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ŒUVRES COMPLETES
J. J. ROUSSEAU
A ^A MÊME LIBRAffirE
brochés. . : :'■ Œ«^'-« complètes Trcizo ,
16 A-. 25
Essai
'^«"^ I : Notice sur J , r,
Tome ri ,■ Emile,
Tome m : ;r;„ ^,^„_
Tom XII • ^ ^""""«^ (suite).
Chaque volume se venrl «^ .
vend séparément l f,,.
ŒUVRES COMPLÈTES
DE
J. J. 80USSE4U
TOME SIXIÈME
PARIS
LIBRAIKIE HACHETTE ET Ci«
79, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 79
4909
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POÉSIES DIVERSES.
LE VERGER DES CHARMETTES".
Rara domus tenuem non aspernalur amicum :
Raraque non bumilcm calcat Taslosa clieulem.
AVERTISSEMENT.
J'ai eu le malheur autrefois de refuser des vers à des personnes que
j'honorois et que je respectoi? infiniment, parce que je m'étois désor-
mais interdit d'en faire. J'ose espérer cependant que ceux que je publie
aujourd'hui ne les offenseront point; et je crois pouvoir dire, sans trop
de raffinement, qu'ils sont l'ouvrage de mon cœur, et non de mon
esprit. Il est même aisé de s'apercevoir que c'est un enthousiasme im-
promptu. si je puis parler ainsi, dans lequel je n'ai guère songé à
briller. De fréquentes répétitions dans les pensées et même dans les
tours, et beaucoup de négligence dans la diction, n'annoncent pas un
homme fort empressé de la gloire d'être un bon poète. Je déclare de
plus que, si l'on me trouve jamais à faire des vers galans , ou de ces
sortes de belles choses qu'on appelle des jeux d'esprit, je m'abandonne
-volontiers à toute l'indignation que j'aurai méritée.
Il faudroit m'excuser auprès de certaines gens d'avoir loué ma bien-
faitrice, et, auprès des personnes de mérite, de n'en avoir pas assez
dit de bien. Le silence que je garde à l'égard des premiers n'est pas sans
fondement: quant aux autres, j'ai l'honneur de les assurer que je serai
toujours infiniment satisfait de m'entendre faire le même reproche. ■
Il est vrai qu'en félicitant Mme de Warens sur son penchant à faire
du bien, je pouvois m'étendre sur beaucoup d'autres vérités non moins
honorables pour elle. Je n'ai point prétendu être ici un panégyriste,
mais simplement un homme sensible et reconnoissant qui s'amuse à dé-
crire ses plaisirs.
On ne manquera pas de s'écrier : a Un malade faire des vers 1 un homme
à deux doigts du tombeau ! » C'est précisément pour cela que je fais des
vers. Si je me portois moins mal . je me croirois comptable de mes occu-
pations au bien de la société; l'état où je suis ne me permet de tra-
vailler qu'à ma propre satisfaction. Combien de gens qui regorgent de
1 . Maison de campagne près de Chambéry, habitée par Mme de Warens
en 1736. Celle pièce de vers doit élre de l'automne de celte année. J. J. Rous-
seau avoit un peu plus de vingt-quatre ans. La description de cette maison
se trouve à la fin du cinquième livre des Confessions. (Éi!.:
RoiSSEVU VI *
2 POÉSIES DIVERSES.
biens et-de santé ne passent pas autrement leur vie entière ! Il faudroil
aussi savoir si ceux qui me feront ce reproche sont disposés à m'era-
ployer à quelque chose de mieux.
Verger cher à mon cœur, séjour de l'innocence.
Honneur des plus beaux jours que le ciel me dispense ,
Solitude charmante, asile de la paix,
Puissé-je, heureux verger, ne vous quitter jamais !
0 jours délicieux, coulés sous vos ombrages!
De Philomèle en pleurs les languissans ramages ,
D'un ruisseau fugitif le murmure flatteur,
Excitent dans mon âme un charme séducteur.
J'apprends sur votre émail à jouir de la vie :
J'apprends à méditer sans regret, sans envie,
Sur les frivoles goûts des mortels insensés;
Leurs jours tumultueux, l'un par l'autre poussés,
N'enflamment point mon cœur du désir de les suivre.
A de plus grands plaisirs je mets le prix de vivre.
Plaisirs toujours charmans, toujours doux, toujours purs,
A mon cœur enchanté vous êtes toujours sûrs.
Soit qu'au premier aspect d'un beau jour près d'éclore
J'aille voir ces coteaux qu'un soleil levant dore,
Soit que vers le midi chassé par son ardeur.
Sous un arbre touffu je cherche la fraîcheur;
Là, portant avec moi Montaigne ou La Bruyère,
Je ris tranquillement de l'humaine misère ;
Ou bien, avec Socrate et le divin Platon,
Je m'exerce à marcher sur les pas de Caton :
Soit qu'une nuit brillante, en étendant ses voiles,
Découvre à mes regards la lune et les étoiles;
Alors, suivant de loin La Hire et Cassini ,
Je calcule, j'observe, et, près de l'infini.
Sur ces mondes divers que l'éther nous recèle.
Je pousse , en raisonnant , Huyghens et Fontenelle
Soit enfin que, surpris d'un orage imprévu,
Je rassure, en courant, le berger éperdu.
Qu'épouvantent les vents qui sifflent sur sa tête.
Les tourbillons, l'éclair, la foudre, la tempête;
Toujours également heureux et satisfait.
Je ne désire point un bonheur plus parfait.
0 vous, sage Warens, élève de Minerve,
Pardonnez ces transports d'une indiscrète verve;
Quoique j'eusse promis de ne rimer jamais.
J'ose chanter ici les fruits de vos bienfaits.
Oiii. si mon cœur jouit du sort le plus tranquille,
Si je suis la vertu dans un chemin facile ,
Si je goûte en ces lieux un repos innocent,
POÉSIES DIVERSES.
Je ne dois qu'à vous seule un si rare présent.
Vainement des cœurs bas, des âmes mercenaires,
Par des avis cruels plutôt que salutaires,
Cent fois ont essayé de m'ôter vos bontés :
Ils ne connoissent pas le bien que vous goûtez
En faisant des heureux, en essuyant des larmes :
Ces plaisirs délicats pour eux n'ont point de charmes.
De Tite et de Trajan les libérales mains
N'excitent dans leurs cœurs que des ris inhumains.
Pourquoi faire du bien dans le siècle où nous sommes?
Se trouve-t-il quelqu'un, dans la race des hommes,
Digne d'être tiré du rang des indigens?
Peut-il dans la misère être d'honnêtes gens?
Et ne vaut-il pas mieux employer ses richesses
A jouir des plaisirs qu'à faire des largesses?
Qu'ils suivent à leur gré ces sentimens affreux,
Je me garderai bien de rien exiger d'eux.
Je n'irai pas ramper ni chercher à leur plaire;
Mon cœur sait, s'il le faut, affronter la misère.
Et, plus délicat qu'eux, plus sensible à l'honneur,
Regarde de plus près au choix d'un bienfaiteur.
Oui, j'en donne aujourd'hui l'assurance publique,
Cet écrit en sera le témoin authentique ,
Que , si jamais le sort m'arrache à vos bienfaits ,
Mes besoins jusqu'aux leurs ne recourront jamais.
Laissez des envieux la troupe méprisable
Attaquer des vertus dont l'éclat les accable.
Dédaignez leurs complots, leur haine, leur fureur;
La paix n'en est pas moins au fond de votre cœur,
Tandis que, vils jouets de leurs propres furies,
Alimens des serpens dont elles sont nourries ,
Le crime et les remords portent au fond des leurs
Le triste châtiment de leurs noires horreurs.
Semblables en leur rage à la guêpe maligne ,
De travail incapable, et de secours indigne,
Qui ne vit que de vols, et dont enfin le sort
Est de faire du mal en se donnant la mort ,
Qu'ils exhalent en vain leur colère impuissante:
Leurs menaces pour vous n'ont rien qui m'épouvante.
Ils voudroient d'un grand roi vous ôter les bienfaits;
Mais de plus nobles soins illustrent ses projets
Leur basse jalousie et leur fureur injuste
N'arriveront jamais jusqu'à son trône auguste;
Et le monstre qui règne en leurs cœurs abattus
N'est pas fait pour braver l'éclat de ses vertus.
C'est ainsi qu'un bon roi rend son empire aimable;
Il soutient la vertu que l'infortune accable :
Quand il doit menacer , la foudre est en ses mains, ,
POÉSIES DIVERSES.
Tout roi. sans s'élever au-dessus des humains,
Contre les criminels peut lancer le tonnerre;
Mais, s'il fait des heureux, c'est un dieu sur la terre.
Charles, on reconnoît ton empire à ces traits:
Ta main porte en tous lieu.x la joie et les bienfaits;
Tes sujets égalés éprouvent ta justice;
On ne réclame plus, par un honteu-x caprice,
Un principe odieux, proscrit par l'équité.
Qui, blessant tous les droits de la société.
Brise les nœuds sacrés dont elle étoit unie,
Refuse à ses besoins la meilleure partie, ' '^
Et prétend affranchir de ses plus justes lois
Ceux qu'elle fait jouir de ses plus riches droits.
Ah! s'il t'avoit suffi de te rendre terrible.
Quel autre, plus que toi. pouvoit être invincible.
Quand l'Europe t'a vu , guidant tes étendards .
Seul entre tous ses rois briller au champ de sîars?
Mais ce n'est pas assez d'épouvanter la terre:
11 est d'autres devoirs que les soins de la guerre :
Et c'est par eux, grand roi, que ton peuple aujourd'hui
Trouve en toi son vengeur, son père et son appui.
Et vous , sage Warens , que ce héros protège ,
En vain la calomnie en secret vous assiège;
Craignez peu ses effets, bravez son vain courroux;
La vertu vous défend, et c'est assez pour vous :
Ce grand roi vous estime , il connoît votre zèle ,
Toujours à sa parole 11 sait être fidèle;
Et, pour tout dire enfin, garant de ses bontés,
Votre cœur vous répond que vous les méritez.
On me connoît assez, et ma muse sévère
Ne sait point dispenser un encens mercenaire;
Jamais d'un vil ilatteur le langage afiecté
N'a souillé dans mes vers l'auguste vérité.
Vous méprisez vous-même un éloge insipide ,
Vos sincères vertus n'ont point l'orgueil pour guida.
Avec vos; ennemis convenons, s'il le faut.
Que la sagesse en vous n'exclut point tout défaut.
Sur cette terre, hélas! telle est notre misère,
Que la perfection n'est qu'erreur et chimère. '
Connoître mes travers est mon premier souhait,
Et je fais peu de cas de tout homme parfait.
La haine quelquefois donne un avis utile :
Blâmez cette bonté trop douce et trop facile
Qui souvent à leurs yeux a causé vos malheurs.
Recnnnoissez en vous les foibles des bons cœurs ;
Mais sachez qu'en secret l'éternelle sagesse
Hait leur fausse vertu plus que votre foiblesse,
£l qu'il vaut mieux cent fois se montrer à ses yeux
POESIES DIVERSES. 5
Imparfait comme vous, que vertueux comme eux.
Vous donc dès mon enfance attachée à m'instruire,
A travers ma misère, hélas! qui crûtes lire
Que de quelques talens le ciel m'avoit pourvu,
Qui daignâtes former mon cœur à la vertu .
Vous que j'ose appeler du tendre nom de mère,
Acceptez aujourd'hui cet hommage sincère ,
Le tribut légitime et trop bien mérité.
Que ma reconnoissance offre à la vérité.
Oui, si quelques douceurs assaisonnent ma vie,
Si j'ai pu jusqu'ici me soustraire à lenvie;
Si, le cœur plus sensible et l'esprit moins grossier,
Au-dessus du vulgaire on m'a vu m'élever:
Enfin . si chaque jour je jouis de moi-même,
Tantôt en m'élançant jusqu'à l'Être suprême,
Tantôt en méditant, dans un profond repos.
Les erreurs des humains, et leurs biens et leurs maux
Tantôt, philosophant sur les lois naturelles,
J'entre dans le secret des causes éternelles ,
Je cherche à pénétrer tous les ressorts divers.
Les principes cachés qui meuvent l'univers;
Si, dis-je, en mon pouvoir j'ai tous ces avantages;
Je le répète encor. ce sont là vos ouvrages,
Vertueuse Warens : c'est de vous que je tiens
Le vrai bonheur de l'homme et les solides biens.
Sans craintes, sans désirs, dans cette solilude,
Je laisse aller mes jours exempts d'inquiétude :
Oh! que mon cœur touché ne peut-il à son gré
Peindre sur ce papier dans un juste degré
Des plaisirs qu'il ressent la volupté parfaite!
Présent dont je jouis, passé que je regrette.
Temps précieux, hélas! je ne vous perdrai plus
En bizarres projets, en soucis superflus.
Dans ce verger charmant j'en partage l'espace.
Sous un ombrage frais tantôt je me délasse;
Tantôt avec Leibnitz, Malebranche et Newton,
Je monte ma raison sur un sublime ton.
J'examine les lois des corps et des pensées;
Avec Locke je fais l'histoire des idées;
Avec Kepler, Wallis, Barrow, Raynaud, Pascal,
Je devance Archimède, et je suis L'Hospital'.
Tantôt, à la physique appliquant mes problèmes,
Je me laisse entraîner à l'esprit des systèmes ;
Je tâtonne Descarie et ses égaremens,
Sublimes, il est vrai, mais frivoles romaus.
(. Le marquis de L'Hospital, auteur de V.-in.iljse des in/lilment petits, et
de plusieurs autres ouvrages de malliêmatinucs.
POÉSIES DIVERSES.
J'abandonne bientôt l'hypothèse infidèle,
Content d'étudier l'histoire naturelle.
Là, Pline et Nieuwentit. m'aidant de leur savoir,
M'apprennent à penser, ouvrir les yeux, et voir.
Quelquefois, descendant de ces vastes lumières,
Des différens mortels je suis les caractères.
Quelquefois, m'amusant jusqu'à la fiction,
Télémaque et Séthos me donnent leur leçon;
Ou bien dans Cléveland j'observe la nature.
Qui se montre à mes yeux touchante et toujours pure.
Tantôt aussi, de Spon parcourant les cahiers
De ma patrie en pleurs je relis les dangers.
Genève, jadis sage, ô ma chère patrie!
Quel démon dans ton sein produit la frénésie
Souviens-toi qu'autrefois tu donnas des héros ,
Dont le sang t'acheta les douceurs du repos.
Transportés aujourd'hui d'une soudaine rage.
Aveugles citoyens, cherchez-vous l'esclavage?
Trop tôt peut-être, hélas! pourrez-vous le trouver :
Mais, s'il est encor temps, c'est à vous d'y songer.
Jouissez des bienfaits que Louis vous accorde.
Rappelez dans vos murs cette antique concorde.
Heureux si , reprenant la foi de vos aïeux.
Vous n'oubliez jamais d'être libres comme eux!
G vous, tendre Racine! ô vous, aimable Horace!
Dans mes loisirs aussi vous trouvez votre place;
Claville, Saint- Aubin. Plutarque , Mézeray,
Despréaux , Cicéron , Pope , Rollin , Barclay ,
Et vous, trop doux La Mothe, et toi, touchant Voltaire,
Ta lecture à mon cœur restera toujours chère.
Mais mon goût se refuse à tout frivole écrit
Dont l'auteur n'a pour but que d'amuser l'esprit :
Il a beau prodiguer la brillante antithèse,
Semer partout des fleurs, chercher un tour qui plaise;
Le cœur, plus que l'esprit, a chez moi des besoins.
Et, s'il n'est attendri, rebute tous ces soins.
C'est ainsi que mes jours s'écoulent sans alarmes.
Mes yeux sur mes malheurs ne versent point de larmes.
Si des pleurs quelquefois altèrent mon repos,
C'est pour d'autres sujets que pour mes propres maux.
Vainement la douleur, les craintes, la misère,
Veulent décourager la fin de ma carrière;
D'Épictète asservi la stoïque fierté
M'apprend à supporter les maux, la pauvreté;
Je vois, sans m'affliger, la langueur qui m'accable;
L'approche du trépas ne m'est point effroyable-.
Et le mal dont mon corps se sent presque abattu
N'est pour moi qu'un sujet d'affermir ma vertu.
POÉSIES DIVERSES.
VIRELAI A MADAME LA BARONNE DE V/ARENS-
Madame, apprenez la nouvelle
De la prise de quatre rats;
Quatre rats n'est pas bagatelle,
Aussi n'en badiné-je pas;
Et je vous mande avec grand zèle
Ces vers qui vous diront tout bas :
Madame, apprenez la nouvelle
De la prise de quatre rats.
A l'odeur d'un friand appas ,
Rats sont sortis de leur caselle ;
Mais ma trappe, arrêtant leurs pas,
Les a, par une mort cruelle.
Fait passer de vie à trépas.
Madame, apprenez la nouvelle
De la prise de quatre rats.
Mieux que moi savez qu'ici-bâs
N'a pas qui veut fortune telle;
C'est triomphe qu'un pareil cas :
Le fait n'est pas d'une alumelle.
Ainsi donc avec grand soûlas,
Madame , apprenez la nouvelle
De la prise de quatre rats.
FRAGMENT D'UNE ËPITRE A M. BORDES.
Après un carême ennuyeux ,
Grâce à Dieu , voici la semaine
Des divertissemens pieux.
On va de neuvaine en neuvaine ,
Dans chaque église on se promène;
Chaque autel y charme les yeux;
Le luxe et la pompe mondaine
Y brillent à l'honneur des cieux.
Là, maint agile énergumène
Sert d'arlequin dans ces saints lieux;
Le moine ignorant s'y démène ,
Récitant à perte d'haleine
Ses orémus mystérieux ,
Et criant d'un ton furieux :
« Fora, fora, par saint Eugène! t
Rarement la semonce est vaine ;
Diable et fra s'entendent bien mieux,
L'un à l'autre obéit sans peine.
Sur des objets plus gracieux
La diversité me ramène.
PO!i:SIES DIVERSES.
Dans ce temple délicieux,
Où ma dévotion m'entraîne,
Quelle agitation soudaine
Me rend tous mes sens précieux?
Illumination brillante,
Peintures d'une main savante,
Parfams destinés pour les dieux,
Mais dont la volupté divine
Délecte l'humaine narine
Avant de se porter aux cieuxl
Et toi, musique ravissante.
Du Carcani chef-d'œuvre harmonieux ,
Que tu plais quand Catine chante!
Elle charme à la fois notre oreille et nos yeux.
Beaux sons, que votre effet est tendre!
Heureux l'amant qui peut s'attendre
D'occuper en d'autres momens
La bouche qui vous fait entendre ,
A des soins encor plus charmans!
Mais ce qui plus ici m'enchante ,
C'est mainte dévote piquante.
Au teint frais, à l'œil tendre et doux.
Qui, pour éloigner tout scrupule,
Vient à la Vierge, à deux genoux.
Offrir, dans l'ardeur qui la brûle.
Tous les vœux qu'elle attend de nous.
Tels sont les familiers colloques,
Tels sont les ardens soliloques.
Des gens dévols en ce saint lieu.
Ma foi, je ne m'étonne guères,
Quand on fait ainsi ses prières.
Qu'on ait du goût à prier Dieu.
VERS POUR MADAME DE FLEURIEU,
Qui , m'ayanl vu dans une assemblée sans que j'eusse l'honneur d'Clre connu
d'elle, dit à M. l'inlendanl de Lyon quo je paroissois avoir de l'esprit, el
qu'elle le gageroil sur ma seule pliysionomie.
Déplacé par le sort, trahi par la tendresse,
Mes maux sont comptés par mes jours :
Imprudent quelquefois, persécuté toujours.
Souvent le châtiment surpasse la foiblesse.
0 fortune! à ton gré comble-moi de rigueurs;
Mon cœur regrette peu tes frivoles grandeurs,
De tes biens inconstans sans peine il te tient quitte.
Un seul dont je jouis ne dépend point de toi :
La divine Fleurieu m'a jugé du mérite;
Ma gloire est assurée et c'est assez pour moi.
POÉSIES DIVERSES.
ÉPITRE A M. BORDES.
Toi qu'aux jeux du Parnasse Apollon même guide,
Tu daignes exciter une muse timide;
De mes foibles essais juge trop indulgent,
Ton goût à ta bonté cède en m'encourageant.
Mais, hélas! je n'ai point, pour tenter la carrière.
D'un athlète animé l'assurance guerrière;
Et, dès les premiers pas, inquiet et surpris.
L'haleine m'abandonne, et je renonce au prix.
Bordes, daigne juger de toutes mes alarmes:
Vois quels sont les combats, et quelles sont les armes.
Ces lauriers sont bien doux, sans doute, à remporter ;
Mais quelle audace à moi d'oser les disputer!
Quoi! j'irois sur le ton de ma lyre rustique
Faire jurer en vers une muse helvétique:
Et. prêchant durement de tristes vérités,
Révolter contre moi les lecteurs irrités!
Plus heureux^ si tu veux, encor que téméraire,
Quand mes foibles talens trouveroienl l'art de plaire;
Quand, des sifflets publics par bonheur préservés,
Mes vers des gens de goût pcmrroient être approuvés.
Dis-moi sur quel sujet s'exercera ma muse.
Tout poète est menteur, et le métier l'excuse;
Il sait en mots pompeux faire d'un riche fat
Un nouveau Mécénas, un pilier de l'État.
Mais moi. qui connois peu les usages de France,
Moi, lier républicain que blesse l'arrogance.
Du riche impertinent je dédaigne l'appui.
S'il le faut mendier en rampant devant lui ,
Et ne sais applaudir qu'à toi, qu'au vrai mérite :
La solte vanité me révolte et m'irrite.
Le riche me méprise ; et , malgré son orgueil ,
Nous nous voyons souvent à peu près de même œiL
Mais, quelque haine en moi que le travers inspire,
Mon cœur sincère et franc abhorre la satire :
Trop découvert peut-être, et jamais criminel.
Je dis la vérité sans l'abreuver de fiel.
Ainsi toujours ma plume, implacable ennemis
Et de la flatterie et de la calomnie.
Ne sait point en ses vers trahir la vérité;
Et, toujours accordant un tribut mérité,
Toujours prête à donner des louanges acquises.
Jamais d'un vil Crésus n'encensa les sottises.
0 vous qiM dans le sein d'une humble obscurité
Nourrissez les vertus avec la pauvreté,
Dont les désirs bornés dans la sage indigence
10 POÉSIES DIVERSES.
Méprisent sans orgueil une vaine abondance,
Restes trop précieux de ces antiques temps
Où des moindres apprêts nos ancêtres contens,
Recherchés dans leurs mœurs, simples dans leur parure,
Ne sentoient de besoins que ceux de la nature:
Illustres malheureux, quels lieux habitez-vous?
Dites, quels sont vos noms? Il me sera trop doux
D'exercer mes talens à chanter votre gloire ,
A vous éterniser au temple de mémoire;
Et quand mes foibles vers n'y pourroient arriver ,
Ces noms si respectés sauront les conserver.
Mais pourquoi m'occuper d'une vaine chimère?
Il n'est plus de sagesse où règne la misère ;
Sous le poids de la faim le mérite abattu
Laisse en un triste cœur éteindre la vertu.
Tant de pompeux discours sur l'heureuse indigence
M'ont bien l'air d'être nés du sein de l'abondance :
Philosophe commode , on a toujours grand soin
De prêcher les vertus dont on n'a pas besoin.
Bordes, cherchons ailleurs des sujets pour ma muse;
De la pitié qu'il fait souvent le pauvre abuse,
Et, décorant du nom de sainte charité
Les dons dont on nourrit sa vile oisiveté ,
Sous l'aspect des vertus que l'infortune opprime
Cache l'amour du vice et le penchant au crime
J'honore le mérite aux rangs les plus abjects ;
Mais je trouve à louer peu de pareils sujets.
Non , célébrons plutôt l'innocente industrie
Qui sait multiplier les douceurs de la vie,
Et, salutaire à tous dans ses utiles soins,
Par la route du luxe apaise les besoins.
C'est par cet art charmant que sans cesse enrich
On voit briller au loin ton heureuse patrie'.
Ouvrages précieux, superbes ornemens,
On diroit que Minerve, en ses arausemens,
Avec l'or et la soie a d'une main savante
Formé de vos dessins la tissure élégante.
Turin, Londres, en vain, pour vous le disputer,
Par de jaloux efforts veulent vous imiter :
Vos mélanges charmans , assortis par les Grâces ,
Les laissent de bien loin s'épuiser sur vos traces.
Le bon goût les dédaigne, et triomphe chez vous;
Et, tandis qu'entraînés par leur dépit jaloux.
Dans leurs ouvrages froids ils forcent la nature,
Votre vivacité , toujours brillante et pure ,
Donne à ce qu'elle pare un œil plus délicat,
4 La ville de Lyon. /
POÉSIES DIVERSES. 11
Et même à la beauté prête encor de l'éclat.
Ville heureuse, qui fais l'ornement de la France,
Trésor de l'univers, source de l'abondance,
Lyon , séjour charmant des enfans de Plutus .
Dans tes tranquilles murs tous les arts sont reçus :
D'un sage protecteur le goût les y rassemble;
Apollon et Plutus, étonnés d'être ensemble,
De leurs longs différends ont peine à revenir.
Et demandent quel dieu les a pu réunir.
On reconnoît tes soins , Fallu ' : tu nous ramènes
Les siècles renommés et de Tyr et d'Athènes :
De mille éclats divers Lyon brille à la fois,
Et son peuple opulent semble un peuple de rois.
Toi, digne citoyen de cette ville illustre,
Tu peux contribuer à lui donner du lustre,
Par tes heureux talens tu peux la décorer ,
Et c'est lui faire un vol que de plus différer.
Comment oses-tu bien me proposer d'écrire ,
Toi que Minerve même avoit pris soin d'instruire,
Toi, de ses dons divins possesseur négligent.
Qui viens parler pour elle encore en l'outrageant?
Ah ! si du feu divin qui brille en ton ouvrage
Une étincelle au moins eût été mon partage,
Ma muse quelque jour, attendrissant les cœurs.
Peut-être sur la scène eût fait couler des pleurs.
Mais je te parle en vain-, insensible à mes plaintes,
Par de cruels refus tu confirmes mes craintes.
Et je vois qu'impuissante à fléchir tes rigueurs,
Blanche' n'a pas encore épuisé ses malheurs.
ÉPITRE A M. PARISOT ,
ACHEVÉE t,E iO JUILt-ET <742.
Ami, daigne souffrir qu'à tes yeu-x aujourd'hui
Je dévoile ce cœur plein de trouble et d'ennui :
Toi qui connus jadis mon âme tout entière .
Seul en qui je trouvois un ami tendre, un père,
Rappelle encor pour moi tes premières bontés ;
Rends tes soins à mon cœur, il les a mérités.
Ne crois pas qu'alarmé par de frivoles craintes
De ton silence ici je te fasse des plaintes;
Que par de faux soupçons, indignes de tous deux,
Je puisse t'accuser d'un mépris odieux.
4. Intendant de Lyon.
•2. Blanche de Bourbon, tragédie de M. Bol des, qu'au grand rcgrel de ses
mis il refuse conslamraenl de mellrc au liicàlrc.
POÉSIES DIVERSES.
Non, tu voudrois en vain t'obstiner à te taire :
Je sais trop expliquer ce langage sévère
Sur ce triste projet que je t'ai dévoilé;
Sans m'avoir répondu, ton silence a parlé.
Je ne m'excuse point dès qu'un ami me blâme;
Le vil orgueil n'est pas le vice de mon âme :
J'ai reçu quelquefois de solides avis
Avec bonté donnés , avec zèle suivis.
J'ignore ces détours dont les vaines adresses
En autant de vertus transforment nos foiblesses,
Et jamais mon esprit, sous de fausses couleurs,
Ne sut à tes regards déguiser ses erreurs.
Mais qu'il me soit permis, par un soin légitime,
De conserver du moins des droits à ton estime :
Pèse mes sentimens, mes raisons, et mon choix,
Et décide mon sort pour la dernière fois.
Né dans l'obscurité, j'ai fait dès mon enfance
Des caprices du sort la triste expérience:
Et s'il est quelque bien qu'il ne m'ait p.oint ôlé,
Même par ses faveurs il m'a persécuté.
Il m'a fait naître libre, hélas! pour quel usage?
Qa"il m'a vendu bien cher un si vain avantage !
Je suis libre en effet; mais de ce bien cruel
J'ai reçu plus d'ennui que d'un malheur réel.
Ah! s'il falloit un jour, absent de ma patrie,
Traîner chez l'étranger ma languissante vie.
S'il falloit bassement ramper auprès des grands.
Que n'en ai-je appris l'art dès mes plus jeunes ans!
Mais sur d'autres leçons on forma ma jeunesse.
On me dit de remplir mes devoirs sans bassesse.
De respecter les grands, les magistrats, les rois.
De chérir les humains, et d'obéir aux lois :
Mais on m'apprit aussi qu'ayant par ma naissance
Le droit de partager la suprême puissance.
Tout petit que j'étois, foible, obscur citoyen,
Je faisois cependant membre du souverain;
Qu'il falloit soutenir un si noble avantage
Par le cœur d'un héros, par les vertus d'un sage;
Qu'enfin la liberté, ce cher présent des cieux.
N'est qu'un fléau fatal pour les cœurs vicieux.
Avec le lait, chez nous, on suce ces maximes.
Moins pour s'enorgueillir de nos droits légitimes
Que pour savoir un jour se donnw à la fois
Les meilleurs magistrats et les plus sages lois.
a 'Vois-tu, me disoit-on, ces nations puissantes
Fournir rapidement leurs carrières brillantes?
Tout ce vain appareil qui remplit l'univers
N'est qu'un frivole éclat qui leur cache leurs ï^vs.
POÉSIES DIVERSES. 13
Par leur propre valeur ils forgent leurs entraves :
Ils font les conquérans, et sont ds vils esclaves;
Et leur vaste pouvoir, que l'art avoit produit,
Par le luxe bientôt se retrouve détruit.
Un soin bien différent ici nous intéresse,
Notre plus grande force est dans notre foiblesse :
Nous vivons sans regret dans l'humble obscurité ;
Mais du moins dans nos murs on est en liberté.
Nous n'y connoissons point la superbe arrogance,
Nuls titres fastueux, nulle injuste puissance.
De sages magistrats, établis par nos voix.
Jugent nos différends, font observer nos lois.
L'art n'est point le soutien de notre république :
Être juste est chez nous l'unique politique;
Tous les ordres, divers sans inégalité.
Gardent chacun le rang qui leur est affecté.
Nos chefs, nos magisLrats, simples dans leur parure,
Sans étaler ici le luxe et la dorure ,
Parmi nous cependant ne sont point confondus :
Ils en sont distingués, mais c'est par leurs vertus.
Puisse durer toujours cette union charmante!
Hélas! on voit si peu de probité constante!
Il n'est rien que le temps ne corrompe à la fin:
Tout, jusqu'à la sagesse, est sujet au déclin.»
Par ces réflexions ma raison exercée
M'apprit à mépriser celte pompe insensée
Par qui l'orgueil des grands brille de toutes parts,
Et du peuple imbécile attire les regards.
Mais qu'il m'en coûta cher quand, pour toute ma vie,
La foi m'eut éloigné du sein de ma patrie;
Quand je me vis enlin, sans appui, sans secours,
A ces mêmes grandeurs contraint d'avoir recours!
Non, je ne puis penser, sans répandre des larmes.
A ces momens affreux, pleins de trouble et d'alarmes,
Où j'éprouvai qu'enfin tous ces beaux sentimens.
Loin d'adoucir mon sort, irritoient mes tourmens.
Sans doute à tous les yeux la misère est horrible :
Mais pour qui sait penser elle est bien plus sensible.
A force de ramper un lâche en peut sortir :
L'honnête homme à ce prix n'y sauroit consentir.
Encor si de vrais grands recevoient mon hommage,
Ou qu'ils eussent du moins le mérite en partage.
Mon cœur par les respects noblement accordés
Reconnoîtroit des dons qu'il n'a pas possédés :
Mais faudra-t-il qu'ici mon humble obéissance
De ces fiers campagnards nourrisse l'arrogance?
Quoi! de vils parchemins, par faveur obtenus.
Leur donneront le droit de vivre sans vertus !
Ik POÉSIES DIVERSES.
Et, malgré mes efforts, sans mes respects serviles,
Mon zèle et mes talens resteront inutiles!
Ah ! de mes tristes jours voyons plutôt la fin
Que de jamais subir un si lâche destin.
Ces discours insensés troubloient ainsi mon âme;
Je les tenois alors; aujourd'hui je les blâme :
De plus sages leçons ont formé mon esprit;
Mais de bien des malheurs ma raison est le fruit.
Tu sais, cher Parisot, quelle main généreuse
Vint tarir de mes maux la source malheureuse;
Tu le sais, et tes yeux ont été les témoins
Si mon cœur sait sentir ce qu'il doit à tes soins.
Mais mon zèle enflammé peut-il jamais prétendre
De payer les bienfaits de cette mère tendre?
Si par les sentimens on y peut aspirer.
Ah ! du moins par les miens j"ai droit de l'espérer.
Je puis compter pour peu ses bontés secourables;
Je lui dois d'autres biens, des biens plus estimables,
Les biens de la raison, les sentimens du cœur,
Même par les talens quelques droits à l'honneur.
Avant que sa bonté, du sein de la misère,
Aux plus tristes besoins eût daigné me soustraire,
J'étois un vil enfant, du sort abandonné,
Peut-être dans la fange à périr destiné,
Orgueilleux avorton, dont la fierté burlesque
Mèloit comiquement l'enfance au romanesque,
Aux bons faisoit pitié, faisoit rire les fous.
Et des sots quelquefois excitoit le courroux.
Mais les hommes ne sont que ce qu'on les fait être .
A peine à ses regards j'avois osé paroître,
Que, de ma bienfaitrice apprenant mes erreurs.,
Je sentis le besoin de corriger mes mœurs :
J'abjurai pour toujours ces maximes féroces,
Du préjugé natal iruits amers et précoces,
Qui dès les jeunes ans, par leurs acres levains,
Nourrissent la fierté des cœurs républicains;
J'appris à respecter une noblesse illustre,
Qui même à la vertu sait ajouter du lustre.
Il ne seroit pas bon dans la société
Qu'il fût entre les rangs moins d'inégalité.
Irai-je faire ici, dans ma vaine marotte,
Le grand déclamateur , le nouveau don Quichotte ?
Le destin sur la terre a réglé les états ,
Et pour moi sûrement ne les changera pas.
Ainsi de ma raison si longtemps languissante
Je me formai dès lors une raison naissante :
Par les soins d'une mère incessamment conduit,
Bientôt de ses bontés je recueillis le fruit
POÉSIES DIVERSES. 15
Je connus que surtout cette roideur sauvage
Dans le monde aujourd'hui seroit d'un triste usage;
La modestie alors devint chère à mon cœur;
Jairaai l'humanité, je chéris la douceur;
Et, respectant des grands le rang et la naissance,
Je souffris leurs hauteurs, avec cette espérance
Que, malgré tout l'éclat dont ils sont revêtus,
Je les pourrai du moins égaler en vertus.
Enfin, pendant deux ans, au sein de ta patrie,
J'appris à cultiver les douceurs de la vie.
Du Portique autrefois la triste austérité
A mon goût peu formé raêloit sa dureté :
Épictète et Zenon, dans leur fierté sloiique,
Me faisoient admirer ce courage héroïque
Qui. faisant des faux biens un mépris généreu.x ,
Par la seule vertu prétend nous rendre heureux
Longtemps de cette erreur la brillanle chimère
Séduisit mon esprit, roidit mon caractère:
Mais, malgré tant d'efforts, ces vaines fictions
Ont-elles de mon cœur banni les passions?
Il n'est permis qu'à Dieu, qu'à l'essence suprême,
D'être toujours heureuse . et seule par soi-même :
Pour l'homme, tel qu'il est pour l'esprit et le cœur,
Otez les passions, il n'est plus de bonheur.
C'est toi, cher Parisot, c'est ton commerce aimable,
De grossier que j'étois, qui me rendit traitable :
Je reconnus alors combien il est charmant
De joindre à la sagesse un peu d'amusement.
Des amis plus polis, un climat moins sauvage.
Des plaisirs innocens m'enseignèrent l'usage :
Je vis avec transport ce spectacle enchanteur
Par la route des sens qui sait aller au cœur.
Le mien, qui jusqu'alors avoit été paisible,
Pour la première lois enfin devint sensible :
L'amour, malgré mes soins, heureux de m'égarer,
Auprès de deux beaux yeux m'apprit à soupirer.
Bons mots, vers élégans, conversations vives,
Un repas égayé par d'aimables convives ,
Petits jeux de commerce et d'où le chagrin fuit
Où, sans risquer la bourse, on délasse l'esprit;
En un mot, les attraits d'une vie opulente,
Qu'aux vœux de l'étranger sa richesse présente,
Tous les plaisirs du goût, le charme des beaux-arts,
A mes yeux enchantés brilloient de toutes parts.
Ce n'est pas cependant que mon âme égarée
Donnât dans le travers d'une mollesse outrée :
L'innocence est le bien le plus cher à mon cœur;
La débauche et l'excès sont des objets d'horreur . •
16 POÉSIES DIVERSES.
Les coupables plaisirs sont les tourmens de i'âme,
Jls sont trop achetés s'ils sont dignes de blâme.
Sans doute le plaisir, pour être un bien réel,
Doit rendre l'homme heureux et non pas criminel :
Mais il n'est pas moins vrai que de notre carrière
Le ciel ne défend pas d'adoucir la misère;
Et, pour finir ce point trop longtemps débattu,
Rien ne doit être outré, pas même la vertu.
Voilà de mes erreurs un abrégé fidèle :
C'est à toi de juger, ami, sur ce modèle.
Si je puis, près des grands implorant de l'appui,
A la fortune encor recourir aujourd'hui.
De la gloire est-il temps de rechercher le lustre?
Me voici presque au bout de mon sixième lustre :
La moitié de mes jours dans l'oubli sont passés,
Et déjà du travail mes esprits sont lassés.
Avide de science , avide de sagesse ,
Je n'ai point aux plaisirs prodigué ma jeunesse :
J'osai d'un temps si cher faire un meilleur emploi ;
L'étude et la vertu furent la seule loi
Que je me proposai pour régler nca conduite;
Mais ce n'est point par art qu'on acquiert du mérite
Que sert un vain travail par le ciel dédaigné ,
Si de son but toujours on se voit éloigné?
Comptant par mes talens d'assurer ma fortune,
Je négligeai ces soins, cette brigue importune,
Ce manège subtil, par qui cent ignorans
Ravissent la faveur et les bienfaits des grands.
Le succès cependant trompe ma confiance :
De mes foibles progrès je sens peu d'espérance,
Et je vois qu'à juger par des effets si lents
Pour briller dans le monde il faut d'autres talens.
Et, qu'y ferois-je, moi, de qui l'abord timide
Ne sait point affecter cette audace intrépide,
Cet air content de soi, ce ton fier et joli
Qui du rang des badauds sauve l'iiomme poli?
Faut-il donc aujourd'hui m'en aller dans le monde
Vanter impudemment ma science profonde ,
Et, toujours en secret démenti par mon cœur.
Me prodiguer l'encens et les degrés d'honneur?
Faudra-t-il, d'un dévot affectant la grimace.
Faire servir le ciel à gagner une place ,
Et, par l'hypocrisie assurant mes projets.
Grossir l'heureux essaim de ces hommes parfaits.
De ces humbles dévots, de qui la modestie
Compte par leurs vertus tous les jours de leur vie
Pour glorifier Dieu leur bouche a tour à tour
Quelque nouvelle grâce à rendre chaque jour.
POÉSIES DIVERSES 17
Mais l'orgueilleux en vain, d'une adresse ciirétienne,
Sous la gloire de Dieu veut étaler la sienne :
L'homme vraiment sensé fait le mépris qu'il doit
Des mensonges du fat, et du sot qui les croit.
Non, je ne puis forcer mon esprit, né sincère,
A déguiser ainsi mon propre caractère;
Il en coûteroit trop de contrainte à mon cœur :
A cet indigne prix je renonce au bonlieur.
D'ailleurs il faudroit donc, fils lâche et mercenaire,
Trahir indignement les bontés d'une mère ,
Et, payant en ingrat tant de bienfaits reçus,
Laisser à d'autres mains les soins qui lui sont dus.
Ah ! ces soins sont trop chers à ma reconnoissance :
Si le ciel n'a rien mis de plus en ma puissance,
Du moins d'un zèle pur les vœux trop mérités
Par mon cœur chaque jour lui seront présentés.
Je sais trop , il est vrai , que ce zèle inutile
Ne peut lui procurer un destin plus tranquille :
En vain dans sa langueur je veux la soulager;
Ce n'est pas les guérir que de les partager.
Hélas ! de ses tourmens le spectacle funeste
Bientôt de mon courage étouffera le reste :
C'est trop lui voir porter, par d'éternels efforts,
Et les peines de l'âme et les douleurs du corps.
Que lui sert de chercher dans cette solitude
A fuir l'éclat du monde et son inquiétude.
Si jusqu'en ce désert, à la paix destiné.
Le sort lui donne encore, à lui nuire acharné,
D'un affreux procureur le voisinage horrible.
Nourri d'encre et de fiel, dont la griffe terrible
De ses tristes voisins est plus crainte cent fois
Que le hussard cruel du pauvre Bavarois?
Mais c'est trop t'accabler du récit de nos pe'nes :
Daigne mé pardonner, ami, ces plaintes vaines;
C'est le dernier des biens permis aux malheureux,
De voir plaindre leurs maux par les cœurs généreux.
Telle est de mes malheurs la peinture naïve.
Juge de l'avenir sur cette perspective;
Vois si je dois encor, par des soins impuissans,
Offrir à la fortune un inutile encens.
Non, la gloire n'est point l'idole de mon âme;
Je n'y sens point brûler cette divine flamme
Qui, d'un génie heureux animant les ressorts-.
Le force à s'élever par de nobles efforts.
Que m'importe après tout ce que pensent les hommes?
Leurs honneurs, leurs mépris font-ils ce que nous sommes?
Et qui ne sait pas l'art de s'en faire ad-nirer
A la félicité ne peut-il aspirer?
Kl>ij~s*-,AU VJ' 2
18 POÉSIES DIVERSES.
L'ardente ambition a l'éclat en partage,
Mais les plaisirs du cœur font le bonheur du sage.
Que ces plaisirs sont doux à qui sait les goûter!
Heureux qui les connoît et sait s'en contenter!
Jouir de leurs douceurs dans un état paisible.
C'est le plus cher désir auquel je suis sensible.
Un bon livre, un ami, la liberté, la paix.
Faut il pour vivre heureux former d'autres souhaits?
Les grandes passions sont des sources de peine :
J'évite les dangers où leur penchant entraîne;
Dans leurs pièges adroits si l'on me voit tomber,
Du moins je ne fais pas gloire d'y succomber.
De mes égaremens mon cœur n'est point complice;
Sans être vertueux je déteste le vice ;
Et le bonheur en vain s'obstine à se cacher,
Puisqu'enfin je connois où je dois le chercher.
L'ALLÉE DE SYLVIE'.
Qu'à m'égarer dans ces bocages
Mon cœur goûte de voluptés!
Que je me plais sous ces ombrages!
Que j'aime ces flots argentés !
Douce et charmante rêverie,
Solitude aimable et chérie,
Puissiez-vous toujours me charmer!
De ma triste et lente carrière
Rien n'adouciroit la misère
Si je cessois de vous aimer.
Fuyez de cet heureux asile ,
Fuyez de mon âme tranquille.
Vains et tumultueux projets;
Vous pouvez promettre sans cesse
Et le bonheur et la sagesse.
Mais vous ne les donnez jamais.
Quoi ! l'homme ne pourra-t-il vivre,
A moins que son cœur ne se livre
Aux soins d'un douteux avenir?
Et si le temps coule si vite,
Au lieu de retarder sa fuite.
Faut-il encor la prévenir?
Oh! qu'avec moins de prévoyance
La vertu , la simple innocence,
For.t des heureux à peu de frais!
Si peu de bien suffit au sage ,
«. Dans le parc do Chenonecaux. (Eu.)
POÉSIES DIVERSES. 19
Qu'avec le plus léger partage
Tous ses désirs sont satisfaits.
Tant de soins, tant de prévoyance.
Sont moins des fruit-; de la prudence
Que des fruits de l'ambition.
L'hommî conte;.t du nécessaire
Craint peu la fortune contraire,
Quand son cœur est sans passin.
Passions, source de délices.
Passions, source de supplices;
Cruels tyrans, doux séducteurs,
Sans vos fureurs impétueuses ,
Sans vos amorces dangereuses,
La paix seroit dans tous les cœurs.
Malheur au mortel méprisable
Qui dans son âme insatiable
Nourrit l'ardente soif de l'or!
Que du vil penchant qui l'entraîne
Chaque instant il trouve la peine
Au fond même de son trésor!
Malheur à l'âme ambitieuse
De qui l'insolence odieuse
Veut asservir tous les humains!
Qu'à ses rivaux toujours en butte,
L'abîme apprêté pour sa chute
Soit creusé de ses propres mains! »
Malheur à tout homme farouche,
A tout mortel que rien ne touche
Que sa propre félicité !
Qu'il éprouve dans sa misère.
De la part de son propre frère,
La même insensibilité 1
Sans doute un cœur né pour le crimo
Est fait pour être la victime
De ces affreuses passions-,
Mais jamais du ciel condamnée
On ne vit une âme bien née
Céder à leurs séductions.
11 en est de plus dangereuses.
De qui les amorces flatteuses
Déguisent bien mieux le poison,
Et qui toujours, dans un cœur tendre,
Commencent à se faire entendre
En faisant taire la raison :
Mais du moins leurs leçons charmantes
N'imposent que d'aimables lois;
La haine et ses fureurs sanglantes
S'endorment à leur douce voix.
20 POÉSIES Diverses.
Des sentimens si légitimes
Seront-ils toujours combattus?
Nous les mettons au rang des crimes
Ils devroient être des vertus.
Pourquoi de ces penchans aimables
Le ciel nous fait-il un tourment?
Il en est tant de plus coupables
Qu'il traite moins sévèrement 1
0 discours trop remplis de charmes.
Est-ce à moi de vous écouter ?
Je fais avec mes propres armes
Les maux que je veux éviter.
Une langueur enchanteresse
Me poursuit jusqu'en ce séjour;
J'y veux moraliser sans cesse ,
Et toujours j'y songe à l'amour.
Je sens qu'une âme plus tranquille.
Plus exempte de tendres soins,
Plus libre en ce charmant asile,
Philosopheroit beaucoup moins.
Ainsi du feu qui me dévore
Tout sert à fomenter l'ardeur :
Hélas! n'est-il pas temps encore
Que la paix règne dans mon eœur'/
Déjà de mon septième lustre
Je vois le terme s'avancer;
Déjà la jeunesse et son lustre
Chez moi commence à s'effacer.
La triste et sévère sagesse
Fera bientôt fuir les amours;
Bientôt la pesante vieillesse
Va succéder à mes beaux jours.
Alors les ennuis de la vie
Chassant l'aimable volupté,
• On verra la philosophie
Naître de la nécessité ;
On me verra par jalousie,
Prêcher mes caduques vertus,
Et souvent blâmer par envie
Les plaisirs que je n'aurai plus.
Mais malgré les glaces de l'âge,
Raison, malgré ton vain effort,
Le sage a souvent fait naufrage
Quarid il croyoit toucher au port.
0 sagesse, aimable chimère,
Douce illusion de nos cœurs ,
C'est sous ton divin caractère
Que nou' encensons nos erreurs.
POÉSIES DIVERSES. %l
Chaque borcme t'habille à sa mode;
Sous le masque le plus commode
A leur propre félicité
Ils déguisent tous leur foiblesse ,
Et donnent le nom de sagesse
Au penchant qu'ils ont adopté.
Tel, chez la jeunesse étourdie,
Le vice instruit par la folie,
Et d'un faux titre revêtu ,
Sous le nom de philosophie,
Tend des pièges à la vertu.
Tel, dans une route contraire,
On voit le fanatique austère
En guerre avec tous ses désirs,
Peignant Dieu toujours en colère.
Et ne s'attachant, pour lui plaire, ,
Qu'à fuir la joie et les plaisirs.
Ah! s'il existoit un vrai sage.
Que, différent en son langage,
Et plus différent en ses mœurs,
Ennemi des vils séducteurs.
D'une sagesse plus aimable ,
D'une vertu plus sociable.
Il joindroit le juste milieu
A cet hommage pur et tendre
Que tous les cœurs auroient dû rendre
Aux grandeurs, aux bienfaits de Dieu!
ÉPITRE A M. DE L'ÉTANG , VICAIRE DE MARCOUSSIS.
En dépit du destin jaloux,
Cher abbé, nous irons chez vous.
Dans votre franche politesse,
Dans votre gaieté sans rudesse,
Parmi vos bois et vos coteaux
Nous irons chercher le repos;
Nous irons chercher le remède
Au triste ennui qui nous possède,
A ces affreux charivaris ,
A tout ce fracas de Paris.
O ville où règne l'arrogance ,
Où les plus grands frinons de Franco
Régentent les honnêtes gens.
Où les vertueux indigens
Sont des objets de raillerie;
Ville où la charlatanerie,
Le ton haut, les airs insolens,
12 POÉSIES DIVERSES.
Écrasent les humbles talens
Et tyrannisent la foi tune;
Ville où l'auteur de Rodoguns
A rampé devant Chapelain;
Où d'un petit magot vilain
L'amour fit le héros des belles;
Où tous les roquets des ruelles
Deviennent des hommes d'État;
Où le jeune et beau magistrat
Étale, avec les airs d'un fat,
Sa perruque pour tout mérite;
Où le savant, bas parasite,
Chez Aspasie ou chez Piiryné
Vend de l'esprit pour un dîné :
Paris, malheureux qui t'habite I
Mais plus malheureux mille fois
Qui t'habite de son pur choix.
Et dans un climat plus tranquille
Ne sait point se faire un asile
Inabordable aux noirs soucis.
Tel qu'à mes yeux est Marcoussis î
Marcoussis qui sait tant nous plaire;
Marcoussis dont pourtant j'espère
■Vous voir partir un beau matin
Sans vous en pendre de chagrin!
Accordez donc, mon cher vicai e,
Votra demeure hospitalière
A gens dont le soin le plus doux
Est d'aller passer près de vous
Les momens dont ils sont les maîtrei.
Nous connoissons déjà les êtres
Du pays et de la maison;
Nous en chérissons le patron,
Et désirons, s'il est possible.
Qu'à tous autres inaccessible,
Il destine en notre faveur
Son loisir et sa bonne humeur.
De plus, prières des plus vives
D'éloigner tous fâcheux convives,
Taciturnes, mauvais plaisans.
Ou beaux parleurs, ou médisans.
Point de ces gens que Dieu confonde,
De ces sots dont Paris abonde ,
Et qu'on y nomme beaux esprits,
Vendeurs de fumée à tout prix
Au riche faquin qui les gâte.
Vils flatteurs de qui les empâte.
Plus vils détracteurs du bon sens
POÉSIES DIVERSES. 23
De qui méprise leur encens.
Point de ces fades petits-maîtres,
Point de ces hobereaux champêtres
Tout fiers de quelques vains aïeux
Presque aussi méprisables qu'eux.
Point de grondeuses pies-grièches,
Voix aigre, teint noir, et mains sèches;
Toujours syndiquant les appas
Et les plaisirs qu'elles n'ont pas,
Dénigrant le prochain par zèle ,
Se donnant à tous pour modèle ,
Médisantes par charité,
Et sages par nécessité.
Point de Crésus. point de canaille;
Point surtout de cette racaille
Que l'on appelle grands seigneurs,
Fripons sans probité , sans moeurs ,
Se raillant du pauvre vulgaire
Dont la vertu fait la chimère;
Mangeant fièrement notre bien,
Exigeant tout, n'accordant rien,
Et dont la fausse politesse,
Rusant, patelinant sans cesse.
N'est qu'un piège adroit pour duper
Le sot qui s'y laisse attraper.
Point de ces fendans militaires
A l'air rogue. aux mines altières,
Fiers de commander des goujats,
Traitant chacun du haut en bas.
Donnant la loi, tranchant du maître,
Bretailleurs , fanfarons peut-être,
Toujours prêts à battre ou tuer,
Toujours parlant de leur métier,
El cent fois plus pédans, me semble,
Que tous les ergoteurs ensemble.
Loin de nous tous ces ennuyeux!
Mais si, par un sort plus heureux,
II se rencontre un honnête homme
Qui d'aucun grand ne se renomme,
Qui soit aimable comme vous ,
Qui sache rire avec les fous
Et raisonner avec le sage ,
Qui n'affecte point de langage ,
Qui ne dise point de bon mot,
Qui ne soit pas non plus un sot,
Qui soit gai sans chercher à l'être.
Qui soit instruit sans le paroître ,
Qui ne rie que par gaieté ,
S4 POÉSIES DIVERSES.
Et jamais par malignité,
De moeurs droites sans être austères,
Qui soit simple dans ses manières,
Qui veuille vivre pour autrui ,
Afin qu'on vive aussi pour lui ;
Qui sache assaisonner la table
D'appétit, d'humeur agréable;
Ne voulant point être admiré,
Ne voulant point être ignoré,
Tenant son coin comme les autres,
Mêlant ses folies aux nôtres,
Raillant sans jamais insulter,
Raillé sans jamais s'emporter,
Aimant le plaisir sans crapule,
Ennemi du petit scrupule ,
Buvant sans risquer sa raison,
Point philosophe hors de saison;
En un mot d'un tel caractère
Qu'avec lui nous puissions nous plaire,
Qu'avec nous il se plaise aussi :
S'il est un homme fait ainsi,
Donnez-le-nous, je vous supplie,
Mettez-le en notre compagnie;
Je brûle déjà de le voir.
Et de l'aimer, c'est mon devoir;
Mais c'est le vôtre, il faut le dire.
Avant que de nous le produire,
De le connoître. C'est assez;
Montrez-le-nous si vous osez.
IMITATION LIBRE D'UNE CHANSON ITALIENNE DE MÉTASTASE', j
Grâce à tant de tromperies, '
Grâce à tes coquetteries,
Nice, je respire enfin.
Mon cœur, libre de sa chaîne,
Ne déguise plus sa peine;
Ce n'est plus un songe vain.
Toute ma flamme est éteinte :
Sous une colère feinte
L'amour ne se cache plus.
Qu'on te nomme en ton absence,
Qu'on t'adore en ma présence.
Mes sens n'en sont point émus.
<. M. de Nivernois a réclamé celle pièce, qui n'a élé attribuée à Rousseau A
que par les premiers éditeurs de ses OEuvres. Jean-Jacques ne s'est jarpais 1
donné pour en être l'auteur. Ou ignore l'époque où elle fut composée. (Éd.) '
POÉSIES DIVERSES. 2^
En paix sans toi je sommeille ;
Tu n'es plus, quand je m'éveille,
Le premier de mes désirs.
Bien de ta part ne m'agite;
Je t'aborde et je te quitte
Sans regrets et sans plaisirs.
Le souvenir de tes charmes,
Le souvenir de mes larmes,
Ne fait nul eiïet sur moi.
Juge enfin comme je t'aime :
Avec mon rival lui-même
Je pourrois parler de toi.
Sois fière , sois inhumaine ,
Ta fierté n'est pas moins vaine
Que le seroit ta douceur.
Sans être ému je t'écoute,
Et tes yeux n'ont plus de roule
Pour pénétrer dans mon cœur.
D'un mépris, d'une caresse,
Mes plaisirs ou ma tristesse
Ne reçoivent plus la loi.
Sans toi j'aime les bocages;
L'horreur des antres sauvages
Peut me déplaire avec toi.
Tu me parois encor belle;
Mais, Nice, tu n'es plus cello
Dont mes sens sont enchantés.
Je vois, devenu plus sage,
Des défauts sur ton visage
Qui me sembloient des beauté.s.
Lorsque je brisai ma chaîne.
Dieux t que j'éprouvai de peine î
Hélas! je crus en mourir;
Mais, quand on a du courage,
Pour se tirer d'esclavage
Que ne peut-on point souffrir !
Ainsi du piège perfide
Un oiseau simple et timide
Avec effort échappé,
Au prix des plumes qu'il laisse,
Prend des leçons de sagesse
Pour n'être plus attrapé.
Tu crois que mon cœur t'adore,
■Voyant que je parle encore
2Ô POÉSIES DIVERSES,
Des soupirs que j'ai poussés :
Mais tel, au port qu'il désire,
Le nocher aime à redire
Les périls qu'il a passés.
Le guerrier couvert de gloire
Se plaît, après la vicloire,
A raconter ses exploits:
Et l'esclave, exempt de peine,
Montre avec plaisir la chaîne
Qu'il a traînée autrefois.
Je m'exprime sans contrainte;
Je ne parle point par feinte,
Pour que tu m'ajoutes foi ;
Et, quoi que tu puisses dire,
Je ne daigne pas m'instruire
Comment tu parles de moi.
Tes appas, beauté trop vaine,
Ne te rendront pas sans peine
Un aussi fidèle amant.
Ma perte est moins dangereuse;
Je sais qu'une autre t ompeuse
Se trouve plus aisément.
ÉNIGME.
Enfant de l'art, enfant de la nature,
Sans prolonger les jours j'empêche de mourir:
Plus je suis vrai, plus je fais d'imposture;
Et je deviens trop jeune à force de vieillir.
VERS A MADEMOISELLE THEODORE',
QUI NE PARLOIT JAMAIS A L'aUTEUR QUE DE MUSIQUli.
Sapho , j'entends ta voix brillante
Pousser des sons jusques aux cieux;
Ton chant nous ravit, nous enchante;
Le Maure ne chante pas mieux.
Mais quoi! toujours des chants ! Crois-tu que l'harmonie
Seule ait droit de borner tes soins et tes plaisirs?
Ta voix, en déployant sa douceur infinie,
Veut en vain sur ta bouche arrêter nos désirs-;
Tes yeux charmans en inspirent mille autres,
Qui méritoient bien mieux d'occuper tes loisirs.
Mlle Théodore éloil de l'Académie rojale de musique. (Éd.)
POÉSIES DIVERSES. 27
Mais tu n'es point, dis-tu, sensible à nos soupirs,
Et tes goûts ne sont point les nôtres.
Quel goût trouves-tu donc à de frivoles sons?
Ah ! sans tes fier- mépris, sans tes rebuts sauvages.
Cette bouche charmante auroit d'autres usages
Bien plus délicieux que de vaines chansons.
Trop sensible au plaisir, quoi que tu puisses dire,
Parmi de froids accords tu sens peu de douceur;
Mais, entre tous les biens que ton âme désire.
En est-il de plus doux que les plaisirs du cœur?
Le mien est délicat, tendre, empressé, fidèle.
Fait pour aimer jusqu'au tombeau.
Si du parfait bonheur tu cherches le modèle,
Aime-moi seulement, et laisse là Rameau.
ÉPIT.^PHE
DE DEUX .'V.M.'^NS QUI SE SONT TUÉS A SAlNT-ÉTIENNE EX FOREZ.
AU MOIS DE JUIN 1770.
Ci gisent deux amans : l'un pour l'autre ils vécurent.
L'un pour l'autre ils sont morts, et les lois en murmurent.
La simple piété n'y trouve qu'un forfait;
Le sentiment admire, et la raison se tait.
STROPHES
Aoulées à celles dont se compose le Siècle pastoral , idylle de Oressel'.
Mais qui nous eût transmis l'histoire
De ces temps de simplicité?
Étoit-ce au temple de mémoire
Qu'ils gravoient leur félicité?
La vanité de l'art d'écrire
L'eût bientôt fait évanouir:
Et. sans songer à le Récrire,
Ils se conteutoient d'en jouir.
Des traditions étrangères
En parlent sans obscurité;
Mais dans ces sources mensongères
Ne cherchons point la vérité.
Cherchons-la dans le cœur des hommes,
Dans ces regrets trop superflus
Qui disent dans ce que nous sommes
Tout ce que nous ne sommes plus.
'. Rousseau a mis celle idylle en musique; elle fait partie du recueil d©
es romances gravées.
28 POESIES DIVERSES.
Qu'un savant des fastes des âges
Fasse la règle de sa foi ;
Je sens de plus sûrs témoignages
De la mienne au dedans de moi.
Ah ! qu'avec moi le ciel rassemble ,
Apaisant enfin son courroux ,
Un autre coeur qui me ressemble;
L'âge d'or renaîtra pour nous.
VERS SUR LA FEMME.
Objet séduisant et funeste,
Que j'adore et que je déteste ;
Toi que la nature embellit
Des agrémens du corps et des dons de l'esprit ,
Qui de l'homme fais un esclave;
Qui t'en moques quand il se plaint,
Qui l'accables quand il te craint,
Qui le punis quand il te brave ;
Toi, dont le front doux et serein
Porte le plaisir dans nos fêtes;
Toi, qui soulèves les tempêtes
Qui tourmentent le genre humain;
Etre ou chimère inconcevable ,
Abîme de maux et de biens ,
Seras-tu donc toujours la source inépuisable
De nos mépris et de nos entretiens?
BOUQUET D'UN ENFANT A SA MERE.
Ce n'est point en offrant des fleurs
Que je veux peindre ma tendresse;
De leur parfum, de leurs couleurs,
En peu d'instans le charme cesse.
La rose naît en u» moment.
En un moment elle est flétrie :
Mais ce que pour vous mon cœur sent
Ne finira qu'avec la vie.
INSCRIPTION
MISE AU BAS DUN PORTRAIT DE FREDÉPIC II.
Il pense en philosophe et se conduit en roi.
Derrière l'estampe :
La gloire, l'intérêt, voilà son dieu, sa loi.
POÉSIES DIVERSES. 29
QUATRAIN A MADAME DUPIN.
Raison . ne sois point éperdue ,
Près d'elle on te trouve toujours;
Le sage te perd à sa vue ,
Et te retrouve en ses discours.
. QUATRAIN
Uis par lui-même au-dessous d'un de ces nombreux portraits qui porloient
son nom, et dont il éioit si méconienl'.
Hommes savans dans l'art de feindre ,
Qui me prêtez des traits si doux,
Vous aurez beau vouloir me peindre,
Vous ne peindrez jamais que vous.
*. Voy. le yjcond Dialogue de Rcusseau jugede Jean- Jacques. (Éd.)
Ft5 DES POESIES DIVERSES.
BOTANIQUE.
LETTRES ÉLÉMENTAIRES SUR LA BOTANIQUE,
A MADAME DELESSERT.
Lettre I.
V * -j ' i, ^" 22 août <77l.
Votre Idée à amaser un peu la vivacité de votre fiUe, et de l'exercer
a lat ent.on sur des objets agréables et variés comme es plantes me
paroit excellente; mais je n'aurois osé vous la proposer, de pe^?
de fa.re le M Josse. Puisqu'elle vient devons, je l'approuve de tou
mon cœur, et j'y concourrai de même, persuadé qu'à tout âge l'éfuJe
de a nature emousse le goût des amusemens frivoles, prévint le tu-^
multe des passions , et porte à l'âme une nourriture qui lïi profite en a
remplissant du plus digne objet de ses contemplations
Vous avez commencé par apprendre à la petite les noms d'autant de
plan es que vous en aviez de communes sous les yeux : c'éloit pr'c Lé!
ment ce qu'il fulloit faire. Ce petit nombre de plantes qu'elle conToît
de vue sont les pièces de comparaison pour étendre ses connoissanceT
mais elles ne suffisent pas. Vous me demandez un petit cajabgue d ^
plantes les plus connues avec des marques pour les reconnoître. Je°trouve
a cela quelque embarras : c'est de vous donner par écrit ce marque
ou caractères d'une manière claire et cependant peu diffuse Cek me
paroit impossible sans employer ia langue ae la chose ; et les 'termes^:
ce te langue formen un vocabulaire à part que vous ne auriez entendre
s il ne vous est préalablement expliqué eiuenure ,
D'ailleurs ne connoître simplement les plantes que de vue et ne
savoir que leurs noms , ne peut être qu'une étude trop insipide pour d s
esprits comme les vôtres; et il est à présumer que votre fi le ne st
amuseroit pas longtemps. Je vous propose de prendre quelques notion
prehmmaires de la structure végétale ou de l'organisation des p antes
afin, dussiez-vous ne faire que quelques pas dans le plus beau S;
plus riche des trois règnes de la nature, d'y marcher du moins a •
quelques lumières. I ne s'agit donc pas encore de la nomench? îe u
n est qu un savoir d'herboriste. J'ai toujours cru qu'on pouvoit être m
res-grand botani.te sans connoître une seu^e ,laL par so ° om e"
sans vouloir faire de votre fille un très-grand botaniste, je crÔriéan
n.oinsqu', lui sera toujours utile d'apprendre à bien fuir coSô
regard. Ne vous effarouchez pas au reste de l'entreprise VoVco
nonrez bientôt qu'elle n'est pas grande. Il n'y a rien de comp Lé m
de d.ffiale a suivre dans ce que j'ai à vo.s proposer. Il ne s'aToûe
d avoir la pat.ence de commencer par le commencement. Après cêk?oM
n'avance qu'autant qu'on veut. ^
LETTRES ÉLÉMENTAIRES SUR LA BOTANIQUE. 31
Nous touchons à l'arrière-saison, e' les plan'es dont la structure a le
plus de simplicité sont déjà passées. D'ailleurs je vous demande quel ;ue
lempspour mettre un peu d'ordre dans vos observations. Mais, en atten-
d;mt que le printemps nous mette à portée de commencer et de suivre
le cours de la nature, je vais toujours vous donner quelques mots du
vocabulaire à retenir.
Une plante parfait? est composée de racine, de tige, di branches, de
feuilles, de fleurs et de fruits (car on appelle fruit en botanique, tant
dans les herbes que dans les arbres, toute la fabrique de la semence).
Vous connoissez déjà tout cela, du moins assez pour entendre le mot :
mais ily a une partie principale qui demande un plus grand examen;
c'est la fructification , c'est-à-dire la fleur et le fruit. Commençons par
Ja fleur, qui vient la première. C'est dans cette partie que la uature a
renfermé le sommaire de son ouvrage : c'est par elle qu'elle le perpétue,
et c'est aussi de toutes les parties du végétal la plus éclatante pour'
l'ordinaire, toujours la moins sujette aux variations.
Prenez un lis. Je pense que vous en trouverez encore aisément en pleine
fleur. Avant qu'il s'ouvre , vous voyez à l'extrémité de la tige un bouton
oblong , verdâtre , qui blanchit à mesure qu'il est prêt à s'épanouir ; et ,
quand il est tout à fait ouvert, vous voyez son enveloppe blanche
prendre la forme d'un vase divisé en plusieurs segniens. Cette partie
enveloppante et colorée qui est blanche dans le lis s'appelle la corolle ,
et non pas la fleur comme chez le vulgaire, parce que la fleur est un
composé de plusieurs parties dont la corolle est seulement la principale.
La corolle du lis n'est pas d'une seule pièce , comme il est facile à
voir. Quand elle se lane et tombe, elle tombe en six pièces bien sépa-
rées, qui s'appellent des pétales. Ainsi la corolle du lis est composée
de six pétales. Toute corolle de fleur qui est ainsi de plusieurs pièces
s'appelle corolle polypétale. Si la corolle u'étoit que d'une seule pièce .
comme par exemple dans le liseron appelé clochette des champs, elle
s'appelleroit monopétale. Revenons à notre lis.
Dans la corolle vous trouverez , précisément au milieu , une espèce
de petite colonne attachée tout au fond et qui pointe directement vers
le haut. Cette colonne, prise dans son entier, s'appelle le pistil ; prise
dans ses parties, elle se divise en trois : l» sa base renflée en cylindre
avec trois angles arrondis tout autour : cette base s'appelle le germe;
2° un filet posé sur le germe : ce filet s'appelle style ; 3° le style est
couronné par une espèce de chapiteau avec trois échancrures : le chapiteau
s'appelle le stigmate. Voilà en quoi consistent le pistil et ses trois parties.
Entre le pistil et la corolle vous trouvez six autres corps bien dis-
tincts , qui s'appellent les étamines. Chaque étamine est composée de
deux parties : savoir, une plus mince par laquelle l'étamine tient au
fond delà corolle, et qui s'appelle le filet; une plus grosse qui tient à
l'extrémité supérieure du filet , et qui s'appelle anthère. Chaque anthère
est une boite qui s'ouvre quand elle est mûre, et verse une poussière
jaune très-odorante , dont nous parlerons dans la suite. Cette poussière
jusqu'ici n'a point de nom françois; chez les botanistes on l'appelle le
pollen, mot qui signifie poussière.
32 LETTRES ÉLÉMENTAIRES
Voilà l'analyse grossière des parties de la fleur. A mesure que la co-
rolle se fane et tombe, le germe grossit, et devient une capsule trian-
^'ulaire allongée , dont l'intérieur contient des semences plates distribuées
en trois loges. Cette capsule, considérée comme l'enveloppe des graines,
prend le nom de pcricarpe. Mais je n'entreprendrai pas ici l'analyse-du
fruit. Ce sera le sujet d'une autre lettre.
Les parties que je viens de vous nommer se trouvent également dans
les fleurs de la plupart des autres plantes, mais à divers degrés de pro-
portion, de situation, et de nombre. C'est par l'analogie de ces parties,
et par leurs diverses combinaisons, que se déterminent les diverses
familles du règne végétal: et ces analogies des parties de la fleur se lient
avec d'autres analogies des parties de la plante qui semblent n'avoir
aucun rapport à celles-là. Par exemple, ce nombre de six étamines,
quelquefois seulement trois, de six pétales ou divisions de la corolle, et
cette forme triangulaire à trois loges de l'ovaire , déterminent toute la
famille des liliacées; et dans toute cette même famille, qui est très-
nombreuse , les racines sont toutes des oignons ou bulbes plus ou moins
marquées, et variées quant à leur figure ou composition. L'oignon du
lis est composé d'écaillés en recouvrement; dans l'asphodèle, c'est une
liasse de navets allongés; dans le safran, ce sont deux bulbes l'une sur
l'autre ; dans le colchique, à côté l'une de l'autre, mais toujours des bulbes.
Le lis, que j'ai choisi parce qu'il est de la saison, et aussi à cause de
la grandeur de sa fleur et de ses parties qui les rend plus sensibles,
manque cependant d'une des parties constitutives d'une fleur parfaite,
savoir , le calice. Le calice est cette partie verte et divisée communément
en cinq folioles, qui soutient et embrasse par le bas la corolle, et qui
l'enveloppe tout entière avant son épanouissement, comme vous aurez
pu le remarquer dans la rose. Le calice, qui accompagne presque toutes
les autres fleurs, manque à la plupart des liliacées, comme la tulipe,
la jacinthe, le narcisse, la tubéreuse, etc., et même l'oignon, le poi-
reau , l'ail . qui sont aussi de véritables liliacées , quoiqu'elles paroisseut
fort différentes au premier coup d'œil. Vous verrez encore que, dans
toute cette même famille, les tiges sont simples et peu rameuses, les
feuilles entières et jamais découpées; observations qui confirment, dans
cette famille , l'analogie de la fleur et du fruit par celle des autres par-
ties de la plante. Si vous suivez ces détails avec quelque attention , et
que vous vous les rendiez familiers par des observations fréquentes,
vous voilà déjà en état de déterminer , par Tinspection attentive et suivie
d'une plante , si elle est ou non de la famille des liliacées, et cela, sans
savoir le nom de cette plante. Vous voyez que ce n'est plus ici un
simple travail de la mémoire, mais une étude d'observations et de faits,
vraiment digne d'un naturaliste. Vous ne commencerez pas par dire tout
cela à votre fille, et encore moins dans la suite, quand vous serez ini-
tiée dans les mystères de la végétation ; mais vous ne lui développerez
par degrés que ce qui peut convenir à son âge et à son sexe, en la gui-
dant pour trouver les choses par elle-même plutôt qu'en les lui appre
nant. Bonjour, chère cousine; si tout ce fatras vous convient, je suis ù
vos ordres.
JUR LA BOTA^JIQUE. 33
s.
3-1 Lettre IL
Du IS octobre <77«.
Puisque vous saisissez si bien , chère cousine , les premiers linéamens
des plantes, quoique si légèrement marqués, que votre œil clairA-oyant
sait déjà distinguer un air de famille dans les liliacées. et que notre
a chère petite botaniste s'amuse de corolles et de pétales , je vais vous
proposer une autre famille sur laquelle elle pourra derechef esercer
son petit savoir : avec un peu plus de difficultés pourtant . je l'avoue ,
à cause des fleurs beaucoup plus petites, du feuillage plus varié; mais
avec le même plaisir de sa part et de la vôtre , du moins si vous en
prenez autant à suivre cette route fleurie que j'en trouve à vous la
tracer.
Quand les premiers rayons du printemps auront éclairé vos progrès
en vous montrant dans les jardins les jacinthes . les tulipes , les nar-
cisses, les jonquilles et les muguets, dont l'analyse vous est déjà
connue, d'autres fleurs arrêteront bientôt vos regards, et vous deman-
deront un nouvel examen. Telles seront les giroflées ou violiers; telles
les juliennes ou girardes. Tant que vous les trouverez doubles , ne vous
attachez pas à leur examen : elles seront défigurées . ou . si vous vou-
lez . parées à notre mode : la nature ne s'y trouvera plus : elle refuse
de se reproduire par des monstres ainsi mutilés; car si la partie la plus
brillante, savoir la corolle, s'y multiplie, c'est aux dépens des parties
plus essentielles qui disparoissent sous cet éclat.
Prenez donc une giroflée simple . et procédez à l'analyse de sa fleur.
Vous y trouverez d'abord une partie extérieure qui manque dans les lilia-
cées . savoir . le calice. Ce calice est de quatre pièces , qu'il faut bien appe-
ler feuilles ou folioles, puisque nous n'avons point de mot propre '^our
les exprimer, comme le mot pétales pour les pièces de la corolle. Ces
quatre pièces , pour l'ordinaire , sont inégales de deux en deux , c'est-
à-dire deux folioles opposées l'une à l'autre, égales entre elles, plus
petites : et les deux autres , aussi égales entre elles et opposées , plus
crandes , et surtout par le bas . où leur arrondissement fait en dehors
une bosse assez sensible.
Dans ce calice vous trouverez une corolle composée de quatre pé-
tales dont je laisse à part la couleur, parce qu'elle ne fait point
caractère. Chacun de ces pétales est attaché au réceptacle ou fond du
calice par une partie étroite et pâle qu'on appelle l'onglet , et déborde
le calice par une partie plus large et plus colorée, qu'on appelle la
lame.
Au centre de la corol]e est un pistil allongé , cylindrique ou à peu
près, terminé par un style très-court, lequel est terminé lui-même par
un stigmate oblong , bifide . c'est-à-dire partagé en deux parties qui se
réfléchissent de part et d'autre.
Si vous examinez avec soin la position respective du calice et de la
corolle . vous verrez que chaque pétale . au lieu de correspondre exacte-
ment à chaque foliole du calice , est posé au contraire entre les deux ,
de sorte qu'il répond à l'ouverture qui les sépare: et cette position aller-
Rues- EAU VI 3
«î/i LETTRES ÉLÉMENTAIRES
native a lieu dans toutes les espèces de fleurs qui ont un nombre égal
de pétales à la corolle et de folioles au calice.
Il nous reste à parler des étamines. Vous les trouverez dans la giroflée
au nombre de six, comme dans les liliacées, mais non pas de même
égales entre elles, ou alternativement inégales; car vous en verrez seu-
lement deux en opposition l'une de l'autre, sensiblement plus courtes
que les quatre autres qui les séparent, et qui en sont aussi séparées de
deux en deux.
Je n'entrerai pas ici dans le détail de leur structure et de leur posi
tion-, mais je vous préviens que, si vous y regardez bien, vous trou- J
verez la raison pourquoi ces deux étamines sont plus courtes que les
autres, et pourquoi deux folioles du calice sont plus bossues, ou, pour'
parler en termes de botanique, plus gibbeuses, et les deux autres plus ;
aplaties.
Pour achever l'histoire de notre giroflée, il ne faut pas l'abandonner
après avoir analysé sa fleur, mais il faut attendre que la corolle se flé-
trisse et tombe, ce qu'elle fait assez promptement, et remarquer alors
ce que devient le pistil, composé, comme nous l'avons dit ci-devant, de
l'ovaire ou péricarpe, du style, et du stigmate. L'ovaire s'allonge beau-
coup et s'élargit un peu à mesure que le fruit mûrit : quand il est mûr,
cet ovaire ou fruit devient une espèce de gousse plate appelée silique- .
Cette silique est composée de deux valvules posées l'une sur l'autre,
et séparées par une cloison fort mince appelée médiastin.
Quand la semence est tout à fait mûre , les valvules s'ouvrent de bas
en haut pour lui donner passage, et restent attachées au stigmate par
leur partie supérieure.
Alors on voit des graines plates et circulaires posées sur les deux
faces du médiastin; et si l'on regarde avec soin comment elles y tien-
nent, on trouve que c'est par un court pédicule qui attache chaque
graine alternativement à droite et à gauche aux sutures du médiastin,
c'est-à-dire à ses deux bords, par lesquels il étoit comme cousu avec
les valvules avant leur séparation.
Je crains fort, chère cousine, de vous avoir un peu fatiguée par cette
longue description : mais elle étoit nécessaire pour vous donner le ca-
ractère essentiel de la nombreuse famille des crucifères ou fleurs en ]
croix, laquelle compose une classe entière dans presque tous les sys-
tèmes des botanistes; et cette description, difficile à entendre ici sans
figure , vous deviendra plus claire , j'ose l'espérer , quand vous la sui-
vrez avec quelque attention , ayant l'objet sous les yeux.
Le grand nombre d'espèces qui composent la famille des crucifères a
déterminé les botanistes à la diviser en deux sections qui , quant à la
fleur, sont parfaitement semblables, mais diffèrent sensiblement quant
au fruit.
La première section comprend les crucifères à silique, comme la
giroflée dont je viens de parler, la julienne, le cresson de fontaine, les
choux, les raves, les navets, la moutarde, etc.
La seconde section comprend les crucifères à silicule , c'est-à-dire
dont la silique en diminutif est extrêmement courte, presque aussi
SUR LA BOTANIQLc. 35
large que longue , et autrement divisée en dedans ; comme , entre autres ,
le cresson alénois, dit nasitort ou natou, le thlaspi, appelé fara^pi par
les jardiniers, le cochléaria, la lunaire, qui, quoique la gousse en soit
.'ort grande, n'est pourtant qu'une silicule, parce que sa longueur ex-
cède peu sa largeur. Si vous ne connoissez ni le cresson alénois, ni le
cochléaria, ni le thlaspi, ni la lunaire, vous connoissez, du moins Je
le présume, la bourse-à-pasteur, si commune parmi les mauvaises
herbes des jardins. Hé bien, cousine, la bourse-à-pasteur est une cru-
cifère à silicule, dont la silicule est triangulaire. Sur celle-là vous pou-
[ vez vous former une idée des autres, jusqu'à ce qu'elles vous tombent
sous la main.
Il est temps de vous laisser respirer, d'autant plus que cette lettre,
avant que la saison vous permette d'en faire usage, sera, j'espère,
suivie de plusieurs autres, où je pourrai ajouter ce qui reste à dire de
nécessaire sur les crucifères, et que je n'ai pas dit dans celle-ci. Mais il
est bon peut-être de vous prévenir dès à présent que dans cette famille,
et dans beaucoup d'autres, vous trouverez souvent des fleurs beaucoup
plus petites que la giroflée, et quelquefois si petites, que vous ne pour-
rez guère examiner leurs parties qu'à la faveur d'une loupe, instrument
dont un botaniste ne peut se passer, non plus que d'une pointe, d'une
lancette, et d'une paire de bons ciseaux fins à découper. En pensant
que votre zèle maternel peut vous mener jusque-là, je me fais un ta-
bleau charmant de ma belle cousine empressée avec son verre à éplu-
cher des monceaux de fleurs, cent fois moins fleuries, moins fraîches et
moins agréables qu'elle. Bonjour, cousine, jusqu'au chapitre suivant.
Lettre IIL
Du 16 mai 1772.
Je suppose , chère cousine , que vous avez bien reçu ma précédente
réponse , quoique vous ne m'en parliez point dans votre seconde lettre.
Répondant maintenant à celle-ci, j'espère, sur ce que vous m'y mar-
quez, que la maman, bien rétablie, est partie en bon état pour la
Suisse, et je compte que vous n'oublierez pas de me donner avis de
relïet de ce voyage et des eaux qu'elle va prendre. Gomme tante Julie
a dû partir avec elle, j'ai chargé M. G., qui retourne au Val-de-Tra-
vers, du petit herbier qui lui est destiné, et je l'ai mis à votre adresse,
afin qu'en son absence vous puissiez le recevoir et vous en servir, si
tant est que , parmi ces échantillons informes , il se trouve quelque chose
à votre usage. Au reste , je n'accorde pas que vous ayez des droits sur ce
chiffon. Vous en avez sur celui qui l'a fait, les plus forts et les plus
chers queje connoisse; mais pour l'herbier, il fut promis à votre sœur,
lorsqu'elle herborisoit avec moi dans nos promenades à la Croix-de-
Vague, et que vous ne songiez à rien moins dans celles où mon cœur et
mes pieds vous suivoient avec grand'maman en Yaise. Je rougis de lui
avoir tenu parole si tard et si mal; mais enfin elle avoit sur vous, à cet
égard, ma parole et l'antériorité. Pour vous, chère cousine, si je ne
vous promets pas un herbier de ma main , c'est ] our vous en procurer
UQ plus précieux de la main de votre fille, si vous continuez à suivra
36 LETTRES ÉLÉMENTAIRES
avec elle cette douce et charmante étude qui remplit d'intéressantes ob-
servations sur la nature ces vides du temps que les autres consacrent à
l'oisiveté ou à pis. Quant à présent, reprenons le fil interrompu de nos
familles végétales.
Mon intention est de vous décrire d'abord six de ces familles , pour vous
familiariser avec la structure générale des parties caractéristiques des
plantes. Vous en avez déjà deux; reste à quatre qu'il faut encore avoir
la patience de suivre : après quoi, laissant pour un temps les autres
branches de cette nombreuse lignée, et passant à l'examen des parties
différentes de la fructification, nous ferons en sorte que, sans peut-être
connoître beaucoup de plantes, vous ne serez du moins jamais en terre
étrangère parmi les productions du règne végétal.
Mais je vous préviens que si vous voulez prendre des livres et suivre
la nomenclature ordinaire , avec beaucoup de noms vous aurez peu
d'idées: celles que vous aurez se brouilleront, et vous ne suivrez bien
ni ma marche ni celle des autres, et n'aurez tout au plus qu'une con-
noissance de mots. Chère cousine, je suis jaloux d'être votre seul guide
dans cette partie. Quand il en sera temps . je vous indiquerai les livres que
vous pourrez consulter. En attendant, ayez la patience de ne lire que
dans celui de la nature et de vous en tenir à mes lettres.
Les pois sont à présent en pleine fructification. Saisissons ce moment
pour observer leur caractère. Il est un des plus curieux que puisse
offrir la botanique. Toutes les fleurs se divisent généralement en régu-
lières et irrégulières. Les premières sont celles dont toutes les parties
s'écartent uniformément du centre de la fleur, et aboutiroient ainsi par
leurs extrémités extérieures à la circonférence d'un cercle. Cette uni-
formité fait qu'en présentant à l'œil les fleurs de cette espèce, il n'y
distingue ni dessus ni dessous, ni droite ni gauche : telles sont les deux
familles ci-devant examinées. Mais, au premier coup d'œil, vous verrez
qu'une fleur de pois est irrégulière, qu'on y distingue aisément dans la
corolle la partie plus longue, qui doit être en haut, de la plus courte,
qui doit être en bas, et .qu'on connoît fort bien, en présentant la fleur
vis-à-vis de l'œil, si on la tient dans sa situation naturelle ou si on la
renverse. Ainsi, toutes les fois qu'examinant une fleur irrégulière on
parle du haut et du bas, c'est en la plaçant dans sa situation naturelle.
Comme les fleurs de cette famille sont d'une construction lort parti-
culière, non-seulement il faut avoir plusieurs fleurs de pois et les dis-
séquer successivement, pour observer toutes leurs parties l'une après
l'autre, il faut même suivre le progrès de la fructification depuis la
première floraison jusqu'à la maturité du fruit.
Vous trouverez d'abord un calice monophylle , c'est-à-dire d'une seule
pièce terminée en cinq pointes bien distinctes , dont deux un peu plus
larges sont en haut , et les trois plus étroites en bas. Ce calice est re-
courbé vers le bas, de même que le pédicule qui le soutient, lequel
pédicule est très-délié, très-mobile; en sorte que la fleur suit aisément
le courant de l'air, et. présente ordinairement son dos au vent et à la
pluie.
Le calice examiné, on l'ôte, en le déchirant délicatement de manière
SUR LA BOTANIQUE. 37
que le reste de la fleur demeure entier, et alors vous voyez clairement
que la corolle est polypétale.
Sa première pièce est un grand et large pétale qui couvre les autres,
et occupe la partie supérieure de la corolle , à cause de quoi ce grand
pétale a pris le nom de pavillon. On l'appelle aussi Vélendard. Il fau-
drcit se boucher les yeux et l'esprit pour ne pas voir que ce pétale est
là comme un parapluie pour garantir ceux qu'il couvre des principales
injures de l'air.
En enlevant le pavillon comme vous avez fait le calice, vous remar-
querez Gu'il est emboîté de chaque côté par une petite oreillette dans
les pièces latérales , de manière que sa situation ne puisse être dérangée
par le vent.
Le pavillon ôté laisse à découvert ces deux pièces latérales auxquelles
il étoit adhérent par ses oreillettes : ces pièces latérales s'appellent les
ailes. Vous tr uverez en les détachant qu'emboîtées encore plus forte-
ment avec celle qui reste , elles n'en peuvent être séparées sans quelque
effort. Aussi les ailes ne sont guère moins utiles pour garantir les côtés
de la fleur que le pavillon pour la couvrir.
Les ailes ôtées vous laissent voir la dernière pièce de la corolle; pièce
qui couvre et défend le centre de la fleur, et l'enveloppe, surtout par
dessous, aussi soigneusement que les trois autres pétales enveloppent
le dessus et les côtés. Cette dernière pièce, qu'à cause de sa forme on
appelle la nacelle, est comme le coffre-fort dans lequel la nature a mis
son trésor à l'abri des atteintes de l'air et de l'eau.
Après avoir bien examiné ce pétale , tirez-le doucement par dessous
en le pinçant légèrement par la quille, c'est-à-dire par la prise mince
qu'il vous présente, de peur d'enlever avec lui ce qu'il enveloppe : je
suis sûr qu'au moment où ce dernier pétale sera forcé de lâcher prise
et de déceler le mystère qu'il cache, vous ne pourrez en l'apercevant
vous abstenir de faire un cri de surprise et d'admiration.
Le jeune fruit qu'enveloppoit la nacelle est construit de cette ma-
nière : une membrane cylindrique terminée par dix filets bien distincts
entoure l'ovaire , c'est-à-dire l'embryon de la gousse. Ces dix filets
sont autant d'étamines qui se réunissent par le bas autour du germe,
et se terminent par le haut en autant d'anthères jaunes dont la pous-
sière va féconder le stigmate qui termine le pistil, et qui, quoique
jaune aussi par la poussière fécondante qui s'y attache, se distingue
aisément des étamines par sa figure et par sa grosseur. Ainsi ces dix éta-
mines forment encore autour de l'ovaire une dernière cuirasse pour le
oréserver des injures du dehors.
Si vous y regardez de bien près, vous trouverez que ces dix éta-
mmes ne font par leur base un seul corps qu'en apparence : car dans
la partie supérieure de ce cylindre , il y a une pièce ou étamine qui
d'abord paroît adhérente aux autres, mais qui, à mesure que la fleur
se fane et que le fruit grossit , se détache et laisse une ouverture en
dessus par laquelle ce fruit grossissant peut s'étendre en entr'ouvrant et
écartant de plus en plus le cylindre qui, sans cela, le comprimant et
l'étranglant tout autour, l'emnêcheroit de grossir et de profiter. SI la
38 LETTRES ÉLÉMENTAIRES
neur n'est pas assez avancée , vous ne verrez pas cette étamine déta-
chée du cylindre; mais passez un camion dans deux petits trous qua
vous trouverez près du réceptacle à la base de celte étamine, et bien-
tôt vous verrez l'étamine avec son anthère suivre l'épingle et se- déta-
cher des neuf autres qui continueront toujours de faire ensemble un
seul corps, jusqu'à ce qu'elles se flétrissent et dessèchent quand le
germe fécondé devient gousse et qu'il n'a plus besoin d'elles.
Cette pousse, dans laquelle l'ovaire se change en mûrissant, se dis-
tmgue de la sikque des crucifères, en ce que dans la silique les graines
sont attachées alternativement aux deux sutures, au lieu que dans la
gousse elles ne sont attachées que d'un côté, c'est-à-dire à une seule-
ment des deux sutures, tenant alternativement à la vérité aux deux
valves qui la composent, mais toujours du même côté. Vous saisirez
parfaitement cette diflerence si vous ouvrez en même temps la gousse
d'un pois et la silique d'une giroflée, ayant attention de ne les prendre
ni l'une m l'autre en parfaite maturité, afin qu'après l'ouverture du
fruit les graines restent attachées par leurs ligamens à leurs sutures et
à leurs valvules.
Si je me suis bien fait entendre, vous comprendrez, chère cousine,
quelles étonnantes précautions ont été cumulées par la nature pour
amener l'embryon du pois à maturité, et le garantir surtout, au mi-
lieu des plus grandes pluies, de l'humidité qui lui est funeste, sans
cependant l'enfermer dans une coque dure qui en eût fait une autre
sorte de fruit. Le suprême ouvrier, attentif à la conservation de tous les
êtres, a mis de grands soins à garantir la fructification des plantes des
atteintes qui lui peuvent nuire ; mais il paroît avoir redoublé d'atten-
tion pour celles qui servent à la nourriture de l'homme et des ani-
maux, comme la plupart des légumineuses. L'appareil de la fructifica-
tion du pois est, en diverses proportions, le même dans toute cette fa-
mille. Les fleurs y portent le nom de papilionacées , parce qu'on a cru
y voir quelque chose de semblable à la figure d'un papillon : elles ont
généralement un pavillon, deux ailes, une nacelle, ce qui fait commu-
nément quatre pétales irréguliers. Mais il y a des genres où la nacelle
se divise dans sa longueur en deux pièces presque adhérentes par la
quille , et ces fleurs-là ont réellement cinq pétales: d'autres, comme le
trèfle des prés, ont toutes leurs parties attachées en une seul? pièce,
et , quoique papilionacées , ne laissent pas d'être monopétales.
Les papilionacées ou légumineuses sont une des familles des plantes
les plus nombreuses et les plus utiles. On y trouve les fèves, les ge-
nêts, les luzernes, sainfoins, lentilles, vesces, gesses, les haricots,
dont le caractère est d'avoir la nacelle contournée en spiial.-, ce qu'on
prendroit d'abord pour un accident; il y a des arbres, entre autres
celui qu'on appelle vulgairement acacia, et qui n'est pas le véritable
acacia; l'indigo, la réglisse, en sont aussi : mais nous parlerons de
tout cela plus en détail dans la suite. Bonjour, cousine. J'embrasse
tout ce que vous aimez.
I
SUR LA BOTANIQUE. 39
Lettre IV.
Du 19 juin <772.
Vous m'avez tiré de peine, chère cousine: mais il me reste encore da
l'inquiétude sur ces maux d'estomac appelés maux de cœur, dont
votre maman sent les retoirrs dans l'attitude d'écrire. Si c'est seulement
l'effet d'une plénitude de bile, le voyage et les eaux suffiront pour
l'évacuer: mais je crains bien qu'il n'y ait à ces accidens quelque
cause locale qui ne sera pas si facile à détruire, et qui demandera tou-
jours d'elle un grand ménagement, même après son rétablissement.
J'attends de vous des nouvelles de ce voyage, aussitôt que vous en au-
rez; mais j'exige que la maman ne songe à m'écrira que pour m ap-
prendre son entière guérison. ,,, V- r.
Je ne puis comprendre pourquoi vous n'avez pas reçu 1 herbier. Dans
la persuasion que tante Julie étoit déjà partie , j'avois remis le pa-
quet à M. G. pour vous l'expédier en passant à Dijon. Je n'apprends
d'aucun côté qu'il soit parvenu ni dans vos mains , ni dans celles de
votre sœur . et je n'imagine plus ce qu'il peut être devenu.
Parlons de plantes , tandis que la saison de les observer nous y invite.
Votre solution de la question que je vous avois faite sur les étaraines
des crucifères est parfaitement juste, et me prouve bien que vous m avez
entendu , ou plutôt que vous m'avez écouté ; car vous n'avez besoin que
d'écouter pour entendre. Vous m'avez bien rendu raison de la gibbosite
de deux folioles du calice, et de la brièveté relative de deux étammes.
dans la gironée. par la courbure de ces deux étamines. Cependant un
»as de plus vous eût menée jusqu'à la cause première de cette structure :
car si vous recherchez encore pourquoi ces deux étamines sont amsi
recourbées et par conséquent raccourcies, vous trouverez une petite
plande implantée sur le réceptacle . entre l'étamine et le germe , et
c'e^t cette glande qui, éloignant l'étamine, et la forçant à prendre le
I contour, la raccourcit nécessairement. Il y a encore sur le même ré-
ceptacle deux autres glandes, une au pied de chaque paire des grandes
étamines; mais ne leur faisant point faire de contour, elles ne les rac-
courcissent pas, parce que ces glandes ne sont pas, comme les deux
premières, en dedans, c'est-à-dire entre l'étamine et le germe, mais
en dehors, c'est-à-dire entre la paire d'étamines et le calice. Ainsi
ces quatre étamines . soutenues et dirigées verticalement en droite
iicrne, débordent celles qui sont recourbées , et semblent plus longues,
parce qu'elles sont plus droites. Ces quatre glandes se trouvent, ou
du moins leurs vestiges . plus ou moins visiblement dans presque toutes
les fleurs crucifères , et dans quelques-unes bien plus distinctes que
dans la giroflée. Si vous demandez encore pourquoi ces glandes, je
vous répondrai qu'elles sont un des instrumens destinés par la nature
à unir le règne végétal au règne animal, et les faire circuler l'un dans
l'autre : mais , laissant ces recherches un peu trop anticipées , reve-
nons, quant, à présent, à nos familles.
Les fleurs que je vous ai décrites jusqu'à présent sont toutes poljT)e-
tales. J'aurois dû commencer peut-être par les monopétales régulières,
40 LETTRES ÉLÉMENTAIRES
dont la structure est beaucoup plus simple : cette grande simplicité
même est ce qui m'en a empêché. Les monopétales régulières consti-
tuent moins une famille qu'une grande nation dans laquelle on compte
plusieurs familles bien distinctes; en sorte que, pour les comprendre
toutes sous une indication commune, il faut employer des carac-
tères si généraux et si vagues , que c'est pa:roître dire quelque chose
en ne disant en effet presque rien du tout. Il vaut mieux se renferme*
da'ns des bornes plus étroites, mais qu'on puisse assigner avec plus da
précision.
Parmi les monopétales irrégulières , il y a une famille dont la physio-
nomie est si marquée qu'on en distingue aisément les membres à leut
air. C'est celle à laquelle on donne le nom de fleurs en gueule, parce
que ces fleurs sont fendues en deux lèvres, dont l'ouverture, soit na-
turelle, soit produite par une légère compression des doigts, leur
donne l'air d'une gueule béante. Cette famille se subdivise en deux sec-
tions ou lignées : l'une, des fleurs en lèvres, ou labiées; l'autre, des
fleurs en masque , ou personnées ; car le mot latin persona signifie un
masque, nom très-convenable assurément à la plupart des gens qui
portent parmi nous celui de personnes, Le caractère commun à toute la
famille est non-seulement d'avoir la corolle monopétale, et, comme je
l'ai dit, fendue en deux lèvres ou babines, l'une supérieure, appelée
casque, l'autre inférieure, appelée barbe, mais d'avoir quatre étamines
presque sur un même rang, distinguées en deux paires, l'une plus
longue et l'autre plus courte. L'inspection de l'objet vous expliquera
mieux ces caractères que ne peut faire le discours.
Prenons d'abord les labiées. Je vous en donnerois volontiers pour
exemple la sauge , qu'on trouve dans presque tous les jardins. Mais la
construction particulière et bizarre de ses étamines , qui l'a fait retran-
cher par quelques botanistes du nombre des labiées , quoique la nature
ait semblé l'y inscrire , me porte à chercher un autre exemple dans les
orties mortes, et particulièrement dans l'espèce appelée vulgairement
ortie blanche, mais que les botanistes appellent plutôt lamier blanc,
parce qu'elle n'a nul rapport à l'ortie par sa fructification , quoiqu'elle
en ait beaucoup par son feuillage. L'ortie blanche, si commune par-
tout, durant très-longtemps en fleur, ne doit pas vous être difficile à
trouver. Sans m'arrêter ici à l'élégante situation des fleurs , je me borne
à leur structure. L'ortie blanche porte une fleur monopétale labiée
dont le casque est concave et recourbé en forme de voûte, pour recou-
vrir le reste de la fleur, et particulièrement ses étamines, qui se tien-
nent toutes quatre assez serrées sous l'abri de son toit. Vous discerne-
rez aisément la paire plus longue et la paire plus courte, et, au milieu
des quatre , le style de la même couleur, mais qui s'en distingue en ce
qu'il est simplement fourchu par son extrémité , au lieu d'y porter une
anthère comme font les étamines. La barbe , c'est-à-dire la lèvre infé-
rieure, se replie et pend en bas, et, par cette situation, laisse voir
presque jusqu'au fond le dedans de la corolle. Dans les lamiers cette
barbe est refendue en longueur dans son milieu, mais cela n'arrive pas
de même aux autres labiées.
sua LA BOTANIQUE. 41
5i vous arrachez la corolle, vous arracherez avec elle les étarainet
qui y tiennent par leurs filets, et non pas au réceptacle, où le styli
restera seul attaché. En examinant comment les étamines tiennent ù
d'autres fleurs, on les trouve généralement attachées à la corolle quand
elle est monopétale, et au réceptacle ou au calice quand la corolle est
polypétale : en sorte qu'on peut, en ce dernier cas, arracher les pé-
tales sans arracher les étamines. De cette observation l'on tire une
règle belle, facile, et même assez sûre, pour savoir si une corolle est
d'une seule pièce ou de plusieurs . lorsqu'il est difficile , comme il l'est
quelquefois, de s'en assurer immédiatement.
La corolle arrachée reste pe.xée à son fond , parce qu'elle étoit atta-
chée au réceptacle, laissant une ouverture circulaire par laquelle le
pistil et ce qui l'entoure pénétroit au dedans du tube et de la corolle.
Ce qui entoure ce pistil dans le lamier et dans toutes les labiées, ce
sont quatre embryons qui deviennent quatre graines nues, c'est-à-dire
sans aucune enveloppe; en sorte que ces graines, quand elles sont
mûres , se détachent , et tombent à terre séparément. Voilà le caractère
des labiées.
L'autre lignée ou section, qui est celle des personnées , se distingue
des labiées, premièrement par sa corolle, dont les deux lèvres ne sont
pas ordinairement ouvertes et béantes, mais fermées et jointes, comme
vous le pourrez voir dans la fleur de jardin appelée mxiflaxide ou mufle
de veau, ou bien, à son défaut, dans la linaire, cette fleur jaune à
éperon, si commune en cette saison dans la campagne. Mais un carac-
tère plus précis et plus sûr est qu'au lieu d'avoir quatre graines nues
au fond du calice , comme les labiées , les personnées y ont toutes une
capsule qui renferme les graines , et ne s'ouvre qu'à leur maturité pour
les répandre. J'ajoute à ces caractères qu'un grand nombre de labiées
sont ou des plantes odorantes et aromatiques, telles que l'origan, la
marjolaine, le thym, le serpolet, le basilic, la menthe, l'hysope, la
lavande, etc. , ou des plantes odorantes et puantes , telles que diverses
espèces d'orties mortes, staquis, crapaudines, marrube; quelques-unes
seulement, telles que la bugle, la brunelle, la toque, n'ont pas
d'odeur , au lieu que les personnées sont pour la plupart des plantes
sans odeur, comme la rauflaude, la linaire, l'euphraise, la pédiculaire,
la crête-de-coq , l'orobanche, lacymbalaire, lavelvote, la digitale; je
ne connois guère d'odorantes dans cette branche que la scrofulaire,
qui sente et qui pue , sans être aromatique. Je ne puis guère vous citef
ici que des plantes qui vraisemblablement ne vous sont pas connues,
mais que peu à peu vous apprendrez à connoître, et dont au moins à
leur rencontre vous pourrez par vous-même déterminer la famille. Ja
voudrois même que vous tâchassiez d'en déterminer la lignée ou sec-
tion par la physionomie, et que vous vous exerçassiez à juger, au
simple coup d'œil, si la fleur en gueule que vous voyez est une labiée,
eu une personnée. La figure extérieure de la corolle peut suffire pour
vous guider dans ce choix , que vous pourrez vérifier ensuite en ôtant la
•corolle, et regardant au fond du calice: car, si vous avez bien jugé, la
fleur que vous aurez nommée labiée vous montrera Quatre graines
42 LETTRES ÉLÉMENTAIRES
nues, et celle que vous aurez nommée personnée vous montrera uni
péricarpe : le contraire vous prouveroit que vous vous êtes trompée; etJ
par un second examen de la même plante, vous préviendrez une erreur||
semblable pour une autre fois. Voilà, chère cousine, de l'occupationl
pour quelques promenades. Je ne tarderai pas à vous en préparer pourjl
celles qui suivront.
Lettre V.
Dii 46 juillet 177-2.
Je vous remercie, chère cousine, des lionnes nouvelles que vous
m'avez données de la maman. J'avois espéré le bon effet du changement
d'air, et je n'en attends pas moins des eaux, et surtout du régime aus
tère prescrit durant leur usage. Je suis touché du souvenir de cette
bonne amie, et je vous prie de l'en remercier pour moi. Mais je ne veux
pas absolument qu'elle m'écrive durant son séjour en Suisse; et, si elle
veut me donner directement de ses nouvelles, elle a près d'elle un bon Z
secrétaire ' qui s'en acquittera fort bien. Je suis plus charmé que sur-
pris qu'elle réussisse en Suisse : indépendamment des grâces de son
âge , et de sa gaieté vive et caressante , elle a dans le caractère un
fonds de douceur et d'égalité dont je l'ai vue donner quelquefois à la
grand'maman l'exemple charmant qu'elle a reçu de vous. Si votre sœur
s'établit en Suisse , vous perdrez l'une et l'autre une grande douceur
dans la vie, et elle surtout des avantages difficiles à remplacer. Mais
votre pauvre maman, qui, porte à porte, sentoit pourtant si cruelle-
ment sa séparation d'avec vous, comment supportera-t-elle la sienne à
une si grande distance? C'est de vous encore qu'elle tiendra ses dé-
dommagemens et ses ressources. Vous lui en ménagez une bien pré-
cieuse en assouplissant dans vos douces mains la bonne et forte étofl'e
de votre favorite, qui, je n'en doute point, deviendra par vos soin^
aussi pleine de grandes qualités que de charmes. Ah! cousine, l'heu-
reuse mère que la vôtre !
Savez-vous que je commence à être en peine du petit herbier ? Je n'en
ai d'aucune part aucune nouvelle, quoique j'en aie eu de M. G. de-
puis son retour, par sa femme, qui ne me dit pas de sa part un seul
mol sur cet herbier. Je lui en ai demandé des nouvelles; j'attends sa
réponse. J'ai grand'peur que, ne passant pas à Lyon, il n'ait confié le
paquet à quelque quidam qui, sachant que c'étoient des herbes sèches,
aura pris tout cela pour du foin. Cependant, si, comme je l'espère en-
core, il parvient enfin à votre sœur Julie ou à vous, vous trouverez
que je n'ai pas laissé d'y prendre quelque soin. C'est une perte qui,
quoique petite, ne me seroit pas facile à réparer prcmptement, sur-
tout à cause du catalogue , accompagné de divers petits éclaircissemens
écrits sur-le-champ , et dont je n'ai gardé aucun double.
Consolez-vous, bonne cousine, de n'avoir pas vu les glandes des cru-
cifères. De grands botanistes très-bien oculés ne les ont pas mieux vues.
Tournefort lui-même n'en fait aucune mention. Elles sont bien claires
i. La sœur de Mme Dclesserl, que Rousseau appeloil lanto Julie, (Éd.)
SUR LA BOTANIQUE. 43
,ars peu de genres, quoiqu'on en trouve des vestiges presque dans
ous. et c'est à force d'analyser des fleurs en croix . et d'y voir toujours
.es inégalités au réceptacle, qu'en les examinant en particulier on a
rouvé que ces glandes appartenoient au plus grand nombre des genres,
t qu'on les suppose, par analogie, dans ceux même où on ne les dis-
ingue pas. .
Je comprends qu'on est fâché de prendre tant de peine sans apprendre
es noms des plantes qu'on examine: mais je vous avoue de bonne foi
[u'il n'est pas entré dans mon plan de vous épargner ce petit chagrin.
)n prétend que la botanique n'est qu'une science de mots qui n'exerce
[ue la mémoire, et n'apprend qu'à nommer des plantes : pour moi, je
le connois point d'étude raisonnable qui ne soit qu'une science de mots;
it auquel des deux, je vous prie, accorderai-je le nom de botaniste,
le celui qui sait cracher un nom ou une phrase à l'aspect d'une plante ,
;ans rien connoître à sa structure , ou de celui qui , connoissant très-
5ien cette structure, ignore néanmoins le nom très-arbitraire qu'on
ionne à cette plante en tel ou en tel pays? Si nous ne donnons à vos
înfans qu'une occupation amusante, nous manquons la meilleure moi-
.ié de notre but, qui est, en les amusant, d'exercer leur intelligence
tde les accoutumer à l'attention. Avant de leur apprendre à nommer
^e qu'ils voient, commençons par leur apprendre à le voir. Cette
science, oubliée dans toutes les éducations, doit faire la plus importante
partie de la leur. Je ne le redirai jamais assez : apprenez-leur à ne jamais
se payer de mots, et à croire ne rien savoir de ce qui n'est entré que
Jans leur mémoire.
Au reste, pour ne pas trop faire le méchant, je vous nomme pour-
tant des plantes sur lesquelles , en vous les faisant montrer , vous pouvez
aisément vérifier mes descriptions. Vous n'aviez pas,, je le suppose,
feousvos yeux une ortie blanche en lisant l'analyse des labiées; mais
vous n'aviez qu'à envoyer chez l'herboriste du coin chercher de l'ortie
blanche fraîchement cueillie , vous appliquiez à sa fleur ma description .
et ensuite, examinant les autres parties de la plante de la manière dont
iious traiterons ci-après, vous connoissiez l'ortie blanche infiniment
mieux que l'herboriste qui la fournit ne la connoîtra de ses jours; en-
core irouverons-nous dans peu le moyen de nous passer d'herboriste :
mais il faut premièrement achever l'examen de nos familles. Ainsi je
viens à la cinquième, qui, dans ce moment, est en pleine fructifi-
cation.
Représentez-vous une longue tige assez droite , garnie alternative-
ment de feuilles pour l'ordinaire découpées assez menu , lesquelles em-
brassent par leur base des branches qui sortent de leurs aisselles. De
l'extrémité supérieure de cette tige parlent , comme d'un centre, plu-
sieurs pédicules ou rayons, qui, s'écartant circulairement et régulière-
ment comme les côtes d'un parasol, couronnent cette tige en forme
d'un vase plus ou moins ouvert. Quelquefois ces rayons laissent un
espace vide dans leur milieu, et représentent alors plus e.xactement le
creux du vase: quelquefois aussi ce milieu est fourni d'autres rayons
plus courts, qui, montant moins obliquement, garnissent le vase, et
^^ LETTRES ÉLÉMENTAIRES
formant conjointement avec les premiers la figure à peu près ,i'un demi
globe , dont la partie convexe est tournée endessus ^ '^ ' "" "«J"'
Chacun de ces rayons ou pédicules est terminé à son extrémité nor
pas e.icore par une fleur, mais par un autre ordre de rayons pTupe Us
2o * rerriigt""" '-' '''"-'''''^ '''-'-'-^^^ -™- "'p--:
Ainsi voilà deux ordres pareils et successifs : l'un, de grands ravons
zr:s^^p ''^''-^'^ '-'''^ -^°- --^^^^'- Vi ts^
Les rayons des petits parasols ne se subdivisent plus mais chacun
IW ''"''^' ''"^^ '''''' "^^^ ''-' nous'parCoTs tout I
Si vous pouvez vous former l'idée de la figure que je viens de vou J
decnre vous aurez celle de la disposition des fleurs dan laTmme des
amMl^res ou porte-parasols, car le mot latin u.^MlasiZ■!n^t\
Quoique cette disposition régulière de la fructification soit frannantP
et assez constante dans toutes les ombellifères ce n'^/t 1 ..?^f '
elle qui constitue le caractère de la fammerce'<5.rac èeTttïd^
structure même de la fleur , qu'il faut maintenant vous dTcrire
Mais 11 convient, pour plus de clarté, de vous donner ici une distinr I
tion générale sur la disposition relative- de la fleur et di. ^ni 1 I
toutes les plantes, distinction qui facilite exTrêmeLnt ^e^'™ ' -^
ment méthodique, quelque système qu'on veunieThoTr pour cela '" l
Il y a des plantes et c'est le plus grand nombre , par exempe 1 œillet
à ce leTà'Te n^iï^T"' ";■"""' '''' '' '''^''- NoÏÏ7on" o ^
a ceiies la le nom de fleurs infères, parce que les pétales embnssint 4
1 ovaire prennent leur naissance au-dessous de lui embrassant |
Dans d'autres plantes en assez grand nombre, l'ovaire se trouva
place non dans les pétales, mais au-dessous d'eux' ce m.e vm,. n.
voir dans la rose; car le gratte-cul, qui en estTe'f'ruil eirc/co^S
ovaire et ne l'envelopp: ^as^^l'ap elVerlî SS^^;:^^ s^^^l^:^
Tnci^é" m îsTm?;'/"r '" '^"'^- "" P°^^-^' faire dTsmols';
irancises, mais il me paroit avantageux de vous tenir tnnmnpc i„ i
près qu'il se pourra des termes admis d^ns îa bln^rp =,r P^"'
lire ae ces deux langues , comme si , pour connoître les plantes 1 fa Unit
commencer par être un savant grammairien. ^ ' '^°'*
Tournefort exprimoit la même distinction en d'autres termes • -i.ne
asdltfle;r;.«-^'"Vi''^°'^ ^"^ '' P'^^'' devendt S Vans :••
nièr.Hfi""^'''' '^ '^'^°'* ^"« le calice devenoit fruit. Cette ma '
niere de s exprimer pouvoit être aussi claire , mais elle n'étoit certa^P
.uanVirenT^r''- ^'" ^"''^ ^" -it, voici une occasordw""
(uand ,1 en sera temps, vos jeunes élèves à savoir démêler les mêmeà
Idées , rendues par des termes tout difl-érens.
SUR LA BOTANIQUE. , 45
Je vous dirai maintenant que les plantes ombellifères ont la fleur
«père, ou posée sur le fruit. La corolle de celle fleur est à cinq pétales
ppelés réguliers, quoique souvent les deux pétales qui sont tournés
n dehors dans les fleurs qui bordent rombelle soient plus grands que
îs trois autres.
La figure de ces pétales varie selon les genres, mais le plus commu-
.ément elle est en cœur; l'onglet qui porte sur l'ovaire est fort mince;
a lame va en selargissant; son bord est émarginé (légèrement échan-
ré), ou bien il se termine en une pointe qui, se repliant en dessus,
.onne encore au pétale l'air d'être émarginé , quoiqu'on le vît pointu s'il
toit déplié.
Entre chaque pétale est une étamine dont l'anthère, débordant ordi-
lairement la corolle, rend les cinq étamines plus visibles que les cinq
létales. Je ne fais pas ici mention du calice , parce que les ombellifères
l'en ont aucun bien distinct.
Du centre de la fleur partent deux styles garnis chacun de leur stig-
nate . et assez apparens aussi , lesquels , après la chute des pétales et
les étamines , restent pour couronner le fruit.
La figure la plus commune de ce fruii est un ovale uu peu allongé,
[ui, dans sa maturité, s'ouvre par la moitié, et se partage en deux
iemences nues attachées au pédicule, lequel, par un art admirable, se
livise en deux , ainsi que le fruit , et tient les graines séparément sus-
)endues, jusqu'à leur chute.
Toutes ces proportions varient selon les genres, mais en voilà l'ordre
e plus commun. Il faut, je l'avoue, avoir l'œil très-atlentif pour bien
listinguer sans loupe de si petits objets; mais ils sont si dignes d'atten-
ion , qu'on n'a pas regret à sa peine.
Voici donc le caractère propre de la famille des ombellifères : corolle
upère à cinq pétales , cinq étamines , deux styles portés sur un fruit nu
iisperme , c'est-à-dire composé de deux graines accolées.
Toutes les fois que vous trouverez ces caractères réunis dans une
'ructification . comptez que la plante est une ombellifère, quand même
îlle n'auroit d'ailleurs , dans son arrangement . rien de l'ordre ci-devant
narqué. Et quand vous trouveriez tout cet ordre de parasols conforme
i ma description, comptez qu'il vous trompe, s'il est démenti par l'exa-
nen de la fleur.
S'il arrivoit, par exemple, qu'en sortant de lire ma lettre vous trou-
vassiez, en vous promenant, un sureau encore en fleur, je suis presque
issuré qu'au premier aspect vous diriez : « Voilà une ombellifère. » En
y regardant, vous trouveriez grande ombelle, petite ombelle, petites
ifleurs blanches, corolle supère, cinq étamines : c'est une ombellifère
'assurément; mais voyons encore : je prends une fleur.
D'abord , au lieu de cinq pétales , je trouve une corolle à cinq divisions ,
il est vrai, mais néanmoins d'une seule pièce : or, les fleurs des om-
bellifères ne sont pas monopétales. Voilà bien cinq étamines; mais je
ne vois point de styles , et je vois plus souvent trois stigmates que deux ;
plus souvent trois graines que deux : or, les ombellifères n'ont jamais
ni plus ni moins de deux stigmates, ni plus ni moins de deux graines
46 LETTRES ÉLÉMENTAIRES
pour chaque fleur. Enfin, le fruit du sureau est une baie molle , e s
celui des ombellifères est sec et nu. Le sureau n'est donc pas une o'm
beilifère.
Si vous revenez maintenant sur vos pas en regardant de plus près i
la disposition des fleurs , vous verrez que cette disposition n'est qu'ei
apparence celle des ombellifères. Les grands rayons, au lieu de parti;
exactement du même centre, prennent leur naissance les uns plus iiaut
les autres plus bas; les petits naissent encore moins régulièrement : toul
cela n'a point l'ordre invariable des ombellifères. L'arrangement des
fleurs du sureau est en corijm.be, ou bouquet, plutôt qu'en ombelles,
Voilà comment, en nous trompant quelquefois, nous finissons par ap-
prendre à mieux voir.
Le chardon-roland , au contraire , n'a guère le port d'une ombellifère ,
et néanmoins c'en est une, puisqu'il en a tous les caractères dans sa
fructification. Où trouver, medirez-vous, le chardon-roland? par foute
la campagne; tous les grands chemins en sont tapissés à droite et à
gauche ; le premier paysan peut vous le montrer , et vous le reconnoîtrez
presque vous-même à la couleur bleuâtre ou vert de mer de ses feuilles,
à leurs durs piquans, et à leur consistance lisse et coriace comme du
parchemin. Mais on peut laisser une plante aussi intraitable; elle n'a
pas assez de beauté pour dédommager des blessures qu'on se fait en
l'examinant : et fût-elle cent fois plus jolie , ma petite cousine , avec ses
petits doigts sensibles, seroit bientôt rebutée de caresser une plante di;
si mauvaise humeur.
La famille des ombellifères est nombreuse, et si naturelle, que sej
genres sont très-difficiles à distinguer; ce sont des frères que la grande
ressemblance fait souvent prendre l'un pour l'autre. Pour aider à s'y
reconnoître , on a imaginé des distinctions principales qui sont quelque-
fois utiles, mais sur lesquelles il ne faut pas non plus trop compter
Le foyer d'où partent les rayons, tant de la grande que de la petite
ombelle, n'est pas toujours nu; il est quelquefois entouré de folioles
comme d'une manchette. On donne à ces folioles le nom d'iiuolucrp.
(enveloppe). Quand la grande ombelle a une manchette , on donne à cett»
manchette le nom de grand involucre : on appelle petits mvolucres ceux
qui entourent quelquefois les petites ombelles. Cela donne lieu à trois
sections des ombellifères.
1° Celles qui ont grand involucre et petits involucres;
2" Celles qui n'ont que les petits involucres seulement;
3° Celles qui n'ont ni grand ni petits involucres.
Il serableroit manquer une quatrième division de celles qui ont Ui
grand involucre et point de petits, mais on ne connoît aucun genre ou
soit constamment dans ce cas.
Vos étonnans progrès , chère cousine , et votre patience m'ont telle
ment enhardi que , comptant pour rien votre peine , j'ai osé vous décrir
la famille des ombellifères sans fixer vos yeux sur aucun modèle; ce q
•a rendu nécessairement votre attention beaucoup plus fatigante. Cèpe
dant j'ose douter, lisant comme vous savez faire, qu'après une ou de
lectures de ma lettre , une ombellifère en fleurs échappe à votre esp
Sun LA BOTANIQUE. 47
•n frappant Tos yeux; et, dans cette saison, vous ne pouvez manquer
l'en trouver plusieurs dans les jardins et dans la campagne.
Elles ont, la plupart, les fleurs blanches. Telles sont la carotte, le
•,erfeuil . le persil , la ciguë , l'angélique , la berce , la berle , la boucage ,
e chervis ou girole , la perce-pierre , etc.
Quelques-unes, comme le fenouil, l'anet, le panais, sont à fleurs jau-
les : il y en a peu à fleurs rougeâtres, et point d'aucune autre couleur,
I « Voilà, me direz-vous, une belle notion générale des ombellifères :
mais comment tout ce vague savoir me garantira-t-il de confondre la
:iguë avec le cerfeuil et le persil , que vous venez de nommer avec elle?
La moindre cuisinière en saura là-dessus plus que nous avec toute notre
loctrine.» Vous avez raison. Mais cependant, si nous commençons pat
.es observations de détail, bientôt, accablés par le nombre, la mémoire
nous abandonnera, et nous nous perdrons dès les premiers p dans ca
règne immense: au lieu que, si nous commençons par bien u^^. noîtrj
les^grandes routes, nous nous égarerons rarement dans les sentiers, et
noul nous retrouverons partout sans beaucoup de peine. Donnons cepen-
lant quelque exception à l'ulilité de l'objet, et ne nous exposons pas,
tout en analysant le règne végétal , à manger par ignorance une omelette
à la ciguë. ... .,
La petite ciguë des jardins est une ombellifere . ainsi que le peisil et
le cerfeuil. Elle a la fleur blanche comme l'un et l'autre '; elle est avec
le dernier dans la section qui a la petite enveloppe et qui n'a pas la
crrande; elle leur ressemble assez par sou feuillage, pour qu'il ne soi-
pas aisé de vous en marquer par écrit les dilTé>ences. Mais voici des
caractères suffisans pour ne vous y pas tromper. ^
Il faut commencer par voir en fleurs ces diverses plantes, car c est
en cet état que la ciguë a son caractère propre : c'est d'avoir sous chaque
petite ombelle un petit involucre composé de trois petites folioles poin-
tues, assez longues, et toutes trois tournées en dehors; au lieu que les
folioles des petites ombelles du cerfeuil l'enveloppent tout autour, et
sont tournées également de tous les côtés. A l'égard du persil , à peine
a-t-il quelques courtes folioles, fines comme des cheveux, et distribuées
indifl"éremraent, tant dans la grande ombelle que dans les petites, qui
toutes sont claires et maigres.
Quand vous vous serez bien assurée de la ciguë en fleurs, vous vous
confirmerez dans votre jugement en froissant légèrement et flairant son
feuillage; car son odeur puante et vireuse ne vous la laissera pas con-
fondre°av'ec le persil ni avec le cerfeuil , qui , tous deux , ont des odeurs
agréables. Bien sûre enfin de ne pas faire de quiproquo, vous exami-
nerez ensemble et séparément ces trois plantes dans tous leurs états et
par toutes leurs parties, surtout parle feuillage, -qui les accompagne
plus constamment que la fleur; et par cet examen, comparé et répété
jusqu'à ce que vous ayez acquis la certitude du coup d'œil, vous par-
i La fleur du persil est un peu jaunàlve; mais plusieurs fleurs d'ombel-
[iifères paroissenl jaunes, à cause de l'ovaire et des anthères, et ne laissent
(tas d'avoir des pétales blan:s.
kS LETTRES ELEMENTAIRES
viendrez à distinguer et connoître imperturbablement la ciguë. L'étuc'.'.*
nous mène ainsi jusqu'à la porte de la pratique, après quoi celle-ci fait
la facilité du savoir.
Prenez haleine, chère cousine, car voilà une lettre excédante; j
n'ose même vous promettre plus de discrétion dans celle qui doit 1
suivre; mais après cela nous n'aurons devant nous qu'un chemin bord
de flejrs. Vous en méritez une couronne pour la douceur et la constanc
avec laquelle vous daignez me suivre à travers ces broussailles, san-
vous rebuter de leurs épines.
Lettre VL
Du 2 mai <773.
Quoiqu'il vous reste, chère cousine, bien des choses à désirer dar.
les notions de nos cinq premières familles , et que je n'aie pas toujoui -
su mettre mes descriptions à la portée de notre petite botanophile (am? -
trice de la botanique) , je crois néanmoins vous en avoir donné une idu
suffisante pour pouvoir, après quelques mois d'herborisation, voi:
familiariser avec l'idée générale du port de chaque famille : en sor:
qu'à l'aspect d'une plante vous puissiez conjecturer à peu près si el'.
appartient à quelqu'une des cinq familles, et à laquelle, sauf à vérifie
ensuite, par l'analyse de la fructification, si vous vous êtes trompée c
non dans votre conjecture. Les ombellifères, par exemple, vous oi.
jetée dans quelque embarras, mais dont vous pouvez sortir quand il
vous plaira , au moyen des indications que j'ai jointes aux descriptions :
car enfin les carottes, les panais, sont choses si communes, que rie
n'est plus aisé, dans le milieu de l'été, que de se faire montrer l'une ci
l'autre en fleurs dans un potager. Or, au simple aspeet de l'ombelle e
de la plants qui la porte, on doit prendre une idée si nette des ombel
lifères , qu'à la rencontre d'une plante de cette famille , on s'y tromper
rarement au premier coup d'œil. Voilà tout ce que j'ai prétendu jus
qu'ici; car il ne sera pas question sitôt des genres et des espèces; et.
encore une fois , ce n'est pas une nomenclature de perroquet qu'il s'agit
d'acquérir, mais une science réelle, et l'une des sciences les plus ai
niables qu'il soit possible de cultiver. Je passe donc à notre sixièm
famille avant de prendre une route plus méthodique : elle pourra vou
embarrasser d'abord, autant et plus que les ombellifères. Mais mon bu
■n'est, quant à présent, que de vous en donner une notion générale
d'autant plus que nous avons bien du temps encore avant celui de i
pleine floraison, et que ce temps, bien employé, pourra vous aplani
des difficultés contre lesquelles il ne faut pas lutter encore.
Prenez une de ces petites fleurs qui, dans cette saison, tapissent le
pâturages, et qu'on appelle ici pâquerettes, petites marguerites, ou viar
^guérites tout court. P>egardez-la bien; car, à son aspect, je suis sûr (!
vous surprendre en vous disant que cette fleur , si petite et si mignonne ,
est réellement composée de deux ou trois cents autres fleurs toutes par-
faites , c'est-à-dire ayant chacune sa corolle , son germe , son pistil , ses
étaraines, sa graine, en un mot aussi parfaite en son espèce qu'une fleur
de jacinthe ou de lis. Chacune de ces folioles, blanches en dessus, roses
SUR LA BOTANIQUE. 49
en dessous , qui forment comme une couronne autour de la marguei ilu ,
et qui ne vous paroissent tout au plus qu'autant de petits pétales, sont
réellement autant de véritables fleurs; et chacun de ces petits brins
jaunes que vous voyez dans le centre , et que d'abord vous n'avez peut-
ètrepris que pour des étamines, sont encore autantde véritables fleurs. Si
vous aviez déjà les doigts exercés aux dissections botaniques , que vous
vous armassiez d'une bonne loupe et de beaucoup de patience , je pourrois
vous convaincre de cette vérité par vos propres yeux ; mais , pour le
présent, il faut commencer, s'il vous plaît, par m'ei croire sur ma pa-
role, de peur de fatiguer votre attention sur des atomes. Cependant,
pour vous mettre au moins sur la voie , arrachez une des folioles blanches
de la couronne, vous croirez d'abord cette foliole plate d'un bout à l'au-
tre; mais regardez-la bien par le bout qui étoit attaché à la fleur, vous
verrez que ce bout n'est pas plat , mais rond et creux en forme de tube , et
que de ce tube sort un petit filet à deux cornes : ce filet est le style four-
chu de cette fleur, qui, comme vous voyez, n'est plate que par le haut.
Regardez maintenant les brins jaunes qui sont au milieu de la fleur,
et que je vous ai dit être autant de fleurs eux-mêmes : si la fleur est
assez avancée, vous en verrez plusieurs tout autour, lesquels sont ou-
verts dans le milieu , et même découpés en plusieurs parties. Ce sont des
corolles monopétales qui s'épanouissent, et dans lesquelles la loupe
vous feroit aisément distinguer le pistil et même les anthères dont il est
entouré : ordinairement les fleurons jaunes, qu'on voit au centre, sont
encore arrondis et non percés; ce sont des fleurs comme les autres,
mais qui ne sont pas encore épanouies; car elles ne s'épanouissent que
successivement en avançant des bords vers le centre. En voilà assez
pour vous montrera l'œil la possibilité que tous ces brins, tant blancs
que jaunes, soient réellement autant de Heurs parfaites; et c'est un fait
très-constant : vous voyez néanmoins que toutes ces petites fleurs sont
pressées et renfermées dans un calice qui leur est commun , et qui est
celui de la marguerite. En considérant toute la marguerite comme une
seule fleur, ce sera donc lui donner un nom très-convenable que de
l'appeler une fleur composée; or il y a un grand nombre d'espèces et de
genres de fleurs formées comme la marguerite d'un assemblage d'autres
fleurs plus petites, contenues dans un calice commun. Voilà ce qui
constitue la sixième famille dont j'avois à vous parler; savoir, celle des
(leurs composées.
Commençons par ôter ici l'équivoque du mot de fleur, en restreignant
ce nom dans la présente famille à la fleur composée , et donnant celui de
fleurons aux petites fleurs qui la composent; mais n'oublions pas que,
dans la précision du mot , ces fleurons eux-mêmes sont autant de véri-
tables fleurs.
Vous avez vu dans la marguerite deux sortes de fleurons; savoir, ceux
de couleur jaune qui remplissent le milieu de la fleur, et les petite-s lan-
guettes blanches qui les entourent : les premiers sont, dans leur peti-
tesse, assez semblables de figure aux fleurs du muguet ou de la jacinthe,
et les seconds ont quelque rapport aux fleurs du chèvrefeuille. Nous
laisserons aux premiers le do!?i de (levronsy et, pour distinguer las
RorssEAtr vt &
5C LETTRES ÉLÉMENTAIRES
aut-os, nous les appellerons demi- fleurons; car, en effet, ils ont assez
lair de fleurs monopétales qu'on auroit rognées par un côté en n'y iais
sant qu'une languette qui feroit à peine la moitié de la corolle
Ces deux sortes de fleurons se combinent dans les fleurs composées de
manière a diviser toute la famille en trois sections bien distinctes
La première section est formée de celles qui ne sont composées que d-
languettes ou demi-fleurons , tant au milieu qu'à la circonférence -on le^
appelle fleurs demi-fleuronnées ; et la fleur entière dans cette section
est toujours d'une seule couleur, le plus souvent jaune. Telle est la
fleur appelée dent-de-lion ou pissenlit ; telles sont les fleurs de laitues
de chicorée (celle-ci est bleue) , de scorsonère , de salsifis , etc. '
La seconde section comprend les fleurs fleuroniiées , c'est-à-dire qui
ne sont composées que de fleurons . tous pour l'ordinaire aussi dune seu^e
couleur : telles sont les fleurs d'immortelle, de bardane, d'absinthe
d armoise de chardon , d'artichaut , qui est un chardon lui-même , doni
on mange le calice et le réceptacle encore en bouton , avant que la fleur
soit eclose , et même formée. Cette bourre , qu'on ôte du milieu de l'ar-
tichaut , n est autre chose que l'assemblage des fleurons qui commencent
a se former, et qui sont séparés les uns des autres par de lon-s poils
implantes sur le réceptacle. ° ^
La troisième section est celle des fleurs qui rassemblent les deux
sortes de fleurons. Cela se fait toujours de manière que les fleurons en-
lers occupent le centre de la fleur, et les demi-fleurons forment le con-
tour ou la circomerence, comme vous avez vu dans la pâquerette Les
fleurs de cette section s'appellent radiées, les botanistes ayant donné t
nom de rayon au contour d'une fleur composée, quand il est formé de-
languettes ou demi-fleurons. A l'égard de l'aire ou du centre de la
fleur occupe par es fleurons, on l'appelle le disque, et on donne aussi
quelquefois ce même nom de disque à la surface du réceptacle où sont
plantes tous les fleurons et demi-fleurons. Dans les fleurs radiées le dis
que est souvent d'une couleur et le rayon d'une autre : cependant il v a
aussi des genres et des espèces où tous les deux sont de la même couleur
Tachons a présent de bien déterminer dans votre esprit l'idée d'une
fleur composée. Le trèfle ordinaire fleurit en cette saison; sa fleur est
pourpre : s il vous en tomboit une sous la main, vous pourriez en
voyant tant de petites fleurs rassemblées, être tentée de prendre le 'tout
pour une fleur composée. Vous vous tromperiez; en quoi? en ce oue
pour constituer une fleur composée , il ne suffit pas d'ïne agrégat on dé
tiesde la fuctification leur soient communes, de manière que toutes
aient part a la même, et qu'aucune n'ait la sienne séparémen Ces
deux parties communes sont le calice et le réceptacle. Il est vrai que la
ïrr^ H'"h'"!i' °" ^'^"'°' ^' §^°"P^ ^' ^'^'' <i''' ^'^» semble qu'une
paroit d abord portée sur une espèce de calice ; mais écartez un peu ce
prétendu calice et vous verrez qu'il ne tient point à la fleur, mais qu'il
est attache au-dessous d'elle au pédicule qui la porte. Ain i ce calice
apparent n'en est point un; il appartient au feuillage et non pas à a
fleur; et cette prétendue fleur n'est en efl^et qu'un assemblage de fleurs
SUR LA BOTANIQUE. 51
légumineuses fort petites, dont chacune a son calice particulier, et qui
n'ont absolument rien de commun entre elles que leuratiaclie au même
pédicule. L'usage est pourtant de prendre tout cela pour une seule
fleur; mais c'est une fausse idée, ou, si l'on veut absolument regarder
comme une fleur un bouquet de cette espèce, il ne faut pas du moins
l'appeler une fleur composée, mais une fleur agrégée ou une tète {flos
aggregatus, flos capitatus, capituZu?n). Et ces dénominations sont en
effet quelquefois employées en ce sens par les botanistes.
Voilà, chère cousine, la notion la plus simple et la plus naturelle que
je puisse vous donner de la famille , ou plutôt de la nombreuse classe
des composées . et des trois sections ou familles dans lesquelles elles se
subdivisent. Il faut maintenant vous parler de la structure des fructifi-
cations particulières à cette classe , et cela nous mènera peut-être à en
déterminer le caractère avec plus de précision.
La partie la plus essentielle d'une fleur composée est le réceptacle sur
lequel sont plantés, d'abord les fleurons et demi-fleurons , et ensuite
les graines qui leur succèdent. Ce réceptacle, qui forme un disque
d'une certaine étendue, fait le centre du calice, comme vous pouvez
voir dans le pissenlit, que nous prendrons ici pour exemple. Le calice,
dans toute cette famille, est ordinairement découpé jusqu'à la base en
plusieurs pièces, afin qu'il puisse se fermer, se rouvrir, et se renverser,
comme il arrive dans le progrès de la fructification, sans y causer de
déchirure. Le calice du pissenlit est formé de deux rangs de folioles
insérés l'un dans l'autre, et les folioles du rang extérieur qui soutient
l'autre se recourbent et replient en bas vers le pédicule, tandis que les
folioles du rang intérieur restent droites pour entourer et contenir les
demi-fleurons qui composent la fleur. .
Une forme encore des plus communes aux calices de cette classe est
d'être imbriqués , c'est-à-dire formés de plusieurs rangs de folioles en
recouvrement, les unes sur les joints des autres, comme les tuiles d'un
toit. L'artichaut, le bluet, la jacée, la scorsonère, vous offrent des
exemples de calices imbriqués.
Les fleurons et demi-fleurons enfermés dans le calice sont plantés fort
dru sur son disque ou réceptacle en quinconce, ou comme les cases
d'un damier. Quelquefois ils s'entre-touchent à nu sans rien d'intermé-
diaire, quelquefois ils sont séparés par des cloisons de poils ou de petites
écailles qui restent attachées au réceptacle quand les graines sont tom-
bées. Vous voilà sur la voie d'observer les différences de calices et de
réceptacles; parlons à présent de la structure des fleurons et demi-fleu-
rons , en commençant par les premiers.
Un fleuron est une fleur monopétale , régulière , pour l'ordinaire , dont
la corolle se fend dans le haut en quatre ou cinq parties. Dans cette
corolle sont attachés, à son tube, les filets des étamines au nombre de
cinq. Ces cinq filets se réunissent par le haut en un petit tube rond qui
entoure le pistil , et ce tube n'est autre chose que les cinq anthères ou
étamines réunies circulairement en un seul corps. Cette réunion des
étamines forme, aux yeux des botanistes. !e caractère essentiel des
fleurs composées , et n'appartient qu'à leurs fleurons exclusivement a
52 LETTRES ÉLÉMENTAIRES
toutes sortes de fleurs. Ainsi vous aurez beau trouver plusieurs flears
portées sur un même disque, comme dans les scabieuses et le chardon
à foulon, si les anthères ne se réunissent pas en un tube autour du
pistil, et si la corolle ne porte pas sur une seule graine nue, ces
fleurs ne sont pas des fleurons et ne forment pas une fleur composée. Au
contraire , quand vous trouveriez dans une fleur unique les anthères
ainsi réunies en un seul corps, et la corolle superposée sur une seule
graine, cette fleur, quoique seule, seroit un vrai fleuron, etappartien-
droit à la famille des composées, dont il vaut mieux tirer ainsi le carac-
tère d'une structure précise que d'une apparence trompeuse.
Le pistil porte un style plus long d'ordinaire que le fleuron, au-dessus
duquel on le voit s'élever à travers le tube formé par les anthères. Il se
termine le plus souvent, dans le haut, par un stigmate fourchu dont on
voit aisément les deux petites cornes. Par son pied, le pistil ne porte
pas immédiatement sur le réceptacle, non plus que le fleuron; mais
l'un et l'autre y tiennent par le genre qui leur sert de base, lequel
croît et s'allonge à mesure que le fleuron se dessèche , et devient enfin
une graine longuette qui reste attachée au réceptacle , jusqu'à ce qu'elle
soit mûre. Alors elle tombe si elle est nue , oy bien le vent l'emporte
au loin si elle est couronnée d'une aigrette de plumes, et le réceptacle
reste à découvert tout nu dans des genres, ou garni d'écaillés ou de
poils dans d'autres.
La structure des demi-fleurons est semblable à celle des fleurons ; les
étamines, le pistil et la graine y sont arrangés à peu près de même:
seulement, dans les fleurs radiées, il y a plusieurs genres où les demi-
fleurons du contour sont sujets à avorter, soit parce qu'ils manquent
d'étamines, soit parce que celles qu'ils ont sont stériles, et n'ont pas la
force de féconder le germe ; alors la fleur ne graine que par les fleurons
du milieu.
Dans toute la classe des composées, la graine est toujours sessile,
t'est-à-dire qu'elle porte immédiatement sur le réceptacle sans aucun
pédicule intermédiaire. Mais il y a des graines dont le sommet est cou-
ronné par une aigrette quelquefois sessile, et quelquefois attachée à la
|raine par un pédicule. Vous comprenez que l'usage de cette aigrette
ist d'éparpiller au loin les semences, en donnant plus de prise à l'air
pour les emporter et semer à distance.
A ces descriptions informes et tronquées , je dois ajouter que les ca-
lices ont, pour l'ordinaire, la propriété de s'ouvrir quand la fleur s'é-
panouit, de se refermer quajid les fleurons se sèment et tombent, afin
de contenir la jeune graine et l'empêcher de se répandre avant sa ma-
turité; enfin de se rouvrir et de se renverser tout à fait pour offrir dans
leur centre une aire plus large aux graines qui grossissent en mûris-
sant. Vous avez dû souvent voir le pissenlit dans cet état, quand les
enfans le cueillent pour souffler dans ses aigrettes, qui forment un
globe autour du calice renversé.
Pour bien connoître cette classe , il faut en suivre les fleurs dès avant
leur épanouissement jusqu'"à la pleine maturité du fruit, et c'est dans
celte succession qu'on voit des métamorphoses et un enchaînement de
SUR LA BOTANIQUE. 53
merveilles qui tiennent tout esprit sain qui les observe dans une conti-
nuelle admiration. Une fleur commode pour ces observations est celle
des soleils, qu'on rencontre fréquemment dans les vignes et dans les
jardins. Le soleil, comme vous voyez, est une radiée. La reine-mar-
guerite , qui , dans l'automne, fait l'ornement des parterres, en est une
aussi. Les chardons' sont des fleuronnées : j'ai déjà dit que la scorso-
nère et le pissenlit sont des demi-fleuronnées. Toutes ces fleurs sont
assez grosses pour pouvoir être disséquées et étudiées à l'œil nu sans
le fatiguer beaucoup.
Je ne vous en dirai pas davantage aujourd'hui sur la famille ou classe
des composées. Je tremble déjà d'avoir trop abusé de votre patience par
des détails que j'aurois rendus plus clairs si j'avois su les rendre plus
courts: mais il m'est impossible de sauver la difficulté qui naît de la
petitesse des objets. Bonjour, chère ccusinç.
Lettre YIL — Sur les arbres fruiiien.
J'attendois de vos nouvelles , chère cousine , s.ans impatience , parce
que M. T. . que j'avois vu depuis la réception de votre précédente lettre,
m'avoit dit avoir laissé votre maman et toute votre famille en bonne
santé. Je me réjouis d'en avoir la confirmatiou par vous-même , ainsi
que des bonnes et fraîches nouvelles que vous me donnez de ma tante
Gonceru. Son souvenir et sa bénédiction ont épanoui de joie un cœur
à qui , depuis longtemps , on ne fait plus guère éprouver de ces sortes
de mouvemens. C'est par elle que je tiens encore à quelque chose de
bien précieux sur la terre ; et tant que je la conserverai . je continuerai ,
quoi qu'on fasse, à aimer la vie. Voici le temps de profiter de vos bontés
ordinaires pour elle et pour moi; il me semble que ma petite offrande
prend un prix réel en passant par vos mains. Si votre cher époux vient
bientôt à Paris, comme vous me le faites espérer, je le prierai de vou-
loir bien se charger de mon tribut annuel*; mais s'il larde un peu, je
vous prie de me marquer à qui je dois le remettre, afin qu'il n'y ait
point de retard , et que vous n'en fassiez pas l'avance comme l'année
dernière, ce que je sais que vous faites avec plaisir, mais à quoi je ne
dois pas consentir sans nécessité.
Voici , chère cousine, les noms des plantes que vous m'avez envoyées
en dernier lieu. J'ai ajouté un point d'interrogation à ceux dont je suis
en doute , parce que vous n'avez pas eu soin d'y mettre des feuilles avec
la fleur, et que le feuillage est souvent nécessaire pour déterminer l'es-
pèce à un aussi mince botaniste que moi. En arrivant à Fourrière,
vous trouverez la plupart des arbres fruitiers en fleurs, et je me souviens
que vous aviez désiré quelques directions sur cet article. Je ne puis en
ce moment vous tracer là-dessus que quelques mots très à la hâte , étant
très-pressé , et afin que vous ne perdiez pas encore une saison pour cet
examen.
i . Il faut prendre garde de n'y pas mêler le cîiardon à fonloD ou des
bonnetiers, qui n'est pas un vrai chardon.
2. La renie de «00 livres qu'il faisoilà sa lanle Gonceru. (Éd.^
54 LETTRES ÉLÉMENTAIRES
Il ne faut pas, chère amie, donner à la botanique une importance
qu'elle n'a pas; c'est une étude de pure curiosité, et qui n'a d'autre
utilité réelle que celle que peut tirer un être pensant et sensible de l'ob-
servation de la nature et des merveilles de l'univers. L'homme a déna-
turé beaucoup de choses pour les mieux convertir à son usage : en cela
il n'est point à blâmer; mais il n'en est pas moins vrai qu'il les a sou-
vent déligurées, et que, quand dans les œuvres de ses mains il croit
étudier vraiment la nature, il se trompe. Cette erreur a lieu surtout
ilans la société civile; elle a lieu de même dans les jardins. Ces fleurs
doubles , qu'on admiré dans Jes parterres, sont des monstres dépourvus
de la faculté de produire leur semblable, dont la nature a doué tous les
êtres organisés. Les arbres fruitiers sont à peu près dans le même cas
par la greffe : vous aurez beau planter des pépins de poires et de pommes
des meilleures espèces, il n'en naîtra jamais que des sauvageons. Ainsi
pour connoître la poire et la pomme de la nature, il faut les chercher'
non dans les potagers, mais dans les forêts. La chair n'en est pas si
grosse et si succulente , mais les semences en mûrissent mieux en mul-
tiplient davantage , et les arbres en sont infiniment plus grands et plus
vigoureux. Mais j'entame ici un article qui me mèneroit trop loin : re-
venons à nos potagers.
Nos arbres fruitiers, quoique greffés, gardent dans leur fructification
tous les caractères botaniques qui les distinguent; et c'est par l'étude
attentive de ces caractères, aussi bien que par les transformations de la
greffe, quon s'assure qu'il n'y a, par exemple, qu'une seule espèce de
poire sous mille noms divers , par lesquels la forme et la saveur de leur»
fruits les a fait distinguer en autant de prétendues espèces qui ne sont
au fond , que des variétés. Bien plus , la poire et la pomme ne sont que
deux espèces du même genre, et leur unique différence bien caractéris-
tique est que le pédicule de la pomme entre dans un enfoncement
du fruit, et celui de la poire tient à un prolongement du fruit un peu
allonge. De même toutes les sortes de cerises , guignes , griottes , bigar-
reaux, ne sont que des variétés d'une même espèce : toutes les prunes
ne sont qu'une espèce de prunes ; le genre de la prune contient trois
espèces principales , savoir : la prune proprement dite , la cerise et
I abricot , qui n'est aussi qu'une espèce de prune. Ainsi , quand le savant
Linnaeus, divisant le genre dans ses espèces, a dénommé la prune
prune , la prune cerise et la prune abricot , les ignorans se sont moq^xés
de lui ; mais les observateurs ont admiré la justesse de ses réductions etc
II faut courir , je me hâte. '
Les arbres fruitiers entrent presque tous dans une famille nombreuse
dont le caractère est facile à saisir, en ce que les étamines, en grand
nombre, au lieu d'être attachées au réceptacle, sont attachées au calice
par les intervalles que laissent les pétales entre eux; toutes leurs fleurs
sont polypetales et à cinq communément. Voici les principaux caractères
génériques.
Le genre de la poire, qui comprend aussi la pomme et le coin. Calice
monophylle à cinq pointes. Corolle à cinq pétales attachés au calice
une vingtaine d'étamines toutes attachées au calice. Germe ou ovairo
SUR L.\ BOTANIQUE. 55
infère, c'est-à-dire au-dessous de la corolle , cinq styles. Fruits charnus
à cinq logettes, contenant des graines, etc.
Le genre de la prune, qui comprend l'ahricot, la cerise et le Taurier-
cerise. Calice, corolles et anthères à peu près comme la poire; mais le
germe est supère, c"esl-à-dire dans la corolle, et il n'y a qu'un style.
Fruit plus aqueux que charnu , contenant un noyau , etc.
Le genre de l'amande , qui comprend aussi la pêche. Presque comme
prune, si ce n'est que le germe est velu, et que le fruit, mou dans
pèche, sec dans l'amande, contient un noyau dur, raboteux, parsemé
' cavités, etc.
Tout ceci n'est que bien grossièrement ébauché . mais c'en est assez
pour vous amuser cette année. Bonjour, chère cousine.
Lettre VIIL — Sur les herbiers'.
nu H avril «773.
Grâce au ciel, chère cousine, vous voilà rétablie. Mais ce n'est pas
sans que votre silence et celui de M. G. , que j'avois instamment prié de
m'écrire un mot à son arrivée , ne m'ait causé bien des alarmes. Dans des
inquiétudes de cette espèce, rien n'est plus cruel que le silence, parce
qu'il fait tout porter au pis; mais tout cela est déjà oublié, et je ne sens
plus que le plaisir de votre rétablissement. Le retour de la belle saison,
la vie moins sédentaire de Fourrière , et le plaisir de remplir avec succès
la plus douce ainsi que la plus respectable des fonctions, achèveront
bientôt de l'afTermir; et vous en sentirez moins tristement l'absence
passagère de votre mari , au milieu des chers gages de son attachement,
et des soins continuels qu'ils vous demandent.
La terre commence à verdir, les arbres à bourgeonner, les fleurs à
s'épanouir : il y en a déjà de passées: un moment de retard pour la
botanique nous reculeroit d'une année entière : ainsi j'y passe sans
, autre préambule.
Je crains que nous ne l'ayons traitée jusqu'ici d'une manière trop
abstraite, en n'appliquant point nos idées sur des objets déterminé-:
c'est le défaut dans lequel je suis tombé, principalement à l'égard des
ombellifères. Si j'avois commencé par vous en mettre une sous les yeux,
je vous aurois épargné une application très-fatigante sur un objet ima-
ginaire, et à moi des descriptions difficiles, auxquelles un simple coup
' d'œil auroit suppléé. Malheureusement, à la distance où la loi delà
nécessité me tient de vous, je ne suis pas à portée de vous montrer du
doigt les objets; mais si, chacun de notre côté, nous en pouvons avoir
sous les yeux de semblables, nous nous entendrons très-bien l'un
l'autre en parlant de ce que nous voyons. Toute la difficulté est qu'il
faut que l'indication vienne de vous; car vous envoyer d'ici des plantes
sèches seroit ne rien faire. Pour bien reconnoitre une plante, il faut
commencer par la voir sur pied. Les herbiers servent de mémoratif pour
celles qu'on a déjà connues, mais ils font malconnoitre celles qu'on n'a
1. Nous plaçons celle lettre après les deux précédcnles, malgré sa date,
pour la rapproclier de la lettre IX, dont \e sujet esl le môme. (Éd.)
56 LETTRES ÉLÉMENTAIRES
pas vues auparavant. C'est donc à vous de m'envoyer des plantes que
vous voudrez connoître et que vous aurez cueillies sur pied; et c'est à
moi de vous les nommer, de les classer, de les décrire, jusqu'à ce que,
par des idées comparatives . devenues familières à vos yeux et à votre
esprit, vous parveniez à classer, ranger et nommer vous-même celles
que vous verrez pour la première fois : science qui seule distingue le
vrai botaniste de l'herboriste ou nomenclateur. Il s'agit donc ici d'ap-
prendre à préparer, dessécher et conserver les plantes, ou échantillons
déplantes, de manière à les rendre faciles à reconnoître &t à déter-
miner. C est , en un mot , un herbier que je vous propose de commencer.
Voici une grande occupation qui, de loin, se prépare pour notre petite
amatrice; car, quant à présent, et pour quelque temps encore, il faudra
que l'adresse de vos doigts supplée à la foiblesse des siens.
Il y a d'abord une provision à faire; savoir, cinq ou six mains de
papier gris, et à peu près autant de papier blanc, de même grandeur,
assez fort et bien collé, sans quoi les plantes se pourriroient dans le
papier gris, ou du moins les fleurs y perdroient leur couleur; ce qui
est une des parties qui les rendent reconnoissables, et par lesquelles un
herbier est agréable à voir. Il seroit encore à désirer que vous eussiez
une presse de la grandeur de votre papier, ou du moins deux bouts de
planches bien unies, de manière qu'en plaçant vos feuilles entre deux,
vous les y puissiez tenir pressées par les pierres ou autres corps pesans
dont vous chargerez la planche supérieure. Ces préparatifs faits, voici
ce qu'il faut observer pour préparer vos plantes de manière à les con-
server et les reconnoître.
Le moment à^ choisir pour cela est celui où la plante est en pleine ,
fleur, et où même quelques fleurs commencent à tomber pour faire ^
place au fruit qui commence à paroître. C'est dans ce point où toutes
les parties de la fructification sont sensibles, qu'il faut tâcher de
prendre la plante pour la dessécher dtfns cet état.
Les petites plantes se prennent tout entières avec leurs racines , qu'on
„ join de bien nettoyer avec une brosse, afin qu'il n'y reste point de
terre. Si la terre est mouillée, on la laisse sécher pour la brosser, ou
L.^n on lave la racine; mais il faut avoir alors la plus grande attention
de la bien essuyer et dessécher avant de la mettre entre les papiers,
sans quoi elle s'y pourriroit infailliblement, et communiqueroit sa
pourriture aux autres plantes voisines. Il ne faut cependant s'obstiner
à conserver les racines qu'autî.nt qu'elles ont quelques singularités
remarquables; car , dans le plus grand nombre , les racines ramifiées et
fibreuses ont des formes si semblables, que ce n'est pas la peine de les
conserver. La nature, qui a tant fait pour l'élégance et l'ornement dans
la figure et la couleur des plantes en ce qui frappe les yeux , a destiné
les racines uniquement aux fonctions utiles, puisque étant cachées dans
la terre, leur donner une structure agréable eût été cacher la lumière
sous le boisseau.
Les arbres et toutes les grandes plantes ne se prennent que par échan-
tillon; mais il faut que cet échantillon soit si bien choisi, qu'il con-
tienne toutes les parties constitutives du genre et de l'espèce, afin qu'il
SUR LA BOTA?vJQUE. 57
puisse suffire pour reconnoître et déterniiner la plante qui l'a fourni.
Il ne suffit pas que toutes les parties de la fructification y soient sensi-
bles, ce qui ne serviroit qu'à distinguer le genre; il faut qu'on y voie
Lien le caractère de la foliation et de la ramification, c'est-à-dire la
naissance et la forme des feuilles et des branches , et même . autant qu'il
se peut, quelque portion de la tige; car, comme vous verrez dans la
suite, tout cela sert à distinguer les espèces différentes des mêmes
genres, qui sont parfaitement semblables par la fleur et le fruit. Si les
branches sont trop épaisses, on les amincit avec un couteau ou canif,
en diminuant adroitement par-dessous de leur épaisseur, autant que
cela se peut, sans couper et mutiler les feuilles. Il y a des botanistes
qui ont la patience de fendre Técorce de la branche et d'en tirer adroi-
tement le bois, de façon que l'écorce rejointe paroît vous montrer en-
oore la branche entière , quoique le hois n'y soit plus : au moyen de
quoi l'on n'a point entre les papiers des épaisseurs et bosses trop consi-
dérables, qui gâtent, défigurent l'herbier, et font prendre une mauvaise
forme aux plantes. Dans les plantes où les (leurs et les feuilles ne vien-
nent pas en même temps, ou naissent trop loin les unes des autres, on
prend une petite branche à fleurs et une petite branche à feuilles; et.
les plaçant ensemble dans le même papier, on offre ainsi à l'œil les di-
verses parties de la même plante, suffisantes pour la faire reconnoîlre.
Quant aux plantes où l'on ne trouve que des feuilles, et dont la fleur
n'est pas encore venue ou est déjà passée , il les faut laisser , et attendre .
pour les reconnoître, qu'elles montrent leur visage. Une plante n'est
pas plus sûrement reconnoissable à son feuillage qu'un homme à son
habit.
Tel est le choix qu'il faut mettre dans ce qu'on cueille : il en faut
mettre aussi dans le moment qu'on prend pour cela. Les plantes
cueillies le matin à la rosée , ou le soir à l'humidité , ou le jour durant
la pluie, ne se conservent point.' 11 faut absolument choisir un temps
Bec, et même, dans ce temps-là, le moment le plus sec et le plus chaud
de la journée , qui est en été entre onze heures du matin et cinq ou six
heures du soir. Encore alors, si l'on y trouve la moindre humidité,
faut-il les laisser, car infailliblement elles ne se conserveront pas.
Quand vous avez cueilli vos échantillons, vous les apportez au logis,
toujours bien au sec , pour les placer et arranger dans vos papiers.
Pour cela vous faites votre premier lit de deux feuilles au moins de
papier gris, sur lesquelles vous placez une feuille de papier blanc, et
sur cette feuille vous arrangez votre plante , prenant grand soin que
toutes ses parties , surtout les feuilles et les fleurs , soient bien ouvertes
et bien étendues dans leur situation naturelle. La plante un peu flétrie,
mais sans l'être trop , se prête mieux pour l'ordinaire à l'arrangement
qu'on lui donne sur le papier avec le pouce et les doigts. Mais il y en a
de rebelles qui se grippent d'un côté , pendant qu'on les arrange de
l'autre. Pour prévenir cet inconvénient , j'ai des plombs, des gros sous,
des liards, avec lesquels j'assujettis les parties que je viens d'arranger,
tandis que j'arrange les autres, de façon que, quand j'ai fini, ma plante
te trouve presque toute couverte de ces pièces qui la tiennent en état.
-8 LETTRES ÉLÉMENTAIRES
-Après cela on pose une seconde feuille blanche sur la première et o
la presse avec la main, afin de tenir la plante assujettie dans la situa
tion quon lui a donnée, avançant ainsi la main gauche qui presse
mesure qu'on retire avec la droite les plombs et les gros sous qui sor
entre les papiers : on met ensuite deux autres feuilles de papier gri
sur la seconde feuille blanche, sans cesser un seul moment de tenir l
plante assujettie, de peur qu'elle ne perde la situation qu'on lui :
donnée. Sur ce papier gris on met une autre feuille blanche: sur cett
feuille une plante qu'on arrange et recouvre comme ci-devant, jusqu'i
ce qu on ait placé toute la moisson qu'on a apportée , et qui ne doit pa
être nombreuse pour chaque fois, tant pour éviter la longueur du tra-
vail, que de peur que, durant la dessiccation des plantes, le papier n(
contracte quelque humidité par leur grand nombre, ce qui gâteroi
mfaïUiblement vos plantes, si vous ne vous hâtiez de les changer dt
papier avec les mêmes attentions; et c'est même ce qu'il faut faire de
temps en temps jusqu'à ce qu'elles aient bien pris leur pli, et qu'elle'
soient toutes assez sèches.
Votre pile de plantes et de papiers ainsi arrangée doit être mise en
presse, sans quoi les plantes se gripperoient : il y en a qui veulent être
plus pressées, d autres moins; l'expérience vous apprendra cela, airsi
qua les changer de papier à propos, et aussi souvent qu'il faut, sans
vous donner un travail inutile. Enfin , quand vos plantes seront bien
sèches, vous les mettrez bien proprement chacune dans une feuille de
papier, les unes sur les autres, sans avoir besoin de papiers intermé-
diaires, et vous aurez ainsi un herbier commencé, qui s'augmentera
sans cesse avec vos connoissances, et contiendra enfin l'histoire de
toute la végétation du- pays : au reste, il faut toujours tenir un herbier
bien serre et un peu en presse, sans quoi les plantes, quelque sèches
qu elles fussent ,'attireroient l'humidité de l'air et se gripperoient encore.
Aoici maintenant l'usage de tout ce travail pour parvenir à la con-
noissance particulière des plantes et à nous bien entendre lorsque nous
en parlerons.
11 faut cueillir deux échantillons de chaque plante : l'un, plus °Tand
pour la garder; l'autre, plus petit, pour me l'envoyer. Vous les numé-
roterez avec soin, de façon que le grand et le petit échantillon de cha-
que espèce aient toujours le même numéro. Quand vous aurez une
ilouzame ou deux d'espèces ainsi desséchées, vous me les enverrez dans
un petit cahier par quelque occasion. Je vous enverrai le nom et la d.>
cnption des mêmes plantes; par le moyen des numéros, vous les recoi,
noitrez dans votre herbier, et de là sur la terre , où je suppose que vous
aurez commencé de les bien examiner. Voilà un moyen sûr de faire des
progrès aussi sûrs et aussi rapides qu'il est possible loin de votre guide.
AT. U. J'ai oublié de vous dire que les mêmes papiers peuvent servir
plusieurs fois , pourvu qu'on ait soin de les bien aérer et dessécher aupa-
ravant. Je dois ajouter aussi que l'herbier doit être tenu dans le lieu
le plus sec de la maison, et plutôt au premier qu'au rez de-chaussée'.
i. Dans le Dictionnaire élémentaire de Botanique de Bulliard, revu par Ri-
SUR LA BOTANIQUE. 59
LiîTTRE IX. — Sur le format des herbiers et sur la synonymie.
A M. DE MALESHERBES.
^. Si j'ai tardé si longtemps, monsieur, à répondre en détail à la lettre
jue vous avez eu la bonté de ra'écrire le 3 janvier, c'a été d'abord dans
'idée du voyage dont vous m'aviez prévenu, et auquel je n'ai appris
lue dans la suite que vous aviez renoncé, et ensuite par mon travail
oûrnalier, qui m'est venu tout d'un coup en si grande abondance,
jue , pour ne rebuter personne , j'ai été obligé de m'y livrer tout entier ;
1 Îin-S°, Paris, 1802) , au mot Herbier, se trouve une assez longue cita-
que rameur de cet article annonce être extraite d'un manuscrit de Rous-
-t,,Li. Celte ciiaiion ne peut mieux trouver sa place qu'ici, et nous la ferons
précéder de ce que dit Buliiard ou Richard à coite occasion.
« On sait que J. J. Rousseau aimoit passionnément la botanique, et qu'il
iravailioit môme à faire dans celle science quelques réformes avantageuses.
Il s'est longtemps occupé de l'art delà dessiccation dis plantes ; il nous a
laissé plusieurs herbiers de ditTérens formats. Parmi les livres rares et pré-
cieux qui composent la bibliolhèque du savant Malesherbes, on trouve deux
petits herbiers de Jean-Jacques, faits avec tout le soin et tout l'art possibles:
l'un est de formai in-8°, et ne renferme que des cryptoguires; et l'autre, du
formai in-4°, est composé de plantes à fleurs distinctes.
« M. Tourmevel, ayant appris que j'élois sur le point de faire imprimer cet
ouvrage, a bien voulu concourir de la manière la plus obligeante à en aug-
menter l'utilité, en me communiquant un manuscrit du philosophe genevois,
sur la nécessité d'un herbier, et sur les moyens les plus simples et les plus
avantageux en même temps de travailler à s'en faire un.
« Jean-Jacques, après avoir montré la nécessité d'un herbier, après s'êlre
élevé contre ces prétendus botanistes qui ont des herbiers de huit à dix mille
plaines éirangcres, et qui ne connoissent pas celles qu'ils foulent continuelle-
ment aux pieds, dil :
« On peut se faire un très-bon herbier sans savoir un mot de botanique;
« tous ceux qui se disposent à étudier la botanique devroient commencer par
« là. Quand ils auroienl desséché un assez bon nombre de plantes, et qu'il ne
tt ne s'agirait plus que d'y ajouter les noms, il y a des gens qui leur ren-
Œ droient ce serv'ice pour de l'argent, ou pour quelque chose d'équivalent;
a d'ailleurs n'avons-nous pas dans presque toutes les villes un peu considéli
o râbles des jardins botaniques où les plantes sont disposées dans un ordre
ot méthodique, marquées d'un étiquet sur lequel leur nom est inscrit.'' Pour
a peu que l'on ait une idée de la méthode adoptée, et les premières notions
a de l'A, B, G de la botanique , c'est-à-dire les premiers élémens de celte
« science, on y trouve les plantes que l'on cherche; on les compare; on en
c prend les noms, et c'en est assez : l'usage fait le reste et nous rend bota-
« nistes. Mais ne comptez guère sur les meilleurs livres de botanique, pour
«nommer, d'après eux, des plantes que vous ne ccnnoitriez pas : si ces
oc livres ne sont pas accompagnés de bonnes figures, ils vous fatigueront sans
a. succès ; à chaque pas ils vous offriront de nouvelles difficultés, et ne vous
o apprendront rien..-. Ne vous attendez pointa conserver une plante dans
a tout son éclat ; celles qui se dessèchent le mieux perdent encore beaucoup
a de leur fraîcheur.... De tous les moyens employés à la dessiccation des
« plantes, le plus simple, celiil de la pression, est le préférable pour un ber-
« bier. Les couleurs peuvent être conservées aussi bien que par la dessicca-
« tien îu sable , et les plantes desséchées y sont moins volumineuses el
If:
CO LETTRES ÉLÉMENTAIRES
ce qui a fait à la botanique une diversion de plusieurs mois. Mais enflj
voilà la saison revenue, et je rae prépare à recomnaencer mes courset
champt-'lres, devenues, par une longue habitude, nécessaires à mo'
humeur et à ma santé.
En parcourant ce qui me restoit en plantes sèches, je n'ai guèr
trouvé hors de mon herbier, auquel je ne veux pas toucher, que que
ques doubles de ce que vous avez déjà reçu; et cela ne valant pas 1
peine d'être rassemblé pour un premier envoi, je trouverois convenabl |t:
de me faire, duran-t cet été, de bonnes fournitures, de les préparer
(c moins fragiles... Ayez une bonne provision de quatre sortes de papiers
« 1° du papier gris, épais cl peu collé: 2° du papier gris, épais et collé ; 3" di
« gros papier blanc sur lequel on puisse écrire ; cl 4° du papier blanc su
« lequel vous fixerez vos piaules, lorsque la dessiccation sera complèle...
« Lorsque vous voudrez dessécher une plante, il faut la cueillir par un beai
« lenips; cl lorsque ses llcurs .seront épanouies, laissez- la quelques heures S(
« faner à l'air libre — Dès que ses parties seront amollies, éiendez-la avc(
« soin sur une feuille de papier gris de la première espèce dont j'ai parlé
a niellez dessous celle feuille une feuille de carton, cl dessus, douze à quinze
a doubles de pap'cr de la première espèce; mettez le tout cnlrc doux ais d(
o bois, ou deux plancbcs bien unies, que vous chargerez d'abord médiocre-
a ment, cl dont vous augmenterez peu à peu la [iression, à mesure que la
a dessiccation s'opérera, il est plus avantageux do se servir de ces petites
« presses de brocheuses, parce que l'on scnc si peu et autant qu'on le veut:
« au bout d'une heure ou deux, serrez-la davantage, cl laissez-la ainsi vin.^l-
« quatre heures au plus; relirez-la ensuite; changez-la de papier, cl mettez
« dessous une autre feuille de carton bien sèche, ainsi que les fcuilliîsde pa
.( picr que vous allez meltre dessus ; remettez le tout en presse; serrez plus que
a la première fois ; laissez ainsi deux Jours votie plante sans y toucher; chan-
a gcz-Ia encore une Iroisiôme fois de papier ; mais prenez du papier gris collé;
a serrez encore davanluge la presse, et ne mettez dessus que trois ou quatre
« doubles de papiers, ou seulement une feuille de carton dessus cl une des-
« sous; laissez-la ainsi en presse deux ou trois l'ois vingt-quatre heures: si,
a lorsque vous retirerez votre plante, elle ne vous pareil pas assez privée de
a son humidité, vous la changerez encore plusieurs fois de papiers. (li y a
a des plantes qu'il suITit de changer deux fo s de papiers, et d'autres qu'il faut
« cliangcr Jusqu'à six fois : celles qui sont de nature aqueuse exigent qu'on
« en accélère la dessiccation.) Mais si, au contraire, les parties qui la corn-
« posent ont déjà perdu de leur llexibilité, il faut la mettre dans une feuille
a de gros papier blanc, oii on l,i laisscia en presse jusqu'à ce que la dcssic-
,t cation soit jiailailemcnt achevée ; ce sera alors qu'il faudra songer à assurer
a pour longtemps la conservation de votre plante; elle pourra être employée
o a la formalion de voti'c herbier; il ne s'agit plus que de la fixer, de la nora-
« mer cl de la mcllre en i)lace.... Pour gaianlir voire herbier des ravages
a qu'y feroienl les insectes, il faut tremper le papier sur lequel vous voulez
.< fixer vos plantes dans une forte dissilution d'alun, le faire bien sécher, ely
Il allacher vos plantes avec de |ictites bandelettes de papier, que vous collerez
Il avec de la colle à bouche; c'est avec ci lie colle que vous pourrez aussi as-
u. sujettir les organes de la fructificalion des plantes, lorsque vous aurez eu la
« patience de les dessécher à part.... Il seroit bon d'avoir plusieurs échantillons
« de la môme plante, surtout si elle est sujette à varier — 11 faut renfermer
« vos i>lanies dans des boîtes de tilleul que vous étiqueterez; il faut qu'ellei
« soient en un lieu Sec, etc. »
SUR LA BOTANIQIJE. 61
ailler et ranger durant l'hiver; après quoi je pourrois continuer de
■■( ême d'année en année , jusqu'à ce que j'eusse épuisé tout ce que je
lojurrois fournir. Si cel arrangement vous convient, monsieur, le m y
)nformerai avec exactitude; et dès à présentée commencerai mes col-
., :ctions Je désirerois seulement savoir quelle forme vous préférez. Mou
lée seroit de faire le fond de chaque herbier sur du papier a lettres tel
ne celui-ci • c'est ainsi que j'en ai commencé un pour mon usage , et je
>ns chaque jour mieux que la commodité de ce format compense am-
iement l'avantage qu'ont de plus les grands herbiers. Le papier sur
>auel sont les plantes que je vous ai envoyées vaudroit encore mieux,
lais ie ne puis retrouver du même; et l'impôt sur les papiers a telle-
lent dénaturé leur fabrication, que je n'en puis plus trouver pour
oter qui ne perce pas. J'ai le projet aussi d'une forme de petits her-
iers à mettre dans la poche pour les plantes en miniature, qui ne sont
as les moins curieuses, et je n'y ferois entrer néanmoms que des
'lantes oui pourroient y tenir entières, racine et tout; entre autres,
a plupart des mousses, les glaux, peplis, montia, sagina, passe-
nerre etc II me semble que ces herbiers mignons pourroient devenir
harraàns et précieux en même temps. Enfin il y a des plantes d une
-erlaine grandeur qui ne peuvent conserver leur port dans un petit
^suace et des échantillons si parfaits, que ce seroit dommage de les
ûutiler. Je destine à ces belles plantes du papier grand et fort; et j en
u déjà quelques-unes qui font un fort bel effet dans cette forme
11 va longtemps que j'éprouve les difficultés de la nomenclature, e
l'ai souvent été tenté d'abandonner tout à fait cette partie. Mais .1
'audroit en même temps renoncer aux livres et à profiter des observa-
is d'aut.ui; et il me semble qu'un des plus grands charmes de la
botanique est, après celui de voir par soi-même, celui de vérifier ce
qu'ont vu les autres : donner, sur le témoignage de mes propres yeux
mon assentiment aux observations fines et justes d'un auteur me paroi
une véritable jouissance; au lieu que, quand je ne trouve pas ce qu il
dit ie suis toujours en inquiétude si ce n'est point moi qui vois mal
D'ailleurs, ne pouvant voir par moi-même que si peu de chose il faut
bien sur le reste me fier à ce que d'autres ont vu; et leurs différentes
nomenclatures me forcent pour cela de percer de mon mieux le chaos
Se la synonymie. Il a fallu, pour ne pas m'y perdre, tout rapporter a
une nornenciature particulière ; et j'ai choisi celle de Lmnaeus , tant par
L nréférence que j'ai donnée à son système, que parce que ses noms,
Tomposés seulement de deux mots, me délivrent des longues phrases
les autres. Pour y rapporter sans peine celles de Tournefort, il me
faut très-souvent recourir à l'auteur commun que tous deux citent assez
ron^tarament, savoir, Gaspard Bauhin. C'est dans son Pmax que je
cherche leur concordance : car Linnaeus me paroit faire une chose
convenable et juste, quand Tournefort n'a fait que prendre la phrase
de Bauhin , de citer l'auteur original , et non pas celui qui l a transcrit ,
comme on fait très-injustement en France. De sorte que , quoique pres-
que toute la nomenclature de Tournefort soit tirée mol à mot du Pinax,
-^on croiroit» à lire les botanistes françois, qu'il n'a jamais existe m
1
62 LETTRES ÉLÉ3IENTAIRES
Bauhin ni Pinaxan monde; et, pour comble, ils font encore un crir
a Lmnœus de n avoir pas imité leur partialité. A l'é-ard des niant
dont Tournefort n'a pas tiré les noms du Pinax, on en°tpouve aiséme
la concordance dans les auteurs françois linnseistes, tels que Sauva-.
Gouan Gérard Guettard, et d'Alibard, qui l'a presque toujours suh
J ai fait cet hiver une seule herborisation dans le bois de Boulo"-ne
J en ai rapporté quelques mousses. Mais il ne faut pas s'attendre" qu'c
puisse compléter tous les genres, même par une espèce unique II y e
a de bien difficiles à mettre dans un herbier, et il y en a de si rare'
qu Ils n ont jamais passé et vraisemblablement ne passeront jamais soui
mes yeux. Je crois que , dans celte famille et celle des algues il faut ^
tenir aux genres, dont on rencontre assez souvent des espèces pou
avoir le plaisir de s y reconnoître, et négliger ceux dont la vue ne iiou
reprochera jamais notre ignorance, ou dont la figure extraordinair
nous fera faire effort pour la vaincre. J'ai la vue fort courte, mes veu
deviennent mauvais, et je ne puis plus espérer de recueillir que ce au
se présentera fortuitement dans les lieux à peu près où je saurai qu'es
ce que je cherche. A l'égard de la manière de chercher, j'ai suivi M de
Jussieu dans sa dernière herborisation, et je la trouvai si tumultueu-(
et SI peu utile pour moi, que, quand il en auroit encore fait, i'auroi'
renonce a 1 y suivre. J'ai accompagné son neveu l'année dernière mol
vingtième, a Montmorency, et j'en ai rapporté quelques jolies plantos
entre autres la lysimachia (eneZia , que je crois vous avoir envoyée Mais
j^ai trouve dans cette herborisation que les indications de Tournefort et
de Vaillant sonttrès-faulives, ou que, depuis eux, bien des plantes ont
change de sol. J ai cherché entre autres , et j'ai engagé tout le monde
a chercher avec soin le plantago monanthos à la queue de l'étan-^ de
Montmorency, et dans tous les endroits où Tournefort et Vaillant l'in-
diquent, et nous n'en avons pu trouver un seul pied : en revanche j'ai
trouvé plusieurs plantes de remarque , et même tout près de Paris , dans
des lieux où elles ne sont point indiquées. En général j'ai toujours été
malheureux en cherchant d'après les autres. Je trouve encore mieux
mon compte à chercher de mon chef.
J'oubliois, monsieur, de vous parler de vos livres. Je n'ai fait encore
qu'y jeter les yeux; et comme ils ne sont pas de taille à porter dans la
poche, et que je ne lis guère l'été dans la chambre, je tarderai peut-
être jusqu'à la fin de l'hiver prochain à vous rendre ceux dont vous
n'aurez pas affaire avant ce temps-là. J'ai commencé de lire l'Anthologie ' '
de Pontevera, et j'y trouve contre le système sexuel des objections qui
me paroissent bien fortes, et dont je ne sais pas comment Linnœus s'est
tiré. Je suis souvent tenté d'écrire dans cet auteur et dans les autres
les noms de Linnœus à côté des leurs pour me reconnoître. J'ai déjà
même cédé à cette tentation pour quelques-unes, n'imaginant à cela
rien que d'avantageux pour l'exemplaire. Je sens pourtant que c'est
une liberté que je n'aurois pas dû prendre sans votre agrément, et je
Tattendrai pour continuer.
Je vous dois des remercîments , monsieur, pour l'emplacement que
vous avez la bonté de ra'offrir pour la dessiccation des plantes : mais
SUR LA BOTANIQUE. 6S
•jj uoique ce soit un avantage dont je sens bien la privation, la néces-
jl,ité de les visiter souvent, et l'éloignement des lieux, qui me feroit
onsuœer beaucoup de temps en courses , m'empêchent de me prévaloir
e cette otTre.
La fantaisie m'a pris de faire une collection de fruits et de graines de
DUte espèce, qui devroient. avec un herbier, faire la troisième partie
'un cabinet d'iiistoire naturelle. Quoique j'aie encore acquis très-peu
fje chose, et que je ne puisse espérer de rien acquérir que très-lente-
aent et par hasard, je sens déjà pour cet objet le défaut de place :
,)t .lais le plaisir de parcourir et de visiter incessamment ma petite col-
action peut seul me payer la peine de la faire ; et si je la tenois loin de
aes yeux, je cesserois d'en jouir. Si par hasard vos gardes et jardiniers
rouvoient quelquefois sous leurs pas des faînes de hêtres, des fruits
.'aunes, d'érables, de bouleau, et généralement de tous les fruits secs
es arbres des forêts ou d'autres, qu'ils en ramassassent, en passant,
[Uelques-uns dans leurs poches, et que vous voulussiez bien m'en faire
larvenir quelques échantillons par occasion, j'aurois un double plaisir
l'en orner ma collection naissante.
Excepté l'Histoire des mousses par Dillenius, j'ai à moi les autres
ivres de botanique dont vous m'envoyez la note ; mais, quand je n'en
.urois aucun, je me garderois assurément de consentir à vous priver,
)Our mon agrément , du moindre des amusemens qui sont à votre portée^
e vous prie, monsieur, d'agréer mon respect.
Lettre X. Sur les mousses.
A M. DE MAL£SH£RBES.
A Paris, le 19 décembre 1771.
Voici, monsieur, quelques échantillons de mousses que j'ai rassem-
blés à la hâte, pour vous mettre à portée au moins de distinguer les
)rincipaux genres avant que la saison de les observer soit passée. C'est
me étude à laquelle j'employai délicieusement l'hiver que j'ai passé à
A^ootton, où je me trouvois environné de montagnes, de bois et de ro-
chers tapissés de capillaires et de mousses des plus curieuses. Mais,
lepuis lors, j'ai si bien perdu cette famille de vue, que ma mémoire
iteinte ne me fournit presque plus rien de ce que j'avois acquis en ce
çenre; et n'ayant point l'ouvrage de Dillenius. guide indispensable dans
;es recherches , je ne suis parvenu qu'avec beaucoup d'effort , et sou-
'ent avec doute, à déterminer les espèces que je vous envoie. Plus je
n'opiniâtre à vaincre les difficultés par moi-même et sans le secours de
)ersonne, plus je me confirme dans l'opinion que la botanique, telle
pi'on la cultive , est une science qui ne s'acquiert que par tradition :
)n montre la plante , on la nomme ; sa figure et son nom se gravent en-
;emble dans la mémoire. Il y a peu de peine à retenir ainsi la nomen-
îlature d'un grand nombre de plantes : mais, quand on se croit pour
3ela botaniste, on se trompe, on n'est qu'herboriste; et quand il s'agit
i3' déterminer par soi-même et sans guide les plantes qu'on n'a jamais
vues, c'est alors qu'on se trouve arrêté tout court, et qu'on est au bout
bk LETTRES ÉLÉMENTAIRES
de sa doctrine. Je suis resté plus ignorant encore en prenant la routi
contraire. Toujours seul et sans autre maître que la nature . j"ai mis de:
efTorts incroyables à de très-foibles progrès. Je suis parvenu à pouvoir
en bien travaillant, déterminer à peu près les genres; mais pour les es-
pèces, dont les diiïérenccs sont souvent très-peu marquées par h
nature, et plus mal énoncées par les auteurs, je n'ai pu parvenir?
en distinguer avec certitude qu'un très-petit nombre, surtout dans 1:
famille des mousses, et surtout dans les genres difficiles, tels que le:
hypnum, les jungermania, les lichens. Je crois pourtant être sûr de
celles que je vous envoie , à une ou deux près que j'ai désignées par an
point interrogaiit, afin que vous puissiez vérifier, dans Vaillant et dans
Dillenius, si je me suis trompé ou non. Quoi qu'il en soit, je crois qu'il
faut commencer à connoître empiriquement un certain nombre d'es-
pèces pour parvenir à déterminer les autres, et je crois que celles que
je vous envoie peuvent suffire, en les étudiant bien, à vous familiariser
avec la famille et à en distinguer au moins les genres au premier coup
d'œil par le faciès propre à chacun d'eux. Mais il y a une autre diffi-
culté : c'est que les mousses ainsi disposées par brins n'ont point sur le
papier le même coup d'œil qu'elles ont sur la terre rassemblées par
touffes ou gazons serrés. Ainsi l'on herborise inutilement dans un her-
bier et surtout dans un moussier, si l'on n'a commencé par herboriser
sur la terre. Ces sortes de recueils doivent servir seulement de mémo-
ratifs, mais non pas d'instruction première. Je doute cependant, mon-
sieur, que vous trouviez aisément le temps et la patience de vous
appesantir à l'e-xamen de chaque touffe d'herbe ou de mousse que vous
trouverez en votre chemin. Mais voici le moyen qu'il me semble que
vous pourriez prendre pour analyser avec succès toutes les productions
végétales de vos environs, sans vous ennuyer à des détails minutieux,
'nsupportables pour les esprits accoutumés à généraliser les idées et à
regarder toujours les objets en grand. Il faudroit inspirer à quelqu'un
de vos laquais, garde ou garçon jardinier, ïin peu de goût pour l'élude
des plantes, et le mener à votre suite dans vos promenades, lui faire
cueillir les plantes que vous ne connoîtriez pas , particulièrement les
mousses et les graminées, deux familles difficiles et nombreuses. Jl fau-
droit qu'il tâchât de les prendre dans l'état de floraison où leurs carac-
tères déterminans sont les plus marqués. En prenant deux exemplaires
de chacun, il en mettroit un à part pour me l'envoyer, sous le même
numéro que le semblable qui vous resteroit, et sur lequel vous feriez
mettre ensuite le nom de la plante, quand je vous l'aurois envoyé. Vous
vous éviteriez ainsi le travail de cette détermination, et ce travail ne
seroit qu'un plaisir pour moi, qui en ai l'habitude et qui m'y livre avec
passion. Il me semble, monsieur, que de cette manière vous auriez fait
en peu de temps le relevé des productions végétales de vos terres et des
environs, et que, vous livrant sans fatigue au plaisir d'observer, vous
pourriez encore, au moyen d'une nomenclature assurée, avoir celui de
comparer vos observations avec celles des auteurs. Je ne me fais pour-
tant pas fort de tout déterminer. Mais îa longue habitude de fureter des
campagnes m'a rendu familières la plupart des plantes indigènes. 11 n'y
à
SUR LA BOTANIQUE. 65
a que les jardins et productions exotiques où je me trouve en pays
perdu. Eniin ce que je n'aurai pu déterminer sera pour vous, monsieur,
un objet de reclierches et de curiosité qui rendra vos arauseraens plus
piquans. Si cet arrangement vous plaît, je suis à vos ordres, ev vous
pouvez être sûr de me procurer un amusement très-intéressant pour
moi .
J'attends la note que vous m'avez promise pour travailler à la rem-
plir autant qu'il dépendra de moi. L'occupation de travailler à des her-.
biers remplira très-agréablement mes beaux jours d'été. Cependant je
ne prévois pas d'être jamais bien riche en plantes étrangères; et, selon
moi, le plus grand agrément de la botanique est de pouvoir étudier et
connoître la nature autour de soi plutôt qu'aux Indes. J'ai été pourtant
assez heureux pour pouvoir insérer, dans le petit recueil que j'ai eu
l'honneur de vous envoyer, quelques plantes curieuses, et entre autres
le vrai papier, qui jusqu'ici n'étoit point connu en France, pas même
de M. de Jussieu. Il est vrai que je n'ai pu vous en envoyer qu'un l)rin
bien misérable . mais c'en est assez pour distinguer ce rare et précieux
souchet. Voilà bien du bavardage ; mais la botanique m'entraîne, et j'ai
le plaisir d'en parler avec vous : accordez-moi, monsieur, un peu d'in-
dulgence.
Je ne vous envoie que de vieilles mousses; j'en ai vainement cherché
de nouvelles dans la campagne. Il n'y en aura guère qu'au mois de fé-
vrier, parce que l'automne a été trop sec: encore faudra-t-il les cher-
; cher au loin. On n'en trouve guère autour de Paris que les mêmes
répétées.
LETTRES ADRESSÉES A Mme LA DUCHESSE DE PORTLAND.
Lettre I.
A WooltoD, le 20 octobre <76G.
■Vous avez raison . madame la duchesse , de commencer la correspon-
dance que vous m? faites l'honneur de me proposer, par m'envoyer
des livres pour me mettre en état de la soutenir : mais je crains que ce
ne soit peine perdue : je ne retiens plus rien de ce que je lis : je n'ai
plus de mémoire pour les livres, il ne m'en reste que pour les per-
sonnes, pour les bontés qu'on a pour moi: et j'espère à ce titre profiter
plus avec vos lettres qu'avec tous les livres de l'univers. Il en est un,
madame, où vous savez si Lien lire, et où je voudrois bien apprendre
à épeler quelques mots après vous. Heureux qui sait prendre assez de
goût à cette intéressante lecture pour n'avoir besoin d'aucune autre . et
qui, méprisant les instructions des hommes, qui sont menteurs, s'at-
tache à celles de la nature . qui ne ment point! Vous l'éludiez avec au-
tant de plaisir que de succès: vous la suivez dans tous ses règnes;
aucune de ses productions ne vour "^t étrangère ; vous savez assortir
les fossiles, les minéraux, les coquillages, cultiver les plantes, appri-
voiser les oiseaux : et que n'apprivoiseriez-vous pas? Je connois uu
animal un peu sauvage qui vivroit avec grand plaisir dans votre ména-
Rolsseau VI 5
66 LETTRES
gerie, en attendant l'honneur d'être admis un jour en monîïe dans
votre cabinet. *
J'aurois bien les mêmes goûts si j'étois en état de les satisfaire; m.ais
un solitaire et un commençant de mon âge doit rétrécir beaucoup l'uni-
vers, s'il veut le connoître; et moi, qui me perds comme un insecte
parmi les herbes d'un pré, je n'ai garde d'aller escalader les palmiers
de l'Afrique ni les cèdres du Liban. Le temps presse, et, loin d'aspirer
à savoir un jour la botanique, j'ose à peine espérer d'herboriser aussi
bien que les moutons qui paissent sous ma fenêtre , et de savoir comme
eux trier mon foin.
J'avoue pourtant , comme les hommes ne sont guère conséquens , et
que les tentations viennent par la facilité d'y succomber, que le jardin
de mon excellent voisin, M. de Granville , m'a donné le projet ambi-
tieux d'en connoître les richesses : mais voilà précisément ce qui prouve
que, ne sachant rien, je ne suis fait pour rien apprendre. Je vois les
plantes, il me les nomme, je les oublie; je les revois, il me les re-
nomme, je les oublie encore ; et il ne résulte de tout cela que l'épreuve
que nous faisons sans cesse, moi de sa complaisance, et lui de mon in-
capacité. Ainsi , du côté de la botanique , peu d'avantage; mais un très-
grand pour le bonheur de la vie, dans celui de cultiver la société d'un
voisin bienfaisant, obligeant, aimable, et, pour dire encore plus, s'il
est possible, à qui je dois l'honneur d'être connu de vous.
Voyez donc, madame la duchesse, quel ignare correspondant vous
vous choisissez , et ce qu'il pourra mettre du sien contre vos lumières. Je
suis en conscience obligé de vous avertir de la mesure des miennes;
après cela, si vous daignez vous en contenter, à la bonne heure; je
n'ai garde de refuser un accord si avantageux pour moi. Je vous ren-
drai de l'herbe pour vos plantes, des rêveries pour vos observations;
je m'instruirai cependant par vos bontés : et puissé-je un jour, devenu
meilleur herboriste , orner de quelques fleurs la couronne que vous
doit la botanique, pour l'honneur que vous lui faites de la cultiver !
J'avois apporté de Suisse quelques plantes sèches qui se sont pour-
ries en chemin : c'est un herbier à recommencer, et je n'ai plus pour
cela les mêmes ressources. Je détacherai toutefois de ce qui me reste
quelques échantillons des moins gâtés, auxquels j'en joindrai quel-
ques-uns de ce pays en fort petit nombre , selon l'étendue de mon sa-
voir, et je prierai M. Granville de vous les faire passer quand il en aura
l'occasion; mais il faut auparavant les trier, les démoisir, et surtout
retrouver les noms à moitié perdus ; ce qui n'est pas pour moi une pe-
tite affaire. Et, à propos des noms, comment parviendrons-nous, ma-
dame, à nous entendre? Je ne connois point les noms anglois; ceux
que je connois sont tous du Pinax de Gaspard Bauhin ou du Specics
plantarum de M. Linnaeus, et je ne puis en faire la synonymie avec
Gérard, qui leur est antérieur à l'un et à l'autre, ni avec le Synopsis,
qui est antérieur au second, et qui cite rarement le premier; en sorte
que mon Species me devient inutile pour vous nommer l'espèce de
plante que j'y connois , et pour y rapporter celle que vous pouvez me
faire connoître. Si par hasard, madame la duchesse, vous aviez aussi la
SUR LA BOTANIQUE. 6Î
Species plantarum ou le Pinax, ce point de réunion nous seroit très-
commode pour nous entendre, sans quoi je ne sais pas trop comment
nous ferons.
J'avois écrit à milord Maréchal deux jours avant de recevoir la lettre
dont vous m'avez honoré. Je lui en écrirai bientôt une autre pour
m'acquitter de votre commission, et pour lui demander ses félicitations
sur l'avantage que son nom m'a procuré près de vous. J'ai renoncé à
tout commerce de lettres . hors avec lui seul et un autre ami. Vous se-
rez la troisième , madame la duchesse , et vous me ferez chérir toujours
plus la botanique à qui je dois cet honneur. Passé cela, la porte est
fermée aux correspondances. Je deviens de jour en jour plus pares-
seux-, il m'en coûte beaucoup d'écrire à cause de mes incommodités;
et, content d'un si bon choix , je m'y borne, bien sûr que , si je l'éten-
dois davantage, le même bonheur ne m'y suivroit pas.
Je vous supplie, madame la duchesse, d'agréer mon profond respect.
Lettre II.
A Wootton, le <2 février (767.
Je n'aurois pas, madame la duchesse, tardé un seul instant de cal-
mer, si je l'avois pu , vos inquiétudes sur la santé de milord Maréchal;
mais je craignis de ne faire . en vous écrivant . qu'augmenter ces in-
quiétudes, qui devinrent pour moi des alarmes. La seule chose qui me
rassurât étoit que j'avois de lui une lettre du 22 novembre; et je pré-
sumois que ce qu'en disoient les papiers publics ne pouvoit guère être
plus récent que cela. Je raisonnai là-dessus avec M. Granville . qui de-
voit partir dans peu de jours , et qui se chargea de vous rendre compte
de ce que nous avions pensé, en attendant que je pusse, madame, vous
marquer quelque chose de plus positif : dans cette lettre du 22 no-
vembre , milord Maréchal me marquoit qu'il se sentoit vieillir et affoi-
blir. qu'il n'écrivoit plus qu'avec peine, qu'il avoit cessé d'écrire à ses
parens et amis , et qu'il m'écriroii désormais fort rarement à moi-
même. Cette résolution , qui peut-être étoit déjà l'effet de sa mala-
die, fait que son silence depuis ce temps-là me surprend moins, mais
il me chagrine extrêmement. J'attendois quelque réponse aux lettres
que je lui ai écrites: je la demandois incessamment, et j'espérois vous
en faire part aussitôt; il n'est rien venu. J'ai aussi écrit à son ban-
quier à Londres , qui ne savoit rien non plus , mais qui , ayant faif.
des informations, m'a marqué qu'en effet milord Maréchal avoit été
fort malade, mais qu'il étoit beaucoup mieux. Voilà tout ce que j'en
sais, madame la duchesse. Probablement vous en savez davantage à pré
sent vous-même; et, cela supposé , j'oserois vous supplier de vouloir
bien me faire écrire un mot pour me tirer du trouble où je suis. A
moins que les amis charitables ne m'instruisent de ce qu'il m'importe
de savoir, je ne suis pas en position de pouvoir l'apprendre par moi-
même.
Je n'ose presque plus vous parler de plantes , depuis que, vous ayant
trop annoncé les chiffons que j'avois apportés de Suisse, je n'ai pu en-
core vous rien envoyer. Il faut, madame, vous avouer toute ma mi-
68 LETTRES
sère : outre que ces débris valoient peu la peine de vous être offerts,
j'ai été retardé par la difficulté d'en trouver les noms, qui manquoient
à la plupart; et cette difficulté mal vaincue m'a fait sentir que j'avois
fait une entreprise trop pénible à mon âge, en voulant m'obstiner à
connoîlre les plantes tout seul. Il faut, en botanique, commencer par
être guidé; il faut du moins apprendre empiriquement les noms d'un
certain nombre de plantes avant de vouloir les étudier méthodique-
ment : il faut premièrement être herboriste, et puis devenir botaniste
après, si l'on peut. J'ai voulu faire le contraire, et je m'en suis mal
irouvé. Les livres des botanistes modernes n'instruisent que les bota-
nistes, ils sont inutiles aux ignorans. Il nous manque un livre vraiment
élémentaire, avec lequel un homme qui n'auroit jamais vu de plantes
pût parvenir à les étudier seul. 'Voilà le livre qu'il me faudroit au dé-
faut d'instructions verbales; car où les trouver? Il n'y a point autour
de ma demeure d'autres herboristes que les moutons. Une difficulté
plus grande est que j'ai de très-mauvais yeux pour analyser les plantes
par les parties de la fructification. Je voudrois étudier les mousses et
les gramens qui sont à ma portée; je m'éborgne, et je ne vois rien. Il
semble, madame la duchesse, que vous ayez exactement deviné mes
besoins en m'envoyant les deux livres qui me sont les plus utiles. Le
Synopsis comprend des descriptions à ma portée et que je suis en état
de suivre sans m'arracher les yeux, et le Petiver m'aide beaucoup par
ses figures, qui prêtent à mon imagination autant qu'un objet sans cou-
leur peut y prêter. C'est encore un grand défaut des botanistes mo-
dernes de l'avoir négligée entièrement. Quand j'ai vu dans mon Lin-
nœus la classe et l'ordre d'une plante qui m'est inconnue, je voudrois
me figurer cette plante, savoir si elle est grande ou petite, si la fleur
est bleue ou rouge, me représenter son port. Rien. Je lis une descrip-
tion caractéristique, d'après laquelle je ne puis rien me représenter.
Cela n'est-il pas désolant?
Cependant, madame la duchesse, je suis assez fou pour m'obstiner,
ou plutôt je suis assez sage; car ce goût est pour moi une affaire de
raison. J'ai quelquefois besoin d'art pour me conserver dans ce calme
jrécieux au milieu des agitations qui troublent ma vie, pour tenir au
loin ces passions haineuses que vous ne connoissez pas, que je n'ai
guère connues que dans les autres, et que je ne veux pas laisser ap-
procher de moi. Je ne veux pas , s'il est possible, que de tristes souvenirs
viennent troubler la paix de ma solitude. Je veux oublier les hommes
et leurs injustices. Je veux m'attendrir chaque jour sur les jnerveiiles
de celui qui les fit pour être bons, et dont ils ont si indignement dé-
gradé l'ouvrage. Les végétaux dans nos bois et dans nos montagnes
sont encore tels qu'ils sortirent originairement de ses mains, et c'est là
que j'aime à étudier la nature; car je vous avoue que je ne sens plus le
même charme à herboriser dans un jardin. Je trouve qu'elle n'y est
plus la même; elle y a plus d'éclat, mais elle n'y est pas si touchante.
Les hommes disent qu'ils l'embellissent, et moi je trouve qu'ils la défi-
gurent. Pardon, madame la duchesse; en parlant des jardins j'ai peut-
être un peu médit du vôtre; mais, si j'étois à portée, je lui ferois bien
SUI\ LA BOTANIQUE. 69
réparation. Que n'y puis-je faire seulenaent cinq ou six herborisations à
votre suite, sous M. le docteur Solander! lime semble que le petit
fonds de connoissances que je tâcherois de rapporter de ses in-
structions et des vôtres suffiroit pour ranimer mon courage, souvent
prêt à succomber sous le poids de mon ignorance. Je vous annonçois du
bavardage et des rêveries: en voilà beaucoup trop. Ce sont des herbo-
risations d'hiver; quand il n'y a plus rien sur la terre, j'herborise
dans ma tète, et malheureusement je n'y trouve que de mauvaise
herbe. Tout ce que j'ai de bon s'est réfugié dans mon cœur, madame
la duchesse, et il est plein des sentimens qui vous sont dus.
Mes chiffons de plantes sont prêts ou à peu près; mais, faute de sa-
voir les occasions pour les envoyer, j'attendrai le retour de M. Gran-
ville pour le prier de vous les faire parvenir.
Lettre IIL
Woollon, 28 février 1767.
Madame la duchesse,
Pardonnez mon importunité : je suis trop touché de la bonté que
vous avez eue de me tirer de peine sur' la santé de milord Maréchal,
pour différer à vous en remercier. Je suis peu sensible à mille bons
offices où ceux qui veulent me les rendre à toute force consultent plus
leur goût que le mien. Mais les soins pareils à celui que vous avez bien
voulu prendre en cette occasion m'affectent véritablement, et me trou-
veront toujours plein de reconnoissance. C'est aussi , madame la du-
chesse , un sentiment qui sera joint désormais à tous ceu.î que vous
m'avez inspirés.
Pour dire à. présent un petit mot de botanique, voici l'échantillon
d'une plante que j'ai trouvée attachée à un rocher, et qui peut-être
vous est très-connue , mais que pour moi je ne connoissois point du
tout. Par sa figure et par sa fructification, elle paroîl appartenir aux
fougères; mais, par sa substance et par sa stature, elle semble être de
la famille des mousses. J'ai de trop mauvais yeux , un trop mauvais
microscope, et trop peu de savoir pour rien décider là-dessus. Il faut,
madame la duchesse, que vous acceptiez les hommages de mon igno-
rance et de ma bonne volonté ; c'est tout ce que je puis mettre de ma
part dans notre correspondance , après le tribut de mon profond res-
pect.
Lettre IV.
A. "Woollon, le 29 avril 1767.
Je reçois, madame la duchesse, avec une nouvelle reconnoissance,
les nouveaux témoignages de votre souvenir et de vos bontés dans le
livre que M. Graaville m'a remis de votre part, et dans l'instruction que
vous avez bien voulu me donner sur la petite plante qui m'étoit incon-
nue. "Vous avez trouvé un très-bon moyen de ranimer ma mémoire
éteinte, et je suis très-sûr de n'oublier jamais ce que j'aurai le bonheur
d'apprendre de vous. Ce petit adiantum n'est pas rare sur nos rochers;
et j'en ai même vu plusieurs pieds sur des racines d'arbres, qu'il sera
facile d'en détacher pour le transplanter sur vos murs.
70
'^ LETTRES
retir::; ,r S ^ ;j -^^ ' '^ -^--- bien des erreurs dans I.
'le vous faire lent J ai ]ns rll^^ ^- ^"i'""'"' '"''' ^'^" '' 'Charger
nœus à celles qù 'r^^ en latent uolTZ' '' "T^ <^" ^^^"'^^ ^^ L'"'
qu'avec celle que vous vmHri» k " " '" ^' ""^^ '^ ^^"^ confiance
la peine de Sav^tir D. ! . ."" "'''■'^"''' '^^'^"'^ ^^"^^ ' ^^ prendre
plante qui me v en d vo^fm H ^^P°""^^ l^' ™^™^ J°'"t "ne petite
dont n'ayant pTtouvrînT,^^r''^"''''^'''-.P'''''- ^'^^'^^"'^' ''
laisser ei blanc CeUe n L,! rn^ T''"''' ^ '^ P"' ^^ P^^'^ «^^ le
ccfe^tq^elle je'sîs'le'^ir"^ "^r" ^^ï"' "^'"'"^^ '' '^-h--'
de la san é de mZd Marécha m! '^°""''- P^"^^^"^^ ^^'^ ^^^ "«"telles
obligeante entrerais. ™^^^-,Ne pourrois-je poun encore, par votre
Je fifnartir pTh ' ^ °'' f '''°'" '^'™^« lettres lui parviennent'^
sa d rni e 'i ne dl' T'' ^' ^^""'"^^^ ^"^ J« ^"' ^^ écrite depuis
"ent d pp^eidr^s'U "s " e'oit "t?"'' 1 1°"'^ ' ^'^ ^'^'^^^^'^ -"'-
«f^^^d^r/r^^^Sats^^^— -^-coupdL^^^
fonS ïe^sper^''' "'''"^^ ^^ '"^^^^^^' d'agréer avec bonté mon pro-
Lettre V,
Perraettez, raadarae la duchesse, que, quoique hali'tan'ïÏors'derAn
vts bTnléi'î^'r"- f'''' '' "^ '^PP^'- à ^°^^« souveni Celi. de"
retraUe J'v .î . . ',"^™'' "^^"^^^ '' '^«"^"^ue à embellir ma
retraite. J y ai apporte le dernier livre que vous m'avez envové • .t «
m'amuse a faire la comparaison des plantes de ce cTnton avec celles d^
votre Ile. S, j'osois me flatter, madame la duchesse, que mes ob erva
lions pussent avo.r pour vous le moindre intérêt, le désir dTvouspTair;
me les rendro.t plus importantes, et l'ambition de vous apVar^i me
fa,t aspirer au titre de votre herboriste, comme si j'avoisTes connor
fe°vons^".r'''r''°l'"'"'^^"^'^ '' P^--'^^- Accordez-mo madame"
je Aous en supplie, la permission de joindre ce titre an nm,,/!.'
^:.i:^':''' ' "^"' ^^^^ ''^''' ^''^ -- - lïaihrur^e^x" s s
d. Portl.nH ' '""' "T '"'P'^"' '' l'herboriste de madame la duchesse
de Portland se consolera sans peine de la mort de J. J. Rousseau Tn
reste, je tâchera, bien que ce ne soit pas là un titre purement hono
raire je souhaite qu'il m'attire aussi l'honneur de vos orS et "e I
mériterai du moins par mon zèle à les remolir ^
de'ra%'e'S^;iîte'°";i';vnnT" "T''''. "°" ' '' ^' "^ '''' ?"-* du lieu
oe ma retraite , n ayant pu demander encore la permission que jait
J. Le château de Tne, oii llousseau clait sous le nom de Renou. (Éd.)
SUR LA BOTANIQUE. 71
besoin d'obtenir pour cela. S'il vous plaît, en attendant, m'honorer
d'une réponse, vous pourrez, madame la duchesse , l'adresser sous mon
ancien nom à Mess... , qui me la feront parvenir. Je finis par remplir un
devoir qui m'est bien précieux , en vous suppliant . madame la duchesse ,
d'agréer ma très-humble reconnoissance et les assurances de mon pro-
fond respect.
Lettre VL
12 septembre <767.
Je suis d'autant plus touché, madame la duchesse, des nouveaux
témoignages de bonté dont il vous a plu m'honorer, que j'avois quelque
crainte que l'éloignement ne m'eût fait oublier de vous. Je tacherai de
mériter toujours par mes sentimens les mêmes grâces, et les mêmes
souvenirs par mon assiduité à vous les rappeler. Je suis comble de la
permission que vous voulez bien m'accorder, et très-fier de l'honneur
de vous appartenir en quelque chose. Pour commencer, madame, a
remplir des fonctions que vous me rendez précieuses, je vous envoie
ci-ioints deux petits échantillons de plantes que j'ai trouvées a mon voi-
sina'-e parmi les bruyères qui bordent un parc , dans un terrain assez
humide où croissent aussi la camomille odorante, le sagina procura-
iens l'hieracium umhellatum de Linnaeus , et d'autres plantes que je ne
puis vous nommer exactement, n'ayant point encore ici mes livres de
botanique , excepté le Flora Britannica, qui ne m'a pas quitte un seul
™DTc"es deux plantes, l'une, n» 2, me paroît être une petite gentiane,
appelée . dans le Synopsis, centaurium palustre luteum mtmmum no-,
siras. Flor. Brit. 131. , .
Pour l'autre, n° 1 , je ne saurois dire ce que c est, a moins que ce
ne soit peut-être une élatine de Linnaeus , appelée par Vaillant alsma-
stnim serpyllifolium , etc. La phrase s'y rapporte assez bien ; mais 1 éla-
tine doit avoir huit étamines,et je n'en ai jamais pu découvrir que
ciuatre La fleur est très-petite ; et mes yeux , déjà foibles naturellement ,
ont tant pleuré, que je les perds avant le temps : ainsi je ne me fie plus
à eux Dites-moi de grâce ce qu'il en est, madame la duchesse -, c est
moi qui devrois, en vertu de mon emploi, vous instruire; et c est vous
qui m'instruisez. Ne dédaignez pas de continuer, je vous en supplie; et
permettez que je vous rappelle la plante à ileur jaune que vous envoyâtes
l'année dernière à M. Granville, et dontje vous ai renvoyé un exem-
plaire pour en apprendre le nom.
Et à propos de M. Granville, mon bon voisin , permettez, madame,
que je vous témoigne l'inquiétude que son silence me cause. Je lui ai
écrit, et il ne m'a point repondu, lui qui est si exact. Seroit-il malade?
J'en suis véritablement en peine.
Mais i^ le suis plus encore de milord Maréchal, mon ami, mon pro-
tecteur mon père, qui m'a totalement oublié. Non, madame, cela ne
sauroit être. Quoi qu'on ait pu faire, je puis être dans sa disgrâce, mais
^ je suis sûr qu'il m'aime toujours. Ce qui m'afflige de ma position , c est
î qu'elle m'ôte les moyens de lui écrire. J'espère pourtant en avoir dans
Jeul'occasion,etjen'ai pas besoin de vous dire avec quel empresse-
>" LETTRES
ment je la saisirai. En attendant, j'implore vos bontés pour avoir de ses
nouvelles, et, si j ose ajouter, pour lui faire dire un mot de moi.
J'ai l'honneur d'être avec un profond respect,
Madame la duchesse .
Votre Irès-liumble et très-obéissant serviteur,
Herboriste.
P. S. J'avois dit au jardinier de M. Davenport que je lui montreroiï
les rochers où croissoit le petit adiantutn, pour que vous pussiez, ma-
dame, en emporter des plantes. Je ne me pardonne point de l'avoir
oublié. Ces rochers sont au midi de la maison et regardent le nord. Il
est très-aisé d'en détacher des plantes, parce qu'il y en a qui croissent
sur des racines d'arbres.
Le long retard, madame, du départ de cette lettre, causé par des
difficultés qui tiennent à ma situation, me met à portée de rectifier
avant qu'elle parte ma balourdise sur la plante ci-jointe n» 1 ; car . ayant
dans l'intervalle reçu mes livres de botanique, j'y ai trouvé, à l'aide
des figures, que Michelius avoit fait un genre de cette plante sous le
nom de linocarpon , et que Linnaeus l'avoit mise parmi les espèces du
lin. Elle est aussi dans le Synopsis sous le nom de radiola , et j'en
aurois trouvé la figure dans le Flora Britannica que j'avois avec moi;
mais précisément la planche 15, où est celte figure, se trouve omise
dans mon exemplaire et n'est que dans le Synopsis, que je n'avois pas.
Ce long verbiage a pour but, madame la duchesse, de vous expliquer
comment ma bévue tient à mon ignorance , à la vérité , mais non pas à ma
négligence. Je n'en mettrai jamais dans la correspondance que vous me
permettrez d'avoir avec vous , ni dans mes efforts pour mériter un titre
dont je m'honore : mais, tant que dureront les incommodités de ma
position présente, l'exactitude de mes lettres en souffrira, et je prends
le parti de fermer celle-ci sans être sûr encore du jour où ie la pourrai
faire pa.îtir.
Lettre VII.
Ce 4 janvier 4 768.
Je n'aurois pas tardé si longtemps, madame la duchesse, à vous faii-
mes très-humbles remercîmens pour la peine que vous avez prise d'écrir|
en ma faveur à milord Maréchal et à M. Granville, si je n'avois éiL
détenu près de trois mois dans la chambre d'un ami qui est tombé maJ
lade chez moi , et dont je n'ai pas quitté ie chevet durant tout ce tempsJ
sans pouvoir donner un moment à nul autre soin. Enfin la Providencèj
a béni mon zèle; je l'ai guéri presque malgré lui. Il est parti hier bien
rétabli ; et le premier moment que son départ me laisse est employé]
madame , à remplir auprès de vous un devoir que je mets au nombre' de
mes plus grands plaisirs.
Je n'ai reçu aucune nouvelle de milord Maréchal; et, ne pouvant lui'
écrire directement d'ici , j'ai profité de l'occasion de l'ami qui vient de :
partir, pour lui faire passer une lett.'-e : puisse-t-elle le trouver dans'
cet état de santé et de bonheur que les plus tendres vœux de mon cœul
demandent au ciel pour lui tous les jours! J'ai reçu de mon excellenf
SUR LA BOTANIQUE. '^
voisin, M. GranviUe, uue lettre qui m'a tout réjoui le cœur. Je compte
de lui écrire dans peu de jours.
Permettrez-vous , madame la duchesse , que je prenne la liberté de
disputer avec vous sur la plante sans nom que vous aviez envoyée a
M Granville , et dont je vous ai renvoyé un exemplaire avec les plantes
de Suisse, pour vous supplier de vouloir bien me la nommer. Je ne
croi« pas que ce soit le viola lutea, comme vous me le marquez: ces
deux plantes n'avant rien de commun, ce me semble, que la couleur
jaune de la fleur. Celle en question me paroît être de la famille des lilia-
cées à six pétales, six étamines en plumasseau : si la racine etoit bul-
beuse, je la prendrois pour un ornithogale : ne l'étant pas. elle me
paroît ressembler fort à un anthericum ossifragum de Linnaeus, appela
par Gaspard Bauhin pseudo-asphodelus anglicus ou scoticus. Je vous
avoue , madame . que je serois très-aise de m'assurer du vrai nom de
celte plante ; car je ne peux être indifférent sur rien de ce qui me vient
de vous. , . , ,, ^
Je ne croyois pas qu'on trouvât en Angleterre plusieurs des nouvelles
plantes dont vous venez d'orner vos jardins de Bullslrode ; mais , pour
trouver la nature riche partout, il ne faut que des yeux qui sachent voir
ses richesses. Voilà, madame la duchesse, ce que vous avez et ce qui
me manque: si j'avois vos connoissances, en herborisant dans mes en-
virons . je suis sûr que j'en tirerois beaucoup de choses qui pourroient
pput-ètre avoir leur place à Bullslrode. Au retour de la belle saison je
prendrai note des plantes que j'observerai, à mesure que je pourrai les
connoître; et, s'il s'en trouvoit quelqu'une qui vous convint, je trou-
verois les moyens de vous l'envoyer , soit en nature . soit en graines. Si ,
par exemple, madame . vous vouliez faire semer le gentiann fuiformis ,
Yen recueillerois facilement de la graine l'automne prochain: car j ai
découvert un canton où elle est en abondance. De grâce, madame la
duchesse puisque j'ai Ihonneur de vous appartenir , ne laissez pas sans
fonction un titre où je mets tant de gloire. Je n'en connois [ oint , je vous
proteste, qui me flatte davantage que celle d'être toute ma vie. avec un
profond respect, madame la duchesse , votre tres-humble et tres-obeis-
sant serviteur , _
' Herboriste.
Lettre VIII.
A Lyon, le 2 juillet 4768.
S'il étoit en mon pouvoir , madame la duchesse , de mettre de l'exac-
titude dans quelque correspondance, ce seroit assurément dans cehe
dont vous m'honorez; mais, outre l'indolence et le découragement qui
me subjuguent chaque jour davantage, les tracas secrets dont on me
tourmente absorbent malgré moi le peu daclivilé qui me reste, et mt-
voilà maintenant embarqué dans un grand voyage . qui seul seroit une
terrible affaire pour un paresseux tel que moi. Cependant, comme la bota-
nique en est le principal objet, je tâcùerai de l'approprier à l'honneur
que j'ai de vous appartenir, en vous rendant compte de mes herborisa-
lions, au risque de vous ennuyer, madame, de détails triviaux qui
n'ont rien de nouveau pour vous. Je pourrois vous en faire rt'interessan'!
^'* LETTRES
^e&uTqui eul n bT^i''^^^^^^ prochaine avec deux de ces
me la rendront trè-uile si ^L^^^- ^°"' ^'' ^"^^'''^^
Quelque riche que soit le jardin de l'École vétérinaire je n'ai cpnpn
celles ,„, vous ma„,„en,Je pourvois °"i7Z„„e„rrv„LTe3''r
voyer fr.Kh.s „„ sèches , selon la manière que von, 1, voudriez n^^
laugmenlolion de votre jardin ou de voire herbier Do™., i' ^^
ordres, madame, pour les Aines Ho„i J,,! "'™K'^-, Donnez-moi vos
S':rrd';;Tnië'rrst\^^^^^
A M. Renou, chez Mess...
châlel n"-.âlg: :o7:,cé e "cœu"; '"carîeti's ruflimeT' ' ''™-
foni rTpe:,"'"""' """""" '^ ""*=''»• '■'^"<" -- "»■"« "on pr«-
Lettre IX.
Madame la duchesse, ^ "'""■^°'" '" ^""P'^'"^' ^' "' ^°ûi I769.
tre^don,\'!.^n °''.'°"'\'"''^' immédiatement après la réception de la let-
tre dont ^ou3 mavez honoré le 5. juin dernier, m'ont empêché de vou^
témoigner p us tôt ma joie , tant pour la consevation de votre santé aue
pour le rétablissement de celle du cher fils dont vous éUez eu alaîme"
SUR LA BOTANIQUE. 75
t ma gratitude pour les marques de souvenir qu'il vous a plu m'ac-
■Jjrder. Le second de ces voyages a été fait à votre intention; et, voyant
,. jsser la saison de l'herborisation que j'avois en vue, j'ai préféré dans
3tte occasion le plaisir de vous servir à l'honneur de vous répondre. Je
ais donc parti avec quelques amateurs pour aller sur le mont Pila, à
ouze ou quinze lieues d'ici, dans l'espoir, madame la duchesse, d'y
•cuver quelques plantes ou quelques graines qui méritassent de trouver
lace dans votre herbier ou dans vos jardins : je n'ai pas eu le bonheur
e remplir à mon gré mon attente. Il étoit trop tard -pour les fleurs et
our les graines; la pluie et d'autres accidens, nous ayant sans cesse
jntrariés, m'ont fait faire un voyage aussi peu utile qu'agréable; et je
'ai presque rien rapporté. Voici pourtant, madame la duchesse, une
ote des débris de ma 'chétive collecte. C'est une courte liste des plantes
ont j'ai pu conserver quelque chose en nature, et j'ai ajouté une étoile
chacune de celles dont j'ai recueilli quelques graines, la plupart en
ien petite quantité. Si parmi les plantes ou parmi les graines il se
'ouve quelque chose eu le tout qui puisse vous agréer, daignez, ma-
ame, m'honorer de vos ordres, et me marquer à qui je pourrois en-
oyer le paquet, soit à Lyon, soit à Paris, pour vous le faire parvenir,
e tiens prêt le tout pour partir immédiatement après la réception de
otre note: mais je crains bien qu'il ne se trouve rien là digne d'y en-
'er, et que je ne continue d'être à votre égard un serviteur inutile
lalgré son zèle.
J'ai la mortification de ne pouvoir, quant à présent, vous envoyer,
ladamela duchesse, de la graine de gentiana filiformis , la plante étant
'ès-petite, très-fugitive, difficile à remarquer pour les yeux qui ne
3nt pas botanistes, un curé, à qui j'avois compté m'adresser pour
ela, étanl mort dans l'intervalle, et ne connoissant personne dans le
ays à qui pouvoir donner ma commission.
Une foulure que je me suis faite à la main droite par une chute, ne
le permettant d'écrire qu'avec beaucoup de peine , me force à finir cette
ttre plus tôt que je n'aurois désiré. Daignez, madame la duchesse,
gréer avec bonté le zèle et le profond respect de votre très-humble et
:ès-obéissant serviteur,
Herboriste
Lettre X.
A Monquin, le 21 décerabre <769.
C'est, madame la duchesse, avec bien de la honte et du regret que
m'acquitte si tard du petit envol que j'avois eu l'honneur de vous
nnoncer , et qui ne valoit assurément pas la peine d'être attendu. Enfin ,
uisque mieux vaut tard que jamais, je fis partir jeudi dernier, pour
,yon, une boîte à l'adresse de M. le chevalier Lambert, contenant les
lantes et graines dont je joins ici la note. Je désire extrêmement que le
Dut vous parvienne en bon état; mais comme je n'ose espérer que li
oîte ne soit pas ouverte en route , et même plusieurs fois , je crains
Drt que ces herbes, fragiles et déjà gâtées par l'humidité, ne vous ar-
ivent absolument détruites ou méconnoissables. Les graines au moins
lOurroient, madame la duchesse, vous dédommager des plantes, sj
76 LETTRES
eJles étoient plus abondantes ; mais vous pardonnerez leur misère a,
divers accidens qui ont là-dessus contrarié mes soins. Quelques-uns I
ces accidens ne laissent pas d'être risibles. quoiqu'ils m'aient don
bien du chagrin. Par e.\emple, les rats ont mangé sur ma table presq
toute la graine de bistorte que j'y avois étendue pour la faire sécbe
et , ayant mis d'autres graines sur ma fenêtre pour le même effet , i
coup de vent a fait voler dans la chambre tous mes papiers , et j'ai é,
condamné à la pénitence de Psyché ; mais il a fallu la faire moi-mêm»
et les fourmis ne sont point venues m'aider. Toutes ces contrariét
m'ont d'autant plus fâché, que j'aurois bien voulu qu'il pût aller ju;
qu'à Callwich un peu du superflu de Bullstrode; mais je tâcherai d'èti
mieux fourni une autre fois; car, quoique les honnêtes gens qui dispc
sent de moi , fâchés de me voir trouver des douceurs dans la botanique
cherchent à me rebuter de cet innocent amusement en y versant 1
poison de leurs viles âmes, ils ne me forceront jamais à y renonce
volontairement. Ainsi , madame la duchesse , veuillez bien m'honorer d
vos ordres et me faire mériter le titre que vous m'avez permis de pren
dre; je tâcherai de suppléer à mon ignorance à force de zèle pour exé
cuter vos commissions.
Vous trouverez, madame, une ombellifère à laquelle j'ai pris 1;
liberté de donner le nom de seseli Halleri , faute de savoir la trouvei
dans le Species , au lieu qu'elle e.st bien décrite dans la dernière éditioi
des Plantes de Suisse de M. Haller, n" 762. C'est une très-belle plante
qui est plus belle encore en ce pays que dans les contrées plus méri-
dionales, parce que les premières atteintes du froid lavent son vert
foncé d'un beau pourpre, et surtout la couronne de graines, car elle ne
fleurit que dans l'arrière-saison , ce qui fait aussi que les graines ont
peme a mûrir et qu'il est difficile d'en recueillir. J'ai cependant trouvé
le moyen d'en ramasser quelques-unes que vous trouverez , madame la
duchesse, avec les autres. Vous aurez la bonté de les recommandera
votre jardmier; car, encore un coup, la plante est belle, et si peu
commune, qu'elle n'a pas même encore un nom parmi les botanistes
Malheureusement le spécimen que j'ai l'honneur de vous envoyer est
mesquin et en fort mauvais état; mais les graines y suppléeront
Je vous SUIS extrêmement obligé, madame, delà bonté que vous avez
eue de me donner des nouvelles de mon excellent voisin M. Granville
et des témoignages du souvenir de son aimable nièce miss Dewes J'es-
pere qu'elle se rappelle assez les traits de son vieux berger pour con-
venir qu'il ne ressemble guère à la figure de cyclope qull a plu à
M. Hume de faire graver sous mon nom. Son graveur a peint mon
visage comme sa plume a peint mon caractère. Il n'a pas vu que la seule
chose que tout cela peint fidèlement est lui-même.
Je vous supplie , madame la duchesse , d'agréer avec bonté mon pro-
fond respect. ^
Lettre XI.
, . A Paris, le <7 avril 1772.
J ai reçu , madame la duchesse, avec bien de la reconnoissance et la
lettre dont vous m'avez honoré le 17 mars, et le nombreux envoi de *
SUR LA BOTANIQUE. '^7
^traînes dont vous avez bien voulu enrichir ma petite collection. Cet
anvoi en fera de toutes manières la plus considérable partie, et réveille
mon zèle pour la compléter autant -lu'il se peut. Je suis bien sen-
aussi à la bonté qu'a M. le docteur Solander d'y vouloir contribuer
--■ lour quelque chose; mais comme je n'ai rien trouvé, dans le paquet,
Wui m'indiquât ce qui pouvoit venir de lui, je reste en doute si le petit
•- lombre de graines ou fruits que vous me marquez qu'il m'envoie etoit
3 oint au même paquet, ou s'il en a fait un autre à part qui, cela sup-
•1 )ûsé , ne m'est pas encore parvenu.
Je vous remercie aussi, madame la duchesse, de la bonté que vous
ivez de m'apprendre l'heureux mariage de miss Dewes et de M. Spa-
'ow: je m'en réjouis de tout mon cœur, et pour elle, si bien faite pour
-endre un honnête homme heureux et pour l'être , et pour son digne
bncle. que l'heureux succès de ce mariage comblera de joie dans ses
vieux jours. ., . ,
: Je suis bien sensible au souvenir de milord Nuncham: j espère qu il
ne doutera jamais de mes sentimens, comme je ne doute point de ses
bontés. Je me serois flatté durant l'ambassade de milord Harcourt du
plaisir de le voir à Paris . mais on m'assure qu'il n'y est point venu , et
ce n'est pas une mortification pour moi seul.
Avez-vous pu douter un instant, madame la duchesse, que je c'eusse
reçu avec autant d'empressement que de respect le livre des Jardins
anglois que vous avez bien voulu penser à m'envoyer? Quoique son plus
grand prix fût venu pour moi de la main dont je l'auro:s reçu, je n'i-
anore pas celui qu'il a par lui-même, puisqu'il est estime et traduit
dans ce pavs : et dailleurs j'en dois aimer le sujet , ayant ete le premier
*n terre ferme à célébrer et faire connoître ces mêmes jardins. Ma. s
celui de Bullstrode . où toutes les richesses de la nature sont rassem-
blées et assorties avec autant de savoir que de goût , menteroit bien un
chantre particulier.
Pour faire une diversion de mon goût à mes occupations, je me suis
proposé de faire des herbiers pour les naturalistes et amateurs qui vou-
dront en acquérir. Le règne végétal . le plus riant des trois . et peut-être
le plus riche , est très-négUgé , et presque oublié dans les cabinets d his-
toire naturelle , où il devroit briller par préférence. J'âi pense que de
petits herbiers, bien choisis et faits avec soin, pourroient favoriser le
eoût de la botanique . et je vais travaiUer cet été à des collections que
te mettrai, j'espère, en état d'être distribuées dans un an d'ici Si par
ha'^ard il -^e trouvoit parmi vos connoissances quelqu'un qui voulût ac-
auerir de pareils herbiers, je les servirois de mon mieux, et je conti-
nuerai de même s'ils sont contens de mes essais. Mais je souhaiterois
narliculièrement, madame la duchesse, que vous m'honorassiez quel-
quefois de vos ordres, et de mériter toujours, par des actes de mon
»«le , l'honneur que j'ai de vous appartenir.
•^^ LETTRES
Lettre XII.
T„ j„- , , , A Paris, le < 9 mai 1772
Je dois madame la duchesse, le principal plaisir que m'ait lait
poème sur les jardms anglois , que vous avez eu la bonté de m'envoVe
a la mam dont ,1 me vient. Car mon ignorance dans la langue an^ois,
qu, mempeche d'en entendre ^a poésie., ne me laisse pas partager
pla.sir que l'on prend à le lire. Je croyois avoir eu Vhonneur de°vôi
marquer, madame, que nous avons cet ouvrage traduit ici -vous Iv
suppose que je préférois l'original, et cela seroit très-vrai si j'étois e
état de le lire mais je n'en comprends tout au plus que les notes a,
ne sont pas, a ce qu'il me semble, la partie la plus intéressante^^
1 ouvrage. Si mon etourdene m'a fait oublier mon incapacité j'en sui
pun, par mes vains efforts pour la surmonter. Ce qui n'empêche pas ou
cet envoi ne me soit précieux comme un nouveau témoignage de vo
bontés et une nouvelle marque de votre souvenir. Je vous supplie ma
dame la duchesse , d'agréer mon remercîment et mon respect '
Je reçois en ce moment, madame, la lettre que vous me fîtes l'hon
neur de m ecnre l'année dernière en date du 25 mars 1771 Celui au
me 1 envoie de Genève (M. Moultou) ne me dit point les raisons de «
{^uf c'qlt j^e'i sds.""'"^ ""^^"^"^ ^"''^ ""'' ' P^^ '^ '^ f-^« ' -Uà
Lettre XIII.
p. t . 1 j , Paris, le 19 juilleH772
G est , madame la duchesse , par un quiproquo bien inexcusable , mais
bien involontaire , que j'ai si tard l'honneur de vous remercier des fruits
rares que vous avez eu la bonté de m'envoyer de la part de M le doc
teur Solander , et de la lettre du 24 juin , 'par laqueUe vous !; z bîe„
voulu me donner avis de cet envoi. Je dois aussi à ce savant naturaliste
des remercîmens, qui seront accueillis bien plus favorablement, si vous
daignez, madame la duchesse, vous en charger, comme vous ^vez 7a"
1 envoi, que venant directement d'un homme qui n'a point l'honn u
d être connu de lui. Pour comble de grâce, vous voulez bien encore nie
promettre les noms des nouveaux genres lorsqu'il leur en auia donné
ce qui suppose aussi la description du genre ; car les noms dépourvus
d Idées ne sont que des mots, qui servent moins à orner la mémoire
qu a la charger. A tant de bontés de votre part, je ne puis vouToZr
SreobHgé" "'"' '' reconnoissance, que^e pllisir q'ue j'ai" de vous
Ce n'est point sans un vrai déplaisir que j'apprends que ce erand
voyage sur lequel toute l'Europe savanïe avoiMes yeutn^ufa pa
heu. C est une grande perte pour la cosmographie , pour la navSon
et pour l'histoire naturelle en général, et c'est, j'en suis très sïr un
chagrin pour cet homme illustre que le zèle de l'instruction pub ique
rendoit insensible aux périls et aux fatigues dont l'expérience l'avnit
deja SI parfaitement instruit. Mais je vois chaqu ou?mieux quele
i:iZsSiT.rr 'r "?"' ^^ 'l-l^P^rès^el-rv^ee'tdV
jalousie fait plus de mal aux âmes que celui des lumières qui en est la
cause , ne peut faire de bien aux esprits. ^
SUR T-A «OTANIQUE. 79
Je n'ai certainement pas oublié, madame la duchesse, que vous aviez
désiré de la graine du gentiana fil if or mis ; mais ce souvenir n'a fait
qu'augmenter mon regret d'avoir perdu cette plante, sans me fournir
aucun moyen de la recouvrer. Sur le lieu même où je la trouvai , qui
•'est à Trye, je la cherchai vainement l'année suivante, et soit que je
^n'eusse pas bien retenu la place ou le temps de sa florescence , soit
^qu'elle n'eût point grené, et qu'elle ne se fût pas renouvelée, il me fut
impossible d'en retrouver le moindre vestige. J'ai éprouvé souvent la
même mortification au sujet d'autres plantes que j'ai trouvées disparues
des lieux où auparavant on les rencontroit abondamment; par exemple,
le plantago uniflora, qui jadis bordoit l'étang de Montmorency et dont
j'ai fait en vain l'année dernière la recherche avec de meilleurs bota-
nistes et qui avoient de meilleurs yeux que moi. Je vous proteste , ma-
dame la duchesse , que je ferois de tout mon cœur le. voyage de Trye
pour y cueillir cette petite gentiane et sa graine, et vous faire par-
venir l'une et l'autre, si j'avois le moindre espoir de succès. Mais ne
l'ayant pas trouvée l'année suivante , étant encore sur les lieux , quelle
apparence qu'au bout de plusieurs années, où tous les renseignemens
qui me restoient encore se sont effacés, je puisse retrouver la trace de
cette petite et fugace plante? Elle n'est point ici au jardin du Roi,
ni, que je sache, en aucun autre jardin, et très-peu de gens même la
connoissent. A l'égard du carthamus lanatus , j'en joindrai de la graine
aux échantillons d'herbiers que j'espère vous envoyer à la fin de l'hiver.
J'apprends , madame la duchesse , avec une bien douce joie , le parfait
rétablissement de mon ancien et bon voisin M. Granville. Je suis très-
touché de la peine que vous avez prise de m'en instruire, et vous avez
par là redoublé le prix d'une si bonne nouvelle.
Je vous supplie, madame la duchesse, d'agréer, avec mon respect,
mes vifs et vrais remercîmens de toutes vos bontés.
Lettre XIV.
A Paris, le 22 octobre 1773.
J'ai reçu, dans son temps, la lettre dont m'a honoré madame la du-
chesse, le 7 octobre; quant à celle dont il y est fait mention, écrite
quinze' jours auparavant, je ne l'ai point reçue : la quantité de sottes
lettres qui me venoient de toutes parts par la poste me force à re-
buter toutes celles dont l'écriture ne m'est pas connue, et il se peut
qu'en mon absence la lettre de madame la duchesse n'ait pas été dis-
tinguée des autres. J'irois la réclamer à la poste, si l'expérience iie
m'avoit appris que mes lettres disparoissoient aussitôt qu'elles soo.t
rendues, et qu'il ne m'est plus possible de les ravoir.
C'est ainsi que j'en ai perdu une de M. Linnaeus que je n'ai jamais yu.
ravoir, après avoir appris qu'elle étoit de lui, quoique j'aie employé
pour cela le crédit d'une personne qui en a beaucoup dans les postes.
Le témoignage du souvenir de M. Granville, que madame la duchesse
a eu la bonté de me transmettre , m'a fait un plaisir auquel rien n'eût
manqué , si j'eusse appris en même temps que sa santé étoit meilleure.
M de Saint-Paul doit avoir fait passer à madame la duchesse deus
80
LETïftbS
échantillons d'herbiers portatifs qui me paroissoient plus comrrodes t
presque aussi utiles que les grands. Si j'avois le bonheur que l'un o
l autre , ou tous les deux , fussent du goût de madame la duchesse i
me ferois un vrai plaisir de les continuer, et cela me conserveroit pou
la botanique un reste de goût presque éteint, et que je regrette J'at
tends là-dessus les ordres de madame la duchesse, et je la supplie d'à
gréer mon respect.
Lettre XV.
A Paris, le \i juillet 4 776.
Le témoignage de souvenir et de bonté dont m'honore madame la du-
chesse de Portland est un cadeau bien précieux que je recois avec autant
de reconnoissance que de respect. Quant à l'autre cadeau qu'elle m'an-
nonce , je la supplie de permettre que je ne l'accepte pas. Si la ma^mi-
ficence en est digne d'elle , elle n'est proportionnée ni à ma situation ni
a mes besoins. Je me suis défait de tous mes livres de botanique j'en
ai quitté l'agréable amusement, devenu trop fatigant pour mon â°-e Je
n'ai pas un pouce de terre pour y mettre du persil ou des œillets à
plus forte raison des plantes d'Afrique; et, dans ma plus grande passion
pour la botanique, content du foin que je trouvois sous mes pas je
n'eus jamais de goût pour les plantes étrangères qu'on ne trouve parmi
nous qu'en exil et dénaturées dans les jardins des curieux. Celles que
veut bien m'envoyer madame la duchesse seroient donc perdues entre
mes mains; il en seroit de même et par la même raison de ÏHerbarium
amhomense , et cette perte seroit regrettable à proportion du prix de ce
livre et de l'envoi. Voilà la raison qui m'empêche d'accepter ce superbe
cadeau , si toutefois ce n'est pas l'accepter que d'en garder le souvenir
et la reconnoissance , en désirant qu'il soit employé plus utilement
Je supplie très-humblement madame la duchesse d'agréer mon pro-
fond respect.
On vient de m'envoyer la caisse; et, quoique j'eusse extrêmement
désire d en retirer la lettre de madame la duchesse, il m'a paru plus
convenable , puisque j'avois à la rendre , de la renvoyer sans l'ouvrir
LETTRE A M. DU PEYROU.
^0 octobre 1764.
Traité historique des plantes qui croissent dans la Lorraine et le
Trois-Évêchés , parjl. P. J. Buç'hoz, avocat au parlement de Metz
docteur en médecine . etc. '
Cet ouvrage, dont deux volumes ont déjà paru, en aura vin^-t in-8
avec des planches gravées. ° '
J'en étois ici , monsieur , quand j'ai reçu votre docte lettre • je suis
charme de vos progrès. Je vous exhorte à continuer; vous serez notre
maître, et vous aurez tout l'honneur de notre futur savoir. Je vous
conseille pourtant de consulter M. Marais sur les noms des plantes
plus que sur leur étymologie; car asphodelos , et non pas asphodeilos'
na pour racine aucun mot qui signifie ni mort ni herhe, mais tout aii
sua LA BOTANIQUE. Ol
plus un verLe qui signifie je tue, parce quelles pétales de l'asphoJèla
ont quelque ressemblance à des fers de pique. Au reste, j'ai connu des
asphodèles qui avoient de longues tiges et des feuilles semblables à
celles des lis. Peut-être faut-il dire correctement du genre des aspho-
dèles. La plante aquatique est bien nénufar, autrement jvjmphc-ea,
comme je disois. Il faut redresser ma faute sur le calament, qui ne
s'appelle pas en latin calamentum, mais calamintha, , comme qui diroit
belle menthe.
Le temps ni mon état présent ne m'en laissent pas dire davantage.
Puisque mon silence doit parler pour moi , vous savez , monsieur, com-
bien j'ai à me taire.
LETTRE A M. LIOTARD, LE NEVEU,
HERBORISTE A GRENOBLE.
Bourgoin, le 7 novembre (768.
J'ai reçu, monsieur, les deux lettres que vous m'avez fait l'amitié de
m'écrire. Je n'ai point fait de réponse à la première, parce qu'elle étoit
une réponse elle-même, et qu'elle n'en exigeoit pas. Je vous envoie ci-
joint le catalogue qui étoit avec la seconde, et sur lequel j'ai marqué
les plantes que je serois bien aise d'avoir. Les dénominations de plu-
sieurs d'entre elles ne sont pas exactes, ou du moins ne sont pas dans
mon Speci'es de l'édition de 1762. 'Vous m'obligerez de vouloir bien les
y rapporter, avec le secours de M. Clappier, que je remercie et que je
salue. J'accepte l'ofl're de quelques mousses que vous voulez bien y
joindre , pourvu que vous ayez la bonté d'y mettre aussi très-exacte-
ment les noms ; car je serois peut-être fort embarrassé pour les déter-
miner sans le secours de mon Dillenius , que je n'ai plus. A l'égard du
prix, je le réglerois de bon cœur si je pouvois n'écouter que la libéralité
que j'y voudrois mettre; mais, ma situation me forçant de me borner
en toutes choses aux prix communs, je vous prie de vouloir bien régler
celui-là de façon que vous y trouviez honnêtement votre compte, sans
oublier de joindre à celte note celle des ports , et autres menus frais
qui doivent vous être remboursés; et, comme je n'ai aucune corres-
pondance à Grenoble, je vous enverrai le montant par le courrier, à
moins que vous ne m'indiquiez quelque autre voie. L'offre de venir
vous-même est obligeante; mais je ne l'accepte pas, attendu que je n'en
pourrois profiter, qu'il ne fait plus le temps d'herboriser, et que je ne
suis pas en état de sortir pour cela. Portez-vous bien , mon cher mon-
sieur Liotard ; je vous salue de tout mon cœur,
Renou.
Pourriez-vous me dire si le pistacia terebinthus et Vosiris alba
croissent auprès de Grenoble ? Je crois avoir trouvé l'un et l'autre au-
dessus de la Bastille' , mais je n'en suis pas sûr.
i. Montagne auprès de laquelle Grenoble est située. (Éd.)
RoLSSEAD vi: fi
82 LETTRES
LETTRES ADRESSÉES A M. DE LA TOURETTE,
CONSEILLER EN LA COUR DES MONNOIES DE LYO».
Lettre I.
A Monquin, le \'~G0 '.
J'ai différé, monsieur, de quelques jours à vous accuser la réceptio»
du livre que vous avez eu la bonté de m'envoyer de la part de M. Gouan ^
et à vous remercier, pour me débarrasser auparavant d'un envoi que
j'avois à faire , et me ménager le plaisir de m'entretenir un peu plus
longtemps avec vous.
Je ne suis pas surpris que vous soyez revenu d'Italie plus satisfait de
la nature que des hommes; c'est ce qui arrive généralement aux bons
observateurs, même dans les climats où elle est moins belle. Je sais
qu'on trouve peu de penseurs dans ce pays-là : mais je ne conviendrois
pas tout à fait qu'on n'y trouve à satisfaire que les yeux, j'y voudrois
ajouter les oreilles. Au reste, quand j'appris votre voyage, je craignis,
monsieur, que les autres parties de l'histoire naturelle ne fissent quel-
que tort à la botanique, et que vous ne rapportassiez de ce pays-là
plus de raretés pour votre cabinet que de plantes pour votre herbier.
Je présume, au ton de votre lettre, que je ne me suis pas beaucoup
trompé. Ah ! monsieur, vous feriez grand tort à la botanique de l'aban-
donner, après lui avoir si bien montré, par le bien que vous lui avez.;
déjà fait, celui que vous pouvez encore lui faire.
Vous me faites bien sentir et déplorer ma misère, en me demandant,
compte de mon herborisation de Pila. J'y allai dans une mauvaise
saison , par un très-mauvais temps , comme vous savez , avec de très-
mauvais yeux, et avec des compagnons de voyage encore plus ignorans
que moi, et privé par conséquent de la ressource pour y suppléer que
j'avois à la grande Chartreuse. J'ajouterai qu'il n'y a point, selon moi,.
de comparaison à faire entre les deux herborisations , et que celle de
Pila me paroît aussi pauvre que celle de la Chartreuse est abondanfe et
riche. Je n'aperçus pas une aslrantia , pas une pirola , pas une solda-
nelle,pas une ombellifère, excepté le meum; pas une saxifrage, pas
une gentiane, pas une légumineuse, pas une belle didyname, excepté
la mélisse à grandes fleurs. J'avoue aussi que nous errions sans guides,
et sans savoir où chercher les places riches, et je ne suis pas étonné
qvi'avec tous les avantages qui me manquoient, vous ayez trouvé dans
cette triste et vilaine montagne des richesses que je n'y ai pas vues.
Quoi qu'il en soit, je vous envoie, monsieur, la courte liste de ce que
j'y ai vu , plutôt que de ce que j'en ai rapporté ; car la pluie et ma mala-
dresse ont fait que presque tout ce que j'avois recueilli s'est trouvé
gâté et pourri à mon arrivée ici. Il n'y a dans tout cela que deux ou
trois plantes qui m'aient fait un grand plaisir. Je mets à leur tète le
4 . Pour l'explicalion de celle manière de dater, comme pour connoUre le
mclir (lu quatrain placé en lêtc de chacune des lettres qui vonl suivre, voyc»
dans la Correspondance la noie qui se rapporte ;V la leilre à l'abbé. M.***, dus
9 février 1770. (Ed.)
SUR LA BOTANIQUE. 83
Sonchus alpims, plante de cinq pieds de haut, dont le feuillage et le
port sont admirables, et à qui ses grandes et belles fieurs bleues don-
nent un éclat qui la rendroit digne d'entrer dans votre jardin. J aurois
voulu, pour tout au monde, en avoir des graines: mais cela ne me fut
pas possible, le seul pied que nous trouvâmes étant tout nouvellement
en fleurs; et, vu la grandeur de la plante, et qu'elle est extrêmement
aqueuse, à peine en ai-je pu conserver quelques débris à demi pourris.
Comme j'ai trouvé en route quelques autres plantes assez jolies, j'en ai
ajouté séparément la note, pour ne pas la confondre avec ce que j'ai
trouvé sur la montagne. Quant à la désignation particulière des lieux,
il m'est impossible de vous la donner: car, outre la difficulté de la faire
intelligiblement , je ne m'en ressouviens p is moi-même : ma mauvaise
vue et^'mon étourderie font que je ne sais presque Jamais où je suis; je
ne puis venir à bout de m'orienter, et je me perds à chaque instant
quand je suis seul , sitôt que je perds mon renseignement de vue.
Vous souvenez-vous, monsieur, d'un petit souchet que nous trou-
vâmes en assez grande abondance auprès de la grande Chartreuse, et
que je crus d'abord être le cyperus fuscus , Lin.? Ce n'est point lui, et
il n'en est fait aucune mention, que je sache, ni dans le Species , ni
dans aucun auteur de botanique, hors le seul Michelius , dont voici la
phrase : Cyperus radiée repente, odora, locustis unciam longis et
Uneam îatis (lab. 31 . f. 1). Si vous avez, monsieur, quelque renseigne-
ment plus précis ou plus sûr dudit souchet, je vous serois très-oblige
de vouloir bien m'en faire part.
La botanique devient un tracas si embarrassant et si dispendieux
quand on s'en occupe avec autant de passion , que , pour y mettre de la
réforme . je suis tenté de me défaire de mes livres de plantes. La no-
menclature et la synonymie forment une étude immense et pénible ;
quand on ne veut qu'observer, s'instruire, et s'amuser entre la nature
et soi. l'on n'a pas besoin de tant de livres. Il en faut peut être pour
prendre quelque idée du système végétal, et apprendre à observer;
mais, quand une fois on aies yeux ouverts, quelque ignorant d'ailleurs
qu'on puisse être . on n'a plus besoin de livres pour voir et admirer
sans cesse. Pour moi , du moins, en qui l'opiniâtreté a mal suppléé à la
mémoire, et qui n'ai fait que bien peu de progrès, je sens néanmoins
qu'avec les gramens d'une cour ou d'un pré j'aurois de quoi m'occuper
tout le reste de ma vie, sans jamais m'ennuyer un moment. Pardon,
monsieur , de tout ce long bavardage. Le sujet fera mon excuse auprès
de vous. Agréez , je vous supplie, mes très-humbles salutations.
Lettre IL
Monquin, le il^lO.
Pauvres aveugles que nous sommes 1
Ciel , démasque les imposteurs ,
Et force leurs barbares cœurs
A s'ouvrir aux regards des hommes.
C'en est fait, monsieur, pour moi de la botanique: il n'en est plus
question quant à présent, et il y a peu d'apparence que je sois dans le
84 LETTRES
cas d'y revenir. D'ailleurs je vieillis, je ne suis plus ingambe pour her-
boriser; et des incommodités qui m'avoient laissé d'assez longs relâches
menacent de me faire payer cette trêve. C'est bien assez désormais
pour mes forces des courses de nécessité ; je dois renoncer à celles
d'agrément , ou les borner à des promenades qui ne satisfont pas l'avi-
dité d'un botanophile. Mais, en renonçant à une élude charmante, qui
pour moi s'étoit transformée en passion, je ne renonce pas aux avan-
tages qirelle m'a procurés, et surtout, monsieur, à cultiver votre con-
noissance et vos bontés . dont j'espère aller dans peu vous remercier en
personne. C'est à vous qu'il faut renvoyer toutes les exhortations que
vous me faites sur l'entreprise d'un dictionnaire de botanique, dont il
est étonnant que ceux qui cultivent cette science sentent si peu la né-
cessité. Votre âge, monsieur, vos talens, vos connoissances, vous don-
nent les moyens de former, diriger et exécuter supérieurement cette
entreprise ; et les applaudissemens avec lesquels vos premiers essais ont
été reçus du public vous sont garans de ceux avec lesquels il accueille-
roit un travail plus considérable. Pour moi, qui ne suis dans celte
étud€, ainsi que dans beaucoup d'autres, qu'un écolier radoteur, j'ai
songé plutôt, en herborisant, à me distraire et m'arauser qu'à m'in-
struire, et n'ai point eu, dans mes observations tardives .'la sotte idée
d'enseigner au public ce que je ne savois pas moi-même. Monsieur, j'ai
vécu quarante ans heureux sans faire des livres; je me suis laissé en-
traîner dans cette carrière tard et malgré moi : j'en suis sorti de bonne
heure. Si je ne retrouve pas, après l'avoir quittée, le bonheur dont je jouis-
sois avant d'y entrer, je retrouve au moins assez de bon sens pour sentir
que je n'y étois pas propre, et pour perdre à jamais la tentation d'y rentrer.
J'avoue pourtant que les difficultés que j'ai trouvées dans l'étude des
plantes m'ont donné quelques idées sur le moyen de la faciliter et de la
rendre utile aux autres, en suivant le fil du système végétal par une
méthode plus graduelle et moins abstraite que celle de Tournefort et de
tous ses successeurs, sans en excepter Linnœus lui-même. Peut-être
mon idée est-elle impraticable. Nous en causerons, si vous voulez,
quand j'aurai l'honneur de vous voir. Si vous la trouviez digne d'être
adoptée, et qu'elle vous tentât d'entreprendre sur ce plan des institu-
tions botaniques, je croirois avoir beaucoup plus fait en vous excitant
à ce travail, que si je l'avois entrepris moi-même.
Je vous dois des remercîmens, monsieur, pour les plantes que vous
avez eu la bonté de m'envoyer dans votre lettre , et bien plus encore
pour les éclaircissemens dont vous les avez accompagnées. Le papyrus
m'a fait grand plaisir, et je l'ai mis bien précieusement dans mon her-
bier. Votre antirrhinum purpureum m'a bien prouvé que le mien
n'étoit pas le vrai, quoiqu'il y ressemble beaucoup; je penche à croire
avec vous que c'est une variété de Yarvense ; et je vous avoue que j'en
trouve plusieurs dans le Species, dont les phrases ne suffisent point
pour me donner des différences spécifiques bien claires. Voilà, ce me
semble , un défaut que n'auroit jamais la méthode que j'imagine, parce
qu'on auroit toujours un objet fixe et réel de comparaison, sur lequel
on pourroit aisément assigner les difl'érences.
SUR LA BOTANIQUE. B5
Parmi les plantes dont je vous ai précédemment envoyé la liste . j'en
ai omis une dont Linnœus n'a pas marqué la patrie, et que j'ai irouvée
à Pila; c'est le rubia peregrina : je ne sais si vous l'avez aussi remar-
quée: elle n'est pas absolument rare dans la Savoie et dans le Dauphiné.
Je suis ici dans un grand embarras pour le transport de mou bagage ,
consistant , en grande partie , dans un attirail de botanique. J'ai surtout .
dans des papiers épars, un grand nombre de plaates sèches en assez
mauvais ordre, et communes pour la plupart, mais dont cependant
quelques-unes sont plus curieuses : mais je n'ai ni le temps ni le cou-
raee de les trier, puisque ce travail me devient désormais inutile. Avant
de^jeter au feu tout ce fatras de paperasses , jai voulu prendre la liberté
de vous en parler à tout hasard : et si vous eti.'Z tenté de parcourir ce
foin . qui véritablement n'en vaut pas la peine , j'en pourrois faire une
liasse qui vous parviendroit par M. Pasquet; car. pour moi, je ne sais
comment emporter tout cela, ni qu'en faire. Je crois me rappeler, par
exemple, qu'il s'y trouve quelques fougères, entre autres le polypo-
dium fragrans. que j'ai herborisées en Angleterre, et qui ne sont pas
communes partout. Si même la revue de mon herbier et de mes livres
de botanique pouvoit vous amuser quelques momens , le tout pourroit
être déposé chez vous, et vous le visiteriez à votre aise. Je ne doute
pas que vous n'ayez la plupart de mes livres. Il peut cependant s'en
trouver d'anglois. comme Parkinson, et le Gérard émaculé, que peut-
être n'avez-vous pas. Le Valerius Cordus est assez rare ; j'avois aussi
Tragus . mais je l'ai donné à M. Clappier.
Je suis surpris de n'avoir aucune nouvelle de M. Gouan , à qui j'ai
envoyé les carex ' de ce pays qu'il paroissoit désirer, et quelques autres
petites plantes, le tout à l'adresse de M. de Saint-Priest , qu'il m'avoit
donnée. Peut-être le paquet ne lui est-il pas parvenu : c'est ce que je
ne saurois vérifier, vu que jamais un seul mot de vérité ne pénètre à
travers l'édifice de ténèbres qu'on a pris soin d'élever autour de moi.
Heureusement les ouvrages des hommes sont périssables comme eux ,
mais la vérité est éternelle : post tenebras lux.
Agréez , monsieur , je vous supplie , mes plus sincères salutations.
Lettre IIL
Monquin, le 4 7^70.
Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.
Ne faites , monsieur , aucune attention à Li bizarrerie de ma date-,
c'est une formule générale qui n'a nul trait à ceux à qui j'écris . mais
seulement aux honnêtes gens qui disposent de moi avec autant d'équité
que de bonté. C'est, pour ceux qui se laissent séduire par la puissance et
tromper par l'imposture, un avis qui les rendra plus inexcusables, si,
jugeant sur des choses que tout devroit leur rendre suspectes, ils s'ob-
stinent à se refuser aux moyens que prescrit la justice pour s'assurer de
la vérité.
4 . Je me souviens d'avoir mis par mégarde un nom pour un autre : carex
vulpina, pour carex leporina.
86 LETTRES
C'est avec regret que je vois reculer, par mon état et par la mauvaise
saison, le moment de me rapprocher de vous. J'espère cependant ne
pas tarder beaucoup encore. Si j'avois quelques graines qui valussent
la peine de vous être présentées, je prendrois le parti de vous les en-
voyer d'avance, pour ne pas laisser passer le temps de les semer; mais
j'avois fort peu de chose, et je le joignis avec des plantes de Pila, dans
xm envoi que je fis il y a quelques mois à Mme la duchesse de Portland ,
et qui n'a pas été plus heureux , selon toute apparence , que celui que
j'ai fait à M. Gouan, puisque je n'ai aucune nouvelle ni de l'un ni de
l'autre. Comme celui de Mme de Portland étoit plus considérable, et
que j'y avois mis plus de soin et de temps, je le regrette davantage;
mais il faut bien que j'apprenne à me consoler de tout. J'ai pourtant
encore quelques graines d'un fort beau seseli de ce pays, que j'appelle
seseli Ualleri, parce que je ne le trouve pas dans Linnxus. J'en ai aussi
d'une plante d'Amérique , que j'ai fait semer dans ce pays avec d'autres
graines qu'on m'avoit données, et qui seule a réussi. Elle s'appelle
gombaut dans les îles, et j'ai trouvé que c'étoit ïhibiscus esculentus;
il a bien levé , bien fleuri ; et j'en ai tiré d'une capsule quelques graines
bien mûres, que je vous porterai avec le seseli , si vous ne les avez i as.
Comme l'une de ces plantes est des pays chauds, et que l'autre grène
fort tard dans nos campagnes, je présume que -rien ne presse pour les
mettre en terre , sans quoi je prendrois le parti de vous les envoyer.
Votre galium rotundifolium , monsieur, est bien lui-même à mon
avis, quoiqu'il doive avoir la fleur blanche, et que le vôtre l'ait flave;
mais comme il arrive à beaucoup de fleurs blanches de jaunir en sé-
chant , je pense que les siennes sont dans le même cas. Ce n'est point du
tout mon rubia peregrina , plante beaucoup plus grande, plus rigide,
plus âpre, et de la consistance tout au moins de la garance ordinaire,
outre que je suis certain d'y avoir vu des baies que n'a pas votre ga-
lium, et qui sont le caractère générique des rubia. Cependant je suis,
je vous l'avoue, hors d'état de vous en envoyer un échantillon. Voici,
là-dessus, mon histoire.
J'avois souvent vu en Savoie et en Dauphiné la garance sauvage , et
j'en avois pris quelques échantillons. L'année dernière, à Pila, j'en vis
encore ; mais elle me parut différente des autres , et il me semble que
j'en mis un spécimen dans mon portefeuille. Depuis mon retour, li-
sant, par hasard, dans l'article rubia peregrina, que sa feuille n'avoit •
point de nervure en dessus, je me rappelai ou crus me rappeler que
mon rubia de Pila n'en avoit point non plus; de là je conclus que
c'étoit le rubia peregrina. En m'échauffant sur cette idée , je vins à
conclure la même chose des autres garances que j'avois trouvées dans ;
ces pays, parce qu'elles n'avoient d'crdinaire que quatre feuilles; pour
que cette conclusion fût raisonnable , il auroit fallu chercher les plantes
et vérifier; voilà ce que ma paresse ne me permit point de faire, vu le
désordre de mes paperasses, et le temps qu'il auroit fallu mettre à cette
recherche. Depuis la réception, monsieur, de votre lettre, j'ai mis
plus de huit jours à feuilleté.'' tous mes livres et papiers l'un après
l'autre, sans pouvoir retrouver ma plante de Pila, que j'ai peut-êtro V
I SUR LA BOTANIQUE. 87
■Jetée avec tout ce qui est arrivé pourri. J'en ai retrouvé quelques-unes
des autres; mais j'ai eu la mortification d'y trouver la nervure bien
marquée, qui m'a désabusé, du moins sur celles-là. Cependant ma mé-
moire, qui me trompe si souvent, me retrace si bien celle de Pila,
■que j'ai peine encore à en démordre, et je ne désespère pas qu'elle ne
se retrouve dans mes papiers ou dans mes livres. Quoi qu'il en soit,
figurez-vous dans l'échantillon ci-joint les feuilles un peu plus larges
•et sans nervure; voilà ma plante de Pila.
Quelqu'un de ma connoissance a souhaité d'acquérir mes livres de
botanique en entier, et me demande même la préférence ; ainsi je ne me
prévaudrai point sur cet article de vos obligeantes offres. Quant au
fourrage épars dans des chiffons , puisque vous ne dédaignez pas de le
parcourir, je le ferai remettre à M. Pasquet; mais il faut auparavant
que je feuillette et vide mes livres , dans lesquels j'ai la mauvaise habi-
tude de fourrer, en arrivant, les plantes que j'apporte, parce que cela
€st plus tôt fait. J'ai trouvé le secret de gâter, de cette façon, presque
tous mes livres , et de perdre presque toutes mes plantes , parce qu'elles
tombent et se brisent sans que j'y fasse attention, tandis que je feuil-
lette et parcours le livre , uniquement occupé de ce que j'y cherche.
Je vous prie, monsieur, de l'aire agréer mes remercîmens et saluta-
tions à M. votre frère. Persuadé de ses bontés et des vôtres, je me pré-
vaudrai volontiers de vos offres dans l'occasion. Je finis, sans façon,
«n vous saluant, monsieur, de tout mon cœur.
Lettre IV.
Monquin, le n^lO.
Pauvres aveugles que nous sommes! etc.
Voici, monsieur, mes misérables herbaiUes, où j'ai bien peur que
TOUS ne trouviez rien qui mérite d'être ramassé, si ce n'est des
plantes que vous m'avez données vous-même, dont j'avois quelques-
unes à double, et dont après en avoir mis plusieurs dans mon herbier,
je n'ai pas eu le temps de tirer le même parti des autres. Tout l'usage
que je vous conseille d'en faire est de mettre le tout au feu. Cependant,
si vous avez la patience de feuilleter ce fatras, vous y trouverez, je
crois, quelques plantes qu'un officier obligeant a eu la bonté de m'ap-
porter de Corse , et que je ne connois pas.
Voici aussi quelques graines du seseli Halleri. Il y en a peu, et je ne
l'ai recueilli qu'avec beaucoup de peine , parce qu'il grène fort tard et
"mûrit difficilement en ce pays : mais il y devient, en revanche, une
très-belle plante, tant par son beau port que par la teinte de pourpre
que les premières atteintes du froid donnent à ses ombelles et à ses
tiges. Je hasarde aussi d'y joindre quelques graines de gombaut , quoi-
que vous ne m'en ayez rien dit, et que peut-êlre vous l'ayez ou ne vous
en souciiez pas, et quelques graines de V hep tapliy lion . qu'on ne s'avise
guère de ramasser, et qui peut-être ne lève pas dans les jardins, car
je ne me souviens pas d'y en avoir jamais vu.
Pardon, monsieur, de la hâte extrême avec laquelle je vous écris
^^ LETTRES
peuvent vous convenir et sH a que eur^e'uî ?^^^^ '^^"^^ ^^'
som de vous les procurer. Je ne d\3e pas m'u/tZie; r"'
vous assure, que de cultiver vos bontés- et si iamaU fp^if l' •"'
d'être un peu mieux connu de vous que de M •** Tu d t !' ?""^''''
conno tre. j'espère que vous ne m'en\ ouverez pàs^Lline Te"; ""'
salue de tout mon cœur "veiez pas maigne. Je vous
Lettre V.
r,, , A Paris, le U|70.
Pauvres aveugles que nous sommes 1 etc.
vant Tp^-'' '^°"'''r ' ''"'^ '■'''^'■^ ^°^Pte de mon voyage en arri
vant a Pans; mais .1 m'a fallu quelques jours pour m'arrm Jr pf^
remettre au courant avec mes anciennes connoScTs^aSd'l'
voya^.e de deux jours , j'en séjournai trois ou quatre à Dijon d'où Zr
a même raison, j'allai faire un pareil séjour à Auxerre In es avnlV'^
le plaisir de voir en passant M. de Buffon, qui reTl'accueilIe ni."
ob -géant. Je vis aussi à Montbard M. DaubLntonTe subdJl?" ttt
après une heure ou deux de promenade ensemble dans le ardin me m
quej avo.s déjà des coramencemens. et qu'en continuant d. V. ,f
,e pourrois devenir un peu botaniste. M^is le le Zl^rS' S
voir avant mon départ, je parcourus avec lui sa pépinîè^e' mal" ré n
pluie qui nous incomraodoit fort: et n'y connoissant nrll',,^ •
démentis si bien la bonne opinion'qu'il 'vouJ^e d mofla^vë lie" ouS
rétracta son éloge et ne me dit plus rien du tout. Malg é ce mauv.i
succès, je n'ai pas laissé d'herboriser un peu durant ma routretl
me trouver en pays de connoissance dans la campagne eTdans le^ bois
Dans presque toute la Bourgogne j'ai vu la terre œuver à droi e e à
Sn P-, %'''V^"^' ^■•«"le gentiane jaune que je n'avois pT rou
ver à Pila. Les champs, entre Montbard et Chablis, sont plefns de ïï"
bocastanum, mais la bulbe en est beaucoup plus âc e q^'en In^Ieterre
et presque immangeable; l'œnanthe fistulosa et la coqle outde !.«:
Ulla)y sont aussi en quantité : mais n'ayant traversera forTt de Fon
tamebleau que très à la hâte, je n'y ai rien vu du tout de remarquaWe
rVuVeTerie'Lr^^'^"^""^- ^"^ ^' ^"-^ -- -s pieTs^pTÎi!
J'allai hier voir M. Daubenton au jardin du Roi; j'y rencontrai en me
promenant M. Richard, jardinier de Trianon, àveriequel î^em
pressa. , comme vous jugez bien , de faire conno i'ssance. Il me promi da
I
SUR LA BOTAîylQLE. Si;
ne faire voir son jardin, qui est beaucoup plus riche que celui du Roi
ï Paris : ainsi me voilà à portée de faire , dans l'un et dans 1 autre .
quelque connoissance avec les plantes exotiques, sur lesquelles , comme
TOUS avez pu voir, je suis parfaitement ignorant. Je prendrai, pour
voir Trianon plus à mon aise . quelque moment où la cour ne sera pas
à Versailles , et je tâcherai de me fournir à double de tout ce qu on me
permettra de prendre, afin de pouvoir vous envoyer ce que vous pour-
riez ne pas avoir. J'ai aussi vu le jardin de M. Cochin, qui ma paru
fort beau : mais . en l'absence du maître , je n'ai ose toucher a nen. Je
suis depuis mon arrivée , tellement accablé de visites et de dîners , que ,
si ceci dure, il est impossible que j'y tienne, et malheureusement je
manque de force pour me défendre. Cependant , si je ne prends bien vite
un autre train de vie . mon estomac et ma botanique sont en grand
péril. Tout ceci n'est pas le moyen de reprendre la copie de musique
d'une façon bien lucrative: et j'ai peur qu'à force de dîner en vaille je
ne finisse par mourir de faim chez moi. Mon âme navrée avoit besoin
de quelque dissipation, je le sens; mais je crains de n'en pou\oir ici
régler la mesure . et j'aimerois encore mieux être tout en moi que tout
hors de moi. Je n'ai point trouvé, monsieur, de société mieux tempérée
et qui me convînt mieux que la vôtre: point d'accueil plus selon mon
cœur que celui que. sous vos auspices, j'ai reçu de l'adorable Melanie.
S'il m'étoit donné de me choisir une vie égale et douce, je voudroi.,
tous les jours de la mienne . passer la matinée au travail , soit a ma co-
pie «oit sur mon herbier : dîner avec vous et Mélanie ; nourrir ensuite .
une heure ou deux . mon oreille et mon cœur des sons de sa voix et de
ceux de sa harpe: puis me promener tète à tète avec vous le reste rie la
journée, en herborisant et philosophant selon notre fantaisie. i.yon ma
laissé des regrets qui m'en rapprocheront quelque jour peut-être : si
cela m'arrive, vous ne serez pas oublié, monsieur, dans mes projets :
puissiez-vous concourir à leur exécution ! Je suis fâche de ne savoir pas
ici l'adresse de M. votre frère, s'il y est encore : je n'aurois pas tarde si
longtemps à l'aller voir, me rappeler à son souvenir, et le pner ûe
Touloir bien me rappeler quelquefois au vôtre et a celui de M. .
Si mon papier ne finissoitpas, si la poste n'alloit pas partir, je ne
saurois pas finir moi-même. Mon bavardage n'est pas mieux ordonne
sur le papier que dans la conversation. Veuillez supporter i un comme
vous avez supporté l'autre. Vale, et me ania.
Lettre VI.
A Paris, le 4 7V-70.
Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.
Je ne voulois, monsieur, m'accuser de mes torts qu'après les avoir
réparés: mais le mauvais temps qu'il fait et la saison qui se gâte me
" punissent d'avoir né-ligé le jardin du Roi tandis qu il faisoit beau et
me mettent hors d'état de vous rendre compte , quant a présent , du
plantage uniflora . et des autres plantes curieuses dont j aurois pu vous
parler, si j'avois su mieux profiter des bontés de M. de Jussieu. Je ne
90 LETTRES
désespère pas pourtant de profiter encore de quelque beau jour d'au-
tomne pour faire ce pèlerinage, et aller recevoir, pour cette année,
les adieux de la syngénésie : mais, en attendant ce moment, permet-
tez, monsieur, que je prenne celui-ci pour vous remercier, quoique
tard, de. la continuation de vos bontés et de vos lettres, qui me feront
toujours le plus vrai plaisir, quoique je sois peu exact à y répondre.
J'ai encore à m'accuser de beaucoup d'autres omissions pour lesquelles
je n'ai pas moins besoin de pardon. Je voulois aller remercier M. votre
frère de l'honneur de son souvenir, et lui rendre sa visite; j'ai tardé
d'abord, et puis j'ai oublié son adresse. Je le revis une fois à la comé-
die italienne: mais nous étions dans des loges éloignées, j^e ne pus
l'aborder, et maintenant j'ignore même s'il est encore à Paris. Autre
tort ine.xcusable : je me suis rappelé de ne vous avoir point remercié
de la connoissance de M. Robinet, et de l'accueil obligeant que vous
m'avez attiré de lui. Si vous comptez avec votre serviteur, il restera
trop insolvable; mais puisque nous sommes en usage, moi de faillir,
vous de pardonner, couvrez encore cette fois mes fautes de votre in-,
dulgence, et je tâcherai d'en avoir moins besoin dans la suite, pourvu
toutefois que vous n'exigiez pas de l'exactitude dans mes réponses :
car ce devoir est absolument au-dessus de mes forces, surtout dans ma
position actuelle. Adieu , monsieur; souvenez-vous quelquefois, je vous
supplie , d'un homme qui vous est bien sincèrement attaché , et qui ne
se rappelle jamais sans plaisir et sans regret les promenades char-
mantes qu'il a eu le bonheur de faire avec vous.
On a représenté Pygmalion à Montigny; je n'y étois pas, ainsi je
n'en puis parler. Jamais le souvenir de ma première Galathée ne me
laissera le désir d'en voir une autre.
Lettre VU.
A Paris, le 17^^70.
Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.
Je ne sais presque plus, monsieur, comment oser vous écrire, après
avoir tardé si longtemps à vous remercier du trésor de plantes sèches
que vous avez eu la bonté de m'envoyer en dernier lieu. N'ayant pas
encore eu le temps de les placer, je ne les ai pas extrêmement exami-
nées; mais je vois à vue de pays qu'elles sont belles et bonnes; je ne
doute pas qu'elles ne soient bien dénommées, et que toutes les obser-
vations que vous me demandez ne se réduisent à des approbations. Cet
envoi me remettra, je l'espère, un peu dans le train de la botanique,
que d'autres soins m'ont fait extrêmement négliger depuis mon arrivée
ici; et le désir de vous témoigner ma bien impuissante, mais bien sin-
cère reconnoissance, me fournira peut-être avec le temps quelque
chose à vous envoyer. Quant à présent je me présente tout à fait à vide,
n'ayant des semences dont vous m'envoyez la note que le seul doroni-
ciim pardiilianches que je crois vous avoir déjà donné , et dont je vous
envoie mon misérable reste. Si j'eusse été prévenu quand j'allai à Pila
l'année dernière, j'aurois pu vous apporter aisément un litron des se-
mences du prenanthes purpurea, et il y en a quelques autres, comme
SUR LA BOTANIQUE. 91
. tamus et la gentiane perfoliée , que vous devez trouver aiséraeiit au-
^ur de vous. Je n'ai pas oublié le plantago momnthos , mais o^ na pu
ae le donner au jardin du Roi. où il n'y en avoit qu'un seul pied sans
.eur et sans fru f. j'en ai depuis recouvré un petit v.la.n échantillon
ue ie vouTenverrai avec autre chose , si je ne trouve pas mieux: mais,
'omme il c oit en abondance autour de l'étang de Montmorency j y
ioZe aller herboriser le printemps prochain^ et vous envoyer, si se
eut plantes et graines. Depuis que je suis à Pans, je n'a. ete enco e
rae trois ou quatre fois au jardin du Roi; et quoiqu'on m'y accueille
^ec la plus grande honnêteté et qu'on m'y donne volontiers des echan-
ilons de plantes, je vous avoue que je n'ai pu m'enhard.r encore a
emander des graines. Si j'en viens là, c'est pour vous servir que jen
urli le courage, mais cela ne peut venir tout d'un coup J ai parle
à M de îussieu du papyrus que vous avez rapporté de Naples; û doute
nue ce soit le vrai papier nilotica. Si vous pouviez lui en envoyer , soit
Xn e. s t graines, soit par moi, soit par d'autres ja. vu que cela
fur roit grand plaisir, et ce seroit peut-être un excellent moyen d ob-
en r de lui beaucoup de choses qu'alors nous aurions bonne grâce a
Sander quoique je sache bien par expérience qu il est charme
d'orger gratuitement: mais j'ai besoin de quelque chose pour m en-
hardir . quand il faut demander. . , ,
Je remets, avec celte lettre, à MM. Boy de La Tour qui s'en retour-
nent une boîte contenant une araignée de mer qui vient de bien loin;
car on me l'a envovée du golfe du Mexique. Comme cependant ce n est
pas une pièce bienVare et qu'elle a été fort endommagée dans le tra-
it ihé.ùois à vous l'envoyer: mais on me dit qu'elle peut se raccom-
moder et trouver place encore dans un cabinet : cela suppose, je vous
^rie de lui en donner une dans le vôtre, en considération d un homme
oui vous sera toute sa vie bien sincèrement attache. J ai mis dans la
même boîte les deux ou trois semences de doronic et autres que j avois
sous la main. Je compte l'été prochain me remettre au courant de la
botanique pour tâcher de mettre un peu du mien dans une correspon-
dance qui m'est précieuse, et dont j'ai eu jusqu'ici seul tout le profit.
Je crains d'avoir poussé Tetourderie au point de ne vous avoir pas re-
mercîé de la complaisance de M. Robinet . et des honneletes don il m a
Slé J'ai ausS laissé repartir d'ici M. de Fleurieu sans aller lui
Sre mes devons, comme je le devois et voulois faire. Ma volonté,
monsieur, n'aura jamais de tort auprès de vous m des vôtres; mais
ma né-li-ence m'en donne souvent de bien inexcusables que je vous
prie toutefois d'excuser dans votre miséricorde. Ma femme a ete tres-
sensible à Ihonneur de votre souvenir, et nous vous prions Un et
l'autre d'agréer nos très-humbles salutations.
Lettre VIII.
A Paris, le il-fli.
Pauvres aveugles que nous sommes ! etc.
Jai reçu, monsieur, avec grand plaisir, de vos nouvelles, des témoi-
. gnages de votre souvenir, et des détails de vos intéressantes occupa-
92 LETTRES
lions. Mais vous me parlez d'un envoi de plantes par M. l'abbé Rosier
que je n'ai point reçu. Je me souviens bien d'en avoir reçu un de votr
part, et de vous en avoir remercié, quoique un peu tard, avant votr
voyage de Paris: mais depuis votre retour à Lyon, votre lettre a et.
pour moi votre premier signe de vie; et j'en ai été d'autant plu
charmé, que j'avois presque cessé de m'y attendre.
En apprenant les changeraens survenus à Lyon, j'avois si bien pré
jugé que vous vous regarderiez comme affranchi d'un dur esclavage , e
que, dégagé de devoirs, respectables assurément, mais qu'un hom'mt
de goût mettra difficilement au nombre de ses plaisirs, vous en goû-
teriez un très-vif à vous livrer tout entier à l'étude de la nature, que
j'avois résolu de vous en féliciter. Je suis fort aise de pouvoir du moins
exécuter après coup, et sur votre propre témoignage, une résolution
que ma paresse ne m'a pas permis d'exécuter d'avance , quoique très-
sûr que cette félicitation ne viendroit pas mal à propos.
Les détails de vos herborisations et de vos découvertes m'ont fait bat-
tre le cœur d'aise. Il me sembloit que j'étois à votre suite , et que je par-
tageois vos plaisirs : ces plaisirs si purs , si doux , que si peu d'hommes
savent goûter, et dont, parmi ce peu-là, moins encore sont dignes
puisque je vois , avec autant de surprise que de chagrin , que la botanique
elle-même n'est pas exempte de ces jalousies , de ces haines couvertes et
cruelles qui empoisonnent et déshonorent tous les autres genres d'études.
Ne me soupçonnez point, monsieur, d'avoir abandonné ce goût déli-
cieux ; il jette un charme toujours nouveau sur ma vie solitaire. Je m'y
livre pour moi seul, sans succès, sans progrès, presque sans commu-
nication, mais chaque jour plus convaincu que les loisirs livrés à la
contemplation de la nature sont les momens de la vie où l'on jouit le
plus_ délicieusement de soi. J'avoue pourtant que, depuis votre départ
j'ai joint un petit objet d'amour-propre à celui d'amuser innocemment
et agréablement mon oisiveté. Quelques fruits étrangers , quelques
graines qui me sont par hasard tombées entre les mains , m'ont inspiré
la fantaisie de commencer une très-petite collection en ce genre. Je dis
commencer, car je serois bien fâché de tenter de l'achever, quand la
chose me seroit possible, n'ignorant pas que, tandis qu'on est pauvre
on ne sent que le plaisir d'acquérir; et que, quand on est riche, aii
contraire , on ne sent que la privation de ce qui nous manque , et l'in-
quiétude inséparable du désir da compléter ce qu'on a. Voiis devez
depuis longtemps en être à cette inquiétude, vous, monsieur, dont la
riche collection rassemble en petit presque toutes les productions de la
nature, et prouve, par son bel assortiment, combien M. l'abbé Rosier
a eu raison de dire qu'elle est l'ouvrage du choix et non du hasard.
Pour moi , qui ne vais que tfitonnant dans un petit coin de cet immense
labyrmthe, je rassemble fortuitement et précieusement tout ce qui me
tombe sous la main, et non-seulement j'accepte avec ardeur et recon-
noissance les plantes (]ue vous voulez bien m'offrir; mais, si vous vous
trouviez avec cela quelques fruits ou graines surnuméraires et de rebut
dont vous voulussiez bien m'enrichir. j'en ferois la gloire de ma petite
collection naissante. Je suis confus de ne pouvoir, dans ma misère.
SUR LA BOTANIQUE. 93
en rous ofTrir en échange, au moins pour le moment. Car, quoique
îusse rassemblé quelques plantes depuis mon arrivée à Paris, ma né-
ligence et l'humidité de la chambre que j'ai d'abord habitée ont tout
lissé pourrir. Peut-être f,erai-je plus heureux cette année, ayant résolu
'employer plus de soin dans la dessiccation de mes plantes . et surtout
e les coller à mesure qu'elles sont sèches; moyen qui m'a paru le
leilleur. pour les conserver. J'aurai mauvaise grâce , ayant fait une
echerche vaine, de vous faire valoir une herborisation que j'ai faite à
lontmorency Tété dernier avec la caterve du jardin du Roi : mais il est
ertain qu'elle ne fut entreprise de ma part que pour trouver le plan-
ago monanthos , que j'eus le chagrin d'y chercher inutilement. M. de
ussieu le jeune, qui vous a vu sans doute à Lyon, aura pu vous dire
.vec quelle ardeur je priai tous ces messieurs, sitôt que nous appro-
ihâmes de la queue de l'étang, de m'aider à la recherche de cette
liante; ce qu'ils firent, et entre autres M. Thouin, avec une complai-
ance et un soin qui méritoient un meilleur succès.
" Nous ne trouvâmes rien : et après deux heures d'une recherche
Dutile, au fort de la chaleur, et le jour le plus chaud de l'année, nous
ûraes respirer et faire la halte sous des arbres qui n'étoient pas loin,
incluant unanimement que le plantago uniflora. indiqué par Tourne-
brt et M. de Jussieu aux environs de l'étang de Montmorency, en avoit
ibsolument disparu. L'herborisation au surplus fut assez riche en plantes
ommunes; mais tout ce qui vaut la peine d'être mentionné se réduit à
'osmonde royale, le hjthrum hyssopifolia . le bjsimachia lenella, le
teplis portula. le drosera rolundifolia . le cyperus fuscus, le schœnus
ligricans, eiVhydrocotyîe , naissante avec quelques feuilles petites et
ares, sans aucune fleur.
Le papier me manque pour prolonger ma lettre. Je ne vous parle
loint de moi , parce que je n'ai plus rien de nouveau à vous en dire , et
[ue je ne prends plus aucun intérêt à ce que disent, publient, impri-
nent, inventent, assurent, et prouvent, à ce qu'ils prétendent , mes
iontemporains , de l'être imaginaire et fantastique auquel il leur a plu
le donner mon nom. Je finis donc mon bavardage avec ma feuille , vous
iriant d'excuser le désordre et le grifi'onnage d'un homme qui a perdu
oute habitude d'écrire, et qui ne la' reprend presque <jue pour vous. Je
'ous salue, monsieur, de tout mon cœur, et vous prie de ne pas m'ou-
ilier auprès de M. et Mme de Fleurieu.
Lettre IX.
A Paris, le <7f73.
Pauvres aveugles que nous sommes! etc.
Votre seconde lettre , monsieur, m a fait sentir bien vivement le tort
l'avoir tardé si longtemps à répondre à la précédente , et à vous remer-
îier des plantes qui l'accompa^noient. Ce n'est pas que je n'aie été bien
iensible à votre souvenir et à votre envoi : mais la nécessité d'une vie
-rop sédentaire, et l'inhabitude d'écrire des lettres, en augmentent jour-
lellement la difficulté , et je sens qu'il faudra renoncer bientôt à tout
94 LETTRES SUR LA BOTANIQUE.
commerce épistolaire, même avec les personnes qui, comme vous
monsieur , me l'ont toujours rendu instructif et agréable.
Mon occupation principale et la diminution de mes forces ont raient
mon goût pour la botanique, au point de craindre de le perdre tout ;'
fait. Vos lettres et vos envois sont bien propres à le ranimer. Le retou
de la belle saison y contribuera peut-être : mais je doute qu'en aucui
temps ma paresse s'accommode longtemps de la fantaisie des collections
Celle de graines qu'a faite M. Thouin avoit excité mon émulation , e
j'avois tenté de rassembler en petit autant de diverses semences et d»
fruits, soit indigènes, soit exotiques, qu'il en pourroit tomber sous m;
main : j'ai bien fait des courses dans cette intention. J'en suis reveni
avec des moissons assez raisonnables, et beaucoup de personnes obli-
geantes ayant contribué à les augmenter, je me suis bientôt senti, dans
ma pauvreté , l'embarras des richesses ; car , quoique je n'aie pas en toul
un millier d'espèces, l'effroi m'a pris en tentant de ranger tout cela; ei
la place d'ailleurs me manquant pour y mettre une espèce d'ordre, j'a:
presque renoncé à cette entreprise; et j'ai des paquets de graines qui
m'ont été envoyés d'Angleterre et d'ailleurs, depuis assez longtemps,
sans que j'aie encore été tenté de les ouvrir. Ainsi, à moins que cette
fantaisie ne se ranime, elle est, quant à présent, à peu près éteinte.
Ce qui pourra contribuer avec le goût de la promenade, qui ne me
quittera jamais, à me conserver celui d'un peu d'iierborisation, c'est
l'entreprise des petits herbiers en miniature que je me suis chargé de
faire pour quelques personnes, et qui, quoique uniquement composés
de plantes des environs de Paris, me tiendront toujours un peu en
haleine pour les ramasser et les dessécher.
Quoi qu'il arrive de ce goût attiédi, il me laissera toujours des sou-
venirs agréables des promenades champêtres dans lesquelles j'ai eu
l'honneur de vous suivre, et dont la botanique a été le sujet; et, s'il
me reste de tout cela quelque part dans votre bienveillance, je ne
croirai pas avoir cultivé sans fruit la botanique, même quand elle aura
perdu pour moi ses attraits. Quant à l'admiration dont vous me parlez,
méritée ou non , je ne vous en remercie pas , parce que c"est un senti-
ment qui n'a jamais flatté mon cœur. J'ai promis à M. de Châteaubourg
que je vous remercierois de m'avoir procuré le plaisir d'apprendre pai
lui de vos nouvelles, et je m'acquitte avec plaisir de ma promesse. Ma
femme est très-sensible à l'honneur de votre souvenir, et nous vous
prions, monsieur, l'un et l'autre, d'agréer nos remercîmens et nos
salutations.
NOTES DE J. J. ROUSSEAU
ur l'eu f rage inlilulé : La Botanique mise a la portée de tout le monde, ou
CoUecliou des planlcs d'usage dans ia médecine, dans les alimens el dans
les aris; avec des notices insiruclives puisées dans les auteurs les plus
célèbres, contenant la description, le climat, la culture, les propriétés el
les vertus propres à chaque plante, précédée d'une Introduction à la bola-
nique, ou Dictionnaire abrégé des principaux termes employés dans celle
science, avec cette épigraphe :
Segnius irritant animos demissa per auren;
Quam qu» sunl coulis subjecla Tidelibus.
HOR.
EXÉCCTÉ ET PUBLIÉ PAR LES SIECR ET DAME REGXADI-T, AVEC APPROBATION
ET PRIVILÈGE DU ROI. PARIS, 1774, IX-FOL.
lettre à M. Vahhê de Pramont ', chanoine de l'église de Vanner.
A Paris, le 13 avril «778.
Vos plantes gravées, monsieur, sont revues et aTrangées comme vous.
'avez désiré. Vous êtes prié de vouloir bien les faire retirer. Elles pour-
voient se gâter dans ma chambre , et n'y feroient plus qu'un embarras .
)arce que la peine que j'ai eue à les arranger me fait craindre d'y tou-
;her derechef. Je dois vous prévenir, monsieur, qu'il y a quelques
euilles du discours extrêmement barbouillées et presque illisibles , dif-
îciles même à relier sans rogner de l'écriture, que j'ai quelquefois pro-
ongée étourdiment sur la marge. Quoique j'aie assez rarement succombé
i la tentation de faire des remarques, l'amour de la botanique et le
lésir de vous complaire m'ont quelquefois emporté. Je ne puis écrire
isiblement que quand je copie , et j'avoue que je n'ai pas eu le courage
le doubler mon travail. en faisant des brouillons. Si ce griffonnage vous
légoûtoit de votre exemplaire après l'avoir parcouru, je vous en offre,
nonsieur, le remboursement, avec assurance qu'il ne restera pas à ma
ïliarge.
Agréez, monsieur, mes très-humbles salutations.
J. J. Rousseau.
1 '. Le Safran des Indes {Curcuma îonga , L.).
a II me semble qu'on devroit voir au moins des vestiges des quatre
itamines avortées , surtout avant la formation du fruit. »
3. L'Olivier {Olea Europx, L.).
». L exemplaire de l'ouvrage sur lequel Rousseau a écrit les notes qui
Juivent appartenoil à cel abbé. (Ed.)
•2. .Ces numéros sont ceux d'un catalogue qui est à la tète de l'ouvrage, el
ijui est de la main de Jean-Jacques. Les notes de Rousseau sont entre guille-
uicis. (Éd.)
9G NOTES
a Leurs bords (aux feuilles) pour l'ordinaire se replient eu dessouj
On ne trouve en aucune contrée aue l'olivier prospère à plus de vinfi
lieues de la mer. »
4. La Circée {Circsea Lutetiana, L.).
a On doit remarquer ici que par le mot de pistil Fauteur n'enten!
pas seulement l'organe par le moyen duquel l'ovaire est fécondé, ma;,
l'ovaire même et toutes ses dépendances. C'est ce qu'il ne faut pas oui
blier en lisant ces descriptions, et c'est pour l'avoir oublié moi-mêai|
que je l'ai contredit mal à propos à l'article de la saxifrage. »
7. La Gratiole {Gratiola officinalis , L.).
a Les étamines sont au nombre de cinq, et on n'en voit que quatr
dans la figure. Se trouve au bord des eaux. »
11. La Toute-bonne des prés {Salvia pratensis, L.).
a Les feuilles radicales et les caulinaires ne sont ni bien représentée
dans l'estampe, ni bien décrites dans le discours. »
12. L'Orvale {Salvia sdarea, L.).
« On chercheroit inutilement les semences et leur lettre' dans l'es
tampe; elles n'y sont pas. »
13. La grande Valériane {Valeriana, Phu.).
a Sa racine sort souvent tellement de terre, que la plante paroît tou
à fait déchaussée. »
15. Le Safran {Crocus sativus officinalis ^ L.).
tt II produit une seule fleur à la fois, car il en naît successivemeni
plusieurs autres à mesure que les premières se dessèchent. Jean Bàuhin.
tout sage et savant qu'il étoit, a pris les stigmates pour des étamines.
18. Le Chiendent {Panicum daclylon, L.).
a Le chiendent qu'on vend à Paris est une autre plante encore pluîi
commune que celle-là. y>
20. Le Seigle {Secale céréale^ L.).
a On ne le trouve plus , non plus que le froment indigène et naturel^
nulle part. >>
22. Le Froment [Tridcum hibernum, L.).
L'époque de la domesticité du froment se perd dans la nuit des
temps.
a II falloit ajouter une chose qui, selon moi, valoit bien la peine
d'être dite : c'est qu'on ignore encore quelle contrée du monde le pro-
duit naturellement; que s'il n'est naturel à aucune terre, d'où donc
nous est-il venu? Je sais que de précédens naturalistes très-peu instruits
l'estiment un produit de la culture, et croient bonnement que le fro- i
ment n'est autre chose qu'une sorte de chiendent cultivé; mais cette
idée est destituée de tout fondement, et il n'y a point de botaniste qui
ne sache que le froment a ses caractères propres qui le distinguent de
tous les graraens connus; quoiqu'il y en ait quelques-uns qu'on rapporta
méthodiquement au même genre, mais sans rapprocher leur espèce de
celle-là. »
23. Le Chardon a foulon [Dipsacus fidlonum, L.).
i. C'est-à-dire les lettres de renvoi aux figures. (Éd.)
SUR LA BOTANIQUE DE REGîs'AULT. 97
« Dans l'espèce des champs, dont le cultivé n'est qu'une variété, la
pointe épineuse du calice n'est point recourbée, mais droite, ce qui fait
qu'on ne s'en sert pas pour draper. »
24. La 'Verge a pasteur {Dipsacus pilosrts , L.).
Cette plante que l'on confond facilement avec le chardon à foulon.
a C'est ce que l'auteur lui-même a fait ici sans s'en douter, dans sa
figure et dans sa description , qui appartiennent l'une et l'autre au char-
don à foulon sauvage, dont le cultivé n'est qu'une variété. La véritable
verge à pasteur, qui n'est pas aussi commune qu'il le dit, est beaucoup
plus rameuse, a les têtes beaucoup plus petites, et les feuilles péiio-
lées. garnies de deux oreillettes : j'ai rétabli le vrai titre de sa plante
au-dessous de celui qu'il y a mis; et ce titre est le chardon à foulon
sauvage. »
L'auteur dit dans sa description : « La forme de la languette de la
corolle est un des principaux caractères qui distinguent la verge à pas-
teur du chardon à foulon, y
Ces mots sont soulignés par Jean-Jacques , qui met en note : « Ceci est
une suite de la méprise. »
'2b. La Scabieuse des prés [Scabiosa arvensfs. L.).
Une radicule qui pointe vers le ciel « est une expression bien étrange.
En général la fructification de la scabieuse est ici assez mal décrite: il
ne seroit pas même aisé de la corriger, parce que les figures sont
inexactes. Par exemple, la figure B, qui devroit représenter un des
fleurons réguliers du centre , le représente irrégulier et peu différent de
la figure D , qui représente un des fleurons irréguliers du centre. »
26. Le Muguet des bois {Asperula odorata, L.).
« Ce nom de muguet des bois est bien mal donné , comme s'il y avoit
"-un muguet des jardins ou des prés.
et On distingue cette plante du grateron par la forme de la tige, qui
est carrée dans le grateron. s
Il ne faut pas, dit l'auteur, confondre cette plante avec celle qu'on
nomme vulgairement hépatique.
a Puisqu'on voulolt distinguer les plantes vulgairement nommées
hépatiques, il en falloit citer une autre bien plus connue que le mar-
chanlia qu'on décrit ici; savoir l'hépatique des jardiniers, sorte de
petite anémone à fleurs blanches très-printanières, et qu'on appelle
autrement herbe de la Trinité.
. Les botanistes suisses ont soin d'en bien garnir leur Faltranck.
ns pour sa prétendue qualité vulnéraire, qu'à cause de l'excellent
l'arium qu'elle y répand. »
I 27. La petite Garance ou l'Herbe a esquinancie {Asperula cya-
nea, L.).
Ses fleurs sont monopétales , chacune d'elles est un tube court.
a Pas si court que dans la figure ; le tube allongé est le principal carac-
tère des asperula. »
Les semences qui succèdent au pistil sont attachées deux à deux,
a On en. a mis six dans la figure, il n'y en a que quatre ordinaire-
• mant. »
U.jCiSLAU VI
98 NOTES
28. Le Caille-lait {Callium verum, L.).
a Dans les terrains qui lui conviennent, le caille-lait jaune, en fleur,
a une assez forte odeur de miel. »
30. La Garance [Rubia tinctorum, L).
La corolle est un tube divisé en cinq segmens ovales et pointus.
« Aussi souvent et plus régulièrement en quatre. »
3t. Le grand Plantain {Ptantago major, L.), ou Plantain a bou-
quet.
« Je croirois que ce qu'on doit appeler plantain à bouquet est le
plantago rosea de Jean Bauhin, variété de celui-ci très-commune en
Allemagne, mais que je ne me rappelle pas d'avoir jamais vue en
France. »
34. Le Pied-de-lion [Alchimilla vulgaris, L.).
« On l'appelle en Suisse porte-rosée , à cause qu'à la faveur de la plis-
sure de ses feuilles il s'y ramasse beaucoup de rosée. »
38. Le Gremil {LUhospermum arvense , L.).
Il y a deux espèces de gremils très-communs; celui-ci est le gremil
rampant.
«. 11 se peut que le gremil rampant soit très-commun autour de Paris,
quoique je ne l'y aie jamais vu, du moins s'il faut entendre par ce nom
commun, je le crois, le lithospermumpurpureo-cœruleum de Linnaeus;
mais le gremil le plus commun dans ces environs est celui à semences
rudes . appelé par Linnœus lithospermum arvense. »
40. L'Orcanette {Anchusa tinctoria, L.).
« On n'aperçoit dans la figure G aucun vestige d'anthères; cepen-
dant , quoique les filets soient courts , et malgré le velu du tube , on dis-
lingue très-bien les anthères quand la corolle est ouverte. »
46. La Primevère {Primula veris officinalis , L.).
tt Dans quelques provinces, les fleurs de primevère s'appellent des
cocus, sans doute à cause de leur couleur; mais le nom de /Zeurs de
coucou appartient au lychnis des marais. »
48. La Nummulaire {Lysimachia nummularia , L.).
La nummulaire, que l'on nomme encore monnoyère.
a II me semble que l'herbe appelée vulgairement monnoyère , à cause
de la forme de ses siliques, est le thlaspi arvense. »
Ses tiges portent des feuilles alternes opposées l'une vis-à-vis de
l'autre.
a Je n'entends pas comment des feuilles peuvent être en même temps
alternes et opposées. »
49. Le Mouron mâle et femelle {Anagallis arvensis, L.).
a Les feuilles sont pointillées de noir en dessous , et les fruits s'ouvrent
en travers. »
50. Le petit Liseron ou Lizet {Convolvulus arvensis , L.).
Les plus foibles plantes deviennent pour elle un moyen d'élévation*
elle s'unit intimement à leurs tiges, et monte en se roulant par \\a
mouvement opposé à la course du soleil.
a Cette direction se marque en tournant et s'écartant de droite à gau-
che et revenant devant soi. »
SUR LA BOTAMQL'E DE REGNAULT. 99
Corolle monopétale à cinq divisions.
« Et plus souvent dix légères découpures. ■
Ses feuilles sont en forme de flèche , aiguës,
a Des deux côtés. »
51. La Scammonée de Syrie \Convolvulx(s scammonia , L.).
a Les feuilles sont légèrement échaucrées à chaque angle de ïtut
base. »
52. La Raiponce {Campanula rapuncubts , L.).
a Semences très-menues, elles sont à peine visibles dans la figure. »
54. Le Chèvrefeuille {Lonicera periclymenum , L.).
a On a confondu ici deux espèces de chèvrefeuille différentes. La figure
€t la description appartiennent au chèvrefeuille de jardin ; mais les noms
qui sont au titre sont ceux du chèvrefeuille des bois. Celui qui est ici
décrit doit s'appeler : lonicera caprifolium , l. periclymenum perfolia-
tiim, G. B., p. 302. »
55. La Belle-de-nuit {ilirabilis Jalapa, L.].
a On ne parle point ici du disque ou nectaire qui soutient la fleur, et
qui rend sa construction très-remarquable. »
56. La Stramoine {Datura Stramonium , L.),
a. C'est une plante d'Amérique qui s'est naturalisée parmi nous. »
57. La Jusquiame [Hyoscyamus niger, L.).
a Les étamines affectent conjointement l'inclinaison d'un seul côté. »
58. Le Tabac {Nicoliana tabacum , L.).
Les rejetonsdu haut de la tige soutiennent des fleurs en godet,
a Dont le long tube se renfle aux deux tiers de sa longueur, et dont
le limbe est découpé en cinq divisions. »
60. La Mandragore {Atropa mandragora, L.).
Le pistil devient, par sa maturité, un fruit rond.
« Et quelquefois allongé.
a. On peut voir dans Jean Bauhin les détails de toutes ces petites jon-
gleries. »
61. La Belladone [Atropa belladonna, L.].
Ce mot, dit Jean-Jacques, en parlant du nom spécifique, que l'auteur
avoit écrit avec une seule n, que les François écrivent et prononcent
mal, doit être écrit avec deux n.
(e) La section du fruit qui doit répondre à ce renvoi a été oubliée dans
la figure.
64. La Pomme de terre {Solanum Tuberosum , L.).
La corolle de la fleur est monopélale.
a Dans plus de la moitié de l'Angleterre , le paysan, pendant six mois
de l'année , ne mange que des pommes de terre cuites à l'eau en place d".
pain. Je ne parle pas ici d'après des livres ou des ouï-dire ; je rapporte
ce que j'ai vu.
» Mais pourquoi toutes ces pénibles et inutiles préparations? Toute la
préparation que demande la pomme de terre est d'être cuite à l'eau ,
pelée et mangée. Elle est plus légère, plus nourrissante et tout aussi
agréable ainsi que de toute autre façon. »
69. Le Nerprun (Rhimnus catharlicûs , L.).
100 NOTES
Les pétioles se terminent dans la feuille par une nervure droite,
laquelle se ramifie assez régulièrement.
« En courbures concentriques. »
La graine d'Avignon se tire des baies d'une espèce de rhamnus, qui
n'est qu'une variété du nerprun.
a Les dernières observations de MM. Scopoli et Linnœus en font une
espèce distincte sous le i.om de rhamnus infectorhis.:o
70. La Bourgène ou l'Aune noir (Rhamnus frangula, L.).
On l'a appelé aune noir par le rapport qu'on a trouvé de ses feuilles
avec celles de cet arbre.
a Et parce qu'ils se plaisent l'un et l'autre aux lieux ombragés près
des eaux ; car du reste les feuilles de la bourdaine ressemblent beaucoup
plus à celles du hêtre qu'à celles de l'aune.
n Les botanistes ne s'accordent pas entre eux sur ce qu'on doit regar-
der comme calice et corolle dans le genre d'arbrisseaux. »
72. Le Groseillier a grappe a fruit rouge {Ilibes rubrum, L.).
■ Nota que le groseillier à fruit blanc n'est qu'une variété de
celui-ci. »
75. La Vigne [Vitis vinifera , L.).
Nous avons observé qu'assez ordinairement les pétales sont non-seule-
ment rapprochés, mais qu'ils sont réunis par leur sommet, et qu'ils
forment une espèce de coiffe qui sert d'enveloppe aux parties sexuelles.
et nous avons remarqué que cette coiffe tombe d'une pièce quand la fleur
se développe.
« Ce que l'on dit ici des pétales est vrai , mais seulement du calice , et
c'est même une conformité bien digne de remarque qu'a le calice de la
figne avec la coiffe des mousses. A l'égard des pétales, ils sont très-
petits, ne se réunissent point du tout au sommet, et tombent très-
promptement, ce qui peut-être a été cause que l'auteur. ne les a pas
remarqués. »
Toutes les parties de la fleur reposent dans un calice d'une seule pièce ,
divisé en cinq dents peu apparentes.
tt Ceci est une seconde çrreur, suite assez naturelle de la précé-
dente. »
76. La petite Pervenche (Ftnco minor, L.).
Pour en obtenir des fruits, on met la plante dans un pot où il y a peu
de terre, et la sève, ne pouvant plus se dissiper dans la racine, passe
dans les tiges et puis gonfle le pist:l. qui devient fruit.
a C'est au contraire en tarissant une partie du suc nutritif trop abon-
dant, qu'on laisse au suc médullaire la force de vaincre la résistance et
de faire nouer les fruits. C'est par le même principe que les jardiniers
coupent une partie du chevelu des fraisiers et autres légumes qu'ils
transplantent, pour les faire mieux fructifier. »
J'ignore pourquoi les paysans des Vosges n'imitent pas ceux de la
Suisse; ils ont autour d'eux les mêmes ressources.
a C'est apparemment «ur cette idée qu'on a fait venir à Paris des
vaches suisses , dans la pe.'suasion qu'elles y donneroient d'aussi bon lait
oue dai>s leur pays. »
SUR LA BOTAMQLE DE REGNAULT. 101
83. L'Ambroisie ou Thé du Mexique { Chenopodium Ambrosio'-
des.L.).
.... la maturité des grains.
« Il faut dire de la graine , car il n'y en a qu'une pour chaque (leur,
du moins je le crois ainsi : si je m'abuse ici moi-même, comme cela
pourroit bien être . c'est alors une exception bien remarquable au genre
des chenopodium »
84. La Bette ou Poirée {Beta vulgaris cicla, L.).
Elle croît naturellement dans quelques endroits au bord de la
mer.
a II est vrai que Ray ne fait qu'une espèce de la bette maritime et de
celle-ci; mais tous les autres botanistes les distinguent, et Linnseus est
seulement en doute si celle de nos jardins n'est point engendrée par l'au-
tre, comme plusieurs autres plantes qui naissent d'un père et d'une
mère différens d'espèces et même de genre. »
85. La Soude {Salsola soda, L.).
a Cette lettre d ne montre dans la figure rien qui ressemble à la
graine de la soude. »
86. La petite Centaurée {Gentiana centaurium , L.).
« Les branches de la petite centaurée sont opposées deux à deul
comme les feuilles; mais, dans l'étage qui touche au sommet, l'opposi-
tion manque par un côté , et la branche ou la fleur est toujours tronquée.
Cette observation mérite d'être laite, parce qu'étant constante, elle fait
caractère pour l'espèce. La figure exprime en quelque sorte cette muti-
lation, mais le bout de branche où manque la fleur est encore de
trop. »
88. La Sanicle {Sanicula Europxa, L.).
D'après une remarque de M. Adamson , une feuille de la plante placée
sur le pédicule de l'ombelle , quelque court qu'il soit , nous apprend que
cette ombelle est terminale.
« D'après cette règle déterminez, si vous pouvez, quelles ombelles
sont terminales dans la figure et quelles sont axillaires. »
Le fruit est hérissé de poils durs.
a 11 se partage en deux graines ovoïdes en dehors et planes en
dedans. »
89. La Perce-feuille (Buplevrum rolundifolium . L.).
Ses fleurs sont disposées en ombelles, et ressemblent un peu à celles
du fenouil commun.
a Ce sont des ombelles de la même couleur , voilà toute la ressem-
blance. Ce buplevrum est commun sur les hauteurs de Ménilmontant. »
90. L'Ammi {Ammimajus , L.).
• Elle est très-abondante aux environs de Paris, surtout en deçà de
Pantin et autour de Clignancourt. »
Le fruit est couvert de poils rudes.
« Je l'ai toujours vu strié à la vérité , mais lisse et sans poils. Je soup-
çonne qu'on a pu prendre pour l'ombelle de l'ammi celle de la carotte,
qui lui ressemble beaiicoup ; la figure cependant est bien celle de
l'ammi. »
102 NOTES
9!. Le Meum {Aîhamanta meum, L.).
On le rencontre communément sur le mont Pila.
« Je l'y ai trouvé en effet en grande abondance dans les prés de l'uni-
que maison qui est presque au sommet. La figure représente assez bien
la plante, mais non son port; le feuillage est beaucoup plus convergent
et serré. »
98. La Ciguë aquatique (Phellandrium aquaiicum).
L'auteur dit dans sa description : D'ailleurs, les caractères étant si
ressemhlans, eu égard au pistil, dans cette famille, on ne saurait douter
que le calice ne soit un caractère propre aux fleurs en ombelle.
a Les deux lignes soulignées me paraissent un galimatias qui n'a
aucun sens. »
99. La petite Ciguë [Aethusa cynapium , L.).
Jo me souviens d'avoir mangé à Douvres une omelette où l'on avoit
mis par mégarde de la ciguë au lieu de cerfeuil. L'omelette étoit à moi-
lié mangée quand je m'en aperçus ; ma femme s'arrèla, je continuai, et
nous n'en fûmes incommodés ni l'un ni l'autre ; mais , quoique les vaches ,
les chevaux , les brebis et les chèvres broutent cette plante , son goût
désagréable et cuivreux nous avertit assez qu'elle n'est pas faite pour
entrer dans nos alimens.
Sa tige est tachetée sur la surface de marques brunes comme la peau
d'un serpent.
« Je ne me souviens pas d'avoir vu de oes taches sur la tige de la petite
ciguë, mais la grande en a presque toujours. Au reste, on a omis dans
la figure et dans la description l'enveloppe de la petite ombelle , dont les
trois pointes extérieures font un caractère très-distinct et très-apparent.
En tout, la figure n'est pas bonne, et ressemble à quelque espèce de
séséli bien autant qu'à la ciguë. »
100. La Coriandre {Coriandrum sativum, L.).
Cette plante croît naturellement dans les plaines de l'Italie.
a Je l'ai trouvée indigène en plusieurs provinces de France, et il n'y
a pas trois ans qu'elle éloil assez abondante sur les hauteurs qui bor-
dent la rivière au-dessous du palais Bourbon. Les décombres des jardins
pouvoient l'y avoir semée; mais on ne s'avise guère de cultiver la co-
riandre dans les jardins d'ornement, et il s'en faut beaucoup que la
fleur n'ait l'éclat et la figure qu'on lui donne ici pour la beauté du coup
d'œil. »
Sa racine est foible et peu fibreuse.
a Ce n'est donc pas celle qu'on nous psint ici. «
101. Le Cerfeuil musqué {Scandix odorata , L.).
Cette plante croît naturellement dans les Alpes.
« El en Angleterre : il n'est point dans le Synopsis de Ray; cepen-
dant je suis très-sûr de l'avoir trouvé à Wootton , dans des fonds sau-
vages très-éloignés de jardins et de toute habitation. »
102. Le Cerfeuil [Scandix cerefolium, L.).
Celte plante croîl sans soin dans les pays septentrionaux,
a II n'en auroil pas besoin non plus parmi nous : il vient partout où
il est .semé, pourvu que le terrain ne soit pas trop sec. «
SUR LA BOTANIQUE DE REGNAULT. 103
" 104. Le Séséli de Marseille {Seseli torluosum, L.).
Les fleurs ont cinq étamines, dont une avorte quelquefois.
a C'est apparemment pour cela qu'on n'en a mis que quatre dans les
deux figures: mais il falloit peindre la règle et dire l'exception, ou du
moins ne la peindre qu'une fois. »
106. L'Anet {Ânethum graveolens , L.).
Le pistil est composé de deux cotylédons.
a On ne sauroit employer ici ce mot sans dénaturer toutes les idées
que les botanistes y ont attachées , et je doute qu'aucun d'eux en ait
jamais fait un pareil usage. »
lOT. Le Fenouil commun {Anethum fœniculum, L.).
« Commun dans les vignes aux environs de Paris. »
109. L'Anis {Pinpinella anisum , L.).
• On auroit dû , ce me semble , parler des feuilles radicales , ou du
moins en mettre une dans la figure, parce qu'elles sont entières le plus
souvent, et par là font caractère. »
110. L'ACHE {Apium graveolens, L.).
" Quoiqu'on ait ici colorié les fleurs, elles sont ordinairement blan-
ches. »
116. Le Tamarix [Tamarix Germanica, L.).
Celte plante a reçu le nom de tamarix d'Allemagne pour la distin-
guer de celle qui croît en Italie et en Espagne , et qu'on appelle tamarix
de Narbonne , eUqui n'est qu'une variété du nôtre.
«Voilà ce que j'oserai ne pas croire, puisqu'il y a des difi'érences
très-marquées même dans la fructification. »
Aussi en difl'ère-t-il peu.
a. Il devient beaucoup plus grand, et Clusius assure en avoir vu en
Espagne dont un homme auroit eu peine à embrasser le tronc. »
118. La Couronne impériale {Friiillaria impenaZis, L.).
Il On a oublié dans la figure des graines celle qui doit répondre à \'h. »
119. L'Asperge (Asparagus officinalis, L.).
Cette plante se cultive dans les jardins potagers.
a On pouvoit dire ici qu'elle est indigène en plusieurs endroits du
royaume, entre autres dans l'île Mognat. à Lyon, où j'en ai cueilli
dans la prairie , et mangé d'excellentes chez le propriétaire et unique
habitant de l'île. »
C'est à la couleur de ses stipules qu'on doit s'attacher pour connoître
les asperges de meilleure qualité; il faut choisir celles qui les ont du
yiolet le plus foncé.
a Celte couleur est accidentelle : elle dépend de la température de
l'air, et non de la qualité de l'asperge, d
120. Le Muguet {Convallaria maialis, L.).
La tige qui porte les fleurs est enveloppée à sa base d'une gaine com-
posée de plusieurs membranes.
« La naissance de cette hampe dans cette gaîne et la forme triangu-
laire des deux pétioles appliqués de plat l'un contre l'autre méritent le
coup d'œil d'un curieux. On retrouve à peu près la même forme de con-
struction dans les pédicules des épis de quelques scirpus. »
104 iSOTES
121. Le Sceau de Salomon {Convallaria polygonatum , L.).
a II y en a une autre espèce toute semblable , mais un peu plus
grande, qui porte plusieurs Heurs attachées à chaque pédicule. »
122. L'Aloès succotbin {Aloe perfoliata vera, L.).
On ne peut guère espérer de la voir fleurir sans le secours des serres
ihaudes.
a C'étoit peut-être ici le lieu de dire un mot des fables qu'on a débi
fées, et que les gazettes propagent encore, sur les miraculeuses florai
Bons de l'aloès. »
L'aloès tient un rang distingué dans la médecine; mais il doit èxvn
administré par une main habile : c'est un bon remède dont l'abus est
dangereux; c'est aux gens de l'art qu'il faut laisser le soin d'en pres-
crire l'usage, et aux pharmaciens celui d'en faire les préparations.
o Médecins et apothicaires, faites ici la révérence. »
124. La Patience des jardins {Rumex Patientia, L.).
Le fruit qui succède au pistil est composé de trois valves.
ût Et l'une des trois valves porte ordinairement sur son dos une petite
bulbe ou verrue. »
On emploie les racines de patience comme celle de l'oseille, à la-
quelle on la substitue.
« On lui substitue même l'herbe, en Suisse, dans nos cuisines. La
patience y porte le nom de choux gras.
« En revanche, ils n'en font aucun usage en pharmacie. »
125. La Parelle des marais {Rumex aquaticus , L.).
a Dans cette parelle, et dans toutes autres, les pédicules qui portent
les fleurs sont tous articulés. Ce caractère générique méritoit, ce me
semble, d'être observé, et ne l'a encore été, que je sache, par aucun
botaniste. »
126. L'Oseille ronde [Rumex sculatus , L.).
« On s'est ici trompé de titre. L'oseille des jardins, à Paris, est le
rumex acetosa de Linnaeus, acetosa pratensis. L'auteur auroit pu
s'apercevoir de l'erreur dans sa description, puisque les fleurs de sa
plante sont dioïques , et celles du rumex scxitatus hermaphrodites. Ce
qui l'a pu tromper est le nom d'horlensis donné par C. B. à ce dernier.
Mais c'est qu'à Genève et en Suisse l'oseille cultivée dans les jardins
n'est pas, comme à Paris, l'oseille longue, mais l'oseille ronde, ou le
rumex scutatus connu dans nos Alpes. »
127. Le Colchique {Colchicum autumnale, L.).
Sa racine est composée de deux tubercules blancs, dont l'un est
charnu et l'autre barbu.
a C'est-à-dire l'un vieux et l'autre récent. »
M. Stork , si connu par des expériences admirables sur les différens
poisons tirés du règne végétal, les a étendues à ce colchique.... On sait
que Triccius avoit donné l'exemple de cette sage témérité, celle de faire
des expériences sur soi-même, longtemps avant M. Stork.... Il est rare
de trouver des savans qui se dévouent en quelque sorte pour le bien de
l'humanité, jusqu'à éprouver sur eux-mêmes les effets hasardeux que
produisent les plantes vénéneuses et les poisons en général; il faut au
l
J
SUR LA BOTANIQUE DE REGNAULT. 1'»:)
moins autant de courage pour s'y résoudre qu'il en fallut à Alexandre
pour boire sans réflexion la médecine présentée par Philippe,
a Sans réflexion ? C'étoit donc un étourdi ! 0 modernes, modernes ! a
128. La grande Capucine {Tropœoîum majus, L.).
a Mme de Linnée a remarqué que ces fleurs rayonnent et jettent ur.e
sorte de lueur avant le crépuscule. Ce que je vois de plus sûr daiis celle
observation, est que les dames dans ce pays-là se lèvent plus malin que
dans celui-ci. »
129. La Lauréole mâle et femelle {Daphne laureola, Daplme
Uazereum , L.).
La dénomination de mâle et de femelle qu'on a donnée à ces deux ar-
brisseau.xne caractérise leur sexe d'aucune manière, et ils portent tous
deux des fleurs hermaphrodites: mais c'est un vieil usage que le temj)S
a respecté, et que nous n'osons détruire dans la crainte de nous ériger
«n novateurs.
a 11 est si bien détruit, depuis longtemps, que c'est une espèce
d'innovation de le rétablir. Les auteurs et les jardiniers n'ont même été
jamais trop bien d'accord entre eux sur ces dénominations, et par
exemple on donne plus souvent le nom garou au thyméléa qu'à la lau-
réole ou laurelle. »
130. La Bistorte {Polygonum bistorta, L.).
La racine est ordinairement torse, contournée et repliée sur elle-
même comme un serpent.
a II falloit cependant, dans la figure, rendre la configuration de
cette racine la plus commune et de laquelle la plante a tirée sou
nom. »
.... les neuf étamines qui environnent le pistil.
« J'en ai vu rarement même jusqu'à huit. »
131. La Renouée ou Traînasse {Polygonum aviculare.).
La renouée est une de ces plantes que la nature semble avoir pris
plaisir à semer sous dos pas.
o Cela est très-bien dit, car cette singulière plante ne prospère et
fructifie jamais mieux qua quand elle est bien foulée aux pieds. »
Le calice, qui tient lieu de corolle à la fleur, pourroit passer pour
une corolle lui-même à cause de la bordure colorée qui orne l'extrémité
de la division : il n'est pourtant regardé que comme un calice par les
plus grands botanistes.
a Et avec raison, puisqu'il est persistant jusqu'à la maturité du fruit.»
C'est un tube monophylle, divisé profondément en cinq parties Ces
divisions sont disposées sur deux rangs , les divisions du second rang
sont en même nombre que celles du premier: celui-ci est disposé de
manière à remplir l'office de calice, si on regardoit l'autre comme une
corolle.
<< Tout ceci n'est pas clairement dit, et ne peut guère s'entendre que
par ceux qui connoissent déjà la structure du fruit. »
132. Le Blé noir ou Sarrasin {Polygonum fagopyrum, L.).
^Le nom du blé de Sarrasin nous fait assez connoilre qu'il nous a été
Apporte d'Afriaue.
106 NOTES
« Ce n'est là tout au plus qu'une présomption très-légère. On pour
roit dire la même chose du blé de Turquie, et l'on se tromperoit é-ale
ment. Il est très-possible qu'il doive ce nom de .sarrasin uniquement à
sa couleur. » ^
Les paysans en font dans le Tyrol une bouillie épaisse connue sous
le nom de polenta.
« J'ignore ce qui se pratique dans le Tyrol; mais en Italie rien n'est
si commun que la polenta, et elle se fait avec du blé de Turquie
jamais, que je sache, avec du sarrasin. » '
Nous ne devons pas passer sous silence la nourriture abondante que
les abeilles vont butiner sur les fleurs du sarrasin.
« On auroit pu remarquer à ce sujet que les fleurs de sarrasin répan-
dent une forte odeur de miel. »
133. Le Raisjn de renard (Paris quadrifolia, L.).
Les feuilles sont ordinairement au nombre de quatre; rarement on
nen trouve que trois, et il est aussi rare que le nombre aille jusqu'à
a Je l'avois à six feuilles dans mon herbier. »
Le fruit est une baie globuleuse.
« Dans la figure, le fruit est dépouillé de son enveloppe, ce que
l'auteur auroil dû dire. ?> t-r i "^ 4uc
134. Le Rapontic {lîheum rhaponticum, L.).
Les fleurs sont à pétales.
<x C'est tout le contraire; elles sont apétales. »
135. La Rhubarbe [Rheum rhabarbarum , L.).
Ne pourrions-nous pas lui donner, comme les Chinois, les nrénara-
tions convenables ? i^ h -»
» Mais il faudroit au moins commencer par bien déterminer l'espèce
et 11 est maintenant reconnu que ce n'est pas celle-ci qui est la vraie-
rhubarbe , mais celle qui porte le nom de rheum palmatum. Celle-ci
porte dans Linnœus le nom de rheum undulatum; à l'égard du nom
trivial de rhabarbarum, y ignore s'il se trouve dans ses premières édi-
tions; mais dans les deux dernières, il ne se trouve point, et j'ionor©
d'où notre auteur l'a tiré. » x- ' j o
13G. La Fraxinelle [Dictamnus albus , L.).
Les folioles sont entières, oblongues.
« Ces folioles sont bordées de petites glandules noires qui rendent la
plante facile a connoître au premier coup d'œil. »
Chaque capsule renferme deux ou trois graines noires et luisantes
« On poXirroit ajouter que l'élasticité de ces capsules les fait ouvrir
par la grande chaleur, et lancer leur graine avec bruit et bien plus im-
pétueusement que la balsamine. Le buis fait encore la même chose à
peu près. Le concombre sauvage fait plus ; il vous mouille et vous
inonde en même temps d'une eau acre et raordicante qui fait cuire les
yeux. »
Toutes ses parties sont couvertes d'huile essentielle et inflammable,
au point que, si l'on en approche une flamme dans les temps secs, elle-
Drend feu comme l'esprit-de-vin , sans pourtant consumer la plante.
SUR LA BOTANIQUE DE REGNAULT. 107
o Cet efl'et n'a lieu que foiblement et rarement (dans ce climat ; mais il.
îst surprenant en Provence. »
137. La Hue (Uuia graveolens , L.).
Elle porte à son sommet des fleurs composées de cinq pétales.
« Plus souvent quatre. »
138. La Saxifrage {Saxifraga granulata , L.).
Les parties sexuelles consistent en dix étamines et un pistil,
a L'auteur ne compte jamais qu'un pistil dans ces sortes de cas;
"nais il y en a certainement deux dans la saxifrage, lesquels sont bien
cparés et bien évidens quand le fruit approche de sa maturité. Cela se
/oit encore mieux dans d'autres espèces .du même genre.
a Si avant que d'examiner l'ouvrage, j'avois lu ses définitions' des-
,ermes, je n'aurois point fait cette note; mais je l'ai corrigée ail-
eurs. »
139. La Saponaire (Saponaria officinalis , L.).
Il succède aux pétales une capsule oblongue enveloppée dans le ca-
ice où l'on trouve les semences mêmes , presque rondes et en grand
nombre.
a Quoiqu'il soit ici parlé de capsule, comme elle n'est point exprimée
lans la figure, on pourroit, sur le tour de la phrase et sur la figure
-nêrae, penser que les graines n'ont point d'autre enveloppe que le
alice, si on n'avertissoit ici du contraire. »
140. L'Œillet [Dianlhus caryopJnjLluSy L.).
Celte plante est originaire des Moluques.
a Ceci m'a bien l'air encore d'un quiproquo; cela est vrai du clou de
ïirofle, qui s'appelle aussi cartiopliyllus : mais quant à notre œillet,
quoique Ruellius et Cordus soutiennent qu'il n'a pas été connu dès-
anciens, d'autres savans critiques ne sont pas de leur avis : on sait
i'ailleurs que l'œillet simple est indigène en plusieurs lieux de l'Apennin
et des Alpes , et qu'on le cultivoit en Europe longtemps avant que l'exis-
tence des Moluques y fût connue, x
On le multiplie plus. souvent par les marcottes que. par la graine:
car les fleurs qui viennent sur les pieds élevés de graine deviennent
sauvages, et donnent des fleurs plus petites et variées, mais moins
odorantes et simples.
a Preuve bien claire que la beauté de cette fleur est due en partie à
la culture, et que celle qu'on trouve dans les montagnes n'en diffère
pas essentiellement. »
141. Le Nombril de Vénus {Cotylédon umhilicus , L.).
Cette plante se rencontre ordinairement sur les rochers humides, et
parmi les débris des vieux édifices.
a Mais seulement dans les lieux montagneux , car je doute qu'il se
trouve en aucun pays de plaine. »
Celte fleur est monopétale; c'est un tube au fond duquel il se trouve
un nectar.
a Je croirois qu'il faut dire nectaire; nectar e.st la liqueur, et nectaire
le vase qui la contient. » (Voy. n° 179.)
144. Le Cabaret [Asarum Europucum , L.).
108 NOTES
Nous l'avons cherché inutilement à Saint-Maur, où l'on dit cepemJan
qu il se trouve. '
.... les fleurs portées sur des peduncuZes courts
a Je crois que l'harmonie de chaque langue exige qu'on dise pedun-
culus en latin , et pédoncule en francois. »
145. Le Pourpier (Portulaca oleracea, L.).
Le style se divise en quatre stigmates.
a On en a mis cinq dans la figure.
146. La Salicaire (Lythnim salicaria , L.).
Les étamines sont ordinairement en même nombre que les pétales
« En nombre double de celui des pétales.
a La figure montre la disposition des étamines mieux que le discours
ne l'explique. »
147. L'AiGREMOiNE {Aqrimonia eupaloria, L.).
Les fleurs sont à cinq pétales rangés en gi-appes.
« Plutôt en épis. »
150. La petite Ésule (Euphorbia cyparisias, L.).
« Une remarque à faire est que les étamines ne se développent oue
successivement , et qu'il n'en paroît guère à la fois que trois ou quatre »
Les capsules s ouvrent en deu.Y valves , comme on le voit dans la
figure.
« Ou plutôt comme on ne le voit pas. »
151. La grande Joubarbe [Sempervivum tectorum, L.). S^
Le pistil est composé de douze à quinze ovaires. ' J
« Ordinairement en même nombre que les étamines. » 3
152. Le Myrte {Myrtus communis, L.). j
Ses baies sont connues sous le nom de myrtiUes.
« Cela étant, il seroit bon, pour éviter l'équivoque, d'ôter ce nom
aux vrais myrtilles qui se mangent, qui sont les fruits du vaccinium
myrtillus, arbrisseau très-connu dans les pays de raoniao-nes »
157. Le Prunier, petit Dam.as noir [Pruna domestica L.).
« {B) Damassena v '
Le prunier est originaire de Syrie et de Dalmatie ; il est naturalisé
depuis longtemps dans nos climats.
a II est sans contredit-indigène dans toute l'Europe : le prunus insi-
titia et le prunus domestica sont une seule et même espèce qui varie
uniquement par la greffe et par la culture. » '
160. La Reine des prés {Spirxa ulmaria, L.).
Elle vient sans culture dans les prés.
a Surtout aux bords des ruisseaux. »
161.. L'Églantier {Piosa canina, L.).
le calice accompagne les ovaires jusqu'à leur maturité; à mesure
que les ovaires mûrissent, le calice se gonfle et perd sk couleur- il'se
referme enfin a la maturité. '
« Il est clair que la rosj est une fleur supère, où l'ovaire est au-
dessous du calice et de la corolle ; mais ici l'auteur donne le nom
d ovaires aux semences mêmes contenues dans le fruit : tout cela ne me
paroit pas suffisimment développé. >
SUR LA BOTANIQUE DE REGNALLT. 100
,i^ Quelques botanistes prétendent que chaque graine , en particulier,
>t un fruit elle-même.
; a Voilà encore une idée qui demanderoit explication. Qu'entend-on
Jar ce mot de fruit appliqué aux graines? Entend-on que ces graines
jnt autant de capsules où sont enfermées d'autres graines? La chose
'est pas impossible , et nous en avons un exemple bien mémorable
ans le guettarda, où ce que Linnaeus lui-même a pris pour les graines
e trouve être des capsules qui les contiennent, et qu'une plus grande
apsule enfermoit. La chose est bien facile à vérifier dans le gratte-cul :
lais quand cela seroit. encore faudroit-il renverser toutes les idées re-
nés pour donner à chacune de ces capsules contenues dans le péri-
arpe le nom de fruit. Cette description est pleine d'acceptions nou-
elles . qui demauderoient autant de nouvelles définilions. »
lf;2. Le Fraisier {Fragaria lesca. L.).
Le calice est un tube divisé en dix feuilles.
a Plus grandes et plus petites alternativement. »
162 bis. L'Argentine [Potentilla anserina. L.).
Le calice est d'une seule pièce partagée en dix divisions, qui parois-
ient disposées sur deux rangs. Celles du premier rang sont unies.
)vales et terminées en pointe-, celles du second rang sont alternatives
ivec les premières.
« Ces dispositions du calice en compartimens alternatifs se voient
iussi dans la fraise, dans la tormentille et dans d'autres icosandres. »
163. La QuiNTEFEUiLLE [Potentilla reptans , L.).
Nous avons représenté le calice vu de face, divisé en dix parties,
dont cinq longues et cinq courtes.
a Alternativement. »
On l'employoit du temps d'Hippocrate pour guérir les fièvres.
a Apparemment ce n'est plus la mode. »
164. La Tormentille {Tormentilla erecta, L.).
a Ajoutez dans la tormentille le quart en sus de toutes les parties de
la fructification , vous aurez la quintefeuille. Retranchez dans la quinte-
feuille la cinquième partie de la fructification, vous aurez la tormen-
tille. sauf toutefois . dans l'espèce, la différence du port et de la
foliation, différence bien petite et presque nulle dans le potentilla
xerna. »
Les étamines sont attachées sur les bords du tube du calice.
a 11 me semble que le calice n'a point de tube ni petit ni grand, li
auroit fallu dire que les étamines sont attachées au réceptacle, à cô;é
des pétales et sur les bords du calice. »
1G6. La Benoîte {Geum urhanum, L.).
Sa racine répand une odeur de girofle, ce qui lui a fait donner per
Pline le nom de caryophyllata.
a. Pline n'a point . que je sache , parlé de cette plante . à moins que
ce ne r.oit celle dont il parle sous le nom de geum. renouvelé par Lin-
naeus; mais quant au nom de caryophyllata. il est moderne, et ne se
trouve dans aucun ancien. Eh ! comment s'y trouveroit-il ? on l'a donné
i -jette planta ^^larce que sa racine sent le girofle. Or le girofle n'étoit
110 NOTES
pss connu des anciens. J'avoue cependant que Phine, livre XII, parli
d'un caryoplïyllon qu'il dit se trouver aux Indes; mais je ne crois pa
que personne retrouve notre girofle dans la courte description qu'i
en fait. »
166. La Chélidoine (Chelidonium majus , L.).
a Sans la forme difTérente du fruit, la chélidoine seroit un pavot. »
1G8. Le Coquelicot {Papaver rhxas , L.).
a. On auroii dû peut-êlre faire mention de l'extrême caducité des pé
taies, qu'il est presque impossible de conserver attachés à la fleur. »
169. Le Pavot noir {Papaier somniferum , L. B).
Les fleurs sont pendantes.
a. Elles sont pendantes avant leur épanouissement, elles se redresseni
à la floraison.
a Je ne sais comment cela se fait; mais on ne vend chez les épiciers
de Paris, sous le nom d'huile d'olive, que de l'huile de pavot. ElU
vn'est pas aussi agréable au goût que celle dont elle porte le nom, mais
elle est tout aussi saine. »
170. Le Pavot blanc {Papaver somniferum , L. Y.].
L'opium.... causant aux nerfs un étourdissemenl qui réveille.
a Un élourdissement qui réveille n'est pas une expression facile à
entendre. »
Au reste , la propriété enivrante et destructive de l'opium a fait re-
courir à cette drogue quelques-uns de ces insensés qui brisent volon-
tairement les liens d£ leur existence, et qui s'imaginent que le froid
mortel, circulant pesamment dans leurs veines avec l'opium, les dé-
robera insensiblement au fardeau de la vie , en leur épargnant les hor-
reurs de la mort. Ce moyen ne leur a pas réussi.
a II falloit ajouter que lorsqu'il ne réussit pas, il laisse très-souvent
l'infortuné qui l'a tenté, pour le reste de sa vie, dans un état pire que
la mort. »
173. Le Ladanum (Cistus Creticus , L.).
La tige s'élève d'environ huit pouces, et il y a lieu de croire qu'ellL
• parvient à une hauteur plus considérable dans les climats où elle croît
naturellement.
a De deux à trois pieds, selon la relation de Touri.efort. j>
174. L'HÉLiANTHÈME (Cislus heltanthemum , L.).
a Dans le genre des cisles, le calice est composé de cinq feuilles,
mais dans la plupart des espèces, et pirticulièrement dans celle-ci'
deux de ces feuilles sont beaucoup plus petites que les trois autres,
et alternent avec elles; cette inégalité fait un des caractères du
genre. »
175. La Pivoine male [Pœonia officinalis , L.).
On la rencontre aux environs de Montpellier,
a Et dans les montagnes de Suisse. »
176. Le Pied-d'alouette t^Delphinium consolida, L.).
Cette plante difiere peu de celle des jardins, mais la tige de ceit: ilei-
nière esi beaucoup plus haute.
a. Et moins rameuse, en quoi les deux figures sont à contre-sens. »
SUR LA BOTANIQUE DE REGNAULT. 111
« Les graines, dont le discours ne parle pas, sont représentées en D.
177 bis. Le Napel {Aconitum Napellus , L.).
Cette plante croît dans quelques montagnes de la Suisse , au pays des
Grisons, en Bavière.
« Et sur le mont Pila. »
Les anciens ne nous ont pas laissé un exemple de modération , dans
l'usage qu'ils faisoient de cette plante à la guerre. Le suc de sa racine
aiguisoit leurs flèches, et leurs cruelles mains lançoient avec le fer le
poison et la mort.
a Ne diroit-on pas à cette tournure que c'étoit une pratique commune
parmi les anciens? quand nous le serons devenus, nos descendans,
qui se croiront plus sages, parce qu'ils seront peut-èlre encore plus
bavards, ne manqueront pas de dire: « Ah 1 les mauvaises gens que
« nos ancêtres! ils raordoient leurs balles afin que les plaies fussent
a incurables, et qu'aucun blessé ne pût échapper à la mort. »
179. L'AvcoLiE [A quUegia vidgaris , L.).
La disposition des cinq extrémités des nectars.
a Je crois qu'on doit les appeler nectaires; nectaire est le vase, et
nectar la liqueur. »
182. L'ÉCLAiRETTE {Ranuiiculus ficaria , L.).
« Dans cette figure D, le calice paroît composé de quatre feuilles,
parce que l'enlumineur a mal à propos teint en vert une des capsules
du fruit, qu'il a prise pour une des feuilles du calice. Les trois autres
même sont si petites qu'elles pourroient bien n'être encore qu'autant
de capsules. »
On la pile et on l'applique sur les hémorroïdes et les écrouelles.
» Elle ne pouvoit manquer de guérir des unes et des autres par vertu
signative,, vu que les tubercules de ses racines en ont la figure. »
183. La Renoncule scélérate (Ra)mncuZus sceZerafus, L.).
« Les chèvres en mangent impunément, mais les brebis ni les vaches
n'y touchent point à moins d'une extrême faim. »
184. Le Bassinet rampant {Ranunculus repens, L.).
La renoncule des prés , que plusieurs botanistes ont nommée le bassi-
nel rampant, est le bouton d'or.
« Le bouton d'or est une autre espèce, et ne rampe pas. »
La culture l'a transportée avec succès dans les jaidins d'ornement.
a. Je n'y ai jamais vu celle-là qu'en mauvaise herbe, et je doute qu'on
l'y cultive. »
La culture de cette plante en a procuré une variété double, connue
sous le nom de bouton d'or, ainsi que les variétés doubles de la renon-
cule bassinet et de la renoncule rare.
« Il y a ici plusieurs quiproquo; 1° le bouton d'or n'est point une va-
riété du bassinet rampant, mais une espèce très-distincts; 2° le ra-
nunculus polyanthemos n'est point non plus une variété du ranuncuJns
repens, mais une autre espèce à feuilles plus découpées; 3" enfin le
bouton d'or et le ranunculus acris ne sont exactement que la même
plante. »
185. L'Ellébore noir {Uelleborus niger, L.).
112 NOTES
Les fleurs naissent à l'extrémité des tiges solitaires ou disposées et
corymbe.
a En corymbe? je ne sache pas. Quelquefois on voit deux fleurs, ra-
rement trois sur la même tige, mais pas au delà. »
186. L'Ellébore a fleur verte {Hellehorus viridis, L.).
a Les fleurs sont portées, le plus souvent, deux ou plusieurs sui
chaque tige. »
187. L'Ellébore griffon [Helleborus fœtidus^ L.).
Jean-Jacques donne pour synonyme à cette plante Vhelleborus nigei
silrestris adulterinus etiam hieme virens.
187 bis. La Bugle {Àjuga reptans , L.).
a N. B. La (igure ne représente pas le jet rampant qui part ordinni-
r^raent du collet de la racine ou de l'aisselle d'une des premières
feuilles. Ce jet peut manquer à quelques individus; mais il se trouve
au plus grand nombre, il fait le plus saillant des caractères distinctifs
de l'espèce, et justifie le nom trivial qui, sur la figure, paroît très-mal
appliqué, y
188. L'IvETTE {Teucrium chamcrpilys , L.).
Les rameaux sortent des aisselles des feuilles, et portent les mêmes
caractères que la tige.
a N. B. Omissions dans le texte : les fleurs sont de même axillaires
et communément solitaires. »
L'auteur ayant appelé cette plante Vive musquée, Jean-Jacques met
en note :
« L'auteur se trompe ici : l'ivette et l'ive musquée sont deux plantes
difl'érentes. »
190. La Sauge des bois {Teucrium scorodonia, L.).
De nos jours , un célèbre botaniste , M. Linnée , a rangé parmi les
sauges {salvise) l'ornim, l'orvale, la toule-bonne des prés.
a C'est qu'en eff'et toutes ces plantes sont du même genre; mais il a
conservé à chaque espèce le nom qu'elle avoit auparavant. »
On a dit avec raison qu'il seroit avantageux de connoître, d'adopter
une nomenclature universelle , quelle qu'elle soit.
« Elle l'est par toute l'Europe , hors la France ; il n'y a plus qu'une
nomenclature, et il n'y a point de plante connue sur laquelle,
avec deux mots seuls, sans phrase, sans synonymie, les botanistes de
toutes les contrées ne s'entendent entre eux aujourd'hui. Les François
seuls s'obstinent à conserver l'ancien jargon pharmaceutique, ou du
moins les phrases de Tournefort, que ce grand botaniste abandonneroit
lui-même , s'il revenoit à présent. Ce qu'il y a de plaisant est que , k s
phrases de Tournefort étant presque toutes tirées de Gaspard Bauhiu
tout l'honneur qu'en cela les François veulent faire à leur compatriote
remonte à un Suisse en toute équité. »
191. Le Scordium {Teucrium scordiiim, L.).
Les feuilles de la germandrée aquatique ont une odeur légèreme
aromatique.
« Assez forte d'ail. »
t9.S. L'Hysope [Hyssopus ofRcinalis , L.).
SUR LA BOTANIQUE DE REGNAULT. 113
a On auroit dû . ce me semble , avertir , ou dans la figure ou dans le
discours, que les fleurs de l'hysope se contournent communément d'un
seul côté. Quoique cette remarque ne soit pas sans exception , elle est
assez constante pour faire caractère . et très-commode aux commen-
çans pour distinguer l'hysope au premier coup d'œil. »
200. L\ Menthe poivrée [Mentha piperata , L.).
Les Anglois cultivent cette plante.
tt II est vrai qu'ils la placent dans leurs jardins, mais elle est abon-
dante et naturelle dans leur pays, comme ici la menthe bâtarde. »
La corolle laisse voir les étamines.
«Il falloit dire les quatre étamines^ car la ligure n'en montre que
trois. T>
201. Le Pouliot {Mentha pulegium, L.).
a Les verticilles des fleurs sont d'ordinaire bien plus nombreux et
serrés qu'ils ne sont marqués dans la figure. »
Le pouliot thym lui ressemble beaucoup.
ce Pas trop , ce me semble , car elle est droite et ve'ue , et le pouliot est
glabre et rampant. »
202. Le Lierre terrestre [Glechoma hederacea, L.).
Le pétale ouvert pour laisser voir les quatre 'étamines.
a. Qu'on ne voit point dans la figure , et qui font pourtant le caractère
du genre. t>
Nul botaniste n'est plus digne que cet homme célèbre (en parlant de
Linnée) d'introduire des nouveautés dans la sc^nce qu'il a si fort il-
lustrée.
a II falloit une refonte générale dans la nomenclature absolument
barbare , insupportable et inintelligible. Linnœus entreprit cette re-
fonte , qu'il étoit peut-être seul capable d'exécuter. 11 a rendu compte
de son travail et de ses raisons -au public . qui a presque unanimement
adopté sa réforme. Elle n'est pas parfaite et sans faute, puisque c'est
l'ouvrage dun homme; mais les grandes lumières qu'elle a déjà jetées
dans la botanique suffisent pour en faire sentir le prix. Elle est établie
et généralement reçue; il ne s'agit plus d'y toucher que pour l'établis-
sement des nouveaux genres à mesure qu'on en découvrira. Une seconde
refonte, fût-elle meilleure que la sienne, ne seroit jamais aussi univer-
sellement adoptée , et ne serviroit qu'à rejeter la botanique dans ce
labyrinthe obscur de nomenclature et de synonymie dont ce grand
homme a eu tant de peine à la tirer, d
202 bis. Le Lamier {Lamium album , L.).
Son odeur est aussi moins fétide que celle des autres orties.
a Comment peut-on . dans un ouvrage destiné à l'instruction , adopter
sans réclamation des noms donnés par la plus crasse ignorance . et
compter ainsi, parmi les orties, une plante qui n'y a pas le moindre
rapport? Au reste, cène sont point les orties qui sont fétides, mais
bien les lamium, sans excepter celui-ci. »
203. La Bétoine [Bclonica officinalis , L.).
Les fleurs naissent au som.met des tiges disposées en épi.
a Lequel d'ordinaire est obtus et tronqué jjar le haut. »
H4 NOTES
205. La Ballote {Ballota nigra, L.).
L'espèce dont la tige est couverte d'une sorte de laine blanche croit
en Sibérie.
a Ballota lanata, fleur blanche, feuille de groseillier. »
206. Le Marrube blanc {Marruhium vulgare , L.).
Le calice est divisé depuis cinq jusqu'à dix dents minces et aiguës.
« Et recourbées en dehors; dans d'autres espèces le calice n'a que
cinq dents, mais dans celle-ci il en a constamment davantage. »
Toute la plante rend une odeur aromatique forte et agréable.
« Et très-semblable à celle de la pomme reinette. «
208. La Mélisse des Moluques [Molucella Isevis, L.).
. Jusqu'à la raison , cette faculté de l'âme dont nous sommes si fiers
tout varie en nous selon les climats; la couleur, la forme et le naturei
des différens peuples semblent dépendre de l'air qu'ils respirent, de la
nourriture qu'ils prennent, et de la température du pays qu'ils liabi-
tent. Lïmraorlel Montesquieu avoit puisé dans Hippocrate'el dans BoJin
le beau système de l'influence des climats, mais peut-être a-t-il un peu
trop généralisé la conséquence morale qu'il fait découler de ce principe
physique. On ne sauroit en eff"et l'adopter sans beaucoup de modifica-
tion, car des causes étrangères et des institutions politiques ont pu
souvent aider ou détruire, augmenter ou aff"oiblir l'influence du climat
sur les hommes.
«C'est ce qu'il a dit mille fois, mais personne n'a voulu l'eu-
tendre. »
211. La Marjolaine (Origanum majorana, L.).
Le calice est un tube divisé en cinq dents courtes.
« Et inégales. »
214. La Mélisse {Melissa officinalis , L.).
Le calice est divisé en cinq segmens;
« Inégaux et presque labiés. »
Forestus recommande la mélisse pour les palpitations de cœur Ron-
delet, pour la paralysie, Sima-Pauli, pour la mélancolie , et Rivière
pour la manie. '
« Chaque auteur la gratifie d'une vertu; c'est comme les fées mar-
raines , dont chacune douoit sa filleule de quelque beauté ou qualité
particulière. »
214 bis. Le Calament {Melissa calaminlha, L.).
Les fleurs sont portées sur des pédicules cylindriques courts.
a Et fourchées le plus souvent. »
Le calice est divisé à son extrémité en quatre dents aiguës.
ce En cinq , et inégales.
a Les feuilles et les fleurs sont trop petites dans la figure, de sorte
qu'elle ressemble au melissa nepeta plutôt qu'au vrai calament Au
reste , ces deux plantes varient si fort et sont entre elles si ressemblantes
que Crautz doute, avec raison, si l'on doit les séparer. »
216. Le Basilic {,Ocymum hasilicum. L.).
«Pour entendre bien la description de cette plante, il falloit ajouter
que la fleur du basilic est renversée, comme cela se voit par la situation
-SUR LA BOTANIQUE DE REGNAULT. 115
et l'influxion des étamiaes; en sorte que la lèvre supérieure est en bas
et ]a lèvre inférieure en haut. »
217. La Brunelle [Brunella vulgaris . L.).
Le nom de hrunclla vient de ce que cette plante est estimée par les
Allemands comme propre à guérir l'esquinancie , qu'ils appelleo*^ die
hraune.
a C'est là l'étymologie donnée par G. Bauhin et par Tournefort: mais
le nom de prunella , qui ne paroît pas moins ancien , peut bien la rendre
douteuse. »
218. L'EupnRAiSE {Euphrasia vulgaris , L.).
Quoique les fleurs soient partagées en deux lèvres, elles n'ont point
été rangées parmi les fleurs labiées.
a Et ne. dévoient point l'être : cette division de gueule en deux seo-
tions , savoir : les labiées et les personnées, qu'on semble attribuer ici
à M. Adamson , a été établie avant lui par Tournefort . et il a fort bien
rangé Teuphraise dans la seconde, comme ont fait après lui tous les
autres botanistes sans exception. Personati flores, dit-il, a labiatis
differunt capsulo seminum , qux a calyce omnino diversa est , quum
lahiatorum capsula prius fuerit calyx florum. »
Elle est estimée propre à éclaircir. fortifier et même rétablir la vue.
a Ce n'est point le sentiment de M. Adamson, à beaucoup près. Voyez
ce qu'il en dit . Famille des plantes , t. II , p. 205. »
219. La Cymbalaire (Antirrhinum cymhalaria , L.).
a Cet e se trouve deux fois dans la figure, l'une dans le bas pour
montrer la capsule du fruit que la figure ne représente en aucune sorte ,
et l'autre plus haut pour montrer le pistil et le calice , dont le discours
ne dit rien du tout. »
220. La fausse Velvote {Ânlirrhinum spurium, L.).
ail est bon de remarquer que la vraie velvote {antirrhinum spu-
rtum)est une espèce difi'érente de celle-ci, quoique assez ressemblante;
elle est du même genre ; elle a les fleurs à peu près de même couleur et
de même figure; elle se couche et rampe à terre comme elle; sa tige et
ses feuilles sont également velues : les feuilles sont alternes de même et
très à peu près: mais elles ont néanmoins une différence très-marquée
et qui saute à l'œil : c'est d'être amincies des deux côtés à leur base,
taillées en fer de pique , et d'ailleurs plus pointues et plus aUongées que
celles de cette plante-ci , qui même ne sont pas assez arrondies dans la
figure; aussi Tournefort la nomme-t-il à feuille de nummulaire. »
221. La Linaire [Antirrhinum linaria, L.).
(L'auteur donne également à cette plante le nom de lin sauvage.)
a Cette dénomination est mauvaise , attendu qu'il y a d'autres lins
sauvages qui ne sont point des linaires. n
222. Le Mufle de veau [Antirrhinum majus , L.).
Cette plante croît communément aux lieux incultes et dans les vigno-
bles.
a Mais plus communément encore dans les crevasses ou fentes des
murs de terrasse. »
224. La Digitale {Digitalis purpura , L.).
ï
116 NOTES
«Ses fleurs sont secondaires, jiour parler en termes de"botanique ,
c'est-à-dire tournées et pendantes d'un seul côté, ce qui de loin donne
à cette superbe plante l'apparence d'un étendard. »
228. La Passerage (Lepidium lalifoliuvi, L.).
Les feuilles radicales sont dentelées tout autour en manière de scie.
a Les bords de la feuille sont d'ordinaire tellement roulés ou repliés,
que sa dentelure ne s'aperçoit guère que par ceux qui savent déjà qu'elle
y est. »
229. Le Tabouret {Thlaspi bursa pastoris , L.).
Le pistil est entouré de six étamines dont quatre sont longues et
égales, et les deux autres sont constamment courtes.
a Opposées l'une à l'autre. »
Le pislil devient un fruit plat en forme de cœur, et renferme des se-
mences menues qui s'attachent aux deux côtés d'une cloison qui traverse
les valves.
a D'une cloison qui sépare les valves. »
a La figure f n'est pas bien faite et représente mal l'intérieur du
fruit. »
230. L'Herbe aux cuillers [Cochlearia officinalis, L.).
Cette plante qu'on appelle aussi le cran.
« Prenons garde encore ici aux équivoques. Ce qu'on appelle en di-
verses provinces et même à Paris le cran est bien un cochlearia , au moins
dans le système de Linnaeus , mais ce n'est pas le vrai cochlearia dont
il s'agit dans cet article : c'est le cochlearia armoracia , autrement ap-
pelé raifort, dont on mange la racine ratissée en guise de moutarde. »
Quand la plante est fraîche , on la mange seule ou en salade.
a Une salade de cochlearia doit être une chose immangeable. »
Cette plante n'a pas été connue de Dioscoride , et on a cru la recon-
,ioître dans deux plantes différentes dont Pline parle sous les noms de
telephium et de Britannica ; mais ce n'est là qu'une conjecture.
a Et même bien peu vraisemblable; car cette plante, comme l'ont re-
marqué Gesner et Lobel , a très-peu de rapport au telephium de Pliue ,
et moins encore au Britannica. »
232. Le Thlaspi de Crète {Iberis umbeUata , L.).
Ses feuilles ressemblent à celles de l'ibériette , ce qui a déterminé eu
partie Linnaeus à le transporter du genre des thlaspi, où Tournefort
l'avoit placé , à celui de l'ibériette.
a Ce n'est point la fi^'ure, des feuilles qui a déterminé Linnaeus à cette
transposition , mais celle de la corolle , laquelle , au lieu d'être régu-
lière comme dans le thlaspi, a les deux pétales extérieurs plus grands
que les autres , ce qui est le caractère de l'ibérie. »
233. Le Cresson des prés {Cardamine pratensis , L.].
Les siliques ont cela de particuher , que leurs lames , se recoquillant
par une espèce de ressort , se roulent en volute et répandent les se-
mences de part et d'autre avec assez de force.
ail falloit donc mettre cette révolution des valves dans la figure,
ainsi qu'a fait Tournefort. »
238. La Giroflée jaune {Cheiranthus cheii-i , L.).
SUR LA BOTANIQUE DE REGNAULT. lyj
On en compte jusqu'à trente-quatre espèces de variétés.
a Est-il bien sûr que de ce grand nombre de variétés , plusieurs n'aient
pas pour espèce mère l'autre giroflée de jardins, ch<;iranlhus incanus?
Ce qui m'a fait naître ce doute ou qui m'y confirme est que je vois aussi
ce nombre de trente-quatre dans les variétés de l'une et de l'autre dont
Tournefort a donné la liste. »
239. Le Navet {Brassica râpa, L.*.
a Le laconisme de cet article sur la culture .joint à la synonymie em-
plovée au titre, me confirme ce que j'ai dit à l'article rare, qu'on avoit
pris le navet pour elle. J'ai vu par toute l'Angleterre d'immenses champs
de navets destinés à la pâture des bestiaux. Je ne me souviens pas d'y
avoir vu jamais un seul cliamp de raves. »
240. Le Chou rouge {Brassica rubra, L.].
On préfère le chou rouge pour la tisane et les bouillons qu'on prescrit
aux pulmoniques.
« Quel dommage que les apothicaires nous aient drogué ce bon chou!
il seroit le meilleur pour les cuisines, et on le préfère, avec raison,
dans mon pays , à tous les autres. »
241. Le Chou bl.\nc {Brassica oleracea capitata. L.).
Les Allemands et les Hollandois en font un grand usage.
a Les Suisses encore plus, et toutes leurs montagnes sont pleines de
choux bien plus savoureux que ceux de la plaine. »
Quelques curieux sont parvenus au moyen du salpêtre, de la laque,
à obtenir de nouvelles espèces de choux fort agréables à la vue par la
variété des couleurs.
a On en peut voir l'effet aux Tuileries . à droite en sortant par le Pont-
Tournant, à la porte du suisse. ^
243. La Moutarde [Sinapis nigra , L.).
Le calice est compose de quatre feuilles longues et étroites.
>i Évasées et colorées. »
Le fruit du silique (c).
o Cette figure (e) manque dans la planche. Au reste la grande hgure
de la planche , même avec ses siliques , ressemble à la sanve beaucoup
plus qu'à la vraie moutarde.
244. Le Radis {Raphanus sativus . L.).
tt En Suisse, en Savoie et dans plusieurs provinces de France on ne
connoît sous le nom de radis que le navet rond . et sous celui de navet
que le navet long. La rave s'appelle raifort; le raifort s'appelle cran ou
meresic , du nom allemand. J'ai vu des gens de diverses provinces dis-
puter longtemps sans s'entendre . faute d'être au fait de cette synony-
mie C'est à Paris que la première erreur est née-, car le nom de rave
appartient généralement, et de toute ancienneté, au navet rond. Gas-
pard et Jean Bauhin le lui donnent, et Linnaeus en a fait son nom tri-
vial. Je ne suis pas sans soupçon que toute la partie de cet article qui
traite de la culture appartient à la rave savoyarde , et non pas à celle de
Paris. » . ■ -, \
■2k^j. Le Bec de grue op.dinaibe [Géranium ctcutarium, L.).
Cette plante , qu'un botaniste appelle le géranium musqué.
118 NOTES
a Le géranium musqué est une autre espèce , maïs très-ressemblanie. »
L'illustre Tournefort a compté soixante-dix espèces de géranium;
Linnaeus en décrit cinquante-sept dans son ouvrage sur les espèces des
plantes,
a D'où vous conclurez, ainsi que de la lecture de M. Adamson, que
l'illustre Tournefort a bien plus connu de plantes que n'a fait Linnaeus.
Notez que Tournefort étoit mort, et Linnaeus vivant, quand cela s'écri-
voit ainsi. »
247. L'Herbe a Robert {Géranium Robertianum , L.),
Les feuilles sont opposées à la tige
a Cette expression, dont l'auteur se sert souvent, est équivoque et ne
rend pas bien son idée. Il veut dire que les feuilles de la tige sont op-
posées, quoique celles des branches ne le soient pas toujours. "
248. Le Pied de pigeon (Géranium rotundifolium, L.).
« Je serois embarrassé, je l'avoue, de dire en quoi cette espèce, ici
décrite et dépeinte, diffère du géranium molle. »
Quelques personnes nous ont reproché un peu d'inégalité dans la
manière dont nos explications sont rédigées : il s'est trouvé des articles
beaucoup plus courts les uns que les autres, et on a conclu de là que
nous les avions négligés; mais nous avons trop à cœur de justifier notre
travail aux yeux du public pour ne pas appeler à son jugement de la
témérité de ces accusations. Il faut remarquer que cet ouvrage étant
morcelé nécessairement dans la forme où on le distribue, il est impos-
sible à présent d'en voir la suite et d'en saisir l'ensemble.
a Je me reconnois de bonne foi au nombre de ces accusateurs témé-
raires. Mais quand on voit d'un côté de longs détails répétés et super-
flus, et de l'autre des descriptions imparfaites et mutilées, qui est-ce
qui s'iroit imaginer que l'ensemble doit raccorder tout cela?»
249. La Guimauve {Althœa ofjicinalis , L.).
Les feuilles sont faites comme celles de la mauve ordinaire; mais plus
grandes, plus épaisses.
« Et plus allongées. »
Des aisselles des feuilles naissent les fleurs en cloche.
a En rose et non pas en cloche; car les malvacées, quoiqu'elles pa-
roissent monopétales, ne le sont point. L'auteur le reconnoît lui-même,
puisqu'il nous offre un pétale séparé. »
Le calice de la fleur coupé en cinq comme elle.
tt A mon avis, on auroit dû parler du double calice. J'ai écrit ceci
étourdiment avant d'avoir lu la suite, sur laquelle il y auroit encore à
disputer. »
250. La Rose trémière {Alcea rosea, L.).
Les fleurs sont monopétales.
ot C'est une question difficile à résoudre entre les savans botanistes,
si les malvacées sont monopélales ou polypétales. Tournefort et Ray
sont du premier sentiment; mais Morison, Linnasus, Haller, Adamson,
sont du second. Les cucurbitacées, ou du moins celles d'entre elles
dont la corolle est difficile à détacher du calice , offrent matière au
même doute. »
SUR LA BOTANIQUE DE REGNAULT. 119
2d1. La Mauve 'Jlaha sylvestris. L.).
Cette plante étoit fort connue chez les anciens, et entroit dans le ca-
talot'ue de leurs aliraens; il en est souvent question à cet égard dans les
écrits des Romains . même sous le siècle d'Auguste. Nous avons rapporte
ce passage où Horace , se félicitant de la vie simple et frugale , dit qu il
est nourri de chicorées et de mauves légères : Me pascunt cichorea
ievesque malvx. Dans un autre endroit le même poète, fatigue du luxe
et du bruit de la superbe Rome, soupire pour la solitude de Tibur, et
compare ses mauves simples, mais salutaires, aux mets recherches et
dangereux qui parent la table des grands.
a II n'est peut-être pas inutile de répéter que cette mauve dHorace
n'est point la même qu'on décrit ici. »
•^52 La Fometerre bulbeuse {Fumaria l)ulhosa,L.).
Les neursde la fumeterre, selon de Tournefort. approchent beaucoup
des fleurs légumineuses; mais elles ne sont composées que de deux
feuilles. , , ^
« Eh! combien de légumineuses qui n'en ont qu une! En est-ce assez
pour les ôter de leur famille naturelle? »
253. La Fometerre {Fumaria officinalis , L.).
Geoffroi , chimiste francois . prétend avoir trouvé dans cette plante tel
et tel sel. ce que nie Cartheuzer, chimiste allemand, non nostrum
-inlerios tantascomponere lites.
« Sans doute ; ehl quel téméraire oseroit s'interposer dans des débats
de cette importance? »
On l'appelle aussi coridale. .
. La coridale est une autre plante , c'est la fumeterre jaune , dont
même Pontedera a fait un genre séparé. Dillenius, à peu près dans le
même temps, en a fait aussi un genre, et précisément sous le même
nom. »
2âG. LE Lupin (tupi'nus a^bws, L.).
Le lupin dévore la terre où il est cultivé, aussi fait-on dériver son
nom lupinus de lupo. , , ,.
a J'ai vu de mes yeux, en Dauphiné, prospérer la culture sans autre
en-rais que les lupins semés sur la place et puis enfouis en labourant,
\u° reste il y a peu de plantes dont le port soit plus agréable. Si j avois
un jardin, j'en ferois mettre assurément dans les plates-bandes, x.
257. La Fève des marais {Vicia faba, L.).
Sa racine est garnie de tubercules.
a Ces sortes de tubercules ne sont pas rares dans les racines des lé-
gumineuses. »
'>o9 Le Baguenaudier {Colutea arhorescens*, L.).
Ses fleurs ont dix étamines, dont huit réunies à leur base par une
membrane. ^. , g. ,..-> -*
ce Celte division par huit et par deux est contredite par la bgure d,
qui montre neuf et un , comme la plupart des autres légumineuses. La
saison ne me permet pas d'en faire à présent la vérification, mais j ai
souvent disséqué la fructification du baguenaudier sans y faire cette
remarque, qui, si elle etoit fondée, devroit, ce semble, avoir ele
120 NOTES
faite au moins par quelques botanistes comme une bien singulière ex-
ception. »
26?.. Le Galéga {Galega officinalis, L.).
Il croît naturellement en Italie-, cependant on le rencontre, quoique
peu communément, dans les bois au.v terrains gras et exposés au midi
« Le parc de Saint-Cloud en est rempli. »
263. La Baebe de renabd {Astragahts tragacantha, L )
Ses feuilles se terminent par deux folioles et souvent par l'extrémité
même.
a Mais ne faut-il pas nécessairement que cette extrémité soit touiours
précédée de deux folioles terminales? »
264. Le CvLEN {Psoralea glandulosa , L.).
Tournefort parle d'une espèce de psoralea qui est herbacée, et celle-ci
est ligneuse ; elles ne peuvent donc pas être avoisinées dans sa méthode
oc Dans la même classe par la méthode de ce savant. »
266. Le Mélilot {Trifolhim Melilotus officinalis , L.).
On en a vu à la hauteur d'un homme.
« On le voit souvent à cette hauteur dans les clairières des bois où
itseleve et cherche le grand air parmi d'autres plantes qui servent à
le soutenir. »
271. L'Oranger (Ci'trws auran<mm, L.).
Les étamines sont réunies par la base de leurs filets.
« Le plus souvent en plusieurs groupes. »
272. La Toute-saine [Hypericum androsxmum, L )
Cette plante diffère essentiellement du miUe-pertuis, en ce que ses
leuilles sont beaucoup plus grandes.
« Que son fruit est une baie et non pas une capsule. »
Ces deux plantes ont quelques rapports.
« Elles sont du même genre. »
Ses feuilles, pressées entre les doigts, rendent une odeur vineuse
STrmm l """ '"'' presque rouge, d'où lui vient le nom d'andro-
273. Le Mille-pertuis (Fypencumper/bratMm, L.).
Ses tiges s'élèvent d'un pied et demi.
« Il falloit parler des filets marqués sur les deux côtés de la tige et
qui se croisent à chaque opposition des branches. » '
27.5. La Laitue sauvage {Lactuca scariola , L.).
a II eût été peut-être à propos de décrire et de figurer les feuilles ra-
dicales nécessaires pour bien distinguer les deux principales espèces de
laitue sauvage. » r t- -^
Les étamines ne paroissent point au dehors du tube; elles sont pla-
cées à la même hauteur, aux parois, vers le milieu de sa lon^-ueur
« Et forment un tube cylindrique autour du style. » °
La laitue est adoucissante , calmante , humectante , etc. , etc etc
« Il me semble que dans l'énumération de toutes ces propriétés' vraies
ou fausses, il eût fallu distinguer la laitue avant et après sa floraison-
car dans ces deux états, elle change extrêmement d'aspect, de saveur'
et vraisemblablement de vertu. » '
SLR LA BOTANIQLE DE REGNALLT. 121
276. Le PissENLiT {Lcontodon taraxacum , L.).
: Ses graines sont garnies d-aigrettes. , fi„„^^ nu Plies v ^on»
« Ou l'on n'a point mis ces aigrettes dans la figure, ou elles y .on
tout à fait imperceptibles, d ,, t \
^•^T T i Pli osELLE (ffieracïum pt/ose((a, L.).
Le caracSre propre des fleurs est d'être solitaire au sommet des tige^
^EUes sont plutôt axiUaires ; mais le pédicule , étant très-long , peut
passer pour une espèce de hampe. ■■ ^ ^. . ^ .
')7Q T iv Chicorée endive (Ciclwnum Endivia, L.].
Les'anciensconnoissoient cette plante et l'employoïent beaucoup
dans leur cuisine Horace, faisant l'éloge de sa sobriété se felicitoit du
goSt phiîosoihique qui le'portoit à se nourrir de chicorée et de mauves
^'ïjîne crois pas que Uvesque malvx ait pu jamais signifier etles
-n^^^bkrcn^;?t:=n^
isse; mai 'celle dont .1 s'agit a la feuille et la tige lisses aussi. .
281 LE Chardon hémobroïdal {Serratula arv^nsis , L.).
■ «;t rarine est rampante et garnie de quelques fibres.
' f PouZotneS dire des tubercules qui s'attachent communeme'.
à saSe t qui lui ont fait donner le nom de chardon hemorrordal .^
car ce tùb rîules ayant quelques ressemblances avec les hémor-
roïdes la plante ne sauroit manquer d'être un spécifique pour le
guérir" Iv /j'ai encore eu tort d'écrire cette note avant d avoir lu
'"ÏlXïcuTe'o^ca'lionné par la piqûre des insectes, qui se rencontre
quelquefois à la tige,
a Et à la racine, » . , , . -a^.
Scellé et porté dans la poche , guérit les hémorroïdes.
tes feu lies sont alternatives et ailées: leurs ailes se prolongen en
rétrogradant le îong de la tige , et occupent assez souvent 1 espace d une
''fc'ettÏdS; en termes de botanique, que les feuilles sont décur-
^^^28?.' LE Chardon Marie [Cardum Marianus , L.).
Les feuilles sont toutes maculées par des veines blanches.
tt Pas toujours. » ,■„=,.
T éraerv prétend que sa racine est bonne a manger. _
^Cest son calice et son réceptacle qui peuvent se manger a la poi-
vrade ! ainsi que ceux de la grande carline, dont nos paysans suisse.
font souvent leur déjeuner. » . t n
•'84 Le C\rthame {Carthamus Unclorius, L.).
co= fionrc; nasseut Dour être utiles dans la jaunisse.
inférieur à celui-ci pour la vertu. . ,
a Aussi le jaune en est-il bien moins fonce. »
286. LA G.Ibde-roi3E {Santolûm cliamxcy par issus , L.).
122 NOTES
Celle plante a un réceplacle sur lequel reposent les fleurons qui com-
posent la fleur. ^
« Un réceptacle garni d'écaillés. »
'281. La Tanaisie {Tanacetum vulgare, L.).
Ses fleurs sont portées sur un réceptacle plat et écailleux
« Ici je crois que l'auteur se trompe , et que le réceptacle de la tanaisie
est nul. Il reste aussi à vérifier s'il est bien sûr que les fleurons du
contour ne soient pas hermaphrodites. M. Scopoli prétend qu'ils le sont
auquel cas il faudroit rétablir la poUjgamia œqualis du titre- mais ie
lai du corriger ici (le mot œqualis est remplacé par celui superfliia)
parce que la description de l'auteur se contredit. » ^ i )>
288. La Menthe coq ( Tanacetum balsamita, L.).
ce Cette plante, qui s'appeloit aussi pâte\ s'employoit jadis beaucoup
dans la cuisine, surtout pour les pièces de four dont elle portoit le nom
On continue a s en servir de même dans les autres pays. Mais en France '
elleaete proscrite, ainsi que le raisin de Corinthe, qui est pourtant
un assaisonnement très-agréable à tout palais dont la mode ne dirige
pas le goût. » r c uiii^d
289. L'Absinthe {Artemisia absinthium , L.).
a En parlant des étamines. on pouvoit ajouter que les fleurons du
contour n'en ont point, de même que dans l'armoise. »
291. Le Pied de chat {Gnaphalium dioicum , L.).'
. L'individu mâle est beaucoup plus beau, et sa fleur, couleur de
rose pale, beaucoup plus grande. »
292. Le Tussilage {Tussilago farfara, L.).
Sa tige est en forme de hampe couverte de plusieurs feuilles florales
et sort de terre au printemps avant les feuilles. '
a Ce sont les feuilles, au contraire, qui, sorties de terre l'été précé-
dent, ont prévenu la fleur de plus de huit mois. On trouvera dans mon
Species l observation d'où j'ai conclu ce fait, et dans mo.i petit herbier
la preuve de 1 observation sur la plante même; il ne faudroit pas nar
analogie conclure la même chose du colchique; car il donne ses fruits
avec ses feuilles , preuve invincible que la floraison avoit précédé »
293. Le Pétasite {Tussilago petasiti's, L.).
M deBomare remarque que les feuilles du pétasite croissent quel-
quefois a la hauteur d'un homme, de sorte qu'en passant au travers de
cette espèce de palissade de verdure, il semble qu'o.i se promène entre
des arbres.
« Ceci, un peu exagéré quant au pétasite, dont les feuilles, quoique
tnis-grandes, ne s'élèvent pas beaucoup, est très-vrai pour celles du
cacalia, qui leur ressemblent assez, et dans lesquelles je me suis sou-
vent trouvé comme enseveli dans les Alpes. »
'.'94. La Jacobée {Senecio Jacobxa , L.).
Quelques praticiens l'ont regardée comme une espèce de séneçon par '
rapport à sa figure et à ses vertus. " '
« Ce ne sont ni les vertus ni la figure de la plante qui ont engagé
non les praticiens, mais les botanistes, à la réunir au genre des sene-j
çoûs : c est uniquement le caractère de la fructification , qui , ne laissant
SUR LA BOTANIQUE DE REGNAULT. 123
"•[aucunes limites précises à chacun de ses deux genres dans la gradation
Ides espèces, force ainsi de n'en faire qu'un seul. »
' Dans le xvi' siècle, on employoit la décoction de cette plante dans
4es maladies d'entrailles.
a Apparemment que la mode en a passé. »
295. L'Œil-de-Christ (ister ameHus, L.).
Dioscoride parle de l'aster dans son livre des descriptions des plantes
Kju'il composa sous le règne d'Auguste.
« Ceci me paroît dit bien affirmativement : rien n'est plus douteux,
^3 me semble, que le temps où Diocoride a vécu, et il n'est pas non
plus très-certain que l'aster dont parle cet auteur soit celui quon dé-
•crit ici. «
Le P. Rapin ne l'a pas oublié dans son beau poëme des Jardins , qui
n'a d'autre défaut peut-être que d'être écrit dans une langue morte....
Nous ne saurions trop inviter quel(iues-uns de nos poètes à réparer la
•disette de notre littérature à cet égard.
« Voilà ce que je défie de faire, tant qu'ils aimeront la campagne, les
détails champêtres et les amusemens rustiques aussi peu qu'ils font
aujourd'hui. »
297. L'AuïiÉE [Inulahelenium, L.).
Cette plante croît naturellement en Angleterre,
oc Et en France aussi. Je l'ai trouvée assez souvent dans la garenne
<ie Trye , aux environs de Gomer-Fontaine. »
Tous les fleurons et demi-fleurons sont rassemblés dans un réceptacle
«u enveloppe.
« Il paroît que notre auteur ne donne que le nom d enveloppe au ca-
i lice agrégatif des composées, et qu'il n'en distingue point le réceptacle
ou pbcenla des graines. C'est ce qu'il est bon de remarquer une fois
pour l'intelligence de ses articles. »
2'J8. Le Doronic {Doronicum pardalianches , L.).
A ses fleurs succèdent des semences noirâtres, menues et garnies
chacune d'une aigrette.
ce Excepté celles du contour, qui sont à peu près nues.
a. Les deux graines (de la figure) sont représentées avec des aigrettes
-4outes semblables , ce qui n'est pas. »
299. La Paquer5:tte {Bellis perennis, L.).
Elle se rencontre sur les gazons.
<i Feu Mme de Jars en avoit fait semer à Stain dans un pré où il
n'en venoit point, et où il n'en vint point; elle dédaignoit celles que la
nature prodiguoit dans les prairies voisines. »
La base des fleurs est attachée sur un réceptacle conique.
et U ne l'est pas d'abord , mais il s'allonge à mesure que les fleurons
^tombent et que les graines mûrissent. »
300. La Matricaire {Matricaria parthenium , L.).
Le pistil est terminé par trois stigmates recourbés.
oc Ce fait est à vérifier; car il feroit une exception bien singulière et
«n caractère bien commode. »
301. La Camumille romaine {Anthémis nuhilis , L.].
124 NOTES
Cette plante croît en abondance dans les campagnes d'Italie. '
X Je l'ai trouvée en abondance dans les prairies du Bourbonnois , ma
à fleur simple, qui est son état naturel. » .
303. L'CEiL-DE-BŒUF {Anthémis tinctoria , L.).
n Cette figure me paroît représenter le chrysanthemum coronarium
qu'on appelle en effet œil-de-bœuf, beaucoup mieux que l'anthem^
tinctoria. Et la preuve que ce n'est pas un anthémis est que le récep
tacle (f ) est représenté ras et dénué des écailles qui font le caractère de
anthémis. Mais pour les écailles du calice, elles représentent un anthe
mis beaucoup mieux qu'un chrysanthemum. Auroit-on peut-être ic
confondu deux plantes qui réellement se ressemblent beaucoup ? »
304. L'EoPATOiRE DE Mesné {Achillea ageratum,, L.).
Le pistil est composé de l'ovaire, du style et d'un seul stigmate.
« Les fleurs composées ont généralement un double stigmate , ou s
l'on veut, un stigmate partagé en deux, et l'on voit distinctement' ai
renvoi [c] de la figure que celle-ci ne fait pas exception. »
205. La Mille-feuille {Achillea millefolium, L.).
Son utilité l'a renaue recommandable de temps immémorial. Si nous
en croyons quelques historiens, Achille fut le premier à qui le hasarda
découvrit ses propriétés, et qui seul les mit en usage. Le nom à.'achil-
lea, sous lequel elle est connue des botanistes, vient à l'appui de cette
découverte.
ot Ceci n'est pas tout à fait exact. Il est vrai que la mille-feuille a été
mise récemment dans le genre des achillea; mais ce n'est pas d'elle
que lui en vient le nom, c'est de la plante appelée par Jean Bauhin
achillea millefolia odorata, et par Linnœus achillea noMlis. Il est
encore vrai que Pline, qui se trompoit souvent en botanique, a con-
fondu ces deux plantes; mais la preuve qu'il se trompoit, est que Dios-
coride, en décrivant V achillea, dit que ses corymbes sont semblables
à ceux de la mille-feuille, dont, ajoute-t-il, il a été parlé ci-devant.
Tourrefort a fait de Vachillea une mille-feuille, et non de la mille-
feuille un achillea. Dodonée' est un des premiers parmi les modernes
qui ait confondu ces deux noms. »
307. Le Blkv et {Centaurea cyanus, L.).
Les fleurons qui se trouvent à la circonférence sont beaucoup plus
grands et partagés en deux lèvres.
« Inégales. »
Les deux sortes de fleurons qui distinguent le bleuet de la jacee
portent sur deux embryons de graine dont chacune devient une se-
mence.
« Voilà une observation qu'il importe de bien vérifier; car si les fleu-
rons neutres sans pistils et sans étamines ne laissent pas de fructifier,
adieu tout le système sexuel. Il me semble d'avoir vu toujours les em-
bryons du contour avorter dans le bleuet comme dans toutes les autres
centaurées; mais on affirme ici si positivement le contraire, qu'il faut
répéter l'observation plus attentivement pour être en état de prononcer
i. Ou Dudoens, médecin el Lolanisle du xvi' siècle. (Éd.)
I
SUR LA BOTANIQUE DE REGNAULT. 12b
lec certitude. Je destine à cette vérification une promenade dans les
a;,iamps l'été prochain. Àmicus Plato , sed magis arnica veritas. »
308. L\ 3xcIe (Centaurea Jacia, L.)
: a 11 falloit faire mention des fleurons du contour; il fallait dire que le
, jceptacle étoit garni d'une vergetle, ou le montrer au moins dans la
„Jgure. Cet article, ainsi que quelques autres, est fait un peu négli-
i;;emment. »
4 309- Le Chardon bénit {Centaurea ienedicta, L.).
\(, Toutes les graines sont rassemblées autour d'un réceptacle commun
ifjans le fond du calice.
a Je suis surpris qu'on ne fasse ici nulle mention des fleurons neutres
,.u contour, qui ont engagé Linnasus à tirer cette plante du genre
m'eus pour la ranger avec les centaurées. »
^i 310. Le Chardon étoile [Centaurea calcitrapa , L.).
Cette plante croît le long des grands chemins et aux lieux cultivés.
^ean-Jacques a mis à la place du mot cultivés :
« Battus par les pas des hommes. »
Les découpures des feuilles sont toujours anguleuses, sans néan-
noins être terminées par des épines comme dans la plupart des char-
Ions.
a C'est que la chausse-trape est une centaurée , et non pas un char-
ion, s
Quoique cette fleur soit peinte d'après le naturel, il est rare de
trouver les fleurons aussi grands et aussi évasés qu'ils le sont dans
cet le figure.
< Ils le sont presque toujours quand on attend que l'épanouissement
jsoit parfait. »
[- Les élamines sont rassemblées sous la forme d'un tube par une mem-
brane découpée à son sommet en cinq petites dents; cette membrane
est une espèce de corolle.
« Comme cette idée est fausse en botanique, il semble qu'on n'auroit
pas dû la présenter dans un livre destiné à l'instruction. Il semble
iaussi que les fleurons du disque difl'èrent assez de ceux du contour pour
[mériter sinon une description, du moins une figure expresse.
311. Le Souci de jardin {Calendula officinal is , L.).
La fleur passée , les embryons deviennent des capsules bordées quel-
quefois de deux grandes ailes, et le plus souvent courbes. La figure h
fait voir la semence enchâssée dans une de ces capsules.
(£ Tout ceci n'est pas très-exact , et la difl'érente configuration des
graines a plus de régularité qu'il ne semble. Mais cette explication de-
manderoit un détail qui ne sauroit trouver place ici. »
313. La Balsamine [Impatiens balsamina , L.).
Cette plante se trouve quelquefois aux environs de Paris,
c Si ce u'esl pas dans les jardins , il faut au moins que ce soit auprès,
c.>- cette plante n'est pas indigène. •
314. Le Satyrion [Orchis maculata, L.].
a On a confondu ici (dans la description) deux plantes toutes diff'é-
rer.les, quoiqu'elles aient toutes deux les feuilles maculées, ce qui peut-
L
126 NOTES
être a été cause du quiproquo. La racine et toute la figure a appa-
tiennent à Vorchis mascula de Linnaeus, ainsi que les synoiîynies oit'
de Dodonée. de Mathiole et de Gérard; la grande figure et sa descrii
tion, à la racine près, appartiennent à Vorchis maculata, qui n'a pi
les racines testiculées, mais palmées. Le nom françois satyrion et i
description des propriétés appartiennent encore à Vorchis mascula c
non pas à celui-ci. »
316. L'Aristoloche clématite (Aristolochia clematitis, L.).
Cette plante croît dans les pays chauds.
« Pourquoi nous renvoyer si loin chercher une plante qui pullule e
infecte les vignes dans tous les environs de Paris? »
316. La Serpentaire {Arum dracunculus , L.).
Le stigmate (d) a la figure d'une corne.
« Voilà vraiment un maître stigmate , et dont nul autre n'approchf
dans tout le règne végétal ! mais les vrais stigmates sont sur les ovaires,
et la partie à laquelle on donne ici ce nom paroît n'être autre chose
que le réceptacle allongé. »
317. Le Pied de veau {Arum maculatum, L.).
Les feuilles sont entières, faites en forme de flèche et maculées,
a Souvent. »
11 s'élève du centre des feuilles une seule tige droite, cylindrique et
cannelée , portant à son sommet une enveloppe que les anciens bota-
nistes appellent les fleurs.
a Et à laquelle les nouveaux donnent le nom de spathes. s
Chacun des ovaires est composé d'un embryon ovoïde, qui ne laisse
point apercevoir de style, et qui est terminé par un stigmate articu-
laire.
t L'auteur abandonne ici le prétendu stigmate de la serpentaire,
quoique ce soient deux plantes du même genre. »
318. La Larme de Job {Coix îacrima , L.).
Cette plante peut entrer dans l'electuaire de Justin, à la place du
grémil.
« Comme ces graines sont fort dures l'une et l'autre , il n'en faut pas
davantage pour avoir les mêmes vertus. »
319. Le B'jis (Buxits sempervirens , L.).
La fleur mâle est à pétales.
« Apétales, c'est-à-dire sans pétales, ce qui est le contraire de à 2'
laies. »
322. La Pimprenelle {Poterium sanguisorba, L.).
a On a confondu ici deux plantes différentes en joignant le nom de la
grande pimprenelle à la description de la petite, qui est celle de nos
jardins. »
324. Le Liège [Quercus suber, L.).
On voit dans cette figure la place qu'occupent les deux semences.
.. Ces deux semences prétendues sont seulement les deux lobes ou
cotylédons du fruit, entre lesquels un germe unique est intermé-
diaire. »
327. La Pesse {Pinus abies , L.).
SUR LA BOTANiaUE DE REGNAULT. '27"
" Le rameau gravé représente mal ]a figure et le port delà passe. Les
.■feuilles sont trop longues, trop rares, pas assez rapprochées de la
■ branche. Cette branche ne se divise pas vers ses extrémités en trois
^fourchons , comme font presque toujours celles de la pesse. Enfin le cône
^représenté en h pointe en haut comme ceux des sapins, au lieu que
*ceux de la pesse sont réfléchis et inclinés vers la terre.»
328. Le Cyprès {Cupressus semperiirens , L.).
Lr5 deux espèces de cyprès croissent dans les pays chauds.
■ II y a entre ces deux variétés la même différence à peu près qu'entre
^le peuplier commun et le peuplier d'Italie , qui n'est non plus qu'une
variété de l'autre. »
333. La Couleuvree (Bryonia alba, L.)
Les fleurs mâles et les fleurs femelles croissent sur des pieds diffé-
rens.
a L'auteur se trompe ; les' deux sexes naissent sur le même pied ,
omme dans toutes les cucurhitacées: cependant il se trouve quelque-
fo's par hasard des individus dioïques.»
337. L.\ Salsep.\reille {Smilax sarsaparilla , L.).
Les ombelles ne sont que partielles.
« Comme on ne sauroit donner le nom de partie au tout, une om-
belle unique ne doit pas non plus , à mon avis , s'appeler partielle. D'ail-
leurs on ne doit pas. en botanique, donner le nom d'ombelles à celles
qui n'en ont pas le vrai caractère, déterminé par Ray, Tournefort,
Linnaeus et tous les botanistes modernes.»
339. Le Houx-frelon^Bk^cus acuîeatus . L).
o Toute cette description manque d'exactitude , et a besoin d'être
refaite.
a En deçà de Vincennes les paysans appellent tonnerre le lychnis
iioïca. y>
« La plupart des plantes n'ont point de noms françois . mais toutes
int un nom anglois. La raison en est que les Anglois étudient et aiment
.& botanique . et s'en font à la campagne une récréation charmante . au
ieii que les François ne la regardent que comme une étude d'apothi-
caire, et ne voient dans l'émail des prairies que des herbes pour les
avemens. On voit ici que notre auteur lui-même emploie les trois
juarts de ses descriptions à parler de tisanes et d'emplâtres. On pré-
;end que cela est fort utile : mais on conviendra que tout cela n'est pas
brt attrayant. »
340. La. Pariétaire [Parietaria officinaîis , L.).
Les fleurs sont partie hermaphrodites, partie femelles sur le même
îied.
a Elles sont d'ordinaire groupées par trois, une hermaphrodite dans
e milieu et une fleur femelle de chaque côté. »
Les anthères s'ouvrent avec explosion en quatre parties, et c'est dans
e moment de l'explosion , laquelle produit un bruit à la portée de_nos
)rganes . que la semence prolifique s'échappe et va féconder le pistiL
» J'ai souvent fait partir cette détente avec la pointe d'une épingle,
nais sans jamais parvenir à entendre le bruit. »
128 NOTES
-341. Le GiNSENG [Panax quinquefolium , L.).
« Je ne m'arrêterai pas à critiquer ici cette description ni la figure. Jt
dirai seulement qu'elles n'ont pas plus de rapport aux descriptioa'
qu'ont faites du ginseng les botanistes les plus exacts et les mieux in-
struits, que n'en a la racine ici figurée avec les racines en très-grant
nombre de cette plante , que j'ai eu souvent l'occasion de voir et d'exa-
miner. »
346. La Rue-de-muraille {Asplenium ruta muraria^ L.).
Les fleurs sont ramassées par paquets sur la sun'ace inférieure des
feuilles.
a Ces paquets paroissent ronds quand la fructification commence, e
c'est ainsi qu'on les a marqués dans la figure; mais à mesure que l
fructification approche de la maturité, ils s'allongent , deviennent li
néaires, se réunissent enfin, et garnissent presque tout le dos de la
feuille. »
Les figures d et e offrent la même capsule ouverte, et qui ne tient ^
par la contraction du cordon annulaire qui reste attaché à la capsule,
par une portion de sa longueur {ftg. d) , plus à la même capsule
(fig. e) que par une de ses extrémités.
a Les deux lignes soulignées sont inintelligibles, et pariassent devoir
se tourner ainsi :
« A laquelle (capsulé) , par la contraction du cordon annulaire qui s'en
« détache (fig. d) , ce cordon ne tient plus que par une de ses extrémités
a (fig. e). »
347. Le Capillaire {Asplenium adianthum nigrum, L.).
a On auroit dû avertir ceux qui mettent les couleurs de peindre la
côte noire. La phrase de G. Bauhin suffisoit pour y faire penser. » j
349. La Fougère mâle {Pohjpodium fUix mas , L.). m
On a prétendu jusqu'à présent qu'en coupant cette racine obliquemenf
elle présentoit la figure d'un aigle à deux têtes ; nous croyons qu'ainsi
que dans les marbres, dans les vieilles murailles, dans les tisons, dan&
le dépôt du marc de café , on y voit tout ce qu'on veut y voir.
« Tous ces adages sont très-vrais; mais cela n'empêche pas que la
racine d'une des espèces de fougère , coupée en travers de biais sur ua
individu un peu gros , ne présente assez fidèlement , et toute imagina-
tion à part, la figure de l'aigle éployé à deux têtes. Mais il est bon
d'observer que la fougère qui présente cette figure n'est point celle-ci ,
mais celle qui porte dans Linnaeus le nom de pteris aquilina ^ et que
plusieurs appellent fougère femelle, différente d'une autre fougère
femelle qui est un polypodium. 53
La coque est entourée d'un cordon annulaire qui la contracte.
« Il la dilate , au contraire , et l'ouvre en se rompant et se redrei
sant. »
La cendre de cette plante entre dans la fabrication du verre.
« Tout ceci appartient encore au pteris plutôt qu'à la fougère mâle
SUR LA BOTANIQUE DE REGNAULT.
129
TABLE
DES PLANTES GRAVÉES DANS LE PREMIER VOLUME DE CET OUVRAGE',
Rangées suivanl le système de Linnœus.
î.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
IG.
17.
18.
19
20.
21.
22.
23.
24.
25.
26
27.
28.
29.
30.
31.
32.
33.
34.
35.
3(5.
37.
38.
Le Safran des Indes.
Le Troëne.
L'OlivifT.
La Circée.
La Véronique.
Le Beccabunga.
La Gratiole.
La Verveine.
Le Romarin.
La petite Sauge. (Voy. les ad-
ditions.)
La Toute-bonne des prés.
L'Orvale ou Toute-bonne.
La grande Valériane.
La Mâche. (Voy. les additions.)
Le Safran.
L'Iris de Florence.
La Flambe.
Le Chiendent.
L'Avoine.
Le Seigle.
L'Orge.
Le Froment.
Le Chardon à foulon.
La Verge à pasteur.
La Scabieuse des prés.
Le Muguet des bois.
La petite Garance.
Le Caille-lait.
Le Grateron. 66.
La Garance. 67.
Le grand Plantain.
L'Herbe aux puces. (Voy. les 68.
additions.)
Le Cornouiller.
Le Pied de lion.
La Cuscute.
Le Houx.
L'Héliotrope.
Le Grémil.
39. La Buglose.
40. L'Orcanette.
41. La Cynoglosse.
42. La Pulmonaire.
43. La grande Consoude.
44. La Bourrache.
45. La Vipérine. (Voy. lesadditious.)
46. La Primevère.
47. Le Cyclamen.
48. La Nummulaire.
49. Le Mouron.
50. Le Liset.
51. La Scammonée.
52. La Raiponce.
53. Le Café.
54. Le Chèvrefeuille.
55. La Belle-de-nuit.
bï>\bis). Le Bouillon blanc. (Voy.
les additions.)
56. La Stranioine.
57. La Jusquiame.
58. Le Tabac.
59. Le petit Tabac.
60. La Mandragore.
61. La Belladone.
G2. Le Coqueret.
63. La Douce-amère.
64. La Pomme de terre.
65. La Pomme d'amour.
La Morelle.
L'Aubergine. (Voy. les addi-
tions.)
Le Copsique.
69. Le Nerprun.
70. La Bourdaine.
71. Le Jujubier.
72. Le Groseillier rouge.
73. Le Cassis.
74. Le Lierre.
75. La Vif'ne.
t. La Botanique mise a (a ^tortce de tout le monde. (Ér.
IU)l.ss^.^u VI
130
NOTES
76
La petite Pervenche.
120. Le Muguet.
77.
La grande Pervenche.
121. Le Sceau de Salomon.
78
Le Laurier-rose.
122. L'Aloès succotriii.
79
L'Apocyn.
123. L'Épine-vinette.
80
Le Dompte -venin. (Voy
les 124. La Patience.
additions.)
125. La Parelle aquatique.
81
La Turquette.
126. L'Oseille longue'.
82
Le Bon-Henri.
127. Le Colchique.
83.
Le Thé du Mexique.
128. La grande Capucine.
84.
La Bette.
129. La Lauréole mâle et femelle
85.
La Soude.
130. La Bistorte.
86.
La petite Centaurée.
131. La Renouée.
87
Le Panicaut.
132. Le Sarrasin.
88.
La Sanicle.
133. Le Paris.
89.
La Perce-feuille.
134. Le Rhapontic.
90.
L'Ammi.
135. La Rhubarbe.
91
Le Meum.
136. La Fraxinelle.
92.
L'Angélique.
1.37. La Rue.
93.
L'Angélique sauvage. (Voy
les 138. La Saxifrage.
additions.)
139. La Saponaire.
94.
La Berle.
140. L'Œillet.
95.
Le Pison.
141. Le Cotylédon.
96.
Le Persil de Macédoine
142. L'Orpin.
97.
La Férule galbanum.
143. Le Phytolacca,
98.
Le Phellandrium.
144. Le Cabaret.
99.
La petite Ciguë.
145. Le Pourpier.
100.
La Coriandre.
146. La Salicaire.
101.
Le Cerfeuil musqué.
147. L'Aigremoine.
102.
Le Cerfeuil.
148. L'Euphorbe.
103.
L'Impératoire.
149. L'Épurge.
104.
Le Fenouil tortu.
150. La petite Ésule.
105.
Le Maceron.
151. La Joubarbe.
106.
L'Anet.
152. Le Myrte.
107.
Le Fenouil.
153. Le Grenadier à fruit.
108.
Le Carvi.
164. Le Pêcher.
109.
L'Anis.
155. L'Amandier.
110.
L'Ache.
156. Le Merisier.
111.
Le Sumac.
157. Le Prunier.
112.
La Viorme.
158. Le Pommier.
113.
L'Hièble.
159. Le Cognassier.
114.
Le Sureau.
160. L'Ulmaria.
115.
Le Tamaris.
161. Le Rosier sauvage.
116.
Le Lin-
162. Le Fraisier.
117.
L'Oignon.
162 {bis). L'Argentine.
118.
La Couronne impériale.
163. La Quintefeuille,
119.
L'Asperge.
164. La Tormentille.
4. Soi»« le tilrc d'oseille ronde.
SLTi LA BOTANIQUE DE REGNAULT.
131
'165. La Benoîte.
210.
L'Origan.
166. La Chélidoine.
211.
La Marjolaine.
167. Le Pavot cornu.
212.
Le Serpolet.
168. Le Coquelicot.
213.
Le Thym.
169. Le Pavot noir.
214.
La Mélisse.
170. Le Pavot blanc.
214
{bis). Le Calament.
171. Le Nénufar.
215
La Mélisse bâtarde.
172. Le Tilleul.
21G
Le Basilic.
173. Le Ladanum.
217.
La Brunelle.
174. L'Hêlianthum.
218.
L'Euphraise. "
175. La Pivoine.
219.
La Cymbalaire.
176. Le Pied dalouette.
220.
La fausse Velvole.
177. La Staphisaigre.
221.
La Linaire.
177 {bis). Le Napel.
222.
La Muflaude.
178. L'Anthora.
223.
La Scrofulaire (Voy. les
ad-
179. L'Ancholie.
ditions.)
180. La Nielle.
224.
La Digitale.
181. La Clématite.
226.
L'Agnus-castus.
182. L'Éclairelte.
226.
L'Acanthe.
^83. La Renoncule scélérate.
227.
Le Cresson alénois.
184. Le Bassinet rampant.
228.
La Passerage.
•185. L'Ellébore noir.
229.
Le Tabouret.
186. L'Ellébore vert.
2.30.
L'Herbe aux cuillsrs.
187. Le Pied de griffon.
231.
Le Raifort sauvage.
187 {bis). LaBugle.
232.
Le Thlaspi de Crète.
188. L'Ivette.
233.
Le Cresson des prés.
189. Le Marum.
234.
La Roquette sauvage.
190. La Sauge des bois.
235.
Le Vélar.
191. Le Scordium.
236.
Le Barleria.
192. La Germandrée.
237.
L'Alliaire.
193. Le Polion.(Voy. les additions.)
238.
La Giroflée jaune.
194. La Sarriette.
239.
Le Navet.
195. L'Hysope.
240.
Le Chou rouge.
196. La Cataire.
241.
Le Chou blanc.
197. La Lavande.
-242.
La Boquette.
198. Le Stœchas.
243.
La Moutarde.
199. La Menthe à épi.
244.
La Rave.
■200. La Menthe poivrée.
245.
Le Pastel.
■201. Le Pouliot.
246.
Le Géranium cicuiia
202. Le Lierre terrestre.
247.
L'Herbe à Robert.
202 (bîs) . Le Lamier ou Ortie blanche.
248.
Le Pied de pigeon.
203. La Bétoine.
249.
La Guimauve.
204. L'Ortie morte.
250.
La Rose trémière.
205. La Ballotte.
251.
La Mauve.
206. Le Marrube.
252.
La Fumeterre bulbeuse.
207. L'Agripaume.
253.
La Fumeterre.
208. La Mdluque lisse.
254.
Le Genêt d'Espagne. (Voy
let
209. Le Dictame de Crète.
additions.) -
132 NOTF.S
265. L'Arrète-hœuf. 300.
256. Le Lupin. 301.
257. La Fève de marais. 302.
258. Le Pois cliiche. 303.
259. Le Baguenaudier. 304.
260. La Réglisse. 305.
261. L'Indigo. 30G.
26Î. Le Galéga. 307.
203. La Barbe de renard. 308.
264. Le C'.ilen. 309.
265. Le Bannier. 310
266. Le Mélilol. 311.
267. Le Trèfle. • 312.
268. Le Fenugue. 313.
269. La Luzerne. 314.
270. Le Citronnier. 315.
271. L'Oranger. 316.
272. La Toute-saine. 317.
273. Le Mille-peftuis, 318,
274. Le Laiteron. 319.
275. La Laitue sauvage. 320.
276. La Dent de lion. 321.
277. La Piloselle. 322.
27». La Lampsane. 323.
279. L'Endive.
280. La Bardane. 324.
281. Le Chardon hémorroïdal 325.
282. Le Chardon -Marie. 326.
283. La Carline. _ 327.
284. Le Carthame. 328.
285. L'Eupatoire. 329.
286. La Garde-robe. 3-30.
287. La Tanaisie. 331.
288. La Menthe-coq. 332.
289. L'Absinthe. , 333.
290. L'Armoise. 3.'^4.
291. Le Piedchatier. 335.
292. Le Tussilage. 336.
293. Le Pétasite.
294. La Jacobée. 337.
295. L'Œil de Christ. 338.
296. La Verge d'or. 339.
297. L'Aunée. 340.
298. Le Doronic. 341.
Î99. La Pâquerette. 342.
La Matricaire
La Camomille loraaine.
La Maroute.
L'Œil de bœuf.
L'Eupatoire de Mesné.
La Mille-feuille.
La grande Centaurée.
Le Bluet.
La Jacée.
Le Chardon bénit.
La Chausse-trape.
Le Souci des jardins.
La Violette odorante.
La Balsamine.
Le Satyrion '.
L'Aristoloche clématite.
La Serpentaire.
Le Pied de veau.
La Larme de Job.
Le Buis.
Le Mûrier noir.
Le petit Glouteron.
La Pimprenelle-.
Le Chêne vert. (Voy. les ad-
ditions.)
Le Liège.
Le Noyer.
Le Piri.
La Pesse.
Le Cyprès.
Le Ricin.
La Pomme de merveille.
Le Concombre sauvage.
Le Concombre.
La Couleuvrée.
Le Saule.
Le Pistachier.
Le Chanvre. (Voy. les addi-
tions.)
La Salsepareille.
La Mercuriale.
Le Houx-frelon.
La Pariétaire.
Le Ginseng.
Le Figuier.
4. Doux plantes différentes som ici confondues.
a. C'esl la petite qu'on a prise ici pour la grande.
SUR LA SOTAiNIQUE Dli REGNAULT. 133
344. La Scolopendre. 347. Le Capillaire noir.
345. La Doradille. 348. Le Polypode.
346. La Sauve-vie. 349. La Fougère mâle.
a J'ai pris le parti de couper tout à fait les barbouillages presque illi-
sibles dont j'avois parlé dans ma lettre à M. l'abbé, attendu que les
corrections, très-difficiles à déchiffrer , auroient été presque introuva-
bles, qu'il vaut mieux qu'on n'y trouve rien que d'y trouver des fautes,
et que le relieur peut aisément coller sur ces vides du papier blanc,
qu'il est facile ensuite de mieux remplir. Que si M. l'abbé trouve ces
rapiécemens trop désagréables, tout ce que j'y puis faire est de lui
réitérer l'offre que j'ai déjà eu l'honneur de lui faire. A l'égard des
taches et de la malpropreté des titres et de plusieurs feuilles, il voudra
bien se rappeler que je lui rends l'exemplaire dans le même état où il
me l'a remis. »
ADDITIONS.
10. La petite Sauge {Sahia officinalis , L.).
Les fleurs sont soutenues par des feuilles florales.
« Par des bractées ou feuilles florales. »
14. La Mâche [Valeriana locusta , L.).
On la nomme Valerianella , comme qui diroit petite Vale'riann, parce
que la mâche a quelque ressemblance avec la valériane.
n A lés caractères de la valériane. »
32. L'Herbe aux puces [Plantago psillium , L.).
Elle se trouve dans les terrains incultes.
a Et sablonneux. »
45. La 'Vipérine {Echium vulgare , L.).
Ses tiges sont marquées de taches rouges.
« Et plus souvent noires. »
Les fleurs ont au milieu quatre étamines et un pistil.
a Cinq étamines inégales et un pistil. »
5.5 bis. Le Bouillon blanc {Verhascum thapsus , L.).
Le pistil est placé au centre de la corolle , et s'attache au fond du
calice.
« Monophylle à cinq divisions. »
67. L'Aubergine {Solanummelongena, L.).
Le nombre des étamines est ordinairement conforme à celui des di?i«
sions de la corolle.
« Égal au lieu de conforme. »
80. Le Dompte-venin {.isclepias vincetoxicum , L.).
Elle fleurit en juin et juillet.
« Et plus tard. »
"93. L'Angélique sauvage (inf/ei?ca syZfesîm, L.).
Elle cioîl le long des haies.
a Et des ruisseaux. -■>
95. Le Sison {Sison amomum , L.).
Les ombelles partielles. i
134 NOTES SUn LA BOTANIQUE DE REGNAULT
a Les enveloppes partielles , et non pas les ombelles »
En outre l'exlrémilé du pétale se roule jusqu'à la moitié de sa lon-
gueur.
« Se roule en dessus. »
y6. Le Persil de Macédoine {Bubon Macedonicum , L.).
Le surnom de celte espèce de persil.
J. J. Rousseau a effacé les mots soulignés , et a mis de ce préiendn..
Les vertus de cette plante sont communes avec celles du persil.
« Lui sont communes. »
19.3. Le Polion [Tenerium polium, L.).
les feuilles sonl sessiles ou attachées à la tige.
« Elles sont crénelées. »
194. La Sarriette [Salurcia hortensis , L.).
Les feuilles sont longues, étroites, terminées en pointes unies.
« Et pointillées. »
223. La Scrofulaire {Scrophularia aqualica, L.).
Les feuilles sont entières, ova'es, terminées en pointe.
a Obtuse. »
254. Le Genêt d'Espagne {Spartium junceum , L.).
Ses rameaux sortent ordinairemenl de l'aisselle d'une feuille
a Toujours. »
'6Tà. Le Chêne vert [Quercus ilex, L.).
Ses fleurs forment un épi connu sous le nom de chaton.
a Un épi pendant. 5)
33G. Le Chanvre mâle et femelle {Cannabis satira, L ).
Les fleurs du chanvre mâle ne sont composées que d'étamines.-
« Et d'un calice. »
FIN DES NOTES SUR TA BOTANIQUE DE REÎNMIT.T.
FRAGMENS POUR UN DICTIONNAIRE
DES TERMES D'USAGE EN BOTANIQUE.
INTRODUCTION.
Le premier malheur de la botanique est d'avoir été regardée dès sa
naissance comme une partie de la médecine. Cela fit qu'on ne s'attacha
qu'à trouver ou supposer des vertus aux plantes, et qu'on négligea la
connoissance des plantes mêmes; car comment se livrer aux courses
immenses et continuelles qu'exige cette recherche, et en même temps
aux travaux sédentaires du laboratoire, et aux traitemens des malades,
par lesquels on parvient à s'assurer de la nature des substances végé-
tales, et de leurs effets dans le corps humain? Cette fausse manière
d'envisager la botanique en a longtemps rétréci l'étude, au point de la
borner presque aux plantes usuelles, et de réduire la chaîne végétale à
un petit nombre de chaînons interrompus; encore ces chaînons mêmes
ont-ils été très-mal étudiés, parce qu'on y regardoit seulement la ma-
tière, et non pas l'organisation. Comment se seroit-on beaucoup occupé
de la structure organique d'une substance, ou plutôt d'une masse rami-
fiée . qu'on ne songeoit qu'à piler dans un mortier? On ne cherchoit des
plantes que pour trouver des remèdes ; on ne cherchoit pas des plantes ,
mais des simples. C'étoit fort bien fait, dira-t-on; soit : mais il n'en a
pas moins résulté que, si l'on connoissoit fort bien les remèdes, on ne
laissoit pas de connoître fort mal les plantes, et c'est tout ce que
j'avance ici.
La botanique n'étoit rien : il n'y avoit point d'étude de la botanique,
et ceux qui se piquoient le plus de connoître les plantes n'avoient au-
cune idée ni de leur structure, ni de l'économie végétale. Chacun con-
noissoit de vue cinq ou six plantes de son canton , auxque-lles il donnoit
des noms au hasard, enrichis de vertus merveilleuses qu'il lui plaisoit
de leur supposer; et chacune de ces plantes changée en panacée uni-
verselle suffisoit seule pour immortaliser tout le genre humain. Ces
plantes, lransfo:mées en baume et en emplâtres, disparoissoient promp-
tement, et faisoient bientôt place à d'autres, auxquelles de nouveaux
venus, pour se distinguer, attribuoient les mêmes effets. Tantôt c'étoit
une plante nouvelle qu'on décoroit d'anciennes vertus, et tantôt d'an-
ciennes plantes proposées sous de nouveaux noms suffisoient pour enri-
chir de nouveaux charlatans. Ces plantes avoient des noms vulgaires,
différens dans chaque canton; et ceux qui les indiquoient pour leurs
drogues ne leur donnoient que des noms connus tout au plus dans le
lieu qu'ils habitoient; et, quand leurs récipés couroient dans d'autres
pays, on ne savoit plus de quelle plante il y étoit parlé ; chacun en sub-
stituoit une à sa fantaisie , sans autre soin que de lui donner le même
nom. Voilà tout l'art que les Myrepsus, les Hildegardes, les Suardus,
les Villanova , et les autres docteurs de ces temps-là , mettoient à l'étud*
■s5
136 WGÏIONNAIRE DE BOTANIQUE.
des plantes dont ils ont parlé dans leurs livres ; et il seroit difficile peut
être au peuple d'en reconnoître une seule sur leurs noms ou sur leurs
descriptions.
A la renaissance des lettres , tout disparut pour faire place aux anciens
livres : il n'y eut plus rien de bon et de vrai que ce qui étoit dans
Aristote et dans Galeii. Au lieu d'étudier les plantes sur la terre, or
ne les étudioit plus que dans Pline et Dioscoride; et il n'y a rien s
fréquent dans les auteurs de ces temps-là que d'y voir nier l'existence
d'une plante par l'unique raison que Dioscoride n'en a pas parlé. Mais
ces doctes plantes , il falloit pourtant les trouver en nature pour les
employer selon les préceptes du maître. Alors on s'évertua; l'on se mil
à chercher, à observer, à conjecturer; et chacun ne manqua pas de
l'aire tous ses efforts pour trouver dans la plante qu'il avoit choisie les
caractères décrits dans son auteur; et, comme les traducteurs, les
commentateurs, les praticiens, s'accordoient rarement sur le choi.x, on
donnoit vingt noms à la même plante, et à vingt plantes le même nom,
chacun soutenant que la sienne étoit la véritable , et que toutes les au-
tres, n'étant pas celles dont Dioscoride avoit parlé, dévoient être pro-
scrites de dessus la terre. De ce conflit résultèrent enfin des recherches,
à la vérité plus attentives, et quelques bonnes observations qui méri-
tèrent d'être conservées, mais en même temps un tel chaos de nomen-
clature, que les médecins et les herboristes avoient absolument cessé
de s'entendre entre eux. Il ne pouvoit plus y avoir communication de
lumières, il n'y avoit plus que des disputes de mots et de noms, et
même toutes les recherches et descriptions utiles étoient perdues, faute
de pouvoir décider de quelle plante chaque auteur avoit parlé.
Il commença pourtant à se former de vrais botanistes, tels que Clu-
sius, Cordus, Césalpiu. Gesner, et à se faire de bons livres, et instruc-
tifs, sur cette matière, dans lesquels même on trouve déjà quelques
traces de méthode. Et c'étoit certainement une perte que ces pièces
devinssent inutiles et inintelligibles par la seule discordance des noms.
Mais de cela même que les auteurs commençoient à réunir les espèces
et à séparer les genres, chacun selon sa manière d'observer le port et
la structure apparente, il résulta de nouveaux inconvéniens et une nou-
velle obscurité, parce que chaque auteur, réglant sa nomenclature sur
sa méthode, créoit de nouveaux genres, ou séparoit les anciens, selon
que le requéroit le caractère des siens : de sorte qu'espèces et genres,
tout étoit tellement' mêlé , qu'il n'y avoit presque pas de plante qui n'eût
autant de noms diflereus qu'il y avoit d'auteurs qui l'avoient décrite , ce
qui rendoit l'étude de la concordance aussi longue et souvent plus diffi-
cile que celle des plantes mêmes.
Enfin parurent ces deux illustres frères qui ont plus fait eux seuls
pour le progrès de la botanique que tous les autres ensemble qui les ont
précédés et même suivis, jusqu'à Tournefort : hommes rares, dont le
savoir immense et les solides travaux , consacrés à la botanique , les
rendent dignes de l'immortalité qu'ils leur ont acquise; car, tant que
cette science naturelle ne tombera pas dans l'oubli , les noms de Jean et
de Gaspard Bauhin vivront avec elle dans la mémoire des nommes.
INTRODUCTION. 137
Ces deux hommes enUeprirent, chacun de son côté, une histoire uni-
verselle des plantes; et, ce qui se rapporte plus immédiatement à cet
article, ils entieprirent l'un et l'autre d'y joindre une synonymie, c'est-
à-dire une liste exacte des noms que chacune d'elle portoit dans tous les
;iuteurs qui les avoient précédés. Ce travail devenoit absolument néces-
saire pour qu'on pût profiter des observations de chacun d'eux: car,
sans cela, il devenoit presque impossible de suivre et démêler chaque
[liante à travers tant de noms differens.
L'aîné a exécuté à peu près celle entreprise dans les trois volumes
in-folio qu'on a imprimés après sa mort, et il y a joint une critique si
juste , qu'il s'est rarement trompé dans ses synonymies.
Le plan de son frère étoit encore plus vaste, comme il paroït par le
piemier volume qja'il en a donné, et qui peut faire juger de l'immensité
de tout l'ouvrage, s'il eût eu le temps de l'exécuter : mais, au volume
près dont je viens de parler, nous n'avons que les titres du reste dans
son Pmao:;; et ce Pinax . fruit de quarante ans de travail, est encore
aujourd'hui le guide de tous ceux qui veulent travaillersur cette matière,
et consulter les anciens auteurs.
Comme la nomenclature des Bauhin n'étoit formée que des titres de
leurs chapitres, et que ces titres comprenoient ordinairement plusieurs
mots , de là vient l'habitude de n'employer pour noms de plantes que
des phrases louches assez longues, ce qui rendoit cette nomenclature
non-seulement traînante et embarrassante, mais pédantesque et ridi-
cule. Il y auroit à cela, je l'avoue, quelque avantage, si ces phrases
avoient été mieux faites: mais, composées indifféremment des noms des
lieux d'où venoient ces plantes , des noms des gens qui les avoient en-
voyées, et même des noms d'autres plantes avec lesquelles on leur
trouvoit quelque similitude, ce« phrases étoient des sources de nou-
veaux embarras et de nouveaux doutes, puisque la connoissance d'une
seule plante exigeoit celle de plusieurs autres, auxquelles sa phrase
renvoyoit , et dont les noms n'étoient pas plus déterminés que le
sien.
Cependant les voyages ae long cours enrichissoient incessamment la
botanique de nouveaux trésors: et tandis que les anciens noms acca-
bloient déjà la mémoire, il en falloit inventer de nouveaux sans cesse
pour les plantes nouvelles qu'on découvroit. Perdus dans ce labyrinthe
immense, les botanistes, forcés de chercher un fil pour s'en tirer, s'at-
tachèrent enfin sérieusement à la méthode. Herman , Rivin , Ray, pro-
posèrent chacun la sienne: mais l'immortel Tournefort l'emporta sur
eux tous : il rangea le premier , systématiquement , tout le règne végétal .
et réformant en partie la nomenclature , la combina par ses nouveaux
genres avec celle de Gaspanl 1 auhin. Mais loin de la débarrasser de ses
longues phrases, ou il en ajouta de nouvelles, ou il chargea les an-
ciennes des additions que sa méthode le forçoit d'y faire. Alors s'intro-
duisit l'usage barbare de lier les nouveaux noms aux anciens par un qui,
quœ , qwod contradictoire, qui d'une même plante faisoit deux genres
tout differens.
« Dens leonis qui pilosella folio minus villoso ; Doria qux jacobaea
138 DICTIONNAIRE DE BOTANIQUE.
a orientalislimonii folio : Titanokeratophyton qmd lithophytonmarinuro ■
«albicans. •■
Ainsi la nomenclature se chargeoit; les noms des plantes devenoient '
non seulement des phrases, mais des périodes. Je n'en citerai quuâ ;
seul de Plukenet, qui prouvera que je n'exagère pas. « Gramen rayloi-
«cophorum Carohnianum, seu gramen altissimum, panicula max-ima ^
« speciosa , e spicis majonbus compressiusculis utrinque pinnatis blat- '
« tara molendanam quodaramodo referentibus, composita, foliis convo-
« lutus mucronatis pungentibus. » (Almag. 137).
C'en étoit fait de la botanique si ces pratiques eussent été suivies
Devenue absolument insupportable, la nomenclature ne pouvoit plu';
subsister dans cet étal, et il falloit de toute nécessité qu'il s'y fît une
reforme ou que la plus riche, la plus aimable, la plus facile des trois
parties de 1 histoire naturelle , fût abandonnée.
Enfin M. Linnaeiis, plein de son système sexuel et des vastes idées
quil lui avoit suggérées, forma le projet d'une refonte générale dont
tout le monde sentoit le besoin, mais dont nul n'osoit tenter l'entre-
prise. Il lit plus, il l'exécuta: et, après avoir prépar.^ dans son Critica
botamca , les règles sur lesquelles ce travail devoit être conduit il déter- .
mina, dans son Gênera plantarum , les genres des plantes, ensuite les
espèces dans son Species; de sorte que, gardant tous les anciens noms
qui pouvoient s'accorder avec ces nouvelles règles, et refondant tous
les autres, il établit enfin une nomenclature éclairée, fondée sur les j
vrais principes de l'art, qu'il avoit lui-même exposés. Il conserva tous '
ceux des anciens genres qui étoient vraiment naturels ; il corrigea sim- '
plifia, réunit, ou divisa les autres, selon que le requéroient les'vrais
caractères; et, dans la confection des noms, il suivoit, quelquefois"
même un peu trop sévèrement, ses propres règles.
A l'égard des espèces, il falloit bien, pour°les déterminer, des des-
criptions et des différences : ainsi les phrases restoient toujours indis-
pensables ; mais s'y bornant à un petit nombre de mots techniques bien
choisis et bien adaptés, il s'attacha à faire de bonnes et brèves défini-
tions tirées des vrais caractères de la plante, bannissant rigoureusement
tout ce qui lui étoit étranger. Il fallut pour cela créer, pour ainsi dire
a la botanique une nouvelle langue qui épargnât ce long circuit de pa-
roles qu'on voit dans les anciennes descriptions. On s'est plaint que les
mots de cette langue n'étoient pas tous dans Cicéron. Cette plainte au-
roit un sens raisonnable, si Cicéron eût fait un traité complet de bota-
nique. Ces mots cependant sont tous grecs ou latins , e.xpressifs , courts
sonores, et forment même des constructions élégantes par leur extrême
précision. C'est dans la pratique journalière de l'art qu'on sent tout l'a-
vantage de cette nouvelle langue , aussi commode et nécessaire aux bo-
tanistes qu est celle de l'algèbre aux géomètres.
Jusque-là M. Linnseus avoit déterminé le plus grand nombre des
plantes connues, mais il ne les avoit pas nommées; car ce n'est pas
nommer une chose que de la définir : une phrase ne sera jamais un
vrai mot, et n en sauroit avoir l'usage. 11 pourvut à ce défaut par l'in-
vention des noms triviaux au'il joignit à ceux des genres pour distin-
INTRODUCTION. 139'
jer les espèces. De cette manière le nom de chaque plante n'est com-
Dsé jamais que de deux mots; et ces deux mots seuls, choisis avec
scernement et appliqués avec justesse, font souvent mieux connoître
plante que ne faisoient les longues phrases de Micheli et de Plukenet.
our la connoître mieux encore et ]Aus régulièrement, on a la phrase,
u'il faut savoir sans doute, mais qu'on n'a plus besoin de répéter à
>ut propos lorsqu'il ne faut que nommer l'objet.
Rien n'étoit plus maussade et plus ridicule, lorsqu'une femme ou
uelqu'un de ces hommes qui leur ressemblent vous demandoit le-
cm d'une herbe ou d'une fleur dans un jardin, que la nécessité de
cacher en réponse une longue enfilade de mots latins, qui ressera-
loient à des évocations magiques; inconvénient suffisant pour rebuter
es personnes frivoles d'une étude charmante ofTerte avec un appareil
ussi pédantesque.
Quelque nécessaire, quelque avantageuse que fût cette réforme, il ne
illoit pas moins que le profond savoir de M. Linnœus pour la faire
vec succès, et que la célébrité de ce grand naturaliste pour la faire
niversellement adopter. Elle a d'abord éprouvé de la résistance, elle
u éprouve encore; cela ne sauroit être autrement : ses rivaux dans la
lême carrière regardent cette adoption comme un aveu d'infériorité
u'ils n'ont garde de faire; sa nomenclature paroît tenir tellement à
on système qu'on ne s'avise guère de l'en séparer; et les botanistes
u premier ordre , qui se croient obligés, par hauteur, de n'adopter le
yslème de personne, et d'avoir chacun le sien, n'iront pas sacrifier
fiurs prétentions aux progrès d'un art dont l'amour dans ceux qui le
trofessent est rarement désintéressé.
] Les jalousies nationales s'opposent encore à l'admission d'un système
Itranger. On se croit obligé de soutenir les illustres de son pays, sur-
but lorsqu'ils ont cessé de vivre; car même l'amour-propre, qui faisoit
ouflVir avec peine leur supériorité durant leur vie, s'honore de leur
;loire après leur mort.
/ Malgré tout cela, la grande commodité de cette nouvelle nomencla-
kire, et son utilité, qiie l'usage a fait connoître, l'ont fait adopter
jresque universellement dans toute l'Europe, plus tôt ou plus tard à la
'érité, mais enfin à peu près partout, et même à Paris. M. de Jussieu
•ient de l'établir au jardin du Roi, préférant ainsi l'utilité publique à
a gloire d'une nouvelle refonte , que sembloit demander la méthode
les familles naturelles, dont son illustre oncle est l'auteur. Ce n'est pas
jue cette nomenclature linnéenne n'ait encore ses défauts, et ne laisse
îe grandes prises à la critique; mais, en attendant qu'on en trouve
me plus parfaite, à qui rien ne manque, il vaut cent fois mieux adop-
.er celle-là que de n'en avoir aucune , ou de retomber dans les phrases
Je Tournefort et de Gaspard Bauhin. J'ai même peine à croire qu'une
■neilleure nomenclature pût avoir désormais assez de succès pour pro-
scrire celle-ci, à laquelle les botanistes de l'Europe sont déjà tout ac-
;oulumés; et c'est par la double chaîne de l'habitude et de la commo-
iité qu'ils y renonceroient avec plus de peine encore qu'ils n'en eurent
i l'adopter. Il faudroit, pour opérer ce changement, un auteur dont ift-
140 DICTIONNAIRE DR BOTANIQUE.
crédit efTaçàt celui de M. Linnaeus, et à l'autorité duquel l'Europe en
tière voulût se soumettre une seconde fois, ce qui me paroît difficile lo:
espérer; car si son système, quelque excellent qu'il puisse être, n"es j»
adopté que par une seule nation, il jettera la botanique dans un nou à
veau labyrinthe, et nuira plus qu'il ne servira. ta
Le travail même de M. Linnaeus. bien qu'immense, reste encore im s
parfait, tant qu'il ne comprend pas toutes les plantes connues, et tan i
qu'il n'est pas adopté par tous les botanistes sans exception; car le (
livres de ceu.x qui ne s'y soumettent pas exigent de la part des lecteur; i
le même travail pour la concordance auquel ils étoient forcés pour le: |
livres qui ont précédé. On a obligation à M. Crantz, malgré sa passior
contre M. Linnaeus, d'avoir, en rejetant son système, adopté sa no-
menclature. Mais M. Haller, dans son grand et excellent Traité det
plantes alpines ^ rejette à fois l'un et l'autre, et M. Adanson fait encore
plus : il prend une nomenclature toute nouvelle, et ne fournit aucun
lenseigiîement pour y rapporter celle de M. Linnaeus. M. Haller cite
lûujours les genres et quelquefois les phrases des espèces de M. Lin-
nœus, mais M. Adanson n'en cite jamais ni genre ni phrase. M. Haller
s'atiache à une synonymie exacle, par laquelle, quand il n'y joint pas
la phrase de M. Linnaeus, on peut du moins la trouver indirectement
par le rapport des synonymes. Mais M, Linuceus et ses livres sont tout
à fait nuls pour M. Adanson et pour ses lecteurs; il ne laisse aucun
renseignement par lequel on s'y puisse reconnoître : ainsi il faut opter
entre M. Linnœus et M. Adanson, qui l'exclut sans miséricorde, et je-
ter tous les livres de l'un ou de l'autre au feu, ou bien il faut entre-
prendre un nouveau travail, qui ne sera ni court ni facile, pour faire
accorder deux nomenclatures qui n'offrent aucun point de réunion.
Déplus, M. Linnaeus n'a point donné une synonymie comp'èle. Il
s'est contenté, pour les plantes anciennement connues, de citer les
Bauhin et Clusius, et une figure de chaque plante. Pour les plantes
exotiques découvertes récemment, il a cité un ou deux auteurs mo-
dernes, et les figures de Rheedi, de Ruraphius, et quelques autres, et
s'en est tenu là. Son entreprise n'exigeoit pas de lui une compilation
plus étendue , et c'étoit assez qu'il donnât un seul renseignement sûr
pour chaque plante dont il parloit.
Tel est l'état actuel des choses. Or, sur cet exposé, je demande à
tout lecteur sensé comment il est possible de s'attacher à l'étude des-
plantes en rejetant celle de la nomenclature. C'est comme si l'on vouloit
se rendre savant dans une langue sans vouloir en apprendre les mots..
Il est vrai que les noms sont arbitraires, que la connoissance des,
plantes ne tient point nécessairement à celle de la nomenclature, etj
(ju'il est aisé de supposer qu'un homme intelligent pourroit être un ex-'
cellent botanisle, quoiqu'il ne connût pas une seule plante par son
^dom; mais qu'un homme, seul, sans livres et sans aucun secours des
lumières communiquées, parvienne à devenir de lui-même un très-raé-
iliocre botaniste, c'est une assertion ridicule à faire, et une entreprise
impossible à exécuter. Il s'agit de savoir si trois cents ans d'études et
d'observations doivent être perdus pour la botanique, si trois cents vu-
INTRODUCTION. Ik]
urnes de figures et de descriptions doivent être jetés au feu, si les cou-
aoissances acquises par tous les savans qui ont consacré leur bourse,
leur vie et leurs veilles, à des voyages immenses, coûteux, pénibles et
périlleux, doivent être inutiles à leurs successeurs, et si chacun par-
tant toujours de zéro pour son premier point, pourra parvenir de lui-
même aux mêmes connoissances qu'une longue suite de recherches et
d'études a répandues dans la masse du genre humain. Si cela n'est pas ,
et que la tro'sième et la plus aimable partie de l'histoire naturelle mé-
rite l'attention des curieux, qu'on me dise comment on s'y prendra
pour faire usage des connoissances ci-devant acquises , si l'on ne com-
mence par apprendre la langue des auteurs, et par savoir à quels ob-
jets se rapportent les noms employés par chacun d'eux. Admettre l'étude
de la botatiiq.ue et rejeter celle de la nomenclature, c'est donc tomber
dans la plus absurde contradiction.
Abkeuvoirs, ou gouttières. Trous qui se forment dans le bois pourri
des chicots, et qui, retenant l'eau des pluies, pourtissent enfin le reste
du tronc.
Abrupte. On donne l'épithète d'abrupte aux feuilles pinnées, au som-
met desquelles manque la foliole impaire terminale qu'elles ont ordi-
inairement.
I AcAULis. sans tige.
Aigrette. Toufle de filamens simples ou plumeux qui couronnent les
! semences dans plusieurs genres de composées et d'autres fleurs. L'ai
I grette est ou sessile , c'est-à-dire immédiatement attachée autour de
l'embryon qui la porte, ou pédiculée, c'est-à-dire portée par un pied
appelé en latin stipes, qui la tient élevée au-dessus de l'embryon. L'ai-
grette sert d abord de calice au fleuron, ensuite elle le pousse et le
chasse à mesure qu'il se fane, pour qu'il ne reste pas sous la semence
et ne l'empêche pas de mûrir; elle garantit cette même semence nue
de l'eau de la pluie qui pourroit la pourrir; et lorsque la semence est
mûre, elle lui sert d'aile pour être portée et disséminée au loin par les
vents.
Ailée. Une feuille composée de deux folioles opposées sur le même
pétiole s'appelle feuille ailée.
Aisselle. Angle aigu ou droit, formé par une branche sur une autre
branche, ou sur la tige, ou par une feuille sur une branche.
Amande. Semence enfermée dans un noyau.
• Androgyne. Qui porte des fleurs mâles et des fleurs femelles sur le
même pied. Ces mots andro(/î/He et monoïque signifient absolument la
même chose, excepté que dans le premier on fait plus d'attention au
différent sexe des fleurs; et dans le second, à leur assemblage sur le
même individu.
Angiosperme; à semences enveloppées. Ce terme d'angiosperme con-
vient également aux fruits à capsule et aux fruits à baie.
\NTnÈRE.. Capsule ou boite portée par le filet de l'étamine, et qui.
s'^nvranl au moment de la fécondation, répand la poussière prolifique
J42 DICTIONNAIRE DE BOTANIQUE. j
Anthologie. Discours sur les fleurs. C'est le titre d'un livre d(
Pontedera, dans lequel il combat de toute sa force le système sexuel
qu'il eût sans doute adopté lui-même, si les écrits de Vaillant et d«
Linnaeus avoient précédé le sien.
ÀPiiRODiTES. M. Adanson donne ce nom à des animaux dont chaqut
individu reproduit son semblable par la génération, mais sans aucur.
acte extérieur de copulation ou de fécondation, tels que quelques pu-
cerons, les conques, la plupart des vers sans sexe, les insectes qui se
reproduisent sans génération, mais par la section d'une partie de leui
corps. En ce sens, les plantes qui se multiplient par boutures et pai
caieuY peuvent être appelées aussi aphrodites. Cette irrégularité, si
contraire à la marche ordinaire de la nature, offre bien des difficultés
à la définition de l'espèce : est-ce qu'à proprement parler il n'existeroit
point d'espèces dans la nature , mais seulement des individus? Mais on
peut douter, je crois, s'il est des plantes absolument aphrodites, c'est-
à-dire qui n'ont réellement point de sexe et ne peuvent se multiplier
par copulation. Au reste, il y a cette différence entre ces deux mots
aphrodite et asexe,' que le premier s'applique aux plantes qui, n'ayant
point de sexe, ne laissent pas de multiplier, au lieu que l'autre ne con-
vient qu'à celles qui sont neutres ou stériles, et incapables de repro-
duire leur semblable.
Aphylle. On pourroit dire effeuillé; mais e/j'euiZie signifie dont on a
ôté les feuilles, et aphylle, qui n'en a point.
Arbre. Plante d'une grandeur considérable, qui n'a qu'un seul et
principal tronc divisé en maîtresses branches.
Arbrisseau. Plante ligneuse de moindre taille que l'arbre, laquelle
se divise ordinairement dès la racine en plusieurs tiges. Les arbres et
les arbrisseaux poussent, en automne, des boutons dans les aisselles
des feuilles, qui se développent dans le printemps et s'épanouissent en
fleurs et en fruits : différence qui les distingue des sous-arbrisseaux.
Articulé. Tige, racines, feuilles, silique : se dit lorsque quelqu'une
de ces parties de la plante se trouve coupée par des nœuds distribués
de distance en distance.
Axillaire. Qui sort d'une aisselle.
Baie. Fruit charnu ou succulent à une ou plusieurs loges.
Balle. Calice dans les graminées.
Boulon. Groupe de fleurettes amassées en tête.
Bourgeon. Germe des feuilles et des branches.
Bouton. Germe des fleurs.
Bouture. Est une jeune branche que l'on coupe à certains arbres
moelleux, tels que le figuier, le saule, le cognassier, laquelle reprend
en terre sans racine. La réussite des boutures dépend plutôt de leur fa-
cilité à produire des racines, que de l'abondance de la moelle des bran-
ches; car l'oranger, le buis, l'if et la sabine, qui ont peu de moelle,
reprennent facilement de bouture.
Branches. Bras plians et élastiques du corps de l'arbre : ce sont
elles qui lui donnent la figure; elles sont ou alternes, ou opposées, ou
«rerticillées. Le bourgeon s'étend peu à peu en branches posées collatê-
BRANCHE — CAPRIFICATION. ]Zi3
f. ralement et composées des mêmes parties de la tige; et l'on prétend
que l'agitation des branches causée par le vent est aux arbres ce qu'est
aux animaux l'impulsion du cœur. On distingue :
1° Les maîtresses branches, qui tiennent immédiatement au tronc, et
d'où partent toutes les autres ;
2° Les branches à bois , qui , étant les plus grosses et pleines de bou-
tons plats , donnent la forme à un arbre fruitier , et doivent le conserver
en partie;
3° Les branches à fruits sont plus foibles et ont des boutons ronds;
4° Les chiffonnes sont courtes et menues;
ô" Les gourmandes sont grosses, droites et longues;
6° Les veules sont longues et ne promettent aucune fécondité ;
7* La branche aoûtée est celle qui , après le mois d'août, a pris nais-
sance, s'endurcit, et devient noirâtre;
8° Enfin la branche de faux-bois est grosse à l'endroit où elle devroit
être menue , et ne donne aucune marque de fécondité.
BcLBE. Est une racine orbiculaire composée de plusieurs peaux ou
tuniques emboîtées les unes dans les autres. Les bulbes sont plutôt des
boutons sous terre que des racines , ils en ont eux-mêmes de véritables ,
généralement presque cylindriques et rameuses.
Caïeux. Bulbes par lesquelles plusieurs liliacées et autres plantes se
reproduisent.
Calice. Enveloppe extérieure , ou soutien des autres parties de la
fleur, etc. Comme il y a des plantes qui n'ont point de calice, il y en a
aussi dont le calice se métamorphose peu à peu en feuilles de la plante,
et réciproquement il y en a dont les feuilles de la plante se changent en
calice : c'est ce qui se voit dans la famille de quelques renoncules,
comme l'anémone, la pulsatille, etc.
Campaniforme, ou Campanulée. Voy. Cloche.
Capillaires. On appelle feuilles capillaires, dans la famille des
mousses, celles qui sont déliées comme des cheveux. C'est ce qu'on
trouve souvent exprimé dans le Synopsis de Ray, et dans VHisloire des
mousses de Dillen, par le mot gr€C de trichudcs.
On donne aussi le nom de capillaires à une branche de la famille des
fougères, qui porte comme elles sa fructification sur le dos des feuilles,
et ne s'en distingue que par la stature des plantes qui la composent,
beaucoup plus petite dans les capillaires que dans les fougères.
Caprification. Fécondation des fleurs femelles d'une sorte de figuier
dioïque par la poussière des étamines de l'individu mâle appelé caprifi-
guier. Au moyen de cette opération de la nature, aidée en cela de l'in-
dustrie humaine, les figues ainsi fécondées grossissent, mûrissent, et
donnent une récolte meilleure et plus abondante qu'on ne l'obtiendroit
sans cela.
La merveille de cette opération consiste en ce que. dans le genre du
figuier, les fleurs étant encloses dans le fruit, il n'y a que celles qui
sont hermaphodites ou androgynes qui semblent pouvoir être fécondées:
car, quand les sexes sont tout à fait séparés, on ne voit pas comment
la poussière des fleurs mâles pourroit pénétrer sa propre enveloppe et
t^'4 DICTIONNAIRE DE BOTANIQUE.
celle du fruit femelle jusqu'aux pistils qu'elle doit féconder. C'est un
insecte qui se charge de ce transport : une sorte de moucheron particu-
lière au caprifiguier y pond, y éclôt, s'y couvre de la poussière des
étamines, la porte par l'œil de la figue à travers les écailles qui en gar-
nissent l'entrée, jusque dans l'intérieur du fruit, et là, cette poussière,
ne trouvant plus d'obstacle, se dépose sur l'organe destiné à la recevoir. ^
L'histoire de cette opération a été détaillée en premier lieu par Théo-
phraste, le premier, le plus savant, ou, pour mieux dire, l'unique et
vrai botaniste de l'antiquité; et, après lui, par Pline chez les anciens;
chez les modernes par Jean Bauhin; puis par Tournefort, sur les lieux
mêmes; après lui , par Pontedera, et par tous les compilateurs de bota-
nique et d'histoire naturelle, qui n'ont fait que transcrire la relation
de Tournefort.
Capsulaire. Les plantes capsulaires sont celles dont le fruit esta
capsules. Ray a fait de cette division sa dix-neuvième classe, herba
rasculifera.
Capsule. Péricarpe sec d'un fruit sec; car on ne donne point, par
e.xemple, le nom de capsule à l'écorce de la grenade, quoique auss'
sèche et dure que beaucoup d'autres capsules, parce qu'elle enveloppe
un fruit mou.
Capuchon {calyptra). Coiffe pointue qui couvre ordinairement l'urne
des mousses. Le capuchon est d'abord adhérent à l'urne, mais ensuite
il se détache et tombe (;uand elle approche de la maturité.
Caryophyllée. Fleur caryophyllée ou en œillet.
Chaton. Assemblage de fleurs mâles ou femelles spiralement attachées
à un axe ou réceptacle commun, autour duquel ces fleurs prennent la
figure d'une queue de chat. Il y a plus d'arbres à chatons mâles qu'il n'y
en a qui aient aussi des chatons femelles.
Chaume [culmiis). Nom particulier dont on distingue la tige des gra-
minées de celles des autres plantes, et à qui l'on donne pour caractère
propre d'être géniculée et fistuleuse, quoique beaucoup d'autres planter
aient ce même caractère, et que les laîches et divers gramens des Indes
ne l'aient pas. On ajoute que le chaume n'est jamais rameux , ce qui
néanmoins souffre encore exception dans Varundc calamagrostis , et
dans d'autres.
Cloche. Fleurs en cloche, ou campaniformes.
Coloré. Les calices, les balles, les écailles, les enveloppes, les par-
ties extérieures des plantes qui sont vertes ou grises communément,
sont dites colorées lorsqu'elles ont une couleur plus éclatante et plus
vive que leurs semblables : tels sont les calices de la circée, de la mou-
tarde, de la carline , les enveloppes de l'astrantia; la corolle des orni-
thogales blancs et jaunes est verte au-dessous , et colorée en dessus ; les
écailles du xéranthème soijt si colorées qu'on les prendroit pour des
pétales; et le calice du polygala, d'abord très-coloré, perd sa couleur
peu à peu, et prend enfin celle d'un calice ordinaire.
Cordon ombilical dans les capillaires et fougères.
Cornet. Sorte de nectaire infundibuliforme.
CoRïMBE. Disposition de fleur aui tient 'fî milieu entr l'ombelle et h
CORYMBE — COTYLÉDON. 145
panicule; les pédicules sont gradués le long de la tige comme dans la
panicule, et arrivent tous à la même hauteur, formant à leur sommet
une surface plane.
Le corymbe diflere de l'ombelle en ce que les pédicules qui le for-
ment, au lieu de partir du même centre, partent, à différentes hau-
teurs, de divers points sur le même axe.
CoRYMBiFÈREs. Ce mot sembleroit devoir désigner les plantes à fleurs
en corymbe, comme celui d'ombellifères désigne les plantes à fleurs en
parasol. Mais l'usage n'a pas autorisé celte analogie, l'acception dont je
vais parler n'est pas même fort usitée; mais, comme elle a été employée
par Ray et par d'autres botanistes, il La faut connoître pour les en-
tendre.
Les plantes corymbifères sont donc, dans la classe des composées et
dans la section des discoïdes, celles qui portent leurs semences nues,
c'est-à-dire sans aigrettes ni filets qui les couronnent : tels sont les
bidens , les armoises , la tanaisie , etc. On observera que les demi-fleu-
ronnées, à semences nues, comme lalampsane, l'hyoseris, la cata-
nance. etc., ne s'appellent pas cependant corymbifères, parce qu'elles
ne sont pas du nombre des discoïdes.
Cosse. Péricarpe des fruits légumineux. La cosse est composée ordi-
nairement de deux valvules, et quelquefois n'en a qu'une seule.
CossoN. Nouveau sarment qui croît sur la vigne après qu'elle est
taillée.
Cotylédon. Foliole , ou partie de l'embryon , dans laquelle s'élaborent
€t se préparent les sucs nutritifs de la nouvelle plante.
Les cotylédons, autrement appelés feuilles séminales, sont les pre-
mières parties de la plante qui paroissent hors de terre lorsqu'elle com-
mence à végéter. Ces premières feuilles sont très-souvent d'une autre
forme que celles qui les suivent, et qui sont les véritables feuilles de la
plante: car, pour l'ordinaire, les cotylédons ne tardent pas à se flétrir
et à tomber peu après que la plante est levée , et qu'elle reçoit par d'au-
tres parties une nourriture plus abondante que celle qu'elle tiroit par
eux de la substance même de la semence.
Il y a des plantes qui n'ont qu'un cotylédon, et qui, pour cela, s'ap-
pellent monocotylédones : tels sont les palmiers, les liliacées, les gra-
minées , et d'autres plantes ; le plus grand nombre en ont deux , et s'ap-
pellent dicotylédones; si d'autres en ont davantage, elles s'appelleront
polycotylédones. Les acotylédones sont celles qui n'ont pas de cotylé-
dons, telles que les fougères, les mousses, les champignons, et toutes
les cryptogames. •
Ces difleiences de la germination ont fourni à Ray, à d'autres bota-
nistes, et en dernier lieu à MM. de Jussieu et Haller, la première ou
plus grande division naturelle du règne végétal.
Mais, pour classer les plantes suivant cette méthode, il faut les exa-
miner sortant de terre dans leur première germination, et jusque dans
la semence même; ce qui esi souvent fort difficile, surtout pour les
plantes marines et aquatiques, et pour les arbres et plantes étrangèr66
ou alpines qui refusent de germer et nsHre dans nos jardins.
Rousseau ve 10
ikd DICTIONNAIRE DE BOTANIQUE.
Chucifère, ou Cruciforme, disposé en forme de croix. On donne-
spécialement le nom de crucifère à une famille de plantes dont le carac-
tère est d'avoir des fleurs composées de quatre pétales disposés en croix ,
sur un calice composé d'autant de folioles, et, autour du pistil, six
étamines, dont deux, égales entre elles, sont plus courtes que les
quatre autres , et les divisent également.
CupoLES. Sortes de petites calottes ou coupes qui naissent le plus
souvent sur plusieurs lichens et algues, et dans le creux desquelles on
voit les semenc3s naître et se former, surtout dans le genre appq,lé jadis
hépatique des fontaines, et aujourd'hui marchantia.
Cy ME , ou Cymier. Sorte d'ombelle , qui n'a rien de régulier , quoique
tous ses rayons partent du même centre ; telles sont les fleurs de l'obier ,
du chèvrefeuille, etc.
Demi-fleuron. C'est le nom donné par Tournefort, dans les fleurs
composées, aux fleurons échancrés qui garnissent le disque des lactu-
cées, et à ceux qui forment le contour des radiées. Quoique ces deux
sortes de demi-fleurons soient exactement de même figure, et pour cela
confondus sous le même nom par les botanistes, ils diflerent pourtant
essentiellement en ce que les premiers ont toujours des étamines, et
que les autres n'en ont jamais. Les demi-fleurons, de même que les
fleurons, sont toujours supères, et portés par la semence, qui est portée
à son tour par le disque, ou réceptacle de la fleur. Le demi-fleuron est
formé de deux parties, l'inférieure, qui est un tube ou cylindre très-
court; et la supérieure, qui est plane, taillée en languette, et à qui
l'on en donne le nom. (Voy. Fleuron, Fleur.)
DiÉciE, ou DiŒGiE, habitation séparée. On donne le nom de diécie
à une classe de plantes composées de toutes celles qui portent leurs
fleurs mâles sur un pied , et leurs fleurs femelles sur un autre pied.
DiGiTÉ. Une feuille est digitée lorsque ses folioles parlent toutes du
sommet de son pétiole comme d'un centre commun. Telle est, par
exemple, la feuille du marronnier d'Inde.
DioïQUE. Toutes les plantes de la diécie sont dioïques.
Disque. Corps intermédiaire qui tient la fleur ou quelques-unes de
ses parties élevées au-dessus du vrai réceptacle.
Quelquefois on appelle disque le réceptacle même, comme dans les
composées; alors on distingue la surface du réceptacle, ou le disque,
du contour qui le borde , et qu'on nomme rayon.
Disque est aussi un corps charnu qui se trouve dans quelques genres-
de plantes, au fond du calice, dessous l'embryon; quelquefois les éta- -
mines sont attachées autour de ce disque^
Drageons. Branches enracinées qui tiennent au pied d'uh arbre, ou
au tronc, dont on ne peut les arracher sans l'éclater.
ÉCAILLES, ou Paillettes. Petites languettes paléacées, qui, dans-
plusieurs genres de fleurs composées, implantées sur le réceptacle,
distinguent et séparent les fleurons : quand les paillettes sont de sim-
ples filets, on les appelle des poils; mais, quand elles ont quelque lar-
îe"r, elles prennent le nom d'écaillés. -
U est singulier dans le xéranlhème à fleur double, que les écailles-
ÉCAILLES — ÉTAMINES. 147
autour du disque s'allongent, se colorent, et prennent l'appnrence de
vrais demi-fleurons, au point de tromper à l'aspect quiconque n'y regar-
deroit pas de bien près.
On donne très-souvent le nom d'écaillés aux calices des chatons et
des cônes : on le donne aussi aux folioles des calices imbriqués des
fleurs en tête, tels que les chardons, les jacées, et à celles des calices
de substance sèche et scarieuse du xéranthème et de la catananche.
La lige des plantes dans quelques espèces est aussi chargés d'écailles
ce sont des rudimens coriaces de feuilles qui quelquefois en tiennent
lieu . comme dans l'orobanche et le tussilage.
Enfin on -appelle encore écailles les enveloppes imbriquées des balles
de -plusieurs liliacées, et les balles ou calices- aplatis des schœnus et
d'aulres graminacées.
ÉGORGE. Vêtement ou partie enveloppante du tronc et des branches
d'un arbre. L'écorce est moyenne entre l'épiderme à l'extérieur, et le
liber à l'intérieur; ces trois enveloppes se réunissent souvent, dans
l'usage vulgaire . sous le nom commun d'écorce.
ÉDULE edulù) . bon à manger. Ce mot est du nombre de ceux qu'il
est à désirer qu'on fasse passer du latin dans la langue universelle de
la botanique.
E^■TRE-^■ŒUDS. Ce sont, dans les chaumes des graminées, les inter-
valles qui séparent les nœuds d'où naissent les feuilles. Il y a quelques
gramens, mais en bien petit nombre, dont le chaume, nu d'un bout
à l'autre, est sans nœud, et, par conséquent, sans entre-nœuds, tel,
par exemple, que Vaira caridea.
Enveloppe. Espèce de calice qui contient plusieurs fleurs, comme
dans le pied-de-veau , le figuier , les fleurs à fleurons. Les fleurs garnies
d'une enveloppe ne sont pas pour cela dépourvues de calice.
ÉPERON. Protubérance en forme de cône droit ou recourbé , faite
dans plusieurs sortes de fleurs parle prolongement du nectaire: tels
sont les éperons des orchis, des linaires, des ancolies, des pieds-
d'alouette, de plusieurs géraniums, et de beaucoup d'autres plantes.
ÉPI. Forme de bouquet dans laquelle les fleurs sont attachées autour
d'un axe ou réceptacle commun formé par l'extrémité du chaume ou de
la tige unique. Quand les fl.eurs sont pédiculées , pourvu que tous les
pédicules soient simples et attachés immédiatement à l'axe, le bouquet
s'appelle toujours épi: mais dans l'épi, rigoureusement pris, les fleurs
sont sessiles.
ÉPiDERME (1') est la peau fine extérieure qui enveloppe les couches
corticales; c'est une membrane très-fine, transparente, ordinairement
sans couleur, élastique et un peu poreuse.
Espèce. Réunion de plusieurs variétés ou individus sous un carac-
tère commun qui les distingue de toutes les autres plantes du même
genre.
EXAMINES. Agents masculins de la fécondation : leur forme est ordi-
nairement celle d'un filet qui supporte une tête appelée anthère ou som-
met. Cette. anthère est une espèce de capsule qui contient la poussière
prolifique : cette poussière s'échappe, soit par explosion, soit par dila-
148 DICTIONNAIRE DE BOTANIQUE.
tation, et va s'introduire dans le stigmate pour être portée jusqu'aux
ovaires qu'elle féconde. Les étamines varient par la forme et par le
nombre.
ÉTENDARD. Pétale supérieur des fleurs légumineuses.
Fane. La fane d'une plante est l'assemblage des feuilles d'en bas.
FÉCONDATION. Opération naturelle par laquelle les étamines por-
tent, au moyen du pistil, jusqu'à l'ovaire le principe de vie nécessaire
à la maturation des semences et à, leur germination.
Feuilles. Sont des organes nécessaires aux plantes pour pomper
l'humidité de l'air pendant la nuit et faciliter la transpiration durant le
jour : elles suppléent encore dans les végétau.x au mouvement pro- .\
gressif et spontané des animaux, en donnant prise au vent pour agiter
les plantes et les rendre plus robustes. Les plantes alpines, sans cesse
battues du vent et des ouragans , sont toutes fortes et vigoureuses : au
contraire , celles qu'on élève dans un jardin ont un air trop calme , y
prospèrent moins, et souvent languissent et dégénèrent.
Filet. Pédicule qui soutient l'étamine. On donne aussi le nom de
filets aux poils qu'on voit sur la surface des tiges , des feuilles , et même
des fleurs de plusieurs plantes.
Fleur. Si je livrois mon imagination aux douces sensations que ce
mot semble appeler, je pourrois faire un article agréable peut-être aux
bergers , mais fort mauvais pour les botanistes : écartons donc un mo-
ment les vives couleurs, les odeurs suaves, les formes élégantes, pour
chercher premièrement à bien connoître l'être organisé qui les ras-
semble. Rien ne paroît d'abord plus facile : qui est-ce qui croit avoir
besoin qu'on lui apprenne ce que c'est qu'une fleur? «Quand on ne me
demande pas ce que c'est que le temps , disoit saint Augustin , je le sais
fort bien; je ne le sais plus quand on me le demande. » On en pourroit
dire autant de la fleur et peut-être de la beauté même , qui , comme elle ,
est la rapide proie du temps. En effet, tous les botanistes qui ont voulu
donner jusqu'ici des définitions de la fleur ont échoué dans cette entre-
prise, et les plus illustres, tels que MM. Linnaeus, Haller, Adanson,
qui sentoient mieux la difficulté que les autres, n'ont pas même tente
de la surmonter , et ont laissé la fleur à définir. Le premier a bien donné
dans sa Philosophie botanique les définitions de Jungins, de Ray, de
Tournefort, de Pontedera, de Ludwig, mais sans en adopter aucune et
sans en proposer de son chef.
Avant lui Pontedera avoit bien senti et bien exposé cette difficulté ;
mais il ne put résister à la tentation de la vaincre. Le lecteur pourra
bientôt juger du succès. Disons maintenant ea quoi cette difficulté con
siste . sans néanmoins compter , si je tente à mon tour de lutter contre
elle, de réussir mieux qu'on n'a fait jusqu'ici.
On me présente une rose, et l'on me dit: «Voilà une fleur.» C'est me
la montrer , je l'avoue , mais ce n'est pas la définir , et cette inspection ne
me suffira pas pour décider sur toute autre plante si ce que je vois est
ou n'est pas la fliur; car il y a une multitude de végétaux qui n'ont,
dans aucune de leurs parties, la couleur apparente que Ray, Tourne-
fort , Jungins , font entrer dans la définition de la fleur , et qui pourtant
FLEUR. 149
portent des fleurs non moins réelles que celles du rosier, quoique bier
moins apparentes.
On prend généralement pour la fleur la partie colorée de la fleur, qui
est la corolle; mais on s'y trompe aisément : il \ a des bractées et d'au-
tres organes autant et plus colorés que la fleur même et qui n'en font
point partie, comme on le A'oit dans l'ormin, dans le blé de vache, dano
plu- leurs amarantes et chenopodium; il y a des multitudes de fleurs
qui n'ont point du tout de corolle, d'autres qui l'ont sans couleur, si
petite et si peu apparente, qu'il n'y a qu'une recherche bien soigneuse
qui puisse l'y faire trouver. Lorsque les blés sont en fleur, y voit-on
des pétales colorés? en voit-on dans les mousses, dans les gramir/es?
en voit-on dans les chatons du noyer, du hêtre et du chêne, dans
l'aune, dans le noisetier, dans le pin, et dans ces multitudes d'arbres
et d'herbes qui n'ont que des fleurs à étamines? Ces fleurs néanmoins
n'en portent pas moins le nom de fleur : l'essence de la fleur n'est donc
pas dans la corolle.
Elle n'est pas non plus séparément dans aucune des autres parties
constituantes de la fleur, puisqu'il n'y a aucune de ces parties qui ne
manque à quelques espèces de fleurs : le calice manque, par exemple, à
presque toute la famille des liliacées, et l'on ne dira pas qu'une tulipe
ou un lis ne sont pas une fleur. S'il y a quelques parties plus essentielles
que d'autres à une fleur, ce sont certainement le pistil et les étamines:
or, dans toute la famille des cucurbitacées, et même dans toute la classe
des monoïques, la moitié des fleurs sont sans pistil , l'autre moitié sans
étamines , et cette privation n'empêche pas qu'on ne les nomme et qu'elles
ne soient les unes et les autres de véritables fleurs. L'essence de la fleur
; consiste donc ni séparément dans quelques-unes de ces parties dites
'stituantes , ni même dans l'assemblage de toutes ces parties. En quoi
i ne consiste proprement cette essence ? Voilà la question , voilà la dif-
liculté. et voici la solution par laquelle Pontedera a tâché de s'en tirer:
a La fleur , dit-il , est une partie dans la plante, difl'érente des autres
pir sa nature et par sa forme . toujours adhérente et utile à l'embryon ,
■ii la fleur a un pistil; et si le pistil raan(jue , ne tenant à nul embryon.»
Cetle définition pèche, ce me semble, en ce qu'elle embrasse trop;
car, lorsque le pistil manque, la fleur n'ayant plus d'autres caractères
que de différer des autres parties de la plante par sa nature et par sa
forme, on pourra donner ce nom aux bractées, aux stipules, aux nec-
tarium, aux épines, et à tout ce qui n'est ni feuilles ni branches; et
quand la corolle est tombée et que le fruit api roche de sa mat'.r^té ,
on pourroit encore donner le nom de fleur au calice et au réceptacle,
quoique réellement il n'y ait alors plus de fleur. Si donc cette définition
convient omni , elle ne convient pas soli, et manque par là d'une des
deux pnncipales conditions requises : elle laisse d'ailleurs un vide dans
l'esprit , qui est le plus grand défaut qu'une définition puis e avoir; car,
après avoir assigné l'usage de la fleur au profit de l'embryon quand elle
y adhère, elle fait supposer totalement inutile celle qui n'y adhère pas,
et cela remplit mal l'i^iée que le botaniste doit a*oir du concours des.
parties et de leur emploi dans le jeu de la machine organique.
150 DICTIONNAIHE DE BOTANIQUE.
Je crois que le défaut général vient ici d'avoir trop considéré la fleur
comme une substance absolue, tandis qu'elle n'est, ce me semble,
qu'un être collectif et relatif; et d'avoir trop raffiné sur les idées , tandis
qu'il falloit se borner à celle qui se présentoit naturellera?nt. Selon cette
idée . la fleur ne me paroît être que l'état passager des parties de la
fructification durant la fécondation du germe: de là suit que, quand '
toutes les parties de la- fructification seront réunies, il n'y aura qu'une
fleur; quand elles seront séparées, il y en aura autant qu'il y a de par-
ties essentielles à la fécondation; et, comme ces parties essentielles ne
sont qu'au nombre de deux, savoir, le pistil et les étamines, il n'y
aura par conséquent que deux fleurs, l'une mâle et l'autre femelle, qui
soient nécessaires à la fructification. On en peut cependant supposer
une troisième qui réuniroit les se.\es séparés dans les deux autres; mais
alors , si toutes ces fleurs étoient également fertiles, la troisième ren-
droit les deux autres superflues et pourroit seule suffire à l'œuvre, ou
bien il y auroit réellement deux fécondations; et nous n'examinons ici
la fleur que dans une.
La fleur n'est donc que le foyer et l'instrument de la fécondation :
une seule suffit quand elle est hermaphrodit ■; quand elle n'est que
mâle ou femelle , il en faut deux : savoir , une de chaque sexe ; et si l'on
fait entrer d'autres parties, comme le calice et la corolle, dans la com- j
position de la fleur , ce ne peut être comme essentielles , mais seulement |
comme nutritives et conservatrices de celles qui le sont. Il y a des fleurs
sans calice; il y en a sans corolle; il y en a même sans l'un et sans
l'autre : mais il n'y en a point , et il n'y en sauroit avoir qui soient en
même temps sans pistil et sans étamines.
La fleur est une partie locale et passagère de la plante qui précède la
fécondation du germe, et dans laquelle ou par laquelle elle s'opère.
Je ne m'étendrai pas à justifier ici tous les termes de cette définition,
qui peut-être n'en vaut pas la peine; je dirai seulement que le mot pré-
cède m'y paroît essentiel, parce que le plus souvent la corolle s'ouvre et
s'épanouit avant que les anthères s'ouvrent à leur tour; et, dans ce cas,
il est incontestable que la fleur préexiste à l'œuvre de la fécondation.
J'ajoute que cette fécondation s'o; ère dans elle ou par elle ^ parce que,
dans les fleurs mâles des plantes androgynes et dioiques, il ne s'opère
aucune fructification , et qu'elles n'en sont pas moins des fleurs pour cela.
Voilà, ce me semble, la notion la plus juste qu'on puisse se faire de
la fleur, et la seule qui ne laisse aucune prise aux objections qui ren-
versent toutes les autres définitions qu'on a tenté d'en donner jusqu'ici :
il faut seulement ne pas prendre trop strictement le mot durant, que
j'ai employé dans la mienne; car, même avant que la fécondation du
germe soit commencée, on peut dire que la fleur existe aussitôt que les
organes sexuels sont en évidence, c'est-à-dire aussitôt que la corolle
est épanouie; et d'ordinaire les anthères ne s'ouvrent pas à la poussière
séminale dès l'instant que la corolle s'ouvre aux anthères. Cependant la
fécondation ne peut commencer avant que les anthères soient ouvertes :
de même l'œuvre de la fécondation s'achève souvent avant que la corolle
86 flétrisse et tombe; or, jusqu'à cette chute, on peut dire que la fleur
FLEUR. 151
«xiste encore. Il faut donc donner nécessairemer.t un peu d'extension
■au mot durant , pour pouvoir dire que la fleur et l'œuvre de la fécon-
•dation comnaencent et finissent ensemble.
Comme généralement la fleur se fait remarquer par sa corolle, partie
'bien plus apparente que les autres par la vivacité de ses couleurs, c'est
dans cette corolle aussi qu'on fait machinalement consister l'essence de
la fleur; et les botanistes eux-mêmes ne sont pas toujours exempts de
cette petite illusion, car souvent ils emploient le mot de fleur pou<
celui de corolle ; mais ces petites impropriétés d'inadvertance impor
tent peu quand elles ne changent rien aux idées qu'on a des chosev
quand on y pense. De là ces mots de fleurs monopétales, polypétales,
de fleurs labiées, personnées, Ce fleurs régulières, irrégulières, otc. ,
qu'on trouve fréquemment dans les livres même d'institution. Cette
petite impropriété étoit non-seulement pardonnable, mais presque
forcée à Tournefort et à ses contemporains, qui n'avoient pas encore le
mot de corolle, et l'usage s'en est conservé depuis eux par l'habitude,
5ans grand inconvénient : mais il ne seroit pas permis à moi qui
remarque cette incorrection de l'imiter ici; ainsi je renvoie au mot
Corolle à parler de ses formes diverses et de ses divisions.
Mais je dois parler ici des fleurs composées et simples, parce que
c'est la fleur même et non la corolle qui se compose , comme on le va
voir après l'exposition des parties de la fleur simple.
€n divise cette fleur en complète et incomplète. La fleur complète est
■celle qui contient toutes les parties essentielles ou concourantes à la
fructification, et ces parties sont au nombre de quatre : deux essen-
tielles, savoir, le pistil et l'étamine, ou les étamines; et deux acces-
soires ou concourantes, savoir, la corolle et le calice; à quoi l'on doit
ajouter le disque ou réceptacle qui porte le tout.
La fleur est complète quand elle est composée de toutes ces parties;
quand il lui en manque quelqu'une, elle est incomplète. Or, la fleur
incomplète peut manquer non-seulement de corolle et de cahce. mais
même de pistil ou d'étamines; et. dans ce dernier cas, il y a toujours
v.'.ie autre fleur, soit sur le même individu, soit sur un difi"érent, qui
te l'autre partie essentielle qui manque à celle-ci; de là la division
. ileurs hermaphrodites, qui peuvent être complètes ou ne l'être pas,
et en fleurs purement mâles ou femelles, qui sont toujours incomplètes.
La fleur hermaphrodite incomplète n'en est pas moins parfaite pour
cela, puisqu'elle se suffit à elle-même pour opérer la fécondation: mais
elle ne peut être appelée complète , puisqu'elle manque de quelqu'une
des parties de celles qu'on appelle ainsi. Une rose, un œillet, soni, par
exemple, des fleurs parfaites et complètes, parce qu'elles sont pourvues
• de toutes ces parties. Mais une tulipe, un lis. ne sont point des fleurs
■complètes, quoique parfaites, parce qu'elles n'ont point de calice; de
même la jolie petite fleur appelée paronychia est parfaite comme herma-
jihrodite, mais elle est incomplète, parce que, malgré sa riante couleur,
il lui manque une corolle.
Je pourrois , sans sortir encore de la section des fleurs simples , parier
■ ici des fleurs régulières, et des fleurs appelées irrégulières. Mais,commf.
152 DICTIONNAIRE DE BOTANIQUE.
ceci se rapporte principalement à la corolle, il vaut mieux sur cet ar-
ticle renvoyer le lecteur à ce mot. Reste donc à parler des oppositions
que peut souffrir ce nom de fleur simple.
Toute fleur d'où résulte une seule fructification est une fleur simple.
Mais si d'une seule fleur résultent plusieurs fruits, cette fleur s'appel-
lera composée, et cette pluralité n'a jamais lieu dans les fleurs qui n'ont
qu'une corolle. Ainsi toute fleur composée a nécessairement non-seule-
ment plusieurs pétales, mais plusieurs corolles; et, pour que la fleur
soit réellement composée et non pas une seule agrégation de plusieurs
fleurs simples, il faut que quelqu'une des parties de la fructification
soit commune à tous les fleurons composans , et manque à chacun d'eux
en paiticuiier.
Je prends, par exemple, une fleur de laiteron, la voyant remplie de
plusieurs petites fleurettes, et je me demande si c'est une fleur com-
posée. Pour savoir cela, j'examine toutes les parties de la fructification
l'une après l'autre, et je trouve que chaque fleurette a des étamines, un
pistil, une corolle, mais qu'il n'y a qu'un seul réceptacle en forme de
disque qui les reçoit toutes, et qu'il n'y a qu'un seul grand calice qui
les environne: d'où je conclus que la fleur est composée, puisque deux
parties de la fructification, savoir le calice et le réceptacle, sont com-
munes à toutes et manquent à chacune en particulier.
Je prends ensuite une fleur de scabieuse, où je distingue aussi plu-
sieurs fleurettes: je l'examine de même, et je trouve que chacune d'elles
est pourvue en son particulier de toutes les parties de la fructification .
sans en excepter le calice et même le réceptacle, puisqu'on peut re-
garder comme tel le second calice qui sert de base à la semence. Je con-
clus donc que la scabieuse n'est point une fleur composée, quoiqu'elle
rassemble comme elle plusieurs fleurettes sur un même disque et dans
un même calice.
Comme ceci pourtant est sujet à dispute, surtout à cause du récep-
tacle, on tire des fleurettes mêmes un caractère plus sûr, qui convient
à toutes celles qui constituent proprement une fleur composée et qui ne
convient qu'à elles: c'est d'avoir cinq étamines réunies en tube ou cy-
lindre par leurs anthères autour du style, et divisées par leurs cinq
filets au bas de la corolle : toute fleur dont les fleurettes ont leurs an-
thères ainsi disposées est donc une fleur composée, et toute fleur où
l'on ne voit aucune fleurette de cette espèce n'est point une fleur com-
posée , et ne porte même au singulier qu'improprement le nom de fleur,
puisqu'elle est réellement une agrégation de plusieurs fleurs.
Ces fleurettes partielles qui ont ainsi leurs anthères réunies, et dont
l'assemblage forme une fleur véritablement composée, sont de deux
espèces; les unes, qui sont régulières et tubulées, s'appellent propre-
ment fleurons, les autres, qui sont échancrées et ne présentent par le
haut qu'une languette plane et le plus souvent dentelée, s'appellent
demi-fleurons : et des combinaisons de ces deux espèces dans la fleur totale
résultent trois sortes principales de fleurs composées: savoir, celles qui
ne sont garnies que de fleurons , celles qui ne sont garnies que de demi-
fleurons, et celles qui sont mêlées des uns et des antres.
FLELU. 15:^
Les fleurs à fleurons ou fleurs fieuronnées se divisent encore en deux
îspèces . relativement à leur forme extérieure. Celles qui présentent une
igure arrondie en manière de tète . et dont le calice approche de la forme
lémisphérique, s'appellent fleurs en tète, capitoti : tels sont, par
îxempie, les cliardons . les artichauts . la chàusse-trape.
Celles dont le réceptacle est plus aplati, en sorte que leurs fleurons
forment avec le calice une figure à peu près cylindrique . s'appellent
fleurs en disque, discoïdei : ià santoline , par exemple, et Yeupatoire,
offrent des fleurs en disque ou discoïdes.
Les fleurs à demi-fleurons s'appellent demi-fleuronnées , et leur figure
extérieure ne varie pas assez régulièrement pour offrir une division
semblable à la précédente. Le salsifis, la. scorsonère, le pissenlit , la.
chicorée , ont des fleurs demi-fleuronnées.
A regard des fleurs mixtes , les demi-fleurons ne s'y mêlent pas parmi
les fleurons en confusion, sans ordre; mais les fleurons occupent le
centre du disque, les demi-flenrons en garnissent la circonférence ei
forment une couronne à la fleur, et ces fleurs ainsi couronnées portent
le !;ora de (leurs radiées. Les reines-marguerites et tous les asters, le
souci . les soleils , la poire de terre . portent tous des fleurs radiées.
Toutes ces sections forment encore dans les fleurs composées, et rela-
tivement au sexe des fleurons, d'autres divisions dont il sera parlé dans
l'article Fleuron.
Les fleurs simples ont une autre sorte d'opposition dans celles qu'on
appelle fleurs doubles ou pleines.
La fleur double est celle dont quelqu'une des parties est multipliée au
delà de son nombre naturel, mais sans que cette multiplication nuise à
la fécondatioii du germe.
Les fleurs se doublent rarement par le calice , presque jamais par les
étamines. Leur multiplication la plus commune' se fait par la corolle.
Les exemples les plus fréquens en sont dans les fleurs polypétales .
comme œillets, anémones, renoncules; les fleurs monopétales dou-
blent moins communément. Cependant on voit assez souvent des cam-
panules, des primevères, des auricules, et surtout des jacinthes à fleur
double.
Ce mot de fleur double ne marque pas dans le nombre des pétales
une simple duplication, mais une multiplication quelconque. Soit que
le nombre des pétales devienne double, triple, quadruple, etc., tant
qu'ils ne multiplient pas au point d'étouffer la fructification, la fleur
garde toujours le nom de fleur double; mais, lorsque les pétales trop
multipliés font disparoître les étamines et avorter le germe , alors la
fleur perd le nom de fleur double et prend celui de fleur pleine.
On voit par là que la fleur double est encore dans l'ordre de la na-
ture, mais que la fleur pleine n'y est plus et n'est qu'un véritable
monstre.
Quoique la plus commune plénitude des fleurs se fasse par les pé-
~ . il y en a néanmoins qui se remplissent par le calice , et nous en
s un exemple bien remarquable dans Vimmortelle , appelée xéran-
t'.'.iiie. Celte fleur, qui paroît radiée et qui réellement est discoïde,
154 DICTIONNAir.E DE BOTANIQUE.
porte, ainsi que la carline ^ un calice imbriqué , dont le langinlcrieur a^.
ses folioles longues et colorées; et cette fleur, quoique composée,
double et multiplie tellement par ses brillantes folioles, qu'on les preii-
droit, garnissant la plus grande partie du disque, pour autant de de-j'
mi-fleurons.
Ces fausses apparences abusent souvent les yeux de ceux qui ne sont
pas botanistes; mais quiconque est initié dans l'intime structure des
(leurs ne peut s'y tromper un moment. Une fleur demi-fleuronnée res-
semble extérieurement à une fleur polypétale pleine; mais il y a tou-
jours cette diiïérence essentielle, que dans la première chaque demi-
fleuron est une fleur parfaite qui a son embryon, son pistil et ses,
élamines,au lieu que, dans la fleur pleine, chaque pétale multiplié
n'est toujours qu'un pétale qui ne porte aucune des parties essentielles
à la fructification. Prenez l'un après l'autre les pétales d'une renoncule
simple, ou double, ou pleme, vous ne trouverez dans aucun nulle'
autre chose que le pétale même; mais dans le pissenlit chaque demi-^
fleuron garni d'un style entouré d'étamines n'est pas un simple pétale,:
mais une véritable fleur. j
On me présente une fleur de nymphéa jaune, et l'on me demande si;
c"est une. composée ou une fleur double. Je réponds que ce n'est ni l'un :
ni l'autre. Ce n'est pas une composée, puisque les folioles qui l'entou-
rent ne sont pas des demi-fleurons; et ce n'est pas une fleur double,
parce que la duplication n'est l'état naturel d'aucune fleur, et que
l'état naturel de la fleur de nymphéa jaune est d'avoir plusieurs en-
ceintes de pétales autour de son embryon. Ainsi celte multiplicité
n'empêche pas le nymphéa jaune d'être une fleur simple.
La constitution commune au plus grand nombre des fleurs est d'être
hermaphrodites; et cette constitution paroît en effet la plus convenable
au règne végétal, où les individus dépourvus de tout mouvement pro-
gressif et spontané ne peuvent s'aller chercher l'un l'autre quand les
sexes sont séparés. Dans les arbres et les plantes où ils le sont, la na-
ture, qui sait varier ses moyens, a pourvu à cet obstacle: mais il n'en.
est pas moins vrai généralement que des êtres immobiles doivent, pour
perpétuer leur espèce, avoir en eux-mêmes tous les instruraens propres
à cette fin.
Fleur mutilée. Est celle qui, pour l'ordinaire, par défaut de cha-
leur, perd ou ne produit point la corolle qu'elle devroit naturellement
avoir. Quoique cette mutilation ne doive point faire espèce,, les plantes
où elle a lieu se distinguent néanmoins dans la nomenclature de celles
de même espèce qui sont complètes, comme on peut le voir dans plu-
sieurs espèces de quamoclit, de cucubales , de tussilages, de campn-
yiules . etc.
Fleurette. Petite fleur complète qui entre dans la structure d'une
fleur agrégée.
Fleuron. Petite fleur incomplète qui entre dans la structure d'une
ileur composée. ( Voy. Fleur. )
Voici quelle est la structure naturelle des fleurons composans :
1. Corolle monopétale tubulée à cina dents, supère.
FLEURON — GERME. 155
2. Pistil allongé, terminé par deux stigmates réfléctiis.
3. Cinq étamines dont les lilets sont séparés par le bas, mais for-
naiit, par l'aàhérence de leurs anthères, un tube autour du pistil.
4. Semence nue. allongée, ayant pour base le réceptacle commun,
!l servant elle-même , par son sommet, de réceptacle à la corolle.
5. Aigrette de poils ou d'écaillés couronnant la semence, et figurant
jn calice à la base de la corolle. Cette aigrette pousse de bas en haut
ie la corolle, la détache et la fait tomber lorsqu'elle est flétrie, et que
la semence accrue approche de sa maturité.
Cette structure commune et générale des fleurons souffre des excep-
tions dans plusieurs genres de composées, et ces différences constituent
même des sections qui forment autant de branches dans cette nom-
breuse famille.
Celles de ces différences qui tiennent à la structure même des fleu-
rons ont été ci-devant expliquées au mot Fleur. J'ai maintenant à parler
de celles qui ont rapport à la fécondation.
L'ordre commun des fleurons dont je viens de parler est d'être her-
maphrodites, et ils se fécondent par eux-mêmes. Mais il y en a d'autres
qui . ayant des étamines et n'ayant point de germe, portent le nom de
mâles: d'autres qui ont un germe et n'ont point d'étamines s'appellent
fleurons femelles; d'autres qui n'ont ni germe ni étamines, ou dont le
germe imparfait avorte toujours, portent le nom de neutres.
Ces diverses espèces de fleurons ne sont pas indifféremment entre-
mêlées dans les fleurs composées; mais leurs combinaisons méthoiiques
€t régulières sont toujours relatives ou à la plus sûre fécondation, ou
à la plus abondante fructification , ou à la plus pleine maturification
des p;raines.
Fructification. Ce mot se prend toujours dans un sens collectif,
et comprend non-seulement l'œuvre de la fécondation du germe et de
la maturification du fruit, mais l'assemblage de tous les instrumens
naturels destinés à cette opération.
Fruit. Dernier produit de la végétation dans l'individu, contenant
les semences qui doivent la renouveler par d'autres individus. La se-
mence n'est ce dernier proJuit que quand elle est seule et nue. Quand
elle ne l'est pas, elle n'est que partie du fruit.
Ce mot a , dans la botanique , un sens beaucoup plus étendu
<iue dans l'usage ordinaire. Dans les arbres, et même dans d'autres
•plantes, toutes les semences, ou leurs enveloppes bonnes à manger,
-1 ..rtent en général le nom de fruit. Mais, en botanique, ce même nom
inique plus généralement encore à tout ce qui résulte, après la
:;■, de la fécondation du germe. Ainsi le fruit n'est proprement autre
-e que l'ovaire fécondé, et cela, soit qu'il se mange ou ne se mange
- . soit que la semence soit déjà mûre ou qu'elle ne le soit pas encore.
Genre. Réunion de plusieurs espèces sous un caractère commun qui
î s distingue de toutes les autres plantes.
Germe." Embryon, ovaire, fruit. Ces termes sont si près d'être syno-
jixmes, qu'avant d'en parler séparément dans leurs articles je crois
d -voir "les unir ici. Le germe est le premier rudiment de la nouvelle
(d
l^iG DICTIONNAIRE DE BOTANIQUE.
jilante; il devient embryon ou ovaire au moment de la fécondation, e
ce même embryon devient fruit en mûrissant : voilà les difTérence ^
exactes. Maison n'y fait pas toujours attention dans l'usage, et l'oi
prend souvent ces mots l'un pour l'autre indifféremment.
11 y a deux sortes de germes bien distincts, l'un contenu dans la se
mence , lequel en se développant devient plante , et l'autre contenu dan;
la fleur , lequel par la fécondation devient fruit. On voit par quelle aller
native perpétuelle chacun de ces deux germes se produit, et en est produit
On peut encore donner le nom de germe aux rudimens des feuille:
enfermées dans les bourgeons, et à ceux des fleurs enfermées dans le;
boutons.
Germination. Premier développement des parties de la plante conte-
nue en petit dans le germe.
Glandes. Organes qui servent à la sécrétion des sucs de la plante.
Gousse. Fruit d'une plante léguminense. La gousse, qui s'appelU
aussi légume, est ordinairement composée de deux panneaux nommés
cosses, aplatis ou convexes, collés l'un sur l'autre parjieux suture;
longitudinales . et qui renferment des semences attachées alternativemem
par la suture aux deux cosses, lesquelles se séparent par la maturité
Grappe (rrtcemws). Sorte d'épi dans lequel les fleurs ne sont ni ses-
siles ni toutes attachées à la râpe, mais à des pédicules partiels dans
lesquels les pédicules principaux se divisent. La grappe n'est autr«|ii
chose qu'une panicule dont les rameaux sont plus serrés, plus courts.
et souvent plus gros que dans la panicule proprement dite.
Lorsque l'axe d'une panicule ou d'un épi pend en bas au lieu de si -
lever vers le ciel, on lui donne alors le nom de grappe; tel est l'épi du
groseillier, telle est la grappe de la vigne.
Greffe. Opération par laquelle on force les sucs d'un arbre à passer
par les couloirs d'un autre arbre, d'où il résulte que les couloirs de ces
deux plantes n'étant pas de même figure et dimension, ni placés exac-
tement les uns vis-à-vis des autres, les sucs, forcés de se subtiliser en
se divisant, donnent ensuite des fruits meilleurs et plus savoureux.
Greffer. Est engager l'œil ou le bourgeon d'une saine branche d'ar-
bre dans l'écorce d'un autre arbre, avec les précautions nécessaires et
dans la saison favorable, en sorte que ce bourgeon reçoive le suc du
second arbre, et s'en nourrisse comme il auroit fait de celui dont il a
été détaché. On donne le nom de greffe à la portion qui s'unit, et de
sujet à l'arbre auquel il s'unit.
Il y a diverses manières de greffer : la greffe par approche , en fente ,
en couronne, en flûte, en écusson'.
Gymnosperme. a semences nues.
Hampe. Tige sans feuilles, destinée uniquement à tenir la fructifica-
tion élevée au-dessus de la racine.
Infère, Supère. Quoique ces mots soient purement latins, on est
obligé de les employer en françois dans le langage de la botanique,
sous peine d'être diffus, lâche et louche, pour vouloir parler purement.
La même nécessité doit être supposée, et la même excuse répétée dans
tous les mots latins que je serai forcé de franciser; car c'est ce que ie'
IiNFÈUE — MASQUE 157
j • ferai Jamais que pour dire ce que je ne pourrois aussi bien faire ea-
• ndre dans un françois plus correct.
); Il Y a dans les fleurs deux dispositions différentes du calice et de la
irolle, par rapport au germe, dont l'expression revient si souvent.
. l'il faut absolument créer un mot pour elle. Quand le calice et la co-
[ )lle portent sur le germe, la fleur est dite supers. Quand le germe porte
ir le calice et la corolle, la fleur est dite infère. Quand de la corolle
1 transporte le mot au germe, il faut prendre toujours l'opposé. Si la
jroUe est infère, le germe est supère ; si la corolle est supère , le germe
jt infère : ainsi l'on a le choix de ces deux manières d'exprimer la
lème chose.
Comme il y a beaucoup plus de plantes où la fleur est infère que de
elles où elle est supère, quand cette disposition n'est point exprimée,
n doit toujours sous-entendre le premier cas, parce qu'il est le plus
rdinaire-, et si la description ne parle point de la disposition relative
e la corolle et du germe , il faut supposer la corolle infère : car si elle
toit supère., l'auteur de la description l'auroit expressément dit.
LÉGUME. Sorte de péricarpe composé de deux panneaux, dont les
lori^s sont réunis par deux sutures longitudinales. Les semences sont
tlachées alternativement à ces deux valves par la suture supérieure;
'inférieure est nue. L'on appelle de ce nom en général le fruit des
liantes légumineuses.
LÉGUMINEUSES. Voy. Fleurs , Plantes.
Liber (le) est composé de pellicules qui représentent les feuillets
l'un livre; elles touchent immédiatement au bois. Le liber se détache
.eus les ans des deux autres parties de l'écorce, et, s'unissant avec
l'auLier, il produit sur la circonférence de l'arbre une nouvelle couche
5ui en augmente le diamètre.
Ligneux. Qui a la consistance de bois.
LiLiAcÉES. Fleurs qui portent le caractère du lis.
Limbe. Quand une corolle monopétale régulière s'évase et s'élargit par
le haut, la partie qui forme cet évasement s'appelle le limbe, et se dé-
coupe ordinairement en quatre, cinq, ou plusieurs segments. Diverses
campanules, primevères. Userons, et autres fleurs monopétales, offrent
des exemples de ce limbe, qui est, à l'égard de la corolle, à peu près
ce qu'est, à l'égard d'une cloche, la pirlie qu'on nomme le pavillon :
le différent degré de l'angle que forme le limbe avec le tube est ce qui
fait donner à la corolle le nom d'infundibuliforme , de campaniforme ,
ou d'hypocratériforme.
Lobes des semences sont deux corps réunis, aplatis d'un côté, con
vexes de l'autre : ils sont distincts dans les semences légumineuses.
Lobes des feuilles.
Loge. Cavité intérieure du fruit : il est à plusieurs loges quand il es;
partagé par des cloisons.
• Maillet. Branche de l'année à laquelle on laisse . pour le replanter,
deux chicots du vieux bois saillant des deux côtés. Cette sorte de bou-
ture se pratiq.ue seulement sur la vigne , et même assez rarement.
JIasque. Fleur en masque est une fleur monopétale irrégulière.
158 DICTIONNAIRE DE BOTANIQUE.
Mo^'ÉClE ou MoNŒCiE. Habitation commune aux deux sexes. On donna
le nom de monœcie à une classe de plantes, composée de toutes celles
qui portent des fleurs mâles et des fleurs femelles sur le même pied.
Monoïques. Toutes les plantes de la monœcie sont monoïques. On
appelle plantes monoïques celles dont les fleuis ne sont pas hermaphro-
dites, mais séparément mâles et femelles sur le même individu : ce
mot, formé de celui de monœcie, vient du grec, et signifie ici que les
deux sexes occupent bien le même logis , mais sans habiter la même
chambre. Le concombre, le melon, et toutes les cucurbitacées, sont
des plantes monoïques.
Mufle (fleur en). Voy. Masque.
Nœuds. Sont les articulations des tiges et des racines.
Nomenxlat.ure. Art de joindre aux noms qu'on impose aux plantes
l'idée de leur structure et de leur classification.
Noyau. Semence osseuse qui renferme une amande.
Nu. Dépourvu des vêtements ordinaires à ses semblables.
On appelle graines nues celles qui n'ont point de péricarpe: ombelles
nues, celles qui n'ont point d'involucre; tiges nues, ceLes qui ne sont
point garnies de feuilles, etc.
Nuits de fer [noctes Jerreœ). Ce sont, en Suède, celles dont la froide
température, arrêtant la végétation de plusieurs plantes, produit leur
dépérissement insensible, leur pourriture, et enfin leur mort. Leurs
premières atteintes avertissent de rentrer dans les serres les plantes
étrangères , qui périroient par ces sortes de froids.
Œil. (Voy. Cmbilic.) Petite cavité qui se trouve en certains fruits
à l'extrémité opposée au pédicule : dans les fruits infères , ce sont les
divisions du calice qui forment l'ombilic, comme le coing, la poire, la
pomme, etc.; dans ceux qui sont supères, l'ombilic est la cicatrice
laissée par l'insertion du pistil.
Œilletons. Bourgeons qui sont à côté des racines des artichauts et
d'autres plantes, et qu'on détache afin de multiplier ces plantes.
Ombelle. Assemblage de rayons qui, partant d'un même centre, di-
vergent comme ceux d'un parasol. L'ombelle universelle porte sur la
tige ou sur une branche-, l'ombelle partielle sort d'un rayon de l'om-
belle universelle
Ombilic. C'est, dans les baies et autres fruits mous et infères, le
réceptacle de la fleur dont, après qu'elle est tombée, la cicatrice reste
sur le fruit, comme on peut le voir dans les airelles. Souvent le calice
reste et couronne l'ombilic, qui s'appelle alors vulgairement œil : ainsi
l'œil des poires et des pommes n'est autre chose que l'ombilic autour
duquel le calice persistant s'est desséché.-
Ongle. Sorte de tache sur les pétaleL ou sur les feuilles, qui a sou-
vent la figure d'un ongle, et d'autres figures différentes, comme on
peut le voir aux fleurs des pavots, des roses, des anémones, des cistes,
et aux feuilles des renoncules, des persicaires, etc.
Onglet. Espèce de pointe crochue par laquelle le pétale de quehiueS:
corolles est fixé sur le calice ou sur le réceptacle; l'onglet des œillets
est plus long que celui des roses.
OPPOSÉES — PÉDICULE. 159
Opposées. Les teuilles opposées sont juste o.u nombre de deux, nia-
'cées, l'une vis-à-vis de l'autre, des deux côtés de la tige ou des bran-
'ches. Les feuilles opposées peuvent être pédiculées ou sessiles; s'il y
avoil plus de deux feuilles attachées à la même hauteur autour de la
;li"e, alors cette pluralité dénatureroit l'opposition, et cette disposition
;Jes feuilles prendroit un nom différent. (Voy. Verticillé.)
Ovaire. C'est le nom qu'on donne à l'embryon du fruit, ou c'est le
fruit même avant la fécondation. Après la fécondation, l'ovaire perd ce
nom, et s'appelle simplement fruit, ou en particulier péricarpe, si la
;)lante est angiosperme; semence ou graine, si la plante est gymno-
jperme.
Palmée. Une feuille est palmée lorsqu'au lieu d'être composée de
plusieurs folioles , comme la feuille digitée , elle est seulement découpée
n plusieurs lobes dirigés en rayons vers le sommet du pétiole, mais se
éunissant avant que d'y arriver.
Panicule. Ëpi rameux et pyramidal. Cette figure lui vient de ce que
es rameaux du bas, étant les plus larges, forment entre eux un plus
arge espace, qui se rétrécit en montant, à mesure que ces rameaux
leviennent plus courts^ moins nombreux, en sorte qu'une panicule
parfaitement régulière se termineroit enfin par une fleur sessile.
Parasites. Plantes qui naissent ou croissent sur d'autres plantes, et
se nourrissent de leur substance. La cuscute , le gui . plusieurs mousses
5t lichens, sont des plantes parasites.
Parenchyme. Substance pulpeuse, ou tissu cellulaire qui forme le
:orps de la feuille ou du pétale : il est couvert dans l'une et dans,
'autre d'un épiderme.
Partielle. Voy. Ombelle.
Parties de la fructification. Voy. Étamines, Pistil.
Pavillon. Synonyme d'étendard.
Pédicule. Base allongée, qui porte le fruit. On dit peduiKiiliis en
alin, mais je crois qu'il faut dire pédicule en françois : c'est l'ancien
jsage, et il n'y a aucune bonne raison pour le changer. Pedunculus
îonne mieux en latin, et il évite l'équivoque du nom pediculus; mais
e mot pédicide est net, et plus doux en françois; et, dans le choix
les mots, il convient de consulter l'oreille, et d'avoir égard à l'accent
le la langue.
L'adjectif pédicule me paroît nécessaire par opposition à l'autre ad-
ectif sessile. La botanique est si embarrassée de termes , qu'on ne sau-
•oit trop s'attacher à rendre clairs et courts ceux qui lui sont spéciale-
nent consacrés.
Le pédicule est le lien qui attache la fleur ou le fruit à la branche,
5u à la tige. Sa substance est d'ordinaire plus solide que celle du fruit
ju'il porte par un de ses bouts, et moins que celle du bois auquel il est
ittaché par l'autre. Pour l'ordinaire, quand le fruit est mûr, il se dé-
tache et tombe avec son pédicule. Mais quelquefois, et surtout dans les
plantes herbacées, le fruit tombe et le pédicule reste, comme on peut
le voir dans le genre des rumcx. On y peut remarquer encore une autre
liariicularité : c'est que les pédicules, qui tous sont verticillés atinur
160 DICTIONNAIRE DE BOTANIQUE
de la tige , sont aussi tous articulés vers leur milieu. Il semble qu'en ce
eus le fruit devroit se détacher à l'articulation , tomber avec une nioilié
lia pé.iicule , et laisser l'autre moitié seulement attachée à la plante.
Voilà néanmoins ce qui n'arrive pas. Le fruit se détache , et tombe seul.
Le pédicule tout entier reste , et il faut une action expresse pour le
diviser en deux au point de l'articulation.
Perfoliée. La feuille perfoliée est celle que la branche enfile, et qui
entoure celle-ci de tous côtés.
PÉRiANTHE. Sorte de calice qui touche immédiatement la fleur ou
le fruit.
Perruque. Nom donné par Vaillant aux racines garnies d'un chevelu
touffu de fibrilles entrelacées comme des cheveux emmêlés.
Pétale. On donne le nom de pétale à chaque pièce entière de la
corolle. Quand la corolle n'est que d'une seule pièce, il n'y a aussi
qu'un pétale ; le pétale et la corolle ne sont alors qu'une seule et même
chose , et cette sorte de corolle se désigne par l'épithète de monopétale.
Quand la corolle est de plusieurs pièces, ces pièces sjnt autant de pé-
tales, et la corolle qu'elles composent se désigne par leur nombre tiré
d*i grec, parce que le mot de pétale en vient aussi, et qu'il convient,
quand on veut composer un mot, de tirer les deux racines de la même
langue. Ainsi les mots de monopétalo, de dipétale, de tripélale, de
tétrapétale . de pentapétale, et enfin de polypétale, indiquent une co-
rolle d'une .seule pièce, ou de deux, de trois, de quatre, de cinq, etc.;
;.:nfin, d'une multitude indéterminée de pièces.
Pétaloïde. Qui a des pétales. Ainsi la fleur pélaloïde est l'opposé de
la fleur apétale.
Quelquefois ce mot entre comme seconde racine dans la composition
d'un autre mot, dont la première racine est un nom de nombre : alors
il signifie une corolle monopétale profondément divisée en autant de;
sections qu'en indique la première racine. Ainsi la corolle tripétaloïdf
est divisée en trois segmens ou demi-pétales, la pentapétaloïde er
cinq , etc.
PÉTIOLE. Base allongée qui porte la feuille. Le mot pétiole est oppose
à sessile , à l'égard des feuilles , comme le mot pédicule l'est à l'égarc
des fleurs et des fruits. (Voy. Pédicule, Sessile.) ,
PiNNÉE. Une feuille ailée à plusieurs rangs s'appelle feuille pin-
née.
Pistil. Organe femelle de la fleur qui surmonte le germe, et pa,
lequel celui-ci reçoit l'intromission fécondante de la poussière des an!
liières : le pistil se prolonge ordinairement par un ou plusieurs styles
quelquefois aussi il est couronné immédiatement par un ou plusieur:
stigmates, sans aucun style intermédiaire. Le stigmate reçoit la poussier
prolifique du sommet des étamines,et la transmet par le pistil dan
l'intérieur du germe, pour féconder l'ovaire. Suivant le système sexuel
la fécondation des plantes ne peut s'opérer que par le concours dei
deux sexes; et l'acte de la fructification n'est plus que celui de 1
génération. Les filets des étamines sont les vaisseaux spermaliques, le
anthères sont les testicules , la poussière qu'elles répandent est la liqueu
PISTIL — POLYGAMIE. ÎGl
sémiivale, le stigmate devient la vulve, le style est la trompe ou le
vagin , et le germe fait l'office d'ulérus ou de matrice.
Placenta. Réceptacle des semences. C'est le corps auquel elles sont
immédiatement attachées. M. Linnaeus n'admet point ce nom de pla-
centa, el emploie toujours celui de réceptacle. Ces mots rendent pour-
tant des idées fort difiérentes. Le réceptacle est la partie par où le fruit
t'ent à la plante : le placenta est la partie par où les semences tiennent
au péricarpe. Il est vrai que, quand les semences sont nues, il n'y a
point d'autre placenta que le réceptacle; mais toutes les fois que le fruit
est angiosperme, le réceptacle et le placenta sont difïérens.
Les cloisons {dissepimenta) de toutes les capsules à plusieurs loges
sont de véritables placentas, et dans des capsules uniloges il ne laisse
pas d'y avoir souvent des placentas autres que le péricarpe.
Plante. Production végétale composée de deux parties principales,
savoir : la racine par laquelle elle est attachée à la terre ou à un autre
corps dont elle tire sa nourriture, et l'herbe par laquelle elle inspire et
respire l'élément dans lequel elle vit. De tous les végétaux connus, la
trufTe est presque le seul qu'on puisse dire n'être pas plante.
Plantes. Végétaux disséminés sur la surface de la terre, pour la
vêtir et la parer. Il n'y a point d'aspect aussi triste que celui de la terre
nue: il n'y en a point d'aussi riant que celui des montagnes couronnées
d'arbres, des rivières bordées de bocages, des plaines tapissées de ver-
dure, et des vallons émaillés de fleurs.
On ne peut disconvenir que les plantes ne soient des corps organisés
et vivans, qui se nourrissent et croissent par intussusception , et doi.t
chaque partie possède en elle-même une vitalité isolée et indépendante
(les autres, puisqu'elles ont la faculté de se reproduire'.
Poils ou Soies. Filets plus ou moins solides et fermes qui naissent
sur certaines parties des plantes; ils sont carrés ou cylindriques, droits
ou couchés, fourches ou simples, subulés ou en hameçons: et ces di-
verses figures sont des caractères assez constans pour pouvoir servir à
classer ces plantes. Voyez l'ouvrage de M. Guettard, intitulé : Obser-
■Mtions sur les plantes.
Polygamie. Pluralité d'habitation. Une classe de plantes porte le
2om de polygamie, et renferme toutes celles qui ont des fleurs herma-
phrodites sur un pied, et des fleurs d'un seul sexe, mâles ou femelles,
fur un autre pied.
Ce mot de polygamie s'applique encore à plusieurs ordres de la classe
ies fleurs composées; et alors on y attache une idée un peu différente.
Les fleurs composées peuvent toutes être regardées comme polygames ,
puisqu'elles renferment toutes plusieurs fleurons qui fructifient séparé-
ment, et qui par conséquent ont chacun sa propre habitation , et pour
ainsi dire sa propre lignée. Toutes ces habitations séparées se con-
). Cet article ne me paroit pas achevé , non plus que beaiico'jp d'aulres,
ipioiquDn ail rassemblé dans les trois paragiaplios ei-dessns, (|ul coinposont
celui-ci, trois morceaux de l'auteur, Inus sur aulatii de chiffons. {Noie des
f iilcurs de Genève.)
Rousseau vi II
1C2 DICTIONNAIRE DE BOTANIQUE.
joignent (le dirTércntes manières, et par là forment plusieurs sortes de
combinaisons.
Quand tous les fleurons d'une fleur composée sont hermaphrodites,
l'ordre qu'ils forment porte le nom de polygamie égale.
Quand tous ces fleurons composans ne sont pas hermaphrodites, ils
forment entre eux, j our ainsi dire, une polygamie bâtarde, et cela de
plusieurs façons :
1° Polygamie superflue^ lorsque les fleurons du disque étant tous
hermaphrodites fructilient, et que les fleurons du contour étant femelles
fructifient aussi;
2° Polygamie inutile, quand les fleurons du disque étant herma
phrodites fructifient, et que ceux du contour sont neutres et ne fruc-
tilient point:
3° Polygamie nécessaire, quand les fleurons du disque étant mâles,
et ceux du contour étant femelles, ils ont besoin les uns des autres
pour fructifier;
4° Polygamie séparée, lorsque les fleurons composans sont divisés
entre eux, soit un à un, soit plusieurs ensemble, par autant de calices
partiels renfermes dans celui de toute la fleur.
On pourroit imaginer encore de nouvelles combinaisons, en suppo-
sant, par exemple, des fleurons mâles au contour, et des fleurons
hermaphrodites ou femelles au disque; mais cela n'arrive point.
Poussière prolifique. C'est une multitude de petits corps sphériques
enfermés dans chaque anthère, et qui, lorsque celle-ci s'ouvre et les
verse dans le stigmate, s'ouvrent à leur tour, imbibent ce même stig-
mate d'une humeur qui, pénétrant à travers le pistil, va féconder l'em-
bryon du fruit.
Pbovin. Branche de vigne couchée et coudée en terre. Elle pousse
des chevelus par les nœuds qui se trouvent enterrés. On coupe ensuite
le bois qui tient au cep, et le bout opposé qui sort de terre devient un
nouveau cep.
PuLPiî. Substance molle et charnue de plusieurs fruits et racines.
Racine. Partie de la plante par laquelle elle tient à la terre ou au
corps qui la nourrit. Les plantes ainsi attachées par la racine à leur
matrice ne peuvent avoir de mouvement local ; le sentiment leur seroit
inutile, puisqu'elles ne peuvent chercher ce qui leur convient, ni fuir
ce qui leur nuit : or la nature ne fait rien en vain.
Radicales. Se dit des feuilles qui sont les plus près de la racine. Ce
mot s'étend aussi aux tiges dans le même sens.
Radicule. Racine naissante.
Radiée. Voy. Fleur.
RÉCEPTACLE. Celle des parties de la fleur et du fruit qui sert de siège
à toutes les autres, et par où leur sont transmis de la plante les sucs
nutritifs qu'elles en doivent tirer.
Il se divise le plus généralement en réceptacle propre, qui ne soutient
(prune seule fleur et un seul fruit, et qui par conséquent n'appartient
qu'aux plus simples, et en réceptacle commijin , qui porte et reçoit plu-
sieurs fleurs.
RÉCEl'TACLI': — SPATIIE. 163
Uuand la fieur est infère, c'est le même réceptacle qui porte to.ile la
ïiuciification. Mais quand la fleur tst supère . le ré^eplacle propre es(
<iouble; et celui qui porte la fleur n'est pas le naêrae que celui qui porte
le fruit. Ceci s'entend de la construction la plus commune: maison
peut proposer à ce sujet le problème suivant, dans la solution du(]ucl la
nature a rais une de ses plus ingénieuses inventions.
Quand la fleur est sur le fruit, comment se peut-il faire que la fleur
<t le fruit n'aient cependant qu'un seul et même réceptacle?
Le réceptacle commun n'appartient pronrement qu"au.ï fleurs com-
posées, dont il porte et unit tous les fleurons en une fleur régulière: en
sorte que le retranchement de quelques-uns causeroit l'irrégularité de
tous; mais, outre les fleurs agrégées dont on peut dire à | eu pès l.i
même chose, il y a d'autres sortes de réceptacles communs qui méritent
encore le même nom, comme ayant le même usage : tels sont Vomhellp,
Vépi. la -panicule, le llnjrse , la cyme , le spadix , dont on trouvera les
-articles chacun à sa place.
RÉGULIÈRES (fleurs). Elles sont symétriques dans toutes leurs parties,
comme les crucifères, les Hliacées , etc.
RÉNiFOR-ME. De la figure d'un rein.
Rosacée. Polypétale régulière comme est la rose.'
Rosette. Fleur en rosette est une fleur monopétale dont le tube est
nul ou très-court, et le limbe très-aplaii.
Semence. Germe ou rudiment simple d'une nouvelle plante , uni à
une substance propre à sa conservation avant qu'elle germe, et qui la
nourrit durant la première germination jusqu'à ce qu'elle puisse tirer
«on aliment immédiatement de la terre.
Sessile. Cet adjectif marque privation de réceptacle. Il indique que
la feuille, la fleur ou le fruit auxquels on l'applique tiennent immédia-
Ttement à la plante, sans l'entremise d'aucun pétiole ou pédicule.
Se.xe. Ce mot a été étendu au règne végétal, et y est devenu familier
-«lepuis l'établissement du système sexuel.
SiLiQUE. Fruit composé de deu.ï panneaux retenus par deux sutures
longitudinales auxquelles les graines sont attachées des deux côtés.
La silique est ordinairement biloculaire, et partagée par une cloison
à laquelle est attachée une partie des graines. Cependant cette cloison
ne lui étant pas essentielle ne doit pas entrer dans sa définition, comme
on peut le voir dans le cléome , dans la chélidoine , etc.
SoiEs. Voy. Poils.
Solitaire. Une fleur solitaire est seule sur son pédicule.
Sous-AFBBissEAU. Plante ligueusc, ou petit buisson moindre que l'ar-
brisseau, mais qui ne pousse point en automne de boutons à fleurs ou
à fruits : tels sont le thym , le romarin , le groseillier . les bruyères , etc.
Spadix ou RÉGIME. C'est le rameau floral dans la famille des pal-
miers; il est le vrai réceptacle de la fructification, entouré d'un si athe
qui lui sert de voile.
Spathe. Sorte de calice membraneux qui sert d'enveloppe aux fleurs
avant leur épanouissement, et se déchire pour leur ouvrir le passage
aux approches de la fécondation.
ICk DlCTlON.NAllii: DE BOTANJQLE.
Le spalhe esl caraclérislique dans la famille des palmiers et dans
celle dis liliacées.
Sfiralr. Ligi.e qui lait plu leurs tours en s'écartant du centre, ou
en s'en approcha ni.
Stigmaie. Sommet du pistil, qui s'humecte au moment de la fécon-
dation . pour que la poussière prolifique s'y attache.
Stipule. Sorte de Ibliole ou d'écaiKe, qui naît cà la base du pétiole,
du pédicule, ou de la branche. Les stipules sont ordinairement exté-
rieures à la partie qu'elles accompagnent, et lui servent en quelque
manière de console: mais quelquefois auisi elles naissent à côté, vis-à-
vis, ou au dedans même de l'angle d'insertion.
M Adanson dit qu'il n'y a de vraies stipules que celles qui sont atta-
cliees aux tiges . comme dans les airelles , les apocyns , les jujubiers , les
tithym;i]cs, les châtaigniers, 1 s tilleuls, les mauves, les câpriers : elles tien-
nent lieu de feuilles dans les plantes qui ne lesontpas verticillées. Dans les
lilantes légumineuses, la situation des stipules varie. Les rosiers n'eu
ont pas de vraies, mais seulement un prolongement ou appendice de
feuille, ou une extension du pétiole. Il y a aussi des stipules membra-
neuses comme dans l'espargoute.
Style. Partie du pistil qui tient le stigmate élevé au - dessus du
gerii e.
Suc NOURRICIER. Partie de la sève qui est propre à nourrir la
plante.
SupÈRE. (Voy. Ikfere.)
Supports 7'u/cra). Di.x espèces, savoir : la stipule, la bractée, la vrille,
l'épine, l'aiguillon, le pédicule, le pétiole, la hampe, la glande, et
l'ccaille.
Surgeon (s'urcîfZws). Nom donné au.\ jeunes branches de l'œillet, etc.,
au.vquelles on fait prendre racine en les buttant en terre lorsqu'elles
tiennent encore à la tige : cette opération est une espèce de marcotte.
Syxos-ymie. Concordance de divers noms donnés par diflérents auteurs
aux mêmes plantes. '
La synonymie n'est point une étude oiseuse et inutile.
Talon. Oreillette qui se trouve à la base des feuilles d'oranger. C'est
5:iS3i l'endroit où tient l'œilleton qu'on détache d'un pied d'artichaut,
et cet endroit a un peu de racine.
■fERMiN\L. Fleur terminale est celle qui vient au sommet de la tige,
ou d'une branche.
Tebnée. Une feuille ternée est composée de trois folioles attacliées au
même pétiole.
Tète. Fleur en tête ou capitée est une fleur agrégée ou composée,
dont les fleurons sont disposés sphériquement ou à peu près.
Tmyrse. Épi romeux -et cylindrique; ce terme n'est pas extrêmement
usité. 1 arce que les exemples n'en sont pas fréquens.
Tige. Tronc de la plante d'où sortent toutes ses autres parties qui sont
hors de terre: elle a du rapport avec la côte en ce que celle-ci est quel-
quefois unique et se ramifie comme elle . par exemple , dans la fougère :
elle z'sa distingue aussi en ce qu'uniforme dans son contour elle n'a ni
TIGE — IJTlilCULliS. 165
f,i*e . ni dos . ni côté déterminés , au lieu que tout cela se trouve dans la
côle.
Plusieurs plantes nont point de tige, d'autres n'ont qu'une tige nue
ei sans feuilles, qui pour cela change de nom. (Voy. Hampe.)
La tige se ramilie en brandies de différentes manières.
Toque. Figure de bonnet cylindrique avec une marge relevée en ma-
n:è:e de chapeau. Le fruit du paliurus a la forme d'une toque.
Tb.'Cf.r. Courir horizontalement entre deux terres, comme fait le
chieiideni. Ainsi le mot tracer ne convient qu'aux racines. Quand on dii
donc que le f.-aisier trace , on dit mal ; il rampe , et c'est autre chose.
ÏRAcniiES DES PL.ANTES. Sout . selon Malpighi , certains vaisseaux for-
més par les contours spiraux d'une lame mince, plate, et assez large,
qui, se roulant et contournant ainsi en tire-bourre, forme un tuyau
eiran'-'lé . et comme divisé en sa longueur en plusieurs cellules , etc.
Tr.xînasse ou Tbaî.née. Longs filets qui, dans certaines plantes,
rampent sur la terre, et qui, d'espace en espace, ont des articulations
par lesquelles elles jettent en terre des radicules qui produisent de nou-
velles paiites.
Tuniques. Ce sont les peaux ou enveloppes concentriques des oi-
grioiis.
Urns. Boîte ou capsule remplie de poussière, que portent la plupart
des mousses en lleuj. La construction la plus commune de ces urnes est
délre élevées au-dessus de la plante par un pédicule plus ou moins
long; de porter à leur sommet une espèce de coifle ou de capuchon
pointu qui les couvre, adiiérent d'abord a l'urne, mais qui s'en détache
ensuite, et tombe lorsqu'elle est prête à s'ouvrir; de s'ouvrir ensuite aux
deux tiers de leur hauteur, comme une boîte à savonnette, par un cou-
vercle qui s'en dttache et tombe à son tour après la chute de la coiffe;
d'être doublement cil ée autour de sa jointure, afin que l'humidiie ne
puisse pénétrer dans l'intérieur de l'urne tant qu'elle est ouverte : enfin .
de pencher et se courber en en-bas aux approches de la maturité, pour
verser à terre la poussière qu'elle contient.
L'opinion j-'énérale des botanistes sur cet article est que cette urne
avec son pédicule est une étamine dont le pédicule e.stleiîlet. dont
l'urne est l'anthère, et dont la poudre qu'elle contient et qu'elle verse
est la poussière fécondante qui va fertiliser la fleur femelle : en consé-
quence de ce système on donne communément le nom d'anthère à la
capsule dont nous parlons. Cependant, comme la fructification des
mousses n'est pas jusqu'ici parfaitement connue, et qu'il n'est pas d'une
certitude invincible que l'anlhèie dont nous parlons soit véritablement
une anthère, je crois qu'en attendant une plus grande évidence, sans
se presser d'adopter un nom si décisif, que de plus grandes lumières
pourroient forcer ensuite d'abandonner, il vaut mieux conserver celui
d'urne donné par Vaillant, et qui, quelque système qu'on adopte, peut
subsister sans inconvén-ent.
Utricules. Sortes de petites outres percées par les deux bouts, et
communi(iiianl successivement de l'une à l'autre parleurs ouvertures,
comme les aludels d'un alambic. Ces vaisseaux sont ordinairement pleins
\i
DICTIONNAIRE DE BOTANIQUE.
(le sève. Ils occupent les espaces ou mailles ouvertes qui se trouvent en-
tre les libres loiigiiudiiiales et le bois.
Vrgétal. Corps organisé, doué de vie et privé de sentiment.
On ne me passera pas cette définition, je le sais. On veut que les mi-
néraux vivent, que les végétau.x sentent, et que la matière même in-
forme soit douée de sentiment. Quoi qu'il en soit de cette nouvelle phy-
sique, jamais je n'ai pu, je ne pouri'ai jamais parler d'après les idées
d'autrui . quand ces idées ne sont pas les miennes. J'ai souvent vu mort
un arbre que je voyois auparavant plein de vie: mr.is la mort d'une
pierre est une idée qui ne sauroit m'entrerdans l'esprit. Je vois un sen-
timent p.\qu s dans mon chien, mais je n'en aperçois aucun dans un
chou. Les paradoxes de Jean-Jacques sont fort célèbres. J'ose demander
s'il en avança jamais d'aussi fou que celui que j'aurois à combattre si
j'eiitrois ici dans cette discussion, et qui pourtant ne choque personne.
Mais je m'arrête , et rentre dans mon sujet.
Puisque les végétaux naissant et vivent, ils se détruisent et meurent:
c'est l'irrévocable loi à laquelle tout corps est soumis : par conséquent.
ils se reproduisent; mais comment se fait cette reproduction? En tout
ce qui est soumis à nos sens dans le règne végétal , nous la voyons se-
faire par la voie de la fructification ; et l'on peut présumer que cette loi'
de la nature est également suivie dans les parties du même règne dont
l'organisation échappe à nos yeux. Je ne vois ni fleurs ni fruits dans les-
hysstis , dans les ci^nfcrva, dans les tntffcs; mais je vois ces végétaux se
perpétuer , et l'analogie sur laquelle je me fonde pour leur attribuer les-
mêmes moyens qu'aux autres de tendre à la même fin, cette analogie-
dis-je, me paroît si sûre , que je ne puis lui refuser mon assentiment.
Il est vrai que la plupart des plantes ont d'autres manières de se re-
produire, comme par caïeux, par boutures, par drageons enracinés.
Mais ces moyens sont bien plutôt des supplémens que des principes
d'instituion ; ils ne sont point communs à toutes; il n'y a que la fructi-
fication qui le soit, et qui, ne souffrant aucune exception dans celles
qui nous sont bien connues, n'en laisse point supposer dans les autres
substances végétales qui le sont moins.
Velu. Surface tapissée de poils.
Verticillé. Attache circulaire sur le même plan, et en nombre de-
plus de deux autour d'un axe commun.
VivACE. Qui vit plusieurs années; les arbres, les arbrisseaux, les-
sous-arbrisseaux, sont tous vivaces. Plusieurs herbes mêmes le sont,
mais seulement par leurs racines. Ainsi le chèvrefeuille et le houblon,
tous deux vivaces, le sont différemment : le premier conserve pendant
l'hiver ses tiges, en sorte qu'elles bourgeonnent et fleurissent le prin-
temps suivant; mais le houblon perd les siennes à la fin de chaque au-
tomne, et recommence toujours chaque année à en pousser de son pied
de nouvelles.
Les plantes transportées hors de leur climat sont sujettes à varier sur
cet article. Plusieurs plantes vivaces dans les pays chauds deviennent
parmi nous annuelles, et ce n'est pas la seule altération qu'elles subis-
se;.! ilaiis nos jirdins.
VIVACE — VULGAIRE. 157
De sorte que la botanique exotique étudiée en Europe donne souvent
de bien fau-ses observations.
Vrilles ou Mains. Espèce de filets qui terminent les branches dans
certaines plantes, et leur fournissent les moyens de s'attacher à duu-
tres corps. Les vrilles sont simples ou rameuses: elles prennent, eiaut
libres, toutes sortes de directions, et, lorsqu'elles s'accrochent à un
corps étranger, elles l'embrnssent en spirale.
VuLGAiBE. On désigne ordinairement ainsi l'espèce principale de cha-
que genre la plus anciennement connue dont il a tiré son nom , et qu'on
re^ardoit d'abord comme une espèce unique.
F;:i DU IIK TTON'iAir.E Dr eOTAN'IQUi.
^
MUSIQUE.
LErriiE SUR la musique Françoise,
Sunt verba el voces, prœteieaque niliil.
AVERTISSEMENT.
La querelle excitée l'année dernière à l'Opéra n'ayant abouti qu'à des
injures, dites, d'un côté, avec beaucoup d'esprit, et de l'autre avec
beaucoup d'animosité, je n'y voulus prendre aucune part; car cette
espèce de guerre ne me convenoit en aucun sens, et je sentois bien
que ce n'étoit pas le temps de ne dire que des raisons. Maintenant que
les Bouffons sont congédiés, ou près de l'être, et qu'il n'est plus ques-
tion de cabales, je crois pouvoir hasarder mon sentiment, et je le dirai
avec ma franchise ordinaire, sans cramdre en cela d'offenser personne ;
il me semble même que, sur un pareil sujet, toute précaution seroit
injurieuse pour les lecteurs; car j'avoue que j'aurois fort mauvaise
opinion d'un peuple' qui donneroit à des chansons une importance ridi-
cule, qui feroit plus de cas de ses musiciens que de ses philosophes, et
chez lequel il faudroit parler de musique avec plus de circonspection
que des plus graves sujets de morale.
C'est par la raison que je viens d'exposer que , quoique quelques-uns
m'accusent, à ce qu'on dit, d'avoir manqué de respect à la musique
francoise dans ma première édition, le respect beaucoup plus grand et
l'estime que je dois à la nation m'empêchent de rien changer, à cet
égard, dans celle-ci.
Une chose presque incroyable, si elle regardoit tout autre que moi ,
c'est qu'on ose m'accuser d'avoir parlé de la langue avec mépris dans
un ouvrage où il n'en peut être question que par rapport à la musique.
Je n'ai pas changé là-dessus un seul mot dans cette édition ; ainsi , en la
parcourant de sang-froid, le lecteur pourra voir si cette accusation est
juste. Il est vrai que , quoique nous ayons eu d'excellens poètes et même
quelques musiciens qui n'étoient pas sans génie, je crois notre langue
peu propre à la poésie, et point du tout à la musique. Je ne cmins pas
de m'en rapporter sur ce point aux poètes mêmes; car, quant aux mu-
siciens, chacun sait qu'sm peut se dispenser de les consulter sur toute
affaire de raisonnement. (En revanche, la langue francoise me paroît
*. De peur que mes lecteurs ne prennent les dernières lignes de cet alinéa
pour Mil saiiie ajoutée après coup , je dois les avertir qu'elles sont liiées
exacteiiienl do la piemièic cdilion de celle Lettre; toul ce qui suit (ut ajouté
dans la seconde.
AVEUTJSSEMENT. 1G9
celle des philosophes et des saQ;es' : elle semble faite pour êt.'3 l'organe
de la vérité et de la raison. Malheur à quiconque offense l'une ou l'autre
dans des écrits qui la déshonorent! Quant à moi, le plus dij^'ne hcm-
mage que je croie pouvoir rendre à cette belle et sage langue dont j'ai
le bonlieur de faire usage, est de tâcher de ne la point avilir.
Quoique je ne veuille et ne doive point changer de ton avec le public,
que je n'attende rien de lui , et que je me soucie tout aussi peu de ses
satires que de ses éloges, je crois le respecter beaucoup plus que ceite
foule d'écrivains mercenaires et dangereux qui le flattent pour leur in-
térêt. Ce respect, il est vrai, ne consiste pas dans de vains niénage-
mens qui marquent l'opinion qu'on a de la foiblesse de ses lecteurs,
mais à rendre hommage à leur jugement, en appuyant par des raisons
solides le sentiment qu'on leur propose ; et c'est ce que je me suis tou-
jours efforcé de faire. Ainsi, de quelque sens qu'on veuille envisager les
choses^ en ap|iréciant équitablement toutes les clameurs que cette letlre
a excitées, j'ai bien peur qu'à la fin mon plus grand tort ne soit d'avoir
raison; car je sais trop que celui-là ne me sera jamais pardonné.
Vous souvenez-vous, monsieur, de l'histoire de cet enfant de Silésie dont
parle M. de Fontenelle et qui étoit né avec une dent d'or? Tous les doc-
teurs de l'Allemagne s'épuisèrent d'abord en savantes dissertations pour
expliquer comment on pouvoit naître avec une dent d'or : la dernière
chose dont on s'avisa fut de vérifier le lait, et il se trouva que la dent
n'étoit pas d'or. Pour éviter un semblable inconvénient, avant que de
parler de l'excellence de notre musique, il seroit peut-être bon de s'as-
surer de son existence, et d'examiner d'abord , non pas si elle est d'or,
mais si nous en avons une.
Les Allemands, les Espagnols et les Anglois ont longtemps prétendu
posséder une musique propre à leur langue : en effet ils avoient des
opéras nationaux qu'ils admiroient de très-bonne foi ; et ils étoient bien
persuadés qu'il y alloit de leur gloire à laisser abolir ces chefs-d'œuvre
insuppo! tables à toutes les oreilles, excepté les leurs. Enfin le plaisir
l'a emporté chez eux sur la vanité, ou, du moins, ils s'en sont fait une
mieux entendue de sacrifier au goût et à la raison des préjugés qui ren-
dent souvent les nations ridicules par l'honneur même qu'elles y atta-
chent.
Nous sommes encore en France, à l'égard de notre musique, dans
les sentimens où ils étoient alors sur la leur : mais qui nous assurera
que, pour avoir été plus opiniâtres, notre entêtement en soit mieux
fondé? Ignorons-nous combien l'habitude des plus mauvaises choses
peut fasciner nos sens en leur faveur^, et combien le raisonnement et la
réflexion sont nécessaires pour rectifier dans tous les beaux-arts l'ap-
!
K. C'est le seniimenl de l'auteur de la Lettre sur les sourds et les muets,
senlinienl qu'il soutient très-bien dans l'addition à cet ouvrage , el qu'il prouve
«ncore mieux par tous ses écrits.
' 2, Les curieux seront peut-être bien aises de trouver ici le passage suivant.
170 Lirnr.E
probalion mal entendue que le peuple donne souvent aux productions
du plus mauvais goûl, et détruire le faux plaisir qu'il y prend? Ne
seroit-il donc point à propos , pour bien juger de la musique françoite ,
indépendamment de ce qu'en pense la populace de tous les états, qu'o i
essayât une fois de la soumettre à la coupelle de la raison, et de voir m
elle en soutiendra l'épreuve ? « Concedo ipse hoc raultis, disoit Platon .
« voluptate musicam judicandam; sed illam ferme musicara esse dico
« pulcherrimfm . quœ optimos satisque eruditos delectet'. »
Je n'ai pas dessein d'approfondir ici cet examen : ce n'est pas l'affaire
d'une lettre ni peut-êlre la mienne. Je voudrois seulement lâcher de
liié d'un'ancien partisan du Coin de la reine, et que je m'absiiens de liaduii'
pour de fort bonnes raisons* :
« El rc'vcrsus est rex piissimus Carolus , et celebravil Romae pasrlia ciim
« domno aposlolico. Eece oila esl conlenlio per dics l'eslos [uisi-luc inlrr
«• canlorcs Romanorum elGalioruui : dicebanl seGalli melius caïUnre el pu!-
>< clirius quam l^omani : dicebant se Romani doclissime caïuileiuis ecoie-
« siaslicas profeirc, sicul docli fueranl a sancio Gregorio papa; Gallos cor-
ci l'uple canlare, cl canlilenam sanam deslruendo dilacerare. Qux conieiuiu
a unie domnum regem Carolum pervenil. Galli vero, propler securilaleiii
n domni régis Caroli, valde exprobrabanl canlorUjus Romanis. Romani veiu,
« prupler aucloiiialem niagnœ doclrinœ,eossiuilos, ruslicos el indoclos velui
« brilla animalia, afTn-mabanl, eldoclrinam sancli Gregorii prjelerfhant ruslici-
« lalieoruin. Kl qunm allercalio de neulra parle finircl, ail domnus piissimus
" rex Carolus ad suos canlores : » Dicile palam, Quis purior esl, el quis mclioi ,
a aiil Cons vivus, aul rivuh' ejus longe decurrenles?» Rcspondcrunloinnes una
a voce, lonlem , velul capul cl oi'igincm, purioiem cssc, rivulos auiem pjns
a (pianlo longius a fonie rece.^seriiil, lanlo lurliulenlos el sordibus ac immini-
« diliis corruptos. El ail domnus rex Carolus : «Reverlimini vos ad fonteni.
« sancli Gregorii, quia manifeste corrupislis canlilenam ecciesiaslicam. » Mosi
a peliil domnus rex Carolus ab Adriano papa canlorcs qui Franciam corngc-
" renl de canlu. Al illc dedil ei Tbeodorum el Benediclum, doclissimos can-
« tores, qui a sancio Gr.goiio erudili fueranl, Iribuilfiue Anliplionarios sancli
a Gregorii, qiios ipse nolaveral nota Romana. Domnus vero rex Carolus rever-
« lens in Franciam misil unum canlorem in Melis civilale, allerum in Sucs-
« sonis civilale, (iraecipiens de omnibus civilalibus Francia; magisUos scliolae
« Anlipiionarios eis ad corrigendum iradere, et ab eis disccrc canlare. Cor-
« rccli snnl ergo Anliplionavii Francorum, quos unusquisque pro siio arbilrio
« viiiaverai, ad;lcns vcl minuens . cl omnes Franciae canlorcs didictrunl no-
« Inm Romanain, (|uam nunc vocanlnolam Franciscam, cxccploquod tieiiiul/n-
« cl vinnuliis, sive collisibiles vcl sccaliiles voccs in canlu non polcranl per-
« f.Tie exprimere Franci. nalurali voce ])arbarica frangcntes in gullurc voces,
a poliiis (juani expvimcnles. Majus auiem magislerium canlandi in Melis re-
a niansil, quaniuinque magislerium Romanum supeial Mclcnse in arle can-
« landi, lanlo superal Melcnsis canlilena cèleras scbulas Gallorura. SimilikT
« crudicriinl Romani canlorcs supra diclos canlores Francorum in arle orga-
« nandi. El domnus rex Carolus ilerum a Roma arlis giammalicae el compn-
« lalrniîE magislros secum adduxil in Fianciam, et ubique sludium liueranmi
• cxpandere jussil. Anleipsum enim domnum regem Carolum, in Gallia uulluii»
a sludium l'ucral llberalium arlium. »
4. De Leg.,lib. H. [to.)
* \ oy. le Uictioniiaire de musique^ au mol Plaiii'Cliant,
SUR LA MUSIQUE FRANÇOISE. 171
ali'pr quelques principes sur lesquels, en attendant qu'on en trouve de
Meilleurs, les maîtres de l'art, ou plutôt les philosophes, pussent di-
iger leurs recherches : carPdisoil autrefois un sage, c'est ;iu poêle à
•lire delà poés'e. et au rauS^en à faire de la musique: mais il n'ap-
larlienl ([u'au philosophe de bien parler de l'une et de l'autre. _
Toute musique ne peut être composée que de ces trois choses : mé- -s?-'^'-^^^
iodie ou chaut, harmonie ou accompagnement, mouvement, ou me-
sure'. ~ '''
Quoique !e chant tire son principal caractère de la mesure, comme ^^
1 naît immédiatement de l'harmonie, et qu'il assujettit toujours l'ac-
;ompagnement à sa marche, j'unirai ces deux parties dans un même
irticle-, puis je parlerai de la mesure séparément.
L'harmonie, ayant son principe dans la nature, est la même pour
outes les nations; ou si elle a quelques différences . elles sont intro-
luiles parcelles de la mélodie : ainsi c'est de la mélodie seulement qu'il
aut tirer le caractère particulier d'une musique nationale, d'autant plus
[ue ce caractère étant principalement donné par la langue, le chant
)ropremenl dit doit ressentir sa plus grande intîuence.
On peut concevoir des langues plus propres à la musique les unes
ue les autres : on en peut concevoir qui ne le seroient point du tout.
irLe en pourroit être une qui ne seroit composée que de sons mi.xtes,
le syilahes niuelles, sourdes ou nasales, peu de voyelles sonores, beau-
ou|) de consonnes et d'articulations, et qui raanqueroit encore d'autres
onditions essentielles dont je parlerai dans l'article de la mesure.
Ihercîions, par curiosité, ce qui résulteroit de la musique appliquée à
me telle langue.
Premièrtm.enl, le défaut d'éclat dans le son des voyelles obligeroit
l'en donner beaucoup à celui des notes; et, parce que la langue seroit
onrde, la musique seroit criarde. En second lieu, la dureté et la fré-
jiience des consonnes forceroient à exclure beaucoup de mots, âne
irocéder sur les autres que par des intonations élémentaires; et la mu-
i(|ue seroit insipide et monotone : sa marche seroit encore lente et en-
niyeuse pai' la même raison: et quand on voudroit presser un peu le
nouvenient, sa vitesse ressembleroit à celle d'un corps duretangu-
eux qui roule sur le pavé.
Comme une telle musique seroit dénuée de toute mélodie agréable,
)n tâcheroit d'y suppléer par des beautés factices et peu naturelles; on
a chargeroit de modulations fréquentes et régulières, mais froides.
>ans grâces et sans expression : on inventeroit des fredons^ des cadences .
les ports de voix, et d'autres agremens postiches, qu'on prodiguero t
Jans le chant, et qui ne feroient que le rendre plus ridicule sans le
rendie moins plat. La musique, avec toute cette maussade parure, res-
leroit languissante et sans expression; et ses images, dénuées de force
4. Quoiqu'on entende itar mesure la détermination du nombre et du rap-
port des Iriups , cl par mouvement celle du degré de vitesse, j'ai ciu pouvoir
ici cniirondre cçs choses sous l'idée générale de modinealions de la durée oii
du l' iiii s.
1 72 LETTRE
cl d'énergie, peiiidroient peu d'objets en beaucoup de noies, comme ces
écritures gothiques dont les lignes, remplies de traits et de lettres figu-
rées, ne contiennent que deux ou trois mots, et qui renferment très-
peu de sens en un grand espace. *
L'impossibilité fl'inventer des chants agréables obligeroit les composi-
teurs à tourner tous leurs soins du côté de l'harmonie; et, faute de
beautés réelles , ils y introduiroient-des beautés de convention , qui n'au-
ro'ent presque d'autre mérite que la difficulté vaincue : au lieu d'une
lionne musique, ils imagineroient une musique savante; pour suppléer
au chant, ils multiplieroient les accompagnemens; il leur en coûteroil
mo'ns de placer beaucoup de mauvaises parties les unes au-dessus des
autres, que d'en faire une qui fût bonne. Pour ôter l'insipidité, ils
augmenteraient la confusion; ils croiroient faire de la musique, et ih
ne feroient que du bruit.
Un autre efiet qui résulteroit du défaut de mélodie seroit que les mu:^
siciens, n'en ayant qu'une fausse idée, trouveroient partout une m.é-
lodie cà leur manière : n'ayant pas de véritable chant, les parties de
chant ne leur coûteroient rien à multiplier, parce qu'ils donneroieni
hardiment ce nom à ce qui n'en seroit pas, même jusqu'à la basse con-
tinue, à l'unisson de laquelle ils feroient sans façon réciter les basses-
tiilles, sauf à couvrir le tout d'une sorte d'accompagnement dont la
prétendue mélodie n'auroit aucun rapport à celle de la partie vocale.
Partout où ils verroient des notes ils trouveroient du chant, attendu
qu'en effet leur chant ne seroit que des notes, voces , prœterecique
nihil.
Passons niainlenant à la mesure, dans le sentiment de laquelle con-
siste en grande partie la beauté et l'expression du chant. La mesure est
à peu près à la mélodie ce que la syntaxe est au discours: c'est elle (jui
fait l'enchaînement des mots, qui distingue les phrases, et qui donne
un sens, une liaison au tout. Toute musique dont on ne sent point la
mesure ressemble, si la faute vient de celui qui l'exécute, à une écri-
ture en chiffres, dont il faut nécessairement trouver la clef pour en dé-
mêler le sens; mais si en efiet cette musique n'a pas de mesure sen-
sible . ce n'esl alors qu'une collection confuse de mots pris au iiasard et
écrits sans suite, aux(]uels le lecteur ne trouve aucun sens, parce que
l'auteur n'y en a point mis.
J'ai dit i|ue toute musi(|ue nationale tire son principal caractère de U
langue qui lui est~lTrojrre-, et je dois ajouter que c'est principalement la
jirosodie de la langue qui constitue ce caractère. Comme la musujux
vocale a précédé de beaucoup l'Instrumentale, celle-ci a toujours retu
de l'autre ses tours de chant et sa mesure; et les diverses mesures de
la musique vocale n'ont pu naître que des diverses manières dont on
pouvoit scander le discours et placer les brèves et les longues les unes
à l'égard des autres : ce qui est très-évident dans la musique grecque,
dont toutes les mesures n'étoient que les formules d'autant de rhythnies
fournis par tous les arrangemens des syllabes longues ou l)rèves, et des
p:eds dunt la langue et la poésie étoieuL susceptibles. De sorle c|ue,
<]uoiqu'on jmisse très-bien distinguer dans le rhythnie musical la nie-
SUR LA MUSIQUE FP.ANÇOISL;. 173
sure de ]a_prosodie . la mesure du vers et la mesure du chant, il ne
fa^ut pas douter que la musique la plus agréable, ou du moins la mieux
cadencée, ne soit celle où ces trois mesures concourent ensemble le
plus pai'faltement qu'il est possible.
Après ces éclaircissemens je reviens à mon hypothèse, et je suppose
que la même langue dont je viens de parler eût une mauvaise prosodie,
peu marquée, sans exactitude et sans précision; que les longues et les
Di'èves n'eussent pas entre elles, en durées et en nombres, des rapports
simples et propres à rendre le rhythme agréable, exact, régulier;
»]u'elle eût des longues plus ou moins longues les unes que les autres,
lies brèves plus ou moins brèves, des syllabes ni brèves ni longues, et
que les différences des unes et des autres fussent indéterminées et
presque incommensurables : il est clair quela musique nationale, étant
contrainte de recevoir dans sa^m^sure les irrégularités de la prosodie,
n'en auroit qu'une fort vague, inégale et très-peu sensible ; que le récitatif
se sentiroit surtout de cette irrégularité; qu'on ne sauroit presque com-
ment y faire accorder les valeurs des notes e^t celles des syllabes; qu'on
seroit contraint il'y changer de mesure à tout moment , et qu'on ne pour-
voit jamais y rendre les vers dans un rhythme exact et cadencé; que,
même dans les airs mesurés, tous les mouvemens seroient peu naturels
et sans précision; que, pour peu de lenteur qu'on joignît à ce défaut,
l'idée de l'égalité des temps se perdroit entièrement dans l'esprit du
chanteur et de l'auditeur: et qu'enfin la mesure n'étant plus sensibU ,
ni ses retours égaux, elle ne seroit assujettie qu'au caprice du musi-
cien . qui pourroit , à chaque instant , la presser ou ralentir à sou gré ,
de sorte qu'il ne seroit pas possible dans un concert de se passer de
quelqu'un qui la marquât à tous, selon la fantaisie ou la commodité
d'un seul.
C'est ainsi que les acteurs contracleroient tellement l'habitude de
s'asservir la mesure , qu'on les entend roi t même l'altérer à dessein dans
les morceaux où le compositeur seroit venu à bout de la rendre sensible.
Marquer la mesure seroit une faute contre la composition, et la suivre
en seroit une contre le' goût du chant : les défauts passeroient pour des
beautés, et les beautés pour des défauts: les vices seroient établis en
règles; et, pour faire de la musique au goût de la nation, il ne faudroit
que s'attacher avec soin à ce qui déplaît à tous les autres.
Aussi , avec quelque art que l'on cherchât à couvrir les défauts d'une
pareille musique, il seroit impossible qu'elle plût jamais à d'autres
oreilles qu'à celles des naturels du pays où elle seroit en usage : à force
d'essuyer des reproches sur leur mauvais goût, à force d'entendre dans
une langue plus favorable de la véritable musique, ils cherchei-oient à
en rapprocher la leur, et ne feroient que lui ôter son caractère et la
convenance qu'elle avoit avec la langue pour laquelle elle avoit été
faite. S'ils vouloient dénaturer leur chant, ils le rendroient dur, baro-
que, et presque inchantable; s'ils se contentoient de l'orner par d'au-
tres accompagneraens que ceux qui lui sont propres, ils ne feroient que
marquer mieux sa platitude par un contraste inévitable : ils ôteroient à
leur musique la seule beauté dont elle étoit susceptible, en ôtant à
ii
I ■
174 LETTKE
toutes ses parties runiformité de cai-actère qui la faisoil être une; eie\'f\
accoutumant les oreilles à dédaigner le chant pour n'écouter que 1
symphonie, ils parviendroient enfin à ne faire servir les voix que d'ac
eempagnement à l'accompagnement.
Voilà par quel moyen la musique d'une telle nation se diviseroit e:
musique vocale et en musique insliumentale; voilà comment, en don
nant des caractères diflerens à ces deux espèces, on en feroit un tou
monstrueux. La symphonie voudroit aller en mesure-, et léchant n
pi uvanl souffrir aucune gène, on entendroit souvent dans les même
morceaux les acteurs et l'orcliestre se contrarier et se faire ohstacl
mutuellement : cette incertitude et le mélange des deux caractères in
troduiroienl dans la manière d'accompagner une froideur et une làcliel
qui se tourneroient tellement en habitude, que les symphonistes n
pourroient pns, noèn^e en exécutant la boime musique, lui laiiiser ds 1
force et de l'éner^'ie. En la jouant comme la leur, ils l'énerveroient en
tièrement; ils feroient fort les doux, doux les fort, et ne connoîtroien
pas une des nuances de ces deux mots. Ces autres mots, rinforzando^
dolce', risoluto , con guslo , spiriloso, sostenato , con brio , n'auroien
pas même de synonymes dans leur langue, et celui d'expression n';
auroit aucun sens : ils substitueroient je ne sais combien de petits orne
■mens froids et maussades à la vigueur du coup d'archet. Quelque nom^
breux que fût l'orchestre, il ne feroit aucun effet, ou n'en feroit qu'ui
très-désagréable. Comme l'exécution seroit toujours lâche, et que le
symphonistes aimeroient mieux jouer proprement que d'aller en me
sure, ils ne seroient jamais ensemble : ils iie pourroient venir à bou
de tirer un son net et juste, ni de rien exécuter dans son caractère; e
les étrangers seroient tout surpris que , à quelques-uns près , un orciies
tre vanté comme le premier du monde seroit à peine digne des tréteau;
d'une guinguette'. Il devroit naturellement arriver que de tels musi'
ciens prissent en haine la musique qui auroit mis leur honte en évi'
dence; et bientôt, joignant la mauvaise volonté au mauvais goût^ il
metlroient encore du dessein prémédité dans la ridicule exécution don
ils auroient bien pu se fier à leur maladresse.
D'après une autre supposition contraire à celle que je viens de faire
je pourrois déduire aisément toutes les qualités d'une véritable mu-
sique , faite pour émgyvoir , pour imiter , pour plaixe et pour porter ai
cœur les plus douces impressions de l'iiarmonie et du chant: mais
comme ceci nous écarteroil trop de notre sujet, et surtout des idée:
qui nous sont connues, j'aime mieux me borner à quelques observation:
4. Il n'y a peul-étre pas quatre symphonistes françois qui sachent la dif-
férence de piano et dolce; el c'est fort inutilement qu'ils la sauroient, carqu
d'entre eux seroit en étal de la rendre?
2. Comme on m'a assuré qu'il y avoit parmi les symphonistes de l'Opcr;
■ non-seulement de très-bons violons, ce que je confesse qu'ils sont presqn'
tous, pris séparément, mais Je véritablement honnêtes gens, qui ne se prèteu
point aux rabales de leurs confrères pour mal servir le public, je me hàlf
d'ajouter ici cette distinction, pour réparer, autant qu'il est en moi, le lor
■que je puis avoir vis-à-vis de ceux qui la méritent.
SLT. LA MUSIQUE FRANÇOISE. 175
ur la musique italienne, qui puissent nous aider i mieux juger de 1t
nôtre.
Si l'on demandoit laquelle de toutes les langues doit avoir une meil-
leure grammaire, je répondrois que c'est celle du peuple qui raisonne
ie mieux: et si l'on demandoit lequel de tous les peuples doit avoir une
meilleure musique , je dirois que c'est celui dont la langue y est la plus '
propre. C'est ce que j'ai déjà établi ci-devant , et que j'aurai occasion
Je confirmer dans la suite de cette lettre. Or, s'il y a en Europe une
langue propre à la musique, c'est certainement l'italienne; car celte
langue est dmice , sojQpre , harmouiçuse et acceninée plus qu'aucune au-
tre . et ces quitre qualités sont précisément les plus convenables au chant.
Elle est douce,, parce que les articulations y sont peu composées,
que la rencontre des consonnes y est rare et sans rudesse, et qu'un très-
Trand nombre de syllabes n'y étant formées que de voyelles, les fré-
.luentes élisions en rendent la prononciation plus coulante-, elle est so-
nore, parce que la plupart des voyelles y sont éclatantes, qu'elle n'a
[pas de (liphthongues composé s. qu'elle a peu ou point de voyelles na-
l?ales. el que les articulations rares et faciles distinguent mieux le .-ron
les syllabes, qui en devient plus net et plus plein. A l'égard de l'har-
monie, qui dépend du nombre et de la prosodie autant que des sons,
l'avantage de la lingue italienne est manifeste sur ce point; car il faut
•tniai'(iuer que ce qui rend une langue harmonieuse et véritablement
pittoresque dépend moins de la force réelle de ses leinies (]ue de la dis-
lance qu'il y a du doux au fort entre les sons qu'elle emidoie, et du
;hi'ix qu'o> en peut faire pour les tableaux qu'on a à ]ieindre. Ceci sup-
tlposé , que ceux qui pensent que l'italien n'est que je langage de la dou-
eur et de la tendresse prennent la peine de comparer entre elles ces
jeux strophes du Tasse :
Teneri sdegni. e placide e tranquille
Repuise, e cari vezzi , e liele paci,
Sorrisi . parolelte. e dolci stdle
Di pianto..e sospir t.oncli , e molli bacci :
Fuse tai cose tutte. e noscia uiiille,
Ed al foco terapiô di lent- fa:i ;
E ne fnrmo quel ^i mii-abil ciiilo
Li ch' ella aveva il bel liancj succinto.
Cbiama pli ah'tator dell' ombre eterne
Il rauco suon del a tariarea tiomba :
Treman le spaziose aire caverne.
E l'aer cieco a quel roiiior rinibcmha;
Ne si slridendo mai dalle superiie
Regioni del cielo il folgor piomla.
Ne si scossa giammai tréma la terra
Quan lo i vapori in sen gravida serra.
Il s'ils désespèrent de rendre en franço^s la douce harmonie de i uns,
lL-':'s essajent d'exprimer la rauque dureté de l'autre. Il nesl pas
17G LETTRE
besoin, pour juger de ceci, d'entendre la langue, il ne faut qu'avoi
des oreilles et de la bonne foi. Au reste, vous observerez que cett
dureté de la dernière strophe n'est point sourde, mais très-sonore, e
qu'elle n'est que pour l'oreille et non pour la prononciation; car 1
langue n'articule pas moins facilement les r multipliées qui font 1
rudesse de cette strophe, que les i qui rendent la première si coulante
Au contraire , toutes les fois que nous voulons donner de la dureté
l'harmonie de notre langue , nous sommes forcés d'entasser des cou
sonnes de toute espèce qui forment des articulations difficiles et rudes
ce qui retarde la marche du chant, et contraint souvent la musiqu
d'aller plus lentement, précisément quand le sens des paroles exigeroi
le plus de vitesse.
Si je voulois m'étendre sur cet article , je pourrois peut-être vou
faire voir encore que les inversions de la langue italienne sont beau
coup plus favorables à la bonne mélodie que l'ordre didactique de 1
nôtre, et qu'une phrase musicale se développe d'une manière plu
agréable et plus intéressante, quand le sens du discours, longtemp
suspendu, se résout sur le verbe avec la cadence, que quand il se déve
loppe à mesure, et laisse affoiblir ou satisfaire ainsi par degrés le dési
de l'esprit, tandis que celui de l'oreille augmente en raison contrair
jusqu'à la fin de la phrase. Je vous prouverois encore que l'art des sus
pensions et des mots entrecoupés, que l'heureuse constitution de 1.
langue rend si familier à la musique italienne, est entièrement inconni
dans la nôtre, et que nous n'avons d'autre moyen pour y suppléer, qui
des silences qui ne sont jamais du chant, et qui, dans ces occasions
montrent plutôt la pauvreté de la musique que les ressources du musicien
Il me resteroit à parler de l'accent; mais ce point important demandi
une si profonde discussion, qu'il vaut mieux la réserver à unemeilleuri
main : je vais doue passer aux choses plus essentielles à mon objet, e
tâcher d'examiner notre musique en elle-même.
Les Italiens prétendent que notre mélodie est plate et sans aucui
chant, et toutes les nations ' neutres confirment unanimement leui
jugement sur ce point; de notre côté, nous accusons la leur d'êtn
bizarre et baroque"*. J'aime mieux croire que les uns ou les autres si
(rompent , que d'être réduit à dire que , dans des contrées où les science;
et tous les arts sont parvenus à un si haut degré, la musique seule es
encore à naître.
Les moins prévenus d'entre nous ^ se contentent de dire que la musi-
) . a 11 a été un temps, dit milord Scliaflesbury , où l'usage de parler fran-
îois avoit mis parmi nous la musique françoisc à la mode. Mais biciilôl 1;
musique italienne, nous montrant la nature de plus près, nojs dégoûla d(
l'autre, et nous la fit apercevoir aussi lourde, aussi plate et aussi maussad
qu'elle l'est en effet. »
•2. 11 me semble qu'on n'ose plus tant faire ce reproche à la mélodie ila
lienne, depuis qu'elle s'est fait entendre parmi nous : c'est ainsi que ccttt
musi(|iie admirable n'a qu'à se montrer telle qu'elle est pour se justifier d(
tous les loris dont on l'accuse.
A. Plusieurs condamnent l'exclusion totale que les amateurs de musiqw
SUR LA MUSIQUE FRANÇOISE. 177
que ilalienne et la françoise sont toutes deux bonnes . chacune dans son
genre, chacune pour la langue qui lui est propre : mais, outre que les
autres nations ne conviennent pas de cette parité, il resteroit toujours
à savoir laquelle des deux langues peut comporter le meilleur genre de
musique en soi; question fort agitée en France, mais qui ne le sera
jamais ailleurs ; question qui ne peut être décidée que par une oreille
parfaitement neutre, et qui, par conséquent, devient tous les jours
plus difficile à résoudre dans le seul pays où elle soit en problème.
Voici sur ce sujet quelques expériences que chacun est maître de vé-
rifier, et qui me paroissent pouvoir servir à cette solution, du moins
quant à la mélodie , à laquelle seule se réduit presque toute la dis-
pute.
J'ai pris dans les deux musiques des airs également estimés chacun
dans son genre, et, les dépouillant les uns de leurs ports de voix et de
leurs cadences éternelles, les autres des notes sous-entendues que le
compositeur ne se donne point la peine d'écrire , et dont il se remet à
l'intelligence du chanteur ', je les ai solfiés exactement sur la note,
sans aucun ornement, et sans rien fournir de moi-même au sens ni à la
liaison de la phrase. Je ne vous dirai point quel a été dans mon esprit le
résultat de cette comparaison , parce que j'ai le droit de vous proposer
mes raisons, et non pas mon autorité : je vous rends compte seulement
des moyens que j'ai pris pour me déterminer, afin que, si vous les
trouvez bons, vous puissiez les employer à votre tour. Je dois vous
avertir seulement que cette expérience demande bien plus de précaution
qu'il ne semble. La première et la plus difficile de toutes est d'être de
bonne foi, et de se rendre également équitable dans le choix et dans le
jugement. La seconde est que , pour tenter cet examen , il faut nécessai-
rement être également versé dans les deux styles; autrement, celui qui
seroit le plus familier se présenteroit à chaque instant à l'esprit au pré-
judice de l'autre : et celte deuxième condition n'est guère plus facile
que la première; car de tous ceux qui connoissent bien l'une et l'autre
musique . nul ne balance sur le choix ; et l'on a pu voir par les plaisans
barbouillages de ceux qui se sont mêlés d'attaquer l'italienne , quelle
connoissance ils avoient d'elle et de l'art en général.
Je dois ajouter qu'il est essentiel d'aller bien exactement en mesure ;
mais je prévois que cet avertissement, superflu dans tout autre pays,
clonnenl sans balancer à la musique françoise : ces modérés conciliateurs ne
voudroienl pas de goûls exclusifs , comme si l'amour des bonnes choses devoit
faire aimer les mauvaises.
i. C'est donner toute la faveur à la musique françoise, que de s'y prendre
ainsi : car ces noies sous-entendues dans l'ilalienne ne sont pas moins de
l'essence de la mélodie que celles qui sont sur le papier. 11 s'agit moins de ce,
— >4ui est écrit que de ce qui doit se chanter, el cette manière de noter doit
seulement passer pour une sorte d'abréviation au lieu que les cadences et les
poris de voix du chant françois sont bien, si l'on veut, exigés par le goiit, mais
ne constituent point la mélodie el ne sont pas de son essence ; c'est [lour
ei'e une sorte de fard qui couvre sa laideur sans la détruire, el qui ne la rend
'^uc p'us ridicule aux oreilles sensibles.
ItoLSlSI AU VI " 12
j78 LETTUE
sera fori inutile dans celui-ci , et celte seule omission entraîne nécessai-
rement l'incompétence du jugement.
Avec toutes ces précautions, le caractère de chaque genre ne tarde
pas à se déclarer , et alors il est bien difficile de ne pas revêtir les phrases
des idées qui leur conviennent, et de n'y pas ajouter, du moins par
l'esprit, les tours et les ornemens qu'on a la force de leur refuser par le
chant. Il ne faut pas non plus s'en tenir à une seule épreuve, car un ai'-
peut plaire plus qu'un autre, sans que cela décide de la préférence du
genre: et ce n'est qu'après un grand nombre d'essais qu'on peut établir
un jugement raisonnable : d'ailleurs, en s'ôtant la connoissance des
paroles, on s'ôte celle de la partie la plus importante de la mélodie, qui
est l'expression: et tout ce qu'on peut décider par cette voie, c'e-t si la.
modulation est bonne et si le chant a du naturel et de la beauté. Tout^
cela nous montre combien il est difficile de prendre assez de précautions
contre lespréjugés , et combien le raisonnement nous est nécessaire pour
nous mettre en état de juger sainement des choses de goût.
^ J'ai fait une autre épreuve qui demande moins de précautions, et qui
vous paroîtra peut-être plus décisive. J'ai donné à chantera desltalieii^
les plus beaux airs de Lulli , et à des musiciens françois des airs de Léo-
et de Pergolèse, et j'ai remarqué que, quoique ceux-ci fussent fort éloi-
gnés de saisir le vrai goût de ces morceaux, ils en sentoient pourtant la
mélodie, et en tiroient à leur manière des phrases de musique chan-
tantes, agréables et bien cadencées. Mais les Italiens, solfiant très-exac-
tement nos airs les plus pathétiques, n'ont jamais pu y reconnoître ni
phrases ni chant; ce n'étoit pas pour eux de la musique qui eût du sens
mais seulement des suites de notes placées sans choix, et comme au
hasard ; ils les chantoient précisément comme vous liriez des mots arabes
écrits en caractères françois '.
"l'roisième expérience. J'ai vu à Venise un Arménien, homme d'esprit
qui n'avoit jamais entendu de musique, et devant lequel on exécuta,
dans un même concert, un monologue françois qui commence par ce-
vers :
Temple sacré, séjour tranquille
et un air de Galuppi, qui commence par celui-ci:
Voi che languite senza speranza.
L'un et l'autre furent chantés, médiocrement pour le françois et mal'
pour l'italien, par un homme accoutumé seulement à la musique frnn-
çoise, et alors très-enthousia.ne de celle de M. Rameau. Je remarquai,
dans l'Arménien, durant tout le chant françois, plus de surprise que
de plaisir: mais tout le monde observa, dès'les premières mesures de
l'air italien , que son visage et sss yeux s'adoucissoient : il étoit enchanté ,.
i. Nos musiciens prétendent lirer im grand avantage de celle difTérunce
J\io,is exécutons la musique italienne, disent ils avec leur ficilé accouliimée^
et les [laliens ne peuvent exécuter la nôtie; donc notre musique vaut mieux qui
la leur, lis ne voient pas qu'ils dovroienl lirer une conséquence toute Cùf.-
Iraire, et diie, dune les Italiens ont une môlodie, et nous n'en avons voint,
SUR LA MUSIQUE FRANÇOISE. 179
il prètoit son âme aux impressions de la musique; et, quoiqu'il enten-
dit peu la langue, les simples sons lui causoient un ravissement sen-
sible.^Dès ce moment on ne put plus lui faire écouter aucun air fran-
çois. ^
Mais, sans chercher ailleurs des exemples, n'avons-nous pas même
parmi nous plusieurs personnes qui, ne connoissant que notre Opéra,
croyoient de bonne foi n'avoir aucun goût pour le chant, et n'ont été
désabusées que par les intermèdes italiens? C'est précisément parce
qu'ils n'aimoient que la véritable musique, qu'ils croyoient ne pas aimer
la musique.
J'avoue que tant de faits m'ont rendu douteuse l'existence de notre
mélodie, et m'ont fait roupçonner qu'elle pourroit bien n'être qu'une
sorte de plain-chant modulé, qui n'a rien d'agréable en lui-même, qui
ne plaît qu'à l'aide de quelques ornemens arbitraires, et seulement à
ceux qui sont convenus de les trouver beaux. Aussi à peine notre mu-
sique est-elle supportable à nos propres oreilles, lorsqu'elle est exécutée
par des voix médiocres qui manquent d'art pour la faire valoir. Il faut
dçs Fel et des Jelyotte pour chanter la musique françoise; mais toute
voix est bonne pour l'italienne, parce que les beautés du chant italien
sont dans la musique même, au lieu que celles du chant françois, s'il
en a, ne sont quo dans l'art du chanteur '.
Trois choses me paroissent concourir à lâ_pfixfectioQ-d.e-la mélodie -
italienne. La première est la douoaur de la langue, qui, rendant toutes
les inflexions faciles, laisse au goût du musicien la liberté d'en faire ui^
choix plus exquis, de varier davantage les combinaisons, et de donner
à chaque acteur un tour de chant particulier, de même que chaque
homme a son geste et son ton qui lui sont propres et qui le distinguent
d'un autre homme.
La deuxième est la hardiesse des modulations, qui, quoique moins :
servilement préparées que les nôtres, se rendent plus agréables en se
rendant plus sensibles, et, sans donner de la dureté au chant, ajoutent
une vive énergie à l'expression. C'est par elle que le musicien, passant
brusquement d'un Ion ou d'un mode à un autre, et supprimant, quand
il le faut , les transitions intermédiaires et scolastiques , sait exprimer
les réticences, les interruptions, les discours entrecoupés, oui sont le
langage des passions impétueuses, que le bouillant Métastase a em-
ployé si souvent, que les Porpora , les Galuppi, les Cocchi, les Jom-
^ . Au reste, c'est une erreur de croire qu'en général les chanteurs italiens
aient moins de voix que les françois. Il faut, au contraire, qu'ils aient le
timbre plus fort et plus harmonieux pour pouvoir se faire entendre sur les
lliéàlres immenses de l'Ilalie, sans cesser de ménager les sons, comme le veut
la musique italienne. Le chant françois exige tout l'effort des poumons, toute
l'étendue de la voix. «Plus fort, nous disent nos maîtres; enflez les sons, ou-
vrez la bouche, donnez toute votre voix. — Plus doux, disent les maîtres ita-
liens; ne forcez point, chantez sans gêne; rendt'Z vos sons doux, flexibles et
coulans; réservez les éclats pour ces momens rares et passagers oii il faut
sut prendre et déchirer. » Or il me paroît que, dans la nécessité de se faire en-
tendre, celui-là doit avoir plus de voix, qui peut se passer de crier.
KO LLTTUC
nielli . les Perez. les Terraiieglias, ont su rendre avec succès, et que
nos poètes' lyriques coni.oisseiu aussi jeu que nos musiciens.
Le troisième avantage, el celui qui prèle à la mélodie son plus grand
eflel, est l'exii'ême prçcision de mesure qui s'y fait sentir dans les mou-
vemens les plus lents ainsi que dans les plus gais, précision qui rend
le chant animé et intéressant, les accompagnemens vifs et cadencés:
([ui multiplie réel ement les chants, en faisant d'une même combinaison
de sons aulant de diflërenlis mélodies qu'il y a de manières de les
scander: qui porte au cœur tous les sentimens, et à l'esprit tous les
tableaux: qui donne au musicien le moyen de mettre en air tous les
caractères dn paroles imaginables, plusieurs dont nous n'avons pas
même l'idée' : et qui rend tous les mouvemens propres à exprimer tous
les caractères', ou un seul mouvement propre à contraster et changer
de caractère au gré du compositeur.
Voilà, ce me semble, les sources d'où le chant italien tire ses
charmes et son énergie: à quoi l'on peut ajouter une nouvelle et très-
forte preuve de l'avantage de sa mélodie, en ce qu'elle n'exige pas, au-
tant que la nôtre, de ces fréquens renversemens d'harmonie qui don-
nent à la basse continue le véritaide chant d'un dessus. Ceux qui
trouvent de si grandes beautés dans la mélodie françoise devroient bien
nous dire à laquelle de ces choses elle en est redevable, ou nous mon-
trer les avantages qu'elle a pour y suppléer.
Quand on commence à connoître la mélodie iîali-en-ner-on ne lui
trouve d'abord que des grâces, et on ne la croit fnopre qu'à exprimer
des s Mitimens agréables; mais, pour peu qu'on étudie son caractère
pathétique et tragique", on est bientôt surpris de la force que lui prête
l'art des compositeurs dans les giands morceaux de musique, (-'est à
l'aide de ces modulations savantes, de cette harmonie simple et pure,
de ces accompa.gnemens vifs et brillans, que ces chants divins déchirent
ou ravissent l'âme, mettent le spectateur hors de lui-même, et lui ar-
rachent, dans ses transports, des cris dont jamais nos tranquilles
opéras ne furent honorés.
Comment le musicien vient-il à bout de produire ces grands effets?
Est-ce à force de contraster les mouvemens, de muUiplier les accords,
les notes, les parties? est-ce à force d'entasser dessins sur dessins, in-
1. Pour ne pas sortir du genre comique, le seul connu à Paris, voyez les
airs : a Quando sciollo aviô il conlralU), etc. lo o un vespajo, etc. 0 i|uesio ci
Il qucllo l'ai a risolverc, tic. A un guslo da slordirc, olc. Stizzoso mio, »\.'iy.-
II zoso, Ole. lo sono uiia donzclia, etc. Quanti niacslri, quanti dottoii, etc. I
« shirri sia lo aspellano, etc. Ma dunque il icslamenln , etc. Senti me, so
« brami slare, o ciip risa! clie piacere! » etc.; tous caracièrcs d'airs dont la
musique françoise n'a p;is les premiers élémens, et dont elle n'est pas en clal
U'cxprimer un seul mttl.
2. Je me conlenierai d'en citer un seul exemple, mais Irès-fiappanl ; c'est
l'air ^e pur d'un in/clice, elc, de lu Fausse Suivante, air irès-palliélique, sur
un mouvemcnl Irés-yai, auquel il n'a manqué qu'une voix pour le chanter,
un orcliesuc pour l'acrompagner, des oreilles pour l'entendre , et la seconde
vaille qu'il ne l'allnil pas supprimer.
SUR LA MUSiaUli FRANÇUlSE. 181
strumens sur instrumens? Tout ce fatras, qui n'est qu'un mauvais
supplément où le génie manque, éloufTeroit le chant loin de l'animer.
et détruiroil l'intérêt en partageant l'attention. Quelque harmonie que
puissent faire ensemble plusieurs parties toutes bien chantantes, l'ellel
de ces beaux chants s'évanouit aussitôt qu'ils se font entendre à la fois ,
et il ne reste que celui d'une suite d'accords, qui, quoi qu'on puisse
dire, est toujours froide quand la mélodie ne l'anime pas : de sorte
que plus on entasse des chants mal à propos, et moins la musique est
agréable et chantante, parce qu'il est impossible à l'oreille de se prêter
au même instant à plusieurs mélodies, et que. l'une effaçant l'impres-
sion de l'autre, il ne résulte du tout que de la confusion et du bruit.
Pour qu'une musique devienne intéressante, pour qu'elle porte à l'âme
les tentimens qu'on y veut exciter, il faut que toutes les parties con-
courent à fortifier l'e.ïpression du sujet; que l'harmonie ne serve qu'à
le rendre plus énergique; que l'accompagnement l'embellisse sans le
couvrir ni le défigurer-, que la basse, par une marche un-iforme et
simple, guide en quelque sorte celui qui chante et celui qui écoute,
sans que ni l'un ni l'autre s'en aperçoive : il faut, en un mot, que le
tout ensemble ne porte à la fois qu'une mélodie à l'oreille et qu'une
idée à l'esprit.
Cette unité de mélodie me paroît une règle indispensable et non
moins importante en musique que l'unité d'action dans une tragédie:
car elle est fondée sur le même principe , et dirigée vers le même objet.
Aussi tous les bons compositeurs italiens s'y conforment-ils avec un
soin qui dégénère quelquefois en affectation; et, pour peu qu'on y ré-
fléchisse , on sent bientôt que c'est d'elle que leur musique tire son prin-
cipal effet. C'est dans cette grande règle qu'il faut chercher la cause
des fréquens accompagnemens à l'unisson qu'on remarque dans la mu-
sique italienne, et qui, fortifiant l'idée du chant, en rendent en même
temps les sons plus moelleux, plus doux, et moins fatigans pour la
voix. Ces unissons ne sont point praticables dans notre musique , si ce
n'est sur quelques caractères d'airs choisis et tournés exprès pour cela:
jamais un air pathétique françois ne seroit supportable accompagné de
celle manière, parce que. la musique vocale et l'instrumentale ayant
parmi nous des caractères différens, on ne peut, sans pêcher contre la
mélodie et le goût, appliquer à l'une les mêmes tours qui conviennent
à l'autre : sans compter que , la mesure étant toujours vague et indéter-
minée, surtout dans les airs lents, les instrumens et la voix ne pour-
roient jamais s'accorder, et ne marcheroient point assez de concert
pour produire ensemble un effet agréable. Une beauté qui résulte en-
core de ces unissons , c'est de donner une expression plus sensible à la
mélodie, tantôt en renforçant tout d'un coup les instrmnens sur un
passage , tantôt en les radoucissant , tantôt en leur donnant un trait de
chant énergique et saillant, que la voix n'auroit pu l'aire, et que l'au-
diteur, adroitement trompé, ne laisse pas de lui attribuer quand l'or-
chestre sait le faire sortir à propos. De là naît encore cette parfaite
correspondance de la symphonie et du chant, qui fait que tous les
traits qu'on admire dans l'une ne sont que des développemens de
182 LETTRE
l'autre: de sorte que c'est toujours dans la partie vocale qu'il faut cher-
cher la source de toutes les beautés de l'accompagnement : cet accom-
pagnement est si bien un avec le chant, et si exactement relatif aux pa-
roles, qu'il semble souvent déterminer le jeu et dicter à l'acteur le
^'este qu'il doit faire'; et tel qui n'auroit pu jouer le rôle sur les pa-
roles seules le jouera très-juste sur la musique, parce qu'elle fait bien
ta fonction d'interprète.
Au reste, il s'en faut beaucoup que les accompagnemens italiens
soient toujours à l'unisson de la voix. Il y a deux cas assez fréquens
où le musicien les en sépare : l'un, quand la voix, roulant avec légè-
reté sur des cordes d'harmonie, fixe assez l'attention pour que l'accom-
pagnement ne puisse la partager; encore alors donne- t-on tant de sim-
plicité à cet accompagnement , que l'oreille , affectée seulement d'accords
agréables, n'y sent aucun chant qui puisse la distraire : l'autre cas de-
mande un peu plus de soin pour le faire entendre.
a Quand le musiciçn saura son art, dit l'auteur de la Lettre sur les
sourds et les muets, les parties d'accompagnement concourront ou à
fortifier l'expresbion delà partie chantante, ou à ajouter de nouvelles
idées que le sujet demandoit, et que la partie chantante n'aura pu
rendre. » Ce passTge me paroit renfermer un précepte trèo-ulile, et
voici comment je pense qu'on doit l'entendre.
Si le chant est de nature à exiger quelques additions , ou , comme di-
soient nos anciens musiciens, quelques diminutions^ , qui ajoutent à
l'expression ou à l'agrément, sans détruire en cela l'unité de mélodie,
de sorte que l'oreille, qui blàmeroit peut-être ces additions faites pa:' la
voix , les approuve dans l'accompagnement j et s'en laisse doucement
att'ectersans cesser pour cela d'être attentive au chant; alors rhabile
musicien, en les ménageant à propos et les employant avec j^oùt, em-
bellira son sujet, et le rendra plus expiessif sans le rendre moins un;
et quoique l'accompagnement n'y soit pas exactement semblable à la
partie chantmte, l'un et l'autre ne feront pourtant qu'un chant et
qu'une mélodie. Que si le sens des paroles comporte une idée accessoire,
que le chap.t n'aura pas pu rendre, le musicien l'enchâssera dans des si-
lences ou dans des tenues, de manière qu'il puisse la présenter à l'au-
diteur sans le détourner de celle du chant. L'avantage seroit encore
plus grand si cette idée accessoire pouvoit être rendue par un accom-
pagnement contraint et continu, qui -fît plutôt un léger murmure
qu'un véritable chant, comme seroit le bruit d'une rivière ou le ga-
zouillement des oiseaux : car alors le compositeur pourroit séparet
tout à fait le chant de l'accompagnement; et, destinant uniquement ce
dernier à rendre l'idée accessoire, il disposera son chant de manière à
i. Oa en trouve des exemples fréquens dans les intermèdes qui nous ont
élé donnés celle année, enlre aulres dans l'air ^ un gusto da stordiie , du
Maître de musique; dans celui Son [ladione ^ de la. Femme oigiicilleuse ; dans
celui T'i sio hen, du Tracollo; dans cehd Tti iwn pend, no, sigaora, de la Bolié-
mienne, et dans presque tous ce>;x qui demandent du jeu.
2. On Ircuvera le niot Diininiiiion dans le quatrième voluinc de l'Cncjr-
clopédie .
SL'R LA. MUSIQUi: FRANÇOISE. 183
«donner des jours fréquens à Torcliestre, en observant avec soin que la
^ynlj'ilonie soit toujours dominée par la partie cliaulaute. ce qur dé-
pend encore plus de l'ait du compositeur que de l'exécution des in-
strumens : mais ceci demande une expérience consommée, pour éviter
la duplicité de mélodie.
Vo<Li tout ce que la règle de l'unité peut accorder au goût du musi-
cien pour pafer le chant ou le rendre plus expressif, soit en embellis-
sant le sujet principal, soit en y ajoutant un autre qui lui reste assu-
jetti : rhais de faire chanter à part des violons d'un côié^ de l'autie
tles flûtei, de l'auire des bassons, chacun sur un dessin paiticulier et
presque sans rapport entre eux, et d'appeler tout ce chaos de la uiusi-
•que , c'est insulter également l'oreille et le jugement des audiieurs.
Une autre chose qui n'est pas moins contraire que la multiplie -tion
•des parties à la règle que je viens d'établir, c'est l'abus ou plutôt l'usage
•des fugues, imitations, doubles dessins, et autres beautés arLiitrai:es
et de pure convention, qui n'ont pres(jue de mérite que la diiliculté
vaincue, et qui toutes ont été inventées dans la naissance de l'art pour
-^iaire briller le savoir, en attendant qu'il fût question du génie. Je ne
dis pas qu'il soit tout à fait impossible de conserver l'unité de mélodie
dans une fugue . en conduisant habilement rallenlion de l'auditeur d'une
partie à l'autre à mesure que le sujet y passe; mais ce travail est si pé-
nible .que presque personne n'y réussit, et si ingrat, qu'à peine le suc-
cès peut-il dédommager de la fatigue d'un tel ouvrage. Tout cela, n'a-
jjoulissant qu'à faire du bruit, ainsi que la plupart de nos chœurs si
ad'.niiés', est également indigne d'occuper la plume d'un homme de
^é'^ie et l'aitenlion d'un homme de goût. A l'égard des contre-fugues,
■doubles fugues, fugues renversées, basses contraintes, et au^ires sot-
_iiies-diXfieiles que l'oreille ne peut souffrir et que la raison ne peut jus-
tifier, ce sont évidemment des restes de barbarie et de mauvais goût,
•qui ne subsistent, comme les portails de nos églises gotiiiques, que
pour la honte de ceux qui ont eu la patience de les faire.
Il a été un temps où l'Italie étoit barbare : et, mèine après la renais-
sance des autres arts, que l'Europe lui doit tous, la musique plus tar-
'live n'y a point pris aisément cette pureté de goût qu'on y voit briller
ijourd'hui; et l'on ne peut guère donner une plus mauvaise idée de
-: qu'elle étoit alors, qu'en remarquant qu'il n'y a eu pendant long-
temps qu'une même musique en France et en Italie', et que les musi-
1. Les Italiens ne sont pas eux-mêmes tout à fait revenus de ce iircjugé
iiaibare. lisse (liquenl encore d'avoir, dans leurs églises, de la njiisi(|ue
bruy.nnte; ils ont souvent dus messes et des molt^ts à i|ualre ciiœuvs, chacun
sur un dessin clirPcreni; mais les grands niailres ne font que rire de tout ce
latras. Je me souviens que Tevradeglias, me [larlanl de plusieiu-.s moifls de sa
-composition où il avoit mis des chœurs travailles avec un grand soin, étoit
honteux d'en avoir fait (ii; si beaux , et s'en cxcusoit sur sa jeunesse, a Autre-
lois , disoil-il, j'aimois à faire du bruit; à présent je lâche de fa're de la
mnsii|iic. -n
2. L'aiiljc du Ros se tourmente beaucoup r""r faiio honneur aux Pays-Bas
du rcaouvcllemeul de la musique, et cela puurroit s admclire si l'un duunoit
184 LETTUE
cieiis des deux contrées communiquoient familièrement entre eux,
"ion pourUiDl sans qu'on pût remarquer déjà dans les nôtres le germe
(3e ctjlte jalausiequi -eal inséparable de l'infériorité. Lulli même , alarmé
de Tairivée de Corelli . se hâta de le faire ciiasser de France : ce qui lui
fut d'autant plus aisé que Corelli éloit plus grand homme, et, par con-
séquent, moins courtisan que lui. D;uis ces temps où la musique nais-
îoit à peine, elle avoit en Italie cette ridicule emphase de science har-'
monique, ces pédar.tesques prétentions de doctrine qu'elle a chèrement
conservées parmi nous, et par lesquelles on distingue au'ourd'hui
celte musique méthodique, compassée, mais sans génie, s^ns invention
et sans goût, qu'on appelle à l^aris musique écrite par excellence, et qui,
tout au plus, n'est bonne, en effet, qu'à écrire, et jamais à exécuter.
Depuis même que les Italiens ont rendu l'harmonie plus pure, plus sim-
ple, et donné tous leurs soins à la perfection de la mélodie, je ne nie
pas qu'il ne soit encore demeuré parmi eux quelques légères traces des
fugues et dessins gothiques, et quelquefois de doubles et triples mélo-
dies : c'est de quoi je pourrois citer plusieurs exemples dans les inter-
mèdes qui nous sont connus, et entre autres le mauvais quatuor qui est à la
lin de la Femme orgueilleuse. Mais outre que ces choses sortent du ca-
ractère établi, outre qu'on ne trouve jamais rien de semblable dans les
trngédiesy et qu'il n'est pas plus juste de j'iger de l'opéra italien sur ces
fai'cts, que de juger notie théâtre l'runcois sur l'Impromptu de campa-
gne ou le Bnron de La Crasse; il faut aussi rendre justice à l'art avec
lequel les compositeurs ont souvent évité , dans ces intermèdes , les piè-
ges qui leur éioient tendus par les poètes, et ont fait tourner au profit
de la règle des situations qui sembloient les forcer à l'enfreindre.
De toutes les parties de la musique, la plus difficile à traiter, sans
sortir de l'unité de mélodie, est le duo: et cet article mérite de nous
arrêter un moment. L'auteur de la Lettre sur Ompliale a déjà remarqué-
que les duos sont hors de la nature: car rien n'est moins naturel que de
voir deux personnes se parler à la fois durant un certain temps, soit
pour dire la même chose , soit pour se contredire , sans jamais s'écouter
ni se répondre. Et quand cette supposition pourroit s'admettre en cer-
tains cas, il est bien certain que ce nu seroit jamais dans la tragédie,
où cette indécence n'est convenable ni à la dignité des personnages qu'on
y fait parler, ni à l'éducation qu'on leur suppose. '.Or , le meilleur moyen
de sauver cette absurdité c'est de traitex. le plus qu'il est possible, le
duo en dialog^iie, et ce premier soin regarde le poète : ce qui regarde le
musicien, c'est de trouver un chant convenable au sujet, et distribué de
telle sorte que, chacun des interlocuteurs parlant alternativement, toute
la suite du dialogue ne forme qu'une mélodie , qui , sans changer de su-
ie nom lie musique à un continuel remplissage d'accords; mais si l'harmonie
n'csl que la base commune , et que la mélodie seule conslilue le caractère,
non-seulement la musique moderne est née en Italie, mais il y a qucl(]Ue ap-
parence que, dans tou.cs nos langues vivantes , la musique iialienne est la
seule (jui puisse réellement exister. Du temps d'Oriande fi de Goudimcl, on
|faisoil de l'Iiaimonie cl dos sons; LuUi y a joint un peu de cadence; Corjlli,
■ Huiinoucini. Vinci etPeigulèsc, sont 'es premiers qui aiuU lail de la musique.
sur. LA MLSlQLt: FRANÇOISE. 185
jel , ou du moins sans altérer le mouvement, passe dans son progrès
dune partie à l';iutre sans cesser d'être une. et sans enjamber. Quand
un joint ensemble les deux parties, ce qui doit se faire rarement et du-
ret peu, il faut trouver un chant susceptible d'une mareliejjar .tierces
4m_i'ar sixtes, dans lequel la seconde partie fasse son effet sans distraire
l'oreille de la première : il faut garder la dureté des dissonances, les
sous perçans et renforces, le fortissimo de l'orcheslre. pour des in-
stans de désordre et de transport où les acteurs, semblant s'oublier eux-
mêmes, portent leur égarement dans l'âme de tout spectateur sensible,
et lui font éprouver le pouvoir de l'harmonie sobrement ménagée. Mais
ces instans doivent être rares et amenés avec art. Il faut, par une mu-
sique douce et affectueuse, avoir déjà disposé l'oreille et le cœur à l'é-
motion pour que l'un et l'autre se prêtent à ces ébranlemens violens :
et il faut qu'ils passent avec la rapidité qui convient à noire foiblesse:
car, quand l'agitation est trop forte, elle ne sauroit durer ; et tout ce
qui est au delà de la nature ne touche plus.
En disant ce que les duos doivent être, j'ai dit précisément ce qu'ils
sont dans les opéras italiens. Si quelqu'un a pu entendre sur un théâtre
d'Italie un duo tragique chanté par de bons acteurs, et accompagné par
un véritable orchestre, sans en être attendri; s'il a pu d'un œil sec as-
sister aux adieux de Mandane et d'Arbace, je le tiens digne de pleurer
à ceux de Libye et d'Épaphus.
Mais . sans insister sur les duos tragiques, genre de musique dont oit-i
n'a pas même l'idée à Paiis. je puis vous citer un duo comique qui est
connu de tout le inonde . et je le citerai hardiment comme un modèle de
chant , d'uniié . de mélodie . de dialogue et de goût . auquel . selon moi .
rieu ne manquera, quand il sera bien exécuté, que des auditeurs qui
sachent l'entendre : c'est celui du premier acte de la Séria Padrmia .
« Lo conosco a quegl' occhietti . ■» etc. J'avoue que peu de musiciens fran-
Lûis sont en état d'en sentir les beautés; et je dirois volontiers de Per-
golèse. comme Cicéron disoit d'Homère, que c'est avoir déjà fait beau-
coup de progrès dans l'art que de se plaire à sa lecture.
.T'espère, monsieur, que vous me pardonnerez la longueur de cet ar-
ticle en faveur de sa nouveauté et de l'importance de son objit : j'a cru
devoir m'élendre un peu sur une règle aussi essentielle que celle dej'n-
n'o.é dejnélodie : règle dont aucun théoricien, que je sache, n'a parlé
jusqu'à ce jour, que les compositeurs italiens ont seuls.sentie et prati-
(juée, sans se douter peut-être de son existence, et de laquelle dépen-
dent la douceur du -chant . la force de l'expression, et presque tout le
charme de la bonne musique. Avant que de quitter ee sujet, il me reste
à vous montrer qu'il en résulte de nouveaux avantages pour l'harmonie
même . aux dépens de laquelle je semblois accorder tout l'avantage à la
mélodie, et que l'expression du chant donne lieu à celle des accords en
forçant le compositeur à les ménager.
Vous ressouvenez-vous, monsieur, d'avoir entendu quelquefois, dans
les intermèdes qu'on nous a donnés cette année, le fiis de l'entrepreneur
italien, jeune enfant de dix ans au plus, accompagner quelquefois à
l'Opéra? Nous fûmes frapi^és, dès le premier jour, de l'effet que pro-
■Î86 LETTRE
.iuisoil su.is SCS petits doigts raccorrpagnemcnt du clavec-,!: et tout le
spectacle s ai.er.ut a son jeu précis et brillant que ce n'etoit pa's l'ac-
compagnateur ordinaire. Je cherchai aussitôt les raisons de cette diiïé-
■ ence. car je ne doutois pas que le sieur Noblet ne fût bon harmoniste
et n accompagiîat très-exactement : mais quelle fut ma surprise en ob-
servant les mains du , etit bonhon.me. de voir qu'.l ne remrd?s°oit
presque jamais les accords, qu'il supprimoit beaucoup de sons et n'em-
vt'Z h'?^''"^, ^"' ^'"' '^°'§'*' '^°"' '■^'" ^°"'"^'' f^'-esqi'e toujours f
■ il ' '" ^'''' ■ T°' ■ '^''"■'■J' '' moi-même, l'harmonie complète
tau momsueiïet que l'harmonie mutiiée, et nos accompagnateurs en
rendant tous les accords pleins, ne font qu'un bruit confus, tandisque
celui-c. avec mo:ns de sons, fait plus d-i.avmonie, ou. du moins rend
son accompagnement plus sensible et plus agréable! » Ceci fut pour moi
un pi obleme inquiel-int : et j'en compris encore mieux toute l'importance
quand après d autres observations, je vis que les Italiens accompa-
f-i.oient tous de la même manière que le petit bambin . et que par con-
séquent, cette épargne dans leur accompagnement devoit tenir au même
prmcipe que celle qu'ils afTectent dans leur partition
Jecomprenois Lien que la basse, étant le fondement de toute Ihar-
monie, do.t toujours dominer sur le reste, et que, quand les autres
parues letouiïent ou la couvrent, il en resuite une confusion qui peut
re.jdre lharn:on,e plus sourde; et je m'e.xpliquois ainsi pourquoi le
Italiens, si econom.es de leur main droile dans Taccompagnement re-
doublent ordinairement à la gauche l'octave de la basse: pourquoi ils
mettent tant de contre-basses dans leurs orchestres, et pourquoi L
font Si souvent marcher leurs quintes ■ avec la basse, au lieu de leur
.:onner une autre j^rtie, comme les Français ne manquent jamais de
taire. Mais ceci , qui pouvoit rendre raison de la netteté des accords
n en rendoit pas de leur énergie, et je vis bientôt qu'il devoit v avo^r
quelque principe plus caché et plus fin de l'e.xpression que je remar-
quois dans la simplicité de l'haimonie italienne, tandis que je trouvois
la notre si composée, si froide et si languissanle
Je riie souvins alors d'avoir lu dans quelque ouvrage de M Rameau
rue chaque consonnance a son caractère particulier, c-esl-à-dire une
rnaïuere d affecter lame qui lui est propre-, que l'effet de la tierce nest
io,nt e même que celui de la quinte, ni l'eflel de la quarte le même
aie celui de la sixte : de même les tierces et les sixtes mineures doi-
vent produire des affections différentes de celles que produisent les
tierces et les s:xtes majeures; et ces faits une fois accorde^ il s'ensu't
-sez évidemment que ies dissonances et tous les intervalles possibles
-eront aussi dans le même cas; expérience que la raison confirme
puisque, toutes les fois que les rapports sont ditférens, l'impression n»
sauroit être la même.
^ «. 0,1 peut remarquer à l'orchostro de notre Opéra que, dans la muM(nm
uahcnrie les quintes ne Jouent pics<|ue jamais leur partie quaiid HIe es! à
Inciavede la basse; peul-èlre ne daifen.-t-on pas mémela copier en pareil
onn. . "^ ''"' '^""''"f «^"l ' orchestre ignorcroienl ils que ce dttaut de liaiscn
cnlic !a basse cl le dessus icnJ l'haimonic ln<p sùchc >
I
SLR LA MUSIOUC FISANÇOISE. 187
otOr, mcdisois-je à moi-même en laisonnanl d'après celle supposilion ,
je VOIS clairement que deux consonnances ajoutées l'une à l'autre mal à
propos, quoique selon les règles des accords, pourront, même en aug-
mentant l'harmonie, attbiblir mutuellement leur eiïet, le combattre ov.
le partager. Si tout l'efiet d'une quinte m'est nécessaire pour l'expres-
sion dont j'ai besoin, je peu\ risquer d'alToiblir cette expression par un
troisième son , qui . divisant cette quinte en deux autres intervalles, en
modifiera nécessairement l'efTel par celui des deux tierces dans lesquelles
je la resous; et ces tierces mêmes, quoique le tout ensemble fusse une
fort bonne harmonie, étant de différente espèce, peuvent encore nuire
mutuellement â l'impres.-ion l'une de l'.nutre. D; même, si l'impress-oii
simultanée de la quinte et des deux tierces m'étoit nécessaire . jalToi-
blirois et j'altérerois mal à propos cette impression en reiranchanl un
des trois sons qui en forment l'accord.» Ce raisonnement devient encore
plus sensible appliqué à la dissonance. Supposons que j'aie besoin de
toute la dureté du triton, ou de toute la tadeur de la fausse quinte,
opposition, pour le dire en passant, qui prouve combien les dive.s ren-
versement des accords en peuvent changer l'elTet: si, dans une telle
circonstance, au lieu de porter à l'oreille les deux uniques sons qui
forment la dissonance, je a. 'avise de remplir l'accord de tous ceux qui
lui conviennent, alors j'ajoute au triton la seconde et la sixte, et à la
fausse quinte la sixte et la tierce, c'est-à-dire qu'introduisant dans
chacun de ces accords une nouvelle dissonance, j'y introduis en même
temps trois consonnances qui doivent nécessairement en tem;érer et
flffoiblir l'effet, en rendant un de ces accords moins fade et l'autre moins
dur. C'est donc un principe certain et fondé dans la nature, que toute
musique où l'harmonie est scrupuleusement remplie, tout accompagne-
meni où tous les accords sont complets, doit faire beaucoup de bruit,
msis avoir très-peu d'expression : ce qui est précisément le caraclère de
la musique françoise. Il est vrai qu'en ménageant les accords et les
lies, le choix devient difficile et liemande beaucoup d'expérience et
-Toiît pour le faire toujours à propos : mais s'il y a une règle pour
a;aer au composiieur' à se bien conduire en pareille occasion, c'est cer-
tainement celle de l'unité de mélodie que j'ai tàclié d'établir: ce qui so
rapporte au caractère de la musique italienne, et rend raison de la dou-
ceur du chant, joint- à la force d'expression qui y règne.
11 suit de tout ceci qu'après avoir bien étudié les règles élémentaires
•de l'harmonie, le musicien ne doit point se liâler de la prodiguer incon-
sidérément, ni se croire en état de composer parce qu'il sait remplir des
accords, mais qu'il doit, avant que de mettre la main à l'œuvie. s'ap-
pliquer à l'étude beaucoup plus longue et plus difficile des impressions
•diverses que les consonnances. les dissonances, et tous les accords,
font sur les oreilles sensibles, et se dire souvent à lui-même que le grand
•art du compositeur ne consiste pas moins à savoir discerner d;ins l'oc-
casion les sons qu'on doit supprimer, que ceux dont il faut faire usage.
C'est en étudiant et feuilletant sans cesse le> chefs-d'œuvre de l'Italie
qu'il apprendra à faire ce choix exquis, si la nature lui a donné assez
<le génie et de goût pour eu sentir la nécessité; car les difficultés de
m^
158 LETTRE
l'art ne se laissent apercevoir qu'à ceux qui sont faits pour les vaincre :
el ceux-là ne s'aviseront pas de compter avec mépris les portées vides
d'une partition; mais, voyant la facilité qu'un écolier auroit eue à les
remplir, ils soupçonneront et chercheront les raisons de cette simplicité '
trompeuse , d'autant plus admirable qu'elle cache des prodiges sous une :
feinle négligence, et que Varte che tutto fa, nulla si scuopre.
Voilà, à ce qu'il me semble, la cause des effets surprenans que pro
duit l'harmonie de la musique italienne, quoique beaucoup moins:
chargée que la nôtre , qui en produit si peu : ce qui ne signifie pas qu'il
j ue faille jamais remplir l'harmonie , mais qu'il ne faut la remplir qu'avec ;
Ichoix et discernement. Ce n'est pas non plus à dire que pour ce choix
le musicien soit obligé de faire tous ces raisonnemens , mais qu'il en doit
sentir le résultat. C'est à lui d'avoir du génie et du goût pour trouver
les choses d'effet: c'est au théoricien à en chercher les causes, et à dire
pourquoi ce sont des choses d'effet.
Si vous-jetez les yeux sur nos compositions modernes, surtout si
vous les écoutez, vous reconnoîtrez bientôt que nos musiciens ont si mal
compris tout ceci , que, s'efforçant d'arriver au même but, ils ont direc-
tement scivila route opposée; et, s'il m'est permis de vous dire natu-
rellement ma pensée , je trouve que plus notre musique se perfectionne
en apparence , et plus elle se gâte en effet. Il étoit peut-être nécessaire
qu'elle vînt au point où elle est, pour accoutumer insensiblement nos
oreilles à rejeter les préjugés de l'habitude, et à goûter d'autres airb
que ceux dont nos nourrices nous ont endormis; mais je prévois que.
pour la porter au très-médiocre degré de bonté dont elle est suscep-
tible, il faudra tôt ou tard commencer par redescendre ou remonter au
point où Lulli l'avoit mise. Convenons que l'harmonie de ce célèbre
musicien est plus pure et moins renversée; que ses basses sont plus
naturelles et marchent plus rondement; que son chant est mieux
suivi; que ses accompagnemens, moins chargés, naissent mieux du sujet
el en sortent moins; que son récitatif est beaucoup moins maniéré, et
par conséquent beaucoup meilleur que le nôlre : ce qui se confirme par
le goût de l'exécution; car l'ancien récitatif étoit rendu par les acteurs
de ce temps-là tout autrement que nous ne faisons aujourd'hui. Il étoit
plus vif et moins traînant; on le chantoit moins, et on le déclamoit
davantage '. Les cadences, les ports de voix se sont multipliés dans le
nôtre; il est devenu encore plus languissant, et l'on n'y trouve presque
plus rien qui le dislingue de ce qu'il nous plaît d'appeler air.
Puisqu'il est question d'airs et de récitatifs, vous voulez bien, mon-
sieur, que je termine cette lettre par quelques observations sur l'un et
sur l'autre , qui deviendront peut-être des éclaircissemens utiles à la
solution du problème dont il s'agit.
On peut juger de l'idée de nos musiciens sur la constitution d'un
4. Cela se prouve par la durée des opéras de Lulli , beaucoup plus grande
aujourd'hui que de son temps, selon le rapport unanime de tous ceux qui le»
orvi vus anciennement. Aussi, toutes les fois qu'on redonne ces opéras, esl-on
obligé d'y faire des rclranclicmens considéiabics.
I
SUR LA MUSIQUE FRAN'ÇOISE. 189
^T3é^a par la singularité de leur nomenclature. Ces grands morceaux de
muMQue italienne qui ravissent, ces chefs-d'œuvre de génie qui arra-
chpnt des larmes, qui offrent les tableaux les plus frappans , qui pei-
L'nent les situations les plus vives , et portent dans l'âme toutes les pas-
sions qu'ils expriment, les François les appellent des ariettes. Us
donnent le nom dairs à ces insipides chansonnettes dont ils entre-
mêlent les scènes de leurs opéras, et réservent celui de monologues par
excellence à ces traînantes et ennuyeuses lamentations a qui il ne
manque, pour assoupir tout le monde, que d'être chantées juste et
sans cris. ^ r * .-
Dans les opéras italiens, tous les airs sont en situation et font partie
des scènes. Tantôt c'est un père désespéré qui croit voir 1 ombre dun
fils qu'il a fait mourir injustement lui reprocher sa cruauté ; tantôt c est
un prince débonnaire qui. forcé de donner un exemple de sevente,
demande aux dieux de lui ôter l'empire, ou de lui donner un cœur
moins sensible. Ici c'est une mère tendre qui verse des larmes en re-
trouvant son fils qu'elle croyoït mort: là, c'est le langage de i amour,
non rempli de ce fade et puéril galimatias de flammes et de chamcs .
mais tragique, vif, bouillant, entrecoupe, et tel qu'il convient aux pas-
sions impétueuses. C'est sur de telles paroles qu'il sied bien de de-
I ployer toutes les richesses dune musique pleine de force et d expres-
sion. et de renchérir sur l'énergie de la poésie par celle de 1 harmonie
et du chant. Au contraire , les paroles de nos aneltes , toujours déta-
chées du sujet . ne sont qu'un misérable jargon emmiellé qu'on est trop
h-ureux de ne pas entendre: c'est une collection faite au hasard du
très-petit nombre de mots sonores que notre langue peut fournir,
tournés et retournés de toutes les manières , excepté de celle qui pour-
roit leur donner du sens. C'est sur ces impertinens amphigouris que nos
musiciens épuisent leur goût et leur savoir, et nos acteurs leurs
gestes et leurs poumons : c'est à ces morceaux extravagans que nos
femmes se pâment d'admiration. Et la preuve la plus marquée que la
musique francoise ne sait ni peindre ni parler, c'est quelle ne peut
développer le 'peu de beautés dont elle est susceptible que sur des pa-
pales qui ne signifient rien. Cependant, à entendre les François parler
- musique , on croiroit que c'est dans leurs opéras qu'elle peint de
nds tableaux et de grandes passions . et qu'on ne trouve que des
nettes dans les opéras italiens, où le nom même d'anetle et la ridicule
chose qu'il exnrime sont également inconnus. Il ne faut pas être surpris
de la c^ro^sièreté de ces préjugés: la musique italienne n'a d'ennemis,
même parmi nous, que ceux qui n'y connoissent rien: et tous les Fran-
çois qui ont tenté de l'étudier dans le seul dessein de la critiquer en
connoissance de cause, ont bientôt été ses plus zélés admirateurs'.
Après les ariettes, qui font à Paris le triomphe du goût moderne,
viennent les fameux monologues qu'on admire dans nos anciens opéras:
I C'est un préjugé peu favorable à la musique francoise que ceux qui la
nieprisenl le plus soient précisém.-nl ceux qui la connoissent le mieux; car
c !e est aussi ridicule quand on lexasi-ne, qu'insupporlable quand ou 1 ecoul«.
190 LETTRE
sur quoi l'on doit remarquer que nos plus beaux airs sont toujours dans
les monologues et jamais dans les scènes , parce que nos acteurs n'ayant
aucun jeu muet, et la musique n'indiquant aucun geste et ne peignant
aucune si ualion . celui qLi garde le silence ne sait que faire de sa per-
sonne pendant que l'autre chaule.
Le caractère traînant de la langue, le peu de flexibilité de nos vo'x,
et le Ion lamentable qui règne perpétuellement dans noire opéra, met-
tent presque tous les monologues françois sur un mouvement lent; et
comme la mesure ne s'y fait sentir ni dans le chant, ni dans la basse,
ni dans l'accompagnement, rien n'est si traînant, si lâche, si lan^'uis-
sant . que ces beaux monologues que tout le monde admire en bàillanl :
ils voudroient être tristes, el ne sont qu'ennuyeux; ils voudroieul lou-
cher le cœur, et ne font qu'affliger les oreilles.
Les Italiens sont plus adroits dans leurs adagio; car, lorsque léchant
est si lent qu'il seroit à craindre qu'il ne laissât affoiblir l'idée de la
mesure, ils font marcher la basse par notes égales qui marquent le
mouvement, et l'accompagnement le marque aussi par des subdivisions
de notes qui, soutenant la voix et l'oreille en mesure, ne rendent le
chant que plus agréable el surtout plus énergique par celle précision.
Mais la nature du chant françois interdit cette ressource à nos compo-
siteurs : car, dès que l'acteur seroit forcé d'aller en mesure, il nepour-
roil plus développer sa voix ni son jeu, traîner son chant, renfler, pro-
longer ses sons, ni crier à pleine tète, et par conséquent il ne seroit
plus applaudi.
Mais ce qui prévient encore plus efficacement la monotonie et l'ennui
dans les tragédies italiennes, c'est l'avantage de pouvoir exprimer tous
lessentimens et peindre tous les caractères avec telle mesure et tel raou-
yement qu'il plaît au compositeur. Kotre mélodie, qui ne dit rien par
elle-même, tire toute son expression du mouvement qu'on lui donne;
elle est forcément triste sur une mesure lente , furieuse ou gaie sur un
mouvement vif, grave sur un mouvement modéré : le chantn'y faitpres-
que rien ; la mesure seule , ou , pour parler plus juste , le seul degré de
vitesse détermine le caractère. Mais la mélodie italienne trouve dans
chaque mouvement des expressions pour tous les caractères , des tableaux
pour tous les objets. Elle est, quand il plaît au musicien, triste sur
un mouvement vif, gaie sur un mouvem.nt lent, et, comme je l'ai déjà
dit, elle change sur le même mouvement de caractère au gré du compo-
siteur; ce qui lui donne la facilité des contrastes, sans dépendre en cela
du poète, et sans s'exposer à des contre-sens.
Voilà la source de cette prodigieuse variété que les grands maîtres
d'Italie savent répandre dans leurs opéras, sans jamais sortir de la na-
ture : variété qui prévient la monotonie, la langueur el l'ennui, et
que les musicien^ françois ne peuvent imiter, parce que leurs mouve-
mens sont donnés par le sens des paroles, et qu'ils sont forcés de s'y
tenir, s'ils ne veulent tomber dans des contre-sens ridicules.
A l'égard du récitatif, dont il me reste à parler, il me semble que,
pour en bien juger , il faudroit une fois savoir précisément ce que c'est -,
car jusqu'ici je ne sache pas que , de tous ceux qui en ont disputé , per-
SLR LA MUSIQUE FRANÇOISE. 191
sonne se soit dvisé de le définir. Je ne sais, monsieur, quelle idée vous
pouvez avoir de ce mol ; quant à moi , j'appelle récLtalif une déclamatioa
harmonieuse, c'est-à-dire une déclamation dont toutes les inflexions se
font par intervalles harmoniques : d'où il suit que. comme chaque
langue a une déclamation qui lui est propre, chaque langue doit aussi
avoir son récitatif particulier: ce qui nempèche pas qu'on ne- puisse
très-bien comparer un récitatif à un autre, pour savoir lequel des deux.
est le meilleur, ou celui qui se rapporte le mieux à son objet.
Le récitatif est nécessaire dans les drames lyriques. !• pour lier l'ac-
. et rendre le spectacle un: 2* pour faire valoir les airs dont la con-
..té deviendroit insupportable: 3° pour exprimer une multitude ds
ciiOses qui ne peuvent ou ne doivent point être exprimées par la mu-
sique chantante et cadencée. La simple déclamation ne pouvoit convenir
à tout cela dans un ouvrage lyrique, parce que la transition de la
parole au chant , et surtout du chant à la parole . a une dureté à laquelle
^l'oreii-e se prêle difficilement, et forme un contraste choquant qui dé-
truit toule l'illusion, et par conséquent l'intérêt : car il y a une sorte
de vraisemblance qu'il faut conserver, même à l'Opéra, en rendant le
discours tellement uniforme, que le tout puisse être pris au moins pour
une langue hypothétique. Joignez à cela que le secours des accords
, augmente l'énergie de la déclamation harmonieuse, et dédommage
avantageusement de ce qu'elle a de moins naturel dans les into-
nations.
Il est évident, d'après ces idées, que le meilleur récitatif, dans quel-
que langue que ce soit, si elle a d'ailleurs les conditions nécessaires, est
C'iui qui approche le plus de la parole; s'il y en avoit un qui en appro-
• tellement, en conservant l'harmonie qui lui convient , que l'oreille
esprit pût s'y tromper, on devroit prononcer hardiment que celui-
là auroit atteint toute la perfection dont aucun récitatif puisse être
susceptible.
"\aminons maintenant sur ce'-te règle ce qu'on appelle en France
alif: et dites-moi. je vous prie, quel rapport vous pouvez trouver
t.. le ce récitatif et notre déclamation. Comment concevrez-vousjamais
que la langue françoise. dont l'accent est si uni. si simple, si modeste,
si peu chantant, soit bien rendue par les bruyantes et criardes intona-
tions de ce récitatif, et qu'il y ait quelque rapport entre les douces in-
flexions de la parole et ces sons soutenus et renflés, ou plutôt ces cris
éternels qui font le tissu de cette partie de notre musique encore plus
même que des airs? Faites, par exemple . réciter à quelqu'un qui sache
lire les quatre premiers vers de la fameuse reconnoissance d'Iphigénie;
à peine reconnoîtrez-vous quelques légères inégalités, quelques foiljles
exions de voix, dans un récit tranquille qui n'a rien de vif ni do
:-:onnê , rien qui doive engager celle qui le fait à élever ou à baisser
Id voix. Faites ensuite réciter par une de nos actrices ces mêmes vers
sur la note du musicien . et tâchez, si vous le pouvez, de supporier
cette extravagante criailîerie qui passe à chaque instant de bas en haut
' et de haut en bas, parcourt sans sujet toute l'étendue de la voix . et
susper.d le récit hors de propos pour jiler de beaux sons sur des svl-
192 LETTRE
]abos qui ne signifient rien, et qui ne forment aucun repos dans Ifl
sens.
Qu'on joigne à cela les frétions, les cadences, les ports de voix qui
reviennent à chaque instant, et qu'on me dise quelle analogie il peut y
avoir entre la parole et toute cette maussade pretintaille, entre la décla-
mation et ce prétendu récitatif; qu'on me montre au moins quelque
côté par 'lequel on puisse raisonnablement vanter ce merveilleux récitatif
francois , dont l'invention fait la gloire de Lulli.
C'est une chose assez plaisante que d'entendre les part'sans de la
musique françoise se retrancher dans le caractère de la langue, et reje-
ter sur elle des défauts dont ils n'osent accuser leur idole, tandis qu'il
est de toute évidence que le meilleur récitatif qui peut convenir à la
langue françoise doit être opposé presque en tout à celui qui y est en
usage -.rqu'il doit rouler entre de fort petits intervalles, n'élever ni
n'abaisser beaucoup la voix; peu de sons soutenus, jamais d'éclats,
encore moins de cris; rien surtout qui ressemble au chant; peu d'iné-
galité dans la durée ou valeur des notes, ainsi que dans leurs degrés.
En un mot , le vrai récitatif francois . s'il peut y en avoir un , ne se trou-
vera que dans une route directement contraire à celle de Lulli et-rie ses
successeurs, dans- quelque route nouvelle qu'assurément les composi-
teurs francois . si fiers de leur faux savoir, et par conséquent si éloignés
de sentir et d'aimer le véritable, ne s'aviseront pas de chercher sitôt,
et que probablement ils ne trouveront jamais.
Ce seroit ici le lieu de vous montrer, par l'exemple du récitatif ita-
lien, que toutes les conditions que j'ai supposées dans un bon récitatif
peuvent en effet s'y trouver; qu'il peut avoir à la fois toute la vivacité
de la déclamation et toute l'énergie de l'harmonie; qu'il peut marcher
aussi rapidement que la parole, et être aussi mélodieux qu'un véritable
chant; qu'il peut marquer toutes les inflexions dont les passions les plus
véhémentes animent le discours, sans forcer la voix du chanteur ni
étourdir les oreilles de ceux qui écoutent. Je pourrois vous montrer
comment, à l'aide d'une marche fondamentale particulière, on peut
multiplier les modulations du récitatif d'une manière qui lui soit pro-
pre, et qui contribue à le distinguer des airs, où. pour conserver les
grâces de la mélodie, il faut changer de ton moins fréquemment; com-
ment surtout, quand on veut donner à la passion le temps de déployer
tous ses mouvemens, on peut, à l'aide d'une symphonie habilement
ménagée, faire exprimer à l'orchestre par des chants pathétiques et
variés ce que l'acteur ne doit que réciter : chef-d'œuvre de l'art du mu-
sicieu/ par lequel il sait, dans un récitatif obligé ', joindre la mélodie
la plus touchante à toute la véhémence de la déclamation, sans jamais
co.ifondre l'une avec l'autre; je pourrois vous déployer les beautés sans
i , J'avilis cspéi é ([uc le sirur CafTarcHi nous donncroil , au concert spiriiuel,
quelque niurccau i!c jivand réciialif cl de clianl palliéiiipic , pour faire tn-
l<ri(lv'; une lois aux prétendus connoisseurs ce qu ils ju;4Cnt depuis si long-
leini s; innis, sur ses raisons pour n'en rien l'aire, j'ai trouvé qu'il connoissoU
encore mieux que moi la perlée l'.e sls anducjii-s.
SUR LA MUSIQUt; FRANÇOISE. 193
nombre de cet admirable récitatif, dont on fait en France tant de contes
aussi absurdes que les jugemens qu"on s'y raêle d'en porter; comme si
quelqu'un pouvoit prononcer sur un récitatif sans connoître à fond la
langue à laquelle il est propre. Mais, pour entrer dans ces détails, il
faudroit, pour ainsi dire, créer un nouveau dictionnaire, inventera
chaque instant des termes pour offrir aux lecteurs françois des idées
inconnues parmi eux, et leur tenir des discours qui leur paroîtroient
du galimatias. En un mot, pour en être compris, il faudroit leur parler
un langage qu'ils entendissent , et par conséquent de sciences et d'arts de
tout genre, excepté la seule musique. Je n'entrerai donc point sur cette
matière dans un détail affecté qui ne serviroit de rien pour l'instruction
des lecteurs, et sur lequel ils pourroient présumer que je ne dois
qu'à leur ignorance en cette partie la force apparente de mes preuves.
Par la même raison je ne tenterai pas non plus le parallèle qui a été
proposé cet hiver, dans un écrit adressé au petit Prophète et à ses ad-
versaires, de deux morceaux de musique, l'un italien et l'autre fran-
çois, qui y sont indiqués. La scène italienne, confondue en Ita/ie avec
mille autres chefs-d'œuvre égaux ou supérieurs, étant peu connue à
Paris, peu de gens pourroient suivre la comparaison , et il se trouveroit
que je n'aurois parlé que pour le petit nombre de ceux qui savoient déjà
ce que j'avois à leur dire. Mais , quant à la scène françoise . j'en crayon-
nerai volontiers l'analyse, ayec d'autant plus de plaisir, qu'étant le
morceau consacré dans la nation par les plus unanimes suffrages, je
n'aurai pas à craindre qu'on m'accuse d'avoir mis de la partialité dans
le choix, ni d'avoir voulu soustraire mon jugement à celui des lecteurs
par un sujet peu connu.
Au reste , comme je ne puis examiner ce morceau sans en adopter le
genre , au moins par hypothèse , c'est rendre à la musique françoise
tout l'avantage que la raison m'a forcé de lui ôter dans le cours de cette
lettre: c'est la juger sur ses propres règles : de sorte que, quand cette
scène sercit aussi parfaite qu'on le prétend, on n'en pcurroit conclure
autre chose, sinon que c'est de la musique françoise bien faite; ce qui
Ti'empêcheroit pas que . le genre étant démontré mauvais , ce ne fût abso.
iraent de mauvaise musique. Il ne s'agit donc ici que de voir si I'oû
, ;ut l'admettre pour bonne, au moins dans son genre.
Je vais pour cela tâcher d'analyser en peu de mots ce célèbre mono-
logue d'Armide. Etïfin il est en ma puissance, qui passe pour ua
chef-d'œuvre de déclamation, et que les maîtres donnent eux-mêmes
f our le modèle le plus parfait du vrai récitatif françois.
Je remarque d'abord que M. Rameau l'a cité, avec raison, en exem-
ple d'une modulation exacte et très-bien liée : mais cet éloge , appliqué
au morceau dont il s'agit, devient une véritable satire, et M. Rameau
lui-même se seroit bien gardé de mériter une semblable louange en
pareil cas; car que peut-on penser de plus mal conçu que cette régula-
rité scolastique dans une scène ou l'emportement, la tendresse, et le
contraste des passions opposées , mettent l'actrice et les spectateurs dans
la plus vive agitation? Armide furieuse vient poignarder son ennemi. A
son aspect elle hésite , elle se laisse attendrir, le poignard lui tombe des
llOLSStAU VI 13
194 LETTRE
mains-, elle oublie tous ses projets de vengeance , et n'oublie pas un seul
instant sa modulation. Les réticences, les interruptions, les transitions
intellectuelles que le poëte offroit au musicien, n'ont pas été une seule
fois saisies par celui-ci. L'héroïne finit par adorer celui qu'elle vouloit
égorger au commencement ; le musicien finit en E si mi , comme il avoit
commencé, sans avoir jamais quitté les cordes les plus analogues au ton
principal, sans avoir mis une seule fois dans la déclamation de l'actrice
la moindre inflexion extraordinaire qui fît foi de l'agitation de son âme ,
sans avoir donné la moindre expression à l'harmonie : et je défie qui
que ce soit d'assigner par la musique seule, soit dans le ton, soit
dans la mélodie, soit dans la déclamation, soit dans l'accompagne-
ment, aucune diflférence sensible entre le commencement et la fin de
cette scène , par où le spectateur puisse juger du changement prodigieux
qui est fait dans le cœur d'Armide.
Observez cette basse continue : que de croches ! que de petites notes
passagères pour courir après la succession harmonique! Est-ce ainsi
que marche la basse d'un bon récitatif, où l'on ne doit entendre que de
grosses notes, de loin en loin, le plus rarement qu'il est possible, et
seulement pour empêcher la voix du récitant et l'oreille du spectateur
de s'égarer?
Mais voyons comment sont renaus les beaux vers de ce monologue ,
qui peut passer en effet pour un chef-d'œuvre de poésie :
Enfin il est en ma puissance... .
Voilà un trille ' , et , qui pis est , un repos absolu dès le premier vers ,
tandis que le sens n'est achevé qu'au second. J'avoue que le poëte eût
peut-être mieux fait d'omettre ce second vers, et de laisser aux specta-
teurs le plaisir d'en lire le sens dans l'âme de l'actrice; mais, puisqu'il
l'a employé, c'étoit au musicien de le rendre.
Ce fatal ennemi, ce superbe vainqueur l
Je pardonnerois peut-être au musicien d'avoir mis ce second vers
dans un autre ton que le premier, s'il se permettoit un peu plus d'en
changer dans les occasions nécessaires.
Le charme du sommeil le livre à ma vengeance.
Les mots de charme et de sommeil ont été pour le musicien un piège
inévitable ; il a oublié la fureur d'Armide , pour faire ici un petit somme
dont il se réveillera au mot percer. Si vous croyez que c'est par hasard
qu'il a employé des sons doux sur le premier hémistiche , vous n'avez
qu'à écouter la basse : LuUi n'étoit pas homme à employer de ces dièses
pour rien.
Je vais percei' son invincible cœur
4 . Je suis contrainl de franciser ce mot, pour exprimer le batlnmenl de
gosier que les Italiens appellent ainsi, parce que, me trouvant à chaque inslani
dans la nécessité de me servir du mot de cadence dans une autre acception, i (
ne m'éloil pas possible d'éviter autrement des équivoques continuelles.
SUR LA MUSIQUE FRANÇOISE. ' 195
Que cette cadence finale est ridicule dans un mouvement aussi impé-
ftueux ! Que ce trille est froid et de mauvaise grâce ! Qu'il est mal placé
sur une syllabe brève, dans un récitatif qui devroit voler, et au milieu
d'un transport violent I
Par lui tous mes captifs sont sortis d'esclavage *.
Qu'il éprouve toute ma rage.
On voit qu'il y a ici une adroite réticence du poète. Armide, après
savoir dit qu'elle va percer l'invincible cœur de Renaud, sent dans le
sien les premiers mouvemens de la pitié, ou plutôt de l'amour : elle
•cherche des raisons pour se raffermir, et cette transition intellectuelle
nmène fort bien ces deux vers, qui, sans cela, se lieroient mal avec les
précédens,et deviendroient une répétition tout à fait superflue de ce
•qui n'est ignoré ni de l'actrice ni des spectateurs.
Voyons maintenant comment le musicien a exprimé cette marche
•secrète du cœur d'Armide. Il a bien vu qu'il falloit mettre un intervalle
•entre ces deux vers et les précédens, et il a fait un silence qu'il n'a
rempli de rien, dans un moment où Armide avoit tant de choses à sen-
tir, et, par conséquent, l'orchestre à exprimer. Après cette pause, il
recommence exactement dans le même ton, sur le même accord, sur la
imème note par où il vient de finir, passe successivement par tous les
sons de l'accord durant une mesure entière , et quitte enfin avec peine,
et dans un moment où cela n'est plus nécessaire, le ton autour duquel
il vient de tourner si mal à propos
Quel trouble me saisit? Qui me fait hésiter?
Autre silence , et puis c'est tout. Ce vers est dans le même ton , pres-
que dans le même accord que le précédent. Pas une altération qui puisss
indiquer le changement prodigieux qui se fait dans l'âme et dans les
discours d'Armide. La tonique, il est vrai, devient dominante par un
mouvement de basse. Eh dieux 1 il est bien question de tonique et de
dominante dans un instant où toute liaison harmonique doit être inter-
rompue , où tout doit peindre le désordre et l'agitation ! D'ailleurs , une
Jégère altération qui n'est que dans la basse peut donner plus d'énergie
aux inflexions de la voix , mais jamais y suppléer. Dans ce vers , le cœur ,
les yeux , le visage , le geste d'Armide , tout est changé , hormis sa voix :
elle parle plus bas, mais elle garde le même ton.
Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitié me veut dire?
Frappons.
Comme ce vers peut être pris en deux sens différens, je ne veux pas
•chicaner LuUi pour n'avoir pas préféré celui que j'aurois choisi. Cepen-
•dant il est incomparablement plus vif, plus animé, et fait mieux valoir
ce qui suit. Armide, comme Lulli la fait parler, continue à s'attendrir
-en s'en demandant la cause à elle-même :
Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitié me veut dire?
196 LETTRE
Puis tout d'un coup elle revient à sa fureur par ce seul mot :
Frappons.
Armide indignée, comme je la conçois, après avoir hésité, rejette
avec précipitation sa vaine pitié, et prononce vivement et tout d'une
haleine, en levant le poignard :
Qu'est-ce qu'en sa faveur la pitié me veut dire?
Frappons.
Peut-être LuUi lui-même a-t-il entendu ainsi ce vers, quoiqu'il l'ait
rendu autrement : car sa note décide si peu la déclamation , qu'on lui
peut donner sans risque le sens que l'on aime mieux.
. . . Ciel! qui peut ra'arrêter?
Achevons..., Je frémis. Vengeons-nous.... Je soupire.
Voilà certainement le moment le plus violent de toute la scène: c'est
ici que se fait le plus graiid combat dans le cœur d'Armide. Qui croiroit
que le musicien a laissé toute cette agitation dans le même ton, sans la
moindre transition intellectuelle, sans le moindre écart harmonique,
d'une manière si insipide, avec une mélodie si peu caractérisée et une
si inconcevable maladresse , qu'au lieu du dernier vers que dit le poëtc :
Achevons.... Je frémis. Vengeons-nous.... Je soupire.
le musicien dit exactement celui-ci :
Achevons, achevons. Vengeons-nous, vengeons-nous.
Les trilles font surtout un bel effet sur de telles paroles, et c'est une
chose bien trouvée que la cadence parfaite sur le mot soupire!
Est-ce ainsi que je dois me venger aujourd'hui?
Ma colère s'éteint quand j'approche de lui.
Ces deux vers seroient bien déclamés s'il y avoit plus d'intervalle
entre eux, et que le second ne finît pas par une cadence parfaite. Ces
cadences parfaites sont toujours la mort de l'expression, surtout dans
le récitatif françois, où elles tombent si lourdement.
Plus je le vois, plus ma vengeance est vaine.
Toute personne qui sentira la véritable déclamation de ce vers jugera
que le second hémistiche est à contre-sens; la voix doit s'élever sur
ma vengeance , et retomber doucement sur vaine.
Mon bras tremblant se refuse à ma haine.
Mauvaise cadence parfaite, d'autant plus qu'elle est accompagnée d'un
trille.
Ah! quelle cruauté de lui ravir le jour!
Faites déclamer ce vers à Ml'e Dumesnil, et vous trouverez que le
mol cruauté sera le plus élevé, et que la voix ira toujours en baissant
SUR LA MUSIQUE FRANÇOISE. 197
jusqu'à la fia du vers. Mais le moyen de ne pas faire poindre le jour '
Je reconnois là le musicien.
Je passe, pour abréger, le re^te de cette scène, qui n'a plus rien
«l'intéressant ni de remarquable que les contre-sens ordinaires et des
trilles continuels, et je finis par le vers qui la termine :
Que, s'il se peut, je le haïsse.
Cette parenthèse, s'il se peut ^ me semble une épreuve suffisante du
talent du musicien : quand on la trouve sur le même ton , sur les mêmes
notes que je le haïsse, il est bien difficile de ne pas sentir combien Lulli
eloit peu capable de mettre de la musique sur les paroles du grand
homme qu'il tenoit à ses gages.
A l'égard du petit air de guinguette qui est à la fin de ce monologue,
je veux bien consentir à n'en rien dire ; et s'il y a quelques amateurs de
la musique françoise qui connoissent la scène italienne qu'on a mise en
parallèle avec celle-ci , et surtout l'air impétueux , pathétique et tragique
qui la termine, ils me sauront gré sans doute de ce silence.
Pour résumer en peu de mots mon sentiment sur le célèbre mono-
logue, je dis que, si on l'envisage comme du chant, od n'y trouve ni
mesure, ni caractère, ni mélodie; si l'on veut que ce soit du récitatif,
on n'y trouve ni naturel, ni expression : quelque nom qu'on veuille lui
donner, on le trouve rempli de sons filés . de trilles, et autres ornemens
du chant, bien plus ridicules encore dans une pareille situation qu'ils
ne le sont communément dans la musique françoise. La modulation en
est régulière . mais puérile par cela même, scolastique, sans énergie,
sans afl"ection sensible. L'accompagnement s'y borne à la bas^e conti-
nue , dans une situation où toutes les puissances de la musique doivent
être déployées; et cette basse est plutôt celle qu'on feroit mettre à un
écolier sous sa leçon de musique, que l'accompagnement d'une vive
scène d'opéra, dont l'harmonie doit être choisie et appliquée avec un
discernement exquis pour rendre la déclamation plus sensible et l'ex-
pression plus vive. En un mot, si l'on s'avisoit d'exécuter la musique de
cette scène sans y joindre les paroles, sans crier ni gesticuler, il ne
seroit pas possible d'y rien démêler d'analogue à la situation qu'elle
veut peindre et au sentiment qu'elle veut e.xprimer, et tout cela ne pa-
roîtroit qu'une ennuyeuse suite de sons, modulée au hasard et seule-
ment pour la faire durer.
Cependant ce monologue a toujours fait, et je ne doute pas qu'il ne
fît encore un grand effet au théâtre , parce que les vers en sont admi-
rables et la situation vive et intéressante. Mais, sans les bras et le jeu
de l'actrice , je suis persuadé que personne n'en pourroit souffrir le ré-
citatif, et qu'une pareille musique a grand besoin du secours des yeux
pour être supportable aux oreilles.
Je crois avoir fait voir qu'il n'y a ni mesure ni mélodie dans la
musique françoise , parce que la langue n'en est pas susceptible; que le
chant françois n'est qu'un aboiement continuel, insupportable à toute
oreille non prévenue; que l'harmonie en est brute , sans expression, et
sentant uniquement son remplissage d'écolier; que les airs françois r)c.
108 li:ttp.I': sur la musique Françoise.
sont point des airs; que le récitatif fraiiçois n'est point du récitatif.' «i
D'.où je conclus que les François n'ont point de musique et n'en peuvent: f I
avoir ' . ou que , si jamais ils en ont une , ce sera tant pis pour eux.
Je suis, etc.
LETTRE
D'UN SYMPHONISTE DE L'ACADÉMIE ROYALE DE MUSIQUE
A SES CAMARADES DE l'ORCHESTRE.
Enfin, mes chers camarades, nous triomphons; les Bouffons sont
renvoyés : nous allons briller de nouveau dans les symphonies de
M. LuJli: nous n'aurons plus si chaud à l'Opéra, ni tant de fatigue à,
roi'ciiestre. Convenez, messieurs, que c'étoit un métier pénible que
celui de jouer cette clnenne de musique où la mesure alioil sans misé-
ricorde, et n'attendoit jamais que nous pussions la suivre. Pour moi.
quand je me sentois observé par quelqu'un de ces maudits habilans du;
Coin de la reine, et qu'un reste de mauvaise lionte m'obligeoit déjouer
à peu près ce qui étoit sur ma partie , je me trouvois le plus embarrasse
du monde , et au bout d'une ligne ou deux , ne sachant plus où j'en étois ,
je feignois de compter des pauses, ou bien je me tirois d'aflaire en sor-
tant pour aller pisser.
Vous ne sauriez croire quel tort nous a fait cette musique qui va si
vite, ni jusqu'où s'étendoit déjà la réputation d'ignorance que quelques-
prétendus connoisseurs osoient nous donner. Pour ses quarante sous.
le moindre polisson se croyoit en droit de murmurer lorsque iious-
jouions faux; ce qui troubloit très-fréquemment l'attention des s[iecta-
leurs. Il n'y avoit pas jusqu'à certaines gens qu'on appelle, je crois,
des philosophes , qui , sans le moindre respect pour une Académie royale ,
n'eussent l'insolence de critiquer effrontément des personnes de notre
sorte. Enfin j'ai vu le moment qu'enfreignant sans pudeur nos antiques--
I. Je n'appelle pas avoir une musique, que d'emprunter celle d'une autie
langue pour lâcher de l'appliquer à la sienne; elj'aimerois mieux que nous
garilassions noire maussade el ridicule chant que d'associer encore plus liiii-
nilenienl la mélodie italienne à la langue françoise. Ce dégoûtant assemblage,.
qui peut-être fera désormais l'étude de nos musiriens, est liMp monstrueux,
priur être admis, cl le caractère de noire langue ne s'y pièlt-ia jamais. Tout,
au plus quelques pièces comiques pourronl-elles passer en faveur du la sym-
phonie; mais je prédis hardiment que le genre tragique ne sera pas même-
lente. On a applaudi, cet été, à l'Opéra-Comique, l'ouvrage d'un homme div
talent, qui [laroit avoir écouté la bonne musuiue avec de l)onnes oreilles, cti
qui en a traduit le genre en françois d'aussi près qu'il étoit possible : ses-
accompagnemcns sont bien imités sans être copiés; cl s'il n'a point fait fie
ciiaiil, c'est qu'il n'esl pas possible d'en faire. Jeunes musiciens qui vous
Bcniez du talent, continuez de mépriser en public la musique italienne, jv
sens bien que votre inlérêl présent l'exige; mais hàlcz-vous d'étudier en par-
ticulier cette, langue el celte musique, si vous voulez pouvoir tourner un joui
contre vos camarades le dédain que vous afîeclez aujourd'hui contre vos;,
maîtres.
LETTRE D'UN SYMPHONISTE. i99
et respectables privilèges, on alloit obliger les officiers du roi à savoir
la musique, et à jouer tout de bon de l'instrument pour lequel ils son^
payés.
Hélas ! qu'est devenu le temps heureux de notre gloire? Que sont de-
venus ces jours fortunés, où, d'une voix unanime, nous passions, parmi
les anciens.de la chambre des comptes et les meilleurs bourgeois de la
rue Saint-Denis . pour le premier orchestre de l'Europe ; où l'on se pâmoit
à celte célèbre ouverture d'isïs, à cette belle tempête à'Alcyone, à cette
_ brillante logistille de Roland, et où le bruit de notre premier coup
d'archet s'elevoit jusqu'au ciel avec les acclamations du parterre? Main-
tenant chacun se mêle impudemment de contrôler notre exécution; et,
parce que nous ne jouons pas trop juste et que nous n'allons guère bien
ensemble, on nous traite sans façon de racleurs de boyau, et l'on nous
chasseroit volontiers du spectacle, si les sentinelles, qui sont ainsi que
nous au service du roi, et par conséquent d'honnêtes gens et du bon
parti, ne maintenoient un peu la subordination. Mais, mes chers cama-
. rades . qu'ai-je besoin, pour exciter votre juste colère, de vous rap-
peler notre antique splendeur, et les affronts qui nous en ont fait dé-
choir? Ils sont tous présens à votre mémoire, ces affronts cruels, et
vous avez montré , par votre ardeur à en éteindre l'odieuse cause, com-
l)ien vous êtes peu disposés à les endurer. Oui, messieurs, c'est cette
dangereuse musique étrangère qui, sans autre secours que ses propres
charmes, dans un pays où tout étoit contre elle, a failli détruire la
nôtre qu'on joue si à son aise. C'est elle qui nous perd d'honneur, et
c'est contre elle que nous devons tous rester unis jusqu'au dernier
soupir.
Je me souviens qu'avertis du danger par les premiers 'succès de la
Scrva Padrona, et nous étant assemblés en secret pour chercher les
moyens d'estropier celte musique enchanteresse le plus qu'il seroit pos-
sible, l'un de nous, que j'ai reconnu depuis pour un faux frère', s'avisa
de dire d'un ton moitié goguenard que nous n'avions que faire de tant
délibérer , et qu'il falloit hardiment la jouer tout de notre mieux : jugez
r de ce qu'il en seroit arrivé si nous eussions eu la maladroite modestie
f de suivre cet avis, puisque tous nos soins, joints à nos grands talens
t. Il y a quelques jours que, polissonnant avec lui à l'Opéra, comme nous
avuns tous accoulumé de faire, je surpris dans sa poche un papier qui cunlc-
noit celle scandaleuse épigrarame :
0 Pergolèse inimilalilc,
Quand notre orchestre impitoyable
Te fait crier sous son lourd violon.
Je crois qu'au rebours de la faille
Maisyas écorche Apollon.
Ils sonl comme cela deux ou trois dans l'orcheslre qui s'avisent de blâmer
vos caljaies, qui osent pidjiiquemenl approuver la musique ilalienne, cl qui,
sans égard pour le corps, veulcnl se mêler de faire leur devoir cl d'Olie Jum-
nôlcs gens; mais nous compions les fane bientôt déguerpira force d'avanies,
et nous ne voulons souffrir que des camarades qui fassent cause commune
avec nous.
200 LETTRE D'UN SYMPHONISTE.
pour laisser aux ouvrages que nous exécutons tout le mérite du plaisir
qu'ils peuvent donner, ont eu peine à empêcher le public de sentir les
beautés de la musique italienne livrée à nos archets. Nous avons donc
écorché et cette musique et les oreilles des spectateurs avec une intré-
pidité sans exemple et capable de rebuter les plus déterminés bouf-
fonistes. 11 est vrai que l'entreprise étoit hasardeuse , et que partout
ailleurs la moitié de notre bande se seroit fait mettre vingt fois au
cachot; mais nous connoissons nos droits, et nous en usons : c'est le
public, s'il se plaint, qui sera mis au cachot.
Non contens de cela, nous avons joint l'intrigue à l'ignorance et à la
mauvaise volonté ; nous n'avons pas oublié de Jire autant de mal des
acteurs que nous en faisions à leur musique; et le bruit du traitement
qu'ils ont reçu de nous a opéré un très-bon effet en dégoûtant de venir
à Paris, pour y recevoir des affronts, tous les bons sujets que Bambini a
tâché d'attirer. Réunis par un puissant intérêt commun et par le désir
de venger la gloire de notre archet, il ne nous a pas été difficile d'é-
craser de pauvres étrangers qui, ignorant les mystères de la boutique,
n'avoient d'autres protecteurs que leurs talens, d'autres partisans que
les oreilles sensibles et équitables , ni d'autre cabale que le plaisir qu'ils
s'efTorçoient de faire aux spectateurs. Ils ne savoient pas, les bonnes
gens, que ce plaisir même aggravoit leur crime et accéléroit leur pu-
nition. Ils sont prêts à la recevoir enfin, sans même qu'ils s'en dou-
tent; car, pour qu'ils la sentent davantage, nous aurons la satisfaction
de les voir congédiés brusquement, sans être avertis ni payés, et sans
qu'ils aient eu le temps de chercher quelque asile où il leur soit permis
de plaire impunément au public.
Nous espérons aussi, pour la consolation des vrais citoyens, et sur-
tout des gens de goût qui fréquentent notre théâtre, que les comédiens
françois, délaissés de tout le monde et surchargés d'affronts, seront
bientôt obligés à fermer le leur; ce qui nous fera d'autant plus de plaisir
que le Coin de la reine est composé de leurs plus ardens partisans,
dignes admirateurs des farces de Corneille, Racine et Voltaire, ainsi
que de celles des intermèdes. C'est ainsi que les étrangers, qui ont tous
la grossièreté de rechercher la comédie françoise et l'opéra italien, ne
trouvant plus à Paris que la comédie italienne et l'opéra françois, rao-
numens précieux du goût de la nation, cesseront d'y accourir avec tant
d'empressement, ce qui sera un grand avantage pour le royaume, at-
tendu qu'il y fera meilleur vivre , et que les loyers n'y seront plus si chers.
Tout ce que nous avons fait est quelque chose, et ce n'est pas encore
assez. J'ai découvert un fait sur lequel il est bon que vous soyez tous
prévenus, afin de concerter la conduite qu'il faut tenir en cette occa-
sion : c'est que le sieur Bambiui , encouragé par le succès de la Bohé-
mienne, prépare un nouvel intermède qui pourroit bien paroître encore
avant sont départ. Je ne puis comprendre où diable il prend tant d'in-
termèdes, car nous assurions tous qu'il n'y en avoit que trois ou quatre
dans toute l'Italie. Je crois, pour moi, que ces maudits intermèdes
tombent du ciel tput faits par les anges, exprès pour nous faire
damner.
LETTRE D'UN SYMPHONISTE. 2.1
Il s'agit donc, messieurs, de nous bien réunir dans ce mumeht pour
empêcher que celui-ci ne soit mis au théâtre, ou du moins j our l'y faire
tomber avec éclat, surtout s'il est bon, afin que les Bouffons s'en aillent
chargés de la haine publique, et que tout Paris apprenne, par cet
exemple, à craindre notre autorité et à respecter nos décisions. Dans
celte vue, je me suis adroitement insinué chez le sieur Bambini, sous
prétexte d'amitié ; et comme le bonhomme ne se defioit de rien , car il n'e
pas seulement l'esprit de voir les tours que nous lui jouons, il m'a sans
mystère montré son intermède. Le titre en est l'Oiseleuse angloise. ei
l'auteur de la musique est un certain Jommelli. Or, vous saurez que ce
Jommelli est un de ces ignorans d'Italiens qui ne savent rien, et qui
; l'ont, on ne sait comment, de la musique ravissante que nous avons
quelquefois beaucoup de peine à défigurer. Pour en méditer à loisir les
moyens, j'ai examiné la partition avec autant de soin qu'il m'a été pos-
sible : malheureusement je ne suis pas, non plus que les autres, fort
habile à déchiffrer; mais j'en ai vu suffisamment pour connoître que
cette symphonie semble faite exprès pour favoriser nos projets: elle est
fort coupée, fort variée, pleine de petits jours, de petites réponses de
divers instrumens qui entrent les uns après les autres; en un mot. elle
demande une précision singulière dans l'exécution. Jugez de la facilité
que nous aurons à brouiller tout cela sans affectation , et d'un air tout
à fait naturel : pour peu que nous voulions nous entendre, nous allons
faire un charivari de tous les diables; cela sera délicieux. Voici donc
un projet de règlement que nous avons médité avec nos illustres chefs,
et entre autres avec M. L'Abbé et M. Caraffe, qui, en toute occasion,
ont si bien mérité du bon parti et fait tant de mal à la bonne musique.
I. On ne suivra point en cette occasion la méthode ordinaire, em-
ployée avec succès dans les autres intermèdes: mais, avant que de mal
1 arler de celui-ci, on attendra de le connoître dans les répétitions. Si
la musique en est médiocre, nous en parlerons avec admiration; nous
[ affecterons tous unanimement de l'élever jusqu'aux nues, afin qu'on
attende des prodiges, et qu'on se trouve plus loin de compte à la pre-
mière représentation. Si malheureusement la musique se trouve bonne,
comme il n'y a que trop lieu de le craindre, nous en parlerons avec
: dédain , avec un mépris outré , comme de la plus misérable chose qui
, ait été faite; notre jugement séduira les sots, qui ne se rétractent ja-
■ mais que quand ils ont eu raison , et le plus grand nombre sera pour
nous.
; II. Il faudra jouer de notre mieux aux répétitions pour disculper les
i chefs, à qui l'on reprocheroit sans cela de n'avoir pas réitéré les répé-
titions jusqu'à ce que le tout allât bien. Ces répétitions ne seront pas
pour cela à pure perte, car c'est là que nous concerterons entre nous
les moyens d'être, aux représentations, le plus discordans qu'il sera
possible.
III. L'accord se prendra, selon la règle , sur l'avis du premier violon,
'^ attendu qu'il est sourd.
1\. Les violons se distribueront en trois bandes dont la première
jouera un quart de ton trop haut , la deuxième un quart ue ton trop
202 LETTRE D'UN SYMPHONISTE.
bas, et l<a t-'oisième jouera le plus juste qu'il lui sera possible. Cette;
cacophonie se pratiquera facilement, en iiaussant ou baissant subtile-
ment le ton de l'instrument durant l'exécution. A l'égard des hautbois,
il n'y a rien à leur dire, et d'eux-mêmes ils iront à souhait.
V. On en usera pour la mesure à peu près comme pour le ton : un
tiers la suivra , un tiers l'anticipera , et un autre tiers ira après tous les»
autres. Dans toutes les entrées, les violons se garderont surtout d'être-
ensemble; mais partant successivement, et les uns après les autres, ils-
fenint des manières de petites fugues ou d'imitations qui produiront un,
très-grand eiïet. A l'égard des violoncelles, ils sont exhortés d'imiter-
l'exemple édifiant de l'un d'entre eux, qui se pique avec une juste fierté
de n'avoir jamais accompagné un intermède italien dans le ton, et dé-
jouer toujours majeur quand le mode est mineur, et mineur quand.
il est majeur.
VI. On aura grand soin d'adoucir les fort et de renforcer les doux.
principalement sous le chant; il faudra surtout racler à tour de bras
quand la Tonelli chantera, car il est surtout d'une grande importance
d'empêcher qu'elle ne soil entendue.
Vli. Une autre précaution qu'il ne faut pas oublier, c'est de forcer les-
seconds autant qu'il sera possible, et d'adoucir les premiers, afin qu'on>
n'entende partout que la mélodie du second dessus. Il faudra aussi en-
gager Durand à ne pas se donner la peine de copier les parties de quintes-
toutes les fois qu'elles sont à l'octave de la basse, afin que ce dél'aut de-
liaison entre les basses et les dessus rende l'harmonie plus sèche.
VIII. On recommande aux jeunes racleurs de ne pas manquer de-
prendre l'octave, de miauler sur le chevalet, et de doubler et défigurer
leur partie, surtout lorsqu'ils ne pourront pas jouer le simple, afin de-
donner le change sur leur maladresse , de barbouiller toute la musique ,
et de montrer qu'ils sont au-dessus des lois de tous les orchestres àw
monde.
IX. Comme le public pourroit à la fin s'impatienter de tout ce cha-
rivari, si nous nous apercevons qu'il nous observe de trop près, il.
faudra changer de méthode pour prévenir les caquets : alors, tandis-
que trois ou quatre violons joueront comme ils savent, tous les autres
se mettront à s'accorder durant les airs, et auront soin de racler de
toute leur force et de faire un bruit de diable avec leurs cordes à vide,
précisément dans les endroits les plus doux. Par ce moyen nous gâte-
rons la plus belle musique sans qu'on ait rien à nous dire; car encore
faut-il bien s'accorder. Que si l'on nous reprenoit là-dessus , nous aurions
le plus beau prétexte du monde de jouer aussi faux qu'il nous plairoit.
Ainsi, soit qu'on nous permette d'accorder, soit qu'on nous en em-
pêche, nous trouverons toujours le moyen de n'être jamais d'accord.
X. Nous continuerons de crier tous au scandale et à la profanation :
nous nous plaindrons hautement qu'on déshonore le séjour des dieux
par des bateleurs; nous tâcherons de prouver que nos acteurs ne sont
pas des bateleurs, comme les autres, attendu qu'ils chantent et gesti-
culent tout au plus, mais qu'ils ne jouent point; que la petite Tonelli;
se sert de ses bras pour faire son rôle avec une intelligence et une geii-
LETTRE D'UN SYMPHONISTE. 20ï.
iUesse ignominieuses; au lieu que l'illustre Mlle Chevalier ne se serf
es siens que pour aider à l'eiïort de ses poumons, ce qui est beaucoup
lus décent; qu'au surplus il n'y a que le talent qui déroge, et que nos-
cleurs n'ont jamais dérogé. Nous ferons voir aussi que la musique ita-
enne déshonore notre théâtre , par la raison qu'une Académie royale de
lusique doit se soutenir avec la seule pompe de son titre et de son pri-
ilége , et qu'il n'est pas de sa dignitéd'avoir besoin pour cela de bonne.'
lusique.
XI. La plus essentielle précaution que nous avons à prendre en cette
ccasion est de tenir nos délibérations secrètes : de si grands intérêts -
e doivent point être exposés au.\ yeu.x d'un vulgaire slupide, qui s'ima-
ine follement que nous sommes payés pour le servir. Les spectateurs
)nt d'une telle arrogance . que si cette lettre venoit à se divulguer par
indiscrétion de quelqu'un de vous, ils se croiroienlen droit d'observer
e plus près noire conduite, ce qui ne laisseroit pas d'avoir son incom-
lodité : car enfin, quelque supérieur qu'on puisse être au public, il
'est point agréable d'en essuyer les clabauderies.
Voilà, messieurs, quelques articles préliminaires sur lesquels il nous
aroîl convenable de se concerter d'avance : à l'égard des discours par-
culiers que nous tiendrons quand l'ouvrage en question sera en tram,
)mrae ils doivent être modifiés sur la manière dont on le recevra, il
5t à propos de réserver à ce temps-là d'en convenir. Chacun de nous,
quelques-uns près, s'est jusqu'ici comporté si convenablement à l'in-
irêt commun . qu'il n'y a pas d'apparence que nul se démente là-dessus
Il moment de couronner l'œuvre; et nous espérons que si l'on nous
•proche de manquer de talent, ce ne sera pas au moins de celui de .
ien cabaler.
C'est ainsi qu'après avoir expulsé avec ignominie toute cette engeance
aiienne. nous allons nous établir en tribunal redoutable: bientôt le
iccès ou du moins la chute des pièces dépendra de nous seuls; les au-
lurs. saisis d'une juste crainte , viendront en tremblant rendre hom-
iSge à l'archet qui peut les écorcher; et d'une ba.ide de misérables
icleurs, pour laquelle on nous prend maintenant, nous deviendrons
a jour les juges suprêmes de l'opéra françois , et les arbitres souverains
} la chaconneet du rigaudon.
J'ai l'honneur d'être avec un très-profond respect, mes chers cama-
ides, etc.
EXAMEN
DE DEUX PRINCIPES AVANCÉS PAR M. RAMEAU,
Dans sa brochure intitulée : Erreurs sur la musique, dans l'Encyclopédie '.
'C'est toujours avec plaisir que je vois paroîlre de nouveaux écrits de
. Rameau. De quelque manière qu'ils soient accueillis du public, i's
I . Je jelai cctécril sur le |iap.cr en I7b5, lorsque parul la brochure de M. H:i-
icau, cl après avoir déclare [luliliqvicmcnl, sur la granJc querelle que j'avoi3>
204 EXAMEN DE DEUX PRINCIPES
I
sont précieux aux amateurs de l'art, et je ma fais honneur d'être dt
ceux qui tachent d'en profiter. Quand cet illustre artiste relève mes'
fautes, il m'instruit, il m'honore, je lui dois des remercîmens; e
comme, en renonçant aux querelles qui peuvent troubler ma tranquil
lité, je ne m'interdis point celles de pur amusement, je discuterai pai
occasion quelques points qu'il décide, bien sûr d'avoir toujours fait une
chose utile, s'il en peut résulter de sa part de nouveaux éclaircisse
mens. C'est même entrer en cela dans les vues de ce grand musicien
qui dit qu'on ne peut contester les propositions qu'il avance, que poui
lui fournir les moyens de les mettre dans un plus grand jour : d'où j(
conclus qu'il est bon qu'on les conteste.
Je suis au reste fort éloigné de vouloir défendre mes articles de VEii
ciiclopédic : personne à la vérité n'en devroit être plus content qut
M. Rameau qui les attaque-, mais personne au monde n'en est plus mé
content que moi. Cependant , quand on sera instruit du temps où ils on
été faits, de celui que j'eus pour les faire, et de l'impuissance où j'a
toujours été de reprendre un travail une fois fini ; quand on saura d(
plus que je n'eus point la présomption de me proposer pour celui-ci
mais que ce fut, pour ainsi dire, une tâche imposée par l'amitié, oi
lira peut-être avec quelque indulgence des articles que j'eus à peine 1(
temps d'écrire dans l'espace qui m'étoit donné pour les méditer, e
que je n'aurois point entrepris si je n'avois consulté que le temps et mei
forces.
Mais ceci est une justification envers le public , et pour un autre lieu
Revenons à M. Rameau , que j'ai beaucoup loué , et qui me fait un crime
de ne l'avoir pas loué davantage. Si les lecteurs veulent bien jeter lei
yeux sur les articles qu'il attaque, tels que Chiffrer, Accorder, Accom
pagnemcnt , etc.-, s'ils distinguent les vrais éloges que l'équité mesun
aux talens, du vil encens que l'adulation prodigue à tout le monde
enfin s'ils sont instruits du poids que les procédés de M. Rameau vis-à
vis de moi ajoutent à la justice que j'aime à lui rendre , j'espère qu'ei'
blâmant les fautes que j'ai pu faire dans l'exposition de ses prin
cipes, ils seront contens au moins des hommages que j'ai rendus i
l'auteur.
Je ne feindrai pas d'avouer que l'écrit intitulé : Erreurs sur la mu
sique, me paroît en effet fourmiller d'erreurs, et que je n'y vois riei
de plus juste que le titre. Mais ces erreurs ne sont point dans les lu
mières de M. Rameau : elles n'ont leur source que dans son cœur : e!
quand la passion ne l'aveuglera pas , il jup;era mieux que personne de,
bonnes règles de son art. Je ne m'attacherai donc point à relever uiî
nombre de petites fautes qui disparoîtront avec sa haine; encore mdin
défendrai-je celles dont il m'accuse, et dont plusieurs en effet ne sau
eue à soutenir, que je ne répondrois plus à mes adversaires. Conlenc mêm
d'avoir fait note de mes observations sur l'écrilde M. Rameau, je ne les pu
bliai point; et je ne les joins mainlenanl ici que parce ([u'elles scrv.enl
l'éclaircissement de quelques arlicles de mon Uiciioiuiaire , où la rurme d
l'ouvrage ne me perracltoil pas d'enli'cr dans de plus longues disriissioiis. •
AVANCÉS PAU M. r,AMi:AU. 205
rfcient être niées. Il me fait un crime, par exemple, d'écrire pour èlre
entendu; c'est un défaut qu'il impute à mon ignorance, et dont je suis
peu tenté de la justifier. J'avoue avec plaisir que, faute de choses
savantes, je suis reduil à n'en dire que de raisonnables; et je n'envie
à personne le profond savoir qui n'engendre que des écrits inintelli-
gibles. .„ • »
Encore un coup, ce n'est point pour ma justification que j écris; c est
pour le bien de la cho e. Laissons toutes ces disputes personnelles qui
ne font rien au progrès de l'art ni à l'instruction du public. Il faut
abandonner ces petites chicanes aux commençans qui veulent se faire
un nom aux dépens des noms déjà connus, et qui, pour une erreur
qu'ils corrigent , ne craignent pas d'en commettre cent. Mais ce qu'on ne
sauroit examiner avec trop de soin, ce sont les principes de l'art même,
dans lesquels la moindre erreur est une source d'égaremens, et où l'ar-
l tiste ne peut se tromper en rien, que tous les efforts qu'il fait pour per-
fectionner l'art n'en éloignent la perfection.
Je remarque dans les erreurs sur la musique deux de ces principes
importans. Le premier, qui a guidé M. Rameau dans tous ses écrits, et
qui pis est dans toute sa rau.ique . est que l'harmonie est l'unique fonde-
ment de l'art , que la mélodie en dérive . et que tous les grands effets de
la musique naissent de la seule harmonie.
L'autre principe, nouvellement avancé par M. Rameau, et qu'il me
reproche de n'avoir pas ajouté à ma définition de l'accomjlagneraent,
est que cet accompagnement représente le corps sonore. J'examinerai
séparément ces deux principes. Commençons par le premier et le plus
important . dont la vérité ou la fausseté démontrée doit servir en quelque
manière de base à tout l'art musical.
11 faut d'abord remarquer que M. Rameau fait dériver toute 1 harmo-
nie de la résonnance du corps sonore; et il est certain que tout son est
accompat-né de trois autres sons harmoniques concomitans ou acces-
soires qui forment avec lui un accord parfait, tierce majeure. En ce
sens l'harmonie est naturelle et inséparable de la mélodie et du chant.
tel qu'il puisse être , puisque tout son porte avec lui son accord parfait.
Mais outre ces trois sons harmoniques, chaque son principal en donne
beaucoup d'autres qui ne sont point harmoniques, et n'entrent point
dans l'accord parfait. Telles sont toutes les aliquotes non réductibles
par leurs octaves à quelqu'une de ces trois premières. Or, il y a une
infinité de ces aliquotes qui peuvent échapper à nos sens, mais dont la
résonnance est démontrée par induction , et n'est pas impossible a con-
firmer par expérience. L'art les a rejetées de l'harmonie , et voila ou il a
commencé à substituer ses règles à celles de la nature.
Veut-on donner aux trois sons qui constituent l'accord parfait une
Méro-ative particulière, parce qu'ils forment entre eux ui.e sorte de
proportion qu'il a plu aux anciens d'appeler harmonique , quoiqu elle
n'ait qu'une propriété de calcul? Je dis que cette propriété se tmuve
dans des rapports de sons qui ne sont nullement harmomques. Si les
trois sons représentés par les chifl-res 1 H> lesquels sont en proportion
■harmonique, forment un accord consonnant, les trois sons représentes
206 EXAMEN DE DEUX PRINCIPES
■par ces autres chiffres j j f sont de même en proporlion harmonique,
■et ne forment qu'un accord discordant. Vous pouvez diviser harmoni
•quement une tierce majeure, une tierce mineure, un ton majeur, un
ton mineur, etc.-, et jamais le.-; sons donnés par ces divisions ne feront
■ des accords consonnans. Ce n'est donc ni parce que les sons qui com
)iosent l'accord parfait résonnent avec le son principal, ni parce qu'ils
répondent aux aliquotes de la corde entière, ni parce qu'ils sont en pro
portion harmonique , qu'ils ont été choisis exclusivement pour composer
l'accord parfait, mais seulement parce que, dans l'ordre des intervalles,
ils offrent les rapports les plus simples. Or, cette simplicité des rapports
est une règle commune à l'harmonie et à la mélodie : règle dont celle-ci
s'écarte pourtant en certains cas , jusqu'à rendre toute harmonie impra-
ticable; ce qui prouve que la mélodie n'a point reçu la loi d'elle, et ne
lui est point naturellement subordonnée.
Je n'ai parlé que de l'accord parfait majeur. Que sera-ce quand il fau-
dra montrer la génération du mode mineur, de la dissonance, et les
règles de la modulation? A l'instant je perds la nature de vue, l'arbi-
traire perce de toutes parts, le plaisir même de l'oreille est l'ouvrage
de l'habitude. Et de quel droit l'harmonie , qui ne peut se donner à elle-
même un fondement naturel , voudroit-elle être celui de la mélodie,
qui fit des prodiges deux mille ans avant qu'il fût question d'harmonie
et d'accords?
Qu'une marche consonnante et régulière de basse fondamentale en-
gendre des harmoniques qui procèdent diatoniquement et forment entre
eux une sorte de chant, cela se connoît et peut s'admettre. On pourroit
même renverser cette génération; et comme, selon M. Rameau, chaque
son n'a pas seulement la puissance d'ébranler ses aliquotes en dessus,
mais ses multiples en dessous, le simple chant pourroit engendrer une
sorte de basse, comme la basse engendre une sorte de chant; et cette
génération seroit aussi naturelle que celle du mode mineur. Mais je
voudrois demander à M. Rameau deux choses : l'une , si ces sons ainsi
engendrés sont ce qu'il appelle de la mélodie; et l'autre, si c'est ainsi
qu'il trouve la sienne, ou s'il pense même que jamais personne en ait
trouvé de cette manière. Puissions-nous préserver nos oreilles de toute
musique dont l'auteur commencera par établir une belle basse fonda-
mentale, et, pour nous mener savamment de dissonance en dissonance,
changera de ton ou de mode à chaque note , entassera sans cesse accords
sur accords, sans songer aux accens d'une mélodie simple, naturelle et
passionnée, qui ne tire pas son expression des progressions de la basse,
mais des inflexions que le sentiment donne à la voixl
Non , ce n'est point là sans doute ce que M. Rameau veut qu'on fasse,
encore moins ce qu'il fait lui-même. Il entend seulement que l'harmonie
guide l'artiste, sans qu'il y songe, dans l'invention de sa mélodie, et
que, toutes les fois qu'il fait un beau chant, il suit une harmonie régu-
lière : ce qui doit être vrai par la liaison que l'art a mise entre ces deux
parties dans tous les pays où l'harmonie a dirigé la marche des sons,
les règles du chant et l'accent musical; car ce qu'on appelle chant pren:J
alors une beauté de convention ; laquelle n'est point absolue , mais rela*
AVANCÉS PAR M. RAMEAU. 207
Hive au système harmonique, et à ce que, dans ce système, on estime
■plus que le chant.
Mais si la longue routine de nos successions harmoniques guide
l'homme exercé et le compositeur de professfon, quel fut le guide de
ces ignorans qui n'avoient jamais entendu d'harmonie dans ces chants
que la nature a dictés longtemps avant l'invention de l'art? Avoient-ils
donc un sentiment d'harmonie antérieur à l'expérience? et si quelqu'un
leur eût fait entendre la basse fondamentale de l'air qu'ils avoient cora-
-posé, pense-t-on qu'aucun d'eux eût reconnu là son guide, et qu'il eût
prouvé le moindre rapport entre cette basse et cet air?
Je dirai plus : à juger de la mélodie des Grecs par les trois ou quatre
airs qui nous en restent, comme il est impossible d'ajuster sous ces airs
une bonne basse fondamentale, il est impossible aussi que le sentiment
•de cette basse, d'autant plus régulière qu'elle est plus naturelle, leur
ait suggéré ces mêmes airs. Cependant cette mélodie qui les transpor-
toit étoit excellente à leurs oreilles , et l'on ne peut douter que la nôtre
ne leur eût paru d'une barbarie insupportable : donc ils en jugeoient sur
un autre principe que nous.
Les Grecs n'ont reconnu pour consonnantes que celles que nous ap-
pelons consonnances parfaites ; ils ont rejeté de ce nombre les tierces et
les sixtes. Pourquoi cela? C'est que l'intervalle du ton mineur étant
ignoré d'eux ou du moins proscrit de la pratique, et leurs consonnances
n'étant point tempérées , toutes leurs tierces majeures étoient trop fortes
d'un comma , et leurs tierces mineures trop foibles d'autant . et par con-
séquent leurs sixtes majeure.' et mineures altérées de même. Qu'on pense
tnaintenant quelles notions d'harmonie on peut avoir, et quels modes
harmoniques on peut établir en bannissamt les tierces et les sixtes du
nombre des consonnances. Si les consonnances mêmes qu'ils admettoient
leur eussent été connues par un vrai sentiment d'harmonie, ils les eus-
sent dû sentir ailleurs que dans la mélodie; ils les auroient. pour ainsi
dire, sous-entendues au-dessous de leurs chants; la consonnance tacite
des marches fondamentales leur eût fait donner ce nom aux marches dia-
toniques qu'elles engendroient: loin d'avoir eu moins de consonnances
que nous, ils en auroient eu davantage; et préoccupés, par exemple.
de la basse tacite ut soi, ils eussent donné le nom de consonnance à
l'intervalle mélodieux d'uf à ré.
« Quoique l'auteur d'un chant, dit M. Rameau, ne connoisse pas les
sons fondamentaux dont ce chant dérive . il ne puise pas moins dans
cette source uniqiie de toutes nos productions en musique. » Cette doc-
trine est sans doute fort savante, car il m'est impossible de l'entendre
Tâchons, s'il se peut, de m'expliquer ceci.
La plupart des hommes qui ne savent pas la musique , et qui n'ont pas
appris combien il est beau de faire grand bruit, prennent tous leurs
chants dans le médium de leur voix; et son diapason ne s'étend pas
communément jusqu'à pouvoir en entonner la basse fondamentale,
quand même ils la sauroient. Ainsi, non-seulement cet ignorant qui
compose un air n'a nulle notion de la basse fondamentale de cet air: il
est même également hors d'état et d'exécuter cette basse lui-même, et de la
20S EXAMEN DE DEUX PRINCIPES
reconnoître lorsqu'un autre l'exécute. Mais cette basse fondamentale qui
lui a suggéré son chant, et qui n'est ni dans son entendement, ni dans
son organe, ni dans sa mémoire, où est-elle donc?
M. Rameau prétend qu'un ignorant entonnera naturellement les sons
fondamentaux les plus sensibles, comme, par exemple, dans le ton
tVut . un sol sous un re, et un ut sous un mi. Pu'squ'il dit en avoir fait
l'expérience, je ne veux pas en ceci rejeter son autorité. Mais quels su-
jets a-l-il pris pour cette épreuve? Des gens qui , sans savoir la musique ,
avoient cent fois entendu de l'harmonie et des accords: de sorte que
l'impression des intervalles harmoniques, et du progrès correspondant
nés parties dans les passages les plus fréquens, étoit restée dans leur
oreille, et se transraettoit à leur voix sans même qu'ils s'en doutassent.
Le jeu des racleurs de guinguettes suffit seul pour exercer le peuple des
environs de Paris à l'intonation des tierces et des quintes. J'ai fait ces
mêmes expériences sur des hommes plus rustiques et dont l'oreille étoil
!uste: elles ne m'ont jamais rien donné de semblable. Ils n'ont entendu
la basse qu'autant que je la leur soufflois; encore souvent ne pouvoient-
ils la saisir: ils n'apercevoient jamais le moindre rapport entre deu.t
sons différens entendus à la fois : cet ensemble même leur déplaisoit tou-
jours , quelque juste que fût l'intervalle ; leur oreille étoit choquée d'une
tierce comme la nôtre l'est d'une dissonance; et je puis assurer qu'il n'y
en avoit pas un pour qui la cadence rompue n'eût pu terminer un air
tout aussi bien que la cadence parfaite, si l'unisson s'y fût trouvé de
même.
Quoique le principe de l'harmonie soit naturel, comme il ne s'offre au
.sens que sous l'apparence de l'unisson , le sentiment qui le développe
est acquis et factice, comme la plupart de ceux qu'on attribue à la na-
ture ; et c'est surtout en celte partie de la musique qu'il y a , comme dit
très-bien M. d'Alembert, un art d'entendre comme un art d'exécuter.
J'avoue que ces observations, quoique justes, rendent, à Paris, les ex-
périences dilticiles, car les oreilles ne s'y préviennent guère moins vite
que les esprits : mais c'est un inconvénient inséparable des grandes vil-
lés, qu'il y faut toujours chercher la nature au loin.
Un autre exemple dont M. Rameau attend tout, et qui me semble à
moi ne prouver rien . c'est l'intervalle des deux notes ut fa dièse , sous
lecjuel appliquant différentes basses qui marquent différentes transitions
liai raoniques , il prétend montrer , par les diverses affections qui en nais-
sent, que la force de ces affections dépend de l'harmonie et non du
chant. Comment M. Rameau a-t-il pu se laisser abuser par ses yeux, par
ses préjugés, au point de prendre tous ces divers passages pour un même
chant, parce que c'est le même intervalle apparent, sans songer qu'un
intervalle ne doit être censé le même , et surtout en mélodie , qu'autant
(luil a le même rapport au mode? ce qui n'a lieu dans aucun des passa-
des qu'il cite. Ce sont bien sur le clavier les mêmes touches , et voilà ce
qui trompe M. Rameau : mais ce sont réellement autant de mélodies
différentes ; car , non-seu'ement elles se présentent toutes à l'oreille sous
fies idées diverses, mais même leurs intervalles exacts diffèrent presque
tous les uns des autres. Quel est le musicien qui dira qu un triton et
AVANCÉS PAR M. RAMEAU. 209
une fausse quinte, une septième diminuée et une sixte majeure, une
tierce mineure et une seconde superflue, forment la même mélodie,
parce que les intervalles qui les donnent sont les mêmes sur le clavier?
Comme si l'oreille n'apprécioit pas toujours les intervalles selon leur
justesse dans le mode, et ne corrigeoit pas les erreurs du tempérament
sur les rapports de la modulation ! Quoique la basse détermine quelque-
fois avec plus de promptitude et d'énergie les changemens de ton ces
changemens ne laisseroient pourtant pas de se faire sans elle; et je n'ai
jamais prétendu que l'accompagnement fût inutile à la mélodie, mais
seulement qu'il lui devoit être subordonné. Quand tous ces passages de
l'ut au fa dièse seroient exactement le même intervalle, employés dans
leurs différentes places, ils n'en seroient pas moins autant de chants dif-
férens, étant pris ou supposés sur différentes cordes du mode, et com-
posés de plus ou moins de degrés. Leur variété ne vient donc pas de
l'harmonie, mais seulement de la modulation, qui appartient incontes-
tablement à la mélodie.
Nous ne parlons ici que de deux notes d'une durée indéterminée;
mais deux notes d'une durée indéterminée ne suffisent pas pour consti-
tuer un chant, puisqu'elles ne marquent ni mode, ni phrase, ni com
mencement, ni fin. Qui est-ce qui peut imaginer un chant dépourvu de
tout cela? A quoi pense M. Rameau de nous donner pour des accessoires
de la mélodie, la mesure, la différence du haut et du bas, du doux et
du fort, du vite et du lent; tandis que toutes ces choses ne sont que la
mélodie elle-même , et que. si on les en séparoit, elle n'existeroit plus?
La mélodie est un langage comme la parole : tout chant qui ne dit rien
n'est rien, et celui-là seul peut dépendre de l'harmonie. Les sons aio-us
ou graves représentent les accens semblables dans le discours; les brè-
ves et les longues, les quantités semblables dans la prosodie; la mesure
égale et constante, le rhythme et les pieds des vers; les doux et les
forts , la voix rémisse ou véhémente de l'orateur. Y a-t-il un homme au
monde assez froid, assez dépourvu de sentiment, pour dire ou lire des
choses passionnées sans jamais adoucir ni renforcer la voix? M. Ra-
meau, pour comparer la mélodie à l'harmonie, commence par dépouil-
ler la première de tout ce qui lui étant propre ne peut convenir à l'au-
tre : il ne considère pas la mélodie comme un chant, mais comme
un remplissage; il dit que ce remplissage naît de l'harmonie, et il a
raison.
Qu'est-ce qu'une suite de sons indéterminés quant à la durée? Des
sons isolés et dépourvus de tout effet commun, qu'on entend, qu'on
saisit séparément les uns des autres, et qui , bien qu'engendrés par une
-uccession harmonique, n'offrent aucun ensemble à l'oreille, et atten-
dent, pour former une phrase et dire quelque chose, la liaison que la
mesure leur donne. Qu'on présente au musicien une suite de notes de
valeur indéterminée, il en va faire cinquante mélodies entièrement dif-
férentes, seulement par les diverses manières de les scander, d'en com-
biner et varier les mouvemens; preuve invincible que c'est à la mesure
qu'il appartient de fixer toute mélodie. Que si la diversité d'harmonie
qu'on peut donner à ces suites varie aussi leurs effets , c'est qu'elle en
ROOSSEAU VI l4
210 EXAMEN DE DEUX PRINCIPES
fait réellement encore autant de mélodies différentes, en donnant aiu.i
mêmes intervalles divers emplacemens dans l'éclielle du mode; ce qui ,
comme je l'ai déjà dit, change entièrement les rapports des sons et le.-
sens des phrases.
La raison pourquoi les anciens n'avoient point de musique purement,
instrumentale, c'est qu'ils n'avoient pas l'idée d'un chant sans mesure.
ni d'une autre mesure que celle de la poésie; et la raison pourquoi les-
vers se chantoient toujours et jamais la prose , c'est que la prose n'avoit .
que la partie du chant qui dépend de l'intonation , au lieu que les vers
avoienl encore l'autre partie constitutive de la mélodie; savoir, le
rhythme.
Jamais personne, pas même M. Rameau, n'a divisé la musique en.
mélodie, harmonie et mesure, mais en harmonie et mélodie; après quoi'
l'une et l'autre se considère par les sons et par les temps.
M. Rameau prétend que tout le charme , toute l'énergie de la musi(]ue
est dans l'harmonie; que la mélodie n'y a qu'une part subordonnée, et
ne donne à l'oreille qu'un léger et stérile agrément. Il faut l'entendre-
raisonner lui-même; ses preuves perdroient trop à être rendues par un.
autre que lui.
Tout chœur de musique, dit-il, qui est lent et dont la succession har-
monique est bonne, plaît toujours sans le secours d'aucun dessin, ni
d'une mélodie qui puisse affecter d'elle-même ; et ce plaisir est tout'
autre que celui qu'on éprouve ordinairement d'un chant agréable ou.
simplement vif et gai. (Ce parallèle d'un cliœur lent et d'un air vif et.
gai me paroît assez plaisant.) L'un se rapporte directement à l'âme
(notez bien que c'est le grand chœur à quatre partiesi. l'autre ne passe
pas le canal de l'oreille. ^G'est le chant , selon M. Rameau.) J'en appelle
encore à l'Amour triomphe, déjà cité plus d'une fois. (Cela est vrai.)
Que l'on compare le plaisir qu'on éprouve à celui que cause un air .
soit vocal, soit ùis(rwmcN<aL J'y consens. Qu'on me laisse choisir la voiv
et l'air sans me restreindre au seul mouvement vif et gai , car cela n'est:
pas juste; et que M. Rameau vienne de son côté avec son chœur /'^Imoyr
triomphe , et tout ce terrible appareil d'instrumens et de voix : il aura
beau se choisir des juges qu'on n'affecte qu'à force de bruit, et qui sont
plus touchés d'un tambour que du rossignol, ils seront hommes eniin.
Je n'en veux pas liavantage pour leur faire sentir que les sons les plus
capables d'affecter l'âme ne sont point ceux d'un chœur de musique.
L'harmonie est une cause purement physique; l'impression qu'elle
produit reste dans le même ordre : des accords ne peuvent qu'imprimer
aux nerfs un ébranlement passager et stérile; ils donneroient plutôt des
vapeurs que des passions. Le plaisir qu'on prend à entendre un chœur
lent, dépourvu de mélodie, est purement de sensation, et tourneroitj
bientôt à l'ennui , si l'on n'avoit soin de faire ce chœur très-court, sur-
tout lorsqu'on y met toutes les voix dans leur médium. Mais si les voix
sont rémisses et basses, il peut affecter l'âme sans le secours de l'har-
monie; car une voix rémisse et lente est une expression naturelle de
tristesse; un chœur à l'unisson pourroit faire le même effet.
Les plus beaux accords, ainsi oue les plus belles couleurs, peuvent.
1
AVANCES PAR M. RAMEAU. 211
porter aux sens une impression agréable et rien de plus ; mais les accens
de la voix passent jusqu'à l'àme, car ils sont l'expression naturelle des
passions, et. en les peignant, ils les excitent. C'est p;ir eux que la mu-
sique devient oratoire , éloquente , imilative : ils en foiment le langage .
c'est par eux qu'elle peint à l'imagination les objets, qu'elle porte au
cœur les sentimens. La mélodie est dans la musique ce qu'est le dessin
dans la peinture: l'harmonie n'y fait que l'elTet des couleurs. C'est par
le chant , non par les accords . que les sons ont de l'expression , du feu ,
de la vie; c'est le chant seul qui leur donne les efTets moraux qui font
toute l'énergie de la musique. En un mot, le seul | liysique de l'art se
réduit à bien peu de chose, et l'harmonie ne passe pas au delà.
Que s'il y a quelques mouvemens de l'âme qui semblent excités par
la seule harmonie, comme l'ardeur des soldats par les instrumens mi-
litaires, c'est que tout grand bruit, tout bruit éclatant peut être bon
pour cela, parce qu'il n'est question que d'une certaine agitation qui
se transmet de l'oreille au cerveau, et que l'imagination, éliranlée ainsi,
fait le reste: encore cet effet dépend-il moins de i'harmonie que du
rhythme ou de la mesure, qui est une des parties constitutives de la
mélodie, comme je lai fait voir ci-dessus.
Je ne suivrai point M. Rameau dans les exemples qu'il tire de ses ou-
vrages pour illustrer son principe. J'avoue qii'il ne lui est pas difficile
de montrer par cette voie l'infériorité de la mélodie; mais j'ai parlé de
la musique , et non de sa musique. Sans vouloir démentir les éloges qu'il
se donne , je puis n'être pas de son avis sur tel ou tel morceau ; et tous
ces jugemens particuliers pour ou contre ne sont pas d'un grand avan
tage au progrès de l'art.
.^près avoir établi, comme on a vu, le fait, vrai par rapport à nous,
mais très-fauï généralement parlant, que l'harmonie engendre la mé-
lodie, M. Rameau finit sa dissertation dans ces termes : Ainsi, toute
mvsique étant comprise dans l'harmonie , on en doit conclure que ce
)i'est qu'à cette seule harmonie qu'on doit comparer quelque science que
ce soit. (Pag. 64.) J'avoue que je ne vois rien à répondre à cette mer-
veilleuse conclusion.
Le second principe avancé par M. Rameau, et duquel il me reste à
parler, est que l'harmonie représente le corps sonore. Il me reproche de
n'avoir pas ajouté cette idée dans la définition de l'accompagnement.
11 est à croire que si je l'y eusse ajoutée, il me l'eût reproché davan-
lage. ou du moins avec plus de raison. Ce n'est pas sans répugnance
que j'entre dans l'examen de cette addition qu'il exige : car, quoique le
principe que je viens d'examiner ne soit pas en lui-même plus vrai que
celui-ci, l'on doit beaucoup l'en distinguer, en ce que. si c'est une
erreur, c'est au moins l'erreur d'un grand musicien qui s'égare à force
de science. Mais ici je ne vois que des mots vides de sens , et je ne puis
pas même supposer de la bonne foi dans l'auteur qui les ose donner au
public comme un principe de l'art qu'il professe.
L'harmonie représente le corps sonore ! Ce mot de corps sonore a un
certain éclat scientifique; il annonce un physicien dans celui qui l'em-
ploie : mais, en musique, que signifie-t-il ? Le musicien ne considère
212 EXAJIEN DE DEUX PRINCIPES
pas le corps sonore en lui-même, il ne le considère qu'en action Or,
([u'est-ce que le corps sonore en -action ? c'est le son : l'harmonie repré-
sente donc le son. Mais l'harmonie accompagne le son : le son n'a donc
pas besoin qu'on le représente, puisqu'il est là. Si ce galimatias paroît
visible , ce n'est pas ma faute assurément.
Mais ce n'est peut-être pas le son mélodieux que l'harmonie repré-
sente; c'est la collection des sons harmoniques qui l'accompagnent. Mais
ces sons ne sont que l'harmonie elle-même : l'harmonie représente donc
l'harmonie, et l'accompagnement l'accompagnement.
Si l'harmonie ne représente ni le son mélodieux ni ses harmoniques,
que représente-t-elle donc? Le son fondamental et ses harmoniques,
dans lesquels est compris le son mélodieux. Le son fondamental et ses
harmoniques sont donc ce que M. Rameau appelle le corps sonore. Soit;
mais voyons.
Si l'harmonie doit représenter le corps sonore, la basse ne doit jamais
contenir que des sons fondamentaux: car, à chaque renversement, le
corps sonore ne rend point sur la basse l'harmonie renversée du son fon-
damental, mais l'harmonie directe du son renversé qui est à la basse,
et qui, dans le corps sonore, devient ainsi fondamentale. Que M. Ra-
meau prenne la peine de répondre à cette seule objection , mais qu'il y
réponde clairement, et je lui donne gain de cause.
Jamais le son fondamental ni ses harmoniques, pris pour le corps
sonore, ne donnent d'accord mineur; jamais ils ne donnent la disso-
nance : je parle dans le système de M. Rameau. L'harmonie et l'accom-
pagnement sont pleins de tout cela, principalement dans sa pratique :
donc l'harmonie et l'accompagnement ne peuvent représenter le corps
sonore.
Il faut qu'il y ait une différence inconcevable entre la manière de rai-
sonner de cet auteur et la mienne; car voici les premières conséquences
que son principe admis par supposition me suggère.
Si l'accompagnement représente le corps sonore, il ne doit rendre que
les sons rendus par le corps sonore : or, ces sons ne forment que des
accords parfaits; pourquoi donc hérisser l'accompagnement de disse
nances ?
Selon M. Rameau, les sons concomitans rendus par le corps sonore s»
bornent à deux; savoir, la tierce majeure et la quinte. Si l'accompa-
gnement représente le corps sonore , il faut donc le simplifier.
L'instrument dont on accompagne est un corps sonore lui-même ,
dont chaque son est toujours accompagné de ses harmoniques naturels.
Si donc l'accompagnement représente le corps sonore, on ne doit
frapper que des unissons; car les harmoniques des harmoniques ne se
tiouvent point dans le corps sonore. En vérité , si ce principe que je
combats m'étoit venu, et que je l'eusse trouvé solide, je m'en serois
servi contre le système de M. Rameau, et je l'aurois cru renversé.
Mais donnons, s'il se peut, de la précision à ses idées; nous pourrons
mieux en sentir la justesse ou la fausseté.
Pour concevoir son principe, il faut entendre que le corps sonore est
rerrésenté par la basse et son accompagnement, de façon que la basse
AVANCli:S PAR M. RAMEAU. 213
fondamentale représente le son générateur, et l'accompagneraent ses
productions harmoniques. Or, comme les sons Iiarinoniques sont pro-
duits par la basse fondamentale, la basse fondamentale, à son tour,
est produite par le concours des sons harmoniques. Ceci n'est pas un
principe de système; c'est un fait d'expérience, connu dans l'Italie de-
puis longtemps.
Il ne s'agit donc plus que de voir quelles conditions sont requises
dans l'accompagnement pour représenter exactement les productions
harmoniques du corps sono.'e, et fournir par leur concours la ba.sse
fondamentale qui leur convient.
Il est évident que la première et la plus essentielle de ces conditions
est de produire, à chaque accord, un son fondamental unique: car si
vous produisez deux sons fondamentaux, vous représentez deux corps
sonores au lieu d'un; et vous avez duplicité d'harmonie, comme il a
déjà été observé par M. Serre.
Or, l'accord parfait, tierce majeure, est le seul qui ne donne qu'un
son fondamental: tout autre accord le multiplie. Ceci n'a besoin de dé-
monstration pour aucun théoricien; et je me contenterai d'un exemple
si simple que, sans figure ni note, il puisse être entendu des lecteurs
les moins versés en musique, pourvu que les termes leur en soient
connus.
Dans l'expérience dont je viens de parler, on trouve que la tierce
majeure produit pour son fondamental l'octave du son grave, et que la
tierce mineure produit la dixième majeure; c'est-à-dire que cette tierce
majeure ut mi vous donnera l'octave de l'ut pour son fondamental , et
que cette tierce mineure mi sol vous donnera encore le même ut pour
son fondamental. Ainsi tout cet accord entier ut mi sol ne vous donne
qu'un son fondamental; car la quinte ut sol, qui donne l'unisson de sa
note grave, peut être censée en donner l'octave : ou bien, en descen-
dant ce sol à son octave, l'accord est un à la dernière rigueur; car le
son fondamental de la sixte majeure sol mi est à la quinte du grave, et
le son fondamental de la quarte sol ut est encore à la quinte du grave.
De cette manière, l'harmonie est bien ordonnée et représente exacte-
ment le corps sonore. Mais, au lieu de diviser harraoniquement la
quinte en mettant la tierce majeure au grave et la mineure à l'aigu,
transposons cet ordre en la divisant arithmétiquement ; nous aurons cet
accora parfait tierce mineure, ut mi bémol sol, et prenant d'autres
notes pour plus de commodité, cet accord semblable, la ut mi.
' Alors on trouve la dixième fa pour son "fondamental de la tierce mi-
neure la ut, et l'octave ut pour son fondamental de la tierce majeure
ut mi. On ne sauroit donc frapper cet accord complet sans produire à
la fois deux sons fondamentaux. Il y a pis encore-, c'est qu'aucun de ces
deux sons fondamentaux n'étant le vrai fondement de l'accord et du
mode, il nous faut une troisième basse la qui donne ce fondement.
Alors il est manifeste que l'accompagnement ne peut représenter le
corps sonore qu'en prenant seulement les notes deux à deux; auquel
cas on aura la- pour basse engendrée sous la quinte la mi , fa sous la
ierce mineure la ut, et ut sous la tierce majeure ut mi. Sitôt donc que
214 EXAMEN DE DEUX PRINCIPES
vous ajouterez un troisième son, ou vous ferez un acco d parfait ma-
jeur, ou vous aurez deux sons fondamentaux, et par conséquent la
représentation du corps sonore disparoîtra.
Ce que je dis ici de l'accord parfait mineur doit s'entendre à plus
forte raison de tout accord dissonant complet, où les sons fondamen-
taux se multiplient par la corap'osition de l'accord ; et l'on ne doit pas
oublier que tout cela n'est déduit que du principi même de M. Rameau,
adopté par supposition. Si l'accompagnement devoit représenter le corps
sonore, combien donc ne devroit-oii pas être circonspect dans le clioix
des sons et des dissonances, quoique régulières et iiien sauvées ! Voilà
la première conséquence qu'il fauilroil tirer de ce principe supposé
vrai. La raison , l'oreille, l'expérience, la pratique de tous les peuples
qui ont le plus de justesse et de sensibilité dans l'organe , tout suggéroit
cette conséquence à M. Rameau. 11 en tire pourtant une toute contraire ;
et , pour l'établir , il réclame les droits de la nature , mots qu'en qualité
d'arliste il ne devroit jamais prononcer.
■ 11 me fait un grand crime d'avoir dit qu'il falloit retrancher quelque-
fois des sons dans l'accompagnement , et un bien plus grand encore
d'avoir compté la quinte parmi ces sons qu'il falloit retrancher dans
l'occasion, oc La quinte, dit-il, qui est l'arc-boutant de l'harmonie, et
qu'on doit par conséquent préférer partout où elle doit être employée.»
A la bonne heure , qu'on la préfère quand elle doit être employée : mais
cela ne prouve pas qu'elle doive toujours l'être; au contraire, c'est
justement parce qu'elle est trop harmonieuse et sonore qu'il la faut
souvent retrancher, surtout dans les accords trop éloignés des cordes
principales, de peur que l'idée du ton ne s'éloigne et ne s'éteigne, de
peur que l'oreille incertaine ne partage son attention entre les deux
sons qui forment la quinte, ou ne la donne précisément à celui qui est
étranger à la mélodie, et qu'on doit le moins écouter. L'ellipse n'a pas
moins d'usage dans l'harmonie que dans la grammaire; il ne s'agit pas
toujours de tout dire, mais de se faire entendre suffisamment. Celui
qui, dans un accompagnement écrit , voudroit sonner la quinte dans
chaque accord où elle entre, feroit une harmonie insupportable; et
M. Rameau lui-même s'est bien gardé d'en user ainsi.
Pour revenir au clavecin , j'interpelle tout homme dont une habitude
invétérée n'a pas corrompu les organes; qu'il écoute, s'il peut,
l'étrange et barbare accompagnement prescrit par M. Rameau; qu'il le
compare avec l'accompagnement simple et liarmonieux des Italiens; et,
s'il refuse de juger par la raison, qu'il juge au moins par le sentiment
entre eux et lui. Comment un homme de goût a-t-il pu jamais imaginer
qu'il fallût remplir tous les accords pour représenter le corps sonore,
qu'il fallût employer toutes les dissonances qu'on peut employer?
Comment a-t-il pu faire un crime à Corelli de n'avoir pas chiffré toutes
celles qui pouvoient entrer dans son accompagnement? Comment la
plume ne lui toraboit-elle pas des mains à chaque faute qu'il reproclioit
à ce grand harmoniste de n'avoir pas faite? Comment n'a-t-il pas senti
que la confusion n'a jamais rien produit d'agréable; qu'une harmonie
trop chargée est la mort de toute expression; et que c'est par celte
AVANCÉS PAR M. RAMEAU. 215
raison que toute la musique sortie de son école n'est que du bruit sans
-elTet? Comment ne se reproche-l-il pas à lui-même d"avoir fait hérisser
les basses l'rançoises de ces foiêts de chiffres qui font mal aux oreilles
* seulement à les voir? Comment la force des beaux chants qu'on trouve
'Quelquefois dans sa musique n'a-t-elle pas désarmé sa main paternelle
vquand il les gâloil sur son clavecin?
Son système ne me paroît guère mieux fondé dans les principes de
théorie que dans ceux de pratique. Toule sa génération harmonique se
home à des progressions d'accords parfaits majeurs: on n'y comprend
plus rien sitôt qu'il s'agit du mode mineur et de la dissonance; et les
vertus des nombres de Pytliagore ne sont pas plus ténébreuses que les
.propriétés physiques qu'il prétend donner à de simples rapports.
M. Rameau d t que la résonnance d'une corde sonore met en mouve-
ment une autre corde sonore triple ou quintuple de la première, et la
lait frémir sensiblement dans sa totalité, quoiqu'elle ne résonne point.
Voilà le fait sur lequel il établit les calculs qui lui servent à la produc-
tion de la dissonance et du mode mineur. Examinons.
Qu'une corde vibrante, se divisant en ses aliquoles, les fasse vibrer
et résonner chacune en particulier, de sorte que les vibrations plus
fortes de la corde en produisent de plus foibles dans ses parties, ce
■phénomène se conçoit et n'a rien de contradictoire. Mais qu'une aliquote
puisse émouvoir son tout en lui donnant des vibrations plus lentes, et
'Coiiséquemmenl plus fortes': qu'une force nuelconque en produise une
autre triple et une autre quintuple a'elle-même, c'est ce que l'observa-
tion dément et que la raison ne peut admettre. Si l'expérience de
M. Rameau est vraie, il faut nécessairement que celle de M. Sauveur
soit fausse. Car si une corde résonnante fait vibrer son triple et son
quintuple , il s'ensuit que les nœuds de M. Sauveur ne pouvoient exister .
!ue sur la résonnance d'une partie la corde entière ne pouvoit frémir,
ue les papiers blancs et rouges dévoient également tomber , et qu'il faut
-jeter sur ce fait le témoignage de toute l'Académie.
Que M. Rameau prenne la peine de nous expliquer ce que c'est qu'une
orde sonore qui vibre et ne résonne pas. Voici certainement une nou-
velle physique. Ce ne sont donc plus les vibrations du corps sonore qui
produisent le son, et nous n'avons qu'à chercher une autre cause.
Au reste, je n'accuse point ici M. Rameau de mauva se foi : je con-
clure même comment il a pu se tromper. Premièrement, dans une
xpérience fine et délicate, un homme à système voit souvent ce qu'il a
..vie de voir. De plus, la grande corde se divisant en parties égale.s
entre elles et à la petite, on a vu frémir à la fois toutes ses parties, et
l'on a pris cela pour le frémissement de la corde entière. On n'a point
entendu de son ; cela est encore fort naturel : au lieu du son de la corde
entière qu'on allendoit , on n'a eu que l'unisson de la plus petite partie ,
et on ne-i'a pas distingué. Le fait important dont il falloit s'assurer, et
dont dépendoit tout le reste, étoit qu'il n'existoit point de nœuds immo-
i. Ci; qui rend les vibrations plus Irnlcs, c'est ou p!ns de m.TliLre à mou-
-voir dans là corde, ou sun plus grand ccarl de la lii;nc de ri'pos.
I
216 EXAMEN DE DEUX PRINCIPES DE M. RAMEAU.
biles , et que , tandis qu'on n'entendoit que le son d'une partie , on voyoit
frémir la corde dans la totalité; ce qui est faux.
Quand celle expérience seroit vraie, les origines qu'en déduit M. Ra-
meau ne seroient pas plus réelles : car l'harmonie ne consiste pas dans
les rapports de vibrations, mais dans le concours des sons qui en ré-
sultent-. et si ces sons sont nuls, comment toutes les proportions du
monde leur donneroient-elles une existence qu'ils n'ont pas?
Jl est temps de m'arrèter. Voilà jusqu'où l'examen des erreurs de
AI. Rameau peut importer à la science hairaonique. Le reste n'intéresse ,,
ni les lecteurs ni moi-même. Armé par le droit d'une juste défense, m
j'avois à combaltre deux principes de cet auteur, dont l'un a produit 1
toute la mauvaise musique dont son école inonde le public depuis nom-
bre d'années: l'autre, le mauvais accompagnement qu'on apprend par
sa méthode. J'avois à montrer que son système harmonique est insuffi-
sant, mal prouvé, fondé sur une fausse expérience. J'ai cru ces recher-
ches intéressantes. J'ai dit mes raisons: M. Rameau a dit ou dira les
siennes : le public nous jugera. Si je finis sitôt cet écrit, ce n'est pas
que la matière me manque, mais j'en ai dit assez pour l'utilité de l'art
et pour l'honneur de la vérité. Je ne crois pas avoir à défendre le mien
contre les outrages de M. Rameau. Tant qu'il m'attaque en artiste, je
me fais un devoir de lui répondre, et discute avec lui volontiers les
points contestés; sitôt que l'homme se montre et m'attaque personnelle-
ment, je n'ai plus rien à lui dire, et ne vois en lui que le musicien.
LETTRE A M. LE DOCTEUR RURNEY,
AUTEUR DE L'hISTOIRE GÉNÉRALE DE LA MUSIQUE'.
Vous m'avez fait successivement, monsieur, plusieurs cadeaux pré-
cieux de vos écrits, chacun desquels méritoit bien un remercîment
exprès. La presque absolue impossibilité d'écrire m'a jusqu'ici empêché
de remplir ce devoir; mais le premier volume de votre Histoire générale
de la musique, en ranimant en moi un reste de zèle pour un art auquel
le vôtre vous a fait employer tant de iravaux , de temps, de voyages et
i . Les deux pièces qui suivent ne sont que des fragmens d'un ouvrase que
M. Rousseau n'acheva point. 11 donna son manuscrit, presque IndécliifTrable,
à M. Prévost, de rAcadémie royale des sciences cl belles-letues de lieriiu,
qui a bien voulu nous le remelUe. 11 y a joint la copie qu'il en fit lui-même
sous les yeux de M. Rousseau, qui la corrigea de sa main, et distribua ces
îragmens dans l'ordre où nous les donnons. M. Prévost, connu du public par
une excellente traduction de VOieste d'Euripide, a suppléé, dans les Obser-
vations sur l'Alcesie, quelques passages dont \e sens éloit resté suspendu,
el qui ne sembloienl point se lier avec le reste du discours. Nous avons fait
écrire ces passages en italiques* : sans cette précaution, il auroil été difficile
de les distinguer du texte de M. Rousseau. ( Note des éditeurs de Genève.)
* Dans cette édition les passages en question sont indiqués par dos guil-
.emcis. (Ed.)
LtTTRE A M. BURNEY. 217
As dépenses, m'ex-cite à vous en marquer ma reconnoissance. en m'en-
irelenant quelque temps avec vous du sujet favori de vos recherches
qui doit immorlaliser votre nom chez les vrais amateurs de ce bel art.
Si i'avois eu le bonheur d'en conférer avec vous un peu a loisir , tandis
Qu'il me restoit quelques idées encore fraîches, j'aurois pu tirer des
vôtres bien des instructions dont le public pourra profiler, mais qui
seront perdues pour moi , désormais privé de mémoire et hors d état de
rien lire. Mais je puis du moins consigner ici sommairement quelques-
uns des points sur lesquels j'aurois désiré vous consulter , afin que les
artistes ne soient pas privés des éclaircissemens qu'ils leur vaudront de
votre part; et, laissant bavarder sur la musique en belles phrases ceux
nui sans en savoir faire, ne laissent pas d'étonner le public de leurs
' savantes spéculations , je me bornerai à ce qui tient plus immédiatement
à la pratique, qui ne donne pas une prise si commode aux oracles des
beaux esprits , lirais dont l'étude est seule utile aux véritables progrès
de l'art. , . ,
1° Vous vous en êtes trop occupé , monsieur , pour n avoir pas souvent
remarqué combien noire manière d'écrire la musique est confuse, em-
brouillée , et souvent équivoque ; ce qui est une des causes qui rendent son
étude si lonf;ue et si difficile. Frappé de ces inconvéniens , j'avois imagine ,
il Y a une quarantaine d'années, une manière de l'écrire par chiftres,
moins volumineuse, plus simple, et, selon moi, beaucoup plus claire.
J-en lus le projet, en 1742 , à l'Académie des sciences, et je le proposai
l'année suivante au public, dans une brochure que j'ai l'honneur de
vous envoyer. Si vous prenez la peine de la parcourir, vous y verrez a
quel point j'ai réduit le nombre et simplifié l'expression des signes.
Comme il n'y a dans l'échelle que sept noies diatoniques, je n'ai non
nlus que sept caractères pour les exprimer. Toutes les autres, qui n en
sont que les répliques, s'y présentent à leur degré, mais toujours sous
le signe primitif. Les intervalles majeurs, mineurs, sup rflus et dimi-
nués ne s'y confondent jamais de position, comme dans la musique
ordinaire: mais chacun a son caractère inhérent et propre . qui .sans
é-ard à la position ni à la clef, se présente au premier coup d œil. Je
croscris le bécarre comme inutile : je n'ai jamais m beraol m diese a la
clef- enfin les accords, l'harmonie et l'enchaînement des modulations
s'y montrent dans une partition avec une clarté qui ne laisse rien
échapper à l'œil; de sorte que la succession en est aussi claire aux re-
gards du lecteur que dans l'esprit du compositeur même. _
Mais la partie la plus neuve et la plus utile de ce système, et celle
cependant qu'on a le moins remarquée, est celle qui se rapporte aux
valeurs des notes et à l'expression de la durée et des quantités dans le
temps C'est la grande simplicité de cette partie qui l'a empêchée de
faire sensation. Je n'ai point de figures particulières pour les rondes,
blanches, noires, croches, doubles croches, etc.; tout cela ramené
par la position seule à des aliquotes égales , présente a 1 œil les divisions
de la mesure et des temps , s;ms presque avoir besoin pour cela de
si-nes propres. Le zéro seul suffit pour exprimer un silence quelconque :
le'point après une note ou un zéro, marque tous les prolongemens
218 LETTRE A M. BURNEY.
possibles d'un silence ou d'un son. Il peut représenter toutes sortes de
valeurs; ainsi les pauses . demi-pauses, soupirs, demi-soupirs, quarts
de soujiirs, etc., sont proscrits, ainsi que les diverses figures de noies.
J'ai piis en tout le contre-pied de la note ordinaire; elle représente les
valeurs par des figures, et les intervalles par des positions; moi, j'ex-
prime les valeurs par la position seule, et les intervalles par des
chiiïres, etc.
Cette manière de noter n'a point été adoptée. Comment auroit-elle pu
l'être? elle éloit nouvelle, et c'étoit moi qui la proposois. Mais ses dé-
fauts, que j'ai remarqués le premier, n'empèclient pas qu'elle n'ait de
grands avantages sur l'autre . surtout pour la pratique de la composi-
tion, pour enseigner la musique à ceux qui ne la savent pas, et pour
noter commodément, en petit volume , les airs qu'on entend et qu'on
peut désirer de retenir. Je l'ai donc conservée pour mon usage, je l'ai
perfectioimée en la pratiquant, et je l'emploie surtout à noter la basse
sous un chant quelconque, parce que cette basse, écrite ainsi par une
ligne de chiiïres, m'épargne une portée, double mon espace, et fait que
je suis obligé de tourner la moitié moins souvent.
2° En perfectionnant cette manière de noter, j'en ai trouvé une autre,
avec laquelle je l'ai combinée, et dont j'ai maintenant à vous rendre
compte.
Dans les exemples que vous avez donnés du chant des Juifs, vous les
avez, arec raison, notés de droite à gauche. Cette direction des lignes
est la plus ancienne, et elle est restée dans l'écriture orientale. Les
■ Grecs eux-mêmes la suivirent d'abord; ensuite ils imaginèrent d'écrire
les lignes en sillons, c'est-à-dire alternativement de droite à gauche et
(le gauche à droite. Enfin la difficulté de lire et d'écrire dans les deux
sens leur fit abandonner tout à fait l'ancienne direction, et ils écrivi-
rent comme nous faisons aujourd'hui, uniquement de gauche à droite,
revenant toujours à la gauche pour recommencer chaque ligne.
Cette marche a un inconvénient dans le saut que l'œil est forcé de
' faire de la fin de chaque ligne au commencement de la suivante, et du
bas de shaque page au haut de celle qui suit. Cet inconvénient, que
l'habitude nous rend insensible dans la lecture, se fait mieux se, tir en
lisant la m isiijue, où, les lignes étant plus longues, l'œil a un plus
grand saut à faire . et où la rapidité de ce saut fatigue à la longue, sur*
tout dans les mouvemens vites; en sorte qu'il arrive quelquefois dar5
un concerto que le symphoniste se trompe de portée, et que l'exécutioa
est arrêtée.
J'ai pensé qu'on pourroit remédier à cet inconvénient et rendre la
musique plus commode et moins fatigante à lire, en renouvelant pouf
elle la méthoJe d'écrire par sillons pratiquée par les anciens Grecs, et.
cela d'autant plus heureusement que cette méthode n'a pas pour la mu-
sique la même difficulté que pour l'écriture; car la note est également
facile à lire dans les deux sens , et l'on n'a pas plus de peine . par exem-
ple, à lire le plain-chanl des Jui:s comme vous l'avez noté, que s'il
éloit noté de gauche à droite comme le nôtre. C'est un fait d'expérience
aue chacun peut vérifier sur-le-champ , que qui chante à livre ouvert de
LETTRE A M. BUHNEY. 219
auche à droite chantera de même à livre ouvert de droite à gauche, sans
'y être aucunement préparé. Ainsi, point d'embarras pour lapraiiijue.
Pour m"assurer de cette méthode [ ar l'expérience, prévoir toutes les
bjections, et lever toutes les difficultés, j'ai écrit de cette manière
leaucoup de musique tant vocale qu'instrumentale, tant en parties sé-
arces qu'en partition, m'attachant toujours à cette constante règle, de
isposer tellement li succession des lignes et des pages, que l'œil n'eût
imais de saut à faire ni de droite à gauche ni de bas en haut, mais
[u'il recommençât toujours la ligne ou la page suivante . même en tour-
lant, du lieu même où finit la précédente; ce qui fait procéder alier-
ativement la moitié de mes p;:ges de bas en haut, comme la moitié de
nés lignes de gauche à droite.
Je ne parlerai point des avantages de cette manière d'écrire la mu-
ique; il suffit d'exécuter une sonate lotée de cette façon pour les sen-
A l'égard des objections, je n'en ai pu trouver qu'une^senle, et
eu!ement pour la musique vocale ; c'est la difficulté de lire les paroles
crites à rebours, difficulté qui revient de deux en deux lignes : et
avoue que je ne vois nul autre moyen de la vaincre, que de s'exercer
luelques jours à lire et à écrire de cette façon, comme font les impri-
neurs, habitude qui se contracte très-promplement. Mais quand on ne
oudroit pas vaincre ce léger obstacle pour les parties de chant, les
ivantages resteroient toujours tout entiers sans aucun inconvénient pour
es parties instrumentales et pour toute espèce de symphonies: et cer-
lainement, dans l'exécution d'une sonate ou d'un concerto, ces avan-
tages sauveront toujours beaucoup de fatigue aux concertans et surtout
i l'instrument principal.
3" Les deux façons de noter dont je viens de vous parier ayant cha-
cune ses avantages, j'ai imaginé de les réunir dans une note combinée
ies deux, afin surtout d'épargner de la place et d'avoir à tourner moins
souvent. Pour cela je note en musique ordinaire, mais à la grecque,
c'est-à-dire en sillons , les parties chantantes et obligées; et quant à la
basse, qui procède ordinairement par notes plus simples et moins figu-
rées, je la note de même en sillons, mais par chiffres, dans les entre-
lignes qui séparent les portées. De cette manière chaque accolade a une
portée de moins, qui est celle de la basse; et comme cette basse est
écrite à la place où l'on met ordinairement les paroles, j'écris ces pa-
roles au-dessus du chant, au lieu de \el mettre au-dessous, ce qui est
indiffèrent en soi, et empêche que les chiffres de la basse ne se confon-
dent avec l'écriture. Quand il n'y a que deux parties, cette manière de
noter épargne la moitié de la place.
4* Si j'avois été à portée de conférer avec vous avant la publication de
votre premier volume, où vous donnez l'histoire de la musique an-
cienne, je vous aurois proposé, monsieur, d'y discuter quelques points
concernant la musique des Grecs, desquels l'éclaircissement me paroît
devoir jeter de grandes lumières sur la nature de cette musique, tant
jugée et si peu connue; points qui néanmoins n'ont jamais excité de
question chez nos érudits, parce qu'ils ne se sont pas même avisés d'y
liénser.
220 LETTRE A M. BURNEY.
Je ne renouvelle point, par, ni ces questions, celle qui regarde notre
harmonie , demandant si elle a été connue et pratiquée des Grecs , parce
que cette question me paroît n'en pouvoir faire une pour quiconque i-
quelque notion de l'art, et de ce qui nous reste, sur cette matière , dans
les auteurs grecs; il faut laisser chamailler là-dessus les érudits, et se
contenter de rire. Vous avez mis, sous l'air antique d'une ode de Pin-
dare, une fort bonne basse; mais je suis très-sûr qu'il n'y avoit pas uni
oreille grecque que cette basse n'eût écorchée au point de ne la pouvoii
endurer.
Mais j'oserois demander, l°sila poésie grecque étoit susceptible d'ètrt
chantée de plusieurs manières, s'il étoit possible de faire plusieurs airs
différens sur les mêmes paroles, et s'il y a quelque exemple que celé
ait été pratiqué; 2° quelle étoit la distinction caractéristique de la poésie
lyrique, ou accompagnée, d'avec la poésie purement oratoire. CetU
distinction ne consistoit-elle que dans le mètre et dans le style, ou con
sistoit-elle aussi dans le ton de la récitation? N'y avoit-il rien de chantt
dans la poésie qui n'étoit pas lyrique, et y avoit-il quelque cas où l'oi
pratiquât, comme parmi nous, le rhythme cadencé sans aucune mé-
lodie? Qu'est-ce que c'étoil proprement que la musique instrumentai
des Grecs? Avoient-ils des symphonies proprement dites, composées
sans aucunes paroles? Ils jouoienl des airs qu'on ne chantoit pas, jf
sais cela; mais n'y avoit-il pas originairement des paroles sur tous ces
airs? et y en avoit-il quelqu'un qui n'eût point été chanté ni fait poui
l'être? Vous sentez que cette question seroit bien ridicule si celui qu
la fait croyoit qu'ils eussent des accompagneraens semblables au.\
nôtres, qui eussent fait des parties différentes de la vocale; car, en pa-
reil cas, ces accompagneraens auroient fait de la musique puremen
instrumentale. Il est vrai que leur note étoit différente pour les instru
mens et pour les voix; mais cela n'empêchoit pas, selon moi, que l'aii
noté des deux façons ne fût le même.
J'ignore si ces questions sont superficielles; mais je sais qu'elles m
sont pas oiseuses. Elles tiennent toutes par quelque côté à d'autre:
questions intéressantes : comme de savoir s'il n'y a qu'une musique
comme le prononcent magistralement nos docteurs, ou si peut-être
comme moi et quelques autres esprits vulgaires avons osé le penser, i
y a essentiellement et nécessairement une musique propre à chaqut
langue , excepté pour les langues qui , n'ayant point d'accent et ne pou
vant avoir de musique à elles, se servent comme elles peuvent de celh
d'autrui, prétendant, à cause de cela, que ces musiques étrangères
qu'elles usurpent au préjudice de nos oreilles , ne sont à personne oi
sont à tous : comme encore à l'éclaircissement de ce grand principe di
Vunité de mélodie , suivi trop exactement par Pergolèse et par Léo poui
n'avoir pas été connu d'eux ; suivi très-souvent encore , mais par instinc
et sans le connoître, par les compositeurs italiens modernes; suivi très
rarement par hasard par quelques compositeurs allemands, mais n
connu par aucun compositeur françois, ni suivi jamais dans aucum
autre musique françoise que le seul Devin du village , et proposé pa:
l'auteur de la Lettre sur la musique françoise et du Diction7iaire di
LETTRE A M. BURNEY. 221
,mique sans avoir été ni compris, ni suivi, ni peut-être lu par per-
mne- principe dont la musique moderne s'écarte journellement de
lus en plus, jusqu'à ce qu'enfin elle vienne à dégénérer en un tel cha-
vari que , les oreilles ne pouvant plus la souffrir, les auteurs soient
imenés de force à ce principe si dédaigné, et à la marche de la
Ceci' monsieur, me mèneroit à des discussions techniques, qui vous
nnuieroient peut-être par leur inutilité, et infailliblement par leur
m'^ueur Cependant, comme il pourroit se trouver par hasard dans mes
ieilles rêveries musicales quelques bonnes idées, je m'étois proposé
'en jeter quelques-unes dans les remarques que M. Gluck m'avoit prie
e faire sur son opéra italien à'Alcestc : et' j'avois commence cette be-
ogne quand il me retira son opéra, sans me demander mes remarques,
ui n'étoient que commencées, et dont l'indéchiffrable brouillon n'etoit
,asen état de lui être remis. J'ai imaginé de transcrire ici ce fragment
•,an= cette occasion et de vous l'envoyer, afin que, si vous avez la fan-
aisie d'y jeter les yeux, mes informes idées sur la musique lyrique
missent vous en suggérer de meilleures, dont le public profitera dans
otre histoire de la musique moderne.
Je ne puis ni compléter cet extrait, ni donner à ses membres éparsla
iai-^on nécessaire, parce que je n'ai plus l'opéra sur lequel il a été fait,
linsi i- me borne à transcrire ici ce qui est fait. Comme l'opéra d Al-
■este a été imprimé à Vienne , je suppose qu'il peut aisément passer sous
yos veux • et au pis aller il peut se trouver par-ci par-là dans ce frag-
iient quelque idée générale qu'on peut entendre sans exemple et sans
ipplication Ce qui me donne quelque confiance dans les jugemens que
ie portois ci-devant dans cet extrait , c'est qu'ils ont été presque tous
-onfirraés depuis lors par le public dans VAlceste françois que M. Gluck
nons a donné cette année à l'Opéra , et où il a, avec raison, employé
tant qu'il a pu la même musique de son Alceste italien.
FRAGMENS D'OBSERVATIONS
SUR L'ALCESTE ITALIEN DE M. LE CHEVALIER GLUCK.
L'examen de l'opéra A' Alceste de M. Gluck est trop au-dessus de mes
forces surtout dans l'état de dépérissement où sont depuis plusieurs
années mes idées , ma mémoire , et toutes mes facultés , pour que j'eusse
eu la présomption d'en faire de moi-même la pénible entreprise , qui
d'ailleurs ne peut être bonne à lien: mais M. Gluck m'en a si fort
pressé que je n'ai pu lui refuser cette complaisance , quoique aussi
fatigante pour moi qu'inutile pour lui. Je ne suis plus capable de donner
l'att°ention nécessaire à un ouvrage aussi travaillé. Toutes mes observa-
tions peuvent être fausses et mal fondées; et, loin de les lui donner
pour des règles, je les soumets à son jugement, sans vouloir en aucune
façon les défendre : mais quand je me serois trompé dans toutes, ce
qiii restera toujours réel et vrai , c'est le témoignage qu'elles rendent a
m-
222 OBSERVATIONS
M. Gluclv de ma déférence pour ses désirs, et de mon estime pour ses
ouvrages.
En considérant d'abord la marche totale de celle pièce, j'y trouve
une espèce de contre-sens général , en ce que le premier acte est le plus
lorl de musique, et le dernier le plus foible; ce qui est directement
contraire à la bonne gradation du drame, où l'inlérêl doit toujours aller
en se renforçant. Je conviens que le grand pathétique du premier acte
seroit hors de place dans les suivans; mais les forces de la musique ne
sont pas exclusivement dans le pathétique, mais dans l'énergie de tous
les senlimens et dans la vivacité de tous les tableaux. Partout où l'iu-
lerèt est plus vif, la musique doit être plus animée, et ses ressources
ne sont pas moindres dans les expressions brillantes et vives, que dans
les gémissemens et les pleurs.
Je cnviens qu'il y a plus ici de la faute du poète que du musicien;
mais je n'en crois pas celui-ci tout à fait disculpé. Ceci demande un peu
d'explication.
Je ne connois point d'opéra où les passions soient moins variées que
dans VAlceste: tout y roule presque sur deux seuls sentimens, l'affliction
et l'effroi: et ces deux sentimens, toujours prolongés, ont dû coûter des
peines incroyables au musicien , pour ne pas tomber dans la plus lamen-
table monotonie. En général , plus il y a de chaleur dans les situations
et dans les expressions, plus leur passage doit être prompt et rapide^
sans quoi la force de l'émotion se ralentit dans les auditeurs ; et , quand
la mesure est passée, l'acteur a beau continuer de se démener, le spec-
tateur s'attiédit, se glace, et finit par s'impatienter.
Il résulte de ce défaut que l'intérêt, au lieu de s'échauffer par degrés
dans la marche de la pièce, s'attiédit au contraire jusqu'au dénoûment,.
qui, n'en déplaise à Euripide lui-même, est froid, plat, et presque
risible, à force de simplicité.
Si l'auteur du drame a cru sauver ce défaut par, la petite fête qu'il a
mise au second acte, il s'est trompé. Cette fête, mal placée, et ridicu-
lement amenée, doit choquer à la représentation, parce qu'elle est
contraire à toute vraisemblance et à toute bienséance, tant à cause de
la promptitude avec laquelle elle se prépare et s'exécute, qu'à cause de
l'absence de la reine, dont on ne se met point en peine, jusqu'à ce que
le roi s'avise à la fin d'y penser '.
J'oserai dire que cet auteur, trop plein de son Euripide, n'a pas tiré
de son sujet ce qu'il pouvoit lui fournir pour soutenir l'intérêt, varier
la scène, et donner au musicien de l'étoffe pour de nouveaux caractères
de musique. Il falloit faire mourir Alceste au second acte, et employer
tout le troisième à préparer, par un nouvel intérêt, sa résurrection, ce
qui pouvoit amener un coup de théâtre aussi admirable et frappant que
ce froid retour est insipide. Mais, sans m'arrêtera ce que l'auteur du
drame auroit dû faire, je reviens ici à la musique.
1. J'ai donné, pour mieux encadrer cette fêle, et la rendre louclianle et
di'chiranle par sa gaieté môme, une idée dont M. Gluck a profité dans soi»
^Ice^ie franchis.
SUR L'ALCESTE DE M. GLUCK. 223
Son auteur avoit donc à vaincre l'ennui de cette uniformité de pas-
sion, et à prévenir l'accablement qui devoit en être l'eflet. Quel éloit ie
premier, le plus grand moyen qui se présentoit pour cela? C'éloil de
suppléer à ce que n'avoit pas fait l'auteur du drame, en graduait telle-
ment sa marche , que la musique augmentât toujours de chaleur en
avançant, et devînt enfin d'une véhémence qui transportât l'auditeur;
et il falloit tellement ménnger ce progrès, que cette agitation finît ou
changeât d'objet avant de jeter l'oreille et le cœur dans l'épuisement.
C'est ce que M. Gluck me paroît n'avoir pas fait, puisque son premier
acte, aussi fort de musique que le second , l'est beaucoup plus que le
troisième: qu'ainsi la véhémence ne- va point en croissant; et, dès les
deux premières scènes du second acte, l'auteur, ayant épuisé toutes les
forces de son art, ne peut plus dans la suite que soutenir foibleraent
des émotions du même genre, qu'il a trop tôt portées au plus haut
degré.
L'objection se présente ici d'elle même. C'étoit à l'auteur des paroles
de renforcer, par une marche gmduée, la chaleur et l'intérêt. Celui de
la m.usique n'a pu rendre les atîections de ses personnages que dans le
même ordre et au même de:ré que le drame les lui présentoit : il eût
fait des contre-sens, s'il eût donné à ses expressions d'autres nuances
que celles quexigeoienl de lu| les paroles qu'il avoit à rendre. 'Voilà
l'objection : voici ma réponse. iM. Gluck sentira bientôt qn'entre tous
les musiciens de l'Er.rope elie n'est faite que pour lui seul.
Trois choses concourent à produire les grands etTets de la musique
dramatique; savoir, l'accent, l'harmonie ei le rliythme. L'accent est
déterminé par le poète, et le musicien ne peut guère, sans faire des
contre-sens, s'écarter en cela, ni pour le choix ni pour la force, de la
juste expression des paroles, ilais quant aux deux autres parties, qui ne
sont pas de même inhérentes à la langue, il peut, jusqu'à certain point,
'les combiner à son gré, pour modifier et graduer l'intérêt, selon qu'il
convient à la marche qu'il s'est prescrite
J oserai même dire que le plaisir de l'oreille doit quelquefois l'em-
porter sur la vérité de l'expression; car la musique ne sauroit aller au
cœur que par le charme de la mélodie; et s'il n'étoit question que de
rendre l'accent de la passion, l'art de la déclamation suffiroit seul, et
la musique, devenue inutile, seroit plutôt importune qu'agréable : voilà
l'un des écueils que le compositeur, trop plein de son expression, doit
éviter soigneusement. Il y a dans tous les bons opéras , et surtout dans
ceux de M. Gluck, mille morceaux qui font couler des larmes par la
musique, et qui ne donneroient qu'une émotion médiocre ou nulle,
dépourvus de son secours, quelque bien déclamés qu'ils pussent être. . .
11 suit de là que, sans altérer la vérité de l'expression, le musicien
qui module longtemps dans les mêmes tons , et n'en change que ra-
rement, est maître d'en varier les nuances par la combinaison r'cj
deux" parties accessoires qu'il y fait concourir; savoir, l'harmonie et le ■
rhythme. Parlon;- d'abord de la première. J'en distmgue de trois espè-
ces : l'harmonie diatonique, la plus simple des trois , et peut-être la seuli;
•naturelle; l'harmonie chromatique., qui consiste en de continuels chan-
k
224
OBSERVATIONS
gemens de tons par des successions fondamentales de quintes-, et enfin
l'harmonie que j'appelle pathétique, qui consiste en des entrelacemens^
d'accords superflus et diminués, à la faveur desquels on parcourt des
tons qui ont peu d'analogie entre eux : on affecte l'oreille d'intervalles
déchirans , et l'âme d'idées rapides et vives , capables de la troubler.
L'harmonie diatonique n'est nulle part déplacée, elle est propre à tous
les caractères; à l'aide du rhythme et de la mélodie, elle peut suffire à
toutes les expressions : elle est nécessaire aux deux autres harmonies,,
et toute musique où elle n'entreroit point ne pourroit jamais être qu'une
musique détestable.
L'harmonie chromatique entre de même dans l'harmonie pathétique;
mais elle peut fort bien s'en passer, et rendre, quoique à son défaut
peut-être plus foiblement, les expressions les plus pathétiques. Ainsi,
par la succession ménagée de ces trois harmonies, le musicien peut
graduer et renforcer les sentimens de même genre que le poète a sou-
tenus trop longtemps au même degré d'énergie.
Il a pour cela une seconde ressource dans la mélodie , et surtout dans
sa cadence diversement scandée par le rhythme. Les mouvemens extrê-
mes de vitesse et de lenteur, les mesures contrastées, les valeurs iné-
gales, mêlées de lenteur et de rapidité, tout cela peut de même se
graduer pour soutenir et ranimer l'intérêt et l'attention. Enfin l'on a le
plus ou moins de bruit et d'éclat, l'harmonie plus ou moins pleine, les
silences de l'orchestre, dont le perpétuel fracas seroit accablant pour
l'oreille, quelque beaux qu'en pussent être les effets.
Quant au rhythme, en quoi consiste la plus grande force de la musi-
que, il demande un grand art pour être heureusement traité dans la
vocale. J'ai dit , et je le crois , que les tragédies grecques étoient de vrais
opéras. La langue grecque, vraiment harmonieuse et musicale, avoit par
elle-même un accent mélodieux; il ne falloit qu'y joindre le rhythme
pour rendre la déclamation musicale : ainsi non-seulement les tragé-
dies, mais toutes les poésies étoient nécessairement chantées. Les poètes
disoient avec raison, je chante, au commencement de leurs poèmes;
formule que les nôtres ont très-ridiculement conservée : mais nos lan-
gues modernes, production des peuples barbares, n'étant point natu-
rellement musicales, pas même l'italienne, il faut, quand on veut leur
appliquer la musique , prendre de grandes précautions pour rendre cette
union supportable , et pour la rendre- assez naturelle dans la musique
imita live pour faire illusion au théâtre. Mais, de quelque façon qu'on
s'y prenne, on ne parviendra jamais à persuader à l'auditeur que le
chant qu'il entend n'est que de la parole ; et si l'on y pouvoit parvenir ,
ce ne seroit jamais qu'en fortifiant une des grandes puissances de la
musique, qui est le rhythme musical, bien différent pour nous du
rhythme poétique, et qui ne peut même s'associer avec lui que très-rare-
ment et très-imparfaitement.
C'est un grand et beau problème à résoudre, de déterminer jusqu'à
quel point on peut faire chanter la langue et parler la musique. C'est
d'une bonne solution de ce problème que dépend toute la théorie de lu
musique dramatique. L'instinct seul a conduit, sur ce point , les Italiens
SUR L'ALCESTE DE M. GLUCK. 225
,îans la pratique aussi bien qu'il étoit possible ; et les défauts énormes
de leurs opéras ne viennent pas d'un mauvais genre de musique, mais
d'une mauvaise application d'un bon genre.
L'accent oral par lui-même a sans doute une grande force, mais c'est
seulement dans la déclamation : cette force est indépendante de tou*-»
musique, et. avec cet accent seul, on peut faire entendre une bonne
tragédie, mais non pas un bon opéra. Sitôt que la musique s'y mêle, il
faut qu'elle s'arme de tous ses charmes pour subjuguer le cœur par
l'oreille. Si elle n'y déploie toutes ses beautés, elle y sera importune,
comme si l'on faisoit accompagner un orateur par des instrumens; mais
en y mêlant ses richesses, il faut pourtant que ce soit avec un grand
ménagement, afin de prévenir l'épuisement où jeîteroit bientôt nos
organes une longue action toute en musique.
De ces principes il suit qu'il faut varier dans un drame l'application
de la musique, tantôt en laissant dominer l'accent de la langue et le
rhythme poétique, et tantôt en faisant dominer la musique à son tour,
et prodiguant toutes les richesses de la mélodie, de l'harmonie et du
rhythme musical, pour frapper l'oreille et toucher le cœur par des char-
mes auxquels il ne puisse résister. Voilà les raisons de la division d'un
opéra en récitatif simple, récitatif obligé, et airs
Quand le discours, rapide dans sa marche, doit être simplement dé-
bité, c'est le cas de s'y livrer uniquement à l'accent de la déclamation:
et, quand la langue a un accent, il ne s'agit que de rendre cet accent
appréciable, en le notant par des intervalles musicaux, en s'attachant
fidèlement à la prosodie, au rhythme poétique, et aux inflexions pas-
sionnées qu'exige le sens du discou-f-s. Voilà le récitatif simple, et ce
récitatif doit être aussi près de la simple parole qu'il est possible: il ne
doit tenir à la musique que parce que la musique est la langue de l'opéra ,
et que parler et chanter alternativement, com.me on fait ici dans les
opéras-com^^ues . c'est s'énoncer successivement dans deux langues diffé-
rentes, ce qui rend toujours choquant et ridicule le passage de l'une à
l'autre , et qu'il est souverainement absurde qu'au moment où l'on se
passionne on changé de voix pour dire une chanson. L'accompagnement
delà basse est nécessaire dans le récitatif simple, non-seulement pour
soutenir et guider l'acteur, mais aussi pour déterminer l'espèce des in-
tervalles, et marquer avec p-écision les entrelacemens de modulation
qui font tant d'eflet dans un beau récitatif; mais loin qu'il soit néces-
saire de rendre cet accompagnement éclatant, je voudrons au contraire
qu'il ne se fît point remarquer, et qu'il produisît son effet sans qu'on y
fit aucune attention. Ainsi je crois que les autres instrumens ne doivent
point s'y mêler, quand ce ne seroit que pour laisser reposer, tant les
oreilles des auditeurs que l'orchestre, qu'on doit tout à fait oublier, et
dont les rentrées bien ménagées font par là un plus grand effet ; au lieu
que , quand la symphonie règne tout le long de la pièce , elle a beau
commencer pa? plaire , elle finit par accabler. Le récitatif ennuie sur les
■ eâires d'Iialie, non-seuiemeiii parce qu'il est trop long, mais parce
_i il est mal chanté et plus mal placé. Des scènes vives, intéressantes,
comme doivent toujours être ceUes d'un cjiéra, .endues avec chaleur,
r.OI SS A'. M 15
926 OBSERVATIONS
avec vérité, et soutenues d'un jeu naturel et an'mé, ne peuvent !xan-
quer d'émouvoir et de plaire, à la faveur de l'illusion : mais débitées
froidement et platement par des castrats, comme des leçons d'écolier,
elles ennuieront sans doute , et surtout quand elles seront trop longues^;
mais ce ne sera pas la faute du récitatif.
Dans les momens où le récitatif, moins récitant et plus passionné,
prend un caractère plus touchant, on peut y placer avec succès un sim-
ple accompagnement de notes tenues, qui, par le concours de cette
harmonie, donnent plus de douceurà l'expression. C'est le simple récitatif
accompagné , qui , revenant par intervalles rares et bien choisis , contraste
avec la sécheresse du récitatif nu, et produit un très-bon efTet.
Enfin, quand la violence de la passion fait entrecouper la parole par
des propos commencés et interrompus, tant à cause de la force des sen-
timens qui ne trouvent point de termes suffisans pour s'exprimer, qu'à
cause de leur impétuosité qui les fait succéder en tumulte les uns aux
autres, avec une rapidité sans suite et sans ordre, je crois que le mé-
lange alternatif de la parole et de la symphonie peut seul exprimer une
pareille situation. L'acteur livré tout entier à sa passion n'en doit trouver
que l'accent. La mélodie trop peu appropriée à l'accent de la langue, et
lerhythme musical qui ne s'y prête point du tout, affoibliroient, éner-
veroient toute l'expression en s'y mêlant; cependant ce rhythme et cette
mélodie ont un grand charme pour l'oreille , et par elle une grande
force sur le cœur. Que faire alors pour employer à la fois toutes ces
espèces de forces? Faire exactement ce qu'on fait dans le récitatif obligé :
donner à la parole tout l'accent possible et convenable à ce qu'elle ex-
prime, et jeter dans des ritournelles de symphonie toute la mélodie,
toute la cadence et le rhythme qui peuvent venir à l'appui. Le silence
de l'acteur dit alors plus que ses paroles; et ces réticences bien placées,
bien ménagées, et remplies d'un côté par la voix de l'orchestre, et d'un
autre par le jeu muet d'un acteur qui sent et ce qu'il dit et ce qu'il ne
peut dire ; ces réticences , dis-je , font un effet supérieur à celui même
de la déclamation , et l'on ne peut les ôter sans lui ôter la plus grande
partie de sa force. Il n'y a point de bon acteur qui dans ces momens
violens ne fasse de longues pauses ; et ces pauses , remplies d'une expres-
sion analogue par une ritournelle mélodieuse et bien ménagée , ne doi-
vent-elles pas devenir encore plus intéressantes que lorsqu'il y règne un
silence absolu? Je n'en veux pour preuve que l'effet étonnant que ne
manque jamais de produire tout récitatif obligé, bien placé et bien traité.
Persuadé que la langue françoise , destituée de tout accent , n'est nul-
lement propre à la musique et principalement au récitatif, j'ai imaginé
un genre de drame , a dans lequel les paroles et la musique , au lieu de
marcher ensemble, se font entendre successivement, et où la phrase
parlée est en quelque sorte annoncée et préparée par la phrase musicale.
La scène de Pygmalion est un exemple de ce genre de composition, qui
na pas eu d'imitateur. En perfectionnant cette méthode , on réuniroit le
double avantage de soulauer l'acteur par de fréquens repos, et d'offrir
au spectateur françois l'espèce de mélodrame le plus convenable à sa
langue. Cette réunion de l'art déclamatoire avec l'art musical ne pro-
SUR L'ALGESTE DE M. GLUCK. 227
juira qu'imparfaitement tous les effets du vrai récitatif, et les oreilles
délicates s'apercevront toujours désagréablement du contraste qui règne
-entre le langage de l'acteur et celui de l'orchestre qui l'accompagne;
mais un acteur sensible et intelligent, en rapprochant le ton de sa voix
et l'accent de sa déclamation de ce qu'exprime le trait musical, mêle
ces couleurs étrangères avec tant d'art, que le spectateur n'en peut
discerner les nuances. Ainsi cette espèce d'ouvrage pourroil constituer
un genre moyen entre la simple déclamation et le véritable mé'odrame,
dont il n'atteindra jamais la beauté. Au reste . quelques difficultés qu'of-
fre la langue, elles ne sont pas insurmontables; l'auteur du Dictionnaire
de musique^ a invilé les compositeurs françoisà faire de nouveaux essais,
et à introduire dans leurs opéras le récitatif oldigé, qui, lorsqu'on l'em-
ploie à propos, produit les plus grands elTets. »
D'où naît le charme du récitatif obligé ? qu'est-ce qui fait son énergie?
L'accent oratoire et pathétique de l'acteur produiroit-il seul autant
d'effet? Non, sans doute. Mais les traits alternatifs de symphonie , ré-
Y^eillant et soutenant le sentiment de !a mesure, que le seul récitatif
laisseroit éteindre, joignent à l'expression purement déclamatoire toute
celle du rhythme musical qui la renforce. Je distingue ici le rhythme et
la mesure, parce que ce sont en effet deux choses très-différentes : la
mesure n'est qu'un retour périodique de temps égaux; le rhythme est la
combina'son des valeurs ou quantités qui remplissent les mêmes temps,
appropriée aux expressions qu'on veut rendre et aux passions qu'on veut
exciter. Il peut y avoir mesure sans rhythme, mais il n'y a point de
rhythme sans mesure.... a C'est en approfondissant celte partie de son
art, que le compositeur donne l'essor à son génie; toute la science des
accords ne peut suffire à ses besoins. »
11 importe ici de remarquer, contre le préjugé de tous les musiciens,
que l'harmonie par elle-même , ne pouvant parler qu'à l'oreille et n'imi-
tant rien, ne peut avoir que de très-foibles effets. Quand elle entre avec
succès dans la musique imitative, ce n'est jamais qu'en représentant,
déterminant et renforçant les accens mélodieux, qui par eux-mêmes ne
sont pas toujours assez déterminés sans le secours de l'accompagnement.
JDes intervalles absolus n'ont aucun caractère par eux-mêmes; une
seconde superflue et une tierce mineure, une septième mineure et une
sixte supertlue, une fausse quinte et un triton , sont le même intervalle,
et ne prennent les affections qui les déterminent que par leur place
dans la modulation; et c'est à l'accompagnement de leur fixer cette
place, qui resteroit souvent équivoque par le seul chant. Voilà quel est
l'usage et l'effet de l'harmonie dans la musique imitative et théâtrale.
C'est par les accens de la mélodie, c'est par la cadence du rhythme,
que la musique, imitant les inflexions que donnent les passions à la voix
humaine, peut pénétrer jusqu'au cœur et l'émouvoir par des senti-
mens; au lieu que la seule harmonie, n'imitant rien, ne peut donner
qu'un plaisir de sensation. De simples accords peuvent flatter l'oreille,
■comme de belles couleurs flattent les yeux ; mais ni les uns ni les autres
A. Dictionnaire de musique, article Rtcitatif ohligi.
228 OBSERVATIONS
ne porteront jamais au cœur la moindre émotion, parce que ni les upj
ni les autres n'imitent rign , si le dessin ne vient animer les couleurs, el
si la mélodie ne vient animer les accords. Mais, au contraire, le dessin
par lui-même peut, sans coloris, nous représenter des objets attendris-
sans: et la mélodie imitative peut de même nous émouvoir seule sans le
secours des accords. . . .
Voilà ce qui rend toute la musique françoise si lanjuissante et si
fade, parce que dans leurs froides scènes, pleins de leurs sots préjugés
et de leur science, qui, dans le fond, n'est qu'une ignorance véritable,
puisqu'ils ne savent pas en quoi consistent les plus grandes beautés de
leur art, les compositeurs françois ne cherchent que dans les accords
les grands effets dont l'énergie n'est que dans le rhythme. M. Gluck sait
mieux que moi que le rhythme sans harmonie agit bien plus puissam-
ment sur l'âme que l'harmonie sans rhythme , lui qui , avec une harmo-
nie à mon avis un peu monotone , ne laisse pas de produire de si grandes
émotions , parce qu'il sent et qu'il emploie avec un art profond tous les
prestiges de la mesure et de la quantité. Mais je l'exhorte à ne pas trop
se prévenir pour la déclamation, et à penser toujours qu'un des défauts
de la musique purement déclamatoire est de perdre une partie des res-
sources du rhythme, dont la plus grande force est dans les airs. . . .
« J'ai rempli la partie la moins pénible de la tâche que je me suis
imposée; une observation générale sur la marche de l'opéra d' Al este
m'a conduit à traiter cette question vraiment intéressante : Quelle est la
liberté qu'on doit accorder au musicien qui travaille sur un poëme dont
il n'est pas l'auteur? J'ai distingué les trois parties de la musique imi-
tative; et, en convenant que l'accent est déterminé par le poëte, j'ai fait
voir que l'harmonie, et surtout le rhythme, offroient au musicien des
ressources dont il devoit profiter. »
Il faut entrer dans les détails : c'est une grande fatigue pour moi de
suivre des partitions un peu chargées; celle à'Alceste l'est beaucoup, et
de plus très-embrouillée, pleine de fausses clefs, de fausses notes, de
parties entassées confusément. . . .
En examinant le drame à'Alceste, et la manière dont M. Gluck s'est
«ru obligé de le traiter, on a peine à comprendre comment il en a pu
rendre la représentation supportable : non que ce drame, écrit sur le
plan des tragédies grecques, ne brille de solides beautés, non que la
musique n'en soit admirable , mais par les difficultés qu'il a fallu vaincre
dans une si grande uniformité de caractères et d'expression, pour pré-
venir l'accablement et l'ennui, et soutenir jusqu'au bout l'intérêt et
l'attention. . . .
L'ouverture, d'un seul morceau, d'une belle et simple ordonnance,
y est bien et régulièrement dessinée : l'auteur a eu l'intention d'y pré-
parer les spectateurs à la tristesse où il alloit les plonger dès le com-
mencement du premier acte et dans tout le cours de la pièce ; et pour
cela il a modulé son ouverture presque tout entière en mode mineur,
et même avec affectation, puisqu'il n'y a, dans tout ce morceau, qii
est assez long, que la première accolade de la page 4 et la première
accolade relative de la page 9, qui soient en majeur. Il a d'ailleurs
SUR L'ALCESTE DE M. GLL'CIÎ. 229
affecté les dissûnances superflues et diminuées, et des sons soutenus el
forces dans le haut , pour exprimer les gémissemens et les plaintes. Tout
cela, est bon et bien entendu en soi, puisque l'ouverture ne doit être
employée qu'à disposer le cœur du spectateur au genre d'intérêt par
lequel on va Fémouvoir. Mais il en résulte trois inconvéniens : le pre-
mier, remploi d'un genre d'harmonie trop peu sonore pour une ouver-
ture destinée à éveiller le spectateur, en remplissant son oreille et le
préparant à lattention; l'autre, d'anticiper sur ce même genre d'har-
monie qu'on sera forcé d'employer si longtemps, et qu'il faut par con-
séquent ménager très-sobrement pour prévenir la satiété; et le troi-
sième, d'anticiper aussi sur l'ordre des temps, en nous exprimant
d'avance une douleur qui n'est pas encore sur la scène , et qu'y va seule-
ment faire naître l'annonce du héraut publie : et je ne crois pas qu'on
do. fe marquer dans un ordre rétrograde ce qui est à venir comme déjà
passé. Pour remédier à tout cela, j'aurois imaginé de composer l'ouver-
ture de deux morceaux de caractères diiïérens, mais tous deux traités
dans une harmonie sonore et consonnante ; le premier, portant dans
les cœurs le sentiment d'une douce et tendre gaieté, eût représenté la
félicité du règne d'Admèle et les charmes de l'union conjugale; le
second , dans une mesure plus coupée, et par des mouvemens plus vifs
et un phrasé plus interrompu, eût exprimé l'inquiétude du peuple sur
la maladie d'Admète , et eût servi d'introduction très-naturelle au début
de la pièce et à l'annonce du crieur. . . .
(Page 12.) Après les deux mots qui suivent ce mot Udite, je ferois
cesser l'accompagnement jusqu'à la fin du récitatif. Cela expnmeroit
mieux le silence du peuple écoutant le c:ieur; et les spectateurs, cu-
rieux de bien entendre cette annonce, n'ont pas besoin de cet aocom-
gnement; la basse suffit toute seule, et l'entrée du chœur qui suit en
feroit plus d'efl'et encore. Ce chœur alternatif avec les petits solo
d'Évandre et d'Ismène me paroît un très-beau début et d'un bon carac-
tère. La ritournelle de quatre mesures qui s'y reprend plusieurs fois est
triste sans être sombre, et d'une simplicité exquise. Tout ce chœur
seroit d'un très-bon ton, s'il ne s'y mèloit souvent, et dès la seconde
mesure, des expressions trop pathétiques. Je n'aime guère non plus le
coup de tonnerre de la page 14; c'est un trait joué sur le mot, et qui
me paroît déplacé : mais j'aime fort la manière dont le même chœur,
repris page 34, s'anime ensuite à l'idée du malheur prêt à le lou-
droyer. ...
E vuoi morire, o misera. Cette lugubre psalmodie est d'une sim-
plicité sublime, et doit produire un grand efl"et. Mais la même tenue,
répétée de la même manière sur ces autres paroles, Altro non puoi rac-
cogliere , me paroît froide et presque plate. Il est naturel à la voix de
s'élever un peu quand on parle plusieurs fois de suite à la même per-
sonne : si l'on eût donc fait monter la seconde fois cette même psalmo-
die seulement d'un semi-ton sur dis, c'est-à-dire sur mi bémol, cela
eût pu suffire pour la rendre plus naturelle et même plus énergique :
mais je crois qu'il falloit un peu la varier de quelque manière. Au reste,
il y a dans la huitième et dans la dixième mesure un triton qui n'est ni
230 OBSERVATIONS
ne peut être sauvé, quoiqu'il paroisse l'êlre la deuxième fols parle-
second violon; cela produit une succession d'accords qui n'ont pas un
bon fondement et sont contre les règles. Je sais qu'on peut tout faire-
sur une tenue, surtout en pareil cas; et ce n'est pas que je désapprouve-
le passage , quoique j'en marque l'irrégularité....
[Fin d'une ohservalion sur le chœur Fuggiamo, dont le commence-
ment est perdu.)
Ce ne doit pas être une fuite de précipitation, comme devant l'en-
nemi, mais une fuite de consternation, qui, pour ainsi dire, doit être
honteuse et clandestine, plutôt qu'éclatante et' rapide. Si l'auteur eût
voulu faire de la fin de ce chœur une exhortation à la joie, il n'eût pas
pu mieux réussir. . . .
Après le chœur Fuggiamo, j'aurois fait taire entièrement tout:
l'orchestre , et déclamer le récitatif Ove son avec la simple basse. Mais
immédiatement après ces mots , V'è chi t' ama a tal segno , j'aurois fait
commencer un récitatif obligé par une symphonie noble, éclatante,
sublime, qui annonçât dignement le parti que va prendre Alceste, qui
disposât l'auditeur à sentir toute l'énergie de ces mots, Ahl vi son io ,
trop peu annoncés par les deux mesures qui précèdent. Cette symphonie
auroit offert l'image de ces deux vers, Chi toile alla mia mente lumi-
nare, si mostra; la grande idée eût été soutenue avec le même éclat.
durant toutes les ritournelles de ce récitatif. J'aurois traité l'air qui
suit. Ombre, larve , sur deux mouvemens contrastés; savoir, un allégro
sombre et terrible jusqu'à ces mots. Non voglio pielà, et un adagio ou;
largo plein de tristesse et de douceur sur ceux-ci, 5e vi tolgo V amatO'
consorte. M. Gluck, qui n'aime pas les rondeaux, me permettra de lui
dire que c'étoit ici le cas d'en employer un bien heureusement, en fai-
sant du reste de ce monologue la seconde partie de l'air, et reprenant .
seulement l'allégro pour finir. . . .
L'air Elerni Dci me paroît d'une grande beauté : j'aurois désiré
seulement qu'on n'eût pas été obligé d'en varier les expressions par des
mesures différentes. Deux, quand elles sont nécessaires, peuvent for-
mer des contrastes agréables; mais trois, c'est trop, et cela rompt
l'uni lé. Les oppositions sont bien plus belles et font plus d'effet quand
elles se font sans changer de mesure, et par les seules combinaisons de
valeur et de quantité. La raison pourquoi il vaut mieux contraster sur
le même mouvement que d'en changer est que, pour produire l'illusicu
et l'intérêt, il faut cacher l'art autant qu'il est possible, et qu'aussitôt,
qu'on change le mouvement, l'art se décèle et se fait sentir. Parla
même raison je voudrois que, dans un même air, l'on changeât de ton
le moins qu'il est possible ; qu'on se contentât autant qu'on pourroit des ■
deux seules cadences, principale et dominante; et qu'on cherchât plulôt
les effets dans un beau phrasé et dans les combinaisons mélodieuses que •
dans une harmonie recherchée et des changemens de ton. . . .
L'air lo non chiedo , .eterni Dci, est, surtout dans son commence-
ment, d'un cliant exquis, comme sont presque tous ceux du même au-
teur. Mais où est dans cet air l'unité de dessin . de tableau , de carac-
tère? Ce n'est point là, ce me semble, un air, mais une suite de plusieurs-
SUR L'ALCESTE DE M. GLUCK. 231
airs. Les enfans y mêlent leur chant à celui de leur mère , ce n'est pas
ce que je désapprouve : mais on y change fréquemment de mesure,
non pour contraster et alterner les deux parties d'un même motif, mais
pour passer successivement par des chants absolument différens. On ne
sauroit montrer dans ce morceau aucun dessin commun qui le lie et le
fasse un : cependant c'est ce qui me paroît nécessaire pour constituer
véritablement un air. L'auteur , après avoir modulé dans plusieurs Ions ,
se croit némmoins obligé de finir en E la fa, comme il a commencé. Il
sent donc bien lui-même que le tout doit être traité sur un même dessin ,
et former unité. Cependant je ne puis la voir dans les différens membres
de cet air. à moins qu'on ne veuille la trouver dans la répétition modi-
fiée de l'allégro Non cowprende i mali miei, par laquelle finit ce mor-
ceau; ce qui ne me paroît pas suffisant pour faire liaison entre tous les
membres dont il est composé. J'avoue que le premier changement de
mesure rend admirablement le sens et la ponctuation des paroles : mais
il n'en est pas moins vrai qu'on pouvoit y parvenir aussi saas en chan-
ger; qu'en général ces changemens de mesure dans un même air
doivent faire contraste et changer aussi le mouvement ; et qu'enfin celui-
ci amène deux fois de suite cadence sur la même dominante, sorte de
monotonie qu'on doit éviter autant qu'il se peut. Je prendrai encore la
liberté de dire que la dernière mesure de la page 27 me paroît d'une
expression bien foible pour l'accent du mot qu'elle doit rendre. Cette
quinte que le chant fait sur la basse , et la tierce mineure qui s'y joint ,
font à mon oreille un accord un peu languissant. J'aurois mieux aimé
rendre le chant un peu plus animé, et substituer la sixte à la quinte, à
peu près de la manière suivante , que je n'ai pas l'impertinence de donner
comme une correction, mais que je propose seulement pour mieux ex-
pliquer mon idée.
I
(Ici vient le chœur des prêtres d'Apollon.)
Le seul reproche que j'aie à faire à ce récitatif est qu'il est trop beau;
- mais, dans la place où il est, ce reproche en est un. Si l'auteur com-
mence dès à présent à prodiguer l'enharmonique, que fera-t-il donc
dans les situations déchirantes qui doivent suivre? Ce récitatif doit être
touchant et pathétique, je le sais bien, mais non pas, ce me semble, a
un si haut degré; parce qu'à mesure qu'on avance il faut se méi:agei*
des coups de force pour réveiller l'auditeur quand il commence à se
, lasser même des belles choses : cette gradation me paroît absolunie it
nécessaire dans un opéra.
(Page 55.) Le récitatif du grand prêtre est un bel exemple de lefîèt du
232 OBSERVATIONS
récitatif obligé : on ne peut mieux annoncer l'oracle et la majesté ds
celui qui va le rendre. La seule chose que j'y désirerois seroit une
annonce qui fût plus brillante que terrible ; car il me semble qu'Apollon
ne doit ni paroître ni parler comme Jupiter. Par la même raison, je ne
voudroispas donner à ce dieu, qu'on nous représente sous la figure d'un
beau jeune blondin, une voix de basse-taille....
(Page 39.) Dilegua il nero turbine
Che freme al trono intorno,
0 faretrato Apolline,
Col chiaro tuo splendor.
Tout ce chœur en rondeau pourroit être mieux : ces quatre vers
doivent être d'abord chantés par le grand prêtre, puis répétés entiers
par le chœur, sans en excepter les deux derniers, que l'auteur fait dire
seul au grand prêtre. Au contraire, le grand prêtre doit dire seul les
vers suivans •
Sai che, ramingo, ed esule,
T'accolse Admette un di,
Che deir Anfriso al margine
Tu fosti il suo pastor.
Et le chœur, au lieu de ces vers qu'il ne doit pas répéter non plus
que le grand prêtre, doit reprendre les quatre premiers. Je trouve aussi
que la réponse des deux premières mesures en espèce d'imitalion n'a
pas assez de gravité : j'aimerois mieux que tout le chœur fût sylla-
bique.
Au reste, j'ai remarqué avec grand plaisir la manière également
agréable, simple et savante, dont l'auteur passe du ton de la médiante
à celui de la septième note du ton dans les trois dernières mesures de la
page 39
et, après y avoir séjourné assez longtemps, revient par une marche
analogue à son ton principal, en repassant derechef par la médiante
dans la 2', 3' et 4' mesure de la page 43 : mais ce que je n'ai pas
trouvé si simple à beaucoup près, c'est le récitatif Nume eterno,
page 52. . . .
Je ne parlerai point de l'air de danse de la page 17, ni de tous ceux
de cet ouvrage. J'ai dit. dans mon article Opéra, ce que je pensois des
ballels coupant les pièces et suspendant la marche de l'intérêt; je n'ai
pas changé de sentiment depuis lors sur cet article, mais il est très-
possible que je me trompe. . . .
Je ne voudrois point d'accompagnement que la basse au récitatif
d'Evandre, pages "JO, 21 et 22. . . .
Je trouve encore le chœur, page 22, beaucoup trop pathétique,
malgré les expressions douloureuses dont il est plein; mais les alterna-
tives de la droite et de la gauche, et les réponses des divers instru-
mens, me paroissent devoir rendre cette musique très-intéressante au
théâtre. . . .
Popoli di Tessaglia, page 24. Je citerai ce récitatif d'Aleeste en
exemple d'une moJulation touchante et tendre, sans aller jusqu'au pa-
SUR L'ALCESTE DE M. GLUCK. 233
thétique, si ce n'est tout à la fin. C'est par des renversemens il'una
harmonie assez simple que M. Gluck produit ces beaux effets : il eût été
le maître de se tenir longtemps dans la même route sans devenir lan-
guissant et froid; mais on voit par le récitatif accompagné Nume eterno,
de la page 62 , qu'il ne tarde pas à prendre un autre vol. . . .
EXTRAIT
D'UNE RÉPONSE DU PETIT FAISEUR A SON PRÊTE-NOM,
SUR UN MORCEAU DE h'Orpllée DE M. LE CHEVALIER GLUCK.
Quant au passage enharmonique de V Orphée de M. Gluck . que vous me
dites avoir tant de peine à entonner et même à entendre, j'en sais bien
la raison : c"est que vous ne pouvez rien sans moi , et qu'en quelque
genre que ce puisse être, dépourvu de mon assistance, vous ne serez
jamais qu'un ignorant. Vous sentez du moins la beauté de ce passage,
et c'est déjà quelque chose ; mais vous ignorez ce qui la produit : je vais
vous l'apprendre. '
C'est que du même trait , et , qui plus est , du même accord , ce grand
musicien a su tirer dans toute leur force les deux effets les plus con-
traires; savoir, la ravissante douceur du chant d'Orphée, et le stridor
déchirant du cri des Furies. Quel moyen a-t-il pris pour cela? Un moyen
très-simple, comme sont toujours ceux qui produisent les grands effets.
Si vous eussiez mieux médité l'article Enharmonique que je vous dictai
jadis, vous auriez compris qu'il falloit chercher celte cause remarquable
non simplement dans la nature des intervalles et dans la succession des
accords, mais dans les idées qu'ils excitent, et dont les plus grands ou
moindres rapports, si peu connus des musiciens, sont pourtant , sans
qu'ils s'en doutent, la source de toutes les expressions qu'ils ne trouvent
que par instinct.
Le morceau dont il s'agit est en r?it bémol majeur; et une chose digne
d'être observée est que cet admirable morceau est, autant que je puis
me le rappeler, tout entier dans le même ton. ou du moins si peu mo-
dulé que l'idée du ton principal ne s'efface pas un moment. Au reste,
n'ayant plus ce morceau sous les. yeux et ne m'en souvenant qu'impar-
faitement, je n'en puis parler qu'avec doute.
D'abord ce no des Furies, frappé et réitéré de temps à autre pour
toute réponse, est une des plus sublimes inventions en ce genre que je
connoisse; et. si peut-être elle est due au poète , il faut convenir que le
musicien l'a saisie de manière à se l'approprier. J'ai ouï dire que dans
l'exécution de cet opéra l'on ne peut s'empêcher de frémir à chaque fois
que ce terrible no se répète , quoiqu'il ne soit chanté qu'à l'unisson ou à
l'octave, et sans sortir, dans son harmonie, de l'accord parfait jusqu'au
passage dont il s'agit. Mais , au moment qu'on s'y attend le moins , cette
dominante diésée forme un glapissement affreux auquel l'oreille et le
cœur ne peuvent tenir, tandis que dans le même instant le chant d'Or-
phée redouble de douceur et de charme ; et ce qui met le comble à
234 RÉPONSE DU PETIT FAISEUR
l'étonnement est qu'en terminant ce court passage on se trouve dans le
même ton par où l'on vient d'y entrer, sans qu'on puisse presque com-
prendre comment on a pu nous transporter si loin et nous ramener si
proche avec tant de force et de rapidité.
■Vous aurez peine à croire que toute cette magie s'opère par un pas-
sage tacite du mode majeur au mineur, et par le retour subit au majeur.
Vous vous en convaincrez aisément sur le clavecin. Au moment que la
basse qui sonnoit la dominante avec son accord vient à frapper l'ut bé-
mol , vous t'hangez non de ton mais de mode , et passez en mi bémol
tierce mineure : car non -seulement cet ut, qui est la sixième note du
ton, prend le bémol qui appartient au mode mineur-, mais l'accord
précédent qu'il garde, à la fondamentale près, devient pour lui celui
de septième diminuée sur le rc naturel , et l'accord de septième diminuée
sur le ré appelle naturellement l'accord parfait mineur sur le mi bémol.
Le chant d'Orphée , Furie , larve , appartenant également au majeur et au
mineur, reste le même dans l'un et dans l'autre : mais aux mots Ombre
sdegnose , il détermine tout à fait le mode mineur. C'est probablement
pour n'avoir pas pris assez tôt l'idée de ce mode que vous avez eu peine
à entonner juste ce trait dans son commencement. Mais il rentre en
finissant en majeur : c'est dans cette nouvelle transition à la fin du mot
sdegnose qu'est le grand effet de ce passage ; et vous éprouverez que
toute la difficulté de le chanter juste s'évanouit quand , en quittant le la
bémol, on reprend à l'instant l'idée du mode majeur pour entonner le
sol naturel qui en est la médiante.
Cette seconde superflue , ou sept'ème diminuée , se suspend en passant
alternativement et rapidement du majeur au mineur, et vice versa, par
l'alternation de la basse entre la dominante si bémol et la sixième note
ut bémol; puis il se résout enfin tout à fait sur la tonique, dont la basse-
sonne la médiante sol, après avoir passé par la sous-dominante ia bé-
mol portant tierce mineur et triton , ce qui fait toujours le même accord
de septième diminuée sur la note sensible ré.
Passons maintenant au glapissement no des Furies sur le si bécarre.
Pourquoi ce si bécarre, et non pas ut bémol comme à la basse? Parce
que ce nouveau son, quoique en vertu de l'enharmonique il entre dans
l'accord précédent, n'est pourtant point dans le même ton, et en an-
nonce un tout différent. Quel est le ton annoncé par ce si bécarre? C'est
le ton d'ut mineur, dont il devient note sensible. Ainsi l'âpre discor-
dance du cri des Furies vient de cette duplicité de ton qu'il fait sentir,
gardant pourtant, ce qui est admirable, une étroite analogie entre les
deux tons; car Vut mineur, comme vous devez au moins savoir, est
l'analogue correspondant du mi bémol majeur, qui est ici le ton prin-
cipal.
Vous me ferez une objection. Toute celte beauté, me direz-vous, n'est
qu'une beauté de convention et n'existe que sur le papier, puisque ce-
si bécarre n'est réellement que l'octave de l'ut bémol de la basse : car,
comme il ne se résout point comme note sensible, mais disparoîl ou
redescend sur le si bémol dominante du ton, quand on le noteroit par
ut bcmol comme à la basse, le passage, et son effet, seroit le irême-
à
A SON PRÊTE-NOM. 235
I
absolument au jugement de l'oreille. Ainsi toute cette merveille enhar-
monique n'est que pour les yeux.
Cette objection, mon cher prête-nom, seroit solide si la division
tempérée de l'orgue et du clavecin étoit la véritable division harmoni-
nique, et si les intervalles ne se modifioient dans l'intonation de la voix
sur les rapports dont la modulation donne l'idée, et non sur les altéra-
lions du tempérament. Quoiqu'il soit vrai que sur le clavecin le ai bé-
carre est l'octave de l'utbiraol, il n'est pas vrai qu'entonnant chacun
de ces deux sons, relativement au mode qui le donne, vous entonniez
exactement ni l'unisson ni l'octave. Le si bécarre, comme note sensi-
ble, s'éloignera davantage du si bémol dominante, et s'approchera d'au-
tant par excès de la tonique ut qu'appelle ce bécarre; et Vut bémol,
comme sixième note en mode mineur, s'éloignera moins de la domi-
nante quelle quitte, qu'elle rappelle, et sur laquelle elle va retomber.
Ainsi le semi-ton que fait la basse en montant du si bémol a 1 ut bemoi
est beaucoup moindre que celui que font les Furies en montant du si
bémol à son bécarre. La septième superflue que semblent faire ces deux
sons surpasse même l'octave, et c'est par cet excès que se fait la dis-
cordance du cri des Furies; car l'idée de note sensible jointe au bécarre
Dorte naturellement la voix plus haut que l'octave de l'ut bémol; et
ce'a est si vrai que ce cri ne fait plus son effet sur le clavecin comme
ave: la voix, parce que le son de l'instrument ne se modifie pas de
ïfiéme. . , , .. UT „♦
Ceci je le sais bien, est directement contraire aux calculs établis et
à l'opinion commune, qui donne le nom de semi-ton mineur au passage
d'une note à son dièse ou à son bémol, et de serai-ton majeur au pas-
sa °-e d'une note au bémol supérieur ou au dièse inférieur. Mais daas ces
dénominations on a eu plus d'égard à la différence du degré qu'au vrai
rapport de l'intervalle, comme s'en convaincra bientôt tout homme qui
aura de l'oreille et de la bonne foi. Et quant au calcul, je vous déve-
lopperai quelque jour, mais à vous seul, une théorie plus naturelle,
qui vous fera vo:r combien celle sur laquelle on a calcule les intervalles
e::t à contre sens.
Je finirai ces observations par une remarque qu il ne faut pas omettre :
c'est que tout l'effet du passage que je viens d'examiner lui vient de ce
que le morceau dans lequel il se trouve est en mode majeur; car s il
eût été mineur , le chant d'Orphée restant le même eût été sans force et
sans effet, l'intonation des Furies par le bécarre eût été impossible et
absurde 'et il n'y auroit rien eu d'enharmonique dans le passage. Je
parierois tout au monde qu'un François, ayant ce morceau à faire, l'eût
traité en mode mineur. Il y auroit pu mettre d'autres beautés sans
cloute mais aucune qui fût aussi simple et qui valût celle-là.
Voilà ce que ma mémoire a pu me suggérer sur ce passage et sur son
explication. Ces grands effets se trouvent par le génie, qui est rare, et
«e sentent par l'organe sensilif, dont tant de gens sont prives; mais ils-
ne s'expliquent que par une élude réfléchie de l'art. Vous n auriez pas
■ besoin mairuenant de mes analyses, si vous aviez un peu plus medue
6ur les relVMOus que nous faisions jadis quand je vous dictois notre
236 RÉPONSE DU PETIT FAISEUR A SON PRÊTE-NOM.
Dklionnaire. Mais, avec un naturel très-vif, vous avez un esprit d'unej
lenteur inconcevable. Vous ne saisissez aucune idée que longtemps
après qu'elle s'est présentée à vous, et vous ne voyez aujourd'hui que
ce que vous avez regardé hier. Croyez-moi, mon cher prête-nom, nf
nous brouillons jamais ensemble, car sans moi vous êtes nul. Je suis
complaisant, vous le savez-, je ne me refuse jamais au travail que vous
désirez , quand vous vous donnez la peine de m'appeler et le temps de
ra'attendre : mais ne tentez jamais rien sans moi dans aucun genre; ne
vous mêlez jamais de l'impromptu en quoi que ce soit, si vous ne voulez
câter en un instant, par votre ineptie, tout ce que j'ai fait jusqu'ici
pour vous donner l'air d'un homme pensant.
SUR LA MUSIQUE MILITAIRE.
Le luxe de musique qu'on étale aujourd'hui dans celle des régimens
me paroît de mauvais goût. Je n'en trouve l'effet ni guerrier, ni grave,
ni gai, ni sonore; et toutes ces marches, plutôt barbouillées que tra-
vaillées, produisent toujours une mauvaise exécution, moins par la
faute des musiciens que par celle de la musique.
Il y avoit une distinction à faire, et qu'on n'a pas faite, entre les
musiques convenables à la troupe en parade et celles qui lui conviennent
en marchant, et qui sont proprement des marches. On joue alors des
airs qui, n'ayant aucun rapport à la batterie des tambours, sont plus
propres à troubler et interrompre la cadence du pas des soldats qu'à la
soutenir.
Les autres symphonies sont faitespour tout le corps, et doivent plaire
aux officiers : celles-ci sont plus faites pour les soldats, qu'il s'agit
d'animer et de récréer en marchant, et qui aimeroient mieux des airs
gais et bien cadencés qu'ils pussent retenir et y faire des chansons, que
toutes ces musiques de haut appareil qui ne les égayent point du tout,
et auxquelles ils n'entendent rien.
Je trouve encore qu'on a eu grand tort de supprimer les fifres, qui,
perçant à travers les tambours, épayent beaucoup la marche. Il est vrai
qu'ils étoient détestables et multipliés très-mal à propos dans les troupes
Irançoises : un seul eût suffi dans la colonelle de chaque régiment; et
alors on eût pu , sans grand» frais , en choisir ou former un bon , comme
j'en ai entendu d'excellens dans les troupes étrangères.
J'ai essayé de mettre mon idée en exemple dans le croquis ci-joint
d'une marche adaptée à la batterie des gardes francoises.
Cette idée est que, dans l'alternalion i!es tambours et de la musique,
la cadence et la batterie ne soient point interrompues, et que le pas du
soldat soit toujours également réglé. Elle est encore de lui faire entendre
des airs d'une mélodie si simple qu'elle l'.imuse, l'égayé , et l'excite lui-
même à chanter: ce qui, peut-être, n'est pas à négliger pour un état si
plein de fatigue et de misères.
J'ai fait deux petits airs de la plus grande simplicité; l'un en mineur
pour le fifre, l'autre en majeur pour la musique. Ces deux airs doivent
Planche F.
AIKS POUR ETRE JOUES LA TROUPE MARCHANT
PREMIER ATR POUR LE FIFRE
Quand le Fifre reprend une seconde fois de suile sonair.il doit en recommençant subsUtuer un Ré au premier Sol, comme ci-dessus
SFXOTSTD AIR POUR LA MUSIQUE.
Point de petites Flûtes .parceqnçllcs ne son! jamais justes
^ Hautbois _^ ^ ^ r r r '^''^**«^
;.■- ^
N.B. Les notes plus petites que les autres dans la partie Ae& Clarinettes doivent être
jouéos très deux. Pour peu quelles sortent trop et couvrent le chant principal
il vaut mieux les supprimer et prendre l'unisson du premier hauttois.
J. J. RoissE.\c, t. Vi, p. 2;>7.
SUR LA MUSIQUE MILITAIRE. 231
^s succéder alternativement, sans interruption de la mesure; mais,
pour laisser plus de repos aux musiciens et plus de temps aux tambours,
l'air du fifre sera répélé au moins deux fois de suite avant que la musi-
que reprenne le sien. Le fifre doit être seul parmi les tambours qui sont
proches des instrumens, et il doit y avoir parmi les instruraens un seul
tambour qui reprenne doucement la batterie sous la musique, de ma-
nière qu'il la guide et ne la couvre pas. Au moyen de ce tambour on
ôteroit cette ferraille de cymbales qui fait un très-mauvais effet.
11 seroit à désirer que les tambours fussent accordés sur la tonique
sol. et que celui de la musique fût accordé sur la dominante ré. Alors
l'alternation de la batterie feroit un effet plus agréable, et la musique
en sortiroit mieux. Pour le fifre, il doit nécessairement être d'accord
avec les autres instrumens.
L'auteur de ces petits airs ne présume pas qu'une musique aussi simple
puisse être goûtée, quoique sa passion pour cet art l'engage à les pro-
poser : si néanmoins on en vouloit faire l'essai . il avertit que cet essai
ne doit pas être fait en place comme celui d'une symphonie ordinaire,
mais en marchant, et dans la disposition qu'il vient de marquer. Ce
n'est même qu'après une assez longue suite d'alternations qu'on peut
juger si la marche est bien faite et produit bien son effet.
AIRS POUR ÊTRE JOUÉS A LA TROUPE MARCHANTE'.
Savoir : le mineur, par un seul fifre, avec le corps des tambours
accordés, s'il se peut, au sol.
Et le majeur, alternativement par la musique avec un seul tambour,
battant à demi, et accordé, s'il se peut, au ré. On aura soin que, dans les
alternations du fifre et de la musique, la mesure ne s'interrompe jamais.
Nota. Les airs sont faits de manière à pouvoir être un peu pressés ou
ralentis sans les défij-urer, selon qu'on veut marcher plus ou moins viio, mais
leur meilleur effet sera sur un mouvement modéré, el sans trop presser
le pas.
AIR DE CLOCHES'.
J'ai fait cet air en passant sur le Pont-Neuf, impatienté d'y voir
mettre en carillon des airs qui semblent choisis exprès pour y mal aller.
L'espèce de perfection qu'on a mise à l'exécution ne sert qu'à mieux
faire sentir combien ceux qui choisissent ces airs connoissent peu le
caractère convenable au sot instrument qu'ils emploient. Si l'on faisoit
des airs pour les guimbardes, il faudroit leur donner un caractère con-
( . Voy. le tibleau ci contre.
'1. Cet air et la note qui le précède sont extraits du recueil gra'. é el publié
apjrès la mort de Rousseau, sous Je litre de Consolations des misères de nue
vie. — On trouve dans le Diclionnaire de musique, au mot Carillon, un
auu-e exemple de carillon composé selon les règles établies par lui-même
pour les airs de celle espèce. lÉd.)
238
AIR DE CLOCHES.
venableàla guimbarJe. Mais en France on se plaît à dénaturer le carac-
tère de chaque instrument. Aussi chacun peut entendre à quels abomi-
nables charivaris ils donnent le nom de musique.
^-fg^^mpS^^^^^-gÈEgi^éa'-:
Je ne saurois faire entendre, en termes de carillonneur, quelle sorte
d'ornement il faut donner aux notes marquées >~ et a ; mais chrcua
-sent qu'il e i faut un sensible, mais très-peu chargé.
LETTRE A M. GRIMM,
AU SUJET DES REMARQUES AJOUTÉES A SA LETTRE SUR OMPIIALE.
Picas qais docuil verba nqslra conari '?
Je vous félicite, monsieur, de votre nouvelle gloire. Vous voilà en
possession d'un honneur qu'Homère et Platon n'ont eu que longtemps
après leur mort, et dont Boileau seul avoit joui de son vivant parmi
nous: vous avez un commentateur. Les remarques sur votre lettre
n'ont pas, il est vrai, le titre de commentaires; mais vous savez que les
commentateurs suppriment les choses essentielles, et étendent celles
-qui n'en ont pas besoin; qu'ils ont la fureur d'interpréter tout ce qui
est clair; que leurs explications sont toujours plus obscures que le
texte, et qu'il n'y a sorte de choses qu'ils n'aperçoivent dans leur
auteur, excepté les grâces et la finesse.
Or, les remarques ne disent pas un mot A'Omphale, qui est le sujet
de votre lettre : en revanche , elles s'étendent fort au long sur vos digres-
. sions un peu longues. Vous avez parlé du récitatif, et les remarques en.
4. Celle lelire esl le seul ouvrage que J.-J. Rousseau ne signa poinl. (Éd.)
! LETTRE A M. GRIMM. 239
.ont un sermon dont vos paroles sont le texte. Le récitatif françoîs est
•ent; premier point. Le récitatif françoîs est monotone; second point.
3n a soin de suppléer à la définition qu'on prétend que vous deviez
ionner du récitatif italien. Après cela on définit le récitatif ou la mélo-
oée des anciens. On définira bientôt l'ariette ; et que ne définit-on point?
Grand commentaire sur ce que vous voudriez défendre à certaines
5ens d'écouter la musique des Pergolèse, des Buranelli, des Adolfati;
equel commentaire prouve très-méthodiquement que vous avez raison
le dire qu'on ne doit rien conclure contre le récitatif italien , de ce qu'il
l'est pas écouté à l'Opéra.
Autre grand commentaire sur l'ariette, inventée à Bologne par le
Tameux Bernachi, mais mise en usage par d'autres, attendu que le
fameux Bernachi n'étoit point compositeur, mais chanteur célèbre.
Second commentaire sur l'art d'écouter , que le commentateur prend
pour l'art d'ouvrir les oreilles. Sur quoi il se plaint très-spirituellement
de ce qu'on néglige l'art de comprendre.
Commentaire sur ce que vous avez dit de l'abus du geste : mais ici le
îomraentateur prend la liberté de n'être pas de votre avis , parce que le
§este est essentiel à la musique de LuUi.
Item, grand commentaire sur votre sensibilité pour les beaux- arts et
pour les talens en tout genre. Vous avez élevé un temple au dieu du
joùt et des talens. Il faut en croire le commentateur quand il nous dé-
clare que vos dieux ne sont point les siens. En le disant il l'a prouvé , et
il peut bien être sûr qu'on ne le soupçonnera jamais de cette idolâtrie.
Passons à la clarté des interprétations : le commentateur, qui a la
charité de suppléer aux définitions qu'il assure que vous avez eu tort
d'omettre , vous dicte celle-ci pour le récitatif italien : a Le récitatif ita-
lien, ferme dans sa marche, donne à chaque sentiment le temps à l'or-
chestre de lui faciliter ses transitions de tons . et par ce moyen évite les
cadences finales, et ne connoît de repos qu'à la fin du récit. L'orchestre
n'obscurcit point la déclamation de l'acteur par un tas d'accords, mais
à chaque difl"érentes expressions' il lui confirme le même sentiment par
une nouvelle façon de l'exprimer. Voilà ce qui le rend susceptible de
variété. » Pour vous dire franchement mon avis sur une définition si
claire , je pense que l'auteur aura entendu par hasard quelque récitatif
italien, cnup;^ de ritournelles et de traits de symphonie, et il aura bon-
nement pris cela pour le caractère général du récitatif; ce qu'il y a de
bien assuré dans tout ceci, c'est que l'auteur de cette définition, quel
qu'il soit, n'a jamais su la musique.
Mais une autre définition qu'il faut entendre par curiosité , c'est celle
de l'ariette. Je vais la transcrire bien exactement, a Le fameux Bernachi
a placé le mineur entre deux majeurs, et a fait répéter le premier et
principal motif de chant par différentes transitions de tons, afin que
l'oreille saisisse mieux, par cette répétition, le caractère des pensées
de la musique. » Vous riez : patience, vous n'êtes pas au bout; il faut
encore, s'il vous plaît, essuyer la note. « Ce que j'ai dit mineur, n'est
». C'est ainsi que, dans les Remarques, ces mois sont en eflel écrits.
240 LETTRE A M. GP.IMM.
souvent que corrélation de ton. C'est à l'habileté du compositeur de
chercher la corrélation relative au sujet, et qui entre le mieu'c dana h
majeur. Le mineur ou corrélation change toujours de mouvement,
c'est-à-dire que si le majeur est C , le mineur serai lent, et reprend le
majeur C: c'est ce qui fait l'ombre au tableau. » Ne faisons point l'in-
jure à l'auteur de croire qu'il ait tiré tout ce galimatias de sa tète. Je
pense entrevoir ici la vérité. Ces passages auront été transcrits de quel-
que vieux livre italien , et traduits tant bien que mal par quelqu'un qui
n'entendoit rien du tout à la musique, el pas grand'chose à l'italien.
Je consens à vous faire grâce de la suite à condition que vous con-
viendrez que les remarques sont de vrais commentaires. Jamais les
Lexicocrassus et tous les savans en us n'en eurent le caractère mieu\
marqué. Ainsi je suppose la preuve faite.
J'ignore parfaitement qui est le commentateur, mais je ne le crois
pas mal avec vous : car, selon moi, ce n'est pas sans quelque finesse à
sa manière qu'il affecte de relever tant de jolis endroits de votre lettre.
C'est une espèce de compère qui répète les sentences de Polichinelle, et
qui ne feint de s'en moquer que pour les faire mieux entendre aux spec-
tateurs. Je sais bien que vous n'avez pas l'air de Polichinelle, mais pour
le compère, je vous le dis encore, je le soupçonne d'être de vos amis.
Permettez donc que je m'adresse à vous pour lui faire passer quelques
avis dont je m'imagine qu'il doit faire usage, avant que d'insérer sou
commentaire dans votre lettre. Comme je pourrois bien , par contagion ,
m'appesantir un peu sur les remarques , pour éviter du moins la monoto-
nie, je donnerai différens noms à leur auteur. Quand il prendra la peinr
d'expliquer au long pourquoi il vous fait l'honneur d'être de votre avis, jl
l'appellerai le commentateur. Quand il fera semblant de vous réfuter, ce
sera le compère, et ce sera le critique toutes les fois qu'il aura raisori ;
mais je serai contraint d'être un peu sobre sur l'usage de ce dernier nom.
Qu'un commentateur soit obscur, diffus, languissant, c'est le droit
du métier; mais il y a pourtant un certain point qu'il ne doit pa,s
excéder. On ne sauroit permettre à Matanasius même de citer , à propos
de l'ariette, et Mainard, qui s'aperçut le premier que le troisième vers
devoit avoir un sens fini ou repos dans la stance; et la Sophonisbe du
Trissino, modèle des trois unités; et Maigret ' , qui le premier introduis t
cette règle des trois unités dans la tragédie, et qui par conséquent e:)
instruisit Sophocle, Euripide et Sénèque ; et le fameux Bernachi, doni
ni vous , ni moi , ni bien d'autres n'avons entendu parier; ce qui ne doit
pourtant pas vous surprendre : il y a comme cela tant de ces gens fa-
meux que personne ne connoît, et qui passent leur vie à se célébrer les
uns les autres, sans se faire connoître davantage! Quoi qu'il en soit
voilà les raisons claires pourquoi l'ariette italienne n'est point réduite ,i
folâtrer éternellement comme la françoise autour d'un lance, vole
chaîne, ramage, raison que le compère vous reproche de n'avoir p^i;,
dite et qu'il a la bonté de dire à votre place.
t. Nr us laissons ce nom le! qu'on ic trouve dans toutes les édilioné; niai»
c'est évidemment de JMairet que Rousseau a voulu pnrler. (Eu.)
LETTRE A M. GRIHIM. 24i
Le compère prétend que, parce que le genre boufTon est connu en
Italie, il n'est pas vrai que M. Rameau en soit le créateur en France :
cela est extrêmement plaisant; car s'il n'eût point existé de genre bouf-
fon en Italie, il eût été fort ridicule de dire que M. Rameau en avoit
créé un en France. Je n'examine point si le genre bouffon existe réelle-
ment dans la musique françoise. Ce que je sais très-bien, c'est qu'il
doit nécessairement être autre que le genre bouffon de la musique ita-
lienne : une oie grasse ne vole point comme une hirondelle. A l'égard
de la musique de Platée, que le critique vous reproche d'avoir traitée
de sublime, appelez-la divine, s'il l'aime mieux, mais ne vous repentez
jamais de l'avoir regardée comme le chef-d'œuvre de M. Rameau, et le
plus excellent morceau de musique qui jusqu'ici ait été entendu sur
notre théâtre. 11 faudra , je l'avoue , vous passer de l'approbation de tous
ceux qui n'ont point d'autres moyens pour apprécier un ouvrage que de
compter les voix qui l'ont applaudi; mais vous n'en êtes pas à prendre
voire parti sur cela.
Je voudrois demander à ce grand homme, qui prend la peine d'assi-
gner les bornes du sublime, quelle épithète il donneroit à la première
scène du Tartuffe, surtout aux deux derniers vers:
Allons , gaupe , marchons , etc.
et à ces autres vers de la même pièce :
C'en est fait; je renonce à tous les gens de bien, etc.
Priez-le de vouloir décider si c'est là du sublime ou non. On lui en
pourroit demander autant de la musique de la Serra padrona ; mais il
n'en a peut-être jamais entendu parler.
Le compère, qui prend la liberté de vous dire qu'Adolfati est mal placé
dans votre citation de Pergolèse et de Buranello, trouvera bon que nous
prenions la liberté de lui demander des raisons , ou du moins des raiaon-
nemens , à lui qui ne veut passer aux autres que des propositions dé-
montrées. Il peut n'avoir aucune connoissance des chefs-d'œuvre de cet
auteur : mais l'ignorance n'excuse point un homme d'avoir mal dit, elle
l'oblige seulement à se taire, surtout quand il est question de con-
damner publiquement un auteur vivant dont la carrière n'-est que com-
mencée. Il est vrai que cet Adolfati, qui n'a pas l'honneur d'agréer au
compère, méprise très-cordialement les musiciens françois, mais il faut
un peu le lui pardonner; le pauvre diable a passé par le bec de l'oie.
Il falloit absolument substituer Hasse à la place d'Adolfati, et cela
par quatre raisons sans réplique : l'une , que Hasse est votre compa-
triote; l'autre, qu'à l'âge de quarante-huit ans il avoit fait cinquante -
quatre opéras; la troisième, qu'il est le seul étranger dont les Italiens
«xécutent la musique.
0 le méchant Boileau de n'avoir pasencenseM.de Scudéri, M. le gou-
verneur de Notre-Dame de la Garde, qui étoit son compatriote et son
contemporain, qui faisoit tant de livres, et qui enchantoit tant d'hon-
nêtes lecteurs ! Et ce coupable philosophe, qui a osé admirer ses com-
patriotes, n'auroit-il point par malht?ur oublié le compère? Aussi n'a-t-il
Rousseau vi 15
242 LETTRE A M. GRniM.
pas l'honneur d'être son philosophe, mais le vôtre; et je me scrois biea-
douté que vous n'aviez pas tous deuv les mêmes philosophes non plus
que les mêmes dieux. Masse est le seul étranger dont les Italiens adop-
tent la musique. Le compère, en citant Terradeglias, a donc oulilié
qu'il est Espagnol. Masse est admiré par les Italiens; les Italiens admi-
rent bien l'Arioste'.
Va la quatrième raison? demandera le compère. Il sera bien fâché de
l'avoir oubliée. C'est que votre nom commençant par un G, et ceux de-
Masse et de Haendel par un H, la proximité des lettres initiales étoit
jiour vous une obligation de nommer ces deux auteurs. Je vous demande
pardon d'avoir fourni cette arme contre vous: mais à l'imitation du
commentateur, je me réserve aussi le droit d'être quelquefois compère.
Le commentateur s'étend sur l'éloge de Pagin et de son illustre
maître, et nous y applaudissons vous et moi de très-bon cœur. Il vou-
droit que vous eussiez dit jusqu'à quel point la nation ingrate envèTir
un talent si sublime a osé l'humilier publiquement. Il falloit dire, s'Iin-
•miiier publiquement. Midas n'humilia point Apollon, et un cygne peu:-
être hué par des oies sans être humilié.
Je veux être équitable, monsieur, et je ne suis pas moins prêt a
donner à l'auteur des remarques les éloges qui lui sont dus, qu'à lui-
proposer mes doutes. Par exemple, vous avez dit que le goût des arts
étoit générai en France , et il l'est beaucoup trop assurément. L'imbécile-
multitude des prétendus connoisseurs sans lumières engendre l'avide
et méprisable multitude des artistes sans talent, et le génie demeure
étouffé dans la foule des sols. Vous avez dit encore qu'en fait de gOLt.
la cour donne à la nation des modes, et les philosophes des lois. L.-
compère vous répond à cela par les magots de la Chine. Les vases de
fragile porcelaine, les papiers des Indes, les estampes enluminées,
voilà, selon lui, les lois données par les philosophes : quant aux modes
que nous tenons de la cour, il n'en parle point. Vous dites que les phi-
losophes donnent insensiblement du goût au peuple, c'est-à-dire du dis-
cernement pour les grands talens, et de l'admiration pour ceux qui les-
possèdent. Le compère vous répond que la philosophie n'inspire pas les
talens, et vous avertit gravement de ne pas confondre le goût avec la-,
sécheresse du calcul. Ma foi , je le dis de très-bon cœur, le compère m
paro't un homme admirable.
Laissez dire le compère-, ne doutez pas qu'en effet nous ne soyons-
redevables aux philosoplies de ces lumières agréables qui commencent
à nous éclairer, et croyez que, si la philosophie ne fait pas les grands
artistes, l'argent les fait encore moins. Heureuse l'Italie, dont les iiabi-
lans ont reçu de la nature ce goût exquis qui les rend sensibles auv
sharmes des beaux-arts! Plus heureuse la France d'acquérir ce mêra ;-
1. Je ne prétends ]ioinl ici dire du nia^ de tjabse, qui réellemeni a lieau-
cou|) de mérite, de laleni, cl une lécondilé proJigicuse, quoique trùs-éloigno,
Rclon moi, d'Olre réj^al de l'ergolèsc. J'examine seulemenl les taisons sur
lesquelles le compère s'ingère de prescrire à M. (3rimm les auicurs qu'il ioit
iiomincr, el ceux qu'il doit rejclur. Lequel des deux «si le plus vépréheusiîj'S;.
relui qui ne dil rien de Uassc, ou celui qui narle mal d'Adolfali'
LETTRE A M. GRiMM. 243
goût à force d'études et de connoissances, et de devoir à l'art de penser
l'art plus précieux de sentir! La philosopiiie, je le sais, n'engendre
point le génie; mais si elle apprend aux nations à le connoître et;"'
l'aimer, c'est lui donner un nouvel être non moins rare et non moinb
utile que celui qu'il tient de la nature.
Il assure qu'il n'y a point en Europe de nation plus attentive au spec-
tacle que la françoise , et il convient que Paris est la seule ville où l'on
soit contraint de poser des gardes dans les spectacles pour contenir la
criaillerie des juges de Corneille, de Racine, de Quinault. Il dit dans
un endroit que la musique 7i'a point reçu de nos jours d'augmentation
en France du côté du goût; et dans un autre, que M. Rameau nous a
enrichis de son propre goût. Ce sont des raffînemens de l'art , monsieur,
que ces contradictions-là; c'est un moyen sûr de ne pas manquer la
vérité dans les choses dont on veut raisonner sans y rien entendre.
Vous avez fini votre lettre par un trait de la plus grande beauté , et
vous ne devez pas douter que celui qu'il regarde n'en ait senti la force
et le vrai; c'est à ces hommes-là, quand ils sont des hommes, qu'il
appartient d'apprécier le sublime. N'oubliez pas, je vous prie, à ce
sujet, un petit remercîment au compère; car dans cet endroit il s'est
surpassé lui-même.
C'est encore par un trait d'habileté, qui mérite quelque compliment,
que le commentateur ne dit pas un mot du sujet de votre lettre. Ces
mystères sont pour lui lettres closes; croyez qu'il a eu de fort bonnes
raisons pour n'en point parler. Vous nous avez appris, à tous tant que
nous sommes, à faire l'analyse d'une pièce de musique; vous avez
trouvé l'art d'exprimer les idées, les fautes, les contre-sens ùai musi-
cien, en parodiant les paroles du poète. Vous avez fait un choix exquis
de pièces de comparaison, vous avez parlé des duos, de l'iSette, du
récitatif, en homme de goût, qui entend la musique, et qui s. \t réflé-
chir; et, fuyant également l'air bêtement suffisant et la fourbe \ ma-
ligne hypocrisie des écrits à la mode, vous avez eu la difficile modestie
de ne juger que sur des raisons, et le courage de prononcer avec fer-
meté. Je me contente d'exposer ces choses; peut-être ne seront-elle«
louées de personne, mais à coup sûr beaucoup de gens en profiteront.
Quant à moi , qui vous dis librement ce que je pense à charge et à
décharge , et à qui vos écrits donnent le droit d'être difficile avec vous ,
jevoudrois premièrement que vous eussiez choisi un autre texte qu'Om-
phale; cette misérable rapsodie n'étoit pas digne de vous occuper. Je
voudrois encore que vous eussiez mieux fa^t sentir la différence qui
caractérise les deux récitatifs, et la raison décisive qui assure la supé-
riorité au récitatif italien : savoir le rapport plus.grand de celui-cL à la
déclamation italienne que du récitatif françois à la déclamation fran-
çoise. Proprement les François n'ont point de vrai récitatif; ce qu'ils
appellent ainsi n'est qu'une espèce de chant mêlé de cris; leurs airs ne
sont à leur tour qu'une espèce de récitatif mêlé de chant et de cris:
tout cela se confond, on ne sait ce que c'est que tout cela. Je crois
j.ouvoir défier tout homme d'assigner dans la musique françoise aucune
•iiïerence précise qui distingue ce qu'ils appellent récitatif de ce qu'ils
m-
244 LETTRE A M. GRIMM.
appellent air. Car je ne pense pas que personne ose aJléguer la mesure :
la preuve qu'il n'y en a point dans la musique française, c'est qu'il y
faut toujours quelqu'un pour marquer la mesure. Combien d'étrangers
ce maudit bâton ne fait-il pas déserter de notre Opéra !
En remarquant très-bien la grande supériorité de l'ariette italienne,
par la force et la variété des passions et des tableaux, vous auriez dû
peut-être relever un ridicule contre-sens qu'on y trouve souvent, et qui
est la seule chose que les musiciens françois en ont fidèlement copiée :
c'est que les paroles roulant ordinairement sur une comparaison, dont
la première partie de l'ariette fait le premier membre, et la seconde le
second, quand le musicien reprend le rondeau pour finir sur la pre-
mière partie, il nous ofl're un sens tout semblable à celui d'un discours
exactement ponctué , qui finiroit par une virgule.
Mais revenons au pauvre compère , qui se morfond peut-être à écouter
et ne point entendre.
Le critique vous a donné un avis dont je vous conseille de faire votre
profit; c'est d'être sobre sur les louanges dans un pays où elles sont si
fort à la mode : déchirer ou encenser, voilà le partage des âmes basses.
Soyez toujours prêt à rendre avec plaisir justice au mérite; c'en est
lissez pour vous, et c'en seroit beaucoup trop pour un homme ordinaire.
Je ne vous dirai pas : « Ne flattez jamais personne ; » si je vous en croyois
capable, je ne vous dirois rien; mais je vous dirai de très-bon cœur :
«Vous méprisez trop les éloges pour qu'il vous soit permis d'en inquiéter
les gens dignes de votre estime. » Quant au critique . ou peut croire , en
lisant ses remarques, que son prétendu détachement des louanges
pourroit bien être un tour d'adresse pour tâcher de donner quelque
valeur aux siennes, c'est-à-dire à celles qu'il donne, et l'on y voit du
moins très-clairement qu'il n'est pas homme à s'en faire faute dans le
besoin.
Le compère ne me paroît pas extrêmement content de votre temple ,
et. comme il ne sauroit le voir que par dehors, il n'y a pas grand mal
à cela; mais le critique vous y reproche des groupes singuliers, et je
vous avoue que je suis de son avis. Je sais bien que cette singularité,
qu'il aura prise pour une maladresse , est un arrangement très-métho-
dique et l'effet d'un système raisonné : mais c'est le système propre que
je condamne. Vous admirez tous les talens , et c'est tant mieux pour eux
et pour vous; mais vous les admirez tous également, et voilà ce que je
ne puis vous passer. Vous prétendez qu'ils ont tous la même origine,
et que le génie qui les engendre les ennoblit également. Mais les génies
eux-mêmes, direz-vous qu'ils sont tous égaux? Il n'est pas temps d'en-
trer ici dans une longue dissertation à ce sujet; je voudrois au moins
vous faire convenir qu'il y a bien des différences dans les parties re-
quises, dans les difficultés à surmonter, et que le génie étroit qui fait
un fort bel adagio est bien loin du puissant génie qui ose expliquer
l'univers.
J'aime la musique peut-être autant que vous, mais je n'en aime pas
moins le mot de Philippe qui faisoit honte à son fils de chanter si bien;
il ne lui eût pas fait honte d'être aussi savant que son maître. Vous me
LETTRE A M. GI'.IMM. 245
citerez peut-être un roi qui joue de la flûte, et je vous répondrai que
ce n'est pas sans peine qu'il s'est acquis le droit d'en jouer.
Donnez-moi seulement du goût et des organes, je vais danser comme
Dupré. ou chanter comme Jelyotte. Joignez au goût de la science et de
l'imagination, je ferai un opéra comme Rameau. Pour composer un
roman passable . il faut encore une grande connoissance du cœur hu-
main et des extravagances de l'amour. La dialectique, et c'est un talent
comme les autres, est nécessaire avec tout cela pour dialoguer une
bonne tragédie : ce ne sera point encore assez pour faire un livre de
philosophie, si vous n'avez un esprit juste, élevé, pénétrant, et e.tercé
H la méditation. Le bon général doit être robuste , courageux , prudent ,
ferme, éloquent, prévoyant, et fertile en ressources. Enfin, toutes ces
qualités, je dis toutes sans exception, et par-dessus toutes encore, une
âme grande et sublime, maîtresse de ses passions, et une inouïe excel-
lencede vertu, voilà les talens que celui qui gouverne un peuple est
obligé d'avoir. Les talens ne sont donc pas égaux par leur nature; ils
le sont beaucoup moins encore par leur objet. Tous les autres sont bons
pour amuser, gâter ou désoler les hommes. Ce dernier seul est fait
pour les rendre heureux. Cela décide la question, ce me semble.
Le critique vous avertit encore de ne point vous montrer partial, et
il vous dit cela au sujet de Rameau. C'est un autre avis très-sage dont
je le remercie pour vous. Ce sera aussi le sujet du dernier article de
ma lettre; car je me fais un vrai plaisir de commenter votre commen-
tateur.
Je voudrois d'abord tâcher de fixer à peu près l'idée quun homme
raisonnable et impartial doit avoir des ouvrages de M. Rameau ; car je
compte pour rien les clabauderies des cabales pour et contre. Quanta
moi. j'en pourrois mal juger par défaut de lumières; mais , si la raison
ne se trouve pas dans ce que j'en dirai . l'impartialité s'y trouvera sûre-
ment, et ce sera toujours avoir fait le plus difficile.
Les ouvrages théoriques de M. Rameau ont ceci de fort singulier,
qu'i'-s ont fait une grande fortune sans avoir été lus, et ils le seront
bien moins désormais , depuis qu'un philosophe ' a pris la peine d'écrire
le sommaire de la doctrine de cet auteur. Il est bien sûr que cet abrégé
anéantira les originaux , et avec un tel dédommagement on n'aura au-
cun sujet de les regretter. Ces différens ouvrages ne renferment rien de
neuf ni d'utile, que le principe de la basse fondamentale' : mais et
n'est pas peu de chose que d avoir donné un principe, fût-il même ar-
bitraire, à un art qui sembloit n'en point avoir, et d'en avoir tellement
facilité les règles, que l'étude de la composition, qui éioit autrefois
une affaire de vingt années, est à présent celle de quelques mois. Las
musiciens ont saisi avidement la découverte de M. Rameau, en affectant
de la dédaigner. Les élèves se sont multipliés avec une rapidité éton-
nante; on n'a vu de tous côtés que petits compositeurs de deux jours,
i. M. d'Afembert.
2. Ce n'est point par oubli que je ne dis rien ici du prétendu principe pliy-
■ique de l'iiarmonie.
246 LETTRE A M. GRIMM.
la plupart sans talent, qui faisoient les docteurs aux dépens de leur
maître; et les services très-réels, très-grands et très-solides que M. Ra-
meau a rendus à la musique, ont en même temps amené cet inconvé-
nient, que la France s'est trouvée inondée de mauvaise musique et de
mauvais musiciens, parce que, chacun croyant connoître toutes les
finesses de l'art dès qu'il en a su les élémens, tous se sont mêlés de
l'aire de l'harmonie, avant que l'oreille et l'expérience leur eussent
appris à discerner la bonne.
A l'égard des opéras de M. Rameau, on leur a d'abord cette obligation,
d'avoir les premiers élevé le théâtre de l'Opéra au-dessus des tréteaux
du pont Neuf. Il a franchi hardiment le petit cercle de très-petite mu-
sique autour duquel nos petits musiciens tournoient sans cesse depuis
la mort du grand LuUi; de sorte que quand on serait assez injuste pour
refuser des talens supérieurs à M. Rameau, on ne pourroit au moins
disconvenir qu'il ne leur ait en quelque sorte ouvert la carrière, et qu'il
n'ait mis les musiciens qui viendront après lui à portée de déployer im-
punément les leurs; ce qui assurément n'étoit pas une entreprise aisée,
lia senti les épiiies; ses successeurs cueilleront les roses.
On l'accuse assez légèrement, ce me semble, de n'avoir travaillé que
sur de mauvaises paroles: d'ailleurs, pour que ce reproche eût le sens
commun, il faudroit montrer qu'il a été à portée d'en choisir de bonnes.
Aimeroit-on mieux qu'il n'eût rien fait du tout? Un reproche plus juste
est de n'avoir pas toujours entendu celles dont il s'est chargé, d'avoir
souvent mal saisi les idées du poëte, ou de n'en avoir pas substitué de
plus convenables, et d'avoir fait beaucoup de contre-sens. Ce n'est pas
sa faute s'il a travaillé sur de mauvaises paroles: mais on peut douter
s'il en eût fait valoir de meilleures. Il est certainement, du côté de
l'esprit et de l'intelligence, fort au-dessous de Lulli, quoiqu'il lui soit
presque toujours supérieur du côté de l'expression. M. Rameau n'eût
pas plus fait le monologue de Roland ' , que Lulli celui de Dardanus.
Il faut reconnoître dans M. Rameau un très-grand talent, beaucoup
de feu, une tête bien sonnante, une grande connoissance des renverse-
mens harmoniques et de toutes les choses d'efTet; beaucoup d'art pour
s'approprier, dénaturer, orner, embellir les idées d'autrui, et re-
tourner les siennes; assez peu de facilité pour en inventer de nouvelles:
plus d'habileté que de fécondité, plus de savoir que de génie, ou uu
moins un génie étouffé par trop de savoir: mais toujours de la force et
de l'élégance . et très-souvent du beau chant.
Son récitatif est moins naturel, mais beaucoup plus varié que celui
de Lulli; adrtiirable dans un petit nombre de scènes, mauvais presque
partout ailleurs: ce qui est peut-être autant la faute du genre que la
sienne; car c'est souvent pour avoir trop voulu s'asservir à la déclama-
tion qu'il a rendu son chant baroque et ses transitions dures. S'il eût eu
la force d'imaginer le vrai récitatif, et de le faire passer chez cette
troupe moutonnière, je crois qu'il y eût pu exceller.
Il est le premier qui ait fait des symphonies et des accompagnemens
4 . Acte IV, scène ii.
I
LETTRE A M. GRIMM. 247
'î:avai!lés, et il en a abusé. L'orchestre de l'Opéra ressembloit, avant
Jui . à uae troupe de quinze-vingts attaquée de paralysie. Il les a un
[eu dégourdis. Ils assurent qu'ils ont actuellement de l'e-xécution : mais
je dis, moi, que ces gens-là n'auront jamais ni goût ni âme. Ce n'est
encore rien d'être ensemble, déjouer fort ou doux, et de bien suivre
un acteur. Renforcer, adoucir, appuyer, dérober des socs, selon que
le bon goût ou l'expression l'e-xigent; prendre l'esprit d'un accompagne-
ment, faire valoir et soutenir des voix, c'est l'art de tous les orchestres
-du monde, excepté celui de notre Opéra.
Je dis que M. Rameau a abusé de cet orchestre tel quel. Il a rendu
-S2S accompagnemens si confus, si chargés, si fréquens, que la tête a
;peine à t-enir au tintamarre continuel de divers instrumens pendant
l'exécution de ses opéras, qu'on auroit tant de plaisir à entendre s'ils
.etourdissoient un peu moins les oreilles. Cela fait que l'orchestre, à
force d'être sans cesse enjeu, ne saisit, ne frappe jamais, et manque
jiresque toujours son effet.
11 faut qu'après une scène de récitatif un coup d'archet inattendu ré-
veille le spectateur le plus distrait , et le force d'être attentif aux images
que l'auteur va lui présenter, ou de se prêter aux sentimens qu'il veut
exciter en lui. Voilà ce qu'un orchestre ne fera point quand il ne cesse
•de racler.
Une autre raison plus forte contre les accompagnemens trop travaillés,
-c'est qu'ils font tout le contraire de ce qu'ils devroient faire. Au lieu de
fixer plus agrénblement l'attention du spectateur, ils la détruisent en la
par ageant. Avant qu'on me persuade que c'est une belle chose que trois
•ou quatre dessins entassés l'un sur l'autre par trois ou quatre espèces
d"instrumens. il faudra qu'on me prouve que trois ou quatre actions
sont nécessaires dans une comédie. Toutes ces belles finesses de l'art,
ces imitations, ces doubles dessins, ces basses contraintes, ces contre-
fuaues, ne sont que des monstres difformes, des monumens du mauvais
goût, qu'il faut reléguer dans les cloîtres comme dans leur dernier asile.
Pour revenir à M. Rameau, et finir cette digression, je pense que
personne n'a mieux que lui saisi l'esprit des détails, personne n'a mieux
ïU Tart des contrastes; mais en même temps personne n'a moins su
donner à ses opéras cette unité si savante et si désirée ; et il est peut-être
le seul au monde qui n'ait pu venir à bout de faire un bon ouvrage de
plusieurs beaux morceaux fort bien arrangés.
Et ungues
Exprimet, et molles jmitabitur œre capillos :
Infe.ix operis summa, quia ponere tolum
Nesciet 1
( Hor. , de Art. poet. , v, 32.)
-Voilà, monsieur, ce que je pense des ouvrages du célèbre M. Ra-
meau , auquel il faudroit que la nation rendît bien des honneurs pour lui
accorder ce qu'elle lui doit. Je sais fort bien que ce jugement ne con-
iciUera ni ses partisans ni ses ennemis : aussi n'ai-je voulu que le rendre
C(iuitable,. et je vous le propose, non comme la règle du vôtre, mais
comme un exemple de la sincérité avec laquelle il convient qu'un heu-
248 LETTRE A M. GRIMM.
nête liomme parle des grands talens qu'il admire, et qu'il ne croit pas
sans défaut.
J'apurouve votre goût pour tout ce qui porte l'empreinte du génie;
mais si vous en croyez l'avis d'un homme sincère et qui a quelque ex-
périence, pour l'honneur des arts, et la pureté de vos plaisirs, tenei-
vûus-en à l'admiration des ouvrages et ne désirez jamais d'en connoître
les auteurs. Vous vivrez dans des sociétés où vous ne trouverez que ca-
bales et enthousiastes, et dont tous les membres savent déjà très-déci-
dément s'ils trouveront bons ou mauvais des ouvrages qui sont encore
à faire : garantissez-vous de tout ce vil fanatisme comme d'un vice fatal
au ju'^'ement et capable même de souiller le cœur à la longue. Que votre
esprit reste toujours aussi libre que votre âme; souvenez-vous des justes
railleries de Platon sur cet acteur que les vers d'un seul poëte mettoieni
hors de lui . et qui n'étoit que glace à la lecture de tous les autres; et
sachez qu'il n'y a point d'homme au monde, quelque génie qu'il puisse
avoir, qui soit en droit d'asservir votre raison, pas même M. de Vol-
taire, le maître dans l'art d'écrire de tous les hommes vivans. En un
mot, je veux vous voir parcourant la Henriade quand le cœur vous
jialpitera et que vous vous sentirez touché, transporté d'admiration,
oser vous écrier en versant des larmes : «Non, grand homme, vous
n'êtes point encore le rival d'Homère. »
Pardonnez-moi, monsieur, un zèle peut-être indiscret, mais dicté
par l'estime que ceux de vos écrits que j'ai vus m'ont inspirée pour vous.
Le public les a jugés et applaudis, et y a reconnu avec plaisir l'homme
d'esprit et de goût ; quant à moi , j'ai cru , avec beaucoup plus de plaisir
encore, y reconnoître le vrai philosophe et l'ami des hommes. Continuez
donc d'aimer et de cultiver des talens qui vous sont chers et dont vous
faites un bon usage; mais n'oubliez pas pourtant de jeter de temps en
temps sur tout cela le coup d'œil du sage , et de rire quelquefois de tous
ces jeux d'enfans.
Je suis, etc.
CHOIX DE ROMANCES ET AIRS DÉTACHÉS.
LE ROSIER,
PAROLES DE DELEYRE.
Je l'ai plan - té, je l'ai vu naî-tre, Ce beau ro -
" - sier où les ci - seaux Viennent chan - ter sons ma ie
m - Ire, Per - chés sur ses jeu - nés ra - nioaux.
CHOIX DE ROMANCES ET AIRS DÉTACHES.
Joyeux oi eaux, t cupe amoureuse,
Ah! |iar pitié ne chantez pas.
L'amant qui me ren ioit heureuse
E>t parti pour d'au.res climats.
Pour les trésors du nouveau monda -
il fuit l'amour, Ijrave la mort.
Hélas ! 1 ourquoi chercher sur l'onda
Le bonheur qu'il trouvoit au poit? «
Vous, passagères hirondelles,
Qui revenez chaque printemps,
Oiseaux sensililes et fidèles, -
* Ramenez-le moi tous les ans.
249
m^m
Ra< me - nez
tous les
AIR DE TROIS NOTES'.
'tit=r±:^^^^^^-^^:^'3^
Que le jour me du - re, Pas - se loin de loi!
^^=^
ifc^
,^^^.,i=,^=^^^E^^^^^^^
Tou - te la na lu - re N'est plus rien pour moi.
Le plus vert bo - ca - ge, Quand tu n'y viens pas,
N'est qu'un lieu sau - va - ge, Poiu' moi sans ap - pas.
Hélas 1 si je passe
Un jour sans te voir,
Je cherche ta trace
Dans mon désespoir.
Quand je l'ai perdue,
Je reste à pleurer-,
Mon âme éperdue .
Est près d'expirer.
4 . Tout dispose à ci oirc que les paroles de cet air sont de Rousseau ; cepen-
dant on ne peiii l'arTirmer. (Ei>.)
2:^0
CHOIX DE ROMANCES ET AIRS DÉTACHÉS.
Le cœur ms palpite
Quand j'entends ta voix;
Tout mon sang s'agite
Dès que je te vois.
Ouvres-tu la bouche,
Les cieux vont s'ouvrir;
Si ta main me touche,
Je me sens (rémir.
■RONDF.AU,
Composé pour M. di: Grammon , i.ui a fiii;r; i les [.. rolos
Larghetto.
Nous brù - le- rons du - ne fTjm- me par
^^feai^igs^j=fer^ii=
fai- te, Le tendre A-mour of - fre des biens, of - fre des biens cliar-
mans ; Nous brû
:è
^sm=^
^Ê^ES^^m
fai- te. Le tendre A - inour of - fre des biens char-mans, of
Fi\.
z(«lr-i^-. ^ n K a ,~^ :, -S-
des biens char -man».
Tant de plai - sir
rend en - cor plus bel - le, Et nos deux cœurs n'en
mm^smwm^:^i^3mmm
sont que plus cons - tans. Tant de plai -sir la rend en- cor plus
^-
4^
*=*cl=
^^
it
pp^^l
bel - le, Et nos deux cœurs n'en sont que plus cons - tans, nch
^SflzfetfeEg^g=êg^^3
sont que plus cons-lans.
Kous brû- etc. Pour nous, l'A-niour, dans
I, Ce rondeau, com,) se pour une haulc-conlre , e?l dans le ton d'»/ mi-
•idiir. Il a Clé liiûs.ijsé ici pour la commodité de la voix.
CHOIX DE ROMANCES ET AIRS DÉTACHÉS.
25.\
les transports quil eau - se Doit faire é- clore a ja-mais le plai -
- sir; Les nœuds cliar- maria que ce dieu nous pro- po - se
^^ te», 2). C. jusqu'au mot Fix.
m^m
:r=Sfcfct
Sont le bon - heur cl l'à-nii^ dos niai - sirs.
Nous brù - etc.
ROMANCE DE ROGER.
Parole» de M. dUssieux.
A - mour me lient en scr - va - ge,
En mon cœur plus n'est rc - pos ; En ma
,^-5_r-^^
"^r^
,=F^
bou-clie doux pro-
^^^^
pos; N'ai que lar - mes pourbreu-va - ge, Pour par - 1er n'ai
que san - glots, Pour par
que san
Bien- se voit que de ma vie
Fleur se passe chaque jour.
Si n'aimez à votre tour.
Las! dans peu. gente Emilie, '
Mourrai victime d'amour.
Ah 1 si me pouviez entendre.
Si saviez qui m'amoindrit.
Que Roger d'amour périt,
Vous connois âme assez tendre,
Me pleureriez un petit.
Mais non. non. ne craignez mie,
Mon secret point ne dirai;
.Wec moi, quand finirai.
Vous le promets, belle amie,
Au tombeau Femnorterai.
252 CHOIX DE ROMANCES E'i AIRS DÉTÂCHÉS.
ROMANCE D'ALEÎTS.
Les paroles sont Urées d'un Prospe nus d ; M, de Li I or e.
Larghetto.
^^^g^j^iï^fg^^E^-
A - le - xis, de - puis deux ans, A - do -
^|^JEfeg^=gE:jj=^E;^PEigj
- roit Gli - ce - -re; Il ca - clioil de - puis ce .temps Ses
^^^=&-p=^ilpS'li^
tcn - dres sen - ti - tneirst Un jour il a- per- çul la
^^^i^^^iiH^ip^
mè - re, Qui dans la plai - ne tra - vail - loit; Il vole aux
^^EÊ^i^=
pieds de la Ber - gè - re, Pour lui con - ter re qu'il soiif -
^^^^^^^^^^m
- froit ; Il vole aux pieds de la Ber - gè - re, Pour lui con-
tf;r ce qu'il
^-
qu'il souf - froit.
Il frappe tout doucement,
Elle ouvrit la porte,
a Ah ! dit-il, un seul moment
Écoutez mon tourment;
De la tendresse la plus forte
Laissez-moi vous conter l'ardeur,
El dans mon âme presque morte
P'aites renaître le bonheur.
— Vous ne pouvez pas entrer,
Lui répondit-elle:
Vous me faites frissonner,
On peut nous écouter.
Non, non, je ne suis pas cruelle;
Par tant d'amour vous me charm •/,
Mais voyez ma frayeur mortelle,
Et laissez-moi, si vous m'aimez.
CHOIX DE ROMANCES ET AIRS DÉTACHÉS. 253
— Eh bien! je vous obéis.
0 vous que j'adore,
Si vous aimez Alexis ,
Tous ses maux sont finis.
Mais jurez-moi qu'avant l'aurore,
En menant paître vos moutons.
Nous nous dirons cent fois encore
Que pour toujours nous nous aimons. »
La peur fit qu'elle jura
D'aller sur 1 herbette.
Il prit sa main, la baisa,
Et puis s'en alla.
Le lendemain la bergerette
Voulut accomplir son serment ;
Hélas ! on dit que la pauvrette
Pe'rdit beaucoup en s'acquittant.
PROJET
CONCERNANT DE NOUVEAUX SIGNES POUR LA MUSIQUE,
LU PAR l'auteur a l'aCABÉMIE DES SCIENCES LE 22 AOUT 1742.
Ce projet tend à rendre la musique plus commode à noter , plus aisée
i apprendre, et beaucoup moins diffuse. - •
11 paroît étonnant que les signes de la musique étant restés aussi
longtemps dans l'état d'imperfection où nous les voyons encore aujour-
d'hui, la difficulté de l'apprendre n'ait pas averti le public que c'etoit
la faute des caractères, et non pas celle de l'art. Il est vrai qu on a
donné souvent des projets en ce genre-, mais de tous ces projets, qui,
sans avoir les avantages de la musique ordinaire, en avoient presque
tous les inconvéniens-, aucun que je sache n'a jusqu'ici touché le but,
soit qu'une pratique trop superficielle ait fait échouer ceux qui l'ont
voulu considérer théoriquement, soit que le génie étroit et borné des
musiciens ordinaires les ait empêchés d'embrasser un plan général et
raisonné, et de sentir les vrais inconvéniens de leur art, de la perfec-
tion actuelle duquel ils sont d'ailleurs pour l'ordinaire très-entêtés.
Cette quantité de lignes, de clefs, de transpositions, de dièses, de
bémols de bécarres, de mesures simples et composées, de rondes, de
blanches, de noires, de croches, de doubles, de triples croches, de
pauses, de demi-pauses, de soupirs, de demi-soupirs, de quarts de
oupir, etc., donne une foule de signes et de combinaisons, d'où ré-
sultent deux inconvéniens principaux, l'un d'occuper un trop grand vo-
ume, et l'autre de surcharger la mémoire des écoliers; de façon que,
l'oreiile étant formée, el les organes ayant acquis toute la facilité né-
cessaire longtemps avant qu'on soit en état de chanter à livre ouvert , il
. ensuit que la difficulté est toute dans l'observation des règles, et non
dans l'exécution du chant.
254 PROJET SUR DE NOUVEAUX SIGNES
Le moyen qui remédiera â l'un de ces inconvéniens remédiera aussi a>
l'autre; et dès qu'on aura inventé des signes équivalens, mais plus-
simples et en moindre quantité, ils auront par là même plus de préci-
sion , et pourront exprimer autant de choses en moins d'espace.
Il est avantageux outre cela que ces signes soient déjà connus, afin^
que l'attention soit moins partagée , et faciles à figurer , afin de rendre la
musique plus commode.
Il faut pour cet effet considérer deux objets principaux, chacun en.
particulier; le premier doit être l'expression de tous les sons possibles,
et l'autre, celle de toutes les diflerentes durées, tant des sons que de
leurs silences relatifs, ce qui comprend aussi la différence des mou-
vemens.
Comme la musique n'est qu'un enchaînement de sons qui se font en-
tendre ou tous ensemble , ou successivement, il suffit que tous ces sons
aient des expressions relatives qui leur assignent à chacun la place qu'il
doit occuper par rapport à un certain son fondamental, pourvu que ce
son soit nettement exprimé, et que la relation soit facile à connoître :
avantages que n'a déjà point la musique ordinaire, où le son fonda-
mental n'a nulle évidence particulière, et où tous les rapports des notes
ont besoin d'être longtemps étudiés.
Prenant ul pour ce son fondamental, auquel tous les autres doivent
se rapporter, et l'exprimant par le chifi"re 1 , nous aurons à sa suite l'ex-
pression des sept sons naturels, uf , ré, mi, fa, sol, la, si, parles sept
chiffres 1 , 2 , 3. 4, 5, G, 7 ; de façon que tant que le chant roulera
dans rétendue des sept sons, il suffira de les noter chacun par son
chiffre correspondant, pour les exprimer tous sans équivoque.
Mais quand il est question de sortir de cette étendue pour passer dans
d'autres octaves, alors cela forme une nouvelle difficulté.
Pour la résoudre, je me sers du plus simple de tous les signes, c'est-
à-dire du point. Si je sors de l'octave par laquelle j'ai commencé, pour
faire une note dans l'étendue de l'octave qui est au-dessus, et qui com-
mence à l'ut d'en haut, alors je mets un point au-dessus de cette note-
par Inquelle je sors de mon octave; et ce point une .'"ois placé, c'est un
indice que, non-seulement la note sur laquelle il est, mais encore
toutes celles qui la suivront sans aucun signe qui le détruise, devront
être prises dans l'étendue de cette octave supérieure où je suis entré.
Au contraire, si je veux passer à l'octave qui est au-dessous de celle
où je me trouve, alors je mets le point sous la note par laquelle j'y
entre. En un mot, quand le point est sur la note, vous passez dans
l'octave supérieure; s'il est au-dessous , vous passez dans l'inférieure :
et quand vous changeriez d'octave à chaque note , ou que vous voudrie';
monter ou descendre de deux ou trois octaves tout d'un coup ou suc-
cessivement, la règle est toujours générale, et vous n'avez qu'à mettre
autant de points au-dessous ou au-dessus que vous avez d'octaves à des-
cendre ou à monter.
Ce n'est pas à dire qu'à chaque point vous montiez ou descendiez
d'une octave, mais à chaque point vous passez dans une octave diffé-
rente de celle où vous êtes par rapport au son fondamental ut d'en bas
POUR LA MUSIQUE. 255
lequel ainsi se trouve bien dans la même octave en descendant diatoni-
quement, mais non pas en montant. Sur quoi il faut remarquer que je
ne me sers du mot d'octave qu'abusivement, et pour ne pas multiplier
inutilement les termes, parce que proprement celte étendue n'est com-
posée que de sept notes, le 1 d'en haut qui commence une autre octave
n'y étant pas compris.
Mais cet ut, qui, par la transposition, doit toujours être le nom à&
la tonique dans les tons majeurs et celui de la médiante dans les tons
mineurs , peut , par conséquent , être pris sur chacune des douze cordes
du système chromatique; et. pour la désigner, il suffira de mettre à la
marge le chiffre qui exprimeroit cette corde sur le clavier dans l'ordre
naturel; c'esi-à-dire que le chiffre de la marge, qu'on peut appeler la
clef, désigne la touche du clavier qui doit s'appeler ut, et par consé-
quent êlre tonique dans les tons majeurs, et médiante dans les mi-
neurs. Mais, à le bien prendre, la connoissance de cette clef n'est que
pour les instrumens, et ceu.ï qui chantent n'ont pas besoin d'y faire
attention.
Par celte méthode, les mêmes noms sont toujours conservés aux
mêmes notes : c'est-à-dire que l'art de solfier toute musique possilile
consiste précisément à connoître sept caractères uniques et invariables,
qui ne changent jamais ni de nom ni de position; ce qui me paroît plus
facile que cette multitude de transpositions et de clefs qui, quoique
ingénieusement inventées, n'en sont pas moins le supplice des cora-
mençans.
Une autre difficulté , qui naît de l'étendue du clavier et des difl'érentes
octaves où le ton peut être pris, se résout avec la même aisance. On
conçoit le clavier divisé par octaves depuis la première tonique : la plus
liasse octave s'appelle A, la seconde B , la troisième C. , etc.; de facoa
qu'écrivant au commencement d'un air la lettre correspondante à l'oc-
tave dans laquelle se trouve la première note de cet air, sa position,
précise est connue, et les points vous conduisent ensuite partout sans
équivoque. De là découle encore généralement et sans exceptioii le
moyen d'exprimer les rapports et tous les intervalles, tant en montant,
qu'en descendant, des reprises et des rondeaux, comme on le verra
détaillé dans mon grand projet.
La corde du ton , le mode (car je le distingue aussi) et l'octave étant
ainsi bien désignés, A faudra se servir de la transposition pour les in-
strumens comme pour la voix, ce qui n'aura nulle difficulté pour les
musiciens instruits , comme ils doivent l'être , des tons et des intervalles
naturels à chaque mode, et de la manière de les trouver sur leurs in-
strumens; il en résultera au contraire cet avantage important, qu'il ne
sera pas plus difficile de transporter toutes sortes d'airs. un demi-ton ou
un ton plus haut ou plus bas, suivant le besoin, que de les jouer sur
leur ton naturel; ou, s'il s'y trouve quelque peine, elle dépendra uni-
quement de l'instrument, et jamais de la note, qui, par le changement
d'un seul signe, représentera le même air sur quelque ton que l'on
veuille proposer : de sorte enfin qu'un orchestre entier, sur un simple
vvertissemeùt du maître, exécuteroit sur-le-champ en vii ou en sol une
tj^r^Q PROJET DE NOUVEAUX SIGNES
j.ièce notée en fa, en la, en si bémol, ou en tout autre ton imaginable;
chose impossible à pratiquer dans la musique ordinaire , et dont l'ulilité
se fait assez sentir à ceux qui fréquentent les concerts. En général, ce
qu'on appelle chanter et exécuter au naturel est peut-être ce qu'il y
a de plus mal imaginé dans la musique : car si les noms des notes ont
quelque utilité réelle, ce ne peut être que pour exprimer certains rap-
ports, certaines affections déterminées dans les progressions des sons.
Or, dès que le ton change , les rapports des sons et la progression chan-
geant aussi , la raison dit qu'il faut de même changer les noms des notes
en les rapportant par analogie au nouveau ton; sans quoi l'on renverse
le sens des noms, et l'on ôte aux mots le seul avantage qu'ils puissent
avoir, qui est d'exciter d'autres idées avec celles des sons. Le passage
du mi au fa, ou du si à Vut, excite naturellement dans l'esprit du mu-
sicien l'idée da demi-ton. Cependant, si l'on est dans le ton de si ou
dans celui de mi , l'intervalle du si à Vut , ou du mi au fa , est toujours
d'un ton, et jamais d'un demi-ton. Donc, au lieu de conserver des noms
qui trompent l'esprit et qui choquent l'oreille exercée par une difTérente
habitude, il est important de leur en appliquer d'autres dont le sens
connu, au lieu d'être contradictoire, annonce les intervalles qu'ils doi-
vent exprimer. Or, tous les rapports des sons du système diatonique se
trouvent exprimés, dans le majeur, tant en montant qu'en descendant,
dans l'octave comprise entre deux ut, suivant l'ordre naturel, et, dans
le mineur, dans l'octave comprise entre deux la, suivant le même ordre
en descendant seulement; car, en montant, le mode mineur est assu-
jetti à des affections différentes qui présentent de nouvelles réflexions
pour la théorie , lesquelles ne sont pas aujourd'hui de mon sujet, et qui
ne font rien au système que je propose.
J'en appelle à l'expérience sur la peine qu'ont les écoliers à enton-
ner, par les noms primitifs, des airs qu'ils chantent avec toute la fa-
cilité du monde au moyen de la transposition, pourvu, toujours, qu'ils
aient acquis la longue et nécessaire habitude de lire les bémols et les
dièses des clefs, qui font, avec leurs huit positions, quatre-vingts com-
binaisons inutiles et toutes retranchées ] ar ma méthode.
Il s'ensuit de là que les principes qu'on donne pour jouer des instru-
mens ne valent rien du tout ; et je suis sûr qu'il n'y a pas un bon musi-
cien qui, après avoir préludé dans le ton où il don jouer, ne fasse plus
d'attention dans son jeu au degré du ton où il se trouve, qu'au dièse
ou au bémol qui l'affecte. Qu'on apprenne aux écoliers à bien connoîlre
les deux modes et la disposition régulière des sons convenables à cha-
cun , qu'on les exerce à préluder en majeur et en mineur sur tous les
sons de l'instrument, chose qu'il faut toujours savoir, quelque méthode
qu'on adopte; alors, qu'on leur mette ma musique entre les mains,
j'ose répondre qu'elle ne les embarrassera pas un quart d'heure.
On seroit surpris si l'on faisoit attention à la quantité de livres et d«
préceptes qu'on a donnés sur la transposition ; ces gammes , ces échelles ,
ces clefs supposées, font le fatras le plus ennuyeux qu'on puisse ima»
giner; et tout cela, faute d'avoir fait cette réilexion très-simple, que,
dès que la cercle fondamentale du ton est connue sur le clavier naturel,'
POUR LA MUSIQUE. 257
comme tonique, c'est-à-dire comme wf ou la, elle détermine seule la
I apport et le ton de toutes les autres notes, sans égard à l'ordre pri-
mitif.
Avant que de parler des changemens de ton, il faut expliquer les
altérations accidentelles des sons qui s'y présentent à tout moment.
Le dièse s'exprime par une petite ligne qui croise la note en montant
de gauche à droite. Sol diésé , par exemple , s'exprime ainsi 5 , fa diésé ,
ainsi 4. Le bémol s'exprime aussi par une semblable ligne qui croise la
note en descendant 7,2; et ces signes, plus simples que ceux qui sont
en usage, servent encore à montrer à l'œil le genre d'altération qu'ils
causent.
Le bécarre n'a d'utilité que par le mauvais choix du dièse et du bé-
mol; et, dès que les signes qui les expriment seront inhérens à la note,
le bécarre deviendra entièrement superflu : je le retranche donc comme
inutile; je le retranche encore comme équivoque, puisque les musiciens
s'en servent souvent en deux sens absolument opposés , et laissent ainsi
l'écolier dans une incertitude continuelle sur son véritable effet.
A l'égard des changemens de ton , soit pour passer du majeur au mi-
neur, ou d'une tonique à une autre, il n'est question que d'exprimer la
première note de ce changement, de manière à représenter ce qu'elle
ctoitdans le ton d'où l'on sort, et ce qu'elle est dans celui où l'on entre -^
ce que l'on fait par une double note séparée par une petite ligne hori-
zontale comme dans les fractions : le chiffre qui est au-dessus exprime
la note dans le ton d'où l'on sort, et celui de dessous représente la
même note dans le ton où l'on entre; en un mot, le chiffre inférieur
indique le nom de la note, et le chiffre supérieur sert à en trouver le
ton.
"Voilà pour exprimer tous les sons imaginables en quelque ton que l'on
puisse être ou que l'on veuille entrer. 11 faut passer à présent à la se-
conde partie , qui traite des valeurs des notes et de leurs mouvemens.
Les musiciens reconnoissent au moins quatorze mesures différentes
dans la musique -.mesures dont la distinction brouille l'esprit des éco-
liers pendant un temps infini. Or je soutiens que tous les mouvemens
de ces différentes mesures se réduisent uniquement à deux; savoir,
mouvement à deux temps, et mouvement à trois temps; et j'ose défier
l'oreille la plus fine d'en trouver de naturels qu'on ne puisse exprimer
avec toute la précision possible par l'une de ces deux mesures. Je com-
mencerai donc par faire main basse sur tous ces chiffres bizarres , ré-
servant seulement le deux et le trois, par lesquels, comme on verra,
tout à l'heure, j'exprimerai tous les mouvemens possibles. Or, afin que
le chiffre qui annonce la mesure ne se confonde point avec ceux des
notes , je l'en distingue en le faisant plus grand et en le séparant par
une double ligne perpendiculaire.
Il s'agit à présent d'exprimer les temps, et les valeurs desjiotes qui
les remplissent.
Un défaut considérable dans la musique est de représenter , comme
valeurs absolues , des notes qui n'en ont que de relatives , ou du moins
d'en mal appliquer les relations : car il est sûr que la durée des rondes,
RoiïSSEAlI VI 17
258 PROJET DE NOUVEAUX SIGNES
des blanches, noires, croches, etc., est déterminée, non par la qualité
lie la note, mais par celle de la mesure où elle se trouve : de là vient
qu'une noire, dans une certaine mesure, passera beaucoup plus vile
qu'une croche dans une autre; laquelle croche ne vaut cependant que
la moitié de cette noire, et de là vient encore que les musiciens de
province, trompés par ces faux rapports, donneront aux airs des mou-
vemens tout différons de ce qu'ils doivent être, en s'altachant scrupu-
leusement à la valeur absolue des notes, tandis qu'il faudra quelquefois
passer une mesure à trois temps simples beaucoup plus vite qu'une autre
à trois-huit, ce qui dépend du caprice du compositeur, et de quoi les
■opéras présentent des exemples à chaque instant.
D'ailleurs la division sous-double des notes et de leurs valeurs, telle
qu'elle est établie, ne sufiit pas pour tous les cas; et si, par exemple,
je veux passer trois notes égales dans un temps d'une mesure à deux ,
à trois, ou à quatre, il faut, ou que le musicien le devine, ou que je
l'en instruise par un signe étranger qui fait exception à la règle.
Enfin c'est encore un autre inconvénient de ne point séparer les
temps ; il arrive de là que , dans le milieu d'une grande mesure , l'écolier
ne sait où il en est, surtout lorsque, chantant le vocal, il trouve une
quantité de croches et de doubles croches détachées, dont il faut qu'il
fasse lui-même la distribution.
La séparation de chaque temps par une virgule remédie à tout cela
avec beaucoup de simplicité. Chaque temps compris entre deux virgules
contient une note ou plusieurs. S'il ne comprend qu'une note, c'est
qu'elle remplit tout ce temps-là, et cela ne fait pas la moindre difficulté.
Y a-t-il plusieurs notes comprises dans chaque temps, la chose n'est pas
plus difficile : divisez ce temps en autant de parties égales qu'il com-
prend de notes , appliquez chacune de ces parties à chacune de ces notes ,
et passez-les de sorte que tous les temps soient égaux.
Les notes dont deux égales rempliront un temps s'appelleront des
demis; celles dont il en faudra trois, des tiers: celles dont il en fau-
dra quatre , des quarts , etc.
Mais lorsqu'un temps se trouve partagé de sorte que toutes les notes
n'y sont pas d'égale valeur, pour représenter, par exemple, dans un
seul temps une noire et deux croches, je considère ce temps comme
divisé en deux parties égales , dont la noire fait la première , et les deux
croches ensemble la seconde; je les lie donc par une ligne droite que
je place au-dessus ou au-dessous d'elles, et cette ligne marque que tout
ce qu'elle embrasse ne représente qu'une seule note, laquelle doit être
subdivisée en deux parties égales, ou en trois, ou en quatre , suivant le
nombre des chiffres qu'elle couvre, etc.
Si l'on a une note qui remplisse seule une mesure entière, il suffit de
la placer seule entre les deux lignes qui renferment la mesure; et, par
la même règle que je viens d'établir, cela signifie que cette note doit
durer toute la mesure entière.
A l'égard des tenues, je me sers aussi du point pour les exprimer,
mais d'une manière bien plus avantageuse que celle qui est en usage :
car au lieu de lui faire valoir précisément la moitié de la note qui le
POUR LA MUSIQUE. 259
précède, ce qui ne fait qu'un cas particulier, je lui donne, de même
qu'aux noies, une valeur qui n'est déterminée que par la place qu'il oc-
cupe; c'est-à-dire que, si le point remplit seul un temps ou une me-
sure, le son qui a précédé doit être aussi soutenu pendant tout ce temps
ou toute cette mesure; et, si le point se trouve dans un temps avec
d autres notes, il fait nombre aussi bien qu'elles, et doit être compté
pour un tiers ou pour un quart, suivant le nombre des notes que ren-
ferme ce temps-là , en y comprenant le point.
Au reste , il n'est pas à craindre , comme on le verra par les exemples ,
que ces points se confondent jamais avec ceux qui servent à changer d'oc-
taves; ils en sont trop bien distingués par leur position pour avoir be-
soin de l'être par leur figure : c'est pourquoi j'ai négligé de le faire,
évitant avec soin de me servir de signes extraordinaires, quidistrairoieiit
i'aUention, et n'exprimeroient rien de plus que la simplicité des miens.
Les silences n'ont besoin que d'un seul signe. Le zéro paroît le plus
convenable; et. les règles que j'ai établies à l'égard des notes étant
toutes applicables à leurs silences relatifs, il s'ensuit que le zéro, par
sa seule position et par les points qui le peuvent suivre, lesquels alors
exprimeront des silences, suffit seul pour remplacer toutes les pauses,
soupirs, demi-soupirs, et autres signes bizarres gl superflus qui rem-
plissent la musique ordinaire.
Voilà les principes généraux d'où découlent les règles pour toutes
sortes d'expressions imaginables, sans qu'il puisse naître à cet égard
aucune difficulté qui n'ait été prévue et qui ne soit résolue en consé-
quence de quelqu'un de ces principes.
Ce système renferme, sans contredit, des avantages essentiels par-
dessus la méthode ordinaire.
En premier lieu, la musique sera du double et du triple plus a'sée à
apprendre :
1° Parce qu'elle contient beaucoup moins de signes;
2° Parce que ces signes sont plus simples;
3° Parce que, sans autre étude, les caractères mêmes des notes y re-
présentent leurs intervalles et leurs rapports, au lieu que ces rapports
et ces intervalles sont très-difficiles à trouver, et demandent une grande
habitude par la musique ordinaire;
4" Parce qu'un même caractère ne peut jamais avoir qu'un même nom-,
au lieu que, dans le système ordinaire, chaque position peut avoir sept
noms difl'érens sur chaque clef, ce qui cause une confusion dont les éco-
liers ne se tirent qu'à force de temps, de peine et d'opiniâtreté:
5° Parce que bs temps y sont mieux distingués que dans la musique
ordinaire . et que les valeurs des s'iences et des notes y sont déterminées
d'une manière plus simple et plus générale;
6° Parce que, le mode étant toujours connu , il est toujours aisé de
préluder et de se mettre au ton : ce qui n'arrive pas dans la musique
ordinaire , où souvent les écoliers s'embarrassent ou chantent faux , faute
de bien connoître le ton où ils doivent chanter
En second lieu, la musique en est plus commode et plus aisée à
coter, occupe moins de volume; toute sorte de pnpier y est propre, et
260 NOUVEAUX SIGNES POUR LA MUSIQUE.
les caractères de l'imprimerie suffisant pour la noter, les compositeurs
n'auront plus besoin de faire de si grands frais pour la gravure de leurs
pièces , ni les particuliers pour les acquérir.
Enfin les compositeurs y trouveroient encore cet autre avantage non
moins considérable, qu'outre la facilité de la note, leur harmonie et
leurs accords seroient connus par la seule inspection des signes, et sans
ces sauts d'une clef à l'autre qui demandent une habitude bien longue,
et que plusieurs n'atteignent jamais parfaitement.
DISSERTATION SUR LA MUSIQUE MODERNE.
PRÉFACE.
S'il est vrai que les circonstances et les préjugés décident souvent du
sort d'un ouvrage, jamais auteur n'a dû plus craindre que moi. Le pu-
blic est aujourd'hui si indisposé contre tout ce qui s'appelle nouveauté,
si rebuté de systèmes et de projels, surtout en fait de musique, qu'il
n'est plus guère possible de lui rien offrir en ce genre, sans s'exposer
à l'effet de ses premiers mouvemens, c'est-à-dire à se voir condamné
sjns être entendu.
D'ailleurs il faudroit surmonter tant d'obstacles, réunis non parla
raison , mais par l'habitude et les préjugés , bien plus forts qu'elle , qu'il
ne paroît pas possible de forcer de si puissantes barrières. N'avoir que
la raison pour soi , ce n'est pas combattre à armes égales; les préjugés
sont presque toujours sûrs d'en triompher, et je ne connois que le seul
intérêt capable de les vaincre à son tour.
Je serois rassuré par cette dernière considération, si le public étoit
toujours bien attentif à juger de ses vrais intérêts : mais il est pour
l'ordinaire assez nonchalant pour en laisser la direction à gens qui en
ont de tout opposés; et il aime mieux se plaindre éternellement d'être
mal servi que de se donner des soins pour l'être mieux.
C'est précisément ce qui arrive dans la musique : on se récrie sur ]a
longueur des maîtres et sur la difficulté de l'art, et l'on rebute ceux qui
proposent de l'éclaircir et de l'abréger. Tout le monde convient que les
caractères de la musique sont dans un état d'imperfection peu propor-
tionné aux progrès qu'on a faits dans les autres parties de cet art : ce-
pendant on se défend contre toute proposition de les réformer, comme
contre un danger affreux. Imaginer d'autres signes que ceux dont s'est
servi le divin LuUi est non-seulement la plus haute extravagance dont
^'esprit humain soit capable, mais c'est encore une espèce de sacrilège.
>ulli est un dieu dont le dcigt <st venu fixer à jamais l'état de ces sacrés
caractères : bons ou mauvais, il n'impcrte; il faut qu'ils soient éternisés
par ses ouvrages. 11 n'est plus permis d'y toucher sans se rendre cri-
minel; et il faudra, au pied de la lettre, que tous les jeunes gens qui
apprendront désormais la musique payent un tribut de deux ou trois
ans de peine au mérite de Lulli.
IMaiiflic II.
TABLE GÉNÉRALE DE TOUS LES TOINS ET DE TOUTES LES CLEFS.
X A B CD
de Fa
1^2: 54.
5 ; 6 : J^ i 2 i 54
5 i6 i./i i 2 i 54
5 1 6 ; ^ ; 2 : 34
5 ; 6 ; ^ ; 2 : 34
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de Mi
2T34: 5
6 [ 7/1 j 2 .[ 3 4 •; 5 1 6 1 7/1 1 2 1 5 4 : 5 1 6 1 7/1 1 2
3 4 : 5 f 6 1 7/1 1 2 1 3 4 : 5 1 (î 1 7/1 1 [
de Mi T)êmol
2 i 54 1 5
6 : 7/i I 2 ; 3 4 1 5
6 ; .71 1 2 : 5 4 1 5 ( 6 : 7/l 1 2 : 5 4 i 5
6 ; 7/1 1 2 : 3 4 1 5
6 ; 7/1
2
de Ré
54 ; 5 1 6
^:2]34;5:6l^l:2|34:5:,6|^i2|34':5;6l:^;2i34i5:6|^:2M
d'Ut bémol
54 5l6 7/1 |2 34J5|6
y 1 1 2 1 5 4 1 5 1 6
7/1 1 2 1 3 4
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7/1 1 2
5
d'Ut
4:5: 6:^:2: 3 i \ 5 \ 6 '] 7/l : 2 \ :5i! \ b ] 6 : 7/l ] 2 134:5 l 6 [ 7/l ] 2 \ 54; î, [ 6 ] l/l \ 2 i54
de Si........
1 5 1 6 7/1 1 2 1 3 4 ! 5 6 7/l 2 | 3 4 | 5 6 7/l 2 3 4 | 5 j 6 | J/l 1 2 | 5 4 [ 5 | 6 | 7/l | 2 ] 3 4 |
de Siljémol
5i6;7/t^2:34 5:6:^
2 ; 34 1 5 : 6 : 7/i
2:34 1 5 i 6 i yi
2:34 1 5 : 6 : ^1 1 2 ; 3 4 1 5 1
de La -.-
6 1 7/1 : 2
3 4 •: 5 t 6 7/l ; 2 1 54 : 5 6, 7/l •; 2 3 4:5 6
7/i i 2 5 4:5 6 1 7/1 ;■ 2 1 5 4 ; 5 1
de La bémol
6 : 7/ 1 2 1 3 4 1 5 èl 7/i 2
3 4 5 1 6 i 7/1 ^
5 4 5 6 j 7/1 2
3 4 1 5 1 6 ; 7/1 1 2
34 1 5
6
de Sol
7/i;2i54:5:6 7/i2:34:5i6 7/1:2: 34 i5:6|^:2;3 4:5:6 y^;2:34;5;6
deFa
74 2 34 15 6 1 7/i 1 2 .1 54 1 5 1 6 1 7/1 1 2 1 34 1 5 1 6 1 7/1 1 2 1 34 1 5 6 | 7/1 j 2 | 34 | 5 | 6
7 1
!«" Exemple
2« Ex -..- -
3? Ex. des InleTTalles directs -■
4? Ex. des tilervalles renrersés
5^ Ex. des InlerraTles simples
6 ? Ex. des InteTTalles redoublée
7 ? Ex. pour le Mode Majeur de Sol _..
8? Ex. pour le Mode Mineur de Sol
9 ? Ex. du passage d'un Ton à un autre
10? Ex. du passage du Majeur au Mineur, et vice versa.
11? Ex
l2? Ex.de la P. transcrit par la première Méthode
-4 — a y-
iisaoctS8i.„it^»,,ss»tia'a, 1 ■&' ooaaito ot' t 6 «?i
I — i 1 a
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Sol.
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t. 18316^607*706» — Sa4^'7l»*fc>t&
7
J. J. Roi'ssE.w, t. \1, p. :260.
DISSERTATION SUR LA MUSIQUE MODERNE. 261
Si ce ne sont pas là les propres termes , c'est du moins le sens des ob-
jections que j'ai ouï faire cent fois contre tout projet qui tendroit à
réformer cette partie de la musique. Quoi ! faudra-t-il jeter au feu tous
nos auteurs , tout renouv&ler? Lalande , Bernier , Corelli , tout cela seroit
donc perdu pour nous? Où prendrions-nous de nouveaux Orphées pour
nous en dédommager? et quels seroient les musiciens qui voudroient se
résoudre à redevenir'écoliers?
Je ne sais pas bien comment l'entendent ceux qui font ces objections;
mais il me semble qu'en les réduisant en maximes, et en détaillant un
peu les conséquences, on en ferait des aphorismes fort singuliers, pour
arrêter tout court le progrès des lettres et des beaux-arts.
D'ailleurs ce raisonnement porte absolument à faux; et l'établissement
des nouveaux caracières, bien loin de détruiie les anciens ouvrages, les
conserveioit doublement par les nouvelles éditions qu'on en feroit, et
par les anciennes, qui suhsisleroient toujours. Quand on a traduit uu
auteur, je ne vois pas la nécessité de jeter l'original au feu. Ce n'est
donc ni l'ouvrage en lui-même, ni les exemplaires qu'on risqueroil de
perdre; et remarquez surtout que, quelque avantageux que pût être
un nouveau système, il ne détruiroit jamais l'ancien avec assez de ra-
pidité pour en abolir tout d'un coup l'usage; les livres en seroient usés
avant que d'élre inutiles, et quand ils ne serviroienl que de ressource
aux opiniâtres, on trouveroit toujours assez à les employer.
Je sais que les musiciens ne sont pas traitables sur ce chap'tre. La
musique pour eux n'est pas la science des sons, c'est celle des noires,
des i)lanches, des doubles croches; et, dès que ces figures cesseroient
d'affecter leurs yeux, ils ne croiroienl jamais voir réellement de la
musique. La crainte de redevenir écoliers, et surtout le train de cette
habitude qu'ils prennent pour la science même, leur feront toujours
regarder avec mépris ou avec effroi tout ce qu'on leur proposeroit en ce
genre. Il ne faut donc pas compter sur leur approbation; il faut même
compter sur toute leur résistance , dans l'établissement des nouveaux
caractères, non pas comme bons ou comme mauvais en eux-mêmes,
mais simplement comme nouveaux.
Je ne sais quel auroit été le sentiment particulier de Lulli sur ce
point, mais je suis presque sûr qu'il étoit trop grand hommt; pour don-
ner dans ces petitesses : Lulli auroit senti que sa science ne lenoit point
à des caractères; que ses sons ne cesseroient jamais d'être des sous di-
vins, quelques signes qu'on employât pour les exprimer ; et qu'enfin
c'étoit toujours un service important à rendre à son art et aux progrès
de ses ouvrages que de les publier dans une langue aussi énergique , mais
plus facile à entendre, et qui par là deviendroit plus universelle, dût-
il en coûter l'abandon de quelques vieux exemplaires, dont assurément
il n'auroit pas cru que le prix fût à comparer à la perfection générale
de l'art.
Le malheur est que ce n'est pas à'^es Lulli que nous avons affaire. Il
est plus aisé d'hériter de sa science que de son génie. Je ne sais pour-
quoi la musique n'est pas amie du raisonnement. Mais si ses élèves sont
«i scandalisés de voir un confrère réduire son art en principes, l'appro-
262 DISSERTATION SUR LA MUSIQUE MODERNE.
fondir, et le traiter méthodiquement, à plus forte raison ne soufTriroient-
ils pas qu'on osât attaquer les parties mêmes de cet art.
Pour juger de la façon dont on y seroit reçu, on n'a qu'à se rappeler
combien il a fallu d'années de lutte et d'opiniâtreté pour substituer
l'usage du si à ces grossières nuances qui ne sont pas même encore
aboies partout. On couvenoit bien que l'échelle étoit composée de sept
sons diiïérens; mais on ne pouvoit se persuader qu'il fût avantageux de
leur donner un nom parliculier , puisqu'on ne s'en était pas avisé jus',ue-
îà, et que la musique n'avoit pas laissé d'aller son train.
Toutes ces difficultés sont présentes à mon esprit avec toute la force
qu'elles peuvent avoir dans celui des lecteurs : malgré cela, je ne sau-
rois croire qu'elles puissent tenir contre les vérités de démonstration
que j'ai à établir. Que tous les systèmes qu'on a proposés en ce genre
aient échoué jusqu'ici, je n'en suis point étonné : même, à égalité d'a-
vantages et de défau'.s. l'ancienne méthode devoit sans contredit l'em-
porter , puisque , pour détruire un système établi , il faut que celui qu'on
veut substituer lui soit préférable, non-seulement en les considérant
chacun en lui-même et par ce qu'il a de propre , mais encore en joignant
au premier toutes les raisons d'ancienneté et tous les préjugés qui le
fortiflent.
C'est ce cas de préférence où le mien me paroît être , et où l'on re-
connoîtra qu'il est en effet, s'il conserve les avantages de la méthode
ordinaire, s'il en sauve les inconvéniens, et enfin s'il résout les objec-
tions extérieures qu'on oppose à toute nouveauté de ce genre, indépen-
damment de ce qu'el e est en soi-même.
A l'égard des deux premiers points, ils seront discutés dans le corps
de l'ouvrage, et l'on ne peut savoir à quoi s'en tenir qu'après l'avoir lu.
Pour le troisième, rien n'est si simple à décider; il ne faut pour cela
qu'exposer le but même de mon projet, et les effets qui doivent résulter
Je son exécution.
Le système que je propose roule sur deux objets principaux : l'un de
noter la musique et toutes ses difficultés d'une manière plus simple,
plus commode, et sous un moindre volume.
Le second et le plus considérable est de la rendre aussi aisée à ap-
prendre qu'elle a été rebutante jusqu'à présent, d'en réduire les signes
à un plus petit nombre, sans rien retrancher de l'expression, et d'en
abréger les règles de façon à faire un jeu de la théorie, et à n'en lendre
la pratique dépendante que de l'habitude des organes, sans que la diffi-
culté de la note y puisse jamais entrer pour rien.
Il est aisé de justifier par l'expérience qu'on apprend la musique en
deux et trois fois moins de temps par ma méthode que par la méthode
ordinaire-, que les musiciens formés par elle seront plus sûrs que les
autres à égalité de science; et qu'enfin sa facilité est telle, que, quand
on voudroit s'en tenir à la musique ordinaire, il faudroit toujours com-
mencer par la mienne pour y parvenir pius sûrement et en moins de
temps. Proposition qui, toute paradoxe qu'elle paroît, ne laisse pas
d'être exactement vraie, tant par le fait que par la démonstration. Or,
ces faits supposés vrais, toutes les objections tombent d'elles-mêmes et
PRÉFACE. 263
sans ressource. En premier lieu, la musique notée suivant l'ancien sys-
tème ne sera point inutile, et il ne faudra point se tourmenter pour la
jeter au feu , puisque les élèves de ma méthode parviendront à chanter
à livre ouvert sur la musique ordinaire en moins de temps encore, y
compris celui qu'ils auront donné à la mienne, qu'on ne le fait commu-
nément. Comme ils sauront donc également l'une et l'autre sans y avoir
employé plus de temps, on ne pourra pas déjà dire à l'égard de ceux-là
que l'ancienne musique est inutile.
Supposons des écoliers qui n'aient pas des années à sacrifier, et qui
veuillent bien se contenter de savoir en sept ou huit mois de temps
chanter à livre ouvert sur ma note . je dis que la musique ordinaire ne
sera pas même perdue pour eux. A la vérité, au bout de ce temps-là ils
ne la sauront pas exécuter à livre ouvert: peut-être même ne la déchif-
freront-ils pas' sans peine: mais enfin ils la déchiffreront : car, comme
ils auront d'ailleurs Thabitudede la mesure et celle de l'intonation, il
suffira de sacrifier cinq ou six leçons dans le septième mois à leur en ex-
pliquer les principes par ceux qui leur seront déjà connus, pour les
mettre en état d'y parvenir aisément par eux-mêmes, et sans le secours
d'aucun maître: et quand ils ne voudroient pas se donner ce soin, tou-
jours seront-ils capables de traduire sur-le-champ toute sorte de musique
par la leur, et par conséquent ils seroient en état d"en tirer parti même
dans un temps où elle est encore indéchiffrable pour les écoliers ordi-
naires.
Les maîtres ne doivent pas craindre de redevenir écoliers : ma mé-
thode est si simple qu'elle n'a besoin que d'être lue , et non pas étudiée ;
et j'ai lieu de croire que les difficultés qu'ils y trouveroient viendroient
plus des dispositions de leur esprit que de l'obscurité du système, puis-
que des dames, à qui j'ai eu l'honneur de l'exf liquer , ont chanté sur-
le-champ . et à livre ouvert . de la musique notée suivant cette méthode ,
et ont elles-mêmes noté des airs fort correctement, tandis que des mu-
siciens du premier ordre auroient peut-être afl'eLté de n'y rien com-
prendre.
Les musiciens, je dis du moins le plus grand nombre, ne se piquent
guère de juger des choses sans préjugés et sans passion; et communé-
ment ils les considèrent bien moins par ce qu'elles sont en elles-mêmes
que par le rapport qu'elles peuvent avoir à leur intérêt. Il est vrai que,
même en ce sens-là, ils n'auroient nul sujet de s'opposer au succès de
mon système, puisque, dès qu'il est publié, ils en sont les maîtres
aussi bien que moi. et que la facilité qu'il introduit dans la musique
devant naturellement lui donner un cours plus universel, ils n'en seront
que plus occupés en contribuant à le répandre. Il est cependant très-
probable qu'ils ne s'y livreront pas les premiers, et qu'il n'y a que 1
goût décidé du public qui puisse les engager à cultiver un système
dont les avantages paroissent autant d'innovations dangereuses contre la
difficulté de leur art.
Quand je parle des musiciens en général , je ne prétends point y con-
fondre ceux d'entre ces messieurs qui font l'honneur de cet art p tr leur
caractère et par leurs lumières. Il n'est que trop connu que ce qu'on
264 DISSERTATION SUR LA MUSIQUE MODERNE. 'Û
appelle peuple domine toujours par le nombre dans toutes les sociétés et
dans tous les États, mais il ne l'est pas moins qu'il y a partout des ex-
ceptions honorables; et tout ce qu'on pourroit dire en parliculiei contre
la profession de la musique, c'est que le peuple y est peut-être un peu
plus nombreux, et les exceptions plus rares.
Quoi qu'il en soit, quand on voudroit supposer et grossir tous les
obstacles qui peuvent arrêter l'effet de mon projet, on ne sauro t nier ce
fait, plus clair que le jour, qu'il y a dans Paris deux et trois mille per-
sonnes qui, avec beaucoup de dispositions, n'apprendront jamais la
musique par l'unique raison de sa longueur et de sa difficulté. Quand
je n'aurois travaillé que pour ceux-là, voilà déjà une utilité sans répli-
que. Et qu'on ne dise pas que cette méthode ne leur servira de rien pour
exécuter sur la musique ordinaire; car, outre que j'ai déjà répondu à
cette objection, il sera d'autant moins nécessaire pour eux d'y avoir re-
cours , qu'on aura soin de leur donner des éditions des meilleures pièces
de musique de toute espèce et des recueils périodiques d'airs à chanter
et de symphonies, en nitendant que le système soit assez répandu pour
en rendre l'usage universel.
Enfin, si l'on outroit assez la défiance pour s'imaginer que personne
n'adopteroit mon système, je dis que, même dans ce cas-là, il seroit
encore avantageux aux amateurs de l'art de le cultiver pour leur com-
modité particulière. Les exemples qu'on trouve notés à la fin de cet ou-
vrage feront assez comprendre les avantages de mes signes sur les signes
ordinaires , soit pour la facilité , soit pour la précision. On peut avoir en
cent occasions des airs à noter sans papier réglé; ma méthode vous en
donne un moyen très-commode et très-simple. Voulez-vous envoyer en
province des airs nouveaux , des scènes entières d'opéra ; sans augmenter
ïe volume de vos lettres, vous pouvez écrire sur la même feuille de
très-longs morceaux de musique. Voulez-vous, en composant, peindre
aux yeux le rapport de vos parties, le progrès de vos accords, et tout
l'état de votre harmonie; la pratique de mon système satisfait à tout
cela. Et je conclus enfin qu'à ne considérer ma méthode que comme
cette langue particulière des prêtres égyptiens qui ne servoit qu'à trai-
ter des sciences sublimes, elle seroit encore infiniment utile aux initiés
dans la musique, avec cette différence, qu'au lieu d'être plus difficile
elle seroit plus aisée que la langue ordinaire, et ne pourroit, par con-
séquent, être longtemps un mystère pour le public.
Il ne faut point regarder mon système comme un projet tendant à
détruire les anciens caractères. Je veux croire que cette entreprise seroit
chimérique, même avec la substitution la plus avantageuse; mais je
crois aussi que la commodité des miens, et surtout leur extrême facilité,
méritent toujours qu'on les cultive, indépendamment de ce que les au-
tres pourront devenir.
Au reste , dans l'état d'imperfection où sont depuis si longtemps les
signes de la musique, il n'est point extraordinaire que plusieurs per-
sonnes aient tenté de les refondre ou de les corriger. Il n'est pas même
bien étonnant que plusieurs se soient rencontrés dans le choix des si-
gnes les plus naturels et les plus propres à cette substitution, tels que
PRÉFACE. 2(5
sont les chiffres. Cependant, comme la plupart des hommes ne jugent
guère des choses que sur le premier coup d'œil , il pourra très-bien ar-
river que, par cette unique raison de l'usage des mêmes caractères, ou
m'accusera de n'avoir fait que copier, et de donner ici un syslèine re-
nouvelé. J'avoue qu'il est aisé de sentir que c'est bien moins le genre
des signes que la manière de les employer qui constitue la différence en
fait de systèmes : autrement il faudroit dire, par exemple, que l'algè-
bre et la langue françoise ne Font que la même chose, parce qu'on s'y
sert également des lettres de l'alphabet. Mais cette réflexion ne sera pas
probablement celle qui remportera: et il paroît si heureux, par une
seule objection , de m oter à la fois le mérite de l'invention , et de mettre
sur mon compte les vices des autres systèmes, qu'il est des gens capa-
bles d'; dopter cette critique uniquement à raison de sa commodité.
Quoiqu'un pareil reproche ne me fût pas tout à fait indifférent, j'y
serois bien moins sensible qu'à ceux qui pourroient tomber directement
sur mon système. Il importe beaucoup plus de savoir s'il est avantageux,
que d'en bien connoîlre 1'. uteur: et quand on me refuseroit l'honneur de
l'invention, je serois moins touché de celte injustice que du plaitir de
le voir utile au public. La seule grâce que j'ai droit de lui demander,
et que peu de gens m'accorderont, c'est de vouloir bien n'en juger
qu'après avoir lu mon ouvrage et ceux qu'on m'accuseroit d'avoir
copiés.
J"avois d'abord résolu de ne donner ici qu'un plan très-abrégé, et tel
à peu près qu'il étoit contenu dans le mémoire que j'eus l'honneur de
lire à l'Académie royale des sciences le 22 août 1742. J'ai réfléchi cepen-
dant qu'il falloit parler au public autrement qu'on ne parle à une aca-
démie, et qu'il y avoit bien des objections de toute espèce à prévenir.
Pour répondre donc à celles que j'ai pu prévoir, il a fallu faire quelques
additions qu; ont mis mon ouvrage en l'état où le voilà. J'attendrai
l'approbation du public pour en donner un autre, qui contiendra les
principes absolus de ma méthode tels qu'ils doivent être enseignés aux
écoliers. J"y traiterai dune nouvelle manière de chiffrer l'accompagne-
ment de l'orgue et du clavecin, entièrement différente de tout ce qui a
paru jusqu'ici dans ce genre , et telle qu'avtc quatre signes seulement
je chiffre toute sorte de basses contfnues de manière à rendre la modu-
lation et la basse fondamentale toujours parfaitement connues de l'ac-
compagnateur, sans qu'il lui soit possible de s'y tromper. Suivant cette
méthode, on peut, sans voir la basse figurée, accompagner très-juste
par les chiffres seuls, qui, au lieu d'avoir rapport à cette basse figurée,
l'ont directement à la fondamentale. Mais ce n'est pas ici le lieu d'en
dire davantage sur cet article.
Immulat animus ad pristina.
Lucr.
Il paroît étonnant que les signes de la musique étant restés aussi
longtemps dans l'état d'imperfection où nous les voyons encore aujour-
d'hui , la difficulté de l'apprendre n'ait pas averti le public que c'étoit la
2G6 DISSERTATION
fuile des caractères et non pas celle de l'art; ou que, s'en étant aperçu,
on n'ait pas daigné y remédier. Il est vrai qu'on a donné souvent des
projets en ce genre; mais, de tous ces projets, qui , sans avoir les avan-
tages de la musique ordinaire , en avoient les inconvéniens , aucun , que
je sache, n'a jusqu'ici touché le but, soit qu'une pratique trop superfi-
cielle ait fait échouer ceux qui l'ont voulu considérer théoriquement,
/oit que le génie étroit et borné des musiciens ordinaires les ait em-
pêchés d'emlirasser un plan général et raisonné, et de sentir les vrais
«Jàfauts de leur art, de la perfection actuelle duquel ils sont, pour l'or-
iinaire , très-entêtés.
La musique a eu le sort des arts qui ne se perfectionnent que succes-
sivement : les inventeurs de ses caractères n'ont songé qu'à l'état où
elle se trouvoit de leur temps, sans prévoir celui où elle pourroit par-
venir dans la suite. Il est arrivé de là que leur système s'est bientôt
trouvé défectueux, et d'autant plus défectueux . que l'art s'est plus per-
fectionné : à mesure qu'on avançoit, on établissoil des règles pour re-
médier aux inconvéniens présents , et pour multiplier une expression
trop bornée , qui ne pouvoit suffire aux nouvelles combinaisons dont on
la chargeoit tous les jours. En un mot, les inventeurs en ce genre,
comme le dit M. Sauveur, n'ayant eu en vue que quelques propriétés-
des sons, et surtout la pratique du chant qui éloit en usage de leur
temps, ils se sont contentés de faire, par rapport à cela, des systèmes
de musique que d'autres ont peu à peu changés, à mesure que le goût
de la musique changeoit. Or, il n'est pas possible qu'un système . fût-it
d'ailleurs le meilleur du monde dans son origine, ne se charge à la fin
d'embarras et de difficultés, par les changemens qu'on y fait et les
chevilles qu'on y ajoute; et cela ne sauroit jamais faire qu'un tout fort
embrouillé et fort mal assorti.
C'est le cas de la méthode que nous pratiquons aujourd'hui dans la
musique, en exceptant cependant la simplicité du principe, qui ne s'y
est jamais rencontrée : comme le fondement en est absolument mau-
vais, on ne l'a pas proprement gâté, on n'a fait que le rendre pire par,
les additions qu'on a été contraint d'y faire.
Il n'est pas aisé de savoir précisément en quel état étoit la musique
quand Gui d'Arezze' s'avisa de supprimer tous les caractères qu'on y em-
ployoit, pour leur substituer les notes qui sont en usage aujourd'hui.
Ce qu'il y a de vraisemblable, c'est que ces premiers caractères étoient
les mêmes avec lesquels les anciens Grecs exprimoient cette musique
merveilleuse , de laquelle , quoi qu'on en dise , la nôtre n'approchera ja-
ïflais quant à ses effets; et ce qu'il y a de sûr, c'est que Gui rendit un
fort mauvais service à la musique, et qu'il est fâcheux pour nous qu'il
n'ait pas trouvé en son chemin des musiciens aussi indociles que ceux
d'aujourd'hui.
Il n'est pas douteux que les lettres de Talphabet des Grecs ne fussent
en même temps les caractères de leur musique et les chiffres de leur
I. Soil Gui d'Arezze, soil Jean de Mure, le nom de l'auteur ne fait rien au
• système; et je no parle du premier que parce qu'il est plus connu.
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 267
irillimétique : de sorte qu'ils n'avoient besoin que d'une seule espèce
désignes, en tout au nombre de vingt-quatre, pour exprimer toutes
es variations du discours , tous les rapports des nombres , et toutes les
-^mbinaisons des sons; en quoi ils étoient bien plus sages ou plus heu-
eux que nous, qui sommes contraints de travailler notre imaginatioo-
;ur une multitude de signes inutilement diversifiés.
Mais, pour ne m'arrêler qu'à ce qui regarde mon sujet, comment se
leul-il qu'on ne s'aperçoive point de cette foule de difficultés qi-e
'usage des notes a introduites dans la musique; ou que, s'en aperce-
ant, on n'ait pas le courage d'en tenter le remède, d'essayer de la ra>
nener à sa première simplicité, et en un mot, de faire pour sa per-
ection ce que Gui d'Arezze a fait pour la gâter? car, en vérité, c'est
e root , et je le dis malgré moi.
J'ai voulu chercher les raisons dont cet auteur dut se servir pouf
'aire abolir l'ancien système en faveur du sien, et je n'en ai jamais pu
rouver d'autres que les deux suivantes : 1. les notes sont plus appa-
•entes que les chiffres; 2. et leur position exprime mieux à la vue la-
lauteur et l'abaissement des sons. Voilà donc les seuls principes sur
esquels notre Arélin bâtit un nouveau système de musique, anéantit
oute celle qui étoit en usage depuis deux mille ans, et apprit aux.
lomraes à chanter dilTicilement.
Pour trouver si Gui raisonnoit juste, même en admettant la vérité de-
;es deux propositions, la question se réduiroit à savoir si les yeux dol-
ent être ménagés aux dépens de l'esprit, et si la perfection d'une mé-
hode consiste à en rendre les signes plus sensibles en les rendant plus
îml)arrassans, car c'est précisément le cas de la sienne.
Mais nous sommes dispensés d'entrer là-dessus en discussion : puisque
;es dei^x propositions étant également fausses et ridicules, elles n'ont-
amais pu servir de fondement qu'à un très-mauvais système.
En premier lieu, on voit d'abord que les notes de la musique rem-
ilissant beaucoup plus de place que les chiffres auxquels on les sub-
ititue, on peut, en faisant ces chiffres beaucoup plus gros, les rendre
lu moins aussi visibles que les notes, sans occuper plus de volume : on
•oit. de plus, que la musique notée ayant des points, des quarts de-
;oui)ir , des lignes , des clefs , des dièses , et d'autres signes nécessaires ,
lUtant et plus menus que les chiffres, c'est par ces signes-là, et non
)ar la grosseur des notes, qu'il laut déterminer le point de vue.
En second lieu. Gui ne devoil pas faire sonner si haut l'utilité de la
position des notes, puisque, sans parler de cette foule d'inconvénient
lont elle est la cause, l'avantage qu'elle procure se trouve déjà tout
ifitier dans la musique naturelle, c'est-à-dire dans la musique par
•.hiffres : on y voit du premier coup d'œil, de même qu'à l'autre, si un
iOn est plus haut ou plus bas que celui qui le jirécede ou que celui qui
e suit; avec cette différence seulement, que, dans la méthode des
;hiffres, l'intervalle ou le rapport des deux sons qui le composent est
)récisémenl connu par la seule inspection, au lieu que, dans la mu-
sique ordinaire, vous connoissez à l'œil qu'il faut monter ou descen-
Ire, et vous ne connoissez rien de plus.
268 DISSERTATION
On ne sauroit croire quelle application, quelle persévérance, quel!
adroile mécanique est nécessaire dans le système établi pour acqué.i
passablement la science des intervalles et des rapports : c'est l'ouvrag
pénible d'une habitude toujours trop longue et jamais assez étendue
puisque, après une pratique de quinze et vingt ans, le musicien trouv
encore des sauts qui l'embarrassent, non-seulement quant à l'intoiia
tion, mais encore quant à la connoissance de l'intervalle, surtout lors
qu'il est question de sauter d'une clef à l'autre. Cet article mérite d'étr
approfondi , et j'en parlerai plus au long.
Le système de Gui est tout à fait comparable, quanta son idée,
celui d'un homme qui, ayant fait réflexion que les chiffres n'ont rie
dans leurs figures qui réponde à leurs différentes valeurs, proposeroi
d'établir entre eux une certaine grosseur relative et proportionnel!
aux nombres qu'ils expriment. Le deux , par exemple , seroit du doubl
plus gros que l'unité, le trois de la moitié plus gros que le deux, e
akisi de suite. Les défenseurs de ce système ne manqueroient pa
de vo"us prouver qu'il est très-avantageux dans l'arithmétique d'avoi
sous les yeux des caractères uniformes qui , sans aucune différence pa
la figure, n'en auroient que par la grandeur, et peindroient en quelqu
sorte aux yeux les rapports dont ils seroient l'expression. \\
Au reste, cette connoissance oculaire des hauts, des bas et des in|
tervalles, est si nécessaire dans la musique, qu'il n'y a personne qi
ne sente le ridicule de certains projets qui ont été quelquefois donne
pour noter sur une seule ligne par les caractères les plus bizarres , le;
plus mal imaginés, et les moins analogues à leur signification; de
queues tournées à droite, à gauche, en haut, en bas, et de biais, dar
tous les sens, pour représenter des ut, des ré , des mi, etc. , des tête
et des queues différemment situées pour répondre aux dénominatior
pa, ra, ga, so,bo, lo , do, ou d'autres signes tout aussi singulière
ment appliqués. On sent d'abord que tout cela ne dit rien aux yeux i
n'a nul rapport à ce qu'il doit signifier; et j'ose dire que les hommes r
trouveront jamais de caractères convenables ni naturels que les seu
chiffres pour exprimer les sons et tous leurs rapports. On en connoîti
mille fois les raisons dans le cours de celte lecture : en attendant,
suffit de remarquer que les chiffres étant l'expression qu'on a donnt'
aux nombres, et les nombres eux-mêmes étant les exposans de la génij
ration des sons, rien n'est si naturel que l'expression des divers soi!
]iar les chiffres de l'arithmétique. !
11 ne faut donc pas être surpris qu'on ait tenté quelquefois de rami}
ner la musique à cette expression naturelle. Pour peu qu'on réfléchis;!
sur cet art, non en musicien, mais en philosophe, on en sent bient
les défauts : l'on sent encore que ces défauts sont inhérens au for'
même du système et dépendans uniquement du mauvais choix et n(S
pas du mauvais usage de ces caractères; car d'ailleurs on ne saurcj
disconvenir qu'une longue pratique, suppléant en cela au raisonni
ment, ne nous ait appris à les combiner de la manière la plus avant
geuse qu'ils peuvent l'être.
Enfin le raisonnement nous mène encore jusqu'à connoi'.is sensib!'
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 269
nent que la musique dépendant des nombres, elle devroit avoir la
nême expression qu'eux; nécesbité qui ne naît pas seulement d'une
;ertaine convenance générale, mais du fond même des principes phy-
•iques de cet art.
Quand on est une fois parvenu là par une suite de raisonnemens bien
ondes et bien conséquens, c'est alors qu'il faut f,u'tter la philosophie
:t redevenir musicien; et c'est justement ce que n'a fait aucun de ceux
[ui, jusqu'à présent, ont proposé .des systèmes en ce genre. Les uns,
lartant quelquefois d'une théorie très-fine , n'ont jamais su venir à bout
le la ramener à l'usage ; et les autres, n'embrassant proprement que la
mécanique de leur art, n'ont pu remonter jusqu'aux grands principes
lu'ils ne connoissoient pas, et d'où cependant il faut nécessairement
iartir pour embrasser un système lié. Le défaut de pratique dans les
ms, le défaut de théorie dans les autres, et peut-être, s'il faut le dire,
e défaut de génie dans tous, ont fait que, jusqu'à présent, aucun des
)rojets qu'on a publiés n'a remédié aux inconvéniens de la musique or-
linaire, en conservant ses avantages.
Ce n'est pas qu'il se trouve une grande difficulté dans l'expression des
ons par les chifl'res, puisqu'on pourroit toujours les représenter en
lombre, ou par les degrés de leurs intervalles, ou par les rapports de
eurs vibrations; mais l'embarras d'employer une certaine multitude de
;hifl"res sans ramener les inconvéniens de la musique ordinaire, et le
)esoin de fixer le genre et la progression des sons par rapport à tous les
iifférens modes, demandent plus d'attenlian qu'il ne paroît d'abord:
;ar la question est proprement de trouver une méthode générale pour
•eprésenter, avec un très-petit nombre de caractères, tous les sons de
a musique considérés dans chacun des vingt-quatre modes.
Mais la grande difficulté où tous les inventeurs de systèmes ont échoué ,
î'est celle de l'expression des différentes durées des silences et des sons.
Trompés par les fausses règles de la musique ordinaire, ils n'ont jamais
ju s'élever au-dessus de l'idée des rondes, des noires et des croches; ils
se sont rendus les esclaves de cette mécanique, ils ont adopté les mau-
/aises relations qu'elle établit. Ainsi , pour donner aux notes des valeurs
iéterminées, il a fallu inventer de nouveaux signes, introduire dans
îhaque note une complication de figures par rapport à la durée et par
•apport au son; d'où s'ensuivant des inconvéniens que n'a pas la mu-
ique ordinaire, c'est avec raison que toutes ces méthodes sont tombées
ians le décri. Mais enfin les défauts de cet art n'en subsistent pas moins ,
pour avoir été comparés avec des défauts plus grands; et, quand on
publieroit encore mille méthodes plus mauvaises, on en seroit toujours
iu même point de la question , et tout cela ne rendroit pas plus parfaite
selle que nous pratiquons aujourd'hui.
Tout le monde , excepté les artistes , ne cesse de se plaindre de l'ex-
Irême longueur qu'exige l'étude de la musique avant que de la posséder
jpassablement ; mais , comme la musique est une des sciences sur lesquelles
i. on a le moins réfléchi, soit que le plaisir qu'on y prend nuise au sang-
froid nécessaire pour méditer, soit que ceux qui la pratiquent ne soient
pas trop communément gens à réflexion , on ne s'est guère aviséjusqu'ir.i
270 DISSERTATION
de rechercher les véritables causes de sa difficulté, et l'on a Injustement
taxé l'art même des défauts que l'artiste y avoit introduits.
On sent bien , à la vérité , que cette quantité de lignes , de clefs , de trans-
positions, de dièses, de bémols, de bécarres, de mesures simples et com-
posées, de rondes, de blanches, de noires, de croches, de doubles, de
triples croches, de pauses, de demi-pauses, de soupirs, de demi-sou-
pirs, de quarts de soupir, etc., donne une foule de signes et de com-
binaisons d'où résultent bien de l'embarras et bien des inconvéniens.
Mais quels sont précisément ces inconvéniens? Naissent-ils directement
de la musique elle-même, ou de la mauvaise manière de l'exprimer?
Sont-ils susceptibles de corrections? et quels sont les remèdes conve-
nables ([u'on y pourroit apporter? 11 est rare qu'on pousse l'examen
jusque-là; et, après avoir eu la patience pendant des années entières de
s'emplir lu tète de sons et la mémoire de verbiage, il arrive souvent
qu"on est tout étonné de ne rien concevoir à tout cela, qu'on prend en
dégoût la musique et le musicien , et qu'on laisse là l'un et l'autre , plus
convaincu de l'ennuyeuse difficulté de cet art que de ses charmes si
vaniés.
J'entreprends de justifier la musique des torts dont on l'accuse , et de
montrer qu'on peut, par des routes plus courtes et plus faciles, par-
venir à la posséder plus parfaitement et avec plus d'intelligence que
par la méthode ordinaire, afin que, si le public persiste à vouloir s'y
tenir, il ne s'en prenne du moins qu'à lui-même des difficultés qu'il y
trouvera.
Sans vouloir entrer ici dans le détail de tous les défauts du système
établi, j'aurai cependant occasion de parler des plus considérables; et il
sera bon d'y remarquer toujours que ces inconvéniens étant des suites
nécessaires du fond même de la méthode, il est absolument impossible
de les corriger autrement que par une refonte générale, telle que je h
propose; il reste à examiner si mon système remédie en etiet à tous ce
<léfauts sans en introduire d'équivalens, et c'est à cet examen que ci
petit ouvrage est destiné.
En général , on peut réduire tous les vices de la musique ordinain
à trois classes principales. La première est la multitude des signes e
de leurs combinaisons, qui surchargent inutilement l'esprit et la mé
moire des commençans; de façon que, l'oreille étant formée et le
organes ayant acquis toute la facilité nécessaire longtemps avant qu'o:
soit en état de chanter à livre ouvert, il s'ensuit que la difficulté es
toute dans l'observation des règles, et nullement dans l'exécution d
chant. La seconde est le défaut d'évidence dans le genre des intervalle
exprimés sur la même ou sur difi'érentes clefs; défaut d'une si grand
étendue, que non-seulement il est la cause principale de la lenteur d
progrès des écoliers, mais encore qu'il n'est point de musicien form
qui n'en soit quelquefois incommodé dans l'exécution. La troisièm
enfin est l'extrême diffusion des caractères et le trop grand volum
qu'ils occupent; ce qui, joint à ces lignes et à ces portées si ennuyeuat
à tracer, devient une source d'embairas de plus d'une espèce. Si le pw
mier mérite des signes d'institution est d'être clairs, le second est d'êti'
SUR L.\ MUSIQUE MODERNE. î>71
concis : quel jugement doit-on porter des notes de notre musique , à qui
l'un et l'autre manquent ?
Il paroît d'abord assez difficile de trouver une méthode qui puisse
lemédier à tous ces inconvéniens à la fois. Comment donner plus d'évi-
dence à nos signes , sans les augmenter en nombre , et comment les aug-
menter en nombre sans les rendre d'un côté plus longs à apprendre , plus
4ifficiles à retenir, et de l'autre plus étendus dans leur volume?
Cependant, à considérer la chose de près, on sent bientôt que tous
ces défauts partent de la même source; savoir, de la mauvaise institu-
tion des signes et de la quantité qu'il en a fallu établir pour suppléer à
l'expression bornée et mal entendue qu'on leur a donnée en premier
lieu; et il e<t démonstratif que dès qu'on aura inventé des signes équi-
valens, mais plus simples et en moindre quantité, ils auront par là
même plus de précision , et pourront exprimer autant de choses en moins
d'espace.
Il seroit avantageux, outre cela, que ces signes fussent déjà connus,
afin que l'attention fût moins partagée, et faciles à figurer, afin de
rendre la musique plus commode.
Voilà les vues que je me suis proposées en méditant le système que je
présente au public. Comme je destine un autre ouvrage au détail de ma
méttiode, telle qu'elle doit être enseignée aux écoliers, on n'en trou-
vera ici qu'un plan général, qui suffira pour en donner la parfaite In-
tel.igence aux personnes qui cultivent actuellement la musique , et dans
lequel j'espère, malgré sa brièveté, que la simplicité de mes principes
ne donnera lieu ni à l'obscurité ni à l'équivoque.
Il faut d'abord considérer dans la musique deux objets principaux
chacun séparément : le premier doit être l'expression de tous les sons
possibles : et l'autre , celle de toutes les différentes durées , tant des sons
5ue de leurs silences relatifs, ce qui comprend aussi la différence des
mouvemens.
, Comme la musique n'est qu'un enchaînement de sons qui se font
ntendre. ou tous ensemble, ou successivement, il suffit que tous c;s
,5ons aient des expressions relatives qui leur assignent a chacun la place
qu'il doit occupei par i apport à un certain son fondamental naturel ou
irbitraire, pourvu que ce son fo idaiiiental soit nettement exprimé, et
|ue la relation soit facile à concoître; avantages que n'a déjà point la
nusique ordinaire, où le son foLdamental n'a nulle éviùence parti-
;ul:è e, el où tous les rapports des notes ont besoin d'être longtemps
itudies.
Mais comment faut-il procéder pour déterminer ce son fondamental
le la manière la plus avantageuse qu'il est possible? C'est d'abord une
[ueition qui mérite fort d'être examinée. On voit déjà qu'il n'est aucun
«n dans la nature qui contienne quelque propriété particulière et
;onnue par laquelle on puisse le distinguer toutes les fois qu'on l'en-
,endra. Vous ne sauriez décider sur un son unique que ce soit un ut
Int'A qu'un Za ou un ré; et tant que vous l'entendiez seul vous n'y
J)ouvez rien apercevoir qui vous doive engager à lui attribuer un nom
plutôt qu'un autre. C'est ce qu'avoit déjà remarqué M. de Mairan. il n'y
272 DISSERTATION
a , ilit-il, dans la nature ni ut ni sol qui soit quinte ou quarte par si
même , parce que ut , sol ou ré n'existent qu'hypothétiquement selon
son fondamental que l'on a adopté. La sensation de chacun des tonsn'
rien en soi de propre à la place qu'il tient dans l'étendue du clavier,
rien qui le distingue des autres pris séparcment. Le ré de l'Opéra pour-
Toit êire lut de ctiapelle, ou au contraire-, la même vitesse, la même
fréquence de vibration qui constitue l'un pourra servir, quand on vou-
dra, à constituer l'autre; ils ne diffèrent dans le sentiment qu'en qua-
lité de plus haut ou de plus bas, comme huit vibrations, par exemple,
différent de neuf, et non pas dune différence spécifique de sensation.
Voilà donc tous les sons imaginables réduits à la seule faculté d'ex-
citer les sensations parles vibrations qui les produisent, et la propriété
spécifique de chacun d'eux réduite au nimbre particulier de ces vibra-
tions pendant un temps déterminé; or, comme il est impossible de
compter ces vibrations, du moins d'une manière directe, il reste dé-
montré qu'on ne peut trouver dans les sons aucune propriété spécifique
par laquelle on les puisse reconnoître séparément, et à plus forte raison
■ qu'il n'y a aucun d'eux qui mérite, par préférence, d'être distingué
de tous les autres et de servir de fondement aux rapports qu'ils ont
entre eux.
Il est vrai que M. Sauveur avoit proposé un moyen de déterminer un
son fixe qui eût servi de base à tous les Ions de l'échelle générale: mais
ses raisonnernens mêmes prouvent qu'il n'est point de son fixe dans la
nature: et l'artifice très-ingénieux et très-impraticable qu'il imagina
pour en trouver un arbitraire prouve encore combien il y a loin des
hypothèses, ou même, si l'on veut, des vérités de spéculation, aux
simples règles de pratique.
Voyons cependant si, en épiant la nature de plus près, nous ne
pourrons point nous dispenser de recourir à Fart pour établir un ou
plusieurs sons fondamentaux qui puissent nous servir de principe de
comparaison pour y rapporter tous les autres.
D'abord , comme nous ne travaillons que pour la pratique , dans la
recherche des sons, nous ne parlerons que de ceux qui composent le
système tempéré, tel qu'il est universellement adopté, comptant pour
rien ceux qui n'entrent point dans la pratique de notre musique, et
considérant comme justes sans exception tous les accords qui résultent
du tempérament. On verra bientôt que celte supposition, qui est la
même qu'on admet dans la musique ordinaire, n'ôtera rien à la va-
riété que le système tempéré introduit dans l'effet des différentes mo-
dulations.
En adoptant donc la suite de tous les sons du clavier, telle quelle
est pratiquée sur les orgues et les clavecins , l'expérience m'apprend
qu'un certain son auquel on a donné le nom d'ut , rendu par un tuyau-
long de seize pieds , ouvert , fait entendre assez distinctement , outre le
Bon principal, deux autres sons plus foibles, l'un à la tierce majeure.
et l'autre à la quinte', auxquels on a donné les noms de mi et de soî,
4. C'csl-à-dire à la douzième, qui est la réplique de la quinte, et à la diT-
SUR LA ÏIUSIQUE MODERNE. 273
J'écris à part ces trois noms : et , cherchant uu tuyau à la quinte du pre-
mier qui rende le même son que je viens d'appeler sol ou son oclave ,
j'en trouve un de dix pieds huit pouces de longueur, le(]uel, outre le
son principal sol, en rend aussi deux autres, mais plus foiblement: je
les appelle si et ré. et je trouve qu'ils sont précisément en même rap-
port avec le sol, que le sol et le mi l'étoient avec l'ut; je les écris à la
suite des autres, omettant comme inutile d'écrire le sol une seconde
fois. Cherchant un troisième tuyau à l'unisson de la quinte ré , je trouve
qu'il rend encore deux autres sons, outre le son principal re, et tou-
jours en même proportion que les précédens; je les appelle /"a et la'.
et je les écris encore à la suite des précédens. En continuant de même
sur le la . je trouverois encore deux autres sons : mais , comme j'aperçois
que la quinte est ce même mi qui a fait la tierce du premier son ut. je
m'arrête là, pour ne pas redoubler inutilement mes expéiiences, et j'ai
les sept noms suivans, repondant au premier son ut et aux six autres
que j'ai trouvés de deux en deux :
Ut , mi , sol , si , ré , fa , la.
Rapprochant ensuite tous ces sons par octaves dans les plus petits
intervalles où je puis les placer, je les trouve rangés de celte sorte :
Ut, ré. vii. fa, sol, la. si.
Et ces sept notes ainsi rangées indiquent justement le progrès diato-
nique aflecté au mode majeur par la nature même : or, comme le pre-
mier son uf a servi de principe et de base à tous les autres , nous le
prendrons pour ce son fondamental que nous avions cherché , parce qu'il
est hien réellement la source et l'origine d'où sont émanés tous ceux
qui le suivent. Parcouiir ainsi tous les sons de cette échelle, en com-
mençant et finissant par le son fondamental , et en préférant toujours
les premiers engendrés aux derniers, c'est ce qu'on appelle moduler
dans le ton d'ut majeur, et c'est là proprement la gamme fondamentale,
qu'on est convenu J-appeler naturelle préférablement aux autres, et qui
sert de règle de comparaison pour y conformer les sons fondamentaux
de tous les tons praticables. Au reste, il est bien évident qu'en prenant
le son rendu par tout autre tuyau pour le son fondamental ut , nous se-
rions parvenus par des sons différens à une progression toute sembla-
seplième, qui est la duplique de la tierce majeure. L'ociave, même plusieurs
octaves s'entendent aussi assez dislinclement, et s'enlendioieni bien mieux
encore si l'oreille ne les confondoil quelquefois avec le son principal.
K Le /a qui fait la tierce majeure du re se trouve, par conséquent, dièse
dans cette progression; et il faut avouer qu'il n'est pas aisé de développer
loi-igine du /a naturel considéré comme quatrième note du ton : mais il y
luroit làdcssus des observations à faire qui nous mèneroient loin, el qui ne
SiToienlpas pro[iresà cet ouvrage. Au reste, nous devons d'autant moins nous
arrêter à cette légère exce|jtion, qu'on peut démonirer que le /« naturel ne
siiuroil être, traité dans le ton d'ut que comme dissonance ou préparation à la
dissonance.
274 DISSERTATION
ble , et que par conséquent ce choix n'est quo de pure convention, et
tout aussi arbitraire que celui d'un tel ou tel méridien pour déterminer
les degrés de longitude.
Il suit de là que ce que nous avons fait en prenant ut pour base de ',
notre opération , nous le pouvons faire de même en commençant par un
des dix sons qui le suivent, à notre choix, et qu'appelant ut ce nouveau
son fondamental, nous arriverons à la même progression que ci-devant,
cl nous trouverons tout de nouveau :
Ut , ré, mi, fa, sol , la , si;
avec cette unique différence , que ces derniers sons étant placés à ^éga^l^
de leur son fondamental de la même manière que les précédens l'étoient
à l'égard du leur, et ces deux sons fondamentaux étant pris sur diffe-
rens tuyaux, il s'ensuit que leurs sons correspondans sont aussi ren-
dus par différens tuyaux, et que le premier ut, par exemple, n'étani
pas le même que le second, le premier ré n'est pas non plus le même
que le second.
A présent, l'un de ces deux tons étant pris pour le naturel, si vous- 'A
voulez savoir ce que les différens sons du second sont à l'égard du ^
premier, vous n'avez qu'à chercher à quel son naturel du premier loa
se rapporte le fondamental du second , et le même rapport subsistera
toujours entre les sons de même dénomination de l'un et de l'autre-
ton dans les octaves correspondantes. Supposant, par exemple, que-
Yut du second ton soit un sol au. naturel, c'est-à-dire à la quinte de-
l'ut naturel, le ré du second ton sera sûrement un la naturel, c'esl-
à-dire la quinte du ré naturel; le mi sera un si, le fo-un w(, etc.:
et alors on dira qu'on est au ton majeur de sol, c'est-à-dire qu'on a
pris le sol naturel pour en faire le son fondamental d'un autre ton
majeur.
Mais si, au lieu de m'arrèter en la dans l'expérience des trois sons
rendus par chaque tuyau , j'avois continué ma progression de quinte en
quinte jusqu'à me retrouver au premier ut d'où j'étois parti d'abord , ou
à l'une de ses octaves, alors j'aurois passé par cinq nouveaux sons
altérés des premiers, lesquels font avec eux la somme de douze sons
différens renfermés dans l'étendue de l'oclave, et faisant ensemble ce
qu'on appelle les douze cordes du système chromatique.
Ces douze sons, répliqués à différentes octaves, font toute l'étendue
de l'échelle générale , sans qu'il puisse jamais s'en présenter aucun au-
tre, du moins dans le système tempéré, puisque, après avoir parcouru
de quinte en quinte tous les sons que les tuyaux faisoient entendre , je
suis arrivé à la réplique du premier par lequel j'avois commencé,
et que par conséquent, en poursuivant la même opération, je n'au-
rois jamais que les répliques, c'est-à-dire les octaves des sons précé-
dens.
La méthode que la nature m'a indiquée , et que j'ai suivie pour trou-
ver la génération de tous les ; ons pratiqués dans la musique , m'apprend
donc en premier lieu, non pas à trouver un son fondamental propre-
ment dit, qui n'iîxiste point, mais à tirer d'un son établi par con-
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 275
vention tous les mêmes avantages qu'il pourroit avoir s'il étoit réelle-
ment fondamental , c'est-à-dire à en faire réellement l'origine et 1(
générateur de tous les autres sons qui sont en usage, et qui n'y peu-
vent être qu'en conséquence de certains rapports déterminés qu'ils ont
avec lui , comme les touches du clavier à l'égard du C sol ut.
Elle m'apprend, en second lieu, qu'après avoir déterminé le rapport
de chacun de ces sons .avec le fondamental , on peut à son tour le con-
sidérer comme fondamental lui-même, puisque, le tuyau qui le rend
faisant entendre sa tierce majeure et sa quinte aussi bien que le fonda-
mental, on trouve, en partant de ce son-là comme générateur, une
gamme qui ne diffère en rien, quant à sa progression, de la gamme
établie en premier lieu; c'est-à-dire, en un mot, que chaque touche du
clavier peut et doit même être considérée sous deux sens tout à fait dif-
férens. Suivant le premier, cette touche représente un son relatif au
C sol ut , et qui , en cette qualité , s'appelle ré , ou mi , ou sol , etc. , se-
lon qu'il est le second, le troisième, ou le cinquième degré de l'octave
renfermée entre deux ut naturels. Suivant le second sens, elle est le
fondement d'un ton majeur, et alors elle doit constamment porter le
nom d'M(; et toutes les autres touches ne devant être considérées que
par les rapports qu'elles ont avec la fondamentale, c'est ce rapport qui
détermine alors le nom qu'elles doivent porter, suivant le degré qu'elles
occupent. Comme l'octave renferme douze sons, il faut indiquer celui
qu'on choisit, et alors c'est un la ou un ré , etc. , naturel; cela déter-
mine le son : mais quand il faut le rendre fondamental et y fixer le ton ,
alors c'est constamment un m(, et cela détermine le progrès.
; Il résulte de cette explication que chacun des douze sons de l'octave
ï peut être fondamental ou relatif, suivant la manière dont il sera em-
' ployé : avec cette distinction, que la disposition de Vut naturel dans
< l'échelle des tons le rend fondamental naturellement, mais qu'il peut
> toujours devenir relatif à tout autre son que l'on voudra choisir pour
J- fondamental; au lieu que ces autres sons, naturellement relatifs à
celui d'wf , ne deviennent fondamentaux que par une détermination par-
' ticulière. Au reste, il est évident que c'est la nature même qui nous
" conduit à cette distinction de fondement et de rapports dans les sons :
: chaque son peut être fondamental naturellement, puisqu'il fait enten-
■\._dre ses harmoniques, c'est-à-dire sa tierce majeure et sa quinte, qui
; sont les cordes essentielles du ton dont il est le fondement; et chaque
l son peut encore être naturellement relatif, puisqu'il n'en est aucun qui
^- ne soit une des harmoniques ou des cordes essentielles d'un autre son
[ fondamental , et qui n'en puisse être engendré en cette qualité. On verra
l dans la suite pourquoi j'ai insisté sur ces observations.
L Nous avons donc douze sons qui servent de fondemens ou de toni-
I ques aux douze tons majeurs pratiqués dans la musique ^ et qui , en
5". cette qualité , sont parfaitement semblables quant aux modifications qui
* résultent de chacun d'eux, traité comme fondamental. A l'égard du
mode mineur, il ne nous est point indiqué par la nature; et comme
nous ne trouvons aucun son qui en fasse entendre les harmoniques,
«ous pouvons concevoir qu'il n'a point de son fondamental absolu, et
276 DISSERTATION
qu'il ne petit exister qu'en vertu du rapport qu'il a avec le mode ma-
jeur dont il est engendré, comme il est aisé de le faire voir '.
Le premier olijet que nous devons donc nous proposer dans l'institu-
tion de nos nouveaux signes, c'est d'en imaginer d'abord un qui désigne
ncUemenl, dans toutes les occasions, la corde fondamentale que l'on
prétend établir, et le rapport qu'elle a avec la fondamentale de compa-
raison, c'est-à-dire avec Vtit naturel.
Supposons ce signe déjà choisi. La fondamentale étant déterminée,
il s'agira d'exprimer tous les autres sons par le rapport qu'ils ont avec
elle, car c'est elle seule qui en détermine le progrès et les altérations.
Ce n'est pas, à la vérité, ce qu'on pratique dans la musique ordinaire,
où les sons sont exprimés constamment par certains noms déterminés,
qui ont un rapport direct aux touches des instrumens et à la gamme
naturelle, sans égard au ton où l'on est, ni à la fondamentale qui le dé-
termine. Mais comme il est ici question de ce qu'il convient le mieux de
faire, et non pas de ce qu'on fait actuellement, est -on moins en droit
de rejeter une mauvaise pratique, si je fais voir que celle que je lui
substitue mérite la préférence, qu'on le seroit de quitter un mauvais
guide pour un autre qui vous montreroit un chemin plus commode et
plus court? et ne se moqueroit-on pas du premier, s'il vouloit vous con-
traindre à le suivre toujours, par cette unique raison qu'il vous égare
depuis longtemps?
Ces considérations nous mènent directement au choix des chiffres pour
exprimer les sons de la musique, puisque les chiffres ne marquent que
des rapports , et que l'expression des sons n'est aussi que celle des rap-
ports qu'ils ont entre eux. Aussi avons-nous déjà remarqué que les Grec
ne se servoient des lettres de leur alphabet à cet usage , que parce
que ces lettres étoient en même temps les chiffres de leur arithmétique;
au lieu que les caractères de notre alphabet, ne portant point commu-
nément avec eux les idées de nombres ni de rapports , ne seroient pas ,
à beaucoup près , si propres à les exprimer.
Il ne faut pas s'étonner après cela si l'on a tenté si souvent de substi-
tuer les chiflres aux notes de la musique : c'étoit assurément le service
le plus important que l'on eût pu rendre à cet art, si ceux qui l'ont en-
trepris avoient eu la patience ou les lumières nécessaires pour embras-
ser un système général dans toute son étendue. Le grand nombre des
tentatives qu'on a faites sur ce point fait voir qu'on sent depuis long-
temps les défauts des caractères établis. Mais il fait voir encore qu'il est
bien plus aisé de les apercevoir que de les corriger : faut- il conclure
de là que la chose est impossible ?
Nous voilà donc déjà déterminés sur le choix des caractères : il est
question maintenant de réfléchir sur la meilleure manière de les appli-
quer. Il est sûr que cela demande quelque soin : car s'il n'étoit question
que d'exprimer tous les sons par autant de chiffres différens , il n'y au-
roit pas là grande difficulté; mais aussi n'y auroit-il pas non plus grand
i. Voy. M. Rameau, Nouveau système, p. 21 ; et Traité de Vkarmonigf
p. 42 el la
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 277
mérite, et ce seroit ramener dans la musique une confusion encore pire
que celle qui naît de la position des notes.
Pour m'éloigner le moins qu'il est possible de l'esprit fie la méthode
ordinaire, je ne ferai d'abord attention qu'au clavier naturel , c'est-à-
dire aux touches noires de l'orgue et du clavecin, réservant pour les
autres des signes d'altération semblables à ceux qui se pratiquent com-
munément; ou plutôt, pour me fixer par une idée plus universelle, je
considérerai seulement le progrès et le rapport des sons affectés au mode
majeur, faisant abstraction à la modulation et aux changemens de ton,
bien sûr qu'en faisant régulièrement l'application de mes caractères, la
fécondité de mon principe suffira à tout.
De plus, comme toute l'étendue du clavier n'est qu'une suite de plu-
sieurs octaves redoublées , je me contenterai d'en considérer une à part ,
et je chercherai ensuite un moyen d'appliquer successivement à toutes
les mêmes caractères que j'aurai affectés aux sons de celle-ci. Par là
je me conformerai à la fois à l'usage, qui donne les mêmes noms aux
notes correspondantes des différentes octaves ; à mon oreille , qui se plaît
à en confondre les sons; à la raison, qui ma fait voir les mêmes rap-
ports multipliés entre les nombres qui les expriment; et enfin je corri-
gerai un des grands défauts de la musique ordinaire , qui est d anéantir
par une position vicieuse l'analogie et la ressemblance qui doit toujours
se trouver entre les difl"érentes octaves.
Il y a deux manières de considérer les sons et les rapports qu'ils ont
entre eux : l'une, par leur génération, c'est-à-dire par les diff"érentes
longueurs des cordes ou des tuyaux qui les font entendre; et l'autre,
par les intervalles qui les séparent du grave à l'aigu.
A l'égard de la première , elle ne sauroit être de nulle conséquence
dans l'établissement de nos signes, soit parce qu'il faudroit de trop
grands nombres pour les exprimer, soit enfin parce que de tels nom-
bres ne sont de nul avantage pour la facilité de l'intonation, qui doit
être ici notre grand objet.
Au contraire , la seconde manière de considérer les sons par leurs in-
tervalles renferme un nombre infini d'utilités : c'est sur elle qu'est
fondé le système de la position, tel qu'il est pratiqué actuellement. Il
est vrai que, suivant ce système, les notes n'ayant rien en elles-mêmes,
ni dans l'espace qui les sépare , qui vous indique clairement le genre de
l'intervalle, il faut ânonner un temps infini avant que d'avoir acquis
toute l'habitude nécessaire pour le reconnoître au premier coup d'œil.
Mais comme ce défaut vient uniquement du mauvais choix des signes,
on n'en peut rien conclure contre le principe sur lequel ils sont établis;
et l'on verra bientôt comment au contraire on tire de ce principe tous
les avantages qui peuvent rendre l'intonation aisée à apprendre et à
pratiquer. *
Prenant ut pour ce son fondamental auquel tous les autres doivent se
rapporter, et l'exprimant par le chiffre 1 , nous aurons à sa suite
l'expression des sept sons naturels, ut, re, mi , fa , sol, la, si. par les
sept chiffres 1. 2, 3, 4, 5, 6, 7; de façon que, tant que le chant
roulera dans l'étendue de ces sept sons, il suffira de les noter cha-
278 DISSERTATION
cun par son chiffre correspondant, pour les exprimer tous sans équi-'
voque.
Il est évideiU que cette manière de noter conserve pleinement l'avan-
tage si vanté de la position; car vous connoissez à l'œil, aussi claue-
nient qu'il est possible, si un son est plus haut ou plus bas qu'un au-
tre : vous voyez parfaitement qu'il faut monter pour aller de l'I au 5 , et
qu'il faut descendre pour aller du 4 au 2 : cela ne souffre pas la moindre
réplique.
Mais je ne m'étendrai pas ici sur cet article, et je me contenterai de
toucher, à la fin de cet ouvrage, les principales réflexions qui naissent
de la comparaison des deux méthodes. Si l'on suit mon projet avec
quelque attention, elles se présenteront d'elles-mêmes à chaque instant,
et, en laissant à mes lecteurs le plaisir de me prévenir, j'espère me
procurer la gloire d'avoir pensé comme eux.
Les sept premiers chiffres ainsi disposés marqueront, outre les degrés
de leurs intervalles, celui que chaque son occupe à l'égard du son fon-
damental ttJ, de façon qu'il n'est aucun intervalle dont l'expression par
chiffres ne vous présente un double rapport : le premier, entre les deux
sons qui le composent; et le second , entre chacun d'eux et le son fon-
damental.
Soit donc établi que le chiffre 1 s'appellera toujours ut, 2 s'appellera
toujours re , 3 toujours mi, etc. , conformément à l'ordre suivant :
1, 2, 3, 4, 5, G, 7.
Ut, ré, mi, fa, sol, la, si.
Mais quand i\ est question de sortir de cette étendue pour passer
dans d'autres octaves, alors cela forme une nouvelle difficulté; car il
faut nécessairement multiplier les chiffres, ou suppléer à cela par quel
^,_^ _ouveau signe qui détermine l'octave où l'on chante : autrement
Vut d'en haut étant écrit 1 auss' bien que Vut d'en bas, le musicien ne
pourroit éviter de les confondre, et l'équivoque auroit lieu nécessai-
rement.
C'est ici le cas où la position peut être admise avec tous les avantages
qu'elle a dans la musique ordinaire, sans en conserver ni les embarras
ni la difficulté. Établissons une ligne horizontale, sur laquelle nous
disposerons toutes les notes renfermées dans la même octave, c'est à-
dire depuis et compris Vut d'en bas jusqu'à celui d'en haut exclusive-
ment. Faut-il passer dans l'octave qui commence à l'iit d'en haut, nous
placerons nos chiffres au-dessus de la ligne. Voulons-nous au contraire
passer dans l'octave inférieure, laquelle commence en descendant par
le si qui suit Vut posé sur la ligne, alors nous les placerons au-dessous
de la même ligne; c'est-à-dire que la position, qu'on est contraint de
changer à chaque degré dans la musique ordinaire, ne (Rangera dans
la mienne qu'à chaque octave, et aura par conséquent six fois moins.de
combinaisons. (Voy. la planche II, exemple 1.)
Après ce premier ut, je descends au sol de l'octave inférieure : je re-
viens à mon ut, et, après avoir fait le mi et le sol de la même octave,
je passe à Vut d'en haut, c'est-à-dire à Vut qui commence l'octave supé-
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 279
rieure : je reiletcends ensuite jusqu'au sol d'en bas , par lequel je reviens
finir à mon premier ut.
Vous pouvez voir dans ces exemples (voy. la planche II, exemples 1 et 2)
comment le progrès de la voix est toujours annoncé aux yeux, ou pai
les différentes valeurs des chiffres, s'ils sont de la même octave, ou par
leurs différentes positions, si leurs octaves sont différentes.
Cette mécanique est si simple qu'on la conçoit du premier regaid, et
la pratique en est la chose du monde la plus aisée. Avec une seule ligne
vous modulez dans l'étendue de trois octaves; et, s'il se trou voit que
vous voulussiez passer encore au delà, ce qui n'arrivera guère dans une
musique sage, vous avez toujours la liberté d'ajouter des lignes acci-
dentelles en haut et en bas, comme dans la musique ordinaire.: avec la
didérence que dan» celle-ci il faut onze lignes pour trois octaves, tan-
dis qu'il n'en faut qu'une dans la mienne, et que je puis exprimer
l'étendue de cinq„ six, et près de sept octaves, c'est-à-dire beaucoup
plus que n'a d'étendue le grand clavier, avec trois lignes seulement.
Il ne faut pas confondre la position, telle que ma méthode l'adopte,
avec celle qui se pratique dans la musique ordinaire; les principes en
sont tout différens. La musique ordinaire n'a en vue que de vous indi-
quer des intervalles et de disposer en quelque façon vos organes par
l'aspect du plus grand ou moindre éloigneraent des notes, sans s'e.-n
barrasser de distinguer assez bien le genre de ces intervalles, ni le
ilegré de cet éloignement, pour en rendre la connoissance indépendante
de l'habitude. Au contraire, la connoissance des intervalles, qui fait
proprement le fond de la science du musicien, m'a paru un point si
important, que j'ai cru en devoir faire l'objet essentiel de ma méthode.
L'explication suivante montre comment on parvient, par mes caractères,
à déterminer tous les intervalles possibles par leurs genres et par leurs
noins, sans autre peine que celle de lire une fois ces remarques.
Nous distinguons d'abord les intervalles en directs et renversés, et
les uns et les autres encore en simples et redoublés.
Je vais définir chacun de ces intervalles considéré dans mon système.
L'intervalle direct est celui qui est compris entre deux sons dont les
chiffres sont d'accord avec le progrès, c'est-à-dire que le son le plus
haut doit avoir aussi le plus grand chiffre , et le son le plus bas le chiffre
le plus petit. (Voy. la planche II, exemple 3.)
L'intervalle renversé est celui dont le progrès est contrarié par les
chiffres; c'est-à-dire que, si l'intervalle monte, le second chiffre est le
plus petit; et si l'intervalle descend, le second chiffre est le plus grand.
{■Voy. la planche 11 , exemple 4.)
L'intervalle simple est celui qui ne passe pas l'étendue d'une octave.
(■Voy. la planche 11 , exemple 5.)
L'intervalle redoublé est celui qui passe l'étendue d'une octave. Il est
toujours la réplique d'un intervalle simple. CVoy. exemple 6.)
Quand vous entrez d'une octave dans la suivante, c'est-à-dire que
vous passez de la ligne au-dessus ou au-dessous d'elle, ou vice versa,
l'intervalle est simph s'il est renversé; mais s'il estdirect, il sera tou-
jours redoublé.
280 DISSERTATION
Cette courte explication suffit pour connoître à fond le genre de tout
intervalle possible. Il faut à présent apprendre à en trouver le nom sur-
k-champ.
Tous les intervalles peuvent être considérés comme formés des trois
premiers inlervalles simples, qui sont la seconde, la tierce, la quarte,
dont les conipléraens à l'octave sont la septième, la sixte et la quinte;
à quoi, si vous ajoutez cette octave elle-même, vous aurez tous les
intervalles simples sans exception.
Pour trouver donc le nom de tout intervalle simple direct, il ne faut ■
qu'ajouter l'unité à la différence des deux chiffres qui l'expriment. Soit,
par exemple, cet intervalle 1 , 5; la difiérence des deux chiffres est 4, à
quoi ajoutant l'unité vous avez 5, c'est-à-dire la quinte pour le nom de
cet intervalle ; il en seroit de même si vous aviez eu 2 , 6 , ou 7 , 3 , etc.
Soit cet autre intervalle 4 , 6 ; la différence est 1 , à quoi ajoutant l'unité ,
vous avez 2 , c'est-à-dire une seconde pour le nom de cet intervalle. La
règle est générale.
Si l'intervalle direct est redoublé, après avoir procédé comme ci-
devant, il faut ajouter? pour chaque octave, et vous aurez encore très-
exactement le nom de votre intervalle. Par exemple, vous voyez déjà
que — 1-2-est une tierce redoublée; ajoutez donc 7 à 3, et vous aurez 10,
c'est-à-dire une dixième pour le nom de votre intervalle.
Si l'intervalle est renversé, prenez le complément du direct, c'est le
nom de" votre intervalle : ainsi parce que la sixte est le complément de
la tierce, et que cet intervalle — l-j-est une tierce renversée, je trouve
que c'est une sixte; si de plus il est redoublé, ajoutez-y autant de fois
7 qu'il y a d'octaves. Avec ce peu de règles , dans quelque cas que vous
soyez, vous pouvez nommer sur-le-champ, et sans le moindre em-
barras, quelque intervalle qu'on vous présente.
Voyons donc, sur ce que je viens d'expliquer, à quel point nous som-
mes parvenus dans l'art de solfier par la méthode que je propose.
D'abord, toutes les notes sont connues sans exception; il n'a pas fallu
bien de la peine pour retenir les noms de 7 caractères uniques, qui
sont les seuls dont on ait à charger sa mémoire pour l'expression des
sons; qu'on apprenne à les entonner juste en montant et en descendant
diatoniquement et par intervalles, et nous voilà tout d'un coup débar-
rassés des difficultés de la position.
A le bien prendre, la connoissance des intervalles, par rapport à la
nomination, n'est pas d'une nécessité absolue, pourvu qu'on connoisse
bien le ton d'où l'on part, et qu'on sache trouver celui où l'on va. On
peut entonner exactement l'ut et le fa sans savoir qu'on fait une quarte ,
et sûrement cela seroit toujours bien moins nécessaire par ma méthode
que par la commune , où la connoissance nette et précise des notes ne
peut suppléer à celle des intervalles ; au lieu que dans la mienne , quand
l'intervalle seroit inconnu, les deux notes qui le composent seroiens
toujours évidentes, sans qu'on pût jamais s'y tromper, dans quelque
ton et à quelque clef que l'on fût. Cependant tous les avantages se trou-
veiit ici tellement réunis, qu'au moyen de trois ou quatre observations
»rès- simples voilà mon écolier en état de nommer hardiment tout inter-
I SUR LA MUSIQUE MODERNE. 281
valie possible , soit sur ]a même partie , so't en sautant de l'une à l'autre ,
et d'en savoir plus à cet égard dans une heure d'application que des
luusiciens de dix ou douze ans de pratique : car on doit remarquer que
les opérations dont je viens de parler se font tout d'un coup par l'esprit
et avec une rapidité bien éloignée des longues gradations indispensalîles
dans la musique ordinaire pour arriver à la connoissance des inter-
valles, et qu'enfin les règles sero'ent toujours préférables à l'habitude,
soit pour la certitude , soit pour la brièveté , quand même elles ne feroieut
que produire le même effet.
Mais ce n'est rien d'être parvenu jusqu'ici : il est d'autres objets à
considérer et d'autres difficultés à surmonter.
Quand j'ai ci- devant affecté le nom d'ut au son fondamental de la
gamme naturelle , je n'ai fait que me conformer à l'esprit de la première
institution du nom des notes, et à l'usage général des musiciens: et,
quand j'ai dit que la fondamentale de chaque ton avoit le même droit
de porter le nom d'ut que ce premier son , à qui il n'est affecté par au-
cune propriété particulière, j'ai encore été autorisé par la pratique uni-
verselle de cette méthode qu'on appelle transposition dans la musique
vocale.
Pour effacer tout scrupule qu'on pourroit concevoir à cet égard, il
faut expliquer ma pensée avec un peu plus d'étendue. Le nom d'ut doit-il"
être nécessairement et toujours celui d'une louche fixe du clavier, ou
doit-il au contraire être appliqué préférablemcnt à la fondamentale de
chaque ton? c'est la question qu'il s'agit de discuter.
A l'entendre énoncer de cette juanière. on pourroit peut-être s'inîa-
giner que ce n'est ici qu'une question de mots. Cependant elle influe
trop dans la pratique pour être méprisée; il s'agit moins des noms en
eux-mêmes que de déterminer les idées qu'on leur doit attacher, et sur
lesquelles on n'a pas été trop bien d'accord jusqu'ici.
Demandez à une personne qui chante ce que c'est qu'un ut , elle vous
dira que c'est le premier ton de la gamme : demandez la même chose à
un joueur d'instrumens, il vous répondra que c'est une telle touche de
ton violon ou de son clavecin, ils ont tous deux raison: ils s'accordent
même en un sens, et s'accorderoient tout à fait, si l'un ne se représen-
toit pas cette gamme comme mobile , et l'autre cet ut comme invariable.
Puisque l'on est convenu d'un certain son à peu près fixe pour y
régler la portée des voix et le diapason des instruraens. il faut que ce
son ait nécessairement un nom, et un nom fixe comme le son qu'il ex-
prime; donnons-lui le nom d'ut, j'y consens-. Réglons ensuite sur ce
nom-là tous ceux des différens sons de l'échelle générale, afin que nous
puissions indiquer le rapport qu'ils ont avec lui et avec les différentes
touches des instrumens : j'y consens encore , et jusque-là le symphoniste
a raison.
Mais ces sons auxquels nous venons de donner des noms, ei ces tou-
ches qui les font entendre , .sont disposés de telle manière qu'ils ont
entre eux et avec la touche ul certains rapports qui constituent propre-
ment ce qu'on appelle ton: et ce ton, dont ut est la fondamentale, est
celui que fon> entendre les touches noires de l'orgue et du clavecin
^282 DISSERTATION
quand on les joue dans un certain orJre, sans qu'il soit possible d'em-
ployer toutes les mêmes touches pour quelque autre ton dont ut ne
seroil pas la fondamentale, ni d'employer dans celui d'wt aucune des
touches blanches du clavier, lesquelles n'ont même aucun nom propre .
et en prennent de difTérens, s'appelant tantôt dièses et tantôt bémols, j
-suivant les tons dans lesquels elles sont employées.
Or, quand on veut établir une autre fondamentale, il faut nécessai
reraent faire un tel choix des sons qu'on veut employer, qu'ils aient
avec elle précisément les mêmes rapports que le re, le mi, le sol, et
tous les aulres sons de la gamme naturelle, avoient avec I'm^. C'est le
cas où le chanteur a droit de dire au symphoniste : « Pourquoi ne vous
servez vous pas des mêmes noms pour exprimer les mêmes rapports?» Au
reste, je crois peu nécessaire de remarquer qu'il faudroit toujours dé-
terminer la fondamentale par son nom naturel, et que c'est seulement
après celle détermination qu'elle prendroit le nom à'vt.
Il est vrai qu'en affectant toujours les mêmes noms aux mêmes touches
de l'instrument et aux mêmes notes de la musique, il semble d'abord
qu'on établit un rapport plus direct entre cette note et cette touche, et
que l'une excite plus aisément l'idée de l'autre qu'on ne feroit en cher-
chant toujours une égalité de rapports entre les chiffres des notes et le
chiffre fondamental d'un côté, et de l'autre entre le son fondamental et
les touches de 1 instrument.
On peut voir que je ne tâche pas d'énerver la force de l'objection;
oserai-je me flatter à mon tour que les préjugés n'ôteront rien à celle de
mes réponses?
D'abord je remarquerai que le rapport fixé par les mêmes noms entre
les touches de l'instrument et les notes de la musique a bien des excep-
tions et des difficultés au.xquelles on ne faitpas toujours assez d'attention.
Nous avons trois clefs dans la musique, et ces trois clefs ont huit
positions; ainsi , suivant ces différentes positions, voilà huit touches dif-
férentes pour la même position, et huit positions pour la même touche,
et pour chaque touche de l'instrument : il est certain que cette multi-
plication d'idées nuit à leur netteté ; il y a même bien des symphonistes
qui ne les possèdent jamais toutes à un certain point, quoique toutes
les huit clefs soient d'usage sur plusieurs instrumens.
Mais renfermons-nous dans l'examen de ce qui arrive sur une seule
clef. On s'imagine que la même note doit toujours exprimer l'idée de la
même touche, et cependant cela est très- faux : car, par des accidens
fort communs, causés par les dièses et les bémols, il arrive à tout mo-
ment, non-seulement que la note si devient la touche ut, que la note
mt devient la touche fa, et réciproquement, mais encore qu'une note
diésée à la clef, et diésée par accident, moate d'un ton tout entier,
qu'un fa devient un sol, un ut un ré, etc.; et qu'au contraire, par un
double bémol, un mi deviendra un re, un si un la, et ainsi des autres.
Où en est donc la précision de nos idées? Quoi ! je vois un sol , et il faut
que je touche un la! Est-ce là ce rapport si juste, si vanté, auquel on
-veut sacrifier celui de la modulation ?
Je ne nie pas cependant qu'il n'y ait quelque chose île très-ingénieux
SUR LA MUSIQUE MODKRNE. 283
dans l'invention des accidens ajoutés à la clef pour indiquer, non pas
les différens tons , car ils ne sont pas toujours connus par là, mais les
différentes altérations qu'ils causent. Ils n'expliquent pas mal la théorie
des progressions ; c'est dommage qu'ils fassent acheter si cher cet avan-
tage par la peine qu'ils donnent dans la pratique du chant et des inslru-
mens. Que me sert, à moi, de savoir qu'un tel demi-ton a changé de
4)iace, et que de là on l'a transporté là pour en faire une noie sensible,
vne quatrième ou une sixième note . si d'ailleurs je ne puis venir à bout
ie l'exécuter sans me donner la torture , et s'il faut que je me souvienne
exactement de ces cinq dièses ou de ces cinq bémols pour les appliquer
à toutes les notes que je trouverai sur les mêmes positions ou à l'oc-
tave, et cela précisément dans le temps que l'exécution devient la plus
embarrassante par la difficulté particulière de l'instrument? Mais ne
nous imaginons pas que les musiciens se donnent cette peine dans la
pratique ; ils sjivent une autre route bien plus commode , et il n'y a pas
un habile homme parmi eux qui . après avoir préludé dans le ton où il
doit jouer, ne fasse plus d'attention au degré du ton où il se trouve et
dont ilconnoît la progression, qu'au dièse ou au bémol qui l'affecte.
En général, ce qu'on appelle chanter et exécuter au naturel est peut-
être ce qu'il y a de plus mal imaginé dans la musique; car si les noms
des notes ont quelque utilité réelle, ce ne peut être que pour exprimer
certains rapports, certaines affections déterminées dans les progressions
des sons. Or, dès que le ton change, le rapport des sons et la progres-
sion changeant aussi , la raison dit qu'il faut de même changer les noms
des notes en les rapportant par analogie au nouveau ton, sans quoi l'on
renverse le sens des noms, et l'on ôte aux mots le seul avantage qu'ils
puissent avoir, qui est d'exciter d'autres idées avec celles des sons. Le
passage du mi au fa, ou du si à {'ut, excite naturellement dans l'esprit
du musicien l'idée du demi-ton. Cependant, si l'on est dans le ton de si
ou dans celui de mi, l'intervalle du si à Vut ou du mi au fa est toujours'
d'un ton et jamais d'un demi-ton : donc, au lieu de leur conserver des
noms qui trompent l'esprit et qui choquent l'oreille exercée par une
différente habitude, il est important de leur en appliquer d'autres dont
le sens connu ne soit point contradictoire, et annonce les intervalles
qu'ils doivent exprimer. Or, tous les rapports des sons du système dia-
tonique se trouvent exprimés, dans le majeur, tant en montant qu'en
descendant, dans l'octave comprise entre deux ut, suivant l'ordre na-
turel; et, dans le mineur, dans l'octave comprise entre deux la, sui-
vant le même ordre en descendant seulement; car, en montant, le mode
mineur est assujetti à des affections différentes, qui présentent de nou-
velles réflexions pour la théorie, lesquelles ne sont pas aujourd'hui de
mon sujet, et qui ne font rien au système que je propose.
Je ne disconviens pas qu'à l'égard des instrumens ma méthode ne
s'écarte beaucoup de l'esprit de la méthode ordinaire ; mais comme je ne
crois pas la méthode ordinaire extrêmement estimable, et que je crois
même d'en démontrer les défauts, il faudroit toujours, avant que de
me condamner par là, se mettre en état de me convaincre, non pas da
la différence, mais du désavantage de la mienne.
284 DISSERTATION
Continuons d'en expliquer la mécanique. Je reconnois dans la musique
douze sons ou cordes originales, l'un desquels est le C sol ut, qui sert
de fondement à la gamme naturelle : prendre un des autres sons pour
fondamental, c'est lui attribuer toutes les propriétés de l'ut; c'est pro-
prement transposer la gamme naturelle plus haut ou plus bas de tant de
degrés. Pour déterminer ce son fondamental , je me sers du mot corres-
pondant , c'est-à-dire du sol , du ré , du /a , etc. ; et je récris à la marge
au haut de l'air que je veux noter : alors ce sol ou ce re , qu'on peut ap-
peler la clef, devient ut ; et servant de fondement à un nouveau ton et
à une nouvelle gamme, toutes les notes du clavier lui deviennent rela-
tives, et ce n'est alors qu'en vertu du rapport qu'elles ont avec ce soa
fondamental qu'elles peuvent être employées.
C'est là, quoi qu'on en puisse dire, le vrai principe auquel il faut
s'attacher dans la composition , dans le prélude, et dans le chant; et si
vous prétendez conserver au.x notes leurs noms naturels, il faut néces-
sairement que vous les considériez tout à la fois sous une double rela-
tion; savoir, par rapport au C sol ut et à la gamme naturelle, et par
rapport au son fondamental particulier, sur lequel vous êtes contraint
d'en régler le progrès et les altérations. 11 n'y a qu'un ignorant qui joue
des dièses et des bémols sans penser au ton dans lequel il est; alors
Dieu sait quelle justesse il peut y avoir dans son jeu.
Pour former donc un élève suivant ma méthode (je parle de l'instru-
ment, car pour le chant la chose est si aisée qu'il seroit superflu de s'y
arrêter), il faut d'abord lui apprendre à connoître et à toucher par leur
nom naturel , c'est-à-dire sur la cleiul , toutes les touches de son instru-
ment. Ces premiers noms lui doivent servir de règle pour trouver en-
suite les autres fondamentales, et toutes les modulations possibles des
tons majeurs , auxquels seuls il suffit de faire attention , comme je l'ex-
pliquerai bientôt.
Je viens ensuite à la clef soi; et, après lui avoir fait toucher le sol ,
ie l'avertis que ce sol , devenant la fondamentale du ton, doit alors s'ap
peler ut, et je lui fais parcourir sur cet ul toute la gamme naturelle eu
haut et en bas suivant l'étendue de son instrument : comme il y aura
quelque différence dans la touche ou dans la disposition des doigts à
cause du demi-ton transposé , je la lui ferai remarquer. Après l'avoir
exercé quelque temps sur ces deux tons, je l'amènerai à la clef r^; et
lui faisant appeler ut le ré naturel, je lui fais recommencer sur cet «1
une nouvelle gamme; et, parcourant ainsi toutes les fondamentales de
quinte en quinte , il se trouvera enfin dans le cas d'avoir préludé er„
mode majeur sur les douze cordes du système chromatique , et de con
noître parfaitement le rapport et les affections différentes de toutes les
louches de son instrument sur chacun de ces douze différens tons.
Alors je lui mets de la musique aisée entre les mains; la clef lui mon
tre quelle touche doit prendre la dénomination d'ut; et comme il* j
appris à trouver le mi et le soi, etr.. , c'est-à-dire la tierce majeure et li
quinte, etc., sur cette fondamentale, un 3 et un 5 sont bientôt poui
lui des signes familiers ; et si les mouveraens lui étoient connus. e|
que l'iastrumenl n'eût pas ses difficultés particulières, il seroit dès lonl
re
i'ï!
:«{
il
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 285
en état d'exécuter à livre ouvert toute sorte de musique sur tous les
tons et sur toutes les clefs. Mais avant que d'en dire davantage sur cet
article , il faut achever d'expliquer la partie qui regarde l'expression
des sons.
A l'égard du mode mineur, j'ai déjà remarqué que la nature ne nous
l'avoit point enseigné directement. Peut-être vient-il d'une suite de la
progression dont j'ai parlé dans l'expérience des tuyaux, où l'on trouve
qu'à ia quatrième quinte cet ut, qui avoit servi de fondement à l'opé-
ration, fait une tierce mineure avec le la, qui est alors le son fonda-
mental. Peut-être est-ce aussi de là que naît cette grande correspon-
dance entre le mode majeur ut et le mode mineur de sa sixième note,
et réciproquement entre le mode mineur la et le mode majeur de sa
médiante.
De plus , la progression des sons affectés au mode mineur est précisé-
ment la même qui se trouve dans Toctave comprise entre deux la,
puisque , suivant M. Rameau, il est essentiel au mode mineur d'avoir sa
tierce et sa sixte mineures, et qu'il n'y a que cette octave où, tous les
autres sons étant ordonnés comme ils doivent l'être , la tierce et la sixte
se trouvent mineures naturellement.
Prenant donc la pour le nom de la tonique des tons mineurs , et l'ex-
primant par le chiffre 6 , je laisserai toujours à sa médiante ut le privi-
lège d'être, non pas tonique, mais fondamentale caractéristique: je me
conformerai en cela à la nature, qui ne nous fait point connoître de
fondamentale proprement dite dans les tons mineurs, et je conserverai
à la fois l'uniformité dans les noms des notes et dans les chiffres qui les
expriment , et l'analogie qui se trouve entre les modes majeur et mineur ,
pris sur les deux cordes ut et la.
Mais cet ut qui , par la transposition , doit toujours êt'-e le nom de la
tonique dans les tons majeurs , et celui de la médiante dans les tons
mineurs, peut, par conséquent, être pris sur chacune des douze cordes
du système chromatique; et, pour la désigner, il suffira de mettre à la
marge le nom de cette corde prise sur le clavier dans l'ordre naturel.
On voit par là que si le chant est dans le ton d'ut majeur ou de la mi-
neur, il faudra écrire ut à la marge; si le chant est dans le ton de ré
majeur ou de si mineur , il faut écrire ré à la marge : pour le ton de mt
majeur ou d'ut dièse mineur , on écrira mi à la marge , et ainsi de suite ;
c'est-à-dire que la note écrite à la marge, ou la clef, désigne précisé-
ment la touche du clavier qui doif s'appeler ut , et par conséquent être
tonique dans le ton majeur, médiante dans le mineur, et fondamentale
dans tous les deux : sur quoi l'on remarquera que j'ai toujours appelé
cet ut fondamentale , et non pas tonique , parce qu'elle ne l'est que dans
les tons majeurs; mais qu'elle sert également de fondement à la relation
et au nom des notes , et même aux dfférenles octaves dans l'un et l'au-
tre mode. Mais, à le bien prendre, la connoissance de cette clef n'est
d'usage que pour les instrumens, et ceux qui chantent n'ont jamais
besoin d'y faire attention.
Il suit de là que la même clef sous le même nom d'ut désigne cepen-
dant deux tons différens; savoir, le majeur dont elle est toni jue , et ie
286 DISSERTATION 1
mineur dont elle est médiante , et dont par conséquent la tonique est
une tierce au-dessous d'elle. 11 suit encore que les mêmes noms des
notes et les notes affectées de la même manière, du moins en descen-
dant, servent également pour l'un et l'autre mode; de sorte que non-
seulement on n'a pas besoin de faire une étude particulière des modes-
mineurs, mais que même on seroit à la rigueur dispensé de les connoî-
Ire , les rapports exprimés par les mêmes chiffres n'étant point différens ,
quand la fondamentale est tonique , que (|uand elle est médiante : cepen-
dant, pour l'évidence du ton et pour la facilité du prélude , on écrira la
clef tout simplement quand elle sera tonique ; et quand elle sera médiante
on ajoutera au-dessous d'elle une petite ligne horizontale. (Voy. la
planche II, exemples 7 et 8.)
Il faut parler à présent des changemens de ton? mais comme les alté-
ralions accidentelles des sons s'y présentent souvent, et qu'elles ont
toujours lieu, dans le mode mineur, en montant de la dominante à la
tonique, je dois auparavant en expliquer les signes.
Le dièse s'exprime par une petite ligne oblique, qui croise la note en
montant de gauche à droite : sol dièse, par exemple, s'exprime ainsi 5:
fa dièse aiuii i. Le bémol s'exprime aussi par une semblable ligne quif
croise la note en descendant, ■7,,''3^; et ces signes, plus simples que ceux.
qui sont en usage , servent encore à montrer à l'œil le genre d'altération
qu'ils causent.
Pour le bécarre, il n'est devenu nécessaire que par le mauvais choix
du dièse et du bémol , parce qu'étant des caractères séparés des notes
qu'ils altèrent , s'il s'en trouve plusieurs de suite sous l'un ou l'autre de
ces signes , on ne peut jamais distinguer celles qui doivent être affectées ,
de celles qui ne le doivent pas, sans se servir du bécarre. Mais comme,
par mon système, le si.;ne de l'altération, outre la simplicité de sa
figure, a encore l'avantage d'être toujours inhérent à la note altérée, il
est clair que toutes celles auxquelles on ne le verra point devront être
exécutées au ton naturel qu'elles doivent avoir sur la fondamentale où.
l'on est. Je retranche donc le bécarre comme inutile; et je le retran-
che encore comme équivoque, puisqu'il est commun de le trouver
employé en deux sens tout opposés; car les uns s'en servent pour ôter
l'altération causée par les signes de la clef, et les autres, au contraire ,
pour remettre la note au ton qu'elle doit avoir conformément à ces-
mêmes signes
A l'égard des changemens de ton,' soit pour passer du majeur au mi-
neur, ou d'une tonique à une autre, il pourroit suffire de changer la
clef; mais comme il est extrêmiement avantageux de ne point rendre la
connoissance de cette clef nécessaire à ceux qui chantent, et que d'ail-
leurs il faudroit une certaine habitude pour trouver facilement le rap-
port d'une cîef à l'autre , voici la précaution qu'il y faut ajouter. Il n'est
question que d'exprimer la première note de ce changement de manière
à représenter ce qu'elle étoit dans le ton d'où Ton sort , et ce qu'elle est
dans celui où l'on entre. Pour cela, j'écris d'abord cette première note!
entre deux doubles li;.;nes perpendiculaires par le chiffre qui la repré-
sente dans le ton précédent , ajoutant au-dessus d'elle la clef ou le nom!
\
SUR LA iMUSIQUE MODERNE. 287
de ]a fondamentale du ton où l'on ra enirer; j'écris ensuite cette même
note pac le chiffre qui l'exprime dans le ton qu elle commence : de sorte
qu'eu égard à la suile du chant, le premier chiffre indique le ton de la
noie , el le second sert à en trouver le nom.
Vous voyez (pi. II . ex. 9) non-seulement que du ton de sol vous passez
dans celui à'ut, mais que la note fa du ton précédent est la même que
la note ut qui se trouve la première dans celui où vous entrez.
Dans cet autre exemple (voy. ex. 10). la première note ut du premier
changement seroit le mi bémol du mode précédent, et la première nole^
mi du second changement seroit Vv.t dièse du mode précédent; compa-
raison très-commode pour les voix et m Ime pour les instrumens . lesquels
ont de plus l'avantage du changement de clef. On y peut remarquer
aussi que, dans les changemens de mode, la fondamentale change tou-
jours, quoiqus la tonique reste la même, ce qui dépend des règles que
j'ai expliquées ci-devant.
Il resie dans l'étendue du clavier une difficulté dont il est temps de
parler. 11 ne suffit pas de connoître le progrès affecté à chaque mode , la
fonJamenlale qui lui est propre, si cette fondamentale est tonique'ou
raédiante, ni enfin de la savoir rapporter à la place qui lui convient
dans l'étendue de la gamme naturelle; mais il faut encore savoir à
quelle octave, et, en un mot , à quelle touche précise du clavier elle doit
appartenir.
Le grand clavier ordinaire a cinq octaves d'étendue , et je m'y borne-
rai pour cette explication, en remarquant seulement qu'on est "toujours
libre de le prolonger de part et d'autre tout aussi loin qu'on voudra,
sans rendre la note plus dinuse ni plus incommode.
Supposons donc que je sois à la clef d'ut, c'est-à-dire au son d'ut
majeur, ou de la mineur, qui constitue le clavier naturel : le clavier se
trouve alors disposé de sorte que , depuis le premier ul d'en bas jusqu'au
.dernier ut d'en haut, je trouve quatre octaves complètes, outre les deux
portions qui restent en haut et en bas entre Vut et le fa, qui terminent
le clavier de part et d'autre.
Jappille A la première octave comprise entre l'ut d'en bas et le sui-
yaut vers la droite, c'est-à-dire tout ce qui est renfermé entre 1 et 7
inclusivement. J'appelle B l'octave qui commence au sec;nd ut, comp-
tant de même vers la droite; C, la troisième: D, la quatrième, etc.,
jusqu'à E , où commence une cinquième octave qu'on pousseroit plus
haut si l'on vouloit. A l'égard de la poilion d'en bas, qui commence au
premier fa et se termine au premier si, comme elle est imparfaite, ne
eommer.çant point par la fondamentale, nous l'appellerons l'octave X;
et cet le lettre X servira, dans toute sorte de tons, à désigner les notes
qui resteront au bas du clavier , au-dessous de la première tonique.
Supposons que je veuille noter un air à la clef d'ut, c'est-à-dire au
lut majeur ou de la mineur . j'écrii ut au haut de la page à la marge ,
.e rends médiante ou tonique , suivant que j'y ajoute ou non la petite
; horizontale.
chant ainsi quelle corde doit être la fondamentale du ton, il n'est
plus question que de trouver day laquelle des cinq octaves roule-
•288 DISSERTATION
.lavanlaee le thant que j'ai à exprimer, et d'en écrire la lettre au corn-
Scemend la ligne sur laquelle je place mes notes. Les deux espaces
Tu dessus et au-dessous représenteront les étages cont.gus , et serviront
po'ur es notes qui peuvent'excéder en haut ou en bas ^ -tave repre-
ïntée par la lettre que j'ai mise au commencement de la ligne J ai déjà
marquYque si le chant se trouvoit assez bizarre pour passer cette eten-
duT on seLt touiours libre d'ajouter une ligne en haut ou en bas, co
oui neut quelquefois avoir lieu pour les mstrumens
^ Mais comme les octaves se comptent toujours d'une ^o^f^^'^^^^'J^
rautre et que ces fondamentales sont différentes, su.vant les diffeien
nn, m-; l'on est les octaves se prennent aussi sur différens degrés, et
sont tantôt pluJ hautes ou plus basses, suivant que leur fondamentale
^^P:l?î'p\ésl'teT'cUir?rnt-cette mécanique, j'ai joint ici (voy. la
Blanche ilWne table générale de tous les sons du clavier , ordonnes pa
Sppor? aux douze cordes du système chromatique prises successivement
^°0n y tiTTuilrmanière simple et sensible le progrès des différenj
sons par îapport au ton où Ton est. On verra aussi . par 1 exphcaior
uuanïï comment elle facilite la pratique des instramens, au point d.
n^n fa re qu^un jeu, non-seulement par rapport aux mstrumens a tou-
ches marquées comme le basson, le hautbois la flûte , a bas e d.
îioTe eTle'clavecin, mais encore à l'égard du violon, du violoncelle, e
dp mute autre espèce sans exception. u- ■ „ i^
Cet^e table représente toute l'étendue du clavier, combine sur le
douze cordes- le clavier naturel, où l'ut conserve son propre nom s
Jiouveic a' 'sixième rang marqué par une étoile à chaque extrémité
et c'est à ce rang que tous les autres doivent se rapporter , comme a
terme commun de comparaison. On voit qu'il s'étend depuis le fa d e
bas fusquTcelui d'en hLt, à la distance de cinq octaves, qui sont c
nn'nn aonelle le grand clavier. . . ■ ,
Tai dS dit que l'intervalle compris depuis le premier jusqua
premier 7 qui le suit vers la droite s'appelle A; que l'intervalle compr
SepSe second 1 jusqu'à l'autre 7 s'appelle l'octave B ; Vautre , l octa^
C etc jusqu'au cinquième 1 , où commence l'octave E, que je n
nôrtée ici que jusqu'au fa. A l'égard des quatre notes qui sont a
oauche du premier ut , j'ai dit encore qu'elles appartiennent a l'octave 1
à laauelle ie donne ainsi une lettre hors de rang pour exprimer q'
cet?e octave n'est pas complète, parce qu'il faudroit, pour parver
i usqu'à l'ut , descendre plus bas que le clavier ne le permet.
Mais si ie suis dans un autre ton, comme, par exemple, a la clef
re alors ce ré change de nom et devient ut; c'est pourquoi 1 octave
comprise depuis la première tonique jusqu'à la septième note est d
bTpIus élevée que l'octave correspondante du ton précèdent-, ce c,i
esl%'sé de voir par la table, puisque cet ut du troisième rang o est-
i e delà clef de r^, correspond au ré de la clef naturelle d u , .
eiueli tombe perpendiculairement ; et , par la même raison , 1 oc aN .
i p us de notes que la même octave de la clef d'ut, parce que les i
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 289
taves, en s'élevant davantage, s'éloignent de la plus basse note du
clavier.
Voilà pourquoi les octaves montent depuis la clef d'ut jusqu'à la clef
de mi^ et descendent depuis la même clef d'ut jusqu'à celle de fa; car
ce fa , qui est la plus basse note du clavier . devient alors fondamentale ,
et commence, par conséquent , la première octave A.
Tout ce qui est donc compris entre les deux premières lignes obliques
vers la gauche est toujours de l'octave A, mais à différens degrés,
suivant le ton où l'on est. La même touche, par exemple, sera ut
dans le ton majeur de mi, ré dans celui de re, mi dans celui d'ut,
fa dans celui de si, sol dans celui de la. la dans celui de sol. si dans
celui de fa. C'est toujours la même touche , parce que c'est la même
colonne; et c'est la même octave, parce que cette colonne est renfermée
entre les mêmes lignes obliques. Donnons un exemple de la façon d'ex-
primer le ton , l'octave et la touche , sans équivoque. (Voy. la planche II ,
ex. n.)
Cet exemple est à la clef de ré, il faut donc le rapporter au quatrième
rang répondant à la même clef; l'octave B, marquée sur la ligne,
montre que l'intervalle supérieur, dans lequel commence le chant,
répond à l'octave supérieure C ; ainsi la note 3 , marquée d'un o dans
la table , est justement celle qui répond à la première de cet exemple.
Ceci suffit pour faire entendre que dans chaque partie on doit mettre
sur le commencement de la ligne la lettre correspondante à l'octave
dans laquelle le chant de cette partie roule le plus, et que les espaces
qui sont au-dessus et au-dessous seront pour les octaves supérieure et
inférieure.
Les lignes horizontales servent à séparer, de demi-ton en demi-ton,
les différentes fondamentales dont les noms sont écrits à la droite de la
table.
Les lignes perpendiculaires montrent que toutes les notes traversées
delà même ligne ne sont toujours qu'une même touche, dont le nom
naturel, si elle en a un , se trouve au sixième rang, et les autres noms
dans les autres rangs de la même colonne, suivant les différens tons où
l'on est. Ces lignes perpendiculaires sont de deux sortes : les unes noires,
qui servent à montrer que les chiffres qu'elles joignent représentent une
touche naturelle; et les autres ponctuées, qui sont pour Jes touches
blanches ou altérées ; de façon qu'en quelque ton que l'on soit on peut
connoître sur-le-champ, par le moyen de cette table, quelles sont les
notes qu'il faut altérer pour exécuter dans ce ton-là.
Les clefs que vous voyez au commencement servent à déterminer
quelle note doit porter le nom d'ut, et à marquer le ton comme je l'ai
déjà dit ; il y en a cinq qui peuvent être doubles , parce que le bémol de
la supérieure marqué S, et le dièse de l'inférieure marqué d, produisent
le même effet'. Il ne sera pas mal cependant de s'en tenir aux déno-
1 . Ce n'est qu'en vertu du tempérament que la même touche peut servir
de dièse à l'une et de bémol à l'autre, puisque d'ailleurs personne n'ignore
que la somme de deux demi-tons mineurs ne sauroit faire un ton.
Rousseau vi 19
290 DISSERTATION
ininations que j'ai choisies, et qui, abstraction faite de toute autre rai-
son, sont du moins préférables parce qu'elles sont les plus usitées.
Il est encore aisé, par le moyen de celte table, de marquer précisé-
ment l'étendue de chaque partie, tant vocale qu'instrumentale, et la
place qu'elle occupera dans ces différentes octaves suivant le ton où
l'on sera.
Je suis convaincu qu'en suivant exactement les principes que je viens
d'expliquer, il n'est point de chant qu'on ne soit en état de solfier en
très-peu de temps , et de trouver de même sur quelque instruœeni que
ce soit, avec toute la facilité possible. Rappelons un peu en détail ce
que j'ai dit sur cet article.
Au lieu de commencer d'abord à faire exécuter machinalement des
airs à cet écolier, au lieu de lui faire toucher, tantôt des dièses, tantôt
des bémols, sans qu'il puisse concevoir pourquoi il le fait, que le pre-
mier soin du maître soit de lai faire connoître à fond tous les sons de
son instrument par rapport aux différens tons sur lesquels ils peuvent
être pratiqués.
Pour cela , après lui avoir appris les noms naturels de toutes les tou-
ches de son instrument, il faut lui présenter un autre point de vue, et
le rappeler à un principe général. Il connoît déjà tous les sons de l'oc-
tave suivant l'échelle naturelle, il est question à présent de lui en faire
faire l'analyse. Supposons-le devant un clavecin. Le clavier est divisé en
soixante et une touches; on lui explique que ces touches, prises succes-
sivement et sans distinction de blanches ni de noires, expriment des
sons qui, de giuche à droite, vont en s'élevant de demi-ton en demi-
ton. Prenant la touche ut pour fondement de notre opération, nous
trouverons toutes les autres de l'échelle naturelL' disposées à son égard
de la manière suivante :
La deuxième note, r^, à un ton d'intervalle vers la droite; c'est-à-
drre qu'il faut laisser une touche intermédiaire entre l'ut et le ré, pour
la division des deux demi-tons ;
La troisième, mi, à un autre ton du ré, et à deux tons de Vut; de
sorte qu'entre le ré et le mi il faut encore une touche intermédiaire;
La quatrième, fa, à. un demi-ton du mi et à deux tons et demi de
l'ut ; par conséquent le fa est la touche qui suit le mi immédiatement,
sans en laisser aucune entre deux ;
La cinquième , sol, k un ton du fa, et à, trois tons et demi de l'ut ; il
faut laisser une touche intermédiaire ;
La sixième, la, k un ton du sol, et à quatre tons et demi de Vut .
autre touche intermédiaire ;
La septième, si. à un ton du la, et à cinq tons et demi de l'ut, autre
touche intermédiaire;
La huitième , ut d'en haut , à demi-ton du si , et à six tons du premier
ut dont elle est l'octave; par conséquent le st est conligu à l'ut qui le
suit, sans touche intermédiaire.
En continuant ainsi tout le long du clavier, on n'y trouvera que la
Tépli({ue des mêmes intervalles , et l'écolier se les rendra aiséinent fami-
jers, de même que les chiffres qui les expriment et qui marquent leur
}
i\
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 201
«iistance de Vut fondamental. On lui fera remarquer qu'il y a une touclie
intermédiaire entre chaque degré de l'octave, excepté entre le mi et le
/a et entre le si et» Vut d'en haut, où l'on trouve deux intervalles de
demi-ton chacun, qui ont leur position fixe dans l'échelle.
On observera aussi qu'à la clef à'ut toutes les touches noires sont
justement celles qu'il faut prendre, et que toutes les blanches sont les
intermédiaires qu'il faut laisser. On ne cherchera point à lui faire
trouver du mystère dans cette distribution , et on lui dira seulement que ,
•comme le clavier seroit trop étendu ou les touches trop petites si elles
-étoient toutes uniformes, et que d'ailleurs la clef d'ut est la plus usitée
dans la musique , on a , pour plus de commodité , rejeté hors des inter-
valles les touches blanches, qui n'y sont que de peu d'usage. On se
gardera bien aussi d'affecter un air savant en lui parlant des tons et des
<iemi-tons majeurs et mineurs, des comma, du tempérament; tout cela
est absolumeut inutile à la pratique, du moins pour ce temps-là: en un
mot , pour peu qu'un maître ait d'esprit et qu'il possède son art , il a tant
d'occasions de briller en instruisant, qu'il est inexcusable quand sa va-
nité est à pure perte pour le disciple.
Quand on trouvera que l'écolier possède assez bien son clavier na-
turel, on commencera alors à le lui faire transposer sur d'autres clefs,
■en choisissant d'abord celles où les sons naturels sont le moins altérés.
Prenons, par e.xemple, la clef de sol.
Ce mot sol, direz-vous à l'écolier, écrit ainsi à la marge, signifia
qu'il faut transporter au sol et à son octave le nom et toutes les pro-
priétés de Vut et de la gamme naturelle. Ensuite, après l'avoir exhorté
à se rappeler la disposition des tons de cette gamme , vous l'inviterez à
l'appliquer dans le même ordre au sol considéré comme fondamental,
c'est-à-dire comme un ut. D'abord il sera question de trouver le ré; si
l'écolier est bien conduit, il le trouvera de lui-même et touchera le la
naturel, qui est précisément par rapport au sol dans la même situation
<jue le ré par rapport à Vut ; pour trouver le mi il touchera le si ; pour
trouver le fa il touchera Vut; et vous lui ferez remarquer qu'effective-
ment ces deux dernières touches donnent un demi-ton d'inlervalle in-
termédiaire . de même que le mi et le fa dans l'échelle naturelle. En
poursuivant de même, il touchera le re pour le soZ, etle mt pour le /a.
Jusqu'ici il n'aura trouvé que des touches naturelles pour exprimer dans
l'cctave sol l'échelle de l'octave ut; de sorte que si vous poursuivez, et
•que vous demandiez le si sans rien ajouter, il est presque immanquable
•qu'il louchera le fa naturel. Alors vous l'arrêterez là, et vous lui de-
manderez s'il ne se souvient pas qu'entre le la etle si naturel il a trouvé
un intervalle d'un ton et une touche intermédiaire; vous lui montrerez
en m-ème temps cet intervalle à la clef à'ut; et, revenant à celle de sol,
vous lui placerez le doigt sur le mi naturel que vous nommerez la en
■demandant où est le si. Alors il se corrigera sûrement et touchera le fa
-dièse: peut-être touchera-t-il le sol; mais au lieu de vous impatienter
il faut saisir cette occasion de lui expliquer si lien la règle des tons
«l demi-tons .par rapport à l'octave ut , et sans distinction de touches
noires et Manches, qu'il ne soit plus dans le cas de pouvoir s'y tromper.
292 DISSEUTATION
Alors il faut lui faire parcourir le clavier de haut en las, et de bas
en haut, en lui fais:int nommer les toucl es conformément à ce nouveau
ton; vous lui ferez aussi observer que la touche blanche qu'on y emploie
y devient nécessaire pour cousliluer le demi-ton qui doit être entre le
si et Yut d'en haut, et qui seroit sans cela entre le la et le si, ce qui
est contre l'ordre de la {.amme. Vous aurez soin surtout de lui faire con-
cevoir qu'à cette clef-là le sol naturel est réellement un ut , le la un re ,
le si un mi , etc. , de sorte que ces noms et la position de leurs touches
relatives lui deviennent aussi familiers qu'à la clef à'ut , et que , tant qu'il
est à la clef de sol , il n'envisage le clavier que par cette seconde exposition.
Quand on le trouvera suffisamment exercé, on le mettra à la clef de
rê avec les mêmes précautions , et on l'amènera aisément à y trouver de
lui-même le mi et le si sur deux touches blanches; cette troisième clef
achèvera de l'éclaircir sur la situation de tous les tons de l'échelle,
relativement à quelque fondamentale que ce soit; et vraisemblablement
il n'aura plus besoin d'explication pour trouver l'ordre des tons sur
toutes les autres fondamentales.
Il ne sera donc plus question que de l'habitude, et il dépendra beau-
coup du maître de contribuer à la former, s'il s'applique à faciliter à
l'écolier la pratique de tous les intervalles par des remarques sur la
position des doigts, qui lui en rendent bientôt la mécanique familière.
Après cela, de courtes explications suc le mode mineur, sur les allé-
rations qui lui sont propres , et sur celles qui naissent de la modulation
dans le cours d'une même pièce. Un écolier bien conduit par cette mé-
thode doitsavcir à fond son clavier sur tous les tons dans moins de trois
mois; donnons-lui-en six, au bout desquels nous partiions de là pour
le mettre à l'eiécution ; et je soutiens que, s'il a d'ailleurs quelque con-
noissance des mouvemens, il jouera dès lors à livre ouvert les airs
notés par mes caractères, ceux du moins qui ne demanderont pas une
grande habitude dans le doigter. Qu'il mette six autres: mois à se per-
fectionner la main et l'oreille, soit pour l'harmonie, soit p?ur la me-
sure, et voilà dans l'espace d'un an un musicien du premier ordre,
pratiquant également toutes les clefs, connoissant les modes et tous les
tons, toutes les cordes qui leur sont propres , toute la suite delà modu-
lation , et transposant toute pièce de musique dans toutes sortes de tons
avec la plus parfaite facilité.
C'est ce qui me paroît découler évidemment de la pratique de mon
système, et que je suis prêt de confirmer, non-seulement par des preu-
ves de raisonnement , mais par l'expérience , aux yeux de quiconque en
voudra voir l'effet.
Au reste , ce que j'ai dit du clavecin s'applique de même à tout autre
instrument, avec quelques légères différences par rapport aux instru-
mens à manche, qui naissent des différentes altérations propres à
chaque ton. Comme je n'écris ici que pour les maîtres à qui cela est
connu, je n'en dirai que ce qui est absolument nécessaire pour mettre
dans son jour une objection qu'on pourroit ra'opposer, et pour en don-
ner la solution.
C'est un fait d'expérience que les différens tons de la musique ont tous
II
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 293
certain caractère qui leur est propre, et qui les distingue chacun en
particulier. L'A mi la majeur, par exemple, est brillant; VFvA fa est
majestueux; le si bémol majeur est tragique; le fa mineur est triste;
['lit mineur est tendre ; et tous les autres tons ont de même , par préfé-
rence , je ne sais quelle aptitude à exciter tel ou tel sentiment, dont les
habiles maîtres savent bien se prévaloir. Or, puisque la modulation est
la même dans tous les tons majeurs, pourquoi un ton majeur exciteroit-
il une passion plutôt qu'un autre ton majeur? pourquoi le même pas-
sage du re au fa produit-il des eiïets différens quand il est pris sur dif-
férentes fondamentales, puisque le rapport demeure le même? pourquoi
cet air joué en A vii la ne rend-il plus cette expression qu'il avoit en G
ré sol? Il n'est pas ])ossible d'attribuer cette différence au changement
de fondamenlale, puisque, comme je l'ai dit, chacune de ces fonda-
mentales, prise séparément, n'a rien en elle qui puisse exciter d'autre
sentiment que celui du son haut ou bas qu'elle fait entendre. Ce n'est
point proprement par les sons que nous sommes touchés, c'est par les
rapports qu'ils ont entre eux; et c'est uniquement par le choix de ces
rapports charmans qu'une belle composition peut émouvoir le cœur en
flattant loreille. Or, si le rapport d'un ut à un sol, ou d'un rék un la,
est le même dans tous les tons, pourquoi produit-il différens effets ?
Peut-être trouveroit-on des musiciens embarrassés d'en expliquer la
raison ; et elle seroit en effet très-inexplicable , si l'on admettoit à la ri-
gueur cette identité de rapports dans les sons exprimés par les mêmes
noms et représentés par les mêmes intervalles sur tous les tons.
Mais ces rapports ont entre eux de légères différences, suivant les
cordes sur lesquelles ils sont pris; et ce sont ces différences, sipetites
en apparence, qui causent dans la musique cette variété d'expression,
sensible à toute oreille délicate, et sensible à tel point qu'ilest peu de
musiciens qui, en écoutant un concert, ne connoissent en quel ton l'on
exécute actuellement.
Comparons, par exemple, le C sol ut mineur et \eD la ré; voilà deux
modes mineurs desquels tous les sons sont exprimés par les mêmes in-
tervalles et par les mêmes noms , chacun relativement à sa tonique :
cependant l'affection n'est point la même, et il est incontestable que le
C sol ut est plus touchant que le D la ré. Pour en trouver la raison , il
faut entrer dans une recherche assez longue dont voici à peu près le
résultat. L'intervalle qui se trouve entre la tonique ré et sa seconde note
est un peu plus petit que celui qui se trouve entre la tonique du C sol
ut et sa seconde note : au contraire , le demi-ton qui se trouve entre la
seconde note et la médianle du D la ré est un peu plus grand que celui
qui est entre la seconde note et la médiante du C sol ut; de sorte que la
tierce mineure restant à peu près égale de part et d'autre, elle est par-
tagée dans le C sol ut en deux intervalles un peu plus inégaux que dans
le D la ré; ce qui rend l'intervalle du demi-ton plus petit de la même
quantité dont celui du ton est plus grand.
On trouve aussi, par l'accord ordinaire du clavecin, le demi-ton com-
pris entre le sol naturel et le la bémol un peu plus petit que celui qui
es t entre le 7a et le si bémol. Or, plus les deux sons qui forment un demi-
ï
£94 DISSERTATION
ton se rappoclient, el plus le passage est tendre et tojchant; c'est l'ex-
périence qui nous l'apprend, et c'est, je crois, la véritable raison pour
i.\ luel'.e le mode mineur du C sol ut nous attendrit plus que celui du.
/) la rc. Que si cependant la diminution vient jusqu'à causer de l'alléra-
liun à rtiarmonie , et jeter de la dureté dans le chant , alors le sentiment
^e cliange en tristesse, el c'est TefTet que nous éprouvons dans VF ut fa
mineur.
En continuant nos recherclies dans ce goût-là, peut être parvien-
drions-nous à peu près à trouver, par ces différences légères qui sub-
£i^lent dans k-s rapports des sons el des intervalles, les raisons des dif-
férens seulimens excités par les divers tons de la musique. Mais si l'on
vouloil aussi trouver la cause de ces différences, il faudroit entrer pour
cela dans un détail dont mon sujet me dispense, et qu'on trouvera suf-
lisamment expliqué dans les ouvrages de M. Rameau. Je me contenterai
de dire ici en général que, comme il a fallu, pour éviter de multiplier
les sons, faire servir les mêmes à plusieurs usages, on n'a pu y réussii
qu'en les altérant un peu; ce qui fait qu'eu égard à leurs différens rap-
ports , ils perdent quelque chose de la justesse qu'ils devroient avoir. Le
mi, par exemple, considéré comme tierce majeure d'uf , n'est point à la
rigueur le même mi qui doit faire la quinte du la; la différence est pe-
tite à la véri-lé, mais enfin elle existe, et, pour la faire évanouir, il a
fallu tempérer un peu cette quinte : par ce moyen on n'a employé que
le même son pour ces deux usages; mais de là vient aussi que le ton du
re au mi n'est pas de la même espèce que celui de Yui au re, et ainsi
des autres.
On pourroit donc me reprocher que j'anéantis ces différences par mes
nouveaux signes, et que par là même je détruis cette variété d'expres-
sion si avantageuse dans la musique. J'ai bien des choses à- répondre à
tout cela.
En premier lieu, le tempérament est un vrai défaut; c'est une altéra-
tion que l'art a causée à l'harmonie, faute d'avoir pu mieux faire. Les
harmoniques d'une corde ne nous donnent point de quinte tempérée , et
la mécanique du tempérament introduit dans la modulation des tons si
durs, par exemple le ré et le sol dièses, qu'ils ne sont pas supportables
à l'oreille. Ce ne seroil donc pas une faute que d'éviter ce défaut, et
surtout dans les caractères de la irfùsique , qui, ne participant pas au
vice de l'instrument, devroient, du moins par leur signification, con-
server toute la pureté de l'harmonie.
De plus, les altérations causées par les différens tons ne sont point
pratiquées par les voix; l'on n'entonne point, par exemple, l'intervalle
4 5 autrement que l'on entonneroit celui-ci 5 6, quoique cet intervalle-
ne soit pas tout à fait le même; et l'on module en chantant avec la
même justesse dans tous lestons, malgré les altérations particulières
que l'imperfection des instrumens introduit dans ces différens tons , et à
laquelle la voix ne se conforme jamais, à moins qu'elle n'y soit con-
trainte par l'unisson des instrumens.
La nature nous apprend à moduler sur tous les tons, précisément
dans toute la justesse des intervalles; les voix, conduites par elle , 1»
J
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 29r>
pratiquent exactement. Faut-il nous éloigner de ce qu'elle prescrit,
pour nous assujettir à une pratique défectueuse? et faut-il sacrifier.
non pas à l'avantage , mais au vice des instrumens , l'expression naturelle
du plus parfait de tous? C'est ici qu'on doit se rappeler tout ce que j'ai
dit ci-devant sur la génération des sons; et c'est par là qu'on se con-
vaincra que l'usage de mes signes n'est qu'une expression très-fidèle et
très-exacte des opérations de la nature.
En second lieu, dans les plus considérables instrumens, comme
l'orgue, le clavecin et la viole, les touches étant fixées, les altérations
'difl"érentes de chaque ton dépendent uniquement de l'accord, et elles
sont également pratiquées par ceux qui en jouent, quoiqu'ils n'y pen-
sent point. Il en est de même des flûtes, des hautbois, bassons et au-
tres instrumens à trous; les dispositions des doigts sont fixées pour
chaque son, et le seront de même par mes caractères, sans que les
écoliers pratiquent moins le tempérament pour n'en pas connoître
l'expression.
D ailleurs on ne sauroit me faire là-dessus aucune difficulté qui n'at-
taque en même temps la musique ordinaire, dans laquelle, bien loin
jue les petites différences des intervalles de même espèce soient indi-
juées par quelque marque, les différences spécifiques ne le sont même
3as, puisque les tierces ou les sixtes majeures et mineures sont expri-
mées par les mêmes intervalles et les mêmes positions, au lieu que,
lans mon système, les différens chiffres employés dans les intervalles
ie même dénomination font du moins connoître s'ils sont majeurs ou
uineurs.
Enfin, pour trancher tout d'un coup toute cette difficulté, c'est au
naître et à l'oreille à conduire l'écolier dans la pratique des diffé-
•ens tons et des altérations qui leur sont propres; la musique ordinaire
ie donne point de règles pour cette pratique que je ne puisse appliquer
i la mienne avec encore plus d'avantage; et les doigts de l'écolier se-
ont bien plus heureusement conduits, en lui faisant pratiquer sur son
iolon les intervalles, avec les altérations qui leur sont propres dans
ihaque ton en avançant ou reculant un peu le doigt , que par cette
ouïe de dièses et de bémols qui, faisant de plus petits intervalles entre
ux et ne contribuant point à former l'oreille, troublent l'écolier par
!es différences qui lui sont longtemps insensibles.
Si la perfection d'un système de musique consistoit à y pouvoir ex-
rimer une plus grande quantité de sons, il seroit aisé, en adoptant
elui de M. Sauveur, de diviser toute l'étendue d'une seule octave en
010 décamérides ou intervalles égaux, dont les sons seroient repré-
ntés par des notes différemment figurées ; mais de quoi serviroient
)us ces caractères , puisque la diversité des sons qu'ils exprimeroient
e seroit non plus à la portée de nos oreilles qu'à celle des organes de
otre voix ? Il n'est donc pas moins inutile qu'on apprenne à distinguer
ut double dièse du ré naturel , dès que nous sommes contraints de le
ratiquer sur ce même ré , et qu'on ne se trouvera jamais dans le cas
'exprimer en note la différence qui doit s'y trouver, parce que ces
eux sons ne peuvent être relatifs à la même modulation.
206 DISSERTATION
Tenons pour une maxime certaine que tous les sons d'un mode doivent
toujours être considérés par le rapport qu'ils ont avec la fondamentale
de ce mode-là: qu'ainsi les intervalles correspondans devroicnt être
parfailemenl éy:aux dans tous les tons de même espèce : aussi les con-
sidère-l-on comme tels dans la composition; et s'ils ne le sont pas à la ,
rigueur dans la pratique, les facteurs épuisent du moins toute leur ha- 3
l)iîeté dans l'accord . pour en rendre la différence insensible. |
Mais ce n'est pas ici le lieu de m'étendre davantage sur cet article. |
Si, de l'aveu de la plus savante académie de l'Europe, mon système a-
des avantages marqués par-dessus la méthode ordinaire pour la mti-
sique vocale , il me semble que ces avantages sont bien plus considé-
rables dans la partie instrumentale : du moins, j'exposerai les raisons
que j'ai de le croire ainsi; c'est à l'expérience à confirmer leur soli-
dité. Les musiciens ne manqueront pas de se récrier, et de dire qu'ils
exécutent avec la plus grande facilité par la méthode ordinaire, et
qu'ils font de leurs instrumens tout ce qu'on en peut faire par quelqu«
méthode que ce soit. D'accord : je les admire en ce point, et il ne
semble pas en effet qu'on puisse pousser l'exécution à un plus' haut de-
gré de perfection que celui où elle est aujourd'hui; mais enfin . quand
on leur fera voir qu'avec moins de temps et de peine on peut parvenir
plus sûrement à cette même perfection , peut-être seront-ils contraints
de convenir que les prodiges qu'ils opèrent ne sont pas tellement insé-
parables des barres, des noires et des croches, qu'on n'y puisse arriver
par d'autres chemins. Proprement, j'entreprends de leur prouver qu'ils
ont encore plus de mérite qu'ils ne pensoient, puisqu'ils suppléent par
la force de leurs talens aux défauts de la méthode dont ils se servent.
Si l'on a bien compris la partie de mon système que je viens d'expli-
quer, on sentira qu'elle donne une méthode générale pour exprimer
sans exception tous les sons usités dans la musique, non pas, à la vé-
rité, d'une manière absolue, mais relativement à un son fondamental
déterminé ; ce qui produit un avantage considérable en vous rendant
toujours présens le ton de la pièce et la suite de la modulation. Il me
reste maiatenant à donner une autre méthode encore plus facile pour i
pouvoir 1 oler tous ces mêmes sons de la même manière , sur un rang !
horizonta , sans jamais avoir besoin de lignes ni d'intervalles pour ex- •
primer les différentes octaves.
Pour y wppléer donc, je me sers du plus simple de tous les signes, ,,
c"est-à-din ! du point; et voici comment je le mets en usage. Si je sorsj
de l'octave par laquelle j'ai commencé pour faire une note dans l'éten-
due de l'OG lave supérieure, et qui commence à l'ut d'en haut, alors je
mets un po int au-dessus de cette note par laquelle je sors de mon oc-
tave; et, Ci ' point une fois placé, c'est un avis que non-seulement la
note sur la quelle il est . mais encore toutes celles qui la suivront sans
aucun signe qui le détruise , devront être prises dans l'étendue de cette
cctave supérieure où je suis entré. Par exemple,
Ut 0 13 5 13 5.
Le point que vous voyez sur le second w( marque que vous entrez U
SUR LA MUSIQUE MODERNE. '297
dans l'octave au-dessus de celle où vous avez commencé, et que, par
par conséquent, le 3 et le 5 qui suivent sont aussi de cette même oc-
tave supérieure , et ne sont point les mêmes que vous aviez entonnés
auparavant.
Au contraire . si je veux sortir de l'octave où je me trouve pour pas-
ser à celle qui est au-dessous, alors je mets le point sous la note par
laquelle j'y entre :
m d 5 I 1 5 3 1.
Ainsi , ce premier 5 étant le même que le dernier de l'exemple précé-
dent, par le point que vous voyez ici sous le second 5, vous êtes averti
que vous sortez de l'octave où vous étiez monté, pour rentrer dans
celle par où vous aviez commencé précédemment.
En un mot. quand le point est sur la note, vous passez dans l'octave
supérieure ; s'il est au-dessous , vous passez dans l'inférieure : et , quand
vous changeriez d'octave à chaque note, ou que vous voudriez monter
ou descendre de deux ou trois octaves tout d'un coup ou successive-
ment, la règle est toujours générale, et vous n'avez qu'à mettre autant
de points au-dessous ou au-dessus que vous avez d'octaves à descendre
ou à monter.
Ce n"est pas à dire qu'à chaque point vous montiez ou vous descen-
diez d'une octave; mais, à chaque point, vous entrez dans une octave
diiïérente, dans un autre étage, soit en montant, soit en descendant,
par rapport au son fondamental u(, lequel ainsi se trouve bien de la
même octave en descendant diatoniquement, mais non pas en montant.
Le point, dans cette façon de noter, équivaut aux lignes et aux inter-
valles de la précédente : tout ce qui est dans la même position appar-
tient au même point, et vous n'avez besoin d'un autre point que lorsque
vous passez dans une autre position, c'est-à-dire dans une autre oc-
tave. Sur quoi il faut remarquer que je ne me sers de ce mot d'octave
qu'abusivement et pour ne pas multiplier inutilement les termes . parce
que, proprement, l'étendue que je désigne par ce mot n'est remplie
que d'un étage de sept notes, Vut d'en haut n'y étant pas compris.
Voici une suite de notes qu'il sera aisé de solfier par les règles que je
viens d'établir.
Soi dl7i23I5456:5i76543242176534d55i.
Et voici (voy. planche II, ex. 12) le même exemple noté suivant la
première méthode.
Dans une longue suite de chant . quoique les points vous conduisent
toujours très-juste , ils ne vous font pourtant coniioître l'octave où vous
vous trouvez que relativement à ce qui a précédé : c'est pourquoi, afin
de savoir précisément l'endroit du clavier où vous êtes, il faudroit aller
en remontant jusqu'à la lettre qui est au commencement de l'air; opé-
ration exacte, à la vérité, mais d'ailleurs un peu trop longue. Pour
m'en dispenser , je mets au commencement de chaque ligne la lettre de
i'octave où se trouve, non pas la première note de cette ligne, mais la
298 DISSERTATION
«lernière de la ligne précédente, et cela afin que la règle des point»
n'ait pas d'exceplioD.
EXEMPLE :
Fa dl7i2345675 1625314321765 5 5464
64275645 1.
L'e que j'ai mis au commencement de la seconde ligne marque que le
fa qui finit la première est de la cinquième octave, de laquelle je sors
pour rentrer dans la quatrième d par le point que vous voyez au-des-
sous du si de cette seconde ligne.
Rien n'est plus aisé que de trouver cette lettre correspondante à la
dernière note d'une ligne, et en voici la méthode.
Comptez tous les points qui sont au-dessus des notes de cette ligne .
comptez aussi ceux qui sont au-dessous : s'ils sont égaux en nombre
avec les premiers , c'est une preuve que la dernière note de la ligne est
dans la même octave que la première, et c'est le cas du premier
exemple de la page précédente, où après avoir trouvé trois points des-
sus et autant dessous, a'Ous concluez qu'ils se détruisent les uns les au-
tres, et que, par conséquent, la dernière note fa de la ligne est de la
même octave d que la première note ut de la même ligne; ce qui est
toujours vrai , de quelque manière que les points soient rangés , pourvu
qu'il y en ait autant dessus que dessous.
S'ils ne sont pas égaux en nombre , prenez leur différence : comptez
depuis la lettre qui est au commencement de la ligne, et reculez d'au-
tant de lettres vers l'a, si l'excès est au-dessous; ou s'il est au-dessus,
avancez au contraire d'autant de lettres dans l'alphabet que cette diffé-
rence contient d'unités, et vous aurez exactement la lettre correspon-
dante à la dernière note.
EXEMPLE :
Ut 063671217615 12343213656731
627167561432156217633445567 i
d 2 7 5 6.
Dans la première ligne de cet exemple, qui commence à l'étage c,
vous avez deux points au-dessous et quatre au-dessus, par conséquent
deux d'excès , pour lesquels il faut ajouter à la lettre c autant de lettres ,
suivant l'ordre de l'alphabet, et vous aurez la lettre e correspondante à
la dernière note de la même ligne.
Dans la seconde ligne vous avez au contraire un point d'excès au-
dessous, c'est-à-dire qu'il faut, depuis la lettre e qui est au commen-
cement de la ligne, reculer d'une lettre vers l'o, et vous aurez d pour
la lettre correspondante à la dernière note de la seconde ligne.
11 laut de même observer de mettre la lettre de l'octave après chaque
première et dernière note des reprises et des rondeaux, afin qu'en par-
lant de là on sache toujours sûrement si l'on doit monter ou descendre
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 299-
pour reprendre ou pour recommencer. Tout cela s'éclaircira mieux pat
'exemple suivant, dans lequel celte marque <\/ est un signe de reprise.
Mi c345T123432143217G25bt;;6c55
b -7, G 4 4 G 2 7 5 i 2 5 7 i c.
La lettre b , que vous voyez après la dernière note de la première-
partie , vous apprend qu'il faut monter d'une sixte pour revenir au mi
lu commencement, puisqu'il est de l'oclave supérieure c; et la lettre c.
[lue vous voyez également après la première et la dernière noit oe
'a seconde partie, vous apprend qu'elles sont toutes deux de la même
i)Ctave, et qu'il faut par conséquent monter d'une quinte pour revenir
: la finale à la reprise.
Ces observations sont fort simples et fort aisées à retenir. Il faut
vouer cependant que la méthode des points a quelques avantages de
noins que celle de la position d'étage en étage que j'ai enseignée la
ireraière, et qui n'a jamais besoin de toutes ces différences de lettres :
une et l'autre ont pourtant leur commodité; et, comme elles s'ap-
rennent par les mêmes règles et qu'on peut les savoir toutes deux
nsemble avec la même facilité qu'on a pour en apprendre une sépa-
ément, on les pratiquera chacune dans les occasions où elle paroîtia
lus convenable. Par exemple, rien ne sera si commode que la méthode
es points pour ajouter l'air à des paroles déjà écrites ; pour noter de
retitsairs, des morceaux détachés, et ceux qu"on veut envoyer en pro-
ince; et, en général, pour la musique vocale. D'un autre côté, la mé-
hode de position servira pour les partitions et les grandes pièces de
lusique, pour la musique instrumentale, et surtout pour commencer
3s écoliers, parce que la mécanique en est encore plus sensible que de
autre manière, et qu'en partiml de celle-ci déjà connue, l'autre s;
onçoit du premier instant. Les compositeurs s'en serviront aussi par
référence, à cause de la distinction oculaire des différentes octaves :
s sentiront en la pratiquant toute l'étendue de ses avantages, que
ose dire tels pour l'évidence de l'harmonie, que quand ma méthode
'auroit nul cours dans la pratique, il n'est point de compositeur
ui ne dût l'employer pour son usage particulier et pour l'instruction
! ses élèves.
Voilà ce que j'avois à dire sur la première partie de mon système ,
ui regarde l'expression des sons : passons à la seconde, qui traite de
urs durées.
L'article dont je viens de parler n'est pas , à beaucoup près , aussi
fficile que celui-ci, du moins dans la pratique, qui n'admet qu'un
îrtain nombre de sons, dont les rapports sont fixés, et à peu près les
èraes dans tous les tons , au lieu que les différences qu'on peut intro-
jire dans leurs durées peuvent varier presque à l'infini.
11 y a beaucoup d'apparence que l'établissement de la quantité dans la
usique a d'abord été relatif à celle du langage, c'est-à-dire qu'on fai-
»it passer plus vite les sons par lesquels on expriraoit les syllabes-
300 DISSERTATION
lirèves, et durer un peu plus longtemps ceux qu'on adaptoit aux lon-
gues. On poussa bientôt les choses plus loin, et l'on établit, à l'imitation
de la poésie, une certaine régularité dans la durée des sons, par la-
quelle on les assujettissoit à des retours uniformes qu'on s'avisa de m -
surer par des mouvemens égaux de la main ou du pied, et d'où, à
cause de cela, ils prirent le nom de mesures. L'analogie est visible à
cet égard entre la musique et la poésie : les vers sont relatifs aux ma-
sures, les pieds aux temps, et les syllabes aux notes. Ce n'est pas assu-
rément donner dans des absurdités que de trouver des rapports aussi
naturels, pourvu qu'on n'aille pas, comme le P. Souhaitti, appliquera
l'une les signes de l'autre , et , à cause de ce qu'elles ont de semblable,
confondre ce qu'elles ont de différent.
Ce n'est pas ici le lieu d'examiner en physicien d'où naît cette égalité
merveilleuse que nous éprouvons dans nos mouvemens quand nous
battons la mesure : pas un temps qui passe l'autre , pas la moindre diti'é-
rence dans leur durée successive, sans que nous ayons d'autre règle
que notre oreille pour la déterminer : il y a lieu de conjecturer qu'un
effet aussi singulier part du même principe qui nous fait entonner
naturellement toutes les consonnances. Quoi qu'il en soit, il est clair
que nous avons un sentiment sûr pour juger du rapport des mouve-
mens, tout comme de celui des sons, et des organes toujours prêts à-
exprimer les uns et les autres selon les mêmes rapports, et il me suffit-,
pour ce que j'ai à dire, de remarquer le fait sans en rechercher la
cause.
Les musiciens font de grandes distinctions dans ces mouvemens, non-
seulement quant aux divers degrés de vitesse qu'ils peuvent avoir, mais
aussi quant au genre même de la mesure, et tout cela n'est qu'une
suite du mauvais principe par lequel ils ont fixé les différentes durées
des sons; car, pour trouver les rapports des uns aux autres, il a fallu
établir un terme de comparaison, et il leur a plu de choisir pour ce
terme une certaine quantité de durée qu'ils ont déterminée par une
figure ronde : ils ont ensuite imaginé des notes de plusieurs autres
figures, dont la valeur est fixée, par rapport à cette ronde, en propor-
tion sous-double. Cette division seroit assez supportable, quoiqu'il s'en
faille de beaucoup qu'elle n'ait l'universalité nécessaire, si le terme de
comparaison, c'est-à-dire si la durée de la ronde étoit quelque chose
d'un peu moins vague; mais la ronde va tantôt plus vite, tantôt plus
lentement , suivant le mouvement de la mesure où l'on l'emploie : et l'on
ne doit pas se flatter de donner quelque chose de plus précis en disant
qu'une ronde est toujours l'expression de la durée d'une mesure à
quatre , puisque , outre que la durée même de cette mesure n'a rien de
déterminé, on voit communément en Italie des mesures à quatre et à
deux contenir deux et quelquefois quatre rondes.
C'est pourtant ce qu'on suppose dans les chiffres des mesures doubles :
le chiffre inférieur marque le nombre de notes d'une certaine valeur
contenues dans une mesure à quatre temps, et le chiffre supérieur
marque combien il faut de ces mêmes notes pour remplir une mesure
de l'air que l'on va noter. Mais pourquoi ce rapport de tant de différente»
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 301
mesures à celle de quatre temps qui leur est si peu semblable? ou pour-
quoi ce rapport de tant de différentes notes à une ronde dont la durée
est si peu déterminée?
On diroit que les inventeurs de la musique ontprisà tâche de faire
tout le contraire de ce qu'il falloit : d'un côté, ils ont négligé la dis-
tinction du son fondamental indiqué par la nature et si nécessaire pour
I servir de terme commun au rapport de tous les autres; et de l'autre, ils
ont voulu établir une durée absolue et fondamentale sans pouvoir en
déterminer la valeur.
Faut-il s'étonner si l'erreur du principe a tant causé de défauts dans
les conséquences? défauts essentiels à la pratique, et tous propres à re-
tarder longtemps les progrès des écoliers.
Les musiciens reconnoissent au moins quatorze mesures différentes,
dont voici les signes : 2 , 3 , C ,
3 2 3 6 n < 2 3 C 9 ,1 2 3 6
25 4î4'4'4» 4'8>8'»' 8'10'16*
Or, si ces signes sont institués pour déterminer autant de mouve-
mens différens en espèce, il y en a beaucoup trop, et s'ils le sont,
outre cela, pour exprimer les différens degrés de vitesse de cesmouve-
mens , il n'y en a pas assez. D'ailleurs , pourquoi se tourmenter si fort
pour établir des signes qui ne- servent à rien, puisque, indépendam-
ment du genre de la mesure , on est presque toujours contraint d'ajouter
un mot au commencement de l'air, qui détermine l'espèce et le degré
du mouvement?
Cependant on ne sauroit contester que la diversité de ces mesures ne
brouille les commençans pendant un temps infiai, et que tout cela ne
naisse de la fantaisie qu'on a de les vouloir rapporter à la mesure
à quatre temps, ou d'en vouloir rapporter les notes à la valeur de la
ronde.
Donner aux mouvemens et aux notes des rapports entièrement étran-
gers à la mesure où l'on les emploie , c'est proprement leur donner des
valeurs absolues, en conservant l'embarras des relations : aussi voit-on
suivre de là des équivoques terribles , qui sont autant de pièges à la
précision de la musique et au goût du musicien. En effet, n'est-il pas
évident qu'en déterminant la durée des rondes , blanches, noires, cro-
ches, etc., non par la qualité de la mesure où elles se rencontrent, mais
par celle de la note même, vous trouvez à tout moment la relation en
opposition avec le sens propre? De là vient, par exemple, qu'une blan-
che, dans une certaine mesure, passera beaucoup plus vite qu'une
noire dans une autre, laquelle noire ne vaut cependant que la moitié
de cette blanche; et de là vient encore que les musiciens de province,
trompés par ces faux rapports, donnent souvent aux airs des mouve-
mens tout différens de ce qu'ils doivent être, en s'attachant scrupuleu-
sement à cette fausse relation, tandis qu'il faudra quelquefois passer
une mesure à trois temps simples plus vite qu'une autre à trois huit;
ce qui dépend du caprice des compositeurs , et dont les opéras présentent
I ies exemples à chaque instant.
:^02 DISSERTATION
II y auroit sur ce point bien d'autres remarques à faire, auxquellel
■'6 ne m'arrêterai pas. Quand on a imaginé, par exemple, la division
sous-double des notes telle qu'elle est établie, apparemment qu'on n'a
pas prévu tous les cas, ou bien l'on n'a pu les embrasser tous dans una
règle générale; ainsi, quand il est question de faire la division d'una
note ou d'un temps en trois parties égales dans une mesure à deux, à
trois ou à quatre, il faut nécessairement que le musicien le devine, ou
bien qu'on l'en avertisse par un signe étranger qui fait exception à la
règle.
C'est en examinant les progrès de la musique que nous pourrons trou-
ver le remède à ces défauts. Il y a deux cents ans que cet art étoit encore
extrêmement grossier. Les rondes et les blanches étoient presque les
seules notes qui y fussent employées, et l'on ne regardoit une croche
qu'avec frayeur. Une musique aussi simple n'amenoit pas de grandes
difficultés dans la pratique, et cela faisoit qu'on ne prenoit pas non plus
grand soin pour lui donner de la précision dans les signes; on négli-
geoit la séparation des mesures, et l'on se contentoit de les exprimer
par la figure des noies. A mesure que l'art se perfectionna et que les dif-
ficultés augmentèrent, on s'aperçut de l'embarras qu'il y avoit, dans
une grande diversité de notes, de faire la distinction das mesures, et
l'on commença à les séparer par des lignes perpendiculaires; on se mit
ensuite à lier les croches pour faciliter les temps; et l'on s'en trouva bi
bien que, depuis lors, les caractères de la musique sont toujours restés
à peu près dans le même état.
Une partie des inconvéniens subsiste pourtant encore; la distinction
des temps n'est pas toujours trop bien observée dans la musique instru-
mentale, et n'a point lieu du tout dans le vocal : il arrive de là qu'au
milieu d'une grande mesure l'écolier ne sait où il en est, surtout lors-
qu'il trouve une quantité de croches et de doubles croches détachées,
dont il faut qu'il fasse lui-même la distribution.
Une réflexion toute simple sur l'usage des ligues perpendiculaires pour
la séparation des mesures nous fournira un moyen assuré d'anéantir
ces inconvéniens. Toutes les notes qui sont renfermées entre deux de
ces lignes dont je viens de parler font justement la valeur d'une me-
sure : qu'elles soient en grande ou petite quantité, cela n'intéresse en
rien la durée de cette mesure, qui est toujours la même; seulement se
divise- t-elle en parties égales ou inégales, selon la valeur et le nombre
des notes qu'elle renferme. Mais enfin, sans connoître précisément le
nombre de ces notes, ni la valeur de chacune d'elles, on sait certaine-
ment qu'elles forment toutes ensemble une durée égale à celle de la
mesure où elles se trouvent.
Séparons les temps par des virgules , comme nous séparons les me-
sures par des lignes, et raisonnons sur chacun de ces temps de la même
manière que nous raisonnons sur chaque mesure; nous aurons un prin-
cipe universel pour la durée et la quantité des notes, qui nous dispen-
sera d'inventer de nouveaux signes pour la déterminer, et qui nous
mettra à portée de diminuer de beaucoup le nombre des différentes me-
tures usitées dans la musique, sans rien ôterà la variété des mouvemens
J
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 303
Quand une note seule est rei'ifermée entre les deux lignes d'une me-
sure, c'est un signe que cette note remplit tous les temps de cette me-
sure et doit durer autant qu'elle : dans ce cas. la séparation des temps
seroit inutile, on n'a qu'à soutenir le même son pendant toute la me-
sure. Quand la mesure est divisée en autant de notes égales qu'elle con-
tient de temps, on pourroit encore se disperser de les séparer; chaque
note marque un temps, et chaque temps est rempli par une note; mais
dans le cas que la mesure soit chargée de notes d'inégales valeurs, alors
Jl faut nécessairement pratiquer la séparation des temps par des vir-
gules; et nous la pratiquerons même dans le cas précédent, pour con-
server dans nos signes la plus parfaite uniformité.
Chaque temps compris entre deux virgules, ou entre une virgule et
une ligne perpendiculaire, renferme une note ou plusieurs. S'il ne con-
tient qu'une note, on conçoit qu'elle remplit tout ce temps-là, rien
n'est ïi simple : s'il en renferme plusieurs, la chose n'est pas plus diffi-
cile; divisez ce temps en autant départies égales qu'il comprend de
notes; appliquez chacune de ces parties à chacune de ces notes, et
passez-les de sorte que tous les temps soient égaux.
EXEMPLE DU PREMIER C.4S :
J{^ 3 II d 1.2.3 I 7,i,2 I 6,7,i | 5,4,3 | i,2,3 |
d 7,i,2 I 6,7,5 1 6 c.
EXEMPLE DU SECOND :
m 2 II c 17, i2 I 32,31 I 54,56 | 76,75 | i4,55 j i c.
EXEMPLE DE TOUS LES DEUX :
Fo 3 II d 3,4,5 I 65,43,21 1 2,5,1 | 1,6,2 1 2,7,3 | 3,
d 1,4 I 4,32,34 | 2 | 3,4,5 j 64.43,21 | 2,5,12 |
d 7 i, 6,23 I 12,7,34 | 23,1,45 j 34,2,5G | 45,
d 3,6 I 62,2il2 j 1,507,121 | 7i7,C7i,232 |
d 121,7i2,343 | 232,123,454 | 343,234,
d 565 I 454,32,34 | 2,5567, iTl217 ,6071,
d 2X2321,7712,3X3432, 1123,4T4543,
d 2234,5T 5654,3345,607 i | 12, 3^2 | 1 d.
On voit dans les exemples précédens que je conserve les cadences et
les liaisons comme dans la musique ordinaire, et que, pour distinguer
le chiffre qui marque la mesure d'avec ceu.x des notes . j'ai soin de le
faire plus grand, et de l'en séparer par une double ligne perpendi-
culaire.
304 DISSERTATION
Avant que d'entrer dans un plus grand détail sur cette méthode-, nv
marquons d'abord combien elle simplifie la pratique de la mesure en
anéantissant tout d'un coup toutes les mesures doubles : car, comme la-
division des notes est prise uniquement dans la valeur des temps et de
la mesure où elles se trouvent, il est évident que ces notes n'ont plus :
besoin d'être comparées à aucune valeur extérieure pour fixer la leur;
ainsi, la mesure étant uniquement déterminée par le nombre de ses
temps, on la peut très-bien réduire à deux espèces : savoir, mesure à,
deux , et mesure à trois. A l'égard de la mesure à quatre , tout le monde
convient qu'elle n'est que l'assemblage de deux mesures à deux temps
elle est traitée comme telle dans la composition, et l'on peut compter
que ceux qui prétendroient lui trouver quelque propriété particulière
s'en rapporteroient bien plus à leurs yeux qu'à leurs oreilles.
Que le nombre des temps d'une mesure naturelle , sensible et agréable '
à l'oreille, soit borné à trois, c'est un fait d'expérience que toutes les
spéculations du monde ne détruisent pas : on auroit beau chercher de
subtiles analogies entre les temps de la mesure et les harmoniques d'un
son, on trouveroit aussi tôt une sixième consonnance dans l'harmonie;
qu'un mouvement à cinq temps dans la mesure; et, quelle qu'en puisse"
être la raison , il est incontestable que le plaisir de l'oreille , et même sa
sensibilité à la mesure, ne s'étend pas plus loin.
Tenons-nous-en donc à ces deux genres de mesures, à deux et à trois^
temps : chacun des temps de l'une et de l'autre peut de même être par-
tagé en deux ou en trois parties égales, et quelquefois en quatre, six,
huit, etc., par des subdivisions de celles-ci, mais jamais par d'autres
nombres qui ne seroient pas multiples de deux ou de trois.
Or, qu'une mesure soit à deux ou à trois temps, et que la division de
chacun de ces temps soit en deux ou en trois parties égales , ma méthode
est toujours générale, et exprime tout avec la même facilité. On l'a
déjà pu voir par le dernier exemple précédent, et l'on le verra encore
par celui-ci , dans lequel chaque temps d'une mesure à deux , partagé ec
trois parties égales , exprime le mouvement de six-huit dans la musique
ordinaire.
EXEMPLE :
m 2 !1 d,36i I 176,656 | 731,712 | 176,2T217,
d 176 I 5,361 I 176,656 | 73i,147 | 2,217 |
d 176,365 I 6.
M
Les notes dont deux égales rempliront un temps s'appelleront des i
mis; celles dont il en faudra trois, des tiers; celles dont il en fauc
quatre , des quarts , etc.
Mais lorsqu'un temps se trouve partagé de sorte que toutes les not
n'y sont pas d'égale valeur, pour représenter, par exemple, dans
seul temps une noire et deux croches, je considère ce temps comme >
visé en deux parties égales, dont la noire fait la première, et les deux [ti
croches ensemble la seconde. Je les lie donc par une ligne droite que je
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 305
place au dessus ou au-dessous d'elles; et celle ligne marque que toul ce
qu'elle embrasse ne représente qu'une seule note, laquelle doit être
subdivisée ensuite en deux parties égales, ou en trois, ou en quatre,
suivant le nombre des chiffres qu'elle couvre.
EXEMPLE :
Fo 2 II d, 1765 I 67,i2n6i | 73, 17612 I sHT,
d, 1767 I 212^7657 | 327,7 | 6.
La virgule qui se trouve avant la première note dans les deux exem-
ples précédens désigne la fin du premier temps, et marque que le chant
commence par le second.
Quand il se trouve dans un même temps des subdivisions d'inégalités,
on peut alors se servir d'une seconde liaison : par exemple, pour expri-
mer un temps composé d'une noire, d'une croche et de deux doubles
croches, on s'y prendroit ainsi:
Sol 2 i d 13,5127] 72,67*17 | 6i,4676 | 5676,
c 1231 I 46,145^1 35,1343124,7232 |
d 1434,55 I il d.
Vous voyez là que le second temps de la première mesure contient
deux parties égales, équivalentes à deux noires; savoir, le 5 pour l'une ,^
et pour l'autre la somme des trois notes 12 1, qui sont sous la grande
liaison ; ces trois notes sont subdivisées en deux autres parties égales ,
équivalentes à deux croches, dont l'une est le premier 1 , et l'autre les
deux notes 2 et 1 jointes par la seconde liaison, lesquelles sont ainsi
chacune le quart de la valeur comprise sous la grande liaison, et le
huitième du temps entier.
En général, pour exprimer régulièrement la valeur des notes, il faut
s'attacher à la division de chaque temps par parties égales; ce qu'on
peut toujours faire par la méthode que je viens d'enseigner, en y ajou-
tant l'usage du point dont je parlerai toul à l'heure , sans qu'il soit pos
sible d'être arrêté par aucune exception. Il ne sera même jamais néces-
saire . quelque bizarre que puisse être une musique, de mettre plus de
deux liaisons sur aucune de ces notes, ni d'en accompagner aucune de
plus de deux points, à moins qu'on ne voulût imaginer dans de grandes
inégalités de valeurs des quintuples et des sextuples croches , dont la ra-
pidité comparée n'est nullement à la portée des voix ni des instrumens,
et dont à peine trouveroit-on d'exemple dans la plus grande débauche de
cerveau de nos compositeurs.
A regard des tenues et des syncopes,, je puis, comme dans la mu-
RorssEAu VI 20
306- DISSEIITATION
sique ordinaire, les exprimer avec des notes liées ensemble par une
ligne courbe que nous appellerons liaison de tenue ou chapeau , pour la
distinguer de la liaison de valeur dont je viens de parler, et qui se
marque par une ligne droite. Je puis aussi employer le point au même
usage, en lui donnant un sens plus universel et bien plus commode que
dans la musique ordinaire; car, au lieu de lui faire valoir toujours la
moitié de la note qui le précède, ce qui ne fait qu'un cas parliculier,
je lui donne de même qu'aux notes une valeur déterminée uniquement
par la place qu'il occupe; c'est-à-dire que si le point remplit seul ua
temps ou une mesure, le son qui a précédé doit être aussi soutenu pen-
dant tout ce temps ou toute celte mesure; et si le point se trouve dans
un temps avec d'autres notes , il fait nombre aussi bien qu'elles, et doit
être compté pour un tiers ou pour un quart , suivant la quantité de notes
que renferme ce temps-là, en y comprenant le point. En un mot, le
point vaut autant, ou plus, ou moins, que la note qui l'a précédé, et
dont il marque la tenue suivant la place qu'il occupe dans le temps où
il est employé.
EXEMPLE :
ir< 2 II c, 1 I 54,-3 I -2,43 | -S/I | 55,-4 j
c 64,-2 I 5432,i j 75,1 j -,7 | i.
Au reste , il n'est pas à craindre , comme on le voit par cet exemple ,
que ces points se confondent jamais avec ceux qui servent à changer
d'octaves : ils en sont trop bien distingués par leur position pour avoir
besoin de l'être par leur figure. C'est pourquoi j'ai négligé de le faire .
évitant avec soin de me servir de signes extraordinaires qui distrairoient
l'attention sans exprimer rien de plus que la simplicité des miens.
A l'égard du degré de mouvement , s'il n'est pas déterminé par les
caractères de ma méthode , il est aisé d'y suppléer par un mot mis au
commencement de l'air; et l'on peut d'autant moins tirer de là un argu-
ment contre mon système, que la musique ordinaire a besoin du même
secours. "Vous avez, par exemple, dans la mesure à trois temps simples,
cinq ou six mouvemens très-différens les uns des autres, et tous
exprimés par une noire à chaque temps : ce n'est donc pas la qualité
des noies qu'on emploie qui sert à déterminer le mouvement; et s'il se
trouve des maîtres négligens qui s'en fient sur ce sujet au caractère de
leur musique et au goût de ceux qui la liront, leur confiance se trouve
si souvent punie par les mauvais mouvemens qu'on donne à leurs airs,
qu'ils doivent assez sentir combien il est nécessaire d'avoir à cet égard
des indications plus précises que la qualité des notes.
L'imperfection grossière de la musique sur l'article dont nous parlons
seroit sensible pour quiconque auroit des yeux : mais les musiciens ne
la voient point, et j'ose prédire hardiment qu'ils ne verront jamais rien
de tout ce qui pourroit tendre à corriger les défauts de leur art. Elle
n'avoit pas échappé à M. Sauveur, et il n'est pas nécessaire de méditer
sur la musique autant qu'ill'avoil fait, pour sentir combien il seroit im-
portant de ne pas laisser aux mouvemens des différentes mesures une
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 307
expression si vague , et de n'en pas abandonner la détermination à des
goûts souvent si mauvais.
Le système singulier qu'il avoit proposé, et en général tout ce qu'il a
donné sur l'acouitique, quoique assez chimérique selon ses vues, ne
laissoit pas de renfermer d'excellentes choses qu'on auroit bien su met-
tre à profit dans tout autre art. Rien n'auroit été plus avantageux , par
exemple , que l'usage de son échomètre géméral pour déterminer préci-
sément la durée des mesures et des temps, et cela par la pratique du
monde la plus aisée : il n'auroit été question que de fixer sur une me-
sure connue la longueur du pendule simple, qui auroit fait un tel
nombre juste de vibrations pendant un temps, ou une mesure d'un mou-
vement de telle espèce. Un seul chiffre, mis au commencement d'un
air, auroit exprimé tout cela; et, par son moyen, on auroit pu déter-
miner le mouvement avec autant de. précision que l'auteur même : le
pendule n'auroit été nécessaire que pour prendre une fois l'idée de
chaque mouvement; après quoi, cette idée étant réveillée dans d'autres
airs par les mêmes chiffres qui l'auroient fait naître et par les airs
mêmes qu'on y auroit déjà chantés, une habitude assurée, acquise par
une pratique aussi exacte, auroit bientôt tenu lieu de règle et rendu le
pendule inutile.
Mais ces avantages mêmes, qui devenoient de vrais inconvéniens par
la facilité qu'ils auroient donnée aux commençans de se passer de maî-
tres et de se former le goût par eux-mêmes, ont peut-être été cause que
le projet n"a point été admis dans la pratique : il semble que si l'on
proposoit de rendre l'art plus difficile , il y auroit des raisons pour être
plutôt écouté.
Quoi qu'il en soit, en attendant que l'approbation du public me mette
en droit de m'étendre davantage sur les moyens qu'il y auroit à pren-
dre pour faciliter l'intelligence des mouvemens, de même que celle de
bien d'autres parties de la musique sur lesquelles j'ai des remarques à
proposer, je puis me borner ici aux expressions de la méthode ordi-
naire, qui, par des rnots mis au commencement de chaque air, en in-
diquent assez bien le mouvement. Ces mots bienchoisisdoivent , je crois ,
dédommager et au delà de ces doubles chiffres et de toutes ces diffé-
rentes mesures qui, malgré leur nombre, laissent le mouvement indé-
terminé et n'apprennent rien aux écoliers : ainsi , en adoptant seulement
]e 2 et le 3 pour les signes de la mesure, jote la confusion des carac-
tères sans altérer la variété de l'expression.
Revenons à notre projet. On sait combien de figures étranges sont
employées dans la musique pour exprimer les silences : il y en a autant
que de différentes valeurs, et par conséquent autant que de figures dif-
férentes dans les notes relatives : on est même contraint de les employer
à proportion en plus grande quantité , parce qu'il n'a pas plu à leurs
inventeurs d'admettre le point après les silences de la même minière et
au même usage qu'après les notes, et qu'ils ont mieux aimé multiplier
des soupirs, des demi-soupirs, des quarts de soupir à la file les uns
des autres , que d'établir entre des signes relatifs une analogie si
naturelle.
308 DISSERTATION
Mais, comme dans ma méthode il n'est point nécessaire de donner des
figures particulières aux notes pour en déterminer la valeur, on y est
aussi dispensé de la même précaution pour les silences, et un seul signe
suffit pour les exprimer tous sans confusion et sans équivoque. 11 pjroît
assez indifférent dans cette unité de figures de choisir tel caraîtère
qu'on voudra pour l'employer à cet usage. Le zéro a cependant quelque
chose de si convenable à cet efTet , tant par l'idée de privation qu'il
porte communément avec lui, que par sa qualité de chiffre, et surtout
par la simplicité de sa figure, qu« j'ai cru devoir le préférer. Je l'emploie-
rai donc de la même manière et dans le même sens par rapport à la va-
leur que les notes ordinaires, c'est-à-dire que les chiffres 1,2,3, etc. ;
et les règles que j'ai élablies à l'égard des notes étant toutes applica-
bles à leurs silences relatifs, il s'ensuit que le zéro, par sa seule posi-
tion et par les points qui le peuvent suivre , lesquels alors exprimeront
des silences, suffit seul pour remplacer toutes les pauses, soupirs,
demi-soupirs, et autres signes bizarres et superflus qui remplissent la
musique ordinaire.
EXEMPLE TIRÉ DES LEÇONS DE M. DE MONTÉCLAIR :
Fc 2 = î I d 1 I 2 I 3.1 I 5 ! 3 1 5,6 I 7,5 I i I î I -,5 I
M • — — .
d 1,07 I 6,05 I 4,0321 | 7,0123 l 43,2-1 | 1.
Les chiffres 4 et 2 placés ici sur des zéros marquent le nombre des
mesures que l'on doit passer en silence.
Tels sont les principes généraux d'où découlent les règles pour toutes
sortes d'expressions imaginables , sans qu'il puisse naître à cet égard
aucune difficulté qui n'ait été prévue, et qui ne soit résolue en consé-
quence de quelqu'un de ces principes.
Je finirai par quelques observations qui naissent du parallèle des
deux systèmes.
Les notes de la musique ordinaire sont-elles plus ou moins avanta-
geuses que les chififres qu'on leur substitue? C'est proprement le fond'
de la question.
Il est clair, d'abord, que les notes varient plus par leur seule posi-
tion, que mes chiffres par leur figure et par leur position tout ensemble; ,
qu'outre cela, il y en a de sept figures différentes, autant que j'admets]
de chiffres pour les exprimer; que les notes n'ont de signification et dej
force que par le secours de la clef, et que les variations des clefs don-j
nent un grand nombre de sens tout différens aux notes posées de laj
même manière.
Il n'est pas moins évident que les rapports des notes et les intervalles|
àe l'une à l'autre n'ont rien dans leur expression par la musique ordi-
naire qui en indique le genre, et qu'ils sont exprimés par des positions
difficiles à retenir, et dont la connoissance dépend uniquement de l'ha-
bitude et d'une très-longue habitude : car quelle prise peut avoir l'es-
prit pour saisir juste , et du premier coup d'oeil, un intervalle de sixte,
d« neuvième, de dixième, dans la musique ordinaire, à moins qiQ
SUR LA MUSIQUE 5I0DERNE. 309
la coutume n'ait familiarisé les yeux à lire tout d'un coup ces inter-
valles?
N'est-ce pas un défaut terrible dans la musique de ne pouvoir rien
conserver, dans l'expression des octaves, de l'analogie qu'elles ont
entre elles? Les octaves ne sont que les répliques des mêmes sons; ce-
pendant ces répliques se présentent sous des expressions absolument
différentes de celles de leur premier terme. Tout est brouilié daus la
position à la distance d'une seule octave: la réplique d'une note qui
etoit sur une ligne se trouve dans un espace, celle qui étoit dans l'es-
pace a sa réplique sur une ligne : montez-vous ou descendez-vous de
deux octaves, autre différence toute contraire à la première; alors les
répliques sont placées sur des lignes ou dans des espaces, comme leurs
premiers termes. Ainsi la difficulté augmente en changeant d'objet , et
l'on n'est jamais assuré de connoître au juste l'espèce d'un intervalle
traversé par un si grand nombre de lignes: de sorte qu'il faut se faire,
d'octave en octave, des règles particulières qui ne finissent point , et
qui font de l'étude des intervalles le terme effrayant et très-rarement
atteint de la science du musicien.
De là cet autre défaut presque aussi nuisible , de ne pouvoir distinguer
l'intervalle simple dans l'intervalle redoublé : vous voyez une note
posée entre la première et la seconde ligne , et une autre note posée sur
la septième ligne: pour connoître leur intervalle, vous décomptez de
l'une à l'autre, et, après une longue et ennuyeuse opération, vous
trouvez une douzième; or, comme on voit aisément qu'elle passe l'oc-
tave, il faut recommencer une seconde recherche pour s'assurer enfin
que c'est une quinte redoublée; encore, pour déterminer l'espèce de
cette quinte , faut-il bien faire attention aux signes de la clef qui peu-
vent la rendre juste ou fausse . suivant leur nombre et leur position.
Je sais que le5 musiciens se font communément des règles plus abré-
gées pour se faciliter l'habitude et la connoissance des intervalles: mais
ces règles mêmes prouvent le défaut des signes, en ce qu'il faut tou-
jours compter les lignes des yeux, et en ce qu'on est contraint de fixer
son imagination d'octave en octave pour sauter de là à l'intervalle sui-
vant, ce qui s'appelle suppléer de génie au vice de l'expression.
D'ailleurs, quand, à force de pratique, on viendroit à bout de lire
aisément tous les genres d'intervalles, de quoi vous servira cette con-
noissance, tant que vous n'aurez point de règ e assurée pour en distin-
guer l'espèce? Les tierces et les sixtes majeures et mineures , les quintes
et les quartes diminuées et superflues, et en général tous les intervalles
de même nom. justes ou altérés, sont exprimés par la même position
indépendamment de leur qualité; ce qui fait que suivant les différentes
situations des deux demi-tons de l'octave , qui changent de place à
chaque ton et à chaque clef, les intervalles changent aussi de qualité
sans changer de nom ni de position : de là l'incertitude sur l'intona-
tion et l'inutilité de l'habitude dans les cas où elle seroit ie plus
nécessaire.
La méthode qu'on a adoptée pour les instrumens est visiblement une
dépendance de ces défauts, et le rapport direct qu'il a fallu établir
310 DISSERTATION
entre les touches de l'instrument et la position des notes n'est qu'un
méchant pis aller pour suppléer à la science des intervalles et des rela-
tions toniques, sans laquelle on ne sauroit jamais être qu'un mauvais
musicien.
Quelle doit être la grande attention du musicien dans l'exécution?
C'est, sans doute, d'entrer dans l'esprit du compositeur et de s'appro-
prier ses idées pour les rendre avec toute la fidélité qu'exige le goût de
la pièce : or l'idée du compositeur dans le choix des sons est toujours
relative à la tonique; et, par exemple, il n'emploiera point le fa dièse
comme une telle touche du clavier, mais comme taisant un tel accord
ou un tel intervalle avec sa fondamentale. Je dis donc que, si le musi-
cien considère les sons par les mêmes rapports, il fera ses mêmes inter-
valles plus exacts, il exécutera avec plus de justesse qu'en rendant seu-
lement les sons les uns après les autres, sans liaison et sans dépendance
que celle de la position des notes qui sont devant ses yeux, et de ces
foules de dièses et de bémols qu'il faut qu'il ait incessamment présens à
l'esprit; bien entendu qu'il observera toujours les modifications parti-
culières à chaque ton, qui sont, comme je l'ai déjà dit, l'effet du tem-
pérament, , et dont la connoissance pratique, indépendante de tout
système, ne peut s'acquérir que par l'oreille et par l'habitude.
Quand on prend une fois un mauvais principe , on s'enfile d'inconvé-
niens en inconvéniens , et souvent on voit évanouir les avantages
mêmes qu'on s'étoit proposés. C'est ce qui arrive dans la pratique de la
musique instrumentale ; les difficultés s'y présentent en foule. La quan-
tité de positions différentes, de dièses, de bémols, de changemens de
clefs, y sont des obstacles éternels aux progrès des musiciens, et après
tout cela, il faut encore perdre, la moitié du temps, cet avantage si
vanté du rapport direct de la touche à la note , puisqu'il arrive cent
fois, par la force des signes d'altération simples ou redoublés, que les
mêmes notes deviennent relatives à des touches toutes différentes de ce
qu'elles représentent, comme on l'a pu remarquer ci-devant.
Voulez-vous, pour la commodité des voix, transposer la pièce un
demi- ton ou un ton plus haut ou plus bas; voulez-vous présenter à ce
symphoniste de la musique notée sur une clef étrangère à son instru-
ment, le voilà embarrassé, et souvent arrêté tout court, si la musique
est un peu travaillée. Je crois , à la vérité , que les grands musiciens ne
seront pas dans le cas ; mais je crois aussi que les grands musiciens ne le
sont pas devenus sans peine, et c'est cette peine qu'il s'agit d'abréger.
Parce qu'il ne sera pas tout à fait impossible d'arriver à la perfection
par la route ordinaire , s'ensuit-il qu'il n'en soit point de plus facile?
Supposons que je veuille transposer et exécuter en B fa si une pièo
notée en C sol ut, à la clef de sol sur la première ligne; voici tout c
que j'ai à faire : je quitte l'idée de la clef de sol, et je lui substitu
celle de la clef d'ut sur la troisième ligne; ensuite j'y ajoute les idées
des cinq dièses posés, le premier sur le fa, le second sur l'ut, le troi-
sième sur le sol, le quatrième sur le ré, et le cinquième sur le la; aj
tout cela je joins enfin l'idée d'une octave au-dessus de cette clef d'ut.J
et il faut que je retienne continuellement toute cette comolication^
SUR LA MUSIQUE MODERNE. 31 i
d'iJées pour l'appliquer à chaque note , sans quoi me voilà à tout instant
hors de ton. Qu'on juge de la facililé de tout cela.
Les chiffres, employés de la manière que je le propose, produisent
des effets absolument différens. Leur force est en eux-mêmes, et indé^
pendante de tout autre signe. Leurs rapports sont connus par la seule
inspection, et ?ansque l'habitude ait à y entrer pour rien; l'intervalle
simple est toujours évident dans l'intervalle redoublé : une leçon d'un
quart d'heure doit meltre toute personne en état de e olfier , ou du moins
de nommer les notes dans quelque musique qu'on lui présente; un au-
tre quart d'heure suffît pour lui apprendre à nommer de même et sans
hésiter tout intervalle possible, ce qui dépend, comme je l'ai déjà dit,
de la connoissance distincte de trois intervalles, de leurs renversemens,
■et réciproquement du renversement de ceux-ci, qui revient aux pre-
miers. Or il me semble quel'habitude doit se former bien plus aisément
quand l'esprit en a fait la moitié de l'ouvrage, et qu'il n'a lui-même
plus rien à faire.
Non-seulement les intervalles sont connus par leur genre, dans mon
système , mais ils le sont encore par leur espèce. Les tierces et les sixtes
sont majeures ou mineures : vous en faites la distinction sans pouvoir
vous y tromper; rien n'est si aisé que de savoir une fois que l'intervalle
j 2 4 est une tierce mineure; l'intervalle 2 4 une sixte majeure; linter-
! valleS 1 une sixte mineure; l'intervalle 3 1 une tierce majeure, etc.;
les quartes et les tierces, les secondes, Us quintes et les septièmes,
justes, diminuées ou superflues, ne coûtent pas plus à connoître; les
signes accidentels embarrassent encore moins; et l'intervalle naturel
étant connu, il est si facile de déterminer ce même intervalle, altéré
par un dièse ou par un bémol, par l'un et l'autre tout à la fois, ou par
deux d'une même espèce , que ce seroit prolonger le discours inutile-
ment que d'entrer dans ce détail.
Appliquez ma méthode aux instrumens , les avantages en seront frap-
pans. Il n'est question que d'apprendre à former les sept sons de la
j gamme naturelle, et leurs différentes octaves sur un ut fondamental
pris successivement sur les douze cordes' de l'échelle ; ou plutôt il n'est
question que de savoir, sur un son domé, trouver une quinte, une
quarte, une tierce majeure, etc., et les octaves de tout cela, c'est-à-
dire de posséder les conno'?sances qui doivent être le moins ignoré s
des musiciens, dans quelque système que ce soit. Après ces préliminai-
res si faciles à acquérir et si propres à former l'oreille, quelques mois
donnés à l'habitude de la mesure mettent tout d'un coup l'écolier en état
d'exécuter à livre ouvert, mais d'une exécution incomparablement plus
intelligente et plus sûre que celle de nos symphonistes ordinaires. Tou-
■I Je dis les douze cordes, pour n'omellre aucune des diflicnltés possibles,
puisqu'on pourroit se contenter des sept cordes naturelles, et qu'il est rare
qu'on établisse la fondamentale d'un Ion sur un des cinq sons altérés, escepié
peut-être le si bémol. Il est vrai qu'on y parvient assez fréquemment par
la suile de la modiilalion ; mais alors, quoiqu'on ait cbaDgé de ton, la même
fonihimcntale.subsiste toujours, el le cbangcmen lest amené par des altérations
oarliculièrcs.
312 DISSEHTATION
tes les clefs lui seront également familières; tous les t ns auront pour
lui la même facilité; et, s'il s'y trouve quelque différence, elle ne dé-
pendra jamais que de la difficulté particulière de l'instrument , et non
d'une confusion de dièses, de bémols, et de positions différentes si
fâcheuses pour les commençans.
Ajoutez à cela une connoissance parfaite des tons et de toute la mo-
dulation, suite nécessaire des principes de ma méthode; et surtout
l'universalilé des signes, qui rend, avec les mêmes notes, les même?
airs dans tous les tons, par le cliangement d'un seul caractère; d'où
résulte une facilité de transposer un air en tout autre ton, égale à celle
de l'exécuter dans celui où il est noté : voilà ce que saura en très-peu
de temps un symphoniste formé par ma méthode. Toute jeune personne,
avec les talens et les dispositions ordinaires, et qui ne connoîtroit pas
une note de musique, doit, conduite par ma méthode, être en état
d'accompagner du clavecin , à livre ouvert , toute musique qui ne passera
pas en difliculté celle de nos opéras, au bout de huit mois, et, au bout
de dix . celle de nos cantates.
Or, si dans un si court espace on peut enseigner à la fois assez de
musique et d'accompagnement pour exécuter à livre ouvert, à plus
forte raison un maître de flûte ou de violon, qui n'aura que la note à
joindre à la pratique de l'instrument, pourra-t-il former un élève dans
le même temps par les mêmes principes.
Je ne dis rien du chant en particulier, parce qu'il ne me paroît pas
possible de disputer la supériorité de mon système à cet égard, et que
j'ai sur ce point des exemples à donner plus forts et plus convaincans
que tous les raisonnemens.
Après tous les avantages dont je viens de parler, il est permis de
compter pour quelque chose le peu de volume qu'occupent mes caractè-
res, comparé à la diffusion de l'autre musique , et la facilité de noter sans
tout cet embarras de papier rayé, où, les cinq lignes de la portée ne
suffisant presque jamais, il en faut ajouter d'autres à tout moment, qui
se rencontrent quelquefois avec les portées voisines ou se mêlent avec
les paroies , et causent une confusion à laquelle ma musique ne sera
jamais exposée. Sans vouloir en établir le prix sur cet avantage, il ne
laisse pas cependant d'avoir une influence à mériter de l'attention.
Combien sera-t-il commode d'entretenir des correspondances de musique ,
sans augmenter le volume des lettres! quel embarras n'évitera-t-on
point, dans les symphonies et dans les partitions, de tourner la feuille
à tout moment! et quelle ressource d'amusement n'aura-t-on pas de
pouvoir porter sur soi des livres et des recueils de musique, comme or.
en porte de belles-lettres, sans se surcharger par un poids ou par un
volume embarrassant, et d'avoir, par exemple, à l'Opéra un extrait de
la musique jointe aux paroles, presque sans augmenter le prix ni la
grosseur du livre 1 Ces considérations ne sont, pas, je l'avoue, d'une
grande importance, aussi ne les donné-je que comme des accessoires;
ce n'est, au reste, qu'un tissu de semblables bagatelles qui fait lesagré-
mens de la vie humaine; et rien re seroit si misérable qu'elle, siï'oa
îi'avoit jamjis fait d'attention aux petits objets.
I SUR LA MUSIOLE ilUDLl'.NL 31 3
j Je finirai mes remarques sur cet article en concluant qu ayant retran-
|hé tout d'un coup par mes caractères -les soixante-dix combinaisons
^ue la différente position des clefs et des accidens produit dans la
musique ordinaire; ayant établi un signe invariable et constant pour
chaque son de l'octave dans tous les tons: ayant établi de même une
position très-simple pour les différentes octaves: ayant fixé toute lex-
jifession des sons par les intervalles propres au ton où Ton est; ayant
conservé aux yeux la facilité de découvrir du premier regard si les sons
montent ou descendent: ayant fixé le degré de ce progrès avec une évi-
dence que n'a point la musique ordinaire : et . enfin , ayant abrégé de
plus des trois quarts et le temps qu'il faut pour apprendre à solfier, et
le volume des notes . il reste démontré que mes caractères sont préfé-
rables à ceux de la musique ordinaire'.
Une seconde question . qui n'est guère moins intéressante que la pre-
mière, est de savoir si la division des temps, que je substitue à celle
des notes qui les remplissent, est un principe général plus simple et
plus avantageux que toutes ces différences de noms et de figures qu'on
est contraint d'appliquer aux notes , conformément à la durée qu'on
leur veut donner.
Un moyen sûr pour décider cela seroit d'examiner a priori si la va-
leur des notes est faite pour régler la longueur des temps , ou si ce
n'est point, au contraire, par les temps mêmes de la mesure que la du-
rée des notes doit être fixée. Dans le premier cas, la méthode ordinaire
seroit incontestablement la meilleure, à moins qu'on ne regardât le re-
tranchement de tant de figures comme une compensation suffisante d'une
erreur de principe, d'où résulteroient de meilleurs effets. Mais, dans le
second cas, si je rétablis également la cause et l'effet pris jusqu'ici l'un
pour l'autre , et que par là je simplifie les règles et j'abrège la pratique .
j'ai lieu d'espérer que cette paiîie de mon système, dans laquelle, au
reste, on ne m'accusera d'avoir copié personne, ne paroîtra pas moins
avantageuse que la précédente.
Je renvoie à l'ouvrage dont j'ai déjà parlé bien des détails que je
n'ai pu placer dans celui-ci. On y trouvera . outre la nouvelle méthode
d'accompaL'nement dont j'ai parlé dans la préface, un moyen de recon-
noître au premier coup d'oeil les longues tirades de notes en montant ou
en descendant, afin de n'avoir besoin de faire attention qu'à la première
et à la dernière; l'expression de certaines mesures syncopées qui se
trouvent quelquefois dans les mouvemens vifs à trois temps; une table
de tous les mots propres à exprimer les différens degrés du mouvement;
le moyen de trouver d'abord la plus haute et la plus basse note d'un air
et de préluder en.conséquence ; enfin, d'autres règles particulières qu^
toutes ne sont toujours que des développemens des principes que j'ai
proposés ici; et surtout un système de conduite, pour les maîtres qui
enseigneront à chanter et à jouer des instrumens, bien différent dans
t. Celle longue période fut juslcment crilinuéc par M. l'ablié Dcsfon-
l^ines, et Rousseau avoua son tort. Voy. la lettre de février 1743 sur ce
«ajel. ^Ed.)
?14
DISSERTATION
la méthode, et j'espère, dans le progrès, de celui dont on se sert au-
jourd'hui.
Si donc aux avantages généraux de mon système, si à tous ces retran-
chemens de signes et de combinaisons, si au développement précis de
la théorie, on ajoute les utilités que ma méthode présente pour la pra-
tique; ces embarras de lignes et de portées tous supprimés, la musique
rendue si courte à apprendre, si facile à noter, occupant si peu de vo-
lume, exigeant moins de frais pour l'impression, et par conséquei i
coiltant moins à ccquérir; une correspondance plus parfaite établie!
entre les différentes parties sans que les sauts d'une clef à l'autre soient
plus difficiles que les mêmes intervalles pris sur la même clef; les ac-
cords et le progrès de l'harmonie offerts avec une évidence à laquelle
les yeux ne peuvent se refuser; le ton nettement déterminé; toute la
suite de la modulation exprimée, et le chemin que l'on a suivi, et le
point où l'on est arrivé , et la distance où l'on est du ton principal , mais
surtout l'extrême simplicité des principes jointe à la facilité des règles
qui en découlent : peut-être trouvera-t-on dans tout cela de quoi
justifier la confiance avec laquelle j'ose présenter ce projet au public.
MENUET DE DARDANUS.
Jîe Volez , plaisirs , volez ; Amour , prête - leur tes char-
3 11 d 3,4 3,2 3 I 4 ',3 12, 3 2, 1 2 13,-,
mes; Répare les alarmes Qui nous ont trou -blés.
d 2 I 1,21, 7 6 I 5, 4, 3 | 6, 5, i | 7 c ^i
Que ton empire est doux! Viens, viens, nous voulons
c5c, 4 3, 4 5|6| 4| 5| 1, 32,
tous Sentir tes coups : enchaîne - nous ; Mais ne te sers
d 1 I 1, 3 2, 1 I 1, 3 2, 1 I 6 I 4 5, 6
que de ces chaînes Dont les peines sont des bienfaits.
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316 DISSERTATION
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SUR LA MUSIQUE MODERNE.
317
ARIETTE DES TALENS LYRIQUES.
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SUR LA MUSIQUE MODERNE.
319
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SUR LA MUSIQUE MODEHNE. 321
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FIN DE LA DISSERTATION SUR LA MUSIQUE MODFRME.
Rousseau vi ^,
DICTIONNAIRE DE MUSIQUE \
Ut psallendi maleriem discerenl.
Martian. Cap.
PRÉFACE.
La musique est de tous les beaux-arts celui dont le vocabulaire est le
plus étendu, et pour lequel un dictionnaire est, par conséquent, le
ïlus utile. Ainsi l'on ne doit pas mettre celui-ci au nombre de ces com-
pilations ridicules que la mode ou plutôt la manie des dictionnaires
multiplie de jour en jour. Si ce livre est bien fait, il est utile aux ar-
tistes • s'il est mauvais , ce n'est ni par le choix du sujet , m par la forme
de l'ouvrage. Ainsi l'on auroit tort de le rebuter sur son titre; il faut le
lire pour en juger.
L'utilité du sujet n'établit pas, j'en conviens, celle du livre; elle me
iustifie seulement de l'avoir entrepris , et c'est aussi tout ce que je puis
Tjrélendre : car d'ailleurs je sens bien ce qui manque a 1 exécution. L est
ici moins un dictionnaire en forme qu'un recueil de matériaux pour un
dictionnaire , qui n'attendent qu'une meilleure main pour être employés.
Les fondemens de cet ouvrage furent jetés si à la hâte , il y a quinzte
ans dans l'Encyclopédie, que, quand j'ai voulu le reprendre sous
œuvre, je n'ai pu lui donner la solidité qu'il auroit eue sijavoiseu
dus de temps pour en digérer le plan et pour l'exécuter.
Je ne formai pas de moi-même cette entreprise; elle me fut proposée :
on ajouta que le manuscrit entier de V Encyclopédie devoit être complet
avant qu'il en fût imprimé une seule ligne; on ne me donna que trois
i Quand l'espèce grammaticale des mots pouvoil embarrasser quehiue
lecle.^- on l'a désignée par les abréviations usitées : .. n., verbe neutre;
rif SUBSTANTIF MASCULIN, 6 tc. On ne s'est pas asservi a cette specif.caUon pour
chruue ailicle, parce que ce n'est pas ici un dictionnaire de langue On a pns
un soin plus Aéces.aue pour des mots qui ont plusieurs sens, en les dislm-
^uanîim une lettre majuscule quand on les prend dans le sens tcchn.qu. e
mr une petite lettre quand on les prend dans le sens du discours. Ainsi ces
Sis 1> et Air, mesure et Mesure, note et Note, temps et Temps, portée et
Po ;e ne sont amais équivoques, et le sens en est toujours déterminé par
la manière de les écrire*. Quelques autres sont plus embarrassants, comme
TonZlà^ns l'art deux acceptions toutes différentes. On a pns le parti de
1 ecHre en italique pour distinguer un intervalle, et en romam pour designer
une moddaUom Au moyen de celte précaution, la phrase suivante, par exem-
''': S^rt ïons m?;!:;:! nntervalle de la Tonique à la Médiante est corn-
posé d'un Ton majeur et d'un Ton m.meur. »
* Cette règle n'a pas été suivie exaclement même dans les éditions origi-
nales et pour éviter une bigarrure peu agréable à l'œil et sans utilité réelle
pour le lecteur, nous avons cru, comme tous les éditeurs modernes, qu il
gsroit m-eux de suivre l'usage ordinaire. (Ed.)
I
Pr.ÉFACE. 323
dois pour remplir ma tâche, et trois ans pouvoient me suffire à peine
] Dur lire, extraire, comparer et compiler les auteurs dont j'avois be-
soin ; mais le zèle de l'amitié m'aveugla sur l'impossibilité du succès
Fidèle à ma parole , aux dépens de ma réputation , je fis vite et mal , ne
pouvant bien faire en si peu de temps. Au bout de "trois mois mon n\a-
nuscrit entier fut écrit, mis au net, et livré. Je ne l'ai pas revu depuis.
Si j'avois travaillé volume à volume comme les autres, cet essai, mieux
digéré , eût pu rester dans l'état où je l'aurois mis. Je ne me repens pa?
d'avoir été exact, mais je me repens d'avoir été téméraire, et d'avoir
plus promis que je ne pouvois exécuter.
Blessé de l'imperfection de mes articles, à mesure que les volumes de
l'Encyclopédie paroissoient, je résolus de refondre le tout sur mor
brouillon, et d'en faire à loisir un ouvrage à part traité avec plus de
soin. J'étois, en recommençant ce travail, à portée de tous les secoure
nécessaires ; vivant au milieu des artistes et des gens de lettres , je pou-
vois consulteras uns et les autres. M. l'abbé Sallier me fournissoit, de
la Bibliothèque du roi, les livres et manuscrits dont j'avois besoin , e'
-souvent je tirois de ses entretiens des lumières plus sûres que de mes
recherches. Je crois devoir à la mémoire de cet honnête et savant homme
un tribut de reconnoissance que tous les gens de lettres qu'il a pu ser-
■vir partageront sûrement avec moi.
Ma retraite à la campagne m'ôta toutes ces ressources au moment que
je commençois d'en tirer parti. Ce n'est pas ici le lieu d'expliquer les
raisons de cette retraite : on conçoit que, dans ma façon de penser,
l'espoir de faire un bon livre sur la musique n'en étoit pas une pour me
retenir. Éloigné des amusemens delà ville, je perdis bientôt les goûts
qui s'y rapportoient; privé des communications qui pouvoient m'éclai-
rer sur mon ancien objet , j'en perdis aussi toutes les vues ; et soit que
depuis ce temps l'art ou sa théorie aient fait des progrès , n'étant pas
même à portée d'en rien savoir, je ne fus plus en état de les suivre.
Convaincu cependant de l'utilité du travail que j'avois entrepris, je m'y
remettois de temps à autre, mais toujours avee moins de succès, et
toujours éprouvant que les difficultés d'un livre de cette espèce deman-
dent pour les vaincre des lumières que je n'étois plus en état d'acquérir,
et une chaleur d'intérêt que j'avois cessé d'y mettre. Eqfin, désespérant
d'être jamais à portée de mieux faire, et voulant quitter pour toujours
des idées dont mon esprit s'éloigne de plus en plus, je me suis occupé,
dans ces montagnes, à rassembler ce que j'avois fait à Paris et à Mont-
morency, et de cet amas indigeste est sorti l'espèce de dictionnaire
qu'on voit ici.
Cet historique m'a paru nécessaire pour expliquer comment les cir-
constances m'ont forcé de donner en si mauvais état un livre que j'au-
rois pu mieux faire avec les secours dont je suis privé. Car j'ai toujours
cru que le respect qu'on doit au public n'est pas de lui dire des fadeurs,
mais de ne lui dire rien que de vrai et d'utile, ou du moins qu'on ne
juge tel; de ne lui rien présenter sans y avoir donné tous les so;ns dont
on est capable . et de croire qu'en faisant de son mieux on ne fait jamai
assez bien pour lui.
S24 blCTlOlSNAir.lî DE MUSIQUE.
Je n'ai pas cru toutefois que l'état d'imperfection où j'étois forcé de
laisser cet ouvrage dût m'empécher de le publier, parce qu'un livre de
celte espèce étant utile à l'art, il est infiniment plus aisé d'en faire
un bon sur celui que je donne que de commencer par tout créer. Le-
connoissances nécessaires pour cela ne sont peut-être pas fort grandes .
«la's elles sont fort variées, et se trouvent rarement réunies dans la
même tête. Ainsi mes compilations peuvent épargner beaucoup de tra-
vail à ceux qui sont en état d'y mettre l'ordre nécessaire; et tel, mar-
quant mes erreurs, peut faire un excellent livre, qui n'eût jamais rien
fait de bon sans le mien.
J'avertis donc ceux qui ne veulent souffrir que des livres bien faits de
ne pas entreprendre la lecture de celui-ci; bientôt ils en seroient rebu-
tés; mais pour ceux que le mal ne détourne pas du bien, ceux qui n-
sont pas tellement occupés des fautes, qu'ils comptent pour rien ce qui
les rachète; ceux enfin qui voudront bien chercher ici de quoi compen-
ser les miennes, y trouveront peut-être assez de bons articles pour to-
lérer les mauvais, et, dans les mauvais même, assez d'observations
neuves et vraies pour valoir la peine d'être triées et choisies parmi le
/este'. Les musiciens lisent peu; et cependant je connois peu d'arts ou
la lecture et la réflexion soient plus nécessaires. J'ai pensé qu'un ou-
vrage de la forme de celui-ci seroit précisément celui qui leur convenoit ,
et que, pour le leur rendre aussi profitable qu'il étoit possible, il falloit
moins y dire ce qu'ils savent que ce qu'ils auroient besoin d'apprendre.
Si les manœuvres et les croque-notes relèvent souvent ici des erreurs,
yespère que les vrais artistes et les hommes de génie y trouveront des
•"ies utiles dont ils sauront bien tirer parti. Les meilleurs livres sont ceux
que le vulgaire décrie, e»t dont les gens à talent profitent sans en parler.
Après avoir exposé les raisons de la médiocrité de l'ouvrage, et celles
de l utilité que j'estime qu'on en peut tirer , j'aurois maintenant à en-
trer dans le détail de l'ouvrage même, à donner un précis du plan que
je me suis tracé, et de la manière dont j'ai tâché de le suivre. Mais à
mesure que les idées qui s'y rapportent se sont effacées de mon esprit,
le plan sur lequel je les arrangeois s'ect de même effacé de ma mémoire.
Mon premier projet étoit d'en traiter si relativement les articles , d'en
lier si bien les suites par des renvois, que le tout, avec la com.modité
d'un dictionnaire , eût l'avantage d'un traité suivi : mais pour exécuter
ji projet il eût fallu me rendre sans cesse présentes toutes les parties de
l'art, et n'en traiter aucune sans me rappeler les autres; ce que le dé-
faut de ressources et mon goût attiédi m'ont bientôt rendu impossible,
et que j'eusse eu même bien de la peine à faire au milieu de mes pre
\. Dans une lettre à de Lalande, du mois de mars 1768, et dans le pre-
mier de ses Dialogues, Rousseau indique spécialemenl comme dignes d'une
allenlion particulière et comme n'appartenant qu'à lui seul les articles de ce
Dictionnaire se rapportan». aux mots Accent, Consonnance, Dissonance, Ex-
pression^ Fugue, Goût, Harmonie, Intervalle, Licence, Mode, Modulation,
Opéra, Piénaration, Récitatif, Son, Teniférame.it, Trio, Unité de mélodie,
f^'oix, et surtout l'article Enharmonique, dans lequel, dit-il, ce genre, jusqu'à
présent Irès-mal entendu, est mieux expliqué que dans aucun livie. ^Èu.)
PRÉFACE. 325
miers guides, et plein de ma première ferveur. Livré à moi seul,
n'ayant plus ni savans ni livres à consulter-, forcé, par conséquent, de
trailer chaque article en lui-même . et sans égard à ceux qui s'y rappor-
toient, pour éviter des lacunes j'ai dû faire bien des redites. Mais j'ai
cru que , dans un livre de l'espèce de celui-ci , c'etoit encore un moindre
mal de commettre des fautes que de faire des omiss eus.
Je me suis donc attaché surtout à bien compléter le vocabulaire, et
non-seulement à n'omettre aucun terme technique, mais à passer plu-
tôt quelquefois les limite? de l'art que de n'y pas toujours atteindre . et
cela m'a mis dans la uécessité de parsemer souvent ce Dictionnaire de
mots italiens et de mots grecs : les uns, tellement consacrés par l'usage,
qu'il faut les entendre même dans la pratique; les autres, adoptés de
même par les savans, et auxquels, vu la désuétude de ce qu'ils expri-
ment, on n'a pas donné de synonymes en françois. J'ai tâché cependant
de me renfermer dans ma règle, et d'éviter l'excès de Brossard qui.
donnant un dictionnaire françois, en fait le vocabulaire tout italien, et
l'enfle de mots absolument étrangers à l'art qu'il traite. Car qui s'imagi-
nera jamais que la Vierge, les apôtres, la messe, les morts, soient des
termes de musique, parce qu'il y a des musiques relatives à ce qu'ils
expriment: que ces autres mots page, feuillet , quatre , cinq, gosier,
raison, déjà, soient aussi des termes techniques, parce qu'on s'en sert
quelquefois en parlant de l'art?
Quant aux parties qui tiennent à l'art sans lui être essentielles , et qui
ne sont pas absolumerit nécessaires à l'intelligence du reste, j'ai évité,
autant que j'ai pu, d'y entrer. Telle est celle des instrumens de musi-
que, parlie vaste, et qui rempliroit seule un dictionnaire, surtout par
rapport aux instrumens des anciens. M. Diderot s'etoit chargé de cette
partie de ï Encyclopédie; et comme elle n'enlroit pas dans mon premier
plan , je n'ai eu garde de l'y ajouter dans la suite , après avoir si bien
senti la difficulté d'exécuter ce plan tel qu'il étoit.
J'ai traité la partie harmonique dans le système de la basse fondamen-
tale, quoique ce système, imparfait et défectueux à tant d'égards, ne
soit point, selon moi, celui de la nature et de la vérité, et qu'il en ré-
suite un remplissage sourd et confus, plutôt qu'une bonne harmonie :
mais c'est un système enfin; c'est le premier, et c'étoit le seul, jusqu'à
celui de M. Tartini, où l'on ait lié par des principes ces multitu(ies de
règles isolées qui serabloienl toutes arbitraires , et qui faisoient de l'art
harmonique une étude de mémoire plutôt que de raisonnement. Le svs-
tème de M. Tartini, quoique meilleur à mon avis, n'étant pas encore
aussi généralement connu , et n'ayant pas . du moins en France , la même
autorité que celui de M. Rameau , n'a pas dû lui être substitué dans un
livre destiné principalement pour la nation françoise. Je me suis donc
contenté d'exposer de mon mieux les principes de ce système dans ua
article de mon Dictionnaire, et du reste j'ai cru devoir cette déférence
à la nation pour laquelle j'écrivo s. de préférer son sentiment au mien
sur le fond de la doctrine harmonique. Je n'ai pas dû cependant m'abs-
tenir, dans L'occasion, des objections nécessaires à l'intelligence des
articles que j'avois à traiter : c'eût été sacrifier l'utilité du livre au pré-
"^26 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
jugé des lecteurs; c'eût élé flatter sans instruire, et changer la défé-
rence en lâcheté.
J'exhorte les artistes et les amateurs de lire ce livre sans défiance , et
de le juger avec autant d'impartialité que j'en ai rais à l'écrire. Je les
prie de considérer que, ne professant pas, je n'ai d'autre intérêt ici
que celui de l'art; et quand j'en aurois, je devrois naturellement ap-
puyer en faveur de la musique françoise , où je puis tenir une place ,
contre l'italienne, où je ne puis être rien. Mais cherchant sincèrement
le progrès d'un art que j'aimois passionnément, mon plaisir a fait taire
ma vanité. Les premières habitudes m'ont longtemps attaché à la musi-
que françoise , et j'en étois enthousiaste ouvertement. Des comparaisons
attentives et impartiales m'ont entraîné vers la musique italienne, et je
m'y sut* livré avec la même bonne foi. Si quelquefois j'ai plaisanté,
c'est pour répondre aux autres sur leur propre ton; mais je n'ai pas
comme eux donné des bons mots pour toute preuve, et je n'ai plai-
santé qu'après avoir raisonné. Maintenant que les malheurs et les maux
m'ont enfin détaché d'un goût qui n'avoil pris sur mçi que trop d'em-
pire, je persiste, par le seul amour de la vérité, dans les jugemens que
le seul amour de l'art m'a voit fait porter. Mais, dans un ouvrage comme
celui-ci, consacré à la musique en général, je n'en connois qu'une, qui
n'étant d'aucun pays, est celle de tous; et je n'y suis jamais entré dans
la querelle des deux musiques que quand il s'est agi d'éclaircir quelque
point important au progrès commun. J'ai fait bien des fautes, sans
doute , mais je suis assuré que la partialité ne m'en a pas fait commettre
une seule. Si elle m'en fait imputer à tort par les lecteurs, qu'y puis-je
faire? ce sont eux alors qui ne veulent pas que mon livre leur soit bon.
Si l'on a vu, dçins d'autres ouvrages, quelques article; peu importans
qui sont aussi dans celui-ci, ceux qui pourront faire cette remarque
voudront bien se rappeler que, dès l'année 1750, le manuscrit est sorti
de mes mains sans que je sache ce qu'il est devenu depuis ce temps-là.
Je n'accuse personne d'avoir pris mes articles; mais il n'est pas juste
que d'autres m'accusent d'avoir pris les leurs.
Moliers-Trayers, le 20 décembre ^764.
A
A mi la, A la mi ré, ou simplement A, sixième son de la gamme
diatonique et naturelle , lequel s'appelle autrement la. Voy. Gamme.
A batluta. "Voy. Mesuré.
A livre ouvert, ou à l'ouverture du livre. Voy. Livre.
A tempo. Voy. Mesuré.
Académie de musique. C'est ainsi qu'on appeloit autrefois en France,
et qu'on appelle encore en Italie une assemblée de musiciens ou d'ama-
teurs, à laquelle les François ont depuis donné le nom de Concert.
(Voy. Concert.)
Académie royale de musique. C'est le titre que porte encore aujour-
d'hui l'Opéra de Paris. Je ne dirai rien ici de cet établissement célèbre,..;
ACCENT. 327
sinon que, de toutes les académies du royaume et du monde, c'est
assurément celle qui fait le plus de bruit. (Voy. Opéra.)
Accent. On appelle ainsi, selon l'acception la plus générale, toute
modification de la voix parlante dans la durée ou dans le ton des syl-
labes et des mots dont le discours est composé ; ce qui montre un rap-
port très-e.xact entre les deux usages des accens et les deux parties de
la mélodie , savoir le rhythme et l'intonation. Accentus , dit le grammai-
rien Sergius dans Donat, quasi ad cantus. Il y a autant à'accens diffé-
rens qu'il y a de manières de modifier ainsi la voix ; et il y a autant de
genres à'accens qu'il y a de causes générales de ces modifications.
On distingue trois de ces genres dans le simple discours , savoir
l'accent grammatical, qui renferme la règle des accens proprement dits,
par lesquels le son des syllabes est grave ou aigu, et celle de la quan-
tité, par laquelle chaque syllabe est brève ou longue; l'accent logique
ou rationnel, que plusieurs confondent mal à propos avec le précédent;
cette seconde sorte d'accent, indiquant le rapport, la connexion plus ou
moins grande que les propositions et les idées ont enlre elles , se marque
en partie par la ponctuation; enfin l'accent pathétique ou oratoire, qui,
par diverses inflexions de voix , par un ton plus ou moins élevé, par un
parler plus vif ou plus lent, exprime les sentimens dont celui qui parle
est agité , et les communique à ceux qui l'écoutent. L'étude de ces divers
accetis et de leurs effets dans la langue doit être la grande affaire du
musicien: et Denys d'Halicarnasse regarde avec raison l'accent en gé-
néral comme la semence de toute musique. Aussi devons-nous admettre
pour une maxime incontestable que le plus ou moins à'accent est la
vraie cause qui rend les langues plus ou moins musicales : car quel
seroit le rapport de la musique au discours, si les tons de la voix chan-
tante n'imitoient les accens de la parole? D'où il suit que moins une
langue a de pareils accens, plus la mélodie y doit être monotone, lan-
guissante et fade , à moins qu'elle ne cherche dans le bruit et la force
des sons le charme qu'elle ne peut trouver dans la vérité.
Quant à l'accent pathétique et oratoire, qui est l'objet le plus immé-
diat de la musique imitative du théâtre, on ne doit pas opposer à la
maxime que je viens d'établir que tous les hommes, étant sujets aux
mêmes passions, doivent en avoir également le langage; car autre chose
est l'accent universel de la nature , qui arrache à tout homme des cris
inarticulés; et autre chose l'accent de la langue, qui engendre la mé-
lodie parliculière à une nation. La seule différence du plus ou moins
d'imagination et de sensibilité qu'on remarque d'un peuple à l'autre en
doit introduire une infinie dans l'idiome accentué, si j'ose parler ainsi.
L'Allemand , par exemple , hausse également et fortement la voix dans
la colère; il crie toujours sur le même ton. L'Italien, que mille mouve-
mens divers agitent rapidement et successivement dans le même cas,
modifie sa voix de mille manières; le même fonds de passion règne dans
ses accens et dans son langage ! Or, c'est à cette seule variété,' quand
le musicien sait l'imiter , qu'il doit l'énergie et la grâce de son chant.
Malheureusement tous ces accens divers , qui s'accordent parfaitement
dans la bouche de l'orateur, ne sont pas si faciles à concilier sous la
328 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
lilume (lu musicien , déjà si gêné par les règles particulières de son art
On ne peut douter que la musique la plus parfaite ou du moins la plus
expressive ne soit celle où tous les accens sont le plus exactement obser-
vés ; mais ce qui rend ce concours si difficile est que trop de règles dans
cet art sont sujettes à se contrarier mutuellement, et se contrarient
d'autant plus que la langue est moins musicale ; car nulle ne l'est parfai-
tement: autrement, ceux qui s'en servent chanteroient au lieu de parler.
Cette extrême difficulté de suivre à la fois les règles de tous les accens
oblige donc souvent le compositeur à donner la préférence à l'une ou à
l'autre, selon les divers genres de musique qu'il traite. Ainsi les airs de
danse exigent surtout un accent rhythmique et cadencé dont en chaque
nation le caractère est déterminé par la langue. L'accent grammatical
doit être le premier consulté dans le récitatif, pour rendre plus sensible
l'articulation des mots, sujette à se perdre par la rapidité du débit dans
la résonnance harmonique ; mais Vaccent passionné l'emporte à son tour
dans les airs dramatiques; et tous deux y sont subordonnés, surtout
dans la symphonie, à une troisième sorte d'accent, qu'on pourroit ap-
peler musical, et qui est en quelque sorte déterminé par l'espèce de
mélodie que le musicien veut approprier aux paroles.
En effet, le premier et principal objet de toute musique est de plaire
à l'oreille; ainsi tout air doit avoir un chant agréable : voilà la première
loi qu'il n'est jamais permis d'enlreindre. L'on doit donc premièrement
consulter la mélodie et l'accent musical dans le dessein d'un air quel-
conque; ensuite, s'il est question d'un chant dramatique et imitatif, il
faut chercher Vaccent pathétique qui donne au sentiment son expres-
sion, et Vaccent rationnel par lequel le musicien rend avec justesse les
idées du poète : car , pour inspirer aux autres la chaleur dont nous sommes
animés en leur parlant, il faut leur faire entendre ce que nous disons.
Vaccent grammatical est nécessaire par la même raison; et cette règle,
pour être ici la dernière en ordre, n'est pas moins indispensable que les
deux précédentes, puisque le sens des propositions et des phrases dé-
pend absolument de celui des mots; mais le musicien qui sait sa langue
a rarement besoin de songer à cet accent; il ne sauroit chanter son air
sans s'apercevoir s'il parle bien ou mal, et il lui suffit de savoir qu'il
doit toujours bien parler. Heureux toutefois quand une mélodie flexible
et coulante ne cesse jamais de se prêter à ce qu'exige la langue ! Les
musiciens françois ont en particulier des secours qui rendent sur ce
point leurs erreurs impardonnables, et surtout le Traite' de la Prosodie
française de M. l'abbé d'Olivet, qu'ils devroient tous consulter. Ceux
qui seront en état de s'élever plus haut pourront étudier la Grammaire
de Port-Royal et les savantes notes du philosophe qui l'a commentée;
alors, en appuyant l'usage sur les règles, et les règles sur les principes,
ils seront toujours sûrs de ce qu'ils doivent faire dans l'emploi de l'ac-
cent grammatical de toute espèce.
Quant aux deux autres sortes d'occens, on peut moins les réduire en
règles, et la pratique en demande moins d'étude et plus de talent. On
ne trouve point de sang-froid le langage des passions, et c'est une vérité
rebattue qu'il faut être ému soi-même pour émouvoir les autres Rien
ACCENT — ACCOMPAGNATEUR. 329
ne peut donc suppléer, dans la recherche de Vaccent pathétique, à ce
génie qui réveille à volonté tous les sentimens; et il n'y a d'autre art en
cette partie que d'allumer en son propre cœur le feu qu'on veut porter
dans celui des autres. (Voy. Génie.) Est-il question de Vaccent rationnel ,
l'art a tout aussi peu de prise pour le saisir, par la raison qu'on n'ap-
prend point à entendre à des sourds. Il faut avouer aussi que cet accent
est moins que les autres du ressort de la musique , parce qu'elle est bien
plus le langage des sens que celui de l'esprit. Donnez donc au musicien
beaucoup d'images ou de sentimens et peu de simples idées à rendre :
car il n'y a que les passions qui chantent ; l'entendement ne fait que parler.
Accent. Sorte d'agrément du chant françois, qui se notoit autrefois
sur la musique, mais que les maîtres de goût du chant marquent aujour-
d'hui seulement avec du crayon jusqu'à ce que les écoliers sachent le pla-
cer d'eux mêmes. L'accent ne se pratique que sur une syllabe longue, et
sert de passage d'une note appuyée à une autre note non appuyée, placée
sur le même degré; il consiste en un coup de gosier qui élève le son
d'un degré, pour reprendre à l'instant sur la note suivante le même son
d'où l'on est parti. Plusieurs donnoient le nom de plainte et l'accent.
CVoy. le signe et l'effet de Vaccent, pi. 'V, fig. 5'.)
AccENS. Les poètes emploient souvent ce mot au pluriel pour signifier
le chant même, et l'accompagnent ordinairement d'une épithète , comme
doux, tendres, tristes accens; alors ce mot reprend exactement le sens
de sa racine; car ilvient de cancre, cantus, d'où l'on a fait accentus,
comme concentns.
Accident, accidentel. On appelle accidens on signes accidentels les
bémols, dièses ou bécarres qui se trouvent par accident dans le courant
d'un air, et qui par conséquent n'étant pas à la clef ne se rapportent
pas au mode ou au ton principal. (Voy. Dièse, Bémol, Ton, Mode, Clef
transposée.)
On appelle aussi lignes accidentelles celles qu'on ajoute au-dessus ou
au-dessous de la portée pour placer les notes qui passent son étendue.
{Voy. Ligne, Portée.)
Accolade. Trait perpendiculaire aux lignes, tiré à la marge d'une
partition , et par lequel on joint ensemble les portées de toutes les par-
ties. Comme toutes ces parties doivent s'exécuter en même temps, on
compte les lignes d'une partition non par les portées, mais par les acco-
lades, et tout ce qui est compris sous une accolade ne forme qu'une
seule ligne. (Voy. Partition.)
Accompagnateur. Celui qui dans un concert accompagne de l'orgue,
du clavecin , ou de tout autre instrument d'accompagnement. (Voy. Ac-
compagnement.)
Il faut qu'un bon accompagnateur soit grand musicien , qu'il sache à
fond l'harmonie , qu'il connoisse bien son clavier, qu'il ait l'oreille sen-
isible, les doigts souples et le goût sûr.
C'est à Vaccompagnateur de donner le ton aux voix et le mouvement
à l'orchestre. La première de ces fonctions exige qu'il ait toujours sou?
i. Les planches sont au t. VII, à la un du Dictionnaire de musique (Éd.)
330 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
un doigt la note du chant pour la refrapper au besoin , ei soutenir on
remettre la voix quand elle foiblit ou s'égare. La seconde exige qu'il
marque la basse et son accompagnement par des coups fermes, égaux,
détachés, et bien réglés à tous égards, afin de bien faire sentir la me-
sure aux concertans, surtout au commencement des airs.
On trouvera dans les trois articles suivans les détails qui peuvent
manquer à celui-ci.
Accompagnement. C'est l'exécution d'une harmonie complète et régu-
lière sur un instrument propre à la rendre , tels que l'orgue , le clavecin ,
le téorbe , la guitare , etc. Nous prendrons ici le clavecin pour exemple ,
d'autant plus qu'il est presque le seul instrument qui soit demeuré en
usage pour Vaccompagnement.
On y a pour guide une des parties de la musique , qui est ordinaire-
ment la basse. On touche cette basse de la main gauche , et de la droite
l'harmonie indiquée par la marche de la basse, par le chant des autres
parties qui marchent en même temps, par la partition qu'on a devant
les yeux, ou par les chiffres qu'on trouve ajoutés à la basse. Les Italiens
méprisent les chiffres; la partition même leur est peu nécessaire; la
promptitude et la finesse de leur oreille y supplée, et ils accompagnent
fort bien sans tout cet appareil. Mais ce n'est qu'à leur disposition natu-
relle qu'ils sont redevables de cette facilité, et les autres peuples, qui
ne sont pas nés comme eux pour la musique, trouvent à la pratique de
ï accompagnement des obstacles presque insurmontables; il faut des
huit et dix années pour y réussir passablement. Quelles sont donc les
causes qui retardent ainsi l'avancement des élèves et embarrassent si
longtemps les maîtres, si la seule difficulté de l'art ne fait point cela?
Il y en a deux principales : l'une dans la manière de chiffrer les
liasses , l'autre dans la méthode de l'accompagnement. Parlons d'abord
de la première.
Les signes dont on se sert pour chiffrer les basses sont en trop grand
nombre. 11 y a si peu d'accords fondamentaux ! pourquoi faut-il tant de
chiffres pour les exprimer? Ces mêmes signes sont équivoques, obscurs,
insuffisans; par exemple, ils ne déterminent presque jamais l'espèce des
intervalles qu'ils expriment , ou , qui pis est , ils en indiquent d'une autre
espèce. On barre les uns pour marquer des dièses; on en barre d'autres
pour marquer des bémols; les intervalles majeurs et les superffus,
même les diminués, s'expriment souvent de la même manière : quand
les chiffres sont doubles, ils sont trop confus; quand ils sont simples ,
ils n'offrent presque jamais que l'idée d'un seul intervalle, de sorte qu'on
en a toujours plusieurs à sous-entendre et à déterminer.
Comment remédier à ces inconvéniens? Faudra-t-il multiplier les
signes pour tout exprimer? mais on se plaint qu'il y en a déjà trop.
Faudra-t-il les réduire? on laissera plus de choses à deviner à l'accom-
pagnateur, qui n'est déjà que trop occupé; et dès qu'on fait tantqu»
d'employer des chiffres, il faut qu'ils puissent tout dire. Que faire donc?
Inventer de nouveaux signes, perfectionner le doigter, et faire des
signes et du doigter deux moyens combinés qui concourent à soulager
l'accompagnateur. C'est ce que M. Rameau a tenté avec beaucoup det
ACCOMPAGNEMENT. 331
igacité dans sa Dissertation sur les différentes méthodes d'accompa-
nemeni. Nous exposerons aux mo:s Chiffres et Doigter les moyens quil
ropose. Passons aux méthodes.
Comme l'ancienne musique n'étoit pas si composée que la nôtre ni
our léchant ni pour l'harmonie, et qu'il n'y avoit guère d'autres
asses que la fondamentale , tout Vaccom'pagnement ne consistoi/
u'en une suite d'accords parfaits, dans lesquels l'accompagnateu",
ibstituoit de temps en temps quelque sixte à la quinte, selon qui
oreille le conduisoit; ils n'en savoient pas davantage. Aujourd'hui
u'on a varié les modulations, renversé les parties, surchargé, peut-
tre gâté l'harmonie par des foules de dissonances, on est contraint
e suivre d'autres règles. Campion imagina, dit-on, celle qu'on ap-
elie règle de l'octave (Voy. Règle de l'octave); et c'est par cette mé-
ode que la plupart des maîtres enseignent encore aujourd'hui Vaccom-
gnement.
Les accords sont déterminés par la règle de l'octave relativement au
ng qu'occupent les notes de la basse et à la marche qu'elles suivent
ns un ton donné. Ainsi le temps étant connu, la note de la basse
ntinue aussi connue , le rang de cette note dans le ton , le rang de la
te qui la précède immédiatement, et le rang de la note qui la suit,
ne se trompera pas beaucoup en accompagnant par la règle de l'octave ,
le compositeur a suivi l'harmonie la plus simple et la plus naturelle;
;ais c'est ce qu'on ne doit guère attendre de la musique d'aujour-
hui, si ce n'est peut-être en Italie, où l'harmonie paroît se sim-
;ifier à mesure qu'elle s'altère ailleurs . De plus , le moyen d'avoir toutes
;s choses incessamment présentes? et, tandis que l'accompagnateur
en instruit, que deviennent les doigts? A peine atteint-on un accord
[l'il s'en offre un autre , et le moment de la réflexion est précisément
elui de l'exécution. 11 n'y a qu'une habitude consommée de musique,
Oe expérience réfléchie, la facilité de lire une ligne de musique d'un
i)up d'œil, qui puissent aider en ce moment; encore les plus habiles se
ompent-ils avec ce secours. Que de fautes échappent, durant l'exécu-
pn, à l'accompagnateur le mieux exercé !
Altendra-t-on, même pour accompagner, que l'oreille soit formée,
u'on fâche lire aisément et rapidement toute musique, qu'on puisse
^brouiller à livre ouvert une partition? Mais en fût-on là, on auroit
icore besoin d'une habitude du doigter fondée sur d'autres principes
accompagnement que ceux qu'on a donnés jusqu'à M. Rimeau.
Les maîtres zélés ont bien senti l'insuffisance de leurs règles: pour y
ippléer ils ont eu recours à l'énumération et à la description des con-
innances dont chaque dissonance se prépare , s'accompagne , et se
uve dans tous les différens cas : détail prodigieux que la multitude des
ssonances et de leurs combinaisons fait assez sentir, et dont la mé-
oire demeure accablée.
Plusieurs conseillent d'apprendre la composition avant de passer à
iccontpagncmcnt ; comme si l'accompagnement n'étoit pas la compo-
lion même, à l'invention près, qu'il faut de plus au compositeur*
est comme si l'on proposoit de commencer par se faire orateur pour
332 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
apprendre à lire. Combien de gens, au contraire , veulent que l'on convi
mence par Vaccompagnpmcnt à apprendre la composition ! et cet ordi!
est assurément plus raisonnable et plus naturel.
La marche de la basse, la règle de l'octave, la manière de pré-
parer et de sauver les dissonances, la composition en général, tout
cela ne concourt guère qu'à montrer la succession d'un accord à un
autre; de sorte qu'à chaque accord, nouvel objet, nouveau sujet de
réflexion. Quel travail continuel ! quand l'esprit sera-t-il assez instruit,
quand l'oreille sera-t-elle as;ez exercée pour que les doigts ne soient
plus arrêtés?
Telles sont les difficultés que M. Rameau s'est proposé d'aplanir par
ses nouveaux chiffres et par ses nouvelles règles d'accompagnement.
Je tâcherai d'exposer en peu de mots les principes sur lesquels sa
méthode est fondée.
Il n'y a dans l'harmonie que des consonnances et des dissonances ; il
n'y a donc que des accords consonnans et des accords dissonans.
Chacun de ces accords est fondamentalement divisé par tierces. (C'e^^t
le système de M. Rameau.) L'accord consonnant est composé de trois.i
notes, comme ut mi sol; et le dissonant de quatre, comme sol si ré fa_i\
laissant à part la supposition et la suspension , qui , à la place des notes'
dont elles exigent le retranchement, en introduisent d'autres comme ] ar
licence; mais V accompagnement n'en porte toujours que quatre. (Voy.
Supposition et Suspension.)
Ou des accords consonnans se succèdent, ou des accords dissonans
sont suivis d'autres accords dissonans, ou les consonnans et les disso-
nans sont entrelacés.
L'accord consonnant parfait ne convenant qu'à la tonique , la succes-
sion des accords consonnans fournit autant de toniques, et par consé-
quent autant de changemens de ton.
Les accords dissonans se succèdent ordinairement dans un même
ton , si les sons n'y sont point altérés. La dissonance lie le sens harmo-
nique; un accord y fait désirer l'autre, et sentir que la phrase n'est
pas finie. Si le ton change dans cette succession, ce changement est
toujours annoncé par un dièse ou par un bémol. Quant à la troisième'
succession, savoir, l'entrelacement des accords consonnans et disso-
nans, M. Rameau la réduit à deux cas seulement; et il prononce ea_
général (fu'un accord consonnant ne peut être immédiatement précédé
d'aucun autre accord dissonant que celui de septième de la dominante
tonique, ou de celui de sixte-quinte de la sous-dominante, excepté dans
la cadence rompue et dans les suspensions: encore prétend-il qu'il n'y
a pas d'exception quant au fond. Il me semble que l'accord parfait peut
encore être précédé de l'accord de septième diminuée, et mime de
cel ui de sixte superflue ; deux accords originaux , dont le dernier ne se
renverse point.
Voilà donc trois textures différentes des phrases harmoniques : 1" des
toniques qui se succèdent et forment autant de nouvelles modulations;
2° des dissonances qui se succèdent ordinairement dans le même ton;
3° enfin des consonnances et des dissonances qui s'entrelacent, et où la
ACCOMPAGNEMENT. 333
consonnance est, selon M. Rameau , nécessairement précédée de la sep-
tième de la dominante, ou de la sixte-quinte de la sous-dominante. Que
reste-t-il donc à faire pour la facilité de V accompagnement . sinon d'in-
diquer à l'accompagnateur quelle est celle de ces textures qui règne dans
ce qu'il accompagne? Or, c'est ce que M. Rameau veut qu'on exécute
avec de" caractères de son invention.
Un seul signe peut aisément indiquer le ton , la tonique . et son accord.
De là se tire la connoissance des dièses et des bémols qui doivent en-
trer dans la composition des accords d'une tonique à une autre.
La succession fondamentale par tierces ou par quintes, tant en mon-
tant qu'en descendant, donne la première texture des phrases harmo-
niques , toute composée d'accords consonnans.
La succession fondamentale par quintes ou par tierces, en descendant,
donne la seconde texture, composée d'accords dissonans, savoir des ac-
cords de septième; et celte succession donne une harmonie descendante.
L'harmonie ascendante est fournie par une succession de quintes en
montant ou de quartes en descendant, accompagnées de la dissonance
propre à cette succession, qui est la sixte ajoutée; et c'est la troisième
lexlure des phrases harmoniques. Cette dernière n'avoit jusqu'ici été
observée par personne, pas même par M. Rameau, quoiqu'il en ait dé-
pouvert le principe dans la cadence qu'il appelle irrégulière. Ainsi, par
es règles ordinaires, l'harmonie qui naît d'une succession de disso-
lances descend toujours, quoique, selon les vrais principes et selon la
aisou, elle doive avoir en montant une progression tout aussi régulière
ju'en descendant.
Les cadences fondamentales donnent la quatrième texture de phrases
iiarmoniques , où les consonrances et les dissonances s'entrelacent.
Toutes ces textures peuvent être indiquées par des caractères simples .
dairs, peu nombreux, qui puissent en même temps indiquer, quand il
e faut , la dissonance en général : car l'espèce en est toujours déterminée
lar la texture même. On commence par s'exercer sur ces textures prises
éparément: puis on les fait succéder les unes aux autres sur cnaqua
on et sur chaque mode successivement.
Avec ces précautions , M. Rameau prétend qu'on apprend plus d'ao-
ompagnement en six mois qu'on n'en apprenoit auparavant en six ans,
t il a l'expérience pour lui. CVoy. Chiffres et Doigter.)
A l'égard de la manière d'accompagner avec intelligence, comme eUe
épend plus de l'usage et du goût que des règles qu'on en peut donner,
me contenterai de faire ici quelques observations générales que ne
oit ignorer aucun accompagnateur.
I. Quoique dans les principes de M. Rameau l'on doive toucher tous
s sons de chaque accord, il faut bien se garder de prendre toujours
ette règle à la lettre. Il y a des accords qui seroient insupoortaLIes
vec tout ce remplissage. Dans la plupart des accords dissonans, sur-
)ut dans les accords par supposition, il y a quelque son à retrancher
Dur en diminuer la dureté : ce son est quelquefois la septième, quel-
uefois la quinte: quelquefois l'une et l'autre se retranchent. On re-
•auche encore assez souvent la quinte ou l'octave de la basse dans ies
334 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE. -1
accords dissonans, pour éviter des octaves ou des quintes de suite qui
peuvent faire un mauvais effet, surtout aux extrémités. Par la même
raison , quand la note sensible est dans la basse , on ne la met pas dans
Vaccompagnement ; et l'on double au lieu de cela la tierce ou la sixte
de la main droite. On doit éviter aussi les intervalles de seconde, et
(l'avoir deux doigts joints, car cela lait une dissonance fort dure, qu'il
faut garder pour quelques occasions où l'expression la demande. En gé-
néral on doit penser en accompagnant que, quand M. Rameau veut
qu'on remplisse tous les accords, il a bien plus d'égard à la mécanique
des doigts et à son système particulier à'accompagnement qu'à la pureté
de l'harmonie. Au lieu du bruit confus que fait un pareil accompagne-
ment, il faut chercher à le rendre agréable et sonore, et faire qu'il
nourrisse et renforce la basse , au lieu de la couvrir et de l'étouffer.
Que si l'on demande comment ce retranchement de sons s'accorde
avec la définition de l'accompagnement par une harmonie complète , je
réponds que ces retranchemens ne sont , dans le vrai , qu'hypothétiques ,
et seulement dans le système de M. Rameau; que, suivant la nature,
ces accords, en apparence ainsi mutilés, ne sont pas moins complets
que les autres, puisque les sons qu'on y suppose ici retranchés les reii-
droient choquans et souvent insupportables; qu'en effet les accords
dissonans ne sont point remplis dans le système de M. Tartini comme,
dans celui de M. Rameau; que par conséquent des accords défectueux
dans celui-ci sont complets dans l'autre; qu'enfin le bon goût dans l'exé-
cution demandant qu'on s'écarte souvent de la règle générale , et Yaccom-
pagnementle plus régulier n'étant pas toujours le plus agréable, la défi-
nition doit dire la règle , et l'usage apprendre quand on s'en doit écarter.
II. On doit toujours proportionner le bruit de l'accompagnement au
caractère de la musique et à celui des instrumens ou des voix que l'on
doit accompagner. Ainsi dans un chœur on frappe de la main droite les
accords pleins; de la gauche on redouble l'octave ou la quinte, quel-
quefois tout l'accord. On en doit faire autant dans le récitatif italien;
car les sons de la basse, n'y étant pas soutenus, ne doivent se faire en-
tendre qu'avec toute leur harmonie, et de manière à rappeler fortement
et pour longtemps l'idée de la modulation. Au contraire, dans un air
lent et doux, quand on n'a qu'une voix foible ou un seul instrument à
accompagner.; on retranche des sons, on arpège doucement, on pren(J
le petit clavier. En un mot on a toujours attention que Vaccompagne-
ment, qui n'est fait que pour soutenir et embellir le chant, ne le gâte
et ne le couvre pas.
MI. Quand on frappe les mêmes touches pour prolonger le son dans
une note longue ou une tenue, que ce soit plutôt au commencement de
la mesure ou du temps fort, que dans un autre moment : on ne doit re-
battre qu'en marquant bien la mesure. Dans le récitatif italien, quelque
durée que puisse avoir une note de basse, il ne faut jamais la frapper
qu'une fois et fortement avec tout son accord; on refrappe seulement
l'accord quand il change sur la même note : mais quand un accompa-:
gnement de violons règne sur le récitatif, alors il faut soutenir la bass<> '
ft en arpéger l'accord.
ACCOMPAGNEMENT. 335
IV. Quand on accompagne de la musique vocale, on doit par Vaccom-
pagnement soutenir la voix , la guider , lui donner le ton à toutes les ren-
rtrées , et l'y remettre quand elle détonne : l'accompagnateur , ayant tou-
jours le chant sous les yeux et l'harmonie présente à l'esprit, est chargé
spécialement d'empêcher que la voix ne s'égare. {Voy. Accompagnateur.)
V. On ne doit pas accompagner de la même manière la musique ita-
lienne et la françoise. Dans celle-ci, il faut soutenir les sons, les arpéger
gracieusement et continuellement de bas en haut, remplir toujours
l'harmonie autant qu'il se peut, jouer proprement la basse, en un mot
se prêter à tout ce qu'exige le genre. Au contraire , en accompagnant de
l'italien, il faut frapper simplement et détacher les notes de la basse,
n'y faire ni trilles ni agrémens, lui conserver la marche égale et simple
qui lui convient : l'accompagnement doit être plein, sec et sans arpé-
ger, excepté le cas dont j'ai parlé numéro III. et quelques tenues ou
points d'orgue. On y peut sans scrupule retrancher des sons-, mais alors
il faut bien choisir ceux qu'on fait entendre, en sorte qu'ils se fondent
Idans l'harmonie et se marient bien avec la voix. Les Italiens ne veulent
pas qu'on entende rien dans VaccompagnemeiH ni dans la basse qui
puisse distraire un moment l'oreille du chant: et leurs accompagne-
mens sont toujours dirigés sur ce principe que le plaisir et l'attention
s'évaporent en se partageant.
VI. Quoique l'accompagnement de l'orgue soit le même que celui du
Clavecin , le goût en est très-différent. Comme les sons de l'orgue sont
soutenus, la marche en doit être plus liée et moins sautillante : il faut
lever la main entière le moins qu'il se peut, glisser les doigts d'une
touche à l'autre, sans ôter ceux qui, dans la place où ils sont, peuvent
servir à l'accord où l'on passe. Rien a'est si désagréable que d'entendre
iiacher sur l'orgue cette espèce d'accompagnement sec, arpégé, qu'on
,€st forcé de pratiquer sur le clavecin. (Voy. le mot Doigter.] En général
l'orgue, cet instrument si sonore et si majestueux, ne s'associe avec
aucun autre, et ne fait qu'un mauvais effet dans l'accompagnement , si
ce n'est tout au plus pour fortifier les rippiènes et les chœurs.
M. Rameau, dans ses Erreurs sur la musique, vient d'établir ou du
moins d'avancer un nouveau principe dont il me censure fort de n'avoir
pas parlé dans l'Encyclopédie ; savoir que l'accompagnement représente-
le corps sonore. Comme j'examine ce principe dans un autre écrit . je me
dispenserai d'en parler dans cet article, qui n'est déjà que trop long.
Mes disputes avec M. Rameau sont les choses du monde les plus inutiles
au progrès de l'art, et par conséquent au but de ce Dictionnaire.
.ACCOMPAGNEMENT est encore toute partie de basse ou d'autre instru-
ment, qui est composée sous un chant pour y faire harmonie. Ainsi un
solo de violon s'accompagne du violoncelle ou du clavecin, et un ac-
compagnement de flûte se marie fort bien avec la voix. L'harmonie de
l'accompagnement ajoute à l'agrément du chant, en rendant les sens
plus sûrs, leur effet plus doux, la modulation plus sensible, et portant
à l'oreille un témoignage de justesse qui la flatte. Il y a même, par rap-
port aux voix, une forte raison de les faire toujours accompagner d
quelque instrument, soit en partie, soit à l'unisson; car quoique plu*
336 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
sieurs prétendent qu'en chantant la voix se modifie naturellenaent selon
les lois du tempérament (voy. Tempérament), cependant l'expérience
nous dit que les voix les plus justes et les mieux exercées ont bien de la
peine à se maintenir longtemps dans la justesse du ton, quand rien ne
les y soutient. A force de chanter on monte ou l'on descend insensible-
ment, et il est très-rare qu'on se trouve exactement en finissant dans le
ion d'où l'on étoit parti. C'est pour empêcher ces variations que l'har-
monie d'un instrument est employée; elle maintient la voix dans la
même diapason , ou l'y rappelle aussitôt quand elle s'égare. La basse est
de toutes les parties la plus propre à. V accompagnement , celle qui sou-
tient le mieux la voix et satisfait le plus l'oreille, parce qu'il n'y en a
point dont les vibrations soient si fortes , si déterminantes , ni qui laisse
moins d'équivoque dans le jugement de l'harmonie fondamentale.
Accompagner, v. a. etn. C'est en général jouer les parties d'accom-
pagnement dans l'exécution d'un morceau de musique; c'est plus particu-
lièrement, sur un instrument convenable, frapper avec chaque note
de la basse les accords qu'elle doit porter, et qui s'appellent l'accom-
pagnement. J'ai suffisamment expliqué dans les précédens articles en
(]uoi consiste cet accompagnement. J'ajouterai seulement que ce mot
même avertit celui qui accompagne dans un concert qu'il n'est chargé
que d'une partie accessoire, qu'il ne doit s'attacher qu'à en faire valoir
d'autres, que sitôt qu'il a la moindre prétention pour lui-même, il gâte
l'exécution, et impatiente à la fois les concertans et les auditeurs; plus
il croit se faire admirer, plus il se rend ridicule; et sitôt qu'à force de
bruit ou d'ornemens déplacés il détourne à soi l'attention due à la
partie principale, tout ce qu'il montre de talent et d'exécution montre
à la fois sa vanité et son mauvais goût. Pour accompagner avec intelli-
gence et avec applaudissement, il ne faut songer qu'à soutenir et faire
valoir les parties essentielles, et c'est exécuter fort habilement la sienne
que d'en faire sentir l'effet sans la laisser remarquer.
Accord , s. m. Union de deux ou plusieurs sons rendus à la fois . et
formant ensemble un tout harmonique.
L'harmonie naturelle produite par la résonnance d'un corps sonore
est composée de trois sons difîérens, sans compter leurs octaves, les-,
quels forment entre eux Vaccord le plus agréable et le plus parfait que
l'on puisse entendre : d'où on l'appelle par excellence accord parfait.
Ainsi pour rendre complète l'harmonie , il faut que chaque accord soit
au moins composé de trois sons. Aussi les musiciens trouvent-ils dans,
le trio la perfection harmonique, soit parce qu'ils y emploient les ac-
cords en entier, soit parce que, dans les occasions où ils ne les em-
ploient pas en entier, ils ont l'art de donner le change à l'oreille, et de
lui persuader le contraire, en lui présentant les sons principaux des
accords de manière à lui faire oublier les autres. (Voy. Trio.) Cependant
l'octave du son produisant de nouveaux rapports et de nouvelles con-
sonnances par les complémens des intervalles (voy. Complément) , on
ajoute ordinairement cette octave pour avoir l'ensemble de toutes les
consonnances dans un même accord. (Voy. Consonnance.) De plus, l'ad-
dition de la disôonance (voy. Dissonance) produisant un quatrième sos
ACCORD.
337
ajouté à Vaccord parfait, c'est une nécessité, si l'on veut remplir l'ac-
cord , d'avoir une quatrième partie pour exprimer cette dissonance. Ainsi
la suite des accords ne peut être complète et liée qu'au moyen de quatre
parties.
On divise les accords en parfaits ou imparfaits. L'accord parfait est
celui dont nous venons de parler , lequel est composé du son fondamental
au grave, de sa tierce, de sa quinte, et de son octave; il se subdivise
en majeur ou mineur, selon l'espèce de sa tierce. (Voy. Majeur, Mi'
neur.) Quelques auteurs donnent aussi le nom de parfaits à tous les
[accords, même dissonans, dont le son fondamental est au grave. Les
accords imparfaits sont ceux où règne la si.xte au lieu de la quinte , et en
général tous ceux dont le son grave n'est pas le fondamental. Ces déno-
minations, qui ont été données avant que l'on connût la basse fonda-
mentale, sont fort mal appliquées : celles d'accords directs ou renversés
sont beaucoup plus convenables dans le même sens. (Voy. Renversement.)
Les accords se divisent encore en consonnans et dissonans. Les
accords consonnans sont l'accord parfait et ses dérivés : tout autre ac-
cord est dissonant. Je vais donner une table des uns et des autres selon
le système de M. Rameau.
TABLE
DE TOUS LES ACCORDS REÇUS DANS L'HARMONIE.
ACCORDS FONDAMENTAUX.
ACCORD PARFAIT, ET SES DÉRIVÉS.
Le son fondamental au grave. Sa Uerce au grave. Sa quinte au grave.
-Q-
O
O
-o-
Accord parfait.
Accord de sixte. Accord de sixle-quarie.
Cet accord constilue le ton, et ne se fait que sur la tonique : sa tiercs
peut être majeure ou mineure, et c'est elle qui constitue le mode.
ACCORD StNSmLE OD DOMINANT, £T SES I ÉRIVÙ
Le son fondameulal Sa tierce Sa quinte Sa septième
au grave.
au grave.
i
o
o
o
o
Accord sensible.
Rousseau vi
O
De fausse
quinte.
O
au gra\e .
0
-O-
De petite
sixie majeure.
De irilon.
338 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
Aucun des sons de cet accord ne peut s'altérer.
ACCORD DE SEPTIÈME, ET SES DÉRIVÉS.
Le son fondamental
an crave.
Sa tierce
au grave.
Sa quinte
au grave
Sa scp:ièrae
au grave.
m
-o-
o
p
o
o
o
o
De grande
sixle.
De petite sixle
mineure.
De seconde.
O
Accord
de septième.
La tierce , la quinte et la septième peuvent s'altérer dans cet accord.
ACCORD DE SEPTIÈME DIMINUÉE, ET SES DÉRIVÉS.
Le son fondamental Sa tierce Sa quinte Sa septième
au grave. au grave. au gnjve. au cr.ivc.
O
-^
-e-
-e-
^
■^
F^
o
-Ir*^
Accord de septième De sixle majeure. De tierce mi-
diaiiiiuée. et fausse quinte, neure.ellrilon.
Aucun des sons de cet accord ne peut s'altérer.
De seconde
superflue.
ACCORD DE SIXTE AJOUTEE, ET SES DERIVES.
Le son fondamental
au sra-^'^--
Sa tierce
au grave.
Sa quinte
au grave.
Sa sixte
au grave.
O
-e-
o
.accord
de sixte ajoutée.
De petite sixte
ajoutée.
De seconde
ajoutée.
De septième
ajoutée.
Je joins ici partout le mot ajoutée pour distinguer cet accord et ses
renversés des productions semblables de l'accord de septième.
Ce dernier renversement de septième ajoutée n'est pas admis par
M. Rameau, parce que ce renversement forme un accord de septième,
et que Vaccord de septième est fondamental. Cette raison paroît peu so-
lide. Une faudroit donc pas non plus admettre la grande sixte comme un
renversement, puisque, dans les propres principes de M. Rameau , ce
même accord est souvent fondamental. Mais la pratique des plus grands
musiciens , et la sienne même , dément l'exclusion qu'il voudroit établir.
ACCORD.
àcconn DE SIXTE superflu».
339
^^^
_Q_
Cet accord ne se renverse point, et aucun de ses sons ne peut s'al-
térer. Ce n'est proprement qu'un accord de petite sixte majeure diésée
par accident, et dans lequel on substitue quelquefois la quinte à la
quarte. ^
ACCORDS PAR SIPPJSITION.
(Vuj. Stijij osilion.)
ACCORD D. NEUVlfMK, ET SES DÉRIVÉS.
Le son supposé Le son fonda- Sa lieice Sa septième
au grave. menlal au grave, au grave. au grave.
-e-
rs — ©-
-e-
-e-
:§;
-o-
-o-
-e-
-Q-
Accord
de neuvième.
De septième De sixte-quarte De septième
et sixte. et quinte. et seconde.
C'est un accord de septième auquel on ajoute un cinquième son à la
tierce au-dessous du fondamental.
On retranche ordinairement la septième, c'est-à-dire la quinte du son
fondamental, qui est ici la note marquée en noir; dans cet état l'accord
de neuvième peut se renverser en retranchant encore de l'accorapac^ne-
ment 1 octave de la note qu'on porte à la basse. °
ACCORD DE QUIXTE SUPERFLUE.
-o-
-e-
— ^
i
— e—
C'est l'accord sensible d'un ton mineur au-dessous duquel on fait en-
tendre la mediante; ainsi c'est un véritable accord de neuvième- mais
1 ne se renverse point , à cause de la quarte diminuée que donneroit
n intervalle banni de Iharmcnie. <= ' i i
340
DICTIONNAIRE DE ÎIUSIQUE.
ACCORD D ONZIEME , OU QUARTE.
Le son supposé
au grave.
Id. en relran-
clianl deux
sons.
O
Le son fon-
damenlal au
grave.
P
Sa septième
au grave.
-Q-
-J o
O
Accord de neuvième
Accord
De septième
De seconde
et quarte.
de quarte.
et quarte.
et quinte.
C'est un accord de septième au-dessous duquel on ajoute un cin-
quième son à la quinte du fondamental. On ne frappe guère cet accord
plein à cause de sa dureté; on en retranche ordinairement la neuvième
et la septième, et, pour le renverser, ce retranchement est indis-
pensable.
ACCORD DE SEPTIÈME SUPERFLUE.
u
— e ^
C'est l'accord dominant sous lequel la basse fait la tonique.
ACCORD DE SEPTIÈME SUPERFLUE ET SIXTE MINEURE.
-o-
-MrB-
^
C'est Vaccord de septième diminuée sur la note sensible, sous lequel
la basse fait la tonique.
Ce? deux derniers accords ne se renversent point, parce que la note
sensible et la tonique sentendroient ensemble dans les parties s pé-
rieures; ce qui ne peut se tolérer.
Quoique tous les accords soient pleins et complets dans cette table,
comme il le falloit pour montrer tous leurs éJemens. ce n'est pas à dira
fju'il faille les employer tels; on ne le peut pas toujours et on le doit
très-rarement. Quant aux sons qui doivent être préfères selon la place
et l'usage des accords , c'est dans ce choix exquis et nécessaire que con-
siste le plus grand art du compositeur. (Voy. Composition, Mélodie.
Effet . Expression , etc.)
-Nous parlerons aux mots Harmonie, Basse fondamentale, Compoxi'
ACCORD — ACCORD DISSONANT. 341
tion , etc. , de la manière d'employer tous ces accords pour en fermer une
harmonie régulière. J'ajouterai seulement ici les observations suivantes.
I. C'est une grande erreur de penser que le choix des renversemens
d'un même aixord soit indifférent pour l'harmonie ou pour l'expression.
Il n'y a pas un de ces renversemens qui n'ait son caractère propre. Tout
le monde sent l'opposition qui se trouve entre la douceur de la fausse
quinte et l'aigreur du triton; et cependant l'un de ces intervalles est
renversé de l'autre. Il en est de même de la septième diminuée et de la
seconde supeiflue, de la seconde ordinaire et de la septième. Qui ne
sait combien la quinte est plus sonore que la quarte? L'accord de
grande sixte et celui de petite sixte mineure sont deux faces du même
accord fondamental: mais de combien l'une n'est-elle pas plus harmo-
nieuse que l'autre ! L'accord de petite sixte majeure , au contraire , n'est-
il pas plus brillant que celui de fausse quinte? Et, pour ne parler que
du plus simple de tous les accords, considérez la majesté de l'accord
parfait, la douceur de l'accord de sixte, et la fadeur de celui de sixte-
quarte, tous cependant composés des mêmes sons. En général les in-
tervalles superflus, les dièses dans le haut, sont propres par leur dureté
à exprimer l'emportement, la colère et les passions aiguës : au contraire,
les bémols à l'aigu et les intervalles diminués forment une harmonie
plaintive qui attendrit le cœur. C'est une multitude d'observations sem-
blables qui, lorsqu'un habile musicien sait s'en prévaloir, le rendent
maître des affections de ceux qui l'écoutent.
II. Le choix des intervalles simples n'est guère moins important que
celui des accords pour la place où l'on doit les employer. C'est, par
exemple, dans le bas qu'il faut placer les quintes et les octaves par pré-
férence , dans le haut les tierces et les sixtes. Transposez cet ordre , vous
gâterez l'harmonie en laissant les mêmes accords.
III. Enfin, l'on rend les accords plus harmonieux encore en les rap-
prochant par de petits intervalles plus convenables que les grands à la
capacité de l'oreille. C'est ce qu'on appelle resserrer l'harmonie , et que
si peu de musiciens savent pratiquer. Les bornes du diapason des voix sont
une raison de plus pour resserrer les chœurs. On peut assurer qu'un chœur
est mal fait lorsque les accords divergent", lorsque les parties crient,
sortent de leur diapason , et sont si éloignées les unes des autres qu'elles
semblent n'avoir plus de rapport entre elles.
On appelle encore accord l'état d'un instrument dont les sons fixes
sont entre eux dans toute la justesse qu'ils doivent avoir. On dit en ce
sens qu'un instrument est d'accord, qu'il n'est pas à'accord, qu'il garda
ou ne garde pas son accord. La même expression s'emploie pour deux
voix qui chantent ensemble , pour deux sons qui se font entendre à la
fois, soit à l'unisson, soit en contre-partie.
Accord dissonant, Faux accord. Accord faux, sont autant de dif-
férentes choses qu'il ne faut pas confondre. Accord dissonant est celui
qui contient quelque dissonance; Accord faux, celui dont les sons sont
mal accordés et ne gardent pas entre eux la justesse des intervalles :
Faux accord, celui qui choque l'oreille . parce qu'il est mal composé, et
que les sons , quoique justes , n'y forment pas un tout harmonique.
342 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
Accorder des instrumens, c'est tendre ou lâcher les cordes, allonger
ou raccourcir les tuyaux, augmenter ou diminuer la masse du corps
sonore , jusqu'à ce que toutes les parties de l'instrument soient au ton
qu'elles doivent avoir.
Pour accorder un instrument, il faut d'abord fixer un son qui serve
aux autres de terme de comparaison. C'est ce qu'on appelle prendre ou
donner le ton. (Voy. Ton.) Ce son est ordinairement Vut pour l'orgue et
le clavecin , le iapour le violon et la basse, qui ont ce la, sut une corde
à vide et dans un médium propre à être aisément saisi par l'oreille.
A l'égard des flûtes, hautbois, bassons et autres instrumens à vent,
ils ont leur ton à peu près fixé , qu'on ne peut guère changer qu'en chan-
geant quelque pièce de l'instrument. On peut encore les allonger un peu
à l'emboîture des pièces, ce qui baisse le ton de quelque chose; mais il
doit nécessairement résulter des tons faux de ces variations, parce que
la juste proportion est rompue entre la longueur totale de l'instrument
et les distances d'un trou à l'autre.
Quand le ton est déterminé , on y fait rapporter tous les autres sons
de l'instrument, lesquels doivent être fixés par l'accord selon les inter-
valles qui leur conviennent. L'orgue et le clavecin s'accordent par quintes
jusqu'à ce que la partition soit faite, et par octaves pour le reste du
clavier : la basse et le violon, par quintes; la viole et la guitare, par
quartes et par tierces , etc. En général on choisit toujours des inter-
valles consonnans et harmonieux, afin que l'oreille en saisisse plus
•«iséraent la justesse.
Cette justesse des intervalles ne peut, dans la pratique, s'observer à
,oute rigueur, et pour qu'ils puissent tous s'accorder entre eux, il faut
que chacun en particulier souffre quelque altération. Chaque espèce
d'instrument a pour cela ses règles particulières et sa méthode d'accor-
der. (Voy. Tempérament.)
On observe que les instrumens dont on tire le son par inspiration,
comme la flûte et le hautbois, montent insensiblement quand on a joué
quelque temps, ce qui vient, selon quelques-uns, de l'humidité qui ,
sortant de la bouche avec l'air, les renfle et les raccourcit; ou plutôt,
suivant la doctrine de M. Euler, c'est que la chaleur et la réfraction que
l'air reçoit pendant l'inspiration rendent ses vibrations plus fréquentes,
diminuent son poids, et, augmentant ainsi le poids relatif de l'atmo-
sphère , rendent le son un peu plus aigu.
Quoi qu'il en soit de la cause, il faut, en accordant, avoir égard à
l'effet prochain , et forcer un peu le vent quand on donne ou reçoit le ton
sur ces instrumens; car, pour rester d'accord durant le concert, ils
doivent être un peu trop bas en commençant.
Accordeur, s. m. On appelle accordeurs d'orgue ou de clavecin ceux
qui vont dans les églises ou dans les maisons accommoder et accorder
ces instrumens, et qui, pour l'ordinaire, en sont aussi les facteurs.
Acoustique , s. f. Doctrine ou théorie des sons. (Voy. Son.) Ce mot est
de l'invention de M. Sauveur, et vient du grec àxoOw, j'entends.
. L'acoustique est proprement la partie théorique de la musique; c'est
elle qui donne ou doit donner les raisons du plaisir que nous font l'har-
ACOUSTIQUE — ACTEUR. 343
«lonie et le chant, qui détermine les rapports des intervalles harmoniques ,
■qui découvre les affections ou propriétés des cordes vibrantes, etc.
(Voy. Cordes, Harmonie.)
Acoustique est aussi quelquefois adjectif : on dit l'organe acoustique,
mn phénomène acoustique , etc.
Acte , s. m. Partie d'un opéra séparée d'une autre dans la représen-
tation par un espace appelé entr'acte. (Voy. Entr'acie.)
L'unité de temps et de lieu doit être aussi rigoureusement observée
ilans un acte d'opéra que dans une tragédie entière du genre ordinaire , et
même plus à certains égards; carie poète ne doit point donner à un acte
d'opéra une durée hypothétique plus longue que celle qu'il a réellement,
parce qu'on ne peut supposer que ce qui se passe sous nos yeux dure
plus longtemps que nous ne le voyons durer en effet ; mais il dépend du
musicien de précipiter ou ralentir l'action jusqu'à un certain point , pour
augmenter la vraisemblance ou l'intérêt; liberté qui l'oblige à bien étu-
die°r la gradation des passions théâtrales, le temps qu'il faut pour les
développer, celui où le progrès est au plus haut point, et celui où il
convientdes'arrêter pour prévenir l'inattention, la langueur, l'épuise-
Tnent du spectateur. Il n'est pas non plus permis de changer de décora-
tion et de faire sauter le théâtre d'un lieu à un autre au milieu d'un
acte, même dans le genre merveilleux, parce qu'un pareil saut choque
la raison, la vérité, la vraisemblance, et détruit l'illusion, que la pre-
mière loi du théâtre est de favoriser en tout. Quand donc l'action est in-
terrompue par de tels changeraens, le musicien ne peut savoir ni com-
ment il les doit marquer, ni ce qu'il doit faire de son orchestre pendant
■qu'ils durent , à moins d'y représenter le même chaos qui règne alors
sur la scène.
Quelquefois le premier acte d'un opéra ne tient point à l'action prin-
cipale et ne lui sert que d'introduction : alors il s'appelle prologue.
{Voy. ce mot.') Comme le prologue ne fait pas partie de la pièce , on ne
le compte point dans le nombre des actes qu'elle contient, et qui est
souvent de cinq dans les opéras françois, mais toujours de trois dans
les italiens. (Voy. Opéra.)
Acte de cadence est un mouvement dans une des parties, et surtout
dans la basse, qui oblige toutesles autres parties à concourir à former
une cadence ou à l'éviter expressément. (Voyez Cadence , Eviter.)
Acteur , s. m. Chanteur qui fait un rôle dans la représentation d'un
opéra. Outre toutes les qualités qui doivent lui être communes avec l'ac-
teur dramatique, il doit en avoir beaucoup de particulières pour réussir
dans son art. Ainsi il ne suffit pas qu'il ait un bel organe pour la parole ,
s'il ne l'a tout aussi beau pour le chant; car il n'y a pas une telle
liaison entre la voix parlante et la voix chantante , que la beauté de
l'une suppose toujours celle de l'autre. Si l'on pardonne à un acteur le
défaut de quelque qualité qu'il a pu se flatter d'acquérir , on ne peut lui
pardonner d'oser se destiner au théâtre, destitué des qualités naturelles
qui y sont nécessaires, telles entre autres que la voix dans un chanteur.
liais par ce mot voix , j'entends moins la force du timbre que l'étendue ,
(la justesse et la flexibilité. Je pense qu'un théâtre dont l'objet est d'é-
344 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
mouvoir le cœur par les chants doit être interdit à ces voix dures et
bruyantes qui ne font qu'étourdir les oreilles; et que, quelque peu de
voix que puisse avoir un acteur, s'il l'a juste, touchante, facile, et suf-
fisamment étendue , il en a tout autant qu'il faut : il saura toujours bien
se faire entendre s'il sait se faire écouter.
Avec une voix convenable, ï acteur doit l'avoir cultivée par l'art; et
quand sa voix n'en auroit pas besoin , il en auroit besoin lui-même
pour saisir et rendre avec intelligence la partie musicale de ses rôles.
Rien n'est plus insupportable et plus dégoûtant que de voir un héros,
dans les transports des passions les plus vives, contraint et gêné dans
son rôle, peiner et s'assujettir en écolier qui répète mal sa leçon, mon-
trer, au lieu des combats de l'amour et de la vertu , ceux d'un mauvais
chanteur avec la mesure et l'orchestre, et plus incertain sur le ton que
sur le parti qu'il doit prendre. Il n'y a ni chaleur ni grâce sans facilité,
et Yacleur dont le rôle lui coûte ne le rendra jamais bien.
Il ne suffit pas à l'acteur d'opéra d'être un excellent chanteur, s'il
n'est encore un excellent pantomime; car il ne doit pas seulement faire
sentir ce qu'il dit lui-même, mais aussi ce qu'il laisse dire à la sym
phonie.
L'orchestre ne rend pas un sentiment qui ne doive sortir de son âme;
ses pas , ses regards , son geste , tout doit s'accorder sans cesse avec la
musique, sans pourtant qu'il paroisse y songer; il doit intéresser tou-
jours, même en gardant le silence : et, quoique occupé d'un rôle diffi-
cile , s'il laisse un instant oublier le personnage pour s'occuper du chan-
teur, ce n'est qu'un musicien sur la scène; il n'est plus acteur. Tel
excella dans les autres parties, qui s'est fait siffler pour avoir négligé
celle-ci. Il n'y a point à'acteur à qui l'on ne puisse à cet égard donner
le célèbre Chassé pour modèle. Cet excellent pantomime , en mettant
toujours son art au-dessus de lui, et s'efforçant toujours d'y exceller,
s'est ainsi mis lui-même fort au-dessus de ses confrères : acteur unique
et homme estimable, il laissera l'admiration et le regret de ses talens
aux amateurs de son théâtre, et un souvenir honorable de sa personne
à tous les honnêtes gens.
Adagio, adv. Ce mot écrit à la tête d'un air désigne le second, du
lent au vite , des cinq principaux degrés de mouvement distingués dans
la musique italienne. (Voy. Mouvement.) Adagio est un adverbe italien,
qui signifie à l'aise , posément , et c'est aussi de cette manière qu'il faut
battre la mesure des airs auxquels il s'applique.
Le mot adagio se prend quelquefois substantivement , et s'applique
par métaphore aux morceaux de musique dont il détermine le mouve-
ment; il en est de même des autres mots semblables. Ainsi l'on dira un
adagio de Tartini , un andante de San-Martino , un allegro de Loca-
telji, etc.
Afi-ettuoso, adj. pris adverbialement. Ce mot, écrit à la tète d'un
air, indique un mouvement moyen entre \'a7idante et l'adagio, et dans
\e caractère du chant une expression affectueuse et douce.
AGOGÉ. Conduite. Une des subdivisions de l'ancienne mélopée, la-
quelle donne les règles de la marche du chant par degrés alternativement
AGOGÉ — AIR. 345
conjoints ou disjoints, soit en montant, soit en descendant. (Voy. Mê-
lopie.)
Martianus Copella donne, après Aristide Quintilien, au mot agogé un
autre sens que j'expose au mot Tirade.
Agrémeks du chant. On appelle ainsi dans la musique françoise cer-
tains tours de gosier et autres ornemens affectés aux notes qui sont dans
telle ou telle position , selon les règles prescrites par le goût du chant.
(Voy. Goût du chant.)
Les principaux de ces agrémens sont l'accent, le coulé, le flatté,
le martellement , la cadence pleine, la cadence irisée, et le port
de voix. (Voy. ces articles chacun en son lieu, et la planche V, fig. 5.)
Aigu, adj. Se dit d'un son perçant ou élevé par rapport à quelque au-
tre son. (Voy. Son.)
En ce sens le mot aigu est opposé au mot grave. Plus les vibrations
du corps sonore sont fréquentes, plus le son est aigu.
Les sons considérés sous les rapports d'aigus et de graves sont le sujet
de l'harmonie. (Voy. Harmonie, Accord.)
Ajoutée, ou Acquise, oa Surnuméraire , adj. pris suistantiiement.
C'étoit dans la musique grecque la corde ou le son qu'ils appeloient
Proslamlanomenos. (Voy. ce mot.)
Sixte ajoutée est une sixte qu'on ajoute à l'accord parfait, et d3
laquelle cet accord ainsi augmenté prend le nom- (Voy. Accord et
Sixie.)
Air. Chant qu'on adapte aux paroles d'une chanson ou d'une petite
pièce de poésie propre à être chantée , et par extension l'on appelle air
la chanson même.
Dans les opéras l'on donne le nom d'atVs à tous les chants mesurés,
pour les distinguer du récitatif, et généralement on appelle air tout
morceau complet de musique vocale ou instrumentale formant un chant,
soit que ce morceau fasse lui seul une pièce entière, soit qu'on puisse
le détacher du tout dont il fait partie , et l'exécuter séparément.
Si le sujet ou le chant est partagé en deux parties, l'air s'appelle duo;
si en trois , trio , etc. ■
Siumaise croit que ce mot vient du latin xra; et Burette est de son
sentiment, quoique Ménage le combatte dans ses étymologies de la lan-
gue françoise.
Les Romains avoient leurs signes pour le rhythme, ainsi que les
Grecs avoient les leurs, et ces signes, tirés aussi de leurs caractères,
se nomraoient non-seulement numerus . mais encore sera, c'est-à-dire
nombre, ou la marque du nombre, numeri nota, dit Nonnius Marcel-
lu<. C'est en ce sens que le mot œra se trouve employé dans ce vers
de Lucile :
Hœc est ratio? Perversa aéra! Summa subducta improbe!
Et Sextus Rufus s'en est servi de même.
Or , quoique ce mot ne se prît originairement que pour le nombre ou
la mesure du chant, dans la suite on en fît le même usage qu'on avo:t
fait du mot numerus, et l'on se servit du mot a?ro pour désigner le chant
346 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
même; d'où est venu , selon les deux auteurs cités, le mot françois air,
€t ritalien aria, pris dans le même sens.
Les Grecs avoient plusieurs sortes d'airs qu'ils appeloient nomes ou
chansons. (Voy. Chanson.) Les nomes avoient chacun leur caractère et
leur usage, et plusieurs étoient propres à quelque instrument particu-
lier, à peu près comme ce que nous appelons aujourd'hui pièces ou
sonates.
La musique moderne a diverses espèces d'airs qui conviennent cha-
cune à quelque espèce de danse dont ces airs portent le nom. (Voy. Me-
mtet, Gatolte y Muselle, Passe-pied , etc.)
Les airs de nos opéras sont, pour ainsi dire, la toile ou le fond sur
quoi se peignent les tableaux de la musique imitative; la mélodie est le
dessin; l'harmonie est le coloris; tous les objets pittoresques de la belle
nature, tous les senlimens réfléchis du cœur humain, sont les modèles
nue l'artiste imite; l'attention, l'intérêt, le charme de l'oreille, et
l'émotion du cœur, sont la fin de ces imitations. (Voy. Imitation.) Ua
air savant et agréable , un air trouvé par le génie et composé par le
goût, est le chef-d'œuvre de la musique; c'est là que se déveloiipe une
bel'e voix, que brille une belle symphonie; c'est là que la passion vient
insensil lement émouvoir l'âme par le sens. Après un bel air on est satis-
fait, l'oreille ne désire plus rien; il reste dans l'imagination, on l'em-
porte avec soi , on le répète à volonté sans pouvoir en rendre une seule
no;e, on l'exécute dans son cerveau tel qu'on l'entendit au spectacle;
on voit la scène, l'acteur, le théâtre; on entend l'accompagnement,
l'applaudissement; le véritable amateur ne perd jamais les beaux airs
qu'il entendit en sa vie; il fait recommencer l'opéra quand il veut.
Les paroles des airs ne vont point toujours de suite, ne se débitent
point comme celles du récitatif; quoique assez courtes pour l'ordinaire,
elles se coupent, se répètent, se transposent au g;é du compositeur;
elles ne font pas une narration qui passe; elles peignent ou un tableau
qu'il faut voir sous divers points de vue, ou un sentiment dans lequel
le cœur se complaît duquel il ne peut, pour ain-i dire, se détacher, et
les différentes phrases de l'air ne sont qu'autant de manières d'envisa-
ger la même image. Voilà pourquoi le sujet doit être un. C'est par ces
répétitions bien entendues , c'est par ces coups redoublés qu'une expres-
sion qui d'abord n'a pu vous émouvoir, vous ébranle enfin, vous agite, .
vous transporte hors de vous; et c'est encore par le même principe que
les roulades qui , dans les airs pathétiques , paroissent si déplacées , ne
le sont pourtant pas toujours : le cœur, pressé d'un sentiment très-vif,
l'exprime souvent par des sons inarticulés plus vivement que par des
paroles. (Voy. Neume.)
La forme des airs est de deux espèces. Les petits airs sont ordinaire-
ment composés de deux reprises qu'on chante chacune deux fois; mais
les grands airs d'opéra sont le plus souvent en rondeau. (Voy. Ron-
deau.)
Al segno. Ces mots écrits à la fin d'un air en rondeau marquent qu'il
faut reprendre la première partie, non tout à fait au commencement,
mais à l'endroit où est marqué le renvoi
ALLA BREVE — ANACAMPTOS. 347
Alla brève. Terme italien qui marque une sorte de mesure à deux
t(!mps fort vive, et qui se note pourtant avec une ronde ou semi-brève
par temps. Elle n'est plus guère 4'usage qu'en Italie , et seulement dans
ia musique d'église. Elle répond assez à ce qu'on appeloit en Fiance du
4)ros-fa.
AiLk ZOPPA. Terme italien qui annonce un mouvement contraint et
.-yncopant entre deux temps sans syncoper entre deux mesures ; ce qui
donne aux notes une marche inégale et comme boiteuse. C'est un aver-
tissement que cette même marche continue ainsi jusqu'à la fin de
l'air.
Allegro , adj. pris adverMalement . Ce mot italien , écrit à la tête d'un
air, indique, du vite au lent, le second des cinq principaux degrés de
mouvement distingués dans la musique italienne. Allegro signifie gai;
-el c'est aussi l'indication d'un mouvement gai, le plus vif de tous après
le presto. Mais il ne faut pas croire pour cela que ce mouvement ne soit
propre qu'à des sujets gais : il s'applique souvent à des transports de
fureur, d'emportement et de désespoir, qui n'ont rien moins que de la
g ieté. (Voy. Mouvement.)
Le diminutif allegretto indique une gaieté plus modérée , un peu moins
•de vivacité dans la mesure.
Allemande, s. f. Sorte d'air ou de pièce de musique dont la mesure
■est à quatre temps et se bat gravement. Il paroît par son nom que ce
caractère d'air nous est venu d'Allemagne , quoiqu'il n'y soit point connu
du tout. L'allemande en sonate est partout vieillie, et à peine les musi-
ciens s'en servent-ils aujourd'hui : ceux qui s'en servent encore lui don-
nent un mouvement plus gai.
Allemande est aussi l'air d'une danse fort commune en Suisse et en
Allemagne. Cet air, ainsi que la danse, a beaucoup de gaieté : il se bat
à deux temps.
Altus. Voy. Haute-Contre.
Amateur. Celui qui, sans être musicien de profession , fait sa partie
dans un concert pour son plaisir et par amour pour la musique.
On appelle encore amateurs ceux qui, sans savoir la musique, ou du
■moins sans l'exercer, s'y connoissent, ou prétendent s'y connoître, et
fréquentent les concerts.
Ce mot est traduit de l'italien dilettante.
Ambitus, s. m. Nom qu'on donnoit autrefois à l'étendue de chaque
-ton ou mode du grave à l'aigu; car quoique l'étendue d'un mode fût en
quelque manière fixée à deux octaves, il y avoit des modes irréguliers
dont Vambitus excédoit cette étendue , et d'autres imparfaits où il n'y
arrivoit pas.
Dans le plain-chant. ce mot est encore usité: mais Vambitus des
modes parfaits n'y est que d'une octave : ceux qui la passent s'appellent
modes superflus; ceux qui n'y arrivent pas, modes diminués. (Voy. Mo-
^es, Tons de l'église.)
i Amoroso. Voy. Tendrement.
>■ ANACAMPTOS. Terme de la musique grecque, qui signifie une suite de
cotes rétrogrades, ou procédant de l'aigu au grave; c'est le contraire de
34R DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
Veuthia. Une des parties de l'ancienne mélopée portoit aussi le nom d'ana-
campiosa. (Voy. Mélopée.)
Andante, adj.pris substantivement. Ce mot, écrit à la tête d'un air,
désigne, du lent au vite, le troisième des cinq principaux degrés de
mouvement distinj,ués dans la musique italienne. Andante est le parti-
cipe du verbe italien andare, aller. 11 caractérise un mouvement marque
sans être gai, et qui répond à peu près à celui qu'on désigne en françois
par le mot gracieusement. (Voy. Mouvenient.)
Le'diminutif andantino indique un peu moins de gaieté dans la me-
sure; ce qu'il faut bien remarquer, le diminutif /arghetto signifiant tout
le contraire. (Voy. Largo.)
Anonner, V. n. C'est déchiffrer avec peine et en hésitant la musique
qu'on a sous les yeux.
Antienne, s. {. En latin antiphona. Sorte de chant usité dans l'Eglise
catholique.
Les antiennes ont été ainsi nommées parce que dans leur origine on
les chanloil à deux chœurs qui se répondoient alternativement, et l'on
comprenoit sous ce titre les psaumes et les hymnes que l'on chantoit
dans l'Église. Ignace, disciple des apôtres, a été, selon Socrate , l'au-
teur de cette manière de chanter parmi les Grecs; et Ambroise l'a intio-
duite dans l'Eglise latine. Théodoret en attribue l'invention à Diodore et
à Flavien.
Aujourd'hui la signification de ce terme est restreinte à certains pas-
sages courts tirés de l'Ecriture , qui conviennent à la fête qu'on célèbre ,
et qui, précédant les psaumes et les cantiques, en règlent l'into-
nation.
L'on a aussi conservé le mot kantiennes à quelques hymmes qu'on
chante en l'honneur de la Vierge , telles que Regina cœli , Salve regi-
na, etc.
Antiphonie , s. f. Nom que donnoient les Grecs à cette espèce de sym-
phonie qui s'exécutoit par diverses voix , ou par divers instrumens à
l'octave ou à la double octave, par opposition à celle qui s'exécutoit au
simple unisson, et qu'ils appeloient homophonie. (Voy. Symphonie,
Homophonie.)
Ce mot vient d'àvTt, contre, et de (pwviq, voix, comme qui diroit, op-
position de loix.
Antiphonier ou Antiphonaire, s. m. Livre qui contient en notes les
antiennes et autres chants dont on use dans l'Eglise catholique.
Apophetus, s. m. Ce qui reste d'un ton majeur après qu'on en a re-
tranché un limma, qui est un intervalle moindre d'un comma que le
semi-ton majeur. Par conséquent l'apotome est d'un comma plus grand
que le semi-ton moyen. (Voy. Comma , Semi-Ton.)
Les Grecs, qui n'ignoroient pas que le ton majeur ne peut, par des
divisions rationnelles , se partager en deux parties égales , le parlageoieni
inégalement de plusieurs manières. (Voy. Intervalle.)
De l'une de ces divisions, inventée par Pylhagore, ou plutôt par Phi-
lolaiis son disciple, résultoit le dièse ou limma d'un c .lé, et de l'autre
Vapolome , dont la raison est de 2048 à 2187.
APOPIIETUS — ARISTOXÉNIENS. 349
La génération de cet apotome se trouve à la septième quinte ut dièse
en commençant par «( naturel ; car la quantité dont cet ut dièse surpasse
y ut naturel le plus rapproché est précisément le rapport que je viens de
marquer.
Les anciens donnoient encore le même nom à d'autres intervalles; ils
appeloient apotome majeur un petit intervalle que M. Rameau appelle
quart de ton harmonique, lequel est formé de deux sons, en raison de
125 à 128.
Et ils appeloient apotome mineur l'intervalle de deux sons, en raison
dp 2025 à 2048, intervalle encore moins sensible à l'oreille que le pré-
cédent.
Jean de Mûris et ses contemporains donnent partout le nom d'apo-
tome au semi-ton mineur, et celui de dièse au semi-ton majeur.
Appréciable, adj. Les sons appréciables sont ceux dont on peut
trouver ou sentir l'unisson et calculer les intervalles. M. Euler donne un
espace de huit octaves depuis le son le plus aigu jusqu'au son le plus
grave appréciables à notre oreille ; mais ces sons extrèmfcs! n"étant
guère agréables, on ne passe pas communément dans la pratique les
bornes de cinq octaves, telles que les donne le clavier à ravalement. Il
y a aussi un degré de force au delà duquel le son ne peut plus, s'appré-
cier. On ne sauroit apprécier le son d'une grosse cloche dans le clocher
même ; il faut en diminuer la force en s'éloignant pour le distinguer. De
même les sons d'une voix qui crie cessent d'être appréciables ; c'est
pourquoi ceux qui chantent fort sont sujets à chanter faux. A l'égard du
bruit, il ne s'apprécie jamais , et c'est ce qui fait sa différence d'avec le
son. (Voy. Bruit et Son.)
Apycni , adj. plur. Les anciens appeloient ainsi dans les genres épais
trois des huit sons stables de leur s> stème ou diagramme , lesquels ne
touchoient d'aucun côté les intervalles serrés, savoir : la proslambano-
mène, la nète synnéménon, et la nète hyberboléon.
Ils appeloient aussi apycnos ou nom épais le genre diatonique, parce
que dans les tétracordes de ce genre la somme des deux premiers inter-
valles étoit plus grande que le troisième. (Voy. Épais ^ Genre, Son,
Tétracorde.)
Arbitrio. Voy. Cadenga.
Arcô, archet., s. m. Ces mots italiens, con l'arco, marquent qu'après
avoir pincé les cordes il faut reprendre Varchet à l'endroit où ils sont
écrits.
Ariette, s. f. Ce diminutif, venu de l'italien, signifie proprement
petit air; mais le sens de ce mot est changé en France , et l'on y donnu
le nom d'an'e^e à de grands morceaux de musique d'un mouvemeiil
pour l'ordinaire assez gai et marqué, qui se chantent avec des accom-
pagnemens de symphonie, et qui sont communément en rondeau.
(Voy. Air, Rondeau.)
Arioso, adj. pris adverbialement. Ce mot italien, à la tête d'un air,
indique une manière de chant soutenue, développée, et affectée aux
tirands airs,
Akistoxeniëns. Secte qui eut pour chef Aristoxène de Tarente, disci-
350 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
pie d'Aristote, et qui étoit opposée aux pythagoriciens sur la mesure
des intervalles et sur la manière de déterminer les rapports des sons;
de sorte que les aristoxéniens s'en rapportoient uniquement au ju-
gement de l'oreille, et les pythagoriciens à la précision du calcul.
\Voy. Pythagoriciens.)
Armer la clef. C'est y mettre le nombre de dièses ou de bémols con-
venables au ton et au mode dans lequel on veut écrire la musique.
(Voy. Bémol , Clef, Dièse.)
Arpéger, v. n. C'est faire une suite d'arpèges. (Voy. l'article suivant.)^
Arpeggio, Arpège ou Arpégement, s. m. Manière de faire entendre
successivement et rapidement les divers sons d'un accord , au lieu de les
frapper tous à la fois.
Il y a des instrumens sur lesquels on ne peut former un accord plein.
qu'en arpégeant : tels sont le violon, le violoncelle, la viole, et tous-
ceux dont on joue avec l'archet; car la convexité du chevalet empêche-
que l'archet ne puisse appuyer à la fois sur toutes les cordes. Pour for-
mer donc des accords sur ces instrumens, on est contraint d'arpéger,
et comme on ne peut tirer qu'autant de sons qu'il y a de cordes, l'ar-
pège du violoncelle ou du violon ne sauroit être composé de plus d&
quatre sons. Il faut pour arpéger que les doigts soient arrangés chacun
sur sa corde , et que Varpége se tire d'un seul et grand coup d'archet
qui commence fortement sur la plus grosse corde, et vienne finir en
tournant et adoucissant sur la chanterelle. Si les doigts ne s'arrangeoient
sur les cordes que successivement , ou qu'on donnât plusieurs coups
d'archet, ce ne seroit plus arpéger, ce seroit passer très-vite plusieurs
notes de suite.
Ce qu'on fait sur le violon par nécessité , on le pratique par goût sur
le clavecin. Comme on ne peut tirer de cet instrument que des sons qui
ne tiennent pas , on est obligé de les refrapper sur des notes de longue
durée. Pour faire durer un accord plus longtemps, on le frappe en ar-
pégeant, commençant par les sons bas, et observant que les doigts qui
ont frappé les premiers ne quittent point leurs touches que tout Varpége-
ne soit achevé , afin que l'on puisse entendre à la fois tous les sons de
l'accord. (Voy. Accompagnement.)
Arpeggio est un mot italien qu'on a francisé dans celui d'arpège. Il
vient du mot arpa, à cause que c'est du jeu de la harpe qu'on a lire
l'idée de l'arpégement.
Arsis et Thesis. Terme de musique et de prosodie. Ces deux mots
sont grecs. Arsis vient du verbe aîpw, tollo , j'élève, et marque l'éléva-
tion de la voix ou de la main ; l'abaissement qui suit cette élévation est
ce qu'on appelle fléfft;, depositio , remissio.
Par rapport donc à la mesure , per arsin signifie en levant , ou durant
le premier temps; per thesin, en baissant , ou durant le dernier temps.
Sur quoi l'on doit observer que notre manière de marquer la mesure est
contraire à celle des anciens ; car nous frappons le premier temps , et le-
vonsle dernier. Pour ôter toute équivoque, on peut dire qu'arsis indique
le temps fort, et thesis le temps foible. (Voy. Mesure, Temps, Battre la
mesure.)
ARSIS — B. 351
Par rapport à la voix, on dit qu'un chant, un contrepoint, une
fugue , sont per thesin , quand les notes montent du grave à l'aigu ; per
arsin , quand elles descendent de l'aigu au grave. Fugue per arsin et
thesin est celle qu'on appelle aujourd'hui fugue renversée ou contre-
fugue, dans laquelle la réponse se fait en sens contraire, c'est-à-dire en
descendant si la guide a monté, et en montant si la guide a descendu.
(Voy. Fugue.)
AssAi. Adverbe augmentatif qu'on trouve assez souvent joint au mot
qui indique le mouvement d'un air. Ainsi presto assai , largo assai , signi-
fient fort vite, fort lent. L'abbé Brossard a fait sur ce mot une de ses
bévues ordinaires, en substituant à son vrai et unique sens celui d'une
sage médiocrité de lenteur ou de vitesse. Il a cru qu'assat signifioit assez.
Sur quoi l'on doit admirer la singulière idée qu'a eue cet auteur de pré-
férer , pour son vocabulaire , à sa langue maternelle une langue étrangère
qu'il n'entendoit pas.
Aubade , s. f. Concert de nuit en plein air sous les fenêtres de quel-
qu'un. (Voy. Sérénade.)
Authentique ou Autiiente, adj. Quand l'octave se trouve divisée
harmoniquement , comme dans cette proportion 6, 4, 3, c'est-à-dire quand
la quinte est au grave , et la quarte à l'aigu , le mode ou le ton s'appelle
authentique ou authente , à la différence du ton plagal, où l'octave est
divisée arithmétiquement, comme dans cette proportion 4, 3, 2; ce qui
met la quarte au grave et la quinte à l'aigu.
A cette explication adoptée par tous les auteurs , mais qui ne dit rien ,
j'ajouterai la suivante; le lecteur pourra choisir.
Quand la finale d'un chant en est aussi la tonique , et que le chant ne^
descend pas jusqu'à la dominante au-dessous , le ton s'appelle authen-
tique : mais si le chant descend ou finit à la dominante, le ton est
plagal. Je prends ici ces mots de tonique et de dominante dans l'accep-
tion musicale.
Ces différences à'authente et de plagal ne s'observent plus que dans
le plain-chanl; et, soit qu'on place la finale au bas du diapason, ce qui
rend le ton authentique , soit qu'on la place au milieu , ce qui le rend
plagal, pourvu qu'au surplus la modulation soit régulière, la musique
moderne admet tous les chants comme authentiques également, en
quelque lieu du diapason que puisse tomber la finale. (Voy. Mode.)
Il y a dans les huit tons de l'Église romaine quatre tons authentiques,
savoir, le premier, le troisième, le cinquième et le septième. (Voy. Ton
de l'Église.)
On appeloit autrefois fugue authentique celle dont le sujet procédoit
en montant , mais cette dénomination n'est plus d'usage.
B
B fa si, ou B fa b mi, ou simplement B. Nom du septième son de la
gamme de l'Arétin , pour lequel les Italiens et les autres peuples de l'Eu-
rope répètent le B, disant B mi quand il est naturel, B fa quand il est
bémol; mais les François l'appellent si. (Voy. Si.)
R mol. Xoy. Bémol.
352 DICTIOMS'AIUE DE MUSIQUE.
B quarre. Voy. Réquarre.
BALLET, s. m. Action théâtrale qui se représente par la danse guiiiét
parla musique. Ce mot vient du vieux françois baller, danser, chanter,
se réjouir.
La musique d'un ballet doit avoir encore plus de cadence et d'acceni
que la musique vocale, parce qu'elle est chargée de signifier plus d€
choses, que c'est à elle seule d'inspirer au danseur la chaleur et l'ex-
pression que le chanteur peut tirer des paroles , et qu'il faut de plus
qu'elle supplée , dans le langage de l'âme et des passions, tout ce que la
danse ne peut dire aux yeux du spectateur.
Ballet est encore le nom qu'on donne en France à une bizarre sorte
d'opéra, où la danse n'est guère mieux placée que dans les autres, et
n'y fait pas un meilleur effet. Dans la plupart de ces ballets, les actes
forment autant d'objets différens , liés seulement entre eux par quelques
rapports généraux étrangers à l'action , et que le spectateur n'aperce-
vroit jamais si l'auteur n'avoit soin de l'en avertir par le prologue.
Ces bai/e?s contiennent d'autres bai/e/s, qu'on appelle autrement diver-
tissemens ou fêtes. Ce sont des suites de danses qui se succèdent sans
sujet ni liaison entre elles, ni avec l'action principale, et où les meil-
leurs danseurs ne savent vous dire autre chose sinon qu'ils dansent bien.
Cette ordonnance, peu théâtrale , suffit pour un bal où chaque acteur a
rempli son objet lorsqu'il s'est amusé lui-même, et où l'intérêt que le
spectateur prend aux personnes le dispense d'en donner à la chose;
mais ce défaut de sujet et de liaison ne doit jamais être souffert sur la
scène, pas même dans la représentation d'un bal, où le tout doit être
lié par quelque action secrète qui soutienne l'attention et donne de l'in-
térêt au spectateur. Cette adresse d'auteur n'est pas sans exemple,
même à l'Opéra françois, et l'on en peut voir un très-agréable dans les
Fêtes vénitiennes , acte du bal.
En général , toute danse qui ne peint rien qu'elle-même , et tout ballet
qui n'est qu'un bal, doivent être bannis du théâtre lyrique. En- effet
l'action de la scène est toujours la représentation d'une autre action, et
ce qu'on y voit n'est que l'image de ce qu'on y suppose ; de sorte que ce
ne doit jamais être un tel ou un tel danseur qui se présente à vous , mais
le personnage dont il est revêtu. Ainsi, quoique la danse de société
puisse ne rien représenter qu'elle-même, la danse théâtrale doit néces-
sairement être l'imitation de quelque autre chose, de même que l'acteur
chantant représente un homme qui parle , et la décoration d'autres lieux
que ceux qu'elle occupe.
La pire sorte de ballets est celle qui roule sur des sujets allégoriques,
et où par conséquent il n'y a qu'imitation d'imitation. Tout l'art de ces
sortes de drames consiste à présenter sous des images sensibles des rap-
ports purement intellectuels, et à faire penser au spectateur tout autre
chose que ce qu'il voit, comme si, loin de l'attacher à la scène, c'étoit
un mérite de l'en éloigner. Ce genre exige d'ailleurs tant de subtilité
dans le dialogue, que le musicien se trouve dans un pays perdu parmi
les pointes, les allusions et les épigrammes, tandis que le spectateur ne
s'oublie pas un moment : comme qu'on fasse, il n'y aura jamais que le
BALLET — BARYTON. 353
sentiment qui puisse amener celui-ci sur la scène, et s'identifier pour
ainsi dire avec les acteurs: tout ce qui n'est qu'intellectuel l'arrache à
la pièce, et le rend à lui-même. Aussi voit-on que les peuples qui veu-
lent et mettent le plus d'esprit au théâtre sont ceux qui se soucient le
moins de l'illusion. Que fera donc le musicien sur des drames qui ne
donnent aucune prise à son art? Si la musique ne peint que des senti-
mens ou des images, comment rendra-t-elle des idées purement méta-
physiques, telles que les allégories, où l'esprit est sans cesse occupa
du rapport des objets qu'on lui présente avec ceux qu'on veut lui rap-
peler?
Quand les compositeurs voudront réfléchir sur les vrais principes dj
leur art. ils mettront, avec plus de discernement dans le choix dii
drames dont ils se chargent, plus de vérité dans l'expression de leun
sujets , et quand les paroles des opéras diront quelque chose , la musiquu
apprendra bientôt à parler.
Barbare, adj. Mode barbare. Voy. Lydien.
Barcarolles, s. f. Sorte de chansons en langue vénitienne que chan-
tent les gondoliers à Venise. Quoique les airs de barcarolles soient faits
pour le peuple, et souvent composés par les gondoliers mêmes, ils ont
tant de mélodie et un accent si agréable, qu il n'y a pas de musicien
dans toute l'Italie qui ne se pique d'en savoir et d'en chanter. L'entrée
gratuite qu'ont tous les gondoliers à tous les théâtres les met à portée
de se former sans frais l'oreille et le goût, de sorte qu'ils composent et
chantent leurs airs en gens qui , sans ignorer les finesses de la musique ,
ne veulent point altérer le genre simple et naturel de leurs harcarolles.
Les paroles de ces chansons sont communément plus que naturelles,
comme les conversations de ceux qui les chantent; mais ceux à qui les
peintures fidèles des mœurs du peuple peuvent plaire , et qui aiment
d'ailleurs le dialecte vénitien, s'en passionnent facilement, séduits par
la beauté des airs; de sorte que plusieurs curieux en ont de très-amples
recueils.
N'oublions pas de remarquer, à la gloire du Tasse, que la plupart
des gondoliers savent par cœur une grande partie de son poëme de la
Jérusalem délivrée, que plusieurs le savent tout entier, qu'ils passen)
les nuits d'été sur leurs barques à le chanter alternativement d'une
barque à l'autre , que c'est assurément une belle barcarolle que le poëms
du Tasse, qu'Homère seul eut avant lui l'honneur d'être ainsi chanté,
et que nul autre poëme épique n'en a eu depuis un pareil.
Bardes. Sorte d'hommes très-singuliers et très-respectés jadis dans
les Gaules , lesquels étoient à la fois prêtres , prophètes , poètes et mu-
siciens.
Bochard fait dériver ce nom de parât, chanter, et Camden convient
avec Festus que barde signifie un chanteur, en celtique bard.
BARipycNi, adj. Les anciens appeloient ainsi cinq des huit sons ou
cordes stables de leur système ou diagramme; savoir, l'hypaté-hypa-
ton . riiypaté-méson, la mèse, la paramèse et la nété-diézeugménon.
(Voy. Pycni, Son, Tétracorde.)
Baryton. Sorte de voix entre la taille et la basse. fVoy. Concordant.^
(tuUSStAii VI 23
354 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
Baroque. Une musique baroque est celle dont l'harmonie est confuse^
chargée de modulations et dissonances, le chant dur et peu naturel,
l'intonation difficile et le mouvement contraint.
Il y a bien de l'apparence que ce terme vient du baroco des logiciens.
Barré. G barré, sorte de mesure. (Voy. C.)
Barres. Traits tirés perpendiculairement à la fin de chaque mesure,
sur les cinq lignes de la portée, pour séparer la mesure qui finit de
celle qui recommence. Ainsi les notes contenues entre deux barres for-
ment toujours une mesure complète, égale en valeur et en durée à cha-
cune des autres mesures comprises entre deux autres barres , tant que
le mouvement ne change pas; mais comme il y a plusieurs sortes de
mesures qui diffèrent considérablement en durée, les mêmes différences
se trouvent dans les valeurs contenues entre deux barres de chacune de
ces espèces de mesures. Ainsi dans le grand triple, qui se marque par
ce signe |, et qui se bat lentement, la somme des notes comprises entre
deux barres doit faire une ronde et demie; et dans le petit triple ^, qui
se bat vite , les deux barres n'enferment que tgais croches ou leur va-
leur; de sorte que quatre fois la valeur contenue entre deux barres de '
cette dernière mesure ne font qu'une fois la valeur contenue entre deux!"
barres de l'autre.
Le principal usage des barres est de distinguer les mesures, et d'en f
indiquer le frappé , lequel se fait toujours sur la note qui suit immédia-
tement la barre. Elles servent aussi dans les partitions à montrer les
mesures correspondantes dans chaque portée. (Voy. Parlition.)
Il n'y a pas plus de cent ans qu'on s'est avisé de tirer des barres de
mesure en mesure. Auparavant la musique étoii simple; on n'y voyoit
guère que des rondes , des blanches et des noires , peu de croches , pres-
que jamais de doubles croches. Avec des divisions moins inégales, la,
mesure en étoit plus aisée à suivre. Cependant j'ai vu nos meilleurs P
musiciens embarrassés à bien exécuter l'ancienne musique d'Orlande'
et de Claudin. Ils se perdoient dans la mesure, faute des barres aux- J
quelles ils étoienl accoutumés, et ne suivoient qu'avec peine des parties f
chantées autrefois couramment par les musiciens de Henri III et de
Charles IX. i
Bas, en musique, signifie la même chose que grave , et ce terme estr
opposé à haut ou aigu. On dit ainsi que le ton est trop bas, qu'on [j
chante trop bas, qu'il faut renforcer les sons dans le bas. Bas signifier
aussi quelquefois doucement , à demi-voix ; en ce sens il est opposé à
fort. On dit parler bas , chanter ou psalmodier à basse voix : il chantoit ^
ou parloit si bas qu'on avoit peine à l'entendre. 1"
Coulez si lentement, et murmurez si bas, m
Qu'Issé ne vous entende pas. k
(La Motte.) %
Bas se dit encore, dans la subdivision des dessus chantans, de celui
des deux qui est au-dessous de l'autre: ou, pour mieux dire, bas -dessus '"
est un dessus dont le diapason est au-dessous du médium ordinaire. '"
"Voy. Dessus \
BASSE — BASSE FONDAMENTALE. 355
Basse. Celle des quatre parties de la musique qui est au-dessous
des autres, la plus basse de toutes; d'où lui vient le nom de basse.
(Voy. Partition.)
La basse est la plus importante des parties , c'est sur elle que s'établit
le corps de l'harmonie ; aussi est-ce une maxime chez les musiciens que
juand la basse est bonne, rarement l'harmonie est mauvaise.
Il y a plusieurs sortes de basses.
Basse fotidamentale , dont nous ferons un article ci-après.
Basse contimie, ainsi appelée parce qu'elle dure pendant toute la
pièce; son principal usage, outre celui de régler l'harmonie, est de
soutenir la voix et de conserver le ton. On prétend que c'est un Ludo-
cico Viana, dont il en reste un traité, qui, vers le commencement du
iernier siècle , la mit le premier en usage.
Basse figurée, qui, au lieu d'une seule note, en partage la valeur en
plusieurs autres notes sous un même accord. (Voy. Harmonie figurée.)
Basse contrainte , dont le sujet ou le chant, borné à un petit nombre
le mesures , comme quatre ou huit , recommence sans cesse , tandis que
es parties supérieures poursuivent leur chant et leur harmonie, et les
arient de difTérentes manières. Cette basse appartient originairement
lUX couplets de la chaconne, mais on ne s'y asservit plus aujourd'hui.
a basse contrainte, descendant diatoniquement ou chromatiquement
;t avec lenteur de la tonique ou de la dominante dans les tons mineurs ,
st admirable pour les morceaux pathétiques. Ces retours fréquens et
)ériodiques aflectent insensiblement l'âme, et disposent à la langueur et
i la tristesse. On en voit des exemples dans plusieurs silènes des opéras
rançois. Mais si ces bass s font un bon effet à l'oreille , il en est rare-
Qent de même des chants qu'on leur adapte, et qui ne sont pourl'ordi-
laire qu'un véritable accompagnement. Outre les modulations dur* et
aal amenées qu'on y évite avec peine, ces chants, retournés de mille
aanières, et cependant monotones, produisent des renversemens peu
armonieux, et sont eux-mêmes assez peu chantans, eu sorte que le
essus s'y ressent beaucoup de la contrainte de la basse.
Basse chantante est l'espèce de voix qui chante la partie de la basse,
l y a des basses récitantes et des basses de chœur; des concordans ou
asses-tailles , qui tiennent le milieu entre la taille et la basse; des basses
roprement dites, que l'usage fait appeler basses- tailles , et enfin des
asses-contre , les plus graves de toutes les voix , qui chantent la basse
3US la basse même , et qu'il ne faut pas confondre avec les contre-basses ,
ui sont des instrumens.
Basse fondamentale est celle qui n'est formée que des sons fonda-
lentaux de l'harmonie , de sorte qu'au-dessous de chaque accord elle
lit entendre le vrai son fondamental de cet accord , c'est-à-dire celui
uquel il dérive par les règles de l'harmonie. Par où l'on voit que la
asse fondamentale ne peut avoir d'autre contexture que celle d'une
accession régulière et fondamentale , sans quoi la marche des parties
jpérieures seroit mauvaise.
Pour bien entendre ceci, il faut savoir que, selon le système de
i. Rameau , que j'ai suivi dans cet ouvrage , tout accord , quoique formé
356 DICTIONPTAIRE DE MUSIQUE.
de plusieurs sons, n'en a qu'un qui lui soit fondamental, savoir, celui
qui a produit cet accord et qui lui sert de basse dans l'ordre direct e1
naturel. Or la basse qui règne sous toutes les autres parties n'exprime
pas toujours les sons fondamentaux des accords; car entre tous les sons
qui forment un accord, le compositeur peut porter à la basse celui qu'i;i|
croit préférable, eu égard à la marche de cette basse, au beau chant J
el surtout à l'expression , comme je l'expliquerai dans la suite. Alors Uj
vrai son fondamental, au lieu d'être à sa place naturelle, qui est la
basse, se transporte dans les autres parties, ou même ne s'exprime
point du tout; un tel accord s'appelle accord renversé. Dans le fond, ud
accord renversé ne diffère point de l'accord direct qui l'a produit, caret
sont toujours les mêmes sons; mais ces sons formant des combinaisons
différentes, on a longtemps pris toutes ces combinaisons pour autani
d'accords fondamentaux, et on leur a donné différons noms qu'on peut
voir au mot Accord, et qui ont achevé de les distinguer, comme si la
différence des noms en produisoit réellement dans l'espèce.
M. Rameau a montré dans son Traité de l'harmonie , et M. d'Alem-
bert, dans ses Éléments de musique, a fait voir encore plus clairement
que plusieurs de ces prétendus accords n'étoient que des renversemens
d'un seul. Ainsi l'accord de sixte n'est qu'un accord parfait dont la
tierce est transportée à la basse; en y portant la quinte, on aura l'ac-
cord de sixte-quarte. Voilà donc trois combinaisons d'un accord qui n'a
que trois sons : ceux qui en ont quatre sont susceptibles de quatre
combinaisons , chaque son pouvant être porté à la basse. Mais en portant
au-dessous de celle-ci une autre basse, qui, sous toutes les combinai-
sons d'un même accord, présente toujours le son fondamental , il est
évident qu'on réduit au tiers le nombre des accords consonnans, et au
quart le nombre des dissonans. Ajoutez à cela tous les accords par sup-
position, qui se réduisent encore aux mêmes fondamentaux; vous trou-
verez l'harmonie simplifiée à un point qu'on n'eût jamais espéré dans
l'état de confusion où étoient ces règles avant M. Rameau. C'est certai-
iiement, comme l'observe cet auteur, une chose étonnante , qu'on ait
pu pousser la pratique de cet art au point où elle est parvenue sans en
connoître le fondement, et qu'on ait exactement trouvé toutes les règles
sans avoir découvert le principe qui les donne.
Après avoir dit ce qu'est la basse fondamentale sous les accords, par-j
ious maintenant de sa marche et de la manière dont elle lie ces accord^
entre eux. Les préceptes de l'art sur ce point peuvent se réduire aux si*
règles suivantes. j
i. La. bosse fondamentale ne doit jamais sonner d'autre note que cellJ
de la gamme du ton où l'on est, ou de celui où l'on veut passer : c'es|
la première et la plus indispensable de toutes ces règles.
II. Par la seconde, sa marche doit être tellement soumise aux lois C '.
la modulation, qu'elle ne laisse jamais perdre l'idée d'un ton qu'e.^
prenant celle d'un autre; c'est-à-dire que la basse fondamentale ne dr tl
jamais être errante ni laisser oublier un moment dans quel ton l'on e 4,
m. Par la troisième, elle est assujettie à la liaison des accords et à 1"
preparation des dissonances; préparation qui n'est, comme je le fer;
BASSE FO>'DAMENTALE. 357
!i voir, qu'un des cas de la liaison , et qui par conséquent n'est jamais né-
i c j^aire quand la liaison peut exister sans elle. (Vov. Liaison, Pré-
-r.)
V. Par la quatrième, elle doit, après toute dissonance, suivre le
u j .ii.grès qui lui est prescrit par la nécessité de la sauver. (Voy. Sauver.)
%i\ Y. Par la cinquième, qui n'est qu'une suite des précédentes, la basse
)èif ndamentale ne doit marcher que par intervalles consonnans, si ce
hl n'est seulement dans un acte de cadence rompue, ou après un accord
«j de septième diminuée , qu'elle monte diatoniquement : toute autre marche
de la basse fondamentale est mauvaise.
VI. Enfin, par la sixième, la basse fondamentale ou l'harmonie ne
doit pas syncoper. mais marquer la mesure et les temps par des chan-
gemens d'accords bien cadencés : en sorte , par exemple . que les disso-
nances qui doivent être préparées le soient sur le temps foible, mais
I surtout que tous les repos se trouvent sur le temps fort. Cette sixième
règle souffre une infinité d'exceptions; mais le compositeur doit pour-
tant y songer, s'il veut faire une musique où le mouvement soit bien
m.arqué. et dont la mesure tombe avec grâce.
Partout où ces règles seront observées, l'harmonie sera régulière et
sans faute: ce qui n'empêchera pas que la musique n'en puisse être dé-
testable. (Voy. Composition.)
L'a mot d'éclaircissement sur la cinquième règle ne sera peut-être
inutile. Qu'on retourne comme on voudra une basse f< ndamentale ,
- -i'.le est bien faite, on n'y trouvera jamais que ces deux choses, ou
des accords parfaits sur des mouvemens consonnans. sans lesquels ces
accords n'auroient point de liaison, ou des accords dissonans dans des
actes de cadence; en tout autre cas la dissonance ne sauroit être ni bitu
pacée ni bien sauvée.
Il suit de là que .la basse fondamentale ne peut marcher régu'.ièremeal
que d'une de ces trois manières : 1"* monter ou descendre de tierce ou
de sixte; 2° de quarte ou de quinte: 3" monter diatoniquement au
moven de la dissonance qui forme la liaison, ou par licence sur un ac-
cord parfait. Quant à la descente diatonique , c'est une marche absolu-
ment interdite à la basse fondamentale , ou tout au plus tolérée dans le
cas de deux accords parfaits consécutifs , séparés par un repos exprimé
ou sous-entendu : cette règle n'a point d'autre exception, et c'est pour
n'avoir pas démêlé le vrai fondement de certains passages que M. Ra-
meau a fait descendre diatoniquement la basse fondamentale sous des
accords de septième ; ce qui ne se peut en bonne harmonie. (Voy. Ca-
dence . Dissonance.)
La. basse fondamentale, qu'on n'ajoute que pour servir de preuve à
l'harmonie, se retranche dans l'exécution, et souvent elle y feroit un
fort mauvais effet; car elle est, comme dit très-bien M. Rameau, pour
le jugement et non pour l'oreille. Elle produiroit tout au moins une
monotonie très-ennuyeuse par les retours fréquens du même accord,
qu'on déguiseet qu'on varieplus agréablement en le combinant en diffé-
rentes manières sur la basse continue: sans compter que les divers ren-
versemens d'harmonie fournissent mille moyens de prêter de nouvelles
'^3
358 DICTIONNAIRE DE MUSIQUE.
beautés au chant, et une nouvelle énergie à l'expression. (Voy. Accord,
Jlenvirsement.)
Si la Lasse fondamentale ne sert pas à composer de bonne musique,
me dira-l-on, si même on doit la retrancher dans l'exécution, à quoi
donc est- elle utile? Je réponds qu'en premier lieu elle sert dérègle aux
écoliers pour apprendre à former une harmonie ré julière , et à donner à
toutes les parties la marclîe diatonique et élémentaire qui leur est pres-
crite par cette ba^se fondamentale. ; elle sert de plus, comme je l'ai déjà
dit, à prouver si une harmonie déjà faite est bonne et régulière; car
toute harmonie qui ne peut être soumise à une basse fondamentale est
régulièrement mauvaise : elle sert enfin à trouver une basse continue
sous un chant donné; quoiqu'à la vérité celui qui ne saura pas faire di-
rectement une basse continue ne fera guère mieux une basse fonda-
mentale, et bien moins encore saura-t-il transformer cette basse fonda-
mentale en une bonne lasse continue. Voici toutefois les principales
règles que donne M. Rameau pour trouver la basse fondamentale d'un
chant donné.
I. S'assurer du ton et du mode par lesquels on commence, et de tous
ceux par où l'on passe. Il y a aussi des règles pour cette recherche des
Ions, mais si longues, si vastes, si incomplètes, que l'oreille est formée
à cet égard longtemps avant que les règles soient apprises, et que le
stupide qui voudra tenter de les employer n'y gagnera que l'habitude
d'aller toujours note à note sans jamais savoir où il est.
II. Essayer successivement sous chaque note les cordes principales du
ton, commençant par les plus analogues, ex passant jusqu'aux plus
éloignées, lorsque l'on s'y voit forcé.
III. Considérer si la corde choisie peut cadrer avec le dessus, dans ce
qui précède et dans ce qui suit, par une bonne succession fondamentale,
et quand cela ne se peut, revenir sur ses pas.
IV. Ne changer la note de basse fondamentale que lorsqu'on a épuisé
toutes les notes consécutives du dessus qui peuvent entrer dans son ac-
cord, ou que quelque note syncopant dans le chant peut recevoir deux
ou plusieurs notes de basse, pour préparer des dissonances sauvées en-
suite régulièrement.
V. Etudier l'entrelacement des phrases , les successions possibles de
cadences , soit pleines , soit évitées , et surtout les repos qui viennent or-
dinairement de quatre en quatre mesures ou de deux en deux, afin de
les faire tomber toujours sur les cadences parfaites ou irrégulières.
VI. Enfin observer toutes les règles données ci-devant pour la compo-
sition de la basse fondamentale. Voilà les principales observations à faire
pour en trouver une sous un chant donné; car il y en a quelquefois
plusieurs de trouvables : mais, quoi qu'on en puisse dire, si le chant a
de l'accent et du caractère, il n'y a qu'une bonne basse fondamentale
qu'on lui puisse adapter.
Après avoir exposé sommairement la manière de composer une basse
fondamentale, il resteroit à donner les moyens de la transformer en
basse continue , et cela seroit facile s'il ne falloit regarder qu'à la marche
diatonique et au beau chant de cette basse ; mais ne croyons pas que la
BASSE FONDAMENTALE — UATON. 355
asse, qui est le guide et le soutien de l'harmonie, lame, et, pour
insi due, l'interprète du chant, se borne à des règles si simples; il y
n a d'autres qui naissent d'un principe plus sûr et plus radical, prin-
ipe fécond, mais caché, qui a été senti par tous les artistes de génie,
ans avoir été développé par personne. Je pense en avoir jeté le germe
ans ma Lettre sur la musique françoise. J'en ai dit assez pour ceux qui
l'entendent; je n'en dirois jamais assez pour les autres. (Voy. toutefois
'nité de mélodie.)
Je ne parle point ici du système ingénieux de M. de Serre de Genève.
1 de sa double basse fondamentale, parce que les principes qu'il avoit
ntrevus avec une sagacité digne d'éloges ont été depuis développés
ar M.^ Tar'mi dans un ouvrage dont je rendrai compte avant la fin de
slui-ci. (Voy. Système.)
fUI un SlSlEMh TOI.CMa.
TABLE
CES MATIÈRES CONTENUES DANS LE SIXIÈME VOr-UME.
POÉSIES DIVERSES. ■ 3
PAC *
I.E VERGEa DES Charmettes
\ iiuLAi A Mme la baronne de Warens .'!*.'.'""
F K AGMENT D ti NE ÉpÎTRE A M. BoRDFS ........ . '. . '. . '. '. ', " .....**".""
Vers podr Mme de Fleurieo .'.....'.*.'.
ÉpItre A M. Bordes
ÉPiiRE A M. Parisot I tl
L'Allée de Sylvie
Épitre a m. de l'Etang
Imitation libre d'une chanson italienne de Métastase.
Enigme .
^ERs a Mlle Théodore, qui ne parlait jamais à l'auteur nue de mu-
sique
EriTAPHE DE DEUX AMANTS qui sc BOHl lués à Salnt-Éiieniie en FureV au
mois de juiiM770 ' „h
Strophes ajoutées au Siècle pastoral de Gresset'.'.'.'.*.'.'.'. .'. 2]
Vers sur la femme 2!
Boi.QIET d'dn enfant A SA BIÈRE ! 28
Inscription mise au bas d'un portrait de Frédéric il .... ... ...., 2I
Quatrain a Mme Dupin
Quatrain mis par lui-même au-dessous d'un de sus poriiLas.'
BOTANIQUE.
Letires élémentaires sur la Botanique, a Mme De]<'sserl M
Lettre 1 LJ
Lettre H ^3
Lettre III r]
Lettre IV .A
Lettre V
Lettre VI
Lettre VII, sur les arbres Iruitiers '. .'.
Lettre VIII , sur les Iierbiers
Lettre IX, à M. de MalesLcrbcs, sur le lormaldes hcrlii'cis cl sur là
synoDvniie
Lettre X, au même, sur les mousses
LnTRE A Mme la duchesse de Portland
1.1 TTKE A M. DU PeYROU ' _ " '
LtrrfiE A M. LiOTARD, le neveu, herbi.risle à Grenoble." !!.'.'.'..'.,'*'. i ]
Lettres a M. de la Tourette, conseiller en la cour des moniioleidê
Lyon
BIBUOTHECA
TABLE. 36)
MUSIQUE,
Paghs.
ETTHE StJR lA MCSinUE FRANÇOISE 1 68
EiTRE d'un symphoniste de l'Académie royale de musique à ses cama-
rades de l'orcheslre 19<S
X.AMEN de deux principes de Rameau 203
ETïRE A M. LE DOCTEUR BuRXEY , autCUP ÙC V Histoire générale de Li
Musique 21(5
DSERVATioNs suF V AlcesiB , de Gluck 2-H
ÉpoxsE du Pelil Faiseur à son prèle-nom, sur un morceau de VUr/hc-j
de Giucii 23:5
JR I.A MUSIQUE MILITAIRE 231)
1RS pour êlre joués à la iroupe maiclmnic 237
iR DK Cloches 237
ETTRE A M. Grimm, SU sujcl des remarques ajoulées à sa Lettre sur
Oinyhale 238
HOIX. DE ROSIANCES ET AIRS DÉTACUÉS 248
Le Rosier 24s
Air de trois notes 24<J
Rondeau 25(i
Romance de Roger 251
Romance d'Alexis 252
ROJtT DE NOUVEAUX SIGSES POUR H MUSIQUE 253
)ISSERTATI0N SUR I.A MUS. QUE MODERNE 26'!
)lCTiOKN.VIRE DE MUSIQUE 323
fin DE lA TAIÎI.E DD SIXIEME VOLUME.
La Bibliothèque
Université d'Ottowa
Echéance
The Library
University of Ottawa
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