesquelles 
je  la  resous;  et  ces  tierces  mêmes,  quoique  le  tout  ensemble  fusse  une 
fort  bonne  harmonie,  étant  de  différente  espèce,  peuvent  encore  nuire 
mutuellement  â  l'impres.-ion  l'une  de  l'.nutre.  D;  même,  si  l'impress-oii 
simultanée  de  la  quinte  et  des  deux  tierces  m'étoit  nécessaire .  jalToi- 
blirois  et  j'altérerois  mal  à  propos  cette  impression  en  reiranchanl  un 
des  trois  sons  qui  en  forment  l'accord.»  Ce  raisonnement  devient  encore 
plus  sensible  appliqué  à  la  dissonance.  Supposons  que  j'aie  besoin  de 
toute  la  dureté  du  triton,  ou  de  toute  la  tadeur  de  la  fausse  quinte, 
opposition,  pour  le  dire  en  passant,  qui  prouve  combien  les  dive.s  ren- 
versement des  accords  en  peuvent  changer  l'elTet:  si,  dans  une  telle 
circonstance,  au  lieu  de  porter  à  l'oreille  les  deux  uniques  sons  qui 
forment  la  dissonance,  je  a. 'avise  de  remplir  l'accord  de  tous  ceux  qui 
lui  conviennent,  alors  j'ajoute  au  triton  la  seconde  et  la  sixte,  et  à  la 
fausse  quinte  la  sixte  et  la  tierce,  c'est-à-dire  qu'introduisant  dans 
chacun  de  ces  accords  une  nouvelle  dissonance,  j'y  introduis  en  même 
temps  trois  consonnances  qui  doivent  nécessairement  en  tem;érer  et 
flffoiblir  l'effet,  en  rendant  un  de  ces  accords  moins  fade  et  l'autre  moins 
dur.  C'est  donc  un  principe  certain  et  fondé  dans  la  nature,  que  toute 
musique  où  l'harmonie  est  scrupuleusement  remplie,  tout  accompagne- 
meni  où  tous  les  accords  sont  complets,  doit  faire  beaucoup  de  bruit, 
msis  avoir  très-peu  d'expression  :  ce  qui  est  précisément  le  caraclère  de 
la  musique  françoise.  Il  est  vrai  qu'en  ménageant  les  accords  et  les 
lies,  le  choix  devient  difficile  et  liemande  beaucoup  d'expérience  et 
-Toiît  pour  le  faire  toujours  à  propos  :  mais  s'il  y  a  une  règle  pour 
a;aer  au  composiieur' à  se  bien  conduire  en  pareille  occasion,  c'est  cer- 
tainement celle  de  l'unité  de  mélodie  que  j'ai  tàclié  d'établir:  ce  qui  so 
rapporte  au  caractère  de  la  musique  italienne,  et  rend  raison  de  la  dou- 
ceur du  chant,  joint- à  la  force  d'expression  qui  y  règne. 

11  suit  de  tout  ceci  qu'après  avoir  bien  étudié  les  règles  élémentaires 
•de  l'harmonie,  le  musicien  ne  doit  point  se  liâler  de  la  prodiguer  incon- 
sidérément, ni  se  croire  en  état  de  composer  parce  qu'il  sait  remplir  des 
accords,  mais  qu'il  doit,  avant  que  de  mettre  la  main  à  l'œuvie.  s'ap- 
pliquer à  l'étude  beaucoup  plus  longue  et  plus  difficile  des  impressions 
•diverses  que  les  consonnances.  les  dissonances,  et  tous  les  accords, 
font  sur  les  oreilles  sensibles,  et  se  dire  souvent  à  lui-même  que  le  grand 
•art  du  compositeur  ne  consiste  pas  moins  à  savoir  discerner  d;ins  l'oc- 
casion les  sons  qu'on  doit  supprimer,  que  ceux  dont  il  faut  faire  usage. 
C'est  en  étudiant  et  feuilletant  sans  cesse  le>  chefs-d'œuvre  de  l'Italie 
qu'il  apprendra  à  faire  ce  choix  exquis,  si  la  nature  lui  a  donné  assez 
<le  génie  et  de  goût  pour  eu  sentir  la  nécessité;  car  les  difficultés  de 


m^ 


158  LETTRE 

l'art  ne  se  laissent  apercevoir  qu'à  ceux  qui  sont  faits  pour  les  vaincre  : 
el  ceux-là  ne  s'aviseront  pas  de  compter  avec  mépris  les  portées  vides 
d'une  partition;  mais,  voyant  la  facilité  qu'un  écolier  auroit  eue  à  les 
remplir,  ils  soupçonneront  et  chercheront  les  raisons  de  cette  simplicité  ' 
trompeuse ,  d'autant  plus  admirable  qu'elle  cache  des  prodiges  sous  une  : 
feinle  négligence,  et  que  Varte  che  tutto  fa,  nulla  si  scuopre. 

Voilà,  à  ce  qu'il  me  semble,  la  cause  des  effets  surprenans  que  pro 
duit  l'harmonie  de  la  musique  italienne,  quoique  beaucoup  moins: 
chargée  que  la  nôtre  ,  qui  en  produit  si  peu  :  ce  qui  ne  signifie  pas  qu'il 
j  ue  faille  jamais  remplir  l'harmonie ,  mais  qu'il  ne  faut  la  remplir  qu'avec  ; 
Ichoix  et  discernement.  Ce  n'est  pas  non  plus  à  dire  que  pour  ce  choix 
le  musicien  soit  obligé  de  faire  tous  ces  raisonnemens ,  mais  qu'il  en  doit 
sentir  le  résultat.  C'est  à  lui  d'avoir  du  génie  et  du  goût  pour  trouver 
les  choses  d'effet:  c'est  au  théoricien  à  en  chercher  les  causes,  et  à  dire 
pourquoi  ce  sont  des  choses  d'effet. 

Si  vous-jetez  les  yeux  sur  nos  compositions  modernes,  surtout  si 
vous  les  écoutez,  vous  reconnoîtrez  bientôt  que  nos  musiciens  ont  si  mal 
compris  tout  ceci ,  que,  s'efforçant  d'arriver  au  même  but,  ils  ont  direc- 
tement scivila  route  opposée;  et,  s'il  m'est  permis  de  vous  dire  natu- 
rellement ma  pensée  ,  je  trouve  que  plus  notre  musique  se  perfectionne 
en  apparence ,  et  plus  elle  se  gâte  en  effet.  Il  étoit  peut-être  nécessaire 
qu'elle  vînt  au  point  où  elle  est,  pour  accoutumer  insensiblement  nos 
oreilles  à  rejeter  les  préjugés  de  l'habitude,  et  à  goûter  d'autres  airb 
que  ceux  dont  nos  nourrices  nous  ont  endormis;  mais  je  prévois  que. 
pour  la  porter  au  très-médiocre  degré  de  bonté  dont  elle  est  suscep- 
tible, il  faudra  tôt  ou  tard  commencer  par  redescendre  ou  remonter  au 
point  où  Lulli  l'avoit  mise.  Convenons  que  l'harmonie  de  ce  célèbre 
musicien  est  plus  pure  et  moins  renversée;  que  ses  basses  sont  plus 
naturelles  et  marchent  plus  rondement;  que  son  chant  est  mieux 
suivi;  que  ses  accompagnemens,  moins  chargés,  naissent  mieux  du  sujet 
el  en  sortent  moins;  que  son  récitatif  est  beaucoup  moins  maniéré,  et 
par  conséquent  beaucoup  meilleur  que  le  nôlre  :  ce  qui  se  confirme  par 
le  goût  de  l'exécution;  car  l'ancien  récitatif  étoit  rendu  par  les  acteurs 
de  ce  temps-là  tout  autrement  que  nous  ne  faisons  aujourd'hui.  Il  étoit 
plus  vif  et  moins  traînant;  on  le  chantoit  moins,  et  on  le  déclamoit 
davantage  '.  Les  cadences,  les  ports  de  voix  se  sont  multipliés  dans  le 
nôtre;  il  est  devenu  encore  plus  languissant,  et  l'on  n'y  trouve  presque 
plus  rien  qui  le  dislingue  de  ce  qu'il  nous  plaît  d'appeler  air. 

Puisqu'il  est  question  d'airs  et  de  récitatifs,  vous  voulez  bien,  mon- 
sieur, que  je  termine  cette  lettre  par  quelques  observations  sur  l'un  et 
sur  l'autre ,  qui  deviendront  peut-être  des  éclaircissemens  utiles  à  la 
solution  du  problème  dont  il  s'agit. 

On  peut  juger  de   l'idée  de  nos  musiciens  sur  la  constitution  d'un 


4.  Cela  se  prouve  par  la  durée  des  opéras  de  Lulli ,  beaucoup  plus  grande 
aujourd'hui  que  de  son  temps,  selon  le  rapport  unanime  de  tous  ceux  qui  le» 
orvi  vus  anciennement.  Aussi,  toutes  les  fois  qu'on  redonne  ces  opéras,  esl-on 
obligé  d'y  faire  des  rclranclicmens  considéiabics. 


I 


SUR  LA  MUSIQUE  FRAN'ÇOISE.  189 

^T3é^a  par  la  singularité  de  leur  nomenclature.  Ces  grands  morceaux  de 
muMQue  italienne  qui  ravissent,  ces  chefs-d'œuvre  de  génie  qui  arra- 
chpnt  des  larmes,  qui  offrent  les  tableaux  les  plus  frappans ,  qui  pei- 
L'nent  les  situations  les  plus  vives ,  et  portent  dans  l'âme  toutes  les  pas- 
sions qu'ils  expriment,  les  François  les  appellent  des  ariettes.  Us 
donnent  le  nom  dairs  à  ces  insipides  chansonnettes  dont  ils  entre- 
mêlent les  scènes  de  leurs  opéras,  et  réservent  celui  de  monologues  par 
excellence  à  ces  traînantes  et  ennuyeuses  lamentations  a  qui  il  ne 
manque,  pour  assoupir  tout  le  monde,  que  d'être  chantées  juste  et 

sans  cris.  ^  r    *        .- 

Dans  les  opéras  italiens,  tous  les  airs  sont  en  situation  et  font  partie 
des  scènes.  Tantôt  c'est  un  père  désespéré  qui  croit  voir  1  ombre  dun 
fils  qu'il  a  fait  mourir  injustement  lui  reprocher  sa  cruauté  ;  tantôt  c  est 
un  prince  débonnaire  qui.  forcé  de  donner  un  exemple  de  sevente, 
demande  aux  dieux  de  lui  ôter  l'empire,  ou  de  lui  donner  un  cœur 
moins  sensible.  Ici  c'est  une  mère  tendre  qui  verse  des  larmes  en  re- 
trouvant son  fils  qu'elle  croyoït  mort:  là,  c'est  le  langage  de  i  amour, 
non  rempli  de  ce  fade  et  puéril  galimatias  de  flammes  et  de  chamcs . 
mais  tragique,  vif,  bouillant,  entrecoupe,  et  tel  qu'il  convient  aux  pas- 
sions impétueuses.  C'est  sur  de  telles  paroles   qu'il  sied  bien  de  de- 
I  ployer  toutes  les  richesses  dune  musique  pleine  de  force  et  d  expres- 
sion.  et  de  renchérir  sur  l'énergie  de  la  poésie  par  celle  de  1  harmonie 
et  du  chant.  Au  contraire ,  les  paroles  de  nos  aneltes ,  toujours  déta- 
chées du  sujet .  ne  sont  qu'un  misérable  jargon  emmiellé  qu'on  est  trop 
h-ureux  de  ne  pas  entendre:  c'est  une  collection  faite  au  hasard  du 
très-petit   nombre   de  mots   sonores  que  notre  langue  peut  fournir, 
tournés  et  retournés  de  toutes  les  manières ,  excepté  de  celle  qui  pour- 
roit  leur  donner  du  sens.  C'est  sur  ces  impertinens  amphigouris  que  nos 
musiciens   épuisent  leur  goût  et  leur  savoir,     et    nos  acteurs  leurs 
gestes  et  leurs  poumons  :  c'est  à  ces  morceaux  extravagans  que  nos 
femmes  se  pâment  d'admiration.  Et  la  preuve  la  plus  marquée  que  la 
musique  francoise  ne  sait  ni  peindre  ni  parler,  c'est  quelle  ne  peut 
développer  le 'peu  de  beautés  dont  elle  est  susceptible  que  sur  des  pa- 
pales qui  ne  signifient  rien.  Cependant,  à  entendre  les  François  parler 
-  musique ,   on  croiroit  que  c'est  dans  leurs  opéras  qu'elle  peint  de 
nds  tableaux  et  de  grandes  passions .   et   qu'on  ne  trouve  que  des 
nettes  dans  les  opéras  italiens,  où  le  nom  même  d'anetle  et  la  ridicule 
chose  qu'il  exnrime  sont  également  inconnus.  Il  ne  faut  pas  être  surpris 
de  la  c^ro^sièreté  de  ces  préjugés:  la  musique  italienne  n'a  d'ennemis, 
même  parmi  nous,  que  ceux  qui  n'y  connoissent  rien:  et  tous  les  Fran- 
çois qui  ont  tenté  de  l'étudier  dans  le  seul  dessein  de  la  critiquer  en 
connoissance  de  cause,  ont  bientôt  été  ses  plus  zélés  admirateurs'. 

Après  les  ariettes,  qui  font  à  Paris  le  triomphe  du  goût  moderne, 
viennent  les  fameux  monologues  qu'on  admire  dans  nos  anciens  opéras: 

I  C'est  un  préjugé  peu  favorable  à  la  musique  francoise  que  ceux  qui  la 
nieprisenl  le  plus  soient  précisém.-nl  ceux  qui  la  connoissent  le  mieux;  car 
c  !e  est  aussi  ridicule  quand  on  lexasi-ne,  qu'insupporlable  quand  ou  1  ecoul«. 


190  LETTRE 

sur  quoi  l'on  doit  remarquer  que  nos  plus  beaux  airs  sont  toujours  dans 
les  monologues  et  jamais  dans  les  scènes  ,  parce  que  nos  acteurs  n'ayant 
aucun  jeu  muet,  et  la  musique  n'indiquant  aucun  geste  et  ne  peignant 
aucune  si  ualion .  celui  qLi  garde  le  silence  ne  sait  que  faire  de  sa  per- 
sonne pendant  que  l'autre  chaule. 

Le  caractère  traînant  de  la  langue,  le  peu  de  flexibilité  de  nos  vo'x, 
et  le  Ion  lamentable  qui  règne  perpétuellement  dans  noire  opéra,  met- 
tent presque  tous  les  monologues  françois  sur  un  mouvement  lent;  et 
comme  la  mesure  ne  s'y  fait  sentir  ni  dans  le  chant,  ni  dans  la  basse, 
ni  dans  l'accompagnement,  rien  n'est  si  traînant,  si  lâche,  si  lan^'uis- 
sant .  que  ces  beaux  monologues  que  tout  le  monde  admire  en  bàillanl  : 
ils voudroient  être  tristes,  el  ne  sont  qu'ennuyeux;  ils  voudroieul  lou- 
cher le  cœur,  et  ne  font  qu'affliger  les  oreilles. 

Les  Italiens  sont  plus  adroits  dans  leurs  adagio;  car,  lorsque  léchant 
est  si  lent  qu'il  seroit  à  craindre  qu'il  ne  laissât  affoiblir  l'idée  de  la 
mesure,  ils  font  marcher  la  basse  par  notes  égales  qui  marquent  le 
mouvement,  et  l'accompagnement  le  marque  aussi  par  des  subdivisions 
de  notes  qui,  soutenant  la  voix  et  l'oreille  en  mesure,  ne  rendent  le 
chant  que  plus  agréable  el  surtout  plus  énergique  par  celle  précision. 
Mais  la  nature  du  chant  françois  interdit  cette  ressource  à  nos  compo- 
siteurs :  car,  dès  que  l'acteur  seroit  forcé  d'aller  en  mesure,  il  nepour- 
roil  plus  développer  sa  voix  ni  son  jeu,  traîner  son  chant,  renfler,  pro- 
longer ses  sons,  ni  crier  à  pleine  tète,  et  par  conséquent  il  ne  seroit 
plus  applaudi. 

Mais  ce  qui  prévient  encore  plus  efficacement  la  monotonie  et  l'ennui 
dans  les  tragédies  italiennes,  c'est  l'avantage  de  pouvoir  exprimer  tous 
lessentimens  et  peindre  tous  les  caractères  avec  telle  mesure  et  tel  raou- 
yement  qu'il  plaît  au  compositeur.  Kotre  mélodie,  qui  ne  dit  rien  par 
elle-même,  tire  toute  son  expression  du  mouvement  qu'on  lui  donne; 
elle  est  forcément  triste  sur  une  mesure  lente ,  furieuse  ou  gaie  sur  un 
mouvement  vif,  grave  sur  un  mouvement  modéré  :  le  chantn'y  faitpres- 
que  rien  ;  la  mesure  seule ,  ou ,  pour  parler  plus  juste ,  le  seul  degré  de 
vitesse  détermine  le  caractère.  Mais  la  mélodie  italienne  trouve  dans 
chaque  mouvement  des  expressions  pour  tous  les  caractères ,  des  tableaux 
pour  tous  les  objets.  Elle  est,  quand  il  plaît  au  musicien,  triste  sur 
un  mouvement  vif,  gaie  sur  un  mouvem.nt  lent,  et,  comme  je  l'ai  déjà 
dit,  elle  change  sur  le  même  mouvement  de  caractère  au  gré  du  compo- 
siteur; ce  qui  lui  donne  la  facilité  des  contrastes,  sans  dépendre  en  cela 
du  poète,  et  sans  s'exposer  à  des  contre-sens. 

Voilà  la  source  de  cette  prodigieuse  variété  que  les  grands  maîtres 
d'Italie  savent  répandre  dans  leurs  opéras,  sans  jamais  sortir  de  la  na- 
ture :  variété  qui  prévient  la  monotonie,  la  langueur  el  l'ennui,  et 
que  les  musicien^  françois  ne  peuvent  imiter,  parce  que  leurs  mouve- 
mens  sont  donnés  par  le  sens  des  paroles,  et  qu'ils  sont  forcés  de  s'y 
tenir,  s'ils  ne  veulent  tomber  dans  des  contre-sens  ridicules. 

A  l'égard  du  récitatif,  dont  il  me  reste  à  parler,  il  me  semble  que, 
pour  en  bien  juger ,  il  faudroit  une  fois  savoir  précisément  ce  que  c'est  -, 
car  jusqu'ici  je  ne  sache  pas  que ,  de  tous  ceux  qui  en  ont  disputé ,  per- 


SLR   LA  MUSIQUE  FRANÇOISE.  191 

sonne  se  soit  dvisé  de  le  définir.  Je  ne  sais,  monsieur,  quelle  idée  vous 
pouvez  avoir  de  ce  mol  ;  quant  à  moi ,  j'appelle  récLtalif  une  déclamatioa 
harmonieuse,  c'est-à-dire  une  déclamation  dont  toutes  les  inflexions  se 
font  par  intervalles  harmoniques  :  d'où  il  suit   que.   comme  chaque 
langue  a  une  déclamation  qui  lui  est  propre,  chaque  langue  doit  aussi 
avoir  son  récitatif  particulier:  ce  qui  nempèche  pas  qu'on  ne- puisse 
très-bien  comparer  un  récitatif  à  un  autre,  pour  savoir  lequel  des  deux. 
est  le  meilleur,  ou  celui  qui  se  rapporte  le  mieux  à  son  objet. 
Le  récitatif  est  nécessaire  dans  les  drames  lyriques.  !•  pour  lier  l'ac- 
.  et  rendre  le  spectacle  un:  2*  pour  faire  valoir  les  airs  dont  la  con- 
..té  deviendroit  insupportable:  3°  pour  exprimer  une  multitude  ds 
ciiOses  qui  ne  peuvent  ou  ne  doivent  point  être  exprimées  par  la  mu- 
sique chantante  et  cadencée.  La  simple  déclamation  ne  pouvoit  convenir 
à  tout  cela  dans  un  ouvrage  lyrique,  parce  que  la  transition  de  la 
parole  au  chant ,  et  surtout  du  chant  à  la  parole .  a  une  dureté  à  laquelle 
^l'oreii-e  se  prêle  difficilement,  et  forme  un  contraste  choquant  qui  dé- 
truit toule  l'illusion,  et  par  conséquent  l'intérêt  :  car  il  y  a  une  sorte 
de  vraisemblance  qu'il  faut  conserver,  même  à  l'Opéra,  en  rendant  le 
discours  tellement  uniforme,  que  le  tout  puisse  être  pris  au  moins  pour 
une  langue  hypothétique.  Joignez  à  cela  que  le  secours  des  accords 
, augmente  l'énergie  de  la  déclamation   harmonieuse,  et  dédommage 
avantageusement   de   ce   qu'elle   a  de   moins   naturel  dans  les  into- 
nations. 

Il  est  évident,  d'après  ces  idées,  que  le  meilleur  récitatif,  dans  quel- 
que langue  que  ce  soit,  si  elle  a  d'ailleurs  les  conditions  nécessaires,  est 
C'iui  qui  approche  le  plus  de  la  parole;  s'il  y  en  avoit  un  qui  en  appro- 
•  tellement,  en  conservant  l'harmonie  qui  lui  convient ,  que  l'oreille 
esprit  pût  s'y  tromper,  on  devroit  prononcer  hardiment  que  celui- 
là  auroit  atteint  toute  la  perfection  dont  aucun  récitatif  puisse  être 
susceptible. 

"\aminons  maintenant  sur  ce'-te  règle  ce  qu'on  appelle  en  France 
alif:  et  dites-moi.  je  vous  prie,  quel  rapport  vous  pouvez  trouver 
t..  le  ce  récitatif  et  notre  déclamation.  Comment  concevrez-vousjamais 
que  la  langue  françoise.  dont  l'accent  est  si  uni.  si  simple,  si  modeste, 
si  peu  chantant,  soit  bien  rendue  par  les  bruyantes  et  criardes  intona- 
tions de  ce  récitatif,  et  qu'il  y  ait  quelque  rapport  entre  les  douces  in- 
flexions de  la  parole  et  ces  sons  soutenus  et  renflés,  ou  plutôt  ces  cris 
éternels  qui  font  le  tissu  de  cette  partie  de  notre  musique  encore  plus 
même  que  des  airs?  Faites,  par  exemple .  réciter  à  quelqu'un  qui  sache 
lire  les  quatre  premiers  vers  de  la  fameuse  reconnoissance  d'Iphigénie; 
à  peine  reconnoîtrez-vous  quelques  légères  inégalités,  quelques  foiljles 
exions  de  voix,  dans  un  récit  tranquille  qui  n'a  rien  de  vif  ni  do 
:-:onnê ,  rien  qui  doive  engager  celle  qui  le  fait  à  élever  ou  à  baisser 
Id  voix.  Faites  ensuite  réciter  par  une  de  nos  actrices  ces  mêmes  vers 
sur  la  note  du  musicien .  et  tâchez,  si  vous  le   pouvez,  de  supporier 
cette  extravagante  criailîerie  qui  passe  à  chaque  instant  de  bas  en  haut 
'  et  de  haut  en  bas,  parcourt  sans  sujet  toute  l'étendue  de  la  voix  .  et 
susper.d  le  récit  hors  de  propos  pour  jiler  de  beaux  sons  sur  des  svl- 


192  LETTRE 

]abos  qui  ne  signifient  rien,  et  qui  ne  forment  aucun  repos  dans  Ifl 
sens. 

Qu'on  joigne  à  cela  les  frétions,  les  cadences,  les  ports  de  voix  qui 
reviennent  à  chaque  instant,  et  qu'on  me  dise  quelle  analogie  il  peut  y 
avoir  entre  la  parole  et  toute  cette  maussade  pretintaille,  entre  la  décla- 
mation et  ce  prétendu  récitatif;  qu'on  me  montre  au  moins  quelque 
côté  par 'lequel  on  puisse  raisonnablement  vanter  ce  merveilleux  récitatif 
francois ,  dont  l'invention  fait  la  gloire  de  Lulli. 

C'est  une  chose  assez  plaisante  que  d'entendre  les  part'sans  de  la 
musique  françoise  se  retrancher  dans  le  caractère  de  la  langue,  et  reje- 
ter sur  elle  des  défauts  dont  ils  n'osent  accuser  leur  idole,  tandis  qu'il 
est  de  toute  évidence  que  le  meilleur  récitatif  qui  peut  convenir  à  la 
langue  françoise  doit  être  opposé  presque  en  tout  à  celui  qui  y  est  en 
usage -.rqu'il  doit  rouler  entre  de  fort  petits  intervalles,  n'élever  ni 
n'abaisser  beaucoup  la  voix;  peu  de  sons  soutenus,  jamais  d'éclats, 
encore  moins  de  cris;  rien  surtout  qui  ressemble  au  chant;  peu  d'iné- 
galité dans  la  durée  ou  valeur  des  notes,  ainsi  que  dans  leurs  degrés. 
En  un  mot ,  le  vrai  récitatif  francois  .  s'il  peut  y  en  avoir  un  ,  ne  se  trou- 
vera que  dans  une  route  directement  contraire  à  celle  de  Lulli  et-rie  ses 
successeurs,  dans- quelque  route  nouvelle  qu'assurément  les  composi- 
teurs francois  .  si  fiers  de  leur  faux  savoir,  et  par  conséquent  si  éloignés 
de  sentir  et  d'aimer  le  véritable,  ne  s'aviseront  pas  de  chercher  sitôt, 
et  que  probablement  ils  ne  trouveront  jamais. 

Ce  seroit  ici  le  lieu  de  vous  montrer,  par  l'exemple  du  récitatif  ita- 
lien, que  toutes  les  conditions  que  j'ai  supposées  dans  un  bon  récitatif 
peuvent  en  effet  s'y  trouver;  qu'il  peut  avoir  à  la  fois  toute  la  vivacité 
de  la  déclamation  et  toute  l'énergie  de  l'harmonie;  qu'il  peut  marcher 
aussi  rapidement  que  la  parole,  et  être  aussi  mélodieux  qu'un  véritable 
chant;  qu'il  peut  marquer  toutes  les  inflexions  dont  les  passions  les  plus 
véhémentes  animent  le  discours,  sans  forcer  la  voix  du  chanteur  ni 
étourdir  les  oreilles  de  ceux  qui  écoutent.  Je  pourrois  vous  montrer 
comment,  à  l'aide  d'une  marche  fondamentale  particulière,  on  peut 
multiplier  les  modulations  du  récitatif  d'une  manière  qui  lui  soit  pro- 
pre, et  qui  contribue  à  le  distinguer  des  airs,  où.  pour  conserver  les 
grâces  de  la  mélodie,  il  faut  changer  de  ton  moins  fréquemment;  com- 
ment surtout,  quand  on  veut  donner  à  la  passion  le  temps  de  déployer 
tous  ses  mouvemens,  on  peut,  à  l'aide  d'une  symphonie  habilement 
ménagée,  faire  exprimer  à  l'orchestre  par  des  chants  pathétiques  et 
variés  ce  que  l'acteur  ne  doit  que  réciter  :  chef-d'œuvre  de  l'art  du  mu- 
sicieu/  par  lequel  il  sait,  dans  un  récitatif  obligé  ',  joindre  la  mélodie 
la  plus  touchante  à  toute  la  véhémence  de  la  déclamation,  sans  jamais 
co.ifondre  l'une  avec  l'autre;  je  pourrois  vous  déployer  les  beautés  sans 

i ,  J'avilis  cspéi é  ([uc  le  sirur  CafTarcHi  nous  donncroil ,  au  concert  spiriiuel, 
quelque  niurccau  i!c  jivand  réciialif  cl  de  clianl  palliéiiipic  ,  pour  faire  tn- 
l<ri(lv';  une  lois  aux  prétendus  connoisseurs  ce  qu  ils  ju;4Cnt  depuis  si  long- 
leini  s;  innis,  sur  ses  raisons  pour  n'en  rien  l'aire,  j'ai  trouvé  qu'il  connoissoU 
encore  mieux  que  moi  la  perlée  l'.e  sls  anducjii-s. 


SUR  LA  MUSIQUt;  FRANÇOISE.  193 

nombre  de  cet  admirable  récitatif,  dont  on  fait  en  France  tant  de  contes 
aussi  absurdes  que  les  jugemens  qu"on  s'y  raêle  d'en  porter;  comme  si 
quelqu'un  pouvoit  prononcer  sur  un  récitatif  sans  connoître  à  fond  la 
langue  à  laquelle  il  est  propre.  Mais,  pour  entrer  dans  ces  détails,  il 
faudroit,  pour  ainsi  dire,  créer  un  nouveau  dictionnaire,  inventera 
chaque  instant  des  termes  pour  offrir  aux  lecteurs  françois  des  idées 
inconnues  parmi  eux,  et  leur  tenir  des  discours  qui  leur  paroîtroient 
du  galimatias.  En  un  mot,  pour  en  être  compris,  il  faudroit  leur  parler 
un  langage  qu'ils  entendissent ,  et  par  conséquent  de  sciences  et  d'arts  de 
tout  genre,  excepté  la  seule  musique.  Je  n'entrerai  donc  point  sur  cette 
matière  dans  un  détail  affecté  qui  ne  serviroit  de  rien  pour  l'instruction 
des  lecteurs,  et  sur  lequel  ils  pourroient  présumer  que  je  ne  dois 
qu'à  leur  ignorance  en  cette  partie  la  force  apparente  de  mes  preuves. 

Par  la  même  raison  je  ne  tenterai  pas  non  plus  le  parallèle  qui  a  été 
proposé  cet  hiver,  dans  un  écrit  adressé  au  petit  Prophète  et  à  ses  ad- 
versaires, de  deux  morceaux  de  musique,  l'un  italien  et  l'autre  fran- 
çois, qui  y  sont  indiqués.  La  scène  italienne,  confondue  en  Ita/ie  avec 
mille  autres  chefs-d'œuvre  égaux  ou  supérieurs,  étant  peu  connue  à 
Paris,  peu  de  gens  pourroient  suivre  la  comparaison ,  et  il  se  trouveroit 
que  je  n'aurois  parlé  que  pour  le  petit  nombre  de  ceux  qui  savoient  déjà 
ce  que  j'avois  à  leur  dire.  Mais ,  quant  à  la  scène  françoise  .  j'en  crayon- 
nerai volontiers  l'analyse,  ayec  d'autant  plus  de  plaisir,  qu'étant  le 
morceau  consacré  dans  la  nation  par  les  plus  unanimes  suffrages,  je 
n'aurai  pas  à  craindre  qu'on  m'accuse  d'avoir  mis  de  la  partialité  dans 
le  choix,  ni  d'avoir  voulu  soustraire  mon  jugement  à  celui  des  lecteurs 
par  un  sujet  peu  connu. 

Au  reste ,  comme  je  ne  puis  examiner  ce  morceau  sans  en  adopter  le 
genre ,  au  moins  par  hypothèse ,  c'est  rendre  à  la  musique  françoise 
tout  l'avantage  que  la  raison  m'a  forcé  de  lui  ôter  dans  le  cours  de  cette 
lettre:  c'est  la  juger  sur  ses  propres  règles  :  de  sorte  que,  quand  cette 
scène  sercit  aussi  parfaite  qu'on  le  prétend,  on  n'en  pcurroit  conclure 
autre  chose,  sinon  que  c'est  de  la  musique  françoise  bien  faite;  ce  qui 
Ti'empêcheroit  pas  que .  le  genre  étant  démontré  mauvais ,  ce  ne  fût  abso. 
iraent  de  mauvaise  musique.  Il  ne  s'agit  donc  ici  que  de  voir  si  I'oû 
,  ;ut  l'admettre  pour  bonne,  au  moins  dans  son  genre. 

Je  vais  pour  cela  tâcher  d'analyser  en  peu  de  mots  ce  célèbre  mono- 
logue d'Armide.  Etïfin  il  est  en  ma  puissance,  qui  passe  pour  ua 
chef-d'œuvre  de  déclamation,  et  que  les  maîtres  donnent  eux-mêmes 
f  our  le  modèle  le  plus  parfait  du  vrai  récitatif  françois. 

Je  remarque  d'abord  que  M.  Rameau  l'a  cité,  avec  raison,  en  exem- 
ple d'une  modulation  exacte  et  très-bien  liée  :  mais  cet  éloge ,  appliqué 
au  morceau  dont  il  s'agit,  devient  une  véritable  satire,  et  M.  Rameau 
lui-même  se  seroit  bien  gardé  de  mériter  une  semblable  louange  en 
pareil  cas;  car  que  peut-on  penser  de  plus  mal  conçu  que  cette  régula- 
rité scolastique  dans  une  scène  ou  l'emportement,  la  tendresse,  et  le 
contraste  des  passions  opposées ,  mettent  l'actrice  et  les  spectateurs  dans 
la  plus  vive  agitation?  Armide  furieuse  vient  poignarder  son  ennemi.  A 
son  aspect  elle  hésite ,  elle  se  laisse  attendrir,  le  poignard  lui  tombe  des 

llOLSStAU  VI  13 


194  LETTRE 

mains-,  elle  oublie  tous  ses  projets  de  vengeance ,  et  n'oublie  pas  un  seul 
instant  sa  modulation.  Les  réticences,  les  interruptions,  les  transitions 
intellectuelles  que  le  poëte  offroit  au  musicien,  n'ont  pas  été  une  seule 
fois  saisies  par  celui-ci.  L'héroïne  finit  par  adorer  celui  qu'elle  vouloit 
égorger  au  commencement  ;  le  musicien  finit  en  E  si  mi ,  comme  il  avoit 
commencé,  sans  avoir  jamais  quitté  les  cordes  les  plus  analogues  au  ton 
principal,  sans  avoir  mis  une  seule  fois  dans  la  déclamation  de  l'actrice 
la  moindre  inflexion  extraordinaire  qui  fît  foi  de  l'agitation  de  son  âme , 
sans  avoir  donné  la  moindre  expression  à  l'harmonie  :  et  je  défie  qui 
que  ce  soit  d'assigner  par  la  musique  seule,  soit  dans  le  ton,  soit 
dans  la  mélodie,  soit  dans  la  déclamation,  soit  dans  l'accompagne- 
ment, aucune  diflférence  sensible  entre  le  commencement  et  la  fin  de 
cette  scène  ,  par  où  le  spectateur  puisse  juger  du  changement  prodigieux 
qui  est  fait  dans  le  cœur  d'Armide. 

Observez  cette  basse  continue  :  que  de  croches  !  que  de  petites  notes 
passagères  pour  courir  après  la  succession  harmonique!  Est-ce  ainsi 
que  marche  la  basse  d'un  bon  récitatif,  où  l'on  ne  doit  entendre  que  de 
grosses  notes,  de  loin  en  loin,  le  plus  rarement  qu'il  est  possible,  et 
seulement  pour  empêcher  la  voix  du  récitant  et  l'oreille  du  spectateur 
de  s'égarer? 

Mais  voyons  comment  sont  renaus  les  beaux  vers  de  ce  monologue , 
qui  peut  passer  en  effet  pour  un  chef-d'œuvre  de  poésie  : 

Enfin  il  est  en  ma  puissance... . 

Voilà  un  trille  ' ,  et ,  qui  pis  est ,  un  repos  absolu  dès  le  premier  vers , 
tandis  que  le  sens  n'est  achevé  qu'au  second.  J'avoue  que  le  poëte  eût 
peut-être  mieux  fait  d'omettre  ce  second  vers,  et  de  laisser  aux  specta- 
teurs le  plaisir  d'en  lire  le  sens  dans  l'âme  de  l'actrice;  mais,  puisqu'il 
l'a  employé,  c'étoit  au  musicien  de  le  rendre. 

Ce  fatal  ennemi,  ce  superbe  vainqueur l 

Je  pardonnerois  peut-être  au  musicien  d'avoir  mis  ce  second  vers 
dans  un  autre  ton  que  le  premier,  s'il  se  permettoit  un  peu  plus  d'en 
changer  dans  les  occasions  nécessaires. 

Le  charme  du  sommeil  le  livre  à  ma  vengeance. 

Les  mots  de  charme  et  de  sommeil  ont  été  pour  le  musicien  un  piège 
inévitable  ;  il  a  oublié  la  fureur  d'Armide ,  pour  faire  ici  un  petit  somme 
dont  il  se  réveillera  au  mot  percer.  Si  vous  croyez  que  c'est  par  hasard 
qu'il  a  employé  des  sons  doux  sur  le  premier  hémistiche ,  vous  n'avez 
qu'à  écouter  la  basse  :  LuUi  n'étoit  pas  homme  à  employer  de  ces  dièses 
pour  rien. 

Je  vais  percei'  son  invincible  cœur 

4 .  Je  suis  contrainl  de  franciser  ce  mot,  pour  exprimer  le  batlnmenl  de 
gosier  que  les  Italiens  appellent  ainsi,  parce  que,  me  trouvant  à  chaque  inslani 
dans  la  nécessité  de  me  servir  du  mot  de  cadence  dans  une  autre  acception,  i  ( 
ne  m'éloil  pas  possible  d'éviter  autrement  des  équivoques  continuelles. 


SUR   LA  MUSIQUE  FRANÇOISE.      '  195 

Que  cette  cadence  finale  est  ridicule  dans  un  mouvement  aussi  impé- 
ftueux  !  Que  ce  trille  est  froid  et  de  mauvaise  grâce  !  Qu'il  est  mal  placé 
sur  une  syllabe  brève,  dans  un  récitatif  qui  devroit  voler,  et  au  milieu 
d'un  transport  violent  I 

Par  lui  tous  mes  captifs  sont  sortis  d'esclavage  *. 
Qu'il  éprouve  toute  ma  rage. 

On  voit  qu'il  y  a  ici  une  adroite  réticence  du  poète.  Armide,  après 
savoir  dit  qu'elle  va  percer  l'invincible  cœur  de  Renaud,  sent  dans  le 
sien  les  premiers  mouvemens  de  la  pitié,  ou  plutôt  de  l'amour  :  elle 
•cherche  des  raisons  pour  se  raffermir,  et  cette  transition  intellectuelle 
nmène  fort  bien  ces  deux  vers,  qui,  sans  cela,  se  lieroient  mal  avec  les 
précédens,et  deviendroient  une  répétition  tout  à  fait  superflue  de  ce 
•qui  n'est  ignoré  ni  de  l'actrice  ni  des  spectateurs. 

Voyons  maintenant  comment  le  musicien  a  exprimé  cette  marche 
•secrète  du  cœur  d'Armide.  Il  a  bien  vu  qu'il  falloit  mettre  un  intervalle 
•entre  ces  deux  vers  et  les  précédens,  et  il  a  fait  un  silence  qu'il  n'a 
rempli  de  rien,  dans  un  moment  où  Armide  avoit  tant  de  choses  à  sen- 
tir, et,  par  conséquent,  l'orchestre  à  exprimer.  Après  cette  pause,  il 
recommence  exactement  dans  le  même  ton,  sur  le  même  accord,  sur  la 
imème  note  par  où  il  vient  de  finir,  passe  successivement  par  tous  les 
sons  de  l'accord  durant  une  mesure  entière  ,  et  quitte  enfin  avec  peine, 
et  dans  un  moment  où  cela  n'est  plus  nécessaire,  le  ton  autour  duquel 
il  vient  de  tourner  si  mal  à  propos 

Quel  trouble  me  saisit?  Qui  me  fait  hésiter? 

Autre  silence ,  et  puis  c'est  tout.  Ce  vers  est  dans  le  même  ton ,  pres- 
que dans  le  même  accord  que  le  précédent.  Pas  une  altération  qui  puisss 
indiquer  le  changement  prodigieux  qui  se  fait  dans  l'âme  et  dans  les 
discours  d'Armide.  La  tonique,  il  est  vrai,  devient  dominante  par  un 
mouvement  de  basse.  Eh  dieux  1  il  est  bien  question  de  tonique  et  de 
dominante  dans  un  instant  où  toute  liaison  harmonique  doit  être  inter- 
rompue ,  où  tout  doit  peindre  le  désordre  et  l'agitation  !  D'ailleurs ,  une 
Jégère  altération  qui  n'est  que  dans  la  basse  peut  donner  plus  d'énergie 
aux  inflexions  de  la  voix ,  mais  jamais  y  suppléer.  Dans  ce  vers ,  le  cœur , 
les  yeux ,  le  visage ,  le  geste  d'Armide ,  tout  est  changé ,  hormis  sa  voix  : 
elle  parle  plus  bas,  mais  elle  garde  le  même  ton. 

Qu'est-ce  qu'en  sa  faveur  la  pitié  me  veut  dire? 
Frappons. 

Comme  ce  vers  peut  être  pris  en  deux  sens  différens,  je  ne  veux  pas 
•chicaner  LuUi  pour  n'avoir  pas  préféré  celui  que  j'aurois  choisi.  Cepen- 
•dant  il  est  incomparablement  plus  vif,  plus  animé,  et  fait  mieux  valoir 
ce  qui  suit.  Armide,  comme  Lulli  la  fait  parler,  continue  à  s'attendrir 
-en  s'en  demandant  la  cause  à  elle-même  : 

Qu'est-ce  qu'en  sa  faveur  la  pitié  me  veut  dire? 


196  LETTRE 

Puis  tout  d'un  coup  elle  revient  à  sa  fureur  par  ce  seul  mot  : 

Frappons. 

Armide  indignée,  comme  je  la  conçois,  après  avoir  hésité,  rejette 
avec  précipitation  sa  vaine  pitié,  et  prononce  vivement  et  tout  d'une 
haleine,  en  levant  le  poignard  : 

Qu'est-ce  qu'en  sa  faveur  la  pitié  me  veut  dire? 
Frappons. 

Peut-être  LuUi  lui-même  a-t-il  entendu  ainsi  ce  vers,  quoiqu'il  l'ait 
rendu  autrement  :  car  sa  note  décide  si  peu  la  déclamation ,  qu'on  lui 
peut  donner  sans  risque  le  sens  que  l'on  aime  mieux. 

.     .     .    Ciel!  qui  peut  ra'arrêter? 
Achevons...,  Je  frémis.  Vengeons-nous....  Je  soupire. 

Voilà  certainement  le  moment  le  plus  violent  de  toute  la  scène:  c'est 
ici  que  se  fait  le  plus  graiid  combat  dans  le  cœur  d'Armide.  Qui  croiroit 
que  le  musicien  a  laissé  toute  cette  agitation  dans  le  même  ton,  sans  la 
moindre  transition  intellectuelle,  sans  le  moindre  écart  harmonique, 
d'une  manière  si  insipide,  avec  une  mélodie  si  peu  caractérisée  et  une 
si  inconcevable  maladresse ,  qu'au  lieu  du  dernier  vers  que  dit  le  poëtc  : 

Achevons....  Je  frémis.  Vengeons-nous....  Je  soupire. 

le  musicien  dit  exactement  celui-ci  : 

Achevons,  achevons.  Vengeons-nous,  vengeons-nous. 

Les  trilles  font  surtout  un  bel  effet  sur  de  telles  paroles,  et  c'est  une 
chose  bien  trouvée  que  la  cadence  parfaite  sur  le  mot  soupire! 

Est-ce  ainsi  que  je  dois  me  venger  aujourd'hui? 
Ma  colère  s'éteint  quand  j'approche  de  lui. 

Ces  deux  vers  seroient  bien  déclamés  s'il  y  avoit  plus  d'intervalle 
entre  eux,  et  que  le  second  ne  finît  pas  par  une  cadence  parfaite.  Ces 
cadences  parfaites  sont  toujours  la  mort  de  l'expression,  surtout  dans 
le  récitatif  françois,  où  elles  tombent  si  lourdement. 

Plus  je  le  vois,  plus  ma  vengeance  est  vaine. 

Toute  personne  qui  sentira  la  véritable  déclamation  de  ce  vers  jugera 
que  le  second  hémistiche  est  à  contre-sens;  la  voix  doit  s'élever  sur 
ma  vengeance ,  et  retomber  doucement  sur  vaine. 

Mon  bras  tremblant  se  refuse  à  ma  haine. 

Mauvaise  cadence  parfaite,  d'autant  plus  qu'elle  est  accompagnée  d'un 
trille. 

Ah!  quelle  cruauté  de  lui  ravir  le  jour! 

Faites  déclamer  ce  vers  à  Ml'e  Dumesnil,  et  vous  trouverez  que  le 
mol  cruauté  sera  le  plus  élevé,  et  que  la  voix  ira  toujours  en  baissant 


SUR  LA  MUSIQUE  FRANÇOISE.  197 

jusqu'à  la  fia  du  vers.  Mais  le  moyen  de  ne  pas  faire  poindre  le  jour  ' 
Je  reconnois  là  le  musicien. 

Je  passe,  pour  abréger,  le  re^te  de  cette  scène,  qui  n'a  plus  rien 
«l'intéressant  ni  de  remarquable  que  les  contre-sens  ordinaires  et  des 
trilles  continuels,  et  je  finis  par  le  vers  qui  la  termine  : 

Que,  s'il  se  peut,  je  le  haïsse. 

Cette  parenthèse,  s'il  se  peut  ^  me  semble  une  épreuve  suffisante  du 
talent  du  musicien  :  quand  on  la  trouve  sur  le  même  ton ,  sur  les  mêmes 
notes  que  je  le  haïsse,  il  est  bien  difficile  de  ne  pas  sentir  combien  Lulli 
eloit  peu  capable  de  mettre  de  la  musique  sur  les  paroles  du  grand 
homme  qu'il  tenoit  à  ses  gages. 

A  l'égard  du  petit  air  de  guinguette  qui  est  à  la  fin  de  ce  monologue, 
je  veux  bien  consentir  à  n'en  rien  dire  ;  et  s'il  y  a  quelques  amateurs  de 
la  musique  françoise  qui  connoissent  la  scène  italienne  qu'on  a  mise  en 
parallèle  avec  celle-ci ,  et  surtout  l'air  impétueux ,  pathétique  et  tragique 
qui  la  termine,  ils  me  sauront  gré  sans  doute  de  ce  silence. 

Pour  résumer  en  peu  de  mots  mon  sentiment  sur  le  célèbre  mono- 
logue, je  dis  que,  si  on  l'envisage  comme  du  chant,  od  n'y  trouve  ni 
mesure,  ni  caractère,  ni  mélodie;  si  l'on  veut  que  ce  soit  du  récitatif, 
on  n'y  trouve  ni  naturel,  ni  expression  :  quelque  nom  qu'on  veuille  lui 
donner,  on  le  trouve  rempli  de  sons  filés  .  de  trilles,  et  autres ornemens 
du  chant,  bien  plus  ridicules  encore  dans  une  pareille  situation  qu'ils 
ne  le  sont  communément  dans  la  musique  françoise.  La  modulation  en 
est  régulière .  mais  puérile  par  cela  même,  scolastique,  sans  énergie, 
sans  afl"ection  sensible.  L'accompagnement  s'y  borne  à  la  bas^e  conti- 
nue ,  dans  une  situation  où  toutes  les  puissances  de  la  musique  doivent 
être  déployées;  et  cette  basse  est  plutôt  celle  qu'on  feroit  mettre  à  un 
écolier  sous  sa  leçon  de  musique,  que  l'accompagnement  d'une  vive 
scène  d'opéra,  dont  l'harmonie  doit  être  choisie  et  appliquée  avec  un 
discernement  exquis  pour  rendre  la  déclamation  plus  sensible  et  l'ex- 
pression plus  vive.  En  un  mot,  si  l'on  s'avisoit  d'exécuter  la  musique  de 
cette  scène  sans  y  joindre  les  paroles,  sans  crier  ni  gesticuler,  il  ne 
seroit  pas  possible  d'y  rien  démêler  d'analogue  à  la  situation  qu'elle 
veut  peindre  et  au  sentiment  qu'elle  veut  e.xprimer,  et  tout  cela  ne  pa- 
roîtroit  qu'une  ennuyeuse  suite  de  sons,  modulée  au  hasard  et  seule- 
ment pour  la  faire  durer. 

Cependant  ce  monologue  a  toujours  fait,  et  je  ne  doute  pas  qu'il  ne 
fît  encore  un  grand  effet  au  théâtre ,  parce  que  les  vers  en  sont  admi- 
rables et  la  situation  vive  et  intéressante.  Mais,  sans  les  bras  et  le  jeu 
de  l'actrice ,  je  suis  persuadé  que  personne  n'en  pourroit  souffrir  le  ré- 
citatif, et  qu'une  pareille  musique  a  grand  besoin  du  secours  des  yeux 
pour  être  supportable  aux  oreilles. 

Je  crois  avoir  fait  voir  qu'il  n'y  a  ni  mesure  ni  mélodie  dans  la 
musique  françoise ,  parce  que  la  langue  n'en  est  pas  susceptible;  que  le 
chant  françois  n'est  qu'un  aboiement  continuel,  insupportable  à  toute 
oreille  non  prévenue;  que  l'harmonie  en  est  brute  ,  sans  expression,  et 
sentant  uniquement  son  remplissage  d'écolier;  que  les  airs  françois  r)c. 


108  li:ttp.I':  sur  la  musique  Françoise. 

sont  point  des  airs;  que  le  récitatif  fraiiçois  n'est  point  du  récitatif.'       «i 
D'.où  je  conclus  que  les  François  n'ont  point  de  musique  et  n'en  peuvent:      f  I 
avoir  ' .  ou  que ,  si  jamais  ils  en  ont  une ,  ce  sera  tant  pis  pour  eux. 
Je  suis,  etc. 


LETTRE 

D'UN  SYMPHONISTE  DE  L'ACADÉMIE  ROYALE  DE  MUSIQUE 

A  SES   CAMARADES   DE   l'ORCHESTRE. 

Enfin,  mes  chers  camarades,  nous  triomphons;  les  Bouffons  sont 
renvoyés  :  nous  allons  briller  de  nouveau  dans  les  symphonies  de 
M.  LuJli:  nous  n'aurons  plus  si  chaud  à  l'Opéra,  ni  tant  de  fatigue  à, 
roi'ciiestre.  Convenez,  messieurs,  que  c'étoit  un  métier  pénible  que 
celui  de  jouer  cette  clnenne  de  musique  où  la  mesure  alioil  sans  misé- 
ricorde, et  n'attendoit  jamais  que  nous  pussions  la  suivre.  Pour  moi. 
quand  je  me  sentois  observé  par  quelqu'un  de  ces  maudits  habilans  du; 
Coin  de  la  reine,  et  qu'un  reste  de  mauvaise  lionte  m'obligeoit  déjouer 
à  peu  près  ce  qui  étoit  sur  ma  partie ,  je  me  trouvois  le  plus  embarrasse 
du  monde ,  et  au  bout  d'une  ligne  ou  deux ,  ne  sachant  plus  où  j'en  étois , 
je  feignois  de  compter  des  pauses,  ou  bien  je  me  tirois  d'aflaire  en  sor- 
tant pour  aller  pisser. 

Vous  ne  sauriez  croire  quel  tort  nous  a  fait  cette  musique  qui  va  si 
vite,  ni  jusqu'où  s'étendoit  déjà  la  réputation  d'ignorance  que  quelques- 
prétendus  connoisseurs  osoient  nous  donner.  Pour  ses  quarante  sous. 
le  moindre  polisson  se  croyoit  en  droit  de  murmurer  lorsque  iious- 
jouions  faux;  ce  qui  troubloit  très-fréquemment  l'attention  des  s[iecta- 
leurs.  Il  n'y  avoit  pas  jusqu'à  certaines  gens  qu'on  appelle,  je  crois, 
des  philosophes ,  qui ,  sans  le  moindre  respect  pour  une  Académie  royale , 
n'eussent  l'insolence  de  critiquer  effrontément  des  personnes  de  notre 
sorte.  Enfin  j'ai  vu  le  moment  qu'enfreignant  sans  pudeur  nos  antiques-- 

I.  Je  n'appelle  pas  avoir  une  musique,  que  d'emprunter  celle  d'une  autie 
langue  pour  lâcher  de  l'appliquer  à  la  sienne;  elj'aimerois  mieux  que  nous 
garilassions  noire  maussade  el  ridicule  chant  que  d'associer  encore  plus  liiii- 
nilenienl  la  mélodie  italienne  à  la  langue  françoise.  Ce  dégoûtant  assemblage,. 
qui  peut-être  fera  désormais  l'étude  de  nos  musiriens,  est  liMp  monstrueux, 
priur  être  admis,  cl  le  caractère  de  noire  langue  ne  s'y  pièlt-ia  jamais.  Tout, 
au  plus  quelques  pièces  comiques  pourronl-elles  passer  en  faveur  du  la  sym- 
phonie; mais  je  prédis  hardiment  que  le  genre  tragique  ne  sera  pas  même- 
lente.  On  a  applaudi,  cet  été,  à  l'Opéra-Comique,  l'ouvrage  d'un  homme  div 
talent,  qui  [laroit  avoir  écouté  la  bonne  musuiue  avec  de  l)onnes  oreilles,  cti 
qui  en  a  traduit  le  genre  en  françois  d'aussi  près  qu'il  étoit  possible  :  ses- 
accompagnemcns  sont  bien  imités  sans  être  copiés;  cl  s'il  n'a  point  fait  fie 
ciiaiil,  c'est  qu'il  n'esl  pas  possible  d'en  faire.  Jeunes  musiciens  qui  vous 
Bcniez  du  talent,  continuez  de  mépriser  en  public  la  musique  italienne,  jv 
sens  bien  que  votre  inlérêl  présent  l'exige;  mais  hàlcz-vous  d'étudier  en  par- 
ticulier cette,  langue  el  celte  musique,  si  vous  voulez  pouvoir  tourner  un  joui 
contre  vos  camarades  le  dédain  que  vous  afîeclez  aujourd'hui  contre  vos;, 
maîtres. 


LETTRE  D'UN  SYMPHONISTE.  i99 

et  respectables  privilèges,  on  alloit  obliger  les  officiers  du  roi  à  savoir 
la  musique,  et  à  jouer  tout  de  bon  de  l'instrument  pour  lequel  ils  son^ 
payés. 

Hélas  !  qu'est  devenu  le  temps  heureux  de  notre  gloire?  Que  sont  de- 
venus ces  jours  fortunés,  où,  d'une  voix  unanime,  nous  passions,  parmi 
les  anciens.de  la  chambre  des  comptes  et  les  meilleurs  bourgeois  de  la 
rue  Saint-Denis .  pour  le  premier  orchestre  de  l'Europe  ;  où  l'on  se  pâmoit 
à  celte  célèbre  ouverture  d'isïs,  à  cette  belle  tempête  à'Alcyone,  à  cette 
_  brillante  logistille  de  Roland,  et  où  le  bruit  de  notre  premier  coup 
d'archet  s'elevoit  jusqu'au  ciel  avec  les  acclamations  du  parterre?  Main- 
tenant chacun  se  mêle  impudemment  de  contrôler  notre  exécution;  et, 
parce  que  nous  ne  jouons  pas  trop  juste  et  que  nous  n'allons  guère  bien 
ensemble,  on  nous  traite  sans  façon  de  racleurs  de  boyau,  et  l'on  nous 
chasseroit  volontiers  du  spectacle,  si  les  sentinelles,  qui  sont  ainsi  que 
nous  au  service  du  roi,  et  par  conséquent  d'honnêtes  gens  et  du  bon 
parti,  ne  maintenoient  un  peu  la  subordination.  Mais,  mes  chers  cama- 
.  rades .  qu'ai-je  besoin,  pour  exciter  votre  juste  colère,  de  vous  rap- 
peler notre  antique  splendeur,  et  les  affronts  qui  nous  en  ont  fait  dé- 
choir? Ils  sont  tous  présens  à  votre  mémoire,  ces  affronts  cruels,  et 
vous  avez  montré  ,  par  votre  ardeur  à  en  éteindre  l'odieuse  cause,  com- 
l)ien  vous  êtes  peu  disposés  à  les  endurer.  Oui,  messieurs,  c'est  cette 
dangereuse  musique  étrangère  qui,  sans  autre  secours  que  ses  propres 
charmes,  dans  un  pays  où  tout  étoit  contre  elle,  a  failli  détruire  la 
nôtre  qu'on  joue  si  à  son  aise.  C'est  elle  qui  nous  perd  d'honneur,  et 
c'est  contre  elle  que  nous  devons  tous  rester  unis  jusqu'au  dernier 
soupir. 

Je  me  souviens  qu'avertis  du  danger  par  les  premiers 'succès  de  la 
Scrva  Padrona,  et  nous  étant  assemblés  en  secret  pour  chercher  les 
moyens  d'estropier  celte  musique  enchanteresse  le  plus  qu'il  seroit  pos- 
sible, l'un  de  nous,  que  j'ai  reconnu  depuis  pour  un  faux  frère',  s'avisa 
de  dire  d'un  ton  moitié  goguenard  que  nous  n'avions  que  faire  de  tant 
délibérer ,  et  qu'il  falloit  hardiment  la  jouer  tout  de  notre  mieux  :  jugez 
r  de  ce  qu'il  en  seroit  arrivé  si  nous  eussions  eu  la  maladroite  modestie 
f  de  suivre  cet  avis,  puisque  tous  nos  soins,  joints  à  nos  grands  talens 

t.  Il  y  a  quelques  jours  que,  polissonnant  avec  lui  à  l'Opéra,  comme  nous 
avuns  tous  accoulumé  de  faire,  je  surpris  dans  sa  poche  un  papier  qui  cunlc- 
noit  celle  scandaleuse  épigrarame  : 

0  Pergolèse  inimilalilc, 
Quand  notre  orchestre  impitoyable 
Te  fait  crier  sous  son  lourd  violon. 
Je  crois  qu'au  rebours  de  la  faille 
Maisyas  écorche  Apollon. 

Ils  sonl  comme  cela  deux  ou  trois  dans  l'orcheslre  qui  s'avisent  de  blâmer 
vos  caljaies,  qui  osent  pidjiiquemenl  approuver  la  musique  ilalienne,  cl  qui, 
sans  égard  pour  le  corps,  veulcnl  se  mêler  de  faire  leur  devoir  cl  d'Olie  Jum- 
nôlcs  gens;  mais  nous  compions  les  fane  bientôt  déguerpira  force  d'avanies, 
et  nous  ne  voulons  souffrir  que  des  camarades  qui  fassent  cause  commune 
avec  nous. 


200  LETTRE  D'UN  SYMPHONISTE. 

pour  laisser  aux  ouvrages  que  nous  exécutons  tout  le  mérite  du  plaisir 
qu'ils  peuvent  donner,  ont  eu  peine  à  empêcher  le  public  de  sentir  les 
beautés  de  la  musique  italienne  livrée  à  nos  archets.  Nous  avons  donc 
écorché  et  cette  musique  et  les  oreilles  des  spectateurs  avec  une  intré- 
pidité sans  exemple  et  capable  de  rebuter  les  plus  déterminés  bouf- 
fonistes.  11  est  vrai  que  l'entreprise  étoit  hasardeuse ,  et  que  partout 
ailleurs  la  moitié  de  notre  bande  se  seroit  fait  mettre  vingt  fois  au 
cachot;  mais  nous  connoissons  nos  droits,  et  nous  en  usons  :  c'est  le 
public,  s'il  se  plaint,  qui  sera  mis  au  cachot. 

Non  contens  de  cela,  nous  avons  joint  l'intrigue  à  l'ignorance  et  à  la 
mauvaise  volonté  ;  nous  n'avons  pas  oublié  de  Jire  autant  de  mal  des 
acteurs  que  nous  en  faisions  à  leur  musique;  et  le  bruit  du  traitement 
qu'ils  ont  reçu  de  nous  a  opéré  un  très-bon  effet  en  dégoûtant  de  venir 
à  Paris,  pour  y  recevoir  des  affronts,  tous  les  bons  sujets  que  Bambini  a 
tâché  d'attirer.  Réunis  par  un  puissant  intérêt  commun  et  par  le  désir 
de  venger  la  gloire  de  notre  archet,  il  ne  nous  a  pas  été  difficile  d'é- 
craser de  pauvres  étrangers  qui,  ignorant  les  mystères  de  la  boutique, 
n'avoient  d'autres  protecteurs  que  leurs  talens,  d'autres  partisans  que 
les  oreilles  sensibles  et  équitables ,  ni  d'autre  cabale  que  le  plaisir  qu'ils 
s'efTorçoient  de  faire  aux  spectateurs.  Ils  ne  savoient  pas,  les  bonnes 
gens,  que  ce  plaisir  même  aggravoit  leur  crime  et  accéléroit  leur  pu- 
nition. Ils  sont  prêts  à  la  recevoir  enfin,  sans  même  qu'ils  s'en  dou- 
tent; car,  pour  qu'ils  la  sentent  davantage,  nous  aurons  la  satisfaction 
de  les  voir  congédiés  brusquement,  sans  être  avertis  ni  payés,  et  sans 
qu'ils  aient  eu  le  temps  de  chercher  quelque  asile  où  il  leur  soit  permis 
de  plaire  impunément  au  public. 

Nous  espérons  aussi,  pour  la  consolation  des  vrais  citoyens,  et  sur- 
tout des  gens  de  goût  qui  fréquentent  notre  théâtre,  que  les  comédiens 
françois,  délaissés  de  tout  le  monde  et  surchargés  d'affronts,  seront 
bientôt  obligés  à  fermer  le  leur;  ce  qui  nous  fera  d'autant  plus  de  plaisir 
que  le  Coin  de  la  reine  est  composé  de  leurs  plus  ardens  partisans, 
dignes  admirateurs  des  farces  de  Corneille,  Racine  et  Voltaire,  ainsi 
que  de  celles  des  intermèdes.  C'est  ainsi  que  les  étrangers,  qui  ont  tous 
la  grossièreté  de  rechercher  la  comédie  françoise  et  l'opéra  italien,  ne 
trouvant  plus  à  Paris  que  la  comédie  italienne  et  l'opéra  françois,  rao- 
numens  précieux  du  goût  de  la  nation,  cesseront  d'y  accourir  avec  tant 
d'empressement,  ce  qui  sera  un  grand  avantage  pour  le  royaume,  at- 
tendu qu'il  y  fera  meilleur  vivre ,  et  que  les  loyers  n'y  seront  plus  si  chers. 

Tout  ce  que  nous  avons  fait  est  quelque  chose,  et  ce  n'est  pas  encore 
assez.  J'ai  découvert  un  fait  sur  lequel  il  est  bon  que  vous  soyez  tous 
prévenus,  afin  de  concerter  la  conduite  qu'il  faut  tenir  en  cette  occa- 
sion :  c'est  que  le  sieur  Bambiui ,  encouragé  par  le  succès  de  la  Bohé- 
mienne,  prépare  un  nouvel  intermède  qui  pourroit  bien  paroître  encore 
avant  sont  départ.  Je  ne  puis  comprendre  où  diable  il  prend  tant  d'in- 
termèdes, car  nous  assurions  tous  qu'il  n'y  en  avoit  que  trois  ou  quatre 
dans  toute  l'Italie.  Je  crois,  pour  moi,  que  ces  maudits  intermèdes 
tombent  du  ciel  tput  faits  par  les  anges,  exprès  pour  nous  faire 
damner. 


LETTRE  D'UN   SYMPHONISTE.  2.1 

Il  s'agit  donc,  messieurs,  de  nous  bien  réunir  dans  ce  mumeht  pour 
empêcher  que  celui-ci  ne  soit  mis  au  théâtre,  ou  du  moins  j  our  l'y  faire 
tomber  avec  éclat,  surtout  s'il  est  bon,  afin  que  les  Bouffons  s'en  aillent 
chargés  de  la  haine  publique,  et  que  tout  Paris  apprenne,  par  cet 
exemple,  à  craindre  notre  autorité  et  à  respecter  nos  décisions.  Dans 
celte  vue,  je  me  suis  adroitement  insinué  chez  le  sieur  Bambini,  sous 
prétexte  d'amitié  ;  et  comme  le  bonhomme  ne  se  defioit  de  rien  ,  car  il  n'e 
pas  seulement  l'esprit  de  voir  les  tours  que  nous  lui  jouons,  il  m'a  sans 
mystère  montré  son  intermède.  Le  titre  en  est  l'Oiseleuse  angloise.  ei 
l'auteur  de  la  musique  est  un  certain  Jommelli.  Or,  vous  saurez  que  ce 
Jommelli  est  un  de  ces  ignorans  d'Italiens  qui  ne  savent  rien,  et  qui 
;  l'ont,  on  ne  sait  comment,  de  la  musique  ravissante  que  nous  avons 
quelquefois  beaucoup  de  peine  à  défigurer.  Pour  en  méditer  à  loisir  les 
moyens,  j'ai  examiné  la  partition  avec  autant  de  soin  qu'il  m'a  été  pos- 
sible :  malheureusement  je  ne  suis  pas,  non  plus  que  les  autres,  fort 
habile  à  déchiffrer;  mais  j'en  ai  vu  suffisamment  pour  connoître  que 
cette  symphonie  semble  faite  exprès  pour  favoriser  nos  projets:  elle  est 
fort  coupée,  fort  variée,  pleine  de  petits  jours,  de  petites  réponses  de 
divers  instrumens  qui  entrent  les  uns  après  les  autres;  en  un  mot.  elle 
demande  une  précision  singulière  dans  l'exécution.  Jugez  de  la  facilité 
que  nous  aurons  à  brouiller  tout  cela  sans  affectation ,  et  d'un  air  tout 
à  fait  naturel  :  pour  peu  que  nous  voulions  nous  entendre,  nous  allons 
faire  un  charivari  de  tous  les  diables;  cela  sera  délicieux.  Voici  donc 
un  projet  de  règlement  que  nous  avons  médité  avec  nos  illustres  chefs, 
et  entre  autres  avec  M.  L'Abbé  et  M.  Caraffe,  qui,  en  toute  occasion, 
ont  si  bien  mérité  du  bon  parti  et  fait  tant  de  mal  à  la  bonne  musique. 
I.  On  ne  suivra  point  en  cette  occasion  la  méthode  ordinaire,  em- 
ployée avec  succès  dans  les  autres  intermèdes:  mais,  avant  que  de  mal 
1  arler  de  celui-ci,  on  attendra  de  le  connoître  dans  les  répétitions.  Si 
la  musique  en  est  médiocre,  nous  en  parlerons  avec  admiration;  nous 
[  affecterons  tous  unanimement  de  l'élever  jusqu'aux  nues,  afin  qu'on 
attende  des  prodiges,  et  qu'on  se  trouve  plus  loin  de  compte  à  la  pre- 
mière représentation.  Si  malheureusement  la  musique  se  trouve  bonne, 
comme  il  n'y  a  que  trop  lieu  de  le  craindre,  nous  en  parlerons  avec 
:  dédain ,  avec  un  mépris  outré ,  comme  de  la  plus  misérable  chose  qui 
,  ait  été  faite;  notre  jugement  séduira  les  sots,  qui  ne  se  rétractent  ja- 
■   mais  que  quand  ils  ont  eu  raison ,  et  le  plus  grand  nombre  sera  pour 

nous. 
;  II.  Il  faudra  jouer  de  notre  mieux  aux  répétitions  pour  disculper  les 
i  chefs,  à  qui  l'on  reprocheroit  sans  cela  de  n'avoir  pas  réitéré  les  répé- 
titions jusqu'à  ce  que  le  tout  allât  bien.  Ces  répétitions  ne  seront  pas 
pour  cela  à  pure  perte,  car  c'est  là  que  nous  concerterons  entre  nous 
les  moyens  d'être,  aux  représentations,  le  plus  discordans  qu'il  sera 
possible. 

III.  L'accord  se  prendra,  selon  la  règle  ,  sur  l'avis  du  premier  violon, 
'^  attendu  qu'il  est  sourd. 

1\.  Les  violons  se  distribueront  en  trois  bandes  dont  la  première 
jouera  un  quart  de  ton  trop   haut ,  la  deuxième  un  quart  ue  ton  trop 


202  LETTRE   D'UN   SYMPHONISTE. 

bas,  et  l<a  t-'oisième  jouera  le  plus  juste  qu'il  lui  sera  possible.  Cette; 
cacophonie  se  pratiquera  facilement,  en  iiaussant  ou  baissant  subtile- 
ment le  ton  de  l'instrument  durant  l'exécution.  A  l'égard  des  hautbois, 
il  n'y  a  rien  à  leur  dire,  et  d'eux-mêmes  ils  iront  à  souhait. 

V.  On  en  usera  pour  la  mesure  à  peu  près  comme  pour  le  ton  :  un 
tiers  la  suivra ,  un  tiers  l'anticipera ,  et  un  autre  tiers  ira  après  tous  les» 
autres.  Dans  toutes  les  entrées,  les  violons  se  garderont  surtout  d'être- 
ensemble;  mais  partant  successivement,  et  les  uns  après  les  autres,  ils- 
fenint  des  manières  de  petites  fugues  ou  d'imitations  qui  produiront  un, 
très-grand  eiïet.  A  l'égard  des  violoncelles,  ils  sont  exhortés  d'imiter- 
l'exemple  édifiant  de  l'un  d'entre  eux,  qui  se  pique  avec  une  juste  fierté 
de  n'avoir  jamais  accompagné  un  intermède  italien  dans  le  ton,  et  dé- 
jouer toujours  majeur  quand  le  mode  est  mineur,  et  mineur  quand. 
il  est  majeur. 

VI.  On  aura  grand  soin  d'adoucir  les  fort  et  de  renforcer  les  doux. 
principalement  sous  le  chant;  il  faudra  surtout  racler  à  tour  de  bras 
quand  la  Tonelli  chantera,  car  il  est  surtout  d'une  grande  importance 
d'empêcher  qu'elle  ne  soil  entendue. 

Vli.  Une  autre  précaution  qu'il  ne  faut  pas  oublier,  c'est  de  forcer  les- 
seconds  autant  qu'il  sera  possible,  et  d'adoucir  les  premiers,  afin  qu'on> 
n'entende  partout  que  la  mélodie  du  second  dessus.  Il  faudra  aussi  en- 
gager Durand  à  ne  pas  se  donner  la  peine  de  copier  les  parties  de  quintes- 
toutes  les  fois  qu'elles  sont  à  l'octave  de  la  basse,  afin  que  ce  dél'aut  de- 
liaison  entre  les  basses  et  les  dessus  rende  l'harmonie  plus  sèche. 

VIII.  On  recommande  aux  jeunes  racleurs  de  ne  pas  manquer  de- 
prendre  l'octave,  de  miauler  sur  le  chevalet,  et  de  doubler  et  défigurer 
leur  partie,  surtout  lorsqu'ils  ne  pourront  pas  jouer  le  simple,  afin  de- 
donner  le  change  sur  leur  maladresse  ,  de  barbouiller  toute  la  musique , 
et  de  montrer  qu'ils  sont  au-dessus  des  lois  de  tous  les  orchestres  àw 
monde. 

IX.  Comme  le  public  pourroit  à  la  fin  s'impatienter  de  tout  ce  cha- 
rivari, si  nous  nous  apercevons  qu'il  nous  observe  de  trop  près,  il. 
faudra  changer  de  méthode  pour  prévenir  les  caquets  :  alors,  tandis- 
que  trois  ou  quatre  violons  joueront  comme  ils  savent,  tous  les  autres 
se  mettront  à  s'accorder  durant  les  airs,  et  auront  soin  de  racler  de 
toute  leur  force  et  de  faire  un  bruit  de  diable  avec  leurs  cordes  à  vide, 
précisément  dans  les  endroits  les  plus  doux.  Par  ce  moyen  nous  gâte- 
rons la  plus  belle  musique  sans  qu'on  ait  rien  à  nous  dire;  car  encore 
faut-il  bien  s'accorder.  Que  si  l'on  nous  reprenoit  là-dessus ,  nous  aurions 
le  plus  beau  prétexte  du  monde  de  jouer  aussi  faux  qu'il  nous  plairoit. 
Ainsi,  soit  qu'on  nous  permette  d'accorder,  soit  qu'on  nous  en  em- 
pêche, nous  trouverons  toujours  le  moyen  de  n'être  jamais  d'accord. 

X.  Nous  continuerons  de  crier  tous  au  scandale  et  à  la  profanation  : 
nous  nous  plaindrons  hautement  qu'on  déshonore  le  séjour  des  dieux 
par  des  bateleurs;  nous  tâcherons  de  prouver  que  nos  acteurs  ne  sont 
pas  des  bateleurs,  comme  les  autres,  attendu  qu'ils  chantent  et  gesti- 
culent tout  au  plus,  mais  qu'ils  ne  jouent  point;  que  la  petite  Tonelli; 
se  sert  de  ses  bras  pour  faire  son  rôle  avec  une  intelligence  et  une  geii- 


LETTRE   D'UN   SYMPHONISTE.  20ï. 

iUesse  ignominieuses;  au  lieu  que  l'illustre  Mlle  Chevalier  ne  se  serf 
es  siens  que  pour  aider  à  l'eiïort  de  ses  poumons,  ce  qui  est  beaucoup 
lus  décent;  qu'au  surplus  il  n'y  a  que  le  talent  qui  déroge,  et  que  nos- 
cleurs  n'ont  jamais  dérogé.  Nous  ferons  voir  aussi  que  la  musique  ita- 
enne  déshonore  notre  théâtre  ,  par  la  raison  qu'une  Académie  royale  de 
lusique  doit  se  soutenir  avec  la  seule  pompe  de  son  titre  et  de  son  pri- 
ilége ,  et  qu'il  n'est  pas  de  sa  dignitéd'avoir  besoin  pour  cela  de  bonne.' 
lusique. 

XI.  La  plus  essentielle  précaution  que  nous  avons  à  prendre  en  cette 
ccasion  est  de  tenir  nos  délibérations  secrètes  :  de  si  grands  intérêts - 
e  doivent  point  être  exposés  au.\  yeu.x  d'un  vulgaire  slupide,  qui  s'ima- 
ine  follement  que  nous  sommes  payés  pour  le  servir.  Les  spectateurs 
)nt  d'une  telle  arrogance .  que  si  cette  lettre  venoit  à  se  divulguer  par 
indiscrétion  de  quelqu'un  de  vous,  ils  se  croiroienlen  droit  d'observer 
e  plus  près  noire  conduite,  ce  qui  ne  laisseroit  pas  d'avoir  son  incom- 
lodité  :  car  enfin,  quelque  supérieur  qu'on  puisse  être  au  public,  il 
'est  point  agréable  d'en  essuyer  les  clabauderies. 
Voilà,  messieurs,  quelques  articles  préliminaires  sur  lesquels  il  nous 
aroîl  convenable  de  se  concerter  d'avance  :  à  l'égard  des  discours  par- 
culiers  que  nous  tiendrons  quand  l'ouvrage  en  question  sera  en  tram, 
)mrae  ils  doivent  être  modifiés  sur  la  manière  dont  on  le  recevra,  il 
5t  à  propos  de  réserver  à  ce  temps-là  d'en  convenir.  Chacun  de  nous, 
quelques-uns  près,  s'est  jusqu'ici  comporté  si  convenablement  à  l'in- 
irêt  commun .  qu'il  n'y  a  pas  d'apparence  que  nul  se  démente  là-dessus 
Il  moment  de  couronner  l'œuvre;  et  nous  espérons  que  si  l'on  nous 
•proche  de  manquer  de  talent,  ce  ne  sera  pas  au  moins  de  celui  de  . 
ien  cabaler. 

C'est  ainsi  qu'après  avoir  expulsé  avec  ignominie  toute  cette  engeance 
aiienne.  nous  allons  nous  établir  en  tribunal  redoutable:  bientôt  le 
iccès  ou  du  moins  la  chute  des  pièces  dépendra  de  nous  seuls;  les  au- 
lurs.  saisis  d'une  juste  crainte ,  viendront  en  tremblant  rendre  hom- 
iSge  à  l'archet  qui  peut  les  écorcher;  et  d'une  ba.ide  de  misérables 
icleurs,  pour  laquelle  on  nous  prend  maintenant,  nous  deviendrons 
a  jour  les  juges  suprêmes  de  l'opéra  françois ,  et  les  arbitres  souverains 
}  la  chaconneet  du  rigaudon. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  très-profond  respect,  mes  chers  cama- 
ides,  etc. 

EXAMEN 

DE  DEUX  PRINCIPES  AVANCÉS  PAR  M.  RAMEAU, 
Dans  sa  brochure  intitulée  :  Erreurs  sur  la  musique,  dans  l'Encyclopédie  '. 

'C'est  toujours  avec  plaisir  que  je  vois  paroîlre  de  nouveaux  écrits  de 
.  Rameau.  De  quelque  manière  qu'ils  soient  accueillis  du  public,  i's 

I .  Je  jelai  cctécril  sur  le  |iap.cr  en  I7b5,  lorsque  parul  la  brochure  de  M.  H:i- 
icau,  cl  après  avoir  déclare  [luliliqvicmcnl,  sur  la  granJc  querelle  que  j'avoi3> 


204  EXAMEN   DE  DEUX  PRINCIPES 


I 


sont  précieux  aux  amateurs  de  l'art,  et  je  ma  fais  honneur  d'être  dt 
ceux  qui  tachent  d'en  profiter.  Quand  cet  illustre  artiste  relève  mes' 
fautes,  il  m'instruit,  il  m'honore,  je  lui  dois  des  remercîmens;  e 
comme,  en  renonçant  aux  querelles  qui  peuvent  troubler  ma  tranquil 
lité,  je  ne  m'interdis  point  celles  de  pur  amusement,  je  discuterai  pai 
occasion  quelques  points  qu'il  décide,  bien  sûr  d'avoir  toujours  fait  une 
chose  utile,  s'il  en  peut  résulter  de  sa  part  de  nouveaux  éclaircisse 
mens.  C'est  même  entrer  en  cela  dans  les  vues  de  ce  grand  musicien 
qui  dit  qu'on  ne  peut  contester  les  propositions  qu'il  avance,  que  poui 
lui  fournir  les  moyens  de  les  mettre  dans  un  plus  grand  jour  :  d'où  j( 
conclus  qu'il  est  bon  qu'on  les  conteste. 

Je  suis  au  reste  fort  éloigné  de  vouloir  défendre  mes  articles  de  VEii 
ciiclopédic  :  personne  à  la  vérité  n'en  devroit  être  plus  content  qut 
M.  Rameau  qui  les  attaque-,  mais  personne  au  monde  n'en  est  plus  mé 
content  que  moi.  Cependant ,  quand  on  sera  instruit  du  temps  où  ils  on 
été  faits,  de  celui  que  j'eus  pour  les  faire,  et  de  l'impuissance  où  j'a 
toujours  été  de  reprendre  un  travail  une  fois  fini  ;  quand  on  saura  d( 
plus  que  je  n'eus  point  la  présomption  de  me  proposer  pour  celui-ci 
mais  que  ce  fut,  pour  ainsi  dire,  une  tâche  imposée  par  l'amitié,  oi 
lira  peut-être  avec  quelque  indulgence  des  articles  que  j'eus  à  peine  1( 
temps  d'écrire  dans  l'espace  qui  m'étoit  donné  pour  les  méditer,  e 
que  je  n'aurois  point  entrepris  si  je  n'avois  consulté  que  le  temps  et  mei 
forces. 

Mais  ceci  est  une  justification  envers  le  public  ,  et  pour  un  autre  lieu 
Revenons  à  M.  Rameau  ,  que  j'ai  beaucoup  loué ,  et  qui  me  fait  un  crime 
de  ne  l'avoir  pas  loué  davantage.  Si  les  lecteurs  veulent  bien  jeter  lei 
yeux  sur  les  articles  qu'il  attaque,  tels  que  Chiffrer,  Accorder,  Accom 
pagnemcnt ,  etc.-,  s'ils  distinguent  les  vrais  éloges  que  l'équité  mesun 
aux  talens,  du  vil  encens  que  l'adulation  prodigue  à  tout  le  monde 
enfin  s'ils  sont  instruits  du  poids  que  les  procédés  de  M.  Rameau  vis-à 
vis  de  moi  ajoutent  à  la  justice  que  j'aime  à  lui  rendre ,  j'espère  qu'ei' 
blâmant  les  fautes  que  j'ai  pu  faire  dans  l'exposition  de  ses  prin 
cipes,  ils  seront  contens  au  moins  des  hommages  que  j'ai  rendus  i 
l'auteur. 

Je  ne  feindrai  pas  d'avouer  que  l'écrit  intitulé  :  Erreurs  sur  la  mu 
sique,  me  paroît  en  effet  fourmiller  d'erreurs,  et  que  je  n'y  vois  riei 
de  plus  juste  que  le  titre.  Mais  ces  erreurs  ne  sont  point  dans  les  lu 
mières  de  M.  Rameau  :  elles  n'ont  leur  source  que  dans  son  cœur  :  e! 
quand  la  passion  ne  l'aveuglera  pas ,  il  jup;era  mieux  que  personne  de, 
bonnes  règles  de  son  art.  Je  ne  m'attacherai  donc  point  à  relever  uiî 
nombre  de  petites  fautes  qui  disparoîtront  avec  sa  haine;  encore  mdin 
défendrai-je  celles  dont  il  m'accuse,  et  dont  plusieurs  en  effet  ne  sau 

eue  à  soutenir,  que  je  ne  répondrois  plus  à  mes  adversaires.  Conlenc  mêm 
d'avoir  fait  note  de  mes  observations  sur  l'écrilde  M.  Rameau,  je  ne  les  pu 
bliai  point;  et  je  ne  les  joins  mainlenanl  ici  que  parce  ([u'elles  scrv.enl 
l'éclaircissement  de  quelques  arlicles  de  mon  Uiciioiuiaire ,  où  la  rurme  d 
l'ouvrage  ne  me  perracltoil  pas  d'enli'cr  dans  de  plus  longues  disriissioiis.  • 


AVANCÉS   PAU   M.  r,AMi:AU.  205 

rfcient  être  niées.  Il  me  fait  un  crime,  par  exemple,  d'écrire  pour  èlre 
entendu;  c'est  un  défaut  qu'il  impute  à  mon  ignorance,  et  dont  je  suis 
peu  tenté  de  la  justifier.  J'avoue  avec  plaisir  que,  faute  de  choses 
savantes,  je  suis  reduil  à  n'en  dire  que  de  raisonnables;  et  je  n'envie 
à  personne  le  profond  savoir  qui  n'engendre  que  des  écrits  inintelli- 
gibles. .„      •  » 

Encore  un  coup,  ce  n'est  point  pour  ma  justification  que  j  écris;  c  est 
pour  le  bien  de  la  cho  e.  Laissons  toutes  ces  disputes  personnelles  qui 
ne  font  rien  au  progrès  de  l'art  ni  à  l'instruction  du  public.  Il  faut 
abandonner  ces  petites  chicanes  aux  commençans  qui  veulent  se  faire 
un  nom  aux  dépens  des  noms  déjà  connus,  et  qui,  pour  une  erreur 
qu'ils  corrigent ,  ne  craignent  pas  d'en  commettre  cent.  Mais  ce  qu'on  ne 
sauroit  examiner  avec  trop  de  soin,  ce  sont  les  principes  de  l'art  même, 
dans  lesquels  la  moindre  erreur  est  une  source  d'égaremens,  et  où  l'ar- 
l  tiste  ne  peut  se  tromper  en  rien,  que  tous  les  efforts  qu'il  fait  pour  per- 
fectionner l'art  n'en  éloignent  la  perfection. 

Je  remarque  dans  les  erreurs  sur  la  musique  deux  de  ces  principes 
importans.  Le  premier,  qui  a  guidé  M.  Rameau  dans  tous  ses  écrits,  et 
qui  pis  est  dans  toute  sa  rau.ique  .  est  que  l'harmonie  est  l'unique  fonde- 
ment de  l'art ,  que  la  mélodie  en  dérive .  et  que  tous  les  grands  effets  de 
la  musique  naissent  de  la  seule  harmonie. 

L'autre  principe,  nouvellement  avancé  par  M.  Rameau,  et  qu'il  me 
reproche  de  n'avoir  pas  ajouté  à  ma  définition  de  l'accomjlagneraent, 
est  que  cet  accompagnement  représente  le  corps  sonore.  J'examinerai 
séparément  ces  deux  principes.  Commençons  par  le  premier  et  le  plus 
important .  dont  la  vérité  ou  la  fausseté  démontrée  doit  servir  en  quelque 
manière  de  base  à  tout  l'art  musical. 

11  faut  d'abord  remarquer  que  M.  Rameau  fait  dériver  toute  1  harmo- 
nie de  la  résonnance  du  corps  sonore;  et  il  est  certain  que  tout  son  est 
accompat-né  de  trois  autres  sons  harmoniques  concomitans  ou  acces- 
soires qui  forment  avec  lui  un  accord  parfait,  tierce  majeure.  En  ce 
sens  l'harmonie  est  naturelle  et  inséparable  de  la  mélodie  et  du  chant. 
tel  qu'il  puisse  être ,  puisque  tout  son  porte  avec  lui  son  accord  parfait. 
Mais  outre  ces  trois  sons  harmoniques,  chaque  son  principal  en  donne 
beaucoup  d'autres  qui  ne  sont  point  harmoniques,  et  n'entrent  point 
dans  l'accord  parfait.  Telles  sont  toutes  les  aliquotes  non  réductibles 
par  leurs  octaves  à  quelqu'une  de  ces  trois  premières.  Or,  il  y  a  une 
infinité  de  ces  aliquotes  qui  peuvent  échapper  à  nos  sens,  mais  dont  la 
résonnance  est  démontrée  par  induction ,  et  n'est  pas  impossible  a  con- 
firmer par  expérience.  L'art  les  a  rejetées  de  l'harmonie ,  et  voila  ou  il  a 
commencé  à  substituer  ses  règles  à  celles  de  la  nature. 

Veut-on  donner  aux  trois  sons  qui  constituent  l'accord  parfait  une 
Méro-ative  particulière,  parce  qu'ils  forment  entre  eux  ui.e  sorte  de 
proportion  qu'il  a  plu  aux  anciens  d'appeler  harmonique ,  quoiqu  elle 
n'ait  qu'une  propriété  de  calcul?  Je  dis  que  cette  propriété  se  tmuve 
dans  des  rapports  de  sons  qui  ne  sont  nullement  harmomques.  Si  les 
trois  sons  représentés  par  les  chifl-res  1  H>  lesquels  sont  en  proportion 
■harmonique,  forment  un  accord  consonnant,  les  trois  sons  représentes 


206  EXAMEN   DE  DEUX  PRINCIPES 

■par  ces  autres  chiffres  j  j  f  sont  de  même  en  proporlion  harmonique, 
■et  ne  forment  qu'un  accord  discordant.  Vous  pouvez  diviser  harmoni 
•quement  une  tierce  majeure,  une  tierce  mineure,  un  ton  majeur,  un 
ton  mineur,  etc.-,  et  jamais  le.-;  sons  donnés  par  ces  divisions  ne  feront 
■  des  accords  consonnans.  Ce  n'est  donc  ni  parce  que  les  sons  qui  com 
)iosent  l'accord  parfait  résonnent  avec  le  son  principal,  ni  parce  qu'ils 
répondent  aux  aliquotes  de  la  corde  entière,  ni  parce  qu'ils  sont  en  pro 
portion  harmonique ,  qu'ils  ont  été  choisis  exclusivement  pour  composer 
l'accord  parfait,  mais  seulement  parce  que,  dans  l'ordre  des  intervalles, 
ils  offrent  les  rapports  les  plus  simples.  Or,  cette  simplicité  des  rapports 
est  une  règle  commune  à  l'harmonie  et  à  la  mélodie  :  règle  dont  celle-ci 
s'écarte  pourtant  en  certains  cas ,  jusqu'à  rendre  toute  harmonie  impra- 
ticable; ce  qui  prouve  que  la  mélodie  n'a  point  reçu  la  loi  d'elle,  et  ne 
lui  est  point  naturellement  subordonnée. 

Je  n'ai  parlé  que  de  l'accord  parfait  majeur.  Que  sera-ce  quand  il  fau- 
dra montrer  la  génération  du  mode  mineur,  de  la  dissonance,  et  les 
règles  de  la  modulation?  A  l'instant  je  perds  la  nature  de  vue,  l'arbi- 
traire perce  de  toutes  parts,  le  plaisir  même  de  l'oreille  est  l'ouvrage 
de  l'habitude.  Et  de  quel  droit  l'harmonie  ,  qui  ne  peut  se  donner  à  elle- 
même  un  fondement  naturel ,  voudroit-elle  être  celui  de  la  mélodie, 
qui  fit  des  prodiges  deux  mille  ans  avant  qu'il  fût  question  d'harmonie 
et  d'accords? 

Qu'une  marche  consonnante  et  régulière  de  basse  fondamentale  en- 
gendre des  harmoniques  qui  procèdent  diatoniquement  et  forment  entre 
eux  une  sorte  de  chant,  cela  se  connoît  et  peut  s'admettre.  On  pourroit 
même  renverser  cette  génération;  et  comme,  selon  M.  Rameau,  chaque 
son  n'a  pas  seulement  la  puissance  d'ébranler  ses  aliquotes  en  dessus, 
mais  ses  multiples  en  dessous,  le  simple  chant  pourroit  engendrer  une 
sorte  de  basse,  comme  la  basse  engendre  une  sorte  de  chant;  et  cette 
génération  seroit  aussi  naturelle  que  celle  du  mode  mineur.  Mais  je 
voudrois  demander  à  M.  Rameau  deux  choses  :  l'une ,  si  ces  sons  ainsi 
engendrés  sont  ce  qu'il  appelle  de  la  mélodie;  et  l'autre,  si  c'est  ainsi 
qu'il  trouve  la  sienne,  ou  s'il  pense  même  que  jamais  personne  en  ait 
trouvé  de  cette  manière.  Puissions-nous  préserver  nos  oreilles  de  toute 
musique  dont  l'auteur  commencera  par  établir  une  belle  basse  fonda- 
mentale, et,  pour  nous  mener  savamment  de  dissonance  en  dissonance, 
changera  de  ton  ou  de  mode  à  chaque  note ,  entassera  sans  cesse  accords 
sur  accords,  sans  songer  aux  accens  d'une  mélodie  simple,  naturelle  et 
passionnée,  qui  ne  tire  pas  son  expression  des  progressions  de  la  basse, 
mais  des  inflexions  que  le  sentiment  donne  à  la  voixl 

Non ,  ce  n'est  point  là  sans  doute  ce  que  M.  Rameau  veut  qu'on  fasse, 
encore  moins  ce  qu'il  fait  lui-même.  Il  entend  seulement  que  l'harmonie 
guide  l'artiste,  sans  qu'il  y  songe,  dans  l'invention  de  sa  mélodie,  et 
que,  toutes  les  fois  qu'il  fait  un  beau  chant,  il  suit  une  harmonie  régu- 
lière :  ce  qui  doit  être  vrai  par  la  liaison  que  l'art  a  mise  entre  ces  deux 
parties  dans  tous  les  pays  où  l'harmonie  a  dirigé  la  marche  des  sons, 
les  règles  du  chant  et  l'accent  musical;  car  ce  qu'on  appelle  chant  pren:J 
alors  une  beauté  de  convention  ;  laquelle  n'est  point  absolue ,  mais  rela* 


AVANCÉS  PAR  M.  RAMEAU.  207 

Hive  au  système  harmonique,  et  à  ce  que,  dans  ce  système,  on  estime 
■plus  que  le  chant. 

Mais  si  la  longue  routine  de  nos  successions  harmoniques  guide 
l'homme  exercé  et  le  compositeur  de  professfon,  quel  fut  le  guide  de 
ces  ignorans  qui  n'avoient  jamais  entendu  d'harmonie  dans  ces  chants 
que  la  nature  a  dictés  longtemps  avant  l'invention  de  l'art?  Avoient-ils 
donc  un  sentiment  d'harmonie  antérieur  à  l'expérience?  et  si  quelqu'un 
leur  eût  fait  entendre  la  basse  fondamentale  de  l'air  qu'ils  avoient  cora- 
-posé,  pense-t-on  qu'aucun  d'eux  eût  reconnu  là  son  guide,  et  qu'il  eût 
prouvé  le  moindre  rapport  entre  cette  basse  et  cet  air? 

Je  dirai  plus  :  à  juger  de  la  mélodie  des  Grecs  par  les  trois  ou  quatre 
airs  qui  nous  en  restent,  comme  il  est  impossible  d'ajuster  sous  ces  airs 
une  bonne  basse  fondamentale,  il  est  impossible  aussi  que  le  sentiment 
•de  cette  basse,  d'autant  plus  régulière  qu'elle  est  plus  naturelle,  leur 
ait  suggéré  ces  mêmes  airs.  Cependant  cette  mélodie  qui  les  transpor- 
toit  étoit  excellente  à  leurs  oreilles ,  et  l'on  ne  peut  douter  que  la  nôtre 
ne  leur  eût  paru  d'une  barbarie  insupportable  :  donc  ils  en  jugeoient  sur 
un  autre  principe  que  nous. 

Les  Grecs  n'ont  reconnu  pour  consonnantes  que  celles  que  nous  ap- 
pelons consonnances  parfaites  ;  ils  ont  rejeté  de  ce  nombre  les  tierces  et 
les  sixtes.  Pourquoi  cela?  C'est  que  l'intervalle  du  ton  mineur  étant 
ignoré  d'eux  ou  du  moins  proscrit  de  la  pratique,  et  leurs  consonnances 
n'étant  point  tempérées ,  toutes  leurs  tierces  majeures  étoient  trop  fortes 
d'un  comma ,  et  leurs  tierces  mineures  trop  foibles  d'autant .  et  par  con- 
séquent leurs  sixtes  majeure.'  et  mineures  altérées  de  même.  Qu'on  pense 
tnaintenant  quelles  notions  d'harmonie  on  peut  avoir,  et  quels  modes 
harmoniques  on  peut  établir  en  bannissamt  les  tierces  et  les  sixtes  du 
nombre  des  consonnances.  Si  les  consonnances  mêmes  qu'ils  admettoient 
leur  eussent  été  connues  par  un  vrai  sentiment  d'harmonie,  ils  les  eus- 
sent dû  sentir  ailleurs  que  dans  la  mélodie;  ils  les  auroient.  pour  ainsi 
dire,  sous-entendues  au-dessous  de  leurs  chants;  la  consonnance  tacite 
des  marches  fondamentales  leur  eût  fait  donner  ce  nom  aux  marches  dia- 
toniques qu'elles  engendroient:  loin  d'avoir  eu  moins  de  consonnances 
que  nous,  ils  en  auroient  eu  davantage;  et  préoccupés,  par  exemple. 
de  la  basse  tacite  ut  soi,  ils  eussent  donné  le  nom  de  consonnance  à 
l'intervalle  mélodieux  d'uf  à  ré. 

«  Quoique  l'auteur  d'un  chant,  dit  M.  Rameau,  ne  connoisse  pas  les 
sons  fondamentaux  dont  ce  chant  dérive .  il  ne  puise  pas  moins  dans 
cette  source  uniqiie  de  toutes  nos  productions  en  musique.  »  Cette  doc- 
trine est  sans  doute  fort  savante,  car  il  m'est  impossible  de  l'entendre 
Tâchons,  s'il  se  peut,  de  m'expliquer  ceci. 

La  plupart  des  hommes  qui  ne  savent  pas  la  musique  ,  et  qui  n'ont  pas 
appris  combien  il  est  beau  de  faire  grand  bruit,  prennent  tous  leurs 
chants  dans  le  médium  de  leur  voix;  et  son  diapason  ne  s'étend  pas 
communément  jusqu'à  pouvoir  en  entonner  la  basse  fondamentale, 
quand  même  ils  la  sauroient.  Ainsi,  non-seulement  cet  ignorant  qui 
compose  un  air  n'a  nulle  notion  de  la  basse  fondamentale  de  cet  air:  il 
est  même  également  hors  d'état  et  d'exécuter  cette  basse  lui-même,  et  de  la 


20S  EXAMEN   DE  DEUX  PRINCIPES 

reconnoître  lorsqu'un  autre  l'exécute.  Mais  cette  basse  fondamentale  qui 
lui  a  suggéré  son  chant,  et  qui  n'est  ni  dans  son  entendement,  ni  dans 
son  organe,  ni  dans  sa  mémoire,  où  est-elle  donc? 

M.  Rameau  prétend  qu'un  ignorant  entonnera  naturellement  les  sons 
fondamentaux  les  plus  sensibles,  comme,  par  exemple,  dans  le  ton 
tVut .  un  sol  sous  un  re,  et  un  ut  sous  un  mi.  Pu'squ'il  dit  en  avoir  fait 
l'expérience,  je  ne  veux  pas  en  ceci  rejeter  son  autorité.  Mais  quels  su- 
jets a-l-il  pris  pour  cette  épreuve?  Des  gens  qui ,  sans  savoir  la  musique  , 
avoient  cent  fois  entendu  de  l'harmonie  et  des  accords:  de  sorte  que 
l'impression  des  intervalles  harmoniques,  et  du  progrès  correspondant 
nés  parties  dans  les  passages  les  plus  fréquens,  étoit  restée  dans  leur 
oreille,  et  se  transraettoit  à  leur  voix  sans  même  qu'ils  s'en  doutassent. 
Le  jeu  des  racleurs  de  guinguettes  suffit  seul  pour  exercer  le  peuple  des 
environs  de  Paris  à  l'intonation  des  tierces  et  des  quintes.  J'ai  fait  ces 
mêmes  expériences  sur  des  hommes  plus  rustiques  et  dont  l'oreille  étoil 
!uste:  elles  ne  m'ont  jamais  rien  donné  de  semblable.  Ils  n'ont  entendu 
la  basse  qu'autant  que  je  la  leur  soufflois;  encore  souvent  ne  pouvoient- 
ils  la  saisir:  ils  n'apercevoient  jamais  le  moindre  rapport  entre  deu.t 
sons  différens  entendus  à  la  fois  :  cet  ensemble  même  leur  déplaisoit  tou- 
jours ,  quelque  juste  que  fût  l'intervalle  ;  leur  oreille  étoit  choquée  d'une 
tierce  comme  la  nôtre  l'est  d'une  dissonance;  et  je  puis  assurer  qu'il  n'y 
en  avoit  pas  un  pour  qui  la  cadence  rompue  n'eût  pu  terminer  un  air 
tout  aussi  bien  que  la  cadence  parfaite,  si  l'unisson  s'y  fût  trouvé  de 
même. 

Quoique  le  principe  de  l'harmonie  soit  naturel,  comme  il  ne  s'offre  au 
.sens  que  sous  l'apparence  de  l'unisson ,  le  sentiment  qui  le  développe 
est  acquis  et  factice,  comme  la  plupart  de  ceux  qu'on  attribue  à  la  na- 
ture ;  et  c'est  surtout  en  celte  partie  de  la  musique  qu'il  y  a ,  comme  dit 
très-bien  M.  d'Alembert,  un  art  d'entendre  comme  un  art  d'exécuter. 
J'avoue  que  ces  observations,  quoique  justes,  rendent,  à  Paris,  les  ex- 
périences dilticiles,  car  les  oreilles  ne  s'y  préviennent  guère  moins  vite 
que  les  esprits  :  mais  c'est  un  inconvénient  inséparable  des  grandes  vil- 
lés,  qu'il  y  faut  toujours  chercher  la  nature  au  loin. 

Un  autre  exemple  dont  M.  Rameau  attend  tout,  et  qui  me  semble  à 
moi  ne  prouver  rien .  c'est  l'intervalle  des  deux  notes  ut  fa  dièse ,  sous 
lecjuel  appliquant  différentes  basses  qui  marquent  différentes  transitions 
liai  raoniques ,  il  prétend  montrer ,  par  les  diverses  affections  qui  en  nais- 
sent, que  la  force  de  ces  affections  dépend  de  l'harmonie  et  non  du 
chant.  Comment  M.  Rameau  a-t-il  pu  se  laisser  abuser  par  ses  yeux,  par 
ses  préjugés,  au  point  de  prendre  tous  ces  divers  passages  pour  un  même 
chant,  parce  que  c'est  le  même  intervalle  apparent,  sans  songer  qu'un 
intervalle  ne  doit  être  censé  le  même  ,  et  surtout  en  mélodie  ,  qu'autant 
(luil  a  le  même  rapport  au  mode?  ce  qui  n'a  lieu  dans  aucun  des  passa- 
des qu'il  cite.  Ce  sont  bien  sur  le  clavier  les  mêmes  touches ,  et  voilà  ce 
qui  trompe  M.  Rameau  :  mais  ce  sont  réellement  autant  de  mélodies 
différentes  ;  car ,  non-seu'ement  elles  se  présentent  toutes  à  l'oreille  sous 
fies  idées  diverses,  mais  même  leurs  intervalles  exacts  diffèrent  presque 
tous  les  uns  des  autres.  Quel  est  le  musicien  qui  dira  qu  un  triton  et 


AVANCÉS  PAR  M.  RAMEAU.  209 

une  fausse  quinte,  une  septième  diminuée  et  une  sixte  majeure,  une 
tierce  mineure  et  une  seconde  superflue,  forment  la  même  mélodie, 
parce  que  les  intervalles  qui  les  donnent  sont  les  mêmes  sur  le  clavier? 
Comme  si  l'oreille  n'apprécioit  pas  toujours  les  intervalles  selon  leur 
justesse  dans  le  mode,  et  ne  corrigeoit  pas  les  erreurs  du  tempérament 
sur  les  rapports  de  la  modulation  !  Quoique  la  basse  détermine  quelque- 
fois avec  plus  de  promptitude  et  d'énergie  les  changemens  de  ton  ces 
changemens  ne  laisseroient  pourtant  pas  de  se  faire  sans  elle;  et  je  n'ai 
jamais  prétendu  que  l'accompagnement  fût  inutile  à  la  mélodie,  mais 
seulement  qu'il  lui  devoit  être  subordonné.  Quand  tous  ces  passages  de 
l'ut  au  fa  dièse  seroient  exactement  le  même  intervalle,  employés  dans 
leurs  différentes  places,  ils  n'en  seroient  pas  moins  autant  de  chants  dif- 
férens,  étant  pris  ou  supposés  sur  différentes  cordes  du  mode,  et  com- 
posés de  plus  ou  moins  de  degrés.  Leur  variété  ne  vient  donc  pas  de 
l'harmonie,  mais  seulement  de  la  modulation,  qui  appartient  incontes- 
tablement à  la  mélodie. 

Nous  ne  parlons  ici  que  de  deux  notes  d'une  durée  indéterminée; 
mais  deux  notes  d'une  durée  indéterminée  ne  suffisent  pas  pour  consti- 
tuer un  chant,  puisqu'elles  ne  marquent  ni  mode,  ni  phrase,  ni  com 
mencement,  ni  fin.  Qui  est-ce  qui  peut  imaginer  un  chant  dépourvu  de 
tout  cela?  A  quoi  pense  M.  Rameau  de  nous  donner  pour  des  accessoires 
de  la  mélodie,  la  mesure,  la  différence  du  haut  et  du  bas,  du  doux  et 
du  fort,  du  vite  et  du  lent;  tandis  que  toutes  ces  choses  ne  sont  que  la 
mélodie  elle-même ,  et  que.  si  on  les  en  séparoit,  elle  n'existeroit  plus? 
La  mélodie  est  un  langage  comme  la  parole  :  tout  chant  qui  ne  dit  rien 
n'est  rien,  et  celui-là  seul  peut  dépendre  de  l'harmonie.  Les  sons  aio-us 
ou  graves  représentent  les  accens  semblables  dans  le  discours;  les  brè- 
ves et  les  longues,  les  quantités  semblables  dans  la  prosodie;  la  mesure 
égale  et  constante,  le  rhythme  et  les  pieds  des  vers;  les  doux  et  les 
forts ,  la  voix  rémisse  ou  véhémente  de  l'orateur.  Y  a-t-il  un  homme  au 
monde  assez  froid,  assez  dépourvu  de  sentiment,  pour  dire  ou  lire  des 
choses  passionnées  sans  jamais  adoucir  ni  renforcer  la  voix?  M.  Ra- 
meau, pour  comparer  la  mélodie  à  l'harmonie,  commence  par  dépouil- 
ler la  première  de  tout  ce  qui  lui  étant  propre  ne  peut  convenir  à  l'au- 
tre :  il  ne  considère  pas  la  mélodie  comme  un  chant,  mais  comme 
un  remplissage;  il  dit  que  ce  remplissage  naît  de  l'harmonie,  et  il  a 
raison. 

Qu'est-ce  qu'une  suite  de  sons  indéterminés  quant  à  la  durée?  Des 
sons  isolés  et  dépourvus  de  tout  effet  commun,  qu'on  entend,  qu'on 
saisit  séparément  les  uns  des  autres,  et  qui ,  bien  qu'engendrés  par  une 
-uccession  harmonique,  n'offrent  aucun  ensemble  à  l'oreille,  et  atten- 
dent, pour  former  une  phrase  et  dire  quelque  chose,  la  liaison  que  la 
mesure  leur  donne.  Qu'on  présente  au  musicien  une  suite  de  notes  de 
valeur  indéterminée,  il  en  va  faire  cinquante  mélodies  entièrement  dif- 
férentes, seulement  par  les  diverses  manières  de  les  scander,  d'en  com- 
biner et  varier  les  mouvemens;  preuve  invincible  que  c'est  à  la  mesure 
qu'il  appartient  de  fixer  toute  mélodie.  Que  si  la  diversité  d'harmonie 
qu'on  peut  donner  à  ces  suites  varie  aussi  leurs  effets ,  c'est  qu'elle  en 

ROOSSEAU  VI  l4 


210  EXAMEN    DE   DEUX    PRINCIPES 

fait  réellement  encore  autant  de  mélodies  différentes,  en  donnant  aiu.i 
mêmes  intervalles  divers  emplacemens  dans  l'éclielle  du  mode;  ce  qui , 
comme  je  l'ai  déjà  dit,  change  entièrement  les  rapports  des  sons  et  le.- 
sens  des  phrases. 

La  raison  pourquoi  les  anciens  n'avoient  point  de  musique  purement, 
instrumentale,  c'est  qu'ils  n'avoient  pas  l'idée  d'un  chant  sans  mesure. 
ni  d'une  autre  mesure  que  celle  de  la  poésie;  et  la  raison  pourquoi  les- 
vers  se  chantoient  toujours  et  jamais  la  prose  ,  c'est  que  la  prose  n'avoit . 
que  la  partie  du  chant  qui  dépend  de  l'intonation ,  au  lieu  que  les  vers 
avoienl   encore  l'autre  partie  constitutive   de  la  mélodie;  savoir,   le 
rhythme. 

Jamais  personne,  pas  même  M.  Rameau,  n'a  divisé  la  musique  en. 
mélodie,  harmonie  et  mesure,  mais  en  harmonie  et  mélodie;  après  quoi' 
l'une  et  l'autre  se  considère  par  les  sons  et  par  les  temps. 

M.  Rameau  prétend  que  tout  le  charme  ,  toute  l'énergie  de  la  musi(]ue 
est  dans  l'harmonie;  que  la  mélodie  n'y  a  qu'une  part  subordonnée,  et 
ne  donne  à  l'oreille  qu'un  léger  et  stérile  agrément.  Il  faut  l'entendre- 
raisonner  lui-même;  ses  preuves  perdroient  trop  à  être  rendues  par  un. 
autre  que  lui. 

Tout  chœur  de  musique,  dit-il,  qui  est  lent  et  dont  la  succession  har- 
monique est  bonne,  plaît  toujours  sans  le  secours  d'aucun  dessin,  ni 
d'une  mélodie  qui  puisse  affecter  d'elle-même  ;  et  ce  plaisir  est  tout' 
autre  que  celui  qu'on  éprouve  ordinairement  d'un  chant  agréable  ou. 
simplement  vif  et  gai.  (Ce  parallèle  d'un  cliœur  lent  et  d'un  air  vif  et. 
gai  me  paroît  assez  plaisant.)  L'un  se  rapporte  directement  à  l'âme 
(notez  bien  que  c'est  le  grand  chœur  à  quatre  partiesi.  l'autre  ne  passe 
pas  le  canal  de  l'oreille.  ^G'est  le  chant ,  selon  M.  Rameau.)  J'en  appelle 
encore  à  l'Amour  triomphe,  déjà  cité  plus  d'une  fois.  (Cela  est  vrai.) 
Que  l'on  compare  le  plaisir  qu'on  éprouve  à  celui  que  cause  un  air . 
soit  vocal,  soit  ùis(rwmcN<aL  J'y  consens.  Qu'on  me  laisse  choisir  la  voiv 
et  l'air  sans  me  restreindre  au  seul  mouvement  vif  et  gai ,  car  cela  n'est: 
pas  juste;  et  que  M.  Rameau  vienne  de  son  côté  avec  son  chœur /'^Imoyr 
triomphe ,  et  tout  ce  terrible  appareil  d'instrumens  et  de  voix  :  il  aura 
beau  se  choisir  des  juges  qu'on  n'affecte  qu'à  force  de  bruit,  et  qui  sont 
plus  touchés  d'un  tambour  que  du  rossignol,  ils  seront  hommes  eniin. 
Je  n'en  veux  pas  liavantage  pour  leur  faire  sentir  que  les  sons  les  plus 
capables  d'affecter  l'âme  ne  sont  point  ceux  d'un  chœur  de  musique. 

L'harmonie  est  une  cause  purement  physique;  l'impression  qu'elle 
produit  reste  dans  le  même  ordre  :  des  accords  ne  peuvent  qu'imprimer 
aux  nerfs  un  ébranlement  passager  et  stérile;  ils  donneroient  plutôt  des 
vapeurs  que  des  passions.  Le  plaisir  qu'on  prend  à  entendre  un  chœur 
lent,  dépourvu  de  mélodie,  est  purement  de  sensation,  et  tourneroitj 
bientôt  à  l'ennui ,  si  l'on  n'avoit  soin  de  faire  ce  chœur  très-court,  sur- 
tout lorsqu'on  y  met  toutes  les  voix  dans  leur  médium.  Mais  si  les  voix 
sont  rémisses  et  basses,  il  peut  affecter  l'âme  sans  le  secours  de  l'har- 
monie; car  une  voix  rémisse  et  lente  est  une  expression  naturelle  de 
tristesse;  un  chœur  à  l'unisson  pourroit  faire  le  même  effet. 

Les  plus  beaux  accords,  ainsi  oue  les  plus  belles  couleurs,  peuvent. 


1 


AVANCES  PAR  M.  RAMEAU.  211 

porter  aux  sens  une  impression  agréable  et  rien  de  plus  ;  mais  les  accens 
de  la  voix  passent  jusqu'à  l'àme,  car  ils  sont  l'expression  naturelle  des 
passions,  et.  en  les  peignant,  ils  les  excitent.  C'est  p;ir  eux  que  la  mu- 
sique devient  oratoire ,  éloquente ,  imilative :  ils  en  foiment  le  langage . 
c'est  par  eux  qu'elle  peint  à  l'imagination  les  objets,  qu'elle  porte  au 
cœur  les  sentimens.  La  mélodie  est  dans  la  musique  ce  qu'est  le  dessin 
dans  la  peinture:  l'harmonie  n'y  fait  que  l'elTet  des  couleurs.  C'est  par 
le  chant ,  non  par  les  accords .  que  les  sons  ont  de  l'expression  ,  du  feu , 
de  la  vie;  c'est  le  chant  seul  qui  leur  donne  les  efTets  moraux  qui  font 
toute  l'énergie  de  la  musique.  En  un  mot,  le  seul  |  liysique  de  l'art  se 
réduit  à  bien  peu  de  chose,  et  l'harmonie  ne  passe  pas  au  delà. 

Que  s'il  y  a  quelques  mouvemens  de  l'âme  qui  semblent  excités  par 
la  seule  harmonie,  comme  l'ardeur  des  soldats  par  les  instrumens  mi- 
litaires, c'est  que  tout  grand  bruit,  tout  bruit  éclatant  peut  être  bon 
pour  cela,  parce  qu'il  n'est  question  que  d'une  certaine  agitation  qui 
se  transmet  de  l'oreille  au  cerveau,  et  que  l'imagination,  éliranlée  ainsi, 
fait  le  reste:  encore  cet  effet  dépend-il  moins  de  i'harmonie  que  du 
rhythme  ou  de  la  mesure,  qui  est  une  des  parties  constitutives  de  la 
mélodie,  comme  je  lai  fait  voir  ci-dessus. 

Je  ne  suivrai  point  M.  Rameau  dans  les  exemples  qu'il  tire  de  ses  ou- 
vrages pour  illustrer  son  principe.  J'avoue  qii'il  ne  lui  est  pas  difficile 
de  montrer  par  cette  voie  l'infériorité  de  la  mélodie;  mais  j'ai  parlé  de 
la  musique ,  et  non  de  sa  musique.  Sans  vouloir  démentir  les  éloges  qu'il 
se  donne ,  je  puis  n'être  pas  de  son  avis  sur  tel  ou  tel  morceau  ;  et  tous 
ces  jugemens  particuliers  pour  ou  contre  ne  sont  pas  d'un  grand  avan 
tage  au  progrès  de  l'art. 

.^près  avoir  établi,  comme  on  a  vu,  le  fait,  vrai  par  rapport  à  nous, 
mais  très-fauï  généralement  parlant,  que  l'harmonie  engendre  la  mé- 
lodie, M.  Rameau  finit  sa  dissertation  dans  ces  termes  :  Ainsi,  toute 
mvsique  étant  comprise  dans  l'harmonie ,  on  en  doit  conclure  que  ce 
)i'est  qu'à  cette  seule  harmonie  qu'on  doit  comparer  quelque  science  que 
ce  soit.  (Pag.  64.)  J'avoue  que  je  ne  vois  rien  à  répondre  à  cette  mer- 
veilleuse conclusion. 

Le  second  principe  avancé  par  M.  Rameau,  et  duquel  il  me  reste  à 
parler,  est  que  l'harmonie  représente  le  corps  sonore.  Il  me  reproche  de 
n'avoir  pas  ajouté  cette  idée  dans  la  définition  de  l'accompagnement. 
11  est  à  croire  que  si  je  l'y  eusse  ajoutée,  il  me  l'eût  reproché  davan- 
lage.  ou  du  moins  avec  plus  de  raison.  Ce  n'est  pas  sans  répugnance 
que  j'entre  dans  l'examen  de  cette  addition  qu'il  exige  :  car,  quoique  le 
principe  que  je  viens  d'examiner  ne  soit  pas  en  lui-même  plus  vrai  que 
celui-ci,  l'on  doit  beaucoup  l'en  distinguer,  en  ce  que.  si  c'est  une 
erreur,  c'est  au  moins  l'erreur  d'un  grand  musicien  qui  s'égare  à  force 
de  science.  Mais  ici  je  ne  vois  que  des  mots  vides  de  sens ,  et  je  ne  puis 
pas  même  supposer  de  la  bonne  foi  dans  l'auteur  qui  les  ose  donner  au 
public  comme  un  principe  de  l'art  qu'il  professe. 

L'harmonie  représente  le  corps  sonore  !  Ce  mot  de  corps  sonore  a  un 
certain  éclat  scientifique;  il  annonce  un  physicien  dans  celui  qui  l'em- 
ploie :  mais,  en  musique,  que  signifie-t-il  ?  Le  musicien  ne  considère 


212  EXAJIEN  DE  DEUX  PRINCIPES 

pas  le  corps  sonore  en  lui-même,  il  ne  le  considère  qu'en  action  Or, 
([u'est-ce  que  le  corps  sonore  en -action  ?  c'est  le  son  :  l'harmonie  repré- 
sente donc  le  son.  Mais  l'harmonie  accompagne  le  son  :  le  son  n'a  donc 
pas  besoin  qu'on  le  représente,  puisqu'il  est  là.  Si  ce  galimatias  paroît 
visible ,  ce  n'est  pas  ma  faute  assurément. 

Mais  ce  n'est  peut-être  pas  le  son  mélodieux  que  l'harmonie  repré- 
sente; c'est  la  collection  des  sons  harmoniques  qui  l'accompagnent.  Mais 
ces  sons  ne  sont  que  l'harmonie  elle-même  :  l'harmonie  représente  donc 
l'harmonie,  et  l'accompagnement  l'accompagnement. 

Si  l'harmonie  ne  représente  ni  le  son  mélodieux  ni  ses  harmoniques, 
que  représente-t-elle  donc?  Le  son  fondamental  et  ses  harmoniques, 
dans  lesquels  est  compris  le  son  mélodieux.  Le  son  fondamental  et  ses 
harmoniques  sont  donc  ce  que  M.  Rameau  appelle  le  corps  sonore.  Soit; 
mais  voyons. 

Si  l'harmonie  doit  représenter  le  corps  sonore,  la  basse  ne  doit  jamais 
contenir  que  des  sons  fondamentaux:  car,  à  chaque  renversement,  le 
corps  sonore  ne  rend  point  sur  la  basse  l'harmonie  renversée  du  son  fon- 
damental,  mais  l'harmonie  directe  du  son  renversé  qui  est  à  la  basse, 
et  qui,  dans  le  corps  sonore,  devient  ainsi  fondamentale.  Que  M.  Ra- 
meau prenne  la  peine  de  répondre  à  cette  seule  objection ,  mais  qu'il  y 
réponde  clairement,  et  je  lui  donne  gain  de  cause. 

Jamais  le  son  fondamental  ni  ses  harmoniques,  pris  pour  le  corps 
sonore,  ne  donnent  d'accord  mineur;  jamais  ils  ne  donnent  la  disso- 
nance :  je  parle  dans  le  système  de  M.  Rameau.  L'harmonie  et  l'accom- 
pagnement sont  pleins  de  tout  cela,  principalement  dans  sa  pratique  : 
donc  l'harmonie  et  l'accompagnement  ne  peuvent  représenter  le  corps 
sonore. 

Il  faut  qu'il  y  ait  une  différence  inconcevable  entre  la  manière  de  rai- 
sonner de  cet  auteur  et  la  mienne;  car  voici  les  premières  conséquences 
que  son  principe  admis  par  supposition  me  suggère. 

Si  l'accompagnement  représente  le  corps  sonore,  il  ne  doit  rendre  que 
les  sons  rendus  par  le  corps  sonore  :  or,  ces  sons  ne  forment  que  des 
accords  parfaits;  pourquoi  donc  hérisser  l'accompagnement  de  disse 
nances  ? 

Selon  M.  Rameau,  les  sons  concomitans  rendus  par  le  corps  sonore  s» 
bornent  à  deux;  savoir,  la  tierce  majeure  et  la  quinte.  Si  l'accompa- 
gnement représente  le  corps  sonore  ,  il  faut  donc  le  simplifier. 

L'instrument  dont  on  accompagne  est  un  corps  sonore  lui-même , 
dont  chaque  son  est  toujours  accompagné  de  ses  harmoniques  naturels. 
Si  donc  l'accompagnement  représente  le  corps  sonore,  on  ne  doit 
frapper  que  des  unissons;  car  les  harmoniques  des  harmoniques  ne  se 
tiouvent  point  dans  le  corps  sonore.  En  vérité ,  si  ce  principe  que  je 
combats  m'étoit  venu,  et  que  je  l'eusse  trouvé  solide,  je  m'en  serois 
servi  contre  le  système  de  M.  Rameau,  et  je  l'aurois  cru  renversé. 

Mais  donnons,  s'il  se  peut,  de  la  précision  à  ses  idées;  nous  pourrons 
mieux  en  sentir  la  justesse  ou  la  fausseté. 

Pour  concevoir  son  principe,  il  faut  entendre  que  le  corps  sonore  est 
rerrésenté  par  la  basse  et  son  accompagnement,  de  façon  que  la  basse 


AVANCli:S  PAR  M.  RAMEAU.  213 

fondamentale  représente  le  son  générateur,  et  l'accompagneraent  ses 
productions  harmoniques.  Or,  comme  les  sons  Iiarinoniques  sont  pro- 
duits par  la  basse  fondamentale,  la  basse  fondamentale,  à  son  tour, 
est  produite  par  le  concours  des  sons  harmoniques.  Ceci  n'est  pas  un 
principe  de  système;  c'est  un  fait  d'expérience,  connu  dans  l'Italie  de- 
puis longtemps. 

Il  ne  s'agit  donc  plus  que  de  voir  quelles  conditions  sont  requises 
dans  l'accompagnement  pour  représenter  exactement  les  productions 
harmoniques  du  corps  sono.'e,  et  fournir  par  leur  concours  la  ba.sse 
fondamentale  qui  leur  convient. 

Il  est  évident  que  la  première  et  la  plus  essentielle  de  ces  conditions 
est  de  produire,  à  chaque  accord,  un  son  fondamental  unique:  car  si 
vous  produisez  deux  sons  fondamentaux,  vous  représentez  deux  corps 
sonores  au  lieu  d'un;  et  vous  avez  duplicité  d'harmonie,  comme  il  a 
déjà  été  observé  par  M.  Serre. 

Or,  l'accord  parfait,  tierce  majeure,  est  le  seul  qui  ne  donne  qu'un 
son  fondamental:  tout  autre  accord  le  multiplie.  Ceci  n'a  besoin  de  dé- 
monstration pour  aucun  théoricien;  et  je  me  contenterai  d'un  exemple 
si  simple  que,  sans  figure  ni  note,  il  puisse  être  entendu  des  lecteurs 
les  moins  versés  en  musique,  pourvu  que  les  termes  leur  en  soient 
connus. 

Dans  l'expérience  dont  je  viens  de  parler,  on  trouve  que  la  tierce 
majeure  produit  pour  son  fondamental  l'octave  du  son  grave,  et  que  la 
tierce  mineure  produit  la  dixième  majeure;  c'est-à-dire  que  cette  tierce 
majeure  ut  mi  vous  donnera  l'octave  de  l'ut  pour  son  fondamental ,  et 
que  cette  tierce  mineure  mi  sol  vous  donnera  encore  le  même  ut  pour 
son  fondamental.  Ainsi  tout  cet  accord  entier  ut  mi  sol  ne  vous  donne 
qu'un  son  fondamental;  car  la  quinte  ut  sol,  qui  donne  l'unisson  de  sa 
note  grave,  peut  être  censée  en  donner  l'octave  :  ou  bien,  en  descen- 
dant ce  sol  à  son  octave,  l'accord  est  un  à  la  dernière  rigueur;  car  le 
son  fondamental  de  la  sixte  majeure  sol  mi  est  à  la  quinte  du  grave,  et 
le  son  fondamental  de  la  quarte  sol  ut  est  encore  à  la  quinte  du  grave. 
De  cette  manière,  l'harmonie  est  bien  ordonnée  et  représente  exacte- 
ment le  corps  sonore.  Mais,  au  lieu  de  diviser  harraoniquement  la 
quinte  en  mettant  la  tierce  majeure  au  grave  et  la  mineure  à  l'aigu, 
transposons  cet  ordre  en  la  divisant  arithmétiquement  ;  nous  aurons  cet 
accora  parfait  tierce  mineure,  ut  mi  bémol  sol,  et  prenant  d'autres 
notes  pour  plus  de  commodité,  cet  accord  semblable,  la  ut  mi. 
'  Alors  on  trouve  la  dixième  fa  pour  son  "fondamental  de  la  tierce  mi- 
neure la  ut,  et  l'octave  ut  pour  son  fondamental  de  la  tierce  majeure 
ut  mi.  On  ne  sauroit  donc  frapper  cet  accord  complet  sans  produire  à 
la  fois  deux  sons  fondamentaux.  Il  y  a  pis  encore-,  c'est  qu'aucun  de  ces 
deux  sons  fondamentaux  n'étant  le  vrai  fondement  de  l'accord  et  du 
mode,  il  nous  faut  une  troisième  basse  la  qui  donne  ce  fondement. 
Alors  il  est  manifeste  que  l'accompagnement  ne  peut  représenter  le 
corps  sonore  qu'en  prenant  seulement  les  notes  deux  à  deux;  auquel 
cas  on  aura  la-  pour  basse  engendrée  sous  la  quinte  la  mi ,  fa  sous  la 
ierce  mineure  la  ut,  et  ut  sous  la  tierce  majeure  ut  mi.  Sitôt  donc  que 


214  EXAMEN    DE   DEUX    PRINCIPES 

vous  ajouterez  un  troisième  son,  ou  vous  ferez  un  acco  d  parfait  ma- 
jeur, ou  vous  aurez  deux  sons  fondamentaux,  et  par  conséquent  la 
représentation  du  corps  sonore  disparoîtra. 

Ce  que  je  dis  ici  de  l'accord  parfait  mineur  doit  s'entendre  à  plus 
forte  raison  de  tout  accord  dissonant  complet,  où  les  sons  fondamen- 
taux se  multiplient  par  la  corap'osition  de  l'accord  ;  et  l'on  ne  doit  pas 
oublier  que  tout  cela  n'est  déduit  que  du  principi  même  de  M.  Rameau, 
adopté  par  supposition.  Si  l'accompagnement  devoit  représenter  le  corps 
sonore,  combien  donc  ne  devroit-oii  pas  être  circonspect  dans  le  clioix 
des  sons  et  des  dissonances,  quoique  régulières  et  iiien  sauvées  !  Voilà 
la  première  conséquence  qu'il  fauilroil  tirer  de  ce  principe  supposé 
vrai.  La  raison  ,  l'oreille,  l'expérience,  la  pratique  de  tous  les  peuples 
qui  ont  le  plus  de  justesse  et  de  sensibilité  dans  l'organe ,  tout  suggéroit 
cette  conséquence  à  M.  Rameau.  11  en  tire  pourtant  une  toute  contraire  ; 
et ,  pour  l'établir ,  il  réclame  les  droits  de  la  nature ,  mots  qu'en  qualité 
d'arliste  il  ne  devroit  jamais  prononcer. 

■  11  me  fait  un  grand  crime  d'avoir  dit  qu'il  falloit  retrancher  quelque- 
fois des  sons  dans  l'accompagnement ,  et  un  bien  plus  grand  encore 
d'avoir  compté  la  quinte  parmi  ces  sons  qu'il  falloit  retrancher  dans 
l'occasion,  oc  La  quinte,  dit-il,  qui  est  l'arc-boutant  de  l'harmonie,  et 
qu'on  doit  par  conséquent  préférer  partout  où  elle  doit  être  employée.» 
A  la  bonne  heure ,  qu'on  la  préfère  quand  elle  doit  être  employée  :  mais 
cela  ne  prouve  pas  qu'elle  doive  toujours  l'être;  au  contraire,  c'est 
justement  parce  qu'elle  est  trop  harmonieuse  et  sonore  qu'il  la  faut 
souvent  retrancher,  surtout  dans  les  accords  trop  éloignés  des  cordes 
principales,  de  peur  que  l'idée  du  ton  ne  s'éloigne  et  ne  s'éteigne,  de 
peur  que  l'oreille  incertaine  ne  partage  son  attention  entre  les  deux 
sons  qui  forment  la  quinte,  ou  ne  la  donne  précisément  à  celui  qui  est 
étranger  à  la  mélodie,  et  qu'on  doit  le  moins  écouter.  L'ellipse  n'a  pas 
moins  d'usage  dans  l'harmonie  que  dans  la  grammaire;  il  ne  s'agit  pas 
toujours  de  tout  dire,  mais  de  se  faire  entendre  suffisamment.  Celui 
qui,  dans  un  accompagnement  écrit ,  voudroit  sonner  la  quinte  dans 
chaque  accord  où  elle  entre,  feroit  une  harmonie  insupportable;  et 
M.  Rameau  lui-même  s'est  bien  gardé  d'en  user  ainsi. 

Pour  revenir  au  clavecin  ,  j'interpelle  tout  homme  dont  une  habitude 
invétérée  n'a  pas  corrompu  les  organes;  qu'il  écoute,  s'il  peut, 
l'étrange  et  barbare  accompagnement  prescrit  par  M.  Rameau;  qu'il  le 
compare  avec  l'accompagnement  simple  et  liarmonieux  des  Italiens;  et, 
s'il  refuse  de  juger  par  la  raison,  qu'il  juge  au  moins  par  le  sentiment 
entre  eux  et  lui.  Comment  un  homme  de  goût  a-t-il  pu  jamais  imaginer 
qu'il  fallût  remplir  tous  les  accords  pour  représenter  le  corps  sonore, 
qu'il  fallût  employer  toutes  les  dissonances  qu'on  peut  employer? 
Comment  a-t-il  pu  faire  un  crime  à  Corelli  de  n'avoir  pas  chiffré  toutes 
celles  qui  pouvoient  entrer  dans  son  accompagnement?  Comment  la 
plume  ne  lui  toraboit-elle  pas  des  mains  à  chaque  faute  qu'il  reproclioit 
à  ce  grand  harmoniste  de  n'avoir  pas  faite?  Comment  n'a-t-il  pas  senti 
que  la  confusion  n'a  jamais  rien  produit  d'agréable;  qu'une  harmonie 
trop  chargée  est  la  mort  de  toute  expression;  et  que  c'est  par  celte 


AVANCÉS  PAR  M.  RAMEAU.  215 

raison  que  toute  la  musique  sortie  de  son  école  n'est  que  du  bruit  sans 
-elTet?  Comment  ne  se  reproche-l-il  pas  à  lui-même  d"avoir  fait  hérisser 
les  basses  l'rançoises  de  ces  foiêts  de  chiffres  qui  font  mal  aux  oreilles 
*  seulement  à  les  voir?  Comment  la  force  des  beaux  chants  qu'on  trouve 
'Quelquefois  dans  sa  musique  n'a-t-elle  pas  désarmé  sa  main  paternelle 
vquand  il  les  gâloil  sur  son  clavecin? 

Son  système  ne  me  paroît  guère  mieux  fondé  dans  les  principes  de 
théorie  que  dans  ceux  de  pratique.  Toule  sa  génération  harmonique  se 
home  à  des  progressions  d'accords  parfaits  majeurs:  on  n'y  comprend 
plus  rien  sitôt  qu'il  s'agit  du  mode  mineur  et  de  la  dissonance;  et  les 
vertus  des  nombres  de  Pytliagore  ne  sont  pas  plus  ténébreuses  que  les 
.propriétés  physiques  qu'il  prétend  donner  à  de  simples  rapports. 

M.  Rameau  d  t  que  la  résonnance  d'une  corde  sonore  met  en  mouve- 
ment une  autre  corde  sonore  triple  ou  quintuple  de  la  première,  et  la 
lait  frémir  sensiblement  dans  sa  totalité,  quoiqu'elle  ne  résonne  point. 
Voilà  le  fait  sur  lequel  il  établit  les  calculs  qui  lui  servent  à  la  produc- 
tion de  la  dissonance  et  du  mode  mineur.  Examinons. 

Qu'une  corde  vibrante,  se  divisant  en  ses  aliquoles,  les  fasse  vibrer 
et  résonner  chacune  en  particulier,  de  sorte  que  les  vibrations  plus 
fortes  de  la  corde  en  produisent  de  plus  foibles  dans  ses  parties,  ce 
■phénomène  se  conçoit  et  n'a  rien  de  contradictoire.  Mais  qu'une  aliquote 
puisse  émouvoir  son  tout  en  lui  donnant  des  vibrations  plus  lentes,  et 
'Coiiséquemmenl  plus  fortes':   qu'une  force  nuelconque  en  produise  une 
autre  triple  et  une  autre  quintuple  a'elle-même,  c'est  ce  que  l'observa- 
tion dément  et  que   la  raison  ne  peut  admettre.   Si  l'expérience  de 
M.  Rameau  est  vraie,  il  faut  nécessairement  que  celle  de  M.  Sauveur 
soit  fausse.  Car  si  une  corde  résonnante  fait  vibrer  son  triple  et  son 
quintuple ,  il  s'ensuit  que  les  nœuds  de  M.  Sauveur  ne  pouvoient  exister . 
!ue  sur  la  résonnance  d'une  partie  la  corde  entière  ne  pouvoit  frémir, 
ue  les  papiers  blancs  et  rouges  dévoient  également  tomber ,  et  qu'il  faut 
-jeter  sur  ce  fait  le  témoignage  de  toute  l'Académie. 
Que  M.  Rameau  prenne  la  peine  de  nous  expliquer  ce  que  c'est  qu'une 
orde  sonore  qui  vibre  et  ne  résonne  pas.  Voici  certainement  une  nou- 
velle physique.  Ce  ne  sont  donc  plus  les  vibrations  du  corps  sonore  qui 
produisent  le  son,  et  nous  n'avons  qu'à  chercher  une  autre  cause. 
Au  reste,  je  n'accuse  point  ici  M.  Rameau  de  mauva  se  foi  :  je  con- 
clure même  comment  il  a  pu  se  tromper.  Premièrement,  dans  une 
xpérience  fine  et  délicate,  un  homme  à  système  voit  souvent  ce  qu'il  a 
..vie  de  voir.  De  plus,  la  grande  corde  se  divisant  en  parties  égale.s 
entre  elles  et  à  la  petite,  on  a  vu  frémir  à  la  fois  toutes  ses  parties,  et 
l'on  a  pris  cela  pour  le  frémissement  de  la  corde  entière.  On  n'a  point 
entendu  de  son  ;  cela  est  encore  fort  naturel  :  au  lieu  du  son  de  la  corde 
entière  qu'on  allendoit ,  on  n'a  eu  que  l'unisson  de  la  plus  petite  partie , 
et  on  ne-i'a  pas  distingué.  Le  fait  important  dont  il  falloit  s'assurer,  et 
dont  dépendoit  tout  le  reste,  étoit  qu'il  n'existoit  point  de  nœuds  immo- 

i.  Ci;  qui  rend  les  vibrations  plus  Irnlcs,  c'est  ou  p!ns  de  m.TliLre  à  mou- 
-voir  dans  là  corde,  ou  sun  plus  grand  ccarl  de  la  lii;nc  de  ri'pos. 


I 


216      EXAMEN   DE  DEUX   PRINCIPES   DE  M.  RAMEAU. 

biles ,  et  que ,  tandis  qu'on  n'entendoit  que  le  son  d'une  partie ,  on  voyoit 
frémir  la  corde  dans  la  totalité;  ce  qui  est  faux. 

Quand  celle  expérience  seroit  vraie,  les  origines  qu'en  déduit  M.  Ra- 
meau ne  seroient  pas  plus  réelles  :  car  l'harmonie  ne  consiste  pas  dans 
les  rapports  de  vibrations,  mais  dans  le  concours  des  sons  qui  en  ré- 
sultent-.  et  si  ces  sons  sont  nuls,  comment  toutes  les  proportions  du 
monde  leur  donneroient-elles  une  existence  qu'ils  n'ont  pas? 

Jl  est  temps  de  m'arrèter.  Voilà  jusqu'où  l'examen  des  erreurs  de 
AI.  Rameau  peut  importer  à  la  science  hairaonique.  Le  reste  n'intéresse  ,, 
ni  les  lecteurs  ni  moi-même.  Armé  par  le  droit  d'une  juste  défense,  m 
j'avois  à  combaltre  deux  principes  de  cet  auteur,  dont  l'un  a  produit  1 
toute  la  mauvaise  musique  dont  son  école  inonde  le  public  depuis  nom- 
bre d'années:  l'autre,  le  mauvais  accompagnement  qu'on  apprend  par 
sa  méthode.  J'avois  à  montrer  que  son  système  harmonique  est  insuffi- 
sant, mal  prouvé,  fondé  sur  une  fausse  expérience.  J'ai  cru  ces  recher- 
ches intéressantes.  J'ai  dit  mes  raisons:  M.  Rameau  a  dit  ou  dira  les 
siennes  :  le  public  nous  jugera.  Si  je  finis  sitôt  cet  écrit,  ce  n'est  pas 
que  la  matière  me  manque,  mais  j'en  ai  dit  assez  pour  l'utilité  de  l'art 
et  pour  l'honneur  de  la  vérité.  Je  ne  crois  pas  avoir  à  défendre  le  mien 
contre  les  outrages  de  M.  Rameau.  Tant  qu'il  m'attaque  en  artiste,  je 
me  fais  un  devoir  de  lui  répondre,  et  discute  avec  lui  volontiers  les 
points  contestés;  sitôt  que  l'homme  se  montre  et  m'attaque  personnelle- 
ment, je  n'ai  plus  rien  à  lui  dire,  et  ne  vois  en  lui  que  le  musicien. 


LETTRE  A  M.  LE  DOCTEUR  RURNEY, 

AUTEUR    DE    L'hISTOIRE    GÉNÉRALE    DE    LA    MUSIQUE'. 

Vous  m'avez  fait  successivement,  monsieur,  plusieurs  cadeaux  pré- 
cieux de  vos  écrits,  chacun  desquels  méritoit  bien  un  remercîment 
exprès.  La  presque  absolue  impossibilité  d'écrire  m'a  jusqu'ici  empêché 
de  remplir  ce  devoir;  mais  le  premier  volume  de  votre  Histoire  générale 
de  la  musique,  en  ranimant  en  moi  un  reste  de  zèle  pour  un  art  auquel 
le  vôtre  vous  a  fait  employer  tant  de  iravaux ,  de  temps,  de  voyages  et 

i .  Les  deux  pièces  qui  suivent  ne  sont  que  des  fragmens  d'un  ouvrase  que 
M.  Rousseau  n'acheva  point.  11  donna  son  manuscrit,  presque  IndécliifTrable, 
à  M.  Prévost,  de  rAcadémie  royale  des  sciences  cl  belles-letues  de  lieriiu, 
qui  a  bien  voulu  nous  le  remelUe.  11  y  a  joint  la  copie  qu'il  en  fit  lui-même 
sous  les  yeux  de  M.  Rousseau,  qui  la  corrigea  de  sa  main,  et  distribua  ces 
îragmens  dans  l'ordre  où  nous  les  donnons.  M.  Prévost,  connu  du  public  par 
une  excellente  traduction  de  VOieste  d'Euripide,  a  suppléé,  dans  les  Obser- 
vations sur  l'Alcesie,  quelques  passages  dont  \e  sens  éloit  resté  suspendu, 
el  qui  ne  sembloienl  point  se  lier  avec  le  reste  du  discours.  Nous  avons  fait 
écrire  ces  passages  en  italiques*  :  sans  cette  précaution,  il  auroil  été  difficile 
de  les  distinguer  du  texte  de  M.  Rousseau.  (  Note  des  éditeurs  de  Genève.) 

*  Dans  cette  édition  les  passages  en  question  sont  indiqués  par  dos  guil- 
.emcis.  (Ed.) 


LtTTRE  A  M.  BURNEY.  217 

As  dépenses,  m'ex-cite  à  vous  en  marquer  ma  reconnoissance.  en  m'en- 
irelenant  quelque  temps  avec  vous  du  sujet  favori  de  vos  recherches 
qui  doit  immorlaliser  votre  nom  chez  les  vrais  amateurs  de  ce  bel  art. 
Si  i'avois  eu  le  bonheur  d'en  conférer  avec  vous  un  peu  a  loisir ,  tandis 
Qu'il  me  restoit  quelques  idées  encore  fraîches,  j'aurois  pu  tirer  des 
vôtres  bien  des  instructions  dont  le  public  pourra  profiler,  mais  qui 
seront  perdues  pour  moi ,  désormais  privé  de  mémoire  et  hors  d  état  de 
rien  lire.  Mais  je  puis  du  moins  consigner  ici  sommairement  quelques- 
uns  des  points  sur  lesquels  j'aurois  désiré  vous  consulter ,  afin  que  les 
artistes  ne  soient  pas  privés  des  éclaircissemens  qu'ils  leur  vaudront  de 
votre  part;  et,  laissant  bavarder  sur  la  musique  en  belles  phrases  ceux 
nui  sans  en  savoir  faire,  ne  laissent  pas  d'étonner  le  public  de  leurs 
'  savantes  spéculations  ,  je  me  bornerai  à  ce  qui  tient  plus  immédiatement 
à  la  pratique,  qui  ne  donne  pas  une  prise  si  commode  aux  oracles  des 
beaux  esprits ,  lirais  dont  l'étude  est  seule  utile  aux  véritables  progrès 

de  l'art.  ,       .  , 

1°  Vous  vous  en  êtes  trop  occupé  ,  monsieur ,  pour  n  avoir  pas  souvent 
remarqué  combien  noire  manière  d'écrire  la  musique  est  confuse,  em- 
brouillée ,  et  souvent  équivoque  ;  ce  qui  est  une  des  causes  qui  rendent  son 
étude  si  lonf;ue  et  si  difficile.  Frappé  de  ces  inconvéniens ,  j'avois  imagine , 
il  Y  a  une  quarantaine  d'années,  une  manière  de  l'écrire  par  chiftres, 
moins  volumineuse,  plus  simple,  et,  selon  moi,  beaucoup  plus  claire. 
J-en  lus  le  projet,  en  1742  ,  à  l'Académie  des  sciences,  et  je  le  proposai 
l'année  suivante  au  public,  dans  une  brochure  que  j'ai  l'honneur  de 
vous  envoyer.  Si  vous  prenez  la  peine  de  la  parcourir,  vous  y  verrez  a 
quel  point  j'ai  réduit  le  nombre  et  simplifié  l'expression  des  signes. 
Comme  il  n'y  a  dans  l'échelle  que  sept  noies  diatoniques,  je  n'ai  non 
nlus  que  sept  caractères  pour  les  exprimer.  Toutes  les  autres,  qui  n  en 
sont  que  les  répliques,  s'y  présentent  à  leur  degré,  mais  toujours  sous 
le  signe  primitif.  Les  intervalles  majeurs,  mineurs,  sup  rflus  et  dimi- 
nués   ne  s'y  confondent  jamais  de  position,  comme  dans  la  musique 
ordinaire:  mais  chacun  a  son  caractère  inhérent  et  propre  .  qui  .sans 
é-ard  à  la  position  ni  à  la  clef,  se  présente  au  premier  coup  d  œil.  Je 
croscris  le  bécarre  comme  inutile  :  je  n'ai  jamais  m  beraol  m  diese  a  la 
clef-  enfin  les  accords,  l'harmonie  et  l'enchaînement  des  modulations 
s'y  montrent  dans  une  partition  avec  une  clarté  qui   ne  laisse  rien 
échapper  à  l'œil;  de  sorte  que  la  succession  en  est  aussi  claire  aux  re- 
gards du  lecteur  que  dans  l'esprit  du  compositeur  même.    _ 

Mais  la  partie  la  plus  neuve  et  la  plus  utile  de  ce  système,  et  celle 
cependant  qu'on  a  le  moins  remarquée,  est  celle  qui  se  rapporte  aux 
valeurs  des  notes  et  à  l'expression  de  la  durée  et  des  quantités  dans  le 
temps  C'est  la  grande  simplicité  de  cette  partie  qui  l'a  empêchée  de 
faire  sensation.  Je  n'ai  point  de  figures  particulières  pour  les  rondes, 
blanches,  noires,  croches,  doubles  croches,  etc.;  tout  cela  ramené 
par  la  position  seule  à  des  aliquotes  égales  ,  présente  a  1  œil  les  divisions 
de  la  mesure  et  des  temps ,  s;ms  presque  avoir  besoin  pour  cela  de 
si-nes  propres.  Le  zéro  seul  suffit  pour  exprimer  un  silence  quelconque  : 
le'point   après  une  note  ou  un  zéro,  marque  tous  les  prolongemens 


218  LETTRE  A  M.  BURNEY. 

possibles  d'un  silence  ou  d'un  son.  Il  peut  représenter  toutes  sortes  de 
valeurs;  ainsi  les  pauses .  demi-pauses,  soupirs,  demi-soupirs,  quarts 
de  soujiirs,  etc.,  sont  proscrits,  ainsi  que  les  diverses  figures  de  noies. 
J'ai  piis  en  tout  le  contre-pied  de  la  note  ordinaire;  elle  représente  les 
valeurs  par  des  figures,  et  les  intervalles  par  des  positions;  moi,  j'ex- 
prime les  valeurs  par  la  position  seule,  et  les  intervalles  par  des 
chiiïres,  etc. 

Cette  manière  de  noter  n'a  point  été  adoptée.  Comment  auroit-elle  pu 
l'être?  elle  éloit  nouvelle,  et  c'étoit  moi  qui  la  proposois.  Mais  ses  dé- 
fauts, que  j'ai  remarqués  le  premier,  n'empèclient  pas  qu'elle  n'ait  de 
grands  avantages  sur  l'autre .  surtout  pour  la  pratique  de  la  composi- 
tion, pour  enseigner  la  musique  à  ceux  qui  ne  la  savent  pas,  et  pour 
noter  commodément,  en  petit  volume ,  les  airs  qu'on  entend  et  qu'on 
peut  désirer  de  retenir.  Je  l'ai  donc  conservée  pour  mon  usage, je  l'ai 
perfectioimée  en  la  pratiquant,  et  je  l'emploie  surtout  à  noter  la  basse 
sous  un  chant  quelconque,  parce  que  cette  basse,  écrite  ainsi  par  une 
ligne  de  chiiïres,  m'épargne  une  portée,  double  mon  espace,  et  fait  que 
je  suis  obligé  de  tourner  la  moitié  moins  souvent. 

2°  En  perfectionnant  cette  manière  de  noter,  j'en  ai  trouvé  une  autre, 
avec  laquelle  je  l'ai  combinée,  et  dont  j'ai  maintenant  à  vous  rendre 
compte. 

Dans  les  exemples  que  vous  avez  donnés  du  chant  des  Juifs,  vous  les 
avez,  arec  raison,  notés  de  droite  à  gauche.  Cette  direction  des  lignes 
est  la  plus  ancienne,  et  elle  est  restée  dans  l'écriture  orientale.  Les 
■  Grecs  eux-mêmes  la  suivirent  d'abord;  ensuite  ils  imaginèrent  d'écrire 
les  lignes  en  sillons,  c'est-à-dire  alternativement  de  droite  à  gauche  et 
(le  gauche  à  droite.  Enfin  la  difficulté  de  lire  et  d'écrire  dans  les  deux 
sens  leur  fit  abandonner  tout  à  fait  l'ancienne  direction,  et  ils  écrivi- 
rent comme  nous  faisons  aujourd'hui,  uniquement  de  gauche  à  droite, 
revenant  toujours  à  la  gauche  pour  recommencer  chaque  ligne. 

Cette  marche  a  un  inconvénient  dans  le  saut  que  l'œil  est  forcé  de 
'  faire  de  la  fin  de  chaque  ligne  au  commencement  de  la  suivante,  et  du 
bas  de  shaque  page  au  haut  de  celle  qui  suit.  Cet  inconvénient,  que 
l'habitude  nous  rend  insensible  dans  la  lecture,  se  fait  mieux  se,  tir  en 
lisant  la  m  isiijue,  où,  les  lignes  étant  plus  longues,  l'œil  a  un  plus 
grand  saut  à  faire .  et  où  la  rapidité  de  ce  saut  fatigue  à  la  longue,  sur* 
tout  dans  les  mouvemens  vites;  en  sorte  qu'il  arrive  quelquefois  dar5 
un  concerto  que  le  symphoniste  se  trompe  de  portée,  et  que  l'exécutioa 
est  arrêtée. 

J'ai  pensé  qu'on  pourroit  remédier  à  cet  inconvénient  et  rendre  la 
musique  plus  commode  et  moins  fatigante  à  lire,  en  renouvelant  pouf 
elle  la  méthoJe  d'écrire  par  sillons  pratiquée  par  les  anciens  Grecs,  et. 
cela  d'autant  plus  heureusement  que  cette  méthode  n'a  pas  pour  la  mu- 
sique la  même  difficulté  que  pour  l'écriture;  car  la  note  est  également 
facile  à  lire  dans  les  deux  sens ,  et  l'on  n'a  pas  plus  de  peine .  par  exem- 
ple, à  lire  le  plain-chanl  des  Jui:s  comme  vous  l'avez  noté,  que  s'il 
éloit  noté  de  gauche  à  droite  comme  le  nôtre.  C'est  un  fait  d'expérience 
aue  chacun  peut  vérifier  sur-le-champ  ,  que  qui  chante  à  livre  ouvert  de 


LETTRE  A  M.  BUHNEY.  219 

auche  à  droite  chantera  de  même  à  livre  ouvert  de  droite  à  gauche,  sans 
'y  être  aucunement  préparé.  Ainsi,  point  d'embarras  pour  lapraiiijue. 
Pour  m"assurer  de  cette  méthode  [  ar  l'expérience,  prévoir  toutes  les 
bjections,  et  lever  toutes  les  difficultés,  j'ai  écrit  de  cette  manière 
leaucoup  de  musique  tant  vocale  qu'instrumentale,  tant  en  parties  sé- 
arces  qu'en  partition,  m'attachant  toujours  à  cette  constante  règle,  de 
isposer  tellement  li  succession  des  lignes  et  des  pages,  que  l'œil  n'eût 
imais  de  saut  à  faire  ni  de  droite  à  gauche  ni  de  bas  en  haut,  mais 
[u'il  recommençât  toujours  la  ligne  ou  la  page  suivante .  même  en  tour- 
lant,  du  lieu  même  où  finit  la  précédente;  ce  qui  fait  procéder  alier- 
ativement  la  moitié  de  mes  p;:ges  de  bas  en  haut,  comme  la  moitié  de 
nés  lignes  de  gauche  à  droite. 

Je  ne  parlerai  point  des  avantages  de  cette  manière  d'écrire  la  mu- 
ique;  il  suffit  d'exécuter  une  sonate  lotée  de  cette  façon  pour  les  sen- 
A  l'égard  des  objections,  je  n'en  ai  pu  trouver  qu'une^senle,  et 
eu!ement  pour  la  musique  vocale  ;  c'est  la  difficulté  de  lire  les  paroles 
crites  à  rebours,  difficulté  qui  revient  de  deux  en  deux  lignes  :  et 
avoue  que  je  ne  vois  nul  autre  moyen  de  la  vaincre,  que  de  s'exercer 
luelques  jours  à  lire  et  à  écrire  de  cette  façon,  comme  font  les  impri- 
neurs,  habitude  qui  se  contracte  très-promplement.  Mais  quand  on  ne 
oudroit  pas  vaincre  ce  léger  obstacle  pour  les  parties  de  chant,  les 
ivantages  resteroient  toujours  tout  entiers  sans  aucun  inconvénient  pour 
es  parties  instrumentales  et  pour  toute  espèce  de  symphonies:  et  cer- 
lainement,  dans  l'exécution  d'une  sonate  ou  d'un  concerto,  ces  avan- 
tages sauveront  toujours  beaucoup  de  fatigue  aux  concertans  et  surtout 
i  l'instrument  principal. 

3"  Les  deux  façons  de  noter  dont  je  viens  de  vous  parier  ayant  cha- 
cune ses  avantages,  j'ai  imaginé  de  les  réunir  dans  une  note  combinée 
ies  deux,  afin  surtout  d'épargner  de  la  place  et  d'avoir  à  tourner  moins 
souvent.  Pour  cela  je  note  en  musique  ordinaire,  mais  à  la  grecque, 
c'est-à-dire  en  sillons  ,  les  parties  chantantes  et  obligées;  et  quant  à  la 
basse,  qui  procède  ordinairement  par  notes  plus  simples  et  moins  figu- 
rées, je  la  note  de  même  en  sillons,  mais  par  chiffres,  dans  les  entre- 
lignes qui  séparent  les  portées.  De  cette  manière  chaque  accolade  a  une 
portée  de  moins,  qui  est  celle  de  la  basse;  et  comme  cette  basse  est 
écrite  à  la  place  où  l'on  met  ordinairement  les  paroles,  j'écris  ces  pa- 
roles au-dessus  du  chant,  au  lieu  de  \el  mettre  au-dessous,  ce  qui  est 
indiffèrent  en  soi,  et  empêche  que  les  chiffres  de  la  basse  ne  se  confon- 
dent avec  l'écriture.  Quand  il  n'y  a  que  deux  parties,  cette  manière  de 
noter  épargne  la  moitié  de  la  place. 

4*  Si  j'avois  été  à  portée  de  conférer  avec  vous  avant  la  publication  de 
votre  premier  volume,  où  vous  donnez  l'histoire  de  la  musique  an- 
cienne, je  vous  aurois  proposé,  monsieur,  d'y  discuter  quelques  points 
concernant  la  musique  des  Grecs,  desquels  l'éclaircissement  me  paroît 
devoir  jeter  de  grandes  lumières  sur  la  nature  de  cette  musique,  tant 
jugée  et  si  peu  connue;  points  qui  néanmoins  n'ont  jamais  excité  de 
question  chez  nos  érudits,  parce  qu'ils  ne  se  sont  pas  même  avisés  d'y 
liénser. 


220  LETTRE  A  M.  BURNEY. 

Je  ne  renouvelle  point,  par, ni  ces  questions,  celle  qui  regarde  notre 
harmonie  ,  demandant  si  elle  a  été  connue  et  pratiquée  des  Grecs ,  parce 
que  cette  question  me  paroît  n'en  pouvoir  faire  une  pour  quiconque  i- 
quelque  notion  de  l'art,  et  de  ce  qui  nous  reste,  sur  cette  matière  ,  dans 
les  auteurs  grecs;  il  faut  laisser  chamailler  là-dessus  les  érudits,  et  se 
contenter  de  rire.  Vous  avez  mis,  sous  l'air  antique  d'une  ode  de  Pin- 
dare,  une  fort  bonne  basse;  mais  je  suis  très-sûr  qu'il  n'y  avoit  pas  uni 
oreille  grecque  que  cette  basse  n'eût  écorchée  au  point  de  ne  la  pouvoii 
endurer. 

Mais  j'oserois  demander,  l°sila  poésie  grecque  étoit  susceptible  d'ètrt 
chantée  de  plusieurs  manières,  s'il  étoit  possible  de  faire  plusieurs  airs 
différens  sur  les  mêmes  paroles,  et  s'il  y  a  quelque  exemple  que  celé 
ait  été  pratiqué;  2°  quelle  étoit  la  distinction  caractéristique  de  la  poésie 
lyrique,  ou  accompagnée,  d'avec  la  poésie  purement  oratoire.  CetU 
distinction  ne  consistoit-elle  que  dans  le  mètre  et  dans  le  style,  ou  con 
sistoit-elle  aussi  dans  le  ton  de  la  récitation?  N'y  avoit-il  rien  de  chantt 
dans  la  poésie  qui  n'étoit  pas  lyrique,  et  y  avoit-il  quelque  cas  où  l'oi 
pratiquât,  comme  parmi  nous,  le  rhythme  cadencé  sans  aucune  mé- 
lodie? Qu'est-ce  que  c'étoil  proprement  que  la  musique  instrumentai 
des  Grecs?  Avoient-ils  des  symphonies  proprement  dites,  composées 
sans  aucunes  paroles?  Ils  jouoienl  des  airs  qu'on  ne  chantoit  pas,  jf 
sais  cela;  mais  n'y  avoit-il  pas  originairement  des  paroles  sur  tous  ces 
airs?  et  y  en  avoit-il  quelqu'un  qui  n'eût  point  été  chanté  ni  fait  poui 
l'être?  Vous  sentez  que  cette  question  seroit  bien  ridicule  si  celui  qu 
la  fait  croyoit  qu'ils  eussent  des  accompagneraens  semblables  au.\ 
nôtres,  qui  eussent  fait  des  parties  différentes  de  la  vocale;  car,  en  pa- 
reil cas,  ces  accompagneraens  auroient  fait  de  la  musique  puremen 
instrumentale.  Il  est  vrai  que  leur  note  étoit  différente  pour  les  instru 
mens  et  pour  les  voix;  mais  cela  n'empêchoit  pas,  selon  moi,  que  l'aii 
noté  des  deux  façons  ne  fût  le  même. 

J'ignore  si  ces  questions  sont  superficielles;  mais  je  sais  qu'elles  m 
sont  pas  oiseuses.  Elles  tiennent  toutes  par  quelque  côté  à  d'autre: 
questions  intéressantes  :  comme  de  savoir  s'il  n'y  a  qu'une  musique 
comme  le  prononcent  magistralement  nos  docteurs,  ou  si  peut-être 
comme  moi  et  quelques  autres  esprits  vulgaires  avons  osé  le  penser,  i 
y  a  essentiellement  et  nécessairement  une  musique  propre  à  chaqut 
langue  ,  excepté  pour  les  langues  qui ,  n'ayant  point  d'accent  et  ne  pou 
vant  avoir  de  musique  à  elles,  se  servent  comme  elles  peuvent  de  celh 
d'autrui,  prétendant,  à  cause  de  cela,  que  ces  musiques  étrangères 
qu'elles  usurpent  au  préjudice  de  nos  oreilles ,  ne  sont  à  personne  oi 
sont  à  tous  :  comme  encore  à  l'éclaircissement  de  ce  grand  principe  di 
Vunité  de  mélodie ,  suivi  trop  exactement  par  Pergolèse  et  par  Léo  poui 
n'avoir  pas  été  connu  d'eux  ;  suivi  très-souvent  encore ,  mais  par  instinc 
et  sans  le  connoître,  par  les  compositeurs  italiens  modernes;  suivi  très 
rarement  par  hasard  par  quelques  compositeurs  allemands,  mais  n 
connu  par  aucun  compositeur  françois,  ni  suivi  jamais  dans  aucum 
autre  musique  françoise  que  le  seul  Devin  du  village ,  et  proposé  pa: 
l'auteur  de  la  Lettre  sur  la  musique  françoise  et  du  Diction7iaire  di 


LETTRE  A  M.  BURNEY.  221 

,mique  sans  avoir  été  ni  compris,  ni  suivi,  ni  peut-être  lu  par  per- 
mne-  principe  dont  la  musique  moderne  s'écarte  journellement  de 
lus  en  plus,  jusqu'à  ce  qu'enfin  elle  vienne  à  dégénérer  en  un  tel  cha- 
vari  que  ,  les  oreilles  ne  pouvant  plus  la  souffrir,  les  auteurs  soient 
imenés  de  force  à  ce  principe  si  dédaigné,  et  à  la   marche  de  la 

Ceci'  monsieur,  me  mèneroit  à  des  discussions  techniques,  qui  vous 
nnuieroient  peut-être  par  leur  inutilité,  et  infailliblement  par  leur 
m'^ueur  Cependant,  comme  il  pourroit  se  trouver  par  hasard  dans  mes 
ieilles  rêveries  musicales  quelques  bonnes  idées,  je  m'étois  proposé 
'en  jeter  quelques-unes  dans  les  remarques  que  M.  Gluck  m'avoit  prie 
e  faire  sur  son  opéra  italien  à'Alcestc  :  et'  j'avois  commence  cette  be- 
ogne  quand  il  me  retira  son  opéra,  sans  me  demander  mes  remarques, 
ui  n'étoient  que  commencées,  et  dont  l'indéchiffrable  brouillon  n'etoit 
,asen  état  de  lui  être  remis.  J'ai  imaginé  de  transcrire  ici  ce  fragment 
•,an=  cette  occasion  et  de  vous  l'envoyer,  afin  que,  si  vous  avez  la  fan- 
aisie  d'y  jeter  les  yeux,  mes  informes  idées  sur  la  musique  lyrique 
missent  vous  en  suggérer  de  meilleures,  dont  le  public  profitera  dans 
otre  histoire  de  la  musique  moderne. 

Je  ne  puis  ni  compléter  cet  extrait,  ni  donner  à  ses  membres  éparsla 
iai-^on  nécessaire,  parce  que  je  n'ai  plus  l'opéra  sur  lequel  il  a  été  fait, 
linsi  i-  me  borne  à  transcrire  ici  ce  qui  est  fait.  Comme  l'opéra  d  Al- 
■este  a  été  imprimé  à  Vienne ,  je  suppose  qu'il  peut  aisément  passer  sous 
yos  veux  •  et  au  pis  aller  il  peut  se  trouver  par-ci  par-là  dans  ce  frag- 
iient  quelque  idée  générale  qu'on  peut  entendre  sans  exemple  et  sans 
ipplication  Ce  qui  me  donne  quelque  confiance  dans  les  jugemens  que 
ie  portois  ci-devant  dans  cet  extrait ,  c'est  qu'ils  ont  été  presque  tous 
-onfirraés  depuis  lors  par  le  public  dans  VAlceste  françois  que  M.  Gluck 
nons  a  donné  cette  année  à  l'Opéra  ,  et  où  il  a,  avec  raison,  employé 
tant  qu'il  a  pu  la  même  musique  de  son  Alceste  italien. 


FRAGMENS  D'OBSERVATIONS 

SUR  L'ALCESTE  ITALIEN  DE  M.  LE  CHEVALIER  GLUCK. 

L'examen  de  l'opéra  A' Alceste  de  M.  Gluck  est  trop  au-dessus  de  mes 
forces  surtout  dans  l'état  de  dépérissement  où  sont  depuis  plusieurs 
années  mes  idées ,  ma  mémoire ,  et  toutes  mes  facultés ,  pour  que  j'eusse 
eu  la  présomption  d'en  faire  de  moi-même  la  pénible  entreprise ,  qui 
d'ailleurs  ne  peut  être  bonne  à  lien:  mais  M.  Gluck  m'en  a  si  fort 
pressé  que  je  n'ai  pu  lui  refuser  cette  complaisance ,  quoique  aussi 
fatigante  pour  moi  qu'inutile  pour  lui.  Je  ne  suis  plus  capable  de  donner 
l'att°ention  nécessaire  à  un  ouvrage  aussi  travaillé.  Toutes  mes  observa- 
tions peuvent  être  fausses  et  mal  fondées;  et,  loin  de  les  lui  donner 
pour  des  règles,  je  les  soumets  à  son  jugement,  sans  vouloir  en  aucune 
façon  les  défendre  :  mais  quand  je  me  serois  trompé  dans  toutes,  ce 
qiii  restera  toujours  réel  et  vrai ,  c'est  le  témoignage  qu'elles  rendent  a 


m- 


222  OBSERVATIONS 

M.  Gluclv  de  ma  déférence  pour  ses  désirs,  et  de  mon  estime  pour  ses 
ouvrages. 

En  considérant  d'abord  la  marche  totale  de  celle  pièce,  j'y  trouve 
une  espèce  de  contre-sens  général ,  en  ce  que  le  premier  acte  est  le  plus 
lorl  de  musique,  et  le  dernier  le  plus  foible;  ce  qui  est  directement 
contraire  à  la  bonne  gradation  du  drame,  où  l'inlérêl  doit  toujours  aller 
en  se  renforçant.  Je  conviens  que  le  grand  pathétique  du  premier  acte 
seroit  hors  de  place  dans  les  suivans;  mais  les  forces  de  la  musique  ne 
sont  pas  exclusivement  dans  le  pathétique,  mais  dans  l'énergie  de  tous 
les  senlimens  et  dans  la  vivacité  de  tous  les  tableaux.  Partout  où  l'iu- 
lerèt  est  plus  vif,  la  musique  doit  être  plus  animée,  et  ses  ressources 
ne  sont  pas  moindres  dans  les  expressions  brillantes  et  vives,  que  dans 
les  gémissemens  et  les  pleurs. 

Je  cnviens  qu'il  y  a  plus  ici  de  la  faute  du  poète  que  du  musicien; 
mais  je  n'en  crois  pas  celui-ci  tout  à  fait  disculpé.  Ceci  demande  un  peu 
d'explication. 

Je  ne  connois  point  d'opéra  où  les  passions  soient  moins  variées  que 
dans  VAlceste:  tout  y  roule  presque  sur  deux  seuls  sentimens,  l'affliction 
et  l'effroi:  et  ces  deux  sentimens,  toujours  prolongés,  ont  dû  coûter  des 
peines  incroyables  au  musicien  ,  pour  ne  pas  tomber  dans  la  plus  lamen- 
table monotonie.  En  général ,  plus  il  y  a  de  chaleur  dans  les  situations 
et  dans  les  expressions,  plus  leur  passage  doit  être  prompt  et  rapide^ 
sans  quoi  la  force  de  l'émotion  se  ralentit  dans  les  auditeurs  ;  et ,  quand 
la  mesure  est  passée,  l'acteur  a  beau  continuer  de  se  démener,  le  spec- 
tateur s'attiédit,  se  glace,  et  finit  par  s'impatienter. 

Il  résulte  de  ce  défaut  que  l'intérêt,  au  lieu  de  s'échauffer  par  degrés 
dans  la  marche  de  la  pièce,  s'attiédit  au  contraire  jusqu'au  dénoûment,. 
qui,  n'en  déplaise  à  Euripide  lui-même,  est  froid,  plat,  et  presque 
risible,  à  force  de  simplicité. 

Si  l'auteur  du  drame  a  cru  sauver  ce  défaut  par,  la  petite  fête  qu'il  a 
mise  au  second  acte,  il  s'est  trompé.  Cette  fête,  mal  placée,  et  ridicu- 
lement amenée,  doit  choquer  à  la  représentation,  parce  qu'elle  est 
contraire  à  toute  vraisemblance  et  à  toute  bienséance,  tant  à  cause  de 
la  promptitude  avec  laquelle  elle  se  prépare  et  s'exécute, qu'à  cause  de 
l'absence  de  la  reine,  dont  on  ne  se  met  point  en  peine,  jusqu'à  ce  que 
le  roi  s'avise  à  la  fin  d'y  penser  '. 

J'oserai  dire  que  cet  auteur,  trop  plein  de  son  Euripide,  n'a  pas  tiré 
de  son  sujet  ce  qu'il  pouvoit  lui  fournir  pour  soutenir  l'intérêt,  varier 
la  scène,  et  donner  au  musicien  de  l'étoffe  pour  de  nouveaux  caractères 
de  musique.  Il  falloit  faire  mourir  Alceste  au  second  acte,  et  employer 
tout  le  troisième  à  préparer,  par  un  nouvel  intérêt,  sa  résurrection,  ce 
qui  pouvoit  amener  un  coup  de  théâtre  aussi  admirable  et  frappant  que 
ce  froid  retour  est  insipide.  Mais,  sans  m'arrêtera  ce  que  l'auteur  du 
drame  auroit  dû  faire,  je  reviens  ici  à  la  musique. 

1.  J'ai  donné,  pour  mieux  encadrer  cette  fêle,  et  la  rendre  louclianle  et 
di'chiranle  par  sa  gaieté  môme,  une  idée  dont  M.  Gluck  a  profité  dans  soi» 
^Ice^ie  franchis. 


SUR  L'ALCESTE  DE  M.  GLUCK.  223 

Son  auteur  avoit  donc  à  vaincre  l'ennui  de  cette  uniformité  de  pas- 
sion, et  à  prévenir  l'accablement  qui  devoit  en  être  l'eflet.  Quel  éloit  ie 
premier,  le  plus  grand  moyen  qui  se  présentoit  pour  cela?  C'éloil  de 
suppléer  à  ce  que  n'avoit  pas  fait  l'auteur  du  drame,  en  graduait  telle- 
ment sa  marche  ,  que  la  musique  augmentât  toujours  de  chaleur  en 
avançant,  et  devînt  enfin  d'une  véhémence  qui  transportât  l'auditeur; 
et  il  falloit  tellement  ménnger  ce  progrès,  que  cette  agitation  finît  ou 
changeât  d'objet  avant  de  jeter  l'oreille  et  le  cœur  dans  l'épuisement. 

C'est  ce  que  M.  Gluck  me  paroît  n'avoir  pas  fait,  puisque  son  premier 
acte,  aussi  fort  de  musique  que  le  second  ,  l'est  beaucoup  plus  que  le 
troisième:  qu'ainsi  la  véhémence  ne- va  point  en  croissant;  et,  dès  les 
deux  premières  scènes  du  second  acte,  l'auteur,  ayant  épuisé  toutes  les 
forces  de  son  art,  ne  peut  plus  dans  la  suite  que  soutenir  foibleraent 
des  émotions  du  même  genre,  qu'il  a  trop  tôt  portées  au  plus  haut 
degré. 

L'objection  se  présente  ici  d'elle  même.  C'étoit  à  l'auteur  des  paroles 
de  renforcer,  par  une  marche  gmduée,  la  chaleur  et  l'intérêt.  Celui  de 
la  m.usique  n'a  pu  rendre  les  atîections  de  ses  personnages  que  dans  le 
même  ordre  et  au  même  de:ré  que  le  drame  les  lui  présentoit  :  il  eût 
fait  des  contre-sens,  s'il  eût  donné  à  ses  expressions  d'autres  nuances 
que  celles  quexigeoienl  de  lu|  les  paroles  qu'il  avoit  à  rendre.  'Voilà 
l'objection  :  voici  ma  réponse.  iM.  Gluck  sentira  bientôt  qn'entre  tous 
les  musiciens  de  l'Er.rope  elie  n'est  faite  que  pour  lui  seul. 

Trois  choses  concourent  à  produire  les  grands  etTets  de  la  musique 
dramatique;  savoir,  l'accent,  l'harmonie  ei  le  rliythme.  L'accent  est 
déterminé  par  le  poète,  et  le  musicien  ne  peut  guère,  sans  faire  des 
contre-sens,  s'écarter  en  cela,  ni  pour  le  choix  ni  pour  la  force,  de  la 
juste  expression  des  paroles,  ilais  quant  aux  deux  autres  parties,  qui  ne 
sont  pas  de  même  inhérentes  à  la  langue,  il  peut,  jusqu'à  certain  point, 
'les  combiner  à  son  gré,  pour  modifier  et  graduer  l'intérêt,  selon  qu'il 
convient  à  la  marche  qu'il  s'est  prescrite 

J  oserai  même  dire  que  le  plaisir  de  l'oreille  doit  quelquefois  l'em- 
porter sur  la  vérité  de  l'expression;  car  la  musique  ne  sauroit  aller  au 
cœur  que  par  le  charme  de  la  mélodie;  et  s'il  n'étoit  question  que  de 
rendre  l'accent  de  la  passion,  l'art  de  la  déclamation  suffiroit  seul,  et 
la  musique,  devenue  inutile,  seroit  plutôt  importune  qu'agréable  :  voilà 
l'un  des  écueils  que  le  compositeur,  trop  plein  de  son  expression,  doit 
éviter  soigneusement.  Il  y  a  dans  tous  les  bons  opéras ,  et  surtout  dans 
ceux  de  M.  Gluck,  mille  morceaux  qui  font  couler  des  larmes  par  la 
musique,  et  qui  ne  donneroient  qu'une  émotion  médiocre  ou  nulle, 
dépourvus  de  son  secours,  quelque  bien  déclamés  qu'ils  pussent  être.  .  . 

11  suit  de  là  que,  sans  altérer  la  vérité  de  l'expression,  le  musicien 
qui  module  longtemps  dans  les  mêmes  tons ,  et  n'en  change  que  ra- 
rement, est  maître  d'en  varier  les  nuances  par  la  combinaison  r'cj 
deux" parties  accessoires  qu'il  y  fait  concourir;  savoir,  l'harmonie  et  le  ■ 
rhythme.  Parlon;-  d'abord  de  la  première.  J'en  distmgue  de  trois  espè- 
ces :  l'harmonie  diatonique,  la  plus  simple  des  trois  ,  et  peut-être  la  seuli; 
•naturelle;  l'harmonie  chromatique.,  qui  consiste  en  de  continuels chan- 


k 


224 


OBSERVATIONS 


gemens  de  tons  par  des  successions  fondamentales  de  quintes-,  et  enfin 
l'harmonie  que  j'appelle  pathétique,  qui  consiste  en  des  entrelacemens^ 
d'accords  superflus  et  diminués,  à  la  faveur  desquels  on  parcourt  des 
tons  qui  ont  peu  d'analogie  entre  eux  :  on  affecte  l'oreille  d'intervalles 
déchirans ,  et  l'âme  d'idées  rapides  et  vives ,  capables  de  la  troubler. 

L'harmonie  diatonique  n'est  nulle  part  déplacée,  elle  est  propre  à  tous 
les  caractères;  à  l'aide  du  rhythme  et  de  la  mélodie,  elle  peut  suffire  à 
toutes  les  expressions  :  elle  est  nécessaire  aux  deux  autres  harmonies,, 
et  toute  musique  où  elle  n'entreroit  point  ne  pourroit  jamais  être  qu'une 
musique  détestable. 

L'harmonie  chromatique  entre  de  même  dans  l'harmonie  pathétique; 
mais  elle  peut  fort  bien  s'en  passer,  et  rendre,  quoique  à  son  défaut 
peut-être  plus  foiblement,  les  expressions  les  plus  pathétiques.  Ainsi, 
par  la  succession  ménagée  de  ces  trois  harmonies,  le  musicien  peut 
graduer  et  renforcer  les  sentimens  de  même  genre  que  le  poète  a  sou- 
tenus trop  longtemps  au  même  degré  d'énergie. 

Il  a  pour  cela  une  seconde  ressource  dans  la  mélodie ,  et  surtout  dans 
sa  cadence  diversement  scandée  par  le  rhythme.  Les  mouvemens  extrê- 
mes de  vitesse  et  de  lenteur,  les  mesures  contrastées,  les  valeurs  iné- 
gales, mêlées  de  lenteur  et  de  rapidité,  tout  cela  peut  de  même  se 
graduer  pour  soutenir  et  ranimer  l'intérêt  et  l'attention.  Enfin  l'on  a  le 
plus  ou  moins  de  bruit  et  d'éclat,  l'harmonie  plus  ou  moins  pleine,  les 
silences  de  l'orchestre,  dont  le  perpétuel  fracas  seroit  accablant  pour 
l'oreille,  quelque  beaux  qu'en  pussent  être  les  effets. 

Quant  au  rhythme,  en  quoi  consiste  la  plus  grande  force  de  la  musi- 
que, il  demande  un  grand  art  pour  être  heureusement  traité  dans  la 
vocale.  J'ai  dit ,  et  je  le  crois ,  que  les  tragédies  grecques  étoient  de  vrais 
opéras.  La  langue  grecque,  vraiment  harmonieuse  et  musicale,  avoit  par 
elle-même  un  accent  mélodieux;  il  ne  falloit  qu'y  joindre  le  rhythme 
pour  rendre  la  déclamation  musicale  :  ainsi  non-seulement  les  tragé- 
dies, mais  toutes  les  poésies  étoient  nécessairement  chantées.  Les  poètes 
disoient  avec  raison,  je  chante,  au  commencement  de  leurs  poèmes; 
formule  que  les  nôtres  ont  très-ridiculement  conservée  :  mais  nos  lan- 
gues modernes,  production  des  peuples  barbares,  n'étant  point  natu- 
rellement musicales,  pas  même  l'italienne,  il  faut,  quand  on  veut  leur 
appliquer  la  musique ,  prendre  de  grandes  précautions  pour  rendre  cette 
union  supportable ,  et  pour  la  rendre-  assez  naturelle  dans  la  musique 
imita live  pour  faire  illusion  au  théâtre.  Mais,  de  quelque  façon  qu'on 
s'y  prenne,  on  ne  parviendra  jamais  à  persuader  à  l'auditeur  que  le 
chant  qu'il  entend  n'est  que  de  la  parole  ;  et  si  l'on  y  pouvoit  parvenir , 
ce  ne  seroit  jamais  qu'en  fortifiant  une  des  grandes  puissances  de  la 
musique,  qui  est  le  rhythme  musical,  bien  différent  pour  nous  du 
rhythme  poétique,  et  qui  ne  peut  même  s'associer  avec  lui  que  très-rare- 
ment et  très-imparfaitement. 

C'est  un  grand  et  beau  problème  à  résoudre,  de  déterminer  jusqu'à 
quel  point  on  peut  faire  chanter  la  langue  et  parler  la  musique.  C'est 
d'une  bonne  solution  de  ce  problème  que  dépend  toute  la  théorie  de  lu 
musique  dramatique.  L'instinct  seul  a  conduit,  sur  ce  point ,  les  Italiens 


SUR  L'ALCESTE  DE  M.  GLUCK.  225 

,îans  la  pratique  aussi  bien  qu'il  étoit  possible  ;  et  les  défauts  énormes 
de  leurs  opéras  ne  viennent  pas  d'un  mauvais  genre  de  musique,  mais 
d'une  mauvaise  application  d'un  bon  genre. 

L'accent  oral  par  lui-même  a  sans  doute  une  grande  force,  mais  c'est 
seulement  dans  la  déclamation  :  cette  force  est  indépendante  de  tou*-» 
musique,  et.  avec  cet  accent  seul,  on  peut  faire  entendre  une  bonne 
tragédie,  mais  non  pas  un  bon  opéra.  Sitôt  que  la  musique  s'y  mêle,  il 
faut  qu'elle  s'arme  de  tous  ses  charmes  pour  subjuguer  le  cœur  par 
l'oreille.  Si  elle  n'y  déploie  toutes  ses  beautés,  elle  y  sera  importune, 
comme  si  l'on  faisoit  accompagner  un  orateur  par  des  instrumens;  mais 
en  y  mêlant  ses  richesses,  il  faut  pourtant  que  ce  soit  avec  un  grand 
ménagement,  afin  de  prévenir  l'épuisement  où  jeîteroit  bientôt  nos 
organes  une  longue  action  toute  en  musique. 

De  ces  principes  il  suit  qu'il  faut  varier  dans  un  drame  l'application 
de  la  musique,  tantôt  en  laissant  dominer  l'accent  de  la  langue  et  le 
rhythme  poétique,  et  tantôt  en  faisant  dominer  la  musique  à  son  tour, 
et  prodiguant  toutes  les  richesses  de  la  mélodie,  de  l'harmonie  et  du 
rhythme  musical,  pour  frapper  l'oreille  et  toucher  le  cœur  par  des  char- 
mes auxquels  il  ne  puisse  résister.  Voilà  les  raisons  de  la  division  d'un 
opéra  en  récitatif  simple,  récitatif  obligé,  et  airs 

Quand  le  discours,  rapide  dans  sa  marche,  doit  être  simplement  dé- 
bité, c'est  le  cas  de  s'y  livrer  uniquement  à  l'accent  de  la  déclamation: 
et,  quand  la  langue  a  un  accent,  il  ne  s'agit  que  de  rendre  cet  accent 
appréciable,  en  le  notant  par  des  intervalles  musicaux,  en  s'attachant 
fidèlement  à  la  prosodie,  au  rhythme  poétique,  et  aux  inflexions  pas- 
sionnées qu'exige  le  sens  du  discou-f-s.  Voilà  le  récitatif  simple,  et  ce 
récitatif  doit  être  aussi  près  de  la  simple  parole  qu'il  est  possible:  il  ne 
doit  tenir  à  la  musique  que  parce  que  la  musique  est  la  langue  de  l'opéra , 
et  que  parler  et  chanter  alternativement,  com.me  on  fait  ici  dans  les 
opéras-com^^ues .  c'est  s'énoncer  successivement  dans  deux  langues  diffé- 
rentes, ce  qui  rend  toujours  choquant  et  ridicule  le  passage  de  l'une  à 
l'autre ,  et  qu'il  est  souverainement  absurde  qu'au  moment  où  l'on  se 
passionne  on  changé  de  voix  pour  dire  une  chanson.  L'accompagnement 
delà  basse  est  nécessaire  dans  le  récitatif  simple,  non-seulement  pour 
soutenir  et  guider  l'acteur,  mais  aussi  pour  déterminer  l'espèce  des  in- 
tervalles, et  marquer  avec  p-écision  les  entrelacemens  de  modulation 
qui  font  tant  d'eflet  dans  un  beau  récitatif;  mais  loin  qu'il  soit  néces- 
saire de  rendre  cet  accompagnement  éclatant,  je  voudrons  au  contraire 
qu'il  ne  se  fît  point  remarquer,  et  qu'il  produisît  son  effet  sans  qu'on  y 
fit  aucune  attention.  Ainsi  je  crois  que  les  autres  instrumens  ne  doivent 
point  s'y  mêler,  quand  ce  ne  seroit  que  pour  laisser  reposer,  tant  les 
oreilles  des  auditeurs  que  l'orchestre,  qu'on  doit  tout  à  fait  oublier,  et 
dont  les  rentrées  bien  ménagées  font  par  là  un  plus  grand  effet  ;  au  lieu 
que ,  quand  la  symphonie  règne  tout  le  long  de  la  pièce ,  elle  a  beau 
commencer  pa?  plaire ,  elle  finit  par  accabler.  Le  récitatif  ennuie  sur  les 
■  eâires  d'Iialie,  non-seuiemeiii  parce  qu'il  est  trop  long,  mais  parce 
_i  il  est  mal  chanté  et  plus  mal  placé.  Des  scènes  vives,  intéressantes, 
comme  doivent  toujours  être  ceUes  d'un  cjiéra,  .endues  avec  chaleur, 

r.OI  SS    A'.    M  15 


926  OBSERVATIONS 

avec  vérité,  et  soutenues  d'un  jeu  naturel  et  an'mé,  ne  peuvent  !xan- 
quer  d'émouvoir  et  de  plaire,  à  la  faveur  de  l'illusion  :  mais  débitées 
froidement  et  platement  par  des  castrats,  comme  des  leçons  d'écolier, 
elles  ennuieront  sans  doute ,  et  surtout  quand  elles  seront  trop  longues^; 
mais  ce  ne  sera  pas  la  faute  du  récitatif. 

Dans  les  momens  où  le  récitatif,  moins  récitant  et  plus  passionné, 
prend  un  caractère  plus  touchant,  on  peut  y  placer  avec  succès  un  sim- 
ple accompagnement  de  notes  tenues,  qui,  par  le  concours  de  cette 
harmonie,  donnent  plus  de  douceurà  l'expression.  C'est  le  simple  récitatif 
accompagné ,  qui ,  revenant  par  intervalles  rares  et  bien  choisis ,  contraste 
avec  la  sécheresse  du  récitatif  nu,  et  produit  un  très-bon  efTet. 

Enfin,  quand  la  violence  de  la  passion  fait  entrecouper  la  parole  par 
des  propos  commencés  et  interrompus,  tant  à  cause  de  la  force  des  sen- 
timens  qui  ne  trouvent  point  de  termes  suffisans  pour  s'exprimer,  qu'à 
cause  de  leur  impétuosité  qui  les  fait  succéder  en  tumulte  les  uns  aux 
autres,  avec  une  rapidité  sans  suite  et  sans  ordre,  je  crois  que  le  mé- 
lange alternatif  de  la  parole  et  de  la  symphonie  peut  seul  exprimer  une 
pareille  situation.  L'acteur  livré  tout  entier  à  sa  passion  n'en  doit  trouver 
que  l'accent.  La  mélodie  trop  peu  appropriée  à  l'accent  de  la  langue,  et 
lerhythme  musical  qui  ne  s'y  prête  point  du  tout,  affoibliroient,  éner- 
veroient toute  l'expression  en  s'y  mêlant;  cependant  ce  rhythme  et  cette 
mélodie  ont  un  grand  charme  pour  l'oreille ,  et  par  elle  une  grande 
force  sur  le  cœur.  Que  faire  alors  pour  employer  à  la  fois  toutes  ces 
espèces  de  forces?  Faire  exactement  ce  qu'on  fait  dans  le  récitatif  obligé  : 
donner  à  la  parole  tout  l'accent  possible  et  convenable  à  ce  qu'elle  ex- 
prime, et  jeter  dans  des  ritournelles  de  symphonie  toute  la  mélodie, 
toute  la  cadence  et  le  rhythme  qui  peuvent  venir  à  l'appui.  Le  silence 
de  l'acteur  dit  alors  plus  que  ses  paroles;  et  ces  réticences  bien  placées, 
bien  ménagées,  et  remplies  d'un  côté  par  la  voix  de  l'orchestre,  et  d'un 
autre  par  le  jeu  muet  d'un  acteur  qui  sent  et  ce  qu'il  dit  et  ce  qu'il  ne 
peut  dire  ;  ces  réticences  ,  dis-je ,  font  un  effet  supérieur  à  celui  même 
de  la  déclamation ,  et  l'on  ne  peut  les  ôter  sans  lui  ôter  la  plus  grande 
partie  de  sa  force.  Il  n'y  a  point  de  bon  acteur  qui  dans  ces  momens 
violens  ne  fasse  de  longues  pauses  ;  et  ces  pauses ,  remplies  d'une  expres- 
sion analogue  par  une  ritournelle  mélodieuse  et  bien  ménagée ,  ne  doi- 
vent-elles pas  devenir  encore  plus  intéressantes  que  lorsqu'il  y  règne  un 
silence  absolu?  Je  n'en  veux  pour  preuve  que  l'effet  étonnant  que  ne 
manque  jamais  de  produire  tout  récitatif  obligé,  bien  placé  et  bien  traité. 

Persuadé  que  la  langue  françoise ,  destituée  de  tout  accent ,  n'est  nul- 
lement propre  à  la  musique  et  principalement  au  récitatif,  j'ai  imaginé 
un  genre  de  drame ,  a  dans  lequel  les  paroles  et  la  musique ,  au  lieu  de 
marcher  ensemble,  se  font  entendre  successivement,  et  où  la  phrase 
parlée  est  en  quelque  sorte  annoncée  et  préparée  par  la  phrase  musicale. 
La  scène  de  Pygmalion  est  un  exemple  de  ce  genre  de  composition,  qui 
na  pas  eu  d'imitateur.  En  perfectionnant  cette  méthode ,  on  réuniroit  le 
double  avantage  de  soulauer  l'acteur  par  de  fréquens  repos,  et  d'offrir 
au  spectateur  françois  l'espèce  de  mélodrame  le  plus  convenable  à  sa 
langue.  Cette  réunion  de  l'art  déclamatoire  avec  l'art  musical  ne  pro- 


SUR  L'ALGESTE  DE  M.  GLUCK.  227 

juira  qu'imparfaitement  tous  les  effets  du  vrai  récitatif,  et  les  oreilles 
délicates  s'apercevront  toujours  désagréablement  du  contraste  qui  règne 
-entre  le  langage  de  l'acteur  et  celui  de  l'orchestre  qui  l'accompagne; 
mais  un  acteur  sensible  et  intelligent,  en  rapprochant  le  ton  de  sa  voix 
et  l'accent  de  sa  déclamation  de  ce  qu'exprime  le  trait  musical,  mêle 
ces  couleurs  étrangères  avec  tant  d'art,  que  le  spectateur  n'en  peut 
discerner  les  nuances.  Ainsi  cette  espèce  d'ouvrage  pourroil  constituer 
un  genre  moyen  entre  la  simple  déclamation  et  le  véritable  mé'odrame, 
dont  il  n'atteindra  jamais  la  beauté.  Au  reste  .  quelques  difficultés  qu'of- 
fre la  langue,  elles  ne  sont  pas  insurmontables;  l'auteur  du  Dictionnaire 
de  musique^  a  invilé  les  compositeurs  françoisà  faire  de  nouveaux  essais, 
et  à  introduire  dans  leurs  opéras  le  récitatif  oldigé,  qui,  lorsqu'on  l'em- 
ploie à  propos,  produit  les  plus  grands  elTets.  » 

D'où  naît  le  charme  du  récitatif  obligé  ?  qu'est-ce  qui  fait  son  énergie? 
L'accent  oratoire  et  pathétique  de  l'acteur  produiroit-il  seul  autant 
d'effet?  Non,  sans  doute.  Mais  les  traits  alternatifs  de  symphonie ,  ré- 
Y^eillant  et  soutenant  le  sentiment  de  !a  mesure,  que  le  seul  récitatif 
laisseroit  éteindre,  joignent  à  l'expression  purement  déclamatoire  toute 
celle  du  rhythme  musical  qui  la  renforce.  Je  distingue  ici  le  rhythme  et 
la  mesure,  parce  que  ce  sont  en  effet  deux  choses  très-différentes  :  la 
mesure  n'est  qu'un  retour  périodique  de  temps  égaux;  le  rhythme  est  la 
combina'son  des  valeurs  ou  quantités  qui  remplissent  les  mêmes  temps, 
appropriée  aux  expressions  qu'on  veut  rendre  et  aux  passions  qu'on  veut 
exciter.  Il  peut  y  avoir  mesure  sans  rhythme,  mais  il  n'y  a  point  de 
rhythme  sans  mesure....  a  C'est  en  approfondissant  celte  partie  de  son 
art,  que  le  compositeur  donne  l'essor  à  son  génie;  toute  la  science  des 
accords  ne  peut  suffire  à  ses  besoins.  » 

11  importe  ici  de  remarquer,  contre  le  préjugé  de  tous  les  musiciens, 
que  l'harmonie  par  elle-même  ,  ne  pouvant  parler  qu'à  l'oreille  et  n'imi- 
tant rien,  ne  peut  avoir  que  de  très-foibles  effets.  Quand  elle  entre  avec 
succès  dans  la  musique  imitative,  ce  n'est  jamais  qu'en  représentant, 
déterminant  et  renforçant  les  accens  mélodieux,  qui  par  eux-mêmes  ne 
sont  pas  toujours  assez  déterminés  sans  le  secours  de  l'accompagnement. 
JDes  intervalles  absolus  n'ont  aucun  caractère  par  eux-mêmes;  une 
seconde  superflue  et  une  tierce  mineure,  une  septième  mineure  et  une 
sixte  supertlue,  une  fausse  quinte  et  un  triton  ,  sont  le  même  intervalle, 
et  ne  prennent  les  affections  qui  les  déterminent  que  par  leur  place 
dans  la  modulation;  et  c'est  à  l'accompagnement  de  leur  fixer  cette 
place,  qui  resteroit  souvent  équivoque  par  le  seul  chant.  Voilà  quel  est 
l'usage  et  l'effet  de  l'harmonie  dans  la  musique  imitative  et  théâtrale. 
C'est  par  les  accens  de  la  mélodie,  c'est  par  la  cadence  du  rhythme, 
que  la  musique,  imitant  les  inflexions  que  donnent  les  passions  à  la  voix 
humaine,  peut  pénétrer  jusqu'au  cœur  et  l'émouvoir  par  des  senti- 
mens;  au  lieu  que  la  seule  harmonie,  n'imitant  rien,  ne  peut  donner 
qu'un  plaisir  de  sensation.  De  simples  accords  peuvent  flatter  l'oreille, 
■comme  de  belles  couleurs  flattent  les  yeux  ;  mais  ni  les  uns  ni  les  autres 

A.  Dictionnaire  de  musique,  article  Rtcitatif  ohligi. 


228  OBSERVATIONS 

ne  porteront  jamais  au  cœur  la  moindre  émotion,  parce  que  ni  les  upj 
ni  les  autres  n'imitent  rign  ,  si  le  dessin  ne  vient  animer  les  couleurs,  el 
si  la  mélodie  ne  vient  animer  les  accords.  Mais,  au  contraire,  le  dessin 
par  lui-même  peut,  sans  coloris,  nous  représenter  des  objets  attendris- 
sans:  et  la  mélodie  imitative  peut  de  même  nous  émouvoir  seule  sans  le 
secours  des  accords.  .  .  . 

Voilà  ce  qui  rend  toute  la  musique  françoise  si  lanjuissante  et  si 
fade,  parce  que  dans  leurs  froides  scènes,  pleins  de  leurs  sots  préjugés 
et  de  leur  science,  qui,  dans  le  fond,  n'est  qu'une  ignorance  véritable, 
puisqu'ils  ne  savent  pas  en  quoi  consistent  les  plus  grandes  beautés  de 
leur  art,  les  compositeurs  françois  ne  cherchent  que  dans  les  accords 
les  grands  effets  dont  l'énergie  n'est  que  dans  le  rhythme.  M.  Gluck  sait 
mieux  que  moi  que  le  rhythme  sans  harmonie  agit  bien  plus  puissam- 
ment sur  l'âme  que  l'harmonie  sans  rhythme ,  lui  qui ,  avec  une  harmo- 
nie à  mon  avis  un  peu  monotone ,  ne  laisse  pas  de  produire  de  si  grandes 
émotions ,  parce  qu'il  sent  et  qu'il  emploie  avec  un  art  profond  tous  les 
prestiges  de  la  mesure  et  de  la  quantité.  Mais  je  l'exhorte  à  ne  pas  trop 
se  prévenir  pour  la  déclamation,  et  à  penser  toujours  qu'un  des  défauts 
de  la  musique  purement  déclamatoire  est  de  perdre  une  partie  des  res- 
sources du  rhythme,  dont  la  plus  grande  force  est  dans  les  airs.  .  .  . 

«  J'ai  rempli  la  partie  la  moins  pénible  de  la  tâche  que  je  me  suis 
imposée;  une  observation  générale  sur  la  marche  de  l'opéra  d' Al  este 
m'a  conduit  à  traiter  cette  question  vraiment  intéressante  :  Quelle  est  la 
liberté  qu'on  doit  accorder  au  musicien  qui  travaille  sur  un  poëme  dont 
il  n'est  pas  l'auteur?  J'ai  distingué  les  trois  parties  de  la  musique  imi- 
tative; et,  en  convenant  que  l'accent  est  déterminé  par  le  poëte,  j'ai  fait 
voir  que  l'harmonie,  et  surtout  le  rhythme,  offroient  au  musicien  des 
ressources  dont  il  devoit  profiter.  » 

Il  faut  entrer  dans  les  détails  :  c'est  une  grande  fatigue  pour  moi  de 
suivre  des  partitions  un  peu  chargées;  celle  à'Alceste  l'est  beaucoup,  et 
de  plus  très-embrouillée,  pleine  de  fausses  clefs,  de  fausses  notes,  de 
parties  entassées  confusément.  .  .  . 

En  examinant  le  drame  à'Alceste,  et  la  manière  dont  M.  Gluck  s'est 
«ru  obligé  de  le  traiter,  on  a  peine  à  comprendre  comment  il  en  a  pu 
rendre  la  représentation  supportable  :  non  que  ce  drame,  écrit  sur  le 
plan  des  tragédies  grecques,  ne  brille  de  solides  beautés,  non  que  la 
musique  n'en  soit  admirable ,  mais  par  les  difficultés  qu'il  a  fallu  vaincre 
dans  une  si  grande  uniformité  de  caractères  et  d'expression,  pour  pré- 
venir l'accablement  et  l'ennui,  et  soutenir  jusqu'au  bout  l'intérêt  et 
l'attention.  .  .  . 

L'ouverture,  d'un  seul  morceau,  d'une  belle  et  simple  ordonnance, 
y  est  bien  et  régulièrement  dessinée  :  l'auteur  a  eu  l'intention  d'y  pré- 
parer les  spectateurs  à  la  tristesse  où  il  alloit  les  plonger  dès  le  com- 
mencement du  premier  acte  et  dans  tout  le  cours  de  la  pièce  ;  et  pour 
cela  il  a  modulé  son  ouverture  presque  tout  entière  en  mode  mineur, 
et  même  avec  affectation,  puisqu'il  n'y  a,  dans  tout  ce  morceau,  qii 
est  assez  long,  que  la  première  accolade  de  la  page  4  et  la  première 
accolade  relative  de  la  page  9,  qui  soient  en  majeur.  Il  a  d'ailleurs 


SUR  L'ALCESTE   DE  M.  GLL'CIÎ.  229 

affecté  les  dissûnances  superflues  et  diminuées,  et  des  sons  soutenus  el 
forces  dans  le  haut ,  pour  exprimer  les  gémissemens  et  les  plaintes.  Tout 
cela,  est  bon  et  bien  entendu  en  soi,  puisque  l'ouverture  ne  doit  être 
employée  qu'à  disposer  le  cœur  du  spectateur  au  genre  d'intérêt  par 
lequel  on  va  Fémouvoir.  Mais  il  en  résulte  trois  inconvéniens  :  le  pre- 
mier, remploi  d'un  genre  d'harmonie  trop  peu  sonore  pour  une  ouver- 
ture destinée  à  éveiller  le  spectateur,  en  remplissant  son  oreille  et  le 
préparant  à  lattention;  l'autre,  d'anticiper  sur  ce  même  genre  d'har- 
monie qu'on  sera  forcé  d'employer  si  longtemps,  et  qu'il  faut  par  con- 
séquent ménager  très-sobrement  pour  prévenir  la  satiété;  et  le  troi- 
sième, d'anticiper  aussi  sur  l'ordre  des  temps,  en  nous  exprimant 
d'avance  une  douleur  qui  n'est  pas  encore  sur  la  scène ,  et  qu'y  va  seule- 
ment faire  naître  l'annonce  du  héraut  publie  :  et  je  ne  crois  pas  qu'on 
do.  fe  marquer  dans  un  ordre  rétrograde  ce  qui  est  à  venir  comme  déjà 
passé.  Pour  remédier  à  tout  cela,  j'aurois  imaginé  de  composer  l'ouver- 
ture de  deux  morceaux  de  caractères  diiïérens,  mais  tous  deux  traités 
dans  une  harmonie  sonore  et  consonnante  ;  le  premier,  portant  dans 
les  cœurs  le  sentiment  d'une  douce  et  tendre  gaieté,  eût  représenté  la 
félicité  du  règne  d'Admèle  et  les  charmes  de  l'union  conjugale;  le 
second  ,  dans  une  mesure  plus  coupée,  et  par  des  mouvemens  plus  vifs 
et  un  phrasé  plus  interrompu,  eût  exprimé  l'inquiétude  du  peuple  sur 
la  maladie  d'Admète  ,  et  eût  servi  d'introduction  très-naturelle  au  début 
de  la  pièce  et  à  l'annonce  du  crieur.  .  .  . 

(Page  12.)  Après  les  deux  mots  qui  suivent  ce  mot  Udite,  je  ferois 
cesser  l'accompagnement  jusqu'à  la  fin  du  récitatif.  Cela  expnmeroit 
mieux  le  silence  du  peuple  écoutant  le  c:ieur;  et  les  spectateurs,  cu- 
rieux de  bien  entendre  cette  annonce,  n'ont  pas  besoin  de  cet  aocom- 
gnement;  la  basse  suffit  toute  seule,  et  l'entrée  du  chœur  qui  suit  en 
feroit  plus  d'efl'et  encore.  Ce  chœur  alternatif  avec  les  petits  solo 
d'Évandre  et  d'Ismène  me  paroît  un  très-beau  début  et  d'un  bon  carac- 
tère. La  ritournelle  de  quatre  mesures  qui  s'y  reprend  plusieurs  fois  est 
triste  sans  être  sombre,  et  d'une  simplicité  exquise.  Tout  ce  chœur 
seroit  d'un  très-bon  ton,  s'il  ne  s'y  mèloit  souvent,  et  dès  la  seconde 
mesure,  des  expressions  trop  pathétiques.  Je  n'aime  guère  non  plus  le 
coup  de  tonnerre  de  la  page  14;  c'est  un  trait  joué  sur  le  mot,  et  qui 
me  paroît  déplacé  :  mais  j'aime  fort  la  manière  dont  le  même  chœur, 
repris  page  34,  s'anime  ensuite  à  l'idée  du  malheur  prêt  à  le  lou- 
droyer.  ... 

E  vuoi  morire,  o  misera.  Cette  lugubre  psalmodie  est  d'une  sim- 
plicité sublime,  et  doit  produire  un  grand  efl"et.  Mais  la  même  tenue, 
répétée  de  la  même  manière  sur  ces  autres  paroles,  Altro  non  puoi  rac- 
cogliere ,  me  paroît  froide  et  presque  plate.  Il  est  naturel  à  la  voix  de 
s'élever  un  peu  quand  on  parle  plusieurs  fois  de  suite  à  la  même  per- 
sonne :  si  l'on  eût  donc  fait  monter  la  seconde  fois  cette  même  psalmo- 
die seulement  d'un  semi-ton  sur  dis,  c'est-à-dire  sur  mi  bémol,  cela 
eût  pu  suffire  pour  la  rendre  plus  naturelle  et  même  plus  énergique  : 
mais  je  crois  qu'il  falloit  un  peu  la  varier  de  quelque  manière.  Au  reste, 
il  y  a  dans  la  huitième  et  dans  la  dixième  mesure  un  triton  qui  n'est  ni 


230  OBSERVATIONS 

ne  peut  être  sauvé,  quoiqu'il  paroisse  l'êlre  la  deuxième  fols  parle- 
second  violon;  cela  produit  une  succession  d'accords  qui  n'ont  pas  un 
bon  fondement  et  sont  contre  les  règles.  Je  sais  qu'on  peut  tout  faire- 
sur  une  tenue,  surtout  en  pareil  cas;  et  ce  n'est  pas  que  je  désapprouve- 
le  passage ,  quoique  j'en  marque  l'irrégularité.... 

[Fin  d'une  ohservalion  sur  le  chœur  Fuggiamo,  dont  le  commence- 
ment est  perdu.) 

Ce  ne  doit  pas  être  une  fuite  de  précipitation,  comme  devant  l'en- 
nemi, mais  une  fuite  de  consternation,  qui,  pour  ainsi  dire,  doit  être 
honteuse  et  clandestine,  plutôt  qu'éclatante  et'  rapide.  Si  l'auteur  eût 
voulu  faire  de  la  fin  de  ce  chœur  une  exhortation  à  la  joie,  il  n'eût  pas 
pu  mieux  réussir.  .  .  . 

Après    le    chœur  Fuggiamo,   j'aurois  fait    taire  entièrement  tout: 
l'orchestre  ,  et  déclamer  le  récitatif  Ove  son  avec  la  simple  basse.  Mais 
immédiatement  après  ces  mots ,  V'è  chi  t'  ama  a  tal  segno  ,  j'aurois  fait 
commencer  un  récitatif  obligé  par  une  symphonie  noble,  éclatante, 
sublime,  qui  annonçât  dignement  le  parti  que  va  prendre  Alceste,  qui 
disposât  l'auditeur  à  sentir  toute  l'énergie  de  ces  mots,  Ahl  vi  son  io  , 
trop  peu  annoncés  par  les  deux  mesures  qui  précèdent.  Cette  symphonie 
auroit  offert  l'image  de  ces  deux  vers,  Chi  toile  alla  mia  mente  lumi- 
nare,  si  mostra;  la  grande  idée  eût  été  soutenue  avec  le  même  éclat. 
durant  toutes  les  ritournelles  de  ce  récitatif.  J'aurois  traité  l'air  qui 
suit.  Ombre,  larve ,  sur  deux  mouvemens  contrastés;  savoir,  un  allégro 
sombre  et  terrible  jusqu'à  ces  mots.  Non  voglio  pielà,  et  un  adagio  ou; 
largo  plein  de  tristesse  et  de  douceur  sur  ceux-ci,  5e  vi  tolgo  V amatO' 
consorte.  M.  Gluck,  qui  n'aime  pas  les  rondeaux,  me  permettra  de  lui 
dire  que  c'étoit  ici  le  cas  d'en  employer  un  bien  heureusement,  en  fai- 
sant du  reste  de  ce  monologue  la  seconde  partie  de  l'air,  et  reprenant . 
seulement  l'allégro  pour  finir.  .  .  . 

L'air    Elerni  Dci  me  paroît  d'une  grande   beauté  :  j'aurois  désiré 
seulement  qu'on  n'eût  pas  été  obligé  d'en  varier  les  expressions  par  des 
mesures  différentes.  Deux,  quand  elles  sont  nécessaires,  peuvent  for- 
mer des  contrastes  agréables;  mais  trois,  c'est  trop,  et  cela  rompt 
l'uni  lé.  Les  oppositions  sont  bien  plus  belles  et  font  plus  d'effet  quand 
elles  se  font  sans  changer  de  mesure,  et  par  les  seules  combinaisons  de 
valeur  et  de  quantité.  La  raison  pourquoi  il  vaut  mieux  contraster  sur 
le  même  mouvement  que  d'en  changer  est  que,  pour  produire  l'illusicu 
et  l'intérêt,  il  faut  cacher  l'art  autant  qu'il  est  possible,  et  qu'aussitôt, 
qu'on  change  le  mouvement,  l'art  se  décèle  et  se  fait  sentir.  Parla 
même  raison  je  voudrois  que,  dans  un  même  air,  l'on  changeât  de  ton 
le  moins  qu'il  est  possible  ;  qu'on  se  contentât  autant  qu'on  pourroit  des  ■ 
deux  seules  cadences,  principale  et  dominante;  et  qu'on  cherchât  plulôt 
les  effets  dans  un  beau  phrasé  et  dans  les  combinaisons  mélodieuses  que  • 
dans  une  harmonie  recherchée  et  des  changemens  de  ton.  .  .  . 

L'air  lo  non  chiedo ,  .eterni  Dci,  est,  surtout  dans  son  commence- 
ment, d'un  cliant  exquis,  comme  sont  presque  tous  ceux  du  même  au- 
teur. Mais  où  est  dans  cet  air  l'unité  de  dessin  .  de  tableau  ,  de  carac- 
tère? Ce  n'est  point  là,  ce  me  semble,  un  air,  mais  une  suite  de  plusieurs- 


SUR  L'ALCESTE  DE  M.  GLUCK.  231 

airs.  Les  enfans  y  mêlent  leur  chant  à  celui  de  leur  mère ,  ce  n'est  pas 
ce  que  je  désapprouve  :  mais  on  y  change  fréquemment  de  mesure, 
non  pour  contraster  et  alterner  les  deux  parties  d'un  même  motif,  mais 
pour  passer  successivement  par  des  chants  absolument  différens.  On  ne 
sauroit  montrer  dans  ce  morceau  aucun  dessin  commun  qui  le  lie  et  le 
fasse  un  :  cependant  c'est  ce  qui  me  paroît  nécessaire  pour  constituer 
véritablement  un  air.  L'auteur ,  après  avoir  modulé  dans  plusieurs  Ions , 
se  croit  némmoins  obligé  de  finir  en  E  la  fa,  comme  il  a  commencé.  Il 
sent  donc  bien  lui-même  que  le  tout  doit  être  traité  sur  un  même  dessin  , 
et  former  unité.  Cependant  je  ne  puis  la  voir  dans  les  différens  membres 
de  cet  air.  à  moins  qu'on  ne  veuille  la  trouver  dans  la  répétition  modi- 
fiée de  l'allégro  Non  cowprende  i  mali  miei,  par  laquelle  finit  ce  mor- 
ceau; ce  qui  ne  me  paroît  pas  suffisant  pour  faire  liaison  entre  tous  les 
membres  dont  il  est  composé.  J'avoue  que  le  premier  changement  de 
mesure  rend  admirablement  le  sens  et  la  ponctuation  des  paroles  :  mais 
il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'on  pouvoit  y  parvenir  aussi  saas  en  chan- 
ger; qu'en  général  ces  changemens  de  mesure  dans  un  même  air 
doivent  faire  contraste  et  changer  aussi  le  mouvement  ;  et  qu'enfin  celui- 
ci  amène  deux  fois  de  suite  cadence  sur  la  même  dominante,  sorte  de 
monotonie  qu'on  doit  éviter  autant  qu'il  se  peut.  Je  prendrai  encore  la 
liberté  de  dire  que  la  dernière  mesure  de  la  page  27  me  paroît  d'une 
expression  bien  foible  pour  l'accent  du  mot  qu'elle  doit  rendre.  Cette 
quinte  que  le  chant  fait  sur  la  basse ,  et  la  tierce  mineure  qui  s'y  joint , 
font  à  mon  oreille  un  accord  un  peu  languissant.  J'aurois  mieux  aimé 
rendre  le  chant  un  peu  plus  animé,  et  substituer  la  sixte  à  la  quinte,  à 
peu  près  de  la  manière  suivante ,  que  je  n'ai  pas  l'impertinence  de  donner 
comme  une  correction,  mais  que  je  propose  seulement  pour  mieux  ex- 
pliquer mon  idée. 


I 


(Ici  vient  le  chœur  des  prêtres  d'Apollon.) 


Le  seul  reproche  que  j'aie  à  faire  à  ce  récitatif  est  qu'il  est  trop  beau; 

-  mais,  dans  la  place  où  il  est,  ce  reproche  en  est  un.  Si  l'auteur  com- 
mence dès  à  présent  à  prodiguer  l'enharmonique,  que  fera-t-il  donc 
dans  les  situations  déchirantes  qui  doivent  suivre?  Ce  récitatif  doit  être 
touchant  et  pathétique,  je  le  sais  bien,  mais  non  pas,  ce  me  semble,  a 
un  si  haut  degré;  parce  qu'à  mesure  qu'on  avance  il  faut  se  méi:agei* 
des  coups  de  force  pour  réveiller  l'auditeur  quand  il  commence  à  se 

,  lasser  même  des  belles  choses  :   cette  gradation  me  paroît  absolunie  it 
nécessaire  dans  un  opéra. 
(Page  55.)  Le  récitatif  du  grand  prêtre  est  un  bel  exemple  de  lefîèt  du 


232  OBSERVATIONS 

récitatif  obligé  :  on  ne  peut  mieux  annoncer  l'oracle  et  la  majesté  ds 
celui  qui  va  le  rendre.  La  seule  chose  que  j'y  désirerois  seroit  une 
annonce  qui  fût  plus  brillante  que  terrible  ;  car  il  me  semble  qu'Apollon 
ne  doit  ni  paroître  ni  parler  comme  Jupiter.  Par  la  même  raison,  je  ne 
voudroispas  donner  à  ce  dieu,  qu'on  nous  représente  sous  la  figure  d'un 
beau  jeune  blondin,  une  voix  de  basse-taille.... 

(Page  39.)  Dilegua  il  nero  turbine 

Che  freme  al  trono  intorno, 
0  faretrato  Apolline, 
Col  chiaro  tuo  splendor. 

Tout  ce  chœur  en  rondeau  pourroit  être  mieux  :  ces  quatre  vers 
doivent  être  d'abord  chantés  par  le  grand  prêtre,  puis  répétés  entiers 
par  le  chœur,  sans  en  excepter  les  deux  derniers,  que  l'auteur  fait  dire 
seul  au  grand  prêtre.  Au  contraire,  le  grand  prêtre  doit  dire  seul  les 
vers  suivans  • 

Sai  che,  ramingo,  ed  esule, 

T'accolse  Admette  un  di, 

Che  deir  Anfriso  al  margine 

Tu  fosti  il  suo  pastor. 

Et  le  chœur,  au  lieu  de  ces  vers  qu'il  ne  doit  pas  répéter  non  plus 
que  le  grand  prêtre,  doit  reprendre  les  quatre  premiers.  Je  trouve  aussi 
que  la  réponse  des  deux  premières  mesures  en  espèce  d'imitalion  n'a 
pas  assez  de  gravité  :  j'aimerois  mieux  que  tout  le  chœur  fût  sylla- 
bique. 

Au  reste,  j'ai  remarqué  avec  grand  plaisir  la  manière  également 
agréable,  simple  et  savante,  dont  l'auteur  passe  du  ton  de  la  médiante 
à  celui  de  la  septième  note  du  ton  dans  les  trois  dernières  mesures  de  la 

page  39 

et,  après  y  avoir  séjourné  assez  longtemps,  revient  par  une  marche 
analogue  à  son  ton  principal,  en  repassant  derechef  par  la  médiante 
dans  la  2',  3'  et  4'  mesure  de  la  page  43  :  mais  ce  que  je  n'ai  pas 
trouvé  si  simple  à  beaucoup  près,  c'est  le  récitatif  Nume  eterno, 
page  52.  .  .  . 

Je  ne  parlerai  point  de  l'air  de  danse  de  la  page  17,  ni  de  tous  ceux 
de  cet  ouvrage.  J'ai  dit.  dans  mon  article  Opéra,  ce  que  je  pensois  des 
ballels  coupant  les  pièces  et  suspendant  la  marche  de  l'intérêt;  je  n'ai 
pas  changé  de  sentiment  depuis  lors  sur  cet  article,  mais  il  est  très- 
possible  que  je  me  trompe.  .  .  . 

Je  ne  voudrois  point  d'accompagnement  que  la  basse  au  récitatif 
d'Evandre,  pages  "JO,  21  et  22.  .  .  . 

Je  trouve  encore  le  chœur,  page  22,  beaucoup  trop  pathétique, 
malgré  les  expressions  douloureuses  dont  il  est  plein;  mais  les  alterna- 
tives de  la  droite  et  de  la  gauche,  et  les  réponses  des  divers  instru- 
mens,  me  paroissent  devoir  rendre  cette  musique  très-intéressante  au 
théâtre.  . .  . 

Popoli  di  Tessaglia,  page  24.  Je  citerai  ce  récitatif  d'Aleeste  en 
exemple  d'une  moJulation  touchante  et  tendre,  sans  aller  jusqu'au  pa- 


SUR  L'ALCESTE   DE  M.  GLUCK.  233 

thétique,  si  ce  n'est  tout  à  la  fin.  C'est  par  des  renversemens  il'una 
harmonie  assez  simple  que  M.  Gluck  produit  ces  beaux  effets  :  il  eût  été 
le  maître  de  se  tenir  longtemps  dans  la  même  route  sans  devenir  lan- 
guissant et  froid;  mais  on  voit  par  le  récitatif  accompagné  Nume  eterno, 
de  la  page  62  ,  qu'il  ne  tarde  pas  à  prendre  un  autre  vol.  .  .  . 


EXTRAIT 

D'UNE  RÉPONSE  DU  PETIT  FAISEUR  A  SON  PRÊTE-NOM, 

SUR   UN   MORCEAU  DE  h'Orpllée  DE   M.  LE  CHEVALIER  GLUCK. 

Quant  au  passage  enharmonique  de  V Orphée  de  M.  Gluck .  que  vous  me 
dites  avoir  tant  de  peine  à  entonner  et  même  à  entendre,  j'en  sais  bien 
la  raison  :  c"est  que  vous  ne  pouvez  rien  sans  moi ,  et  qu'en  quelque 
genre  que  ce  puisse  être,  dépourvu  de  mon  assistance,  vous  ne  serez 
jamais  qu'un  ignorant.  Vous  sentez  du  moins  la  beauté  de  ce  passage, 
et  c'est  déjà  quelque  chose  ;  mais  vous  ignorez  ce  qui  la  produit  :  je  vais 
vous  l'apprendre.  ' 

C'est  que  du  même  trait ,  et ,  qui  plus  est ,  du  même  accord ,  ce  grand 
musicien  a  su  tirer  dans  toute  leur  force  les  deux  effets  les  plus  con- 
traires; savoir,  la  ravissante  douceur  du  chant  d'Orphée,  et  le  stridor 
déchirant  du  cri  des  Furies.  Quel  moyen  a-t-il  pris  pour  cela?  Un  moyen 
très-simple,  comme  sont  toujours  ceux  qui  produisent  les  grands  effets. 
Si  vous  eussiez  mieux  médité  l'article  Enharmonique  que  je  vous  dictai 
jadis,  vous  auriez  compris  qu'il  falloit  chercher  celte  cause  remarquable 
non  simplement  dans  la  nature  des  intervalles  et  dans  la  succession  des 
accords,  mais  dans  les  idées  qu'ils  excitent,  et  dont  les  plus  grands  ou 
moindres  rapports,  si  peu  connus  des  musiciens,  sont  pourtant ,  sans 
qu'ils  s'en  doutent,  la  source  de  toutes  les  expressions  qu'ils  ne  trouvent 
que  par  instinct. 

Le  morceau  dont  il  s'agit  est  en  r?it  bémol  majeur;  et  une  chose  digne 
d'être  observée  est  que  cet  admirable  morceau  est,  autant  que  je  puis 
me  le  rappeler,  tout  entier  dans  le  même  ton.  ou  du  moins  si  peu  mo- 
dulé que  l'idée  du  ton  principal  ne  s'efface  pas  un  moment.  Au  reste, 
n'ayant  plus  ce  morceau  sous  les.  yeux  et  ne  m'en  souvenant  qu'impar- 
faitement, je  n'en  puis  parler  qu'avec  doute. 

D'abord  ce  no  des  Furies,  frappé  et  réitéré  de  temps  à  autre  pour 
toute  réponse,  est  une  des  plus  sublimes  inventions  en  ce  genre  que  je 
connoisse;  et.  si  peut-être  elle  est  due  au  poète ,  il  faut  convenir  que  le 
musicien  l'a  saisie  de  manière  à  se  l'approprier.  J'ai  ouï  dire  que  dans 
l'exécution  de  cet  opéra  l'on  ne  peut  s'empêcher  de  frémir  à  chaque  fois 
que  ce  terrible  no  se  répète ,  quoiqu'il  ne  soit  chanté  qu'à  l'unisson  ou  à 
l'octave,  et  sans  sortir,  dans  son  harmonie,  de  l'accord  parfait  jusqu'au 
passage  dont  il  s'agit.  Mais ,  au  moment  qu'on  s'y  attend  le  moins ,  cette 
dominante  diésée  forme  un  glapissement  affreux  auquel  l'oreille  et  le 
cœur  ne  peuvent  tenir,  tandis  que  dans  le  même  instant  le  chant  d'Or- 
phée redouble  de  douceur  et  de  charme  ;  et  ce  qui  met  le  comble  à 


234  RÉPONSE   DU   PETIT  FAISEUR 

l'étonnement  est  qu'en  terminant  ce  court  passage  on  se  trouve  dans  le 
même  ton  par  où  l'on  vient  d'y  entrer,  sans  qu'on  puisse  presque  com- 
prendre comment  on  a  pu  nous  transporter  si  loin  et  nous  ramener  si 
proche  avec  tant  de  force  et  de  rapidité. 

■Vous  aurez  peine  à  croire  que  toute  cette  magie  s'opère  par  un  pas- 
sage tacite  du  mode  majeur  au  mineur,  et  par  le  retour  subit  au  majeur. 
Vous  vous  en  convaincrez  aisément  sur  le  clavecin.  Au  moment  que  la 
basse  qui  sonnoit  la  dominante  avec  son  accord  vient  à  frapper  l'ut  bé- 
mol ,  vous  t'hangez  non  de  ton  mais  de  mode ,  et  passez  en  mi  bémol 
tierce  mineure  :  car  non -seulement  cet  ut,  qui  est  la  sixième  note  du 
ton,  prend  le  bémol  qui  appartient  au  mode  mineur-,  mais  l'accord 
précédent  qu'il  garde,  à  la  fondamentale  près,  devient  pour  lui  celui 
de  septième  diminuée  sur  le  rc  naturel ,  et  l'accord  de  septième  diminuée 
sur  le  ré  appelle  naturellement  l'accord  parfait  mineur  sur  le  mi  bémol. 
Le  chant  d'Orphée ,  Furie ,  larve ,  appartenant  également  au  majeur  et  au 
mineur,  reste  le  même  dans  l'un  et  dans  l'autre  :  mais  aux  mots  Ombre 
sdegnose ,  il  détermine  tout  à  fait  le  mode  mineur.  C'est  probablement 
pour  n'avoir  pas  pris  assez  tôt  l'idée  de  ce  mode  que  vous  avez  eu  peine 
à  entonner  juste  ce  trait  dans  son  commencement.  Mais  il  rentre  en 
finissant  en  majeur  :  c'est  dans  cette  nouvelle  transition  à  la  fin  du  mot 
sdegnose  qu'est  le  grand  effet  de  ce  passage  ;  et  vous  éprouverez  que 
toute  la  difficulté  de  le  chanter  juste  s'évanouit  quand ,  en  quittant  le  la 
bémol,  on  reprend  à  l'instant  l'idée  du  mode  majeur  pour  entonner  le 
sol  naturel  qui  en  est  la  médiante. 

Cette  seconde  superflue ,  ou  sept'ème  diminuée ,  se  suspend  en  passant 
alternativement  et  rapidement  du  majeur  au  mineur,  et  vice  versa,  par 
l'alternation  de  la  basse  entre  la  dominante  si  bémol  et  la  sixième  note 
ut  bémol;  puis  il  se  résout  enfin  tout  à  fait  sur  la  tonique,  dont  la  basse- 
sonne  la  médiante  sol,  après  avoir  passé  par  la  sous-dominante  ia  bé- 
mol portant  tierce  mineur  et  triton  ,  ce  qui  fait  toujours  le  même  accord 
de  septième  diminuée  sur  la  note  sensible  ré. 

Passons  maintenant  au  glapissement  no  des  Furies  sur  le  si  bécarre. 
Pourquoi  ce  si  bécarre,  et  non  pas  ut  bémol  comme  à  la  basse?  Parce 
que  ce  nouveau  son,  quoique  en  vertu  de  l'enharmonique  il  entre  dans 
l'accord  précédent,  n'est  pourtant  point  dans  le  même  ton,  et  en  an- 
nonce un  tout  différent.  Quel  est  le  ton  annoncé  par  ce  si  bécarre?  C'est 
le  ton  d'ut  mineur,  dont  il  devient  note  sensible.  Ainsi  l'âpre  discor- 
dance du  cri  des  Furies  vient  de  cette  duplicité  de  ton  qu'il  fait  sentir, 
gardant  pourtant,  ce  qui  est  admirable,  une  étroite  analogie  entre  les 
deux  tons;  car  Vut  mineur,  comme  vous  devez  au  moins  savoir,  est 
l'analogue  correspondant  du  mi  bémol  majeur,  qui  est  ici  le  ton  prin- 
cipal. 

Vous  me  ferez  une  objection.  Toute  celte  beauté,  me  direz-vous,  n'est 
qu'une  beauté  de  convention  et  n'existe  que  sur  le  papier,  puisque  ce- 
si  bécarre  n'est  réellement  que  l'octave  de  l'ut  bémol  de  la  basse  :  car, 
comme  il  ne  se  résout  point  comme  note  sensible,  mais  disparoîl  ou 
redescend  sur  le  si  bémol  dominante  du  ton,  quand  on  le  noteroit  par 
ut  bcmol  comme  à  la  basse,  le  passage,  et  son  effet,  seroit  le  irême- 


à 


A  SON  PRÊTE-NOM.  235 

I 

absolument  au  jugement  de  l'oreille.  Ainsi  toute  cette  merveille  enhar- 
monique n'est  que  pour  les  yeux. 

Cette  objection,  mon  cher  prête-nom,  seroit  solide  si  la  division 
tempérée  de  l'orgue  et  du  clavecin  étoit  la  véritable  division  harmoni- 
nique,  et  si  les  intervalles  ne  se  modifioient  dans  l'intonation  de  la  voix 
sur  les  rapports  dont  la  modulation  donne  l'idée,  et  non  sur  les  altéra- 
lions  du  tempérament.  Quoiqu'il  soit  vrai  que  sur  le  clavecin  le  ai  bé- 
carre est  l'octave  de  l'utbiraol,  il  n'est  pas  vrai  qu'entonnant  chacun 
de  ces  deux  sons,  relativement  au  mode  qui  le  donne,  vous  entonniez 
exactement  ni  l'unisson  ni  l'octave.  Le  si  bécarre,  comme  note  sensi- 
ble, s'éloignera  davantage  du  si  bémol  dominante,  et  s'approchera  d'au- 
tant par  excès  de  la  tonique  ut  qu'appelle  ce  bécarre;  et  Vut  bémol, 
comme  sixième  note  en  mode  mineur,  s'éloignera  moins  de  la  domi- 
nante quelle  quitte,  qu'elle  rappelle,  et  sur  laquelle  elle  va  retomber. 
Ainsi  le  semi-ton  que  fait  la  basse  en  montant  du  si  bémol  a  1  ut  bemoi 
est  beaucoup  moindre  que  celui  que  font  les  Furies  en  montant  du  si 
bémol  à  son  bécarre.  La  septième  superflue  que  semblent  faire  ces  deux 
sons  surpasse  même  l'octave,  et  c'est  par  cet  excès  que  se  fait  la  dis- 
cordance du  cri  des  Furies;  car  l'idée  de  note  sensible  jointe  au  bécarre 
Dorte  naturellement  la  voix  plus  haut  que  l'octave  de  l'ut  bémol;  et 
ce'a  est  si  vrai  que  ce  cri  ne  fait  plus  son  effet  sur  le  clavecin  comme 
ave:  la  voix,  parce  que  le  son  de  l'instrument  ne  se  modifie  pas  de 

ïfiéme.  .  ,     ,    ..  UT    „♦ 

Ceci  je  le  sais  bien,  est  directement  contraire  aux  calculs  établis  et 
à  l'opinion  commune,  qui  donne  le  nom  de  semi-ton  mineur  au  passage 
d'une  note  à  son  dièse  ou  à  son  bémol,  et  de  serai-ton  majeur  au  pas- 
sa °-e  d'une  note  au  bémol  supérieur  ou  au  dièse  inférieur.  Mais  daas  ces 
dénominations  on  a  eu  plus  d'égard  à  la  différence  du  degré  qu'au  vrai 
rapport  de  l'intervalle,  comme  s'en  convaincra  bientôt  tout  homme  qui 
aura  de  l'oreille  et  de  la  bonne  foi.  Et  quant  au  calcul,  je  vous  déve- 
lopperai quelque  jour,  mais  à  vous  seul,  une  théorie  plus  naturelle, 
qui  vous  fera  vo:r  combien  celle  sur  laquelle  on  a  calcule  les  intervalles 
e::t  à  contre  sens. 

Je  finirai  ces  observations  par  une  remarque  qu  il  ne  faut  pas  omettre  : 
c'est  que  tout  l'effet  du  passage  que  je  viens  d'examiner  lui  vient  de  ce 
que  le  morceau  dans  lequel  il  se  trouve  est  en  mode  majeur;  car  s  il 
eût  été  mineur ,  le  chant  d'Orphée  restant  le  même  eût  été  sans  force  et 
sans  effet,  l'intonation  des  Furies  par  le  bécarre  eût  été  impossible  et 
absurde  'et  il  n'y  auroit  rien  eu  d'enharmonique  dans  le  passage.  Je 
parierois  tout  au  monde  qu'un  François,  ayant  ce  morceau  à  faire,  l'eût 
traité  en  mode  mineur.  Il  y  auroit  pu  mettre  d'autres  beautés  sans 
cloute   mais  aucune  qui  fût  aussi  simple  et  qui  valût  celle-là. 

Voilà  ce  que  ma  mémoire  a  pu  me  suggérer  sur  ce  passage  et  sur  son 
explication.  Ces  grands  effets  se  trouvent  par  le  génie,  qui  est  rare,  et 
«e  sentent  par  l'organe  sensilif,  dont  tant  de  gens  sont  prives;  mais  ils- 
ne  s'expliquent  que  par  une  élude  réfléchie  de  l'art.  Vous  n  auriez  pas 
■  besoin  mairuenant  de  mes  analyses,  si  vous  aviez  un  peu  plus  medue 
6ur  les  relVMOus  que  nous  faisions  jadis  quand  je  vous  dictois  notre 


236     RÉPONSE  DU  PETIT  FAISEUR  A  SON  PRÊTE-NOM. 

Dklionnaire.  Mais,  avec  un  naturel  très-vif,  vous  avez  un  esprit  d'unej 
lenteur  inconcevable.  Vous  ne  saisissez  aucune  idée  que  longtemps 
après  qu'elle  s'est  présentée  à  vous,  et  vous  ne  voyez  aujourd'hui  que 
ce  que  vous  avez  regardé  hier.  Croyez-moi,  mon  cher  prête-nom,  nf 
nous  brouillons  jamais  ensemble,  car  sans  moi  vous  êtes  nul.  Je  suis 
complaisant,  vous  le  savez-,  je  ne  me  refuse  jamais  au  travail  que  vous 
désirez ,  quand  vous  vous  donnez  la  peine  de  m'appeler  et  le  temps  de 
ra'attendre  :  mais  ne  tentez  jamais  rien  sans  moi  dans  aucun  genre;  ne 
vous  mêlez  jamais  de  l'impromptu  en  quoi  que  ce  soit,  si  vous  ne  voulez 
câter  en  un  instant,  par  votre  ineptie,  tout  ce  que  j'ai  fait  jusqu'ici 
pour  vous  donner  l'air  d'un  homme  pensant. 


SUR  LA  MUSIQUE  MILITAIRE. 

Le  luxe  de  musique  qu'on  étale  aujourd'hui  dans  celle  des  régimens 
me  paroît  de  mauvais  goût.  Je  n'en  trouve  l'effet  ni  guerrier,  ni  grave, 
ni  gai,  ni  sonore;  et  toutes  ces  marches,  plutôt  barbouillées  que  tra- 
vaillées, produisent  toujours  une  mauvaise  exécution,  moins  par  la 
faute  des  musiciens  que  par  celle  de  la  musique. 

Il  y  avoit  une  distinction  à  faire,  et  qu'on  n'a  pas  faite,  entre  les 
musiques  convenables  à  la  troupe  en  parade  et  celles  qui  lui  conviennent 
en  marchant,  et  qui  sont  proprement  des  marches.  On  joue  alors  des 
airs  qui,  n'ayant  aucun  rapport  à  la  batterie  des  tambours,  sont  plus 
propres  à  troubler  et  interrompre  la  cadence  du  pas  des  soldats  qu'à  la 
soutenir. 

Les  autres  symphonies  sont  faitespour  tout  le  corps,  et  doivent  plaire 
aux  officiers  :  celles-ci  sont  plus  faites  pour  les  soldats,  qu'il  s'agit 
d'animer  et  de  récréer  en  marchant,  et  qui  aimeroient  mieux  des  airs 
gais  et  bien  cadencés  qu'ils  pussent  retenir  et  y  faire  des  chansons,  que 
toutes  ces  musiques  de  haut  appareil  qui  ne  les  égayent point  du  tout, 
et  auxquelles  ils  n'entendent  rien. 

Je  trouve  encore  qu'on  a  eu  grand  tort  de  supprimer  les  fifres,  qui, 
perçant  à  travers  les  tambours,  épayent  beaucoup  la  marche.  Il  est  vrai 
qu'ils  étoient  détestables  et  multipliés  très-mal  à  propos  dans  les  troupes 
Irançoises  :  un  seul  eût  suffi  dans  la  colonelle  de  chaque  régiment;  et 
alors  on  eût  pu  ,  sans  grand»  frais ,  en  choisir  ou  former  un  bon ,  comme 
j'en  ai  entendu  d'excellens  dans  les  troupes  étrangères. 

J'ai  essayé  de  mettre  mon  idée  en  exemple  dans  le  croquis  ci-joint 
d'une  marche  adaptée  à  la  batterie  des  gardes  francoises. 

Cette  idée  est  que,  dans  l'alternalion  i!es  tambours  et  de  la  musique, 
la  cadence  et  la  batterie  ne  soient  point  interrompues,  et  que  le  pas  du 
soldat  soit  toujours  également  réglé.  Elle  est  encore  de  lui  faire  entendre 
des  airs  d'une  mélodie  si  simple  qu'elle  l'.imuse,  l'égayé ,  et  l'excite  lui- 
même  à  chanter:  ce  qui,  peut-être,  n'est  pas  à  négliger  pour  un  état  si 
plein  de  fatigue  et  de  misères. 

J'ai  fait  deux  petits  airs  de  la  plus  grande  simplicité;  l'un  en  mineur 
pour  le  fifre,  l'autre  en  majeur  pour  la  musique.  Ces  deux  airs  doivent 


Planche  F. 


AIKS  POUR  ETRE  JOUES  LA  TROUPE  MARCHANT 

PREMIER    ATR  POUR   LE   FIFRE 


Quand  le  Fifre  reprend  une  seconde  fois  de  suile   sonair.il  doit  en  recommençant  subsUtuer  un  Ré  au  premier  Sol,  comme  ci-dessus 

SFXOTSTD   AIR   POUR    LA  MUSIQUE. 

Point  de  petites  Flûtes  .parceqnçllcs  ne  son!  jamais  justes 


^  Hautbois  _^  ^  ^  r  r  r  '^''^**«^ 


;.■-  ^ 


N.B.  Les  notes  plus  petites  que  les  autres  dans  la  partie  Ae&  Clarinettes  doivent  être 
jouéos  très  deux.  Pour  peu  quelles  sortent  trop  et  couvrent  le  chant  principal 
il  vaut  mieux  les  supprimer  et  prendre  l'unisson  du  premier  hauttois. 


J.  J.  RoissE.\c,  t.  Vi,  p.  2;>7. 


SUR  LA  MUSIQUE  MILITAIRE.  231 

^s  succéder  alternativement,  sans  interruption  de  la  mesure;  mais, 
pour  laisser  plus  de  repos  aux  musiciens  et  plus  de  temps  aux  tambours, 
l'air  du  fifre  sera  répélé  au  moins  deux  fois  de  suite  avant  que  la  musi- 
que reprenne  le  sien.  Le  fifre  doit  être  seul  parmi  les  tambours  qui  sont 
proches  des  instrumens,  et  il  doit  y  avoir  parmi  les  instruraens  un  seul 
tambour  qui  reprenne  doucement  la  batterie  sous  la  musique,  de  ma- 
nière qu'il  la  guide  et  ne  la  couvre  pas.  Au  moyen  de  ce  tambour  on 
ôteroit  cette  ferraille  de  cymbales  qui  fait  un  très-mauvais  effet. 

11  seroit  à  désirer  que  les  tambours  fussent  accordés  sur  la  tonique 
sol.  et  que  celui  de  la  musique  fût  accordé  sur  la  dominante  ré.  Alors 
l'alternation  de  la  batterie  feroit  un  effet  plus  agréable,  et  la  musique 
en  sortiroit  mieux.  Pour  le  fifre,  il  doit  nécessairement  être  d'accord 
avec  les  autres  instrumens. 

L'auteur  de  ces  petits  airs  ne  présume  pas  qu'une  musique  aussi  simple 
puisse  être  goûtée,  quoique  sa  passion  pour  cet  art  l'engage  à  les  pro- 
poser :  si  néanmoins  on  en  vouloit  faire  l'essai .  il  avertit  que  cet  essai 
ne  doit  pas  être  fait  en  place  comme  celui  d'une  symphonie  ordinaire, 
mais  en  marchant,  et  dans  la  disposition  qu'il  vient  de  marquer.  Ce 
n'est  même  qu'après  une  assez  longue  suite  d'alternations  qu'on  peut 
juger  si  la  marche  est  bien  faite  et  produit  bien  son  effet. 


AIRS  POUR  ÊTRE  JOUÉS  A  LA  TROUPE  MARCHANTE'. 

Savoir  :  le  mineur,  par  un  seul  fifre,  avec  le  corps  des  tambours 
accordés,  s'il  se  peut,  au  sol. 

Et  le  majeur,  alternativement  par  la  musique  avec  un  seul  tambour, 
battant  à  demi,  et  accordé,  s'il  se  peut,  au  ré.  On  aura  soin  que,  dans  les 
alternations  du  fifre  et  de  la  musique,  la  mesure  ne  s'interrompe  jamais. 

Nota.  Les  airs  sont  faits  de  manière  à  pouvoir  être  un  peu  pressés  ou 
ralentis  sans  les  défij-urer,  selon  qu'on  veut  marcher  plus  ou  moins  viio,  mais 
leur  meilleur  effet  sera  sur  un  mouvement  modéré,  el  sans  trop  presser 
le  pas. 

AIR  DE  CLOCHES'. 

J'ai  fait  cet  air  en  passant  sur  le  Pont-Neuf,  impatienté  d'y  voir 
mettre  en  carillon  des  airs  qui  semblent  choisis  exprès  pour  y  mal  aller. 
L'espèce  de  perfection  qu'on  a  mise  à  l'exécution  ne  sert  qu'à  mieux 
faire  sentir  combien  ceux  qui  choisissent  ces  airs  connoissent  peu  le 
caractère  convenable  au  sot  instrument  qu'ils  emploient.  Si  l'on  faisoit 
des  airs  pour  les  guimbardes,  il  faudroit  leur  donner  un  caractère  con- 

( .  Voy.  le  tibleau  ci  contre. 

'1.  Cet  air  et  la  note  qui  le  précède  sont  extraits  du  recueil  gra'.  é  el  publié 
apjrès  la  mort  de  Rousseau,  sous  Je  litre  de  Consolations  des  misères  de  nue 
vie.  —  On  trouve  dans  le  Diclionnaire  de  musique,  au  mot  Carillon,  un 
auu-e  exemple  de  carillon  composé  selon  les  règles  établies  par  lui-même 
pour  les  airs  de  celle  espèce.  lÉd.) 


238 


AIR  DE  CLOCHES. 


venableàla  guimbarJe.  Mais  en  France  on  se  plaît  à  dénaturer  le  carac- 
tère de  chaque  instrument.  Aussi  chacun  peut  entendre  à  quels  abomi- 
nables charivaris  ils  donnent  le  nom  de  musique. 


^-fg^^mpS^^^^^-gÈEgi^éa'-: 


Je  ne  saurois  faire  entendre,  en  termes  de  carillonneur,  quelle  sorte 
d'ornement  il  faut  donner  aux  notes  marquées  >~  et  a  ;  mais  chrcua 
-sent  qu'il  e  i  faut  un  sensible,  mais  très-peu  chargé. 


LETTRE  A  M.  GRIMM, 

AU   SUJET  DES   REMARQUES  AJOUTÉES  A   SA   LETTRE   SUR   OMPIIALE. 
Picas  qais  docuil  verba  nqslra  conari  '? 

Je  vous  félicite,  monsieur,  de  votre  nouvelle  gloire.  Vous  voilà  en 
possession  d'un  honneur  qu'Homère  et  Platon  n'ont  eu  que  longtemps 
après  leur  mort,  et  dont  Boileau  seul  avoit  joui  de  son  vivant  parmi 
nous:  vous  avez  un  commentateur.  Les  remarques  sur  votre  lettre 
n'ont  pas,  il  est  vrai,  le  titre  de  commentaires;  mais  vous  savez  que  les 
commentateurs  suppriment  les  choses  essentielles,  et  étendent  celles 
-qui  n'en  ont  pas  besoin;  qu'ils  ont  la  fureur  d'interpréter  tout  ce  qui 
est  clair;  que  leurs  explications  sont  toujours  plus  obscures  que  le 
texte,  et  qu'il  n'y  a  sorte  de  choses  qu'ils  n'aperçoivent  dans  leur 
auteur,  excepté  les  grâces  et  la  finesse. 

Or,  les  remarques  ne  disent  pas  un  mot  A'Omphale,  qui  est  le  sujet 
de  votre  lettre  :  en  revanche ,  elles  s'étendent  fort  au  long  sur  vos  digres- 
.  sions  un  peu  longues.  Vous  avez  parlé  du  récitatif,  et  les  remarques  en. 


4.  Celle  lelire  esl  le  seul  ouvrage  que  J.-J.  Rousseau  ne  signa  poinl.  (Éd.) 


!  LETTRE  A  M.  GRIMM.  239 

.ont  un  sermon  dont  vos  paroles  sont  le  texte.  Le  récitatif  françoîs  est 
•ent;  premier  point.  Le  récitatif  françoîs  est  monotone;  second  point. 
3n  a  soin  de  suppléer  à  la  définition  qu'on  prétend  que  vous  deviez 
ionner  du  récitatif  italien.  Après  cela  on  définit  le  récitatif  ou  la  mélo- 
oée  des  anciens.  On  définira  bientôt  l'ariette  ;  et  que  ne  définit-on  point? 

Grand  commentaire  sur  ce  que  vous  voudriez  défendre  à  certaines 
5ens  d'écouter  la  musique  des  Pergolèse,  des  Buranelli,  des  Adolfati; 
equel  commentaire  prouve  très-méthodiquement  que  vous  avez  raison 
le  dire  qu'on  ne  doit  rien  conclure  contre  le  récitatif  italien ,  de  ce  qu'il 
l'est  pas  écouté  à  l'Opéra. 

Autre  grand  commentaire  sur  l'ariette,  inventée  à  Bologne  par  le 
Tameux  Bernachi,  mais  mise  en  usage  par  d'autres,  attendu  que  le 
fameux  Bernachi  n'étoit  point  compositeur,  mais  chanteur  célèbre. 

Second  commentaire  sur  l'art  d'écouter ,  que  le  commentateur  prend 
pour  l'art  d'ouvrir  les  oreilles.  Sur  quoi  il  se  plaint  très-spirituellement 
de  ce  qu'on  néglige  l'art  de  comprendre. 

Commentaire  sur  ce  que  vous  avez  dit  de  l'abus  du  geste  :  mais  ici  le 
îomraentateur  prend  la  liberté  de  n'être  pas  de  votre  avis  ,  parce  que  le 
§este  est  essentiel  à  la  musique  de  LuUi. 

Item,  grand  commentaire  sur  votre  sensibilité  pour  les  beaux- arts  et 
pour  les  talens  en  tout  genre.  Vous  avez  élevé  un  temple  au  dieu  du 
joùt  et  des  talens.  Il  faut  en  croire  le  commentateur  quand  il  nous  dé- 
clare que  vos  dieux  ne  sont  point  les  siens.  En  le  disant  il  l'a  prouvé ,  et 
il  peut  bien  être  sûr  qu'on  ne  le  soupçonnera  jamais  de  cette  idolâtrie. 

Passons  à  la  clarté  des  interprétations  :  le  commentateur,  qui  a  la 
charité  de  suppléer  aux  définitions  qu'il  assure  que  vous  avez  eu  tort 
d'omettre ,  vous  dicte  celle-ci  pour  le  récitatif  italien  :  a  Le  récitatif  ita- 
lien, ferme  dans  sa  marche,  donne  à  chaque  sentiment  le  temps  à  l'or- 
chestre de  lui  faciliter  ses  transitions  de  tons .  et  par  ce  moyen  évite  les 
cadences  finales,  et  ne  connoît  de  repos  qu'à  la  fin  du  récit.  L'orchestre 
n'obscurcit  point  la  déclamation  de  l'acteur  par  un  tas  d'accords,  mais 
à  chaque  difl"érentes  expressions'  il  lui  confirme  le  même  sentiment  par 
une  nouvelle  façon  de  l'exprimer.  Voilà  ce  qui  le  rend  susceptible  de 
variété.  »  Pour  vous  dire  franchement  mon  avis  sur  une  définition  si 
claire ,  je  pense  que  l'auteur  aura  entendu  par  hasard  quelque  récitatif 
italien,  cnup;^  de  ritournelles  et  de  traits  de  symphonie,  et  il  aura  bon- 
nement pris  cela  pour  le  caractère  général  du  récitatif;  ce  qu'il  y  a  de 
bien  assuré  dans  tout  ceci,  c'est  que  l'auteur  de  cette  définition,  quel 
qu'il  soit,  n'a  jamais  su  la  musique. 

Mais  une  autre  définition  qu'il  faut  entendre  par  curiosité ,  c'est  celle 
de  l'ariette.  Je  vais  la  transcrire  bien  exactement,  a  Le  fameux  Bernachi 
a  placé  le  mineur  entre  deux  majeurs,  et  a  fait  répéter  le  premier  et 
principal  motif  de  chant  par  différentes  transitions  de  tons,  afin  que 
l'oreille  saisisse  mieux,  par  cette  répétition,  le  caractère  des  pensées 
de  la  musique.  »  Vous  riez  :  patience,  vous  n'êtes  pas  au  bout;  il  faut 
encore,  s'il  vous  plaît,  essuyer  la  note.  «  Ce  que  j'ai  dit  mineur,  n'est 

».  C'est  ainsi  que,  dans  les  Remarques,  ces  mois  sont  en  eflel  écrits. 


240  LETTRE  A  M.  GP.IMM. 

souvent  que  corrélation  de  ton.  C'est  à  l'habileté  du  compositeur  de 
chercher  la  corrélation  relative  au  sujet,  et  qui  entre  le  mieu'c  dana  h 
majeur.  Le  mineur  ou  corrélation  change  toujours  de  mouvement, 
c'est-à-dire  que  si  le  majeur  est  C ,  le  mineur  serai  lent,  et  reprend  le 
majeur  C:  c'est  ce  qui  fait  l'ombre  au  tableau.  »  Ne  faisons  point  l'in- 
jure à  l'auteur  de  croire  qu'il  ait  tiré  tout  ce  galimatias  de  sa  tète.  Je 
pense  entrevoir  ici  la  vérité.  Ces  passages  auront  été  transcrits  de  quel- 
que vieux  livre  italien ,  et  traduits  tant  bien  que  mal  par  quelqu'un  qui 
n'entendoit  rien  du  tout  à  la  musique,  el  pas  grand'chose  à  l'italien. 

Je  consens  à  vous  faire  grâce  de  la  suite  à  condition  que  vous  con- 
viendrez que  les  remarques  sont  de  vrais  commentaires.  Jamais  les 
Lexicocrassus  et  tous  les  savans  en  us  n'en  eurent  le  caractère  mieu\ 
marqué.  Ainsi  je  suppose  la  preuve  faite. 

J'ignore  parfaitement  qui  est  le  commentateur,  mais  je  ne  le  crois 
pas  mal  avec  vous  :  car,  selon  moi,  ce  n'est  pas  sans  quelque  finesse  à 
sa  manière  qu'il  affecte  de  relever  tant  de  jolis  endroits  de  votre  lettre. 
C'est  une  espèce  de  compère  qui  répète  les  sentences  de  Polichinelle,  et 
qui  ne  feint  de  s'en  moquer  que  pour  les  faire  mieux  entendre  aux  spec- 
tateurs. Je  sais  bien  que  vous  n'avez  pas  l'air  de  Polichinelle,  mais  pour 
le  compère,  je  vous  le  dis  encore,  je  le  soupçonne  d'être  de  vos  amis. 

Permettez  donc  que  je  m'adresse  à  vous  pour  lui  faire  passer  quelques 
avis  dont  je  m'imagine  qu'il  doit  faire  usage,  avant  que  d'insérer  sou 
commentaire  dans  votre  lettre.  Comme  je  pourrois  bien ,  par  contagion  , 
m'appesantir  un  peu  sur  les  remarques ,  pour  éviter  du  moins  la  monoto- 
nie, je  donnerai  différens  noms  à  leur  auteur.  Quand  il  prendra  la  peinr 
d'expliquer  au  long  pourquoi  il  vous  fait  l'honneur  d'être  de  votre  avis,  jl 
l'appellerai  le  commentateur.  Quand  il  fera  semblant  de  vous  réfuter,  ce 
sera  le  compère,  et  ce  sera  le  critique  toutes  les  fois  qu'il  aura  raisori  ; 
mais  je  serai  contraint  d'être  un  peu  sobre  sur  l'usage  de  ce  dernier  nom. 

Qu'un  commentateur  soit  obscur,  diffus,  languissant,  c'est  le  droit 
du  métier;  mais  il  y  a  pourtant  un  certain  point  qu'il  ne  doit  pa,s 
excéder.  On  ne  sauroit  permettre  à  Matanasius  même  de  citer  ,  à  propos 
de  l'ariette,  et  Mainard,  qui  s'aperçut  le  premier  que  le  troisième  vers 
devoit  avoir  un  sens  fini  ou  repos  dans  la  stance;  et  la  Sophonisbe  du 
Trissino,  modèle  des  trois  unités;  et  Maigret  ' ,  qui  le  premier  introduis  t 
cette  règle  des  trois  unités  dans  la  tragédie,  et  qui  par  conséquent  e:) 
instruisit  Sophocle,  Euripide  et  Sénèque  ;  et  le  fameux  Bernachi,  doni 
ni  vous ,  ni  moi ,  ni  bien  d'autres  n'avons  entendu  parier;  ce  qui  ne  doit 
pourtant  pas  vous  surprendre  :  il  y  a  comme  cela  tant  de  ces  gens  fa- 
meux que  personne  ne  connoît,  et  qui  passent  leur  vie  à  se  célébrer  les 
uns  les  autres,  sans  se  faire  connoître  davantage!  Quoi  qu'il  en  soit 
voilà  les  raisons  claires  pourquoi  l'ariette  italienne  n'est  point  réduite  ,i 
folâtrer  éternellement  comme  la  françoise  autour  d'un  lance,  vole 
chaîne,  ramage,  raison  que  le  compère  vous  reproche  de  n'avoir  p^i;, 
dite  et  qu'il  a  la  bonté  de  dire  à  votre  place. 

t.  Nr  us  laissons  ce  nom  le!  qu'on  ic  trouve  dans  toutes  les  édilioné;  niai» 
c'est  évidemment  de  JMairet  que  Rousseau  a  voulu  pnrler.  (Eu.) 


LETTRE  A  M.   GRIHIM.  24i 

Le  compère  prétend  que,  parce  que  le  genre  boufTon  est  connu  en 
Italie,  il  n'est  pas  vrai  que  M.  Rameau  en  soit  le  créateur  en  France  : 
cela  est  extrêmement  plaisant;  car  s'il  n'eût  point  existé  de  genre  bouf- 
fon en  Italie,  il  eût  été  fort  ridicule  de  dire  que  M.  Rameau  en  avoit 
créé  un  en  France.  Je  n'examine  point  si  le  genre  bouffon  existe  réelle- 
ment dans  la  musique  françoise.  Ce  que  je  sais  très-bien,  c'est  qu'il 
doit  nécessairement  être  autre  que  le  genre  bouffon  de  la  musique  ita- 
lienne :  une  oie  grasse  ne  vole  point  comme  une  hirondelle.  A  l'égard 
de  la  musique  de  Platée,  que  le  critique  vous  reproche  d'avoir  traitée 
de  sublime,  appelez-la  divine,  s'il  l'aime  mieux,  mais  ne  vous  repentez 
jamais  de  l'avoir  regardée  comme  le  chef-d'œuvre  de  M.  Rameau,  et  le 
plus  excellent  morceau  de  musique  qui  jusqu'ici  ait  été  entendu  sur 
notre  théâtre.  11  faudra ,  je  l'avoue ,  vous  passer  de  l'approbation  de  tous 
ceux  qui  n'ont  point  d'autres  moyens  pour  apprécier  un  ouvrage  que  de 
compter  les  voix  qui  l'ont  applaudi;  mais  vous  n'en  êtes  pas  à  prendre 
voire  parti  sur  cela. 

Je  voudrois  demander  à  ce  grand  homme,  qui  prend  la  peine  d'assi- 
gner les  bornes  du  sublime,  quelle  épithète  il  donneroit  à  la  première 
scène  du  Tartuffe,  surtout  aux  deux  derniers  vers: 

Allons ,  gaupe ,  marchons ,  etc. 

et  à  ces  autres  vers  de  la  même  pièce  : 

C'en  est  fait;  je  renonce  à  tous  les  gens  de  bien,  etc. 

Priez-le  de  vouloir  décider  si  c'est  là  du  sublime  ou  non.  On  lui  en 
pourroit  demander  autant  de  la  musique  de  la  Serra  padrona  ;  mais  il 
n'en  a  peut-être  jamais  entendu  parler. 

Le  compère,  qui  prend  la  liberté  de  vous  dire  qu'Adolfati  est  mal  placé 
dans  votre  citation  de  Pergolèse  et  de  Buranello,  trouvera  bon  que  nous 
prenions  la  liberté  de  lui  demander  des  raisons ,  ou  du  moins  des  raiaon- 
nemens ,  à  lui  qui  ne  veut  passer  aux  autres  que  des  propositions  dé- 
montrées. Il  peut  n'avoir  aucune  connoissance  des  chefs-d'œuvre  de  cet 
auteur  :  mais  l'ignorance  n'excuse  point  un  homme  d'avoir  mal  dit,  elle 
l'oblige  seulement  à  se  taire,  surtout  quand  il  est  question  de  con- 
damner publiquement  un  auteur  vivant  dont  la  carrière  n'-est  que  com- 
mencée. Il  est  vrai  que  cet  Adolfati,  qui  n'a  pas  l'honneur  d'agréer  au 
compère,  méprise  très-cordialement  les  musiciens  françois,  mais  il  faut 
un  peu  le  lui  pardonner;  le  pauvre  diable  a  passé  par  le  bec  de  l'oie. 

Il  falloit  absolument  substituer  Hasse  à  la  place  d'Adolfati,  et  cela 
par  quatre  raisons  sans  réplique  :  l'une ,  que  Hasse  est  votre  compa- 
triote; l'autre,  qu'à  l'âge  de  quarante-huit  ans  il  avoit  fait  cinquante - 
quatre  opéras;  la  troisième,  qu'il  est  le  seul  étranger  dont  les  Italiens 
«xécutent  la  musique. 

0  le  méchant  Boileau  de  n'avoir  pasencenseM.de  Scudéri,  M.  le  gou- 
verneur de  Notre-Dame  de  la  Garde,  qui  étoit  son  compatriote  et  son 
contemporain,  qui  faisoit  tant  de  livres,  et  qui  enchantoit  tant  d'hon- 
nêtes lecteurs  !  Et  ce  coupable  philosophe,  qui  a  osé  admirer  ses  com- 
patriotes, n'auroit-il  point  par  malht?ur  oublié  le  compère?  Aussi  n'a-t-il 
Rousseau  vi  15 


242  LETTRE  A  M.  GRniM. 

pas  l'honneur  d'être  son  philosophe,  mais  le  vôtre;  et  je  me  scrois  biea- 
douté  que  vous  n'aviez  pas  tous  deuv  les  mêmes  philosophes  non  plus 
que  les  mêmes  dieux.  Masse  est  le  seul  étranger  dont  les  Italiens  adop- 
tent la  musique.  Le  compère,  en  citant  Terradeglias,  a  donc  oulilié 
qu'il  est  Espagnol.  Masse  est  admiré  par  les  Italiens;  les  Italiens  admi- 
rent bien  l'Arioste'. 

Va  la  quatrième  raison?  demandera  le  compère.  Il  sera  bien  fâché  de 
l'avoir  oubliée.  C'est  que  votre  nom  commençant  par  un  G,  et  ceux  de- 
Masse  et  de  Haendel  par  un  H,  la  proximité  des  lettres  initiales  étoit 
jiour  vous  une  obligation  de  nommer  ces  deux  auteurs.  Je  vous  demande 
pardon  d'avoir  fourni  cette  arme  contre  vous:  mais  à  l'imitation  du 
commentateur,  je  me  réserve  aussi  le  droit  d'être  quelquefois  compère. 
Le  commentateur  s'étend  sur  l'éloge  de  Pagin  et  de  son  illustre 
maître,  et  nous  y  applaudissons  vous  et  moi  de  très-bon  cœur.  Il  vou- 
droit  que  vous  eussiez  dit  jusqu'à  quel  point  la  nation  ingrate  envèTir 
un  talent  si  sublime  a  osé  l'humilier  publiquement.  Il  falloit  dire,  s'Iin- 
•miiier  publiquement.  Midas  n'humilia  point  Apollon,  et  un  cygne  peu:- 
être  hué  par  des  oies  sans  être  humilié. 

Je  veux  être  équitable,  monsieur,  et  je  ne  suis  pas  moins  prêt  a 
donner  à  l'auteur  des  remarques  les  éloges  qui  lui  sont  dus,  qu'à  lui- 
proposer  mes  doutes.  Par  exemple,  vous  avez  dit  que  le  goût  des  arts 
étoit  générai  en  France ,  et  il  l'est  beaucoup  trop  assurément.  L'imbécile- 
multitude  des  prétendus  connoisseurs  sans  lumières  engendre  l'avide 
et  méprisable  multitude  des  artistes  sans  talent,  et  le  génie  demeure 
étouffé  dans  la  foule  des  sols.  Vous  avez  dit  encore  qu'en  fait  de  gOLt. 
la  cour  donne  à  la  nation  des  modes,  et  les  philosophes  des  lois.  L.- 
compère  vous  répond  à  cela  par  les  magots  de  la  Chine.  Les  vases  de 
fragile  porcelaine,  les  papiers  des   Indes,  les  estampes  enluminées, 
voilà,  selon  lui,  les  lois  données  par  les  philosophes  :  quant  aux  modes 
que  nous  tenons  de  la  cour,  il  n'en  parle  point.  Vous  dites  que  les  phi- 
losophes donnent  insensiblement  du  goût  au  peuple,  c'est-à-dire  du  dis- 
cernement pour  les  grands  talens,  et  de  l'admiration  pour  ceux  qui  les- 
possèdent.  Le  compère  vous  répond  que  la  philosophie  n'inspire  pas  les 
talens,  et  vous  avertit  gravement  de  ne  pas  confondre  le  goût  avec  la-, 
sécheresse  du  calcul.  Ma  foi ,  je  le  dis  de  très-bon  cœur,  le  compère  m 
paro't  un  homme  admirable. 

Laissez  dire  le  compère-,  ne  doutez  pas  qu'en  effet  nous  ne  soyons- 
redevables  aux  philosoplies  de  ces  lumières  agréables  qui  commencent 
à  nous  éclairer,  et  croyez  que,  si  la  philosophie  ne  fait  pas  les  grands 
artistes,  l'argent  les  fait  encore  moins.  Heureuse  l'Italie,  dont  les  iiabi- 
lans  ont  reçu  de  la  nature  ce  goût  exquis  qui  les  rend  sensibles  auv 
sharmes  des  beaux-arts!  Plus  heureuse  la  France  d'acquérir  ce  mêra  ;- 

1.  Je  ne  prétends  ]ioinl  ici  dire  du  nia^  de  tjabse,  qui  réellemeni  a  lieau- 
cou|)  de  mérite,  de  laleni,  cl  une  lécondilé  proJigicuse,  quoique  trùs-éloigno, 
Rclon  moi,  d'Olre  réj^al  de  l'ergolèsc.  J'examine  seulemenl  les  taisons  sur 
lesquelles  le  compère  s'ingère  de  prescrire  à  M.  (3rimm  les  auicurs  qu'il  ioit 
iiomincr,  el  ceux  qu'il  doit  rejclur.  Lequel  des  deux  «si  le  plus  vépréheusiîj'S;. 
relui  qui  ne  dil  rien  de  Uassc,  ou  celui  qui  narle  mal  d'Adolfali' 


LETTRE  A  M.  GRiMM.  243 

goût  à  force  d'études  et  de  connoissances,  et  de  devoir  à  l'art  de  penser 
l'art  plus  précieux  de  sentir!  La  philosopiiie,  je  le  sais,  n'engendre 
point  le  génie;  mais  si  elle  apprend  aux  nations  à  le  connoître  et;"' 
l'aimer,  c'est  lui  donner  un  nouvel  être  non  moins  rare  et  non  moinb 
utile  que  celui  qu'il  tient  de  la  nature. 

Il  assure  qu'il  n'y  a  point  en  Europe  de  nation  plus  attentive  au  spec- 
tacle que  la  françoise ,  et  il  convient  que  Paris  est  la  seule  ville  où  l'on 
soit  contraint  de  poser  des  gardes  dans  les  spectacles  pour  contenir  la 
criaillerie  des  juges  de  Corneille,  de  Racine,  de  Quinault.  Il  dit  dans 
un  endroit  que  la  musique  7i'a  point  reçu  de  nos  jours  d'augmentation 
en  France  du  côté  du  goût;  et  dans  un  autre,  que  M.  Rameau  nous  a 
enrichis  de  son  propre  goût.  Ce  sont  des  raffînemens  de  l'art ,  monsieur, 
que  ces  contradictions-là;  c'est  un  moyen  sûr  de  ne  pas  manquer  la 
vérité  dans  les  choses  dont  on  veut  raisonner  sans  y  rien  entendre. 

Vous  avez  fini  votre  lettre  par  un  trait  de  la  plus  grande  beauté ,  et 
vous  ne  devez  pas  douter  que  celui  qu'il  regarde  n'en  ait  senti  la  force 
et  le  vrai;  c'est  à  ces  hommes-là,  quand  ils  sont  des  hommes,  qu'il 
appartient  d'apprécier  le  sublime.  N'oubliez  pas,  je  vous  prie,  à  ce 
sujet,  un  petit  remercîment  au  compère;  car  dans  cet  endroit  il  s'est 
surpassé  lui-même. 

C'est  encore  par  un  trait  d'habileté,  qui  mérite  quelque  compliment, 
que  le  commentateur  ne  dit  pas  un  mot  du  sujet  de  votre  lettre.  Ces 
mystères  sont  pour  lui  lettres  closes;  croyez  qu'il  a  eu  de  fort  bonnes 
raisons  pour  n'en  point  parler.  Vous  nous  avez  appris,  à  tous  tant  que 
nous  sommes,  à  faire  l'analyse  d'une  pièce  de  musique;  vous  avez 
trouvé  l'art  d'exprimer  les  idées,  les  fautes,  les  contre-sens  ùai  musi- 
cien, en  parodiant  les  paroles  du  poète.  Vous  avez  fait  un  choix  exquis 
de  pièces  de  comparaison,  vous  avez  parlé  des  duos,  de  l'iSette,  du 
récitatif,  en  homme  de  goût,  qui  entend  la  musique,  et  qui  s.  \t  réflé- 
chir; et,  fuyant  également  l'air  bêtement  suffisant  et  la  fourbe  \  ma- 
ligne hypocrisie  des  écrits  à  la  mode,  vous  avez  eu  la  difficile  modestie 
de  ne  juger  que  sur  des  raisons,  et  le  courage  de  prononcer  avec  fer- 
meté. Je  me  contente  d'exposer  ces  choses;  peut-être  ne  seront-elle« 
louées  de  personne,  mais  à  coup  sûr  beaucoup  de  gens  en  profiteront. 

Quant  à  moi ,  qui  vous  dis  librement  ce  que  je  pense  à  charge  et  à 
décharge ,  et  à  qui  vos  écrits  donnent  le  droit  d'être  difficile  avec  vous , 
jevoudrois  premièrement  que  vous  eussiez  choisi  un  autre  texte  qu'Om- 
phale;  cette  misérable  rapsodie  n'étoit  pas  digne  de  vous  occuper.  Je 
voudrois  encore  que  vous  eussiez  mieux  fa^t  sentir  la  différence  qui 
caractérise  les  deux  récitatifs,  et  la  raison  décisive  qui  assure  la  supé- 
riorité au  récitatif  italien  :  savoir  le  rapport  plus.grand  de  celui-cL  à  la 
déclamation  italienne  que  du  récitatif  françois  à  la  déclamation  fran- 
çoise. Proprement  les  François  n'ont  point  de  vrai  récitatif;  ce  qu'ils 
appellent  ainsi  n'est  qu'une  espèce  de  chant  mêlé  de  cris;  leurs  airs  ne 
sont  à  leur  tour  qu'une  espèce  de  récitatif  mêlé  de  chant  et  de  cris: 
tout  cela  se  confond,  on  ne  sait  ce  que  c'est  que  tout  cela.  Je  crois 
j.ouvoir  défier  tout  homme  d'assigner  dans  la  musique  françoise  aucune 
•iiïerence  précise  qui  distingue  ce  qu'ils  appellent  récitatif  de  ce  qu'ils 


m- 


244  LETTRE  A  M.  GRIMM. 

appellent  air.  Car  je  ne  pense  pas  que  personne  ose  aJléguer  la  mesure  : 
la  preuve  qu'il  n'y  en  a  point  dans  la  musique  française,  c'est  qu'il  y 
faut  toujours  quelqu'un  pour  marquer  la  mesure.  Combien  d'étrangers 
ce  maudit  bâton  ne  fait-il  pas  déserter  de  notre  Opéra  ! 

En  remarquant  très-bien  la  grande  supériorité  de  l'ariette  italienne, 
par  la  force  et  la  variété  des  passions  et  des  tableaux,  vous  auriez  dû 
peut-être  relever  un  ridicule  contre-sens  qu'on  y  trouve  souvent,  et  qui 
est  la  seule  chose  que  les  musiciens  françois  en  ont  fidèlement  copiée  : 
c'est  que  les  paroles  roulant  ordinairement  sur  une  comparaison,  dont 
la  première  partie  de  l'ariette  fait  le  premier  membre,  et  la  seconde  le 
second,  quand  le  musicien  reprend  le  rondeau  pour  finir  sur  la  pre- 
mière partie,  il  nous  ofl're  un  sens  tout  semblable  à  celui  d'un  discours 
exactement  ponctué  ,  qui  finiroit  par  une  virgule. 

Mais  revenons  au  pauvre  compère ,  qui  se  morfond  peut-être  à  écouter 
et  ne  point  entendre. 

Le  critique  vous  a  donné  un  avis  dont  je  vous  conseille  de  faire  votre 
profit;  c'est  d'être  sobre  sur  les  louanges  dans  un  pays  où  elles  sont  si 
fort  à  la  mode  :  déchirer  ou  encenser,  voilà  le  partage  des  âmes  basses. 
Soyez  toujours  prêt  à  rendre  avec  plaisir  justice  au  mérite;  c'en  est 
lissez  pour  vous,  et  c'en  seroit  beaucoup  trop  pour  un  homme  ordinaire. 
Je  ne  vous  dirai  pas  :  «  Ne  flattez  jamais  personne  ;  »  si  je  vous  en  croyois 
capable,  je  ne  vous  dirois  rien;  mais  je  vous  dirai  de  très-bon  cœur  : 
«Vous  méprisez  trop  les  éloges  pour  qu'il  vous  soit  permis  d'en  inquiéter 
les  gens  dignes  de  votre  estime.  »  Quant  au  critique  .  ou  peut  croire  ,  en 
lisant  ses  remarques,  que  son  prétendu  détachement  des  louanges 
pourroit  bien  être  un  tour  d'adresse  pour  tâcher  de  donner  quelque 
valeur  aux  siennes,  c'est-à-dire  à  celles  qu'il  donne,  et  l'on  y  voit  du 
moins  très-clairement  qu'il  n'est  pas  homme  à  s'en  faire  faute  dans  le 
besoin. 

Le  compère  ne  me  paroît  pas  extrêmement  content  de  votre  temple , 
et.  comme  il  ne  sauroit  le  voir  que  par  dehors,  il  n'y  a  pas  grand  mal 
à  cela;  mais  le  critique  vous  y  reproche  des  groupes  singuliers,  et  je 
vous  avoue  que  je  suis  de  son  avis.  Je  sais  bien  que  cette  singularité, 
qu'il  aura  prise  pour  une  maladresse ,  est  un  arrangement  très-métho- 
dique et  l'effet  d'un  système  raisonné  :  mais  c'est  le  système  propre  que 
je  condamne.  Vous  admirez  tous  les  talens ,  et  c'est  tant  mieux  pour  eux 
et  pour  vous;  mais  vous  les  admirez  tous  également,  et  voilà  ce  que  je 
ne  puis  vous  passer.  Vous  prétendez  qu'ils  ont  tous  la  même  origine, 
et  que  le  génie  qui  les  engendre  les  ennoblit  également.  Mais  les  génies 
eux-mêmes,  direz-vous  qu'ils  sont  tous  égaux?  Il  n'est  pas  temps  d'en- 
trer ici  dans  une  longue  dissertation  à  ce  sujet;  je  voudrois  au  moins 
vous  faire  convenir  qu'il  y  a  bien  des  différences  dans  les  parties  re- 
quises, dans  les  difficultés  à  surmonter,  et  que  le  génie  étroit  qui  fait 
un  fort  bel  adagio  est  bien  loin  du  puissant  génie  qui  ose  expliquer 
l'univers. 

J'aime  la  musique  peut-être  autant  que  vous,  mais  je  n'en  aime  pas 
moins  le  mot  de  Philippe  qui  faisoit  honte  à  son  fils  de  chanter  si  bien; 
il  ne  lui  eût  pas  fait  honte  d'être  aussi  savant  que  son  maître.  Vous  me 


LETTRE  A   M.   GI'.IMM.  245 

citerez  peut-être  un  roi  qui  joue  de  la  flûte,  et  je  vous  répondrai  que 
ce  n'est  pas  sans  peine  qu'il  s'est  acquis  le  droit  d'en  jouer. 

Donnez-moi  seulement  du  goût  et  des  organes,  je  vais  danser  comme 
Dupré.  ou  chanter  comme  Jelyotte.  Joignez  au  goût  de  la  science  et  de 
l'imagination,  je  ferai  un  opéra  comme  Rameau.  Pour  composer  un 
roman  passable .  il  faut  encore  une  grande  connoissance  du  cœur  hu- 
main et  des  extravagances  de  l'amour.  La  dialectique,  et  c'est  un  talent 
comme  les  autres,  est  nécessaire  avec  tout  cela  pour  dialoguer  une 
bonne  tragédie  :  ce  ne  sera  point  encore  assez  pour  faire  un  livre  de 
philosophie,  si  vous  n'avez  un  esprit  juste,  élevé,  pénétrant,  et  e.tercé 
H  la  méditation.  Le  bon  général  doit  être  robuste  ,  courageux  ,  prudent , 
ferme,  éloquent,  prévoyant,  et  fertile  en  ressources.  Enfin,  toutes  ces 
qualités,  je  dis  toutes  sans  exception,  et  par-dessus  toutes  encore,  une 
âme  grande  et  sublime,  maîtresse  de  ses  passions,  et  une  inouïe  excel- 
lencede  vertu,  voilà  les  talens  que  celui  qui  gouverne  un  peuple  est 
obligé  d'avoir.  Les  talens  ne  sont  donc  pas  égaux  par  leur  nature;  ils 
le  sont  beaucoup  moins  encore  par  leur  objet.  Tous  les  autres  sont  bons 
pour  amuser,  gâter  ou  désoler  les  hommes.  Ce  dernier  seul  est  fait 
pour  les  rendre  heureux.  Cela  décide  la  question,  ce  me  semble. 

Le  critique  vous  avertit  encore  de  ne  point  vous  montrer  partial,  et 
il  vous  dit  cela  au  sujet  de  Rameau.  C'est  un  autre  avis  très-sage  dont 
je  le  remercie  pour  vous.  Ce  sera  aussi  le  sujet  du  dernier  article  de 
ma  lettre;  car  je  me  fais  un  vrai  plaisir  de  commenter  votre  commen- 
tateur. 

Je  voudrois  d'abord  tâcher  de  fixer  à  peu  près  l'idée  quun  homme 
raisonnable  et  impartial  doit  avoir  des  ouvrages  de  M.  Rameau  ;  car  je 
compte  pour  rien  les  clabauderies  des  cabales  pour  et  contre.  Quanta 
moi.  j'en  pourrois  mal  juger  par  défaut  de  lumières;  mais ,  si  la  raison 
ne  se  trouve  pas  dans  ce  que  j'en  dirai .  l'impartialité  s'y  trouvera  sûre- 
ment, et  ce  sera  toujours  avoir  fait  le  plus  difficile. 

Les  ouvrages  théoriques  de  M.  Rameau  ont  ceci  de  fort  singulier, 
qu'i'-s  ont  fait  une  grande  fortune  sans  avoir  été  lus,  et  ils  le  seront 
bien  moins  désormais ,  depuis  qu'un  philosophe  '  a  pris  la  peine  d'écrire 
le  sommaire  de  la  doctrine  de  cet  auteur.  Il  est  bien  sûr  que  cet  abrégé 
anéantira  les  originaux ,  et  avec  un  tel  dédommagement  on  n'aura  au- 
cun sujet  de  les  regretter.  Ces  différens  ouvrages  ne  renferment  rien  de 
neuf  ni  d'utile,  que  le  principe  de  la  basse  fondamentale'  :  mais  et 
n'est  pas  peu  de  chose  que  d  avoir  donné  un  principe,  fût-il  même  ar- 
bitraire, à  un  art  qui  sembloit  n'en  point  avoir,  et  d'en  avoir  tellement 
facilité  les  règles,  que  l'étude  de  la  composition,  qui  éioit  autrefois 
une  affaire  de  vingt  années,  est  à  présent  celle  de  quelques  mois.  Las 
musiciens  ont  saisi  avidement  la  découverte  de  M.  Rameau,  en  affectant 
de  la  dédaigner.  Les  élèves  se  sont  multipliés  avec  une  rapidité  éton- 
nante; on  n'a  vu  de  tous  côtés  que  petits  compositeurs  de  deux  jours, 

i.  M.  d'Afembert. 

2.  Ce  n'est  point  par  oubli  que  je  ne  dis  rien  ici  du  prétendu  principe  pliy- 
■ique  de  l'iiarmonie. 


246  LETTRE  A  M.  GRIMM. 

la  plupart  sans  talent,  qui  faisoient  les  docteurs  aux  dépens  de  leur 
maître;  et  les  services  très-réels,  très-grands  et  très-solides  que  M.  Ra- 
meau a  rendus  à  la  musique,  ont  en  même  temps  amené  cet  inconvé- 
nient, que  la  France  s'est  trouvée  inondée  de  mauvaise  musique  et  de 
mauvais  musiciens,  parce  que,  chacun  croyant  connoître  toutes  les 
finesses  de  l'art  dès  qu'il  en  a  su  les  élémens,  tous  se  sont  mêlés  de 
l'aire  de  l'harmonie,  avant  que  l'oreille  et  l'expérience  leur  eussent 
appris  à  discerner  la  bonne. 

A  l'égard  des  opéras  de  M.  Rameau,  on  leur  a  d'abord  cette  obligation, 
d'avoir  les  premiers  élevé  le  théâtre  de  l'Opéra  au-dessus  des  tréteaux 
du  pont  Neuf.  Il  a  franchi  hardiment  le  petit  cercle  de  très-petite  mu- 
sique autour  duquel  nos  petits  musiciens  tournoient  sans  cesse  depuis 
la  mort  du  grand  LuUi;  de  sorte  que  quand  on  serait  assez  injuste  pour 
refuser  des  talens  supérieurs  à  M.  Rameau,  on  ne  pourroit  au  moins 
disconvenir  qu'il  ne  leur  ait  en  quelque  sorte  ouvert  la  carrière,  et  qu'il 
n'ait  mis  les  musiciens  qui  viendront  après  lui  à  portée  de  déployer  im- 
punément les  leurs;  ce  qui  assurément  n'étoit  pas  une  entreprise  aisée, 
lia  senti  les  épiiies;  ses  successeurs  cueilleront  les  roses. 

On  l'accuse  assez  légèrement,  ce  me  semble,  de  n'avoir  travaillé  que 
sur  de  mauvaises  paroles:  d'ailleurs,  pour  que  ce  reproche  eût  le  sens 
commun,  il  faudroit  montrer  qu'il  a  été  à  portée  d'en  choisir  de  bonnes. 
Aimeroit-on  mieux  qu'il  n'eût  rien  fait  du  tout?  Un  reproche  plus  juste 
est  de  n'avoir  pas  toujours  entendu  celles  dont  il  s'est  chargé,  d'avoir 
souvent  mal  saisi  les  idées  du  poëte,  ou  de  n'en  avoir  pas  substitué  de 
plus  convenables,  et  d'avoir  fait  beaucoup  de  contre-sens.  Ce  n'est  pas 
sa  faute  s'il  a  travaillé  sur  de  mauvaises  paroles:  mais  on  peut  douter 
s'il  en  eût  fait  valoir  de  meilleures.  Il  est  certainement,  du  côté  de 
l'esprit  et  de  l'intelligence,  fort  au-dessous  de  Lulli,  quoiqu'il  lui  soit 
presque  toujours  supérieur  du  côté  de  l'expression.  M.  Rameau  n'eût 
pas  plus  fait  le  monologue  de  Roland  ' ,  que  Lulli  celui  de  Dardanus. 

Il  faut  reconnoître  dans  M.  Rameau  un  très-grand  talent,  beaucoup 
de  feu,  une  tête  bien  sonnante,  une  grande  connoissance  des  renverse- 
mens  harmoniques  et  de  toutes  les  choses  d'efTet;  beaucoup  d'art  pour 
s'approprier,  dénaturer,  orner,  embellir  les  idées  d'autrui,  et  re- 
tourner les  siennes;  assez  peu  de  facilité  pour  en  inventer  de  nouvelles: 
plus  d'habileté  que  de  fécondité,  plus  de  savoir  que  de  génie,  ou  uu 
moins  un  génie  étouffé  par  trop  de  savoir:  mais  toujours  de  la  force  et 
de  l'élégance  .  et  très-souvent  du  beau  chant. 

Son  récitatif  est  moins  naturel,  mais  beaucoup  plus  varié  que  celui 
de  Lulli;  adrtiirable  dans  un  petit  nombre  de  scènes,  mauvais  presque 
partout  ailleurs:  ce  qui  est  peut-être  autant  la  faute  du  genre  que  la 
sienne;  car  c'est  souvent  pour  avoir  trop  voulu  s'asservir  à  la  déclama- 
tion qu'il  a  rendu  son  chant  baroque  et  ses  transitions  dures.  S'il  eût  eu 
la  force  d'imaginer  le  vrai  récitatif,  et  de  le  faire  passer  chez  cette 
troupe  moutonnière,  je  crois  qu'il  y  eût  pu  exceller. 

Il  est  le  premier  qui  ait  fait  des  symphonies  et  des  accompagnemens 

4 .  Acte  IV,  scène  ii. 


I 


LETTRE  A   M.  GRIMM.  247 

'î:avai!lés,  et  il  en  a  abusé.  L'orchestre  de  l'Opéra  ressembloit,  avant 
Jui .  à  uae  troupe  de  quinze-vingts  attaquée  de  paralysie.  Il  les  a  un 
[eu  dégourdis.  Ils  assurent  qu'ils  ont  actuellement  de  l'e-xécution  :  mais 
je  dis,  moi,  que  ces  gens-là  n'auront  jamais  ni  goût  ni  âme.  Ce  n'est 
encore  rien  d'être  ensemble,  déjouer  fort  ou  doux,  et  de  bien  suivre 
un  acteur.  Renforcer,  adoucir,  appuyer,  dérober  des  socs,  selon  que 
le  bon  goût  ou  l'expression  l'e-xigent;  prendre  l'esprit  d'un  accompagne- 
ment, faire  valoir  et  soutenir  des  voix,  c'est  l'art  de  tous  les  orchestres 
-du  monde,  excepté  celui  de  notre  Opéra. 

Je  dis  que  M.  Rameau  a  abusé  de  cet  orchestre  tel  quel.  Il  a  rendu 
-S2S  accompagnemens  si  confus,  si  chargés,  si  fréquens,  que  la  tête  a 
;peine  à  t-enir  au  tintamarre  continuel  de  divers  instrumens  pendant 
l'exécution  de  ses  opéras,  qu'on  auroit  tant  de  plaisir  à  entendre  s'ils 
.etourdissoient  un  peu  moins  les  oreilles.  Cela  fait  que  l'orchestre,  à 
force  d'être  sans  cesse  enjeu,  ne  saisit,  ne  frappe  jamais,  et  manque 
jiresque  toujours  son  effet. 

11  faut  qu'après  une  scène  de  récitatif  un  coup  d'archet  inattendu  ré- 
veille le  spectateur  le  plus  distrait ,  et  le  force  d'être  attentif  aux  images 
que  l'auteur  va  lui  présenter,  ou  de  se  prêter  aux  sentimens  qu'il  veut 
exciter  en  lui.  Voilà  ce  qu'un  orchestre  ne  fera  point  quand  il  ne  cesse 
•de  racler. 

Une  autre  raison  plus  forte  contre  les  accompagnemens  trop  travaillés, 
-c'est  qu'ils  font  tout  le  contraire  de  ce  qu'ils  devroient  faire.  Au  lieu  de 
fixer  plus  agrénblement  l'attention  du  spectateur,  ils  la  détruisent  en  la 
par  ageant.  Avant  qu'on  me  persuade  que  c'est  une  belle  chose  que  trois 
•ou  quatre  dessins  entassés  l'un  sur  l'autre  par  trois  ou  quatre  espèces 
d"instrumens.  il  faudra  qu'on  me  prouve  que  trois  ou  quatre  actions 
sont  nécessaires  dans  une  comédie.  Toutes  ces  belles  finesses  de  l'art, 
ces  imitations,  ces  doubles  dessins,  ces  basses  contraintes,  ces  contre- 
fuaues,  ne  sont  que  des  monstres  difformes,  des  monumens  du  mauvais 
goût,  qu'il  faut  reléguer  dans  les  cloîtres  comme  dans  leur  dernier  asile. 
Pour  revenir  à  M.  Rameau,  et  finir  cette  digression,  je  pense  que 
personne  n'a  mieux  que  lui  saisi  l'esprit  des  détails,  personne  n'a  mieux 
ïU  Tart  des  contrastes;  mais  en  même  temps  personne  n'a  moins  su 
donner  à  ses  opéras  cette  unité  si  savante  et  si  désirée  ;  et  il  est  peut-être 
le  seul  au  monde  qui  n'ait  pu  venir  à  bout  de  faire  un  bon  ouvrage  de 
plusieurs  beaux  morceaux  fort  bien  arrangés. 

Et  ungues 
Exprimet,  et  molles  jmitabitur  œre  capillos  : 
Infe.ix  operis  summa,  quia  ponere  tolum 
Nesciet  1 

(  Hor. ,  de  Art.  poet. ,  v,  32.) 
-Voilà,  monsieur,  ce  que  je  pense  des  ouvrages  du  célèbre  M.  Ra- 
meau ,  auquel  il  faudroit  que  la  nation  rendît  bien  des  honneurs  pour  lui 
accorder  ce  qu'elle  lui  doit.  Je  sais  fort  bien  que  ce  jugement  ne  con- 
iciUera  ni  ses  partisans  ni  ses  ennemis  :  aussi  n'ai-je  voulu  que  le  rendre 
C(iuitable,.  et  je  vous  le  propose,  non  comme  la  règle  du  vôtre,  mais 
comme  un  exemple  de  la  sincérité  avec  laquelle  il  convient  qu'un  heu- 


248  LETTRE  A  M.  GRIMM. 

nête  liomme  parle  des  grands  talens  qu'il  admire,  et  qu'il  ne  croit  pas 
sans  défaut. 

J'apurouve  votre  goût  pour  tout  ce  qui  porte  l'empreinte  du  génie; 
mais  si  vous  en  croyez  l'avis  d'un  homme  sincère  et  qui  a  quelque  ex- 
périence, pour  l'honneur  des  arts,  et  la  pureté  de  vos  plaisirs,  tenei- 
vûus-en  à  l'admiration  des  ouvrages  et  ne  désirez  jamais  d'en  connoître 
les  auteurs.  Vous  vivrez  dans  des  sociétés  où  vous  ne  trouverez  que  ca- 
bales et  enthousiastes,  et  dont  tous  les  membres  savent  déjà  très-déci- 
dément s'ils  trouveront  bons  ou  mauvais  des  ouvrages  qui  sont  encore 
à  faire  :  garantissez-vous  de  tout  ce  vil  fanatisme  comme  d'un  vice  fatal 
au  ju'^'ement  et  capable  même  de  souiller  le  cœur  à  la  longue.  Que  votre 
esprit  reste  toujours  aussi  libre  que  votre  âme;  souvenez-vous  des  justes 
railleries  de  Platon  sur  cet  acteur  que  les  vers  d'un  seul  poëte  mettoieni 
hors  de  lui .  et  qui  n'étoit  que  glace  à  la  lecture  de  tous  les  autres;  et 
sachez  qu'il  n'y  a  point  d'homme  au  monde,  quelque  génie  qu'il  puisse 
avoir,  qui  soit  en  droit  d'asservir  votre  raison,  pas  même  M.  de  Vol- 
taire, le  maître  dans  l'art  d'écrire  de  tous  les  hommes  vivans.  En  un 
mot,  je  veux  vous  voir  parcourant  la  Henriade  quand  le  cœur  vous 
jialpitera  et  que  vous  vous  sentirez  touché,  transporté  d'admiration, 
oser  vous  écrier  en  versant  des  larmes  :  «Non,  grand  homme,  vous 
n'êtes  point  encore  le  rival  d'Homère.  » 

Pardonnez-moi,  monsieur,  un  zèle  peut-être  indiscret,  mais  dicté 
par  l'estime  que  ceux  de  vos  écrits  que  j'ai  vus  m'ont  inspirée  pour  vous. 
Le  public  les  a  jugés  et  applaudis,  et  y  a  reconnu  avec  plaisir  l'homme 
d'esprit  et  de  goût  ;  quant  à  moi ,  j'ai  cru ,  avec  beaucoup  plus  de  plaisir 
encore,  y  reconnoître  le  vrai  philosophe  et  l'ami  des  hommes.  Continuez 
donc  d'aimer  et  de  cultiver  des  talens  qui  vous  sont  chers  et  dont  vous 
faites  un  bon  usage;  mais  n'oubliez  pas  pourtant  de  jeter  de  temps  en 
temps  sur  tout  cela  le  coup  d'œil  du  sage ,  et  de  rire  quelquefois  de  tous 
ces  jeux  d'enfans. 

Je  suis,  etc. 


CHOIX  DE  ROMANCES  ET  AIRS  DÉTACHÉS. 

LE  ROSIER, 

PAROLES  DE    DELEYRE. 

Je   l'ai   plan  -   té,      je     l'ai      vu  naî-tre,  Ce  beau  ro  - 


"  -    sier     où     les       ci    -    seaux  Viennent  chan  -  ter     sons  ma       ie 


m  -  Ire,    Per  -  chés  sur     ses  jeu  -  nés       ra    -    nioaux. 


CHOIX  DE  ROMANCES  ET  AIRS  DÉTACHES. 

Joyeux  oi  eaux,  t  cupe  amoureuse, 
Ah!  |iar  pitié  ne  chantez  pas. 
L'amant  qui  me  ren  ioit  heureuse 
E>t  parti  pour  d'au.res  climats. 

Pour  les  trésors  du  nouveau  monda  - 
il  fuit  l'amour,  Ijrave  la  mort. 
Hélas  !  1  ourquoi  chercher  sur  l'onda 
Le  bonheur  qu'il  trouvoit  au  poit?    « 

Vous,  passagères  hirondelles, 
Qui  revenez  chaque  printemps, 
Oiseaux  sensililes  et  fidèles, - 
*  Ramenez-le  moi  tous  les  ans. 


249 


m^m 


Ra<  me    -   nez 


tous     les 


AIR  DE  TROIS  NOTES'. 


'tit=r±:^^^^^^-^^:^'3^ 


Que     le  jour  me     du  -   re,     Pas  -   se    loin  de     loi! 


^^=^ 


ifc^ 


,^^^.,i=,^=^^^E^^^^^^^ 


Tou  -    te     la     na        lu    -    re         N'est    plus    rien  pour    moi. 
Le       plus   vert    bo   -   ca    -    ge,      Quand     tu     n'y  viens      pas, 

N'est   qu'un  lieu   sau  -    va    -    ge,       Poiu'     moi  sans   ap    -  pas. 

Hélas  1  si  je  passe 
Un  jour  sans  te  voir, 
Je  cherche  ta  trace 
Dans  mon  désespoir. 
Quand  je  l'ai  perdue, 
Je  reste  à  pleurer-, 
Mon  âme  éperdue    . 
Est  près  d'expirer. 

4 .  Tout  dispose  à  ci  oirc  que  les  paroles  de  cet  air  sont  de  Rousseau  ;  cepen- 
dant on  ne  peiii  l'arTirmer.  (Ei>.) 


2:^0 


CHOIX   DE   ROMANCES   ET   AIRS    DÉTACHÉS. 


Le  cœur  ms  palpite 
Quand  j'entends  ta  voix; 
Tout  mon  sang  s'agite 
Dès  que  je  te  vois. 
Ouvres-tu  la  bouche, 
Les  cieux  vont  s'ouvrir; 
Si  ta  main  me  touche, 
Je  me  sens  (rémir. 


■RONDF.AU, 
Composé  pour  M.  di:  Grammon  ,  i.ui  a  fiii;r;  i  les  [..  rolos 


Larghetto. 


Nous    brù       -     le-   rons    du  -  ne        fTjm- me    par 


^^feai^igs^j=fer^ii= 


fai-  te,  Le    tendre  A-mour  of  -  fre  des  biens,  of  -  fre   des  biens  cliar- 


mans  ;    Nous    brû 


:è 


^sm=^ 


^Ê^ES^^m 


fai- te.       Le     tendre   A  -  inour       of  -  fre  des  biens  char-mans,    of 

Fi\. 

z(«lr-i^-. ^ n K    a      ,~^ :, -S- 


des     biens  char  -man». 


Tant    de    plai   -   sir 


rend  en  -  cor  plus      bel    -     le,  Et       nos     deux    cœurs       n'en 


mm^smwm^:^i^3mmm 


sont  que    plus   cons  -  tans.    Tant  de    plai    -sir     la    rend  en- cor  plus 


^- 


4^ 


*=*cl= 


^^ 


it 


pp^^l 


bel   -   le,        Et  nos  deux  cœurs  n'en   sont  que  plus  cons  -  tans,  nch 


^SflzfetfeEg^g=êg^^3 


sont  que  plus  cons-lans. 


Kous   brû- etc.    Pour  nous,  l'A-niour,  dans 


I,  Ce  rondeau,  com,)  se  pour  une  haulc-conlre ,  e?l  dans  le  ton  d'»/  mi- 
•idiir.  Il  a  Clé  liiûs.ijsé  ici  pour  la  commodité  de  la  voix. 


CHOIX  DE  ROMANCES  ET  AIRS  DÉTACHÉS. 


25.\ 


les  transports  quil     eau  -   se    Doit   faire  é-  clore  a      ja-mais  le   plai  - 


-    sir;       Les     nœuds  cliar- maria    que    ce  dieu  nous  pro-  po   -  se 
^^      te»,  2).  C.  jusqu'au  mot  Fix. 


m^m 


:r=Sfcfct 


Sont  le       bon  -  heur       cl      l'à-nii^  dos  niai  -  sirs. 


Nous  brù  -  etc. 


ROMANCE    DE    ROGER. 
Parole»  de  M.  dUssieux. 


A  -  mour     me  lient    en       scr     -     va  -  ge, 


En    mon    cœur  plus  n'est  rc     -    pos  ;    En      ma 


,^-5_r-^^ 


"^r^ 


,=F^ 


bou-clie  doux  pro- 


^^^^ 


pos;     N'ai  que    lar  -    mes  pourbreu-va    -   ge,  Pour  par  -  1er      n'ai 


que  san  -   glots,         Pour  par 


que  san 


Bien- se  voit  que  de  ma  vie 
Fleur  se  passe  chaque  jour. 
Si  n'aimez  à  votre  tour. 
Las!  dans  peu.  gente  Emilie,  ' 
Mourrai  victime  d'amour. 

Ah  1  si  me  pouviez  entendre. 
Si  saviez  qui  m'amoindrit. 
Que  Roger  d'amour  périt, 
Vous  connois  âme  assez  tendre, 
Me  pleureriez  un  petit. 

Mais  non.  non.  ne  craignez  mie, 
Mon  secret  point  ne  dirai; 
.Wec  moi,  quand  finirai. 
Vous  le  promets,  belle  amie, 
Au  tombeau  Femnorterai. 


252  CHOIX  DE  ROMANCES  E'i  AIRS  DÉTÂCHÉS. 


ROMANCE  D'ALEÎTS. 
Les  paroles  sont  Urées  d'un  Prospe nus  d ;  M,  de  Li  I  or  e. 

Larghetto. 


^^^g^j^iï^fg^^E^- 


A   -  le    -     xis,   de  -  puis    deux     ans,       A     -  do    - 


^|^JEfeg^=gE:jj=^E;^PEigj 


-    roit     Gli    -    ce    - -re;       Il     ca  -  clioil  de  -  puis    ce      .temps  Ses 


^^^=&-p=^ilpS'li^ 


tcn  -  dres    sen  -  ti    -    tneirst     Un   jour    il       a-  per-  çul      la 


^^^i^^^iiH^ip^ 


mè   -  re,   Qui    dans  la     plai  -  ne   tra    -  vail    -    loit;    Il    vole  aux 


^^EÊ^i^= 


pieds  de     la         Ber    -    gè  -  re,  Pour  lui  con  -  ter    re       qu'il  soiif  - 


^^^^^^^^^^m 


-    froit  ;      Il    vole  aux    pieds    de     la       Ber   -    gè  -  re,   Pour  lui  con- 


tf;r         ce  qu'il 


^- 


qu'il     souf     -       froit. 

Il  frappe  tout  doucement, 

Elle  ouvrit  la  porte, 
a  Ah  !  dit-il,  un  seul  moment 
Écoutez  mon  tourment; 
De  la  tendresse  la  plus  forte 
Laissez-moi  vous  conter  l'ardeur, 
El  dans  mon  âme  presque  morte 
P'aites  renaître  le  bonheur. 

—  Vous  ne  pouvez  pas  entrer, 

Lui  répondit-elle: 
Vous  me  faites  frissonner, 
On  peut  nous  écouter. 
Non,  non,  je  ne  suis  pas  cruelle; 
Par  tant  d'amour  vous  me  charm  •/, 
Mais  voyez  ma  frayeur  mortelle, 
Et  laissez-moi,  si  vous  m'aimez. 


CHOIX   DE   ROMANCES   ET   AIRS   DÉTACHÉS.  253 

—  Eh  bien!  je  vous  obéis. 

0  vous  que  j'adore, 
Si  vous  aimez  Alexis , 
Tous  ses  maux  sont  finis. 
Mais  jurez-moi  qu'avant  l'aurore, 
En  menant  paître  vos  moutons. 
Nous  nous  dirons  cent  fois  encore 
Que  pour  toujours  nous  nous  aimons.  » 

La  peur  fit  qu'elle  jura 

D'aller  sur  1  herbette. 
Il  prit  sa  main,  la  baisa, 
Et  puis  s'en  alla. 
Le  lendemain  la  bergerette 
Voulut  accomplir  son  serment  ; 
Hélas  !  on  dit  que  la  pauvrette 
Pe'rdit  beaucoup  en  s'acquittant. 


PROJET 

CONCERNANT  DE  NOUVEAUX  SIGNES  POUR  LA  MUSIQUE, 

LU  PAR  l'auteur   a   l'aCABÉMIE   DES    SCIENCES   LE    22    AOUT    1742. 

Ce  projet  tend  à  rendre  la  musique  plus  commode  à  noter ,  plus  aisée 
i  apprendre,  et  beaucoup  moins  diffuse.  -    • 

11  paroît  étonnant  que  les  signes  de  la  musique  étant  restés  aussi 
longtemps  dans  l'état  d'imperfection  où  nous  les  voyons  encore  aujour- 
d'hui, la  difficulté  de  l'apprendre  n'ait  pas  averti  le  public  que  c'etoit 
la  faute  des  caractères,  et  non  pas  celle  de  l'art.  Il  est  vrai  qu  on  a 
donné  souvent  des  projets  en  ce  genre-,  mais  de  tous  ces  projets,  qui, 
sans  avoir  les  avantages  de  la  musique  ordinaire,  en  avoient  presque 
tous  les  inconvéniens-,  aucun  que  je  sache  n'a  jusqu'ici  touché  le  but, 
soit  qu'une  pratique  trop  superficielle  ait  fait  échouer  ceux  qui  l'ont 
voulu  considérer  théoriquement,  soit  que  le  génie  étroit  et  borné  des 
musiciens  ordinaires  les  ait  empêchés  d'embrasser  un  plan  général  et 
raisonné,  et  de  sentir  les  vrais  inconvéniens  de  leur  art,  de  la  perfec- 
tion actuelle  duquel  ils  sont  d'ailleurs  pour  l'ordinaire  très-entêtés. 

Cette  quantité  de  lignes,  de  clefs,  de  transpositions,  de  dièses,  de 
bémols  de  bécarres,  de  mesures  simples  et  composées,  de  rondes,  de 
blanches,  de  noires,  de  croches,  de  doubles,  de  triples  croches,  de 
pauses,  de  demi-pauses,  de  soupirs,  de  demi-soupirs,  de  quarts  de 
oupir,  etc.,  donne  une  foule  de  signes  et  de  combinaisons,  d'où  ré- 
sultent deux  inconvéniens  principaux,  l'un  d'occuper  un  trop  grand  vo- 
ume,  et  l'autre  de  surcharger  la  mémoire  des  écoliers;  de  façon  que, 
l'oreiile  étant  formée,  el  les  organes  ayant  acquis  toute  la  facilité  né- 
cessaire longtemps  avant  qu'on  soit  en  état  de  chanter  à  livre  ouvert ,  il 
.  ensuit  que  la  difficulté  est  toute  dans  l'observation  des  règles,  et  non 
dans  l'exécution  du  chant. 


254  PROJET   SUR  DE  NOUVEAUX   SIGNES 

Le  moyen  qui  remédiera  â  l'un  de  ces  inconvéniens  remédiera  aussi  a> 
l'autre;  et  dès  qu'on  aura  inventé  des  signes  équivalens,  mais  plus- 
simples  et  en  moindre  quantité,  ils  auront  par  là  même  plus  de  préci- 
sion ,  et  pourront  exprimer  autant  de  choses  en  moins  d'espace. 

Il  est  avantageux  outre  cela  que  ces  signes  soient  déjà  connus,  afin^ 
que  l'attention  soit  moins  partagée ,  et  faciles  à  figurer ,  afin  de  rendre  la 
musique  plus  commode. 

Il  faut  pour  cet  effet  considérer  deux  objets  principaux,  chacun  en. 
particulier;  le  premier  doit  être  l'expression  de  tous  les  sons  possibles, 
et  l'autre,  celle  de  toutes  les  diflerentes  durées,  tant  des  sons  que  de 
leurs  silences  relatifs,  ce  qui  comprend  aussi  la  différence  des  mou- 
vemens. 

Comme  la  musique  n'est  qu'un  enchaînement  de  sons  qui  se  font  en- 
tendre ou  tous  ensemble  ,  ou  successivement,  il  suffit  que  tous  ces  sons 
aient  des  expressions  relatives  qui  leur  assignent  à  chacun  la  place  qu'il 
doit  occuper  par  rapport  à  un  certain  son  fondamental,  pourvu  que  ce 
son  soit  nettement  exprimé,  et  que  la  relation  soit  facile  à  connoître  : 
avantages  que  n'a  déjà  point  la  musique  ordinaire,  où  le  son  fonda- 
mental n'a  nulle  évidence  particulière,  et  où  tous  les  rapports  des  notes 
ont  besoin  d'être  longtemps  étudiés. 

Prenant  ul  pour  ce  son  fondamental,  auquel  tous  les  autres  doivent 
se  rapporter,  et  l'exprimant  par  le  chifi"re  1 ,  nous  aurons  à  sa  suite  l'ex- 
pression des  sept  sons  naturels,  uf ,  ré,  mi,  fa,  sol,  la,  si,  parles  sept 
chiffres  1 ,  2 ,  3.  4,  5,  G,  7  ;  de  façon  que  tant  que  le  chant  roulera 
dans  rétendue  des  sept  sons,  il  suffira  de  les  noter  chacun  par  son 
chiffre  correspondant,  pour  les  exprimer  tous  sans  équivoque. 

Mais  quand  il  est  question  de  sortir  de  cette  étendue  pour  passer  dans 
d'autres  octaves,  alors  cela  forme  une  nouvelle  difficulté. 

Pour  la  résoudre,  je  me  sers  du  plus  simple  de  tous  les  signes,  c'est- 
à-dire  du  point.  Si  je  sors  de  l'octave  par  laquelle  j'ai  commencé,  pour 
faire  une  note  dans  l'étendue  de  l'octave  qui  est  au-dessus,  et  qui  com- 
mence à  l'ut  d'en  haut,  alors  je  mets  un  point  au-dessus  de  cette  note- 
par  Inquelle  je  sors  de  mon  octave;  et  ce  point  une  .'"ois  placé,  c'est  un 
indice  que,  non-seulement  la  note  sur  laquelle  il  est,  mais  encore 
toutes  celles  qui  la  suivront  sans  aucun  signe  qui  le  détruise,  devront 
être  prises  dans  l'étendue  de  cette  octave  supérieure  où  je  suis  entré. 

Au  contraire,  si  je  veux  passer  à  l'octave  qui  est  au-dessous  de  celle 
où  je  me  trouve,  alors  je  mets  le  point  sous  la  note  par  laquelle  j'y 
entre.  En  un  mot,  quand  le  point  est  sur  la  note,  vous  passez  dans 
l'octave  supérieure;  s'il  est  au-dessous ,  vous  passez  dans  l'inférieure  : 
et  quand  vous  changeriez  d'octave  à  chaque  note  ,  ou  que  vous  voudrie'; 
monter  ou  descendre  de  deux  ou  trois  octaves  tout  d'un  coup  ou  suc- 
cessivement, la  règle  est  toujours  générale,  et  vous  n'avez  qu'à  mettre 
autant  de  points  au-dessous  ou  au-dessus  que  vous  avez  d'octaves  à  des- 
cendre ou  à  monter. 

Ce  n'est  pas  à  dire  qu'à  chaque  point  vous  montiez  ou  descendiez 
d'une  octave,  mais  à  chaque  point  vous  passez  dans  une  octave  diffé- 
rente de  celle  où  vous  êtes  par  rapport  au  son  fondamental  ut  d'en  bas 


POUR  LA  MUSIQUE.  255 

lequel  ainsi  se  trouve  bien  dans  la  même  octave  en  descendant  diatoni- 
quement,  mais  non  pas  en  montant.  Sur  quoi  il  faut  remarquer  que  je 
ne  me  sers  du  mot  d'octave  qu'abusivement,  et  pour  ne  pas  multiplier 
inutilement  les  termes,  parce  que  proprement  celte  étendue  n'est  com- 
posée que  de  sept  notes,  le  1  d'en  haut  qui  commence  une  autre  octave 
n'y  étant  pas  compris. 

Mais  cet  ut,  qui,  par  la  transposition,  doit  toujours  être  le  nom  à& 
la  tonique  dans  les  tons  majeurs  et  celui  de  la  médiante  dans  les  tons 
mineurs ,  peut ,  par  conséquent ,  être  pris  sur  chacune  des  douze  cordes 
du  système  chromatique;  et.  pour  la  désigner,  il  suffira  de  mettre  à  la 
marge  le  chiffre  qui  exprimeroit  cette  corde  sur  le  clavier  dans  l'ordre 
naturel;  c'esi-à-dire  que  le  chiffre  de  la  marge,  qu'on  peut  appeler  la 
clef,  désigne  la  touche  du  clavier  qui  doit  s'appeler  ut,  et  par  consé- 
quent êlre  tonique  dans  les  tons  majeurs,  et  médiante  dans  les  mi- 
neurs. Mais,  à  le  bien  prendre,  la  connoissance  de  cette  clef  n'est  que 
pour  les  instrumens,  et  ceu.ï  qui  chantent  n'ont  pas  besoin  d'y  faire 
attention. 

Par  celte  méthode,  les  mêmes  noms  sont  toujours  conservés  aux 
mêmes  notes  :  c'est-à-dire  que  l'art  de  solfier  toute  musique  possilile 
consiste  précisément  à  connoître  sept  caractères  uniques  et  invariables, 
qui  ne  changent  jamais  ni  de  nom  ni  de  position;  ce  qui  me  paroît  plus 
facile  que  cette  multitude  de  transpositions  et  de  clefs  qui,  quoique 
ingénieusement  inventées,  n'en  sont  pas  moins  le  supplice  des  cora- 
mençans. 

Une  autre  difficulté ,  qui  naît  de  l'étendue  du  clavier  et  des  difl'érentes 
octaves  où  le  ton  peut  être  pris,  se  résout  avec  la  même  aisance.  On 
conçoit  le  clavier  divisé  par  octaves  depuis  la  première  tonique  :  la  plus 
liasse  octave  s'appelle  A,  la  seconde  B ,  la  troisième  C. ,  etc.;  de  facoa 
qu'écrivant  au  commencement  d'un  air  la  lettre  correspondante  à  l'oc- 
tave dans  laquelle  se  trouve  la  première  note  de  cet  air,  sa  position, 
précise  est  connue,  et  les  points  vous  conduisent  ensuite  partout  sans 
équivoque.  De  là  découle  encore  généralement  et  sans  exceptioii  le 
moyen  d'exprimer  les  rapports  et  tous  les  intervalles,  tant  en  montant, 
qu'en  descendant,  des  reprises  et  des  rondeaux,  comme  on  le  verra 
détaillé  dans  mon  grand  projet. 

La  corde  du  ton ,  le  mode  (car  je  le  distingue  aussi)  et  l'octave  étant 
ainsi  bien  désignés,  A  faudra  se  servir  de  la  transposition  pour  les  in- 
strumens comme  pour  la  voix,  ce  qui  n'aura  nulle  difficulté  pour  les 
musiciens  instruits ,  comme  ils  doivent  l'être  ,  des  tons  et  des  intervalles 
naturels  à  chaque  mode,  et  de  la  manière  de  les  trouver  sur  leurs  in- 
strumens; il  en  résultera  au  contraire  cet  avantage  important,  qu'il  ne 
sera  pas  plus  difficile  de  transporter  toutes  sortes  d'airs. un  demi-ton  ou 
un  ton  plus  haut  ou  plus  bas,  suivant  le  besoin,  que  de  les  jouer  sur 
leur  ton  naturel;  ou,  s'il  s'y  trouve  quelque  peine,  elle  dépendra  uni- 
quement de  l'instrument,  et  jamais  de  la  note,  qui,  par  le  changement 
d'un  seul  signe,  représentera  le  même  air  sur  quelque  ton  que  l'on 
veuille  proposer  :  de  sorte  enfin  qu'un  orchestre  entier,  sur  un  simple 
vvertissemeùt  du  maître,  exécuteroit  sur-le-champ  en  vii  ou  en  sol  une 


tj^r^Q  PROJET  DE  NOUVEAUX  SIGNES 

j.ièce  notée  en  fa,  en  la,  en  si  bémol,  ou  en  tout  autre  ton  imaginable; 
chose  impossible  à  pratiquer  dans  la  musique  ordinaire  ,  et  dont  l'ulilité 
se  fait  assez  sentir  à  ceux  qui  fréquentent  les  concerts.  En  général,  ce 
qu'on  appelle  chanter  et  exécuter  au  naturel  est  peut-être  ce  qu'il  y 
a  de  plus  mal  imaginé  dans  la  musique  :  car  si  les  noms  des  notes  ont 
quelque  utilité  réelle,  ce  ne  peut  être  que  pour  exprimer  certains  rap- 
ports, certaines  affections  déterminées  dans  les  progressions  des  sons. 
Or,  dès  que  le  ton  change ,  les  rapports  des  sons  et  la  progression  chan- 
geant aussi ,  la  raison  dit  qu'il  faut  de  même  changer  les  noms  des  notes 
en  les  rapportant  par  analogie  au  nouveau  ton;  sans  quoi  l'on  renverse 
le  sens  des  noms,  et  l'on  ôte  aux  mots  le  seul  avantage  qu'ils  puissent 
avoir,  qui  est  d'exciter  d'autres  idées  avec  celles  des  sons.  Le  passage 
du  mi  au  fa,  ou  du  si  à  Vut,  excite  naturellement  dans  l'esprit  du  mu- 
sicien l'idée  da  demi-ton.  Cependant,  si  l'on  est  dans  le  ton  de  si  ou 
dans  celui  de  mi ,  l'intervalle  du  si  à  Vut ,  ou  du  mi  au  fa ,  est  toujours 
d'un  ton,  et  jamais  d'un  demi-ton.  Donc,  au  lieu  de  conserver  des  noms 
qui  trompent  l'esprit  et  qui  choquent  l'oreille  exercée  par  une  difTérente 
habitude,  il  est  important  de  leur  en  appliquer  d'autres  dont  le  sens 
connu,  au  lieu  d'être  contradictoire,  annonce  les  intervalles  qu'ils  doi- 
vent exprimer.  Or,  tous  les  rapports  des  sons  du  système  diatonique  se 
trouvent  exprimés,  dans  le  majeur,  tant  en  montant  qu'en  descendant, 
dans  l'octave  comprise  entre  deux  ut,  suivant  l'ordre  naturel,  et,  dans 
le  mineur,  dans  l'octave  comprise  entre  deux  la,  suivant  le  même  ordre 
en  descendant  seulement;  car,  en  montant,  le  mode  mineur  est  assu- 
jetti à  des  affections  différentes  qui  présentent  de  nouvelles  réflexions 
pour  la  théorie ,  lesquelles  ne  sont  pas  aujourd'hui  de  mon  sujet,  et  qui 
ne  font  rien  au  système  que  je  propose. 

J'en  appelle  à  l'expérience  sur  la  peine  qu'ont  les  écoliers  à  enton- 
ner, par  les  noms  primitifs,  des  airs  qu'ils  chantent  avec  toute  la  fa- 
cilité du  monde  au  moyen  de  la  transposition,  pourvu,  toujours,  qu'ils 
aient  acquis  la  longue  et  nécessaire  habitude  de  lire  les  bémols  et  les 
dièses  des  clefs,  qui  font,  avec  leurs  huit  positions,  quatre-vingts  com- 
binaisons inutiles  et  toutes  retranchées  ]  ar  ma  méthode. 

Il  s'ensuit  de  là  que  les  principes  qu'on  donne  pour  jouer  des  instru- 
mens  ne  valent  rien  du  tout  ;  et  je  suis  sûr  qu'il  n'y  a  pas  un  bon  musi- 
cien qui,  après  avoir  préludé  dans  le  ton  où  il  don  jouer,  ne  fasse  plus 
d'attention  dans  son  jeu  au  degré  du  ton  où  il  se  trouve,  qu'au  dièse 
ou  au  bémol  qui  l'affecte.  Qu'on  apprenne  aux  écoliers  à  bien  connoîlre 
les  deux  modes  et  la  disposition  régulière  des  sons  convenables  à  cha- 
cun ,  qu'on  les  exerce  à  préluder  en  majeur  et  en  mineur  sur  tous  les 
sons  de  l'instrument,  chose  qu'il  faut  toujours  savoir,  quelque  méthode 
qu'on  adopte;  alors,  qu'on  leur  mette  ma  musique  entre  les  mains, 
j'ose  répondre  qu'elle  ne  les  embarrassera  pas  un  quart  d'heure. 

On  seroit  surpris  si  l'on  faisoit  attention  à  la  quantité  de  livres  et  d« 
préceptes  qu'on  a  donnés  sur  la  transposition  ;  ces  gammes ,  ces  échelles , 
ces  clefs  supposées,  font  le  fatras  le  plus  ennuyeux  qu'on  puisse  ima» 
giner;  et  tout  cela,  faute  d'avoir  fait  cette  réilexion  très-simple,  que, 
dès  que  la  cercle  fondamentale  du  ton  est  connue  sur  le  clavier  naturel,' 


POUR  LA  MUSIQUE.  257 

comme  tonique,  c'est-à-dire  comme  wf  ou  la,  elle  détermine  seule  la 
I apport  et  le  ton  de  toutes  les  autres  notes,  sans  égard  à  l'ordre  pri- 
mitif. 

Avant  que  de  parler  des  changemens  de  ton,  il  faut  expliquer  les 
altérations  accidentelles  des  sons  qui  s'y  présentent  à  tout  moment. 

Le  dièse  s'exprime  par  une  petite  ligne  qui  croise  la  note  en  montant 
de  gauche  à  droite.  Sol  diésé ,  par  exemple ,  s'exprime  ainsi  5 ,  fa  diésé  , 
ainsi  4.  Le  bémol  s'exprime  aussi  par  une  semblable  ligne  qui  croise  la 
note  en  descendant  7,2;  et  ces  signes,  plus  simples  que  ceux  qui  sont 
en  usage,  servent  encore  à  montrer  à  l'œil  le  genre  d'altération  qu'ils 
causent. 

Le  bécarre  n'a  d'utilité  que  par  le  mauvais  choix  du  dièse  et  du  bé- 
mol; et,  dès  que  les  signes  qui  les  expriment  seront  inhérens  à  la  note, 
le  bécarre  deviendra  entièrement  superflu  :  je  le  retranche  donc  comme 
inutile;  je  le  retranche  encore  comme  équivoque,  puisque  les  musiciens 
s'en  servent  souvent  en  deux  sens  absolument  opposés ,  et  laissent  ainsi 
l'écolier  dans  une  incertitude  continuelle  sur  son  véritable  effet. 

A  l'égard  des  changemens  de  ton ,  soit  pour  passer  du  majeur  au  mi- 
neur, ou  d'une  tonique  à  une  autre,  il  n'est  question  que  d'exprimer  la 
première  note  de  ce  changement,  de  manière  à  représenter  ce  qu'elle 
ctoitdans  le  ton  d'où  l'on  sort,  et  ce  qu'elle  est  dans  celui  où  l'on  entre -^ 
ce  que  l'on  fait  par  une  double  note  séparée  par  une  petite  ligne  hori- 
zontale comme  dans  les  fractions  :  le  chiffre  qui  est  au-dessus  exprime 
la  note  dans  le  ton  d'où  l'on  sort,  et  celui  de  dessous  représente  la 
même  note  dans  le  ton  où  l'on  entre;  en  un  mot,  le  chiffre  inférieur 
indique  le  nom  de  la  note,  et  le  chiffre  supérieur  sert  à  en  trouver  le 
ton. 

"Voilà  pour  exprimer  tous  les  sons  imaginables  en  quelque  ton  que  l'on 
puisse  être  ou  que  l'on  veuille  entrer.  11  faut  passer  à  présent  à  la  se- 
conde partie ,  qui  traite  des  valeurs  des  notes  et  de  leurs  mouvemens. 

Les  musiciens  reconnoissent  au  moins  quatorze  mesures  différentes 
dans  la  musique  -.mesures  dont  la  distinction  brouille  l'esprit  des  éco- 
liers pendant  un  temps  infini.  Or  je  soutiens  que  tous  les  mouvemens 
de  ces  différentes  mesures  se  réduisent  uniquement  à  deux;  savoir, 
mouvement  à  deux  temps,  et  mouvement  à  trois  temps;  et  j'ose  défier 
l'oreille  la  plus  fine  d'en  trouver  de  naturels  qu'on  ne  puisse  exprimer 
avec  toute  la  précision  possible  par  l'une  de  ces  deux  mesures.  Je  com- 
mencerai donc  par  faire  main  basse  sur  tous  ces  chiffres  bizarres ,  ré- 
servant seulement  le  deux  et  le  trois,  par  lesquels,  comme  on  verra, 
tout  à  l'heure,  j'exprimerai  tous  les  mouvemens  possibles.  Or,  afin  que 
le  chiffre  qui  annonce  la  mesure  ne  se  confonde  point  avec  ceux  des 
notes  ,  je  l'en  distingue  en  le  faisant  plus  grand  et  en  le  séparant  par 
une  double  ligne  perpendiculaire. 

Il  s'agit  à  présent  d'exprimer  les  temps,  et  les  valeurs  desjiotes  qui 
les  remplissent. 

Un  défaut  considérable  dans  la  musique  est  de  représenter ,  comme 
valeurs  absolues ,  des  notes  qui  n'en  ont  que  de  relatives ,  ou  du  moins 
d'en  mal  appliquer  les  relations  :  car  il  est  sûr  que  la  durée  des  rondes, 

RoiïSSEAlI    VI  17 


258  PROJET   DE  NOUVEAUX  SIGNES 

des  blanches,  noires,  croches,  etc.,  est  déterminée,  non  par  la  qualité 
lie  la  note,  mais  par  celle  de  la  mesure  où  elle  se  trouve  :  de  là  vient 
qu'une  noire,  dans  une  certaine  mesure,  passera  beaucoup  plus  vile 
qu'une  croche  dans  une  autre;  laquelle  croche  ne  vaut  cependant  que 
la  moitié  de  cette  noire,  et  de  là  vient  encore  que  les  musiciens  de 
province,  trompés  par  ces  faux  rapports,  donneront  aux  airs  des  mou- 
vemens  tout  différons  de  ce  qu'ils  doivent  être,  en  s'altachant  scrupu- 
leusement à  la  valeur  absolue  des  notes,  tandis  qu'il  faudra  quelquefois 
passer  une  mesure  à  trois  temps  simples  beaucoup  plus  vite  qu'une  autre 
à  trois-huit,  ce  qui  dépend  du  caprice  du  compositeur,  et  de  quoi  les 
■opéras  présentent  des  exemples  à  chaque  instant. 

D'ailleurs  la  division  sous-double  des  notes  et  de  leurs  valeurs,  telle 
qu'elle  est  établie,  ne  sufiit  pas  pour  tous  les  cas;  et  si,  par  exemple, 
je  veux  passer  trois  notes  égales  dans  un  temps  d'une  mesure  à  deux , 
à  trois,  ou  à  quatre,  il  faut,  ou  que  le  musicien  le  devine,  ou  que  je 
l'en  instruise  par  un  signe  étranger  qui  fait  exception  à  la  règle. 

Enfin  c'est  encore  un  autre  inconvénient  de  ne  point  séparer  les 
temps  ;  il  arrive  de  là  que ,  dans  le  milieu  d'une  grande  mesure ,  l'écolier 
ne  sait  où  il  en  est,  surtout  lorsque,  chantant  le  vocal,  il  trouve  une 
quantité  de  croches  et  de  doubles  croches  détachées,  dont  il  faut  qu'il 
fasse  lui-même  la  distribution. 

La  séparation  de  chaque  temps  par  une  virgule  remédie  à  tout  cela 
avec  beaucoup  de  simplicité.  Chaque  temps  compris  entre  deux  virgules 
contient  une  note  ou  plusieurs.  S'il  ne  comprend  qu'une  note,  c'est 
qu'elle  remplit  tout  ce  temps-là,  et  cela  ne  fait  pas  la  moindre  difficulté. 
Y  a-t-il  plusieurs  notes  comprises  dans  chaque  temps,  la  chose  n'est  pas 
plus  difficile  :  divisez  ce  temps  en  autant  de  parties  égales  qu'il  com- 
prend de  notes ,  appliquez  chacune  de  ces  parties  à  chacune  de  ces  notes , 
et  passez-les  de  sorte  que  tous  les  temps  soient  égaux. 

Les  notes  dont  deux  égales  rempliront  un  temps  s'appelleront  des 
demis;  celles  dont  il  en  faudra  trois,  des  tiers:  celles  dont  il  en  fau- 
dra quatre ,   des  quarts ,  etc. 

Mais  lorsqu'un  temps  se  trouve  partagé  de  sorte  que  toutes  les  notes 
n'y  sont  pas  d'égale  valeur,  pour  représenter,  par  exemple,  dans  un 
seul  temps  une  noire  et  deux  croches,  je  considère  ce  temps  comme 
divisé  en  deux  parties  égales ,  dont  la  noire  fait  la  première ,  et  les  deux 
croches  ensemble  la  seconde;  je  les  lie  donc  par  une  ligne  droite  que 
je  place  au-dessus  ou  au-dessous  d'elles,  et  cette  ligne  marque  que  tout 
ce  qu'elle  embrasse  ne  représente  qu'une  seule  note,  laquelle  doit  être 
subdivisée  en  deux  parties  égales,  ou  en  trois,  ou  en  quatre ,  suivant  le 
nombre  des  chiffres  qu'elle  couvre,  etc. 

Si  l'on  a  une  note  qui  remplisse  seule  une  mesure  entière,  il  suffit  de 
la  placer  seule  entre  les  deux  lignes  qui  renferment  la  mesure;  et,  par 
la  même  règle  que  je  viens  d'établir,  cela  signifie  que  cette  note  doit 
durer  toute  la  mesure  entière. 

A  l'égard  des  tenues,  je  me  sers  aussi  du  point  pour  les  exprimer, 
mais  d'une  manière  bien  plus  avantageuse  que  celle  qui  est  en  usage  : 
car  au  lieu  de  lui  faire  valoir  précisément  la  moitié  de  la  note  qui  le 


POUR  LA  MUSIQUE.  259 

précède,  ce  qui  ne  fait  qu'un  cas  particulier,  je  lui  donne,  de  même 
qu'aux  noies,  une  valeur  qui  n'est  déterminée  que  par  la  place  qu'il  oc- 
cupe; c'est-à-dire  que,  si  le  point  remplit  seul  un  temps  ou  une  me- 
sure, le  son  qui  a  précédé  doit  être  aussi  soutenu  pendant  tout  ce  temps 
ou  toute  cette  mesure;  et,  si  le  point  se  trouve  dans  un  temps  avec 
d  autres  notes,  il  fait  nombre  aussi  bien  qu'elles,  et  doit  être  compté 
pour  un  tiers  ou  pour  un  quart,  suivant  le  nombre  des  notes  que  ren- 
ferme ce  temps-là  ,  en  y  comprenant  le  point. 

Au  reste  ,  il  n'est  pas  à  craindre  ,  comme  on  le  verra  par  les  exemples , 
que  ces  points  se  confondent  jamais  avec  ceux  qui  servent  à  changer  d'oc- 
taves; ils  en  sont  trop  bien  distingués  par  leur  position  pour  avoir  be- 
soin de  l'être  par  leur  figure  :  c'est  pourquoi  j'ai  négligé  de  le  faire, 
évitant  avec  soin  de  me  servir  de  signes  extraordinaires,  quidistrairoieiit 
i'aUention,  et  n'exprimeroient  rien  de  plus  que  la  simplicité  des  miens. 

Les  silences  n'ont  besoin  que  d'un  seul  signe.  Le  zéro  paroît  le  plus 
convenable;  et.  les  règles  que  j'ai  établies  à  l'égard  des  notes  étant 
toutes  applicables  à  leurs  silences  relatifs,  il  s'ensuit  que  le  zéro,  par 
sa  seule  position  et  par  les  points  qui  le  peuvent  suivre,  lesquels  alors 
exprimeront  des  silences,  suffit  seul  pour  remplacer  toutes  les  pauses, 
soupirs,  demi-soupirs,  et  autres  signes  bizarres  gl  superflus  qui  rem- 
plissent la  musique  ordinaire. 

Voilà  les  principes  généraux  d'où  découlent  les  règles  pour  toutes 
sortes  d'expressions  imaginables,  sans  qu'il  puisse  naître  à  cet  égard 
aucune  difficulté  qui  n'ait  été  prévue  et  qui  ne  soit  résolue  en  consé- 
quence de  quelqu'un  de  ces  principes. 

Ce  système  renferme,  sans  contredit,  des  avantages  essentiels  par- 
dessus la  méthode  ordinaire. 

En  premier  lieu,  la  musique  sera  du  double  et  du  triple  plus  a'sée  à 
apprendre  : 

1°  Parce  qu'elle  contient  beaucoup  moins  de  signes; 

2°  Parce  que  ces  signes  sont  plus  simples; 

3°  Parce  que,  sans  autre  étude,  les  caractères  mêmes  des  notes  y  re- 
présentent leurs  intervalles  et  leurs  rapports,  au  lieu  que  ces  rapports 
et  ces  intervalles  sont  très-difficiles  à  trouver,  et  demandent  une  grande 
habitude  par  la  musique  ordinaire; 

4"  Parce  qu'un  même  caractère  ne  peut  jamais  avoir  qu'un  même  nom-, 
au  lieu  que,  dans  le  système  ordinaire,  chaque  position  peut  avoir  sept 
noms  difl'érens  sur  chaque  clef,  ce  qui  cause  une  confusion  dont  les  éco- 
liers ne  se  tirent  qu'à  force  de  temps,  de  peine  et  d'opiniâtreté: 

5°  Parce  que  bs  temps  y  sont  mieux  distingués  que  dans  la  musique 
ordinaire  .  et  que  les  valeurs  des  s'iences  et  des  notes  y  sont  déterminées 
d'une  manière  plus  simple  et  plus  générale; 

6°  Parce  que,  le  mode  étant  toujours  connu  ,  il  est  toujours  aisé  de 
préluder  et  de  se  mettre  au  ton  :  ce  qui  n'arrive  pas  dans  la  musique 
ordinaire ,  où  souvent  les  écoliers  s'embarrassent  ou  chantent  faux ,  faute 
de  bien  connoître  le  ton  où  ils  doivent  chanter 

En  second  lieu,  la  musique  en  est  plus  commode  et  plus  aisée  à 
coter,  occupe  moins  de  volume;  toute  sorte  de  pnpier  y  est  propre,  et 


260  NOUVEAUX  SIGNES  POUR  LA  MUSIQUE. 

les  caractères  de  l'imprimerie  suffisant  pour  la  noter,  les  compositeurs 
n'auront  plus  besoin  de  faire  de  si  grands  frais  pour  la  gravure  de  leurs 
pièces ,  ni  les  particuliers  pour  les  acquérir. 

Enfin  les  compositeurs  y  trouveroient  encore  cet  autre  avantage  non 
moins  considérable,  qu'outre  la  facilité  de  la  note,  leur  harmonie  et 
leurs  accords  seroient  connus  par  la  seule  inspection  des  signes,  et  sans 
ces  sauts  d'une  clef  à  l'autre  qui  demandent  une  habitude  bien  longue, 
et  que  plusieurs  n'atteignent  jamais  parfaitement. 


DISSERTATION  SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE. 


PRÉFACE. 

S'il  est  vrai  que  les  circonstances  et  les  préjugés  décident  souvent  du 
sort  d'un  ouvrage,  jamais  auteur  n'a  dû  plus  craindre  que  moi.  Le  pu- 
blic est  aujourd'hui  si  indisposé  contre  tout  ce  qui  s'appelle  nouveauté, 
si  rebuté  de  systèmes  et  de  projels,  surtout  en  fait  de  musique,  qu'il 
n'est  plus  guère  possible  de  lui  rien  offrir  en  ce  genre,  sans  s'exposer 
à  l'effet  de  ses  premiers  mouvemens,  c'est-à-dire  à  se  voir  condamné 
sjns  être  entendu. 

D'ailleurs  il  faudroit  surmonter  tant  d'obstacles,  réunis  non  parla 
raison ,  mais  par  l'habitude  et  les  préjugés ,  bien  plus  forts  qu'elle ,  qu'il 
ne  paroît  pas  possible  de  forcer  de  si  puissantes  barrières.  N'avoir  que 
la  raison  pour  soi ,  ce  n'est  pas  combattre  à  armes  égales;  les  préjugés 
sont  presque  toujours  sûrs  d'en  triompher,  et  je  ne  connois  que  le  seul 
intérêt  capable  de  les  vaincre  à  son  tour. 

Je  serois  rassuré  par  cette  dernière  considération,  si  le  public  étoit 
toujours  bien  attentif  à  juger  de  ses  vrais  intérêts  :  mais  il  est  pour 
l'ordinaire  assez  nonchalant  pour  en  laisser  la  direction  à  gens  qui  en 
ont  de  tout  opposés;  et  il  aime  mieux  se  plaindre  éternellement  d'être 
mal  servi  que  de  se  donner  des  soins  pour  l'être  mieux. 

C'est  précisément  ce  qui  arrive  dans  la  musique  :  on  se  récrie  sur  ]a 
longueur  des  maîtres  et  sur  la  difficulté  de  l'art,  et  l'on  rebute  ceux  qui 
proposent  de  l'éclaircir  et  de  l'abréger.  Tout  le  monde  convient  que  les 
caractères  de  la  musique  sont  dans  un  état  d'imperfection  peu  propor- 
tionné aux  progrès  qu'on  a  faits  dans  les  autres  parties  de  cet  art  :  ce- 
pendant on  se  défend  contre  toute  proposition  de  les  réformer,  comme 
contre  un  danger  affreux.  Imaginer  d'autres  signes  que  ceux  dont  s'est 
servi  le  divin  LuUi  est  non-seulement  la  plus  haute  extravagance  dont 
^'esprit  humain  soit  capable,  mais  c'est  encore  une  espèce  de  sacrilège. 
>ulli  est  un  dieu  dont  le  dcigt  <st  venu  fixer  à  jamais  l'état  de  ces  sacrés 
caractères  :  bons  ou  mauvais,  il  n'impcrte;  il  faut  qu'ils  soient  éternisés 
par  ses  ouvrages.  11  n'est  plus  permis  d'y  toucher  sans  se  rendre  cri- 
minel; et  il  faudra,  au  pied  de  la  lettre,  que  tous  les  jeunes  gens  qui 
apprendront  désormais  la  musique  payent  un  tribut  de  deux  ou  trois 
ans  de  peine  au  mérite  de  Lulli. 


IMaiiflic  II. 


TABLE    GÉNÉRALE   DE    TOUS  LES  TOINS  ET  DE  TOUTES  LES  CLEFS. 

X  A  B  CD 


de  Fa 

1^2:  54. 

5  ;  6  :  J^  i  2  i  54 

5  i6  i./i  i  2  i  54 

5 1 6  ;  ^  ;  2  :  34 

5  ;  6  ;  ^  ;  2  :  34 

5  :  6  i  Vl 

de  Mi  

2T34: 5 

6  [  7/1  j  2  .[  3  4  •;  5  1  6  1  7/1  1  2  1  5  4  :  5  1  6  1  7/1  1  2 

3  4  :  5  f  6  1  7/1  1  2  1  3  4  :  5  1  (î  1  7/1  1   [ 

de  Mi  T)êmol 

2  i  54  1  5 

6  :  7/i  I  2  ;  3  4  1  5 

6  ;  .71  1  2  :  5  4   1  5  (  6  :  7/l   1  2  :  5  4  i  5 

6  ;  7/1   1  2  :  3  4  1  5 

6  ;  7/1 

2 

de  Ré 

54  ;  5  1  6 

^:2]34;5:6l^l:2|34:5:,6|^i2|34':5;6l:^;2i34i5:6|^:2M 

d'Ut  bémol 

54      5l6     7/1  |2      34J5|6 

y  1  1  2  1  5  4  1  5   1  6 

7/1  1  2   1  3  4 

5      G 

yi  1  2  1  3  4  1  5  1  -6 

7/1  1  2 

5 

d'Ut 

4:5:   6:^:2:   3  i  \  5  \   6  ']  7/l  :  2  \  :5i!  \  b  ]  6  :  7/l  ]  2   134:5   l  6  [  7/l  ]  2  \   54;   î,  [  6  ]  l/l  \  2   i54 

de  Si........ 

1  5  1  6     7/1  1  2  1  3  4  !  5      6      7/l      2  |  3  4  |  5     6      7/l      2      3  4  |  5  j  6  |  J/l  1  2  |  5  4  [  5  |  6  |  7/l   |  2  ]   3  4  | 

de  Siljémol 

5i6;7/t^2:34       5:6:^ 

2  ;  34  1  5  :  6  :  7/i 

2:34   1  5  i  6  i  yi 

2:34    1  5  :  6  :  ^1  1  2  ;  3  4  1  5  1 

de  La -.- 

6  1  7/1  :  2 

3  4  •:  5  t  6      7/l  ;  2  1  54  :  5     6,    7/l  •;  2     3  4:5     6 

7/i  i  2     5  4:5     6  1  7/1  ;■  2  1  5  4  ;  5  1 

de  La  bémol  

6  :  7/   1  2  1  3  4  1  5      èl  7/i      2 

3  4      5  1  6  i  7/1      ^ 

5  4      5      6  j  7/1      2 

3  4  1  5  1  6  ;  7/1  1  2 

34  1  5 

6 

de  Sol 

7/i;2i54:5:6     7/i2:34:5i6     7/1:2:  34  i5:6|^:2;3  4:5:6     y^;2:34;5;6 

deFa 

74     2     34  15     6  1  7/i  1  2  .1  54  1  5  1  6  1  7/1  1  2  1  34  1  5  1  6  1  7/1  1  2  1  34  1  5     6  |  7/1  j  2  |  34  |  5  |  6 

7 1 

!«" Exemple 

2«  Ex -..- - 

3?  Ex. des  InleTTalles  directs  -■ 

4?  Ex.  des  tilervalles  renrersés 

5^  Ex. des  InlerraTles  simples 

6  ?  Ex.  des  InteTTalles  redoublée 

7  ?  Ex. pour  le  Mode  Majeur  de  Sol _.. 

8?  Ex. pour  le  Mode  Mineur  de  Sol 

9  ?  Ex.  du  passage  d'un  Ton  à  un  autre 

10?  Ex.  du  passage  du  Majeur  au  Mineur,  et  vice  versa. 

11?  Ex 

l2?  Ex.de  la  P.  transcrit  par  la  première  Méthode 


-4 — a y- 


iisaoctS8i.„it^»,,ss»tia'a,  1  ■&'  ooaaito    ot'  t    6    «?i 


I — i 1      a 


-? — *-; — « — ft',    a — &- 


TT-r 


S    »  *       »        7 


Sol. 

Si  b. 

Sol. 

Si. 

Réb. 

Solb. 


I   »    0    1   s 


e   *    . — & — t- 


7     6     3      16 


S      .     9     ,      ». 


6  7  7     6 


.ul 


iaati2aita  sn-éaj     i||  t  |[i  aa  a  1  a  a  i  t  B-ii^s  »  a  5       i 


ré 


3*508  1.  0*JlSi!  lO.  lll   I    lll 


3     2      1  k      5 2 


76  567  S  7  3  Si  6  5  »  e  S  7  6  S     6 

5      *       S       2        »       .  1 


iiijiccfttr 


t.    18316^607*706» — Sa4^'7l»*fc>t& 
7 


J.  J.  Roi'ssE.w,  t.  \1,  p.  :260. 


DISSERTATION   SUR   LA   MUSIQUE  MODERNE.  261 

Si  ce  ne  sont  pas  là  les  propres  termes ,  c'est  du  moins  le  sens  des  ob- 
jections que  j'ai  ouï  faire  cent  fois  contre  tout  projet  qui  tendroit  à 
réformer  cette  partie  de  la  musique.  Quoi  !  faudra-t-il  jeter  au  feu  tous 
nos  auteurs ,  tout  renouv&ler?  Lalande  ,  Bernier ,  Corelli ,  tout  cela  seroit 
donc  perdu  pour  nous?  Où  prendrions-nous  de  nouveaux  Orphées  pour 
nous  en  dédommager?  et  quels  seroient  les  musiciens  qui  voudroient  se 
résoudre  à  redevenir'écoliers? 

Je  ne  sais  pas  bien  comment  l'entendent  ceux  qui  font  ces  objections; 
mais  il  me  semble  qu'en  les  réduisant  en  maximes,  et  en  détaillant  un 
peu  les  conséquences,  on  en  ferait  des  aphorismes  fort  singuliers,  pour 
arrêter  tout  court  le  progrès  des  lettres  et  des  beaux-arts. 

D'ailleurs  ce  raisonnement  porte  absolument  à  faux;  et  l'établissement 
des  nouveaux  caracières,  bien  loin  de  détruiie  les  anciens  ouvrages,  les 
conserveioit  doublement  par  les  nouvelles  éditions  qu'on  en  feroit,  et 
par  les  anciennes,  qui  suhsisleroient  toujours.  Quand  on  a  traduit  uu 
auteur,  je  ne  vois  pas  la  nécessité  de  jeter  l'original  au  feu.  Ce  n'est 
donc  ni  l'ouvrage  en  lui-même,  ni  les  exemplaires  qu'on  risqueroil  de 
perdre;  et  remarquez  surtout  que,  quelque  avantageux  que  pût  être 
un  nouveau  système,  il  ne  détruiroit  jamais  l'ancien  avec  assez  de  ra- 
pidité pour  en  abolir  tout  d'un  coup  l'usage;  les  livres  en  seroient  usés 
avant  que  d'élre  inutiles,  et  quand  ils  ne  serviroienl  que  de  ressource 
aux  opiniâtres,  on  trouveroit  toujours  assez  à  les  employer. 

Je  sais  que  les  musiciens  ne  sont  pas  traitables  sur  ce  chap'tre.  La 
musique  pour  eux  n'est  pas  la  science  des  sons,  c'est  celle  des  noires, 
des  i)lanches,  des  doubles  croches;  et,  dès  que  ces  figures  cesseroient 
d'affecter  leurs  yeux,  ils  ne  croiroienl  jamais  voir  réellement  de  la 
musique.  La  crainte  de  redevenir  écoliers,  et  surtout  le  train  de  cette 
habitude  qu'ils  prennent  pour  la  science  même,  leur  feront  toujours 
regarder  avec  mépris  ou  avec  effroi  tout  ce  qu'on  leur  proposeroit  en  ce 
genre.  Il  ne  faut  donc  pas  compter  sur  leur  approbation;  il  faut  même 
compter  sur  toute  leur  résistance ,  dans  l'établissement  des  nouveaux 
caractères,  non  pas  comme  bons  ou  comme  mauvais  en  eux-mêmes, 
mais  simplement  comme  nouveaux. 

Je  ne  sais  quel  auroit  été  le  sentiment  particulier  de  Lulli  sur  ce 
point,  mais  je  suis  presque  sûr  qu'il  étoit  trop  grand  hommt;  pour  don- 
ner dans  ces  petitesses  :  Lulli  auroit  senti  que  sa  science  ne  lenoit  point 
à  des  caractères;  que  ses  sons  ne  cesseroient  jamais  d'être  des  sous  di- 
vins, quelques  signes  qu'on  employât  pour  les  exprimer  ;  et  qu'enfin 
c'étoit  toujours  un  service  important  à  rendre  à  son  art  et  aux  progrès 
de  ses  ouvrages  que  de  les  publier  dans  une  langue  aussi  énergique  ,  mais 
plus  facile  à  entendre,  et  qui  par  là  deviendroit  plus  universelle,  dût- 
il  en  coûter  l'abandon  de  quelques  vieux  exemplaires,  dont  assurément 
il  n'auroit  pas  cru  que  le  prix  fût  à  comparer  à  la  perfection  générale 
de  l'art. 

Le  malheur  est  que  ce  n'est  pas  à'^es  Lulli  que  nous  avons  affaire.  Il 
est  plus  aisé  d'hériter  de  sa  science  que  de  son  génie.  Je  ne  sais  pour- 
quoi la  musique  n'est  pas  amie  du  raisonnement.  Mais  si  ses  élèves  sont 
«i  scandalisés  de  voir  un  confrère  réduire  son  art  en  principes,  l'appro- 


262  DISSERTATION   SUR  LA   MUSIQUE  MODERNE. 

fondir,  et  le  traiter  méthodiquement,  à  plus  forte  raison  ne  soufTriroient- 
ils  pas  qu'on  osât  attaquer  les  parties  mêmes  de  cet  art. 

Pour  juger  de  la  façon  dont  on  y  seroit  reçu,  on  n'a  qu'à  se  rappeler 
combien  il  a  fallu  d'années  de  lutte  et  d'opiniâtreté  pour  substituer 
l'usage  du  si  à  ces  grossières  nuances  qui  ne  sont  pas  même  encore 
aboies  partout.  On  couvenoit  bien  que  l'échelle  étoit  composée  de  sept 
sons  diiïérens;  mais  on  ne  pouvoit  se  persuader  qu'il  fût  avantageux  de 
leur  donner  un  nom  parliculier ,  puisqu'on  ne  s'en  était  pas  avisé  jus',ue- 
îà,  et  que  la  musique  n'avoit  pas  laissé  d'aller  son  train. 

Toutes  ces  difficultés  sont  présentes  à  mon  esprit  avec  toute  la  force 
qu'elles  peuvent  avoir  dans  celui  des  lecteurs  :  malgré  cela,  je  ne  sau- 
rois  croire  qu'elles  puissent  tenir  contre  les  vérités  de  démonstration 
que  j'ai  à  établir.  Que  tous  les  systèmes  qu'on  a  proposés  en  ce  genre 
aient  échoué  jusqu'ici,  je  n'en  suis  point  étonné  :  même,  à  égalité  d'a- 
vantages et  de  défau'.s.  l'ancienne  méthode  devoit  sans  contredit  l'em- 
porter ,  puisque  ,  pour  détruire  un  système  établi ,  il  faut  que  celui  qu'on 
veut  substituer  lui  soit  préférable,  non-seulement  en  les  considérant 
chacun  en  lui-même  et  par  ce  qu'il  a  de  propre ,  mais  encore  en  joignant 
au  premier  toutes  les  raisons  d'ancienneté  et  tous  les  préjugés  qui  le 
fortiflent. 

C'est  ce  cas  de  préférence  où  le  mien  me  paroît  être ,  et  où  l'on  re- 
connoîtra  qu'il  est  en  effet,  s'il  conserve  les  avantages  de  la  méthode 
ordinaire,  s'il  en  sauve  les  inconvéniens,  et  enfin  s'il  résout  les  objec- 
tions extérieures  qu'on  oppose  à  toute  nouveauté  de  ce  genre,  indépen- 
damment de  ce  qu'el  e  est  en  soi-même. 

A  l'égard  des  deux  premiers  points,  ils  seront  discutés  dans  le  corps 
de  l'ouvrage,  et  l'on  ne  peut  savoir  à  quoi  s'en  tenir  qu'après  l'avoir  lu. 
Pour  le  troisième,  rien  n'est  si  simple  à  décider;  il  ne  faut  pour  cela 
qu'exposer  le  but  même  de  mon  projet, et  les  effets  qui  doivent  résulter 
Je  son  exécution. 

Le  système  que  je  propose  roule  sur  deux  objets  principaux  :  l'un  de 
noter  la  musique  et  toutes  ses  difficultés  d'une  manière  plus  simple, 
plus  commode,  et  sous  un  moindre  volume. 

Le  second  et  le  plus  considérable  est  de  la  rendre  aussi  aisée  à  ap- 
prendre qu'elle  a  été  rebutante  jusqu'à  présent,  d'en  réduire  les  signes 
à  un  plus  petit  nombre,  sans  rien  retrancher  de  l'expression,  et  d'en 
abréger  les  règles  de  façon  à  faire  un  jeu  de  la  théorie,  et  à  n'en  lendre 
la  pratique  dépendante  que  de  l'habitude  des  organes,  sans  que  la  diffi- 
culté de  la  note  y  puisse  jamais  entrer  pour  rien. 

Il  est  aisé  de  justifier  par  l'expérience  qu'on  apprend  la  musique  en 
deux  et  trois  fois  moins  de  temps  par  ma  méthode  que  par  la  méthode 
ordinaire-,  que  les  musiciens  formés  par  elle  seront  plus  sûrs  que  les 
autres  à  égalité  de  science;  et  qu'enfin  sa  facilité  est  telle,  que,  quand 
on  voudroit  s'en  tenir  à  la  musique  ordinaire,  il  faudroit  toujours  com- 
mencer par  la  mienne  pour  y  parvenir  pius  sûrement  et  en  moins  de 
temps.  Proposition  qui,  toute  paradoxe  qu'elle  paroît,  ne  laisse  pas 
d'être  exactement  vraie,  tant  par  le  fait  que  par  la  démonstration.  Or, 
ces  faits  supposés  vrais,  toutes  les  objections  tombent  d'elles-mêmes  et 


PRÉFACE.  263 

sans  ressource.  En  premier  lieu,  la  musique  notée  suivant  l'ancien  sys- 
tème ne  sera  point  inutile,  et  il  ne  faudra  point  se  tourmenter  pour  la 
jeter  au  feu ,  puisque  les  élèves  de  ma  méthode  parviendront  à  chanter 
à  livre  ouvert  sur  la  musique  ordinaire  en  moins  de  temps  encore,  y 
compris  celui  qu'ils  auront  donné  à  la  mienne,  qu'on  ne  le  fait  commu- 
nément. Comme  ils  sauront  donc  également  l'une  et  l'autre  sans  y  avoir 
employé  plus  de  temps,  on  ne  pourra  pas  déjà  dire  à  l'égard  de  ceux-là 
que  l'ancienne  musique  est  inutile. 

Supposons  des  écoliers  qui  n'aient  pas  des  années  à  sacrifier,  et  qui 
veuillent  bien  se  contenter  de  savoir  en  sept  ou  huit  mois  de  temps 
chanter  à  livre  ouvert  sur  ma  note .  je  dis  que  la  musique  ordinaire  ne 
sera  pas  même  perdue  pour  eux.  A  la  vérité,  au  bout  de  ce  temps-là  ils 
ne  la  sauront  pas  exécuter  à  livre  ouvert:  peut-être  même  ne  la  déchif- 
freront-ils pas' sans  peine:  mais  enfin  ils  la  déchiffreront  :  car,  comme 
ils  auront  d'ailleurs  Thabitudede  la  mesure  et  celle  de  l'intonation,  il 
suffira  de  sacrifier  cinq  ou  six  leçons  dans  le  septième  mois  à  leur  en  ex- 
pliquer les  principes  par  ceux  qui  leur  seront  déjà  connus,  pour  les 
mettre  en  état  d'y  parvenir  aisément  par  eux-mêmes,  et  sans  le  secours 
d'aucun  maître:  et  quand  ils  ne  voudroient  pas  se  donner  ce  soin,  tou- 
jours seront-ils  capables  de  traduire  sur-le-champ  toute  sorte  de  musique 
par  la  leur,  et  par  conséquent  ils  seroient  en  état  d"en  tirer  parti  même 
dans  un  temps  où  elle  est  encore  indéchiffrable  pour  les  écoliers  ordi- 
naires. 

Les  maîtres  ne  doivent  pas  craindre  de  redevenir  écoliers  :  ma  mé- 
thode est  si  simple  qu'elle  n'a  besoin  que  d'être  lue ,  et  non  pas  étudiée  ; 
et  j'ai  lieu  de  croire  que  les  difficultés  qu'ils  y  trouveroient  viendroient 
plus  des  dispositions  de  leur  esprit  que  de  l'obscurité  du  système,  puis- 
que des  dames,  à  qui  j'ai  eu  l'honneur  de  l'exf  liquer ,  ont  chanté  sur- 
le-champ  .  et  à  livre  ouvert .  de  la  musique  notée  suivant  cette  méthode , 
et  ont  elles-mêmes  noté  des  airs  fort  correctement,  tandis  que  des  mu- 
siciens du  premier  ordre  auroient  peut-être  afl'eLté  de  n'y  rien  com- 
prendre. 

Les  musiciens,  je  dis  du  moins  le  plus  grand  nombre,  ne  se  piquent 
guère  de  juger  des  choses  sans  préjugés  et  sans  passion;  et  communé- 
ment ils  les  considèrent  bien  moins  par  ce  qu'elles  sont  en  elles-mêmes 
que  par  le  rapport  qu'elles  peuvent  avoir  à  leur  intérêt.  Il  est  vrai  que, 
même  en  ce  sens-là,  ils  n'auroient  nul  sujet  de  s'opposer  au  succès  de 
mon  système,  puisque,  dès  qu'il  est  publié,  ils  en  sont  les  maîtres 
aussi  bien  que  moi.  et  que  la  facilité  qu'il  introduit  dans  la  musique 
devant  naturellement  lui  donner  un  cours  plus  universel,  ils  n'en  seront 
que  plus  occupés  en  contribuant  à  le  répandre.  Il  est  cependant  très- 
probable  qu'ils  ne  s'y  livreront  pas  les  premiers,  et  qu'il  n'y  a  que  1 
goût  décidé  du  public  qui  puisse  les  engager  à  cultiver  un  système 
dont  les  avantages  paroissent  autant  d'innovations  dangereuses  contre  la 
difficulté  de  leur  art. 

Quand  je  parle  des  musiciens  en  général ,  je  ne  prétends  point  y  con- 
fondre ceux  d'entre  ces  messieurs  qui  font  l'honneur  de  cet  art  p  tr  leur 
caractère  et  par  leurs  lumières.  Il  n'est  que  trop  connu  que  ce  qu'on 


264         DISSERTATION    SUR   LA  MUSIQUE  MODERNE.  'Û 

appelle  peuple  domine  toujours  par  le  nombre  dans  toutes  les  sociétés  et 
dans  tous  les  États,  mais  il  ne  l'est  pas  moins  qu'il  y  a  partout  des  ex- 
ceptions honorables;  et  tout  ce  qu'on  pourroit  dire  en  parliculiei  contre 
la  profession  de  la  musique,  c'est  que  le  peuple  y  est  peut-être  un  peu 
plus  nombreux,  et  les  exceptions  plus  rares. 

Quoi  qu'il  en  soit,  quand  on  voudroit  supposer  et  grossir  tous  les 
obstacles  qui  peuvent  arrêter  l'effet  de  mon  projet,  on  ne  sauro  t  nier  ce 
fait,  plus  clair  que  le  jour,  qu'il  y  a  dans  Paris  deux  et  trois  mille  per- 
sonnes qui,  avec  beaucoup  de  dispositions,  n'apprendront  jamais  la 
musique  par  l'unique  raison  de  sa  longueur  et  de  sa  difficulté.  Quand 
je  n'aurois  travaillé  que  pour  ceux-là,  voilà  déjà  une  utilité  sans  répli- 
que. Et  qu'on  ne  dise  pas  que  cette  méthode  ne  leur  servira  de  rien  pour 
exécuter  sur  la  musique  ordinaire;  car,  outre  que  j'ai  déjà  répondu  à 
cette  objection,  il  sera  d'autant  moins  nécessaire  pour  eux  d'y  avoir  re- 
cours ,  qu'on  aura  soin  de  leur  donner  des  éditions  des  meilleures  pièces 
de  musique  de  toute  espèce  et  des  recueils  périodiques  d'airs  à  chanter 
et  de  symphonies,  en  nitendant  que  le  système  soit  assez  répandu  pour 
en  rendre  l'usage  universel. 

Enfin,  si  l'on  outroit  assez  la  défiance  pour  s'imaginer  que  personne 
n'adopteroit  mon  système,  je  dis  que,  même  dans  ce  cas-là,  il  seroit 
encore  avantageux  aux  amateurs  de  l'art  de  le  cultiver  pour  leur  com- 
modité particulière.  Les  exemples  qu'on  trouve  notés  à  la  fin  de  cet  ou- 
vrage feront  assez  comprendre  les  avantages  de  mes  signes  sur  les  signes 
ordinaires ,  soit  pour  la  facilité ,  soit  pour  la  précision.  On  peut  avoir  en 
cent  occasions  des  airs  à  noter  sans  papier  réglé;  ma  méthode  vous  en 
donne  un  moyen  très-commode  et  très-simple.  Voulez-vous  envoyer  en 
province  des  airs  nouveaux ,  des  scènes  entières  d'opéra  ;  sans  augmenter 
ïe  volume  de  vos  lettres,  vous  pouvez  écrire  sur  la  même  feuille  de 
très-longs  morceaux  de  musique.  Voulez-vous,  en  composant,  peindre 
aux  yeux  le  rapport  de  vos  parties,  le  progrès  de  vos  accords,  et  tout 
l'état  de  votre  harmonie;  la  pratique  de  mon  système  satisfait  à  tout 
cela.  Et  je  conclus  enfin  qu'à  ne  considérer  ma  méthode  que  comme 
cette  langue  particulière  des  prêtres  égyptiens  qui  ne  servoit  qu'à  trai- 
ter des  sciences  sublimes,  elle  seroit  encore  infiniment  utile  aux  initiés 
dans  la  musique,  avec  cette  différence,  qu'au  lieu  d'être  plus  difficile 
elle  seroit  plus  aisée  que  la  langue  ordinaire,  et  ne  pourroit,  par  con- 
séquent, être  longtemps  un  mystère  pour  le  public. 

Il  ne  faut  point  regarder  mon  système  comme  un  projet  tendant  à 
détruire  les  anciens  caractères.  Je  veux  croire  que  cette  entreprise  seroit 
chimérique,  même  avec  la  substitution  la  plus  avantageuse;  mais  je 
crois  aussi  que  la  commodité  des  miens,  et  surtout  leur  extrême  facilité, 
méritent  toujours  qu'on  les  cultive,  indépendamment  de  ce  que  les  au- 
tres pourront  devenir. 

Au  reste  ,  dans  l'état  d'imperfection  où  sont  depuis  si  longtemps  les 
signes  de  la  musique,  il  n'est  point  extraordinaire  que  plusieurs  per- 
sonnes aient  tenté  de  les  refondre  ou  de  les  corriger.  Il  n'est  pas  même 
bien  étonnant  que  plusieurs  se  soient  rencontrés  dans  le  choix  des  si- 
gnes les  plus  naturels  et  les  plus  propres  à  cette  substitution,  tels  que 


PRÉFACE.  2(5 

sont  les  chiffres.  Cependant,  comme  la  plupart  des  hommes  ne  jugent 
guère  des  choses  que  sur  le  premier  coup  d'œil ,  il  pourra  très-bien  ar- 
river que,  par  cette  unique  raison  de  l'usage  des  mêmes  caractères,  ou 
m'accusera  de  n'avoir  fait  que  copier,  et  de  donner  ici  un  syslèine  re- 
nouvelé. J'avoue  qu'il  est  aisé  de  sentir  que  c'est  bien  moins  le  genre 
des  signes  que  la  manière  de  les  employer  qui  constitue  la  différence  en 
fait  de  systèmes  :  autrement  il  faudroit  dire,  par  exemple,  que  l'algè- 
bre et  la  langue  françoise  ne  Font  que  la  même  chose,  parce  qu'on  s'y 
sert  également  des  lettres  de  l'alphabet.  Mais  cette  réflexion  ne  sera  pas 
probablement  celle  qui  remportera:  et  il  paroît  si  heureux,  par  une 
seule  objection  ,  de  m  oter  à  la  fois  le  mérite  de  l'invention ,  et  de  mettre 
sur  mon  compte  les  vices  des  autres  systèmes,  qu'il  est  des  gens  capa- 
bles d';  dopter  cette  critique  uniquement  à  raison  de  sa  commodité. 

Quoiqu'un  pareil  reproche  ne  me  fût  pas  tout  à  fait  indifférent,  j'y 
serois  bien  moins  sensible  qu'à  ceux  qui  pourroient  tomber  directement 
sur  mon  système.  Il  importe  beaucoup  plus  de  savoir  s'il  est  avantageux, 
que  d'en  bien  connoîlre  1'.  uteur:  et  quand  on  me  refuseroit  l'honneur  de 
l'invention,  je  serois  moins  touché  de  celte  injustice  que  du  plaitir  de 
le  voir  utile  au  public.  La  seule  grâce  que  j'ai  droit  de  lui  demander, 
et  que  peu  de  gens  m'accorderont,  c'est  de  vouloir  bien  n'en  juger 
qu'après  avoir  lu  mon  ouvrage  et  ceux  qu'on  m'accuseroit  d'avoir 
copiés. 

J"avois  d'abord  résolu  de  ne  donner  ici  qu'un  plan  très-abrégé,  et  tel 
à  peu  près  qu'il  étoit  contenu  dans  le  mémoire  que  j'eus  l'honneur  de 
lire  à  l'Académie  royale  des  sciences  le  22  août  1742.  J'ai  réfléchi  cepen- 
dant qu'il  falloit  parler  au  public  autrement  qu'on  ne  parle  à  une  aca- 
démie, et  qu'il  y  avoit  bien  des  objections  de  toute  espèce  à  prévenir. 
Pour  répondre  donc  à  celles  que  j'ai  pu  prévoir,  il  a  fallu  faire  quelques 
additions  qu;  ont  mis  mon  ouvrage  en  l'état  où  le  voilà.  J'attendrai 
l'approbation  du  public  pour  en  donner  un  autre,  qui  contiendra  les 
principes  absolus  de  ma  méthode  tels  qu'ils  doivent  être  enseignés  aux 
écoliers.  J"y  traiterai  dune  nouvelle  manière  de  chiffrer  l'accompagne- 
ment de  l'orgue  et  du  clavecin,  entièrement  différente  de  tout  ce  qui  a 
paru  jusqu'ici  dans  ce  genre  ,  et  telle  qu'avtc  quatre  signes  seulement 
je  chiffre  toute  sorte  de  basses  contfnues  de  manière  à  rendre  la  modu- 
lation et  la  basse  fondamentale  toujours  parfaitement  connues  de  l'ac- 
compagnateur, sans  qu'il  lui  soit  possible  de  s'y  tromper.  Suivant  cette 
méthode,  on  peut,  sans  voir  la  basse  figurée,  accompagner  très-juste 
par  les  chiffres  seuls,  qui,  au  lieu  d'avoir  rapport  à  cette  basse  figurée, 
l'ont  directement  à  la  fondamentale.  Mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'en 
dire  davantage  sur  cet  article. 


Immulat  animus  ad  pristina. 
Lucr. 

Il  paroît  étonnant  que  les  signes  de  la  musique  étant  restés  aussi 
longtemps  dans  l'état  d'imperfection  où  nous  les  voyons  encore  aujour- 
d'hui ,  la  difficulté  de  l'apprendre  n'ait  pas  averti  le  public  que  c'étoit  la 


2G6  DISSERTATION 

fuile  des  caractères  et  non  pas  celle  de  l'art;  ou  que,  s'en  étant  aperçu, 
on  n'ait  pas  daigné  y  remédier.  Il  est  vrai  qu'on  a  donné  souvent  des 
projets  en  ce  genre;  mais,  de  tous  ces  projets,  qui ,  sans  avoir  les  avan- 
tages de  la  musique  ordinaire  ,  en  avoient  les  inconvéniens ,  aucun ,  que 
je  sache,  n'a  jusqu'ici  touché  le  but,  soit  qu'une  pratique  trop  superfi- 
cielle ait  fait  échouer  ceux  qui  l'ont  voulu  considérer  théoriquement, 
/oit  que  le  génie  étroit  et  borné  des  musiciens  ordinaires  les  ait  em- 
pêchés d'emlirasser  un  plan  général  et  raisonné,  et  de  sentir  les  vrais 
«Jàfauts  de  leur  art,  de  la  perfection  actuelle  duquel  ils  sont,  pour  l'or- 
iinaire ,  très-entêtés. 

La  musique  a  eu  le  sort  des  arts  qui  ne  se  perfectionnent  que  succes- 
sivement :  les  inventeurs  de  ses  caractères  n'ont  songé  qu'à  l'état  où 
elle  se  trouvoit  de  leur  temps,  sans  prévoir  celui  où  elle  pourroit  par- 
venir dans  la  suite.  Il  est  arrivé  de  là  que  leur  système  s'est  bientôt 
trouvé  défectueux,  et  d'autant  plus  défectueux  .  que  l'art  s'est  plus  per- 
fectionné :  à  mesure  qu'on  avançoit,  on  établissoil  des  règles  pour  re- 
médier aux  inconvéniens  présents ,  et  pour  multiplier  une  expression 
trop  bornée  ,  qui  ne  pouvoit  suffire  aux  nouvelles  combinaisons  dont  on 
la  chargeoit  tous  les  jours.  En  un  mot,  les  inventeurs  en  ce  genre, 
comme  le  dit  M.  Sauveur,  n'ayant  eu  en  vue  que  quelques  propriétés- 
des  sons,  et  surtout  la  pratique  du  chant  qui  éloit  en  usage  de  leur 
temps,  ils  se  sont  contentés  de  faire,  par  rapport  à  cela,  des  systèmes 
de  musique  que  d'autres  ont  peu  à  peu  changés,  à  mesure  que  le  goût 
de  la  musique  changeoit.  Or,  il  n'est  pas  possible  qu'un  système .  fût-it 
d'ailleurs  le  meilleur  du  monde  dans  son  origine,  ne  se  charge  à  la  fin 
d'embarras  et  de  difficultés,  par  les  changemens  qu'on  y  fait  et  les 
chevilles  qu'on  y  ajoute;  et  cela  ne  sauroit  jamais  faire  qu'un  tout  fort 
embrouillé  et  fort  mal  assorti. 

C'est  le   cas  de  la  méthode  que  nous  pratiquons  aujourd'hui  dans  la 
musique,  en  exceptant  cependant  la  simplicité  du  principe,  qui  ne  s'y 
est  jamais  rencontrée  :  comme  le  fondement  en  est  absolument  mau- 
vais, on  ne  l'a  pas  proprement  gâté,  on  n'a  fait  que  le  rendre  pire  par, 
les  additions  qu'on  a  été  contraint  d'y  faire. 

Il  n'est  pas  aisé  de  savoir  précisément  en  quel  état  étoit  la  musique 
quand  Gui  d'Arezze'  s'avisa  de  supprimer  tous  les  caractères  qu'on  y  em- 
ployoit,  pour  leur  substituer  les  notes  qui  sont  en  usage  aujourd'hui. 
Ce  qu'il  y  a  de  vraisemblable,  c'est  que  ces  premiers  caractères  étoient 
les  mêmes  avec  lesquels  les  anciens  Grecs  exprimoient  cette  musique 
merveilleuse  ,  de  laquelle ,  quoi  qu'on  en  dise ,  la  nôtre  n'approchera  ja- 
ïflais  quant  à  ses  effets;  et  ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que  Gui  rendit  un 
fort  mauvais  service  à  la  musique,  et  qu'il  est  fâcheux  pour  nous  qu'il 
n'ait  pas  trouvé  en  son  chemin  des  musiciens  aussi  indociles  que  ceux 
d'aujourd'hui. 

Il  n'est  pas  douteux  que  les  lettres  de  Talphabet  des  Grecs  ne  fussent 
en  même  temps  les  caractères  de  leur  musique  et  les  chiffres  de  leur 

I.  Soil  Gui  d'Arezze,  soil  Jean  de  Mure,  le  nom  de  l'auteur  ne  fait  rien  au 
•  système;  et  je  no  parle  du  premier  que  parce  qu'il  est  plus  connu. 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  267 

irillimétique  :  de  sorte  qu'ils  n'avoient  besoin  que  d'une  seule  espèce 
désignes,  en  tout  au  nombre  de  vingt-quatre,  pour  exprimer  toutes 
es  variations  du  discours  ,  tous  les  rapports  des  nombres  ,  et  toutes  les 
-^mbinaisons  des  sons;  en  quoi  ils  étoient  bien  plus  sages  ou  plus  heu- 
eux  que  nous,  qui  sommes  contraints  de  travailler  notre  imaginatioo- 
;ur  une  multitude  de  signes  inutilement  diversifiés. 

Mais,  pour  ne  m'arrêler  qu'à  ce  qui  regarde  mon  sujet,  comment  se 
leul-il  qu'on  ne  s'aperçoive  point  de  cette  foule  de  difficultés  qi-e 
'usage  des  notes  a  introduites  dans  la  musique;  ou  que,  s'en  aperce- 
ant,  on  n'ait  pas  le  courage  d'en  tenter  le  remède,  d'essayer  de  la  ra> 
nener  à  sa  première  simplicité,  et  en  un  mot,  de  faire  pour  sa  per- 
ection  ce  que  Gui  d'Arezze  a  fait  pour  la  gâter?  car,  en  vérité,  c'est 
e  root ,  et  je  le  dis  malgré  moi. 

J'ai  voulu  chercher  les  raisons  dont  cet  auteur  dut  se  servir  pouf 
'aire  abolir  l'ancien  système  en  faveur  du  sien,  et  je  n'en  ai  jamais  pu 
rouver  d'autres  que  les  deux  suivantes  :  1.  les  notes  sont  plus  appa- 
•entes  que  les  chiffres;  2.  et  leur  position  exprime  mieux  à  la  vue  la- 
lauteur  et  l'abaissement  des  sons.  Voilà  donc  les  seuls  principes  sur 
esquels  notre  Arélin  bâtit  un  nouveau  système  de  musique,  anéantit 
oute  celle  qui  étoit  en  usage  depuis  deux  mille  ans,  et  apprit  aux. 
lomraes  à  chanter  dilTicilement. 

Pour  trouver  si  Gui  raisonnoit  juste,  même  en  admettant  la  vérité  de- 
;es  deux  propositions,  la  question  se  réduiroit  à  savoir  si  les  yeux  dol- 
ent être  ménagés  aux  dépens  de  l'esprit,  et  si  la  perfection  d'une  mé- 
hode  consiste  à  en  rendre  les  signes  plus  sensibles  en  les  rendant  plus 
îml)arrassans,  car  c'est  précisément  le  cas  de  la  sienne. 

Mais  nous  sommes  dispensés  d'entrer  là-dessus  en  discussion  :  puisque 
;es  dei^x  propositions  étant  également  fausses  et  ridicules,  elles  n'ont- 
amais  pu  servir  de  fondement  qu'à  un  très-mauvais  système. 

En  premier  lieu,  on  voit  d'abord  que  les  notes  de  la  musique  rem- 
ilissant  beaucoup  plus  de  place  que  les  chiffres  auxquels  on  les  sub- 
ititue,  on  peut,  en  faisant  ces  chiffres  beaucoup  plus  gros,  les  rendre 
lu  moins  aussi  visibles  que  les  notes,  sans  occuper  plus  de  volume  :  on 
•oit.  de  plus,  que  la  musique  notée  ayant  des  points,  des  quarts  de- 
;oui)ir ,  des  lignes  ,  des  clefs ,  des  dièses ,  et  d'autres  signes  nécessaires , 
lUtant  et  plus  menus  que  les  chiffres,  c'est  par  ces  signes-là,  et  non 
)ar  la  grosseur  des  notes,  qu'il  laut  déterminer  le  point  de  vue. 

En  second  lieu.  Gui  ne  devoil  pas  faire  sonner  si  haut  l'utilité  de  la 
position  des  notes,  puisque,  sans  parler  de  cette  foule  d'inconvénient 
lont  elle  est  la  cause,  l'avantage  qu'elle  procure  se  trouve  déjà  tout 
ifitier  dans  la  musique  naturelle,  c'est-à-dire  dans  la  musique  par 
•.hiffres  :  on  y  voit  du  premier  coup  d'œil,  de  même  qu'à  l'autre,  si  un 
iOn  est  plus  haut  ou  plus  bas  que  celui  qui  le  jirécede  ou  que  celui  qui 
e  suit;  avec  cette  différence  seulement,  que,  dans  la  méthode  des 
;hiffres,  l'intervalle  ou  le  rapport  des  deux  sons  qui  le  composent  est 
)récisémenl  connu  par  la  seule  inspection,  au  lieu  que,  dans  la  mu- 
sique ordinaire,  vous  connoissez  à  l'œil  qu'il  faut  monter  ou  descen- 
Ire,  et  vous  ne  connoissez  rien  de  plus. 


268  DISSERTATION 

On  ne  sauroit  croire  quelle  application,  quelle  persévérance,  quel! 
adroile  mécanique  est  nécessaire  dans  le  système  établi  pour  acqué.i 
passablement  la  science  des  intervalles  et  des  rapports  :  c'est  l'ouvrag 
pénible  d'une  habitude  toujours  trop  longue  et  jamais  assez  étendue 
puisque,  après  une  pratique  de  quinze  et  vingt  ans,  le  musicien  trouv 
encore  des  sauts  qui  l'embarrassent,  non-seulement  quant  à  l'intoiia 
tion,  mais  encore  quant  à  la  connoissance  de  l'intervalle,  surtout  lors 
qu'il  est  question  de  sauter  d'une  clef  à  l'autre.  Cet  article  mérite  d'étr 
approfondi ,  et  j'en  parlerai  plus  au  long. 

Le  système  de  Gui  est  tout  à  fait  comparable,  quanta  son  idée, 
celui  d'un  homme  qui,  ayant  fait  réflexion  que  les  chiffres  n'ont  rie 
dans  leurs  figures  qui  réponde  à  leurs  différentes  valeurs,  proposeroi 
d'établir  entre  eux  une  certaine  grosseur  relative  et  proportionnel! 
aux  nombres  qu'ils  expriment.  Le  deux  ,  par  exemple  ,  seroit  du  doubl 
plus  gros  que  l'unité,  le  trois  de  la  moitié  plus  gros  que  le  deux,  e 
akisi  de  suite.  Les  défenseurs  de  ce  système  ne  manqueroient  pa 
de  vo"us  prouver  qu'il  est  très-avantageux  dans  l'arithmétique  d'avoi 
sous  les  yeux  des  caractères  uniformes  qui ,  sans  aucune  différence  pa 
la  figure,  n'en  auroient  que  par  la  grandeur,  et  peindroient  en  quelqu 
sorte  aux  yeux  les  rapports  dont  ils  seroient  l'expression.  \\ 

Au  reste,  cette  connoissance  oculaire  des  hauts,  des  bas  et  des  in| 
tervalles,  est  si  nécessaire  dans  la  musique,  qu'il  n'y  a  personne  qi 
ne  sente  le  ridicule  de  certains  projets  qui  ont  été  quelquefois  donne 
pour  noter  sur  une  seule  ligne  par  les  caractères  les  plus  bizarres ,  le; 
plus  mal  imaginés,  et  les  moins  analogues  à  leur  signification;  de 
queues  tournées  à  droite,  à  gauche,  en  haut,  en  bas,  et  de  biais,  dar 
tous  les  sens,  pour  représenter  des  ut,  des  ré ,  des  mi,  etc. ,  des  tête 
et  des  queues  différemment  situées  pour  répondre  aux  dénominatior 
pa,  ra,  ga,  so,bo,  lo ,  do,  ou  d'autres  signes  tout  aussi  singulière 
ment  appliqués.  On  sent  d'abord  que  tout  cela  ne  dit  rien  aux  yeux  i 
n'a  nul  rapport  à  ce  qu'il  doit  signifier;  et  j'ose  dire  que  les  hommes  r 
trouveront  jamais  de  caractères  convenables  ni  naturels  que  les  seu 
chiffres  pour  exprimer  les  sons  et  tous  leurs  rapports.  On  en  connoîti 
mille  fois  les  raisons  dans  le  cours  de  celte  lecture  :  en  attendant, 
suffit  de  remarquer  que  les  chiffres  étant  l'expression  qu'on  a  donnt' 
aux  nombres,  et  les  nombres  eux-mêmes  étant  les  exposans  de  la  génij 
ration  des  sons,  rien  n'est  si  naturel  que  l'expression  des  divers  soi! 
]iar  les  chiffres  de  l'arithmétique.  ! 

11  ne  faut  donc  pas  être  surpris  qu'on  ait  tenté  quelquefois  de  rami} 
ner  la  musique  à  cette  expression  naturelle.  Pour  peu  qu'on  réfléchis;! 
sur  cet  art,  non  en  musicien,  mais  en  philosophe,  on  en  sent  bient 
les  défauts  :  l'on  sent  encore  que  ces  défauts  sont  inhérens  au  for' 
même  du  système  et  dépendans  uniquement  du  mauvais  choix  et  n(S 
pas  du  mauvais  usage  de  ces  caractères;  car  d'ailleurs  on  ne  saurcj 
disconvenir  qu'une  longue  pratique,  suppléant  en  cela  au  raisonni 
ment,  ne  nous  ait  appris  à  les  combiner  de  la  manière  la  plus  avant 
geuse  qu'ils  peuvent  l'être. 

Enfin  le  raisonnement  nous  mène  encore  jusqu'à  connoi'.is  sensib!' 


SUR   LA  MUSIQUE  MODERNE.  269 

nent  que  la  musique  dépendant  des  nombres,  elle  devroit  avoir  la 
nême  expression  qu'eux;  nécesbité  qui  ne  naît  pas  seulement  d'une 
;ertaine  convenance  générale,  mais  du  fond  même  des  principes  phy- 
•iques  de  cet  art. 

Quand  on  est  une  fois  parvenu  là  par  une  suite  de  raisonnemens  bien 
ondes  et  bien  conséquens,  c'est  alors  qu'il  faut  f,u'tter  la  philosophie 
:t  redevenir  musicien;  et  c'est  justement  ce  que  n'a  fait  aucun  de  ceux 
[ui,  jusqu'à  présent,  ont  proposé  .des  systèmes  en  ce  genre.  Les  uns, 
lartant  quelquefois  d'une  théorie  très-fine  ,  n'ont  jamais  su  venir  à  bout 
le  la  ramener  à  l'usage  ;  et  les  autres,  n'embrassant  proprement  que  la 
mécanique  de  leur  art,  n'ont  pu  remonter  jusqu'aux  grands  principes 
lu'ils  ne  connoissoient  pas,  et  d'où  cependant  il  faut  nécessairement 
iartir  pour  embrasser  un  système  lié.  Le  défaut  de  pratique  dans  les 
ms,  le  défaut  de  théorie  dans  les  autres,  et  peut-être,  s'il  faut  le  dire, 
e  défaut  de  génie  dans  tous,  ont  fait  que,  jusqu'à  présent,  aucun  des 
)rojets  qu'on  a  publiés  n'a  remédié  aux  inconvéniens  de  la  musique  or- 
linaire,  en  conservant  ses  avantages. 

Ce  n'est  pas  qu'il  se  trouve  une  grande  difficulté  dans  l'expression  des 
ons  par  les  chifl'res,  puisqu'on  pourroit  toujours  les  représenter  en 
lombre,  ou  par  les  degrés  de  leurs  intervalles,  ou  par  les  rapports  de 
eurs  vibrations;  mais  l'embarras  d'employer  une  certaine  multitude  de 
;hifl"res  sans  ramener  les  inconvéniens  de  la  musique  ordinaire,  et  le 
)esoin  de  fixer  le  genre  et  la  progression  des  sons  par  rapport  à  tous  les 
iifférens  modes,  demandent  plus  d'attenlian  qu'il  ne  paroît  d'abord: 
;ar  la  question  est  proprement  de  trouver  une  méthode  générale  pour 
•eprésenter,  avec  un  très-petit  nombre  de  caractères,  tous  les  sons  de 
a  musique  considérés  dans  chacun  des  vingt-quatre  modes. 

Mais  la  grande  difficulté  où  tous  les  inventeurs  de  systèmes  ont  échoué , 
î'est  celle  de  l'expression  des  différentes  durées  des  silences  et  des  sons. 
Trompés  par  les  fausses  règles  de  la  musique  ordinaire,  ils  n'ont  jamais 
ju  s'élever  au-dessus  de  l'idée  des  rondes,  des  noires  et  des  croches;  ils 
se  sont  rendus  les  esclaves  de  cette  mécanique,  ils  ont  adopté  les  mau- 
/aises  relations  qu'elle  établit.  Ainsi ,  pour  donner  aux  notes  des  valeurs 
iéterminées,  il  a  fallu  inventer  de  nouveaux  signes,  introduire  dans 
îhaque  note  une  complication  de  figures  par  rapport  à  la  durée  et  par 
•apport  au  son;  d'où  s'ensuivant  des  inconvéniens  que  n'a  pas  la  mu- 
ique  ordinaire,  c'est  avec  raison  que  toutes  ces  méthodes  sont  tombées 
ians  le  décri.  Mais  enfin  les  défauts  de  cet  art  n'en  subsistent  pas  moins , 
pour  avoir  été  comparés  avec  des  défauts  plus  grands;  et,  quand  on 
publieroit  encore  mille  méthodes  plus  mauvaises,  on  en  seroit  toujours 
iu  même  point  de  la  question  ,  et  tout  cela  ne  rendroit  pas  plus  parfaite 
selle  que  nous  pratiquons  aujourd'hui. 

Tout  le  monde  ,  excepté  les  artistes ,  ne  cesse  de  se  plaindre  de  l'ex- 
Irême  longueur  qu'exige  l'étude  de  la  musique  avant  que  de  la  posséder 
jpassablement  ;  mais ,  comme  la  musique  est  une  des  sciences  sur  lesquelles 
i. on  a  le  moins  réfléchi,  soit  que  le  plaisir  qu'on  y  prend  nuise  au  sang- 
froid  nécessaire  pour  méditer,  soit  que  ceux  qui  la  pratiquent  ne  soient 
pas  trop  communément  gens  à  réflexion  ,  on  ne  s'est  guère  aviséjusqu'ir.i 


270  DISSERTATION 

de  rechercher  les  véritables  causes  de  sa  difficulté,  et  l'on  a  Injustement 
taxé  l'art  même  des  défauts  que  l'artiste  y  avoit  introduits. 

On  sent  bien ,  à  la  vérité  ,  que  cette  quantité  de  lignes ,  de  clefs ,  de  trans- 
positions, de  dièses,  de  bémols,  de  bécarres,  de  mesures  simples  et  com- 
posées, de  rondes,  de  blanches,  de  noires,  de  croches,  de  doubles,  de 
triples  croches,  de  pauses,  de  demi-pauses,  de  soupirs,  de  demi-sou- 
pirs, de  quarts  de  soupir,  etc.,  donne  une  foule  de  signes  et  de  com- 
binaisons d'où  résultent  bien  de  l'embarras  et  bien  des  inconvéniens. 
Mais  quels  sont  précisément  ces  inconvéniens?  Naissent-ils  directement 
de  la  musique  elle-même,  ou  de  la  mauvaise  manière  de  l'exprimer? 
Sont-ils  susceptibles  de  corrections?  et  quels  sont  les  remèdes  conve- 
nables ([u'on  y  pourroit  apporter?  11  est  rare  qu'on  pousse  l'examen 
jusque-là;  et,  après  avoir  eu  la  patience  pendant  des  années  entières  de 
s'emplir  lu  tète  de  sons  et  la  mémoire  de  verbiage,  il  arrive  souvent 
qu"on  est  tout  étonné  de  ne  rien  concevoir  à  tout  cela,  qu'on  prend  en 
dégoût  la  musique  et  le  musicien ,  et  qu'on  laisse  là  l'un  et  l'autre ,  plus 
convaincu  de  l'ennuyeuse  difficulté  de  cet  art  que  de  ses  charmes  si 
vaniés. 

J'entreprends  de  justifier  la  musique  des  torts  dont  on  l'accuse  ,  et  de 
montrer  qu'on  peut,  par  des  routes  plus  courtes  et  plus  faciles,  par- 
venir à  la  posséder  plus  parfaitement  et  avec  plus  d'intelligence  que 
par  la  méthode  ordinaire,  afin  que,  si  le  public  persiste  à  vouloir  s'y 
tenir,  il  ne  s'en  prenne  du  moins  qu'à  lui-même  des  difficultés  qu'il  y 
trouvera. 

Sans  vouloir  entrer  ici  dans  le  détail  de  tous  les  défauts  du  système 
établi,  j'aurai  cependant  occasion  de  parler  des  plus  considérables;  et  il 
sera  bon  d'y  remarquer  toujours  que  ces  inconvéniens  étant  des  suites 
nécessaires  du  fond  même  de  la  méthode,  il  est  absolument  impossible 
de  les  corriger  autrement  que  par  une  refonte  générale,  telle  que  je  h 
propose;  il  reste  à  examiner  si  mon  système  remédie  en  etiet  à  tous  ce 
<léfauts  sans  en  introduire  d'équivalens,  et  c'est  à  cet  examen  que  ci 
petit  ouvrage  est  destiné. 

En  général ,  on  peut  réduire  tous  les  vices  de  la  musique  ordinain 
à  trois  classes  principales.  La  première  est  la  multitude  des  signes  e 
de  leurs  combinaisons,  qui  surchargent  inutilement  l'esprit  et  la  mé 
moire  des  commençans;  de  façon  que,  l'oreille  étant  formée  et  le 
organes  ayant  acquis  toute  la  facilité  nécessaire  longtemps  avant  qu'o: 
soit  en  état  de  chanter  à  livre  ouvert,  il  s'ensuit  que  la  difficulté  es 
toute  dans  l'observation  des  règles,  et  nullement  dans  l'exécution  d 
chant.  La  seconde  est  le  défaut  d'évidence  dans  le  genre  des  intervalle 
exprimés  sur  la  même  ou  sur  difi'érentes  clefs;  défaut  d'une  si  grand 
étendue,  que  non-seulement  il  est  la  cause  principale  de  la  lenteur  d 
progrès  des  écoliers,  mais  encore  qu'il  n'est  point  de  musicien  form 
qui  n'en  soit  quelquefois  incommodé  dans  l'exécution.  La  troisièm 
enfin  est  l'extrême  diffusion  des  caractères  et  le  trop  grand  volum 
qu'ils  occupent;  ce  qui,  joint  à  ces  lignes  et  à  ces  portées  si  ennuyeuat 
à  tracer,  devient  une  source  d'embairas  de  plus  d'une  espèce.  Si  le  pw 
mier  mérite  des  signes  d'institution  est  d'être  clairs,  le  second  est  d'êti' 


SUR  L.\  MUSIQUE  MODERNE.  î>71 

concis  :  quel  jugement  doit-on  porter  des  notes  de  notre  musique  ,  à  qui 
l'un  et  l'autre  manquent  ? 

Il  paroît  d'abord  assez  difficile  de  trouver  une  méthode  qui  puisse 
lemédier  à  tous  ces  inconvéniens  à  la  fois.  Comment  donner  plus  d'évi- 
dence à  nos  signes ,  sans  les  augmenter  en  nombre ,  et  comment  les  aug- 
menter en  nombre  sans  les  rendre  d'un  côté  plus  longs  à  apprendre ,  plus 
4ifficiles  à  retenir,  et  de  l'autre  plus  étendus  dans  leur  volume? 

Cependant,  à  considérer  la  chose  de  près,  on  sent  bientôt  que  tous 
ces  défauts  partent  de  la  même  source;  savoir,  de  la  mauvaise  institu- 
tion des  signes  et  de  la  quantité  qu'il  en  a  fallu  établir  pour  suppléer  à 
l'expression  bornée  et  mal  entendue  qu'on  leur  a  donnée  en  premier 
lieu;  et  il  e<t  démonstratif  que  dès  qu'on  aura  inventé  des  signes  équi- 
valens,  mais  plus  simples  et  en  moindre  quantité,  ils  auront  par  là 
même  plus  de  précision ,  et  pourront  exprimer  autant  de  choses  en  moins 
d'espace. 

Il  seroit  avantageux,  outre  cela,  que  ces  signes  fussent  déjà  connus, 
afin  que  l'attention  fût  moins  partagée,  et  faciles  à  figurer,  afin  de 
rendre  la  musique  plus  commode. 

Voilà  les  vues  que  je  me  suis  proposées  en  méditant  le  système  que  je 
présente  au  public.  Comme  je  destine  un  autre  ouvrage  au  détail  de  ma 
méttiode,  telle  qu'elle  doit  être  enseignée  aux  écoliers,  on  n'en  trou- 
vera ici  qu'un  plan  général,  qui  suffira  pour  en  donner  la  parfaite  In- 
tel.igence  aux  personnes  qui  cultivent  actuellement  la  musique ,  et  dans 
lequel  j'espère,  malgré  sa  brièveté,  que  la  simplicité  de  mes  principes 
ne  donnera  lieu  ni  à  l'obscurité  ni  à  l'équivoque. 

Il  faut  d'abord  considérer  dans  la  musique  deux  objets  principaux 
chacun  séparément  :  le  premier  doit  être  l'expression  de  tous  les  sons 
possibles  :  et  l'autre  ,  celle  de  toutes  les  différentes  durées ,  tant  des  sons 
5ue  de  leurs  silences  relatifs,  ce  qui  comprend  aussi  la  différence  des 
mouvemens. 

,  Comme  la  musique  n'est  qu'un  enchaînement  de  sons  qui  se  font 
ntendre.  ou  tous  ensemble,  ou  successivement,  il  suffit  que  tous  c;s 
,5ons  aient  des  expressions  relatives  qui  leur  assignent  a  chacun  la  place 
qu'il  doit  occupei  par  i  apport  à  un  certain  son  fondamental  naturel  ou 
irbitraire,  pourvu  que  ce  son  fo  idaiiiental  soit  nettement  exprimé,  et 
|ue  la  relation  soit  facile  à  concoître;  avantages  que  n'a  déjà  point  la 
nusique  ordinaire,  où  le  son  foLdamental  n'a  nulle  éviùence  parti- 
;ul:è  e,  el  où  tous  les  rapports  des  notes  ont  besoin  d'être  longtemps 
itudies. 

Mais  comment  faut-il  procéder  pour  déterminer  ce  son  fondamental 
le  la  manière  la  plus  avantageuse  qu'il  est  possible?  C'est  d'abord  une 
[ueition  qui  mérite  fort  d'être  examinée.  On  voit  déjà  qu'il  n'est  aucun 
«n  dans  la  nature  qui  contienne  quelque  propriété  particulière  et 
;onnue  par  laquelle  on  puisse  le  distinguer  toutes  les  fois  qu'on  l'en- 
,endra.  Vous  ne  sauriez  décider  sur  un  son  unique  que  ce  soit  un  ut 
Int'A  qu'un  Za  ou  un  ré;  et  tant  que  vous  l'entendiez  seul  vous  n'y 
J)ouvez  rien  apercevoir  qui  vous  doive  engager  à  lui  attribuer  un  nom 
plutôt  qu'un  autre.  C'est  ce  qu'avoit  déjà  remarqué  M.  de  Mairan.  il  n'y 


272  DISSERTATION 

a ,  ilit-il,  dans  la  nature  ni  ut  ni  sol  qui  soit  quinte  ou  quarte  par  si 
même ,  parce  que  ut ,  sol  ou  ré  n'existent  qu'hypothétiquement  selon 
son  fondamental  que  l'on  a  adopté.  La  sensation  de  chacun  des  tonsn' 
rien  en  soi  de  propre  à  la  place  qu'il  tient  dans  l'étendue  du  clavier, 
rien  qui  le  distingue  des  autres  pris  séparcment.  Le  ré  de  l'Opéra  pour- 
Toit  êire  lut  de  ctiapelle,  ou  au  contraire-,  la  même  vitesse,  la  même 
fréquence  de  vibration  qui  constitue  l'un  pourra  servir,  quand  on  vou- 
dra, à  constituer  l'autre;  ils  ne  diffèrent  dans  le  sentiment  qu'en  qua- 
lité de  plus  haut  ou  de  plus  bas,  comme  huit  vibrations,  par  exemple, 
différent  de  neuf,  et  non  pas  dune  différence  spécifique  de  sensation. 

Voilà  donc  tous  les  sons  imaginables  réduits  à  la  seule  faculté  d'ex- 
citer les  sensations  parles  vibrations  qui  les  produisent,  et  la  propriété 
spécifique  de  chacun  d'eux  réduite  au  nimbre  particulier  de  ces  vibra- 
tions pendant  un  temps  déterminé;  or,  comme  il  est  impossible  de 
compter  ces  vibrations,  du  moins  d'une  manière  directe,  il  reste  dé- 
montré qu'on  ne  peut  trouver  dans  les  sons  aucune  propriété  spécifique 
par  laquelle  on  les  puisse  reconnoître  séparément,  et  à  plus  forte  raison 
■  qu'il  n'y  a  aucun  d'eux  qui  mérite,  par  préférence,  d'être  distingué 
de  tous  les  autres  et  de  servir  de  fondement  aux  rapports  qu'ils  ont 
entre  eux. 

Il  est  vrai  que  M.  Sauveur  avoit  proposé  un  moyen  de  déterminer  un 
son  fixe  qui  eût  servi  de  base  à  tous  les  Ions  de  l'échelle  générale:  mais 
ses  raisonnernens  mêmes  prouvent  qu'il  n'est  point  de  son  fixe  dans  la 
nature:  et  l'artifice  très-ingénieux  et  très-impraticable  qu'il  imagina 
pour  en  trouver  un  arbitraire  prouve  encore  combien  il  y  a  loin  des 
hypothèses,  ou  même,  si  l'on  veut,  des  vérités  de  spéculation,  aux 
simples  règles  de  pratique. 

Voyons  cependant  si,  en  épiant  la  nature  de  plus  près,  nous  ne 
pourrons  point  nous  dispenser  de  recourir  à  Fart  pour  établir  un  ou 
plusieurs  sons  fondamentaux  qui  puissent  nous  servir  de  principe  de 
comparaison  pour  y  rapporter  tous  les  autres. 

D'abord ,  comme  nous  ne  travaillons  que  pour  la  pratique ,  dans  la 
recherche  des  sons,  nous  ne  parlerons  que  de  ceux  qui  composent  le 
système  tempéré,  tel  qu'il  est  universellement  adopté,  comptant  pour 
rien  ceux  qui  n'entrent  point  dans  la  pratique  de  notre  musique,  et 
considérant  comme  justes  sans  exception  tous  les  accords  qui  résultent 
du  tempérament.  On  verra  bientôt  que  celte  supposition,  qui  est  la 
même  qu'on  admet  dans  la  musique  ordinaire,  n'ôtera  rien  à  la  va- 
riété que  le  système  tempéré  introduit  dans  l'effet  des  différentes  mo- 
dulations. 

En  adoptant  donc  la  suite  de  tous  les  sons  du  clavier,  telle  quelle 
est  pratiquée  sur  les  orgues  et  les  clavecins ,  l'expérience  m'apprend 
qu'un  certain  son  auquel  on  a  donné  le  nom  d'ut ,  rendu  par  un  tuyau- 
long  de  seize  pieds ,  ouvert ,  fait  entendre  assez  distinctement ,  outre  le 
Bon  principal,  deux  autres  sons  plus  foibles,  l'un  à  la  tierce  majeure. 
et  l'autre  à  la  quinte',  auxquels  on  a  donné  les  noms  de  mi  et  de  soî, 

4.  C'csl-à-dire  à  la  douzième,  qui  est  la  réplique  de  la  quinte,  et  à  la  diT- 


SUR  LA  ÏIUSIQUE  MODERNE.  273 

J'écris  à  part  ces  trois  noms  :  et ,  cherchant  uu  tuyau  à  la  quinte  du  pre- 
mier qui  rende  le  même  son  que  je  viens  d'appeler  sol  ou  son  oclave , 
j'en  trouve  un  de  dix  pieds  huit  pouces  de  longueur,  le(]uel,  outre  le 
son  principal  sol,  en  rend  aussi  deux  autres,  mais  plus  foiblement:  je 
les  appelle  si  et  ré.  et  je  trouve  qu'ils  sont  précisément  en  même  rap- 
port avec  le  sol,  que  le  sol  et  le  mi  l'étoient  avec  l'ut;  je  les  écris  à  la 
suite  des  autres,  omettant  comme  inutile  d'écrire  le  sol  une  seconde 
fois.  Cherchant  un  troisième  tuyau  à  l'unisson  de  la  quinte  ré ,  je  trouve 
qu'il  rend  encore  deux  autres  sons,  outre  le  son  principal  re,  et  tou- 
jours en  même  proportion  que  les  précédens;  je  les  appelle /"a et  la'. 
et  je  les  écris  encore  à  la  suite  des  précédens.  En  continuant  de  même 
sur  le  la  .  je  trouverois  encore  deux  autres  sons  :  mais ,  comme  j'aperçois 
que  la  quinte  est  ce  même  mi  qui  a  fait  la  tierce  du  premier  son  ut.  je 
m'arrête  là,  pour  ne  pas  redoubler  inutilement  mes  expéiiences,  et  j'ai 
les  sept  noms  suivans,  repondant  au  premier  son  ut  et  aux  six  autres 
que  j'ai  trouvés  de  deux  en  deux  : 

Ut ,  mi ,  sol ,  si ,  ré ,  fa ,  la. 

Rapprochant  ensuite  tous  ces  sons  par  octaves  dans  les  plus  petits 
intervalles  où  je  puis  les  placer,  je  les  trouve  rangés  de  celte  sorte  : 

Ut,  ré.  vii.  fa,  sol,  la.  si. 

Et  ces  sept  notes  ainsi  rangées  indiquent  justement  le  progrès  diato- 
nique aflecté  au  mode  majeur  par  la  nature  même  :  or,  comme  le  pre- 
mier son  uf  a  servi  de  principe  et  de  base  à  tous  les  autres ,  nous  le 
prendrons  pour  ce  son  fondamental  que  nous  avions  cherché  ,  parce  qu'il 
est  hien  réellement  la  source  et  l'origine  d'où  sont  émanés  tous  ceux 
qui  le  suivent.  Parcouiir  ainsi  tous  les  sons  de  cette  échelle,  en  com- 
mençant et  finissant  par  le  son  fondamental ,  et  en  préférant  toujours 
les  premiers  engendrés  aux  derniers,  c'est  ce  qu'on  appelle  moduler 
dans  le  ton  d'ut  majeur,  et  c'est  là  proprement  la  gamme  fondamentale, 
qu'on  est  convenu  J-appeler  naturelle  préférablement  aux  autres,  et  qui 
sert  de  règle  de  comparaison  pour  y  conformer  les  sons  fondamentaux 
de  tous  les  tons  praticables.  Au  reste,  il  est  bien  évident  qu'en  prenant 
le  son  rendu  par  tout  autre  tuyau  pour  le  son  fondamental  ut ,  nous  se- 
rions parvenus  par  des  sons  différens  à  une  progression  toute  sembla- 

seplième,  qui  est  la  duplique  de  la  tierce  majeure.  L'ociave,  même  plusieurs 
octaves  s'entendent  aussi  assez  dislinclement,  et  s'enlendioieni  bien  mieux 
encore  si  l'oreille  ne  les  confondoil  quelquefois  avec  le  son  principal. 

K  Le  /a  qui  fait  la  tierce  majeure  du  re  se  trouve,  par  conséquent,  dièse 
dans  cette  progression;  et  il  faut  avouer  qu'il  n'est  pas  aisé  de  développer 
loi-igine  du /a  naturel  considéré  comme  quatrième  note  du  ton  :  mais  il  y 
luroit  làdcssus  des  observations  à  faire  qui  nous  mèneroient  loin,  el  qui  ne 
SiToienlpas  pro[iresà  cet  ouvrage.  Au  reste,  nous  devons  d'autant  moins  nous 
arrêter  à  cette  légère  exce|jtion,  qu'on  peut  démonirer  que  le  /«  naturel  ne 
siiuroil  être,  traité  dans  le  ton  d'ut  que  comme  dissonance  ou  préparation  à  la 
dissonance. 


274  DISSERTATION 

ble ,  et  que  par  conséquent  ce  choix  n'est  quo  de  pure  convention,  et 
tout  aussi  arbitraire  que  celui  d'un  tel  ou  tel  méridien  pour  déterminer 
les  degrés  de  longitude. 

Il  suit  de  là  que  ce  que  nous  avons  fait  en  prenant  ut  pour  base  de  ', 
notre  opération  ,  nous  le  pouvons  faire  de  même  en  commençant  par  un 
des  dix  sons  qui  le  suivent,  à  notre  choix,  et  qu'appelant  ut  ce  nouveau 
son  fondamental,  nous  arriverons  à  la  même  progression  que  ci-devant, 
cl   nous  trouverons  tout  de  nouveau  : 

Ut ,  ré,  mi,  fa,  sol ,  la ,  si; 

avec  cette  unique  différence ,  que  ces  derniers  sons  étant  placés  à  ^éga^l^ 
de  leur  son  fondamental  de  la  même  manière  que  les  précédens  l'étoient 
à  l'égard  du  leur,  et  ces  deux  sons  fondamentaux  étant  pris  sur  diffe- 
rens  tuyaux,  il  s'ensuit  que  leurs  sons  correspondans  sont  aussi  ren- 
dus par  différens  tuyaux,  et  que  le  premier  ut,  par  exemple,  n'étani 
pas  le  même  que  le  second,  le  premier  ré  n'est  pas  non  plus  le  même 
que  le  second. 

A  présent,  l'un  de  ces  deux  tons  étant  pris  pour  le  naturel,  si  vous-  'A 
voulez  savoir  ce  que  les  différens  sons  du  second  sont  à  l'égard  du  ^ 
premier,  vous  n'avez  qu'à  chercher  à  quel  son  naturel  du  premier  loa 
se  rapporte  le  fondamental  du  second  ,  et  le  même  rapport  subsistera 
toujours  entre  les  sons  de  même  dénomination  de  l'un  et  de  l'autre- 
ton  dans  les  octaves  correspondantes.  Supposant,  par  exemple,  que- 
Yut  du  second  ton  soit  un  sol  au.  naturel,  c'est-à-dire  à  la  quinte  de- 
l'ut  naturel,  le  ré  du  second  ton  sera  sûrement  un  la  naturel,  c'esl- 
à-dire  la  quinte  du  ré  naturel;  le  mi  sera  un  si,  le  fo-un  w(,  etc.: 
et  alors  on  dira  qu'on  est  au  ton  majeur  de  sol,  c'est-à-dire  qu'on  a 
pris  le  sol  naturel  pour  en  faire  le  son  fondamental  d'un  autre  ton 
majeur. 

Mais  si,  au  lieu  de  m'arrèter  en  la  dans  l'expérience  des  trois  sons 
rendus  par  chaque  tuyau ,  j'avois  continué  ma  progression  de  quinte  en 
quinte  jusqu'à  me  retrouver  au  premier  ut  d'où  j'étois  parti  d'abord  ,  ou 
à  l'une  de  ses  octaves,  alors  j'aurois  passé  par  cinq  nouveaux  sons 
altérés  des  premiers,  lesquels  font  avec  eux  la  somme  de  douze  sons 
différens  renfermés  dans  l'étendue  de  l'oclave,  et  faisant  ensemble  ce 
qu'on  appelle  les  douze  cordes  du  système  chromatique. 

Ces  douze  sons,  répliqués  à  différentes  octaves,  font  toute  l'étendue 
de  l'échelle  générale  ,  sans  qu'il  puisse  jamais  s'en  présenter  aucun  au- 
tre, du  moins  dans  le  système  tempéré,  puisque,  après  avoir  parcouru 
de  quinte  en  quinte  tous  les  sons  que  les  tuyaux  faisoient  entendre  ,  je 
suis  arrivé  à  la  réplique  du  premier  par  lequel  j'avois  commencé, 
et  que  par  conséquent,  en  poursuivant  la  même  opération,  je  n'au- 
rois  jamais  que  les  répliques,  c'est-à-dire  les  octaves  des  sons  précé- 
dens. 

La  méthode  que  la  nature  m'a  indiquée ,  et  que  j'ai  suivie  pour  trou- 
ver la  génération  de  tous  les  ;  ons  pratiqués  dans  la  musique ,  m'apprend 
donc  en  premier  lieu,  non  pas  à  trouver  un  son  fondamental  propre- 
ment dit,  qui  n'iîxiste  point,  mais  à  tirer  d'un  son  établi  par  con- 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  275 

vention  tous  les  mêmes  avantages  qu'il  pourroit  avoir  s'il  étoit  réelle- 
ment fondamental ,  c'est-à-dire  à  en  faire  réellement  l'origine  et  1( 
générateur  de  tous  les  autres  sons  qui  sont  en  usage,  et  qui  n'y  peu- 
vent être  qu'en  conséquence  de  certains  rapports  déterminés  qu'ils  ont 
avec  lui ,  comme  les  touches  du  clavier  à  l'égard  du  C  sol  ut. 

Elle  m'apprend,  en  second  lieu,  qu'après  avoir  déterminé  le  rapport 
de  chacun  de  ces  sons  .avec  le  fondamental ,  on  peut  à  son  tour  le  con- 
sidérer comme  fondamental  lui-même,  puisque,  le  tuyau  qui  le  rend 
faisant  entendre  sa  tierce  majeure  et  sa  quinte  aussi  bien  que  le  fonda- 
mental, on  trouve,  en  partant  de  ce  son-là  comme  générateur,  une 
gamme  qui  ne  diffère  en  rien,  quant  à  sa  progression,  de  la  gamme 
établie  en  premier  lieu;  c'est-à-dire,  en  un  mot,  que  chaque  touche  du 
clavier  peut  et  doit  même  être  considérée  sous  deux  sens  tout  à  fait  dif- 
férens.  Suivant  le  premier,  cette  touche  représente  un  son  relatif  au 
C  sol  ut ,  et  qui ,  en  cette  qualité ,  s'appelle  ré ,  ou  mi  ,  ou  sol ,  etc. ,  se- 
lon qu'il  est  le  second,  le  troisième,  ou  le  cinquième  degré  de  l'octave 
renfermée  entre  deux  ut  naturels.  Suivant  le  second  sens,  elle  est  le 
fondement  d'un  ton  majeur,   et  alors  elle  doit  constamment  porter  le 
nom  d'M(;  et  toutes  les  autres  touches  ne  devant  être  considérées  que 
par  les  rapports  qu'elles  ont  avec  la  fondamentale,  c'est  ce  rapport  qui 
détermine  alors  le  nom  qu'elles  doivent  porter,  suivant  le  degré  qu'elles 
occupent.  Comme  l'octave  renferme  douze  sons,  il  faut  indiquer  celui 
qu'on  choisit,  et  alors  c'est  un  la  ou  un  ré ,  etc. ,  naturel;  cela  déter- 
mine le  son  :  mais  quand  il  faut  le  rendre  fondamental  et  y  fixer  le  ton , 
alors  c'est  constamment  un  m(,  et  cela  détermine  le  progrès. 
;        Il  résulte  de  cette  explication  que  chacun  des  douze  sons  de  l'octave 
ï    peut  être  fondamental  ou  relatif,  suivant  la  manière  dont  il  sera  em- 
'     ployé  :  avec  cette  distinction,  que  la  disposition  de  Vut  naturel  dans 
<     l'échelle  des  tons  le  rend  fondamental  naturellement,  mais  qu'il  peut 
>     toujours  devenir  relatif  à  tout  autre  son  que  l'on  voudra  choisir  pour 
J-    fondamental;  au  lieu  que  ces  autres  sons,  naturellement  relatifs  à 
celui  d'wf ,  ne  deviennent  fondamentaux  que  par  une  détermination  par- 
'     ticulière.  Au  reste,  il  est  évident  que  c'est  la  nature  même  qui  nous 
"     conduit  à  cette  distinction  de  fondement  et  de  rapports  dans  les  sons  : 
:    chaque  son  peut  être  fondamental  naturellement,  puisqu'il  fait  enten- 
■\._dre  ses  harmoniques,  c'est-à-dire  sa  tierce  majeure  et  sa  quinte,  qui 
;    sont  les  cordes  essentielles  du  ton  dont  il  est  le  fondement;  et  chaque 
l    son  peut  encore  être  naturellement  relatif,  puisqu'il  n'en  est  aucun  qui 
^-    ne  soit  une  des  harmoniques  ou  des  cordes  essentielles  d'un  autre  son 
[    fondamental ,  et  qui  n'en  puisse  être  engendré  en  cette  qualité.  On  verra 
l    dans  la  suite  pourquoi  j'ai  insisté  sur  ces  observations. 
L       Nous  avons  donc  douze  sons  qui  servent  de  fondemens  ou  de  toni- 
I   ques  aux  douze  tons  majeurs  pratiqués  dans  la  musique  ^  et  qui ,   en 
5".  cette  qualité ,  sont  parfaitement  semblables  quant  aux  modifications  qui 
*    résultent  de  chacun  d'eux,  traité  comme  fondamental.  A  l'égard  du 
mode  mineur,  il  ne  nous  est  point  indiqué  par  la  nature;  et  comme 
nous  ne  trouvons  aucun  son  qui  en  fasse  entendre  les  harmoniques, 
«ous  pouvons  concevoir  qu'il  n'a  point  de  son  fondamental  absolu,  et 


276  DISSERTATION 

qu'il  ne  petit  exister  qu'en  vertu  du  rapport  qu'il  a  avec  le  mode  ma- 
jeur dont  il  est  engendré,  comme  il  est  aisé  de  le  faire  voir  '. 

Le  premier  olijet  que  nous  devons  donc  nous  proposer  dans  l'institu- 
tion de  nos  nouveaux  signes,  c'est  d'en  imaginer  d'abord  un  qui  désigne 
ncUemenl,  dans  toutes  les  occasions,  la  corde  fondamentale  que  l'on 
prétend  établir,  et  le  rapport  qu'elle  a  avec  la  fondamentale  de  compa- 
raison, c'est-à-dire  avec  Vtit  naturel. 

Supposons  ce  signe  déjà  choisi.  La  fondamentale  étant  déterminée, 
il  s'agira  d'exprimer  tous  les  autres  sons  par  le  rapport  qu'ils  ont  avec 
elle,  car  c'est  elle  seule  qui  en  détermine  le  progrès  et  les  altérations. 
Ce  n'est  pas,  à  la  vérité,  ce  qu'on  pratique  dans  la  musique  ordinaire, 
où  les  sons  sont  exprimés  constamment  par  certains  noms  déterminés, 
qui  ont  un  rapport  direct  aux  touches  des  instrumens  et  à  la  gamme 
naturelle,  sans  égard  au  ton  où  l'on  est,  ni  à  la  fondamentale  qui  le  dé- 
termine. Mais  comme  il  est  ici  question  de  ce  qu'il  convient  le  mieux  de 
faire,  et  non  pas  de  ce  qu'on  fait  actuellement,  est -on  moins  en  droit 
de  rejeter  une  mauvaise  pratique,  si  je  fais  voir  que  celle  que  je  lui 
substitue  mérite  la  préférence,  qu'on  le  seroit  de  quitter  un  mauvais 
guide  pour  un  autre  qui  vous  montreroit  un  chemin  plus  commode  et 
plus  court?  et  ne  se  moqueroit-on  pas  du  premier,  s'il  vouloit  vous  con- 
traindre à  le  suivre  toujours,  par  cette  unique  raison  qu'il  vous  égare 
depuis  longtemps? 

Ces  considérations  nous  mènent  directement  au  choix  des  chiffres  pour 
exprimer  les  sons  de  la  musique,  puisque  les  chiffres  ne  marquent  que 
des  rapports ,  et  que  l'expression  des  sons  n'est  aussi  que  celle  des  rap- 
ports qu'ils  ont  entre  eux.  Aussi  avons-nous  déjà  remarqué  que  les  Grec 
ne  se  servoient  des  lettres  de  leur  alphabet  à  cet  usage ,  que  parce 
que  ces  lettres  étoient  en  même  temps  les  chiffres  de  leur  arithmétique; 
au  lieu  que  les  caractères  de  notre  alphabet,  ne  portant  point  commu- 
nément avec  eux  les  idées  de  nombres  ni  de  rapports ,  ne  seroient  pas , 
à  beaucoup  près ,  si  propres  à  les  exprimer. 

Il  ne  faut  pas  s'étonner  après  cela  si  l'on  a  tenté  si  souvent  de  substi- 
tuer les  chiflres  aux  notes  de  la  musique  :  c'étoit  assurément  le  service 
le  plus  important  que  l'on  eût  pu  rendre  à  cet  art,  si  ceux  qui  l'ont  en- 
trepris avoient  eu  la  patience  ou  les  lumières  nécessaires  pour  embras- 
ser un  système  général  dans  toute  son  étendue.  Le  grand  nombre  des 
tentatives  qu'on  a  faites  sur  ce  point  fait  voir  qu'on  sent  depuis  long- 
temps les  défauts  des  caractères  établis.  Mais  il  fait  voir  encore  qu'il  est 
bien  plus  aisé  de  les  apercevoir  que  de  les  corriger  :  faut- il  conclure 
de  là  que  la  chose  est  impossible  ? 

Nous  voilà  donc  déjà  déterminés  sur  le  choix  des  caractères  :  il  est 
question  maintenant  de  réfléchir  sur  la  meilleure  manière  de  les  appli- 
quer. Il  est  sûr  que  cela  demande  quelque  soin  :  car  s'il  n'étoit  question 
que  d'exprimer  tous  les  sons  par  autant  de  chiffres  différens  ,  il  n'y  au- 
roit  pas  là  grande  difficulté;  mais  aussi  n'y  auroit-il  pas  non  plus  grand 

i.  Voy.  M.  Rameau,  Nouveau  système,  p.  21  ;  et  Traité  de  Vkarmonigf 
p.  42  el  la 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  277 

mérite,  et  ce  seroit  ramener  dans  la  musique  une  confusion  encore  pire 
que  celle  qui  naît  de  la  position  des  notes. 

Pour  m'éloigner  le  moins  qu'il  est  possible  de  l'esprit  fie  la  méthode 
ordinaire,  je  ne  ferai  d'abord  attention  qu'au  clavier  naturel ,  c'est-à- 
dire  aux  touches  noires  de  l'orgue  et  du  clavecin,  réservant  pour  les 
autres  des  signes  d'altération  semblables  à  ceux  qui  se  pratiquent  com- 
munément; ou  plutôt,  pour  me  fixer  par  une  idée  plus  universelle,  je 
considérerai  seulement  le  progrès  et  le  rapport  des  sons  affectés  au  mode 
majeur,  faisant  abstraction  à  la  modulation  et  aux  changemens  de  ton, 
bien  sûr  qu'en  faisant  régulièrement  l'application  de  mes  caractères,  la 
fécondité  de  mon  principe  suffira  à  tout. 

De  plus,  comme  toute  l'étendue  du  clavier  n'est  qu'une  suite  de  plu- 
sieurs octaves  redoublées ,  je  me  contenterai  d'en  considérer  une  à  part , 
et  je  chercherai  ensuite  un  moyen  d'appliquer  successivement  à  toutes 
les  mêmes  caractères  que  j'aurai  affectés  aux  sons  de  celle-ci.  Par  là 
je  me  conformerai  à  la  fois  à  l'usage,  qui  donne  les  mêmes  noms  aux 
notes  correspondantes  des  différentes  octaves  ;  à  mon  oreille ,  qui  se  plaît 
à  en  confondre  les  sons;  à  la  raison,  qui  ma  fait  voir  les  mêmes  rap- 
ports multipliés  entre  les  nombres  qui  les  expriment;  et  enfin  je  corri- 
gerai un  des  grands  défauts  de  la  musique  ordinaire  ,  qui  est  d  anéantir 
par  une  position  vicieuse  l'analogie  et  la  ressemblance  qui  doit  toujours 
se  trouver  entre  les  difl"érentes  octaves. 

Il  y  a  deux  manières  de  considérer  les  sons  et  les  rapports  qu'ils  ont 
entre  eux  :  l'une,  par  leur  génération,  c'est-à-dire  par  les  diff"érentes 
longueurs  des  cordes  ou  des  tuyaux  qui  les  font  entendre;  et  l'autre, 
par  les  intervalles  qui  les  séparent  du  grave  à  l'aigu. 

A  l'égard  de  la  première ,  elle  ne  sauroit  être  de  nulle  conséquence 
dans  l'établissement  de  nos  signes,  soit  parce  qu'il  faudroit  de  trop 
grands  nombres  pour  les  exprimer,  soit  enfin  parce  que  de  tels  nom- 
bres ne  sont  de  nul  avantage  pour  la  facilité  de  l'intonation,  qui  doit 
être  ici  notre  grand  objet. 

Au  contraire  ,  la  seconde  manière  de  considérer  les  sons  par  leurs  in- 
tervalles renferme  un  nombre  infini  d'utilités  :  c'est  sur  elle  qu'est 
fondé  le  système  de  la  position,  tel  qu'il  est  pratiqué  actuellement.  Il 
est  vrai  que,  suivant  ce  système,  les  notes  n'ayant  rien  en  elles-mêmes, 
ni  dans  l'espace  qui  les  sépare  ,  qui  vous  indique  clairement  le  genre  de 
l'intervalle,  il  faut  ânonner  un  temps  infini  avant  que  d'avoir  acquis 
toute  l'habitude  nécessaire  pour  le  reconnoître  au  premier  coup  d'œil. 
Mais  comme  ce  défaut  vient  uniquement  du  mauvais  choix  des  signes, 
on  n'en  peut  rien  conclure  contre  le  principe  sur  lequel  ils  sont  établis; 
et  l'on  verra  bientôt  comment  au  contraire  on  tire  de  ce  principe  tous 
les  avantages  qui  peuvent  rendre  l'intonation  aisée  à  apprendre  et  à 
pratiquer.    * 

Prenant  ut  pour  ce  son  fondamental  auquel  tous  les  autres  doivent  se 
rapporter,  et  l'exprimant  par  le  chiffre  1  ,  nous  aurons  à  sa  suite 
l'expression  des  sept  sons  naturels,  ut,  re,  mi ,  fa ,  sol,  la,  si.  par  les 
sept  chiffres  1.  2,  3,  4,  5,  6,  7;  de  façon  que,  tant  que  le  chant 
roulera  dans  l'étendue  de  ces  sept  sons,  il  suffira  de  les  noter  cha- 


278  DISSERTATION 

cun  par  son  chiffre  correspondant,  pour  les  exprimer  tous  sans  équi-' 
voque. 

Il  est  évideiU  que  cette  manière  de  noter  conserve  pleinement  l'avan- 
tage si  vanté  de  la  position;  car  vous  connoissez  à  l'œil,  aussi  claue- 
nient  qu'il  est  possible,  si  un  son  est  plus  haut  ou  plus  bas  qu'un  au- 
tre :  vous  voyez  parfaitement  qu'il  faut  monter  pour  aller  de  l'I  au  5 ,  et 
qu'il  faut  descendre  pour  aller  du  4  au  2  :  cela  ne  souffre  pas  la  moindre 
réplique. 

Mais  je  ne  m'étendrai  pas  ici  sur  cet  article,  et  je  me  contenterai  de 
toucher,  à  la  fin  de  cet  ouvrage,  les  principales  réflexions  qui  naissent 
de  la  comparaison  des  deux  méthodes.  Si  l'on  suit  mon  projet  avec 
quelque  attention,  elles  se  présenteront  d'elles-mêmes  à  chaque  instant, 
et,  en  laissant  à  mes  lecteurs  le  plaisir  de  me  prévenir,  j'espère  me 
procurer  la  gloire  d'avoir  pensé  comme  eux. 

Les  sept  premiers  chiffres  ainsi  disposés  marqueront,  outre  les  degrés 
de  leurs  intervalles,  celui  que  chaque  son  occupe  à  l'égard  du  son  fon- 
damental ttJ,  de  façon  qu'il  n'est  aucun  intervalle  dont  l'expression  par 
chiffres  ne  vous  présente  un  double  rapport  :  le  premier,  entre  les  deux 
sons  qui  le  composent;  et  le  second  ,  entre  chacun  d'eux  et  le  son  fon- 
damental. 

Soit  donc  établi  que  le  chiffre  1  s'appellera  toujours  ut,  2  s'appellera 
toujours  re ,  3  toujours  mi,  etc. ,  conformément  à  l'ordre  suivant  : 

1,    2,     3,    4,     5,     G,    7. 
Ut,  ré,  mi,  fa,  sol,  la,  si. 

Mais  quand  i\  est  question  de  sortir  de  cette  étendue  pour  passer 
dans  d'autres  octaves,  alors  cela  forme  une  nouvelle  difficulté;  car  il 
faut  nécessairement  multiplier  les  chiffres,  ou  suppléer  à  cela  par  quel 
^,_^  _ouveau  signe  qui  détermine  l'octave  où  l'on  chante  :  autrement 
Vut  d'en  haut  étant  écrit  1  auss'  bien  que  Vut  d'en  bas,  le  musicien  ne 
pourroit  éviter  de  les  confondre,  et  l'équivoque  auroit  lieu  nécessai- 
rement. 

C'est  ici  le  cas  où  la  position  peut  être  admise  avec  tous  les  avantages 
qu'elle  a  dans  la  musique  ordinaire,  sans  en  conserver  ni  les  embarras 
ni  la  difficulté.  Établissons  une  ligne  horizontale,  sur  laquelle  nous 
disposerons  toutes  les  notes  renfermées  dans  la  même  octave,  c'est  à- 
dire  depuis  et  compris  Vut  d'en  bas  jusqu'à  celui  d'en  haut  exclusive- 
ment. Faut-il  passer  dans  l'octave  qui  commence  à  l'iit  d'en  haut,  nous 
placerons  nos  chiffres  au-dessus  de  la  ligne.  Voulons-nous  au  contraire 
passer  dans  l'octave  inférieure,  laquelle  commence  en  descendant  par 
le  si  qui  suit  Vut  posé  sur  la  ligne,  alors  nous  les  placerons  au-dessous 
de  la  même  ligne;  c'est-à-dire  que  la  position,  qu'on  est  contraint  de 
changer  à  chaque  degré  dans  la  musique  ordinaire,  ne  (Rangera  dans 
la  mienne  qu'à  chaque  octave,  et  aura  par  conséquent  six  fois  moins.de 
combinaisons.  (Voy.  la  planche  II,  exemple  1.) 

Après  ce  premier  ut,  je  descends  au  sol  de  l'octave  inférieure  :  je  re- 
viens à  mon  ut,  et,  après  avoir  fait  le  mi  et  le  sol  de  la  même  octave, 
je  passe  à  Vut  d'en  haut,  c'est-à-dire  à  Vut  qui  commence  l'octave  supé- 


SUR   LA   MUSIQUE   MODERNE.  279 

rieure  :  je  reiletcends  ensuite  jusqu'au  sol  d'en  bas  ,  par  lequel  je  reviens 
finir  à  mon  premier  ut. 

Vous  pouvez  voir  dans  ces  exemples  (voy.  la  planche  II,  exemples  1  et  2) 
comment  le  progrès  de  la  voix  est  toujours  annoncé  aux  yeux,  ou  pai 
les  différentes  valeurs  des  chiffres,  s'ils  sont  de  la  même  octave,  ou  par 
leurs  différentes  positions,  si  leurs  octaves  sont  différentes. 

Cette  mécanique  est  si  simple  qu'on  la  conçoit  du  premier  regaid,  et 
la  pratique  en  est  la  chose  du  monde  la  plus  aisée.  Avec  une  seule  ligne 
vous  modulez  dans  l'étendue  de  trois  octaves;  et,  s'il  se  trou  voit  que 
vous  voulussiez  passer  encore  au  delà,  ce  qui  n'arrivera  guère  dans  une 
musique  sage,  vous  avez  toujours  la  liberté  d'ajouter  des  lignes  acci- 
dentelles en  haut  et  en  bas,  comme  dans  la  musique  ordinaire.:  avec  la 
didérence  que  dan»  celle-ci  il  faut  onze  lignes  pour  trois  octaves,  tan- 
dis qu'il  n'en  faut  qu'une  dans  la  mienne,  et  que  je  puis  exprimer 
l'étendue  de  cinq„  six,  et  près  de  sept  octaves,  c'est-à-dire  beaucoup 
plus  que  n'a  d'étendue  le  grand  clavier,  avec  trois  lignes  seulement. 

Il  ne  faut  pas  confondre  la  position,  telle  que  ma  méthode  l'adopte, 
avec  celle  qui  se  pratique  dans  la  musique  ordinaire;  les  principes  en 
sont  tout  différens.  La  musique  ordinaire  n'a  en  vue  que  de  vous  indi- 
quer des  intervalles  et  de  disposer  en  quelque  façon  vos  organes  par 
l'aspect  du  plus  grand  ou  moindre  éloigneraent  des  notes,  sans  s'e.-n 
barrasser  de  distinguer  assez  bien  le  genre  de  ces  intervalles,  ni  le 
ilegré  de  cet  éloignement,  pour  en  rendre  la  connoissance  indépendante 
de  l'habitude.  Au  contraire,  la  connoissance  des  intervalles,  qui  fait 
proprement  le  fond  de  la  science  du  musicien,  m'a  paru  un  point  si 
important,  que  j'ai  cru  en  devoir  faire  l'objet  essentiel  de  ma  méthode. 
L'explication  suivante  montre  comment  on  parvient,  par  mes  caractères, 
à  déterminer  tous  les  intervalles  possibles  par  leurs  genres  et  par  leurs 
noins,  sans  autre  peine  que  celle  de  lire  une  fois  ces  remarques. 

Nous  distinguons  d'abord  les  intervalles  en  directs  et  renversés,  et 
les  uns  et  les  autres  encore  en  simples  et  redoublés. 

Je  vais  définir  chacun  de  ces  intervalles  considéré  dans  mon  système. 

L'intervalle  direct  est  celui  qui  est  compris  entre  deux  sons  dont  les 
chiffres  sont  d'accord  avec  le  progrès,  c'est-à-dire  que  le  son  le  plus 
haut  doit  avoir  aussi  le  plus  grand  chiffre ,  et  le  son  le  plus  bas  le  chiffre 
le  plus  petit.  (Voy.  la  planche  II,  exemple  3.) 

L'intervalle  renversé  est  celui  dont  le  progrès  est  contrarié  par  les 
chiffres;  c'est-à-dire  que,  si  l'intervalle  monte,  le  second  chiffre  est  le 
plus  petit;  et  si  l'intervalle  descend,  le  second  chiffre  est  le  plus  grand. 
{■Voy.  la  planche  11 ,  exemple  4.) 

L'intervalle  simple  est  celui  qui  ne  passe  pas  l'étendue  d'une  octave. 
(■Voy.  la  planche  11 ,  exemple  5.) 

L'intervalle  redoublé  est  celui  qui  passe  l'étendue  d'une  octave.  Il  est 
toujours  la  réplique  d'un  intervalle  simple.  CVoy.  exemple  6.) 

Quand  vous  entrez  d'une  octave  dans  la  suivante,  c'est-à-dire  que 
vous  passez  de  la  ligne  au-dessus  ou  au-dessous  d'elle,  ou  vice  versa, 
l'intervalle  est  simph  s'il  est  renversé;  mais  s'il  estdirect,  il  sera  tou- 
jours redoublé. 


280  DISSERTATION 

Cette  courte  explication  suffit  pour  connoître  à  fond  le  genre  de  tout 
intervalle  possible.  Il  faut  à  présent  apprendre  à  en  trouver  le  nom  sur- 
k-champ. 

Tous  les  intervalles  peuvent  être  considérés  comme  formés  des  trois 
premiers  inlervalles  simples,  qui  sont  la  seconde,  la  tierce,  la  quarte, 
dont  les  conipléraens  à  l'octave  sont  la  septième,  la  sixte  et  la  quinte; 
à  quoi,  si  vous  ajoutez  cette  octave  elle-même,  vous  aurez  tous  les 
intervalles  simples  sans  exception. 

Pour  trouver  donc  le  nom  de  tout  intervalle  simple  direct,  il  ne  faut  ■ 
qu'ajouter  l'unité  à  la  différence  des  deux  chiffres  qui  l'expriment.  Soit, 
par  exemple,  cet  intervalle  1  ,  5;  la  difiérence  des  deux  chiffres  est  4,  à 
quoi  ajoutant  l'unité  vous  avez  5,  c'est-à-dire  la  quinte  pour  le  nom  de 
cet  intervalle  ;  il  en  seroit  de  même  si  vous  aviez  eu  2 ,  6 ,  ou  7  ,  3 ,  etc. 
Soit  cet  autre  intervalle  4 ,  6  ;  la  différence  est  1  ,  à  quoi  ajoutant  l'unité , 
vous  avez  2  ,  c'est-à-dire  une  seconde  pour  le  nom  de  cet  intervalle.  La 
règle  est  générale. 

Si  l'intervalle  direct  est  redoublé,  après  avoir  procédé  comme  ci- 
devant,  il  faut  ajouter?  pour  chaque  octave,  et  vous  aurez  encore  très- 
exactement  le  nom  de  votre  intervalle.  Par  exemple,  vous  voyez  déjà 
que — 1-2-est  une  tierce  redoublée;  ajoutez  donc  7  à  3,  et  vous  aurez  10, 
c'est-à-dire  une  dixième  pour  le  nom  de  votre  intervalle. 

Si  l'intervalle  est  renversé,  prenez  le  complément  du  direct,  c'est  le 
nom  de"  votre  intervalle  :  ainsi  parce  que  la  sixte  est  le  complément  de 
la  tierce,  et  que  cet  intervalle — l-j-est  une  tierce  renversée,  je  trouve 
que  c'est  une  sixte;  si  de  plus  il  est  redoublé,  ajoutez-y  autant  de  fois 
7  qu'il  y  a  d'octaves.  Avec  ce  peu  de  règles ,  dans  quelque  cas  que  vous 
soyez,  vous  pouvez  nommer  sur-le-champ,  et  sans  le  moindre  em- 
barras, quelque  intervalle  qu'on  vous  présente. 

Voyons  donc,  sur  ce  que  je  viens  d'expliquer,  à  quel  point  nous  som- 
mes parvenus  dans  l'art  de  solfier  par  la  méthode  que  je  propose. 

D'abord,  toutes  les  notes  sont  connues  sans  exception;  il  n'a  pas  fallu 
bien  de  la  peine  pour  retenir  les  noms  de  7  caractères  uniques,  qui 
sont  les  seuls  dont  on  ait  à  charger  sa  mémoire  pour  l'expression  des 
sons;  qu'on  apprenne  à  les  entonner  juste  en  montant  et  en  descendant 
diatoniquement  et  par  intervalles,  et  nous  voilà  tout  d'un  coup  débar- 
rassés des  difficultés  de  la  position. 

A  le  bien  prendre,  la  connoissance  des  intervalles,  par  rapport  à  la 
nomination,  n'est  pas  d'une  nécessité  absolue,  pourvu  qu'on  connoisse 
bien  le  ton  d'où  l'on  part,  et  qu'on  sache  trouver  celui  où  l'on  va.  On 
peut  entonner  exactement  l'ut  et  le  fa  sans  savoir  qu'on  fait  une  quarte , 
et  sûrement  cela  seroit  toujours  bien  moins  nécessaire  par  ma  méthode 
que  par  la  commune ,  où  la  connoissance  nette  et  précise  des  notes  ne 
peut  suppléer  à  celle  des  intervalles  ;  au  lieu  que  dans  la  mienne ,  quand 
l'intervalle  seroit  inconnu,  les  deux  notes  qui  le  composent  seroiens 
toujours  évidentes,  sans  qu'on  pût  jamais  s'y  tromper,  dans  quelque 
ton  et  à  quelque  clef  que  l'on  fût.  Cependant  tous  les  avantages  se  trou- 
veiit  ici  tellement  réunis,  qu'au  moyen  de  trois  ou  quatre  observations 
»rès- simples  voilà  mon  écolier  en  état  de  nommer  hardiment  tout  inter- 


I  SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  281 

valie  possible ,  soit  sur  ]a  même  partie ,  so't  en  sautant  de  l'une  à  l'autre , 
et  d'en  savoir  plus  à  cet  égard  dans  une  heure  d'application  que  des 
luusiciens  de  dix  ou  douze  ans  de  pratique  :  car  on  doit  remarquer  que 
les  opérations  dont  je  viens  de  parler  se  font  tout  d'un  coup  par  l'esprit 
et  avec  une  rapidité  bien  éloignée  des  longues  gradations  indispensalîles 
dans  la  musique  ordinaire  pour  arriver  à  la  connoissance  des  inter- 
valles, et  qu'enfin  les  règles  sero'ent  toujours  préférables  à  l'habitude, 
soit  pour  la  certitude ,  soit  pour  la  brièveté ,  quand  même  elles  ne  feroieut 
que  produire  le  même  effet. 

Mais  ce  n'est  rien  d'être  parvenu  jusqu'ici  :  il  est  d'autres  objets  à 
considérer  et  d'autres  difficultés  à  surmonter. 

Quand  j'ai  ci- devant  affecté  le  nom  d'ut  au  son  fondamental  de  la 
gamme  naturelle ,  je  n'ai  fait  que  me  conformer  à  l'esprit  de  la  première 
institution  du  nom  des  notes,  et  à  l'usage  général  des  musiciens:  et, 
quand  j'ai  dit  que  la  fondamentale  de  chaque  ton  avoit  le  même  droit 
de  porter  le  nom  d'ut  que  ce  premier  son  ,  à  qui  il  n'est  affecté  par  au- 
cune propriété  particulière,  j'ai  encore  été  autorisé  par  la  pratique  uni- 
verselle de  cette  méthode  qu'on  appelle  transposition  dans  la  musique 
vocale. 

Pour  effacer  tout  scrupule  qu'on  pourroit  concevoir  à  cet  égard,  il 
faut  expliquer  ma  pensée  avec  un  peu  plus  d'étendue.  Le  nom  d'ut  doit-il" 
être  nécessairement  et  toujours  celui  d'une  louche  fixe  du  clavier,  ou 
doit-il  au  contraire  être  appliqué  préférablemcnt  à  la  fondamentale  de 
chaque  ton?  c'est  la  question  qu'il  s'agit  de  discuter. 

A  l'entendre  énoncer  de  cette  juanière.  on  pourroit  peut-être  s'inîa- 
giner  que  ce  n'est  ici  qu'une  question  de  mots.  Cependant  elle  influe 
trop  dans  la  pratique  pour  être  méprisée;  il  s'agit  moins  des  noms  en 
eux-mêmes  que  de  déterminer  les  idées  qu'on  leur  doit  attacher,  et  sur 
lesquelles  on  n'a  pas  été  trop  bien  d'accord  jusqu'ici. 

Demandez  à  une  personne  qui  chante  ce  que  c'est  qu'un  ut ,  elle  vous 
dira  que  c'est  le  premier  ton  de  la  gamme  :  demandez  la  même  chose  à 
un  joueur  d'instrumens,  il  vous  répondra  que  c'est  une  telle  touche  de 
ton  violon  ou  de  son  clavecin,  ils  ont  tous  deux  raison:  ils  s'accordent 
même  en  un  sens,  et  s'accorderoient  tout  à  fait,  si  l'un  ne  se  représen- 
toit  pas  cette  gamme  comme  mobile ,  et  l'autre  cet  ut  comme  invariable. 
Puisque  l'on  est  convenu  d'un  certain  son  à  peu  près  fixe  pour  y 
régler  la  portée  des  voix  et  le  diapason  des  instruraens.  il  faut  que  ce 
son  ait  nécessairement  un  nom,  et  un  nom  fixe  comme  le  son  qu'il  ex- 
prime; donnons-lui  le  nom  d'ut,  j'y  consens-.  Réglons  ensuite  sur  ce 
nom-là  tous  ceux  des  différens  sons  de  l'échelle  générale,  afin  que  nous 
puissions  indiquer  le  rapport  qu'ils  ont  avec  lui  et  avec  les  différentes 
touches  des  instrumens  :  j'y  consens  encore ,  et  jusque-là  le  symphoniste 
a  raison. 

Mais  ces  sons  auxquels  nous  venons  de  donner  des  noms,  ei  ces  tou- 
ches qui  les  font  entendre  ,  .sont  disposés  de  telle  manière  qu'ils  ont 
entre  eux  et  avec  la  touche  ul  certains  rapports  qui  constituent  propre- 
ment ce  qu'on  appelle  ton:  et  ce  ton,  dont  ut  est  la  fondamentale,  est 
celui  que  fon>  entendre  les  touches  noires  de  l'orgue  et  du  clavecin 


^282  DISSERTATION 

quand  on  les  joue  dans  un  certain  orJre,  sans  qu'il  soit  possible  d'em- 
ployer toutes  les  mêmes  touches  pour  quelque  autre  ton  dont  ut  ne 
seroil  pas  la  fondamentale,  ni  d'employer  dans  celui  d'wt  aucune  des 
touches  blanches  du  clavier,  lesquelles  n'ont  même  aucun  nom  propre . 
et  en  prennent  de  difTérens,  s'appelant  tantôt  dièses  et  tantôt  bémols,  j 
-suivant  les  tons  dans  lesquels  elles  sont  employées. 

Or,  quand  on  veut  établir  une  autre  fondamentale,  il  faut  nécessai 
reraent  faire  un  tel  choix  des  sons  qu'on  veut  employer,  qu'ils  aient 
avec  elle  précisément  les  mêmes  rapports  que  le  re,  le  mi,  le  sol,  et 
tous  les  aulres  sons  de  la  gamme  naturelle,  avoient  avec  I'm^.  C'est  le 
cas  où  le  chanteur  a  droit  de  dire  au  symphoniste  :  «  Pourquoi  ne  vous 
servez  vous  pas  des  mêmes  noms  pour  exprimer  les  mêmes  rapports?»  Au 
reste,  je  crois  peu  nécessaire  de  remarquer  qu'il  faudroit  toujours  dé- 
terminer la  fondamentale  par  son  nom  naturel,  et  que  c'est  seulement 
après  celle  détermination  qu'elle  prendroit  le  nom  à'vt. 

Il  est  vrai  qu'en  affectant  toujours  les  mêmes  noms  aux  mêmes  touches 
de  l'instrument  et  aux  mêmes  notes  de  la  musique,  il  semble  d'abord 
qu'on  établit  un  rapport  plus  direct  entre  cette  note  et  cette  touche,  et 
que  l'une  excite  plus  aisément  l'idée  de  l'autre  qu'on  ne  feroit  en  cher- 
chant toujours  une  égalité  de  rapports  entre  les  chiffres  des  notes  et  le 
chiffre  fondamental  d'un  côté,  et  de  l'autre  entre  le  son  fondamental  et 
les  touches  de  1  instrument. 

On  peut  voir  que  je  ne  tâche  pas  d'énerver  la  force  de  l'objection; 
oserai-je  me  flatter  à  mon  tour  que  les  préjugés  n'ôteront  rien  à  celle  de 
mes  réponses? 

D'abord  je  remarquerai  que  le  rapport  fixé  par  les  mêmes  noms  entre 
les  touches  de  l'instrument  et  les  notes  de  la  musique  a  bien  des  excep- 
tions et  des  difficultés  au.xquelles  on  ne  faitpas  toujours  assez  d'attention. 

Nous  avons  trois  clefs  dans  la  musique,  et  ces  trois  clefs  ont  huit 
positions;  ainsi ,  suivant  ces  différentes  positions,  voilà  huit  touches  dif- 
férentes pour  la  même  position,  et  huit  positions  pour  la  même  touche, 
et  pour  chaque  touche  de  l'instrument  :  il  est  certain  que  cette  multi- 
plication d'idées  nuit  à  leur  netteté  ;  il  y  a  même  bien  des  symphonistes 
qui  ne  les  possèdent  jamais  toutes  à  un  certain  point,  quoique  toutes 
les  huit  clefs  soient  d'usage  sur  plusieurs  instrumens. 

Mais  renfermons-nous  dans  l'examen  de  ce  qui  arrive  sur  une  seule 
clef.  On  s'imagine  que  la  même  note  doit  toujours  exprimer  l'idée  de  la 
même  touche,  et  cependant  cela  est  très- faux  :  car,  par  des  accidens 
fort  communs,  causés  par  les  dièses  et  les  bémols,  il  arrive  à  tout  mo- 
ment, non-seulement  que  la  note  si  devient  la  touche  ut,  que  la  note 
mt  devient  la  touche  fa,  et  réciproquement,  mais  encore  qu'une  note 
diésée  à  la  clef,  et  diésée  par  accident,  moate  d'un  ton  tout  entier, 
qu'un  fa  devient  un  sol,  un  ut  un  ré,  etc.;  et  qu'au  contraire,  par  un 
double  bémol,  un  mi  deviendra  un  re,  un  si  un  la,  et  ainsi  des  autres. 
Où  en  est  donc  la  précision  de  nos  idées?  Quoi  !  je  vois  un  sol ,  et  il  faut 
que  je  touche  un  la!  Est-ce  là  ce  rapport  si  juste,  si  vanté,  auquel  on 
-veut  sacrifier  celui  de  la  modulation  ? 

Je  ne  nie  pas  cependant  qu'il  n'y  ait  quelque  chose  île  très-ingénieux 


SUR  LA  MUSIQUE   MODKRNE.  283 

dans  l'invention  des  accidens  ajoutés  à  la  clef  pour  indiquer,  non  pas 
les  différens  tons  ,  car  ils  ne  sont  pas  toujours  connus  par  là,  mais  les 
différentes  altérations  qu'ils  causent.  Ils  n'expliquent  pas  mal  la  théorie 
des  progressions  ;  c'est  dommage  qu'ils  fassent  acheter  si  cher  cet  avan- 
tage par  la  peine  qu'ils  donnent  dans  la  pratique  du  chant  et  des  inslru- 
mens.  Que  me  sert,  à  moi,  de  savoir  qu'un  tel  demi-ton  a  changé  de 
4)iace,  et  que  de  là  on  l'a  transporté  là  pour  en  faire  une  noie  sensible, 
vne  quatrième  ou  une  sixième  note .  si  d'ailleurs  je  ne  puis  venir  à  bout 
ie  l'exécuter  sans  me  donner  la  torture ,  et  s'il  faut  que  je  me  souvienne 
exactement  de  ces  cinq  dièses  ou  de  ces  cinq  bémols  pour  les  appliquer 
à  toutes  les  notes  que  je  trouverai  sur  les  mêmes  positions  ou  à  l'oc- 
tave, et  cela  précisément  dans  le  temps  que  l'exécution  devient  la  plus 
embarrassante  par  la  difficulté  particulière  de  l'instrument?  Mais  ne 
nous  imaginons  pas  que  les  musiciens  se  donnent  cette  peine  dans  la 
pratique  ;  ils  sjivent  une  autre  route  bien  plus  commode ,  et  il  n'y  a  pas 
un  habile  homme  parmi  eux  qui .  après  avoir  préludé  dans  le  ton  où  il 
doit  jouer,  ne  fasse  plus  d'attention  au  degré  du  ton  où  il  se  trouve  et 
dont  ilconnoît  la  progression,  qu'au  dièse  ou  au  bémol  qui  l'affecte. 

En  général,  ce  qu'on  appelle  chanter  et  exécuter  au  naturel  est  peut- 
être  ce  qu'il  y  a  de  plus  mal  imaginé  dans  la  musique;  car  si  les  noms 
des  notes  ont  quelque  utilité  réelle,  ce  ne  peut  être  que  pour  exprimer 
certains  rapports,  certaines  affections  déterminées  dans  les  progressions 
des  sons.  Or,  dès  que  le  ton  change,  le  rapport  des  sons  et  la  progres- 
sion changeant  aussi ,  la  raison  dit  qu'il  faut  de  même  changer  les  noms 
des  notes  en  les  rapportant  par  analogie  au  nouveau  ton,  sans  quoi  l'on 
renverse  le  sens  des  noms,  et  l'on  ôte  aux  mots  le  seul  avantage  qu'ils 
puissent  avoir,  qui  est  d'exciter  d'autres  idées  avec  celles  des  sons.  Le 
passage  du  mi  au  fa,  ou  du  si  à  {'ut,  excite  naturellement  dans  l'esprit 
du  musicien  l'idée  du  demi-ton.  Cependant,  si  l'on  est  dans  le  ton  de  si 
ou  dans  celui  de  mi,  l'intervalle  du  si  à  Vut  ou  du  mi  au  fa  est  toujours' 
d'un  ton  et  jamais  d'un  demi-ton  :  donc,  au  lieu  de  leur  conserver  des 
noms  qui  trompent  l'esprit  et  qui  choquent  l'oreille  exercée  par  une 
différente  habitude,  il  est  important  de  leur  en  appliquer  d'autres  dont 
le  sens  connu  ne  soit  point  contradictoire,  et  annonce  les  intervalles 
qu'ils  doivent  exprimer.  Or,  tous  les  rapports  des  sons  du  système  dia- 
tonique se  trouvent  exprimés,  dans  le  majeur,  tant  en  montant  qu'en 
descendant,  dans  l'octave  comprise  entre  deux  ut,  suivant  l'ordre  na- 
turel; et,  dans  le  mineur,  dans  l'octave  comprise  entre  deux  la,  sui- 
vant le  même  ordre  en  descendant  seulement;  car,  en  montant,  le  mode 
mineur  est  assujetti  à  des  affections  différentes,  qui  présentent  de  nou- 
velles réflexions  pour  la  théorie,  lesquelles  ne  sont  pas  aujourd'hui  de 
mon  sujet,  et  qui  ne  font  rien  au  système  que  je  propose. 

Je  ne  disconviens  pas  qu'à  l'égard  des  instrumens  ma  méthode  ne 
s'écarte  beaucoup  de  l'esprit  de  la  méthode  ordinaire  ;  mais  comme  je  ne 
crois  pas  la  méthode  ordinaire  extrêmement  estimable,  et  que  je  crois 
même  d'en  démontrer  les  défauts,  il  faudroit  toujours,  avant  que  de 
me  condamner  par  là,  se  mettre  en  état  de  me  convaincre,  non  pas  da 
la  différence,  mais  du  désavantage  de  la  mienne. 


284  DISSERTATION 

Continuons  d'en  expliquer  la  mécanique.  Je  reconnois  dans  la  musique 
douze  sons  ou  cordes  originales,  l'un  desquels  est  le  C  sol  ut,  qui  sert 
de  fondement  à  la  gamme  naturelle  :  prendre  un  des  autres  sons  pour 
fondamental,  c'est  lui  attribuer  toutes  les  propriétés  de  l'ut;  c'est  pro- 
prement transposer  la  gamme  naturelle  plus  haut  ou  plus  bas  de  tant  de 
degrés.  Pour  déterminer  ce  son  fondamental ,  je  me  sers  du  mot  corres- 
pondant ,  c'est-à-dire  du  sol ,  du  ré ,  du  /a ,  etc.  ;  et  je  récris  à  la  marge 
au  haut  de  l'air  que  je  veux  noter  :  alors  ce  sol  ou  ce  re  ,  qu'on  peut  ap- 
peler la  clef,  devient  ut  ;  et  servant  de  fondement  à  un  nouveau  ton  et 
à  une  nouvelle  gamme,  toutes  les  notes  du  clavier  lui  deviennent  rela- 
tives, et  ce  n'est  alors  qu'en  vertu  du  rapport  qu'elles  ont  avec  ce  soa 
fondamental  qu'elles  peuvent  être  employées. 

C'est  là,  quoi  qu'on  en  puisse  dire,  le  vrai  principe  auquel  il  faut 
s'attacher  dans  la  composition ,  dans  le  prélude,  et  dans  le  chant;  et  si 
vous  prétendez  conserver  au.x  notes  leurs  noms  naturels,  il  faut  néces- 
sairement que  vous  les  considériez  tout  à  la  fois  sous  une  double  rela- 
tion; savoir,  par  rapport  au  C  sol  ut  et  à  la  gamme  naturelle,  et  par 
rapport  au  son  fondamental  particulier,  sur  lequel  vous  êtes  contraint 
d'en  régler  le  progrès  et  les  altérations.  11  n'y  a  qu'un  ignorant  qui  joue 
des  dièses  et  des  bémols  sans  penser  au  ton  dans  lequel  il  est;  alors 
Dieu  sait  quelle  justesse  il  peut  y  avoir  dans  son  jeu. 

Pour  former  donc  un  élève  suivant  ma  méthode  (je  parle  de  l'instru- 
ment, car  pour  le  chant  la  chose  est  si  aisée  qu'il  seroit  superflu  de  s'y 
arrêter),  il  faut  d'abord  lui  apprendre  à  connoître  et  à  toucher  par  leur 
nom  naturel ,  c'est-à-dire  sur  la  cleiul ,  toutes  les  touches  de  son  instru- 
ment. Ces  premiers  noms  lui  doivent  servir  de  règle  pour  trouver  en- 
suite les  autres  fondamentales,  et  toutes  les  modulations  possibles  des 
tons  majeurs ,  auxquels  seuls  il  suffit  de  faire  attention ,  comme  je  l'ex- 
pliquerai bientôt. 

Je  viens  ensuite  à  la  clef  soi;  et,  après  lui  avoir  fait  toucher  le  sol , 
ie  l'avertis  que  ce  sol ,  devenant  la  fondamentale  du  ton,  doit  alors  s'ap 
peler  ut,  et  je  lui  fais  parcourir  sur  cet  ul  toute  la  gamme  naturelle  eu 
haut  et  en  bas  suivant  l'étendue  de  son  instrument  :  comme  il  y  aura 
quelque  différence  dans  la  touche  ou  dans  la  disposition  des  doigts  à 
cause  du  demi-ton  transposé ,  je  la  lui  ferai  remarquer.  Après  l'avoir 
exercé  quelque  temps  sur  ces  deux  tons,  je  l'amènerai  à  la  clef  r^;  et 
lui  faisant  appeler  ut  le  ré  naturel,  je  lui  fais  recommencer  sur  cet  «1 
une  nouvelle  gamme;  et,  parcourant  ainsi  toutes  les  fondamentales  de 
quinte  en  quinte ,  il  se  trouvera  enfin  dans  le  cas  d'avoir  préludé  er„ 
mode  majeur  sur  les  douze  cordes  du  système  chromatique ,  et  de  con 
noître  parfaitement  le  rapport  et  les  affections  différentes  de  toutes  les 
louches  de  son  instrument  sur  chacun  de  ces  douze  différens  tons. 

Alors  je  lui  mets  de  la  musique  aisée  entre  les  mains;  la  clef  lui  mon 
tre  quelle  touche  doit  prendre  la  dénomination  d'ut;  et  comme  il* j 
appris  à  trouver  le  mi  et  le  soi,  etr.. ,  c'est-à-dire  la  tierce  majeure  et  li 
quinte,  etc.,  sur  cette  fondamentale,  un  3  et  un  5  sont  bientôt  poui 
lui  des  signes  familiers  ;  et  si  les  mouveraens  lui  étoient  connus.  e| 
que  l'iastrumenl  n'eût  pas  ses  difficultés  particulières,  il  seroit  dès  lonl 


re 

i'ï! 

:«{ 
il 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  285 

en  état  d'exécuter  à  livre  ouvert  toute  sorte  de  musique  sur  tous  les 
tons  et  sur  toutes  les  clefs.  Mais  avant  que  d'en  dire  davantage  sur  cet 
article ,  il  faut  achever  d'expliquer  la  partie  qui  regarde  l'expression 
des  sons. 

A  l'égard  du  mode  mineur,  j'ai  déjà  remarqué  que  la  nature  ne  nous 
l'avoit  point  enseigné  directement.  Peut-être  vient-il  d'une  suite  de  la 
progression  dont  j'ai  parlé  dans  l'expérience  des  tuyaux,  où  l'on  trouve 
qu'à  ia  quatrième  quinte  cet  ut,  qui  avoit  servi  de  fondement  à  l'opé- 
ration, fait  une  tierce  mineure  avec  le  la,  qui  est  alors  le  son  fonda- 
mental. Peut-être  est-ce  aussi  de  là  que  naît  cette  grande  correspon- 
dance entre  le  mode  majeur  ut  et  le  mode  mineur  de  sa  sixième  note, 
et  réciproquement  entre  le  mode  mineur  la  et  le  mode  majeur  de  sa 
médiante. 

De  plus ,  la  progression  des  sons  affectés  au  mode  mineur  est  précisé- 
ment la  même  qui  se  trouve  dans  Toctave  comprise  entre  deux  la, 
puisque  ,  suivant  M.  Rameau,  il  est  essentiel  au  mode  mineur  d'avoir  sa 
tierce  et  sa  sixte  mineures,  et  qu'il  n'y  a  que  cette  octave  où,  tous  les 
autres  sons  étant  ordonnés  comme  ils  doivent  l'être ,  la  tierce  et  la  sixte 
se  trouvent  mineures  naturellement. 

Prenant  donc  la  pour  le  nom  de  la  tonique  des  tons  mineurs ,  et  l'ex- 
primant par  le  chiffre  6 ,  je  laisserai  toujours  à  sa  médiante  ut  le  privi- 
lège d'être,  non  pas  tonique,  mais  fondamentale  caractéristique:  je  me 
conformerai  en  cela  à  la  nature,  qui  ne  nous  fait  point  connoître  de 
fondamentale  proprement  dite  dans  les  tons  mineurs,  et  je  conserverai 
à  la  fois  l'uniformité  dans  les  noms  des  notes  et  dans  les  chiffres  qui  les 
expriment ,  et  l'analogie  qui  se  trouve  entre  les  modes  majeur  et  mineur , 
pris  sur  les  deux  cordes  ut  et  la. 

Mais  cet  ut  qui ,  par  la  transposition ,  doit  toujours  êt'-e  le  nom  de  la 
tonique  dans  les  tons  majeurs ,  et  celui  de  la  médiante  dans  les  tons 
mineurs,  peut,  par  conséquent,  être  pris  sur  chacune  des  douze  cordes 
du  système  chromatique;  et,  pour  la  désigner,  il  suffira  de  mettre  à  la 
marge  le  nom  de  cette  corde  prise  sur  le  clavier  dans  l'ordre  naturel. 
On  voit  par  là  que  si  le  chant  est  dans  le  ton  d'ut  majeur  ou  de  la  mi- 
neur, il  faudra  écrire  ut  à  la  marge;  si  le  chant  est  dans  le  ton  de  ré 
majeur  ou  de  si  mineur ,  il  faut  écrire  ré  à  la  marge  :  pour  le  ton  de  mt 
majeur  ou  d'ut  dièse  mineur ,  on  écrira  mi  à  la  marge ,  et  ainsi  de  suite  ; 
c'est-à-dire  que  la  note  écrite  à  la  marge,  ou  la  clef,  désigne  précisé- 
ment la  touche  du  clavier  qui  doif  s'appeler  ut ,  et  par  conséquent  être 
tonique  dans  le  ton  majeur,  médiante  dans  le  mineur,  et  fondamentale 
dans  tous  les  deux  :  sur  quoi  l'on  remarquera  que  j'ai  toujours  appelé 
cet  ut  fondamentale ,  et  non  pas  tonique ,  parce  qu'elle  ne  l'est  que  dans 
les  tons  majeurs;  mais  qu'elle  sert  également  de  fondement  à  la  relation 
et  au  nom  des  notes ,  et  même  aux  dfférenles  octaves  dans  l'un  et  l'au- 
tre mode.  Mais,  à  le  bien  prendre,  la  connoissance  de  cette  clef  n'est 
d'usage  que  pour  les  instrumens,  et  ceux  qui  chantent  n'ont  jamais 
besoin  d'y  faire  attention. 

Il  suit  de  là  que  la  même  clef  sous  le  même  nom  d'ut  désigne  cepen- 
dant deux  tons  différens;  savoir,  le  majeur  dont  elle  est  toni  jue  ,  et  ie 


286  DISSERTATION  1 

mineur  dont  elle  est  médiante ,  et  dont  par  conséquent  la  tonique  est 
une  tierce  au-dessous  d'elle.  11  suit  encore  que  les  mêmes  noms  des 
notes  et  les  notes  affectées  de  la  même  manière,  du  moins  en  descen- 
dant, servent  également  pour  l'un  et  l'autre  mode;  de  sorte  que  non- 
seulement  on  n'a  pas  besoin  de  faire  une  étude  particulière  des  modes- 
mineurs,  mais  que  même  on  seroit  à  la  rigueur  dispensé  de  les  connoî- 
Ire ,  les  rapports  exprimés  par  les  mêmes  chiffres  n'étant  point  différens , 
quand  la  fondamentale  est  tonique  ,  que  (|uand  elle  est  médiante  :  cepen- 
dant,  pour  l'évidence  du  ton  et  pour  la  facilité  du  prélude ,  on  écrira  la 
clef  tout  simplement  quand  elle  sera  tonique  ;  et  quand  elle  sera  médiante 
on  ajoutera  au-dessous  d'elle  une  petite  ligne  horizontale.  (Voy.  la 
planche  II,  exemples  7  et  8.) 

Il  faut  parler  à  présent  des  changemens  de  ton?  mais  comme  les  alté- 
ralions  accidentelles  des  sons  s'y  présentent  souvent,  et  qu'elles  ont 
toujours  lieu,  dans  le  mode  mineur,  en  montant  de  la  dominante  à  la 
tonique,  je  dois  auparavant  en  expliquer  les  signes. 

Le  dièse  s'exprime  par  une  petite  ligne  oblique,  qui  croise  la  note  en 
montant  de  gauche  à  droite  :  sol  dièse,  par  exemple,  s'exprime  ainsi  5: 
fa  dièse  aiuii  i.  Le  bémol  s'exprime  aussi  par  une  semblable  ligne  quif 
croise  la  note  en  descendant,  ■7,,''3^;  et  ces  signes,  plus  simples  que  ceux. 
qui  sont  en  usage ,  servent  encore  à  montrer  à  l'œil  le  genre  d'altération 
qu'ils  causent. 

Pour  le  bécarre,  il  n'est  devenu  nécessaire  que  par  le  mauvais  choix 
du  dièse  et  du  bémol ,  parce  qu'étant  des  caractères  séparés  des  notes 
qu'ils  altèrent ,  s'il  s'en  trouve  plusieurs  de  suite  sous  l'un  ou  l'autre  de 
ces  signes ,  on  ne  peut  jamais  distinguer  celles  qui  doivent  être  affectées , 
de  celles  qui  ne  le  doivent  pas,  sans  se  servir  du  bécarre.  Mais  comme, 
par  mon  système,  le  si.;ne  de  l'altération,  outre  la  simplicité  de  sa 
figure,  a  encore  l'avantage  d'être  toujours  inhérent  à  la  note  altérée,  il 
est  clair  que  toutes  celles  auxquelles  on  ne  le  verra  point  devront  être 
exécutées  au  ton  naturel  qu'elles  doivent  avoir  sur  la  fondamentale  où. 
l'on  est.  Je  retranche  donc  le  bécarre  comme  inutile;  et  je  le  retran- 
che encore  comme  équivoque,  puisqu'il  est  commun  de  le  trouver 
employé  en  deux  sens  tout  opposés;  car  les  uns  s'en  servent  pour  ôter 
l'altération  causée  par  les  signes  de  la  clef,  et  les  autres,  au  contraire , 
pour  remettre  la  note  au  ton  qu'elle  doit  avoir  conformément  à  ces- 
mêmes  signes 

A  l'égard  des  changemens  de  ton,' soit  pour  passer  du  majeur  au  mi- 
neur, ou  d'une  tonique  à  une  autre,  il  pourroit  suffire  de  changer  la 
clef;  mais  comme  il  est  extrêmiement  avantageux  de  ne  point  rendre  la 
connoissance  de  cette  clef  nécessaire  à  ceux  qui  chantent,  et  que  d'ail- 
leurs il  faudroit  une  certaine  habitude  pour  trouver  facilement  le  rap- 
port d'une  cîef  à  l'autre  ,  voici  la  précaution  qu'il  y  faut  ajouter.  Il  n'est 
question  que  d'exprimer  la  première  note  de  ce  changement  de  manière 
à  représenter  ce  qu'elle  étoit  dans  le  ton  d'où  Ton  sort ,  et  ce  qu'elle  est 
dans  celui  où  l'on  entre.  Pour  cela,  j'écris  d'abord  cette  première  note! 
entre  deux  doubles  li;.;nes  perpendiculaires  par  le  chiffre  qui  la  repré- 
sente dans  le  ton  précédent ,  ajoutant  au-dessus  d'elle  la  clef  ou  le  nom! 


\ 


SUR  LA  iMUSIQUE  MODERNE.  287 

de  ]a  fondamentale  du  ton  où  l'on  ra  enirer;  j'écris  ensuite  cette  même 
note  pac  le  chiffre  qui  l'exprime  dans  le  ton  qu  elle  commence  :  de  sorte 
qu'eu  égard  à  la  suile  du  chant,  le  premier  chiffre  indique  le  ton  de  la 
noie ,  el  le  second  sert  à  en  trouver  le  nom. 

Vous  voyez  (pi.  II .  ex.  9)  non-seulement  que  du  ton  de  sol  vous  passez 
dans  celui  à'ut,  mais  que  la  note  fa  du  ton  précédent  est  la  même  que 
la  note  ut  qui  se  trouve  la  première  dans  celui  où  vous  entrez. 

Dans  cet  autre  exemple  (voy.  ex.  10).  la  première  note  ut  du  premier 
changement  seroit  le  mi  bémol  du  mode  précédent,  et  la  première  nole^ 
mi  du  second  changement  seroit  Vv.t  dièse  du  mode  précédent;  compa- 
raison très-commode  pour  les  voix  et  m  Ime  pour  les  instrumens .  lesquels 
ont  de  plus  l'avantage  du  changement  de  clef.  On  y  peut  remarquer 
aussi  que,  dans  les  changemens  de  mode,  la  fondamentale  change  tou- 
jours, quoiqus  la  tonique  reste  la  même,  ce  qui  dépend  des  règles  que 
j'ai  expliquées  ci-devant. 

Il  resie  dans  l'étendue  du  clavier  une  difficulté  dont  il  est  temps  de 
parler.  11  ne  suffit  pas  de  connoître  le  progrès  affecté  à  chaque  mode ,  la 
fonJamenlale  qui  lui  est  propre,  si  cette  fondamentale  est  tonique'ou 
raédiante,  ni  enfin  de  la  savoir  rapporter  à  la  place  qui  lui  convient 
dans  l'étendue  de  la  gamme  naturelle;  mais  il  faut  encore  savoir  à 
quelle  octave,  et,  en  un  mot ,  à  quelle  touche  précise  du  clavier  elle  doit 
appartenir. 

Le  grand  clavier  ordinaire  a  cinq  octaves  d'étendue ,  et  je  m'y  borne- 
rai pour  cette  explication,  en  remarquant  seulement  qu'on  est  "toujours 
libre  de  le  prolonger  de  part  et  d'autre  tout  aussi  loin  qu'on  voudra, 
sans  rendre  la  note  plus  dinuse  ni  plus  incommode. 

Supposons  donc  que  je  sois  à  la  clef  d'ut,  c'est-à-dire  au  son  d'ut 
majeur,  ou  de  la  mineur,  qui  constitue  le  clavier  naturel  :  le  clavier  se 
trouve  alors  disposé  de  sorte  que ,  depuis  le  premier  ul  d'en  bas  jusqu'au 
.dernier  ut  d'en  haut,  je  trouve  quatre  octaves  complètes,  outre  les  deux 
portions  qui  restent  en  haut  et  en  bas  entre  Vut  et  le  fa,  qui  terminent 
le  clavier  de  part  et  d'autre. 

Jappille  A  la  première  octave  comprise  entre  l'ut  d'en  bas  et  le  sui- 
yaut  vers  la  droite,  c'est-à-dire  tout  ce  qui  est  renfermé  entre  1  et  7 
inclusivement.  J'appelle  B  l'octave  qui  commence  au  sec;nd  ut,  comp- 
tant de  même  vers  la  droite;  C,  la  troisième:  D,  la  quatrième,  etc., 
jusqu'à  E ,  où  commence  une  cinquième  octave  qu'on  pousseroit  plus 
haut  si  l'on  vouloit.  A  l'égard  de  la  poilion  d'en  bas,  qui  commence  au 
premier  fa  et  se  termine  au  premier  si,  comme  elle  est  imparfaite,  ne 
eommer.çant  point  par  la  fondamentale,  nous  l'appellerons  l'octave  X; 
et  cet  le  lettre  X  servira,  dans  toute  sorte  de  tons,  à  désigner  les  notes 
qui  resteront  au  bas  du  clavier ,  au-dessous  de  la  première  tonique. 

Supposons  que  je  veuille  noter  un  air  à  la  clef  d'ut,  c'est-à-dire  au 
lut  majeur  ou  de  la  mineur .  j'écrii  ut  au  haut  de  la  page  à  la  marge , 
.e  rends  médiante  ou  tonique ,  suivant  que  j'y  ajoute  ou  non  la  petite 
;  horizontale. 

chant  ainsi  quelle  corde  doit  être  la  fondamentale  du  ton,  il  n'est 
plus  question   que  de  trouver  day   laquelle  des  cinq  octaves  roule- 


•288  DISSERTATION 

.lavanlaee  le  thant  que  j'ai  à  exprimer,  et  d'en  écrire  la  lettre  au  corn- 
Scemend    la  ligne  sur  laquelle  je  place  mes  notes.  Les  deux  espaces 
Tu  dessus  et  au-dessous  représenteront  les  étages  cont.gus ,  et  serviront 
po'ur   es  notes  qui  peuvent'excéder  en  haut  ou  en  bas  ^  -tave  repre- 
ïntée  par  la  lettre  que  j'ai  mise  au  commencement  de  la  ligne  J  ai  déjà 
marquYque  si  le  chant  se  trouvoit  assez  bizarre  pour  passer  cette  eten- 
duT  on  seLt  touiours  libre  d'ajouter  une  ligne  en  haut  ou  en  bas,  co 
oui  neut  quelquefois  avoir  lieu  pour  les  mstrumens 
^  Mais  comme  les  octaves  se  comptent  toujours  d'une  ^o^f^^'^^^^'J^ 
rautre    et  que  ces  fondamentales  sont  différentes,  su.vant  les  diffeien 
nn,  m-;  l'on  est    les  octaves  se  prennent  aussi  sur  différens  degrés,  et 
sont  tantôt  pluJ  hautes  ou  plus  basses,  suivant  que  leur  fondamentale 

^^P:l?î'p\ésl'teT'cUir?rnt-cette  mécanique,  j'ai  joint  ici  (voy.  la 
Blanche  ilWne  table  générale  de  tous  les  sons  du  clavier ,  ordonnes  pa 
Sppor?  aux  douze  cordes  du  système  chromatique  prises  successivement 

^°0n  y  tiTTuilrmanière  simple  et  sensible  le  progrès  des  différenj 

sons  par  îapport  au  ton  où  Ton  est.  On  verra  aussi .  par  1  exphcaior 

uuanïï    comment  elle  facilite  la  pratique  des  instramens,  au  point  d. 

n^n  fa  re  qu^un  jeu,  non-seulement  par  rapport  aux  mstrumens  a  tou- 

ches  marquées     comme  le  basson,  le  hautbois    la  flûte ,    a  bas  e  d. 

îioTe  eTle'clavecin,  mais  encore  à  l'égard  du  violon,  du  violoncelle,  e 

dp  mute  autre  espèce  sans  exception.  u-    ■       „  i^ 

Cet^e  table  représente  toute  l'étendue  du  clavier,   combine  sur  le 

douze  cordes-  le  clavier  naturel,  où  l'ut  conserve  son  propre  nom    s 

Jiouveic    a'  'sixième  rang  marqué  par  une  étoile  à  chaque  extrémité 

et  c'est  à  ce  rang  que  tous  les  autres  doivent  se  rapporter ,  comme  a 

terme  commun  de  comparaison.  On  voit  qu'il  s'étend  depuis  le  fa  d  e 

bas  fusquTcelui  d'en  hLt,  à  la  distance  de  cinq  octaves,  qui  sont  c 

nn'nn  aonelle  le  grand  clavier.  .      .   ■         , 

Tai  dS  dit  que  l'intervalle  compris  depuis  le  premier      jusqua 

premier  7  qui  le  suit  vers  la  droite  s'appelle  A;  que  l'intervalle  compr 

SepSe  second  1  jusqu'à  l'autre  7  s'appelle  l'octave  B  ;  Vautre ,  l  octa^ 

C    etc     jusqu'au  cinquième  1 ,  où  commence  l'octave  E,  que  je  n 

nôrtée  ici  que  jusqu'au  fa.  A  l'égard  des  quatre  notes  qui  sont  a 

oauche  du  premier  ut ,  j'ai  dit  encore  qu'elles  appartiennent  a  l'octave  1 

à  laauelle  ie  donne  ainsi  une  lettre  hors  de  rang  pour  exprimer  q' 

cet?e  octave  n'est  pas  complète,  parce  qu'il  faudroit,  pour  parver 

i  usqu'à  l'ut ,  descendre  plus  bas  que  le  clavier  ne  le  permet. 

Mais  si  ie  suis  dans  un  autre  ton,  comme,  par  exemple,  a  la  clef 

re    alors  ce  ré  change  de  nom  et  devient  ut;  c'est  pourquoi  1  octave 

comprise  depuis  la  première  tonique  jusqu'à  la  septième  note    est  d 

bTpIus  élevée  que  l'octave  correspondante  du  ton  précèdent-,  ce  c,i 

esl%'sé  de  voir  par  la  table,  puisque  cet  ut  du  troisième  rang    o  est- 

i    e  delà  clef  de  r^,  correspond  au  ré  de  la  clef  naturelle  d  u  ,  . 

eiueli   tombe  perpendiculairement  ;  et ,  par  la  même  raison ,  1  oc  aN . 

i  p  us  de  notes  que  la  même  octave  de  la  clef  d'ut,  parce  que  les  i 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  289 

taves,  en  s'élevant  davantage,  s'éloignent  de  la  plus  basse  note  du 
clavier. 

Voilà  pourquoi  les  octaves  montent  depuis  la  clef  d'ut  jusqu'à  la  clef 
de  mi^  et  descendent  depuis  la  même  clef  d'ut  jusqu'à  celle  de  fa;  car 
ce  fa ,  qui  est  la  plus  basse  note  du  clavier .  devient  alors  fondamentale , 
et  commence,  par  conséquent ,  la  première  octave  A. 

Tout  ce  qui  est  donc  compris  entre  les  deux  premières  lignes  obliques 
vers  la  gauche  est  toujours  de  l'octave  A,  mais  à  différens  degrés, 
suivant  le  ton  où  l'on  est.  La  même  touche,  par  exemple,  sera  ut 
dans  le  ton  majeur  de  mi,  ré  dans  celui  de  re,  mi  dans  celui  d'ut, 
fa  dans  celui  de  si,  sol  dans  celui  de  la.  la  dans  celui  de  sol.  si  dans 
celui  de  fa.  C'est  toujours  la  même  touche ,  parce  que  c'est  la  même 
colonne;  et  c'est  la  même  octave,  parce  que  cette  colonne  est  renfermée 
entre  les  mêmes  lignes  obliques.  Donnons  un  exemple  de  la  façon  d'ex- 
primer le  ton ,  l'octave  et  la  touche  ,  sans  équivoque.  (Voy.  la  planche  II , 
ex.  n.) 

Cet  exemple  est  à  la  clef  de  ré,  il  faut  donc  le  rapporter  au  quatrième 
rang  répondant  à  la  même  clef;  l'octave  B,  marquée  sur  la  ligne, 
montre  que  l'intervalle  supérieur,  dans  lequel  commence  le  chant, 
répond  à  l'octave  supérieure  C  ;  ainsi  la  note  3 ,  marquée  d'un  o  dans 
la  table ,  est  justement  celle  qui  répond  à  la  première  de  cet  exemple. 
Ceci  suffit  pour  faire  entendre  que  dans  chaque  partie  on  doit  mettre 
sur  le  commencement  de  la  ligne  la  lettre  correspondante  à  l'octave 
dans  laquelle  le  chant  de  cette  partie  roule  le  plus,  et  que  les  espaces 
qui  sont  au-dessus  et  au-dessous  seront  pour  les  octaves  supérieure  et 
inférieure. 

Les  lignes  horizontales  servent  à  séparer,  de  demi-ton  en  demi-ton, 
les  différentes  fondamentales  dont  les  noms  sont  écrits  à  la  droite  de  la 
table. 

Les  lignes  perpendiculaires  montrent  que  toutes  les  notes  traversées 
delà  même  ligne  ne  sont  toujours  qu'une  même  touche,  dont  le  nom 
naturel,  si  elle  en  a  un ,  se  trouve  au  sixième  rang,  et  les  autres  noms 
dans  les  autres  rangs  de  la  même  colonne,  suivant  les  différens  tons  où 
l'on  est.  Ces  lignes  perpendiculaires  sont  de  deux  sortes  :  les  unes  noires, 
qui  servent  à  montrer  que  les  chiffres  qu'elles  joignent  représentent  une 
touche  naturelle;  et  les  autres  ponctuées,  qui  sont  pour  Jes  touches 
blanches  ou  altérées  ;  de  façon  qu'en  quelque  ton  que  l'on  soit  on  peut 
connoître  sur-le-champ,  par  le  moyen  de  cette  table,  quelles  sont  les 
notes  qu'il  faut  altérer  pour  exécuter  dans  ce  ton-là. 

Les  clefs  que  vous  voyez  au  commencement  servent  à  déterminer 
quelle  note  doit  porter  le  nom  d'ut,  et  à  marquer  le  ton  comme  je  l'ai 
déjà  dit  ;  il  y  en  a  cinq  qui  peuvent  être  doubles ,  parce  que  le  bémol  de 
la  supérieure  marqué  S,  et  le  dièse  de  l'inférieure  marqué  d,  produisent 
le  même  effet'.  Il  ne  sera  pas  mal  cependant  de  s'en  tenir  aux  déno- 

1 .  Ce  n'est  qu'en  vertu  du  tempérament  que  la  même  touche  peut  servir 
de  dièse  à  l'une  et  de  bémol  à  l'autre,  puisque  d'ailleurs  personne  n'ignore 
que  la  somme  de  deux  demi-tons  mineurs  ne  sauroit  faire  un  ton. 

Rousseau  vi  19 


290  DISSERTATION 

ininations  que  j'ai  choisies,  et  qui,  abstraction  faite  de  toute  autre  rai- 
son, sont  du  moins  préférables  parce  qu'elles  sont  les  plus  usitées. 

Il  est  encore  aisé,  par  le  moyen  de  celte  table,  de  marquer  précisé- 
ment l'étendue  de  chaque  partie,  tant  vocale  qu'instrumentale,  et  la 
place  qu'elle  occupera  dans  ces  différentes  octaves  suivant  le  ton  où 
l'on  sera. 

Je  suis  convaincu  qu'en  suivant  exactement  les  principes  que  je  viens 
d'expliquer,  il  n'est  point  de  chant  qu'on  ne  soit  en  état  de  solfier  en 
très-peu  de  temps ,  et  de  trouver  de  même  sur  quelque  instruœeni  que 
ce  soit,  avec  toute  la  facilité  possible.  Rappelons  un  peu  en  détail  ce 
que  j'ai  dit  sur  cet  article. 

Au  lieu  de  commencer  d'abord  à  faire  exécuter  machinalement  des 
airs  à  cet  écolier,  au  lieu  de  lui  faire  toucher,  tantôt  des  dièses,  tantôt 
des  bémols,  sans  qu'il  puisse  concevoir  pourquoi  il  le  fait,  que  le  pre- 
mier soin  du  maître  soit  de  lai  faire  connoître  à  fond  tous  les  sons  de 
son  instrument  par  rapport  aux  différens  tons  sur  lesquels  ils  peuvent 
être  pratiqués. 

Pour  cela ,  après  lui  avoir  appris  les  noms  naturels  de  toutes  les  tou- 
ches de  son  instrument,  il  faut  lui  présenter  un  autre  point  de  vue,  et 
le  rappeler  à  un  principe  général.  Il  connoît  déjà  tous  les  sons  de  l'oc- 
tave suivant  l'échelle  naturelle,  il  est  question  à  présent  de  lui  en  faire 
faire  l'analyse.  Supposons-le  devant  un  clavecin.  Le  clavier  est  divisé  en 
soixante  et  une  touches;  on  lui  explique  que  ces  touches,  prises  succes- 
sivement et  sans  distinction  de  blanches  ni  de  noires,  expriment  des 
sons  qui,  de  giuche  à  droite,  vont  en  s'élevant  de  demi-ton  en  demi- 
ton.  Prenant  la  touche  ut  pour  fondement  de  notre  opération,  nous 
trouverons  toutes  les  autres  de  l'échelle  naturelL'  disposées  à  son  égard 
de  la  manière  suivante  : 

La  deuxième  note,  r^,  à  un  ton  d'intervalle  vers  la  droite;  c'est-à- 
drre  qu'il  faut  laisser  une  touche  intermédiaire  entre  l'ut  et  le  ré,  pour 
la  division  des  deux  demi-tons  ; 

La  troisième,  mi,  à  un  autre  ton  du  ré,  et  à  deux  tons  de  Vut;  de 
sorte  qu'entre  le  ré  et  le  mi  il  faut  encore  une  touche  intermédiaire; 

La  quatrième,  fa,  à.  un  demi-ton  du  mi  et  à  deux  tons  et  demi  de 
l'ut  ;  par  conséquent  le  fa  est  la  touche  qui  suit  le  mi  immédiatement, 
sans  en  laisser  aucune  entre  deux  ; 

La  cinquième ,  sol,  k  un  ton  du  fa,  et  à,  trois  tons  et  demi  de  l'ut  ;  il 
faut  laisser  une  touche  intermédiaire  ; 

La  sixième,  la,  k  un  ton  du  sol,  et  à  quatre  tons  et  demi  de  Vut . 
autre  touche  intermédiaire  ; 

La  septième,  si.  à  un  ton  du  la,  et  à  cinq  tons  et  demi  de  l'ut,  autre 
touche  intermédiaire; 

La  huitième ,  ut  d'en  haut ,  à  demi-ton  du  si ,  et  à  six  tons  du  premier 
ut  dont  elle  est  l'octave;  par  conséquent  le  st  est  conligu  à  l'ut  qui  le 
suit,  sans  touche  intermédiaire. 

En  continuant  ainsi  tout  le  long  du  clavier,  on  n'y  trouvera  que  la 
Tépli({ue  des  mêmes  intervalles ,  et  l'écolier  se  les  rendra  aiséinent  fami- 
jers,  de  même  que  les  chiffres  qui  les  expriment  et  qui  marquent  leur 


} 


i\ 


SUR  LA  MUSIQUE   MODERNE.  201 

«iistance  de  Vut  fondamental.  On  lui  fera  remarquer  qu'il  y  a  une  touclie 
intermédiaire  entre  chaque  degré  de  l'octave,  excepté  entre  le  mi  et  le 
/a  et  entre  le  si  et»  Vut  d'en  haut,  où  l'on  trouve  deux  intervalles  de 
demi-ton  chacun,  qui  ont  leur  position  fixe  dans  l'échelle. 

On  observera  aussi  qu'à  la  clef  à'ut  toutes  les  touches  noires  sont 
justement  celles  qu'il  faut  prendre,  et  que  toutes  les  blanches  sont  les 
intermédiaires  qu'il  faut  laisser.  On  ne  cherchera  point  à  lui  faire 
trouver  du  mystère  dans  cette  distribution ,  et  on  lui  dira  seulement  que , 
•comme  le  clavier  seroit  trop  étendu  ou  les  touches  trop  petites  si  elles 
-étoient  toutes  uniformes,  et  que  d'ailleurs  la  clef  d'ut  est  la  plus  usitée 
dans  la  musique  ,  on  a ,  pour  plus  de  commodité  ,  rejeté  hors  des  inter- 
valles les  touches  blanches,  qui  n'y  sont  que  de  peu  d'usage.  On  se 
gardera  bien  aussi  d'affecter  un  air  savant  en  lui  parlant  des  tons  et  des 
<iemi-tons  majeurs  et  mineurs,  des  comma,  du  tempérament;  tout  cela 
est  absolumeut  inutile  à  la  pratique,  du  moins  pour  ce  temps-là:  en  un 
mot ,  pour  peu  qu'un  maître  ait  d'esprit  et  qu'il  possède  son  art ,  il  a  tant 
d'occasions  de  briller  en  instruisant,  qu'il  est  inexcusable  quand  sa  va- 
nité est  à  pure  perte  pour  le  disciple. 

Quand  on  trouvera  que  l'écolier  possède  assez  bien  son  clavier  na- 
turel, on  commencera  alors  à  le  lui  faire  transposer  sur  d'autres  clefs, 
■en  choisissant  d'abord  celles  où  les  sons  naturels  sont  le  moins  altérés. 
Prenons,  par  e.xemple,  la  clef  de  sol. 

Ce  mot  sol,  direz-vous  à  l'écolier,  écrit  ainsi  à  la  marge,  signifia 
qu'il  faut  transporter  au  sol  et  à  son  octave  le  nom  et  toutes  les  pro- 
priétés de  Vut  et  de  la  gamme  naturelle.  Ensuite,  après  l'avoir  exhorté 
à  se  rappeler  la  disposition  des  tons  de  cette  gamme ,  vous  l'inviterez  à 
l'appliquer  dans  le  même  ordre  au  sol  considéré  comme  fondamental, 
c'est-à-dire  comme  un  ut.  D'abord  il  sera  question  de  trouver  le  ré;  si 
l'écolier  est  bien  conduit,  il  le  trouvera  de  lui-même  et  touchera  le  la 
naturel,  qui  est  précisément  par  rapport  au  sol  dans  la  même  situation 
<jue  le  ré  par  rapport  à  Vut  ;  pour  trouver  le  mi  il  touchera  le  si  ;  pour 
trouver  le  fa  il  touchera  Vut;  et  vous  lui  ferez  remarquer  qu'effective- 
ment ces  deux  dernières  touches  donnent  un  demi-ton  d'inlervalle  in- 
termédiaire .  de  même  que  le  mi  et  le  fa  dans  l'échelle  naturelle.  En 
poursuivant  de  même,  il  touchera  le  re  pour  le  soZ,  etle  mt  pour  le /a. 
Jusqu'ici  il  n'aura  trouvé  que  des  touches  naturelles  pour  exprimer  dans 
l'cctave  sol  l'échelle  de  l'octave  ut;  de  sorte  que  si  vous  poursuivez,  et 
•que  vous  demandiez  le  si  sans  rien  ajouter,  il  est  presque  immanquable 
•qu'il  louchera  le  fa  naturel.  Alors  vous  l'arrêterez  là,  et  vous  lui  de- 
manderez s'il  ne  se  souvient  pas  qu'entre  le  la  etle  si  naturel  il  a  trouvé 
un  intervalle  d'un  ton  et  une  touche  intermédiaire;  vous  lui  montrerez 
en  m-ème  temps  cet  intervalle  à  la  clef  à'ut;  et,  revenant  à  celle  de  sol, 
vous  lui  placerez  le  doigt  sur  le  mi  naturel  que  vous  nommerez  la  en 
■demandant  où  est  le  si.  Alors  il  se  corrigera  sûrement  et  touchera  le  fa 
-dièse:  peut-être  touchera-t-il  le  sol;  mais  au  lieu  de  vous  impatienter 
il  faut  saisir  cette  occasion  de  lui  expliquer  si  lien  la  règle  des  tons 
«l  demi-tons  .par  rapport  à  l'octave  ut ,  et  sans  distinction  de  touches 
noires  et  Manches,  qu'il  ne  soit  plus  dans  le  cas  de  pouvoir  s'y  tromper. 


292  DISSEUTATION 

Alors  il  faut  lui  faire  parcourir  le  clavier  de  haut  en  las,  et  de  bas 
en  haut,  en  lui  fais:int  nommer  les  toucl  es  conformément  à  ce  nouveau 
ton;  vous  lui  ferez  aussi  observer  que  la  touche  blanche  qu'on  y  emploie 
y  devient  nécessaire  pour  cousliluer  le  demi-ton  qui  doit  être  entre  le 
si  et  Yut  d'en  haut,  et  qui  seroit  sans  cela  entre  le  la  et  le  si,  ce  qui 
est  contre  l'ordre  de  la  {.amme.  Vous  aurez  soin  surtout  de  lui  faire  con- 
cevoir qu'à  cette  clef-là  le  sol  naturel  est  réellement  un  ut ,  le  la  un  re  , 
le  si  un  mi ,  etc. ,  de  sorte  que  ces  noms  et  la  position  de  leurs  touches 
relatives  lui  deviennent  aussi  familiers  qu'à  la  clef  à'ut ,  et  que ,  tant  qu'il 
est  à  la  clef  de  sol ,  il  n'envisage  le  clavier  que  par  cette  seconde  exposition. 

Quand  on  le  trouvera  suffisamment  exercé,  on  le  mettra  à  la  clef  de 
rê  avec  les  mêmes  précautions ,  et  on  l'amènera  aisément  à  y  trouver  de 
lui-même  le  mi  et  le  si  sur  deux  touches  blanches;  cette  troisième  clef 
achèvera  de  l'éclaircir  sur  la  situation  de  tous  les  tons  de  l'échelle, 
relativement  à  quelque  fondamentale  que  ce  soit;  et  vraisemblablement 
il  n'aura  plus  besoin  d'explication  pour  trouver  l'ordre  des  tons  sur 
toutes  les  autres  fondamentales. 

Il  ne  sera  donc  plus  question  que  de  l'habitude,  et  il  dépendra  beau- 
coup du  maître  de  contribuer  à  la  former,  s'il  s'applique  à  faciliter  à 
l'écolier  la  pratique  de  tous  les  intervalles  par  des  remarques  sur  la 
position  des  doigts,  qui  lui  en  rendent  bientôt  la  mécanique  familière. 

Après  cela,  de  courtes  explications  suc  le  mode  mineur,  sur  les  allé- 
rations  qui  lui  sont  propres ,  et  sur  celles  qui  naissent  de  la  modulation 
dans  le  cours  d'une  même  pièce.  Un  écolier  bien  conduit  par  cette  mé- 
thode doitsavcir  à  fond  son  clavier  sur  tous  les  tons  dans  moins  de  trois 
mois;  donnons-lui-en  six,  au  bout  desquels  nous  partiions  de  là  pour 
le  mettre  à  l'eiécution  ;  et  je  soutiens  que,  s'il  a  d'ailleurs  quelque  con- 
noissance  des  mouvemens,  il  jouera  dès  lors  à  livre  ouvert  les  airs 
notés  par  mes  caractères,  ceux  du  moins  qui  ne  demanderont  pas  une 
grande  habitude  dans  le  doigter.  Qu'il  mette  six  autres:  mois  à  se  per- 
fectionner la  main  et  l'oreille,  soit  pour  l'harmonie,  soit  p?ur  la  me- 
sure, et  voilà  dans  l'espace  d'un  an  un  musicien  du  premier  ordre, 
pratiquant  également  toutes  les  clefs,  connoissant  les  modes  et  tous  les 
tons,  toutes  les  cordes  qui  leur  sont  propres ,  toute  la  suite  delà  modu- 
lation ,  et  transposant  toute  pièce  de  musique  dans  toutes  sortes  de  tons 
avec  la  plus  parfaite  facilité. 

C'est  ce  qui  me  paroît  découler  évidemment  de  la  pratique  de  mon 
système,  et  que  je  suis  prêt  de  confirmer,  non-seulement  par  des  preu- 
ves de  raisonnement ,  mais  par  l'expérience ,  aux  yeux  de  quiconque  en 
voudra  voir  l'effet. 

Au  reste ,  ce  que  j'ai  dit  du  clavecin  s'applique  de  même  à  tout  autre 
instrument,  avec  quelques  légères  différences  par  rapport  aux  instru- 
mens  à  manche,  qui  naissent  des  différentes  altérations  propres  à 
chaque  ton.  Comme  je  n'écris  ici  que  pour  les  maîtres  à  qui  cela  est 
connu,  je  n'en  dirai  que  ce  qui  est  absolument  nécessaire  pour  mettre 
dans  son  jour  une  objection  qu'on  pourroit  ra'opposer,  et  pour  en  don- 
ner la  solution. 
C'est  un  fait  d'expérience  que  les  différens  tons  de  la  musique  ont  tous 


II 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  293 

certain  caractère  qui  leur  est  propre,  et  qui  les  distingue  chacun  en 
particulier.  L'A  mi  la  majeur,  par  exemple,  est  brillant;  VFvA  fa  est 
majestueux;  le  si  bémol  majeur  est  tragique;  le  fa  mineur  est  triste; 
['lit  mineur  est  tendre  ;  et  tous  les  autres  tons  ont  de  même ,  par  préfé- 
rence ,  je  ne  sais  quelle  aptitude  à  exciter  tel  ou  tel  sentiment,  dont  les 
habiles  maîtres  savent  bien  se  prévaloir.  Or,  puisque  la  modulation  est 
la  même  dans  tous  les  tons  majeurs,  pourquoi  un  ton  majeur  exciteroit- 
il  une  passion  plutôt  qu'un  autre  ton  majeur?  pourquoi  le  même  pas- 
sage du  re  au  fa  produit-il  des  eiïets  différens  quand  il  est  pris  sur  dif- 
férentes fondamentales,  puisque  le  rapport  demeure  le  même?  pourquoi 
cet  air  joué  en  A  vii  la  ne  rend-il  plus  cette  expression  qu'il  avoit  en  G 
ré  sol?  Il  n'est  pas  ])ossible  d'attribuer  cette  différence  au  changement 
de  fondamenlale,  puisque,  comme  je  l'ai  dit,  chacune  de  ces  fonda- 
mentales, prise  séparément,  n'a  rien  en  elle  qui  puisse  exciter  d'autre 
sentiment  que  celui  du  son  haut  ou  bas  qu'elle  fait  entendre.  Ce  n'est 
point  proprement  par  les  sons  que  nous  sommes  touchés,  c'est  par  les 
rapports  qu'ils  ont  entre  eux;  et  c'est  uniquement  par  le  choix  de  ces 
rapports  charmans  qu'une  belle  composition  peut  émouvoir  le  cœur  en 
flattant  loreille.  Or,  si  le  rapport  d'un  ut  à  un  sol,  ou  d'un  rék  un  la, 
est  le  même  dans  tous  les  tons,  pourquoi  produit-il  différens  effets  ? 

Peut-être  trouveroit-on  des  musiciens  embarrassés  d'en  expliquer  la 
raison  ;  et  elle  seroit  en  effet  très-inexplicable ,  si  l'on  admettoit  à  la  ri- 
gueur cette  identité  de  rapports  dans  les  sons  exprimés  par  les  mêmes 
noms  et  représentés  par  les  mêmes  intervalles  sur  tous  les  tons. 

Mais  ces  rapports  ont  entre  eux  de  légères  différences,  suivant  les 
cordes  sur  lesquelles  ils  sont  pris;  et  ce  sont  ces  différences,  sipetites 
en  apparence,  qui  causent  dans  la  musique  cette  variété  d'expression, 
sensible  à  toute  oreille  délicate,  et  sensible  à  tel  point  qu'ilest  peu  de 
musiciens  qui,  en  écoutant  un  concert,  ne  connoissent  en  quel  ton  l'on 
exécute  actuellement. 

Comparons,  par  exemple,  le  C sol  ut  mineur  et  \eD  la  ré;  voilà  deux 
modes  mineurs  desquels  tous  les  sons  sont  exprimés  par  les  mêmes  in- 
tervalles et  par  les  mêmes  noms ,  chacun  relativement  à  sa  tonique  : 
cependant  l'affection  n'est  point  la  même,  et  il  est  incontestable  que  le 
C  sol  ut  est  plus  touchant  que  le  D  la  ré.  Pour  en  trouver  la  raison ,  il 
faut  entrer  dans  une  recherche  assez  longue  dont  voici  à  peu  près  le 
résultat.  L'intervalle  qui  se  trouve  entre  la  tonique  ré  et  sa  seconde  note 
est  un  peu  plus  petit  que  celui  qui  se  trouve  entre  la  tonique  du  C  sol 
ut  et  sa  seconde  note  :  au  contraire ,  le  demi-ton  qui  se  trouve  entre  la 
seconde  note  et  la  médianle  du  D  la  ré  est  un  peu  plus  grand  que  celui 
qui  est  entre  la  seconde  note  et  la  médiante  du  C  sol  ut;  de  sorte  que  la 
tierce  mineure  restant  à  peu  près  égale  de  part  et  d'autre,  elle  est  par- 
tagée dans  le  C  sol  ut  en  deux  intervalles  un  peu  plus  inégaux  que  dans 
le  D  la  ré;  ce  qui  rend  l'intervalle  du  demi-ton  plus  petit  de  la  même 
quantité  dont  celui  du  ton  est  plus  grand. 

On  trouve  aussi,  par  l'accord  ordinaire  du  clavecin,  le  demi-ton  com- 
pris entre  le  sol  naturel  et  le  la  bémol  un  peu  plus  petit  que  celui  qui 
es  t  entre  le  7a  et  le  si  bémol.  Or,  plus  les  deux  sons  qui  forment  un  demi- 


ï 


£94  DISSERTATION 

ton  se  rappoclient,  el  plus  le  passage  est  tendre  et  tojchant;  c'est  l'ex- 
périence qui  nous  l'apprend,  et  c'est,  je  crois,  la  véritable  raison  pour 
i.\  luel'.e  le  mode  mineur  du  C  sol  ut  nous  attendrit  plus  que  celui  du. 
/)  la  rc.  Que  si  cependant  la  diminution  vient  jusqu'à  causer  de  l'alléra- 
liun  à  rtiarmonie  ,  et  jeter  de  la  dureté  dans  le  chant ,  alors  le  sentiment 
^e  cliange  en  tristesse,  el  c'est  TefTet  que  nous  éprouvons  dans  VF  ut  fa 
mineur. 

En  continuant  nos  recherclies  dans  ce  goût-là,  peut  être  parvien- 
drions-nous à  peu  près  à  trouver,  par  ces  différences  légères  qui  sub- 
£i^lent  dans  k-s  rapports  des  sons  el  des  intervalles,  les  raisons  des  dif- 
férens  seulimens  excités  par  les  divers  tons  de  la  musique.  Mais  si  l'on 
vouloil  aussi  trouver  la  cause  de  ces  différences,  il  faudroit  entrer  pour 
cela  dans  un  détail  dont  mon  sujet  me  dispense,  et  qu'on  trouvera  suf- 
lisamment  expliqué  dans  les  ouvrages  de  M.  Rameau.  Je  me  contenterai 
de  dire  ici  en  général  que,  comme  il  a  fallu,  pour  éviter  de  multiplier 
les  sons,  faire  servir  les  mêmes  à  plusieurs  usages,  on  n'a  pu  y  réussii 
qu'en  les  altérant  un  peu;  ce  qui  fait  qu'eu  égard  à  leurs  différens  rap- 
ports ,  ils  perdent  quelque  chose  de  la  justesse  qu'ils  devroient  avoir.  Le 
mi,  par  exemple,  considéré  comme  tierce  majeure  d'uf ,  n'est  point  à  la 
rigueur  le  même  mi  qui  doit  faire  la  quinte  du  la;  la  différence  est  pe- 
tite à  la  véri-lé,  mais  enfin  elle  existe,  et,  pour  la  faire  évanouir,  il  a 
fallu  tempérer  un  peu  cette  quinte  :  par  ce  moyen  on  n'a  employé  que 
le  même  son  pour  ces  deux  usages;  mais  de  là  vient  aussi  que  le  ton  du 
re  au  mi  n'est  pas  de  la  même  espèce  que  celui  de  Yui  au  re,  et  ainsi 
des  autres. 

On  pourroit  donc  me  reprocher  que  j'anéantis  ces  différences  par  mes 
nouveaux  signes,  et  que  par  là  même  je  détruis  cette  variété  d'expres- 
sion si  avantageuse  dans  la  musique.  J'ai  bien  des  choses  à-  répondre  à 
tout  cela. 

En  premier  lieu,  le  tempérament  est  un  vrai  défaut;  c'est  une  altéra- 
tion que  l'art  a  causée  à  l'harmonie,  faute  d'avoir  pu  mieux  faire.  Les 
harmoniques  d'une  corde  ne  nous  donnent  point  de  quinte  tempérée ,  et 
la  mécanique  du  tempérament  introduit  dans  la  modulation  des  tons  si 
durs,  par  exemple  le  ré  et  le  sol  dièses,  qu'ils  ne  sont  pas  supportables 
à  l'oreille.  Ce  ne  seroil  donc  pas  une  faute  que  d'éviter  ce  défaut,  et 
surtout  dans  les  caractères  de  la  irfùsique ,  qui,  ne  participant  pas  au 
vice  de  l'instrument,  devroient,  du  moins  par  leur  signification,  con- 
server toute  la  pureté  de  l'harmonie. 

De  plus,  les  altérations  causées  par  les  différens  tons  ne  sont  point 
pratiquées  par  les  voix;  l'on  n'entonne  point,  par  exemple,  l'intervalle 
4  5  autrement  que  l'on  entonneroit  celui-ci  5  6,  quoique  cet  intervalle- 
ne  soit  pas  tout  à  fait  le  même;  et  l'on  module  en  chantant  avec  la 
même  justesse  dans  tous  lestons,  malgré  les  altérations  particulières 
que  l'imperfection  des  instrumens  introduit  dans  ces  différens  tons ,  et  à 
laquelle  la  voix  ne  se  conforme  jamais,  à  moins  qu'elle  n'y  soit  con- 
trainte par  l'unisson  des  instrumens. 

La  nature  nous  apprend  à  moduler  sur  tous  les  tons,  précisément 
dans  toute  la  justesse  des  intervalles;  les  voix,  conduites  par  elle ,  1» 


J 


SUR  LA   MUSIQUE  MODERNE.  29r> 

pratiquent  exactement.  Faut-il  nous  éloigner  de  ce  qu'elle  prescrit, 
pour  nous  assujettir  à  une  pratique  défectueuse?  et  faut-il  sacrifier. 
non  pas  à  l'avantage ,  mais  au  vice  des  instrumens ,  l'expression  naturelle 
du  plus  parfait  de  tous?  C'est  ici  qu'on  doit  se  rappeler  tout  ce  que  j'ai 
dit  ci-devant  sur  la  génération  des  sons;  et  c'est  par  là  qu'on  se  con- 
vaincra que  l'usage  de  mes  signes  n'est  qu'une  expression  très-fidèle  et 
très-exacte  des  opérations  de  la  nature. 

En  second  lieu,  dans  les  plus  considérables  instrumens,  comme 
l'orgue,  le  clavecin  et  la  viole,  les  touches  étant  fixées,  les  altérations 
'difl"érentes  de  chaque  ton  dépendent  uniquement  de  l'accord,  et  elles 
sont  également  pratiquées  par  ceux  qui  en  jouent,  quoiqu'ils  n'y  pen- 
sent point.  Il  en  est  de  même  des  flûtes,  des  hautbois,  bassons  et  au- 
tres instrumens  à  trous;  les  dispositions  des  doigts  sont  fixées  pour 
chaque  son,  et  le  seront  de  même  par  mes  caractères,  sans  que  les 
écoliers  pratiquent  moins  le  tempérament  pour  n'en  pas  connoître 
l'expression. 

D  ailleurs  on  ne  sauroit  me  faire  là-dessus  aucune  difficulté  qui  n'at- 
taque en  même  temps  la  musique  ordinaire,  dans  laquelle,  bien  loin 
jue  les  petites  différences  des  intervalles  de  même  espèce  soient  indi- 
juées  par  quelque  marque,  les  différences  spécifiques  ne  le  sont  même 
3as,  puisque  les  tierces  ou  les  sixtes  majeures  et  mineures  sont  expri- 
mées par  les  mêmes  intervalles  et  les  mêmes  positions,  au  lieu  que, 
lans  mon  système,  les  différens  chiffres  employés  dans  les  intervalles 
ie  même  dénomination  font  du  moins  connoître  s'ils  sont  majeurs  ou 
uineurs. 

Enfin,  pour  trancher  tout  d'un  coup  toute  cette  difficulté,  c'est  au 
naître  et  à  l'oreille  à  conduire  l'écolier  dans  la  pratique  des  diffé- 
•ens  tons  et  des  altérations  qui  leur  sont  propres;  la  musique  ordinaire 
ie  donne  point  de  règles  pour  cette  pratique  que  je  ne  puisse  appliquer 
i  la  mienne  avec  encore  plus  d'avantage;  et  les  doigts  de  l'écolier  se- 
ont  bien  plus  heureusement  conduits,  en  lui  faisant  pratiquer  sur  son 
iolon  les  intervalles,  avec  les  altérations  qui  leur  sont  propres  dans 
ihaque  ton  en  avançant  ou  reculant  un  peu  le  doigt ,  que  par  cette 
ouïe  de  dièses  et  de  bémols  qui,  faisant  de  plus  petits  intervalles  entre 
ux  et  ne  contribuant  point  à  former  l'oreille,  troublent  l'écolier  par 
!es  différences  qui  lui  sont  longtemps  insensibles. 

Si  la  perfection  d'un  système  de  musique  consistoit  à  y  pouvoir  ex- 
rimer  une  plus  grande  quantité  de  sons,  il  seroit  aisé,  en  adoptant 
elui  de  M.  Sauveur,  de  diviser  toute  l'étendue  d'une  seule  octave  en 
010  décamérides  ou  intervalles  égaux,  dont  les  sons  seroient  repré- 

ntés  par  des  notes  différemment  figurées  ;  mais  de  quoi  serviroient 
)us  ces  caractères ,  puisque  la  diversité  des  sons  qu'ils  exprimeroient 
e  seroit  non  plus  à  la  portée  de  nos  oreilles  qu'à  celle  des  organes  de 
otre  voix  ?  Il  n'est  donc  pas  moins  inutile  qu'on  apprenne  à  distinguer 
ut  double  dièse  du  ré  naturel ,  dès  que  nous  sommes  contraints  de  le 
ratiquer  sur  ce  même  ré  ,  et  qu'on  ne  se  trouvera  jamais  dans  le  cas 
'exprimer  en  note  la  différence  qui  doit  s'y  trouver,  parce  que  ces 
eux  sons  ne  peuvent  être  relatifs  à  la  même  modulation. 


206  DISSERTATION 

Tenons  pour  une  maxime  certaine  que  tous  les  sons  d'un  mode  doivent 
toujours  être  considérés  par  le  rapport  qu'ils  ont  avec  la  fondamentale 
de  ce  mode-là:  qu'ainsi  les  intervalles  correspondans  devroicnt  être 
parfailemenl  éy:aux  dans  tous  les  tons  de  même  espèce  :  aussi  les  con- 
sidère-l-on  comme  tels  dans  la  composition;  et  s'ils  ne  le  sont  pas  à  la  , 
rigueur  dans  la  pratique,  les  facteurs  épuisent  du  moins  toute  leur  ha-  3 
l)iîeté  dans  l'accord  .  pour  en  rendre  la  différence  insensible.  | 

Mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  m'étendre  davantage  sur  cet  article.  | 
Si,  de  l'aveu  de  la  plus  savante  académie  de  l'Europe,  mon  système  a- 
des  avantages  marqués  par-dessus  la  méthode  ordinaire  pour  la  mti- 
sique  vocale ,  il  me  semble  que  ces  avantages  sont  bien  plus  considé- 
rables dans  la  partie  instrumentale  :  du  moins,  j'exposerai  les  raisons 
que  j'ai  de  le  croire  ainsi;  c'est  à  l'expérience  à  confirmer  leur  soli- 
dité. Les  musiciens  ne  manqueront  pas  de  se  récrier,  et  de  dire  qu'ils 
exécutent  avec  la  plus  grande  facilité  par  la  méthode  ordinaire,  et 
qu'ils  font  de  leurs  instrumens  tout  ce  qu'on  en  peut  faire  par  quelqu« 
méthode  que  ce  soit.  D'accord  :  je  les  admire  en  ce  point,  et  il  ne 
semble  pas  en  effet  qu'on  puisse  pousser  l'exécution  à  un  plus' haut  de- 
gré de  perfection  que  celui  où  elle  est  aujourd'hui;  mais  enfin .  quand 
on  leur  fera  voir  qu'avec  moins  de  temps  et  de  peine  on  peut  parvenir 
plus  sûrement  à  cette  même  perfection ,  peut-être  seront-ils  contraints 
de  convenir  que  les  prodiges  qu'ils  opèrent  ne  sont  pas  tellement  insé- 
parables des  barres,  des  noires  et  des  croches,  qu'on  n'y  puisse  arriver 
par  d'autres  chemins.  Proprement,  j'entreprends  de  leur  prouver  qu'ils 
ont  encore  plus  de  mérite  qu'ils  ne  pensoient,  puisqu'ils  suppléent  par 
la  force  de  leurs  talens  aux  défauts  de  la  méthode  dont  ils  se  servent. 

Si  l'on  a  bien  compris  la  partie  de  mon  système  que  je  viens  d'expli- 
quer, on   sentira  qu'elle  donne  une  méthode  générale  pour  exprimer 
sans  exception  tous  les  sons  usités  dans  la  musique,  non  pas,  à  la  vé- 
rité, d'une  manière  absolue,  mais  relativement  à  un  son  fondamental 
déterminé  ;  ce  qui  produit  un  avantage  considérable  en  vous  rendant 
toujours  présens  le  ton  de  la  pièce  et  la  suite  de  la  modulation.  Il  me 
reste  maiatenant  à  donner  une  autre  méthode  encore  plus  facile  pour  i 
pouvoir  1  oler  tous  ces  mêmes  sons  de  la  même  manière ,  sur  un  rang  ! 
horizonta  ,  sans  jamais  avoir  besoin  de  lignes  ni  d'intervalles  pour  ex-  • 
primer  les  différentes  octaves. 

Pour  y  wppléer  donc,  je  me  sers  du  plus  simple  de  tous  les  signes, ,, 
c"est-à-din  !  du  point;  et  voici  comment  je  le  mets  en  usage.  Si  je  sorsj 
de  l'octave  par  laquelle  j'ai  commencé  pour  faire  une  note  dans  l'éten- 
due de  l'OG  lave  supérieure,  et  qui  commence  à  l'ut  d'en  haut,  alors  je 
mets  un  po  int  au-dessus  de  cette  note  par  laquelle  je  sors  de  mon  oc- 
tave; et,  Ci  '  point  une  fois  placé,  c'est  un  avis  que  non-seulement  la 
note  sur  la  quelle  il  est .  mais  encore  toutes  celles  qui  la  suivront  sans 
aucun  signe  qui  le  détruise  ,  devront  être  prises  dans  l'étendue  de  cette 
cctave  supérieure  où  je  suis  entré.  Par  exemple, 

Ut    0  13  5  13  5. 

Le  point  que  vous  voyez  sur  le  second  w(  marque  que  vous  entrez  U 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  '297 

dans  l'octave  au-dessus  de  celle  où  vous  avez  commencé,  et  que,  par 
par  conséquent,  le  3  et  le  5  qui  suivent  sont  aussi  de  cette  même  oc- 
tave supérieure ,  et  ne  sont  point  les  mêmes  que  vous  aviez  entonnés 
auparavant. 

Au  contraire  .  si  je  veux  sortir  de  l'octave  où  je  me  trouve  pour  pas- 
ser à  celle  qui  est  au-dessous,  alors  je  mets  le  point  sous  la  note  par 
laquelle  j'y  entre  : 

m    d  5  I  1  5  3  1. 

Ainsi ,  ce  premier  5  étant  le  même  que  le  dernier  de  l'exemple  précé- 
dent, par  le  point  que  vous  voyez  ici  sous  le  second  5,  vous  êtes  averti 
que  vous  sortez  de  l'octave  où  vous  étiez  monté,  pour  rentrer  dans 
celle  par  où  vous  aviez  commencé  précédemment. 

En  un  mot.  quand  le  point  est  sur  la  note,  vous  passez  dans  l'octave 
supérieure  ;  s'il  est  au-dessous  ,  vous  passez  dans  l'inférieure  :  et ,  quand 
vous  changeriez  d'octave  à  chaque  note,  ou  que  vous  voudriez  monter 
ou  descendre  de  deux  ou  trois  octaves  tout  d'un  coup  ou  successive- 
ment, la  règle  est  toujours  générale,  et  vous  n'avez  qu'à  mettre  autant 
de  points  au-dessous  ou  au-dessus  que  vous  avez  d'octaves  à  descendre 
ou  à  monter. 

Ce  n"est  pas  à  dire  qu'à  chaque  point  vous  montiez  ou  vous  descen- 
diez d'une  octave;  mais,  à  chaque  point,  vous  entrez  dans  une  octave 
diiïérente,  dans  un  autre  étage,  soit  en  montant,  soit  en  descendant, 
par  rapport  au  son  fondamental  u(,  lequel  ainsi  se  trouve  bien  de  la 
même  octave  en  descendant  diatoniquement,  mais  non  pas  en  montant. 
Le  point,  dans  cette  façon  de  noter,  équivaut  aux  lignes  et  aux  inter- 
valles de  la  précédente  :  tout  ce  qui  est  dans  la  même  position  appar- 
tient au  même  point,  et  vous  n'avez  besoin  d'un  autre  point  que  lorsque 
vous  passez  dans  une  autre  position,  c'est-à-dire  dans  une  autre  oc- 
tave. Sur  quoi  il  faut  remarquer  que  je  ne  me  sers  de  ce  mot  d'octave 
qu'abusivement  et  pour  ne  pas  multiplier  inutilement  les  termes .  parce 
que,  proprement,  l'étendue  que  je  désigne  par  ce  mot  n'est  remplie 
que  d'un  étage  de  sept  notes,  Vut  d'en  haut  n'y  étant  pas  compris. 

Voici  une  suite  de  notes  qu'il  sera  aisé  de  solfier  par  les  règles  que  je 
viens  d'établir. 

Soi  dl7i23I5456:5i76543242176534d55i. 

Et  voici  (voy.  planche  II,  ex.  12)  le  même  exemple  noté  suivant  la 
première  méthode. 

Dans  une  longue  suite  de  chant .  quoique  les  points  vous  conduisent 
toujours  très-juste ,  ils  ne  vous  font  pourtant  coniioître  l'octave  où  vous 
vous  trouvez  que  relativement  à  ce  qui  a  précédé  :  c'est  pourquoi,  afin 
de  savoir  précisément  l'endroit  du  clavier  où  vous  êtes,  il  faudroit  aller 
en  remontant  jusqu'à  la  lettre  qui  est  au  commencement  de  l'air;  opé- 
ration exacte,  à  la  vérité,  mais  d'ailleurs  un  peu  trop  longue.  Pour 
m'en  dispenser ,  je  mets  au  commencement  de  chaque  ligne  la  lettre  de 
i'octave  où  se  trouve,  non  pas  la  première  note  de  cette  ligne,  mais  la 


298  DISSERTATION 

«lernière  de  la  ligne  précédente,  et  cela  afin  que  la  règle  des  point» 
n'ait  pas  d'exceplioD. 

EXEMPLE  : 

Fa  dl7i2345675  1625314321765  5  5464 

64275645  1. 

L'e  que  j'ai  mis  au  commencement  de  la  seconde  ligne  marque  que  le 
fa  qui  finit  la  première  est  de  la  cinquième  octave,  de  laquelle  je  sors 
pour  rentrer  dans  la  quatrième  d  par  le  point  que  vous  voyez  au-des- 
sous du  si  de  cette  seconde  ligne. 

Rien  n'est  plus  aisé  que  de  trouver  cette  lettre  correspondante  à  la 
dernière  note  d'une  ligne,  et  en  voici  la  méthode. 

Comptez  tous  les  points  qui  sont  au-dessus  des  notes  de  cette  ligne  . 
comptez  aussi  ceux  qui  sont  au-dessous  :  s'ils  sont  égaux  en  nombre 
avec  les  premiers ,  c'est  une  preuve  que  la  dernière  note  de  la  ligne  est 
dans  la  même  octave  que  la  première,  et  c'est  le  cas  du  premier 
exemple  de  la  page  précédente,  où  après  avoir  trouvé  trois  points  des- 
sus et  autant  dessous,  a'Ous  concluez  qu'ils  se  détruisent  les  uns  les  au- 
tres, et  que,  par  conséquent,  la  dernière  note  fa  de  la  ligne  est  de  la 
même  octave  d  que  la  première  note  ut  de  la  même  ligne;  ce  qui  est 
toujours  vrai ,  de  quelque  manière  que  les  points  soient  rangés ,  pourvu 
qu'il  y  en  ait  autant  dessus  que  dessous. 

S'ils  ne  sont  pas  égaux  en  nombre ,  prenez  leur  différence  :  comptez 
depuis  la  lettre  qui  est  au  commencement  de  la  ligne,  et  reculez  d'au- 
tant de  lettres  vers  l'a,  si  l'excès  est  au-dessous;  ou  s'il  est  au-dessus, 
avancez  au  contraire  d'autant  de  lettres  dans  l'alphabet  que  cette  diffé- 
rence contient  d'unités,  et  vous  aurez  exactement  la  lettre  correspon- 
dante à  la  dernière  note. 

EXEMPLE  : 

Ut    063671217615  12343213656731 
627167561432156217633445567 i 
d  2  7  5  6. 

Dans  la  première  ligne  de  cet  exemple,  qui  commence  à  l'étage  c, 
vous  avez  deux  points  au-dessous  et  quatre  au-dessus,  par  conséquent 
deux  d'excès ,  pour  lesquels  il  faut  ajouter  à  la  lettre  c  autant  de  lettres  , 
suivant  l'ordre  de  l'alphabet,  et  vous  aurez  la  lettre  e  correspondante  à 
la  dernière  note  de  la  même  ligne. 

Dans  la  seconde  ligne  vous  avez  au  contraire  un  point  d'excès  au- 
dessous,  c'est-à-dire  qu'il  faut,  depuis  la  lettre  e  qui  est  au  commen- 
cement de  la  ligne,  reculer  d'une  lettre  vers  l'o,  et  vous  aurez  d  pour 
la  lettre  correspondante  à  la  dernière  note  de  la  seconde  ligne. 

11  laut  de  même  observer  de  mettre  la  lettre  de  l'octave  après  chaque 
première  et  dernière  note  des  reprises  et  des  rondeaux,  afin  qu'en  par- 
lant de  là  on  sache  toujours  sûrement  si  l'on  doit  monter  ou  descendre 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  299- 

pour  reprendre  ou  pour  recommencer.  Tout  cela  s'éclaircira  mieux  pat 
'exemple  suivant,  dans  lequel  celte  marque  <\/  est  un  signe  de  reprise. 

Mi    c345T123432143217G25bt;;6c55 
b  -7,  G  4  4  G  2  7  5  i  2  5  7  i  c. 

La  lettre  b ,  que  vous  voyez  après  la  dernière  note  de  la  première- 
partie ,  vous  apprend  qu'il  faut  monter  d'une  sixte  pour  revenir  au  mi 
lu  commencement,  puisqu'il  est  de  l'oclave  supérieure  c;  et  la  lettre  c. 
[lue  vous  voyez  également  après  la  première  et  la  dernière  noit  oe 
'a  seconde  partie,  vous  apprend  qu'elles  sont  toutes  deux  de  la  même 
i)Ctave,  et  qu'il  faut  par  conséquent  monter  d'une   quinte  pour  revenir 

:  la  finale  à  la  reprise. 

Ces  observations  sont  fort  simples  et  fort  aisées  à  retenir.  Il  faut 
vouer  cependant  que  la  méthode  des  points  a  quelques  avantages  de 
noins  que  celle  de  la  position  d'étage  en  étage  que  j'ai  enseignée  la 
ireraière,  et  qui  n'a  jamais  besoin  de  toutes  ces  différences  de  lettres  : 
une  et  l'autre  ont  pourtant  leur  commodité;  et,  comme  elles  s'ap- 
rennent  par  les  mêmes  règles  et  qu'on  peut  les  savoir  toutes  deux 
nsemble  avec  la  même  facilité  qu'on  a  pour  en  apprendre  une  sépa- 
ément,  on  les  pratiquera  chacune  dans  les  occasions  où  elle  paroîtia 
lus  convenable.  Par  exemple,  rien  ne  sera  si  commode  que  la  méthode 
es  points  pour  ajouter  l'air  à  des  paroles  déjà  écrites  ;  pour  noter  de 
retitsairs,  des  morceaux  détachés,  et  ceux  qu"on  veut  envoyer  en  pro- 
ince;  et,  en  général,  pour  la  musique  vocale.  D'un  autre  côté,  la  mé- 
hode  de  position  servira  pour  les  partitions  et  les  grandes  pièces  de 
lusique,  pour  la  musique  instrumentale,  et  surtout  pour  commencer 
3s  écoliers,  parce  que  la  mécanique  en  est  encore  plus  sensible  que  de 
autre  manière,  et  qu'en  partiml  de  celle-ci  déjà  connue,  l'autre  s; 
onçoit  du  premier  instant.  Les  compositeurs  s'en  serviront  aussi  par 
référence,  à  cause  de  la  distinction  oculaire  des  différentes  octaves  : 
s  sentiront  en  la  pratiquant  toute  l'étendue  de  ses  avantages,  que 
ose  dire  tels  pour  l'évidence  de  l'harmonie,  que  quand  ma  méthode 
'auroit  nul  cours  dans  la  pratique,  il  n'est  point  de  compositeur 
ui  ne  dût  l'employer  pour  son  usage  particulier  et  pour  l'instruction 

!  ses  élèves. 

Voilà  ce  que  j'avois  à  dire  sur  la  première  partie  de  mon  système , 
ui  regarde  l'expression  des  sons  :  passons  à  la  seconde,  qui  traite  de 

urs  durées. 

L'article  dont  je  viens  de  parler  n'est  pas ,  à  beaucoup  près ,  aussi 

fficile  que  celui-ci,  du  moins  dans  la  pratique,  qui  n'admet  qu'un 
îrtain  nombre  de  sons,  dont  les  rapports  sont  fixés,  et  à  peu  près  les 

èraes  dans  tous  les  tons ,  au  lieu  que  les  différences  qu'on  peut  intro- 
jire  dans  leurs  durées  peuvent  varier  presque  à  l'infini. 

11  y  a  beaucoup  d'apparence  que  l'établissement  de  la  quantité  dans  la 

usique  a  d'abord  été  relatif  à  celle  du  langage,  c'est-à-dire  qu'on  fai- 
»it  passer  plus  vite  les  sons  par  lesquels  on  expriraoit  les  syllabes- 


300  DISSERTATION 

lirèves,  et  durer  un  peu  plus  longtemps  ceux  qu'on  adaptoit  aux  lon- 
gues. On  poussa  bientôt  les  choses  plus  loin,  et  l'on  établit,  à  l'imitation 
de  la  poésie,  une  certaine  régularité  dans  la  durée  des  sons,  par  la- 
quelle on  les  assujettissoit  à  des  retours  uniformes  qu'on  s'avisa  de  m  - 
surer  par  des  mouvemens  égaux  de  la  main  ou  du  pied,  et  d'où,  à 
cause  de  cela,  ils  prirent  le  nom  de  mesures.  L'analogie  est  visible  à 
cet  égard  entre  la  musique  et  la  poésie  :  les  vers  sont  relatifs  aux  ma- 
sures, les  pieds  aux  temps,  et  les  syllabes  aux  notes.  Ce  n'est  pas  assu- 
rément donner  dans  des  absurdités  que  de  trouver  des  rapports  aussi 
naturels,  pourvu  qu'on  n'aille  pas,  comme  le  P.  Souhaitti,  appliquera 
l'une  les  signes  de  l'autre ,  et ,  à  cause  de  ce  qu'elles  ont  de  semblable, 
confondre  ce  qu'elles  ont  de  différent. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'examiner  en  physicien  d'où  naît  cette  égalité 
merveilleuse  que  nous  éprouvons  dans  nos  mouvemens  quand  nous 
battons  la  mesure  :  pas  un  temps  qui  passe  l'autre ,  pas  la  moindre  diti'é- 
rence  dans  leur  durée  successive,  sans  que  nous  ayons  d'autre  règle 
que  notre  oreille  pour  la  déterminer  :  il  y  a  lieu  de  conjecturer  qu'un 
effet  aussi  singulier  part  du  même  principe  qui  nous  fait  entonner 
naturellement  toutes  les  consonnances.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  clair 
que  nous  avons  un  sentiment  sûr  pour  juger  du  rapport  des  mouve- 
mens, tout  comme  de  celui  des  sons,  et  des  organes  toujours  prêts  à- 
exprimer  les  uns  et  les  autres  selon  les  mêmes  rapports,  et  il  me  suffit-, 
pour  ce  que  j'ai  à  dire,  de  remarquer  le  fait  sans  en  rechercher  la 
cause. 

Les  musiciens  font  de  grandes  distinctions  dans  ces  mouvemens,  non- 
seulement  quant  aux  divers  degrés  de  vitesse  qu'ils  peuvent  avoir,  mais 
aussi  quant  au  genre  même  de  la  mesure,  et  tout  cela  n'est  qu'une 
suite  du  mauvais  principe  par  lequel  ils  ont  fixé  les  différentes  durées 
des  sons;  car,  pour  trouver  les  rapports  des  uns  aux  autres,  il  a  fallu 
établir  un  terme  de  comparaison,  et  il  leur  a  plu  de  choisir  pour  ce 
terme  une  certaine  quantité  de  durée  qu'ils  ont  déterminée  par  une 
figure  ronde  :  ils  ont  ensuite  imaginé  des  notes  de  plusieurs  autres 
figures,  dont  la  valeur  est  fixée,  par  rapport  à  cette  ronde,  en  propor- 
tion sous-double.  Cette  division  seroit  assez  supportable,  quoiqu'il  s'en 
faille  de  beaucoup  qu'elle  n'ait  l'universalité  nécessaire,  si  le  terme  de 
comparaison,  c'est-à-dire  si  la  durée  de  la  ronde  étoit  quelque  chose 
d'un  peu  moins  vague;  mais  la  ronde  va  tantôt  plus  vite,  tantôt  plus 
lentement ,  suivant  le  mouvement  de  la  mesure  où  l'on  l'emploie  :  et  l'on 
ne  doit  pas  se  flatter  de  donner  quelque  chose  de  plus  précis  en  disant 
qu'une  ronde  est  toujours  l'expression  de  la  durée  d'une  mesure  à 
quatre ,  puisque  ,  outre  que  la  durée  même  de  cette  mesure  n'a  rien  de 
déterminé,  on  voit  communément  en  Italie  des  mesures  à  quatre  et  à 
deux  contenir  deux  et  quelquefois  quatre  rondes. 

C'est  pourtant  ce  qu'on  suppose  dans  les  chiffres  des  mesures  doubles  : 
le  chiffre  inférieur  marque  le  nombre  de  notes  d'une  certaine  valeur 
contenues  dans  une  mesure  à  quatre  temps,  et  le  chiffre  supérieur 
marque  combien  il  faut  de  ces  mêmes  notes  pour  remplir  une  mesure 
de  l'air  que  l'on  va  noter.  Mais  pourquoi  ce  rapport  de  tant  de  différente» 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  301 

mesures  à  celle  de  quatre  temps  qui  leur  est  si  peu  semblable?  ou  pour- 
quoi ce  rapport  de  tant  de  différentes  notes  à  une  ronde  dont  la  durée 
est  si  peu  déterminée? 

On  diroit  que  les  inventeurs  de  la  musique  ontprisà  tâche  de  faire 
tout  le  contraire  de  ce  qu'il  falloit  :  d'un  côté,  ils  ont  négligé  la  dis- 
tinction du  son  fondamental  indiqué  par  la  nature  et  si  nécessaire  pour 
I servir  de  terme  commun  au  rapport  de  tous  les  autres;  et  de  l'autre,  ils 
ont  voulu  établir  une  durée  absolue  et  fondamentale  sans  pouvoir  en 
déterminer  la  valeur. 

Faut-il  s'étonner  si  l'erreur  du  principe  a  tant  causé  de  défauts  dans 
les  conséquences?  défauts  essentiels  à  la  pratique,  et  tous  propres  à  re- 
tarder longtemps  les  progrès  des  écoliers. 

Les  musiciens  reconnoissent  au  moins  quatorze  mesures  différentes, 
dont  voici  les  signes  :  2 ,  3  ,  C , 

3     2      3      6      n      <  2      3     C      9     ,1 2       3        6 

25  4î4'4'4»    4'8>8'»'     8'10'16* 

Or,  si  ces  signes  sont  institués  pour  déterminer  autant  de  mouve- 
mens  différens  en  espèce,  il  y  en  a  beaucoup  trop,  et  s'ils  le  sont, 
outre  cela,  pour  exprimer  les  différens  degrés  de  vitesse  de  cesmouve- 
mens ,  il  n'y  en  a  pas  assez.  D'ailleurs ,  pourquoi  se  tourmenter  si  fort 
pour  établir  des  signes  qui  ne- servent  à  rien,  puisque,  indépendam- 
ment du  genre  de  la  mesure ,  on  est  presque  toujours  contraint  d'ajouter 
un  mot  au  commencement  de  l'air,  qui  détermine  l'espèce  et  le  degré 
du  mouvement? 

Cependant  on  ne  sauroit  contester  que  la  diversité  de  ces  mesures  ne 
brouille  les  commençans  pendant  un  temps  infiai,  et  que  tout  cela  ne 
naisse  de  la  fantaisie  qu'on  a  de  les  vouloir  rapporter  à  la  mesure 
à  quatre  temps,  ou  d'en  vouloir  rapporter  les  notes  à  la  valeur  de  la 
ronde. 

Donner  aux  mouvemens  et  aux  notes  des  rapports  entièrement  étran- 
gers à  la  mesure  où  l'on  les  emploie  ,  c'est  proprement  leur  donner  des 
valeurs  absolues,  en  conservant  l'embarras  des  relations  :  aussi  voit-on 
suivre  de  là  des  équivoques  terribles ,  qui  sont  autant  de  pièges  à  la 
précision  de  la  musique  et  au  goût  du  musicien.  En  effet,  n'est-il  pas 
évident  qu'en  déterminant  la  durée  des  rondes ,  blanches,  noires,  cro- 
ches, etc.,  non  par  la  qualité  de  la  mesure  où  elles  se  rencontrent,  mais 
par  celle  de  la  note  même,  vous  trouvez  à  tout  moment  la  relation  en 
opposition  avec  le  sens  propre?  De  là  vient,  par  exemple,  qu'une  blan- 
che, dans  une  certaine  mesure,  passera  beaucoup  plus  vite  qu'une 
noire  dans  une  autre,  laquelle  noire  ne  vaut  cependant  que  la  moitié 
de  cette  blanche;  et  de  là  vient  encore  que  les  musiciens  de  province, 
trompés  par  ces  faux  rapports,  donnent  souvent  aux  airs  des  mouve- 
mens tout  différens  de  ce  qu'ils  doivent  être,  en  s'attachant  scrupuleu- 
sement à  cette  fausse  relation,  tandis  qu'il  faudra  quelquefois  passer 
une  mesure  à  trois  temps  simples  plus  vite  qu'une  autre  à  trois  huit; 
ce  qui  dépend  du  caprice  des  compositeurs ,  et  dont  les  opéras  présentent 
I  ies  exemples  à  chaque  instant. 


:^02  DISSERTATION 

II  y  auroit  sur  ce  point  bien  d'autres  remarques  à  faire,  auxquellel 
■'6  ne  m'arrêterai  pas.  Quand  on  a  imaginé,  par  exemple,  la  division 
sous-double  des  notes  telle  qu'elle  est  établie,  apparemment  qu'on  n'a 
pas  prévu  tous  les  cas,  ou  bien  l'on  n'a  pu  les  embrasser  tous  dans  una 
règle  générale;  ainsi,  quand  il  est  question  de  faire  la  division  d'una 
note  ou  d'un  temps  en  trois  parties  égales  dans  une  mesure  à  deux,  à 
trois  ou  à  quatre, il  faut  nécessairement  que  le  musicien  le  devine,  ou 
bien  qu'on  l'en  avertisse  par  un  signe  étranger  qui  fait  exception  à  la 
règle. 

C'est  en  examinant  les  progrès  de  la  musique  que  nous  pourrons  trou- 
ver le  remède  à  ces  défauts.  Il  y  a  deux  cents  ans  que  cet  art  étoit  encore 
extrêmement  grossier.  Les  rondes  et  les  blanches  étoient  presque  les 
seules  notes  qui  y  fussent  employées,  et  l'on  ne  regardoit  une  croche 
qu'avec  frayeur.  Une  musique  aussi  simple  n'amenoit  pas  de  grandes 
difficultés  dans  la  pratique,  et  cela  faisoit  qu'on  ne  prenoit  pas  non  plus 
grand  soin  pour  lui  donner  de  la  précision  dans  les  signes;  on  négli- 
geoit  la  séparation  des  mesures,  et  l'on  se  contentoit  de  les  exprimer 
par  la  figure  des  noies.  A  mesure  que  l'art  se  perfectionna  et  que  les  dif- 
ficultés augmentèrent,  on  s'aperçut  de  l'embarras  qu'il  y  avoit,  dans 
une  grande  diversité  de  notes,  de  faire  la  distinction  das  mesures,  et 
l'on  commença  à  les  séparer  par  des  lignes  perpendiculaires;  on  se  mit 
ensuite  à  lier  les  croches  pour  faciliter  les  temps;  et  l'on  s'en  trouva  bi 
bien  que,  depuis  lors,  les  caractères  de  la  musique  sont  toujours  restés 
à  peu  près  dans  le  même  état. 

Une  partie  des  inconvéniens  subsiste  pourtant  encore;  la  distinction 
des  temps  n'est  pas  toujours  trop  bien  observée  dans  la  musique  instru- 
mentale, et  n'a  point  lieu  du  tout  dans  le  vocal  :  il  arrive  de  là  qu'au 
milieu  d'une  grande  mesure  l'écolier  ne  sait  où  il  en  est,  surtout  lors- 
qu'il trouve  une  quantité  de  croches  et  de  doubles  croches  détachées, 
dont  il  faut  qu'il  fasse  lui-même  la  distribution. 

Une  réflexion  toute  simple  sur  l'usage  des  ligues  perpendiculaires  pour 
la  séparation  des  mesures  nous  fournira  un  moyen  assuré  d'anéantir 
ces  inconvéniens.  Toutes  les  notes  qui  sont  renfermées  entre  deux  de 
ces  lignes  dont  je  viens  de  parler  font  justement  la  valeur  d'une  me- 
sure :  qu'elles  soient  en  grande  ou  petite  quantité,  cela  n'intéresse  en 
rien  la  durée  de  cette  mesure,  qui  est  toujours  la  même;  seulement  se 
divise- t-elle  en  parties  égales  ou  inégales,  selon  la  valeur  et  le  nombre 
des  notes  qu'elle  renferme.  Mais  enfin,  sans  connoître  précisément  le 
nombre  de  ces  notes,  ni  la  valeur  de  chacune  d'elles,  on  sait  certaine- 
ment qu'elles  forment  toutes  ensemble  une  durée  égale  à  celle  de  la 
mesure  où  elles  se  trouvent. 

Séparons  les  temps  par  des  virgules ,  comme  nous  séparons  les  me- 
sures par  des  lignes,  et  raisonnons  sur  chacun  de  ces  temps  de  la  même 
manière  que  nous  raisonnons  sur  chaque  mesure;  nous  aurons  un  prin- 
cipe universel  pour  la  durée  et  la  quantité  des  notes,  qui  nous  dispen- 
sera d'inventer  de  nouveaux  signes  pour  la  déterminer,  et  qui  nous 
mettra  à  portée  de  diminuer  de  beaucoup  le  nombre  des  différentes  me- 
tures  usitées  dans  la  musique,  sans  rien  ôterà  la  variété  des  mouvemens 


J 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  303 

Quand  une  note  seule  est  rei'ifermée  entre  les  deux  lignes  d'une  me- 
sure, c'est  un  signe  que  cette  note  remplit  tous  les  temps  de  cette  me- 
sure et  doit  durer  autant  qu'elle  :  dans  ce  cas.  la  séparation  des  temps 
seroit  inutile,  on  n'a  qu'à  soutenir  le  même  son  pendant  toute  la  me- 
sure. Quand  la  mesure  est  divisée  en  autant  de  notes  égales  qu'elle  con- 
tient de  temps,  on  pourroit  encore  se  disperser  de  les  séparer;  chaque 
note  marque  un  temps,  et  chaque  temps  est  rempli  par  une  note;  mais 
dans  le  cas  que  la  mesure  soit  chargée  de  notes  d'inégales  valeurs,  alors 
Jl  faut  nécessairement  pratiquer  la  séparation  des  temps  par  des  vir- 
gules; et  nous  la  pratiquerons  même  dans  le  cas  précédent,  pour  con- 
server dans  nos  signes  la  plus  parfaite  uniformité. 

Chaque  temps  compris  entre  deux  virgules,  ou  entre  une  virgule  et 
une  ligne  perpendiculaire,  renferme  une  note  ou  plusieurs.  S'il  ne  con- 
tient qu'une  note,  on  conçoit  qu'elle  remplit  tout  ce  temps-là,  rien 
n'est  ïi  simple  :  s'il  en  renferme  plusieurs,  la  chose  n'est  pas  plus  diffi- 
cile; divisez  ce  temps  en  autant  départies  égales  qu'il  comprend  de 
notes;  appliquez  chacune  de  ces  parties  à  chacune  de  ces  notes,  et 
passez-les  de  sorte  que  tous  les  temps  soient  égaux. 

EXEMPLE    DU    PREMIER   C.4S  : 

J{^  3  II  d  1.2.3  I  7,i,2  I  6,7,i  |  5,4,3  |  i,2,3  | 
d  7,i,2  I  6,7,5  1  6  c. 

EXEMPLE    DU    SECOND  : 

m  2  II  c  17, i2  I  32,31  I  54,56  |  76,75  |  i4,55  j  i  c. 

EXEMPLE    DE    TOUS   LES   DEUX  : 

Fo  3  II  d  3,4,5  I  65,43,21  1  2,5,1  |  1,6,2  1  2,7,3  |  3, 
d  1,4  I  4,32,34  |  2  |  3,4,5  j  64.43,21  |  2,5,12  | 
d  7 i, 6,23  I  12,7,34  |  23,1,45  j  34,2,5G  |  45, 
d  3,6  I  62,2il2  j  1,507,121  |  7i7,C7i,232  | 
d  121,7i2,343  |  232,123,454  |  343,234, 
d  565  I  454,32,34  |  2,5567, iTl217 ,6071, 
d  2X2321,7712,3X3432, 1123,4T4543, 
d  2234,5T 5654,3345,607  i  |  12, 3^2  |  1  d. 

On  voit  dans  les  exemples  précédens  que  je  conserve  les  cadences  et 
les  liaisons  comme  dans  la  musique  ordinaire,  et  que,  pour  distinguer 
le  chiffre  qui  marque  la  mesure  d'avec  ceu.x  des  notes .  j'ai  soin  de  le 
faire  plus  grand,  et  de  l'en  séparer  par  une  double  ligne  perpendi- 
culaire. 


304  DISSERTATION 

Avant  que  d'entrer  dans  un  plus  grand  détail  sur  cette  méthode-,  nv 
marquons  d'abord  combien  elle  simplifie  la  pratique  de  la  mesure  en 
anéantissant  tout  d'un  coup  toutes  les  mesures  doubles  :  car,  comme  la- 
division  des  notes  est  prise  uniquement  dans  la  valeur  des  temps  et  de 
la  mesure  où  elles  se  trouvent,  il  est  évident  que  ces  notes  n'ont  plus  : 
besoin  d'être  comparées  à  aucune  valeur  extérieure  pour  fixer  la  leur; 
ainsi,  la  mesure  étant  uniquement  déterminée  par  le  nombre  de  ses 
temps,  on  la  peut  très-bien  réduire  à  deux  espèces  :  savoir,  mesure  à, 
deux  ,  et  mesure  à  trois.  A  l'égard  de  la  mesure  à  quatre ,  tout  le  monde 
convient  qu'elle  n'est  que  l'assemblage  de  deux  mesures  à  deux  temps 
elle  est  traitée  comme  telle  dans  la  composition,  et  l'on  peut  compter 
que  ceux  qui  prétendroient  lui  trouver  quelque  propriété  particulière 
s'en  rapporteroient  bien  plus  à  leurs  yeux  qu'à  leurs  oreilles. 

Que  le  nombre  des  temps  d'une  mesure  naturelle  ,  sensible  et  agréable  ' 
à  l'oreille,  soit  borné  à  trois,  c'est  un  fait  d'expérience  que  toutes  les 
spéculations  du  monde  ne  détruisent  pas  :  on  auroit  beau  chercher  de 
subtiles  analogies  entre  les  temps  de  la  mesure  et  les  harmoniques  d'un 
son,  on  trouveroit  aussi  tôt  une  sixième  consonnance  dans  l'harmonie; 
qu'un  mouvement  à  cinq  temps  dans  la  mesure;  et,  quelle  qu'en  puisse" 
être  la  raison  ,  il  est  incontestable  que  le  plaisir  de  l'oreille  ,  et  même  sa 
sensibilité  à  la  mesure,  ne  s'étend  pas  plus  loin. 

Tenons-nous-en  donc  à  ces  deux  genres  de  mesures,  à  deux  et  à  trois^ 
temps  :  chacun  des  temps  de  l'une  et  de  l'autre  peut  de  même  être  par- 
tagé en  deux  ou  en  trois  parties  égales,  et  quelquefois  en  quatre,  six, 
huit,  etc.,  par  des  subdivisions  de  celles-ci,  mais  jamais  par  d'autres 
nombres  qui  ne  seroient  pas  multiples  de  deux  ou  de  trois. 

Or,  qu'une  mesure  soit  à  deux  ou  à  trois  temps,  et  que  la  division  de 
chacun  de  ces  temps  soit  en  deux  ou  en  trois  parties  égales  ,  ma  méthode 
est  toujours  générale,  et  exprime  tout  avec  la  même  facilité.  On  l'a 
déjà  pu  voir  par  le  dernier  exemple  précédent,  et  l'on  le  verra  encore 
par  celui-ci ,  dans  lequel  chaque  temps  d'une  mesure  à  deux ,  partagé  ec 
trois  parties  égales ,  exprime  le  mouvement  de  six-huit  dans  la  musique 
ordinaire. 

EXEMPLE  : 

m  2  !1  d,36i  I  176,656  |  731,712  |  176,2T217, 
d  176  I  5,361  I  176,656  |  73i,147  |  2,217  | 
d  176,365  I  6. 

M 

Les  notes  dont  deux  égales  rempliront  un  temps  s'appelleront  des  i 
mis;  celles  dont  il  en  faudra  trois,  des  tiers;  celles  dont  il  en  fauc 
quatre ,  des  quarts ,  etc. 

Mais  lorsqu'un  temps  se  trouve  partagé  de  sorte  que  toutes  les  not 
n'y  sont  pas  d'égale  valeur,  pour  représenter,  par  exemple,  dans 
seul  temps  une  noire  et  deux  croches,  je  considère  ce  temps  comme  > 
visé  en  deux  parties  égales,  dont  la  noire  fait  la  première,  et  les  deux  [ti 
croches  ensemble  la  seconde.  Je  les  lie  donc  par  une  ligne  droite  que  je 


SUR   LA  MUSIQUE  MODERNE.  305 

place  au  dessus  ou  au-dessous  d'elles;  et  celle  ligne  marque  que  toul  ce 
qu'elle  embrasse  ne  représente  qu'une  seule  note,  laquelle  doit  être 
subdivisée  ensuite  en  deux  parties  égales,  ou  en  trois,  ou  en  quatre, 
suivant  le  nombre  des  chiffres  qu'elle  couvre. 

EXEMPLE  : 

Fo  2  II  d,  1765  I  67,i2n6i  |  73,  17612  I  sHT, 
d,  1767  I  212^7657  |  327,7  |  6. 

La  virgule  qui  se  trouve  avant  la  première  note  dans  les  deux  exem- 
ples précédens  désigne  la  fin  du  premier  temps,  et  marque  que  le  chant 
commence  par  le  second. 

Quand  il  se  trouve  dans  un  même  temps  des  subdivisions  d'inégalités, 
on  peut  alors  se  servir  d'une  seconde  liaison  :  par  exemple,  pour  expri- 
mer un  temps  composé  d'une  noire,  d'une  croche  et  de  deux  doubles 
croches,  on  s'y  prendroit  ainsi: 

Sol  2  i  d  13,5127]  72,67*17  |  6i,4676  |  5676, 


c  1231  I  46,145^1  35,1343124,7232  | 
d  1434,55  I  il  d. 

Vous  voyez  là  que  le  second  temps  de  la  première  mesure  contient 
deux  parties  égales,  équivalentes  à  deux  noires;  savoir,  le  5  pour  l'une ,^ 
et  pour  l'autre  la  somme  des  trois  notes  12  1,  qui  sont  sous  la  grande 
liaison  ;  ces  trois  notes  sont  subdivisées  en  deux  autres  parties  égales , 
équivalentes  à  deux  croches,  dont  l'une  est  le  premier  1 ,  et  l'autre  les 
deux  notes  2  et  1  jointes  par  la  seconde  liaison,  lesquelles  sont  ainsi 
chacune  le  quart  de  la  valeur  comprise  sous  la  grande  liaison,  et  le 
huitième  du  temps  entier. 

En  général,  pour  exprimer  régulièrement  la  valeur  des  notes,  il  faut 
s'attacher  à  la  division  de  chaque  temps  par  parties  égales;  ce  qu'on 
peut  toujours  faire  par  la  méthode  que  je  viens  d'enseigner,  en  y  ajou- 
tant l'usage  du  point  dont  je  parlerai  toul  à  l'heure ,  sans  qu'il  soit  pos 
sible  d'être  arrêté  par  aucune  exception.  Il  ne  sera  même  jamais  néces- 
saire .  quelque  bizarre  que  puisse  être  une  musique,  de  mettre  plus  de 
deux  liaisons  sur  aucune  de  ces  notes,  ni  d'en  accompagner  aucune  de 
plus  de  deux  points,  à  moins  qu'on  ne  voulût  imaginer  dans  de  grandes 
inégalités  de  valeurs  des  quintuples  et  des  sextuples  croches ,  dont  la  ra- 
pidité comparée  n'est  nullement  à  la  portée  des  voix  ni  des  instrumens, 
et  dont  à  peine  trouveroit-on  d'exemple  dans  la  plus  grande  débauche  de 
cerveau  de  nos  compositeurs. 

A   regard  des  tenues  et  des  syncopes,,  je  puis,  comme  dans  la  mu- 
RorssEAu  VI  20 


306-  DISSEIITATION 

sique  ordinaire,  les  exprimer  avec  des  notes  liées  ensemble  par  une 
ligne  courbe  que  nous  appellerons  liaison  de  tenue  ou  chapeau ,  pour  la 
distinguer  de  la  liaison  de  valeur  dont  je  viens  de  parler,  et  qui  se 
marque  par  une  ligne  droite.  Je  puis  aussi  employer  le  point  au  même 
usage,  en  lui  donnant  un  sens  plus  universel  et  bien  plus  commode  que 
dans  la  musique  ordinaire;  car,  au  lieu  de  lui  faire  valoir  toujours  la 
moitié  de  la  note  qui  le  précède,  ce  qui  ne  fait  qu'un  cas  parliculier, 
je  lui  donne  de  même  qu'aux  notes  une  valeur  déterminée  uniquement 
par  la  place  qu'il  occupe;  c'est-à-dire  que  si  le  point  remplit  seul  ua 
temps  ou  une  mesure,  le  son  qui  a  précédé  doit  être  aussi  soutenu  pen- 
dant tout  ce  temps  ou  toute  celte  mesure;  et  si  le  point  se  trouve  dans 
un  temps  avec  d'autres  notes ,  il  fait  nombre  aussi  bien  qu'elles,  et  doit 
être  compté  pour  un  tiers  ou  pour  un  quart ,  suivant  la  quantité  de  notes 
que  renferme  ce  temps-là,  en  y  comprenant  le  point.  En  un  mot,  le 
point  vaut  autant,  ou  plus,  ou  moins,  que  la  note  qui  l'a  précédé,  et 
dont  il  marque  la  tenue  suivant  la  place  qu'il  occupe  dans  le  temps  où 
il  est  employé. 

EXEMPLE  : 

ir<  2  II  c,  1  I  54,-3  I  -2,43  |  -S/I  |  55,-4  j 
c  64,-2  I  5432,i  j  75,1  j  -,7  |  i. 

Au  reste ,  il  n'est  pas  à  craindre ,  comme  on  le  voit  par  cet  exemple , 
que  ces  points  se  confondent  jamais  avec  ceux  qui  servent  à  changer 
d'octaves  :  ils  en  sont  trop  bien  distingués  par  leur  position  pour  avoir 
besoin  de  l'être  par  leur  figure.  C'est  pourquoi  j'ai  négligé  de  le  faire  . 
évitant  avec  soin  de  me  servir  de  signes  extraordinaires  qui  distrairoient 
l'attention  sans  exprimer  rien  de  plus  que  la  simplicité  des  miens. 

A  l'égard  du  degré  de  mouvement ,  s'il  n'est  pas  déterminé  par  les 
caractères  de  ma  méthode ,  il  est  aisé  d'y  suppléer  par  un  mot  mis  au 
commencement  de  l'air;  et  l'on  peut  d'autant  moins  tirer  de  là  un  argu- 
ment contre  mon  système,  que  la  musique  ordinaire  a  besoin  du  même 
secours.  "Vous  avez,  par  exemple,  dans  la  mesure  à  trois  temps  simples, 
cinq  ou  six  mouvemens  très-différens  les  uns  des  autres,  et  tous 
exprimés  par  une  noire  à  chaque  temps  :  ce  n'est  donc  pas  la  qualité 
des  noies  qu'on  emploie  qui  sert  à  déterminer  le  mouvement;  et  s'il  se 
trouve  des  maîtres  négligens  qui  s'en  fient  sur  ce  sujet  au  caractère  de 
leur  musique  et  au  goût  de  ceux  qui  la  liront,  leur  confiance  se  trouve 
si  souvent  punie  par  les  mauvais  mouvemens  qu'on  donne  à  leurs  airs, 
qu'ils  doivent  assez  sentir  combien  il  est  nécessaire  d'avoir  à  cet  égard 
des  indications  plus  précises  que  la  qualité  des  notes. 

L'imperfection  grossière  de  la  musique  sur  l'article  dont  nous  parlons 
seroit  sensible  pour  quiconque  auroit  des  yeux  :  mais  les  musiciens  ne 
la  voient  point,  et  j'ose  prédire  hardiment  qu'ils  ne  verront  jamais  rien 
de  tout  ce  qui  pourroit  tendre  à  corriger  les  défauts  de  leur  art.  Elle 
n'avoit  pas  échappé  à  M.  Sauveur,  et  il  n'est  pas  nécessaire  de  méditer 
sur  la  musique  autant  qu'ill'avoil  fait, pour  sentir  combien  il  seroit  im- 
portant de  ne  pas  laisser  aux  mouvemens  des  différentes  mesures  une 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  307 

expression  si  vague ,  et  de  n'en  pas  abandonner  la  détermination  à  des 
goûts  souvent  si  mauvais. 

Le  système  singulier  qu'il  avoit  proposé,  et  en  général  tout  ce  qu'il  a 
donné  sur  l'acouitique,  quoique  assez  chimérique  selon  ses  vues,  ne 
laissoit  pas  de  renfermer  d'excellentes  choses  qu'on  auroit  bien  su  met- 
tre à  profit  dans  tout  autre  art.  Rien  n'auroit  été  plus  avantageux ,  par 
exemple ,  que  l'usage  de  son  échomètre  géméral  pour  déterminer  préci- 
sément la  durée  des  mesures  et  des  temps,  et  cela  par  la  pratique  du 
monde  la  plus  aisée  :  il  n'auroit  été  question  que  de  fixer  sur  une  me- 
sure connue  la  longueur  du  pendule  simple,  qui  auroit  fait  un  tel 
nombre  juste  de  vibrations  pendant  un  temps,  ou  une  mesure  d'un  mou- 
vement de  telle  espèce.  Un  seul  chiffre,  mis  au  commencement  d'un 
air,  auroit  exprimé  tout  cela;  et,  par  son  moyen,  on  auroit  pu  déter- 
miner le  mouvement  avec  autant  de.  précision  que  l'auteur  même  :  le 
pendule  n'auroit  été  nécessaire  que  pour  prendre  une  fois  l'idée  de 
chaque  mouvement;  après  quoi,  cette  idée  étant  réveillée  dans  d'autres 
airs  par  les  mêmes  chiffres  qui  l'auroient  fait  naître  et  par  les  airs 
mêmes  qu'on  y  auroit  déjà  chantés,  une  habitude  assurée,  acquise  par 
une  pratique  aussi  exacte,  auroit  bientôt  tenu  lieu  de  règle  et  rendu  le 
pendule  inutile. 

Mais  ces  avantages  mêmes,  qui  devenoient  de  vrais  inconvéniens  par 
la  facilité  qu'ils  auroient  donnée  aux  commençans  de  se  passer  de  maî- 
tres et  de  se  former  le  goût  par  eux-mêmes,  ont  peut-être  été  cause  que 
le  projet  n"a  point  été  admis  dans  la  pratique  :  il  semble  que  si  l'on 
proposoit  de  rendre  l'art  plus  difficile ,  il  y  auroit  des  raisons  pour  être 
plutôt  écouté. 

Quoi  qu'il  en  soit,  en  attendant  que  l'approbation  du  public  me  mette 
en  droit  de  m'étendre  davantage  sur  les  moyens  qu'il  y  auroit  à  pren- 
dre pour  faciliter  l'intelligence  des  mouvemens,  de  même  que  celle  de 
bien  d'autres  parties  de  la  musique  sur  lesquelles  j'ai  des  remarques  à 
proposer,  je  puis  me  borner  ici  aux  expressions  de  la  méthode  ordi- 
naire, qui,  par  des  rnots  mis  au  commencement  de  chaque  air,  en  in- 
diquent assez  bien  le  mouvement.  Ces  mots  bienchoisisdoivent ,  je  crois  , 
dédommager  et  au  delà  de  ces  doubles  chiffres  et  de  toutes  ces  diffé- 
rentes mesures  qui,  malgré  leur  nombre,  laissent  le  mouvement  indé- 
terminé et  n'apprennent  rien  aux  écoliers  :  ainsi ,  en  adoptant  seulement 
]e  2  et  le  3  pour  les  signes  de  la  mesure,  jote  la  confusion  des  carac- 
tères sans  altérer  la  variété  de  l'expression. 

Revenons  à  notre  projet.  On  sait  combien  de  figures  étranges  sont 
employées  dans  la  musique  pour  exprimer  les  silences  :  il  y  en  a  autant 
que  de  différentes  valeurs,  et  par  conséquent  autant  que  de  figures  dif- 
férentes dans  les  notes  relatives  :  on  est  même  contraint  de  les  employer 
à  proportion  en  plus  grande  quantité ,  parce  qu'il  n'a  pas  plu  à  leurs 
inventeurs  d'admettre  le  point  après  les  silences  de  la  même  minière  et 
au  même  usage  qu'après  les  notes,  et  qu'ils  ont  mieux  aimé  multiplier 
des  soupirs,  des  demi-soupirs,  des  quarts  de  soupir  à  la  file  les  uns 
des  autres  ,  que  d'établir  entre  des  signes  relatifs  une  analogie  si 
naturelle. 


308  DISSERTATION 

Mais,  comme  dans  ma  méthode  il  n'est  point  nécessaire  de  donner  des 
figures  particulières  aux  notes  pour  en  déterminer  la  valeur,  on  y  est 
aussi  dispensé  de  la  même  précaution  pour  les  silences,  et  un  seul  signe 
suffit  pour  les  exprimer  tous  sans  confusion  et  sans  équivoque.  11  pjroît 
assez  indifférent  dans  cette  unité  de  figures  de  choisir  tel  caraîtère 
qu'on  voudra  pour  l'employer  à  cet  usage.  Le  zéro  a  cependant  quelque 
chose  de  si  convenable  à  cet  efTet ,  tant  par  l'idée  de  privation  qu'il 
porte  communément  avec  lui,  que  par  sa  qualité  de  chiffre,  et  surtout 
par  la  simplicité  de  sa  figure,  qu«  j'ai  cru  devoir  le  préférer.  Je  l'emploie- 
rai donc  de  la  même  manière  et  dans  le  même  sens  par  rapport  à  la  va- 
leur que  les  notes  ordinaires,  c'est-à-dire  que  les  chiffres  1,2,3,  etc.  ; 
et  les  règles  que  j'ai  élablies  à  l'égard  des  notes  étant  toutes  applica- 
bles à  leurs  silences  relatifs,  il  s'ensuit  que  le  zéro,  par  sa  seule  posi- 
tion et  par  les  points  qui  le  peuvent  suivre ,  lesquels  alors  exprimeront 
des  silences,  suffit  seul  pour  remplacer  toutes  les  pauses,  soupirs, 
demi-soupirs,  et  autres  signes  bizarres  et  superflus  qui  remplissent  la 
musique  ordinaire. 

EXEMPLE   TIRÉ  DES  LEÇONS  DE  M.  DE  MONTÉCLAIR  : 

Fc  2  =  î  I  d  1  I  2  I  3.1  I  5  !  3  1  5,6  I  7,5  I  i  I  î  I  -,5  I 

M        •  — — . 

d  1,07  I  6,05  I  4,0321  |  7,0123  l  43,2-1  |  1. 

Les  chiffres  4  et  2  placés  ici  sur  des  zéros  marquent  le  nombre  des 
mesures  que  l'on  doit  passer  en  silence. 

Tels  sont  les  principes  généraux  d'où  découlent  les  règles  pour  toutes 
sortes  d'expressions  imaginables ,  sans  qu'il  puisse  naître  à  cet  égard 
aucune  difficulté  qui  n'ait  été  prévue,  et  qui  ne  soit  résolue  en  consé- 
quence de  quelqu'un  de  ces  principes. 

Je  finirai  par  quelques  observations  qui  naissent  du  parallèle  des 
deux  systèmes. 

Les  notes  de  la  musique  ordinaire  sont-elles  plus  ou  moins  avanta- 
geuses que  les  chififres  qu'on  leur  substitue?  C'est  proprement  le  fond' 
de  la  question. 

Il  est  clair,  d'abord,  que  les  notes  varient  plus  par  leur  seule  posi- 
tion, que  mes  chiffres  par  leur  figure  et  par  leur  position  tout  ensemble; , 
qu'outre  cela,  il  y  en  a  de  sept  figures  différentes,  autant  que  j'admets] 
de  chiffres  pour  les  exprimer;  que  les  notes  n'ont  de  signification  et  dej 
force  que  par  le  secours  de  la  clef,  et  que  les  variations  des  clefs  don-j 
nent  un  grand  nombre  de  sens  tout  différens  aux  notes  posées  de  laj 
même  manière. 

Il  n'est  pas  moins  évident  que  les  rapports  des  notes  et  les  intervalles| 
àe  l'une  à  l'autre  n'ont  rien  dans  leur  expression  par  la  musique  ordi- 
naire qui  en  indique  le  genre,  et  qu'ils  sont  exprimés  par  des  positions 
difficiles  à  retenir,  et  dont  la  connoissance  dépend  uniquement  de  l'ha- 
bitude et  d'une  très-longue  habitude  :  car  quelle  prise  peut  avoir  l'es- 
prit pour  saisir  juste ,  et  du  premier  coup  d'oeil,  un  intervalle  de  sixte, 
d«  neuvième,  de  dixième,  dans  la  musique  ordinaire,  à  moins  qiQ 


SUR  LA  MUSIQUE  5I0DERNE.  309 

la  coutume  n'ait  familiarisé  les  yeux  à  lire  tout  d'un  coup  ces  inter- 
valles? 

N'est-ce  pas  un  défaut  terrible  dans  la  musique  de  ne  pouvoir  rien 
conserver,  dans  l'expression  des  octaves,  de  l'analogie  qu'elles  ont 
entre  elles?  Les  octaves  ne  sont  que  les  répliques  des  mêmes  sons;  ce- 
pendant ces  répliques  se  présentent  sous  des  expressions  absolument 
différentes  de  celles  de  leur  premier  terme.  Tout  est  brouilié  daus  la 
position  à  la  distance  d'une  seule  octave:  la  réplique  d'une  note  qui 
etoit  sur  une  ligne  se  trouve  dans  un  espace,  celle  qui  étoit  dans  l'es- 
pace a  sa  réplique  sur  une  ligne  :  montez-vous  ou  descendez-vous  de 
deux  octaves,  autre  différence  toute  contraire  à  la  première;  alors  les 
répliques  sont  placées  sur  des  lignes  ou  dans  des  espaces,  comme  leurs 
premiers  termes.  Ainsi  la  difficulté  augmente  en  changeant  d'objet ,  et 
l'on  n'est  jamais  assuré  de  connoître  au  juste  l'espèce  d'un  intervalle 
traversé  par  un  si  grand  nombre  de  lignes:  de  sorte  qu'il  faut  se  faire, 
d'octave  en  octave,  des  règles  particulières  qui  ne  finissent  point ,  et 
qui  font  de  l'étude  des  intervalles  le  terme  effrayant  et  très-rarement 
atteint  de  la  science  du  musicien. 

De  là  cet  autre  défaut  presque  aussi  nuisible ,  de  ne  pouvoir  distinguer 
l'intervalle  simple  dans  l'intervalle  redoublé  :  vous  voyez  une  note 
posée  entre  la  première  et  la  seconde  ligne ,  et  une  autre  note  posée  sur 
la  septième  ligne:  pour  connoître  leur  intervalle,  vous  décomptez  de 
l'une  à  l'autre,  et,  après  une  longue  et  ennuyeuse  opération,  vous 
trouvez  une  douzième;  or,  comme  on  voit  aisément  qu'elle  passe  l'oc- 
tave, il  faut  recommencer  une  seconde  recherche  pour  s'assurer  enfin 
que  c'est  une  quinte  redoublée;  encore,  pour  déterminer  l'espèce  de 
cette  quinte ,  faut-il  bien  faire  attention  aux  signes  de  la  clef  qui  peu- 
vent la  rendre  juste  ou  fausse .  suivant  leur  nombre  et  leur  position. 

Je  sais  que  le5  musiciens  se  font  communément  des  règles  plus  abré- 
gées pour  se  faciliter  l'habitude  et  la  connoissance  des  intervalles:  mais 
ces  règles  mêmes  prouvent  le  défaut  des  signes,  en  ce  qu'il  faut  tou- 
jours compter  les  lignes  des  yeux,  et  en  ce  qu'on  est  contraint  de  fixer 
son  imagination  d'octave  en  octave  pour  sauter  de  là  à  l'intervalle  sui- 
vant, ce  qui  s'appelle  suppléer  de  génie  au  vice  de  l'expression. 

D'ailleurs,  quand,  à  force  de  pratique,  on  viendroit  à  bout  de  lire 
aisément  tous  les  genres  d'intervalles,  de  quoi  vous  servira  cette  con- 
noissance, tant  que  vous  n'aurez  point  de  règ  e  assurée  pour  en  distin- 
guer l'espèce?  Les  tierces  et  les  sixtes  majeures  et  mineures ,  les  quintes 
et  les  quartes  diminuées  et  superflues,  et  en  général  tous  les  intervalles 
de  même  nom.  justes  ou  altérés,  sont  exprimés  par  la  même  position 
indépendamment  de  leur  qualité;  ce  qui  fait  que  suivant  les  différentes 
situations  des  deux  demi-tons  de  l'octave  ,  qui  changent  de  place  à 
chaque  ton  et  à  chaque  clef,  les  intervalles  changent  aussi  de  qualité 
sans  changer  de  nom  ni  de  position  :  de  là  l'incertitude  sur  l'intona- 
tion et  l'inutilité  de  l'habitude  dans  les  cas  où  elle  seroit  ie  plus 
nécessaire. 

La  méthode  qu'on  a  adoptée  pour  les  instrumens  est  visiblement  une 
dépendance  de  ces  défauts,  et  le  rapport  direct  qu'il  a  fallu  établir 


310  DISSERTATION 

entre  les  touches  de  l'instrument  et  la  position  des  notes  n'est  qu'un 
méchant  pis  aller  pour  suppléer  à  la  science  des  intervalles  et  des  rela- 
tions toniques,  sans  laquelle  on  ne  sauroit  jamais  être  qu'un  mauvais 
musicien. 

Quelle  doit  être  la  grande  attention  du  musicien  dans  l'exécution? 
C'est,  sans  doute,  d'entrer  dans  l'esprit  du  compositeur  et  de  s'appro- 
prier ses  idées  pour  les  rendre  avec  toute  la  fidélité  qu'exige  le  goût  de 
la  pièce  :  or  l'idée  du  compositeur  dans  le  choix  des  sons  est  toujours 
relative  à  la  tonique;  et,  par  exemple,  il  n'emploiera  point  le  fa  dièse 
comme  une  telle  touche  du  clavier,  mais  comme  taisant  un  tel  accord 
ou  un  tel  intervalle  avec  sa  fondamentale.  Je  dis  donc  que,  si  le  musi- 
cien considère  les  sons  par  les  mêmes  rapports,  il  fera  ses  mêmes  inter- 
valles plus  exacts,  il  exécutera  avec  plus  de  justesse  qu'en  rendant  seu- 
lement les  sons  les  uns  après  les  autres,  sans  liaison  et  sans  dépendance 
que  celle  de  la  position  des  notes  qui  sont  devant  ses  yeux,  et  de  ces 
foules  de  dièses  et  de  bémols  qu'il  faut  qu'il  ait  incessamment  présens  à 
l'esprit;  bien  entendu  qu'il  observera  toujours  les  modifications  parti- 
culières à  chaque  ton,  qui  sont,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  l'effet  du  tem- 
pérament, , et  dont  la  connoissance  pratique,  indépendante  de  tout 
système,  ne  peut  s'acquérir  que  par  l'oreille  et  par  l'habitude. 

Quand  on  prend  une  fois  un  mauvais  principe ,  on  s'enfile  d'inconvé- 
niens  en  inconvéniens  ,  et  souvent  on  voit  évanouir  les  avantages 
mêmes  qu'on  s'étoit  proposés.  C'est  ce  qui  arrive  dans  la  pratique  de  la 
musique  instrumentale  ;  les  difficultés  s'y  présentent  en  foule.  La  quan- 
tité de  positions  différentes,  de  dièses,  de  bémols,  de  changemens  de 
clefs,  y  sont  des  obstacles  éternels  aux  progrès  des  musiciens,  et  après 
tout  cela,  il  faut  encore  perdre,  la  moitié  du  temps,  cet  avantage  si 
vanté  du  rapport  direct  de  la  touche  à  la  note ,  puisqu'il  arrive  cent 
fois,  par  la  force  des  signes  d'altération  simples  ou  redoublés,  que  les 
mêmes  notes  deviennent  relatives  à  des  touches  toutes  différentes  de  ce 
qu'elles  représentent,  comme  on  l'a  pu  remarquer  ci-devant. 

Voulez-vous,  pour  la  commodité  des  voix,  transposer  la  pièce  un 
demi- ton  ou  un  ton  plus  haut  ou  plus  bas;  voulez-vous  présenter  à  ce 
symphoniste  de  la  musique  notée  sur  une  clef  étrangère  à  son  instru- 
ment, le  voilà  embarrassé,  et  souvent  arrêté  tout  court,  si  la  musique 
est  un  peu  travaillée.  Je  crois ,  à  la  vérité  ,  que  les  grands  musiciens  ne 
seront  pas  dans  le  cas  ;  mais  je  crois  aussi  que  les  grands  musiciens  ne  le 
sont  pas  devenus  sans  peine,  et  c'est  cette  peine  qu'il  s'agit  d'abréger. 
Parce  qu'il  ne  sera  pas  tout  à  fait  impossible  d'arriver  à  la  perfection 
par  la  route  ordinaire  ,  s'ensuit-il  qu'il  n'en  soit  point  de  plus  facile? 

Supposons  que  je  veuille  transposer  et  exécuter  en  B  fa  si  une  pièo 
notée  en  C  sol  ut,  à  la  clef  de  sol  sur  la  première  ligne;  voici  tout  c 
que  j'ai  à  faire  :  je  quitte  l'idée  de  la  clef  de  sol,  et  je  lui  substitu 
celle  de  la  clef  d'ut  sur  la  troisième  ligne;  ensuite  j'y  ajoute  les  idées 
des  cinq  dièses  posés,  le  premier  sur  le  fa,  le  second  sur  l'ut,  le  troi- 
sième sur  le  sol,  le  quatrième  sur  le  ré,  et  le  cinquième  sur  le  la;  aj 
tout  cela  je  joins  enfin  l'idée  d'une  octave  au-dessus  de  cette  clef  d'ut.J 
et  il  faut  que  je  retienne  continuellement  toute   cette  comolication^ 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE.  31  i 

d'iJées  pour  l'appliquer  à  chaque  note ,  sans  quoi  me  voilà  à  tout  instant 
hors  de  ton.  Qu'on  juge  de  la  facililé  de  tout  cela. 

Les  chiffres,  employés  de  la  manière  que  je  le  propose,  produisent 
des  effets  absolument  différens.  Leur  force  est  en  eux-mêmes,  et  indé^ 
pendante  de  tout  autre  signe.  Leurs  rapports  sont  connus  par  la  seule 
inspection,  et  ?ansque  l'habitude  ait  à  y  entrer  pour  rien;  l'intervalle 
simple  est  toujours  évident  dans  l'intervalle  redoublé  :  une  leçon  d'un 
quart  d'heure  doit  meltre  toute  personne  en  état  de  e olfier ,  ou  du  moins 
de  nommer  les  notes  dans  quelque  musique  qu'on  lui  présente;  un  au- 
tre quart  d'heure  suffît  pour  lui  apprendre  à  nommer  de  même  et  sans 
hésiter  tout  intervalle  possible,  ce  qui  dépend,  comme  je  l'ai  déjà  dit, 
de  la  connoissance  distincte  de  trois  intervalles,  de  leurs renversemens, 
■et  réciproquement  du  renversement  de  ceux-ci,  qui  revient  aux  pre- 
miers. Or  il  me  semble  quel'habitude  doit  se  former  bien  plus  aisément 
quand  l'esprit  en  a  fait  la  moitié  de  l'ouvrage,  et  qu'il  n'a  lui-même 
plus  rien  à  faire. 

Non-seulement  les  intervalles  sont  connus  par  leur  genre,  dans  mon 
système ,  mais  ils  le  sont  encore  par  leur  espèce.  Les  tierces  et  les  sixtes 
sont  majeures  ou  mineures  :  vous  en  faites  la  distinction  sans  pouvoir 
vous  y  tromper;  rien  n'est  si  aisé  que  de  savoir  une  fois  que  l'intervalle 
j  2  4  est  une  tierce  mineure;  l'intervalle  2  4  une  sixte  majeure;  linter- 
!  valleS  1  une  sixte  mineure;  l'intervalle  3  1  une  tierce  majeure,  etc.; 
les  quartes  et  les  tierces,  les  secondes,  Us  quintes  et  les  septièmes, 
justes,  diminuées  ou  superflues,  ne  coûtent  pas  plus  à  connoître;  les 
signes  accidentels  embarrassent  encore  moins;  et  l'intervalle  naturel 
étant  connu,  il  est  si  facile  de  déterminer  ce  même  intervalle,  altéré 
par  un  dièse  ou  par  un  bémol,  par  l'un  et  l'autre  tout  à  la  fois,  ou  par 
deux  d'une  même  espèce ,  que  ce  seroit  prolonger  le  discours  inutile- 
ment que  d'entrer  dans  ce  détail. 

Appliquez  ma  méthode  aux  instrumens ,  les  avantages  en  seront  frap- 
pans.  Il  n'est  question  que  d'apprendre  à  former  les  sept  sons  de  la 
j  gamme  naturelle,  et  leurs  différentes  octaves  sur  un  ut  fondamental 
pris  successivement  sur  les  douze  cordes'  de  l'échelle  ;  ou  plutôt  il  n'est 
question  que  de  savoir,  sur  un  son  domé,  trouver  une  quinte,  une 
quarte,  une  tierce  majeure,  etc.,  et  les  octaves  de  tout  cela,  c'est-à- 
dire  de  posséder  les  conno'?sances  qui  doivent  être  le  moins  ignoré  s 
des  musiciens,  dans  quelque  système  que  ce  soit.  Après  ces  préliminai- 
res si  faciles  à  acquérir  et  si  propres  à  former  l'oreille,  quelques  mois 
donnés  à  l'habitude  de  la  mesure  mettent  tout  d'un  coup  l'écolier  en  état 
d'exécuter  à  livre  ouvert,  mais  d'une  exécution  incomparablement  plus 
intelligente  et  plus  sûre  que  celle  de  nos  symphonistes  ordinaires.  Tou- 

■I  Je  dis  les  douze  cordes,  pour  n'omellre  aucune  des  diflicnltés  possibles, 
puisqu'on  pourroit  se  contenter  des  sept  cordes  naturelles,  et  qu'il  est  rare 
qu'on  établisse  la  fondamentale  d'un  Ion  sur  un  des  cinq  sons  altérés,  escepié 
peut-être  le  si  bémol.  Il  est  vrai  qu'on  y  parvient  assez  fréquemment  par 
la  suile  de  la  modiilalion  ;  mais  alors,  quoiqu'on  ait  cbaDgé  de  ton,  la  même 
fonihimcntale.subsiste  toujours,  el  le  cbangcmen  lest  amené  par  des  altérations 
oarliculièrcs. 


312  DISSEHTATION 

tes  les  clefs  lui  seront  également  familières;  tous  les  t  ns  auront  pour 
lui  la  même  facilité;  et,  s'il  s'y  trouve  quelque  différence,  elle  ne  dé- 
pendra jamais  que  de  la  difficulté  particulière  de  l'instrument  ,  et  non 
d'une  confusion  de  dièses,  de  bémols,  et  de  positions  différentes  si 
fâcheuses  pour  les  commençans. 

Ajoutez  à  cela  une  connoissance  parfaite  des  tons  et  de  toute  la  mo- 
dulation, suite  nécessaire  des  principes  de  ma  méthode;  et  surtout 
l'universalilé  des  signes,  qui  rend,  avec  les  mêmes  notes,  les  même? 
airs  dans  tous  les  tons,  par  le  cliangement  d'un  seul  caractère;  d'où 
résulte  une  facilité  de  transposer  un  air  en  tout  autre  ton,  égale  à  celle 
de  l'exécuter  dans  celui  où  il  est  noté  :  voilà  ce  que  saura  en  très-peu 
de  temps  un  symphoniste  formé  par  ma  méthode.  Toute  jeune  personne, 
avec  les  talens  et  les  dispositions  ordinaires,  et  qui  ne  connoîtroit  pas 
une  note  de  musique,  doit,  conduite  par  ma  méthode,  être  en  état 
d'accompagner  du  clavecin ,  à  livre  ouvert ,  toute  musique  qui  ne  passera 
pas  en  difliculté  celle  de  nos  opéras,  au  bout  de  huit  mois,  et,  au  bout 
de  dix  .  celle  de  nos  cantates. 

Or,  si  dans  un  si  court  espace  on  peut  enseigner  à  la  fois  assez  de 
musique  et  d'accompagnement  pour  exécuter  à  livre  ouvert,  à  plus 
forte  raison  un  maître  de  flûte  ou  de  violon,  qui  n'aura  que  la  note  à 
joindre  à  la  pratique  de  l'instrument,  pourra-t-il  former  un  élève  dans 
le  même  temps  par  les  mêmes  principes. 

Je  ne  dis  rien  du  chant  en  particulier,  parce  qu'il  ne  me  paroît  pas 
possible  de  disputer  la  supériorité  de  mon  système  à  cet  égard,  et  que 
j'ai  sur  ce  point  des  exemples  à  donner  plus  forts  et  plus  convaincans 
que  tous  les  raisonnemens. 

Après  tous  les  avantages  dont  je  viens  de  parler,  il  est  permis  de 
compter  pour  quelque  chose  le  peu  de  volume  qu'occupent  mes  caractè- 
res, comparé  à  la  diffusion  de  l'autre  musique  ,  et  la  facilité  de  noter  sans 
tout  cet  embarras  de  papier  rayé,  où,  les  cinq  lignes  de  la  portée  ne 
suffisant  presque  jamais,  il  en  faut  ajouter  d'autres  à  tout  moment,  qui 
se  rencontrent  quelquefois  avec  les  portées  voisines  ou  se  mêlent  avec 
les  paroies ,  et  causent  une  confusion  à  laquelle  ma  musique  ne  sera 
jamais  exposée.  Sans  vouloir  en  établir  le  prix  sur  cet  avantage,  il  ne 
laisse  pas  cependant  d'avoir  une  influence  à  mériter  de  l'attention. 
Combien  sera-t-il  commode  d'entretenir  des  correspondances  de  musique , 
sans  augmenter  le  volume  des  lettres!  quel  embarras  n'évitera-t-on 
point,  dans  les  symphonies  et  dans  les  partitions,  de  tourner  la  feuille 
à  tout  moment!  et  quelle  ressource  d'amusement  n'aura-t-on  pas  de 
pouvoir  porter  sur  soi  des  livres  et  des  recueils  de  musique,  comme  or. 
en  porte  de  belles-lettres,  sans  se  surcharger  par  un  poids  ou  par  un 
volume  embarrassant,  et  d'avoir,  par  exemple,  à  l'Opéra  un  extrait  de 
la  musique  jointe  aux  paroles,  presque  sans  augmenter  le  prix  ni  la 
grosseur  du  livre  1  Ces  considérations  ne  sont,  pas,  je  l'avoue,  d'une 
grande  importance,  aussi  ne  les  donné-je  que  comme  des  accessoires; 
ce  n'est,  au  reste,  qu'un  tissu  de  semblables  bagatelles  qui  fait  lesagré- 
mens  de  la  vie  humaine;  et  rien  re  seroit  si  misérable  qu'elle,  siï'oa 
îi'avoit  jamjis  fait  d'attention  aux  petits  objets. 


I  SUR  LA  MUSIOLE  ilUDLl'.NL  31 3 

j  Je  finirai  mes  remarques  sur  cet  article  en  concluant  qu  ayant  retran- 
|hé  tout  d'un  coup  par  mes  caractères -les  soixante-dix  combinaisons 
^ue  la  différente  position  des  clefs  et  des  accidens  produit  dans  la 
musique  ordinaire;  ayant  établi  un  signe  invariable  et  constant  pour 
chaque  son  de  l'octave  dans  tous  les  tons:  ayant  établi  de  même  une 
position  très-simple  pour  les  différentes  octaves:  ayant  fixé  toute  lex- 
jifession  des  sons  par  les  intervalles  propres  au  ton  où  Ton  est;  ayant 
conservé  aux  yeux  la  facilité  de  découvrir  du  premier  regard  si  les  sons 
montent  ou  descendent:  ayant  fixé  le  degré  de  ce  progrès  avec  une  évi- 
dence que  n'a  point  la  musique  ordinaire  :  et .  enfin ,  ayant  abrégé  de 
plus  des  trois  quarts  et  le  temps  qu'il  faut  pour  apprendre  à  solfier,  et 
le  volume  des  notes .  il  reste  démontré  que  mes  caractères  sont  préfé- 
rables à  ceux  de  la  musique  ordinaire'. 

Une  seconde  question .  qui  n'est  guère  moins  intéressante  que  la  pre- 
mière, est  de  savoir  si  la  division  des  temps,  que  je  substitue  à  celle 
des  notes  qui  les  remplissent,  est  un  principe  général  plus  simple  et 
plus  avantageux  que  toutes  ces  différences  de  noms  et  de  figures  qu'on 
est  contraint  d'appliquer  aux  notes ,  conformément  à  la  durée  qu'on 
leur  veut  donner. 

Un  moyen  sûr  pour  décider  cela  seroit  d'examiner  a  priori  si  la  va- 
leur des  notes  est  faite  pour  régler  la  longueur  des  temps ,  ou  si  ce 
n'est  point,  au  contraire,  par  les  temps  mêmes  de  la  mesure  que  la  du- 
rée des  notes  doit  être  fixée.  Dans  le  premier  cas,  la  méthode  ordinaire 
seroit  incontestablement  la  meilleure,  à  moins  qu'on  ne  regardât  le  re- 
tranchement de  tant  de  figures  comme  une  compensation  suffisante  d'une 
erreur  de  principe,  d'où  résulteroient  de  meilleurs  effets.  Mais,  dans  le 
second  cas,  si  je  rétablis  également  la  cause  et  l'effet  pris  jusqu'ici  l'un 
pour  l'autre ,  et  que  par  là  je  simplifie  les  règles  et  j'abrège  la  pratique  . 
j'ai  lieu  d'espérer  que  cette  paiîie  de  mon  système,  dans  laquelle,  au 
reste,  on  ne  m'accusera  d'avoir  copié  personne,  ne  paroîtra  pas  moins 
avantageuse  que  la  précédente. 

Je  renvoie  à  l'ouvrage  dont  j'ai  déjà  parlé  bien  des  détails  que  je 
n'ai  pu  placer  dans  celui-ci.  On  y  trouvera  .  outre  la  nouvelle  méthode 
d'accompaL'nement  dont  j'ai  parlé  dans  la  préface,  un  moyen  de  recon- 
noître  au  premier  coup  d'oeil  les  longues  tirades  de  notes  en  montant  ou 
en  descendant,  afin  de  n'avoir  besoin  de  faire  attention  qu'à  la  première 
et  à  la  dernière;  l'expression  de  certaines  mesures  syncopées  qui  se 
trouvent  quelquefois  dans  les  mouvemens  vifs  à  trois  temps;  une  table 
de  tous  les  mots  propres  à  exprimer  les  différens  degrés  du  mouvement; 
le  moyen  de  trouver  d'abord  la  plus  haute  et  la  plus  basse  note  d'un  air 
et  de  préluder  en.conséquence ;  enfin,  d'autres  règles  particulières  qu^ 
toutes  ne  sont  toujours  que  des  développemens  des  principes  que  j'ai 
proposés  ici;  et  surtout  un  système  de  conduite,  pour  les  maîtres  qui 
enseigneront  à  chanter  et  à  jouer  des  instrumens,  bien  différent  dans 

t.  Celle  longue  période  fut  juslcment  crilinuéc  par  M.  l'ablié  Dcsfon- 
l^ines,  et  Rousseau  avoua  son  tort.  Voy.  la  lettre  de  février  1743  sur  ce 
«ajel.  ^Ed.) 


?14 


DISSERTATION 


la  méthode,  et  j'espère,  dans  le  progrès,  de  celui  dont  on  se  sert  au- 
jourd'hui. 

Si  donc  aux  avantages  généraux  de  mon  système,  si  à  tous  ces  retran- 
chemens  de  signes  et  de  combinaisons,  si  au  développement  précis  de 
la  théorie,  on  ajoute  les  utilités  que  ma  méthode  présente  pour  la  pra- 
tique; ces  embarras  de  lignes  et  de  portées  tous  supprimés,  la  musique 
rendue  si  courte  à  apprendre,  si  facile  à  noter,  occupant  si  peu  de  vo- 
lume, exigeant  moins  de  frais  pour  l'impression,  et  par  conséquei  i 
coiltant  moins  à  ccquérir;  une  correspondance  plus  parfaite  établie! 
entre  les  différentes  parties  sans  que  les  sauts  d'une  clef  à  l'autre  soient 
plus  difficiles  que  les  mêmes  intervalles  pris  sur  la  même  clef;  les  ac- 
cords et  le  progrès  de  l'harmonie  offerts  avec  une  évidence  à  laquelle 
les  yeux  ne  peuvent  se  refuser;  le  ton  nettement  déterminé;  toute  la 
suite  de  la  modulation  exprimée,  et  le  chemin  que  l'on  a  suivi,  et  le 
point  où  l'on  est  arrivé ,  et  la  distance  où  l'on  est  du  ton  principal ,  mais 
surtout  l'extrême  simplicité  des  principes  jointe  à  la  facilité  des  règles 
qui  en  découlent  :  peut-être  trouvera-t-on  dans  tout  cela  de  quoi 
justifier  la  confiance  avec  laquelle  j'ose  présenter  ce  projet  au  public. 


MENUET  DE  DARDANUS. 

Jîe       Volez ,      plaisirs  ,     volez  ;      Amour  ,     prête  -  leur     tes    char- 
3    11    d    3,4  3,2  3  I  4        ',3  12,       3  2,        1         2   13,-, 

mes;      Répare      les      alarmes      Qui      nous      ont      trou -blés. 
d     2    I        1,21,        7        6  I  5,  4,       3    |       6,         5,         i    |       7  c  ^i 
Que     ton     empire     est     doux!     Viens,     viens,     nous     voulons 
c5c,       4        3,    4        5|6|        4|        5|       1,         32, 

tous     Sentir     tes     coups    :    enchaîne  -  nous  ;    Mais     ne     te     sers 
d   1     I     1,  3       2,        1  I  1,    3    2,       1      I       6    I    4      5,      6 

que    de    ces    chaînes    Dont    les    peines     sont    des    bienfaits. 
c  7,      i      213    4,        5        6,      7    11       4,      6,       7  |    1   d. 


Ut 


"!■•   Desfos. 


CARILLON  MILANOIS 

EN    TRIO. 

Campana    che    sona   da    lu  -  to        e      da      fes 

c  I.  3  I  6,7,      i    I   7,6 ,    5  I  6J ,  i    |     ',2,7    |     1,2,3  | 

Campana   che 
c  »  0  1         •         I        •         I       •        I     •,-,    3    I    6,7,1  1 


0| 


SLR  L\  MUSIQUE  MODERNE. 


315 


ta 

. 

fa 

d  2,  1 

.] 

1,2,3,  1   • 

.2,     1 

1   -J,  0    1 

1       4      ', 

sona 

da 

]u-to      e 

da 

festa 

Fa 

d  7,6 

•  a 

6J,i   1  • 

,î>6 

1     6.5,0      1 
Fa 

rompe 

r 

a 

1       2      1 

tes • 

b      0 

•      1 

• 

1  -,  i,8  1 

6,  7, 

i 

1    2,3.4  1 

romper 
d  4,  3, 

la    tes 

Din 
5 

di 
5, 

ra 
4, 

din     ii, 

2  1    3| 

•4, 

5,3    1    •  "s . 

3    1     2, 

romper 

la    tes 

ta , 

Din 

di 

ra 

din      di 

d  2, 

1, 

7  I  il 

•2, 

3,   1    1     -,7, 

3 

3, 

2, 

1      !      7 

ta 

,     0 

1 

don. 

b  5, 

6, 

7     1    1,  2 

3    1 

•,2,  1    1    5,î 

1          5, 

ra 

din 

di      ra 

din 

don      don 

don  , 

dan 

di 

ra     din 

d  3, 

4 

1    5,     4, 

3 

2     1     3    1 

4,- 

,  3 

4, 

3,       2| 

ra 

din 

di      ra 

din 

don      don 

don  , 

dan 

di 

ra      din 

c  i, 

2 

1    3,     2, 

1 

7    1    i    1 

2,-, 

1 

2, 

1.       7 

don 

don     don 

don. 

dan 

di 

ra      din 

b  .  , 

• 

1            5 

1 

5    1    i   1 

6,-, 

i 

4, 

2,       61 

d 
don 
b  1, 


don 

3 
don 

1 


don 
3 

don 
1 


don  con     don  don  don 
3,      5    I    i,     6,      3 


don, 
I    3,-,d.  ^ 

don. 
I    l.'.d.  ^ 

don. 
I    l.-.b.  ^ 


Campa-na 
d  5  I  5,   32, 

Campa-na 
d  3  I  3,   17, 

I  b  0( 


che 
34 
che 
i2 


so-na 
5.32, 
so-na 
3,17. 


da 

B 
da 

i2 


lu 

51 

lu 

3| 

Fa 
,'6  I 


to 

-.4, 

to 

••2, 
romper 
6,  6, 


e    da 
3 

e    da 

i    i 
la 

6    I 


fe- 
4, 
fe- 

2, 
te- 


316  DISSERTATION 

I    sta,    din 

d  2    1,    2    3    I    4.    2    1,   2    3    I    4    I    -,3,    2   I    3,    3,       3 
sta ,     diii 

d  7    6 ,   7     i   I    2 ,  7    6 ,   7  i    I    2    I    • .  1 ,    7  I    i ,    1 ,       1 
sta  Fa      romper      la      testa 

c   ?  0  I  •  \  ',-,S    \     5,5,5     11,      1,0 

ra     din     di     ra  din     di  ra     din     don,    Fa    romper    la 

d  2,      1    I   7,      i,  2    I    3,  2,       1     I    7,-,       3  |   3,    2,      3 

ra     din     di     ra  din     di  ra     din     don,     Fa    romper    la 


d  7,      6    1 

b  0,    i  I 


■  6. 

don 

3 


7    I    1. 
I 


7. 

don 

3 


I      -5,  43,  42      I 


6    I    5.',       1   I    1,    7.  1 

don     Fa    romper  la 

I    3,-,       3   I    6.    7.  i 

I      -4,  32,  31      (  2 


I     *v 

!    J, 


d    •  ,  •      I      -3,  21,  27      I  1 


2,  17,  16 


h   3, 

d  -3, 
c  -i, 


b    3, 

don 
d  7 

don 
c  5 

don 
b  3 


c 

don 
b  6. 


i     I         5,6,     7        i    1,  2,  3    i         4      5,     6    I      7,1,2,     [ 

— sta    din    di    ra    din    di    ra    din    di    ra 

21,     27     I     i,  1,    3    1    3,    2,      1    I    7,    i,     2    |    3,    2, 


■sta    din    di    ra    din    di    ra    din    di    ra 


76,     ■?&    I    (5,  6,    1  1    1,    7, 
sta 

4,      5      I    6,  6,  0  I 

don      dan  di      ra 

1    I  2,      1, 

dan  di      ra 

6    I  7, 

dan  di      ra 


2, 
don 


don 
4, 


don 

i 

don 

G 
don 

6 
don 

1         ! 

don 

6  I 

don  don 

3,  Il 


1  1  4, 
don. 

l,-.  d  11 
don. 

6,-,  c  I 
don. 

6,-,  a  1 


din 

7 
din 

a 
din 

3 


5,   6, 

don 

â 


don 
I    6, 


7    M,    7, 
don 
1  3 

don 

i 

don 

6 
don 

i, 


diu. 
] 


i 

3i 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE. 


317 


ARIETTE  DES  TALENS  LYRIQUES. 

VIVEMENT. 


Mi 

Symphouie. 

2 

Basse  contiiiae. 


c  0  •  6 ,  •  1    I    176,5645    |    3-2,1234 
b  0     1,  3  1    I    5  5,  7  5        1    i      1,      1       1 


c515,-645    I    656,  -716    |    252,  -7     |    332,1765 
b  7      7,77    I    66,  66|55,75|i     1,      3      1 

c462,     026  1      I     7257,     6  146     |     7  2  56,     6*  ,5  6 
b2      2,        42|  5,  42|         5  5,        42 

C7256,     6-56     |     7256,     6'  5  6      |      5  ]_5_,     2  5  7  2 

15  7  5,2572 


6, 


4      2 


14      7  1,2 


c  5,  0  5  3    I    6  4  1  1,  •  4  6    |    5  1   1,  "53    |    641  1,  •  4  6 
b  554,31    14  4,         4  4        |        3  3,      3  3    |    4  4, 


4  4 


c  5  1   I 
a  1, 


5  3 


6,  •  7  1 


21,  -76     I     76,5524 

0  3     I     44,     44     I     44,      44     |     55,      7      5 


d3513,    2572    |    3512,    2  •  1  2    [     3  5  12,    2  •J_ 

i        7     5      I    i     i, 


b  1  1, 


5    I 


7 


L'objet    qui 
d3612,2-12    I    131.5  135    |    Mb,  05    |    5,-i 


b          1,      4      5 
rè-  — 


13  1,5135    I    1, 


0        I    01,31 


gne  dans  mon 

cl  7  6,5  64  5    I    3-2,  12*4    |      5,  •  6  4  5    1    6-  7,  i        6 

b     ITT     7 


5    I    1  1,       1       1    I    77,  7  7     16    6, 


66 


âmt!      Des     mortels      et      des      dieux      doit     être     le     vain- 

b  i;2         1  7    I  i,        1       j2_  1      3,  -1    I    6,6      6 7    \ 

a  i  "         4"!  3,  2-1,  -3    12,         2  j 


318 

'1 
CO,    • 

6  3 

queur 
b  6, 

0 

a  554, 

31 

DISSERTATION 
6  4  11,     •    4  6 


44, 


44 


I         5  1  J,     •     5  3       \ 

Chaque    iu- 

-        •,  5  5  1 

I     33,  3  3  I 


c6411,-46    I    511,  -53    |    664,775    |    131,5135 

stant  il  m'en-flam me 

b6,7        i|5,        •       ^1       5,-43_|  3 

a  4  4,        44   I    33,  33    |    22,         55     |       1,  0 


c   1,  0             I      0  4  3,  2  4  6  1     I  7  2  5,  0  I         •        |     -2  5  7 

D'une        nouvel -le         ar  -  deur,  II     m'enflam 

bG,65—    5%             3           I           2  |2,2|  2 

a    4,   •   6        I     6,-             4           I           6  |        0  |        -5, 


c,     6146     I      7  2  5  6,6-56     |      7256,6-56     |      727, 

me,  il  m'en  -        flani- 

c,  •  I  •  ,  2  0       I      2,  2         15, 


b, 


42 


55,   42 


c,  5725     1      a*  4,  4-34 

b ,  -645     I  6  ô  ^i  5,  6  7  5  6 

a,  •  I            1             2 

d,  2  I  0 

b,  6    •    56  I    7  17  i,  231  2 
a,  4         2  I       6,         7 


1         55. 

42 

1         l     , 

5  2  2, 

0 

1            0  2, 

7  2  5  7, 

6  14  6 

7  2  5  0, 

5      5, 

42 

5  5     , 

03  2,     1765     I        117, 


1, 


17 


c,    6543    I    4,2-5    |    5,4-5    |    5,  -27  |    331,  44  2  | 
---me      D'u-ne    nouvel-Ie      ardeur, 

c.    3  0  I    6,  7  M_  I    7,  6_5    |    5  |  0  | 

a, 06  12,5-1|2,2  |5,-7  |1,  2' 


I 


SUR  LA  MUSIQUE  MODERNE. 


319 


d  5  4  3,  2  3  t  2    |     7G5,  2  4    | 


5  I     0  1  7,  G  5  4  3  I 

L'objet  qui 

,  0  •  5      I      5,     ■     i  I 


b    3,   4    •     3  4      I      51,  22      |      654,  3432      |    11, 


31 


c    2         ,   0   •  5      I      5  3  1,     1  3  1    I     6  7  5,         2    |        '16, 

rè gne 

c     17  9,5045     I      3   •_2_^    1234    |     5,       -6451        6  •  7, 

b        5,        -5        I         1  i,       1  1      I     77,  7  7    !  6  6, 


c,    4        16      155  2,        5272      1         5         |513,      5| 

dans      mon      âme         Des    mor-tels    et    des  dieux    doit 

b,    i         •  6     I    2,2  1  7    I    i,     1      •  2    I  3,       •  1  I 


a,    6  6     15, 


4   !    3,      •     2        I  1,      -6 


d     •    ,      5-4     I      552,    7527      |      5,        0       |        •   ,   •  2  C  7  | 

être      le      vainqueur  ;  Chaque       instant      il      m'en- 

b  6-C,    H  2    I    7  I     0,      2        3  I    4,      4  6  | 

M 

2    I    5 


2, 


I     0,       •         5  122, 


0   5  I 


b     1,   -212    1 

353,  1    1 

•53,  5     1 

■41,  43    1 

251.  6  1 

b    3,  -434    1 

M 

5,  656    1 

?,  -i  5  ?    1 

6,  -767    1 

i,  -261  1 

a    66,  06      1 

3,     0      1 

33,    3  3     1 

4,       0       1 

44,    44  1 

d     -41,  6      1 

M 

•43,  4      1 

■3-2,  2-3 

1       725,2752 

1      7,  î  1 

me 

D'une    nou 

-  velle    ar  - 

deur, 

Il  m'en- 

c     7,      5      1 

6,  7      1    1 

1,  7     1 

1         2         , 

1      4,   31 

h     5,      3      1 

4, -3     2    1 

5,^   1 

1             5 

1        0       1 

320  DISSERTATION 


G     5            I  0  5  1  3,  2  5  7  2  1  3  5  1  2,  2-  1  2  i    3'  5  1  2,  2-  2  1  2  I 

flam     -     rae ,                                                          il  m'en- 

c2,-S|5  I              0              |5,  5  [ 

a    5,    4    1    31,  75           I  i    1,        75        |    i  1,  75          f 


d     3  5  3,           13  5  1       I        6  •  7,  7     6  7      |        15  5,        0        | 
flam 

bi,  •  27i      12171,231213513,24721 

a    3  14,5  I    1      ï ,  "7     5  I 


c  0  5,               5    I      0,      5       I        -6  5,  4  3  2  1  |  4    | 
jue  ,  il      m'en- 

c  3  5  1  2,  2-  12  I    343,  125?  16,         6  0  |  i,         1     t 

b          i  1,        75  I      i,         1     I       4,        6  I  •17,6543  | 


d06  5,4321      I      72  1,7176      |          5  |      2,341 

flam me  D'une  nou- 

c                 4                I                 •                 j           -,40  I      7.  5  -JJ 

b                2                I                 5                I    056, /  i'?3  J      4,  3  •  1 


d3,2-l      I      1,  053      I      6411,  -46      |      5ll,-5a 

vel-le  ardeur, 
c    1,  7  M_  I  1  I  0  ! 

M 

b5,      6         |li,        11|4  4,  44      133,33 

c    6  4  1  i,  •  4  6     I    TT  1,  •  5  3     I     6  6,  •  7  i     j      2  1,76 
a       4  4,         4  4    1         1,         0  4  4,     4  4    1     4  4,  4  4 


c    76,     5524     I      3513,     2572     |      3512,     212 
as.  0  I  0  ï,        76         I      i  1,  75 


SUR  LA  MUSIQUE  MODEHNE.  321 


dZM2,2-T2]    35  12,2-TT-|    iTT,  5  1  ZS  \    1  Fin. 
^       ^       '  '         !  ^  I        i  4     6       I    1 TT,  5  1  3  5  M  Fin. 

Je    m'a  -  ban  ■  don  -  ne    à    mon    a-mour    ex-trê-me,    Et    je 
co^       6    15    16,        7_i_|    2,-7     |i     I    6,       i  ^2J 

'''^'  i       6    13.2  1    t  2-  1-7.      3    I    6    I    0.  6  1 


•^          0            I      •361,735711367,7-6711367, 
fixe   à  ja--mais _' '_  __ 

6    7 ,7   •  6  I  3  I  .  , 


^    S.    4      I  36,  53        I         66,  53        | 


6     , 


c,     7  •  671    1  3  1,  6  1  46    I     3,  a  -3     I     3     I     55,  55  | 

mes  plai-sirs                    .           en    ces      lieux   :   C'est    où  l'on 

^'  ?  _u  !•     ■  H  i  '  ^'  iiu  3  I   i,  1  •  5  I 

^'               6|                 6               I     7,          7     I     3     I       33  I 

•^    6  6.4  31        2,      0        I            •            1      77,     77      1      3      1  6. 

ai -me        Que  sont  les  deux  ;              C'est  où  l'on    aime  Que 

b      5,60    I    2,  •   ■<  2      I           7            I      3,-  .37      I    1,10  |  ,2 

^      4,      0   I    4  4,     44      I        5^0         I    55,~55~    |     6,5  |  4, 


'='     ■  *^  '      I    5    I  0-  5,  5  •  1    I    17  6,  5645    |    317.0543  |   ^ 

sont    les    cieux.  '            L'ob  -  jet   "     qui 

c,      -12      1    3    1  0             I            ,     •    5      I    5,  •  i            I 

^-         *         I    3    I  0             I       0  5,     7  5       1    il   ,31          I   i* 

FIN    DE    LA  DISSERTATION    SUR    LA    MUSIQUE    MODFRME. 

Rousseau  vi  ^, 


DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE  \ 


Ut  psallendi  maleriem  discerenl. 
Martian.  Cap. 


PRÉFACE. 

La  musique  est  de  tous  les  beaux-arts  celui  dont  le  vocabulaire  est  le 
plus  étendu,  et  pour  lequel  un  dictionnaire  est,  par  conséquent,  le 
ïlus  utile.  Ainsi  l'on  ne  doit  pas  mettre  celui-ci  au  nombre  de  ces  com- 
pilations ridicules  que  la  mode  ou  plutôt  la  manie  des  dictionnaires 
multiplie  de  jour  en  jour.  Si  ce  livre  est  bien  fait,  il  est  utile  aux  ar- 
tistes •  s'il  est  mauvais ,  ce  n'est  ni  par  le  choix  du  sujet ,  m  par  la  forme 
de  l'ouvrage.  Ainsi  l'on  auroit  tort  de  le  rebuter  sur  son  titre;  il  faut  le 
lire  pour  en  juger. 

L'utilité  du  sujet  n'établit  pas,  j'en  conviens,  celle  du  livre;  elle  me 
iustifie  seulement  de  l'avoir  entrepris ,  et  c'est  aussi  tout  ce  que  je  puis 
Tjrélendre  :  car  d'ailleurs  je  sens  bien  ce  qui  manque  a  1  exécution.  L  est 
ici  moins  un  dictionnaire  en  forme  qu'un  recueil  de  matériaux  pour  un 
dictionnaire ,  qui  n'attendent  qu'une  meilleure  main  pour  être  employés. 

Les  fondemens  de  cet  ouvrage  furent  jetés  si  à  la  hâte ,  il  y  a  quinzte 
ans  dans  l'Encyclopédie,  que,  quand  j'ai  voulu  le  reprendre  sous 
œuvre,  je  n'ai  pu  lui  donner  la  solidité  qu'il  auroit  eue  sijavoiseu 
dus  de  temps  pour  en  digérer  le  plan  et  pour  l'exécuter. 

Je  ne  formai  pas  de  moi-même  cette  entreprise;  elle  me  fut  proposée  : 
on  ajouta  que  le  manuscrit  entier  de  V Encyclopédie  devoit  être  complet 
avant  qu'il  en  fût  imprimé  une  seule  ligne;  on  ne  me  donna  que  trois 

i  Quand  l'espèce  grammaticale  des  mots  pouvoil  embarrasser  quehiue 
lecle.^-  on  l'a  désignée  par  les  abréviations  usitées  :  ..  n.,  verbe  neutre; 
rif  SUBSTANTIF  MASCULIN,  6 tc.  On  ne  s'est  pas  asservi  a  cette  specif.caUon  pour 
chruue  ailicle,  parce  que  ce  n'est  pas  ici  un  dictionnaire  de  langue  On  a  pns 
un  soin  plus  Aéces.aue  pour  des  mots  qui  ont  plusieurs  sens,  en  les  dislm- 
^uanîim  une  lettre  majuscule  quand  on  les  prend  dans  le  sens  tcchn.qu.  e 
mr  une  petite  lettre  quand  on  les  prend  dans  le  sens  du  discours.  Ainsi  ces 
Sis  1>  et  Air,  mesure  et  Mesure,  note  et  Note,  temps  et  Temps,  portée  et 
Po  ;e  ne  sont  amais  équivoques,  et  le  sens  en  est  toujours  déterminé  par 
la  manière  de  les  écrire*.  Quelques  autres  sont  plus  embarrassants,  comme 
TonZlà^ns  l'art  deux  acceptions  toutes  différentes.  On  a  pns  le  parti  de 
1  ecHre  en  italique  pour  distinguer  un  intervalle,  et  en  romam  pour  designer 
une  moddaUom  Au  moyen  de  celte  précaution,  la  phrase  suivante,  par  exem- 

''':  S^rt  ïons  m?;!:;:!  nntervalle  de  la  Tonique  à  la  Médiante  est  corn- 
posé  d'un  Ton  majeur  et  d'un  Ton  m.meur.  » 

*  Cette  règle  n'a  pas  été  suivie  exaclement  même  dans  les  éditions  origi- 
nales et  pour  éviter  une  bigarrure  peu  agréable  à  l'œil  et  sans  utilité  réelle 
pour  le  lecteur,  nous  avons  cru,  comme  tous  les  éditeurs  modernes,  qu  il 
gsroit  m-eux  de  suivre  l'usage  ordinaire.  (Ed.) 


I 


Pr.ÉFACE.  323 

dois  pour  remplir  ma  tâche,  et  trois  ans  pouvoient  me  suffire  à  peine 
]  Dur  lire,  extraire,  comparer  et  compiler  les  auteurs  dont  j'avois  be- 
soin ;  mais  le  zèle  de  l'amitié  m'aveugla  sur  l'impossibilité  du  succès 
Fidèle  à  ma  parole ,  aux  dépens  de  ma  réputation  ,  je  fis  vite  et  mal ,  ne 
pouvant  bien  faire  en  si  peu  de  temps.  Au  bout  de  "trois  mois  mon  n\a- 
nuscrit  entier  fut  écrit,  mis  au  net,  et  livré.  Je  ne  l'ai  pas  revu  depuis. 
Si  j'avois  travaillé  volume  à  volume  comme  les  autres,  cet  essai,  mieux 
digéré ,  eût  pu  rester  dans  l'état  où  je  l'aurois  mis.  Je  ne  me  repens  pa? 
d'avoir  été  exact,  mais  je  me  repens  d'avoir  été  téméraire,  et  d'avoir 
plus  promis  que  je  ne  pouvois  exécuter. 

Blessé  de  l'imperfection  de  mes  articles,  à  mesure  que  les  volumes  de 
l'Encyclopédie  paroissoient,  je  résolus  de  refondre  le  tout  sur  mor 
brouillon,  et  d'en  faire  à  loisir  un  ouvrage  à  part  traité  avec  plus  de 
soin.  J'étois,  en  recommençant  ce  travail,  à  portée  de  tous  les  secoure 
nécessaires  ;  vivant  au  milieu  des  artistes  et  des  gens  de  lettres ,  je  pou- 
vois consulteras  uns  et  les  autres.  M.  l'abbé  Sallier  me  fournissoit,  de 
la  Bibliothèque  du  roi,  les  livres  et  manuscrits  dont  j'avois  besoin  ,  e' 
-souvent  je  tirois  de  ses  entretiens  des  lumières  plus  sûres  que  de  mes 
recherches.  Je  crois  devoir  à  la  mémoire  de  cet  honnête  et  savant  homme 
un  tribut  de  reconnoissance  que  tous  les  gens  de  lettres  qu'il  a  pu  ser- 
■vir  partageront  sûrement  avec  moi. 

Ma  retraite  à  la  campagne  m'ôta  toutes  ces  ressources  au  moment  que 
je  commençois  d'en  tirer  parti.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'expliquer  les 
raisons  de  cette  retraite  :  on  conçoit  que,  dans  ma  façon  de  penser, 
l'espoir  de  faire  un  bon  livre  sur  la  musique  n'en  étoit  pas  une  pour  me 
retenir.  Éloigné  des  amusemens  delà  ville,  je  perdis  bientôt  les  goûts 
qui  s'y  rapportoient;  privé  des  communications  qui  pouvoient  m'éclai- 
rer  sur  mon  ancien  objet ,  j'en  perdis  aussi  toutes  les  vues  ;  et  soit  que 
depuis  ce  temps  l'art  ou  sa  théorie  aient  fait  des  progrès ,  n'étant  pas 
même  à  portée  d'en  rien  savoir,  je  ne  fus  plus  en  état  de  les  suivre. 
Convaincu  cependant  de  l'utilité  du  travail  que  j'avois  entrepris,  je  m'y 
remettois  de  temps  à  autre,  mais  toujours  avee  moins  de  succès,  et 
toujours  éprouvant  que  les  difficultés  d'un  livre  de  cette  espèce  deman- 
dent pour  les  vaincre  des  lumières  que  je  n'étois  plus  en  état  d'acquérir, 
et  une  chaleur  d'intérêt  que  j'avois  cessé  d'y  mettre.  Eqfin,  désespérant 
d'être  jamais  à  portée  de  mieux  faire,  et  voulant  quitter  pour  toujours 
des  idées  dont  mon  esprit  s'éloigne  de  plus  en  plus,  je  me  suis  occupé, 
dans  ces  montagnes,  à  rassembler  ce  que  j'avois  fait  à  Paris  et  à  Mont- 
morency, et  de  cet  amas  indigeste  est  sorti  l'espèce  de  dictionnaire 
qu'on  voit  ici. 

Cet  historique  m'a  paru  nécessaire  pour  expliquer  comment  les  cir- 
constances m'ont  forcé  de  donner  en  si  mauvais  état  un  livre  que  j'au- 
rois  pu  mieux  faire  avec  les  secours  dont  je  suis  privé.  Car  j'ai  toujours 
cru  que  le  respect  qu'on  doit  au  public  n'est  pas  de  lui  dire  des  fadeurs, 
mais  de  ne  lui  dire  rien  que  de  vrai  et  d'utile,  ou  du  moins  qu'on  ne 
juge  tel;  de  ne  lui  rien  présenter  sans  y  avoir  donné  tous  les  so;ns  dont 
on  est  capable .  et  de  croire  qu'en  faisant  de  son  mieux  on  ne  fait  jamai 
assez  bien  pour  lui. 


S24  blCTlOlSNAir.lî   DE  MUSIQUE. 

Je  n'ai  pas  cru  toutefois  que  l'état  d'imperfection  où  j'étois  forcé  de 
laisser  cet  ouvrage  dût  m'empécher  de  le  publier,  parce  qu'un  livre  de 
celte  espèce  étant  utile  à  l'art,  il  est  infiniment  plus  aisé  d'en  faire 
un  bon  sur  celui  que  je  donne  que  de  commencer  par  tout  créer.  Le- 
connoissances  nécessaires  pour  cela  ne  sont  peut-être  pas  fort  grandes  . 
«la's  elles  sont  fort  variées,  et  se  trouvent  rarement  réunies  dans  la 
même  tête.  Ainsi  mes  compilations  peuvent  épargner  beaucoup  de  tra- 
vail à  ceux  qui  sont  en  état  d'y  mettre  l'ordre  nécessaire;  et  tel,  mar- 
quant mes  erreurs,  peut  faire  un  excellent  livre,  qui  n'eût  jamais  rien 
fait  de  bon  sans  le  mien. 

J'avertis  donc  ceux  qui  ne  veulent  souffrir  que  des  livres  bien  faits  de 
ne  pas  entreprendre  la  lecture  de  celui-ci;  bientôt  ils  en  seroient  rebu- 
tés; mais  pour  ceux  que  le  mal  ne  détourne  pas  du  bien,  ceux  qui  n- 
sont  pas  tellement  occupés  des  fautes,  qu'ils  comptent  pour  rien  ce  qui 
les  rachète;  ceux  enfin  qui  voudront  bien  chercher  ici  de  quoi  compen- 
ser les  miennes,  y  trouveront  peut-être  assez  de  bons  articles  pour  to- 
lérer les  mauvais,  et,  dans  les  mauvais  même,  assez  d'observations 
neuves  et  vraies  pour  valoir  la  peine  d'être  triées  et  choisies  parmi  le 
/este'.  Les  musiciens  lisent  peu;  et  cependant  je  connois  peu  d'arts  ou 
la  lecture  et  la  réflexion  soient  plus  nécessaires.  J'ai  pensé  qu'un  ou- 
vrage de  la  forme  de  celui-ci  seroit  précisément  celui  qui  leur  convenoit , 
et  que,  pour  le  leur  rendre  aussi  profitable  qu'il  étoit  possible,  il  falloit 
moins  y  dire  ce  qu'ils  savent  que  ce  qu'ils  auroient  besoin  d'apprendre. 

Si  les  manœuvres  et  les  croque-notes  relèvent  souvent  ici  des  erreurs, 
yespère  que  les  vrais  artistes  et  les  hommes  de  génie  y  trouveront  des 
•"ies  utiles  dont  ils  sauront  bien  tirer  parti.  Les  meilleurs  livres  sont  ceux 
que  le  vulgaire  décrie,  e»t  dont  les  gens  à  talent  profitent  sans  en  parler. 

Après  avoir  exposé  les  raisons  de  la  médiocrité  de  l'ouvrage,  et  celles 
de  l  utilité  que  j'estime  qu'on  en  peut  tirer ,  j'aurois  maintenant  à  en- 
trer dans  le  détail  de  l'ouvrage  même,  à  donner  un  précis  du  plan  que 
je  me  suis  tracé,  et  de  la  manière  dont  j'ai  tâché  de  le  suivre.  Mais  à 
mesure  que  les  idées  qui  s'y  rapportent  se  sont  effacées  de  mon  esprit, 
le  plan  sur  lequel  je  les  arrangeois  s'ect  de  même  effacé  de  ma  mémoire. 
Mon  premier  projet  étoit  d'en  traiter  si  relativement  les  articles  ,  d'en 
lier  si  bien  les  suites  par  des  renvois,  que  le  tout,  avec  la  com.modité 
d'un  dictionnaire ,  eût  l'avantage  d'un  traité  suivi  :  mais  pour  exécuter 
ji  projet  il  eût  fallu  me  rendre  sans  cesse  présentes  toutes  les  parties  de 
l'art,  et  n'en  traiter  aucune  sans  me  rappeler  les  autres;  ce  que  le  dé- 
faut de  ressources  et  mon  goût  attiédi  m'ont  bientôt  rendu  impossible, 
et  que  j'eusse  eu  même  bien  de  la  peine  à  faire  au  milieu  de  mes  pre 

\.  Dans  une  lettre  à  de  Lalande,  du  mois  de  mars  1768,  et  dans  le  pre- 
mier de  ses  Dialogues,  Rousseau  indique  spécialemenl  comme  dignes  d'une 
allenlion  particulière  et  comme  n'appartenant  qu'à  lui  seul  les  articles  de  ce 
Dictionnaire  se  rapportan».  aux  mots  Accent,  Consonnance,  Dissonance,  Ex- 
pression^ Fugue,  Goût,  Harmonie,  Intervalle,  Licence,  Mode,  Modulation, 
Opéra,  Piénaration,  Récitatif,  Son,  Teniférame.it,  Trio,  Unité  de  mélodie, 
f^'oix,  et  surtout  l'article  Enharmonique,  dans  lequel,  dit-il,  ce  genre,  jusqu'à 
présent  Irès-mal  entendu,  est  mieux  expliqué  que  dans  aucun  livie.  ^Èu.) 


PRÉFACE.  325 

miers  guides,  et  plein  de  ma  première  ferveur.  Livré  à  moi  seul, 
n'ayant  plus  ni  savans  ni  livres  à  consulter-,  forcé,  par  conséquent,  de 
trailer  chaque  article  en  lui-même .  et  sans  égard  à  ceux  qui  s'y  rappor- 
toient,  pour  éviter  des  lacunes  j'ai  dû  faire  bien  des  redites.  Mais  j'ai 
cru  que ,  dans  un  livre  de  l'espèce  de  celui-ci ,  c'etoit  encore  un  moindre 
mal  de  commettre  des  fautes  que  de  faire  des  omiss  eus. 

Je  me  suis  donc  attaché  surtout  à  bien  compléter  le  vocabulaire,  et 
non-seulement  à  n'omettre  aucun  terme  technique,  mais  à  passer  plu- 
tôt quelquefois  les  limite?  de  l'art  que  de  n'y  pas  toujours  atteindre  .  et 
cela  m'a  mis  dans  la  uécessité  de  parsemer  souvent  ce  Dictionnaire  de 
mots  italiens  et  de  mots  grecs  :  les  uns,  tellement  consacrés  par  l'usage, 
qu'il  faut  les  entendre  même  dans  la  pratique;  les  autres,  adoptés  de 
même  par  les  savans,  et  auxquels,  vu  la  désuétude  de  ce  qu'ils  expri- 
ment, on  n'a  pas  donné  de  synonymes  en  françois.  J'ai  tâché  cependant 
de  me  renfermer  dans  ma  règle,  et  d'éviter  l'excès  de  Brossard  qui. 
donnant  un  dictionnaire  françois,  en  fait  le  vocabulaire  tout  italien,  et 
l'enfle  de  mots  absolument  étrangers  à  l'art  qu'il  traite.  Car  qui  s'imagi- 
nera jamais  que  la  Vierge,  les  apôtres,  la  messe,  les  morts,  soient  des 
termes  de  musique,  parce  qu'il  y  a  des  musiques  relatives  à  ce  qu'ils 
expriment:  que  ces  autres  mots  page,  feuillet ,  quatre ,  cinq,  gosier, 
raison,  déjà,  soient  aussi  des  termes  techniques,  parce  qu'on  s'en  sert 
quelquefois  en  parlant  de  l'art? 

Quant  aux  parties  qui  tiennent  à  l'art  sans  lui  être  essentielles ,  et  qui 
ne  sont  pas  absolumerit  nécessaires  à  l'intelligence  du  reste,  j'ai  évité, 
autant  que  j'ai  pu,  d'y  entrer.  Telle  est  celle  des  instrumens  de  musi- 
que, parlie  vaste,  et  qui  rempliroit  seule  un  dictionnaire,  surtout  par 
rapport  aux  instrumens  des  anciens.  M.  Diderot  s'etoit  chargé  de  cette 
partie  de  ï Encyclopédie;  et  comme  elle  n'enlroit  pas  dans  mon  premier 
plan ,  je  n'ai  eu  garde  de  l'y  ajouter  dans  la  suite ,  après  avoir  si  bien 
senti  la  difficulté  d'exécuter  ce  plan  tel  qu'il  étoit. 

J'ai  traité  la  partie  harmonique  dans  le  système  de  la  basse  fondamen- 
tale, quoique  ce  système,  imparfait  et  défectueux  à  tant  d'égards,  ne 
soit  point,  selon  moi,  celui  de  la  nature  et  de  la  vérité,  et  qu'il  en  ré- 
suite un  remplissage  sourd  et  confus,  plutôt  qu'une  bonne  harmonie  : 
mais  c'est  un  système  enfin;  c'est  le  premier,  et  c'étoit  le  seul,  jusqu'à 
celui  de  M.  Tartini,  où  l'on  ait  lié  par  des  principes  ces  multitu(ies  de 
règles  isolées  qui  serabloienl  toutes  arbitraires  ,  et  qui  faisoient  de  l'art 
harmonique  une  étude  de  mémoire  plutôt  que  de  raisonnement.  Le  svs- 
tème  de  M.  Tartini,  quoique  meilleur  à  mon  avis,  n'étant  pas  encore 
aussi  généralement  connu ,  et  n'ayant  pas .  du  moins  en  France ,  la  même 
autorité  que  celui  de  M.  Rameau ,  n'a  pas  dû  lui  être  substitué  dans  un 
livre  destiné  principalement  pour  la  nation  françoise.  Je  me  suis  donc 
contenté  d'exposer  de  mon  mieux  les  principes  de  ce  système  dans  ua 
article  de  mon  Dictionnaire,  et  du  reste  j'ai  cru  devoir  cette  déférence 
à  la  nation  pour  laquelle  j'écrivo  s.  de  préférer  son  sentiment  au  mien 
sur  le  fond  de  la  doctrine  harmonique.  Je  n'ai  pas  dû  cependant  m'abs- 
tenir,  dans  L'occasion,  des  objections  nécessaires  à  l'intelligence  des 
articles  que  j'avois  à  traiter  :  c'eût  été  sacrifier  l'utilité  du  livre  au  pré- 


"^26  DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE. 

jugé  des  lecteurs;  c'eût  élé  flatter  sans  instruire,  et  changer  la  défé- 
rence en  lâcheté. 

J'exhorte  les  artistes  et  les  amateurs  de  lire  ce  livre  sans  défiance ,  et 
de  le  juger  avec  autant  d'impartialité  que  j'en  ai  rais  à  l'écrire.  Je  les 
prie  de  considérer  que,  ne  professant  pas,  je  n'ai  d'autre  intérêt  ici 
que  celui  de  l'art;  et  quand  j'en  aurois,  je  devrois  naturellement  ap- 
puyer en  faveur  de  la  musique  françoise ,  où  je  puis  tenir  une  place , 
contre  l'italienne,  où  je  ne  puis  être  rien.  Mais  cherchant  sincèrement 
le  progrès  d'un  art  que  j'aimois  passionnément,  mon  plaisir  a  fait  taire 
ma  vanité.  Les  premières  habitudes  m'ont  longtemps  attaché  à  la  musi- 
que françoise ,  et  j'en  étois  enthousiaste  ouvertement.  Des  comparaisons 
attentives  et  impartiales  m'ont  entraîné  vers  la  musique  italienne,  et  je 
m'y  sut*  livré  avec  la  même  bonne  foi.  Si  quelquefois  j'ai  plaisanté, 
c'est  pour  répondre  aux  autres  sur  leur  propre  ton;  mais  je  n'ai  pas 
comme  eux  donné  des  bons  mots  pour  toute  preuve,  et  je  n'ai  plai- 
santé qu'après  avoir  raisonné.  Maintenant  que  les  malheurs  et  les  maux 
m'ont  enfin  détaché  d'un  goût  qui  n'avoil  pris  sur  mçi  que  trop  d'em- 
pire, je  persiste,  par  le  seul  amour  de  la  vérité,  dans  les  jugemens  que 
le  seul  amour  de  l'art  m'a  voit  fait  porter.  Mais,  dans  un  ouvrage  comme 
celui-ci,  consacré  à  la  musique  en  général,  je  n'en  connois  qu'une, qui 
n'étant  d'aucun  pays,  est  celle  de  tous;  et  je  n'y  suis  jamais  entré  dans 
la  querelle  des  deux  musiques  que  quand  il  s'est  agi  d'éclaircir  quelque 
point  important  au  progrès  commun.  J'ai  fait  bien  des  fautes,  sans 
doute ,  mais  je  suis  assuré  que  la  partialité  ne  m'en  a  pas  fait  commettre 
une  seule.  Si  elle  m'en  fait  imputer  à  tort  par  les  lecteurs,  qu'y  puis-je 
faire?  ce  sont  eux  alors  qui  ne  veulent  pas  que  mon  livre  leur  soit  bon. 

Si  l'on  a  vu,  dçins d'autres  ouvrages,  quelques  article;  peu  importans 
qui  sont  aussi  dans  celui-ci,  ceux  qui  pourront  faire  cette  remarque 
voudront  bien  se  rappeler  que,  dès  l'année  1750,  le  manuscrit  est  sorti 
de  mes  mains  sans  que  je  sache  ce  qu'il  est  devenu  depuis  ce  temps-là. 
Je  n'accuse  personne  d'avoir  pris  mes  articles;  mais  il  n'est  pas  juste 
que  d'autres  m'accusent  d'avoir  pris  les  leurs. 

Moliers-Trayers,  le  20  décembre  ^764. 


A 

A  mi  la,  A  la  mi  ré,  ou  simplement  A,  sixième  son  de  la  gamme 
diatonique  et  naturelle ,  lequel  s'appelle  autrement  la.  Voy.  Gamme. 

A  batluta.  "Voy.  Mesuré. 

A  livre  ouvert,  ou  à  l'ouverture  du  livre.  Voy.  Livre. 

A  tempo.  Voy.  Mesuré. 

Académie  de  musique.  C'est  ainsi  qu'on  appeloit  autrefois  en  France, 
et  qu'on  appelle  encore  en  Italie  une  assemblée  de  musiciens  ou  d'ama- 
teurs, à  laquelle  les  François  ont  depuis  donné  le  nom  de  Concert. 
(Voy.  Concert.) 

Académie  royale  de  musique.  C'est  le  titre  que  porte  encore  aujour- 
d'hui l'Opéra  de  Paris.  Je  ne  dirai  rien  ici  de  cet  établissement  célèbre,..; 


ACCENT.  327 

sinon  que,  de  toutes  les  académies  du  royaume  et  du  monde,  c'est 
assurément  celle  qui  fait  le  plus  de  bruit.  (Voy.  Opéra.) 

Accent.  On  appelle  ainsi,  selon  l'acception  la  plus  générale,  toute 
modification  de  la  voix  parlante  dans  la  durée  ou  dans  le  ton  des  syl- 
labes et  des  mots  dont  le  discours  est  composé  ;  ce  qui  montre  un  rap- 
port très-e.xact  entre  les  deux  usages  des  accens  et  les  deux  parties  de 
la  mélodie ,  savoir  le  rhythme  et  l'intonation.  Accentus ,  dit  le  grammai- 
rien Sergius  dans  Donat,  quasi  ad  cantus.  Il  y  a  autant  à'accens  diffé- 
rens  qu'il  y  a  de  manières  de  modifier  ainsi  la  voix  ;  et  il  y  a  autant  de 
genres  à'accens  qu'il  y  a  de  causes  générales  de  ces  modifications. 

On  distingue  trois  de  ces  genres  dans  le  simple  discours ,  savoir 
l'accent  grammatical,  qui  renferme  la  règle  des  accens  proprement  dits, 
par  lesquels  le  son  des  syllabes  est  grave  ou  aigu,  et  celle  de  la  quan- 
tité, par  laquelle  chaque  syllabe  est  brève  ou  longue;  l'accent  logique 
ou  rationnel,  que  plusieurs  confondent  mal  à  propos  avec  le  précédent; 
cette  seconde  sorte  d'accent,  indiquant  le  rapport,  la  connexion  plus  ou 
moins  grande  que  les  propositions  et  les  idées  ont  enlre  elles ,  se  marque 
en  partie  par  la  ponctuation;  enfin  l'accent  pathétique  ou  oratoire,  qui, 
par  diverses  inflexions  de  voix ,  par  un  ton  plus  ou  moins  élevé,  par  un 
parler  plus  vif  ou  plus  lent,  exprime  les  sentimens  dont  celui  qui  parle 
est  agité ,  et  les  communique  à  ceux  qui  l'écoutent.  L'étude  de  ces  divers 
accetis  et  de  leurs  effets  dans  la  langue  doit  être  la  grande  affaire  du 
musicien:  et  Denys  d'Halicarnasse  regarde  avec  raison  l'accent  en  gé- 
néral comme  la  semence  de  toute  musique.  Aussi  devons-nous  admettre 
pour  une  maxime  incontestable  que  le  plus  ou  moins  à'accent  est  la 
vraie  cause  qui  rend  les  langues  plus  ou  moins  musicales  :  car  quel 
seroit  le  rapport  de  la  musique  au  discours,  si  les  tons  de  la  voix  chan- 
tante n'imitoient  les  accens  de  la  parole?  D'où  il  suit  que  moins  une 
langue  a  de  pareils  accens,  plus  la  mélodie  y  doit  être  monotone,  lan- 
guissante et  fade ,  à  moins  qu'elle  ne  cherche  dans  le  bruit  et  la  force 
des  sons  le  charme  qu'elle  ne  peut  trouver  dans  la  vérité. 

Quant  à  l'accent  pathétique  et  oratoire,  qui  est  l'objet  le  plus  immé- 
diat de  la  musique  imitative  du  théâtre,  on  ne  doit  pas  opposer  à  la 
maxime  que  je  viens  d'établir  que  tous  les  hommes,  étant  sujets  aux 
mêmes  passions,  doivent  en  avoir  également  le  langage;  car  autre  chose 
est  l'accent  universel  de  la  nature ,  qui  arrache  à  tout  homme  des  cris 
inarticulés;  et  autre  chose  l'accent  de  la  langue,  qui  engendre  la  mé- 
lodie parliculière  à  une  nation.  La  seule  différence  du  plus  ou  moins 
d'imagination  et  de  sensibilité  qu'on  remarque  d'un  peuple  à  l'autre  en 
doit  introduire  une  infinie  dans  l'idiome  accentué,  si  j'ose  parler  ainsi. 
L'Allemand ,  par  exemple ,  hausse  également  et  fortement  la  voix  dans 
la  colère;  il  crie  toujours  sur  le  même  ton.  L'Italien,  que  mille  mouve- 
mens  divers  agitent  rapidement  et  successivement  dans  le  même  cas, 
modifie  sa  voix  de  mille  manières;  le  même  fonds  de  passion  règne  dans 
ses  accens  et  dans  son  langage  !  Or,  c'est  à  cette  seule  variété,' quand 
le  musicien  sait  l'imiter ,  qu'il  doit  l'énergie  et  la  grâce  de  son  chant. 

Malheureusement  tous  ces  accens  divers ,  qui  s'accordent  parfaitement 
dans  la  bouche  de  l'orateur,  ne  sont  pas  si  faciles  à  concilier  sous  la 


328  DICTIONNAIRE   DE  MUSIQUE. 

lilume  (lu  musicien ,  déjà  si  gêné  par  les  règles  particulières  de  son  art 
On  ne  peut  douter  que  la  musique  la  plus  parfaite  ou  du  moins  la  plus 
expressive  ne  soit  celle  où  tous  les  accens  sont  le  plus  exactement  obser- 
vés ;  mais  ce  qui  rend  ce  concours  si  difficile  est  que  trop  de  règles  dans 
cet  art  sont  sujettes  à  se  contrarier  mutuellement,  et  se  contrarient 
d'autant  plus  que  la  langue  est  moins  musicale  ;  car  nulle  ne  l'est  parfai- 
tement:  autrement,  ceux  qui  s'en  servent  chanteroient  au  lieu  de  parler. 

Cette  extrême  difficulté  de  suivre  à  la  fois  les  règles  de  tous  les  accens 
oblige  donc  souvent  le  compositeur  à  donner  la  préférence  à  l'une  ou  à 
l'autre,  selon  les  divers  genres  de  musique  qu'il  traite.  Ainsi  les  airs  de 
danse  exigent  surtout  un  accent  rhythmique  et  cadencé  dont  en  chaque 
nation  le  caractère  est  déterminé  par  la  langue.  L'accent  grammatical 
doit  être  le  premier  consulté  dans  le  récitatif,  pour  rendre  plus  sensible 
l'articulation  des  mots,  sujette  à  se  perdre  par  la  rapidité  du  débit  dans 
la  résonnance  harmonique  ;  mais  Vaccent  passionné  l'emporte  à  son  tour 
dans  les  airs  dramatiques;  et  tous  deux  y  sont  subordonnés,  surtout 
dans  la  symphonie,  à  une  troisième  sorte  d'accent,  qu'on  pourroit  ap- 
peler musical,  et  qui  est  en  quelque  sorte  déterminé  par  l'espèce  de 
mélodie  que  le  musicien  veut  approprier  aux  paroles. 

En  effet,  le  premier  et  principal  objet  de  toute  musique  est  de  plaire 
à  l'oreille;  ainsi  tout  air  doit  avoir  un  chant  agréable  :  voilà  la  première 
loi  qu'il  n'est  jamais  permis  d'enlreindre.  L'on  doit  donc  premièrement 
consulter  la  mélodie  et  l'accent  musical  dans  le  dessein  d'un  air  quel- 
conque; ensuite,  s'il  est  question  d'un  chant  dramatique  et  imitatif,  il 
faut  chercher  Vaccent  pathétique  qui  donne  au  sentiment  son  expres- 
sion, et  Vaccent  rationnel  par  lequel  le  musicien  rend  avec  justesse  les 
idées  du  poète  :  car ,  pour  inspirer  aux  autres  la  chaleur  dont  nous  sommes 
animés  en  leur  parlant,  il  faut  leur  faire  entendre  ce  que  nous  disons. 
Vaccent  grammatical  est  nécessaire  par  la  même  raison;  et  cette  règle, 
pour  être  ici  la  dernière  en  ordre,  n'est  pas  moins  indispensable  que  les 
deux  précédentes,  puisque  le  sens  des  propositions  et  des  phrases  dé- 
pend absolument  de  celui  des  mots;  mais  le  musicien  qui  sait  sa  langue 
a  rarement  besoin  de  songer  à  cet  accent;  il  ne  sauroit  chanter  son  air 
sans  s'apercevoir  s'il  parle  bien  ou  mal,  et  il  lui  suffit  de  savoir  qu'il 
doit  toujours  bien  parler.  Heureux  toutefois  quand  une  mélodie  flexible 
et  coulante  ne  cesse  jamais  de  se  prêter  à  ce  qu'exige  la  langue  !  Les 
musiciens  françois  ont  en  particulier  des  secours  qui  rendent  sur  ce 
point  leurs  erreurs  impardonnables,  et  surtout  le  Traite' de  la  Prosodie 
française  de  M.  l'abbé  d'Olivet,  qu'ils  devroient  tous  consulter.  Ceux 
qui  seront  en  état  de  s'élever  plus  haut  pourront  étudier  la  Grammaire 
de  Port-Royal  et  les  savantes  notes  du  philosophe  qui  l'a  commentée; 
alors,  en  appuyant  l'usage  sur  les  règles,  et  les  règles  sur  les  principes, 
ils  seront  toujours  sûrs  de  ce  qu'ils  doivent  faire  dans  l'emploi  de  l'ac- 
cent grammatical  de  toute  espèce. 

Quant  aux  deux  autres  sortes  d'occens,  on  peut  moins  les  réduire  en 
règles,  et  la  pratique  en  demande  moins  d'étude  et  plus  de  talent.  On 
ne  trouve  point  de  sang-froid  le  langage  des  passions,  et  c'est  une  vérité 
rebattue  qu'il  faut  être  ému  soi-même  pour  émouvoir  les  autres  Rien 


ACCENT  —  ACCOMPAGNATEUR.  329 

ne  peut  donc  suppléer,  dans  la  recherche  de  Vaccent  pathétique,  à  ce 
génie  qui  réveille  à  volonté  tous  les  sentimens;  et  il  n'y  a  d'autre  art  en 
cette  partie  que  d'allumer  en  son  propre  cœur  le  feu  qu'on  veut  porter 
dans  celui  des  autres.  (Voy.  Génie.)  Est-il  question  de  Vaccent  rationnel , 
l'art  a  tout  aussi  peu  de  prise  pour  le  saisir,  par  la  raison  qu'on  n'ap- 
prend point  à  entendre  à  des  sourds.  Il  faut  avouer  aussi  que  cet  accent 
est  moins  que  les  autres  du  ressort  de  la  musique ,  parce  qu'elle  est  bien 
plus  le  langage  des  sens  que  celui  de  l'esprit.  Donnez  donc  au  musicien 
beaucoup  d'images  ou  de  sentimens  et  peu  de  simples  idées  à  rendre  : 
car  il  n'y  a  que  les  passions  qui  chantent  ;  l'entendement  ne  fait  que  parler. 

Accent.  Sorte  d'agrément  du  chant  françois,  qui  se  notoit  autrefois 
sur  la  musique,  mais  que  les  maîtres  de  goût  du  chant  marquent  aujour- 
d'hui seulement  avec  du  crayon  jusqu'à  ce  que  les  écoliers  sachent  le  pla- 
cer d'eux  mêmes.  L'accent  ne  se  pratique  que  sur  une  syllabe  longue,  et 
sert  de  passage  d'une  note  appuyée  à  une  autre  note  non  appuyée,  placée 
sur  le  même  degré;  il  consiste  en  un  coup  de  gosier  qui  élève  le  son 
d'un  degré,  pour  reprendre  à  l'instant  sur  la  note  suivante  le  même  son 
d'où  l'on  est  parti.  Plusieurs  donnoient  le  nom  de  plainte  et  l'accent. 
CVoy.  le  signe  et  l'effet  de  Vaccent,  pi.  'V,  fig.  5'.) 

AccENS.  Les  poètes  emploient  souvent  ce  mot  au  pluriel  pour  signifier 
le  chant  même,  et  l'accompagnent  ordinairement  d'une  épithète  ,  comme 
doux,  tendres,  tristes  accens;  alors  ce  mot  reprend  exactement  le  sens 
de  sa  racine;  car  ilvient  de  cancre,  cantus,  d'où  l'on  a  fait  accentus, 
comme  concentns. 

Accident,  accidentel.  On  appelle  accidens  on  signes  accidentels  les 
bémols,  dièses  ou  bécarres  qui  se  trouvent  par  accident  dans  le  courant 
d'un  air,  et  qui  par  conséquent  n'étant  pas  à  la  clef  ne  se  rapportent 
pas  au  mode  ou  au  ton  principal.  (Voy.  Dièse,  Bémol,  Ton,  Mode,  Clef 
transposée.) 

On  appelle  aussi  lignes  accidentelles  celles  qu'on  ajoute  au-dessus  ou 
au-dessous  de  la  portée  pour  placer  les  notes  qui  passent  son  étendue. 
{Voy.  Ligne,  Portée.) 

Accolade.  Trait  perpendiculaire  aux  lignes,  tiré  à  la  marge  d'une 
partition  ,  et  par  lequel  on  joint  ensemble  les  portées  de  toutes  les  par- 
ties. Comme  toutes  ces  parties  doivent  s'exécuter  en  même  temps,  on 
compte  les  lignes  d'une  partition  non  par  les  portées,  mais  par  les  acco- 
lades, et  tout  ce  qui  est  compris  sous  une  accolade  ne  forme  qu'une 
seule  ligne.  (Voy.  Partition.) 

Accompagnateur.  Celui  qui  dans  un  concert  accompagne  de  l'orgue, 
du  clavecin  ,  ou  de  tout  autre  instrument  d'accompagnement.  (Voy.  Ac- 
compagnement.) 

Il  faut  qu'un  bon  accompagnateur  soit  grand  musicien ,  qu'il  sache  à 
fond  l'harmonie ,  qu'il  connoisse  bien  son  clavier,  qu'il  ait  l'oreille  sen- 
isible,  les  doigts  souples  et  le  goût  sûr. 

C'est  à  Vaccompagnateur  de  donner  le  ton  aux  voix  et  le  mouvement 
à  l'orchestre.  La  première  de  ces  fonctions  exige  qu'il  ait  toujours  sou? 

i.  Les  planches  sont  au  t.  VII, à  la  un  du  Dictionnaire  de  musique    (Éd.) 


330  DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE. 

un  doigt  la  note  du  chant  pour  la  refrapper  au  besoin ,  ei  soutenir  on 
remettre  la  voix  quand  elle  foiblit  ou  s'égare.  La  seconde  exige  qu'il 
marque  la  basse  et  son  accompagnement  par  des  coups  fermes,  égaux, 
détachés,  et  bien  réglés  à  tous  égards,  afin  de  bien  faire  sentir  la  me- 
sure aux  concertans,  surtout  au  commencement  des  airs. 

On  trouvera  dans  les  trois  articles  suivans  les  détails  qui  peuvent 
manquer  à  celui-ci. 

Accompagnement.  C'est  l'exécution  d'une  harmonie  complète  et  régu- 
lière sur  un  instrument  propre  à  la  rendre ,  tels  que  l'orgue ,  le  clavecin  , 
le  téorbe ,  la  guitare ,  etc.  Nous  prendrons  ici  le  clavecin  pour  exemple  , 
d'autant  plus  qu'il  est  presque  le  seul  instrument  qui  soit  demeuré  en 
usage  pour  Vaccompagnement. 

On  y  a  pour  guide  une  des  parties  de  la  musique ,  qui  est  ordinaire- 
ment la  basse.  On  touche  cette  basse  de  la  main  gauche ,  et  de  la  droite 
l'harmonie  indiquée  par  la  marche  de  la  basse,  par  le  chant  des  autres 
parties  qui  marchent  en  même  temps,  par  la  partition  qu'on  a  devant 
les  yeux,  ou  par  les  chiffres  qu'on  trouve  ajoutés  à  la  basse.  Les  Italiens 
méprisent  les  chiffres;  la  partition  même  leur  est  peu  nécessaire;  la 
promptitude  et  la  finesse  de  leur  oreille  y  supplée,  et  ils  accompagnent 
fort  bien  sans  tout  cet  appareil.  Mais  ce  n'est  qu'à  leur  disposition  natu- 
relle qu'ils  sont  redevables  de  cette  facilité,  et  les  autres  peuples,  qui 
ne  sont  pas  nés  comme  eux  pour  la  musique,  trouvent  à  la  pratique  de 
ï accompagnement  des  obstacles  presque  insurmontables;  il  faut  des 
huit  et  dix  années  pour  y  réussir  passablement.  Quelles  sont  donc  les 
causes  qui  retardent  ainsi  l'avancement  des  élèves  et  embarrassent  si 
longtemps  les  maîtres,  si  la  seule  difficulté  de  l'art  ne  fait  point  cela? 

Il  y  en  a  deux  principales  :  l'une  dans  la  manière  de  chiffrer  les 
liasses ,  l'autre  dans  la  méthode  de  l'accompagnement.  Parlons  d'abord 
de  la  première. 

Les  signes  dont  on  se  sert  pour  chiffrer  les  basses  sont  en  trop  grand 
nombre.  11  y  a  si  peu  d'accords  fondamentaux  !  pourquoi  faut-il  tant  de 
chiffres  pour  les  exprimer?  Ces  mêmes  signes  sont  équivoques,  obscurs, 
insuffisans;  par  exemple,  ils  ne  déterminent  presque  jamais  l'espèce  des 
intervalles  qu'ils  expriment ,  ou ,  qui  pis  est ,  ils  en  indiquent  d'une  autre 
espèce.  On  barre  les  uns  pour  marquer  des  dièses;  on  en  barre  d'autres 
pour  marquer  des  bémols;  les  intervalles  majeurs  et  les  superffus, 
même  les  diminués,  s'expriment  souvent  de  la  même  manière  :  quand 
les  chiffres  sont  doubles,  ils  sont  trop  confus;  quand  ils  sont  simples , 
ils  n'offrent  presque  jamais  que  l'idée  d'un  seul  intervalle,  de  sorte  qu'on 
en  a  toujours  plusieurs  à  sous-entendre  et  à  déterminer. 

Comment  remédier  à  ces  inconvéniens?  Faudra-t-il  multiplier  les 
signes  pour  tout  exprimer?  mais  on  se  plaint  qu'il  y  en  a  déjà  trop. 
Faudra-t-il  les  réduire?  on  laissera  plus  de  choses  à  deviner  à  l'accom- 
pagnateur, qui  n'est  déjà  que  trop  occupé;  et  dès  qu'on  fait  tantqu» 
d'employer  des  chiffres,  il  faut  qu'ils  puissent  tout  dire.  Que  faire  donc? 
Inventer  de  nouveaux  signes,  perfectionner  le  doigter,  et  faire  des 
signes  et  du  doigter  deux  moyens  combinés  qui  concourent  à  soulager 
l'accompagnateur.  C'est  ce  que  M.  Rameau  a  tenté  avec  beaucoup  det 


ACCOMPAGNEMENT.  331 

igacité  dans  sa  Dissertation  sur  les  différentes  méthodes  d'accompa- 
nemeni.  Nous  exposerons  aux  mo:s  Chiffres  et  Doigter  les  moyens  quil 
ropose.  Passons  aux  méthodes. 

Comme  l'ancienne  musique  n'étoit  pas  si  composée  que  la  nôtre  ni 
our  léchant  ni  pour  l'harmonie,  et  qu'il  n'y  avoit  guère  d'autres 
asses  que  la  fondamentale  ,  tout  Vaccom'pagnement  ne  consistoi/ 
u'en  une  suite  d'accords  parfaits,  dans  lesquels  l'accompagnateu", 
ibstituoit  de  temps  en  temps  quelque  sixte  à  la  quinte,  selon  qui 
oreille  le  conduisoit;  ils  n'en  savoient  pas  davantage.  Aujourd'hui 
u'on  a  varié  les  modulations,  renversé  les  parties,  surchargé,  peut- 
tre  gâté  l'harmonie  par  des  foules  de  dissonances,  on  est  contraint 
e  suivre  d'autres  règles.  Campion  imagina,  dit-on,  celle  qu'on  ap- 
elie  règle  de  l'octave  (Voy.  Règle  de  l'octave);  et  c'est  par  cette  mé- 
ode  que  la  plupart  des  maîtres  enseignent  encore  aujourd'hui  Vaccom- 
gnement. 

Les  accords  sont  déterminés  par  la  règle  de  l'octave  relativement  au 
ng  qu'occupent  les  notes  de  la  basse  et  à  la  marche  qu'elles  suivent 
ns  un  ton  donné.  Ainsi  le  temps  étant  connu,  la  note  de  la  basse 
ntinue  aussi  connue ,  le  rang  de  cette  note  dans  le  ton ,  le  rang  de  la 
te  qui  la  précède  immédiatement,  et  le  rang  de  la  note  qui  la  suit, 
ne  se  trompera  pas  beaucoup  en  accompagnant  par  la  règle  de  l'octave , 
le  compositeur  a  suivi  l'harmonie  la  plus  simple  et  la  plus  naturelle; 
;ais  c'est  ce  qu'on  ne  doit  guère  attendre  de  la  musique  d'aujour- 
hui,  si  ce  n'est  peut-être  en  Italie,  où  l'harmonie  paroît  se  sim- 
;ifier  à  mesure  qu'elle  s'altère  ailleurs .  De  plus ,  le  moyen  d'avoir  toutes 
;s  choses  incessamment  présentes?  et,  tandis  que  l'accompagnateur 
en  instruit,  que  deviennent  les  doigts?  A  peine  atteint-on  un  accord 
[l'il  s'en  offre  un  autre ,  et  le  moment  de  la  réflexion  est  précisément 
elui  de  l'exécution.  11  n'y  a  qu'une  habitude  consommée  de  musique, 
Oe  expérience  réfléchie,  la  facilité  de  lire  une  ligne  de  musique  d'un 
i)up  d'œil,  qui  puissent  aider  en  ce  moment;  encore  les  plus  habiles  se 
ompent-ils  avec  ce  secours.  Que  de  fautes  échappent,  durant  l'exécu- 
pn,  à  l'accompagnateur  le  mieux  exercé  ! 

Altendra-t-on,  même  pour  accompagner,  que  l'oreille  soit  formée, 
u'on  fâche  lire  aisément  et  rapidement  toute  musique,  qu'on  puisse 
^brouiller  à  livre  ouvert  une  partition?  Mais  en  fût-on  là,  on  auroit 
icore  besoin  d'une  habitude  du  doigter  fondée  sur  d'autres  principes 
accompagnement  que  ceux  qu'on  a  donnés  jusqu'à  M.  Rimeau. 
Les  maîtres  zélés  ont  bien  senti  l'insuffisance  de  leurs  règles:  pour  y 
ippléer  ils  ont  eu  recours  à  l'énumération  et  à  la  description  des  con- 
innances  dont  chaque  dissonance  se  prépare ,  s'accompagne ,  et  se 
uve  dans  tous  les  différens  cas  :  détail  prodigieux  que  la  multitude  des 
ssonances  et  de  leurs  combinaisons  fait  assez  sentir,  et  dont  la  mé- 
oire  demeure  accablée. 

Plusieurs  conseillent  d'apprendre  la  composition  avant  de  passer  à 
iccontpagncmcnt  ;  comme  si  l'accompagnement  n'étoit  pas  la  compo- 
lion  même,  à  l'invention  près,  qu'il  faut  de  plus  au  compositeur* 
est  comme  si  l'on  proposoit  de  commencer  par  se  faire  orateur  pour 


332  DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE. 

apprendre  à  lire.  Combien  de  gens,  au  contraire  ,  veulent  que  l'on  convi 
mence  par  Vaccompagnpmcnt  à  apprendre  la  composition  !  et  cet  ordi! 
est  assurément  plus  raisonnable  et  plus  naturel. 

La  marche  de  la  basse,  la  règle  de  l'octave,  la  manière  de  pré- 
parer et  de  sauver  les  dissonances,  la  composition  en  général,  tout 
cela  ne  concourt  guère  qu'à  montrer  la  succession  d'un  accord  à  un 
autre;  de  sorte  qu'à  chaque  accord,  nouvel  objet,  nouveau  sujet  de 
réflexion.  Quel  travail  continuel  !  quand  l'esprit  sera-t-il  assez  instruit, 
quand  l'oreille  sera-t-elle  as;ez  exercée  pour  que  les  doigts  ne  soient 
plus  arrêtés? 

Telles  sont  les  difficultés  que  M.  Rameau  s'est  proposé  d'aplanir  par 
ses  nouveaux  chiffres  et  par  ses  nouvelles  règles  d'accompagnement. 

Je  tâcherai  d'exposer  en  peu  de  mots  les  principes  sur  lesquels  sa 
méthode  est  fondée. 

Il  n'y  a  dans  l'harmonie  que  des  consonnances  et  des  dissonances  ;  il 
n'y  a  donc  que  des  accords  consonnans  et  des  accords  dissonans. 

Chacun  de  ces  accords  est  fondamentalement  divisé  par  tierces.  (C'e^^t 
le  système  de  M.  Rameau.)  L'accord  consonnant  est  composé  de  trois.i 
notes,  comme  ut  mi  sol;  et  le  dissonant  de  quatre,  comme  sol  si  ré  fa_i\ 
laissant  à  part  la  supposition  et  la  suspension ,  qui ,  à  la  place  des  notes' 
dont  elles  exigent  le  retranchement,  en  introduisent  d'autres  comme  ]  ar 
licence;  mais  V accompagnement  n'en  porte  toujours  que  quatre.  (Voy. 
Supposition  et  Suspension.) 

Ou  des  accords  consonnans  se  succèdent,  ou  des  accords  dissonans 
sont  suivis  d'autres  accords  dissonans,  ou  les  consonnans  et  les  disso- 
nans sont  entrelacés. 

L'accord  consonnant  parfait  ne  convenant  qu'à  la  tonique ,  la  succes- 
sion des  accords  consonnans  fournit  autant  de  toniques,  et  par  consé- 
quent autant  de  changemens  de  ton. 

Les  accords  dissonans  se  succèdent  ordinairement  dans  un  même 
ton ,  si  les  sons  n'y  sont  point  altérés.  La  dissonance  lie  le  sens  harmo- 
nique; un  accord  y  fait  désirer  l'autre,  et  sentir  que  la  phrase  n'est 
pas  finie.  Si  le  ton  change  dans  cette  succession,  ce  changement  est 
toujours  annoncé  par  un  dièse  ou  par  un  bémol.  Quant  à  la  troisième' 
succession,  savoir,  l'entrelacement  des  accords  consonnans  et  disso- 
nans, M.  Rameau  la  réduit  à  deux  cas  seulement;  et  il  prononce  ea_ 
général  (fu'un  accord  consonnant  ne  peut  être  immédiatement  précédé 
d'aucun  autre  accord  dissonant  que  celui  de  septième  de  la  dominante 
tonique,  ou  de  celui  de  sixte-quinte  de  la  sous-dominante,  excepté  dans 
la  cadence  rompue  et  dans  les  suspensions:  encore  prétend-il  qu'il  n'y 
a  pas  d'exception  quant  au  fond.  Il  me  semble  que  l'accord  parfait  peut 
encore  être  précédé  de  l'accord  de  septième  diminuée,  et  mime  de 
cel  ui  de  sixte  superflue  ;  deux  accords  originaux ,  dont  le  dernier  ne  se 
renverse  point. 

Voilà  donc  trois  textures  différentes  des  phrases  harmoniques  :  1"  des 
toniques  qui  se  succèdent  et  forment  autant  de  nouvelles  modulations; 
2°  des  dissonances  qui  se  succèdent  ordinairement  dans  le  même  ton; 
3°  enfin  des  consonnances  et  des  dissonances  qui  s'entrelacent,  et  où  la 


ACCOMPAGNEMENT.  333 

consonnance  est,  selon  M.  Rameau ,  nécessairement  précédée  de  la  sep- 
tième de  la  dominante,  ou  de  la  sixte-quinte  de  la  sous-dominante.  Que 
reste-t-il  donc  à  faire  pour  la  facilité  de  V accompagnement .  sinon  d'in- 
diquer à  l'accompagnateur  quelle  est  celle  de  ces  textures  qui  règne  dans 
ce  qu'il  accompagne?  Or,  c'est  ce  que  M.  Rameau  veut  qu'on  exécute 
avec  de"  caractères  de  son  invention. 

Un  seul  signe  peut  aisément  indiquer  le  ton  ,  la  tonique  .  et  son  accord. 

De  là  se  tire  la  connoissance  des  dièses  et  des  bémols  qui  doivent  en- 
trer dans  la  composition  des  accords  d'une  tonique  à  une  autre. 

La  succession  fondamentale  par  tierces  ou  par  quintes,  tant  en  mon- 
tant qu'en  descendant,  donne  la  première  texture  des  phrases  harmo- 
niques ,  toute  composée  d'accords  consonnans. 

La  succession  fondamentale  par  quintes  ou  par  tierces,  en  descendant, 
donne  la  seconde  texture,  composée  d'accords  dissonans,  savoir  des  ac- 
cords de  septième;  et  celte  succession  donne  une  harmonie  descendante. 

L'harmonie  ascendante  est  fournie  par  une  succession  de  quintes  en 
montant  ou  de  quartes  en  descendant,  accompagnées  de  la  dissonance 
propre  à  cette  succession,  qui  est  la  sixte  ajoutée;  et  c'est  la  troisième 
lexlure  des  phrases  harmoniques.  Cette  dernière  n'avoit  jusqu'ici  été 
observée  par  personne,  pas  même  par  M.  Rameau,  quoiqu'il  en  ait  dé- 
pouvert  le  principe  dans  la  cadence  qu'il  appelle  irrégulière.  Ainsi,  par 
es  règles  ordinaires,  l'harmonie  qui  naît  d'une  succession  de  disso- 
lances  descend  toujours,  quoique,  selon  les  vrais  principes  et  selon  la 
aisou,  elle  doive  avoir  en  montant  une  progression  tout  aussi  régulière 
ju'en  descendant. 

Les  cadences  fondamentales  donnent  la  quatrième  texture  de  phrases 
iiarmoniques ,  où  les  consonrances  et  les  dissonances  s'entrelacent. 

Toutes  ces  textures  peuvent  être  indiquées  par  des  caractères  simples . 
dairs,  peu  nombreux,  qui  puissent  en  même  temps  indiquer,  quand  il 
e  faut ,  la  dissonance  en  général  :  car  l'espèce  en  est  toujours  déterminée 
lar  la  texture  même.  On  commence  par  s'exercer  sur  ces  textures  prises 
éparément:  puis  on  les  fait  succéder  les  unes  aux  autres  sur  cnaqua 
on  et  sur  chaque  mode  successivement. 

Avec  ces  précautions ,  M.  Rameau  prétend  qu'on  apprend  plus  d'ao- 
ompagnement  en  six  mois  qu'on  n'en  apprenoit  auparavant  en  six  ans, 
t  il  a  l'expérience  pour  lui.  CVoy.  Chiffres  et  Doigter.) 

A  l'égard  de  la  manière  d'accompagner  avec  intelligence,  comme  eUe 
épend  plus  de  l'usage  et  du  goût  que  des  règles  qu'on  en  peut  donner, 

me  contenterai  de  faire  ici  quelques  observations  générales  que  ne 
oit  ignorer  aucun  accompagnateur. 

I.  Quoique  dans  les  principes  de  M.  Rameau  l'on  doive  toucher  tous 
s  sons  de  chaque  accord,  il  faut  bien  se  garder  de  prendre  toujours 
ette  règle  à  la  lettre.  Il  y  a  des  accords  qui  seroient  insupoortaLIes 
vec  tout  ce  remplissage.  Dans  la  plupart  des  accords  dissonans,  sur- 
)ut  dans  les  accords  par  supposition,  il  y  a  quelque  son  à  retrancher 
Dur  en  diminuer  la  dureté  :  ce  son  est  quelquefois  la  septième,  quel- 
uefois  la  quinte:  quelquefois  l'une  et  l'autre  se  retranchent.  On  re- 
•auche  encore  assez  souvent  la  quinte  ou  l'octave  de  la  basse  dans  ies 


334  DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE.  -1 

accords  dissonans,  pour  éviter  des  octaves  ou  des  quintes  de  suite  qui 
peuvent  faire  un  mauvais  effet,  surtout  aux  extrémités.  Par  la  même 
raison  ,  quand  la  note  sensible  est  dans  la  basse  ,  on  ne  la  met  pas  dans 
Vaccompagnement  ;  et  l'on  double  au  lieu  de  cela  la  tierce  ou  la  sixte 
de  la  main  droite.  On  doit  éviter  aussi  les  intervalles  de  seconde,  et 
(l'avoir  deux  doigts  joints,  car  cela  lait  une  dissonance  fort  dure,  qu'il 
faut  garder  pour  quelques  occasions  où  l'expression  la  demande.  En  gé- 
néral on  doit  penser  en  accompagnant  que,  quand  M.  Rameau  veut 
qu'on  remplisse  tous  les  accords,  il  a  bien  plus  d'égard  à  la  mécanique 
des  doigts  et  à  son  système  particulier  à'accompagnement  qu'à  la  pureté 
de  l'harmonie.  Au  lieu  du  bruit  confus  que  fait  un  pareil  accompagne- 
ment,  il  faut  chercher  à  le  rendre  agréable  et  sonore,  et  faire  qu'il 
nourrisse  et  renforce  la  basse ,  au  lieu  de  la  couvrir  et  de  l'étouffer. 

Que  si  l'on  demande  comment  ce  retranchement  de  sons  s'accorde 
avec  la  définition  de  l'accompagnement  par  une  harmonie  complète  ,  je 
réponds  que  ces  retranchemens  ne  sont ,  dans  le  vrai ,  qu'hypothétiques , 
et  seulement  dans  le  système  de  M.  Rameau;  que,  suivant  la  nature, 
ces  accords,  en  apparence  ainsi  mutilés,  ne  sont  pas  moins  complets 
que  les  autres,  puisque  les  sons  qu'on  y  suppose  ici  retranchés  les  reii- 
droient  choquans  et  souvent  insupportables;  qu'en  effet  les  accords 
dissonans  ne  sont  point  remplis  dans  le  système  de  M.  Tartini  comme, 
dans  celui  de  M.  Rameau;  que  par  conséquent  des  accords  défectueux 
dans  celui-ci  sont  complets  dans  l'autre;  qu'enfin  le  bon  goût  dans  l'exé- 
cution demandant  qu'on  s'écarte  souvent  de  la  règle  générale  ,  et  Yaccom- 
pagnementle  plus  régulier  n'étant  pas  toujours  le  plus  agréable,  la  défi- 
nition doit  dire  la  règle ,  et  l'usage  apprendre  quand  on  s'en  doit  écarter. 

II.  On  doit  toujours  proportionner  le  bruit  de  l'accompagnement  au 
caractère  de  la  musique  et  à  celui  des  instrumens  ou  des  voix  que  l'on 
doit  accompagner.  Ainsi  dans  un  chœur  on  frappe  de  la  main  droite  les 
accords  pleins;  de  la  gauche  on  redouble  l'octave  ou  la  quinte,  quel- 
quefois tout  l'accord.  On  en  doit  faire  autant  dans  le  récitatif  italien; 
car  les  sons  de  la  basse,  n'y  étant  pas  soutenus,  ne  doivent  se  faire  en- 
tendre qu'avec  toute  leur  harmonie,  et  de  manière  à  rappeler  fortement 
et  pour  longtemps  l'idée  de  la  modulation.  Au  contraire,  dans  un  air 
lent  et  doux,  quand  on  n'a  qu'une  voix  foible  ou  un  seul  instrument  à 
accompagner.;  on  retranche  des  sons,  on  arpège  doucement,  on  pren(J 
le  petit  clavier.  En  un  mot  on  a  toujours  attention  que  Vaccompagne- 
ment, qui  n'est  fait  que  pour  soutenir  et  embellir  le  chant,  ne  le  gâte 
et  ne  le  couvre  pas. 

MI.  Quand  on  frappe  les  mêmes  touches  pour  prolonger  le  son  dans 
une  note  longue  ou  une  tenue,  que  ce  soit  plutôt  au  commencement  de 
la  mesure  ou  du  temps  fort,  que  dans  un  autre  moment  :  on  ne  doit  re- 
battre qu'en  marquant  bien  la  mesure.  Dans  le  récitatif  italien,  quelque 
durée  que  puisse  avoir  une  note  de  basse,  il  ne  faut  jamais  la  frapper 
qu'une  fois  et  fortement  avec  tout  son  accord;  on  refrappe  seulement 
l'accord  quand  il  change  sur  la  même  note  :  mais  quand  un  accompa-: 
gnement  de  violons  règne  sur  le  récitatif,  alors  il  faut  soutenir  la  bass<>  ' 
ft  en  arpéger  l'accord. 


ACCOMPAGNEMENT.  335 

IV.  Quand  on  accompagne  de  la  musique  vocale,  on  doit  par  Vaccom- 
pagnement  soutenir  la  voix ,  la  guider ,  lui  donner  le  ton  à  toutes  les  ren- 
rtrées ,  et  l'y  remettre  quand  elle  détonne  :  l'accompagnateur ,  ayant  tou- 
jours le  chant  sous  les  yeux  et  l'harmonie  présente  à  l'esprit,  est  chargé 
spécialement  d'empêcher  que  la  voix  ne  s'égare.  {Voy.  Accompagnateur.) 

V.  On  ne  doit  pas  accompagner  de  la  même  manière  la  musique  ita- 
lienne et  la  françoise.  Dans  celle-ci,  il  faut  soutenir  les  sons,  les  arpéger 
gracieusement  et  continuellement  de  bas  en  haut,  remplir  toujours 
l'harmonie  autant  qu'il  se  peut,  jouer  proprement  la  basse,  en  un  mot 
se  prêter  à  tout  ce  qu'exige  le  genre.  Au  contraire ,  en  accompagnant  de 
l'italien,  il  faut  frapper  simplement  et  détacher  les  notes  de  la  basse, 
n'y  faire  ni  trilles  ni  agrémens,  lui  conserver  la  marche  égale  et  simple 
qui  lui  convient  :  l'accompagnement  doit  être  plein,  sec  et  sans  arpé- 
ger, excepté  le  cas  dont  j'ai  parlé  numéro  III.  et  quelques  tenues  ou 
points  d'orgue.  On  y  peut  sans  scrupule  retrancher  des  sons-,  mais  alors 
il  faut  bien  choisir  ceux  qu'on  fait  entendre,  en  sorte  qu'ils  se  fondent 
Idans  l'harmonie  et  se  marient  bien  avec  la  voix.  Les  Italiens  ne  veulent 
pas  qu'on  entende  rien  dans  VaccompagnemeiH  ni  dans  la  basse  qui 
puisse  distraire  un  moment  l'oreille  du  chant:  et  leurs  accompagne- 
mens  sont  toujours  dirigés  sur  ce  principe  que  le  plaisir  et  l'attention 
s'évaporent  en  se  partageant. 

VI.  Quoique  l'accompagnement  de  l'orgue  soit  le  même  que  celui  du 
Clavecin ,  le  goût  en  est  très-différent.  Comme  les  sons  de  l'orgue  sont 
soutenus,  la  marche  en  doit  être  plus  liée  et  moins  sautillante  :  il  faut 
lever  la  main  entière  le  moins  qu'il  se  peut,  glisser  les  doigts  d'une 
touche  à  l'autre,  sans  ôter  ceux  qui,  dans  la  place  où  ils  sont,  peuvent 
servir  à  l'accord  où  l'on  passe.  Rien  a'est  si  désagréable  que  d'entendre 
iiacher  sur  l'orgue  cette  espèce  d'accompagnement  sec,  arpégé,  qu'on 
,€st  forcé  de  pratiquer  sur  le  clavecin.  (Voy.  le  mot  Doigter.]  En  général 
l'orgue,  cet  instrument  si  sonore  et  si  majestueux,  ne  s'associe  avec 
aucun  autre,  et  ne  fait  qu'un  mauvais  effet  dans  l'accompagnement ,  si 
ce  n'est  tout  au  plus  pour  fortifier  les  rippiènes  et  les  chœurs. 

M.  Rameau,  dans  ses  Erreurs  sur  la  musique,  vient  d'établir  ou  du 
moins  d'avancer  un  nouveau  principe  dont  il  me  censure  fort  de  n'avoir 
pas  parlé  dans  l'Encyclopédie  ;  savoir  que  l'accompagnement  représente- 
le  corps  sonore.  Comme  j'examine  ce  principe  dans  un  autre  écrit .  je  me 
dispenserai  d'en  parler  dans  cet  article,  qui  n'est  déjà  que  trop  long. 
Mes  disputes  avec  M.  Rameau  sont  les  choses  du  monde  les  plus  inutiles 
au  progrès  de  l'art,  et  par  conséquent  au  but  de  ce  Dictionnaire. 

.ACCOMPAGNEMENT  est  encore  toute  partie  de  basse  ou  d'autre  instru- 
ment, qui  est  composée  sous  un  chant  pour  y  faire  harmonie.  Ainsi  un 
solo  de  violon  s'accompagne  du  violoncelle  ou  du  clavecin,  et  un  ac- 
compagnement de  flûte  se  marie  fort  bien  avec  la  voix.  L'harmonie  de 
l'accompagnement  ajoute  à  l'agrément  du  chant,  en  rendant  les  sens 
plus  sûrs,  leur  effet  plus  doux,  la  modulation  plus  sensible,  et  portant 
à  l'oreille  un  témoignage  de  justesse  qui  la  flatte.  Il  y  a  même,  par  rap- 
port aux  voix,  une  forte  raison  de  les  faire  toujours  accompagner  d 
quelque  instrument,  soit  en  partie,  soit  à  l'unisson;  car  quoique  plu* 


336  DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE. 

sieurs  prétendent  qu'en  chantant  la  voix  se  modifie  naturellenaent  selon 
les  lois  du  tempérament  (voy.  Tempérament),  cependant  l'expérience 
nous  dit  que  les  voix  les  plus  justes  et  les  mieux  exercées  ont  bien  de  la 
peine  à  se  maintenir  longtemps  dans  la  justesse  du  ton,  quand  rien  ne 
les  y  soutient.  A  force  de  chanter  on  monte  ou  l'on  descend  insensible- 
ment, et  il  est  très-rare  qu'on  se  trouve  exactement  en  finissant  dans  le 
ion  d'où  l'on  étoit  parti.  C'est  pour  empêcher  ces  variations  que  l'har- 
monie d'un  instrument  est  employée;  elle  maintient  la  voix  dans  la 
même  diapason ,  ou  l'y  rappelle  aussitôt  quand  elle  s'égare.  La  basse  est 
de  toutes  les  parties  la  plus  propre  à.  V accompagnement ,  celle  qui  sou- 
tient le  mieux  la  voix  et  satisfait  le  plus  l'oreille,  parce  qu'il  n'y  en  a 
point  dont  les  vibrations  soient  si  fortes ,  si  déterminantes ,  ni  qui  laisse 
moins  d'équivoque  dans  le  jugement  de  l'harmonie  fondamentale. 

Accompagner,  v.  a.  etn.  C'est  en  général  jouer  les  parties  d'accom- 
pagnement dans  l'exécution  d'un  morceau  de  musique;  c'est  plus  particu- 
lièrement, sur  un  instrument  convenable,  frapper  avec  chaque  note 
de  la  basse  les  accords  qu'elle  doit  porter,  et  qui  s'appellent  l'accom- 
pagnement. J'ai  suffisamment  expliqué  dans  les  précédens  articles  en 
(]uoi  consiste  cet  accompagnement.  J'ajouterai  seulement  que  ce  mot 
même  avertit  celui  qui  accompagne  dans  un  concert  qu'il  n'est  chargé 
que  d'une  partie  accessoire,  qu'il  ne  doit  s'attacher  qu'à  en  faire  valoir 
d'autres,  que  sitôt  qu'il  a  la  moindre  prétention  pour  lui-même,  il  gâte 
l'exécution,  et  impatiente  à  la  fois  les  concertans  et  les  auditeurs;  plus 
il  croit  se  faire  admirer,  plus  il  se  rend  ridicule;  et  sitôt  qu'à  force  de 
bruit  ou  d'ornemens  déplacés  il  détourne  à  soi  l'attention  due  à  la 
partie  principale,  tout  ce  qu'il  montre  de  talent  et  d'exécution  montre 
à  la  fois  sa  vanité  et  son  mauvais  goût.  Pour  accompagner  avec  intelli- 
gence et  avec  applaudissement,  il  ne  faut  songer  qu'à  soutenir  et  faire 
valoir  les  parties  essentielles,  et  c'est  exécuter  fort  habilement  la  sienne 
que  d'en  faire  sentir  l'effet  sans  la  laisser  remarquer. 

Accord  ,  s.  m.  Union  de  deux  ou  plusieurs  sons  rendus  à  la  fois .  et 
formant  ensemble  un  tout  harmonique. 

L'harmonie  naturelle  produite  par  la  résonnance  d'un  corps  sonore 
est  composée  de  trois  sons  difîérens,  sans  compter  leurs  octaves,  les-, 
quels  forment  entre  eux  Vaccord  le  plus  agréable  et  le  plus  parfait  que 
l'on  puisse  entendre  :  d'où  on  l'appelle  par  excellence  accord  parfait. 
Ainsi  pour  rendre  complète  l'harmonie ,  il  faut  que  chaque  accord  soit 
au  moins  composé  de  trois  sons.  Aussi  les  musiciens  trouvent-ils  dans, 
le  trio  la  perfection  harmonique,  soit  parce  qu'ils  y  emploient  les  ac- 
cords en  entier,  soit  parce  que,  dans  les  occasions  où  ils  ne  les  em- 
ploient pas  en  entier,  ils  ont  l'art  de  donner  le  change  à  l'oreille,  et  de 
lui  persuader  le  contraire,  en  lui  présentant  les  sons  principaux  des 
accords  de  manière  à  lui  faire  oublier  les  autres.  (Voy.  Trio.)  Cependant 
l'octave  du  son  produisant  de  nouveaux  rapports  et  de  nouvelles  con- 
sonnances  par  les  complémens  des  intervalles  (voy.  Complément) ,  on 
ajoute  ordinairement  cette  octave  pour  avoir  l'ensemble  de  toutes  les 
consonnances  dans  un  même  accord.  (Voy.  Consonnance.)  De  plus,  l'ad- 
dition de  la  disôonance  (voy.  Dissonance)  produisant  un  quatrième  sos 


ACCORD. 


337 


ajouté  à  Vaccord  parfait,  c'est  une  nécessité,  si  l'on  veut  remplir  l'ac- 
cord ,  d'avoir  une  quatrième  partie  pour  exprimer  cette  dissonance.  Ainsi 
la  suite  des  accords  ne  peut  être  complète  et  liée  qu'au  moyen  de  quatre 
parties. 

On  divise  les  accords  en  parfaits  ou  imparfaits.  L'accord  parfait  est 
celui  dont  nous  venons  de  parler ,  lequel  est  composé  du  son  fondamental 
au  grave,  de  sa  tierce,  de  sa  quinte,  et  de  son  octave;  il  se  subdivise 
en  majeur  ou  mineur,  selon  l'espèce  de  sa  tierce.  (Voy.  Majeur,  Mi' 
neur.)  Quelques  auteurs  donnent  aussi  le  nom  de  parfaits  à  tous  les 
[accords,  même  dissonans,  dont  le  son  fondamental  est  au  grave.  Les 
accords  imparfaits  sont  ceux  où  règne  la  si.xte  au  lieu  de  la  quinte ,  et  en 
général  tous  ceux  dont  le  son  grave  n'est  pas  le  fondamental.  Ces  déno- 
minations, qui  ont  été  données  avant  que  l'on  connût  la  basse  fonda- 
mentale, sont  fort  mal  appliquées  :  celles  d'accords  directs  ou  renversés 
sont  beaucoup  plus  convenables  dans  le  même  sens.  (Voy.  Renversement.) 
Les  accords  se  divisent  encore  en  consonnans  et  dissonans.  Les 
accords  consonnans  sont  l'accord  parfait  et  ses  dérivés  :  tout  autre  ac- 
cord est  dissonant.  Je  vais  donner  une  table  des  uns  et  des  autres  selon 
le  système  de  M.  Rameau. 

TABLE 

DE  TOUS  LES  ACCORDS  REÇUS  DANS  L'HARMONIE. 
ACCORDS  FONDAMENTAUX. 

ACCORD     PARFAIT,     ET     SES    DÉRIVÉS. 

Le  son  fondamental  au  grave.     Sa  Uerce  au  grave.     Sa  quinte  au  grave. 


-Q- 


O 


O 


-o- 


Accord  parfait. 


Accord  de  sixte.     Accord  de  sixle-quarie. 


Cet  accord  constilue  le  ton,  et  ne  se  fait  que  sur  la  tonique  :  sa  tiercs 
peut  être  majeure  ou  mineure,  et  c'est  elle  qui  constitue  le  mode. 

ACCORD    StNSmLE   OD   DOMINANT,   £T  SES  I  ÉRIVÙ 

Le  son  fondameulal         Sa   tierce        Sa   quinte       Sa  septième 


au  grave. 


au  grave. 


i 


o 


o 


o 


o 

Accord  sensible. 
Rousseau  vi 


O 


De  fausse 
quinte. 


O 


au  gra\e . 
0 


-O- 


De  petite 
sixie  majeure. 


De  irilon. 


338  DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE. 

Aucun  des  sons  de  cet  accord  ne  peut  s'altérer. 

ACCORD   DE  SEPTIÈME,   ET   SES  DÉRIVÉS. 


Le  son  fondamental 
an  crave. 


Sa  tierce 
au  grave. 


Sa  quinte 
au  grave 


Sa  scp:ièrae 
au  grave. 


m 


-o- 


o 


p 


o 


o 


o 


o 


De  grande 
sixle. 


De  petite  sixle 
mineure. 


De  seconde. 


O 

Accord 

de  septième. 

La  tierce ,  la  quinte  et  la  septième  peuvent  s'altérer  dans  cet  accord. 

ACCORD  DE  SEPTIÈME  DIMINUÉE,    ET  SES  DÉRIVÉS. 

Le  son  fondamental         Sa  tierce  Sa  quinte  Sa  septième 

au  grave.  au  grave.  au  gnjve.  au  cr.ivc. 

O 


-^ 


-e- 


-e- 


^ 


■^ 


F^ 


o 


-Ir*^ 


Accord  de  septième    De  sixle  majeure.    De  tierce  mi- 
diaiiiiuée.  et  fausse  quinte,    neure.ellrilon. 

Aucun  des  sons  de  cet  accord  ne  peut  s'altérer. 


De  seconde 
superflue. 


ACCORD   DE   SIXTE   AJOUTEE,    ET    SES  DERIVES. 


Le  son  fondamental 
au  sra-^'^-- 


Sa  tierce 
au  grave. 


Sa  quinte 
au  grave. 


Sa  sixte 
au  grave. 


O 


-e- 


o 


.accord 
de  sixte  ajoutée. 


De  petite  sixte 
ajoutée. 


De  seconde 
ajoutée. 


De  septième 
ajoutée. 


Je  joins  ici  partout  le  mot  ajoutée  pour  distinguer  cet  accord  et  ses 
renversés  des  productions  semblables  de  l'accord  de  septième. 

Ce  dernier  renversement  de  septième  ajoutée  n'est  pas  admis  par 
M.  Rameau,  parce  que  ce  renversement  forme  un  accord  de  septième, 
et  que  Vaccord  de  septième  est  fondamental.  Cette  raison  paroît  peu  so- 
lide. Une  faudroit  donc  pas  non  plus  admettre  la  grande  sixte  comme  un 
renversement,  puisque,  dans  les  propres  principes  de  M.  Rameau ,  ce 
même  accord  est  souvent  fondamental.  Mais  la  pratique  des  plus  grands 
musiciens ,  et  la  sienne  même ,  dément  l'exclusion  qu'il  voudroit  établir. 


ACCORD. 

àcconn  DE  SIXTE  superflu». 


339 


^^^ 


_Q_ 


Cet  accord  ne  se  renverse  point,  et  aucun  de  ses  sons  ne  peut  s'al- 
térer. Ce  n'est  proprement  qu'un  accord  de  petite  sixte  majeure  diésée 
par  accident,  et  dans  lequel  on  substitue  quelquefois  la  quinte  à  la 
quarte.  ^ 

ACCORDS  PAR  SIPPJSITION. 

(Vuj.  Stijij  osilion.) 

ACCORD   D.     NEUVlfMK,    ET  SES    DÉRIVÉS. 

Le  son  supposé        Le  son  fonda-      Sa  lieice         Sa  septième 
au  grave.  menlal  au  grave,     au  grave.  au  grave. 


-e- 


rs — ©- 


-e- 


-e- 


:§; 


-o- 


-o- 


-e- 


-Q- 


Accord 
de  neuvième. 


De  septième    De  sixte-quarte    De  septième 
et  sixte.  et  quinte.         et  seconde. 


C'est  un  accord  de  septième  auquel  on  ajoute  un  cinquième  son  à  la 
tierce  au-dessous  du  fondamental. 

On  retranche  ordinairement  la  septième,  c'est-à-dire  la  quinte  du  son 
fondamental,  qui  est  ici  la  note  marquée  en  noir;  dans  cet  état  l'accord 
de  neuvième  peut  se  renverser  en  retranchant  encore  de  l'accorapac^ne- 
ment  1  octave  de  la  note  qu'on  porte  à  la  basse.  ° 

ACCORD   DE   QUIXTE   SUPERFLUE. 


-o- 


-e- 


— ^ 


i 


— e— 

C'est  l'accord  sensible  d'un  ton  mineur  au-dessous  duquel  on  fait  en- 
tendre la  mediante;  ainsi  c'est  un  véritable  accord  de  neuvième-  mais 
1  ne  se  renverse  point ,  à  cause  de  la  quarte  diminuée  que  donneroit 

n  intervalle  banni  de  Iharmcnie.  <=    '      i  i 


340 


DICTIONNAIRE   DE   ÎIUSIQUE. 


ACCORD  D  ONZIEME  ,   OU   QUARTE. 


Le  son  supposé 
au  grave. 


Id.  en  relran- 

clianl  deux 

sons. 

O 


Le  son  fon- 

damenlal  au 

grave. 

P 


Sa  septième 
au  grave. 


-Q- 


-J     o 

O 

Accord  de  neuvième 

Accord 

De  septième 

De  seconde 

et  quarte. 

de  quarte. 

et  quarte. 

et  quinte. 

C'est  un  accord  de  septième  au-dessous  duquel  on  ajoute  un  cin- 
quième son  à  la  quinte  du  fondamental.  On  ne  frappe  guère  cet  accord 
plein  à  cause  de  sa  dureté;  on  en  retranche  ordinairement  la  neuvième 
et  la  septième,  et,  pour  le  renverser,  ce  retranchement  est  indis- 
pensable. 

ACCORD   DE   SEPTIÈME    SUPERFLUE. 


u 


— e ^ 

C'est  l'accord  dominant  sous  lequel  la  basse  fait  la  tonique. 

ACCORD  DE   SEPTIÈME   SUPERFLUE   ET   SIXTE  MINEURE. 


-o- 


-MrB- 


^ 


C'est  Vaccord  de  septième  diminuée  sur  la  note  sensible,  sous  lequel 
la  basse  fait  la  tonique. 

Ce?  deux  derniers  accords  ne  se  renversent  point,  parce  que  la  note 
sensible  et  la  tonique  sentendroient  ensemble  dans  les  parties  s  pé- 
rieures;  ce  qui  ne  peut  se  tolérer. 

Quoique  tous  les  accords  soient  pleins  et  complets  dans  cette  table, 
comme  il  le  falloit  pour  montrer  tous  leurs  éJemens.  ce  n'est  pas  à  dira 
fju'il  faille  les  employer  tels;  on  ne  le  peut  pas  toujours  et  on  le  doit 
très-rarement.  Quant  aux  sons  qui  doivent  être  préfères  selon  la  place 
et  l'usage  des  accords ,  c'est  dans  ce  choix  exquis  et  nécessaire  que  con- 
siste le  plus  grand  art  du  compositeur.  (Voy.  Composition,  Mélodie. 
Effet .  Expression ,  etc.) 

-Nous  parlerons  aux  mots  Harmonie,  Basse  fondamentale,  Compoxi' 


ACCORD  —  ACCORD  DISSONANT.  341 

tion  ,  etc. ,  de  la  manière  d'employer  tous  ces  accords  pour  en  fermer  une 
harmonie  régulière.  J'ajouterai  seulement  ici  les  observations  suivantes. 

I.  C'est  une  grande  erreur  de  penser  que  le  choix  des  renversemens 
d'un  même  aixord  soit  indifférent  pour  l'harmonie  ou  pour  l'expression. 
Il  n'y  a  pas  un  de  ces  renversemens  qui  n'ait  son  caractère  propre.  Tout 
le  monde  sent  l'opposition  qui  se  trouve  entre  la  douceur  de  la  fausse 
quinte  et  l'aigreur  du  triton;  et  cependant  l'un  de  ces  intervalles  est 
renversé  de  l'autre.  Il  en  est  de  même  de  la  septième  diminuée  et  de  la 
seconde  supeiflue,  de  la  seconde  ordinaire  et  de  la  septième.  Qui  ne 
sait  combien  la  quinte  est  plus  sonore  que  la  quarte?  L'accord  de 
grande  sixte  et  celui  de  petite  sixte  mineure  sont  deux  faces  du  même 
accord  fondamental:  mais  de  combien  l'une  n'est-elle  pas  plus  harmo- 
nieuse que  l'autre  !  L'accord  de  petite  sixte  majeure ,  au  contraire ,  n'est- 
il  pas  plus  brillant  que  celui  de  fausse  quinte?  Et,  pour  ne  parler  que 
du  plus  simple  de  tous  les  accords,  considérez  la  majesté  de  l'accord 
parfait,  la  douceur  de  l'accord  de  sixte,  et  la  fadeur  de  celui  de  sixte- 
quarte,  tous  cependant  composés  des  mêmes  sons.  En  général  les  in- 
tervalles superflus,  les  dièses  dans  le  haut,  sont  propres  par  leur  dureté 
à  exprimer  l'emportement,  la  colère  et  les  passions  aiguës  :  au  contraire, 
les  bémols  à  l'aigu  et  les  intervalles  diminués  forment  une  harmonie 
plaintive  qui  attendrit  le  cœur.  C'est  une  multitude  d'observations  sem- 
blables qui,  lorsqu'un  habile  musicien  sait  s'en  prévaloir,  le  rendent 
maître  des  affections  de  ceux  qui  l'écoutent. 

II.  Le  choix  des  intervalles  simples  n'est  guère  moins  important  que 
celui  des  accords  pour  la  place  où  l'on  doit  les  employer.  C'est,  par 
exemple,  dans  le  bas  qu'il  faut  placer  les  quintes  et  les  octaves  par  pré- 
férence ,  dans  le  haut  les  tierces  et  les  sixtes.  Transposez  cet  ordre  ,  vous 
gâterez  l'harmonie  en  laissant  les  mêmes  accords. 

III.  Enfin,  l'on  rend  les  accords  plus  harmonieux  encore  en  les  rap- 
prochant par  de  petits  intervalles  plus  convenables  que  les  grands  à  la 
capacité  de  l'oreille.  C'est  ce  qu'on  appelle  resserrer  l'harmonie ,  et  que 
si  peu  de  musiciens  savent  pratiquer.  Les  bornes  du  diapason  des  voix  sont 
une  raison  de  plus  pour  resserrer  les  chœurs.  On  peut  assurer  qu'un  chœur 
est  mal  fait  lorsque  les  accords  divergent",  lorsque  les  parties  crient, 
sortent  de  leur  diapason  ,  et  sont  si  éloignées  les  unes  des  autres  qu'elles 
semblent  n'avoir  plus  de  rapport  entre  elles. 

On  appelle  encore  accord  l'état  d'un  instrument  dont  les  sons  fixes 
sont  entre  eux  dans  toute  la  justesse  qu'ils  doivent  avoir.  On  dit  en  ce 
sens  qu'un  instrument  est  d'accord,  qu'il  n'est  pas  à'accord,  qu'il  garda 
ou  ne  garde  pas  son  accord.  La  même  expression  s'emploie  pour  deux 
voix  qui  chantent  ensemble ,  pour  deux  sons  qui  se  font  entendre  à  la 
fois,  soit  à  l'unisson,  soit  en  contre-partie. 

Accord  dissonant,  Faux  accord.  Accord  faux,  sont  autant  de  dif- 
férentes choses  qu'il  ne  faut  pas  confondre.  Accord  dissonant  est  celui 
qui  contient  quelque  dissonance;  Accord  faux,  celui  dont  les  sons  sont 
mal  accordés  et  ne  gardent  pas  entre  eux  la  justesse  des  intervalles  : 
Faux  accord,  celui  qui  choque  l'oreille .  parce  qu'il  est  mal  composé,  et 
que  les  sons ,  quoique  justes ,  n'y  forment  pas  un  tout  harmonique. 


342  DICTIONNAIRE   DE  MUSIQUE. 

Accorder  des  instrumens,  c'est  tendre  ou  lâcher  les  cordes,  allonger 
ou  raccourcir  les  tuyaux,  augmenter  ou  diminuer  la  masse  du  corps 
sonore ,  jusqu'à  ce  que  toutes  les  parties  de  l'instrument  soient  au  ton 
qu'elles  doivent  avoir. 

Pour  accorder  un  instrument,  il  faut  d'abord  fixer  un  son  qui  serve 
aux  autres  de  terme  de  comparaison.  C'est  ce  qu'on  appelle  prendre  ou 
donner  le  ton.  (Voy.  Ton.)  Ce  son  est  ordinairement  Vut  pour  l'orgue  et 
le  clavecin  ,  le  iapour  le  violon  et  la  basse,  qui  ont  ce  la,  sut  une  corde 
à  vide  et  dans  un  médium  propre  à  être  aisément  saisi  par  l'oreille. 

A  l'égard  des  flûtes,  hautbois,  bassons  et  autres  instrumens  à  vent, 
ils  ont  leur  ton  à  peu  près  fixé ,  qu'on  ne  peut  guère  changer  qu'en  chan- 
geant quelque  pièce  de  l'instrument.  On  peut  encore  les  allonger  un  peu 
à  l'emboîture  des  pièces,  ce  qui  baisse  le  ton  de  quelque  chose;  mais  il 
doit  nécessairement  résulter  des  tons  faux  de  ces  variations,  parce  que 
la  juste  proportion  est  rompue  entre  la  longueur  totale  de  l'instrument 
et  les  distances  d'un  trou  à  l'autre. 

Quand  le  ton  est  déterminé ,  on  y  fait  rapporter  tous  les  autres  sons 
de  l'instrument,  lesquels  doivent  être  fixés  par  l'accord  selon  les  inter- 
valles qui  leur  conviennent.  L'orgue  et  le  clavecin  s'accordent  par  quintes 
jusqu'à  ce  que  la  partition  soit  faite,  et  par  octaves  pour  le  reste  du 
clavier  :  la  basse  et  le  violon,  par  quintes;  la  viole  et  la  guitare,  par 
quartes  et  par  tierces ,  etc.  En  général  on  choisit  toujours  des  inter- 
valles consonnans  et  harmonieux,  afin  que  l'oreille  en  saisisse  plus 
•«iséraent  la  justesse. 

Cette  justesse  des  intervalles  ne  peut,  dans  la  pratique,  s'observer  à 
,oute  rigueur,  et  pour  qu'ils  puissent  tous  s'accorder  entre  eux,  il  faut 
que  chacun  en  particulier  souffre  quelque  altération.  Chaque  espèce 
d'instrument  a  pour  cela  ses  règles  particulières  et  sa  méthode  d'accor- 
der. (Voy.  Tempérament.) 

On  observe  que  les  instrumens  dont  on  tire  le  son  par  inspiration, 
comme  la  flûte  et  le  hautbois,  montent  insensiblement  quand  on  a  joué 
quelque  temps,  ce  qui  vient,  selon  quelques-uns,  de  l'humidité  qui , 
sortant  de  la  bouche  avec  l'air,  les  renfle  et  les  raccourcit;  ou  plutôt, 
suivant  la  doctrine  de  M.  Euler,  c'est  que  la  chaleur  et  la  réfraction  que 
l'air  reçoit  pendant  l'inspiration  rendent  ses  vibrations  plus  fréquentes, 
diminuent  son  poids,  et,  augmentant  ainsi  le  poids  relatif  de  l'atmo- 
sphère ,  rendent  le  son  un  peu  plus  aigu. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  cause,  il  faut,  en  accordant,  avoir  égard  à 
l'effet  prochain ,  et  forcer  un  peu  le  vent  quand  on  donne  ou  reçoit  le  ton 
sur  ces  instrumens;  car,  pour  rester  d'accord  durant  le  concert,  ils 
doivent  être  un  peu  trop  bas  en  commençant. 

Accordeur,  s.  m.  On  appelle  accordeurs  d'orgue  ou  de  clavecin  ceux 
qui  vont  dans  les  églises  ou  dans  les  maisons  accommoder  et  accorder 
ces  instrumens,  et  qui,  pour  l'ordinaire,  en  sont  aussi  les  facteurs. 

Acoustique  ,  s.  f.  Doctrine  ou  théorie  des  sons.  (Voy.  Son.)  Ce  mot  est 
de  l'invention  de  M.  Sauveur,  et  vient  du  grec  àxoOw,  j'entends. 
.  L'acoustique  est  proprement  la  partie  théorique  de  la  musique;  c'est 
elle  qui  donne  ou  doit  donner  les  raisons  du  plaisir  que  nous  font  l'har- 


ACOUSTIQUE  —  ACTEUR.  343 

«lonie  et  le  chant,  qui  détermine  les  rapports  des  intervalles  harmoniques , 
■qui  découvre  les  affections  ou  propriétés  des  cordes  vibrantes,  etc. 
(Voy.  Cordes,  Harmonie.) 

Acoustique  est  aussi  quelquefois  adjectif  :  on  dit  l'organe  acoustique, 
mn  phénomène  acoustique ,  etc. 

Acte  ,  s.  m.  Partie  d'un  opéra  séparée  d'une  autre  dans  la  représen- 
tation par  un  espace  appelé  entr'acte.  (Voy.  Entr'acie.) 

L'unité  de  temps  et  de  lieu  doit  être  aussi  rigoureusement  observée 
ilans  un  acte  d'opéra  que  dans  une  tragédie  entière  du  genre  ordinaire ,  et 
même  plus  à  certains  égards;  carie  poète  ne  doit  point  donner  à  un  acte 
d'opéra  une  durée  hypothétique  plus  longue  que  celle  qu'il  a  réellement, 
parce  qu'on  ne  peut  supposer  que  ce  qui  se  passe  sous  nos  yeux  dure 
plus  longtemps  que  nous  ne  le  voyons  durer  en  effet  ;  mais  il  dépend  du 
musicien  de  précipiter  ou  ralentir  l'action  jusqu'à  un  certain  point ,  pour 
augmenter  la  vraisemblance  ou  l'intérêt;  liberté  qui  l'oblige  à  bien  étu- 
die°r  la  gradation  des  passions  théâtrales,  le  temps  qu'il  faut  pour  les 
développer,  celui  où  le  progrès  est  au  plus  haut  point,  et  celui  où  il 
convientdes'arrêter  pour  prévenir  l'inattention,  la  langueur,  l'épuise- 
Tnent  du  spectateur.  Il  n'est  pas  non  plus  permis  de  changer  de  décora- 
tion et  de  faire  sauter  le  théâtre  d'un  lieu  à  un  autre  au  milieu  d'un 
acte,  même  dans  le  genre  merveilleux,  parce  qu'un  pareil  saut  choque 
la  raison,  la  vérité,  la  vraisemblance,  et  détruit  l'illusion,  que  la  pre- 
mière loi  du  théâtre  est  de  favoriser  en  tout.  Quand  donc  l'action  est  in- 
terrompue par  de  tels  changeraens,  le  musicien  ne  peut  savoir  ni  com- 
ment il  les  doit  marquer,  ni  ce  qu'il  doit  faire  de  son  orchestre  pendant 
■qu'ils  durent ,  à  moins  d'y  représenter  le  même  chaos  qui  règne  alors 
sur  la  scène. 

Quelquefois  le  premier  acte  d'un  opéra  ne  tient  point  à  l'action  prin- 
cipale et  ne  lui  sert  que  d'introduction  :  alors  il  s'appelle  prologue. 
{Voy.  ce  mot.')  Comme  le  prologue  ne  fait  pas  partie  de  la  pièce ,  on  ne 
le  compte  point  dans  le  nombre  des  actes  qu'elle  contient,  et  qui  est 
souvent  de  cinq  dans  les  opéras  françois,  mais  toujours  de  trois  dans 
les  italiens.  (Voy.  Opéra.) 

Acte  de  cadence  est  un  mouvement  dans  une  des  parties,  et  surtout 
dans  la  basse,  qui  oblige  toutesles  autres  parties  à  concourir  à  former 
une  cadence  ou  à  l'éviter  expressément.  (Voyez  Cadence ,  Eviter.) 

Acteur  ,  s.  m.  Chanteur  qui  fait  un  rôle  dans  la  représentation  d'un 
opéra.  Outre  toutes  les  qualités  qui  doivent  lui  être  communes  avec  l'ac- 
teur dramatique,  il  doit  en  avoir  beaucoup  de  particulières  pour  réussir 
dans  son  art.  Ainsi  il  ne  suffit  pas  qu'il  ait  un  bel  organe  pour  la  parole , 
s'il  ne  l'a  tout  aussi  beau  pour  le  chant;  car  il  n'y  a  pas  une  telle 
liaison  entre  la  voix  parlante  et  la  voix  chantante ,  que  la  beauté  de 
l'une  suppose  toujours  celle  de  l'autre.  Si  l'on  pardonne  à  un  acteur  le 
défaut  de  quelque  qualité  qu'il  a  pu  se  flatter  d'acquérir  ,  on  ne  peut  lui 
pardonner  d'oser  se  destiner  au  théâtre,  destitué  des  qualités  naturelles 
qui  y  sont  nécessaires,  telles  entre  autres  que  la  voix  dans  un  chanteur. 
liais  par  ce  mot  voix ,  j'entends  moins  la  force  du  timbre  que  l'étendue , 
(la  justesse  et  la  flexibilité.  Je  pense  qu'un  théâtre  dont  l'objet  est  d'é- 


344  DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE. 

mouvoir  le  cœur  par  les  chants  doit  être  interdit  à  ces  voix  dures  et 
bruyantes  qui  ne  font  qu'étourdir  les  oreilles;  et  que,  quelque  peu  de 
voix  que  puisse  avoir  un  acteur,  s'il  l'a  juste,  touchante,  facile,  et  suf- 
fisamment étendue ,  il  en  a  tout  autant  qu'il  faut  :  il  saura  toujours  bien 
se  faire  entendre  s'il  sait  se  faire  écouter. 

Avec  une  voix  convenable,  ï acteur  doit  l'avoir  cultivée  par  l'art;  et 
quand  sa  voix  n'en  auroit  pas  besoin ,  il  en  auroit  besoin  lui-même 
pour  saisir  et  rendre  avec  intelligence  la  partie  musicale  de  ses  rôles. 
Rien  n'est  plus  insupportable  et  plus  dégoûtant  que  de  voir  un  héros, 
dans  les  transports  des  passions  les  plus  vives,  contraint  et  gêné  dans 
son  rôle,  peiner  et  s'assujettir  en  écolier  qui  répète  mal  sa  leçon,  mon- 
trer, au  lieu  des  combats  de  l'amour  et  de  la  vertu  ,  ceux  d'un  mauvais 
chanteur  avec  la  mesure  et  l'orchestre,  et  plus  incertain  sur  le  ton  que 
sur  le  parti  qu'il  doit  prendre.  Il  n'y  a  ni  chaleur  ni  grâce  sans  facilité, 
et  Yacleur  dont  le  rôle  lui  coûte  ne  le  rendra  jamais  bien. 

Il  ne  suffit  pas  à  l'acteur  d'opéra  d'être  un  excellent  chanteur,  s'il 
n'est  encore  un  excellent  pantomime;  car  il  ne  doit  pas  seulement  faire 
sentir  ce  qu'il  dit  lui-même,  mais  aussi  ce  qu'il  laisse  dire  à  la  sym 
phonie. 

L'orchestre  ne  rend  pas  un  sentiment  qui  ne  doive  sortir  de  son  âme; 
ses  pas ,  ses  regards ,  son  geste ,  tout  doit  s'accorder  sans  cesse  avec  la 
musique,  sans  pourtant  qu'il  paroisse  y  songer;  il  doit  intéresser  tou- 
jours, même  en  gardant  le  silence  :  et,  quoique  occupé  d'un  rôle  diffi- 
cile ,  s'il  laisse  un  instant  oublier  le  personnage  pour  s'occuper  du  chan- 
teur, ce  n'est  qu'un  musicien  sur  la  scène;  il  n'est  plus  acteur.  Tel 
excella  dans  les  autres  parties,  qui  s'est  fait  siffler  pour  avoir  négligé 
celle-ci.  Il  n'y  a  point  à'acteur  à  qui  l'on  ne  puisse  à  cet  égard  donner 
le  célèbre  Chassé  pour  modèle.  Cet  excellent  pantomime ,  en  mettant 
toujours  son  art  au-dessus  de  lui,  et  s'efforçant  toujours  d'y  exceller, 
s'est  ainsi  mis  lui-même  fort  au-dessus  de  ses  confrères  :  acteur  unique 
et  homme  estimable,  il  laissera  l'admiration  et  le  regret  de  ses  talens 
aux  amateurs  de  son  théâtre,  et  un  souvenir  honorable  de  sa  personne 
à  tous  les  honnêtes  gens. 

Adagio,  adv.  Ce  mot  écrit  à  la  tête  d'un  air  désigne  le  second,  du 
lent  au  vite  ,  des  cinq  principaux  degrés  de  mouvement  distingués  dans 
la  musique  italienne.  (Voy.  Mouvement.)  Adagio  est  un  adverbe  italien, 
qui  signifie  à  l'aise ,  posément ,  et  c'est  aussi  de  cette  manière  qu'il  faut 
battre  la  mesure  des  airs  auxquels  il  s'applique. 

Le  mot  adagio  se  prend  quelquefois  substantivement ,  et  s'applique 
par  métaphore  aux  morceaux  de  musique  dont  il  détermine  le  mouve- 
ment; il  en  est  de  même  des  autres  mots  semblables.  Ainsi  l'on  dira  un 
adagio  de  Tartini ,  un  andante  de  San-Martino ,  un  allegro  de  Loca- 
telji,  etc. 

Afi-ettuoso,  adj.  pris  adverbialement.  Ce  mot,  écrit  à  la  tète  d'un 
air,  indique  un  mouvement  moyen  entre  \'a7idante  et  l'adagio,  et  dans 
\e  caractère  du  chant  une  expression  affectueuse  et  douce. 

AGOGÉ.  Conduite.  Une  des  subdivisions  de  l'ancienne  mélopée,  la- 
quelle donne  les  règles  de  la  marche  du  chant  par  degrés  alternativement 


AGOGÉ  —  AIR.  345 

conjoints  ou  disjoints,  soit  en  montant,  soit  en  descendant.  (Voy.  Mê- 
lopie.) 

Martianus  Copella  donne,  après  Aristide  Quintilien,  au  mot  agogé  un 
autre  sens  que  j'expose  au  mot  Tirade. 

Agrémeks  du  chant.  On  appelle  ainsi  dans  la  musique  françoise  cer- 
tains tours  de  gosier  et  autres  ornemens  affectés  aux  notes  qui  sont  dans 
telle  ou  telle  position ,  selon  les  règles  prescrites  par  le  goût  du  chant. 
(Voy.  Goût  du  chant.) 

Les  principaux  de  ces  agrémens  sont  l'accent,  le  coulé,  le  flatté, 
le  martellement ,  la  cadence  pleine,  la  cadence  irisée,  et  le  port 
de  voix.  (Voy.  ces  articles  chacun  en  son  lieu,  et  la  planche  V,  fig.  5.) 

Aigu,  adj.  Se  dit  d'un  son  perçant  ou  élevé  par  rapport  à  quelque  au- 
tre son.  (Voy.  Son.) 

En  ce  sens  le  mot  aigu  est  opposé  au  mot  grave.  Plus  les  vibrations 
du  corps  sonore  sont  fréquentes,  plus  le  son  est  aigu. 

Les  sons  considérés  sous  les  rapports  d'aigus  et  de  graves  sont  le  sujet 
de  l'harmonie.  (Voy.  Harmonie,  Accord.) 

Ajoutée,  ou  Acquise,  oa  Surnuméraire ,  adj.  pris  suistantiiement. 
C'étoit  dans  la  musique  grecque  la  corde  ou  le  son  qu'ils  appeloient 
Proslamlanomenos.  (Voy.  ce  mot.) 

Sixte  ajoutée  est  une  sixte  qu'on  ajoute  à  l'accord  parfait,  et  d3 
laquelle  cet  accord  ainsi  augmenté  prend  le  nom-  (Voy.  Accord  et 
Sixie.) 

Air.  Chant  qu'on  adapte  aux  paroles  d'une  chanson  ou  d'une  petite 
pièce  de  poésie  propre  à  être  chantée ,  et  par  extension  l'on  appelle  air 
la  chanson  même. 

Dans  les  opéras  l'on  donne  le  nom  d'atVs  à  tous  les  chants  mesurés, 
pour  les  distinguer  du  récitatif,  et  généralement  on  appelle  air  tout 
morceau  complet  de  musique  vocale  ou  instrumentale  formant  un  chant, 
soit  que  ce  morceau  fasse  lui  seul  une  pièce  entière,  soit  qu'on  puisse 
le  détacher  du  tout  dont  il  fait  partie ,  et  l'exécuter  séparément. 

Si  le  sujet  ou  le  chant  est  partagé  en  deux  parties,  l'air  s'appelle  duo; 
si  en  trois ,  trio ,  etc.  ■ 

Siumaise  croit  que  ce  mot  vient  du  latin  xra;  et  Burette  est  de  son 
sentiment,  quoique  Ménage  le  combatte  dans  ses  étymologies  de  la  lan- 
gue françoise. 

Les  Romains  avoient  leurs  signes  pour  le  rhythme,  ainsi  que  les 
Grecs  avoient  les  leurs,  et  ces  signes,  tirés  aussi  de  leurs  caractères, 
se  nomraoient  non-seulement  numerus .  mais  encore  sera,  c'est-à-dire 
nombre,  ou  la  marque  du  nombre,  numeri  nota,  dit  Nonnius  Marcel- 
lu<.  C'est  en  ce  sens  que  le  mot  œra  se  trouve  employé  dans  ce  vers 
de  Lucile  : 

Hœc  est  ratio?  Perversa  aéra!  Summa  subducta  improbe! 

Et  Sextus  Rufus  s'en  est  servi  de  même. 

Or ,  quoique  ce  mot  ne  se  prît  originairement  que  pour  le  nombre  ou 
la  mesure  du  chant,  dans  la  suite  on  en  fît  le  même  usage  qu'on  avo:t 
fait  du  mot  numerus,  et  l'on  se  servit  du  mot  a?ro  pour  désigner  le  chant 


346  DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE. 

même;  d'où  est  venu ,  selon  les  deux  auteurs  cités,  le  mot  françois  air, 
€t  ritalien  aria,  pris  dans  le  même  sens. 

Les  Grecs  avoient  plusieurs  sortes  d'airs  qu'ils  appeloient  nomes  ou 
chansons.  (Voy.  Chanson.)  Les  nomes  avoient  chacun  leur  caractère  et 
leur  usage,  et  plusieurs  étoient  propres  à  quelque  instrument  particu- 
lier, à  peu  près  comme  ce  que  nous  appelons  aujourd'hui  pièces  ou 
sonates. 

La  musique  moderne  a  diverses  espèces  d'airs  qui  conviennent  cha- 
cune à  quelque  espèce  de  danse  dont  ces  airs  portent  le  nom.  (Voy.  Me- 
mtet,  Gatolte  y  Muselle,  Passe-pied ,  etc.) 

Les  airs  de  nos  opéras  sont,  pour  ainsi  dire,  la  toile  ou  le  fond  sur 
quoi  se  peignent  les  tableaux  de  la  musique  imitative;  la  mélodie  est  le 
dessin;  l'harmonie  est  le  coloris;  tous  les  objets  pittoresques  de  la  belle 
nature,  tous  les  senlimens  réfléchis  du  cœur  humain,  sont  les  modèles 
nue  l'artiste  imite;  l'attention,  l'intérêt,  le  charme  de  l'oreille,  et 
l'émotion  du  cœur,  sont  la  fin  de  ces  imitations.  (Voy.  Imitation.)  Ua 
air  savant  et  agréable ,  un  air  trouvé  par  le  génie  et  composé  par  le 
goût,  est  le  chef-d'œuvre  de  la  musique;  c'est  là  que  se  déveloiipe  une 
bel'e  voix,  que  brille  une  belle  symphonie;  c'est  là  que  la  passion  vient 
insensil  lement  émouvoir  l'âme  par  le  sens.  Après  un  bel  air  on  est  satis- 
fait, l'oreille  ne  désire  plus  rien;  il  reste  dans  l'imagination,  on  l'em- 
porte avec  soi ,  on  le  répète  à  volonté  sans  pouvoir  en  rendre  une  seule 
no;e,  on  l'exécute  dans  son  cerveau  tel  qu'on  l'entendit  au  spectacle; 
on  voit  la  scène,  l'acteur,  le  théâtre;  on  entend  l'accompagnement, 
l'applaudissement;  le  véritable  amateur  ne  perd  jamais  les  beaux  airs 
qu'il  entendit  en  sa  vie;  il  fait  recommencer  l'opéra  quand  il  veut. 

Les  paroles  des  airs  ne  vont  point  toujours  de  suite,  ne  se  débitent 
point  comme  celles  du  récitatif;  quoique  assez  courtes  pour  l'ordinaire, 
elles  se  coupent,  se  répètent,  se  transposent  au  g;é  du  compositeur; 
elles  ne  font  pas  une  narration  qui  passe;  elles  peignent  ou  un  tableau 
qu'il  faut  voir  sous  divers  points  de  vue,  ou  un  sentiment  dans  lequel 
le  cœur  se  complaît  duquel  il  ne  peut,  pour  ain-i  dire,  se  détacher,  et 
les  différentes  phrases  de  l'air  ne  sont  qu'autant  de  manières  d'envisa- 
ger la  même  image.  Voilà  pourquoi  le  sujet  doit  être  un.  C'est  par  ces 
répétitions  bien  entendues ,  c'est  par  ces  coups  redoublés  qu'une  expres- 
sion qui  d'abord  n'a  pu  vous  émouvoir,  vous  ébranle  enfin,  vous  agite,  . 
vous  transporte  hors  de  vous;  et  c'est  encore  par  le  même  principe  que 
les  roulades  qui ,  dans  les  airs  pathétiques ,  paroissent  si  déplacées ,  ne 
le  sont  pourtant  pas  toujours  :  le  cœur,  pressé  d'un  sentiment  très-vif, 
l'exprime  souvent  par  des  sons  inarticulés  plus  vivement  que  par  des 
paroles.  (Voy.  Neume.) 

La  forme  des  airs  est  de  deux  espèces.  Les  petits  airs  sont  ordinaire- 
ment composés  de  deux  reprises  qu'on  chante  chacune  deux  fois;  mais 
les  grands  airs  d'opéra  sont  le  plus  souvent  en  rondeau.  (Voy.  Ron- 
deau.) 

Al  segno.  Ces  mots  écrits  à  la  fin  d'un  air  en  rondeau  marquent  qu'il 
faut  reprendre  la  première  partie,  non  tout  à  fait  au  commencement, 
mais  à  l'endroit  où  est  marqué  le  renvoi 


ALLA  BREVE  —  ANACAMPTOS.  347 

Alla  brève.  Terme  italien  qui  marque  une  sorte  de  mesure  à  deux 
t(!mps  fort  vive,  et  qui  se  note  pourtant  avec  une  ronde  ou  semi-brève 
par  temps.  Elle  n'est  plus  guère  4'usage  qu'en  Italie ,  et  seulement  dans 
ia  musique  d'église.  Elle  répond  assez  à  ce  qu'on  appeloit  en  Fiance  du 
4)ros-fa. 

AiLk  ZOPPA.  Terme  italien  qui  annonce  un  mouvement  contraint  et 
.-yncopant  entre  deux  temps  sans  syncoper  entre  deux  mesures  ;  ce  qui 
donne  aux  notes  une  marche  inégale  et  comme  boiteuse.  C'est  un  aver- 
tissement que  cette  même  marche  continue  ainsi  jusqu'à  la  fin  de 
l'air. 

Allegro  ,  adj.  pris  adverMalement .  Ce  mot  italien ,  écrit  à  la  tête  d'un 
air,  indique,  du  vite  au  lent,  le  second  des  cinq  principaux  degrés  de 
mouvement  distingués  dans  la  musique  italienne.  Allegro  signifie  gai; 
-el  c'est  aussi  l'indication  d'un  mouvement  gai,  le  plus  vif  de  tous  après 
le  presto.  Mais  il  ne  faut  pas  croire  pour  cela  que  ce  mouvement  ne  soit 
propre  qu'à  des  sujets  gais  :  il  s'applique  souvent  à  des  transports  de 
fureur,  d'emportement  et  de  désespoir,  qui  n'ont  rien  moins  que  de  la 
g  ieté.  (Voy.  Mouvement.) 

Le  diminutif  allegretto  indique  une  gaieté  plus  modérée ,  un  peu  moins 
•de  vivacité  dans  la  mesure. 

Allemande,  s.  f.  Sorte  d'air  ou  de  pièce  de  musique  dont  la  mesure 
■est  à  quatre  temps  et  se  bat  gravement.  Il  paroît  par  son  nom  que  ce 
caractère  d'air  nous  est  venu  d'Allemagne ,  quoiqu'il  n'y  soit  point  connu 
du  tout.  L'allemande  en  sonate  est  partout  vieillie,  et  à  peine  les  musi- 
ciens s'en  servent-ils  aujourd'hui  :  ceux  qui  s'en  servent  encore  lui  don- 
nent un  mouvement  plus  gai. 

Allemande  est  aussi  l'air  d'une  danse  fort  commune  en  Suisse  et  en 
Allemagne.  Cet  air,  ainsi  que  la  danse,  a  beaucoup  de  gaieté  :  il  se  bat 
à  deux  temps. 

Altus.  Voy.  Haute-Contre. 

Amateur.  Celui  qui,  sans  être  musicien  de  profession  ,  fait  sa  partie 
dans  un  concert  pour  son  plaisir  et  par  amour  pour  la  musique. 

On  appelle  encore  amateurs  ceux  qui,  sans  savoir  la  musique,  ou  du 
■moins  sans  l'exercer,  s'y  connoissent,  ou  prétendent  s'y  connoître,  et 
fréquentent  les  concerts. 

Ce  mot  est  traduit  de  l'italien  dilettante. 

Ambitus,  s.  m.  Nom  qu'on  donnoit  autrefois  à  l'étendue  de  chaque 
-ton  ou  mode  du  grave  à  l'aigu;  car  quoique  l'étendue  d'un  mode  fût  en 
quelque  manière  fixée  à  deux  octaves,  il  y  avoit  des  modes  irréguliers 
dont  Vambitus  excédoit  cette  étendue ,  et  d'autres  imparfaits  où  il  n'y 
arrivoit  pas. 

Dans  le  plain-chant.  ce  mot  est  encore  usité:  mais  Vambitus  des 
modes  parfaits  n'y  est  que  d'une  octave  :  ceux  qui  la  passent  s'appellent 
modes  superflus;  ceux  qui  n'y  arrivent  pas,  modes  diminués.  (Voy.  Mo- 
^es,  Tons  de  l'église.) 
i      Amoroso.  Voy.  Tendrement. 

>■     ANACAMPTOS.  Terme  de  la  musique  grecque,  qui  signifie  une  suite  de 
cotes  rétrogrades,  ou  procédant  de  l'aigu  au  grave;  c'est  le  contraire  de 


34R  DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE. 

Veuthia.  Une  des  parties  de  l'ancienne  mélopée  portoit  aussi  le  nom  d'ana- 
campiosa.  (Voy.  Mélopée.) 

Andante,  adj.pris  substantivement.  Ce  mot,  écrit  à  la  tête  d'un  air, 
désigne,  du  lent  au  vite,  le  troisième  des  cinq  principaux  degrés  de 
mouvement  distinj,ués  dans  la  musique  italienne.  Andante  est  le  parti- 
cipe du  verbe  italien  andare,  aller.  11  caractérise  un  mouvement  marque 
sans  être  gai,  et  qui  répond  à  peu  près  à  celui  qu'on  désigne  en  françois 
par  le  mot  gracieusement.  (Voy.  Mouvenient.) 

Le'diminutif  andantino  indique  un  peu  moins  de  gaieté  dans  la  me- 
sure; ce  qu'il  faut  bien  remarquer,  le  diminutif /arghetto  signifiant  tout 
le  contraire.  (Voy.  Largo.) 

Anonner,  V.  n.  C'est  déchiffrer  avec  peine  et  en  hésitant  la  musique 
qu'on  a  sous  les  yeux. 

Antienne,  s.  {.  En  latin  antiphona.  Sorte  de  chant  usité  dans  l'Eglise 
catholique. 

Les  antiennes  ont  été  ainsi  nommées  parce  que  dans  leur  origine  on 
les  chanloil  à  deux  chœurs  qui  se  répondoient  alternativement,  et  l'on 
comprenoit  sous  ce  titre  les  psaumes  et  les  hymnes  que  l'on  chantoit 
dans  l'Église.  Ignace,  disciple  des  apôtres,  a  été,  selon  Socrate ,  l'au- 
teur de  cette  manière  de  chanter  parmi  les  Grecs;  et  Ambroise  l'a  intio- 
duite  dans  l'Eglise  latine.  Théodoret  en  attribue  l'invention  à  Diodore  et 
à  Flavien. 

Aujourd'hui  la  signification  de  ce  terme  est  restreinte  à  certains  pas- 
sages courts  tirés  de  l'Ecriture ,  qui  conviennent  à  la  fête  qu'on  célèbre  , 
et  qui,  précédant  les  psaumes  et  les  cantiques,  en  règlent  l'into- 
nation. 

L'on  a  aussi  conservé  le  mot  kantiennes  à  quelques  hymmes  qu'on 
chante  en  l'honneur  de  la  Vierge ,  telles  que  Regina  cœli ,  Salve  regi- 
na,  etc. 

Antiphonie  ,  s.  f.  Nom  que  donnoient  les  Grecs  à  cette  espèce  de  sym- 
phonie qui  s'exécutoit  par  diverses  voix ,  ou  par  divers  instrumens  à 
l'octave  ou  à  la  double  octave,  par  opposition  à  celle  qui  s'exécutoit  au 
simple  unisson,  et  qu'ils  appeloient  homophonie.  (Voy.  Symphonie, 
Homophonie.) 

Ce  mot  vient  d'àvTt,  contre,  et  de  (pwviq,  voix,  comme  qui  diroit,  op- 
position de  loix. 

Antiphonier  ou  Antiphonaire,  s.  m.  Livre  qui  contient  en  notes  les 
antiennes  et  autres  chants  dont  on  use  dans  l'Eglise  catholique. 

Apophetus,  s.  m.  Ce  qui  reste  d'un  ton  majeur  après  qu'on  en  a  re- 
tranché un  limma,  qui  est  un  intervalle  moindre  d'un  comma  que  le 
semi-ton  majeur.  Par  conséquent  l'apotome  est  d'un  comma  plus  grand 
que  le  semi-ton  moyen.  (Voy.  Comma ,  Semi-Ton.) 

Les  Grecs,  qui  n'ignoroient  pas  que  le  ton  majeur  ne  peut,  par  des 
divisions  rationnelles ,  se  partager  en  deux  parties  égales ,  le  parlageoieni 
inégalement  de  plusieurs  manières.  (Voy.  Intervalle.) 

De  l'une  de  ces  divisions,  inventée  par  Pylhagore,  ou  plutôt  par  Phi- 
lolaiis  son  disciple,  résultoit  le  dièse  ou  limma  d'un  c  .lé,  et  de  l'autre 
Vapolome ,  dont  la  raison  est  de  2048  à  2187. 


APOPIIETUS  —  ARISTOXÉNIENS.  349 

La  génération  de  cet  apotome  se  trouve  à  la  septième  quinte  ut  dièse 
en  commençant  par  «(  naturel  ;  car  la  quantité  dont  cet  ut  dièse  surpasse 
y  ut  naturel  le  plus  rapproché  est  précisément  le  rapport  que  je  viens  de 
marquer. 

Les  anciens  donnoient  encore  le  même  nom  à  d'autres  intervalles;  ils 
appeloient  apotome  majeur  un  petit  intervalle  que  M.  Rameau  appelle 
quart  de  ton  harmonique,  lequel  est  formé  de  deux  sons,  en  raison  de 
125  à  128. 

Et  ils  appeloient  apotome  mineur  l'intervalle  de  deux  sons,  en  raison 
dp  2025  à  2048,  intervalle  encore  moins  sensible  à  l'oreille  que  le  pré- 
cédent. 

Jean  de  Mûris  et  ses  contemporains  donnent  partout  le  nom  d'apo- 
tome  au  semi-ton  mineur,  et  celui  de  dièse  au  semi-ton  majeur. 

Appréciable,  adj.  Les  sons  appréciables  sont  ceux  dont  on  peut 
trouver  ou  sentir  l'unisson  et  calculer  les  intervalles.  M.  Euler  donne  un 
espace  de  huit  octaves  depuis  le  son  le  plus  aigu  jusqu'au  son  le  plus 
grave  appréciables  à  notre  oreille  ;  mais  ces  sons  extrèmfcs!  n"étant 
guère  agréables,  on  ne  passe  pas  communément  dans  la  pratique  les 
bornes  de  cinq  octaves,  telles  que  les  donne  le  clavier  à  ravalement.  Il 
y  a  aussi  un  degré  de  force  au  delà  duquel  le  son  ne  peut  plus,  s'appré- 
cier. On  ne  sauroit  apprécier  le  son  d'une  grosse  cloche  dans  le  clocher 
même  ;  il  faut  en  diminuer  la  force  en  s'éloignant  pour  le  distinguer.  De 
même  les  sons  d'une  voix  qui  crie  cessent  d'être  appréciables  ;  c'est 
pourquoi  ceux  qui  chantent  fort  sont  sujets  à  chanter  faux.  A  l'égard  du 
bruit,  il  ne  s'apprécie  jamais ,  et  c'est  ce  qui  fait  sa  différence  d'avec  le 
son.  (Voy.  Bruit  et  Son.) 

Apycni  ,  adj.  plur.  Les  anciens  appeloient  ainsi  dans  les  genres  épais 
trois  des  huit  sons  stables  de  leur  s>  stème  ou  diagramme ,  lesquels  ne 
touchoient  d'aucun  côté  les  intervalles  serrés,  savoir  :  la  proslambano- 
mène,  la  nète  synnéménon,  et  la  nète  hyberboléon. 

Ils  appeloient  aussi  apycnos  ou  nom  épais  le  genre  diatonique,  parce 
que  dans  les  tétracordes  de  ce  genre  la  somme  des  deux  premiers  inter- 
valles étoit  plus  grande  que  le  troisième.  (Voy.  Épais ^  Genre,  Son, 
Tétracorde.) 

Arbitrio.  Voy.  Cadenga. 

Arcô,  archet.,  s.  m.  Ces  mots  italiens,  con  l'arco,  marquent  qu'après 
avoir  pincé  les  cordes  il  faut  reprendre  Varchet  à  l'endroit  où  ils  sont 
écrits. 

Ariette,  s.  f.  Ce  diminutif,  venu  de  l'italien,  signifie  proprement 
petit  air;  mais  le  sens  de  ce  mot  est  changé  en  France ,  et  l'on  y  donnu 
le  nom  d'an'e^e  à  de  grands  morceaux  de  musique  d'un  mouvemeiil 
pour  l'ordinaire  assez  gai  et  marqué,  qui  se  chantent  avec  des  accom- 
pagnemens  de  symphonie,  et  qui  sont  communément  en  rondeau. 
(Voy.  Air,  Rondeau.) 

Arioso,  adj.  pris  adverbialement.  Ce  mot  italien,  à  la  tête  d'un  air, 
indique  une  manière  de  chant  soutenue,  développée,  et  affectée  aux 
tirands  airs, 

Akistoxeniëns.  Secte  qui  eut  pour  chef  Aristoxène  de  Tarente,  disci- 


350  DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE. 

pie  d'Aristote,  et  qui  étoit  opposée  aux  pythagoriciens  sur  la  mesure 
des  intervalles  et  sur  la  manière  de  déterminer  les  rapports  des  sons; 
de  sorte  que  les  aristoxéniens  s'en  rapportoient  uniquement  au  ju- 
gement de  l'oreille,  et  les  pythagoriciens  à  la  précision  du  calcul. 
\Voy.  Pythagoriciens.) 

Armer  la  clef.  C'est  y  mettre  le  nombre  de  dièses  ou  de  bémols  con- 
venables au  ton  et  au  mode  dans  lequel  on  veut  écrire  la  musique. 
(Voy.  Bémol ,  Clef,  Dièse.) 

Arpéger,  v.  n.  C'est  faire  une  suite  d'arpèges.  (Voy.  l'article  suivant.)^ 

Arpeggio,  Arpège  ou  Arpégement,  s.  m.  Manière  de  faire  entendre 
successivement  et  rapidement  les  divers  sons  d'un  accord ,  au  lieu  de  les 
frapper  tous  à  la  fois. 

Il  y  a  des  instrumens  sur  lesquels  on  ne  peut  former  un  accord  plein. 
qu'en  arpégeant  :  tels  sont  le  violon,  le  violoncelle,  la  viole,  et  tous- 
ceux  dont  on  joue  avec  l'archet;  car  la  convexité  du  chevalet  empêche- 
que  l'archet  ne  puisse  appuyer  à  la  fois  sur  toutes  les  cordes.  Pour  for- 
mer donc  des  accords  sur  ces  instrumens,  on  est  contraint  d'arpéger, 
et  comme  on  ne  peut  tirer  qu'autant  de  sons  qu'il  y  a  de  cordes,  l'ar- 
pège du  violoncelle  ou  du  violon  ne  sauroit  être  composé  de  plus  d& 
quatre  sons.  Il  faut  pour  arpéger  que  les  doigts  soient  arrangés  chacun 
sur  sa  corde ,  et  que  Varpége  se  tire  d'un  seul  et  grand  coup  d'archet 
qui  commence  fortement  sur  la  plus  grosse  corde,  et  vienne  finir  en 
tournant  et  adoucissant  sur  la  chanterelle.  Si  les  doigts  ne  s'arrangeoient 
sur  les  cordes  que  successivement ,  ou  qu'on  donnât  plusieurs  coups 
d'archet,  ce  ne  seroit  plus  arpéger,  ce  seroit  passer  très-vite  plusieurs 
notes  de  suite. 

Ce  qu'on  fait  sur  le  violon  par  nécessité ,  on  le  pratique  par  goût  sur 
le  clavecin.  Comme  on  ne  peut  tirer  de  cet  instrument  que  des  sons  qui 
ne  tiennent  pas ,  on  est  obligé  de  les  refrapper  sur  des  notes  de  longue 
durée.  Pour  faire  durer  un  accord  plus  longtemps,  on  le  frappe  en  ar- 
pégeant, commençant  par  les  sons  bas,  et  observant  que  les  doigts  qui 
ont  frappé  les  premiers  ne  quittent  point  leurs  touches  que  tout  Varpége- 
ne  soit  achevé ,  afin  que  l'on  puisse  entendre  à  la  fois  tous  les  sons  de 
l'accord.  (Voy.  Accompagnement.) 

Arpeggio  est  un  mot  italien  qu'on  a  francisé  dans  celui  d'arpège.  Il 
vient  du  mot  arpa,  à  cause  que  c'est  du  jeu  de  la  harpe  qu'on  a  lire 
l'idée  de  l'arpégement. 

Arsis  et  Thesis.  Terme  de  musique  et  de  prosodie.  Ces  deux  mots 
sont  grecs.  Arsis  vient  du  verbe  aîpw,  tollo ,  j'élève,  et  marque  l'éléva- 
tion de  la  voix  ou  de  la  main  ;  l'abaissement  qui  suit  cette  élévation  est 
ce  qu'on  appelle  fléfft;,  depositio ,  remissio. 

Par  rapport  donc  à  la  mesure ,  per  arsin  signifie  en  levant ,  ou  durant 
le  premier  temps;  per  thesin,  en  baissant ,  ou  durant  le  dernier  temps. 
Sur  quoi  l'on  doit  observer  que  notre  manière  de  marquer  la  mesure  est 
contraire  à  celle  des  anciens  ;  car  nous  frappons  le  premier  temps ,  et  le- 
vonsle  dernier.  Pour  ôter  toute  équivoque,  on  peut  dire  qu'arsis  indique 
le  temps  fort,  et  thesis  le  temps  foible.  (Voy.  Mesure,  Temps,  Battre  la 
mesure.) 


ARSIS  —  B.  351 

Par  rapport  à  la  voix,  on  dit  qu'un  chant,  un  contrepoint,  une 
fugue  ,  sont  per  thesin ,  quand  les  notes  montent  du  grave  à  l'aigu  ;  per 
arsin ,  quand  elles  descendent  de  l'aigu  au  grave.  Fugue  per  arsin  et 
thesin  est  celle  qu'on  appelle  aujourd'hui  fugue  renversée  ou  contre- 
fugue,  dans  laquelle  la  réponse  se  fait  en  sens  contraire,  c'est-à-dire  en 
descendant  si  la  guide  a  monté,  et  en  montant  si  la  guide  a  descendu. 
(Voy.  Fugue.) 

AssAi.  Adverbe  augmentatif  qu'on  trouve  assez  souvent  joint  au  mot 
qui  indique  le  mouvement  d'un  air.  Ainsi  presto  assai ,  largo  assai ,  signi- 
fient fort  vite,  fort  lent.  L'abbé  Brossard  a  fait  sur  ce  mot  une  de  ses 
bévues  ordinaires,  en  substituant  à  son  vrai  et  unique  sens  celui  d'une 
sage  médiocrité  de  lenteur  ou  de  vitesse.  Il  a  cru  qu'assat  signifioit  assez. 
Sur  quoi  l'on  doit  admirer  la  singulière  idée  qu'a  eue  cet  auteur  de  pré- 
férer ,  pour  son  vocabulaire ,  à  sa  langue  maternelle  une  langue  étrangère 
qu'il  n'entendoit  pas. 

Aubade  ,  s.  f.  Concert  de  nuit  en  plein  air  sous  les  fenêtres  de  quel- 
qu'un. (Voy.  Sérénade.) 

Authentique  ou  Autiiente,  adj.  Quand  l'octave  se  trouve  divisée 
harmoniquement ,  comme  dans  cette  proportion  6, 4,  3,  c'est-à-dire  quand 
la  quinte  est  au  grave ,  et  la  quarte  à  l'aigu ,  le  mode  ou  le  ton  s'appelle 
authentique  ou  authente ,  à  la  différence  du  ton  plagal,  où  l'octave  est 
divisée  arithmétiquement,  comme  dans  cette  proportion  4,  3,  2;  ce  qui 
met  la  quarte  au  grave  et  la  quinte  à  l'aigu. 

A  cette  explication  adoptée  par  tous  les  auteurs ,  mais  qui  ne  dit  rien , 
j'ajouterai  la  suivante;  le  lecteur  pourra  choisir. 

Quand  la  finale  d'un  chant  en  est  aussi  la  tonique ,  et  que  le  chant  ne^ 
descend  pas  jusqu'à  la  dominante  au-dessous ,  le  ton  s'appelle  authen- 
tique :  mais  si  le  chant  descend  ou  finit  à  la  dominante,  le  ton  est 
plagal.  Je  prends  ici  ces  mots  de  tonique  et  de  dominante  dans  l'accep- 
tion musicale. 

Ces  différences  à'authente  et  de  plagal  ne  s'observent  plus  que  dans 
le  plain-chanl;  et,  soit  qu'on  place  la  finale  au  bas  du  diapason,  ce  qui 
rend  le  ton  authentique ,  soit  qu'on  la  place  au  milieu ,  ce  qui  le  rend 
plagal,  pourvu  qu'au  surplus  la  modulation  soit  régulière,  la  musique 
moderne  admet  tous  les  chants  comme  authentiques  également,  en 
quelque  lieu  du  diapason  que  puisse  tomber  la  finale.  (Voy.  Mode.) 

Il  y  a  dans  les  huit  tons  de  l'Église  romaine  quatre  tons  authentiques, 
savoir,  le  premier,  le  troisième,  le  cinquième  et  le  septième.  (Voy.  Ton 
de  l'Église.) 

On  appeloit  autrefois  fugue  authentique  celle  dont  le  sujet  procédoit 
en  montant ,  mais  cette  dénomination  n'est  plus  d'usage. 

B 

B  fa  si,  ou  B  fa  b  mi,  ou  simplement  B.  Nom  du  septième  son  de  la 
gamme  de  l'Arétin ,  pour  lequel  les  Italiens  et  les  autres  peuples  de  l'Eu- 
rope répètent  le  B,  disant  B  mi  quand  il  est  naturel,  B  fa  quand  il  est 
bémol;  mais  les  François  l'appellent  si.  (Voy.  Si.) 

R  mol.  Xoy.  Bémol. 


352  DICTIOMS'AIUE    DE   MUSIQUE. 

B  quarre.  Voy.  Réquarre. 

BALLET,  s.  m.  Action  théâtrale  qui  se  représente  par  la  danse  guiiiét 
parla  musique.  Ce  mot  vient  du  vieux  françois  baller,  danser,  chanter, 
se  réjouir. 

La  musique  d'un  ballet  doit  avoir  encore  plus  de  cadence  et  d'acceni 
que  la  musique  vocale,  parce  qu'elle  est  chargée  de  signifier  plus  d€ 
choses,  que  c'est  à  elle  seule  d'inspirer  au  danseur  la  chaleur  et  l'ex- 
pression que  le  chanteur  peut  tirer  des  paroles ,  et  qu'il  faut  de  plus 
qu'elle  supplée  ,  dans  le  langage  de  l'âme  et  des  passions,  tout  ce  que  la 
danse  ne  peut  dire  aux  yeux  du  spectateur. 

Ballet  est  encore  le  nom  qu'on  donne  en  France  à  une  bizarre  sorte 
d'opéra,  où  la  danse  n'est  guère  mieux  placée  que  dans  les  autres,  et 
n'y  fait  pas  un  meilleur  effet.  Dans  la  plupart  de  ces  ballets,  les  actes 
forment  autant  d'objets  différens ,  liés  seulement  entre  eux  par  quelques 
rapports  généraux  étrangers  à  l'action ,  et  que  le  spectateur  n'aperce- 
vroit  jamais  si  l'auteur  n'avoit  soin  de  l'en  avertir  par  le  prologue. 

Ces  bai/e?s  contiennent  d'autres  bai/e/s,  qu'on  appelle  autrement  diver- 
tissemens  ou  fêtes.  Ce  sont  des  suites  de  danses  qui  se  succèdent  sans 
sujet  ni  liaison  entre  elles,  ni  avec  l'action  principale,  et  où  les  meil- 
leurs danseurs  ne  savent  vous  dire  autre  chose  sinon  qu'ils  dansent  bien. 
Cette  ordonnance,  peu  théâtrale  ,  suffit  pour  un  bal  où  chaque  acteur  a 
rempli  son  objet  lorsqu'il  s'est  amusé  lui-même,  et  où  l'intérêt  que  le 
spectateur  prend  aux  personnes  le  dispense  d'en  donner  à  la  chose; 
mais  ce  défaut  de  sujet  et  de  liaison  ne  doit  jamais  être  souffert  sur  la 
scène,  pas  même  dans  la  représentation  d'un  bal,  où  le  tout  doit  être 
lié  par  quelque  action  secrète  qui  soutienne  l'attention  et  donne  de  l'in- 
térêt au  spectateur.  Cette  adresse  d'auteur  n'est  pas  sans  exemple, 
même  à  l'Opéra  françois,  et  l'on  en  peut  voir  un  très-agréable  dans  les 
Fêtes  vénitiennes ,  acte  du  bal. 

En  général ,  toute  danse  qui  ne  peint  rien  qu'elle-même ,  et  tout  ballet 
qui  n'est  qu'un  bal,  doivent  être  bannis  du  théâtre  lyrique.  En-  effet 
l'action  de  la  scène  est  toujours  la  représentation  d'une  autre  action,  et 
ce  qu'on  y  voit  n'est  que  l'image  de  ce  qu'on  y  suppose  ;  de  sorte  que  ce 
ne  doit  jamais  être  un  tel  ou  un  tel  danseur  qui  se  présente  à  vous ,  mais 
le  personnage  dont  il  est  revêtu.  Ainsi,  quoique  la  danse  de  société 
puisse  ne  rien  représenter  qu'elle-même,  la  danse  théâtrale  doit  néces- 
sairement être  l'imitation  de  quelque  autre  chose,  de  même  que  l'acteur 
chantant  représente  un  homme  qui  parle ,  et  la  décoration  d'autres  lieux 
que  ceux  qu'elle  occupe. 

La  pire  sorte  de  ballets  est  celle  qui  roule  sur  des  sujets  allégoriques, 
et  où  par  conséquent  il  n'y  a  qu'imitation  d'imitation.  Tout  l'art  de  ces 
sortes  de  drames  consiste  à  présenter  sous  des  images  sensibles  des  rap- 
ports purement  intellectuels,  et  à  faire  penser  au  spectateur  tout  autre 
chose  que  ce  qu'il  voit,  comme  si,  loin  de  l'attacher  à  la  scène,  c'étoit 
un  mérite  de  l'en  éloigner.  Ce  genre  exige  d'ailleurs  tant  de  subtilité 
dans  le  dialogue,  que  le  musicien  se  trouve  dans  un  pays  perdu  parmi 
les  pointes,  les  allusions  et  les  épigrammes,  tandis  que  le  spectateur  ne 
s'oublie  pas  un  moment  :  comme  qu'on  fasse,  il  n'y  aura  jamais  que  le 


BALLET  —  BARYTON.  353 

sentiment  qui  puisse  amener  celui-ci  sur  la  scène,  et  s'identifier  pour 
ainsi  dire  avec  les  acteurs:  tout  ce  qui  n'est  qu'intellectuel  l'arrache  à 
la  pièce,  et  le  rend  à  lui-même.  Aussi  voit-on  que  les  peuples  qui  veu- 
lent et  mettent  le  plus  d'esprit  au  théâtre  sont  ceux  qui  se  soucient  le 
moins  de  l'illusion.  Que  fera  donc  le  musicien  sur  des  drames  qui  ne 
donnent  aucune  prise  à  son  art?  Si  la  musique  ne  peint  que  des  senti- 
mens  ou  des  images,  comment  rendra-t-elle  des  idées  purement  méta- 
physiques, telles  que  les  allégories,  où  l'esprit  est  sans  cesse  occupa 
du  rapport  des  objets  qu'on  lui  présente  avec  ceux  qu'on  veut  lui  rap- 
peler? 

Quand  les  compositeurs  voudront  réfléchir  sur  les  vrais  principes  dj 
leur  art.  ils  mettront,  avec  plus  de  discernement  dans  le  choix  dii 
drames  dont  ils  se  chargent,  plus  de  vérité  dans  l'expression  de  leun 
sujets ,  et  quand  les  paroles  des  opéras  diront  quelque  chose ,  la  musiquu 
apprendra  bientôt  à  parler. 

Barbare,  adj.  Mode  barbare.  Voy.  Lydien. 

Barcarolles,  s.  f.  Sorte  de  chansons  en  langue  vénitienne  que  chan- 
tent les  gondoliers  à  Venise.  Quoique  les  airs  de  barcarolles  soient  faits 
pour  le  peuple,  et  souvent  composés  par  les  gondoliers  mêmes,  ils  ont 
tant  de  mélodie  et  un  accent  si  agréable,  qu  il  n'y  a  pas  de  musicien 
dans  toute  l'Italie  qui  ne  se  pique  d'en  savoir  et  d'en  chanter.  L'entrée 
gratuite  qu'ont  tous  les  gondoliers  à  tous  les  théâtres  les  met  à  portée 
de  se  former  sans  frais  l'oreille  et  le  goût,  de  sorte  qu'ils  composent  et 
chantent  leurs  airs  en  gens  qui ,  sans  ignorer  les  finesses  de  la  musique  , 
ne  veulent  point  altérer  le  genre  simple  et  naturel  de  leurs  harcarolles. 
Les  paroles  de  ces  chansons  sont  communément  plus  que  naturelles, 
comme  les  conversations  de  ceux  qui  les  chantent;  mais  ceux  à  qui  les 
peintures  fidèles  des  mœurs  du  peuple  peuvent  plaire ,  et  qui  aiment 
d'ailleurs  le  dialecte  vénitien,  s'en  passionnent  facilement,  séduits  par 
la  beauté  des  airs;  de  sorte  que  plusieurs  curieux  en  ont  de  très-amples 
recueils. 

N'oublions  pas  de  remarquer,  à  la  gloire  du  Tasse,  que  la  plupart 
des  gondoliers  savent  par  cœur  une  grande  partie  de  son  poëme  de  la 
Jérusalem  délivrée,  que  plusieurs  le  savent  tout  entier,  qu'ils  passen) 
les  nuits  d'été  sur  leurs  barques  à  le  chanter  alternativement  d'une 
barque  à  l'autre  ,  que  c'est  assurément  une  belle  barcarolle  que  le  poëms 
du  Tasse,  qu'Homère  seul  eut  avant  lui  l'honneur  d'être  ainsi  chanté, 
et  que  nul  autre  poëme  épique  n'en  a  eu  depuis  un  pareil. 

Bardes.  Sorte  d'hommes  très-singuliers  et  très-respectés  jadis  dans 
les  Gaules ,  lesquels  étoient  à  la  fois  prêtres ,  prophètes ,  poètes  et  mu- 
siciens. 

Bochard  fait  dériver  ce  nom  de  parât,  chanter,  et  Camden  convient 
avec  Festus  que  barde  signifie  un  chanteur,  en  celtique  bard. 

BARipycNi,  adj.  Les  anciens  appeloient  ainsi  cinq  des  huit  sons  ou 
cordes  stables  de  leur  système  ou  diagramme;  savoir,  l'hypaté-hypa- 
ton .  riiypaté-méson,  la  mèse,  la  paramèse  et  la  nété-diézeugménon. 
(Voy.  Pycni,  Son,  Tétracorde.) 

Baryton.  Sorte  de  voix  entre  la  taille  et  la  basse.  fVoy.  Concordant.^ 

(tuUSStAii   VI  23 


354  DICTIONNAIRE  DE  MUSIQUE. 

Baroque.  Une  musique  baroque  est  celle  dont  l'harmonie  est  confuse^ 
chargée  de  modulations  et  dissonances,  le  chant  dur  et  peu  naturel, 
l'intonation  difficile  et  le  mouvement  contraint. 

Il  y  a  bien  de  l'apparence  que  ce  terme  vient  du  baroco  des  logiciens. 

Barré.  G  barré,  sorte  de  mesure.  (Voy.  C.) 

Barres.  Traits  tirés  perpendiculairement  à  la  fin  de  chaque  mesure, 
sur  les  cinq  lignes  de  la  portée,  pour  séparer  la  mesure  qui  finit  de 
celle  qui  recommence.  Ainsi  les  notes  contenues  entre  deux  barres  for- 
ment toujours  une  mesure  complète,  égale  en  valeur  et  en  durée  à  cha- 
cune des  autres  mesures  comprises  entre  deux  autres  barres ,  tant  que 
le  mouvement  ne  change  pas;  mais  comme  il  y  a  plusieurs  sortes  de 
mesures  qui  diffèrent  considérablement  en  durée,  les  mêmes  différences 
se  trouvent  dans  les  valeurs  contenues  entre  deux  barres  de  chacune  de 
ces  espèces  de  mesures.  Ainsi  dans  le  grand  triple,  qui  se  marque  par 
ce  signe  |,  et  qui  se  bat  lentement,  la  somme  des  notes  comprises  entre 
deux  barres  doit  faire  une  ronde  et  demie;  et  dans  le  petit  triple  ^,  qui 
se  bat  vite ,  les  deux  barres  n'enferment  que  tgais  croches  ou  leur  va- 
leur; de  sorte  que  quatre  fois  la  valeur  contenue  entre  deux  barres  de  ' 
cette  dernière  mesure  ne  font  qu'une  fois  la  valeur  contenue  entre  deux!" 
barres  de  l'autre. 

Le  principal  usage  des  barres  est  de  distinguer  les  mesures,  et  d'en  f 
indiquer  le  frappé ,  lequel  se  fait  toujours  sur  la  note  qui  suit  immédia- 
tement la  barre.  Elles  servent  aussi  dans  les  partitions  à  montrer  les 
mesures  correspondantes  dans  chaque  portée.  (Voy.  Parlition.) 

Il  n'y  a  pas  plus  de  cent  ans  qu'on  s'est  avisé  de  tirer  des  barres  de 
mesure  en  mesure.  Auparavant  la  musique  étoii  simple;  on  n'y  voyoit 
guère  que  des  rondes ,  des  blanches  et  des  noires ,  peu  de  croches ,  pres- 
que jamais  de  doubles  croches.  Avec  des  divisions  moins   inégales,  la, 
mesure  en  étoit  plus  aisée  à  suivre.  Cependant  j'ai  vu  nos  meilleurs  P 
musiciens  embarrassés  à  bien  exécuter  l'ancienne  musique  d'Orlande' 
et  de  Claudin.  Ils  se  perdoient  dans  la  mesure,  faute  des  barres  aux- J 
quelles  ils étoienl accoutumés,  et  ne  suivoient  qu'avec  peine  des  parties f 
chantées  autrefois  couramment  par  les  musiciens  de  Henri  III  et  de 
Charles  IX.  i 

Bas,  en  musique,  signifie  la  même  chose  que  grave ,  et  ce  terme  estr 
opposé  à  haut  ou  aigu.  On  dit  ainsi  que  le  ton  est  trop  bas,  qu'on [j 
chante  trop  bas,  qu'il  faut  renforcer  les  sons  dans  le  bas.  Bas  signifier 
aussi  quelquefois  doucement ,  à  demi-voix  ;  en  ce  sens  il  est  opposé  à 
fort.  On  dit  parler  bas ,  chanter  ou  psalmodier  à  basse  voix  :  il  chantoit  ^ 
ou  parloit  si  bas  qu'on  avoit  peine  à  l'entendre.  1" 

Coulez  si  lentement,  et  murmurez  si  bas,  m 

Qu'Issé  ne  vous  entende  pas.  k 

(La  Motte.)  % 

Bas  se  dit  encore,  dans  la  subdivision  des  dessus  chantans,  de  celui 
des  deux  qui  est  au-dessous  de  l'autre:  ou,  pour  mieux  dire,  bas -dessus  '" 
est  un  dessus  dont  le  diapason  est  au-dessous  du  médium  ordinaire.  '" 
"Voy.  Dessus  \ 


BASSE  —  BASSE  FONDAMENTALE.        355 

Basse.  Celle  des  quatre  parties  de  la  musique  qui  est  au-dessous 
des  autres,  la  plus  basse  de  toutes;  d'où  lui  vient  le  nom  de  basse. 
(Voy.  Partition.) 

La  basse  est  la  plus  importante  des  parties ,  c'est  sur  elle  que  s'établit 
le  corps  de  l'harmonie  ;  aussi  est-ce  une  maxime  chez  les  musiciens  que 
juand  la  basse  est  bonne,  rarement  l'harmonie  est  mauvaise. 

Il  y  a  plusieurs  sortes  de  basses. 

Basse  fotidamentale ,  dont  nous  ferons  un  article  ci-après. 

Basse  contimie,  ainsi  appelée  parce  qu'elle  dure  pendant  toute  la 
pièce;  son  principal  usage,  outre  celui  de  régler  l'harmonie,  est  de 
soutenir  la  voix  et  de  conserver  le  ton.  On  prétend  que  c'est  un  Ludo- 
cico  Viana,  dont  il  en  reste  un  traité,  qui,  vers  le  commencement  du 
iernier  siècle ,  la  mit  le  premier  en  usage. 

Basse  figurée,  qui,  au  lieu  d'une  seule  note,  en  partage  la  valeur  en 
plusieurs  autres  notes  sous  un  même  accord.  (Voy.  Harmonie  figurée.) 

Basse  contrainte ,  dont  le  sujet  ou  le  chant,  borné  à  un  petit  nombre 
le  mesures ,  comme  quatre  ou  huit ,  recommence  sans  cesse ,  tandis  que 
es  parties  supérieures  poursuivent  leur  chant  et  leur  harmonie,  et  les 
arient  de  difTérentes  manières.  Cette  basse  appartient  originairement 
lUX  couplets  de  la  chaconne,  mais  on  ne  s'y  asservit  plus  aujourd'hui. 
a  basse  contrainte,  descendant  diatoniquement  ou  chromatiquement 
;t  avec  lenteur  de  la  tonique  ou  de  la  dominante  dans  les  tons  mineurs , 
st  admirable  pour  les  morceaux  pathétiques.  Ces  retours  fréquens  et 
)ériodiques  aflectent  insensiblement  l'âme,  et  disposent  à  la  langueur  et 
i  la  tristesse.  On  en  voit  des  exemples  dans  plusieurs  silènes  des  opéras 
rançois.  Mais  si  ces  bass  s  font  un  bon  effet  à  l'oreille ,  il  en  est  rare- 
Qent  de  même  des  chants  qu'on  leur  adapte,  et  qui  ne  sont  pourl'ordi- 
laire  qu'un  véritable  accompagnement.  Outre  les  modulations  dur*  et 
aal  amenées  qu'on  y  évite  avec  peine,  ces  chants,  retournés  de  mille 
aanières,  et  cependant  monotones,  produisent  des  renversemens  peu 
armonieux,  et  sont  eux-mêmes  assez  peu  chantans,  eu  sorte  que  le 
essus  s'y  ressent  beaucoup  de  la  contrainte  de  la  basse. 

Basse  chantante  est  l'espèce  de  voix  qui  chante  la  partie  de  la  basse, 
l  y  a  des  basses  récitantes  et  des  basses  de  chœur;  des  concordans  ou 
asses-tailles ,  qui  tiennent  le  milieu  entre  la  taille  et  la  basse;  des  basses 
roprement  dites,  que  l'usage  fait  appeler  basses- tailles ,  et  enfin  des 
asses-contre ,  les  plus  graves  de  toutes  les  voix ,  qui  chantent  la  basse 
3US  la  basse  même ,  et  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  les  contre-basses , 
ui  sont  des  instrumens. 

Basse  fondamentale  est  celle  qui  n'est  formée  que  des  sons  fonda- 
lentaux  de  l'harmonie ,  de  sorte  qu'au-dessous  de  chaque  accord  elle 
lit  entendre  le  vrai  son  fondamental  de  cet  accord ,  c'est-à-dire  celui 
uquel  il  dérive  par  les  règles  de  l'harmonie.  Par  où  l'on  voit  que  la 
asse  fondamentale  ne  peut  avoir  d'autre  contexture  que  celle  d'une 
accession  régulière  et  fondamentale ,  sans  quoi  la  marche  des  parties 
jpérieures  seroit  mauvaise. 

Pour  bien  entendre  ceci,  il  faut  savoir  que,  selon  le  système  de 
i.  Rameau ,  que  j'ai  suivi  dans  cet  ouvrage ,  tout  accord ,  quoique  formé 


356  DICTIONPTAIRE  DE  MUSIQUE. 


de  plusieurs  sons,  n'en  a  qu'un  qui  lui  soit  fondamental,  savoir,  celui 
qui  a  produit  cet  accord  et  qui  lui  sert  de  basse  dans  l'ordre  direct  e1 
naturel.  Or  la  basse  qui  règne  sous  toutes  les  autres  parties  n'exprime 
pas  toujours  les  sons  fondamentaux  des  accords;  car  entre  tous  les  sons 
qui  forment  un  accord,  le  compositeur  peut  porter  à  la  basse  celui  qu'i;i| 
croit  préférable,  eu  égard  à  la  marche  de  cette  basse,  au  beau  chant J 
el  surtout  à  l'expression ,  comme  je  l'expliquerai  dans  la  suite.  Alors  Uj 
vrai  son  fondamental,  au  lieu  d'être  à  sa  place  naturelle,  qui  est  la 
basse,  se  transporte  dans  les  autres  parties,  ou  même  ne  s'exprime 
point  du  tout;  un  tel  accord  s'appelle  accord  renversé.  Dans  le  fond,  ud 
accord  renversé  ne  diffère  point  de  l'accord  direct  qui  l'a  produit,  caret 
sont  toujours  les  mêmes  sons;  mais  ces  sons  formant  des  combinaisons 
différentes,  on  a  longtemps  pris  toutes  ces  combinaisons  pour  autani 
d'accords  fondamentaux,  et  on  leur  a  donné  différons  noms  qu'on  peut 
voir  au  mot  Accord,  et  qui  ont  achevé  de  les  distinguer,  comme  si  la 
différence  des  noms  en  produisoit  réellement  dans  l'espèce. 

M.  Rameau  a  montré  dans  son  Traité  de  l'harmonie ,  et  M.  d'Alem- 
bert,  dans  ses  Éléments  de  musique,  a  fait  voir  encore  plus  clairement 
que  plusieurs  de  ces  prétendus  accords  n'étoient  que  des  renversemens 
d'un  seul.  Ainsi  l'accord  de  sixte  n'est  qu'un  accord  parfait  dont  la 
tierce  est  transportée  à  la  basse;  en  y  portant  la  quinte,  on  aura  l'ac- 
cord de  sixte-quarte.  Voilà  donc  trois  combinaisons  d'un  accord  qui  n'a 
que  trois  sons  :  ceux  qui  en  ont  quatre  sont  susceptibles  de  quatre 
combinaisons ,  chaque  son  pouvant  être  porté  à  la  basse.  Mais  en  portant 
au-dessous  de  celle-ci  une  autre  basse,  qui,  sous  toutes  les  combinai- 
sons d'un  même  accord,  présente  toujours  le  son  fondamental ,  il  est 
évident  qu'on  réduit  au  tiers  le  nombre  des  accords  consonnans,  et  au 
quart  le  nombre  des  dissonans.  Ajoutez  à  cela  tous  les  accords  par  sup- 
position, qui  se  réduisent  encore  aux  mêmes  fondamentaux;  vous  trou- 
verez l'harmonie  simplifiée  à  un  point  qu'on  n'eût  jamais  espéré  dans 
l'état  de  confusion  où  étoient  ces  règles  avant  M.  Rameau.  C'est  certai- 
iiement,  comme  l'observe  cet  auteur,  une  chose  étonnante ,  qu'on  ait 
pu  pousser  la  pratique  de  cet  art  au  point  où  elle  est  parvenue  sans  en 
connoître  le  fondement,  et  qu'on  ait  exactement  trouvé  toutes  les  règles 
sans  avoir  découvert  le  principe  qui  les  donne. 

Après  avoir  dit  ce  qu'est  la  basse  fondamentale  sous  les  accords,  par-j 
ious  maintenant  de  sa  marche  et  de  la  manière  dont  elle  lie  ces  accord^ 
entre  eux.  Les  préceptes  de  l'art  sur  ce  point  peuvent  se  réduire  aux  si* 
règles  suivantes.  j 

i.  La.  bosse  fondamentale  ne  doit  jamais  sonner  d'autre  note  que  cellJ 
de  la  gamme  du  ton  où  l'on  est,  ou  de  celui  où  l'on  veut  passer  :  c'es| 
la  première  et  la  plus  indispensable  de  toutes  ces  règles. 

II.  Par  la  seconde,  sa  marche  doit  être  tellement  soumise  aux  lois  C  '. 
la  modulation,  qu'elle  ne  laisse  jamais  perdre  l'idée  d'un  ton  qu'e.^ 
prenant  celle  d'un  autre;  c'est-à-dire  que  la  basse  fondamentale  ne  dr tl 
jamais  être  errante  ni  laisser  oublier  un  moment  dans  quel  ton  l'on  e  4, 

m.  Par  la  troisième,  elle  est  assujettie  à  la  liaison  des  accords  et  à  1" 
preparation  des  dissonances;  préparation  qui  n'est,  comme  je  le  fer; 


BASSE  FO>'DAMENTALE.  357 

!i  voir,  qu'un  des  cas  de  la  liaison  ,  et  qui  par  conséquent  n'est  jamais  né- 
i  c  j^aire  quand  la  liaison   peut  exister  sans  elle.  (Vov.  Liaison,  Pré- 
-r.) 

V.  Par  la  quatrième,  elle  doit,  après  toute  dissonance,  suivre  le 
u  j  .ii.grès  qui  lui  est  prescrit  par  la  nécessité  de  la  sauver.  (Voy.  Sauver.) 
%i\  Y.  Par  la  cinquième,  qui  n'est  qu'une  suite  des  précédentes,  la  basse 
)èif  ndamentale  ne  doit  marcher  que  par  intervalles  consonnans,  si  ce 
hl  n'est  seulement  dans  un  acte  de  cadence  rompue,  ou  après  un  accord 
«j  de  septième  diminuée ,  qu'elle  monte  diatoniquement  :  toute  autre  marche 
de  la  basse  fondamentale  est  mauvaise. 

VI.  Enfin,  par  la  sixième,  la  basse  fondamentale  ou  l'harmonie  ne 
doit  pas  syncoper.  mais  marquer  la  mesure  et  les  temps  par  des  chan- 
gemens  d'accords  bien  cadencés  :  en  sorte ,  par  exemple .  que  les  disso- 
nances qui  doivent  être  préparées  le  soient  sur  le  temps  foible,  mais 
I  surtout  que  tous  les  repos  se  trouvent  sur  le  temps  fort.  Cette  sixième 
règle  souffre  une  infinité  d'exceptions;  mais  le  compositeur  doit  pour- 
tant y  songer,  s'il  veut  faire  une  musique  où  le  mouvement  soit  bien 
m.arqué.  et  dont  la  mesure  tombe  avec  grâce. 

Partout  où  ces  règles  seront  observées,  l'harmonie  sera  régulière  et 
sans  faute:  ce  qui  n'empêchera  pas  que  la  musique  n'en  puisse  être  dé- 
testable. (Voy.  Composition.) 

L'a  mot  d'éclaircissement  sur  la  cinquième  règle  ne  sera  peut-être 
inutile.  Qu'on  retourne  comme  on  voudra  une  basse  f<  ndamentale , 
-  -i'.le  est  bien  faite,  on  n'y  trouvera  jamais  que  ces  deux  choses,  ou 
des  accords  parfaits  sur  des  mouvemens  consonnans.  sans  lesquels  ces 
accords  n'auroient  point  de  liaison,  ou  des  accords  dissonans  dans  des 
actes  de  cadence;  en  tout  autre  cas  la  dissonance  ne  sauroit  être  ni  bitu 
pacée  ni  bien  sauvée. 

Il  suit  de  là  que  .la  basse  fondamentale  ne  peut  marcher  régu'.ièremeal 
que  d'une  de  ces  trois  manières  :  1"*  monter  ou  descendre  de  tierce  ou 
de  sixte;  2°  de  quarte  ou  de  quinte:  3"  monter  diatoniquement  au 
moven  de  la  dissonance  qui  forme  la  liaison,  ou  par  licence  sur  un  ac- 
cord parfait.  Quant  à  la  descente  diatonique  ,  c'est  une  marche  absolu- 
ment interdite  à  la  basse  fondamentale ,  ou  tout  au  plus  tolérée  dans  le 
cas  de  deux  accords  parfaits  consécutifs ,  séparés  par  un  repos  exprimé 
ou  sous-entendu  :  cette  règle  n'a  point  d'autre  exception,  et  c'est  pour 
n'avoir  pas  démêlé  le  vrai  fondement  de  certains  passages  que  M.  Ra- 
meau a  fait  descendre  diatoniquement  la  basse  fondamentale  sous  des 
accords  de  septième  ;  ce  qui  ne  se  peut  en  bonne  harmonie.  (Voy.  Ca- 
dence .  Dissonance.) 

La.  basse  fondamentale,  qu'on  n'ajoute  que  pour  servir  de  preuve  à 
l'harmonie,  se  retranche  dans  l'exécution,  et  souvent  elle  y  feroit  un 
fort  mauvais  effet;  car  elle  est,  comme  dit  très-bien  M.  Rameau,  pour 
le  jugement  et  non  pour  l'oreille.  Elle  produiroit  tout  au  moins  une 
monotonie  très-ennuyeuse  par  les  retours  fréquens  du  même  accord, 
qu'on  déguiseet  qu'on  varieplus  agréablement  en  le  combinant  en  diffé- 
rentes manières  sur  la  basse  continue:  sans  compter  que  les  divers  ren- 
versemens  d'harmonie  fournissent  mille  moyens  de  prêter  de  nouvelles 


'^3 


358  DICTIONNAIRE   DE  MUSIQUE. 

beautés  au  chant,  et  une  nouvelle  énergie  à  l'expression.  (Voy.  Accord, 
Jlenvirsement.) 

Si  la  Lasse  fondamentale  ne  sert  pas  à  composer  de  bonne  musique, 
me  dira-l-on,  si  même  on  doit  la  retrancher  dans  l'exécution,  à  quoi 
donc  est- elle  utile?  Je  réponds  qu'en  premier  lieu  elle  sert  dérègle  aux 
écoliers  pour  apprendre  à  former  une  harmonie  ré  julière ,  et  à  donner  à 
toutes  les  parties  la  marclîe  diatonique  et  élémentaire  qui  leur  est  pres- 
crite par  cette  ba^se  fondamentale. ;  elle  sert  de  plus,  comme  je  l'ai  déjà 
dit,  à  prouver  si  une  harmonie  déjà  faite  est  bonne  et  régulière;  car 
toute  harmonie  qui  ne  peut  être  soumise  à  une  basse  fondamentale  est 
régulièrement  mauvaise  :  elle  sert  enfin  à  trouver  une  basse  continue 
sous  un  chant  donné;  quoiqu'à  la  vérité  celui  qui  ne  saura  pas  faire  di- 
rectement une  basse  continue  ne  fera  guère  mieux  une  basse  fonda- 
mentale, et  bien  moins  encore  saura-t-il  transformer  cette  basse  fonda- 
mentale en  une  bonne  lasse  continue.  Voici  toutefois  les  principales 
règles  que  donne  M.  Rameau  pour  trouver  la  basse  fondamentale  d'un 
chant  donné. 

I.  S'assurer  du  ton  et  du  mode  par  lesquels  on  commence,  et  de  tous 
ceux  par  où  l'on  passe.  Il  y  a  aussi  des  règles  pour  cette  recherche  des 
Ions,  mais  si  longues,  si  vastes,  si  incomplètes,  que  l'oreille  est  formée 
à  cet  égard  longtemps  avant  que  les  règles  soient  apprises,  et  que  le 
stupide  qui  voudra  tenter  de  les  employer  n'y  gagnera  que  l'habitude 
d'aller  toujours  note  à  note  sans  jamais  savoir  où  il  est. 

II.  Essayer  successivement  sous  chaque  note  les  cordes  principales  du 
ton,  commençant  par  les  plus  analogues,  ex  passant  jusqu'aux  plus 
éloignées,  lorsque  l'on  s'y  voit  forcé. 

III.  Considérer  si  la  corde  choisie  peut  cadrer  avec  le  dessus,  dans  ce 
qui  précède  et  dans  ce  qui  suit,  par  une  bonne  succession  fondamentale, 
et  quand  cela  ne  se  peut,  revenir  sur  ses  pas. 

IV.  Ne  changer  la  note  de  basse  fondamentale  que  lorsqu'on  a  épuisé 
toutes  les  notes  consécutives  du  dessus  qui  peuvent  entrer  dans  son  ac- 
cord, ou  que  quelque  note  syncopant  dans  le  chant  peut  recevoir  deux 
ou  plusieurs  notes  de  basse,  pour  préparer  des  dissonances  sauvées  en- 
suite régulièrement. 

V.  Etudier  l'entrelacement  des  phrases ,  les  successions  possibles  de 
cadences ,  soit  pleines ,  soit  évitées ,  et  surtout  les  repos  qui  viennent  or- 
dinairement de  quatre  en  quatre  mesures  ou  de  deux  en  deux,  afin  de 
les  faire  tomber  toujours  sur  les  cadences  parfaites  ou  irrégulières. 

VI.  Enfin  observer  toutes  les  règles  données  ci-devant  pour  la  compo- 
sition de  la  basse  fondamentale.  Voilà  les  principales  observations  à  faire 
pour  en  trouver  une  sous  un  chant  donné;  car  il  y  en  a  quelquefois 
plusieurs  de  trouvables  :  mais,  quoi  qu'on  en  puisse  dire,  si  le  chant  a 
de  l'accent  et  du  caractère,  il  n'y  a  qu'une  bonne  basse  fondamentale 
qu'on  lui  puisse  adapter. 

Après  avoir  exposé  sommairement  la  manière  de  composer  une  basse 
fondamentale,  il  resteroit  à  donner  les  moyens  de  la  transformer  en 
basse  continue ,  et  cela  seroit  facile  s'il  ne  falloit  regarder  qu'à  la  marche 
diatonique  et  au  beau  chant  de  cette  basse  ;  mais  ne  croyons  pas  que  la 


BASSE  FONDAMENTALE  —  UATON.       355 

asse,  qui  est  le  guide  et  le  soutien  de  l'harmonie,  lame,  et,  pour 
insi  due,  l'interprète  du  chant,  se  borne  à  des  règles  si  simples;  il  y 
n  a  d'autres  qui  naissent  d'un  principe  plus  sûr  et  plus  radical,  prin- 
ipe  fécond,  mais  caché,  qui  a  été  senti  par  tous  les  artistes  de  génie, 
ans  avoir  été  développé  par  personne.  Je  pense  en  avoir  jeté  le  germe 
ans  ma  Lettre  sur  la  musique  françoise.  J'en  ai  dit  assez  pour  ceux  qui 
l'entendent;  je  n'en  dirois  jamais  assez  pour  les  autres.  (Voy.  toutefois 
'nité de  mélodie.) 

Je  ne  parle  point  ici  du  système  ingénieux  de  M.  de  Serre  de  Genève. 
1  de  sa  double  basse  fondamentale,  parce  que  les  principes  qu'il  avoit 
ntrevus  avec  une  sagacité  digne  d'éloges  ont  été  depuis  développés 
ar  M.^  Tar'mi  dans  un  ouvrage  dont  je  rendrai  compte  avant  la  fin  de 
slui-ci.  (Voy.  Système.) 


fUI    un    SlSlEMh    TOI.CMa. 


TABLE 

CES   MATIÈRES  CONTENUES   DANS   LE  SIXIÈME  VOr-UME. 


POÉSIES  DIVERSES.  ■  3 

PAC      * 

I.E   VERGEa   DES   Charmettes 

\  iiuLAi  A  Mme  la  baronne  de  Warens .'!*.'.'"" 

F  K  AGMENT    D  ti  NE    ÉpÎTRE    A    M.    BoRDFS  ........  .  '.  .  '.  .  '.  '.  ',  "  .....**"."" 

Vers  podr  Mme  de  Fleurieo .'.....'.*.'. 

ÉpItre  A  M.   Bordes 

ÉPiiRE  A  M.  Parisot I  tl 

L'Allée  de  Sylvie 

Épitre  a  m.  de  l'Etang 

Imitation  libre  d'une  chanson  italienne  de  Métastase. 

Enigme . 

^ERs  a  Mlle  Théodore,   qui  ne  parlait  jamais  à  l'auteur  nue  de  mu- 
sique  

EriTAPHE  DE  DEUX  AMANTS  qui  sc  BOHl  lués  à  Salnt-Éiieniie  en  FureV   au 

mois  de  juiiM770 '  „h 

Strophes  ajoutées  au  Siècle  pastoral  de  Gresset'.'.'.'.*.'.'.'. .'. 2] 

Vers  sur  la  femme 2! 

Boi.QIET   d'dn    enfant   A   SA   BIÈRE ! 28 

Inscription  mise  au  bas  d'un  portrait  de  Frédéric  il .... ... ...., 2I 

Quatrain  a  Mme  Dupin 

Quatrain  mis  par  lui-même  au-dessous  d'un  de  sus  poriiLas.' 

BOTANIQUE. 

Letires  élémentaires  sur  la  Botanique,  a  Mme  De]<'sserl  M 

Lettre  1 LJ 

Lettre  H ^3 

Lettre  III r] 

Lettre  IV .A 

Lettre  V 

Lettre  VI 

Lettre  VII,  sur  les  arbres  Iruitiers '. .'. 

Lettre  VIII ,  sur  les  Iierbiers 

Lettre  IX,  à  M.  de  MalesLcrbcs,  sur  le  lormaldes  hcrlii'cis  cl  sur  là 

synoDvniie 

Lettre  X,  au  même,  sur  les  mousses 

LnTRE  A  Mme  la  duchesse  de  Portland 

1.1  TTKE    A    M.    DU    PeYROU '  _  "  ' 

LtrrfiE  A  M.  LiOTARD,  le  neveu,  herbi.risle  à  Grenoble."  !!.'.'.'..'.,'*'.  i  ] 
Lettres  a  M.  de  la  Tourette,  conseiller  en  la  cour  des  moniioleidê 
Lyon 

BIBUOTHECA 


TABLE.  36) 

MUSIQUE, 

Paghs. 

ETTHE   StJR   lA   MCSinUE   FRANÇOISE 1  68 

EiTRE  d'un  symphoniste  de  l'Académie  royale  de  musique  à  ses  cama- 
rades de  l'orcheslre 19<S 

X.AMEN  de  deux  principes  de  Rameau 203 

ETïRE  A  M.   LE  DOCTEUR  BuRXEY ,   autCUP  ÙC  V Histoire  générale  de  Li 

Musique 21(5 

DSERVATioNs  suF  V AlcesiB ,  de  Gluck 2-H 

ÉpoxsE  du  Pelil  Faiseur  à  son  prèle-nom,  sur  un  morceau  de  VUr/hc-j 

de  Giucii 23:5 

JR    I.A    MUSIQUE   MILITAIRE 231) 

1RS  pour  êlre  joués  à  la  iroupe  maiclmnic 237 

iR  DK  Cloches 237 

ETTRE  A  M.  Grimm,   SU  sujcl  des  remarques  ajoulées  à  sa  Lettre  sur 

Oinyhale 238 

HOIX.    DE    ROSIANCES    ET    AIRS    DÉTACUÉS 248 

Le  Rosier 24s 

Air  de  trois  notes 24<J 

Rondeau 25(i 

Romance  de  Roger 251 

Romance  d'Alexis 252 

ROJtT    DE    NOUVEAUX    SIGSES    POUR    H    MUSIQUE 253 

)ISSERTATI0N    SUR    I.A    MUS. QUE   MODERNE 26'! 

)lCTiOKN.VIRE   DE   MUSIQUE 323 


fin    DE    lA    TAIÎI.E    DD    SIXIEME    VOLUME. 


La  Bibliothèque 

Université  d'Ottowa 

Echéance 


The  Library 

University  of  Ottawa 

Date  due 


N0\)2478  êê 
P29'81   ^â 


jfeçjl 


S8^2f' 


MAY 03 '82  „ 


â^^ 


Si»»! 


Zl 


39  00  3  002  5  589_9_&^ 


CE  PC   2030 

1913  VC06 
COQ   RCUSSEAUf 
ACC#  1217839 


JE  CEUVRES  COMP