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Publication de la VIe section de l'Ecole des Hautes Etudes (Sciences
économiques et sociales) et de la Société des Etudes Robespierristes
ŒUVRES DE
MAXIMILIEN
ROBESPIERRE
U )
TOME VII
DISCOURS
(2e Partie)
Janvier-Septembre 1791
Edition préparée sous la direction de
Marc Bouloiseau Georges Lefebvre
Docteur es Lettres Professeur Honoraire
Professeur d'Histoire nu Collège d'Histoire de la Révolution Français*
Colberl à la Faculté des Lettres de Paris
Albert Soboul
Professeur Agrégé d'Histoire
au Lycée Henri-lV
Avec le concours du Centre National de la Recherche scientifique
PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE
NOTE DES EDITEURS
Nous poursuivons cette publication, des Discours de
Robespierre, avec notre fidèle équipe, à lalqitelle est venue
se joindre Mme Schumacher; et, selon les principes qui nous
ont guidés dans la première partie, nous présentons les
extraits de presse dans leur texte original et par ordre
d'importance. Toutefois, la période que nous abordons dans
ce second volume est déjà mieux connue, et les journaux
moins nombreux, mais plus complets. D'autre part, les pro-
grès réalisés par certains rédacteurs dans la transcription
des interventions des députés, nous assurent un rapport
jdus fidèle de leurs paroles. C'est le cas, pour les débats de
la Constituante, du Journal des Etats Généraux ou Journal
logographique (de Le Hodey) que les Archives parlemen-
taires onf largement utilisé, et du Mercure Universel Cd'Au-
douin), pour les séances des Jacobins.
Ainsi, nous pouvons estimer que, pour les discussions
importantes tout au moins, nous possédons, de ce fait, des
textes quasi intégraux, comme on peut d'ailleurs s'en rendre
compte par la comparaison entre les discours imprimés par
ordre de l'Assemblée, et les coîiiptes rendus de Le lïodey.
Donc, il nous a paru souhaitable, pour ne pas alourdir inuti-
lement une édition déjà dense, d'éliminer les extraits de
presse qui se bornent à signaler en quelques lignes le
passage de Robespierre à la tribune. Toutefois, comme il
n'est pas indifférent d'en connaître l'existence pour juger
de la portée de cette intervention, nous avons réuni toutes
les références de cet ordre, en fin de séance.
De même pour les annotations, nous avons conservé
les abréviations utilisées dans notre premier volume, mais
afin d'éviter des confusions regrettables, nous avons fait
suivre le nom d'un auteur déjà connu, du titre complet de
la publication nouvelle à laquelle nous nous référons. Enfin,
ies renvois à la première partie de notre travail ont été indi-
qués sous cette forme : Discours, ire partie, p.
i Paris, le ier Novembre ïqôo.
202. — SEANCE DU 4 JANVIER î 79 1
Sur l'organisation de la justice criminelle
Sur la nécessité d'une procédure écrite
(Le 27 novembre 1790, au nom des Comités de constitution et de
jurisprudence criminelle, Duport avait présenté à l'Assemblée natio-
nale un rapport sur l'organisation des jurés au criminel. La discussiou
se poursuivit au cours du mois de décembre (1). Le 2 janvier 1791,
le titre I fut décrété par l'Assemblée (De la procédure devant le
tribunal de district et du juré d'accusation).
Le débat reprend le 3 janvier, sur la question de savoir si les
procédures faites par devant les jurés, seront écrites ou non. Le 4 jan-
(1) La réforme de la procédure criminelle est un des plus beaux
titres de .gloire de la Constituante. D'après l'ordonnance de 1G70,
c'était au cours de l'instruction que prenait place l'acte essentiel:
la confrontation de l'accusé et des témoins. Le tribunal décidait après
examen du dossier remis par le magistrat instructeur, et des conclu-
sions écrites du procureur du roi, en l'absence des témoins et de
l'accusé, à moins que la cause ne comportât peine afiflictive, auquel
cas on interrogeait une dernière fois brièvement ce dernier « sur la
sellette »; sans réquisitoire oral, ni plaidoirie, aucun avocat n'assis-
tant l'inculpé.
Discutant la nouvelle organisation judiciaire, à partir du 24 mars
1790, l'Assemblée nationale, sur l'exemple de l'Angleterre, intro-
duisit, le 30 avril, le jury en matière criminelle (voir Discours,
V* partie, p. 342), d'où il résultait, implicitement que la procédure
orale remplacerait devant lui la procédure écrite. Mais quand elle
en vint à régler la procédure, Duport, dans son rapport du 27 novem-
bre, stipula qu'elle serait orale sans aucune réserve, aussi bien au
cours de l'instruction que dans la séance de jugement. (Les opposants,
dont le principal fut Tronchet, sans contester le débat oral devant
le jury, demandèrent que le magistrat instructeur tînt procès-ver-
baux de ses opérations; que l'on en dressât un autre du débat oral;
que le jury eût le dossier sous les yeux lors de sa délibération. Il
est évident que des hommes de loi voulaient, par routine, maintenir
l'usage traditionnel dans toute la mesure possible, et on les soup-
çonna, non sans raison, d'hostilité à l'égard du jury lui-même. Toute-
fois, les partisans de ce dernier objectèrent à Duport qu'il était indis-
pensable de conserver trace écrite des dépositions et Robespierre fut
l'un d'entre eux. La solution a été indiquée par Thouret, dont la
Commission et Duport acceptèrent l'amendement: on continuerait à
tenir procès-verbal de l'instruction , on en ferait lecture devant le
jury; la procédure orale suivrait, mais le procureur du roi et l'accusé
pourraient demander qu'on rédigeât de celle-ci un résumé.
8 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
vier, après que Rey, député du tiers état de la sénéchaussée de
Béziers, se fut prononcé en faveur de la procédure écrite, Robespierre
intervient à son tour dans le même sens (2).
Ce ne fut que le 18 janvier, après de longues controverses, que
l'Assamblée adopta l'art. 1. du projet de décret: « Les déposition*
des témoins seront faites et reçues par écrit... <>.
Le Point du Jour, t. XVIII, nos 542 et 543, p. 31 à 35.
« M. Robespierre a parlé ensuite en ces termes ,
« Les preuves, les dépositions sur lesquelles les juges doivent
asseoir les jugemens qui décident de la' destinée des accusés, seront-
elles fixées par l'écriture ? ou ne doivent-elles être que des paroles
fugitives, qui, de la bouche des témoins, iront expirer dans l'esprit et
dans les cœurs des juges ?
« Quelque simple que cette question paroisse au premier coup
d'oeil, elle tient, par des rapports aussi délicats qu'importans, aux plus
grands intérêts de la Société. Il n'est qu'un moyen de l'éclaircir et
de la résoudre promptement, c'est de remonter au véritable principe de
toute législation criminelle.
« En général, la procédure criminelle n'est autre chose que les
précautions que la loi prend contre les foiblesses et contre les passions
des juges.
« Si les juges étoient des anges, s'ils étoient des êtres infaillibles
ou impeccables, la loi leur diroit : Voilà des citoyens accusés; faites
ce que vous trouverez convenable pour découvrir la vérité et jugez
ensuite comme vous voudrez. Les formes seront ce que vous aurez
fait; la preuve, ce qui vous aura convaincu; la vérité, ce que vous
aurez décidé. La tâche seroit simple, elle se borneroit à créer des
JUgei
« Mais quels qu'ils soient, ce' seront toujours des hommes; loin
de considérer les magistrats comme des êtres abstraits ou impassibles,
dont l'existence personnelle est parfaitement confondue avec leur exis-
tence publique, le sage législateur sait que de tous les hommes, ce sont
ceux qu'il doit surveiller avec plus de soin, parce que l'orgueil du
pouvoir est le plus redoutable écueil de la foiblesse humaine.
« Exempt de partialité et de passions, parce qu'il statue sur les
choses, par des loix générales, et non sur les individus, par des déci-
sions particulières, c'est à lui de diriger, par des règles fixes et cons-
tantes, le juge destiné à prononcer sur les personnes et sur les intérêts
privés; de là les formes aux quelles la marche de l'instruction crimi-
nelle fut toujours assujettie.
(2) Cl. E. Hamel, I, 354-355. Le discours et le projet de Rev sont
rapportés longuement dans le Point du Jour, n° 542, p. 24-30.
LES DISCOURS DR ROBESPIERRE V
« Aussi, loin d'abandonner à la seule conscience, à la seule volonté
arbitraire des juges, le pouvoir de décider du crime ou de l'innocence;
elle leur a dit énergiquement : « Vous ne condamnerez pas si vous
n'avez pas des preuves plus claires que le jour » ; elle a fait plus;
elle a déterminé le genre des preuves, elle a établi de certaines règles
de certitude sans lesquelles il ne leur est pas permis de condamner; or,
si elle a établi ces règles, ces conditions, il faut bien qu'il y ait un
moyen de constater qu'elles ont été observées; ce moyen, c'est l'écri-
ture; sans elle, il ne reste aucune trace des preuves qui rendent les
motifs des jugemens, et la destinée des accusés; il n'y a plus qu'incer-
titude, obscurité, arbitraire et despotisme.
« Ce peu de mots suffit, ce semble, pour résoudre la grande ques-
tion qui vous occupe. Mais nous ne l'avons point encore envisagée
dans toute son étendue et tous ses rapports les plus intéressans.
« Si la loi doit exiger un certain genre, un certain degré de preuve,
sans lequel les juges ne peuvent condamner, il ne s'ensuit pas que cette
preuve suffise pour nécessiter la condamnation. Il faut que la convic-
tion personnelle du juge se joigne à cette preuve. Elle doit l'exiger,
pour mettre un frein à l'arbitraire; les règles qu'elle établir à cet
égard sont le résultat de la sagesse et de l'impartialité, parce qu'elles
sont générales: mais c'est pour cette raison là même que, dans la pra-
tique, elles sont souvent démenties, par des circonstances particulières
que le législateur ne peut ni prévoir ni détailler, et que le juge seul
peut connaître : il faut donc que la connaissance et la conviction per-
sonnelle de celui-ci supplée à ce que la prévoyance générale de l'autre
a nécessairement de défectueux.
«Le témoignage de deux hommes; voilà une de ces preuves
déterminées par la loi. Mais, dans tel procès particulier, deux témoins
déposent contre l'accusé; mais le juge sait qu'ils sont d'une intelligence
foible ou d'une probité équivoque, ou bien il les a vus incertains et
vacillans; enfin, le caractère de l'accusé, sa réputation intacte, mille
circonstances qui se développent sous les yeux du juge, forment une
preuve plus satisfaisante et plus forte que la foi des deux témoins. Le
juge condamnera-t-il ? Non, ce seroit préférer un fantôme de preuves à
la^ preuve réelle; ce seroit préférer l'ombre de la vérité à la vérité
même : ce seroit frapper en aveugle une victime innocente avec le glaive
des loix; ce seroit violer leur esprit et contrarier leur but.
« Je conclus de tout ceci que le juge ne peut condamner si la preuve
légale n'est point acquise ; je conclus encore qu'il ne doit point condam-
ner, si la conviction personnelle est en contradiction avec cette preuve
apparente. C'est dans ce point qui concilie et le système du Comité et
1 opinion de ceux qui la combattent, qui prévient les inconvéniens réels
et redoutables que l'un et l'autre présentent, que résident la vérité et
10 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
le bien public. Je termine cette discussion, trop claire pour être éten-
due : par un trait qui est au-dessus de tous les argumens.
« Un citoyen est accusé d'un grand crime : une nuée de preuves,
de celles qui subjuguent tous les juges, s'élève contre lui; un juré, un
seul juré, résiste à l'évidence qui frappe tous les yeux. Il refuse avec
une opiniâtreté invincible, de joindre son suffrage à celui de ses col-
lègues... C'étoit lui qui avoit compris le crime. La trouveriez- vous sage,
la loi barbare, qui l'auroit condamné à prononcer la perte de l'accusé ?
« Ne sentez-vous pas la nature se révolter au dedans de vous à la
seule idée d'un juge qui reconnoît l'innocence, qui la plaint, qui frémit
de son sort, et qui l'envoie au supplice ? La loi peut-elle outrager à ce
point la raison, la justice, et la conscience ?
« Je résume ce que j'ai dit dans les trois propositions suivantes :
« 1 ° Les dépositions des témoins sont indiquées par écrit ;
a 2° Les jurés ne pourront déclarer le coupable convaincu, si le
genre de preuves déterminé par la loi n'est acquis;
« 3° Ils pourront et devront le déclarer non convaincu si leur
connoissance et leur conviction personnelle est contraire à cette
preuve » (3).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 5, p. 18.
« M. Roberspierre. Les dépositions seront-elles écrites, ou plutôt
les accusés seront-ils condamnés sur les traces que les déclarations ver-
bales auront laissées dans l'esprit des juges ? Pour décider cette ques-
tion, remontons aux premiers principes de toute procédure criminelle.
La procédure est une précaution ordonnée par la loi contre l'ignorance,
la faiblesse ou la prévention du juge. Si les juges ne sont pas infail-
libles, la loi ne doit pas leur dire : choisissez les moyens que vous
voudrez, et jugez ce que vous voudrez, car alors la conviction des juges
ignorans serait substituée aux preuves. Leur décision deviendrait arbi-
traire et le jugement irréfléchi, le législateur n'aurait que des juges à
(3) Le discours de Robespierre porte donc sur deux points : l'un
concerne la procédure qui était .l'objet propre du débat, l'autre la
a preuve légale ». Dans la procédure traditionnelle, le tribunal cher-
chait dans le dossier la « preuve légal* », par exemple l'accord de
deux témoins non récusés par l'inculpé. D'après Thouret (Discours
du 11 janvier 1790; Archives parlementaires, t. XXII, p. 132). dans
l'affaire des roués de Chaumont, le président, réprimandant un des
juges, lui dit que « c'était une prévarication de ne pas céder à la
preuve faite par deux témoins non reprochés ». Robespierre estime
avec raison que deux témoins dont les dépositions concordent peu-
vent néanmoins se tromper et que l'esprit de l'institution du jury
veut qu'il décide d'après la vraisemblance qui résulte pour lui de
l'impression laissée par le débat oral et contradictoire.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 1 1
créer : il n'y aurait plus ni frein à l'arbitraire, ni lois protectrices de
l'innocence opprimée... Mais le législateur sage sait que de tous les
hommes, les juges sont ceux qu'on doit le plus surveiller : de là les
formes auxquelles les jugemens ont toujours été assujettis. La loi ne peut
pas abandonner à la seule conscience du juge le droit de décider arbi-
trairement, elle lui dit : vous ne condamnerez personne, à moins qu'il
n'existe contre l'accusé des preuves plus claires que le jour. La loi a
été plus loin. Elle a elle-même posé des règles pour l'examen et pour
l'admission de ces preuves, règles sans l'observation desquelles les
juges ne sauraient condamner quelle que fût leur conviction... S'il existe
des règles, il faut constater, qu'elles ont été remplies : le moyen de le
constater c'est l'écriture: sans cela il n'y a plus de barrières à l'arbi-
traire et au despotisme : il n'y a rien qui empêche ou qui constate les
assassinats judiciaires et toutes les suites de la malversation. La société
doit donc s'assurer que l'accusé n'a été condamné que sur des preuves
indubitables...
« Mais la loi ne peut prévoir toutes les circonstances ; elle ne
peut déterminer avec assez de précision la nature de tous les délits
possibles : les preuves légales sont souvent insuffisantes, souvent dans
la pratique la conviction intime des juges est plus sûre que les déposi-
tions de deux témoins suspects. Eh bien ! il faut que les lumières des
juges concourent avec la sagesse du législateur. Par exemple, le témoi-
gnage de deux hommes est preuve légale. Cependant, le juge sait que
ces deux témoins sont d'intelligence, qu'ils sont d'une probité équi-
voque; il apperçoit dans leurs déclarations de l'incertitude, de l'impro-
babilité, il a une connaissance particulière de la probité ou même de
l'innocence de l'accusé. Dans ce cas, forcer le juge à le condamner, ne
serait-ce pas faire immoler l'innocence par le glaive de la loi?... Il
faut donc réunir et la confiance qui est due aux preuves légales, et celle
que mérite la conviction intime du juge. Donner tout à la conviction
des juges, sans le secours des preuves légales, c'est créer l'arbitraire
et le despotisme, accorder une confiance sans bornes aux preuves légales,
lors même qu'elles sont contraires à la conviction des juges, c'est
tolérer l'assassinat judiciaire...
« Je finis par un trait au-dessus de tous les argumens. Les preuves
les plus importantes, les dépositions de plusieurs témoins se prétendent à
la charge d'un accusé, l'un des jurés est auteur du crime, il le déclare
dans le trouble de sa conscience agitée, obligerez-vous le juge à condam-
ner l'accusé dont il reconnaît l'innocence, parce que des preuves légales
parlent contre lui ? Vous voyez que la confiance que mérite la convic-
tion presque unanime des juges, doit balancer l'espèce de certitude
acquise par les preuves légales. Je propose donc le projet de décret
suivant :
« Art rr. Les dépositions seront rédigées par écrit.
12 , LES DISCOURS DF. ROBESPIERRE
« II. L'accusé ne pourra être déclaré convaincu, toutes les fois
que les preuves déterminées par la loi n'existeront pas.
a III. L'accusé ne pourra être condamné sur les preuves légales,
si elles sont contraires à la connaissance et à la conviction intime des
juges » (4).
Journal des Débats, t. XVI, n° 570, p. 2.
M. Robespierre a posé la question en ces termes : les preuves, les
dépositions des témoins sur lesquelles les Juges asseoient les jugemens
qui décident du sort des accusés, doivent-elles être fixées par l'écriture,
ou ne doivent-elles être que des sons passagers de paroles fugitives
qui, de la bouche des témoins, vont expirer dans l'esprit et dans le
cœur des Juges ? Cette question ne peut être résolue sans remonter au
véritable principe de toute institution judiciaire. En général, la procé-
dure criminelle n'est autre chose que les précautions prises par la Loi
contre la foiblesse ou les passions des Juges. Loin de considérer les
Magistrats comme des êtres abstraits ou impassibles dont l'existence
individuelle est parfaitement confondue avec l'existence publique, on
sait que de tous les hommes, ce sont ceux que la Loi doit surveiller et
enchaîner avec le plus de soin, parceque l'abus du pouvoir est le plus
redoutable écueil de la foiblesse humaine.
Le Législateur se trouve placé dans un cas bien différent du
Juge; ce seroit une grande erreur de les comparer. Le Législitem est
exempt de passions et de partialité, parcequ'il statue sur les choses par
les loix générales, et non sur les individus par des décisions particu-
lières; c'est à lui de diriger le Juge par des règles constantes. M. Ro-
bespierre est entré dans l'énumération de ces règles qui sont à la fois
la sûreté de l'accusé et celle du Juge. Il a particulièrement insisté sur
ces expressions mémorables, et d'une justice éternelle qu'emploie la
Loi : Vous ne condamnerez personne si vous n'avez des preuves plus
claires que le jour.
La Loi a même déterminé le genre de preuves sans lequel il ne
leur est pas permis de condamner, quelle que fût la force de leur pré-
somption intérieure ; il n'y a que le génie du despotisme qui puisse
imaginer de suppléer à cela par la seule opinion, par les seules affec-
tions des Juges; point de preuves légales sans l'écriture; c'est elle qui
atteste, qui consacre que les formes prescrites par la Loi ont été rem-
plies, sans elle il n'y a plus qu'incertitude, obscurité arbitraire et despo-
tisme.
Il faut donc qu'à la preuve matérielle que la Loi demande, se
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, VII, 35-36, et les Arch.
pari., XXII, 10.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 13
joigne la conviction intérieure du Juge; prétendre suppléer à î'une par
l'autre est une véritable barbarie.
L'Orateur a cité un exemple frappant de la nécessité de la con-
viction intérieure du Juge. En Angleterre, un Citoyen est accusé d'un
grand crime, il est traduit devant les Jurés. Toutes les preuves les plus
imposantes s'élèvent contre lui. Un seul Juré résiste à l'évidence qui
frappe tous les yeux. Il refuse avec une opiniâtreté incroyable de join-
dre son suffrage à ceux de ses Collègues... C'étoit lui-même qui avoit
commis le crime. Voudriez-vous que la Loi l'eût condamné à pronon-
cer ? Ne sentez vous pas la nature qui frémit en vous à la seule idée d'un
Juge qui reconnoît l'innocence, qui la plaint, qui frémit de son sort, et
l'envoyé au supplice ?
M. Robespierre a lu le Projet de Décret suivant :...
; [Suit le texte du projet reproduit par Le Point du Jour]
Assemblée nationale et Commune de Paris (imitât.), n° 515, p. 2.
a M. Robespierre s'est également attaché à combattre les vues
des comités. « Si, disoit-il, les dépositions ne sont pas rédigées par
écrit, elles partiront des lèvres des témoins pour aller expirer dans
l 'esprit des jurés. La procédure criminelle est une sage précaution prise
contre la foiblesse ou la perversité des Juges. S'ils étoient des anges,
elle deviendrait absolument inutile; car le législateur n'auroit qu'à
leur dire : tout ce que vous rapporterez sera la vérité, tout ce que vous
jugerez sera la justice; mais les juges seront des hommes, et c'est sur
ces hommes auxquels sont confiés les pouvoirs les plus redoutables, que
la loi doit exercer la plus active surveillance. La loi veut que, pour
prononcer qu'un accusé est coupable, il y ait des preuve? plus claires
que le jour. Il faut donc trouver un moyen de recueillir et de constater
ces preuves; et comment les saisir, si elles ne sont pas rédigées par
écrit. M. Robespierre a établi ensuite un autre principe, savoir : que
pour la condamnation d'un accusé, la conviction personnelle du juge
devoit accompagner la preuve légale, et même quelquefois prévaloir sur
elle. Deux témoins, disoit-il, déposent d'une manière uniforme contre
un accusé. Cependant, le juge sait, d'une part, que leur probité est
plus qu'équivoque, et de l'autre, il est -intimement convaincu que
l'accusé est un honnête homme.
« Le juge condamnera-t-il ? Non, il ne le devra pas, car ce seroit
alors prendre l'ombre de la vérité pour la vérité elle-même; je conclus
de cet exemple que le juge devra condamner s'il n'a que la preuve
légale; mais que si elle est contre sa conviction personnelle, il ne
devra pas condamner.
« D'après ces principes, M. Roberspierre a conclu: 1" à ce que
les dépositions des témoins entendus devant les jurés, fussent rédigées
14 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
par écrit; 2° à ce que les jurés ne pussent déclarer l'accusé coupable,
si le genre de preuve exigé par la loi n'étoit pas acquis; 3° à ce que
le juge eût la faculté de ne pas condamner s'il avoit la conviction
personnelle de l'innocence de l'accusé. »
Journal de Normandie, 1791, n° 5, p. 22.
« M. Roberspierre . Je ne vous rappellerai point MM., que la
question sur laquelle vous allez prononcer est une des plus essentielles
sur le sort de tous les accusés; que vous ne pouvez trop méditer sur le
parti que vous allez prendre, et qu'il est de la plus haute importance
de ne rien précipiter.
« En matière criminelle, l'unique point est la recherche et la
connoissance exacte de la vérité ; et comment y parvenir par des dépo-
sitions qui ne laissent aucune trace, et se perdent ou se confondent
dans la mémoire ou l'esprit des jurés ? Je ne répéterai point ce que j'ai
déjà dit dans une autre circonstance, et ce qu'ont dit plusieurs autres
honorables membres; mais sans dépositions écrites, point de preuves
légales, point de conviction dans les jurés, et dès-lors toutes les condam-
nations en matière criminelle deviennent autant d'assassinats juridiques.
Je conclus donc au projet suivant :
« 1 ° Les dépositions des témoins seront écrites ;
« 2° Les juges ne pourront déclarer l'accusé convaincu, si le
genre de preuves prescrit par la loi n'est point acquis; mais ils pour-
ront et devront le déclarer innocent, si tel est le sentiment de leur
conscience. »
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n° 180, p. 2.
Courrier extraordinaire, 5 janvier 1791, p. 3 (5).
Courier de Madon, t. VII, n° 3, p. 35 (6).
a M. Robetspierre a également combattu les principes des comités;
si, disoit-il, les hommes étoient des anges, il ne faudroit établir aucunes
règles, il ne s'agiroit que de leur délivrer le coupable en leur disant :
tout ce que vous aurez décidé sur la vérité, sera la justice, mais les
juges seront des hommes sur lesquels la loi doit exercer la plus rigou-
reuse surveillance, si elle exige des preuves plus claires que le jour
pour la condamnation d'un accusé, il faut donc trouver un moyen de
constater ces preuves.
« L'opinant a posé un autre principe, savoir : que la preuve légale
n'étoit pas suffisante pour le juge et qu'il lui falloit encore la conviction
(5) Le Courrier extraordinaire ne reproduit que le premier para-
graphe.
(6) Ce demie* journal ne reproduit que le début et là fin do
l'extrait du Journal du Soir.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 15
personnelle des faits dont déposeraient les témoins. Deux témoins,
disoit-il, déposent d'une manière absolument conforme contre un accusé,
le juge sait que leur probité est équivoque, et il est au contraire convaincu
de celle de l'accusé, le condamnera-t-il sur la preuve légale? Non, il
ne le doit pas, car ce seroit prendre l'ombre pour la vérité. Je conclus
donc: 1° à ce que les dépositions des témoins soient écrites; 2° à ce
que les jurés ne puissent déclarer un accusé convaincu, si le genre de
preuves exigé par la loi, n'est point acquis; 3° à ce qu'il puisse ne
pas condamner sur la preuve légale s'il a une conviction personnelle
contraire à cette preuve. »
Journal des Etats-Généraux (Le Hodey), t. XIX, p. 266.
« M. Robespierre a été également d'avis de conserver les dépo-
sitions écrites. Pour prouver, a-t-il dit, combien sont dangereuses les
preuves orales, je finirai pas un exemple arrivé en Angleterre,. Un
citoyen est accusé d'un grand crime. Un juré, un seul juré résiste avec
opiniâtreté à l'évidence qui condamnoit l'accusé. C'étoit lui qui avoit
commis le crime : il le déclare, et l'innocence est sauvée. »
Le Spectateur national, 5 janvier 1791, p. 150
« Il seroit, en effet, dangereux de donner à des hommes chargés
de prononcer sur le sort 4e leurs concitoyens, le droit indéfini de con-
damner ou d'absoudre. Voilà pourquoi nous admettrions volontiers la
proposition faite par M. Robespierre, et qui consistoit à ordonner que
les jurés ne pourront, sans une preuve légale, prononcer de condamna-
tions, mais qu'ils pourront ne pas condamner quand cette preuve légale
seroit contraire à leur conviction personnelle. »
Journal de Paris, 6 janvier 1791, p. 25.
« Hier, après que M. Rey eut présenté quelques difficultés en
forme de questions et d'hypothèses, M. de Robespierre traita la
question des dépositions écrites ou orales d'une manière plus dogma-
tique. M. de Robespierre n'a pas mérité assurément le reproche d'aimer
trop les vieilles opinions et les vieilles pratiques, et le système des dépo-
sitions orales est très nouveau aujourd'hui parmi nous: cependant, M. de
Robespierre s'est déclaré contre ce système. »
Annales universelles, 5 janvier 1791, p. 36.
« M. Robespierre a dit : Vous avez à décider une des plus essen-
tielles questions qui vous aient été soumises, c'est sur le sort de tous
les accusés que vous allez prononcer, quelle que soit l'opinion des
membres qui ont parlé et qui parleront sur cette matière dans cette
tribune, j'ose vous supplier de ne pas hâter votre décision, et de peser
dans une juste proportion les raisonnemens les plus propres à atteindre
16 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
le but auquel vous voulez parvenir. Il a terminé par un projet de décret
qui a été combattu vivement; nous en rendrons compte demain » (7).
Mercure de France, 15 janvier 1791, p. 180.
« Reproduisant sous d'autres mots les argumens déjà usés contre
les preuves orales uniques, M. Roberspierre a conclu de l'existence et
de la nécessité des règles pour l'évaluation légale des preuves, qu'il
faut un moyen de constater que ces règles ont été suivies; qu'il faut
réunir la confiance qu'on leur doit, à celle que mérite la conviction
intime du juge. Il a cité le trait connu du juré Anglois qui, coupable
du crime, sauva l'accusé en n'opposant que sa voix aux autres jurés; et
la conclusion de M. Roberspierre a été que les dépositions seront écrites,
et que la condamnation n'aura lieu que sur les preuves légales réunies
à la conviction intime des juges. »
[Brève mention de cette intervention dans: Les Annales patrio-
tiques et littéraires, n° 460, p. 875; Le Mercure national et Révolu-
tions de l'Europe, 1791, n° 2, p. 62; Le Postillon (Calais), n'J 308;
Le Journal de la noblesse, de la magistrature, du sacerdoce et du mili-
taire, t. I, n° 3, p. 66; Les Révolutions de Paris (Prudhomme), n° 79,
p. 40; Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. IX,
n° 518, p. 2; La Chronique de Paris, n° 5, p. 19.]
(7) Kien dans le numéro suivant sur ce sujet.
203. — SEANCE DU 11 JANVIER 1791 (soir)
Sur les pouvoirs du Comité colonial
A la séance du 11 janvier 1791 au soir, Moreau de Saint-Mery,
député de la Martinique (l), membre du Comité colonial (2), propose,
en son nom personnel, le décret suivant :
« L'Assemblée nationale, voulant conserver l'unité qui existe
■entre les différentes parties de la constitution et de l'administration
des colonies, décrète: 1° Que les objets qui intéresseront directe-
ment les colonies ne pourront lui être présentés que par son comité
(1) La députation de la Martinique fut élue par le Comité des
colons séant à Paris (décret du 14 octobre 1739).
(2) Le comité colonial, élu le 4 mars 1790, se composait de dépu-
tés favorables aux colons, et en rapport avec le club Massiac qui
défendait leur cause. Il avait fait voter, dès le 8, un décret qui
prescrivait la formation d'assemblées coloniales suivant les disposi-
tions électorales adoptées dans la métropole. Les hommes de couleur
libres, mulâtres ou noirs, n'étant pas mentionnés, la question de
«avoir s'ils pouvaient être inscrits comme citoyens actifs et exigibles
divisait violemment les esprits. Moreau redoutait évidemment que
d'autres comités adoptassent des mesures qui impliqueraient une
solution favorable aux hoimmes de couleur.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 17
colonial ; 2° Que ses autres comités ne pourront soumettre à sa déli-
bération aucune disposition relative aux colonies ni prendre aucun
arrêté à cet égard, sans en avoir préalablement conféré avec le
comité colonial. »
Robespierre, puis Pétion s'élèvent contre cette proposition (3).
L'Assemblée nationale se rallia à leur avis. La question préa-
lable, mise aux voix, fut adoptée.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 13, p. 50.
« M. Roberspierre. La motion proposée n'est rien moins qu'une
motion d'ordre. Elle tend à gêner la liberté qu'a l'Assemblée de décré-
ter, et chaque membre de proposer ce qui sera trouvé utile aux colonies.
C'est tout soumettre au Comité colonial. Je demande la question préa-
lable )> (4).
Journal de Paris, 13 janvier 1791, p. 51.
« M. de Roberspierre et M. Pétion de Villeneuve se sont élevé*
fortement contre cette proposition : il leur a paru qu'elle tendoit à
établir le despotisme d'un Comité sur les autres Comités, sur tous les
Membres de l'Assemblée et sur l'Assemblée Nationale elle-même. »
Assemblée nationale et Commune de Paris (imitât.), n° 523, p. 2.
« MM. Roberspierre et Péthion se sont fortement élevés contre
cette proposition, comme tendante, selon eux, à priver chaque membre
de l'Assemblée du droit de faire des motions et à donner au comité
colonial, une suprématie très-opposée aux principes de l'Assemblée. »
Annales patriotiques et littéraires, n° 468, p. 911.
« Cette manière impérieuse et rapide qui est propre à l'opinant
et qu'il porte par-tout, a paru fort étrange dans une Assemblée législa-
tive. Elle a été relevée par M. Robertspierre à qui cette remarque a
valu de la part de M. Moreau quelques personnalités injurieuses. »
Le Patriote françois, n° 525, p. 59.
« N'a-t-elle pas [l'Assemblée] déjà manifesté les sentimens qui
l'inspirent, en rejettant avec dédain tant de prétentions de ce comité
colonial, où l'on ne sait trop qui domine le plus de l'ignorance ou de
la perversité ; en rejettant cette dictature que vouloit attribuer à ce comité
l'astucieux Moreau (de Saint-Méry) (5), afin de paralyser les bras des
(3) Cf. E. Hamel, I, 366. ,
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, VII, 99, et les Arch. pari.,
\XII 139
(5) Note du journal : « Dans la séance du 11 janvier, ce M. Moreau
demandait qu'aucun comité ne pût faire un rapport qui eût; le plus
léger trait aux colonies, sans s'assujettir à la censure du vertueux
comité colonial. Cette motion a été rejetée avec mépris et à l'una-
nimité. »
Roui smërre. ■ 2
18 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
hommes de bien, qui veulent effacer les taches nombreuses imprimées
à la constitution par ce comité; dictature si heureusement combattue
par MM. Pétion et Robespierre ! Et M. Moreau s'avise de plaisanter
sur les principes de ces vigoureux défenseurs de la liberté, lui qui
semble n'avoir puisé les siens que dans les codes du despotisme asia-
tique; lui, qui, vingt fois défié au combat, reste immobile, et ne fait
l'important que dans les conciliabules ténébreux de colons qui le mépri-
sent ! )>
Le Courrier de Paris dans les LXXXIII Départemens, t. XX, p. 206.
« MM. Robertzpierre et Péthion se sont élevés avec chaleur
contre la première partie de cette proposition; ils ont prétendu que les
désordres des colonies pouvoient fort bien trouver leur source dans l'arbi-
traire de ce Comité. Ils ont demandé la question préalable M. Moreau
a voulu insister, mais il a perdu la cause, et l'on est passé à l'ordre du
jour, »
[Brève mention de cette intervention dans Le Courier de Pro-
vence, t. XIII, p. 341 ; Assemblée nationale, Corps administratifs
(Perlet), t. IX, n° 526, p. 2; Le Spectateur national, 13 janvier 1791,
P. 185.]
204. — SEANCE DU 13 JANVIER 1791 (soir)
Sur le règlement des théâtres
Le 23 août 1790 au soir, une députation des auteurs dramatiques
s'était présentée à l'Assemblée ; son orateur, Laharpe (1) avait
réclamé contre les usages qui portaient atteinte à la propriété des
auteurs. Cette pétition fut renvoyée au comité de constitution, et
la députation admise aux honneurs de la séance (2).
Le 13 janvier 1791 au soir. Le Chapelier, au nom du comité de
constitution, lit un rapport sur cette pétition, et présente un projet
de décret garantissant les droits des auteurs dramatiques (3). Au
(1) Laharpe (Jean-François Delharpe ou Delaharpe. dit De...),
ne en 1739, auteur de tragédies médiocres, membre de .l' Académie
française, était alors surtout réputé comme critique depuis qu'il
avait ouvert, en 1786, un cours au « Lycée » de la rue Saint-Honoré.
11 affichait des idées philosophiques. Arrêté pendant la Terreur, il
passa, après Thermidor, à la contre-révolution. D'abord fervent
admirateur de llobespierre, il l' accabla de calomnies après son
exécution. Il mourut en 1803.
(2) Cf. E. Hamel, I. 367.
(3) Le Chapelier pouvait en effet se prévaloir de l'art. 3 qui sti-
pulait que les officiers municipaux « ne pourront pas arrêter ni
défendre la représentation d'une ];ièce sauf la responsabilité des
aiitcai-j et des comédiens, ni rien enjoindre que de conforme aux
lois et réglementa de police ». Mais Robespierre redoutait de les voir
abuser de leur droit d'inspection en exerçant une censure.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 19
COlias de la discussion, Robespierre s'élève contre l'art. 6 ainsi
■conçu : « Les -entrepreneurs ou les membres des différents théâtres,
seront, à raison de leur état, sous l'inspection des municipalité':;... »
Robespierre ne fut point suivi par l'Assemblée qui décréta le
projet présenté par son comité de constitution.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 15, p. 60.
« M. Roberspierre. Rien ne doit porter atteinte à la liberté des
théâtres; et cependant, l'article VI du Comité la détruit Ce n'est pas
assez que beaucoup de citoyens puissent élever des théâtres, il ne faut
pas qu'ils soient soumis à une inspection arbitraire. L'opinion publi-
que est seule juge de ce qui est conforme au bien. Je ne veux donc
pas que par une disposition vague on donne à un officier municipal
le droit d'adopter ou de rejeter tout ce qui pourrait lui plaire ou lui
déplaire ; par là on favorise les intérêts particuliers et non les mœurs
publiques. Je conclus à ce que l'on ajourne tout le projet, plutôt que
d'adopter le sixième article.
«M. le Chapelier. Je loue extrêmement les intentions du pré-
opinant ; elles sont les nôtres.
« M. Roberspierre. Il ne suffit pas de les louer; il faut les
adopter.
« M. le Chapelier .. .
« M. Roberspierre. Je demande à répondre un seul mot » (4).
La Bouche de Fer, n° 7, p. 111,
« M. Roberspierre l'a [l'Assemblée] bientôt rappelïée à la
sévérité de ses principes, en demandant que les auteurs ne fussent sou-
mis à aucune responsabilité pour leurs pièces. Cette demande juste et
qui fermoit l'accès à l'arbitraire des accusations a été rejettée par des
hommes moins amis de la liberté que lui. »
Journal des Débats, t. XVI, n" 581, p. 11.
« M. Roberspierre a demandé la parole. Nous avons d'abord
entendu assez distinctement, qu'il pensoit qu'un individu, un Corps, une
Municipalité ne pouvoit décider quand une pièce pourrait, ou ne
pourroit pas être jouée. Mais ensuite son opinion a reçu tant d'impro-
bation, qu'il nous a été impossible de la suivre. L'Assemblée a rejeté
l'ajournement qu'il avoit pTopo:é » (5).
[Brève mention de cette intervention dans La Gazette universelle,
1791, n" 15, p. 59.]
I 1 1 i, : | y jteur, Vît na-120, pi les Yteh
■).. XXI i, 218.
(.,) i. »pposition et-a.i1 men >■ par Pabbé Manry qui réclamait une
sure des théâtres.
20 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
205. — SEANCE DU 19 JANVIER 1791
Sur l'organisation de la justice criminelle (suite)
Duport, rapporteur du projet d'organisation de la justice crimi-
nelle, avait mis en discussion le 3 janvier la question de la procé-
dure écrite (1). Le débat qui s'était instauré alors, se continua le
17 janvier et les jours suivants.
Le 19, à la .suite du vote de l'art. 3 ainsi conçu : « L'examen des
témoins et le débat seront faits ensuite devant le juré, de vive voix
et non par écrit », la discussion rebondit. Plusieurs amendements
sont déposés, dont celui de Malouet qui tend à faire revivre la rédac-
tion du débat, mais Barnave montre que c'est mettre en cause l'insti-
tution des jurés dans son ensemble, dont Robespierre demande la
discussion (2).
L'Assemblée décida qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur les"
amendements, et que la séance du lendemain serait consacrée à la
formation des tribunaux criminels.
Assemblée nationale et Commune de Paris (imitât.), n° 530, p. 7.
« MM. Robespierre et Cazalès demandoient que l'on ouvrit une
discussion générale sur l'ensemble de l'organisation du juré, mais on
leur a observé que cette motion tendoit à remettre en question plusieurs
points déjà jugés, et l'assemblée a décidé qu'elle s'occuperoit du titre
de la formation du tribunal criminel. »
(1) Cf. ci-dessus, séance du 4 janvier 1791.
(2) Cf. séance suivante.
206. — SEANCE DU 20 JANVIER 1791
Sur l'organisation de la justice criminelle (suite)
Abandonnant la discussion sur l'établissement du jury, l'Assem-
blée aborde, le 20 janvier, l'examen du titre II du projet présenté
par Duport au nom das comités de constitution et de judicature.
(Les premiers articles fixent le nombre, le siège et la composition
des tribunaux criminels.
I" intervention: Sur la discussion de l'ensemble du projet
Le siège des tribunaux criminels donna lieu à plusieurs inter-
ventions, dont celles de Le Chapelier, Chabroud et Malouet ; mais
les amendements qu'ils présentèrent furent écartés par la question
préalable et l'article des Comités décrété en ces termes: « Il sera
établi un tribunal criminel pour chaque département. »
C'est alors que Robespierre monte à la tribune pour lire l'impor-
tant discours qu'il a préparé dans le but de réfuter l'ensemble du
projet présenté par Duport, mais on refuse de l'entendre. Comme
il ne sera pas plus heureux au cours des séances suivantes, nous
avons pensé qu'il était préférable de reproduire ce texte à la date
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 21
mémo où Robespierre souhaitait qu'on l'on tondît ; on lo trouvera :\
la fin de cotte séance (1).
Journal de Paris, 21 janvier 1791, p. 85.
« Au moment de passer aux articles suivans, M. de Robertspierre
a demandé la parole. Dès les premières phrases, il a annoncé des vues
générales sur toute l'organisation des Tribunaux criminels. Pour parler
du Tribunal, il parloit des Jurés, des nôtres, de ceux qui sont décrétés
(2) et qui, suivant M. de Robertspierre, ne sont que le fantôme des
Jurés Anglois qu'on a mal connus, qu'on ne devoit pas imiter, et qui
ont été mal imités. On a crié à M. de Robertspierre : Il ne s'agit pas
des Jurés, mais du Tribunal; parlez-donc du Tribunal, ou ne parlez
pas. Il a répondu : mes idées sur le Tribunal se lient à mes idées
sur Les Jurés; il appartient aux autres d'adopter ou de rejeter mes vues,
mais non pas de me prescrire par où je dois commencer, et par où
je dois finir. Si l'Assemblée ne veut pas m'entendre, je vais me taire,
l'Assemblée n'a pas été interrogée par le Président, et n'a pas répondu
formellement, mais M. de Robertspierre, acta qu'il devoit descendre
de la Tribune » (3).
2e intervention : Sur les commissaires du roi (4)
Le débat s'engage à propos de l'art. 4 prévoyant la nomination
cl un commissaire du roi près des tribunaux criminels. Après une
légère discussion au cours de laquelle intervient Robespierre, l'art. 4
est décrété en ces termes : « Un commissaire du roi sera toujours
de service près du tribunal criminel. » (5).
jLe Lendemain, t. II, n° 21, p. 174.
« M. Robespierre soutient que le Ministère des Commissions du
Roi est inutile au tribunal criminel. »
(1) Malgré les nombreuses tentatives qu'il fit par la suite, Robes-
pierre ne parvint pas en effet à lire son discoure; il n'en utilisa que
des fragments plus ou moins importants. On a coutume de le dater
du 5 février 1791 ; c'est ce que fit Hamel (I, 359) et après lui Cht.
VeHay (p. 1-2); mais au eour.s de cette dernière .séance, il ne fut
cependant pas plus heureux, ainsi que nous pouvons le constater en
étudiant les extraits de presse. E. Hamel considère que l'animosité
do Duport contre Robespierre date de cette époque.
(2) Le titre I du projet de Duport, intitulé: « De la procédure
devant lç tribunal de district, et du juré d'accusation », avait été
décrété le 2 janvier 1791.
(3) E. Hamel (I, 359) qui a eu connaissance de cet extrait constate
également que « tous les autres journaux sont muets à cet égard ».
(4) Le commissaire du roi, nommé par le pouvoir exécutif auprès
dos tribunaux civils, surveillait la procédure dans l'intérêt de la loi.
(5) L'assemblée repoussait ainsi la création de commissaires du
roi spéciaux aux tribunaux criminels (cf. ci-desBOiis, séance du 30
niai ]791).
22 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
3° intervention : Sur la durée des fonctions de l' accusateur public
Robespierre iritervienl à nouveau à propos dv l'art. (> ainsi
conçu : u L'accusateur public sera nommé pour dix ans, '■
pour douze Efier sera à vie. » Oazalès remet aloi
les I ande que La durée <lu mandat du
président soit réduite dans la même proportion que celui des juge:;.
Mais Duport se rangea à l'amendement de Raimel-Nogaret el
semblée adopta l'article souk cette rédaction: << L'accusateur public
sera nommé pour quatre ans- la première fois et pooir six ans la
seconde, le président sera norfimé pour six ans et pourra i
le greffier sera à vie. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XX, p. 224.
« M. Robespierre. J'observe qu'il n'y a rien de plus intéressant
que d'examiner si un président du tribunal criminel et si un accusateur
public, chargés de fonctions si redoutables et d'une autorité aussi éten-
due, doivent être en place aussi longtemps (6). Je supplie l'Assemblée
de ne pas prendre de détermination sur cet article » (7).
[Brève mention dé cette intervention dans ^4ssemo/ée nat'onale
et Commune de Paiis (imitât.), n° 531, p. 8; et Le Journal du Soir
(Beaulieu), n° 20, p. 4.]
PRINCIPES
DE L'ORGANISATION DES JURÉS, ET REFUTATION
DU SYSTÈME
proposé par m. duport, au nom des comités de juthcature
& de Constitution,
par MAXIMILIEN ROBESPIERRE
DÉPUTÉ DU DÉPARTEMENT DU PAS-DE-CALAIS A L' ASSEMBI ÉE
Nationale. (8)
MESSIEURS,
Le mot de Jurés semble réveiller l'idée de l'une des institu-
tions sociales les plus précieuses à l'humanité : mais la chose qu il
exprime est loin d'être universellement connue, & clairement définie :
ou plutôt il est clair que, sous ce nom", on peut établir des choses
essentiellement différentes par leur nature & par leurs effets. La plu-
part des François n'y attachent guère aujourd'hui qu'une certaine idée
(6) Robespierre souhaitait qu'ils ne fussent nommées que pour
de ux ans.
(7) Texte reproduit dans les Arch. pari. XXII, 34S.
(8) La publication de ce discours subit un retard de plus de deux
mois dont Robespierre se plaint dans une lettre qu'il adresse, en
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 23
vague du système anglois, qui ne leur est point parfaitement connu.
Au reste, il nous importe bien moins de savoir ce qu'on fait ailleurs,
que de trouver ce qu'il nous convient d'établir chez nous. Les Comités
de Constitution & de Judicature pourraient même avoir calqué exac-
tement une partie du plan qu'ils vous proposent sur les Jurés connus
en Angleterre, & n'avoir encore rien fait pour le bien de la Nation;
car les avantages et les vices d'une institution dépendent presque tou-
jours de leurs rapports avec les autres parties de la législation, avec
les usages, les mœurs d'un pays, & une foule d'autres circonstances
locales & particulières. On pourroit de plus les avoir modifiés de telle
manière, & attachés à de telles circonstances, qu'au lieu des fruits
heureux que les Anglois en auroient recueillis, les Jurés ne produisis-
sent chez nous que des poisons mortels pour la liberté. Attachons- nous
donc à la nature même de la chose, au principe de toute bonne Consti-
tution judiciaire, & de l'institution des Jurés (9).
Son caractère essentiel, c'est que les Citoyens soient jugés par
leurs Pairs. (10): son objet est que les Citoyens soient jugés avec plus
de justice & d'impartialité; que leurs droits soient à l'abri des coups
du despotisme judiciaire. Comparons d'abord avec ces principes, le
système des Comités. C'est pour avoir de véritables Jurés, que je
vais prouver qu'ils ne nous en présentent que le masque & le fantôme.
Dans l'étendue d'un Département, deux cens Citoyens seront
pris, seulement, parmi ceux qui paien* la contribution exigée pour être
éligibles aux places administratives. Ces deux cens éligibles seront
choisis par le Procureur-Général Syndic de l'Administration du Dépar-
tement. Sur ces deux cens, douze seront tirés au sort; ce sont ces
douze qui, sous le titre de Jurés de jugement, décideront si le crime
a été commis, si l'accusé est coupable. Il faut observer seulement que,
sur les deux cens éligibles qui formoient la liste des Jurés, l'accusa-
teur public & l'accusé ont également la faculté d'en récuser chacun
vingt.
Maintenant, pour embrasser l'ensemble du système, pour en saisir
l'esprit, & en calculer les effets, il faut rapprocher de cette organisa-
tion des Jurés, celle du Tribunal qui doit intervenir dans les procès
criminels, & prononcer la peine.
avril 1791. à la Société des Amis de la Constitution de Versailles
(cf. (i. Miction, I, 102), où l'on peut lire: « P. S. J'y joins un discours
sur les jurés dont la publication a éprouvé dans le tems des obstacle;;
d'une nature assez extraordinaire. Je vous prie de m'informer de la
réception de cet envoi. » Nous rappelerons cette brochure à l'épo-
que de, sa diffusion (cf. ci-dessous, n" 24H bis).
'(!)) C'est à ce premier paragraphe que fait allusion le Journal
de Paris, p. 85.
(10) Robespierre a prononcé cette phrase dans son intervention
du 5 février 1791.
24 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Un Tribunal criminel , unique par chaque Département, composé
de deux Juges pris à tour de rôle, & tous les trois mois, parmi les
Membres des Tribunaux de District que renfermera le Département;
A la tête de ce Tribunal, un Magistrat permanent, un Prési-
dent, nommé pour l'espace de douze années, qui, indépendamment
des fonctions de Juge, est seul revêtu d'une autorité infiniment étendue,
que nous ferons connoître dans la suite (II).
Contentons -nous maintenant de développer les vices cachés, pour
ainsi dire, dans la combinaison des dispositions que nous venons d'an-
noncer.
Quels sont-ils ces Jurés, ces ihommes appelles à décider de la
condamnation ou du salut des accusés ? Deux cens Citoyens choisis
par le Procureur-Syndic du Département. Voilà donc un seul homme,
un Officier d'Administration maître de donner au Peuple les Juges
qu'il lui plait. Voilà tout ce que le génie de la législation pouvoit
inventer pour garantir les droits les plus sacrés de l'homme & du
Citoyen, qui aboutit à la sagesse, à la volonté, au caprice d'un Pro-
cureur-Syndic. Je sais bien que, sur ces deux cens, douze seront
tirés au sort, & que l'accusé pourra en récuser vingt : mais !e sort ne
pourra jamais s'exercer que sur deux cens hommes choisis par le Pro-
cureur-Syndic; mais, après les récusations, il ne restera jamais que des
hommes dont le choix ne prouvera, tout au plus, que la confiance du
Procureur-Syndic; mais en dernière analyse, il demeure certain que
vous abandonnez au Procureur-Syndic une influence aussi étrange que
redoutable sur l'honneur, sur la liberté, sur la vie peut-être, des
Citoyens. J'aurois pu observer aussi que l'effet de la faculté de récuser,
que vous donnez à l'accusé est anéanti ou compensé par celle que vous
accordez à l'accusateur public, puisque, si d'un côté il peut écarter
les vingt Jurés qui pourraient lui être suspects, son adversaire peut
lui ravir, de l'autre, le même nombre de ceux en qui il auroit le plus
de confiance.
Si un pareil pouvoir donné au Procureur-Syndic est, en soi, un
abus extrême, que sera-ce si nous considérons les circonstances parti-
culières à notre Nation & à notre Révolution, les seuls sans doute
qui doivent fixer nos regards.
Dans un temps où la Nation est divisée par tant d'intérêts, par
tant de factions, où elle est sur-tout partagée en deux grandes sections,
la majorité des Citoyens, les Citoyens les moins puissans, les moins
caressés par la fortune & par l'ancien Gouvernement, ces Citoyens
que l'on appelle peuple, que j'appelle ainsi, parce qu'il faut que je
parle la langue de mes adversaires, parce que ce nom me paroît à-la-
fois auguste & touchant; dans le temps, dis-je, où l'Etat est comme
partagé entre le Peuple & la foule innombrable de ces hommes qui
(11) Cf. ci-dessus, séance du 20 janvier, 3e intervention.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 25
veulent, ou rappeler les anciens abus, ou en créer de nouveaux, au
profit de leur ambition & aux dépens de sa liberté; dans le temps où
les plus dangereux de ses ennemis ne sont pas ceux qui se montrent
à découvert, mais ceux qui cachent leurs sinistres dispositions sous le
masque du civisme, & sous les formes de la Constitution nouvelle,
n'est-il pas possible, n'est-il pas même inévitable & conforme à l'ex-
périence, que l'intrigue & l'erreur portent souvent aux premières places
de l'Administration des Citoyens de ce caractère ? Or, de tels Pro-
cureurs-Syndics ne seroient-ils pas naturellement enclins à appeller
aux fonctions de Jurés des hommes qui auroient adopté les mêmes
principes, & qui suivraient le même parti ? Ne pourroient-ils pas même,
sans nuire à leurs vues, les entremêler, pour ainsi dire, d'un certain
nombre de ces hommes nuls & insignifians qui appartiennent au plus
adroit & au plus puissant; &, s'ils le vouloient, ne le pourroient-ils
pas facilement ? Seroient-ils réduits à chercher long-temps deux cens
de ces hommes-là dans toute l'étendue du Département ? Et dès-lors
ne voilà-t-il pas le peuple, les patriotes les plus zélés sur-tout, livrés
à des Juges partiaux et ennemis ? Je n'en conclurai pas qu'on se hâtera
d'abord de déployer l'appareil des Jugemens criminels contre ceux
qui, sur un grand théâtre, auront défendu avec éclat les droits de la
Nation & de l'humanité; mais je vois les Citoyens foibles et sans
appui, suspects d'un trop grand attachement à la cause populaire, per-
sécutés au nom des Loix & de l'ordre public; je vois des réclama-
tions vigoureuses, des actes de résistance provoqués par de longs outra-
ges, ou, si l'on veut, les actes d'un patriotisme sincère, mais non encore
éclairé par la connoissance des Loix nouvelles, punis comme des actes
de rébellion & comme des attentats à la sûreté publique. Je vois dans
toutes les accusations qui auront le moindre trait aux calomnies, que
les ennemis de la liberté n'ont cessé de répandre contre le peuple,
les meilleurs Citoyens abandonnés à toutes les préventions, à toute
la malignité hypocrite des faux patriotes, à toutes les vengeances de
l'aristocratie soupçonneuse & irritée.
Ce n'est pas tout : comme si ce n'étoit point assez de ces précau-
tions pour nous assurer ce malheur, les Comités ne nous proposent-ils
pas encore de restreindre la faculté d'être choisi par le Procureur-
Syndic, à la classe des éligibles aux Administrations; c'est-à-dire,
des Citoyens les plus riches & les plus puissans ? Est-ce donc !à ce que
vous appeliez être jugés par ses Pairs ? Ils le seront peut-être ces
Citoyens exclusivement appelles aux fonctions d'administrateurs & de
Jurés; mais ils ne forment pas le quart de la Nation: pour les autres,
ils le seront de fait par leurs supérieurs; leur sort sera soumis à une
classe séparée d'eux par la ligne de démarcation la plus profonde, par
toute la distance qui existe entre la puissance politique & judiciaire,
& la nullité, entre la souveraineté & la sujétion, ou si vous voulez
la servitude. Et comment la Nation retrouveroit-elle là, je ne dis pas
26 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
l'égalité des droits, je ne dis pas les droits imprescriptibles des hom-
mes, mais ce principe fondamental de toute organisation des Jurés,
ce caractère de justice & d'impartialité qui doit la distinguer £ Tous
ceux qui seront hors de votre classe privilégiée ne craindron!-i!s pas
de trouver dans ces Jurés plus de penchant à l'indulgence, plus d'égards,
plus de prévention pour les personnes de leur état, & moins d'huma-
nité, moins de respect pour ceux qu'ils sont accoutumés à regarder
comme d'une grande hauteur ?
Je suis bien éloigné de vouloir que les accusés soient jugés par
les Tribunaux. Mais certes, je ne crains pas d'affirmer que ce système
seroit beaucoup moins dangereux, beaucoup moins contraire aux prin-
cipes de la liberté que celui qu'on nous propose. Du moins les
Citoyens seroient jugés par des Magistrats qu'ils auroient eux-mêmes
choisis : dans l'autre leur sort est soumis à des hommes nommés par
un seul fonctionnaire public, peut-être par leur ennemi.
Dans le premier, l'égalité des droits est au moins respectée,
puisque tous sont jugés par ceux que tous ont choisi ; mais le second
distingue la Nation en deux classes, dont l'une est destinée à juger,
& l'autre à être jugée; la partie la plus précieuse de la souveraineté
nationale est transportée à la minorité de la Nation; la richesse devient
la seule mesure des droits du Citoyen, & le Peuple François est à-la-
fois avili & opprimé. Enfin, si le système judiciaire, que je mets en
parallèle avec celui du Comité, est défectueux, celui du Comité est
inique & monstrueux (12).
Que dirai-je de cette autre disposition qui porte, que 'es deux
tiers des Jurés seront pris dans la ville où sera établi le Tribunal crimi-
nel 7 Que dirai-je de cette partialité injuste & injurieuse aux Citoyens
des Campagnes, dont il est impossible de calculer les suites funestes ?
de cet oubli inconcevable des premiers principes de la raison & de
l'ordre social ?
Ces inconvéniens sont si frappans, que je n'ai pas même songé
à relever une atteinte directe qu'il porte aux premiers principes de notre
Constitution, en donnant le droit d'élire des Fonctionnaires publics
(& quels Fonctionnaires) à un autre Fonctionnaire public, à un Officier
que le peuple n'a pas chargé de cette mission, & dont le pouvoir est
enfermé dans les bornes des affaires de l'Administration. Défions- nous
de cette tendance à investir les Directoires de toutes ces prérogatives;
elles sont autant d'attentats à l'autorité nationale & à la liberté pubb-
que.
Mais je n'ai encore exposé qu'une partie des dangers attachés
à l'Organisation des Jurés dont on nous menace : il faut les voir en
(12) C'est cette importante question du choix des jurés qui fait
l'objet de l'intervention principale de Robespierre au cours de la
séance du 5 février. Implicitement, il réclame ainsi, une fois de plus,
la suppression du' cens.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 27
action; il faut considérer leur rapport avec ce Tribunal criminel auquel
on les lie. Vous savez que ce Tribunal est composé de deux Juges
pris dans chaque District ; mais ces Juges changent tous les tro's mois :
le Président seul reste : le Président est nommé pour douze années ;
c'est vous dire assez que ce Magistrat aura une prodigieuse influence ;
mais considérez l'étendue de ses fonctions. Indépendamment de celles
qui lui sont communes avec les autres-Juges, de celle de tirer les Jurés
au sort, de les convoquer, il fe-a subir im interrogatoire à l'accusé im-
médiatement après son arrivée; il assistera, il présidera à foute l'instruc-
tion; l'instruction finie, il sera chargé encore de diriger les Jurés eux-
mêmes dans l'exercice de leurs fonctions, de leur exposer, de leur
résumer l'affaire, de leur faire remarquer les principales preuves, même
de leur rappeler leur devoir.
C'en seroit assez pour vous convaincre que ce Président exercera
une singulière influence sur la procédure et sur le jugement des Jurés.
Peut-être aussi serez-vous étonnés de ce qu'en même-temps que l'on
considère cette dernière espèce de Juges, comme les seuls capables de
protéger suffisamment les droits de l'innocence & la liberté civile, on
les mette ainsi sous la tutèle & sous la férule d'un Magistrat nom-
mé pour douze ans. Si on les suppose ineptes, ils verront par les yeux
du Mentor que les Comités leur donnent : si on les suppose capables
de leurs fonctions, pourquoi ne pas leur laisser cette indépendance qui
doit caractériser les Juges ?
Mais ce qui achève de dévoiler l'esprit de ce système, c'est le
pouvoir indéfini & arbitraire dont le même Président est investi par
un autre article. « Le Président du Tribunal criminel, dit-on en pro-
pres termes, peut prendre sur lui de faire ce qu'il croira utile pour
découvrir la vérité; & la Loi charge son honneur & sa conscience
d'employer tous ses efforts pour en favoriser la manifestation » (13).
La découverte de la vérité est un motif très-beau; c'est l'objet de
toute procédure criminelle & le but de tout juge. Mais que la Loi
donne vaguement au Juge le pouvoir illimité de prendre sur lui tout
ce qu'il croira utile pour l'atteindre; qu'elle substitue l'honneur & la
conscience de l'homme à sa sainte autorité; qu'elle cesse de soup-
çonner que son premier devoir est, au contraire, d'enchaîner les capri-
ces & l'ambition des hommes toujours enclins à abuser de leur pouvoir;
& qu'elle fournisse à notre président criminel un texte précis qui favo-
rise toutes les prétentions, qui pallie tous les écarts, qui justifie tous les
abus d'autorité, c'est un procédé absolument nouveau, & dont les Comi-
tés nous donnent le premier exemple.
Je ne veux point parcourir les autres vices dont leur projet est
entaché; je ne veux pas même parler des fonctions inutiles & dange-
(13) Cf. séance <h\ 21 janvier 1791, lr" intervénti
28 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
reuses du Commissaire du Roi (14) qu'ils mêlent à toute l'instruction,
ni de l'autorité énorme qu'ils donnent à l'accusateur public, en lui
attribuant le droit de mander, de réprimander arbitrairement les Juges
de Paix, les Officiers de Police; en les mettant dans sa dépendance ;
en lui conférant une puissance qui répond à celle de nos Intendans
& des Procureurs-Généraux de nos Parlemens (15), mais comment
taire ou qualifier les dispositions par lesquelles ils remettent ensuite
au Roi le pouvoir de lui donner des ordres pour la poursuite des crimes ?
C'est donc en vain que vous avez retiré des mains du Commis-
saire du Roi le redoutable ministère de l'accusation publique, pour
le confier à un Officier nommé par le Peuple ; voilà que vos Comités
osent vous proposer de le remettre indirectement au Roi lui-même, c'est-
à-dire, de remettre à la Cour & au Ministère la plus dangereuse influence
sur le sort des Citoyens & des plus zélés partisans de la liberté; de
dénaturer, de pervertir l'institution de l'accusateur public, pour en faire
un vil instrument des agens du Pouvoir exécutif, pour avilir le Peuple
lui-même, le Souverain, en soumettant à leur empire le Magistrat qu'il
a choisi pour poursuivre, en son nom, les délits qui troublent la société.
Eh ! qui ne seroit effrayé de ces voies obliques, par lesquelles on
s'efforce sans cesse de ramener tous les jours toute la puissance natio-
nale dans les mains du Roi, & de nous remettre insensiblement sous
le joug d'un despotisme constitutionnel, plus redoutable que celui sous
lequel nous gémissions !
Quel est le résultat de tout ce que nous avons dit sur les prin-
cipes des Comités ?
Que la place de Président sera ce qu'on appelle une très-belle
place pour celui qui aspireroit à s'asseoir sur ce trône de !a Justice
criminelle; qu'en lui se concentrerait presque toute l'autorité du Tri-
bunal; qu'il dominerait également & sur la procédure & sur les Jurés;
que ces Jurés eux-mêmes ne seroient que des instruments passifs & sus-
pects, passant, pour ainsi dire, des mains de l'Officier qui les auroit
créés, dans celles du Président qui les dirigeroit. Je vois par-tout les
principes de la justice & de l'égalité violés, les maximes constitution-
nelles foulées aux pieds, la liberté civile pressée, pour ainsi dire, entre
un accusateur public, un Commissaire du Roi, un Président & un pro-
cureur syndic... J'oubliois les Officiers de Maréchaussées érigés en
Magistrats de Police (16), mais laissons, pour un moment, ce système
fatal qui complette le plan oppressif que nous avons développé, qui livre
brutalement la liberté des Citoyens aux caprices & aux outrages du
despotisme militaire, qui semble proposé, non pour un peuple généreux,
conquérant de sa liberté, mais pour un troupeau d'esclaves que l'on
voudrait punir d'avoir un instant secoué leurs chaînes.
(14) Cf. séance du 20 janvier 1791, 2» intervention.
(15) Cf. séance du 21 janvier 1791. 2e intervention.
(16) Cf. Discours, lre partie, p. 674-687.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 29
Dissipons, dans ce moment, les illusions dont les Comités sem-
blent couvrir leur système. Ils ne cessent de répéter qu'il existe en
Angleterre.
Quand on veut adopter la méthode si incertaine & si fausse, de
préférer des exemples étrangers à la raison, on devroit au moins être
exact sur les faits. Mais comment peut-on se dissimuler que le système
anglois & celui qu'on nous présente, diffèrent par des circonstances
essentielles, qui en changent absolument le résultat ? Et d'abord, qui
ne sait pas que le système anglois présente à l'innocence une sauve-
garde qui suffirait seule pour prévenir bien des inconvéniens, pour
tempérer bien des vices dans la composition des Jurés ? C'est la Loi
qui veut l'unanimité absolue pour condamner l'accusé : or, cette Loi
salutaire est précisément celle que les Comités commencent par effacer
de leur projet.
Non contents d'avoir ainsi garanti l'innocence avant le jugement,
les Loix angloises lu! ménagent une ressource puissante après la con-
damnation, en donnant à un Juge unique le pouvoir de venir à son
secours en soumettant l'affaire à un nouveau Juré.
Les Comités ne laissent la possibilité de réclamer la révision que
dans le cas presque chimérique, où le Tribunal tout entier et le Com-
missaire du Roi sont unanimement d'un avis contraire à la déclaration
du Juré qui a prononcé la condamnation, de manière que, suivant,
dans les deux cas, le principe diamétralement opposé à celui de la
Législation angloise, ils exigent l'unanimité lorsqu'il s'agit de secourir
l'accusé; ils en dispensent, lorsqu'il est question de le condamner.
Mais quoi ! les Anglois ont-ils lié au système de leurs jurés ce
pouvoir monstrueux de la Maréchaussée ? Ont-ils remis dans les mains
de l'aristocratie militaire le pouvoir de rendre et d'exécuter des Ordon-
nances de Police; de traiter les Citoyens comme suspects; de les
déclarer prévenus; de les livrer à l'accusateur public; de les envoyer
en prison; de dresser des procès-verbaux, & de faire contre eux une
procédure provisoire ? Ont-ils confondu les limites de la Justice crimi-
nelle & de la Police, pour donner à des Gendarmes royaux, sous le
titre de Gendarmes nationaux, le plus terrible de tous les pouvoirs?
Ah ! ils ont tellement respecté les droits du Citoyen, qu'ils ont
repoussé avec effroi toutes ces institutions dignes du génie du despo-
tisme. Tout le monde sait qu'ils ont poussé, à cet égard, les précau-
tions jusqu'au scrupule, & qu'ils ont mieux aimé paroître affoiblir
l'énergie & l'activité de la police, que d'exposer la liberté civile aux
vexations de ses agens. Or, croit-on que cette différence doit être
comptée pour rien ? Croit-on que ce soit la même chose de pouvoir
être exposé arbitrairement à des poursuites criminelles par une auto-
rité essentiellement violente et despotique, ou d'être protégé par la
Loi contre ces premiers dangers ?
Pouvez- vous nier encore, que, malgré quelques rapports de res-
30 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
semblance presque matériels, de quelques-unes des dispositions que
vous proposez avec celles de la Législation angloise, il y a dans l'en-
semble & dans les détails de grandes nuances, qui doivent pn déter-
miner les effets ? Mais pouvez-vous sur-tout vous dissimuler à quel
point les vices énormes de votre système sont liés aux circonstances
politiques où nous nous trouvons ?
Les Jurés d'Angleterre ont-ils été établis, ont-ils fleuri au milieu
des troubles civils, au sein des intrigues des ennemis du Peuple qui
nous environnent ? Sont-ils organisés de manière à fournir à ses oppres-
seurs les moyens de l'abattre, de le remettre sous le joug, avec l'appa-
reil des formes judiciaires ?
En Angleterre, le Peuple a-t-il réclamé ses droits contre le Gou-
vernement & contre l'aristocratie? Existe-t-il des factions dominantes
qui le calomnient, qui peignent les plus zélés défenseurs de la liberté,
qui le représentent lui-même comme une troupe de brigands & de sédi-
tieux*? L'a-t-on livré sous ce prétexte, à des Prévôts, à des Soldats ?
A-t-on lieu de croire que les Jurés Anglois nommés par un seul homme,
apporteront sur le Tribunal ces sinistres préventions, ou le dessein
formé d'immoler des victimes à la tyrannie ? Si des Représentai du
Peuple Anglois, dans des circonstances semblables à celles que je
viens d'indiquer, proposoient de pareilles mesures; si, avant que la
révolution fût affermie, au moment où elle seroit menacée de toutes
parts, ils affectoient toujours une défiance injuste & une rigueur inexo-
rable pour la majorité des Citoyens intéressés à la maintenir, & une
aveugle confiance, une complaisance sans borne pour ceux dont elle
auroit, ou irrité les préjugés, ou offensé l'orgueil; quel jugement fau-
droit-i! porter, ou de leur prévoyance, ou de leur zèle de la liberté?
Que conclure de tout ce que j'ai dit? pour moi, j'en conclus
d'abord qu'il faut au moins faire disparoître de la Constitution des
Jurés, tous les vices monstrueux que je viens de relever.
Je conclus qu'à la place de leur système, il faut substituer un
plan d'organisation fondé sur les principes d'une Constitution libre,
& qui puisse réaliser les avantages que le nom des Jurés semble pro-
mettre à la Société.
Nous en viendrons facilement à bout, ce me semble, si nous
voulons, d'un côté, fixer un moment notre attention sur les maximes
fondamentales de notre Constitution, de l'autre, observer rapidement
les causes de la méprise où les Comités me semblent être tombés. Elle
consiste, suivant moi, en ce que, se livrant trop à l'esprit d'imitation
& à cette espèce d'enthousiasme que nous a inspiré l'habitude d'enten-
dre vanter les Jurés Anglois, ils n'ont pas fait attention qu'à la hau-
teur où notre Révolution nous a placés,, nous ne pouvons pas *tre aussi
faciles à contenter en ce genre, que la Nation Angloise.
Que les Anglois, chez qui le pouvoir de nommer les Officiers de
Justice étoit livré au Roi, aient regardé comme un avantage d'être
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 31
jugés, en matière criminelle, par des Citoyens choisis par un Officier
appelle Shérif, & ensuite réduits par le sort, cela se conçoit aisément;
que les Anglois, dont la représentation politique, si absurde et si
informe, n'étoit que l'abus de l'aristocratie des riches, ne présentoit
aux yeux des politiques philosophes qu'un fantôme de Corps législatif
asservi & acheté par un Monarque; que les Anglois, dis-je, ayant vu,
sans étonnement, le choix des Jurés renfermé dans la classe des
Citoyens qui possédoient une quantité de propriétés déterminée, cela
se conçoit avec la même facilité.
Que les Anglois, contemplant d'un côté les Loix bienfaisantes
qui adoucissoient les inconvéniens de cette formation vicieuse de leurs
Jurés, comparant de l'autre leur système judiciaire avec le honteux
esclavage des peuples qui les entouroient, & avec les vices mêmes
des autres parties de leur Gouvernement, aient regardé ce sysfême
comme le Palladium de leur liberté individuelle, & qu'ils nous aient
communiqué leur enthousiasme dans le temps où nous n'osions même
élever nos regards vers l'image de la liberté, tout cela était dans l'ordre
naturel des choses.
Mais qu'en France, où les droits de l'homme & la souveraineté
de la Nation ont été solemneilement proclamés; où ce principe consti-
tutionnel, que les Juges doivent être choisis par le peuple, a été
reconnu ;
Qu'en France, où, en conséquence de ce principe, les moindres
intérêts civils & pécuniaires des Citoyens ne sont décidés que par les
Citoyens à qui ils ont confié ce pouvoir; leur honneur, leur destinée,
soient abandonnés à des hommes qui n'ont reçu d'eux aucune mission,
à des hommes nommés par un simple Administrateur auquel le Peuple
n'a point donné & n'a pu donner une telle puissance;
Que ces hommes ne puissent être choisis que dans une classe
particulière, que parmi les riches; que les Législateurs descendent des
principes simples & justes qu'ils ont eux-mêmes consacrés, pour calquer
laborieusement un système de Justice criminelle sur des institutions
étrangères, dont ils ne conservent pas même les dispositions les plus
favorables à l'innocence, & qu'ils nous vantent ensuite avec enthou-
siasme, & la sainteté des Jurés, & la magnificence du présent qu'ils
veulent faire à l'humanité, voilà ce qui me paroît incroyable, incom-
préhensible ; voilà ce qui me démontre plus évidément que toute
autre chose, à quel point on s'égare, lorsqu'on veut s'écarter de ces
vérités éternelles de la morale publique qui doivent être à la base
de toutes les Sociétés humaines.
Il suffit de revenir à ce principe pour découvrir le véniable
plan d'organisation des Jurés que nous devons adopter.
Voici celui que je propose, c'est-à-dire les dispositions que je
regarde comme fondamentales de l'organisation des Jurés; (car, pour
les loix de détail, & pour les formes de la procédure, je ne me pique
32 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
pas de les énoncer toutes, d'autant que j'adopte une grande partie de
celles que les Comités nous proposent, d'après l'exemple de l'Angle-
terre & l'opinion publique).
Formation du Jury d'accusation
I.
Tous les ans, les Electeurs de chaque Canton s'assembleront
pour élire, à la pluralité des suffrages, 6 Citoyens, qui, durant le
cours de l'année, seront appelés à exercer les fonctions de Jurés.
II.
Il sera formé, au Directoire de District, une liste des Jurés nom-
més par les Cantons.
III.
Le Tribunal de District indiquera celui des jours de la semaine
qui sera consacré à l'assemblée du Jury d'accusation.
IV.
Huitaine avant le jour, le Directeur du Jury fera tirer au sort,
en présence du Public, huit Citoyens, sur la liste de ceux qui auront
été choisis par tous les Cantons, & ces huit formeront le Jury d'accu-
sation.
V.
Quand le Jury sera assemblé, il prêtera devant le Directeut du
Jury le serment suivant :
Nous jurons d'examiner, avec une attention scrupuleuse, les témoi-
gnages et les pièces qui nous seront présentées; & de nous expliquer
sur l'accusation, selon notre conscience.
VI.
Ensuite, l'acte d'accusation leur sera remis; ils examineront les
pièces, entendront les témoins, & délibéreront entr'eux.
VII.
Ils feront ensuite leur déclaration, qui portera qu'il y a lieu, ou
qu'il n'y a pas lieu à l'accusation.
VIII.
Le nombre de huit Jurés sera absolument indispensable pour ren-
dre cette déclaration.
IX.
Il faudra l'unanimité des voix pour déclarer qu'il y a lieu à
accusation.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 33
Formation du jury de jugement
I.
Il sera fait une liste générale de tous les Jurés qui auront été
choisis dans tous les districts du Département.
II.
Sur cette liste, le premier de chaque mois, le Président du Tri-
bunal criminel, dont il sera parlé ci-après, fera tirer au sort 16 Jurés
qui formeront le Jury de Jugement.
III.
Le 15 de chaque mois, s'il y a quelqu 'affaire à juger, ces 16
Jurés s'assembleront, d'après la convocation qui en aura été faite
IV.
L'accusé pourra récuser 30 Jurés sans donner aucun motif.
V.
Il pourra récuser, en outre, tous ceux qui auront assisté au Jury
d'accusation.
Formation du Tribunal Criminel
I.
Il sera établi un Tribunal criminel par chaque Qépartement.
II.
Ce Tribunal sera composé de six Juges pris à tour de rôles, tous
les six mois, parmi les Juges des Tribunaux de District.
III.
Il sera nommé tous les deux ans par les Electeurs du Départe-
ment, un Président du Tribunal Criminel, dont les fonctions vont être
fixées.
IV.
Outre les fonctions de Juge, qui lui sont communes avec les
autres Membres du Tribunal, il sera chargé de faire tirer au sort les
Jurés, de les convoquer, de leur exposer l'affaire qu'ils ont à juger,
& de présider à l'instruction.
V.
Il pourra, sur la demande, & pour l'intérêt de l'accusé, permettre
ou ordonner ce qui pourrait être utile à la manifestation de l'inno-
cence, quand bien même cela seroit hors des formes ordinaires de la
procédure déterminée par la Loi.
l«rvitt si'li.iuti:. >i
34 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
VI.
L'accusateur public sera nommé tous les deux ans par 'es élec-
teurs du Département.
VII.
Ses fonctions se borneront à poursuivre les délits sur les actes
d'accusation admis par les premiers Jurés.
VIII.
Le Roi ne pourra lui adresser aucun ordre pour la poursuite des
crimes; attendu que cette prérogative seroit incompatible avec les
principes constitutionnels sur la séparation des pouvoirs, & avec la
liberté.
IX.
Le Corps Législatif lui-même ne pourra lui adresser de pareils
ordres ; la Constitution renfermant sa compétence dans la poursuite
des crimes de lèse-Nation, devant le Tribunal établi pour les punir.
X.
L'accusateur public étant nommé par le Peuple, pour poursuivre,
en son nom, les délits qui troublent ia Société, aucun Commissaire du
Roi ne pourra partager avec lui aucune de ses fonctions, ni se mêler
en aucune manière, de l'instruction des affaires criminelles.
Manière de procéder devant le Jury de Jugement
(Je ne présenterai ici que les articles nécessaires pour remplacer
celles des dispositions du Comité, qui doivent être changées ou suppri-
mées.)
I.
Les dépositions des témoins seront rédigées par écrit, si l'accusé
le demande; mais, quelque soit leur contenu, les Jurés pèseront toutes
les circonstances de l'affaire, & ne se détermineront que par une
intime conviction.
II.
Néanmoins, si les dépositions écrites sont à la décharge de
l'accusé, ils ne pourront le condamner, quelle que soit d'ailleurs leur
opinion particulière.
III.
L'unanimité sera absolument nécessaire pour déclarer l'accusé
convaincu.
IV.
Il n'y aura pas d'appel du jugement des Jurés, mais, si deux
Membres du Tnbunal Criminel pensoient que l'accusé a été injuste-
ment condamné, il pourra demander un nouveau Jury pour examiner
l'affaire une seconde fois.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 35
V.
Les Jurés seront, comme les Juges, indemnisés par l'Etat, du
temps, qu'ils donneront au service public.
(Je terminerai ce Projet par quelques articles qui concernent
l'arrestation & les principes de la Police.)
L
Tout homme pris en flagrant délit pourra être arrêté par tout
agent de Police, & même par tout Citoyen.
II.
Hors ce cas, nul Citoyen ne pourra être arrêté qu'en vertu d'une
Ordonnance de Police ou de Justice, selon que le fait, par sa nature,
pourra donner lieu à une procédure criminelle, ou qu'il sera simplement
du ressort de la Police.
III.
Lorsqu'il ne s'agira pas d'un délit emportant peine afflictive, tout
Citoyen qui donnera caution de se représenter, sera laissé, à la garde
de ceux qui l'auront cautionné.
Je sens bien que les Comités ne manqueront pas d'attaquer les
deux premières bases de ce système : le pouvoir d'élire que je veux
donner au peuple, & le principe d'égalité que je veux maintenir. Je
terminerai cette discussion en prévenant leurs objections.
Pour nommer les Jurés tous les ans, il faudra tous les ans une
assemblée nouvelle, me diront-ils; or les assemblées sont incommodes
& fatiguantes, pour le peuple. Je sais bien que, dès le commence-
ment de la révolution, on cherche à propager ce principe; mais il ne
peut être accueilli que par ceux qui veulent sacrifier le peuple & la
liberté à des embarras & des difficultés qu'ils se plaisent à créer. Ras-
surez-vous, le peuple aimera mieux s'assembler quelques fois pour
user de ses droits, que de retomber sous le joug de ses tyrans. Ne
découragez pas son patriotisme, n'abattez pas son courage; ne le
rendez pas étranger à la patrie, par les distinctions funestes de Citoyens
éligibles, de Citoyens actifs, & vous verrez que des hommes libres ne
raisonnent pas comme les despotes.
J'avoue que mon système a d'abord en apparence ce désavan-
tage vis-à-vis de celui du Comité, que les Jurés seront connus un
an d'avance, au lieu que dans celui du Comité, ils ne le seront que
trois mois d'avance; mais il faut d'abord observer que ceux qui, dans
chaque affaire, devront en fait en exercer les fonctions, ne le feront
qu'à une époque voisine du jugement; & l'on sent assez d'ailleurs
que cet avantage de cacher plus ou moins leurs noms, n'est qu'acces-
soire & bien subordonné à la nécessité du choix du peuple, & aux
premiers principes de la liberté.
36 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Ces principes seroient anéantis; l'égalité des droits, qui assure à
tous les Citoyens la faculté d'être élus par la confiance publique, seroit
illusoire, si la différence des fortunes mettoit le plus grand nombre
d'entr'eux dans l'impossibilité physique de soutenir le poids des fonc-
tions nationales. C'est pour cela que je regarde comme tenant essen-
tiellement à la liberté, l'article par lequel je propose d'indemniser les
Jurés J'avoue qu'en général ce n'est pas sans allarmes, que j'ai vu
introduire encore le système de laisser sans salaire un grand nombre
de Fonctionnaires publics (17). Ce n'est pas surtout sans étonnement, que
j'ai entendu les Membres du Comité prononcer cette maxime nouvelle,
que si les Jurés étoient indemnisés, cette institution seroit déshonorée.
Les juges, les Administrateurs, sont donc déshonorés, parce que la
justice, la dignité, l'intérêt de la société exigent qu'ils soient salariés ?
Les Législateurs sont donc déshonorés! Le Roi, sur-tout, doit être
bien humilié de sa liste civile ! Je ne sais si cette espèce de délica-
tesse-là paroît à quelqu'un bien sublime? Pour moi, je la trouve ou
bien puérile, ou bien perfide. Oui, le plus dangereux de tous les pièges
que l'on peut tendre au patriotisme, la plus funeste manière de trahir
le peuple, en le livrant à l'aristocratie des riches, c'est sans contredit
d'accréditer cette absurde doctrine, qu'il est honteux de n'être pas
assez riche, pour vivre, en servant la Patrie sans indemnité; c'est d'oser
mettre en parallèle, avec quelques dépenses nécessaires, l'intérêt sacré
de la liberté & de la Patrie (18).
(il7) Robespierre avait, à plusieurs reprises, proposé d'indem-
niser les électeurs. Cf. Discours, lre partie, p. 15 et p. 547.
(18) Texte conforme au texte.de l'Imprimerie nationale, s.d.,
in-8°, 28 p., qu'on trouve à Paris dans trois dépôts: B.N. 8° LC
29/1891, Biblio. Sorbonne, H. F. r 140, Biblio. V. de P. 18964. Il a été
reproduit par Bûchez et Roux, III, 457, par les Arch. pari , XII,
574 à 579 (à la date du 7 avril 1790), et par Ch. Vellay, op. cit. p. 1
à 21. E. Bamel dit avoir consulté une copie manuscrite de cet
ouvrage qu'il résume longuement (I, 360-365). Ce discours n'est pas
mentionné par Quérard dans sa Monographie bibliographique des
Robespierre.
207. — SEANCE DU 21 JANVIER 17^1
Sur l'organisation de la justice criminelle (suite)
I n intervention : Sur les fonctions du président du tribunal criminel
L'Assemblée nationale poursuit la discussion sur l'oirganisation
»de la justice criminelle. Elle aborde le titre III concernant les fonc-
tions particulières du président (1). Robespierre intervient au sujet
(I) Il avait été décrété le 20 janvier que le président du tribunal
criminel serait élu par l'Assemblée électorale du département. Il lui
était adjoint trois juges prélevés, tous les trois mois et par tour,
dans les tribunaux de districts.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 37
do Fart. 2 ainsi rédigé: « Le président du tribunal criminel peut
prendre sur lui de faire ce qu'il croira utile pour découvrir la vérité,
et la loi charge son honneur et sa conscience d'employer tous ses
efforts pour en favoriser la manifesta'tion. »
Après une légère discussion, l'Assemblée nationale décrète cet
article.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logogaphique , t. XX, p. 242.
« M. Robespierre. Cet article me paroit conçu en des termes
trop vagues et donner un pouvoir trop illimité aux juges. L'intérêt de
découvrir la vérité est un motif très-légitime; c'est le but de toute
procédure et le vœu de tout juge; mais il ne s'en suit pas que la loi
doive donner aux juges le pouvoir indéfini de prendre sur lui de faire
tout ce qu'il jugera à propos pour atteindre ce but. La loi au contraire
doit limiter autan! qu'il est possible l'autorité du juge, et ne doit
jamais substituer ni la volonté ni l'intention du juge aux règles qu'elle
peut établir
« Le Comité m'opposera peut être qu'en Angleterre le directeur
du juré a un pouvoir semblable; il n'est pas vrai cependant qu'en
Angleterre la loi, encore moins l'usage, donnent au directeur du juré
le pouvoir illimité qui résulteroit des termes vagues de cet article.
« En Angleterre, ce pouvoir n'appartient au président que pour
l'intérêt seul de l'accusé : il ne lui est point accordé indéfiniment pour
le résultat de toute la procédure; et en général pour la manifestation
de ce qu'on appelle la vérité judiciaire. Je proposerai donc, suivant
l'esprit de la jurisprudence, de rédiger l'article de la manière suivante:
Le président du tribunal criminel, pourra sur la demande, et pour
l'intérêt de l'accusé permettre ou ordonner ce qui sera nécessaire pour
la manifestation de son innocence ; encore que cela soit hors des formes
ordinaires et décrétées par la loi » (2).
[Brève mention de cette intervention dans Les Annales univer-
selles, 22 janvier 1791, p. 175; et dans Le Journal des Déaets de
l'Assemblée nationale, 22 janvier 1791, p. 40.] '
2e intervention : Sur les pouvoirs de l'accusateur public
L'Assemblée en arrive ensuite aux paragraphes du titre IV défi-
nissant les fonctions de l'accusateur public (3), Robespierre s'élève
contre la rédaction des art. 2 et 3 :
« 2. L'accusateur public sera également chargé de suivre l'exécu-
tion des ordres qui pourront lui être adressés par la législature et
par le roi, pour, la poursuite de crimes. »
{■>) Texte, reproduit daps les Arch. pari., XXII, 361.
(.'3) D'accusateur public près 1-e tribunal criminel était élu par
L'assemblée électorale du département. Il surveillait l'instruction
confiée au juge de paix et à l'officier de gendarmerie, et, à l'audience
du jugement., soutenait l'accusation.
38 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« 3. Dans le cas où la recherche de quelques crimes, autres que
le crime de lèse-nation, aura été ordonnée par la législature ou par
le roi, les ordres seront adressés directement à l'accusateur public;
il les transmettra aux officiers de police et veillera à ce qu'ils soient
exécutés par les voies et suivant les formes ci-dessus établies. »
Ces deux articles furent ajournés.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XX, p. 243.
« M. Robespierre. Je ne crois pas qu'il soit dans les principes
de la constitution que la législature puisse adresser à l'accusateur public
l'ordre de poursuivre un délit ordinaire. Ce pouvoir confié à !a légis-
lature seroit trop redoutable pour l'accusé, et pourroit trop facilement
établir une prévention formidable contre lui, et faire pencher la ba-
lance de la justice. Un pareil droit est contraire aux pouvoirs établis
par la constitution. Le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire doivent
être séparés, et ne peuvent être rapprochés sous aucune forme. Or,
messieurs, vous les rapprochez, vous les confondez en quelque sorte,
si vous permettez que la législature puisse mettre en mouvement l'accu-
sateur public, si ce n'est les crimes de lèse-nation. Les mêmes prin-
cipes doivent s'appliquer nécessairement au pouvoir exécutif : i! ne
faut plus le confondre avec le pouvoir judiciaire. Combien serct dange-
reuse cette initiative royale qui déclareroit un citoyen prévenu et suspect,
et qui rendroit le pouvoir exécutif accusateur. Tous ces dangers mena-
ceroient la liberté, si la confusion des pouvoirs avoit lieu. Je demande
la question préalable sur cette partie des deux articles du Comité » (4).
Journal des Décrets de l'Assemblée nationale, 22 janvier 1791, p. 40.
« Les articles II et III du titre V (5) ont été ajournés sur les
observations de MM. Regnauld et Robertspierre. Celui-ci a soutenu
que la législature ne pouvoit adresser à l'accusateur public l'ordre de
poursuivre un délit ordinaire et que le vœu de la législature établiroit
contre l'accusé une prévention capable de faire pencher la balance de
la Justice; en un mot, que l'Assemblée nationale ne pouvoit mettre
l'Accusateur public en mouvement que pour la punition des crimes de
lèse-nation. Il a appliqué les mêmes principes à l'initiative royale, et
il a démontré combien il seroit dangereux pour la liberté que !e pouvoir
exécutif eût le droit de déclarer un citoyen suspect et de se rendre
son accusateur. Ce danger, qui n'est point du tout illusoire, déterminera
sans doute l'Assemblée Nationale à rejetter ces deux articles. Donner
trop d'influence à la prérogative royale, lorsqu'il s'agit de l'honneur
et de la vie, des citoyens, ce seroit préparer le retour du despotisme. »
[Brève mention de cette intervention dans Les Annales univer-
selles, 22 janvier 1791, p. 176.]
(4) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXII, 362.
(5) Il s'agit da titre IV et non du titre V du projet.
I
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 39
208. - SEANCE DU zs JANVIER 1791
I " intervention : Sur V armement des gardes nationales
Menou, au nom du comité militaire, présente à l'Assemblée un
rapport sur l'armement des garder, nationales. Par son décret du
18 décembre 1790 (]), la Constituante avait demandé au roi de faire
délivrer par les arsenaux militaires, 50.000 fusils destinés à l'arme-
ment des gardes nationales. Mais depuis l'époque de ce décret, la
tension politique en Europe détermina l'Assemblée à prendre des
mesures de précaution, et le comité militaire pensa qu'il était néces-
saire de procéder à une distribution d'armes plus considérable que
celle ordonnée le 18 décembre 1790. Le rapporteur se plaît, au
passage, à rendre justice au patriotisme du Ministère de la Guerre
et à son attachement à la Constitution.
Après un court débat où Robespierre intervint, l'Assemblée
nationale adopta le projet de décret présenté par son comité mili-
taire : elle décréta qu'il serait distribué aux gardes nationales 97.903
fusils, prélevés dans les magasins de l'Etat (2).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XX, p. 399.
« M. Robespierre. Le projet du comité doit vous paroître insuffi-
sant; il parLe bien de fournir des armes aux départemens; il ne vous
parle pas de leur fournir des munitions, de la poudre, par exemple.
Cependant elle n'est pas moins nécessaire que les armes; voilà mon
premier amendement.
« Je demande encore que l'exportation des armes soit défendue,
jusqu'à ce que nos gardes nationales soient complètement armées; car
elles sont loin de l'être; et vous devez ordonner à vos comités et au
ministre de la guerre de vous rendre compte, d'intervalle en intervalle,
de l'exécution progressive des mesures instantes que je vous propose.
« Je ne me contente pas et aucun représentant ne se contentera
de la garantie du caractère d'un ministre; personne n'aimera que. pour
toute raison et pour toute précaution, on nous vante toujours les minis-
tres. Les comités et l'Assemblée nationale sont faits pour surveiller
les ministres, et non pour les flatter. (Applaudissemens.) » (3).
(1) Cf. Discours sur l'organisation des gardes nationales (Dis-
cours... I1'' partie, p. 616 et s.).
(2) Ci E. Hamel, I, 368. Le S-tationnaire patriote aux frontières
(n° 6, p. 20) signale ce fait, et par la même occasion tourne en
ridicule le passage du Discours imprimé... dans lequel Robespierre
prétend qu'on pourrait opposer aux ennemis de la Révolution: cinq
millions de gardes nationales, rappelant qu' « à la Fédération, le
recensement général n'a été qu'à 2.934.564 suivant les registres de
l'Hôtel de Ville. »
(3) Texte utilisé dans les Arch. pari., XXII, 530. On y a ajouté
le § 2 de l'amendement cité par le Point du Jour.
40 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Le Point du Jour, t. XVIII, p. 421.
« M. Robespierre a pensé qu'il y avoit des dispositions utiles
qui manquaient dans ce projet de décret; et après avoir dit que les
comités de l'assemblée étoient faits pour surveiller les ministres, et
non pour les flatter, il a proposé pour amendement :
« 1 ° Qu'il sera également distribué de la poudre et des balles
aux gardes nationales qui en manqueront;
« 2° On continuera de fabriquer des armes avec la plus grande
célérité dans toutes les manufactures du royaume ;
« 3° L'exportation des armes hors du royaume est interdite;
«4° Les comités et le ministère de la guerre rendront compte, de
quinze jours en quinze jours de l'exécution des mesures tendantes à la
fabrication et à la distribution des armes et des munitions. »
Annales universelles, 29 janvier 1791, p. 234.
« Parmi les orateurs qui ont été entendus, nous distinguerons
M. de Roberstpierre. La méthode dont il a fait usage dans la discus-
sion, & les moyens qu'il a présentés méritent l'attention particulière
de nos lecteurs Après avoir démontré la nécessité d'un corps armé
pendant la paix, pour assurer la liberté des citoyens, l'orateur s'est
attaché ensuite à présenter les moyens d'exécution.
[Suit un fragment du discours imprimé sur l'organisation des gar-
des nationales, depuis: « On sent assez... » jusqu'à « ceU^ de défendre
ce qu'on a de plus cher. »]
« Puis, passant à l'objection, tant de lois rebattue, pour les
détracteurs, que le plus grand nombre des citoyens n'a pas le moyen
d'acheter des armes, ni de suffire aux dépenses que le service peut
exiger, M. Roberspierre leur fait le raisonnement suivant.
[Suit un fragment du même discours imprimé, depuis : « Que
concluez-vous de là... » jusqu'à « qu'ils puissent l'exercer en effet »
(4.)]
« Les raisons de M. Roberspierre, appuyées par plusieurs mem-
bres, ont donné lieu à l'Assemblée de décréter que les dépenses résul-
tantes du transport & de la distribution des armes seroient supportées
(4) D'après le compte rendu des Annales Universelles, il semble
que Robespierre ne s'en tint pas à suspecter le ministre, mais
élargit le débat en se déclarant partisan de substituer à l'armée per-
manente la garde nationale comme milice territoriale chargée de la
défense nationale. En vérité, il ne fait qu'ajouter à l'intervention
telle que la relatent les autres journaux, des passages 'du discours
imprimé (cf. Discours... lre partie, p. 686).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 41
par fe trésor public; & en conséquence, qu'il seroît délivré 40.700
fusils, pour être distribués dans les 83 départemens. »
L'Ami du Roi (Royou), t. II, n° 245, p. 3.
« M. Robespierre a jugé à propos de fournir aussi la poudre et
le plomb, et de défendre l'exportation des armes : cet avis sublime a
été terminé par une sentence plus sublime encore, où il est dit que
les comités sont faits pour surveiller les ministres, et non pas pour les
flatter » (5).
[Brève mention de cette intervention dans La Gazette universelle,
1791, n° 29, p. 115; Le Mercure national et étranger, t. I, n° 8,
p. 319; et Le Mercure de France, 5 février 1791, p. 55.]
2* intervention : Sur la suppression de la milice
Alexandre Lameth, président du comité militaire, parlant au
nom des comités militaire, diplomatique et des recherches, présente
à l'Assemblée un rapport sur le système général des forces militaires
de la France. Il les divise en trois catégories : l'armée active, la
réserve formée de soldats auxiliaires (6), les gardes nationales.
L'Assemblée s'est déjà occupée de la formation et de l'organisation
de l'armée de ligne. Elle s'attachera bientôt à l'organisation^ des
gardes nationales, dont le rapporteur précise quelques principes.
Pour l'instant, les trois comités réunis présentent un projet de
décret sur la levée et l'organisation de 100.000 soldats auxiliaires,
destinés à compléter sur le pied de guerre, tous les régiments de
l'armée, dès que les circonstances l'exigeront. Ces 'soldats auxiliaires
remplaceront les soldats recrutés par le système oppressif de la
milice, dont Robespierre réclame la suppression expresse.
Ce n'est que le 4 mars, que le régime des milices fut aboli par
un décret formel de l'Assemblée.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XX, p. 422.
« M. Robespierre. Pour ce qui concerne la suppression de la
milice je ne puis me dispenser d'apprendre à l'assemblée que les
députés du département du Pas de Calais ont reçu plusieurs fois des
plaintes fondées sur ce qu'on continue de la percevoir : quoique la
suppression semble implicitement décrétée par l'Assemblée nationale.
(5) Depuis le 4 août 1789, le Ministère de la Guerre était confié
au comte de la Tour du Pin, lieutenant-général. En 1790, il avait
réduit les commandes de fusils aux manufactures royales. (Cf. A. h.
de la Pi. F., 1947, p. 196) ; il y a- lieu de penser qu'il ne tenait pas à
presser l'armement populaire.
(6) Le décret prévoyait le recrutement de volontaires coimime
soldats auxiliaires astreints, moyennant divers avantages, à rejoindre
les régiments de ligne sur réquisition. En fait, c'était une transfor-
mation de la milice, recrutée par tirage au sort, en un volontariat.
•L'expédient n'eut aucun succès.
42 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Je demande que l'assemblée décrète à l'instant la suppression cfeà
milices » (7).
Le Point du Jour, t. XVIII, p. 425.
« M. Robespierre observe que l'on continue de percevoir les
droits établis pour les milices, et qu'il en demande la suppression.
(On applaudit) » (8).
3° intervention : Sur la levée de soldats auxiliaires
Après le rapport d'Alexandre Lameth, sur la levée et l'organi-
sation de 100.000 soldats auxiliaires, Robespierre, intervenant une
fois encore, demande Je renvoi à une plus ample discussion, du débat
sur les principes qui doivent présider à l'organisation des gardes
nationales, et que le rapporteur a rapidement esquissés.
L'Assemblée décréta les articles organisant la levée de 100.000
soldats auxiliaires, destinés à être .répartis entre les régiments, mais
ajourna les articles concernant la formation provisoire des gardes
nationales.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XX, p. 424.
« M Robespierre. Cette partie qui concerne les gardes nationales
me paroit devoir être renvoyée à l'organisation des gardes nationales,
parcequ'il faut considérer ce système dans son ensemble. I! faudra
examiner avec la plus grande attention s'il est conforme aux principes
de l'organisation que vous adopterez pour les gardes nationales d'établir
au milieu d'elles une espèce d'armée auxiliaire, d'établir une distinc-
tion frappante entre une partie des gardes nationales et le reste de
ce même corps. 'Sans entrer dans le développement de ces raisons,
qui ne me paroit pas placé dans ce moment je conclus à ce que vous
renvoyiez cette partie du décret lors de l'organisation de la garde
nationale » (9).
Courier Français, t. IX, n° 29, p. 228.
« On a ensuite discuté article par aticle, mais lorsqu'on en est
venu à la formation provisoire des gardes nationales, MM. Pethion,
Robertspierre et le Chapelier ont vivement réclamé l'ajournement
auquel le Comité même n'a pu se refuser. »
(7) En Artois, la levée de la milice avait été remplacée par une
taxe. Robespierre s'était déjà élevé contre sa perception abusive. (Cf.
Discours, P'e partie, p. 171).
■(8) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXII, 540.
(9) Texte reproduit dans les Arch. parJ., XXII, 541.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 43
4e intervention : Sur le rapport de Mirabeau
concernant la sûreté du royaume
Au nom des comités diplomatique, militaire et des recherches,
Mirabeau l'aîné présenta à l'Assemblée un rapport dans lequel il
propose entre autres choses « d' organiser^ sur pied de guerre les
gardes nationales et l'armée auxiliaire ». il semble ressortir nette-
ment de ce vœu que l'on distingue, ainsi que le redoutait Robespierre,
deux catégories de gardes nationales. Le Chapelier, comme Robes-
pierre, s'oppose à ces vues. Mirabeau lui répond en se défendant de
vouloir réaliser un tel but et encore moins « de servir l'ambition
de qui que ce soit ». Mais Le Chapelier ayant demandé une nouvelle
lecture de l'article, s'attire une brutale dénégation de la part de
Mirabeau et de Laraeth. Robespierre réplique pour défendre la
liberté de la discussion.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XX, p. 426.
« M. Robespierre. Je demande si dans l'assemblée on ne peut
dire son opinion contre l'avis d'un rapporteur sans être insulté » (10).
(10 Texte reproduit dans les Arch. pari., XXII, 541.
Société des Amis de la Constitution
209. — SEANCE DU 28 JANVIER 1791
Sur l'organisation des gardes nationales
L'organisation des gardes nationales était à l'ordre du jour de
l' Assemblée comme de la Société des Jacobins. Robespierre était
déjà intervenu sur cette question le 5 décembre 1790, à ces deux
tribunes.
Le 28 janvier, ce même problème fut porté à la discussion de la
salle de la rue Saint-Honoré.
Journal des Clubs, t. I, n° 12, p. 547.
« Rapport sur l'organisation de la Garde nationale. M. Barnave
et M. Robespierre ont parlé sur cet objet, et inspiré le plus grand
intérêt » (1).
(!) Texte reproduit dans Aulard, II, 41. Marat, dans son Ami
du Peuple (n° 357, p. 8), exhortait, en ces termes, les orateurs jaco-
bins: « Et vous Barmave, Lameth, Roberspierre, Pethion, Mcnou,
Crancé, Reubel, si vous étiez assez lâches pour permettre que les
traîtres proposent aucun projet pour la limite, et priver la nation
du seul moyen qui lui reste d'assurer son salut, le peuple indigné
do cet acte honteux de défection, vous traiteroit comme les plus
infâmes de sea ennemis et vous confondront avec les plus vils de ses
fonspirateurs. »
44 les discours de robespierre
Société des Amis de la Constitution
210. — SEANCE DU 29 JANVIER 1791
Sur la surveillance des administrations
et la permanence des sections
Un membre dénonce la Municipalité de Paris au sujet d'une
proclamation qu'elle a faite, concernant le Club monarchique. Biau-
zat prend la défense de la Municipalité. Le duc d'Aiguillon, député
de la noblesse de la sénéchaussée d'Aigen, fait sentir la nécessité
pour les autorités constituées, d'une grande vigilance. La motion est
faite d'inviter toutes les sections à tenir séance tous les jours (1),
jusqu'à ce que La crise actuelle soit passée (le bruit courait d'un
enlèvement possible du roi).
Robespierre intervint dans Je même sens.
Journal des Clubs, t. I, n° 1 1 , p. 551 .
« M. de Robespierre a parlé avec force de la nécessité de sur-
veiller l'administration et de l'urgence des assemblées permanentes
dans le moment actuel » (2).
(1) Les 48 sections de Paris, substituées aux districts en mai
1790, étaient des circonscriptions administratives et électorales ; les
citoyens qui les coimposaient ne pouvaient se réunir que sur convo-
cation de la Municipalité ; celle-ci était obligée de réunir les sections
si la majorité d'entre elles l'exigeaient pourvu que la demande fût
signée par cent citoyens actifs dans chacune. La « permanence »,
c'est-à-dire la réunion quotidienne des assemblées de section ainsi
transformées en clubs, ne fut autorisée, et à Paris seulement, qu'en
juillet 1792. Elle constituait évidemment un moyen de surveillance
et d'action révolutionnaires.
(2) Texte reproduit dans Aulard, II, 43.
211. — SEANCE DU 1er FEVRIER 1791
Sur l'organisation de la justice criminelle {suite)
(L'Assemblée continue l'étude du projet portant organisation de
la justice criminelle Elle adopte, presque sans discussion, les para-
graphes du titre « Des contumaces ». L'art. 12, critiqué par Robes-
pierre, fut décrété sous cette rédaction: « Dans le cas même d'abso-
lution, l'accusé qui a été contumace, n'aura aucun recours; et le
juge pourra lui faire en public une réprimande pour avoir douté
de la justice et de la loyauté 'de ses concitoyens. »
Le Po:nt du Jour, t. XIX, n° 571, p. 13.
« M. Robespierre a demandé avec cette chaleur qu'il met tou-
jours dans ce qui intéresse l'humanité, comment le comité avoit osé
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 45
proposer un article qui porte que dans le cas d'absolution l'accusé qui
a été contumax, n'obtiendra aucune indemnité, et que le juge le con-
damnera par forme de correction seulement à garder prison pendant un
temps, qui ne pourra excéder un mois.
« Le Rapporteur méconnoit ici, a dit M. Robespierre, les pre-
miers principes du droit naturel et du bon sens. Comment peut-il substi-
tuer des sophismes politiques si frivoles à cette loi écrite dans le
cœur de tous les hommes qui justifie les craintes de l'innocence même,
qui se dérobe au pouvoir d'un petit nombre d'hommes qui peuvent le
condamner à cette loi sacrée, qui veut que dans tous les cas, l'inno-
cence soit indemnisée lorsqu'elle est reconnue » (1).
Le Législateur français, 2 février 1791, p. 4.
Journal du Soir (Beaulieu), n° 32, p. 3.
(( M. de Robetspierre demandoit s'il n'étoit pas assez fâcheux
pour un innocent d'avoir été l'objet d'une poursuite criminelle, sans
être encore puni dans ses biens et par la privation de sa liberté, d'une
(1) Cf. E. Hamel, I, 356. Texte reproduit dans les Arch. pari.,
XXII, 660, qui ajoutent :
« Il est déjà assez fâcheux pour un innocent d'avoir été l'objet
d'une poursuite criminelle, sans être encore puni, dans ses biens et
par la privation de sa liberté, d'une erreur que- la société ne doit
imputer qu'à elle-même.
« M. le rapporteur paraît persuadé que fuir une procédure crimi-
nelle est toujours un crime ; et il (fonde tout ison système de la contu-
mace sur ce principe. Passons-lui pour un moment cette idée absurde,
démentie par le premier sentiment de l'humanité ; mais voyons de
quel côté est le plus grand tort, ou de la part de l'innocence pour-
suivie qui a craint et qui a fui un moment, ou de la part de celui
qui l'a soupçonnée, qui l'a poursuivie, qui l'a mise en danger.
« Tout Le monde conviendra, sans doute, que la société, au nom
de laquelle l'innocent a été expoisé à toutes les suites d'une procédure
criminelle, lui doit une plus grande réparation, pour cette injure ou
pour ce danger, que l'innocent n'en doit à la société pour avoir
éprouvé un mouvement de défiance éï de timidité.
« Comment donc la société pourrait-elle lui opposer cette fai-
blesse, pour se dispenser de lui donner l'indemnité qui lui est due <
Que dis-je ! pour l'en punir encore par un mois de prison, après
qu'elle aura été obligée de l'absoudre ? Punir l'innocence malheu-
reuse, au moment où l'on avoue qu'elle a été injustement persécu-
tée ! Quelle doctrine ! Quelle morale ! Jamais l'antique tyrannie judi-
ciaire nous a-t-elle présenté une violation aussi révoltante de la
raison, de la nature et de l'humanité?
« Je demande, pour l'honneur de nos principes, que cette propo-
sition soit rejetée sur-le-champ. »
Nous n'avons trouvé aucune trace de cet extrait dans les jour-
naux suivants: le Point du Jour, le Courier de Provence, le Courrier
de Corsas, la Gazette Nationale ou le Moniteur Universel, le Jour-
nal des Débats, le Journal dés Etats-Cénéraux, qui sont les éléments
d'information ordinaires des Archives parlementaires, pas plus d'ail-
leurs que dans le P.V. de l'Assemblée Nationale.
46 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
erreur que la société ne devoit imputer qu'à elle-même. L'opinant
trouvoit que l'article étoit absurde. »
L'Ami du Roi (Royou), t. II, n° 249, p. 2.
« M. Robespierre lui-même, qu'on n'accusera pas d'une excessive
sensibilité, a trouvé l'article absurde et barbare. »
212. — SEANCE DU 2 FEVRIER 1791
Sur l'organisation de la justice criminelle {suite)
Sur la nécessité de l'unanimité des jurés
Continuant à s'occuper de l'organisation de la justice criminelle,
1" Assemblée adopte un certain -nombre d'articles sur l'organisation
et le fonctionnement du jury. Duport, rapporteur, donne lecture de
l'art. 22: « L'opinion de trois jurés (1) suffira pour faire déclarer
soit que le délit n'est pas constant, soit que l'accusé n'est pa3
convaincu, soit qu'il y a lieu à l'excuse ou à l'atténuation. »
Robespierre intervient aussitôt en faveur de la règle de l'una-
nimité. Barnave combat l'opinion de Bobespierre, que soutiennent
au contraire le marquis de Folleville et le comte de Montboissier,
député de la noblesse de la sénéchaussée de Clermont-Ferrand.
LrAsseimblée adopta la rédaction du comité.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXI, p. 39.
« M. Robespierre. Cet article donne lieu à une des questions
les plus importantes que vous puissiez décider. Je vous propose d'adop-
ter la loi angloise, qui veut qu'aucun jugement de condamnation ne
soit prononcé qu'à l'unanimité. Si vous vouliez vous décider par l'expé-
rience, je vous citerois l'expérience et l'autorité de l'Angleterre, de
l'Amérique : je vous citerois de plus le suffrage de toutes les autres
nations, qui se sont accordées pour regarder cette loi de l'unanimité
comme la plus belle de toutes celles que présente leur système des
jurés, et même comme le remède à tous les défauts qu'il pourroit
renfermer » (2).
« M. l'abbé Maury...
<( M. Robespierre. Messieurs, d'après l'exemple de l'Angleterre
et de l'Amérique, et j'ose dire d'après l'exemple de l'Europe entière,
j'ai cru pouvoir vous présenter avec confiance l'adoption de cette loi.
« Si vous aimez mieux vous décider par la raison et par les
principes, je remonte aux principes. Un mot suffit pour établir la
nécessité de la loi que je propose.
« Les jurés, les juges qui prononcent sur le sort d'un accusé repré-
(1) Trois jurés sur 12. En Angleterre, la condamnation exige
l'unanimité.
(2) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXÏI, 717.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 47
sentent la société entière. Ils jugent en son nom, en vertu du pacte par
lequel chaque citoyen s'est soumis à la loi générale, lorsque la société
entière qui, dans la pureté ries maximes sociales, devroit exercer ces
fonctions, est obligée, parce qu'elle est trop nombreuse, de la déléguer
à un très petit nombre d'hommes. Alors je crois que le vœu raison-
nable et juste de la société est au moins que les opinions de ce petit
nombre d'hommes concourent toutes à la condamnation de l'accusé. En
effet, messieurs, dans l'ordre que la société détermine pour les juge-
mens criminels, elle exige le plus haut degré de certitude morale
possible pour asseoir la condamnation : et toutes les fois que le très-
petit nombre de juges destinés pour prononcer sur le sort des accusés,
n'est point unanime, alors le plus grand degré de certitude morale où
vous voulez parvenir est bien loin d'être acquis; au contraire, je
conclus de ce qu'un de ces juges seroit d'un avis différent, qu'il en
résulteroit une présomption considérable, qu'il manque quelque chose
à la preuve du crime : et toutes les fois que des hommes revêtus de la
confiance de la loi, des hommes de bon sens et intègres, sont convain-
cus, malgré l'opinion de ceux qui ont délibéré avec eux et qui ont
trouvé l'accusé coupable, sont convaincus dis-je et persistent à soutenir
que l'accusé est innocent, il y a une très grande présomption morale
que la preuve n'est pas assez claire, et que l'on s'exposeroit à sacrifier
l'innocence en voulant punir le crime. Et certes, messieurs, ce n'est
point une chose si rare dans toute l'assemblée, dans toute réunion
d'hommes que la raison se trouve quelquefois du côté de la minorité
(le côté droit fait un murmure d'assentiment); on en a vu des exemples
frappans, sur-tout dans les tribunaux. Non seulement ce n'est pas un
phénomène que cela arrive parmi des juges; mais au contraire, il peut
arriver que ce soit une grande incorruptibilité, une grande pureté d'opi-
nions, une grande étendue de lumières qui fasse que le petit nombre
résiste constamment à la majorité. Rappelez- vous, messieurs, les der-
niers exemples que votre jurisprudence criminelle vous offre en ce
genre : rappelez-vous ces trois condamnés dont le sort a si longtemps
occupé la nation; s'ils n'ont point expiré sur la route, c'est unique-
ment parce qu'un seul magistrat étoit d'une opinion contraire à celle
de tous (3). (On crie près de la tribune : il y en avoit trois). Qu'im-
porte le nombre : à défaut de l'unanimité, ce magistrat eut recours à
<3) Le 12 août 1785, le bailliage de Chaumont condamnait aux
galères à perpétuité trois paysans: L ardoise, Siman et Bradier,
àccus-és de s'être introduits, la nuit, chez le fermier Thomassin et
d'avoir pillé la maison après s'être livrés à de graves violences sur
Ji personne du fermier et celle de sa femme. Le 20 octobre, leur
peine fut transformée en celle de la roue. Fréteau qui allait être
député h la Constituante plaida leur cause, ainsi que son^ beau-frère,
!c Président Dupaty, du Parlement de Bordeaux. (Cf. E. Seligman.
Là justice en France pendant la E/évolution française, I, 98).
48 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
la seule voie ouverte pour sauver l'innocence, et elle fut sauvée. Je ne
doute pas que la loi de l'unanimité n'eût également sauvé les Calas
(4), les Langlade (5), les Montbailly (6), et toutes les victimes infor-
tunées qui ont été égorgées avec le glaive des loix.
« Un exemple encore plus analogue à la matière que je traite,
c'est celui de cet Anglois, condamné par tous les jurés, excepté un.
Les preuves paroissoient si claires, qu'on étoit étonné de l'opiniâtreté
de celui qui s'obstinoit à ne point vouloir condamner l'accusé. C'étoit
lui qui avoit commis le crime. D'après ce seul exemple, croyez- vous
possible que les Anglois eussent jamais pu tenir faiblement à cette loi
de l'unanimité dont ils avoient reconnu la nécessité par tant d'exemples
éclatans ? Croyez-vous qu'aucun homme humain puisse y renoncer ?
Non, quand bien même elle ne devroit sauver qu'un seul accusé dans
un siècle, ce seroit encore la peine de l'établir. On ne peut y renoncer
sans compromettre le salut d'un innocent, sans démentir ce principe qui
est la base de toutes les législations criminelles chez tous les peuples
justes, que pour condamner un accusé, il faut des preuves plus claires
que le jour; il faut le degré de certitude de morale le plus grand que
puisse obtenir le législateur. C'en est assez pour vous convaincre et
pour vous porter à décréter qu'aucun jugement de condamnation ne
pourra jamais être prononcé qu'à l'unanimité. »
Journal des Débats, t. XVII, n° 603, p. 25,
« M. Robespierre s'est élevé contre l'article qui dit que trois
Juges suffiront pour absoudre. Il a réclamé l'unanimité pour condam-
ner. M. l'abbé (7) s'est élevé contre la réclamation de l'Opinant,
comme contraire à la décision déjà prise par l'Assemblée. Il a demandé
ensuite s'il s'agissoit d'un Juré de vingt-quatre Membres ou de douze.
On lui a répondu qu'il s'agissoit d'un Juré de douze.
« M. Robespierre a retracé les principes qui rendent l'unanimité
indispensable. Les Jurés, les Juges qui prononcent sur le sort d'un
accusé, représentent la Nation entière, en vertu du pacte souscrit par
(4) Calas Jean, négociant à Toulouse, accusé faussement d'avoir
donné la mort à son fils pour l'empêcher d'abjurer la religion protes-
tante. Il fut roué à Toulouse en 1762 par sentence du Parlement et
réhabilité en 1765 à la suite du célèbre plaidoyer de Voltaire.
(5) iLanglade. Nous avons seulement trouvé mention dans le
Recueil des factum à la B.N. (II, 439, année 1690), d'un Laurent
Guillemot, sieur d'Anglade, condamné pour vol et mort aux galères,
mais nous ne pouvons affirmer s'il s'agit de ce dernier.
(6) Montbailli roué et brûlé vif à Saint-Omer en 1770 pour un
prétendu parricide. iSa femme fut condamnée à subir le même sort.
Tous deux ont été reconnus innocents en 1775. Ci. Voltaire, Frag-
ment sur le procès criminel de Montbailli.
(7) Il s'agit de l'abbé Maury.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 49
chaque Citoyen, de se soumettre à son jugement, quand ils seront
accusés.
« La société étant obligée de déléguer ce redoutable pouvoir à
un très-petit nombre d'hommes, doit au rnoins exiger leur unanimité et
la conviction de chacun d'eux. La loi doit exiger le plus grand degré
de conviction, et à coup sûr, ce haut degré est bien loin d'être acquis,
lorsque ce qui paroît évident aux yeux du plus grand nombre, ne lest
pas aux yeux d'un ou de deux hommes appelés à la même fonction.
« Ce n'est nullement un phénomène que la raison se trouve du
côté de la minorité. On en a vu des exemples frappans dans les tribu-
naux. Et à l'Assemblée, ont dit quelques Membres du côté droit.
« Il peut arriver qu'une grande incorruptibilité, une grande fermeté
d'âme, enfin une grande étendue de lumières porte quelques hommes
à résister à ce qui entraîne le plus grand nombre.
« M. Robespierre en a cité quelques exemples : le premier, dans
le Magistrat qui a refusé de donner sa voix à la condamnation des trois
roués, et qui a pris pour les sauver la seule voie qui fût ouverte alors :
le second exemple est celui du Juré Anglois qui résistoit opiniâtrement
à la condamnation d'un accusé que les autres Jurés s'accordoient à
condamner, et qui a fini par s'avouer l'auteur du crime qui avoit été
commis.
Croyez-vous que ce seul exemple ne suffise pas pour attacher les
Anglois à la précieuse loi de l'unanimité, loi que les Américains ont
aussi adoptée. »
Le Point du Jour, t. XIX, n° 573, p. 39.
« M. Robespierre a demandé que cette loi d'unanimité fût adoptée
par l'assemblée nationale. Si l'on veut consulter, a-t-il dit, l'exemple
des autres nations, l'unanimité est la loi de l'Amérique et de l'An-
gleterre; si l'on veut consulter la raison et les prinrcipes, qui sont des
guides beaucoup plus sûrs, les premiers principes de la justice et la
nature même des choses vous obligent de l'adopter. Les juges qui pro-
noncent sur le sort des accusés sont à la place de la société. Dans la
pureté des maximes sociales, ce seroit à elle à juger chacun de ses
membres accusé de l'avoir offensée. Si par un malheur attaché aux
grandes conventions d'hommes, elle est obligée de déléguer ce pou-
voir terrible à un petit nombre d'individus, son vœu raisonnable et
naturel, le droit de tout citoyen accusé, est qu'il ne puisse être con-
damné, si le petit nombre d'hommes n'est pas d'accord sur l'existence
du crime. En effet, dans l'ordre qu'elle établit pour les jugemens crimi-
nels, elle exige et doit exiger 1s plus haut degré de certitude morale
possible pour condamner. Or, ce degré n'est point atteint, dès que
tous les juges ne sont point unanimes. Il résulte au contraire du dissen-
timent de ceux ou de celui qui croit à l'innocence. Une forte pré-
50 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
somption qu'il manque quelque chose à la preuve du crime. E,h ! com-
ment l'humanité, comment la société seroit-elle assurée sur le sort de
l'innocence, lorsque des hommes, lorsqu'un homme honnête et intègre,
revêtu de sa confiance, est d'un avis opposé au jugement qui condamne
l'accusé ? Pourquoi ne sont-ils pas morts sur la roue, ces trois infor-
tunés qu'un arrêt condamnoit au plus affreux des supplices ? parce
qu'un magistrat s'obstine à reconnoître leur innocence et voulut la
sauver. La loi de l'humanité eût sauvé sans doute les Calas, les Lan-
glade, et tant de victimes innocentes immolées avec le glaive des loix,
ne dût-elle sauver qu'un seul innocent dans un siècle, il faudroil
l'adopter. »
Journal général, 1791, *n° 4, p. 13.
« Quand M. Robertspierre a entendu parler des trois Jurés, dont
l'opinion peut arrêter la condamnation, il a cru que tout éto;t perdu,
parce que nous allions nous écarter de cette loi angloise qui requiert
l'unanimité des Jurés. Le crime lui sembloit mal constaté, si, sur 12,
un seul Juge en doutoit. Un seul pourroit avoir raison contre tous.
L'honorable Membre se eroyoït dans ce cas; car ayant toute l'Assem-
blée contre lui, il n'en soutenoit pas avec moins de chaleur que la
minorité peut être respectable. Le côté gauche a profité de la thèse
pour se l'appliquer. Ce n'étoit pas l'intention de l'Opinant. Seul de
son sentiment, il a fallu céder. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 34, p. 140.
Courier de Provence, t. XIII, 3 février 1791, p. 25.
« M. Roberspierre . Lorsque la société délègue le pouvoir de punir
les coupables, son vœu raisonnable est au moins que les opinions du
petit nombre d'hommes qui concourent à la condamnation, soient una-
nimes. Si elles ne le sont pas, la certitude morale est loin d'être
acquise. Il en résulte nécessairement la présomption, qu'il est possible
que l'homme condamné ne soit pas coupable : et cependant nous nous
accordons tous à dire que pour condamner, il faut des preuves aussi
claires que le jour. L'Angleterre et l'Amérique n'ont-elles pas adopté
cette sage pratique, de ne condamner les accusés qu'à une unanimité
parfaite? Et c'est avec raison; car il n'est peut être pas extraordinaire
de voir la raison du côté de la minorité. (Il s'élève des murmures dans
la partie droite. M. Monlosier (8) applaudit.) Rappelez-vous que ces
trois malheureux qui ont tant excité la pitié de la France, ne sont point
expirés sur l'échafaud, parce qu'un seul des magistrats chargés de les
juger, pensait qu'ils n'étaient point coupables. La .loi de l'unanimité eût
(8) Keynaud de Montlosier, députe de la noblesse de la Séné-
chaussée de Eiom.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 51
certainement sauvé les Calas, les Danglade (9), les Montbailly, et
tant d'autres victimes. Cette loi ne , sauvât-elle qu'un innocent dans
un siècle, ce serait une forte raison pour la porter. Je demande donc
que l'Assemblée décrète qu'aucun jugement de condamnation ne pourra
être porté qu'à l'unanimité » (10).
Journal de Paris, 3 février 1791, p. 140.
« M. de Robertspierre ne s'est pas mépris au sens de l'article, et
à l'instant il a pris la parole pour le combattre.
« Il a cité les exemples de l'Angleterre et de l'Amérique : là, il
faut 1 unanimité des voix dans les Jurés pour que la société soit convain-
cue qu'un accusé est coupable.
« Il a invoqué la raison qui se trouve assez souvent dans la mino-
rité plutôt que dans la majorité.
« Il a rappelé l'histoire fameuse de ces trois malheureux à qui on
a donné le nom du supplice auquel ils ont échappé. Un seul juge,
quand ils furent condamnés, apperçut leur innocence qui a été prouvée.
« Quand la loi de l'unanimité, disoit M. de Robertspierre, ne
sauverait qu'un seul innocent dans un siècle, une Nation juste et hu-
maine devroit en faire la première Loi de son Code.
« Toutes ces Ombres qui gémiront éternellement autour de nos
Palais de Justice, les Calas, les d'Anglade, nauroient pas expiré sous
la main des bourreaux, si la voix d'un ou de deux Juges éclairés avoient
suffi pour les sauver.
« M. Barnave a pris la parole pour défendre l'article du Comité.
« Il a assuré d'abord que M. de Robertspierre s'étoit mépris sur
la loi de l'Angleterre et de l'Amérique : chez ces deux peuples ce
(9) Le Courier de Provence orthographie Langlade et ajoute le
commentaire suivant (p. 27) :
« Ne peut-on pas, en faveur de l'opinion de M. Robespierre,
soutenir que si les formes dont le gouvernement anglois accompagne
la nécessité de réunir l'unanimité sont vicieuses, le principe de cette
unanimité n'en est pas moins digne de l'humanité d'un peuple libre.
Si on ne forçoit pas les jurés à rester trop long-temps sans prendre
des alimens, si l'unanimité n'étoit nécessaire que pour la condamna-
tion, et nullement pour absoudre, il est certain qu'aucun accusé
ne seroit conduit au supplice que par la conviction la plus évidente ;
peut-être aussi' plusieurs coupables trouveroient-ils dans cette métho-
de un moyen d'éviter la peine due à leurs crimes.
« Mais, s'il existe un mode de procéder qui rende à jamais
impossible la condamnation d'un innocent, quoiqu'en facilitant le
salut de quelques coupables, un peuple éclairé, humain, juste, peut-il
lui préférer une forme qui, pour assurer d'avantage la punition des
crimes, exposeroit, ne fût-ce qu'une fois dans un siècle, l'innocence
à périr ignominieusement? Prenons des Anglois ce qu'ils ont de bon,
ne condamnons qu'à l'unanimité; rejetons ce qu'ils ont de vicieux,
n'exigeons ni le jeûne des jurés, ni l'unanimité pour absoudre, n
(10) Texte reproduit dans le Moniteur, VII, 287.
52 LÉS DISCOURS DE ROBESPIERRE
n'est pas seulement pour condamner que l'unanimité est nécessaire,
c'est encore pour absoudre.
« Mais M. de Robertspierre n'a point dit que l'unanimité n'y
est pas nécessaire pour absoudre, il a dit qu'elle y est nécessaire pour
condamner; et il n'y a là de méprise d'aucune manière u (11).
L'Ami du Roi (Royou), t. II, n° 250, p. 2.
« Cependant M. de Robespierre ne trouve pas que la sublime
institution du jury, qui rend l'ignorance et la grossièreté juges du
crime ou de l'innocence; que l'abolition presque totale des preuves
écrites, qui laisse au caprice des jurés !a condamnation ou l'absolution
des accusés : il ne trouve pas, dis-je, que ces moyens suffisent pour
arracher un coupable à la justice; il veut l'unanimité des suffrages pour
la condamnation; et c'est le sophisme le plus- misérable, le plus
indigne d'un apprentit (sic) logicien, qui sert de base à cette effrayante
loi. La certitude est plus grande, dit-il, quand tous les juges
sont d'accord. Or, pour condamner un accusé, IL FAUT LA PL.US
GRANDE CERTITUDE POSSIBLE. Donc, il faut une opinion una-
nime. Mais comme il sent lui-même la foiblesse de ce raisonne-
ment, il a recours à l'autorité de l'exemple. Il cite celui de l'Angle-
terre et de l'Amérique, où l'opposition d'un seul juré suffit pour arrêter
la condamnation d'un accusé; enfin, il convient que la raison et la
justice se trouvent souvent dans la minorité, incontestable vérité dont
il rapporte plusieurs exemples, mais non pas le plus frappant, celui
de l'assemblée nationale. »
Le Législateur Français, 3 février 1791, p. 6.
Journal du Soir (Beaulieu), n° 33, p. 3-4.
« M. de Roberspierre a soutenu que toutes les loix, faites par
une société humaine, devant tendre à atténuer la rigueur des condam-
nations; celles faites par l'assemblée nationale de France ne pouvoent
donner trop de développement à la vérité de ce principe. Il n'est pas
rare, disoit M. de Roberspierre, que la vérité qui n'aime pas la foule
aille chercher un asyle dans la minorité : et il a cité l'exemple de
Calas, condamné par une ville entière, et qui cependant étoit inno-
cent.
« M. de Roberspierre demandoit qu'imitant l'exemple de l'An-
gleterre et de l'Amérique, l'assemblée nationale décrétât que l'oppo-
sition d'un juré suffiroit pour empêcher la condamnation de l'accusé. »
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n° 203, p. 3.
« M. Robespierre a regardé cette précaution comme insuffisante
pour l'innocence; il voudrait qu'un accusé fût absous toutes les fois
que tous les suffrages ne se réuniroient pas pour le déclarer coupable.
(11) Cité par E. Hamel, I, 356, note 1.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 53
<( Il faut, a»l-il dit, puur gag^ d'une conviction irréprochable, que tous
les jurés s'accordent : si un seul juré doute de la justice de la condam-
nation, s'il doute, lui qui a été environné de tous les renseignemens ;
il faut donc que la prétendue preuve ne soit pas portée au plus haut
degré de conviction; et cependant nous nous accordons tous à dire
que pour condamner, il faut des preuves aussi claires que le jour.
« L'Angleterre n'a-t-elle pas adopté cette sage pratique de ne
condamner les accusés qu'à la parfaite unanimité des jurés, et c'est
avec bien de la raison, car ce n'est pas un phénomène que de voir
dans une compagnie de juges, que la minorité a de son côté !a raison
et l'équité... Ici on applaudit à droite.
« L'opinant continue : rappelez-vous que ces trois malheureux qui
ont tant occupé la France, n'ont dû leur existance qu'à la vertueuse
résistance d'un magistrat qui étoit seul de son opinion. Je ne doute
pas que si la France eût joui de la loi que je propose, les Calas, les
Danglade, les Mongali (12) et beaucoup d'autres innocentes victimes,
eussent été sauvées. »
Le Spectateur national, n° 65, p. 278.
« M. Robespierre, après avoir avoué avec franchise que, dans
les assemblées délibérantes, c'étoit souvent du côté de la minorité
qu'étoient la justice et la raison, en a conclu qu'il étoit nécessaire, et
même indispensable, d'admettre dans la délibération des jurés l'unani-
mité des suffrages, telle qu'elle existe en Angleterre. L'opinion de
M. Robespierre a eu des partisans; mais dire que M. Barnave s'en
est déclaré l'adversaire, c'est dire assez que cette opinion n'a pas
été admise. »
Mercure de France, 12 février 1791, p. 111.
« M. Roberspierre s'élève contre la proposition de décréter que
trois jurés suffiront pour absoudre; il réclame l'unanimité comme le
complément de la certitude morale. « L'Angleterre et l'Amérique,
a-t-il dit, n'ont-elles pas adopté cette sage pratique, et c'est avec
raison; car il n'est peut-être pas extraordinaire de voir la raison du côté
de la minorité... » M. de Montlausier honore de ses applaudissemens
cette naïveté qui, dans la bouche de l'orateur, étoit bien, à tous
égards, sans conséquence. « Il peut arriver, a poursuivi M. Robers-
pierre, qu'une grande incorruptibilité, une grande fermeté d'âme, enfin
une grande étendue de lumières portent quelques hommes g résister
à ce qui entraîne le plus grand nombre. »
Annales universelles, 3 février 1791, p. 280.
« M. Roberspierre exige l'unanimité comme en Angleterre &
(12) Pour Montbailli.
54 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
en Amérique; car si un seul juge penche pour l'accusé, c'est un signe
que les preuves employées contre lui ne sont pas évidentes. Il rapporte
à ce sujet les jugemens iniques des Calas & des Sirven (13), etc , où
la minorité des juges avoit raison; il s'étend sur cette idée, qui fait sou-
rire le côté droit. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal de la No-
blesse, de la Magistrature, du Sacerdoce et du Militaire, t. I, n° 7,
n. 181; Les Révolutions de Paris (Prudhomme), n° 82, p. 165; Le
Postillon (Calais), n° 337, p. 8; Les Révolutions de France et de Bra-
bant, t. V, n° 63, p. 552; La Bouche de Fer, n° 17; L'Ami des
Patriotes, t. I, n° 1 1 , p. 322 (note).]
(13) Sirven, géomètre-arpenteur, né à Castres. De religion pro-
testante, il fut condamné à mort, le 29 /mars 1764, par le tribunal de
Mazamet, pour avoir fait disparaître sa fille cadette Elisabeth qui
s'était enfuie du couvent des Dames noires et dont on retrouva le
cadavre dans un puits. Voltaire, convaincu de son innocence, entre-
prit de le réhabiliter. Il ouvrit d'abord une souscription en sa
faveur, qui fut accueillie par Frédéric II et Catherine de Russie,
puis il publia son Avis au public sur les parricides imputés aux
Calas et aux Sirven. Mais sa requête devant le Conseil du Roi fut
rejetée le 29 janvier 1768 et Sirven ne fut réhabilité par le Parle-
ment de Toulouse que le 25 novembre 1771.
Société des Amis de la Constitution
213. — SEANCE DU 2 FEVRIER 1791 (1)
Sur une dénonciation contre Marat
Marat dénoncé au Comité des Recherches au sujet d'un article
paru dans l'Ami du Peuple, fut décrété d'arrestation sur le rapport
de Voidel (2). Ce dernier, secrétaire de la Société des Amis de la
(1) Cf. Aulard, II, 58-62. Pamphlet : Mille et unième dénoncia-
tion faite à la tribune des Jacobins, Imp. de l'Ami de l'Ordre, s. d.,
in-8°, 16 p. Mais il n'est fait mention ni de la séance, ni de l'inter-
vention de Robespierre. De même, G. Walter dans son « Marat » ne
cite pas ce fait. Il parle (p. 191-198) d'une dénonciation de la Section
Notre-Dame, contre Marat, le 22 décembre 1790, à la suite d'un
article désobligeant pour le roi. Toutefois, le 8 janvier 1791, s'ouvrait
devant le Châtelet le procès en diffamation intenté contre Marat
par le journaliste Estienne, qui semble protégé par La Fayette. Les
audiences ayant donné lieu à des manifestations populaires en faveur
de Marat, Estienne ne comparaît pas ; il est débouté et condamné
aux dépens. Marat reprend alors seis attaques contre La Favette
avec une violence accrue. (Cf. Gaston Martin, Marat, chap. XII).
(2) Arch. nat. D XXIX bis 33, dossier 339, p. 21. « Lettre des
administrateurs de police de Paris au sujet de la réquisition à eux
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 55
Constitution; tenta de se justifier devant cette dernière, maigre les
murmures de l'assistance. Charles Lameth qui avait été comme La
Fayette l'objet des attaques de l'Ami du Peuple, déclara qu'il n'en
défendrait pas moins, en la personne de Marat, la liberté de la
presse.
Le journaliste fut également soutenu par le boucher Legendre et
par Robespierre (3).
Révolutions de France et de Brabant, t. V, n° 63, p. 484.
« A la même séance des Jacobins, Robespierre, seul membre de
l'assemblée nationale, à qui le sévère Marat n'eût point donné la poule
noire (4), prit aussi sa défense. Il a fait sentir l'absurdité du crime que
le président des recherches imputoit à l'ami du peuple, de s'entendre
avec les Anglois (5). Marat n'avoit cessé de déplorer le traité de com-
merce de 1786 avec les Anglois, et de vociférer contre Pitt, et contre
l'intelligence du cabinet de S. James, avec le comité autrichien des
Tuileries, et puis il y avoit en faveur de Marat, ce moyen qui milite si
fortement pour tous les écrivains patriotiques : si l'ami du peuple est
extrême et colérique, au moins c'est dans le sens de la révolution. De
quel front le comité des recherches a-t-il signé cet ordre contre lui, sous
le ridicule prétexte d'une intelligence avec les Anglois, tandis qu'il
laisse en paix Durosoi (6), aussi extrême, aussi sanguinaire que Marat,
et tant d'autres amis du roi, de la noblesse et du clergé, qui ne cachèrent
pas même leur intelligence avec les Autrichiens, avec tous nos ennemis,
et tous les jours les invitent à grands cris à venir égorger les patriotes.
Il n'y a point de réplique à ce raisonnement; aussi Voidel qui lisoit
sa condamnation dans tous les yeux reconnut son péché, et promit de
retirer l'ordre et de biffer l'écrou. »
Le Bulletin et Journal des Journaux, n" 14, 2 février 1791.
a II est étonnant, dit le Courier de Paris, que dans ce club il se
soit trouvé plusieurs membres qui ayent pris la défense de ce journa-
«d rossée par le Comité des Recherches pour faire rechercher et
arrêter l'auteur d'une feuille incendiaire signée Marat » (29 janvier
1791).
(3) Legendre se porta caution « de la pureté des vues de Marat »,
et il ajouta même que « pour le soustraire à la vengeance de ceux
qui avaient mis sa tête à prix il l'avait retiré chez lui pendant un
an n (Révolutions de France et de Brabant, t. V, p. 483).
(4) « Donner la poule noire ». Sans doute faut-il lire: « Donner
Ih boule noire », expression qui fait allusion aux jeux de hasard
dans lesquels la boule noire indique le perdant.
(.")) Mirât avait dû, en février 1790, chercher pendant plusieurs
mois refuge en Angleterre. Ses adversaires laissaient entendre qu'il
6r*y était mis au service du gouvernement de Londres, et qu'il était
payé par ce dernier pour entretenir l'agitation en France.
(6) Du Rosoy, principal rédacteur de la Gazette de Paris, journal
contre-révolutionnaire, guillotiné le 25 août 1792.
56 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
liste et qui se soient récriés contre Tordre donné de l'appréhender au
corps. M. Charles Lameth s'est contenté de blâmer quelques-uns de
ses numéros, ainsi que M. Robespierre qui a prétendu que cet ordre
attentait trop à la liberté de la presse. »
214. — SEANCE DU 3 FEVRIER 1791
Sur l'organisation de la justice criminelle {suite)
I ro intervention : Sur la forme de la déclaration des jurés
L'Assemblée adapte rapidement une série d'articles du projet
d'organisation de la justice criminelle, se rapportant au fonctionne-
ment du jury. L'art. 26, qui suscita un court débat, fut décrété en
ces termes: « Chaque juré prononcera les diverses déclarations ci-
dessus, dans la formule suivante: il mettra la main sur son cœur,
et dira : « Sur mon honneur et ma conscience, il y a délit constant »>,
ou bien « le délit ne me paraît pas constant; l'accusé est convaincu »,
ou bien « l'accusé ne .me paraît pas convaincu. »
Le Point du Jour, t. XIX, n° 573, p. 41.
« Sur l'article 26, MM. Merlin, Robespierre et Dumetz (1),
ont demandé la radiation des mots sur mon honneur, insérés dans la
forme de la déclaration des jurés. Ils soutenoient que l'idée d'hon-
neur, séparée de probité et de conscience, n'étoit qu'une idée vaine
et féodale par laquelle on vouloit suppléer aux Vertus et aux principes
de la morale; ils ont même ajouté que la forme proposée par !e comité
tendoit à perpétuer les préjugés gothiques, incompatibles avec les prin-
cipes des nations libres ».
Le Législateur Français, 4 février 1791, p. 2.
Journal du Soir (Beaulieu), n° 34, p. 1-2.
« M. de Robertspierre a ouvert un avis très-raisonnable, il pen-
soit que pour s'assurer de la vérité, la justice n'avoit pas de moyen
plus sûr que de faire jurer chacun sur ce qu'il a de plus cher. Ainsi,
disoit-il, si le juré est attaché par un préjugé, si l'on veut à ce que
nous appelions honneur, il faut le faire jurer sur son honneur. Si la loi
de sa conscience lui est plus sacrée, il faut le faire jurer sur sa
conscience » (2).
Journal des Débats, t. XVII, n° 604, p. 4.
(( MM.... et Robespierre ont demandé que la formule de la décla-
ration faite par les Jurés ne portât pas ces mots : en conscience et en
(1) Boute ville-Dumetz, député du tiers état du gouvernement de
Péronne.
(2) Cet extrait attribue à Robespierre l'opinion de d'André.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 57
honneur; le mot de conscience suffit; en y joignant celui d'honneur, on
rappelle un mot qui a été la source des préjugés les plus barbare? et
qu'aujourd'hui l'on voudroit encore opposer souvent aux sentimens du
patriotisme et de la vertu. »
Journal de Normandie, n° 35, p. 169,
« M. Roberspieïre. J'appuie l'amendement de M. Merlin et je
pense que toute distinction entre honneur et conscience est absolument
futile; il est impossible qu'un homme soit lié par son honneur, s'il
croit ne pas l'être par sa conscience; il n'est point d'honneur sans
conscience. »
Mercure de France, 12 février 1791, p. 114.
(( MM. Lanjuinais, Merlin et Roberspierre ne vouloient pas du
vieux mot honneur qui sent le gentilhomme, la féodalité, la monarchie,
le préjugé, la barbarie et qu'ils supposoient incompatibles avec le
patriotisme et les vertus d'aujourd'hui. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Spectateur national,
4 février 1791, p. 282.]
2e intervention : Sur le caractère irrévocable du jugement
L'Assemblée adopte le titre VIII du décret sur l'organisation de
la justice criminelle (« Du jugement et de l'exécution »). Les huit
articles de ce titre traitent de la condamnation de l'accusé ou son
absolution. L'art. 4 stipule que: « Tout particulier ainsi acquitté ne
pourra plus être repris ni accusé pour raison du même fait. »
L'abbé Maury intervient, s'étonnant de ne trouver dans les arti-
cles qui .viennent d'être décrétés, rien qui remplace ce que l'on appe
iait dans l'ancienne procédure « le plus ample informé » ou le « hors
&! cour )>. Il demande ique les comités présentent un article addi-
tionnel dont la formule sera: « les charges ne sont pas approuvées »;
ainsi on pourra élargir l'accusé, mais l'arrêt ne sera point irrévo-
cable, liohespierre s'élève contre cette proposition.
L'Assemblée rejeta la motion de l'abbé Maury (3).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XX! , p. 58.
« M. Robespierre. Je demande la question préalable sur la motion
de M. l'abbé Maury. Il demande que vous introduisiez dans votre
jurisprudence criminelle une troisième formule qui ne voit ni la condam-
nation ni l'absolution; mais qui laisse l'accusé dans un état de soup-
(3) « Cette fois ses paroles, écrit Hamel, dignes de la doctrine
évamîélique. ne furent pas jugées trop philosophiques, et l'Assemblée
en y applaudissant rejeta la proposition de l'abbé Maury. n
58 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
çon. Cet état-là, messieurs, est déjà une peine, c'est une peine infa-
mante; car dès qu'un homme est accusé, et qu'il n'est pas déclaré
innocent, il est dès lors flétri dans l'opinion publique, il est pour
jamais dépouillé de la considération publique.
« Il n'y a que deux alternatives, ou bien la société a prouvé contre
un citoyen accusé qu'il étoit coupable et qu'il devoit être privé des
droits de citoyen, ou elle ne l'a pas prouvé. Si elle l'a prouvé, il est
coupable, si non, il jouit de tous ses droits et il est présumé innocent.
« Remarquez qu'une pareille motion tend à altérer entièrement
l'esprit du juré. En effet, quand des jurés ont à prononcer, si dans leur
conscience ils croient un accusé coupable ou non, alors ils déploient
tous les ressorts moraux possibles; ils examinent avec une attention reli-
gieuse les motifs de la décision qu'ils vont rendre sur le sort de l'accu-
sé : mais si vous leur laissez une autre alternative, ils sont moins scru-
puleux. Sous prétexte qu'ils ne sont pas obligés de condamner, ils se
laissent aller nonchalamment à prendre un parti mitoyen; et sur des
présomptions et indices foibles et incertaines, ils se portent à flétrir
un accusé qu'ils auroient absous. (Applaudissemens).
a Telles sont, messieurs, les raisons qui dans l'ancien régime
avoient déjà formé une opinion publique, qui, avant que vous fussiez
établis, avoit proscrit comme un grand abus de la jurisprudence crimi-
nelle, toute cette condamnation mitoyenne sous le nom de hors cour
et de prison indéfinie et de plus amplement informé.
« Il n'y a dans notre jurisprudence criminelle et dans nos principes
que deux cas, ou l'innocence, ou le crime : il faut condamner ou
absoudre. Je demande la question préalable. (Applaudissemens) » (4).
Courier national (Beuvin), 4 février 1791, p. 4.
Assemblée nationale. Corps administratifs (Perlet), t. X, n° 548, p. 4.
« M. Robespierre a refuté cette opinion, en observant qu'il n'est
aucun criminaliste éclairé, qui même dans l'ancien régime, n'eut reconnu
les inconvéniens du plus amplement informé : espèce de transaction
entre le crime et l'innocence, qui n'étoit bonne qu'à favoriser l'inten-
tion et la paresse des juges, et à tenir perpétuellement un accusé dans
l'état flétrissant du soupçon. Les jurés sont appelés à juger d'après
leur conviction intime et morale; si, après que l'instruction se trouve
complette ils reconnoissent l'innocence ou le crime, ils doivent absou-
dre ou condamner; tout milieu ne feroit qu'ouvrir une porte à l'arbi-
traire et seroit une punition cruelle pour l'innocence. Il a demandé la
question préalable sur la formule proposée par M. l'abbé Maury, et
il a été appuyé par M. Pelletier, qui a observé que M. l'abbé Maury
avoit trop d'affection pour la jurisprudence des oundire. »
(4) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXJT, 727.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 59
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), n° 210, p. 3.
« M. Robest-Pierre, je demande la question préalable sur la pro-
position de M. Maury. Il nous offre une troisième formule, qui seroit
un supplice pour l'innocence: qu'elle est cette espèce de transaction
avec le crime ou avec l'innocence ! de deux choses l'une; ou le crime
est prouvé, et dans ce cas il faut le punir : ou il ne l'est pas, et dès
lors il faut reconnoître l'innocence et ne pas la flétrir par ces absurdes
hors de cour, qui avoient été inventés par des juges noncbalents et
barbares.
« Considérez d'ailleurs que la formule du hors de cours, si com-
mode pour des juges durs, rendroit les jurés moins attentifs. Ils ne
s'arrêteroient pas à dissiper des doutes; il leur seroit si facile de
consacrer leur indécision, en refusant un jugement à l'innocent; car le
hors de cour est un refus de jugement.
« Non, Messieurs, vous ne tolérerez point cette détestable méthode.
Les jurés sont appelés à juger selon leur conviction, ils auront donc
toujours une opinion déterminée, ils reconnoitront l'innocence ou le
crime, qu'ils soient donc forcés d'absoudre ou de condamner. Point
de ces transactions affligeantes pour l'innocence. »
Journal de la Noblesse, t. I, n° 7, p. 183.
« L'abbé Maury s'est trouvé en opposition avec M. Robespierre;
le premier vouloit que, dans les cas où l'accusé n'étoit pas évidemment
innocent, on prononçât, par cette formule : « Les charges ne sont
point approuvées ». L'accusé auroit été élargi sans que l'arrêt eût été
irrévocable. « II faut proscrire, a dit M. Robespierre, ces conditions
mitoyennes, inventées par le despotisme; quel est le peuple assez bar-
bare pour vouloir que l'innocent soit perpétuellement en butte aux
intrigues de ses ennemis, pour vouloir qu'on suscite sans cesse contre
lui des accusations qu'on renouveilleroit (sic) à mesure qu'elles échoue-
roient. La loi doit condamner ou absoudre, je ne connois pas de milieu.
L'ancienne loi n'en connoissoit pas non plus, mais si le juge est con-
vaincu de la possibilité, qu'il intervienne de nouvelles charges, qui se
joignent à de violens indices; le plus amplement informé, dans un
délai prescrit et limité par le législateur, étoit une justice dont la nou-
velle loi affranchit l'accusé. »
Le Législateur Français, 4 février 1791, p. 5-6.
Journal du Soir (Beaulieu), n° 34, p. 3.
« M. Roberspierre a demandé la question préalable sur îa motion
de M. l'abbé Maurv : il a pensé que l'opinant vouloit, par cette dispo-
sition, faire revivre le système de la flétrissure de l'opinion, et remettre
les citoyens sous la loi tyrannique des persécutions juridiques, qui ne
60 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
finiraient pas avec la vie d'un accusateur passionné, et qui seraient
transmises de génération en génération comme un droit d'héritage.
« Si la preuve du délit, disoit-il, est suffisante, le juré prononcera,
et la loi vengera la société; mais si, au contraire, les preuves ne sont
pas convaincantes, l'accusé est quitte envers la loi, et il seroit barbare
de dire à l'homme qu'on absout, je vous innocente; mais en même
temps, je vous livre à l'infamie, et l'opinion me dédommagera de la
condamnation que je ne puis prononcer contre vous.
« Par cet usage barbare, les agens du despotisme se menageoient
la certitude d'atteindre un jour leur victime, lorsque les circonstances
contraires, ou une sorte de pudeur le retenoit dans leur penchant.
Un plus ample informé les tranquillisoit, et le temps du repos de
l'homme persécuté étoit de courte durée. »
Le Patriote François, n° 546, p. 141 (5).
Assemblée nationale et Commune de Paris (imitât.), n° 545, p. 6.
« Aussi-tôt M. Roberspierre a demandé la question préalable
sur cette proposition. M. l'abbé Maury, disoit-il, ne vous propose autre
chose que de faire revivre le système odieux de la flétrissure dans
l'opinion publique, et de remettre les citoyens accusés sous la loi tyran-
nique des persécutions juridiques; il ne peut y avoir de transaction
entre le crime et l'innocence. Si le crime est prouvé, il faut condamner;
s'il ne l'est pas, il faut reconnoître l'innocence, et ne pas la flétrir par
ces absurdes hors de cour, inventés par des juges nonchalans et bar-
bares.
« Considérez d'ailleurs que la formule du hors de cour, du plus
amplement informé, rendrait infailliblement les jurés moins attentifs.
Ils ne s'attacheraient pas à dissiper leurs doutes; ils se livreraient à
toute la non-chalence des indécisions; une semblable méthode ne peut
être tolérée; les jurés sont appelles à juger selon leur conviction, ils
doivent la porter au plus haut degré possible, il faut qu'ils ayent une
opinion bien prononcée, il faut qu'ils condamnent ou qu'ils déchargent
de l'accusation; vous ne devez point souffrir de transactions affligeantes,
humiliantes pour l'innocence. »
Le Point du Jour, t. XIX, n° 573, p. 45.
« M. Robespierre a demandé la question préalable sur la propo-
sition de M. l'abbé Mauri.
« Il n'y a que deux alternatives, a-t-il dit : ou la société a prouvé
qu'un citoyen est coupable, et alors il faut le punir; ou bien la société
ne l'a pas prouvé et il doit alors être absous. En introduisant cette
troisième formule proposée par M. Mauri vous altérez l'institution du
(5) Le Patriote François ne reproduit que le premier alinéa.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 61
juré. Si vous admettez des demi peines ou des ajournements, ces tran-
sactions avec le crime ou l'innocence vont engager le juré à mollir
dans ses jugemens et à prononcer sur ces demi peines, qui ne doivent
pas plus exister que les demi vérités. Il n'y a pas de milieu entre
l'innocence et le crime, entre la preuve ou le défaut de preuve. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 35, p. 142.
Courier de Provence, t. XIV, n° 252, p. 69.
« M. Robespierre. Il faut proscrire ces conditions mitoyennes
inventées par le despotisme. Quel est le peuple assez barbare pour
vouloir que l'innocent soit perpétuellement en butte aux intrigues de
ses ennemis, pour vouloir qu'on suscite sans cesse contre lui des accusa-
tions qu'on renouvellerait à mesure qu'elles échoueraient. La loi doit
condamner ou absoudre ; je ne connais pas de milieu. Je demande donc
la question préalable sur la proposition de M. l'abbé Maury » (6).
Journal des Débats, t. XVII, n° 604, p. 5.
« Cette proposition a été combattue par M. Robespierre et
M. Saint-Fargeau. Le premier a représenté qu'une telle formule alté-
roit évidemment l'institution des Jurés, et (ce qui est beaucoup plus
grave encore) tous les sentimens d'humanité et de justice. Il ne peut
y avoir que deux alternatives pour l'accusé, être jugé innocent ou cou-
pable. En admettre une troisième, c'est donner du crédit et de l'auto-
rité à des conjectures qui ne peuvent fonder un jugement; c'est punir
du supplice affreux de l'infamie celui qu'on a craint de punir d'une
autre manière. Les Jurés abuseront bientôt de cette formule, et seront
moins scrupuleux à prononcer; ri rentrera dans la société une foule
d'individus devenus suspects, et flétris par l'opinion, contre lesquels
il n'y aura eu aucun délit de prouvé. »
L'Ami du Roi (Royou), n° 251, p. 4.
« Mais, dans une observation aussi sage, M. Robespierre n'a vu
que le rétablissement de la tyrannie ministérielle et aristocratique; et
les démagogues, qui ont grand peur de troubler la tranquillité des
scélérats, ont rejette le mode salutaire de M. l'abbé Maury. ^)
[Brève mention de cette intervention dans La Feuille du Jour,
t. II, n° 35, p. 274; Le Journal de Paris, 5 février 1791, p. 146;
Le Mercure national et étranger, t. I, n° 9, p. 335; Le Courrier de
Paris dans les LXXXIII départemens, t. XXI, n° 4, p. 63; Les Anna-
les universelles, 4 février 1791, p. 288.]
(6) Texte reproduit dans le Moniteur, VII, 293.
62 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
215. — SEANCE DU 3 FEVRIER 1791 (soir)
Sur la répression des actes d'indiscipline des matelots
Defernion Des Chapelières présente au nom du comité de marine
un rapport sur la « répression des actes d'insubordination commis
par les matelots sur le territoire de Bordeaux » (1). Le projet de
décret qu'il propose à l'Assemblée, donne lieu à un débat, en parti-
culier l'art. 4 qui charge le président de l'Assemblée de demander
au roi de faire poursuivre et juger devant le tribunal de district du
lieu du délit les excès commis par quatre individus nommément dési-
gnés.
Kobespierre intervint, et l'Assemblée, sur sa proposition, rejeta
l'article par la question préalable (2).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXI, p. 76.
« M. Robespierre. Je vous propose un amendement sur le dernier
article. Je crois qu'il y a trop longtemps que l'assemblée nationale
se mêle des délits particuliers, j'ai entendu souvent proposer à l'assem-
blée nationale de prier le roi de faire punir tel ou tel crime; je crois
qu'il seroit sujet à beaucoup moins d'inconvéniens de laisser agir le
pouvoir judiciaire sur toutes les affaires particulières, et j'en cite pour
preuve le rapport qui vient de vous être fait.
« Sur quelles preuves et sur quels indices vous exhorie-t-on à
punir de tels crimes et à provoquer vous-mêmes le pouvoir exécutif
pour faire punir des faits d'insubordination ? Vous est-il prouvé par
des preuves claires, dont chacun de vous puisse reconnoître la vérité,
que le délit a été commis ? Je ne prétends pas qu'il n'y en ait point
eu. Mais ni vous ni moi ne le connoissons.
« On vient de vous faire un rapport très vague ; on vient de
vous citer une lettre et des pièces envoyées par le ministère de la
marine ; vous ne connoissez pas ces pièces. Le rapporteur vous a observé
que le ministre de la marine ne nommoit pas même les personnes
coupables d'insubordination. Je soutiens que dans cette situation, vous
n'êtes point assez éclairés pour trouver que ces délits existent; vous
ne l'êtes donc point assez pour les dénoncer au pouvoir exécutif et
pour provoquer à cet égard son action. Si le pouvoir exécutif connoit
des délits, qu'il agisse; mais qu'il soit seul responsable: ne vous
mêlez point de ce que vous ne connoissez pas. Je conclus à ce que
vous ne délibériez pas sur l'article du décret qui consiste à prier le
roi de donner des ordres pour punir les prétendus délits. »
(1) Cf. également discussion sur le Code pénal de la marine,
séance du 19 août 1790, Discours, lre partie, p. 506.
(2) Cf. Le Point du Jour, t. XIX, p. 52.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 63
« M. de Fermont...
« M. Robespierre. Je réponds en deux mots au fait qui regarde
les tribunaux (3). L'assemblée nationale par ses décrets précédens a
déjà déterminé quel est l'ordre des tribunaux où ces affaires doivent
être portées ou elle l'a fait, ou elle ne l'a pas fait. Si elle l'a fait,
il n'y a plus rien à statuer à cet égard; si elle ne l'a pas fait, il faut
faire une loi générale qui détermine à quels tribunaux devront être por-
tées les accusations concernant la marine et les matelots : mais quant
aux faits particuliers dont M. le rapporteur a parlé d'une manière
vague, je soutiens que l'assemblée nationale ne doit pas s'en mêler,
elle doit connoître en quoi consiste précisément le délit; or, vous ne
le connoissez pas; quand vous le connoîtriez, vous ne devriez pas pro-
noncer sur un délit particulier. Faîtes des loix générales, pourvoiez au
salut public dans les grandes circonstances, mais dans les affaires parti-
culières, laissez tout au pouvoir exécutif et judiciaire » (4).
(3) De Fermont venait en effet de poser la question de savoir
quels juges auront -à connaître ces sortes de délits.
(4) Texte reproduit dans les Aroh. pari., XXII, 730.
216. — SEANCE DU 5 FEVRIER 1791
Sur l'organisation de la justice criminelle (suite) (1)
I™ intervention: Sur l'indemnité due aux accusés innocents
Le 4 février, Duport, rapporteur du projet d'organisation de la
justice criminelle, avait présenté, comme article 29, le texte suivant :
«< Lorsqu'un accusé aura été acquitté, il pourra présenter requête
pour obtenir de la iSociété une indemnité, sur laquelle requête il sera
statué par le tribunal criminel ».
L'article fut renvoyé à la commission comme insuffisant. Le 5,
il propose l'adjonction suivante : <( Mais lorsqu'il n'y a ni dénoncia-
teur, ni partie civile, ou lorsqu'ils sont insolvables, il doit présenter
requête pour obtenir de la société une indemnité ».
Des opposants, les uns rejetaient toute indemnité ; d'autres refu-
saient de s'en rapporter au tribunal, alléguant que s'il repoussait
la demande, l'accusé acquitté resterait dans l'opinion, sous le coup
d'une inculpation écartée faute de preuves, mais néanmoins soute-
nable. Buzot voulait que l'indemnité fut de droit. L'Assemblée décida
que la .société ne devait pas d'indemnité. Alors Pétion insista pour
que l' article fut de nouveau renvoyé à la commission. L'Assemblée
passa à l'ordre du jour.
<1) Cf. ci-dêssus, séances des 4, 19, 20, 21 janvier 1791, 1er, 2 et
3 février.
64 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Le Point du Jour, t. XIX, n° 575, p. 69.
« M. Pethion a été appuyé par MM. Larochefoucaud, Robes-
pierre, Praslin, Buzot et plusieurs autres » (2).
2° intervention : Sur le choix des jurés
Duport abordant le titre X du projet, qui concerne la composi-
tion du jury d'accusation, déclare impossible que tout citoyen actif
puisse être inscrit sur la liste des jurés. Mais n'admettre que les
citoyens éligibles à la législature, serait exclure une infinité d'hom-
mes éclairés et très propres à être jurés. JI propose donc que le soin
d'établir la liste des jurés soit confié au procureur général syndic
du département, les jurés devant être ensuite tirés au sort sur cette
Lste (3).
Pétion combat cette proposition : tout citoyen actif doit pouvoir
être juré, le choix doit en être fait tous les ans par les électeurs
du district. Cazalès demande que les qualités nécessaires pour être
éligible à la législature, soient aussi exigibles pour exercer les fonc-
tions de juré (4). Robespierre conclut à ce que tout citoyen puisse
être élu juré, et à ce que la liste des jurés soit formée par les élec-
teurs de chaque district. Ma/louet soutient, en l'amendant, la propo
sition de Cazalès.
Finalement, les amendements furent écartés, et l'Assemblée
décréta les deux articles suivants :
« 1. La liste des jurés sera composée de trente citoyens éligibles
à l'administration de district et de département.
« 2. Le procureur-syndic et les membres du directoire de chaque
district formeront tous les trois mois la liste des citoyens qui doivent
servir de jurés dans les accusations. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXI, p. 115.
« M Robespierre. A qui appartient le droit d'élire les fonc-
tionnaires publics ? C'est là la question : car les jurés sont des fonction-
naires publics. Il n'en est point de plus intéressans, puisque leur pou-
voir pèse à chaque instant sur les droits particuliers et sur la liberté
individuelle des citoyens. A qui appartient le droit d'élire aux places
de fonctionnaires publics ? A celui-là seul de qui émanent toutes les
autorités, toutes les fonctions publiques, au souverain, c'est-à-dire, au
peuple. Remarquez messieurs, que, dans la circonstance actuelle, vous
ne pouvez pas vous écarter de ce principe, sans ouvrir la porte aux
<2) Texte utilisé par les Arch. pari., XXII, 758.
■(3) C'est cette partie du Plan que Robespierre a réfutée dans les
premières pages de son discours imprimé (Cf. ci-dessus, séance du
20 janvier 1791).
(4) Cazalès élevait ainsi le débat : lco propriétaires sont la société
elle-<même ; pour être juré il faudrait au moins posséder un bien
foncier de mille livres de revenu ; en Angleterre, une propriété de
10 livres de rente était exigée.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 65
plus grands inconvéniens. C'est dans les tems de révolution sur-tout
qu'il faut observer scrupuleusement ce principe. Il ne faut pas que
ces factions connues sous le nom d'aristocrates, de démocrates, d'im-
partiaux, puissent, sous le voile de la justice, se faire mutuellement
une guerre aussi lâche que cruelle. Or rien n'est si possible dans les
circonstances où nous sommes que de voir l'administration confiée à
un officier qui pourroit être enclin à un parti. Il composeroit la liste
de tous ceux qui seroient attachés aux mêmes principes que lui ; il seroit
facile à un procureur-syndic de composer en partie ce juré de ces
hommes nuls et foibles qui appartiennent toujours au plus adroit et
au plus rusé. Ainsi vous verriez par là la destinée des citoyens livrée
à ces principes factieux. Vous pourriez même voir les plus zélés patrio-
tes victimes de ce dangereux inconvénient. J'en conclus que, soit que
vous considériez les principes, soit que vous considériez les circonstan-
ces si décisives de la Révolution, vous ne pouvez pas confier à un seul
homme le droit de choisir les jurés qui doivent prononcer sur la vie et
la liberté des citoyens. Ce droit appartient donc essentiellement au
peuple.
« Le caractère essentiel des jurés, consiste à être jugé par ses
pairs. Or, si vous attachez à une certaine quantité de propriété le droit
exclusif d'être appelé aux fonctions de juré, il est évident que l'égalité
des droits est violée et que tous les accusés ne sont pas jugés par leurs
pairs, puisqu 'alors les citoyens sont en quelque sorte divisés en deux
sections, dont l'une est destinée à être jugée, et l'autre à juger, et la
dernière de ces sections est élevée au dessus de l'autre de toute la
hauteur qui existe entre l'égalité politique et la nullité et la sujétion.
La majorité de la nation seroit donc dans un état de nullité et d'abjec-
tion qui est absolument incompatibles avec les principes de la consti-
tution et les droits qu'elle a exigés de ses représentans.
« Je conclus donc, d'une part, qu'il faut que tous les citoyens
puissent être appelés aux fonctions publiques. Il s'ensuit de là que les
jurés ne peuvent être élus que par le peuple; et je vous prie de
remarquer que si vous adoptez l'une de ces deux dispositions, la der-
nière écarte tous les inconvéniens que Ton pourroit trouver à permettre
l'élection dans toutes les classes de la société; car la plus sûre garantie
de la confiance publique, c'est le suffrage de la majorité des citoyens;
et quelles que soient les classes de propriétaires que vous veuillez
distinguer, quelles que soient les conditions pécuniaires que vous veuillez
exiger, il est évident que la circonstance qu'un homme possède tant
de propriété, que la circonstance qu'un tel homme paye tant d'imposi-
tion, n'est point un garant aussi certain ni de ses lumières, ni de la
droiture, ni de son incorruptibilité, que le suffrage de ses concitoyens;
et moins cet homme sera fortuné et moins il aura de ces moyens qui
subjuguent les suffrages et qui éblouissent les yeux du public; ce sera
un garant certain au public de ses talens et de ses vertus.
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66 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Je conclus donc, messieurs, 1 ° que tous les citoyens doivent
avoir la faculté d'être élus aux fonctions de juré; 2° que les électeurs
du peuple doivent élire seuls ceux qui doivent être élus aux fonctions
de jurés.
« En conséquence, je propose l'idée suivante : Je propose que
les électeurs de chaque district nomment tous les ans les 30 citoyens
qui doivent former la liste des jurés. Si les assemblées vous paroissent
devoir être trop longues, vous pouvez les diviser en sections. Dans
tous les cas, les incommodités, les longueurs ne peuvent jamais vous
appeller à sacrifier les intérêts de la liberté et les droits les plus
sacrés. Lorsqu'il se présentera des affaires dans les cas déterminés par
le Comité, on tirera au sort, sur les 30 sujets choisis par les électeurs,
ceux qui doivent composer le juré d'accusation. Le juré de jugement se
formera avec la même simplicité et sans qu'il soit besoin de procéder
à de nouvelles élections. On réunira dans une liste les jurés qui auront
été nommés par les districts et dans les époques aussi déterminées par
le Comité et voisines des momens où il faudra faire les procédures
criminelles Alors le président du tribunal tirera au sort pour nommer
les jurés » (5).
Journal de Paris, 8 février 1791, p. 159.
Le Point du Jour, t. XIX, n° 575, p. 71 (6).'
(( Nous avons annoncé l'opinion de M. de Roberspierre, la voici.
On y trouvera cet esprit indépendant qui veut ramener toutes les loix
sociales aux loix éternelles de l'égalité des droits naturels; le plus
grand mal seroit qu'il n'y eût pas des esprits de cette trempe : assez
d'autres savent plier la vérité à ces conventions artificielles que les
circonstances peuvent rendre inévitables, mais qui sont à la fois et un
nuage devant la raison, et une barrière devant ce modèle du Mieux
auquel il faut toujours tendre. » '
« Le Procureur-Syndic ne peut pas exercer le pouvoir de nommer
les Citoyens qui doivent décider du sort des accusés. C'est violer tous
les principes de la liberté d'abandonner ce pouvoir à un seul homme ;
c'est, violer tous les principes de la Constitution, de cumuler, dans les
mêmes mains, et les fonctions administratives, et le pouvoir d'élire ceux
qui doivent exercer l'autorité de la société. Ce pouvoir n'appartient
qu'à celui de qui émane toute autorité, au Souverain, au Peuple
<5) Texte reproduit dans Les Arch. pari., XXII, 760. En compa-
rant ce texte avec le discours imprimé, on verra que Robespierre
n'en a utilisé que trois paragraphes. D'autre part, le ton général
d > son intervention est nettement moins violent que celui des passa-
ges correspondants du discours imprimé. Qu'il en ait eu le texte
sous les yeux, c'est probable ; mais tous les extraits de presse s'accor
dent pour montrer qu'il ne l'a pas lu.
(6) Le Point du Jour ne reproduit pas le 1er §, que cite E. Haine 1,
1, 364, note 1.
LES DISCOURS DE .ROBESPIERRE 67
« Ce suffrage du Peuple est la seule qualité qu'il soit permis
d'exiger pour être appelle aux fonctions de Juré. C'est un crime de le
gêner en aucune manière. Qu'est-ce que la garantie d'une certaine
quantité de revenu ? Qu'est-ce que la caution de la richesse auprès
de la confiance du Peuple ? Quel rapport entre la richesse et la vertu,
entre les avantages de la fortune et l'amour de la liberté et de l'égalité ?
Non-seulement le système du Comité et du Préopinant outrage la raison,
la justice, l'humanité, mais il anéantit le caractère essentiel du Juré,
qui est que l'accusé soit jugé par ses Pairs; il divise la Nation en
deux sections, dont l'une, qui sera la plus riche et la moins nombreuse,
sera destinée à juger, et l'autre à être jugée; dont l'une sera élevée
au-dessus de l'autre, de toute la distance qui existe entre la puissance
politique et judiciaire, et la nullité, la sujettion, ou, si l'on veut, la
servitude : enfin ce système avilit et opprime à la fois le Peuple Fran-
çois que vous représentez.
« Mon avis est que tous les Citoyens puissent être choisis par le
Peuple, pour exercer les fonctions de Jurés, sans autre condition que
la confiance du Peuple.
« Les élections se feront tous les ans dans chaque District.
« Il sera formé une liste de tous les Elus; et lorsqu'il se présentera
des adversaires, aux époques indiquées par le Comité, on tirera au
sort, sur cette liste, le nombre de Jurés nécessaires pour former, soit
le Juré d'accusation, soit le Juré de jugement. » »
Assemblée nationale et Commune de Paris (imitât.), n° 546, p. 5.
« M. Péthion a le premier pris la parole sur ces articles pour les
combattre; comme M. Robespierre, qui les a également combattu, n'a
fait que développer en d'autres termes l'opinion du premier opinant,
je les ferai parler ensemble; ils ont soutenu d'abord que la condition
d'éligibilité exigée par les comités contrarioit formellement les prin-
cipes d'égalité auxquels l'assemblée avoit constamment cherché à rame-
ner tous les citoyens; pourquoi donc humilier sans cesse la majorité
de la nation, en l'excluant des fonctions de la société, sous prétexte
de défaut de fortune. L'inégalité des richesses, la plus pernicieuse de
toute, ne doit pas produire aux yeux des législateurs l'inégalité des
droits; prenez garde qu'en confiant la fonction si importante des jurés
aux seuls riches, vous ne livriez le sort de l'accusé au plus affreux
arbitraire; songez qu'en n'appellant que des citoyens élevés par leur
fortune, vous violeriez le principe de l'institution sainte du juré qui
veut que l'on soit jugé par ses pairs. Tous les citoyens actifs doivent
pouvoir participer à cette fonction, et certes il n'y a nul inconvénient
à les admettre à l'inscription sur la liste, car vous pouvez être certain
que le choix se fixera toujours sur ceux qui mériteront le mieux la
confiance ; ce seroit donc humilier sans raison et sans fruit cette rnajo-
68 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
rite précieuse de citoyens chez lesquels se trouvent le plus ordinaire-
ment les véritables vertus sociales. Conformément à ces principes, les
opinans concluoient à ce que tous les citoyens actifs fussent appelés
à se faire inscrire sur la liste de ceux qui pourroient former le juré
d'accusation.
« A l'égard du choix des jurés, MM. Péthion et Robespierre
trouvoient de grands inconvéniens à le laisser à l'arbitraire du procu-
reur-syndic de chaque district : « Ce choix, disoient-ils, violeroit évi-
demment le droit de celui de qui émanent toutes les autorités, celui
en qui réside toute la souveraineté, c'est-à-dire, le peuple; à lui seul,
peut appartenir l'élection des fonctionnaires publics; combien sur-tout
dans des temps de révolution qui enfante des partis, des factions, ne
seroit-il pas dangereux de confier le choix des jurés à un seul homme
qui l 'appliquerait infailliblement suivant qu'il seroit attaché à te! ou
tel parti ? ». Sur ce second objet les deux opinans concluoient à ce
que les électeurs de district fissent tous les ans le choix des jurés, parmi
lesquels seraient ensuite tirés au sort ceux qui devroient composer le
juré d'accusation. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n" 37, p. 151.
« M. Roberspierre. Si la liste des jurés devait être dressée par
un seul homme, sous le prétexte qu'il agit sous les regards de ses
concitoyens, nous devrions aussi confier à un seul homme toutes les
fonctions publiques, toutes les élections. Doit-on confier la liste au
procureur-général-syndic ? Cette délégation serait contraire aux prin-
cipes de la constitution. Les administrateurs ne peuvent étendre leurs
pouvoirs au-delà de leurs fonctions. Cette tendance à accumuler tous
les pouvoirs sur les directoires, pourrait bien les rendre aussi redou-
tables que l'étaient les corps judiciaires que vous avez détruits. C'est
sur-tout dans des tems de révolutions et de factions que rien n'est plus
dangereux que de mettre entre les mains d'un seul homme des choix
que peut diriger l'esprit de partialité. Il ne faut pas que les factions
connues sous les noms de démocrates, aristocrates et impartiaux, puis-
sent, sous le voile de la justice, se faire une guerre secrète, aussi
lâche que dangereuse.
« C'est d'après ces principes que je propose que tout citoyen
puisse être admis à exercer les fonctions de juré. La restriction qu'on
vous propose est contraire à tout principe, aux conditions du contrat
social, à la qualité la plus essentielle du juré, qui 'consiste en ce que
l'accusé soit jugé par ses pairs. Or, il est évident que votre Comité
propose de diviser les citoyens en deux sections, dont l'une est desti-
née à juger, et l'autre à être jugée; la première aura toute l'influence
que donne l'autorité judiciaire, tandis que l'autre sera condamnée à une
nullité absolue. La plus sûre de toutes les garanties que !a société
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 69
puisse exiger d'un citoyen qui exerce une fonction en son nom, c'est
la confiance publique. Je conclus: 1 ° à ce que tout citoyen puisse
être élu juré; 2° à ce que la liste des jurés soit formée par les élec-
teurs de chaque district »{7).
Journal des Débats, t. XVII, n° 606, p. 5.
« Faut-il, a dit M. Robespierre, que les Jurés soient choisis par
le Procureur Syndic du District, ou par celui du Département ? Est-il
vrai qu'il faille abandonner ce choix à un seul homme ? Si cela étoit
vrai, il faudroit confier à un seul homme l'élection pour les fonctions
publiques les plus importantes, et ordonner que les législateurs mêmes
fussent élus par lui, parce que l'importance de son ministère, en fixant
l'attention publique sur lui, le rendroit infiniment circonspect.
« Cet homme doit-il être le Procureur Syndic du District ou du
Département ? D'abord les dépositaires des fonctions administratives
peuvent-ils remplir aussi les fonctions électives ?
a J'observe que cette tendance à accorder tant d'autorités aux
Administrateurs pourroit former des pouvoirs divers formidables à l'ave-
nir pour la liberté.
« A qui appartient le droit d'élire les fonctionnaires publics tels
que les Jurés ? A celui de qui émanent toutes les autorités : 'es fonc-
tionnaires publics doivent être choisis par le Souverain, c'est-à-dire
par le Peuple.
« C'est sur-tout dans des tems de révolution que ce principe doit
être observé, car rien n'est plus dangereux que de placer dans un seul
homme le droit de choisir les fonctionnaires publics. Il ne faut pas que
ces factions connues sous le nom d'aristocrates, démocrates ou impar-
tiaux, puissent se faire sourdement une guerre si lâche et si cruelle;
et cela arnveroit infailliblement, car rien ne seroit plus facile à un
Procureur Syndic que de choisir trente Citoyens qui auroient adopté
ses principes, et quels inconvéniens ne résulteroit-il pas d'un semblable
choix ? Ainsi donc, soit que nous considérions les principes, soit que
nous ayons égard aux circonstances de la Révolution, nous ne pouvons
pas confier à un seul homme, revêtu des fonctions administratives, le
droit d'élire les Jurés.
« Ce droit appartient au Peuple ; et ceci me conduit à la seconde
question qui vous est soumise.
« Quelles seront les qualités nécessaires pour remplir les fonctions
de Jurés ? Je réclame l'égalité des droits, qui est la base du contrat
social, et la faculté de chaque Citoyen d'être jugé par ses Pairs. Si
vous attachez à une certaine quantité de propriétés le droit d'être Juré;
(7) Texte reproduit dans le Moniteur. VTT, 311; et dans Bûchez
et Roux, VTI, 454.
70 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
il n'y aura plus d'égalité; car les Citoyens seront divisés en deux
sections : l'une sera Juge et l'autre sera jugée. Je conclus donc en
général, que tous les Citoyens doivent avoir le droit d'être élus par le
Peuple à la place de Juré. »
L'Ami du Roi (Royou), n° 255, p. 1.
« MM. Péthion et Robespierre se sont élevés avec toute l'énergie
du zèle populaire contre le projet du comité. Ils n'ont pas eu de peine
à démontrer que ce plan étoit en contradiction avec les premiers éléi
mens de la constitution, avec les droits de l'homme. Ils ont crié, crié
à tue-tête, à l'égalité, à l'admissibilité de tous les citoyens aux emplois
indistinctement; ils ont déclamé chaudement contre l'aristocratie des
richesses, contre l'inégalité des fortunes, qui décidoit de celle des
droits; ils ont menacé de voir tous les abus de l'ancien régime renaître,
si le dernier des citoyens n'avoit pas droit de s'asseoir sur les fleurs
de lys, et de disposer de la vie de ses semblables. On a beaucoup ri
de ces déclamations populaires, dont la saison est passée; mais on
n'y a pas fait attention. Cependant il faut louer, du moins, la bonne
foi de ces deux orateurs du peuple. S'ils ne sont pas bons politiques,
ils paraissent du moins bons logiciens et conséquens, en cette occa-
sion. »
Journal du Soir (Beaulieu), 1791, n° 36, p. 3.
Le Législateur français, 6 février 1791, p. 5.
« M. de Robertspierre a professé des principes bien différens de
ceux développés par M de Cazalès. 11 a pensé d'abord que les direc-
toires des corps administratifs n'avoient déjà que trop de tendance à
atteindre à une autorité au-dessus de celle qui leur a été déléguée, pour
que l'assemblée dût leur confier des fonctions desquelles dépend l'exer-
cice le plus sacré de la liberté : cette nouvelle espèce d'aristocratie
ne seroit pas moins funeste, suivant M. de Robertspierre, que celle
que la révolution a proscrite.
« Au surplus, c'est le jugement par nos pairs, disoit l'orateur, que
l'assemblée nationale a voulu nous donner en décrétant la procédure
par jurés ; serons nous jugés par nos pairs, lorsque nos juges seront
choisis parmi ceux que leurs richesses, leur influence dans la société,
tiennent de nous à une distance si éloignée ? Ces considérations ont
amené l'orateur à conclure que les jurés fussent choisis tous les ans
par les électeurs de départements parmi tous les citoyens éligibles. »
Journal universel, t. IX, p. 3522.
Victoire remportée par MM. Pethion et Robespierre sur Caza-
lès et Malouet, demandant le marc d'argent pour être élevés à la
dignité des jurés.
« On a discuté ensuite les qualités requises poar être jurés
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 71
MM. Malouet et Cazalès voulaient (aire revivre le marc d'argent en
demandant que pour être élu à cette dignité, un juré payât au moins
50 livres à l'état ; MM. Pethion et Robespierre ont combattu avec
succès cette demande ridicule et l'article premier sur la formation
du juré d'accusation a été ainsi décrété... »
Courier de Provence, t. XIII, n° 253, p. 77.
« Aux principes généraux invoqués par M. Pétion, en faveur de
l'égalité des droits, M. Robespierre a ajouté des réflexions pour
démontrer combien il seroit contraire au système d'une constitution
populaire, que le choix des jurés fût fait par un seul homme. On lui
répondit que cet officier public agiroit en présence de ses concitoyens.
Eh bien ! a-t-il répondu, sous ce prétexte, il n'est plus besoin d'élec-
tions, et toutes les nominations peuvent être confiées à un seul homme,
qui agira sous les yeux de ses concitoyens. Le ridicule que cet argument
a répandu sur le projet du comité a servi à le modifier. »
[Brève mention de cette intervention dans Les Annales patrio-
tiques et littéraires, n° 402, p. 101 1 ; Le Journal de Normandie, n° 37,
p. 181; Le Courier Français, n° 37, p. 291; La Gazette universelle,
n° 37, p. 148.1
3" intervention : Sur l'admission des ecclésiastiques
dans les jurys de jugement
L'Assemblée vote les trois premiers articles du titre XI du projet
de décret sur la réortganisation de la justice criminelle (« De la
manière de former le juré de jugement »). Duport, rapporteur,
donne lecture de l'art. 4: « Ne pourront être jurés les officiers de
police, les juges, les commissaires du roi, l'accusateur 'public, les
.procureurs-généraux-syndics des administrations, ainsi que tous les
citoyens qui ne so^nt pas portés sur la liste des éligibles ; les ecclé-
siastiques et les septuagénaires en sont dispensés. » Prieur propose
de substituer à cette dernière formule: « Pourront s'en dispenser »,
mais l'abbé Maury combat cet amendement en faisant remarquer
que l'Eglise a exeiu les ecclésiastiques sous peine d'irrégularité, de
concourir à un jugement qui portait peine de mort; c'est pour cela
que les conseillers-clercs ne siégeaient point à la Tournelle.
Après un court débat où intervint Robespierre, l'Assemblée
pdopta l'art. 4 avec l'amendement de Prieur.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXI, p. 122
« M. Robespierre. Je demande la question préalable sur l'amen-
dement. Je soutiens que tous les devoirs de citoyen conviennent aux
ecclésiastiques au moins autant qu'aux autres citoyens. Il est certain
qu'exercer les fonctions de juré, ce n'est pas exercer une fonction
sanguinaire, que c'est exercer une vertu civile (on applaudit à gauche),
que c'est exercer véritablement un acte de bienfaisance et de miséri-
72 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
corde; car tout ce qui terni au bien public, toute fonction qui a pour
but l'utilité est une fonction bienfaisante. (On murmure à droite). La
cruauté, messieurs, consiste, suivant les principes de la morale et de la
politique, à épargner le coupable. La véritable religion consiste à punir,
pour le bonheur de tous, ceux qui troublent la société. La motion de
M. l'abbé Maury n'est fondée ni sur la morale, ni sur la religion, mais
sur un préjugé qui n'est pas digne de notre législation nouvelle. (On
applaudit) » (8).
Le Patriote françois, n° 546, p. 146.
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n° 212, p. 3.
« M. Robespierre : L'emploi des jurés est un ministère de bien-
faisance; la proposition de M. Maury n'est fondée ni sur la religion,
ni sur la morale; elle ne l'est que sur un usage abusif. »
Le Point du Jour, t. XIX, n° 575, p. 73.
« M. Robespierre a soutenu qu'il y avoit des principes de charité
et de bienfaisance universelle qui doivent porter tous les citovens à se
secourir et à remplir les fonctions publiques. I! a demandé la question
préalable sur l'amendement. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal de Paris,
8 février 1791, p. 160; et Le Journal des Débats, t. XVII, n° 606,
P- 7.]
(8) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIT, 763.
217. — SEANCE DU 8 FEVRIER 1791
Sur le siège de la Haute Cour nationale
Le Chapelier, au nom du Comité de Constitution, présente à
l'Assemblée son rapport sur la formation de la Haute Cour natio-
nale (1). Les cinq premiers articles du projet de décret sont rapide-
ment votés. Une discussion s'instaure au sujet de l'art. 6: « L'Assem-
blée nationale se réunira, à une distance de quinze lieues au moins
du lieu où la législature tiendra ses séances. Le corps législatif indi-
quera la ville où la Haute Cour nationale s'assemblera. »
Robespierre demande que la Haute Cour siège dans le même
lieu que le corps législatif. Son opinion est combattue par d'André.
(1) Il s'agit de créer une juridiction exceptionnelle pour les
crimes de ilèse-nation, dont il avait été question dès juillet 1789.
(Cf. Discours, lre partie, p. 48). Comme le dit Marat, les partisans
d'un pareil tribunal voulaient le tenir sous leur surveillance afin
que la pression de l'opinion révolutionnaire l'empêchât de pro-
longer la procédure et de se montrer indulgent. C'est évidemment
ausiai l'avis de Robespierre. En fait, la Haute Cour fut installée à
Orléans et ce qu'ils redoutaient se produisit.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 73
L'Assemblée décida qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur
l'amendement proposé par Robespierre, et décréta l'art. 6.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logo graphique, t. XXI, p 178.
« M. Robespierre. Je crois, Messieurs, qu'au contraire la haute-
cour nationale devroit siéger dans la même ville que le corps législatif
(on murmure). Par la nature de ses fonctions, la cour nationale aura à
prononcer sur le sort de personnages puissans, parce que ce ne sont
pas les citoyens faibles qui conspirent contre la liberté. Ce tribunal
aura donc besoin d'un grand courage et d'une grande énergie; et, pour
cela, il faut l'environner d'une grande masse d'opinion publique; or,
c'est dans les grandes villes que l'opinion publique exerce tout son
empire; et c'est dans la plus grande ville du royaume que siège le
corps législatif. Il y a donc une raison sans réplique, puisée dans les
fonctions mêmes de la haute cour nationale, pour placer ses séances
près du Corps législatif : remarquez, Messieurs, qu'en la reléguant à
quinze lieues, vous ne la mettez pas à l'abri de la corruption des per-
sonnages intéressés à la corrompre, puisqu'elle peut l'atteindre par-
tout : mais vous l'éloignez du centre de l'opinion publique, nécessaire
pour former le contre-poids à ce danger éminent de la corruption. Je
conclus que la cour nationale doit siéger dans la Capitale avec le corps
législatif » (2).
Courier de Provence, t XIII, n° 254, p. 99.
« Toujours ardent à saisir ce qui peut assurer la liberté publique,
et par conséquent la punition des crimes de lèze-nation, M. Robes-
pierre a soutenu que la haute-cour nationale devait siéger dans le
même lieu que la législature :
[Suit le texte du Journal des Etats Généraux.]
L'Ami du Roi (Royou), n° 266, p. 4.
« Cependant M. Robespierre a prétendu qu'il falloit environner
la haute cour nationale de l'opinion publique; qu'elle devoit agir et
juger sous les yeux même du corps législatif, dans la crainte que les
grands conspirateurs ne pussent la corrompre. Et ce qui prouve l'éten-
due des lumières politiques et des connoissances de M. Robespierre,
c'est que M. d'André s'est servi des mêmes raisons pour demander
le contraire; comme lui, il a vu, dans l'opinion publique, le plus sûr
garant de l'intégrité des juges. »
(2) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIII, 46.
74 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Journal du Soir (Beaulieu), 1791, n° 39, p. 3.
« M. de Robertspierre s'est élevé avec force contre cette dispo-
sition qui, selon lui, tend à priver la haute cour nationale des lumières
de l'esprit public, qu'elle ne pourrait trouver avec avantage que dans
la capitale.
« Les fonctions de la haute cour nationale, disoit-il, sont de la
plus haute importance; il ne paraîtra devant ce tribunal que des grands
criminels, qui auront toujours de grands moyens d'éluder la loi, les
hommes ordinaires ne se trouveront jamais à la tête d'une conspira-
tion. C'est donc contre la corruption qu'il faut s'armer. On ne peut
obtenir ce but qu'en environnant ce tribunal de toute la force de
l'opinion publique, qui seule peut former et entretenir son énergie, son
courage et son incorruptibilité. Les intrigues de la séduction l'ébran-
lerant souvent, si on ne lui donne toute la consistance, toute la fermeté
qui lui convient.
« L'opinant a terminé en demandant que la haute cour nationale
ne puisse tenir séance ailleurs, qu'où siégeront les législateurs. »
L'Ami du Peuple (Marat), t. IV, n° 367, p. 2.
« Le fidèle Robespierre est le seul orateur patriote qui se soit
élevé contre cette clause redoutable, comme il l'avait fait lors de la
première lecture du projet : il a fait sentir qu'elle tendait à priver ce
tribunal des lumières de l'esprit public, qu'il ne peut trouver que dans
la Capitale. Comme les fonctions de la haute-cour sont de la plus haute
importance, il ne paraîtra devant ce tribunal que des grands criminels,
qui auront toujours des grands moyens d'éluder la loi : les hommes
ordinaires ne se trouveront jamais à la tête d'une conspiration. C'est
donc contre la corruption qu'il faut s'armer. On ne peut obtenir ce
but qu'en environnant ce tribunal de toute la force de l'opinion publi-
que, qui seule peut former et entretenir son énergie, son courage et
son incorruptibilité. Les intrigues et la séduction l'ébranleront souvent,
si on ne lui donne toute la consistance, toute la fermeté qui lui con-
vient. Et il a conclu en demandant que la haute cour nationale ne
puisse tenir séances ailleurs, qu'où siégeront les législateurs » (3).
(3) Marat commente en ces termes le refus de l'Assemblée (p.
24) : « D'après cela on conçoit que les ennemis de la révolution domi-
nant dans le sénat, l'opinion du traître d'André a dû l'emporter sur
les réclamations du patriote Roberspierre. Mais se peut-il que Bar-
nave, les Lameth, Pethion, Menou, Crancé, Duport, Reuhel, etc.,
et tous les autres qui veulent passer pour nos fidèles représentans,
ayent gardé un stupide silence. Ah! n'en doutez point, ils sont
vendus, s'ils ne sont pa;s les plus lâches des hommes, ils croyent la
liberté perdue: ils ne veulent pas se faire anathème pour la patrie,
et s'exposer aux vengea-nces secrètes de La cour. Mais ils seront
trompés dans leur calcul, la liberté ne sera point perdue, et leur
lâche, silence n'aura fait qu'afficher leur manque de vertu. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 75
Journal de Normandie, n° 40, p. 193.
<< M. Roberspierre. La haute-cour nationale est un tribunal qui
aura besoin de déployer la plus grande énergie el se montrer de la
manière la plus imposante : il aura donc besoin d'être environné et sou-
tenu fortement par l'opinion publique. Or, pour avoir cet avantage, il
faut qu'il soit placé auprès du corps législatif; qu'il siège dans une
grande ville où l'opinion publique ou les lumières agissent avec plus
■de force et de prépondérance. Ainsi je demande que la haute cour
nationale soit placée auprès du corps législatif. »
Le Patriote François, n° 550, p. 157.
« Dans le projet, on fait de l'assemblée nationale le juré d'accu-
sation. M. Robespierre vouloit plus; il vouloit qu'elle jugeât défini-
tivement le crime. Quant un corps législatif ne compose qu'une seule
chambre, il ne peut avoir un pareil pouvoir. La liberté seroit dans le
plus grand danger; une faction pourroit y faire couper les têtes qui lui
déplairoient, aussi facilement qu'elle fait fermer une discussion sans
l'ouvrir.
« Enfin l'article 6 portoit que la haute-cour nationale ne siégeroit
qu'à quinze heures au moins du corps législatif. M. Roberspierre vou-
loit qu'elle siégeât dans la capitale. Il faut, disoit-il, investir ce tribu-
nal de toute la puissance qui lui est nécessaire pour frapper des têtes
élevées, et des hommes puissans. »
L'Observateur François ou le Publiciste véridique, n° 11, p. 16.
« On passe à la formation de la haute-cour nationale. M. Roberts-
pierre demande qu'elle tienne toujours ses séances près de la législa-
ture et dans la capitale, parce qu'elle aura à juger de grands criminels,
et qu'il faut l'environner de l'opinion publique. Est-ce que l'opinion
publique n'existe pas à Paris? Pourquoi M. Robertspierre n'a-t-il pas
tout de suite demandé que la haute-cour nationale se tint aux Jaco-
bins. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 40, p." 163.
« M. Roberspierre. Je crois au contraire que la haute cour nafo-
nale devrait siéger dans le même lieu que le corps législatif. Elle aura
à prononcer sur le sort de personnes puissantes; car le faible ne cons-
pire pas, il faut donc qu'elle soit environnée d'une grande masse d opi-
nions publiques; contre-poids indispensable au danger éminent de la
corruption » (4).
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, VIT, 334 ; et dans Bûchez
et Roux, VITI, 458.
76 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Mercure de France, 19 février 1791, p. 193.
« Nous ne transcrirons pas les raisonnemens de M. Roberspierre
sur la nécessité d'établir la haute-cour à Paris « parce qu'une grande
masse d'opinion publique est un contre-poids indispensable au danger
imminent de la corruption » ; raisonnemens que M. d'André a si bien
rétorqués, que le côté gauche a murmuré de lui entendre dire que,
« l'opinion publique n'est trop souvent qu'une opinion populaire très-
dangereuse. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Point du Jour,
t. XIX, n° 578, p. 118; Le Journal des Débats, t. XVII, n° 609,
p. 7; La Feuille du Jour, t. II, n° 40, p. 314; Assemblée nationale
et Commune de Paris (imitât.), n° 550, p. 4.]
218. — SEANCE DU 12 FEVRIER 1791
Sur la perception des droits sur les eaux-de-vie
dans le département du pas-de-calais
La province d'Artois acquittait en partie les impôts royaux à
l"aidie du produit de droits sur les eaux-de-yie, perçus par une régie
intéressée. Les villes de l'Artois recevaient en outre une portion de
ce produit.
Les droits ayant été abaissés sous la pression de la révolution
populaire en juillet 1789, les régisseurs demandèrent une indemnité,
c'est-à-dire qu'on réduisît les versements prévus par le bail. Le
décret du 16 novembre 1790 suspendit les versements des régisseurs
du Département, successeur des Etats provinciaux, mais non ceux
des villes, et prescrivit au Département de régler l'indemnité avant
le 1er janvier 1791. La perception des droits d'octroi ayant été main-
tenue jusqu'à 'l'organisation du nouveau système d'impôts, l'Assem-
blée, le 27 janvier 1791, autorisa le Département à les augmenter.
Il répondit que cette mesure serait pleine d'inconvénients, le prix
des eaux-de-vie s'étant élevé au point de devenir déjà excessif.
Sur le rapport de Vernier, considérant les inconvénients qu'il y
aurait à augmenter ces droits, l'Assemblée décréta, le 12 février
1791, que la vente et le commerce des eaux-de-vie seraient libres dans
le département du Pas-de-Calais, sauf le paiement des droits qui
pourraient être établis au profit des villes dans la nouvelle organi-
sation fiscale, tjuant aux engagements contractés par la ci-devant
province d'Artois envers le trésor public, pour les années 1790 et
antérieures, ils devraient être acquittés. En conséquence, le bail de
la régie des droits et octrois fut résilié à compter du 20 février 1791.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXI, p. 269.
« M. Robespierre (1). J'observe à l'assemblée que les objec-
(T) Le Point du Jour (t. XIX, p. 185) cite seulement une inter-
Arention de Briois de Beaumetz qui demande l'ajournement de cette
mesure jusqu'après le décret devant être rendu sur les droits d'en-
trée dans les villes.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
77
tions de M Folle ville ont été discutées pendant plusieurs séances au
Comité des finances avec les députés du Pas-de-Calais et des députés
extraordinaires envoyés par cette province; qu'on n'a pas trouvé la
moindre solidité à ces objections, le moindre embarras pour faire face
aux engagements que la province d'Artois avait contractés avec le tré-
sor public, 1 ° parce qu'il est notoire que tous les ans la province
d'Artois avait en réserve dans son trésor des sommes d'économie qui
excédaient tous les ans ce qu'elle devait au trésor public, et qu'elle
se trouve déchargée des dépenses pour le militaire. »
« M. We Folleville. Pourquoi doit-elle?
« M. Robespierre. Les régisseurs conviennent eux-mêmes qu'il
leur est impossible de percevoir des droits contre la rigueur desquels
tous les citoyens réclament. Ces raisons ont déterminé le comité des
finances et les députés de ce pays à se réunir pour demander la sup-
pression de cet impôt » (2).
(2) Texte reproduit dans les Arcih. pari., XXIII, 141.
Société des Amis de la Constitution
219. — SEANCE DU 22 FEVRIER 1791 (1)
Sur les sanctions a prendre contre les membres
de la famille royale qui quitteraient la france
Le 19 février 1791, Mesdames, tantes du roi, avaient quitté le
château de Belle vue, pour se rendre à Rome. Arrêtées à plusieurs
reprises: à Moret et à Arnay-le-Duc, en Côte-d'Or, il fallut un ordre
spécial de l'Assemblée pour leur permettre de continuer leur route.
Ce départ provoqua une vive agitation dans toute la France, et
le 22, lorsque le Comte de Provence prétendit gagner Bellevue, il
fut arrêté par la foule et conduit aux Tuileries par la garde nationale
(2). On évoqua, le <soir même, ces faits à la tribune des Jacobins
où Robespierre prit la parole.
Le Creuset, t. I, n° 18, p. 358/59.
Rob
civisme !
espierre ! Honneur et salut à votre jugement et à votre
(1) Cette séance ne figure pas dans Àulard.
(2) Cf. Le Creuset, n° 18, p. 347-348. D'après ce journal, le prési-
dent des Jacobins se serait même rendu à la tête d'une délégation
de femmes, membres de la Société, le samedi soir au château de
Bellevue pour s'assurer des faits.
78 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« A la séance des Jacobins du 22 février, vous annonciez, avec
votre zèle, et votre candeur accoutumée, qu'il falloit que l'Assemblée
Nationale rendit un décret, par lequel il seroit de principe constitu-
tionnel, que les personnages de la dinastie actuelle, venant à s'absen-
ter, sans l'aveu et l'autorisation du peuple François, seroient censés, ou
avoir abdiqué la couronne, ou avoir résigné leurs droits à jamais de
la porter.
« Vous avez très sensément remarqué, que les femmes issues
ou alliées à la Maison Royale, ne pouvant jamais y prétendre, pour-
roient, sans conséquence, aller et venir où leur piété ou leurs caprices
pourraient les conduire.
« Béni soiez, sage Robespierre ! j'ai dit aussi l'équivalent de ces
choses, dans les divers mémoires qui m'ont été demandés de la part
de Louis premier. Attentif à s'approprier tout ce qui peut contribuer
à raffermir l'opinion prématurée, que les amateurs de rétorique ont
pris de son patriotisme, l'écolier Barnave a ramassé cette idée >< 0).
(3) Cf. G. Walter, p. 719, note.
220. — SEANCE DU 25 FEVRIER 1791
Sur la résidence du roi et de la famille royale
L'Assamblée entreprend la discussion du projet de loi sur la rési-
dence des fonctionnaires publics, déposé le 23, par Le Chapelier au
nom du Comité de constitution. Il la leur rendait obligatoire à peine
d'être réputés démissionnaires, ce qui leur interdisait implicitement
d'émigrer. Le roi « premier fonctionnaire public » devait résider à
portée de l'Assemblée ou, quand elle était séparée, dans toute autre
partie du royaume. L'héritier présomptif et, s'il était mineur, sa
mère et le plus proche suppléant majeur, ne pourraient sortir du
royaume sans la permission de l'Assemblée. Il n'était pas dit ce
qui arriverait du :roi s'il quittait la France, mais les membres de la
famille royale visés par le décret seraient censés, en pareil cas, avoir
renoncé à leurs droits de succession 'sans retour. Les autres parents
du roi restaient libres d'obligations autres que celles des simples
citoyens (1).
Barère, dans un discours très ferme, demanda qu'on stipulât
que le roi ne pût quitter le royaume sans permission de l'Assemblée
(1) Ce débat remit en lumière la notion de Constitution qui s'était
posée dès le mois de septembre 1789 (voir Discours, lre partie, p. 79
et 83). Le titre de premier fonctionnaire attribué au roi impliquait
que la constitution, tout en confirmant l'existence de la monarchie,
la recréait pourtant et la subordonnait à la volonté nationale. Les
violente-s protestations de la droite affirmaient qu'au contraire, elle
regardait la royauté comme antérieure et indépendante de la consti-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 79
et qu'il en allât de même pour tous les membres mâles de la famille
royale, même des branches collatérales, des femimes pouvant être
aussi retenues dans des cas critiques à déterminer par le Corps
législatif (2).
Un débat tumultueux suivit; les membres de la droite, Cazalès
et Duval d'Eprémesnil entre autres, s'élevant avec violence contre
le titre de fonctionnaire attribué au roi. Robespierre essaya en vain
'd'obtenir la parole. Mirabeau, hostile au fond à ce décret, appuya
.l'ajournement (3).
Le Patriote François, n° 567, p. 205.
« L'ami des principes, M. Robespierre, alloit donner une leçon
à son prédécesseur, lorsque M. Cazalès a paré le coup, en demandant
l'ajournement de la question. 11 faisoit un sophisme qui n'étoil pas si
gauche, et qui prouvoit combien on a eu tort de décréter l'inviolabilité
du roi. C'est un mot qui peut s'entendre dans dix sens; il falloit le
fixer en le décrétant. »
Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. X, n° 570, p. 2.
Courrier d'Avignon; 1791, n° 56, p. 222.
« La parole étoit à M. Robespierre, lorsque M. Cazalès a demandé
à faire une motion d'ordre. »
tution. Cazalès montra fort bien que, du décret, il fallait conclure
que le roi sériait déclaré déchu s'il sortait du royaume sans permis-
sion et Duval d'Eprémesnil déclara que le roi, « dans aucun cas,
même par l'effet de sa volonté, ne peut être soumis à un tribunal,
à une peine ». L'un et l'autre invoquaient l' inviolabilité, et les
patriotes, quelle que fût alors la réserve que certains d'entre eux
faisaient pour le cas de haute trahison, ne s'expliquèrent pas sur
ce point. 11 est donc regrettable que Robespierre n'ait pu parler. On
aimerait savoir ce qu'il en pensait alors.
(2) Cf. Le Point du Jour, t. XIX, p. 403.
(3) Cette discussion trouva dans les journaux contne-révolutkm-
naires de violents échos. L'Ami du Roi de Royou (n° 283, p. 2) entre
autres, écrit: « Et comme suivant l'article IV, le roi est un fonc-
tionnaire public toujours en activité, il s'ensuit que sans autorisa-
tion, il ine pourra se permettre aucun voyage; il sera comme le doge
de Gênes, à qui, lorsque sa magistrature expire, le sénat dit, votre
excellence est libre.
« Mais qui accordera au roi la permission de voyager? On n'a
pas osé le dire clairement. Mais on l'insinue assez par l'article III.
L'autorisation ou la dispense ne pourront être accordées AUX
FONCTIONNAIRES PUBLICS que par le corps dont ils sont mem-
bres, ou PAR LEURS (SUPERIEURS. Comme le roi n'est membre
d'aucun corps, il faut que le passeport et la permission de voyager
lui soient délivrés 'par des supérieurs. Mais quels sont donc ces supé-
rieurs? Ce n'est pas la nation entière; elle ne peut pas agir et
s'assembler en corps. C'est dune rassemblée nationale. Quoi!
MM. Chapelier, Barnave, Robespierre, Gouttes, etc., seroient, même
réunis, supérieurs au roi? Quoi! le chef de l'état auroit un supé-
rieur, du moins autre que la nation entière? »
80 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
221. — SEANCE DU 26 FEVRIER 1791 (soir)
Sur une indemnité en faveur de Latude
(L'un des secrétaires de l'Assemblée donne lecture d'une adresse
par laquelle Latude demande des secours, en raison du dénûment
où l'a réduit une détention de 33 ans à la Bastille (1).
Barnave propose que le comité des pensions fasse, dès le lundi
suivant, un rapport sur cette pétition, vu l'urgence des besoins de
Latude. Bouche demande qu'il soit dès à présent décrété en faveur
de Latude, une pension viagère de 50 louis. Robespierre intervient
à son tour.
L'Assemblée accorda la priorité à la motion de Barnave qui fut
adoptée; mais le 12 mars, elle refusa d'accorder à Latude l'indemnité
de 10.000 livres proposée par Camus, au nom du Comité des pen-
sions (2).
Journal des Débats, t. XVII, n° 631, p. 4.
« M. Robespierre a dit : soit que vous adoptiez la motion de
M. Bouche ou celle de M. Barnave, il n'en est pas moins important
de reconnoître le principe que tout homme qui a été long-temps la
victime du pouvoir arbitraire, qui a été persécuté par la Nation au
nom du despotisme, a, ainsi que tous ceux qui sont dans la même
hypothèse que lui, des droits à la justice et à la bienfaisance de la
Nation. Ce principe est sur-tout vrai pour M. Latude; on ne sauroit
trop tôt venir à son secours. Je demande que si vous n'adoptez pas la
motion de )M. Bouche, vous adoptiez au moins celle de M. Bar-
nave » (3).
(1) Cf. ci-dessous, séance de la Société des Amis de la Constitu-
tion du 13 mars 1791. En mai 1790, il avait fait présenter à l'Assem-
blée nationale le volume de ses Mémoires (Arch. na*t., C39).
(2) Le 25 février 1792, la Législative accorda un secours de 3.C
livres en sus de la pension qui lui avait été allouée en 1784.
(3) Texte reproduit dans les Arçh. pari., XXIII, 538.
222. — SEANCE DU 28 FEVRIER 1791
Sur le respect dû a la loi
Le Chapelier, au nom du comité de constitution, soucieux de
metttre fin aux désordres qui s'élèvent dans le royaume, propose
à l'Assemblée un décret « solennel qui pose les principes constitu-
tionnels de l'ordre ». L'Assemblée est invitée à déclarer comme prin-
cipes constitutionnels, un certain nombre d'articles en forme de
préambule à la loi sur la police des tribunaux :
« 1. La nation entière possédant seule la souveraineté qu'elle
n'exerce que par ses représentants, et qui ne peut être aliénée ni
divisée, aucun département, .aucun district, aucune commune, aucune
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 81
section du peuple ne participe à cette souveraineté, et tout citoyen
sans exception y est soumis.
« 2. ...Les fonctionnaires, à l'instant où ils sont élus, appar-
tiennent à la nation, sont indépendants de ceux qui les ont nommés
et ne sont responsables qu'à la loi, suivant l'ordre établi par la
constitution.
7. Toute invitation faite au peuple verbalement ou par écrit de
désobéir à la loi, de résister soit aux fonctionnaires publics, soit
aux dépositaires de la force agissant en vertu de réquisitions légales,
ou de les outrager, est un crime contre la constitution de l'Etat. »
Un vif débat s'engage sur ces propositions. Pétion, puis Robes-
pierre et Barnave, s'y opposent. Buzot propose que la loi sur la
police des tribunaux soit simplement précédée d'une instruction rédi-
gée en termes à la portée du peuple. Le Chapelier se rallie à la
proposition de Buzot.
L'Assemblée consultée chargea >son comité de constitution de
rédiger l'instruction proposée par Buzot (1).
Journal de la Noblesse, t. I, n° 11, p. 283.
« M. Robespierre a trouvé les principes du comité évidens pour
tout le monde; il a prouvé avec assez de clarté, tout en avouant cette
évidence, que chaque disposition cachoit un piège, et que le citoyen
seroit esclave et sans cesse exposé à des poursuites inconnues, même
dans les pays d'inquisition; M. Pethion .a proposé de se renfermer
dans la déclaration des droits, sans en rien perdre et sans en excéder
les limites :
a Déjà, a dit M. Robespierre, vous avez déclaré la souveraineté
de la nation, et la manière dont cette souveraineté doit s'exercer.
M. Péthion vous a dit que le préambule des décrets qui vous est pro-
posé attaque la souveraineté de la nation dans son principe, et, en
effet, sous le prétexte de dénoncer le principe, qu'à la nation seule
appartient la souveraineté, le comité va jusqu'à dire que les sections
de la nation ne participent pas à la souveraineté. S'il es* vrai que la
nation est composée de toutes ces sections, il est vrai de dire que toute
section, que tout individu même est membre du souverain; lorsqu'on
vous propose de répéter en termes équivoques les vérités que vous avez
déclarées d'une manière solennelle dans la déclaration des droits, n'est-
ce pas porter atteinte à la souveraineté même dont on prétend censurer
le principe.
« Commentant l'art. 7. Quelle étrange rédaction, a dit l'orateur!
On vous propose un article de cette importance en forme de préambule
à une loi sur la police des tribunaux, et l'on rédige en termes aussi
généraux, aussi vagues, une loi sur la liberté de la presse ! Ne voit-on
pas combien cette loi seroit funeste à la constitution ? Ne voit on pas
qu'elle seroit funeste à la liberté ? Des juges prévenus, partiaux, pour-
raient facilement trouver dans les expressions de cette loi les moyens
d'opprimer un écrivain patriote et courageux. Vous avez fait, lui dira-
(1) Cf. E. Hamel, I, 370.
h) rs ..'m:. • ii
82 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
t-on, une déclamation contre la loi, vous avez fait des réflexions si
amères qu'elles ont dû naturellement exciter à la révolte, vous ouvrez
la porte à l'arbitraire, vous préparez la destruction de la liberté de la
presse... Une loi qui intéresse aussi essentiellement la liberté publique
et individuelle mérite une discussion solemnelle, et m'autorise à con-
clure à ce qu'elle ne soit pas perdue, et à ce qu'elle soit ajournée. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 60, p. 242-243
Courier de Provence, t. XIII, p. 281 (2).
« M. Roberspierre. Je prends la parole, parce que je crois très-
utile d'épargner à l'Assemblée une discussion nécessairement abstraite
et épineuse. Déjà vous avez déclaré la souveraineté de la nation, et
la manière dont cette souveraineté doit s'exercer. J'ai entendu dire
que le préopinant n'avait dit que des mots, mais ces mots exprimaient
des choses. On vous a dit que le préambule de décret qui vous est
proposé, attaque la souveraineté de la nation dans son principe et en
effet sous le prétexte d'énoncer le principe qu'à la nation seule appar-
tient la souveraineté, on va jusqu'à dire que les sections de îa nation ne
participent pas à la souveraineté. S'il est vrai que la nation est com-
posée de toutes ces sections, il est vrai de dire que toute section, que
tout individu même est membre du souverain; lorsqu'on vous propose
de répéter en termes équivoques les vérités que vous avez déclarées
d'une manière solennelle dans la déclaration des droits, n'est-ce pas
porter atteinte à la souveraineté même dont on prétend consacrer le
principe ?.. Je ne me traînerai pas sur tous les articles qui vous sont
proposés, pour démontrer le vice de leur rédaction.
« Je passe tout de suite au septième qui me paraît !e plus impor-
tant. Toute invitation faite au peuple pour l'exciter à désobéir à la
loi, est un crime contre la constitution. Quelle étrange rédaction! et
l'on nous propose un article de cette importance en forme de préam-
bule à une loi sur la police des tribunaux ? Et l'on rédige en termes
aussi généraux, aussi vagues, une loi sur la liberté de la presse ? Ne
voit-on pas combien une pareille loi serait funeste à la constitution ?
Ne voit-on pas qu'elle serait destructive de la liberté ? Ne voyons-
nous pas que des juges prévenus, partiaux, pourraient facilement trouver
dans les expressions de cette loi, les moyens d'opprimer un écrivain
patriote et courageux ? Vous avez fait, lui dirait-on, une déclaration
si véhémente contre la loi, vous avez fait des réflexions si amères
qu'elles ont dû naturellement exciter à la révolte. Vous voyez que
par cette loi, vous ouvrez la porte à l'arbitraire; que vous préparez
la destruction de la liberté de la presse. Je n'entrerai pas dans des
détails ultérieurs. Il me suffit d'observer qu'une loi sur la presse, une
(2) La feuille de Mirabeau ne reproduit que le passage suivant;
<( Quelle étrapge rédaction... exciter à la révolte ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 83
loi qui intéresse aussi essentiellement la liberté publique et indivi-
duelle, mérite une discussion solennelle, pour que je puisse en con-
clure qu'elle ne doit pas être insérée dans le préambule d'un règlement
particulier, et pour que je sois autorisé à en demander l'ajournement
(Il s'élève quelques applaudissemens) » (3).
Journal de Normandie, n° 60, p. 285.
Tel est le préambule de la loi : il a excité beaucoup de récla-
mations. Il a été vivement attaqué par MM. Pethion, Barnave, Robers-
pierre et Ruzot.
...M. Robespierre: « Le paragraphe 7 est souverainement dan-
gereux: il tendrait à nous ôter le palladium de notre constitution, la
liberté de la presse. Je sais qu'il faut des lois qui en répriment les
délits; mais jusqu'à ce que ces lois soient faites, gardons-nous de
fournir à nos ennemis prétexte d'abuser de principes mal développés.
Le Spectateur national, n° 91, p. 391.
« Mais ces principes, celui surtout qui établit que la nation entière
possède seule la souveraineté; que cette souveraineté ne peut être
exercée que par ses représentans ; qu'aucun département, aucun district,
aucune commune, aucune section du peuple ne peuvent y participer;
ce principe, disons-nous, a été vivement combattu par MM. Pethion
et Robespierre. Ces prédicateurs de l'anarchie, qui à force d'égarer
le peuple, sont enfin parvenus à briser en lui tous les liens de l'obéis-
sance, n'ont pu, malgré leurs efforts, empêcher que cette maxime
salutaire n'ait été adoptée. »
Courrier des Français, n° 1 , p. 6.
« M. Roberspierre a fait observer que l'article cinquième portait
atteinte à la liberté de la presse, qu'il regarde à si juste titre comme
le palladium de la liberté. MM. Barnave, Lepaux (4) et Pethyon se
sont réunis pour décider le rejet du préambule du projet de décret. »
Courrier extraordinaire, 1er mars 1791, p. 3.
« La discussion s'est ouverte sur l'admission ou le rejet de ce
préambule MM. Pethion, Roberspierre, le Paux et Barnave ont
invité le comité à le retirer. « L'assemblée nationale, ont-ils dit, doit
se borner à décréter des loix constitutionnelles ou réglementaires; mais
elle doit éviter de se jetter dans des déclarations trop vague? qui ne
seroient pas des loix et qui seroient des bases au pouvoir arbitraire,
(3) Texte reproduit dans le Moniteur, VIT, 50Î ; et les Arch. pari.,
XXITI, 561.
(4) LareveIlière-(LepeaUx, député du tiers état dé La sénéchaussée
<TAngerB.
84 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
l'articie IV seroit destructif de la liberté de la presse. Cet article
enleveroit le palladium de la liberté. »
Assemblée nationale et Commune de Paris (imitât.), n° 570, p 3
« MM. Péthion, Robespierre et Lepaux ont combattu le préam-
bule, en soutenant qu'il y auroit de très-grands inconvéniens de faire
précéder les loix de déclarations vagues et qui prêteraient beaucoup à
l'arbitraire; ils ont, à cet égard, particulièrement fixé l'attention de
l'assemblée sur le 7( paragraphe du préambule, auquel ils ont reproché
de présenter l'idée qu'aucun citoyen ne pourroit jouir du droit d'écrire
sur une loi et d'en démontrer le vice, sans s'exposer à être arbitraire-
ment regardé comme un séditieux et un ennemi de la constitution de
l'état. »
Le Patriote François, n' 570, p. 218.
« Cet article ressuscitoit obliquement cette fameuse loi contre
la liberté de la presse, proscrite par le cri public. Il est évident que
les réflexions contre de mauvaises lois auroient bientôt été travesties
en invitations à désobéir à la loi; aussi M. Pétion et Robespierre se
sont-ils élevés avec force contre cet article; ils ont été secondés par
MM. Barnave et Lepaux. »
L'Ami du Roi (Royou), n° 286, p. 2.
a On a craint, avec raison, qu'il ne prît envie à cette foule de
souverains, créés par M. Péthion, d'exercer leur souveraineté, et qu'il
n'en résultât une horrible confusion. Cette défaveur n'a pu refroidit
la popularité de M. Robespierre, qui a plaidé avec plus de force
encore, la cause de la licence et de l'anarchie. »
Journal de Louis XVI et de son peuple, t. II, n° 43.
« M. Le Chapelier fait au nom du comité de constitution, le rap-
port d'un projet de décret sur le respect de la loi. Les Péthion, Robes-
pierre et le fanfaron Barnave le combattent. Ces MM ne voulaient
pas que l'invitation faite au peuple de désobéir à la loi fut un crime.
A ce trait on les reconnaît parfaitement. »
[Brève mention de cette intervention dans Assemblée nationale,
corps administratifs (Perlet), t. X, n° 573, p. 3; Le Lendemain, t. II,
n" 60, p. 733; L'Observateur François, n° 8, p. 61 ; Le Mercure de
Fronce, 12 mars 1791, p. 108; Le Journal des Débats, t. XVII,
n° 632, p 5; Le Mercure national et Révolutions de l'Europe, t. II,
n° 16, p. 202; Les Annales vniverselles , 1er mars 1791, p. 525;
Assemblée nationale (Beaulieu), V mars 1791, p. 3; Le Point du
Jour, t. XIX, n° 598, p. 443; La Gazette universelle, n° 60, p 239.]
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 85
223. ~ SEANCE DU 28 FEVRIER 1791 {suite)
Sur le secret de la correspondance
Au cours du débat sur le préambule à la lui atfï la police des
tribunaux, plusieurs paquets ont été remis sur le bureau du prési-
dent de l'Assemblée nationale; ils sont contre-signes Assemblée natio-
u île. L'un des paquets s'étant ouvert, les commissaires de la poste
ont constaté qu'il contient des papiers anti-patriotiques (1).
l'i court débat s'engage où sont invoqués les principes de la
liberté de la presse et du secret de la correspondance (2).
L'Assemblée nationale décida que les paquets seraient renvoyés
à la poste, pour qu'ils puissent parvenir à leurs destinataires.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXII, p. 126.
« M Robespierre. Il serait d'un bien dangereux exemple que
sous le prétexte d'un envoi qui a pour objet des écrits aristocratiques,
ou anti-patriotiques, comme on voudra' les nommer, on se permette
de violer le secret des lettres; et certainement si l'on arrête à la poste
des écrits aristocratiques, il n'y a aucune raison pour n'y pas arrêter
des écrits patriotiques. Je demande que les paquets soient renvoyés au
dépôt qui les a reçus » (3).
Journal de Paris, 1er mars 1791, p. 243. »
M. de Roberspierre s'est levé à l'instant. « Comment sait-on,
a-t-il dit, que ce sont des écrits contre l'Assemblée Nationale ? On a
donc violé le sceau des cachets } C'est un attentat contre la foi publi-
que : il faut que ces paquets soient remis à la poste, et qu'ils arrivent
à leur destination. Comme ce n'était pas ici une question d'opinion,
mais de délicatesse et d'honneur, on a été bientôt d'accord; et les
libelles faits contre l'Assemblée Nationale ont été rendus par elle à
la liberté de la circulation » (4).
(1) D'après E. Hamel (I, 371), cet incident aurait eu lieu au
début de la séance: « On venait de déposer sur le bureau du prési-
dent un panier rempli de papiers présentés au contire-seing et desti-
nés à divers départements. Ces écrits renfermaient, il paraît, beau-
coup «l'attaques contre l'Assemblée nationale. Noailles qui présidait,
demanda à ses collègues, en les informant du contenu, ce qu'ils
voulaient qu'on en fît. »>
(2) Sur la violation du secret des lettres, voir séance du 30
juillet 17S9. Miehelet reproché à Bâchez ci Houx, L. Blanc et Lamar-
tine, d'avoir omis cette première intervention, mais il garde lui-
même le silence sur cette dernière qui éclaire l'attitude et les prin-
cipes de Robespierre.
<3) Texte utilisé par les Arch. pari., XXIII, 566.
(1) Comme on le voit, des journaux de tous les partis lui surent
Kii de cette attitude. Dans la séance de la Société des Amis de la
Constitution du 24 avril 1791, le vicomte de Noailles fit état de- ce
fait en faveur du député d'Arras et dit: « Je dois ici vous rappeller
86 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), n° 573, p. 2.
« Alors M. Robespierre a dit que le respect qu'on devoit à l'in-
violabilité du secret des correspondances, n'auroit pas dû permettre
l'ouverture ni le renvoi de ces paquets; que si l'administration de la
poste s'arrogeoit le droit d'arrêter les paquets contre-signes de l'assem-
blée nationale, sous prétexte qu'ils contiennent des écrits anti-patrio-
tiques, il n'y avoit point de raison pour qu'on en usât de la même
manière, à l'égard des écrits patriotiques. Il a demandé que tous les
paquets fussent renvoyés à la poste sans les ouvrir, pour parvenir è
leur destination. »
Journal général, 1791, n° 30, p. 118.
« Le bon sens dit à M. Robespierre, que si l'on se permet d'ar-
rêter un envoi sous prétexte d'aristocratie, les lettres les plus démocrates
seront bientôt exposées au même inconvénient. Pour consacrer de
nouveau le secret des postes, l'Assemblée renvoie la corbeille et les
paquets au Bureau, chargé de les faire partir. »
Assemblée nationale et Commune de Paris (imitât.), n° 571, p 7.
« MM. Robespierre et Péthion ont observé que si, sous prétexte
d'écrits aristocratiques et anti-patriotiques, on arrêtoit ainsi les paquets,
on pourroit bien aussi peut-être arrêter les écrits patriotiques; ils ont
soutenu que l'arrestation étoit une violation du secret de la poste, et
ils ont demandé que les paquets y fussent renvoyés pour aller à leur
destination. Cette motion a été décrétée à la très-grande majorité. »
Courier de Provence, t. XIII, n° 261, p. 287.
« M. Robespierre, qui n'abandonne que très rarement les vrais
principes de la liberté, s'est élevé contre ces différentes opinions; il a
soutenu que le contenu d'un paquet ouvert par hasard, n' étoit pas une
preuve que tous les autres renfermassent les mêmes objets. Il y a plus,
quand même les imprimés aristocratiques seraient découverts, il faut
respecter le contre-seing qui y a été apposé. Chaque député est libre
dans ses opinions, dans ses écrits, et à plus forte raison dans sa
correspondance. On a senti la vérité de cette proposition, fondée sur
la liberté que l'assemblée doit maintenir pour tous les membres, de
quelque parti qu'ils soient. »
le trait d'un des membres de cette Assemblée, trait qui subjugue
l'estime due à ses mœurs, c'est que dans l'Assemblée nationale, il
obligea de recacheter des lettres de prêtres réfraetaires sans les
lire, afin de ne pas violer la confiance due à la correspondance qui
n'existe que sous le sceau de la foi publique : ce membre est M. Robes-
pierre. (On applaudit). » (Mercure Universel, t. II, p. 437).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 87
Le Patriote françois, n° 571, p, 223
« J'ai retrouvé encore M. Robespierre clans les bons principes,
lorsqu'on est venu tenter l'Assemblée avec un paquet d'imprimés aris-
tocratiques envoyés sous son contre-seing. L'inconséquente curiosité
vouloir les ouvrir; le fanatisme de parti vouloit les brûler. Faites cela,
disoit M. Robespierre, et l'inquisition s'exercera bientôt aussi contre
les écrits patriotiques. »
[Brève mention de cette intervention dans la Feuille du Jour,
t. 111, n° 60, p, 476; et le Mercure de France, 12 mars 1791, p. 114.]
224. — SEANCE DU 28 FEVRIER 1791 {suite)
Sur un projet de loi sur l'émigration
Le Chapelier, au nom du Comité de Constitution, rapporte
devant l'Assemblée, sur le problème de l'émigration (1). Mais avant
ds lire le projet, il demande à l'Assemblée de décider si elle veut
une loi sur l'émigration, ou non. Un vil débat s'engage à ce sujet,
les uns (entre autres Robespierre, Merlin,, iteubell, Prieur, Beaumez)
demandant que le projet du comité soit lu, imprimé et ajourné à
huitaine, afin que puisse s'instituer une large discussion: d'autres
s'y refusant à cause du caractère anticonstitutionnel d'un tel projet,
et exigeant l'ordre du jour. fL' Assemblée consultée décida qu'il sera
donné lecture du projet de loi; Le Chapelier fait cette lecture au
milieu du tumulte.
Finalement, l'Assemblée nationale, après des débats agités, se
rallia à la proposition de Vernier, « de renvoyer le soin d'examiner
si la loi est possible ou non, à chacun des comités de l'Assemblée
qui, après s'en être occupés séparément, se réuniront par commis-
saires » (2).
Journal des Etals Généraux ou Journal Logo graphique , t. XXII, p. 128.
(( M. Robespierre : Je commence par déclarer avec franchise que
je ne suis pas plus partisan que M. Le Chapelier des loix contre
l'émigration; mais je crois que c'est par une discussion solennelle, qui
dissipe les nuages qui peuvent être répandus sur cette question, qu'il
(1) Les journaux parlaient ouvertement de la fuite prochaine du
roi (Cf. Annales patriotiques et littéraires, 1er février 1791; et Révo-
lutions de France et de Brabant, n" 62). Ces bruits semblaient confir-
més par le départ de Mesdames. Aussi l'Ami du Peuple, n° 382, som-
mait-il les patriotes de l'Assemblée « les Lanto.th, Pétion. .Robes-
pierre, Reube.Il. Barnave, d'Aiguillon, Menou, Cranoé, sous peine
d'être réputés lâches mandataires, de voter un décret rigoureux
contre les émigrans d? la famille royale ».
(2) Cf. E. Hamel, 1, 372 à 375.
88 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
faut rejetler une pareille loi, et qu'il ne faut laisser à personne le pré-
texte de penser que l'on a voulu écarter cette mesure par d'autres
moyens que ceux de la raison et de l'intérêt public. (Applaudi) » (3).
Journal des Débals, n° 632, p. 12.
Courrier des Français, n" 2, p. 9.
« M. Robespierre a déclaré qu'il n'étoit pas plus partisan que
M. Le Chapelier des loix contre les émigrans, mais qu'il pensoit que
la réjection d'une pareille loi devoit suivre une discussion solennelle.
Nous ne devons, a-t-il dit, laisser' croire à personne qu'on ait voulu
éloigner cette question autrement que par la raison et des considéra-
tions d'intérêt public. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 60, p. 244.
« M. Roberspicrre. Je commence par déclarer avec franchise, que
je ne suis pas, plus que M. le Chapelier, partisan de la loi sur les
émigrations; mais c'est par une discussion solennelle que vous devez
reconnaître l'impossibilité ou les dangers d'une telle loi, il ne faut pas
laisser penser que vous l'ayez écartée par d'autres moyens que ceux
de la raison et de l'intérêt public. (On applaudit) (4).
Journal de Normandie, n° 40, p. 115.
« M. Roberspierre : Quoique je ne sois pas plus partisan d'une
loi sur les émigrations que le comité de constitution, je demande
cependant que cette question soit discutée solennellement dans cette
Assemblée, afin de convaincre la nation des motifs qui nous ont porté
à ne point prononcer sur la demande qui nous était faite de toutes
parts. »
Assemblée nationale et Commune de Paris (imitât.), n° 570, p. 5.
« Un grand nombre de membres réclamoient l'ordre du jour;
MM. Robespierre et Dumets, soutenant l'avis du comité de constitu-
tion, pensoient qu'il étoit nécessaire d'entendre îa lecture du projet
de loi, pour, après l'avoir discuté solemnellement, le rejetter, et con-
vaincre ainsi le peuple des motifs qui auroient déterminé l'assemblée
nationale. »
Mercure de France, 12 mars 1791, p. 115.
« Discutez la loi, ajoutoit M. Roberspierre; vous ne devez pas
(3) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIII, 567.
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, VII, 504; et Bûchez et
Houx, IX, 47.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 89
laisser croire qu'on l'ait éloignée autrement que par la raison et pour
l'intérêt public » (5).
[Brève mention de cette intervention dans Le Courrier d' Avignon,
n° 60, p. 238; Le Journal général du département du Pas-de-Calais,
1791, n° 18, p. 150; Le Patriote français, n° 571, p. 223; Le Lende-
main, t. II, p. 809; Le Mercure de France, 5 mars 1791, p. 84.]
(5) Robespierre recueillit l'approbation des modérés, mais il fut
blâmé par ses amis (Cf. son Adresse aux Français, p. 11). Cf. égale-
ment le Mercure Universel (t. I, p. 60) qui relate une intervention
de Duport à la Société des Amis de la Constitution le soir de cette
séance : « On ne peut calculer quel mal «aurait pu résulter de la
séance d'aujourd'hui si les amis de la iliberté eussent été vaincus.
Mais je puis le dire, MM. Robespierre, Reubell, votre président,
Muguet, Vernier, ont déployé un vrai courage et ont fait triompher
la cause de la liberté et celle du peuple ». Par contre, il s'en prend
à Mirabeau deut le rôle est nettement séparé de celui de Robespierre,
car il proposait de passer à l'ordre du jour par le motif que tout
projet contre l'émigration était contraire à La Constitution. Mira-
beau suivait, en l'occurrence, les instructions du comte de la Marck
(Cf. A. de Bacourt, Correspondance entre le comte de Mirabeau et
Je comte de la Marck de 1789 à 1791, III, 65). On trouvera dans les
Révolutions de France et de Brabant (n° 67) un intéressant compte
rendu de la séance des Jacobins du 28. février où Mirabeau fut
accueilli avec froideur.
Société des Amis de la Constitution
225. — SEANCE DU 2 MARS 1791
Sur une demande d'affiliation de la Société de Sois sons
S'élevant contre une demande d'affiliation aux Jacobins de
Paris, présentée par la Société des Amis de la Constitution de Sois-
sons, Feydel fait remarquer qu'il existe en réalité deux sociétés de
cette nature à Sokssons, l'une qui est soutenue par le maire Gouil-
lart (1) et l'autre à laquelle adhère son neveu. Il émet des doutes
sur le patriotisme de Gouillart et propose de rejeter cette demande.
Robespierre, puis Chabroud insistent pour obtenir un complé-
ment d'informations et l'affaire est renvoyée aux comités de vérifi-
cation et de correspondance (2).
(1) Cf. Moniteur, 'VII, 41. Extrait d'un arrêté de la municipalité
de Soissons, signé Goulliart, maire, prenant acte de la formation
d'une Société, sous le nom de Société des Amis de la Révolution et
de ,1a liberté. Cf. également: Discours... 1M partie, p. 481.
(2) Aular 1 ne mentionne pas ce fait et donne un bref résumé
de la séance (II, 151) d'après le Journal dos Clubs, t. II, -n° 17,
p- 160.
90 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Mercure universel, t. I, p. 68.
a M. Robespierre. Et moi, j'ai de fortes raisons pour assurer que
M. le Maire de Soissons, M. Grouillard, est un des vrais amis du
peuple, je dis que la société ne peut admettre ces inculpations sans
un sérieux examen » (3).
(3) Arch. Nat. D XXIX, 1, d. 8 bis, p. 1. Lettre de l'ancien maire
de Soissons : Gouillart, sur les troubles survenus à l'occasion de
l'élection de l'évêque constitutionnel de l'Aisne (mars 1791). Cf. Ch.
Vellay. Robespierre et les troubles de Soissons. Revue historique
de la Révolution française, VIII, 303-305.
Société des Amis de la Constitution
226. — SEANCE DU 2 MARS 1791 (suite)
Sur le projet de réorganisation des corps administratifs
Après avoir entendu le rapport de Sauter re (1) sur les événe-
ments du lundi 28 février où le peuple se porta sur le donjon de
Vincennes, Gauthier de Biauzat qui préskiait, décide de passer à
l'ordre du jour. Mais Menou insiste pour qu'on entende Robespierre
qui demande à exposer au club le projet de réforme administrative
présenté par Démeunier et dont la discussion devait avoir lieu le
lendemain à l'Assemblée Nationale (2).
Mercure universel, t. I, p. 69.
« M. Robespierre. La question que je vais vous soumettre n'est
point de celles qui frappent, qui intéressent vivement, mais elle est
des plus importantes pour la constitution. C'est une chose cruelle pour
un peuple qui vient de recouvrer sa liberté, de se trouver sans cesse
entre des conspirateurs et des hommes perfides, qui se disent ses amis,
qui se montrent ses défenseurs, et cependant, il ne tient à rien que
par ces mêmes hommes la liberté ne soit anéantie. (Ici M. Robespierre
a fait l'analyse d'un projet de décret sur les dispositions des corps
administratifs, en trente-sept ou trente-huit articles, que nous ne pou-
(1) Santerre était alors commandant de la garde nationale du
faubourg Saint-Antoine. La marche sut Vincennes où l'on soupçon
nait des travaux destinés à augmenter les fortifications du donjon,
ne fut pas le seul incident de la journée du 28 février, connue sous
.le nom de Journée des poignards : bon nombre de contre-révolution-
naires se rendirent armép aux Tuileries et La Fayette' vint les disper-
ser à la tête de la garde nationale. Le rapport de Santerre visait
sûrement le conflit qui l'avait mis aux prises à Vincennes avec-
La Fayette, incident qui entraîna des suites judiciaires.
(2) Cf. ci-dessous, séance du 3 mars.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 91
vons rapporter, vu leur étendue; mais dont l'esprit est de mettre les
municipalités sous l'autorité absolue des directoires de district, et ces
directoires sous ceux de département, et enfin les directoires de dépar-
tement sous la subordination absolue du ministre : alors il suff.roit que
l'un de ces corps administratifs soit déclaré avoir manqué de respect,
ou avoir entr'eux une correspondance, pour être destitué arbitrairement
par le roi sur la responsabilité de son ministre; d'où résulte nécessaire-
ment dans ces circonstances, la révolution n'étant pas achevée, que
la puissance du peuple et sa volonté se trouvent enchaînées dans la
main du ministre qui, influençant les corps administratifs, peut, par
ceux-ci, lesquels influencent les municipalités, enchaîner la puissance
civile et les forces militaires du peuple. On a trouvé que le comité
de constitution s'étoit écarté des principes constitutionnels, et que
bientôt après avoir décrété la liberté, il ne seroit pas étonnant qu'il
décrétât la servitude. M. Robespierre a terminé ainsi son opinion :
« Je demande que demain, lorsque ce projet que l'on a dit être la clef
de la constitution et que je regarde comme sa ruine, lorsque, dis-je,
ce projet sera présenté à l'assemblée nationale, qu'il ne soit pas adopté
sans examen » (3).
La Feuille du Jour, t. III, n° 66, p. 526/7.
« M. Roberspierre. Messieurs, l'ordre du jour est de continuer
la discussion sur le mode de décret contre les émigrans; cet objet
est important, mais celui qui m'oblige à demander la parole est d'une
autre considération. Il ne s'agit de rien moins que de remettre le
despotisme sur le trône; il y remontera, si !e projet de décret enfanté
par le comité, qui doit demain le présenter à l'assemblée nationale,
n'est point ajourné. Ce projet inconstitutionnel tend à soumettre les
fonctions des districts et des municipalités aux conseils directoires des
départemens, ces conseils aux ministres, et les ministres au pouvoir
exécutif. N'est-ce pas là la marche graduelle d'une contre-révolutio-i ?
Si ce projet perfide est adopté, les communes et les districts ne pour-
ront rien conclure sans l'adhésion des départemens. Ceux-ci, tout
dévoués au despotisme, pourront suspendre l'exécution; ils communi-
queront, n'en doutez pas, avec les agens du pouvoir exécutif, etc. »
La Jacobinière, parade comme il n'y en a pas, du 2 mars 1791 (4).
a Alors apparut le paillasse du spectacle, le petit Robespierre.
« Vous vous amusez-là, dit-il, à la moutarde, tandis que nous
avons bien autre chose à faire. Vous ne savez donc pas qu'on vous
prépare demain un coup fourré ? Cet infernal comité de constitution
va présetfter demain à l'assemblée nationale un projet de décret, qui
soumet les municipalités aux districts, ceux-ci aux départemens, et ces
(3) liien dân* Aulard isur cette intervention.
(4) B. N. 8° Lb39 9776.
92 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
derniers au roi. Ah ! messieurs, aye ! aye ! c'est là ce qui doit vous
faire véritablement trembler. Eh ! que deviendra donc notre travail,
que deviendront nos préparations kle petites républiques, à la *ête des-
quelles nous devions trouver chacun une niche, si nous souffrons que
I on renoue ainsi au trône tous les fils que nous avions pris tant de soin
d'éparpiller ? Comment pourrons-nous continuer d'entretenir à propos
la division; d'élever, suivant les circonstances, les municipalités contre
les districts, les districts contre les départemens ; de faire contrarier au
besoin les uns par les autres; de susciter des émeutes et de commander
de grands soulèvements, si l'on établit un centre d'autorité ? Ah !
Messieurs, aye ! aye ! nous sommes perdus si ce projet passe,
« Et nous ne sommes point en forces pour le faire échouer demain.
II faut donc faire en sorte de le faire ajourner au moins à huitaine.
Pendant ce temps-là,, nous effraierons le peuple; nous lui ferons dire
par tous nos journaux, par tous nos discoureurs, que c'est-là !e réta-
blissement du despotisme; nous assemblerons nos coupe-jarrets, nos
coupe-têtes; et le jour du rapport, nous ferons faire une grande insur-
rection. Coalisons-nous donc pour faire ajourner.
« Paillasse fut fort applaudi, et sa motion fut unanimement décré-
tée. ))
227. — SEANCE DU 3 MARS 1791
Sur l'organisation des corps administratifs
Le 2 mars, au nom du Comité de Constitution, Démeunier a
présenté un rapport sur les dispositions qui doivent compléter l'orga-
nisation des corps administratifs, le décret du 22 décembre- J 780 ne
prévoyant pas tous les détails de cette organisation (1).
Le 3 mars, Démeunier demande' à l'Assemblée nationale de com-
mencer la discussion article par article, du décret présenté la veille,
sans qu'un débat général sur l'ensemble du projet ait été institué.
Robespierre, plusieurs fois interrompu, s'élève contre cette
précipitation et demande l'ajournement; Buzot, Pétion interviennent
dans le même sens ; Le Chapelier les combat.
L'Assemblée décida qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur
l'ajournement et entama la discussion du projet, article par article.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 64, p. 258-259.
« M. Roberspierre La délibération ne peut commencer avant qu'il
se soit établi une discussion générale sur l'ensemble et sur les résultats
(1) Cf. E. Haine], 1, 380: « Le projet... prévoyant le cas où des
corps administratifs fomenteraient la résistance à la loi ou à l'auto-
rité supérieure, contenait contre eux des mesures sévères ». D'autre
part, il tendait à mettre les municipalités et les districts sous la
tutelle des administrations départementales, dont on connaissait
dans l'ensemble les opinions très modérées.
LES DISCOURS DÉ ROBESPIERRE 93
de ce projet. (Il s'élève des murmures). Ce n'est pas par des cris qu'il
convient de repousser les réflexions qu'un membre se croit obligé de
présenter sur un décret de cette importance, sur om décret d'où dépend
le sort des corps administratifs et de la constitution. Ce décret n'ayant
été présenté qu'hier, il est impossible d'en faire aujourd'hui l'objet
d'une discussion, et bien moins d'une délibération. Le Comité vous
propose d'annuller lels corps administratifs inférieurs pour les mettre
dans une dépendance passive et absolue. (Il s'élève des murmures et
des applaudissemens). Je dis qu'on ne propose de mettre les corps
administratifs inférieurs dans la dépendance absolue des directoires
de département, que pour mettre ensuite ceux-ci dans la dépendance
du ministre (Il s'élève des murmures). Il est bien douloureux pour un
membre qui demande à parler sur une matière qui intéresse aussi
essentiellement la nation, de se voir interrompu par des murmures tels
qu'il lui est impossible de se livrer à aucune espèce de discussion.
Je me borne donc dans ce moment à demander l'ajournement. (Les
murmures redoublent). »
« M. Dandré. Laissez-le parler. »
« M. Roberspierre. Je demande l 'ajournement, et un délai suffi-
sant pour que tous les membres puissent prendre connaissance de la
question; son extrême importance s'apperçoit, et par la nature de la
matière, et par le résultat que je vous ai présenté. »
« Plusieurs voix. Oui. Non. »
« M. Bouche. Je demande le silence, ce que M. dit est juste. »
« M. Roberspierre. Une délibération de cette importance propo-
sée du so'.r au matin, c'est ce qui ne s'est jamais vu. Toujours les
questions constitutionnelles ont été discutées. Ici il s'agit d'un décret
qui renferme une foule de questions constitutionnelles du plus grand
intérêt, et dont la décision peut, ou affermir, ou renverser la consti-
tution... Je n'ai pas besoin d'en dire d'avantage pour réclamer avec
succès, au nom de la liberté, au nom de la nation, un ajournement
qui donne à tout le monde le tems de la réflexion » (2).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXII, p. 192.
« M. Robespierre. Le projet qu'on nous propose est de la der-
nière importance: il touche à la Constitution entière; il décide de l'in-
fluence des corps administratifs sur toute la constitution, et de la
destinée des corps administratifs eux-mêmes. Le résukat évident du
projet qui vous est présenté, est d'annuller les corps administratifs
inférieurs, tels que les municipalités et les administrations de distr:cts,
pour les mettre dans une dépendance purement passive des directoires
de département. (Murmures d'un côté, applaudissemens de l'autre).
(2) Texte reproduit le Moniteur, VII, 632; et Bûchez et Ruux,
IX, 162. t
94 LES DISCOURS D2 ROBESPIERRE
Et on ne met les corps administratifs dans la dépendance des direc-
toires de département, que pour remettre ensuite dans ce même projet,
les directoires de département eux-mêmes dans les mains du ministère.
Voilà, Messieurs, en deux mots, le résultat du projet. {Applaudi
à gauche, murmures dans la salle).
« M. Dandré : Je demande à répondre.
« M Robespierre: Il seroit très douloureux pour celui de nous
qui discute un projet qui intéresse essentiellement les droits de la
nation qu'avant d'être entré dans la discussion, il fût repoussé par des
murmures. Je ne me propose dans ce moment que de demander l'ajour-
nement à huitaine, pour qu'on examine un tel projet et que l'opinion
s'éclaire » (3).
Journal de la Noblesse, t.,I, n° 1 1 , p. 291.
« La délibération, a dit M. Robespierre, ne peut commencer
avant qu'il se soit établi une discussion générale sur l'ensemble et sur
les résultats de ce projet. On murmure.
[Suit un passage du Moniteur, depuis: « Ce n'est pas par des
cris... », jusqu'à: « la dépendance du ministre. »]
« L'orateur vouloit continuer, et il a été interrompu par des
murmures; alors il s'est borné à demander l'ajournement: on peut dire,
à sa louange, ou pour son excuse, que s'il a porté les premiers coups à
la monarchie, au moins on voit en lui l'amour de la liberté; et l'on
peut dire qu'il a reçu dans cette séance le châtiment de son fanatisme.
Quoique soutenu par MM. Buzot, Bouche et Péthion, cette faveur
de l'ajournement lui a été même refusée; il a fallu délibérer sur le
champ sur une matière que l'on doit regarder comme la pierre angu-
laire de l'édifice. »
Journal de Normandie, n° 63, p. 299.
« M. Robespierre. Je demande l'ajournement et voici les raisons
sur lesquelles je l'appuie : il n'est personne parmi nous qui ait eu le
temps de méditer ce projet : il s'agit d'objets de la plus haute consé-
quence : il ne s'agit rien moins que de consolider la constitution ou de
la renverser de fond en comble. Le résultat est d'écraser les adminis-
trations inférieures, les municipalités, les districts, par les administra-
tions supérieures, par celles de département et de remettre ces der-
niers sous l'autorité du ministère. C'est cet aperçu, que j'ai saisi à la
simple lecture, qui m'a porté à réclamer l'ajournement à huitaine. »
Journal de Paris, 4 mars 1791, p. 254.
« M. de Robertspierre a pris la parole, non pour discuter le
(3) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIII, 644, qui ajou-
tent un passage du Moniteur (§2), un passage du Journal de la
Noblesse (§ 3) et concluent par Je dernier § du Moniteur.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 95
projet, mais pour prouver que nul dans l'Assemblée n'étoit en état
de le discuter. On veut nous faire délibérer, disoit-il, non pas sur une
question, mais sur plus de vingt, sur plus de trente questions qui
naissent des dispositions qu'on vous propose, et qui toutes sont si
décisives pour la liberté et pour la prospérité publique; et c'est hier
pour la première fois, que le rapport et le projet de décret ont été mis
sous vos yeux, et remis à vos domiciles. Ce ne sont pas les règles que
l'Assemblée Nationale s'est prescrites pour délibérer sur les matières
importantes et difficiles; elle a voulu que chacun de ses membres
pût les méditer longuement et profondément avant qu'elle ouvrît dans
ses séances le concours des lumières de tous. Je demande donc qu'on
nous laisse le tems de réfléchir avant de discuter, et que le projet de
décret soit ajourné à huit jours. »
Journal des Décrets de l'Assemblée nationale, 3 mars 1791, p. 393.
« M. Roberspierre, que l'on peut nommer la sentinelle de la
liberté, a cru devoir s'opposer à celte discussion, parce que, disoit-
îl, le projet du Comité de Constitution, devoit être approfondi, et soi-
gneusement examiné avant d'être discuté article par article. Il a pensé,
avec raison, que c'étoit de l'adoption, ou de la rejection de ce plan
que dépendoit la destinée du corps administratif, et qu'il étoit très-
dangereux en ce qu'il tente à paralyser les corps les plus utiles, c'est-
à-dire les Municipalités, et à remettre absolument toute l'autorité
executive entre les mains des ministres; en un mot, à anéantir tous
les bienfaits de la constitution, et le règne de la liberté. De grands
murmures l'ont interrompu : mais toujours lui-même, il a soutenu son
assertion, trop vraie pour n'être pas improuvée par la majorité. »
Journal général, n° 32, p. 127; et n° 33, p. 129.
« Rapport de M. Desmeunier sur l'organisation des Corps Admi-
nistratifs. M. Robertspierre croit voir dans le projet de Décret qui suit
le rapport, les Municipalités et les Districts, réduits à une parfaite
nullité sous l'esclavage des Départemeris. MM. Buzot et Péthion sou-
tiennent l'Opinant.
« ...M. Robertspierre craint qu'on n'aille trop vite dans un
objet de cette importance. Quel est le résultat du plan qu'on vous
propose ? Il met tous les Corps inférieurs sous la dépendance des
Directoires de Départemens, et ces Directoires même sous la férule
du ministère. » Des murmures et à droite et à gauche, des applaudisse-
mens et à droite et à gauche interrompent l'Orateur. Il répond aux
murmures, en demandant au moins l'ajournement à huitaine. »
Le Patriote François, n° 573, p. 232.
« MM. Robespierre, Buzot et Pétion ont demandé l'ajournement
de la discussion à huitaine, en observant qu'il leur paroissoit impossible
% LES DISCOURS D2 ROBESPIERRE
de délibérer avec connoissance de cause sur un projet d<'ssi important,
qui ne venoit que d'être distribué. Sans égard à ces observations, la
discussion a été entamée. Plusieurs arrêtés ont été décrétés, après une
légère discussion. Nous les rapporterons en faisant mention de quelques
débats. »
Annales universelles, 4 mars 1791, p. 31.
Le Législateur français, 4 mars 1791, p. 4.
Journal du Soir (Beaulieu), n° 62, p. 2.
« M. Roberspierre trouvoit que l'Assemblée n'avoit pas assez
réfléchi sur le décret proposé, pour être en état de prendre une délibé-
ration instantanée. Le coup d'oeil rapide qu'il a jeté sur le travail du
comité, ne lui a montré que des moyens de paraliser l'autorité des
administrations municipales & de district, sous la puissance coactive
des administrations de département, & de rendre enfin cette puissance
nulle sous le pouvoir ministériel.
« M. Roberspierre pensoit que cette filiation de subordination
étoit destructive de la liberté, & il demandoit l'ajournement au nom
de la patrie.
« Le grand inconvénient que M. Robertspierre et ceux qui par-
tagent son avis trouvent dans le projet du comité est dans la faculté
accordée par ce projet au directoire de département, d'appeller devant
lui le procureur-syndic, ou même plusieurs membres du directoire de
district, leur remontrer leur erreur et prononcer, par une délibération
qui seroit imprimée, la défense de mettre à exécution les actes déclarés
nuls par le directoire du département. »
La Jacobinière, parade comme il n'y en a pas, 2 mars 1791, note.
« Robespierre demanda effectivement l'ajournement [du décret] ,
mais il fut traité comme un véritable paillasse, et malgré les efforts
de ses camarades qui le soutinrent de toutes leurs forces, de tous leurs
cris, de tous leurs trépignements, l'ajournement fut rejeté par une
majorité accablante et le projet du comité adopté.
« Adieu, Messieurs les Jacobins, bon voyage. »
Le Point du Jour, t. XX, n° 601, p. 6.
« M. Robespierre a dit, que ce projet de décret du comité de
constitution, tendoit à anéantir la force des corps administratifs infé-
rieurs, en les soumettant au despotisme des directoires de département
(Des murmures). Je demande, a-t-il ajouté, l'ajournement des questions
renfermées dans ce projet de décret ; c'est conforme à votre règlement
puisqu'elles sont constitutionnelles; c'est au nom de la Patrie et de la
liberté que je sollicite cet ajournement. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 97
Journal de Louis XVI et de son peuple, t. II, n° 46, p. 85.
« M. Desmeuniers demande que l'on discute son projet de décret
qui doit compléter l'organisation des corps administratifs. M. de
Robespierre et plusieurs autres opinent pour que ce projet soit préala-
blement examiné par tout le monde pendant un temps convenable; il a
raison. Mais l'Assemblée en décrète huit articles sans se donner
la peine d'une légère discussion. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Courrier des Fran-
çais, n°/4, p. 29; Le Courier François, t. X, n° 63, p. 20; Le Mercure
universel, t. I, p. 61; Le Journal de la Révolution, n° 204, p. 28;
Le Postillon (Calais), n° 366, p. 4; Assemblée nationale et Commune
de Paris (imitât.), n° 573, p. 6; Le Courrier extraordinaire, 4 mars
1791, p. 4; Le Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n° 238,
p. 2; Le Mercure national et Révolutions de l'Europe, t. II, n° 17,
P. 239.]
2e intervention: Sur la signature des arrêtés pris par les administrations
L'Assemblée, abordant la discussion du projet présenté par
Démeunier, sur l'organisation des corps administratifs, adopte les
cinq premiers articles. L'art. 2 qui, dans le projet du comité,
oblige tous les membres présents d'un corps administratif à signer
la minute de chaque arrêté, même s'ils sont d'un avis contraire,
suscite une légère discussion. Reubell propose un amendement, sou-
tenu pa.r Robespierre.
(L'art. 2 est voté sous cette rédaction : « La minute de chaque
arrêté sera signée par tous les membres présents qui en auront été
d'avis, sans que ceux qui auront été d'un aviis contraire puissent
être assujettis à donner leurs signatures. L'expédition en sera faite
sans faire mention de ceux qui auront signé la minute ou qui auront
refusé de la signer. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXII, p. 195.
« M. Robespierre. J'appuie l'amendement du préopinant: l'ar-
ticle est immoral d'une part et impossible de l'autre, parce que la
loi n'a pas un moyen dans ses mains pour forcer un homme à mettre
son nom au bas d'un avis auquel il se soumet, parce qu'il doit se sou-
mettre à la majorité, mais qu'il regarde en son âme et conscience comme
essentiellement injuste. En conséquence, je demande qu'on retranche
de l'article la disposition qui tend à forcer tous les membres sans
distinction à signer les arrêtés » (4).
Le Point du Jour, t. XX, n° 601, p. 9.
« M. Robespierre a demandé qu'on retranchât de l'article la
(4) Texte reproduit dans 1rs Arch. pari., XXIII, 646.
98 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
disposition qui tend à obliger tous les membres présens à signer î'arrôté,
quel qu'ait été leur opinion. »
3e intervention : Sur la publication de décisions contraires
aux décrets
Après avoir voté rapidement les sept premiers articles du projet
de décret présenté par Démeunier, sur l'organisation des corps admi-
nistratifs, .l'Assemblée' aborde l'art. 8. il porte que tout corps
administratif qui publiera ou fera circuler des arrêtés ou des lettres
■< provoquant ou fomentant la résistance à l'exécution des délibéra-
tions ou ordres émanés des autorités supérieures, sera suspendu de
ses fonctions et, en cas de récidive, destitué. »
Pétion proteste contre le caractère vagoie de cet article, qui
permet toutes les interprétations arbitraires. Il demande que le
comité précise le délit pour lequel il propose une peine sévère.
Robespierre. Chabroud, soutiennent l'amendement de Pétion, que
combat d'André.
L'Assemblée décréta l'art. 8 en ces termes: « Tout corps admi-
nistratif ou municipal qui publiera ou fera parvenir à d'autres admi-
nistrations ou municipalités, des arrêtés ou lettres provoquant la
résistance à l'exécution des délibérations ou ordren émanés des
autorités supérieures, pourra être réprimé suivant une forme qui
sera déterminée, et même être (suspendu de ses fonctions. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXII, p. 198.
« M, Robespierre. Il n'est pas un seul terme dans l'article qui ne
présente des idées vagues, qui toutes dépendront du caractère ou de^s
préventions de ceux qui prononceront. Mais, Messieurs, voulez-vous
appercevoir tout le danger de l'article ? portez vos regards sur la
gravité de la punition applicable aux corps administratifs des corps
nommés par le peuple, et sur celui qui dans ie projet du comité, doit
prononcer cette peine. Un article subséquent porte que le roi aura le
droit de suspendre les officiers administratifs qu'il trouvera avoir contre-
venu aux loix. Ainsi, messieurs, vous voyez que ce sera le ministre
qui sera juge, en vertu de ces termes vagues de la loi; et dans quel
cas ! lorsqu'un corps administratif aura écrit à d'autres corps adminis-
tratifs pour provoquer ou fomenter la résistance aux ordres supérieurs :
et le dernier échelon de cette administration supérieure, c'est le
ministre. Rien de plus contraire à la liberté. Je demande la question
préalable sur cet article...
« M. d'André... M. Robespierre vous a présenté le pouvoir
exécutif comme le dernier échelon : point du tout : le dernier échelon,
c'est le corps législatif; car le pouvoir exécutif est subordonné lui-même
au pouvoir législatif. (Murmures).
« M. Robespierre. Non, pas dans le projet » (5).
(5) Texte reproduit dans les Arch, pari., XXIII, 648.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 99
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 64, p. 259.
« M. Robespierre. N'est-il pas évident que chacun pourra inter-
préter l'article à sa manière, que ce décret n'offre aucune idée précise,
qu'il favoriserait la prévention du juge, qu'il ouvrirait la porte à l'arbi-
traire ? et à quel arbitraire ? Le voici : il est dit dans un article subsé-
quent que c'est le ministre qui pourra suspendre les administrateurs de
leurs fonctions. Combien il lui sera facile de dire qu'une lettre pro-
voque, fomente la résistance aux ordres supérieurs, c'est-à-dire aux
ordres du ministre ! Peut-on faire une loi plus arbitraire ? et peut-on la
faire appliquer plus arbitrairement que par un ministre qui, pour suspen-
dre une administration, n'aura qu'à se plaindre qu'on fomente la résis-
tance contre ses ordres? L'objet de cet article est d'empêcher même
un corps administratif, lorsqu'un ministre violera la constitution, d'en
avertir les autres corps admini'ratifs, ^le les consulter, etc. Je demande
la question préalable » (6).
Journal du Soir (Beaulieu), n° 62, p. 3.
Le Législateur Français, 4 mars 1791, p. 6.
« MM. Pethion et Robertspierre se sont élevés avec force contre
cette disposition, dont ils ont trouvé les expressions vagues, et faites
pour donner la plus grande latitude à l'arbitraire.
« A l'abri d'un pareil article, disoient-ils, les administrateurs
pourront punir de la manière la plus sévère de simples lettres, souvent
insignifiantes, et qu'ils pourront caractériser de rebelles, puisque l'inter-
prétation de ces lettres ou délibérations dépendra d'eux.
[Intervention de Démeunier, qui précise que les termes provo-
quer et fomenter existent dans tous les codes, et qu'il appartient aux
tribunaux d'apprécier la conduite des prévenus.]
« M Robertspierre a saisi cette occasion pour s'élever contre la
disposition du rapport qui attribue au roi le droit de suspendre les
assemblées administratives de leurs fonctions. Ici M. Robertspierre a
vu revenir sur toute la surface du royaume tous les abus de l'ancien
régime, le despotisme ministériel avec tous ses brigands »
Le Point du Jour, t. XX, n° 601, p. 11.
<( M. Robespierre s'est encore élevé contre l'arbitraire que présen-
toit l'article, il trouvoit les plus grands dangers dans la gravité des
peines qui doivent être prononcées contre les corps administratifs, dont
le ministre sera juge toutes les fois que ces corps auront écrit des
lettres pour provoquer la résistance à leurs ordres. Il a demandé la
question préalable sur l'article dont M. Garât au contraire demandoit
l'admission. »
(6) Texte reproduit dnns le Moniteur, VII, 533; et dans Bûchez
ci Roux, IX, 164. Le passade depuis: <' Combien il lui sera facile...
Jusqu'à la fin, est reproduit dans les Arch. pari., XXIII, 648.
100 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
[Brève mention de cette intervention dans le Courier français,
t. X, n° 63, p. 21 ; le Courrier des Français, nJ 4, p. 30; le Journal
de Normandie, n° 65, p. 307; Les Annales universelles, 4 mars 1791,
p. 33; Le Postillon (Calais), n° 66, p. 9.]
228. — SEANCE DU 3 MARS 1791 (soir)
Sur un projet de tontine viagère
L'abbé Gouttes présente, au nom dos comités de finances et de
mendicité, un rapport sur le projet du financier Lafarge, tendant
à la création d'une tontine viagère et d'amortissement (1). Mirabeau
appuie le projet de décret et propose, en amendement, qu'il soit
p rélevé par le trésor public, cinq jouns du traitement de chaque
député, pour former douze cents actions en (faveur de douze cents
familles pauvres (2). Foucauld renchérit et demande que, si le 5 mai,
1\ (Constitution n'est point achevée, les honoraires des députés soient,
à compter de cette date, versés dans la caisse die la tontine (3).
Wimpfen, député de la noblesse du bailliage de Caen, défend
l'amendement de Foucault, ainsi que Reubell.
Robespierre, soutenu par Buzot (4), demande le rejet du projet
et des amendements (5).
L'Assemblée rejeta à la presque unanimité, le projet présenté
par l'abbé Gouttes (6).
{1) E. Hamel, I, 377, place cette séance au 7 mars.
<2) Le projet Latfange, qui était basé sur les calculs de l'Acadé-
mie des Sciences, lut soutenu par Mirabeau. Clavière aurait été
î'adminirtrateur-adjoint de cette tontine dont le premier apport
aurait été fourni par une retenue de 5 journéer5 d'honoraires pour
tous les députés. Rejetée à l'unanimité, la tontine Lafarge fut
reprise à titre d'entreprise particulière.
(3) Foucauld demanda même que si le 5 mai la constitution n'était
pas terminée, les traitements des députés fussent intégralement ver-
sés à la tontine.
(4) L'intervention de Buzot fut aussi fort brillante et porta un
coup droit à Mirabeau qui ne le para point : « Il est important que
les hommes qui travaillent pour le peuple soient payés par lui;
sans cela, ils le seraient bientôt par d'autres. »
(5) L'Ami des patriotes ou le Défenseur de la Constitution (n° 15,
du 5 mars 1791) apprécie ainsi la conduite des opposants : « MM.
Robespierre et Buzct. . sont tous deux du nombre de ceux que per-
sonne n'accuse d'être à un parti, de servir ou de défendre une
faction; leur conduite publique n'a pas varié d'une minute et elle
est parfaitement d'accord avec leurs idées privées. Je crois que
M. Robespierre a souvent été emporté hors des mesures par un
amour peu réfléchi de la liberté, mais il est impossible de le soup-
çonner d'avoir sacrifié à une autre idole. » Cependant, le rédacteur
de cette feuille est le royaliste Duquesnoy.
<6) Malgré le vo.te négatif de l'Assemblée, la tontine Lafarge fut
organisée. .Son histoire a été étudiée par M. J. Bouchary (Los
Compagnies financières à Paris à la fin du XVI1L siècle, t. 1, 1940)
jusqu'à l'année 1809, date à laquelle Napoléon 1er en retira l'admi-
LES DISCOURS PS ROBESPIERRE 101
Journal des Débats, t. XVIII, n° 67, p. 8.
« M. Robespierre a pensé que rétablissement de M. Lafargué
(7) de voit être proscrit, parce que de tous les moyens de pourvoir aux
besoins des infortunés, il est le plus contraire à la morale et au bien
public. II a laissé à ceux qui avoient étudié les calculs de ce projet
à en développer les autres vices. Il me paroîtroit, a-t-il ajouté, que
cette raison seroit suffisante pour le faire proscrire, mais je m'étonne
qu on ait encore imaginé, pour le faire adopter, un projet d'amende-
ment d'autant plus dangereux, qu'il a l'apparence de servir l'intérêt
public. C'est l'amendement de M. Mirabeau que je veux rappeler. Je
ne suis point la dupe du genre de générosité qu'il présente. (On a
applaudi dans une partie de la salle). Et quoique le genre de courage
qu il faudroit montrer dans cette circonstance soit peut-être le plus
difficile de tous, puisqu'il sert à combattre des vues d'humanité, il
faudroit avoir de soi-même et du caractère des Représentans de la
Nation une bien haute idée pour ne pas voir en cela un intérêt per-
sonnel quelconque.
« Le salaire des Représentans de la Nation n'est point une pro-
priété individuelle, c'est une propriété nationale. La Nation leur donne
une indemnité, parce que l'intérêt exige que tous les Citoyens soient
en état de remplir l'emploi qui leur est confié. Pour cela elle leur
accorde une indemnité légère en soi, mais qui acquiert une grande
importance, parce qu'elle est nécessaire au bien public. En consé-
quence, toute motion tendante à détourner de sa destination !e salaire
des Représentans de la Nation, n'est point un secours accordé aux
malheureux, c'est l'anéantissement du principe le plus intéressant de
l'intérêt général. Ainsi, Messieurs, vous adopterez pour les malheureux
des dispositions grandes et efficaces en soi, mais vous n'irez pas ren-
verser une des bases de l'intérêt public. Faites-bien attention, en effet,
que cette bienfaisance seroit toute entière au préjudice du Peuple.
(L'Orateur a été interrompu par des murmures). Je prie l'Assemblée
de faire moins attention à une mauvaise expression, qu'à la nature
de la chose. Je dis que ce sacrifice, plus léger pour les uns que pour
les autres, seroit cependant très-grand pour plusieurs d'entre nous. Je
demande qu'en conséquence, l'Assemblée fixant son attention sur le
vice essentiel du projet, et sur l'inconvenance de l'amendement qu on
propose, rejette le Projet et l'Ame1 c'err.ent. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 64, p. 260.
« M. Roberspierre . Il semble au'on ait choisi le projet !e moins
conforme à la morale, celui d'une loterie pour la présenter sous des
p.ibtration aux fondateurs au profit de la municipalité. On peut suivre
rotte histoire jusqu'à la fin de la tontine en 1888, dans J. Moulin
Les Tontines (1903)
(7) Lafarge, et non (Lafargué.
102 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
formes séduisantes. Je laisse à ceux qui ont étudié les calculs de ce
projet à en développer les autres vices. Je m'étonne, que pour 'e
faire adopter, on vous ait présenté un amendement fait d'abord pour
en imposer à l'Assemblée nationale, je veux parler de celui de
M. Mirabeau, je ne suis point la dupe de l'appât qu'il présente. (On
entend quelques applaudissemens). Quoique le genre de courage qu'il
faut montrer dans cette circonstance soit le plus difficile de tous, j'oserai
combattre cet amendement, Le salaire des représentans de la nation
n'est point une propriété individuelle, c'est une propriété nationale. La
nation leur donne une indemnité, parce que l'intérêt public exige qu'ils
soient îndépendans. Toute motion tendante à détourner de sa destina-
tion le salaire des représentans de la nation n'est point un secours
accordé aux malheureux, c'est l'anéantissement d'un des principes
protecteurs de la sûreté publique. Faites attention que cette bienfai-
sance serait toute entière au préjudice du peuple. (Il s'é'ève des mur-
mures). Je prie l'Assemblée de faire moins attention à une expression
impropre qu'à la nature de la chose. Je dis que ce sacrifice léger pour
plusieurs serait peut-être pénible pour quelques-uns. Je demande en
conséquence que le projet et l'amendement soient rejetés. (On applau-
dit » (8).
Journal général, n° 33, p. 130.
M. Robespierre : Il faut du courage pour combattre une opinion
reçue avec acclamation... C'est précisément pour ces raisons que je
dois n'écouter que la voie de ma conscience, et l'intérêt bien entendu
du Peuple. Le salaire que reçoivent les Représentans est une propriété
nationale : c'est le Peuple qui le donne pour l'intérêt du Peuple (de
toutes parts alors, il a raison, il a raison). Il est à craindre que quelques
individus ne supportent pas sans une espèce de gêne la privation,
quoique modérée, dont il est question (des murmures annoncent que la
générosité de l'Assemblée se sent blessée). L'Orateur se hâte c'e
montrer une vraie Loterie dans la Tontine, et conclut qu'il n'y a heu
à délibérer ni sur le fond du projet, ni sur l'amendement de M. Mira-
beau.
Le Spectateur national, n° 95, p. 409.
« M. Robespierre a dit qu'il n'étoit pas dupe de l'apparence de
générosité que présentait l'amendement de M. Mirabeau; que ce
seroit trahir le peuple que de distraire, même à son profit, une portion
des honorâmes de ses représentants; que lorsqu'elle salarie ses députés,
la nation faisoit en cela un sacrifice peur elle, et non pas pour eux;
et qu'enfin le traitement qu'elle leur accorde étant une propriété natio-
nale et non pas individuelle, on ne pouvoit gratifier les malheureux
(8) Texte reproduit dans le Moniteur, VIT. 537; et les Arch.
pari., XXIII, 655.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 103
d'une "partie -de ces sommes, sans préjudiciel aux intérêts de l'étaf, et
sans porter peut-être un coup mortel à la liberté.
« On a quelque fois vu de la démence, mais jamais à un degré
aussi ridicule. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXII, p. 205.
a M. Robespierre. Cette manière de concourir au soulagement
des pauvres est immorale; elle nous est présentée sous la forme d'une
loterie, elle en a nécessairement les inconvéniens. En vain pour faire
accueillir !e plan de M. de la Farge, plus favorablement dans l'Assem-
blée, vient -on nous présenter un amendement fait pour la flatter: je
veux parler de l'amendement de M. de Mirabeau. Je ne suis point
la dupe de la générosité qu'il présente (Applaudissements au fond,
à gauche), et quoique de tous les genres de courages, celui qu'il faut
pour combattre de pareilles propositions soit peut-être les plus difficiles,
je suis cependant convaincu qu'il faut l'avoir. La nation accorde une
indemnité à ses représentans parce que l'intérêt public exige que tous
les citoyens, quelque soit leur fortune, puissent être en état de remplir
les grands devoirs qui peuvent leur être imposés par sa confiance. Par
cela même, cette indemnité légère en elle-même acquiert une grande
importance, en ce qu'elle est nécessaire pour le bien du peuple, le
bien public et pour la défense de ses droits. Je demande donc que
l'Assemblée nationale, fixant son attention sur l'inconvenance du projet
en forme de loterie, et de l'amendement qui lui est proposé pour
appuyer ce projet, les rejette l'un et l'autre (Murmures). »
L'Ami du Roi (Royou), n" 290, p. 4.
c Cet amendement a fait tort à la motion principale. Jamais on
n'a vu tant d'embarras. II falloit du courage pour repousser la délicate
proposition de M. Mirabeau. MM. Buzot et Robespierre ont eu cette
grandeur d'âme. Oh ! Quelle humilité ! Nous sommes nous-mêmes, ont-
ils dit, le peuple et les pauvres. Nos honoraires sont une propriété
nationale. Les diminuer, ce seroit voler le peuple. Ne soyons pas dupes
de tant de générosité.
« Cette morale étoit trop du goût de l'assemblée pour n'être pas
adoptée, et le projet de la lotterie a été repoussé par la crainte de
l'amendement. »
Le Postillon (Calais), n° 267, p. 2.
Le Patriote François, n° 574, p. 235.
« M. Roberspierre a combattu toutes ces idées; il a dit qu'il
falloit se défier de ceux qui proposoient de prendre sur les honoraires
des députés pour faire des actes de générosité envers le peuple ; que
ces prétendus dons ne pouvoient que lui être funestes; qu'il avoit
accordé un traitement à ses représentans, pour qu'ils fussent inviolable-
104 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
ment attachés à ses intérêts, et qu'en faire le sacrifice, ce seroit le
trahir. Il a conclu à la question préalable sur le projet et les amende-
mens. »
Journal universel, t. X, p. 3739.
Courrier des Français, n° 4, p. 32.
Journal de Normandie, n° 65, p. 308.
« M. Robespierre et M. Buzot, sans s'arrêter à cet incident,
ont combattu le fond du projet de l'établissement d'une tontine. Ils
ont prouvé que c'étoit une vraie loterie, forme odieuse et que des
législateurs ne pouvaient adopter. Enfin, ils ont démontré que c'étoit
ouvrir une spéculation sur la misère du peuple. »
Journal de Paris, n° 64, p. 258.
« Cependant M. de Roberspierre a attaqué le premier ces pro-
positions au milieu des apolaudissemens qui sembloient les décréter.
Les peuples, a dit M. de Roberspierre, ont été réduits à une horrible
indigence par des chefs qu'ils ne payoient pas. On connaît cette bien-
faisance qui ne reçoit rien et qui prend tout. On ne permettra plus que
le peuple soit trompé par de semblables illusions : il veut et il doit
payer ses représentans pour que d'autres ne les paient pas. Ce n'est
pas non plus par des loteries qu'il faut aller au secours du peuple;
je demande donc la question préalable, et sur le projet de M. l'abbé
Gouttes, et sur tous les amendemens dont il a été grossi. »
Courier de Provence, t. XIII, n° 263, p. 319.
« Toutes ces idées ont été vivement combattues par MM. Robes-
pierre et Buzot qui, à leur tour, ont été vivement applaudis Ils ont
soutenu que le mode d'une loterie était le plus contraire à la morale,
et par conséquent le moins proore à être adopté par des législateurs.
Quant au projet de faire contribuer les membres de l'Assemblée, ils
ont dit qu'il falloit s'en méfier, que toute motion tendante à détourner
de sa destination le salaire des représentans de la nation, n'est point
un secours accordé aux malheureux, que c'est l'anéantissement cTun
des principes protecteurs de la sûreté publique. »
Lettres de Périsse du Luc, à Wuillermoz (9).
« A Paris, le vendredi 4 mars 1791. Matin.
« Je vous avois promis, mon très cher ami, de vous averfir de ce
qui seroit décidé sur le projet de Tontine de M. Lafarge, je Drends
à la hâte un moment et sous les yeux des députés des agens de Orange
de Lyon, qui sont auprès de moi, pour vous dire que malgré l'abbé
Gouttes, et une apologie faite par Mirabeau, dans laquelle, à vrai
dire, il a parlé scandaleusement contre les principes, et a qualifié cette
(9) Bibl. de Lyon, mns. 5430, n°
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 105
loterie viagère de Caisse d'Epargne et de bienfaisance pour le Peuple,
le plan a été repoussé par la question préalable, MM. Robespierre
et Buzot ayant expressément fait les mêmes réflexions à l'assemblée
que je vous avois faites chez moi, et que j'avois prévu qu'on feroit.
Il y a trop de lumières dans l'assemblée pour qu'on puisse déguiser
la vraie nature d'une opération de finance, et le nouveau rapport
qu'on avoi' distribué n'a pu produire cet effet. »
[Brève mention de cette intervention dans Les Annales patrio-
tiques et littéraires, n° 519, p. 1127; Le Courrier d'Atiignon, n° 63,
p. 251 ; Le Mercure universel, t. I, p. 74; Le Point du Jour, t. XX,
n° 602, p. 20; Le Journal du Soir, t. II, n° 239, p. 2; Assemblée
nationale, corps administratifs (Perlet), t. X, n°577, p. 2; Le Joirrnal
de la Noblesse, t. I, n° 11, p. 297; La Correspondance nationale, n° 6,
p. 191 ; Journal du Soir (Beaulieu), n° 63, p. 1 ; Le Législateur fran-
çais. 5 mars 1791, p. 2; L'Observateur français, n° 8, p. 62; La
Feuille du Jour, t. III, n° 64, p. 508; Le Mercure de France, 12 mars
1791, p. 133; Assemblée nationale et Commune de Paris (imitât.),
n° 574, p. 3; L'Ami des Patriotes, t. I, n° 15.]
229. — SEANCE DU 5 MARS 1791
Sur le jugement des contestations en matière électorale
L'Assemblée nationale poursuit la discussion du projet de décret
destiné à compléter l'organisation des corps administratifs Le rap-
porteur, Démeunier, propose un article tendant à faire juger les
contestations qui pourront s'élever à La suite des élections, par le
directoire de département et. en appel, par le directoire du dépar-
tement voisin.
Robespierre, appuyé par Buzot, demande que ces contestations
soient attribuées au jugement du corps législatif. Mirabeau se pro-
nonce pour l'ajournement.
L'Assemblée ordonna l'ajournement. La question fut réglée le
14 mars (1).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXII, p. 238.
« M. Robespierre. C'est un principe incontestable que les droits
politiques des citoyens, et par conséquent les droits de la nation ne
peuvent point être soumis ni au pouvoir exécutif, ni au pouvoir adminis-
tratif, parce que si l'un ou l'autre avoit droit de prononcer sur le droit
politique d'un citoyen et, par une conséquence nécessaire, sur la sou-
veraineté du peuple, il s'en suivroit qu'il dépendrait de ces corps
d'attaquer les droits du peuple dans leurs principes et la Constitution
dans ses fondemens.
« Il faut bien se garder, Messieurs, de confondre !e pouvoir des
corps administratifs avec le pouvoir du corps législatif. Les corps admi-
(1) Cf. ci-dessous, séance du 13 mars 1791.
106 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
nistratifs ne sont pas les représentans du peuple, ils ne sont que ses
délégués; ils ne peuvent juger des qualités politiques et individuelles
de chaque citoyen. Ils ne peuvent que prévenir le vœu <\\i peuple.
Le corps législatif, au contraire, doit juger des qualités politiques et
individuelles, parce que ce sont là les véritables intérêts du peuple.
Je conclus de cela que lorsqu'il s'élève une contestation sur 'e droit
qu'a un citoyen de paroître à une assemblée primaire ou électorale,
le sort de ce citoyen ne peut être soumis ni au pouvoir exécutif, ni au
pouvoir judiciaire, ni au pouvoir administratif, mais que la contes^tion
doit être décidée d'abord par la majorité des citoyens qui composent
l'assemblée, et qu'elle doit être exécutée provisoirement, sauf ensuite
le recours au corps des représentans de la nation, au corps législa-
tif » (2).
Le Point du Jour, t. XX, n° 603, p. 40.
« Aucune contestation, a dit M. Robespierre, ni sur la validité
des élections, ni sur les droits politiques des citoyens ne peut être
soumise aux tribunaux, ni aux corps administratifs; car ces corps seront
les maîtres de porter atteinte à la souveraineté du peuple; qui n'est
que le résultat des droits politiques des citoyens; le peuple ne leur a
pas donné cette puissance, leur mission n'a de respect qu'aux affaires
de l'administration et aux intérêts civils des individus; ils ne repré-
sentent pas la puissance souveraine du peuple, quand ils la représente-
roient, ce seroit une raison de plus de penser qu'ils ne peuvent point
s'élever au-dessu3 de lui, en décidant du sort et de la formation des
assemblées populaires; de ne pas leur permettre d'attenter aux droits
de leur souverain. Les dispositions proposées par le comité et par
M. Thouret, sont donc absolument destructives de la liberté.
« Je demande que les contestations sur les droits politiques des
citoyens, ne puissent être décidées que par jes assemblées elles-mêmes,
et s'il y a des difficultés, par le corps législatif. »
Journal de Paris, n° 65, p. 263.
« La première étoit soutenue par M. Robertpierre & M. Buzot
principalement, pour que les contestations de ce genre, jugées d'abord
par les Electeurs eux-mêmes, le fussent ensuite définitivement par le
Corps législatif. Il n'y a, disoient-ils, dans la Constitution, que trois
classes de Représentans du Peuple, les Electeurs, le Corps législatif
& le Roi. Le Roi ne peut pas être juge de la validité des élections,
parce que ce seroit un moyen d'y exercer une grande influence. Les
Département ne sont pas des Représentans, mais de simples Délégués :
ils ne peuvent donc pas avoir un degré de juridiction sur les Electeurs
qui sont des Représentans. On ne peut donc appeller du jugement des
Electeurs qu'au jugement des Législateurs.
(2) Texte reproduit dans las Arch. pari., XXIII, 674.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 107
« Ce sont les Législateurs qui doivent bien connoître les loix et
les règles essentielles de la Constitution : c'est à eux à lever les doutes
qui peuvent s'élever sur leur application; il ne faut pas craindre que
ces décisions particulières les détournent trop des affaires générales.
Cette crainte n'a aucun fondement pour l'avenir; il ne faut pas croire
que les affaires générales soient toujours si nombreuses; elles diminue-
ront quand la Constitution bien consolidée n'aura plus que des mouve-
mens faciles. Les contestations ne pourront non plus se multiplier beau-
coup, quand l'habitude d'appliquer les règles en rendra l'application
plus sûre. C'est donc au Corps législatif qu'il faut déférer ces juge-
mens solemnels. »
[Brève mention de cette intervention dans : Les Annales univer-
selles, 6 mars 1791, p. 152; Assemblée nationale et Commune de
Paris (imitât.), n° 575, p. 6; La Correspondance nationale, n° 7,
p. 221; Le Courier Français, t. X, n° 65, p. 36; Le Lendemain,
t. II, n° 65, p. 804; Le Journal des Débats, t. XVIII, n° 638, p. 7.]
230. — SEANCE DU 5 MARS 1791 (soir)
Sur une demande d'extradition de la cour de Vienne
Le duc du Chatelet-OLomont, député de la noblesse du bailliage
de Bar-le Duc, rapporte au nom du comité diplomatique, sur me
■demande d'extradition du chargé d'affaires de Vienne, relative à
deux individus arrêtés à Huningue, et conforme aux usages récipro-
que-' existant entre la France et les Etats d'Autriche. Le gouverne-
anent français avait ordonné l'extradition ; mais le tribunal d'Alt-
kirch a fait défense à la municipalité d'Huningue d'obéir à cet
ordre, jusqu'à ce que l'Assemblée nationale eût prononcé sur cette
question de droit public. En attendant que l'Assemblée ait adopté
une mesure d'ensemble, le rapporteur propose que, s'en tenant aux
lois d'usage, elle fasse droit à la requête du chargé d'affaires de
Vienne et ordonne l'extradition demandée (1).
("n vif débat s'inutaure sur cette affaire. Reubell (2), Robes*
pierre, Delavigne, député du tiers état de la ville de Paris, Gaultier
de Biauzat, Pétion... demandent l'ajournement que combat Fréteau
de iSaint-Just. Au cours du débat, le due du Chatelet présente comme
pièce a conviction, un certificat du conseil impérial et roval de
Vienne, portant qu'il résulte de la procédure assermentée, que l'un
des deux accusés a fait circuler pour 200.000 florins de fausses
lettres de change (3).
(l) CE. Harnel, I, 381. Mais il donne le 15 mars comme date
du dépôt du rapport.
(2^ Reube!! s'efforce de démontrer qu'il s'agit de deux inn .>-
cents, victimes des directeurs dé la banque de Vienne d^vt les
affaires périclitent. D'autre part, il émet la crainte que ces deman-
des d'extradition ne s'étendent aux accusés politiques.
(3) Dans un premier rapport, il était question de faux billets: de
banque. Robespierre souligne cette contradiction.
108 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
L'Assamblée se prononça pour l'ajournement, et chargea ko;;
comités diplomatique et de constitution, de lui présenter incessam-
ment une loi générale sur cette matière.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 66, p. 269-270.
« M. Roberspierre. Quoiqu'il soit vrai que l'Assemblée ne puisse
juger d'un fait sans le connaître; quoiqu'il soit évident qu'elle n'a point
encore réuni les bases sur lesquelles doit être fondée sa décision, et
que, dans aucun cas, elle ne peut prononcer aussi légèrement sur le
sort d un individu, je crois que ce n'est pas même encoie la question
de fait qui doit nous occuper. Ne voyez-vous pas qu'il s'agit de la
plus grande question de droit public. Il s'agit de déterminer quels sont
les droits et les devoirs réciproques des nations; il s'agit de savoir
quelle est la juridiction générale des sociétés sur les individus de
l'espèce humaine. Croyez- vous que ce soit à l'occasion d'un rapport
superficiel, incomplet et ambigu que vous devez prononcer sur les
premières et les plus précieuses lois de la société, et sur les rapports
du genre humain?... Cette observation suffit pour vous déterminer à
renvoyer cette question au Comité de Constitution, pour la décider
ensuite avec toute la préparation et la maturité qu'elle mérite. »
[Interventions de MM. Fréteau, Buzot, Duchâtelet.]
« M. Roberspierre. D'après cette pièce il me paraît que les
particuliers arrêtés à Huningue ne sont rien moins que criminels. Si un
véritable crime existait, on n'aurait pas manqué sans doute de le pré-
senter à l'Assemblée nationale. J'atteste au contraire tous les négocians,
et je leur demande si ce dont les détenus sont accusés est réellement
un crime. Ils n'ont fait que ce qui était en usage, et concevez-vous
que si des accusés à la poursuite desquels on met tant d'importance
étaient réellement coupables, on se fût contenté d'envoyer un certi-
ficat, en vous cachant l'information... Ne voyez-vous pas que si vous
n'ajourniez pas, vous décideriez la question de fait, et préjugeriez la
question de droit, sans connaître ni l'une ni l'autre ? »
[Interventions de MM. Lavigne et Fréteau.]
« M. Roberspierre . Je ne crois pas qu'aucun membre de l'assem-
blée veuille faire ici, en quelque sorte, le rôle d'accusateur, et que
quelqu'un ait intérêt à s'opposer à T ajournement. Je demande qu'on
aille aux voix » (4).
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, VU, 558-559, et les Arch.
•pari., XXIII, 695-697, qui ajoutent, à la fin du 1er §: « Je demande
donc qu'il ne soit statué sur le isort des trois prisonniers détenus à
Huningue qu'après que l'Assemblée aura décrété la loi générale sur
cette matière et qu'en conséquence le projet de décret soit renvoyé
au Comité de constitution. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 109
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n° 241, p. 2.
Courrier des Français, n° 6, p. 47.
Journal de Normandie, n° 66, p. 316.
(( M. Roberstpierre a prouvé que de cette affaire naissoit impro-
visément la grande question du droit des gens qui déjà a été renvoyée
aux comités de constitution et diplomatique. Il concluoit à ce que
cette affaire ne fut pas décidée, avant que le principe ne fut reconnu
et consacré par un décret.
<( Cette motion sage devoit être adoptée de prime abord et faire
crouler le rapport insidieux de M. Duchâtelet; et cependant les plus
grands désordres ont régné dans l'Assemblée. M. Fréteau soutenoit le
rejet; M. Lavigne demandoit l'élargissement provisoire; le cul-de-
sac crioit à l'injustice. M. Peythion a renouvelé la motion de M. Ro-
berstpierre et enfin elle a été adoptée. »
Assemblée nationale et Commune de Paris (imitât.), n° 576, p. 2.
(( Le comité dyplomatique conclut, comme il l'avoit précédam-
ment fait, à Y extradition des deux particuliers; mais MM. Reubell,
Péthion, Biozat et Robetspierre ont objecté d'abord que rien ne prou-
voit la réciprocité que le comité dyplomatique alléguoit avoir toujours
existé entre la cour de France et la cour impériale, sur l'extradition;
car au contraire depuis long-tems un faux monnoyeur réfugié à
Bruxelles a été vainement réclamé; les opinans ont de plus observé
que les particuliers ne pouvoient être régulièrement extradés que sur
le vu d'une procédure bien légale; enfin, voyant dans cette affaire
une question très-importante sur le droit des gens, ils en ont demandé
le renvoi au comité de constitution, ce qui a été ordonné. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXII, p. 255.
« M. Robespierre. Il résulte des pièces, et je demande à le
prouver, que les accusés sont innocens (murmures) On n'argumente
contr'eux que d'après l'aveu d'une négociation usitée entre négocians;
et je prends à témoin, non-seulement tous ceux qui sont ici, mais
tous les hommes au courant de ces affaires : ils savent que ce n'est
point-là un crime (on applaudit). Si vous ne renvoyez pas au comité
l'examen de cette affaire, vous avez à décider ici et la question
de fait et la question de droit sur lesquelles ni M. Fréteau, ni M. du
Châtelet, ni personne n'ont encore dit un mot. »
Le Spectateur national, n° 97, p. 415.
« Ces motifs et plusieurs autres allégués, tant par le rapporteur
que par M. Fréteau, ont paru faire impression sur l'assemblée; elle
se préparait même à ordonner l'extradition des trois hommes réclamés
par la cour de Vienne, lorsque M. Robespierre s'est écrié que les
trois accusés dont il s'agissoit n'étoient point coupables; que le crime
qu'on leur reprochoit n'étoit qu'une opération ordinaire de commerce,
110 LES DISCOURS DZ ROBESPIERRE
et qu'enfin il étoit de la dignité et de la justice de l'assemblée, non-
seulement de ne pas les rendre à leurs juges naturels, mais même de
les mettre en liberté... »
L'Ami du Roi (Montjoie), 7 mars 1791, p. 262.
« La pénétration de M. de Roberspierre s'est trouvée en défaut,
sous prétexte que l'affaire n'était pas assez claire; il en a demandé
le renvoi à un nouvel examen.
« ...Pour éclairer M. de Roberspierre, M. le duc du Châteleî
s'est donné la peine de faire lecture d'une des principales pièces de
son rapport contenant la preuve du crime des deux prisonniers
« ...Tout-à-coup l'assemblée entière ne s'est pas trouvée plus
éclairée que M. de Roberspierre, car elle a adopté sa motion. »
Courier de Provence, t. XIII, n° 264, p. 350.
« MM. Reubell, Biauzat et Robespierre, se sont fortement oppo-
sés à la proposition insidieuse du comité diplomatique qu'ils ont accusé
de vouloir complaire au ministre. Ils ont observé que le certificat d'une
municipalité n'est point un acte judiciaire. La municipalité de Paris
pourroit-elle, avec des certificats, exercer le despotisme le plus arbi-
traire sur des François fugitifs ? »
[Brève mention de cette intervention dans Le Patriote jrançois,
n° 576, p. 243; Le Courrier des LXXXIII départemens, t. XXII, n° 7,
p. 110; Le Journal universel, 7 mars 1791 ; Le Courier français, t. X,
n° 65, p. 39; Le Mercure de France, 12 mars 1791, p. 145; Assem-
blée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. X, p. 3.]
231. — SEANCE DU 6 MARS 1791
Sur la publicité des séances des corps administratifs
L'Assemblée poursuit l'examen des articles du projet présenté
par Démeunier, et portant complément de l'organisation des corps
administratifs Après le vote de l'ensemble du projet, en trente-
ihuit articles, Robespierre propose un article additionnel tendant à
assurer la publicité des séances des corps administratifs.
Sur les observations de Le Chapelier, l'Assemblée prononça
l' ajournement.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXII, p. 271.
« M. Robespierre. J'ai à proposer un article additionnel qui est
infiniment essentiel, et qui ne peut éprouver de difficultés
a Vous savez que la publicité est en même temps un droU du
peuple et la sauvegarde de la liberté. Je demande en conséquence que
les séances des corps administratifs soient publiques » (Applaudisse-
mens).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 1 1 I
Le Spectateur national, 7 mars 1791, p. 416.
« Après l'adoption de ce décret, M. Robespierre en a sollicité
un qui ordonnât que les corps administratifs tiendroient leurs séances
publiquement; mais rien n'a été statué sur cette proposition, que
l'assemblée a cru devoir ajourner. »
L'Ami du Roi (Montjoie) , 7 mars 1791, p. 262.
« On a employé le reste de la séance à décréter de nouveaux
articles sur les corps administratifs. Avant de les donner, nous disons
que, lorsqu'ils ont été adoptés, M. Roberspierre a demandé que les
séances des conseils de département, des districts et des communes,
se tinssent publiquement. »
Mercure universel, t. I, p. 108.
« M. Robespierre a demandé la publicité des séances des corps
administratifs, prétendant qu'elle étoit un patrimoine du public. Ce
principe peut être vrai en général, mais la pratique ne seroit peut-être
pas sans de grands inconvéniens. M. le Chapelier, a prévenu l'assem-
blée que le comité s'étoit occupé de cette question, et que sous peu
de jours il lui feroit part de sa résolution. La motion de M. Robes-
pierre n'a plus eu d'objet. »
Société des Amis de la Constitution
232. — SEANCE DU 6 MARS 1791
Sur l'organisation du Ministère
Après une intervention de Broglie au sujet des rassemblements
sur la frontière du lihin, le président communique à la Société
l'ordre du jour de la séance. Mais sur l'observation que la discussion
du plan d'organisation du ministère devait commencer demain à
l'Assemblée nationale, il donne la parole à Robespierre. Ce dernier
iiftiste sur l'importance de cette question, mais refuse de développer
ses idées, bien que Beauharnais ait consenti à lui céder son tour
de parole.
La discussion s'engagea sans lui: Kersaint (1), Lépidor (2),
Danjou (3) et plusieurs autres y prirent part. Elle se continua le 11
mars.
Mercure universel, t. I, p. 126.
« M. Robespierre. L'organisation du ministère est, selon moi,
1 une des questions les plus importantes pour la liberté, et pourtant
<\) 11 s'a'/it 'lu futur conventionnel.
{■i) Lépidor père, électeur de la Section des Invalide:; on 1790.
(3) Danjou, prêtre et instituteur; il sera membre de la Commune
du 10 août et commissaire du Conseil exécutif. •
112 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
personne ici ne se présente pour la discuter; c'est ainsi que lorsqu'il
fut question d'organiser les corps administratifs (4), il ne se présenta
personne pour éclaircir cette matière; les décrets portés dernièrement
sur les corps administratifs tendent à remettre les pouvoirs du peuple
dans les mains du ministère. Celui dont il s'agira demain est dans le
même esprit, et l'on vous parle de la loi sur les émigrans (5), déjà
éclaircie par la discussion et par tous les écrivains. Vous êtes amis
de la Constitution, je demande si vous remplissez votre mission ? » (6).
(4) Cf. séance des Jacobins du 2 m,ar.s 1791.
(5) Cf. i&éance de l'Assemblée nationale du 28 février 1791.
(6) Rien dans Aulard à propos de Robespierre.
233. — SEANCE DU 9 MARS 1791
Sur la nomination des administrateurs du trésor national
A la fin de sa séance du 7 mars, l'Assemblée nationale avait
décidé de placer à l'ordre du jour du lendemain, l'organisation du
trésor public. Le débat s'engage le 8 mars, sur la question de savoir
si les administrateurs du trésor national seront nommés par le roi,
ainsi que le propose Lebrun (1) au nom du comité des finances, ou
par la nation.
La discussion se poursuit le 9 mars. Pétion demande la question
préalable sur le premier article du projet de décret du comité des
finances, qui établit un ordonnateur général nommé par le roi.
Robespierre défend aussi les droits de la nation au contrôle de ses
finances. Anson, député du tiers état de la 'ville de Paris, et Rœde-
rer, soutiennent le même point de vue.
L'Assemblée décréta que les administrateurs du trésor national
seraient nommés par le roi.
Le Point du Jour, t. XX, n° 607, p. 105.
« M. Robespierre a défendu avec force les principes du droit
national : « Puisque l'impôt n'est autre chose, a-t-il dit, qu'une partie
des propriétés nationales, mise en commun pour subvenir aux besoins
de la société (2), l'intérêt et les droits de la nation exigent essentielle-
ment deux choses: la première, qu'il n'existe d'autre impôt que ceux
qu'elle a librement établis; la seconde, que les précautions les plus
efficaces soient prises, pour assurer la conservation et le fidèle emploi
des sommes qu'elle consacre à ses besoins. C'est à ses représentans
qu'elle confie ce double soin; c'est vous qu'elle en a chargés. Vous
(1) Il s'agit de Lebrun, député de Dourdan, futur consul et duc
de Plaisance.
(2) Cette idée a déjà été exprimée par Robespierre lors de la
discussion de la Déclaration des Droits, dans la séance du 26 août
1789.
. LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 113
avez rempli à cet égard la première partie de votre tâche, en consa-
crant le principe que tous les impôts doivent être établis par elle; il
vous reste la seconde, sans laquelle la première seroit presqu'absolu-
ment illusoire, c'est-à-dire de prendre les précautions les plus sages
pour assurer la conservation et le fidèle emploi du trésor public.
« On vous propose deux partis : l'un de s'en remettre entre les
mains du ministre, et l'autre de le laisser entre les mains de la nation,
c'est-à-dire de le confier aux mandataires qu'elle aura choisis. Il s'agit
donc d'examiner de quel côté est la garantie la plus sûre. Or, quel
homme de bonne foi peut hésiter sur cette question ? Qui osera dire
que les choix des ministres méritent plus de confiance que ceux du
peuple ou de ses représentans, c'est-à-dire, que les intrigues de cour
sont des garans moins suspects que le vœu national.
<( Certes, pour résoudre cette question, il ne faut point se perdre
dans des raisonnemens subtils; il suffit de suivre les premiers principes
du bon sens, et les premiers mouvemens de sa conscience. Eh ! qui
sont donc ceux qui jusques-ici et dans tous les tems ont dilapidé les
finances et dévoré la substance du peuple? la Cour, les ministres;
qui sont ceux qui sont préposés pour réparer ces désordres, pour en
prévenir le retour? les représentans de la nation, vous; et c'est entre
les mains de la cour et du ministre que l'on vous propose de remettre
le trésor national; et ce sont eux que l'on préfère à la nation même ou
à ses représentans ?
« C'est ici le moment de confondre un sophisme qui pourroit
non seulement produire en cette occasion, une erreur funeste, mais qui
seroit un prétexte éternel de violer les droits de la nation. On vous
présente le roi, ou les ministres, d'un côté, l'assemblée nationale de
l'autre, comme deux espèces de représentans placés sur la même ligne,
comme deux pouvoirs délégués, auxquels vous pouvez également confier
le soin de veiller à la conservation du trésor public.
« Non, les véritables représentans de la nation sont ceux qu'elle
a choisis pour défendre ses droits, à ce titre, pour être les organes de
sa volonté, pour surveiller en son nom les divers magistrats et les agens
du pouvoir exécutif. Dans tout ce qui concerne leur compétence, il
faut dans votre système surtout, reconnoître en eux les droits et l'auto-
rité de la nation elle-même, il faut les considérer comme tenant sa
place Et certes, n'y a-t-il pas trop peu de bonne foi, tantôt à décréter
que la nation n'exerce point sa souveraineté et ses droits par elle-même,
mais seulement par le ministère de ses représentans, tantôt à mécon-
noître dans les représentans le droit d'exercer son pouvoir; de ne les
regarder que comme des délégués ordinaires, placés sur la même ligne
que les fonctionnaires exerçant ce que vous appeliez le pouvoir exécutif.
Il résulîeroit de ce système que la nation seroit dépouillé- de sa souve-
raineté, puisqu'elle ne pourroit en exercer les droits, ni par elle-même,
ni par des représentans; il n'y auroit plus alors qu'un pouvoir, royal ou
114 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
ministériel, immense, destiné à tout engloutir; il n'y auroit plus de
nation. Remettez dans ses mains l'armée et les finances, vous aurez
rempli cet objet dans toute son étendue; vous aurez adopté le moyen
le plus infaillible de rétablir constitutionnellement le despotisme. Je
vous supplie donc de remplir le vœu de la nation et de respecter ses
droits, en décrétant que le trésor public ne sera confié qu'à ceux qu'elle
aura choisis » (3).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXII, p. 313.
« M. Robespierre. L'intérêt de la nation, en ce qui concerne
les finances, est qu'elle s'assure le droit de n'être contrainte à aucun
impôt que celui qu'elle aura librement et volontairement établi; en
second heu, qu'elle s'assure également que le trésor composé de ses
contributions, ne pourra point être diverti à d'autres besoins que les
siens propres; elle doit donc connoître l'emploi de ses fond?. C'est
pour cela en partie que la nation nomme ses représentons ; c'est pour
cela en partie qu'elle vous a envoyés à cette assemblée. Déjà vous
avez rempli la première partie de votre mission, en consacrant le droit
qu'a la nation de ne payer que les impôts qu'elle aura librement
établis : il vous reste maintenant à remplir la seconde partie de cette
mission, non moins essentielle, sans laquelle la première seroit illusoire.
« Messieurs, pour décider cette question il ne faut point se perdre
en longs raisonnements; il suffit de porter ses regards en arrière. Qui
sont ceux qui ont jusqu'ici abusé de vos finances ? qui sont ceux
qui ont abusé des revenus de la nation? C'est le ministère, c'est la
Cour. (Applaudi des tribunes). Le ministère et la cour ne peuvent
donc pas nommer désormais ceux qui auront l'administration des fonds
publics. La nation ne peut s'en reposer à cet égard que sur les repré-
sentai de la nation, que sur leur fidélité à défendre ses droits. »
Journal des Débats, t. XVIII, n° 642, p. 7.
<( M. Robespierre a dit : il est impossible de traiter ou même de
s'engager à traiter aucune question de détail dont on a enveloppé
jusqu'ici à ce moment la question qui vous est soumise, avant d'avoir
décidé cet objet important : savoir si l'intérêt public, si les principes
exigent que le trésor de la Nation soit remis entre les mains du Pou-
voir exécutif; s'il faut que le Trésor National soit remis à des Agens
du Pouvoir exécutif, ou à des Représentans de la Nation. Quelle que
soit la diversité d'opinions, la Nation a le droit d'espérer qu'une
pareille question sera discutée et examinée avec la plus grande atten-
tion; et les circonstances m'obligent d'observer que toutes les fois qu'un
(3) Cf. E. Hamel, I, 383. Texte reproduit dans les Arch pari.
XXIII, 745.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 115
Opinant a présenté des principes contraires à ceux que je vais déve-
lopper, il a demandé d'aller aux voix, et a été appuyé par plusieurs
voix. En conséquence, je prie l'Assemblée de vouloir bien m'écouter
attentivement.
« L'Orateur a pensé que cette question importante en soi, n'étoit
pas difficile à résoudre, et que, pour y parvenir, il falloit seulement ne
pas repousser les principes les plus simples et les plus familiers. L'impôt
est une portion de la fortune nationale. Il s'ensuit que l'intérêt national
exige : 1 ° que l'on assure le droit de n'être contraint à payer que les
contributions que l'on se sera imposées; 2° que le trésor que la Nation
aura formé ne soit point employé à d'autres usages que ceux que solli-
citera l'intérêt public. Il faut donc prendre des précautions sur ce der-
nier objet; c'est pour cela en partie que la Nation a nommé des Repré-
sentans; et quand ils ont rempli leur première mission, ils doivent
aussi s'acquitter de la dernière, c'est-à-dire pour la conservation et
pour la fidélité de l'emploi du Trésor public.
« M. Robespierre a rappelé les deux partis que l'on proposoit;
et pour combattre celui du Comité, il a. demandé que l'Assemblée
reportât ses regards sur l'ancien régime; que Ton se retraçât les dépré-
dations des anciens Ministres, et l'importance des fonctions de ceux
qui sont appelés à réparer ces désordres. Quelques considérations ulté-
rieures ont déterminé M. Robespierre à conclure que l'Ordonnateur
général des Finances, et les Administrateurs, fussent élus par un Corps
électoral pris dans le Corps législatif. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 69, p. 282.
« M. Roberspierre. Je demande quel est le choix qui mérite le
plus de confiance, du choix ministériel ou de celui des représentans
de la nation, exprimant l'opinion et la volonté du peuple } C'est ici le
moment de repousser un sophisme beaucoup plus dangereux que les
nuages dont on a voulu obscurcir la question, et qui fournirait un pré-
texte éternel de violer les droits de la nation, je veux dire le parallèle
inexact qu'on a fait du corps législatif et du roi : ils sont tous deux,
dit-on, les délégués de la nation. Je ne crois pas nécessaire d'observer
que le roi ni ses agents ne sont renouvelles à une époque déterminée
par des réélections, mais je réponds que le corps législatif seul à la
mission d'exprimer la volonté générale, de voter et de diriger l'emploi
des contributions : c'est le corps législatif, composé de citoyens envoyés
de toutes les parties du royaume, qui est l'intermédiaire dont la nation
se sert pour diriger l'action du gouvernement; c'est au corps législatif
seul à nommer les hommes à qui la gestion importante du trésor public
doit être confiée » (4).
(4) Texte reproduit dans )<■ Moniteur, VU, 584,
1 1 6 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Courier Français, t. X, n° 69, p. 67.
« M. Robertspierre a voulu aussi nous donner un échantillon de sa
pénible et robuste éloquence sur cet important sujet; et ron avis étoit,
qu'après avoir décrété qu'il ne seroit établi d'impôt qu'en vertu d'un
décret du corps législatif, on devoit prendre le* précautions les plus
sévères pour éviter le gaspillage de nos deniers; que la nation ne doit
pas avoir la même confiance dans des administrateurs menés par la
cour, que dans ceux qui seroient désignés par la nation; qu'en jettant
nos regards sur le passé, nous ne verrons que brigandage et dilapida-
tions; que les représentans du peuple étant préposés à la réparation de
ces anciens désordres, il faut éviter tout ce qui pourroit le faire renaître;
que la responsabilité d'un agent, nommé par la cour, seroit nul, aussitôt
que le sentiment du patriotisme se seroit affaibli, et que les intrigues
de la cour auroient repris leur ancienne activité; qu'il ne faut user de
subterfuge envers la nation, ne pas lui présenter de garantie illusoire;
qu'il faut écarter du maniement des deniers publics ces mains suspec-
tes qui les prodiguèrent tant de fois ; que les représentans du peuple
doivent faire seuls ce choix, et que, sans cela, plus de constitution
libre, plus de souveraineté nationale, plus de nation. »
Mercure de France, 19 mars 1791, p. 196-197.
« M. Roberspierre a seul trouvé que la question, importante en
soi, n 'étoit pas difficile à résoudre; et pour la prouver, il a délayé de
grands principes. L'impôt est une portion de la fortune nationale, de là
le droit de voter l'impôt, celui d'en surveiller l'emploi, les précau-
tions et mesures toutes dévolues aux représentans du peuple. Ensuite
un coup-d'ceil sur l'ancien régime, sur les devoirs des législateurs appe-
lés à réparer tant de désordres..., finalement élection de l'ordonnateur
et des administrateurs des finances faite par un corps électoral pris
dans le corps législatif »
Courrier national (Beuvin), 10 mars 1791, p. 3.
« ...La première [opinion] soutenue par MM. Péthion et Robes-
pierre, tendoit à attribuer aux représentans de la nation, le droit de
nommer les administrateurs chargés de la gestion de la caisse nationale.
Ils se sont fondés principalement sur le souvenir des anciennes dépré-
dations des ministres des finances, sur l'intrigue des courtisans pour
élever à ces places les gens qui leur sont dévoués, et sur la facilité
qu'il y aurait à éluder les lois de la responsabilité. »
Gazette nationale ou extrait..., t. XV, p. 174.
« Il est impossible de bien discuter les détails avant d'avoir posé
mes principes. Le trésor national doit-il être confié aux agents du pou-
voir exécutif, ou à des hommes choisis par la nation ? Une question
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 117
de celte importance ne doit point être discutée légèrement. Je supplie
l'Assemblée de vouloir bien mécouter avec quelqu'attention ; j'insiste
particulièrement pour que cette grâce me soit accordée, & ce n'est pas
sans douleur que j'ai entendu des murmures, lorsque les vues les plus
sages & les plus conformes aux principes de la constitution ont été
développées par un des préopinans. Peut-on dire raisonnablement que
le délégué de la nation, que le Roi fera un meilleur choix que la
nation elle-même ? Quels sont ceux qui ont dilapidé les finances ? ce
sont les agents du ministère. Quels sont ceux qui ont été appelés pour
réparer ces désordres? ce sont les représentant de la nation... Il serait
bien simple d'épargner aux agens du pouvoir exécutif le reproche éter-
nel d'avoir occasionné les ma::x de notre patrie, en ne leur fournissant
pas les occasions de manquer à leur devoir. Il seroit bien plus simple
que les mandataires de la nation, que des hommes dignes de sa con-
fiance fussent chargés de la garde du trésor public. »
Assemblée nationale et Commune de Paris (imitât.), n° 579, p. 3.
« L'ordre du jour étoit la suite de la discussion sur l'organisation
du trésor public; MM- Péthion et Roberspierre ont combattu le plan
du comité des finances, qui attribue le choix des administrateurs au
chef du pouvoir exécutif. Voici leurs motifs : l'impôt est une partie
de la propriété nationale mise en commun pour les besoins de la
nation; de ce fait, il résulte deux choses: Tune, que la nation doit
s'assurer qu'elle ne payera que la somme d'impôts nécessaires à ses
besoins, et pour cela elle les détermine par ses représentans ; l'autre,
que cet impôt ne sera pas diverti et appliqué à des objets étrangers à
sa destination; or, pour être bien certaine de cette application, à qui
du pouvoir exécutif ou de ses représentans, doit-elle confier le manie-
ment de ses deniers ? En qui doit-elle prendre plus de confiance, des
ministres ou des délégués par le corps législatif ? L'argent est dans
les mains du pouvoir exécutif, le plus dangereux de tous les instru-
mens; c'est avec l'argent qu'il exerce les grands moyens de corruption;
c'est avec l'argent qu'il peut anéantir la liberté. Les représentans d'une
nation qui vient de conquérir sa liberté ne doivent jamais perdre de
vue les déprédations qui se sont commises dans l'ancien régime et qui
ont failli la perdre.
« En vain argurrenteroit-on de ia ressource de la responsabilité;
l'expérience a prouvé combien elle étoit illusoire, et toujours chez nous,
comme chez une nation voisine, le ministre des finances se fera un
jeu de la comptabilité. La surveillance du corps législatif ne seroit pas
non plus suffisante pour tranquilliser la nation sur l'administration de
ses deniers, si elle étoit déléguée au pouvoir exécutif; il faut donc la
mettre entre les mains de gens qui méritent la confiance de la nation ;
mais comment s'y prendre pour déterminer cette confiance ? »
118 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Courrier extraordinaire, 10 mars 1791, p. 3.
« M. Robespierre a soutenu que les principes les plus évidens
s'opposoient à ce que les administrateurs du trésor national, fussent à
la disposition du pouvoir exécutif; l'impôt, disoit-il, étant une partie
de la propriété nationale destinée aux besoins de la nation, c'est à la
nation à veiller par ses représentans à ce que cet impôt ne soit pas
appliqué à d'autres dépenses que celles qui lui sont nécessaires; et si
l'application de l'impôt ne peut être faite que par des administrateurs,
dignes de la confiance de la nation, comment croire que cette confiance
sera mieux placée dans un agent du pouvoir exécutif, que dans l'homme
choisi par la nation.
« L'opinant a conclu à ce que l'on commençât par décider si les
administrateurs du trésor national seront nommés par les représentans
de la nation ou par le pouvoir exécutif. »
Révolutions de France et de Brabant, t. VI, n° 68, p. 123.
« Bien plus, Cazalès, dont l'autorité est d'un plus grand poids
encore dans la question, que celle d'un roi, a dit: « Je ne suis pas
suspect de vouloir affoibhr l'autorité royale; si j'avois eu de l'influence,
je l'aurois étendue; mais ici je crois qu'il faut la resserrer; il y auroit
trop de danger à laisser le trésor aux mains du prince. Péthion et
Robespierre n'ont pas manqué de développer ces dangers. Ce n'étoii
pas la peine d'assigner au roi une liste civile de 25 millions, puisqu'on
lui donnoit, comme par le passé, la clef du trésor. Nous sommes tous
persuadés, a dit Péthion, que la responsabilité est un frein chimé-
rique, qui ne peut donner de la confiance qu'à des enfans. Il esf si
facile à un ministre de friser, comme on dit, la corde, sans en être
atteint » (5).
L'Ami du Roi (Royou), n" 295, p. 3.
« Le seul nom de M. Robespierre promet des déclamations, des
injures, et tous les lieux communs d'une démocratie effrénée : écho de
M. Péthion, il n'a rien dit qui ne lui soit propre, et la seule chose qui
lui appartienne, c'est un raisonnement tout-à-fait neuf et singulier. Les
impôts sont une partie de la propriété de la nation mise en commun;
donc c'est aux représentans de la nation à l'administrer, et il n'y a
point de salut à espérer pour les finances, si elles ne sont remises à la
discrétion du club des Jacobins. »
Journal universel, t. X, p. 3782.
« MM. Le Brun et Jessé (6) ont opiné pour que l'ordonnateur
(5) E. Hamel souligne l'importance attribuée à ce débat par les
journaux et rappelle les accusations portées plus tard par Brissot
contre iLavoisier, administrateur du Trésor.
(6) Baron de Jessé, député de la noblesse de la sénéchaussée de
Béziers.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 1 1 9
fut nommé par le roi; MM. Péthion, Robespierre, Rœderer par le
corps législatif. La question assez débattue a été ainsi jugée.
« Ceux qui administreront le trésor public seront nommés par le
roi.
« Voilà un oubli fatal des vrais principes ! Je suis désola.
« L'Assemblée Nationale, après avoir rendu mercredi ce décret
fatal sur l'organisation du tiésor public, ce décret qui choque les prin-
cipes, ce décret qui n'auroit point passé si l'on n'eût pas été sourd
à la voix de Robespierre, de Péthjon, de Rœderer, qui ont fait valoir
avec la plus grande énergie les inconvénients de laisser au pouvoir
exécutif la nomination des administrateurs de nos finances; enfin, ce
décret que les Lameth. les Barnave et d'autres membres appelés patrio-
tes, n'oni: point combattu... »
Journal général, 1791, n° 38, p. 151.
(( Un état de la recette et de la dépense, imprimé tous les mois,
ne suffiroit-i! pas? Non, il ne suffit pas à M. Robertspierre, qui ne
succède au Préopinant, que pour nous dire que dans un temps même
où la Nation étoit dans toute l'énergie de la liberté, et où nul obstacle
ne sembloit empêcher les effets de la responsabilité, les ministres du
Trésor l'ont éludée. Que sera-ce quand, le zèle de la liberté rallenti,
le Ministère reprendra peu-à-peu son antique ascendant. »
[Brève mention de cette intervention dans une lettre de Mme de
Chalabre à Robespierre (7^ et dans les journaux suivants : Le Courrier
des LXXXIII départemens, t. XXII, n" 11, p. 175; UAnH Marat,
n° 10, p. 1 ; Le Mercure national et Révolutions de l'Europe, t. II,
n° 19, p. 317; La Feuille du Jour, t. III, n° 69, p. 546; L'Obser-
vateur français, n" 8, p. 63; Les Annales patriotiques et littéraires,
n° 524, p. 1148; La Correspondance générale des départemens de
Farnce, t. II, n° 21, p. 326; La Gazette universelle, n° 69, p. 276;
Le Courier de Provence, t XIII, n° 276, p. 374; Le Lendemain,
t. II, n" 69, p. 844; Les Annales universelles, 10 mars 1791, p. 110;
Le Spectateur national, 10 mars 1791, p. 427; Le Journal général de
France, 10 mars 1791, p. 274; Le Postillon (Calais), n° 372. p. 6;
Le Journal du Soir (Beaulieu), n" 68, p. 2, et le Législateur français,
Le Journal du So:r (Beaulieu), n° 68, p. 2; Le Législateur français,
10 mars 1791, p. 4; Le Courrier des Français, n° 10, p. 76.]
(7) Texte publié dans les « Papiers inédite trouvés chez Robes-
pierre, I, 173-175; et résumé en quelques Ligne» dans G. Michon,
p 101.
120 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
234. — SEANCE DU 9 MARS 1791 (soir)
Sur la démolition du donjon de Vincennes
Le Chapelier s'indigne qu'on ait pu surprendre à rassemblée
nationale, un décret inconsidéré: celui qui permet à la municipalité
de Paris, de réparer le donjon de Vincennes. Il 'demande qu'il soit
ordonné au département de Paris, de faire cesser ce travail scanda-
leux, et qu'il lui soit enjoint de mettre en vente ce .< boulevard du
despotisme ». Rriois de Beaumez, député de la noblesse de la gou-
vernance d'Arras, propose qu'il soit démoli Plusieurs députés inter-
viennent dans le même sens (1).
L'Assemblée décida que les réparations du donjon de Vincennes
seraient suspendues, et chargea son comité d'aliénation de lui pré-
senter un rapport sur la vente et la démolition de ce donjon et des
autres prisons d'Etat.
Journal universel, t. X, p. 3787.
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n° 245, p. 334.
Courrier des Français, n° 10, p. 80.
Journal de Normandie, n° 70, p. 334.
« MM. de Biauzat, Roberstpierre, Duport, Merlin et Reubell ont
parlé tour à tour sur cette proposition. Ils l'ont appuyée, ils l'ont ren-
forcée; il sembloit qu'ils voulussent enlever chacun une pierre de cette
Bastille. »
L'Ami du Roi (Montjoie), Il mars 1791, p. 278.
« MM. Biauzat, Roberspierre, Merlin et Reubell étaient les plus
hardis destructeurs; ils ont parlé l'un après l'autre, et que n*ont-i!s pas
dit? Dans leur acharnement contre le donjon, ils paraissaient vouloir ie
renverser de leurs propres mains, ils semblaient à l'envi en arracher les
pierres, et les précipiter dans les fossés. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographiqve , t. XXII, p. 327.
« M. Robespierre. On ne peut opposer à la motion de M. Le Cha-
pelier aucun motif raisonnable, je demande qu'elle soit mise aux
voix » (2).
[Brève mention de cette intervention dans Le Mercure de France,
19 mars 1791, p. 200; Le Journal des Débats, t. XVIII, n° 643,
p. 4.]
(1) Cf. séance des Jacobins du 2 mars 1791.
(2) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIII, 754.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 121
Société des Amis de la Constitution
235. — SEANCE DU 11 MARS 1791
l,e intervention: Sur la responsabilité des ministres
Comme il l'avait fait le 6 mars, Robespierre engagea à nouveau
le débat sur l'organisation du ministère. Kersaint prononça aussitôt
un important discours dans, lequel il précisa la répartition des divers
objets de l'administration entre les départements ministériels; mais
il ne se prononça pas sur la forme de nomination des ministres. A ce
propos, (rouget Deslandres (1) intervint à son tour et conclut comme
Robespierre à l'élection des ministres par le peuple.
Cicéron à Paris, n° 39, p. 5.
« Au lieu de passer à l'ordre du jour, on a écouté avec beaucoup
d'attention une motion très patriotique de M. Roberspierre. La voici :
« Je suis étonné, Messieurs, qu'aucun des honorables membres de
cette auguste société n'ait eu jusqu'ici un mouvement de patriotisme
assez éclairé, pour s'opposer à ce que la nomination des six ministres
fut déléguée au pouvoir excutif. Car, prenez-y bien garde, Messieurs,
s'ils sont nommés par le Roi, plus de responsabilité de la par* de ces
agens qui ne croiront devoir et ne devront réellement compte qu'à celui
qui les aura commis, c'est-à-dire au Roi. Or, des ministres doivent
être responsables de fait et de droit envers la nation, puisqu'ils tien-
dront dans leurs mains le bonheur et la tranquillité de l'empire. Je
conclus donc à ce que les ministres soient électifs » (2).
2° intervention : Sur V impression du discours de Kersaint
L'impression du discours de Kersaint donne lieu à « quelques
débats » au cours desquels Robespierre intervient à nouveau.
La Société arrêta alors à l'unanimité que le discours ne serait
livré à l'impression que « lorsque l'auteur en aurait fait une seconde
lecture, s'il y faisait des changements ».
La Feuille du Jour, t. III, n° 76, p. 607 (3).
« M. Robespierre s'oppose à cette proposition raisonnable (de
purger, avant de l'imprimer, un discours dont l'impression a été déci-
dée). »
(1) Gouget des Landres (ou des Landes) Maurice, né à Dijon, fut
d'abord avocat au parlement de Bourgogne, puis en 1778 substitut du
procureur général. Elu parla Côte-d'Or juge suppléant au tribunal
do cassation, il y siégea du 9 décembre 1791 au 22 septembre 1792.
Jl fut ensuite un des commissaires nationaux envoyés par Je Conseil
exécutif provisoire en Belgique (1792-1793); puis il siégea de nouveau
;mi tribunal de cassation, d'octobre M'Xi à septembre 1797.
(2) Rien dans Aulard.
(3) Rien dans Aulard.
122 les discours de robespierre
Société des Amis de la Constitution
236. — SEANCE DU 11 MARS 1791
Sur une adresse aux sociétés affiliées,
rédigée par barnave (i)
Le président de la société, Biauzat, avait donné lecture dans
la séance du 2 mars, d'une lettre d'Adrien Duquesnoy (2) qui se
plaignait d'avoir été dénoncé par Alexandre Lameth comme un
ennemi de la liberté et protestait de ses sentiments patriotiques.
Barnave, soutenu par Danton et Clhepy fils, avait défendu les
Lameth et vivement critiqué le contenu de cette lettre. La société
avait alors décidé de nommer des commissaires, dont Barnave,
pour rédiger une adresse qui ferait connaître les vrais principes (3).
Le 11 mars, malgré l'opposition de Robespierre, on arrêta
l'impresion de l'adresse rédigée par Barnave, et son envoi aux
sociétés affiliées (4).
Le Patriote françois, n° 586, p. 285 (5).
« M. Robespierre a en vain élevé la voix pour demander !a discus-
sion; M. Barnave a enlevé d'assaut la publication de la lettre, comme
il a enlevé les décrets des colonies. Si M. Robespierre eut pu obtenir
la parole, il auroit sans doute combattu une erreur qui renverse la
déclaration des droits, et qu'on est surpris de retrouver dans le journal
de M. Desmoulins, qui porte encore bien plus loin la souveraineté
du peuple, puisqu'il veut lui faire ratifier tous les actes du pouvoir
législatif. Cet oubli est probablement l'effet de ces distractions bachi-
ques dont il parle dans ce numéro.
« M. Robespierre auroit encore fait disparoître cette expression
d'amis du peuple, dont M. Barnave ne peut se déshabituer, et qui n'est
que le langage d'une aristocratie déguisée.
« Il auroit fait retrancher cette phrase, qui n'offre que de l'adu-
lation en pathos :
« Dites au peuple que ses représentans poursuivent sans inter-
ruption (c'est un mensonge, ils sont interrompus, et ils s'interrompent
tous les jours) leur vaste entreprise, et que leurs efforts sont secondés
par un roi dont les vertus impriment le véritable caractère à la royauté
constitutionnelle, instituée pour le bien du peuple et !a stabilité du
gouvernement » (6).
(1) Adresse reproduite dans Auiard, IT, 185-189.
(2) Le texte de cette lettre est reproduit dans Auiard, TI, 152-
153. Duquesnoy, député du tiers état du bailliage de Barde-Duc,
siégea en 1739 parmi les patriotes avancés, puis en 1791, il se rappro-
cha de la Cour et rédigea pour le compta de la liste civile, avec
Regnaud da Saint-Jean-d'Angély, le journaJ : L'Ami des Patriotes.
(3) Cf. Mercure universel, t. I, p. 71-72.
(4) Cf. Mercure universel, t. I, p. 212.
(5) Il s'agit du n° du 17 mars.
(6) Texte reproduit dans Auiard, II, 189-192.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 123
237. — SEANCE DU 13 MARS 1791
Sur le jugement des contestations en matière électorale
(suite)
L'Assemblée revient sur les 'articles du projet de décret concer-
nant les dispositions qui doivent compléter l'organisation des corps
administratifs <1). Il s'agit des art 19, 22 et 23, relatifs aux contes
tations qui peuvent s'élever en matière électorale. Démeunier,
rapporteur, présente un projet de décret en dix articles. L'écono-
mie générale du 'projet consiste à faire juger les contestations en
matière électorale, par les corps administratifs eux-mêmes.
Un vif débat s'instaure. Pétion, Robespierre et Alexandre
Lameth soutiennent que les jugements à porter sur la validité des
assemblées et la forme des élections sont de la compétence du corps
législatif, lorsqu'il «'agit des députés, ou des tribunaux pour les
autres élections. Mirabeau propose l'ajournement de la discussion au
lendemain.
L'Assemblée se rangea à l'avis de Mirabeau, et le 14 mars elle
décida :
1° Que toutes les contestations relatives à la qualité personnelle
fie citoyen actif ou éligible, seraient portées devant les tribunaux;
2° Que le corps législatif connaîtrait seul de toutes les questions
relatives aux élections des membres des législatures, de la cour de
cassation et du haut-jury;
3° Que les contestations relatives à la convocation, à la formation
et à la tenue des assemblées de communes, primaires et électorales,
seraient décidées par les corps administratifs, sauf le recours au
corps législatif (2).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXII, p. 413
« M. Robespierre. Le préopinant n'a pu soutenir l'avis du comité
qui, en confondant des notions tout à fait disparates, les fonctions admi-
nistratives et législatives avec les droits individuels et politiques de
chaque citoyen renverse les premiers principes de votre constitution.
Le premier principe de votre constitution est la conservation du droit
de souveraineté de la nation; et cette souveraineté seroit lésée dans
les assemblées primaires ou électorales, dans ces assemblées d'où éma-
nent tous les pouvoirs délégués. Car ce sont ces assemblées qui créent
ces pouvoirs : et c'est en les créant que la nation exerce sa souve-
(1) Cf. ci-dessus, séance du 5 mars 1791.
(2) Le décret du 14 mars donna lieu aux commentaires suivant!:
dans le Journal de Brissot (Patriote françois, n° 584, p. 279), et dans
le Journal universel, d'Audouin (p. 3828 > : « Après la lecture d'une
note du garde des sceaux sur la sanction d'une foule de décrets,
du bulletin de la santé du roi, moins farci de la ridicule technologie
fies Diafoirus, et quelques décrets sur la réduction des paroisses,
V, De&meuniers a proposé deux articles additionnels sur le complé-
ment des corps administratifs. J'ai peine à croire que M. Robespierre
fût présent, car il n'auroit pas sans doute laissé passer cette faculté
qu'on donne au roi de remplacer à son gré le directoire suspendu. »
'24 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
raineté. Si donc vous donnez à un pouvoir quelconque, soit judiciaire,
soit administratif, le pouvoir de juger si elles ont pu ou n'on*. pas pu
exister, vous anéantissez la souveraineté de la nation : vous élevez
au-dessus d'elle les pouvoirs que cette même nation a créés, et vous les
rendez absolument les maîtres d'empêcher l'exercice de sa puissance,
ou de la diriger conformément à leurs vues. De là il résulte qu'au-
cuns corps administratifs ne peuvent juger si les assemblées primaires
et électorales ont été valables ou non.
« Et quelles sont les fonctions que le peuple leur a donné dans
ses assemblées primaires ? Qu'ont-elles de commun avec le jugement
des droits politiques de la nation > Qu'est-ce que les fonctions des
administrateurs, si ce n'est de répartir l'impôt, de veillei au maintien
de la police, de régler les ouvrages publics qui peuvent être utiles à la
nation. Qu'y a-t-il de commun entre ces fonctions, dans lesquels l'auto-
rité des corps administratifs est restreinte par l'autorité souveraine du
peuple, et entre le pouvoir de juger ? Si le peuple lui-même s'est légi-
timement assemblé, si les élections sorties de ces assemblées sont
valides, n'est-il pas évident au contraire que donner aux corps admi-
nistratifs l'inspection sur ces assemblées, c'est renverser toutes ces idées,
c'est mettre le délégué à la place du souverain et le souverain à la
place du délégué (applaudi).
« Les mêmes principes s'appliquent également aux corps judi-
ciaires : leur pouvoir consiste uniquement à juger les contestations des
individus, mais il ne peut s'étendre à juger de la validité des assem-
blées politiques. En général, juger des droits politiques de chaque
citoyen, c'est évidemment influer sur la souveraineté nationale, c'est
élever le corps judiciaire au-dessus des assemblées où réside la souve-
raineté nationale. Il est donc impossible que les corps judiciaires non
plus que les corps administratifs, puissent exercer le droit de décider
si ces assemblées sont bien convoquées, si les élections sont valides.
« Quel est donc le pouvoir qui doit décider cette grande ques-
tion ? Ce pouvoir ne peut être que celui du souverain, s'il peut l'exer-
cer par lui-même ; mais comme la nation trop nombreuse ne peut s'assem-
bler que par sections, c'est à ses représentant immédiats à l'exercer;
ce ne peut être qu'une assemblée qui se trouvera dépositaire du pou-
voir politique de la nation, qui aura une qualité suffisante pour être
son organe, pour être l'interprète de ses volontés; et quoique l'on
puisse m'objecter, il faut que le pouvoir dont je parle soit exercé par
la nation ou par ses representans, par le corps législatif. Sans cela, la
nation n'est plus souveraine, il n'y a plus de liberté. Personne n'entre-
prendra sans doute de contester ces principes : mais on suivra la
méthode ordinaire qui est d'opposer des inconvémens.
« M. Démeunier. Ce n'est pas là la question
« M. Robespierre. Eh bien ! qu'on établisse la question sur les
inconvéniens, qu'on examine de quel côté sont les plus grands : je
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 125
consens à réduire là la question, mais je demande d'avance à ceux qui
objectent sans cesse des inconvéniens, si les leurs peuvent balancer
ceux que j'oppose à mes adversaires. Je conclus donc à ce qu on
rejette par la question préalable le projet du comité, comme fondé
sur des principes destructifs de la liberté nationale et qu'on ne confie
ce pouvoir redoutable qu'il veut remettre entre les mains des corps
administratifs qu'aux représentai véritables de "la nation » (3V
Courier Français, t. X, n° 74, p. 108.
« Ce n'étoit pas là l'avis de M. Robertspierre, lequel soutenoit
que le comité, en confondant des notions tout-à-fait disparâtres (sic);
les fonctions administratives & législatives avec les droits individuels
& politiques de chaque citoyen, renversoit les premiers principes de
la constitution. »
[Suit le texte de Le Hodey, depuis: « Le premier principe...
jusqu'à : « qui est d'apposer des inconvéniens. »]
Le Point du Jour, t. XX, n° 612, p. 180.
« M. Robespierre, toujours fidèle à ses principes, a soutenu que
les corps administratifs ne dévoient s'occuper en aucune manière de
ce qui concernoit les assemblées primaires ; que la nation ou ses repré-
sentai avoient seul le droit de connoître des contestations élevées dans
le sein de ces assemblées, qui sont des sections de la souveraineté.
Il a conclu à ce que le corps législatif jugeât seul ces contestations.
Il ajoutoit que sans cette disposition essentielle, la liberté et !a consti-
tution dégénéieroit bientôt entre les mains des corps administratives
(sic) et des tribunaux judiciaires.
« C'est ainsi que s'est reproduite une des plus grandes questions
du droit constitutionnel. Sa discussion, mal dirigée, pouvoit entraîner
la confusion de tous les pouvoirs, les soumettre les uns aux autres,
détruire la hiérarchie naturelle de chaque pouvoir en particulier, et
amener par-là l'altération sensible et graduelle de cette belle consti-
tution, que le génie de la liberté donne à la France.
« Il ne falloit poser que trois principes incontestables pour conduire
à une décision propre à obvier à tant dinconvéniens.
« Le premier, déjà décrété, c'est que chaque corps est le premier
juge de l'éligibilité de ses membres. Le second, qui reste à décréter,
c'est que l'appel des contestations élevées sur l'éligibilité des citoyens,
dans les corps relatifs à chaque pouvoir doivent être portées au corps
supérieur à qui appartient chaque pouvoir.
« Le troisième est qu'il faut multiplier le moins possible, le nom-
bre et l'espèce des tribunaux.
« De ces trois principes, le premier est déjà établi en loi; le
(3) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIV, 72.
126 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
second doit l'être nécessairement aujourd'hui, si on ne veut tout
confondre; et le troisième doit être aussi décrété, si on ne veut compli-
quer inutilement la machine politique » (4).
Courier de Provence, t. XIII, n° 277, p. 448.
« MM. Pétion et Robespierre ont vivement combattu la seconde
partie de ce plan; ils n'ont élevé aucune difficulté sur la proposition
très-raisonnable de laisser juger par les tribunaux, toutes les contesta-
tions concernant l'état des citoyens, telles que l'activité ou l'éligibi-
lité. Mais, ce qui est relatif à la forme des assemblées, et des élec-
tions, leur paroissoit ne pouvoir pas être déféré aux corps administratifs.
Ce seroit donner, sur les élections, trop d'influence au pouvoir exécu-
tif, dans la main duquel on a déjà placé toute l'action des corps admi-
nistratifs; en second lieu, la constitution, qui ne reconnoît de souve-
raineté que dans le peuple, ne seroit-elle pas blessée, si les corps
administratifs jugeoient de la validité des assemblées primaires, c'est-
à-dire, où la souveraineté du peuple s'exerce ?
« Le souverain seul peut donc prononcer t>ur la validité des actes
de souveraineté; or, dans un gouvernement représentatif, le souverain,
c'est-à-dire le peuple, ne pouvant s'assembler que par section, ne peut
exercer son autorité suprême que par ses représentans. C'est donc au
corps législatif seul qu'il faut s'adresser.
« La pureté de ces principes n'a pu être altérée par M. Desmeu-
niers qui, pour soutenir l'avis du comité, s'est perdu dans des idées
métaphisiques (sic), où il n'a pas été possible de le suivre. »
Journal des Débats, t. XVIII, n° 649, p. 7.
« M. Robespierre n'a vu dans ces diverses considéiations qu'une
confusion de principes et sur-tout l'oubli du principe sacré de la souve-
raineté de la Nation. Elle réside cette souveraineté, dans les Assem-
blées primaires; vous élevez le Délégué au-dessus du Souverain, c'est
anéantir l'autorité de celui-ci, que de vouloir la subordonner.
« Les Tribunaux ne sont institués que pour juger des droits
civils des hommes. Leurs droits politiques appartiennent à un autre
ordre.
« La souveraineté de la Nation ne se composant que du droit
politique de chaque citoyen, la Nation seule ou ses Représentans
peuvent donc prononcer si un citoyen demeure privé de son droit poli-
tique, ou si au contraire il doit le posséder.
« Si la Nation n'étoit pas trop nombreuse pour se rassembler, elle
seule auroit ce pouvoir: mais parce qu'elle est forcée de se diviser
par sections, le mode du rassemblement est changé; son pouvoir n'est
cependant pas anéanti ; elle le transmet à ses Représentans; mais jamais
elle ne doit le transmettre aux différens corps qu'elle a délégués.
(4) Cf. E. Hàmel, 1, 381.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 127
(( Je sais qu'on va objecter ce qu'on ne manque jamais d'opposer
aux principes les plus évidens, et qui sont le fondement du bien public,
les inconvéniens : eh bien, je consens que la question ne porte plus que
sur les inconvéniens; et je demande si le plus redoutable de tous n'est
pas d'attaquer la liberté et la souveraineté de la Nation dans son
principe ? M. Robespierre a été fort applaudi. »
Le Législateur Français, 14 mars 1791, p. 7.
« MM. Pethion et Robertspierre sur-tout insistaient pour que les
contestations fussent portées en première instance aux assemblées pri-
maires et par appel au corps législatif.
« Il répondoit à ceux qui prétendent que l'exécution d'une pareille
loi seroit impossible, que c'étoit là des sophisir.es, qu'on vouloit
persuader que le corps législatif, qui avoit fait en si peu de temps de si
grandes et si importantes choses, n'auroit pas le temps de prononcer
sur ces difficultés; la liberté nationale, disoit-il, est intéressée dans le
jugement que vous allez prononcer; mais je ne crains pas de le dire,
elle est entièrement anéantie si vous ôtez à la nation l'exercice de sa
souveraineté, sur l'objet le plus important pour elle. »
Le Patriote françois, n° 584, p. 275.
« Tel est le système que MM. Pétion et Roberspierre ont
combattu fortement dans la séance de dimanche. Le premier a fait
valoir les variations dans la jurisprudence des administrations qui résul-
teroient de cet ordre, l'influence que le pouvoir exécutif conserveroit
sur les assemblées primaires, Yinanalogie des pouvoirs judiciaires
confiés aux corps administratifs, avec leur nature, etc. Enfin, M. Pétion
a cru qu'il falloit réserver le jugement de toutes ces questions au corps
législatif, et si, attendu ses vacances eu d'autres considérations, le
corps législatif ne pouvoit juger, il valoit mieux renvoyer ces questions
aux tribunaux indépendans du pouvoir exécutif, et maintenant plus
redoutables.
« M. Roberspierre a plus fortement insisté sur le disparate des
fonctions administratives et du pouvoir judiciaire, sur ce que le plan
du comité sourr.ettoit la nation dans ses sections, et par conséquent
souveraine, au jugement de ses délégués. Sous ce point de vue, il
condamnoit encore l'intervention des corps judiciaires et il n'admettoit
que le corps législatif pour juge, parce que, si ce n'étoit pas la nation
qui jugeât alors, attendu l'impossibilité, au moins c'étoient ses repré-
sentans. Il faut l'avouer, le comité de constitution n'a fait que balbutier
en condamnant ces moyens. »
Assemblée nationale et Commune de Paris (imitât.), n° 583, p. 7
« MM. Péthion et Robespierre se sont particulièrement attachés
à le combattre; ils appelloient l'attention de l'assemblée sur le danger
128 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
d'étendre la puissance des corps administratifs, en leur déléguant un
pouvoir judiciaire ; ils faisoient sur-tout remarquer combien leur dépen-
dance à l'égard du pouvoir exécutif pouvoit devenir funeste à !a liberté
publique, en influençant le jugement des élections. La souveraineté
de la nation, disoient-ils, existe dans les assemblées primaires, puis-
qu'elles nomment les fonctionnaires publics. Or, si vous donniez aux
corps administratifs le droit de juger de la validité des élections, ce
seroit évidemment créer un pouvoir au-dessus de la nation, ce seroit
mettre le délégué à la place du souverain; juger des droits politiques
des citoyens, est évidemment un acte de souveraineté; or, quel autre
corps peut prononcer un pareil jugement que celui des représentai
de la nation; c'est donc uniquement au pouvoir législatif qu'appartient
un droit de cette importance; d'après ces réflexions, les opinans con-
cluoient à la question préalable sur le projet du comité de constitution,
et demandoient qu'à l'assemblée nationale seule fut attribué le juge-
ment des difficultés sur les élections. »
[Brève mention de cette intervention dans L'Ami du Roi, de
Royou, n° 300, p. 3 ; Le Journal général, n° 42, p. 167; Le Creuset,
t. I, p. 22; La Gazette universelle, n° 73, p. 292; Le Journal de
Normandie, n° 74, p. 353; La Correspondance nationale, n° 9, p. 287;
Le Courrier des Français, n° 14, p. 109; Le Courier Français, t. X,
n° 73, p. 101 ; Le Journal universel, t. X, p. 3826.]
Société des Amis de la Constitution
238. — SEANCE DU 13' MARS 1791
Sur une demande de secours adressée par Latude
a l'Assemblée Nationale
Le 12 mars, l'Assemblée nationale était passée à l'ordre du jour
sur une proposition de son comité des pensions, d' accorder à Latude
à titre de secours, une somme de 10.000 livres. Voidel avait en parti-
culier fait valoir que Latude avait obtenu des moyens de subsistance
de plusieurs particuliers.
Dumetz, .Robespierre puis Kersaint interviennent sur cette
affaire, le 13 mars, à la tribune de la Société des Jacobins, et
"Charles Lameth propose qu'il lui soit accordé une pension viagère
de 2.000 livres et que l'on noimme des commissaires pour examiner
sa situation.
Latude devait le 7 mai adresser une nouvelle demande à l'Assem-
blée nationale. Cette réclamation appuyée par Prieur et Biauzat, fut
(1) Cf. Aulard, IL p. -206-207. Il publie à propos de cette séance
u,i pamphlet intitulé : « Asisembîée jacobine permanente, journal
noographique, imp. Chaudriet, s.d., in-8°, 7 p.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 129
renvoyée au comité des recherches. Ce ne fut que le 25 février 1*792
que la Législative acorda à Latude un secours de 3.000 livres.
Mercure universel, t. I, p. 262.
« M. Robespierre. C'est parce que je suis convaincu que la
cause des infortunés est la cause de la liberté et de l'humanité que je
prends la parole : en effet, il n'y a point de révolution si le pauvre
n'est pas soulagé, si un citoyen manque du nécessaire, s'il y a encore
des malheureux, et je me crois engagé de défendre autant qu'il est en
moi, la cause de M. Latude. J'ai compati à ses longs malheurs:
j'appuyai sa cause lorsqu'elle nous fut présentée. Hier j'arrivai à
l'assemblée nationale à l'instant où le décret venoit d'être porté : les
travaux des Comités m'avoient retenu. Mais j'ai cru que M. Latude
n'avoit pas mérité sa punition : d'ailleurs, une nation généreuse,
humaine ne calcule pas si un homme qui a gémi quarante ans dans les
cachots, n'a pas des droits à des secours qu'il demande : le despo-
tisme étoit inexorable, mais les amis de l'humanité doivent être indul-
gents; je dis plus: on a élevé dans l'assemblée nationale des alléga-
tions, mais les preuvçs légales n'ont point été données : et tout citoyen
qui n'a point été appelle, convaincu, peut faire entendre ses réclama-
tions, non que l'on puisse attaquer un représentant de la nation pour
ses opinions, mais que M. Latude vienne nous dire que, malgré ses
torts, la nation ne peut pas calculer avec lui, alors il est impossible
qu'un ami de l'humanité se refuse à cette demande. »
239. — SEANCE DU 17 MARS 1791 (soir)
Sur l'affaire du curé d'Issy-l'Evêque
Lors de la séance du 10 février au soir, une députation d'Issy-
l'Evêque, district d'Autun, avait été admise à la barre de l'Assem-
blée nationale. Elle demandait l'élargissement de Carion, curé et
maire d'Issy-l'Evêque. Accusé d'avoir usurpé le pouvoir administra-
tif, en particulier pour avoir taxé des grains (1), il avait été traduit
(1) Après la révolte .agraire du JVIâconnaiis en juillet 1789, le curé
Carion avait fondé un Comité permanent dont la taxation des grains
fut loin d'être la seule mesure révolutionnaire. Carion en effet lui
fit publier un règlement de police qui réglementa le métayage. En
1790, il envoya à l'Assemblée un mémoire sur la condition des
« colons ;» exploités par les fermiers généraux qui prenaient à ferme
l'ensemble des biens d'un ou de plusieurs propriétaires et impo-
saient ensuite leurs conditions aux cultivateurs. Carion tomba sous
le coup d'un décret rendu le 2 juin 1790 contre ceux qui propose-
raient de:; règlem*nts sur « le prix et la durée des baux et les droits
eaçrés de la propriété » et fut arrêté. Son histoire a été étudiée par
Montarlot : Jssy l'Evêque (1898), sans que l'auteur ait rien dit de la
situation de la campagne autuboi&e et de la situation des métayers,
ce qui rend la conduite du curé inexplicable. Voir G. Lefebvre,
IlOni sriium.. *— fi
130 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
devant le ci-devant bailliage d'Autun, puis décrété de prise de corps
par le Châtelet sous l'inculpation de crime de lèse-nation; il était
détenu depuis plus de six mois. La députation souligne l'incompé-
tence du Châtelet pour des affaires purement administratives (2).
Le 17 mars, à la séance du soir, l'affaire Carion est rapportée
devant l'Assemblée par Merle, député du tiers état du bailliage de
Mâcon, au nom du comité des rapports.
Après un court débat, l'Assemblée ordonna .l'élargissement du
curé d'Issy-l'Evêque et renvoya son affaire aux tribunaux ordinaires.
Le Point du Jour, t. XX, n° 616, p. 248-49.
« M. Robespierre s'est élevé le premier contre l'avis du Comité,
qu'il trouvait insuffisant; il a dit:
« Il est impossible que l'assemblée décrète qu'e//e ne délibérera
pas sur une telle affaire; il est impossible que par une semblable réso-
lution, elle prolonge encore la captivité d'un malheureux détenj depuis
sept mois. Depuis 7 mois, le curé d'Issy-l'Evêque est décrété comme
criminel de lèse-nation. Le titre même de cette accusation vous fait
une loi de délibérer sur sa réclamation; car vous avez statué que les
crimes de lèze-nation ne pouvoient être jugés que d'après un décret
de l'assemblée nationale, qui déclareroit qu'il y a lieu à accusation.
Au fond, quel est le crime du curé d'Issy-l'Evêque; on ne lui repro-
che rien qui approche de l'accusation de lèse-nation. On lui reproche
quelques faits qui étoient de la compétence de la commune et de la
municipalité dont il étoit membre. On lui en reproche d'autres qui
étoient peut-être étrangers à la juridiction municipale, et qui étoient
plus analogues aux fonctions du législateur : mais outre que les faits ne
lui sont pas personnels, qu'ils sont ceux de la municipalité ou de la
commune d'Issy-l'Evêque, qu 'ont-ils de commun avec ces attentats
contre la liberté, contre la souveraineté du peuple auxquels s'applique
la dénomination de crime de lèze-nation ? Que dis-je, tout le monde
convient que ces torts, quels qu'ils soient, ont leur source dans un
zèle trop ardent peut-être, mais pur et généreux pour les droits du
peuple et pour les intérêts de l'humanité. Ah ! s'il eût été un ennemi
du peuple, il ne gémiroit pas depuis sept mois dans une prison...
Peut-être n'y seroit-il jamais entré... ne serions-nous donc inexorables
que pour les infortunés, pour les amis de la patrie, accusés d'un excès
d'enthousiasme pour la liberté... Non, ce n'est point le moment d'acca-
bler des citoyens sans appuy... lorsque tant de coupables jadis illustres
ont été absous. Je demande que toutes les procédures faites contre
Questions agraires au temps de la Terreur, p. 104-105 et p 195, où le
Mémoire de 1790 a l'Assemblée se trouve reproduit ; et E. Hiamel,
I, 385.
(2) Arch. nat. D XXIX bis, 18, dossier 173, pièce 3. Lettre de
l'abbé Carion, curé et maire d'Issy-l'Evêque, sollicitant son élar-
gissement (4 novembre 1790).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 131
le Curé d'Issy-l'Evêque soient déclarées nulles, et qu'il soit mis sur-
le-champ en liberté. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 78, p. 316.
(( M Roberspierre. Les conclusions du rapporteur me paraissent
contraires à vos décrets. Le curé d'Issy a été décrété par le Châtelet,
comme criminel de lèse-nation; or, vous avez décrété que nulle accu-
sation de crime de lèse-nation ne pourrait être portée aux tribunaux
sans un décret du corps législatif. Un des premiers devoirs de l'Assem-
blée est donc de délibérer. Il y a sous le rapport de l'ordre public
une différence essentielle entre les délits privés, et le crime de lèse-
nation. Ce crime ne peut être déféré arbitrairement aux tribunaux, parce
que par de pareilles accusations malignement prodiguées, on pourrait
porter atteinte à la liberté publique. C'est par ce puissant motif que
vous avez voulu qu'aucun tribunal ne pût s'occuper d'une accusation
de crime de lèse-nation, qu'après un décret du corps législatif. D'après
ce principe, il faut ou que le curé d'Issy soit accusé par vous de
crime de lèse-nation, ou qu'il soit mis en liberté. Vous savez quels
sont les prétendus délits dont il est accusé. Vous voyez que c'est
pour des faits qui ne lui étaient pas personnels, pour une prétendue
infraction faite aux lois administratives dans un moment où aucune de
ces lois n'existait; qu'il a été opprimé par le bailliage d'Autun; vous
voyez que ce tribunal n'osa pas même le juger, qu'il le renvoya au
châtelet, qui n'osa pas le juger non plus, et qui aima mieux le retenir
pendant sept mois de prison...
« Ce que vous devez faire dans cette circonstance, c'est d'annuler
cette accusation absurde de crime de lèse-nation. (Il s'élève quelques
murmures). Combien d'accusés ont été élargis sur des considérations
de liberté et d'humanité, quoique chargés de soupçons bien autrement
graves ! Je ne m'y suis jamais opposé, parceque le sentiment d'huma-
nité balançait en moi la crainte de voir la liberté compromise ; mais
ici on ne m'objectera pas sans doute l'intérêt de la liberté et le salut
de la Société. Est-ce donc parce que celui que je défends est malheu-
reux et sans appui, que l'on murmure? Je citerai M. l'abbé Barmond,
le client de M. Malouet, et tant d'autres clients qui, se trouvant
dans l'ordre anciennement puissant, ont été élargis par le Châtelet.
(On applaudit). Un sentiment de justice, l'humanité, la raison, dont
vous devez établir l'empire, ne vous dictent-ils pas ce que je vous
propose ? L'Assemblée se montrera-t-elle inexorable envers un mal-
heureux de cet espèce, tandis que tant de scélérats jadis illustres
ont été élargis?... Je demande l'élargissement pur et simple du curé
d'Issy ., (3).
(3) Cf. Moniteur, VII, 652. iLes Arch. pa/l., XXIV, 156. repro-
«luisent les premières lignes du texte fie Le Hodey, jusqu'à « vos
décrets », puis copient le Moniteur.
132 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Journal des Débats, t. XVIH, n° 654, p. 4.
« M. Robespierre est monté à la tribune; il a dit qu'il n'invo-
queroit point l'humanité de l'Assemblée, quoique peu d'accusés y
eussent plus de droits que le curé d'Issy-l'Evêque; mais qu'il réclame-
roit la plus rigoureuse justice de l'Assemblée, et l'exécution littérale
d'un de ses Décrets : elle a voulu très-sagement que les Tribunaux
ne pussent prononcer sur aucun crime de lèse-Nation, sans qu'elle-
même en eût ordonné le renvoi aux Tribunaux. Quel est ici îe motif
et le prétexte de la détention du curé d'Issy-l'Evêque ? Ce prétexte
(on frémit de le dire, tant cette injustice est révoltante), ce prétexte
est un crime de lèse-Nation, et ce crime est un règlement de police
qui renferme des dispositions sages, peut-être, mais qui n'appartien-
nent pas aux fonctions municipales.
(( On propose à l'Assemblée de déclarer son incompétence pour
juger de cette affaire; mais si l'Assemblée la prononce, au mépris
de son propre Décret, ne pourra-t-on pas se plaindre qu'elle est sans
pitié pour un accusé qui «n'est point environné de protecteurs puissans ?
Ces paroles ont excité beaucoup de murmures. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XX111, p. 27.
« M. Robespierre : Puisqu'il s'agit d'un citoyen emprisonné depuis
sept mois sur une accusation de lèse-nation, certainement vous m'accor-
derez la permission de dire quelques mots en sa faveur; et sans récla-
mer les sentimens de l'humanité, je me contenterai de vous observer
que la conclusion de M. le Rapporteur est contraire à vos décrets, qui
portent qu'aucun accusé de crime de lèse-nation ne pourra être jugé
par les tribunaux sans un décret préalable de l'assemblée, qui déclare
qu'il y a lieu à accusation. Il est donc impossible que l'Assemblée
déclare qu'il n'y a pas lieu à délibérer, lorsque son premier devoir
au contraire est de délibérer sur ces sortes d'affaires.
<( Enfin, messieurs, d'un côté les faits qu'on suppose au curé n'ont
rien de commun avec les crimes de lèse-nation; de l'autre, ils ne sont
point personnels au curé; ils ne peuvent regarder que la commune
d'Issy-l'Evêque. Ainsi, il n'y a pas heu à accusation contre lui;
ainsi cette accusation est injuste et visiblement un acte d'oppression
opéré par l'ancien bailliage d'Autun, qui n'osant pas juger cette accu-
sation, l'a renvoyée au Châtelet, qui lui-même ne l'a pas jugée.
(( C'est pour les principes de la Constitution, c'est pour les prin-
cipes de la liberté que je réclame. (Murmures). On ne veut pas m'écou-
ter; cependant, messieurs, lorsque dans des affaires semblables, on
vous a allégué l'intérêt sacré de la liberté, lorsqu'on vous a demandé
provisoirement l'élargissement de certains accusés, je ne m'y suis point
opposé ! L'intérêt de l'humanité l'a emporté dans mon coeur sur
l'intérêt même de la liberté qui étoit compromis dans ces causes.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE B3
(Applaudi à gauche; murmures à droite) Dans des occasions sembla-
bles, vous vous êtes montrés très disposés à accorder l'élargissement
à des prisonniers sans examiner le fond de l'affaire. (Murmures à
droite). Je citerai, puisque vous m'y forcez, M. l'abbé de Barmont,
je citerai tous les cliens de M. Malouet, qui étoient, dans l'ordre
ancien, des hommes très puissans, et qui ont été élargis sans examen.
(Applaudi vivement à gauche).
« Il ne faut pas que l'assemblée se refuse à entendre un malheu-
reux, tandis que tant de scélérats, jadis illustres, ont été absous.
(Applaudi).
Courrier extraordinaire, 19 n ars 1791, p. 2.
Courrier des Français, n° 18, p. 135.
Journal de Normandie, n° 78, p. 971.
« M. Robertspierre a soutenu que l'Assemblée qui s'étoit réservé
le droit de dénoncer les crimes de lèse-nation, devoit, au Heu de
décréter qu'il n'y avoit lieu à délibérer, examiner s'il y avoit lieu ou
non à l'accusation.
« Le cul-de-sac l'interrompit. Eh ! messieurs, a repris l'orateur,
je parle pour un bon curé de village et je ne connois que l'innocence :
je demande sa liberté et vous refusez de m'entendre.
« Vous avez plaidé pour d'illustres coupables, et je ne vous ai
point interrompus... Nommez ces coupables... Croyez-vous m'intimi-
der : oui, je vous nomme M. l'abbé de Barmond (4). Ici M. Roberts-
pierre a été couvert d'applaudissemens.
« M. Mirabeau a fait valoir, mais plus éloquemment, le principe
dont s'étoit prévalu M. Roberstpierre. »
Assemblée nationale e/ Commune de Paris (imitât.), n° 588, p. ?.
« M. Robespierre a plaidé avec la plus grande chaleur la cause
de cet infortuné: il a dit qu'il n'y avoit, et ne pou voit avoir de crime
de lèze-nation, que ceux formellement dénoncés par le corps législatif,
il s'est indigné qu'on s'obstinât à retenir dans les fers un malheureux
sans appui, tandis qu'on s'étoit montré facile pour tant d'autres per-
sonnes plus coupables que lui. Il ne faut point, disoit-il, que l'assem-
blée se montre inexorable pour cet infortuné, lorsque tant de scélérats,
jadis illustres, ont été absous. »
Le Patriote françois, n° 587, p. 292.
« MM. Robespierre et Mirabeau ont soutenu qu'en examinant
cette ridicule accusation, il n'y avoit pas le moindre fondement, et
qu'il étoit vexatoire de traîner de tribunaux en tribunaux un pauvre
curé, dans la conduite duquel il n'y avoit pas la moindre trace d'anti-
(4) Cf. Diseours, lr" partie, p. 513.
134 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
révolutionnarisme, et sur leurs observations, il a été élargi et son
procès renvoyé devant les tribunaux ordinaires. »
Journal de Paris, 19 mars 1791, p. 314.
« M. de Robertspierre s'est élevé avec une grande force contre
ces conclusions du Comité des Rapports. « Sur quel principe deman-
doit M. de Robertspierre, fonde-t-on cet il n'y a pas lieu à délibérer?
Sur ce principe que le Corps Législatif, borné à faire des loix, ne
peut pas annuler une procédure : mais je dis au contraire que, puisqu'un
criminel de lèze-nation ne peut être traduit devant les tribunaux que
lorsque le Corps législatif a prononcé qu'il y a lieu à l'accusation, ce
même Corps législatif a aussi le droit de prononcer qu'une accusation
a été mal faite et qu'elle doit être annulée.
« Quel est d'ailleurs le délit du Curé d'Issy-l'Evêque 7 Etrange
crime de lèze-Nation, qui consiste à avoir embrassé les intérêts de la
Nation avec trop de chaleur ! Ah ! croyez que, s'il étoit coupable con-
tre le peuple, les portes des prisons lui seroient bientôt ouvertes, ou
que plutôt elles ne seroient jamais fermées sur lui. Est-ce pour un
Prêtre patriote que vous réserveriez votre inflexibilité, lorsque vous
avez de l'indulgence pour tant de scélérats qui attaquoient la Consti-
tution elle-même ?
(( M. de Robertspierre conclut à l'élargissement du Curé d'Issy-
l'Evêque; il a été élargi et on a renvoyé l'affaire aux tribunaux. »
La Grande Joie du Père Duchêne, n° 2.
« La majorité-canaille de l'assemblée nationale alloit dire oui,
comme le merle noir; mais, un homme se lève, à mes côtés; Robers-
pierre. Il tonne, il vous rembarre, j' dis comme il faut, toute la sacré
vermine astutieuse, et leur dit comme ça entre autres choses : « Est-ce
pour un prêtre patriote que vous réserveriez votre inflexibilité, lorsque
vous avez tant d'indulgence pour tant de scélérats qui attaquèrent la
constitution elle-même. » Il conclue à l'élargissement de ce pauvre
bougre de curé, on ne peut plus résister davantage à la voix de la
justice, et il peut foutre le camp des prisons quand il lui plaira. »
L'Ami du Roi (Mont joie), 19 mars 1791, p. 310.
« L'assemblée, a dit M. Roberspierre, s'est réservé le droit de
dénoncer les crimes de lèse-nation; elle doit examiner s'il y a lieu
ou non à une accusation.
« Cette affaire, a dit un membre du côté droit, regarde les tribu-
naux. »
« Vous avez parlé pour d'illustres coupables, a repris M. Robers-
pierre, et je ne vous ai pas interrompu. »
— Nommez ces coupables, lui a-t-on crié }
— Je nommerai M. l'abbé de Barmond.
« A ces mots, de nombreux applaudissements sont partis du côté
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 135
gauche; on applaudit donc jusqu'à î ' insulte ? mais eût-on applaudi,
s'il eût été question de nommer, au lieu d'un innocent, les coupables
des 5 et 6 octobre, pour lesquels le côté gauche a tant parlé et tant
fait ?
« M. Roberspierre, tout glorieux, a continué, et il a conclu à ce
que l'assemblée déclarât qu'il n'y avait pas 'lieu à accusation et à ce
qu'elle accordât la liberté provisoire. »
Le Creuset, t. I, n° 25.
(( M. Robespierre a chaudement et sincèrement défendu la cause
de la probité calomniée, et de la liberté violée, par le détestable
Châtelet, en la personne du curé d'Issy-4'Evêque. »
Les Révolutions de Paris (Prudhomme), n° 88, p. 506.
« En vain, le côté droit a hurlé la question préalable, le courage
invincible de M. Roberspierre l'a emporté, il a fait triompher la cause
des malheureux et a fermé la bouche aux hurleurs... Continue, intré-
pide Roberspierre, à te faire haïr des méchants : ta vengeance est
dans leur cœur; ils sont forcés de t'admirer. »
[Brève mention de cette intervention dans Les Annales patrio-
tiques et littéraires, n° 533, p. 1187; Le Courier français, t. X, n° 77,
p.# 136; La Correspondance nationale, n° 10; Le Courier national
(Beuvin), 19 mars 1791, p. 2; Assemblée nationale, Corps adminis-
tratifs (Perler), t. X, n° 591, p. 2; Le Journal de la Noblesse, t. I„
n° 13, p. 396.]
240. — SEANCE DU 19 MARS 1791 (soir)
Sur les troubles de Douai
Alquier, député du tiers état de la sénéchaussée de La Rochelle,
rapporte devant l'Assemblée nationale au nom des comités des
recherches, militaire et des rapports, /sur les troubles de Douai.
Le 1-1 mars, un négociant de Douai, faisant charger sur un bateau
du blé destiné à Dunkerque, le peuple s'attroupa et empêcha le
chargement, Le lendemain, le peuple déchargea le bateau et exigea
que les grains fussent mis en vente; le négociant consentit à la vente.
Le directoire du département, devant l'agitation croissante, ordonna
à la municipalité de prendre les précautions nécessaires et de faire
une réquisition de la force armée au commandant de la place; ce que
la municipalité n'accepta qu'à contre-cœur, ne demandant que cin-
quante hommes-. Dans l'après-midi, le peuple paraissant devoir se
porter à de grandes violences, le directoire du département demanda
à la municipalité de proclamer la loi martiale; elle refusa. Le peuple
cependant pendait à un réverbère un officier de la garde nationale
136 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
et exigeait la mort du marchand de grains. Le 17, le peuple l'arracha
de sa prison et le pendit à un arbre. Le directoire du département,
fortement menacé et se voyant dans l'impossibilité de rétablir la
paix, se retira à Lille (1).
Le rapporteur met ces troubles en liaison avec l'élection de
Ï'évêque, fixée au dimanche 20 mars (2). Il ne saurait s'agir là de
désordres dus à la disette, dans un pays où le blé est en abondance
et où le pain coûte un sou la livre. Ces désordres sont l'ouvrage de
fanatiques révoltés contre les décrets de l'Assemblée, touchant la
constitution du clergé de France. En conséquence, le rapporteur pro-
pose un. décret en sept articles portant:
1° Que la municipalité de Douai sera mandée à la barre de
T Assemblée et décrétée d'arrestation si elle n'obéit pas dans les
vingt- quatre heures ;
2° Que l'information commencée au tribunal du district de Douai
sera poursuivie sans relâche ;
3° Que les comités de constitution et de judicature seront char-
gés de présenter incessamment un projet de décret sur les peines à
infliger aux ecclésiastiques qui, par leurs discours ou par leurs
écrits, excitent le peuple à la révolte.
Après un débat 'violent, l'Assemblée aggrava le projet présenté
par ses comités : la municipalité de Douai fut décrétée d'arresta-
tion et déférée au tribunal provisoire établi à Orléans (3). L'Assem-
blée abandonna cependant le troisième point du projet de son comité.
Journal des Etats Généraux ou Jow-nal Logographique, t. XXIII, p. 65
« M Robespierre. Dans le projet de décret qui vient d'être "pré-
senté à l'assemblée au sujet de cette affaire, je vois d'abord la propo-
sition qui lui est faite de mander à la barre la municipalité de Dcuai.
A cette seule proposition, j'ai vu s'élever des murmures d'improba-
tion : que signifioient-ils ? sinon qu'au lieu de mander à la barre la
municipalité de Ç)ouai, il falloi-t la condamner, la punir sur-le-champ
(non, non, murmures; pour les faire arrêter, on ne les condamne pas).
Elh bien conformément au premier article du 'comité, je suis d'avis,
moi, que la municipalité soit mandée à la barre, parce que je crois
que sur des affaires qui intéressent aussi essentiellement la liberté et
la tranquillité publique, sur des faits qui se sont passés loin de l'assem-
(1) D'après E. Hamel, I. 390, le directoire était composé d'anciens
conseillers au Parlement. Quant au commandant de la garde natio-
nale, c'était M. de Noue. En vérité, nous ne voyons parmi les mem-
bres du département aucun conseiller au Parlement. Les noms qui
peuvent éveiller quelques soupçons sont ceux de Gossain et de Guer-
noval d'Esquelbecq qui avaient été commissaires du roi pour la for-
mation du département.
(2) Ainsi la responsabilité du directoire du département de
Douai se trouvait engagée (Cf. séance du 21 mars) puisqu'il avait
obtenu le 17 mars le renvoi de l'élection de Ï'évêque (Cf. le Point
du Jour, t. XX, p. 275-282).
(3) C'était en effet le sens de la motion faite par Gaultier de
Biauzat.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 137
blée nationale, il faut entendre toutes les parties. (Murmures). Assuré-
ment, si pour être entendu dans cette assemblée il falloit faire une
profession de foi (au fait, au fait, murmures). Je consens qu'on aille
aux voix, je n'ai point de raison à opposer à une force aussi tumultueuse
que celle qui m'interrompt (murmures, il nous insulte à plaisir). J'avoue
que je ne connais pas cette manière de voir. Je ne !a connais pas.
(Murmures). Je déclare que d'après la connoissance personnelle que
j'ai des faits qui se sont passés dans la ville de Douai, je suis moins
porté que personne peut-être à prendre le parti de la municipalité.
Mais que m'importe la municipalité de Douai ? que m'importe sa
conduite ? II s'agit ici d'une mesure faite pour mieux assurer la tran-
quillité et la liberté publique, et on ne veut pas que je dise mon
opinion : on ne veut pas. . .
« M. Couppé. On ne veut pas que vous insultiez l'assemblée
nationale, voilà ie fait.
« M. Robespierre. Je pense que dans des affaires aussi impor-
tantes, l'assemblée nationale doit s'imposer la loi de les examiner,
je ne dis pas avec scrupule, mais avec l'attention que doit s'imposer
tout juge qui prononce sur une affaire quelconque (murmures).
« Je prétends que vous ne pouvez pas prononcer sur cette
affaire sans avoir entendu le corps revêtu des suffrages de ses conci-
toyens, \a municipalité de Douai (brouhaha, // perd la tête).
« M... Je demande que M. soit rappelé à l'ordre.
« M. Robespierre. J'y consens... Je crois en avoir dit assez sur
le premier article. (Plusieurs voix: Trop.)
« Je passe en conséquence au dernier article analogue à d'autres
objets non moins importants; j'ai entendu proposer de prononcer des
peines contre des hommes d'un certain état (un membre à droite : il n'y
en a plus), contre les ecclésiastiques qui, par des écrits et par des
discours, excitent le peuple à la révolte. Je trouve une très grande
inexactitude de rédaction dans cet article, et je ne relève cette inexacti-
tude que parce qu'elle est absolument contraire aux principes du bien
public et de la liberté. D'abord, il ne faut point sévir dans ces termes
vagues contre ceux qui, par leurs discours et les écrits, excitent le
peuple à la révolte. Les discours et les écrits ! il n'y a rien de si vague
que ces mots-là (ce sont les vôtres aui sont vagues) et je vais le prouver
par un raisonnement très simple à l'homme qui est le plus zélé partisan
de cet article. Je dis qu'il est impossible que rassemblée nationale
décrète qu'un discours tenu par un citoyen, quel qu'il soit, puisse être
l'objet d'une procédure criminelle (oh ! oh !) ; cependant cet article
porte que les ecclésiastiques oui auront tenu des discours jugés capables
d'exciter le peuple à la révolte, seront poursuivis en vertu d'un décret
de l'assemblée nationale. Il n'y a pas ici de distinction à faire entre
les ecclésiastiques et les autres citoyens; je crois que quelqu'impor-
tantes que paraissent être les affaires, elles ne peuvent jamais servir
138 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
de prétexte pour porter une loi générale ou particulière contre les
discours ni contre les écrits, et qu'aucun citoyen ne peut être soumis
à aucune peine ni à aucune inquisition pour ses discours ni pour ses
écrits. (Murmures). Je ne suis pas obstiné dans mon opinion; il me
semble qu'elle ne me concilie pas beaucoup de faveur. {Non. non,
non). Cela m'est égal; mais je la soutiens, je ne dis pas seulement
conforme à la raison, mais à l'opinion même des membres les plus zélés
pour la liberté, et qui l'appuieroient dans ce moment s'il n'étoit pas
question des affaires ecclésiastiques (ris ironiques et applaudisserr.ens
à droite. On lui crie à gauche: Allez du côté droit).
[M. Dumetz demande que la parole soit retirée à Robespierre.]
« M. de Murinais. Je demande au nom sacré de la liberté des
opinions que M. de Robespierre soit entendu.
« M. Robespierre. Je crois qu'il ne dépend pas de M. Dumetz...
(Au fait, au fait). En conséquence, je conclus à ce que le premier
article soit confirmé, et que l'article tendant à soumettre aux procé-
dures criminelles des discours et des écrits faits par des ecclés'astiques
soit écarté par la question préalable. Je demande à cet égard, comme
je l'ai déjà proposé plusieurs fois, et comme l'assemblée l'a toujours
adopté, que les loix qui tiennent à la liberté des discours, des opinions,
des écrits (et des faits, n est-ce pas?), ne puissent être portées que
d'après une discussion sur les principes de la liberté, parce qu'il ne
faut point anéantir les principes de la liberté sous le prétexte d'un
fait particulier (quelques applaudissemens à gauche). Je demande en
second lieu qu'il ne soit porté aucun décret, aucuns changemens sur le
fond de l'affaire, d'après la conclusion même du Rapporteur, avant
que la municipalité de Douai n'ait été entendue. (Il descend de la
tribune: Ah! Ah!). »
« M. Voidel. Vos comités réunis ont parfaitement bien senti
l'impression douloureuse et le mouvement d'indignation que ces évé-
nemens exciteroient dans l'assemblée nationale.
« M. Robespierre. Il ne faut point d'indignation pour juger. (Mur-
mures).
[On passe au vote des articles du décret : les articles 1 et 2 sont
votés. M. le Rapporteur lit l'article 3.]
« M. Robespierre. Je demande que, suivant sans doute J'intention
de rassemblée nationale, on se borne à poursuivre les instigateurs et
auteurs du délit (murmures). Je n'invoque pas même les principes de la
liberté, j'invoque les principes suivis dans tout état despotique, et je
demande si, lorsqu'un désordre a été commis par une multitude, l'on
étend la peine à ia multitude entière ? On se contente de poursuivre
les principaux auteurs (Aux voix, aux voix). (Vous nous ennuyez).
Condamnez tout le peuple de Douai, si vous voulez, ça m'est égal;
mais je dois faire tout ce qui est en mon pouvoir pour prévenir une
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 139
injustice atroce (murmures). Oui, messieurs. Sous le nom de fauteurs
et adhérens, on pourroit comprendre tous ceux qui se sont trouvés dans
la foule (une voix crie : M. Robespierre, vous êtes fou). En consé-
quence, je demande qu'on retranche les mots de fauteurs et complices
(murmures) » (4).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 80, p. 324.
« M. Roberspierre. Les lieux où se sont élevés les troubles de
Douay, sont voisins de celui qui m'a député à cette assemblée. A l'in-
térêt général qui m'attache à tout ce qui peut contribuer à la liberté
publique, se joint celui qui me lie à mon pays. Ce double sentiment
m'engage à examiner avec scrupule les faits qui sont à la base du rap-
port que vous venez d'entendre; et je dois avouer que je suis forcé
de regretter que l' Assemblée soit exposée à prendre une délibération
subite sur une affaire aussi grave, d'après un rapport fait avec autant
de précipitation... (Il s'élève des murmures). Voici sur quoi porte
mon observation. M. le Rapporteur a lu un projet de décret dans
lequel il propose de mander la municipalité de Douay à la barre.
A ces mots, il s'est élevé de violens murmures qui voulaient dire que
ce décret ne disait pas assez, et qu'il fallait sans doute la condamner
sur le champ. (Il s'élève des murmures. — Plusieurs voix : On n'a pas
dit cela). J'ai entendu crier à la fois par un très grand nombre de
voix qu'il fallait l'envoyer dans les prisons d'Orléans; et moi, au
contraire, je suis d'avis qu'il faut se contenter de la mander à la
barre; car avant de juger, il faut commencer par entendre toutes les
parties (nouveaux murmures).
[Intervention de M...]
« M. Roberspierre. J'ai cependant, à la lecture du projet de
décret, entendu dire, et crier unanimement qu'il fallait l'envoyer à
Orléans (murmures). II m'est impossible de résister à la force tumul-
tueuse des interruptions... S'il fallait une profession de foi pour se
faire entendre dans cette assemblée . Je déclare que je suis moins que
tout autre, porté à approuver, ou à excuser la municipalité; je discute
les principes généraux qui doivent déterminer une Assemblée sage et
impartiale. Je pense que dans une affaire aussi importante, le corps
législatif doit s'imposer la loi d'examiner, je ne dis pas avec scrupule,
mais avec attention réfléchie que s'impose tout juge... Ce n'est point
l'ajournement que je propose, c'est au contraire le premier article du
(4) On remarquera que Robespierre ne s'attache pas à l'affaire
en olle même, mais aux conséquences qu.e le projet des comités veut
lui donner (art. 3: poursuites contre les ecclésiastiques). Les A.rch.
pari., XXIV, 213, reproduisent ce texte à partir de la 3° ligne, mais
empruntent le début au Moniteur.
140 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
projet de décret que je soutiens; car vous ne pouvez prononcer avant
d'avoir entendu la municipalité... Je passe au dernier article du projet
de décret. J'ai entendu dire qu'il fallait déterminer les peines à infliger
aux ecclésiastiques qui, par leurs discours ou leurs écrits, exchent le
peuple à la révolte. Un pareil décret serait du plus grand danger pour
la liberté publique ; il serait contraire à tous les principes. On ne peut
exercer de rigueur contre personne pour des discours, on ne peut infliger
aucune peine pour des écrits (il s'élève des murmures), rien n'est si
vague que les mots de discours, écrits excitant à la révolte. II est
impossible que l'Assemblée décrète que des discours tenus par un
citoyen quelconque, puissent être l'objet d'une procédure criminelle.
Il n'y a point ici de distinction à faire entre un ecclésiastique et un
autre citoyen. Il est absurde de vouloir porter contre les ecclésiastiques
une loi qu'on n'a pas encore osé porter contre tous les citoyens. Des
conditions particulières ne doivent jamais l'emporter sur les principes
de la justice et de la liberté. Un ecclésiastique est un citoyen; et
aucun citoyen ne peut être soumis à des peines pour ses discours; et il
est absurde de faire une loi uniquement dirigée contre les discours
des ecclésiastiques... J'entends des murmures et je ne fais qu'exposer
l'opinion des membres qui sont les plus zélés partisans de la liberté,
et ils appuieraient eux-mêmes mes observations s'il n'était pas question
des affaires ecclésiastiques... (Applaudissemens du côté droit, mur-
mures de la gauche.)
[Intervention de M. Dumetz.]
« M. Roberspierre . Je demande, comme je l'ai déjà souvent pro-
posé, et comme l'Assemblée l'a décrété, qu'une loi qui tient à la
liberté des écrits et des opinions, ne soit portée qu'après une discus-
sion générale et approfondie des principes, qu'elle ne porte pas sur
une classe particulière. Je demande ensuite qu'il n'y ait point de juge-
ment sur le fond, avant que la municipalité de Douay ait été entendue.
[Intervention de MM. Cazalès, Voidel, Alexandre Lameth, Le
Chapelier, Pétion.]
« M. Roberspierre. Il est un article du projet de décret qui
porte que l'information sera continuée contre les fauteurs, complices
du délit... (murmures). Je ne puis répondre à tant d'interruptions. Je
dis que c'était même la règle du despotisme, que lorsqu'un délit avait
été commis par une multitude on n'informait que contre les auteurs et
les instigateurs du délit. Par les mots vagues de complices, tous ceux
qui se seraient trouvés dans la foule pourraient être inquiétés, poursuivis.
(Les murmures redoublent et couvrent les conclusions de M. Robers-
pierre) » (5).
(5) Texte reproduit dans le Moniteur, VII, 668; et Bûchez et
Roux, IX, 213-249. Laponneraye a publié le passage du Moniteur
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 141
Journal des Débats, t. XVIII, n° 657, p. 6.
(( M. Robespierre. Le lieu où se sont élevés les troubles qui vous
sont dénoncés, est voisin de celui qui m'a envoyé à cette Assemblée.
A l'intérêt général qui m'attache à la liberté et à la tranquillité publi-
que, se joint celui qui me lie au pays que je représente. Ce sentiment
me force à examiner avec plus de scrupule les faits qui font l'objet
du rapport qui vient de vous être fait, et j'avoue que je regrette infini-
ment que l'Assemblée soit obligée de prendre une délibération aussi
précipitée, d'après un rapport fait si promptement, et sur un simple
avis.
« Dans les circonstances actuelles, je ne fonde mon opinion que
sur l'apperçu qui vous a été présenté. J'ai vu d'abord qu'on vous a
proposé de mander à la barre la Municipalité de Douai; j'ai vu qu à
cette proposition, il s'est élevé un murmure qui semblo't l'improuver;
ce qui ne signifioit autre chose, sinon qu'il falloit condamner et punir
la Municipalité sur-le-champ. (Des murmures ont interrompu M. Robes-
pierre). Je suis de l'avis de ce premier article du Décret, parce qu'il
convient en effet que sur une affaire qui intéresse aussi essentiellement
la liberté publique, que sur des faits qui se sont passés loin de l'Assem-
blée Nationale, l'on entende toutes les parties. Je ne conçois pas
comment on peut interrompre un Membre de l'Assemblée. C'est une
affaire dont les conséquences sont très étendues; mais je consens qu'on
aille aux voix si on veut, parce que je ne saurois opposer !a raison
à une force aussi tumultueuse. (A l'ordre, à l'ordre, s'est-on écrié). —
Très certainement, Messieurs, s'il falloit faire une profession de foi
pour être entendu dans cette Assemblée; s'il falloit faire une profes-
sion de foi sur la Municipalité de Douai, je ne serois pas plus porté
à l'exécuter mie qui que ce soit, d'après des connoissances person-
nelles mêmes, j'y serois moins porté qu'un autre... »
« On ne peut pas plus long-tems insulter l'Assemblée ;>, a dit
un Membre en l'interrompant.
« Je pense, a continué M. Robespierre, que l'Assemblée, dans
une affaire qui consiste en faits, doit s'imposer la loi de les examiner,
non-seulement avec scrupule, mais avec l'attention que, doit s'imposer
tout juge.
« Je ne demande point l'ajournement; c'est au contraire le pre-
mier article eu projet que je viens appuyer : mais je prétends que
l'Assemb'ée ne peut pas prononcer, sans avo'r entendu la Municipalité
de Dcuai. Si, après l'avoir entendue, vous persistez dans l'opinion
le la séance est erronée
itr ! 1, il a omis h's lignes
ie pouvez proMin'jer avant
passe au tFevniet article <lu
;>rtie 'le l'intervention n'a
(,.. 70-7" de l'c'dit :-.i de
l'i-lo), niai:, la dot
(27 mar-a 1790). D'autfi
• part, p. 77. ligfl
. . 1 1 v ■'. 'tes : « Que je u"i
utieas. car vous n
d;;iv>ir e"lte:ndu la mu i
icipalité... ». '« Je ]
projet de dé< ret. » Eu
fin, 'a dernière pi
par; été reproduite.
142 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
que vous paroissez avoir, vous pourrez la conserver dans un Décret;
avant cela, vous ne pouvez, sans encourir la peine de démenïir votre
sagesse, juger la Municipalité de Douai sans l'avoir entendue.
« Je demande, a dit M..., que M. Robespierre soit rappelé à
l'ordre; jamais une semblable idée ne se présenta à l'Assemblée: elle
ne peut être que dans la tête de l'Orateur.
« Je crois en avoir dit assez, a ajouté M. Robespierre, sur le
premier article, puisque l'objection du Préopinant, qui s'est élevée
contre les règles de cette Assemblée, n'exprime autre chose, sinon
que l'opinion de l'Assemblée est précisément celle que je défends.
« Je passe à un autre article. J'ai entendu demander de prononcer
des peines contre des hommes d'un certain état. H n'y en a plus,
s'est écriée une voix. J'en conviens volontiers... contre les Ecclésiasti-
ques qui, par leurs discours ou par leurs écrits, excitent le peuple à la
discorde. J'ai trouvé une grande inexactitude dans la rédaction de cet
article, et je ne la relève que parce qu'eMe me paroît contraire au
bien public.
« Les discours ! les écrits ! rien n'est si vague que ces expressions-
là; et je m'en vais le prouver par un raisonnement bien simple, à celui
qui est le plus zélé partisan de cet article ; i\ est impossible que
l'Assemblée décrète qu'un discours tenu par Un Citoyen, quel qu'il
soit, puisse être l'objet d'un procès criminel. (Il s'est élevé de nombreux
murmures). Cependant cet article porte que des Ecclésiastiques qui
auront tenu des discours qui seront jugés capables d'exciter !e peuple
à Ja révolte, seront poursuivis en vertu d'un Décret de l'Assemblée
Nationale. Les affaires ecclésiastiques ne peuvent jamais être un pré-
texte pour porter une loi générale contre les discours ou les écrits. Un
Ecclésiastique est un Citoyen, et aucun Citoyen ne peut être soumis
à une peine pour ses discours ou ses écrits. On a entendu plusieurs
demandes de rappeler l'orateur à l'ordre.
« Je ne suis point obstiné dans mon opinion, a-t-iï dit : je sens
qu'elle ne me concilie aucune faveur. — Non, non, s'est-on écrié. —
Mais je la soutiens, parce qu'elle est conforme non seulement à la
raison, mais encore à l'opinion des Membres les plus zélés pour la
liberté, et qui l'appuieroient, s'il n'étoit pas question dans ce moment
des affaires ecclésiastiques. On a applaudi dans le côté droit de In
salle; les Membres du côté gauche témoignoient un vif mécontente-
ment.
« Je demande, a dit M. Dumetz, que M. le Président consulte
l'Assemblée pour savoir si la manière dont s'énonce l'opinant, est
conforme au respect qui est dû au Corps législatif. Il semble qu'il ait
formé le dessin d'insulter âP plaisir. . . Des murmures ont arrêté M. Du-
metz.
« M. Robespierre a conclu à ce que l'article concernant les
discours et les écrits incendiaires des Ecclésiastiques, fût écarté par
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 143
la question préalable; et- en second lieu, à ce qu'on ne statuât rien
sur !a Municipalité, avant qu'elle eût été entendue. »
Révolutions de France et de Brabant, t. VI, n° 70, p. 213-216.
« Robespierre. Quand on a lu le premier article, qui mandoit à la
barre, il s'est élevé de violens murmures qui vouloient dire qu'il y avoit
trop de mollesse et qu'il falloit envoyer les municipaux à Orléans.
« Vingt voix. — On n'a pas dit cela.
« Je suis de l'avis des comités, et que nous devons nous contenter
de mander à la barre; car, avant de juger, il faut entendre.
« M... Il ne s'agit pas de juger la municipalité, ni de l'envoyer
en prison sans l entendre; ce projet absurde n'existe que dans la tête
de l'opinant.
« (Absurde — tant que vous voudrez. Il n'est pas moins vrai que
c'est là ce que venoit de dire Biauzat, c'est ce qu'on crioit de toutes
parts. C'est ce qu'on va décréter tout-à-1'heure, à l'unanimité. N'est-
il pas étrange après cela, d'entendre injurier et démentir indécemment
un orateur de l'assemblée nationale, qui ne fait que répéter que ce
qui venoit d'y être dit ? et le tachigraphe de Panckouke auroit bien
dû nommer cet interlocuteur M...) (6).
« Robespierre. — Je passe au dernier article du projet de décret.
Il est contraire à tous le? principes de proposer des peines à détermi-
ner contre les ecclésiastiques qui par leurs discours ou leurs écrits exci-
tent le peuple à la révolte. Il est absurde de faire une loi uniquement
dirigée contre les ecclésiastiques. (Ne diroit-on pas en effet, que la
raison a peur de leurs discours et de leurs écrits ? Erigez une statue
à Voltaire, votre Apollon, dont les flèches ont tué le serpent Pyîhon.
Laissez les calotins imprimer les brefs du pape, leurs excommunica-
tions, leurs contes de peau d'âne. Faites imprimer à cent mille exem-
plaires, une petite brochure qui vient de paroi tre, intitulée Eloge de
jesus, ouvrage qui tout incomplet qu'il est et fait à la hâte, ne laisse
pas de couvrir le papisme d'ignominie. Vous avez l'abbé Rives. Que
votre comité ecclésiastique le charge de lui fournir les matériaux d'une
instruction en réponse au bref du pape, mais laissez au papisme son
intolérance et ses inquisiteurs; c'est la raison qui fait toute no^re force,
pourquoi voulez-vous entourer la vérité de San benito, et lui donner
le masque du fanatisme et du mensonge 7). Un calot in est un citoyen,
et un citoyen ne peut être soumis à des peines pour ses discours; il est
absurde de vouloir porter contre les calotins une loi qu'on n'a point
osé porîer contre les autres citoyens. Tout le ciil-de-sac se lève pour
(fi) II s'agit sans doute de Regnault de Saint-Jean-d'Augély que
('. DeftiLi'juliu;; qualifiait de « pompier de K9 » et qui réclama en
effet comme Biauzat des mesures sévères : « C'est ici le moment,
-Yerie t-il, de d'plover sur la tête de:-; coupables la vengeance des
loi!; ».
144 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
applaudir Robespierre. Le côté gauche murmurait, on lui crioit :
« Passez du côté droit ». Le lendemain, des soi-disans patriotes dans
leurs journaux dirent beaucoup d'injures à Robespierre; cependant,
mon ami Robespierre avoit raison et le cul-de-sac (7) aussi, pour cette
fois. D'où vient ces murmures, continua-t-il ? Je ne fais qu'exposer
l'opinion des membres qui sont les plus zélés partisans de la liberté,
et ils appuyeroient eux-mêmes mes observations, s'il n'étoit pas ques-
tion des ecclésiastiques.
'( Dumetz. — Je demande que l'opinant soit rappelle à l'ordre,
comme ayant outragé l'assemblée.
« Ce n'est point là outrager rassemblée, et on n'a pas le droit
de rappeller à l'ordre, celui qui ne fait que rappeller aux principes.
On a calomnié dans les journaux l'opinion de Robespierre, je m'attache
à rétablir les faits » (8).
Courrier d'Avignon, 1791, n° 76, p. 302.
« M. Robespierre a dit :
[Suit la première partie du texte du Journal des Débats, jusqu'à :
« dans la tête de l'Orateur ».]
« ...Ce n'est point sur les mesures que vous présentent vos comi-
tés, que j'ai demandé la parole. Je fais profession de croire que les
magistrats sous lesquels des attentats ont été commis, sont coupables,
et je pense que l'assemblée ne saurait déployer contr'eux une trop
grande sévérité; car, quel que soit le gouvernement que vous destinez
à la France, (il s'est élevé des murmures) il sera mauvais, si les magis-
trats dont la négligence aura eu des suites funestes, ne sont pas punis;
et si j avois un reprcche à faire au projet de décret qui vous est
soumis, ce serait de trouver trop douces les mesures qu'il vous propose.
« Si c'est un devoir que d'être législateur et de venger les crimes
publics, il en est un plus doux et plus agréable à remplir : c'est celui
de les prévenir. Je crains, messieurs, qu'une grande partie des émeutes
qui ont été excitées, et dont tous les bons citoyens, quelles que soient
(7) Il s'agit du côté droit de l'A ssemblée. Passage cité par
E Hamel, I, 395.
(8) iLe Patriote françois s'indigne « de l'acharnement qu'ont
montré quelques membres du côté gauche contre M. Robespierre ».
C'est ce qui explique le soin que prend Camille Desmoulins pour
défendre l'attitude de ce dernier (Révolutions de France et de Bra-
bant, t. VI, n° 70, p. 229) ; il écrit : « Certes, voilà de part et,
d'autres de fortes raisons de douter, et qui dévoient suspendre le
jugement de l'assemblée. Ce qui n'est point douteux, c'est que les
comités avoient raison de se contenter de mander les municipaux à
la barre; c'nst que Robespierre, à qui on a crié du côté gauche,
passez du côté droit, et qu'on a injurié indignement pour son opi-
nion, c'est que Péthion qui a voulu parler dans le sens^de Robes-
pierre, et qu'on a fait descendre de la tribune, avoient raison de
vouloir qu'on ne jugeât pas les municipaux sans les entendre. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 145
leurs opinions civiles et religieuses, ont sans cloute gémi; je crains,
dis-je, que ces émeutes n'ayent pris leur source dans la foiblesse de
la loi que vous avez portée; de cette loi qui défend aux troupes de
développer la force armée, sans la réquisition des municipalités; (Il
s'est élevé de grands murmures) de cette loi qui n'a pas mis le flagrant-
délit au rang des réquisitions. Il ne faut pas que la vie des citoyens
dépende de la foiblesse ou de la complicité des municipalités. I! faut
donc que le flagrant-délit soit mis au rang des réquisitions légitimes.
Si cette loi ne prévient pas le premier malheur, elle empêchera du
moins le second : d'ailleurs, elle sera propre à effrayer ceux qui veu-
lent soulever le peuple. Je demande que le comité de constitution soit
chargé de revoir cette loi ; de présenter des moyens d'assurer la tran-
quillité publique, lorsque les municipalités refuseront de prendre les
précautions nécessaires; et que, dans ces moyens, il soit dit sur-tout
que tout flagrant-délit commis à la vue d'une armée, l'autorisera à
déployer... Je suis surpris de la défaveur que cette opinion éprouve
dans l'assemblée; je suis étonné des interruptions que j'essuie. Une
cruelle expérience n'a-t-elle donc pas appris à l'assemblée combien
elle a mal fait?... Si le flagrant-délit eût été une réquisition, les mal-
heurs de Nîmes ne seroient point arrivés; les malheurs d'Aix ne
seroient point arrivés, les attentats commis à Douai n'auroient point
été consommés, et nous ne serions pas obligés de gémir aujourd'hui
sur trois malheureux événemens. Je persiste dans ma motion. — Il l'a
répétée. »
L'Ami du Roi (Montjoie), 21 mars 1791, p. 318-9.
« M. Robespierre a combattu M. Biauzat; conformément au pre-
mier principe de justice, il a voulu qu'on entendît les officiers munici-
paux à la barre ; ensuite il est tombé sur le dernier article concernant
les ecclésiastiques. Persistant dans ses vues de justice, il a fait sentir,
d'une manière digne d'éloge, et combien étoient vagues ces mots
discours ou écrits, et combien ils étoient susceptibles de donner lieu
aux plus cruels abus. « Aucun discours, a-t-il ajouté, ne peut faire
la matière d'un procès criminel, aucun citoyen ne peut être soumis à
aucune peine pour ses écrits ou ses discours.
« Cette morale, qui est celle de la majorité de l'assemblée, et
dont la trop grand latitude pourroit bien, à son tour, donner lieu à de
grands abus, a déplu, en ce moment, au côté gauche, en ce qu'il étoit
ici très-vrai que les ecclésiastiques bons catholiques, qui n'ont parlé
et écrit qu'avec modération, et pour l'ancienne religion, ne pouvoient
être soumis à aucune peine pour leurs discours et leurs écrits. Le côté
gauche a donc murmuré bien violemment contre M. Robespierre; mais
celui-ci a répliqué très-vertement : « Une partie des membres qui me
blâment, a-t-il dit, m'approuveroient, s'il ne s'agissoit pas d'ecclésias-
tiques. »
ttottvtiMftK, 10
146 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Cette excellente vérité de M. Robespierre a allumé le feu
de la colère dans le sein de M. Durnetz : « Je demande, s'est-il écrié
avec emportement, que M. Robespierre soit rappelé à l'ordre pour
avoir insulté l'assemblée.
« A ce cri, qu'on imagine, la violence des murmures; cependant
M. Robespierre a trouvé moyen de terminer son opinion, et il a
demandé que l'amendement de M. Biauzat, et le dernier article du
projet fussent rejetés par la question préalable.
<( La discussion fermée, M. Robespierre a reproduit ses deux
traits de justice; mais ils ont été rejetés. »
Gazette nationale ou extrait..., t. XV, p. 256-257.
« M. Robespierre s'est opposé à la première disposition, en
observant qu'il étoit contraire à tous les principes, de juger quelqu'un
sans l'entendre.
« Pour tout ce qui est du troisième article, a-t-il dit, qui demande
des peines pour les ecclésiastiques, qui par leurs discours et leurs
écrits, encouragent, dit-on, le peuple à la révolte, je m'y oppose
également, parce que c'est une disposition très arbitraire et infiniment
contraire aux principes: arbitraire, parce qu'il pouvoit être admis,
qu'il ne devroit pas être exclusivement applicable aux ecclésiastiques,
qui sont des citoyens comme les autres; et qui, certes, ne sont pas les
seuls à fomenter les troubles; contraire aux principes, parce qu'aucun
citoyen, d'après vos décrets même, ne peut être poursuivi pour ses
écrits, ni pour ses discours. (Grands murmures).
« Je suis très étonné, Messieurs, de la défaveur que j'obtiens,
et permettez moi de vous observer qu'il est impossible d'opposer le
langage de la raison, à des clameurs tumultuaires. Mes principes sont
entièrement conformes à la liberté publique, ils sont ceux des membres
qui réclament en ce moment contre moi, et ils les développeroient
sans doute, s'il n'étoit question d'ecclésiastiques. (Grands murmures,
mais beaucoup plus d'applaudussemens).
« Je conclus donc, Messieurs, à la question préalable sur le
projet de décret du comité, et je la demande pour il 'honneur de
l'assemblée. »
Journal de Paris. n° 80, p. 323.
(( M. de Roberspierre a voulu défendre le premier article du
projet des Comités et attaquer le second.
« Je suis loin de justifier, disoit-il, les Officiers Municipaux de
Douai; je vois que de fortes présomptions se rassemblent «contr'eux;
mais je ne vois pas qu'ils n'aient aucun moyen de combattre ces
précomptions : pour en juger, il faudroit les entendre. Des cr?s de
fureur se sont élevés contre M. de Roberspierre : comme s'il avoit
profané la tribune. Il avoit beau dire : je ne justifie pas, on croyoit
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 147
toujours qu'i'/ justijioit. Quand vous aurez entendu les Officiers Muni-
cipaux de Douai, poursuivoit M. de Robespierre, vous pourrez les livrer
aussi bien au Tribunal d'Orléans, et vous les livrerez avec plus de con-
noissance de cause. Les cris ont redoublé, et M. de Robespierre a été
obligé d'abandonner cette partie de son opinion : il est passé à l'autre.
« Parce que des Ecclésiastiques fonctionnaires, disoit-i!, sont
soupçonnés de parler et d'écrire pour rechauffer le fanatisme vieilli
du peuple, on veut que vous fassiez une loi contre des paroles, et que
vous mettiez des limites à cette liberté de la presse que vous avez
regardée comme la liberté de la raison humaine. Ne cessera-t-on pas
de vous proposer des loix générales lorsqu'on n'a besoin que de mesu-
res de circonstances? Ces réflexions de M. de Roberspierre n'ont pas
été tout à fait aussi malheureuses que les précédentes ? Tandis qu'on
les couvroit de murmures, le Rapporteur des Comités a paru les
adopter. »
Mercure de France, 26 mars 1791, p. 289.
« M. Roberspierre, au contraire, a réclamé contre cette précipi-
tation, contre l'injustice d'emprisonner des officiers du peuple sans les
avoir entendus, contre la tyrannie des châtimens à infliger pour des
discours ou des écrits, sans spécifier moins vaguement leur nature. « Un
ecclésiastique, a-t-il ajouté, est un citoyen comme un autre. Généralisez
vos voix et vos punitions; mais vous ne pouvez faire rendre de décret
qui prive d'une liberté commune à tous, une classe particulière de
citoyens. »
« Ces réflexions judicieuses, saines, conformes aux véritables
notions de la liberté, ont été écoutées, ou plutôt repoussées avec une
impatience de fureur. L'opinant a vu s'élever contre lui, les voix
habituées à lui applaudir, lorsqu'il imite leurs exagérations : il a eu le
courage de la raison et de la justice, en persistant à demander la
question préalable sur l'article concernant les ecclésiastiques, et que la
municipalité fut mandée à la barre, sans être arrêtée. »
Journal de Louis XVI et de son peuple, t. II, n° 52.
« M. Robespierre défend avec chaleur le premier article du pro-
jet de décret et s'élève sagement contre le dernier. Il est absurde,
dit-il, de vouloir porter contre les ecclésiastiques une loi qu'on n'a
pas encore osé porter contre les citoyens. Il devait ajouter que, dans
cette affaire, il n'était point question des ecclésiastiques et que rien
ne les inculpait sinon des idées de malveillance.
« M. de Casalès applaudissait à l'opinion de Robespierre
« L'inquisiteur Voidel opinait comme M. Robespierre. »
L'Ami du Peuple (Marat), 1791, n° 409, p. 4.
« En vain le juste Roberspierre jette-t-il les hauts cris contre le
148 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
parti atroce de condamner un accusé sans l'entendre, sa voix est
étouffée par les clameurs des factieux, les uns le rappellent à l'ordre,
les autres invoquent contre lui l'animadversion du corps; révoltés, sans
doute, tous également, par la crainte qu'on puisse les croire amis de
la justice. »
L'Ami du Roi (Royou), n° 306, p. 2.
(( Un des plus ardens apôtres de la liberté, qui en pousse, il est
/rai, les suites beaucoup trop loin, mais qui, du moins, est conséquent
dans ses principes, M. de Robespierre, s'est élevé 'avec force contre
cette affreuse tyrannie, et cette partialité révoltante du comité. Il est
absurde, disoit-il, de proposer contre les seuls ecclésiastiques, une loi
qu'on n'a pas encore osé porter contre tous les citoyens. Ce courage
de la vérité a déplu dans un 'homme qu'on s'imaginoit être un aveugle
et fanatique partisan du despotisme législatif : de violens murmures par-
tis du côté gauche, ont interrompu l'orateur, mais ne l'ont pas décon-
certé. « J'entends des murmures... s'est-il écrié: cependant je ne fais
« qu'exposer l'opinion des plus zélés partisans de la liberté; et ils
« appuieraient eux-mêmes mes observations, s'il n'étoit pas question
« des ecclésiastiques. Mais un ecclésiastique n'est-il donc plus un
(( citoyen? Et des considérations particulières tloivent-elles l'emporter
« sur les principes immuables de la justice et de la liberté. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Point du Jour,
t. XX, n° 618, p. 282; Le Bulletin et Journal des Journaux, n° 35;
Le Journal universel, t. X, p. 3867; Assemblée nationale, 21 mars
1791, p. 5; Le Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n° 255,
p. 2; Le Journal de la Noblesse..., t. I, n° 13, p. 398; Le Courier
Français, t. X, n° 73, p. 150; Les Annales patriotiques et litté-
raires, n° 535, p. 1195; Le Patriote François, n° 590, p. 299; Le
Journal général, n° 49, p. 194; Le Journal de Normandie. 1791,
n° 80, p. 382.]
Société des Amis de la Constitution
241. — SEANCE DU 20 MARS 1791
Sur l'affaire Muscard
Le 16 avril 1700, Dupré, député du tiers état de la sénéchau ^°ée
de Carcassonne, avait signalé à l'Assemblée nationale le cas d?Ar-
nould Muscard, fourrier des grenadiers du régiment de Vivarais,
en garnison à Verdun, arrêté depuis février pour avoir manifesté
ses opinions révolutionnaires et transiféré le 12 avril à Montmédy
par ordre du roi. L'Assemblée avait ordonné à son président d'écrire
au roi pour remettre la cause de Muscard entre les mains des juges
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 149
(J). Le 18 avril, on avait lu à la tribune un,e lettre du ministre de
la Guerre qui considérait Museard comme l'un des principaux chefs
de l'insurrection du régiment de Vivarais et qui demandait à l'As-
semblée de rendre au plus tôt un décret sur la discipline militaire.
L,e 4 juin 1793, l'Assemblée nationale fut saisie d'une nouvelle
lettre du ministre de la Guerre lui proposant la mise en liberté de
Museard dont le procès n'était toujours pas engagé. L'Assemblée
nationale décréta alors sa mise en liberté en même temps qu'il con-
serverait son grade et recevrait l'arriéré de sa solde.
Mercure universel, t. I, p. 359.
ft M. Robespierre. Si l'infortuné Muscar gémit depuis deux ans
dans les cachots, sans autre crime que d'avoir respecté et chéri la
constitution, c'est un crime pour les patriotes : tant qu'on les verra sans
défense, on ne croira pas à la révolution. J'interpelle tous les patriotes,
et surtout les militaires, de nous dire pourquoi l'infortuné Muscar est
encore opprimé ? . . .
M. Chabroud...
(( M. Robespierre. La justice du comité ne doit pas se borner à
Muscar. Bapaumier (2), depuis un an, gémit dans les prisons; je recom-
mande également au Comité la cause des soldats de Châleauvieux qui
ont survécu aux exécutions militaires (3) ; les bons citoyens gémissent
de voir qu'ils sont encore sous l'oppression; je somme les membres
du comité militaire et tous ceux qui vantent le patriotisme du ministre
de la guerre de nous dire si... »
M. de Lameth : [défend cette idée que l'on ne doit pas accuser
sans preuves un ministre patriote (on murmure); il incrimine les commis
des bureaux.] (4).
(1) Arch. nat. D XXIX bis, 16, dossier 173, pièce 25: Lettre de
Merlin de Thionville à Duportail, ministre de la Guerre, demandant
1 autorisation d'assister le sieur .Muscar, sous-officier détenu à
lîodemaok, autorisation refusée par le commandant de la place et
par M. de Bouille (3 décembre 1790); D XXIX bis, 16, dossier 174,
p. 6 : Lettre de Thirion, datée de Thionville, dénonçant la présence
d'aristocrates dans les directoires du district et du département,
l'incivisme des officiers des régiments allemands en garnison à Thion-
ville... et intervenant en faveur du sous-officier Muscar (20 décem-
bre 1790). Voir également Arch. nat. C 38.
(2) Nous n'avons rien trouvé à son sujet aux Arch. nat. dans
les dossiers des comités des recherches et des rapports.
(3) Sur l'affaire de Nancy et des Suisses du régiment de Châ-
teau vieux, voir: Discours, lw partie, séances des 31 août et 3 sep-
tembre 1790 et le Rapport de Sillery (P.V. de l'Ass. nat., n° 493,
p. 40, 6 décembre 1790).
<4) Cf. Aulard, II, 210, qui donne à propos de cette séance un
seul extrait des « Annales patriotiques et littéraires », où le rôle
de Robespierre n'est pas mentionné.
150 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Journal général, 1791, n° 54, p. 216.
« M. Robertspierre demande la liberté d'un nommé Muscar,
depuis deux ans dans les cachots, et celle des Soldats de Château-
Vieux. Il inculpe grièvement le patriotisme de M. du Portail. »
Le Bulletin et Journal des Journaux, n° 35.
« M. Robespierre prit la parole et somma les membres du comité
militaire de faire cesser la persécution exercée contre Muscar et contre
ceux qui languissent dans les fers depuis l'affaire de Nancy, entre
autres, les suisses de Châtauvieux. »
Le Patriote François, 1791, n° 591, p. 305.
« Le patriote Robespierre a élevé la voix sur-le-chan;p, e* a
sommé les membres du comité militaire qui étoient dans l'assemblée,
et qui étoient bons patriotes, d'employer tous leurs efforts pour mettre
fin à la cruelle persécution que le malheureux Muscar essuyoit. Il a
rappelle aussi à la pitié de ces mêmes députés, le sort de tant d'autres
victimes, qui languissent dans les fers depuis l'affaire de Nancy, et
injustement, entre autres les suisses de Château-vieux. ,o
242. — SEANCE DU 21 MARS 1791
Sur les troubles de Douai {sitite)
Le président donne lecture à l'Assemblée de lettres de la muni-
cipalité et du district de Douai, auxquelles est joint le procès-verbal
de ce qui s'est passé lors des troubles des jours précédents
Robespierre en pro'fite pour rouvrir le débat. Il s'élève contre
la translation provisoire du directoire du département du Nord, de
Douai à Lille, translation reconnue par l'article 5 du décret du 17
mars. Il proteste de plus, contre le renvoi, ordonné par le directoire
du département, de l'assemblée électorale qui devait se tenir le 20
mars, à Douai, pour l'élection de l'évêque, renvoi sanctionné par
l'article 4 du décret du 17 mars.
* L'Assemblée ordonna le renvoi des pièces au pouvoir exécutif,
et persista à ordonner la réunion de l'assemblée électorale, dans le
lieu qui .aura été choisi en vertu de son décret du 17 mars.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t.XXIII, p. 104.
« M. Robespierre. Il paroit par la lettre du département du Nord,.
qu'il est impossible, sans occasionner de désordres, sans contrarier les
vues sages du corps électoral, de le déplacer de Douai pour le trans-
porter en un autre lieu; mais il est un fait oui doit vous intéresser sous
le rapport de la constitution et de l'ordre public, c'est que \e directoire
ne paroit pas avoir respecté les principes constitutionnels. En suspen-
dant de son chef l'assemblée électorale, il s'est permis d'arrêter l'effet
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 151
des convocations antérieures, par lesquelles le lieu du rassemblement
de l'assemblée électorale étoit fixé à Douai (murmures). Je conviens
que le directoire peut être excusable ; mais je réclame les principes
et je soutiens que l'assemblée des électeurs ne peut point se tenir
ailleurs qu'à Douai. En conséquence, je demande qu'en vertu des
convocations précédentes, ce soit à Douai que se tienne l'assemblée
électorale » (1).
Journal général, n° 50, p. 198.
« M. Robespierre jette quelques soupçons sur le Directoire du
département, comme ayant empêché l'Assemblée des Electeurs à
Douai, le 20. Des murmures sur ces soupçons, portent à l'orateur
l'improbation de l'Assemblée. »
(1) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIV, 255.
243. — SEANCE DU 23 MARS 1791
Sur le caractère électif ou héréditaire de la régence
Le 22 mars, Thouret, au nom du comité de constitution, a pré-
senté à l'Assemblée un projet de décret sur la régence du royaume.
La discussion s'instaure aussitôt, et l'Assemblée vote les deux pre-
miers articles du projet. Ée débat se poursuit le 23 mars, sur la
question de savoir si la régence sera élective ou héréditaire
La discussion fut fermée avant que Robespierre ait pu inter-
venir, et l'art. 3 du décret organisant la régence, fut voté sous cette
rédaction : « La régence du royaume appartiendra de plein droit,
pendant tout le temps de la 'minorité du roi, à son parent majeur
[é plus proche, suivant l'ordre d'hérédité au trône » (1).
Le Lendemain, t. II, n° 83, p. 972 (2).
« Robertspierre paraît à la tribune. On demande que !a diseuse
sion soit fermée, ce qui est décrété... »
<1) L'Orateur du Peuple publie (n° L III, p. 424) une lettre
curieuse datée du 26 juin 1791, dans laquelle le duc d'Orléans « se
met à la disposition de la patrie pour la servir sur terre et sur
mer... mais il se réserve, le cas échéant, la faculté de renoncer à la
régence. »
(2) pe Point du Jour ne mentionne pas cette tentative de Robes-
pierre ; pu- contre, il cité longuement le discours de Pétion (t. XX,
p 334). Dans la suite, on reprochera à Robespierre de vouloir la
régence pour lui-môme (Cf. L'Ami du Roi (de Montjoie) 15 octobre
1791, p. 2).
152 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Société des Amis de la Constitution
244. — SEANCE DU 25 MARS 1791
Sur le renvoi des pétitions
au Comité des recherches de l'Assemblée nationale
Après la lecture du procès-verbal et des adresses envoyées à la
Société, trois de ces dernières sont renvoyées au comité des recher-
ches de l'Assemblée (1),
Robespierre intervient pour protester contre cette procédure.
L,e duc de Broglie soutient au contraire que le renvoi au comité n'est
pas inutile.
Mercure universel, t. I, p. 439.
« M. Robespierre. Je n'ai qu'une simple observation à faire: la
forme de renvoyer la connoissance d'une affaire à une assemblée poli-
tique n'appartient à aucune congrégation de citoyens; cette manière
d'agir semble déterminer ou que l'on fixe les droits de tel corps, ou
que l'on en attribue la connoissance à tel tribunal; je dis que cela
est illégal. Quand on vous adresse une pétition, que vous d^mande-
t-on ? que vous en preniez connoissance; si vous la renvoyez à d'au-
tres, vous ne remplissez pas ce qu'on vous* demande. Est-ce que ceux
qui vous la font passer ne savent pas qu'il existe des comités, des
tribunaux ? S'adresseroient-ils à vous s'ils n'avoient besoin de vos
réflexions, de l'influence que vous avez dans l'opinion publique ? Vous
dispenser d'examiner les pétitions qui vous sont adressées, c'est vous
exempter de ce que l'on attend de vous. Je conclus à ce que jamais
vous ne vous permettiez de renvoyer à aucun tribunal ni comité. »
la Feuille du Jour, t. III, n° 88, p. 701.
« M. Robespierre se plaint de ce que toutes les dénonciations
sont négligées; il demande qu'on prononce sur le degré d'attention
qu'elles méritent. Le président répond qu'il ne peut que les recom-
mander aux tribunaux; et là-dessus, M. Robespierre témoigne de
cette humeur patriotique dont son visage est l'expression conti-
nuelle » (2).
(1) L'une émanant de la municipalité de Givet, l'autre de Belfort,
la troisième de Cassel.
(2) Rien dans Aulard. Cette séance n'est même ,pas mentionnée.
les discours de robespierre 153
Société des Amis de la Constitution
245. — SEANCE DU 28 MARS 1791
Sur les distinctions entre les citoyens
Un long débat s'engage sur le conflit qui oppose le bataillon des
Petits Augustins et le comité de surveillance pour la discipline mili-
taire établi par la municipalité de Paris. Le président de la société
saisi de plusieurs motions, demande s'il sera nommé des commis-
saires pour enquêter sur les agissements de ce comité de surveillance,
ou s'il suffira que tous les citoyens actifs se rendent dans leur
section pour les dénoncer. Robespierre s'élève contre ces distinc-
tions inutiles entre les citoyens
Mercure universel, t. II, p. 41.
« M. Robespierre. Nous ne sommes pas ici en assemblées de
citoyens actifs, je demande que l'on banisse ces distinctions
inutiles » (1).
(1) Rien dans Aulard.
246. — SEANCE DU 30 MARS 1791
Sur la nomination de commissaires du roi
près les tribunaux criminels
Duport présente deux articles additionnels au décret sur l'orga-
nisation de la justice criminelle. Le second porte que les commis-
saires du roi près les tribunaux civils, ne pourront être en même
temps commissaires près les tribunaux criminels, et que ces deux
fonctions exigeront des personnes différentes.
La question préalable a été réclamée sur cet article, et après
une discussion à laquelle prirent part Buzot et R.obespierre (1), l'As-
semblée décida qu'il n'y avait pas lieu à délibérer.
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n° 265, p. 3.
« M. Roberspierre s'est élevé contre l'ajournement. L'opinion est
formée, a-t-il dit, sur cet article; il est jugé, il n.' échappera point par
l'ajournement. Et en vérité ce seroit chose inutile que de créer exprès
de nouvelles places pour donner de nouveaux satellites au pouvoir
exécutif. D'ailleurs, les commissaires du roi sont assez inutiles auprès
des tribunaux criminels. J'y vois autour de l'accusé d'une part un
accusateur public, de l'autre un défenseur, et enfin des juges, qui
faut-il donc encore? » (2).
(1) Cf. E. Hamel, I, 395. Buzot intervient plus longuement,
Robespierre n'a fait que reprendre ses arguments en fin de séance,
.l'm-s que la question préalable est déjà mise aux voix.
(2) Texte utilisé par les Areh. pari., XXIV, 469.
154 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
L'Ami du Roi (Royou), n° 318, p. 2.
« Encore des commissaires du roi, s'écrie M. Robespierre: vous
voulez donc anéantir la constitution, rétablir le despotisme ? Et puis,
quelle dépense pour le pauvre peuple ! Qu'il paye des centaines de
mille d'administrateurs, de juges, qui sont de son choix, rien de plus
juste : mais le surcharger du poids d'impositions ruineuses, pour le
salaire des nouveaux agens du despotisme, en vérité, c'est abuser de
sa patience, et la pousser à bout. »
Le Point du Jour, n° 628, p. 446.
« La discussion a été très-vive; MM. Robespierre et Buzot se
sont élevés avec force contre cette proposition dangereuse, qui donnoit
au pouvoir exécutif 83 hommes de plus à sa disposition ; dispendieuse
parce qu'elle créoit 83 officiers publics, dont les indemnités seroient
une charge très-considérable pour le peuple; enfin, inutile et super-
flue, puisque les commissaires du roi au civil sont peu occupés, et
pourront faire les fonctions auprès du tribunal criminel, avec d'autant
plus de raison, que les accusateurs publics auront tous les travaux les
plus importans. »
Journal de Paris, n° 90, p. 361 .
« Une discussion, non pas très-longue, mais très-vive, a été susci-
tée par cet article, et ce sont MM. Buzot et Roberspierre qui l'ont
sur-tout échauffée.
« Ils se sont opposés à ce qu'on plaçât des Commissaires du Roi
auprès des Tribunaux, et ils ont appelle la question préalable sur
l'article. Voici leurs motifs.
« 1 ° Les Commissaires du Roi auprès des Tribunaux de District
pourront remplir les mêmes fonctions auprès du Tribunal Criminel, et
ils ne seront pas très surchargés encore de travaux. Naguères les Gens
du Roi, qui étoient des Commissaires du Roi, avoient des fonctions
bien plus étendues, et ils suffisoient à les remplir; ils réunissoient aux
fonctions qu'ils vont avoir celles d'Accusateurs Publics qu'ils n'auront
plus; 2° créer 83 Commissaires du Roi, c'est surcharger la Nation de
150 mille livres au «moins de plus dans la dépense de chaque année,
et fortifier le parti du pouvoir exécutif d'un grand nombre d'hommes
intéressés à étendre les prérogatives. L'économie, la liberté, la simpli-
cité de l'organisation, ces trois grands motifs, disoient-ils, doivent
donc faire rejetter la proposition de placer des Commissaires du Roi
auprès des Tribunaux Criminels. »
Courier de Provence, t. XIV, n° 275, p. 10.
« Toutes ces raisons, qui ne sont pas sans fondement, r'ont pu
tenir contre la crainte exprimée avec beaucoup de force par MM.
Buzot et Robespierre, de donner quatre vingt trois nouveaux satellites
au pouvoir exécutif. On a donc écarté la proposition du comité, les
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE !55
commissaires du roi des tribunaux civils, exerceront près des tribunaux
criminels. »
Le Lendemain, t. II, n° 90, p. 1034.
« Il [BuzotJ est soutenu par M. Robespierre, qui débve fort
ennuyeusement tout ce qu'a dit M. Buzot : néanmoins les jacobins ne
laissent pas échapper l'occasion de l'encourager par leurs applaudisse-
mens. »
Le Patriote François, n° 600, p. 343.
« La liberté a remporté un nouveau triomphe aujourd'hui, grâces
à l'intrépidité de deux patriotes éclairés, MM. Buzot et Robespierre,
et à l'esprit de justice qui règne dans lia masse de l'assemblée. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Courier français,
t. X, n° 90, p. 235; Le Journal général, 1791, n° 59, p. 236; La
Feuille du Jour, t. III, n° 90, p. 716.]
Société des Amis de la Constitution
247. — SEANCE DU 30 MARS 1791
Sur la rédaction du procès-verbal et sur opinion de Danton
Oollot d'Herbois avait inséré dans le procès-verbal de la séance
de la Société du 29 mars, quelques mots d'éloge à l'adre'sse de
Bonne-Carrère, qui avait annoncé au cours de cette séance, sa nomi-
nation comme ministre plénipotentiaire auprès du prince de iLiège.
Danton s'élève contre cette rédaction et soutient que l'on ne peut
être à la fois membre de la Société et agent du pouvoir exécutif.
Robespierre le contredit.
Mercure universel, t. II, p. 44.
« M. Robespierre. Je ne puis accepter l'ensemble des idées
que l'on vous propose : je connois M. Danton pour bon citoyen, mais
je ne puis penser comme lui dans cette circonstance : il me semble
qu'il est possible d'être nommé agent du pouvoir exécutif, et de rester
votre secrétaire. Quant à votre procès-verbal, il ne doit contenir aucune
louange. Il n'est pas étonnant qu'un membre de cette assemblée, un
bon citoyen, obtienne une place : mais cela n'élève personne, il n'y a
pas besoin d'applaudissemens. Qu'est-ce que des expressions de voix
coupées ? Cela ne signifie rien ; vos procès verbaux doivent contenir
des faits purs et simples » (1).
(1) Aulard (TI, 220) rend compte de cett,e séance d'après le Len-
demain, le Patriote françois et les iSabbats Jacobites, mai 3 ne men-
tionne pas l'intervention de Robespierre.
156 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
248. — SEANCE DU 31 MARS 1791 (soir)
Sur une députation de l'assemblée coloniale de Saint-Marc
_ Après la réunion des Etats Généraux, les trois provinces de
Saint-Domingue, sur l'initiative de l'assemblée formée dans celle du
Nord, élurent une assemblée générale de la Colonie qui se réunit
à Saint-Marc le 25 mars 1790 et vota une constitution avec l'intention
évidente d'assurer à Saint-Domingue une indépendance de fait (1).
L'Assemblée provinciale du Nord se déclara pour l'union avec la
métropole et les autorités françaises dispersèrent l'assemblée de
Saint-Marc en août 1790. Ses membres s'embarquèrent pour la
Franc? où l'Assemblée nationale les cita à la barre; puis, le 12
octobre annula leur œuvre, prononça la dissolution d,é leur assem-
blée et les maintint provisoirement à sa disposition.
Le 30 mars 1791, le président fit lecture d'une lettre de la
ci-devant assemblée de iSaint-Marc, par laquelle ses quatre-vingt-
cinq membres présents en France, demandent à retourner dans leurs
foyers, et que les griefs que l'Assemblée peut avoir contre eux, leur
soient communiqués individuellement. L'Assemblée décida d'admettre
ies pétitionnaires à la barre, comme individus, mais non comme mem-
bres d'une corporation
Le SI mars au soir, la députation est admise à la barre. Linguet,
conseil des membres de la ci-devant assemblée coloniale, porte la
parole pour eux.
lre intervention: Sur la qualification d'assemblée coloniale de St-Marc
L'Assemblée ayant, par son décret du 12 octobre 1790, supprimé
cette société, un des membres fait une motion d'ordre contre laquelle
s'élève en particulier Robespierre'. Le président rappelle alors aux
pétitionnaires qu'ils devront, en vertu du décret de la veille, parler
en tant qu'individus.
L'Ami du Roi (Montjoie), 2 avril 1791, p. 366.
(( M. Robespierre a observé sagement que M. Je président avait
seul le droit d'interrompre les pétitionnaires, qu'aucun membre ne
devait les troubler. »
Journal de Normandie, n° 92, p. 444.
« M. Robespierre : Nous ne pouvons sortir d'embarras que par
un seul moyen, c'est de consulter l'assemblée pour savoir quelle a été
son intention Jors du décret du 15 mars. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 92, p. 376.
« M. Roberspierre. Je demande que si l'orateur paraît s'écarter
du respect dû aux décrets, le président seul l'y rappelle, et qu'aucun
(1) Sur les événements de Saint-Domingue, voir J. Saintoyant
•La Colonisation française pendant la Révolution, t. I et IL
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 157
membre n'introduise le désordre dans l'Assemblée par d'injustes
interruptions » (2).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXIII, p. 399
« M. Robespierre. Pour la dignité de l'assemblée, je demande que
si l'orateur paroit s'écarter de la règle, M. le président ait seul le
droit de l'y rappeller, et qu'aucun membre de l'assemblée n'introduise
ici le désordre par oies interruptions partielles. (Applaudi) » (3).
2ft intervention :
Après avoir parlé pendant ur\e heure, Linguet, dont la santé est
altérée par les mauvais traitements qu'il a subis, demande à l'Assem-
blée de reporter la suite de son discours à une séance ultérieure.
Begouen propose alors qu'un autre membre de la députation pour-
suive sa lecture, Robespierre, Dillon et Emmery s'y opposent et
appuient le renvoi.
Ils furent combattus par Barnave et par Le Couteulx de Canteleu
qui avaient souhaité que les pétitionnaires s'expliquent sur-le-champ
au sujet de certains écrits (4). Mais l'Assemblée décréta le renvoi
à la séance du mardi 5 avril au soir.
Le Point du Jour, t. XX, n° 630, p. 467.
« Il s'agit de citoyens accusés, s'est écrié M. Robespierre, de
citoyens qui se justifient; il est de la dignité et de l'honneur de l'assem-
blée d'accéder à la demande du défenseur de ces citoyens, et de
renvoyer à mardi. (On applaudit). »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 92, p. 377.
« M. Roberspietre. Il n'est pas question de juger en ce moment
le fond de l'affaire, rien ne presse, mais les égards, la bienséance et
l'humanité prescrivent que vous acquiescerez à la demande des accusés
qui s'étant rendus à la barre en vertu de votre décret, vous déclarent
qu'ils ne sont pas en état de continuer leur défense » (5).
Le Patriote jrançois, n° 602, p. 352.
Courier 'français, t. X, n° 91, p. 246.
Courrier d' Avignon, n° 86, p 344.
« MM. Dillon, Robertspierre et Emmery s'y sont vivement oppo-
(2) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 12.
(3) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIV, 487.
(4) Arch. niât. C 58, 590. Imprimé in-8" de 26 pages, intitulé:
U Aux Constituans de l'Assemblée générale de la partie fraueoue
d»- Saint-Domingue, ci-devant séante à Saint-Marc, 1791 » (de l'hnp.
de Quilhu, rue du Fouarre, n° 3), avec cette su^-eripti'Mi manus-
crite: « déposé sur le Bureau par M. le Coûteux de Canteleu à la
lu soir le jeudi 31 mars 1791. »
C>) Texte r -pi Huit dans le Moniteur, VIII, 14; et les Arch.
pari., XXIV, 490.
158 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
ses, en invoquant l'humanité de l'assemblée, qui ne devoit pas interro-
ger des accusés, sans, leur avoir donné 'le tems de prendre les lumières
de leur conseil. »
Mercure universel, t. II, p. 28.
« M. Bamave veut qu'ils répondent sur le champ. MM. Robes-
pierre, Folleville, et principalement M. Emery, observent que tant
de précipitation n'est ni conforme aux devoirs de l'humanité, aux
bienséances, ni aux principes constitutionnels, d'après lesquels tout
accusé pouvoit demander à se recueillir avec son conseil »
Le Spectateur national, n° 123, p. 529-530.
« Je m'oppose à la motion qui vient d'être faite, a dit M. Robes-
pierre, et j'insiste pour que rassemblée accueille la demande du
défenseur des pétitionnaires qui sont à la barre; demande qu'elle ne
peut rejetter sans blesser toutes les lois de l'humanité et de la justice »
...« MM. de Crillon, Robespierre, Gouy d'Arcy et Emery ont pré-
tendu au contraire que les pétitionnaires qui étoient à la barre avant
d'être tenus de répondre à la question qui leur étoit faite, dévoient
avoir la permission de se retirer en particulier avec leur conseil, ils ont
ajouté que l'assemblée ne pouvoit exiger d'eux une réponse cathégo-
rique sur un écrit qui ne leur avoii pas été communiqué légalement,
sans violer, non seulement les règles des bienséances, mais celles
mêmes de la justice. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal de Nor-
mandie, n° 92, p. 442; Le Journal général de France, 2 avril 1791,
p. 365; Le Journal général, n° 61, p. 243.]
249. — AVRIL 1791
Sur le marc d'argent
Robespierre s'était, à .maintes reprises .au cours de l'année
1790, élevé contre les .conditions de cens exigées des citoyens actifs
et des éligibles. Soutenu par l'opinion publique, il avait bravé, le
2*i janvier, l'opposition de .l'Assemblée (1). A l'is£ue de cette séance,
il avait obtenu qu'un projet de décret fût élaboré par Je comité
ue constitution en vue de supprimer le marc d'argent.
Le 8 février, la Commune de Paris qui avait applaudi à ce pre-
mier résultat, présenta à Ja barre de la Constituante, au nom île
2Ï districts, une motion similaire qui fut égairmeut .renvoyée au
(1) Cf. Discours, lre partie, p. 200.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 159
même comité (2); et le résultat escompté se faisant attendre, la
municipalité parisienne revint a la charge Je 20 avril; son adresse
rédigée par Condor-cet subit le même sort (3). En juin, de nouvelles
tentatives eurent lieu sans plus de résultat. Marat, de son côté,
souleva la question à plusieurs reprises dans son A/mi du Peuple
(4). Toutefois, l'Assemblée refusait de tenir compte des vœux popu-
laires et .Robespierre, « malgré ses efforts réitérés (5) ne put se
faire entendre de ses collègues; pourtant, ri avait tout prêt un long
discours entièrement terminé auquel il ne manquait que l'occasion
d'être prononcé » (6)
En désespoir de cause, il le fit imprimer à la fin de mars 1791
et J'advessa, quelques jours plus tard, aux sociétés populaires. Le
11 avril, il l'envoie aux Jacobins de Versailles, et à la municipalité
ainsi qu'au Club de Toulon (7). On' en donna lecture ià Brest, le 19
avril, au cours de la séance de la Société des Amis de la Consti-
tution (8) et le succès se renouvela le lendemain à Paris au Olub
des Cordeliers qui arrêta sur Le champ « d'inviter toutes les autres
sociétés patriotiques à faire lire dans leurs séances cette production
d'un esprit juste et d'une âme pure » '(9). iLa réimpression du
discours y fut décidée d'urgence, et Rutledge, l'un de ses membres,
retarda la composition d'un numéro de son journal « le Creuset »
pour y satisfaire (10).
Nous possédons ainsi plusieurs éditions de ce texte important
(2) Adresse de la Commune de Paris dans ses sections à l'Assem-
blée nationale, in-8°, 7 pages, 8 fév. 1790 (British Muséum F R 7,
16). 'Cité dans Actes C. de P., 2e série, III, 620.
<3) Cf. G. Walter, p. 153.
(4) Cf. nos des 18-30 juin, 25-29 juillet, 28 octobre 1790. De même
Fréron, dans l'Orateur du Peuple (III, 336) publie une pétition
signée par 13 sociétés, contre le marc d'argent.
(5) Cf. Discours, l"e partie, p. 552.
(6) Cf. G. 'Walter, p. 154.
(7) Lettre d'envoi de Robespierre à la Municipalité de Toulon,
du 11 avril 1791, et lettre de remerciements de cette Municipalité,
publiées par G. Michon, I, 103, 104 et par L. Jacob, op. cit. p. 72.
(8) Extrait du procès-verbal de la séance du 19 avril 1791, publié
par la Correspondance nationale, n° 22, p. 282: « L'ordre du jour
amenant la discussion relative au discours à l'assemblée nationale,
sur la nécessité de révoquer les décrets qui attachent l'exercice
des droits de citoyen à la contribution du marc d'argent, ou d'un
nombre déterminé de journées d'ouvriers, par M. Robespierre ; on
en a fait la lecture qui a été suivie des plus ivifs applaudissemens ;
ri après une nuire délibération, l'assemblée a arrêté de donner au
projet de décret, proposé à la suite de ce discours, l'adhésion la
plus' formelle et la plus authentique. Et pour rendre l'auteur fort
cle l'opinion publique, elle a arrêté, de plus, de lui adresser copie
certifiée de l'extrait du présent' pioeès-verbal, ainsi qu'au Club des
Jacobins et de donner connoissance de cet arrêté, à toutes le,; cocié-
Uea les amis de La constitution, par la voie des papiers-journaux. »
« Pour extrait conforme au registre:
Pierre DES BOUILLON S, secrétaire,
/9) Higné Peyre, président.
(10) 'Cf. G. Walter, p. 154.
160 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
(11) qui donna lieu du point de vue chronologique à de nombreuses
méprises (12) et dont liobespierre uti'lisa un certain nombre d'élé-
ments lorsqu'à Ja fin de la Constituante, dans la séance du 11 août
1791, cette question fut, -une dernière fois, évoquée (13)-
DISCOURS DE M. DE ROBESPIERRE
A L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Sur la nécessité de révoquer les décrets qui attachent l'exercice
des droits du citoyen à la contribution du marc d'argent,
ou d'un nombre déterminé de journées d'ouvriers.
MESSIEURS,
J'ai douté, un moment, si je devois vous proposer mes idées sur
des dispositions que vous paraissiez avoir adoptées. Mais j'ai vu qu'il
s'agissoit de défendre Ja cause de la nation et de la liberté, ou de la
(11) Il en existe trois à la 13. X. : la première qui sort des
presses de l'Imprimerie Nationale est conservée sous la cote 8" Le
89/1991 ; la seconde qui est précédée d'un arrêté du Club des Oorde-
liers et suivie d'un avis de iRutledge, porte la cote 8° Le 29/1701 ;
la troisième (iLe 29/1991 A) porte la mention : Imprimerie de Galix&e
Volland, quai des Augustins n" 25, Ces trois textes sont rigoureuse-
ment identiques ; mais il semble que celui qui ait été imprimé par
les soins de Robespierre, soit celui que nous mentionnons en pre-
mier lieu. C'était en effet coutume courante qu'un député qui
n'avait pu prononcer son discours à la tribune de l'Assemblée le
fît cependant publier par les soins de l'Imprimerie Nationale.
Le Journal des Débats en annonce la publication dans son
n" 738 (}). 22) en même temps que celle des Discours sair la liberté
de la presse et la rééligibilité des députés. De même, la Feuille d3
Correspondance du libraire l'annonce à deux reprises au milieu
d'autres brochures parues en mai 1791 (t. I, art. 204, p. 32), et
pour l'édition du Club des 'Cordeliers au milieu de juin 1791 (t. J,
art. 522, p. 85).
Il a été reproduit par Ch. Vellay, op. cit., p. 87 à 109.
(12) Les Arch. pari, le publient à la suite de la séance du 25
janvier 1790 (XI, 320 et iS\). Elles commettent ainsi une erreur de
date, le fixant à avril 1790. L'un des exemplaires de la B.N". (8° Le
29/1701) porte en note manuscrite au crayon: 9 août 1791, et celui
de la Sorbonne, deux dates indiquées de la même façon : 22 octobre
1739 et 1791. fSigismond [Lacroix, III, 617, note 1, le place en avril
1791. Quoi qu'il en soit, nous avons la certitude que ce discours,
malgré son titre, ne fut pas prononcé à la tribune de l'Assemblée.
C'es'fc la lecture qui en fut faite aux Cordeliers qui causa cette
méprise de Gorsus (Courrier, t. XXII, n° 27, p. 421); il écrit à la
date du 27 avril 1791 : « M. Roberspierre a fait à l'Assemblée Natio-
nale un discours très éloquent, où il prouve la nécessité de révoquer
tes décrets qui attachent l'exercice des droits de citoyen à la contri-
bution du marc d'argent. » On discutait alors de l'organisation des
gardes nationales qui, il est vrai, dans l'esprit de Robespierre était
liée à celle des conditions de cens électoral.
(13) Cf ci-dessous, à Ja date.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 161
trahir par mon silence; et je n'ai plus balancé. J'ai même entrepris
cette tâche avec une confiance d'autant plus ferme, que la passion
impérieuse de la justice et du bien public qui me l'imposait m'étoit
commune avec v^ous, et que ce sont vos propres principes et votre propre
autorité que j'invoque en leur faveur (14).
Pourquoi sommes-nous rassemblés dans ce temple des loix ? Sans
doute, pour rendre à la nation française F exercice des droits impres-
criptibles qui appartiennent à tous les hommes. Tel est l'objet de
toute constitution politique. Elle est juste, elle est libre, si elle le
remplit; elle n'est qu'un attentat contre l'humanité, si elle le contrarie.
Vous avez vous-mêmes reconnu cette vérité d'une manière frap-
pante, lorsqu' avant de commencer votre grand ouvrage, vous avez décidé
qu'il falloit déclarer solemnelJement ces droits sacrés, qui sont comme
les bases éternelles sur lesquelles il doit reposer.
« Tous les hommes naissent et demeurent libres, et égaux en
droit. ))
<< La souveraineté réside essentiellement dans la nation. »
« La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens
ont le droit de concourir à sa formation, soit par eux-mêmes, soit par
leurs représentai, librement élus. »
<( Tous les citoyens sont admissibles à tous îles emplois publics,
sans aucune autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs
talens. »
Voilà les principes que vous avez consacrés : il sera facile main-
tenant d'apprécier les dispositions que je me propose de combattre;
il suffira de les rapprocher de ces règles invariables de la société
humaine.
Or, 1 ° La loi est-elle l'expression de la volonté générale, lorsque
le plus grand nombre de ceux pour qui elle est faite ne peuvent con-
courir, en aucune manière, à sa formation 7 Non. Cependant interdire
à tous ceux qui ne payent pas une contribution égale à trois journées
d'ouvriers, le droit même de choisir les électeurs destinés à nommer
les membres de l'assemblée législative; qu'est-ce autre chose, que
rendre la majeure partie des Français absolument étrangers à !a forma-
tion de la loi 7 Cette disposition est donc essentiellement anti-constitu-
tionnelle et anti-sociale.
•
2° Les hommes sont-ils égaux en droits, lorsque les uns jouissant
exclusivement de la faculté de pouvoir être élus membres du corps
législatif, ou des autres établissements publics, les autres de celle de
les nommer seulement, les autres restent privés en même-tems de tous
(14) Déclaration des Droits, art. 6 : « La loi est l'expression de
la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir person-
nellement ou par leurs représentants à «a formation. »
162 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
ces droits ? Non ; telles sont cependant les monstrueuses différences
qu'établissent entr'eux les décrets qui rendent un citoyen actif ou
passif; moitié actif, et moitié passif, suivant les divers degrés de
fortune qui lui permettent de payer trois journées, dix journées d'impo-
sitions directes, ou un marc d'argent. Toutes ces dispositions sont
donc essentiellement anti-constitutionnelles et anti-sociales.
3° Les hommes sont-ils admissibles à tous les emplois pub'ics sans
autre distinction que celles des vertus et des taiens, lorsque l'impuis-
sance d'acquitter Ja contribution exigée les écarte de tous les emplois
publics, quels que soient leurs vertus et leurs taiens? Non; *outes ces
dispositions sont donc essentiellement anti-constitutionnelles et anti-
sociales.
4° Enfin, la nation est -elle souveraine, quand le plus grand nombre
des individus qui la composent est dépouillé des droits politiques qui
constituent la souveraineté ? Non ; et cependant vous venez de voir que
ces mêmes décrets les ravissent à la plus grande partie des Français.
Que seroit donc votre déclaration des droits, si ces décrets pouvoient
subsister? Une vaine formule. Que seroit la nation? Esclave; car la
liberté consiste à obéir aux loix qu'on s'est données, et la servitude
à être contraint de se soumettre à une volonté étrangère. Que seroit
votre constitution ? Une véritâ"ble aristocratie. Car l'aristocratie est
l'état où une portion des citoyens est souveraine et le reste sujets. Et
quelle aristocratie! La plus insupportable de toutes; celle des Riches.
Tous les hommes nés et domiciliés en France sont membres de la
société politique, qu'on appelle la nation Française; c'est-à-dire,
citoyens Français. Ils le sont par la nature des choses et par les pre-
miers principes du droit des gens. Les droits attachés à ce titre ne
dépendent ni de la fortune que chacun d'eux possède, ni de la quotité
de l'imposition à laquelle il est soumis, parce que ce n'est point
l'impôt qui nous fait citoyens; la qualité de citoyens oblige seulement
à contribuer à la dépense commune de l'état, suivant ses facultés. Or,
vous pouvez donner des loix aux citoyens : mais vous ne pouvez pas
les anéantir.
Les partisans du système que j'attaque ont eux-mêmes senti cette
vérité, puisque, n'osant contester la qualité de citoyen à ceux qu'ils
condamnoient à l'exhérédation politique, ils se sont bornés à éluder
^e principe de l'égalité qu'elle suppose nécessairement, par la distinc-
tion de citoyens actifs et de citoyens passifs. Comptant sur la facilité
avec laquelle on gouverne les hommes par les mots, ils ont essayé de
nous donner le change en publiant, par cette expression nouvelle, la
violation la plus manifeste des droits de l'homme.
Mais qui peut être assez stupide pour ne pas appercevoir que
ce mot ne peut ni changer les principes, ni résoudre la difficulté; puis-
que déclarer que tels citoyens ne seront point actifs, eu dire qu'ils
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 163
n'exerceront plus les droits politiques attachés au titre de citoyen, c'est
exactement la même chose dans l'idiome de ces subtils politiques. Or,
je leur demanderai toujours de quel droit ils peuvent ainsi frapper
d'inactivité et de paralysie leurs concitoyens et leurs commettans : je
ne cesserai de réclamer contre cette locution insidieuse et barbare qui
souillera à-ïa-fois et notre code et notre langue, si nous ne nous hâtons
de l'effacer jde l'une et de l'autre, afin que de mot de liberté ne soit
pas lui-même insignifiant et dérisoire.
Qu'ajouterai-je à des vérités si évidentes ? Rien, pour les repré-
sentai de sa nation, dont l'opinion et le vœu ont déjà prévenu ma
demande : il ne me reste qu'à répondre aux déplorables sophismes sur
lesquels les préjugés et l'ambition d'une certaine classe d'hommes
s'efforcent d'étayer la doctrine désastreuse que je combats; c'est à
ceux-là seulement que je vais parler.
Le peuple ! des gens qui n'ont rien ! les dangers de la corruption !
l'exemple de l'Angleterre, celui des peuples que l'on suppose libres;
voilà les argumens qu'on oppose à la justice et à la raison.
Je ne devrois répondre que ce seul mot : le peuple, cette multitude
d'hommes dont je défends la cause, ont des droits qui ont la même
origine que les vôtres. Qui vous a donné le pouvoir de les leur ôter ?
L'utilité générale, dites-vous ! mais est-il rien d'utile que ce qui
est juste et honnête ? et cette maxime éternelle ne s'applique-t-elle
pas surtout à l'organisation sociale } Et si le but de la société est le
bonheur de tous, la conservation des droits de l'homme, que faut-il
penser de ceux qui veulent l'établir sur la puissance de quelques indi-
vidus et sur l'avilissement et la nullité du reste du genre humain !
Quels sont donc ces sublimes politiques, qui applaudissent eux-mêmes
à leur propre génie, lorsqu'à force de laborieuses subtilités, ils sont
enfin parvenus à substituer leurs vaines fantaisies aux principes immua-
bles que l'éternel législateur a lui-même gravés dans le cœur de tous
les hommes !
L'Angleterre ! eh ! que vous importe l'Angleterre et sa vicieuse
constitution, qui a pu vous paraître libre lorsque vous étiez descendus
au dernier degré de la servitude, mais qu'il faut cesser enfin de vanter
par ignorance ou par habitude ? Les peuples libres ! où sont-ils ? Que
vous présente l'histoire de ceux que vous honorez de ce nom ? si ce
n'est des aggrégations d'hommes plus ou moins éloignées des routes
de la raison et de la nature, plus ou moins asservies, sous des gouverne-
ments que le hazard, l'ambition ou la force avoient établis. Est-ce
donc pour copier servilement les erreurs ou les injustices qui ont si
longtems dégradé et opprimé l'espèce humaine, que l'éternelle provi-
dence vous a appelles, seuls depuis l'origine du monde, à rétablir, sur
la terre, l'empire de la justice et de la liberté, au sein des plus vives
lumières qui aient jamais éclairé la raison publique, au milieu des
..circonstances presque miraculeuses qu'elle s'est plu à rassembler, pour
164 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
vous assurer le pouvoir de rendre à <1 'homme son bonheur, ses vertus
et sa dignité primaire ?
Sentent-ils bien tout le poids de cette sainte mission, ceux qui,
pour toute réponse à nos justes plaintes, se contentent de nous dire
froidement : « Avec tous ses vices, notre constitution est encore la
meilleure qui ait existé ». Est-ce" donc pour que vous laissiez noncha-
lamment, dans cette constitution, des vices essentiels, qui détruisent
les premières bases de l'ordre social, que 26 millions d'hommes ont
mis entre vos mains le redoutable dépôt de leurs destinées ? Ne diroit-on
pas que la réforme d'un grand nombre d'abus et plusieurs loix utiles,
soient autant de grâces accordées au peuple qui dispensent de faire
davantage en sa faveur ? Non, tout le bien que vous avez fait étoit
un devoir rigoureux. L'omission de celui que vous pouvez faire seroit
une prévarication, le mal que vous feriez un crime de leze-nation et de
leze-humanité. Il y a plus; si vous ne faites tout pour la liberté, vous
n'avez rien fait. Il n'y a pas deux manières d'être libres : il faut
l'être entièrement ou redevenir esclave. La moindre ressource laissée
au despotisme rétablira bientôt sa puissance. Que dis-je ! déjà il vous
environne de ses séductions et de son influence ; bientôt il vous accable-
roit de sa force. O vous qui, contens d'avoir attaché vos noms à un
grand changement, ne vous inquiétez pas s'il suffit pour assurer le bon-
heur des hommes, ne vous y trompez pas; le bruit des éloges que
l'étonnement et la légèreté font retentir autour de vous, s'évanouira
bientôt; la postérité comparant la grandeur de vos devoirs et l'immen-
sité de vos ressources avec les vices essentiels de votre ouvrage, dira
de vous, avec indignation : « Ils pouvoient rendre les hommes heureux
et libres; mais ils ne l'ont pas voulu; ils n'en étoient pas dignes. »
Mais dites-vous, le peuple ! des gens qui n'ont rien à perdre !
pourront donc, comme nous, exercer tous les droits de citoyens.
Des gens qui n'ont rien à perdre ! que ce langage de l'orgueil
en délire est injuste et faux aux yeux de la vérité !
Ces gens dont vous parlez sont apparemment des hommes qui
vivent, qui subsistent, au sein de la société, sans aucun moyen de vivre
et de subsister. Car s'ils sont pourvus de ces cnoyens^là, ils ont, ce me
semble, quelque chose à perdre ou à conserver. Oui, les grossiers
habits qui rre couvrent, l'humble réduit où j'achète le droit de me
retirer et de vivre en paix; le modique salaire avec lequel je nourris
ma femme, mes enfans; tout cela, je l'avoue, ce ne sont point des
terres, des châteaux, des équipages; tout cela s'appelle rien peut-être,
pour le luxe et pour l'opulence : mais c'est quelque chose pour l'huma-
nité ; c'est une propriété sacrée, aussi sacrée sans doute que les brillans
domaines de la richesse.
Que dis-je ! ma liberté, ma vie, île droit d'obtenir sûreté ou ven-
geance pour moi et pour ceux oui me sont chers, !e droit de repousser
l'oppression, celui d'exercer librement toutes les facultés de mon
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 165
esprit et de mon cœur; tous ces biens si doux, les premiers de ceux
que la nature a départis à l'homme, ne sont-ils pas confiés, comme les
vôtres, à la garde des loix ! et vous dites que je n'ai point d'intérêt à
ces loix; et vous voulez me dépouiller de la part que je dois avoir,
comme vous, dans l'administration de la chose publique, et cela par
la seule raison que vous êtes plus riches que moi ! Ah ! si la balance
:essoit d'être égale, n'est-ce pas en faveur des citoyens les moins aisés
'elle devroit pencher? Les loix, d'autorité publique, n'est-elle pas
établie pour protéger la foiblesse contre l'injustice et l'oppression ? C'est
Jonc blesser tous les principes sociaux, que de la placer toute entière
ître les mains des riches.
Mais les riches, les hommes puissans ont raisonné autrement. Par
un étrange abus des mots, ils ont restreint à certains objets l'idée géné-
rale de propriété ; ils se sont appelles seuls propriétaires ; ils ont pré-
tendu que les propriétaires seuls étoient dignes du nom de citoyen;
ils ont nommé leur intérêt particulier l'intérêt général, et pour assurer
le succès de cette prétention, ils se sont emparés de toute la puissance
sociale. Et nous ! ô foiblesse des hommes ! nous qui prétendons à les
ramener aux principes de l'égalité et de la justice, c'est encore sur ces
absurdes et cruels préjugés que nous cherchons, sans nous en apper-
cevoir, à élever notre constitution !
Mais quel est donc après tout ce rare mérite de payer un marc
d'argent ou telle autre imposition à laquelle vous attachez de si hautes
prérogatives ? Si vous portez au trésor public une contribution plus
considérable que la mienne, n'est-ce pas par la raison que la société
vous a procuré de plus grands avantages pécuniaires } Et, si nous
voulons presser cette idée, quelle est la source de cette extrême inéga-
lité des fortunes qui rassemble toutes les richesses en un petit nombre
de mains ? Ne sont-ce pas les mauvaises loix, les mauvais gouverne-
mens, enfin tous les vices des sociétés corrompues ? Or, pourquoi faut-il
que ceux qui sont les victimes de ces abus, soient encore punis de
leur malheur, par la perte de la dignité de citoyens ! Je ne vous envie
point le partage avantageux que vous avez reçu, puisque cette inégalité
est un mal nécessaire ou incurable : mais ne m'enlevez pas du moins
les biens imprescriptibles qu'aucune loi humaine ne peut me ravir. Per-
mettez même, que je puisse être fier quelquefois d'une honorable pau-
vreté, et ne cherchez point à m'humilier, par l'orgueilleuse prétention
de vous réserver la qualité de souverain, pour ne me laisser que celle
de sujet.
Mais le peuple!... Mais la corruption!
Ah ! cessez, cessez de profaner ce nom touchant et sacré du
peuple, en le liant à l'idée de corruption. Quel est celui qui, parmi
des hommes égaux en droits, ose déclarer ses semblables indignes
d'exercer les leurs, pour les en dépouiller à son profit ! Et certes si
vous vous permettez de fonder une pareille condamnation sur des pré-
166 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
somptions de corruptibihté, quel terrible pouvoir vous vous arrogez sur
1 humanité ! Où sera le terme de vos proscriptions !
Mais est-ce bien sur ceux qui ne payent point le marc d'argent
quelles doivent tomber, ou sur ceux qui payent beaucoup au-delà?
Oui ; en dépit de toute votre prévention en faveur des vertus que
donne la richesse, j'ose croire que vous en trouverez autant dans la
classe des citoyens les moins aisés que dans celle des plus opulens !
Croyez-vous de bonne foi qu'une vie dure et laborieuse enfante plus
de vices que la molesse, le luxe et l'ambition? et avez-vous moins
de confiance dans la probité de nos artisans et de nos laboureurs, qui
suivant votre tarif ne seront presque jamais citoyens actifs, que dans
celle des traitans, des courtisans, de ceux que vous appelliez grands
seigneurs qui, d'après le même tarif le seroient six cents fois? Je veux
venger une fois ceux que vous nommez le peuple de ces calomnies
sacrilèges.
Etes-vous donc fait pour l'apprécier, et pour connoître les hom-
mes, vous qui, depuis que votre raison s'est développée, ne les avez
jugés que d'après les idées absurdes du despotisme et de l'orgueil
féodal; vous qui accoutumés au jargon bizarre qu'il a inventé, avez
trouvé simple de dégrader la plus grande partie du genre humain, par
les mots de canaille, de populace; vous, qui avez révélé au monde
qu'il existoit des gens sans naissance, comme si tous les hommes qui
vivent n'étoient pas nés; des gens de rien qui étoient des hommes de
mérite, et d'honnêtes gens, des gens comme il faut qui étoient les plus
vils et les plus corrompus de tous les hommes. Ah ! sans doute, on
peut vous permettre de ne pas rendre au peuple toute la justice qui lui
est due. Pour moi, j'atteste tous ceux que l'instinct d'une âme noble
et sensible a rapprochés de lui et rendus dignes de connoître et d'aimer
l'égalité, qu'en général il n'y a rien d'aussi juste ni d'aussi bon que
le peuple, toutes les fois qu'il n'est point irrité par l'excès de l'oppres-
sion; qu'il est reconnoissant des plus foibles égards qu'on lui témoigne,
du moindre bien Qu'on lui fait, du mal même qu'on ne lui fait pas; que
c'est chez lui qu'on trouve, sous des dehors que nous appelions gros-
siers, des âmes franches et droites, un bon sens et une énergie que
l'on chercheroit long-tems en vain dans la classe qui le dédaigne. Le
peuole ne demande que le nécessaire, il ne veut que justice et tran-
quillité; les riches prétendent à tout, ils veulent tout envahir et tout
dominer. Les abus sont l'ouvrage et le domaine des riches, ils sont
les fléaux du oeuple : l'intérêt du peuple est l'intérêt général, celui
des riches est l'intérêt particulier; et vous voulez rendre le peuple nul
et les riches tout-puissans !
M'oop^sera-t-on encore ces inculpations éternelles dont on n'a
cessé de le charger depuis l'époque où il a secoué le joug des despotes
jusau'à ce moment, comme si le peuple entier pouvoit être accusa de
quelques actes de vengeance locaux et particuliers exercés au corn-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 167
mencement d'une révolution inespérée, où respirant enfin H 'une si
longue oppression, il étoit dans un état de guerre avec tous ses tyrans '?
Que dis-je ? Quel temps a donc jamais fourni des preuves plus écla-
tantes de sa bonté naturelle, que celui où armé d'une force irrésistible,
il s est tout-à-coup arrêté .lui-même pour rentrer dans le calme, à la
voix de ses représentans ? O vous qui vous montrez si inexorables
pour J 'humanité souffrante, et si indulgens pour ses oppresseurs, ouvrez
1 'histoire, jettez les yeux autour de vous, comptez les crimes des tyrans,
et jugez entr'eux et le peuple.
Que dis-je ? A ces efforts même qu'ont faits les ennemis de la
révolution pour le calomnier auprès de ses représentant, pour vous
calomnier auprès de lui, pour vous suggérer des mesures propres à
étouffer sa voix ou à .abattre son énergie, ou à égarer son patriotisme,
pour prolonger l'ignorance de ses droits, en lui cachant vos décrets,
à la patience inaltérable avec laquelle il a supporté tous ses maux
et attendu un ordre de choses plus heureux, comprenons que le peuple
est le seul appui de la liberté. Eh! qui pourroit donc supporter l'idée
de le voir dépouiller de ses droits, par la révolution même qui est
due à son courage, au tendre et généreux attachement avec lequel il a
défendu ses représentans ! Est-ce aux riches, est-ce aux grands que
vous devez cette glorieuse insurrection qui a sauvé la France et vous ?
Ces soldats qui ont déposé leurs armes aux pieds de la patrie alarmée,
n'étoient-uls pas du peuple ? Ceux qui les conduisoient contre vous,
à quelles classes appartenoient-ils ?... Etoit-ce donc pour vous aider
à défendre ses droits et sa dignité qu'il combattoit alors, ou pour vous
assurer le pouvoir de les anéantir ? Est-ce pour retomber sous le joug
de l'aristocratie des riches, qu'il a brisé avec vous Je joug de l'aristo-
cratie féodale ?
Jusqu'ici, je me suis prêté au langage de ceux qui semblent
vouloir désigner par le mot peuple une classe d'hommes séparée, à
laquelle ils attachent une certaine idée d'infériorité et de mépris. 11 est
temps de s'exprimer avec plus de précision, en rappellant que le
système que nous combattons proscrit les neuf dixièmes de la nation,
qu'il efface même de la liste de ceux qu'il appelle citoyens actifs,
une multitude innombrable d'hommes que les préjugés même de l'or-
gueil avoient respectés, distingués par leur éducation, par leur industrie
et par leur fortune même.
Telle est en effet la nature de cette institution, qu'elle porte
sur les plus absurdes contradictions, et que, prenant la richesse pour
mesure des droits du citoyen, elle s'écarte de cette règle même en les
attachant à ce qu'on appelle impositions directes, quoiqu'il soit évident
qu'un homme qui paye des impositions indirectes considérables, peut
jouir d'une plus grande fortune que celui qui n'est soumis qu'à june
imposition directe modérée. Mais comment a-t-on pu imaginer de faire
dépendre les droits sacrés des hommes de la mobilité des systèmes de
168 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
finances, des variations, des bigarrures que le nôtre présente dans les
différentes parties du même état ? Quel système que celui où un
homme qui est citoyen sur tel point du territoire français, cesse de
l'être ou en tout ou en partie, s'il passe sur tel autre point; où celui
qui 1 est aujourd'hui ne le sera plus demain, si sa fortune éprouve un
revers !
Quel système que celui où l'honnête homme dépouillé par un
injuste oppresseur, retombe dans la classe des i/o/es, tandis que l'autre
s élève par son crime même au rang des citoyens ! où un père voit
croître, avec le nombre de ses enfants, la certitude qu'il ne leur laissera
point ce titre avec la foible portion de son patrimoine divisé; où
tous les fils de famille, dans la moitié de l'empire, ne peuvent trouver
une patrie, qu'au moment où ils n'ont plus de père!... Enfin, à quoi
tient cette superbe prérogative de membre du Souverain, si le répar-
titeur des contributions publiques est maître de me la ravir, en dimi-
nuant d'un sou ma cotisation ; si elle est soumise à la fois et aux caprices
des hommes et à l'inconstance de la fortune ?
Mais fixez sur-tout votre attention sur les funestes inconvéniens
qu'il doit nécessairement entraîner. Quelles armes puissantes ne va-t-il
pas donner à l'intrigue ! Combien de prétextes au despotisme et à
l'aristocratie, pour écarter des assemblées publiques les hommes les
plus nécessaires à la défense de !a liberté, et livrer la destinée de
l'état à la merci d'un certain nombre de riches et d'ambitieux ! Déjà
une prompte expérience nous a révélé tous les dangers de cet abus.
Quel ami de la liberté et de l'humanité n'a pas gémi de voit, dans
les premières assemblées d'élection, formées sous les auspices de la
constitution nouvelle, la représentation nationale réduite, pour ainsi
dire, à une poignée d ' individus ? Quel spectacle déplorable, que celui
que nous ont donné ces villes, ces contrées où des citoyens disputaient
aux citoyens le pouvoir d'exercer des droits communs à tous; où des
officiers municipaux, où les représentans du peuple, par des taxes arbi-
traires et exagérées des journées d'ouvriers, sembloient mettre au plus
haut prix possible la qualité de citoyen actif!... Puissions-nous ne pas
bientôt ressentir les funestes effets de ces attentats contre les droits du
peuple ! Mais c'est à vous seuls qu'il appartient de les prévenir. Ces
précautions même que vous avez voulu prendre pour adoucir la rigueur
des décrets dont je parle, soit en réduisant à 20 sols le plus haut prix
des journées d'ouvriers, soit en admettant plusieurs exceptions; tous
ces palliatifs impuissans prouvent au moins que vous avez vous-mêmes
senti toute la grandeur du mal que votre sagesse est destinée à extirper
entièrement. Eh ! qu'importe en effet que 20 ou 30 sols soient les
éléments des calculs qui décident de mon existence politique ? Ceux
qui n'atteignent qu'à 19 n'ont-ils pas les mêmes droits; et les prin-
cipes éternels de la justice et de la raison sur lesquels ces droits sont'
fondés, peuvent-ils se plier aux règles d'un tarif variable et arbitraire ?
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 169
Mais voyez, je vous prie, à quelles bizarres conséquences entraîne
une grande erreur en ce genre. Forcés par les premières notions de
l'équité à chercher les moyens de la pallier, vous avez accordé aux
militaires, après un certain temps de service, les droits de citoyen actif
comme une récompense (15). Vous les avez accordés comme une
distinction aux ministres du culte (16), lorsqu'ils ne peuvent remplir
les conditions pécuniaires exigées par vos décrets; vous les accorderez
encore idans des cas analogues, par de semblables motifs. Or, toutes
ces dispositions si équitables par leur objet, sont autant d'inconsé-
quences et d'infractions des premiers principes constitutionnels } Com-
ment en effet, vous qui avez supprimé tous les privilèges, comment
avez- vous pu ériger en privilèges pour certaines personnes, et pour
certaines professions, l'exercice des droits du citoyen? Comment avez-
vous pu changer en récompense un bien qui appartient essentiellement
à tous ? D'ailleurs, si les Ecclésiastiques et les Militaires ne sont pas
les seuls qui .méritent bien de la patrie, la même raison ne doit-elle
pas vous forcer à étendre ila même faveur aux autres professions ? Et
si vous la réservez au mérite, comment en avez- vous pu faire l'apa-
nage de la fortune ?
Ce n'est pas tout : vous avez fait, de la privation des droits de
citoyen actif, la peine idu crime, et du plus grand de tous les crimes,
celui de lèze-nation. Cette peine vous a paru si grande, que vous en
avez limité la durée : que vous avez laissé les coupables maîtres de la
terminer eux-mêmes, prrr le premier acte de citoyen qu'il leur plairoit
de faire... Et cette même privation vous l'avez infligée à tous les
citoyens qui ne sont pas assez riches pour suffire à telle quotité et à
telle nature de contribution; de manière que par la combinaison de ces
décrets, ceux qui ont conspiré contre le salut et contre la liberté de la
nation; et les meilleurs citoyens, les défenseurs de la liberté, que la
fortune n'aura point favorisés, ou qui auront repoussé !a fortune pour
servir la patrie, sont confondus dans la même classe. Je me trompe;
c'est en faveur des premiers que votre prédilection se déclare; car,
dès le moment où ils voudront bien consentir à faire la paix avec la
nation, et à accepter le bienfait de la liberté, ils peuvent rentrer dans
la plénitude "des droits du citoyen; au lieu que les autres en sont
(15) Décret du »28 février 1790, art. 7 : « Tout militaire qui aura
servi l'espace de 16 ans sans interruption et isans reproche jouira
de la plénitude des droits de citoyen actif et est dispensé des condi-
tions relatives à la propriété et à la contribution sous réserve...
qu'il ne peut exprimer son droit s'il est en garnison dans le canton
où est son domicile. »
(16) Aulard, Histoire politique de la Révolution française,
p 66, mentionne cette exemption des ministres du cul'te, d'après le
discours de Robespierre, en ajoutant qu'il n'a trouvé ni loi, ni
arrêté sur ce sujet. Nous n'avons pas été plus heureux.
170 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
privés indéfiniment, et ne peuvent les recouvrer que sous une condi-
tion qui n'est point en leur pouvoir. Juste ciel ! le génie et la vertu
mis plus bas que l'opulence et le crime par le législateur !
« Que ne vit-il encore, avons-nous dit quelquefois, en rappro-
chant l'idée de cette grande révolution de celle d'un grand homme
qui a contribué à la préparer ! Que ne vit-il encore ce philosophe sen-
sible et éloquent, dont les écrits ont développé parmi nous ces prin-
cipes de morale publique qui nous ont rendus dignes de concevoir le
desein de régénérer notre patrie ! » Eh bien ! s'il vivoit encore, que
verroit-il ? les droits sacrés de l'homme qu'il a défendus violés par la
constitution naissante ; et son nom effacé de la liste des citoyens. Que
diroient aussi tous ces grands hommes, qui gouvernèrent jadis les peu-
ples les plus libres et les plus vertueux de la terre, mais qui ne lais-
sèrent pas de quoi fournir aux irais de leurs funérailles, et dont les
familles étoient nourries aux dépens de l'état? Que diroient-ils, si
revivans parmi nous, ils pouvoient voir s'élever cette constitution tant
vantée? O ^Aristide, la Grèce t'a sur-nommé le juste et t'a fait l'ar-
bitre de sa destinée : la France régénérée ne verroit en toi qu'un
homme de rien, qui ne paye point un marc d'argent. En vain, la
confiance du peuple t'appelleroit à défendre ses droits, il n'est point
de municipalité qui ne te repoussât de son sein. Tu aurois vingt fois
sauvé la patrie, que tu ne serois pas encore citoyen actif, ou éligible...
à «moins que ta grande âme ne consentît à vaincre les rigueurs de la
fortune aux dépens de ta liberté, ou de quelqu'une de tes vertus.
Ces héros n'ignoroient pas, et nous répétons quelquefois nous-
mêmes, que la liberté ne peut .être solidement fondée que sur les
moeurs. Or, quelles moeurs peut avoir un peuple chez qui les loix
semblent s'appliquer à donner à la soif des richesses la plus furieuse
activité ? Et quel moyen plus £Ûr les loix peuvent-elles prendre pour
irriter cette passion, que de flétrir l'honorable pauvreté, et de réser-
ver pour la richesse tous les honneurs, et toute la puissance ? Adopter
une pareille institution, qu'est-ce autre chose que forcer l'ambition
même la plus noble, celle qui cherche la gloire en servant la patrie,
à se réfugier dans le sein de la cupidité et de l'intrigue, et faire de la
constitution même la corruptrice de la vertu ? Que signifie donc ce
tableau civique que vous affichez avec tant de soin ? Il étale à mes
yeux, avec exactitude, tous les noms des vils personnages que le
despotisme a engraissés de la substance du peuple : mais j'y cherche
en vain celui d'un honnête homme indigent. Il donne aux citoyens
cette étonnante leçon : « Sois riche, à quelque prix que ce soit, ou
tu ne seras rien ».
Comment, après cela, pourriez-vous vous flatter de faire re.iaître
parmi nous cet esprit public auquel est attachée !a régénération de
la France, lorsque rendant la plus grande partie des citoyens étrangers
aux soins de la chose publique, vous la condamnez à concentrer toutes
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 171
ses pensées et toutes ses affections dans les objets de son intérêt
personnel et de ses plaisirs; c'eât-à-dire, quand vous élevez l'égoïsme
et la frivolité sur les ruines des talens utiles et des vertus généreuses,
qui sont les seules gardiennes de la liberté, il n'y aura jamais de
constitution durable dans tout pays où elle sera, en quelque sorte, le
domaine d'une classe d'hommes, et n'offrira aux autres qu'un objet
indifférent, ou un sujet de jalousie et d'humiliation. Qu'elle soit atta-
quée par des ennemis adroits et puissans, il faut qu'elle succombe tôt
ou tard. Déjà, MESSIEURS, il est facile de prévoir toutes les
conséquences fatales qu'entraîneroient les dispositions dont je parle,
si elles pouvoient subsister. Bientôt vous verrez vos assemblées pri-
maires et électives désertes, non-seulement parce que ces mêmes
décrets en interdisent l'accès au plus grand nombre des citoyens, mais
encore parce que la plupart de ceux qu'ils appellent, tels que les gens
à trois journées, réduits à la faculté d'élire sans pouvoir être eux-mêmes
nommés aux emplois que donne la confiance des citoyens, ne s'em-
presseront pas d'abandonner leurs affaires et leurs familles, pour fré-
quenter des assemblées où ils ne peuvent porter ni les mêmes espé-
rances, ni les mêmes droits que les citoyens plus aisés; à moins que
plusieurs d'entr'eux ne s'y rendent pour vendre leurs suffrages. Elles
resteront abandonnées à un petit nombre d'intrigans qui se partageront
toutes les magistratures, et donneront à la France des juges, des admi-
nistrateurs, des législateurs. Des législateurs réduits à 750 pour un si
vaste Empire ! qui délibéreront, environnés de l'influence d'une cour
armée des forces publiques, du pouvoir de disposer d'une multitude
de grâces et d'emplois, et d'une liste civile qui peut être évaluée
au moins à 35 millions. Voyez-là, cette cour, déployant ses immenses
ressources dans chaque assemblée, secondée par tous ces aristocrates
déguisés, qui, sous le masque du civisme, cherchent à capter les suf-
frages d'une nation encore trop idolâtre, trop frivole, trop peu instruite
de ses droits, pour connoître ses ennemis, ses intérêts et sa dignité;
voyez-là essayer ensuite son fatal ascendant sur ceux des membres du
corps législatif qui ne seront point arrivés corrompus d'avance et voués
à ses intérêts; voyez-là se jouer des destins de la France, avec une
facilité qui n'étonnera pas ceux qui depuis quelque tems suivent les
progrès de son esprit dangereux et de ses funestes intrigues et préparez-
vous à voir insensiblement le despotisme tout avilir, tout dépraver, tout
engloutir; ou bien hâtez-vous de rendre au peuple tous ses droits, et
à l'esprit public toute la liberté dont il a besoin pour s'étendre et
pour se fortifier.
Je finis ici cette discussion, peut-être même aurois-je pu m'en
dispenser; peut-être aurois-je dû examiner, avant tout, si ces disposi-
tions que j'attaquois existent en effet; si elles sont de véritables loix.
Pourquoi craindrois-je de présenter la vérité aux représentans du peu-
ple, pourquoi oublierois-je que défendre devant eux la cause- sacrée
172 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
des hommes, et la souveraineté inviolable des nations, avec tou*e la
franchise qu'elle exige, c'est-à-la-fois flatter le plus doux de leurs
sentimens et rendre le plus noble hommage à leurs vertus ? D'ailleurs
1 univers ne sait-il pas que votre véritable voeu, que votre véritable
décret même est la prompte révocation des dispositions dont je parle;
et que c est en effet l'opinion de la majorité de l'assemblée nationale
que je défends, en les combattant ? Je le déclare donc, de semblables
décrets n ont pas même besoin d'être révoqués expressément; ils sont
essentiellement nuls, parce qu'aucune puissance humaine, pas même
la vôtre, n'étoit compétente pour les porter. Le pouvoir des représen-
tai des mandataires d'un peuple est nécessairement déterminé par la
nature et par l'objet de leur mandat. Or, quel est votre mandat ? De
faire des loix pour rétablir et pour cimenter les droits de vos commet-
tans. II ne vous est donc pas possible de les dépouiller de ces mêmes
droits. Faites-y bien attention : ceux qui vous ont choisis, ceux par qui
vous existez, n'étoient pas des contribuables au marc d'argent, à trois,
à dix journées d'impositions directes; c'étoient tous les Français, c'est-
à-dire, tous les hommes nés et domiciliés en France, ou naturalisés,
payant une imposition quelconque.
Le despotisme lui-même n'avoit pas osé imposer d'autres cond'-
tions aux citoyens qu'il convoquoit (17). Comment donc pouviez- vous
dépouiller une partie de ces hommes-là, à plus forte raison, la plus
grande partie d'entr'eux, de ces mêmes droits politiques qu'ils ont
exercés en vous envoyant à cette assemblée, et dont ils vous ont confié
la garde ? Vous ne le pouvez pas sans détruire vous-mêmes votre pou-
voir, puisque votre pouvoir n'est que celui de vos commettans. En
portant de pareils décrets, vous n'agiriez pas comme représentans de
la nation : vous agiriez directement contre ce titre : vous ne feriez poiru
des loix; vous frapperiez l'autorité législative dans son principe. Les
peuples même ne pourraient jamais ni les autoriser, ni les adopter,
parce qu'ils ne peuvent jamais renoncer, ni à l'égalité, ni à la liberté,
ni à leur existence comme peuple, ni aux droits inaliénables de l'homme.
Aussi, Messieurs, quand vous avez formé la résolution déjà bien con-
nue de les révoquer, c'est moins parce que vous en avez reconnu la
nécessité, que pour donner à tous les législateurs et à tous les déposi-
taires de l'autorité publique, un grand exemple du respect qu'ils
doivent aux peuples; pour couronner tant de loix salutaires, tant de
sacrifices généreux, par le magnanime désaveu d'une surprise passa-
gère, qui ne changea jamais rien ni à vos principes, ni à votre volonté
constante et courageuse pour le bonheur des hommes.
Que signifie donc l'éternelle objection de ceux qui vous gisent
qu'il ne vous est permis, dans aucun cas, de changer vos propres
{17) Note du texte : « Voyez le règlement de la convocation des
états-généraux. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 173
décrets ? Comment a-t-on pu faire céder à cette prétendue maxime
cette règle inviolable, que le salut du jpeuple et le bonheur des hom-
mes est toujours la loi suprême; et imposer aux fondateurs de la consti-
tution française, celle de détruire leur propre ouvrage, et d'arrêter les
glorieuses destinées de la nation et de l'humanité entière, plutôt que
de réparer une erreur dont ils connoissent tous les dangers. Il n'appar-
tient qu'à l'Etre essentiellement infaillible d'être immuable: changer
est non-seulement un droit, mais un devoir pour toute volonté humaine
qui a failli. Les hommes qui décident du sort des autres hommes
sont moins que personne exempts de cette obligation commune. Mais
tel est le malheur d'un peuple qui passe rapidement de la servitude
à la liberté, qu'il transporte, sans s'en appercevoir, au nouvel ordre
'des choses, les préjugés de l'ancien dont il n'a pas encore eu le temps
de se défaire.; et il est certain que ce système de l'irrévocabihté abso-
lue des décisions du corps législatif, n'est autre chose qu'une idée
empruntée du despotisme. L'autorité ne peut reculer sans se compro-
mettre, disoit-il, quoiqu'en effet il ait été forcé quelquefois à reculer
(18). Cette maxime était bonne en effet pour le despotisme, dont la
puissance oppressive ne pouvoit se soutenir que par l'illusion et par
la terreur : mais î autorité tutélaire des représentans de la nation, fon-
dée à-la-fois sur l'intérêt général et sur la force de la nation même,
peut réparer une erreur funeste, sans courir d'autre risque que de
réveiller les sentimens de la confiance et de l'admiration qui l'envi-
ronnent; elle ne peut se compromettre que par une persévérance invin-
cible dans des mesures contraires à la liberté, et réprouvées par l'opi-
nion publique. I! est cependant quelques décrets que vous ne pouvez
point abroger, ce sont ceux qui renferment la déclaration des droits
de l'homme, parce que ce n'est point vous qui avez fait ces loix; vous
les avez promulguées. Ce sont ces décrets immuables du législateur
éternel déposés dans la raison et dans le cœur de tous les hommes
avant que vous les eussiez inscrits dans votre code, que je réclame
contre des dispositions qui les blessent, et qui doivent disparoître
devant eux. Vous avez ici à choisir entre les uns et les autres; et
votre choix ne peut être incertain, d'après vos propres principes. Je
propose donc à l'assemblée nationale Je projet de décret suivant :
h L'assemblée nationale pénétrée d'un respect religieux pour les
droits des hommes, dont le maintien doit être l'objet de toutes les
institutions politiques;
« Convaincue qu'une constitution faite pour assurer la liberté du
peuple Français, et pour influer sur celle du monde, doit être sur-tout
établie sur ce principe;
fl8) Annotation marginale àur l'édition àù Creuset à la Ji. N.
a Cependant combien d'arré^s du conseil mis au néant par un autre,
tel orluy qui defendoit l'exportation des eaux de vie de notre
Compté pour la coste de Guinée; il fut cassé au mois de janv. 1766. »
174 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Déclare que tous les Français, c'est-à-dire tous les hommes
nés et domiciliés en France, ou naturalisés, doivent jouir de la pléni-
tude et de l'égalité des droits du citoyen; et sont admissibles à tous
les emplois publics, sans autre distinction que celle des vertus et des
talens » (19).
(19) La diffusion de ce discours provoqua une nouvelle offensive
contre Je marc d'argent. 'La Société des Indigents qui s'était (••insti-
tuée à Paris, rue Christine (cf Isabelle Bourdin. Les Sociétés popu-
laires à Paris pendant 'la Révolution française, p. 231 et note) envoya
à Robespierre une chaleureuse adresse qui fut reproduite par les
journaux de l'époque à la date du 27 mai ((cf. Mercure national et
étranger, n° 41, p. 646-649; l'Orateur du Peuple, t. II, 3e vol.
p. 188) et parut plus tard en brochure in-8° de 4 p. à PImp. Provost,
■s.d. (B.N. Lb40 2398). (Cette adresse fut communiquée à la Société
des Amis de la Constitution et lue à la tribune dans la séance du
29 mai 1791. Le Mercure universel qui relate le fait (t. IV, p. 11)
considère qu'elle a été rédigée en vue de remercier Robespierre
;• de sa réclamation, dans la séance du fi8 mai ■» (cf. ci-dessous à la
date), (mais elle avait en réalité précédé cette intervention et peut
être datée du milieu de mai. G. Walter en a publié des fragment^
dans son Robespierre, p. 157-158. On la trouvera « in extenso » dans
iLapomieraye, I. 181-184; Oh. Vellay, p. 107, et L. Jacob, p. 75. H.
Hamel 'la mentionne (I, 538).
249 bis. — AVRIL 1791
PRINCIPES
DE L'ORGANISATION DES JURÉS ET RÉFUTATION
DU SYSTÈME
PROPOSÉ PAR M. DUPORT, AU NOM DES COMITES DE JUDICATURE
& de Constitution,
par MAXIMILIEN ROBESPIERRE
DÉPUTÉ DU DÉPARTEMENT DU PAS-DE-CALAIS A L' ASSEMBLÉE
Nationale (1)
(ï) Cf. le texte intégral de ce discours à la séance du 20 janvier
1791.
250. — SEANCE DU 1er AVRIL 1791
Sur LES SUCCESSIONS COMPRENANT des biens ci-devant nobles
Le 25 février 171:0, l'Assemblée avait décrété le partage égal
doc 3UceeBs£ons tant eu lira* directe que collatérale; le 12 niaru
1701, elle abolit les inégalités de partage qui subsistaient encore
pour lea successions « ab intestat >■.
Le rr avril, la discussion continue sur le titre 1 du projet <iu
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 175
comité de constitution. Le Chapelier qui remplace Merlin, rappor-
teur, ayant présenté plusieurs articles, un débat s'engage au cours
duquel interviennent iMougins de Roquefort, Martineau, Prieur,
Goupil de Préfeln, et l'Assemblée adopte l'art. 16 qui étend 'les
dispositions de .la nouvelle loi « à toutes les successions qui s'ou-
vriront après la publication du présent décret, isans préjudice des
institutions .contractuelles ou autres clauses qui ont été .légitime-
ment stipulées par contrat de mariage, 'lesquelles seront exécutées
conformément aux anciennes loix ».
L'article suivant qui tendait à maintenir les inégalités coutu-
mières 'pour les partages des biens ci-devant nobles O) « en faveur
des personnes mariées ou veuves sans enfants », conformément aux
dispositions du décret du 15 mars 1790 '((2), souleva les objections de
Petion, Buzot et Robespierre; et l'Assemblée 'se borna à « décréter
le principe de l'article et en renvoya .la rédaction au comité de
constitution ».
Le Point du Jour, t. XX, n° 630, p. 475.
« M. Robespierre pensoit que le décret du 15 mars 1790 ne por-
toit que sur la ligne directe et qu'elle n'avoit pas d'extention jusqu'à
la ligne collatérale.
« 11 falloit examiner, disoit-il, la vérité de ce fait, sans craindre
les inconvéniens présentés par M. Chapellier, et il concluoit à ce que
l'article du 15 mars 1790, ne portoit pas sur les lignes collatérales,
et que le décret fût rapporté, afin que l'assemblée pût établir une par-
faite égalité dans les partages » (3).
Courrier extraordinaire, 2 avril 1791, p. 5.
« MM. Carat et Robespierre ont été du même avis, et ils ont
dit que ce seroit une bigarrure dans les loix que d'établir une règle
pour les successions ci-devant roturières, différente de celle admise
pour les successions ci-devant nobles. »
(1) Cf. pour !a Normandie: M Bouloiseau, (Le Séquestre et 'la
vente des biens des émigrés dans le district de Rouen, Paris 1937,
chap. III, p. 63-67; et pour l'ensemble: Ph. Sagnac : La législation
Civile de la Révolution française, Paris 1898, p. 213-217.
(2) Titre I, art. 11.
(3) Le président, à la demande de Pétion et de Robespierre,
se reporta au procès-verbal de la séance du 15 mars 1790 *et on
constata que le décret portait aussi bien sur les successions en ligue
directe que collatérale.
251. — SEANCE DU 2 AVRIL 1791 (soir)
SUR LES TROUBLES DE TOULOUSE
Dr Broglie, au nom du comité des rapiportB, rend compte des
Événements survenus à Toulouse les 16, 17 et 18 mars 1791. Lors
<'■' la formation de la garde nationale, les membres du parlement
et leur dientèle tvaient formé la 2" légion de iSaint-Barthélciaiy dont
!o colonel était M. d'Ast, président à mortier. Les principes contre-
176 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
révolutionnaires qu'il professait /provoquèrent un conflit avec les
autres compagnies. Des rixes éclatèrent en particulier avec celle*
de .Saint-Nicolas et de iSaint-Cyprien. iLa municipalité intervint et
découvrit un mort et deux blessés graves, dont un sieur Lavigne (1).
iLe conflit ayant 'repris les jours suivants, les corps administ^a-
lit's parviennent cependant à rétablir le calme. La municipalité
adressa un rapport à n'Assemblée nationale à la suite duquel celle-ci
décrète la suppression de la légion de (Saint-Barthélémy, l'incorpo-
ration de ses volontaires dans les autres 'légions de la ville, et prie
le roi de donner des ordres pour continuer les informations et les
poursuites contre des coupables. Elle déclare enfin qu'elle est satis-
faite de la conduite des administrateurs.
Roussillon trouve que les dispositions prises vis-à-vis des admi-
nistrations sont insuffisantes et demande qu'on leur adresse une
lettre expresse d'approbation pour bien montrer combien il est utile
en pareil cas que tous les corps administratifs agissent d'un com-
mun accord (2).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXIII, p. 461
« M. Robespierre. J'appuie la motion » (3).
(1) Cf. Le Hodey, Journal des Etats Généraux, t. XXIII,
p 454-460.
(2) Cf. le texte du décret voté par l'Assemblée dans le P.-V.
de l'Ass. nat., n° 609, p. 13-15
(3) Texte reproduit dans les Areh. pari., XXIV, 520.
252. — SEANCE DU 2 AVRIL 1791 (soir) Me)
SUR LES TROUBLES DE NlMES ET D'UzÈS
Au nom des comités des rapports et des recherches, Alquier
expose à l'Assemblée les conditions dans lesquelles ont été prises
les délibérations des <soi-disant catholiques de Nîmes et d'Uzès (1)
et propose un projet de décret portant que l'Assemblée, tenant
compte des rétractations de plusieurs des accusés, ne traduira
devant « le tribunal d'Orléans que ceux qui ne se sont pas
rétractés » (2).
Après intervention de Murinais et de Robespierre, l'Assemblée
décréta qu'il n'y avait lieu >à délibérer sur le cas de ceux qui s'étaient
rétractés, elle « renvoya ceux qui persistaient dans leurs arrêtés
devant la haute cour nationale provisoire » i(3).
(1) Areh. nat. D XXIX bis 13, dossier 139, pièce 12;
H XXIXbis 32, dossier 335, pièce 12; ,D XXIX bis 33, dossier 340,
pièce 1. Rapport d'Alqu.ier au nom du Comité des recherches.
(2) Cf. E. Vingtrinier : la Contre-Révolution, Ve période (1789-
1791), Paris. 1924, iu-8° ; et F Rouvière, Histoire de la
Révolution française dans le département du Gard, Nîmes, 1887-89,
4 vol., t. 1: la Constituante. Les faits sont longuement racontes
dans le Tourna1 der Etats-Généraux, t. XXIII, p. 462 et s.
(3) Cl. E. Hamel, I, 406.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 177
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXIII, p. 464
« M. Robespierre. S'il étoit question d'un délit qui consistât pure-
ment en faits, il seroit très-facile et très-raisonnable d'objecter à l'opi-
nion du comité, que la rétractation n'éteint point le délit, et que la loi
reste toujours avec tous ses droits, toute sa vigueur. Mais comme il est
ici question d'une opinion prononcée par une délibération, c'est peut-
être une question de savoir si, dans de telles affaires, le désaveu et la
rétractation ne doivent pas être comptés pour quelque chose; et j'oserai
me déclarer pour le parti qu'a adopté le comité.
« Quant à ceux qui ne se sont point rétractés, je n'ai qu'une seule
réflexion à faire sur la rédaction du décret, c'est que le titre de
l'accusation, suivant la rédaction proposée, ne me paroît point suffisant.
Sous peine de blesser la liberté civile, il faudroit dire : dans l'affaire qui
est soumise à l'assemblée, il y a lieu à accusation contre tel ou tel;
et je ne comprendrois pas dans cette désignation ceux qui ont rétracté
la signature apposée au bas de la délibération, mais seulement ceux
qui semblent avoir persisté dans le parti qu'ils ont pris à cet égard » (4).
Gazette universelle, 1791, n° 94, p. 373.
« Dans une délibération, répond M. Robespierre, il y a toujours
des hommes qui agissent avec indifférence, et sans connoître souvent
la proposition à laquelle ils donnent leur assentiment; mais il y a tou-
jours un certain nombre de personnes qui agissent avec connoîssance de
cause, et qui prévoient le bien ou le mal qui peut résulter de telle
ou telle détermination. Ceux qui ont donné leur rétractation sont dans
le premier cas; ils ont été séduits; mais ils ont abjuré leur erreur, dès
qu'ils l'ont reconnue; ils ont donc cessé d'être coupables. Quant à
ceux qui n'ont point voulu se rétracter, personne ne peut nier qu'il y ait
au moins lieu à accusation contr'eux. Ils ont voulu les malheurs qu'ils
ont causés : et leur opiniâtreté à persister dans le refus de se rétracter,
est une accusation tacite qu'ils forment contre eux-mêmes. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Point du Jour,
t. XXI, n" 632, p. 20; et dans Le Journal général, n° 63, p. 252.]
(4) Les Arch. pari. (XXIV, <fâg) reproduisent ce texte jusqu'à:
" sous peine :1e blesser la liberté civile », puis elles ajoutent:
■< déclare qu'il y a lieu à inculpation contre les sieurs Fontarèche,
d'Entraigues, de Cabane, de Lareyranglade, Froment, Fernel, Fola-
cher, Michel et Gaussard, pour avoir signé et envoyé en différents
endroits les délibérations prises à Nîmes et à U#ès par les soi-
disants catholiques de co3 villes les 20 avril, 2 .mai et 1er juin 1790 » ;
(passage qu'elles ont em-orunté au P.-V. de l'Ass. nat., n° 609,
P H).
178 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
253. — SEANCE DU 3 AVRIL 1791
Sur les honneurs funèbres décernés aux grands hommes
Une députation du département de Taris est admise à la barre
et présente un arrêté du directoire du département, ordonnant
d'envoyer iune députation à d'Assemblée nationale, pour lui deman-
der que l'église Sainte-Geneviève soit destinée à recevoir les cendres
des grands hommes, et que Mirabeau, mort la veille, soit jugé digne
de cet honneur.
Defermon demande ie renvoi de cette motion au comité de
constitution. Robespierre propose sa division. Barnave soutient l'avis
de Robespierre, et fait voter le décret .suivant : « L'Assemblée
nationale déclare qu'Honoré Riquetti Mirabeau a mérité les hon-
neurs qui seront décernés par la nation aux grands hommes qui
l'ont bien servie. Renvoie le surplus de ila pétition an comité de
constitution, pour en rendre compte incessamment. »
Le 4 avril, sur le rapport de son comité de constitution, l'Assem-
blée adopta un décret conforme à ;la motion du directoire du dépar-
tement de Paris, consacrant l'église (Sainte-Geneviève à recevoir
ies cendres des grands hommes, à dater de 'l'époque de la liberté
française.
Courier de Provence, t. XIV, n' 277, p. 61.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXIII, p. 482
(( M. Robespierre. La pétition du département de Paris vous pré-
sente deux objets également dignes de votre attention; l'un particulier
à M. de Mirabeau, l'autre général en tendant à fixer la manière dont
la nation doit récompenser les grands hommes qui l'ont servie.
« Quant au premier, il n'appartient je crois, à personne dans
cette assemblée de contester la justice de la pétition qui vous est pré-
sentée au nom du département de Pans. Ce n'est pas au momenf où
les regrets qu'exige la perte d'un homme illustre sont les plus vifs, ce
n'est pas lorsqu'il s'agit d'un homme qui dans les moments critiques,
a opposé la plus grande force au despotisme, qu'il faut se montrer
difficile sur les moyens de l'honorer, et arrêter l'effusion du sentiment
qu'excite une perte aussi intéressante. Je ne contesterai donc en aucune
manière cette première partie de la pétition du département de Paris.
(1) Mirabeau mourut en effet le ,2 avril à 8 heures du matin.
Sa disparition provoqua une douleur réelle dans tout le pays. Les
journaux furent quasi imani.mes à lui rendre hommage. Les Révo-
lutions de Paris i(de Pradhomme) écrivent à ce sujet <(n° 90, -p. 612):
« L'Assemblée perd le premier peut-être de ses orateurs, mais
M. Mirabeau ne tenoit pas le même rang dans le petit nombre de
ses membres patriotes. Que le peuple français ne désespère pas de
la chose publique tant qu'il lui restera quelque représentant de la
trempe de M. Robespierre ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 179
Je l'appuierai au contraire de tout mon pouvoir, ou plutôt de toute
ma sensibilité (2).
« Le second objet rallie les plus grands intérêts de la Patrie et de
la Liberté; car ce sont les récompenses que l'on décerne aux grands
hommes qui sont le germe du patriotisme, la semence de toutes les ver-
tus. Cette dernière partie de la pétition du département de Paris est
un des objets les plus intéressans de la constitution. Elle doit, ce me
semble être, le sujet d'une délibération très mûre. Je crois donc que
votre délibération actuelle ne peut porter que sur la première partie
de la pétition, et qu'il ne nous appartient point d'opposer des formes
à ce premier sentiment de patriotisme et de sensibilité, à cet enthou-
siasme de la liberté qui doit nous porter et qui a déjà porté tous les
citoyens à provoquer des récompenses et des hommages pour la mémoire
de M. de Mirabeau. En conséquence, je demande la division de la
motion. Je demande que ce qui concerne M. de Mirabeau soit adopté
et que la motion soit renvoyée au Comité de Constitution » (3).
(Applaudi).
Journal des Débats, t. XIX, n° 676, p. 10.
« M. Robespierre a dit : La Pétition qui vient de vous être faite,
présente en effet deux objets dignes de votre attention. L'un est parti-
culier à M. Mirabeau; l'autre est une disposition générale qui consiste
à fixer la manière dont la Nation doit récompenser les grands hommes
qu'elle aura perdus. Ce n'est pas au moment où des regrets sont si
vifs, ce n'est pas lorsqu'il s'agit d'un homme qui a opposé au despo-
tisme un très grand courage, que l'on peut se refuser à l'effusion du
sentiment qu'excite une perte aussi intéressante. J'appuie donc la pre-
mière partie de la Pétition de tout mon pouvoir, ou plutôt de toute
ma sensibilité, et je demande qu'elle soit décrétée à l'instant.
« Quant à l'autre, elle doit être le premier objet de vos réflexions.
11 est question de savoir- quel mode l'Assemblée adoptera pour décer-
ner des récompenses publiques; et les intérêts de la Patrie et de la
Liberté s'attachent naturellement à cette idée. Car les récompenses
sont la semence de toutes les vertus publiques. Je demande que la
fixation de ce mode soit renvoyée au Comité de Constitution, pour
qu'il vous la présente incessament. »
(2) Tout en jugeant Mirabeau sans indulgence (cf. sa lettre
à Baissait du 24 mai 1789), Robespierre rendait hommage à son talent.
Il ne varia vraiment d'opinion à son sujet que lorsqu'il eut les
preuves de sa collusion avec la Cour à la 'Suite de la découverte de
I'*rmoire de fer en novembre 1792 '(Or". P. Villiers, Souvenirs d'un.
déporté, p. 4).
(3) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIV t 537
180 Les discours de Robespierre
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n" 94, p. 386.
« M. Roberspierre. J'ai remarqué aussi deux objets entièrement
distincts dans l'arrêté du département. Quand à celui qui regarde
M. Mirabeau, je pense qu'il n'appartient à personne d'en contester
la justice. Ce n'est pas au moment où l'on entend de toutes parts les
regrets qu'excite la perte de cet homme illustre qui, dans les époques
les plus critiques, a déployé tant de courage contre le despotisme,
que l'on pourrait s'opposer à ce qu'il fût décerné des marques d'hon-
neur. J'appuie de tout mon pouvoir, ou plutôt de toute ma sensibilité,
cette proposition. Quand au second objet de la pétition du départe-
ment, il me paraît lié aux intérêts de la liberté et de la patrie, et
j'en demande aussi le renvoi au Comité de constitution si (4).
Le Point du Jour, t. XXI, n° 632, p. 30.
(( M. Robespierre a parlé avec beaucoup de sensibilité, et il a
déclaré qu'il pensoit que personne ne contesteroit à la mémoire de
M. de Mirabeau les honneurs publics que la nation décernera aux
grands hommes qui auront servi la patrie; mais qu'il fa!!oit distinguer
cette partie incontestable de la pétition du département, de celle qui
a trait à la manière dont doivent être jugés les hommes, à qui on
voudra décerner les honneurs publics, et que la dernière pouvoit méri-
ter quelque discussion; qu'en conséquence, il falloit renvoyer cet objet
à l'examen du comité de constitution, en décernant dans le moment
les honneurs publics à la mémoire de M. de Mirabeau. (On applau-
dit). »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal Général,
n° 63, p. 252; La Gazette de Paris, 6 avril 1791, p. 2; Le Mercure
Universel, t. II, p. 63; L'Ami du Peuple (Marat), t. VIII, n° 420,
il 8; Le Courier Français, t. X, n° 94, p. 270; Le Coutrier des
Français, n° 35, p. 269; Le Journal de Normandie, n° 95, p. 257;
La Correspondance Générale des Départemens de France, t. II, n° 28,
p.445; Le Courrier des LXXXlll Départemens, t.XXIII, n° 4, p.58;
Le Patriote François, n° 604, p. 361 ; Le Courrier Extraordinaire,
4 avril, p. 5.]
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, Vlil, 31 ; Bûchez et Rou
IX, 2"/9 ; et utilisé par la Gazette nationale ou Extrait.., t. X
p 403-404.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 181
254. — SEANCE DU 5 AVRIL 1791
Sur les inégalités dans les successions
L'examen du projet du comité de constitution relatif aux suc-
cessions repris le 1er avril 1791 (1) se continua le lendemain. Le
Chapelier soumet alors à la discussion la question des dispositions
testamentaires et celle des inégalités dans les successions résultant
de la volonté de l'homme. Talleyrand lit à ce propos un important
discours de Mirabeau que l'Assemblée écoute avec une religieuse
attention (2). Ce débat se poursuit le 4 avril et (les jours suivants.
Le 5 avril. Robespierre intervient. Tronehet et Cazales parlent
après lui (2).
(L'Assemblée décréta le 6 avril l'ajournement pur et simple, et
ordonna l'impression de tout ce qui avait été dit en la matière.
Le Point du Jour, t. XXI, n° 634, p. 60.
« Messieurs,
« Toute institution qui tend à augmenter l'inégalité des fortunes
est mauvaise et contraire au bonheur social. Je sais bien qu'il est
impossible d'établir une égalité parfaite dans les portions et que mille
causes différentes doivent nécessairement la déranger plus ou moins,
mais je dis que le but des loix doit être de la maintenir autant que la
nature des choses le permet, et qu'elles violent tous les principes de la
raison lorsqu'elles s'efforcent elles-mêmes de la troubler. L'égalité est
la source de tous les biens: l'extrême inégalité est la source de tous
les maux. C'est elle que suit les tyrans et les esclaves, les oppresseurs
et les opprimés : c'est par elle que l'homme avilit l'homme, et fait
de son semblable l'instrument de son orgueil, le jouet de ses passions
ou le complice de ses crimes. Quelle vertu, quel bonheur peu' exister
dans un pays où une classe d'individus peuvent dévorer la substance
de plusieurs millions d'hommes. Les grandes richesses enfantant les
excès du luxe et des voluptés qui corrompent à la fois, rt ceux qui les
possèdent, et ceux qui les envient; alors la vertu est méprisée, la
richesse seule est un honneur. Les loix elles-mêmes ne. sont plus que
des instrumens entre les mains des riches, pour opprimer les pauvres;
en vain on dit aux uns et aux autres qu'ils sont nés égaux. Une fatale
expérience les dément tous les jours; l'homme a perdu l'idée de ses
droits, et le sentiment de sa dignité; les loix éternelles de la justice
(1) Cf. ci-dossus, séance du '1er avril 1791, préambule.
(2) » Tandis que les députés opposants du Midi, tels que Caza-
l«'-s et Saint-Martin, réclament le maintien des 'lois romaines et de
la faculté de tester, les jurisconsultes de la France coutumière et les
esprits libéraux des régions méridionales, veulent réduire consi-
dérablement Mirabeau au dixième, Tronehet au quart, la portio-
de biens dont on pourra disposer en ligne directe » (Cf. Ph Sagnac,
La Législation civile de Ta Révolution française, p. 223).
182 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
et de la nature ne sont plus regardées que comme des chimères, et
ceux qui osent les réclamer sont regardés comme des insensés, s'ils ne
sont traités comme des séditieux. Législateurs, vous n'avez rien fait
pour la liberté, si vos loix ne tendent à diminuer, par des moyens doux
et efficaces, l'extrême inégalité des fortunes. La loi qui va le plus
directement à ce but est celle qui établit l'égalité des partages; vous
l'avez jugée nécessaire; permettrez-vous à la volonté de l'homme de
l'anéantir ou de l'éluder? Eh! quel seroit le motif de cette funeste
contradiction ? La propriété de l'homme s'étend elle au delà de sa vie ?
Peut-il donner des loix lorsqu'il n'est plus ? Peut-il disposer de
cette portion de la terre dont il a joui, lorsqu'il n'est plus lui-même
qu'une vile poussière ? Espérez- vous que la volonté du testateur sera
plus sage que la sagesse même de la loi ? Non : calculez les effet? de
la faiblesse humaine et les circonstances où se trouve ordinairement
l'homme qui fait son testament; et vous verrez qu'une prédilection
aveugle, que les passions, les caprices, la suggestion même président
à ces actes beaucoup plus souvent que la raison. Comme il envisage
toujours la fin de son existence dans une perspective infiniment éloi-
gnée; comme l'idée des volontés dernières se lie à celle de sa destruc-
tion, il recule- ordinairement cet acte important, au moment où son
esprit est affaibli par l'âge, ou absorbé par la maladie; dans tous les
temps, la cupidité l'assiège; elle le poursuit jusque sur son ht de mort
sous le masque de l'amitié.
« La faculté de tester est en général l'aliment de l'intrigue et de
la fraude, l'écueil de la faiblesse et de la crédulité, le signal de la
discorde. Pensez-vous en effet que les testateurs useront de ce pou-
voir pour distribuer leurs biens suivant les règles de cette égalité pré-
cieuse, qui doit être l'unique base de vos décrets ? Non, si quelques-
uns montrent cette largesse, la plupart préfèrent ceux de leurs proches
qui, déjà, sont les plus favorisés de îa fortune. Ce sont ceux-là à qui
ils semblent se glorifier d'appartenir; ce sont ceux-là avec lesquels ils
vivent et qu'ils caressent avec plus de complaisance, tandis qj.'ils
repoussent avec dédain les parens pauvres et obscurs, dont ils semblent
rougir. Parlerai-je de cet orgueil absurde qui se plaît à entasser tous
les avantages sur la tête d'un héritier favori, de ce préjugé funeste
dont les profondes racines sont encore cachées sous les débris de la
féodalité } Il régnera longtemps encore avec plus d'empire que jamais
si vous laissez un champ libre ouvert à la volonté des testateurs. Car
la vanité de ceux qui regrettent le plus les brillantes chimères de la
féodalité, cherchera à se venger de la loi même en dérangeant ses
sages dispositions par leurs volontés particulières. Les partisans de la
faculté de tester la pressentent comme un moyen salutaire donné aux
pères de contenir leurs enfans dans le devoir et de s'assurer leur
soumission. Mais non, jamais la piété filiale ne peut avoir d'autre base
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 183
que la nature et les mœurs: il est aussi absurde qu'immoral de. vouloir
enter (3) la vertu sur la cupidité : aussi voici combien ce système est
démenti par l'expérience, ou plutôt rappellez-vous quels malheurs le
droit de tester porte dans le sein des familles. Voyez ces procès éter-
nels dont il est le germe inépuisable; voyez ces viles manœuvres et
ces lâches artifices par lesquels l'avidité s'efforce de conquérir la
prédilection et l'hérédité paternelles; voyez les enfants immolés à
d'autres enfans; voyez la cruelle opulence d'un frère insultant à l'indi-
gence de son frère; et les tourmens de l'envie et les fureurs de la
vengeance remplacer les doux sentimens de la nature et les charmes
de la paix domestique. Cependant ce sont ces familles particulières
qui composent la grande famille de l'état; ce sont les mœurs privées
qui sont !a base des mœurs publiques; voilà donc la félicité générale
empoisonnée dans la source; voilà la liberté sappée dans ses premiers
fondemens.
« Opposera-t-on à ces inconvéniens immenses des déclamations
rebattues sur les prétendus avantages de la puissance paternelle ?
« Je ne répondrai pas qu'il n'est pas du tout prouvé que les parties
de la France où cette institution est adoptée offrent plus de modèles
des vertus domestiques et sociales que celles où elle est inconnue. Je
ne demanderai pas si cette bigarrure dans les loix d'un même empire
peut subsister avec les principes de votre Constitution. Je ne vous
ferai pas même observer que le hasard seul a transplanté chez nous
ce système, fait pour d'autres circonstances ou pour un autre peuple,
qui ne la devoit pas lui-même à des causes plus raisonnables ; mais je
dirai que ce qu'il y a de bon et de sacré dans la puissance paternelle,
c'est ce que la nature a mis et non ce que des systèmes exagérés y ont
ajouté. Je dirai que la nature elle-même en a mesuré la durée et
l'étendue sur l'intérêt et sur les besoins de ceux qu'elle doit protéger,
et non sur l'utilité [de ceux] qui l'exercent : que c'est une erreur de la
législation qui a franchi ces bornes sacrées, lorsqu'elle a prolongé la
tutèle des citoyens au-delà de l'âge mûr (4).
«L'enfance de l'homme jusqu'au dernier terme de la vie, lorsqu'elle
a dépouillé les citoyens du droit de propriété, et fait dépendre le libre
exercice de leurs facultés, non de leur âge et de leur raison ; mais de la
longaivité de leurs pères ou de leurs ayeux, c'est-à-dire lorsqu'elle les
(3) Enter sur: employé ici au sens de fonder, do fi
^ ur.
(4) ("est également l'avis de Mirabeau,
Buzot. La propriété est un droit viager, qu
se transmettre << au delà du «terme de l'es
paragraphe suivant est inintelligible, si 1'
continue cette y>hrase. On peut la rétablir ainsi
longé la tutele des citoyens au-delà do V-Àvc mur ol l'enfance de
l'homme jusqu'au. .. ».
1'.
•tioi
i. Lanjuic
iais et
se
ton
eux, ne saunait
de
lire
humaine
». Le
il
) 1 6
considéra
mu 'il
i :
« lorsqu'elle
a pro-
184 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
a enlevés en même temps à eux-mêmes et à leur patrie. Non. ce nVsl
point en violant la raison et la nature, qu'on établit l'ordre socal ; c'est
en les consultant avec soin.
« Revenons aux principes de l'égalité et de l'ordre public, que
vous avez vous-mêmes consacrés : nous ne ferons pas même en cela
une chose nouvelle ou extraordinaire, puisqu'un grand nombre de nos
coutumes défend aux testateurs de la troubler entre leurs héritiers,
soit en directe, soit en collatérale.
h Je demande que l'Assemblée nationale décrète : 1 ° que nul ne
pourra déroger par aucunes dispositions testamentaires aux principes
de l'égalité des partages établis entre ses héritiers, soit en directe,
soit en collatérale; 2° que les substitutions (5) sont abolies, sauf à
maintenir celles qui sont échues. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIV, p. 7.
(( M Robespierre. Vous avez décrété que l'égalité seroit la base
du partage des citoyens. Permettrez- vous aux citoyens de la troubler par
des dispositions particulières ? ou, en d'autres termes, conserverez-vous
la faculté de tester? et, dans le cas de l'affirmative, quelles seront les
bornes que vous croirez devoir y mettre ? Avant d'examiner les principes
qui doivent décider cette importante question, il est bon de jetter un
coup d'ceil sur l'état actuel de notre législation sur ce point. D'un côté
vous voyez une partie de la France où la faculté de tester est admise dans
la plus grande étendue; dans une autre partie, il est rigoureusement inter-
dit aux citoyens de favoriser aucun de leurs héritiers au préjudice des
autres. C'est vous dire assez que vous avez à choisir entre deux prin-
cipes différens; car votre intention n'est pas de conserver deux loix pour
un même empire qui a pour premier principe le bien public. Quel sera
donc le principe de votre choix et de votre décision; le premier qui se
présente à l'esprit, le plus frappant peut-être au premier coup d'ceil, et
j'ajoute encore, le seul qui ait été proposé a été le vœu de la nature,
qui semble exiger l'égalité entre les enfans d'un même père; j'ose dire
que ce n'est point là le principe fondamental de cette question ; il en est
un supérieur et plus étendu, qui ne s'apolique ooint seulement aux succes-
sions directes, mais aux successions collatérales; c'est ce princoe poli-
tique oui dit que la base de la liberté, la base du bonheur social, c'est
l'égalité.
« Je sais qu'il est impossible d'établir l'égalité parfaite, ie sais que
plusieurs causes différentes tendent sans cesse à déranger l'égalité des
fortunes; mais il n'en est pas moins vrai oue les Icix doivent toujours
tendre à la maintenir, autant que la nature des choses peut le permettre,
(5) La Convention, par son décret kIu 25 octobre-14 novembre
1792, supprima les substitutions oui cumulaient pendant plusieurs
.générations sur des têtes privilégiées des fortunes capables l'alar-
mer la « liberté publique ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 185
et qu'elles iront directement contre leur but, contre le but de toute société,
lorsqu'elles tendront à la violer.
« L'égalité est la source de tous les biens, et l'inégalité des for-
tunes la source de tous les maux politiques; c'est par celle-ci que
l'homme avilit l'homme; et fait de son semblable l'instrument de son
orgueil, le jouet de ses passions et souvent même le complice de ses
crimes. Les grandes richesses enfantent les défauts du luxe ei des
voluptés, qui corrompent à la fois et ceux qui en jouissent et ceux
qui les envient; alors la vertu est aux prises avec le vice, l'opulence
seule est en honneur, les talens même sont moins estimée comme des
moyens d'être utile à sa patrie, que comme moyens de fortune; les
loix ne sont plus que des instrumens entre les mains des hommes
puissans, pour opprimer les faibles. Dans un tel état de choses, c'est
en vain que la raison et la nature disent sans cesse aux hommes qu'ils
sont égaux : une expérience funeste semble les démentir à chaque
instant. L'homme a perdu la dignité de ses droits et la dignité de son
être; et les loix éternelles de la justice et de la raison ne sont plus
regardées que comme une vaine théorie : si quelque citoyen ose encore
les réclamer, il est traité comme un insensé, s'il n'est point traité
comme un séditieux. Vous n'avez donc rien fait pour le bonheur public,
pour la régénération des mœurs, si vos loix ne tendent à empêcher,
par des loix douces et efficaces l'extrême disproportion des fortunes.
« Déjà, vous en avez senti la nécessité par le premier décret par
lequel vous avez statué que les successions ab intestat seroient parta-
gées également. Permettrez-vous au caprice de chaque individu de
déranger cet ordre établi par la sagesse de la loi ? La loi tombera-t-eMe
dans une contradiction funeste avec elle-même, en disant d'un côté :
l'égalité sera le principe du partage des successions, et en disant de
l'autre à chaque citoyen : vous dérangerez, vous troublerez cette égalité
à votre goût. Voyez, messieurs, ce qui se passe dans les pays de droit
écrit : là règne depuis longtemps cette loi de l'égalité que vous avez
portée, mais là règne aussi la loi qui permet au testateur d'y déroger :
et la loi est nulle. La volonté du testateur règne, et elle ne se plaît
qu'à troubler et à anéantir les salutaires dispositions de la loi de l'éga-
lité. Il faut donc que vous adoptiez le principe tout entier, ou bien
que vous consentiez à regarder comme nul le décret que votre sagesse
et votre justice vous ont dicté, ou bien que vous défendiez aux citovens
de la troubler. Et quel seroit le motif si puissant de tomber dans cette
contradiction? La propriété de l'homme peut-elle s'étendre au delà
de la vie ^ Peut-il donner des lois à la postérité lorsqu'il n'est plus?
« Je ne vous dirai pas de quels maux cette funeste faculté de
tester est la source. Elle est la mère des haines, des jalousies, des
dissensions dans les familles, du scandale de la société et d'une
grande partie des vices qui y régnent. Je sais tout ce que l'on peut
186 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
in opposer en faveur de l'autorité paternelle. Ici je me contenterai
d observer qu'il n'y a de beau et de sacré dans la puissance pater-
nelle que ce que la nature y a mis et non ce que des systèmes exagérés
y ont ajouté.
« Je dirai que la nature elle-même et la raison en ont mesuré la
durée et l'étendue sur l'intérêt et le besoin de ceux qu'elle doit pro-
téger, et non sur l'utilité de ceux qui l'exercent; que c'est une erreur
de la législation qui a franchi les bornes sacrées lorsqu'elle a prolongé
m tutelle, lorsqu'elle a prolongé l'enfance de l'homme jusqu'à sa
décrépitude, lorsqu'elle a dépouillé les citoyens du droit de propriété,
lorsqu'elle a fait dépendre le long exercice de leurs facultés naturelles
et réelles, non de leur âge et de leur raison, mais de la longévité de
leur père, c'est-à-dire lorsqu'elle les a enlevés, par le plus absurde
de tous les systèmes, et à eux-mêmes et à la patrie. Non, ce n'es* pas
en violant les droits de la raison et de la nature qu'on établit les fonde-
mens de l'ordre social; c'est en les consultant avec soin. Il ne faut
donc pas justifier la liberté de tester par la puissance paternelle, lors-
qu'il est évident que la puissance paternelle a elle-même tant besoin
d'apologie, ou plutôt qu'elle doit tomber par les décrets des législa-
teurs. Revenons donc au principe de l'égalité et de l'ordre public que
vous avez consacré : et certes, il faut convenir que ces idées ne sont
point puisées dans les principes d'une philosophie hardie, lorsqu'ils
sont consacrés, même par les usages et les loix d'une partie des pays
que vous appeliez coutumiers. Il ne s'agit que de choisir ici entre ces
loix arbitraires et ces loix absurdes que vous avez empruntées d'un
peuple barbare et de faire tomber tous ces préjugés et toutes ces loix»
funestes par le même principe.
« Je conclus de tout cela que l'égalité introduite par la loi dans
les successions, ne peut pas être dérangée entre les hommes, soit en
ligne directe, soit en ligne collatérale, par les dispositions particu-
lières de l'homme. Mais je n'en conclus pas que la faculté de tester
doive être entièrement anéantie, parce que le principe même que j'ai
posé n'exige point cette conséquence. Le citoyen peut être le maître
de disposer d'une portion bornée de sa fortune, pourvu qu'il ne dérange
pas ce principe de l'égalité envers ses héritiers, et qu'il en dispose
seulement suivant sa sagesse à l'égard des étrangers. Mon avis donc est
que l'assemblée nationale [décrète] que nul ne pourra favoriser aucun
de ses héritiers au préjudice de l'autre, soit en ligne directe, soit en
ligne collatérale (murmures). Pour l'éclaircissement parfait de la aues-
tion, et pour le bien de la vérité, je demande que l'on veuille bien
me permettre de répondre aux honorables membres auxquels les prin-
cipes sur lesquels se fonde mon opinion paraissent à plusieurs égards,
trop étendus » (6).
(6) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIV. 562.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 187
Gazette Nationale ou Le Moniteur Universel, n° 97, p. 396-397.
« M. Roberspierre. Vous avez décrété que l'égalité serait la
base des successions. Permettez-vous que cette loi soit violée par la
volonté particulière de l'homme ? Conserverez-vous la faculté de
disposer, et quelles en seront les bornes ? Il est bon de jeter un coup-
d oeil sur l'état actuel de la législation sur ce point. Dans certains pays,
la faculté de tester a la plus grande latitude; dans d'autres, elle est
interdite avec rigueur, c'est entre ces deux coutumes que vous devez
opter; car votre intention n'est pas de conserver deux lois et deux prin-
cipes contradictoires. L'une de ces lois est fondée sur le vœu de la
nature, qui semble exiger l'égalité entre les enfants; mais ce n'est pas
là le principe fondamental de cette loi; il en existe un autre d'une
importance majeure dans l'état politique, et qui s'applique même aux
successions collatérales. Ce principe, c'est que la trop grande inéga-
lité des fortunes, est la source de l'inégalité politique, de la destruc-
tion de la liberté. D'après ce principe, les lois doivent toujours tendre
à diminuer cette inégalité, dont un certain nombre d'hommes font
l'instrument de leur orgueil, de leurs passions, et souvent de leurs
crimes. Les grandes richesses corrompent et ceux qui les possèdent, et
ceux qui les envient. Avec les grandes richesses, la vertu est en
horreur. Le talent même, dans les pays corrompus par le luxe, est
regardé moins comme un moyen d'être utile à la patrie que comme
un moyen d'acquérir de la fortune. Dans cet état de choses, la liberté
est vaine chimère; les lois ne sont plus qu'un instrument d'oppression.
Vous n'avez donc rien fait pour le bonheur public, si toutes vos lois, si
toutes vos institutions ne tendent pas à détruire cette trop grande inéga-
lité des fortunes. Vous avez déjà fait une loi sur les successions. Lais-
serez-vous au caprice d'un individu à déranger cet ordre établi par la
sagesse de la loi ? Voyez ce qui se passe dans les pays du droit écrit.
La loi de l'égalité des successions y règne; mais une autre loi permet
à l'homme d'éluder par un testament la disposition de la loi, et la loi
est nulle et sans effet. Et quel est le motif de cette faculté? L'homme
peut-il disposer de cette terre qu'il a cultivée, lorsqu'il est lui-même
réduit en poussière ? Non, la propriété de l'homme, après sa mort,
doit retourner au domaine public de la société. Ce n'est que pour l'in-
térêt public qu'elle transmet ces biens à la postérité du premier pro-
priétaire; or, l'intérêt public est celui de l'égalité. 11 faut donc que
dans tous les cas 1 égalité soit établie dans les successions.
Quel motif encore pour préférer la sagesse du testateur à la
sagesse de la loi ? Consultez la nature des choses, et les circonstances
où se trouvent ceux qui font des testamens. N'est-il pas dans la
nature de l'homme d'être toujours disposé a éloigner dans son imagi-
nation le terme de son existence ? Son testament lui rappelle l'heure
de la mort, et il ne se détermine à le faire que lorsqu'il est affaibli par
188 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
l'âge, absorbé par la maladie ; mais dans tout tems la cupidité, Y in-
trigue lui tendent des pièges. Les testamens sont l'écueil de la fai-
blesse et de la crédulité, le signal de la discorde dans les familles.
Ajoutez que presque toujours à la faiblesse se joint le préjugé, cette
habitude des chimères qui a encore ses racines sous les débris de la
féodalité, cette vanité qui porte l'homme à favoriser l'un de ses
enfants pour soutenir la gloire de son nom. Mais, dit-on, l'autorité
paternelle sera anéantie. Non, qu'on ne se persuade pas que la piété
filiale puisse reposer sur d'autres bases que sur la nature, sur les soins,
la tendresse, les mœurs et les vertus des pères. Croit-on que la plus
belle des vertus puisse être entée sur l'intérêt personnel et la cupidité ?
celui qui ne respecte son père que parce qu'il espère une plus forte
part de sa succession, celui-là est bien près d'attendre avec impatience
le moment de la recueillir, celui-là est bien près de haïr son père.
Voyez ces procès éternels, voyez ces manœuvres et ces artifices par
lesquels la cupidité abusait de la faiblesse des pères : voyez l'opu-
lence d'un frère insultant à la misère d'un autre frère. Cette loi, qui
produit d'aussi funestes effets, qui tend à anéantir les mœurs privées,
et par conséquent les mœurs publiques, je ne vous rappellerai pas que
le hasard seul l'a transplantée chez nous. Je ne vous rappellerai pas
que chez les Romains la puissance d'un père sur ses enfans repré-
sentait celle d'un maître sur ses esclaves ; que cette puissance était
marquée par le pouvoir atroce de vie et de mort. Cette puissance était
si révoltante, que toutes les lois de Rome se sont par la suite appli-
quées à la modifier, parce qu'en effet elle était l'opprobre des lois
sociales, et qu'elle n'eût jamais été admise chez une nation policée.
Je dirai qu'il n'y a de sacré dans la puissance paternelle que l'auto-
rité qui [ui est confiée ; que cette autorité est bornée* par la nature
aux besoins de ceux pour qui elle est instituée, et non pas pour l'utilité
personnelle des premiers protecteurs de l'enfance. Je dirai que le
législateur viole la nature lorsqu'il franchit ces bornes sacrées, lorsque,
par le plus absurde de tous les systèmes, il prolonge inutilement l'en-
fance de l'homme, et le ravit et à lui même et à la patrie... Je con-
clus de tout ce que je viens de dire que l'égalité des successions ne
peut être dérangée par les dispositions de l'homme ; mais je n'en
conclus pas que la faculté de tester doive être entièrement anéantie.
Je crois que le citoyen peut être le maître de disposer d'une partie
de sa fortune, pourvu qu'il ne dérange pas ce principe d'égalité envers
ses héritiers. Mon avis est donc qu'on ne puisse favoriser aucun de
ses héritiers au préjudice de l'autre, soit en ligne directe soit en ligne
collatérale, sauf les cas qui seront déterminés par la loi. » (7»
(7) Texte reproduit dans Je Moniteur, VIII, 56-57 ; Bûchez et
Houx, IX, 299-302; et utilisé par la Gazette nationale ou Extrait..,
t. XV, p. *15.à 419.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 189
Courier Français, n° 37, p. 283.
Journal du Soir (Beaulieu), 1791, n° 95, p. 3.
Le Législateur Français, 6 avril 1791, p. 6.
« M. Robertspierre a rouvert la discussion sur l'inégalité résultante
de la volonté de l'homme.
La législation de tous les pays, a-t-il dit, a sans cesse varié sur
ce point, et particulièrement en France, dont une partie a la faculté
illimitée de rester, à l'autre en est privée absolument, et par les loix
les plus sévères ; il s'agit de savoir si cette faculté sera uniforme pour
toutes les parties de l'empire, et quelles en seront les bornes.
Si nous consultons la nature, elle nous dira que les hommes sont
tous égaux à ses yeux, et qu'un frère a autant de droit qu'un autre
frère, au partage égal d'un patrimoine commun. Elle a mis dans le
coeur de r homme un sentiment de tendresse, que doivent partager éga-
lement tous les êtres à qui il a donné le jour, et auxquels il doit indis-
tinctement l'affection paternelle.
Elle répondra encore que l'homme qu'elle a jeté sur un point
du globe, a droit aux fruits que la terre porte pour entretenir quelques
momens sa frêle existence mais aussitôt qu'il cesse d'être, elle lui
retire les dons qui ne lui sont plus utiles pour les remettre un moment
encore en d'autres mains, qui doivent bientôt aussi les quitter.
Ensuite, se portant sur des considérations politiques et sociales,
il a vu dans la faculté sans bornes de donner un bien, qu'on est près
de quitter, le système le plus propre à détruire l'égalité, seul gage de
la durée des empires et de la prospérité des nations, qui ne peuvent
long-temns conserver leur liberté, lorsqu'un petit nombre peut accu-
muler des fortunes immenses, et que la masse du peuple dans l'indi-
gence se trouve à la merci du riche, toujours porté à faire de ces
hommes l'instrument de son orgueil et le jouet de ses caprices et de
ses fantaisies.
Alors, disoit-il, les loix ne sont qu'un lien de plus qui enchaîne
à l'esclavage ; l'homme avilit l'homme ; le vice est couronné par des
signes révérés, et la vertu rejetée, ou plutôt elle n'est qu'un vam nom.
Les moeurs se dépravent et sont bientôt corrompues; le génie de la
liberté est anéanti, et le despotisme, avec sa barbare escorte, se replace
sur le trône.
L'ordre des choses tend sans cesse à déranger l'égalité naturelle.
C'est aux loix à réparer les ravages du temps, quand elles n'ont pu
les prévenir ; les principes de la raison, de la justice et de l'utilité
publique seraient en vain cités, sans le secours des loix. Dès que le
dogme absurde de l'inégalité est introduit et reconnu, l'homme de
passion domine et commande déjà, et l'homme de raison a toutes les
facultés enchaînées.
Les contradictions sans nombre qui souillent notre ancienne légis-
190 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
lation, montrent assez à quoi l'on s'expose, quand on s'écarte des
routes de la nature; l'homme qui n'est plus n'emporte-t-il pas aussi la
volonté dans le tombeau ? faut-il que ses cendres commandent encore
avec orgueil à l'homme qui lui survit ? Le coin de terre qu'il possé-
doit a cessé d'être sa propriété, et rentre dans le domaine social. Il
ne faut pas croire que les testateurs seront plus sages que la loi, et
en conclure que l'homme doit conserver, au moment où son existence
lui échappe, le pouvoir d'en disposer à son gré. Les exemples sont
pour nous et doivent nous guider pour l'avenir, parce que les généra-
tions sont ressemblantes.
Quel moment, disoit-il en finissant, saisit l'homme pour se dé-
pouiller ? celui où sa raison s'affoiblit, où toutes les facultés dispa-
roissent, et où son âme affaissée sous le poids de la douleur, n'est
plus capable d'acte qui porte l'empreinte de la raison, et où son choix
et la préférence est l'effet du hasard et du délire ; et si le moribond
conserve encore quelque force, c'est pour ne s'occuper que d'objets
de vanité et d'orgueil, dicter son testament; et c'est celui qui avoit
beaucoup, qui est appelé au partage de ses dépouilles.
Nous regrettons de ne pouvoir discuter la digression de l'orateur
sur l'effet de la faculté de tester, considérée sous des vues domesti-
ques ; nous dirons seulement qu'il a démontré que celui qui honore
son père par intérêt, est bien digne de mépris et de haine, et qu'il
n'y a de bon et de sacré dans l'autorité paternelle, que ce que la
nature y a mis, et non ce qui y a été ajouté par les passions humaines.»
Journal de la Noblesse, t. I, n° 16, p. 476.
« M. Robespierre n'est point tombé dans cette erreur de M. de
Mirabeau (8). Il ,a vu dans les lois romaines, et non pas dans le droit
des anciens Celtes, ou des anciens Français, les abus des testamens.
Il a peint ces abus avec beaucoup d'éloquence, et sa conclusion a été
la même que celle de M. de Saint-Martin (9). Ce dernier avoit montré
en quoi les testamens étoient justes; M. Robespierre s'est attaché à
la partie contraire.
« Voyez, a-t-il dit, ce qui se passe dans les pays de droit écrit ;
la loi de l'égalité des successions y règne : mais une autre loi permet
à l'homme d'éluder par un testament les dispositions de la loi, et
la loi est nulle et sans effet...
La piété filiale ne peut reposer sur d'autres bases que sur la
(8) On trouve le texte du discours rédigé par Mirabeau et lu
par Tallevra ai au début de cette séance aux Arch. nat., AD XVIII
et. 164; dans 1-e Moniteur. VII. 34; Bûchez et Roux, IX. 238 ; et
Les Arch. pari., XXIV. 510.
(9) De iSaint-Martin, avocat, député suppléant du tiers état d~-
ia sénéchaussée d'Annonay, remplaçant Dodde, démissionnaire.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 191
nature, sur les soins, la tendresse, les mœurs et la vertu des pères.
La vertu ne peut être entée sur l'intérêt personnel et sur la cupidité.
Celui qui ne respecte son père, que parce qu'il espère une plus forte
part dans sa succession, est bien près d'attendre avec impatience le
moment de la recueillir...
Chez les Romains la puissance d'un père sur ses enfans, rrprc-
sentoit celle d'un maître sur ses esclaves ; cette puissance étoit mar-
quée par le pouvoir atroce de vie et de mort. »
L'orateur a cherché à résoudre le problème de savoir si l'homme
peut disposer de la terre qu'il a cultivée, après .qu'il est réduh en
poussière ; il s'est déterminé pour la négative. Il veut qu'après sa
mort, la propriété de l'homme retourne au domaine public de la société.»
Journal de Normandie, 1791, n° 96, p. 462.
« M. Robertspierre. Conserverez- vous la faculté de tester ? et
dans le cas où vous vous prononceriez à l'affirmative, quelles seront les
limites de cette faculté ? Telles sont les questions à examiner.
Vous avez décrété l'égalité de partage dans les successions. Or,
je soutiens qu'elle est incompatible avec cette faculté de tester, avec
cette faculté de favoriser un enfant au préjudice de l'autre. Une telle
faculté répugne à la nature et à la raison : à la nature, parce que
formés du même sang, tous les enfants ont droit aux mêmes avantages ;
à la raison, parce qu'elle intervertit l'ordre social. Il y adroit une con-
tradiction manifeste à l'admettre ; et quel seroit le motif d'une pareille
admission ? Sur quel fondement est-elle appuyée ? L'homme peut-il
disposer de cette portion de la terre dont il a joui, lorsqu'il n'est plus
lui-même qu'une vile poussière ? Vous avez sagement proscrit les pri-
vilèges, les distinctions ; et qui ne voit que ce seroit un moyen de les
ressusciter ? qui ne voit qu'un pareil usage n'a pu prendre son origine
que dans l'orgueil qui nous maîtrise, orgueil qui nous survit, et que
nous cherchons à nourrir ,même après que nous sommes descendus au
tombeau Je conclus donc à ce que nul ne puisse favoriser aucun
héritier au préjudice de l'autre, soit en ligne directe, soit en ligne
collatérale. Tel est le précis du discours de M. Robertspierre. »
Courier de Provence, t. XIV, n° 279, p. 100.
« M. Robespierre est aussi un de ceux qui se sont déclarés enne-
mis des inégalités arbitraires. Outre que la nature répugne à ce que
des enfans partagent inégalement les biens de leur père, il trouve, avec
raison, que l'inégalité des fortunes, est la source de cette inégalité
politique, qui détruit la liberté. « Vous n'avez donc rien fait, ajoute-
t-il, pour îe bonheur public, si toutes vos institutions ne tendent pas à
détruire cA':t trop ^r^nde inégalité dans» les foi'cunes. ' eus aviez deji
réglé l'égalité des successions ab intestat, permettrez vous au caprice
d'un individu de déranger cet ordre établi par la sagesse de la loi 7 »
192 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
L'orateur a peint avec force l'état d'un homme qui fait son tes-
tament. Le plus souvent il est à l'heure de la mort, par conséquent
affoibli par l'âge, absorbé par la maladie, assiégé par les préjugés
qui, dans ces moraens de crise, reprennent tout leur empire sur la plu-
part des testateurs, quelques raisonnables et éclairés qu'ils ayent été
pendant leur vie. Que de pièges la cupidité et l'intrigue ne tendent-ils
pas en tout temps à celui qui veut écrire ses dernières volontés ? Les
testamens sont l'écueil de la foiblesse et de la crédulité, le signal de
la discorde dans toutes les familles.
M. Robespierre termine par demander qu'il ne soi1: pas permis
de favoriser un héritier au préjudice de l'autre, soit en ligne directe,
soit en ligne collatérale, sauf les cas qui seront déterminés par la loi. »
Journal Général, 1791, n° 65, p. 260.
« La discussion sur les successions se r'cuvre. M. Robertspierre
s'élève avec force contre l'usage de tester ; usage qui lui semble con-
traire au Décret adopté qui admet l'égalité des partages. Il reproduit
cette idée de quelques Philosophes, qui n'en ont pas moins fait ieur
testament quand ils avoient de quoi ; Qu'un homme ne peut pas dis-
poser de ses biens pour un temps où il sera poussière ; qu'après la
mort du Citoyen, ses propriétés rentrent dans la masse commune : mal-
gré celte rentrée dans la masse commune qui donneroit à tous le droit
de les partager, il n'en pense pas moins que le bien de la Société
exige qu'ils soient seulement partagés également entre tous les Mem-
bres de la même famille. « On m'objecte que les enfans auront plus
de respect, plus d'amour pour les parens lorsqu'ils seront animés par
l'espoir des récompenses. Je réponds à cela que la piété filiale doit
être indépendante du vil intérêt ; que cet intérêt même est contraire
à l'amour qui doit seul être inspiré par la nature, que l'enfant parvenu
au point de désirer et de convoiter le bien de son père, est bien près
de haïr l'auteur de ses jours. Quoi qu'il y ait un peu loin de cette
haine au plus ou moins de zèle que peuvent témoigner des enfans,
quoique ce droit de disposer puisse n'être qu'un moyen de plus pour
seconder les sentimens que la nature inspire ; et punir ceux des enfans
qui ne les suivroient pas, l'Orateur croit au moins seconder la philo-
sophie, en concluant à ce que nul homme n'ait le droit de privilégier
un héritier au préjudice des autres, soit en ligne directe, soit en ligne
collatérale. D'assez violens murmures annoncent à M. Robertspierre que
sa philosophie n'est pas celle de l'Assemblée. »
Journal Général de France, n° 96, p. 381/2.
« La discussion sur les Successions étoit à l'ordre du jour. M. Ro-
bertsDierre a fait observer que la Législation de tous les pays a varié
sur l'inégalité qui résulte de la volonté de l'homme. Il a présenté
tous les hommes comme égaux aux yeux de la nature, et il a prétendu
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 193
qu'il importait de conserver cette égalité, autant qu'il étoit possible,
dans un Etat bien constitué. L'ordre des choses, a-t-il dit, tend sans
cesse à déranger l'égalité naturelle. C'est aux Loix à réparer les rava-
ges du temps, quand elles n'ont pu les prévenir. Dès que le dogme
absurde de l'inégalité est introduit et reconnu, l'homme de passion
domine et commande déjà, et l'homme de raison a toutes les facultés
enchaînées.
Mais nous sera-t-il permis de demander à M. Robertspierre, où
il prend dans la nature le modèle de cette chimérique égalité que les
Législateurs François encensent avec tant de vénération ? n'est-elle pas
comme le beau idéal, qui n'a jamais existé que dans l'imagination
des Artistes ? Disons mieux : l'inégalité semble être au contraire la
plus grande règle de la nature ; sans elle, plus de variété, plus de
richesses ; sans elle une monotonie repoussante se feroit appercevoir
par-tout. Laissons maintenant la nature, et revenons aux individus seuls,
et supposons tous les hommes égaux en richesses, comme il paroît que
M. Robertspierre desireroit qu'ils fussent ; mais seront-ils également
industrieux, également forts ? Non sans doute. Comment feront donc
les paresseux et les foibles pour obtenir des services de ceux qui
n'auront pas besoin de les leur accorder } Ils s'en passeront, répon-
dra-t-on. Fort bien ; mais les hommes ne seront donc pas également
heureux ? En vérité tous les beaux raisonnemens qu'on a faits à l'As-
semblée Nationale sur deux êtres fantastiques, la liberté et l'égalité,
ne nous ont pas fait avancer d'un seul pas vers le bonheur, et au Heu
de tout ce beau parlage, il vaudroit sans doute mieux s'occuper de
rendre les François plus heureux en employant tous les moyens possi-
bles pour leur ôter des impôts et leur donner la paix. »
La Bouche de Fer, nc 40, p. 80.
<( Roberspierre a vu la question sous un point de vue plus philo-
sophique que les orateurs de l'autre séance. L'homme n'a pas le droit
de violer la loi qui consacre l'égalité des partages : les dispositions
testamentaires tendent à augmenter l'inégalité des fortunes à corrompre
les mœurs, à enraciner le despotisme. L'homme ne peut disposer de sa
propriété après sa mort, elle retourne au domaine public de la société. »
Le Courrier des LXXX1II Départemens, t. XXIII, n° 7, p. 108.
M. Robertspierre : L'égalité des partages est décrétée,^ il reste
à décider la faculté de tester, l'ouvrage de M. Mirabeau lève toute
discussion à cet égard, et tout ce que je pourrois dire seroit affoibli par
les raisonnemens et la justesse des idées de ce grand et profond légis-
lateur ; je me restreins à demander que l'Assemblée, suivant son sys-
tème d'égalité, décrète que nul ne pourra favoriser aucun de ses -héri-
tiers au préjudice de l'autre, soit en ligne directe, soit en ligne colla-
térale.
194 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
L'Ami du Roi (Royou), 1791, n° 325, p. 3.
« Aussi je ne daignerai dire qu'un mot des misérables et puériles
raisons alléguées par les ennemis de toute autorité, de tout joug, par
les Mirabeau, les Pethion, les Robespierre, contre l'autorité paternelle.»
[Brève mention de cette intervention dans La Feuille du Jour,
t. 111, n° 96; Le Journal Universel, t. X, p. 3997; Le Journal de
Paris, 6 avril 1791, p. 387 ; Le Journal des Débats, t. XIX, n° 678,
p. 3 ; La Vedette ou Précis de toutes les Nouvelles du Jour, 6 avril
1791 , p. 8; Le Patriote François, n° 606, p. 367.]
255. — SEANCE OU 5 AVRIL 1791 (soir)
Sur la députation de l'assemblée coloniale de St-Marc (suite)
Conformément à son décret du 31 mars (1), l'Assemblée natio-
nale admet à ls> barre, la députation de la ci-devant assemblée
■coloniale de Saint-Marc, et le président accorde la parole à Linguet,
ison conseil. Barnave intervient longuement après Linguet, et pro-
pose: 1° Que les comités de constitution, de la marine, d'agriculture
et du commerce, se réunissent au comité colonial, pour examiner
les. instructions qui y ont été rédigées pour l'organisation des
colonies ; 2° Que soit renvoyée aux mêmes comités réunis, la pétition
des membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Marc,
pour présenter à l'Assemblée, les dispositions qu'il conviendra de
prendre à leur égard.
Malgré Robespierre qui s'opposa à la seconde partie de la
motion, le projet de décret soutenu par Barnave, fut adopté pax'
l' Assemblée.
Le Point du Jour, t. XXI, n° 632, p. 71.
« M. Robespierre a invoqué la question préalable sur la seconde
partie de la motion de M. Barnave, par la raison que la discussion
s'étant engagée entre les ci-devant membres de l'assemblée de Saint-
Marc, et le Comité colonial, ce devoit être nécessairement au Corps
législatif à la décider » (2).
La Bouche de Fer, suppl. au n° 41, p. 97.
« Au soir, les députés de l'Assemblée coloniale ont paru à la
barre. Linguet, leur orateur, a plaidé leur cause en avocat. Barnave
a fait valoir la douceur et la longanimité du Comité colonial en faveur
de ces hommes, et a demandé un nouveau renvoi au Comité, ce qui
(1) Cf. ci-dessus, séance du 31 mars 1791.
(2) Cité par E. Hamel, T, 406.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 195
a passé malgré les réclamations de Robertspierre : nous ne doutons
pas qu'ils n'y restent six autres mois à éprouver la douceur de leurs
ennemis. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 99, p. 406.
« M. Roberspierre parle au milieu des murmures qui l'interrom-
pent, contre la proposition d'adjoindre trois nouveaux Comités au
Comité colonial » (3).
Journal des Etats Généraux, t. XXIII, suppl., p. 46.
« M de Robespierre. Je demande la question préalable sui la
proposition d'adjoindre trois membres au comité colonial, et que de
même que l'affaire a été commencée elle soit décidée contradictoire-
ment entre le comité colonial et le contradicteur, entendu à la barre »
(4).
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal des Débats,
t. XIX, n° 679, p. 21.]
(3) Texte reproduit dans Je Moniteur, VIII, 76.
(4) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIV, 596.
256. — SEANCE DU 6 AVRIL 1791
Sur le projet d'organisation du ministère
ln intervention: Sur la nécessité d'une discussion d'ensemble
Le 7 mars, l'Assemblée avait entendu le rapport de Démeunier,
au nom du comité de constitution, soir l'organisation du ministère.
Après une brève discussion, l'ajournement de ce plan avait été
décidé (1).
iLe 6 avril, Démeunier, après quelques "observations sur le tra-
vail du comité, 'présente à l'Assemblée l'article premier du projet :
« Au roi soûl appartient le choix et la révocation des ministres ».
Après les interventions de Robespierre, de Pétion, de Charles
Lameth ... l'Assemblée décida de s'occuper d'abord du titre du
projet, relatif à la responsabilité des ministres.
Journal de Paris, n° 98, p. 393.
« M. de Roberspierre a pris sur-le-champ la parole, non sur
l'article qui venoit d'être lu, mais pour faire une motion d'ordre :
cette motion a été qu'il ne falloit pas délibérer un projet de Loi de
(1) Cf. ci-dessus, séances îles JaccbÎBS des 6 et H mars 1781.
196 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
cette importance et présenté à V improviste . On a crié à M. de Robers-
pierre qu'il y a deux mois que le projet est imprimé.
« On a fait souvent des réponses semblables, nous ne les croyons
pas très-bonnes. Pour être préparés, les Orateurs à une discussion, et
tous les Membres à une délibération, il ne suffit pas qu'un projet de
décret soit imprimé depuis long-tems; il peut arriver même que plus il
y aura de tems qu'il sera imprimé, plus il sera oublié : pour être prêt
il faut s'en être occupé et depuis peu, autrement on l'étudié dans
l'Assemblée, où il ne faudroit pas faire ses études, mais y porter le
produit des études qu'on a faites.
« M. de Roberspierre a repris : ce n'est ni sans effroi, ni sans
douleur que j'observe l'esprit qui préside ou veut présider depuis
quelque tems dans nos délibérations. — C'est un très-bon esprit, a dit
M. Martineau (2), et c'est le seul mot qu'on a pu distinguer parmi
beaucoup de cris qui s'élevoient en même-tems contre l'Orateur. Cet
esprit, a repris encore M. Roberspierre, est celui qui sous le prétexte
d'accélérer nos travaux les accumule avec cette précipitation qui fut
toujours si fatale à la raison, au bon et au beau. Il faut achever les
travaux, mais il n'y a d'achevé que ce qui est bien fait, que ce qui
est indestructible. C'est de la constance du travail et non pas de sa
précipitation que naissent les grands ouvrages. La nature ne précipite
rien dans ses opérations, et c'est pour cela que tout ce qu'elle fait
est si parfait. Je vous conjure donc, MM., d'appeller l'ajourne-
ment ou la question préalable au secours de la Patrie et de votre gloire,
toutes les fois qu'on voudra vous faire délibérer sur de grands objets
que vous n'aurez pas profondément médités. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXIV, p. 43.
« M. Robespierre. Je ne puis m'empêcher de vous témoigner
combien je suis effrayé de la précipitation avec laquelle on veut adopter
ce projet (murmures). Je me plains surtout de ce système suivi de
présenter à l 'improviste les matières les plus intéressantes pour le salut
de la liberté et de justifier cette méthode par un motif qu'on sait
bien être très propre à faire impression sur l'esprit de l'assemblée.
Oui, sans doute, il faut accélérer nos travaux; mais il est criminel
de se servir de ce prétexte pour déterminer des résolutions précipitées
qui ne tendent à rien moins qu'à renverser les bases que nous avons
donné à la constitution.
« Le seul parti raisonnable à prendre sur le projet de décret,
c'est la question préalable que je justifie par un seul mot r le but de ce
projet c'est de. renverser la liberté, c'est d'anéantir les pouvoirs cornu-
<2) Martineau, avocat au Parlement, député du tiers état de la
Ville de Paris.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 197
tutionnels établi par vos décrets précédens, en donnant aux ministres
un pouvoir immense, plus redoutable que l'ancien. Voilà la réflexion
que je présente à l'Assemblée. Je la supplie, au nom de la liberté,
au nom du bien public, au nom de sa gloire, de ne point la repousser
par des murmures qui ne sont point dans son esprit. Je demande ou
l'ajournement de ce projet, ou la question préalable. Je demande au
moins que, si l'on ne veut pas ajourner, on discute dans son ensemble;
qu'on en rapproche tous les articles, et que l'on se rende compte à
soi-même de ce que j'ai dit » (3).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 98, p. 401.
« M. Roberspierre. 11 est impossible d'être assez préparé pour
examiner ce projet qu'on présente à l' improviste. (Plusieurs voix : il est
présenté depuis deux mois) Je suis effrayé de ce projet, et plus encore
de la précipitation avec laquelle... (On murmure). Je le dis avec l'effroi
que m'inspire l'esprit qui, depuis quelques tems, préside à vos délibé-
rations (Les murmures augmentent, on crie : à l'ordre). Mais je ne
m'effraie pas de cette manière d'étouffer la voix de ceux qui veulent
dire la vérité. Pourquoi vient-on nous présenter ici des projets à F im-
proviste ? On compte bien s'appuyer sur un motif qui produira toujours
un très-grand effet; on vous dira qu'il faut accélérer vos travaux (Un
très grand nombre de voix : Oui, oui). Autant il est vrai qu'il faut
accélérer vos travaux, autant il est criminel de présenter à l' improviste,
et sur ce prétexte, un projet de décret qui tend à détruire les bases
de la liberté. Le caractère de ce projet, caractère imprimé dans cha-
que ligne, est d'anéantir la liberté et les principes constitutionnels
établis par les précédens décrets, en donnant aux ministres un pouvoir
immense. Voilà l'instruction essentielle que je présente à l'Assemblée
nationale (On entend quelques applaudissemens) » (4).
Courrier d'Avignon, 1791, n° 90, p. 357.
« Je ne crois point, a dit M. Robespierre, que l'assemblée soit
suffisamment préparée sur le projet de loi qui vous est soumis. I! vous
est présenté à l'improviste. — Il y a deux mois, s'est-on écrié de
toutes parts. — Je suis effrayé, Messieurs, des dispositions de ce
décret. Oui, je l'avoue avec douleur; je le dis avec effroi : l'esprit qui
préside depuis quelque temps à vos délibérations... (Il s'est élevé de
violens murmures. C'est un très-bon esprit, a dit M. Martineau). Cet
esprit. Messieurs, c'est celui qui a dicté le système qui vous fait pré-
senter ainsi, improvisément, les matières les plus importantes; c'est
(3) (Le texte reproduit par les Arch. pari., XXIV, 606, est une
combinaison de ceux de Le Hodey, du Moniteur et du Courrier
d'Avignon.
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 66, et dans Bûchez
et Roux, IX, 817.
198 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
celui qui fait répéter qu'il faut accélérer nos travaux. (Oui, oui, ont crié
plusieurs voix). Oui, sans doute, il faut accélérer nos travaux. Eh!
qui en est mieux convaincu que les amis de la liberté ? Mais autant il
est vrai qu'il faut achever nos travaux, autant il est vrai qu'il seroit
criminel de se servir de ce prétexte pour hâter des délibérations de la
plus grande importance. Voilà l'abus que je dénonce, et auquel je pense
que vous ne pouvez remédier que par l'ajournement ou par la question
préalable. {Une petite partie du côté gauche de l'assemblée, et les
tribunes ont applaudi). »
Le Point du Jour, t. XXI, n° 635, p. 75.
« Je suis effrayé, s'est écrié M. Robespierre, de la précipitation
avec laquelle on vous propose le projet de décret sur le ministère; il
n'y a qu'un seul parti à prendre, c'est celui de la question préalable
sur ce premier article; l'adopter, seroit renverser la liberté et anéantir
la constitution; je vois avec douleur cet esprit de précipitation qui
préside à vos séances, cette manie d'étouffer la vérité, ce système
éternel de présenter à l'improviste les objets les plus importans, avec
des grands mots, répétés à tous les instans, qu'il faut accélérer nos
travaux. »
L'Ami du Roi (Montjoie), 7 avril 1791, p. 387.
« MM. Robespierre, Pethion, Lameth, ont vu des dangers
incalculables dans cette disposition. Cependant ne pouvant ouvertement
nier les conséquences, après avoir accordé le principe, ne pouvant
arracher un arbre planté à l'ombre même de la constitution, ils ont pris
un autre biais; ils ont demandé qu'on abandonnât pour l'instant l'ar-
ticle, et qu'on passât de suite à ce qui concerne la responsabilité des
ministres; ils ont été exaucés, et le docile M. Robespierre a présenté
ses articles sur cette responsabilité. »
Journal des Mécontens, n° 38, p. 4.
« M. de Robertspierre a dit : je suis effrayé de la précipitation
avec laquelle on vo'js propose ce décret ; il n'y a qu'un bon parti
à prendre; je vous le propose avec bonheur et pour la décharge de ma
conscience (la conscience de M. Robertspierre ! Il est donc bien calom-
nié à Arras ). »
Correspondance nationale, n° 16, p. 93.
« On crie « aux voix, aux voix ». MM. Robespierre, Lameth et
Pethion s'élèvent avec force contre cet article; iis se plaignent amère-
ment de la précipitation avec laquelle on propose à l'improv^te, une
question aussi importante: adopter l'article proposé, c'est renverser lé
liberté, c'est anéantir la constitution; il auroit fallu avant de le pro-
poser, décréter tout ce qui est relatif à la responsabilité des ministres
en cas qu'ils soient coupables. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 199
Gazette nationale ou Extrait..., t. XV, p. 431.
« M. Robespierre. Je ne sais comment on a le courage de nous
proposer d'aller aux voix sur un article qui mérite la plus longue
discussion. Je le dis à la décharge de ma conscience, la loi qu'on
vous propose, est l'ouvrage de quelques personnes qui veulent mener
l'assemblée, et qui, sous le prétexte de terminer la constitution, nous
pressent d'adopter les mesures les plus destructives de cette même
constitution. Je demande qu'on discute, non article par article, mais
l'ensemble du plan. »
Journal universel, t. XI, p. 4010.
« L'intrépide Robespierre s'est élevé avec force contre la préci-
pitation avec laquelle on traitait les objets les plus importants, comme
la manie éternelle d'étouffer la vérité. « Le seul parti à prendre,
s'écriait-il, c'est la question préalable; car, adopter le premier article,
c'est renverser la liberté, c'est anéantir la Constitution. >
...« L'ami et le défenseur de la liberté, Robespierre, avait raison;
il a été vigoureusement secondé par le patriote Péthion. »
Mercure de France, 16 avril 1791, p. 198.
<( Cet article a désorienté M. Roberspierre, qui s'est ''écrié sur
la cruauté qu'on avoit de ne pas le prévenir assez tôt pour qu'il pût
improviser; cet objet n'étoit proposé que depuis deux mois. Mais en
invoquant de toutes ses forces la question préalable, M. Roberspierre
s'est fait beaucoup applaudir du côté gauche et des galeries. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal Général,
n° 66, p. 264; L'Ami de la Révolution, p. 479; Le Patriote Fran-
çois, n° 607, p. 372; Le Journal de la Noblesse..., t. I, n° 16,
p. 481; La Bouche de Fer, suppl. au n° 41, p. 98; La Feuille du
Jour, t. III, n° 97, p. 62; Le Courrier des LXXXIII départemens, n° 7,
p. 110; Le Courier de Provence, t. XIV, p. 114; Assemblée natio-
nale, Corps administratifs (Perlet), t. XI, n° 610, p. 3; Le Journal du
Soir (Beaulieu), n° 96, p. 3; Le Courrier des Français, n° 38, p. 292;
Le Législateur français, 7 avril 1791, p. 6; Le Journal de Normandie,
n° 97, p. 470.]
2'' intervention : Sur la responsabilité des ministres
L'Assemblée aborde la discussion sur le titre du projet d'orga-
nisation du ministère relatif à la responsabilité (5). Mcnnii, puis
(5) D'après E. Hamel, I, 407, ce serait Cazalès qui imprudem
roenî aurait déclenché cette discussion en proposant de donner an
roi le droit de dissoudre le Corps législatif; Prieur lui aurait
répondu par la proposition inverse: il demanda de décréter que le
C&rps législatif pourra déclarer au roi. iquand il le trouvera néees
saire, que ses ministres ont perdu la confiance de la nation."
200 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Buzot proposent le rétablissement d'un article accordant au corps
législatif la faculté de demander au roi le renvoi des ministres. La
discussion s'engage sur la rédaction de cet article.
L'article présenté par Buzot, fut rédigé en ces termes : « Le
corps législatif pourra présenter au toi telle déclaration qu'il jugera
convenable sur la conduite des ministres, et même lui déclarer
qu'ils ont perdu la confiance de la nation. »
Courier Français, t. X, n° 97, p. 293.
« M. Robertspierre a observé que la nation, que le corps législatif
représente, ne peut pas jouer le rôle de pétitionnaire; qu'elle ne peut
s'expliquer envers le roi par adresse; que le peuple français ne peut
parler qu'avec la dignité qui convient au souverain; et qu'au surplus,
la législature devoit déclarer au roi que ses ministres ne sont plus
propres au bien public. »
Journal de Paris, n° 98, p. 396.
« L'article portoit que la déclaration seroit faite dans une adresse.
Je demande, a dit M. de Roberspierre, que ce mot soit changé : la
majesté de la Nation ne doit pas s'abaisser au rôle de pétitionnaire.
Enfin, après quelques autres débats, mais sur la rédaction seulement,
il a été décrété que le Corps législatif pourra présenter au Roi telle
déclaration qu'il jugera convenable sur la conduite des Ministres, et
même lui déclarer qu'ils ont perdu la confiance de la Nation. »
L'Ami du Roi (Montjoie), 7 avril 1791, p. 388.
« M. Robespierre qui, le premier, l'a traité, n'a vu dans l'article
que le seul mot adresse à reprendre. Le mot a blessé sa fierté, « Ce
n'est pas ainsi, a-t-il dit, qu'une nation parle à son roi, et quand elle
énonce un vaeu elle n'est pas suppliante. »
« M. Robespierre a proposé une autre rédaction, dont sa majesté
s'est mieux accomodée ; elle était ainsi conçue : « Le corps législatif
pourra, lorsqu'il le jugera convenable, déclarer au roi que ses ministres
ont perdu la confiance de la nation. »
Journal des Débats, t. XI\, n° 679, p. 31.
« M. Robespierre a relevé le mot d'Adresse au Corps législatif,
employé dans l'article du Comité; il lui a paru indécent que le Corps
législatif parlât comme Pétitionnaire au Roi » (6).
[Brève mention de cette intervention dans Le Point du Jour,
t. XXI, n° 635, p. 80; Le Spectateur national, 7 avril 1791, p. 551 ;
La Gazette universelle, n° 97, p. 388.]
(6) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIVj 612.
LES DISCOURS DE ROBESPI&RRE 201
257. — SEANCE DU 7 AVRIL 1791
Sur la nomination des membres de lAssemblée \u ministère
L'Assemblée poursuivant l'examen du projet d'organisation du
ministère, Robespierre fait la motion qu'aucun membre de l'Assem-
blée ne puisse être porté au ministère pendant les quatre ans qui
suivront la session (1).
Après que divers amendements eussent été présentés, dont
ceux de Bouche (2) et de Koederer, l'Assemblée adopta le décret
suivant, « à la presqu'unanimité » (3): « L'Assemblée nationale
décrète constitutionnellement que ses membres et ceux des législa-
tures à venir, que les membres du tribunal de cassation ne pour-
ront, pendant quatre ans après avoir quitté l'exercice . de leurs
fonctions, être nommés au ministère, ni recevoir du pouvoir exécutif
ou de ses agents, aucun emploi, place, don, gratification, traite-
ment et commission, d'aucun genre. Aucun membre du corps légis-
latif ne pourra solliciter aucune place, grâce, du gouvernement
ou des agents du pouvoir exécutif, ni pour autrui, ni pour lui-
même. Le comité de constitution proposera la peine à infliger à
ceux qui contreviendraient au présent décret. »
Journal des^Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIV, p. 57.
« M. Robespierre. J'ai à faire à l'assemblée une motion très
simple qui ne peut être adoptée utilement que dans le moment où je
parle, et qui doit l'être nécessairement avant toutes celles qui tiennent
au ministère. Un philosophe dont vous avez honoré la mémoire et dont
les écrits ont préparé là révolution et vos travaux a dit : Pour inspirer
plus de confiance et de respect pour les loix, le législateur doit en
quelque sorte s'isoler de son ouvrage, et s'affranchir de tous les rap-
ports personnels qui peuvent le lier aux grands intérêts qu'il a à décider.
Comme le moment où vous pouvez faire l'application de cette maxime
la plus honorable à l'assemblée est sans contredit le moment où, tou-
chant à la fin de votre carrière, vous avez encore cependant à faire
des loix très importantes, et où vous allez régler la responsabilité et
les peines et les avantages du ministère, je demande que ce que vous
avez déjà fait à l'égard des commissaires du roi, vous le fassiez à
l'égard des ministres; et je fais la motion expresse que, pendant quatre
ans après la fin de cette session, aucun membre de l'assemblée natio-
'(1) Arch. mit. C 50, 633. Texte autographe de la motion.
(2) Bouche proposait d'étendre cette mesure aux membres du
Tribunal de Cassation et de la .Haute Cour, ce iqui fait écrire à
Rutledge dans son Creuset: « Nous prévenons M. Bouche de ne
pas être étonné si les esprits méfiants ve noient un jour ou l'autre,
à envisager comme une rodomontade et un rafinement rempli
de cautèle, sa manière d'enchérir sur les traits de patriotisme de
M. Robespierre. »
.(3) Cf. le Point du Jour, t. XXI, p. 87.
202 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
nale ne puisse être promu au ministère (applaudi), ni accepter aucune
place quelconque. (Aux voix, aux voix).
[Suivent plusieurs interventions et motions.]
« M Charles de Lameth. La motion de M. Robespierre doit
donc d'abord être mise aux voix, car celle qui vous est faite postérieu-
rement n'est pas un amendement. (Allons, allons aux voix, c'est fort
bon.) ))
« M. Robespierre : Voici ma rédaction : « L'Assemblée natio-
nale décrète qu'aucun membre de l'assemblée actuelle ni des législa-
tures suivantes ne pourra être promu au ministère, ni recevoir aucune
place, dons, gratifications, du pouvoir exécutif pendant 4 ans après
être sorti de ses fonctions » (4).
Journal universel, t. XI, p. 401 1 et 4018.
« Avant d'entrer dans la discussion de l'organisation ministérielle,
M. Robespierre a demandé à fixer une motion d'ordre : il a voulu
déjouer les intrigants et les ambitieux de l'Assemblée Nationale; en
conséquence, il a insisté pour que l'Assemblée Nationale décrétât
qu'aucun membre de la législature actuelle, ni ceux des législatures
suivantes, ne puissent être promus au ministère ni recevoir dons, pen-
sions, gratifications quelconques du pouvoir exécutif pendant la durée
de leurs fonctions, ni quatre ans après. »
...« On accusait plusieurs partisans très chauds de !a cause
du peuple d'aspirer au ministère. Il est certain que l'extrême facilité
avec laquelle ils permettaient l'extension des prérogatives du trône,
rendait de telles accusations assez vraisemblables. L'inflexible
Robespierre, dans la crainte que des vues coupables n'influencent sur
l'achèvement de la constitution, propose de décréter que les membres
de l'Assemblée Nationale ne puissent être choisis par le roi, pour
remplir les places de ministres, que 4 ans après la fin de la législature.
Cette motion digne d'un vrai patriote et autant conforme aux principes
qu'à cette délicatesse, plusieurs fois manifestée par nos représentants,
est vivement accueillie. Enfin, on a vu se renouveler la superbe scène
du 4 août 1789. Cette bonne motion a amené une foule de bons amen-
dements » (5).
Courier de Provence, t. XIV, n° 280, p. 121.
« Les patriotes doivent compter comme une de leurs grandes
<4) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIV, 621.
i(5) Robespierre vise particulièrement le Triumivirat (Barnave,
Duport, 'Alexandre de Lameth), dont le dessein était de faire abroger
le décret du 7 novembre 1789 qui interdisait le ministère aux député?.
Ils s'appropriaient ainsi l'ambition ministérielle de Mirabeau. (Cf.
G. Miohon, Adrien Duport, p. 182 et s.).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 203
victoires le décret rendu sur la motion de M. Robespierre; il a pris
pour texte cette grande vérité énoncée par un philosophe dont les écrits
ont préparé la révolution : « Pour inspirer plus de confiance et de respect
pour les lois, le législateur doit, en quelque sorte, s'isoler de son
ouvrage, et s'affranchir de tous les rapports personnels qui peuvent
le lier aux grands intérêts qu'il a décider » (6). M. Robespierre a
ensuite établi que le moment le plus propre à faire, de cette maxime,
l'application la plus honorable à l'assemblée, est celui qui précède
l'organisation du ministère; i! a terminé par demander que, pendant
quatre ans, après la fin de cette session, aucun membre de l'assemblée
nationale ne puisse être promu au ministère, ni accepter aucune place
quelconque.
Les plus vifs applaudissemens annoncèrent la disposition généreuse
de la majorité.
Le Patriote François, n° 608, p. 376.
« Un patriote vigoureux, M. Robespierre, qui craignoit que des
vues criminelles n'influassent sur l'achèvement de la constitution, a
proposé de décréter qu'aucun membre de la convention actuelle ne pût
accepter de place dans l'administration pendant l'espace de quatre
ans à datter de la convention. Cette motion étoit autant dans les prin-
cipes que conforme aux sentimens de délicatesse manifestés plusieurs
fois à l'assemblée. Aussi a-t-elle vivement applaudi et accueilli cette
proposition » (7)
Le Creuset, t. II, n° 31, p. 84.
« La probité sévère et soutenue, mais malheureusement isolée
presque du patriote Roberspierre lui a fait prendre la parole, pour
mettre d'avance un utile caveçon à l'ambition honteuse de tous les
Desmeuniers du manège.
« Nous sommes, a dit l'opinant, sur le point de mettre fin à nos
travaux; nous allons décréter l'organisation et la responsabilité du
ministère. Je demande, a-t-il poursuivi en termes moins fermes mais
équivalens, pour notre honneur, et pour rassurer les patriotes sur les
intentions vénales et les désirs ambitieux de chacun de nous, que renou-
velant vos précédens décrets, les membres de l'Assemblée nationale
ne puissent être choisis par le Roi, pour remplir les places de ministres,
que quatre ans après la fin de la session. »
(6) Robespierre reprendra cette idée dans son discours du 16
mai 1791 sur la réélection des membres de l'Assemblée nationale.
(7) Brissot se félicite tout particulièrement d'un tel succès et
('crit : c( (La motion de M. ^Robespierre a été, par un concert bien
rare entre; les indépendans., les Jacobins et 1789, appuyée par
MM. Rœderer, Baumetz, Charles Lameth. Prieair, Buzot, Barnave,
Chapelier » (n° 608).
204 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Courrier d'Avignon, 1791, n° 91, p. 361 et 362.
« Dans la séance du 7, l'ordre du jour appeloit la discussion sur
l'organisation du ministère. M. Robespierre a demandé à faire une
motion d'ordre. 11 a rappelé le décret dont feu M. Mirabeau avoit été
l'objet, et qui défend aux membres de l'assemblée nationale de recevoir
les fonctions de ministre du pouvoir exécutif (8). Ce décret est un de
ceux qui ont le plus honoré l'assemblée nationale. Sa gloire, l'intérêt
de la nation, les circonstances même demandent qu'elle étende aujour-
d'hui cette mesure salutaire, et qu'elle prononce que, pendan! quatre
ans, aucun membre de l'assemblée ne peut être promu au ministère. »
Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. XI, n° 611. p. 2
Courier Français, t. X, nc 98, p.. 297.
Journal du Soir (Beaulieu), n° 97, p. 2.
Le Législateur français, 8 avril 1791, p. 3.
« Nous sommes sur le point, a dit M. Robertspierre, de mettre
fin à nos travaux; mais avant ce terme désiré, il nous reste encore à
décréter des objets d'une bien haute importance, et entr autres, celui
qui est soumis actuellement à votre délibération. Je demande qu'il
soit décrété que les membres de l'assemblée nationale ne puissent être
choisis par le roi pour remplir les places du ministère que quatre ans,
après la fin de la session. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 99, p. 407.
Journal de Normandie, n° 98, p. 472.
« M. Roberspierre . J'ai à faire une proposition simple qui ne
peut être adoptée que dans ce moment. Un philosophe dont vous
honorez les principes, disait que pour inspirer plus de respect et de
confiance, le législateur devait s'isoler de son ouvrage. C'est l'appli-
cation de cette maxime que je veux vous proposer, et je fais la motion
qu'aucun membre de cette Assemblée ne puisse être porté au ministère
pendant les 4 années qui suivront cette session. (On applaudit) » (9).
Journal des Décrets de l'Assemblée nationale, 7 avril 1791, p. 26.
« Le précepteur des nations, Jean- Jacques Rousseau, a dit que le
législateur devoit s'isoler, s'oublier, entièrement pour ne s'occuper que
de l'intérêt national. C'est après avoir cité cette pensée du philosophe,
qui plus que tout autre, a préparé la révolution que M. Robespierre
a proposé de décréter qu'aucun membre de l'Assemblée ne pourra être
au ministère que quatre ans après la clôture de la session
(8) Décret du 7 novembre 17S9.
<9) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 77; et Bûchez et
Houx, IX, 317,
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 205
« Cette motion, trop motivée par la conduite de plusieurs repré-
sentai du peuple, a excité des applaudissemens. »
L'Ami du Roi (Royou), 1791, n° 327, p. 4.
« Mais M. Robertspierre l'a écarté un moment par une motion
extraordinaire : il demande qu'aucun membre de l'assemblée ne puisse
accepter une place de ministre, du moins avant quatre années révolues.
C'étoit à qui renchériroit le plus sur le projet de M. Robertspierre. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Courrier des
LXXXIII départemens, t. XXIII, n° 9, p. 141; Le Courrier extraordi-
naire, 8 avril 1791, p. 2; La Bouche de Fer, suppl. au n° 41, p. 99;
La Correspondance nationale, n° 16, p. 94; Le Spectateur national,
8 avril 1791, p. 555; Le Postillon (Calais), n° 401, p. 3; Le Journal
général de France, 8 avril 1791, p. 389; Le Journal de la Noblesse...,
t. I, n° 16, p. 482; Le Journal de Paris, n° 98, p. 396; Les Révolu-
tions de Paris (Prudhomme), n° 92; Le Point du Jour, t. XX, p. 83
(10); La Chronique de Paris, n° 98, p. 391 ; Le Courrier des Français,
n° 39, p. 306; Le Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n° 273,
p. 1 ; Le Journal des Mécontens, n° 39, p. 4; Le Journal général, n° 67,
p. 267; La Gazette nationale ou Extrait, t. XVI, p. 5.]
(10) Cité par E. Hamel, I, 407.
258. — SEANCE DU 8 AVRIL 1791
Sur la durée de la prescription
en matière de responsabilité ministérielle
L'examen du titre sur la responsabilité des ministres se pour-
suit. Malgré l'intervention de Robespierre, l'Assemblée adopte
l'art. 8, sous cette rédaction : « iL'acnon en matière criminelle, ainsi
que l'action accessoire en dommages et intérêts pour faits d'admi-
nistration d'un ministre hors de place, sera prescrite au bout de
Crois ans à l'égard du ministre de la marine et de celui des colo-
nies, et au bout de deux» ans à l'égard des autres. La prescription
n'aura jamais lieu pour les atteintes portées à la liberté indivi-
duelle. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIV, p. 91.
« M. Robespierre. Je cherche vainement une raison pourquoi les
crimes des ministres seroient plus privilégiés que ceux des autres
citoyens; pourquoi les crimes des citoyens ne sont prescrits que par
vingt années, ceux des ministres le seroient par deux ou trois ans.
Mais je ne suis point embarrassé à trouver des raisons pour prouver
que ce n'est point en faveur des délits ministériels qu'il faut adoucir
la rigueur des loix, mais qu'il faudrait encore l'augmenter, d'abord
206 L.ES DISCOURS DE ROBESPIERRE
parceque les délits des ministres sont plus dangereux, ont des consé-
quences infiniment plus funestes, en ce qu'il est plus difficile aux loix
d'atteindre un ministre coupable que d'atteindre un citoyen isolé et
sans appui; ensuite parce que, d'après l'article précédent, vous avez
environné le ministre d'une très forte barrière contre l'action des
citoyens, en exigeant qu'il obtienne un décret du corps législatif. Il
faudroit augmenter cette sévérité si l'on pouvoit établir l'inégalité des
peines entre les citoyens. Je demande donc la question préalable sur
le temps de la prescription » (1).
Chronique de Paris, n° 99, p. 395.
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n" 274.
« M. Roberspierre s'est élevé contre l'article : Je cherche en vain,
a-t-il dit, pourquoi les crimes des ministres seroient privilégiés, pour-
quoi trois ans d'oubli de leurs crimes les effaceroient, tandis que les
fautes des citoyens ne sont prescrites que par vingt ans. Le comité
conviendra sans doute avec moi, que les crimes des ministres sont plus
dangereux que ceux des simples particuliers. On conviendra peut-être
aussi qu'il sera plus difficile aux lois d'atteindre un ministre, qu'il ne
leur sera difficile de frapper un citoyen isolé et sans appui. Enfin on
doit observer que ce sera déjà une prérogative assez belle pour le
ministre, que d'être enceint de toutes les formalités que l'on sera forcé
de traverser pour aller l'attaquer. Ces formalités ne mettront que trop
souvent son crime sous l'égide; je demande la question préalable sur
le terme de la prescription fixé par le Comité. »
Le Courrier des LXXXIII départements, t. XXIII, n° 9, p. 143.
« Pourquoi cette discussion, s'est écrié M. Robespierre, un crime
commis n'importe dans quel tems est toujours un crime. Un citoyen
coupable peut être poursuivi toute sa vie, pourquoi les ministres seroient-
ils privilégiés ? Le tems efface-t-il donc les crimes ? Si ceux des
ministres sont plus dangereux que les autres, ils doivent être poursuivis
en tout tems. On sait que ces MM. s'enveloppent toujours d'un voile
impénétrable. Si une main hardie ne déchire ce voile que 4 ans après,
le crime restera donc victorieux ? »
[Brève mention de cette intervention dans Le Point du Jour,
t. XXI, n° 637, p. 111 ; et dans L'Ami de la Révolution, 8-15 avril
t. XXI, n° 637, p. 111; L'Ami de la Révolution, 8-15 avril 1791,
p. 509; Le Journal général, n° 68, o. 275; Le Journal de Normandie,
n° 99, 9 avril 1791 ; Le Postillon (Calais), n° 402, p. 6.]
(1) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIV, 654.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 207
259. — SEANCE DU 9 AVRIL 1791
Sur la délimitation des fonctions ministérielles
Le projet de décret -sur l'organisation du ministère, présenté par
le comité de constitution et rapporté par Démeunier le 7 mars,
déterminait longuement et avec précision les fonctions ministériell js
(1). Le 9 avril, Démeunier déclare à l'Assemblée que le comité
persiste dans son projet et lui propose de le discuter. Anthoine
demande la question préalable sur l'ensemble du titre concernant
les fonctions des ministres. Robespierre intervient après lui.
Sur la proposition de Barnave, l'Assemblée, avant de passeï
à l'examen du iprojet du comité, décréta qu'il appartenait au corps
législatif de statuer sur le nombre, la division et les attributions
des ministères.
Le Point du Jour, t. XXI, n" 638, p. 118 (2).
« M. Robespierre, qui trouvoit dans le plan du comité des vues
qui compromettoient la liberté et la constitution, s'est exprimé en ces
termes :
« Je m'oppose au projet proposé par le comité d'organiser le
ministère, comme un pouvoir nouveau, distinct du pouvoir royal, dans
la seule vue de l'élever sur les ruines de la puissance nationale.
« Le Comité vous présente une suite d'articles sous le nom de
fonctions des différens ministres, conçus dans les termes les plus vagues,
les plus étendus, les plus équivoques. A quoi sert ce tableau des fonc-
tions ministérielles ? Elles sont fixées d'avance par vos décrets sur toutes
les parties de la constitution, sur le pouvoir exécutif; car les fonctions
des ministres ne sont que les fonctions du pouvoir exécutif; c'est donc
de vous faire décréter une nouvelle description de ces fonctions; leur
donner une extension arbitraire, à fournir à l'ambition des ministres
un texte inépuisable, pour aggrandir leui pouvoir et sapper insensible-
ment les fonderr.ens de la liberté naissante, donner au ministre de la
justice le pouvoir d'interpréter les lois, c'est-à-dire d'usurper le pouvoir
législatif; lui donner le droit de maîtriser, de gourmander, d'avilir,
les juges par de prétendus avertissemens nécessaires, par des ordres,
par des censures arbitraires, sous le prétexte vague de les rappeîler o. la
règle, à la décence de leurs jonctions, de les flétrir, de les insulter
au moins, sous le prétexte de rendre compte de leur conduite à chaque
législature ? Eh quoi, un courtisan, un homme choisi par le caprice des
princes, ou par l'intrigue des cours ! Quel censeur pour une nation !
Quel système de livrer à un ministre jusqu'à l'honneur et la tutelle des
magistrats populaires; à quoi sert encore ce projet? à investir ce qu'on
appelle ministre de l'intérieur d'un pouvoir aussi despotique qu'il est
(1) Cf. ci-dessus, séance du 6 avril 1791.
(2) Cf. E. Hamol, I, 409-410.
208 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
immense; à lui donner le droit d'altérer sans cesse les principes consti-
tutionnels, en lui conférant le pouvoir de régler ce qu'on appelle vague-
ment les détails relatifs au régime constitutionnel, à la législation, en
lui donnant une influence immense sur les assemblées primaires, admi-
nistratives, sur toutes les assemblées populaires, aussi sous l'impression
vague de détails relatifs à ces objets, c'est-à-dire en lui assurant les
moyens de renverser la base de la liberté et de la souveraineté natio-
nale; que dis-je, en étendant son pouvoir jusque sur les gardes natio-
nales, le plus ferme rempart de la liberté, par l'expression générale de
force publique (3). Je ne veux point parcourir tous les articles de ce
projet, qui tous présentent le même caractère et tendent directement
à la perte de la liberté. De quoi pouvons-nous nous étonner, en pensant
que l'on va jusqu'à attribuer aux ministres le pouvoir de faire arrêter
les citoyens arbitrairement; que l'on a pu concevoir l'étrange idée d'en
faire des lieutenans de police généraux de l'état; de renouveller les
lettres-de-cachet sous le nom de mandats d'arrêts; et cela sous le plus
dangereux des prétextes, sous un prétexte servile digne du Sénat de
Rome sous Tibère ? Dans tous les cas, dit le projet, où le ministre
jugera que la personne du roi est compromise, disposition qui bientôt
érigeroit en crime de lèze majesté, les paroles mêmes qui concerneroient
l'individu royal.
« Je ne dirai pas qu'il seroit dangereux de décréter ce projet,
puisqu'il seroit la ruine de la liberté et une contre-révolution écrite;
mais je dis qu'il seroit dangereux même de l'examiner; car de toutes
ces dispositions enveloppées toujours de termes vagues susceptibles de
mille interprétations et de mille extensions, il resteroit toujours quelque
chose, d'autant plus que dans une assemblée aussi nombreuse il est
difficile d'analyser rapidement tant d'idées compliquées et d'en saisir
tous* les rapports. Craignons les erreurs auxquelles pourroient nous
entraîner !a précipitation, les sophismes, le tumulte : peut-être enfin
toutes les causes qui, dans des occasions de cette nature, peuvent éga-
rer la sagesse même des législateurs.
« Je demande que l'assemblée nationale se borne à régler le nom-
bre des ministres, leurs départemens ; mais que sur la fixation de leurs
fonctions, elle s'en réfère à ses décrets précédens et à l'ensemble de
la constitution qui les a déterminées. Les paraphrases, les commen-
taires, les tableaux tueroient l'esprit même de ces décrets » (4).
(3) L'art 5 du projet établissait la division du ministère de
l'Intérieur en cinq sections. La première avait comme attributions
« les détails relatifs au maintien du régime constitutionnel, tou-
chant les assemblées de commune, par communautés entières ou
par sections, les assemblées primaires et les assemblées électo-
rales, -.les • corps administratifs, le municipalités, la force publique
intérieure »...
(4) Texte reproduit dans les Aroh. pari., XXIV, 663, qui le
complètent avec l'aide du Moniteur et du Journal des Etats Géné-
raux.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 209
Gazette nationale ou Extrait..., t. XVI, p. 20.
f< M. Robespierre. Le projet du comité est évidemment contraire
à la loi, où le ministère est un pouvoir distinct et séparé du pouvoir
royal, où les ministres ne sont que les préposés, les commis du Roi :
dans le premier cas, il seroit destructif de la puissance monarchique, et
vous-mêmes vous porteriez l'atteinte la plus manifeste à vos principes,
si vous le définissiez ainsi : oui, ils seraient anéantis, ces principes qui
nous sont si souvent objectés, et toujours lorsqu'il est question de main-
tenir les seuls que nous devons défendre.
« Ces principes éternels et inaltérables de liberté, applicables à
toutes sortes de gouvernemens ; ces principes sacrés qu'on affçcte de
méconnoître, lorsqu'il s'agit du pouvoir ministériel, et quand on veut
en aggrandir les prérogatives et l'autorité; c'est pour éviter ce danger,
que j'élève la voix, que je m'oppose de tout mon pouvoir à cette orga-
nisation du ministère. (Il s'élève de grands murmures.) Il s'agit peut-
être en ce moment du salut de l'Etat, rien ne m'en imposera, personne
ne pourra me forcer au silence; et quoiqu'on m'oppose de la résistance,
je ne cesserai de rappeller ces principes de liberté et de justice que
l'on cherche à méconnoître.
« Pourquoi soumettre tous les citoyens à la censure d'un de ses
ministres ? Pourquoi accorder à celui de la justice, cette étendue
effrayante d'autorité ? Quoi ! il ne me sera pas permis d'observer, de
faire sentir les inconvéniens d'un pouvoir aussi abusif ? Je ne pourrai
pas dire ce que sont devenus tous les objets de ses mercuriales ou de
son indulgence : ce ministre ne fera agir la force de la loi, que contre
ceux dont il ne redoutera point la récrimination, et elle sera toujours
muette pour les hommes en place, pour les puissans, pour ceux, en un
mot, qui l'aideront à échapper à la responsabilité; à quoi sert-il encore
de déléguer au ministre de l'Intérieur cette immensité de pouvoirs qui
en feront un despote? Faut-il donc qu'il ait le droit de régler tous
les détails relatifs au régime constitutionnel.
« La censure attribuée au ministre de la justice et le droit qu'on lui
donne d'interpréter les loix, sont un attentat contre les droits de l'homme.
« Le pouvoir accordé au ministre de l'intérieur est aussi opposé
aux bases constitutionnelles; la marche des ministres est tracée dans
nos décrets, c'est à eux à ne pas s'en écarter; si nous nous livrions à
une opération de plus, nous ferions un acte dangereux, ou tout au moins
inutile: ce n'est pas à nous à distribuer aux ministres leur travail; ce
soin appartient au pouvoir exécutif qui les attire auprès de lui. Enlever
au Roi ce soin, ou plutôt ce droit, ce seroit lui ravir ce que la consti-
tution elle-même lui donne: d'ailleurs, Messieurs, à mon sens, la loi
qu'on nous propose est vague, elle laisse aux ministres les moyens d'être
coupables avec impunité.
« Je conclus à ce que l'assemblée se borne à fixer le nombre des
ministres, et ne s'occupe pas de la distribution de leurs fonctions. »
\\W.\ Mil KIU . 14
210 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIV, p. 101
« M. Robespierre. En donnant au ministre de la justice le droit
d interpréter provisoirement les loix, c'est lui donner une autorité défi-
nitive.; car les difficultés seront si multipliées, qu'il faudra bien que
l'assemblée s'en tienne aux décisions provisoires. Voilà donc la pre-
mière atteinte portée au pouvoir législatif. A quoi tend encore ce
projet ? A donner au ministre de la justice le pouvoir de commander,
d'intimider, de menacer, d'avilir les juges; le droit de les dénoncer
tous les deux ans, solennellement au commencement de chaque législa-
ture. Et, certes, c'est une disposition bien étonnante, dans les cir-
constances où nous sommes, que de soumettre tous les magistrats nom-
més par le peuple à la censure générale du ministre, à l'accusation
solennelle du ministre devant la magistrature. (Applaudissemens dans
les tribunes. Murmures dans l'assemblée). Eh quoi donc, il m'est bien
permis de croire que ces magistrats là ne seront pas les plus mauvais
citoyens, ne seront pas les hommes les moins zélés pour la Patrie : il
m'est bien permis de croire que l'indulgence du ministre pourra porter
particulièrement sur ceux qui seront les plus dévoués au ministère. A
quoi sert encore cet article ?
« M. Martineau. Vous n'êtes pas dans la question.
« M. Prieur, Il est dans la question.
« M. Robespierre. A donner au ministre de l'intérieur un pou-
voir qui n'est pas celui d'un ministre, qui n'est pas celui d'une magis-
trature digne d'un peuple libre, mais un pouvoir de despote. Cet article
confond dans la main du ministre de l'intérieur les pouvoirs dont la
division est le plus impérieusement exigée par l'intérêt de la liberté,
en ne l'exprimant que d'une manière extrêmement vague; mais de quoi
pourrait-on s'étonner, lorsque dans ce projet on va jusqu'à donner au
ministre de la justice le droit d'arrêter les citoyens s'ils ont tenu des
propos sur la personne du roi ? N'est-ce pas là les lettres de cachet
sous une autre dénomination ? Car que fait le nom si l'effet est !e même.
L'abus de pouvoir n'est-il pas également à craindre ? Il y a du
danger, je ne [dis] pas à décréter un pareil projet, mais même à
l'examiner; car un consentement funeste peut échapper à l'attention
fatiguée des représentans de la nation. Bornez-vous donc, d'après les
principes de la constitution, à déterminer les limites des différens
pouvoirs, à fixer même le nombre des ministres, si vous le croyez
nécessaire; mais arrêtez-vous là. »
Journal du Soir (Beaulieu), 1791, n° 99, p. 2.
Le législateur Français, 10 avril 1791, p. 3.
Courrier des Français, n° 41, p. 322.
« M. Roberspierre a trouvé dans le plan du comité des vues qui
compromettoient la liberté et la constitution; la censure qui est attri-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 211
buée au ministre de la justice, et le droit d'interpréter les loix, lui
ont paru un attentat contre les premiers droits de l'homme; si les
ministres, disoit-il, ont de pareils pouvoirs, n'est-il pas à craindre qu'ils
n'en usent que contre les partisans de la liberté, et que ceux qui iront
dans le sens ministériel, ne puissent s'assurer d'avance d'une coupable
indulgence.
« Puis venant à l'organisation intérieure des fonctions ministérielles,
il a pensé que le comité étoit diamétralement opposé dans ses principes
aux bases constitutionnelles. Les ministres ont leur marche tracée dans
les décrets, disoit-il; cela doit nous suffire. Une opération de plus
seroit inutile ou dangereuse. Ce n'est pas à nous à leur distribuer leur
travail, c'est au roi seul qui les a appelés auprès de sa personne, à leur
faire la distribution particulière des fonctions qu'ils doivent remplir;
il seroit absurde d'avoir délégué au roi le choix des ministres, et de ne
pas lui laisser la faculté de répartir entre eux telle ou telle partie du
travail ministériel, pourvu qu'il n'y ait pas de confusion dans l'adminis-
tration ; ce seroit envahir sur le pouvoir exécutif un droit que la consti- .
tution lui abandonne.
« Les loix qu'on propose sur cet objet sont vagues, indécises,
incertaines, et laissent aux ministres les moyens d'être coupables avec
impunité.
« L'opinant a pensé qu'on ne devoit s'occuper que de la fixation
du traitement et des fonctions générales, des règles de responsabilité, et
de la détermination fixe de ceux qui y seront assujetis, sans s'occuper
de la distribution de leurs fonctions. »
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n° 275, p. 1.
Courrier extraordinaire, 10 avril 1791, p. 2.
« M. Roberspierre s'est aussi opposé de tout son pouvoir à l'admis-
sion du projet du comité; « Ou vous regarderez, a-t-iî dit, le ministère
comme un pouvoir distinct et séparé du pouvoir exécutif, ou vous ne
verrez dans les ministres que les commis du roi. Si vous distinguez
leurs fonctions des fonctions royales, vous portez une atteinte aux prin-
cipes de la monarchie, principes qu'on nous a objecté toutes les fois
que nous avons réclamé une liberté générale. Vous n'avez à discuter
que trois choses : 1 ° la fixation des dépenses nécessaires au pouvoir
exécutif; 2° les règles de la responsabilité; 3° les moyens à prendre
pour déterminer les personnes sur lesquelles cette responsabilité por-
tera.
« C'est pour maintenir la pureté des principes, que je m'oppose
à l'acceptation d'un projet où je ne vois que des dangers. Donner aux
ministres, comme je le vois dans le projet du comité, le pouvoir de
répondre aux magistrats sur les questions épineuses, n'est-ce pas leur
donner le pouvoir d'interpréter les loix; l'interprétation en change sou-
vent le texte. Vous soumettez les magistrats à la férule du minisife;
212 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
n'estai pas à craindre que sa réprimande ne tombe que sur les meilleurs
citoyens, sur les plus zélés pour la liberté ! Ne voyez-vous pas que
l'établir aussi juge provisoire des contestations qui s'élèveront au sujet
des assemblées primaires, c'est lui mettre la hache à la main pour
sapper les fondemens de la liberté. L'assemblée a paru surprise que
le préopinant se soit servi du mot: lettre de cachet; un mandat d'ame-
ner, est-il autre chose "> Les fonctions sont les mêmes, le nom seul est
différent, d'après la considération de tant d'inconvéniens, de tant de
dangers, je conclus à demander la question préalable sur le projet du
comité. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n" 100, p. 413.
« M. Roberspierre . Je crois, comme le préopinant, que rien ne
serait plu? dangereux que de créer un nouveau pouvoir ministériel. Si
vous regardez le ministère comme faisant un pouvoir distinct de celui
du roi, vous portez une véritable atteinte aux principes monarchiques,
à ces principes, qu'on a toujours opposés avec emphase, lorsque nous
réclamions les principes de la liberté, à ces principes généraux, appli-
cables à toutes les espèces de gouvernement. Si au contraire les minis-
tres ne sont que les agens du roi, leurs fonctions doivent leur être
distribuées par le roi. C'est pour le maintien des principes de îa consti-
tution, des principes de la monarchie, que je m'oppose au plan du
Comité, et que je me fais un devoir de vous représenter !e danger d'une
loi qui servirait de texte aux ministres pour aggrandir leur pouvoir. Il
n'y a que trois choses qui puissent vous occuper : la fixation des appoin-
tements, les règles de la responsabilité; enfin, les moyens nécessaires
pour déterminer les personnes sur qui doit porter cette responsabilité.
Quant aux fonctions, eiles sont fixées par tous les décrets qui définis-
sent le pouvoir exécutif. En jetant un coup d'ceil sur le tableau qu'on
a prétendu faire des fonctions ministérielles, vous sentirez le danger
de faire des articles qui, inutiles en eux-mêmes, comme je viens de le
prouver, sont encore conçus en termes tellement vagues, qu'ils devien-
dront une source d'usurpations de pouvoirs. On donne, par exemple,
au ministre de la justice le droit d'éclairer les juges sur les doutes
qui pourraient s'élever sur l'application de la loi, à la charge de pré-
senter ensuite au corps législatif les questions qui, dans l'ordre du pou-
voir judiciaire, demanderaient une interprétation (5). Avec ces termes
(5) L'art. 3 du projet du comité de constitution énumériit les
fonctions du ministre de la Justice :
...« 4° De les éclairer (les tribunaux) sur les doutes et difficultés
oui peuvent s'élever dans l'application de la loi, mais à la charge
de proposer au corps législatif les questions qui, dans l'ordre judi-
ciaire, demanderaient une interprétation.
« 5° De donner aux juges des tribunaux de district, ainsi qu'aux
juges de paix et de commerce, tous les avertissements nécessaires;
de les rappeler à la règle, ainsi qu'à la décence et à la dignité de
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 2!3
vagues d'éclaher sur les doutes, on accorde au ministre une interpré-
tation provisoire, mais qui sera définitive dans son effet. N'est-il pas
évident que l'esprit de cet article est de donner au ministre le droit
d'influer sur les jugemens ? Je ne m'étendrai pas davantage sùî 'es
inconvéniens du projet. J'appuie la demande du renvoi au pouvoir
exécutif » (6).
L'Ami du Roi (Montjoie), 10 avril 1791, p. 398.
« M. Robespierre d'abord a voulu faire changer !a délibération
d'objet, sous le prétexte qu'avant de fixer le nombre de ministres, il
falloit s'occuper de la division des pouvoirs qui dévoient leur être
confiés.
« Prenant l'essor d'après cette idée, M. Robespierre s'est égaré
dans de vagues déclamations; il s'est effrayé de l'étendue des diffé-
rentes attributions que le comité donnoit à chaque ministre.
« Celui de la justice, par exemple, a-t-il dit, est chargé d'en-
tretenir une correspondance habituelle avec les tribunaux et les com-
missaires du roi. Il doit les éclairer sur les doutes et les difficultés
qui pourront s'élever dans l'application de la loi. Il doit leur donner
tous les avertissemens nécessaires, les rappeller à la règle s'ils s'en
éloignent, ainsi qu'à la décence et à la dignité de leurs fonctions. »
« Les parlemens qui mettaient bien autant de décence et de dignité
dans leurs fonctions, que les nouveaux tribunaux, ne s'étonnoient point
que le chef de la justice exerçât une surveillance sur toutes les cours
souveraines, et la majesté dont ces cours étoient environnées, ne perdoit
rien à cette surveillance. Mais les parlemens ne connoissoient que
l'ordre qui doit lier toutes les parties d'un grand empire. Ils n'avpient
pas apperçu une grande vérité qui est sortie du sein de la révolution.
Cette vérité, c'est que 1 inférieur doit toujours être élevé d'un degré
au-dessus de son supérieur.
« C'est là en effet qu'en vouloit venir M. Robespierre : il s'est
franchement déclaré pour les tribunaux contre le ministre de la justice;
son opinion est que l'obéissance est îéservée à celui-ci, et le comman-
dement à ceux-là. Laisser la supériorité au ministre, c'est, a-t-il dît,
mettre les juges dans sa dépendance; c'est les gêner dans l'exercice de
leurs fonctions; c'est rendre le garde-des-sceaux juge souverain et défi-
nitif de toutes les contestations; c'est donner naissance à une foule
d'abus.
« Ainsi, dans le système de M. Robespierre, le ministre des
affaires étrangères devroit obéir aux ambassadeurs, et celui de la guerre
aux officiers et aux soldats; car c'est le seul moyen qui puisse rendre
leurs fonctions, et de veiller à ce que la justice soit bien admi-
nistrée. »
(6) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 90, et les Arch.
pari., XXIV, 662.
214 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
les envoyés dans les cours étrangères, et les gens de guerre indépendans
et libres dans l'exercice de leurs fonctions. »
Journal Je Normandie, 1791, n° 100, p. 483.
« M. Robertspierre. Il n'y a aucune utilité à décréter le projet,
il y a le plus grand danger à le discuter, et je demande qu'il soit
écarté par la question préalable. Nous n'avons nullement besoin d'en-
trer dans les détails des fonctions du ministère; qu'il nous suffise de
dire qu'il y aura tant de ministres; mais bornons-nous là, car le minis-
tère, tel qu'on nous le présente, exercera, ou un pouvoir distinct du
pouvoir royal, ou ce sera le pouvoir royal qu'il exercera, sous !a respon-
sabilité des membres qui le composeront. Si le pouvoir des ministres
est distinct du pouvoir royal, il est évident que vous introduisez un
nouveau pouvoir dans la constitution. Si le pouvoir des ministres n'est
autre que le pouvoir royal, nous ne devons point nous en occuper.
Que le roi le fasse exercer comme il le jugera à propos. Et quel est
ce pouvoir attribué au ministre de la justice ? De donner des avertisse-
ments aux juges de paix et de commerce, de l'établir, en quelque sorte,
juge de paix général dans tout le royaume; de rappeller les juges de
districts à la règle, ainsi qu'à la décence et à la dignité de leurs fonc-
tions; de les éclairer sur les doutes et les difficultés qui peuvent s'éle-
ver dans l'application de la loi.
« N'est-ce point lui donner l'autorité la plus absolue ? N'est-ce
point le constituer l'interprète de la loi ? Quel est le juge qui osera
résister en face à un ministre qu'il saura avoir sur lui un ascendant
aussi marqué ? On s'est récrié contre l'assertion d'un honorab'e mem-
bre, lorsqu'il a traité de lettres de cachet les mandats d'arrêter accordés
au ministre de la justice. Mais, messieurs, croit-on que les choses chan-
gent de nature, parce qu'elles sont revêtues de nouvelles expressions ?
Que ce soient des mandats d'arrêter ou des lettres de cachet que le
ministre distribue, peu importe, la liberté individuelle n'en est pas
moins compromise. Je persiste donc à demander que l'assemblée ne
s'occupe point de cet objet. ))
Journal des Débats, t. XIX, n° 683, p. 7.
« M. Robespierre a représenté qu'en décrétant successivement les
diverses fonctions que le Comité attribue au Pouvoir exécutif, on se
trouveroit engagé à lui attribuer une étendue de pouvoir contraire à
l'esprit de la Constitution décrétée, et aux droits du Peuple. De quoi,
au reste, pourrions-nous nous étonner dans un projet qui donne aux
Ministres le droit d'adresser des réprimandes aux Tribunaux, aux Corps
administratifs; qui les établit ainsi Juges des délégués du Peuple; qui
leur donne le droit d'arrêter pour des paroles injurieuses contre le Roi ;
qui en fait des Juges de paix pour tout le Royaume ? Prétend-on nous
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 215
abuser avec des mots nouveaux, lorsqu'on rétablit les choses les plus
odieuses, lorsqu'on rétablit les lettres-de-cachet? Croit-or», avec le mol
mandat d'amener, déguiser l'acte le plus tyrannique et le plus arbi-
traire ? Il est du plus grand danger d'agiter ces questions : il ne faut
pas que l'esprit s'habitue à discuter froidement des principes aussi
contraires aux droits du Peuple.
« M. Robespierre a pensé qu'il suffisoit de déterminer le nombre
des Départemens, mais qu'il falloit bien se garder de déterminer leurs
fonctions. »
Journal général, n° 69, p. 275.
« M. Robertspierre pense aujourd'hui plus sagement qu'il fau-
drait éviter ces détails, qu'au Roi appartient de les régler. « Le projet
du Comité donnerait au Ministère une organisation distincte du Pouvoir
Royal. Cependant les Ministres que sont-ils, autre chose que les Agens
du Roi ou du Pouvoir exécutif ? Les ministres ne doivent donc pas
avoir une existence politique, séparée de celle du Pouvoir Royal. »
Ces observations ne préparaient pas à voir l'Opinant se rejetter sur
le Ministre de la Justice, s'indigner de l'article du Comité qui lui
permet de censurer la conduite des juges, en faisant part aux Législa-
tures des actes repréhensibles de ces fonctionnaires. »
[Brève mention de cette intervention dans La Bouche de Fer,
n° 42, p. 119; Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet),
t. XI, n" 613, p. 2; Le Journal de la Noblesse, t. I, n° 16. p. 486;
Les Annales patriotiques et littéraires, n° 555; Le Courier Français,
t. X, n° 100, p. 313; Le Journal des Mécontens, n° 41, p. 4; Le Mer-
cure de France, 16 avril 1791, p. 210.]
260. — SEANCE DU 10 AVRIL 1791
Sur les attributions du ministre de la justice
Continuant la discussion ..su r l'organisation du ministère, l'As
semblée .entend un discours d'Anson qui présente en conclusion un
pian d'ensemble dans lequel il accorde à la justice et à l'instruction
publique un rôle essentiel. Le Conseil d'Etat sera composé du
Garde des Sceaux et de six secrétaires d'Etat. Mais Démeunier
ii' voit pas d'intérêt à une telle tran: formation et, sur la motion
de Barnave, l'Assemblée ,se borate à décrète)' que les ministres
de la Justice, de la Marine... formeront chacun un départemeoj
Séparé. Aussitôt après, la discussion s'engage sur les fonctions du
ministre de la Justice et donne lieu aux interventions de Buzot et
de Robespierre (1).
(1) D'après le Point du Jour, n° 639, p. 143.
216 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
La discussion étant fermée, l'Assemblée décréta que: « les fonc-
tions du ministre de la Justice seront de garder le Sceau de l'Etat
et de sceller les loix, les traités, les lettres patentes de provisions
d'offices, les commissions, patentes et diplômes du gouvernement.
Le Patriote François, n° 612, p. 391.
« MM. Buzot et Robespierre faisoient une observation générale,
qui s'étendoit sur tous ces articles à la fois; il les trouvoient très vagues,
et d'autant plus dangereux que, sous une précision apparente, ils don-
noient au ministre de la justice une latitude de pouvoir dans laquelle
seroit toujours le moyen d'échapper à la responsabilité de la loi. L'un
et l'autre demandoient que le projet de décret de M. Anson fût pré-
féré )> (2).
Le Point du Jour,t. XXI, n° 639, p. 144.
« M. Robespierre dit que la rédaction de M. Anson se rapporte
évidemment à ce qui a été fixé par les décrets rendus sur l'ordre judi-
ciaire, et qu'il est inutile de donner la priorité à la rédaction du
comité » (3).
La Feuille du Jour, t. III, n° 100, p. 89.
« Opinion de M. Robespierre appuyée par MM. Anson et
Buzot. »
(2) Il .semble que Brissot confonde ici les deux interventions de
Buzot, ce dernier ayant déjà soutenu Robespierre au cours de la
séance précédente, ià la suite de l'intervention d'André.
(3) Cf. E. Hamel, I, 410.
Société des Amis de la Constitution
261. — SEANCE DU 10 AVRIL 1791
Sur les menées des aristocrates
contre les sociétés patriotiques
Un membre du comité de correspondance déclare qu'après exa-
men de plusieurs lettres des sociétés de iCassel et de Saint^Ome.
<1), le comité s'est convaincu qu'à la suite des manœuvres des
ennemis du bien public, la première de ces sociétés a dû se dissoiu-
dre. Sur la proposition du co'mité, cette affaire est renvoyée au
comité des rapports de l'Assemblée nationale.
Robespierre prend la parole. Après diverses interventions, la
Société nomme des commissaires pour suivre l'affaire de Cassel
auprès du comité des rapports de l'Assemblée nationale
(1) Sur l'affaire de Saint-Omer, cf. Moniteur, VIII, 234; et
lettre de Robespierre à la Société des Amis de la Constitution de
Versailles (G. Michon, I, 107).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 217
Mercure universel, t. II, p. 182.
« M. Robespierre. La société de Saint-Omer a été obligée de
fuir, parce que les aristocrates la calomnioient et trompoient lâchement
le peuple; voici une mesure qui a réussi dans ces cas à plusieurs sociétés;
celle de Lille (2) étoit persécutée affreusement; elle a rendu ses séan-
ces publiques; le peuple y a couru en foule et ce peuple qui, avant,
vouloient se porter contre elle, s'est déclaré bientôt son plus ferme
appui. A Arras (3) les membres de cette société ont été je ne dis pas
persuadés, mais convaincus qu'ils couroient le plus grand danger; on
rend leurs séances publiques et les aristocrates sont rentrés dans le
néant » (4).
(2) Robespierre était en relations avec la Société patriotique
de Lille, à laquelle il avait adressé en février 1790 un certain
nombre d'exemplaires de son « Adresse au peuple belgique »
(cf. G. Michon, I, 64-65).
(3) Augustin Robespierre savait joué en 1790 un rôle important
dans la formation de la « Société des Amis de la Constitution »
d' Arras (cf. G. Michon, I, 73).
(4) Aucune mention ide cette intervention dans Aulard, II, 3o4-3o>7.
Cf. également Le Contrepoison, t. II, n° 2 (cité par G. Walter, p. 720).
Société des Amis de la Constitution
262. — SEANCE DU 10 AVRIL \79\ (suite)
Sur la délimitation des fonctions ministérielles
L'Assemblée nationale avait poursuivi le 10 avril la discussion
du proJ3t d'organisation du ministère. Elle avait décrété les trois
premiers paragraphes de l'art. 3 sur les fonctions du ministre de la
Justice, mais avait ajourné au lendemain le quatrième (1).
A la séance des Jacobins, après lecture de diverses adresses,
Kersaint qui devait parler sur l'organisation du ministère de la.
Marine cède la place à Robespierre qui revient sur le fond même
du débat du matin à l'Assemblée nationale.
Mercure universel, t. II, p. 183-1%.
« M. Robespierre. Quelqu' intéressant que soit l'organisation de
la marine, et à laquelle je prends un intérêt particulier, j'espère néan-
moins que vous donnerez la priorité à une question qui touche essen-
tiellement à tous les citoyens, à la nation entière, et non à une classe
de citoyens; je dirai plus: il n'y a pas un moment à perdre pour em-
pêcher l'effet du vaste projet soumis à l'assemblée nationale ce matin
par son Comité de Constitution. Le dirai-je, il n'y a pas une seule
ligne, une seule phrase de ce projet qui ne tende à influencer, à
(1) Cf. séanc° du !) avril 1791, note 1; et ci-dessous, séance du
11 avril 1791.
218 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
détruire !a liberté : vous allez en juger : voici l'article : Les fonctions
du ministre Je la justice seront d'éclairer les tribunaux sur les doutes et
difficultés qui pourront s'élever dans l'application de la loi. Les cloutes
qui s'élèveront sont ceux qui résultent de tous les procès, de là le
ministre aura le droit d'interpréter la loi et de les décider tous à son gré.
« S'il y avoit un homme autre que le corps législatif qui pat inter-
préter la loi, il décideroit de toutes les affaires; il auroit la vraie puis-
sance législative, puisqu'il pourroit dénaturer la loi, dans tous les cas
où il en feroit l'application. Pour exciter un puissant intérêt, je ne dis
pas que ceci exige un excessif amour de la liberté, des droits du peuple,
mais seulement un reste de pudeur échapp'é de l'ancien régime; car
jamais les anciens Francs, dans les temps les plus reculés de la monar-
chie, ne mirent en question, ne doutèrent un moment que le Roi ne
pût s'immiscer dans les jugemens des tribunaux; jamais les décisions
d'un garde des sceaux, même sous les règnes les plus corrompus, sous
les derniers règnes ne faisoient nullement pencher la balance de la
justice : et si l'on avoit voulu, si un ministre eût osé s'arroger le pouvoir
judiciaire, alors tous les parlemens s'y seroient opposés : aujourd'hui
que nous propose-t-on ? Que le ministre seul décide de toutes les causes
des citoyens : on va jusqu'à attribuer au pouvoir exécutif le pouvoir
judiciaire. Ainsi l'on n'attaque pas seulement la liberté politique, mais
la liberté individuelle. Vainement, on me dit que ce n'est que dans
les cas de difficultés survenues entre les parties, que le ministre pronon-
cera : comme si l'on ne trouvera pas le moyen d'élever des flottes,
quand on le voudra; comme si un homme puissant ou riche ne trouvera
[pas] . toujours le moyen d'engager au moins des juges du tribunal à
élever des doutes. Mais qu'est-ce donc qu'une interprétation de la loi,
si ce n'est un jugement arbitraire ? Devant qui pourra-t-on se pourvoir
contre les injustices du ministre? Devant le corps législatif, vous dit-on:
et quand le corps législatif en sera-t-il occupé, quand le pourra-t-il,
accablé comme il l'est par des milliers d'affaires et d'entraves ? (On
applaudit).
« Voici ce que l'on oppose aux principes constitutionnels: com-
ment nous dit-on, veut-on que la machine aille si le ministre n'a pas la
faculté de lever tous les doutes ? Il est malheureux que le Comité de
Constitution ait accueilli tant d'ignorance et d'erreur : mais je î.r de-
mande, est-ce une raison pour anéantir les principes? Pour quoi donc
sont faits les juges ? Pour appliquer la loi : c'est aux juges qu'il appar-
tient d'entendre le sens de la loi; et, s'ils ne sont pas des automates,
ils auront certainement autant d'intelligence que des ministres; mais
s'il étoit des difficultés supérieures, y aurait-il plus d'mconvéniens à
s'en rapporter aux juges qu'aux ministres ? Il faut convenir que 1 on
doit avoir autant de confiance dans les juges que dans les ministres.
(On applaudit). Pour moi, je ne balancerai pas entre ces deux incon-
véniens; j'accorderai ma confiance aux juges populaires.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 219
« Mais on parle de difficultés, de doutes à naître; en voulez-
vous la solution ? Elle existe dans la constitution : elle y a pourvu par
le tribunal de cassation. (On applaudit). Les membres de la cour de
cassation sont élus par les départemens; seront-ils moins honnêtes,
moins éclairés que les ministres ? Mais si cela nétoit pas, ce ne seroit
point pour moi une raison pour qu'on dût s'en rapporter à un ministre :
le législateur ne peut voir à côté de lui un homme qui dans l'applica-
tion des loix les détériore; quand il est lui-même ce ministre, par son
intérêt, par un penchant irrésistible, l'infracteur continuel des loix;
quelle cause donc peut vous y faire recourir, si ses lumières, si son
honnêteté ne peuvent être supérieures à celles des membres de la
Cour de Cassation ? Mais c'est qu'on a en vue de miner sourdement,
de corrompre, d'anéantir la constitution. Remarquez que ce n'est pas
encore assez pour le Comité de Constitution d'avoir donné au ministre
l'inspection sur les citoyens, il faut encore lui donner le pouvoir de
flétrir, de présenter à son gré les magistrats du peuple. Les ministres,
selon un autre article du projet du Comité, seront chargés de donner
des instructions aux juges, de les rappeller à la décence, à la dignité
de leurs fonctions (on murmure); ce sont les propres mots de l'article;
et je dis que ce sont les expressions vagues dans les loix, qui furent
toujours celles des oppresseurs des peuples et des tyrans. (On applau-
dit). Croyez-vous que s'il existoit un juge qui eût plus d'intégrité qu'un
ministre, croyez-vous que celui-ci n'auroit pas toujours des moyens prêts
pour le frapper de verges ? Croyez-vous qu'il manquerait de moyens
pour le flétrir, et si l'intention du Comité n'a pu être de rendre le
pouvoir arbitraire au ministre, je vous demande quel sera l'effet de
cet imbécile projet ?
« Je passe à un autre article : Au commencement de chaque ses-
sion, le ministre rendra un compte exact de la conduite des juges...
Quel beau censeur pour les moeurs publiques, et surtout dans un grand
empire, qu'un ministre de cour qui gourmande et corrige des magistrats
nommés par le peuple. (On applaudit). Il y auroit bien plus de choses
à dire encore dans le plan du Comité, sur les prérogatives du ministre
de ^intérieur; il n'y a pas un administrateur, un municipal, nommé
par le peuple, qui ne se trouve sous la verge du ministre de l'intérieur :
mais je le demande : y a-t-il un magistrat qui ne puisse comme tous
les citoyens, être jugé autrement que par la loi ? Qu'est-ce donc que
l'on prétend, si ce n'est faire repentir le peuple de son choix dans ses
juges, dans ses administrateurs, pour en faire des instrumens passifs
et criminels du ministre, pour le dégoûter, ce peuple, pour lui faire
haïr le nouvel ordre des choses. Le ministre décidera encore sur les
différens des assemblées primaires, sur tous les électeurs; il décidera
provisoirement, dit-on; mais le provisoire est tout dans ces cas: l'assem-
blée séparée tout est fini; et d'ailleurs le corps législatif pourra t-il,
aura-t-il le temps ■;! .; s'occuper de ces détails? En outre, les détails
220 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
des nominations, la perception des impôts, les ponts et chaussées, les
hôpitaux, le vagabondage, seront confiés aux soins et à 1? surveil-
lance de ce ministre; ainsi tous ceux que Ton voudra nommer \aga-
bonds, ou celui que le ministre voudra faire passer pour tel, sera son
esclave; ainsi lorsque le peuple s'est soulevé pour conquérii sa liberté,
on ne balance pas à lui forger de nouvelles chaînes. Or, je le demande,
les amis du peuple laisseront-ils des hommes, parce qu'ils sont pauvres,
abandonnés aux crimes des ministres ? (On applaudit).
« Non, Messieurs, et c'est ce qu'il vous importe de considérer,
car vos principes reposent essentiellement sur le respect dû aux hom-
mes, et si une classe peut être sacrifiée à une affreuse aristocratie, il
n'y a plus de constitution, ni de liberté. Quelqu' importantes que soient
les choses qui restent à examiner, et les articles que je pourrais sou-
mettre à votre jugement dans ce projet, je n'en continuerai pas la
lecture; mais je demande si l'on voudra encore, par cet examen, nous
accuser nous, les amis de la constitution, de vouloir renverser la monar-
chie ? Je demande qui de nous lui porte le plus d'atteintes ou de ceux
qui ont formé ce projet, ou de nous qui nous opposons à ce qu'on
anéantisse la monarchie pour rétablir le despotisme ? Renverser la
monarchie, comme si moi, j'étais assez insensé pour vouloir détruire
le gouvernement, qui, seul peut convenir à un grand peuple, et assurer
ses droits et sa prospérité; comme si j'étois plus jaloux du gouverne-
ment de Pologne, que de celui de Russie ou de Venise ? Et ce sont
ces mots de République, de monarchie, que l'on vient sans cesse
opposer aux principes, à la raison, aux droits sacrés des peuples. Ce
n'est pas le roi que je redoute ; ce n'est pas ce mot de roi qui peut
nous être funeste, c'est cette tendance continuelle à remettre le pouvoir
arbitraire dans les mains des ministres; c'est cette manœuvre irascible
qui, par des ruses perfides, par des calomnies coupables, ne cherche
qu'à river des fers; c'est contre ces abominations et contre leurs auteurs
corrompus et pervers que je réclame ; c'est par là que je répondrai à
toutes les imputations insensées que l'on nous fait chaque jour; mais,
en attendant, je déclare que je compte assez sur les hommes attachés
à la liberté, sur leur courage, pour croire qu'elle ne sera pas compro-
mise; et je le dis ici, avant d'y porter atteinte, il faut que ces bons
défenseurs du peuple périssent; ils emporteront avec eux la liberté
future de toutes les nations (On applaudit vivement) (2).
Les Sabbats jacobites, n° 16, p. 249.
« Le héros de Marat, M. Robespierre, demande la parole. Com-
ment résister ? Force fût à M. de Kersaint de céder la Tribune : des
(2) G. Wafaer signale l'existence 'de ce discours {«p. 471). P?r
contre, Aulard n'en a pas eu connaissance. Il reproduit à propos
<ie cette séance (II, 304) les extraits des Sabbats jacobites et du
Lendemain donnés ci-après.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 221
cris douloureux, des lamentations étemelles expriment I* vif chagrin
que M. Robespierre éprouve de ce que le comité de Constitution
attribue le droit d'interpréter les loix au ministre de la justice; attri-
bution désastreuse, impatriotique; tous les bons citoyens doivent se
coaliser pour en empêcher l'effet.
« M. Goupil et M. Lapcule (3) unissent leurs alarmes et leurs
réclamations aux plaintes de M. Robespierre. »
La Feuille du Jour, t. III, n° 105, p. 135.
« M. Robespierre la remplit [la tribune] de cris douloureux :
tout est perdu : « Le comité de constitution attribue le droit d'inter-
préter les loix au ministre de la justice; attribution désastreuse, impa-
tnotique ; il est urgent que tous les bons citoyens se coalisent pour
en empêcher l'effet. »
Le Lendemain, t. III, n° 102, p. 115.
« On prie M. Kersaint... de céder la tribune à M. Roberspierre
qui a les choses de la plus grande importance à dire à la société.
« Roberspierre, dans un discours bien long, bien lourd, bien
ennuyeux, prétend que tout est perdu, si le projet du Comité de consti-
tution, qui attribue au ministre le pouvoir d'interpréter les loix, devient
un décret ; et il conjure tous les députés jacobites de se coaliser pour
empêcher ce grand malheur. »
(3) La Poule, avocat au Parlement, député du tiers état du
bailliage de Besançon.
263. — SEANCE DU 1 1 AVRIL 1791
SUR LE PROJET D'ORGANISATION DU MINISTÈRE (suite)
Le 11 avril, poursuivant le vote de l'article consacré aux . fonc-
tion s du ministre 'de la Justice (1), rassemblée aborde le § 5 du
projet du comité:
« De donner aux juges des tribunaux de district, des tribunaux
criminels (2), ainsi qu'aux juges de paix et de commerce, tous les
avertissements nécessaires; de les rappeler à la règle, ainsi qu'à
la décence et à la dignité de leurs fonctions, et de veiller 'à ce que
la justice soit bien administrée. »'
Après une légère discussion, ce paragraphe fut voté sous cette
rédaction, sauf les mots a ainsi qu'à la décence et à la dignité de
leurs fonctions » qui furent supprimés.
(1) Cf. ci-dessus, séance du 10 avril 1791.
(2) C?ttc disposition fut étendue aux juges des tribun uix ^crimi-
nels sur la proposition de Biauzat.
222 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Journal des Etats Généraux ou Journal Logo graphique, t. XXIV, p. 140
« M Robespierre. Je suis convaincu que cet article présente de
beaucoup plus grands inconvéniens que celui que le comité vienf de
retirer (3). Je dis d'un côté qu'il n'est point vrai que l'article soit
nécessaire au maintien de l'ordre et au cours des affaires; de l'autre
qu'il est le renversement des principes sur lesquels sont assis, la consti-
tution et la liberté. Tel est l'effet immédiat de cet article, c'est de
donner au ministre de la justice le pouvoir le plus illimité, le moins
déterminé, par les expressions les plus vagues, sur tous les juges du
royaume. Que veut dire d"abord : donner aux juges tous les aver'isse-
mens nécessaires } Toujours les termes les plus vagues furent l'écueil
de la liberté et l'arme la plus terrible du despotisme. Sous le titre
d'avertissemens nécessaires peuvent être renfermés toutes les mercu-
riales, toutes les remontrances, tous les affronts qu'il plaira au ministre
d'adresser aux juges.
« Mêmes inconvéniens et plus sensibles encore dans les termes
suivans : de les rappeller à la règle ainsi qu'à la décence de leurs
fonctions. Les magistrats nommés par le peuple ne doivent-ils point
avoir une espèce d'indépendance, relativement au ministre de la jus-
tice. Je m'explique : j'entends par indépendance cette certitude que
doit surtout avoir tout citoyen investi de la confiance du peuple et
qui le représente dans une des fonctions sociales les plus importantes,
celle de l'Administration de la justice; la certitude qu'il a de n'être
comptable de ses actions qu'à la loi, de ne pouvoir essuyer aucune
injure, de ne pouvoir être soumis à aucune peine ni correction infa-
mante, à moins qu'il n'ait été jugé par la loi. Cependant, ne voyez-
vous pas que par ces mots vous donnez au ministre de la justic: le
pouvoir d'infliger des peines correctionnelles, une censure flétrissante
au moins dans l'opinion, puisqu'elle suppose toujours un délit, un
manquement au devoir de magistrat.
<( Pourquoi les magistrats ont-ils été nommés par le peuple ? Ce
n'est sans doute qu'afin qu'ils fussent incorruptibles, afin qu'ils fussent
plus indépendans de la cour. Je vous défie de trouver un autre principe.
Si après les avoir fait nommer" par le peuple, vous les soumettez telle-
ment à l'opinion, au caprice du garde-des-Sceaux, qu'ils soient jugés
par lui, vous les obligez à trembler devant lui, à craindre toujours sa
censure. (Applaudi). Etablissez, messieurs, un tribunal composé de
juges aussi nommés par le peuple pour surveiller les autres; mais ne
donnez pas ce pouvoir dangereux à un seul homme, à un homme qui
souvent n'aura été porté à ses fonctions que par les intrigues de la cour.
Tout citoyen lésé n'a-t-ii pas la voie de la prise à partie? L'accusa-
teur public n'est-il pas là pour poursuivre, au noni de la loi, 1- juge
(3) Le Comité de Constitution avait, en effet, consenti a retirer
l'art. 4 du projet.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 223
prévaricateur ? Mais pour renverser la machine, faut-il renverser la
liberté ? Le Comité voit toujours là un garde-des-Sceaux devant appe-
santir la verge arbitrairement sur tous les juges; et si les sophismes du
comité prévalent sans cesse sur les maximes qui sont gravées dans votre
esprit, vous anéantissez vous-mêmes votre propre ouvrage, et vous faites
une seconde constitution qui renverse essentiellement la première » (4).
Le Point du Jour, t. XXI, n° 640, p. 148.
<( M. Robespierre s'est élevé contre quelques expressions de cet
article et il a dit :
« Est-il question d'une prévarication réelle, d'un délit; le droit
qu'ont les parties de se plaindre, l'accusateur public et la loi, voilà
le soin des juges.
« S'agit-il de toute autre chose que le comité désigne par les
mots de décence, de dignité, aucun magistrat, aucun citoyen ne peut
être puni, inquiété, en aucune manière par l'autorité publique. Donner
à ce: égard au ministre un pouvoir arbitraire, c'est avilir les juges popu-
laires, c'est les mettre dans une dépendance servile et funeste du
ministre. Cette dictature correctionnelle supposerait nécessairement
qu'un ministre mériteroit plus de confiance, seroit préjugé meilleur juge
des mœurs, de la délicatesse, de la décence, que les magistrats popu-
laires : c'est ce qu'aucun homme sensé ne sera tenté de soutenir. Or,
s'il en est ainsi, à quoi sert l'article, si ce n'est à remettre insensible-
ment la puissance judiciaire entre les mains de la Cour et du minis-
tère. »
L'Ami du Roi (Royou), 1791, n° 329, p. 1.
« M. de Robespierre s'indigne de l'outrage fait par cet article,
à des juges honorés du choix du peuple. C'est les calomnier, que de les
soupçonner capables de s'écarter des sentiers de la règle et de la jus-
tice, des devoirs de la décence; c'est les avilir que de les' soumettre
à la surveillance d'un homme choisi par l'intrigue des cours. C'est les
déshonorer que de les livrer aux soupçons qui seront la suite d'une
réprimande; enfin, c'est anéantir la liberté et la constitution, c'est réta-
blir le despotisme, que de mettre les juges du peuple sous l'inspection
du ministère.
« Cependant, ces déclamations triviales n'ont pas fait fortune,
elles ont paru inspirées, plus par l'intérêt que par le zèle du bien puMic,
plus par l'amour de l'indépendance que par celui d'une véritable liberté.
On a cru que M. de Robespierre, qui même en sa qualité de législa-
teur, avoit quelquefois essuyé de la part de ses collègues, le désagré-
ment de se voir rappelle aux loix de la décence, craignoit d'être,
comme juge, souvent exposé aux mêmes monitions de la part du ministre
de la justice.
(4) Texte reproduit dans le* Areh. iru-1., XXIV, 095.
224 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
f( On a représenté à ce grand partisan de la liberté que le seul
moyen de la maintenir étoit de n'avoir pas de juges indépendans,
que s'il falloit s'opposer au despotisme ministériel, celui des nouveaux
magistrats emplumés seroit bien redoutable; qu'un avertissement secret
n'étoit pas un affront; que s'il se trouvoit juste, ce seroit un bienfait;
que s'il étoit mal-fondé, on pourroit en faire rougir et repentir le
ministre indiscret et prévenu; qu'il y avoit mille fautes légère?, mille
petits écarts qu'il seroit dangereux de tolérer dans les juges, et qui ne
pourroient cependant être réprimés par les tribunaux; qu'établir, comme
vouloit M. Robespierre, des tribunaux pour surveiller les premiers
tribunaux; c'étoit un progrès sans fin, un projet ridicule et ruineux;
enfin, M. Robespierre a été. contrainte (sic) de s'humilier, et l'article
a été adopté, si ce n'est qu'il ne sera pas permis de rappeller les juges
è la décence, non pas qu'on les croie incapables d'y manquer; mais
parce que le juge rappelle à la décence ne manquerait pas, suivant la
judicieuse remarque de M. Antoine, de répondre au minière de la jus-
tice, c'est vous qui êtes indécent.
Journal des Débats, t. XX, n° 685, p. 1.
« Je ne sais pas, a dit M. Robespierre, si cet article paroî* moins
susceptible de difficultés que celui qui vous a été présenté hier sous
les mêmes auspices; mais, selon moi, il présente de plus grands incon-
véniens encore. J'observe que d'un coté cet article n'est point nécessaire
au maintien de l'ordre, et que de l'autre, il peut renverser les principes
de notre Constitution et de la Liberté. Qui peut en effet avoir déter-
miné à donner aux Agens du Pouvoir exécutif l'autorité la plus indé-
terminée sur tous les Juges du Royaume ? Que signifie cette faculté
accordée au Ministre de donner des avertissemens aux Tribunaux ? Mais
sous ce titre sont renfermées les mercuriales, les réprimandes, les
affronts que le Ministre 'pourra faire selon son caprice et sa volonté
arbitraires. Ensuite, on vous propose de lui permettre de rappeler les
Juges à la règle et à la décence, ainsi qu'à la dignité de leurs fonc-
tions. Est-il possible de réunir plus de termes vagues, et de donner
aux Ministres plus de prétextes d'offenser les Magistrats nommés par
le Peuple ? Exista-t-il jamais rien de plus vexatoire ? Les Magistrats
qui ont la confiance du Peuple, ne doivent-ils pas être dans la plus
grande indépendance ? Sans doute, Messieurs, ils ne doivent dépendre
que de la Loi; ils ne doivent encourir d'autre peine que celle que la Loi
leur infligera.
« M. Robespierre a encore développé ces principes, et a demandé
la question préalable sur l'article proposé. »
Mercure de France, 23 avril 1791, p. 241-242.
« M. Roberspierre y a vu de plus grands inconvéniens que dans
la première rédaction, et c'étoit cependant encore ceux qu'il paroissoit
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 225
impossible d'exagérer, le renversement total des principes de !a consti-
tution et de la liberté. « Que signifie, a-t-il dit, cette faculté accordée
au ministre de la justice, de donner des avertissemens aux tribunaux ? Il
pourra donc se permettre, au gré de ses caprices, les mercuriales, les
réprimandes, les affronts ? Rappeler des juges à la règle, à la décence,
à la dignité de leurs fonctions ? Traiter ainsi des magistrats élus par le
peuple ! à la décence ! Exista-t-il jamais rien de plus vexatoire ? Hono-
rés de la confiance de la nation, ils ne doivent dépendre que de la loi,
que de l'opinion publique ». C'est ainsi, mais bien plus longuement, que
l'orateur a foudroyé cet article. »
Courier Français, t. X, n° 102, p. 332.
« M. Robertspierre, pensoit qu'on ne pouvoit lui donner un tel
droit sur des magistrats nommés par le peuple, sans introduire le despo-
tisme des anciens chanceliers; que ce seroit une flétrissure imprimée
par la loi à des citoyens honnêtes en qui le peuple a mis sa confiance;
et ce qu'il y a oie plus déplorable, s'écrioit ce député d'Arras, vous
allez donner à un individu choisi par l'intrigue de cour, le droit d'hu-
milier la délicatesse d'un galant homme, élevé à un poste honorable
par le vœu de ses concitoyens. »
Journal de Paris, 12 avril 1791, p. 416.
« M. de Roberspierre, à qui on ne peut jamais dire : Tu dors,
Brutus, s'est élevé avec beaucoup de véhémence contre cet article :
l'adopter, disoit-il, ce seroit renouveller ces mercuriales faites si sou-
vent dans l'ancien régime, par des Magistrats qui avoient tous les
vices, à des Juges qui avoient toutes les vertus : ce seroit mettre un
seul au-dessus de tous les Tribunaux d'un Royaume.
« Cette chaleur de M. de Roberspierre ne s'est pas beaucoup com-
muniquée à l'Assemblée Nationale. »
Journal du soir (Beaulieu), n° 101, p. 2.
Le Législateur français, 17 avril 1791, p. 4.
Courrier des Français, n° 43, p. 338.
« M. Roberstpierre, dans une discussion très- véhémente, a pensé
que le ministre de la justice ne devoit ni donner des avertissemens
aux juges, ni les surveiller, ni même les rappeler à la décence.
« Il a pensé qu'un tel droit, attribué au ministre de la justice sur
des magistrats nommés par le peuple, étoit une véritable censure qui
ramenoit le despotisme des anciens chanceliers. Ce droit accorde au
ministre, lui paroissoit une flétrissure imprimée par la loi sur d'hon-
nêtes citoyens, en qui le peuple avoit mis sa confiance; et à qui,
messieurs, donnez-vous la faculté d'humilier ainsi la délicatesse d'un
galant homme, élevé par le vœu de ses concitoyens à la plus impor-
tante des fonctions publiques? A un homme choisi par l'intrigue des
cours. »
HoiiiM'iiJiio . 15
226 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Journal des Mécontens, n° 43, p. 4.
« MM. Mougins, Renaud de Saint-Jean-d'Angely, Goupil,
Biauzat et le consciencieux Roberspierre, ont porté à la tribune le même
esprit de vertige qu'ils avoient signalé la veille dans le cul-de-sac
Jacobite; et l'Assemblée a enfin décrété les articles suivans sur l'attri-
bution du ministère de la justice. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Courrier des
LXXXIII départemens, t. XXIII, n° 13, p. 204; Assemblée nationale,
Corps administratifs (Perlet), t. XI, n° 615, p. 2; Les Annales patrio-
tiques et littéraires, n°'557; Le Journal de Normandie, n° 102, p 492;
Le Journal général, n° 71, p. 284.]
2° intervention
'Le § 7 de l'article sur les fonctions du ministre de la Justice,
porte, dans le projet du comité, que le ministre rendra compte
à la législature, au commencement de chaque session, « de l'état
de l'administration de la justice, des abus \qui auraient pu s'y
introduire, et de la. conduite des juges et de* officiers o>.
Après les observations de Robespierre et de Pétion, ce para-
graphe fut adopté sous la rédaction proposée, sauf les mots « de
l'état de l'administration de la justice » (qui furent supprimés.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIV, p. 143
« M. Robespierre. Le pouvoir que l'on attribue au ministre de la
justice de distribuer, au commencement de chaque session, le degré de
blâme ou de louange, me paroit d'une invention extrêmement neuve.
A quoi cela aboutira-t-il ? Car les représentai de la nation n'auron»;
pas le tems d'examiner ces sortes d'affaires. Cette censure tend à
dépraver les moeurs des magistrats en les faisant dépendre, non pas de
l'opinion publique, mais de celle du ministre, et par conséquent de
l'opinion des cours et de tous les hommes corrompus qu! les habitent.
Je prétends qu'il n'y a rien de si immoral, de si impolitique, de si
inconstitutionnel que cet article, et qu'on doit le rejetter.
« Quant aux premières dispositions de l'article, je ne dirai qu'un
mot, c'est qu'elles tendent à donner l'initiative aux ministres sur tout
ce qui concerne l'administration de la justice » (5).
Journal des Décrets de l'Assemblée nationale, 11 avril 1791, p. 69.
« Par le paragraphe 7 du même article, le Ministre de la Justice
devoit rendre compte au commencement de chaque session de la conduite
des Juges et des Officiers. M. Robespierre a senti que cette disposi-
tion tendoit à mettre les Juges, non dans la dépendance de l'opinion
(5) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIV, 697.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 227
publique, mais de celle du ministère, et conséquemment de la Cour
et des hommes corrompus qui l'habitent. Il a soutenu qu'en armant les
Ministres d'un droit de censure aussi étendu, c'étoit leur fournir les
moyens de dépraver, de maîtriser despotiquement les Magistrats, et que
rien n'étoit plus immoral, plus impolitique et plus inconstitutionel que
cette disposition, M. Pétion a appuyé cette observation judicieuse. •;
L'Ami du Roi (Royou), n° 329, p. 2.
« Ce qui doit étonner davantage, et même effrayer ceux qui con-
noissent les hautes prétentions des nouveaux magistrats, c'est que ce
n'est pas à la surveillance du garde-des-sceaux seul, mais aussi à celle
du corps législatif, qu'ils prétendent se soustraire. Il étoit dit que le
ministre de la justice « seroit chargé de rendre compte à la législature,
des abus qui auraient pu se glisser dans l'administration de la justice,
et de la conduite des juges ». Ces dernières paroles ont fait trembler
MM. Robespierre et Péthion; il sembloit que déjà ils se voyoient
dénoncés à la prochaine législature; et, pour les rassurer, il a fallu rayer
ces mots, la conduite des juges. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal des Débats,
t. XIX, n° 685, p. 5; Le Mercure de France, 23 avril 1791, p. 243;
Le Point du Jour, t. XXI, n° 640, p. 151.]
3e intervention : Sur le titre des ministres français
auprès des puissances étrangères
Démeunier, au nom du comité de constitution, fait lecture de
l'art. 13 du- projet, relatif aux attributions du ministre des affaires
étrangères: « Art. 13. Le ministre des affaires étrangères aura:
1° La correspondance avec les ministres résidents ou agents que le
roi enverra ou entretiendra auprès des puissances étrangères »...
Robespierre intervient sur ce premier point.
L'Assemblée décréta l'article, sous la rédaction proposée par
son comité.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXIV, p. !45
« M. Robespierre. Je crois que vous ne pouvez vous dispenser
d'examiner si nos ministres chez l'étranger doivent être appelles minis-
tres du roi ou ministres de la nation. J'observe que M. Rabaud a fait
un travail à ce sujet, et je demande qu'il soit entendu » (6).
L'Ami du Roi (Royou), 1791, n° 329, p. 2.
« On revient à l'organisation du ministère. Celui de la marine
n'éprouve aucune difficulté. Il s'en élève d'avantage sur les ambassa-
deurs D'abord M. de Robespierre, pour la décharge de sa conscience,
veut qu'ils soient appelés les agens de la nation. On n'a pas assez
(6) Rabaut réplique que ces articles ne contrarient en rien sou
clan. -
228 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
d'égards aux scrupules de la conscience timorée de M. Robespierre. »
Journal des Débats, t. XIX, n° 685, p. 5.
(( M. Robespierre a encore combattu l'article suivant : il s'est
étonné que l'on proposât encore, d'appeler les Ambassadeurs de la
Nation, Ambassadeur du Roi.
« On a répondu à M. Robespierre que cela ne se trouvoit pas
dans l'article. »
Journal du soir (Beaulieu), n° 101, p. 3.
Le Législateur français, 12 avril 1791, p. 6 et 7.
Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. XI, n° 615, p. 5.
« Sur le paragraphe 1, M. Robespierre a observé qu'un membre
du comité de constitution avoit un travail intéressant sur la constitution
extérieure du royaume, et il a demandé qu'il ne fût rien statué sur
l'organisation du département des affaires étrangères sans que l'assem-
blée en eut pris connaissance. »
...« M. Robespierre avoit demandé qu'il fût dit: les ministres,
résidens ou agens de la nation que, etc. ; mais les murmures se sont
élevés, et cette demande n'a pas été soutenue* »
4e intervention : Sur le traitement des ministres
Démeunier, au nom du comité de constitution, donne lecture
à l'assemblée nationale, de Fart. 42 du projet sur l'organisation
du ministère : « Le traitement des iministres sera, savoir : pour celui
des affaires étrangères, de 150.000 livres par année, et pour chacun
des autres de 100.000 livres payées par le trésor rpublic. » Robes-
pierre s'élève contre ces traitements, que défend Garât. Prieur,
Lan juin ads, Goupil et Armand, député du tiers état de la séné-
chaussée de ;Saint-Flour, interviennent dans le même sens que
Robespierre.
(L'Assemblée décréta les traitements proposés par son comité.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIV, p. 151
« M. Robespierre. Je crois que l'on pourroit, sans beaucoup d'm-
convéniens, porter encore plus loin les vues d'économie proposées par
le comité. On peut certainement avoir un traitement moindre de 100
mille livres, et être un homme très opulent, et être un homme public
capable de tenir un état considérable. Je ne vois d'objection contre la
diminution proposée au traitement de 100 mille livres, que la nécessité
de donner à dîner, et de représenter. Des prétextes si puérils, si
étrangers à la dignité de fonctionnaires publics, si étrangers surtout à
l'utilité publique, ne doivent pas être mis en parallèle avec les prin-
cipes d'économie que je réclame.
« Je demande en conséquence, et je me reproche en cela de
n'oser pas encore pousser mon opinion jusqu'au bout de la vérité, je
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 229
demande que le traitement de 100 mille livres soit réduit à 50 miMe.
(Applaudi) (7). »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 102, p. 422.
« M. Roberspierre . A moins qu'on ne prouve qu'il est nécessaire
d'accorder aux ministres un traitement extraordinaire pour les dîners
qu'ils donnent, je ne vois pas qu'ils aient besoin d'une somme aussi
considérable, et je ne crains pas de demander que leur traitement soit
réduit à la moitié de ce que propose le Comité (8). »
Le Patriote François, n° 612, p. 392.
« Une trentaine d'articles ont été ensuite décrétés, après de très
légers débats. De ce nombre est celui qui concerne 'a fixation des
salaires des ministres. Le comité les fixe à cent mille livres. M. Robes-
pierre les réduisoit à moitié; M. Buzot les vouloit prendre sur la liste
civile; tous deux avoient raison, mais on ne vouloit pas lésiner, et le
comité l'a emporté. »
Le Point du Jour, t. XXI, n° 640, p. 158.
« M. Robespierre s'est élevé contre cette proposition, qu'il îrou-
voit contraire à l'économie, principal devoir des représentai du peuple,
dangereuse même par la corruption que les richesses doivent faire
naître. Il a demandé que les ministres fussent réduits à 50 mille livres
chacun. (On applaudit) (9). »
Journal général, n° 71, p. 285.
« M. Robertspierre se lève de nouveau. C'est le Mirabeau du
jour ; mais voyant les choses un peu moins en grand, il recommande
l'économie pour le maintien du nouvel ordre des choses et conclut, en
bornant ces traitemens à 50.000 1. pour chacun des Ministres. »
Le Courrier des LXXXI1I départemens, t. XXIII, n° 13, 13 avril 1791.
« M. Robertspierre a vivement tancé le comité sur son peu d'éco-
nomie. Il trouvoit de la prodigalité à accorder 150.000 liv. au mimstre
des affaires étrangères et 100.000 aux autres agens du pouvoir exécutif:
Je demande, en conséquence, a-t-il dit, et je me reproche de n'oser
pas encore pousser mon opinion jusqu'au bout de la vérité, je demande
que le traitement soit réduit à 50.000 liv. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal de la No-
blesse, t. I, n° 17, p. 501; Le Lendemain, t. III, n° 102, p. 114;
(7) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIV, 703,
(8) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 108- et Bûchez et
Roux, IX, 332.
(9) Cf. E. Ho/mel, I, 411.
230 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Le Journal de Normandie, n° 103, p. 495; Le Courrier des Français,
n° 43, p. 338; Le Courier Français, t. X, n° 102, p. 332; L'Ami
de la Révolution, p. 511; Le Journal des Décrets de l'Assemblée
nationale, 11 avril 1791, p. 69; Le Mercure de France, 23 avril 17Q1,
p. 243 et 244.]
Société des Amis de la Constitution
264. — SEANCE DU 11 AVRIL 1791
Sur l'aliénation des moulins de Corbeil (1)
Après diverses interventions, une délégation du Club des Cor-
deliers est introduite. Son orateur, Rutledge (2) annonce à la
{Société que les moulins de Oorbeil devenus biens nationaux, sont
sur le point d'être aliénés; des démarches ont été faites auprès
du Comité d'aliénation et du /Directoire du département, pour
faire suspendre l'adjudication. Rutledge fait part à la Société de
ses craintes de voir les moulins de Corbeil tomber aux mains
d'une compagnie financière : ainsi se préciseraient les moyens
sourdement préparés pour affamer Paris. Kersaint et Prieur estiment
que les moulins de Corbeil peuvent s'aliéner, sans que les acqué-
reurs deviennent les maîtres des subsistances de Paris. Rutledge
insiste pour que la iSociété 'nomme des commissaires qui fassent.
en sorte que les moulins de Corbeil ne soient pas vendus.
Grâce à l'intervention de Robespierre, cinq commissaires furent
nommés pour suivre cette affaire.
Mercure universel, t. II, p. 233.
« M. Robespierre. Sur une dénonciation faite par un club popu-
laire, j'ai vu l'effervescence à la place de la raison. Je ne me crois
plus dans la société des amis de la Constitution; et moi aussi j'ai
confiance dans les magistrats nommés par le peuple, et moi aussi je
crois qu'il n'y a pas ici un seul membre qui osât proposer que la société
se mêlât d'administration; mais a-t-elle donc pour cela renoncé à une
sage surveillance ? (On applaudit). Quand ce ne seroit pas pour un
club patriote, en devriez- vous moins pour l'intérêt de la Capitale peser
soigneusement les raisons. Il faut des éclaircissements, et vous le devez
pour la tranquillité publique; vous le devez à vos frères, à vos amis, et
la demande de l'ordre du jour ne peut convenir à vos principes : je
demande des commissaires. »
(1) Cf. Arch. nat. D XXIX bis, dossier 258, pièces 8, 9, 12, 13.
(2) Cf. B. Las Vergnas: Le Chevalier Rutledge, gentilhomme
anglais, in-8°, 238 p. (1935). Rutledge s'était chargé de protester au
nom des boulangers parisiens, en 1789, contre la politique de
Xecker en ce qui concernait le ravitaillement en farine à l'aide
d'achats à l'étranger.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 231
Le Creuset, t. II, n° 30, p. 80.
« M. Robespierre est enfin venu à bout de fixer les esprits sur
ce qu'il y avoit de simple et de vrai dans la motion de l'orateur des
Cordehers : elle a été adoptée à une énorme majorité. )i
Journal de la Révolution, 13 avril 1791.
« M. Robespierre était d'avis de ne pouvoir pas repousser la récla-
mation, sans l'avoir scrupuleusement examinée » (3).
(3) Cf. Aulard, II. 313, qui ne cite pas les extraits précédents.
265. — SEANCE DU 13 AVRIL 179!
Sur le projet d'organisation du ministère {suite)
1 rp intervention : Sur les pouvoirs du ministre des contributions publiques
L'Assemblée poursuivant la discussion du projet «l'organisation
du ministère, décrète rapidement un certain nombre d'articles rela-
tifs au département de la marine. Elle aborde alors les articles
concernant les pouvoirs du ministre des contributions Le § 1 donne
iieu à un vit débat. uVI. de Folleville en demande .l' ajournement,
se basant sur le fait que, dans la séance du 11 avril, la question
du jugement suprême des contestations en matière d'impôts est
restée sans solution.^ Robespierre intervient après lui et l'article
est adopté sous cette rédaction:
« Le ministre des contributions publiques aura dans son dépar-
tement : 1° les détails relatifs à l'exécution des lois touchant
.■"assiette des contributions directes et leur répartition, sans qu'il
puisse juger des contestations qui surviendraient à cet égard tou-
chant le recouvrement, dans le rapport des contribuables avec
les percepteurs »..
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIV, p. 194
« M. Robespierre. Quoiqu'on ait disposé les esprits à ne pas
entendre de longues discussions, ceci tient évidemment, comme M. de
Folleville vous l'a observé au pouvoir de juger les contestations qui
peuvent s'élever sur la perception de l'impôt (non, non). L'on a beau
déguiser ces inconséquences sous des noms qui n'existent plus, c'est
précisément parce que ces termes sont vagues, que l'article compromet
cette grande question : qu'est-ce que c'est que maintenir l'exécution des
loix, relativement à des contestations, qui s'élèvent sur des contributions?
« M. Démeunicr. Il n'y a pas de contestation.
« M. Robespierre. Je dis que le ministre qui auroit le droit de
décider, sous quelque titre, sous quelque expression qu'on lui donne,
ce droit de décider pourroit, à la faveur de l'obscurité de ces articles,
prétendre au pouvoir de décider ces contestations; et je me suis apperçu
232 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
que l'intention du comité est de donner ici la plus grande partie de la
puissance judiciaire au ministre de l'intérieur. Ces idées me font
appuyer M. de Folleville (1) »
2e intervention : Sur les pouvoirs du ministre de l'Intérieur
L'Assemblée aborde ensuite les articles concernant la sûreté
intérieure du royaume. (La discussion s'engage sur l'article qui
soumet au ministre la force publique intérieure. Robespierre inter-
vient à nouveau dans le débat. Démeunier, rapporteur, reconnais-
sant qu'il y a dans le projet de décret 'sur l'organisation des gardes
nationales, un titre sur l'emploi de la force publique intérieure,
admet l'ajournement, dans l'article présenté, de ce qui concerna la
force publique intérieure.
L'Assemblée décréta l'ajournement.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 104, p. 430.
« M. Roberspierre. Ne voyez- vous pas quels moyens on a em-
ployés avant cette discussion pour fermer la bouche à ceux qui veulent
défendre les principes du patriotisme. L'intention du Comité est de
donner tout le pouvoir aux ministres. Je demande qu'ils n'aien* d in-
fluence ni directe, ni indirecte en activité (2). »
Journal de Normandie, n° 104, p. 506.
« Et qu'importe, a dit M. Robertspierre, que se soit médiatement
ou immédiatement que ce ministre fasse mouvoir la force publique
intérieure, il n'en sera pas moins redoutable pour la liberté indivduelîe !
Une pareille distinction est illusoire et chimérique. »
Le Patriote François, n" 615, p. 404.
« Nous ne devons pas oublier de dire que l'assemblée nationale
a ajourné un article important. Il s'agissoit de savoir si l'on subordon-
neroit au ministre de l'intérieur la force nationale intérieure, comme le
proposoit le comité. MM. Buzot, Menou, Robespierre, Dubois (de
Crancé) se sont élevés contre cet article, et ont réussi à l'écarter,
malgré les réclamations des ministériels, qui craignent que le pouvoir
exécutif n'ait pas assez de force pour nous lier (3). »
3* intervention : Sur la retraite des Ministres
Au nom du .comité de constitution, Démeunier propose à l'Assem-
blée d'accorder aux ministres renvoyés ou démissionnaires, une
(1) Texte reproduit dans les Arch. iparl., KXV, 11 et 12.
(2) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 123.
(3) Au cours de ce rapide débat, .Beaumetz avait accusé Robes-
pierre de vouloir aider à l'établissement d'un système fédératif.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 233
pension de 2.000 livres par année de service, en fixant à 12.000
livres le maximum de cette pension.
Robespierre intervient pour demander la question préalable
et, malgré les efforts du rapporteur, l'Assemblée rejeta cet article
du projet.
Journal du Soir (Beaulieu), n° 103, p. 3.
Le Législateur français, 14 avril 1791, p. 5.
Courier Français, t. X, n° 104, p. 348.
c. M. Robertspierre, qui n'aime pas le gaspillage, s'est vivement
élevé contre cette proposition, et il demandoit s'il falloit considérer
les ministres comme des fonctionnaires publics, et si l'Assemblée
croit devoir accorder des retraites à tous ceux que la nation honore de
sa confiance, et qui méritent le titre honorable de fonctionnaires publics.
L'honorable membre n'a pas eu de peine à se faire entendre de
l'Assemblée; dont les opérations sont toutes marquées au coin de la
plus sévère économie; et il a été décrété qu'il n'y avoit pas lieu à
délibérer sur la proposition du comité. »
Le Point du Jour, t. XXI, n° 642, p. 191.
« M. Robespierre s'est fortement élevé contre cette proposition,
en disant : « Sera-ce donc toujours avec des regards superstitieux, que
nous considérerons les places des ministres ? Et tandis que les autres
fonctionnaires publics n'ont pas de pension à espérer après de longs
services, croit-on qu'on puisse en accorder à des ministres qui, après
avoir eu cent mille livres de traitement par année, seront forcés ou
voudront quitter leur fonction ? Voulez-vous établir des privilèges et
des préférences ? Ne croyez-vous pas que les places de ministres soient
vacantes ? Je conclus à la question préalable. »
Courrier d'Avignon, 1791, n° 97, p. 385.
« Dans la séance du 13, M. Robespierre demanda la question
préalable sur l'article qui accorde une retraite de 2.000 livres aux
ministres, pour chaque année de leur ministère, sans que cette pension
pût s'élever au-delà de 12.000 livres. Cet article n'a paru à M. Robes-
pierre que le fruit de l'ancienne habitude qui faisoit considérer les
ministres avec une vénération servile.
« Pourquoi aujourd'hui accorderoit-on aux ministres une retraite
que l'on n'accorde pas aux autres fonctionnaires publics? Pourquoi
établir cette différence ? Les ministres n'auront-ils pas droit aux récom-
penses de la patrie, ainsi que *ous les citoyens qui ont bien mérité
d'elle ? Ne faut-il pas les attacher par-là à se rendre chers à la nation
par leur administration }
(4) Cf. E. Hamel, I, 412.
234 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Ces réflexions furent fort applaudies. La question préalable fut
mise aux voix et décrétée. »
Le Creuset, t. II, n° 32, p. 115.
« L'honnête Roberspierre , persuadé sans doute qu'il est difficile
à un grand travailleur de dévorer 100.000 livres, a pris la parole: Il
faut, a-t-iï dit, considérer les ministres comme des fonctionnaires pu-
blics ! La nation, sous cet aspect, le plus honorable de fous pour eux,
leur doit-elle des retraites plutôt qu'à tous les autres ? « L'honorable
membre sous-entendoit , sûrement par excès de civilité,, que, quant aux
bons et loyaux services qu'il arriveroit à ces Messieurs de rendre au
pouvoir exécutif, ce devoit être là, une affaire de Valet a maître, dont
le salaire devoit regarder directement la liste civile.
« ...Au reste, le mouvement honnête et énergique de M. Robes-
pierre a fait abandonner aux ministériels la prétention de faire décréter
des retraite? pour leurs amis. »
Journal des Décrets de V Assemblée nationale, 13 avril 1791,
« M. le Rapporteur n'a pas manqué de proposer des pensions
pour les Ministres. Ceux qui auroient conservé leur place moins de cinq
ans, auroient obtenu 2.000 livres pour chacune des années qu'ils
auroient exercé, et, quelle qu'eût été la durée de leurs fonctions, ces
pensions n'auroient pu excéder 12.000. La question préalable, invo-
quée par M. Roberspierre, a repoussé cette proposition anti-civique,
dont le but étoit d'établir une distinction entre les Agens du Pouvoir
exécutif et les autres Fonctionnaires publics. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXIV, p. 199
« M. Robespierre. Je ne puis m'empêcher de dire que cet article
est absolument contraire à la raison, et qu'il introduit une distinction
inutile et sans objet entre ces fonctionnaires publics et d'autres fonc-
tionnaires publics. Il existe une règle générale pour donner des récom-
penses pécuniaires à ceux qui ont bien mérité de la patrie; et je ne
connois aucune exception pour une place de fonctionnaire public. Avez-
vous décerné des retraites pour les magistrats les plus importans, pour
les membres des tribunaux de cassation ? En existe-t-il pour les législa-
teurs, pour tous les officiers du peuple ? Non. Pourquoi donc en établir
une pour les ministres ? Je conclus de tout ceci que vous ne pouvez
point adopter la distinction proposée par l'article entre les ministres et
les autres fonctionnaires publics, sans supposer implicitement que vous
regarderiez cette classe de fonctionnaires publics comme une classe
supérieure à toutes les autres. Je demande donc la question préalable
sur cet article. (Applaudi) (5). »
(5) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXV, 15.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 235
[Brève mention de cette intervention dans Assemblée nationale,
Corps administratifs (Perler), t. XI, n° 617, p. 6; Le Journal du Soir
(des Frères Chaignieau), t. II, n° 279, p. 4; Courrier des Français,
n° 45, p. 358; Le Journal de Normandie, n° 105, p. 509; La Corres-
pondance nationale, n° 18, p. 159; La Feuille du Jour, t. III, n° 104,
p. 122; Le Courrier extraordinaire, 14 avril 1791, p. 6; Le Patriote
François, n° 165, p. 404, et La Gazette nationale ou Extrait..., t. XVI,
P. 67.]
Société des Amis de la Constitution
266. — SEANCE DU 13 AVRIL 1791
Sur le buste de Mirabeau
Un membre' annonce à la iSociété que Houdon vient d'achever
le buste de Mirabeau ; il propose que ce buste, en plâtre, soit
coulé en bronze. Un autre membre suggère qu'il soit ouvert un con-
cours, les Amis de la Constitution ne connaissant pas de privilège.
Divers orateurs appuient cette motion, tandis que Robespierre
demande que l'on ne s'occupe pas davantage de cet objet.
Finalement la iSociété arrêta que tous les artistes seraient invités
à concourir pour le buste de Mirabeau.
Mercure universel, t. II, p. 247.
« M. Robespierre. Les hommages les plus multipliés ne sont pas
ceux qui honorent le plus les grands hommes; mais c'est la nature des
hommages qui sont décernés et les personnes qui les rendent; un buste,
un mausolée, une couronne civique, une feuille de chêne, tout est égal;
mais je remarque que vos travaux appartiennent à la chose publique;
vous les lui devez, et si toutes les sociétés de France passoient autant
de temps à délibérer sur les honneurs à rendre aux grands hommes que
nous en occupons ici, la patrie perdroit beaucoup de momens utiles.
Je demande que l'on ne s'occupe pas davantage de cet objet. »
Journal de la Révolution, 15 avril 1791.
« Avant la lecture des adresses, il a été arrêté que le buste de
Mirabeau serait fait au concours » (1).
(1) Cf. AuJard, II, 315; il ne cite pas l'extrait précédent.
236 les discours de robespierre
Société des Amis de la Constitution
267. — SEANCE DU 13 AVRIL 1791 (mite)
Sur les pouvoirs du ministre de la justice
Dans sa séance du 13 avril, l'Assemblée nationale a renvoyé au
comité de constitution, les articles du projet sur l'organisation du
ministère, relatifs <à la sûreté intérieure du royaume. Ils portaient
en particulier «que « dans les cas où, -soit 'la sûreté de l'Etat, soit
la personne du roi, seraient intéressées, le ministre de la justice
aurait ainsi le pouvoir de délivrer par tout .le royaume, des man-
dats d'amener », ce qui entraînait une confusion du pouvoir exécutif
et du pouvoir judiciaire.
La Société des Jacobins aborde ce problème. Robespierre inter-
vient dans la discussion.
Mercure universel, t. II, p. 264.
« M. Robespierre. La dernière fois que j'eus l'honneur de discu-
ter ici le plan du comité, j'oubliai de vous parler du titre le plus impor-
tant : ce titre est intitulé : Dispositions en matière civile pour la sûreté
de l'Etat. (Ici l'opinant a fait lecture de quatre articles de ce titre, par
lesquels le comité de constitution de l'assemblée nationale attribuoit
au ministre de la justice les fonctions d'un juge de paix de tout le royau-
me, lui permettoit de donner des mandats d'amener et de requérir la
force publique contre tous les citoyens prévenus de vouloir attenter à h
sûreté de l'état ou à la personne du roi).
« Si je me permets de discuter ces articles, a dit M Robespierre,
c'est qu'il n'est rien de si absurde qu'il ne soit encore besoin d'expli-
quer. Que l'on accorde au ministre des tribunaux le pouvoir de délivrer
un mandat d'amener contre un citoyen quelconque, et sous quelque
prétexte que ce puisse être, c'est ressusciter visiblement les lettres de
cachet. On vous dit à cela : mais c'est la réserve expresse que l'état ou
la personne du roi courroit quelque danger. Est-ce donc que lorsque les
ministres sous le despotisme lançoient des lettres de cachet, ils n'avoient
pas aussi des motifs ; manquoient-ils donc de prétextes : comment vou-
lez-vous, disoient-ils, que l'on laisse toute une famille exposée aux
entreprises, aux égaremens d'un seul individu ? Il faut prévenir les
malheurs; et ils voyaient des égaremens, des malheurs à éviter par-tout
où ils vouloient en voir.
« Mais un second motif bien plus impérieux, c'étoit, selon eux,
l'intérêt de l'état • comment vous disoient-ils encore, quand i! y oura
une conspiration formée, que l'on attende les lenteurs inévitables, des
formalités de la loi ? Il faut que les délits soient prévenus e* arrêtés
sur le champ.
« Eh bien, aujourd'hui, sous un nom différent, c'est la même
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 237
chose qu on vous présente, c'est le même pouvoir que vous donnez au
ministre. Alors tout étoit crime d'état; aujourd'hui, tout seroit bientôt
crime de lèze-nation ou de lèze-royauté, et ce n'est pas pour l'intérêt
de la nation ni de la royauté que l'on veut redonner ce droit aux
ministres: non, c'est pour attribuer à quelques individus le droi* d'op-
primer leurs concitoyens et la liberté naissante : cette prétendue raison
d Ltat rut le motif que l'on mit en oeuvre sous les empereurs romains,
pour punir à souhait des prétendus crimes de lèze-majesté. Que ne
peut-on pas entreprendre encore sous le nom de l'intérêt du roi : on
donnera à tout des idées opposées même à leur réalité, on rapprochera
les choses les plus éloignées; on leur découvrira un sens inespéré, et
bientôt ce ne sera plus qu'une foule d'esclaves corrompus qui donneront
des interprétations criminelles à tout; de là, des milliers de crimes qui
n'existèrent jamais, et de là encore l'esclavage règne sur toute la nation.
« Pour pouvoir accorder au ministre des ordres arbitraires, on a
dit: Il faut leur attribuer un caractère favorable; l'institution des juges
de paix est généralement bénie; il faut décorer le ministre du caractère
sacré de juge de paix!...
« Mais ai-je besoin de prouver que cette odieuse lâcheté en aug-
mente le crime et ne le pallie point ? N'est-ce pas là le masque outra-
geant de la scélératesse sous l'image de l'équité ? N'est-il pas évident
que si vous donnez à un ministre du roi le caractère d'un juge de paix,
Vous en faites dès l'instant un lieutenant de police, un grand inquisi-
teur, un tyran ? Je dois le dire, placer un tel pouvoir dans la main
d'un ministre, c'est donner à l'homme qui a intérêt de persécuter les
défenseurs du peuple, les citoyens vertueux, le droit de les perdre, c'est
mettre la destinée de tous les bons citoyens dans la main d'un despote.
(On applaudit vivement).
« Un ministre lance un mandat d'amener contre un citoyen, d'un
des points du royaume pour un crime quel qu'il soit; après l'avoir
traîné en criminel le long des routes, on le conduit à un dis*ncL"; le
procès-verbal est dressé, et déjà ce verbal établit une prévention défa-
vorable à ce citoyen. S'il ne s'agit que d'une accusation d'un délit
ordinaire, le citoyen sera renvoyé devant un tribunal de district; mais en
attendant l'instruction de la procédure, s'il est au contraire accusé du
crime de lèze-nation, il faut le temps d'assembler la haute-cour qui
doit en connoître; cependant il languit dans une prison; son jugement
arrive, peut-être au bout de huit mois; il est déclaré innocent; je vous
demande quels dommages peuvent réparer cette oppression ?
'( Celui qui aura le plus grand pouvoir sera celui qui voudra
l'agrandir: c'est celui qui voudra commander arbitrairement à tous les
citoyens; c'est celui qui voudra les opprimer tous, pour régner seul: et
cependant c'est celui que l'on veut aujourd'hui rétablir !t- gardien des
droits de !a nation : quelle ineptie et quelle corruption !
« Mais ce mandat d'amener ne sera que provisoire, nous -dit
238 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
innocemment le comité; un tribunal prononcera... mais est-il indifférent
d'être amené en criminel du fond du royaume, d'être jette dans une
prison? Le ministre sera responsable, dit encore le comité; cela est
faux; le ministre sera responsable dans la loi et non dans le fait; c'est
un oeuvre public et j'en appelle à votre exemple; vous n'avez jamais
porté de dénonciation dans un tribunal contre un ministre, et cependant
vous avez reconnu de grands criminels. Il y a plus, si vous donnez à un
ministre des fonctions d'un magistrat de police, dans la rigidité des
principes, tout officier de police ne peut être responsable, et vous
mêmes vous avez énoncé et reconnu ce principe. (Très applaudi). »
Le Lendemain, t. III, n° 105, p. 142.
« M. Roberspierre parle longtems contre le projet du comité de
constitution, qui accorde au ministre de la justice le droit de donner
des mandats d'amener. Il prétend que c'est renouveller le régime des
lettres de cachet. »
Journal de la Révolution, 15 avril 1791.
« On est passé à quelques discussions sur la suite de l'organisa-
tion du ministère. MM. Robespierre, Barrère de Vieuzac, Prieur, ont
porté successivement la parole, et ont établi victorieusement que la
fonction de juge de paix que le Comité prétendait accorder au ministre
de la Justice sur tout le royaume, était inconstitutionnelle, immorale et
destructive de la liberté; qu'en lui donnant le droit de décerner ces
mandats d'arrêt et d'amener, c'était faire revivre les lettres de cachet,
plus formidables que jamais, puisqu'elles étaient autorisées par les lois;
qu'enfin, les prétextes de sûreté de l'Etat et de ia personne du roi
avaient toujours été ceux des tyrans » (1).
(1) Cf. Aulard, II, 316, il cite .également l'extrait du « Lende-
main », mais non celui du « Mercure Universel ».
268. — SEANCE DU 14 AVRIL 1791
Sur l'organisation de la sûreté intérieure du royaume
L'Assemblée avait renvoyé au comité de constitution.^ la partie
du projet sur l'organisation du ministère, concernant lasurete inté-
rieure du royaume. Démeunier, au nom du comité, rend compte, le
14 avril des difficultés rencontrées dans l'élaboration des "dispo-
sitions relatives à la sûreté publique (1). Il propose d'ordonner au
<1) Voici comment C, Desmoulins apprécie le rôle de Démeu-
nier (Révolutions de France et de Brabant, t VI, n° 73, p. 343) :
<c Comme il a pris sur lui l'odieux du principal rôle, ses conireres
ne manqueront pas de lui laisser jouer quelque farce grossière de
patriotisme, qui lui attirera des applaudissemens infinis avant de
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 239
comité de révision de se réunir au comité de constitution, pour
examiner ce projet. Pétion s'élève contre ce qu'il considère comme
un ajournement. L'Assemblée ferme la discussion sans que Robes-
pierre et Prieur aient pu intervenir.
La proposition de Démeunier ifut décrétée par l'Assemblée.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 105, p. 433.
« MM. Prieur et Roberspierre insistent avec chaleur pour obtenir
la parole.
« L'Assemblée ferme la discussion, et ordonne que les questions
relatives à la sûreté générale du royaume seront rapportées par les
Comités de constitution et de révision réunis, m
Le Point du Jour, t. XXI, p. 196.
« M. Robespierre insistoit pour la discussion des articles du
comité, afin de proscrire des dispositions si effrayantes pour ia liberté
civile » (2).
baisser la toile. Ils ont pris cet art de Mirabeau qui y excelloit.
(-'est ainsi qu'après avoir achevé son organisation détestable du
ministère, et qui telle qu'il en a présenté le projet, n'étoit autre
chose qu'une conspiration constitutionnelle contre la liberté, coimme
l'ont prouvé Roberspierre, Péthion, Buzot, Antoine, Prieur, etc.
.l'hypocrite a dit: « Messieurs, le travail du comité de constitution
s'achève, et vers la mi-juillet nous pourrons retourner dans nos
foyers, avec la satisfaction d'avoir fait pour la France tout ce qui
dépendoit de nous ». A ces mots, Desmeuniers a recueilli des applau
dissemens universels des igaleries, témoignage éclatant de l'espoir
général de voir arriver le 14 juillet et un meilleur comité de consti-
tution. »
(2) Texte utilisé par les Arch. pari., XXV, 68.
269. — SEANCE DU 19 AVRIL 1791 (soir)
Sur l'incapacité du comité diplomatique
Un des secrétaires fait lecture d'un mémoire des députés extra-
ordinaires des états de Porentruy. Ils attirent l'attention de l'As-
semblée sur les rassemblements de troupes qui se font à Porentruy.
Ils rappellent que les traités d'alliance interdisent à l'évêque de
Bâle d'introduire des troupes étrangères, dans cette partie de ses
Etats, sans le consentement de la France (1) : la France en effet
a seule le droit d'occuper ce territoire, quand elle le juge néces-
saire à la défense de ses frontières. Les députés supplient en
< Mi.-'quence l'Assemblée et le roi d'envoyer des troupes à Poren-
(1) L'évêque de Râle avait demandé à l'Autriche d'occuper son
•territoire pour le défendre contre l'agitation. Cf. G. Gautherot, La
Révolution dans l'ancien évêché de Bâle, t. I, La République raura-
cienne (1908).
240 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
truy, afin de couvrir le département du Jura contre l'invasion dont
le menacent les manœuvres contre-révolutionnaires du prince-
évêque, et de protéger les habitants, alliés de la France, contre
les vexations de leur évêque (2)
Heabell expose longuement l'affaire, et demande que le comité
diplomatique soit chargé de faire un rapport à ce sujet. Elargissant
le débat, Robespierre attaque la conduite du comité (3). D'André,
membre du comité diplomatique, lui répond.
Après la fermeture de la discussion, Pétion demande que- le
comité diplomatique soit chargé de surveiller les mouvements aux
frontières ; Robespierre l'appuie. L'Assemblée décréta le renvoi
de l'affaire de Porentruy à son comité diplomatique (4)
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIV, p. 350
« M. Robespierre. Sans entrer dans le détail des faits qui vous
ont été exposés par M. Reubell, l'affaire qui vous occupe donne lieu
à des réflexions beaucoup plus importantes. Je remarquerai d'abord
qu'autrefoy, lorsque les frontières de la France étoient menacées par
la moindre apparence d'hostilités, le ministre veilloit avec le plus
grand scrupule : il rassembloit, sur les frontières, des troupes capables
d'en imposer à l'ennemi le plus puissant. Aujourd'hui qu'il n'est pas
un seul mouvement extérieur qui ne soit lié à la tranquillité intérieure
et à l'intérêt de la liberté, je vois précisément adopter une marche
opposée. La plus grande sécurité, la plus grande incurie fait le carac-
tère de votre gouvernement : et, j'ose le dire, il se manifeste jusqu'au
sein de l'Assemblée nationale (applaudi) depuis plusieurs mois qu'une
intelligence est formée entre des ennemis extérieurs, quels qu'ils soient,
et des ennemis intérieurs, depuis plusieurs mois que des troupes étran-
gères sont rassemblées sur toutes nos frontières.
« Ce n'est pas ici le moment d'examiner les motifs de ces ras-
semblemens, ni de calculer le nombre de ces troupes'; mais je vous prie
de remarquer d'où émane la dénonciation sérieuse qui vous est faite en
ce moment : ce n'est ni du gouvernement, ni du sein de cette assem-
blée : c'est de la part d'un pays étranger, de la part de nos alliés de
Porentruy : et comment est accueillie cette pétition. Une discussion
s'élève sur la compétence de deux comités; on agite des questions de
patriotisme, à l'accusation du ministre de la guerre et du ministre des
affaires étrangères, comme s'il étoit ici question de peser le patrio-
tisme des ministres, et comme si les ministres n'étoient pas les mêmes
aux yeux des représentans de la nation, dans un moment aussi cri-
tique, et comme si les représentans de la nation dévoient avoir un
(2) Cf. Arch. nat. D XXIX, carton 2, dossier 32, pièces 1 à 24;
et D XXIX bis, dossier 339, pièces 45 et 46.
(3) Menou, membre du comité diplomatique, avait aussi rejetï
la responsabilité- des lenteurs du comité, sur Montmorin, ministre
des Affaires étrangères.
(4) iLe comité diplomatique devait présenter à l'Assemblée un
rapport sur cette affaire dans les deux jours.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 241
autre soin que de surveiller tous les ministres, comme s'il importoit
aux représentans de la nation que tel comité examine telle ou telle
affaire. Ce qui nous importe à tous, c'est que ni le comité diploma-
tique ni le comité militaire n'ont déployé sur les affaires les plus
importantes, sur la sûreté du royaume et la liberté de la nation, ce
caractère d'énergie, de patriotisme et de sollicitude qu'on devoit atten-
dre de tous les représentans de la nation (applaudi vivement).
« Je parle ici avec une franchise qui pourra paroître dure, mais
qui me semble nécessaire. Ce n'est pas, messieurs, le moment de
nous flatter, de nous ménager réciproquement; c'est le moment, pour
nous tous, de nous dire à tous la vérité (applaudi).
« M. d'André. Bravo! Je demande la parole.
« M. Robespierre... C'est le moment pour l'assemblée nationale
de croire que chacun de ses membres doit se regarder comme chargé
personnellement de la destinée de la nation : c'est le moment de sorlir
de la tutelle des comités, et de ne point prolonger le danger public
par une fausse et funeste sécurité. (Applaudi).
« Cet avis doit suffire, et s'il ne suffisoit pas, j'interpellerais le
comité diplomatique de me dire dans quel ntoment intéressant pour la
liberté, il nous a révélé un secret qu'il fût important de connoître; et
si l'on m'interrogeait dans quelle occasion il a dissimulé des secrets,
je ne serois point embarrassé de répondre.
« Plusieurs voix à gauche. Parlez, parlez.
« M. Robespierre. Je dirois au comité diplomatique, ou plutôt
à l'assemblée nationale, qu'il existe depuis très longtems des rassem-
blemens sur plusieurs de nos frontières qui ont fait passer au comité
des adresses, contenant les alarmes universelles, sans que le comité ait
rien fait : je dirois que le comité diplomatique ne nous a point averti
ni de la négligence avec laquelle le ministre des affaires étrangères
veille à la sûreté du royaume, ni des commandemans laissés à des offi-
ciers connus pour être ennemis de la révolution, ni des places décisives
pour la défense du royaume, confiées récemment à des ennemis de la
révolution : je vous dirois que la ci-devant Provence est maintenant
à la veille de voir s'allumer une guerre civile, non seulement à Avignon
et dans le Comtat, mais entre les départemens voisins, dont les uns
veulent soutenir la cause des Avignonois patriotes, et les autres la
cause des prêtres réfractaires, et des contre-révolutionnaires du Comtat;
et cela pourquoi ? Parce que le comité diplomatique est venu, dans
un langage mystérieux et diplomatique, annoncer des inconvéniens pré-
tendus et répandre des craintes, au moment où l'Assemblée, pénétrée
de la justice de la cause du peuple d'Avignon, alloit prononcer une
décision qui eût rendu la paix dans les provinces méridionales et donné
un plus puissant appui à la liberté (murmures).
« Voilà ce que j'ai à dire; je conclus à ce que l'assemblée natio-
nale veuille bien désormais ne pas se payer de ces déclamations vagues
242 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
et contradictoires, lorsqu'il s'agit d'aussi grands intérêts, mais n'écouter
que sa sagesse et sa prudence. (Applaudissemens) » (5).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 1 1 1 , p. 436-7.
Journal de la Noblesse..., t. I, n° 18, p. 533 (6).
« M. Roberspierre. L'affaire qui vous est soumise donne lieu à des
réflexions générales, beaucoup plus importantes. Autrefois, lorsque
les frontières de l'Empire étaient menacées par les moindres indices
d'hostilité, le ministère exerçait la surveillance la plus scrupuleuse, il
rassemblait sur les frontières menacées les forces, les plus imposantes.
Aujourd'hui, que non-seulement nos frontières, mais que la tranquillité
intérieure, et l'ordre public sont menacés, je vois des démarches tout
opposées. La plus profonde sécurité, l'incurie la plus dangereuse,
sont le caractère de notre gouvernement, et se manifestent jusqu'au sein
de cette Assemblée.
« Depuis plus de six mois on ne peut plus douter de l'intelligence
des ennemis extérieurs avec ceux du dedans; et les ministres sont
inactifs ! et les commissaires nommés par l'Assemblée pour les sur-
veiller, gardent le silence, ou ne l'interrompent que pour nous endormir
dans une funeste sécurité ! Et c'est une nation étrangère qui nous avertit
des dangers que nous courons ! Et quand un député des départemens
menacés, connu par son patriotisme, demande que le Comité diploma-
tique instruise l'Assemblée, lui propose des mesures pour la sûreté, ce
Comité suppose des intentions perfides ! Il vient froidement, par l'or-
gane d'un de ses membres, discuter une question de compétence,
comme s'il n'était pas indifférent à quel Comité cette affaire fût ren-
voyée ! Il discute le patriotisme des ministres; il prétend qu'on devrait
plutôt inculper celui de la guerre que celui des affaires étrangères :
comme si les représentans de la nation ne devaient pas surveiller avec
la même activité tous les ministres, sans exception ! (L'extrémité
gauche applaudit). Je parle ici avec une franchise qui pourra païaître
dure. (Plusieurs voix: Non, non). Mais ce n'est pas ici le moment de
nous ménager réciproquement; c'est le moment de nous dire mutuelle-
ment la vérité : c'est le moment, pour l'Assemblée, de savoir que cha-
cun de ses membres doit se regarder comme chargé personnellement
des intérêts de la nation. (On applaudit). C'est le moment de sortir
de la tutelle des Comités, et de ne pas prolonger les dangers publics
par une funeste sécurité...
« Cet avis doit suffire, et si je voulais interpeller le Comité diplo-
matique de dire dans quel moment il nous a révélé des secrets impor-
tais que l'Assemblée aurait dû connaître, et si je voulais lui demander
(5) Texte utilisé par les Arch. pari., XXV, 207-208, qui le combi-
nent avec celui du Moniteur.
(6) Ce journal reproduit le texte du Moniteur jusqu'à: « de ce
pays ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 243
pourquoi il en a dissimulé d'autres, je ne serais pas embarrassé...
(Plusieurs voix: Parlez, parlez). Je dirais qu'il ne nous a jamais parlé
des rassemblemens qui excitaient des alarmes universelles dans le
royaume, qu'il ne nous a proposé aucune mesure vigoureuse, capable
d'en imposer, que jamais il ne vous a fait aucune dénonciation; que
jamais il ne vous a averti de la négligence des ministres, ni des ma-
nœuvres des ennemis de la révolution. Je pourrais citer des membres
de ce Comité qui ont fait des aveux en particulier, des aveux impoitans,
qu'ils n'ont pas daigné faire à l'Assemblée. Il me suffira de vous
rappeler sa conduite dans l'affaire d'Avignon. Pourquoi nous cache-t-il
une foule d'événemens relatifs à cette affaire, et qui sont intimement
liés à la tranquillité publique, au sort de la révolution? Pourquoi ne
vous dit-il pas que la ci-devant Provence et les départemens voisins
sont menacés des troubles les plus alarmans. C'est pour avoir négligé de
prononcer sur le vœu des Avignonais, qu'on est prêt à avoir une guerre
civile, non seulement entre les citoyens d'Avignon et ceux du Comtat,
mais entre des départemens qui diffèrent d'opinion, et dont les uns
prennent le parti des Avignonais et des patriotes du Comtat, et les
autres des aristocrates de ce pays.
« D'où vient que le Comité ne vous a pas encore fait le rapport
qui seul peut prévenir ces troubles ? D'où vient que, lorsque vous
voulûtes vous occuper de cette affaire, il vint interposer un langage
mystérieux, et vous inspirer des frayeurs non motivées pour éloigner
votre décision. (11 s'élève quelques murmures). Je conclus de tout cela
que l'Assemblée ne doit point s'arrêter à des déclamations, ni donner
une pleine confiance à ses Comités, lorsqu'ils cherchent à obscurcir
les vérités les plus évidentes et les plus certaines.
[Interventions de MM. Dandré, Noailles et Pétion.]
« M. Robespierre Si cette proposition, qui intéresse essentielle-
ment la tranquillité publique, est rejetée, je demande que le Comité
diplomatique soit cassé » (7).
L'Ami du Roi (Montjoie), 21 avril 1791, p. 442.
« L'opinion de M. Reubell, et sur-tout ses intelligences avec les
habitans de Porentru (sic) ont fait une grande impression sur M. Robes-
pierre; il a parlé dans le même sens, et à-peu-près de la même manière;
seulement il a outré ses conséquences; et dans sa chaleur oratoire, il
a pris à partie tous les membres du comité diplomatique.
« L'incurie, a-t-il dit, est le vrai caractère de votre gouvernement.
Il se manifeste au sein même de l'assemblée nationale. Depuis plusieurs
mois le silence le plus profond est gardé par le ministre, par les com-
missaires même que vous avez chargés de veiller à la sûreté du royaume.
(7) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 180; et dans Bûchez
çt, Roux, IX, 3Ô1-362.
244 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Les membres du comité diplomatique n'ont rompu le silence que pour
vous rassurer par des tableaux flatteurs de la situation du royaume,
et vous plonger dans une dangereuse sécurité »...
M. Robespierre a été, tout-à-coup, interrompu par des murmu-
res; mais élevant fortement la voix, il s'est écrié: « Ce n'est pas le
moment de nous dire à tous la vérité; c'est le moment pour l'assemblée
nationale de croire que chacun de ses membres doit se regarder comme
chargé personnellement de l'intérêt de la nation... C'est le moment de
secouer le joug des comités ! »
« J 'interpellerai u ici, le comité diplomatique, de me dire dans
quel moment il nous a dévoilé un secret important à connoître, et si l'on
me demande dans quel moment il a eu de ces sortes de secret à révéler,
je ne serai point embarrassé de répondre. »
Parlez, parlez! a-t-on crié aussi-tôt à l'orateur.
« Il existe, a continué celui-ci, il existe depuis long-tems des
rassemblemens de troupes sur plusieurs de nos frontières. De toutes
nos villes limitrophes sont arrivées depuis long-tems des adresses qui
renfermoient des inquiétudes, et par lesquelles on demandoit !e com-
plément des gardes nationales. Je pourrois dire que le comité diploma-
tique n'en a jamais parlé. Enfin, je demande que l'assemblée nationale,
sans se fier à son comité, n'écoule que son courage et sa prudence. >.
A ce discours de M. Robespierre, qui annonce en lui beaucoup
moins de courage et de prudence que de terreur panique, M. d'André
a répondu. Personnellement inculpé, en sa qualité de membre du comité
diplomatique, il a repoussé M. Robespierre, en démontrant que le
comité avoit toujours fait part à l'assemblée de tout ce qu'il étoit inté-
ressant qu'elle n'ignorât pas. Ses preuves ont été plusieurs décrets, et
entr' autres, celui qui a ordonné une augmentation d'armement pour la
garde nationale, celui qui a ordonné des rassemblemens...
La frayeur avoit fait oublier tout cela à M. Robespierre...
L'assemblée avoit applaudi à la diatribe de M. Robespierre con-
tre le comité, et par une bizarrerie, qui lui est peu ordinaire, elle a
aussi applaudi à la justification de M. d'André. »
L'Ami du Roi (Royou), 1791, n° 339, p. 2.
« M. de Robespierre ne veut pas fixer des regards trop attentifs
sur ces spectres hideux; il ne veut pas s'assurer s'ils ont quelque réalité,
ou s'ils ne sont que les fantômes d'une imagination alarmée, ou qui
veut alarmer les autres. 11 suppose vrais, sans les examiner, tous les
faits articulés par M. Rewbel, et il en conclut qu'il faut se débarrasser
prompt ement, et du ministre perfide qui dissimule les dangers dont
nous sommes menacés, et des infidèles comités diplomatique et miliLaîre,
complices de cet horrible mystère. Il est tems, dit-il, de se dégager de
la tutelle dos comités, de faire une justice éclatante des ministres; il
faut enfin que l'assemblée écoute son courage, et n'écoute que cela. (Je
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 245
serois d'avis qu'elle partît pour les frontières, présidée par M. Robes-
pierre ou M. Lavie) et si elle garde encore de timides ménagemens,
il annonce qu'il a des vérités terribles à révéler. »
Journal général de France, n° 1 1 1 , p. 442.
« L'inertie des Comités Diplomatique et Militaire ont excité l'in-
dignation de M. Robertspierre. Autrefois, a-t-il dit, les Ministres
prenoient du moins toutes les précautions nécessaires pour repousser les
attaques des ennemis de l'Etat, et les Comités se dispensent aujour-
d'hui de cette sollicitude. Ah ! si je voulois vous dénoncer, Messieurs,
la coupable négligence du Comité Diplomatique, je vous dirois... Plu-
sieurs Membres se sont alors écriés : parlez, parlez.
« Eh bien, a repris l'opinant, je vous dirai que depuis long-temps
il est parvenu à ce Comité, qui a dédaigné de vous en rendre compte,
une foule d'Adresses des Départemens frontières, pour l'instruire du
rassemblement des troupes étrangères. Aussi la Provence est-elle en
butte aujourd'hui à des troubles, et tout semble y annoncer la guerre
civile. Je conclus donc à ce que l'Assemblée ne se paie plus désormais
de déclamations vaines et contraditoires, et à ce qu'elle n'écoute plus
que sa sagesse, sa prudence et son courage. »
Correspondance nationale, n° 20, p. 222.
« M. Robespierre s'élève avec force, et contre le ministre et
contre les commissaires nommés par le corps législatif, qui ont gardé
sur ces rassemblemens le plus profond silence, ou ne l'ont interrompu
que pour rassurer la nation, et l'endormir sur les dangers dont elle est
environnée. Il est arrivé de toutes parts des adresses à l'assemblée,
pour qu'elle prenne des mesures vigoureuses contre les ennemis de
l'Etat : la Provence est menacée d'une guerre intestine entre ses diffé-
rens départemens; les places les plus importantes sont confiées à des
ennemis déclarés de la constitution, et cependant votre comité ne vous
a fait part d'aucun de ces faits. Il est tems que l'assemblée nationale
sorte de la tutelle des comités, et qu'elle n'écoute que son courage,
sa sagesse et sa prudence. »
Le Point du Jour, t. XX, p. 290.
« Sous l'ancien gouvernement, a dit M. Robespierre, à peine y
avoit-il le plus léger nuage sur l'horizon politique de l'Europe, que
tout étoit en mouvement dans notre cabinet et dans les garnisons; tout
s'agitoit pour la défense de l'Etat. Aujourd'hui, la sûreté a be^u être
menacée, ce n'est qu'avec la plus grande indifférence que ''on s'en
occupe ; et pendant que les représentans de la nation devroient exiger
les mesures les plus promptes et les plus fortes pour nous mettre en
état de défense, on agite des questions de compétence; on dispute
pour savoir à quel comité on renverra l'adresse de Porentrui. Apprenez
246 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
donc à ne livrer à aucun comité d'aussi grands intérêts, à ne confier qu'à
1 assemblée nationale seule le soin de la sûreté publique. Le comité
diplomatique vous a traités sans cesse avec ce ton de mystère et de
secret dont s'enveloppoit le gouvernement ancien : il a gardé le plus
profond silence, lorsque tous les papiers publics annonçoient les événe-
mens les plus fâcheux.
« C'est ainsi que dans l'affaire d'Avignon, dont vous seriez
parvenus à arrêter les maux de l'anarchie, en suivant le voeu de tes
habitans, le comité diplomatique parvint à vous faire prendre une déter-
mination, qui, malgré les efforts des départemens voisins, a conservé
les malheurs de cette ville. Je demande que l'assemblée sorte enfin
de la tutelle du comité diplomatique et qu'elle ne soit plus esclave de
son étrange sécurité » (8).
Journal du Soir (Beaulieu), 1791, n° 110, p. 2.
Le Législateur Français, 21 avril 1791, p. 3.
« *M. Robertspierre a dénoncé, en ces termes très-éloquens, l'in-
curie, la négligence des comités diplomatique et militaire; il disoit que,
dans les circonstances où nous nous trouvons, chaque membre de l'assem-
blée nationale devoit se regarder comme spécialement chargé de la chose
publique; que ce n'étoit plus le temps de flatter personne, et qu'on
de voit sans ménagement se dire ses vérités.
« Si je voulois, disoit-il, vous dénoncer la coupable négligence
du comité diplomatique, je vous dirais... on lui a ordonné de dire,
et M. de Robertspierre a parlé d'une multitude d'adresses des divers
départemens frontières sur les rassemblemens des troupes étrangères,
dont le comité diplomatique n'a pas rendu compte. »
Le Courrier des LXXXIII Départemens, t. XXIII, p. 334.,
« M. Robespierre a appuyé la proposition de M. Rewbelî. Autre-
fois, s'écrioit-il, lorsque nos frontières étoient menacées, le ministre
n'oublioit pas la moindre précaution. Aujourd'hui que tout annonce
une coalition générale, je vois régner une parfaite sécurité jusque dans
le sein de cette Assemblée. Si une dénonciation sérieuse vous est faite,
vous ne la devez qu'à des étrangers. Quelle honte pour votre comilé !
Je le dirai hautement; ses membres n'ont point déployé ce caractère
de sollicitude qu'on a droit d'attendre des représentans de la Nation.
Voici le moment de sortir de la tutelle des comités, et de ne pas pro-
longer le péril par une sécurité funeste (applaudi). »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal des Débats,
t. XIX, n° 695, p. 2; Le Journal de Normandie, n° 11 1 , p. 542;
Le Journal général, n° 80, p. 319; Le Journal universel, t. XI,
(8) Cf. E. Hamel, I, -415-416.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 247
p. 5014; Le Mercure de France, 30 avril 1791, p 338: Le Courrier
extraordinaire, 21 avril 1791, p. 2; Assemblée nationale, Corps admi-
nistratifs (Perlet), t. XI, n° 624; Le Journal du Soir (des Frères Chai-
gnieau), t. II, n° 296; La Chronique de Paris, n° 1 1 1 , p. 444; La Ga-
zette nationale ou Extrait..., t. XVI, p. 131; Le Spectateur national,
n° 14^, p. 613; Le Mercure national et étranger, t. I, p. 77.1
270. — SEANCE DU 21 AVRIL 1791
Sur les troubles d'Avignon et du Comtat (1)
La Tour-Maubourg, député de la .noblesse de la sénéchaussée
du Puy-en-Velay, demande à l'Assemblée de fixer un jour pour
entendre le rapport sur l'affaire d'Avignon et du Comtat Menou
répond au nom du comité diplomatique, que le comité a les pièces
nécessaires pour rendre compte de ce iqui s'est passé dans le Comtat,
mais qu'il n'est point à même de faire son rapport sur la pétitio-i
des Avignonars : en vue de ce travail, Menou s'est rendu plusieurs
fois à la Bibliothèque du roi pour réunir les documenta destinés
à faire l'historique d'Avignon i(2). Robespierre iqui intervient après
Menou, puis Bouche i(3), soutiennent la proposition de La Tour-
Maubourg.
(L'Assemblée décréta que l'affaire d'Avignon serait mise à l'or-
dre du jour de la séance du mardi 26 avril (4).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIV, p. 393
a M. Robespierre. J'observe à l'assemblée que si M. de Mau-
bourg avoit voulu entrer dans les détails des faits qui ont motivé sa
demande, il vous auroit convaincu que vous n'avez pas un moment à
perdre pour prévenir les plus grands désordres, non seulement à Avi-
gnon et dans le Comtat, mais encore dans les départemens méridionnaux
de la France : il vous auroit dit que le parti opposé à la majorité du
Comtat et d'Avignon qui demande la réunion a fait une incursion sur
(1) Cf. Discours, lrc partie, -séances des 18 et 19 novembre 1790.
(2) Cf. P. Vaillandet, op. cit. 3e partie, lettre CLXV, p. 96 à
08. Les envoyés extraordinaires d'Avignon auprès de J'Assemblée,
dont Tissot, fournissaient à Menou des matériaux pour la confection
(le son rapport.
(3) L'intervention 'de Bouche avait été particulièrement vive.
Décrivant les troubles de Vaison, il insistait sur le fait que les
rictimes auraient été <( coupées en morceaux &> et ique l'évêque de
Vaison aurait: glorifié ces crimes en faisant chanter un « Te Demu ».
(4) Cf. ci-dessous séances des 28-30 avril et 2 mai. E. Haincl,
I, 417, cite ce passage du Courier de Provence (t. XIV, n° 285,
p 260): (( M. Robespierre a dû le faire rougir de sa lenteur .par
la vivacité avec laquelle il l'a opposée aux miotifs les plus pressant
pour arrêter le carnage qu'on fait dans cette contrée malheureuse. »
248 , LÉS DISCOURS DE ROBESPIERRE
les patriotes; et que déjà les maires de plusieurs communes qui ont
voté la réunion, que les patriotes les plus distingués du Comtat et d'Avi-
gnon, et les plus attachés à la révolution françoise, sont égorgés : il
vous auroit dit que les départemens voisins prenoient fait et cause dans
cette querelle, que d'un côté, ceux qui agissent sous les ordres du
directoire du département -de la Drôme volent au secours du parti anti-
révolutionnaire d'Avignon et du Comtat; et que de l'autre le départe-
ment des Bouches-du-Rhône est disposé et a fait tous les préparatifs
nécessaires pour voler au secours des patriotes du Comtat et d'Avi-
gnon : il vous auroit dit que déjà un grand nombre de citoyens, de
fonctionnaires publics, de gardes nationales du département des Bou-
ches-du-Rhône sont à Avignon ; que les maires et en particulier le
maire d'Arles, ont juré à Avignon de venger l'assassinat commis dans
la personne des patriotes avignonois et comtadins, dont ils regardent la
cause comme liée à celle de la révolution françoise.
« C'est à vous, messieurs, à juger, d'après ces faits, qui ne peu-
vent point être démentis, qui sont constatés par des lettres qui arrivent
tous les jours de ces contrées, si, sous prétexte qu'il faudroit faire des
recherches ultérieures à la bibliothèque du roi, on peut vous empêcher
de presser ce rapport Je demande, au nom du salut piùSlic, et pour
éviter l'effusion du sang françois, que le rapport soit fait incessamment;
et, certes, si vous vouliez écouter tout ce que vous dicte l'intérêt
public, dans ce moment même vous conclueriez de tous les moyens qui
vous ont été présentés dans les deux rapports précédens, que cette
cause est déjà éclaircie à vos yeux; et vous prononceriez sur-le-champ
la réunion d'Avignon et du Comtat Venaissin à la France (Murmures.
Applaudi des tribunes) » (5).
Gazette nationale ou. le Moniteur universel, n° 112, p. 461.
(( M. Roberspierre . J'observe que si M. Maubourg était entré
dans le détail des faits, il vous aurait convaincu qu'il n'y a pas un
moment à perdre pour prévenir les désastres qui menacent le Comtat et
les départemens méridionaux. Il vous aurait appris que le parti opposé
à la réunion du Comtat, a fait une incursion sur les patriotes : que les
personnes les plus attachées à la révolution française : que des maires
ont été égorgés; que les départemens voisins prennent fait et cause
dans cette affaire; que celui de la Drôme, c'est-à-dire, ceux qui agis-
sent sous l'autorité du directoire, volent au secours des anti-révolution-
naires; que beaucoup de fonctionnaires publics sont à Avignon; que
le maire d'Arles notamment y a juré de venger l'assassinat des patriotes
Avignonais et Comtadins. Jugez, d'après ces faits que M. Maubourg
peut affirmer, si vous pouvez être arrêtés par de vains prétextes.
(5) Texte reproduit dans les Arch. pari.. XXV, 237, et complété
à l'aide du Moniteur.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 249
« Je puis dire que le rapport est prêt depuis trois mois, depuis trois
mois vous savez tout ce que vous pouvez savoir. La pétition des Avigno-
nais vous avait été développée dans deux rapports faits, l'un par
M. Tronchet, et l'autre par M. Pétion. La réunion est appuyée par
tous les moyens du droit positif et du droit des gens. Si l'on veut
bien se reporter à cette époque, on se rappellera que l'Assemblée avait
une conviction profonde c'e la justice de cette pétition (6). Est-il pos-
sible d'après cela que l'on diffère, sous prétexte qu'il faudrait recher-
cher dans la bibliothèque du roi l'historique d'Avignon ? Est-il quel-
qu'un qui ne sache, sans fouiller une bibliothèque, tout ce qu'il faut
savoir sur les rapports des Avignonais avec la France ? Est-il quel-
qu'un qui ne connaisse pas les départemens voisins ? A-t-on oublié
que les députés de la ci-devant Provence étaient chargés par leurs
mandats de solliciter la réunion du Comtat. Je demande donc, au nom
du salut public, que le rapport soit fait incessamment. Si vous vouliez
vous décider sur ce que vous savez, vous verriez que vous connaissez
assez cette affaire pour prononcer en ce moment la réunion. (On
applaudit) » (7).
Le Point du jour, t. XXI, n° 657, p. 421.
« M. Robespierre a appuyé la motion.
« Si le comité partait, a-t-il dit, il vous auroit annoncé que le
département des Bouches-du-Rhône a fait toutes les dispositions néces-
saires pour voler au secours des patriotes d'Avignon et du Comtat;
plusieurs maires, entr'autres le maire d'Arles, ont juré à Avignon de
venger les assassinats commis sur plusieurs patriotes. Déjà la cause
d'Avignon vous a été présentée deux fois par MM. Tronchet et Pé-
thion. Ils vous ont rappelle les droits des nations, et tout ce qui pouvoit
fonder la justice de la pétition d'Avignon; vous avez vu les effets que
les événemens de cette ville peuvent produire sur le sort de la France.
Les députés de la ci-devant Provence ont été chargés par leurs man-
dats de réclamer la réunion du Comtat à la France. Je demande au
nom du bien public et pour éviter l'effusion du sang français, que cette
cause déjà éclairée à vos yeux soit présentée au premier jour et qu'Avi-
gnon soit réuni à la France. »
Mercure de France, 30 avril 1791, p. 345-46.
« Vous savez depuis trois mois, tout ce que vous pouvez et devez
savoir, a réparti M. Roberspierre. Rappelez-vous les rapports de MM.
Tronchet et Péthion. )> La réunion est appuyée par tous les moyens du
droit positif et du droit des gens. L'Assemblée eut dans le temps une
(6) Passage reproduit dans les Arch. pari., XXV, 237, -depuis :
« Je puis dire... ».
(7) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 190.
250 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
conviction parfaite de l'équité de cette pétition. « Est-il besoin de
fouiller dans les bibliothèques pour juger des rapports des Avignonois
et des François »? Il a conclu, comme premier exemple de la sincérité
du renoncement à toute espèce de conquête, à ce qu'on décrétât sur le
champ la réunion du Comtat à la France. »
Le Spectateur national, n° 144, p. 623.
« M. Robespierre a dit que de grands désordres régnoient en effet
à Avignon et dans le Comtat, que d'horribles assassinats y avoient été
commis, et que les départemens méridionaux, partagés d'opmjon sur
la réunion ou la non-réunion de cette contrée à la France, étoient eux-
mêmes près d'en venir aux mains. Comment, s'est écrié M. Robes-
pierre, comment, à la vue de tels attentats, et quand il s'agit de pré-
venir de nouveaux massacres, ose-t-on nous parler de recherches à
faire dans la bibliothèque du roi ! Je demande qu'au nom du bien géné-
ral, et pour éviter l'effusion du sang, le rapport de cette affaire soit
incessamment présenté; et si l'assemblée entendoit ce que lui dicte
l'intérêt public, elle décréteroit sur le champ même qu'Avignon et le
Comtat sont parties intégrantes de l'Empire françois. »
Journal général, n° 82, p. 328.
« M. Robespierre. La chose est instante : les Patriotes les plus
distingués ont été égorgés. On prétend que le Département de la Drôme
appuie les contre-révolutionnaires; celui des Bouches-du-Rhone veut
venger les Patriotes. Hâtez-vous de prononcer si vous ne voulez que
tout ce pays soit dévasté, que les Départemens voisins soient en guerre
les uns contre les autres, et que le sang François soit versé. L'Opinant
croit que l'état actuel des choses, le droit naturel, le droit politique,
concourent à demander la réunion d'Avignon et du Comtat à la
France. >»
Journal général de France, 23 avril 1791, p. 450.
« M. Robertspierre a fait ensuite le tableau le plus terrible des
désordres du Comtat, et il a dit une chose qui paraîtra sans doute
singulière aux habitants de ces pays et des départements voisins; c'est
que les partisans de l'ancien régime y sont les oppresseurs;^ et les
Patriotes, c'est-à-dire les Insurgés, les opprimés. Mais ce n'est pas
ceux-ci qui ont sacrifié à Avignon un grand nombre de victimes, et qui
ont porté le fer et la flamme, la dévastation et le pillage à Cavaiîlon
et à Carpentras.
« Mais il falloit frapper de grands coups, et M. Robertspiene et
M. Bouche, se rappelant le précepte de Voltaire, il Vaut mieux frap-
per fort que de frapper juste, ont voulu disposer les esprits par des
tableaux effrayants en faveur de ceux qu'ils appellent les Patriotes, et
préparer la prise du Comtat Venaissin. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 251
L'Ami du Roi (Montjoie), 23 avril 1791, p. 450.
M. Robespierre, qui s'est montré disposé à secouer le joug des
comités, n'a pas été satisfait des motifs de retard allégués par M. de
Menou; puis «'étendant sur les prétendues vexations exercées envers
ceux qu'il a désignés sous le nom de patriotes d'Avignon, et qui sont
les seuls vexateurs, il a soutenu qu'il étoit tems de les faire cesser;
que la majorité des habitans du Comtat demandant à être réunis à la
France, la question ne devoit plus souffrir aucune difficulté.
Il seroit inutile de réfuter encore ici cette détestable opinion ; elle
ne fait que se reproduire, et déjà il y a long-tems qu'elle a révolté
toute l'Europe; mais nous devons dire, pour la honte de ceux qui s'occu-
pent de cette téméraire et si injuste conquête, qu'elle a été viveme.it
applaudie parmi eux.
Gazette de Paris, 28 avril 1791, p. 3.
« Le Républicain, M. Robespierre, a répété aussitôt avec enthou-
siasme cette maxime : les droits des Avignonais, comme ceux de tous
les Peuples, ne sont pas dans leur histoire, mais dans leur nature;
maxime qui, d'après la manière dont nos Sophistes la commentent, est,
ne l'oubliez point, le premier paragraphe du code du Régicide; maxi-
me écrite d'ailleurs dans ce style énigmatique, d'autant plus insidieux,
que par lui chaque phrase signifie tout ce qu'on veut lui faire dire.
Il est de toute fausseté que les titres des Nations ne soient pas dans
leur histoire : elle est le dépôt des connoissances qu'ils ont acquises,
des progrès qu'a fait l'entendement humain, des vertus morales qui ont
succédé à cet instinct trop souvent aveugle, qui étoit ce que l'on
appelle leur nature. Donc, plus ils ont acquis de bonté, de justice, de
sensibilité réelle, et plus ils se sont éloignés de cette Nature, qui avoit
mis en eux des moyens d'acquérir, mais non des trésors encore déve-
loppés. »
Journal de Paris, n° 113, p. 453.
« Il s'agit bien, s'est écrié M. de Robespierre, de recherches
historiques : les droits des Avignonois, comme ceux de tous les hom-
mes, ne sont pas dans leur histoire, mais dans leur nature. Tandis que
vous étudierez leur histoire ancienne, craignez que par notre faute
les fastes de leur histoire actuelle n'arrivent ensanglantés à la posté-
rité. Déjà le sang des meilleurs Citoyens et des Maires des Communes
qui ont voté pour la réunion, a coulé sous le poignards des Papistes. De
pareils crimes, lorsqu'ils restent impunis, provoquent la vengeance. Les
Gardes Nationales du Département de la Drôme ont annoncé qu'ils
alloient s'armer contre ces assassins : ils violeront la Loi sociale, je le
sais, mais ils la violeront pour suivre la Loi de l'humanité; et l'mcen-
die va se répandre dans tout le Midi de la France. Qui faudn-t-il
252 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
en accuser? Nous, MM., nous, qui avons mis tant de lenteur à faire
droit à une pétition d'une justice si évidente. »
Le Creuset, t. II, n° 34.
« Enflammée par le tableau des calamités suscitées dans ces can-
tons par le fanatisme, l'âme franche et pure de M. Roberspierre a fait
entendre ensuite les gémissemens de la probité et de la philosophie. Si
on ne prend pas les mesures les plus promptes, a-t-il dit, bientôt toutes
les fureurs de la guerre civile éclateront dans tout le midi de la
France... »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal des Clubs,
t. II, n° 23, p. 465; La Correspondance Nationale, n° 20, p. 224;
La Gazette Nationale ou Extrait..., t. XVI, p. 149; Le Courrier
extraordinaire, 23 avril 1791, p. 6; Le Journal de Normandie, n° 113,
p. 552; Le Mercure national et étranger, 22 avril 1791, p. 112- Le
Lendemain, t. III, n° 113, p. 211.]
271. — SEANCE DU 22 AVRIL 1791
Sur les procès intentés pour crime de lèse-nation
L'un des secrétaires donne lecture à l'Assemblée d'une lettre
du ministre de la justice. Il annonce qu'il a demandé au procureur
du roi du ci-devant Châtelet, la liste des procès pour crimes de
lèse-nation. Parmi ces procès, plusieurs, commencés devant des
tribunaux ordinaires, et ayant pour objet soit des écrits séditieux,
■soit des discours, ne sauraient être confondus avec les procès pour
crime de lèse-nation, que .seul le corps législatif peut intenter. Or,
il est prévu par les décrets d'organisation de la Haute cour natio-
nale (1), que les procédures commencées au Châtelet seront trans-
mises à la Haute cour siégeant à Orléans. Le ministre demande à
l'Assemblée de .manifester ses intentions, relativement aux procès
qu'il lui a signalés.
L'Assemblée ordonna, ainsi que le demanda Robespierre, le
renvoi de la lettre du ministre de la justice, aux comités des rap-
ports, des .recherches et de jurisprudence criminelle.
Mercure universel, t. II, p. 382.
« M. Robespierre croit qu'il n'est point prudent ni digne de
l'assemblée de prodiguer ainsi les accusations de lèze nation; qu'elle
doit se préparer à la donner ou à la refuser aux personnes dont il s'agit
par un examen fait en comité. »
<1) CL Discours..., lre partie, p. 555 à 667.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 253
L'Ami du Roi (Montjoie), 23 avril 1791, p. 454.
« MM. Voidel et Robespierre, successivement, ont insisté avec
chaleur sur l'injustice qu'il y aurait à transférer à Orléans des citoyens
qui ne sont coupables que de propos indiscrets; ils ont démontré, ce
qui n'était pas difficile, la nécessité de définir les crimes de lèze-nahon,
et ont demandé le renvoi de la lettre aux comités de constitution et de
jurisprudence, qui présenteraient enfin un rapport sur cette définition
mille fois trop tardive. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Mercure national
et étranger, 23 avril 1791, p. 127.]
272. — SEANCE DU 23 AVRIL 1791 (soir)
Sur la lettre du roi aux ambassadeurs
L'un des secrétaires donne lecture à l'Assemblée d'une lettre
du ministre des affaires étrangères qui en fait passer une autre,
■écrite au nom du roi, à tous les ministres et ambassadeurs de
France auprès des cours étrangères (1)-. (Le roi, par cette .lettre,
ordonne aux agents diplomatiques de .notifier aux puissances près
desquelles ils résident, la Révolution accomplie en France et les
sentiments qu'il n'a jamais cessé de manifester pour la Constitution
Cette lecture suscite de vifs applaudissements. Alexandre La-
aneth propose qu'une députation soit envoyée à Louis XVI « pour
le remercier du bien immense qu'il vient de faire à la nation en lui
rendant la paix » (3). Robespierre demande que le roi soit félicité
et non pas remercié ;(4).
L'Assemblée décida « qu'une députation de 60 membres se reti-
rerait par devers le Roi, pour le féliciter du parfait accord de ses
sentiments avec ceux 'de la nation n. 'Elle décréta çn outre que la
lettre du roi serait envoyée à tous les corps civils et militaires du
royaume.
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n° 190, p. 3.
Journal des Etats Généraux ov Journal Logographique . t. XXIV, p. 427
Le Creuset, t. II, n° 35, p. 174.
« M. Robespierre. Je vous propose de rendre au roi un autre
hommage beaucoup plus noble et plus digne de la circonstance. Le
loi connoit la souveraineté de la nation ; il connoit la dignité de ses
représentans; il n'y a pas un mot de la lettre qui vous a été lue qui ne
i(l) Cotte lettre, fut écrite .après l'affaire du J8 avril: le roi, sur
le point de partir pour Saint-Cloud où il comptait faire ses Pâques
avec l'assistance d'un prêtre .réfractairc, en fut empêché par la
foule.
(2) Le texte de la lettre est reproduit dans le Moniteur Uni-
versel, n° 115, p. 473; et le Point du Jour, n° 653, p. 363.
(3) Cf. le Point du Jour, n° 653, p. 365.
(4) Cf. E. 'Hamel, I, 123.
254 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
soit puisé dans ce principe et dans ce sentiment. Le roi verroit donc avec
douleur que l'assemblée nationale montre qu'elle a oublié sa dignité
(murmures); d'un côté, je ne m'éloignerai pas de la motion de M. de
Lameth. Je me bornerai seulement à y faire une modification qui la
rende digne de l'assemblée et du roi. Moi je crois qu'il ne suffit pas de
remercier le roi : ce n'est pas de ce moment-ci que l'assemblée natio-
nale doit croire au patriotisme du roi : elle doit croire que dès le com-
mencement de la révolution, comme le roi l'a dit dans sa lettre, il a été
ïnviolablement attaché aux principes de la révolution et de la liberté,
et qu'il n'a connu d'autre bonheur que celui du peuple. Je demande
en conséquence qu'il soit envoyé une députation au roi pour le féli-
citer du parfait accord de ses sentimens avec ceux de !a nation fran-
çaise » (5)
La Bouche de Fer, suppl. au n" 48, p. 254.
« La lettre du roi adressée aux cours étrangères, a occasionné un
de ces enthousiasmes dont les François seuls sont capables. Tous vou-
loient aller lui témoigner l'impression que cette heureuse fraternité fai-
soit naître; mais Robertspieire a retenu ce premier mouvement. Il a
fait sentir ce que les représentans d'un peuple libre doivent au souve-
rain (le peuple), et quelles sont leurs relations avec !e premier sujet
de la loi (le roi). Il a conclu qu'une députation devoit aller, non point
remercier le roi de ses sentimens, mais l'en féliciter. On observera
que les prétendus amis du roi, séants au côté droit de l'assemblée,
n'ont partagé ni l'ivresse, ni les applaudissemens des vrais amis du roi,
les François régénérés. »
Journal de la Noblesse, t. I, n° 18, p. 539.
« M. Robespierre plus réfléchi, a senti que ces hommages tour-
neraient contre l'assemblée.
« Le roi, a-t-il dit, reconnoît la souveraineté de la nation, et la
dignité de ses représentans; sans doute, il verroit avec peine que
l'assemblée nationale, oubliant cette dignité, se déplaçât toute entière.
On vous propose de remercier le roi; mais ce n'est pas de ce moment
que l'assemblée doit croire à son patriotisme (Quelle sagacité !) Elle
doit penser que depuis le moment de la révolution, il y est constam-
ment attaché. Il ne faut pas le remercier, mais le féliciter du parfait
accord de ses sentimens avec ceux de la nation. »
Journal des Débats, t. XIX, n° 699, p. 3.
« M. Robespierre a dit : je propose de rendre au Roi un autre
hommage, qui soit tout-à-lafois plus noble et plus digne de l'Assemblée
Nationale et de la circonstance dans laquelle elle se trouve placée;
je trouve dans la lettre du Roi même le caractère que doit prendre
(5) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXV, 314.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 255
l'hommage que nous avons à lui rendre. Le Roi reconnoît la souve-
raineté de la Nation ; le Roi reconnoît la dignité de la Nation : il ver-
rou sans doute avec douleur que l'Assemblée qui la représente, se
déplaçant toute entière, montrât qu'elle a oublié sa dignité. (De longs
murmures ont interrompu l'Orateur). D'un autre côté je ne suis point
éloigné de la motion de M. Lameth, mais je me borne à y faire une
modification.
« M. Lameth propose de remercier le Roi des sentimens qu'il
manifeste dans sa lettre; et moi, je crois que cela ne suffit pas. Ce
n'est pas de ce moment-ci seulement qu'il faut croire au patriotisme du
Roi; l'Assemblée Nationale doit y croire depuis le commencement
de la Révolution : et comme Sa Majesté ne veut avoir d'autre bon-
heur que celui du Peuple, il ne faut point la remercier, mais la féliciter
d'avoir toujours eu des sentimens si patriotiques, si dignes d'Elle et de
la Nation Françoise. (Il s'est élevé de nouveaux murmures).
« Je me résume à cette dernière idée, qui me paroît la plus con-
forme à la dignité de l'Assemblée Nationale, et à la circonstance qui
détermine la démarche qu'elle va faire » (6).
Le Spectateur national, n° 146, p. 632.
« Je m'y oppose, s'est écrié M. Robespierre. Le roi vieil' de
reconnoître la souveraineté de la nation, la dignité de ses représentans.
Il n'y a pas dans la lettre du ministre une ligne, un mot, un syllabe
qui ne soient puisés dans ce principe et dans ce sentiment. Il faut donc
se contenter d'envoyer une députation au monarque, et ne pas faire
croire, par une démarche inconsidérée, que nous sommes moins péné-
trés de la souveraineté nationale que lui-même. (Applaudissements des
tribunes). Ce n'est pas tout, a ajouté l'opiniant, je demande encore que
le roi soit, non pas remercié, comme on le propose, mais seulement
félicité des sentimens patriotiques qu'il vient de faire paroître.
« Cette dernière proposition a paru très-déplacée et n'a pas même
trouvé d'appui parmi ceux qu'on sait être, comme le député d'Arras,
partisans de l'indépendance populaire » (7).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 115, p. 473.
« M. Robespierre. Il faut rendre au roi un hommage noble et
digne de la ciiconstance. Il reconnait la Souveraineté de la nation et
la dignité de ses représentants, et sans doute il verrait avec peine que
l'Assemblée nationale, oubliant cette dignité, se déplaçât toute entière.
(Il s'élève de grands murmures. Quelques personnes applaudissent). Je
ne m'éloigne pas de la proposition de M. Lameth; je me borne à une
petite modification. Il vous a proposé de remercier le roi; mais ce n'est
(6) Texte reproduit dans les Arch. pari. XXV, 314, combiné
avec celui de Le Hodey.
(7) Eu fait elle fut adoptée.
256
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
pas de ce moment que l'Assemblée doit croire à son patriotisme; elle
doit penser que depuis !e moment de la révolution, il y est resté
constamment attaché. Il ne faut donc pas le remercier, mais le féliciter
du parfait accord de ses sentimens avec ceux de la nation (on applau-
dit) » (8).
Journal de la Cour et de la Ville, n° 58, p. 508.
« C'est un Robertspierre qui s'oppose à ce que l'assemblée natio-
nale aille faire des remerciemens au Roi ; il suffit de lui faire des féli-
citations... Des félicitations! Et de quoi? De ce qu'il ne s'est pas
trouvé un Damien dans la cour des Tuileries, le jour qu'on a proclamé
la liberté du Roi ? »
[Brève mention de cette intervention dans Le Point du Jour,
t. XXI, n° 653, p. 366; Le Journal général du Pas-de-Calais, n° 34,
p. 300; Le Courier français, t. X, n° 114, p. 427; Le Journal de
Paris, 24 avril 1791, p. 459; Le Législateur français, 26 avril 1791,
p. 2; Le Patriote françois, n° 626, p. 452; Le Journal universel, t. XI.
p. 5048.]
(8) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 214.
Société des Amis de la Constitution
273. — SEANCE DU 25 AVRIL 1791
Sur l'affaire d'Avignon
L'Assemblée nationale avait décrété, le 21 avril, que l'affaire
■d'Avignon serait mise à 'l'ordre du jour de la séance du 26. Le 25,
à la Société des Jacobins, divers orateurs, dont Goupil, Carra (1),
Labre d'Eglantine et Robespierre, interviennent sur ce même sujet.
Mercure universel, t. II, p. 474.
« M. Robespierre. Il ne faut pas compromettre l'intérêt des peu-
ples par des questions problématiques. Le principe de la question des
Avignonois a été décidé par des hommes étrangers aux droits des
hommes; nous ne devons pas être plus délicats que ceux qui se disoient
les maîtres de la France ; nous ne devons pas être plus difficiles que
la reine Jeanne, qui écouta la séduction du pape Clément (2). Les états
généraux de ce tems ont déclaré que c'étoit à titre précaire que les
papes possédo:ent Avignon ; je ne crois donc pas qu'il fut seulement
décent d'opposer dans l'assemblée nationale, un droit reconnu par les
(1) Carra, rédacteur des Annales patriotiques et littéraires,
futur député à la Convention.
(2) Cf. Discours..., lre partie, p. 587.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 257
parlemens, par nos rois, par les états-généraux de la nation. On ne peut
mettre en question si un peuple souverain peut s'unir à un autre peuple ?
Il n'y a qu'un tyran ou un esclave qui puisse trouver là une ques'ion.
Cette affaire fut traitée à l'assemblée nationale il y a six mois, et sans
une circonstance étrangère, la réunion eut eu lieu : alors, on tenoit à
des considérations particulières, on regardoit Avignon comme un foyer
d'aristocratie, on a prédit les désastres présens; ils sont arrivés: l'on
a voulu alors ajourner la question et éluder les droits des peuples; on
a depuis affermi, renforcé un parti contre-révolutionnaire qui pourroit
attenter à notre liberté; ce parti caché dans les ténèbres s'est montré
tout à coup; des communes entières ont été ravagées et des maires
égorgés, leurs entrailles déchirées ont été promenées aux regards des
peuples ! Depuis deux armées sont en présence : qu'arrivera-t-il ? Déjà
les généreux Avignonnois ont été victimes de la liberté; mais voyons les
confédérations des départemens voisins réunis à Avignon; d'un autre
côté sont les aristocrates de ces mêmes départemens liés, coalisés avec
les rebelles comtadins; il faut se transporter hors de l'enceinte de
l'assemblée nationale, il faut se transporter sur le champ de bataJle,
jonché de morts, il faut voir les entrailles des patriotes portées au bout
des bayonnettes : quiconque ne les voit pas ne peut délibérer sur cette
affaire ! Qui osera me parler ici des droits des papes ? Il faut que ces
peuples soient libres ou il faut déchirer notre déclaration des droits;
quand on outrage les tyrans, il faut mourir plutôt que de rentrer sous
leur obéissance. (Applaudi).
« Il ne faut pas juger de ceux qui détestent la tyrannie, par le
nombre de ceux qui la blâment, mais par le sentiment intérieur de
chaque homme. La partie du peuple du comtat qui n'a pas prononcé
son adhésion, doit être regardée comme opprimée; tout peuple veut
être libre, et il y a longtemps qu'il n'y auroit plus de despotes au
monde, si les peuples avoient pu prononcer leur vœu ! Ce seroit une
chose injuste et scandaleuse de croire qu'un peuple qui n'a pu secouer
le joug, voulût payer une indemnité à un despote : ainsi parce que les
Avignonnois ne voudroient plus obéir au pape, ils lui voudroient accor-
der une indemnité; ce seroit reconnaître qu'il avoit droit à la souve-
raineté ; cela détruit les principes !
« Quant aux craintes que l'on voudroit nous inspirer, elles sont
ridicules : on voudroit nous faire croire que les comtadins pèsent
quelque peu dans la balance politique de l'Europe ! Si l'on disoit cela,
ce ne seroit qu'un prétexte, et les despotes sauroient bien se passer de
celui-là, s'ils en vouloient à notre liberté. Au surplus, la liberté ne
considère que la justice; les peuples libres n'ont opposé aucune feinte
politique aux puissans rois; avec une poignée d'hommes libres, leurs
nations ont renversé des armées formidables : ces systèmes de crainte
sont le poison de la liberté; ce n'est pas ainsi que se comportent les
hommes libres. 11 faut mettre les Avignonnois sous la protection de la
258 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
nation françoise; c'est parce qu'on a dit que nous les abandonnerions,
que l'aristocratie fomente ces horribles troubles. Je demande que
l'assemblée nationale prononce la réunion des Comtadins à la France.
(Applaudi) » (3).
Le Lendemain, t. III, n° 117, p. 251.
« Goupil, Carra, Robertpierre, Chépy (4), Alexandre Lameth,
parlent sur cette affaire; et, après avoir débité, les uns des sottises, les
autres des sophismes, ils concluent à la réunion de cet état à la
France. »
Journal de la Révolution, 27 avril 1791.
« MM. Carra, Fabre d'Eglantine, Robespierre, Charles 1 .ameth,
et quelques autres membres ont parlé alternativement sur le même objet
et à peu près dans le même sens et d'après ces principes : qu'un peuple
entier et souverain s'appartient à lui-même, et non à un individu quel-
conque, et qu'il peut s'incorporer à un autre peuple souverain lorsque
celui-ci veut le recevoir.
« M. Robespierre a fait le tableau des horreurs dont ce pays est
le théâtre » (5).
{3) 'La Correspondance des envoyés extraordinaires d'Avignon
m fait pas allusion à cette .séance ni à cette intervention (Cf. P.
Vaillandet, op. cit., 3e partie).
(4) Il s'agit de Pierre iC'hépy qui sera, en 1792, secrétaire de
légation à Liège et .à Lisbonne, puis commissaire nation ni en
Belgique.
(5) Texte reproduit dans Aulard, II, 351, qui donne aussi l'ex-
trait du Lendemain, mais il omet celui du Mercure Universel.
274. — SEANCE DU 27 AVRIL 1791
Sur l'organisation des gardes nationales
1 ,c intervention : Sur la méthode de discussion
Rabaut de Saint-Etienne, après avoir rappelé les principes
constitutionnels déjà établis sur l'organisation des gardes natio-
nales, expose le projet du comité militaire. Certains députés ayant
demandé la discussion article par article, Durand de Maillane,
«député du tiers état de la sénéchaussée d'Arles, demande une
discussion générale. Démeunier, lui répondant, pose la question
en ces termes: « la discussion sera-t-elle ouverte sur les divers
plans qui pourraient être présentés, ou bien s'ouvrira-t-elle seule-
ment sur les détails du plan présenté par le comité ». Robespierre
intervient une première fois, en faveur d'une discussion générale
de tous les projets et non pas du seul plan du Comité.
L'Assemblée décida que la discussion s'ouvrirait non pas article
par article, mais sur l'ensemble du plan du comité»
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE x.59
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIV, p. 491
« M. Robespierre. Ce n'est point pour justifier le plan de M. Du-
rand (I) que je prends la -parole, mais reprenant la discussion au point
où M, Desmeuniers J'avoit mise : je dis que s'il est vrai que l'organisa-
tion des gardes nationales paroisse à l'assemblée une entreprise à la fois
difficile et importante, d'où dépend en dernière analyse le succès de
vos travaux, et la stabilité de la liberté, chacun de nous doit s'étonner
qu'en paroissant convenir que la liberté d'une telle discussion doit être
entière, on parle cependant si long-temps pour la circonscrire, suivant
le système que l'on s'est fait, en suivant le but que l'on se propose.
Pour moi, effrayé de l'importance et des dangers de cette organisation,
je le suis infiniment de voir deux orateurs du comité de constitution, qui
ont eu tout le loisir nécessaire pour méditer, pour préparer à leur gré
le système qu'ils veulent faire adopter à l'assemblée nationale, paroître
à la tribune pour circonscrire à leur manière les termes de la délibération ;
j'ai été infiniment étonné sur-tout de voir M. Démeunier, tout en proté-
geant la liberté de la discussion, ne faire autre chose que nous assurer
que le plan du comité de constitution étoit si évidemment conforme aux
principes adoptés par rassemblée nationale, qu'il n'offroit que des consé-
quences toutes naturelles et toutes simples : que toute discussion à cet
égard lui paroissoit inutile, et devant entraîner une perte de tems.
« M. Démeunier. Je n'ai pas dit cela. M. Robespierre voudra
bien ne pas altérer les faits; c'est son habitude lorsqu'il répond à quel-
qu'un
« M. Robespierre. Vous ne devez pas m interrompre. J'ai été
étonné de le voir ensuite passer en revue tous les plans contraires à
celui du comité (Murmures. Discutez, on vous laissera parler).
« S'il n'est permis de faire naître aucun préjugé contre aucun
système, sous tel prétexte que ce soit, je dis que ce n'est point la peine
pour nous d'engager une si grande, et j'ose le dire, une si dangereuse
discussion : car chacun de nous individuellement n'a plus le droit de
suffrage avec un comité... (Murmures: applaudi à gauche) ...avec un
comité qui après avoir préparé les délibérations préparc encore les
moyens nécessaires pour faire adopter presque de confiance toutes ses
dispositions, toutes ses idées de réglemens.
« Plusieurs voix. Allez donc au fait.
« M. d'André. Vous allongez la discussion.
« M. Robespierre. Il est temps de ressaisir la liberté des suffrages.
« Ce projet des comités ne sauroit être adopté dans son ensemble.
Je demande donc qu'on ouvre la discussion sur le plan en général » (2).
(!) Durand de Maillane devait lui-même être l'auteur d'un pfon.
(2) Texte reproduit dans les Aroh. pari., XXV, 3Q0.
260 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 118, p. 485.
« M Robespierre Je reprends la discussion au point où M. Des-
meuniers l'a laissée. J'ai été étonné de voir qu'en faisan* semblant de
protéger la liberté de la discussion, on ne faisait autre chose que nous
assurer que le plan du Comité était tellement conforme aux principes
que toute discussion paraissait inutile, et devait au moins entraîner une
perte de tems.
a M. Desmeuniers. M. Robespierre devrait bien ne pas altérer
les faits.
« M. Robespierre. J'ai été étonné de voir M. Desmeuniers pas-
sant légèrement en revue tous les plans présentés, conclure avec la même
légèreté qu'il fallait passer à la discussion de son plan. Chacun de
nous n'a donc plus ici la liberté des suffrages ? (Cinq à six personnes
applaudissent dans l'extrémité droite de la partie gauche.) Bien loin
de regarder le plan du Comité comme une conséquence très-simple des
principes déjà décrétés, je pense au contraire qu'il faut l'examiner avec
la plus scrupuleuse attention, parce que, après l'avoir examiné il sera
évident pour tout le monde qu'il ne tend à lien moins qu'à anéantir
les gardes nationales et la liberté. Je demande en conséquence que la
parole soit accordée sans restriction » (3).
Journal des Débats, t. XIX, n° 701, p. 4.
« M. Robespierre n'a vu, dans ces différentes observations, qu'une
manière d'étouffer la discussion, et de jeter d'avance une grande défa-
veur sur le plan qu'on avoit à proposer. On veut réduire, a-t-il dit,
les Membres de l'Assemblée Nationale à n'avoir plus que le droit de
suffrage, et à concentrer toute la délibération dans les Comités. Des
murmures continuels ont interrompu M. Robespierre. Le résulta* du
Projet de Décret du Comité, a-t-il dit, est d'anéantir les Gardes
Nationales et la liberté. »
L'Ami du Roi (Royou), 1791, n° 345, p. 1.
« Mais M. de Robespierre, qui a tout prêt un beau discours sur
l'ensemble du plan des comités, ne veut pas en perdre le fruit et la
gloire. Après avoir secoué, terrassé le despotisme des ministres et des
Rois, courberons-nous, dit-il, servilement la tête sous le despotisme
des comités. Il est tems de conquérir la liberté des suffrages. L'orgueil
de M. Rabaud est obligé de plier sous les terribles coups du conqué-
rant Robespierre, et la discussion générale est permise. »
L'Ami du Roi (Montjoie), 28 avril 1791, p. 470.
« M. Robespierre s'est déclaré pour l'affirmative; et tout en disant
(3) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXV, 366, à partir de
« Bien loin de regarder... », et dans le Moniteur, VIII, S38.
JJT.5 DISCOURS DE ROBESPIERRE 261
qu'il falloit examiner le plan avec attention, il s'est perdu dans une
dissertation si vague et si diffuse, qu'il a empêché pendant plus d'une
demi-heure, qu'on -fit l'examen qu'il sollicitoit. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal du Soir
(Beaulieu), n° I 16, p. 2; Le Législateur français, 28 avril 1791, p. 14;
Le Mercure de France, 7 mai 1791, p. 26; La Gazette nationale ou
Extrait..., t XVI, p. 181; Le Point du Jour, t. XXI, p. 409; Le
Courrier des LXXXIII départemens, t. XXIII, n° 280, p. 446; Le
Lendemain, t. III, n° 118, p. 258; Le Courrier extraordinaire, 25 avril
1791, p. 4; Le Journal de Normandie, n° 118, p. 573; Le Journal
général, n° 87, p. 348; Le Mercure national et étranger, 28 avril 1791,
p. 204; Le Journal général de France, 28 avril 1791, p. 470.]
2° intervention : Sur l'admission dans la garde nationale
des citoyens domiciliés
iLa discussion s'engage sur l'ensemble du plan du comité. Robes-
pierre intervient après Lanjuinais et ,Custine. La suite de son
discours est renvoyée au lendemain.
Journal des Etats Généraux, ou Journal Logographique , t. XXIV, p 495.
« M. Robespierre. Messieurs, l'organisation de la force d'une
grande nation est sans contredit la plus périlleuse opération que puissent
faire des législateurs Une telle institution ne souffre ni de médiocres
avantages ni de médiocres inconvéniens; et si elle n'est pas le plus
ferme appui de la liberté, elle est le plus terrible instrument du despo-
tisme : elle mérite donc votre attention.
« Pour prouver quelles sont les bases d'une véritable organisation
des gardes nationales, il faut avant tout faire ce que votre comité n'a
pas même soupçonné, c'est-à-dire rechercher quel est le véritable objet
de l'institution des gardes nationales. Pourquoi voulez-vous les organi-
ser ? Est-ce pour augmenter vos forces militaires et vo? moyens de
conquête ou de défense contre les ennemis extérieurs 7 Non, vous avez
une armée formidable proportionnée à la population de l'état; vous avez
doublé celle que la nation avoit auparavant; et ce n'est pas lorsque
vous avez renoncé solemnellement à tout projet de conquête et pré-
senté à toutes les nations le signe de la concorde universelle (4) qu'il
vous appartient de trouver ces mesures insuffisantes ? Je parle du moins
pour tous les tems que vous voulez organiser vos gardes nationales. Peut-
être même sous ce rapport, conviendroit-il de vous rappeller que cet
usage d'entretenir de grands corps armés, au sein même de la paix, a
toujours effrayé les peuples libres et qu'il a enchaîné l'Europe. Est-ce
pour le maintien du bon ordre et de la paix publique intérieure ? Ce
(4) Cf. séance du 15 mai 1790 (sur le droit de guerre et de paix),
Discours..., lre partie, p. -356.
262 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
n est point principalement pour cela. Je n'ai jamais vu que pour main-
tenir la police, il fallût qu'une nation entière se constituât militaire-
ment; et si l'on trouvoit que toutes les forces que vous avez déjà créées,
que l'établissement de votre gendarmerie nationale, double de l'an-
cienne maréchaussée, fussent au-dessous de ce qu'exige la prévoyance
des législateurs, il faudroit croire que vous faites des loix bien foibles,
ou que vous feriez des loix pour un peuple bien indigne d'elles; il fau-
droit ignorer qu'en Angleterre la police est confiée à une poignée
d'hommes sans armes, et que la moitié des précautions que vous avez,
adoptées à cet égard auroit épouvanté la nation angloise ; il faudroit
enfin calomnier les loix, les hommes et la liberté.
« Quel est donc le véritable objet de la garde nationale ? Rappel-
lez-vous le moment où elle est née, et vous ne pourrez le méconnoître.
C'est la liberté qui l'enfanta pour sa propre défense, quand le despo-
tisme rassembloit ses forces contre elle.
« Des voix se sont élevées du sein de cette assemblée pour appel-
ler les gardes nationales : et la nation s'est présentée, pour ainsi dire
toute armée. Il n'y a pas pour elle d'autre cause de rester armée, que
celle pour laquelle elle a pris les armes; elle a pris les armes pour
conquérir la liberté, elle les conserve pour la défendre.
« Les loix constitutionnelles tracent les règles qu'il faut observer
pour être libres; mais c'est la force publique qui nous rend libres de
fait, en assurant l'exécution des loix. La plus inévitabje de toutes les
loix, la seule qui soit toujours sûre d'être obéie, c'est la loi de la force.
L'homme armé est le maître de celui qui ne l'est pas; un grand corps
armé, toujours subsistant au milieu d'un peuple sans armes, est néces-
sairement l'arbitre de sa destinée; celui qui commande à ce corps, qui
le fait mouvoir à son gré, pourra bientôt tout asservir. Plus la discipline
sera sévère, plus le principe de l'obéissance passive et de la subordi-
nation absolue sera rigoureusement maintenu; plus le pouvoir de ce chef
sera terrible; car la mesure de sa force sera la force de tout le grand
corps dont il est l'âme; et fût-il vrai qu'il ne voulût pas en abuser
actuellement, ou que des circonstances extraordinaires empêchassent
qu'il pût le vouloir impunément, il n'en est pas moins certain que,
partout où une semblable puissance existe, sans contrepoids, le peuple
n'est pas libre, en dépit de toutes les loix constitutionnelles du monde;
car l'homme libre n'est pas celui qui n'est point actuellement opprimé;
c'est celui qui est garanti de l'oppression par une force constante et
suffisante.
a Ainsi, toute nation qui voit dans son sein une armée nombreuse
et disciplinée aux ordres d'un monarque, et qui se croit libre, est
insensée, si elle ne s'est environnée d'une sauve-garde puissante. Elle
ne seroit pas justifiée par la prétendue nécessité d'opposer une force
militaire égale à ceîle des nations esclaves qui l'entourent. Qu'importe
à des hommes généreux à quels tyrans ils sont soumis ? Et vaut-il la
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 263
peine de se donner tant de soins et de prodiguer tant de sang pour
conserver à un despote un immense domaine où il puisse paisiblement
fouler aux pieds plusieurs millions d'esclaves ?
« Je n'ai pas besoin d'observer que le patriotisme généreux des
soldats françois, que les droits qu'ils ont acquis dans cette révolution,
à la reconnoissance de la nation et de l'humanité entière, ne changent
rien à la vérité du principe que les gardes nationales sont le contre-
poids de la force armée; car on ne fait point une constitution pour une
circonstance; la pensée du législateur doit embrasser l'avenir comme le
présent.
« Posons donc pour premier principe qu'elles doivent être orga-
nisées de manière qu'elles mettent le pouvoir exécutif dans l'impuis-
sance de tourner, contre la liberté publique, les forces immenses dont
il est armé par la constitution même, mais ce ne sera point assez; il
faudra encore qu'elles ne puissent jamais opprimer la liberté ni le pou-
voir exécutif, puisque tant qu'il se renferme dans les bornes que la
constitution lui prescrit, il est lui-même une portion des droits de la
nation. Tel est le double objet que doit remplir la constitution des
gardes nationales; tel est le double point de vue sous lequel je veux
l'examiner.
« Le premier ne nous présente que des idées innnimfr.it simples.
S'il est vrai que cette institution soit une espèce de remède contre le
pouvoir exorbitant qu'une force armée donne à celui qui la commande,
il s'ensuit qu'elles ne doivent point être organisées comme les troupes
de ligne; qu'elles ne doivent point être aux ordres de celui qui dispose
des troupes de ligne; qu'il faut bannir de leur organisation tout ce qui
pourroit les soummettre tôt ou tard à son influence, puisqu'alors, loin de
diminuer les dangers de sa puissance, cette institution les augmenterait ;
et qu'au lieu de créer des soldats à la liberté, elle ne feroit que donner
de nouveaux auxiliaires à l'ambition d'un prince.
« De ce principe simple, je tire les conséquences suivantes qui
ne le sont pas moins : 1 ° que le prince ni aucune personne sur laquelle
le prince a une influence spéciale, ne doit nommer les chefs, ni les
officiers des gardes nationales; 2" que les chefs et les officiers des trou-
pes de ligne ne peuvent être chefs ni officiers des gardes nationales;
3° que le prince ne doit ni avancer ni récompenser, ni punir les gardes
nationales. Enfin, messieurs, évitez soigneusement tout ce qui pourroit
allumer dans l'âme des citoyens-soldats cet esprit militaire qui isole
les soldats des citoyens, et qui attache sa gloire et son intérêt personnel
à des objets différens qui font 1p. ruine des citoyens. Ce n'est point là
le courage qui consiste à défendre la patrie. L'évidente simplicité de
ces idées me dispense de tout développement ; et je passe au second
et au plus important des objets que j'ai annoncés; je veux dire à l'exa-
men des moyens à employer pour que les gardes nationales ne puissent
pas elles-mêmes opprimer la liberté des citoyens. Tous ces moyens me
264 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
semblent se rapporter à un principe général; c'est d'empêcher qu'elles
forment un corps et qu'elles adoptent un esprit particulier qui ressemble
à l'esprit de corps.
« Il est dedans la nature des choses que tout corps comme tout
individu ait une volonté différente de la volonté générale. Plus i! est
puissant, plus il a le sentiment de ses forces, plus cette volonté est
active et impérieuse. Songez combien l'esprit de despotisme e! de
domination est naturel aux militaires de tous les tems et de tous les
pays, avec quelles facilités ils placent la qualité de citoyen au-dessous
de celle de soldat. Redoutez sur-tout ce funeste penchant chez une
nation dont les préjugés ont attaché long-tems une considération pres-
que exclusive à la profession des armes, puisque les peuples les plus
graves n ont pu s'en défendre. Voyez les citoyens romains commandés
par César : si, dans un mécontentement réciproque, il cherche à les
humilier, au lieu du nom de soldats, il leur donne celui de citoyens
quirites, et à ce mot, ils rougissent et s'indignent.
« Il sera facile parmi nous de prévenir toutes ces espèces d'incon-
véniens. Rappelions-nous la distance énorme qui doit exister entre
l'organisation d'un corps d'armée destiné à faire la guerre au dehors
(5) et celle de citoyens armés pour être prêts à défendre au besoin
leurs droits et leur liberté contre les usurpations du despotisme : rap-
pelions-nous que la continuité d'un service dangereux, que la loi de
l'obéissance aveugle et passive qui change des soldats en des automates,
est incompatible avec la nature même de leurs devoirs, avec le patrio-
tisme généreux et éclairé qui doit être leur premier mobile. Ne cher-
chez pas à les animer par le même esprit, à les émouvoir par les mêmes
ressorts que les troupes de ligne. Il faut sur-tout se garder de confondre
chez nous la qualité de soldat dans celle de citoyen ; les distinctions
militaires les séparent. Prenez toutes précautions contre l'influence des
chefs; que tous les officiers soient nommés pour un tems très limité;
que les commandans ne réunissent jamais plusieurs districts sous leur
autorité; détruisez ces marques distinctives, toujours déplacées lorsqu'on
les porte hors de ses fonctions. A qui cette vanité puérile convient-elle
moins qu'aux chefs des citoyens-soldats? Défenseurs de la patrie, vous
{5) Robespierre distingue donc formellement la garde nationale
et l'armée. (L'opinion des révolutionnaires même modérés est long-
temps restée d'accord sur ce point. Quand Narbonne, au début de
1792, a parlé de puiser dans la garde nationale pour compléter
l'effectif de la ligne, la Législative n'a pas retenu sa suggestion.
Encore en février 1793, l'amalgame n'a été admis en principe qu'avec
peu d'enthousiasme On peut d'autre part rappeler <que les volon-
taires ne se regardèrent pas comme des militaires. Les Mémoires
de Tihiébaut, à propos de sa campagne à l'automne de 1792, sont
à cet égard très significatifs. Ce ne fut qu'après 1793 que la conti-
nuation de la lutte contribua à transformer les citoyens volontaires
en militaires.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 265
ne regretterez pas ces hochets dont les monarques paient le dévouement
aveugle de leurs courtisans; le courage, les vertus des hommes libres,
la cause sacrée pour laquelle vous êtes armés; voilà votre gloire; voilà
vos ornemens. (Applaudissemens).
« Etre armé pour sa défense personnelle, est le droit de tout
homme indistinctement; être armé pour la défense de la patrie, est le
droit de tout citoyen. Ceux qui sont pauvres deviennent-ils par là des
étrangers, des esclaves? Il faut le déclarer avec franchise; mais non:
ils sont en effet citoyens. Les représentais du peuple françois n'ont
pas dépouillé de ce titre la plus grande majorité de leurs commettans.
Car on sait que tous les françois sans aucune distinction ont concouru
à l'élection des députés à l'assemblée nationale. Ceux-ci n'ont pas pu
tourner contre eux le même pouvoir qu'ils en avoient reçu, leur ravir
les droits qu'ils étoient chargés de maintenir et d'affermir, et par cela
même anéantir leur propre autorité; ils ne l'ont pas pu; ils ne l'ont
pas voulu; ils ne l'ont pas fait. (Applaudi) (6).
« Mais si ceux dont je parle sont en effet citoyens, il leur reste
donc des droits de cité, à moins que cette qualité ne soit un vain titre
et une dérision. Or, parmi tous les droits dont elle rappelle l'idée,
trouvez-m'en, si vous le pouvez, un seul qui soit plus essentiellement
attaché, qui soit plus nécessairement fondé sur les principes les plus
inviolables de toute société humaine. Si vous le leur ôtez, trouvez-moi
une seule raison de leur en conserver aucun autre. H n'y en a aucune.
Reconnoissez donc, comme le principe fondamental de l'organisation
des gardes nationales, que tous les citoyens domiciliés ont le droit
d'être admis au nombre des gardes nationales; et décrétez qu'ils pour-
ront se faire inscrire comme tels dans les registres de la commune
où ils demeurent.
« A ces droits inviolables on ne peut opposer que préjugés, intri-
gues, calomnies, mauvaise foi. Partisans de ces funestes systèmes, cessez
de calomnier le peuple et de blasphémer contre votre souverain, en le
représentant sans cesse en grande partie, indigne de jouir de ses droits.
C'est le peuple qui est bon, patient, généreux. Le peuple ne demande
que tranquillité, que justice, que droit de vivre. L'intérêt, le vœu du
peuple est celui de la nature de l'humanité; c'est l'intérêt général. L'in-
térêt de ce qui n'est pas peuple, de ce qui peut se séparer du peuple,
est celui de l'ambition de l'orgueil. (Applaudi).
« M. Lucas (7). Je demande ce que ce monsieur entend par le
mot peuple. Par ce mot, j'entends, moi, l'universalité des citovens.
« M. Robespierre, Je réclame moi-même contre toute manière de
parler qui prend le mot peuple dans une acception limitée; et si je Fai
(6) Robespierre attaque indirectement le cens.
(7) Lucas, procureur du roi à ,Gannat, député-tftrppléani <lu
tiers état de la iSénéchaussée de Moulins, remplaçant le baron de
Breuil de iCoiffier, démissionnaire.
266 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
employé dans ce dicours, c'est que d'après nos anciennes habitudes,
d'après notre langue actuelle, il étoit impossible de caractériser, par
un seul mot, les personnes à qui on interdit le port d'armes, sans se
servir de cette expression.
« Supposons qu'à la place de cet injuste système, on adopte les
principes que j'ai établis; et nous voyons d'abord l'organisation des
gardes nationales en sortir, pour ainsi dire, naturellement, avec tous
ses avantages; sans aucune espèce d'inconvéniens. D'un côté, il est
impossible que le pouvoir exécutif, et la force dont il est armé, puis-
sent renverser la constitution, puisqu'il n'est pas de puissance capable
de balancer celle des citoyens armés; d'un autre côté, il est également
impossible que les gardes nationales deviennent d'elles-mêmes dange-
reuses pour la liberté, puisqu'il est contradictoire que la nation veuille
s opprimer elle-même. Voyez comme par-tout, à la place de domina-
tion et de servitude, naissent les sentiments d'égalité, de fraternité, de
confiance et toutes ces vertus douces et généreuses qu'ils doivent néces-
sairement enfanter; voyez encore combien dans ce système les moyens
d'exécution sont simples et faciles.
(( On sent assez que pour être en état d'en imposer aux ennemis
de 1 intérieur, tant de millions de citoyens armés répandus sur toute
la surface de l'empire, n'ont pas besoin d'être soumis au service assidu,
à la discipline savante d'un corps d'armée destiné à porter au loin la
guerre. Qu'ils se rassemblent et s'arment à certaines époques sur la
réquisition des corps administratifs, qu'ils volent à la défense de la
liberté lorsqu'elle est menacée, voilà ce qu'exige l'objet de leur insti-
tution.
« Les cantons libres de la Suisse nous offrent des exemples de ce
genre, quoique leurs milices ayent une destination plus étendue que
vos gardes nationales et qu'ils n'ayent point d'autres troupes pour com-
battre les ennemis du dehors. Là tout habitant est soldat, mais seule-
ment quand il faut l'être, pour me servir de l'expression de J.-J. Rous-
seau. Les jours de dimanche et de fêtes, on exerce les milices selon
l'ordre de leurs rôles. Quand ils ne sortent poiïit de leurs demeures,
ils n'ont aucune paie, mais si-tôt qu'ils marchent en campagne, ils
sont à la solde de l'état. Mais objecte-t-on, cet homme n'est pas assez
riche pour sacrifier une partie de son tems aux devoirs de citoyen. Au
lieu de condamner ainsi une grande partie des citoyens à cette espèce
d'esclavage politique, il faudroit au contraire lever les obstacles qui
pourroient les éloigner des fonctions publiques. Payez ceux qui les rem-
plissent, indemnisez ceux que l'intérêt public appelle aux assemblées,
équipez, armez les citoyens-soldats: pour établir la liberté, ce n'est
pas assez que les citoyens puissent s'occuper de la chose publique ; il
faut encore qu'ils puissent "l'exercer en effet. Au reste, pour me renfer-
mer dans l'objet de la discussion, je conclus que l'état doit faire les
dépenses nécessaires pour mettre les citoyens en état de remplir les
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 267
fonctions de gardes nationales; qu'il doit les armer; qu'il doit comme
en Suisse les salarier lorsqu'ils abandonnent leurs foyers pour le défen-
dre. Eh ! quelle dépense publique fut jamais plus sacrée ? Quelle sero't
cette étrange économie qui, prodiguant tout au luxe funeste et corrup-
teur des coeurs, ou au faste des suppôts du despotisme, refuseroit tout
aux besoins des fonctionnaires publics et des défenseurs de la liberté !
Que pourroit-elle annoncer, si ce n'est qu'on préfère le despotisme à
l'argent et l'argent à la vertu et à la liberté » (8).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 118, p. 485.
« M. Robespierre. Une constitution militaire et nationale est la
plus difficile de toutes les entreprises, car si elle n'est le plus ferme
appui de la liberté, elle devient le plus dangereux instrument du despo-
tisme. Avant tout, il faut rechercher le véritable objet de l'organisa-
tion de la garde nationale : est-elle établie pour repousser les ennemis
du dehors? Non, vous avez pour cela une armée formidable... Il est
certain que partout où la puissance du chef d'une force militaire consi-
dérable existe sans contrepoids, le peuple n'est pas libre. Ce contre-
poids quel est-il ? Les gardes nationales. D'après ce principe fonda-
mental il faut organiser la garde nationale de manière que le pouvoir
exécutif ne puisse abuser de la force immense qui lui est confiée, ni la
garde nationale opprimer la liberté publique et ie pouvoir exécutif. Ces
deux points de vue doivent nous servir de guide dans !a quesfion qui
nous occupe. Sous ce premier point de vue il faut organiser îa garde
nationale de sorte qu'aucune de ses parties ne puisse dépendre du pou-
voir exécutif. Le prince et les agens ne doivent donc pas nommer les
chefs. Les chefs des troupes de ligne ne doivent donc pas devenir chefs
des gardes nationales, le roi ne doit donc ni récompenser ni punir les
gardes nationales.
(8) Voir le discours imprimé .sur l'organisation des gardes natio-
nales {Discours de..., lre partie, p. 614 à 643). On verra que Robes
pierre utilise ce texte, mais qu'il l'adapte aux nécessités de la
discussion, car il s'agit en effet non seulement d'exposer son plan
personnel, mais encore de faire la critique de celui du comité.
("est ce que remarquent Rutledge, rédacteur du Creuset (II, n° 36,
j» 11)0) et Brissôt (Patriote François, n° 629). Par contre, un certain
nombre de journaux reproduisent in extenso à cette date, comme
s'il avait été prononcé, la première partie du discours imprimé
jusqu'à: « ...qu'ils doivent nécessairement enfanter »>. C'est le cas du
Point du Jour (t. XXI, p. 409 à 416 et 425 à 433). De même, à
cette date, le Mercure Universel, reproduit la totalité du discours
imprimé (t. III, p. 63, 92, 141. 156. 264). D'autres enfin se conten-
tent d'analyser alors le discours publié en décembre 1790 (Cf. Le
Défenseur des Opprimés, n° 74, p. 8 à 11). D'ailleurs, les sociétés
patriotiques recommandèrent parfois le plan de Robespierre à
l'Assemblée, entre autres celles de Nantes (Of. le Patriote François,
n" 629, p. 465). Rabaut de iSaint-Etienne dut donc en tenir compte,
et se gardant de heurter Robespierre de front, il se retrancha
derrière le décret qui fixait les conditions de cens électoral. *
268 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Sous le second point de vue il faut reconnaître comme principe
général, la nécessité d'empêcher que les gardes nationales ne forment
un corps et n'adoptent un esprit particulier qui serait un esprit de corps,
et qui menacerait bientôt, soit la liberté publique, soit les autorités
constitutionnelles Pour y parvenir, on doit adopter toutes les mesures
qui tendront à confondre la fonction de soldat avec celle de citoyen,
diminuer autant qu'il sera possible le nombre des officiers, ne les nommer
que pour un tems très-limité, ne pas étendre le commandeme it à plus
d un dis'.nct, et établir que la marque extérieure des grades ne sera
portée que pendant le tems du service. CiiS décorations ne sont accordées
que peur le service public, et non pour satisfaire un ridicule orgueil. Ces
distinctions extérieures, qui autrefois poursuivaient partout les fonction-
naires publics excitaient la vanité des uns, produisaient l'humiliation des
autres, avilissaient le peuple, enhardissaient les tyrans, détruisaient ainsi
l'énergie publique, et corrompaient le caractère national. Défendeurs
de la liberté ! vous ne regretterez pas ces hochets du des-potisme ; votre
dévouemen\ votre courage, vos succès, la cause sacrée pour laquelle
vous êtes armés, voilà votre gloire, voilà vos ornemens (On applaudit).
Pour parvenir à confondre le citoyen et le soldat, il reste encore une
disposition à prendre. Elle est une obligation réelle, l'équité, l'égalité
la réclament... (On entend un peu de bruit dans quelques parties de la
salle).
« M. Monlozier Ce que dit M. Robespierre vaut sans doute la
peine d'être écouté, ainsi, Messieurs qui causez, silence. (On applaudit).
« M. Robespierre. Tous les citoyens doivent être admis à remplir
les fonctions de garde nationale. Ceux qui n'ont pas de facultés déter-
minées : ceux qui ne paient pas de certaines contributions, sont-ils escla-
ves ? Sont-ils étrangers aux autres citoyens? Sont-ils sans intérêts dans
la chose publique ? Tous ils ont contribué à l'élection des membres de
l'Assemblée nationale; ils vous ont donné des droits à exercer pour eux;
vous en ont-ils donné contre eux ? Ils ne l'ont pas vouiu; ils ne l'ont pas
pU; ils ne l'ont pas fait. Sont-ils citoyens ? Je rougis d'avoir à faire cette
question. Ils jouissent du droit de cité. Voulez- vous jouir seuls du droit
de vous défendre et de les défendre. Reconnaissez donc et décrétez que
tous les citoyens domicil'és ont le droit d'être instruits sur le registre des
gardes nationales. Ne calomniez pas le peuple en élevant contre lui
d'injustes craintes. Le peuple est bon, il est courageux. Vous connaissez
les vertus du peuple par ce qu'il a fait pour la liberté, après avoir
travaillé avec tant de courage à la conquérir. Il demande le droit de
remplir les devoirs qui seront imposés à tous les citoyens pour la conser-
ver. . .
« M. Lucas. J'entends par peuple tous les citoyens.
« M. Robespierre. J'entends par peuple la généralité des indivi-
dus qui composent la société, et si je me suis un moment servi de cette
expression dans un sens moins étendu, c'est que je croyais avoir besoin
1-ES DISCOURS DE ROBESPIERRE 269
de parler le langage de ceux que j'avais à combattre. Répondrai- je à
une observation bien utile ? On a dit que la partie du peuple qui ne
jouit pas de l'activité ne pourra supporter ni les dépense?, ni la perte
de tems qu'entraînerait le service; mais l'Etat doit fournir aux frais
nécessaires pour mettre les citoyens à même de servir; il doit les armer,
et les solder, comme on fait en Suisse, quand ils quittent leurs foyers...
Après avoir établi ces principes constitutionnels, il resterait à déter-
miner les fonctions des gardes nationales...
« Plusieurs personnes demandent que la suite du discours de M. Ro-
berspierre soit renvoyée à demain » (9).
L'Ami du Roi (Royou), 1791, n° 345, p. 3-4.
« Dans le plan du comité, M. de Robespierre voit la destruction
de la liberté, l'anéantissement de la constitution, une contre-révolution,
méditée par des hypocrites, traîtres à la patrie, et, sous le manteau de
la démagogie, vendus au despotisme. Mais dans les trésors de son génie
et de son imagination, le même Robespierre a des ressources assurées,
il a des secrets pour déjouer toutes les manœuvres de ces perfides comi-
tés, et il va, par une merveilleuse organisation de la garde nationale,
ôter au despotisme tous ses appuis, établir la constitution sur des bases
inébranlables.
« Mais pour bien organiser la garde nationale, il faut, ce à quoi
personne avant lui n'avoit songé, bien examiner le but, la destination,
la nature, et, pour ne pas se tromper dans cette recherche, remonter à
l'origine de la garde nationale, qui, heureusement, ne se perd pas dans
la nuit des tems, comme le berceau de la monarchie. Pourquoi, dit-il,
tous les amis de la liberté, dans les premiers jours de la révolution,
ont-ils pris les armes. Est-ce pour repousser les ennemis du dehors ? Il
n'en existoit pas. Et qui auroit osé attaquer vingt-quatre millions d'hom-
mes dans les premiers bouillons de leur fureur patriotique, et dans le
fort de leurs convulsions? Est-ce pour protéger les loix, pour mainîenir
l'ordre et la tranquillité publique? Non, pas encore; il ne falloit^ pas,
dit-il, un si grand appareil pour un objet si léger. Ce seroit d'ailleurs
calomnier les loix, les hommes, la liberté, que de croire qu'il faut
employer tant de forces pour le maintien de la tranquillité. Quel fut
donc le but unique de l'établissement des gardes nationales? Ce fut
d'opposer une force irrésistible à l'armée, qui étoit aux ordres du pou-
voir exécutif, et qu'on lui croyoit soumise; ce fut pour résister aux agens
(9) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 239; Bûchez et
Poux, IX, 338-341, et Laponneraye, 1, 80-83. Par contre, les Aren.
pari (XXV, 3S8-373) publient le discours imprimé depuis le début
Jusqu'à: « d'une manière plus précise ». (Cf. Discours..., lro partie,
p. 616 à 628). Elles le coupent des mouvements de séances signale*
dans Le Hodey et îé Moniteur.
270 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
au despotisme que la France entière se mit sous les armes; c'est pour
les contenir encore qu'elle doit rester armée. Elle n'endossa le harnois
et la cuirasse que pour conquérir la liberté, elle ne doit les conserver
que pour !a défendre.
« Ainsi, ce profond législateur, ce grand politique, veut faire de la
France un état toujours en guerre contre lui-même. Il veut avoir deux
armées toujours en présence. Ce n'est pas par la sagesse des loix, par
une juste distribution des pouvoirs, qu'il veut en maintenir l'équilibre,
c'est par des forces opposées et égales. Ce n'est pas en liant le monar-
que à la constitution, par les nœuds de l'amour, de l'intérêt, de !a recon-
noissance, de son propre bonheur, c'est par la terreur seule, qu'il pré-
tend enchaîner le pouvoir exécutif : c'est en fomentant toujours d'injustes
défiances; c'est en entretenant une lutte, une rivalité continuelle entre
les deux forces armées, qu'il s'imagine établir la paix et l'union; c'est
d'après cette origine sublime, qu'il a conçu le plan et l'organisation
de la garde nationale.
« D'abord, il veut que tous les citoyens, tous absolument, sans
aucune distinction, soient reçus dans le corps des défenseurs de la patrie.
Il ne voit pas qu'il est injuste d'imposer le fardeau de la garde publi-
que, à ceux qui n'ont pas le nécessaire; qu'il est dangereux de le confier
à ceux qui n'ont rien à perdre; qu'il est affreux de livrer les possessions
des riches à la discrétion des malheureux dont l'extrême misère peut
exciter la cupidité. La grande âme de M. Robespierre n'est pas effrayée
de ces inconvéniens : il a des remèdes à tout.
« D'abord pour obvier à la détresse qui rendrait le service impos-
sible, aux indigens, M. Robespierre propose l'expédient tout simple,
d'armer, d'équiper, de soudoyer, aux frais de la nation, tous ces défen-
seurs volontaires de la liberté. Ce seroi^ un grand trait de génie de
pouvoir faire coucher sur les états de la nation, cette armée qui commence
à devenir une charge insupportable au club des Jacobins : ce seroit d'ail-
leurs un moyen infaillible d'avoir une garde nombreuse, une armée de
patriotes capable de suppléer, par le nombre, au courage, à la discipline
des troupes de ligne ; car ces milliers de vagabonds, dont on est obligé
de payer même l'oisiveté, aimeroient encore mieux un bel habit d'uni-
forme que leurs haillons; préféreraient de porter un mousquet, ?. traîner
la brouette; aimeroient mieux figurer dans un corps-de-garde que de
végéter aux barrières, exposés à l'inclémence des saisons.
« Il est vrai que ce seroit une dépense énorme pour la nation. Mais
peut-on acheter trop cher de si fidèles, de si généreux défenseurs ? Et
quand on prodigue l'or aux suppôts du despotisme, peut-on regretter
quelques sommes consacrées aux besoins des fonctionnaires publics, dé-
fenseurs de la liberté.
«Il y aurait un autre inconvénient à craindre dans ce projet, et
c'est M. Robespierre lui-même, chose étonnante, qui nous l'indique.
L'homme armé, dit il, est toujours maître de celui qui ne l'est pas. Un
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 271
grand corps armé, toujours subsistant au milieu d'un peuple sans armes,
est nécessairement t'arbitre de sa destinée. D'après cette maxime incon-
testable, on cxoiroit que M. Robespierre seroit effraie de voir !a force
publique entre les mains d'une multitude sans mœurs, sans éducalion,
sans discipline, sans subordination, en proie à tous les vices de l'indi-
gence, à tous les tourmens de l'envie. Point du tout; c'est calomnier ce
bon peuple, qui n'aime que la justice et la tranquillité, que de croire
qu'il veuille jamais abuser de sa force; c'est calomnier la liberté, que
de penser qu'elle puisse jamais dégénérer en licence; c'est calomnier
les loix, que de voulon suppléer à leur impuissance par une garde
chargée de veiller à leur exécution.
« Cependant, malgré la confiance de M. Robespierre dans l'em-
pire des !ojx. et la sagesse des soutiens de la liberté. ?! convient, par
la plus étrange contradiction, que c'est la force publique qui nous fait
libres de fait, en assurant l'exécution des loix Comment donc ose-t-il
nous bercer de l'espoir d'une liberté réelle, quand elle ne sera défendue
que par ceux qui, par leur caractère et leurs mœurs, sont les perturba-
teurs naturels du repos public; quand la garde de nos biens et de nos
personnes sera confiée à ceux contre lesquels seuls nous avons besoin
de sentinelles vigilantes et de courageux défenseurs; quand, en un mot,
l'on établira pour réprimer les désordres et les violences, ceux mêmes
qui en sont, ou les auteurs ou les agens ? Comment, d un autre coté,
peut-il proposer d'ôter au pouvoir exécutif suprême toute influence, toute
inspection sur la garde nationale, puisqu'elle seule peut assurer l'exécu-
tion des loix.
« Je ne sais ce qu'on doit admirer le plus, ou la terreur qu'ins-
pire ce pouvoir exécutif, qui n'est plus qu'un fantôme, ou la nullité
où l'on réduit l'autorité sur laquelle doit reposer la tranquillité publi-
que. L'armée, ou les troupes de ligne, sont essentiellement destinées
contre les ennemis du dehors; ou si, contre leur destination naturelle,
essentielle, elles sont quelquefois appellées contre les ennemis du de-
dans, ce n'est qu'à la réquisition des corps administratifs qu'elles peu-
vent marcher. Si donc le roi n'a aucune autorité sur les gardes natio-
nales, quels seront ses moyens pour assurer l'exécution des loix, et par
conséquent notre liberté ? N'est-ce pas un démenti formel donné à la
lettre, par laquelle M. de Montmorin atteste à l'Europe que le pouvoir
exécutif suprême a été conféré au monarque, qu'il a le droit et le pou-
voir exclusif de veiller à l'exécution des loix? (10).
« Le but unique que M. Robespierre se propose dans l'organisation
de la garde nationale, étant d'y trouver un contre-poids et une puissance
rivale de l'armée, si jamais elle reprenoit toute entière les sentimens
de respect, d'amour, d'obéissance qu'elle a voués au monarque, tous
les soins de ce grand politique ont été de composer cette garde pro-
(10) Cf. séance du 23 avril 1791.
272 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
tectrice de la liberté, de manière qu'elle ne pût jamais devenir l'ins-
trument du despotisme, et il faut convenir qu'il y a réussi, excepté
dans un point cependant. Il ne veut, dans son armée patriote, ni disci-
pline, ni obéissance. Il ne sait pas, cet apprenti législateur, que sans
une discipline sévère, sans une obéissance aveugle, une troupe armée
n'est qu'un poids inutile et dangereux dans un état; il ne voit pas que
si cette malheureuse rivalité qu'il excite par ses absurdes défiances,
s'élevoit jamais entre les troupes de ligne et les gardes nationales,
malheur dont le ciel nous préserve à jamais, une poignée de soldats
expérimentés et bien disciplinés, détruirait des légions d'hommes armés,
mais dénués de la science militaire, et livrés au caprice de leurs pas-
sions Il ne sait pas que toute force armée doit être essentiellement
obéissante, ou devient nécessairement oppressive. Il veut faire de ses
gardes nationales, au heu de soldats soumis, des raisonneurs politiques;
il veut qu'ils calculent les degrés de l'obéissance, qu'ils discutent les
ordres de leur chef, c'est-à-dire qu'il veut les laisser jouets de leurs
propres passions, ou de celles des factieux; c'est le moyen infaillible
d'exciter, dans la garde nationale des divisions, peut-être une guerre
civile.
« Cependant ces extravagances de M. Robespierre ont reçu les
plus vifs applaudissemens de la part des démagogues. N'est-il pas bien
affligeant de voir les destins de l'empire confiés à ces déclamateurs, qui
n'ont pas la plus légère connoissance du cœur humain, qui ne se doutent
pas des premiers élémens de la sociabilité, qui se croient doués d'un
génie supérieur, parce qu'ils bouleversent tous les principes de l'ordre
social, qui, dans le délire de leur imagination, prennent tous leurs
rêves politiques pour des inspirations célestes.
« Quelle plus grande extravagance, que de constituer à la garde
des citoyens ceux qui en sont les fléaux; de proposer à la tranquillité
publique, ceux qui sont la terreur de la société ! Quelle alliance mons-
trueuse ils veulent faire de la bravoure et de la lâcheté, de !a vertu
et du crime ! Comment ne voient-ils pas que vouloir introduire dans la
garde nationale des hommes indignes de la confiance publique, ce seroit
forcer à quitter ce poste honorable les citoyens zélés qui ont fait à la
sûreté publique le sacrifice de leur tranquillité personnelle, et qui rougi-
raient de porter un habit que leurs nouveaux camarades ne manque-
raient pas de déshonorer. »
Le Creuset, t. II, n° 36, p. 188-9.
« Nous ne ferons point aux adhérans et fauteurs de l'apôtre des
comités, l'honneur de répéter leurs ineptes criailleries en cette occasion;
nous aimons mieux répéter les principes puisés par M. Roberspierre,
dans son propre discours sur cette importante matière, publié il y a
environ quatre mois, discours dont nous recommandons la lecture et la
méditation approfondie, à tous les amis de la patrie. L'institution des
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 273
gardes nationales, a justement dit l'opinant, doit avoir pour but essen-
tiel et unique d'empêcher le pouvoir exécutif de pouvoir jamais oppri-
mer la liberté : il faut éviter, dans cette organisation, que jamais les
milices citoyennes ne puissent faire usage de leurs forces pour devenir
les oppresseurs de la patrie.
« Ces principes, tellement vrais, qu'assurément aucun Desmeuniers
n'eut osé les contredire ailleurs que dans les ténèbres d'un comité
vénal, ont conduit l'orateur à une foule de conséquences indéniables. Le
chef du pouvoir exécutif, a-t-il dit, ne peut pas être celui des gardes
nationales, parce que ce pouvoir ne doit point commander à une force
spécialement destinée à combattre sa tendance à l'autorité despotique.
« M. Roberspierre a d'avance déclaré dangereux toute espèce de
décret tendant à inspirer aux gardes nationales cet esprit militaire, le
plus funeste de tous à la liberté individuelle.
« N'en faites point, a-t-il poursuivi, des automates homicides,
obéissant aveuglément à la volonté d'un chef ambitieux; qu'elles ne
soient point revêtues de ces distinctions frivoles, dont l'effet est d'éta-
blir une ligne de démarcation entre elles et les autres citoyens : distinc-
tions funestes, qui sont le signe de l'oppression, et qui ne peuvent qu'en
maintenir l'esprit.
« Déplorables badauds! Et toi, colofichet (11), leur commandant
inepte et artificieux ! vous, poupées de la capitale, qui applaudissez de
vos croisées à ce politique baladin, escorté de ses marmots bleus (12),
allez aux tribunes, et écoutez Roberspierre ! Descendez ensuite, et
blasphémez, si vous l'osez, contre l'opinion des généreux citoyens qu:
ont fait rete»tir, de la salle des Cordehers, ce cri légitime de la liberté,
qu'un directoire équivoque, qu'une municipalité stupide et servile ont
osé menacer d'arrêter dans son explosion !
« Accordez, a dit M. Roberspierre, à tous les individus du corps
social, le droit de se faire inscrire sur les registres des gardes nationales;
nous avons été députés ici par tous les françois qui ne connoissent pas
ces distinctions que nous avons établies, nous ne devons pas faire usage
des droits qu'ils nous ont donné, pour anéantir les leurs.
« L'heure étoit avancée, il a été remis au lendemain à entendre
le patriote. »
Journal du Soir (Beaulieu), 1791, n° 116, p. 3.
Le Législateur Français, 28 avril 1791, p. 5.
« M. Custines a demandé que la discussion s'établit sur le plan
(11) 'Colofichet vise "Lafayette ; c'est un jeu de mot sur colifichet
et colonel.
(12) Marmots bleus : la (garde nationale était habillée en bleu
(bleu de roi), tandis que les soldats de ligne avaient un uniforme
blanc. Nombre d'entre eux se moquaient par suite « de la faïence
bleue qui ne va pas tau feu ».
U,s,,ir.i»i. 1K
274 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
du comité; mais M. Robertspierre s'y est encore opposé, et a demandé
d'être entendu : l'assemblée y a consenti.
« L'opinant a posé en principes que l'unique but de l'institution
des gardes nationales devoit être d'empêcher que le pouvoir exécutif
pût jamais opprimer la liberté; voilà l'objet qui rend pour nous cette
institution indispensable; mais un écueil qu'il faut éviter dans cette
organisation, c'est que ces milices citoyennes ne puissent jamais faire
usage de leurs forces pour être les oppresseurs de la patrie.
« Ces premiers principes ont conduit M. Robertspierre à une foule
de conséquences. D'abord il ne voudroit pas que le chef du pouvoir
exécutif pût être celui des gardes nationales, parce que ce pouvoir ne
doit pas obéir à une force spécialement destinée à combattre sa ten-
dance naturelle à l'autorité arbitraire. En second lieu, M. Robertspierre
trouve très-dangereux toute espèce de décret, tendant à donner aux
gardes nationales un esprit militaire le plus funeste de tous à !a liberté
individuelle.
« Il ne veut pas qu'on en fasse des automates dangereux, obéissant
aveuglément à la volonté d'un chef ambitieux; il ne veut pas qu'elles
soient revêtues de ces distinctions frivoles, qui tendent à établir une ligne
de démarcation entr'elles et les autres citoyens; distinctions funest?s
qui sont le signe de l'oppression, et qui en maintient l'esprit.
« Mais un point sur lequel M. Robertspierre a particulièrement
insisté, c'est à faire accorder à tous les individus du corps social le
droit de se faire inscrire sur le registre des gardes nationales. Nous
avons été députés ici, disoit-il, par tous les Français qui ne conno'S-
soient pas ces distinctions que nous avons établies, et nous ne pouvons
faire usage des droits qu'ils nous ont donné pour anéantir les leurs.
« M. Robertspierre a été très-favorablement écouté, mais comme
l'heure étoit très-avancée, il n'a pu terminer son opinion, qu'il repren-
dra demain. »
Mercure national et étranger, 28 avril 1791, p. 206.
« L'essentiel étoit de rechercher les vraies bases sur lesquelles
devait être établie l'organisation des gardes nationales; et M. Robes-
pierre s'est chargé de ce soin. Il l'a fait dans un discours noble, éner-
gique et véhément, dont on a demandé l'impression. Il a regardé les
gardes nationales comme un contrepoids nécessaire à la force qui est
entre les mains du pouvoir exécutif, et en conséquence il voudroit que
celui qui commande à la troupe de ligne, ne pût commander à !a garde
nationale; que le prince n'eût aucune influence sur sa composition; et
ne pût ni la punir ni la récompenser ; il voudroit surtout que tous les
citoyens actifs ou non, pourvu qu'ils eussent un domicile en France,
fussent inscrits pour servir la patrie, sur un registre déposé dans chaque
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 275
commune, que la nation s'occupât spécialement de les armer, et enfin
que leurs jours de service fussent payés » (13).
Annales patriotiques et littéraires, n01 573, p. 1344.
« M. Robertspierre s'est levé pour se plaindre de ce que l'opinion
des comités sembloit exercer une sorte de tyrannie sur la liberté des
suffrages, et obtenir, comme un droit la priorité, qui est un don.
« Dans un discours fort étendu, mais dont personne n'a accusé la
longueur, il a posé en principes que l'unique but de l'institution des
gardes nationales devoit être d'empêcher que le pouvoir exécutif pût
jamais opprimer la liberté; voilà l'objet qui rend pour nous cette
institution indispensable. Mais l'écueil qu'il faut éviter dans cette orga-
nisation, c'est que ces milliers de citoyens ne puissent jamais faire
usage de leurs forces pour être les oppresseurs de la patrie.
« De ces principes l'opinant tire quatre conséquences importantes :
1° dit-il, il ne faudrait pas que le chef du pouvoir exécutif pût être
celui des gardes nationales, parce que ce pouvoir ne doit pas obéir à
une force spécialement destinée à combattre sa tendance naturelle à
l'autorité arbitraire.
« 2° Rien ne seroit plus dangereux qu'un décret qui tendrait à
donner aux gardes nationales un esprit militaire, le plus funeste de tous
à la liberté individuelle.
(13) À propos de l'attitude de Robespierre dans le débat -ur
l'organisation des gardes nationales, le même journal (p. 369) publie
les appréciations suivantes (Morceau communiqué) :
<( AvanS' d'entrer en discussion sur cette imatière, il iaut que je
roulage mon cœur, et que Maxitmilie'n Robespierre reçoivie le tribut
do mon estime et de mon amitié.
« Depuis que l'assemblée nationale existe, je n'ai cessé de suivre
tes dift'érens députés dans leur opinion et leur conduite, et la
presque totalité arrivée au poste périlleux de législateurs, sans
plan de conduite, sans connoissances, sans génie ou sans vertu, a
flotté dans son opinion, échoué contre les écueils parsemés à des-
sein, et trahi indignement la chose publique; j'en .ai <vu un trèvpetifc
Nombre inaccessibles à la corruption, inébranlables dans son opi-
nion, et toujours fidèles aux principes qui avoient été la base de
leur conduite. Péthion, Grégoire, Dubois (de Çrancé), Reubel, à la
tête desquels je place Robespierre, comme le plus invariable, et
uent, constamment l'apôtre et le défenseur de cette maxime
sacrée, « libertas et salus populi »: reçois donc, Aristide moderne,
nage du pur amour, de la haute vénération que tu m'as ins-
pirés, et qui ne peuvent changer qu'avec tes sentimens et ta con-
duite: sois toujours austère dans tes mœurs, sévère dans ta con-
'iiiil.e, rude dan opinions; ne sacrifie pas, ainsi qu'e te le
lient quelques amis qui méconnoissent les vrais simptômes de
rté, cette énergie qui te caractérise, à cette politesse, cause
en effet fie; la corruption, qui fait le succès de tes adversaires : un
joui' viendra que ce langage sera celui de tous les vrais amis de la
liberté. »
276 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
(( 3° Il ne faut pas non plus qu'on en fasse des automates dange-
reux, obéissant aveuglément à la volonté d'un chef ambitieux; il ne
faut pas qu'elles soient revêtues de ces distinctions frivoles, qui tendent
à établir une ligne de démarcation entr 'elles et les autres citoyens;
distinctions funestes qui sont le signe de l'oppression et qui en maifî-
tiennent l'esprit.
« 4° Enfin, il est absolument essentiel à la chose publique d'accor-
der à tous les individus du corps social le droit de se faire inscrire
sur le registre des gardes nationales.
« Ce discours a obtenu le plus grand succès; mais l'heure étant
trop avancée, la discussion est continuée à demain. »
Journal de la Noblesse, t. I, n° 18, p. 558-9.
« M. Robespierre, au contraire, ne veut voir qu'un peuple de
soldats. Il a parlé de manière à échauffer les esprits; mais le résultat
de son système seroit une anarchie perpétuelle.
[Suit une brève analyse du discours.]
L'Ami du Roi (Montjoie), 28 avril 1791, p. 470
« Enfin, le vœu de la majorité a été pour une discussion générale;
M. Lanjuinais, qui l'a commencé, a approuvé l'ensemble du plan, et
s'est borné à une minutieuse critique de quelques dispositions. M. Ro-
bespierre, après lui, a repris la parole, et pérorant plus longuement
encore que la première fois, il a complètement ennuyé son auditoire.
Son vœu est que nous devons avoir tous indistinctement, un fusil, une
baïonnette, un sabre et une suffisante provision de munitions de guerre.
Que M. Robespierre nous dise donc où sera la force publique, lorsque
tous les citoyens seront indistinctement armés ? »
Courier français, t. X, n° 118, p. 460.
Journal de Normandie, 1791, n° 119, p. 575.
« M. Robertspierre posoit comme le principe fondamental de
l'organisation des gardes nationales, que tous les citoyens domiciliés ont
le droit d'être admis au nombre des gardes nationales, et qu'ils pour-
ront se faire inscrire comme tels dans les registres de la commune où ils
demeurent. »
[Suit un fragment du discours imprimé, depuis: « L'humanité, la
justice, la morale... » jusqu'à « ils furent toujours les fléaux du peu-
pie. »] (14).
Le Courrier extraordinaire, 29 avril 1791, p. 4.
[A la suite d'un résumé du discours, il ajoute :]
« Il alloit entrer dans la discussion d'autres objets, lorsque 3 heures
ayant sonné, l'assemblée s'est levée, et M. Rabaud a terminé en disant,
(14) Cf. Discours..., 11V partie, p. 624 625.
LES DISCOURS DE ROEESPIERRE 277
qu'à l'exception de l'admission des citoyens non actifs vers laquelle il
avoit du penchant, le comité étoit d'accord avec M. Robespierre, et
que ce qu'il avoit dit, le comité l'avoit fait. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Patriote françois,
n° 628, p. 459; Le Journal général, n° 87, p. 348; Le Journal de la
Révolution, n° 259, p. 427; Assemblée nationale, Corps administra-
tifs (Perlet), t. XIII, n° 631, p. 4; La Gazette nationale ou Extrait...,
t. XVI, p. 181 ; Le Mercure universel, t. II, p. 144; Le Courier de
Provence, t. XIV, n° 452; La Gazette universelle, n° 118, p. 467.]
275. — SEANCE DU 28 AVRIL 1791
Sur l'affaire d'Avignon (1)
Le marquis de rClermo'nt-Lodève, député de la noblesse de la
ville d'Arles, demande à l'Assemblée qu'en attendant le rapport
remis de jour en jour, que Menou doit lui présenter sur les affaires
d'Avignon et du Comtat (2), il soit envoyé dans cette région, sous
ia direction d'un officier général, des troupes suffisantes pour, sur
la réquisition de commissaires civils, y protéger la liberté indivi-
duelle des citoyens et des propriétés, sans d'ailleurs que les droits
du Saint-Siège qui sont inattaquables, soient méconnus. Robespierre
demande à l'Assemblée de passer à l'ordre du jour sur cette
motion, et d'ouvrir immédiatement la discussion sur l'affaire d'Avi-
gnon, sauf à entendre la lecture <du rapport lde Menou, avant de
prendre une décision.
Après que divers orateurs eurent été entendus, l'Assemblée
consultée passa k l'ordre du jour sur la motion de Olermont-Lodève,
et décida que le rapport sur 1" affaire d'Avignon lui seiait présenté
le 30 avril' (3)
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 119, p. 488.
« M. Roberspierre . Je suis convaincu comme le préopinant qu'il
ne serait pas même besoin des notions qui nous sont promises pour
prendre sur te champ un parti ; mais je vous prie de considérer combien
il serait dangereux de prendre une décision provisoire, précisément en
(1) Cf. ci-dessus, séances des 21 avril 1791 à l'Assemblée, et 25
avril aux Jacobin-;.
'2) Le président annonce une lettre de Menou déclara'nt que sa
s.inl '■ ne lui a pas pépiais d'achever son rapport. tClermont Lodève
en profite pour présenter Ba proposition
(3) Ctf. E Haar.el, I, 418. Marin-eau avait proposé qu'on réela*
niât les notes de Menou pour qu'un collègue en donne lecture. La
mesure venait d'être adoptée ]orsque parvint à l'Assemblée une
troisième lettre de Menou indiquant qu'il serait prêt pour la séance
ÛV saintvli suivant. On trouvera un bref compte rendu de cette
séance dans la lettre des envoyés extraordinaires d'Avignon du
2H avril (Cr\ P. Vaillandet, op. cit., 3e partie, p. 101).
278 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
sens inverse de celle que sollicitent le peuple avignonais et l'intérêt de
la nation française. Que vous propose-t-on ? de méconnaître le droit qui
appartient essentiellement à tous les peuples de s'associer avec un peuple
voisin, droit en vertu duquel les Avignonais vous offrent le seul moyen
de protéger la révolution dans cette partie de la France contre les
attaques de ses ennemis. Cette proposition a pour but de vous em-
pêcher et de reconnaître la souveraineté du peuple avignonais, et de la
protéger comme partie de l'empire français. On veut que vous envoyiez
provisoirement des troupes pour faire la loi à ce pays, pour vous en
emparer, pour le maîtriser, tandis que vous devriez reconnaître sa sou-
veraineté. La première fois que cette grande question a été discutée,
que vous disaient ceux qui s'opposaient à la réunion ? Que vous ne
pouviez vous emparer d'Avignon sans commettre une injustice, sans
porter atteinte aux droits d'une puissance étrangère, sans violer l'engage-
ment que vous avez pris de ne plus faire de conquêtes. Et ce sont les
mêmes personnes qui vous proposent aujourd'hui d'envoyer des loupes :
sans doute pour que ces troupes, aux ordres du pouvoir exécutif, y remet-
tent ce qu'on appelle la paix. (Il s'élève des murmures dans la partie
droite). Et pourquoi vous propose-t-on ce parti ? Parce que les Avi-
gnonais, obligés de repousser les armes à la main les attaques du parti
opposé, ont su résister à nos ennemis communs. On veut envoyer des
troupes pour réprimer ces citoyens qui, par leur courage, ont fait triom-
pher la justice et la liberté ?
« M. Clermont-Lodèoe. Attendez le rapport pour être instant des
faits, et du vœu des Avignonais.
« M. Roberspierre. Ne serait-il pas à craindre que, loin de sou-
tenir le parti victorieux pour la liberté, on ne lui envoyât des secours
funestes pour protéger les ennemis de la France ? Je demande que vous
décidiez avec promptitude, mais avec sagesse, que vous ne compromet-
tiez pas, par une décision provisoire, les intérêts des Avignonais et les
vôtres; et puisque le préopinant n'est pas d'accord avec moi sur les
faits, c'est une raison de plus pour que vous examiniez- cette affaire
avec la plus grande attention. Je demande donc que sur la motion vous
passiez à l'ordre du jour. Quant à ce qui concerne la conduite de
M. Menou, je ne crois pas que vous deviez accorder un délai illimité;
mais au contraire, puisque plusieurs membre de cette assemblée con-
naissent cette affaire, et sous le rapport des faits, et sous le rapport du
droit public; puisqu'elle a déjà été discutée plusieurs fois, puisqu'elle
a été éclaircie par des écrits très-lumineux, je demande que la discus-
sion s'ouvre dès ce moment, sauf à entendre la lecture du rapport avant
votre décision » (4).
* (4) Texte reproduit (dans le Moniteur, VIII, 244, et les Arch.
jarl., XXV, 3S0~ qui ont ajouté l'interruption suivante au 'début
eu dernier alinéa, après: « le parti victorieux pour la liberté:
[Un membre de la '•droite : Dites le parti des brigands. »]
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 279
Journal de la Noblesse, t. I, n° 19, p. 561.
« M. Robespierre a parlé dans le sens de la constitution. Sa fran-
chise,ne permet pas aux souverains de s'abuser sur ses conséquences. »
[Suit un passage du Moniteur, depuis : « Que vous propose-
t-on ? »... jusqu'à: « reconnaître sa souveraineté ».]
« On voit alors où conduit ce principe de la souveraineté des
peuples; il ne tend à rien moins qu'à briser le sceptre dans les mains
des empereurs et des rois (5). Le moindre droit de la souveraineté
est sans doute de se donner ou de s'unir à qui bon lui semble, mais le
droit des gens établit des principes contraires. Une puissance ne peut
profiter des désordres d'une autre et connoître de ses dissentions civiles.
Quelle que soit la forme du gouvernement, monarchique, aristocratique
ou démocratique, ceux qui ont l'exercice de la souveraineté ont droit
de soumettre les sujets par la force; ceux-ci sont tenus d'obéir, fant que
leur liberté n'est point attaquée. Introduire des principes contraires, c'est
mettre le désordre et l'anarchie dans tous les empires et dans toutes
les républiques. »
Journal Général de France, n° 119, p. 473.
« La Nation Françoise a renoncé aux conquêtes, a dit M. Roberts-
pierre, et ce seroit conquérir le Comtat que d'y envoyer des troupes.
Il ne faut donc s'occuper que de la question de savoir si nous réunirons
le Comtat à la France.
« Que diroit l'Assemblée Nationale, si l'on s'occupoit dans le Con-
seil de l'Empereur et dans ceux dez Rois d'Espagne et d'Angleterre,
des moyens de réunir aux Royaumes de ces différens Souverains, les
villes de Strasbourg, de Perpignan et de Dunkerque ? M. Robertspierre
pense-t-il qu'on manqueroit pour cela de prétextes plausibles ? Et pour-
roit-il le trouver mauvais, puisqu'il a demandé qu'on délibérât sur cette
question : Le Pays d'Avignon et celui du Comtat sont-ils à la France,
oui, ou non, et qu'il s'est décidé pour l'affirmative ? Mais l'Orateur
qui a voté de la sorte, est-il bien le même qui a d'abord fait observer
que l'Assemblée Nationale ne peut point envoyer de troupes à Avi-
(5) Le journal contre-révolutionnaire marque fort bie'n la trans-
formation du droit des gens qu'implique l'interprétation de la sou-
\oraineté nationale par la Révolution et notamment ici par Robes-
pierre. C'est le principe selon lequel un peuple a droit de disposer
de lui-même, donc de se transporter d'un Etat dans un autre, ou
déclarer indépendant. Dans l'ancien régime, l'homme suit la
terre; si cette dernière 'change de maître, il en change aussi; la
Révolution pose au contraire que la terre suit l'Homme. Le journal
conclut avec raison que les souverains ne pourront accepter cet état
de choses. La France a renoncé aux conquêtes, mais elle annexera,
sans faire les frais d'une guerre, un certain nombre de territoires
ci <c sera l'une des causes du conflit de la Révolution et de FJEu-
rope.
280 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
gnon, parce qu'elle a renoncé aux conquêtes ? Cependant si le Corps
Législatif décrète que le Comtat doit être réuni au Royaume, l'Assem-
blée Nationale prendra donc le Comtat ? Qu'auroient fait les troupes
qu'on proposoit d'y envoyer? Elles l'auroient tout au plus conquis. Or,
quelle différence met M. Robertspierre entre prendre et conquérir un
pays ? »
Courrier d'Avignon, 1791, n° 109, p. 433.
« MM. Clermont-Lodève, Robespierre, Prieur et autres, parlèrent
d'une manière à faire prévoir que la discussion de l'affaire sera orageuse.
« (Robespierre). Je suis convaincu que vous n'avez pas besoin des
notions qui vous sont promises pour prendre à l'instant même une déter-
mination; mais la décision provisoire qu'on vous propose est l'inverse
de celle que sollicitent de vous les Avignonais, puisqu'elle vous mène
à méconnoître la souveraineté de ce peuple et les intérêts de la nation.
Les troupes s'empareront de ce pays, le maîtriseront. Et pourquoi ceux
qui la première fois ont trouvé cette mesure injuste la réclament-ils
aujourd'hui ? C'est que les Avignonais, obligés de repousser, 'es armes
à la main, les attaques du parti opposé, ont su résister à nos ennemis
communs. On veut envoyer des troupes pour réprimer ces citoyens,
qui par leur courage ont fait triompher la justice et la liberté ; secours
funestes qui protégeroient peut-être les ennemis de la France.
« Décidez avec promptitude, mais sans compromettre les intérêts
des Avignonais et les vôtres; et puisque le préopinant n'est pas d'accord
avec moi sur les faits, je demande que, sur sa motion vous passiez à
l'ordre du jour. Cependant, comme l'affaire d'Avignon est déjà connue
et sous le rapport des faits, et sous celui du droit public par des écrits
très-lumineux, je demande encore que la discussion s'ouvre dès ce
moment. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logo graphique, t. XXV, p. 10.
« M. Robespierre. Je demande si ce peut être là le résultat de tous
ces délais, de toutes ces délibérations; il contrediroit évidemment la
pétition des avignonnois et de la majorité du comtat, sur laquelle vous
avez maintenant à prononcer. Il seroit à craindre que, loin d'aider au
parti victorieux en ce moment, mais victorieux pour la liberté et pour
la cause de la France (à des brigands! s'écrie une voix de la droite), on
ne lui portât un secours funeste, et qui favoriseroit les ennemis de la
liberté, contre l'intention de l'assemblée nationale et contre les intérêts
et d'Avignon et de la France. Je conclus à ce que la discussion soit
entamée sur le champ, et à ce que M. de Menou soit pressé de venir
demain nous lire son rapport. »
(6) Cf. séance du 15 mai 1790 (Discours..., lre partie, p. 356).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 281
Journal des Mécontens, n° 60, p. 4.
« M. Grillon a appuyé cette proposition [celle de Clermont-Lo-
dève] .
« MM. Roberspierre, Prieur et Péthion l'ont combattue; ils ont
exposé que le Comtat ne nous demande point notre médiation; que si
nous ne voulons point accueillir le vœu libre et authentique qu'il nous
a apporté pour sa réunion à la France, il faut que nous laissions ce peu-
ple libre de ses actions.
« Nous n'avons pas plus de droits à nous mêler de ses affaires
intérieures que nous en aurions à aller nous mêler de celles de l'Angle-
terre ou de l'Allemagne. Vouloir lui lier les mains sous prétexte de
médiation, ce seroit peut-être nous en faire un ennemi, et nous ne
voulons avoir que des amis.
« Enfin, envoyer des soldats François dans ce pays-là, ce seroit
risquer de les jeter dans l'un ou l'autre parti, et d'augmenter le mal.
Il n'y a donc point de provisoire à décréter, il faut discuter nécessaire-
ment la question de réunion. »
L'Orateur du Peuple, t. III, n° 53, p. 441.
« On attendait hier le rapport de l'affaire d'Avignon. Tandis qu'on
s'y égorge, le comité diplomatique temporise avec la plus froide cruauté.
M. Menou a fait ajourner ce rapport à jeudi; et jusques là que de victi-
mes vont être immolées ! Cendres de Mirabeau trempe toi du sang des
Avignonnais ! Car c'est toi qui as repoussé leur vœu de réunion à la
France; c'est toi qui as étouffé la raison, la justice et l'humanité qui
s'exprimoient par la voix de Robespierre » (7).
Courrier extraordinaire, 29 avril 1791, p. 3.
« M. Robespierre a combattu la proposition de M. de la Tour (8),
comme tendant, par une mesure provisoire, à décider la question de la
réunion du Comtat d'Avignon à la France, ou au moins à la préjuger;
car un état ne peut faire passer des troupes dans un pays sans en être
le maître, ou sans en être requis, s'il est étranger. »
Le Spectateur National, n° 150, p. 648.
« M. Robespierre s'est opposé à la décision provisoire que solh-
citoit M. de Clermont-Lodève, en représentant que si on commençoit
par envoyer des troupes à Avignon et dans le Comtat, les François
paroitroient en cela, aux yeux de l'Europe, plutôt des tyrans que des
protecteurs. Ces réflexions n'ont pas empêché M. Robespierre de
<7) C'est en effet Mirabeau qui, le 18 novembre 1790, a fait
ajourner !a réunion d'Avignon à la France Of. Discours..., lre par-
lie, p. 585.
(S) Ce journal confond La Tcur-Maubourg .qui est intervenu
lors de la séance du 21 avril, avec Clermont-Lodève.
282 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
conclure à ce qu'au lieu de se borner à des mesures provisoires, l'assem-
blée nationale s'emparât, sur le champ, même du pays dont il s'agit,
de la manière la plus absolue et la plus définitive. »
[Brève mention de cette intervention dans Les Annales patriotiques
et littéraires, n° 574, p. 1347; Le Journal général, n° 88, p. 352;.
La Correspondance nationale, n° 22, p. 287; L'Ami du Roi (Mont-
joie), 29 avril 1791 , p. 474; Le Courier français, t. X, n° 1 10, p. 397;
La Feuille du Jour, t. III, n° 119, p. 242; Le Lendemain, t. III,
n° 120, p. 275; Le Creuset, t. II, n° 35; Le Point du Jour, t. XXI,
n° 657, p 421 ; Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet),
t. XI, n° 632, p. 3; Le Mercure universe, t. II, p. 462, et La Gazette
nationale ou Extrait..., t. XVI, p. 187; Le Législateur français, t. II,
p. 2; Le Patriote français, n° 629, p. 465; Le Journal des Débats,
t. XIX, n° 702, p. 8; Le Mercure de France, 5 mai 1791, p. 32.]
276. — SEANCE DU 28 AVRIL 1791 (suite)
Sur l'organisation DES GARDES NATIONALES (suite)
1re intervention
Après 'le débat sur l'affaire d'Avignon, l'Assemblée revient à
Eon mordre du jour et reprend la discussion sur l' organisation des
gardes nationales. Robespierre poursuit le discours interrompu la
veille, et demande que l'Assemblée rejette le projet du comité.
Le Point du Jour, t. XXI, n° 660, p. 474 (1).
« N'ayant pu rendre compte de la suite de la discussion sur les
gardes nationales, nous placerons ici la continuation du discours de
M, Robespierre qui a obtenu les plus vifs applaudissemens.
« Maintenant, a dit M. Robespierre, si j'applique ces principes
au plan du comité, je trouve qu'il les viole dans tous les points essen-
tiels. Je trouve qu'en dernière analyse, il fait de la garde nationale une
classe de citoyens qui doit tôt ou tard devenir le jouet et l'instrument
du despotisme royal.
« Le comité ouvre d'abord une large voie à l'influence du pouvoir
exécutif, en proposant que le roi pourra faire donner des ordres aux
commandans des différentes légions, pour la défense de la patrie; il
est vrai que le comité suppose le cas d'invasion hostile et subite par
une troupe étrangère. Mais qui est-ce qui ne voit pas qu'il sera tou-
(1) On remarquera que la partie du discours que Robespierre
prononça le 28 n'est, dans aucun des extraits de presse, conforme
au texte imprimé en décembre 1790. Il s'agit en effet de la partie
où il attaque directement le plan du comité.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 283
jours au pouvoir du gouvernement de faire naître un tel événement;
que !a moindre irruption de quelques brigands étrangers soudoyés suflira
pour fournir au roi le prétexte d'étendre son autorité sur les gardes
nationales ! Qui est ce qui ignore avec quelle funeste utilité les rois
tirent parti du moindre avantage que les peuples leur abandonnent. Ce
n'est pas tout : il semble encore que le comité destine les gardes natio-
nales à faire la guerre habituellement aux étrangers et qu'il les envi-
sage comme une espèce d'armée auxiliaire. Cet esprit se manifeste dans
les articles XI et XVI, dont le premier règle la manière don* elles
marcheront avec l'armée de ligne sous les ordres de son général, et
l'autre statue aussi indéfiniment que lorsqu'il s'agira d'action militaire,
le corps de la garde nationale, la gendarmerie et les troupes de ligne
seront commandés par l'officier supérieur de la troupe de ligne ou de la
gendarmerie nationale. Ici je vois naître tous les dangers auxquels la
liberté peut être exposée par le pouvoir que le roi exercera sur les
citoyens armés. Je suis bien loin d'être rassuré par la disposition astu-
cieuse de l'article; c'est en vain qu'il me dit que s'il n'y a point d'in-
vasion subite du territoire français, les citoyens actifs et leurs enfans
en état de garde nationale ne pourront être contraints de marcher à la
guerre, qu'à la réquisition des corps administratifs, sur un décret émané
du corps législatif. Car sans parler de la facilité avec laquelle le roi
pourroit faire naître le cas de cette invasion subite, comme je 1 ai déjà
observé, l'article suppose au moins que les gardes, nationales dans l'autre
cas pourroient du moins volontairement se joindre à l'armée de ligne
sans décret du corps législatif et sans réquisition des corps administra-
tifs; or, dans l'une et l'autre hypothèse, le danger est toujours le même;
que seroit-ce, si nous avions le droit d'ajouter, qu'avec les moyens im-
menses que la puissance du roi et l'influence que les décrets lui ont
donnée sur la paix et sur la guerre, la formalité d'un décret du corps
législatif est une assez foible ressource contre ses intrigues et contre
son ambition : eh ! au lieu de chercher la sauve-garde de la liberté dans
une délibération du corps législatif, pourquoi ne pas la mettre dans la
nature même des choses et dans les principes constitutifs de la garde
nationale ?
« Pourquoi ne pas déterminer nettement les véritables rapports de
la garde nationale avec les ennemis extérieurs, et sur-tout assurer leur
indépendance -du pouvoir exécutif.
« Disons d'abord que tant que nous entretiendrons des troupes de
ligne proportionnées oa supérieures à celles des autres nations de l'Eu-
rope, nos gardes nationales ne pourront être employées aux mêmes
fonctions, que dans des périls extrêmes de l'Etat, que dans des conjonc-
tures extraordinaires, qui seront bien rares, si nous persistons e* surtout
si nous contenons sévèrement notre gouvernement dans les principes de
justice et de fraternité, que nous avons annoncés aux autres peuples
de l'Eurooe.
284 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Oisons qu'elles ne sont point destinées à porter la guerre au
dehors. Disons que le soin de combattre les étrangers ne peut les regar-
der, que dans le cas où nous serions obligés de défendre notre propre
territoire : or, sous ce point de vue, ou bien vous prévoyez un événe-
ment particulier, une crise prochaine; et c'est pour ce momen*, c'est
pour cet événement que vous formez votre plan d'organisation; et moi
je vous dis que nulle attaque extérieure ne peut être formidable ni pos-
sible, qu'autant qu'elle sera secondée par des trahisons intérieures; et
dans ce cas je vous dis: veillez sur les traîtres; craignez de livrer vos
propres forces à vos ennemis mêmes; et c'est ici que vous devez suivre
surtout les principes que je vous ai développés : mais envisagez-vous
seulement le cours naturel des choses : ce n'est pas la peine de vous
tourmenter l'esprit pour vous préparer des dangers réels, sous le pré-
texte d'éviter des dangers chimériques (2). Figurez- vous un vaste empire
couvert de citoyens libres et armés, suivant le plan que je propose : et
s'il est possible qu'il existe un despote assez insensé, pour venir
l'attaquer; si des troupes de ligne redoutables ne suffisent pas encore
à sa défense, reposez-vous sur l'ardeur, sur la facilité avec laquelle
tant de millions de citoyens défendront leur patrie et leur liberté, fiez-
vous à la nature même des choses, et n'allez pas, pour des cas si
rares, et pour des dangers presque chimériques, convertir en fléau une
institution salutaire, et livrer vos défenseurs au monarque, et la nation
peut-être à tous les maux du despotisme militaire.
« Tel est le résusîtat inévitable du projet de votre comité. Mais
quoi, au travers des nuages dont il les enveloppa, ne démêlez-vous pas
le but auquel il vous conduit. Ne voyez-vous pas se réaliser dès ce
moment même tous les inconvéniens que je ne vous avois moi-même mon-
trés que dans le lointain } 11 veut soummettre la garde nationale au roi
dans le cas d'invasion subite. Eh bien, il est tout prêt, ce cas-là. Un
rebelle est prêt à entrer sur le territoire français... et voilà la cour!
voilà les ministres ! voiià les ennemis naturels de la révolution qui vont
disposer des gardes nationales. Ils vont rassembler à leur gré celles qui
conviennent le mieux à leurs desseins; les autres resteront dans !e néant,
puisque suivant le plan même, il leur est défendu d'agir, de s'assembler
sans aucune réquisition, puisque toute délibération leur est interdite,
même sur les dangers de la liberté et de la patrie, sous peine d'être
réputées ennemies de l'état... Il n'existe plus dans i'état d'autre force
armée que celle que le despotisme fera mouvoir. Aveugles citoyens,
connoissez-vous enfin le secret de toutes les intrigues coupables dont
vous êtes investis; ne voyez-vous pas l'objet de toutes ces factions, qui
semblent se combattre quelquefois, pour mieux cacher leur coupable
intelligence ; devinez-vous les motifs des contradictions perpétuelles
des uns, du silence perfide des autres, de tout ce charlatanisme oratoire
(2) C'est l'un 'des arguments que Robespierre opposera à la
Gironde à la fin de 1791 dans ses discours contre la guerre.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 285
ou ministériel prodigué pour vous entraîner sans cesse hors des principes
de la liberté, et pour vous déguiser les dangers qui vous environnent.
Voyez-vous enfin percer la coalition de nos ennemis déclarés et de nos
ennemis hypocrites? Je la vois: je l'ai vue depuis longtemps; je vous
l'ai annoncée. Mais en vain : c'est à vous de décider si vous voulez
enfin sortir de cette funeste léthargie, si vous voulez sauver la patrie,
ou la livrer à toutes les horreurs qui la menacent. Pour moi, quoi qu'il
puisse arriver, je continuerai de remplir les devoirs touchans et sacrés
qui m'attachent à elle; je vais achever de dévoiler les principes et les
vues du comité, dans l'analyse de son plan : il suffiroit de jetter les yeux
sur le chapitre où il trace les fonctions des gardes nationales. Il semble
qu'il n'en connoisse point d'autre que de faire la guerre sous les ordres
du roi et maintenir la police. Ils se gardent bien d'avouer que leur prin-
cipale, que leur véritable distinction est de défendre la liberté contre
les attaques du despotisme, à voir le soin avec lequel ils écartent cette
idée, et s'abstiennent de prononcer une seule fois le mot de liberté.
Il est aisé d'appercevoir que ce n'est point pour elle qu'ils ont formé
le plan. Dissiper toutes émeutes populaires et attroupemens séditieux,
employer la force des armes pour repousser les brigandages et attrou-
pemens séditieux, saisir et livrer à la justice les séditieux, lorsqu'il ne
les abandonne que pour intimer de la manière la plus menaçante !a
défense de s'assembler sans réquisition, que pour leur imposer sévère-
ment la loi de l'obéissance aveugle et passive; qui croiroit voir une loi
proposée pour un peuple doux et généreux, qui, conquérant de sa pro-
pre liberté, n'a surpassé son courage que par sa patience à souffrir ses
persécuteurs et sa misère, au sein de la révolution qu'il avoit lui-même
opérée ! Oui, c'est pour ce peuple, en effet, qu'elle est proposée par
les tyrans qui veulent le remettre aux fers; ou si l'on veut par des
esclaves qui préfèrent à la gloire de le servir, le prix infâme pour lequel
ils l'ont vendu à leur maître ! par ces vils esclaves qui, pour trouver un
prétexte de l'opprimer, ne cessent de le représenter comme une horde
de brigands qu'il faut dompter, ou d'esclaves dangereux qu'il faut en-
chaîner ! Eh ! quel autre esprit règne aujourd'hui ! Que voit-on par-tout,
si ce n'est une injuste défiance, de superbes préjugés contre ceux que
l'on appelle encore le peuple ! Qui est-ce qui aime l'égalité ? Qui est-ce
qui rajpecte la dignité de l'homme dans son semblable ? Qui est-ce
<yui connoît, qui est-ce qui respecte la majesté du peuple "> Certes, voilà
bien des hommes qui conviennent au despote pour rétablir son empire :
voilà les hommes à qui un despote ne convient pas moins, pour récom-
penser leurs vices et payer leur bassesse.
« Quoiqu'il en soit, quel seroit (sic) les effets de l'institution de la
garde nationale ! Quelle seroit son influence sur l'esprit public ou sui
la liberté, si le législateur ne sembloit l'avoir établie que pour un tel
but et dans un tel esprit ?
« Mais que dirai-je de ces dispositions qui statuent que dans les
286 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
campagnes, les gardes nationales n'agiront que pour soutenir la gendar-
merie nationale et les troupes de ligne; les troupes de ligne ne sont
faites que pour marcher contre les ennemis du dehors. Comment peW-on
les consacrer à marcher contre les citoyens : c'est le renversement de
tout principe de liberté. N'étoit-cè donc pas assez de cette institution
de la gendarmerie nationale qui la blesse d'une manière si absurde et
si funeste : mais ne faire de la garde nationale qu'une armée subsi-
diaire, destinée pour aider les troupes de ligne, à massacrer les citoyens,
c'est le comble du délire; ne dirait-on pas que la nation ne s'arme que
pour s'opprimer elle-même, e'; surtout pour faire la guerre aux habitans
des campagnes; pouvait-on le déclarer d'une manière plus éclatante?
C'est ainsi que l'organisation des gardes nationales n'est autre chose
qu'un projet de réduire en système toutes les violences et les attentats
de la tyrannie, et d'assurer à jamais la servitude et l'oppression du
peuple.
« Pourquoi encore cette division de la garde nationale calculée de
manière qu'elle ne peut point être organisée par communes, excepté les
grandes villes? Pourquoi cette disposition si contraire à l'intérêt des
campagnes dont des communes ne peuvent jamais avoir une garde na-
tionale complète, et ne pourront former aucune des sections qui compo-
sent la division projetée, qu'en se réunissant avec beaucoup de diffi-
cultés et de lenteur ? »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXV, p. 12.
« M. Robespierre. J'applique maintenant les deux principes que
j'ai établis hier, je trouve que le projet du comité viole tous les points
essentiels de la constitution: je trouve qu'en dernière analyse d fait de
la garde nationale une classe de citoyens qui doit être, tôt ou tard, ins-
trument du despotisme. D'abord, le comité ouvre, selon moi, une longue
extension au pouvoir exécutif, en proposant que le roi puisse faire donner
aux commandans des différentes légions des ordres pour la défense de
la patrie. Il est vrai que le comité suppose une invasion hostile et subite
par une -troupe étrangère : mais toutes les lois dangereuses ont été justi-
fiées par des motifs plausibles : or, qui ne voit pas qu'il sera toujours
au pouvoir du gouvernement de faire naître l'événement, et que la moin-
dre irruption de quelques brigands suffira pour lui fournir le pré'exte
d'étendre son autorité sur les gardes nationales *
« Ce n'est pas tout : il me semble que le comité destine la garde
nationale à faire* la guerre habituellement aux ennemis étrangers, et
qu'il l'envisage comme une espèce de troupe auxiliaire. Cet (^prit se
manifeste dans plusieurs articles. Ici je vois naître tous les dangers aux-
quels la liberté peut être exposée, par le pouvoir que le roi exercera sur
les citoyens armés. Je suis bien loin d'être rassuré par une disposition du
comité, qui dit que s'il n'y a pas d'invasion subite, la garde nationale
ne pourra être contrainte de marcher, qu'à la réquisition des corps admi-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 287
nistratifs, sur un décret émané du corps législatif; car sans parler de la
facilité de faire naître cette incursion subite, cette disposition suppose
au moins, que la garde nationale, dans l'autre cas, pourroit volontaire-
ment se joindre à l'armée, sans le décret du corps législatif, et sans
réquisition du corps administratif. Or, dans l'une ou l'autre hypothèse,
le danger est toujours le même. Mais n'ai-je pas le droit d'ajouter
qu'avec les moyens immenses que la constitution donne au pouvoir exé-
cutif, avec l'influence qu'elle lui donne sur la paix et la guerre, la
formalité d'un décret du corps législatif, ne seroit pas toujours une puis-,
santé ressource; et au lieu de chercher la sauvegarde de la liberté,
dans une délibération momentanée du corps législatif, pourquoi ne pas
la mettre dans la nature même de la chose, et dans les principes cons-
titutionnels de la garde nationale.
« Il semble encore que le comité ait absolument méconnu l'objet
unique et véritable de l'institution des gardes nationales; il semble qu'il
ne leur connoisse d'autre destination que de faire la guerre sous les
ordres du roi, et de faire la police. Il se garde bien d'avancer que
leur véritable objet est de défendre la liberté au besoin contre les
attaques du despotisme. A voir le soin avec lequel on semble s'abste-
nir de prononcer une seule fois le mot de liberté dans tout ce plan
d'organisation, il seroit permis de douter si c'est pour elle qu'il a été
composé. Dissiper toutes les émeutes populaires et attroupemens sédi-
tieux; employer la force des armes pour repousser les brigandages et
attroupemens; saisir et livrer à la justice les séditieux: voilà, messieurs,
toutes les idées que nous présente le projet où le comité fixe toutes les
fonctions des gardes nationales. Mais que dirai-je de ces dispositions,
qui statuent que dans les campagnes les gardes nationales n'agiront que
pour soustenir la gendarmerie nationale et les troupes de ligne ? '
« Ne croirait-on pas que !a nation ne prendra les annes que pour
s'opprimer elle-même, et sur-tout pour faire la guerre aux hab;tans des
campagnes? Pouvons-nous soutenir l'idée que ce qu'il y a de plus
respectable dans la nation, nos cultivateurs, les habitans de nos cam-
pagnes ne seront présentés, en quelque sorte, que comme la partie qui
a le plus besoin d'être contenue dans les bornes du devoir qu'elle ché-
rit, dans les bornes de la constitution qu'elle adore, par des mesures
aussi extraordinaires (applaudi à gauche). Pourquoi encore cette divi-
sion de la garde nationale calculée de manière qu'elle ne peut point
être organisée par commune, excepté dans les grandes villes ?
<( Mais il n'étoit point nécessaire d'entrer dans les détails de tous
ces vices essentiels pour prouver la nécessité de rejetter le plan du
comité, celui de la composition même des gardes nationales et le ren-
versement de toute liberté.
« Le comité interdit à tous les citoyens non actifs le droit d être
admis dans les gardes nationales.
288 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Le comité dépouille tous ceux qui ne sont pas inscrits dans la
garde nationale, de la qualité de citoyen actif.
« Le comité interdit jusqu'au port d'armes aux citoyens non actifs.
« Que dirai-je de ces dispositions, si ce n'est qu'elles sont com-
binées pour faire de la garde nationale un vaste corps armé dans la
nation, qui asservira et opprimera le reste de la nation.
« Mais de quel droit interdirez-vous à chaque citoyen le droit
de porter !es armes pour la patrie ? Ne sont-ils pas tous également ses
enfans, ne sont-ils pas tous membres de la société ? Sont-ce des citoyens
incapables de porter les armes pour la patrie ? Ah ! ils en étoient capa-
bles, lorsqu'ils vous ont nommé pour défendre leurs droits; ils l'étoient
lorsqu'ils se sont armés pour vous défendre, ils l'étoient lorsqu'ils ont
fait la révolution.
« Il est vrai que le comité fait une exception en faveur des
citoyens qui, ayant pris les armes au commencement de la révolution,
se trouvent encore en activité de service; mais c'est une nouvelle injure
à la classe des citoyens qu'il écarte de la garde nationale; mais il veut
les faire juger s'ils sont dignes de servir la patrie; il leur fait présumer
qu'ils seront rejettes arbitrairement, parce qu'ils ne sont pas des citoyens
actifs, parce qu'ils ne sont pas favorisés de la fortune dont les rigueurs
n'ont pu cependant les empêcher de sacrifier leur tems à la patrie, et
l'on verra qu'un citoyen actif qui ne se sera pas armé dans les pre-
miers tems du danger sera digne de plein droit d'entrer dans la garde
nationale, tandis que ses plus héroïques défenseurs en seront ignominieu-
sement écartés s'ils n'obtiennent une décision dont la nécessité même
est un outrage; car si c'est un honneur d'y être admis, c'est un opprobre
d'en être exclus. Et de quel droit l'infligeriez- vous à l'honorable pau-
vreté. Il est bien plus digne de vous, il est bien plus conforme à la
justice d'élever par une présomption aussi juste qu'honorable tous les
citoyens françois au droit de défendre la patrie. Je résume ce que j'ai
dit aux principes fondamentaux que j'ai posés. Je ne veux point tirer
les conséquences particulières qui sortent d'elles-mêmes de ces prin-
cipes, et qui pourront être déduites dans la discussion de l'organisa'ùon
des gardes nationales; mais je propose à l'assemblée de délibérer
d'abord sur le point capital et essentiel.
« Ce principe est celui-ci que je propose de mettre en discussion
ou même de décider sur le champ : c'est que tout citoyen domicilié a
droit d'être inscrit dans la garde nationale en vertu du principe qui assure
à tous les hommes, à tous les citoyens, le droit d'être armé pour leur
défense personnelle (applaudi à plusieurs reprises du côté gauche et
des tribunes) » (3).
(3) Le texte reproduit dans les Arch. pari. (XXV, 381-389)
comprend un important passage du discours imprimé depuis : « Cette
théorie peut se réduire à deux ou trois questions importantes » jus-
qu'à la fin; puis on y ajoute le dernier paragraphe de Le Ho'dey.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 289
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 119, p. 489.
« M. Roberspierre. J'ai établi hier les principes fondamentaux de
1 organisation de la garde nationale; j'ai prouvé que tous les citoyens
devaient y être admis, si l'on ne voulait diviser la nation en deux clas-
ses dont l'une serait à la discrétion de l'autre. J'ai prouvé qu'il fallait
soustraire la garde nationale à l'influence du pouvoir exécutif, puis-
qu'elle doit servir au besoin pour nous défendre contre la force mili-
taire dont ce pouvoir exécutif est armé. Maintenant j'applique ces prin-
cipes au projet qui nous est présenté par les deux Comités et je trouve
qu'il les viole entièrement; il fait de la garde nationale un corps qui
peut devenir l'instrument du pouvoir exécutif. Il est vrai que pour cela
le Comité suppose le cas d'une invasion subite par une troupe étran-
gère. C'est ainsi que toutes les lois dangereuses ont été justifiées par
des motifs honnêtes. C'est le fond du projet qu'il faut examiner. Ne
voit-on pas que le gouvernement pourra faire naître facilement l'événe-
ment qu'a prévu le Comité, avec l'influence qu'a le pouvoir exécutif
sur la paix et la guerre, On dirait que les gardes nationales ne doivent
être employées que pour faire la guerre aux ennemis de dehors, tandis
que les principes veulent qu'ils ne soient employés que dans les cas
extrêmes. Serait-ce un projet qui embrasse tous les tems.
« Le Comité a méconnu l'objet unique et véritable de l'institution
des gardes nationales. Il place sans cesse la garde nationale dans les
circonstances où elle doit faire la guerre sous les ordres du roi; mais
n'est-elle pas faite aussi pour défendre la liberté contre les attaques du
despotisme ? Ce mot liberté n'a pas été proféré une seule fois dans tout
le projet. Repousser les brigands, livrer à la justice les séditieux, voilà
les seules idées que présente la partie du projet qui fixe les fonctions
de la garde nationale. Il semble qu'elle ne sera instituée dans les cam-
pagnes que pour soutenir la gendarmerie nationale et les troupes de
ligne. Faire ainsi une armée subsidiaire pour combattre les citoyens,
n'est-ce pas là l'oubli de tous les principes ? Pourrons-nous soutenir
l'idée de voir les paisibles habitans des campagnes présentés comme
la partie de la nation qui a le plus besoin d'être contenue. Cette distinc-
tion est insultante. Ces détails sont inutiles. Il suffit bien d'avoir prouvé
que la composition des gardes nationales présentée par le Comité, est
le renversement des principes de la liberté. Il interdit jusqu'au port
d'armes aux citoyens non actifs. N'est-ce pas là créer un vaste corps
armé pour asservir le reste de la nation? N'est-ce pas remettre le pou-
voir politique et la force armée dans les mains d'une seule classe ? Et
cette force armée à la disposition du pouvoir exécutif par des voies
indirectes. Tous les citoyens ne sont-ils pas également enfans de la
patrie? Quels sont ceux que vous jugez incapables de porter les armes?
Teniez-vous ce langage, lorsqu'ils se sont armés pour vous défendre,
lorsqu'enfin ils ont fait la révolution? Mais, dira-t-on, le Comité pro-
pose de maintenir dans la fonction de garde nationale, ceux qui ont
lUl.lM^.UU. l'J
290 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
pris les armes depuis l'époque de la révolution, s'ils en sont jugés
dignes. Et pourquoi leur faudrait-il subir un jugement nécessairement
arbitraire ? Est-ce parce qu'ils ne seront pas favorisés de la fortune ?
Où étaient donc les Comités au 14 Juillet? S'ils avaient vu cette jour-
née, ils n'auraient pas fait cette insulte à la partie respectable de leurs
concitoyens. Je conclus à ce que l'Assemblée décrète que tout citoyen
domicilié a droit d'être inscrit sur le registre des gardes nationales.
(On applaudit) » (4).
Le Creuset, t. II, n° 36, p. 193.
« L'ordre du jour ayant r'ouvert la lice à M. Roberspierre, ce
patriote a dirigé de nouveau ses attaques contre le projet d'organisation
des gardes nationales, du comité. Etablir, a-t-il repris, dans l'empire,
deux corps séparés; l'un, toujours foible, et l'autre toujours fort; ce
dernier pour toujours commander, et le précédent, pour toujours obéir,
non-seulement c'est instituer de nouveau l'esclavage et l'oppression,
mais c'est présenter au despotisme les moyens d'écraser et d'anéantir,
tôt ou tard, la liberté.
« M. Roberspierre a vu, avec raison, l'accélération inévitable
du retour de la puissance absolue dans l'autorité accordée au roi sur
les gardes nationales, par le projet du comité.
« Il a combattu, avec !a même vérité et le même avantage, la
faculté accordée à la gendarmerie nationale, de requérir l'assistance
des gardes nationales dans la campagne, et sur-tout la distinction que le
comité a affecté de mettre entre les gardes nationales des campagnes et
celles des villes, distinction réellement inique dans son principe, fansse
dans son objet, et propre à multiplier, dans toute î 'étendue de l'empire,
le détestable régime des polycraties.
(( Revenant ensuite à la disposition de ce projet, qui exclue les
citoyens appelles inactifs de la garde nationale, et qui heurte, en cela
même, et bien plus, en ce qu'il leur défend le port d'armes, la décla-
ration des droits. Ils étoient citoyens, s'est écrié l'orateur, lorsqu'ils se
sont rassemblés poui vous déléguer leurs pouvoirs; ils l'étoient lorsqu'ils
se sont armés pour vous défendre; ils l'étoient au 14 juillet, quand ils
ont brisé les fers du despotisme et conquis la liberté ! »
L'^lmi du Roi (Montjoie), 29 avril 1791, p. 475.
On est revenu ensuite à la discussison sur l'organisation de la
garde nationale, et M. Robertspierre après avoir très-longuement répété
ce qu'il avoit développé la veille d'une manière très-diffuse, a de nou-
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 245; Bûchez et
Eoux, IX, 341. Laponneraye (I, 83-85) publie à la, suite, un fragment
du discours imprimé, depuis: •« Les gardes nationales ne seront
jamais ce qu'elles doivent être... ».
LES DISCOURS- DE ROBESPIERRE 291
veau établi pour principe, que tout homme a le droit de porter les armes
pour sa défense personnelle. C'est bien là la plus haute folie que l'on
puisse prêcher à des hommes vivans en société, et il faut être bien
novice en législation, pour ne pas savoir que le citoyen ne peut et ne
doit recevoir de protection que de la force publique. S'il veut se défen-
dre lui-même, il renonce alors à la protection que la société offre et
doit à chacun de ses membres, il devient le plus misérable des êtres.
D'un tel principe, M. Roberstpierre a conclu à ce que tout citoyen
domicilié eût le droit de se faire inscrire sur la liste des gardes natio-
nales.
Cette conclusion a excité une grande rumeur (5). MM. Dubois de
Crancé, Pethion et Charles Lameth, sont ceux qui ont fait le plus de
bruit en faveur de l'opinion de M. Robertspierre.
Courier de Provence, t. XIV, p. 454 (368) à 370.
« La suite de la discussion sur l'organisation de la garde nationale,
a été reprise; le comité vouloit borner aux citoyens actifs le droit d'être
garde nationale; M. Robespierre s'est élevé avec chaleur contre une
injustice aussi impolitique. »
[Suit un fragment du Moniteur, depuis : « Le comité méconnoit
l'objet... » jusqu'à « la partie respectable de leurs concitoyens ».]
Le Patriote françois, n° 630, p. 467.
« M. Robespierre s'élevoit avec chaleur contre une injustice aussi
impolitique... Cette distinction, disoit-il, est insultante. Séparer ^ la
nation en deux classes, ne donner qu'à une le droit d'être armée, c est
créer un vaste corps armé pour asservir le reste de la nation; et ce corps
armé est, dans le projet du comité, à la disposition du pouvoir exécutif,
par des voies indirectes!... Tous les citoyens ne sont-ils donc pas égale-
ment enfans de !a patrie ? Quels sont ceux que vous jugez incapables
de porter les armes? Ceux qui ont fait la révolution. Teniez-vous ce
langage lorsqu'ils ont pris les armes à l'époque de la révolution, s'ils en
sont jugés dignes. Eh! pourquoi leur faire subir un jugement arbi-
traire?... Où étoient donc les comités au 14 Juillet? S'ils avoient vu
cette journée, ils n'auroient pas fait cette insulte à la partie respectable,
de leurs concitoyens.
(5) ,11 est très net en effet que les applaudissements dont les
députés avaient ponctué un certain nombre de passages <de jon
discours du 27, se firent plus rares le 28, dès qu'il toucha aux Condi-
tions de cens, tëon discours sur le marc d'argent qui connais «ait
à cette date 'une (grande vogue dans les Sociétés populaires avait
contribué à indisposer l'Assemblée qui avait toujours refuse Ue
l'entendre. Les' efforts .qu'il déploya »au cours do cette séance valu-
rent à Robespierre un reigain de popularité.
292 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« M. Robespierre concjuoit à ce que tout citoyen domicilié pût
être citoyen actif. »
L'Ami du Roi (Royou), I79L n" 346, p. 3-4.
« Quelle sera la différence et la distinction entre les gardes
nationales et les troupes de ligne, entre les soldats et les bourgeois :
c'est encore là une énigme dont il n'est pas sûr de dire le mot : M. Ro-
bespierre, démagogue fougueux, n'entre pas assez dans la situation du
comité et de l'assemblée; il attaque, sans aucun ménagement, le projet
d'organisation. Je crois qu'il ne voudroit ni gardes nationales, ni maré-
chaussée, et en cela il seroit conséquent à ses principes de liberté. Les
Anglais n'ont ni l'un ni l'autre.
« Il est impossible qu'une nation entière soit armée en tems de
paix; il faut, de toute nécessité, que la partie armée commande à la
partie désarmée, quand ceux qui sont armés ne sont pas entre les mains
du chef un instrument aveugle et passif. Le rétablissement des gardes
nationales sera donc directement contraire à la liberté, il sera oppresseur
et tyrannique, si la plus sévère discipline ne dirige pas tous ses rnou-
vemens.
« Mais lorsque M. Robespierre propose d'anéantir cette division
de citoyens actifs et inactifs, et d'armer indistinctement tous les hom-
mes, il est parfaitement inconséquent, et on ne voit plus en lui qu'un
flatteur de la populace : si les armes ne conviennent pas aux bourgeois
dans une monarchie, encore moins conviennent-elles à cette classe
d'hommes, dont les désordres nécessitent sur-tout la force publique; si,
lorsqu'ils sont désarmés, ils excitent tant de troubles, s'ils bouleversent
sans cesse l'ordre social; que seroit-ce si on leur mettoit les armes à
la main ? Puisqu'on a jugé à propos de les exclure de tous les emplois
et même des assemblées primaires, il seroit absurde de les armer pour
le maintien d'une constitution à laquelle ils sont étrangers. La société
doit veiller sur eux; ils ne sont pas faits pour veiller sur la société.
M. Robespierre a donc joué le rôle d'un charlatan et d'un histrion plu-
tôt que celui d'un législateur lorsque, plaidant pour la derrière fois, il
s'est écrié, ils furent actifs pour conquérir la liberté, et ils ne le seroient
pas pour la défendre. Ah! si fétois privé du titre de citoyen actif, et du
droit de porter les armes pour ma patrie, j'irois chez un despote pleurer
mon malheur. Les brigands qui ont dévasté la maison de Réveillon, pillé
la communauté de Saint-Lazare , porté dans les rues le buste du duc
d'Orléans et celui de M. Necker, mis le feu aux barrières, etc., les
scélérats qui ont souillé le palais de nos rois, assassiné ses gardes, porté
le fer et la flamme dans tout le royaume, sont des citoyens très- actifs,
et c'est parce qu'ils le sont trop qu'on ne doit pas les armer.
« L'orateur oublie toujours que ces prétendues conquêtes de la
liberté sont de véritables crimes, qui, dans tout autre tems que celui
d'une révolution* auroient été justement punis du dernier supplice. j>
LES DISCOUPS DE ROBESPIERRE 293
Journal de Paris, n° 120, p. 481.
Courrier d'Avignon, 1791, n° 109, p. 434.
« M. de Robespierre a achevé son opinion. Cette opinion étoit
un combat livré centre le plan du Comité qu'elle attaque dans toutes
ses parties à peu près. On a senti que M. de Roberspierre l'avoit tra-
vaillée avec beaucoup de soin, et qu'il y a développé tout son talent.
L'article du plan du Comité, sur lequel a porté le plus fort de sa réfu-
tation, est celui qui n'admet au service de la Garde Nationale que
ceux qui jouissent des droits de création de Citoyen actif. Qui a pris
les armes pour la création de la liberté, demandoit M. de Robes-
pierre ? Ce sont pour la plupart des hommes hors d'état de payer les
impôts auxquels est attachée la qualité de Citoyen actif; et ce sont ces
hommes, ces créateurs de la liberté, qu'on veut exclure aujourd'hui du
droit de porter les armes pour sa défense ! »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal de la No-
blesse, t. I, n° 19, p. 562; Assemblée nationale, Corps administratifs
(Perlet), t. XI, n° 632; La Correspondance nationale, n° 32, p. 287;
Le Lendemain, t. III, n° 120, p. 275; Le Mercure de France, 7 mai
1791, p. 33; Le Courrier des LXXXIII départemens, t. XXIII, n° 29,
p. 462; Le Journal de Normandie, n° 119, p. 578; Le Courrier extra-
ordinaire, 29 avril 1791, p. 4; Le Mercure national et étranger, p. 207;
Le Journal général, n° 88, p. 322; Les Annales patriotiques et litté-
raires, n° 374, p. 1347; Le Spectateur national, n° 150, p 648: Résu-
mé assez long dans Le Journal des Débats, t. XIX, n° 702, p. 1 1 ;
Le Journal général de France, n° 119, p. 474; La Gazette nationale
ou Extrait.., t. XVI, p. 188; Le Législateur français, t. II, p. 4; Le
Journal des Décrets de l'Assemblée nationale, 28 avril 1791, p. 153.]
2e intervention :
L'Assamblée entame la discussion article par article, du projet
d'organisation des gardes nationales, présenté par les comités de
constitution et militaire. Rabaut de (Saint-Etienne do'nne lecture de
l'art. 1er: « Les citoyens actifs s'inscriront pour le service de la
garde nationale, sur des registres qui seront ouverts à cet effet
dans les municipalités de leur domicile ou 'de leur résidence conti-
nuée depuis un an ; ils «eront ensuite distribués par compagnies. »
Ruzot propose alors d'y adjoindre tous les citoyens domiciliés, repre-
nant sous forme d'amendement l'idée exprimée par Robespierre dans
son discours de la veille.
D'André s'élève contre ces principes qui «ont implicitement
liés à la suppression du cens électoral. Ea discussion est fermée.
La proposition d'admettre sur la liste des 'gardes nationales tous
les citoyens domiciliés, est écartée par la question préalable. Robes
pierre prend fc parole, malgré de nombreuses interruptions.
L'Assemblée nationale consultée décréta l'art. lftr présenté par
les comités de constitution et militaire.
294 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 120, p. 490.
« M. Roberspierre. Je propose un amendement au premier article.
Dès les premières idées développées par M. Dandré, il semblait pen-
ser que la question pouvait être présentée sous d'autres points de vue,
et j'ai vu le moment où il se bornait à demander l'ajournement. Lorsque
vous allez prononcer sur une question aussi importante... (Plusieurs voix :
Votre amendement). La question tient aux premiers principes de "l'ordre
public, et (Plusieurs voix : Votre amendement) après une pareille ques-
tion... (Votre amendement) est-il un décret qui m'interdit les réflexions
nécessaires pour développer mon opinion. Je veux vous proposer une
mesure et non pas entrer dans le fond de la question. (On demande à
aller aux voix). Toute violence qui tend à étouffer ma voix est destruc-
trice de la liberté. (On entend quelques applaudissemens). Je veux
proposer une mesure qui prévienne le danger : lorsqu'une question a
été présentée sous un rapport... (Plusieurs voix: ce nest pas là un amen-
dement). Je demande une mesure qui empêche... (On demande à grands
cris dans presque toutes les parties de la salle à aller aux voix). Je
crains les formes dangereuses...
« M Dandré. M. Roberspierre se moque-t-il.. » (6).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXV, p. 13.
M. Robespierre. Je rentre dans la première idée de M. d'André
relative à l'ajournement. Il a paru penser que cette, question était suscep-
tible d'autres points de vue.
M. le Président (7). Monsieur, vous avez la parole pour un amen-
dement nouveau : je vous rappelle à l'ordre et à l'amendement.
M. Robespierre. La proposition que je vais faire à l'assemblée est
justifiée par la nature même de la question. Quelque soit (sic) la
diversité des opinions, je veux proposer une mesure...
Plusieurs voix. Votre amendement.
M. le Président. Je vous rappelle à l'ordre, M. Robespierre, et je
vous prie de vous retrancher dans l'amendement.
M. Robespierre. Je me retranche dans l'amendement: mais il
faudroit un décret de l'assemblée pour m'interdire les moyens de le
justifier; et toutes prétentions qui tendroient à étouffer ma voix, seraient
évidemment destructives de toute liberté (murmures dans l'assemblée :
applaudissemens des tribunes).
M. le Président. Silence aux tribunes.
M. Robespierre. Je demande que de telles questions ne soient
(6) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 248 ; et Bûchez et
Roux, IX, 344; et en partie dans les Ar'ch. pari.. XXV, «S93-94.
(7) C'est Reubell.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 295
pas décidées par des formes dangereuses et par le jeu de Pintrigue
(murmures) (8).
Le Spectateur national, n° 150, p. 649.
« De vifs applaudissements d'un côté et de nombreuses réclama-
tions de l'autre, s'étant fait entendre, le président a mis aux voix la
ridicule proposition de MM. Robespierre, Buzot, Dubois de Crancé,
etc.. mais en vain, l'avoient réduite à la substitution des mots citoyen
domicilié aux mots citoyen actif, elle n'a eu pour elle que le suffrage
d'une trentaine de jacobites.
« Beaucoup de membres ayant alors demandé qu'on délibérât enfin
sur le premier article du comité, M. Robespierre s'y est encore vive-
ment opposé, et a fait pendant quelque tems un vacarme effroyable. »
Le Patriote françois, 1791, n° 633, p. 481.
« Puisqu'on pense n'avoir exclu que les vagabonds et les mendians,
pourquoi ne pas s'expliquer de manière à ne pas exclure aussi des
citoyens qui ne sont ni vagabonds, ni mendians ? Cette explication
étoit-elle donc si difficile? M. d'André convient lui-même que les
qualités nécessaires pour former le corps politique, doivent n'en exclure
presque personne; et cependant il accuse l'opinion de MM. Robes-
pierre, Pétion, Charles Lameth, etc. sur les gardes nationales, de cacher
le désir d'un changement dans la constitution. »
Le Creuset, t. II, n° 36, p. 196.
« Sans doute Roberspierre eut été plus énergique encore. î! est
aisé de s'en convaincre par !a lecture de son beau discours sur la néces-
sité de révoquer les décrets qui attachent l'exercice des droits du
citoyen à la contribution du marc d'argent, ou d'un nombre déterminé de
journées d'ouvriers (9); mais les pères conscrits, tremblans de l'entendre,
lui ont coupé la parole, et ils ont fermé la discussion. »
Journal universel, t. XI, p. 5078.
« Mais la constitution vient de blesser sa déclaration des droits
de l'homme; car, malgré les réclamations patriotiques de M. P.obes-
pierre, l'assemblée a décrété que pour être garde nationale, il faudrait
être citoyen actif, c'est-à-dire payer 3 livres d'imposition. Ainsi, celui
qui ne paiera pas 3 livres, n'aura pas l'honneur de servir sa patrie. Se-
conds législateurs, vous aurez plusieurs décrets à annuler, l'opinion pu-
blique les indiquera. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Législateur français,
t. II, p. 6; Le Courrier d'Avignon, n" 109, p. 435.]
(8) Les Arch. -pari., XXV, 393-94, combinent ce bexte avec celui
di: Moniteur.
<9) Cf. ci-dessus, n° 248.
296 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
277. — SEANCE DU 30 AVRIL 1791
Sur l'affaire d'Avignon (suite)
Conformément à son décret du 28 avril, 'l'Assemblée entend If*
rapport présenté par Menou au nom des Comités ' diplomatique et
d'Avignon (1). ÎLe rapporteur conclut en proposant un projet de
décret incorporant le Comtat Venaissin et Avignon, à fia France,
et décidant l'envoi de trocs commissaires avec pleins pouvoirs pour
rétablir l'ordre et consommer la réunion.
La discussion s'engage. L'abbé Maury demande « que le débat
soit ajourné jusqu'à trois jours après la distribution du rapport,
et que l'Assemblée nationale 'déclare qu'elle prend sous sa protec-
tion spéciale Avignon et le Comtat Venaissin» (2). Charles Lameth
s'oppose à l'ajournement et au caractère provisoire du décret
proposé. Le comte de Clermont-Tonnerre propose d'adopter les
art. 2 et 3 du projet du comité, en retranchant l'art. 1 qui préjuge
de la question, dont l'examen sera retardé jusqu'au délai demandé
par l'abbé Maury. Robespierre intervient alors et demande que la
question soit iugée immédiatement au fond (3).
La discussion fermée sur la proposition de l'abbé Maury, l'As-
scmblée consultée passa à l'ordre du jour. La suite dix débat fut
renvoyée au lendemain (4).
Gazette nationale ai* le Moniteur universel, n° 121, p. 493.
Journal universel, t. XI, p. 6003.
'( M. Roberspierre. Les horreurs qui ont désolé le Ccmtat son' un
pressant motif de hâter notre délibération. S'il nous faut donner des
regreîs, nous les donnerons également, et à ceux qui sont morts surpris
par des trahisons, et à ceux qui ont été victimes de leur méchanceté II
faut de l'indulgence pour tous les partis dans une révolution, parce que
l'on ne peut se dissimuler la peine que l'on a à se débarrasser de ses
anciens préjugés, de ses anciennes passions. (On applaudit). II y a
deux partis dans le Comtat, celui qui désire secouer un joug oppresseur,
et celui qui veut le conserver, peut-être parce qu'il en profite : ce dernier
parti a été vaincu jusqu'aujourd'hui. Ou'on le plaigne si l'on veut;
mais qu'on vienne au secours de tous. On ne le peut qu'en prononçant
la réunion. Les mesures provisoires sent impraticables, à moins que vous
ne regardiez le Comtat comme une province dont les affaires vous regar-
dent. Sans cela vous n'avez pas plus de droit sur elle que vous en
'Cl) Cf. ci-dessus, séance du 28 avril 1791.
(2) L'abbé Maury était soutenu par Clermont-Tonnerre et Caza-
lès. (Leur proposition d'ajournement, mise aux voix, fut rejetée.
(3) On trouvera le récit de cette /séance dans_ la lettre des
envovés extraordinaires d'Avignon, datée du 1er mai (Cf P. Vail-
landet, on. cit., 3e nartie, p. 102-103V Ils indiquent que cette affaire
« est devenue véritablement une affaire de parti», où Noirs et
Patriotes s'opposent avec violence.
(4) Le lendemain étant un dimanche, le débat fut reprib le
lundi 2 mai (cf. ci-dessous).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 297
auriez eu à interposer votre autorité dans !e Brabant. Les mesures pro-
visoires ne pourraient avoir que de funestes effets. Ne pourrait-on pas
croire que vos troupes ne seraient venues que pour en imposer au parti
victorieux; et si le chef de ces troupes avait adopté des principes con-
traires à ce parti, ne pourrait-on pas soupçonner que le chef et l'armée
voudraient protéger ce qu'on appelle le parti aristocratique, et qui est
le parti vaincu ? Je demande en conséquence que la question soit jugée
au fond » (5).
Le Point du Jour, t. XXI, n° 659, p. 455.
« M. Robespierre a dit qu'il s'agissoit de hâter !a délibération,
et non de l'entraver et de la retarder par des discussions inutiles ou
des tableaux exagérés de la situation des comtadins.
« Je déclare, a-t-il ajouté, que si M. Clermont a voulu exciter
notre commisération pour les victimes malheureuses des deux partis, elle
ne peut leur être refusée, puisque ce sont des hommes malheureux dans
tous les partis (on applaudit).
« Ne nous faisons pas illusion, distinguons de quel côté est la
justice. Des hommes excités, des hommes victimes se sont vengés: ils
n'ont pu avoir des mesures modérées; il y a eu une révolution dans le
Comtat; il a dû y avoir selon le cours ordinaire des choses, un parti
qui tenoit aux abus de l'ancien régime, et un autre qui vouloit les dé-
truire; mais il faut venir au secours de tous par les décrets. Cependant,
point de mesure prov.oOire ; à moins que vous n'ayez des droits sur ce
pays; s'il vous est étranger, vous n'avez pas plus de droits de donner
des loix au Comtat, que d'y aller porter vos armes, pas plus que vous
n'en avez eu pour le Brabant. Vos troupes seroient partagées entre les
partis, ou leurs chefs partageroient peut-être les armes de celui qui y
seroit, et ne feroient qu'augmenter les troubles. Vos départemens ne
souffriraient pas d'ailleurs qu'un de vos chefs pût aller soutenir le parti
qu'on appelle aristocratique, et que je ne caractérise pas. Je demande
que l'ajournement soit rejeté, et que la discussion commence sur le projet
de décret. (On applaudit) » (6).
Annales patriotiques et littéraires, n° 576, p. 1357.
« M. Robertspierre a déployé toute sa sensibilité au soutien de
l'opinion contraire. Ces»: la commisération même, a-t-i! dit, qui nous
fait un devoir de délibérer, et de prendre enfin un parti qui puisse
terminer ces rivalités qui ont déjà fait couler des ruisseaux de sang, et
rétablir ce repos heureux réclamé par l'humanité. Toute mesure pro-
visoire seroit cruelle et injuste; l'envoi d'une force quelconque suppo-
seroit un droit sur le Comtat et Avignon ; sans déclaration ce seroi* une
(5) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 267.
(6) Les Arch. pari. (t. XXV, p. 470) publient un texte quia été
composé à l'aide des extraits du Moniteur et du Point du Jour.
298 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
violation manifeste du territoire étranger; il ne s'agit donc que de discu-
ter le droit, s'il n'existe pas, nous ne pouvons envoyer d'armée dans
le Comtat, sous peine d'être des oppresseurs; s'il existe, il faut !? décla-
rer et agir sans délai. »
Journal général de France, Ie' mai 1791, p. 482.
« M. Robertspierre, tout en s 'appuyant sur ce que venoit de dire
le Préopinant [M. de Clermont-Tonnerre] , a fait remarquer cependant
que dans un état de Révolution, il est peut-être pardonnable de fournir
avec quelque énergie les abus même qu'on croit la source de son
bonheur.
« Juste Dieu, quelle énergie ! c'est celle du scélérat Damiens,
plongeant son poignard assassin dans les flancs de Louis le bien-aimé.
« M. Robertspierre a voulu que la délibération s'ouvrît aussi-tôt
sur le projet du Comité. »
Gazette universelle, 1791, n° 121, p. 484.
« Il a dû y avoir deux partis dans le Comtat Venaissin, continue
M. Robespierre, l'un qui veut la liberté; l'autre qui veut la domination
du pape. Le dernier a été vaincu : venez à son secours, venez au
secours de tous; mais la mesure qu'on vous propose ne peut qu être
funeste; les troupes seroient censées y aller pour adopter le parti victo-
rieux, ce qui ne feroit qu'augmenter les divisions et les haines; et si,
par malheur, le chef des troupes venoit à embrasser un parti, que de
maux n'auroit-on pas à craindre ? M. Robespierre a conclu à ce qu'on
s'occupe sur-le-champ de la discussion. »
Journal des Débats, t. XIX, n° 705, p. 14.
« M. Robespierre a déclaré qu'il donnoit sa commisération aux
hommes de tous les partis qui sont en proie aux horreurs de la guerre
civile dans le Comtat, qu'il la donnoit non-seulement aux Avignonois
qui avoient été surpris et massacrés, mais encore à tous ceux qui, après
avoir fait cette horrible provocation, avoient été victimes de leurs
fureurs. Il faut de l'indulgence dans une Révolution. Les uns ont peine
à se défaire de leurs préjugés et de leurs passions, les autres ont peme
à modérer leur vengeance, ne nous habituons pas à regarder comme
des factieux ceux qui, ayant été provoqués d'une manière cruelle et per-
fide, se portent à des excès contre leurs oppresseurs. M. Robespierre
a répété plusieurs des raisonnemens de M. Charles Lameth, et il a
ajouté que si le Chef du Régiment que l'on envoieroit se déclaroit en
faveur des Comtadins, les Avignonois le regarderaient bientôt comme
leur ennemi. » l
L'Ami du Roi (Royou), 1791, n° 348, p. 4.
« M. Robespierre s'est apitoyé sur les victimes de la révolution
française et avignonaise, avec un faste et une prétention de sensibilité,
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 299
dont on n'a pu s'empêcher de rire : il s'est récrié contre la cruauté et
l'injustice de toute mesure provisoire; et pour le bien de l'humanité,
il faut s'emparer définitivement d'Avignon; ce casuiste scrupuleux pense
que ce seroit violer un territoire étranger que d'y envoyer des troupes,
quoique l'assemblée se soit déjà rendue coupable de ce crime; mais
il ne se fait point de scrupule d'envahir et de s'approprier ce territoire;
c'est ce que l'évangile appelle couler un moucheron et avaler un cha-
meau; on n'attendoit pas d'un aussi fougeux déclamateur, cette modé-
ration hypocrite. »
Mercure de France, 5 mai 1791, p. 50.
« M. Roberspierre désiroit qu'on ne s'habituât pas à regarder com-
me des factieux, ceux qui se prêtent à des excès contre leurs oppres-
seurs. Ensuite, il a périphrase les raisonnemens de M. Charles de La-
meth, et ajouté que si le chef du régiment que l'on enverroit se décîaroit
pour les Comtadins, les Avignonois le traiteroient en ennemi. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal général,
n° 90, p. 360; Le Lendemain, t. III, n° 121, p. 286; Le Spectateur
national, 1er mai 1791, p. 658; Le Courrier extraordinaire, ler mai
1791, p. 6; Le Journal de Normandie, n° 122, p. 589; Les Révolu-
tions de Paris (Prudhomme), n° 95, p. 200; Le Mercure universel,
t. III, p. 12; Le Courier français, t. XI, n° 121, p. 484; Gazette
nationale ou Extrait..., t. XVI, p. 217.]
278. — SEANCE DU 2 MAI 1791
Sur l'affaire d'Avignon {suite)
Les débats reprennent, sur le rapport de Menou, le lundi 2 mai.
La .Rochefoucauld, duc de Liancourt, propose au nom du Comité
diplomatique « qu'il soit déclaré au pape les titres en vertu desquels
la nation française fonde ses droits sur Avignon; en retour, le pape
ferait connaître les siens ». La discussion rebondit. Après Goupil
de Préfeln et Malouet, Robespierre intervient à nouveau, deman-
dant que La réunion soit décrétée, comme conforme au vœu des habi-
tants, .et que le projet du comité soit adopté (1).
Le déba<t continue les 4 et ô naai.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXV, p. 133.
« M. Robespierre. S'il est prouvé que sous le rapport des droits
des nations, Avignon n'a jamais, pu être valablement aliéné, qu'il na
jamais été possédé par les papes qu'à titre précaire et d'engagement, 'a
(1) Cf. E. Hamel, I, 420-21. La Correspondance des envoyés
extraordinaires d'Avignon ne relate pas cette séance (P. Vaillandet,
op. cit., 3e partie, p. 104).
300 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
nation françoise a toujours été et est encore souveraine. Les avignonois,
les comtadins ont toujours été et sont encorf françois. Pour qu'ils soient
françois, pour qu'ils soient réunis à la France, il suffit de ne point les
repousser; il suffit de ne point les retrancher de l'empire françois; il
suffit, non pas de décréter un droit souverain, mais de déclarer celui
qui existe; c'est-à-dire que les avignonois, les comtadins font partie
de la nation françoise; e* vous voyez, messieurs, que si vous adoptez.
ce principe, toutes les objections par lesquelles on semble vouloir obscur-
cir cette grande affaire tombent d'elles-mêmes. Dès qu'une fois les
avignonois et les comtadins sont françois, et que vous n'avez plus qu'à
les déclarer tels, il est absolument inutile de chicaner sur la forme
des délibérations, d'exiger que l'on vous prouve qu'un à un tous les
habitans du Comtat et d'Avignon ont voulu la Révolution françoise ;
cet examen est absolument inutile. Mais, messieurs, quand même on
pourroit me contester le principe fondé sur notre histoire, et développé
d'une manière sans réplique par M. de Montclair (2), et par M. Goupil
qui vous a présenté son opinion; quand bien même on voudroit préten-
dre encore, en dépit des faits et de l'évidence, que les avignonois et
les Comtadins ne sont pas françois, il en résulteroit qu'il seroit un peuple
séparé de la France, et sous ce nouveau titre, il pourroit encore deman-
der à être réuni à la nation françoise, et dans les circonstances, vous
ne pourriez pas rejeter une pareille pétition.
« Ici, certes, il n'est pas possible d'adopter les prinapes du
préopinant sur les droits des peuples et des rois, ni sur les moyens par
lesquels les peuples peuvent ressaisir leurs droits; car si les peuples
ne sont pas des troupeaux, si les rois n'en sont pas les propriétaires,
certes on ne pourra contester qu'un peuple, quand il le veut, au moment
où il le veut, puisse changer la forme de son gouvernement, et à plus
forte raison, changer l'individu à qui il confie ses droits, de tenir lui-
même les rênes de ce gouvernement; et si le pape pouvoit ici réclamer
des droits, s'il pouvoit dire aux Avignonois, aux Comtadins : Vous ne
vous réunirez point à !a France, vous ne changerez point la forme de
votre gouvernement ; vous ne vous déroberez point à ma domination ;
le gouvernement des Avignonois et des Comtadins seroit fait pour le
peuple; les Avignonois et les comtadins seroient la propriété du pape;
certes, il n'est pas possible de réfuter sérieusement un pareil système.
Or si les comtadins, si les Avignonois nous ont réellement adressé ce
vœu, s'ils nous ont réellement renouvelle cette pétition avec une ardeur
qui ne s'est jamais démentie, qui pourra leur contester le droit de nous
la présenter ? qui pourra contester qu'ils n'ont pas le droif de se sous-
(2) .Montclair, magistrat célèbre, avait écrit en 1769 un important
ouvrage prouvant la légitimité des droits de la France sur Avignon
et le Comtat... Le volume avait été saisi chez l'imprimeur, sur l'ordre
de Choiseul, obéissant aux sollicitations du pape. Goupil de Préfeln
l'a utilisé dans son discours.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 301
traire à !a domination du pape pour se réunir à la France ? Or, peut-on
le contester, ce voeu > Je parle d'abord d'Avignon, qui est un état
séparé du Comtat, et je remarque que, sous ce premier point de vue,
il n est pas un homme, si disposé qu'il soit à s'opposer à la réunion et
à favoriser la cause des ennemis des Avignonois, qui ose dire que le
vœu de ce peuple est douteux. Il n'y a pas de difficultés d'abord sur
ce vœu, où il est prouvé que, par les faits historiques qui vous ont été
développés, le peuple avignonois formait un état séparé de l'état
Venaissin; il est donc évident qu'il a eu le droit de demander seul la
réunion h la France. Passons au Comtat. Nous avons encore la majorité
du Comtat, majorité incontestable, si on veut écouter la vérité et ne
point poursuivre le svstême d'embarrasser l'assemblée nationale par des
doutes que les faits ont démentis. M. le Rapporteur vous a attesté
qu'il étoit porteur des déclarations de 51 communautés du comtat qui
demandent formellement leur réunion à la France; ces 51 communautés
forment évidemment la majorité sur 95 : aucun de nous ne peut douter
du vœu des comtadins. Si vous réunissez le Comtat avec Avignon, pou-
vez-vous désirer une majorité plus complette ?
(( On a voulu encore opposer des présomptions : ils payent beau-
coup moins d'impôts qu'ils n'en payeroient sous la domination de la
France : Est-il possible qu'ils veulent leur réunion à la France ? Cette
objection s'applique aussi comme vous le voyez, au peuple Avigno-
nois : vous voyez que ce prétendu avantage ne l'a pas arrêté. En Tur-
quie, on paie beaucoup moins d'impôt qu'en Angleterre : s'en suit-il
que le gouvernement turc soit préférable a celui d'Angleterre. Eh !
quoi I n'existe-t-il pour les peuples d'autre bonheur que celui de payer
plus ou moins d'impôts ? comptez-vous pour rien les abus, les vexations ?
« Ne croiriez-vous pas que le désir de se soustraire à tous ses mal-
heurs ne soit point gravé dans le cœur de tous les peuples ? Oui, les
Avignonois, en dépit de Ja modicité de l'impôt, et les comtadins ont
voulu se soustraire à la domination du pape, parce que, chez eux,
comme chez nous, il y a voit des tyrans subalternes qui opprimoient
leurs concitoyens; parce que la justice y étoit vénale et arbitraire;
parce que des ordres arbitraires attentoient aux libertés individuelles ;
parce que tous les fléaux, qui sont la suite inséparable du gouverne-
ment absolu, désoloient la majorité des citoyens; et certes ce seroit un
phénomène bien étrange dans le monde, qu'il y eût une contrée où
le despotisme régnât, et où cependant, le peuple fût heureux; c'est
par la force, vous a-t-on dit, qu'on a subjugué le vœu du peuple avi-
gnonois et du peuple comtadin, c'est au milieu des troubles ef des
insurrections que le vœu du peuple d'Avignon s'est fait entendre; c'est
dans cette guerre civile que la majorité du Comtat a fait entendre le
sien. C'est ici que revient le principe du préopinant sur la théorie des
insurrections : il vous a dit qu'aucun vœu n étoit légitime qu autant
qu'il étoit émis paisiblement; que lorsqu'il étoit la suite d'une insur-
302 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
rection, il étoit illégitime ou coupable. Que le préopinant apprenne
donc aux peuples le moyen de ressaisir leurs droits sans insurrection;
ou bien qu'il apprenne aux despotes à se dépouiller eux-mêmes du
pouvoir absolu, à rendre aux peuples leur liberté et leurs droits : alors
je conviendrai facilement que l'insurrection est un crime, puisqu'elle
sera une violence inutile (applaudi). Ainsi, tant que ceux qui sont
investis du pouvoir le croiront toujours légitime, et croiront, qu'il ne
peut jamais être trop étendu pour le bonheur du peuple et pour leur
propre satisfaction; je dis qu'il ne restera jamais au peuple d'autre
moyen de recouvrer la liberté qu'en secouant le joug du despotisme,
et qu'ils ne secoueront jamais le joug du despotisme sans insurrection :
c'est une vérité incontestable.
« Est-il bien convenable de se montrer difficile, quand il est
évident que la majorité a dû nécessairement exister par la nature des
choses ? Le vœu de tous les peuples n'est-il pas de reconquérir la liber-
té, et quand ils ne parviennent à la liberté, n'est-ce pas parce qu'ils
sont toujours retenus par la crainte sous le joug de la tyrannie. Le peuple
Avignonois, le peuple Comtadin devoit vouloir la liberté. Il vous dit
qu'il l'a voulu, les faits l'attestent, comment en douteriez-vous. Je dis
qu'on ne peut pas en douter, avec quelque bonne foi; qu'on ne peut
feindre d'en douter que pour prolonger la crise funeste qui désole le
pays, que pour y faire triompher la cause des ennemis de la révolution.
Je dis que la cause de tant d'intérêt, de tant de combat, ne peut être
que l'extrême importance du décret que vous allez rendre, que l'influence
infiniment étendue qu'il doit avoir sur la tranquillité de vos pays méri-
dionaux, sur le sort de la révolution françoise en général. Ainsi je
conclus à adopter le plan du comité » (3).
Le Législateur français, t. II, 3 mai 1791, p. 7.
a M. Robertspierre s'est attaché à prouver d'abord que le vœu
du Comtat et d'Avignon n'étoit pas manifesté dans le cahier déposé
sur le bureau par M. l'abbé Maury (4). Ce vœu, suivant M. Roberts-
pierre, n'est que celui des anciennes municipalités, c'est-à-dire, des
officiers du pape, des aristocrates enfin, ennemis naturels du peuple.
Ainsi la pièce sur laquelle s'appuient les adversaires du rapport n'est
d'aucun poids.
« Je vois, disoit M. Robertpierre, dans la révolution Avignonaise
et Comtadine le caractère qui signale la révolution Française; j'y vois
<3) Les A-rch. pari. (XXV, 500-501) reproduisent d'subord le texte
•du Moniteur jusqu'à « des principes », puis le texte de Le Hoidey,
et terminent par la dernière phrase du (Moniteur.
(4) Il s'agit d'un procès-verbal dans lequel les paroisses du
Comtat renouvellent leur serment de fidélité au pape. L'abbé Maury
dépose ce document sur le bureau de l'Assemblée au cours du dis-
cours de Malouet, afin de renforcer les arguments présentés par
l'orateur de la droite.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 303
une insurrection contre les abus par les mêmes hommes; j'y vois les
mêmes individus protégeant ces abus par tous les moyens qui sont en
eux, et je pense que ceux qui ont fait la révolution Française ne peuvent
voir avec indifférence celle qui vient de s'opérer à Avignon et dans
le Comtat.
« S'il s'agissoit de la propriété d'une métairie, continuoit l'ora-
teur, il me seroit facile de prouver que le pape n'y auroit pas plus de
droit que sur les peuples dont il s'agit ; je parcourrois avec vous les
fastes de l'histoire; je vous rappellerais la donation de la princesse Na-
politaine; je vous montrerais que la possession d'Avignon et du Comtat
n'a été acquise au pape que par la mauvaise foi.
« L'orateur prouve ensuite facilement que, s'agissant de la cession
d'un peuple, la cause est bien plus favorable; et il a reproduit, à cet
égard, tout ce qui avoit déjà été dit par lui, et par plusieurs autres
opinans.
« En dernière analyse, M. Robertspierre observe que cette révolu-
tion étant positivement la même que celle de France, il est impossible
que les amis et ennemis de la constitution française n'y prennent pas
part; et il est bien à craindre que la guerre Avignonaise ne s'étende
dans toute la partie méridionale de la France.
« Par ces considérations puissantes, M. Robertspierre pense que
l'assemblée, pour l'intérêt de l'humanité, pour celui de toute la France,
de sa constitution, ne peut se dispenser d'opérer la réunion proposée
par le comité diplomatique. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 123, p. 504.
« M. Roberspierre. E,n nous parlant du procès-verbs! qui constate
le vœu des avignonais, M. l'abbé Maury aurait dû ajouter que c'était
le résultat d'une délibération des anciennes communautés du Comtat,
qui, loin d'être l'expression du peuple, n'était que celle des anciens
officiers municipaux maîtrisés par l'influence du pape. Là, comme en
France, il y avait un parti contre le voeu du peuple, la noblesse et le
clergé se sont armés, on en est venu aux mains, le parti populaire a
vaincu la ligue des aristocrates, a été victime de son opposition, et on
appelle cela du brigandage; cette cause est la même que la nôtre, les
mêmes intérêts et les mêmes passions sont en mouvement. C'est peut-
être à cela qu'est dû le grand acharnement qu'on met à cette cause.
« J'entre en peu de mots dans l'examen des principes. Avignon
et le Comtat n'ont jamais été aliénés qu'à titre d'engagement; ainsi
ces habitans sont toujours français; il ne s'agit là de rien innover, mais
de déclarer un droit existant. Si les peuples ne sont pas des troupeaux,
ils peuvent changer la forme de leur gouvernement. Si les Comtadins
vous ont adressé leur voeu de réunion, il n'y a pas de doute ils de, vent
vous être réunis. M. Malouet vous a dit que !em vœu n'avait pas é^c
libre, qu'il avait été énoncé au milieu des désordres et des vexations
304 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
de tout genre; qu'il apprenne donc au peuple le moyen de se ressaisir
de ses droits sans insurrection. (La partie gauche applaudit). On ne
peut affecter de douter du vœu des habitans du Comtat, que pour pro-
longer leur crise funeste. On connaît toute son inffuence sur la tran-
quillité des départements méridionaux et sur toute la révolution fran-
çaise. Sans la réunion, vous avez au milieu de vos départemens une
province qui sera sans cesse un foyer d'anarchie et de guerre civile. Je
demande que le projet du Comité soit adopté. »
« On demande que la discussion soit fermée » (5).
Mercure universel, t. III, p. 73.
« Le cahier présenté par l'abbé Maury n'a rien de relatif à la
révolution d'Avignon; il ne renferme, dit M. Robespierre, que des
délibérations des anciennes municipalités qui n'étoient que les créatures
du pape.
.« L'orateur rappelle les faits qui ont précédé l'insurrection de ce
pays-là. Dans Carpentras s'est formé une ligue des aristocrates d'Avi-
gnon et du comtat. Les prêtres, les jurisconsultes regardoient Avignon
comme à eux seuls. S'il est prouvé aujourd'hui, sous le rapport du
droit national, qu'Avignon et le comtat n'ont jamais pu être ahénés,
il faut en conclure qu'ils font encore partie de la France: voulût-on
même contester les principes développés par M. Goupil, d'après M. de
Montclar, un peuple peut, dès l'instant qu'il le veut, changer la forme
de son gouvernement, ef à bien plus forte raison changer l'individu
qui le gouverne. Or, qiu pourroit méconnoître le vœu des Comtadins,
lorsqu'ils ont cassé leurs anciens officiers municipaux, lorsqu'ils ont
envoyé des députés à l'assemblée nationale, lorsqu'ils en ont envoyé à
la fédération, pour renouveler leur serment, lorsqu 'enfin des combats.
des victoires ont attesté et couronné leurs vœux.
« Cinquante-une communautés forment une majorité bien mar-
quante sur 84, et encore celles qui n'adhèrent pas en apparence, le font
en esprit, et n'ont plus, pour émettre leur vœu, qu'à vaincre la ligue
aristocratique qui les entoure et les presse... On objecte pour elles que
les Comtadins paient beaucoup moins de droits qu'en France; mais les
Avignono's ne sont-ils pas dans le même cas... En Turquie, on en
paie bien moins qu'en Angleterre. L'unique bonheur d'un peuple est-il
donc de payer plus ou moins d'impôts ? Quelle peut donc être la vraie
cause de l'insurrection des Avignonois ? C'est que chez eux comme
chez nous la justice étoit vénale, qu'il y avoit des tyrans subalternes,
et que chaque minute de leur règne étoit marqué' par des attentats arbi-
traires contre la liberté; que le préopinant apprenne donc au peuple un
moyen calme de reprendre ses droits, de secouer le joug de l'esclavage,
et alors je conviendrai que l'insurrection est un crime; et quel combat
(5) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 281.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 305
les Comtadins n'ont-ils pas eu à soutenir pour faire triompher les grands
principes de la raison?... Si vous ne vous prêtez à eux, si vous dédai-
gnez leur vœu de se réunir à la France, cet endroit va devenir le foyer
d'une guerre civile pour vous-même, qu'alimenteront sans cesse vos
aristocrates. M. Robespierre entre ensuite dans le projet du comité,
en démontre la supériorité sur toutes autres mesures, et finit par demander
qu'il soit décrété. »
Gazette nationale ou Extrait..., t. XVI, p. 236.
« M. Robespierre. M. l'abbé Maury a déposé sur le bureau ce
qu'il appelle le véritable vœu des habitans du Comtat; je lui observe
que les comtadins n'ont point rédigé ce vœu, mais bien les municipa-
lités qui existoient en 1790, et qui vivoient sous le régime papal.
Ainsi donc je ne crois pas que cette pièce, que les adversaires de la
réunion regardent comme d'un grand poids, doive avoir le même mérite
à nos yeux.
« Je vois dans la révolution avignonoise et comtadine, le même
caractère que portoit la révolution françoise; j'y vois d'un coté des
hommes las et victimes des abus, et c'est le plus grand nombre, se
livrer à une insurrection pour les détruire; de l'autre côté, je vois ceux
qui vivoient des abus, s'efforcer d'en prolonger le règne, et tout tenter
pour parer le coup qui les menace. Cette comparaison est juste, et j'en
conclus que les françois, amis de leur propre révolution, ne doivent pas
être indifférents sur celle d'Avignon et du Comtat; ils prendront néces-
sairement parti dans la querelle, si vous en- laissez subsister les motifs;
et alors, un peuple qu'on appelloit étranger, aura amené en France ce
que nous avons su en éloigner nous-mêmes pendant le cours de notre
révolution, la guerre civile et ses horreurs.
« Prévenons ces maux, tel est l'ordre que doit nous prescrire notre
conscience Je demande, pour l'intérêt de l'humanité, pour celui de
notre constitution, que l'assemblée adopte le projet de décret présenté
par M. le rapporteur. »
L'Ami du Roi (Royou), 1791, n° 350, p. 3.
« Après un aussi éloquent interprète de la raison, de la justice
et de l'honneur (6), il est triste d'être obligé d'entendre l'organe impur
de la calomnie et du fanatisme. M. Robespierre tire ses argumens de
(<0 II s'agit de Malouet : Voici en quels termes C. Desmoulins
parle de ce dernier, dans ses Kévolutions de France et de Brabant,
p 416: ...« Je ne saurois m'einpêcher de regarder ici Malouet comme
<cs possédés des démons qui rendoieut gloire au fils de Dieu. Et
déjà dans son journal, car Malouet qui a tant insulté les follicu-
laires, s'est fait folliculaire du club monarchique, j'avois entendu
notre démoniaque au milieu de ses blasphèmes, crier hosanna à la»
révolution ».
306 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
l'esprit de parti, de la logique des factions; il ne voit, dans l'obser-
vation des règles, de la justice, que la victoire du parti aristocratique
sur le parti populaire. Dans un contrat solemnel, dans les traités les
plus sacrés, il ne voit que des peuples vendus comme de vils troupeaux ;
les adhésions des communes, tracées avec la pointe des bayonnettes,
lui paroissent les titres les plus légitimes; les impôts dont la constitution
française menace les Comtadins, ne sont, à ses yeux, qu'un foible prix
de la liberté qu'elle leur procure. On paye moins d'impôts en Turquie
qu'en Angleterre; quel est l'Anglais qui voulut être Turc? Que
M. Robespierre ne s'y trompe pas; les révolutionnaires Français ne se
sont point arrangés pour payer, sous l'empire de la liberté, plus que
sous le despotisme, et je ne lui réponds pas de leur patriotisme, s'ils
se trouvent si loin de leur compte. 11 a couronné ces violentes décla-
mations par une sentence qui tend à établir un peu trop cruement le droit
du plus fort, et, par conséquent, la tyrannie. Selon lui, l'insurrection
est un crime, quand elle ne réussit pas; elle n'est pas un devoir que
lorsqu'elle est appuyée de la force; l'obéissance est le devoir du foible.
C'est une de ces vérités affligeantes et atroces, que l'expérience con-
firme assez, mais qui ne devroient jamais échapper à un législateur
honnête et prudent. »
Courier de Provence, t. XIV, p. 487.
« M. Goupil a conclu à l'exécution d'un arrêt du parlement d'Aix,
portant réunion d'Avignon et du Comtat à la France. M. Robespierre,
sans s'arrêter longtemps à ces chicanes diplomatiques, à ces droits ense-
velis dans des parchemins poudreux, a développé avec chaleur les véri-
tables droits des peuples, écrits par la nature elle-même. « Certes, a-t-il
dit, si les peuples ne sont pas des troupeaux, si les rois n'en sont pas
les propriétaires, on ne pourra contester qu'un peuple, quand il le veut,
et au moment qu'il le veut, puisse changer îa forme de son gouverne-
ment, et à plus forte raison, changer l'individu à qui il en confie les
rênes. » 11 a ensuite pulvérisé les chicanes élevées par M. Malouet, sur
la validité du voeu du peuple comtadin. Il a conclu par demander
l'adoption du projet du comité. Rien n'a été décidé. »
Mercure de France, 14 mai 1791, p. 127.
« A M. Malouet a succédé M. Roberspierre qui, pour diminuer
l'effet de la délibération des communes du Comtat, n'y a vu que le
voeu des municipaux fidèles au Pape, et conséqtiemment suspects, du
clergé, de la noblesse. Selon lui, les nobles et les prêtres se sont armés;
on en est venu aux mains; le parti populaire a vaincu; la ligue des
aristocrates a été victime de son opposition, et on appelle cela du
brigandage. » M- Roberspierre n'a pas hésité d'ajouter: « Cette cause
est la même que la nôtre ». Rentré dans ce qu'il nomme les principes,
il a ressassé les phrases de MM. Goupil, Péthion, etc., et a répondu
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 307
à M. Malouet et à tous les honnêtes gens qui supposent que le vœu
d'un peuple n'est pas libre au milieu des massacres : « Qu'on apprenne
donc au peuple de se ressaisir de ses droits sans insurrection ! » . Ses
conclusions ont été celles du rapporteur. On à demandé que la discus-
sion fût fermée. »
Le Patriote françois, 1791, n° 633, p. 479.
« Cependant, MM. Robespierre et Goupil ont pris la peine de
réfuter sérieusement tous ces champions de l'aristocratie papale, et ils
n'ont pas eu de peine. Les parchemins, le droit naturel, le droit social,
les circonstances du dehors, les convenances du dedans, tout nous com-
mande de hâter cette réunion. Devons-nous balancer un seul instant à
exterminer ce fléau de l'aristocratie, lorsque de tous côtés on nous me-
nace, et lorsque ce repaire de brigands sert de point de ralliement aux
aristocrates les plus déterminés, qui seront toujours prêts à venir, le
brandon à la main, mettre le feu aux départemens voisins? »
Le Point du Jour, t. XXII, n° 661, p. 14.
« M. Robespierre a commencé par détruire l'effet que M. l'abbé
Mauri avoit voulu retirer de la remise sur le bureau des procès-verbaux
des délibérations des municipalités du Comtat. Il a observé que ce
n'étoient !à que des délibérations des municipalités et non pas des
communes; qu'elles ont d'ailleurs une époque reculée de 1789, et que
le vœu exprimé par le peuple depuis le mois de mai 1790, est plus
certain, plus prononcé et plus légal. Il a ajouté ensuite : Cette révolu-
tion ayant pour objet, chez une partie des habitans, d'adopter !a consti-
tution française qu'un parti aristocratique repousse, il faut s'arrêter au
vœu du peuple et à votre propre sûreté. Ne craignez- vous pas d'ouvrir
une voie aux ennemis de la Révolution dans les départemens méri-
dionaux, et de se procurer un moyen de résistance et de complot qui
pourroit nuire à la France.
(( M. Robespierre a voté pour l'adoption du projet de décret du
comité. »
Le Spectateur national, 3 mai 1791.
« Dire que M. Robespierre a parlé sur cette question, c'est dire
assez quel avis il a manifesté. Pendant tout le tems qu'a duré son
très-ennuyeux discours, l'honorable membre a donné le nom d aristo-
crates aux comtadins fidèles au pape, et celui de patriotes aux brigands
qui, dans cette contrée, égorgent leurs concitoyens. »
L'Ami du Peuple (Marat), n° 448, p. 2.
« A tant d'impudens clabaudeurs qui devenoient successivement
agneaux timides, tigres altérés de sang et serpens tortueux, deux ..seuls
orateurs patriotes ont fait face, MM. Goupil et Roberspierre ; tous
308 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
deux ont combattu avec les armes de la justice et de la raison, mais
maniées d'une manière différente. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Courier français,
t. XI, n° 123, p. 14; Le Journal de Normandie, n° 124, p. 599;
Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. XI, n° 636, p. 5;
Le Courrier extraordinaire, 3 mai 1791, p. 5; L'Ami du Roi (Monljoie),
3 mai 1791, p. 490; Le Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II,
n° 298, p. 3; La Correspondance nationale, n° 23, p. 32; Le Creuset,
t. II, n° 37; Le Mercure national et étranger, 2 mai 1791, p. 270;
Les Annales patriotiques et littéraires, n° 578, p. 1366; Le Journal
universel, t. XI, p. 6010; Les Révolutions de France et de Brabant,
t. VI, n° 76, p. 416; Le Courrier d'Avignon, n° 112, p. 448.]
279. — SEANCE DU 4 MAI 1791
Sur l'affaire d'Avignon {suite)
Poursuivant la discussion du projet de réunion d'Avignon à la
France,. l'Assemblée avait entendu, le 3 rmai, une intervention de
l'abbé Maury (1). L'orateur avait conclu en demandant que l'As-
semblée déclare qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur la demande des
Avignonais et des habitants du Comtat, et que le roi soit prié d'en-
voyer des troupes pour y rétablir l'ordre, le pape ayant réclamé la
protection de la France. Après une discussion agitée, l'Assemblée
avait décidé à l'unanimité que l'appel nominal aurait lieu sur le
fond de la question (2).
(Le 4 mai, (Merlin, au début de la séance, propose que l'Assem-
blée aille aux voix par oui ou par non, sur le premier article du
projet du comité : . « L'Assemblée nationale déclare qu'Avignon et
le Comtat Venaissin font partie intégrante de l'empire français ».
La Rochefoucauld, duc de Liancourt, s'oppose à la motion de Mer-
lin, et demande que la question soit ainsi posée: l'Assemblée natio-
nale prononcera-t-elle aujourd'hui sur le premier article du projet
de décret du comité? Hobespierre se présente à la tribune, et finit
par obtenir la parole, au milieu du tumulte. Il soutient la proposi-
tion de Merlin.
Finalement, l'art. 1 du projet de décret du comité fut rejeté par
487 voix contre 316 et 67 abstentions, sur 870 votants (3),
(1) Cf. ci-dessus, séances des 28 et 30 avril, 2 mai 1791; et
P. Vaillandet, op. cit., 3e partie, p. 104-106; ainsi que E. Hamel.
I, 422.
(2) Le discours de l'abbé Maury aurait duré 3 heures (Lettre
de Palun, envoyé extraordinaire d'Avignon, cf. P. Vaillandet, p. 104).
C. Desmoulins se plaint également que « l'abbé Maury a pendant
trois heures consécutives assommé l'assemblée de sa cruelle audition
et de tes dictionnaires » (Révolutions de France et de Brabant,
t. VI, n° 76, p. 411).
(3) Les chiffres ci-dessus sont fournis par le Moniteur ; ceux
des Arch. pari. {XXVI, 392) en diffèrent. D'après cette dernière
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 309
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n' 125, p 514.
Courrier d'Avignon, 1791, n° 114, p. 454.
« M. Roberspierre paraît à la tribune. (îl s'élève des rumeurs dans
différentes parties de la salle).
[Interventions du Président, de Malouet et de Regnaud de Sairt
Jean d'Angély.]
a M. le Président. Si la discussion continue, M. Roberspierre
a la parole.
« M. Roberspierre. Nous proposons de déclarer qu'Avignon et le
Comtat font partie intégrante de l'empire français: c'est de cette
manière que doit être posée la question, par la nature même des choses,
puisque la question de la réunion actuelle ou future, et toutes les
questions secondaires qui vous ont été proposées, dépendent de cette
première question : A vons-nous des droits sur A vignon ? Comment pour-
rait-on vous proposer, soit de vous en emparer, soit d'envoyer des trou-
pes, si c'est un pays étranger? (Il s'élève des murmures). Il faut ou
aller aux voix, ou me donner du silence... Il est évident que les Avi-
gnonais sont à votre égard, ou indépendans ou sujets... (Plusieurs voix:
Ce n'est pas là la question.)
« M. Roberspierre continue au milieu des murmures » (4).
Le Point du Jour, t. XXII, n° 663, p. 35.
Mercure universel, t. III, p. 79.
« II n'y a pour le peuple comtadin, que deux manières d'exister,
a dit M. Robespierre, quant à nous, d'être sujet de l'empire français,
ou d'être indépendant; s'il est sujet, on ne peut se dispenser de décla-
rer la réunion à l'Empire français, s'il est indépendant, c'est à lui de
régler son sort comme il trouvera convenable ; et nous ne pouvons y
envoyer ni troupes ni commissaires pour décider leurs querelles domes-
tiques, et faire pencher la balance du côté des ennemis de la liberté.
Je conclus à ce qu'on mît aux voix la question de savoir si le peuple
source, l'article 1 aurait été rejeté par 304 voix contre 374 sur
768 votants. De leur côté, les envoyés extraordinaires d'Avignon,
comirouniquent les résultats suivants : i« 316 voix pour l'affirmative,
490 pour la négative, 77 votants ont déclaré n'avoir pas d'avis »
(P. Vaillandet, op. cit , p. 105).
L'affaire fut raccrochée le 5 mai par Pétion qui s'opposa à la
discussion de l'art. 2 du proiet en expliquant que le vote du 4 sur
l'art. 1 n'avait pas été concluant. Il v a, dit-il, trois partis: ceux
qui s'opposent à la réiinion, ceux qui la souhaitent si le vœu des
Avignonais a été libre, et ceux qui la veulent nettement; le second
parti n'a pu s'exprimer dans le vote précédent. Il obtint satisfaction
et le projet fut renvoyé au Comité, si bien qu'en fin de compte,
aucune décision n'a été prise.
.(4) Texte reproduit dans le Moniteur, VTIT, 300.
310 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Avignonois et Comtadin fait ou ne fait pas partie du peuple Fran-
çais (grand tumulte) •» (5).
Journal de Normandie, n° 125, p. 605.
« M. Robertspierre . La proposition de M. Liancourt s'écarte en-
tièrement de l'esprit du décret rendu hier soir; il a été dit que l'on
iroit aux voix sur le fond du projet du comité; le fond est pour admet-
tre ou pour rejeter la réunion actuellement et non pour déterminer si
nous prononcerons ou ne prononcerons pas aujourd'hui ; car que'que
parti que vous preniez, ou vous considérez les Avignonnois comme un
peuple sujet de la France, ou comme un peuple indépendant. Si vous
les regardez comme sujets de la France, la question est jugée; s'ils sont
peuple indépendant, il faut en revenir à la propos'tion de M. Merlin,
et j'insiste pour qu'elle soit admise. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXV, d. 187.
« M. Robespierre. Il est évident que vous ne pouvez prendre qu'un
parti à l'égard des Avignonnois : il faut que vous le considériez ou
comme sujet de la France, ou comme indépendant; si vous le considérez
comme indépendant de la France, il est évident que vous ne pourrez
point prendre d'autre parti que ce que vous propose M. Merlin. (Grands
murrmures à droite). »
[Brève mention de cette intervention dans Le Spectateur National,
5 mai 1791, p. 668; La Gazette nationale ou Extrait .., t. XVI,
p. 252; L'Ami du Roi (Mont joie), 5 mai 1791; La Gazette univer-
selle, n° 125, p. 500; Le Journal général, n° 91, p. 377; Le Courrier
extraordinaire, 5 mai 1791, p. 6; Le Mercure de France. 14 mai 1791,
p. 119; Le Journal des Débats, t. XX, n° 710, p. 5.]
(5) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXV, 558, qui le corn
binent avec ceux du Moniteur et de Le Jïodey;
Société des Amis de la Constitution
280. — SEANCE DU 4 MAI 1791
Sur l'affaire d'Avignon et les menaces de contre -révolution
Le jour même, l'Assemblée nationale a rejeté l'art. 1 du projet
de décret que lui avait soumis son Comité diplomatique, concernant
la réunion d'Avignon et du Comtat à la France.
A la séance des Jacobins, les députés patriotes vont rechercher
les moyens propres à reporter l'affaire devant l'Assemblée. C'est
dans cette intention que divers orateurs, dont Robespierre, vont
intervenir sur cette question, à la tribune de la Société.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 311
Lettre de MM. Palun et Tissot à la Municipalité d'Avignon, 1791 (1).
« MM. Lameth, Prieur, Rœderer, Roberspierre , de Noailles, et
autres députés de l'Assemblée Nationale, et M. Reubell, président,
ont parlé avec une force dont rien n'approche. Plusieurs d'entr'eux ont
dit que les aristocrates de l'Assemblée comptoient sur une contre-révo-
lution, que commençoit pour eux l'armée de Sainte Cécile (2), qui
s'étoit rendue à Carpentras, qu'ils appelloient leur armée, qu'ils diso.ent
y avoir de bons généraux et de bons artilleurs; que cette armée, après
avoir réduit les Patriotes Avignonais et Comtadins, elle se porteront
dans les provinces Méridionales où elle seroit renforcée de tous les
mécontens et continuerait la contre-révolution qui se propagerai' dans le
Royaume » (3).
Mercure universel, t. III, p. 166.
« L'affliction était le sentiment qui dominait l'assemblée; MM.
Robespierre, Prieur, Reubell, Ch. Lameth, Péthion, Rœderer, Noail-
les, d'Aiguillon, successivement après avoir exposé ce qui s'était passé
à l'assemblée nationale, ont développé les causes qui avaient fait perdre
aux patriotes, une cause qu'ils regardaient comme juste » (4).
Le Lendemain, t. III, n° 126, p. 331.
« Robespierre, en se lamentant, en protestant de son patriotisme,
déclare qu'il n'a point de si bonnes nouvelles à donner, que les Jaco-
bins ont perdu le matin leur procès sur Avignon, que le camp de
Jalès se fortifie, et que tout annonce une contre-révolution » (5).
Journal de la Révolution, 6 mai 1791.
« MM. Robespierre, Prieur, Pétion, Charles Lameth, Roederer,
Noailles, etc., ont parlé successivement sur le décret concernait Avi-
gnon « f..a guerre civile serait assurée, et la contre- révolution poss'Me,
a dit M. Robespierre, si nous ne trouvions pas les movens de réparer
ce triomphe remporté par l'aristocratie » (6).
La Feuille du Jour, t. IV, n° 129, p. 325.
« M. Robespierre se lamente sur la perte d'Avignon. »
(1) Texte reproduit par P. Vail-landet, op. cit., 3e partie, p. 105.
<2) L'armée de iSainte-Cécile, évaluée à 6 ou 7.000 hommes, com-
mandée par M. de Tourreau, avait en réalité été défaite le 19 avril
était dispersée.
(3) Us décidèrent de proposer à l'Assemblée l'envoi de 8 commis
■aires pour rétablir l'ordre dans cette région.
(4) L'opinion publique parisienne (manifesta son mécontente-
ment en malmenant le comte de Clermont Tonnerre, adversaire de.
la réunion, et en menaçant d'incendier son hôtel i(cf. Journal de la
Société des Amis de la Constitution monarchique, 7 mai 1791).
(5) Texte reproduit dans Aulard, II, 384.
(6) Texte reproduit dans Aulard, II, 384.
312 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
281 — SEANCE DU 9 MAI 1791
Sur le droit de pétition
Le Chapelier rapporte, devant l'Assemblée, au nom du comité
do constitution, sur les droits de pétition et d'affiche (1) Résumant
l'économie du projet, le rapporteur déclare que si le droit de péti-
tion est un droit individuel de «tout citoyen actif, le droit d'affiche
au contraire ne doit être exercé que par l'autorité publique. Les
sept premiers articles concernaient le point capital, c'est-à-dire
l'exercice par les seuls citoyens actifs du droit de pétition. La discus-
sion s'instaure. Robespierre, après Pétion, critique toute restriction
à ces droits imprescriptibles de tous les citoyens, passifs aussi bien
qu'actifs, et demande l'ajournement (jusqu'à l'impression du rap-
port.
L'Assemblée décida qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur
l'ajournement.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , l. XXV, p. 342.
« M. Robespierre. Si en décrétant le droit de pétition vous avez
pensé accorder aux François un droit nouveau, vous vous êtes trompés.
Le droit de pétition n'est autre chose que la faculté qui appart.ent
à tout citoven d'émettre son voeu et de demander à ceux qui peuvent
subvenir à ses besoins ce qui lui est nécessaire. Les François jouisso'ent
de ce droit avant que vous fussiez assemblés, aucune loi ne l'avoi* limité,
et le décret que vous rendriez pour mettre des bornes à ce droit, seroit
la seule chose nouvelle que vous eussiez faite à cet égard.
« Ce n'est pas seulement chez les peuples libres que le droit de
pétition est admis et qu'il esf regardé comme sacré : les despotes les
plus absolus se sont fait un devoir et une gloire de le conserver à leurs
sujets. C'est ainsi que Frédéric-le-Grand appelloit à lui toutes *e« plain-
tes que ses peuples avoient à lui présenter : et vous, les législateurs, les
représentai du peuple, vous oseriez contester à un seul de vos conci-
toyens le droit de vous adresser son vœu, ses observations, ses prières
et ses demandes, sur ce qui lui paroîtra conforme à l'intérêt général
auquel ils participent tous !
« D'après ce principe incontestable, comment peut-on faire à cet
égard une distinction entre les citoyens actifs et les citoyens non-act:fs ?
« Je ne m'abaisserai point à répondre aux insinuations par les-
quelles on a voulu discréditer d'avance mon opinion. Non. certes, ce
n'est pas pour exciter les citoyens à la révolte que je parle ici. c'est
pour défendre le droit des hommes; et je ne connois à personne le droit
d'enchaîner mon opinion -%ur ce point; et si quelqu'un vouloit m'accu-
11) D'après E. Hamel, I, 431. l'initiative du projet reviendrait
au directoire du département de Paris, dont les membres apparte-
naient à la haute bourgeoisie.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 313
ser, je consentirais volontiers à mettre mes principes et ma conduite
en parallèle avec les siens, et peut-être ne craindrois-je point ce paral-
lèle.
« Je déclare donc que je tiens encore à ces principes que j'ai
soutenus sans cesse dans cette tribune; j'y tiens jusqu'à la mort; et
nous serions réduits à une condition bien misérable, si l'on pouvoit avec,
succès nous peindre comme des perturbateurs du repos public et comme
les ennemis de l'ordre, parce que nous continuerions à défendre, avec
énergie, les droits les plus sacrés dont nos commettans nous aient confié
la défense • car nos commettans sont tous les François, et je les défen-
drai tous, sur-tout les plus pauvres. (Applaudi).
« Je pourrois peut-être dire à M. le Rapporteur : si vous recon-
noissez le droit de plainte aux citoyens non actifs, pourquoi n'en pas
faire mention dans votre projet de décret. Je pourrois encore lui pro-
poser de diriger l'article premier d'une manière conforme à ce qu'il a
dit, et d'ajouter à cet article ces mots : et cependant les citoyens non-
actijs pourront adresser des plaintes; et voilà cependant le sens de son
opinion; et s'il osoit la rédiger ainsi, n'exciteroit-elle pas le rire de la
pitié ?
« Qu'est-ce en effet que la plainte, si ce n'est une demande, une
pétition accompagnée de douleur, accompagnée d'une dénonciation,
d'une lésion qu'on a soufferte ? Ainsi donc, cette distinction que M. le
Rapporteur fait entre une plainte et une pétition est absurde.
« Eh ! Messieurs, le droit de pétition ne devroit-i! pas être assuré
d'une manière plus particulière aux citoyens non-actifs ? Plus un homme
est foible et malheureux, plus il a de besoin, plus les prières lui sont
nécessaires. Eh ! vous refuseriez d'accueillir les pétitions qui vous
seroient présentées par la classe la plus pauvre des citoyens ! mais Dieu
souffre bien les prières ! Dieu accueille bien les voeux, non seulement
des plus malheureux des hommes, mais encore des plus coupables.
Et qui êtes-vous donc? N'êtes-vous point les protecteurs du pauvre,
n'êtes- vous point les promulgateurs des loix du législateur éternel? Oui,
messieurs, il n'y a de loix sages, de loix justes, que celles qui sont
conformes aux loix de l'humanité, de la justice, de la nature, dictées
par le législateur suprême. Et si vous n'êtes point les promulgateurs de
ses loix, si vos sentimens ne sont point conformes à leurs principes,
vous n'êtes plus les législateurs, vous êtes plutôt les oppresseurs des
peuples. (Applaudi).
« Je regarde donc qu'il n'est pas permis à l'assemblée d'accorder
exclusivement le droit de pétition aux citoyens actifs : je crois même
que l'assemblée, à titre de législateur et de représentant de la nation,
est incompétente pour ôter aux citoyens ce droit imprescriptible de
l'homme et du citoyen. (Applaudi).
« Je passe au second vice essentiel que présente le projet du
314 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
comité : c'est celui qui met des entraves de toute espèce à la manière
d'exercer le droit de pétition collectivement.
« Une collection d'individus, comme un particulier, a le droit
de pétition, et ce droit n'est point une usurpation de l'autorité politique :
elle n a rien de commun avec les pouvoirs qui doivent être rigoureuse-
ment réservés à ceux qui en sont investis par le peuple; c'est au
contraire un droit naturel, et je soutiens que puisque tout individu isolé-
ment a le droit de pétition, il n'est pas possible que vous interdisiez à
une collection d'hommes quelque titre, quelque nom qu'elle porte, que
vous lui interdisiez, dis-je, la faculté d'émettre son vœu et de l'adres-
ser à qui que ce puisse être.
« On nous parle sans cesse de désordres : on nous fait craindre
les plus grands maux, si nous laissons aux Sociétés le droit de pétition
qu'elles ont exercé jusqu'à ce moment sans aucune contradiction : or,
quels faits peut-on citer ? Je sais bien que des pétitions ont été adres-
sées par ces sociétés qui veillent sans cesse au maintien des loix.^et
connues sous le nom des Amis de la Constitution; qu'elles ont souvent
présenté à l'assemblée nationale des adresses remplies de bons prin-
cipes qui pouvaient éveiller la sagesse du législateur et lui révéler des
faits importans pour le salut public : je vois bien quels sont les avan-
tages immenses que ces sociétés ont produits; mais, les maux qu'elles
ont faits, je ne les apperçois nulle part.
« Je pense donc que quand au droit de pétition il n'y a pas lieu
à délibérer sur le projet du comité de constitution. Des réflexions non
moins frappantes pourroient vous être présentées sur le droit d'affiche ;
mais je les réserve à un autre moment, dans le cas où la question
préalable sur le projet du comité, que je vous prie de mettre aux voix
ne seroit point adoptée. (Applaudi) » (2).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 131, p. 539.
« M. Roberspierre. Le droit de pétition est le droit imprescriptible
de tout homme en société. Les français en jouissaient avant que vous
fussiez assemblés; les despotes les plus absolus n'ont jamais osé contester
;e droit à ce qu'ils appelaient leurs sujets "> Plusieu
formellement ce droit à ce qu'ils appelaient leurs sujets "> Plusieurs se
font une gloire d'être accessibles et de rendre justice à tous. C'est ainsi
que Frédéric II écoutait les plaintes de tous les citoyens. Et vous
législateurs d'un peuple libre, vous ne voudrez pas que des français
vous adressent des observations, des demandes, des prières, comme
vous voudrez les appeler ! non, ce n'est point pour exciter les citoyens
à la révolte que je parle à cette tribune, c'est pour défendre les^ droits
des citoyens; et si quelqu'un voulait m'accuser, je voudrais qu'il mit
(2) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXV, 684.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 315
toutes ses actions en parallèle avec les miennes, et je ne craindrais pas
le parallèle. Je défends les droits les plus sacrés de mes commettans,
car mes commettans sont tous français; et je ne ferai sous ce rapport
aucune différence entr'eux, je défendrai sur-tout les plus pauvres. Plus
un homme est faible et malheureux, plus il a besoin du droit de pétition;
et c'est parce qu'il est faible et malheureux que vous le lui ôteriez ?
Dieu accueflle les demandes non seulement des plus malheureux des
hommes, mais des plus coupables. Or, il n'y a de lois sages et justes
que celles qui dérivent des lois simples de la nature. Si vos sentimens
n étaient point conformes à ces lois, vous ne seriez plus les législa-
teurs, vous seriez plutôt les oppresseurs des peuples. Je crois donc qu'à
titre de législateurs et de représentans de la nation, vous êtes incompé-
tens pour ôter à une partie des citoyens les droits imprescriptibles qu'ils
tiennent de la nature.
« Je passe au titre II, à celui qui met des entraves de toutes
espèces à l'exercice du droit de pétition. Tout être collectif ou non
qui peut former un vœu, a le droit de l'exprimer; c'est le droit impres-
criptible de tout être intelligent et sensible. Il suffit qu'une société ait
une existence légitime, pour qu'elle ait le droit de pétition; car si elle
a le droit d'exister, reconnu par la loi, elle a le droit d'agir comme
Une collection d'êtres raisonnables qui peuvent publier leur opinion
commune et manifester leurs vœux. L'on voit toutes les sociétés des
amis de la constitution vous présenter des adresses propres à éclairer
votre sagesse, vous exposer des faits de la plus grande importance; et
c'est dans ce moment qu'on veut paralyser ces sociétés, leur ôter le droit
d'éclairer les législateurs. Je le demande à tout homme de bonne foi
qui veut sincèrement le bien, mais qui ne cache pas sous un langage
spécieux le dessein de miner la liberté; je demande si ce n'est pas
chercher à troubler l'ordre public par des lois oppressives, et porter
le coup le plus funeste à la liberté... Je réclame l'ajournement de cette
question jusqu'après l'impression du rapport » (3).
Le Patriote françois, 1791, n° 640, p. 510.
« Que dirai-je encore de ces pitoyables argumens pour prouver
que le droit d'affiche est un droit souverain ? C'est par tout la même
hypocrisie qui veut tromper le peuple, en lui mettant le collier.
« Telles sont les réflexions que MM. Pétion et Robespierre ont
offert en grande partie contre ce projet présenté par M. Chapelier au
nom du comité.
« Croira-t-on cependant que M. Chapelier a été applaudi V.
(3) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 353; et Bmchez et
Koux, X, 1-6.
316 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« ...La scène a changé quand MM. Pétion et Robespierre ont
parlé.
« L'assemblée a expié ses précédens applaudissemens, en en cou-
vrant ces deux défenseurs de la liberté; sur-tout quand le dernier
a justifié, avec la noblesse d'un Romain, ces hommes irréprochables
qu'on accuse de prêcher l'anarchie, parce qu'ils prêchent la surveil-
lance; qui ne sont attaqués que par des hommes flétris par l'opinion
publique, et qui cherchent, en gênant la liberté de la presse, à écarter
une censure importante. M. Robespierre demandoit la question préa-
lable, M. Pétion l'ajournement de la discussion jusqu'après l'impres-
sion du rapport. On a continué la discussion. »
U'Ami du Roi (Royou), 1791, n° 357, p. 4.
« M. Robespierre s'est déclaré le défenseur des pauvres; il a
épuisé tous les lieux communs de la popularité, et il a fini par un accès
de dévotion et une espèce de capucinade patriotique : Dieu, a-t-il dit,
écoute bien les pauvres indistinctement. Pourquoi en seroit-il que vous
n'écouteriez pas? Si vous n'imitez pas le législateur éternel, ne vous
regardez pas comme les législateurs, mais comme les oppresseurs des
peuples; s'appercevant enfin que ses déclamations et ses injures exci-
toient des murmures dans la salle; je me tairai, s'est-il écrié, puisque
l'attention de l'assemblée n'est pas proportionnée à l'importance de
l'objet.
« La question est ajournée au lendemain. »
Le Spectateur national, n° 161, p. 688.
« Ces maximes, comme on le voit, sont toutes d'une vérité frap-
pante et incontestable; cependant, elles ont trouvé d'ardens contradic-
teurs dans MM. Péthion et Robespierre, ces deux fameux prédica-
teurs de l'anarchie qui, faisant consister la liberté dans l'indépendance
populaire, eroyent toujours voir de l'esclavage dans le règne des loix.
L'un d'eux a demandé l'ajournement, en quelque sorte indéfini, du
projet de décret du comité; l'autre, et c'est M. Robespierre, a insisté
pour qu'il fût rejette par la question préalable. »
L'Orateur du Peuple, t. III, 2e partie, n° 2, p. 31.
« M. Chapelier, dans la séance d'hier, a présenté un projet de
décret contre le droit de pétition... Il est clair que c'est contre le
club des Cordeliers qu'est dirigé ce décret. MM. Pétion et Robespierre
ont tonné avec raison sur les principes destructeurs de toute liberté,
mis en avant avec tant d'impudence par le comité de contre-révolution :
l'assemblée n'a rien décrété... »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 317
L'Ami du Roi (Montjoie), 10 mai 1791.
(( MM. Péthion et Robespierre se sont élevés contre ce projet
de décret; le premier, puisqu'il faut le dire, d'assez mauvaise grâce,
le second avec plus de loyauté; le premier a conclu à l'ajournement
et à l'impression; le second a rejette avec indignation toutes ces entraves,
ni l'un ni l'autre n'a été exaucé. »
Révolutions de France et de Brabant, t. VI, n° 77, p. 549-550.
« Ainsi parle M. Chapelier, et l'assemblée nationale applaudit,
et il n'y a que Péthion et Robespierre qui prennent la parole contre
lui, et contre lesquels il s'élève un murmure d'improbation presque
universel, quand ils lui répondent :
« Si c'est un délit de conseiller le meurtre, toute l'assemblée
nationale est coupable de ce délit, car elle a fait une loi de la résis-
tance à l'oppression et de la désobéissance aux pouvoirs délégués par
le peuple, quand ils outrepassent leur pouvoir, et se permettent un acte
arbitraire. Or, quand le despotisme en écharpe ou en épaulettes, vient
avec des bayonnettes exécuter un acte arbitraire ou oppressif, comment
voulez-vous, je vous prie, qu'on résiste à l'oppression, sans effusion
de sang ? Et de qui doit-on, dans de semblables occasions, verser le
premier sang, sinon de celui qui a commandé l'acte arbitraire, et qui
préside à son exécution ? Ainsi nous tous dans une loi nous avons
conseillé le meurtre aussi bien que ces écrivains que M. Chapelier
veut faire pendre, lorsqu'ils ne font que commenter la loi. 11 falloit
donc pendre aussi tous les orateurs et historiens des peuples libres,
qui tous ont conseillé le meurtre, en certains cas déterminés par la loi »
(4).
Le Lendemain, t. III, n° 130, p. 371.
« M. Péthion et Robespierre ont combattu ce projet; ils ont pré-
tendu que tout particulier même devoit jouir du droit d'affiche; mais
ils n'ont été applaudis que par les Jacobins et le Palais-Royal, et
l'Assemblée a plus d'une fois témoigné son impatience, et son indi-
gnation contre leurs principes.
(4) il/Assemblée manifesta en effet une certaine impatience,
tJnsi que le prouve également ce passage de l'Ami des patriotes
(t. II, n" 25, p. 260): « ...MM. Pétion, Buzot et Robespierre ont été
dans ii/ir minorité énorme... Je raconterai ici... que M. Brissot, en
ie plaignant du nom <le républicain qu'un donne à lui et à ses amis,
dit que c'eut le mot du guet dont .les fripons «ont convenus de se
•servir pour désigner la maréchaussée qui les dépiste... Les fripons
c'est la majorité de l'assemblée, la maréchaussée, MjM. Brissot,
Pétion, Buzot et Robespierre » (note).
318 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Voyant le peu d'impression qu'ils faisoient, ils demandent,
pour conserver au moins cette ressource encore quelques jours, l'ajourne-
ment du projet. »
La Bouche de Fer, n° 53, p. 346.
« Péthion, Robespierre, continuez à résister! vertueux citoyens,
couvrez ces esclaves du mépris qu'ils méritent ! et que notre liberté
cesse d'être souillée à son berceau ! »
Mercure de France, 21 mai 1791, p. 192.
« S'appuyant des mêmes principes d'égalité parfaite et de liberté
indéfinie, M. Roberspierre a déclaré l'Assemblée incompétente pour
prononcer sur le droit de pétition. La fin de la séance a prorogé au
lendemain une discussion si verbeuse et si approfondie. »
Le Courrier des LXXXIII départemens , t. XXIV, n° 10, 10 mai 1791.
« M. Robespierre est allé plus loin. Il a soutenu que le corps
législatif ne pouvoit pas délibérer sur un projet de loi qui priveroit une
partie de la société du droit de pétition : ce droit est inhérent, a-t-il dit
à la liberté individuelle, nul homme ne peut en être privé. Je troave,
d'ailleurs, très-étonnant, pour ne pas dire ridicule, a-t-il ajouté, qu'on
vous propose de décréter que des hommes auront le droit de se plaindre.
« L'orateur vouloit aussi qu'on rayât le mot de doléances, qui
n'est pas fait, suivant lui, pour un peuple libre. La discussion a été
continuée au lendemain. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal des Débats,
t. XX, n° 715, p. 9; La Correspondance nationale, n° 25, p. 96; Le
Législateur français^ 10 mai 1791, p. 8; Le Journal de Normandie,
n° 131, p. 635; Le Jorrnal de Louis XVI et de son peuple, t. III,
n° 72, p. 230; Le Journal de la Noblesse..., t. II, n° 21, p. 33; Le
Courrier extraordinaire, 10 mai 1791, p. 6; Le Journal universel, t. XI,
p. 6067; Le Creuset, t. II, n° 39, p. 156; Le Courrier du département
de Vaucluse, n° 119, p. 475; Le Journal politique de l'Europe, 10
mai 1791, p. 475; Le Journal général de France, 10 mai 1791, p. 518;
Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. XI, n° 643, p. 6;
Chronique de Paris, n° 130, p. 520; Le Journal du Soir (des Frères
Chaignieau), t. II, n° 305, p. 4.]
les discours de robespierre 319
Société des Amis de la Constitution
282. — SEANCE DU 9 MAI 1791
Sur la liberté de la presse
La séance est consacrée à un débat sur la liberté de la presse
(1). Divers orateurs, outre Robespierre, devaient intervenir, dont
Choderlos de Laclos (2), Dubois de Crancé et Duport (3).
Journal de la Révolution, 10 mai 1791.
« M. Robespierre a prononcé un discours dans lequel il a prouvé
de la manière la plus lumineuse, et avec cette énergie de caractère
qu'on lui connaît, les avantages de la liberté indéfinie, et les inconvé-
nients incalculables qu'un code pénal ou toute autre loi tendant à la
restreindre entraîneraient nécessairement (4). Dire et communiquer sa
pensée et ses opinions est un droit de la nature et un besoin de l'âme.
L'exercice de ce droit produit une censure perpétuelle et salutaire sur
le vice (5). C'est du mélange de l'erreur avec la vérité, c'est de leur
combat que l'erreur se dissipe, et que la vérité sort dans toute sa pureté;
les prévaricateurs seuls, les hypocrites, les esclaves et les méchants la
craignent, et ce sont eux qui réclament aujourd'hui des entraves contre
la presse. Il a démontré de faire à cet égard une loi qui n'ouvrît pas
le champ aux plus vastes abus, et qui fût excusable. Comment déter-
miner si un écrit est ou non incendiaire, s'il a ou n'a pas produit
telles émeutes populaires ? Comment démêler la sombre politique et
les trames d'un Catilina ? Ne trouverait-on pas d'un autre côté, le
moyen de faire déclarer calomniateur celui qui aurait eu le courage
de parler des préparatifs de la Saint-Barthelemy ? « Dans ce moment,
disait M. Robespierre, ce que je dis ne paraît-il pas un paradoxe per-
pétuel à certaines gens, et à d'autres des vérités? » (6).
(1) La discussion entamée la veille à l'Assemblée nationale, sur
!;• droit de pétition posait implicitement la question de la liberté
! expression dans son ensemble et, par suite, de la liberté de la
presse.
(2) Choderlos de Laclos, officier d'artillerie et littérateur connu
surtout comme l'auteur des « Liaisons dangereuses » était un agent
du duc d'Orléans. Il rédigeait le Journal des Amis de la Consti-
tution. Maréchal de camp en 1792, inspecteur général de l'artillerie
en l'an XI à Naples, il mourut en 1803.
(3) Duport a, plus particulièrement, insisté sur le devoir du
Journaliste « de dénoncer les fautes et les erreurs des hommes pu-
blics ».
(!) Cf. ci-après séances des 22 et 23 août 1791. En toute occasion
Robespierre a défendu le principe de la liberté de la presse et les
journalistes attaques pour leurs écrits.
■(5) C'est, également l'idée de Marat (cf. Les chaînes de l'escla-
vage, in-8°, 364 p., Paris, B.N. (Lb41 /294.
(6) Texte reproduit dans Aulard, U, 393.
320 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Le Lendemain, t. III, n° 132, p. 391.
« MM. Roberspierre, Laclos, Lépidos (7), Dubois de Crancé,
parlent sur la liberté de la presse; ces messieurs ont tout perdu si on
parvient à distinguer la liberté de la licence » (8).
DISCOURS SUR LA LIBERTE DE LA PRESSE
Prononcé à la Société des À mis de la Constitution le 1 1 mai 1 79 1 (9)
par MAXIMILIEN ROBESPIERRE,
Député à l'Assemblée Nationale et Membre de cette Société
MESSIEURS,
Après la faculté de penser, celle de communiquer ses pensées à ses
semblables, est l'attribut le plus frappant qui distingue l'homme de la
brute. Elle est tout-à-la-fois le signe de la vocation immortelle de l'hom-
me à l'état social, le lien, l'âme, l'instrument de la société, le moyen
unique de la perfectionner, d'atteindre le degré de puissance, de lu-
mières et de bonheur dont il est susceptible. 0
(7) Lépidos pour Lépidor.
(8) Texte reproduit dans Aulard, II, 394.
(9) Ce discours a été prononcé le 9 et non le 11 mai, date sous
laquelle il a été publié par les Jacobins (in-8°, 23 p., Imprimerie
nationale s. d.). On le trouve à la B.N. (<Lb40/594); à la Biblio. de
la Sorbonne i(8° iHFr 140 et HFr 141) ; et aux Arch. nat. (AD
xvina 60). Il a été reproduit par iLaponneraye, I, 201-225; par
Aulard, II, 396-411, par Ch. Vellay, p. 22-42, et les Editions du
Centaure, op. cit., p. 1 k 29. E. Hamel en donne une ample analyse
/ 1,458-465). Il a été édité en allemand par Théodore Opitz en 1848.
"j.a Correspondance nationale (n° 31, p. 276 à 282) lui consacre le
31 mai un long commentaire. D'autre part, il fut lu au Cercle social
(cf. Patriote François, n° 647, p. 405). A propos de ce discours,
Hamel a mal interprété le texte suivant de l'Orateur du Peuple
(t. III, n° 18, p. 152) : « M. Robespierre a laissé dans un fiacre
qu'il a pris à neuf heures et demie, jeudi 12 sur le quai des Augus-
tins, un manuscrit sur La liberté indéfinie de la Presse et sur les
Sociétés populaires. Il prie les bons citoyens qui pourraient en avoir
entendu parler, de le lui faire recouvrer. Il donnera une honnête
récompense à ceux qui se seront donné quelque peine pour cela.
On s'adressera chez lui, rue de iSaintonge, a,u Marais, n° 8, ou bien
chez M. F. Lanthenas, rue Guénégaud, Hôtel Britannique, faug-
bourg Saint-Germain. La dernière partie de ce manuscrit a été lue
au Cercle Social, par M. C. Fauchet. On espère que les patriotes
s'intéresseront à ce qu'il ne soit point perdu ». Hamel en déduit
qu'il s'agit du manuscrit du discours de Robespierre. En réalité,
c'est celui que ^Lanthenas avait composé sur le anême sujet. Ce der-
nier dut le récrire d'un bout à l'autre, car personne ne le rapporta
(cf. Lettres do Mme Roland, édit. Perroud, cité par G. Walter,
p 667, note 63). L'incident a été 'reproduit dans Bûchez et Roux,
X, 147.
LES DISCOURS DÉ ROBESPIERRE 321
Qu'il les communique par la parole, par l'écriture ou par l'usage de
cet art heureux qui a reculé si loin les bornes de son intelligence, et
qui assure à chaque homme les moyens de s'entretenir avec le genre
humain tout entier, le droit qu'il exerce est toujours le même, et la
liberté .de la presse ne peut être distinguée de la liberté de la parole ;
l'une et l'autre est sacrée comme la nature; elle est nécessaire comme
la société même.
Par quelle fatalité les lois se sont-elles donc presque partout appli-
quées à la violer ? C'est que les lois étoient l'ouvrage des despotes,
et que la liberté de la presse est le plus redoutable fléau du despo-
tisme. Comment expliquer en effet le prodige de plusieurs millions
d'hommes opprimés par un seul, si ce n'est par la profonde ignorance
et par la stupide léthargie où ils sont plongés ? Mais que tout homme
qui a conservé le sentiment de sa dignité puisse dévoiler les vues per-
fides et la marche tortueuse de la tyrannie; qu'il puisse opposer sans
cesse les droits de l'humanité aux attentats qui les violent, la souve-
raineté des peuples à leur avilissement et à leur misère; que l'innocence
opprimée puisse faire entendre impunément sa voix redoutable et tou-
chante, et la vérité rallier tous les esprits et tous les cœurs, aux noms
sacrés de liberté et de patrie; alors l'ambition trouve partout des obsta-
cles, et le despotisme est contraint de reculer à chaque pas ou de venir
se briser contre la force invincible de l'opinion publique et de la volonté
générale. Aussi voyez avec quelle artificieuse politique les despotes se
sont ligués contre la liberté de parler et d'écrire; voyez le farouche
inquisiteur la poursuivre au nom du ciel, et les Princes au nom des
"lois qu'ils ont faites eux-mêmes pour protéger leurs crimes. Secouons le
joug des préjugés auxquels ils nous ont asservis, et apprenons d'eux à
connoître tout le prix de la liberté de la presse.
Quelle doit en être la mesure } un grand peuple, illustre par la
conquête récente de la liberté, répond à cette question par son exemple.
Le droit de communiquer ses pensées, par la parole, par l'écri-
ture ou par l'impression, ne peut être gêné ni limité en aucune manière:
voilà les termes de la loi que les Etals-Unis d'Amérique ont faite
sur la liberté de la presse, et j'avoue que je suis bien aise de pouvoir
présenter mon opinion, sous de pareils auspices, à ceux qui auroient été
tentés de la trouver extraordinaire ou exagérée (10).
La liberté de la presse doit être entière et indéfinie, ou elle n'existe
pas. Je ne vois que deux moyens de la modifier, l'un d'en assujétir
l'usage à de certaines restrictions et à de certaines formalités, l'autre
d'en réprimer l'abus par des lois pénales; l'un et l'autre de ces deux
objets exige la plus sérieuse attention.
D'abord il est évident que le premier est inadmissible, car cha-
(10) Cf. Discoure... lro partie, p. 61.
Vioni.M-H.nhr
322 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
cun sait que les lois sont faites pour assurer à l'homme le libre déve-
loppement de ses facultés, et non pour les enchaîner; que leur pouvoir
se borne à défendre à chacun de nuire aux droits d'autrui, sans lui
interdire l'exercice des siens. Il n'est plus nécessaire aujourd'hui de
répondre à ceux qui voudroient donner des entraves à la presse, sous
le prétexte de prévenir les abus qu'elle peut produire. Priver un homme
des moyens que la nature et l'art ont mis en son pouvoir de commu-
niquer ses sentiments et ses idées, pour empêcher qu'il n'en fasse un
mauvais usage, ou bien enchaîner sa langue de peur qu'il ne calomnie,
ou lier ses bras de peur qu'il ne les tourne contre ses semblables, tout
le monde voit que ce sont là des absurdités du même genre, que cette
méthode est tout simplement le secret du despotisme qui, pour rendre
les hommes sages et paisibles, ne connoît pas de meilleurs moyens
que d'en faire des instruments passifs ou de vils automates. Eh ! quelles
seroient les formalités auxquelles vous soumettriez le droit de manifester
ses pensées? Défendrez- vous aux citoyens de posséder des presses,
pour faire d'un bienfait commun à l'humanité entière, le patrimoine de
quelques mercenaires ? donnerez-vous ou vendrez-vous aux uns le privi-
lège exclusif de disserter périodiquement sur des objets de littérature,
aux autres celui de parler de politique et des événements publics ?
Décréterez-vous que les hommes ne pourront donner l'essor à leurs op'-
nions, si elles n'ont obtenu le passeport d'un officier de police, ou
qu'ils ne penseront qu'avec l'approbation d'un censeur, et par permis-
sion du gouvernement ? tels sont en effet les chefs d'oeuvres qu'enfanta
l'absurde manie de donner des lois à la presse: mais l'opinion publique
et la volonté générale de la nation ont proscrit, depuis long-temps, ces
infâmes usages. Je ne vois en ce genre qu'une idée qui semble avoir
surnagé ; c'est celle de proscrire toute espèce d'écrit qui ne porteroit
point le nom de l'auteur ou de l'imprimeur, et de rendre ceux-ci respon-
sables; mais comme cette question est liée à la seconde partie de notre
discussion, c'est-à-dire à la théorie des lois pénales sur la presse, elle
se trouvera résolue par les principes que nous allons établir sur ce point.
Peut-on établir des peines contre ce qu'on appelle l'abus de la
presse ? dans quels cas ces peines pourroient-elles avoir lieu "> Voilà
de grandes questions qu'il faut résoudre, et peut-être la partie la plus
importante de notre code constitutionnel.
La liberté d'écrire peut s'exercer sur deux objets, les choses et les
personnes.
Le premier de ces objets renferme tout ce qui touche aux plus
grands intérêts de l'homme et de la société, tels que la morale, la
législation, la politique, la religion. Or les lois ne peuvent jamais
punir aucun homme, pour avoir manifesté ses opinions sur toutes ces
choses. C'est par la libre et mutuelle communication de ses pensées,
que l'homme perfectionne ses facultés, s'éclaire sur ses droits, et s'élève
au degré de vertu, de grandeur, de félicité, auquel la nature lui per-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 323
met d'atteindre. Mais cette communication, comment peut-elle se faire,
si ce n'est de la manière que la nature même l'a permise ? Or c'est
la nature même, qui veut que les pensées de chaque homme soient !e
résultat de son caractère et de son esprit, et c'est elle qui a créé cette
prodigieuse diversité des esprits et des caractères. La liberté de publier
son opinion ne peut donc être autre chose que la liberté de publier
toutes les opinions contraires. Il faut, ou que vous lui donniez cette
étendue, ou que vous trouviez le moyen de faire que la vérité sorte
d'abord toute pure et toute nue de chaque tête humaine. Elle ne peut
sortir que du combat de toutes les idées vraies ou fausses, absurdes ou
raisonnables. C'est dans ce mélange, que la raison commune, la faculté
donnée à l'homme de discerner le bien et le mal, s'exerce à choisir
les unes, à rejeter les autres. Voulez- vous ôter à vos semblables l'usage
de cette faculté, pour y susbstituer votre autorité particulière ? Mais
quelle main tracera la ligne de démarcation qui sépare l'erreur de la
vérité ? Si ceux qui font les lois ou ceux qui les appliquent, étoient des.
êtres d'une intelligence supérieure à l'intelligence humaine, ils pour-
roient exercer cet empire sur les pensées : mais s'ils ne sont que des
hommes, s'il est absurde que la raison d'un homme soit, pour ainsi dire,
souveraine de la raison de tous les autres hommes, toute loi pénale con-
tre la manifestation des opinions n'est qu'une absurdité.
Elle renverse les premiers principes de la liberté civile, et les plus
simples notions de l'ordre social. En effet, c'est un principe incontes-
table que la loi ne peut infliger aucune peine là où il ne peut y avoir
un délit susceptible d'être caractérisé avec précision, et reconnu avec
certitude; sinon la destinée des citoyens est soumise aux jugemens arbi-
traires et la liberté n'est plus. Les lois peuvent atteindre les actions
criminelles parce qu'elles consistent en faits sensibles, qui peuvent
être clairement définis et constatés suivant des règles sûres et cons-
tantes : mais les opinions ! leur caractère bon ou mauvais ne peut être
déterminé que par des rapports plus ou moins compliqués avec des prin-
cipes de raison, de justice, souvent même avec une foule de circonstances
particulières Me dénonce-t-on un vol, un meurtre; j'ai l'idée d'un
acte dont la définition est simple et fixée, j'interroge des témoins.
Mais on me parle d'un écrit incendiaire, dangereux, séditieux; qu'est-ce
qu'un écrit incendiaire, dangereux, séditieux ? Ces qualifications peu-
vent-elles s'appliquer à celui qu'on me présente ? je vois naître ici
une foule de questions qui seront abandonnées à toute l'incertitude des
opinions; je ne trouve plus ni fait, ni témoins, ni loi, ni juge; je n'ap-
perçois qu'une dénonciation vague, des arguments, des décisions arbi-
traires. L'un trouvera le crime dans la chose, l'autre dans l'intention
un troisième dans le style. Celui-ci méconnoitra la vérité; celui-là la
condamnera en connoissance de cause; un autre voudra punir la véhé-
mence de son* langage, le moment même qu'elle aura choisi pour faire
entendre sa voix. Le même écrit qui paraîtra utile et sage à l'homme
324 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
ardent et courageux, sera proscrit comme incendiaire par l'homme froid
et pusillanime; l'esclave ou le despote ne verra qu'un extravagant ou
un factieux où l'homme libre reconnoît un citoyen vertueux. Le même
écrivain trouvera, suivant la différence des tems et des lieux, des
éloges ou des persécutions, des statues ou un échafaud. Les hommes
illustres, dont le génie a préparé cette glorieuse révolution sont enfin
placés, par nous, au rang des bienfaiteurs de l'humanité : qu'étoient-ils
durant leur vie aux yeux des gouvernements? des novateurs dangereux,
j ai presque dit des rebelles. Est-il bien loin de nous le tems où les'
principes mêmes que nous avons consacrés auroient été condamnés
comme des maximes criminelles par ces mêmes tribunaux que nous avons
détruits ? Que dis-je ! aujourd'hui même, chacun de nous ne paroît-il
pas un homme différent aux yeux des divers partis qui divisent l'Etat,
et dans ces lieux mêmes, au moment où je parle, l'opinion que je pro-
pose ne paroît-elle pas aux uns un paradoxe, aux autres une vérité ? ne
trouve-t-elle pas ici des applaudissemens, et là, presque des murmures ?
Or, que deviendroit la liberté de la presse, si chacun ne pouvoit
l'exercer qu'à peine de voir son repos et ses droits les plus sacrés livrés
à tous les préjugés, à toutes les passions, à tous les intérêts !
Mais ce qu'il importe sur-tout de bien observer, c'est que toute
peine décernée contre les écrits, sous le prétexte de réprimer l'abus de
la presse, tourne entièrement au désavantage de la vérité et de la vertu,
et au profit du vice, de l'erreur et du despotisme.
L'homme de génie qui révèle de grandes vérités à ses semblables,
est celui qui a devancé l'opinion de son siècle : la nouveauté hardie
de ses conceptions effarouche toujours leur foiblesse et leur ignorance ;
toujours les préjugés se ligueront avec l'envie, pour le peindre sous des
traits odieux ou ridicules. C'est pour cela précisément que le partage
des grands hommes fut constamment l'ingratitude de leurs contemporains,
et les hommages tardifs de la postérité; c'est pour cela que la supersti-
tion jeta Galilée dans les fers et bannit Descartes de sa patrie. Quel
sera donc le sort de ceux qui, inspirés par le génie de la liberté, vien-
dront parler des droits et de la dignité de l'homme à des peuples qui
les ignorent ? Ils alarment presqu'également et les tyrans qu'ils démas-
quent, et les esclaves qu'ils veulent éclairer. Avec quelle facilité les
premiers n'abuseroient-ils pas de cette disposition des esprits, pour les
persécuter au nom des lois ! Rappelez-vous pourquoi, pour qui s'ou-
vroient, parmi vous, les cachots du despotisme; contre qui étoit dirigé
le glaive même des tribunaux. La persécution épargna-t-elle l'éloquent
et vertueux philosophe de Genève? il est mort; une grande révolution
laissoit, pour quelques momens du moins, respirer la vérité, vous lui
avez décerné une statue; vous avez honoré et secouru sa veuve au nom
de la patrie, je ne conclurai pas même de ces hommages, que, vivant
et placé sur le théâtre où son génie devoit l'appeler, il n'essuyât pas
au moins le reproche si banal d'homme morose et exagéré.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 325
S'il est vrai que le courage des écrivains dévoués à la cause de la
justice et de l'humanité, soit la terreur de l'intrigue et de l'ambition
des hommes en autorité; il faut bien que les lois contre la presse de-
viennent entre les mains de ces derniers une arme terrible contre la liberté
(II). Mais tandis qu'ils poursuivront ses défenseurs, comme des pertu-
bateurs de l'ordre public, et comme des ennemis de l'autorité légitime,
vous les verrez caresser, encourager, soudoyer ces écrivains dangereux,
ces vils professeurs de mensonge et de servitude, dont la funeste doc-
trine, empoisonnant dans sa source la félicité des siècles, perpétue sur
la terre les lâches préjugés des peuples et la puissance monstrueuse des
tyrans, les seuls dignes du titre de rebelles, puisqu'ils osent lever l'éten-
dard contre la souveraineté des nations, et contre la puissance sacrée
de 'a nature. Vous les verrez encore favoriser, de tout leur pouvoir,
toutes ces productions licencieuses qui altèrent les principes de la mo-
rale, corrompent les mœurs, énervent le courage et détournent les peuples
du soin de la chose publique, par l'appât des amusemens frivoles, ou
par les charmes empoisonnés de la volupté (12). C'est ainsi que toute
entrave mise à la liberté de la presse est entre leurs mains un moyen
de diriger l'opinion publique au gré de leur intérêt personnel, et de
fonder leur empire sur l'ignorance et sur la dépravation générale. La
presse libre est la gardienne de !a liberté; la presse gênée en est le
fléau. Ce sont les précautions mêmes que vous prenez contre ses abus,
qui les produisent presaue tous; ce sont ces précautions qui vous en
ôtent tous les heureux fruits, pour ne vous en laisser que les poisons.
Ce sont ces entraves qui produisent ou une timidité servile, ou une au-
dace extrême. Ce n'est que sous les auspices de la liberté que îa raison
s'exprime avec le courage et avec le calme qui la caractérisent. C'est
à elles encore que sont dus les succès des écrits licencieux, parce que
l'opinion y met un prix proportionné aux obstacles qu'ils ont franchis,
et à la haine qu'inspire le despotisme qui veut maîtriser jusqu'à la pen-
sée. Otez-lui ce mobile, elle les jugera avec une sévère impartialité,
et les écrivains dont elle est la souveraine ne brigueront ses faveurs
que par des travaux utiles: ou plutôt soyez libres; avec la liberté vien-
dront toutes les vertus, et les écrits que la presse mettra au jour, seront
purs, graves et sains comme vos moeurs.
Mais pourquoi prendre tant de soin pour troubler l'ordre que la
nature établissoit d'elle-même ? Ne voyez-vous pas que, par le cours
nécessaire des choses, le tems amène la proscription de l'erreur et le
triomphe de la vérité ? laissez aux opinions bonnes ou mauvaises un essor
également libre, puisque les premières seulement sont destinées à rester.
Avez- vous plus de confiance dans l'autorité, dans la vertu de quelques
(11) Allusion aux poursuites qu'ont dft subir les journalistes pa-
triotes, dont Camille Desmoulins, et plus particulièrement Marat.
(12) Robespierre interviendra le 7 juillet 1791 à propos de l'expo-
sition et <\n la vente dos images obcènes.
326 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
hommes, intéressés à arrêter la marche de l'esprit humain, que dans la
nature même ? elle seule a pourvu aux inconvéniens que vous redoutez;
ce sont les hommes qui les feront naître.
L'opinion publique, voilà le seul juge compétent des opinions pri-
vées, le seul censeur légitime des écrits. Si elle les approuve, de que!
droit, vous, hommes en place, pouvez-vous les condamner ? si elle les
condamne, quelle nécessité pour vous de les poursuivre ? si après Ips
avoir d'abord improuvés, elle doit, éclairée par le tems et par la
réflexion, les adopter tôt ou tard, pourquoi vous opposez-vous aux pro-
grès des lumières ? comment osez-vous arrêter ce commerce de la pen-
sée, que chaque homme a le droit d'entretenir avec tous les esprits,
avec le genre humain tout entier ? l'empire de l'opinion publique sur
les opinions particulières est doux, salutaire, naturel, irrésistible; celui
de i 'autorité et de la force est nécessairement tyrannique, odieux,
absurde, monstrueux.
A ces principes éternels, quels sophismes objectent les ennemis de
la liberté? la soumission aux lois; il ne faut point permettre d'écrire
contre les lois.
Obéir aux lois est le devoir de tout citoyen : publier librement
ses pensées sur les vices ou sur la bonté des lois, est le droit de tout
homme et l'intérêt de la société entière; c'est le plus digne et le plus
salutaire usage que l'homme puisse faire de sa raison; c'est le plus
saint des devoirs que puisse remplir, envers les autres hommes, celui
qui est doué des talens nécessaires pour les éclairer. Les lois, que sont-
elles ? l'expression libre de la volonté générale, plus ou moins conforme
aux droits et à l'intérêt des nations, selon le degré de conformité
qu'elles ont aux lois éternelles de la raison, de la justice et de la nature.
Chaque citoyen a sa part et son intérêt dans cette volonté générale; il
peut donc, il doit même déployer tout ce qu'il a de lumières et d'éner-
gie pour l'éclairer, pour la réformer, pour la perfectionner. Comme dans
une société particulière, chaque associé a le droit d'engager ses co-
associés à changer les conventions qu'ils ont faites, et les spéculations
qu'ils ont adoptées pour la prospérité de leurs entreprises; ainsi, dans
la grande société politique, chaque membre peut faire tout ce qui est
en lui, pour déterminer les autres membres de la cité à adopter les dispo-
sitions qui lui paroissent les plus conformes à l'avantage commun.
S'il en est ainsi des lois qui émanent de la société elle-même,
que faudra-t-il penser de celles qu'elle n'a point faites, de celles qui
ne sont que la volonté de quelques hommes, et l'ouvrage du despotisme 7
c'est lui qui inventa cette maxime qu'on ose répéter encore aujourd'hui
pour consacrer ses forfaits ? Que dis-je ? avant la révolution même, nous
jouissions, jusqu'à un certain point, de la liberté de disserter et d'écrire
sur les lois. Sûr de son empire, et plein de confiance dans ses forces,
le despotisme n'osoit p^int contester ce droit à la philosophie, aussi
ouvertement que ces modernes Machiavels, qui tremblent toujours de
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 327
voir leur charlatanisme anticivique dévoilé par ta liberté entière des
opinions. Du moins faudra-t-il qu'ils conviennent que, si leurs prin-
cipes avoient été suivis, les lois ne seroient encore, pour nous, que des
chaînes destinées à attacher les nations au joug de quelques tyrans,
et qu'au moment où je parle, nous n'aurons pas même le droit d'agiter
cette question.
Mais, pour obtenir cette loi tant désirée contre la liberté on pré-
sente l'idée que je viens de repousser, sous les termes les plus propres
même à réveiller les préjugés, et à inquiéter le zèle pusillanime et peu
éclairé : car, comme une pareille loi est nécessairement arbitraire dans
l'exécution, comme la liberté des opinions est anéantie dès qu'elle
n existe point entière, il suffit aux ennemis de la liberté d'en obtenir
une, quelle qu'elle soit. On vous parlera donc d'écrits qui excitent les
peuples à la révolte, qui conseillent la désobéissance aux lois; on vous
demandera une loi pénale pour ces écrits-là. Ne prenons point le chan-
ge; et attachons-nous toujours à la chose, sans nous laisser séduire par
les mots. Croyez-vous, d'abord, qu'un écrit plein de raison et d'éner-
gie, qui démontreroit qu'une loi est funeste à la liberté et au salut pu-
blic, ne produiroît pas une impression plus profonde que celui qui,
dénué de force et de rai°on, ne contiendrait que des déclamations contre
cette loi, ou le conseil de ne point la respecter ? Non sans doute. S'il
est permis de décerner des peines contre ces derniers écrits, une raison
plus impérieuse encore les provoquerait donc contre les autres, et le
résultat de ce système seroit, en dernière analyse, l'anéantissement de
la liberté de la presse, et non les formes. Mais voyons les objets tels
qu'ils sont avec les yeux de la raison, et non avec ceux des préjugés
que le despotisme a accrédités. Ne croyons pas que, dans un état libre,
ni même dans aucun état, des écrits remuent si facilement les citoyens,
et les portent à renverser un ordre de choses cimenté par l'habitude,
par tous les rapports sociaux, et protégé par la force publique. En
général, c'est par une action lente et progressive qu'ils influent sur la
conduite des hommes. C'est le tems, c'est la raison qui détermine cette
influence. Ou bien ils sont contraires à l'opinion et à l'intérêt du plus
grand nombre et alors ils sont impuissants; ils excitent même le blâme
et le mépris public, et. tout reste calme : ou bien ils expriment le vœu
général et ne font qu'éveiller l'opinion publique : qui oscroit les regar-
der comme des crimes ? Analysez bien tous ces prétextes, toutes ces
déclamations contre ce que quelques-uns appellent écrits incendiaires,
et vous verrez qu'elles cachent le dessein de calomnier le peuple, pour
l'opprimer et pour anéantir la liberté dont il est le seul appui, vous verrez
qu'elles supposent d'une part une profonde ignorance des hommes, de
l'autre un profond mépris de la partie de la nation la plus nombreuse
et la moins corrompue.
Cependant, comme il faut absolument un prétexte de soumettre
la presse aux poursuites de l'autorité, on nous dit : Mais, si un écrit
328 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
a provoqué des délits, une émeute, par exemple, ne punira-t-on pas
cet écrit? Donnez-nous au moins une loi pour ce cas là. Il est facile,
sans doute, de présenter une hypothèse particulière, capable d'effrayer
l'imagination, mais il faut von la chose sous des rapports plus étendus.
Considérez combien il seroit facile de rapporter une émeute, un délit
quelconque, à un écrit qui n'en seroit cependant point la véritable
cause ; combien il est difficile de distinguer si les événements qui
arrivent dans un tems postérieur à la date d'un écrit en sont véritablement
l'effet; comment sous ce prétexte, il seroit facile aux hommes en auto-
rité, de poursuivre tous ceux qui auroient exercé avec énergie le droit
de publier leur opinion sur la chose publique, ou sur les hommes qui
gouvernent Observez, sur-tout, que, dans aucun cas, l'ordre social ne
peut être compromis par l'impunité d'un écrit qui auroit conseillé un
délit.
Pour que cet écrit fasse quelque mal, il faut qu'il se trouve un
homme qui commette le délit. Or les peines que la loi prononce contre
ce délit sont un frein pour quiconque seroit tenté de s'en rendre cou-
pable; et, dans ce cas là comme dans les autres, la sûreté publique est
suffisamment garantie, sans qu'il soit nécessaire de chercher une autre
victime. Le but et la mesure des peines est l'intérêt de la société. Par
conséquent, s'il importe plus à la société de ne laisser aucun prétexte
d'attenter arbitrairement à la liberté de la presse, que d'envelopper
dans le châtiment du coupable un écrivain repréhensible, il faut renon-
cer à cet acte de rigueur, il faut jeter un voile sur toutes ces hypothèses
extraordinaires qu'on se plaît à imaginer, pour conserver, dans toute
son intégrité, un principe qui est la première base du bonheur social.
Cependant, s'il étoit prouvé d'ailleurs que l'auteur d'un semblable
écrit fût complice, il faudroit le punir comme tel, de la peine infligée
au crime dont il seroit question, mais non le poursuivre comme auteur
d'un écrit, en vertu d'aucune loi sur la presse.
J'ai prouvé jusqu'ici que la liberté d'écrire sur les choses doit être
illimitée : envisageons-la maintenant par rapport aux personnes.
Je distingue à cet égard les personnes publiques et les personnes
privées; et je me propose cette question; les écrits qui inculpent les
personnes publiques, peuvent-ils être punis par les lois ? C'est l'intérêt
général qui doit la décider. Pesons donc les avantages et les inconvé-
niens des deux systèmes contraires.
Une importante considération, et peut-être une raison décisive, se
présente d'abord. Quel est le principal avantage, quel est le but essen-
tiel de la liberté de la presse } C'est de contenir l'ambition et le despo-
tisme de ceux à qui le peuple a commis son autorité, en éveillant sans
cesse son attention sur les atteintes qu'ils peuvent porter à ses droits.
Or, si vous leur laissez le pouvoir de poursuivre sous le prétexte de
calomnie, ceux qui oseront blâmer leur conduite, n'est-iî pas clair que
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 329
ce frein devient absolument impuissant et nul ? qui ne voit combien
le combat est inégal entre un citoyen foible, isolé, et un adversaire armé
des ressources immenses que donne un grand crédit et une grande auto-
rité ? qui voudra déplaire aux ihommes puissans, pour servir le peuple,
s'il faut qu'au sacrifice des avantages que présente leur faveur, et au
danger de leurs persécutions secrètes, se joigne encore le malheur
presqu'inévitable d'une condamnation ruineuse et humiliante ?
Mais, d'ailleurs, qui jugera les juges eux-mêmes ? car, enfin, il
faut bien que leurs prévarications ou leurs erreurs ressortissent, comme
celles des autres magistrats, au tribunal de la censure publique. Qui
jugera le dernier jugement, qui décidera ces contestations ? car il faut
qu'il y en ait un qui soit le dernier; il faut aussi qu'il soit soumis à
la liberté des opinions. Concluons qu'il faut toujours revenir au prin-
cipe, que les citoyens doivent avoir la faculté de s'expliquer et d'écrire
sur la conduite des hommes publics, sans être exposés à aucune condam-
nation légale.
Attendrai-je des preuves juridiques de la conjuration de Catilina ?
et n'oserai-je la dénoncer au moment où il faudroit déjà l'avoir étouf-
fée ? Comment oserois-je dévoiler les desseins perfides de tous ces chefs
de parti, qui s'apprêtent à déchirer le sein de la république, qui tous
se couvrent du voile du bien public et de l'intérêt du peuple, et qui ne
cherchent qu'à l'asservir et le vendre au despotisme ? comment vous
développerai-je la politique ténébreuse de Tibère ^ Comment les aver-
tirai-je que ces pompeux dehors de vertus dont il s'es1- tout à coup
revêtu, ne cachent que le dessein de consommer plus sûrement ceîte
terrible conspiration qu'il trame depuis long-temps contre le saluf de
Rome ? Eh ! devant quel tribunal voulez-vous que je lutte contre lui ?
Sera-ce devant le Préteur ? Mais s'il est enchaîné par la crainte, ou sé-
duit par l'intérêt? Sera-ce devant les Ediles? mais s'ils sont soumis
à son autorite, s'ils sont à la fois ses esclaves et ses complices ? sera-ce
devant le Sénat ? mais si le sénat lui-même est trompé ou asservi ? enfin
si le salut de la patrie exige que j'ouvre les yeux à mes concitoye îs
sur !a conduite même du sénat, du Préteur et des Ediles, qui jugera
entr'eux et moi ?
Mais une autre raison sans réplique semble achever de mettre
cette vérité dans tout son jour. Rendre les citoyens responsables de ce
qu'ils peuvent écrire contre les personnes publiques, ce seroit nécessai-
rement supposer qu'il ne leur seroit pas permis de les blâmer, sans
pouvoir appuyer leurs inculpations par des preuves juridiques. Or, qui
ne voit pas combien une pareille supposition répugne à la nature même
de la chose, et aux premiers principes de l'intérêt social ? Qui ne sait
combien il est difficile de se procurer de pareilles preuves; combien
il est facile au contraire à ceux qui gouvernent, d'envelopper leurs pro-
jets ambitieux des voiles du mystère, de les couvrir même du prétexte
spécieux du bien public ? N'est-ce pas même là la politique ordinaire
330 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
des plus dangereux ennemis de la patrie ? Ainsi ce seroit ceux qu'il
importerait le plus de surveiller, qui échapperoient à la surveillance de
leurs concitoyens. Tandis que l'on chercheroit les preuves exigées pour
avertir de leurs funestes machinations, elles seroient déjà exécutées, et
1 Etat périroit avant que l'on eût osé dire qu'il étoit en péril. Non,
dans tout état libre chaque citoyen est une sentinelle de la liberté qui
doit crier, au moindre bruit, à la moindre apparence du danger qui la
menace. Tous les peuples qui l'ont connue n'ont-ils pas craint pour
elle, jusqu'à l'ascendant même de la vertu ?
Aristide banni par l'ostracisme, n'accusoit pas cette jalousie om-
brageuse qui l'envoyoit à un glorieux exil. H n'eût point voulu que le
peuple Athénien fût privé du pouvoir de lui faire une injustice. Il savoit
que la même loi qui eût mis le magistrat vertueux à couvert d'une
téméraire accusation, auroit protégé l'adroite tyrannie de la foule des
magistrats corrompus. Ce ne sont pas ces hommes incorruptibles, qui
n'ont d'autre passion que celle de faire le bonheur et la gloire de leur
patrie, qui redoutent l'expression publique des sentimens de leurs conci-
toyens. Ils sentent bien qu'il n'est pas si facile de perdre leur estime,
lorsqu'on peut opposer à la calomnie une vie irréprochable et les preu-
ves d'un zèle pur et désintéressé; s'ils éprouvent quelquefois une per-
sécution passagère, elle est pour eux le sceau de leur gloire et le témoi-
gnage éclatant de leur vertu; ils se reposent, avec une douce confiance,
sur le suffrage d'une conscience pure et sur la force de la vérité qui
leur ramène bientôt ceux de leurs concitoyens.
Qui sont ceux qui déclament sans cesse contre la licence de la
presse, et qui demandent des lois pour la captiver ? ce sont ces per-
sonnages équivoques, dont la réputation éphémère, fondée sur les
succès du charlatanisme, est ébranlée par le moindre choc de !a contra-
diction; ce sont ceux qui voulant à-la-fois plaire au peuple et servir les
tyrans, combattus entre le désir de conserver la gloire acquise en défen-
dant la cause publique, et les honteux avantages que l'ambition peut
obtenir en l'abandonnant, qui, substituant la fausseté au courage, l'in-
trigue au génie, tous les petits manèges des cours aux grands ressorts
des révolutions, tremblent sans cesse que la voix d'un homme libre
vienne révéler le secret de leur nullité ou de leur corruption; qui sentent
que pour tromper ou pour asservir leur patrie, il faut, avant tout, réduire
au silence les écrivains courageux qui peuvent "la réveiller de sa funeste
léthargie, à-peu-près comme on égorge les sentinelles avancées pour sur-
prendre le camp ennemi ; ce sont tous ceux enfin qui veulent être impu-
nément foibles, ignorans, traîtres ou corrompus Je n'ai jamais ouï dire
que Caton, traduit cent fois en justice, ait poursuivi ses accusateurs;
mais l'histoire m'apprend que les décemvirs à Rome firent des lois ter-
ribles contre lès libelles.
C'est en effet uniquement aux hommes que je viens de peindre,
qu'il appartient d'envisager avec effroi la liberté de la presse; car ce
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 331
seroit une grande erreur de penser que dans un ordre de choses paisible
où elle est solidement établie, toutes les réputations soient en proie au
premier qui veut les détruire.
Que sous la verge du despotisme, où l'on est accoutumé à entendre
traiter de libelles les justes réclamations de l'innocence outragée et 'es
plaintes les plus modérées de l'humanité opprimée, un libelle même
digne de ce nom soit adopté avec empressement et cru avec facilité,
qui pourroit en être surpris? Les crimes du despotisme, la corruption
des mœurs rendent toutes les inculpations si vraisemblables ! il est si
naturel d 'accueillir comme une vérité un écrit qui ne parvient à vous
qu'en échappant aux inquisitions des tyrans ! Mais sous le régime de
la liberté, croyez-vous que l'opinion publique, accoutumée à la voir
s'exercer en tout sens, décide en dernier ressort de l'honneur des
citoyens, sur un seul écrit, sans peser ni les circonstances, ni les faits,
ni le caractère de l'accusateur, ni celui de l'accusé. Elle juge en géné-
ral et jugera sur-tout alors avec équité : souvent même les libelles seront
des titres de gloire pour ceux qui en seront les objets, tandis que cer-
tains éloges ne seront à ses yeux qu'un opprobe : et en dernier résultat,
la liberté de la presse ne sera que le fléau du vice et de l'imposture,
et le triomphe de la vertu et de la vérité.
Le dirai-je enfin ! ce sont nos préjugés, c'est notre corruption qui
nous exagère les inconvémens de ce système nécessaire. Chez un peu-
ple où l'égoïsme a toujours régné, où ceux qui gouvernent, où la plupart
des citoyens qui ont usurpé une espèce de considération ou de crédit,
sont forcés à s'avouer intérieurement à eux-mêmes qu'ils ont besoin non
seulement de l'indulgence, mais de la clémence publique, la liberté de
la presse doit nécessairement inspirer une certaine terreur, et tout système
qui tend à la gêner, trouve une foule de partisans qui ne manquent pas
de le présenter sous les dehors spécieux du bon ordre et de l'intérêt
public.
A qui appartient plus qu'à vous, législateurs, de triompher de ce
préjugé fatal qui ruineroit et déshonorerait à-la-fois votre ouvrage ? Que
tous ces libelles répandus autour de vous par les factions ennemies du
peuple, ne soient point pour vous une raison de sacrifier aux circonstan-
ces du moment les principes éternels sur lesquels doit reposer la liberté
des nations. Songez qu'une loi sur la presse n'arrêteroit point, ne répa-
reroit point le mal, et vous enleveroit le remède. Laissez passer ce tor-
rent fangeux, dont il ne restera bientôt plus aucune trace, pourvu que
vous conserviez cette source immense et éternelle de lumières qui doit
répandre sur le monde politique et inoral la chaleur, la force, le bon-
heur et la vie. N'avez-vous pas déjà remarqué que la plupart des dénon-
ciations qui vous ont été faites, étoient dirigées, non contre ces écrits
sacrilèges où les droits de l'humanité sont attaqués, où la majesté du
peuple 'est outragée, au nom des despotes par des esclaves lâchement
audacieux; mais contre ceux que l'on accuse de défendre la cause de la
332 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
liberté avec un zèle exagéré et irrespectueux envers !es despotes?
N'avez-vous pas remarqué qu'elles vous ont été faites par des hommes
qui réclament amèrement contre des calomnies que la voix publique a
mises au rang des vérités, et qui se taisent sur 'les blasphèmes séditieux
que leurs partisans ne cessent de vomir contre la nation et contre ses
représentai ? Que tous mes concitoyens m'accusent et me punissent
comme traître à la patrie, si jamais je vous dénonce aucun libelle, sans
en excepter ceux où couvrant mon nom des plus infâmes calomnies, les
ennemis de la révolution me désignent à la fureur des factieux comme
l'une des victimes qu'elle doit frapper ! Eh ! que nous importent ces
méprisables écrits ? ou bien la nation françoise approuvera les efforts
que nous avons faits pour assurer sa liberté, ou elle les condamnera.
Dans le premier cas, les attaques de nos ennemis ne seront que ridi-
cules; dans le second cas, nous aurons à expier le crime d'avoir pensé
que les français étoient dignes d'être libres et pour mon compte je me
résigne volontiers à cette destinée.
Enfin faisons des loix, non pour un moment, mais pour les siècles;
non pour nous, mais pour l'univers; montrons-nous dignes de fonder la
liberté en nous attachant invariablement à ce grand principe, qu'el'e
ne peut exister là où elle ne peut s'exercer avec une étendue illimitée
sur la conduite de ceux que le peuple a armés de son autorité. Que
devant lui disparoissent tous ces inconvéniens attachés aux plus excellen-
tes institutions, tous ces sophismes inventés par l'orgueil et par la four-
berie des tyrans. Il faut, vous disent-ils, mettre ceux qui gouvernent
à l'abri de la calomnie; il importe au salut du peuple de maintenir le
respect qui leur est dû. Ainsi auroient raisonné les Guises contre ceux
qui auroient dénoncé les préparatifs de la Saint Barthélémi ; ainsi rai-
sonneront tous leurs pareils, parce qu'ils savent bien que tant qu'ils
seront tout-puissans, les vérités qui leur déplaisent seront toujours des
calomnies, parce qu'ils savent bien que ce respect superstitieux qu'ils
réclament pour leurs fautes et pour leurs forfaits mêmes, leur assure le
pouvoir de violer impunément celui qu'ils doivent à leur souverain, au
peuple qui mérite sans doute autant d'égards que ses délégués et ses
oppresseurs. Mais qui voudra à ce prix, osent-ils dire encore, qui voudra
être roi, magistrat, qui voudra tenir les rênes du gouvernement ? qui ?
les hommes vertueux, dignes d'aimer leur patrie et la véritable gloire,
qui savent bien que le tribunal de l'opinion publique n'est redoutable
qu'aux méchants. Qui encore ? Les ambitieux mêmes. Eh ! plut à
Dieu qu'il y eût sur la terre un moyen de leur faire perdre l'envie oU
l'espoir de tromper ou d'asservir les peuples !
En deux mots, il faut ou renoncer à la liberté, ou consentir à la
liberté indéfinie de la presse. A l'égard des personnes publiques, la
question est décidée.
Il ne nous reste plus qu'à la considérer par rapport aux personnes
privées. On voit que cette question se confond avec celle du meilleur
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 333
système de législation sur la calomnie, soit verbale, soit écrite, et
qu'ainsi elle n'est plus uniquement relative à la presse.
Il est juste sans doute que les particuliers attaqués par la calomnie
puissent poursuivre la réparation du tort qu'elle leur a fait; mais il est
utile de faire quelques observations sur cet objet.
Il faut d'abord considérer que nos anciennes lois sur ce point sont
exagérées, et que leur rigueur est le fruit évident de ce système tyran-
nique que nous avons développé, et de cette terreur excessive que l'opi-
nion publique inspire au despotisme qui les a promulguées. Comme nous
les envisageons avec plus de sang-froid, nous consentirons volontiers à
modérer le code pénal qu'il nous a transmis; il me semble du moins que
la peine qui sera prononcée contre les auteurs d'une inculpation calom-
nieuse doit se borner à la publicité du jugement qui la déclare telle, et
à la réparation pécuniaire du dommage qu'elle aura causé à celui qui
en étoit l'objet. On sent bien que je ne comprends pas dans cette classe
le faux témoignage contre un accusé, parce que ce n'est point ici une
simple calomnie, une simple offense envers un particulier, c'est un
mensonge fait à la loi pour perdre l'innocence, c'est un véritable crime
public.
En général, quant aux calomnies ordinaires, il y a deux espèces de
tribunaux pour les juger, celui des magistrats et celui de l 'opinion publi-
que. Le plus naturel, le plus équitable, le plus compétent, le plus puis-
sant, c'est sans contredit le dernier; c'est celui qui sera préféré par les
attaques de la haine et de la méchanceté; car il est à remarquer qu'en
général l'impuissance de la calomnie est en raison de la probité et de
la vertu de celui qu'elle attaque et que plus un homme a le droit
d'appeler à l'opinion moins il a besoin d'invoquer la protection du juge;
il ne se déterminera donc pas facilement à faire retentir les tribunaux
des injures qui lui auront été adressées, et il ne les occupera de ses
plaintes que dans les occasions importantes où la calomnie sera liée
à une trame coupable ourdie pour lui causer un grand mal, et capable
de ruiner la réputation même la plus solidement affermie. Si l'on suit
ce principe, il y aura moins de procès ridicules, moins de déclamations
sur l'honneur, mais plus d'honneur, sur-tout plus d'honnêteté et de vertu.
Je borne ici mes réflexions sur cette troisième question, qui n'est
pas le principal objet de cette discussion, et je vous propose de cimenter
la première base de la liberté par le décret suivant.
L'Assemblée nationale déclare :
1° Que tout homme a le droit de publier ses pensées; par quel-
ques moyens que ce soit; et que la liberté de la presse, ne peut être
gênée ni limitée en aucune manière.
2" Que quiconque portera atteinte à ce droit doit être regardé
comme ennemi de la liberté, et puni par la plus grande des peines, qui
seront établies par l'Assemblée Nationale.
334 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
3° Pourront néanmoins les particuliers qui auront été calomniés,
se pourvoir pour obtenir la réparation du dommage que la calomnie leur
aura causé, par les moyens que l'Assemblée nationale indiquera (!3).
(13) Robespierre avait composé ce discours dans l'intention de
le prononcer à la tribune de la Constituante. Il ne parviendra à en
utiliser des extraits devant cette Assemblée qu'au cours de la .séance
du 22 août 1791.
283. — SEANCE DU 10 MAI 1791
Sur le droit de pétition (suite)
1 re intervention :
Le 10 mai, l'Assemblée reprend la discussion du projet du comité
de constitution sur les droits de pétition et d'affiche. Après l'abbé
Grégoire, qui proteste énergiquement contre l'attribution de ce
droit aux seuls citoyens actifs, Briois de Beaumez considérant qu il
s*agit d'un droit individuel, et sans tenir compte de la distinction
entre citoyens actifs et passifs, propose de substituer aux T premiers
articles du comité, un article unique :
« Le droit de pétition est individuel et ne peut se déléguer ; en
conséquence, il ne pourra être exercé en nom collectif par les corps
électoraux, judiciaires, administratifs ou municipaux, ni par les
communes ou sections de communes, ni enfin par les sociétés de
citoyens. Tout pétitionnaire signera sa pétition et s'il ne le peut ou
ne le sait, il en sera fait mention. ►>
Le Chapelier, rapporteur, se rallie à cette 'rédaction. Buzot sou-
tient au contraire les pétitions collectives. Robespierre, replaçant
la discussion sur son véritable terrain, demande qu'il soit déclaré
que le droit de pétition appartient à tout citoyen sans distinction.
11 est fréquemment interrompu.
Après une discussion violente, l'article présenté par Briois de
Beaumez fut adopté, avec un amendement de Regnaïud de Saint
Jean d'Angélv : « Le droit de pétition appartient à tout individu... »
CD-
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXV, p. 352.
a M. Robespierre. Je demande qu'au lieu de dire qu'il sera accor-
dé aux citoyens actifs seuls le droit de pétition; et qu'au lieu de se
contenter de dire que le droit de pétition est un droit individuel, ce qui,
d'après les principes qui ont été exposés par le Comité de constitution,
pourroit être censé ne s'appliquer qu'aux citoyens actifs; je demande
qu'il soit dit formellement que le droit de pétition est un droit appar-
tenant à tous les citoyens sans exception (Applaudi) » (2).
[Interventions de Moreau et de Le Chapelier.]
(1) C'est une importante, mais pénible victoire comme Je débat
le montre. (Cf. . E. Hamel, I, 433). L'abbé Maury se rangea à l'avis
de Robespierre.
(2) On remarquera qu'il s'agit encore des conditions de cens.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 335
« Ai. Robespierre. Il résulte de ce que vient de dire M, le Cha-
pelier, qu'il n'est pas d'accord avec l'éclaircissement que j'ai proposé.
Il en résulte qu'il ne convient pas que tout citoyen sans distinction
puisse exercer également le droit de pétition. Il ne peut donc pas nous
dire que dans la rédaction proposée, il ait renfermé l'opinion de ceux
qui prétendent que le droit de pétition ne peut être refusé à personne.
Ce n'est pas ainsi qu on décide des droits les plus sacrés des citoyens,
et que l'on élude les réclamations les plus importantes et les plus légi-
times. Le droit de pétition qui, comme M. le Chapelier vient d'en con-
venir, n'est pas un droit politique...
« M. le Chapelier. Je n'en conviens pas.
« M. Robespierre. Le droit de pétition n'est autre chose que la
faculté accordée à un homme, quel qu'il soit, d'émettre son voeu, de
demander ce qui lui paroit plus convenable, soit à son intérêt particu-
lier, soit à l'intérêt général. Il est évident qu'il n'y a point là de droits
politiques, parce qu'en adressant une pétition, en émettant un vœu, son
désir particulier, on ne fait aucun acte d'autorité, on exprime à celui
qui a l'autorité en main ce que l'on désire qu'il vous accorde.
« Remarquez, messieurs, que l'exercice du droit de pétition sup-
pose, au contraire, dans celui qui l'exerce, l'absence de toute autorité;
il suppose l'infériorité et la dépendance; car celui qui a quelque auto-
rité, celui qui a quelque pouvoir, ordonne et exécute; celui qui n'a pas
de pouvoir, et celui qui est dépendant, désire, demande, adresse ses
vœux, adresse des pétitions. (Applaudi). Je demande si cette faculté
ainsi définie peut être contestée par qui que ce soit. Je dis plus : je dis
que c'est le libre exercice de cette liberté. (Murmures au centre). Je
demande à M. le Président, une fois pour toute, qu'il ne souffre pas
que l'on m'insulte précisément parce que je réclame les droits du peuple.
(Vifs applaudissemens à gauche; au centre: murmures).
« M. le Président (3). Je demande, moi, à l'opinant s'il trouve
que je ne mette point assez de soin pour lui conserver la parole.
« Une voix à gauche. Non.
« Ai. le Président. Je prie celui qui vient de me dire non de me
dire en quoi j'ai manqué à mon devoir.
« M. de la Borde. En ce que M. Robespierre a été interrompu
deux fois, et que vous n'avez pas mis le même soin à lui protéger le
silence qu'à certains autres. (Applaudissemens à gauche).
« M. le Président. Monsieur, si vous aviez suivi la délibération,
vous auriez vu que pendant tout le temps que l'opinant a parlé, je n'ai
cessé de me servir de la sonnette et de mes pouïmons pour lui obtenir
du silence; que j'ai rappelle plusieurs personnes, et notamment MM. le
Chapellier, Regnault, Beaumets, à l'ordre, qu'ainsi votre inculpation
est absolument mal placée. (Applaudissemens au centre).
(3) C'est d'André qui préside la séance.
336 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« M. Robespierre. Plus on est pauvre, plus on a besoin de l'auto-
rité protectrice; ainsi, loin de diminuer cette faculté, pour la cause des
citoyens les plus pauvres, c'est au contraire à ces citoyens-là que le légis-
lateur doit la garantir de la manière la plus authentique et la plus éten-
due : je dis que tous ces termes obscurs, que l'on insinue pour faire dé-
créter que les citoyens les plus pauvres, les plus foibles, ne peuvent
point jouir de ce droit dans une égale étendue... (Murmures).
« M. le Président. Messieurs, je vous prie de ne pas interrompre
M. Robespierre. (On rit).
« M. Robespierre. Je dis que toutes ces distinctions, que l'on éta-
blit par cette législation nouvelle sont injurieuses à l'humanité. Je dis
que l'assemblée rende un décret qui n'élude pas l'explication que je
demande, un décret qui ne semble point craindre de déclarer les droits
les plus sacrés de l'humanité, et assez clair, pour prévenir toute équi-
voque, et pour repousser les principes exposés hier, et souvent par le
comité de constitution, principes qui pourroient donner lieu de dire que
l'esprit du décret a été de ne donner toute l'étendue de ce droit qu'aux
citoyens actifs. Je dis que si les principes que je viens de développer
sont vrais, on ne peut pas refuser de mettre expressément dans le décret
que le droit de pétition appartient également à tout citoyen, sans aucune
distinction, et j'y conclus. (Applaudi) » (4).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 132, p. 542.
« M. Roberspierre . Je demande que le droit contesté hier aux
citoyens appelés non actifs, soit déclaré formellement, et qu'au lieu de
dire le droit de pétition est un droit individuel, on dise qu'il appartient
à tout citoyen sans distinction. (On entend des murmures dans le milieu
de la salle; quelques applaudissements dans l'extrémité gauche).
« M. Roberspierre. Il résulte de ce que M. Le Chapelier vient de
dire, qu'il ne convient pas que tout citoyen sans distinction puisse
exercer le droit de pétition. Il ne peut donc pas dire que sa rédaction
concilie toutes les opinions.
« Il faut ou que M. Le Chapelier nous accorde la rédaction que
nous demandons, et qui tend à déclarer le droit le plus sacré de l'hom-
me ou qu'il combatte la demande que nous formons; en un mof, il est
impossible qu'on tranche une question de cette importance d'une manière
aussi brusque. (Les tribunes applaudissent). J'insiste donc pour obtenu la
permission de prouver que l'article doit être rédigé de manière que le
droit de pétition soit formellement reconnu appartenir à tous les citoyens
sans distinction. La pétition, la demande, la requête, la plainte, voilà
(4) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXV, 690, jusqu'à
« ce n'est pas un droit politique ». Selon leur procédé ordinaire,
les rédacteurs de cette publication amalgament 1rs textes de Lrt}
Hodey et du Moniteur.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 33?
bien quatre mots; mais M. Le Chapelier, ni personne, ne nous a prouvé
la distinction qui existe entre eux; et encore moins que l'un doive être
appliqué aux seuls citoyens actifs, et les autres aux citoyens non actifs.
Est-ce ainsi que l'on élude les réclamations des membres de cette
assemblée ? Je dis que le Comité de constitution n'a pas le droit de
faire échouer en quelque sorte les délibérations de l'Assemblée, en
disant d'abord que l'article qu'on propose renferme notre vœu, et en-
suite que cependant on est d'un avis contraire (5). {On demande à aller
aux Voix). Je prie qu'on veuille bien m'écouter jusqu'au bout. Si le droit
de pétition, comme M. Le Chapelier vient de l'avouer, n'est pas un
droit politique...
« M. Le Chapelier. Ne me faites pas dire une absurdité.
« M. Roberspierre. Je dis que bien loin que le droit de pétition
soit un droit collectif .. (M. Le Chapelier interrompt. M. Le Prési-
dent le rappelle à l'ordre). 11 est évident que le droit de pétition n'est
autre chose que le droit d'émettre son vœu; que ce n'est donc pas un
droit politique; mais le droit de tout être pensant. Bien loin d'être,
comme on vous l'a dit, l'exercice de la souveraineté, de devoir être
exclusivement attribué aux citoyens actifs, le droit de pétition au
contraire suppose l'absence de l'activité, l'infériorité, la dépendance.
Celui qui a l'autorité en main ordonne; celui qui est dans l'inactivité,
dans la dépendance adresse des vœux. La pétition n'est donc point
l'exercice d'un droit politique, c'est l'acte de tout homme qui a des
besoins. (Les tribunes applaudissent). Or, je demande si cette faculté
peut être contestée à qui que ce soit... (6). (On entend quelques ru-
meurs. M. Martineau observe que la discussion est fermée). Je demande
à M. Le Président une fois pour toutes, que l'on ne m'insulte pas
continuellement autour de moi, lorsque je défends les droits les plus
sacrés des citoyens.
« M. Le Président. Je demande si je ne préside pas bien, et
si je ne fais pas tous mes efforts...
« Une voix à gauche. Non.
« M. Le Président. Je demande que la personne qui a dit non
se nomme, et prouve.
« M. Lahorde. J'ai dit non, parce que je m'aperçois que vous
ne mettez pas le même soin à obtenir du silence pour M. Roberspierre
que vous en mettiez lorsque MM. Beaumetz et Chapelier ont parlé.
« M. Le Président. On doit se rappeler que pendant tout le tems
que M. Roberspierre a parlé, je n'ai cessé de faire aller ma sonnette,
et de fatiguer mes poumons; j'ai rappelé à l'ordre nominativement
M. Le Chapelier qui l'interrompait.
(;>) Pas&age reproduit dans les Ai/ch. pari., XXV, 690, depuis
I I! résulte de ce que... ».
(6) Passage reproduit dans les Arch. pari., XXV, 690, depuis
« Il est évident... ».
338 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« M. Roberspierre . Le droit de pétition doit surtout être assuré
dans toute son intégrité à la classe des citoyens la plus pauvre et la plus
faible. Plus on est faible, plus on a besoin de l'autorité protectrice des
mandataires du peuple . Ainsi, loin de diminuer l'exercice de cette
faculté pour l'homme indigent, en y mettant des entraves, il faudrait le
faciliter, et Ton veut au contraire, sous le prétexte de droit politique,
le priver entièrement. (On murmure).
« M. Le Président. Ecoutez ÏV1. Roberspierre avec le plus grand
silence.
« M. Martineau. Mais la discussion est fermée.
« M. Le Président. N'interrompez pas l'opinant.
« M. Roberspierre. Je vous assure que s'il était question ici de
soutenir une opinion qui pût m'être favorable, je me garderais bien
d'affronter tant de contradictions; mais je soutiens les droits d'un grand
nombre de mes commettans. Je dis que toutes les distinctions qu'on
vous a faites entre le droit de pétition, le droit de plainte sont inju-
rieuses à l'humanité. Il faut que le Comité de constitution s'explique,
ou plutôt qu'il ne s'explique pas : il faut que l'Assemblée fasse droit
à nos justes réclamations, qu'elle rende un décret qui n'élude point
insidieusement la question, mais qui déclare franchement et formelle-
ment les droits de l'humanité. Et puisque je ne demande autre chose
qu'une explication claire, qui ne donne lieu à aucune équivoque dange-
reuse, qui tendrait à priver un jour les citoyens inactifs de leurs droits;
puisqu'il est vrai que le droit de pétition n'est pas un droit politique,
mais le droit de l'homme; on ne peut refuser de mettre dans le décret,
que ce droit peut être exercé par tout citoyen sans distinction. C'est à
quoi je conclus » (7).
Le Lendemain, t. III, n° 135, p. 414.
(Coup d' œil sur les travaux et les événemens de la semaine.)
« M. Roberspierre n'a pas été de cet avis, on sent bien pourquoi.
Ce Vertueux et modeste orateur ne sera-t-il donc jamais président ?
Marat l'a déjà proclamé trois fois successeur de Mirabeau.
L'empire d'Occident finit par Augustule
« Il faut égayer ce récit par une scène d'un très-bon comique, et
dans laquelle M. le président a un peu joué le rôle de Maître Albert,
dans le dépit amoureux, où il s'arme de sa sonnette contre le pédant
Métaphraste (8).
« La vivacité de M. R... l'ayant emporté, des cris d'improbation
l'ont interrompu brutalement. L'orateur s'est plaint au président qu'on
(7) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 358; et Bûchez et
Houx, X, 8-12.'
(8) Albert et Métaphraste sont des personnages du « Dépit amou-
reux »>, de Molière.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 339
l'insultoit. Un membre s'est écrié ; « M. d'André ne fait pas son
devoir » Et M. d'André a réparti: « Vous savez, Messieurs, que
j'ai fait tout ce que j'ai pu pour assr.rer la parole à M. R.. N'ai-je
pas, à grand bruit, agité la sonnette ? et n'ai-je pas continuellement
rappelé à l'ordre ceux qui l'interrompoient ) »
« On a ri, applaudi, on rit encore de ce rire inextinguible dont
parle Homère, et qui est devenu si étranger en France depuis le déficit.
M. R... a repris la parole, et chaque fois que quelqu'un avoit l'air de
vouloir ouvrir la bouche ou de vouloir rire, M. le président sonnoit,
sonnailloit avec force, et disoit avec une vivacité vraiment provençale
ou plutôt gasconne: Messsieurs, messieurs, laissez parler l'opinant; eh!
mon Dieu, messieurs, n'interrompez donc pas l'opinant; parlez, parlez,
M. R., et M. R. ne pouvoit se faire entendre. Enfin, cette scène a fini,
à force de durer, comme toutes choses humaines; mais réellement le
philosophe le plus grave, ou l'aristocrate le plus dépouillé, auroient
ri de bon cœur pendant ce petit scandale constitutionnel. »
L'Ami du Roi (Royou), 1791, n° 358, p. 2.
« M. de Robespierre, que l'habitude a rendu insensible à ces
outrages, a pris en main la même cause et débité une nouvelle ampli-
fication, plus forte encore de rhétorique et de déclamations sur l'égalité
des droits de l'homme, que celle qu'il avoit composée au sujet de la
garde nationale. Comme il vouloit que tous les habitans, sans distinction
des citoyens honnêtes ou fripons, paisibles ou séditieux, fussent armés
pour le maintien des loix, il veut aussi que tous, sans égards aux talens
et aux lumières, influent sur l'administration et la confection des loix,
et portent au corps législatif le tribut de leurs extravagances, comme
celui de leurs forces au club des Jacobins.
« Aussi, les efforts, sans cesse réitérés de M. Robespierre, pour
ajouter au ridicule de l'égalité spéculative établie dans les droits de
l'homme, les dangers de la pratique dans l'administration, ces efforts
ont-ils excité de nouveaux troubles. M. de Robespierre a voulu rendre
le président (M. d'André) responsable des désagrémens qu'il éprou-
voit : mais le président s'est excusé sur ce qu'il avoit trouvé tout établi,
l'usage de siffler ce qui paroissoit mériter de l'être. Il a prétendu que
les risées étoient des mouvemens involontaires, qu'il n'étoit pas en son
pouvoir de réprimer dans les autres; il a pris toute l'assemblée à témoin,
que la sonnette et ses ordres étoient impuissans, et que M. de Robes-
pierre avoit plus de talens pour exciter le rire, que lui de moyens pour
commander le silence et le respect.
« Les rieurs étoient d'autant plus acharnés qu'ils s'appercevoient
que le Don Quichotte de la populace s'escrimoit contre un moulin à
vent. En effet, dans l'origine, il est vrai, le comité n'accordoit le droit
de pétition qu'aux seuls citoyens actifs; mais, depuis long-tems, il avoit
340 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
consenti qu'à ces mots, citoyen actif, on substituât ceux-ci tout individu.
Mais M. Robespierre qui n'avoit pas prévu ce mauvais tour, avoit
composé son amplification, d'après le premier projet, et n'a pas voulu
la perdre. Cependant, M. Regnault ne vouloit pas non plus l'essuyer
toute entière; et, pour mettre fin à cette scène plus scandaleuse que
comique, il a demandé la lecture de l'article, promettant que M. Robes-
pierre y trouveroit tout ce qu'il désiroit; en effet, voici comme il étoit
conçu, et a été décrété.
(( Le droit de pétition appartient à tout individu et ne peut se délé-
guer. ))
Journal général de France, n° 131, p. 521.
« La vivacité qui caractérise M. Robertspierre l'a accompagné
à la Tribune, et a beaucoup animé son opinion, d'après laquelle le
droit de Pétition appartient à chaque individu sans exception.
« Des cris, des murmures, des signes d'improbation ont interrompu
l'Orateur, qui s'est plaint à M. le Président de ce qu'il n'empêchoit
pas que des personnes qui l'entouroient l'insultasssent.
« Alors un Membre a crié à haute voix, que M. !e Président ne
faisoit pas son devoir.
« M. d'André a prié la personne qui venoit de parler, de lui
indiquer en quoi il avoit manqué en exerçant ses fonctions.
« Vous souffrez, s'est écrié M. de Laborde, en se levant, que
M. Robertspierre soit sans cesse interrompu.
« Je demande à l'Assemblée, a réparti M. le Président, si je n'ai
pas fait tout ce qui est en mon pouvoir pour assurer la parole à M. Ro-
bertspierre; si je n'ai pas continuellement agité la sonnette; si je n'ai
pas continuellement rappelle à l'ordre ceux qui l'interrompoient ?
« On a ri, on a applaudi; M. Robertspierre a repris la parole, et
chaque fois que quelqu'un avoit l'air de vouloir ouvrir la bouche, ou de
vouloir rire, M. le Président sonnoit avec force, et disoit avec autant
de vivacité que d'énergie: Messieurs, laissez parler l'Opinant; et!
mon Dieu, Messieurs, n'interrompez donc pas l'Opinant ! Cette scène
sérieuse a fini avec le discours de M. Robertspierre, auquel MM. Re-
gnaud de Saint-Jean-d'Angely et Fréteau ont répondu. »
Courier de Provence, t. XIV, n° 290, p. 515-517.
« L'insidieux projet de décret, présenté hier au nom du comité de
constitution, avoit d'abord surpris quelques applaudissemens, et MM.
Pétion et Robespierre avoient vu leur éloquence et leur patriotisme
échouer contre l'astuce du rapporteur. Aujourd'hui ils sont revenus à la
charge avec une nouvelle force, tous les vrais patriotes se sont ralliés
autour d'eux, et leurs argumens réunis ont triomphé des sophismes
éblouissans et des faux principes du comité.
« ...Nos lecteurs verront sans doute avec intérêt le même moyen,
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 341
développé sous une autre forme, par M. Robespierre. « Eh ! Messieurs,
s'est écrié cet ardent ami de l'humanité, le droit de pétition ne devroit-
il pas être assuré d'une manière plus particulière aux citoyens non actifs ?
Plus un homme est foible et malheureux, plus il a de besoins, plus les
prières lui sont nécessaires : Et vous refuseriez d'accueillir les pétitions
qui vous seroient présentées par la classe la plus pauvre des citoyens !
Mais Dieu souffre bien les prières, Dieu accueille bien les vœux, non-
seulement des plus malheureux des hommes, mais encore des plus
coupables. Et qu'êtes-vous donc ? N'êtes-vous point les protecteurs du
pauvre ? N'êtes-vous pas les promulgateurs des lois du législateur
étemel. Oui, Messieurs, il n'y a de lois sages, de lois justes, que
celles qui sont conformes aux lois de l'humanité, de la justice, de la
nature, dictées par le législateur suprême; et si vous n'êtes pas les
promulgateurs de ces lois, si vos sentimens ne sont point conformes à
leurs principes, vous n'êtes plus les législateurs, vous êtes plutôt les
oppresseurs des peuples. »
« Que pouvoit opposer le comité à ces vérités éternelles, à ces
touchantes considérations ? Le rapporteur lui-même a été obligé d'aban-
donner les sept premiers articles de son projet, ils ont été remplacés
par un seul, qui reconnoît que le droit de pétition appartient à tous les
individus, sans distinction. »
Le Patriote François, 1791, n° 641, p. 514.
« Le projet sur le droit de pétition présenté dans cette disposition
des esprits, devoit peu rencontrer d'obstacle?. 11 a fallu déployer tou*
le zèle que MM. l'évêque Grégoire, Robespierre, Buzot et Pétion
montrent ordinairement pour vaincre la coalition redoutable qui s est
formée dans l'assemblée, pour museler le peuple en détail et peu à peu.
Non-seulement on les entendoit avec frémissement s'élever contre le
projet de décret, mais on ne vouloit pas même qu'ils se servissent du
mot propre »
Le Point du Jour, t. XXII, n° 668, p. 116-117.
« Selon M. Robespierre, la rédaction de M. Beaumetz étoit
obscure et équivoque. Pour dissiper tous les doutes sur la déclaration
nécessaire du droit qu'a tout citoyen actif ou non actif de faire une
pétition, il faut énoncer clairement, disoit-il, que ce droit est à lui,
qu'il ne peut lui être contesté. »
[Réponse de Le Chapelier.]
« M. Robespierre qui ne transige pas avec les principes, a traité
cette réponse avec le mépris qu'elle lui inspiroit, et il a demandé que
l'article énonçât de la manière la plus claire et la plus positive, le
droit de pétition en faveur de chaque citoyen actif, ou non actif. *>
342 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Journal des Mécontens, n° 73, p. 3.
« L'ordre du jour étoit la discussion du droit de pétition et la
liberté d'imprimer et d'afficher. L'abbé Grégoire a le premier porté la
parole, et après avoir provoqué les murmures universels et les applau-
dissemens de la gauche, il a été remplacé à la tribune par MM. Beau-
mets, Buzot, Robertspierre, Dubois de Crancé, etc. Il est bon de remar-
quer que le projet de décret du comité avoit par sa sagesse, effrayé les
Jacobins, qui s'assemblèrent extraordinairement mardi, et parvinrent
avec le secours du consciencieux Robertspierre, à corriger tout ce que ce
décret pouvoit avoir d'inconstitutionnel. »
Journal de Normandie, n° 131, p. 633.
« M. Robertspierre. Le comité paroit avoir adopté la rédaction
de M. Beaumetz; mais remarquez, MM., qu'elle présente entièrement
les mêmes inconvénients. Elle ne s'exprime point, à la vérité, d'une
manière aussi précise sur le sort du citoyen inactif, elle est plus entor-
tillée; mais elle ne paroît pas moins l'exclure du droit de pétition. Si
l'intention de M. Beaumetz et du comité n'est point telle, i! faut l'énon-
cer clairement et dire qu'indistinctement tout individu aura le droit de
pétition. »
L'Ami du Peuple (Marat), n° 458, p. 3.
« Outrages faits au fidèle Robespierre par les traîtres
à la patrie qui mènent l'assemblée nationale. »
« Leur parti étoit pris. Croira-t-on que leur fureur a éclaté lorsque
Robespierre, le digne Robespierre s'est élevé contre cet affreux projet?
Croira-t-on que de violens murmures sont partis à la fois de tous les
coins de la salle, aujourd'hui remplie de suppôts ministé-
riels 7 Croira-t-on que des insultes et des menaces se sont
fait entendre à ses côtés ? Croira-t-on qu'il a été réduit à requérir
le président d'interposer son autorité, et à demander protection ?
Croira-t-on qu'il n'a pas pu articuler deux mots de suite sans être
scandaleusement interrompu ? O François ! voilà de quelle manière sont
traités par les traîtres à la patrie qui mènent le sénat, les seuls repré-
sentans fidèles qui vous restent ! vLa nation apprendra-t-elle de sang-
froid ces outrages ? Laissera-t-elle à la postérité le soin de les venger ?
Prêter a-t-e lie à rire à ses voisins en leur offrant le spectacle ridicule
d'un peuple immense qui a la présomption de vouloir être libre, et qui
abandonne lâchement ses défenseurs ? Après les outrages qu'a eu à
dévorer tant de fois l'incorruptible Robespierre en défendant les droits
du peuple, contre l'assemblée presqu'entièrement prostituée à Louis
XVI, et le peu d'influence qu'il a eu sur la plupart des décrets passés
contre ses réclamations, se peut-il qu'il y ait un seul patriote judicieux
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 343
qui n'ait pour les travaux des pères conscrits le juste mépris qu'ils méri-
tent ? Qu'on vienne nous vanter la constitution, comme un monument
de justice, de liberté, de sagesse ! à quelques articles près, elle n'est
qu'une œuvre d'astuce, de bassesse, de servitude, de vénalité et de
perfidie. »
La Feuille du Jour, t. IV, n° 137, p. 388.
« En France, il [le droit de pétition} ne signifie que le droit de
requête, de plainte, ou même de doléance, mot affreux qui crispe les
fibres républicaines de M. Robespierre.
« ...Les débats de cette séance ont causé de grandes agitations
à M. Robespierre. Son popularisme hyperbolique a chicané toutes les
dispositions du projet, comme indifférentes pour la glofre et la félicité
du grand nombre...
« Patience ! M. Robespierre sera président. M. Marat l'a déjà
proclamé trois fois, successeur de Mirabeau. »
Le Creuset, t. II, n° 39, p. 258.
u Le patriote Robespierre a fortement appuyé cette opinion; et
aussi-tôt il s'est vu indécemment en proie aux murmures injurieux de
la majeure partie du manège : mais en même temps vivement applaudi
par les citoyens qui remplissoient les tribunes. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Spectateur national,
11 mai 1791, p. 691 ; L'Ami du Roi (Mont joie) , 11 mai 1791, p. 522;
La Chronique de Paris, n° 131, p. 524; Le Journal universel, t. XI,
p. 6076; La Correspondance nationale, n° 26, p. 123; Le Journal des
Débats, t. XX, n° 716, p. 5; Le Courrier des LXXXIII départemens,
t. XXIV, n° 11, p. 174; Le Courier français, t. XI, n° 131, p. 75;
La Bouche de Fer, n° 54, p. 252; Le Courrier extraordinaire, 11 mai
1791, p. 3; L'Ami du Peuple (Marat), n° 455, p. 4; Le Journal des
Décrets de l'Assemblée nationale, 10 mai 1791, p. 212 et 215; Le
Mercure de France, 21 mai 1791, p. 495; Le Journal général, n° 100,
p. 400; Le Législateur français, t. II, 11 imai 1791, p. 4; Le Lende-
main, n° 131, p. 378; Le Journal du Soir (des Frères Chaignieau),
t. II, n° 306, p. 2.]
2e intervention
'L'Assemblée adopte rapidement l'article 8 du projet sur le
droit de pétition, qui devient l'article 2 du décret : « Les
citoyens qui voudront exercer le droit de pétition déclaré
ci- dessus ne pourront se former en assemblée de commune
par communauté entière ou par sections. Les assemblées de commune
ne peuvent être ordonnées, provoquées et autorisées, que pour les
objets d'administration purement municipale, qui regardent les
344 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
intérêts propres de la commune. Toutes convocations et délibéra-
tions des communes et des sections sur d'autres objets sont nulles
et inconstitutionnelles. « iLe Chapelier donne alors lecture de l'article
Si du projet, qui devient l'article 3 du décret :
« Dans la ville de Paris comme dans toutes .les autres villes et
municipalités du royaume, les citoyens actifs qui, en se conformant
aux règles prescrites par les lois, demanderont le rassemblement
de la commune ou de leur section, seront tenus de former leur
demande par un écrit signé d'eux, et dans lequel sera déterminé
<l'une manière précise l'objet d'intérêt municipal qu'ils veulent sou-
mettre à la délibération de la commune ou de leur section, et, à
défaut de cet écrit, le corps municipal ou le président d'une section
ne pourront convoquer la section ou la commune. » .
■Robespierre s'éleva contre ces dispositions, et demanda, appuyé
par Buzot, que l'article soit rejeté par la question préalable.
L'Assemblée décida qu'il y avait lieu à délibérer, et adopta
littéralement l'art. 3.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 132, p. 543.
« M. Roberspierre . Je vois par cet article qu'on rend les officiers
municipaux juges absolus et arbitraires des assemblées de commune; on
leur donne le droit d'éluder sous les moindres prétextes les demandes
des citoyens. Non seulement on met des entraves aux convocations des
communes, mais à l'émission même du vœu des citoyens. On donne
aux municipalités la faculté de rejeter les plus justes réclamations par
une fin de non-recevoir ; car elles pourront toujours dire: cet objet
n'est pas l'objet précis de la convocation. C'est ainsi qu'on parvient à
anéantir insensiblement les droits des Citoyens, à leur ôter toute in-
fluence, à les mettre dans la dépendance de leurs délégués, et sous le
despotisme des municipalités (murmures). Les objections banales qu'on
fait contre ces raisonnemens, sont le désordre, l'anarchie. Eh bien!
aurez- vous jamais autre chose que le désordre et l'anarchie si vous éta-
blissez les formes despotique? qu'on vous propose ? D'un côté oppres-
sion, de l'autre indignation des citoyens, lutte perpétuelle entre les
mandataires et le peuple; voilà ce qui résultera de cet ordre de choses.
Lorsqu'au contraire, les citoyens, ont le droit de faire des représea-
tations, d'éclairer leurs représentant, alors l'ordre se soutient sur les
bases de la justice et de la confiance. Je conclus à ce que l'article
du Comité tendant à donner aux officiers municipaux le pouvoir d'élu-
der les réclamations des communes, soit rejeté par la question préa-
lable. On demande à aller aux voix sur l'article » (9).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXV, p. ^57.
« M. Robespierre. Je ne vois aucun avantage dans cet article :
j'y vois un prétexte toujours donné aux officiers municipaux de contester
aux citoyens l'énonciation plus ou moins précise de l'objet de leur ras-
(9) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 361 ; et Bûchez et
Roux, X, 14-15.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 345
semblement; ils la saisiront d'autant plus avidement qu'ils y seront inté-
ressés, puisque l'administration municipale sera seule l'objet de ces
assemblées : de là le despotisme municipal. D'après l'article suivant,
on ne pourrait même délibérer sur les accessoires de l'objet principal,
sans lesquels il seroit souvent impossible de prendre une délibération
complète. Et ici, Messieurs, il y a une observation très essentielle à
faire; c'est que si quelque chose peut causer des désordres c'est d'ôter
aux citoyens la faculté de pourvoir d'une manière paisible et constitu-
tionnelle à ce que peut exiger l'intérêt du public; car si les moyens
faciles ne leur sont point offerts, alors les abus de l'administration
croissant toujours d'une part, de l'autre les citoyens trouvant des obstacles
dans la disposition même des administrateurs leur indignation croîtra
aussi; et voilà la source du désordre et de l'anarchie; voilà la lutte
perpétuelle des délégués contre les commettans. Au contraire, que la
loi ouvre toujours aux citoyens libres et lésés une voie d'éclairer l'admi-
nistration, et l'ordre se soutiendra sur la base immuable de la justice et
de la raison Je conclus de là qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur cet
article » (10).
Le Point du Jour, t. XXII, n° 668, p. 120.
« M. Robespierre a soutenu que cet article tendoit à paralyser
les assemblées convoquées en vertu de la loi, et à affaiblir le droit
des citoyens pour amener le despotisme municipal, et laisser impunies
les fautes des Administrateurs : « Ce sont, disoit-il, des moyens faciles
d'empêcher les abus, qu'on enlève aux citoyens; ils trouveront des obsta-
cles dans l'esprit des administrateurs pour opérer le bien, et des obsta-
cles dans !a loi pour arrêter les désordres des administrateurs. C'est de
là que peut naître l'anarchie. Il n'y a d'autres moyens pour conserver
l'ordre, la paix et la liberté, que de rejetter cet article, et je demande
la question préalable. On demande d'aller aux voix. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal des Débats,
t. XX, n° 716, p. 5.]
•(10) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXV, 694, en même
temps qu'un passage du Moniteur, depuis: « Je vois... jusqu'à...
municipalités ».
284. — SEANCE DU 10 MAI 1791 (soir)
Sur la pétition des religieuses de Sainte -Claire d'Auxonne
L'Assemblée avait fixé dans sa séance du 21 septembre 1790 (1)
le traitement à allouer aux religieuses. Celles de Sainte-Clan •••-
(1) Cf. Discours..., V partie, p. 544.
346 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
d'Auxonne (2) lui adressent une pétition dans laquelle elles se plai-
gnent de l'oubli dans lequel .on les laisse. Huit mois se sont écoulés
sans que leur pension ait encore été payée.
Robespierre intervient en leur faveur et propose le renvoi de la
pétition aux comités. Mais Regnaud fait remarquer que l'affaire
est du ressort du pouvoir exécutif.
L'Assemblée se rangea à ce dernier avis et décida de renvoyer
H pétition au ministre des contributions.
Journal général de France, 12 mai 1791, p. 525.
« M. Robertspierre s'est fortement élevé contre cette coupable
négligence dans l'acquittement d'une dette si sacrée, et il a fait obser-
ver que de pareilles réclamations arrivoient de tous les départemer.s.
II a demandé qu'on prît à ce sujet les mesures les plus promptes et les
plus efficaces; et il a conclu à ce qu'on renvoyât la Pétition des Reli-
gieuses d'Auxonne aux comités ecclésiastique et des finances
réunis. »
Le Spectateur national, 12 mai 1791, p. 699.
« Après cette adresse, on en a lu une des religieuses de Sainte-
Claire d'Auxonne, qui a été présentée par M. Robespierre. Ces bonnes
soeurs supplient l'assemblée nationale de donner des ordres pour qu'à
l'avenir on leur paie avec plus d'exactitude qu'on ne l'a fait jusqu'à
ce jour, le modique traitement que leur assurent les décrets. Cette
affaire a été renvoyée au pouvoir exécutif. »
Mercure universel, t. III, p. 190.
a Les religieuses d'Auxerre (3) se plaignent de ce qu'elles ne
sont point payées du traitement qui leur a été fixé... M. Robespierre
observe que les mêmes réclamations arrivent en foule de tous les dépar-
temens, et qu'il est nécessaire de prendre des mesures aussi promptes
qu'efficaces, pour arrêter cette négligence dans l'acquittement d'une
dette aussi sacrée. »
(2) Auxonne, chef-lieu de canton de la Côte-d'Or, sur la Saône,
à 30 km de Dijon.
(3) Le Mercure universel confond à deux reprises Auxonne avec
Auxerre.
285. — SEANCE DU 12 MAI 1791
Sur la condition des hommes de couleur libres (1)
Le 7 mai, l'Assemblée entend un rapport présenté, au nom du
comité des colonies, par Delattre, négociant à Abbeville, député
du tiers état de la sénéchaussée de Ponthieu, sur la condition poli-
<1) Cf. ci-dessius, séances des 31 mars et 5 avril 1791 ; et E. Ha-
mel, I, 436.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 347
tique des hommes libres de couleur (2). Le rapporteur présente un
projet dont l'art. 1 a pour objet de décréter constitutionnellement
qu'aucune loi sur la condition des personnes et le régime intérieur
des colonies ne pourra être rendue que sur Ja demande formelle
des assemblées coloniales (3). En conséquence de ce principe, la
suite du projet prévoit la formation d'une assemblée générale de
toutes les colonies, chargée de rédiger des lois pour l'amélioration
de la condition des hommes de couleur libres.
Un débat d'une grande ampleur s'instaure aussitôt. Les députés
du côté gauche, l'abbé Grégoire le premier, font remarquer qu'il
s'agit en fait d'anéantir pour les hommes de couleur libres, les prin-
cipes de la Déclaration des droits de l'homme, afin de les livrer
à l'oppression des colons blancs {4)- La discussion se poursuit le
11, puis le 12 mai. Lanjuinais d'abord prend la défense des hommes
de couleur. Robespierre intervient à son tour et demande le rejet
du projet.
Après un débat houleux, l'Assemblée décida, par appel nomi-
nal, qu'il y avait lieu à délibérer sur le projet de décret de son
comité.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXV, p. 427.
« M. Robespierre. I! faut bien observer que la question n'est pas
de savoir si vous accorderez les droits politiques aux hommes de cou-
leur, mais si vous les leur laisserez; car ils les avoient avant vos décrets
(murmures) ; et les hommes de couleur étant alors égaux en droits aux
hommes blancs, il s'en suit que la révolution les a élevés, par la nature
même des choses, au même rang que les hommes blancs, c'est-à-dire
aux droits politiques. Vos décrets précédens les leur ont-ils ôtés ? Non.
Car vous vous rappeliez très bien que vous en avez rendu un qui donne
les droits de citoyen actif à toutes personnes propriétaires dans les colo-
nies, et payant la contribution. Or, les gens de couleur libres v sont
compris. Vous remarquerez encore que, depuis, aucun décret n'a dérogé
à celui-là; que ce considérant dont on a voulu former une déclaration
contre ce qui avoit été décrété, n'étoit point une loi formelle : mais
ce considérant ne dit rien de ce qu'on prétend lui faire dire; il accorde
l'initiative aux colonies ,et par conséquent aux citoyens des colonies.
Or, comme les citoyens libres de couleur avoient les même? droits
(2) On considérait aux colonies, trois catégories d'habitants; les
colons blancs, les colons mulâtres, et les esclaves. Il s'agit, dans le
projet de Delattre uniquement du second groupe, ,1e cas des esclaves
n'est pas soulevé. (iCf. G. Hardy. Robespierre et la question noire,
Ann. rév., 1920, p. 357-382).
(3) D'après le décret du 8 ma*s 1790, les Assemblées coloniales
devaient être composées des propriétaires âgés de 25 ans, résidant
depuis 2 ans au moins dans la colonie.
(4) Grégoire appartenait à la Société des Amis des Noirs. Mau-
petit dans sa Correspondance publiée par E. Queruau-Lamerie
(Bulletin de la Commission historique de la Mayenne, t. XXII,
p l.")8) cite également Robespierre à la suite de Grégoire parmi
les membres de celte »Société.
348 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
antérieurement à ce considérant, et même en vertu des décrets précé-
dens, il est évident qu'ils doivent partager l'initiative avec les colons
blancs auxquels ces colons étoient égaux en droits. Ainsi vos décrets
postérieurs n'ont point dérogé aux premiers.
« Vous perdez vos colonies, vous dit-on, si vous ne dépouillez point
les citoyens libres de couleur, des droits politiques.
« Plusieurs Voix. Ce n'est pas ça.
« M. Robespierre. Si ce ne sont pas les expressions, au moins
c'est le sens.
« Pourquoi perdriez-vous vos colonies ? c'est parce qu'une partie
des citoyens des colonies, que l'on appelle les blancs, veulent obtenir
exclusivement ces droits poux eux-mêmes et qu'ils vous disent, par
l'organe de ceux qui vous présentent le projet des comités : si vous
ne nous attribuez exclusivement les droits politiques, nous serons mécon-
tens; votre décret portera le mécontentement et le trouble dans ces
colonies, il peut avoir des suites funestes. Je demande d'abord à l'as-
semblée nationale s'il est bien de la politique du législateur de faire
des transactions de cette espèce, avec l'intérêt personnel, avec les pas-
sions, avec l'orgueil d'une classe de citoyens; je demande s'il est bien
politique de céder ainsi à des menaces, pour trafiquer du droit des
hommes et des droits les plus sacrés de la justice et de l'humanité.
(Applaudi). Ensuite, messieurs, il me semble que cette objection mena-
çante est bien foible, puisqu'il est évident qu'elle peut être rétorquée
contre ceux qui la font. En effet, si les blancs vous font cette objection
d'un côté, les hommes de couleur de l'autre ne peuvent-ils pas nous
en faire une semblable ? Or, je crois que la libre indignation des hom-
mes libres, que le courage avec lequel ils défendront leur liberté, n'est
ni moins puissant ni moins redoutable que le ressentiment de l'orgueil
de ceux qui n'ont point obtenu les injustes avantages auxquels ils aspi-
raient (Applaudi) (5).
« Ainsi, sous ce premier rapport, de l'un et de l'autre côté, le
danger est égal, et j'ajouterai une observation que nous devons à M. Bar-
nave et qui rend le danger moins grand du côté des blancs; c'est
que suivant lui les hommes les plus riches des colonies, les blancs les
plus distingués font des vœux pour la cause des gens de couleur.
« Mais sur quoi se fonde le parti des blancs qui veulent dépouiller
leurs concitoyens de leurs droits ? Quel est donc le motif de cette
extrême répugnance ? Cela diminuera, disent-ils, le respect des noirs à
l'égard des blancs qui ne peuvent Jes conduire que par la terreur. Aux
raisons victorieuses qui ont été données contre cette objection, j'ajoute
que la conservation des droits politiques que vous prononcez en faveur
des gens de couleur ne feroit que fortifier la puissance des maîtres sur
>(ô) Il arriva en effet, en août 1791, qu'après l'insurrection des
esclaves à -Saint-Domingue, les mulâtres combattirent; les blancs dans
certaines régions, en même temps que les esclaves rebelles.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 349
les esclaves, puisque si vous donnez à tous les citoyens de couleur pro-
priétaires et maîtres le même intérêt, si vous n'en faites qu'un seul parti
ayant le même intérêt à maintenir les noirs dans la subordination, il est
évident, dis-je, que la subordination sera cimentée d'une manière encore
plus ferme dans les colonies, au lieu que si vous faites une scission entre
les blancs et les hommes de couleur, vous rapprochez naturellement
tous les hommes de couleur, qui n'auront pas les mêmes droits ni les
mêmes intérêts à défendre que les blancs; vous les rapprochez dis-je
de la classe des nègres; et alors, s'il y avoit quelqu' insurrection à crain-
dre de la part des esclaves contre les maîtres, il est évident qu'elle
seroit bien plus redoutable, étant soutenue par des hommes libres de cou-
leur qui n'auront pas le même intérêt à 'la maintenir. Vous voyez donc,
messieurs, à quoi se réduit toutes ces arguties prodiguées par une partie
des colons blancs pour obtenir le droit de dominer dans !es colonies.
« Vous voyez que ces objections sont évidemment contraires à l'in-
térêt bien entendu non seulement des colonies, mais à celui de la classe
des blancs. Vous voyez que c'est leur système sur lequel est établi
le renversement de la paix publique et la destruction des colonies.
« Voyons maintenant s'il est vrai que l'article du comité ne tend
pas à dépouiller les gens de couleur. Que vous a-t-on dit ? On vous a
dit que ce ne seroit qu'une espèce d'ajournement, que ce seroit un
mode différent mais beaucoup plus certain, plus sage que vous adopte-
riez pour assurer aux hommes libres de couleur la justice qui leur est
due. Eh ! quel est-il ce mode si favorable, il consiste à nommer un
congrès (murmures).
« M. Grégoire. Il semble qu'il y ait une conjuration pour empêcher
les défenseurs de la justice et de l'humanité d'être entendus.
« M. Démeunier. Nous demandons qu'on entende M. Rob-^spieire
« M. Robespierre. Mais de qui ce congrès seroit-il composé ?
de blancs; et ce seront les blancs qui demanderont que les hommes
de couleur ne jouissent point de ces droits. Alors, messieurs, ce seroit
renvoyer les hommes de couleur à leurs adversaires pour obtenir les
droits qu'ils réclament, et qu'ils prétendent qu'on ne peut pas leur
ôter. Ainsi, messieurs, lorsque !a question s'éleva pour la première fois
en France, pour savoir si ce qu'on appel loit le tiers-état devc.t avoir
une représentation égale à celle des deux autres ordre?, ce n'auroit
pas été une méthode maladroite d'assembler dans une des villes de
France un congrès composé moitié d'ecclésiastiques et moitié de nobles,
pour proposer au gouvernement leur avis sur cette question. Que l'on
me montre une véritable différence entre ce cas et le décret qne vous
demande le comité colonial, et je consens à adopter ce décret. Mais
si la comparaison est exacte, si Je cas est parfaitement le même, je
demande que l'on ne compromette pas les intérêts les plus chers de
l'humanité, les droits sacrés d'une portion intéressante de nos conci-
toyens, à une classe d'hommes qui ne parle devant vous que pour
350 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
obtenir le droit de dominer sur eux, et de les opprimer impunément.
Ce n'est pas que le comité colonial n'ait cherché à vous rassurer contre
cette injustice trop révoltante, et M. Barnave vous a dit que les gens
de couleur ne couroient aucun risque à ce que cette mesure fût adoptée;
mais, messieurs, remarquez combien cette objection est contradictoire
avec les raisons alléguées par leurs adversaires : ils vous font presque
envisager comme une chose certaine, que îa proposition des blancs
sera favorable aux gens de couleur; et ce sont les mêmes hommes qui,
pour vous épouvanter, vous ont dit que, si vous prononciez en fa\eur
des gens de couleur, vous mécontenteriez tellement les blancs, vous
jetteriez un tel désordre dans nos colonies, que c'en étoit fait de nos
colonies et de notre commerce. Non, messieurs, lorsqu'on est guidé,
je ne dis pas seulement par la justice, mais par la saine politique, on ne
raisonne point d'une manière contradictoire. C'est vouloir ôter à l'assem-
blée nationale son caractère de popularité (à droite : ah ! ah !) son carac-
tère protecteur des droits de l'homme, qui est la première base de sa
puissance; et je demande à présent si la saine politique, la seule qui
convienne à l'assemblée nationale, n'est point d'accord avec la justice
et la raison pour assurer les droits que nous réclamons en faveur des
hommes libres de couleur. (Applaudi) » (6).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 1.34, p. 553.
« M. Roberspierre. Avant tout il est important de fixer le véritable
état de la question : elle n'est pas de savoir si vous accorderez les droits
politiques aux citoyens de couleur, mais si vous les leur conserverez,
car ils en jouissaient avant vos décrets. (On applaudit. M. l'abbé Maury
interrompt. On le rappelle à l'ordre). Je dis qu'ils jouissaient des droits
que les blancs réclament aujourd'hui pour eux exclusivement, des droits
civils, les seuls dont tous les citoyens jouissaient avant la révolution. La
révolution a rendu les droits politiques à tous les citoyens : les hommes
libres étant égaux en droits avant elle, ont donc dû recevoir les mêmes
droits politiques. Sont-ce vos décrets précédens qui les leur ont ôtés ?
Non. Vous avez donné la qualité de citoyen actif à tout homme qui
paie la contribution de trois journées de travail; et comme la couleur
n'y fait rien, tous les gens de couleur qui paient trois journées de travail
sont par ce décret reconnus citoyens actifs, le considérant du décret du
12 octobre, dont on a voulu s'armer dans cette discussion, loin d'être
favorable aux prétentions qu'on élève, les exclut (7). Il porte que
(6) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVI, 7-9, qui le font
précéder d'un passage du Moniteur.
(7) Décret du 12 octobre 1790. « Considérant... que l'Assembler
n-ationab a promis... qu'aucunes loix sur l'état des personnes ne
seront décrétées pour les colonies que sur la demande précise et
formelle de leur ri Assemblées coloniales... (le décret annule les actes
de l'Assemblée de Saint-Marc et la déclare déchue de ses pouvoirs;.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 351
vous avez l'intention de ne rien innover à l'état des personnes sans
l'initiative des Colonies; c'est à dire, sans doute, des citoyens des Colo-
nies; donc les gens de couleur étant citoyens des Colonies, et ayant
par les lois anciennes non abrogées par vos décrets sur les qualités de
citoyen actif, les mêmes droits que les colons blancs, doivent partager
cette initiative.
« Voyons maintenant quelles sont les raisons qui peuvent vous
forcer à violer à la fois et les lois et vos décrets, et les principes de la
justice et de l'humanité. Vous perdrez vos Colonies, vous dit-on, si
vous ne dépouillez les citoyens libres de couleur de leurs droits; car
j'ai fait voir que c'est-là ce que l'on demande. Et pourquoi perdrez-
vous vos Colonies ? c'est parce qu'une partie des citoyens, ceux que
l'on appelle les blancs, veulent exclusivement jouir des droits de cité.
Et ce sont eux-mêmes qui osent vous dire, par l'organe de leurs députés,
craignez les suites de ce mécontentement. Voici donc un parti factieux
qui vous menace d'incendier vos Colonies, de dissoudre les liens qui
les anissent à la métropole, si vous ne confirmez ses prétentions ! je de-
mande s'il est bien de la dignité des législateurs de faire des transac-
tions de cette espèce avec l'intérêt, l'avarice, l'orgueil d'une classe de
citoyens. (On applaudit). Je demande s'il est politique de se déterminer
par !es menaces d'un parti pour trafiquer des droits des hommes, de la
justice et de l'humanité. Et ne pourrais-je pas rétorquer l'objection que
l'on fait ? Les hommes de couleur ne peuvent-ils pas dire : si vous nous
dépouillez de nos droits, nous serons mécontens et nous ne mettrons
pas moins de courage à défendre les droits sacrés et imprescriptibles
que nous tenons de la nature, que nos adversaires ne mettent d'obsstma-
tion à vouloir nous en dépouiller, la juste indignation d'hommes libres
opprimés ne nous donne pas moins d'énergie que ne peut leur en
inspirer le vif sentiment de l'orgueil...
« Ainsi, de l'un et l'autre côté, il y a des dangers égaux, et
j'ajouterai une observation que nous devons à M. Barnave; c'est que
les colons blancs les plus riches font, selon lui, des vœux pour les
gens de couleur; vous affaibliriez donc le parti des blancs, et vous ren-
forceriez celui des gens de couleur; d'où il résulte nécessairement q:î'u
y a moins de dangers à prononcer en faveur de ces derniers.
« Mais suivons dans leurs détails les objections de ce parti des
blancs. Quel est le motif de cette extrême répugnance à partager avec
leurs frères l'exercice de leurs droits politiques? C'est que si vous
donnez la qualité de citoyens actifs aux hommes libres de couleur, vous
diminuez le respect des esclaves pour leurs maîtres, ce qui est d'autant
plus dangereux qu'ils ne peuvent être conduits que par la terreur,
objection absurde. Les droits qu'exerçaient auparavant les hommes de
couleur ont-ils eu de l'influence sur l'obéissance des noirs, ont-ils dimi-
nué l'empire de la force qu'exercent les maîtres sur l^urs esclaves?
Mais, raisonnons dans vos propres principes. En donnant les droits pol'-
352 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
tiques aux gens de couleur propriétaires, n'augmentez- vous pas la puis-
sance des maîtres ? Lorsqu'ils auront le même intérêt de maintenir les
esclaves dans la soumission, et que cet intérêt ne sera plus traversé par
aucun autre, la subordination ne sera-t-elle pas cimentée d'une manière
plus solide ? Privez-les au contraire de leurs droits ; vous les rapprochez
de la classe des nègres. S'il y avait quelque insurrection à craindre
de la part des esclaves, il est évident qu'ils n'auraient pas alors le
même intérêt à la réprimer, parce que leur cause serait presque com-
mune... Vous voyez donc à quoi se réduisent toutes ces arguties des
colons blancs, ces ridicules prétentions contraires et à l'intérêt général
des Colonies, et à leur propre intérêt bien entendu.
« Ils n'osent pas les soutenir en principe; examinons comment ils
cherchent à éluder la question, et à vous séduire par l'illusion de vaines
promesses. Quel est-il ce prétendu moyen si facile, pour en venir
paisiblement à ce que la nature et la raison réclament ? Il consiste à
nommer un congrès, qui prononcera sur le sort des hommes de couleur,
sans l'avis duquel vous ne pourrez rien décider. Et de qui ce congrès
sera-t-il composé ? de colons blancs. C'est à dire, que vous refusez
justice aux hommes de couleur pour les renvoyer à leurs adversaires.
C'est comme si, lorsqu'il s'est agi en France de savoir si le hers-état
aurait une double représentation, on eût fait un congrès, composé moitié
de clergé, moitié de nobles, pour donner au gouvernement son avis
sur les droits des communes. (Une partie de l'Assemblée, et les tribunes
applaudissent). Je demande que l'on ne soumette pas les intérêts les
plus chers, les droits les plus sacrés, à cette classe d'hommes qui ne
parlent devant vous que pour obtenir le droit de dominer.
« M. Barnave vous a dit que la décision de ce congrès sera favo-
rable aux gens de couleur, qui pourrait le croire ? J'ai pour garant du
contraire leur intérêt personne) auquel ils sont accoutumés à tout sacri-
fier, leurs opinions bien prononcées, les prétentions dans lesquelles ils
s'obstinent depuis deux ans... Ils vous disent qu'ils seront favorables
aux hommes de couleur, et vous oubliez que ce sont les mêmes hommes
qui vous ont dit que si les hommes de couleur triomphaient, c'en était
fait de vos Colonies et de votre commerce. (On applaudit). Non, lors-
qu'on a la justice de son côté, on ne déraisonne pas d'une manière aussi
contradictoire, lorsqu'on a quelque respect pour le corps législatif, on
ne croit pas le séduire par des menaces ou par des raisons aussi ridi-
cules... [On applaudit).
a C'est après avoir prodigué tous ces sophismes contradictoires,
qu'on a jeté en avant un fait dont vous avez dû remarquer l'incohérence
avec le discours qui l'a précédé. Ne pouvant vous subjuguer par des
raisons, on vous inspire de vaines terreurs. C'est M. Barnave qui a fait
ce singulier épisode que vous avez entendu sur les armements de l'An-
gleterre. Eh bien, j'adopte les alarmes que vous avez conçues, je sup-
pose au gouvernement anglais les intentions les plus hostiles; je n exa-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 353
mine pas si les tentatives qu'il pourrait faire ne dépendent pas entière-
ment de la paix ou de la guerre qui va être décidée entre l'Angleterre,
la Prusse et la Russie. Si les Anglais cherchaient à profiter des troubles
de nos colonies, de quel côté croyez-vous qu'ils trouveraient la plus
ferme résistance ? De la part d'une partie des colons blancs, indisposés
de ce que vous auriez rejeté leurs prétentions, ou de la part des hommes
de couleur, accoutumés à défendre vos colonies contre les invasions ?
« Même, tous les inconvéniens dont je parle étant égaux, il est
impossible que vous ne soyez pas convaincus que le projet du Comité,
s'il était adopté, ôterait à l'Assemblée son caractère de justice et de
popularité, et lui ferait perdre son titre de protectrice des droits de
l'humanité Je demande d'après cela s'il est de la saine politique d'adop-
ter ce projet » (8).
Journal de Paris, nos 133-134, p. 535 et 537.
« M. de Roberspierre étoit impatient de parler, et on étoit aussi
impatient de l'entendre. Voici quelles étoient ses idées. Les efforts
qu'on a faits pour étouffer sa voix, ont assez témoigné qu'on la craignoit,
et c'étoit un hommage qui lui étoit rendu.
« Je ne m'étendrai pas sur les principes de la justice qui réclament
en faveur des hommes libres de couleur la plénitude des droits du
citoyen; quoique je sois bien convaincu que la justice doit entrer au
moins pour beaucoup dans vos décisions; quoique je ne connoisse point
de véritable politique contraire à la justice. Mais puisqu'on a voul.i les
séparer, j'examinerai les frivoles prétextes qu'on a décorés du nom
de politique : avant tout je fixe la question.
« Elle ne consiste pas à décider si vous accorderez aux hommes
libres de couleur des droits nouveaux; mais si vous les dépouillerez de
ceux qui leur appartenoient avant vos décrets, et qui leur sont assurés
par vos décrets. »
« Avant vos décrets, les Blancs et les Citoyens libres de couleur
étoient égaux en droits; ils exerçoient tous les droits civils, les seuls
dont tous les François pussent jouir alors. Lorsque la révolution a eu
rendu à tous les François l'exercice de leurs droits politiques, les
Citoyens des Colonies les ont recouvrés également, par la nature
même des choses, sans aucune distinction de couleur; vous n'aviez pas
le droit de les leur ôter; au contraire, votre décret du 28 mars assure
formellement les droits politiques à toutes personnes dans les Colonies,
contribuables au degré que vous avez déterminé; ce qui renferme bien
évidemment tous les Citoyens des Colonies payant cette contribution,
soit blancs, soit d'une autre couleur.
« Les dépouillerez-vous aujourd'hui, ces hommes de couleur, des
(8) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 381. Bûchez et Roux
(X, 95) ne donnent par contre qu'un bref résumé de cette inter-
veution.
ItèBEsMIfcftkfc 8
354 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
droits sacrés que la nature et les loix leur garantissent ? Voilà la ques-
tion, honteuse à mon gré, qui agite cette assemblée. Quelles sont ces
puissantes raisons de politique qui doivent vous forcer à les violer ? On
n'en a allégué aucune qui ne me paroisse ou futile ou contradictoire.
« Vos colonies sont perdues, vous crie-t-on, si vous ne dépouillez
les Citoyens libres de couleur de leurs droits. Eli, pourquoi seront-elles
perdues? parce que vous mécontenterez les Blancs: ainsi, ce sont les
hommes qui plaident devant vous contre leurs Concitoyens, pour s'em-
parer de la domination, qui vous disent par l'organe de votre Comité
Colonial : si vous ne prononcez point en notre faveur, nous nous révol-
terons contre votre décret, et vos Colonies seront perdues. Je pouirois
demander d'abord s'il est bien conforme à la politique des Législateurs
de la France de souscrire cette lâche transaction avec l'orgueil et l'in-
justice, et de céder à la menace, pour trafiquer des droits les plus sacrés
de l'humanité. Mais j'observe surtout que cette objection menaçante
peut être tournée, avec avantage, contre ceux qui la proposent. Les
hommes libres de couleur n'auront-ils pas le droit de vous dire aussi :
Si vous nous sacrifiez à nos adversaires, votre décret portera dans nos
coeurs et dans notre patrie le mécontentement et le désespoir : nous
aurons à combattre, non pour la domination et pour le despotisme, mais
pour la liberté et pour les intérêts les plus sacrés des hommes; et nous
prouverons que les hommes libres n'ont pas moins de courage pour
défendre leur liberté, que les oppresseurs pour usurper l'empire.
« Ce mécontentement là sera juste : il en sera plus puissant et
plus redoutable. »
« Eh ! sur quels motifs les Colons blancs fondent-ils donc cette
extrême répugnance à demeurer les égaux de leurs concitoyens ? Sur
des motifs dont l'absurdité palpable est la meilleure preuve de l'in-
justice de leurs prétentions. Si vous laissez, vous disent-ils, aux Citoyens
de couleur les droits politiques, nos esclaves auront moins de respect
pour nous. En voyant des sangs mêlés jouir de la plénitude des droits
des Citoyens, les Noirs se soumettront avec moins de docilité à notre
empire.
« Mais jusqu'aujourd'hui n'ont-ils pas été vos égaux, ces Citoyens
libres de couleur ? Vos Esclaves en étoient-ils moins soumis ? Le seront-
ils moins parce que ces Hommes de couleur demeureront vos égaux ?
N'y a-t-il pas toujours eu une distance infinie entr'eux et les Esclaves,
la même qu'entre l'esclavage et la liberté ? Vous craignez, dites-vous,
que les Esclaves ne s'appuyent de leur protection pour s'affranchir :
c'est avec une extrême répugnance que je traîne avec vous mon atten-
tion sur ces funestes idées.
Xi Mai?, puisqu'il faut raisonner, dans votre triste système, les
hommes libres de couleur n'auront-ils pas le même intérêt que vous ?
N'ont-ils pas aussi dès à présent des propriétés, des esclaves même ?
N'est-il pas dans l'esprit même de votre politique de vous unir plutôt
1ES DISCOURS DE ROBESPIERRE 355
à eux contre vos esclaves, que de les forcer à s'unir à ces derniers en
les condamnant eux-mêmes à une espèce de servitude ?
« C'est après avoir épuisé tous ces subterfuges, que l'on a fait
jouer un dernier ressort pour maîtriser votre délibération par la crainte,
que l'on s'efforce souvent, dans nos discussions, de substituer à tous les
principes. On vous a présenté l'Angleterre armée, animée par une inten-
tion hostile contre nous, et prête à fondre sur vos Colonies si vous mé-
contentez les Blancs. »
« Je n'examine pas ici ce qu'il faut penser de la politique de
l'Europe dans le moment actuel; sujet qui demanderait un examen plus
approfondi: mais je vous dis: s'il est vrai que l'Angleterre veuille
attaquer vos Colonies, et que vous réduisiez au désespoir les hommes
libres de couleur, les propriétaires indigènes des Colonies, ceux qui
sont les plus utiles à la défense des Colonies, l'Angleterre ne rrouvera-
t-elle pas aussi dans ce décret inique des semences de divisions, de
troubles, qui pourront favoriser ces desseins ? Or, s'il y avoit des
inconvéniens dans l'un et l'autre parti, quel est celui qu'il faudroit
préférer? celui de la justice, de l'humanité, de la liberté; il est tou-
jours le plus sûr, le plus utile. Ce n'est point aux Législateurs François
qu'il appartient de fouler aux pieds cette sainte maxime, et de donner
aux Nations l'exemple scandaleux de la politique, à la fois la plus
contraire aux droits des hommes, aux principes de la morale, et aux
règles de la véritable sagesse. »
Le Point du Jour, t. XXIII, n° 670, p. 148.
« Je ne m'étendroi pas sur les principes de la justice, a dit M. Ro-
bespierre, quoique je regarde que la justice doit entrer au moins pour
beaucoup dans vos décisions et que je ne connoisse point de saine
politique, en contradiction avec la justice.
« Mais puisqu'on veut le séparer, j'examinerai les puissantes
raisons politiques dont parlent les adversaires des hommes libres de
couleur. J'observe avant tout que la question qui vous est soumise,
n'est pas, si vous accorderez aux hommes de couleur des droits nou-
veaux, mais si vous leur arracherez ceux qui leur appartenoient avant
vos décrets, qui leur sont garantis par vos décrets précédens.
« Avant vos décrets, ils étoient égaux en droits par la loi même
avec les blancs. Les citoyens n'avoient alors que les droits civils. Les
droits politiques n'ont commencé à revivre pour les citoyens, qu'au
moment où la révolution les leur a restitués. Tous les citoyens dans
les colonies comme ailleurs les ont recouvrés alors par le fait même,
sans aucune distinction de couleur. Vous ne pouviez point les ravir aux
hommes libres de couleur, plus qu'aux blancs; vous ne leur avez pas
ravis: au contraire, votre décret du 28 mars assure les droits politiques
dans les colonies à toutes personnes payant la quantité d' impositions
356 LES DISCOURS DZ ROBESPIERRE
déterminées Or ce mot général renferme toutes les personnes qui
payent cette contribution, sans aucune distinction de couleur.
« Quels sont donc ces motifs impérieux de politique qui doivent
vous forcer à dépouiller aujourd'hui de leurs droits cette classe intéres-
sante de citoyens, connue sous le titre de citoyens libres de couleur ?
La peur. Vos colonies sont perdues, vous dit-on, si vous les leur con-
servez. Eh ! pourquoi ? C'est que les blancs seront mécontents. Ainsi
ces mêmes hommes qui demandent que vous leur donniez exclusive-
ment les droits qui appartiennent à tous, viennent vous dire par l'organe
de votre comité colonial : si vous ne prononcez en notre faveur, nous
nous révolterons contre votre décret et vous perdrez vos colonies. Je
ne vous demanderai pas s'il est bien conforme à la politique des législa-
teurs de la France de souscrire à ces lâches transactions avec !' intrigue
et l'intérêt personnel, de céder à la crainte, en trafiquant des droits les
plus sacrés de l'humanité; mais j'observe que cette objection peut être
tournée avec avantage contre ceux qui la présentent. I! suffit, pour
cela, de la mettre dans la bouche des hommes libres de couleur. N'ont-
ils pas le même droit de vous dire : si vous nous immolez à nos adver-
saires, si vous nous opprimez pour leur assurer une injuste domination,
nous serons mécontens et nous prouverons que les hommes libres n'ont
pas moins de courage pour défendre leurs droits et leur liberté, que les
oppresseurs pour conserver leur empire. Ce mécontentement seroit juste
et par conséquent plus redoutable !
« Mais sur quoi fondent-ils leur répugnance à demeurer les égaux
de leurs concitoyens ? Nos esclaves, disent-ils, seront moins soumis,
s'ils voient des hommes de couleur s'élever jusqu'à nous; mais ces hom-
mes libres de couleur étoient vos égaux; mais ils ont comme vous
des propriétés, même des esclaves; mais le moyen de conserver vos
propriétés, c'est qu'ils soient unis à vous par un intérêt commun, non
disposés à vous nuire par le ressentiment de votre injustice, et par la
disposition funeste qui les condamneroit à la servitude politique.
« Après avoir épuisé ces vains subterfuges, on a fait jouer un
dernier ressort pour vous effrayer, méthode machiavélique que trop
souvent on cherche dans vos discussions à substituer aux principes; on
vous a présenté tout à l'heure l'Angleterre armée, prête à fondre sur
vos colonies, si vous ne prononcez point en faveur des blancs; mais
si vous opprimez les hommes de couleur, les Anglois ne pourront-ils pas
aussi profiter de leur mécontentement, et toute cette politique ne se
plie-t-elle pas à tous les systèmes. Enfin, s'il y a des inconvémens
dans l'un et l'autre parti, lequel faut-il préférer? Celui de la justice
et de l'humanité; il est toujours le plus sûr, le plus utile. Ce n'est
point aux législateurs françois à violer cette maxime sacrée, et à donner
aux nations l'exemple scandaleux d'une politique également contraire
à la morale et aux règles de la véritable sagesse
« Je conclus à la question préalable sur le projet du comité, dont
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 357
l'adoption feroit perdre à l'assemblée le beau caractère de protectrice
des droits de l'humanité
« De nombreux applaudissemens ont été donnés au discours de
M Robespierre. »
Journal du Soir (Beaulieu), 1791, n° 131, p. 2-3.
Le Législateur français, t. II, 13 mai 1791, p. 4-5.
« M. Robertspierre a cru que la question n'étoit pas de savoir si
on accorderoit aux gens de couleur le droit qu'ils réclament, mais si
on leur conservera celui dont les décrets de l'assemblée leur ont assuré
la jouissance. Ces décrets sont formels en leur faveur ; et il y est textuel-
lement dit que tous les citoyens qui ont les conditions nécessaires seront
admis dans les assemblées coloniales. Les chicanes et !a mauvaise foi
n'ont pu donc naître que du considérant du 8 octobre (9), qui ,ne pou-
voit sans inconséquence altérer leurs droits. Ils ont donc, par les décrets
de l'assemblée, des titres politiques égaux à ceux qui ont été reconnus
en faveur des colons blancs. Avant la révolution, les uns et les autres
n'avoient que l'usage du droit civil, et ils l'exerçoient avec la même
extension, sans aucun égard pour la différence des couleurs. Cependant
ce parallèle parfait n'avoit effrayé personne, et n'avoit produit aucun
mal. Pourquoi donc aujourd'hui vouloir tracer une ligne de démarcation
que le despotisme auroit rougi d'établir ?
« L'état des personnes, sur lequel on a accordé l'initiative aux
colonies, ne peut regarder que les esclaves, sur le sort desquels la
malveillance a calomnié les intentions de l'assemblée nationale pour
provoquer un décret qu'elle pouvoir obtenir sans suivre ces routes tor-
tueuses. L'assemblée, en prononçant, n'a pu avoir en vue que les
esclaves, et les hommes de couleur doivent être confirmés dans les
droits qui leur sont contestés, ou bien il faut se décider à effacer du
code de la liberté ces lignes tracées par la sagesse, qui n'excluent per-
sonne des droits de citoyen, pourvu qu'on remplisse les conditions
déterminées
« On veut, disoit l'opinant, combattre avec les armes de la frayeur;
on vous menace de la perte inévitable des colonies, si le vœu des
habitans blancs n'est pas accueilli. On parle de scission et de vues
politiques de l'Angleterre qui épie nos fautes pour en faire son profit;
mais seroit-il de la dignité de l'assemblée de .faire une honteuse trans-
action avec l'intérêt et les passions, et d'abandonner ainsi les droits
sacrés de la liberté à la merci de l'égoïsme, de l'avidité et de l'oppres-
sion ? D'ailleurs n'est-il pas possible aux colons de couleur de tenir
le langage cjyi semble faire une si vive impression sur les esprits; au
moins la raison seroit-elle de leur côté : votre injustice Jes auroit justi-
fiés aux yeux de tous les hommes dégagés de toute prévention et de
(9) Tl s'agit du décret du 12 octobre, cité plus haut.
358 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
tout intérêt, et il n'est pas douteux qu'ils ne déployassent autant de
vigueur et d'énergie pour ressaisir leurs droits, que les autres pour les
en dépouiller; ils pourroient aussi vous parler de scission, et leurs me-
naces mériteroient sans doute quelqu'attention de votie part.
« Les blancs prétendent que le régime colonial ne peut exister, si
les esclaves n'ont sans cesse le plus grand respect pour eux; qu'ils ne
peuvent commander que par la terreur, et que les gens de couleur doi-
vent servir de barrière entre les esclaves et les blancs. Qu'on explique
donc comment il est arrivé, que, depuis que cette barrière a disparu,
par les troubles qui ont déchiré les Colonies, il n'est pas même venu
dans l'idée d'un seul esclave qu'il pouvoit secouer son joug ? On a
avancé que les blancs étoient très bien disposés en faveur des hommes
de couleur, et qu'il est plus que probable que le résultat des délibéra-
tions du congrès, ne leur laissera rien à désirer. Mais il est impossible
de concilier ce langage avec les menaces de se réunir à l'Angleterre,
si la demande impérative d'accorder l'initiative sur l'état politique des
créoles libres [est repoussée] , à moins qu'on ne déclare franchement
qu'on fera usage de ce droit d'initiative dans l'esprit bien clairement
manifesté qui le provoque. L'opinant a ici rappelé plusieurs argumens
qu'on avoit déjà fait valoir. »
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t II, n° 308, p. 2.
Mercure universel, t. III, p. 206 (10).
« M. Robespierre n'a pas cru que l'on pût composer avec les prin-
cipes d'humanité et taire les bases fondamentales de la justice politique,
lorsque l'impérieuse vérité et le devoir sévère du législateur exigent
de lui qu'il professe hautement ces principes.
« L'opinant a réduit la question à ces termes : « Laissera-t-on, ou'
ou non, aux hommes de couleur libres, propriétaires et contribuables,
les droits qui leur appartiennent. Il ne s'agit pas de savoir si on les
leur donnera, puisque des loix formelles les leur ont assurés, et que
pour les empêcher d'en jouir il faudroit abroger ces loix.
« Ils avoient ces droits avant vos décrets, et ils les ont par vos
décrets, ces droits que les blancs voudroient s'arroger exclusivement.
La révolution a établi les hommes égaux en droit. Elle a donc confirmé
la loi de Louis XIV, sur les gens de couleur.
« Quand vous avez accordé l'initiative aux colonies, vous ne
l'avez point donnée aux blancs qui habitent les colonies. Vous 1 avez
donnée aux colons, sans distinctions, aux colonies toutes entières, et
non pas à une partie des habitans des colonies. II est donc vrai que
vous leur avez laissé les droits que je réclame. Auriez- vous maintenant
la barbarie de les leur enlever !
« Quels sont les argumens de nos adversaires ? Tout se rédiat à
(10) 'Le Mercure universel ne reproduit que les § 2, 3. 5, 8, 11.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 359
dire que vous perdrez vos colonies, si vous déclarez le droit des hom-
mes de couleur. Je ne vois parmi tous ces argumenteurs, que des gens
qui vous menacent, et je vous le demande : est-il bien du caractère du
législateur, et de sa dignité, de transiger ainsi avec l'orgueil et l'avarice
de l'intérêt privé ?
« Mais pensez donc aussi que les hommes de couleur pourroient
vous dire;, si vous nous dépouillez des droits sacrés que la nature
nous avoit donnés avant que vous existassiez, la désolation, le ravage,
la terreur vont couvrir la face de vos colonies : et peut-être que le déses-
poir de cœurs généreux et ulcérés, est aussi formidable que la vanité
de l'avarice !
« Si vous voulez vous déterminer par ïa terreur, si les menaces
doivent influer sur vos décisions, voyez que les hommes de couleur
pourroient avoir à cet égard le même avantage que les blancs.
« Que signifie le congrès des blancs que l'on vous propose, pour
prononcer sur le sort de ceux qu'il leur plaît d'appeler leurs ennemis ?
Que feriez- vous, vous, si lorsqu'il s'agissoit de régler la représentation
nationale, on eût établi un congrès de nobles et d'ecclésiastiques, pour
décider cette question fondamentale ?
« Défiez-vous donc de l'intérêt particulier et de l'avarice; craignez
même que ces passions viles ne viennent se mêler dans la discussion,
pour y jetter de l'erreur.
« On vous parle de désordres et d'insurrections des nègres dans les
îles, 5t vous mécontentez les blancs; mais si vous mécontentez aussi les
gens de couleur, que les nègres, dont la condition n'est pas d'être
contents, veuillent se soulever, n'est-il pas clair que les gens de cou-
leur seront portés à s'unir aux nègres; et qui pourra leur résister. Et si
les Anglais, dont on vous fait peur, s'y jettoient dans cet état de
discorde, ne seroient-ils pas les maîtres, puisque les gens de couleur,
qui sont accoutumés à supporter le poids du joug, puisque les hommes
de couleur qui sont le rempart des colonies, seroient nécessairement
leurs alliés ?
« D'après toutes ces considérations, il est donc impossible que
l'assemblée ne soit pas convaincue que le projet des comités dégraderoit
la majesté, la popularité de l'assemblée, et lui feroit perdre son carac-
tère de protectrice des droits de l'humanité. »
Journal général de France, n° 133, p. 529.
[Après avoir résumé l'argumentation de Robespierre, ce journal
ajoute : | -
« Les Commerçans admireront sans doute comme nous toutes ces
belles phrases; et après les avoir entendues, ils ne manqueront pas de
dire à l'Orateur avec Voltaire: Mais il nous faut du sucre!... £t si
votre opinion est suivie nous en manquerons bientôt, ou nous serons
360 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
obligés de l'acheter aux Anglois; car si les troubles et la guerre civile
continuent dans nos Colonies, ni les Blancs, ni les Gens de couleur
ne sonsgeront ni à leur café,; ni à leurs cannes; et cependant il nous
faut du sucre! Que seroit-ce si les Créoles effectuoient, au cas qu'on
leur refuse l'initiative, la menace qu'ils font de se réunir à l'Angle-
terre ? x>
Journal de Rouen, 1791, n° 133, p. 643.
[*Après avoir résumé l'argumentation de Robespierre, ce journal
ajoute :]
a Ainsi parîoit et raisonnoit M. Robertspierre (reconnu pour le tri-
bun du peuple). Des murmures continuels l'ont interrompu à chaque
instant.
« Si l'on ne veut pas m'entendre, a-t-il dit, eh bien, qu'on ose
juger cette question sur le champ! »
Courrier extraordinaire, 13 mai 1791, p. 3-4.
« M. Robespierre. Ce n'est pas avec les armes de la justice que
je défendrai les hommes de couleur quoiqu'elle doive y entrer pour
beaucoup, mais comme on a voulu distinguer dans cette cause, l'équité
de la prudence, j'examinerai si la politique doit permettre d'accorder
aux mulâtres, les droits de citoyens actifs, et je commence par dire
qu'avant vos décrets et par vos décrets ces droits leur sont assurés :
avant vos décrets, par les loix du royaume et par le code noir; par
vos décrets, en ce que l'article 4 du décret du 8 mars donne à tout
propriétaire, contribuable et domicilié des colonies, le droit d'aller
dans les assemblées primaires. Mais vos colonies sont perdues, nous
disent les blancs : nous ne souffrirons jamais que les gens de couleur
soient nos égaux et jouissent comme nous des droits politiques; je ne
sais pas, messieurs, s'il est de la dignité de l'assemblée de céder ainsi
à des menaces et de transiger avec l'intérêt, avec l'orgueil; mais ne
pourroit-on pas rétorquer contre les blancs leur propre argument ? ne
pourroit-on pas leur dire ; mais si vous avez tant de répugnance à vous
allier aux mulâtres, si vous annoncez la perte des colonies comme le
résultat nécessaire de leur admission aux droits de citoyens actifs, qui
nous répondra que les gens de couleur adopteront tranquillement leur
exclusion ? mais on cherche, d'un autre côté, à rassurer l'assemblée sur
le sort des hommes de couleur, en disant que le congrès est disposé
à faire la proposition conforme au décret que nous sollicitons ; eh ! mes-
sieurs, de quelle manière sera composé ce congrès ? Il le sera de blancs,
c'est-à-dire, des adversaires des mulâtres; c'est comme si le gouverne-
ment eût rassemblé les députés ecclésiastiques et nobles pour qu'ils
énonçassent leur voeu sur la double représentation. Je demande la ques-
tion préalable sur le projet des comités réunis. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 361
Journal universel, t. XI, p. 6093.
« Mais peu après, M. Robespierre a entrepris, avec la chaleur
et le patriotisme qu'on lui connoit, la défense de nos frères basannés.
Le tableau de comparaison qu'il a présenté entre les ci-devant nobles
et le clergé qui auraient bien voulu que ce qu'on appelait alors le tiers-
état et qui est aujourd'hui le souverain, n'eût qu'un tiers des voix dans
la législation : ce tableau a vivement intéressé : il est tout à l'avantage
des hommes de couleur libres qui sont le tiers état des Iles. Ainsi la
conclusion de M. Robespierre le patriote n'a pu être douteuse. Il a bien
défendu la cause de l'humanité. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Lendemain, t. III.
n° 133, p. 393; L'Orateur du Peuple, t. III, 2e partie, n° 8, p. 67;
L'Ami de la Révolution, 12-15 mai 1791, p. 140; La Correspondance
nationale, n° 26, p. 126; La Feuille du Jour, t. IV, n° 133, p 353;
La Chronique de Paris, n° 133, p 532; Le Journal de M. Suleau,
n° 3, p. 5; Le Vrai Citoyen, p. 214; Les Révolutions de France et de
Brabant, t. VI, n° 77, p. 368; Le Courier de Provence, t. XIV, p. 530;
Le Courrier des LXXXIII départemens, t. XXIV, n° 13, p. 207; Le
Courier français, t. XI, n° 133, p. 94; La Bouche de Fer, n° 55,
p. 278; L'Ami du Roi (Montjoie), 13 mai 1791, p. 531 ; Le Patriote
françois, n° 643, p. 528; Le Journal des Décrets de l'Assemblée na-
tionale, 12 mai 1791, p. 225; Le Mercure de France, 21 mai 1791,
p. 210; Le Journal général, n° 102, p. 408; La Gazette universelle,
t. I, n° 133, p. 531; Le Mercure national et étranger, 17 mai 1791,
p. 431 ; Le Courrier d'Avignon, n° 119, p. 475.]
286. — SEANCE DU 13 MAI 1791
Sur la condition des hommes de COULEUR LIBRES (suite)
La discussion reprend sur le projet d'accorder aux assemblées
coloniales l'initiative exclusive pour les lois relatives à la condition
des personnes dans les colonies. Moreau de Saint-Méry propose, en
accord avec les députés des colonies, un nouveau projer de rédac-
tion. Le débat s'instaure sur la priorité à accorder à ce projet ou
à celui du comité. L'Assemblée décide d'accorder la priorité au
projet du comité. On fait lecture de l'art. 1 :
« L'Assemblée nationale décrète comme article constitutionnel,
qu'aucune loi sur l'état des personnes ne pourra être faite par le
corps législatif, que sur la demande précise et formelle des assem-
blées coloniales. »
Lucas, député du tiers état de la sénéchaussée de Moulins,
demande qu'aux mots: m sur l'état des personnes », il soit ajouté
.< non libres •». Moreau de Saint-Méry propose, pour éviter toute
<• mfusion, d'employer au lieu de l'expression « personnes non li-
bres », le mot » esclaves ». Robespierre s'élève avec vigueur Contre
cet amendement.
362 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Après une discussion très vive, l'article fu<t décrété sous cette
rédaction:'" ...sur l'état des personnes non libres...
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 135. p. 360.
« M. Roberspierre. J'ai une simple observation à faire sur l'amen-
dement. Votre plus grand intérêt est de rendre un décre! qui n'attaque
pas d'une manière trop révoltante et les principes et l'honneur de l'As-
semblée (Il s'élève beaucoup de murmures. On entend quelques
applaudissemens). Dès le moment où dans un de vos décrets vous aurez
prononcé le mot esclave, vous aurez prononcé et votre propre déshon-
neur, et.. (Mêmes murmures, mêmes applaudissemens). Je me plains,
au nom de l'Assemblée elle-même, de ce que non content d'obtenir
d'elle ce qu'on désire, on veut l'obtenir d'une manière déshonorante
pour elle, et qui démentirait tous ses principes (Nouveaux murmures,
nouveaux applaudissemens). Si je pouvais soupçonner que parmi ceux
qui ont combattu les droits des hommes de couleur, il y eût un homme
qui détestât la liberté et la constitution, je croirais que pour servir la
haine il a voulu vous faire lever le voile sacré et terrible que la pudeur
même du législateur... (On applaudit et on murmure). Je croirais qu'on
cherche à se ménager le moyen d'attaquer toujours avec succès et vos
décrets et vos principes quand il s'agira de l'intérêt direct de la métro-
pole, on vous dirait vous nous alléguez sans cesse les droits de l'homme,
et vous y avez si peu cru vous-mêmes, que vous avez décrété consti-
tutionnellement l'esclavage. (Il s'élève beaucoup de murmures). »
[Intervention de Lucas.]
« M. Roberspierre . L'intérêt suprême de la nation et des Colonies
est que vous demeuriez libres, et que vous ne renversiez pas de vos
propres mains les bases de la liberté. Périssent les Colonies. (I! s'élève
de violens murmures) s'il doit vous en coûter votre bonheur, votre gloire,
votre liberté ! je le répète : périssent les Colonies, si les colons veulent,
par les menaces, nous forcer à décréter ce qui convient le plus à leurs
intérêts! .je déclare au nom de l'Assemblée..., au nom de ceux des
membres de cette Assemblée qui ne veulent pas renverser la constitu-
tion; je déclare au nom de la nation entière qui veut être libre, que
nous ne sacrifierons pas aux députés des Colonies qui n'ont pas défendu
leurs commettans, comme M. Monneron (1), je déclare, dis-je, que
nous ne leur sacrifierons ni la nation, ni les Colonies, ni l'humanité
entière, je conclus et je dis que tout autre parti, quel qu'il soit, est
préférable. A l'amendement de M. Moreau, je préférerais le plan
du Comité; mais comme il est impossible de l'adopter sans adopter les
inconvéniens extrêmes que je viens de présenter, je demande que l'As-
(1) Jean-Louis Monneron, député de Pondichéry à la Consti
tuante. Son frère aîné était député du tiers état de la sénéchaussée
d'Annonay ; et son plus jeune frère . Pierre Antoine, député de
l'Ile-de-France, fut admis à siéger en février 1791.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 363
semblée déclare que les hommes libres de couleur ont le droit de jouir
des droits des citoyens actifs. Je demande de plus la question préalable
sur l'article du Comité » (2).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXV, p. 4S3.
<( M. Robespierre. J'ai une explication de deux mots sur l'amen-
dement : messieurs le plus grand intérêt dans cette discussion est de
rendre un décret qui n'attaque pas d'une manière trop révoltante et les
principes et l'honneur de l'assemblée.
« Dès le moment où dans un de vos décrets vous aurez prononcé
le mot esclave, vous aurez prononcé votre propre déshonneur et le ren-
versement de votre constitution (oui; oui; applaudissemens, murmures).
Je me plains, au nom de l'assemblée elle-même, de ce que, non content
d'obtenir d'elle ce que l'on désire, on veut la forcer à l'accorder d'une
manière déshonorante pour elle, et qui démente tous ses principes. Lors-
qu'on voulut vous forcer à lever vous-mêmes le voile sacré et terrible
que la pudeur même du législateur a été forcée de jetter (murmures et
applaudissemens), je crois que l'on auroit voulu se ménager un moyen
pour attaquer toujours avec succès vos décrets, pour affoiblir vos prin-
cipes, afin qu'on pût toujours vous dire : vous alléguez sans cesse les
droits de l'homme, les principes de la liberté; et vous y avez si peu
cru, vous-mêmes, que vous avez décrété constamment l'esclavage.
« C'est un grand intérêt que la conservation de vos colonies;
mais cet intérêt même est relatif à votre constitution; et l'intérêt suprême
de la nation et des colonies elles-mêmes, est que vous conserviez votre
liberté, et que vous ne renversiez pas, de vos propres mains, les bases
de cette liberté. Eh ! périssent vos colonies, si vous les conservez à ce
prix (murmures; oui, oui; applaudi). Oui, s'il falloit, ou perdre vos
colonies, ou perdre votre bonheur, votre gloire, .votre liberté, je répé-
terois : périssent vos colonies. (Applaudi).
« Je conclus de tout ceci que le plus grand malheur que l'assemblée
puisse attirer, non pas sur les citoyens de couleur, non pas sur les
colonies, mais sur l'empire françois tout entier, c'est d'adopter ce funeste
amendement proposé par M. Moreau de St. Méry. Je conclus que tout
autre projet, quel qu'il soit, vaut mieux que celui-là » (3).
Courrier du département de Vaucluse, n° 121, p. 483.
« (M. Roberspierre) . Je m'élève fortement contre ce décret. Le
plus grand intérêt est celui de rendre un décret qui n'altère pus' les
principes et l'honneur de l'assemblée. Du moment où vous aurez rendu
le décret qu'on vous propose, vous aurez prononcé votre déshonneur :
non contens d'obtenir ce qu'ils désirent, les colons veulent encore l'obte-
(2) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 395.
(3) Texte reproduit dans les Areh. pari., XXVI, 60, où' il est
combiné avec celui Ju Moniteur.
364 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
nu a une manière déshonorante pour l'assemblée. Si je pouvois soup-
çonner que parmi les adversaires des gens de couleur, il se trouvât
quelqu'ennemi secret de la constitution, je croirois qu'il a éfé guidé
par cette intention, quand il a proposé de soulever le voile terrible et
sacré que la pudeur des législateurs doit respecter. Je croirois que l'on
a voulu se ménager un moyen d'attaquer le respect dû à la constitu-
tion, afin qu'on puisse nous dire un jour: vous nous alléguez toujours
la déclaration des droits de l'homme, et vous avez vous-mêmes consacré
l'esclavage ! •■
« Il est d'un grand intérêt pour le Royaume que nous conservions
nos Colonies, mais l'intérêt le plus pressant est que nous conservions nos
principes et notre honneur. Ah ! périssent nos Colonies, s'il falloit leur
sacrifier notre gloire et notre liberté ! (4).
« Si les colons prétendent nous faire la loi, je déclare au nom de
l'assemblée... (Plusieurs personnes: non, non; oui, oui). Je déclare,
au nom de ceux qui ne veulent pas renverser notre constitution, que nous
ne leur ferons point d'aussi grands sacrifices. »
L'Ami du Roi (Royou), n° 361, p. 4.
« Après la discussion il s'est élevé une guerre et une mêlée ter-
rible d'amendements : au milieu de laquelle on a distingué des excla-
mations atroces, qui trahissoient le secret des démagogues et s'échap-
poient de leur sein, comme malgré eux dans la chaleur de l'action :
périssent vos colonies, s'est écrié M. &e Robespierre, plutôt que de
porter la moindre atteinte à votre sublime constitution. Le désordre est
poussé si loin que le président n'y pouvant plus tenir, après avoir inu-
(4) D'après E. Hamel (I, 439, note 1), la fameuse phrase : « Péris-
sent les colonies plutôt qu'un principe ! » n'est donc pas de Robes-
pierre comme on l'a quelquefois avancé par erreur. C'est à tort
également qu'on l'a attribuée à Barrère ; elle est de Duport qui dit
en propres termes: « Il vaut mieux sacrifier les colonies qu'un prin-
cipe ». En vérité, Duport n'est pas intervenu au cours de cette
séance, c'est Dupont de Nemours qui avait proféré ces paroles
(Moniteur, VIII, p. 391), ainsi que le remarque C. Desmoulins
(Révolutions de France et.de Brabant, t. VI, n° 77, pp. 565 et 572):
« Dupdnt-de-Nemours. — Et moi je dis que vous ne perdrez pas les
Colonies, mais dussiez-vous les perdre, périssent les Colonies, s'il
faut leur sacrifier les principes. L'ami Dupont qui parle comme
Robespierre ! ».
. Mais il ne nie pas que Robespierre aurait fort bien pu les pro-
noncer. Non seulement on les lui attribua, mais on les dénatura
pour 3e calomnier et Brissot s'éleva contre les agissements des
journaux royalistes (Patriote franoçis, n° 644, p. 637): « Nous devons
observer ici qu'il y a une mauvaise foi insigne à répéter éternelle-
ment cette phrase : « périssent les colonies ». M. Robespierre, qui
l'a prononcée, disoit : « Périssent les colonies, plutôt que le prin-
cipe de notre constitution soit renversé ». Certes, on ne doit pas
syncoper sa proposition. » (Cf. à ce propos, l'article de L. Combes,
dans Episodes et Curiosités, p. 350-359.)
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 365
tilement brisé une sonnette, s'enfuit de cette halle; les députés s'éva-
dent insensiblement, et le combat finit à près de cinq heures du soir,
faute de combattans. »
Le Législateur français, 14 mai 1791, p. 7.
« M. Moreau de Saint-Méry a reproduit son projet de décret,
et a demandé que l'assemblée décrétât formellement qu'il ne seroit
rien statué par elle sur l'état des esclaves que sur la proposition expresse
et spontanée des colonies. Ce mot esclaves, inséré dans une proposition
faite à l'assemblée nationale par un de ses membres, a excité l'indigna-
tion de M. Robertspierre. »
Mercure de France, 21 mai 1791, p 222.
« A la faveur des amendemens, M Roberspierre a recommencé
ses déclamations. 11 a soupçonné que les défenseurs des colons cachoient
le perfide dessein d'attaquer la constitution, en se ménageant l'occasion
de dire un jour à l'Assemblée : « Vous alléguez votre déclaration des
droits et vous avez consacré l'esclayage. » D'où son horreur pour cet
esclavage qui consiste à ne pas gouverner, il a fini par dire : « périssent
nos colonies s'il <falIoit leur sacrifier nos principes, notre liberté, notre
honneur ! »
Journal des Décrets de l'Assemblée nationale, 13 mai 1791, p. 22S.
« M. Moreau de St. Méry, sans doute pour éterniser le titre de
ses ayeux, vouloit qu'on substituât le mot esclave, à ceux de Citoyens-
non-libres, M. Roberspierre, s'est irrité de ce qu'on vouloit souiller,
d'un mot odieux, les législations d'un peuple libre, et le mot d'esclave
est resté à M. Moreau. »
Le Point du Jour, t. XXII, p. 173.
« Ce mot esclaves, inséré dans une proposition faite à l'assemblée
nationale par un de ses membres; a excité l'indignation de M. Robes-
pierre.
« On veut vous forcer, disoit-il, non-seulement à violer les prin-
cipes de votre constitution, mais encore on vous prescrit les termes
dont vous devez vous servir pour consacrer votre déshonneur. Périssent
plutôt nos colonies, si elles ne doivent nous rester que par des outrages
faits (à notre liberté, par le renversement de notre constitution. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal du Soir
(des Frères Chaignieau), t. II, n° 309, p. 3; Assemblée nationale,
Corps administratifs (Perlet), t. XI, n° 647, p. 4; Le Courrier des
LXXXIII départemens, t. XXIV, n° 16, p. 256; La Gazette nationale
ou Extrait..., t. XVI, p. 345; La Bouche de Fer, n° 56, p-. 293;
L'Ami des Patriotes, t. II, n° 25, p. 269.]
366 les discours de robespierre
Société des Amis de la Constitution
287. — SEANCE DU 13 MAI 1791
Sur la condition des hommes libres de couleur
L'Assemblée nationale, dans ses séances des 12 et des 13 mai (1).
a discuté de la condition des hommes de couleur libres. Cette même
question vient à l'ordre du jour de la Société, le 13 au soir. Robes-
pierre qui présidait, quitte le fauteuil pour intervenir dans le débat.
Mercure universel, t. III, p. 328.
« M. Robespierre. Tout ce que j'entends depuis trois jours ne m a
point convaincu ; je n'en crois pas moins que la justice et la morale
doivent être les guides des législateurs. On nous parle de l'initiative :
est-ce donc un sénat aristocratique de colons que nous avons à consulter ?
est-ce un cabinet ministériel, ami de l'esclavage? non; c'est l'intérêt
suprême de la nation, celui des représentans d'un peuple dont toute la
puissance n'est que l'opinion et les principes. Je ne suis pas surpris
que des hommes qui ont défendu depuis le moment de la formation de
l'assemblée nationale, les droits imprescriptibles des hommes aient
cependant aujourd'hui avec la même chaleur défendu le projet du
comité...
« Ch. Lameth. Je demande à répondre! (à l'ordre! à l'ordre! il
veut aller à la tribune; violens murmures).
« M. Robespierre. Je respecterai non seulement les personnes,
mais même les opinions. (Applaudi). Personne n'aura à redouter mes
applications.
« M. Lameth. Je demanderai la parole après.
« M. Robespierre. Je ne suis pas surpris que ces membres aient
si violemment défendu ce projet; en effet, ils nous disoient: vous
parlez des droits des hommes ? vous êtes bien fondés à venir nous dire
que ces droits existent, lorsque vos frères, dans une autre partie du
monde, en ont été privés par vous; parce qu'il a plu à l'être suprême de
mettre sur leur front une autre couleur, vous les avez privés de ces droits
naturels; il avoit donné des droits égaux aux vôtres, à ces hommes à
qui vous les ravissez ; et nous leur répondrons alors : vous nous dîtes que
nous n'avons pas respecté en Europe les droits des hommes; nous ne les
eussions pas violés sans vous : vous nous dites encore : mais ces hommes
jouissent des droits civils ; je réponds encore : ces droits ne sont rien
sans des droits politiques; car ceux qui les exercent, seuls peuvent
attenter à tous les droits des hommes, qui n'ont que les droits civils;
de là, ceux-ci sont nuls. (Applaudi). »
(1) Cf. ci-dessus, séance du 12 mai 1791.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 367
Journal des Mécontens, n° 76, p. 3.
« M. Robertspierre qui s'impatientoil déjà de ne point parier,
s'empare de la tribune; long et plat discours, à l'ordinaire, sur l'état
des gens de couleur, bien hérissé de sarcasmes contre les Lameth et
Barnave.
« ...M. Raymond, mulâtre (2) parle dans le sens de Robertspierre.
Cela va de droit. Un Turc, ou du moins un homme sous cet habit,
car il y a là toutes sortes de masques, plaide aussi la cause du métis.
C'est beau cela. Il rappelle le mot de ce père, qui disoit à son fils,
qu'un seul faux-pas faisoit perdre le fruit de cinquante ans de vertus.
Avis aux Lameth et Barnave.
« Oh. Lameth, provoqué de nouveau, s'élance et parvient à la
tribune : un orage universel ne lui permet pas de se faire entendre, et le
président Robertspierre ne fait charitablement rien pour calmer cette
mer agitée. Lameth se retire en se mordant les lèvres
« Bonne Carrère, l'ambassadeur refusé, fait la motion que 24 mem-
bres de la Société aillent avec le mulâtre Raymond à la barre de l'As-
semblée nationale, défendre les gens de couleur qui n'ont pas de défen-
seur. Cette motion peu honnête pour M. Robertspierre, qui est sans
contredit un avocat sans pareil, n'a point de suite et l'on se sépare,
sans même entendre une députation présentée sous le nom de la section
de la Bibliothèque, et qui attendoit depuis le commencement de la
séance, l'instant de faire une belle dénonciation » (3).
Le Lendemain, t. III, n° 135, p. 421.
u Le fameux Roberspierre prend la sonnette. Il la cède pour
pérorer, car c'est sa manie.
(2) Julien Raimond, né en 1744 à Saint-Domingue d'un blanc:
Pierre Raimond, originaire de Buanes dans les Landes, et de Marie
Bégasse, mulâtresse, était donc un quarteron et non proprement
un mulâtre. Les parents eurent 12 enfants, cependant Raimond
acquit une certaine aisance: en 1773, il acheta d'un noble une
propriété de 75.000 livres. Il épousa lui-même en secondes noces
une mulâtresse, fflie d'une négresse libre. En 1784, il quitta Saint-
Domingue ; on îe vit ensuite résider 'à Angoulême et faire de fré-
quents séjours à Paris. En 1786, il présenta des mémoires en laveur
des hommes de couleur au (maréchal de Castries, .ministre de la
Mari ip, et dès 1789 il plaida encore leur cause (Renseignements
Communiqués par M. Nemours, avocat, membre de la Société des
Etudes Robespierristes).
(3) Raimond fut, le 14 mai 1791, admis à la barre de l'Assemblée
nationale où il défendit les sangs mêlés (mulâtres, quarterons, octa-
vons) et les noirs libres. Voici commenl le Journal des mécontens
<n" 7G, p. I)- juge cette intervention : « Une députation,. c'est-à-dire
un rassemblement rie gens quêtes par les Jacobins, s'est présentée
à la barre et a dit à peu près les mêmes et belles choses que le cons-
ciencieux M. Robespierre, débite chaque jour à la tribune de ee«Ue
illustre société ».
368 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Robespierre quitte le fauteuil pour venir faire un discours bien
plat, à l'ordinaire, sur la question des gens de couleur, mais bien
hérissé de sarcasmes contre les deux Lameth et Barnave.
[Intervention « de Raimon, métis » et efforts de Lameth, qui
ne peut obtenir la parole.]
« ...et le petit Roberspierre, qui avoit repris la sonnette, ne l'a
point fait parler en faveur de Lameth... » (4).
La Feuille du Jour, t. IV, n° 136, p. 380-1.
« Le président étoit absent. M. Roberspierre grimpa au fauteuil,,
et préside fort agréablement.
« ...M. Roberspierre s'élance du fauteuil à la tribune; i! pérore
sur les gens de couleur, toujours élégiaque, douloureux, courroucé.
Cette fois, sa philippique est toute hérissée de petits traits malins
contre MM. de Lameth et Barnave.
« M. Raymond Métes (5) parle comme M. de Robespierre, ou
du moins dans son sens, si ce n'est pas abuser du mot... »
Journal général de France, 16 mai 1791, p. 543.
« M. Charles Lameth veut en vain obtenir la parole : il feint de
vouloir sortir; on n'y prend pas garde: en un mot il commence à
s'appercevoir que sa popularité diminue sensiblement : M. Roberts-
pierre n'agite point sa sonnette en sa faveur, et on lève !a séance. :;
(4) Cf. Aulard, II, 414-415.
(5) II est probable que le typographe n'ayant pas compris le
mot métis l'a mutilé et considéré comme un nom de famille, Ray-
mond devenant alors le prénom.
288. — SEANCE DU 15 MAI 1791
Sur la condition des HOMMES LIBRES DE COULEUR (suite)
lM intervention
Le 14 onai, le débu^. s'était poursuivi sur la condition des per-
sonnes dans les colonies. 'Le président donna lecture de l'article sou-
mis ià la discussion: « Quant à l'état politique des hommes de cou-
leur et nègres libres, il y sera statué, par le corps législatif, sur la
proposition des assemblées coloniales actuellement formées ; aucun
changement ne pourra être prononcé par les législatures, si ce
nJ€St sur la demande formelle et spontanée des assemblées colo-
niales » (1).
(1) D'après la Correspondance générale des départements de
Fiance <t. IL n° 40, p 629). Robespierre serait également intervea*!
au cours de cette séance. Mais il s'agit d'une confusion avec la
séance de la ve;lle, car le journal y mêle les noms de Grégoire
et de Pétion.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 369
Le lô mai, l'Assemblée entamant la discussion de la première
partie de cet article, iReubell propose cet amendement: « L'Assem-
blée nationale décrète qu'elle ne délibérera jamais isur l'état des
gens de couleur qui ne seraient pas nés de père et mère libres,
sans le vœu préalable, libre -et spontané des colonies; que les assem-
blées coloniales actuelles subsisteront; mais que les gens de codeur
nés de père et mère libres seront admis dans toutes les assemblées
paroissiales et coloniales futures, s'ils ont d'ailleurs les qualités
requises ».
Barnave, après avoir obtenu difficilement la parole, une partie
de l'Assemblée demandant à aller aux voix, combat la proposition
de Keubell, comme contredisant le décret rendu la veille qui portait
que l'Assemblée devaio délibérer sur Ja première partie de l'article
ijroposé par son comité. Barnave demande qu'on en revienne à cette
.motion.
Bobespierre intervient et critique à la fois le projet du comité
et l'amendement de Beubell qui fut adopté par l'Assemblée (2).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXVI, p. 23.
« M. Robespierre. Je ne crois pas avoir besoin de répondre à la
première observation du préopinant, par laquelle il a voulu écarter la
discussion, en prétendant que votre décret d'hier avoit préjugé la
question actuelle, puisqu'il est évident, que déclarer qu'il y a lieu
à délibérer sur une motion, ce n'est point adopter la motion elle-même,
à plus forte raison rejetter les amendemens qui pourroient y être pro-
posés. v
« M. Barnave a voulu trouver un autre préjugé, et il a mêlé à ce
préjugé l'idée d'un reproche. Il a prétendu qu'ayant déjà consenti à
une modification de la liberté, ou plutôt ayant déjà consacré en quelque
sorte, l'esclavage dans un article que vous avez décrété, vous ne deviez
pas être si difficiles sur le reste, et que vous deviez continuer de
suivre la route qui vous étoit tracée par les défenseurs des colons
blancs. Et moi je dis et je crois que personne n'a ici le droit de nous
faire un tel reproche : et certes si, dans l'un de vos décrets, vous avez
prononcé le mot d'hommes non libres; vous ne l'avez pas fait librement,
et il est avisé de connoitre ceux qui nous ont réduit à cette cruelle
extrémité. Nous n'avons que trop acquis le droit d'exiger le prix d'un
si grand sacrifice, et j'atteste à l'assemblée que quand nous nous y som-
mes résolus, ou plutôt quand vous vous y êtes résolus, car ce ne fut
jamais mon opinion, vous avez compté sur ce prix, et que vous n'avez
consenti à cet acte extrême de complaisance, pour ceux qui dominoient
alors notre délibération, qu'à condition qu'il vous seroit permis, au
moins, de suivre les principes de la justice et de l'humanité envers des
hommes que vous n'aviez pas trouvés dépouillés de la liberté, mais que
vous avez trouvés libres et que vous devez conserver libres (applaudi
(2) A la suite du vote de ce décret, les députés de Saint Pqmin-
pno et de la Guadeloupe font connaître à l'Assemblée dans la séance,
du l(i 'ii.ti qu'ils s'abbtiendront désormais d'assister aux débats.
370 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
à gauche). Ainsi l'objection du préopinant tourne en entier contre
lui-même.
« Le préopmant n'a pas été plus heureux, à mon avis, lorsqu'il
a cherché un autre préjugé d.e la question actuelle dans vos décrets
précédents; car, messieurs, il est un de vos décrets qui accorde,
de la mamèfê la plus formelle et la plus précise, les droits de citoyens
actifs aux hommes libres de couleur
a Certes, s'il est un moment où l'on puisse invoquer le principe si
souvent réclamé, qu'on ne peut revenir sur vos propres décrets, c'est,
sans contredit, celui où il est question d'un décret qui consacre les
droits les plus sacrés de l'humanité, qui conserve à des hommes des
droits précieux et imprescriptibles qui leur appartenoient avant ce décret.
Or, ce décret-là existe, il est le titre inattaquable des hommes libres
de couleur; c'est celui par lequel vous assurez indistinctement, les droits
de citoyens acHfs à toutes personnes indistinctement dans les colonies,
avec la seule condition quelles seront propriétaires et contribuables.
Or, si le terme toute personne est le terme le plus général que l'on
puisse employer; s'il renferme, à plus forte raison, tous les citoyens
libres avant le décret, il est évident qu'il s'applique aux hommes de
couleur comme aux hommes blancs : et par conséquent, il est impos-
sible, à la vue d'un pareil décret, d'élever encore aucune objection
contre les hommes libres de couleur, à moins qu'on ne vous propose,
formellement et directement, de révoquer votre décret.
« Mais, dit-on, votre décret ne sera point exécuté, et par consé-
quent vous perdrez vos colonies. Quoi ! si vous prononcez en faveur
des hommes libres de couleur, votre décret sera méprisé par les hom-
mes blancs ' et cependant on vous assure que le voeu des blancs éroit
d'accorder les droits de citoyen actif aux colons de couleur : cependant
M. Barnave vous a dit mille fois que les colons blancs étoient attachés
à la mère-patrie, qu'ils sont pleins d'un respect sincère pour les décrets
de l'assemblée nationale; il vous a lui-même présenté les hommages
respectueux, les protestations de fidélité de cette assemblée coloniale,
contre laquelle il avoit provoqué vos décrets; il vous a dit que tous les
colons étoient réunis dans les mêmes sentimens de fidélité à !a mère-
patrie, aux représentans de la nation frarîçoise; et aujourd'hui M. Bar-
nave suppose que la répugnance qu'éprouvent les blancs pour accorder
les droits de citoyen actif aux hommes de couleur est si forte, si
impérieuse, qu'elle les détermineroit à fouler aux pieds vos propres
décrets.
« Et comment après cela, messieurs, pouvez-vous penser que le
vœu qui vous sera adressé par les colons seroit de réclamer eux-mêmes
les droits de citoyen actif en faveur des citoyens libres de couleur ? Il
est impossible de concilier ces contradictions, et de ne pas appercevoir
que le projet qui vous es! proposé tend à dépouiller définitivement les
hommes de couleur de leurs droits, et à vous rassurer par de faux
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 371
prétextes sur l'injustic£ atroce qu'on vous propose. J'ajoute qu'il n'est
pas permis aux membres de l'assemblée nationale qui se chargent de
cette pétition de dire : si vous ne nous accordez pas ce que nous vous
demandons, nous nous révoltons : je dis que la plus grande des foibles-
ses, la plus haute des imprudences des représentans de la nation, seroit
de céder à de pareilles menaces : ce seroit renverser de vos propres mains
les bases de votre autorité (applaudi au fond à gauche). Qu'il me soit
permis, messieurs, de rapprocher encore cette objection de celle^ qui vous
a été faite par un autre orateur qui, au jugement de M. Barnave, est
celui qui a fait la plus vive impression sur l'assemblée; si entre les
deux orateurs qui ont défendu le plus vivement la cause des colons
blancs il y avoit une contradiction manifeste sur le moyen qui a servi
de base à leur opinion, il en résulterait sans doute que leur opinion ne
doit pas inspirer une grande confiance.
« Or, tandis que d'un côté M. Barnave vous a dit que les colons
les plus forts refuseroient d'exécuter votre décret, de l'antre vous savez
très bien que M. l'abbé Maury vous disoit : si vous accordez le droit
de citoyen actif aux hommes libres de couleur, les hommes libres de
couleur étant plus forts s'empareront de la domination, feront révolter
les nègres et égorgeront les blancs (applaudi). 11 est donc impossible de
sacrifier à de pareilles terreurs, à de pareils sophismes, les droits les
plus sacrés de l'humanité, et les principes les plus précieux de notre
constitution. Aussi, suis-je loin d'appuyer sous ce rapport l'amendement
de M Reubell; au contraire, je sens que je ne puis point adopter cet
amendement; je sens que je suis ici pour défendre les droits des hommes
libres de couleur en Amérique, dans toute leur étendue; qu'il ne m'est
pas permis, que je ne puis pas, sans m'exposer à un remord cruel, sacri-
fier une partie de ces hommes-là à une autre portion de ces hommes-
là. Or, je reconnois les mêmes droits à tous les hommes libres, de quel-
que père qu'ils soient nés, et je conclus qu'il faut admettre le principe
dans son entier. Je crois que chaque membre de cette assemblée sent
en avoir déjà trop fait, en consacrant constitutionnellement l'esclavage
dans les colonies » (3).
Le Point du Jour, t. XXII, n° 673, p. 205-206.
« M. Robespierre réplique qu'il ne croit pas devoir répondre à
l'objection prise du décret d'hier; car déclarer qu'il n'y a pas lieu
à délibérer sur une motion, ce n'est pas l'adopter, ce n'est pas s'inter-
dire des amendemens.
a M. Robespierre. M. Barnave se sert contre nous du décret par
lequel vous avez décrété la servitude, comme pour tranquilliser les
colons ; mais nous pouvons retourner cet argument contre lui ; car si
d'un côté vous avez cru ne devoir rien faire pour des hommes que
(3) Toxtc reproduit dans les Arcli. pari., XXVI, 9195.
372 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
vous avez trouvés dans l'esclavage, de l'autre, vous devez faire pour
des hommes que vous avez trouvés libres. (On applaudit). S'il est une
occasion où vous devez vous en tenir strictement à vos décrets, c'est
lorsqu'ils établissent les droits des hommes qui étoient libres à l'époque
de vos décrets. Ils s'appliquent pour les colonies aux hommes de cou-
leur libres comme aux blancs libres. J'invoque le- décret, j'invoque la
maxime que vous me pouvez pas révoquer un tel décret, et il faudroit
rappeller à l'ordre celui qui vous propose de le faire. La question est
donc décidée.
« M. Barnave élèveroit-il la prétention que le décret du 8 mars,
[que] l'instruction, et le décret du 12 octobre enlève aux hommes de
couleur les droits de citoyen actif ? Mais il est impossible de le trouver
dans les décrets. On ne peut donc pas le leur opposer. C'est incon-
testable.
« M. Barnave nous a dit que les colons étoient fortement attachés
à la France, et qu'ils étoient prêts à lui faire tous les sacrifices qu'elle
exigeroit d'eux. Aujourd'hui, il prétend que les colons blancs foule-
roient aux pieds les décrets s'ils ne sont pas conformes à leur attente;
mais je n'examinerai pas une pareille annonce, comme un fait qui peut
faire impression. Non, il n'est pas permis à des membres de l'assem-
blée nationale de dire : si vous ne nous accordez pas ce que nous
demandons, nous n'exécuterons pas vos décrets. Pourquoi cette dure
résistance, si les colons veulent être justes envers leurs frères, leurs
concitoyens ?
« M. Barnave a donné des éloges à l'opinion de M. l'abbé
Mauri; mais a-t-on observé que le premier nous a fait craindre que les
blancs n'égorgeassent les hommes de couleur, et que le second nous
a fait craindre que les noirs n'égorgeassent les blancs ? Au milieu
de ces dangers contraires, quelle délibération pouvons-nous prendre, et
quel problême n'y a-t-il pas dans toutes ces contradictions } Tandis
que vous anéantissez toutes les distinctions de la noblesse en France,
quoiqu'elle fût fondée sur d'antiques préjugés de grandeur, vous allez
en confirmer, en ériger une fondée sur des préjugés de couleur. Com-
ment voulez-vous donc n'adopter ai! l'avis du Comité ni l'amendement
de M. Reubell, qui ne conviennent pas à l'Assemblée, si elle veut
être entièrement juste ? Je les rejette tous les deux.
« M. Robespierre a terminé son opinion en disant : Je suis ici
pour défendre les hommes de couleur. Je ne puis pas, sans remords,
sacrifier cette classe de citoyens libres et propriétaires qui ont des
droits incontestables.
« Je crois que nous devons dire que nous en avons fait assez pour
les colonies, en consacrant l'esclavage par l'article premier du co-
mité... » (4).
(4) Cf. E. Hamel, I, 439.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 373
Journal du Soir (Beaulieu), 1791, n° 134, p. 3.
Le Législateur français, 16 mai 1791, p. 6.
[Ces journaux résument l'intervention de Robespierre et en repro-
duisent les passages suivants : J
« Si vous renversez de vos propres mains, disoit-il, ces principes
impérissables gravés dans le cœur de tout être pensant, et que vous
avez consacré au milieu des luttes et des combats, vous détruisez les
bases de votre majestueux édifice; vous n'avez plus de boussole, et
vous serez réduits à errer au ihazard, au gré des passions et de la cor-
ruption. Vos ennemis se serviront de vos erreurs pour vous conduire de
précipices en précipices et lorsque vous réclamerez en votre faveur !a
liberté et les droits d'égalité, ils vous citeront vos propres décrets
Mesurez, si vous l'osez, la profondeur de l'abîme où vous allez vous
jetter, et réfléchissez : quand on n'a plus ni morale, ni principes, c'en
est fait de la liberté. »
« ...Est-il bien vrai, disoit-il, que les hommes qui murmurent
quand ils demandent un décret, seront justes et humains s'ils l'obtien-
nent ? Pourquoi donc cette longue et invincible résistance, si elle n'avoit
pas pour objet l'oppression et l'esclavage d'une portion intéressante
des habitans des Colonies; et si on vouloit le bonheur de ses frères,
qu'on m'explique pourquoi on ne peut le laisser faire à d'autres. »
Journal de Rouen, 1791, n° 136, p. 659.
« M. Robertspierre. Je vais suivre la même marche qu'a suivie
M. Barnave. Il nous a opposé des décrets, je lui oppose, moi, l'art. 4
de celui du mois de mars; il est formel, il est précis: l'assemblée
n y a point dérogé, il doit subsister dans son entier. »
[Puis ce journal résume les réponses de Robespierre aux argu-
ments des différents orateurs] (5).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 136, p. 564.
« M. Roberspierre. On a suffisamment répondu dans le cours de
la discussion à tout ce que vient de dire M. Barnave. Quant au décret
qil*il prétend avoir été rendu hier, je lui observerai que déclarer qu'il
y a lieu à délibérer sur un article, ce n'est pas l'adopter II prétend
qu'ayant déjà par un décret consacré l'esclavage, nous ne devons pas,
ou pour mieux dire, vous ne devez pas faire tant de difficulté sur le
reste. Mais l'avez-vous prononcé bien librement ce mot esclavage ?
N'est-il pas aisé de reconnaître ceux qui vous ont conduits à rette
(5) 'Le Journal de Rouen <n° 137, p. 663) levient « sur l'opinion
de M. Robertspierre qui paroît avoir singulièrement influé sur ].i
^tewnination âe l'Assamblée ». FI reproduit, de même que le Coar
lier français (t. XT, n° 136, p. 115) un passage du Journal du Soir,
depuis: « Avant la Révolution... jusqu'à « c'en est fait de la
liberté ».
374 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
cruelle extrémité ? Si vous avez adopté un décret, dont il y a six
mois les colons n'auraient osé vous proposer l'idée; pour prix d'un
pareil sacrifice, on trouve étrange que vous vouliez consacrer des prin-
cipes de liberté envers ceux que vous avez trouvés libres. Quant à moi,
je sens que je suis ici pour défendre les droits des hommes, je ne puis
consentir à aucun amendement, et je demande que le principe soit
adopté dans son entier.
« M. Roberspierre descend de la tribune au milieu des applau-
dissemens réitérés de la partie gauche et de toutes les tribunes » (6).
Mercure universel, t. III, p. 253.
« M. Robespierre. Si l'assemblée a décidé hier qu'il y a lieu
à délibérer sur la première partie de l'article du comité, il est donc
convenu que l'on ne pouvoit pas adopter l'ensemble de ce décret, et
conséquemment qu'il pourrait y être réuni des amendemens. M. Bar-
nave vous a dit quet parce que dans un article vous aviez décrété
l'esclavage, vous ne deviez pas être si difficiles sur le reste; mais en
accordant l'initiative aux colonies, comme elles sont composées d'hom-
mes de couleur libres et de colons blancs, vous avez donné l'initiative
et aux uns, et aux autres : or, je dis que l'assemblée peut revenir sur
ses décrets. Que répondrez-vous quand, dans l'avenir on vous dira : d'une
main vous avez proclamé l'égalité, de l'autre l'esclavage ? que répon-
drez-vous quand on vous dira que vous avez, par un motif d'intérêt,
anéanti les droits d'une classe des Français, des citoyens libres '? Que
répondrez-vous, quand ils vous reprocheront d'avoir avili leur postérité,
d'avoir soumis des hommes libres à d'autres hommes, leurs égaux ? Je
ne puis adhérer au projet du comité. (Très applaudi).
Assemblée nationale, Corps adm:nistratifs (Perlet), t. XI, n° 649, p. 5.
« M. Robespierre a réfuté courageusement tous les sophismes de
M. Barnave. Il a montré l'inconséquence des colons blancs, dont les
députés dans l'assemblée assurent que le congrès qui sera nommé
votera en faveur des gens de couleur, et qui ne veulent pas que l'as-
semblée constituante de tout l'empire français, fasse elle-même pour
eux ce que les colons veulent faire eux-mêmes ; ou leur promesse est
une perfidie, ou ils veulent avoir la barbare vamié d'accorder aux gens
de couleur comme une grâce, ce qui n'est qu'une justice rigoureuse;
et comment compter sur les dispositions humaines de la part des colons
blancs, quand ils viennent vous menacer avec arrogance de l' insurrection
et de l'inexécution de vos décrets si vous rendez une décision qui
offense leur vanité. L'opinant a ajouté qu'il n'avait vu qu'avec douleur
qu'on eût arraché à l'assemblée un décret déjà si cruel pour les hommes
non libres, et qu'en répondant aux objections de M. Barnave contre
(6) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 395.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 375
l'amendement de M. Reubell, il ne pouvait néanmoins l'adopté?, parce
qu il n'éto't pas en lui de composer avec les princoipes et avec les droits
sacrés de l'humanité. »
Journal universel, t. XI, p. 7019.
« M. Robespierre, toujours ferme sur les principes, a combattu
M. Barnave et fait connoitre les contradictions qu'il avoit produites
dans la défense des blancs. Il a surtout fait sentir qu'il étoit bien
étrange que M. Barnave, représentant de la nation, menaçât de désobéis-
sance à la loi, si les blancs ne gagnaient pas; ne pouvant se déterminer
à composer sur les principes, il a réclamé nettement le titre de citoyens
actifs pour tous les hommes qui, sans distinction de couleur, remplissent
les conditions exigées par la loi. »
Révolutions de France et de Brabant, t. VI, n° 78, p. 596-598.
« On a fait des réflexions fort judicieuses sur le décret du 14.
L'assemblée nationale ne délibérera jamais sur l'état des personnes non
nées Je père et mère .libres, si elle n'est requise librement par les Co-
lonies. Ici l'assemblée s'interdit de délibérer jamais sur l'esclavage des
noirs; voilà bien ce qui s'appelle sacrifier les principes et se déshono-
rer, aussi Péthion, Robespierre et Grégoire, n'ont-ils pas voulu partager
ce déshonneur et ont rejette ce décret. Dans les assemblées coloniales,
les personnes de couleur nées de père et mère libres, seront admises à
tous les droits de l'activité. »
« Il est impossible de voir plus à découvert l'esprit de parti, qu»
pour acquérir la majorité a d'abord mis en avant Robespierre, PétSion
et Grégoire, afin de se couvrir de leur probité, de leur popularité, et
lorsqu'aidé de ce secours, et de la faveur des principes, il a eu acquis
cette majorité, a ensuite sacrifié et les principes et les Colonies, pour
le vain plaisir d'humilier Barnave, et un certain parti qui d'ailleurs
n'est pas exempt de reproches » (7).
Le Patriote françois, 1791, n" 646, p. 537.
\Après avoir résumé le décret adopté par l'Assemblée, ce journal
ajoute :]
« Nous devons observer qu'à sept ou huit Jacobins près, tous ont
voté pour ce décret ; il en faut encore excepter ceux qni tiennent aux
(7) Le « certain parti » pourrait être celui de Lafayette que
Camille DesinouJins redoute davantage depuis la mort de Mirabeau
et qu'il accuse de complicité ;l;uis ,!;i préparation d'une évasion <lu
) -M. A ce parti, Camille voudrait opposer une coalition des patriotes;
e. il y comprend les Lameth et Barnave; de là, le passage de l'extrait
qui est sympathique à Barnave. 11 ne faudrait donc pas l'entendre
comme une marque d'hostilité pour les hommes de couleur. Toutefois
on doit se souvenir que les Lameth étaient propriétaires à Saint-
Bomingue et que Camille a donc bien pu incliner vers les colons
(Benseignements fournis par M. H. Calvet).
376 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
principes rigoureux, tels que MM. Pétion, Robespierre, Grégoire,
etc.. » (8).
L'Ami du Roi (Montjoie), 16 mai 1791, p. 543.
« M. Barnave a été remplacé à la tribune par M. Roberspierre,
qui, en sa qualité de défenseur des noirs, a été écouté en silence. Il a
rejette le projet du comité, et l'amendement de M. Reubell; !e projet
parce qu'il a donné l'initiative aux colons; et l'amendement, parce qu'au
lieu d'admettre indistinctement dans les assemblées primaires, tous les
hommes de couleur libres, il n'y admet que les hommes de couleur
nés de père et mère libres.- »
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. II, n° 311, p. 3.
« M. Roberspierre a pris la parole pour combattre M. Barnave.
M. le président a été obligé de faire cesser les applaudissemens que
toutes les tribunes donnoient à l'antagoniste de M. Barnave.
« M. Roberspierre a répondu aux objections du préopinant; il a
aussi rejette l'amendement proposé par M. Reubell. Cet amendement,
a-t-il dit, ne peut que diminuer l'esclavage, et moi je reconnois que
je suis ici pour défendre la liberté en son entier. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal général,
n° 105, p. 420; Le Courrier extraordinaire, 16 mai 1791, p. 4: La
Correspondance nationale, n° 27, p. 159.]
2e intervention :
La discussion ayant été fermée, la partie droite et quelques,
membres de la partie gauche demandèrent la question préalable sur
ia rédaction présentée par Reubell. Le vote qui suivit ayant paru
douteux. Robespierre remonte à la tribune. Malgré l' intervention
de l'abbé Maury et l'opposition de la droite, l'article est décrété
d'après la rédaction proposée par Reubell.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logo graphique, t. XXVI, p. 26.
« M. Robespierre. Je demande qu'on retranche de l'article pro-
posé la disposition qui porte que l'assemblée nationale ne prononcera
jamais sur les hommes libres de couleur, dont les père et mère n'étoient
point tous deux libres, sans la proposition libre spontanée des colonies.
Je demande que tous les hommes libres de couleur jouissent de tous
(8) Brissot ajoutera plus tard cette .appréciation sur le rôle des
trois députés (Patriote françois, n° 671, p. 642) : « Dans la question
relative aux colonies, j'ai 'sur-tout été satisfait des discours de
MM. Grégoire, Pétion et Robespierre, on diroit qu'ils ont toute
leur vie habité les colonies, tant ils connoissent parfaitement les
mœurs et l'esprit des habitans ; ce qu'ils proposent est le seul moyen
de nous assurer pour toujours leur attachement. d>
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 377
les droits qui leur appartiennent. (Murmures à droite et à gauche: la
question préalable! » (9).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 136, p. 564.
« M. Roberspierre . Je persiste à demander l'adoption du prin-
cipe.
L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur la proposition de M. Ro-
berspierre » (10).
JBrève mention de cette intervention dans Le Journal des Débats,
t. XX, n° 722, p. 13; Le Point du Jour, t. XXII, p. 207; Le Mer-
cure universel, A. III, p. 255.1
(9) Texte utilisé par les Arch. pari., XXVI, 95.
(10) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 404.
289. — SEANCE DU 16 MAI 1791
Sur l'éligibilité des députés
de l'Assemblée nationale a la première législature
!" intervention
T/houret, au nom du comité de constitution, présente à l'Assem-
blée un rapport sut l'organisation du corps législatif. Il soumet
immédiatement à la discussion deux articles, dont l'art 7 ainsi
conçu- «Les membres de la précédente législature pourront être
réélus ».
Robespierre prenant aussitôt la parole pour une motion d'ordre,
demande que les membres de l'Assemblée nationale ne puissent être
réélus à la première législature (1). Garât l'aîné, puis Pétio.a
appuient la motion de Robespierre. Une partie de l'Assemblée
demande à aller aussitôt aux voix. Un important débat s'instaure
cependant.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXVI, p. 45.
« M. Robespierre. Je demande la parole pour une motion d'ordre.
« M. Thovret. Si quelqu'un s'élève contre la proposition que j'ai
faite, c'est véritablement là le moment de l'entendre.
« M. Robespierre. Il m'a paru que la question qui devoit être
agitée la première dans l'assemblée étoit déterminée par la nature
même de la délibération. Il me semble convenable et utile sous tous
(1) E. Hamel signale qu'à la fin de septembre 1789, le vicomte
de Mirabeau aurait demandé, à propos d'une motion de Voluey,
Qu'aucun membre de l'Assemblée ne pût être réélu à la prochaine
législature (Cf. Arch. pari., VIII, 43).
378 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
les rapports qu'avant de fixer définitivement les fonctions, les pouvoirs
de la législature, le mode d'élection qui devoit y conduire, il m'a
paru, dis-je, très convenable et très-utile que le législateur, lui-même
se désintéressât dans cette grande question : il m'a paru qu'il étoit
beaucoup plus intéressant que nous délibérassions sur le corps législatif,
comme des citoyens qui dévoient bientôt rentrer dans la classe commune,
plutôt que de délibérer comme des législateurs qui pourroient continuer
d'être membres du corps qu'ils alloient organiser.
« En conséquence, je fais la motion dans ces fermes précis :
qu'avant de discuter aucune des questions proposées, l'assemblée décrète
que les membres de l'assemblée actuelle ne pourront être membres [de
la prochaine législature] {très vifs applaudissemens : les deux côt«s de
l'assemblée se lèvent et demandent à aller aux voix) » (2).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 137, p. 568.
« M. Roberspierre. Je demande la parole pour une motion d'ordre
indiquée par la nature même de la délibération, afin que nous puissions
voter comme de simples citoyens, et non pas comme des hommes qui
pourroient être réélus. Je demande donc que l'Assemblée décète
d'abord que les membres de l'Assemblée actuelle ne pourront être
élus à la première législature. (On applaudit à plusieurs reprises dans
toutes les parties de la salle, et on demande à grands cris à aller aux
voix) » (3).
Journal des Débals, t. XX, n° 723, p. 8.
« M. Robespierre a interrompu M. le Rapporteur, pour demander
que l'Assemblée Nationale, avant d'entrer dans la discussion du Corps
législatif, se désintéressât tout-à-fait sur toutes les questions qu'elle
devoit traiter, en considérant déjà chacun de ses Membres comme un
Citoyen qui va rentrer dans la foule des Citoyens. 11 a fait la motion
expresse que l'Assemblée décidât sur-le-champ que les Membres d une
Législature ne seroient point éligibles à la Législature suivante. Cette
motion a été aussi-tôt couverte d' applaudissemens. La plupart des Mem-
bres du côté gauche, et tous ceux du côté droit se sont levés, et ont
crié : aux voix la motion de M. Robespierre ! »
Journal de Paris, 17 mai 1791, p. 544.
« M. Robespierre a demandé la parole : et partant, dirigeait au
moins sur le champ la discussion sur le point qui attiroit déjà le regard
de tous les esprits; pour opiner, a-t-il dit, avec impartialité sur la
réélection des Membres des Législatures, il faut commencer par nous
désintéresser entièrement nous-mêmes sur le résultat de la décision:
(2) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVI, 111
(3) Text*~ reproduit dans le Moniteur, VJII. 411; et dans Bûchez
et Roux, X, 25.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 379
il faut prononcer avant tout que les Membres de l'Assemblée consti-
tuante ne pourront pas être réélus à la Législature qui doit la remplacer.
« De nombreux applaudissemens ont éclaté et annoncé de toutes
parts qu'un vœu général étoit déjà formé dans l'Assemblée Nationale.
On crioit aux voix, et on n'avoit pas besoin de les comDter pour voir
qu'elles formoient la majorité pour la motion qui étoit si fortement
applaudie. »
Le Point du Jour, t. XXII, p. 211.
« M. Robespierre a pris le premier la parole sur la première ques-
tion relative à l'élection des députés d'une législature à l'autre.
« Cette question est délicate, a-t-il dit, nous ne pouvons la discuter
avec dignité et sur-tout avec impartialité qu'autant que nous serons dé-
pouillés de tout intérêt personnel. Il faut que pour l'examiner de sang-
froid nous nous placions à l'instant dans la classe des citoyens privés.
Je demande donc qu'à l'instant il soit décrété sans rien préjuger pour
les autres législatures que les membres de cella-ci ne seront pas réélus.
(Vif enthousiasme dans une partie de l'assemblée). »
Le Législateur français, t. II, 17 mai 1791, p. 3.
Courrier d'Avignon, 1791, n° 120, p. 478.
« M. Robertspierre, avant que la discussion fût entamée, a de-
mandé la parole pour une motion d'ordre. Avant de commencer cette
délibération, disoit l'honorable membre, il faut écarter de nous tout ce
qui pourroit faire croire que nous allons discuter nos intérêts individuels;
il faut délibérer ici comme de simples citoyens, n'ayant uniquement
en vue que la chose publique; je demande donc qu'il soit décrété avant
tout que les membres d'une législature ne pourront être réélus pour cel'e
qui la suivra.
« Cette motion a été appuyée par presque toute l'assemblée, à
droite et à gauche, dans le milieu de la salle tout le monde s'est levé
en criant : aux voix, aux voix. »
Mercure universel, t. III, p. 266.
« M. Robespierre. Avant de fixer les grandes questions de la
législature, nous devons nous regarder, non comme législateurs, mais
comme citoyens, afin de ne point être juges et parties dans notre propre
cause. Il importe de se placer convenablement pour bien juger. En con-
séquence je fais la motion, qu'avant de discuter sur les articles de
l'organisation de la législature, il soit décrété qu'aucun membre de
cette assemblée ne sera réélu dans la prochaine législature. (Les plus
Vifs applaudissemens de tous les coins de la salle). »
L'Ami du Roi (Royou), 1791, n" 364, p. 2.
« M. de Robespierre, sur-tout, s'est distingué dans cette occasion.
380 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Si l'on veut discuter cette matière, je demande au moins, a-t-il dit,
que pour écarter tout soupçon d'intérêt personne^ on commence par
statuer que les membres de la législature actuelle ne seront pas éligibles
pour la prochaine. Mais malgré les clameurs de haro qui poursuivoient
le commentateur normand (4), il s'est présenté fièrement au combat;
il a supplié l'assemblée de ne pas livrer le sort des législateurs actuels
aux mouvemens impétueux et au cri de l'honneur, de juger leur cause
avec le calme et la réflexion qui ont préparé tant d'immortels décrets,
et s'est engagé, si on vouloit l'écouter, de dissiper, avec le flambeau
de sa métaphysique, ce prestige de l'honneur qui fascine les yeux, e;
de confondre ces raisons factices, ennemies de la raison éternelle. a
L'Ami des Patriotes, t. II, n° 26, p. 285.
« C'est M. Robespierre qui a proposé celui-ci; et M. l'abbé
Maury, pour témoigner son extrême satisfaction, est monté sur un
banc...
« M. Cazalès demandoit la parole pour établir le système de la
rééligibilité perpétuelle ; toute la droite s'est levée pour la lui refuser ;
toute la gauche la lui a accordée, à la réserve de MM. Pétion. Buzot,
Robespierre, et cinq à six personnes qui les entourent et qui se placent
ordinairement près du bureau » (5).
Journal de la Noblesse, t. II, n° 22, p. 59.
« MM. Robespierre et Garât l'aîné (6), se sent déclarés pour la
non-réélection. « Nous ne devons pas, a dit le premier, voter comme
des hommes qui peuvent être réélus, mais bien comme de simples
citoyens. Il faut donc décider que les membres, de l'assemblée actuelle
ne pourront être réélus à la première législature. »
« Des cris tumultueux se sont élevés à l'instant dans la salle pour
que l'on décrétât sur le champ la proposition de M. Robespierre. »
Le Spectateur national, n° 166, p. 719.
« M. Robespierre et plusieurs autres députés du côté gauche ont
demandé qu'il fût, sur le champ, décidé qu'aucun membre de l'assem-
blée nationale actuelle ne pourrait être élu à la prochaine législature.
Un mouvement qui s'est fait ensuite remarquer dans toutes les parties
(4) Il s'agit de Thouret.
(5) Le côté droit appuya, en effet, la motion de Robespierre
(Cf. Marquis de Ferrières, Mémoires, II, 286). De même, Robespierre
écrira plus tard, dans son Défenseur de la Constitution, n° 3 (Edi-
tion de G. Laurent, p. 81) : « iCe n'est point les Cazalès et les Maury
qui, dans l'Assemblée 'constituante, ont porté des coups mortels à la
liberté, ils contribuèrent même quelquefois à son triomphe » (Cité
par G. Walter, p. 661, note 72).
(6) Gorsas, dans son Courrier, t. XXIV, n° 17, p. 269. qualifie
Garât l'aîné « d'amant de l'abbé Maury ».
LES DISCOURS DEr ROBESPIERRE 381
de la salle, a fait croire qi'e la motion de M. Robespierre alloi* être
accueillie par acclamation; mais -M. Garât l'aîné a arrêté cette ardeur
naissante. »
L'Ami du Roi (Montjoie), 17 mai 1791, p. 545.
« M. Robespierre qui s'est acquis beaucoup de gloire dans !e
cours de cette discussion, a été d'avis qu'il falloit sur-le-champ décréter
qu'aucun membre des législateurs ne pourrait être réélu dans la législa-
ture suivante.
« Il étoit naturel que M. Robespierre, en dénonçant une telle
opinion, parlât du décret déjà rendu, mais il n'a eu garde de le faire,
pour ne pas priver ses co-députés du mérite d'un nouveau sacrifice (7).
« On a si bien compris la sagesse de son intention, que par un
mouvement subit, toute l'assemblée s'est levée, et on n'a entendu
qu'un cri; ce cri, c'étoit de mettre à l'instant aux voix la proposition
de M. Roberspierre. »
Journal du Soir (des Frères Ghaignieau), t. II, n° 312, p. 2.
« M. Roberspierre a pris la parole sur la première question de
l'aptitude des députés à être réélus: cette question est délicate, nous
ne pouvons la discuter avec dignité, qu'autant que nous nous serons
dépouillés de tout intérêt personnel. Il faut que pour l'examiner tran-
quillement, nous nous placions à l'instant dans la classe des citoyens
privés. Je demande qu'à l'instant il soit décrété, sans rien préjuger pour
les autres législatures, que les membres de celle-ci ne seront point
réélus.
« Cette proposition a été saisie avec enthousiasme. Toute la partie
gauche et ime section de la droite se sont levées et ont demandé la mise
aux voix. »
Mercure de France, 28 mai 1791, p. 274.
« M. Roberspierre a demandé que l'Assemblée, avant de discu-
ter, se désintéressât sur toutes les questions qu'elle alloit traiter; et pour
cela, a fait la motion expresse qu'on décrétât sur-le-champ que les
membres d'une législature ne seront pas éligibles à la législature suivante.
La proposition a été couverte d'applaudissemens. Beaucoup de mem-
bres du côté gauche, et tous ceux de la droite se sont levés, en criant :
aux voix; en rendant justice à ce que cette motion pouvoit avoir d'ho-
norable. »
(7) Après la motion <le Robespierre (iarat rappela en effet que
i- question avait, déjà été tranchée par un décret du 11 septembre
789. Thouret, dans Je discours qu'il prononça ensuite, montra qu'il
usait erreur: le 14 septembre, on décida que chaque législatun
?rait renouvelée en totalité, onais sans préciser si aes îru-mb.; es
fraient rééligibles ou non.
382 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Mercure national et étranger, 17 mai 1791, p. 494.
« M. Robespierre a fait la motion expresse de décréter qu'aucun
membre de l'Assemblée nationale actuelle ne pourra être réélu dans
la législature suivante. Je crois, a-t-il dit, que nous discuterons mieux
cette importante matière, lorsque nous aurons écarté de nous toute idée
d'intérêt personnel, et que nous serons bien convaincus que nous allons
rentrer dans la classe des citoyens. Toute l'assemblée s'est levée avec
un cri unanime d'approbation, et l'on a demandé les voix avec instance.»
Le Creuset, t. II, n° 41, p. 285.
« Avant de commencer cette délibération, a dit le candide et pur
Robespierre, écartons soigneusement de nous tout ce qui pourroit donner
lieu de penser que nous allons discuter des intérêts individuels. Nous
devons délibérer comme fercient eux-mêmes ceux que nous représen-
tons. Je demande qu'avant tout il soit délibéré que les membres d'une
législature ne pourront être réélus pour celle qui la suivra. Un oui, non
moins honorable que le non essuyé par l'indigne comité, s'est élevé
avec la même presque unanimité; ef il a été suivi du cri, aux voix, aux
voix! »
[Brève mention de cette intervention dans Assemblée nationale,
Corps administratifs (Perlet), t XI, nu 650, p. 3; Le Journal de Rouen,
n° 137, p. 644; Les Révolutions de Paris (Prudhomme), n° 97, p. 308;
La Feuille dh Jour, t IV, n° 137, p. 385; Le Courrier des LXXXIII
départemens, t. XXIV, n° 17, p. 269; Le Journal général de France,
17 mai 1791, p. 545; Le Journal universel, t. XI, p. 7022; La Corres-
pondance nationale, n" 27, p. 160; Le Patriote jrançois, n° 647,
p. 541 ; La Gazette nationale ou Extrait..., t. XVI, p. 370; Le Cour-
rier extraordinaire, 17 mai 1791, p. 3.]
2' intervention
A .la suite de la motion de Robespierre, Thouret, reprenant la
parole, défend le projet du comité et l'Assemblée décrète l'impres-
sion de son discours. Prugnon se range à l'avis de Robespierre; il
propose en outre que les membres d'une législature quelconque ni'
puissent être rééligibles qu'après un intervalle de quatre années
L'impression de son discours est décrétée. Merlin, par contre,
appme l'opinion du comité.
Après une courte interruption, l'Assemblée revient à l'ordre du
jour. Robespierre prend la parole pour défendre sa motion. L'As-
semblée ordonne à la presque unanimité l'impression de son discours.
La discussion est fermée, malgré l'insistance de Briois de Beauniez,
de Le Chapelier et de Rcubell qui propose d'ajouter en amendement
que les membres *des législatures suivantes pourront être réélus.
v L'Assemblée décréta 'à la presque unanimité que ses membres
ue pourraient être élus à la première législature.
LÉS DISCOURS DÉ ROBESPIERRE 383
DISCOURS DE MAXIMILIEN ROBESPIERRE
A L'ASSEMBLEE NATIONALE
Sur la Réélection des Membres de' l'Assemblée Nationale
Imprimé par ordre de l'Assemblée nationale (8)
Messieurs,
Les plus grands législateurs de l'antiquité, après avoir donné une
constitution à leur pays, se firent un devoir de rentrer dans la foule des
simples citoyens, et de se dérober même quelquefois à l'empressement
de la reconnoissance publique. Ils pensoient que le respect des lois nou-
velles dépendoit beaucoup de celui qu'inspiroit la personne des législa-
teurs, et que le respect qu'imprime le législateur est attaché en grande
partie à l'idée de son caractère et de son désintéressement. Du moins,
faut-il convenir que ceux qui fixent la destinée des nations et des races
futures, doivent être absolument isolés de leur propre ouvrage; qu'ils
doivent être comme la nation entière, et comme la postérité. Il ne suffit
pas même qu'ils soient exempts de toute vue personnelle et de toute
ambition; il faut encore qu'ils ne puissent pas en être soupçonnés. Pour
moi, je l'avoue, je n'ai pas besoin de chercher dans des raiso.nnemens
bien subtils la solution de la question qui vous occupe; je la trouve
dans les premiers principes de la droiture et dans ma conscience. Nous
allons délibérer sur la partie de la constitution qui est la première base
de la liberté et du bonheur public, l'organisation du corps législatif;
sur les règles constitutionnelles des élections, sur le renouvellement des
corps électoraux. Avant de prononcer sur ces questions, faisons qu'elles
nous soient parfaitement étrangères: pour moi, du moins, je crois devoir
m'appliquer ce principe. En effet, je suppose que je ne fusse pas
inaccessible à l'ambition, d'être membre du corps législatif, et certes
je déclare avec franchise que c'est peut-être le seul objet qui puisse
exciter l'ambition d'un homme libre; je suppose que les chances qui
pourroient me porter à cet emploi fussent liées à la manière dont les
grandes questions nationales dont j'ai parlé seroient résolues; sero>s-je
dans cet état d'impartialité et de désintéressement absolu qu'exige une
tâche aussi importante ? Et si un juge se récuse lorsqu'il tient par quel-
qu'affection, par quelqu'intéret même indirect, à une cause particulière,
serois-je moins sévère envers moi-même, lorsqu'il s'agit de la cause des
peuples ? Non. Et puisqu'il n'existe pour tous les hommes qu'une même
morale, qu'une conscience, je conclus que cette opinion est celle de
l'Assemblée nationale toute entière. C'est la nature même des choses
(H) Brochure in-b°, 11 p., Paris, Imprimerie Nationale, s.d. ;
B.N. 8'J Le -y/l 506, Le 27/10 <65), Le 27/10' A (55). Ce catalogue la
dote par erreur du 17 mai. Arch. .nat., AD XVIII a 60. Biblio. de-la
Sorbonne HFr 140. Biblio mazarine, n° 42.734.
384 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
qui a élevé une barrière entre les auteurs de la constitution et les assem-
blées qui doivent venir après eux. En fait de politique, rien n'est
utile que ce qui est juste et honnête; et rien ne prouve mieux cette
maxime que les avantages attachés au parti que je propose.
Concevez-vous quelle autorité imposante donneroit à votre consti-
tution le sacrifice prononcé par vous-mêmes des plus grands honneurs
auxquels vos concitoyens puissent vous appeler ? Combien les efforts de
la calomnie seront foibles, lorsqu'elle ne pourra pas reprocher à un seul
de ceux qui l'ont élevée, d'avoir voulu mettre à profit le crédit que
leur mission même leur donne sur leurs commettans, pour ordonner son
pouvoir; lorsqu'elle ne pourra pas même dire que ceux qui passent pour
avoir exercé une très-grande influence sur vos délibérations, ont eu la
prétention de se faire de leur réputation et de leur popularité un moyen
d'étendre leur empire sur une assemblée nouvelle; lorsqu'enfin on ne
pourra pas les soupçonner d'avoir plié au désir très-louable en soi de
servir la patrie sur un grand théâtre, les principes des importantes déli-
bérations qui nous restent à prendre.
Cependant, si incapables de tout retour personnel sur eux-mêmes,
ils étoient attachés au système contraire, par des scrupules purement
relatifs à l'intérêt public, il me semble qu'il seroit facile de les dissiper.
Plusieurs semblent croire à la nécessité de conserver dans !a légis-
lature prochaine une partie des membres de l'Assemblée actuelle;
d'abord, parceque, pleins d'une juste confiance en vous, ils désespèrent
que nous puissions être remplacés par des successeurs également dignes
de la confiance publique.
En partageant le sentiment honorable pour l'Assemblée actuelle,
qui est la base de cette opinon, je crois exprimer le vôtre, en disant
que nous n'avons ni le droit, ni la présomption de penser qu'une nation
de vingt-cinq millions d'hommes, libre et éclairée, est réduite à l'im-
puissance de trouver facilement 720 défenseurs qui nous vaillent. Et si,
dans un temps où l'esprit public n'étoit point encore né, où !a nation
ignoroit ses droits, et ne prévoyoit point encore sa destinée, elle a pu
faire des choix dignes de cette révolution, pourquoi n'en feroit-e!le pas
de meilleurs encore, lorsque l'opinion publique est éclairée et fortifiée
par une expérience de deux années si fécondes en grands évènemens
et en grandes leçons.
Les partisans de la réélection disent encore qu'un certain nombre
de membres, et même que certains membres de cette Assemblée sont
nécessaires pour éclairer, pour guider la législature suivante par les
lumières de leur expérience, et par la connoissance plus parfaite des
lois qui sont leur ouvrage.
Pour moi, sans m'arrêter à cette idée qui* a peut-être quelque
chose de spécieux, je pense d'abord, que ceux qui, hors de cette
Assemblée, ont lu, ont suivi nos opérations, qui ont adopté nos décrets,
qui les ont défendus, qui ont été chargés par la confiance publique de
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 385
les faire exécuter, que cette foule de citoyens dont les lumières et le
civisme fixent les regards de leurs compatriotes, connoissent aussi les
lois et la constitution, je crois qu'il n'est pas plus difficile de les con-
noître, qu'il ne l'a été de les faire. Je pourrois même ajouter que ce
n'est pas au milieu de ce tourbillon immense d'affaires où nous nous
sommes trouvés, qu'on a été le plus à portée de connoître l'ensemble et
les détails de toutes nos opérations; je pense d'ailleurs que les prin-
cipes de cette constitution sont gravés dans le cœur de tous les hommes,
et dans 1 esprit de la majorité des François; que ce n'est point de la
tête de tels ou tels orateurs qu'elle est sortie, mais du sein même de
l'opinion publique qui nous avoit précédés, et qui nous a soutenus. C'est
à elle, c'est à la volonté de la nation, qu'il faut confier sa durée et sa
perfection, et non à l'influence de quelques-uns de ceux qui la repré-
sentent en ce moment. Si elle est votre ouvrage, n'est-elle pas le patri-
moine des citoyens qui ont juré de la défendre contre tous ses ennemis ?
N'est-elle pas l'ouvrage de la nation qui l'a adoptée ? Pourquoi les
assemblées de représentans choisis par elle n'auront-elles pas droit à la
même confiance ? Et quelle est celle qui oseroit renverser la constitu-
tion contre sa volonté ? Quant aux prétendus guides qu'une assemblée
pourroit transmettre à celles qui la suivent, je ne crois point du tout
à leur utilité. Ce n'est point dans l'ascendant des orateurs qu'il faut
placer l'espoir du bien public, mais dans les lumières et dans le civisme
de la masse des assemblées représentatives : l'influence de l'opinion
publique et de l'intérêt général diminue en proportion de celle que
prennent les orateurs; et quand ceux-ci parviennent à maîtriser les déli-
bérations, il n'y a plus d'assemblées, il n'y a plus qu'un fantôme de
représentation. Alors se réalise le mot de Thémistocle, lorsque montrant
son enfant, il disoit : voilà celui qui gouverne la Grèce; ce marmot
gouverne sa mère, sa mère me gouverne, je gouverne les Athéniens,
et les Athéniens gouvernent la Grèce. Ainsi une nation de vingt-cinq
millions d'hommes seroit gouvernée par l'Assemblée représentative,
celle-ci par un petit nombre d'orateurs adroits, et par qui ces orateurs
seroient-ils gouvernés quelquefois?... Je n'ose le dire, mais vous pour-
rez facilement le deviner. Je n'aime point cette science nouvelle qu'on
appelle la tactique des grandes assemblées : elle ressemble trop à l'in-
trigue : la vérité et la raison doivent seules régner dans les assemblées
législatives. Je n'aime pas que des hommes habiles puissent, en domi-
nant une assemblée par ces moyens, préparer, assurer leur domination
sur une autre, et perpétuer ainsi un système de coalition qui est le fléau
de la liberté. J'ai de la confiance en des représentans qui, ne pouvant
étendre au-delà de deux ans les vues de leur ambition, seront forcés
de la borner à la gloire de servir leur pays et l'humanité, de mériter
l'estime et l'amour des citoyens dans le sein desquels ils sont sûrs de
retourner à la fin de leur mission. Deux années de travaux aussi brilïans
qu'utiles sur un tel théâtre suffisent à leur gloire. Si la gloire, si* le
386 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
bonheur de placer leurs noms parmi ceux des bienfaiteurs de la patrie
ne leur suffit pas, ils sont corrompus, ils sont au moins dangereux; il faut
bien se garder de leur laisser les moyens d'assouvir un autre genre
d'ambition. Je me défierois de ceux qui, pendant quatie ans, reste-
roient en butte aux caresses, aux séductions royales, à la séduction de
leur propre pouvoir, enfin à toutes les tentations de l'orgueil ou de la
cupidité. Ceux qui me représentent, ceux dont la volonté est censée
la mienne, ne sauroient être trop rapprochés de moi, trop identifiés
avec moi, sinon la loi, loin d'être la volonté générale, ne sera plus que
l'expression des caprices ou des intérêts particuliers de quelques ambi-
tieux; les représentans, ligués contre le peuple, avec le ministère et la
cour, deviendront des souverains, et bientôt des oppresseurs. Ne nous
dites donc plus que, s'opposer à la réélection, c'est violer la liberté
du peuple. Quoi ! est-ce violer la liberté que d'établir les formes, que
de fixer les règles nécessaires pour que les élections soient utiles à la
liberté ? Tous les peuples n'ont-ils pas adopté cet usage ? N'ont-ils pas
sur-tout proscrit la réélection dans les magistratures importantes, pour
empêcher que, sous ce prétexte, les ambitieux ne se perpétuassent par
l'intrigue et par la facilité des peuples ? N'avez- vous pas vous-mêmes
déterminé des conditions d'éligibilité ? Les partisans de la réélection
ont-ils alors réclamé contre ces décrets? Or faut-il que l'on puisse
nous accuser de n'avoir cri à la liberté indéfinie en ce genre, que
lorsqu'il s'agissoit de nous-mêmes; et de n'avoir montré ce scrupule
excessif que lorsque l'intérêt public exigeoit la plus salutaire de toutes
les règles qui peuvent en diriger l'exercice ? Oui, sans doute, toute
restriction injuste contraire aux droits des hommes, et qui ne tourne
point au profit de l'égalité, est une atteinte portée à la liberté du peu
pie; mais toute précaution sage et nécessaire, que la nature même des
dhoses indique, pour protéger Ja liberté contre la brigue et contre les
abus de pouvoir des représentans, n'est-elle pas commandée par l'amour
même de la liberté !
Et d'ailleurs, n'est-ce pas au nom du peuple que vous faites ces
lois? C'est mal raisonner, que de présenter vos décrets comme des lois
dictées par des souverains à des sujets; c'est la nation qui les porte
elle-même, par l'organe de ses représentans. Dès qu'ils sont justes et
conformes aux droits de tous, ils sont toujours légitimes. Or qui peut
douter que la Nation ne puisse convenir des règles qu'elle suivra dans
ses élections, pour se défendre elle-même contre l'erreur et contre la
surprise.
Au reste, pour ne parler que de ce qui concerne l'Assemblée
actuelle, j'ai fait plus que de prouver qu'il étoit utile de ne point
permettre la réélection; j'ai fait voir une véritable incompatibilité,
fondée sur la nature même de ses devoirs. S'il étoit convenable de
paroître avoir besoin d'insister sur une question de cette nature, j'ajou-
terois encore d'autres raisons.
■
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 387
Je dirois qu'il importe de ne point donner lieu de dire, que ce
n'étoit point la peine de tant presser la fin de notre mission, pour la
continuer, en quelque sorte, sous une forme nouvelle. Je dirois sur-tout
une raison qui est aussi simple que décisive. S'il est une assemblée
dans le monde à qui il convienne de donner le grand exemple que je
propose, c'est, sans contre-dit, celle qui, durant deux années entières,
a supporté des travaux dont l'immensité et la continuité sembîoient
être au-dessus des forces humaines.
Il est un moment où la lassitude affoiblit nécessairement les res-
sorts de l'âme et de la pensée; et lorsque ce moment e?t arrivé, il y
auroit au moins de l'imprudence, pour tout le monde, à se charger
encore, pour deux ans, du fardeau des destinées d'une Nation. Quand
la nature même et la raison nous ordonnent le repos, pour l'intérêt
public, autant que pour le nôtre, l'ambition ni même le zèle n'ont point
le droit de les contredire. Athlètes victorieux, mais fatigués, laissons
la carrière à des successeurs frais et vigoureux, qui s'empresseront de
marcher sur nos traces, sous les yeux de la Nation attentive, et que
nos regards seuls empêcheront de trahir leur gloire et la patrie Pour
nous, hors de l'Assemblée législative, nous servirons mieux notre pays,
qu'en restant dans son sein. Répandus sur toutes les parties de cet
Empire, nous éclairerons ceux de nos concitoyens qui ont besoin de
lumières; nous propagerons par-tout l'esprit public, l'amour de la paix,
de l'ordre, des lois et de la liberté. Oui, voilà, dans ce moment, la
manière la plus digne de nous et la plus utile à nos concitoyens, de
signaler notre zèle pour leurs intérêts. Rien n'élève les âmes des peu-
ples, rien ne forme les mœurs publiques comme les vertus des Législa-
teurs. Donnez à vos concitoyens ce grand exemple d'amour pour l'éga-
lité, d'attachement exclusif au bonheur de la patrie; donnez-le à vos
successeurs, à tous ceux qui sont destinés à influer sur le sort des Nations.
Que les François comparent le commencement de votre carrière avec la
manière dont vous l'aurez terminée, et qu'ils doutent qu'elle est celle
de ces deux époques où vous vous serez montrés plus purs, plus grands,
plus dignes de leur confiance.
Je souhaite que ce parti soit agréable à ceux mêmes qu> croiroient
avoir les prétentions les plus fondées aux honneurs de la législature.
S'ils ont toujours marché d'un pas ferme vers le bien public et vers la
liberté, il ne leur reste rien de plus à désirer, si quelqu'un a?piroit
à d'autres avantages, ce seroit une raison pour lui de fuir une car-
rière où peut-être l'ambition pourroit à la fin rencontrer des écueils. Au
reste, je pense que toutes les ressources de l'éloquence et de la dialec-
tique seroient ici inutiles, pour obscurcir des vérités que le sentiment,
autant que le bon sens, découvre à tous les hommes honnêtes; et que s'il
est facile en général de tenir l'opinion suspendue par des raisonnemens
plus ou moins spécieux, il est au moins dangereux, dans certaines occa-
sions, qu'un œil attentif ne voit l'intérêt personnel percer à travers les
388 Les discours de Robespierre
plus beaux lieux communs sur les droits et sur la liberté du peuple.
Je suis loin de prévoir ici de pareils obstacles pour une proposition
qui, par sa nature, semble appeler un sentiment aussi prompt que
général : mais si elle en éprouvoit, je la crois tellement nécessaire à
l'intérêt de la nation et liée à la gloire de ses représentant, que je
n'hésiterois pas à leur demander une permission qu'ils n'ont jamais
refusée à personne ; celle de dire quelques mots pour répondre aux objec-
tions que ma motion pourroit essuier.
Je finis par une déclaration franche : ce qui a achevé de me
convaincre de la vérité de l'opinion que je soutiens, ce qui m'y a inva-
riablement attaché, c'est à la fois et la vivacité des efforts et la foi-
blesse des raisons par lesquels on s'est efforcé de préparer de longue
main les esprits au système contraire. CeUe curiosité nquiète avec
laquelle on interrogeoit les opinions particulières; ces insinuations adroi-
tes, ces propos répétés à l'oreille pour discréditer d'avance ceux à qui
l'on croyoit une opinion contraire en assurant qu'il n'y avoit que des
ennemis de l'ordre ou de la liberté qui pussent la soutenir; cet art de
remplir les esprits de terreur par les mots d'anarchie, d'aristocratie; ces
inquiétudes, ces mouvemens, ces coalitions : enfin j'ai vu que ce système
se réduisoit tout entier à cette idée pusillanime, fausse et injurieuse à la
nation, de regarder le sort de la révolution comme attaché à un certain
nombre d'individus; et j'ai dit: la raison eï la vérité ne combattent
point avec de pareilles armes, et ne déploient point ce genre d'activité.
J'ai cru sentir qu'il importoit infiniment de détruire la cause de toutes ces
agitations; il m'a paru que dans un tems où nous devons tous rtunir
toutes nos forces pour terminer nos travaux d'une Pianière également
prompte et réfléchie, ce seroit un grand malheur que des hommes éclai-
rés fussent en quelque sorte partagés entre les soins qu'ils exigent tt
l'attention qu'ils pourroient donner à ce qui se passeroit au dehors, dans
le tems des assemblées et des élections dont le moment approche. Quel
scandale si ceux qui doivent faire des lois contre la brigue p<<u voient
en être eux-mêmes accusés ! Et combien n'importe-t-il pas de faire
cesser certains bruits, mal fondés sans doute, qui se sont déjà répandus
et mêmes accrédités ! Enfin, et ce seul mot suffiroit peut-être : puisque
nous allons fixer définitivement les rapports, le pouvoir des législatures,
la manière même d'y être élu, procédons à ce grand travail comme des
hommes qui doivent redevenir bientôt de simples citoyens. Pour nous
garantir à nous-mêmes, pour garantir à la nation entière que nous serons
tous animés d'un tel esprit, le moyen le plus sûr est de nous placer
en effet nous-mêmes dans cette condition. Il faut donc avant tout
décider la question qui concerne les membres de l'Assemblée actuelle.
Je demande que l'on décrète que les membres de l'Assemblée
actuelle ne pourront être réélus à la suivante (9).
(9) Texte reproduit par le Mercure universel, t. HT. p. 300;;
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 389
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXVI, p. 67.
« M. Robespierre. J'ai senti toute l'importance de la motion que
j'ai faite à l'assemblée; ce n'est qu'après un mûr examen de? raisons
pour et contre, que je me suis permis de les lui présenter. Je dois dire
aussi qu'avant d'être convaincu par des raisons impérieuses de l'utilité
de cette motion, de grands exemples m'avoient déterminé en faveur de
sa bonté; un trait m'avoit frappé dans l'histoire de tous les législateurs
qui ont donné une constitution à leur pays, du moins de tous ceux
dont on a conservé le souvenir. Tous se firent un devoir de rentrer dans
la foule des citoyens et de se dérober même à (la reconnoissance publi-
que : ils pensoient que le respect des loix nouvelles dépend beaucoup
de celui qu'inspire la personne du législateur, et qu'au respect qu'inspire
le législateur est attachée 'l'idée de son caractère et de son désintéres-
sement. Du moins faut-il convenir que ceux qui fixent les destinées des
nations et çjes races futures doivent être absolument isolés de leur
propre ouvrage; ils doivent être à cet égard comme la nation entière
est à la postérité. Il ne suffit pas même qu'ils soient exempts de toutes
vues personnelles, il faut qu'ils ne puissent pas en être soupçonnés.
Pour moi, je l'avoue, messieurs, je n'ai pas eu besoin d'aller chercher
dans des raisonnemens bien subtils la solution de la question qui vous
occupe; je la trouve dans les premiers principes de ma droiture et de
ma conscience.
« Nous allons délibérer sur une partie de la constitution, qui est
la base de la liberté et du bonheur public, l'organisation du corps légis-
latif; sur les règles constitutionnelles des élections. Avant de pro-
noncer sur tant de questions importantes, faisons qu'elles me soient
étrangères, me suis-je dit; pour moi du moins je crois devoir m'appli-
quer ce principe. En effet, je suppose que je ne fusse pas insensible
à l'ambition d'être membre du corps législatif, et je déclare ici avec
franchise que c'est à mes yeux le plus grand de tous les honneurs, le
seul objet, peut-être, qui puisse exciter l'ambition d'un homme libre;
je suppose que les chances qui pourroient me porter à cet honneur
fussent liées, en quelque sorte, à la manière dont les grandes questions
dont je parle seront résolues, serois-je dans l'état d'impartialité et de
désintéressement absolu qu'exige une cause aussi importante ? Et si un
juge se récuse, lorsqu'il tient par quelque affection, par quelque intérêt
même indirect, à une cause particulière, serois-je moins sévère envers
moi-même lorsqu'il s'agit de la cause des peuples? Non. Et puisqu'il
existe dans tous les hommes une même morale, une même conscience,
j'ai cru pouvoir conclure que cette opinion seroit celle de l'assemblée
puis par Ch. Vellay, p. A4 à 62 ; et par les Editions du Centaure,
p. 29. iLes Arch. pari., t. XXVI, p. 123-126, le font précéder des
premières lignes de Le Ho'dey et y ajoutent un certain .nombre de
mouvements de séances signalés par le Journal des Etats Généraux
et le Moniteur universel; de même que iLaponneraye, I, 97-108.
390 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
nationale. C'est la nature même des choses, ce me semble, qui a élevé
une barrière entre les auteurs de la constitution, et rassemblée qui doit
venir après eux. En fait de politique, rien n'est juste que ce qui est
honnête, rien n'est utile que ce qui est juste, et rien ne peut être mieux
applicable à la cause que je discute en ce moment, que les avantages
attachés au parti que je propose.
« Concevez- vous, en effet, quelle autorité imposante donneroit à
votre constitution le sacrifice des plus grands honneurs auxquels un
citoyen puisse atteindre ? Combien les efforts de la calomnie seront
foibles, lorsqu'elle ne pourra pas même reprocher à un seul de ceux
qui l'ont élevé, d'avoir voulu mettre à profit le crédit que leur mission
leur donne auprès de leurs commettans, pour prolonger leurs pouvoirs;
lorsqu'elle ne pourra pas même dire que ceux qui ont joué un rôle
distingué dans cette assemblée, n'ont pas même eu la prétention de
faire de leur popularité un moyen d'étendre leur empire sur une assem-
blée nouvelle; lorsqu'enfin on ne pourra pas les soupçonner du désir,
très-louable en soi, de servir la patrie sur un grand théâtre !
« Si, incapables de tout retour personnel sur eux-mêmes, quelques-
uns des membres de cette assemblée étoient attachés au système con-
traire, par des scrupules purement relatifs à l'intérêt public, il me semble
qu'il seroit facile de les dissiper. Plusieurs semblent croire à la néces-
sité de conserver dans la législature prochaine une partie des membres
de l'assemblée actuelle; d'abord parce que, pleins de confiance en
nous, ils désespèrent que nous puissions être remplacés par des hommes
également dignes de la confiance publique (murmures).
« M. de Cazalès. Ah, c'est modeste !
« M. Robespierre J'expose la base de cette opinion; et je crois
exprimer votre vœu en disant que nous n'avons ni le droit, ni la pré-
tention de penser qu'une nation de 25 millions d'hommes libres et
éclairés soit réduite à l'impuissance de trouver 720 défenseurs. Et si
dans om tems où l'esprit public n'étoit pas encore né, où !a nation igno-
roit ses droits, et ne prévoyoit pas encore sa destinée, elle a cru faire
des choix dignes de la révolution, pourquoi n'en feroit-elle pas d'aussi
bons lorsque l'opinion est éclairée et fortifiée par l'expérience de
deux années si fécondes en grands événemens et en grandes leçons ?
(Applaudi). v
« Les partisans de la réélection disent encore qu'un certain nombre
de membres, et même que certains membres de l'assemblée actuelle,
sont nécessaires pour éclairer, pour guider les membres de la législa-
ture prochaine, par les lumières de leur expérience. Pour moi, sans
m'arrêter à ce que cette idée peut présenter de spécieux, je pense
d'abord que ceux qui hors de cette assemblée, ont lu ou suivi nos
opérations, qui ont été chargés par la confiance publique, de les faire
exécuter; que cette foule de citoyens, dont les lumières et le civisme
fixent aussi les regards de leurs concitoyens, connoissent les lois et la
LES DISCO; .S LZ ROBESPIERRE 391
constitution (applaudi) : je crois qu'il n'est pas plus difficile de les
connoître qu'il ne l'a été de les faire. Je pense d'ailleurs que les prin-
cipes de cette constitution sont gravés dans le cœur des hommes et
dans la majorité de tous les françois; que ce n'est point de la tête de
tel ou tel orateur qu'elle est sortie, mais du sein même de l'opinion
publique qui nous avoit précédé et qui nous a suivi. Je pourrois même
ajouter que ce n'est pas au milieu de ce tourbillon immense d'affaires
où nous nous sommes trouvés sans cesse enveloppés, qu'il a été plus
facile de saisir, d'embrasser l'ensemble et les détails de toutes nos opé-
rations. Je crois, enfin, que nous-mêmes, étrangers comme nous l'étions
à l'étude des principes du droit public, nous étions beaucoup plus
neufs pour notre ouvrage, que ne le seront nos successeurs éclairés par
nos travaux (applaudi). C'est sur la volonté de la nation, c'est sur son
voeu tant de fois répété, qu'il faut nous reposer de la durée de la
constitution, et non sur l'influence de quelques-uns de ceux qui la repré-
sentent en ce moment. Si elle est votre ouvrage, n'est -elle pas le patri-
moine de tous ceux qui ont juré de la défendre contre ses ennemis ?
N'est-elle pas l'ouvrage de la nation qui l'a adoptée. Pourquoi toutes
les assemblées de représentans choisis par elle n'auroient-iîs pas un droit
égal à sa confiance. Et quelle est celle qui oseroit la violer sans sa
volonté } Quant aux prétendus guides qu'une assemblée pourroit trans-
mettre à l'assemblée qui lui succède, ce n'est pas dans l'ascendanf des
orateurs qu'il faut placer l'espoir du bien public, mais dans les lumières
et dans le civisme de la masse des assemblées représentatives. L'in-
fluence de l'opinion publique et l'intérêt général diminuent en propor-
tion de celle que prennent les orateurs; et quand ceux-ci parviennent
à maîtriser les délibérations, il n'y a plus d'assemblée, il n'y a plus
qu'un fantôme -de représentation (applaudi). Alors se réalise le mot
de Thémistocle, lorsque tenant son fils entre ses mains, i! disoit : Voici
celui qui gouverne la Grèce : celui-ci gouverne sa mère, sa mère me
gouverne, je gouverne les Athéniens et les Athéniens gouvernent la
Grèce. Ainsi, une nation de 25 millions d'hommes seroit gouvernée
par une assemblée, celle-ci par un petit nombre d'orateurs; et par qui
ces orateurs seroient-ils gouvernés quelquefois?... Je n'aime point cette
science nouvelle qu'on appelle la tactique des grandes assemblées, elle
ressemble trop à l'intrigue. La vérité et la raison seules doivent régner
dans les assemblées législatives (applaudi). Je n'aime pas que des
hommes habiles puissent, en dominant une assemblée par des moyens
quelconques, perpétuer ainsi des coalitions de parti qui seroient le fléau
de la tranquillité et de la liberté publique. J'ai confiance dans des repré-
sentans qui, ne pouvant étendre, au delà de 2 ans, les vues de leur
ambition, seront forcés de la borner à la gloire de servir leur pays et
l'humanité, de mériter l'estime et l'amour de leurs concitoyens, dans
le sein desquels ils sont sûrs de retourner bientôt. J'aurois peu de
confiance en des représentans qui, pendant 4 années resteroient en butte
392 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
aux caiesses, à la séduction, enfin à toutes les tentations de l'orgueil ou
de la cupidité. Ceux qui me représentent, ceux dont la volonté est
censée la mienne, ne sauroient trop être rapprochés de moi, trop iden-
tifiés avec moi; sinon, loin d'être la volonté générale, la loi ne seroit
plus que l'expression des volontés particulières ou des intérêts de quel-
ques ambitieux. Les représentants ligués contre le peuple, deviendroient
bientôt des souverains et même des oppresseurs (applaudi).
« Ne nous dites donc plus que s'opposer à la réélection, c'est
attaquer les principes, car je crois que ce que je viens de dire, est
aussi des principes; ne dites plus que s'opposer à la réélection, c'est
violer la liberté du peuple. Eh quoi ? Est-ce violer la liberté du peuple
d'établir des formes, de fixer des règles sages et nécessaires pour que
les élections soient utiles à la liberté ? Tous les peuples libres n'ont-ils
pas adopté ces usages ? N'ont-ils pas sur-tout proscrit la réélection
dans les magistratures importantes, pour empêcher que sous ce prétexte,
les ambitieux se perpétuassent par d'intrigue, par l'habitude et par l'in-
dolence des peuples? N'avez- vous pas vous-mêmes déterminé des con-
ditions d'éligibilité ? Or, faut-il que l'on puisse vous accuser de n'avoir
cru à la liberté indéfinie que lorsqu'il ne s'agissoit que de nous-mêmes ?
Et de n'avoir montré de scrupule excessif, que lorsque l'intérêt public,
exigeoit la plus salutaire de toutes les règles qui peuvent en diriger
l'exercice? (Bravo, bravo!).
« Les partisans de la réélection se sont élevés contre les autres
conditions que vous avez exigées. J'adopte la distinction faite par
M. Merlin. 11 est des règles, il est des modifications aux principes
qui violent les principes, parce qu'ils sont contraires à l'esprit des
principes. Il est des règles puisées dans le principe, dans l'esprit de la
liberté, qui tendent à la fortifier, à la défendre contre tous les dangers
qui la menacent; et ces dernières modifications seulement sont confor-
mes à la liberté des peuples. Oui, sans doute, toute restriction injuste
qui ne touche point au principe de l'égalité, est illicite; mais toute
précaution sage et nécessaire que la nature même des choses a exigée
pour protéger le peuple lui-même contre l'intrigue, contre les abus du
pouvoir de ses représentans, n'est-elle pas commandée elle-même par la
liberté ? Et d'ailleurs, n'est-ce pas au nom du peuple que vous faites
ces loix par l'organe de ses représentans. Dès que vos décrets sont
justes, conformes aux droits de tous, ils sont par cela légitimes, et il
n'est question que de bien suivre l'esprit de la distinction faite par le
préopinant. Au reste pour ne parler que de ce qui concerne l'assem-
blée actuelle, j'ai fait plus que de prouver qu'il étoit utile de ne point
permettre la réélection. J'ai fait voir une véritable incompatibilité fondée
sur la nature même de son pouvoir.
« S'il étoit convenable d'insister sur une question de cette nature,
j'ajouterois encore qu'il ne faut pas donner lieu à nos concitoyens de
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 393
dire que ce n'étoit pas la peine de tant presser la fin de notre mission,
de vouloir précipiter le terme expiré de nos travaux, pour les continuer
er/ quelque sorte sous une forme nouvelle; je vous dirois, sur-tout, une
raison qui est aussi simple qu'elle est légitime : s'il est une assemblée
dans le monde, à qui il convient de donner le grand exemple que je
propose, c'est sans contredit celle qui a supporté, pendant deux années
entières, des travaux dont l'immensité et la continuité sembloient être
au-dessus des forces humaines. Il est un moment où la lassitude affoiblit
naturellement les ressorts de l'âme et de la pensée, et lorsque ce moment
est arrivé, il y auroit au moins de l'imprudence, pour qui que ce soit,
à se charger encore pour deux ans du pénible fardeau de la confiance
publique (vifs applaudissemens). Quand la nature même et la raison
nous ordonnent le repos, l'intérêt public et l'ambition ne peuvent avoir
le droit de les démentir. Athlètes vigoureux, mais fatigués, laissons la
carrière à des successeurs frais et vigoureux; ils s'empresseront de mar-
cher sur nos traces, sous les yeux de la nation. Que nos regards se
portent hors de l'assemblée législative; nous servirons mieux notre pays
qu'en restant dans son sein : répandus dans toutes les parties de cet
empire, nous éclairerons ceux de nos citoyens qui ont besoin de lumières;
nous propagerons par-tout l'esprit public, l'amour de la paix, de l'ordre,
des lois et de la liberté. (Bravo! Applaudissemens).
« Oui, messieurs, voilà dans ce moment la manière la plus digne
de nous, et la plus utile à nos concitoyens, de signaler notre zèle pour
leurs intérêts. Rien n'élève les âmes des peuples, rien ne forme les
mœurs publiques comme les vertus des législateurs. Donnez à vos conci-
toyens ce grand exemple d'amour pour l'égalité, d'attachement exclusif
au bonheur de la patrie ; donnez-le à vos successeurs, à tous ceux qui
sont destinés à influer sur le sort des nations. Que les François, par
la manière dont vous aurez commencé et terminé votre carrière, pro-
noncent quelle est celle de ces deux époques où vous vous serez mon-
trés plus purs, plus grands, plus dignes de leur confiance. (Applau-
dissemens).
« Je ne crois pas devoir insister plus longtemps sur un objet de
« Je ne crois pas devoir insister plus longtems sur un objet de
cette nature. J'ai pensé que l'utilité de cette motion, que les principes
de l'assemblée tenoient à ce qu'elle ne fût pas même décrétée avec
trop de lenteur. Pour moi, je crois qu'elle touche sous plusieurs points
à la question générale de la rééligibilité des membres de la législa-
ture; mais je crois aussi qu'elle en est indépendante sous d'autres rap-
ports. Je crois que les raisons impérieuses que j'ai déduites l'établissent
de la manière la plus démonstrative. J ose donc prier l'assemblée de
décréter dès ce moment que les membres de l'assemblée actuelle ne
pourront être réélus à la prochaine législature. »
394 LES DISCOURS D2 ROBESPIERRE
« L'assemblée nationale décrète la motion de M. Robespierre à
l'unanimité, et au milieu des plus grands applaudissemens. » (10)
Courier de Provence, t. XIV, n° 291, p. 541-546.
« L'organisation de la législature étoit à l'ordre du jour. On alloit
s'occuper de la question de la rééligibilité des membres d'une législa-
ture aux suivantes. Mais pour que cette discussion prît un plus grand
caractère, il falloit la séparer de tout intérêt personnel; pour que la
décision fût plus solennelle, il falloit qu'elle fût prononcée par des
hommes qui ne décidassent pas pour eux-mêmes. Il falloit donc commen-
cer par décréter que les membres de l'assemblée actuelle ne pourroient
être réélus à la suivante. M. Robespierre a fait sentir cette nécessité
dans un discours plein de ia plus vertueuse énergie. Il est possible qu'un
génie ardent, qu'une imagination vive fournissent à un homme corrompu
une éloquence brillante et passionnée; mais il est une éloquence sublime
de la vertu, il est un langage sacré du patriotisme que le vice et la
passion ne peuvent emprunter et qui décèle toujours une âme grande
et pure, c'est celui que M. Robespierre a fait entendre aujourd'hui.
Aussi a-t-il été écouté avec un enthousiasme universel que nous voulons
faire partager à nos lecteurs, en leur rapportant les morceaux les plus
frappans de ce discours.
[Suivent deux fragments du texte de Le Hodey : 1 ° depuis :
« Avant de prononcer... » jusqu'à... « sur un grand théâtre », et 2° de-
puis: « S'il étoit convenable d'insister... » jusqu'à .. « plus dignes de
leur confiance » ; puis le journal ajoute :]
« Ce fut un des beaux momens de l'assemblée nationale, que celui
où cédant au mouvement irrésistible de la persuasion, elle se leva toute
entière et demanda unanimement à aller aux voix sur cette proposition;
si elle a rendu des décrets qui semblent d'une plus grande importance,
elle n'en rendit jamais un qui lui fit tant d'honneur. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 138, p. 581.
« M. Roberspierre . Avant d'être convaincu de l'utilité de la
motion que j'ai faite, de grands exemples m'avaient frappé. Tous les
législateurs dont les hommes ont conservé le souvenir se sont fait un
devoir de rentrer dans la foule des citoyens, et de se dérober même à
la reconnaissance. Ils pensaient que le respect des lois nouvelles tenait
au respect qu'inspirait la personne des législateurs. Ceux qui fixent les
destinées des nations doivent s'isoler de leur propre ouvrage. Je n'ai
(10) Cf. E. Hamel, I, 446; et G. Walter, p. 101. A Mathiez
(Etudes Robespierristes, Robespierre orateur, p. 310), considère que
ce discours est « une des pages les plus parfaites de l'éloquence de
tous les temps >>. Aulard reconnaît de même que ce morceau est
« d'un orateur consommé ».
LES DISCOURS DI ROBESPIERRE 395
pas besoin de me perdre dans des raisonnemens subtils pour trouver
la solution de la question qui est soumise. »
[Suit un long compte rendu du discours qui se rapproche du texte
de Le Hodey] (11).
Le Législateur Français, t. II, 18 mai 1791, p. 1-3.
Analyse du discours de M. Robertspierre, dont l'assemblée a
ordonné l'impression :
« Sans doute, disoit M. Robertspierre, c'est un sacrifice bien
précieux que celui qui est offert aujourd'hui à votre vertu; il es* doux
de recevoir des preuves renouvelées de la confiance de sa patrie : je
déclare que c'est à mes yeux !s plus grand des 'honneurs et la plus
grande ambition; mais, messieurs, je me suis supposé revêtu de cette
preuve de confiance, et je me suis demandé si, pour combattre ou
examiner les principes qui seroient agités [je serais] dans un état d'im-
partialité assez caractérisé pour me défendre de toute prévention : c'est
la nature des choses entre les auteurs d'une constitution et les mem-
bres de la législature suivante.
« Concevez- vous, messieurs, combien les efforts de la calomnie
seront foibles, lorsqu'on verra chacun de vous sacrifier tous les moyens
que sa réputation et sa popularité offroient à son ambition, et venir
donner lui-même parmi ses concitoyens l'exemple de l'égalité dont il a
été le défenseur dans le sanctuaire des loix }
<( Pouvons-nous douter que nous ne soyons remplacés par des suc-
cesseurs également dignes de la confiance publique ? Quoi ! si dans un
temps où l'esprit public n'existoit pas encore, la nation a pu faire des
choix dignes de la révolution, ne peut-elle pas aujourd'hui trouver à
choisir parmi tant de citoyens qui se sont distingués par leur sagesse
et leur patriotisme, par leur empressement à faire exécuter vos lois, par
les écrits qui ont porté la lumière dans cet empire. On cramt leur
inexpérience! ...Mais nous-mêmes, n'étions-nous pas beaucoup plus
étrangers à ce nouvel ordre de choses, que nous avons créé d'après le
voeu de la Nation ? Quel sera donc le fruit de cette attention si géné-
rale qui est donnée au cours de nos travaux, si nous seuls nous sommes en
état de les diriger encore ? Ne sentez-vous pas tous les progrès que
doit faire l'opinion publique, lorsqu'elle ne sera point enchaînée par
l'action permanente des orateurs qui maîtrisent une assemblée ? Cet
empire ne deviendroit-il pas tous les jours plus fort? Combien, d'ail-
leurs, de législateurs résisteroient, pendant quatre années, à tant de
séductions qui les environnent, et sur-tout à celle du pouvoir ? Les
représentant du peuple deviendraient bientôt ses souverains et ses
oppresseurs.
« Qu'on ne nous dise pas que ces considérations sont contraires
(11) Texte reproduit dan» le Moniteur, VIII, 418-419.-
396 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
aux principes, car elles sont elles-mêmes des principes. Tous les peuples
libres n'ont-ils pas empêché la réélection pour les magistratures les
plus importantes ? Prenez garde qu'on ne vous accuse d'avoir cru à la
liberté illimitée du choix du peuple lorsqu'il s'agissoit de nous-mêmes,
et de l'avoir méconnue lorsqu'il s'agissoit des classes indigentes. Toute
restriction inutile est sans doute illégitime; mais toute précaution sage
est nécessaire. Prenez garde aussi qu'on ne nous dise que ce n'étoit
pas la peine de tant presser le terme de nos travaux, pour les continuer
dans une autre législature.
« S'il est une assemblée à laquelle toutes ces considérations soient
applicables, c'est sans doute celle-ci. Il est des momens où la lassitude
affaiblit les ressorts de l'âme et de la pensée. Après deux années du
travail le plus continu, le plus important, le plus agité, il y auroit au
moins de l'imprudence à nous charger encore d'un fardeau qui déjà
accable nos forces. La nature et la raison nous prescrivent à la fois
de ne pas compromettre ainsi l'intérêt public et le nôtre.
« Allons donner à nos concitoyens, non pas des leçons, mais un
exemple constant de l'attachement à la patrie, à la liberté, aux loix;
donnons-leur toute la force qu'elles peuvent recevoir des vertus des
législateurs. Que la France entière compare le commencement de nos
travaux avec la manière dont nous les avons terminés, et qu'elle doute
à laquelle de ces époques nous avons été plus grands, plus justes, plus
dévoués à son bonheur ! »
Mercure universel, t. III, p. 269.
« M. Robespierre. Dans l'histoire des législateurs du monde, un
trait m'a frappé : j'y ai vu que tous se sont fait un devoir de rentrer
dans la classe des citoyens, et de devenir leurs égaux. Il a fallu qu'ils
s'éloignassent de leur ouvrage pour le mieux juger. En fait de politique,
rien n'est beau que ce qui est juste et honnête; concevez, messieurs,
quel caractère vous donneroit le sacrifice, de renoncer aux élections
dans la législature prochaine, quand on verroit que vous n'avez pas
même songé à vous ? Plusieurs de nous semblent craindre que nous ne
puissions avoir des successeurs qui puissent nous remplacer; mais si,
déjà étrangère à la liberté, l'opinion publique a pu faire ce choix, que
ne fera-t-elle pas, éclairée par une expérience de deux années ? Pour
moi, je crois que cette foule de citoyens qui, jusques dans cette assem-
blée, viennent communiquer des lumières, ces citoyens qui ont fait
respecter nos loix, qui les ont fait exécuter, qui ont guidé l'esprit public,
qui ont tant concouru à notre ouvrage, connoissent aussi la constitution
(applaudi). Ils seront moins étrangers que nous ne l'étions lorsque nous-
mêmes nous sommes venus (applaudi). On sait ce que disoit Thémistocle :
Cet enfant gouverne sa mère, sa mère me gouverne; moi, je gouverne
les Grecs; et à mon tour, je dirai l'assemblée nationale gouverne la
France, l'orateur l'assemblée, et lui qui le gouverne ? (Applaudi). Me
LÉS DlSCOUr.C DE ROBESPIERRE 397
parlera-t-on de cette tactique de l'assemblée, science nouvelle, et
qui se rapproche un peu trop de l'intrigue; des membres qui seroient
élus pendant quatre années, deviendraient bientôt des souverains, ensuite
des oppresseurs ! Ne dites donc plus que c'est violer les principes que
d'empêcher ces réélections; car mes observations sont aussi des prin-
cipes! N'aurons-nous cru à la liberté indéfinie que lorsqu'elle aura pu
tourner au désavantage du peuple ? N'avez-vous pas déterminé vous-
même des conditions d'éligibilité ? Il faut protéger le peuple contre
l'enthousiasme, le pouvoir de ses représentans ; dès que vos décrets
sont justes, ils sont conformes au vœu du peuple. S'il falloit de nou-
velles raisons, je dirois, si une assemblée doit donner au monde un
grand exemple, c'est celui de cette renonciation, c'est que la nature
met aussi des bornes aux forces morales, quand les liens de la pensée
se désunissent, que la nature est épuisée par de longs travaux. Il faut
quelque temps au moins de repos, et alors il seroit imprudent de se
charger deux années de tels travaux. Laissons à de nouveaux attelettes
(sic), le soin de remplir cette carrière et de suivre notre exemple.
Pour nous, rentrons dans nos foyers, nous y serons encore utile pour
développer l'esprit public; donnez à vos concitoyens ce grand exemple,
donnez-le à vos successeurs, et faites douter dans les derniers instans
de vos travaux, en comparant ceux où vous les avez commencés, quels
sont les momens où vous aurez été plus grands ? Je demande donc que
les membres de la législature actuelle, ne puissent être élus dans la
prochaine législature. (Vifs applaudissemens, aux voix, aux voix.) »
Journal de la Noblesse, t. II, n° 22, p. 62-64.
« On a repris l'ordre du jour. M. Robespierre a parlé contre le
projet de rééligibilité et a obtenu de nombreux applaudissemens ; le
public étoit disposé pour tous ceux qui parloient de rééligibilité.
« Ce n'est point dans l'ascendant des orateurs qu'il faut placer
l'espoir du bien public, mais dans les lumières et dans le civisme des
assemblées représentatives; l'influence de l'opinion publique et de
l'intérêt général diminue en proportion de celle que prennent les ora-
teurs; et quand ceux-ci parviennent à maîtriser les délibérations, il n'y
a plus d'assemblée, il n'y a plus qu'un fantôme de représentation. A.lors
se réalise le mot de Thémistocle qui disoit, en montrant son fils : voilà
celui qui gouverne la Grèce; ce marmot gouverne sa mère, sa mère me
gouverne, je gouverne les Athéniens, et les Athéniens gouvernent la
Grèce.
[Suit un fragment du discours imprimé depuis : « Ainsi une nation
de 25 millions d'hommes » jusqu'à « ...par l'amour même d'^ la
liberté. »]
« Il ne faut pas donner lieu de dire que ce n'étoit point !a peine
de tant presser la fin de notre mission pour la continuer en quelque sorte
sous une forme nouvelle... Voilà, dans ce moment, la manière la plus
398 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
digne de nous, et la plus utile à nos concitoyens de signaler notre zèle
pour leurs intérêts. Rien n'élève l'âme des peuples, rien ne *orme les
moeurs publiques comme les vertus des législateurs.
« L'orateur a conclu à ce qu'il fût décrété que les membres de
l'assemblée nationale actuelle ne puissent être réélus à la première
législature; le décret a été porté en conformité malgré l'opiniâtreté de
quelques membres auxquels M. de Custines n'a pu s'empêcher de dire
qu'on voyoit bien qu'ils vouloient être réélus. L'impression du discours
de M. Roberspierre a été ordonnée. »
Journal de Paris, n° 137, p. 550-552.
« Après tous ces discours, M. Roberspierre en a prononcé un
qui a produit dans toute l'Assemblée Nationale, à droite et à gauche,
de ces effets qu'on ne produit pas sans un vrai talent, mais que le plus
beau talent ne produit jamais que lorsqu'il sert d'organe aux vérités
qui élèvent !a raison, et aux sentimens purs, généreux et nobles, qui
élèvent l'âme.
« On a bien fait quelques efforts encore pour arrêter le transport
dans lequel l'Assemblée, après avoir entendu ce discours, a voulu aller
aux voix : mais tous ces efforts ont été inutiles ; et les imaginations
toutes remplies du discours de M. Roberspierre, n'ont voulu entendre,
n'ont voulu que décréter sa motion. Nous renvoyons tout le reste, pour
rapporter de ce discours autant que notre feuille pourra en recevoir.
II honore l'esprit de M. Roberspierre, il honore son talent, il honore
son caractère, il établit une grande unité dans tous les principes qu'il
a professés dans sa carrière politique, il en garantit la sincérité. Le
vrai démocrate, le voilà! (12). »
[Suit un fragment du discours imprimé, depuis le début : « Les
plus grands législateurs de l'antiquité... » jusqu'à « ...l'ensemble et le
détail de toutes nos opérations. »]
Courier français, t. XI, n° 137, p. 125.
« M. Robertspierre qui lui a succédé, s est surpassé lui-même,
dans un discours plein de chaleur et de véritable éloquence, qu'il a
prononcé pour combattre le projet du comité; et nous nous obligeons
d'en présenter demain l'extrait, qui ne peut trouver sa place ici » (13).
[Il reproduit un important fragment du discours imprimé depuis :
« Les partisans de la réélection... » jusqu'à « ...l'amour de la paix, de
l'ordre, des lois et de la liberté. »]
Révolutions de France et de Brabant, t. VI, n° 78, p. 599-601.
« L'ordre du jour étoit si les membres de la législature actuelle
pourroient être réélus. Robespierre s'est saisi de la parole, il a eu un
des plus beaux succès qu'aucun membre ait jamais obtenu dans l'assem-
(12) Texte cité par Laponneraye, I, 108-109.
(13) Ce discours est reproduit à la d»ate du 18 mai.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 399
blée, et j'ai vu ceux qui avoient affecté jusques ici de ne lui reconnoître
que des vertus, convenir ce jour-là de son éloquence (14). Il a montré
avec une noble énergie, qu'avant de délibérer, si les membres des légis-
latures suivantes pourroient être réélus, l'assemblée nationale ne pouvoit
mieux fermer la bouche à ses détracteurs, et donner une preuve plus
éclatante de son dépouillement de tout intérêt personnel dans les loix
qu'elle établissent qu'en ouvrant la question qu'on alloit discuter, par s'y
désintéresser elle-même, en déclarant ses membres non rééligibles à la
seconde législature. La générosité de cette proposition fut accueillie par
de tels applaudissemens, qu'il ne, se trouva que Thouret, Beaumetz et
Chapelier, qui n'eurent pas la force de dissimuler l'opposition de leur
amour -propre, et de leurs espérances à la motion du préopinant, et qui
firent d'inutiles efforts pour s'opposer au décret que Robespierre emporta
d'emblée.
« Je regarde ce décret comme un coup de maître de notre cher
Robespierre. On pense bien qu'il ne l'a emporté ainsi de haute lutte,
que parce qu'il avoit des intelligences dans l'amour-propre de la grande
majorité, qui ne pouvant être réélue, et regardant comme une espèce
de tache la réélection des chefs d'opinion et de ceux qui se seroient le
plus distingués, a saisi avidement cette occasion de niveller tous les
honorables membres. La liberté et le despotisme aiment tous deux le
nivellement. Tarquin abat les têtes des pavots, et le peuple Romain
ne veut point que la maison de Valerius Publicola soit si haute. Notre
féal a donc calculé très-bien que l'amour-propre du comité de consti-
tution et de tous les membres dominateurs, seroit vaincu par tous les
amours-propres de l'assemblée nationale, et de ce choc est résulté ce
décret qui fait à la fois honneur à la politique, à l'éloquence et au
désintéressement de Robespierre. Car bien certainement il devoit s'atten-
dre à être réélu le premier, lui et Péthion, ou bien il nous faudroit
mettre la clef sous la porte; mais Robespierre a plus craint pour la
chose publique de la réélection des Chapelier, des Desmeuniers, des
d'André, des Beaumets, etc., qu'il n'a espéré de la sienne. Voilà le
vrai patriote ! »
La Feuille du Jour, t. IV, n° 144, p. 443.
« Un décret emporté d'élan, par M. Robespierre, a déclaré les
députés actuels non rééligibles. La joie qui s'est manifestée dans les
tribunes et par-tout, doit apprendre au corps législatif qu'il est temps
de songer à la retraite, puisque la confiance et l'opinion sont assez
fortement ébranlées, pour que des citoyens qui se sont exclus de la
prochaine législature, du ministère et des grâces, après deux années
de fatigues et d'orages, ne recueillent d'autre prix de leurs sacrifices
qu'une ingrate allégresse lorsqu'ils annoncent le terme de leur repré-
sentation.
(14) Pihrase citée par L. Jacob, op. cit., p. 77.
400 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« M. Robespierre a mérité beaucoup par cette motion noblement
présentée. »
Gazette universelle, t. I, n° 137, p. 548.
<( Il n'est pas plus difficile de connoître la constitution que de la
faire, a dit M. Robespierre; elle n'est pas sortie de la tête de te! ou tel
orateur; elle est née de l'opinion publique, qui nous a précédés. Plu-
sieurs d'entre nous ont perdu leur activité, et se rendent avec peine aux
séances. Bientôt s'échappera le crédit dont nous jouissons; »t quand
une assemblée est méprisée, ce n'est plus qu'un vain phantôme de
représentation. Après deux ans de lassitude et d'épuisement, après
deux ans de travaux au-dessus des forces humaines, il est un moment
où il seroit imprudent à chacun de nous de se charger encore des
intérêts de la nation. Athlettes (sic) victorieux, mais fatigués, laissons
la place à ceux qui auront toute leur énergie. Répandus sur toutes les
parties de cet empire, nous éclairerons nos concitoyens, nous porterons
partout l'amour de l'ordre et de la liberté. M. Robespierre a conclu
en demandant que les membres de la législature actuelle ne pourront être
réélus dans la législature suivante. Cette opinion a été généralement
applaudie
« Seulement, MM. Chapelier, Beaumetz et quelques autres ont
paru vouloir l'attaquer; mais leurs raisons ont été interceptées par les
murmures, et la motion de M. Robespierre a été décrétée presque à
l'unanimité. »
Mercure de France, 28 mai 1791, p. 279.
« On s'est retrouvé à l'ordre du jour, et M. Roberspierre a pris
la parole.
« Tous les législateurs qui ont donné à des nations libres des loix
qui firent leur bonheur et leur gloire, sont rentrés dans la foule après
avoir consommé leur ouvrage. Plusieurs semblent croire à la nécessité
de conserver une partie des membres de l'Assemblée actuelle, parce
que pleins de confiance en nous, ils désespèrent que nous puissions être
remplacés par des hommes également dignes de la confiance publique.
On craint leur inexpérience. Mais nous-mêmes n'étions-nous pas beau-
coup plus étrangers à ce nouvel ordre de choses, que nous avons créé
d'après le vœu de la nation? Etrangers à l'étude des principes du droit
public, nous étions bien plus neufs pour notre ouvrage, que ne le seront
nos successeurs éclairés par nos travaux... li est un moment où la lassi-
tude affoiblit les ressorts de l'âme et de la pensée... Athlètes vigoureux
mais fatigués, laissons la carrière à nos successeurs frais et vigoureux...
Que les François, par la manière dont vous aurez commencé et terminé
votre carrière, prononcent quelle est celle de ces deux époques où
vous vous serez montrés plus purs, plus grands, plus dignes de leur
confiance. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 401
Les Indépendans, n° 17, p. 1.
Sixième lettre à un étranger sur l'Assemblée Nationale.
« M. Robespierre... est un des hommes qui pouvaient le moins
entraîner l'Assemblée Nationale, puisqu'elle est accoutumée de repous-
ser avec tumulte, quelquefois même avec mépris, les dangereuses exa-
gérations qui composent sa théorie politique. Mais il a trouvé l'art de
faire impression sur l'Assemblée Nationale, par deux différens motifs :
le premier, est l'éclat de ce sacrifice, le second, est le plaisir de
déjouer les intrigues soupçonnées et de causer le désespoir de quelques
ambitieux. La vengeance de certains Membres, l'envie de quelques
autres appuyaient beaucoup cette dernière considération. M. Robes-
pierre a parlé contre la rééligibilité des Membres de la Législature
actuelle, avec un talent digne du sentiment qui lui inspirait cette pro-
position. Cependant, les considérations morales qu'il a présentées ne
peuvent être le résultat d'observations bien profondes... L'Assemblée
Nationale, convaincue ou décidée d'avance, a donné au discours de
M. Robespierre l'assentiment le plus complet et le plus universel. »
Le Spectateur national, n° 166, p. 720.
« M. Robespierre, à qui il arrive si souvent de présenter des
opinions exagérées, a prononcé, sur cette matière, un discours où l'on
a remarqué, non plus le langage de l'anarchie, mais celui de la liberté,
de la générosité, de la raison et de la justice. Cette maxime que,,
dans un peuple libre, les législateurs doivent, du sanctuaire de la nation,
rentrer dans la foule des citoyens, a été la vérité capitale d'où sont
écoulés, comme d'une source, tous les argumens de l'orateur; mais
cette vérité, il l'a reproduite sous tant d'aspects différens, l'a développée
avec tant de noblesse, de modération et de désintéressement, qu'un
petit nombre de contradicteurs ou d'ambitieux ont seuls osé opposer des
murmures aux applaudissemens qui, de toutes parts, se faisoient en-
tendre.
« Au nombre de ceux-ci se trouvoient MM. de Beaumetz, Le
Chapelier, Rewbell et consorts, qui ont épuisé tous les moyens d'une
tactique savante et profonde pour empêcher l'assemblée d'aller aux
voix sur la généreuse motion de M. Robespierre. Leurs efforts ont
néanmoins été inutiles. »
L'Ami du Roi (Montjoie), 17 mai 1791, p. 547.
« Toutes les raisons produites par M. Thouret ont été passées en
revue par M. Robespierre, qui les a combattues avec une telle supério-
rité que nous pouvons dire, sans exagération, qu'il a étonné l'assemblée
entière. Jamais on n'a parlé avec plus de sens, avec plus de sagesse, et
il serait difficile d'être plus éloquent que l'a été dans cette occasion
M. Robespierre. »
402 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Le Point du Jour, t. XXII, n° 674, p. 222-223.
(( La discussion continue. M. Robespierre reproduit sa motion ten-
dante là ce que les députés actuels ne puissent pas être réélus pour la
première législature, sans rien préjuger pour les suivantes. Le discours
dans lequel il a développé les considérations puissantes qui doivent
interdire généralement la législature suivante aux membres du corps
constituant a été plusieurs fois interrompu par les plus vifs applaudisse-
mens.
...« Il n'appartenoit qu'à un patriote pur, ferme et désintéressé,
comme M. Robespierre, de défendre et de faire adopter une pareille
motion; son avis sage, mesuré et énergique, a produit le plus grand effet.
On a vu se réunir les passions les plus nobles et les plus viles pour
empêcher ou favoriser la réélection. L'amour de la patrie, le bien et la
vertu étoient d'un côté; de l'autre la haine, la vengeance et sans doute
le coupable espoir des tentatives nouvelles contre la constitution. Quoi-
qu'il en soit, l'Assemblée a décrété au milieu des plus vifs et des plus
justes applaudissements, çfue lés membres de la législature actuelle ne
pourront pas être réélus pour la prochaine législature. m
Mercure national et étranger, p. 496.
« L'on est revenu à la discussion que M. Robespierre a glorieuse-
ment terminée par un discours vivement applaudi de toutes parts, où il
a fait sentir que les membres de la législature actuelle, répandus désor-
mais sur toute la surface de l'empire, serviraient mieux leurs concitoyens,
en les éclairant de leurs conseils, en les échauffant de leur patriotisme,
qu'en cherchant à se perpétuer dans les législatures suivantes; qu'il y avoit
un terme aux forces humaines, et que quatre ans d'un travail pénible et
assidu n'étoit point supportable ; qu'il falloit céder la place à des esprits
neufs et vigoureux : qu'il comptoit assez sur le civisme et les lumières
de ses concitoyens, pour ne point douter que dans 26 millions d'hommes,
il ne fût aisé de trouver sept cent vingt individus dignes de succéder
aux travaux de l'assemblée actuelle. Il a persisté dans ses conclusions. »
j [Brève mention de ce discours dans La Correspondance générale
ou Journal de la Société des LXXX11I départemens, t. III, n° 41 ; Le
Journal de Rouen, n° 138, p. 657; L'Orateur du Peuple, t. III, n° 10,
p. 87; La Bouche de Fer, n° 57; La Gazette nationale ou Extrait...,
t. XVI, p. 373; Le Journal général de France, n° 137, p. 546; La
Correspondance générale des départemens, t. II, n° 40, p. 633; Le Creu-
set, t. II, n° 41, p. 285; Le Lendemain, t. III, n° 137, p. 437; Le
Courrier extraordinaire, 17 mai 1791 , p. 6; Le Journal de la Révolution,
n° 278, p. 580; Le Journal des Décrets de l'Assemblée Nationale,
J6 mai 1791, p. 248; Le Journal universel, t. XI, p. 7023.]
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 403
290. — SEANCE DU 18 MAI 1791
Sur la rééligibilité des députés de l'Assemblée nationale
A LA PREMIÈRE LÉGISLATURE (suite)
1 ' e intervention :
Sur le rapport de Thouret, <au nom du comité de constitution,
l'Assemblée revient, le 17 mai, sur l'art. 7 du projet d'organisation
du corps législatif : «< Les membres de la précédente législature
pourront être réélus ».
Pétion demande qu'on ne puisse être réélu qu'après un inter-
valle de deux ans. Buzot soutient- le même point de vue Duport
prononce un long discours dont l'Assemblée vote l'impression (1).
Le 18 mai, le débat se poursuit sur cette question. Après La
Revellière de (Lépeaux qui conclut à la non-rééligibilité des mem-
bres du corps législatif, après le duc de Liancourt, qui se prononce
en un sens opposé, Robespierre intervient à son tour : il demande
que les membres des assemblées législatives ne puissent être réélus
qu'après l'intervalle d'une législature, et s'attache à réfuter le
discours de Duport (2).
(1) Duport exprime -la crainte que la Révolution ne progresse
trop rapidement si les éléments conservateurs de la Constituante ne
sont pas réélus. « Ne croyez pas, dit-il, que les idées de liberté et
d'égalité rétrogradent jamais; elles s'étendent au contraire de leur
nature et se propagent de plus en plus... elles vont toujours nive-
lant, toujours dissolvant jusqu'au partage des terres ». Il brandit
devant l'Assemblée le spectre de la loi agraire et souhaite la for-
mation d'un gouvernement « juste et ferme ».
(2) Dans son discours, Robespierre fait visiblement allusion à
la politique des triumvirs : Duport, Lameth et Barnave, qui multi-
plient leurs efforts pour ^accéder au ministère. O. Desmoulins insiste
sur ce point (Révolutions de France et de Brabant, t. VII, n° 86,
p. 32): « .Montrons aux Lameth, iaux Duport, aux Barnave. aux
Broglie, etc., qu'ils ne seront point réélus, qu'ils ne pourront arriver
à aucun poste important avant 4 années; Robespierre, Péthion, Bu-
zot et tous les vrais patriotes veulent la non-rééligibilité aux places
de la législature, et la non-rééligibilité aux places du ministère avant
4 ans ; que tout le côté droit les seconde ; par pudeur le côté gauche
n'osera paroître moins patriote. Les Lameth, Duport, Barnave,
seront furieux, et ils ise retourneront vers nous. Le comité autrichien
avoit calculé supérieurement. Robespierre fit les deux motions, et
ce sont, je crois, les deux seules de ce citoyen éloquent et incorrup-
tible, ,qui ayent jamais été accueillies. Les deux décrets furent empor-
tés d'emblée, tout le côté droit se leva pour Robespierre, comme le
plus fidèle défenseur du peuple, et force fut à 89 et aux faux jacobine
de s'incliner ».
404 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
SECOND DISCOURS
Prononcé
A L'ASSEMBLÉE NATIONALE
le 18 Mai 1791
par MAXIMILIEN ROBESPIERRE,
Député du Département du Pas-de-Calais
Sur la Rééligibilité des Membres du Corps Législatif (3)
Tout prouve l'importance de la question que vous agitez, tout,
jusqu'à la manière dont on a défendu le système de la réélection.
Quelles qu'aient été les circonstances qui ont précédé et accompagné
cette discussion, je ne veux voir, je ne veux examiner que les principes
de l'intérêt général, qui doit être la règle de votre décision.
Quel est le principe, quel est le but des lois à faire sur les élec-
tions ? L'intérêt du peuple. Par-tout où le peuple n'exerce pas son
autorité, et ne manifeste pas la volonté par lui-même, mais par des
représentans, si le corps représentatif n'est pas pur et presqu'identine
avec le peuple, la liberté est anéantie. Le grand principe du gouver-
nement représentatif, l'objet essentiel des lois, doit être d'assurer la
pureté des élections et l'incorruptibilité des représentans. Si la réélection
va à ce but, elle est bonne si elle s'en éloigne, elle est mauvaise. Je ne
sais si c'est sérieusement que les partisans de la réélection ont prétendu
que le système contraire blessoit la liberté du peuple. Toute entrave
mise à la liberté des choix, dès qu'elle est inutile, est injuste : à plus
forte raison, si elle est nuisible ou dangereuse : mais toute règle qui
tend à défendre le peuple contre la brigue, - contre les malheurs des
mauvais choix, contre la corruption de ses représentans, est juste et
nécessaire. Voilà, ce me semble, les vrais principes de cette question.
Vous avez cru me mettre en contradiction avec moi-même, en
observant que j'avois manifesté une opinion contraire à la condition
prescrite par le décret du marc d'argent; et cet exemple même est la
preuve la plus sensible de la vérité de la doctrine que j'expose ici. Si
plusieurs ont adopté une opinion contraire au décret du marc d'argent,
c'est parce qu'ils le regardoient comme une de ces règles fausses, qui
offensent la liberté, au-lieu de la maintenir, c'est parce qu'ils pensoient
que la richesse ne pouvoit pas être la mesure ni du mérite, ni des
droits des hommes, c'est qu'ils ne trouvoient aucun danger à laisser
tomber le choix des électeurs, sur des hommes qui, ne pouvant subjuguer
les suffrages par les ressources de l'opulence, ne les auroient obtenus
(3) Brochure in-8° de 16 pages. B.N. 8° Le 29 /lois. Biblio. de la
iSorbonne HFr 140
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 405
qu'à force de vertus; c'est parce que loin de favoriser la brigue, la
concurrence des citoyens qui ne payoient point cette contribution, ne
favorisoit que le mérite Maie de ce que je croirois que le décret du
marc d'argent n'est pas utile, s'ensuit-il que je b'âmerois ceux qui
repoussent les hommes flétris, ceux qui défendent la réélection des
membres des corps administratifs ?
Mais si lorsque réellement les principes de la liberté étoient atta-
qués, vous aviez montré beaucoup moins de disposition à vous alarmer;
si ce même décret du marc d'argent avoit obtenu votre suffrage, n'est-ce
pas moi qui pourrois dire que vous êtes en contradiction avec vous-
mêmes, et qui aurois le droit de m'étonner que les excès de votre zèle
datent précisément du moment où il étoit question d'assurer à des repré-
sentai, et même sans aucune exception, la perspective d'une réélection
éternelle.
Laissez donc cette extrême délicatesse de principes, et examinons
sans partialité le véritable point de la question, qui consiste à savoir
si la rééligibilité est propre ou non à assurer au peuple de bons repré-
sentai. C'est d'après les vices des hommes qu'il faut en calculer les
effets; car ce n'est que contre ces vices que les lois sont faites. Or,
l'expérience a toujours prouvé qu'autant les peuples sont indolens ou
faciles à tromper, autant ceux qui les gouvernent sont habiles et actifs
pour étendre leur pouvoir et opprimer la liberté publique : c'est cette
double cause qui -a fait que les magistratures électives sont devenues
perpétuelles et ensuite héréditaires. C'est l'histoire de tous les siècles,
qui a prouvé qu'une loi prohibitive de la réélection est le plus sûr
moyen de conserver la liberté. Parlez-vous d'un corps de représentans
destinés à faire des lois, à être les interprètes de la volonté générale ?
La nature même de leurs fonctions les rappelle impérieusement dans la
classe des simples citoyens. Ne faut-il pas en effet qu'ils se trouvent
dans la situation qui confond !e plus leur intérêt et leur vœu personnel
avec celui du peuple ? Or, pour cela, il faut que souvent ils redevien-
nent peuple eux-mêmes. Mettez-vous à la place des simples citoyens,
et dites de qui vous aimeriez mieux recevoir des lois, ou de celui qui
est sûr de n'être bientôt plus qu'un citoyen ou de celui qui tient encore
à son pouvoir par l'espérance de le perpétuer.
Vous dites que le corps législatif sera trop foible pour résister à la
force du pouvoir exécutif, si tous les membres sont renouvelés tous les
deux ans; mais à quoi tient donc la véritable force du corps législatif?
Est-ce à la puissance, au crédit, à l'importance de tels ou tels indi-
vidus ? Non : c'est à la constitution sur laquelle il est fondé ; c'est à la
puissance, à la volonté de la nation qu'il représente et qui le
regarde lui-même comme le boulevard nécessaire de la liberté
publique: Croyez-vous que la nation consentira encore à repren-
dre ses premières chaînes, et à voir le despotisme ministériel se relever
seul sur les débris des anciennes corporations, ou ces corporations elles-
406 LÉS DISCOURS DE ROBESPIERRE
mêmes renaître de leurs propres cendres. Si telle est sa volonté, vos
efforts sont superflus : mais il est évident aux yeux de tout homme raison-
nable que si sa volonté est différente, n'est-il pas ridicule de croire que
le pouvoir de ses représentans disparoitra devant le pouvoir exécutif,
si tel individu cède sa place à un autre représentant qu'elle aura choisi ?
Le pouvoir du corps législatif est immense par sa nature même ; il est
assuré par sa permanence, par la faculté de s'assembler sans convoca-
tion, par la loi qui refusera au roi le pouvoir de la dissoudre. Le respect,
î amour qu'inspireront les collections d'hommes qui le composeront suc-
cessivement, dépendront des vertus, de la justice de ces hommes. Or,
croyez-vous qu'ils seront plus incorruptibles sous la loi de la rééligibi-
lité, que sous celle qui la proscrira.
Je crois qu'il est facile de prouver le contraire. C'est dans votre
système que le corps législatif sera trop foible pour résister, non pas à
la force du pouvoir exécutif, mais à ses caresses et à ses séductions.
Car, dès le moment où il sera assis sur les bases de la constitution, ce
n est pas à le détruire que le pouvoir exécutif s'appliquera, mais à le
corrompre -, et ce qui sera à craindre, ce n'est pas qu'il soit trop foible
contre la puissance executive : c'est qu'il soit trop fort contre la liberté
des citoyens. Or. comparez les moyens de corruption dans le cas de )a
rééligibilité, avec ceux qu'il peut puiser, dans le systsème contraire.
N'est-il pas clair que le gouvernement auroit bien, moins d'intérêt à
corrompre des hommes dont la retraite romproit la trame qu'il auroit
ourdie de concert avec eux contre la liberté de la nation; qu'il faudro't
la renouer périodiquement avec de nouveaux frais, sans être jamais
sûr de recueillir dans une assemblée nouvelle ce qu'il auroit semé dans
la précédente : au contraire, voyez-le aux prises, pour ainsi dire, avec
des représentans rééligibles ; il s'attachera à ceux qui par ieur éloquence
et par leur adresse exerceront plus d'influence sur l'Assemblée législa-
tive; ils feront servir au succès de ses prétentions, la réputation même
de popularité qu'ils auront eu soin d'acquérir; et quand il les aura
aidés de son pouvoir, pour les réélire à la législature suivante, ils
achèveront alors de lui rendre les plus signalés services. Mais vous ne
comprenez pas, dites-vous, comment le pouvoir exécutif pourroit conce-
voir l'idée de séduire des membres du corps législatif, depuis qu'il ne
peut plus les appeler au ministère. Je rougirois de vous rappeler qu'il
existe d'autres moyens de corruption; mais je pourrois au moins deman-
der si ces places que l'on ne peut obtenir pour soi, on peut ne pas les
détourner sur ses amis, sur ses proches, sur son père, sur son fils; si le
crédit d'un ministre est entièrement inutile; s'il est impossible que des
membres du corps législatif régnent en effet sous son nom, et qu'ils
fassent, avec lui, une espèce d'échange de leur crédit et de leur
pouvoir; je pourrois dire même, que ce seroit déjà un grand avantage,
que celui d'être porté à la législature par le parti et par l'influence que
le pouvoir exécutif peut avoir dans les assemblées électorales. 1! est
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 407
vrai que vous supposez toujours que ceux qui seront réélus seront tou-
jours les plus zélés et les plus sincères défenseurs de la patrie. Vous
oubliez donc que vous avez dit vous-mêmes, qu'un mot dit à propos
lève tous les doutes sur le patriotisme d'un homme ? (4) Vous croyez
à l'impuissance de l'intrigue et du charlatanisme ! Vous croyez au
discernement parfait, à l'impartialité absolue de ceux qui choisiront
pour le peuple ! Vous ignorez qu'il existe un art de s'abandonner tou-
jours au cours de l'opinion du moment, en évitant soigneusement de la
heurter pour servir le peuple ! Et que dans cette arène, l'intrigant souple
et ambitieux lutte souvent avec avantage, contre le citoyen modeste et
incorruptible ! Mais c'est ici que le parallèle du représentant rééligible,
et de celui qui ne l'est pas, tourne entièrement contre votre système.
Suivez-les l'un et l'autre dans le cours de leur carrière. Le premier,
séduit par l'espérance de prolonger la durée de son pouvoir, partage
sa sollicitude entre ce soin et celui de la chose publique. A mesure
sur-tout qu'il approche de la fin de sa carrière, il s'occupe avec plus
d'ardeur des moyens de la recommencer; il songera plus à son canton
qu'à sa patrie, à lui-même qu'à ses commettans : parmi ceux-ci, il car-
ressera, il défendra avec plus de zèle ceux qui pourront seconder avec
plus de succès son projet favori ; il se gardera bien de protéger on
citoyen obscur et malheureux, contre un homme puissant et accrédité
dans sa contrée, sur-tout si cet acte de justice n'étoit pas de nature
à produire un éclat favorable à son ambition. Représentez- vous une
assemblée toute entière dans cette situation : les représentans du peuple
détournés du grand objet de leur mission, changés en autant de rivaux,
divisés par la jalousie, par l'intrigue, occupés presqu'uniquement à se
supplanter, à se décrier les uns les autres dans l'opinion de leurs conci-
toyens. Reconnoissez-vous là des législateurs, des dépositaires du bon-
heur du peuple ? Quelle sera l'influence de ces brigues honteuses ? Elles
dépraveront les moeurs publiques en même temps qu'elles dégraderont
la majesté des lois.
Quel respect le peuple auroit-il pour des législateurs qui lui donne-
roient l'exemple des vices mêmes qu'ils doivent réprimer ! Supposez,
au contraire, que les législateurs soient mis à l'abri de ces tentations
par la loi qui met obstacle à la rééligibilité, ils ne doivent avoir natu-
rellement d'autre pensée que celle du bien public. Le pouvoir exécutif
a moins d'intérêt de les séduire, parce qu'ils ne peuvent pas lui vendre
un système de perfidies gradué et prolongé dans une autre législature :
leur prévarication seroit d'autant plus odieuse, qu'elle seroit plus brus-
que et plus précipitée. Le véiitable objet de leur ambition, déterminé
par la durée même de leur mission, est de la mettre à profit pour leur
gloire, pour mériter l'estime et la reconnoissance de la nation dans le
(4) Allusion au discours de Duport: Un journaliste a même été
jusqu'à dire : « Un mot dit à propos lève tous les doutes sur le patrio-
tisme d'un individu »>.
406 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
sein de laquelle ils sont sûrs de retourner. Je m'étonne donc de l'extrême
prévention que l'un des préopinans sur-tout, M. Du Port, a marquée
pour une législature dont les membres ne pourraient point être réélus,
quand il a prononcé qu'ils n'emploieroient leur temps qu'à deux choses :
à médire des ministres, et à plaider la cause de leurs départemens contre
l'intérêt général de la nation. Quant aux intérêts du département (5),
j'ai déjà prouvé que cet inconvénient, et même un inconvénient plus
grave, n'existoit que dans le système opposé; quant aux ministres, s'ils
médisoient, cela prouveroit au moins qu'ils ne leur seroient point
asservis; et c'est beaucoup. D'ailleurs quoique nous soyons nous-mêmes
entachés de ce vice capital, par le décret de lundi (6), je suis persuadé
que nous emploierons notre temps à quelque chose de mieux qu'à médire
des ministres sans nécessité, et à parler uniquement des affaires de nos
départemens; et je suis convaincu, au surplus, que ce décret, quoi qu'on
puisse dire, n'a pas affoibli l'estime de la nation pour ses représentans
actuels.
On a fait une autre objection qui ne me paroît pas plus raison-
nable, lorsqu'on a dit que, sans l'espoir de la rééligibilité, on ne trou-
verait pas dans les vingt-cinq millions d'hommes qui peuplent la France,
des hommes dignes de la législature. Ce qui me paroît évident, c'est
que, s'opposer à la réélection, est le véritable moyen de bien composer
la législature. Quel est le motif qui doit appeler, qui peut appeler un
citoyen vertueux à désirer ou à accepter cet honneur, le plus grand de
ceux que la nation françoise puisse accorder à ses citoyens ? Sont-ce
les richesses, le désir de dominer, et l'amour du pouvoir? Non. Je n'en
connois que deux : le désir de servir sa patrie : le second, qui est natu-
rellement uni à celui-là, c'est l'amour de la véritable gloire, celle qui
consiste, non dans l'éclat des dignités, ni dans le faste d'une grande
fortune, mais dans le bonheur de mériter l'amour de ses semblables par
des talens et des vertus. Or, je dis que deux années de travaux aussi
brillans qu'utiles sur le plus grand théâtre où les talens et les vertus
puissent se développer, suffisent pour satisfaire ce genre d'ambition.
(Quand on les a bien su mettre à profit, on peut retourner, avec quelque
plaisir, dans le sein de sa famille, et souffrir avec patience cet intervalle
de deux ans, qui peut paroître une situation violente à un ambitieux,
mais qui est nécessaire à l'homme le plus éclairé, pour méditer sur les
principes de la législation avec plus de profondeur qu'on ne peut le faire
au milieu du tourbillon des affaires, et sur-tout pour reprendre ce goût
de l'égalité, que l'on perd aisément dans les grandes places. Ne me
parlez pas de pur civisme et de perfection idéale, et ne calomniez pas
(5) Allusion au discours de Duport: « Il .n'aura que deux choses
à faire: dire du mal des ministres et faire du bien dans son départe-
ment ».
(6) Celui du lundi 16 mai, obtenu par Robespierre, et qui inter-
dit la réélection des députés de la Constituante.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 409
la nature humaine, pour avoir un prétexte de repousser ces principes.
Je vous assure que ces sentimens sont plus naturels que vous ne croyez :
je connois plus d'un homme qui pense ainsi; j'en ai sous mes yeux;
et l'oeil du public en découvriroit davantage, si l'état ancien de notre
gouvernement avoit permis qu'un plus grand nombre d'hommes acquit
ou l'habitude, ou l'audace de la parole : mais laissez se répandre les
principes du droit public, et s'établir la nouvelle constitution; et vous
verrez naître une foule d'hommes qui développeront un caractère et des
talens. Croyez, croyez dès-à-présent qu'il existe dans chaque contrée
de l'empire, des pères de famille qui viendront volontiers remplir le
ministère de législateurs, pour assurer à leurs enfants des mœurs, une
patrie, le bonheur et la liberté; des citoyens qui se dévoueront volon-
tiers, pendant deux ans, au bonheur de servir leurs concitoyens, et de
secourir les opprimés. Et si vous avez tant de peine à croire à la vertu,
croyez du moins à l' amour-propre; croyez que, chez une nation qui
n'est pas tout-à-fait stupide et abrutie, un grand nombre d'hommes, un
trop grand nombre peut-être, sera naturellement jaloux d'obtenir le prix
le plus glorieux de la confiance publique. Voulez- vous me parler de
ces hommes qu'une ambition vile et insensée dévore, qui n'estiment
rien que la richesse et l'orgueil du pouvoir; de ces hommes que le génie
de l'intrigue pousse dans une carrière que le seul génie de l'humanité
devroit ouvrir ? Voulez- vous me dire qu'ils fuiront la législature, si
l'appât de la réélection ne les y attire ? Tant mieux ! Ils ne troubleront
pas le bonheur public par leurs intrigues; et la vertu modeste recevra
le prix qu'ils lui auroient enlevé. Voulez-vous faire des fonctions du
législateur un état lucratif, un vil métier ? Non, dispensez- vous donc
du détail de toutes ces petites convenances personnelles, de fous ces
méprisables calculs qui contrastent avec la grandeur d'une si sainte
mission.
Faut-il dissiper encore une autre crainte } Vous craignez que si
l'on ne conserve pas des membres de chaque législature, les autres
n'ayent pas les lumières nécessaires pour remplir leurs fonctions.
Je pourrois observer que cet argument banal, comme ceux que
j'ai déjà réfutés, s'appliquoit à la disposition qui écarte les membres de
l'Assemblée nationale actuelle de la législature prochaine, et que
l'Assemblée l'a rejeté, quoi qu'on ait dit, avec une profonde sagesse.
Son moindre défaut est de présenter les fonctions du législateur comme
on présentoit la finance lorsqu'elle étoit couverte d'une voile mysté-
rieux. Quoi ! Lorsqu'étrangers, pour la plupart, à ces occupations, vous
avez suffi à des travaux si immenses, si compliqués; quand vous avez
pensé que la législature qui, après vous, devoit être la plus surchargée
d'affaires, pouvoit se passer de votre secours, et être entièrement com-
posée de nouveaux individus, vous croiriez que les législatures suivantes
auront besoin de transmettre à celles qui viendront après elles, des
guides, des Nestors politiques, dans le temps où toutes les parties du
410 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
gouvernement seront plus simplifiés et plus solidement affermies. Non;
la législation tient bien plus à des principes qu'à la routine. Toutes
les lois importantes sont toujours devancées par l'opinion publique, pro-
voquées par un besoin présent, ou par la nécessité de réformer des abus
dont on a long-temps gémi. On a voulu fixer votre attention sur de
certains détails de finance, d'administration, comme si les législatures,
par le cours naturel des choses, ne dévoient pas voir dans leur sein des
hommes instruits dans l'administration, dans la finance, et présenter une
diversité infinie de connoissances, de talens en tout genre. Je conclurai
plutôt de tout ce qu'on a dit à cet égard, qu'il n'est pas bon qu'il reste
des membres de l'ancienne, car s'ils étoient présumés d'avance néces-
saires à certaines parties qui tiennent à l'administration, ils se perpétue-
roient dans les mêmes emplois : les autres membres se dispenseraient de
s en instruire; et l'esprit particulier, l'intérêt individuel seroient substitués
aux lumières, au vœu général de l'Assemblée représentative ? Ce qui
m'étonne sur-tout, c'est que ceux qui veulent nous inspirer ces terreurs,
aient oublié de faire une observation bien simple, qui les en eût eux-
mêmes préservés. Comment croire en effet à cette effroyable pénurie
d'hommes éclairés, puisqu'après chaque législature on pourra choisir
les membres de celles qui l'auront précédée, les partisans les plus
zélés de la réélection peuvent se rassurer; s'ils se croyoient absolument
nécessaires au salut public, dans deux ans ils pourront être les orne-
mens et les oracles de la législature qui suivra immédiatement la pro-
chaine.
Comment concevoir après cela ces cris éternels q\!e nous enten-
dons retentir depuis plusieurs jours; c'en est fait de la constitution; la
liberté est perdue ? Il est vrai que ces déclamations portoient principale-
ment sur le décret qui concerne l'Assemblée actuelle; i! est vrai que
tous ces discours étoient faits et préparés avant ce décret, et qu'ils
étoient destinés à prouver aussi que nous devions être réélus; et je ne
sais si l'on trouve un secret plaisir à le censurer en discutant une ques-
tion liée aux principes qui l'ont dicté : mais ce que je sais bien, c'est
qu'il est permis de s'étonner de ce que ces personnes n'ont commencé
à nous effrayer sur les dangers de la patrie que le jour où l'Assemblée
nationale a donné ce grand exemple de sagesse et de magnanimité.
Pour moi, indépendamment de toutes les raisons que j'ai déduites et
que je pourrois ajouter, un fait particulier me rassure : c'est que les
mêmes personnes qui nous ont dit : tout est perdu, si on ne réélit pas,
disoient aussi, le jour du décret qui nous interdit l'entrée du ministère :
tout est perdu; la liberté du peuple est violée; la constitution est dé-
truite. Je me rassure, dis-je, parce que je crois que la France peut
subsister, quoique quelques-uns d'entre nous ne soient ni législateurs,
ni ministres; je ne crois pas que l'ordre social soit désorganisé, comme
on l'a dit, précisément parce que l'incorruptibilité des représentai du
peuple sera "garantie par des lois sages. Ce n'est pas que je ne puisse
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 4M
concevoir aussi de certaines alarmes d'un autre genre; j'oserois même
dire que tel discours véhément, dont l'impressiosn fut ordonnée hier
(7) est lui-même un danger, ou du moins en présage quelqu'un. A Dieu
ne plaise que ce qui n'est point relatif à l'intérêt public soit ici l'objet
d'une de mes pensées ! Aussi suis-je bien loin de juger sévèremment
cette longue mercuriale prononcée contre l'Assemblée nationale le len-
demain du jour où elle a rendu un décret qui l'honore, et tous ces
anathèmes lancés du haut de la tribune contre toute doctrine qui n'est
pas celle du professeur, mais si en même tems qu'on prévoit, qu'on
annonce des troubles prochains; en même tems que l'on en voit les causes
dans cette lutte continuelle des factions diverses et dans d'autres cir-
constances que l'on connoît très bien, on s'étudioit à les attribuer
d'avance à l'Assemblée nationale, au décret qu'elle vient de rendre,
on cherchoit d'avance à se mettre à part, ne me seroit-il pas permis
de m'affliger d'une telle conduite, et d'être trop convaincu de ce que
l'on auroit voulu prouver : que la liberté seroit en effet menacée.
Mais je ne veux pas moi-même suivre l'exemple que je désapprouve,
en fixant l'attention de l'Assemblée sur un épisode plus long que
l'objet de la discussion; et j'en ai dit assez pour prouver que si les
dangers de la patrie étoient mis une fois à l'ordre du jour, j'aurois
aussi beaucoup de choses à dire. Au reste, le remède contre ces dan-
gers, de quelque part qu'ils viennent, c'est votre prévoyance, votre
sagesse, votre fermeté. Dans tous les cas nous saurons consommer, s'il
le faut, le sacrifice que nous avons plus d'une fois offert à la patrie.
Nous passerons ; les cabales des ennemis de la patrie passeront : les
bonnes lois, le peuple, la liberté, resteront. Maintenant il s'agit de
porter une loi qui doit influer sur le bonheur des tems qui nous suivront;
j'ai prouvé qu'elle étoit nécessaire à la liberté : j'aurois pu me conten-
ter d'observer que les mêmes principes qui ont nécessité votre décret
relatif à l'assemblée actuelle, s'appliquent à toutes les Assemblées
législatives. Ce n'est qu'une raison de convenance très impérieuse, très
morale qui m'a déterminé à provoquer préliminairement le premier
décret. Du moins, je ne l'eusse jamais proposé, si j'avois pensé qu'il
fût contraire aux principes généraux de l'intérêt public : il importe que
ceux qui s'opposoient à ce même décret, ne vous mettent pas en contra-
diction avec vous-mêmes, et ne prennent pas le droit de présenter
comme un acte de désintéressement ou de générosité, ce qui est un
acte de raison, de sagesse et de zèle pour le bien public. Au reste,
je dois ajouter une dernière observation; c'est que ce même décret et
les principes que j'ai développés, militent contre toute réélection immé-
diate d'une législature à l'autre. Ce qui me porte à faire cette observa-
tion, c'est que je sais que l'on proposera de réélire au moins pour
une législature, parce que, pour peu que les opinions soient partagées,
(7) Le discours de Duport.
412 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
on se laisse facilement entraîner à ces termes moyens, qui participent
presque toujours des inconvéniens des deux termes opposés.
Je demande que les membres des Assemblées législatives ne puis-
sent être réélus qu'après l'intervalle d'une législature (8).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXVI, p. 133
Le Logographe, Journal national, 18 mai 1791, p. 110-111.
« M. Robespierre. Vous appréciez de plus en plus, ce me semble,
l'importance de la question qui vous occupe. Je ne combattrai pas la
manière dont le svstême de la réélection a été défendu. Je ne veux
examiner ici que les principes de l'intérêt général qui doit être la règle
de votre décision. Mais pour mettre cette question dans tout son jour,
permettez-moi de vous rappeller les véritables termes de la disposition
sur laquelle vous délibérez.
« Elle porte que les membres d'une législature précédente pour-
ront être réélus à une législature prochaine.
« Il résulteroit de cet article, que les membres d'une législature
pourraient être réélus à perpétuité. Avant votre décret d'hier, cette
facuké eu»: appartenu aux membres de cette assemblée, comme une
conséquence visible de ces dispositions générales. Je ne fais cette
observation que pour indiquer l'étendue de l'esprit de l'article; car
je ne crois pas qu'il y ait deux opinions dans l'assemblée, sur la
nécessité d'empêcher une réélection perpétuelle. J'examinerai seule-
ment si la réégibilité, en elle-même, est plus utile à la liberté et au
bien public, que l'opinion contraire.
« Je crois que l'une et l'autre exigent que les membres des légis-
latures ne puissent être réélus, qu'après 2 ans d'intervalle; c'est ce
que je vais prouver par des observations simples, et c'est par les
moyens mêmes que les partisans du système contraire ont employé
pour l'établir.
« Quel est le principe, quel est le but des loix sur cette réélection ?
l'intérêt du peuple. Quand une nation n'exerce pas et ne peut pas
exercer son autorité par elle-même, mais par des représentans, si le
corps représentatif n'est pas absolument pur et identifié avec le peuple,
la liberté est perdue. Le grand principe du gouvernement représentatif,
l'objet essentiel des loix dans un tel gouvernement, est donc d'assurer
la pureté des élections et l'incorruptibilité des représentans. Si la
rééligibilité va à ce but, elle est bonne; si elle s'en écarte, elle est
mauvaise. Je ne sais si c'est sérieusement que les partisans de la réélec-
tion ont prétendu que le système contraire blessoit la liberté du peuple.
Toute entrave inutile, mise à la liberté du choix, est injuste; à plus
(8) Texte reproduit par Laponneraye, I, 109-123 (avec des mou-
vements de séances tirés du Moniteur) et par Oh. Vellay, op. cit.,
). 63-65.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 413
forte raison, si elle est nuisible et dangereuse. Mais toute règle qui
tend à défendre le peuple contre la brigue, contre la surprise, contre les
malheurs des mauvais choix, contre la corruption de ses représentans,
est juste et nécessaire. Voilà, ce me semble, les vrais principes de
cette question.
« On a cru me mettre en contradiction avec moi-même, en obser-
vant que j'avois manifesté une opinion contraire au marc d'argent. Ne
pourrois-je pas faire un reproche plus fondé à mes adversaires, et leur
demander pourquoi, ne s'étant pas opposés à une condition si rigou-
reuse, ils pensent aujourd'hui que l'on blesseroit la majesté du peuple,
en s'opposant à la réélection (applaudi). Laissons donc cette extrême
délicatesse de principes, et examinons, sans partialité, le véritable
point de la question, qui consiste à savoir si la rééligibilité tend à
assurer au peuple de bons représentans. C'est d'après les vices des
hommes, qu'il en faut calculer les effets; car ce n'est que contre les
vices, que les loix sont faites. Or, l'expérience a toujours prouvé
qu'autant les peuples sont indolens et faciles à tromper, autant ceux
qui les gouvernent sont habiles et actifs à étendre leur pouvoir. C'est
cette double cause qui a fait que les magistratures électives sont deve-
nues perpétuelles, et ensuite héréditaires; c'est l'histoire de tous les
siècles, qui a prouvé qu'une loi prohibitive de la réélection étoit le
plus sûr moyen de conserver la liberté. Parlez-vous d'un corps de
représentans destinés à faire des loix, à être les interprètes de la volonté
générale ? C'est la nature même de leurs fonctions qui les rappelle impé-
rieusement dans la classe des autres citoyens; ne faut-il pas, en effet,
qu'ils se trouvent dans la situation qui confond le plus leurs intérêts et
leurs vœux personnels avec celui du peuple. Or, pour cela, i! faut
que, le plus souvent possible, ils redeviennent peuple eux-mêmes : met-
tez-vous un instant à la place des simples citoyens, et dites de qui vous
aimeriez mieux recevoir des loix, ou de ceux qui, en les dictant,
seroient certains de redevenir, comme vous, de simples citoyens, ou de
ceux qui viendraient avec leurs pouvoirs par l'espérance de les perpé-
tuer (applaudissemens).
« Vous dites que le corps législatif sera trop foible pour résister
à la force du pouvoir exécutif, si tous ses membres sont renouvelés
tous les deux ans. Mais à quoi attribuerez- vous donc la véritable force
du pouvoir législatif; est-ce à la puissance, au crédit, à l'importance
de tels ou tels individus ? Non, c'est au pouvoir constitutionnel qu'il
appartient, c'est à la puissance, à la volonté de la nation qu'il repré-
sente Le pouvoir du corps législatif est immense par sa nature même :
il est assuré de sa permanence par la faculté de s'assembler sans convo-
cation, par la loi qui refusera au roi le droit de le dissoudre. Prenez-
garde, dit-on, à la corruption, à l'influence du pouvoir exécutif.
« C'est dans le système contraire à celui que je soutiens que ce
danger sera réel. Obligé de recommencer tous les deux ans ses tenta-
414 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
tives sur une assemblée nouvelle et pure, le pouvoir exécutif auroit à la
fois et plus de dépenses à prodiguer, et plus d'obstacles à surmonter.
On peut ajouter qu'il auroit bien moins d'intérêt à corrompre des
hommes dont la retraite romproit la trame, et qu'il faudroit la renouer
périodiquement sans être jamais sûr de recueillir dans une assemblée
nouvelle ce qu'il auroit semé dans la précédente. Au contraire, voyez-
le aux prises, pour ainsi dire avec des représentans rééligibles; il s'atta-
chera d'abord à ceux qui, par leur éloquence ou par leur adresse, exer-
ceront plus d'influence sur l'assemblée législative. Ils feront servir au
succès de ses prétentions avec beaucoup d'adresse, d'abord la répu-
tation de popularité qu'ils auront soin d'acquérir, et qu'il est souvent
facile d'usurper : et quand il les aura aidés à son tour de tout son pou-
voir pour les faire réélire à la législature suivante, ils tâcheront alors de
lui rendre les services les plus signalés. Mais vous ne concevez oas,
dites-vous, comment le pouvoir exécutif pourroit concevoir l'idée de
séduire des membres du corps législatif, depuis qu il ne peut plus les
appeller au ministère. Je rougirois de rappeller qu'il existe d'autres
moyens de corruption; mais je pourrois du moins demander si ces
places qu'on ne peut obtenir pour soi, on ne pourroit les obtenir pour
ses amis, pour ses proches, pour son père, pour son fils; si ce crédit du
ministère est entièrement inutile ; s'il est possible que des membres du
Corps législatif régnent en effet sous son nom, et qu'il se fasse entr-eux
une espèce d'échange de crédit et d'influence, je pourrois dire même
que ce seroit déjà un très-grand avantage de pouvoir être porté à la
législature par le parti et par l'influence que le pouvoir exécutif peut
exercer dans les assemblées électorales. Il est vrai que vous supposez
toujours que ceux qui seront réélus seront les plus zélés et les plus
sincères défenseurs de la nation. Vous oubliez donc que vous avez dit
vous-mêmes qu'on voit un mot dit à propos, lever souvent tous les
doutes sur le patriotisme d'un homme. Vous croyez à l'impuissance de
l'intrigue, et du charlatanisme: vous croyez au désintéressement par-
fait, à l'impartialité absolue de ceux qui choisiront pour le peuple : vous
ignorez qu'il existe un art de suivre toujours le cours de l'opinion popu-
laire, en même temps qu'on fait ce qu'on peut pour ne pas déplaire
au peuple; de saisir la faveur publique par des actions éclatantes qui la
flattent après avoir trahi la nation par un lâche silence, dont elle ne
s'est point apperçue ; et que dans cette arène, l'intrigant souple et ambi-
tieux lutte toujours avec avantage contre le citoyen modeste et incor-
ruptible. Mais c'est ici que le parallèle du représentant rééligible, et
de celui qui ne l'est pas, détruit entièrement votre système. Séduit par
le désir de suivre la réélection, partageant sa sollicitude entre ce soin
et celui de la chose publique, à mesure sur-tout qu'il approche de la
fin de sa carrière, il s'accaparera avec plus d'ardeur des moyens de la
recommencer; il songera plus à son canton qu'à sa patrie, à lui-même
qu'à ses commettans. Parmi ceux-ci, il caressera, il défendra avec zèle
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 415
ceux qui le pourront seconder dans son projet favori. II se gardera bien
de protéger un citoyen obscur et malheureux contre un homme puissant
et accrédité dans sa contrée. Représentez- vous une assemblée dans cette
situation, les représentans du peuple détournés du grand objet de leur
mission, changés en autant de rivaux, divisés par la jalousie, par l'in-
trigue, occupés presqu'uniquement à se supplanter, à se décrier les uns
les autres dans l'opinion de leurs concitoyens. Reconnoissez-vous là des
législateurs, les dépositaires du bonheur du peuple ?
« Supposez au contraire que les législateurs soient mis à l'abri
de ces tentations par la loi qui met obstacle à la rééligibilité; ils ne
doivent avoir naturellement d'autre pensée que celle du bien public. Le
pouvoir exécutif a moins d'intérêt de les séduire, parce qu'ils ne
peuvent pas lui vendre un système de perfidie, gradué et prolongé dans
une autre législature : leur prévarication seroit d'autant plus révoltante
qu'elle seroit plus brusque. Je m'étonne donc de l'extrême prévention
que l'un des préopinants, M. Duport, a marqué pour une législature
dont tous les membres seroient renouvelles en entier. Il a prétendu
qu'ils employeront leur tems à deux choses; la première à médire des
ministres, la seconde à préférer à tout les affaires de leurs départemens
J'ai déjà prouvé que c'est dans le système contraire que cet inconvé-
nient arrivera. Pour ce qui regarde les ministres, s'ils médisoient des
ministres, ce seroit au moins une preuve qu'ils ne leur seroient pas
asservis, et ce seroit déjà beaucoup. Quoi qu'il en soit, je puis d'autant
moins partager avec le préopinant cette idée, que je ne pense pas
que, quoique nous soyons nous-mêmes dans cet état par le décret d'avant-
hier, nous employons davantage notre tems, soit à nous occuper exclusi-
vement et principalement des intérêts de nos départemens, soit à médire
des ministres sans nécessité; et je ne me suis point apperçu que ce
décret ait rien diminué de l'estime de la nation pour ceux qui l'ont
porté.
« On a fait une autre objection qui ne me paroit pas plus raison-
nable; lorsqu'on a dit que sans l'espoir de rééligibilité, on ne trou-
verait pas dans les 25.000.000 d'hommes qui composent la France,
des hommes dignes de la législature. Quel est donc le motif qui peut
appeller un citoyen ami de la patrie, à désirer ou à accepter cet hon-
neur, le plus grand de ceux que la nation peut accorder ? Sont-ce les
richesses ? Est-ce le désir de dominer et l'amour du pouvoir ? Non. Je
n'en connois que deux; le premier, c'est de servir sa patrie, le second,
qui est pr.ut-être véritablement uni à celui-là, c'est l'amour de la véri-
table gloire, qui consiste non dans i'éclat ni la perpétuité des dignités,
ni dans le faste d'une grande fortune, mais dans le bonheur de mériter
l'estime et la reconnoissance de ses concitoyens par des talens ou par
des vertus. Or je dis que deux années de travaux sur le plus grand
théâtre où les talens et les vertus puissent se développer suffisent pour
satisfaire ce genre d'ambition, quand on les sait mettre à profit: on
416 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
peut retourner avec plaisir au sein de sa famille, et souffrir avec parience
cet intervalle de deux années, qui peut paroître un siècle de souf-
frances à un ambitieux, mais qui est nécessaire à l'homme le plus
éclairé, pour méditer sur les principes de la législation avec plus de
profondeur qu'on ne peut le faire dans le tourbillon des affaires.
« Mais, dira-t-on, vous étoufferez le civisme : croyez que dès à
présent il existe dans chaque contrée de l'empire <Ies père? de famille,
qui viendront volontiers remplir le ministère de législateur, pour assurer
à leurs enfans des moeurs, une patrie. Et si vous avez tant de peine à
croire à la vertu, croyez du moins à l' amour-propre ; croyez que, chez
une nation qui n'est pas tout à fait stupide et abrutie, un grand nombre
d'hommes, un trop grand nombre d'hommes peut-être, sera naturelle-
ment glorieux d'obtenir la marque la plus sûre de la confiance publique.
« Voulez- vous me parler de ces hommes qu'une ambition insensée
dévore, qui n'estiment rien que la richesse ou l'orgueil du pouvoir;
de ces hommes que le génie de l'intrigue poussent dans une carrière
que celui de l'humanité devoit seul ouvrir, qu'une loi qui les priveroi*
du ministère ou de la législature plongeroit dans la consternation, ou
à qui elle inspireroit une funeste activité ? Voulez-vous me dire qu'ils
ne voudroient pas de la législature, si l'espoir de la réélection ne les
y attiroit ? Tant mieux, ils ne troubleront pas le bonheur du peuple par
leurs intrigues, et la vertu modeste recevra le prix qui lui auroit été
enlevé. (Applaudissemens à droite). Voulez-vous faire de l'état du
législateur un état lucratif, un vil métier ? Non. Dispensez-vous donc
du détail de toutes les petites convenances partielles, de tous ces
méprisables calculs qui contrastent d'une manière ridicule avec la gran-
deur de sa mission. Faut-il dissiper encore une objection ? Vous crai-
gnez, si l'or ne conserve pas des membres d'une législature, que les
autres n'aient pas les lumières nécessaires. Quoi ! vous avez pensé que la
législature prochaine qui après vous doit être la plus surchargée d af-
faires, pouvoit se passer de votre secours et être entièrement composée
de nouveaux individus; et vous croyez que les législatures suivantes
aurcient besoin de transmettre à celles qui viendront après elles, des
guides, des Nestors politiques, quand toutes les parties du gouverne-
ment seront plus simplifiées et plus affermies ? Ce qui m'étonne sur-tout,
c'est que ceux qui veulent nous faire croire que le décret est une erreur,
aient oublié de faire une observation bien simple; c'est que les
citoyens dont ils parlent peuvent devenir les ornemens de la législa-
ture, (Applaudi). Comment concevoir après cela ces cris éternels que
nous entendons retentir depuis quelques jours sur l'effet de la consti-
tution et de la liberté du peuple. Il est vrai que ces réclamations
portoient sur le décret qui concerne l'assemblée actuelle. Il est vrai
que tous ces discours étoient préparés avant ce décret et qu'ils dévoient
prouver aussi que nous devions être réélus: et je ne sais si l'on trouve
un secret plaisir à combattre aujourd'hui les principes qui ont déterminé
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 417
ce décret. Mais ce que je sais bien c'est qu'il est permis de s'étonner
qu'on commence à nous effrayer sur les dangers de la patrie, le jour
où l'assemblée nationale a donné un grand exemple de sagesse et de
magnanimité. Au reste, ce qui me rassure, c'est que j'ai entendu les
personnes qui prétendent que par ce décret nous avons renversé la cons-
titution, dire aussi, lorsque vous portâtes celui qui concerne le ministère
relativement aux membres de la législature actuelle, que la liberté du
peuple étoit violée, la constitution détruite. Je me rassure parce que
la France peut subsister, quoique quelques-uns d'entre nous ne soient
pas législateurs ou ministres (on rit et on applaudit à droite).
« Je ne crois pas, comme on l'a dit, que l'ordre social soit désor-
ganisé parce que la rééligibilité n'aura pas lieu. Il sera garanti par des
loix sages. Ce n'est pas que je ne puisse concevoir aussi de certaines
allarmes parce que tel discours véhément que j'ai entendu annbnçoit
des dangers. Au reste, je ne veux pas juger, avec trop de sévérité,
cette longue censure prononcée, il n'y a pas longtemps, contre l'assem-
blée nationale entière, et contre chaque fraction de l'assemblée natio-
nale, sans en excepter aucune; je ne parle pas de ces anathêmes,
lancés du haut de la tribune, contre une doctrine qui n'étoit point celle
du professeur. Si les dangers de la patrie étoient mis à l'ordre du jour,
j'aurois aussi beaucoup à dire. Au reste, le remède de ces dangers,
de quelque parti qu'ils viennent, c'est votre prévoyance, votre sagesse
et votre fermeté dans tous les cas, à qui nous le devons. Je finis par
une réflexion, c'est que ce même décret, et les principes que j'ai déve-
loppés, militent contre toute réélection immédiate d'une législature à
l'autre. Ce qui me porte à vous dire cette observation, c'est que je sais
que l'on vous proposera de réélire, au moins pour une législature, parce
que, pour peu que les opinions soient partagées, on se laisse facilement
entraîner par des opinions qui participent toujours de deux termes
opposés. J'appuie donc la proposition conforme aux vrais principes et
à l'intérêt public, qui a été faite par un des deux préopinans, et qui
consiste à décréter que les membres d'une législature ne pourront être
réélus qu'après un intervalle de deux ans. (On demande l'impression;
d'autres l'ordre du jour. L'assemblée passe à l'ordre du jour) » (9).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 140, p. 581.
« M. Roberspierre . Toute règle qui tend à défendre le peuple
contre la brigue, contre les malheurs des mauvais choix, contre la
corruption de ses représentans, est juste et nécessaire. Voilà, ce me
semble, les vrais principes de la grande question qui vous occupe.
[Suit le texte du discours imprimé, depuis : « Vous avez cru me
mettre en contradiction avec moi-même... » jusqu'à la fin; avec quel-
ques variantes de détail.]
(9) Le texte reproduit par les Arch. pari., XXVI, 203, combine
ceux du discours imprimé et de (Le Hodey.
418 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
(( Les applaudissemens qui avaient fréquemment interrompu ce
discours recommencent On demande l'impression. On réclame l'ordre
du jour. L'Assemblée passe à l'ordre du jour » (10).
Journal de la Noblesse, t. II, n° 22, p. 67-69.
« On a repris la discussion sur la rééligibilité. M. de Liancourt
a parlé après M. Robespierre, qui lui a répliqué, a détruit toutes ses
objections", et s'est justifié de plusieurs contradictions qu'on lui avoit
reprochées dans les débats; il a eu des instans fort vifs, et quoiqu'il
n'ait fait aucune application directe, il paroît que son discours n'étoit
pas sans motifs, et que la conduite de plus d'un député en étoit le
canevas. C'est ici que je sens vivement le poids du malheur qui accable
la moitié la plus vertueuse de toute la France : le ministère, au lieu
de ressaisir l'autorité légitime dont le trône est dépouillé, en suivant
une marche grave et imposante, aura recours aux moyens de corruption,
et l'homme de bien périra victime de ses espérances; nous laisserons
à nos successeurs un jeu aussi terrible qu'il étoit inconnu jusqu'à nous,
celui de l'insurrection et des révolutions.
[Suit un fragment du discours imprimé, depuis: « Mais vous ne
comprenez pas... » jusqu'à « ...contre le citoyen modeste et incor-
ruptible. »]
« Tous ces vices que décrit l'orateur devroient noas écarter pour
toujours de la folle idée d'établir un gouvernement populaire : ce qui
seroit un défaut pour les autres peuples est un vice pour nous; peut-on
parler de régénération et de vertu, lorsque, dans un tems d'effervescence
où tous les esprits semblent être portés pour le succès d'une révolution,
on voit toutes les sangsues se gorger du sang du peuple ? Tous ces
vertueux marchands qui se sont armés pour la cause commune, vendent
leur argent aux consommateurs, qui perdent le produit des entrées dont
l'Etat est lui-même dépouillé; telle est la vertu du siècle régénérateur
et régénéré. Je reprends le discours de M. Robespierre, qui doit être
l'oracle des révolutionnaires. « Voyez, dit-il, les représentans du peuple
détournés du grand objet de leur mission, changés en autant de rivaux,
divisés par la jalousie, par l'intrigue, occupés presqu'unanimement
à se supplanter, à se décrier les uns les autres dans l'opinion de leurs
concitoyens. Ces brigues honteuses dépraveront les moeurs publiques,
en même tems qu'elle dégraderont la majesté des loix...
[Suit un fragment du discours imprimé, depuis : « On a voulu
fixer notre attention... » jusqu'à « ...le peuple, la liberté resteront. »]
« La fin de ce discours nous présage quelque supplément sur la
turpitude des députés.
(10) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 438.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 419
« Je dois ajouter, a-t-il dit en finissant, une dernière observation,
c'est que le décret que vous avez rendu lundi, et les principes que j'ai
développés, militent contre la réélection immédiate d'une législature à
l'autre. Ce qui me porte à faire cette observation, c'est que je sais que
l'on proposera de réélire au moins pour une législature, parce que, pourvu
que les opinions soient partagées, on se laisse facilement entraîner à ces
termes moyens qui participent presque toujours des inconvéniens des
deux termes opposés. »
L'orateur a conclu à ce que les membres d'une législature ne puis-
sent être réélus qu'après l'intervalle d'une législature.
L'Ami du Roi (Royou), n° 367, p. 2.
« La grande question de la réégibilité a été enfin décidée dans
cette séance. Il faut rendre cette justice à M. Robespierre; il semble
avoir expié tous ses écarts démagogiques, par la manière ferme et noble
dont il s'est montré dans cette discussion; aucun intérêt secret, aucun
esprit de parti, aucune considération étrangère n'a pu ébranler sa réso-
lution, ni affoiblir son zèle pour une cause qui lui paroissoit intimement
liée au bien public. Jamais il n'a parlé avec plus de force et d'élo-
quence, et peut-être ses efforts auroient été couronnés du succès, s'il
n'eût pas été pour ainsi dire écrasé de tout le poids des talens supé-
rieurs et de la prodigieuse réputation de M. Cazalès; mais ce que je
regarde comme un véritable triomphe pour M. de Robespierre, c'est
que sa constance et son courage dans une pareille occasion, donnent
lieu de croire qu'il est plus attaché à ses principes qu'à ses intérêts;
que s'il est démagogue, c'est de bonne foi, et qu'il ne lui manque qu'une
meilleure tête et un esprit plus juste pour être un excellent citoyen et
même un bon législateur » (11).
L'Ami du Roi (Montjoie), 19 mai 1791, p. 555.
« Ce qu'a dit M. Roberspierre fera sentir de quelle nature ont
été ses raisonnemens.
« Je crois, a dit celui-ci, que la France peut subsister, que l'ordre
social ne sera pas désorganisé, quoique nous ne puissions être ni législa-
teurs, ni ministres... Nous passerons, les cabales des intrigues passeront;
mais la liberté restera...
« Ces derniers mots ont excité une espèce d'enthousiasme; on a
ordonné l'impression du discours de M. Robespierre, et certainement
c'étoit pour lui faire tous les honneurs à-la-fois, car on crioit en même
(11) Cf. E. Haamel, I, .448. Robespierre .eut en effet dans cette
séance "du 18 un succès moindre. Sans doute faut-il en voir la raison
dans le fait qu'il a, au début de son discours, soulevé la question
du marc d'argent et peut-être aussi dans lés craintes suscitées par
I)uport.
420 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
temps aux voix, aux voix, comme si l'orateur eût porté le flambeau de la
vérité dans tous les esprits, et y eût fait naître une détermination indes-
tructible. »
Courier de Provence, t. XIV, n° 291, p. 554-5.
« Dans cette affaire, comme dans toutes les autres questions de
principes et de grand intérêt national, M. Robespierre s'est exprimé
avec autant d'énergie que de patriotisme. Il a combattu, l'une après
l'autre, toutes les raisons, toutes les objections des adversaires, avec
la supériorité que donnent toujours une âme droite et une conscience
pure (12). Il a prouvé combien seroit favorable à la cour, la rééïigibilité
absolue, il a parlé de la corruption en homme incorruptible. Voici ce
qu'il a répondu à cette futile objection, tirée du défaut de capacité
des personnes qui entreroient pour la première fois dans la législature.
[Suit un fragment du discours imprimé, depuis: « Laissez se
répandre les principes... » jusqu'à « ...qu'ils lui auroient enlevé. »]
(( M. Robespierre a conclu comme M. Buzot et Pétion, à ce qu'on
ne pût être réélu à une nouvelle législature, qu'après un intervalle de
deux ans, »
[Brève mention de ce discours dans Le Journal des Débats, t. XX.
n° 725, p. 10; Le Courrier d'Avignon, n° 123, p. 490; Assemblée
nationale, Corps administratifs (Perlet), t. XI, n° 652, p. 5 ; Le Len-
demain, t. III, n° 139, p. 451 ; Le Journal universel, t. XI, p. 7040;
Le Couriei français, t. XI, n° 139, p. 138; La Gazette universelle,
t. I, n° 139, p. 555; La Correspondance nationale, n° 28, p. 190; Le
Courrier extraordinaire, 19 mai 1791, p. 5; Les Révolutions de France
et de Brabant, t. VI, n° 78, p. 611 ; Le Journal de Rouen, n° 139,
p. 675; Le Point du Jour, t. XXII, n° 676, p. 247; Le Mercure
universel, t. III, p. 298.]
2e intervention :
Après le discours de Robespierre, Le (Chapelier défend à nou-
veau le principe de la réélection des députés. La discussion est
fermée. Le président met aux voix la priorité pour l'avis du comité.
Le résultat étant douteux, les députés du côté droit demandent
l'appel nominal. Robespierre prenant encore la parole, dénonce
les manœuvres de ceux qui veulent revenir sur le décret du 16 mai.
Après un débat confus, l'Assemblée décida, à une majorité très
marquée, que la priorité serait accordée au projet du comité
Le 19 mai, l'Assemblée devait se rallier à une proposition tran-
sactionnelle présentée la veille par Barère de Vieuzac: les membres
d'une législature (pourront être réélus >à la législature suivante,
mais ilâ ne pourront ,1'être de nouveau par la suite, qu'après uu
intervalle de deux années.
(12) Passage cité par L. Jacob, p. 78.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 421
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique y t. XXVI, p. 139
« M. Robespierre. Avant la proposition de l'appel nominal,
M. Thouret a dit quelque chose qui mérite une réponse.
« M. Desmeuniers
<( M. Robespierre. Tout le monde est également persuadé de
l'importance de la question. Je pense que votre délibération ne doit
pas être dirigée par des déclamations vagues, par des insinuations insi-
dieuses; et si je pensois que ce motif pût influer sur une délibération
si importante, j'ajouterois aussi un trait de lumière qui vous décou-
vrirait la cause pour laquelle on met tant de chaleur de part et d'autre
à soutenir son opinion (parlez, parlez). Il est un fait constant, dont il
sera facile d'être convaincu. La résistance que l'on apporte en ce mo-
ment à la délibération, c'est que ceux qui soutiennent aujourd'hui le
système de la réélection, sont tellement convaincus que votre décret
d'hier est mauvais, qu'ils ont formé le dessein de le rendre inutile.
(Murmures).
« M. de Cazalès. Je demande la parole pour prouver au pré-
opinant que le décret d 'avant-hier est bon et n'a en rien préjugé l'im-
portante question d'aujourd'hui.
« M. Robespierre. Je tire la preuve du fait que j'annonce à l'as-
semblée, du principe très hardi avancé pour la première fois dans cette
tribune, par M. Chapellier, lorsqu'il a dit que les départemens seroient
autorisés à désobéir à votre décret (murmures) (13).
« M. Roederer. Il n'est question que de savoir si on fera l'appel
nominal, oui, ou non.
« M. Goupil. C'est une imposture et une calomnie.
« M. Démeunier. Que l'on me donne la parole, et je répondrai
à M. Robespierre, non par des conjectures, mais par des faits. (Quel-
ques applaudissemens).
« M. Robespierre . Il étoit d'autant plus convenable de m'accorder
la liberté de finir mon opinion, que si le fait que je dis n'est pas
exact, il est important qu'il soit démenti; or je conclus de renonciation
faite dans cette tribune, par M. Chapellier que l'intention manifeste
de ceux qui s'opposent au cours de la délibération, est de vous faire
revenir sur le décret d'avant-hier. (Murmures à gauche: à l'ordre!) »
(14).
(13) Le Chapelier aurait dit: « Par quel étrange principe ^ vou-
lez-vous interdire au peuple la faculté de réélire l'homme qui l'aura
bien servi?... iSi vous décrétez cet' acte anti-constitutionnel, chaque
département aura le 'droit de n'y pas obéir ». Ce passage excita de
violents murmures. Regnaud et Montlosier demandèrent que l'ora-
teur fût rappelé ià l'ordre.
(14) Texte reproduit dans les .Arch. pari., XXVI, 210.
422 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 140, p. 582.
« M. Roberspierre . Tout le monde conçoit l'importance de la
question, ne nous laissons pas séduire par de vagues réclamations. Je
sais la cause de cette résistance, de cette chaleur avec laquelle on
soutient son opinion, c'est que ceux qui défendent aujourd'hui le sys-
tème de la réélection sont tellement convaincus que votre décret
d'avant-hier est mauvais qu'ils ont formé le projet de le rendre inutile...
(On murmure).
« M. Cazalès. Le décret d'avant-hier est bon, mais n'a en rien
préjugé l'importante question d'aujourd'hui; qu'on m'accorde la parole
et je m'engage à le prouver (15).
« M. Roberspierre. Je tire la preuve de ce que je viens d'annoncer
du principe avancé par M. Le Chapelier lorsqu'il a dit que les départe-
mens seraient autorisés à désobéir à votre décret... (Les murmures re-
commencent).
« M. Goupil. C'est une imposture, c'est une calomnie; oui, mon-
sieur, une calomnie.
« M. Roberspierre. Qu'on me laisse finir mon opinion, car si le
fait que j'avance est faux, il est important qu'il soit démenti. Je
conclus de l'énonciation de M. Le Chapelier que l'intention manifeste
de ceux qui s'opposent à la délibération, est de vous faire revenir sur
le décret d'avant-hier » (16).
Journal des Débats, t. XX, n° 725, p. 14.
Courrier d'Avignon, 1791, n° 123, p. 491.
« M. Robespierre a annoncé que si l'on vouloit il répandroit un
trait de lumière qui découvriroit la cause pour laquelle on met de part
et d'autre tant de chaleur dans la discussion. — Dites, dites. — Voici
le fait, voici ce qui m'explique la résistance qui frappe l'Assemblée
dans ce moment : c'est que ceux qui soutiennent le système de la ré-
élection sont tellement convaincus que votre Décret d'avant-hier est
mauvais, qu'ils ont formé le dessein de vous le faire recevoir et changer.
'.( M. Cazalès a demandé à M. Robespierre de prouver cette
assertion. M. Robespierre, pour répondre à M. Cazalès, a reproché
à M. Chapelier d'avoir dit que les Départemens seroient obligés de
désobéir au Décret.
« M. Démeunier a demandé la parole contre M. Robespierre.
M. Robespierre a répété ce qu'il avoit dit. M. Lachèze a demandé
qu'on passât à l'appel nominal. »
L'Ami du Roi (Royou), n° 367, p. 3.
« Sur la fin de la séance d'hier, M. Robespierre, désespéré du
(15) Cazalès avait en effet d'abord approuvé l'interdiction de la
réélection, mais à la fin de la séance du 18 mai. il changea d'avis.
(16) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 441.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 423
triomphe de ses adversaires, a voulu du moins périr avec gloire au
milieu du champ de bataille, et lancer encore un dernier trait capable
de faire reculer les vainqueurs, et de retarder sa défaite. }'ai un impor-
tant mystère à vous révéler, Messieurs, s'est-i! écrié : Voulez-vous
savoir pourquoi les partisans de la réélection mettent dans leur manière
d'opiner tant de chaleur, d'opiniâtreté, et d'emportement; c'est que
leur intention est de revenir sur le décret d'avant-hier, qui ne permet
pas aux membres de la législature actuelle, d'être réélus pour la sui-
vante; c'est ce décret sur-tout qui leur tient à cœur, et qu'ils veulent
faire révoquer. On a paru très-scandalisé de l'excessive et incommode
pénétration de M. Robespierre. On a affecté de regarder cette dénon-
ciation comme un trait de vengeance et un coup de désespoir. M. de
Cazalès, qui se trouvoit, par un incident assez nouveau, faufilé avec les
démagogues, s'est chargé de pulvériser l'audacieux détracteur de la
pureté de leurs intentions. »
[Brève mention de cette intervention dans La Correspondance na-
tionale, n° 28, p. 190; Le Lendemain, t. III, n° 139, p. 452; Le Mer-
cure de France, 28 mai 1791, p. 293; Le Courrier extraordinaire, 19
mai 1791, p, 6; L'^4rm du Peuple (Marat), n° 462, p. 8; Le Specta-
teur national, n° 170, p. 728; Le Journal général, n° 108, p. 432;
Le Point du Jour, t. XXII, n° 676, p. 251.]
291. — SEANCE DU 19 MAI 1791
Sur l'éligibilité des ministres a la législature
Apre avoir adopté l'article sur la réélection des législateurs,
l'Assemblée entend la suite du projet présenté par Thouret dont
l'art. 6 est ainsi conçu : « Aucun état, profession ou fonction publi-
que n'exclut de l'éligibilité à la législature, les citoyens qui réunis-
sent les conditions prescrites par la constitution ».
Thouret précise qu'il n'entend point préjuger de la question de
l'éligibilité des ministres : l'Assemblée en décidera, lorsqu'elle abor
fiera la discussion sur l'organisation du pouvoir exécutif. Lanjuinais
demande que le président mette aux voix la question des incompa-
tibilités et plus particulièrement celle de l' inéligibilité des ministres.
Robespierre intervient également sur ce dernier point.
Après une légère discussion, l'Assemblée décMa que l'art. 6 ne
préjugeait point de cette question. Il fut décrété tel que l'avait
présenté le comité de constitution.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXVI, p. 171
« M. Robespierre. Pourquoi exclure de la discussion ce qui re-
garde les ministres : il est évident qu'on cherche à nous faire préjuger
la question. Je demande qu'on mette aux voix la proposition de M. Ca-
424 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
zalès, et qu'on discute sur la question ainsi posée : les ministres seront-ils
éligibles, ou ne seront-ils pas éligibles à la législature? » (1).
Journal de Rouen, n° 140, 20 mai 1791, p. 680.
« M. Robertspierre s'y opposoit en représentant que le devoir
d'un législateur étoit de faire des lois claires et précises, de les énoncer
dans des termes qui n'admissent aucune exception, sans quoi il en
pouvoit résulter les plus grands inconvénients. »
Le Patriote François, 1791, n° 651, p. 557.
« L'article 6, qui admet à l'éligibilité les citoyens de toutes les
professions, avoit pour objet de glisser subtilement les ministres dans
la législature. MM. Lanjuinais et Robespierre se prépaioient à argu-
menter contr'eux, lorsqu'on a eu l'art de faire ajourner la question,
parce que la veine ne paroît pas heureuse pour les ministériels. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Courrier d'Avignon,
n° 124, p. 994; Le Journal des Débats, n° 276, p. 8.]
(1) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVI, 229.
292. — SEANCE DU 27 MAI 1791 (1)
Sur le lieu de réunion des assemblées primaires
Démeunier, au nom du comité de constitution, rapporte le pro-
jet relatif au mode et à l'époque des élections, à la première légis-
lature. Après l'adoption d'un certain nombre d'articles, il donne
lecture de l'art. 1 du titre II: « Les directoires de district sont
autorisés à déterminer, selon la circonstance, le lieu où se réuniront
les assemblées primaires »
Robespierre demande la question préalable sur cet article, esti-
(1) Robespierre ne parut pas aux tribunes de l'Assemblée et des
Jacobins pendant la semaine qui suivit les débats sur la réélection
des députés « Une courte maladie l'avait obligé à garder la cham-
bre » (iCf. G. Walter, p. 110). Jl ne put ainsi intervenir pour défen-
dre pendant cette période la cause des Avignoniais et des Marseil-
lais ; il s'en excuse le 24 mai (Cf. A. Chabaud. Robespierre défen-
seur de Marseille en 1791. Ann. révol., 1923, p. 113-125). A ce propos,
Marat écrit ^Ami du Peuple, t. VIII, n° 472, p. 3): « Les prétendus
patriotes de l'Assemblée sont vendus à la cour... (note). J'en excepte
le sieur Robespierre ; on est étonné de ne l'avoir pas vu à la tribune,
le 24, pour défendre la cause des Avignonnois, et les jours suivans
pour combattre le décret désastreux des maisons de plaisance
accordées au Roi, et les projets funestes sur la dictature suprême
du roî en temps de guerre. Mais Robespierre est malade, à coup
sûr, s'il n'est même devenu la victime de quelques attentats des
conspirateurs ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 425
niant que le lieu des assemblées primaires doit être fixe. Goupilleau
&e prononce dans le même sens. Démeunier adopte ce point de vue,
et propose le texte suivant: « Les assemblées primaires se tiendront
dans les chefs-lieux de canton, dans les départements où ils seront
fixés ; et dans ceux où ils ne le seront pas, le directoire de district
désignera le lieu où se tiendront les assemblées primaires » (2).
Cette rédaction fut décrétée par l'Assemblée (3).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXVI, p. 401
Le Logographe, Journal national, 27 mai 1791, p. 153.
Le Point du Jour, t. XXII, n° 686, p. 500.
« M. Robespierre. Tout le monde sait combien il est essentiel
de ne porter aucune atteinte à la liberté des élections; et on sent aussi
combien peut influer sur les élections le droit de transférer les assem-
blées primaires partout où on jugera à propos. La proposition du
comité tient essentiellement à la liberté des élections; et cette liberté
doit décider la composition de la législature prochaine, de laquelle
dépend en dernière analyse le salut de la constitution et de l'état. Je
crois donc que vous ne pouvez pas faire trop d'attention à cet article,
et qu'il faudroit même ajourner le titre 2 en entier. Si vous voulez le
décréter aujourd'hui, je vous supplie au moins de ne pas le décréter
sans le plus mûr examen. Pour moi je crois qu'il faut que le lieu des
assemblées primaires soit fixé; et qu'il ne doit pas dépendre de l'au-
torité particulière d'un directoire, qui peut être plus* ou moins attaché
aux principes de la révolution, de transférer des assemblées primaires
partout où il le jugera à propos, suivant ses vues. Je demande la question
préalable là-dessus » (4).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 149, p. 619.
« M. Roberspierre. Tout le monde sait combien il est essentiel
de ne porter aucune atteinte à la liberté des élections, et on sait quelle
influence pourrait y avoir le droit de transférer les assemblées primaires
par-tout où voudraient les directoires de district. Je crois donc que vous
ne pouvez faire trop d'attention à cet article, qu'il faut au moins
l'ajourner. Quant à moi, je pense qu'il faut que le lieu des assemblées
(2) Les citoyens actifs ne votaient pas comme le font les élec-
teurs depuis 1852 sur présentation de leur carte électorale et au
moment qui leur convient Ils se réunissaient, élisaient un bureau
et venaient voter à l'appel de leur nom: c'était l'assemblée primaire.
Sauf à l'occasion des élections municipales, rassemblée primaire en
province, à l'exception des grandes villes, se formait par canton ou
section Je canton. Le citoyen actif devait donc couvent quitter sa
commune et parcourir des distances plus ou moins considérables
La fixation du lieu d'assemblée pouvait donc donner lieu à des ma-
nœuvres ayant pour but de modifier les résultats électoraux eu pro-
voquant l'abstention de telle partie du canton.
(3) Cf. E. Hamel, I, 451.
(4) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVI, 509.
426 LES DISCOURS DR ROBESPIERRE
primaires soit fixé, et j'invoque la question préalable sur l'article,
dans le cas où on voudrait le discuter aujourd'hui » (5).
(5) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 518.
Société des Amis de la Constitution
293. — SEANCE DU 27 MAI 1791
Sur le renouvellement des comités de correspondance
ET DE PRÉSENTATION DE LA SOCIÉTÉ (1)
Les sociétés patriotiques de Marseille et de Toulon s'étant plain-
tes de la tiédeur des opinions des membres composant les comités
de correspondance et de présentation de la société, un membre pro-
pose leur renouvellement total. Barnave s'y oppose (2). Pour main-
tenir une certaine continuité dans l'esprit de ces comités, il souhaite
qu'on ne remplace à la fois que le tiers de leurs membres.
Robespierre appuie le renouvellement total, malgré les vives
répliques des membres de ces comités dont Bonnecarère. Barnave
intervient à nouveau pour les justifier, mais la société se langea à
l'avis de Robespierre.
Mercure universel, t. III, p. 486.
« M. Robespierre. Tout comité doit être renouvelle le plus tôt
possible, et ce ne peut être par tiers, ni par moitié, de crainte des
habitudes involontaires qui s'y perpétuent. Cependant, ignorez-vous
que votre comité de correspondance a excité quelquefois, je ne dirai
pas des mécontentemens, ni des plaintes, mais qu'il a été taxé d'une
sorte de modération, d'une sorte de froideur qui, si j'ose le dire, ne
convient pas à votre patriotisme : ignorez-vous qu'à Marseille, à Tou-
lon, et tout ce qu'il y a de fervens patriotes dans le département des
Bouches-du-Rhône, tout ce qu'il y a de plus patriotique en France, n'a
pas trouvé dans votre comité ce dévouement, cet appui qu'il avoit
droit d'en attendre; et ces lettres ne contenoient pas le voeu des amis
de la Constitution ! Quand les Sociétés du département des Bouches-
du-Rhône se sont plaintes à vous des attaques dangereuses de leurs
ennemis, elles n'ont reçu au lieu de consolation, de moyens sages et
fermes, elles n'ont reçu que des lettres foibles : cela n'a pas, je l'avoue,
découragé les amis de la liberté, mais cela a donné de l'audace à leurs
ennemis, et certes, messieurs, il ne vous appartenoit pas d'émettre un
voeu tel : et moi, qui suis l'ami le plus vrai des patriotes, je ne puis
<1) Rien dans Aulard (II, 453) à propos de cette question. Par
contre, G. Walter, Histoire des Jacobins, p. 141-143, signale ïe
discours de Robespierre d'après le Mercure universel.
(2) On trouvera la liste des membres de ces comités, au 1er mai
1791, dans Aulard, I, LXXVII-LXXV1II.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 427
voir tout cela sans en être vivement ému. Les commissaires envoyés
aux Bouches-du-Rhône ont calomnié le département; ils ont calomnié
ces patriotes marseillois, si fiers, si énergiques (3).
« Eh bien, si vous aimez la liberté, vous ne devez pas le souf-
frir; vous ne devez pas souffrir que des particuliers émettent des vœux
en votre nom, qui ne soient pas les vôtres; vous ne devez pas souffrir
que l'esprit d'orgueil, le désir de dominer se manifeste au nom de
votre patriotisme, que je suis bien loin de ne pas croire infiniment au-
dessus de celui que l'on voudroit vous prêter ! Ce motif me détermine
à vous demander le renouvellement en entier de votre comité de cor-
respondance. (Applaudissemens). »
[Interventions de Bonnecarère et de Barnave]
« M. Robespierre. Je déclare que mon opinion n'a pas eu d'objet
personnel; je déclare qu'il n'y aura jamais de dissention entre moi et
les vrais patriotes; par-tout où je les trouverai sur la ligne des prin-
cipes, je les embrasserai. (Vifs applaudissemens). »
Le Courrier des LXXXIII d épar terriens , t. XXIV, n° 31, p. 487.
« Cette séance sur laquelle nous reviendrons a été remarquable
par le renouvellement du comité de correspondance qui avoit été dé-
noncé par M. Robertspierre. »
(3) En décembre- 1790, à Aix, des officiers du régiment de Lyon-
nais sortirent d'un café pour attaquer un cortège de patriotes qui
passait. Il en résulta des troubles violents au cours desquels Pasea-
lis, avocat célèbre, devenu l'un des chefs de la contre-révolution, fut
pendu par la foule avec deux de ses amis. Le 20 décembre, l'Assem-
blée pria le roi d'envoyer des troupes dans les Bouches-du-Rhône,
ainsi que trois commissaires civils autorisés à requérir la 'orée armée
avec l'avis des administrations. Ils eurent ensuite à s'occuper de
troubles à Toulon et à Marseille qui ne sont pas sans rapport avec
l'échec du complot de Lyon en décembre. Ces commissaires furent
pris à partie par les patriotes et demandèrent leur rappel, ne
pouvant obtenir l'appui des corps administratifs. Le 2 avril 1791,
l'Assemblée les autorisa à requérir seuls la force armée (Cf. A.
Chabaud, art. cit., Ann. révol., 1923, p. 113-125).
294. — SEANCE DU 28 MAI 1791
Sur le marc d'argent
Démeunier, au nom du comité de constitution, soumet à la déli-
bération de l'Assemblée le second titre des articles additionnels sur
l'élection les députés à la première législature. Quatorze articles
sont successivement décrétés, presque sans discussion. Ils ont trait,
en particulier, à la fixation de la valeur de la journée de travail
par les directoires de département, base d'après laquelle- doit se
428 • LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
faire la distinction . entre citoyens actifs et citoyens passifs II).
.Robespierre en profite pour s'élever une nouvelle fois contre le
décret du marc d'argent. Delavigne, député du tiers état de la ville
de Paris, demande à appuyer la proposition de Robespierre et
déchaîne un véritable tumulte (2).
L'Assemblée décida que Delavigne ne serait point entendu c t
passa à l'ordre du jour.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXVI, p. 428
« M. Robespierre. C'est avec raison, ce me semble, que les diffi-
cultés élevées sur cet article arrêtent l'attention de l'assemblée, car
il touche immédiatement aux droits précieux de tous les citoyens :
or, je crois ces droits essentiellement blessés par deux dispositions de
cet article ; 1 ° je crois qu'il vaudroit mieux laisser la municipalité
maîtresse de régler les droits à cet égard, que d'en laisser la décision
au directoire, parceque les officiers municipaux sont beaucoup plus à
portée de connoître la fortune et l'état des citoyens qui sont sans cesse
sous leurs yeux. Voici, messieurs, le moyen que je vous propose, c'est
de déclarer que tout françois, c'est-à-dire, tous les hommes nés en
France, ont droit de jouir de la plénitude des droits de citoyens, et
sont éligibïes tous également. (Applaudissemens des tribunes et murmures
à gauche) (3).
[ ]
« M. Robespierre. Puisque nous sommes tous convaincus que
c'est principalement la convocation de la nouvelle législature qui importe
au salut public, il s'ensuit que c'est dans ce moment même et pour
la législature prochaine sur-tout que vous devez adopter une disposition
dont la nécessité a déjà été annoncée par le comité de constitution
lui-même, qui paroit déjà adopté dans l'opinion de l'assemblée, et
qui est réclamée par l'opinion non équivoque de la nation. Je veux
parler de la révocation du décret du marc d'argent, et j'en fais la mo-
tion. (Quelques applaudissemens à gauche. Murmures à droite) * (4).
Journal général, n° 118, p. 476.
« M. 'Robert spi erre renouvelle la motion qu'il a faite plusieurs
(1) Cf. séance du 25 janvier 1790 (Discours..., lre partie, p. 200)
et discours imprimé, reproduit ci-dessus, n° 248.
(2) Cf. E. Hamel, I, 451; et_ Actes C. de P., V, 112.
(3) Cette première intervention a lieu à -propos de l'art. 2 du
titre II. Il fut voté avec un amendement de Barnave qui attribuait
au Corps législatif la fixation de la valeur maximum et minimum
de la valeur de la journée de travail, pour six années. Robespierre
prend à nouveau part à la discussion, à la suite du vote de l'art. 17 ;
et c'est à ce moment qu'il pose plus nettement encore la question
de la suppression du marc d'argent. Nous n'avons pas séparé ces
deux interventions, car la plupart des extraits de presse les résu-
ment ensemble.
(4) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVI, 579 et 582.
LÉS DISCOURS DE ROBESPIERRE 429
fois, que tout François domicilié aura le droit d'activité, qu'on laissera
aux Municipalités le soin de déterminer la valeur locale de la journée
de travail, c'est la vingtième fois qu'on revient sur cet objet; l'Assem-
blée un peu fatiguée de ces retours, repousse la motion par des mur-
mures. »
...« M. Robertspierre profitant du tems qui lui reste, propose un
article additionnel aux Décrets sur le mode de convocation. Il demande
que l'Assemblée révoque son Décret sur le marc d'argent. C'est encore
un retour sur les conditions d'activité civique; l'Assemblée en mur-
mure : un tumulte s'élève, quelques Membres demandent que la délibé-
ration sur cette motion soit renvoyée à l'époque où le Comité de Révi-
sion présentera son travail. »
Journal de Rouen, 1791, n° 149, p. 723.
« M. Robertspierre s'est sur-tout élevé contre la disposition qui
attribue la fixation aux directoires de département, au lieu de l'accorder
aux municipalités.
« Ces dispositions, disoit-il, blessent les droits de l'homme, et
privent une foule d'individus des avantages auxquels ils ont les droits
les plus légitimes. Les officiers municipaux ne sont-ils pas plus à portée
de connoître ceux qui sont au milieu d'eux ? Les droits ne paroi ssent-ils
pas infiniment plus précieux aux représentants immédiats des citoyens,
qu'à ceux qui ne les voient presque jamais, et avec lesquels ils n'ont
aucune habitude ? Voulez-vous, messieurs, faire cesser toutes les diffi-
cultés que vous rencontrerez toujours dans ces sortes de questions ?
Bannissez toutes ces distinctions, qui ont été malheureusement inven-
tées, et déclarez solemnellement que tout français libre et domicilié
jouira de la plénitude des droits de citoyen actif.
« On s'est récrié contre une proposition qui paroissoit renverser
des décrets déjà rendus; on a étouffé la voix de l'opinant, et l'article
a été décrété ainsi que celui qui suit. »
Gazette nationale ou le Moniteur unioersel, n° 149, p. 620.
« M. Roberspierre . C'est ici le moment de réformer le décret du
marc d'argent. Je demande que tout Français domicilié soit déclaré
citoyen actif et éligible. (11 s'élève de violens murmures).
« M. Lavigne demande à appuyer la proposition de M. Robers-
pierre. Sa voix est étouffée par les clameurs qui s'élèvent dans toutes
les parties de la salle m (5).
Le Spectateur national, 29 mai 1791, p. 768.
« Les mêmes efforts viennent d'être renouvelles par M. Robes-
pierre, qui, à la fin de la séance, a proposé à l'assemblée de couronner
(5) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 620,.
430 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
ses travaux par l'anéantissement absolu de cette décision attentatoire aux
droits naturels de l'homme. M. Robespierre a été vivement appuyé par
M. Lavigne et plusieurs autres membres du côté gauche, mais !a très-
grande majorité de l'assemblée a déclaré vouloir passer à l'ordre du
jour. »
Le Législateur français, 29 mai 1791, p. 7.
« Après ce décret, M. Robertspierre a rappelle l'immoralité et
l'injustice de la loi, qui exige une contribution égale à la valeur d'un
marc d'argenj pour être éligible aux fonctions législatives, et a demandé
que cette loi fût à l'instant réformée. »
Le Patriote françois, n° 659, p. 592.
« Nous ne devons pas omettre de dire que M. Robespierre a
demandé la révocation des décrets qui attachent la qualité de citoyen
actif au paiement d'une imposition égale à la valeur de trois journées
de travail, et celle de citoyen éligible à la législature, au paiement
d'un impôt équivalant au marc d'argent. Certainement les principes éter-
nels et la saine politique militoient pour M. Robespierre, qui d'ailleurs
avoit le vœu d'un grand nombre de citoyens; mais l'assemblée n'a pas
cru devoir abroger elle-même son décret, elle a laissé ce soin à la
prochaine convention. »
Mercure de France, 4 juin 1791, p. 47.
« Dans le cours peu intéressant d'une discussion, plutôt allongée
que remplie, ont été noyées des réflexions et motions de MM. Ro-
berspierre, Nogaret et Lavigne. Le premier souhaitoit qu'on laissât les
municipalités maîtresses de régler la valeur de la journée de travail, et
pour mieux soumettre le gouvernement représentatif à l'empire anarchi-
que d'une ignorante multitude, qu'il fût décrété que tous les hommes
nés en France ont la plénitude des diroits de citoyens, et sont tous
également éligibles à toutes les places.
« Revenant à la charge, M Roberspierre a fait de nouveaux
efforts pour obtenir la révocation du décret, qui déclare inéligibles aux
législatures ceux qui ne payeront pas un marc d'argent en impositions
directes. I! prétendoit que cette révocation étoit déjà déterminée par
l'opinion de l'Assemblée et par Y équivoque de la nation. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Courrier des LXXXIII
départemens, t. XXIV, n° 39, p. 464; Le Journal universel, t. XII,
p. 8019; Le Journal des Débats, n° 375, p. 1 1 ; Le Courrier d'Avi-
gnon, n° 131, p. 523; Le Lendemain, t. III, n° 149, p. 540; Le
Bulletin et Journal des Journaux, n° 64; La Vedette ou Pièces de toutes
les nouvelles du Jour, 29 mai 1791, p. 8; La Feuille du Jour, t. IV,
n° 149, p. 482; Le Courrier extraordinaire, 29 mai 1791, p. 4; L'Ami
de la Révolution, 29 mai 1791, p. 238.]
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 431
295. — SEANCE DU 30 MAI 1791
Sur la nomination d'un commissaire du roi
près du Tribunal criminel de Paris
Duport, au nom du comité de constitution et de législation cri-
minelle, présente un projet de décret sur l'organisation du tribunal
criminel de Paris. Les premiers articles sont votés rapidement.
(L'art. 5 prévoit qu' « il y aura auprès du tribunal un commissaire
du roi, dont le traitement sera égal à celui des commissaires du
roi du tribunal criminel o> (1).
Malgré l'intervention de Kobespierre, qui réclama la question
préalable, l'art. 5 fut adopté.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXVI, p. 484
« M. Robespierre. L'assemblée nationale a rejette par la question
préalable la proposition de nommer un commissaire du roi près les
tribunaux criminels dans chaque tribunal criminel, et l'assemblée ne
l'a point fait sans connoissance de cause. Vu la nature des fonctions
attribuées pour le civil aux commissaires du Roi, il est visible qu'ils
n'auroient eu rien ou presque rien à faire : il a donc fallu les occuper
dans les affaires criminelles. Je réclame donc le décret déjà rendu
par l'assemblée nationale : si on pouvoit tous les jours proposer sous
d'autres formes des motions repoussées, alors la dictature des comités
seroit irrésistible, puisqu'ils seroient toujours les maîtres des moyens
qu'ils jugeroient à propos de choisir pour faire prévaloir enfin leur
système chéri. Je demande la question préalable. (Applaudi) » (2).
Le Point du Jour, t. XXII, n° 688, p. 542.
« M. Robespierre a réclamé l'exécution du décret déjà rendu
à ce sujet, et qui répète la création de commissaires du roi près les
tribunaux criminels; il a dit que l'assemblée devait cette disposition à
l'économie nécessaire dans les établissemens judiciaires, et aux vues du
bien public qui furent développées lors du premier décret » (3).
.[Brève mention de cette intervention dans Le Journal général,
n° 120, p. 483.]
(1) Dans sa séance du 20 janvier 1791, l'Assemblée avait décrété
« qu'il y aurait toujours un commissaire du roi de service auprès du
tribunal criminel », mais il ne s'agissait pas de créer une nouvelle
fonction, les commissaires du roi près les tribunaux civils pouvant
y être délégués. {'Gf. ci-dessus, séance du 20 janvier)
(2) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVI. 61Q,
(3) Cité par E. Hamel, I, 452.
432 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
296. — SEANCE DU 30 MAI 1791 (suite)
Sur la peine de mort
Lepeletier de Saint-Fargeau, au nom des comités de constitution
et de législation criminelle, avait présenté le 28 mai, à l'Assemblée,
un rapport sur le projet de code pénal. (Le 30 mai, la discussion s'en-
gage sur T ensemble du projet. iLepelefcier précise qu'en préambule
à toute discussion, il est nécessaire de fixer la question de savoir
si la peine de mort sera -ou non conservée. L'Assemblée décide que
la discussion est ouverte sur cette question. Elle entend d'abord un
discours de Prugnon, qui se prononce pour le maintien de la peine
de mort (l). .Robespierre intervient ensuite et conclut à ce que la
peine de mort soit abrogée (2).
La discussion devait se poursuivre le 31 mai et le 1er juin (3) ;
l'Assemblée décida ce jour-là que la peine de mort ne serait pas
abrogée.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXVI, p. 496
« M. Robespierre. La nouvelle ayant été portée à Argos, q.ie
dans la ville d'Athènes des citoyens avoient été condamnés à mort,
on courut dans les temples pour conjurer les dieux de détourner les
Athéniens de pensées aussi cruelles. Je viens prier, non les dieux,
mais les législateurs qui en doivent être les interprêtes et les organes,
d' effacer du Code des François ces loix de sang qui commanden! des
meurtres juridiques que proscrit l'intérêt général, encore plus que la
raison et l'humanité. Je veux leur prouver 2 propositions principales :
la première, que la peine de mort est essentiellement injuste; la
deuxième, qu'elle n'est pas la plus répressive de toutes les peines, et
qu'elle contribue beaucoup plus à multiplier les crimes qu'à les prévenir.
« La société a-t-elle le droit d'infliger la peine de mort ? La ques-
tion peut se résoudre en un seul mot : la société ne peu* avoir d'autre
droit que celui qui appartenoit primitivement à chaque homme, de
poursuivre la réparation des injures particulières qui lui étoient faites
Si, indépendamment même de l'état social, l'exercice de ce droit a
des bornes posées par les loix de la nature et de la raison qui défen-
dent à l'homme d'exiger une réparation immodérée, et d'exercer une
(1) « Opinion de M. Prugnon sur la peine de mort, imprimée
par ordre de l'Assemblée nationale », B.1S1. 8° Le 29/1559.
(2) D'après <( Le Creuset » >(t. II, n° 45) au moment où « Eobes-
pierre s'apprêtait à réfuter M. Prugnon, la demande a été formée,
pour que les Comités fissent leur rapport sur la pétition des admi-
nistrateurs du Bas-Rhin »>, anais « il a été répondu qu'ils n'étoient
pas encore prêts ».
(3) On trouve à la B.N. les discours de Pétion (8° (Le 29/1555),
de Mougins de Roquefort (8° Le 29/1556) et de Duport (8° Le 29/
1557).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 433
vengeance atroce, peut-il donner la mort à son ennemi? Oui; mais
dans un cas seulement, celui où cet acte terrible est absolument néces-
saire à sa propre défense. Suivez l'application de ce principe dans
l'état social; les hommes ont dit: nos forces individuelles sont trop
foibles pour protéger notre tranquillité et nos droits; réunissez-les pour
en composer une force publique contre laquelle toute force particulière
vienne se briser; réunissons nos volontés pour en former une volonté
générale qui, sous le nom de loi, consacre, détermine les droits de
chacun ; établissons des peines contre quiconque osera les violer. C'est
ainsi que les peines légales furent substituées aux moyens naturels qui
appartenoient à chaque homme de réprimer et de punir les injures dont
il étoit l'objet. Or, si la véritable mesure de la sévérité qu'on doit
déployer contre un ennemi se mesure elle-même sur la puissance de
celui qui se venge, qui peut douter que la Société ne soit obligée de
mettre beaucoup plus de douceur dans les peines, que l'homme isolé qui
poursuit une injure ?
« J'ai dit, qu'avant le pacte social, l'homme n'avoit le droit de
donner la mort à son ennemi, que dans le cas où cet acte funeste seroit
absolument nécessaire à sa défense, mais ce cas unique peut-il exister
pour la société, relativement à un coupable ? Il ne reste que ce point
à décider, pour juger de la peine de mort. Hors de la société, qu'un
ennemi vienne attaquer mes jours, ou que, repoussé vingt fois, il revienne
encore ravager le champ que j'ai cultivé, puisque je ne puis opposer
alors que mes forces individuelles aux siennes, il faut que je périsse
ou que je le tue, et la loi de la justice naturelle me justifie et m'ap-
prouve : mais, dans la société, quand la force de tous s'arme contre
un seul, quel principe de justice peut l'autoriser à lui donner la mort?
Et remarquez bien une circonstance qui décide la question : quand >a
société punit un coupable, il est hors d'état de lui nuire; elle le tient
dans les fers; elle le juge paisiblement; elle peut le châtier, le mettre
dans l'impossibilité de se faire craindre, à l'avenir, par tous les moyens
que lui fournit une autorité sans bornes. Un vainqueur qui égorge ses
captifs, est appelé barbare. (Murmures). Un homme fait, qui égorge
un enfant pervers qu'il peut désarmer et punir, paroît un monstre. {Mur-
mures) .
« M. l'abbé Maury. 11 faut prier M. Robespierre d'aller débiter
son opinion dans la forêt de Bondy.
« M. Robespierre. Les principes que je développe sont ceux de
tous les hommes célèbres, qui certainement ne m'eussent pas dit comme
M. Maury: Allez débiter ces maximes dans la forêt de Bondy. Ainsi,
en dépit de tous les préjugés, il est certain qu'aux yeux de la morale
et de la justice les scènes d'horreur que la société étale avec tant
d'appareil ne sont que des assassinats solemnels commis par. des nations
entières.
« Mais ces préjugés ont régné long-tems sur les peuples. J'avoue
Uon.M-n .un H
434 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
que c'est une terrible autorité que celle du genre humain : mais cepen-
dant, il est permis de s'appercevoir que cette terrible autorité consa-
creroit tous les abus et tous les crimes qui ont fait les malheurs du
monde; et que pour les consacrer véritablement, il faut au moins méditer
avec impartialité et ce qui a été et ce qui est et ce qui doit être, et ne
pas compter les voix mais poser la vérité.
« Croyez-vous que ce soient les hommes sortant des mains de la
nature, qui ont prononcé que si quelque vice, quelque passion portent
quelqu'un de nous à violer cette loi, il soit puni de mort? Non; mais,
dans chaque pays, les usurpateurs heureux, lorsqu'ils se sont trouvés assez
puissans pour corrompre et pour effrayer leurs concitoyens, ont dit : celui
qui osera conspirer contre nous, contre notre autorité, sera puni de
mort. Ils ont calculé, ils ont créé les crimes et les peines sur leurs
intérêts personnels. Sous Tibère, l'éloge de Brutus fut un crime digne
de mort. Caligula condamna à mort ceux qui s'étoient déshabillés devant
sa statue. Quand la tyrannie eut inventé les crimes de lèse-majesté,
le fanatisme et l'ignorance inventèrent à leur tour des crimes de lèse-
majesté divine, qui ne pouvoient s'expier qu'avec du sang.
« Envisageons donc avec plus d'impartialité et de justice une
question qui, pour la première fois, se présente à l'attention des législa-
teurs d'un peuple. Le peu de mots que j'ai dits suffit pour prouver que
la peine de mort est essentiellement injuste, que la société n'avoit pas
le droit de l'infliger, mais il faut entrer dans les détails, et ne point
s'arrêter à cette maxime insuffisante, et néanmoins incontestable qu'en
fait de politique rien n'est juste que ce qui est honnête, et que l'ordre
social ne peut être fondé que sur la justice. Je vais donc prouver que
cette loi est aussi funeste dans ses effets et dans ses conséquences, qu'elle
est absurde, qu'elle est injuste dans son principe.
« Elle est nécessaire, disent les partisans de l'ancien usage. Qui
vous l'a dit ? Avez- vous calculé tous les ressorts par lesquels les loix
peuvent agir sur la sensibilité humaine ? Avant la peine de mort, com-
bien de peines physiques et morales l'homme ne peut-il pis endurer ?
L'homme est-il un simple animal qui ne puisse être affecté que par la
crainte de la mort et des tourmens corporels ? Non. C'est surtout la
partie morale de son être qui est la source de ses sensations agréables
ou douloureuses. C'est par elle qu'il offre le plus de prise à la sévérité
des loix. Indépendamment des biens et des maux dont la nature l'a
entouré, la société en crée pour lui une infinité d'autres. Voyez par
combien d'affections nouvelles elle l'enchaîne au joug des loix; voyez
comme elle attache son bonheur à ses propriétés, à sa famille, à ses
amis, à sa patrie; comme elle lui fait surtout un besoin de la bienveil-
lance de ceux qui l'environnent. Non, la mort n'est pas toujours pour
l'homme 'le plus grand des maux. Il la préfère souvent h la perte ces
avantages précieux sans lesquels la vie lui devient insupportable. Il
voudra périr mille fois plutôt que de vivre l'objet du mépris de ses
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 435
concitoyens. Le désir de vivre cède à l'orgueil, la plus impérieuse de
toutes les passions humaines. La plus terrible de toutes les peines pour
l'homme social, c'est l'opprobre, c'est l'accablant témoignage de l'exé-
cration publique. Eh ! messieurs, si vous y faites bien attention, vous
trouverez même que ce qu'il y a de plus terrible dans la mort que la loi
donne au coupable, c'est l'appareil ignominieux qui l'environne. Le
guerrier qui s'immole pour la patrie sur un champ de bataille, le héros
de la liberté qui périt pour elle, et le scélérat que la loi condamne,
meurent tous également : quelle est la différence ? C'est que l'ignomi-
nie entoure, accable les moments de celui-ci, tandis que la mort n'est
pour l'autre qu'une source de gloire.
« Quand le législateur peut frapper les citoyens par tant d'en-
droits sensibles, et de tant de manières, comment pourroit-il se croire
réduit à employer la peine de mort ? Les peines ne sont pas faites pour
tourmenter les coupables, mais pour prévenir le crime par la crainte de
les encourir. Or, messieurs, cette crainte dépend de l'impression qu'elle
fait; et cette impression elle-même dépend moins de la grandeur du mal
que du caractère, des préjugés, des mœurs et des loix du peuple
où elles sont en usage ; et tous ces ressorts sont entre les mains du légis-
lateur. Aussi le législateur qui préfère la peine de mort aux peines plus
modérées qu'il peut employer, ne fait autre chose qu'outrager la sensi-
bilité publique chez le peuple qu'il gouverne : enfin il affoiblit les
ressorts du gouvernement en voulant l'étendre avec trop de force.
« Pour l'homme qu'agite une passion indomptable, il s'en faut
bien que la mort soit le plus puissant de tous les freins. Mourir ou
posséder l'objet de sa passion, voilà le raisonnement de l'homme pas-
sionné. Voyez l'ambitieux qui espère de mettre sur son front le dia-
dème des rois : l'idée de la mort qu'il affronte l'effraie moins que celle
de vivre dans l'humiliation et dans la misère. Le législateur qui établit
cette peine renonce donc à ce principe salutaire, que le moyen le plus
efficace de réprimer les crimes est d'adapter la peine au caractère des
différentes passions qui les produisent, de les punir pour ainsi dire par
elles-mêmes.
« La peine de mort est nécessaire, dites- vous. Si cela est vrai,
pourquoi plusieurs peuples ont-ils pu s'en passer, et par quelle fatalité
ces peuples ont-ils été les plus sages et les plus heureux ? Si la peine
de mort est plus propre à prévenir les grands crimes, il faut qu'ils aient
été plus rares chez les peuples qui l'ont prodiguée. Or, c'est précisé-
ment le contraire. Voyez le Japon, nulle part la peine de mort et les
supplices n'y sont plus prodigués. Eh bien ! nulle part les crimes ne
sont si fréquents ni si atroces. On diroit que le Japonnois veut disputer
de férocité avec les loix barbares qui l'outragent et qui l'irritent.
« Maintenant, messieurs, veuillez bien observer que si vous adoptez
le principe faux, quoique très accrédité, que la véritable cause répri-
mante dans les peines, c'est la crainte de la mort et des douleurs, il
436 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
s'ensuivra que pour prévenir les crimes d'une manière plus efficace, il
faudra porter le plus loin possible ce principe, et après la mort, inventer
des tourmens.
« D'ailleurs, messieurs, eussiez-vous imaginé l'ordre judiciaire le
plus parfait, eussiez-vous trouvé les juges les plus intègres et les plus
éclairés, il restera toujours quelque place à l'erreur et à la prévention.
Pourquoi donc vous condamner à l'impuissance de tendre une main à
l'innocence opprimée ? Ces stériles regrets, ces réhabilitations illusoires
que vous accordez à une ombre vaine, à une cendre insensible, ne sont
que de foibles réparations, ne sont que de tristes témoignages de la bar-
bare témérité des loix pénales. Il n'appartient qu'à celui dont l'œil éter-
nel voit au fond des coeurs, de prononcer des peines irrévocables. Vous,
législateurs, vous ne pouvez vous charger de cette tâche terrible sans
vous rendre responsable de tout le sang innocent qui coulera sous le
glaive des loix (4).
« Gardez- vous bien de confondre l'efficacité des peines avec
l'excès de la sévérité; l'une est absolument opposée à l'autre. Tout
seconde les loix justes et modérées; tout conspire contre les loix
cruelles. L'indignation qu'excite le crime est balancée par la commi-
sération qu'inspire l'extrême rigueur des châtimens. La voix irrésistible
de la nature s'élève contre la loi, en faveur du coupable. Chacun s'em-
presseroit de livrer un coupable, si la peine étoit douce, mais il sent
la nature frémir au-dedans de lui, à la seule idée d'envoyer à la mort.
Oui, je ne crains pas de le dire, cette loi que vous avez imposée à tous
les citoyens de dénoncer les coupables, ne sera qu'une loi inique,
absurde et impraticable, si vous conservez la peine de mort. Cette
première disposition prouve la nécessité de combiner l'ensemble des
loix; elle prouve qu'une loi isolée peut devenir absurde par ses rapports
avec les autres loix.
« La force des loix dépend de l'amour et klu respect qu'elles
inspirent et cet amour, ce respect dépendent du sentiment intime qu'elles
sont justes et raisonnables. Ouvrez l'histoire de tous les peuples : vous
verrez que la douceur des loix pénales y est toujours en raison de la
liberté, de la sagesse, de la douceur du gouvernement. Vous voyez cette
gradation suivie dans l'histoire des peuples. J'en ai cité mille exemples;
je vous rappelle à celui, non pas de la Toscane, mais à celui d'un
empire qui avoit toujours été soumis au despotisme, à la Russie.
« Il faut donc croire que le bonheur de la société n'est pas attaché
à la peine de mort, puisqu'une grande société qui n'a point les mœurs
■(4) D'après les Mémoires de Charlotte Robespierre, p. 69, « Ro-
bespierre obligé de condamner à mort un accusé (alors qu'il était
juge au tribunal de ï'éyêqué d'Arias), aurait immédiatement donne
sa démission tant la peine de mort lui inspirait d'horreur: « Je
sais bien, disait-il, que c'est un scélérat, mais faire mourir un
homme! » (Cf. E. Hamel, I, 452).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 437
d'un peuple libre continue d'exister quoi que la peine de mort y ait
été abolie. Il faut croire que le peuple doux, sensible, généreux qui
habite la France, et dont toutes les vertus vont être développées par le
régime de la liberté traitera avec humanité les coupables, et convenir
que l'expérience, la sagesse vous permettent de consacrer les principes
sur lesquels s'appuie la motion que je fais que la peine de mort soit
abolie (applaudi). »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 152, p. 630.
« M. Roberspierre. La nouvelle ayant .été portée à Athènes (5)
que des citoyens avaient été condamnés à mort dans la ville d'Argos.
on courut dans les temples et on conjura les dieux de détourner «des
Athéniens des pensées si cruelles et si funestes; je viens prier non les
dieux, mais les législateurs qui doivent être les organes et les interprètes
des lois éternelles que la divinité a dictées aux hommes, d'effacer du
code des français les lois de sang qui commandent des meurtres
juridiques, et que repoussent leurs mœurs et leur constitution nouvelle.
Je veux leur prouver : 1 ° que la peine de mort est essentiellement
injuste; 2° qu'elle n'est pas la plus réprimante des peines, et qu'elle
multiplie les crimes beaucoup plus qu'elle ne les prévient.
« Hors de !a société civile qu'un ennemi acharné vienne attaquer
mes jours, ou que repoussé vingt fois, il revienne encore ravager le
champ que mes mains ont cultivé; puisque je ne puis opposer que mes
forces individuelles aux siennes, il faut que je périsse ou que je le tue;
et la loi de la défense naturelle me justifie et m'approuve. Mais dans
la société quand la force de tous est armée contre un seul, quel prin-
cipe de justice peut l'autoriser à lui donner la mort ? Quelle nécessité
peut l'en absoudre ? Un vainqueur qui fait mourir ses ennemis captifs
est appelle barbare ! Un homme fait qui égorge un enfant qu'il peut
désarmer et punir paraît un monstre ! Un accusé que la société condamne
n'est tout au plus pour elle qu'un ennemi vaincu ei impuissant, il est
devant elle plus faible qu'un enfant devant un homme fait.
« Ainsi, aux yeux de la vérité et de la justice, ces scènes de
mort qu'elle ordonne avec tant d'appareil ne sont autre chose que.de
lâches assassinats, que des crimes solennels, commis, non par des indi-
vidus, mais par des nations entières, avec des formes légales. Quelques
cruelles, quelqu'extravagantes que soient ces loix, ne vous en étonnez
plus. Elles sont l'ouvrage de quelques tyrans; elles sont les chaînes
dont ils accablent l'espèce humaine; elles sont les armes avec lesquelles
ils la subjuguent. Elles furent écrites avec du sang : « Il n'est point
permis de mettre à mort un citoyen romain ». Telle est la loi que le
peuple avait portée : mais Sylla vainquit, et dit : Tous ceux qui ont
(5) Contradiction avec le Journal des Etats Généraux. C'est le
texte de Le Hodey que plusieurs journaux reproduisent.
438 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
porté les armes contre moi, sont dignes de mort. Octave et les compa-
gnons de ses forfaits confirmèrent cette loi.
« Sous Tibère, avoir loué Brutus fut un crime digne de mort.
Caligula condamna à mort ceux qui étaient assez sacrilèges pour se
déshabiller devant l'image de l'empereur. Quand la tyrannie eut inventé
les crimes de lèse-majesté, qui étaient ou des actions indifférentes ou
des actions héroïques, qui eût osé penser qu'elles pouvaient mériter une
peine plus douce que la mort, à moins de se rendre coupable lui-même
de lèse-majesté ?
« Quand le fanatisme, né de l'union monstrueuse de l'ignorance
et du despotisme, inventa à son tour les crimes de lèse-majesté divine
quand il conçut dans son délire le projet de venger Dieu lui-même,
ne fallut-il pas qu'il lui offrît aussi du sang, et qu'il le mît au moins
au niveau des monstres qui se disaient ses images !
« La peine de mort est nécessaire, disent les partisans de l'antique
et barbare routine ; sans elle il n'est point de frein assez puissant pour
le crime. Qui vous l'a dit ? Avez- vous calculé tous les ressorts par
lesquels les lois pénales peuvent agir sur la sensibilité humaine. Hélas !
avant la mort, combien de douleurs phisiques et morales l'homme ne
peut-il pas endurer.
« Le désir de vivre cède à l'orgueil, la plus impérieuse de tontes
les passions qui maîtrisent le cœur de l'homme; la plus ternb'e de
toutes les peines pour l'homme social, c'est l'opprobre, c'est l'acca-
blant témoignage de l'exécration publique. Quand le législateur peut
frapper les citoyens par tant d'endroits sensibles et de tant de ma-
nières, comment pourrait-il se croire réduit à employer la peine de
mort ? Les peines ne sont pas faites pour tourmenter les coupables,
mais pour prévenir le crime par la crainte de les encourir.
« Le législateur qui préfère la mort et les peines atroces aux
moyens plus doux qui sont en son pouvoir, outrage la délicatesse publi-
que, émousse le sentiment moral chez le peuple qu'il gouverne, sem-
blable à un précepteur mal habile qui, par le fréquent usage des châti-
mens cruels, abrutit et dégrade l'âme de son élève; enfin, il use et
affaiblit les ressorts du gouvernement en voulant les tendre avec trop
de force.
« Le législateur qui établit cette peine renonce à ce principe salu-
taire que le moyen le plus efficace de réprimer les crimes, et d'adapter
les peines au caractère des différentes passions qui les produisent, et de
les punir, pour ainsi dire, par elles-mêmes. Il confond toutes les idées,
il trouble tous les rapports, et contrarie ouvertement le but des lois
pénales.
« La peine de mort est nécessaire, dites-vous? Si cela est, pour-
quoi plusieurs peuples ont-ils su s'en passer ? Par quelle fatalité ces
peuples ont-ils été les plus sages, les plus heureux et les plus libres ?
Si la peine de mort est la plus propre à prévenir les grands crimes,
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 439
il faut donc qu'ils aient été plus rares chez les. peuples qui l'ont adoptée
et prodiguée: or, c'est précisément tout le contraire. Voyez le Japon;
nulle part la peine de mort et les supplices ne sont autant prodigués;
nulle part les crimes ne sont si fréquens ni si atroces. On dirait que
les Japonais veulent disputer de férocité avec les lois barbares qui
les outragent et qui les irritent. Les républiques de la Grèce, où les
peines étaient modérées, où la peine de mort était ou infiniment rare
ou absolument inconnue, offraient-elles plus de crimes et moins de vertu
que les pays gouvernés par des lois de sang ? Croyez-vous que Rome
fût souillée par plus de forfaits, lorsque dans les jours de sa gloire,
la loi Porcia eut anéanti les peines sévères portées par les rois et par
les décemvirs, qu'elle ne le fut sous Sylla qui les fit revivre, et
sous les empereurs, qui en portèrent la rigueur à un excès digne de leur
infâme tyrannie ? La Russie a-t-elle été bouleversée depuis que le
despote qui la gouverne a entièrement supprimé la peine de mort,
comme s'il eût voulu expier par cet acte d'humanité et de philosophie
le crime de retenir des millions d'hommes sous le joug du pouvoir
absolu.
a Ecoutez la voix de la justice et de la raison; elle vous crie
que les jugemens ihumains ne sont jamais assez certains pour que la
Société puisse donner la mort à un homme condamné par d'autres hom-
mes sujets à l'erreur. Eussiez- vous imaginé l'ordre judiciaire le plus
parfait, eussiez-vous trouvé les juges les plus intègres et les plus éclairés,
il restera toujours quelque place à l'erreur ou à la prévention. Pourquoi
vous interdire le moyen de les réparer ? Pourquoi vous condamner à
l'impuissance de tendre une main secourable à l'innocence opprimée 7
Qu'importent ces stériles regrets, ces opérations illusoires que vous
accordez à une ombre vaine, à une cendre insensible : elles sont les
tristes témoignages de la barbare témérité de vos lois pénales. Ravir
à l'homme la possibilité d'expier son forfait par son repentir ou par
des actes de vertu, lui fermer impitoyablement tout retour à la vertu,
à l'estime de soi-même, se hâter de le faire descendre, pour ainsi dire,
dans le tombeau encore tout couvert de la tache récente de son crime,
est à mes yeux le plus horrible rafinement de la cruauté.
<( Le premier devoir du Législateur est de former et de conserver
les moeurs publiques, source de toute liberté, source de tout bonheur
social, lorsque, pour courir à un but particulier, il s'écarte du but
général et essentiel, il commet la plus grossière et la plus funeste des
erreurs. Il faut donc que la loi présente toujours aux peuples le modèle
le plus pur de la justice et de la raison. Si, à la place de cette sévérité
puissante, calme, modérée qui doit les caractériser, elles mettent la
colère et la vengeance; si elles font couler le sang humain qu'elles
peuvent épargner et qu'elles n'ont pas le droit de répandre, si elles
étalent aux yeux du peuple des scènes cruelles et des cadavres meurtris
par des tortures, alors elles altèrent dans le coeur des citoyens les idées
440 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
du juste et de l'injuste, elles font germer au sein de la société, des
préjugés féroces qui en produisent d'autres à leur tour. L'homme n'est
plus pour 1 homme un objet si sacré ; on a une idée moins grande
de sa dignité quand l'autorité publique se joue de sa vie. L'idée du
meurtre inspire bien moins d 'effroi lorsque la loi même en donne
l'exemple et le spectacle; l'horreur du crime diminue dès qu'elle ne
le punit plus que par un autre crime. Gardez- vous bien de confondre
l'efficacité des peines avec l'excès de sa sévérité: l'un est absolument
opposé à l'autre. Tout féconde les lois modérées, tout conspire contre
les lois cruelles.
« On a observé que dans les pays libres, les crimes étaient plus
rares, et les lois pénales plus douces. Toutes les idées se tiennent. Les
pays libres sont ceux où les droits de l'homme sont respectés, et où,
par conséquent, les lois sont justes. Par-tout où elles offensent l'huma-
nité par un excès de rigueur, c'est une preuve que la dignité de
l'homme n'y est pas connue, que celle du citoyen n'existe pas ; c'est
une preuve que le législateur n'est qu'un maître qui commande à des
esclaves, et qui les châtie impitoyablement suivant sa fantaisie. Je
conclus à ce que la peine de mort soit abrogée » (6).
Courier Français, t. XI, n" 152, p. 252.
« Ce n'étoit pas ainsi (7) que penscit M. Robertspierre. [Suit le
passage du texte de Le Hodey depuis: « Croyez- vous, disoit-il... jus-
qu'à ...s'expier qu'avec du sang. » Puis il reproduit d'après le même
journal le fragment suivant: « Cette peine est nécessaire. . jusqu'à ..et
qui l'irritent. »]
Journal de la Noblesse, t. II, n° 23 (B), p. 105.
« Ce n'est point par une prédilection pour M. Robespierre que
je ferai l'extrait de son discours; mes principes sur le gouvernement
sont presque entièrement opposés aux siens; et s'il est favorable au
criminel, il me donne des armes en faveur de l'innocence, et même de
la vertu persécutée et immolée. S'il eût prononcé ce discours avant la
mort de Favras, la gloire de cet infortuné ne seroit pas pour nous un
opprobre, et tant d'autres dont le seul crime est de penser contre la
majeure partie du royaume, et de ne point mesurer assez leur zèle sur
leur sûreté personnelle, pourraient se rassurer contre les attentats de la
(6) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 546; et dans Bûchez
et Roux, X, 66. Il a été publié en 1830 chez Prévost, Hbraire, rue de
Vaugirard, avec un avant-propos apocryphe tiré des Mémoires de
Robespierre par Ch. Reybaud, t. II, p. 180 (B.N. 8° Le 29/1564) ;
puis par Laponneraye, I, 151-157; et par Ch. Vellay, op. cit., p. 66-
71. (Le texte des Àrch. pari. (XXVI, 622) y ajoute plusieurs passages
et des mouvements de séances empruntés à Le Hodey.
<7) Il s'agit de l'opinion de Prugnon.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 441
loi. On verroit s'écrouler ce tribunal destiné à répandre !e sang et que
la ville d'Orléans (8) ne peut voir qu'avec horreur.
[Suif le § 1 du Moniteur.]
« Le seul danger peut m'autoriser à tuer mon ennemi armé pour
m'ôter la vie; mais, quand dans les sociétés, la force de tous est armée
contre un seul, quel principe de justice peut l'autoriser à lui donner
la mort ? Quelle nécessité peut l'en absoudre ? Un vainqueur qui fait
mourir ses ennemis captifs, est appelé barbare; un homme qui égorge
un enfant qu'il peut désarmer et punir, paroît un monstre. Un accusé
que la société condamne, est tout au plus pour elle un ennemi vaincu
et impuissant; ii est devant elle plus foible qu'un enfant devant an
homme fait... Le législateur qui préfère la mort et les peines atroces
à des moyens plus doux, outrage la délicatesse publique, émousse le
sentiment moral chez le peuple qu'il gouverne; semblable à un précep-
teur malhabile, qui par le fréquent usage des châtiments cruels, abrutit
et dégrade l'âme de son élève; il use et affoiblit les ressorts du gouver-
nement, en voulant les tendre avec trop de force.
« Ici, M. Robespierre oublie la moitié du principe, qui veut
que le meurtrier soit puni de mort; il ne contemple que la société, et
alors il fait du meurtrier un esclave, dont le sang peut être impunément
versé par le scélérat qu'il soustrait à la peine du talion. Il a cité
l'exemple de plusieurs peuples qui n'ont pas connu, ou qui ont aboli
la peine de mort, et particulièrement celui de Catherine. II a fait la
comparaison des meurtres qui se sont commis chez les mêmes peuples,
aux époques où cette peine a subsisté, et à celles où elle a été abolie. »
[Suit le passage du Moniteur, depuis : « Ecoutez la voix de la
justice... jusqu'à ...contre les loix cruelles ».]
Courier de Provence, t. XV, n° 295, p. 44-48.
« M. Prugnon a opiné pour la conservation de la peine de mort;
M. Robespierre en a demandé l'abolition. Le premier a traité cette
question terrible avec la délicatesse et les grâces d'un homme d'esprit,
le second avec la sensibilité d'un philosophe pénétré de la lugubre
importance de son sujet.
a Voici l'exorde touchant du discours de M. Robespierre :
[Suit le début du texte de Le Hodey, jusqu'à: « ...la raison et
l'humanité »]
« L'opinion de M. Robespierre se divisoit en deux parties. Dans
la première, il a prouvé que la peine de mort étoit essentiellement
injuste; dans la seconde, qu'elle n'est pas la plus répressive de toutes
(8) C'est la Haute Cour nationale créée par le décret 'du 10
mai 1791.
442 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
les peines, et qu'elle contribue beaucoup plus à multiplier les crimes
qu'à les prévenir.
« L'orateur a discuté le droit qu'a la société d'infliger la peine
de mort. Ce droit n'est fondé que sur celui_ qu'a tout individu de
donner la mort à son ennemi, dans le cas où cet acte funeste seroit
absolument nécessaire à sa défense. Mais il est évident que ce cas ne
peut jamais exister pour la société, relativement à un coupable, si ce
n'est peut-être, comme l'a prévu le comité, quand ce coupable e«t un
chef de parti.
[Suit le texte de Le Ilodey, depuis: « Croyez-vous. . . jusqu'à
...s'expier qu'avec du sang. »]
a L'orateur a demandé ensuite si la peine de mort étoit nécessaire,
et i! a conclu pour la négative. I! a démontré que les peines n'étant
point faites pour tourmenter les coupables, mais pour prévenir le crime
par la crainte de les encourir; que cette crainte dépendant de l'impres-
sion qu'elle fait, et cette impression elle-même dépendant moins de la
grandeur du mal que du caractère, des préjugés, des mœurs et des lois
du peuple chez lequel elles sont en usage; c'étoit outrager les mœurs
et la sensibilité d'un peuple libre, que de préférer la peine de mort
aux autres ressorts qui sont entre les mains du législateur. Il a demandé
pourquoi, par quelle fatalité les peuples chez lesquels cette peme étoit
le plus prodiguée, ont été constamment les plus corrompus et les plus
pervers; pourquoi il se commettoit moins de crimes dans les pays où
cette peine est abolie. Il a fini par un argument auquel les partisans
de la peine de mort ne pourront jamais répondre; c'est l'impossibilité
de réparer les funestes erreurs des juges, si jamais, comme il n'y en a
que trop d'exemples, ils condamnoient à mort un innocent.
« La discussion a été ajournée. »
Journal des Décrets de l'Assemblée nationale, 1er juin 1791, p. 341.
« Trois séances et plus ont été employées à la discussion de cette
seule question : la peine de mort sera-t-elle abolie ou conservée } Parmi
les Membres qui ont déployé leurs talens pour la faire rejetter, on a
distingué MM. Roberspierre, Pétion, Duport et quelques autres. Ils
regardoient cette peine comme un assassinat solemnel commis par la
Loi, qui, au mépris de la morale, de la justice et de l'humanité, abuse
avec autant de barbarie que de lâcheté, de la force infinie de la société
contre un individu. Ils soutenoient que les crimes doivent être punis
par les passions qui auroient porté à les commettre; que les privations.
la honte et le mépris, seroient plus réprimans que l'appareil des écha-
fauds; que plus un gouvernement étoit libre, plus les Citoyens étoient
vertueux, et plus le Code pénal devoit être humain; que la peine de
mort étoit une barbarie sans effet; que des mœurs pures, et des lois
pour prévenir le crime, plutôt que pour le punir, seroient la perfection
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 443
du Code pénal. Ils ajoutaient, que la peine de mort tiroit son origine
de la Loi du Talion; que la Loi du Talion n'était qu'un effet de la
vengeance individuelle, mais que la société ne devoit pas agir comme
un individu; que le supplice détruisoit dans le coupable tout espoir de
retour à la vertu, toute occasion de réparer son crime; enfin, que sans
la peine de mort, Calas et tant d'autres Citoyens morts sur l'échafaud
avec la honte du crime et la conscience de la vertu, n'auroient pas
donné lieu à des Arrêts de réhabilitation, qui n'ont pu, ni dédommager
ces infortunés des horreurs de leur supplice, ni ranimer leurs cendres,
ni réparer l'iniquité de leurs Juges. »
L'Ami du Roi (Royou), 2 juin 1791, p. 3.
« M. l'abbé Maury entendant M. Robespierre débiter avec
emphase ces dangereuses folies, s'est contenté de dire qu'i/ falloit
prier l'orateur d'aller prêcher ses maximes dans la forêt de Bondy. »
« ..M. Péthion a répété les mêmes sophismes, les mêmes absurdi-
tés que M. Robespierre, il s'est jette dans les mêmes déclamations : ces
messieurs, sans songer à la légèreté de leurs provisions, s'avisent quel-
quefois de vouloir étaler des connoissances et briller par l'érudition,
mais ces tentatives leur réussissent bien rarement. Par exemple, M. Ro-
bespierre a débuté par un trait fort ridicule d'histoire ancienne. La
nouvelle, dit-il, ayant été portée à Argos, que dans la ville d'Athènes
des citoyens avaient été condamnés à mort, on courut dans les temples
pour conjurer les dieux de détourner les A théniens de pensées aussi
cruelles. Ne diroit-on pas que la peine de mort était inconnue \ Argos,
et qu'il étoit inouï que des citoyens fussent condamnés à mort à Athènes.
M. Robespierre auroit dû nous indiquer la source où il avoit puisé
cette étrange érudition. »
Mercure de France, 11 juin 1791, p. 120-122.
« M. Roberspierre s'est chargé de prouver que la peine de mort
est essentiellement injuste, qu'elle n'est pas la plus répressive, et que
son effet est de multiplier les crimes au lieu de les prévenir. L'homme
ne peut donner la mort à son ennemi, que lorsque celte mort est néces-
saire à la propre conservation de celui qui tue pour n'être pas tué;
or, la société n'a rien à craindre du coupable qu'elle punit, il est
dans l'impuissance de nuire; on !e juge paisiblement. Un vainqueur qui
égorge ses captifs est appelle barbare ; un homme fait qui égorge un
enfant pervers qu'il peut désarmer et punir, paroît un monstre... Ici des
murmures ayant interrompu l'orateur, M. l'abbé Maury lui a conseillé
d'aller débiter ces maximes dans la forêt de Bondy.
« L'avocat des parricides, des assassins, des incendiaires, de ces
enfans pervers qui, dès qu'on les prend, sont aussi respectables aux
444 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
yeux de la loi que le brave guerrier dont des forces supérieures ont
fait un captif sacré pour son généreux vainqueur, l'impassible écho de
ces sophismes mille fois réfutés, M. Roberspierre, a répondu que sa
doctrine étoit celle de tous les hommes célèbres, qui ne l'enverroient
pas prêcher dans la forêt de Bondy. Avouant que c'est une terrible
autorité que celle du genre humain, il a dit qu'elle avoit consacré tous
les crimes, qu'on ne devoit pas compter les voix, mais peser la vérité
(proposition inconstitutionnelle, anti-révolutionnaire, qui sappe le grand
principe fondamental de la souveraineté du peuple en ce sens, que
la loi est la volonté générale, axiome qui suppose que les voix seront
comptées). Il a dit que la question agitée se présentoit pour la première
fois à l'attention d'un législateur; qu'il venoit de la résoudre; qu'il
falloit frapper de préférence les scélérats dans leur partie morale; que
l'on n'auroit plus de délateurs, si le crime étoit puni de mort, comme
si tous les jours on ne dénonçoit pas d honnêtes gens, dans l'abominable
espoir que des factieux en ordonneront le supplice. M. Roberspierre
a conclu à ce que la peine de mort fût abolie, et les galeries ont vive-
ment applaudi cette intéressante conclusion. »
Courrier extraordinaire, 31 mai 1791, p. 5 (9).
Mercure universel, t. III, p. 493.
« M. Robespierre a repris la discussion sur le code pénal; ij a
offert de prouver: 1° que la peine de mort est injuste; 2° qu'elle n'est
pas la plus réprimante, et qu'elle contribue plus à justifier les crimes
qu'à les punir; il" a appuyé la première de ces deux divisions, sur ce que
la société n'a le droit d'infliger la peine de mort, que comme un
homme a le droit de se défaire de celui qui l'attaque, quand cet acte
terrible est indispensablement nécessaire pour la conservation de sa vie.
« Il a comparé les criminels punis de mort aux captifs qu'un
vainqueur immole, et à des enfans foibles qu'un homme fort égorge.
« M. Maury. Allez débiter ce discours dans la forêt de Bondy.
« Oui, a-t-il dit, les peines de mort ne sont autre chose que des
assassinats solemnels, faits par les nations qui, au mépris des principes,
abusent avec autant de perfidie que de bassesse, d'une force infinie
contre une foiblesse infinie.
« Aussi ce n'est point ce peuple qui a introduit la peine de mort;
ce sont les tyrans qui se sont environnés de satellites; ce sont les Marius,
(9) Le Courrier extraordinaire ajoute : « En vérité, nous aimons
autant entendre raisonner .M. Robespierre, l'apologiste des cachots,
sur le code pénal, que 'Périsse Du'luc sur la finance. L'opinion de
ce brave Robespierre, homme de bien, il faut en convenir, aura cet
effet que la forêt de Bondy et de iSénar lui élèveront des autels ;
qu'il n'existera plus de sûreté sur les grands chemins, et gare nos
pauvres assignats, si pour s'en emparer sur les routes, on en est
quitte pour le cachot ».
LÈS DISCOURS DE ROBESPIERRE 445
les Sylla, les Octave qui ont porté la peine de mort contre ceux qui
attaqueroient leur puissance.
« Chez nous, les tyrans crioient toujours du sang, du sang. Le
vol d'une pièce de monnaie étoit puni de la mort. Tuoit-on un lièvre
sur les plaisirs du prince, c'étoit encore la mort. Quelles exécrables
loix ! L'opinant a demandé le rejet de la peine de mort. »
Journal de Louis XVI et de son peuple, t. IV, n° 81 , p. 32.
« Le démocrate Robespierre parle longtems contre la peine de
mort qu'il regarde comme indigne d'un peuple libre. Son discours n'est
que philosophique, étayé de quelques exemples historiques, mais il est
dénué de politique et de cette profondeur qui caractérise l'habile légis-
lateur. S)
L'Ami du Peuple (Marat), t. VIII, n° 478, p. 4.
« L'ordre du jour ayant ramené la discussion sur l'abolissement de
la peine de mort, l'assemblée a décrété avec raison, mais sans tirer à
conséquence, que la peine de mort seroit réservée pour les grands cri-
mes: question sur laquelle nos fidèles Péthion et Roberspierre avoient
établi un sentiment qui fait honneur à leur sensibilité, mais sujet à des
inconvéniens trop graves pour être adopté. Le droit d'infliger des peines
capitales qu'à la société n'est pas douteux, puisqu'il découle de la
même source que le droit de donner la mort qu'a tout individu, je veux
dire le soin de sa propre conservation. Or, si toute peine doit être pro-
portionnée au délit, celle de l'assassin et de l'empoisonneur doit être
capitale; à plus forte raison, celle du conspirateur, et de l'incen-
diaire » (10).
Courrier Français, t. XI, n° 151, p. 239.
« MM. Prugnon et Robertspierre ont alors été successivement
entendus : le premier contre la suspension de la peine de mort, et le
second en sa faveur. Comme la discussion a été renvoyée à demain,
nous ferons connoître ces deux discours en observant que ce que M. Ro-
bertspierre a dit de mieux, étoit puisé dans un excellent ouvrage composé
sur les peines capitales, pai M. Vasselin » (11).
(10) Cité par E. Hamel, I, 455, note 2.
(11) Nous n'avons pu retrouver cet ouvrage; mais la questiou
de l'abolition de la peine de mort eut un grand retentissement,
témoin ces réflexions de Boussemart, qui rédigera plus tard des
pamphlets imités du Père Duchesne i(cf. G. Walter, p. 110 et
note 02): Sentimens d'un François sur la peine de mort prononcée
i>ar l'As-cnibli'i' Nationale, par lîoussemart, avocat, dé'dié à M. Ro-
bespierre, député pat viole, avec .cette épigraphe: « Non occkle* »
(Paris, in-8", « pages), « Mou cher confrère, non pas en qualité
de député, mais par un caractère indélébile, celui d'avoir prêté
tous doux le même serment dans le même tribunal où nous avons
446 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
[Brève mention de cette intervention dans Le Point du Jour,
t. XXII, n° 690, p. 576; Le Journal général de France, 1*r juin 1791,
p. 606; Le Bulletin et Journal des Journaux, n° 65; La Correspon-
dance nationale, n° 31, p. 288; Le Journal de Paris, 31 mai 1791,
p. 607; Le Creuset, t. II, n° 45; Le Patriote français, n° 662, p. 608;
Le Lendemain, t. III, n° 151, p. 564; Le Journal universel, t. XII,
p. 8035; Le Journal général, n° 120, p. 484; Le Mercure national et
étranger, 31 mai 1791, p. 716; Le Législateur français, t. II, 1er juin
1791, p. 3; La Gazette universelle, t. III, n° 151 , p. 604; Le Journal
de Rouen, n° 152, p. 735; Le Courrier d'Avignon, n° 132, p. 527;
Le /ourna/ c/es Deèafs, n° 737, p. 20.]
juré d'offrir notre ministère au pauvre comme au riche, à la veuve
comme à l'orphelin, de défendre les droits de l'humanité, de la
justice, serment sacré, serment que rien ne peut rompre, Robes-
.pierre, recevez mon hommage, vous le méritez, et la postérité
vous rendra justice. Vous êtes brave, Robespierre, vous marchez
à grands pas vers l'immortalité, que les obstacles ne vous arrêtent
point. Plus le péril aura été grand, plus la gloire sera durable;
tonnez dans la tribune; terrassez avec ces .armes de l'éloquence qui
vous ont si bien servi jusqu'à ce jour, et qui sont si redoutables- aux
ennemis de notre constitution et, du genre humain ; frappez, dis-je,
d'anathème ces hommes qui ont ose donner leurs voix pour la des-
truction de leurs semblables... » (cité par F- Hamel, I, 454, note 1);
cf également l'opinion de l'abbé Jallet sur la peine de mort (Esprit
des Journaux, 1791, t. III, p. 172).
297. — SEANCE DU 31 MAI 1791
Sur une lettre de l'abbé Raynal
Le président de l'Assemblée, .Bureau de Pusy, annonce qu'il a
reçu une adresse de l'abbé Haynal (1) et demande à l'Assemblée
(1) L'abbé Raynal, banni par un arrêt du Parlement pour son
u Histoire philosophique des deux Indes », était récemment revenu
à Paris. Dès son retour, il avait été circonvenu par les membres
de la droite. Il se rend chez Bureau de Pusy dans la matinée du
31 mai et lui remet cette lettre. Ferrières i(Mémoires, II, 313) trouve
que le président de l'Assemblée se serait un peu trop complaisam-
ment prêté à cette comédie i(Cf. E. .Hamel, I, 456-458, et A. Feu-
gère : « L'abbé Raynal et la Révolution française » (Ann. révol.
1913, p. 309). Gorsas insiste sur ce fait dans son Courrier (2 juin
1791, n° 2, p. 42, note 2) et écrit: « Il y a déjà quelque temps que
les noirs projettoient l'exécution de cette comédie. Le dessein en
fut pris dans un repas donné par Malhouet à plusieurs de ses illus-
tres confrères. L'abbé Raynal étoit un des co.nvives. M. d'Uh...
(membre du côté droit), eut la sottise d'en faire confidence à un
de ses collègues, dont un ne peut soupçonner les vertus civiques.
Ce que nous osons .affirmer, c'est que dans la séance où ce pamphlet*
fut lu, le côté droit ne contenoit pas 60 députés vers les 11 heures;
il se garnit tout d'un coup au moment fixé par le règlement pour
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 447
si elle veut en entendre la lecture. Un des secrétaires en donne
aussitôt connaissance (2). L'abbé Raynal s'y 'livre à une critique
sévère de l'œuvre de la Constituante: « ...Que vois-je autour de
•moi? des troubles religieux, des dissensions civiles; la consternation
des uns, la tyrannie et l'audace -des autres; un gouvernement esclave
de la tyrannie populaire, le sanctuaire des lois envahi par des hom-
mes effrénés qui veulent alternativement les dicter ou les braver;
des soldats sans discipline, des chefs sans .autorité, des ministres
sans moyens; un roi, le premier ami de son peuple, plongé dams
l'amertume, outragé, menacé, dépouillé de toute autorité ». Il con-
clut en préconisant le renforcement du pouvoir exécutif: « ...confier
au_ roi toute la force nécessaire pour assoirer la puissance des
lois... ».
Robespierre prend la parole et demande que l'Assemblée passe
à l'ordre du jour, ce qu'elle décide à la presque unanimité.
Le Point du Jour, t. XXII, p. 563.
« Après la lecture de cette étrange lettre, M. Robespierre a pris
ainsi la parole.
« Jamais l'Assemblée nationale ne m'a paru aussi supérieure aux
reproches de ses ennemis qu'au moment où je l'ai vu écouter avec une
patiente tranquillité la diatribe véhémente qui vient d'être lue contre la
révolution, à laquelle elle a contribué. (On applaudit). Quelqu'un se
seroit-il flatté qu'il existe en France ou ailleurs un homme assez grand
pour opposer avec succès sa censure aux opérations des représentans
de la nation française et au vœu général de cette même nation ? (On
applaudit encore).
« Je ne sais, mais il me semble que la lettre qu'on vient de vous
lire est infiniment instructive, mais dans un sens différent de l'esprit qui
l'a dictée. Une circonstance m'a frappé pendant la lecture qui vous en
a été faite, Cet homme célèbre qui est censé vous l'adresser, a vu les
commencemens de cette grande révolution, et il n'a pas parlé à ses conci-
toyens pour les éclairer, ni pour favoriser la conquête de cette liberté
dont il se déclare l'adorateur. Dans quel moment rompt-il cet étonnant
silence ? Dans celui où chacun sait que les ennemis de la révolution
déployent toutes leurs ressources pour en arrêter le cours, dans celui
où ils espèrent faire échouer la liberté au port où elle est si près d'arri-
ver. Je ne veux pas cependant livrer à la sévérité de l'opinion publique
l'auteur célèbre de cette diatribe, cet homme qui, à côté de plusieurs
opinions qui parurent outrées et réprouvées par la raison aux yeux
lire les adresses. (On dit même que M. Bureau de Puzy, impatienté
de ne pas voir arriver assez tôt les chefs de la bande noire, envoya
plusieurs fois à leur rencontre) ».
(2) La lettre de l'abbé Raynal a été imprimée chez Migneret,
rue Jacob fin 8°, 16 p., 17«>1) et figure aux Arcli. nat. (C 70, pi. 686,
p 27) cl. h, l;i B.N. (iLb39 -1!)72) qui possède une autre édition parue
chez Volland (Lb;;> 1(j71) ainsi qu'une traduction anglaise (Lba9
41)73). On en trouve également le teAte dans le Courier de Provence,
t. XV, p. 53.
448 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
mêmes des amis de !a liberté, publia cependant des vérités funestes
à la superstition et au despotisme. Je lui cherche une excuse dans la
circonstance même qu'il vous a rappelle, son grand âge. Je pardonne
même à ceux qui pourraient avoir quelque part à la démarche extraordi-
naire qu'il s'est permise auprès de vous, à ceux qui tout à l'heure ont
paru y applaudir. (Le côté gauche et les tribunes ne cessent d'applau-
dir). Je leur pardonne parce que je suis convaincu que la lettre pro-
duira un effet tout opposé à celui qu'on en a attendu. 0n dira : elle
est donc bien favorable aux peuples et fatale aux tyrans, cette révo-
lution que l'on attaque par tant de moyens. Ils ont donc fait quelque
chose pour le bonheur des hommes, ceux que les ennemis de l'égalité
et de l'humanité calomnient avec tant d'acharnement. Le peuple fran-
çais a donc acquis le droit de donner un exemple salutaire aux autres
peuples, puisque les fauteurs du despotisme poussent leur délire jus-
qu'au point de faire servir l'autorité d'un homme qui conserve encore
un nom, à accréditer, s'il étoit possible, toutes les opinions insensées que
nous entendons tant répéter par les ennemis du peuple et de la liberté.
(On applaudit).
« Ces calomnies absurdes contre les représentans de la nation, les
blasphèmes contre la nation même et contre la liberté, puisqu'ils n'ont
pas été effrayés de l'absurde contradiction qui existe entre les écrits
antérieurs de ce même homme et les absurdités qui sont parvenues
jusqu'à nous par son organe, entre ces diatribes violentes et quelquefois
indécentes, qu'il publia non seulement contre le clergé, dont il étoit
membre, mais contre la religion elle-même, et ces regrets amers qu'il
donne, non au clergé, non à la religion, mais aux abus qui infectoient
l'église de France, et qui déshonoroient la nation; entre ces violentes
sorties contre les rois, et les efforts qu'il fait aujourd'hui pour vous
engager à rétablir le despotisme ministériel sous des formes nouvelles.
C'est ici qu'il est important de saisir le véritable esprit de la lettre
dont nous parlons Vous approchez du moment où vous allez mettre
le sceau à votre ouvrage et décider définitivement quel sera le véritable
caractère de votre constitution, si elle penchera vers la liberté ou vers
le despotisme, et cet illustre défenseur de la liberté vous invite, en
propres termes, à modifier vos principes dans la révision de vos décrets;
il vous présente sous les couleurs exagérées de l'anarchie e* du désordre,
et ce mouvement, ces contradictions passagères, qui sont l'effet naturel
de toute révolution et la crise nécessaire de la liberté; il les impute
à crime aux représentans du peuple françois, à ce peuple sur-tout qu'il
peint comme une horde de brigands qu'il faut dompter. Il vous invite
à faire cesser ces prétendus désordres en rendant au pouvoir exécutif
une énergie, une autorité absolue incompatible avec la liberté et la
constitution nouvelle. Voilà en peu de mots l'esprit et l'objet de toutes
les déclamations insolentes que vous avez entendues. Je me charge
d'y répondre, en un mot, au nom de l'assemblée nationale. Je renou-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 449
velle en son nom le serment de suivre constamment ces principes d'éga-
lité, de justice, d'humanité sur lesquels elle doit fonder la constitution,
d'aimer, de respecter toujours ce peuple doux, patient, vertueux, que
l'on ne calomnieroit pas, s'il avoit les vices de ses tyrans. (On applaudit
plusieurs fois). Ce peuple qui est à la fois l'objet, la cause et l'appui
de cette glorieuse révolution, qui, comme l'auteur de la lettre l'a prévu,
doit ébranler le monde pour le régénérer.
« Je ne m'occupe plus de cette misérable diatribe que vous avez
lue, entendue. Tout ce que je peux faire, c'est de donner un senti-
ment de considération à un auteur célèbre, dont on n'a pas craint de
déshonorer la vieillesse. Il suffit que l'assemblée nationale soit au-dessus
de toutes les calomnies, et que réparant la foiblesse qu'elle auroit pu
montrer quelquefois pour les ennemis du peuple, et qu'on se gardera
bien de lui reprocher, elle confonde tous les siens en servant le peuple
et la liberté avec le courage et cette énergie qu'elle a déployée dans
le commencement de la révolution. Je demande qu'on passe à l'ordre
du jour.
« (On a applaudi de toutes les parties de la salle et des tribunes.
Le côté droit a seul gardé le silence). »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXVII, p. 17
Le Logographe, Journal national, 30 mai 1791, p. 171.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 153, p. 635 (3).
« M. Robespierre. J'ignore quelle impression a faite sur vos esprits
la lettre dont la lecture vient de vous être faite (a), mais l'assemblée
ne m'a jamais paru tant au-dessus de ses ennemis qu'au moment où je
l'ai vue écouter avec une tranquillité si expressive la censure la plus
véhémente de sa conduite et de la révolution qu'elle a faite (b) et qu'elle
doit protéger. (Vifs applaudissemens). Une circonstance m'a frappé à la
lecture de cette lettre. Cet homme célèbre qui, à côté de beaucoup
d'opinions qui furent accusées jadis de pécher par un excès d'exagé-
(3) Variantes du Moniteur : <a) dont vous venez d'entendre la
lecture; b) (la partie gauche et les tribunes applaudissent à plu-
sieurs reprises). Je ne sais, mais cette lecture me paraît instructive
dans un sens bien différent de celui où elle a été faite. En effet,
une réflexion m'a frappé en entendant cette lecture; c) (les applau-
dissemens recommencent); d) parce que je suis persuadé qu'elle...;
e) elle est donc bien favorable au peuple, dira-t-on ; f) passage sup-
primé jusqu'à... .révolution; g) puisque pour y réussir on se sert
d'un homme qui ; h) (nouveaux applaudissemens) et que .sous son
non) on produit [les opinions les plus contraires aux siennes]; i) qui
est aine crise si naturelle de la liberté que sans cette crise, le des-
potisme...; j) passage omis jusqu'à: nous ne .nous livrerons point...;
k) passage omis jusqu'à la lin de l'alinéa; 1) passage omis jusqu'à
la fin de l'alinéa; m) M. Robespierre descend de la tribune au milieu
d< s applaudissemens de la partie gauche et de toutes les tribunes ».
Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 555.
450 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
ration, a cependant publié des vérités utiles à la liberté, cet homme,
depuis le commencement de la révolution, n'a point pris la plume pour
éclairer ses concitoyens, ni vous : et dans quel momen' rompt-il le
silence ? Dans le moment où les ennemis de la révolution réunissent
leurs efforts pour l'arrêter dans son cours (c). (Vifs applaudissemens).
« Je suis bien éloigné de vouloir diriger la sévérité, je ne dis pas
de 1 assemblée, mais de l'opinion publique sur un homme qui conserve
un grand nom. Je trouve pour lui une excuse suffisante dans une circons-
tance qu'il vous a rappelée, je veux dire son grand âge. (Murmures à
droite, applaudissemens à gauche). Je pardonne même à ceux qui au-
roient pu, sinon contribuer à la démarche qu'il a faite auprès de vous, du
moins à ceux qui sont tentés d'y applaudir; je leur pardonne, dis-je
(d), car je suis convaincu que la lettre produira dans le public, dans
toute la nation et par-tout un effet contraire à celui qu'on attendoit. (Vifs
applaudissemens).
(e) « Oui, messieurs, tout le monde dira : elle est donc bien favo-
rable au peuple cette constitution, elle est donc bien funeste à la tyran-
nie; (f) ils ont donc acquis bien des droits à la reconnoissance des
nations, ceux qui ont contribué à cette révolution, puisqu'on emploie des
ressorts si extraordinaires pour les décrier dans l'opinion publique, (g)
puisqu'un homme qui n'étoit connu dans l'Europe, jusqu'à ce moment,
que par un amour passionné de la liberté, qui étoit jadis accusé de
licence par ceux qui le prennent aujourd'hui pour leur apôtre et pour
leur héraux (h)... (Applaudissemens réitérés).
<( Ils sont donc bien dignes d'être imités par tous ceux qui gou-
vernent ou qui représentent les peuples, dira-t-on, puisque l'on a poussé
l'acharnement contre eux, au point de se couvrir du nom d'un tel homme
pour les calomnier, puisque sous son nom, ont été produites les opinions
les plus contraires aux siennes, les absurdités même que l'on trouve
dans la bouche des ennemis les plus déclarés de la révolution (applaudi),
non plus simplement ces reproches imbéciles prodigués contre ce que
l'assemblée nationale a fait pour la liberté, mais contre la nation fran-
çaise toute entière, mais contre la liberté elle-même; car n'est-ce pas
attaquer la liberté elle-même que de dénoncer à l'uni ver? comme les
crimes des françois ou de ses représentans le trouble, le tiraillement (i)
qui accompagne nécessairement toute révolution, qui est une crise si
naturelle de la liberté que sans cette crise, la maladie du corps poli-
tique, le despotisme et la servitude seraient incurables (applaudi) ? (j)
N'est-il pas évident que c'est la liberté qu'on veut attaquer avant qu'elle
soit encore solidement établie sur tous ses fondemens, lorsqu'au moment
où les représentans de la nation sont sur le point de compléter leur
ouvrage et de fixer définitivement le véritable caractère de leurs opéra-
tions, de l'incliner ou vers le despotisme, ou vers la liberté, on les
prépare par de telles insinuations, et par l'autorité imposante d'un grand
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 451
nom à se défier de leurs principes, à renverser, à altérer par un dernier
décret l'ouvrage qu'ils ont préparé par les décrets précédens.
« Non, messieurs, nous ne nous livrerons point aux alarmes dont
on veut nous environner : (k) nous ne concevrons point de mépris pour
les principes de la liberté, de préventions contre ceux qui la défen-
dent, ni contre ce peuple généreux, bon et patient (se tournant à droite)
que toutes vos calomnies ne remettront pas dans vos fers (!a partie
droite se soulève et murmure pendant longtems), ce peuple, objet de
nos travaux, soutien de la révolution, que vous calomniez en vain, et qui
sera toujours juste, toujours patient, toujours vertueux et l'appui le plus
ferme de sa liberté (vifs applaudissemens).
« C'est dans ce moment, où par une démarche extraordinaire, on
vous annonce clairement quelles sont les intentions manifestes, quel est
l'acharnement des ennemis de l'assemblée nationale et de la révolution;
c'est dans ce moment que je ne crains point de renouveller, en votre
nom, le serment de suivre toujours les principes sacrés qui ont été la
base de votre constitution, de ne jamais nous écarter de ces principes
pour revenir par une voie oblique et indirecte au despotisme, ce qui
sera le seul moyen de ne laisser à nos successeurs et à la nation que
troubles, qu'anarchie; (1) car il y a trouble, il y a anarchie toutes les
fois que d'un côté une nation a conçu l'espérance de la liberté, qu'on
lui en a donné le gage assuré dans la reconnoissance des principes sur
lesquels elle est fondée, et que de l'autre on l'entraîne hors de ces
principes et qu'on veut la rappeller au despotisme.
« M. le Président, je ne veux point m'occuper davantage de cette
lettre, ni de la circonstance particulière. L'assemblée s'est honorée en
entendant cette lettre. Je demande que l'on passe à l'ordre du jour
(très vifs applaudissemens) (m). A l'ordre du jour, à l'ordre du jour) » (4).
Le Courrier des LXXXIII départemens, 2 juin 1791, n° 2, p. 42.
Réflexions de M. Roberspierre sur cette lettre qui a occasionné
des trépignemens de joie dans le côté droit
[Suit le texte de Le Hodey, depuis : « l'Assemblée ne m'a jamais
paru .. » jusqu'à: « le despotisme et la servitude, seraient incurables ».]
<( Non, messieurs, nous ne nous livrerons point aux allarmes dont
on veut nous environner : nous ne concevrons point de mépris pour les
principes de la liberté, de prévention contre ceux qui la défendent, ni
contre ce peuple généreux, bon et patient (il se tourne du côté droit) que
toutes vos calomnies ne remettront pas dans vos fers. (Ici la partie droite
se soulève... s'avance au milieu de la salle... vers la tribune, et menace
l'orateur éloquent, qui continue à dévoiler cïcc comagç hs manœuvré*
<4) Le texte reproduit dana le« Arch. pari., XXVI, JkhJ, eut une
combinaison de coux du Moniteur, de Le Hodey e1 du l'oint du
Jour.
452 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
perfides des ennemis du bien public). Ce peuple, ajoute M. Roberspierre,
objet de nos travaux, soutien de la révolution que vous calomniez en
vain, et qui sera toujours juste, toujours patient, ne se lassera point. Il
gardera le sceptre de la hberté, et si les hommes qu'il a honorés de
sa confiance vouloient, par une démarche rétrograde, détruire leur propre
ouvrage, la Nation généreuse qui les a soutenus jusqu'à ce jour, tour-
neroit contre eux les armes dont elle s'est servie pour écraser l'hydre de
la tyrannie.
<( N.B. — Telle est la force de la justice et de la vérité, que ce
discours inspiré par le patriotisme le plus pur, répandit le trouble et la
crainte dans l'âme de ces hommes ambitieux qui ne peuvent survivre
à la ruine du despotisme. »
Mercure de France, 11 juin 1791, p. 131-132.
« A peine a-t-on eu fini cette désolante lecture, que M. Robers-
pierre s'est emparé de la tribune, et a dit que jamais l'Assemblée ne lui
avoit paru tant au-dessus de ses ennemis, qu'au moment où il l'a vue
écouter avec une tranquillité si expressive, la censure la plus violente de
sa conduite et de la révolution qu'elle a faite, et qu'elle doit protéger.
Eloigné de diriger la sévérité des législateurs, ou même l'opinion, contre
un homme qui conserve un grand nom, il a rappelle son âge pour l'excuser,
et a prétendu que sa lettre produiroit un effet contraire à celui qu'on
en attendoit.
[Suit un passage de Le Hodey, depuis: « Oui, messieurs., tout le
monde dira... » jusqu'à: « mais contre la liberté elle-même ».]
« Après avoir accusé l'auteur de la lettre de vouloir nous ]etter
dans l'anarchie en conseillant d'abandonner les principes, M. Robers-
pierre a conclu à ce qu'on passât à Tordre du jour. Le côté gauche
a couvert son propre éloge d'applaudissemens ingénus, et des vociféra-
tions ont appelle l'ordre du jour. »
Le Lendemain, t. III, n° 156, p. 606.
« M. Roberspierre a dit qu'il falloit pardonner cette lettre à la
caducité de l'abbé Raynal. M. Roberspierre est accoutumé à faire du
pathos, et ici il s'est surpassé. On ne pardonne qu'un délit ou une
injure. La lettre est ferme, elle est vigoureuse, mais elle n'est point
injurieuse; il n'y a nulle injure à dire à un individu ou à un corps qui
s'est trompé, parce que l'erreur est l'apanage le plus ordinaire de la
foiblesse humaine.
« La lettre n'est point un délit, elle ne fait que présenter avec
force, mais en même tems sans circonlocution, sans aigreur, l'opinion
de l'abbé Raynal.
« M. Roberspierre auroit-il voulu dire que cette opinion est une
folie, produite par la foiblesse de la tête de notre philosophe?
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 453
(( Cette foiblesse ne s'apperçoit ni dans le style ni dans !e raison-
nement, et il seroit difficile à M. Roberspierre de la faire appercevoir
dans le fond du jugement.
« Il seroit curieux de voir comment M. Roberspierre, qui n'est
pas encore caduc, détruirait les preuves qu'apporte l'abbé Raynal de
l'anéantissement de la monarchie; comment il pourroit justifier le gouver-
nement tyrannique des clubs; comment il prouveroit que nous ne som-
mes pas parvenus au dernier degré de l'anarchie, aujourd'hui que les
décrets de l'assemblée nationale même ne sont plus respectés, et que
les hordes aussi cruelles qu'impies, viennent au milieu des violences
et des sacrilèges, d'infirmer impunément la loi portée sur la liberté du
culte religieux. »
L'Ami du Roi (Royou), 3 juin 1791, p. 2-3.
« M. Robespierre s'est chargé de vanger l'honneur du corps;
après avoir félicité la compagnie sur l'héroïque patience avec laquelle
elle avoit écouté cette xensure humiliante; il a témoigné sa surprise
de ce que l'abbé Raynal qui, depuis le commencement de la révolution,
n'a point pris la plume pour éclairer ses concitoyens, eût choisi pour
rompre le silence, le moment où les ennemis de la révolution réunissent
leurs efforts pour l'anéantir dans son cours. Il y a de la malice, mais
encore plus d'injustice dans ce reproche. Pour juger la constitution, il
falloit bien attendre qu'elle fût finie, il falloit en voir les effets et
s'éclairer par l'expérience : qui se seroit attendu qu'après tant de pro-
messes, de déclamations et d'éloges, ces sublimes travaux aboutiroient
à la ruine et au malheur de la nation : c'est dans le moment où la nation
doit ratifier l'ouvrage de ses représentans, que tous les citoyens doivent
élever la voix et prononcer leur jugement; c'est le moment critique que
l'abbé Raynal a dû choisir; et si tant d'efforts se réunissent aujourd'hui
contre la révolution, c'est qu'après l'essai qu'on en vient de faire,
on la juge dangereuse, et qu'elle n'a point le suffrage de la partie
la plus saine et la plus éclairée de la nation.
« M. Robespierre prétend que tout le monde dira: « Elle est donc
bien favorable au peuple cette constitution; elle est donc bien funeste
à la tyrannie; ils ont donc acquis bien des droits à la reconnaissance des
nations, ceux qui ont contribué à cette révolution, puisqu'un homme qui
n'étoit connu dans l'Europe jusqu'à ce moment que par un amour pas-
sionné pour la liberté, qui étoit jadis accusé de licence par ceux qui le
prennent aujourd'hui pour leur apôtre et pour leur hérault... » Les
applaudissemens n'ont pas permis à l'orateur d'achever sa phrase, mais
il est aisé d'y suppléer. Il me semble qu'il vaudroit mieux se tenir pour
battu que de chercher à éluder sa défaite par une misérable subtilité.
En voyant l'un des chefs de la moderne philosophie, un des plus ardens
apôtres de la liberté, faire une satyre aussi sanglante de la révolution,
454 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
tout le monde, au contraire, dira: « Elle est donc bien funeste à la
société cette constitution : elle est donc bien favorable au désordre et à
l'anarchie; ils ont donc encouru le mépris et l'indignation de tous les
honnêtes gens, ceux qui ont contribué à cette révolution, puisqu'un hom-
me qui n'étoit connu dans l'Europe que par sa haine vigoureuse contre
la superstition et le despotisme , regarde cette constitution comme la ruine
du royaume, et ses auteurs comme les fléaux de la nation et les ennemis
de la véritable liberté. »
« ...M. Robespierre a terminé sa déclamation par un serment
solemnel de ne point profiter des sages avis de M. l'abbé Raynal. »
Journal des Débats, n° 738, p. 17-18.
« Après quelques murmures qui agitoient l'Assemblée. M. Robes-
pierre a pris la parole.
« L'Assemblée, a-t-il dit, ne m'a jamais paru tant au-dessus des
reproches de ses accusateurs, que quand elle a écouté avec silence la
censure véhémente de sa conduite et de la dévolution qu'elle a faite.
(On a vivement applaudi). Quelqu'un se seroit-il flatté qu'il existât
un homme assez grand pour opposer avec succès son opinion aux tra-
vaux des Représentans de la Nation Françoise, et à l'opinion et au
vœu de la Nation Françoise, elle-même ! La lettre dont vous avez
entendu la lecture, me paroît instructive dans un sens bien différent
de celui où elle a été faite. Une circonstance m'a frappé, en effet,
pendant cette lecture ; c'est que cet homme qui a péché dans ses écrits
par un excès d'exagération dans ses principes de liberté et de philoso-
phie; cet homme, dis-je, depuis le commencement de la Révo'ut.'on,
n'a pas pris la plume pour éclairer ses Concitoyens. Et dans quel mo-
ment rompt-il le silence ? C'est dans, celui où nos ennemis réunissent
tous leurs efforts contre la Révolution, pour l'arrêter dans son cours.
« Je suis bien éloigné de vouloir diriger la sévérité, non pas de
l'Assemblée, mais de l'opinion publique, sur un homme qui porte un
grand nom; je trouve d'ailleurs une excuse suffisante dans son grand
âge; et je pardonne à ceux qui l'ont déterminé à faire cette démarche,
parce que je suis persuadé qu'elle produira dans le public un effet
entièrement contraire à celui qu'on en attend. Tout le monde dira :
elle est donc bien funeste à la tyrannie cette Révolution, puisqu'on
emploie des moyens si extraordinaires, pour la décrier dans l'opinion
publique; puisqu'on se sert d'un homme dont le nom n'est connu que
par son amour pour la liberté, et qui est accusé de licence par ceux
mêmes qui le prennent aujourd'hui pour leur apôtre et pour leur héros.
(De vifs applaudissemens ont interrompu l'Orateur).
« Ils sont donc bien dignes de notre reconnoissance, ces Repré-
sentans, puisqu'on a poussé l'acharnemnet contr'eux au point de se cou-
vrir du nom d'un tel homme pour les combattre; puisqu'on a placé dans
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 455
sa bouche les mêmes absurdités que l'on trouve dans celle des ennemis
les plus déclarés de la Révolution.
« Ce n'est plus simplement contre les Représentai de la Nation
que ces traits sont dirigés, c'est aussi contre la Nation elle-même; car
n'est-ce pas attaquer la liberté, qui est devenue son appanage, que de
dénoncer comme ses crimes, des troubles, des agitations, des tiraille-
mens .inséparables des crises sans lesquelles le despotisme, ce mal ter-
rible des Nations, seroit incurable.
« M. Robespierre, après avoir assuré que l'on ne se livreroit point
aux alarmes que l'on oherchoit à faire naître, a demandé que l'on passât
à l'ordre du jour. »
Journal général de France, ler-5-7 juin 1791, pp. 606, 625, 637.
« Cet illustre Vieillard, en improuvant les principales opérations
de nos législateurs, qu'il a le courage de critiquer, devoit s'attendre
à être taxé d'aristocratie par le côté gauche : aussi M, Robertspierre
a-t-il remarqué qu'il est bien singulier que cette lettre ait été écrite
à l'Assemblée, dans un moment où l'on cherche à détruire son ou-
vrage. »
...« On crie une réponse de M. Roberspierre à M. l'Abbé
Raynal (5). Comment M. Roberspierre ose-t-il entrer en lice avec cet
Ecrivain profond ? C'est se mettre en scène et faire dire à la postérité,
qui n'oubliera rien de ce qui pourra caractériser l'Auteur de l'Histoire
Philosophique, sur-tout sa dernière démarche, qui est un modèle de
fermeté et d'éloquence : Roberspierre et l'Abbé Raynal ont été opposés
de sentimens, etc., etc.. Mais qu'il ne s'y trompe pas; tandis que la
postérité couvrira Raynal de gloire, eile couvrira son antagoniste de
ridicule. Et d'ailleurs, que dit cette réponse, quels sont ses plus forts
argumens ? On peut s'en douter par cet échantillon : Vous trouvez que
ça va mal, tout Va bien au contraire, et ça ira, etc., etc.. Tsl est
à-peu-près le sens des longues, longues phrases que le répondeur a cou-
sues au bout les unes des autres. Quelle pitié!... »
« ...Et M. Chénier qui se mêle aussi de se mesurer avec M. l'Abbé
Raynal!... Oh! c'est bien le coup de pied de l'âne, i! faut en con-
venir;-André Chénier répond à ce grand homme comme M. Roberts-
pierre, dans une longue, longue lettre qui ne finit pas. André Chénier
dit que l'Abbé Raynal a fait autrefois amende honorable d'avoir été
(5) Nous n'avons pas trouvé trace d'un texte imprimé, publié
V>ar Robespierre. ,Par contre, il existe des « Réflexions importantes
sur l'Adresse présentée à l'Assemblée nationale, le 31 mai 1791,
bar (iuillaume Thomas Raynal ». Elles sont l'œuvre de M. de
Binéty, député de la noblesse de la sénéchaussée de Marseille. (Imp.
nationale, 39 p., B.N. 8° Le 29/1561). A. Mathiez (Etudes Robespier-
ristes, Robespierre orateur, p 311) cite un passage de ce discours
de Robespierre qu'il considère comme une improvisation.
456 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Prêtre: quand André Chénier fera-t-il amende honorable d'avoir vouîu
être Poète ? » (6).
Courier de Provence, t. XV, n° 295, p. 53.
« C'est moins encore pour accuser et pour réfuter cet infortuné
vieillard, que pour l'excuser et pour le justifier en quelque sorte, que
M. Robespierre a pris la parole. Il en a parlé comme un fils sensible
et respectueux parlerait des erreurs d'un père égaré ; mais il a tonné
contre ces hommes pervers qui ont fait d'un apôtre de la liberté, l'organe
de leurs serviles conceptions; il leur a reproché d'avoir eu la lâche
cruauté d'immoler un nom respectable à leurs extravagantes espérances.
Mais il leur a annoncé que ces espérances étoient chimériques, que la
honte dont ils avoient voulu couvrir Raynal retomberoit sur eux, et
qu on aimeroit mieux croire un homme écrivant et combattant pour la
liberté, pendant soixante ans, qu'un vieillard séduit qui, un pied dans la
tombe, attaque cette même liberté, qui lui a préparé tant de triomphes
« M. Robespierre a fini par dire que l'assemblée qui s'étoit hono-
rée en entendant avec une majesté tranquille, une indécente censure,
devoit s'honorer encore en passant à l'ordre du jour. »
Journal de la Révolution, n° 293, p. 699.
« M. Robespierre est monté à la tribune, non pour invectiver
l'auteur d'une si étrange lettre, mais pour louer la noblesse magnanime
de l'assemblée qui en avoit soutenu la lecture. Il a trouvé singulier que
M. Raynal n'ait mis la main à la plume que dans un moment on il voit
tout perdu; il l'a excusé par son grand âge et par la séduction dont
l'environnent ceux qui veulent faire servir la célébrité de son nom contre
la chose publique. L'opinant a demandé qu'on passât à l'ordre du
jour, et on y est passé après quelques instants d'agitation. »
Les Révolutions de Paris (Prudhomme), n° 99, p. 376.
« Quoiqu'il en puisse arriver, cette lettre de Guillaume-Thomas
Raynal n'a pas été lue tout d'une haleine. Plusieurs députés patriotes
n'ont pu taire leur indignation. MM. Roberspierre et Lavie, le premier
sur-tout, sont ceux qui, dans cette circonstance, ont agi le plus selon
les principes. Il n'y a que des citoyens sans courage, ont-il dit, qui ne
souffrent pas qu'on leur parle avec liberté. »
(6) La lettre d'André Chénier en date du 1er juin fut insérée
dans le Moniteur du 5 (Moniteur, VIII, 580) ; elle est reproduite
•clans les éditions de ses œuvres en prose, notamment dans celle de
Becq de Fouquières.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 457
Journal de Rouen, 1791, n° 153, p. 739.
Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. XIII, n° 665, p. 4
Courrier extraordinaire, 1er juin 1791, p. 5.
Chronique de Paris, n° 152, p. 608 (7).
« M. Robespierre est monté à la tribune et a parlé sur cette
adresse avec autant de dignité que de modération. »
[Suit une analyse du discours.]
Le Creuset, t. II, n° 45, p. 375.
« M. Robespierre a poussé la complaisance jusqu'à prodiguer ses
réflexions, à l'occasion de cette palinodie, vraie ou supposée, de l'octo-
génaire ex-jésuite; et l'honorable membre a oublié de montrer à ses
collègues, le bout de l'oreille du Genevois (8), disposant du génie en
décrépitude de Raynal, comme il a fait de la plume alternativement
populaire et servile de l'autre ex-jésuite Cerutti! » (9).
Journal de la Cour et de la Ville, n° 37, p. 294 (Variétés).
« II faut avouer qu'il n'y a rien de si piquant pour nos augustes
législateurs, que de se voir vigoureusement flagellés par M. l'abbé
Raynal, dont ils attendoient de grands compliments. Aussi, M. Roberts-
pierre a-t-il assuré qu'il ne savoit ce qu'il disoit, parce qu'il avoit
80 ans. A la manière dont M. Robertspierre raisonne à-présent, on
peut croire qu'elle sera curieuse lorsqu'il aura le même âge. »
N° 41, p. 325.
(( S'il étoit vrai, comme Rob . . .pier . . . a osé le dire, que !e grand-
âge de l'abbé Raynal lui eut fait perdre une partie de son éloquence,
le député d'Arras ne pourroit mieux faire que de tâcher de la retrouver.»
N° 44, p. 350-351 (Programme d'une Académie).
« 4° Diatribe dans le style de FArétin, contre l'abbé Raynal,
M. Robersp... et l'Ane~à-Charsis (10) Clots, sont invités d'ajouter une
teinte un peu plus forte aux couleurs qu'ils ont broyées contre cet
illustre écrivain. A cette condition, leurs ouvrages seront admis au
(7) L'abbé Raynal était >alo,rs âgé de près de 80 ans. La Chroni-
que de Paris le qualifie de « vieux Noé »>.
(8) Il s'agit de Necker dont le 'rédacteur du Creuset, Rutledge,
était l'adversaire.
(9) Joseph Cerutti, né à Turin en 1738, ex-jésuite, participa par
se? écri'ts à l'action révolutionnaire et prononça l'oraison funèbre
de Mirabeau à l'église de Saint-Eustache. Il fut élu à l'Assemblée
Législative et mourut h Paris le 3 février 1792.
(10) Jeu de mots sur le prénom d'A'nacharsis que s'était donné
le baron rhénan Jean -Baptiste Clootz qui sera par la suite élu
député & la Convention. Sans doute est-il intervenu aux Jacobins
à propos de cette lettre, maiis nous n'en avons relevé aucune trace
dans Aulard. .Signalons un article de notre ami M. Jean Dautry qui
doit paraître prochainement, sur ce personnage, dans les A. h.
de la B.F.
458 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
concours. Chaque prix sera une fleur de lys bien dessinée et d'un trans-
port très-facile; on ne recevra aucun ouvrage de prose ou de vers,
qui ne soit muni d'une approbation des auteurs de la Chronique. »
Journal des Mécontcns, n° 105 ,p. 3.
« M. Robertspierre, le chef forcené de la démagogie, !e soutien
et le propagateur des principes jacobites, vient de répondre à M. l'abbé
Raynal. On ne voit qu'un froid déclamateur, et un pygmée attaquant
Hercule, et terrassé par sa massue redoutable. »
Correspondance nationale, n° 32, p. 29.
« Après la lecture de cette lettre, M. Robespierre dit qu'elle lui
paroit venir fort à propos pour seconder les ennemis de la nation. Il
demande que l'on passe à l'ordre du jour. Fort applaudi et adopté
malgré M. Roederer, qui demande que M. le président soit rappelle
à l'ordre pour avoir fait lire cette lettre » (11).
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal de L,ouis
XVI et de son peuple, t. VI, n° 81, p. 33; L'Ami des Patriotes, t. II,
n° 28, p. 344, note; Le Lendemain, t. III, n° 152, p. 573; Les Mé-
moires de Malouet, II, 50; La Chronique de Paris, n° 153, p. 1612;
Le Journal universel, t. XII, p. 8044; Le Journal de la Noblesse, t. II,
n° 23, p. 109; Histoire authentique de la Révolution française, t. II,
p. 566; La Gazette de Berne, 8 juin 1791, p. 3; Le Législateur fran-
çais, 1er juin 1791, p. 8; La Gazette de Paris, 2 juin 1791, p. 4; Le
Journal de Paris, n° 152, p. 612; Le Journal général, n° 121, p. 488;
Le Courrier d'Avignon, n° 135, p. 539.]
(11) Roederer protesta en effet très vivement contre cette lettre,
et condamna l'attitude du président Bureau de Pusy.
298. - SEANCE DU 1er JUIN 1791
Sur une demande de poursuites judiciaires contre un journaliste
L'un des secrétaires donne lecture d'une lettre adressée au pré-
sident de l'Assemblée, par Montmorin, ministre des affaires étran-
gères. Le ministre fait état d'une correspondance de Francfort, en
date du 17 inai 1791, parue dans le n° 151 de la Gazette nationale ou
Moniteur universel, sous le titre « Allemagne .». (L'auteur y suppose
que deux contre-lettres ont été, en même temps que les instructions du
roi, envoyées dans les cours étrangères. Il prétend que son correspon-
dant de Francfort a les copies fidèles de ces contre-lettres, et, ne
craignant pas de prêter à iSa Majesté le projet d'évasion le plu*
absurde, il affirme que les «détails partent des Tuileries, qu'ils sont
portés dans une cour d'Allemagne par des lettres confidentielle:;,
et que le même correspondant de Francfort a vu deux fois les lettres
originales... Il est temps de regarder comme des ennemis publics
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 459
ceux qui ne cessent de tromper le peuple pour l'agiter, font naître
au milieu de nous des périls réels en lui en présentant sans ce^se
d'imaginaires.
iL'Assemblée décrète que la lettre du ministre sera imprimée
et insérée au procès-verbal. Loys. député du tiers -état de la séné-
chaussée de Périgueux, demande que l'Assemblée ordonne des pour-
suites contre l'imprimeur, afin qu'il fasse connaître l'auteur de l'ar-
ticle. On demande à passer ià l'ordre du jour. L'Assemblée s'y refuse;
la discussion s'engage dans laquelle intervient Robespierre (1).
Finalement, l'Assemblée passa à l'ordre du jour.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 154, p. 640.
« M. Roberspierre . Je demande la question préalable sur toutes
les propositions (2). Quand un ministre se plaint d'un écrivain, et que
l'Assemblée législative se charge de la vengeance ministérielle, et arme
le pouvoir judiciaire contre l'écrivain, elle devient le plus grand fléau
de la liberté individuelle. Je demande si, de quelque part que vienne,
une dénonciation, l'Assemblée peut s'en charger sans savoir si elle est
vraie ou fausse. Quelles preuves avez-vous contre l'assertion de l'écri-
vain ? L'assertion de M. Montmorin et rien de plus. Est-ce ici qu'on
peut accueillir un système qui tendrait à défendre aux citoyens de
révéler des faits importans au salut public. (On applaudit). Il serait
dangereux de dire aux citoyens que celui qui attaquera un ministre se
trouvera entre la poursuite ministérielle et celle de l'Assemblée natio-
nale; il se présente ici une question du plus grand intérêt. Avez-vous
fixé le degré des opinions à l'égard des hommes en place ? Savez-vous
si vous n'adopterez pas la différence à faire entre les hommes en place
et les simples particuliers ? Pouvez-vous oublier que l 'opinion des hom-
mes qui ont le plus d'idées sur la liberté de la presse, est que cette
liberté doit être illimitée quand il s'agit des hommes publics, et que
l'action en calomnie soit interdite aux hommes en place. (On murmure).
Je demande la question préalable, avec d'autant plus d'assurance de
succès qu'il serait dangereux qu'on pût faire désormais dans cette Assem-
blée des motions aussi serviles » (3).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXVII, p. 68,
« M, Robespierre. Je m'oppose à toutes ces motions. Si lors-
qu'un ministre se plaint d'une injure qu'il a reçue d'un écrwain (à
(1) Cf. E. Hamel, T, 465, « A trois semaines de là les faits
vinrent donner raison à Robespierre ».
(2) Il s'agit des propositions suivantes:
1° Demande de poursuites contre l'abbé Raynal ; (
2" Proposition de Duport selon laquelle il est inconstitutionnel
que l'Assemblée dénonce un individu à l'accusateur public pour le
faire poursuivre ;
S0 Proposition d'envoyer le Président avertir le Roi de l'arrêté
pris ce matin concernant la lettre de Montmorin.
(3) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 566; et dans les
Arch. pari., XXVI, 692.
460 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
droite : C'est le roi! C'est le roi!), soit que ce ministre parlât en son
nom, soit qu'il se couvrît du nom plus respecté du roi, si dans ce mo-
ment, dis-je, il sortoit du corps législatif un décret qui chargeât le corps
législatif lui-même en quelque sorte de la vengeance de ce ministre,
par lequel l'assemblée législative se chargeât elle-même d'armer le
pouvoir judiciaire contre l'individu qui seroit accusé devant elle, le
corps législatif seroit le plus terrible fléau de la liberté individuelle.
Je réclame, moi, devant l'assemblée nationale les premiers principes de
la justice, et je demande à l'assemblée si, de quelque part que vienne
une dénonciation, soit d'un ministre, soit d'un autre dénonciateur, elle
peut adopter cette dénonciation, la dénoncer elle-même à son tour aux
tribunaux, sans juger elle-même si cette dénonciation est vraie ou
fausse ? (4). Or, ici, vous n'avez aucune preuve. »
« Je demande donc la question préalable sur toutes les proposi-
tions avec d'autant plus de raison qu'il seroit du plus dangereux exemple
que l'on pût faire avec quelqu'espérance de succès des motions aussi
serviles que celle sur laquelle vous avez à délibérer » (Applaudi).
Journal général, n° 122, p. 494.
« M. Lavigne (5). Il ne seroit pas de la dignité de l'Assemblée
de paroître dans l'arène vis-à-vis un folliculaire, pour le traduire devant
les Tribunaux.
« M. Robertspierre appuie cette opinion. Il est donc au-dessous
de l'Assemblée d'ordonner la poursuite des folliculaires, mais il n'est
pas au-dessous du Roi, de ses Ministres, d'être réduits à réclamer auprès
de l'Assemblée contre des folliculaires. L'insertion de leur lettre dans
le procès-verbal est une réparation assez honorable!... »
Mercure de France, 11 juin 1791, p. 138.
« Se trouvant naturellement à la hauteur de M. Lavigne et des
tendres amis du Roi, qui le révèrent trop pour empêcher qu'on ne l'ou-
trage, M. Robespierre a frémi que l'Assemblée ne préjugeât en dénon-
çant, ce qu'à l'en croire, elle n'avoit jamais fait, et il a écarté des
motions aussi serviles par la question préalable. »
Les Révolutions de Paris (Prudhomme), n° 99, p. 383.
« Qui croiroit qu'une dénonciation ministérielle a été reçue avec
applaudissemens dans l'assemblée nationale, et qu'elle a obtenu les
honneurs de l'insertion au procès-verbal > Qui croiroit qu'il n'a pas
moins fallu que le courage de M. Roberspierre pour protéger le journa-
liste, et l'empêcher peut-être d'être livré à l'accusateur public ? On a
passé à l'ordre du jour. »
(4) Texte utilisé par les Arch. pari., XXVI, 692, en tête du pré-
cédent.
(5) Belavigne, député du tiers état de la Ville de Paris.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 46 1
[Brève mention de cette intervention dans Le Patriote françois,
n° 663, p. 609; Le Courrier des LXXXHI départemens, t. XXV, n° 1,
p. 31 ; Le Journal des Débats, n° 740, p. 7; La Gazette nationale ou
Extrait..., t. XVII, p. 118; Assemblée nationale^ Corps administratifs,
t. XII, n° 666, p. 5; L'Ami du Peuple (Marat), t. VIII, n° 478, p. 6;
Le Journal de Rouen, n° 154, p. 473.]
Société des Amis de la Constitution
299. — SEANCE DU 8 JUIN 1791
Sur le licenciement des officiers de l'Armée
La Société ayant nommé un comité pour examiner la question
de l'armée (1), Boederer lui présente le 8 juin les conclusions aux-
quelles ses membres se sont ralliés. De tous les projets, ils n'en
ont retenu qu'un seul: le licenciement des officiers (2). Sieyes,
Barry, puis ^Robespierre interviennent (3).
iLa discussion devait se poursuivre à la séance du 10 juin (4).
Mercure universel, t. IV, p. 217 (5).
Journal de la Société des Amis de la Constitution, n° 6, p. 4, n° 7, p. 1.
a M. Robespierre. Je ne viens pas ici vous proposer des mesures
sur le licenciement, ni approfondir les inconvéniens dont on prétend qu'il
peut être suivi. Je viens épancher dans votre sein quelques-uns de ces
sentimens qu'inspirent à tout bon citoyen, et l'amour de la patrie et la
vue des dangers dont elle est menacée.
« Au milieu des ruines de l'aristocratie terrassée, qu'elle est donc
cette puissance qui semble attester qu'elle n'est pas entièrement détruite.
Vous avez détruit la noblesse, et la noblesse subsiste au centre de votre
armée. Où est donc le titre de cette exception ? Médecins, est-ce pour
assurer la vigueur du corps politique que vous laissez circuler dans ses
veines un virus aussi pestilentiel ? Et vous, législateurs, est-ce pour
prouver la sagesse de vos vues que vous souffrez une institution aussi
impolitique.
« C'est par les armées que par-tout, les gouvernemens ont assujetti
les hommes, et vous soumettez votre armée à des chefs aristocratiques.
« S'ils sont sans autorité ces chefs, quelles suites funestes ne pou-
<(1) Gf. séanoes des Jacobins des 5 et 6 juin 1791, dans Aulard, II.
483, 487. Dès le 2 juin, la (Société avait entendu un discours d'An-
tfaoine"(in-8°, 12 p., B.N. Lb10 599).
(2) Robespierre aurait appuyé l'impression du discours de
Ilœderer, mais avec quelques changements (Le Babillard, n° 7,
P 56).
(3) Cf. Mercure universel, t. IV, p. 215-216.
(4) Cf. Aulard, II, 492-494; et ci-dessous, à la date.
(5) iSauf le 1er alinéa, le texte que nous reproduisons est extrait
du Mercure Universel.
462 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
vez-vous pas craindre de l'anarchie qui doit en résulter, et s'ils en ont,
quel usage en feront-ils ?
« Voyez avec quelle chaleur la majeure partie de vos officiers
embrasse tout ce qui tend à bouleverser l'ordre de choses que vous avez
établi. Voyez-les dissoudre des corps entiers, par ce!a seul qu'ils
étaient patriotes, en pousser d'autres à des excès par une suite de
menées et de mauvais traitemens.
« Quelle était l'armée qui, avant l'époque fameuse du 14 juillet,
assiégeait cette capitale. Que sont devenus ces étranger?, ou plutôt
ceux qu'on appellait tels, dont elle était composée. Dépouillés du droit
de servir la patrie qu'ils ont sauvée; forcés d'errer sans subsistance,
soumis à la misère et à l'opprobre, si l'opprobre pouvais être infligé
par le crime à la vertu. (Applaudi).
« Pour achever ce tableau, il faudrait parler des malheurs de
Nancy, vous montrer les citoyens, plongeant leurs bras dans le sang de
leurs concitoyens, pour procurer à quelques chefs le plaisir d'assouvir
leur haine; vous rappeller les supplices qui suivirent ces jours de mal-
heurs, supplices qui présentèrent pendant plusieurs jours le spectacle le
plus satisfaisant pour des ennemis de la liberté. Il faudrait les voir se
réjouir de leurs crimes, forcer la patrie en deuil, d'applaudir au supplice
de ses défenseurs. Les intrigues des officiers de ces corps furent la
seule cause de toutes ces horreurs. Vous doutez que le licenciement
soit nécessaire. Avez-vous oublié que des officiers ont arboré la cocarde
blanche. Ne font-ils pas profession ouverte de mépriser le peuple, et
n'affectent-ils pas au contraire !e plus profond respect pour la cour,
à laquelle seule ils veulent tenir. Et vous croyez qu'il vous soit possible
de les conserver... Vous voulez, dites-vous, prendre des mesures pour
assurer le maintien de notre constitution. N'est-il pas trop ridicule de
mettre au nombre de ces mesures, celle de confier vos troupes aux
ennemis de la constitution. Les despotes en agissent-ils ainsi ? Confient-
ils à des personnes dont ils ne sont pas sûrs, la garde de leurs places,
la défense de leurs frontières ? La France n'est-elle plus digne d'être
conservée, depuis qu'elle est devenue le séjour de la liberté.
« Je le dis avec franchise, peut-être mêm% avec rudesse; quiconque
ne veut pas, ne conseille pas, le licenciement, est un traître. (Applau-
dissemens répétés).
« M... Je demande que cette maxime soit tracée en gros carac-
tères aux quatre coins de la salle. (On applaudit).
« M. Robespierre. Rien ne doit vous dispenser de le prononcer,
ce licenciement, pas même les craintes qu'on cherche de toutes parts
à vous inspirer. Vous le craindriez ! Lorsque vous avez pour vous la
raison, la justice, la nation et l'armée ! [ ] (6).
(6) (Le Journal des Débats de la Société... ajoute en cet endroit
le passage suivant : « Les officiers patriotes le désirent, quand à la
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 463
« Quel étrange projet que celui de vouloir changer des soldats
en automates... Et cela afin qu'ils en soient plus propres à défendre la
constitution ! Un jour peut-être ces questions seront éclaircies, à la honte
des charlatans politiques : mais en attendant cette époque, gardez-vous,
législateurs, de vouloir des choses contradictoires, gardez-vous de pren-
dre des mesures contraires à la raison...
« Après tout, il faut que la nation soit sauvée, et si elle ne l'est
pas par ses mandataires... Prenez-y garde, le trouble ou !e despotisme,
ou peut-être même tous les deux, voilà le but où tendent les ennemis
du licenciement. Il n'y a que les seuls amis de la liberté qui puissent
le désirer ..
« Craignez ces chefs de parti qui, dans des momens de troubles
et d'inquiétudes, cherchent toujours par quelques fausses démarches à
vous faire violer quelques-uns de vos principes.
« Craignez ces serpens qui s'insinuent près de vous, et par des
conversations -insidieuses, des assertions jetées comme par hasard, se
flattent à l'avance d'avoir préparé vos décisions. Toujours, ils ont cher-
ché à vous faire renoncer à vos principes, pour l'amour de la paix et le
soutien de la liberté.
« Craignez ces hommes qui, ne se sentant pas assez de forces pour
être sûrs de trouver les places qu'ils ambitionnent, dans le nouvel ordre
de choses, seroient tentés de regretter l'ancien, qui n'ont pas assez de
talens pour faire du bien, mais assez pour faire du mal, et qui n'ont
vu dans la révolution que des moyens d'avancer leurs fortunes.
« Craignez ces hommes, dont la fausse modération, plus affreuse
que la plus atroce arrogance, vous tend continuellement des pièges.
« Craignez enfin votre propre bonne foi et votre facilité, car je ne
redoute pour notre constitution que deux ennemis, la foiblesse des hon-
nêtes gens et la duplicité des malveillans. (Applaudi vivement) » (7).
majorité, si elle était à craindre, soyez sûrs que votre décret ne les
rendra pas tels, il ne fera que les rendre un peu moins dangereux.
Un ennemi connu est toujours moins à craindre. Le général qui
attaque une place est moins à craindre que le gouverneur qui la
trahit... On craint l'anarchie qui peut résulter du licenciement, on
craint la licence du soldat. Mais jusqu'ici les soldats ne se sont
signalés que par leur douceur, par-tout, ils ont montré le contraste
étonnant d'une force immense et d'une douceur sans bornes. Avec
quelle docilité n'obéiront-ils donc pas à des officiers patriotes, à des
officiers, qu'ils estimeront. Si c'est vraiment l'intérêt de la discipline
qui vous touche, donnez-leur des officiers qui, par leur exemple.
leur conduite, ne cherchent pas à leur inspirer le mépris de notre
constitution, qui leur 'donnent des ordres auxquels ils puissent obéir
sans répugner à leur patriotisme.
« Pourquoi leur en laisser qui ne peuvent mériter leur confiance:
pourquoi attacher des cadavres à des corps vivans... »
(7) Texte reproduit par Laponneraye, I, 123-1*26, d'après le Jour-
nal des Débats de la Société des Amis de la Constitution Aulard
(il, 190 491) se contente de, résumer brièvement cette intervention.
464 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Le Creuset,, t. II, n° 47, p. 421.
« Mais le sage Robespierre, y a ensuite parfaitement fait écho, aux
choses développées dans le discours de M. René Girardin (8) pro-
nonce le 29 mai, dans la salle du Musée, rue Dauphine (9) au milieu
de l'archipatriotique assemblée des amis des droits de l'homme et du
citoyen, dite Club des Cordeliers.
« On a singulièrement applaudi, dans le discours de M. Robes-
pierre, à ce mouvement oratoire : « Je le dis avec franchise, peut-être
même avec rudesse; quiconque ne veut pas, ne conseille pas le licen-
ciement, est un traître! ».
« Je demande, s'est écrié un membre, que cette maxime soit
tracée en gros caractères aux quatre coins de la salle ! »
« L'impression du superbe discours du patriote, ordonné à cette
séance (10), nous dispense d'en entreprendre l'analise. Nous en recom-
mandons la lecture à tous ceux sur-tout qui se seront sentis émus par
celle du discours de René Girardin (11), joint à ce numéro. Le paté-
tique (sic) de l'un ne pourra qu'ajouter aux impressions produites par
les principes lumineux exposés dans l'autre. »
Courrier extraordinaire, 11 juin 1791, p. 6-7.
(( M. Robespierre a fait un tableau rapide des attentats et des
crimes des officiers et états-majors depuis le commencement de la révo-
lution. On n'a point oublié, a-t-il dit, ces camps, ces grils à boulets,
tous ces arsenaux de guerre qui environnoient Paris et les représentans
de la nation, les massacres de Nancy et de mille autres endroits, les
vexations, les calomnies, les meurtres dont les soldats et les citoyens
ont été et sont les victimes : quelle est donc cette aristocratie qui, au
milieu des débris de toutes les autres, ose encore lever la tête ? Oui,
celui qui ne voit pas la nécessité d'un licenciement est un stupide; celui
qui la voit et ne la conseille pas est un traître... (Ici les applaudissemens
ont retenti dans toute la salle ; un membre a demandé que ces mots y
fussent gravés en gros caractères {Avis à MM. du comité militaire);
l'expérience n'a-t-elle pas assez prouvé que ces ci-devant nobles ne
peuvent plus ni commander à des soldats-citoyens, ni rester parmi eux ?
Par quelle extravagance, a-t-il ajouté, persiste-t-on à attacher des cada-
(8) René Louis, marquis de Girardin, maréchal de camp, ami de
Rousseau, mort en 1808.
(9) Le Club des Oordeliei-s siégeait en effet à cette époque,
rue Dauphine, dans la salle du Musée, société des conférences.
(10) L?impres.sion du discours de Robespierre fut en réalité déci-
dée dans la séance du 10 juin.
(11) Discours 'sur l'institution de la iforce publique prononcé
à la tribune du Club des Cordeliers. Brochure in-8° de 12 p., imp.
du Creuset <B.N. 8° Lb40 813 (1). Elle fut distribuée à tous les
députés de la Constituante.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 465
Vres pestiférés à des corps sains? (Nouveaux applaudissemens). Sans
un licenciement, anarchie, massacres, guerres intestines, voilà ce qu'on
n'évitera jamais. L'impression de ce discours, dont nous regrettons de
ne pouvoir ici donner qu'une esquisse, a été arrêtée, ainsi que l'envoi
à toutes les sociétés. »
Le Lendemain, t. III, n° 162, p. 664.
« Roberspierre, qui ne connoît pas les ménagemens, et qui ne doute
de rien, Roberspierre qui diroit : périsse l'armée, comme il a dit péris-
sent nos colonies, a parlé sur le même sujet, sans être embarrassé comme
le préopinant, parce qu'à la place de raisons pour appuyer son système,
il a mis les grands mots, d'aristocratie, de peuple, de liberté, et beau-
coup d'injures, beaucoup d'outrages, contre le roi, les ministres, tous
les hommes en place, et les officiers auxquels il en veut. Cette sorte
d'éloquence a été fort du goût des jacobins, et l'impression du discours
a été décrétée à l'unanimité. »
Journal général de France, 13 juin 1791, p. 661.
« M. Robertspierre, l'homme incorruptible, le Dieu des Marat,
Garât, Carra, Corsas et Martel, le grand Robertspierre en un mot,
parle sur le même sujet; mais à défaut de raisons, son éloquence emploie
si heureusement les mots ronflans d'aristocrates, de Peuple, de liberté,
■d'ancien régime, de despotisme et des droits de l'homme; il sait si
bien y ajouter des injures contre le Roi, les Ministres, les hommes en
place et les Officiers de l'Armée, que les honorables Membres, extasiés
de son superbe discours, en décrètent l'impression à l'unanimité. Un
Grenadier du Régiment d'Auvergne succède à M. Robertspierre. »
Journal des Mécontens, n° 103, p. 4.
« Robertspierre, qui n'est point l'esclave des convenances, n'a
éprouvé aucun embarras; avec les mots peuple, liberté, aristocratie,
contre-révolution, et en mettant à la place des raisons, des injures très
grossières contre les officiers, des outrages bien sanglants contre le Roi
et les ministres; il s'en est tiré à merveille. »
300. — SEANCE DU 9 JUIN 1791 (1)
Sur l'incompatibilité entre les fonctions législatives
ET ADMINISTRATIVES OU JUDICIAIRES
Thouret, au nuin du comité de constitution, propose à l'Assem-
blée divers articles relatifs aux incompatibilités ta prononcer entre
(1) La séance était présidée par Dauchy, maître de la poste aux
chevaux de iSt. Just, député du tiers état du bailliage de Clenneût-
en Be&uvolsis. Il avait été élu le 6 juin, contre Kobespierre. Ce der-
nier avait été désigné comme' candidat à la présidence de l'Assemblée
r,.iui:si'H hiu. "— 50
466 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
les fonctions législatives et diverses autres fonctions publiques ou
particulières {2). L'art. 2 précise que « i'on ne peut exercer en
même temps les fonctions législatives et administratives ou judi-
ciaires; que pendant la durée des sessions, les titulaires de fonctions
administratives et judiciaires, nommés à la .législature, seront tenus
(I » se faire remplacer, dans leur administration, par leurs sup-
pléants ».
Regiiaud de Saint-Jean-d'Angely demande que les membres du
corps législatif ne puissent exercer les fonctions ordinaires d'un
corps administratif pendant l'intervalle des sessions et que l'incom-
patibilité soit étendue à toute la durée de la législature. Robespierre,
d'André, Duport, soutiennent le même point de vue.
L'Assemblée déclara qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'article
du comité. Duport propose la rédaction suivante : « Les fonctions
nationale par la Société des Amis de la Constitution, dans sa séance
du 3 juin (cf. Journal des Débats de la Société... nu 3, p. 2). Le
4 juin, lors d'un premier tour de scrutin, les voix des députés se
partagèrent entre Dauchy et .Robespierre, sans qu'aucun d'eux ait
atteint la majorité .absolue, de nombreux membres s'étant abstenus
et le nombre des votants ne «'élevant qu'à « trois cents et quel-
ques » -(cf. Journal du iSoir (Beaulieu), 6 juin 1791, p. 5, et le Creu-
set, t. II, n° 47). Cif. également le Courrier (français, t. XI, n° 156,
p. 288; la Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 157,
p 649; la Chronique de Paris, n° 157, p. 627; le Journal de Rouen,
n" 157, p. 758; la Correspondance nationale, n° 33, p. 62 ; la Gazette
nationale ou Extrait..., t. XVII p. 158; le Journal universel,
t. XII, p. 80S2). Un nouveau tour de scrutin a lieu le lendemain,
et au début de la séance du 6, le président en .annonce le résultat:
c'est Dauchy qui l'emporte. Voici comment les journaux apprécient
ce choix : (Le Babillard, n° 3, p. 24) : « Les gens raisonnables vien-
nent de remporter une victoire sur les aristocrates et les démago-
gues. Ceux-ci portaient à la présidence M Robespierre, connu par
l'exagération de ses opinions. fLea aristocrates qui le regardent
comme un homme absolument décrié, le portaient aussi parée qu'ils
espéraient qu'un pareil choix fera tort à l'assemblée. « (Le Journal
de la ^Noblesse, t. II, h° 2, p. 87) : « M. Robespierre avoit balancé
les suffrages pour la présidence au dernier scrutin. II auroit dû
l'emporter dans celui-ci, et il n'a pas même eu l'avantage de la
concurrence. La franchise qui s'est manifestée dans la discussion sur
l'organisation du corps législatif, ne pouvait plaire qu'aux amis de
la vérité, mais ils sont en petit nombre dans rassemblée. » (Le
Journal des Décrets de l'Assemblée Nationale, p. 376) : « M. Dauchy
a pris possession du fauteuil de la présidence : le premier scrutin
avoit fait espérer aux vrais Patriotes que M. Robespierre recevroit
enfin la juste récompense de son imperturbable attachement aux
grands principes de la liberté, i» (Le Courrier des LXXXIII Dé-
partemens, t. XXV, p. 95): « Depuis long-tems les bons citoyen-
désirent que M. Robespierre soit enfin assis à cette place. « Sans
doute elle est à lui si la vertu la donne », mais depuis qu'elle est
devenue, pour ainsi dire, le patrimoine de la brigue et de l'inci-
visme, la probité ne peut plus la regarder comme un honneur ou
une récompense. »
(2) Cf. ci-dessus, séance du 19 mai 1791.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 467
municipales, administratives, judiciaires et de commandant de la
garde nationale, sont incompatibles avec ceLles de la législature,
et ceux qui en seront revêtus, ne pourront en reprendre l'exercice
qu'après la fin de leur députatioi au' corps législatif. »
L'article proposé par Duport fut adopté, sauf rédaction (3).
Journal universel, t. XIII, p. 9015.
« MM. Dandré, Péthion, Duport et Robespierre ont vivement
soutenu qu'il, était impossible qu'un membre du corps lég:slatif retournât
dans son département remplir un rôle secondaire et qu'il se présentât
ensuite à la législature pour y exercer la plus belle et la plus honorable
fonction du royaume, celle de coopérer à la confection des lois. »
Le Législateur français, 10 juin 1791, p. 6.
« M. Renaud (4) a fait une autre proposition qui a excité les
plus larges débats: il vouloit qu'il fût déclaré qu'il y avait lieu à
incompatibilité entre les diverses fonctions publiques et celles de légis-
lateur. M. Robertspierre disoit à l'appui de cette opinion que l'avis
du Comité détruisoit les principes, en les mettant en opposition les
uns aux autres. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 161, p. 669.
« M. Robespierre. Il faut que le législateur conserve son caractère
pendant toute la durée de la législature. Or, le même homme ne peut
être inviolable et responsable. (On applaudit) » (5).
Le Point du Jour, t. XXIII, n° 698, p. 123.
« Il seroit absurde, disoit M. Robespierre, de cumuler les fonc-
tions de législateur et l'autorité de fonctionnaire public sur la même
tête, car comme législateur, il seroit inviolable et comme fonctionnaire
public il seroit responsable ; comment allier ces deux genres de respon-
sabilité et d'inviolabilité. Il faut donc recevoir l'amendement de M. Re-
gnaud » (6).
[Brève mention de cette intervention dans La Gazette universelle,
n° 161, p. 644; Le Journal des Débats, n° 748, p. 10.]
(3) Cf. E. Hamcl, I, 474.
(1) Pour Eegnaud de Saint-JeâU-d'Angely.
(5) Texte reprodui! dans le Moniteur, V J II , 824; et Afrch. pan.,
XXVII, 81.
(6) Texte reproduit dans les Areh. pari., XXVH, 81.
468 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
301. — SEANCE DU 10 JUIN 1791
Sur le licenciement des officiers de l'armée (1)
Bureau de Pusy présente à l'Assemblée, au nom des comité-
de constitution, militaire, diplomatique et des recherches, un rap-
port sur les moyens de rétablir la tranquillité dans le royaume,
.bes comités se sont d'abord occupés de l'armée. Ils proposent de
décréter que tous les officiers prêteront le serment d'être fidèle à la
nation, à Ja loi et au roi. '(Jette mesure peut rétablir entre les
soldats et les officiers une confiance réciproque ; mais elle ne peut
être imposée et doit demeurer libre. Les comités proposent en consé-
quence, pour ne pas placer les officiers entre l'engagement de leur
honneur et l'extrémité du besoin, d'accorder aux officiers démis-
sionnaires faute d'avoir prêté le serment, le quart de leurs appointe-
ments, soit 450 livres en moyenne. Par ailleurs, les comités estiment
qu'il faut éloigner les soldats des villes, et proposent en conséquence
de cantonner l'armée, d'y rétablir la discipline et d'appliquer a ceux
(ju; y manqueront toute la rigueur des peines. Bureau présente, au
nom des eix comités, un projet de décret contenant les dispositions
développées dans son rapport (2).
Ilobespierre intervient le premier dans la discussion générale,
demande la question préalable sur l'avis des comités, et propose
le licenciement des officiers. Cazalès lui répond. (La discussion est
ajournée au lendemain.
Le 11 juin, l'Assemblée nationale adopta le projet de décret
présenté par Bureau de Pusy, au nom des six comités.
DISCOURS DE MAXIMILIEN ROBESPIERRE
Sur le licenciement des officiers de l'armée (3)
MESSIEURS,
je viens défendre devant vous une opinion tout-à-fait opposée aux
principes des membres du comité militaire ; mais qui est appuyée sur le
(1) Cf. ci-dessus, séance des Jacobins du 8 juin 1791.
(2) (Cette question avait déjà été évoquée par Mirabeau, dans la
séance du 20 août 1790 {cf. Discours... lre partie, p. 508); et hors
de l'Assemblée, par Dumouriez (cf. E. Hamel, I, 468). [L'opinion y
paraissait favorable, et plusieurs députés avaient composé des dis-
cours sur ce sujet. Tous ne purent intervenir et l'un d'eux, Achard
de Bonvouloir, député du département de la Manche, se résolut, en
désespoir de cause, à faire imprimer son texte sous le titre: « Obser-
vations sur l'état de l'armée » (B.N. 8° Le29 1548).
(3) Discours publié par la Société des Amis de la Constitution.
in-8°, s.d.. 15 p. Imprimerie nationale, B.N. 8° Lb40 597, Biblio.
de la V. de P n° 952988, Biblio. de la Sorbonne, HFr 140. Le
catalogue de la B.N. le mentionne comme ayant été prononcé le 10
juin, à la- tribune des Jacobins, ce qui est faux. LTnc partie seule-
ment a été lue par Ilobespierre devant cette Société, le 8 juin, et
c'est à l'Assemblée nationale 'qu'il a prononcé l'ensemble du texte
dont les Jacobins ont voté l'impression. (Voyez p. 475, note 5.)
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 469
vœu souverain de la Nation, sur les pétitions formelles des citoyens
de ces parties de l'empire, où l'on est beaucoup plus à portée, que nous
ne le sommes, d'observer les faits qui doivent être la base de votre déci-
sion.
Il s'agit de trouver un remède aux troubles de l'armée: ces troubles
ont été beaucoup exagérés; les causes sur-tout en ont toujours été dissi-
mulées ou présentées d'une manière infidèle. Cependant, c'est dans les
dangers publics que vous avez particulièrement besoin d'entendre la
vérité; elle vous sera dite au moins une fois, car j'énoncerai mon opinion
avec la franchise qu'exige le salut de la patrie; on me la pardonnera
d'autant plus facilement qu'elle ne sera altérée par aucun sentiment
étranger à l'intérêt public.
Les causes des divisions qui régnent dans l'armée, sont faciles
à connoitre; je les trouve dans la révolution même, et dans la consti-
tution particulière du corps des officiers. Tout vous imposoit dès long-
temps la loi de les changer, sous peine de troubler l'harmonie politique
que vous voulez établir.
Au milieu des ruines de toutes les aristocraties, quelle est cette
puissance qui seule élève encore un front audacieux et menaçant ? Vous
avez détruit la noblesse; et Ta noblesse vit encore à la tête de l'armée;
la noblesse règne sur l'armée. Vous avez reconstitué toutes les fonctions
publiques, suivant les principes de la liberté et de l'égalité; et vous
conservez un corps de fonctionnaires publics armés, dont la constitution
est à-la-fois l'appui et l'instrument du despotisme, le triomphe de l'aris-
tocratie, le démenti le plus formel des principes de la constitution de
l'Etat, et l'insulte la plus révoltante à la majesté du peuple. Où est
donc le titre de cette bisarre exception ? Médecins habiles des maux du
corps politique, est-ce pour les guérir, que vous laissez circuler dans
ses veines cette humeur mortelle qui les tourmente ? Législateurs, est-ce
pour justifier aux yeux de l'univers l'opinion qu'il a conçue de votre
sagesse, que vous lui présentez ce hideux contraste des principes de la
raison et de la justice, et des préjugés les plus extravagans, cette
alliance monstrueuse du despotisme avec la liberté ?..., Je ne sais de
quelle manière traiter une pareille question : je me sens repoussé, dès
le premier pas, par la difficulté de prouver l'évidence.
Croyez-vous qu'une armée immense soit un objet indifférent pour
la liberté ? Ignorez-vous' que tous lès peuples qui l'ont connue, ont
réprouvé cette institution, ou ne l'ont envisagée qu'avec effroi. Combien
de précautions ne devez- vous donc pas prendre pour la préserver d'une
influence dangereuse ! Vous savez que c'est par elle que les gouverne-
mens ont par-tout subjugué les nations ; vous connoissez l'esprit des
cours; vous ne croyez point aux conversions miraculeuses de ces hommes
dont le cœur est dépravé et endurci par l'habitude du pouvoir absolu,
et vous soumettez l'armée à des chefs attachés naturellement au régime
470 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
que la révolution a détruit ! Qu'attendez- vous donc de ces chefs ? S'ils
sont sans autorité, sans ascendant, ils ne peuvent exercer leurs fonctions;
s'ils en ont, à quoi voulez-vous qu'ils l'emploient, si ce n'est à faire
triompher leurs principes et leur parti ?
Sans doute, il est une partie des officiers de l'armée, sincèrement
attachée à la cause de la révolution, animée des plus purs sentimens
du civisme.de la liberté; j'en connois moi-même de ce caractère,
même. dans des grades distingués: mais pouvons-nous fermer les oreilles
aux plaintes innombrables des citoyens, des administrateurs même qui
vous prouvent qu'une partie très nombreuse -de ce corps professe des
sentimens opposés ? Que dis-je ! Jetez un regard sur le passé, et trem-
blez pour l'avenir. Voyez avec quelle obstination ils ont servi, dès le
commencement de la révolution, le projet favori de la cour d'attacher
l'armée à ses intérêts particuliers ; voyez-les semant la division et le
trouble, armant, dans quelques lieux, les soldats contre les citoyens,
et les citoyens contre les soldats, interdisant à ceux-ci toute communica-
tion avec les citoyens, et les écartant sur-tout des lieux où ils pouvoient
apprendre les devoirs sacrés qui les lient à la cause de la patrie et de
la constitution; tantôt dissolvant des corps entiers dont le civisme décon-
certait les projets des conspirateurs, les poussant à force d'injustices et
d'outrages, à des actes prétendus d'insubordination, pour provoquer
contr'eux des décisions sévères; tantôt chassant de l'armée, en déiail,
les militaires les plus courageux, les plus éclairés, les plus zélés pour
le maintien de la constitution, par des congés inf amans, de mille formes
différentes et inusitées, par des ordres arbitraires de toute espèce, que
le despotisme lui-même n'eût osé se permettre avant la révolution.
Qu'est-elle devenue cette puissante armée, qui, par une sainte désobéis-
sance aux ordres sacrilèges des despotes, a terminé l'oppression du
peuple et rétabli la puissance du Souverain ? Plus de cinquante mille
peut-être des citoyens qui la composoient, dépouillés de leur état et du
droit de servir la patrie qu'ils ont sauvée, errent maintenant sans res-
source et sans pain sur la surface de cet empire, expiant leurs services
et leurs vertus civiques dans la misère et dans l'opprobre ; ..si l'oppro-
bre pouvoit être imprimé par le crime à la vertu, Que sont devenus
ces corps, qui naguères, près des murs de cette capitale, déposèrent
aux pieds de la patrie alarmée ces armes qu'ils avoient reçues pour
déchirer son sein, ces corps que n'ont pu protéger la reconnoissance et
l'amour de la nation? Que sont devenus ceux qui, quoique étrangers,
quoique appelés à ce titre, par les féroces combinaisons de nos enne-
mis ?.. Mais mon imagination effrayée répugne à se retracer ces lugu-
bres idées ' Je ne puis consentir à rouvrir toutes les plaies de mon
âme : il faudroit parler des crimes et des catastrophes de Nanci : il fau-
droit reporter mes regards sur ces scènes de sang, où les amis de la
liberté plongeoient dans le sein de ses défenseurs, des armes qui ne
dévoient être terribles que pour les tyrans, et ne déployoïent le courage
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 47)
du civisme et de la vertu, que pour préparer au despotisme, le plus
affreux de tous les triomphes : il faudroit voir les victimes échappées
au fer des vainqueurs, tombant en foule sous les coups des bourreaux;
présentant pendant plusieurs jours le plus doux des spectacles -iux yeux
des ennemis, qui purent à loisir se rassasier de leurs supplices, et les
premiers jours de la liberté souillée par des cruautés, qui n'ont pas
flétri la mémoire des plus cruels tyrans. Il faudroit voir le vice déifié
par l'intrigue, et la vertu déshonorée par la scélératesse; enfin, la plus
criminelle et la plus perfide politique, insultant long-temps à la douleur
des bons citoyens par des calomnies impudentes et par des fêtes sacri-
lèges, forcer en quelque sorte la patrie en deuil à applaudir aux sup-
plices de ses défenseurs. Quelles ont été les premières causes de tous
ces malheurs? L'incivisme et l'injustice, les persécutions, les calomnies,
les intrigues des officiers de ces mêmes corps. Mais quoi ! une grande
partie des officiers de l'armée en général, vous a-t-elle même laissé
le droit de douter de ses intentions? Avez- vous oublié Béfort, où les
chefs ont eux-mêmes entraîné les soldats à insulter publiquement la
nation et ,vs représentans "> Avez-vous oublié que d'autres ont arboré
la cocarde blanche, foulé aux pieds le signe auguste de notre liberté
^conquise ? La voix publique, les avis qui vous sont envoyés de tous les
départemens, vous ont-ils permis d'ignorer les blasphèmes proférés contre
l'autorité de la nation, les conseils perfides, et les cabales continuelles
qui semblent menacer la liberté ? Ne font-ils pas une profession ouverte
de mépriser le peuple, de méconnoître les droits des citoyens, de ne
connoître, de ne servir que le roi ? Que dis-je ? Vous-mêmes vous sem-
blez croire à la possibilité d'une ligue des despotes de l'Europe contre
votre constitution; vous avez paru prendre quelquefois des mesures
pour prévenir des attaques prochaines: or, n'est-il pas trop absurde,
que vous mettiez précisément au nombre de ces mesures celle de laisser
votre armée entre les mains des ennemis déclarés de notre constitution ?
Avez-vous jamais entendu dire que dans aucun temps les despotes aient
pourvu de cette manière à la défense de leurs états ? Ont-ils jamais
confié en connoissance de cause, la moindre forteresse, le plus foible
corps de troupes, à un gouverneur ou à un général suspect ? N'y auroit-il
donc que le domaine des despotes qui (méritât d'être conservé ? La
France ne seroit-elle plus digne d'être défendue, depuis que la destinée
de la liberté et le bonheur des peuples sont liés à la sûreté ? Les
premières notions de la prudence et du bon sens sont-elles l'apanage
exclusif des monarques absolus, et ne sont-elles d'aucun usage dans la
conduite des législateurs, et des représentans du peuple? Pour moi, je
rougirois de prouver plus long-temps que le licenciement des officiers
de l'armée est commandé par la nécessité la plus impérieuse, et je le
dirai avec une franchise qui paroîtra tenir un peu de la rudesse, mais
que les circonstances autorisent : quiconque ne voit pas cette nécessité,
est un homme stupide; quiconque la voit, et ne veut point, ne conseille
472 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
point le licenciement, est un traître (4). Quel motif peut vous dispenser
de le prononcer ? Vous craignez les suites de cette démarche éclatante ?
Vous craignez ! Et vous avez pour vous la raison, la justice, la
nation et l'armée. Voilà des garans qui doivent vous rassurer au moins
sur l'exécution de votre décret.
Craignez-vous les machinations des officiers congédiés ? Ceci ne
peut point regarder ceux qui sont patriotes, qui gémissent sur la conduite
de leurs confrères et pour qui leur civisme même est un sujet de tra-
casserie ou de tourment; ils désirent une disposition qui, en sauvant la
patrie, ne peut que leur ouvrir à eux-mêmes une perspective plus avan-
tageuse. Quant aux autres, quant à la majorité si vous voulez, puisqu'ils
se sont déclarés les ennemis de la révolution, ce ne sera point votre
décret qui les rendra tels : seulement il les rendra moins dangeureux,
puisque, dans la classe des simples citoyens, ils auront moins de pouvoir
pour lui nuire, qu'à la tête de l'armée. Cette observation seroit juste
quand bien même vous supposeriez qu'ils iroient ,grossn une armée
ennemie, et cela par la raison toute simple qu'un ennemi déclaré est
moins à craindre qu'un ennemi caché et que le général qui assiège une
place, en avance moins la conquête, que le gouverneur perfide qui la
livre.
Que craignez-vous encore 7 Que les soldats ne soient portés à
l'indiscipline par une disposition qui aura comblé leurs vœux ? Au con-
traire, rien n'inspire le reispect de la loi et de ceux qui en sont les
auteurs, ou les organes, comme la raison el la justice. Ne souffrez pas
oue l'intrigue triomphe plus long-tems en calomniant sans cesse devant
vous les soldats, le peuple, l'humanité; croyez des tyrans, des oppres-
seurs, des esclaves, des courtisans, des ennemis naturels de l'égalité,
tout le mal qu'ils vous disent des foibles, des opprimés, des hommes
malheureux, mais simples et droits, et vous aurez rencontré !a vérité.
Les soldats en général ne se sont signalés que par leur douceur à suppor-
ter les injustices les plus atroces, à respecter la discipline et les lois,
en dépit de leurs chefs ; ils ont présenté le contraste étonnant d'une force
immense et d'une patience sans borne; et si vous connaissiez vos véri-
tables intérêts, l'intérêt suprême du bien public et de la liberté, vous
seriez effrayés de la facilité avec laquelle ils se sont laissé opprimer,
plus que de leur énergie. S'ils n'ont pas secoué le joug des chefs dont
j'ai parlé, avec quelle docilité n'obéiront-ils pas ;à des chefs amis des
lois et de la constitution ? Mais par quelle étrange iatatlité les idées 1»'S
plus simples semblent-elles aujourd'hui confondues parmi nous ? On
souffre paisiblement que les officiers violent, outragent publiquement
iles lois et la constitution, et on exige des inférieurs avec une rigueur
sans exemple, le ,respect le plus profond, la soumission !a plus aveugle
(4) On trouve cette même phrase dans le discours prononcé aux
Jacobins. Cf. ci-dessu^ p. 462.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE. 473
et la plus illimitée pour ces mêmes officiers; on assure aux officiers le
droit de donner les plus coupables exemples aux soldats, que dis-je ?
d'attaquer leur fidélité envers la nation, de leur interdire, sous le pré-
texte de discipline, l'exercice le pilus légitime, le plus innocent des
droits -qui appartiennent à tous les citoyens; et si, en résistant à ces
exemples, ceux-ci, par un mouvement contraire, paroissent dépasser la
ligne de ce qu'on appelle la discipline militaire, on les immole impi-
toyablement à l'inimitié de leurs chefs; on '.s'indigne d'un mouvement,
d'un symptôme de vie échappé à l'impatience, et provoqué par un
sentiment louable et généreux; et l'on peint l'armée toute entière
comme une horde de brigands indisciplinés. S'il est vrai que ce soit
le véritable intérêt de la discipline qui vous touche, donnez donc aux
soldats des chefs auxquels ils puissent obéir, des 'chefs qui ne s'appli-
iquent point sans cesse à comprimer, à blesser en eux toutes les plus
douces, toutes les plus généreuses affections du cœur humain, tous les
sentimens les plus chers et les plus impérieux des bons citoyens.
Pourquoi vous obstiner à lier des guerriers fidèles à des chefs obstinés,
là attacher des cadavres à des corps vrvans ? Faites qu'ils puissent à-la-
ifois respecter leurs officiers, ila loi et la justice ; ne les réduisez point
à opter entre un capitaine, un lieutenant et la liberté, la patrie. Que!
étrange projet de vouloir à toute force changer aujourd'hui les soldats
françois en des automates sans intelligence, sans âme, sans patrie, sans
aucun sentiment de la liberté, sans aucune ic'jée de la dignité de
l'homme, et tout cela afin qu'ils défendent mieux la patrie et les droits
de la nation, et cela afin que l'esprit de l'armée soit mieux assorti
aux principes et à la nature de la constitution ! Oh ! quel étrange abus,
on a fait ici de ce mot de discipline militaire ! Avec quels lâches arti-
fices on a confondu toutes les idées, méconnu tous les principes et
cimenté tous les préjugés sur lesquels s'appuie la puissance des despotes
les plus absolus, et sur lesquels on a espéré peut-être dis raffermir parmi
nous le despotisme chancelant, mais non point abattu ! Un jour peut-
être, ces questions seront éclaircids à la honte des charlatans politiques;
mais <en attendant ce moment, législateurs, gardez-vous de vouloir, avec
obstination, des choses contradictoires, de vouloir établir l'ordre sans
justice; législateurs, ne vous croyez pas plus sages que la raison, ni
plus puissans que la nature; c'est la nature même qui, dans la situation
où se trouve votre armée, ne permet pas que vos soldats soient encore
long-tems soumis à vos officiers et fidèles à l'a nation; c'est la raison
qui, bientôt, au nom de la patrie, leur commandera une obéissance
moins passive. Si vous ne faites pas vous-mêmes oè qu'exige 1 empire
de la nécessité, craignez qu'ils ne le fassent eux-mêmes; car, après
tout, il faut que l'Etat et ia liberté soient sauvés; s'ils ne le «ont pas
par les représentans, il faut bien qu'ils le soient par la nation. Alors
il seroit peut-être permis de penser que les soldats seroient moins sou-
ples à la discipline : pour moi, je n'ai pas même cette crainte; je suis
474 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
bien plus porté à croire, qu'à l'exemple <le quelques corps, dont les
officiers ont disparu, ils n'en seroient que plus inviolablen.ent attachés
à leurs devoirs, et que loin d'abuser d'un succès remporté au nom de la
patrie, leur force ne seroit redoutable qu'à ses ennemis.
Le dénouement que je viens de supposer seroit, sans contredit, le
plus heureux ; mais puisque nos adversaires n'y croient pas, puisqu'ils
en espèrent un autre, je vais vous dévoiler leur plus secrète pensée. Il
est assez clair, ce 'me semble que ceux qui T'allèguent veulent nous faire
courir une double chance. En effet, si les officiers actuels restent à la
tête de l'armée, il arrivera nécessairement l'une ou l'autre de ces deux
alternatives : ou bien dans cette espèce de lutte établie entre les soldats
et les officiers, ceux-ci triompheront avec l'appui 'du gouvernement, ou
ils écarteront les uns, ils séduiront les autres par les divers moyens
qui seront en leur pouvoir, et les soldats ne seront plus entre leurs
mains que des automates dévoués et des instrumens dociles; ou bien
le% soldats l'emporteront par l'usage de leurs forces. Dans ce dernier
cas vous avez, suivant nos adversaires, le trouble, îe désordre, l'anar-
chie; dans le premier qu 'avez- vous ? Une armée animée de l'esprit des
conspirateurs, et portée à seconder les projets les plus sinistres contre
la nation, et par conséquent le despotisme; ainsi, ce oui pourroit arri-
ver de plus heureux pour les ennemis de la liberté, de plus terrible pour
nous, ce seroit précisément l'espèce de paix, de subordination, de
discipline que l'on nous vante. Ainsi le trouble ou le despotisme, voilà
les deux perspectives que nous présentent ceux qui s'opposent au licen-
ciement des officiers. Ainsi ils pourront choisir l'un ou l'autre, ou
peut-être nous susciter l'un et l'autre à-la-fois, suivant les vues de leur
intérêt ou de l'ambition personnelle. Il n'y a que les amis de la liberté
et de la paix publique à qui le licenciement puisse convenir.
Non non, ne craignez plus les dangers chimériques que l'on vous
présente, pour vous distraire des dangers réels ; craignez plutôt cette
facilité funeste que l'on trouve à vous inspirer de fausses terreurs;
craignez, craignez tous ces chefs de parti qui, dans chaque occasion
importante, trouvent toujours quelque sujet d'alarme, pour vous déter-
miner à enfreindre quelqu'un de vos principes, à violer quelqu'un de
vos devoirs. Craignez tous ces serpens de cour qui, avant vos délibéra-
tions et à chaque instant, rampent autour de vous pour vous insinuer
le poison de leurs opinions pusillanimes et de leurs systèmes perfides,
et qui, soit par des calomnies adroites, soit par des sopbismes puisés
dans nos anciens préjugés, soit par des faits controuvés^ par les cir-
constances, préparent et déterminent vos opinions, comme à votre insçu.
Réfléchissez* un moment, pour considérer les suites des conseils qu'ils
vous ont donnés jusqu'aujourd'hui; toujours ils vous ont engagés à dévier
des principes, pour le bien de la paix et pour l'affermissement de la
liberté; et les causes de troubles, de dissensions, d'embarras, n'ont
cessé de croître avec l'audace des ennemis de la révolution et les forces
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 475
du despotisme, qui me semble méditer dans un silence terrible des
complots que vous auriez déjà dû prévenir. Craignez ces hommes
qui, doués de trop peu de sensibilité et de vertu pour attacher leur
bonheur individuel au bonheur public, de trop peu de tàlens et d'éner-
gie pour faire le bien, mais ayant assez de ressources pour faire le mal,
ne voient dans une révolution qui devoit faire le bonheur du monde,
que le sujet d'une spéculation qui aboutit à leur bien-être personnel,
et peut-être à l'intérêt de quelque vîle passion : craignez ces coalitions
meurtrières, qui sont comme les canaux par lesquels la cour distille
sur la nation le poison mortel qui tue l'esprit public et la liberté dans
Bon berceau; ces hommes, qui calculant la foiblesse de l'opinion publi-
que naissante, l'orgueil, la frivolité, l'a corruption des riches, l'inexpé-
rience et la bonne foi du peuple, les ressources formidables et cachées
du gouvernement, se sont ligués pour opposer les préjugés et les habi-
tudes vicieuses qui nous restent encore, à la marche de la raison, et pour
ensevelir le bonheur de la France et de tous les peuples, dans ce pas-
sage pénible des moeurs et des idées du despotisme à celles de la
liberté; ces hommes dont la fausse modération, plus cruelle que la plus
atroce barbarie, nous ramènera, s'il* est possible, à un gouvernement
despotique dont les formes seules seront changées, ou nous dévouera à
ces longues convulsions qui sont comme le prix auquel le ciel a mis
le bienfait de la liberté. Enfin, craignez votre propre bonne foi, crai-
gnez votre prcpre foiblesse. Je ne redoute pour ma patrie que deux
écueils, la foiblesse des honnêtes gens et la duplicité des ambitieux
intrigans (5).
J'ai prouvé jusqu'ici la nécessité du licenciement des officiers ;
examinons rapidement les moyens que le comité militaire propose de
substituer à cette disposition indispensable.
1° Punir sévèrement les soldats qu'il accuse d'indiscipline.
Jusqu'à quand vous proposera-t-on d'être toujours inexorables pour
les foibles et pour les innocens opprimés et doux, complaisans pour
les oppresseurs ? Est-ce ainsi que vous tiendrez la promesse, que
vous avez faite depuis deux ans aux soldats, de réprimer les désordres
isans aucune distinction de grades ni de conditions ? Par quel ac'e avez-
vous acquitté jusqu'ici cet engagement sacré? Est-ce par l'impunité
'constante dont les officiers ont joui, et par les persécutions atroces que
les soldats ont souffertes ? Est-ce ainsi que vous observerez les règles
les plus simples de la justice et cki bon sens, qui veulent que !«$ supé-
rieurs, auteurs du mal, soient punis plus sévèrement que les inférieurs?
(5) Le discours qu'il prononça aux Jacobins s'arrêtait ici; et
cette; partir, seule semble avoir été préparée par Robespierre; la
suite ji été improvisée) ainsi que le remarque le Journal de Paris:
« M. Robespierre n'a .eessé de parler quand il est parvenu à la fin
do son discours écrit ». (Ci. G. Walter, p. 161).
476 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Voulelz-vous que l'on dise que les militaires ci-devant nobles sont
ici les arbitres suprêmes de la destinée de l'armée, et que vous ne
voulez vous réserver d'autres droits que celui de sanctionner les loix
qu'ils font pour leur intérêt personnel ?
Ils vous proposent de demander aux officiers un nouveau serment,
une nouvelle promesse de ne point conspirer contre la nation.
Eh quoi ! n'êtes- vous pas encore las de prodiguer les sermens ?
Est-ce par des sermens ou par des 'loix que vous voulez gouverner la
France et affermir la liberté ? Les sermens, inutiles pour les bons
Citoyens, n'enchaînent point les mauvais, s'ils effraient quelques hommes
de bonne-foi, les conspirateurs et les traîtres s'y prêtent avec facilité,
et rient de la crédulité de ceux qui se reposent du salut de l'Etat sur
de pareils garans. Les citoyens, les militaires en général n'ont-ils pas
déjà prêté le serment civique ? Ceux qui ont pu le violer en respecte-
iront-ils un second ? Et si ce second peut ajouter à la force du premier,
il faudra leur en demander un troisième, ensuite un quatrième, le tout
pour corroborer leur patriotisme, et donner des preuves plus éclatantes
de votre sagesse.
Mais, dit-on, ce n'est point un nouveau serment qu'on propose.
C'est un engagement d'honneur. Ainsi vous connoissez donc un engage-
ment plus sacré que la religion du serment. Quel est donc cet honneur
qui s'allie avec le parjure, qui ne suppose ni amour de la patrie, nî
respect pour l'humanité, ni fidélité aux devoirs les plus sacrés du
citoyen ? Il est donc une vertu secrète, Un talisman attaché à la parole
d'honneur d'une classe de citoyens. L'honneur est le patrimoine parti-
culier du corps des officiers. Les actes de patriotisme, les sermens sont
faits pour les autres; mais ceux-ci, il suffira qu'ils promettent sur leur
honneur, et c'est vous qui consacrerez ces absurdes préjugés et ces inso-
lentes prétentions; c'est vous qui établirez en principe, que chez les
François, chez les hommes libres, l'honneur féodal peut remplacer la
morale et la vertu !
Que dirai-je de la troisième disposition du comité militaire, qui
porte que ceux qui refuseront de souscrire cet engagement, recevront
pour retraite le tiers de leur traitement. Admirable munificence, libéra-
lité vraiment digne d'une nation sage et magnanime, qui assure des
pensions et des récompenses aux citoyens qui ne veulent pas même
promettre de ne point conspirer «contr'elle !
Enfin le comité couronne ce projet de décret par une disposition
encore plus importante, c'est de séparer les soldats des citoyens; c'est
de cantonner les troupes, de les distribuer en différens camps. Oui,
sans doute, il faut cantonner les soldats. Dans le sein, de nos villes, ils
pourroient demeurer citoyens, malgré l'esprit de la constitution militaire,
malgré tous les dangers attachés à de semblables institutions. _ Il faut
les isoler, pour les pratiquer plus aisément; afin que l'on puisse' plus
aisément séduire les uns, dégoûter, écarter les autres, et faire de l'armée
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 477
un assemblage de satellites dociles aux inspirations de la cour et des
intrigans ambitieux. Alors on pourra avoir toujours des corps prêts à
accabler par-tout les plus zélés patriotes, à favoriser les injustices et le
despotisme des aristocrates ministériels, à étouffer l'esprit public, anéan-
tir la liberté «dans sa naissance, pour élever sur ses ruines quelques
iptrigans ambitieux; et même, si le moment est favorable, tenter des
entreprises encore plus vastes et plus importantes. Oui, ce projet est
très-bien conçu; et la seule chose qui m'étonne, c'est l'audace avec
laquelle on a espéré de le faire sanctionner par l'Assemblée nationale.
Pour moi, je demande qu'il soit rejeté avec indignation, et que le
licenciement des officiers soit décrété avant tout.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXVII, p. 307
L'Ami du Peuple (Marat), t. VIII, n° 488, p. 2-4 <6).
Le Législateur français (Beaulieu), t. II, 12 juin 1791, d. 1-3 (6).
Le Courrier d'Avignon, n° 143, p. 571 (6).
« M. Robespierre. Je viens défendre une opinion bien différente
de celle b!e votre comité, une opinion qui a été portée jusqu'à vous
par le vœu public, qui, quelquefois est susceptible de se tromper,
mais qui le plus souvent est l'interprète de la vérité et de l'intérêt
général, et sur -tout par les pétitions qui vous ont été présentées parti-
culièrement de la part des citoyens de cette partie -de l'empire où l'on
est beaucoup plus à portée que nous, d'observer les faits qu'il vous
importe de connaître, et qui doivent être la première base de votre
décision.
« Il s'agit de trouver un remède au désordre actue! de l'armée.
Les désordres ont été exagérés dans un certain sens et sur-tout les causes
en ont été dissimulées. Il importe de les approfondir. C'est sur-tout
dans les grands dangers qu'il est nécessaire d'entendre ïa vérité; vous
me permettrez donc, messieurs, de vous énoncer mon opinion avec une
franchise que je ne pousserai pas jusqu'à l'excès, mais à laquelle du
moins ne se mêlera aucun sentiment étranger à l'intérêt public.
« Messieurs, il étoit facile de prévoir les événemens qui vous
forcent aujourd'hui à délibérer tsur une question si importante. Les deux
causes qui les ont amenés sont et la constitution nouvelle et la constitu-
tion du corps des officiers qui devoit être calquée d'après les principes
de cette constitution nouvelle. Vous avez conservé un corps de fonction-
naires publics armés dont la constitution est à la fois le chef-d'œuvre
des préjugés aristocratiques, le raffinement même de l'aristocratie, une
constitution qui, dans un corps d'officiers «nobles, vous montre à peine
quelques bourgeois qui n'y sont introduits qu'à titre de grâce et dont
(6) Ces trois journaux reproduisent seulement le début du tcxic
de JLe Hodey, jusqu'à « de nos ennemis, les ont perdus ».
478 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
l'infériorité est marquée par une dénomination aussi injuste que ridi-
cule; quel est, messieurs, le titre de cette bizarre exception à vos prin-
cipes ? Croyez-vous qu'une armée immense soit un objet indifférent pour
la liberté et pour votre ouvrage ? Ignorez-vous que tous les peuples qui
ont la moindre idée de la liberté ont, ou réprouvé de pareilles constitu-
tions, ou ne les ont envisagées du moins qu'avec effroi ?
« (Combien de précautions ne deviez-vous pas prendre pour pré-
server votre armée d'une influence dangereuse qu'il était si facile
d'écarter en décrétant à propos le licenciement de l'armée ou du
moins des chefs.
« Les officiers peuvent être divisés en deux classes; il en est qui
sont attachés bien sincèrement au bien public et aux principes de la
constitution, et j'ai l'avantage d'en connoître de ce caractère; mais
aussi pouvez-vous vous dissimuler ce que la voix publique vous a appris,
que la majorité des officiers a des principes absolument opposés à la
révolution. Qu'attendez- vous donc de ces chefs de l'armée ? S'ils sont
sans autorité, sans ascendant, ils ne peuvent exercer leurs fonctions, s'ils
en ont, à quoi voulez-vous qu'ils l'emploient, si ce n'est à faire triom-
pher leurs principes et leurs sentimens les plus chers. Vous avez donc
à craindre qu'ils ne se servent de cette autorité, de cette influence pour
inspirer leurs sentimens et leurs vices aux soldats, pour les ranger du
côté des ennemis de la révolution contre la constitution et contre vous-
mêmes. Vous avez dû vous attendre qu'ils persécuteroient ceux qui
demeureroient attachés à la cause de la nation, qu'ils efforceroient de
séduire les autres, jusqu'à ce qu'ils eussent fait de l'armée un assem-
blage de satellites étrangers aux véritables intérêts de la patrie. Jetiez
un regard sur le passé et tremblez pour l'avenir. Voyez, messieurs, une
partie considérable des officiers semant dans l'armée la division et le
trouble, ici armant les soldats contre les soldats, là divisant les soldats
des citoyens, les écartant sur-tout les lieux où ils pouvoient apprendre
ce qu'ils doivent à la patrie et à la constitution. Voyez-les tantôt dis-
solvant des corps entiers dont le civisme déconcertait les funestes pro-
jets, les poussant à force d'injustices à des actes prétendus d'insubordi-
nation pour trouver un prétexte de provoquer des décisions sévères, tantôt
chassant en détail de l'armée les militaires les plus courageux, les plus
éclairés, les plus zélés pour le maintien de la constitution par des
congés infâmans sous mille formes infamantes et inusitées, par des
ordres arbitraires de toute espèce que le despotisme lui-même n'eût
osé se permettre avant la révolution. Qu'est devenue une partie consi-
dérable de cette puissante armée qui, par une sainte désobéissance à
des ordres sacrilèges, a terminé l'oppression du peuple et rétabli les
droits de la nation? Plus de cinquante mille (et cela est plus précis
que ce que l'on vous a dit avant moi sur les causes des troubles de
l'armée), plus de 50 mille citoyens qui la composoient, dépouillés de
leur état et du droit de servir la patrie qu'ils ont sauvée, errent mainte-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 479
nant sans ressource et sans pain sur la surface de cet empire, expiant
ces services et ces vertus civiques dans la misère et dans l'oppiobre, si
l'opprobre pouvoit être infligé par l'injustice à la probité et à la vertu
Que sont devenus ces 'corps qui n'aguères près des murs de cette
capitale déposèrent aux pieds de la patrie les armes qu'ils avoienî reçues
pour déchirer son sein, ces corps qui n'ont pu protéger la îeconnoissance
et l'amour de la nation? Que sont devenus ceux qui qùoiqu'étrangers,
ont servi la chose publique ? Les féroces combinaisons de nos ennemis
les ont perdus.
« Mais, Messieurs, mon imagination effrayée répugne à pousser
plus loin ces idées : je ne puis consentir à rouvrir les plaies des bons
citoyens. Il faudroit rappeller le souvenir des crimes et des calamités
de Nancy; je me contenterai de Vous observer qu'une des causes
notoires de tous ces événemens funestes, que la première cause incon-
testable, ce fut la conduite des officiers, que ce qu'on a appelle leur
mécontentement, ce fut les persécutions suscitées rux soldats patriotes.
« Eh quoi, messieurs, voudriez-vous fermer l'oreille à tant de
récits importans et décisifs, à ces récits t|ui alarment la nation entière ?
Ignorez- vous qu'une partie très considérable de l'armée exhalent leur
mécontentement par des imprécations contre notre constitution contre la
souveraineté de la nation, contre l'autorité de ses représentans ? Pou vez-
vous méconnaître et leurs efforts et leurs conseils perfides, et leurs
cabales continuelles ? Ne font-ils pas une profession ouverte de mécon-
noître les droits des citoyens, de ne reconnoître et de ne servir que le
roi ? Ne vous montrent-ils pas d'un côté le monarque dont ils prétendent
défendre la cause contre le peuple et contre lui-même, de l'autre les
armées étrangères dont ils vous menacent en même tems, qu'ils s'effor-
cent de dissoudre et de séduire la nôtre ? Eh ! vous croyez pouvoir les
conserver, que dis-je, vous-mêmes vous semblez croire à la possibilité
d'une ligue de despotes de l'Europe contre votre constitution ! Vous
avez pu prendre quelquefois des mesures pour prévenir des attaques
prochaines, mais n'est-il pas déraisonnable de mettre bénignement au
rang de ces (mesures, celle de laisser votre armée entre les mains des
ennemis de notre révolution ! Avez-vous jamais entendu dire que les
despotes aient, dans aucun tems, pourvu de cette manière à la défense
de leurs états ? Ont-ils jamais confié en connoissance de cause la
moindre forteresse, ou le plus petit corps de troupes à un gouvernement
ou à un général suspect ? N'y auroit-il donc que le domaine des
despotes qui méritât d'être conservé } La France ne seroit-eUe plus
digne d'être conservée depuis que la destinée de la liberté et le bon-
heur des peuples sont liés à sa sûreté ? Les premières notions de la
prudence et du bonheur sont-elles l'apanage exclusif des monarques les
plus absolus, et ne sont-eîles d'aucun usage dans la conduite des légis-
lateurs et des représentans du peuple ? Pour moi, je ïougirois de prouver
plus long-tems que le licenciement de l'armée est commandé par la
480 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
nécessité la plus impérieuse et par le salut public. Quels motifs peuvent
vous ■empêcher de le prononcer ?
« Vous craignez les suites de cette démarche éclatante, et vous
avez pour vous la raison, la justice, la nation et l'armée; voilà des
garans qui doivent vous rassurer au moins sur l'exécution de votre
décret; craignez-vous les machinations que peuvent se permettre les
officiers ? Ceci ne peut regarder ceux des officiers patriotes, qui gémis-
sent sur la conduite de leurs confrères, et pour qui leur crime même
est un sujet continuel de tracasseries et de tourmens; ils désirent avec
ardeur cette salutaire opération, qui seule peut sauver la patrie.
« Quant aux autres, il faut les supposer nécessairement ennemis
de la révolution ; ce ne sera point votre décret qui les rendra tels :
seulement il les rendra beaucoup moins dangereux, puisqu'ils rentrent
dans la classe des simples citoyens; ils auront bien moins de movens
de pouvoir vous nuire qu'à la tête de votre armée. Cette observation
seroit juste, quand bien même vous supposeriez qu'ils iroient se joindre
à une armée ennemie, et cela par la raison toute simple qu'un ennemi
déclaré est moins à craindre qu'un ennemi caché, et que le général
qui assiège une place est moins dangereux que le gouverneur perfide
qui la livre.
« Ne craignez pas que les soldats soient portés à l'indiscipline par
une disposition qui couronnera leurs vœux : ne souffrez pas que 1'intr'gue
triomphe constamment sur les soldats, le peuple et l'humanité» les
soldats en généra) ne se sont signalés que par leur douceur à supporter
les injustices et les vexations les plus criantes de leurs officiers (à droite
murmures) x \ respecter en général la discipline et les ioix, en déprt de
leurs chefs qui parlent tant de loix et de discipline, et les méprisent :
il/ ont présenté, ces soldats, le contraste étonnant d'une force immense
et d'une patience sans borne, et si vous voulez consulter vos véritables
intérêts; l'intérêt suprême du bien public et de la patrie, vous serez
effrayés peut-être de la facilité avec laquelle ils ont été opprimés bien
plus que de leur énergie.
« Messieurs, si les soldats n'ont pas secoué le joug dont j'ai'par^é,
n'obéiront-ils pas avec docilité, avec zèle à des officiers amis des loix
et de la constitution ? Mais par quelle fatalité les idées les plus simples
semblent-elles confondues!... On a souffert paisiblement jusqu'ici que
les officiers violassent outrageusement, publiquement les loix de la
constitution; et on a exigé de leurs inférieurs, avec une ligueur sans
exemple, le respect le plus profond, la soumission la plus aveugle et la
plus illimitée pour de tels officiers.
« On assure aux officiers le droit de donner le plus coupable des
exemples aux soldats, que dis-je, d'ébranler leur zèle pour la consti-
tution, de leur interdire, sous le. prétexte de discipline, l'exercice le
plus légitime et le plus innocent des droits qui appartiennent à tous les
citoyens; et si en résistant à ces pernicieux exemples, les soldats
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 481
paroissent dépasser la lîgne qu'on appelle la discipline militaire, on les
immole sans cesse et impitoyablement à l'inimitié de leurs chefs, on
s'indigne d'un simptôme (sic) de vie échappé à un sentiment, et l'on
peint l'armée françoise entière comme une horde d'hommes indisci-
plinés.
« S'il est vrai, messieurs, que ice soit le véritable intérêt de la
discipline qui vous guide, donnons donc aux soldats des chefs auxquels
ils puissent obéir, des chefs qui ne s'appliquent point sans cesse à com-
primer, à blesser toutes les plus douces, toutes les plus chères affections
du cœur humain, tous les sentimens les plus chers à de bons citoyens.
Pourquoi forcer des hommes à obéir à des chefs qui les oppriment ?
Faut-il donc qu'ils ne puissent à la jfois respecter leurs chefs, les loix
et la justice. Ne les réduisez point à opter entre un lieutenant, un
capitaine, et la liberté, et la patrie. (Applaudi à gauche; murmures
à droite).
« Quels étranges projets que ceux de vouloir changer aujourd'hui
des soldats françois en automates, sans intelligence, sans patrie, sans
aucun sentiment de liberté, sans aucune idée de la dignité de l'homme,
et tout cela afin qu'ils défendent mieux la patrie et les droits de la
nation, et tout cela afin o,ue l'esprit de l 'armée soit mieux assorti aux
principes et à la nature de la constitution. Oh ! quel étrange abus on
a fait de ce mot de discipline militaire ! (Par quel artifice on a confondu
toutes les idées, méconnu tous les principes, cumulé tous les préjugés
sur lesquels la puissance du despote le plus absolu s'appuie. Un jour,
et peut-être bientôt, ces questions seront éclaircies, mais en attendant
cette époque, messieurs, gardez- vous de vouloir obstinément des choses
contradictoires, de vouloir établir l'ordre sans la justice.
« Législateurs, ne vous croyez pas plus sages que la raison, et
plus puissans que la nature. C'est la fraison, c'est la nature même qui,
dans la situation où se trouve notre armée, ne permet pas que vos
soldats soient encore long-tems Jidè'les à la nation et soumis à leurs
officiers. C'est la raison qui bientôt au nom de la (patrie, au «nôtre même,
leur demandera Une obéissance moins aveugle. Eh ! si vous ne faites
pas vous-mêmes ce qu'exige l'empire de la nécessité, craignez que la
nécessité elle-même ne le fasse. Alors peut-être il seroit permis de
penser que les soldats seroient moins souples à la discipline. Pour
moi je n'ai pas même cette appréhension. Je suis bien plus porté à
croire que sur l'exemple de quelques corps dont les officiers ont disparu,
ils n'en seroient que plus inviolablement attachés à leurs devoirs; et
<que loin d'abuser d'un succès qu'ils auroient été obligés d'emporter
pour le salut de la patrie, leur force ne seroit jamais redoutable qu'à
leurs ennemis et aux nôtres
« Il est assez clair, ce me semble, qu'en s'obstinant à empêcher
ce licenciement des officiers, on vous expose essentiellement à courir
deux chances. En effe+, messieurs, si les officiers actuels restent à la
IW,spnun.. T.!
482 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
tête de l'armée, il doit arriver nécessairement l'une ou l'autre de ces
alternatives : ou bien la discorde continuera de légner entre eux et les
soldats; alors comme cette même opposition subsistera toujours; comme
cette discorde a sa source dans le mécontentement des officiers, et
dans l'attachement des soldats fidèles à leurs devoirs de citoyens;
alors, ou les officiers triompheront, ou ils écarteront les uns, séduiront
les autres par les divers moyens qui sont en leur pouvoir, et les soldats
ne seront plus entre leurs tmains que des instrumens dociles et dévoués :
ou bien ces soldats l'emporteront par l'usage de leur force. Dans ce
dernier cas, vous avez, suivant nos adversaires, le trouble, le désordre
de l'anarchie. iDans le premier qu 'avez- vous ? Une armée animée d'un
esprit de conspiration, et prête à seconder les projets les plus sinistres
contre la constitution : par conséquent le despotisme, c'est-à-dire ce
qui pourroit arriver de plus heureux pour les ennemis de la liberté.
« Telle est la cruelle alternative où l'on nous place ? Ce seroit
précisément cette paix, 'cette subordination, cette discipline si extra-
ordinaire que l'on veut établir par des .moyens plus extraordinaires
encore, le trouble ou le despotisme. Voilà les perspectives qui se
présentent dans le système opposé au licenciement. Ainsi l'on pourra
choisir l'un ou l'autre |à la fois : suivons les vues de l'intérêt et de
l'ambition personnelle.
« Il n'y a que les amis de la liberté publique à qui le licencie-
ment puisse convenir. Non, 'messieurs, ne craignez plus les dangers chi-
mériques que l'on vous présente pour ivous distraire des dangers réels.
Craignez plutôt cette facilité funeste que l'on trouve à vous inspirer
de fausses terreurs. Craignez la foiblesse, que dis-je, ne la craignez
pas. La foiblesse et la crainte conviennent aux tyrans, le courage aux
défenseurs du peuple et de l'humanité. Je ne .redoute pour les honnêtes
gens et pour vous que deux écueils : la crédulité des honnêtes gens
et la duplicité des méchans.
« Après avoir pourvu à la nécesité impérieuse d'opérer !e licen-
ciement, je ne puis 'm'errpêcher de jetter un coup d'œil sur 'les moyens
qui vous ont été présentés pour y suppléer. Ils se réduisent seulement
à punir les soldats, et à attendre patiemment que les officiers prennent
intérêt à la constitution, lorsqu'un jour ils connoîtront que leurs véri-
tables intérêts les y attachent; à stimuler l'honneur et le préjugé des
officiers, en leur faisant contracter par écrit l'engagement de respecter
la constitution : à accorder .un traitement à ceux qui refuseront de sous-
crire à l'engagement de ne pas faire de mal à la patrie: enfin à can-
tonner l'armée, la séparer des citoyens pour punir les soldats du mal
qu'ils n'ont pas fait, et les laisser à la discrétion de leurs chefs pour
les pratiquer ou les tyranniser, s'ils ne veulent pas se prêter ù leurs
coupables vues. Eh ! dans quel état de choses vous propose-t-on d'agir
ainsi ?
« Les premières notions du sens commun de la justice, exigent
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 483
que l'on porte un œil sévère sur la conduite des supérieurs, sur-tout
quand ces supérieurs sont justement suspects d'avoir causé le mal que
l'on cherche à prévenir; sans justice, mak sans équité, et sans huma-
nité je le répète, il n'y a point de rétablissement de discipline ni de
subordination.
a Présenter à la nation, pour garant de la fidélité, de l'attache-
ment des officiers, qui jusqu'ici ont professé des principes opposés
à la constitution, la parole d'honneur de ces mêmes officiers, c'est,
j'en conviens, une idée qui peut prêter à une déclamation heureuse,
mais qui, aux yeux de la politique et de la sagesse, est bien la plus
ridicule de toutes les mesures. Ces officiers de qui vous exigez un
engagement d'honneur, n'ont-ils pas déjà prêté un serment équivalent
de celui qu'on veut leur faire prêter, celui de défendre la constitution,
celui d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi. Par quel renversement
de raison peut-on croire que la parole d'honneur des officiers a quelque
chose de plus sacré que le serment le plus solemnél et le plus religieux ?
Mais, messieurs, de qui exigez-vous cette parole d'honneur ? La déli-
bération qui vous occupe le dit déjà clairement, de ceux qui sont suppo-
sés déjà être les ennemis de la révolution, les ennemis des droits de
la nation. Eh ! c'est l'honneur de ces hommes qu'on vous donne pour
un sûr garant de leurs sentimens.
« Je ne sais, messieurs, ce que vous pensez, en qualité de citoyens,
en qualité de législateur, en qualité d'hommes publics, d'un pareil
sentiment; mais pour moi, je vous déclare qu'il n'a rien de commun,
ni avec le civisme, ni avec la vertu; je déclare qu'il me paroit trop
extraordinaire, trop bizarre, trop contradictoire, pour que je puisse lui
confier l'intérêt de la nation et le maintien de la constitution. (A droite
un peu de murmures).
« Messieurs, oies législateurs pourvoyans au salut public, prennent
des mesures beaucoup plus sûres, beaucoup plus imposantes; ce n'est
point dans les prétendus préjugés d'une classe de citoyens, qu'est
placé l'espoir du salut public, c'est dans l'autorité des loix, c'est dans
des mesures qui mettent les ennemis reconnus de la patrie dans l'impos-
sibilité de lui nuire. Voilà les précautions dignes de vous.
« Messieurs, si je voulois entrer dans de plus grands détails sur
cet objet, je vous dirois que, même de l'aveu de cet homme bizarre,
on peut éluder le serment qu'on auroit proféré.
« Messieurs, pour être un bon citoyen, pour défendre utilement
la patrie contre ses ennemis intérieurs et extérieurs, il ne suffit pas
d'avoir juré qu'on sera fidèle à la constitution; il faut encore connoître
ious les devoirs de détail qu'impose le véritable [esprit] de la consti-
tution, i! faut avoir encore dans l'âme ce zèle impérieux qui vous porte
à user de tous les moyens qui sont en votre pouvoir, pour la défendre- il
faut être disposé à sacrifier, non seulement sa vie, mais ses af^er'-o-s,
mais ses préjugés; eh! pour ce, un engagement d'honneur ne suffit pas
484 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
(à droite : allons donc. Applaudissemens à l'extrémité de la gauche et
des tribunes. A droite : Vous ne connoissez pas l'honneur).
« On dit que je ne* connois pas les principes de l'honneur
(à droite : Non) : et je me fais gloire de ne pas connoître cet honneur
qui permet d'être l'ennemi de la liberté et de la patrie, qui peut
violer un premier serment fait au nom de la patrie, et qui a besoin
d'un second serment pour rassurer la patrie. (Applaudissemens à gauche).
« J'ajoute, messieurs, que rien n'est si impolitique de la part des
législateurs et des auteurs de la constitution françoise, que de recon-
noître que l'on peut se passer de civisme, d'honnêteté, de vertu, pourvu
qu'on ait de l'honneur, et de (mettre ce principe, ce préjugé féodal à la
place de la vertu. (A droite : Oh ! quelle impertinence).
« Je passe à la quatrième disposition du projet du comité, qui
consiste à assurer un traitement à ceux qui n'auront pas voulu souscrire
l'engagement proposé, qui est de ne pas conspirer contre i'état, et de
défendre la constitution. 11 faut convenir que c'«est un singulier genre
de libéralité que celui qui assure une pension à ceux qui ne veulent
pas même jurer de ne pas conspirer contre l'état.
« Je finis par un mot sur le dernier article (7) qui porte que les
soldats seront cantonnés et séparés des citoyens. Je conçois que ce*te
mesure est bien entendue pour assurer la liberté de pratiquer l'armée,
et de la porter au but que l'on se propose; je conçois que l'on craint
l'influence de l'esprit civique répandu dans toutes les parties de la
France sur l'armée; je n'ai donc plus rien à opposer à cet article, si
ce n'est qu'il est trop adroit, et conséquemment qu'il faut le rejetter.
Je conclus, de tout ce que j'ai dit, que la question préalable sur le
projet de décret, et que le licenciement sont indispensables » (8).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 162, p. 673.
Journal universel t. XII, p. 9030-9032 (9).
Le Point du Jour, t. XIII, p. 145.
« M. Roberspierre. Au milieu des ruines de toutes les aristocra-
ties, quelle est cette puissance qui seule élève un front audacieux et
menaçant ? Vous avez reconstitué toutes les fonctions publiques suivant
les principes de la liberté et de l'égalité, et vous conservez un corps
(7) 'C'est l'art. 9: « Le roi sera prié d'annoncer à toutes les
troupes de ligne qu'elles aient à se tenir prêtes à se rendre dans
les camps d'instruction, où elles s'occuperont des évolutions et de
tous les exercices relatifs à l'art de la guerre. »
(8) Texte reproduit dans les Arch, pari., XXVII, 108-109.
(9) (Le Journal universel fait précéder son texte du passage sui-
vant (p. 9082): " M. Robespierre est sur le champ monté à la tribune
pour, demander le licenciement des officiers connue le yo&u de la
justice, de la raison, de la nation et de l'armée. Il a été vivement
goûté par les bons citoyens. Eh! comment ne l'aurait-il pas été? »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 485
de fonctionnaires publics armés créés par le despotisme, dont la consti-
tution est fondée sur les maximes les plus extravagantes du despotisme
et de l'aristocratie; qui est à la fois l'appui et l'instrument du despo-
tisme, le triomphe de l'aristocratie, le démenti le plus formel de la
constitution, et l'insulte la plus révoltante à la dignité eu peuple. Sur
qu^| puissant motif est fondé ce hideux contraste de l'ancien régime
et du nouveau ? Croyez-vous qu'une armée immense soit un objet indif-
férent pour la liberté ? Vous savez que c'est par elle que les gouverne-
ments ont partout subjugué les nations; les officiers sont divisés en deux
classes: il en est d'attachés au bien public; mais la majorité a des
principes opposés à la constitution. Vous soumettez l'armée à des chefs
attachés naturellement aux abus que la révolution a détruits. Qu'atten-
dez-vous de ces chefs? S'ils sont sans autorité, sans ascendant, ils ne
peuvent exercer leurs fonctions. S'ils en ont, à quoi voulez-vous qu'ils
l'emploient, si ce n'est à faire triompher leurs sentiments les plus chers.
« Jetez un regard sur le passé et tremblez pour l'avenir. Voyez-les
semant la division et le trouble, armer les soldats contre les citoyens et
les soldats, interdire à ceux-ci toute communication avec les citoyens,
en les écartant sur-tout des lieux où ils pouvaient apprendre les devoirs
sacrés qui les lient à la cause de la patrie et de la constitution; tantôt
dissolvant des corps entiers, dont le civisme déconcertait les projets des
conspirateurs; les poussant à force d'injustice et d'outrages, à des actes
prétendus d'insubordination, pour provoquer contre eux des décisions
sévères; tantôt chassant de l'armée en détail, les militaires les plus
courageux, les plus éclairés, les plus zélés pour le maintien de la consti-
tution, par des cartouches infamantes, par des ordres arbitraires de toute
espèce, que le despotisme lui-même n'eût osé se permettre avant la
révolution, qui est due en grande partie à leur amour pour la patrie.
Qu 'est-elle devenue cette puissance qui, par une sainte désobéissance
aux ordres sacrilèges des despotes, a terminé l'oppression du peuple
et rétabli la puissance du souverain ? Plus de cinquante mille des
citoyens qui la composaient, dépouillés de leur état et du droit de
servir la patrie, errent maintenant sans ressources et sans pain sur la
surface de cet empire, expiant (leurs services et leurs vertus dans la
misère et dans l'opprobre... si l'opprobre pouvait être infligé par le
crime à la vertu. Que sont devenus ces corps, qui naguère, près des
murs de cette capitale, déposèrent aux pieds de la patrie alarmée, ces
armes qu'ils avaient reçues pour déchirer son sein ?
« Les officiers ne vous montrent-ils pas sans cesse, d'un côté, le
monarque dont ils prétendent défendre la cause contre le peuple, de
l'autre les armées étrangères, dont ils vous menacent, en même temps
qu'ils s'efforcent de dissoudre et de séduire la vôtre; et vous croyez
qu'il vous soit permis de les conserver ? Que dis-je ? Vous-mêmes vous
semblez croire à la. possibilité d'une ligue des despotes de l'Europe
contre votre constitution; vous avez paru prendre quelquefois même des
486 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
mesures pour prévenir des attaques prochaines : or, n'est-il pas trop
absurde que vous mettiez précisément au nombre de ces mesures,
celle de laisser votre armée entre les mains des ennemis déclarés de
votre constitution ?
« Je rougirai de prouver plus longtemps que le licenciement des
officiers de l'armée est commandé par la nécessité la plus impérftuse.
Quel motif peut vous dispenser de le prononcer ? Vous craignez les
suites de cette démarche éclatante. Vous craignez ! Vous avez pour
vous la raison, la justice, la nation et l'armée; voilà des garanls qui
doivent vous rassurer sur l'exécution de votre décret. Ne souffrez pas
que l'intrigue triomphe plus longtemps, en calomniant sans cesse les
soldats, le peuple, l'humanité.
« Les soldats, en général, ne se sont signalés que par leur douceur
à supporter les injustices les plus atroces, à respecter la discipline, et
les loix en dépit de leurs chefs; ils ont présenté le contraste étonnant
d'une force immense et d'une patience sans bornes. Par quelle étrange
fatalité les idées les plus simples semblent-elles aujourd'hui confon-
dues parmi nous ? On souffre paisiblement que les officiers violent,
outragent publiquement les loix et la constitution, et on exige des
inférieurs, avec une rigueur impitoyable, le respect le plus profond,
la soumission la plus aveugle et la plus illimitée pour ces mêmes
officiers ! On s'indigne d'un mouvement, d'un symptôme de vie échappé
à l'impatience et provoqué par un sentiment louable et généreux, et
l'on peint l'armée tout entière comme une horde de brigands indisci-
plinés ! Pourquoi vous obstiner à lier des guerriers fidelles à des chefs
révoltés? Faites qu'ils puissent à la fois respecter leurs officiers et les
loix et la justice Ne les obligez point à opter entre l'obéissance que
vous leur imposez envers leurs officiers, et l'amour qu'ils doivent à leur
patrie. Législateurs, gardez-vous de vouloir avec obstination des choses
contradictoires, de vouloir établir l'ordre sans justice. Ne vous crovez
pas plus sages que la raison, ni plus puissants que la nature.
« Que nous proposent les comités ? Punir les soldats, attendre que
les intérêts personnels aient attaché les officiers à la constitution, sti-
muler leur honneur, accorder un traitement à ceux qui refuseron: de
prêter le serment, cantonner l'armée, voilà leur système. De quel hon-
neur vieni-on nous parler ? Quel est cet honneur au-dessus de la vertu
et de l'amour de son pays ? On peut se passer de tout pourvu qu'on
conserve encore ce principe féodal (on applaudit dans la partie gau-
che). Je me fais gloire de ne pas connaître un pareil honneur. On nous
propose d'accorder un traitement à ceux qui ne veulent pas jurer de ne
pas conspirer contre leur patrie ; quel singulier genre de libéralité ! Je
finis par un mot sur la proposition de cantonner l'armée; c'est un sys-
tème, bien entendu, pour se faciliter les moyens de la pratique-, de la
travailler, et de parvenir au but qu'on se propose. Je demande la ques-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 487
tion préalable sur l'avis du Comité, et je prétends que le licenciement
des officiers est indispensable » (10).
Le Courrier des LXXX1II départemcns, 12 juip 1791, n° 12. p. 189.
« A peine M. Bureau de Pusy avoit-il fini son rapport, que M. Ro-
berspierre obtint la parole, et annonça une opinion bien différente de
celle du comité. « Il s'agit, MM., dit-il, de trouver un remède aux
désordres actuels de l'armée... [Suit le passage du Journal des Etats
Généraux jusqu'à: « ...qu'avec effroi »; puis de : « Voyez, messieurs,
une partie considérable... » jusqu'à: « ...à la probité et à la vertu. »
Le reste est emprunté à la Gazette nationale et comprend deux passages :
l'un depuis : « Les officiers ne vous montrent-ils pas... » jusqu'à: « ...de
votre constitution » ; et l'autre depuis : « Que nous proposent les comi-
tés ? » jusqu'à: « ...le licenciement des officiers est indispensable. »]
L'Ami du Roi (Royou), 13 juin 1791, p. 1-3.
« Comme il n'y a pas de séance aujourd'hui, je réserve pour la
feuille de demain cette matière intéressante, et je vais me borner aujour-
d'hui à rendre compte, comme je l'ai promis, du discours de M. Robes-
pierre sur le licenciement du corps des officiers de l'année, et de la
réponse énergique de M. de Cazalès à cet absurde et insolent orateur.
« Tout ce que la basse jalousie, la haine implacable, la fureur
aveugle, le fanatisme audacieux, peuvent imaginer d'accusations absur-
des, d'injures grossières, de calomnies atroces, l'imagination délirante
de M. Robespierre semble l'avoir rassemblé dans ce discours, le chef-
d'œuvre, le nec plus ultra de la déraison. Pour donner une idée des
derniers excès, où puisse monter la fureur, on citoit autrefois celle
d'une femme outragée, furens quid foemina possit! C'est désormais
M. Robespierre qui servira de modèle, en ce genre, de thermomètre
pour graduer le plus haut degré possible de la déraison, de la folie, de
la fureur.
« Pour capter les suffrages de l'assemblée, c'est elle-même qu'il
commence par gourmander. La seule réforme sage et raisonnable peut-
être qu'elle ait faite, est celle de l'armée. Elle a corrigé les abus,
sans renverser l'édifice; enflammé l'émulation, sans énerver la subordi-
nation (11); eh! bien, c'est cette sage constitution militaire qui allume
d'abord la bile et le courroux du fougueux Robespierre; il ose, au
sein même de l'assemblée, calomnier les loix qu'elle a instituées, le
chef-d'œuvre de ses travaux; il a l'audace de dire que la première
(10) Texte reproduit dans le Moniteur, VTII, 631; par Bûchez
et ftoux, X., 179.
(11) Note du journal: « Je parle des loix établies par rassem-
blée entière, sur l'organisation de l'armée, et non pas des manœu-
vres infâmes de quelques factieux, pratiquées pour la corrompre. »
488 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
cause de tous les troubles, de tous les désordres qui régnent dans l'ar-
mée, c'est sa nouvelle organisation, le chef-d' œuvre des préjugés aristo-
cratiques, le raffinement même de l'aristocratie. Ce n'est pas assez que
l'assemblée ait établi la plus parfaite égalité pour l'avenir, ait statué
que tous les grades seront désormais conférés au seul mérite, sans égard
à la naissance, il eût fallu, pour satisfaire cet énergumène, qu'elle eût,
dès ce moment, dépouillé de leur état, dix mille citoyens qui se sont
voués, dès l'enfance, au service de la patrie, et qui ne pourroient
aujourd'hui trouver dans l'exercice d'aucun autre emploi, aucun moyen
de subsistance. Parce qu'ils ont eu le malheur de naître nobles, ils ne
sont ni des citoyens, ni des hommes aux yeux de cet insensé ; il faut
leur enlever fortune, honneur, tout ce qu'ils possèdent, pour revêtir de
leurs dépouilles, pour élever à leurs places, des hommes; nés dans la
fange, tirés de la poussière.
« Voilà les principes d'égalité que M. Robespierre veut établir.
C'est d'ôter à la noblesse entière tous les emplois qu'elle exerce pour
en revêtir la bourgeoisie. Voilà aussi quelle est la reconnoissance d'un
homme dont la naissance équivoque fut accueillie, dont la nudité fut
revêtue par un noble ecclésiastique ! Voilà l'usage qu'il fait des mal-
heureux talens déclamatoires, dont il ne doit la culture qu'à la noblesse
et à l'église. C'est pour déchirer leur sein qu'elles ont élevé ce serpent.
« Après la censure qu'il a osé se permettre des oeuvres de l'assem-
blée même, qu'il sait pourtant bien n'être pas disposée à recevoir favo-
rablement les critiques, on ne sera pas étonné de l'audace des calom-
nies qu'il a vomies contre le corps entier des officiers. A l'entendre,
tous les désordres, tous les excès d'une soldatesque effrénée, sont leur
ouvrage; ils n'ont cherché qu'à armer tous les soldats contre les citoyens,
et les soldats contre les soldats; les sages précautions qu'ils ont pu
prendre pour éloigner de l'armée les sujets pernicieux qui y semoient
le trouble et la division, sont traduites par lui comme des combinaisons
féroces et des actes d'un despotisme que l'ancien régime n'eût osé
se permettre; ce digne ami de la liberté pleure avec des larmes amères
ces dignes appuis de la révolution. Les révoltes même des soldats fac-
tieux ce sont, si on l'en croit, les officiers qui les ont provoquées, afin
de punir sévèrement leur propre ouvrage; et c'est pour avoir le plaisir
de la vengeance qu'ils sont exposés au danger, trop souvent réalisé, de
perdre leur état et leur vie même. Il n'est pas jusqu'aux massacres de
Nancy, dont il ne veuille rendre les officiers responsables, et peu s'en
est fallu qu'il ne citât à son tribunal M. de Bouille, qu'il n'évoquât les
mânes du grand Desilles, pour imprimer à leurs noms la flétrissure que
méritent, à son gré, les combinaisons féroces qu'ils ont employées, 1 un
pour arrêter les effets de la fureur des séditieux, l'autre pour la punir
et venger les loix outragées, et la patrie menacée.
« Ma plume se refuse à retracer les autres horreurs qu'a vomies
ce démoniaque contre le corps des officiers français, ce corps illustre
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 499
qui fut de tout tems la gloire de nos armes, le rempart de nos fron-
tières, l'appui de la monarchie souvent chancelante, l'admiration de
l'Europe, la terreur de nos ennemis; de ce corps dont la valeur hérédi-
taire étonne moins que la patience et la constance qu'il a fait éclater
depuis deux ans. Ils ont, en effet, ces généraux militaires qu'on diffame,
ils ont dû supporter sans murmures, tous les affronts, surmonter tous les
dégoûts d'un service qui n'offroit plus que des dangers sans gloire, des
peines sans profit pour la patrie; ils ont pu dévorer les outrages de
leurs concitoyens, les excès de leurs inférieurs, l'ingratitude des légis-
lateurs même et de certains ministres : leur fortune, leur repos, leur
vie, leur honneur même (je parle de celui qui gît dans l'opinion), ils
ont tout sacrifié à leur devoir; ils se sont plutôt laissés égorger sans
défense, que de quitter leur poste. Et si le courage de la patience est
au-dessus de celui de la valeur; s'il y a moins de mérite dans les mou-
vemens d'un héroïsme pour ainsi dire inoculé en naissant, que dans le
sacrifice des préjugés respectables de la naissance, de l'éducation, des
plus anciennes habitudes, des plus chères affections, ne doit-on pas
admirer davantage ces héros, quand ils consentent à mourir, ou vivre
sans gloire, pour le service de la patrie, que quand ils affrontoient, dans
les combats, une mort honorable, ou la donnoient à nos ennemis ? Et
voilà les hommes qu'un obscur aboyeur du barreau, qui ne s'est fait
connoître que par l'audace de ses calomnies, ose diffamer dans le sanc-
tuaire des loix, à la face de la patrie. Ah ! que l'inviolabilité est un
beau privilège !
« Mais cet avocat des brigands, des séditieux, des assassins, des
incendiaires, est, en revanche, plein de tendresse, d'indulgence, que
dis-je ! de respect et de vénération pour les soldats rebelles. L'infrac-
tion de toutes les loix de la discipline, le mépris des ordres de leurs
supérieurs, des ministres, du Roi, de rassemblée même (12); l'expul-
sion de leurs officiers, l'enlèvement des caisses militaires; les horribles
massacres de leurs chefs, la désertion même et les horreurs commises,
dans le Comtat, par des soldats français, tous ces attentats ne sont, aux
yeux de M. Robespierre, que des peccadilles, qu'on qualifie, mal-à
propos, d'actes d'insubordination. Les soldats ne se sont, en général,
signalés que par leur douceur, et par le respect qu'ils ont montré pour
les loix et la discipline, en dépit de leurs chefs. Ce qui étonne M. Ro-
bespierre, ce n'est pas l'énergie des soldats; il est aussi surpris que fâché
de ne pas les voir en déployer davantage ; mais de leur bénignité, de
la patience, de la facilité avec laquelle ils se sont laissés opprimer. Si
quel(fies-uns ont paru dépasser la ligne qu'on appelle (bien mal-à-pro-
(12) Note du journal : « Je parle des ordres émanés de l'assem-
blée entière, et non pas des instructions secrettes qu'ils ont WX
recevoir de quelques-uns de ses membres, et auxquelles je sais qu'ils
ont été constamment fidèles. «
490 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
pos) la discipline militaire, cétoit une sainte désobéissance (13) à des
ordres sacrilèges.
« Du restse, M. Robespierre a pour toutes les fautes d'insubordi-
nation que pourront commettre les soldats, une excuse toute prête; c'est
qu il leur est impossible d'obéir aux chefs qui les commandent. Donnez-
leur, dit-il, si vous voulez maintenir ce qu'on appelle la discipline, don-
nez-leur des chefs auxquels ils puissent obéir. Ainsi, voilà un brevet
■d'amnistie donné d'avance à tous les rebelles, et la tribune est comme
un bureau d'assurance pour les révoltés. Les soldats n'auront plus besoin
de témoigner un respect si scrupuleux pour la discipline, en dépit de
leurs chefs.
<( Voilà la politique et la morale de ce grand législateur. Elles
éclatent encore bien mieux dans ses réflexions sur les précautions que
les six comités proposoient au défaut du licenciement des officiers,
qu'ils regardoient comme la dissolution de l'armée, et par conséquent
du royaume. La première pour s'assurer des dispositions des officiers
étoit de les assujettir à un nouveau serment, par lequel ils s'engage-
roient, sur leur honneur, non seulement de n'entrer dans aucun complot
contre la révolution, mais encore de maintenir, de tout leur pouvoir,
la constitution. M. de Robespierre ne veut pas de ces vieilles chi-
mères. L'honneur est un mot vide de sens à ses oreilles. Jamais il ne
l'a trouvé, dit-il, dans son dictionnaire; mais on l'a prié de ne pas
blasphémer ce qu'il ignoroit.
« La seconde disposition regardoit les soldats. Pour les arracher
aux délices des villes, aux séductions des clubs, aux manœuvres de
tout genre, les comités désiroient qu'on formât des camps, où les exer-
cices militaires fussent remis en vigueur. M. Robespierre est indigné
de cette perfidie aristocratique. Il croit les discours des orateurs de
clubs bien plus propres à former de braves guerriers que les exercices
militaires, et la corruption des villes bien plus précieuse que la sévérité
des camps.
« Mais je me lasse de transcrire les inepties de cet audacieux, de
cet insensé; il vaut mieux dire la justice éclatante qu'en a fait sur-le-
champ et sans préparation, M. de Cazalès. »
Courier de Provence, t. XV, n° 295, p. 158-164.
« Oui, nous le disons avec douleur, l'assemblée nationale a adopté
ces dispositions presque sans aucune discussion; le vertueux Roberspierre
est le seul qui ait eu le courage d'élever la voix contre ce projet de
décret.
(13) Note du journal : « Voilà deux mots qui doivent être étonnés
de .se trouver accouplés, et qui hurlent ensemble. Sainte insurrec-
tion ! Sainte désobéissance! De la- sainteté par-tout. Il n'y a plus
que la religion qui ne soit pas sacrée. C'est le retour de ces tems
où tout étoit Dieu, excepté Dieu même. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 491
« Mais avec quelle force de raisonnement n'a-t-il pas démontré
la nécessité du licenciement ? Avec quelle force de principes n'a-t-il
pas pulvérisé le projet des comités ? Avec quelle force de style n'a-t-il
pas fait le triste tableau des troubles qui agitent l'armée, et dévoilé les
longues iniquités des chefs ? Et c'est par là qu'il a commencé son
discours.
« Il a montré une partie considérable des officiers semant dans
l'armée la division et le désordre, ici armant le soldat contre le soldat,
là divisant le soldat du citoyen, tantôt dissolvant des corps entiers dont
le civisme déconcertoit leurs funestes projets, les poussant à force d'in-
justices à des actes prétendus d'insubordination, pour trouver un prétexte
de provoquer les décisions les plus sévères, tantôt chassant en détail,
et par des congés infamans, les militaires les plus courageux, les plus
éclairés, les plus zélés pour le maintien de la constitution.
[Suit le passage du Journal des Etats Généraux, depuis : « Eh
quoi, messieurs, voudriez-vous... » jusqu'à: « ...sont liés à sa sûreté ».]
« C'est sur ces faits, c'est sur ces raisonnemens que l'orateur a éta-
bli la nécessité du licenciement du corps des officiers, et il s'est donné
la peine de combattre les pitoyables objections qu'on oppose à ce sys-
tème. Celle sur laquelle les partisans du projet des comités ont le plus
appuyé, c'est la crainte des extrémités où une mesure trop rigoureuse
pourroit porter les officiers. Mais, comme l'a très-sagement observé
M. Robespierre, ceci ne peut regarder ceux des officiers patriotes qui
gémissent sur la conduite de leurs confrères; ils désirent avec ardeur
cette salutaire opération qui seule peut sauver la patrie. Quant aux
autres, il faut les supposer nécessairement ennemis de la révolution :
ce n'est pas le licenciement qui les rendra tels, seulement il les rendra
beaucoup moins dangereux. Puisqu'ils rentrent dans la classe de simples
citoyens, ils auront bien moins de moyens de pouvoir nous nuire qu'à
la tête de notre armée. Cette observation seroit juste, quand bien
même vous supposeriez qu'ils iroient se joindre à une armée ennemie,
et cela, par la raison toute simple qu'un ennemi déclaré est moins à
craindre <ju'un caché, et que le général qui assiège une place, est moins
dangereux que le gouverneur perfide qui la livre. En un mot, toute la
question sur ce point se réduit à savoir s'il vaut mieux que les contre-
révolutionnaires soient en France qu'en Allemagne.
« La seconde objection est la crainte que les soldats ne soient
portés à l'indiscipline par une disposition, après laquelle ils soupirent
depuis long-temps.
[Suit le passage du Journal des Etats Généraux, depuis : « S'il est
vrai .. » jusqu'à: « ...la liberté et la patrie. »]
« M. Robespierre a ensuite examiné les mesures que les comités
croyoient plus efficaces, ou plus sûres que le licenciement. Il 'n'a pu
492 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
parler sans une méprisante indignation de cet engagement d'honneur,
qu'on présente à la nation comme un sûr garant de la fidélité et de
I attachement des officiers qui, jusqu'ici, se sont montrés ennemis de la
constitution. Il a déclaré que ce sentiment d'honneur n'avoit rien de
commun, ni avec le civisme, ni avec la vertu; il a déclaré qu'il lui
paroissoit trop extraordinaire, trop bizarre, trop contradictoire, pour qu'il
puisse lui confier l'intérêt de la nation, et le maintien de la constitution.
II a ajouté que ce n'étoit point dans les prétendus préjugés d'une classe
de citoyens, qu'étoit placé l'espoir du salut public, que c'étoit dans
l'autorité des lois, dans des mesures qui mettent les ennemis reconnus
de la patrie dans l'impossibilité de lui nuire.
« Le côté droit lui a crié qu'il ne connoissoit pas l'honneur.
« Oui, a répliqué vivement l'orateur, je me fais gloire de ne pas
connoître cet honneur qui permet d'être l'ennemi de la liberté et de la
patrie, qui peut violer un premier serment fait au nom de la patrie,
et qui a besoin d'un second serment pour rassurer la patrie.
« Il a démontré ensuite combien il étoit contradictoire de décréter
un traitement à ceux qui ne voudroient pas souscrire l'engagement de
ne pas conspirer contre la constitution et contre l'état, après que le
rapporteur lui-même avoit avoué que nul homme de bonne foi, nu!
honnête homme ne pouvoit se refuser à cet engagement. Enfin, après
avoir dit quelques mots sur l'injustice et le danger de cantonner les
soldats, et de les séparer des citoyens, M. Robespierre a conclu par
demander la question préalable sur le projet des comités, et l'adoption
de la mesure du licenciement. »
Mercure national et étranger, 11 juin 1791, p. 891.
« Le rapporteur eut à peine fini de parler, que déjà l'inflexible
Robespierre étoit à la tribune, pour le combattre. Il parla avec son
énergie ordinaire.
a 11 s'agit, dit-il, de trouver un remède au désordre de l'armé-.
On vous a beaucoup exagéré ce désordre : on a eu grand soin, surtout,
de vous en dissimuler les véritables causes. C'est dans un grand danger
que la vérité est utile. J'oserai vous la dire avec modération et avec
ma franchise ordinaire.
« Deux causes ont occasionné la confusion où se trouve actuelle-
ment l'armée : la constitution nouvelle du royaume principe d'indépen-
dance et de la liberté, et la constitution vicieuse de l'armée, qui, à
l'égard des officiers, est un chef-d'œuvre d'aristocratie. Peut-il subsister
en contrariété avec tous les principes de la constitution plus long-tems
ce corps, monument insolent de la tyrannie féodale, ce corps, dais
lequel on n'a jamais admis qu'avec une espèce de grâce de simples
bourgeois, encore en les distinguant par une qualification impropre et
injurieuse.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 493
« Jettons un regard sur le passé et tremblons pour l'avenir. Voyez
ces indignes chefs jetter par-tout la discorde, armer les soldats contre
les citoyens, les soldats contre les soldats, encourager les traîtres par
des récompenses, chasser les meilleurs sujets pour avoir manifesté leur
amour pour la constitution, les chasser avec des cartouches infamantes,
licencier des corps entiers après avoir suscité les mouvemens qui en ont
occasionné la dissolution. Que sont-ils devenus ceux qu'on avoit réunis
autour de cette capitale pour la détruire ? Où sont ces soldats qui
vont déposer sur l'autel de la patrie les armes qu'on vouloit leur faire
tourner contre notre sein. Je ne veux point rouvrir une plaie encore san-
glante : mais je dois m'élever avec force contre ceux qui ont occasionné
tant de maux.
« Il n'est qu'un seul moyen de les prévenir par la suite, c'est de
l'arrêter à la source, c'est de licencier l'armée. Ce parti obvie à tous
les inconvéniens, et ne peut donner lieu à aucun, puisque nous avons
pour nous la force, la justice et la raison.
« Qu'ose-t-on vous proposer de substituer au serment que vous
avez décrété une vaine formule qui ne seroit qu'un nouveau prétexte
pour éluder la plus sainte des obligations ! Quoi donc, n'ont-ils pas
déjà fait le serment solemnel d'obéir à la loi; ceux qu'on veut lier par
cette nouvelle promesse ne l 'ont-ils pas violée ouvertement ? Seront-ils
plus fidèles à leur parole !
(( L'on concevra sans peine que cette véhémence, que ce nerveux
patriotisme n'a pas été du goût de toute l'assemblée. Le côté droit
faisoît rage; l'orateur a été insulté, outragé à diverses reprises, et lors-
qu'il a conclu à la question préalable sur le projet du comité, et au
licenciement de l'armée, il a reçu encore une nouvelle bordée d'injures.
M. Cazalès a été le champion de son parti, et il s'est acquitté si bien
de la commission, qu'il a fini par s'enrouer. On n'a pu mettre fin à cette
indécence, qu'en ajournant la question et en levant la séance. »
Journal de Paris, n° 163, p. 655.
« C'est M. Roberspierre qui a pris le premier la parole. Son
opinion a-.'.roit pu être facilement devinée, mais elle étoit connue par
l'éclat qu'elle avoit reçu de son succès dans la société des amis de la
Constitution. M. Roberspierre a pensé que, si le licenciement de l'ar-
mée demandé par une partie de la nation n 'étoit pas décrété, la nation
entière étoit en péril avec ses nouvelles loix et sa constitution. La
mesure du licenciement n'a pas paru nécessaire à M. Roberspierre, seu-
lement par les circonstances du moment qui la rendent plus pressante,
mais par la nature des choses. Comment pourriez- vous, MM., deman-
doit-il, comment pourriez-vous laisser subsister dans une Constitution,
fondée essentiellement sur l'égalité, une armée dont l'organisation est
essentiellement aristocratique, puisque c'étoit une de ses loix ^ou du
494 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
moins de ses maximes, de n'admettre au grade d'Officier que ce qu'on
appelloit des Nobles ?
a M. Roberspierre n'a pas cessé de parler, quand i! est parvenu
à la fin de son discours écrit : il avoit fait un relevé des principales pro-
positions du projet de décret des Comités; il les a combattues successi-
vement et toutes; il a sur-tout attaqué avec une grande véhémence cette
idée de faire prononcer aux Officiers un serment sur leur honneur, comme
si cet honneur, Divinité fantastique de leur orgueil, étoit plus sacré
qu'une Constitution dont tous les principes sont puisés dans les saintes
maximes des droits du genre humain; comme si c'étoit à eux-mêmes,
et non pas à la Nation dont ils sont les serviteurs, que les Officiers
dévoient faire serment.
« La conclusion de M. Roberspierre étoit que le licenciement étoit
indispensable, qu'il étoit pressant, et qu'il ne falloit s'occuper que de
la recherche du mode le plus convenable. »
Le Lendemain, t. III, n° 162, p. 663.
« M. Roberspierre toujours zélateur des mesures violentes, et consé-
quemment ennemi de toutes les mesures de sagesse et de politique, parle
pour le licenciement des officiers.
« Il s'attache à faire l'apologie de l'insubordination souvent crimi-
nelle des soldats, et affirme que tous les officiers sont les mêmes, c'est-
à-dire, tous ennemis de la révolution.
« Il ne craint pas, avec les six comités réunis, et avec tous les
esprits sages, que ce licenciement n'opère le complément de l'indisci-
pline, il voit, au contraire, tous les soldats se hâter de rentrer dans
l'ordre, au seul cri de l'honneur, et par une contradiction bien étrange
la parole d'honneur, que les comités proposent d'exiger des officiers,
comme un garant de leur soumission à la loi, lui paroît insuffisante.
« Souvent applaudi, par le Palais-Royal et les galeries, nullement
par l'assemblée. »
Journal général, n° 131, p. 530.
-« M. Robespierre n'est ni Officier, ni pour les Officiers. Ce projet
ne le satisfait pas; il croit les voir cherchant sans cesse à comprimer
et à blesser les sentimens les plus doux du Soldat Patriot-e; et sur-tout
résolus à n'obéir qu'au Roi, et non à la Nation. Leur licenciement lai
semble indispensable, dut-il les remplacer : il ne veut pas de cet enga-
gement d'honneur, qu'il regarde comme très-insuffisant. « Vous n'avez
aucune idée d'un engagement d'honneur, lui crie-t-on ^ » . Je ne me
soucie pas de le connoître, reprend M. Robertspierre, s'il dispense du
civisme et de la vertu. Un bon Officier doit non-seulement être résolu
au sacrifice de sa vie, mais encore à celle de tous ses préjugés, pour
le salut de la Patrie ; et un engagement d'honneur ne donnera pas tout
cela ». Toute cette diatribe contre l'honneur n'a pas été entendue sans
murmure. Elle étoit trop nouvelle dans une assemblée de François. )>
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 495
Gazette de Paris, 13 juin 1791, p. 3.
« Enfin, ainsi que je l'avois annoncé, M. Roberspierre a fait dans
cette séance le rapport de son projet de Décret, tendant à licencier
tous les Officiers de l'Armée. Le neveu de Pierre Damien, s'il est
vrai qu'il le soit, ne doit pas supporter l'idée qu'un pareil rempart
existe encore pour la défense du Roi et le salut de la Monarchie. S'il
n'est pas, comme on l'a imprimé plus d'une fois, le neveu du Ravaillac
du 18e siècle, il a hérité du moins de l'ancien pouvoir du Comte de
Mirabeau dans la caverne Jacobite ; ses titres sont les mêmes. Je n'ap-
prends dans ma retraite ce nouveau trait de despotisme inouï, de la
part des Sectaires Républicains, qu'au moment où j'avois composé
l'article qui précède celui-ci. La discussion ayant été remise à la séance
suivante, je réserve tout le développement que mérite un pareil sujet
pour le numéro prochain : je le présenterai dans tout son ensemble, et
sans que rien suspende l'intérêt d'une si grande question. L'Armée
Française sait quel dévouement j'ai consacré à défendre sa cause, à
recueillir ses titres de gloire. Mais dans le moment le plus critique,
peut-être, où jamais nos soldats se soient trouvés; que faire pour combat-
tre les doutes qui pourroient s'élever dans leur conscience ? Que faire ?
Leui opposer leurs propres vertus.
« ...M. Roberspierre s'est permis la diatribe la plus insolente et
la plus calomnieuse contre le Corps des Officiers, en prétendant que leur
licenciement était commandé par l'intérêt public. »
L'Ami du Roi (Montjoie), 1 1 juin 1791 , p. 648.
« Nous rougissons de le dire : M. Robespierre, qui le premier a
parlé après M. Bureau de Pusy, n'a su défendre l'insensé projet du
licenciement du corps entier des officiers, qu'en répandant sur ce corps
estimable, le venin des injures, des invectives les plus grossières, des
calomnies les plus atroces. Nous en ferons grâce à nos lecteurs; nous
n'aurions pas le courage de les répéter; et en vérité on se lasse de ne
répéter que des sottises et des impostures. »
Journal de la Noblesse, t. II, n° 25, p. 157 et 158.
« M. Robertspierre s'est élevé avec véhémence contre ce plan,
mais quoiqu'il ait parlé avec beaucoup d'éloquence, on a vu plutôt en
lui un avocat qui cherchoit à gagner une cause qu'un législateur qui
doit rappeler tous les esprits à une opinion impartiale.
...<( M. Robertspierre, qui parloit dans les maximes républicaines,
étoit plus conséquent que M. de Cazalès. »
L'Ami des Patriotes, t. II, n" 29, p. 384, et n" 30, p. 387 (note).
« Je ne connois rien de plus insensé que le discours de M. Robes-
pierre; il faut être ou bien méchant ou bien aveugle, pour croire que
496 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
tous les mécontens sont des scélérats. A quels hommes, grands dieux,
livrez-vous l'Univers!
...« Le licenciement des officiers a été demandé par M. Robes-
pierre, dans un discours plein d'invectives, vide de raisonnemens et de
faits; il n'a eu pour appui que cinq à six de ses plus familiers amis.
...«Il est évident que M. Robespierre et ses amis n'ont demandé
le licenciement des officiers que dans la double vue de faire perdre
à MM. Lameth, qu'ils haïssent, l'état que leur assure !a constitution
militaire, et de fortifier je ne sais quelle apparente popularité qui s'en
va leur échappant chaque jour, et qui disparaîtra bientôt tout à fait. »
Journal des Mécontens, n° 104, p. 4.
« Robertspierre calomnie, de la manière la plus lâche, les braves
officiers qui gémissent sous les scélératesses et l'insubordination des
troupes. Il ne proposoit rien moins que de chasser ignominieusement les
officiers et de confier au sort le soin de les remplacer. »
Journal de Louis XVI et de son peuple, t. IV, n° 86, p. 95.
(( L'enragé Robespierre, ennemi de tout ce qui est sage politique,
ou plutôt le plus ignorant en fait de tout ce qui s'appelle gouverne-
ment, a vomi une foule de mots que ses partisans prétendent former
en discours raisonné sur la nécessité du licenciement des officiers. Il n'a
pas manqué de les invectiver. »
Mercure de France, 18 juin 1791, p. 211-212.
« Fougueux apologiste de tous les genres d'insurrection, M. Ro-
berspierre a traité les officiers d'Aristocrates; de fonctionnaires armés
créés par le despotisme, de corps formé sur les maximes les plus extra-
vagantes du despotisme, instrument de tyrannie, triomphe de l'aristo-
cratie, démenti formel à la constitution, insulte révoltante à la dignité
du peuple : « Voyez-les semant la division et le trouble, armer les
soldats contre les citoyens, et les soldats écarter ceux-ci des lieux (des
clubs) où ils pouvoient apprendre les devoirs sacrés qui les lient à la
cause de la patrie... Pousser les soldats, à force d'injustices et d'ou-
trages, à des actes prétendus d'insubordination, pour provoquer contre
eux des décisions sévères. Il n'a pas ro*ugi d'accuser les officiers d'avoir
donné des cartouches infamantes aux meilleurs patriotes: « Qu'est
devenue, s'est-il écrié, cette puissance qui, par une sainte désobéissance
aux ordres sacrilèges des despotes, a terminé l'oppression du peuple, et
rétabli la puissance du souverain ? Plus de 50 mille des citoyens qui
la composoient... errent maintenant sans ressource, sans pain, expiant
leurs services et leurs vertus dans la misère et dans l'opprobre..., si
l'opprobre pouvoit être infligé par le crime à la vertu.
« A en croire ce promoteur, pour le moins inconsidéré, de scènes
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 497
exécrables, telles que le massacre de M. Mauduit (14), etc., on calom-
nie les soldats, le peuple, l'humanité; les soldats ne se sont signalés
que par leur douceur à supporter les injustices les plus atroces, à res-
pecter la discipline en dépit de leurs chefs, qui s'efforcent de séduire,
de dissoudre l'armée, et qui ne veulent que défendre le monarque
contre le peuple. Le mot honneur l'a mis hors de lui. Il l'a nommé un
principe féodal. Quelqu'un lui a crié de se taire sur ce qu'il ne con-
noissoit pas. Il a répondu : « Je me fais gloire de ne pas connoître un
pareil honneur » ; et pour l'en dédommager, les galeries l'ont applaudi
de toutes leurs forces. Sa conclusion a été le licenciement indispensable
des officiers. »
Le Patriote François, n° 673, p. 653.
« Si les partisans des officiers disent qu'il y a du danger dans
les circonstances où nous sommes de licencier les officiers, que c'est en
envoyer la majeure partie grossir les camps ennemis, au-delà du Rhin,
M. Robespierre a raison aussi de craindre que si l'on conserve les offi-
ciers, la haine des soldats contr'eux ne s'aggrave, et que de cette dis-
corde il ne résulte les plus fâcheux effets, dans le cas où nos voisins
voudroient nous attaquer.
« On ne peut rien d'ailleurs opposer au tableau effrayant que
M. Robespierre a fait de toutes les vexations, les inquisitions, les hor-
reurs commises dans la plupart des régimens par les officiers. M. Caza-
lès appelle cela des calomnies; mais trop de voix s'élèvent en faveur
de ces faits, pour qu'ils soyent des calomnies.
« Nous n'avons pas dit encore la principale difficulté : comment
remplacer les officiers, si on les licencie ? Il est aisé de détruire, mais
difficile de réédifier. M. Robespierre n'a donné aucun mode; on en
trouve un dans le discours de M. Antoine (15), mais qui entraîne aussi
des inconvéniens.
« D'un autre côté, on ne peut se déguiser, avec M. Robespierre,
que le serment d'honneur que le comité exige, en conservant les officiers,
ne sera, pour la plupart, qu'une vaine formalité qu'ils violeront à la
première occasion favorable, et dont ils se croiront absous par le succès.»
[Brève mention de cette intervention dans Le Courier français,
t. XI, n° 162, p. 331 ; Le Mercure universel, t. IV, p. 174; La Chro-
nique de Paris, n° 163, p. 652; Le Courrier extraordinaire, 11 juin
1791, p. 6: La Correspondance nationale, n° 34, p. 96; Le Journal
de Rouen, n° 162, p. 783, et n° 163, p. 785; La Gazette nationale
ou Extrait..., t. XVII, p. 208; Les Affiches d'Angers, 1791. n° 49,
;(14) Le colonel Mauduit fut 'massacré à Port-au-Prince (iSaint
Domingue), le 4 mars 1791 i(Monibeur, VIII, 219), Les Arch. pari.,
XX VI II. 684, reproduisent une lettre de la municipalité de Po-rt-au-
Frince communiquant une lettre de Mauduit.-
(15) Cf. séance des Jacobins, du 8 juin 1701, note 1.
IUt$i
498 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
p. 239; L'Argus patriote, n° 11, p. 56; Assemblée nationale, Corps
administratifs (Perlet), t. XII, n° 675, p. 6; La Bouche de Fer, n" 67,
p. 15; La Feuille du Jour, t. IV, n° 162, p. 593; Le Bulletin et Jour-
nal des journaux, n° 70; L'Ami du Peuple (Marat), n° 488, p. 5; Le
Creuset, t. II, n° 48; L'Ami du Roi (Royou), 14 juin 1791, p. 1 et 4.
Long résumé dans Le Journal des Débats, n° 749, p. 12-15; .Le Jour-
nal des Décrets de l'Assemblée nationale, 11 juin 1791, p. 422.]
Société des Amis de la Constitution
302. — SEANCE DU 10 JUIN 1791
Sur un projet d'adresse aux assemblées primaires
Après diverses affaires et après que la Société eût abordé une
nouvelle fois la question du licenciement des officiers de l'armée
(1), un membre du comité de correspondance donne lecture de
l'adressa destinée à être envoyée par la Société, aux assemblées
primaires, qui venaient de se réunir dans les départements, pour
éclairer .leur choix dans la nomination des électeurs. Robespierre
prend la parole et conclut à l'ajournement de l'adresse.
La Société se 'rangea à cet avis.
Mercure universel, t. IV, p. 246.
« M. Robespierre, Il ne suffit pas qu'un citoyen ait montré du
patriotisme avant les élections pour mériter le choix du peuple; il faut
avoir prouvé des vertus publiques, avant que la révolution ait été con-
sommée; avant qu'on ait pu savoir quel seroit le sort des défenseurs
du peuple, avant que le patriotisme ait pu faire espérer d'obtenir des
places.
« Qu'est-ce donc que ces prétendus patriotes d'aujourd'hui, ces
égoïstes qui se jettent avec fureur dans nos assemblées, dans les assem-
blées primaires, et qui eussent été nos lâches persécuteurs et les suppôts
du despotisme si nous eussions succombé ? Le peuple a maintenant des
places à donner, et des hommes prennent le masque du patriotisme;
dans une autre circonstance, ces mêmes hommes eussent été les valets
de ses tyrans !
« Je ne reconnois pas dans cette adresse les caractères importans
qu'il convient d'y trouver : apparemment que son auteur a jugé que le
nombre des vrais patriotes n'étoit point assez considérable pour qu'il
(1) Le Journal des Mécontent <n° 109, p. 3) signale « qu'un
soldat d'infanterie, secondé de M. Robertspierre, avoit prouvé incon-
testablement que la seule manière de rajeunir ce vieux corps, étoit
d'en chasser civiqucment tous les officiers, et de les remplacer par
des soldats élus au sciïutin i». Il s'agit de .l'intervention d'un certain
Meissard, mais on ne trouve nulle part tra.ee de paroles qu'aurait
pu prononcer Robespierre.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 499
fût déjà temps de prendre de sages mesures contre les individus qui
s'enveloppent du manteau du despotisme : je demande l'ajournement de
cette adresse. (Applaudi). »
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 7, p. 4
« M. de Robespierre, en approuvant la plupart des maximes conte-
nues dans cette adresse, s'élève contre le ton général dont elle est rédigée.
Il se plaint avec l'éloquence de la vertu et de la vérité qui lui est
propre, de ce qu'on affecte de recommander au choix des électeurs des
personnes amies de la paix. Il démontre que ces prétendus amis de la
paix et de l'ordre ne sont rien moins que les véritables amis des inté-
rêts du peuple; il conclut à l'ajournement de l'adresse; ce qui est
adopté » (2).
(2) Extrait reproduit dans Aulard, II, 493; mais il ne donne pas
le texte de l'adresse. Of. ci-dessous séance des Jacobins du 19 juin
1791. Voir également <G. Walter, Histoire des Jacobins, p. 144.
303. — SEANCE DU 11 JUIN 1791
SUR LE LICENCIEMENT DES OFFICIERS DE L'ARMÉE (suite)
Fréteau présente un rapport sur les mesures générales à pren-
dre, pour la sûreté du royaume (1), et donne lecture d'un projet
de décret. Le duc de Liancourt propose alors que ,1a discussion s'en-
gage sur" la question du licenciement des officiers de l'armée.
D'André demande lui aussi l'ouverture du débat, tandis que Caza-
lès s'oppose à toute discussion. iL' Assemblée décide que la discussion
est fermée.
Robespierre demande la parole pour une onction d'ordre. Le pré-
sident consulte l'Assemblée qui décide que /Robespierre ne sera pas
entendu.
Le président met alors aux voix la question préalable sur la pro-
position de licencier les officiers de l'armée. L'Assemblée décida
qu'il n'y (avait pas lieu à délibérer sur le projet de licencier les
officiers.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXVII, p. 337.
« M. Cazalès. Je demande que la question préalable, sur le licen-
ciement, soit mise aux voix sans discussion et que cette motion horrible
ne soit jamais discutée dans cette assemblée...
« M. le Président...
(L'Assemblée ferme la discussion.)
« M. Robespierre. Je demande à faire une motion d'ordre (Aux
voix, aux voix, grand bruit) » (2).
(1) On trouvera le rapport de Fréteau dans le Moniteur. VOL
643-646.
(2) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVII, 124. L'attitude
do Robespierre au cours de cette séance, inspira >à Pio de vifs
500 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 164, p. 680.
« M. le Président. L'Assemblée a fermé la discussion. M. Robes-
pierre me demande la parole pour une question d'ordre. (On entend
dans toutes les parties de la salle ces mots: Non, non ! Aux voix ! Aux
voix !).
« M. le Président. Que ceux qui veulent que M. Robespierre soit
bntendu se lèvent.
« L'Assemblée décide que M. Robesoierre ne sera pas enten-
du » (3).
Journal des Mécontens, n° 105, p. 3.
« Après ce rapport [de M. Fréteau] , on a ouvert et fermé en
même tems la discussion sur le licenciement du corps des officiers et
malgré les hurlemens de MM. Robertspierre et Prieur, qui vouloient
absolument chasser les officiers, l'Assemblée s'est contentée, pour cette
fois, de déshonorer ceux qui seraient assez lâches pour trahir leurs
premiers sermens, leur patrie et leur Roi, en souscrivant l'infamant
formulaire que voici. »
[Brève mention de cette tentative dans Le Mercure de France,
18 juin 1791, p. 219; Le Courrier extraordinaire, 12 juin 1791, p. 4;
Le Courrier des LXXXIII départemens, t. XXV, n° 13^ p. 206; La
Gazette de Paris, 15 juin 1791, p. 1.]
éloges du député d'Arras, da.ns une « Lettre à l'auteur » des Révolu-
tions de France et de Brabant, que Desmoulins publia (t. VII,
n° 81, p. 130-132) et que reproduit .E. .Hamel, I, 472.
(3) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 646. Seuls Rœderer
et Prieur soutinrent .Robespierre.
304. — SEANCE DU 18 JUIN 1791 (soir)
Sur les troubles de Brie-Comte-Robert
Merlin donne lecture du procès-verbal dressé par la municipalité
de Cambrai des troubles survenus dans cette ville le 13 juin. L'As
semblée renvoie l'affairé à son comité des rapports pour qu'il lui en
soit rendu compte le lendemain. Robespierre intervient alors pour
dénoncer les troubles suscités à Brie-Comte-Robert, par les chas-
seurs de Hainault qui y tiennent garnison. Sur sa demande, l'Assem-
blée ordonne le renvoi de cette affaire au comité des rapports.
Un député ayant précisé que c'est en vertu des décrets de
l'Assemblée que les chasseurs de Hainault avaient été envoyés a
Brie-Comte-Robert et qu'ils n'avaient fait qu'exécuter des décrets
de prise de corps, pris par le tribunal de Melun (1), Regnaud de
(1) SLe 17 janvier 17!»], sur le rapport de .Muguet, l'Assemblée
avait décrété de demander au roi ae faire passer à Brie-dmitr-
Ruber-t « une force publique capable d'y procurer l'exécution des
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 501
Saint-Jean-d'Angély demande que cette affaire ne soit, renvoyée an
comité des rapports que si des pièces justificatives et signées sont
déposées sur le buream de l'Assemblée, soit par les plaignants, soit
par Robespierre. Robespierre reprend la parole pour se justifier.
Cette affaire devait revenir devant l'Assemblée le 12 juillet
et les 2 et 6 août (2).
Journal des Etais Généraux ou Journal Logographique, t. XXVIII, p. 69.
« M. de Robespierre. Je ne puis me dispenser de demander à l'as-
semblée nationale le renvoi au comité des rapports, avec l'ordre très
exprès de lui rendre le compte le plus prompt, d'une affaire infiniment
urgente, dont je vais vous apprendre l'objet en deux mots.
« Vous ne croiriez pas, messieurs, que dans un temps où on ne
parle que de justice et de liberté, il existe à très peu de distance de
cette capitale, presque sous les yeux de l'assemblée nationale, une
ville dont les citoyens sont exposés depuis longtems à toutes les insultes;
où tout récemment, au milieu de la nuit, une troupe de ce corps a
enfoncé les portes de plusieurs maisons, a arraché de leurs lits plusieurs
citoyens, tant hommes que femmes, les a garottés et traînés impitoyable-
ment dans des cachots; que dans cette même ville, plusieurs autres
citoyens ont été insultés avec violence, blessés et mutilés; que d'autres
ont été forcés de prendre la fuite; et que tout ce qu'il y a de patriotes
dans cette ville est plongé dans le désespoir et la consternation. Les
auteurs de ces désordres, messieurs, sont les chasseurs du Hainault,
égarés par des suggestions perfides, favorisés même par un maire et des
officiers municipaux dont l'élection, si les loix étoient observées avec
sévérité, vous eût été déjà dénoncée comme l'effet de la violence la
plus coupable et l'infraction de toutes les formes constitutionnelles. Le
théâtre de ces scènes horribles, c'est la ville de Brie-Comte-Robert.
« Je ne crois pas qu'il soit dans les intentions de l'assemblée de
souffrir que le désordre dure plus long-tems, ni de réduire les patriotes,
opprimés d'une manière aussi cruelle, à la nécessité de repousser l'op-
pression par la force. Je demande en conséquence que cette affaire
soit renvoyée au comité des rapports, et qu'il en soit rendu compte à
la séance de mardi soir.
lois, faire respecter l'autorité des corps administratifs, et assurer
le retour et la tranquillité des citoyens qui ont été forcés de s'éloi-
gner de la dite ville ». Elle décidait en outre, qu'une procédure
serait ouverte 'devant le tribunal du district de Melun « contre les
auteurs des troubles qui ont eu lieu dans le cours de janvier, dans
la ville de Brie-Comte-Robert ». (Cf. Moniteur, VII, 338, correspon-
dance de MeLun relative à ces troubles suscités par le conflit d'une
compagnie dite du Bon Dieu avec la Garde nationale). Cf. égale-
ment: Arch. nat., D XXIX bis, 19, dossier 208, p. 19 et 20. Lettre
de Bailly transmettant une lettre de la municipalité de Brie-Comte-
Bobert, où sont dénoncées les (manœuvres séditieuses de certains
habitants, dirigés par le sieur Cousin, ancien maire.
(2) Cf. ci-dessous, séances, aux dates indiquées.
502 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Plusieurs voix. Avez-vous lu les pièces ?
« M. Robespierre. Oui, messieurs.
« M. Regnault. Je demande donc que l'on remette sur le bureau
la dénonciation des citoyens de la ville de Brie-Comte-Robert, et que
celui qui l'a faite, la signe (applaudi à droite).
« M. de Murinais. C'est l'apprentissage de M. Robespierre : il
vient d'être nommé accusateur public (3).
(3) Le 10 juin 1791, Je corps électoral du département de Paris
avait élu Robespierre accusateur public près le tribunal criminel,
à la suite d'un scrutin mouvementé. Au premier tour, sur 235
votants, Robespierre obtient la .majorité absolue, soit 118 voix, mais
2 électeurs ayant omis de faire suivre son nom de sa qualité de
député, le comte de Lacépède, président, décide de procéder à un
nouveau tour qui donne les résultats suivants, sur 372 votants:
Robespierre, député : 220 voix. Robespierre : 5 voix ; Dandré : 99 ;
Martineau : 24. (Cf. E. Charavay, Les Assemblées électorales de
Paris, 1790-91, p. 558, 590; cité par .G. Walter, p. 673, note 1). D'après
E Hamel, I, 474-476, Duport aurait fait l'impossible pour s'opposer
à l'élection de Robespierre ; il aurait été aidé par Lafayette et Bailly
(cf. Montlosier, Mémoires, II, livre 15, p. 124). -Duport devait en
effet donner aussitôt sa démission de président du même tribunal,
ainsi que Bigot de Préaraeneu vice-président et Dandré substi-
tut, Ils furent remplacés par Pétion, Buzot et Faure. De nombreux
journaux se font les échos de ces nominations (cf. Correspondance
nationale, n° 34; Gazette de Berne, .22 juin ,1791, p. 2; Le Creuset,
t. II, n° 48; la Vedette ou Précis de toutes les nouvelles du jour,
13 juin 1791, p. 4; l'Ami de la Révolution, p. 208). Tandis que les
feuilles patriotes se réjouissent (Journal universel, t. XII, p. 9022 ;
Orateur du Peuple, vol. III, t. II, n° 35, p. 081 ; le Père Duchesne,
p. 5; le Courrier de Gorsas, XXV, 172; les Révolutions de France
et de Brabant, VII, n° 81, p. 97) ; les journaux contre-révolution
naires fulminent, tels le Babillard qui écrit (n° 7, p. 52) : « Roberts-
pierre est donc nommé accusateur public... (il) donne toujours raison
aux uns et tort aux autres sans consulter la loi, la justice ni les
vrais principes de la constitution... on lisait ces jours derniers, au
Palais Royal, ces vers, pour être mis au bas de son portrait :
« Médiocre orateur, (absurde démagogue,
En voulant le servir, il nuit à son parti,
Tout en justifiant le sens de l'apologue;
Rien n'est si dangereux qu'un ignorant ami;
Mieux vaudrait un sage ennemi. »
et le Journal de la Cour et de la Ville (n° <52, p. 405 et 445):
« Damien-Robertsp... vient d'être nommé accusateur public au
tribunal criminel suprême. Quand on se rappelle que c'est un Joli
de Fleury qui poursuivit, il y a 84 ans, le patriote Damien, comme
criminel de lèze-majesté, et que l'on pense que le neveu de ce grand
homme poursuivra dans quelques mois des Bourbons, des Condé,
des Joli de Fleury, etc., etc., comme criminels de lèze-natiorV, peut-on
ne pas admirer les beautés de la {révolution1? Ah! Hobertsp..., c'est
bien de toi qne le srrand (St. Mirabeau pouvoit dire: tu es petra.
et super petram oedifioabo ecclesiam meam. »
« N'est-il pas à craindre que M. Robertspierre, dans une de
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 503
« M. Robespierre. M. le président, c'est en qualité de membre
de l'assemblée nationale, que je viens de rendre compte de faits qui
intéressent essentiellement la constitution, la liberté et l'ordre public.
Je ne l'ai pas fait sans des indices détermmans. Si, pour subjuguer la
confiance, il suffisoit d'avoir entendu après moi un député qui, pour
toute réponse à la prière que je faisois à l'assemblée nationale de s occu-
per d'un objet aussi Important, a allégué qu'il étoit présumable que
ses premières fonctions d'accusateur public ne soit accusé lui-
même... presque d'étourderie? Quant à moi, .j'en tremble pour lui,
pour le bien des nouvelles loix, pour la prospérité de la constitu-
tion... D'ailleurs chacun ne pourra-t-il pas faire cette effrayante
réflexion1?... Quel homme peut se croire infaillible, si M. Roberts-
r.ierre ne l'est pas ! »
(Le Colonel SEGUR.
Voici comment Brissot, dans son Patriote françois, commente
ces différents choix (n° 676, p. 665) et les réactions des éLus :
« -Si l'on ne veille pas sur les principes, les détails les tueront.
M. Duport est nommé président du tribunal criminel ; il refuse,
parce que M. Robespierre est nommé accusateur public. On peut
examiner son motif, puisqu'il le dit ouvertement. M. Robespierre
est, suivant M. Duport, un homme sans mesure. Raison de rester,
pour un président qui croit en avoir beaucoup, et qui sera à portée
de tempérer la chaleur de l'accusateur. Il accusera sans raison,
vous le condamnerez. Il accusera en flattant le peuple, et en mettant
ses juges dans l'embarras de décider contre le peuple ou contre la
loi. Celui qui croit à cet embarras n'est pas digne d'être juge. Il
faut, quand on monte sur le siège, être décidé à condamner le
peuple, s'il a tort, à braver la mort s'il le faut. Le juge qui, ayant
la justice pour lui. craint le peuple, le connoît peu, ou connoît trop
sa propre foiblesse.
« M. Robespierre est bon patriote, ferme dans les principes,
sourd aux considérations. Voilà ce que M. Duport devoit voir et
respecter, et qui devoit excuser à ses yeux l'excès de patriotisme
de M. Robespierre.
« Je ne vois point dans l'Histoire Romaine que Cicéron ait quitté
le consulat, parce qu'il avoit un collègue très-foible, et d'un parti
différent. Si le collègue est pour, tant mieux ; s'il est contre, il faut
rester, on l'en combattra d'autant mieux.
« Les hommes ■ appelles aux places se laissent trop entraîner
par de petits calculs. Par exemple, M. D and ré quitte, parce qu'il
•regarde comme une plaisanterie d'être accollé avec M. Robespierre.
Eh, quoi ! Démosthène, dans son ambassade vers Philippe, n'étoit-il
pas accollé avec le bavard et vil Demade, avec l'ivrogne Policrate ?
Et! de quel côté est ici le désavantage? Un patriote ardent ne
vaut-il pas bien un modéré?
(( J'.ai admiré la combinaison de ces choix. M. Duport président,
il est criminaliste. M. Robespierre accusateur, c'est l'ennemi le plus
implacable dos aristocrates. M. Dan d ré substitut de M. Robespierre,
il calmera sa fougue. De petites vanités ont dérangé tous ces calculs;
et on se vante d'être libres! La liberté veut bien d'autres sacrifices!
Jn le vois, on n'y cherche que î'égoïsme. »
504 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
les violences continuelles que j'ai dénoncées étoient l'exécution d'un
autre jugement présumé, s'il suffisoit qu'un autre membre après lui eût
dit qu'il y avoit de l'audace, de la part d'un représentant de la nation
à présenter à l'assemblée nationale de pareils faits (il n'a pas dit cela),
pour faire pencher avant l'examen la balance en faveur de ceux qui
sont dénoncés, alors ma tâche seroit finie : je me trouverois heureux
personnellement d'être déchargé d'un devoir trop pénible que beaucoup
d'hommes ne seroient pas tentés de remplir à ma place (à droite : Oh!
non).
« Mais si l'assemblée veut être juste, je lui rappelleroi que rien
n'est plus futile que ce qui a été opposé à ce que j'ai dit, que rien
n'est plus indigne du caractère d'un représentant de la nation que cette
défaveur que l'on a voulu répandre sur le parti que j'ai pris, à la prière
de plusieurs centaines de citoyens opprimés, de dénoncer le fait à l'as-
semblée nationale (murmures); et rien ne prouve mieux la justesse des
observations que je viens de faire, rien ne prouve mieux la difficulté
que l'on trouve maintenant à défendre les opprimés, que la malveillance
continuelle que je n'ai cessé d'éprouver depuis que j'ai pris la parole
(applaudi).
« M. Robespierre. Je méprise ce système de persécution et les
inculpations continuelles, que ces mêmes personnes s'occupent sans cesse
à prodiguer contre ma conduite et mes principes (Longs murmures à
gauche). J'en appelle au tribunal de l'opinion publique, qui jugera
entre nous et ces lâches détracteurs de la loi.
« Pour revenir à l'affaire de Brie-Comte-Robert, je n'ai voulu
demander autre chose que la vérification des faits le plus promptement
possible. Je suis fondé sur un mémoire signé par les citoyens reconnus
les plus patriotes dans la ville de Brie-Comte-Robert. Si on m'en
demande davantage, on n'a qu'à chercher des principes plus satisfaisans
dans la bouche de mes adversaires.
« Plusieurs voix. A l'ordre du jour » (4).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 171, p. 708.
« M. Robespierre. Je demande le renvoi au Comité des rapports
d'une autre affaire (5) également importante. Vous ne croiriez pas que
dans un tems où l'on parle de justice et de liberté, on exerce, à peu de
distance de la capitale, presque sous nos yeux, les plus horribles vexa-
tions contre les citoyens. Les habitans de Brie-Comte-Robert sont expo-
sés depuis lon-tems aux insultes d'un corps de troupes qui y est en gar-
nison. Récemment encore, au milieu de la nuit, on a arraché de leurs
lits plusieurs citoyens, hommes et femmes, on les a garrottés, mutilés,
traînés en prison. Les auteurs de ces violences sont les chasseurs d'Hai-
(4) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVII, 318.
<5) Merlin de Douai était en effet venu rendre compte aupara-
vant des événements de Cambrai.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 505
nault, égarés par des suggestions perfides, favorisés même par les offi-
ciers municipaux, dont l'élection, si les lois eussent été observées avec
sévérité, vous eût déjà été dénoncée, comme l'ouvrage de la violence.
Il n'est pas possible de souffrir que de tels désordres subsistent plus
lon-tems et il serait malheureux de réduire les patriotes à la nécessité
de repousser l'oppression par la force. Je demande le renvoi de cette
affaire au Comité des rapports.
« M. Murinais. Je demande à M. Roberspierre s'il fait l'appren-
tissage de son emploi d'accusateur public.
« M Roberspierre. C'est en qualité de membre de l'Assemblée
nationale que je lui expose des faits qui intéressent essentiellement le
maintien de ra constitution et de la liberté publique; je n'ai pas parlé
sur cet objet sans avoir entre mes mains des pièces propres à déterminer
l'homme le plus prudent. S'il suffisait d'entendre après moi un membre
de l'Assemblée, donner pour toute réponse qu'il est probable que les
violences dont j'ai parlé ont été commises en vertu d'un jugement;
s'il suffisait, pour vous empêcher d'examiner cette affaire, qu'un autre
après lui, vint nous dire qu'il y a de l'audace à défendre des opprimés;
qu'il vint pour jeter de la défaveur sur l'homme qui n'a fait que remplir
un devoir rigoureux, alléguer les mots d'ordre public et d'insurrection;
si l'Assemblée, enfin, applaudissant à ces déclamations, faisait pencher
la balance en faveur des oppresseurs contre les opprimés, je serais du
moins heureux d'être déchargé d'une tâche pénible que beaucoup d'au-
tres n'eussent pas osé entreprendre. Mais j'espère que l'Assemblée
sentira combien il serait indigne de son caractère de refuser avec une
si révoltante partialité, d'examiner les plaintes des opprimés. Je lui
fais observer que je tiens à la main des plaintes signées par des centaines
de citoyens; et qv.e rien ne prouve mieux la nécessité de vous faire
présenter les détails de cette affaire, par l'organe du Comité des rap-
ports, que la malveillance dont je ne cesse d'éprouver les témoignages.
Mais je méprise ce système d'oppression, et les inculpations continuelles
qu'on cherche à répandre contre ma conduite et mes principes. J'en
appelle au tribunal de l'opinion publique; il jugera entre mes détrac-
teurs et moi. Pour revenir à l'affaire dont il s'agit, je dis que je ne
demande rien autre chose, sinon que rassemblée vérifie les faits; et que,
pour s'y opposer, il faudrait prouver qu'ils sont faux » (6).
L'Ami du Roi (Royou), 21 juin 1791, p. 2.
« M. Robespierre, ensuite, a paru sur la scène, et a fait la pre-
mière répétition du rôle d'accusateur public, dont les bons parisiens,
amis de la justice, viennent de le charger. Des insurrections, mais tr>«-
(6) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 700; et Bûchez et
Roux, X, 210.
506 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
populaires, et point du tout aristocratiques, se sont manifestées à Brie-
Comte-Robert. Par ordre de rassemblée, le tribunal de Melun a infor-
mé et lancé des décrets. La municipalité de Brie a requis les chasseurs
de Hainault de saisir les coupables. Les soldats, aussi prudens que
dociles, ont choisi la nuit, afin d'éviter le scandale et la résistance.
Voilà encore, au jugement de M. Robespierre, un autre projet de contre-
révolution en l'air. C'est un acte de tyrannie de la part des soldats.
Avocat né de tous les scélérats, il dépeint les coupables arrêtés à Brie,
comme des victimes du despotisme militaire; les chasseurs de Hainault,
comme des tyrans subalternes, soudoyés; la municipalité, comme com-
plice de ces noirs attentats contre la liberté des plus vertueux patriotes.
On lui demande la preuve de si graves accusations. Il n'a ni pièces, ni
témoins à produire. C'est dans son cerveau malade seul, que se broyent
les noires couleurs avec lesquelles il peint les personnages qu'il met sur
la scène. Une indignation presque générale venge cependant, cette
fois, la justice des outrages de son ministre. Mais il s'en console par
l'espoir que l'opinion publique le vengera, à son tour, du système de
persécution intenté contre lui, par les lâches détracteurs de la loi. C'est
ainsi qu'il qualifie les membres même du côté gauche. Quels exploits
ne promet pas un accusateur public de cette trempe ? Faut-il s'étonner
que MM. d'André, Duport, etc., aient rougi de s'associer à ses tra-
vaux, et mieux aimé abdiquer leur nouvelle dignité, que d'avoir à lutter
contre sa fougue, ou de paroître complices de ses iniquités? »
Le Point du Jour, t. XXIII, n° 708, p. 278.
« M. Robespierre a dénoncé des attentats, qu'il a dit avoir été
commis contre la liberté civile à Brie-Comte-Robert, par les chasseurs
de Hainaut, à la réquisition de la municipalité.
« Il existe donc, disoit-il, presque sous ses yeux, une ville livrée
au despotisme militaire. Au milieu de la nuit, des portes ont été bri-
sées, des femmes cruellement traitées, des citoyens traînés en pnson.
Je demande que l'assemblée se fasse rendre compte de cette affaire.
« ...M. Regnaud demande que les pièces qui prouvoient les délits
commis à Brie fussent déposées sur le bureau, ou que M. Robespierre
signât sa dénonciation.
« M. Robespierre s'est fortement récrié contre cette demande.
Quand un représentant, a-t-il dit, dénonce un fait ou un délit, sa dénon-
ciation seule suffit, et ouand il s'agit de la liberté individuelle, l'as-
semblée qui a établi la liberté des citoyens doit s'occuper de la recher-
che d'un tel délit et le punir s'il existe. Au surplus, a-t-il ajoufé, je
déposerai sur le bureau une pièce signée d'un grand nombre de citoyens
de Brie » (7).
(7) Utilisé par E. Hameî, I, 479.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 507
L'Ami du Peuple (Marat), n° 499, p. 2.
<( Dans la séance du 17 (8), M. Robespierre a instruit l'assemblée
que dans une ville très-peu éloignée de Paris, les citoyens en butte à des
persécutions et des vexations attroces, étaient réduits au désespoir le
plus affreux. Les chasseurs de Hainaut, en quartier à Brie-Comte-Robert,
se sont portés et se portent tous les jours à de nouveaux actes de violence
contre les habitans. Dernièrement encore, pendant la nuit, ils sont
entrés par force dans plusieurs maisons, et après avoir arraché de leurs
lits plusieurs citoyens et citoyennes, les avoir garottés et maltraitée hor-
riblement, ils les ont traînés dans des cachots; a demandé que les oppri-
més obtinssent enfin justice, et que l'affaire fût renvoyée au comité des
rapports, pour en rendre compte à l'assemblée à la séance du mardi
soir. Ce qui a été arrêté. »
Journal de Paris, 21 juin 1791, p. 689.
u Tandis que nous faisons ici des loix, a dit M. Roberspierre,
tandis que nous faisons retentir incessamment ces vérités des mots de
liberté, d'humanité, non loir, de nous, dans une ville de la France,
de cette terre régénérée, une soldatesque effrénée foule aux pieds les
droits sacrés des hommes, elle arrache de leurs lits les citoyens signalés
par leur civisme, elle les entraîne dans des cachots ouverts par un
pouvoir arbitraire. Cette ville malheureuse est Brie-Comte-Robert; cette
soldatesque, ce sont les chasseurs de Hainault; Tels sont, messieurs,
a ajouté M. Roberspierre, les attentats que je vous dénonce : j'ai rempli
mon devoir, remplissez le vôtre. »
La Feuille du Jour, t. IV, n° 172, p. 698-9.
L'Ami du Roi (Montjoie), 2 juillet 1791, p. 731.
Journal de la Cour et de la Ville, n° 56, p. 144 (9).
« Je dénonce, dit M. Robespierre à l'assemblée nationale dans
la séance du 18, les chasseurs du Hainaut, pour avoir commis des
attentats contre la liberté individuelle... pour avoir, presque sous les
yeux de l'assemblée nationale, livré la ville de Brie-Comte-Robert à
l'esclavage militaire; pour avoir enfoncé des portes au milieu de la
nuit, traité cruellement des femmes, des citoyens, etc., etc., etc. .
« Telles sont les paroles du nouvel accusateur public : mais si par
hasard les chasseurs du Hainaut n'avoient marché à Brie-Comte-Robert
que pour donner main forte à la gendarmerie nationale requise, ainsi
que le détachement de ce corps, par le tribunal criminel de Melun... ce
qui est une vérité que j'atteste;
« Si de plus les chasseurs du Hainaut n'avoient arrêté des citoyens
et citoyennes de Brie qu'en vertu d'un décret de prise-de-corps lancé
(8) Il s'agit de la séance du 18.
(9) Le journal ne reproduit que le premier alinéa.
508 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
contr'eux par le susdit tribunal... ce qui est une autre vérité que
j'atteste;
« Si la réquisition du tribunal pour donner main-forte à la gendar-
merie nationale est déposée en forme légale à l' état-major des chas-
seurs du Hainaut que je commande... ce qui est encore une autre vérité
que j'affirme... »
« Signé: Le Colonel SEGUR. »
Journal des Débats, n° 759, p. 2-3.
« M. Robespierre a demandé la parole pour dénoncer les violences
atroces qu'il prétend avoir été commises par les chasseurs du Régiment
de Hainaut, contre des Citoyens patriotes de la ville de Brie-Comte-
Robert. Il a demandé le renvoi de cette affaire au Comité des Rap-
ports.
(( M. Buzot a appuyé la motion de M. Robespierre.
« M. Murinais a demandé si M. Robespierre faisoit ainsi son
apprentissage d'accusateur public à Paris.
« S'il suffisoit, a dit M. Robespierre, d'avoir entendu un Membre
de cette Assemblée, qui allègue d'autres faits que ceux que j'ai dénon-
cés; s'il suffisoit d'avoir entendu un autre Membre qui a saisi cette
occasion pour se livrer à une violente sortie, ma tâche seroit finie, et
je me hâterois d'abdiquer un devoir trop pénible, que peu d'hommes
peut-être seroient tentés de remplir. Quoiqu'il devienne chaque jour
plus difficile de faire entendre la vérité, je m'opposerai constamment
à ce système de persécution. »
Mercure de France, 25 juin 1791, p. 285. *
« Dans un temps, a dit M. Roberspierre, où l'on ne parle que de
justice et de liberté, on exerce les plus horribles vexations contre les
citoyens. Ce préambule l'a conduit à dénoncer les chasseurs de Hai-
nault, comme ayant arraché de leur lit plusieurs hommes et femmes de
Brie-Comte-Robert, de les avoir garrottés, mutilés, traînés en prison.
Il a demandé le renvoi de sa dénonciation au comité des rapports; ce
qui a été décrété.
« ...Traitant ces débats de déclamations, et s'autorisant de tout
ce qu'il y a de sacré dans la défense des opprimés, M. Roberspierre
a répondu que s'il dénonçoit les chasseurs de Hainault, c'étoit en
ayant en main des plaintes signées de plusieurs centaines de citoyens.
Rien ne prouve mieux, a-t-il ajouté, la nécessité de vous faire présenter
les détails de cette affaire par l'organe du comité des rapports, que la
malveillance dont je ne cesse d'éprouver les témoignages. Mais. Je
méprise ce système d'oppression et les inculpations continuelles qu'on
cherche à répandre sur ma conduite et mes principes. J'en appelle au
tribunal de l'opinion publique. Il jugera entre mes détracteurs et moi. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 509
Journal des Décrets de l'Assemblée nationale, 19 juin 1791, p. 462.
« L'Assemblée a encore renvoyé au Comité des Rapports la dénon-
ciation faite par M. Roberspierre, des attentats commis contre !a liberté
individuelle, par les Chasseurs de Hainault, à la réquisition de !a Muni-
cipalité de Brie-Comte-Robert. Un Membre ayant soutenu que ces
arrestations avoient été faites, en exécution de décrets de prise-de-corps
décernés par le Tribunal de Melun, M. Regnault de Saint-Jean-d'An-
gely, s'est fortement élevé contre M. Roberspierre, qui, affecté du ton
et des réflexions de son antagoniste, a déposé, pour justifier sa dénon-
ciation, un Mémoire signé d'un grand nombre d'habitans de Brie. »
[Brève mention de cette intervention dans La Feuille du Jour,
t. IV, n° 171, p. 689-90; Le Courrier extraordinaire, 20 juin 1791,
p. 2; Le Patriote jrançois, n° 681, p. 685; Les Révolutions de Paris
(Prudhomme), n° 102, p. 572; Le Journal général, n° 140, p. 585;
Le Courrier d'Avignon, n° 149, p. 596; La Correspondance nationale,
n° 37, p. 190.]
Société des Amis de la Constitution
305. — SEANCE DU 19 JUIN 1791
Sur l'adresse AUX ASSEMBLÉES PRIMAIRES (suite)
La Société, (après diverses interventions, ouvre la discussion sur
un écrit de 'Sieyes, dont Goupil de Préfeln signale l'importance (1).
Laclos demande que ce débat soit renvoyé au lendemain, pour que
la Société puisse discuter des diverses motions qui s'agitent au même
moment dans les sections. (Robespierre intervient pour demander
à donner lecture d'un projet d'adresse aux Assemblées primaires (2).
L'impression de l'adresse fut arrêtée, 'au nombre de trois mille
exemplaires, ainsi que l'envoi aux (Sociétés affiliées et aux quarante-
huit sections.
Journal des Débats des Amis de la Constitution, n° 12, p. 2.
« M. Robespierre, Messieurs, je vous demanderai la priorité pour
M. Goupil, après que vous aurez entendu la lecture de l'adresse que
vous avez ordonnée à votre comité de correspondance de rédiger, pour
être envoyée aux assemblées primaires.
O) 11 s'agit de la « Déclaration proposée par l'abbé Sieyès aux
patriotes des 83 départements n (Cf. Aulard, II, 516 et 523.) On en
trouvera le texte dans les Révolutions de Paris, n° 102, p. 554.
(2) Cf. ci-dessus séance des Jacobins du 10 juin 1791. D'après
G W al ter (Histoire des Jacobins, p. 146), Robeftpiérrê aurait accepté
rie rédiger cette adresse le 19 au matin et aurait le soir même pré-
senté son projet. Il était, ainsi admis dans le Comité de Côrreep >0
danee par cooptation et en signait les pièces.
510 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« M. Goupil a motivé sa motion, sur ce que l'écrit de M. Syeies
contenait des principes contraires à la liberté (3). M. la Clos n'a pas
motivé les sujets des motions à discuter, j'ignore donc s'ils sont bons
ou mauvais.
« Il existe dans les départemens, un parti d'autant plus dange-
reux, qu'il se pare de l'amour de la liberté et de l'attachement à la
constitution, le but de ce parti est, à l'aide de la précipitation des
élections, de porter dans la prochaine législature une grande quantité
de gens de ce parti.
« J'ai demandé la discussion après la lecture de l'adresse aux
assemblées primaires, qui quoique tardive peut encore être d'une grande
utilité. Je vous prie donc d'accorder quelques instans à la lecture de
cette adresse, que le comité de correspondance m'a chargé de rédiger.
« M. Moreton. Je demande qu'avant d'entamer cette lecture,
M. Robespierre veuille bien nous dire s'il a fait part de sa rédaction
au comité qui l'en a chargé.
« M. Robespierre. Je n'ai reçu que ce matin en rentrant de l'as-
semblée nationale, la lettre par laquelle le comité me chargeait de
cette rédaction, je n'ai pu y donner d'autre tems que le court intervalle
qui se trouve entre ce moment et notre séance, il m'a donc été impos-
sible de la porter au comité. Obligé à faire un petit voyage demain
soir (4), il m'eut été impossible de vous la lire demain, je vous prie
d'excuser les fautes de rédaction qui pourront s'y trouver en faveur
de la précipitation avec laquelle elle a été faite.
« Citoyens, ce serait perdre un tems précieux que de vous parler
de l'importance des élections dont vous allez vous occuper. Vous savez
que les électeurs que vous allez choisir, nommeront à leur tour les
députés dont dépendent, ou votre bonheur ou votre misère. Vous vous
rendrez donc exactement aux assemblées primaires, vous sur-tou*, qui
par vos faibles moyens pourriez craindre l'oppression, songez que c'est
vous qu'il importe d'être éclairés sur ces choix puisqu'il est question
de discuter vos plus chers intérêts. Si vous êtes obligés par là à des
sacrifices, la raison, la justice et l'intérêt public vous assurent des indem-
nités.
« Dans les choix que vous ferez, songez que la vertu et les talens
sont nécessaires, mais que des deux, la vertu est la plus nécessa'ie
encore. La vertu sans talens peut être moins utile, les talens sans vertu
ne peuvent être qu'un fléau. (On applaudit). Et en effet la vertu sup-
pose ou donne assez souvent les talens nécessaires aux représentans du
peuple. Quand on aime la justice et la vérité, on aime les droits des
citoyens, on les défend avec chaleur.
(3) La Déclaration de iSieyès contenait en particulier une accep-
tation de principe du bicamérisme et imposait la soumission aux lois.
(4) Il se rendait le lendemain à Versailles pour la commémo-
ration du Serment du Jeu de Paume {cf. ci-dessous, n° 306).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 5 1 I
(( Tenez-vous en garde contre les apparences trompeuses. Les amis
et les ennemis de la liberté se présenteront à vous, avec les mêmes
dehors et le même langage. Si vous voulez vous assurer des sentimens
de quelques citoyens, remontez au de-là de l'époque où vous êtes
aujourd'hui. L'homme ne se détache pas tout-à-coup de tous les pré-
jugés qui ont formé ses sentimens.
« Si une fois dans la vie, un homme s'est montré vil, ou impitoya-
ble, rejettez-Ie.
« Rejettez ces hommes qu'on a vu ramper dans les cours et s'hu-
milier heureusement, aux pieds d'un ministre ou d'une femme.
« Leur manière est changée, leur cœur est resté le même. (On
applaudit) .
« Ils flattent aujourd'hui leurs concitoyens, comme ils flattaient
les tyrans subalternes. On ne devient pas subitement, d'un vil adula-
teur, d'un lâche courtisan, un héros de la liberté. (On applaudit).
« Mais si vous connaissiez des hommes qui ayent consacré leurs
vies à venger l'innocence, si vous connaissiez quelqu'un d'un caractère
ferme et prompt dont les entrailles se soient toujours émues au récit
des malheurs de quelques-uns de ses concitoyens, allez le chercher au
fond de sa retraite, priez-le d'accepter la charge honorable et pénible
de défendre la cause du peuple, contre les ennemis déclarés de sa
liberté, contre ses ennemis, bien plus perfides encore, qui se couvrent
du voile de l'ordre et de la paix. Ils appellent ordre, tout système qui
convient à leurs arrangemens, ils décorent du nom de paix, la tran-
quillité des cadavres, et le silence des tombeaux.
« Ce sont ces personnages, cruellement modérés, dont il faut vous
défier le plus. Les ennemis déclarés de la révolution, sont bien moins
dangereux. Ce sont ceux-là qui assiègent les assemblées primaires pour
obtenir du peuple, qu'ils flattent, le droit de l'opprimer constitutionnelle-
ment. Evitez leurs pièges, et la patrie est sauvée. S'ils viennent à bout
de vous tromper, il ne nous reste plus que de réaliser la devise qui nous
rallie sous les drapeaux de la liberté : Vivre libre ou mourir.
(On demande l'impression sur le champ, et l'envoi aux sections
assemblées) (5).
[Interventions de Laclos et d'Anthoine.]
« M. Robespierre. Je ne m'oppose pas à la motion de M. Antoine
(5) Texte reproduit par Bûchez et 'Roux, X, 230-233, depuis:
a Je n'ai reçu que ce matin... '» jusqu'à « auix sections assemblées ».
Aulard (II, 518) se .contente de résumer brièvement cette partie de
l'intervention de Robespierre. Par contre, il reproduit le texte de
l'adresse (p. 620-523) d'après la brochure de la B.iN. Lb10 603, qui
est identique à celui que publie le (Moniteur universel (t. IV, 20
juin 1791).
512 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
(6), mais je crois devoir répondre à M. de la Clos (7). Il croit qu'il est
dangereux de manifester l'opinion de la société sur le payement des
électeurs, pour moi, je crois que s'il est un moyen de dégoûter les
citoyens peu aisés, de la chose publique, c'est de les placer entre cet
intérêt et leur intérêt particulier.
« Tel est l'effet de l'opinion de ceux qui, sous l'apparence de
désintéressement, veulent éloigner des élections, la partie peu fortunée
du peuple. Il ne doit pas être douteux que les électeurs soient payés,
afin que la classe nombreuse et intéressante pour qui je parle, soit
dédommagée des sacrifices qu'elle est forcée de faire à la chose publi-
que. Et lorsqu'on assure des traitemens aux représentans du peuple,
aux juges, à des places de finances, lorsqu'on donne vingt-cinq millions
au chef du pouvoir exécutif, pourquoi n'en donnerait-on pas à la partie
intéressante des citoyens, lorsqu'elle sacrifie son tems et ses travaux.
(On applaudit) (8).
[Intervention de Rcederer] (9).
« M. Robespierre. L'observation de M. Rœderer porte sur un
fait qui n'est pas exact. Il suppose qu'il était décidé que les électeurs
ne seraient pas payés cette année, et cela n'est pas décidé. La motion
en fut faite il y a quelques jours à l'Assemblée nationale. M. Démeu-
nier, rapporteur, n'a pas du tout éloigné cette idée, et l'avis des mem-
bres de l'Assemblée m'a paru y être favorable. J'ai donc cru pouvoir
annoncer cet avis dans un moment où il s'agit de porter un plus grand
nombre de citoyens dans les assemblées primaires, qui en général sont
peu nombreuses » (10).
(6) Anthoine demandait le renvoi de l',adresse au Comité de Cor-
respondance.
(7) Laclos s'élevait contre le passage dans lequel Robespierre
donnait aux électeurs l'espoir qu'ils seraient payés.
(8) La question ifut posée dans la séance du 3 décembre 1790
et renvoyée aux Comités. Elle ne fut résolue par La négative que le
7 septembre 1791.
(9) Hoederer fait à nouveau remarquer qu'il n'y a pas de fonds
prévus pour rémunérer les électeurs cette année.
(10) Après rectification de la phrase visée qui devient: « La
raison, la justice et l'intérêt public sollicitent pour vous », l'impres-
sion est arrêtée. Le 20 juin, plusieurs citoyens de diverses sections
viennent remercier la Société de l'envoi de l'Adres'se (Journal des
Débats de la Société..., n° 13).
les discours de robespierre 513
Société des Amis de la Constitution de Versailles
306. — SEANCE DU 20 JUIN 1791
Sur l'anniversaire du serment du Jeu de Paume
Le 17 juin, la iSociété des Ami§ de la Constitution de Versailles
avait arrêté de célébrer l'anniversaire du serment du Jeu de Paume,
dans la salle même où les députés aux Etats généraux s'étaient
réunis le 20 juin 1789.
Robespierre, présent à la séance, y prit la parole.
Journal des Amis de la Constitution de Versailles, n° 9, p. 10-11 et 15.
« ...La séance s'ouvrit à sept heures en présence et au milieu
d'un concours nombreux de citoyens de tout âge et de tout sexe. Une
foule immense occupait les rues adjacentes, la vaste salle du Jeu de
Paume était pleine jusqu'à la voûte : tout présentait l'image de la
journée du 20 juin 1789.
« La présence d'un des plus intéressans acteurs de cette sainte
conjuration ajoutait encore à la majesté de la scène. M. Robespierre,
comme il l'avait annoncé dans la* lettre que nous avons rapportée dans
notre dernier numéro, se rendit ce jour-là à la société; non pas sans
doute pour la convaincre de la pureté de ses motifs en acceptant la
place d'accusateur public à Paris, de préférence à celle de juge au
tribunal de Versailles, il ne devait pas être inquiet de l'opinion des
amis de la constitution à son sujet ; il venait plutôt s'attendrir avec ses
frères sur cette dure séparation, et se consoler avec eux, en vue du
bien général, des sacrifices que la patrie commande impérieusement à
ceux qui la servent. Il a traité d'une manière plus développée et plus
étendue les raisons qu'il avait indiquées dans sa lettre : il a témoigné
les regrets les plus sincères et les moins équivoques de quitter une
ville où [en blanc dans le texte] fixer son séjour. Il a rappelle tous
les liens qui l'y attachaient, et n'a point oublié l'époque célèbre dont
les circonstances lui retraçaient le souvenir et l'image (1).
a C'est ainsi, disait-il, que nous étions pressés par cette foule de
généreux citoyens qui excitaient notre courage et soutenaient notre
fermeté. Les accens de son éloquence vive et touchante remuaient tout
le coeur; mais, bientôt passant de l'attendrissement à l'enthousiasme,
le salut de la patrie l'a emporté sur toutes les autres considérations,
et l'assemblée a vivement applaudi celui qu'elle craignait si fort de
perdre. Tout le monde a été convaincu que ce vertueux et intrépide
défenseur des droits du peuple était le plus propre à remplir les nou-
velles et importantes fonctions auxquelles il était appelle. En effet, quel
(1) Ilobcspierre avait dû, le 13 juin, après son élection au poste
d'accusateur public près le tribunal criminel de Paris, donner sa
démission de juge du tribunal du district de Versailles. (Cf. G. Mi-
chon, I, 110-113; et E. Hamel, I, 477).
hitiiUM-l! nul 35
51 4 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
est l'homme (ce sont les expressions de M. Couturier) (2), quel est
1 homme qui oserait jetter la première pierre à ses concitoyens égarés
ou coupables, si ce n'est l'homme vierge, l'homme incorruptible, qui
ne s'est jamais écarté du sentier du patriotisme et de la vertu. »
« ...La séance a été levée, après neuf heures, au jeu de paume,
et de suite les membres de la société, ayant M. Roberspierre au milieu
d'eux, se sont rendus au lieu ordinaire de leurs séances. Pendant tout
le trajet, des battemens de mains sans fin, des cris multipliés de vive
Roberspierre, vive la nation, vive les amis de la constitution, don-
naient à cette marche l'air d'un triomphe. Jamais accueil ne fut plus
flatteur ni mieux mérité que celui que reçut M. Robespierre de tous les
citoyens de Versailles. »
(2) Président de la Société.
307. — SEANCE PERMANENTE DU 21 JUIN 1791 (1)
Sur la fuite du Roi
lrc intervention (21 juin au matin): Sur les mesures à prendre
Au début de la séance, le président annonce à l'Assemblée que
m le roi et une partie de sa famille ont été enlevés cette nuit par
les ennemis de la chose publique » (2). L'Assemblée donne aussitôt
ordre à tous les fonctionnaires publics et à tous les représentants
de la force armée, de prendre toutes les mesures nécessaires « pour
arrêter ledit enlèvement ». Elle décide ensuite d'adresser une pro-
clamation aux citoyens de Paris, pour les inviter à se tenir « prêts
à agir, pour le maintien de l'ordre public et la défense de la patrie,
suivant les ordres qui leur seront donnés d'après les décrets de
l'Assemblée nationale ». La séance se poursuit dans la plus grande
agitation; les motions se multiplient. Il est donné lecture de la
Proclamation du iroi à tous les Français, à <sa sortie de Paris:
Barnave demande qu'avant toute chose ce mémoire soit paraphé par
Laporte, intendant de la liste civile, qui l'a remis sur le bureau de'
l'Assemblée, et par le président. 11 propose en outre que les com-
mandants des troupes .actuellement à Paris, soient mandé? à la
barre, pour y prêter leur serment d'obéissance à l'Assemblée et y
recevoir ses ordres. Robespierre intervient alors pour la première
fois.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXVIII, p. 194.
«, M. Robespierre Je ne puis que m'étonner que dans de pareilles
circonstances, on ne propose que des mesures aussi insignifiantes et
(1) La nouvelle d'un prochain départ du roi circulait dans Paris
depuis plusieurs jours. >(Cf. la lettre attribuée à Marie-Antoinette
et publiée par l'Orateur du Peuple, n° 49).' Voir également a ce sujet
Bûchez et Roux, X, 213; E. Hamel, I, 483; et Seligman, II. 24-26.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 5)5
aussi illusoires, et qu'on n'offre à la nation, pour garant unique, qu'un
nouveau serment après tant d'autres. Les autres mesures déjà prises par
l'assemblée nationale me paraissent également foibles et insuffisantes;
mais je crois en même tems que ce moment-ci n'est pas propice à pré-
parer les hommes; qu'il faut connoître plus particulièrement les circons-
tances qui tiennent au grand événement qui nous occupe, avant de vous
proposer d'autres mesures; et qu'il faut d'abord méditer profondément.
Ce que l'assemblée nationale doit faire pour ne point tromper la nation,
c'est d'avertir tous les bons citoyens de veiller sur les traîtres, et au
salut de la chose publique » (3).
Le Point du Jour, t. XXIII, p. 332.
« M. Robespierre trouvoit étonnant que dans des circonstances
aussi importantes, on ne proposât d'autres mesures qu'un serment. L'as-
semblée nationale, disoit-il, doit inviter tous les citoyens à veiller sur
les traîtres. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 174, p. 719.
« M. Robespierre. Je ne puis que m'étonner de ce que l'on pro-
pose des mesures aussi molles; je crois que celles déjà adoptées sont
également faibles, mais il faut connaître plus particulièrement les cir-
constances, et en attendant, il faut veiller sur les traîtres et sur le salut
de la chose publique » (4).
[Brève mention de cette intervention dans Le Creuset, t. II, n° 51,
p. 487; Le Journal de la Noblesse, t. II, n° 26 B, p. 207; Le Journal
de Rouen, n° 174, p. 840.]
2e intervention (21 juin au soir) :
La séance suspendue un moment, reprend à cinq heures du soir.
Regnaud de Saint-Jean-d'Angély propose de donner une garde d'hon-
neur aux ministres ou ambassadeurs étrangers résidant à P«aris, dont
quelques-uns témoignent de l'inquiétude. Un député s'élève contre
cette proposition que la tranquillité du peuple de Paris rend abso-
lument inutile. Regnaud retire sa motion et demande que les ambas-
sadeurs actuellement en France soient .avertis qu'ils peuvent con-
tinuer leurs relations avec le ministre des affaires étrangères. Il
propose en second lieu que les ministres et ambassadeurs de France
près les cours étrangères reçoivent l'ordre de continuer leurs tra-
vaux, leurs négociations et leurs correspondances, comme à l'ordi-
naire.
Mialgré les observations de Robespierre, l'Assemblée décréta
ces deux propositions.
(•1) Sur l;i fuit!' du roi et son arrestation à Varennes, voir aux
Aich. nat. clans la série D XXIX bis, les cartons «'55. 36, 37, 38.
('■',) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVII, 3b4.
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 7-23; et Bûchez et
Roux, X, 275.
516 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXVIII, p. 194.
« M. Robespierre. Il me semble que les mesures partielles, propo-
sées par les deux préopinans, sont absolument étrangères à l'objet de
votre délibération actuelle. Je ne vois pas pourquoi vous rendriez .in
décret particulier et formel pour M. de Montmorin. Jusqu'à présent,
vous n avez pas renvoyé les ministres actuels; vous avez même rendu
un décret, ce matin,' qui semble confirmer les ministres dans leurs fonc-
tions (5). Ainsi nul besoin d'un décret particulier, pour attirer sur lui,
d'une manière spéciale, la confiance de la nation, et pour dire aux
nations étrangères qui sont accoutumées à correspondre avec le ministre,
qu'elles doivent particulièrement correspondre avec lui. Il est inutile
de vous occuper actuellement, et de M. de Montmorin qui est dans la
classe des autres ministres, et de ce qui peut concerne; bs ambassa-
deurs étrangers qu'aucun citoyen françois n'a voulu ni ne \ _ut attaquer.
Je demande donc que vous passiez à l'ordre du jour sur une telle motion
(murmures), et que vous vous occupiez des mesures qu'exigent de vous
les circonstances actuelles. (Murmures) » (6).
3e intervention (21 juin au soir) :
Fréteau demande qu'il soit dépêché des courriers aux puis-
sances étrangères, peur leur témoigner que la nation française
restera fidèle à ses traités. Démeunier, Robespierre, Charles Lameth
s'élèvent -contre cette proposition.
Fréteau retira sa motion.
Journal général de France, 23 juin 1791, p. 699.
« M. Fréteau, qui bientôt a retiré sa motion, demandait qu'il fût
expédié des Couriers extraordinaires à toutes les Cours pour leur assurer
que la Nation Française resteroit toujours fidelle aux traités; mais
M. Desmeuniers, M. Robertspierre et M. Charles Lameth se sont
élevés contre sa proposition, n
Le Patriote François, n° 684, p. 701.
« Ces idées [de M. Desmeuniers] ont été combattues par M. Ro-
bespierre; elles ont été soutenues par M. Charles Lameth, qui a carac-
térisé l'absence du roi, non pas un enlèvement, mais une fuite, une
désertion, et qui la croit appuyée de quelque complot. M. Fréteau a
retiré sa motion. »
(5) >Sur la proposition de Dandré, l'Assemblée avait autorisé les
ministres à se réunir dans l'hôtel du Sceau de l'Etat, en vertu de
l'article de la Constitution qui porte qu'en l'absence du roi, les
ûunistres se réuniront en conseil et seront .autorisés à délibérer et
à signer des proclamations et autres actes d'administration.
(6) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVII, 386.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 517
4e Intervention (21 juin au soir)
Le président demande à l'Assemblée si elle autorise la lecture
druue adresse de la, section de la Croix-Houge, qui proteste de son
respect pour l'Assemblée et de son obéissance pour tous les décrets
sanctionnés ou non (7). Thuault, député du tiers état de la séné-
chaussée de Ploërmel, proteste et demande le renvoi de cette
adresse au département. Robespierre insiste pour qu'elle soit lue à
l'Assemblée.
L'Assemblée décida d'entendre la lecture de l'adresse de la
section de la Croix^Rouge. Elle reprit ensuite son ordre du jour.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXVIII, p. 205.
« M Robespierre. Je demande que la section soit entendue.
Plusieurs voix. Non, non...
M. Robespierre. Lorsqu'il s'agit du salut public, le peuple seul
peut y pourvoir (quelques applaudissemens).
M. Thuault. Le département est là, et c'est par lui que la section
peut se faire entendre.
M. Robespierre. C'est parce que le département est là que je
demande que la section soit entendue.
M. le Président. J'observe que la Section ne demande pas à être
entendue. C'est un arrêté qu'elle a pris, et qu'elle envoyé à l'assem-
blée nationale, et duquel elle désire que l'assemblée prenne connois-
sance.
M. Robespierre. Il est indécent qu'un membre de cette assem-
blée refuse d'entendre une section, le peuple peut être trahi. (Murmu-
res) » (8).
Le Point du Jour, t. XXIII, p. 337.
« M. Robespierre soutient que la Section doit être entendue, parce
(que) lorsqu'il s'agit du salut public, le peuple seul doit y pourvoir. »
(7) L'Assemblée xavait, le matin même, ordonné « que les décrets
rendus ou à rendre, non sanctionnés par le roi, à raison de son
absence, auront néanmoins provisoirement force de loi dans toute
l'étendue du royaume ».
(8) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVII, 389.
Société des Amis de la Conetitution
308. — SEANCE DU 21 JUIN 1791 (1)
Sur les mesures a prendre après la fuite du Roi
Le 21 juin, étant donné les circonstances, la Société des Jacobins
tient une séance extraordinaire dès midi. La séance est assez avai>-
(1) Cf. AuLard, II, 531.
518 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
cée, et de nombreuses députations se sont présentées, quand Robes-
pierre monte à la tribune
L'Ami du Peuple (Marat), n° 515, 9 juillet 1791.
L'Orateur du Peuple, t. VI, n° 54, p. 435-459.
Les Révolutions de France et de Brabant, t. VII, n° 82, rv 162 à '73 (2)
Dénonciation des Pères conscrits vendus à la Cour, traîtres, cons-
pirateurs, et contre révolutionnaires, par le seul homme pur et incor-
ruptible, qu'il y eut dans l'Assemblée Nationale : ou tableau de la si-
tuation des Affaires publiques par M. Robespierre.
« Tourmenté d'une migraine violente qui m'ôte la faculté de pen-
ser, je prends le parti de mettre aujourd'hui sous les yeux de mes lec-
teurs le superbe discours de Robespierre, à la Tribune des Jacobins
le surlendemain de la fuite de la famille Capet. On y verra !a confir-
mation de la plupart des inculpations que je n'ai cessé de faire depuis
près de deux ans contre les députés du peuple, les ministres, le général
et autres fonctionnaires publics, tous vendus au monarque pour rétablir
le despotisme. »
DISCOURS DE M. ROBESPIERRE
« Ce n'est pas à moi que la fuite du premier fonctionnaire public
devait paraître un événement désastreux. Ce jour pouvait être le plus
beau de la révolution; il peut le devenir encore, et le gain de 40 mil-
lions d'entretien que coûte l'individu royal serait le moindre des bien-
faits de cette journée. Mais pour cela, il faudrait prendre d'autres
mesures que celles qui ont été adoptées par l'assemblée nationale, et je
saisis un moment où la séance est levée pour vous parler de ces mesures,
qu'il me semble qu'il eût fallu prendre et qu'il ne m'a pas même été
permis de proposer.
« Le roi a choisi, pour déserter son poste, le moment où l'ouver-
ture des assemblées primaires allait réveiller toutes les ambitions, toutes
les espérances, tous les partis, et armer une moitié de la nation contre
l'autre, par l'application du décret du marc d'argent, et par les distinc-
tions ridicules établies entre les citoyens entiers, les demi-citoyens et
les quarterons (3). II a choisi le moment où la première législature, à îa fin
de ses travaux, dont une partie est improuvée par l'opinion, voi* de cet
oeil dont on regarde son héritier, s'approcher la législature qui va la
chasser, et exercer le veto national en cassant une partie de ses actes.
.(2) Discours reproduit par Bûchez et Roux, X, 289-296; par les
Editions du Centaure, op. cit., p. 42 et suiv. ; et par Oh. Vellay,
op. cit., p. 72 à 78. Nous donnons ici le texte de l'Ami du Peuple.
On remarquera qu'il ne présente, sauf pour quelques mots, aucune
différence avec celui de Camille Desmoulins. iSans aucun doute,
ces trois journaux transcrivent le même texte.
(3) C'est-à-dire, les citoyens élisribles, les simples actifs et les
passifs assimilés aux quarterons, enfants de blancs et de mulâtres.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 519
II a choisi le moment où des prêtres traîtres ont par des mandemens et
des bulles, mûri le fanatisme et soulevé contre la constitution tout ce
que la philosophie a laissé d'idiots dans les 83 départemens. Il a attendu
le moment où l'empereur et le roi de Suède seraient arrivés à Bruxelles
pour le recevoir, et où la France serait couverte de moisson, de sorte
qu'avec une bande très peu considérable de brigands on pût, la torche
à la main, affamer la nation (4).
« Mais ce ne sont point ces circonstances qui m'effraient. Que
toute l'Europe se ligue contre nous et l'Europe sera vaincue. Ce qui
m épouvante, moi, Messieurs, c'est cela même qui me parai* rassurer
tout le monde. Ici, j'ai besoin qu'on m'entende jusqu'au bout; ce qui
m'épouvante encore une fois, c'est précisément cela même qui semble
rassurer tous les autres. C'est que depuis ce matin, tous nos ennemis
parlent le même langage que nous. Tout le monde est réuni. Tous ont
le même visage, et pourtant il est clair qu'un roi qui avait 40 millions
de rentes (5), qui disposait encore de toutes les places, qui avait encore
la plus belle couronne de l'univers et la mieux affermie sur sa tête,
n'a pu renoncer à tant d'avantages sans être sûr de les recouvrer.
« Or, ce ne peut pas être sur l'appui de Léopold et du roi de
Suède, et sur l'armée d'outre-Rhin qu'il fonde ses espérances. Que
tous les brigands d'Europe se liguent, et, encore une fois, ils sont
vaincus.
« C'est donc au milieu de nous, c'est dans cette Capitale, que le
roi fugitif a laissé les appuis sur lesquels il compte pour sa rentrée
triomphale : autrement, sa fuite serait trop insensée (6).
« Vous savez que trois millions d'hommes armés pour la liberté
seraient invincibles; il a donc un parti puissant et de grandes intelli-
(4) On retrouve ici l'un des soupçons qui avaient été à l'origine
de la Grande Peur de 1789.
(5) La liste civile avait été fixée, le 26 mai 1791, à 25 millions,
non compris le revenu des domaines laissés au roi.
(6) Cf. Révolutions de France et de Brabant, t. VII, n° 82,
p. 180-182 : « Il étoit difficile à des citoyens convaincus qu'il n'y
avoit pas un mot qui ne fût vrai dans le discours de Robespierre,
de partager la joie publique ; et chaque moment ajoutant à la cer-
titude de mes preuves que les complices de l'évasion du roi étoient
dans la capitale, et y étoient tout puissans. nous ne pensions qu'aux
moyens de faire revenir les citoyens de leur aveuglement par un
coup d'état. L'Orateur du Peuple [Fréron] avoit conduit à la sec-
tion du Théâtre Français, dans la soirée de mardi, une femme qui
l'avoit prévenu du départ du roi, et dont les dires jettoient une
grande lumière sur le complot ténébreux. Cette femme ayant per
BÎsté dans sa déclaration, je pensai qu'il ne falloit pas donner aux
traîtres le teins de se reconnoitre et de prendre des mesures, et je
fi;: la motion de produire sur le champ nos témoins, d'engager
Robespierre à accuser hautement dans l'assemblée nationale, et à la
I ice 'le la nation, le commandant général et le maire, que la veille
il avoit déjà désignes assez clairement aux Jacobins comme les- com
520 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
gences au milieu de nous; et cependant regardez autour de vous, et
partagez mon effroi, en considérant que tous ont le même masque de
patriotisme. Ce ne sont point des conjectures que je hasarde, ce sont
des faits dont je suis certain; je vais tout vous révéler, et je défie ceux
qui parleront après moi de me répondre.
a Vous connaissez le mémoire que Louis XVI a laissé en par-
tant (7); vous avez pris garde comment il marque, dans la constituî'on, les
choses qui le blessent et celles qui ont le bonheur de lui plaire. Lisez
cette protestation du roi, et vous y saisirez tout le complot. Le roi va
reparaître sur les frontières, aidé de Léopold, du roi de Suède; de
d'Artois, de Condé, de tous les fugitifs et de tous les brigands, dont
la cause commune des rois aura grossi son armée. On grossira encore
à ses yeux les forces de cette armée ; il paraîtra un manifeste paternel,
tel que celui de l'empereur, quand il a reconquis le Brabant (8). Le roi
y dira encore comme il a dit cent fois : Mon peuple peut toujours
compter sur mon amour. Non-seulement on y vantera les douceurs de
la paix, mais celles mêmes de la liberté. On proposera une transaction
avec les émigrans, paix éternelle, amnistie, fraternité. En même tems
les chefs, dans la capitale et dans les départemens avec qui ce projet
est concerté, peindront de leur côté les horreurs de la guerre civile.
Pourquoi s' entr' égorger entre frères qui, tous, veulent être libres? Car
Bender et Condé se diront patriotes plus que nous.
« Si, lorsque vous n'aviez point de moisson à préserver de l'in-
cendie ni d'armée ennemie sur vos frontières, le comité de constitution
vous a fait tolérer tant de décrets nationicides, balancerez-vous à céder
aux insinuations de vos chefs, lorsqu'on ne vous demandera que des
sacrifices d'abord très légers, pour amener une réconciliation générale.
Je connais bien le caractère de la nation. Des chefs qui ont pu vous
faire voter des remerciemens à Bouille pour la Saint-Barthéîemi des
patriotes de Nancy, auront-ils de la peine à amener à une transaction,
à un moyen terme un peuple lassé, et qu'on a pris grand soin jusqu'ici
plices de l'enlèvement. Aussitôt la section rromma une députation
de 12 membres et nous conduisons cette femme à l'assemblée natio-
nale.
« Robespierre et Buzot, que nous consultions, furent entraînés
par la .contenance assurée du témoin, et par l'ensemble de la dépo-
sition ; mais ils étoiént grandement embarrassés sur les mesures à
prendre. Tous les membres de l'assemblée étoient contre-révolution-
naires de fait, quelques-uns, sans le savoir, mais beaucoup sciem-
ment, et les autres par peur. Nous serons, disoient-ils repoussés
de la tribune, renvoyés au comité des recherches, et notre accu-
sation ira s'inscrire sur ce registre mortuaire des dénonciations.
Péthion vint, qui accrut l'embarras, et enraya Robespierre, qui
d'abord, étoit assez disposé à, enlever d'assaut .la réputation de Bailly
et de La Fayette » (mentionné par G. Walter, p. 175).
(7) Publié par le Moniteur, VIII, 721.
(8) Voir le Moniteur, VI, 323 et 331.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 521
de sevrer des douceurs de la liberté, pendant qu'on affectait d'en
appesantir sur lui toutes les charges, et de lui faire sentir toutes les
privations, qu'impose le soin de la conserver. Et voyez comme tout
se combine pour exécuter ce plan, et comme l'assemblée nationale
elle-même marche vers ce but avec un concert merveilleux.
« Louis XVI écrit à l'assmblée nationale, de sa main, il signe
qu'il prend la fuite, et l'Assemblée, par un mensonge, bien lâche,
puisqu'elle pouvait appeller les choses par leur nom, au milieu de 3 mil
lions de bayonnettes; bien grossier, puisque le roi avait eu l'impru-
dence d'écrire lui-même on ne m'enlève pas, je pars pour revenir vous
subjuguer; bien perfide, puisque ce mensonge tendoit à conserver au
ci-devant roi sa qualité et le droit de venir nous dicter, les armes à la
main, les décrets qui lui plairont, l'assemblée nationale, dis-je, aujour-
d'hui, dans vingt décrets, a affecté d'appeller la fuite du roi un enlève-
ment. On devine dans quelle vue.
« Voulez- vous d'autres preuves que l'assemblée nationale trahit
les intérêts de la nation ? Quelles mesures a-t-elle prises ce matin ?
Voici les principales. Le ministre de la guerre continuera de vaquer
aux affaires de son département, sous la surveillance du Comité mili-
taire; le ministre des affaires étrangères sous la surveillance du Comité
diplomatique. De même des autres ministres.
« Or, quel est le ministre de la guerre ? (9) C'est un homme que je
n'ai cessé de vous dénoncer, qui a constamment suivi les eriemens de ses
prédécesseurs, persécutant tous les soldats patriotes, fauteur de tous les
officiers aristocrates.
« Qu'est-ce que le comité militaire chargé de le surveiller? (10)
C'est un comité tout composé de colonels aristocrates déguisés, et nos
ennemis les plus dangereux. Je n'ai besoin que de leurs œuvres pour les
démasquer. C'est du comité militaire que sont partis dans ces derniers
tems les décrets les plus funestes à la liberté.
(Ici Robespierre a commenté quelques-uns de ces décrets; et pièces
à la main, il a prouvé que le comité militaire regorgeait de traîtres, qu'il
n'avait toujours fait qu'un avec Duportail, que Duportail était la créa-
ture du co.mité, et que la surveillance du ministre par le comité, son
compère, était une dérision !)
« Et le ministre des affaires étrangères, a-t-il ajouté, quel est-il ?
C'est un Montmorin qui, il y a un mois, il y a quinze jours, vous répon-
dait, se faisait caution que le roi adorait la constitution (11). C'est à ce
traître que vous abandonnez vos relations extérieures, sous la surveillance
de qui ? du comité diplomatique, de ce comité où règne un d'André, et
<9) Duportail.
(10) Voir sa composition. Arch. pari., XXXII, 560.
{11) Circulaire du 23 avril (Moniteur, VIII, 213) ; lettre à l'As-
semblée, 1er juin (ibid., 571).
522 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
dont un de ses membres me disait, qu'un homme de bien, qu'un homme
qui n'était pas un traître à sa patrie, ne pouvait pas y mettre le pied !
« Je ne poursuivrai pas plus loin cette revue. Lessart (12) n'a pas
plus ma confiance que Necker qui lui a laissé son manteau.
« Citoyens, viens-je de vous montrer assez la profondeur de l'abîme
qui va engloutir notre liberté. Voyez-vous assez clairement la coalition
des ministres du roi, dont je ne croirai jamais que quelques-uns, sinon
tous, n'aient pas su la fuite 7 Voyez-vous assez clairement la coalition
de vos chefs civils et militaires; elle est telle que je ne puis pas croire
qu'ils n'aient pas favorisé cette évasion, dont ils avouent avoir été si
bien avertis ! Voyez-vous cette coalition avec vos comités, avec l'assem-
blée nationale ! Et comme si cette coalition n'était pas assez forte,
je sais que tout à l'heure on va vous proposer à vous-mêmes une réunion
avec tous vos ennemis les plus connus: dans un moment, tout 89, le
maire, le général, les ministres, dit-on, vont arriver ici. Comment
pourrions-nous échapper ! Antoine commande les légions qui veulent
venger César; et c'est Octave qui commande les légions de la répu-
blique.
« On nous parle de réunion, de nécessité de se serrer autour des
mêmes hommes. Mais, quand Antoine fut venu camper à côté de Lé-
pidus et parla aussi de se réunir, bientôt il n'y eut plus que le camp
d'Antoine, et il ne resta plus à Brutus et à Cassius qu'à se donner
la mort.
« Ce que je viens de dire, je jure que c'est dans tous les points,
la plus exacte vérité. Vous pensez bien qu'on ne l'eût pas entendue
dans l'assemblée nationale. Ici même, parmi vous, je sens que ces véri-
tés ne sauveront pas la nation, sans un miracle de la providence, qui
daigne veiller mieux que vos chefs sur les gages de la liberté. Mais
j'ai voulu du moins déposer dans votre procès- verbal un monument de
tout ce qui va vous arriver. Du moins je vous aurai tout prédit, je
vous aurai tracé la marche de nos ennemis et on n'aura rien à me
reprocher. Je sais que par une dénonciation pour moi dangereuse à faire,
mais non dangereuse pour la chose publique; je sais qu'en accusant,
dis-je, ainsi la presqu'universalité de mes confrères les membres de
l'assemblée, d'être contre-révolutionnaires, les uns par ignorance, les
autres par terreur, d'autres par un ressentiment, par un orgueil blessé,
d'autres par une confiance aveugle, beaucoup parce qu'ils sont corrom-
pus, je soulève contre moi tous les amours-propres, j'aiguise mille poi-
gnards, et je me dévoue à toutes les haines; je sais le sort qu'on me
garde; mais si dans les commeneemens de la révolution, et lorsque
(12) Claude-Antoine Valdec de 'Lessart, maître des requêtes à la
Cour des Aides de Paris, contrôleur général des finances en 1790,
ministre de l'Intérieur, puis des Affaires étrangères en 1791, mas-
sacré à Versailles le 9 septembre 1792.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 523
j'étais à peine apperçu dans l'assemblée nationale; si, lorsque je n'y
étais vu que de ma conscience, j'ai fait le sacrifice de ma vie, à la
vérité, à la liberté et à la patrie; aujourd'hui que les suffrages de mes
concitoyens, qu'une bienveillance universelle, que trop d'indulgence,
de reconnaissance, d'attachement m'ont bien payé de ce sacrifice, je
recevrai presque comme un bienfait une mort qui m'empêchera d'être
témoin des maux que je vois inévitables. Je viens de faire le procès
à toute l'assemblée nationale, je lui dénie de faire le mien » (13).
Le Défenseur du Peuple, n" 3, p. 2-5.
« Discours de M. Roberspierre aux Jacobins : on le connaît, ma's
pas assez; des morceaux de cette force peignent le caractère de l'au-
teur; il regardera sans doute comme un service rendu, notre attention
à publier ses phrases moelleuses.
« Le représentant d'Arras répète ce que d'autres ont dit. que
l'assemblée nationale, qui a décrété la plus parfaite égalité possible,
a créé quatre ordres au lieu de trois; il dit qu'elle a distingué des
blancs, des noirs, des métis, des quarterons; ce réchauffé peut être
vrai; mais un collègue tel que lui devait s'opposer au décret avant
qu'ii fût prononcé : après sa sanction, son devoir est de le défendre
et d'espérer une modification. Il se garde bien de prononcer son discours
au milieu du sénat, mais aux Jacobins, de l'indulgence de qui il semble
douter encore. Il analyse le mémoire que le roi a laissé en partant, et
c'est avec toute la rigueur qu'on connaît à ce député qui veut acquérir
une popularité distinguée aux dépens de celle de ses co-législateurs.
« Voulez- vous d'autres preuves que l'assemblée a trahi la nation ? »
L'avons-nous bien lu ? N'y a-t-il pas ici une faute soldée de typogra-
phie ? Trahir la nation! Et c'est un député que la chronique, scanda-
(13) C. Desmoulins fait suivre ce discours du commentaire ci-
après: (( Voilà, autant que je m'en souviens, la substance du discours
de mon cher Robespierre. Que ne puis-je rendre cet abandon, cet
accent de patriotisme et d'indignation avec lesquels il l'a prononcé!
11 fut écouté avec cette attention religieuse dont on recueille les
dernières paroles d'un mourant. C'était en effet comme son testa-
ment de mort qu'il venait déposer dans les archives de la société.
Je n'entendis pas ce discours avec autant de sang-froid que je le
rapporte en ce moment, où 1 '(arrestation du ci-devant roi a changé
la face des affaires. J'en îvts affecté jusqu'aux larmes en plus d'un
endroit; et lorsque cet excellent citoyen au milieu de son discours,
parla de la certitude de payer de sa tête les vérités qu'il venait de
dire, m'étant écrié: Nous mourrons tons 'avant toi, l'impression que
son éloquence naturelle et la force de ses discours faisaient sur
l'Assemblée était telle., que plus de 800 personnes se levèrent toutes
à la fois et entraînées comme moi par un mouvement involontaire,
firent un serment de se rallier autour de .Robespierre, et offrirent
un tableau admirable par le feu de leurs paroles, l'action de leurs
mains, de leurs chapeaux, de tout leur visage, et par l'inattendu de
cette inspiration soudaine. »
524 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
leuse ou non, dit être du sang de Damien, qui se permet cette injure
qui doit lui aliéner à jamais l'estime de ses pairs? Nous disons voulez-
vous savoir à propos de quoi cette sortie ? Il s'agit de dénoncer M. de
Montmorin et le comité diplomatique, et tous les autres ministres in
globo; puis il fait des particularités, et M. Duportail qui persécute les
soldats patriotes, est peint comme le fauteur des officiers aristocrates :
nous en doutons, car nous avons la preuve acquise qu'une justice méri-
tée par de très longs services, n'a été obtenue de lui qu'après plusieurs
mois d'attente. Qu'est-ce que le comité militaire chargé de le surveiller ?
Ce sont des membres choisis par l'assemblée nationale, parmi lesquels
nous ne connaissons que M. le Chevalier de Franc, homme plein d'hon-
neur, et que nous aimons à croire l'égal de ses camarades; M. de Mont-
morin n'est appelé que traître; c'est une bagatelle, on connaît le style
honnête de M. Roberspierre. Vient ensuite le comité diplomatique où
règne un M. Dandré, et dont un de ses membres disait à l'orateur
véhément qu'un homme de bien ne pouvait y mettre le pied. Pendant
que M. Roberspierre était en train de dénoncer, il aurait bien dû nom-
mer cet honnête homme, et mieux encore cet excellent patriote aurait
dû se retirer de ce comité coupable, et, de mieux en mieux, M. Robers-
pierre devrait quitter l'assemblée nationale où vous allez voir qu'il ne
reconnaît que des coquins, ou à -peu-près. M. de Lessart, revêtu du
manteau de M. Nec^er, ne vaut pas mieux que lui. Puis le grand Arté-
sien nous montre la lanterne magique : « Voyez-vous la coalition des
ministres du Roi ? Voyez-vous la coalition de vos chefs civils et mili-
taires. Voyez-vous leur coalition avec vos comités, avec l'assemblée
nationale, etc.. ? » M. Roberspierre, nouveau Nostradamus, prédit tout
ce qui doit arriver, et n'arrivera pas. Il finit par accuser « la presque
universalité de ses confrères d'être contre-révolutionnaires, les uns par
ignorance, les autres par terreur, d'autres par une confiance aveugle,
beaucoup parce qu'ils sont corrompus ». Ceci est flatteur au possible:
nous ne craignons pas que le dénonciateur aiguise, ainsi qu'il le prétend,
mi//e poignards contre lui, nous savons pardonner des excès de ce genre;
il ne pourrait, à toute force, que redouter une correction plus douce; il
n'aura point l'honneur de mourir victime de sa démagogie, et l'assem-
blée nationale, malgré ses injures, ne perdra point de sa dignité. »
Mercure universel, t. IV, p. 405.
« M. Robespierre. J'ai vu aujourd'hui des citoyens remplis du saint
amour de la liberté; j'ai cru qu'il étoit des mesures à prendre; je viens
vous exposer celles que je crois indispensables. Je suis convaincu qu un
roi qui se détermine à renoncer à 25 millions de rentes, à des châteaux
immenses, à un grand pouvoir, un roi qui se détermine à abandonner
une aussi riche proie que le trône de France, ne s'y détermineroit pas
s'il ne comptait sur un parti très puissant. Des forces extérieures ne
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 525
pouvant être redoutables à trois millions d'hommes armés, j'ai pensé
qu'il falloit porter nos regards dans l'intérieur du royaume.
« Une nation seroit imprudente et j'ose dire insensée, si elle ne
prenoit tous les moyens qui sont en sa puissance pour déterminer sa
sûreté. Jusqu'à présent, qu'a-t-on fait ? Les ministres ont été mandés à
la barre, mais on leur a confirmé, ou peu s'en faut, les pouvoirs qu'ils
avoient (14): ils sont sous la surveillance des comités; mais qu'est-ce
que des comités ? Ni ces comités, ni les ministres, je l'avoue, ne peu-
vent avoir ma confiance : quand je ne parlerois pas du désarmement
des gardes nationales, de l'infortuné Muscar (15), laissé injustement
dans les fers, des malheureux soldats de Bourgogne (16) condamnés aux
galères, tant d'autres faits connus que je pourrois citer, m'obligent à
déclarer que le ministre de la guerre ne peut avoir ma confiance.
« Quant à M. de Montmorin, ne peut-il pas être soupçonné, ce
ministre de l'ancien régime de «'avoir pas envers le peuple les dispo-
sitions désirables ? Quel est M. de Montmorin ? qu'on le juge par les
faits. Il n'y a pas quinze jours encore qu'à l'assemblée nationale iî osa
se plaindre d'un article du Moniteur sur l'éclaircissement donné des
contre-lettres envoyées dans les cours pour démentir cette lettre consti-
tutionnelle que lui-même avoit signée (17).
« Maintenant, le roi est parti, et ses ministres régnent à sa place.
Avant ce départ, eux seuls concentroient en leurs mains le pouvoir
royal, rien n'est changé; or, le roi désormais va se concerter avec nos
ennemis, et ses ministres seront chargés de nous défendre. Qui osera
me dire que c'est pourvoir à son salut que de laisser à la tête de l'ar-
mée, dans ce moment, des officiers qui sont esclaves-nés de l'ancien
régime ? que de se confier à des ministres, dont il n'est pas bien prouvé
que la cour se soit trompée en les choisissant ? Une foule de patriotes
de l'Empire dépose contre ses ministres.
« Ce matin, l'assemblée nationale a reçu de la main du roi lui-
même un manifeste, dans lequel il se plaint de la prétendue spoliation
de son royaume (18); selon lui encore, dans les idées de ce roi plei.i de
<14) Cf. ci-dessus, séance permanente de l'Assemblée. 2e inter-
vention.
(15) Muscard, bas officier du régiment de Vivarais. Cf. ci-dessus,
séance des Jacobins du 20 mars 1791.
(16) Il s'agit sans doute de l'affaire de Nancy.
(17) Cf ci-dessus, séance du 1er juin 1791.
fis) Au cours de la séance permanente de l'Assemblée nationale
(21 juin au matin), le ministre Laporte, intendant de la liste civile,
mandé à la barre, avait remis au président un billet et un mémoire
de iLouis XVI, que lui avait transmis un domestique du premier
valet de chambre du roi. A K demande de Charles Lameth, un
secrétaire avait donné lecture de cette Proclamation du roi à tous
lûç Français à sa sortie de Paris. Sur la proposition de Barnave,
l'Assemblée décréta que ce mémoire serait signé et paraphe jpar
Laporte et par le président de l'Assemblée.
526 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
candeur, de ce roi honnête homme, la France est sa métairie, et les
Français ses vassaux. Seroit-ce donc qu'un, roi ne penseroit pas même
avoir à remplir les obligations des devoirs d'un homme ? Si cela étoit,
les rois seroient donc des fléaux dont la présence afflige et pèse sur les
peuples? Nous sommes arbitres de nos destinées; elles peuvent nous
échapper pour jamais : les Français doivent y penser (applaudi). Je ne
voudrois donc pas que les ministres de la nation en fussent les arbitres;
je ne voudrois donc pas qu'un petit nombre d'individus sacrifiassent la
nation à leurs intérêts. On cherche à établir des dissensions, des trou-
bles; on cherche à dégoûter le peuple; on voudroit que, las des maux
qu'il endure, ce peuple affamé demandât du pain à ses tyrans et que,
riches de ses dépouilles, ces mêmes tyrans lui en restituassent* quelque
peu pour le forcer d'accepter, non le retour de l'ancien régime, on sait
que cela ne se peut pas, mais une douce constitution machiavélique !
On voudroit vous ministérialiser ; déjà toutes les batteries sont dres-
sées; on séduira les hommes foibles; on leur fera entendre qu'un roi
et des ministres sont au monde les biens les plus doux, les plus dési-
rables!... Mais une anecdote que je ne puis croire, c'est qu'on répète
que, dans cette enceinte même, vous allez voir arriver les ministres!...
(Point de ministres, point de ministres, disent mille voix à l'instant) (19).
« M. Danton. Je prends ici l'engagement le plus sacré de porter
ma tête sur l'échafaud, où la leur doit tomber (20).
« M. Robespierre. Je voudrois que les députés des communes se
souvinssent qu'eux seuls sont les vrais représentans du peuple, qu'ils en
sont les plus fermes appuis. Je voudrois qu'à rassemblée nationale ils
fissent régner dans leurs délibérations, la plus belle des loix pour un
peuple libre, celle du silence; je voudrois que l'on se souvînt du jour
où nous vîmes à Paris, au milieu de deux haies de citoyens armés, qui
n'étoient pas des riches, mais qui offroient le spectacle le plus sublime !
(21). Qu'il fut heureux ce jour où les députés rassemblés au Jeu de
Paulme, firent serment de mourir libres !...
(Un mouvement imprévu saisit l'assemblée; tous les Amis de la
Constitution se lèvent, tous s'écrient avec l'énergie et le courage de
la liberté ; Jurons tous de vivre libre ou de mourir. Sitôt après arrivent
les Députés patriotes de l'assemblée nationale, qui se réunissent, aux
Amis de la Constitution pour ne former désormais avec eux qu'une
:(19) Il n'a jamais été question d'ame visite des ministres aux
Jacobins.
(20) Panton qui est en uniforme de la garde nationale, debout
près de la tribune (G. Walter, Histoire des Jacobins, p. 164) s'écrie
alors: « Si les traîtres se présentent dans .cette assemblée, je prend i
rengagement formel de porter ma tête sur ai ri échafaud, ou de prou-
ver que la leur doit tomber aux pieds de la Nation qu'ils ont tra-
nie ! <» Cité par E. Hamel, I, 491, "et par Aulard, II, 533. Cf. égale-
ment A. Lameth, Histoire de la Constituante, I, 124.
(21) Cf. Discours, lre partie, p. 38.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 527
sainte ligue de défenseurs du peuple et de la liberté. (Les applaudisse-
mens redoublent) (22).
« M. Robespierre. Qu'il fut heureux, ce moment où les repré-
sentai du peuple étoient exempts de toute influence funeste. Ce moment
est changé, mais la nation tout entière reste encore ! Il reste encore la
majorité des bons Français, il reste encore leur courage, leur amour
pour la liberté, leur résolution de mourir libres ! J'ai prévu toute l'éten-
due des mesures que je viens d'exposer, et de la démarche que je fais
aujourd'hui ; je n'en serai pas moins tranquille sur la destinée qui
m'attend : l'on m'a calomnié, mais aujourd'hui que la générosité de
ce peuple, qui m'a déjà payé mille vies, me donne un nouveau courage,
je la lui sacrifie, cette vie que j'aime à consacrer pour sa défense;
et si je suis victime de quelque méprisable cabale, je mourrai du moins
avec un nom cher à la postérité (très applaudi) » (23).
Procès-verbal de la séance du 21 juin 1791 de la Société des Amis
de la Constitution de Paris, séante aux Jacobins
« M. Robespierre est monté à la tribune. Il a fait, en peu de
mots, le détail de ce qui s'est passé à l'Assemblée nationale et des
mesures qu'elle avait prises en cette circonstance. Il a énoncé son opinion
à ce sujet. Il a discuté ensuite le décret qui conserve aux ministres
actuels, réunis aux différents Comités de l'Assemblée nationale, le pou-
voir exécutif. M. Robespierre a fini son discours, qui a été vivement
applaudi, par cette réflexion sur lui-même : « Peut-être en vous parlant
avec" cette franchise, vais-je attirer sur moi les haines de tous les partis.
Ils sentiront bien que jamais ils ne viendront à bout de leurs desseins
tant qu'il restera parmi eux un seul homme juste et courageux, qui
déjouera continuellement leurs projets et qui méprisant la vie, ne redoute
ni le fer ni le poison, et serait trop heureux si sa mort pouvait être utile
à la liberté de la patrie ». Le saint enthousiasme de la vertu s'est
emparé de toute l'Assemblée, et chaque membre a juré, au nom de la
liberté, de défendre M. Robespierre, au péril même de sa vie (24).
M. Robespierre a ajouté que la réunion des membres de l'Assemblée
(22) Cf. Aulard, IL 533, note B. et E. Hamel, I, 491.
(23) Texte reproduit par G. Walter, Histoire des Jacobins,
p. 162 à 165.
(24) Le Club des Cordeliers, aierté, avait lui aussi décidé de
protéger Kobespierre (Journal du Club, n° 6, p. 08, 10 juillet 1791):
« Un autre membre >a annoncé qu'une société d'ennemis de la révo-
lution avoit mis à prix la tête de M. lioberspïerre ; ique cette société
tan oit des assemblées secrettes, et qu'il falloit veiller à la sécurité
de M. Roberspierre. Chacun sait qu'il ;i fiait son testament et qu'il
s'attend à chaque iustaut à devenir la victime de son patriotisme.
La Société considérant que les >amis des droits de l'homme doivent
particulièrement veiller à la sûreté individuelle des patriotes, a
arrêté que des commissaires seroient nommés pour s'attacher aux
528 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
nationale, que l'on venait d'annoncer, ainsi que la réunion des ministres
à la Société, allait avoir lieu à l'instant même » (25).
Le Logographe, journal national, 30 juin 1791, p. 314.
« La séance y fut orageuse; M. Robespierre y parla contre le*
mesures prises par l'assemblée nationale, jetta des soupçons contre les
comités, contre les individus; il invita pour ainsi dire à la défiance. »
pas de 'M. Roberspierre, et le garantir aux dépens de leur vie des
dangers dont il est menacé. Ne crains rien, Roberspierre, une puis-
sance inconnue veille sur toi, et ta vie est en sûreté au milieu de
tes plus cruels ennemis. Le Club des Gordeliers qui renferme dans
son sein autant de tyrannicides qu'il compte de membres, ne t'aban-
donne pas à l'aveugle fureur d'assassins détestables. »
De même, la Société des Jacobins de Marseille envoie à celle de
Paris l'adresse suivante: « Français, hommes vraiment libres des
quatre-vingt-trois départemens, vos frères et amis les Marseillois,
vous invitent .à rendre hommage à Robespierre, ce digne représen-
tant de la nation, cet apôtre de la liberté nationale. Reconnoissez
avec lui l'attentat énorme commis contre vos droits. Il est cette
sentinelle 'vigilante, que rien n'a pu surprendre, cet unique émule
du Romain Fabrice, dont le despote Pyrrhus louoit les vertus par
ces mots si célèbres : il est plu"* facile de détourner le soleil de sa
course, que d'écarter Fabrice de la voie de l'honneur.
<( Voûte sacrée des Jacobins, pourrez-vous retentir de plus de
vérités que Kobespierre et Danton ne vous en ont fait entendre
Prolongez-en les sons dans tous les clubs de l'Empire. Nos voûtes
retentiront comme les vôtres, et répéteront leurs noms.
« Sachez, Français, que vos frères de Marseille ont juré de
veiller à la constitution précieuse de ces hommes rares, que la capi-
tale a l'heureux avantage de posséder dans son sein, et dont les
nombreux essaims des noirs, des impartiaux, méditent la perte. Si
par une constance fière, vous n'arrêtez les projets ambitieux de ces
prétendus zélés qui se sont coalisés pour éterniser leur pouvoir,
répondez-nous de la vie, des jours de Robespierre et Danton : que
vos corps leur servent de rempart. Fixez sur-tout vos regards autour
du fauteuil constitutionnel que quelques traîtres à la patrie veulent
ériger en trône. Ralliez-vous contre les attaques et les plans machia
vélistes d'un André: ne souffrez pas que la constitution soit livrée
à un membre si dangereux pour la chose publique. Des Marseillois,
à la moindre lueur de danger, voleront auprès de vous, pour vju.s
servir de leurs bras ; et suivis des excellens patriotes des départe-
mens, dis iront dans la capitale arracher le masque aux hypocrites,
et placer la vérité sur le fauteuil national, entre Robespierre et
Danton (Révolutions de France et de Brabant, t. VII, n° 86,
I> 22) cité dans le Patriote François, n° 723, p. 135. »
<25) Texte reproduit dans Aulard, II, 533.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 529
309. — SEANCE PERMANENTE
DES 23 JUIN 1791 ET JOURS SUIVANTS
Sur la fuite du roi (suite)
5 e intervention (23 juin, au soir) :
Le 22 au soir, la .nouvelle de l'arrestation du roi parvient à
l'Assemblée qui siège en permanence. (Le président donne connais-
sance aux députés d'un certain nombre de lettres qu'il vient de rece-
voir. L'une émane de la municipalité de Varennes, qui annonce
l'envoi de M. Mangin, chirurgien à Varennes, chargé de prévenir
l'Assemblée que le roi est dans cette ville, et de prendre les ordres
de l'Assemblée.
Le 23 juin, dans la soirée (1), Robespierre propose qu'une cou-
ronne civique soit décernée à Mangin. L'Assemblée renvoie cette
proposition à son comité de constitution.
Le 18 août, sur le rapport de Varin, député du tiers état de la
sénéchaussée de Rennes, au sujet des récompenses à (accorder « à
ceux qui ont empêché le plus efficacement à Varennes l'évasion du
roi .)>, l'Assemblée décida, entre autres mesures, que Mangin rece-
vrait « à titre de récompense nationale, une somme de 6.000 livres ».
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXVIII, p. 279
Courrier des LXXX1I1 départemens, n° 26, p. 400.
« M. Robespierre. Vous avez assez applaudi, ce matin, au zèle
des citoyens qui ont arrêté le roi; mais ce n'est point assez, il faut
encore saisir l'occasion la plus utile qui se soit présentée à vous, de
récompenser et d'encourager les vertus civiques : c'est dans le moment
le plus cntiçue de la révolution, où M. Petit-Mangin et ceux qui ont
secondé l'action la plus patriotique ont rendu à la patrie le plus signalé
de tous les services, que vous devez à ces citoyens une récompense
digne à la fois de leur patriotisme, et du peuple libre qui doit les récom-
penser. Je demande qu'il leur soit décerné par l'assemblée nationale,
une couronne civique (oui, oui; vifs applaudissemens) » (2).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 175,, p. 725.
« M. Roberspierre. La patrie doit être reconnaissante. M. Mangin
et les deux gardes nationales qui ont arrêté la voiture du roi, ont rendu
un service signalé. Je demande qu'il leur soit décerné une couronne
civique » (3).
(1) Il s'agirait d'après le Journal des Débats de 1 heure de
l'après-midi, et de 5 heures d'après le Mercure de France.
<2) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVII, 450.
(3) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 736; et Bûchez et»
Itoux, X, 331.
530 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 175, p. 725.
« M. Roberspierre. Le décret qu'on vous propose, préjuge de
grandes questions On ne voit dans la première partie qu'une disposi-
tion sévère contre les conseillers de l'évasion du roi. Le devoir des
représentans de la nation les oblige à agiter une question plus impor-
tante Vous la pressentez tous, je ne veux pas la déveolpper et j'en
demande l'ajournement. Vous avez reconnu avec sagesse que vous ne
devez pas supposer des intentions coupables contre la personne du roi.
Les mesures que vous avez déjà prises sont suffisantes. Depuis cet
événement, le peuple a montré une conduite si sage, si imposante, qu'il
est impossible de ne pas se reposer sur sa modération. Ce serait lui faire
injure que de ne pas regarder comme suffisantes, les précautions déjà
prises. Je finis en disant que prévoir un désordre qui ne peut exister,
c'est faire naître le danger » (4).
Le Législateur français, t. II, p. 3-4.
Journal du Soir (Beaulieu), n° 173, 24-6-91, p. 2.
« M. Robertspierre s'est élevé contre les deux premières disposi-
tions du projet; il lui a semblé qu'elles préjugeoient une grande ques-
tion dont l'assemblée nationale devoit la discussion au peuple. Il ne
s'est pas expliqué très-clairement; mais il n'est pas difficile de deviner
qu'il vouloit parler du droit des peuples de destituer les rois : il a
demandé l'ajournement du premier article.
« Qua$t au second, il pensoit que c'étoit une injure faite au
peuple Français; qu'on ne devoit pas douter qu'il ne se comportât avec
cette sagesse et cette fierté majestueuse qui étonnera l'Europe; deshon-
norât sa gloire par des excès coupables, au moment où les personnes
qui vouloisat s'exiler de la France, rentreroient dans la capitale.
a Croyez-moi, messieurs, disoit M. Robertspierre, ne portez point
des lois pénales contre un peuple généreux, dans la supposition où il
pourroit se laisser aller à des désordres. Laissez-lui le mérite de sa
dignité; reposez-vous sur son intérêt et sa sagesse » (5).
Le Patriote françois, n° 686, p. 709.
« M. Robespierre a appelé la reconnoissance publique sur M. Mon-
gins, chirurgien, qui a le plus contribué à l'arrestation du roi. Ce
citoyen est le premier qui l'ait reconnu, et qui, avec deux ou trois autres
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 736; et Bûchez et
Roux, X, 332; et les Arch. pari., XXVII, 452.
(5) Le Club des Cordeliers porte à l'Assemblée, dans l'après-
midi du 24, la pétition dite « des ,30.000 » dans laquelle il souhaite
qu'on ne prenne «aucune mesure relative -au roi sans avoir consulté
au préalable les départements Cette démarche se déroule dans le
plus grand calme .(Cf. A. Mathiez, (Le Club des Cordeliers pendant
la crise de "Varennes, in-8° Champion, Baris, -1910, p. 53).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 531
gardes nationales, a forcé la voiture de s'arrêter, malgré les dragons et
les hussards qui l'accompagnoient. M. Robespierre proposoit de lui
décerner une couronne civique. On a renvoyé au comité de constitution,
pour faire un rapport sur les cas dans lesquels cette couronne sera décer-
née, et sur celle que mérite M. Mongins. »
Courrier extraordinaire, 25 juin 1791, p. 2-3.
Chronique de Paris, n° 176, p. 702.
« M. Robespierre a appelle l'attention de l'assemblée sur la récom-
pense qu'elle doit aux personnes qui ont empêché l'évasion du roi.
Ce n'est pas assez, a dit l'opinant, d'avoir applaudi à leur action, il
faut aussi récompenser leurs vertus civiques. M. Mougin, qui a le plus
contribué à l'arrestation, mérite une couronne civique. Je fais la motion
que l'assemblée la lui décerne. »
Le Point du Jour, t. XVIII, n° 715, p. 323.
« La patrie doit être reconnoissante, a dit M. Robespierre. M.
Maugin et les deux gardes nationales qui ont arrêté la voiture du roi,
ont rendu un service signalé à la patrie. Je demande qu'il leur soit
décerné une couronne civique. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Législateur fran-
çais, t. II, 25 juin 1791, p. 2; La Gazette universelle, n° 176, p. 703;
Le Bulletin et Journal des Journaux, 27 juin 1791, n° 76; Le Journal
général de France, 25 juin 1791, p. 707; Le Mercure national et étran-
ger, p. 1 1 1 1 ; Le Journal général, n° 145, p. 605; Le Mercure de
France, 2 juillet 1791, p. 42; La Vedette ou Pièces de toutes les nou-
velles du Jour, 25 juin 1791, p. 7 ; La Correspondance nationale, 25 juin
1791, n° 38; Le Journal des Débats, n° 764, p. 5.]
6e intervention (nuit du 23 au 24) :
La séance permanente se poursuit. Thouret, au nom du comité
de constitution, propose le projet de décret suivant:
« L'Assemblée nationale déclare traîtres à la nation et au roi,
ceux qui ont conseillé, aidé ou exécuté l'enlèvement du roi, et de
tous ceux qui, pour favoriser des desseins pervers, aussi contraires
aux droits du peuple qu'aux intérêts de la royauté, tenteraient de
mettre obstacle à .son retour et à sa réunion aux représentants
de la nation.
« L'Assemblée nationale ordonne à tout fonctionnaire civil ou
militaire d'employer, chacun en ce qui le concerne, • l'autorité qui
leur est confiée pour protéger le retour du roi, de repousser par la
force, saisir et mettre en état d'arrestation tous ceux qui porte-
raient atteint^ au respect dû à la dignité royale »
.Robespierre intervint le premier dans la discussion de ce pro-
jet. Après que divers orateurs eurent pris la parole, dont Reubell,
ic projet de décret lut ajourné.
532 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Courrier extraordinaire, 25 juin 1791, p. 4.
Mercure universel, t. IV, p. 392.
Le Courrier des LXXXîîl départemens, n° 26, p. 402.
<( M. Roberspierre s'est élevé fortement contre les deux pre-
mières dispositions du projet : il lui a semblé quelles préjugeoient une
grande question.
« On ne voudroit donc, a-t-il dit, ne s'attacher qu'à punir les
perfides conseillers du roi. Il est , je le conçois, une mesure plus
vaste qu'exige la stricte justice. Vous me comprenez, sans doute,
messieurs, sans que je m'explique davantage. (Ici l'Assemblée paroît
frappée d'étonnement de la hardiesse des propos de l'opinant). Il
continue.
« Je trouve encore un très grand vice dans ce projet He loi ; c'est
d'aller prévoir que ce peuple qui vient de se montrer si s?~e et si fier,
se livreroit à des désordres au moment où les personnes que l'on ramène
entreroient à Paris. Cette présomption est une injure atroce. Croyez-
moi, messieurs, ne portez point de loix pénales contre ce peuple géné-
reux dans la fausse supposition qu'il pourroit se laisser aller à des désor-
dres. Laissez-lui le mérite de la dignité ; reposez-vous sur son intérêt
et sur sa sagesse. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXVII! . p. 285.
« M. Robespierre. Le premier article préjuge une grande et impor-
tante question que vous pressentez tous et qui doit être discutée solem-
nellement et sous ce rapport, je demande qu'il soit ajourné. Quant à
ce qui concerne le second article, je demande que, pour l'intérêt même
des personnes dont on parle, que pour l'homme du peuple françois, il
soit rejette, et que vous reposiez sur les mesures suffisantes déjà pr.ses
à cet égard. »
Journal général de France, p. 708.
« Lm Orateur, M. Robertspierre, en s'élevant contre les pre-
mières dispositions de ce projet, a voulu faire entendre, assez obscuré-
ment toutefois, que les Peuples ont le droit de destituer les Rois. Quant
au reste du Décret, l'Orateur a pensé qu'on ne doit point porter de loix
pénales contre un Peuple généreux, dont la fierté et la sagesse majes-
tueuse étonnent toute l'Europe; laissez-lui, a-t-il dit, le mérite de sa
dignité, reposez- vous sur lui et ne craignez point qu'il se laisse aller
à des désordres. ))
Journal de Rouen, n° 176, p. 852.
« M. Robertspierre. Il y a dans cet article deux dispositions: la
première me paroît prématurée, nous n'avons point encore des rensei-
gnements assez clairs pour l'admettre.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 533
(( La seconde me paroît injurieuse au peuple français; il a dans
cette circonstance montré la plus grande modération ; ainsi il ne doit
être question à son égard d'aucune peine afflictive. Ces réflexions ont
été vivement appuyées par M. Rewbel. »
Journal des Débats, n° 764, p. 7.
« Ce projet de Décret, a dit M. Robespierre, me paroît suscep-
tible d'une critique sévère. Il préjuge une grande et terrible question
que le salut de la Patrie vous prescrit d'examiner; on n'y voit autre
chose que des dispositions sévères contre les conseillers perfides qui
ont égaré le Roi. Mais le devoir des Représentans de la Nation les
oblige à agiter une question plus importante. Je ne veux pas l'agiter
moi-même en ce moment; et sous ce rapport, je demande qu'on passe
à l'ordre du jour sur le premier article du Comité. M. Robespierre s'est
vivement élevé contre le dernier article : ce n'est pas, a-t-il dit, au
moment où le Peuple montre la sagesse et la fermeté !a plus noble,
qu'on peut lui faire des injonctions et des menaces indignes de la
majesté du Peuple François. »
Le Patriote François, n° 686, p. 710.
« M. Robespierre a paru animé de ces sentimens, lorsqu'il s'est
élevé avec indignation contre le projet de décret. « On ne voudroit
donc, a-t-il dit, s'attacher qu'à punir les perfides conseillers du roi; il est
une mesure plus vaste qu'exige la stricte justice. (Ici mouvement de sur-
prise, et d'une espèce d'effroi).
« Mais pourquoi prendre dans ce décret des précautions insultantes
contre le peuple ? A-t-il excité des désordres au moment de la fuite du
roi ?... Ah ! laissez, laissez à ce peuple le mérite de la dignité, reposez-
vous sur son intérêt et sur sa sagesse. »
Le Point du Jour, t. XXIII, n* 715, p. 324.
« M. Robespierre s'y oppose : il se présente ici, a-t-il dit, de
grandes questions, mais le devoir des représentans de la nation les
oblige à agiter une question plus importante. Vous devez m'entendre
et j'en demande l'ajournement. Vous ne devez pas supposer des inten-
tions coupables contre la personne du roi. Les mesures déjà pr'ses sont
suffisantes. Le peuple a montré une conduite si sage, si importante,
qu'il est impossible de ne pas se reposer sur sa modération. Ce seroit
faire naître des dangers. Je demande le rejet de la deuxième partie et
l'ajournement de la première. »
[Brève mention de cette intervention dans L'Ami de la Révoh'
lion, 23-30 juin 1791, p. 172; L'Argus patriote, n° 6, p. 163; La
Gazette universelle, n° 176, p. 703; Le Mercure de France, 2 juillet
1791, p. 44; Le Journal général, n" 145, p. 605; Assemblée nationale,
Corps administratifs (Perlet), t. XII, n° 689, p. 2.1
534 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
7Ô intervention (25 juin au matin) :
Sur l'état de siège dans les places de guerre
Emmery présente, au nom du comité militaire, un projet de
décret relatif aux places de guerre. Il prévoit, entre autres disposi-
tions, que dans les places de guerre, les magistrats et autres offi-
ciers civils, lorsque l'état de guerre aura été proclamé, pourront
être requis par le commandant militaire de se prêter aux mesures
d'ordre et de police, qui intéresseront la sûreté de la place (art. 7).
Lorsque l'état de siège sera proclamé, toute l'autorité dont les
magistrats et officiers civils sont revêtus par la constitution, pour
le maintien de l'ordre et de la sécurité intérieure, passera au com-
mandant militaire iqui l'exercera exclusivement sous sa responsa-
bilité personnelle {.art. 10).
Malgré la protestation de (Robespierre, l'Assemblée décréta le
projet présenté par son comité militaire.
Journal du Soir sans réflexions, n° 449.
Journal de Rouen, 1791, n° 178, p. 864.
« M. Robespierre frémissait des conséquences terribles d'un décret
qui anéantissait les plus sages dispositions de l'organisation administra-
.tive; c'était suivant lui, substituer à l'autorité légitime de la loi, le pou-
voir toujours arbitraire, toujours tyrannique des commandans de place.
Il est possible que pour anéantir la constitution, on déclare la majeure
partie des places de guerre pour paralyser le pouvoir du corps adminis-
tratif, afin d'habituer insensiblement le peuple à la vexation, afin de
sonder ses dispositions, et d'épier le moment favorable pour le replon-
ger dans l'esclavage; je demande donc la question préalable sur un
projet aussi anti-constitutionnel, ou du moins mon avis est que nous déli-
bérions plus long-tems, et avec plus de circonspection, sur un objet
de si grande importance. »
8e intervention (26 juin au matin) :
Sur la déclaration à recevoir du roi, au sujet de sa fuite
Duport, au nom des comités de constitution et de législation
criminelle, rappelle le décret pris la veille par l'Assemblée, et qui
ordonne que ,les personnes qui accompagnaient le roi et sa famille,
seront mises en état d'arrestation et qu'une information sera ouverte.
Il présente un projet de décret en conséquence. L'information sera
ouverte par le tribunal de l'arrondissement .où le délit a été com-
mis, c'est-à-dire par le tribunal de l'arrondissement des Tuileries
(art. 1) (6). L'interrogatoire et l'audition des témoins seront donc
menés par des commissaires de ce tribunal (art. 2). Quant aux décla-
(6) La Haute Oo'ur d'Orléans en conçut du dépit. Une députation
qu'elle envoya à la Constituante pour protester, fut admise à la
barre le 6 juillet <Cf. Se'ligman, op. cit., II, 29).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 535
rations du roi et de la reine, elles seront reçues par trois commis-
saires nommés par l'Assemblée nationale qui, fsur leur rapport,
décidera des mesures ultérieures qu'elle prendra (art. 3). Robes-
pierre, puis Buzot et iCihabroud protestent centre cet art. 3.
L'Assemblée n'en «suivit pas moins ,ses comités /et vota l'art. 3,
sous cette rédaction : <• L'Assemblée nationale nommera trois com-
missaires pris dans son sein pour recevoir les déclarations du roi
et de la reine; elles seront reçues séparément de la bouche du r à
et de la reine, mises par écrit et signées de l'un et de l'autre. Le
tout sera rapporté à l'Assemblée nationale, pour «tre pris par elle
les dispositions qu'elle croira convenables. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXVIII,
pp. 375 et 386.
« M. Robespierre. Le parti d'attribuer à des commissaires, pris
dans le sein de l'assemblée, le soin de recevoir les déclarations du roi
et de la reine, ne me paroît ni le plus sage, ni le plus conforme aux
principes: j'observe que, comme il s'agit d'un fait grave, comme toutes
les mesures que vous prenez tendent à connoître, à constater la vérité
d'un seul fait, il est impossible qu'une partie, chargée de recevoir les
premiers éclaireissemens, soit également chargée de prendre juridique-
ment des éclaireissemens relatifs au même fait; ce sont les premiers
principes qui le disent. Il n'y a donc aucune raison d'attribuer à des
commissaires de l'assemblée une autorité spéciale pour recueillir les
lumières qui peuvent émaner du roi et de la reine, tandis que vous
attribuez les mêmes pouvoirs au pouvoir judiciaire. Vous devez donc
attribuer au tribunal des Tuileries, chargé d'interroger les autres témoins,
le soin de recevoir les déclarations du roi et de la reine, qui ne peu-
vent être considérés que comme d'autres agens de ces mêmes événe-
mens.
« Eh ! que l'on ne dise pas que la confiance de la nation, qui s'est
ralliée autour de l'assemblée nationale, impose à cette assemblée le
devoir ou la convenance de se charger elle-même de nommer des com-
missaires pour entendre le roi ou la reine; car, messieurs, plus la con-
fiance de la nation se rallie autour de vous, plus vous devez la ménager
avec soin, et j'ose le dire, avec délicatesse. Il ne faut point donner
lieu à la nation de s'étonner de ce que vous auriez fait une division
aussi extraordinaire, de ce que vous auriez violé tous les principes pour
faire une exception aussi singulière pour le roi et pour la reine, lorsqu'il
est évident qu'ils dévoient être entendus par le même tribunal chargé
de recueillir toutes les lumières relatives à procédure. Que l'on ne dise
pas non plus que l'autorité royale seroit dégradée par le maintien de la
règle que je propose. Un citoyen, une citoyenne, de quelque rang qu'il
soit, un homme quelconque quelqu'élevé qu'il soit en dignité, ne peut
jamais être dégradé, lorsqu'il est soumis à la règle établie par les loix.
La reine n'est qu'une citoyenne, le roi, dans le moment actuel, et pour
l'affaire dont il s'agit, est un citoyen comptable envers la nation; et en
536 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
qualité de premier fonctionnaire du royaume, il est soumis aux lois, et
doit suivre les principes de la loi » (7).
...« Je demande que la déclaration du roi et de la reine soit réd'gée
par écrit, signée d'eux et des commissaires » (8).
Journal de Paris, n° 178, p. 714.
Le Patriote françois, n° 689, p. 721.
u Je m'oppose, a dit le premier M. de Roberspierre, à l'article qui
tend à faire interroger par la Justice tous ceux qui ont concouru à l'éva-
sion du Roi et de la Reine, et à faire nommer trois Membres de cette
Assemblée pour que le Roi et la Reine fassent devant eux leur décla-
ration; quand ils ont à. répondre de leur conduite à la Nation, le Roi
et la Reine ne sont plus que des Citoyens : ces distinctions d'esclaves
ne peuvent pas être admises par des Législateurs qui parlent de liberté
et d'égalité On dit qu'il ne faut pas rabaisser la dignité royale; je le
pense aussi : mais qui peut se rabaisser en se soumettant à la loi, dont
le joug honore tous ceux qui le reçoivent? Vous avez vu, MM., la
confiance de la Nation se rallier autour de vous dans cette époque
difficile; mais prenez-y garde, pour conserver cette confiance il faut la
traiter avec ménagement, avec délicatesse même. Au moment où tant
d'hommes que l'orgueil affecte de dédaigner viennent de montrer une
grandeur si réelle, n'allez pas les humilier par ces distinctions qui
doivent s'effacer au moins devant la Loi. Je conclus donc à ce que
le Roi et la Reine soient interrogés par le même Tribunal de Justice
que tous ceux qui, pour le même fait, sont dans un état d'arrestation. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 178, p. 735.
Journal de la Noblesse, t. II, n° 27, p. 232.
« M. Roberspierre. Je demande à parler contre l'art. III, qui
ordonne que les Commissaires de l'Assemblée nationale recevront les
déclarations du roi et de la reine ; il faut que la même autorité qui est
chargée d'une partie des informations, soit chargée de les prendre
toutes; c'est là le principe; il n'y a aucune raison pour en charger les
commissaires de l'Assemblée nationale, et qu'on ne dise pas que la
confiance que le peuplé témoigne à l'Assemblée nationale lui en impose
le devoir; car plus la confiance de la nation se rallie autour de nous,
plus nous devons la ménager avec soin et délicatesse. Or, nous ne méri-
terions plus cette confiance, si nous violions le principe, si nous faisions
une exception pour le roi et la reine ; qu'on ne dise pas non plus que l'au-
torité royale sera dégradée. Un citoyen, une citoyenne, un homme
quelconque, à quelque dignité qu'il soit élevé, ne peut jamais être
dégradé par la loi. La reine est une citoyenne; le roi, dans ce moment
(7) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVII, 537.
(8) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVII, 542.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 537
est un citoyen comptable de la nation et en qualité de premier fonc-
tionnaire public, il doit être soumis à la loi. (On applaudit) » (9).
Le Point du Jour, t. XXIII, n° 718, p. 400 et 405.
« La proposition de prendre trois commissaires dans rassemblée,
s est écrié M. Robespierre, n'est ni sage, ni conforme aux principes.
Il faut charger le même tribunal qui fera l'information de recevoir les
déclarations du roi et de la reine. C'est parce que la confiance de la
nation s'est ralliée autour de l'assemblée nationale, qu'il faut la ménager
avec beaucoup de délicatesse et de soin. Qu'on ne dise pas que la
déclaration du roi et de la reine faites (sic) à des membres de l'assem-
blée nationale, ne dégradera pas la dignité royale; comme si cette
dignité pouvoit l'être devant les tribunaux ! Le roi et la reine, comme
citoyens, sont soumis aux loix; il n'y a pas de dégradation à paroître
devant les tribunaux en vertu de la loi. Je concluds à ce que les mêmes
juges reçoivent ces déclarations. »
...« M. Robespierre a demandé que la déclaration fût reçue par
écrit et signée du roi, de la reine et des commissaires; adopté. »
L'Ami du Roi (Montjoie), 28 juin 1791, p. 715.
« MM. Robespierre, Buzot, et sur-tout M. Chabroud, ont soutenu
que le roi ne deûoit pas être traité différemment qu'un autre citoyen;
que c'étoit d'ailleurs comme individu, et non comme roi qu'il étoit
requis de faire cette déclaration, et qu'en conséquence il falloit donner
cette mission aux mêmes juges, à ceux de l'arrondissement » (10).
Courier de Provence, n° 178, p. 867.
« Cet article a été attaqué par MM. Robertspierre, Buzot et Cha-
brout.
(9) Texte reproduit dans le Moniteur, VIII, 756; et Bûche-, et
Boux, X, 382.
(10) Fréron dans l'Orateur du Peuple (t. VII, n° 6, p. 48) signale
qu' m un o'fficier de la garde nationale, section des Petits Pères
Nazareth, a arrêté un colporteur sur l'annonce qu'il faisait que
M. Robespierre avait demandé à l'Assemblée nationale que le ci-
devant roi fût jugé comme tous les autres particuliers. Cette arresta-
tion a eu lieu 'dans la rue Neuve-Sain.t-Laurent ». Il conclut en
dénonçant « à tout Paris cet épaulettier puant le royalisme ». De
son côté, Marat (Ami 'du Peuple, n° 504, p. 8) prend violemment
à parti la majorité de l'Assemblée. « Voyez, écrit-il, I* marche de
l'assemblée nationale toute composée de contre-révolutionnaires,
['incorruptible Robespierre seul excepté. Elle commence par mettre
à couvert de la juste fureur du peuple, le monarque et sa famille ».
II s'en prend également aux Jacobins i(n" 511, p. 8): « Amis de la
patrie, faites passer par des voies sûres cette feuille aux sociétés
patriotiques de tous les département», et à tous nos régimens étran-
gers et nationaux ; prévenez-les de ?.e méfier des Jacobins, plus que
suspects depuis leur réunion à Mottié, Bailly, Chapelier. Emery,
Target, Desmeuniors, d'André et d'autres chefs des conspirateurs
538 LES DISCOURS PE ROPESPIERRE
« Nous ne devons pas, ont-ils dit, nous arroger des droits qui ne
nous conviennent point ; nous avons délégué tous les pouvoirs, nous ne
pouvons les retenir. La reine est une citoyenne, le roi est un citoyen;
c'est le premier fonctionnaire public; en cette qualité, il est soumis
à la loi. Il faut donc suivre la marche ordinaire de la justice, et que les
mêmes commis reçoivent la déclaration du roi et de la reine. »
Journal des Débats, n° 766, p. 13.
« M. Robespierre et M. Buzot ont demandé que les déclarations
du Roi et de la Reine fussent entendues par les Tribunaux, sans l'ad-
jonction des Commissaires pris dans l'Assemblée. Ces déclarations ne
peuvent, en effet, être considérées que comme des actes judiciaires,
comme des actes de la procédure. L'Assemblée, qui a repoussé avec
sagesse la proposition d'adjoindre quelques-uns de ses Membres aux
fonctions du pouvoir exécutif, se gardera bien de s'immiscer dans les
fonctions plus dangereuses encore du pouvoir judiciaire. Plus la Nation
lui témoigne de confiance, plus elle doit en user avec ménagement.
Quelle raison aurions-nous ici de nous écarter des principes ? La Reine
est une simple citoyenne, et le Roi n'est, dans ce moment, qu'un
citoyen comptable envers la Nation. »
Le Législateur français, 27 juin 1791, p. 7.
« L'article III, portant qu'il seroit nommé des commissaires, pris
dans le sein de l'assemblée, pour recevoir les déclarations du roi et de
la reine, a été l'objet d'une discussion assez vive. M. Roberspierre
disoit nettement que ce seroit faire une injure à la nation de faire une
contre-révolutionnaires ; prévenez-les que Robespierre est le seul
homme pur qui se trouve encore dans le sénat, et que l'ami du
peuple sera toujours l'incorruptible, L'imperturbable défenseur et
des droits du citoven et de la liberté publique ».
Enfin, le Babillard <n° 24, p. 4) rapporte que: « dans le Café
du Caveau... un homme aux cheveux ronds et plats... a rappelé la
■séance du 21 juin dans laquelle Robespierre aurait dû monter à la
tribune pour dénoncer tous les membres gangrenés de l'assemblée
nationale et les chasser sur le champ ». Tandis que la Constituante
achève de se discréditer dans l'opinion publique, Robespierre et ses
amis apparaissent comme les seuls 'défenseurs des droits du peuple
et leur popularité s'accroît. « Que ne ferait-il pas, écrit le rédacteur
des Révolutions de Paris (n° 102, p. 341) à propos de Thouret, jî
Robespierre n'étoit là pour opposer la digue de son patriotisme au
débordement des principes détestables de ce comité » (du comité de
constitution). Et Rutle'dge, dans son Creuset (t. II, n° 51) ajoute
à propos de l'élection à la présidence de l'assemblée qui eut lieu
pendant cette période: « M. de Beauharnais a été élu... et le sage
Kobespierre écarté ! Les observateurs sévères en rapprochant cette
mesure de l'événement qui vient d'avoir lieu le 21, en ont tiré
d'étranges inductions contre la pureté de la majeure partie du Sénat
en exercice ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 539
exception pour la reine, et le roi qui sont comptables de leurs actions
au peuple, et le roi sur-tout en sa qualité de premier fonctionnaire public;
et il concluoit à ce que les déclarations, dont il s'agit, fussent reçues
par le tribunal chargé du fond de l'affaire. »
Mercure de France, 9 juillet 1791, p. 102.
« Moins enveloppé, M. Roberspierre a soutenu que les juges du
tribunal de l'arrondissement des Tuileries, dévoient interroger les té-
moins et recevoir toutes les déclarations; que plus le peuple a de
confiance en l'Assemblée nationale, plus celle-ci doit la ménager avec
délicatesse, et ne pas violer tous les principes pour faire une exception
aussi singulière; qu'aucun citoyen ne se dégrade en obéissant aux loix;
que la Reine n'est qu'une citoyenne, et le Roi un citoyen comptable
à la nation. »
[Brève mention de cette intervention dans Assemblée nationale,
Corps administratifs (Perlet), t. XII, n° 691, p. 4; Le Journal des
Mêcontens, n° 121, p. 2; La Feuille du Jour, t. IV, n° 178, p. 750;
La Chronique de Paris, n° 178, p. 715; La Gazette nationale ou Ex-
trait..., t. XVII, p. 354; Le Journal général du Pas-de-Calais, 17°1,
n° 1,p. 5.]
310. — SEANCE DU 5 JUILLET 1791
Sur la police municipale
1re intervention: Sur l'inviolabilité du domicile
Démeunier, au nom du comité 'de constitution, rapporte devant
l'Assemblée le projet lde décret sur l'organisation et les règles de
la police municipale et la police correctionnelle. iL'Àssemblée vote
rapidement les articles concernant les «dispositions d'ordre public
pour les villes de vingt mille âmes et au-dessus, et en arrive aux
règles à suivre par les officiers municipaux pour constater les contra-
ventions de police.
L'art. 10 du projet donne lieu à débat. Robespierre intervient.
Ses observations amènent le rapporteur, <à proposer la division de
l'article en deux parties distinctes. iL'Assemblée se range à cet avis,
et vote les art. 9 et 10:,
« 9. Nul officier municipal, commissaire <ju officier de police
municipale, ne pourra entrer dans les maisons des citoyens, si ce
n'est pour la confection des états ordonnés par les articles I, II et
III (sur le recensement des citoyens) et la vérification des registres
des logeurs, pour l'exécution des lois sur les contributions directes,
ou en vertu des ordonnances, contraintes et jugements dont ils seront
porteurs, ou enfin sur le cri des citoyens invoquant de l'intérieur
d'une maison, le secours de la force publique.
<( 10. A l'égard des lieux livrés notoirement à la débauche, de
540 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
ceux où tout le monde est admis indistinctement, tels que les cafés,
cabarets, boutiques, les officiers <de police pourront toujours y
entrer »...
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXIX, p. 158
« M. Robespierre. Messieurs, il faut qu'un citoyen soit prévenu
d'un délit pour qu'on puisse rendre sa condition pire que celle des autres
citoyens, et surtout pour que l'on puisse entrer arbitrairement dans sa
propre maison, et violer le secret de ses affaires. (Murmures).
« Je sais qu'il existe un préjugé contraire, et cela doit être puisque
tel étoit l'ancien usage et l'esprit de l'ancienne police; mais, messieurs,
il vous appartient d'examiner si la sûreté publique exige la violation arbi-
traire, et très dangereuse de la liberté individuelle. N'est-il pas clair,
par exemple, que lorsqu'un marchand est en contravention, que lorsqu'il
s'est servi de faux poids et de fausses mesures, celui qui a été la
victime de cette fraude, peut s'en être apperçu et peut le dénoncer.
Sans doute dans ce cas, il doit être permis à l'officier de police de
pénétrer dans l'intérieur des maisons, parce qu'aucun citoyen ne peut
souffrir une atteinte dans sa liberté individuelle, à moins qu'il ne soit
suspect; mais on ne peut pas donner d'une manière vague et générale aux
officiers de police le droit de violer ainsi le secret des maisons. Je vous
prie de considérer, messieurs, qu'il n'y a ptfs un seul instant dans la
journée où, en vertu de l'article proposé, les personnes y mentionnées
ne puissent être soumises à des visites, à des inquisitions » (1).
2e intervention : Sur la déclaration des réunions des sociétés et des clubs
Poursuivant la discussion du projet de décret sur l' organisation
de la police municipale et de la police correctionnelle, l'Assemblée
en arrive aux articles concernant les délits de police municipale
et les peines qui seront prononcées. (L'art. 14, sur la déclaration
obligatoire des lieux et jours de réunion des sociétés et des clubs,
donne à Robespierre l'occasion d'intervenir.
L'article, amendé par le rapporteur, fut adopté sous cette rédac-
tion : <( Ceux qui voudront former des sociétés ou clubs seront tenus
chacun, à peine de 200 livres d'amende, de faire préalablement au
greffe de la municipalité, la ^déclaration des lieux et jours de leur
réunion; et en cas de récidive, ils seront condamnés à 500 livres
d'amende ».
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIX, p. 160
« M. Robespierre. L'article 62 (2) cité ici n'est relatif qu'aux assem-
blées de citoyens qui se réunissent pour exercer en commun une partie
(1) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVII, 747.
(2) Article 62 du décret du 14 décembre 1789, rappelé dans la ré-
daction primitive de l'article 14 du décret. Cette mention fut éliminée.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 541
de leurs droits politiques. Je ne crois pas qu'il s'applique aux clubs et
sociétés particulières. A cet égard, j'observe qu'il résulteroit de l'ar-
ticle proposé, qu'il n'y auroit pas une société quelconque, quelqu' indif-
férente qu'elle pût être, même une société de bal ou de plaisirs, qui ne
fût astreinte à la nécessité de faire la déclaration de ses plaisirs au
greffe, à peine de 200 livres d'amende. A-t-on en vue des sociétés plus
importantes, celles par exemple où les citoyens se réuniroient pour déli-
bérer sur leurs intérêts, pour s'éclairer sur leurs droits, en un mot pour
appliquer leurs pensées aux objets les plus intéressans pour des hommes
libres ? Je dis que l'article est encore plus déplacé. La loi ne doit pas
avoir d'autre droit envers les citoyens qui se rassemblent, que de punir
les contraventions, s'il s'en commet; mais les sociétés sont essentielle-
ment légitimes, et la loi ne peut mettre aucune entrave à leur formation,
sans porter une atteinte également injuste et inutile à la liberté. Quel
est le but de cet article ? C'est de mettre des obstacles à la formation
des sociétés dont l'existence a été jusqu'ici le plus ferme rempart de
la liberté publique et individuelle, c'est de donner aux municipalités
le pouvoir de chicaner celles qui voudraient se former. Une loi de
cette nature ne peut pas être adoptée par l'assemblée. Nous ne devons
pas mettre de nouveaux obstacles à ia formation de l'esprit public. La
liberté, dans les momens de crise où nous sommes, a encore besoin
de surveillans et de défenseurs, a encore besoin de citoyens qui éclai-
rent leurs concitoyens sur leurs droits, sur les ennemis qu'ils ont à com-
battre, en un mot sur tout ce qui est nécessaire pour le maintien de la
liberté et de la constitution; et bien loin de mettre des entraves à de
pareils établissemens, il faudroit les encourager. En conséquence, je
demande la question préalable sur l'article proposé » (3).
L'Ami du Roi (Royou), 7 juillet 1791, p. 2.
« Cependant ces entraves paroissoient encore à MM. Péthion et
Robespierre contraires à la liberté ; et tandis que les citoyens honnêtes
et paisibles ne peuvent s'assembler tranquillement pour rédiger une péti-
tion, sans prévenir le corps municipal, ces deux amis de la liberté vou-
loient que les associés jacobites, au-dessus de toutes les îoix, indépen-
dans de toute administration, pussent former librement même leurs ligues
infernales, sans être tenus d'indiquer même l'antre où se trament leurs
complots si funestes à la tranquillité publique. »
L'Ami du Peuple (Marat), n° 514, p. 5.
« Flétrissez d'un fer rouge, appliqué sur les joues, tous les autres
coquins qui ont appuyé les funestes décrets, sans néanmoins se vendre
à deniers comptans; et n'oubliez pas de donner la couronne de gloire
à l'incorruptible Robespierre. »
(3) Texte reproduit dans les Arch. par!., XXVII, 749.
542 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Société des Amis de la Constitution
311. — SEANCE DU 6 JUILLET 1791
Sur les « Tableaux de la Révolution »
Robespierre fait hommage à la Société des Tableaux de la .Révo-
lution. Il demande qu'il soit écrit aux (Sociétés affiliées, pour leur
faire agréer cet ouvrage. Sa motion, mise aux voix, est adoptée (1).
Journal général de France, 12 juillet 1791, p. 776.
« Des murmures sourds succèdent aux éclats, et pour les faire
cesser, M. Robertspierre fixe l'attention des honorables Membres sur
des tableaux de la révolution que des Auteurs leur présentent, et de-
mande que la Société daigne en accueillir l'hommage : la Société a
cette bonté-là. »
Journal des Débats des Amis de la Constitution, n° 22, p. 1.
« M Robespierre. J'ai une simple annonce à faire à la Société,
c'est celle de l'hommage que lui font les auteurs des Tableaux de la
Révolution. Je prie la Société d'agréer cet hommage, et je demande
que l'on écrive aux sociétés affiliées pour le leur faire agréer égale-
ment » (2).
La Feuille du Jour, t. V, n° 191 , p. 75.
« M. Robespierre demande que la Société daigne accueillir l'hom-
mage des tableaux de la révolution, que leurs auteurs leur présentent,
et la société les accueille. »
(1) Société des Amis de la Constitution. Comité de Correspon-
dance, 20 août 1791, in-4°, 3 p. (B.N. Lb40 2242). Envoi d'un pros-
pectus des Tableaux de la Révolution française (cité par Tourneux,
II, n° 9191; il étudie ce recueil dans le ttome Ier, p. 35, n° 278). Il
.s'agit de la célèbre collection de 48 gravures, de Prieur et de Du-
plessi-Bertaux.
(2) Texte reproduit par Aulard, II, 587.
312. — SEANCE DU 7 JUILLET 1791
Sur l'exposition et la vente d'images obscènes
Démeunier, rapporteur au nom du comité de constitution, pré-
sente à l'Assemblée le titre II du projet de décret sur la police
municipale et la police correctionnelle. Il concerne les dispositions
générales sur les peines de police correctionnelle. Pétion et Robes-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 543
pierre interviennent au sujet de l'art. 7 qui, malgré leurs observa-
tions, est adopté sous la rédaction proposée par le rapporteur:
••< Ceux qui seront prévenus d'avoir attenté publiquement aux mœurs,
par outrage à la pudeur des femmes, par actions déshonnêtes ;
d'avoir favorisé la débauche ou corrompu des jeunes gens de l'un
ou l'autre sexe, par exposition et vente d'images obscènes, pourront
être saisis sur le champ et conduit devant le juge de paix, lequel est
autorisé à les faire retenir jusqu'à la prochaine audience de la police
correctionnelle ».
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIX, p. 219
« M. Robespierre. Je ne vois pas que le comité puisse résoudre
le problème proposé par M. Pétion, du moins je ne vois pas que l'on
puisse substituer à l'épithète d'obscène une autre épithète moins vraie,
et qui puisse moins donner lieu à l'arbitraire. J'adopte cependant l'avis
de M. Péthion, et j'y ajoute cette observation : c'est que si le législa-
teur peut se mêler de la vente et de l'exposition des images, s'il peut
la punir, il y a la même raison contre les écrits obscènes et licentieux
(sic), il faut par conséquent attaquer ici la liberté de la presse (ah! ah!).
C'est sur un principe qu'il faut établir la loi; or, le principe est ici le
même pour les communications des idées qui sont présentées au public,
soit par la parole, soit par les écrits, soit par les usages des beaux-arts,
tel que la gravure et la peinture. La loi doit être uniforme; et puisque
cette loi porte sur le principe sacré de la liberté, je dis que pour faire
une pareille loi il faut en approfondir le principe, il faut la considérer
d'une manière générale, et ne point entamer sans cesse le principe par
des loix partielles qui, tantôt sous un prétexte, tantôt sous un autre,
portent atteinte à la liberté de publier ses pensées. Nous avons le droit
de faire au comité de constitution le reproche d'avoir sans cesse éludé
la discussion solemnelle et profonde de cette question, et de nous l'avoir
toujours fait préjuger en détail par des articles partiels. Je conclus que
dans ce moment l'assemblée nationale ne doit point porter une loi sur
ce que le comité appelle les images obscènes » (1).
Journal Général du Pas-de-Calais, 1791, n° 4, p. 60.
« M. Robespierre voit dans cet article un grand obstacle à !a liberté
de la presse. Si vous établissez une peine contre les vendeurs d'images
obscènes, il faudra donc aussi en décerner contre les vendeurs de cer-
tains livres. Sa conclusion étoit assez juste et devoit étendre la punition
sur un double délit contre les moeurs publiques. L'honorable opinant
voit dans le projet du comité de constitution une marche insidieuse,
qui tend à altérer la liberté individuelle. »
(1) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVIII,
544 les discours de robespierre
Société des Amis de la Constitution
313. — SEANCE DU 9 JUILLET 1791
Sur l'affaire de Porentruy
L'ordre du jour appelle le rapport de Sergent sur les habitants
de Porentruy enfermés à iSaint-Hippolyte, comme criminels de haute
trahison envers l'évêque de Bâle, prince de Porentruy, qui réclame
leur extradition (1).
En mars 1791, des troupes impériales s'étaient installées à Poren-
truy, à l'appel du prinee-évêque de Bâle. Le 19 avril, à la séance
du soir, il avait été (fait lecture à l'Assemblée nationale d'un mé-
moire des députés extraordinaires de Porentruy : ils provoquaient
l'attention de l'Assemblée sur les rassemblements de troupes opérés
à Porentruy; ils rappelaient les traités d'alliance renouvelés en 1780
d'après lesquels, le prinee-évêque de Bâle ne peut introduire de
troupes étrangères dans cette partie de ses états, sans le consente-
ment de la France, cette dernière puissance ayant seule le droit
d'occuper ce territoire quand elle le juge nécessaire à la défense
de ses frontières. Ils suppliaient en conséquence l'Assemblée natio-
nale et le roi d'envoyer des troupes à Porentruy, dans le double
objet de défendre le département du Jura contre les menaces contre-
révolutionnaires du prinee-évêque, et de protéger les habitants, alliés
de la France, contre ses vexations. OLe 28 avril, d'André, au nom
du comité diplomatique, rend compte de cette affaire, qu'il déclare
ne présenter .aucun danger <2). Elle devait revenir devant l'Assem-
blée le 2:2 juillet, puis le 23. L'As>se<mblée décréta que le ministre
des affaires étrangères enverrait auprès de l'évêque de Bâle, un
ministre chargé de réclamer l'exécution du traité de 1780.
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n" 24.
« En vain, MM. de Noailles, Reubell et Robespierre s'efforcèrent-
ils de démontrer que la position de Pqrentruy, la nature de son site,
pouvaient inspirer quelques craintes à la France dans un moment où
il y arrivait chaque jour des troupes à la solde d'une puissance enne-
mie de la révolution, en vain rappelèrent-ils que par le traité de 1739
renouvelle en 1780, le prince évêque ne peut faire garder les défilés
et les gorges de ses états que par des troupes françaises. En vain l'adresse
des habitants de Porentruy sollicita de l'Assemblée nationale l'exécu-
tion de ce traité, elle fut renvoyée au Comité diplomatique, et les
troupes autrichiennes restèrent maîtresses de nos fortifications dans ce
pays. »
11) Cf. Arch. tnat. D XXIX bis, 33, dossier 339, et D XXIX, 2,
dossier 32, p. 1-24.
(2) Aulard (II, 599) donne un résumé très bref de cette séance.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 545
314. — SEANCE DU 12 JUILLET 1791
Sur le mode de calcul de la contribution foncière
APPLICABLE AUX TOURBIÈRES
Le duc de La (Rochefoucauld; au nom du comité des contribu-
tions publiques, fait un rapport concernant l'évaluation des bois
taillis et des tourbières, iqui doit servir «de base au calcul de la con-
tribution foncière. Il propose à l'Assemblée de décréter, entre
autres, l'article suivant:
« 3. Lorsqu'un terrain sera exploité en tourbière, on évaluera,
pendant les dix années qui .suivront le commencement du tourbage,
son revenu au double de la somme ,à laquelle il était évalué l'année
précédente. »
Après une légère discussion, l'Assemblée adopta le projet du
comité.
Le Point du Jour, t. XXIV, n° 73 3, p. 206.
« M. Robespierre a présenté un projet de décret qui a été débattu
par MM. Nogaret, Dorthan (1), Fermond, Populus, Rcederer et Dau-
chi. »
(1) Comte de Dortans, député de la noblesse de Dole.
315. — SEANCE DU 12 JUILLET 1791 (soir)
Sur les troubles de Brie-Comte -Robert (suite)
Le 18 juin au soir, sur l'intervention de Robespierre, l'Assem-
blée avait renvoyé à son comité des rapports, l'affaire des troub'es
survenus à Brie-Comte-Robert, du fait des chasseurs de Hainaut
cantonnés dans cette ville {1). Le 12 juillet au soir, une députation
de la garde nationale de Brie-Comte-Robert demande à être admise
a la barre : elle .réclame la liberté provisoire des citoyens détenus
h la suite des troubles. La députation n'ayant pas été autorisée à
présenter son .adresse, Robespierre insiste pour que lecture en soit
donnée >à l'Assemblée. Malgré 'Lavie et Roussillou, député du tiers
état de la sénéchaussée de Toulouse, l'Assemblée décide d'entendre
la lecture de cette adresse.
L'affaire fut à nouveau .renvoyée au comité des rapports. Elle
revint devant l'Assemblée le 16 juillet 1791. Ce jouir-là, un secrétaire
donna lecture d'une adresse du directoire du département de Seine-
et-Marne dans laquelle il s'élève contre les dénonciations de Robes-
pierre, du 18 juin et du 12 juillet, visant les corps administratifs
et le détachement des chasseurs de Hainaut (2). Le 2 août, une
(1) Cf. ci-dessus, séance du 18 juin 1791.
(2) L'adresse est mentionnée dans le Pacquebot, n° 165; l'Ami
du Roi, 17 juil. 1791, p. 791 ; le Journal du Soir (B.N. LC2 414)
u" 376, p. 3; le Législateur français, 17 juillet 1791, p. 8; l'Argus
546 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
nouvelle députation déléguée par la municipalité, et la Société des
Amis de la (Constitution de Brie-Comte-Robert, protesta une nou-
velle fois contre la dénonciation de Robespierre, concernant les offi-
ciers municipaux de cette ville (3).
L'affaire ne fut définitivement réglée par l'Assemblée que le
6 août 1791.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIX, p. 378
« M. Robespierre. Je demande qu'une adresse apportée à l'assem-
blée nationale par des citoyens de Brie-Comte-Robert soit lue, parce
qu'il ne leur a pas été permis de la lire eux-mêmes. Je demande qu'elle
soit lue, parce que, quoique cette adresse ne contienne point de louan-
ges, elle n'en est que plus intéressante pour l'assemblée nationale; elle
lui dénonce des faits qu'elle a intérêt à connoître, des persécutions
atroces exercées contre les citoyens de la garde nationale...
« M. Lavie. Si cette adresse doit contenir les mêmes faits que
ceux dénoncés par M. Robespierre, je dis que ces faits ont été ren-
voyés au pouvoir exécutif; que par conséquent il est inutile de les tracer.
« M. Robespierre. J'ai l'honneur d'observer que ce ne sont point
les mêmes faits. 11 y a d'abord...
« Plusieurs voix. Qu'on la lise.
[Lecture est faite de l'adresse des citoyens de Brie-Comte-Rob^rt.]
patriote, n° 12, p. 316; les Affiches d'Angers, n° 61 bis, p. 292; les
Annales patriotiques et littéraires, p. 1693 ; et reproduite dans les
Arch. par'l., XXVIII, 219, d'après le Moniteur.
(3) Cf. le Journal de Paris, 4 août 1791,- p. 869; l'Argus patriote.
n° 17, p. 454; les Affiches d'Angers, n° 67, p. 317; et l'Ami du Roi,
4 août 1791, p. 862, qui s'exprime en ces termes: « La municipalité
et les amis de la constitution de Brie-Comte-Robert, se sont réunis
pour envoyer, ià l'assemblée, une députation. Admis à la barre,
l'orateur a, rendu compte des troubles qui ont désolé cette petite
ville, et qui ne sont pas encore entièrement éteints; ensuite il s'est
appesanti sur la calomnie du législateur; il n'a point été difficile
de reconnoître M. .Robespierre dans le portrait peu flatteur qu'il a
fait de l'auteur de cette calomnie; il a représenté combien il avoit
été affligeant pour les officiers municipaux, d'en >avoir été l'objet,
tandis que sans leur conduite ferme, la ville seroit devenue le
théâtre d'une scène sanglante: il a fini par demander, comme un
moyen efficace, de rétablir la paix, que l'assemblée autorisât la
municijDalité à organiser provisoirement sa garde nationale.
« M. Robespierre souffroit, sans doute, pendant le discours de
l'orateur; mais M. le président a pris la verge, à son tour, et en
consolant la municipalité de Brie des injures qu'elle avoit reçues,
et en faisant le plus grand éloge du zèle et du courage qu'elle avoit
montrés contre les factieux, il .a frappé M. Robespierre d'une assez
bonne manière, pour qu'il s'en souvienne; et comme si l'assemblée
vouloit aussi se mêler d'ajouter à la correction, elle a ordonné
["impression tant du discours, qua de 'la réponse du président, et
accordé les honneurs de .la séance à la députation.
« M. Robespierre n'a pas soufflé... »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 547
(( M. Robespierre J'ai l'honneur d'observer que l'affaire a déjà
été renvoyée au comité des rapports par un décret rendu il y a quinze
jours; que le comité étoit chargé d'en rendre compte deux jours après;
que, depuis cette époque, un de ces malheureux est mort; et que, si le
rapport eût été fait plus tôt, sans doute l'assemblée nationale n'auroit
point à se reprocher ce malheur. (Murmures). C'est la commune qui
réclame contre une municipalité aristocratique et coupable. J'ai tou-
jours vu que lorsqu'on avoit présenté à l'assemblée nationale la cause
des citoyens opprimés, l'assemblée témoignoit la plus vive sollicitude,
et qu'il n'y avoit eu d'exception qu'en faveur des patriotes opprimés.
(Allons, allons. Murmures dans l'Assemblée; applaudissemens aux tri-
bunes) » (4).
Le Législateur français, t. III, 14 juillet 1791, p. 2.
« M. Robertspierre a demandé qu'il fût fait lecture d'une adresse
des habitans de Brie-Comte-Robert, qui élèvent les plaintes les plus
vives contre les officiers municipaux, qu'ils accusent d'avoir inhumaine-
ment retenu dans les cachots plusieurs citoyens irréprochables.
« M. Robertspierre demandoit que les citoyens dont il parloit
fussent provisoirement mis en liberté. M. Roussillou a interpellé M. Ro-
bertspierre et a observé à l'assemblée qu'il devoit vraisemblablement
avoir entre ses mains la délibération de la municipalité, en vertu de
laquelle les citoyens dont il parloit avoient été emprisonnés; et il l'a
prié de vouloir bien en donner connoissance à l'assemblée.
« M. Robertspierre n'a pas répondu très-directement à la demande
de M. Roussillon : il s'est contenté de dire que par une fatalité cruelle
on ne rendoit jamais justice aux patriotes persécutés.
« Les tribunes ont applaudi à la réflexion patriotique de M. Ro-
bertspierre; mais d'autres patriotes répondoient qu'il y avoit des tribu-
naux établis par la constitution, à qui les citoyens de Brie-Comte-Robert
ou ceux qui prenoient leur défense pouvoient porter leurs plaintes et
faire punir légalement les officiers municipaux prévaricateurs. Ces prin-
cipes ont triomphé en observations de M. Robertspierre, et on est passé
à l'ordre du jour sur sa demande. »
Le Creuset, t. III, p. 93.
« Les citoyens de Brie-Comte-Robert ont élevé des plaintes contre
leurs officiers municipaux, à raison des emprisonemens interminables
qu'ils font illégalement subir à leurs concitoyens. Robespierre a voulu
parler en faveur des opprimés; un brigand nommé Roussillout s'est
rangé du côté des oppresseurs. Ce dernier a fait des difficultés de
forme, le patriote a répliqué par des raisons de fonds. Les tribunes
ont applaudi Robespierre. Mais un coquin de gazettier nommé Beaulieu
(4) Texte reproduit datte les Arch. pari., XXVIII, 219. :
548 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
a eu l'audace d'imprimer le lendemain que l'assemblée avoit passé à
l'ordre du jour. Malheureusement pour les pères conscrits, Beauîieu ne
ment point toujours ! »
L'Ami du Roi (Montjoie), 14 juillet 1791, p. 777.
« M. Robespierre ici, a sans doute été convaincu de l'étourderie
de sa dénonciation, contre les chasseurs du Hainault, qu'il annonçait
comme exerçant à Brie-Comte-Robert le despotisme militaire; ils exé-
cutaient des jugements constitutionnels; le fait est actuellement avoué
par les citoyens et les gardes nationales de cette ville. L'étourderie est
quelquefois pardonnable, mais elle est un grand vice dans un législa-
teur. Puisse encore M. Robespierre n'être coupable que d'étourderie ! »
Le Défenseur du Peuple, n° 12, p. 6.
« M. Robespierre, l'irréprochable, l'incorruptible ami de Marat,
qu'il prétend ne pas connaître, peut dénoncer, dénoncer, dénoncei, à
Paris, avec assez peu de succès; mais ce que dit un homme d'une aussi
grande réputation, inquiète les provinces. Le département de Seine-et-
Marne s'est plaint de ce que, dans la séance du 12, le député d'Arras
a fait une dénonciation qui a excité le trouble dans la vfll* de Brie-
Comte-Robert ; elle inculpait les Chasseurs qui y sont en garnison ; *ls
se sont toujours distingués par leur zèle et leur soumission aux loix, ce
qui est un peu différent de ce que disait M. Robespierre qui avait fait
briller sa chaude éloquence en faveur d'un mort, prétendu victime des
exhalaisons méphitiques des prisons de Brie : les membres du départe-
ment assurent que les prisonniers n'y respirent point un air insalubre, et
finissent par un trait de lumière. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal universel,
t. XII, p. 11086; Le Journal de Rouen, n° 195, p. 951 ; Le Journal
de Paris, 14 juillet 1791, p. 781 ; Le Journal de la Noblesse..., t. II,
n° 29 (B), p. 303.]
316. — SEANCE DU 13 JUILLET 1791
Sur l'impression du rapport des comités
concernant la fuite du roi
Muguet de Nanthou, au nom des comités diplomatique, militaire,
de constitution, de revision, de jurisprudence criminelle, des rap-
ports et des recherchés, présente à l'Assemblée un rapport sur, là
fuite du roi. Il conclut en demandant qu'elle décrète qu'il y a. lieu
à accusation contre Bouille pour complot tendant à renverser la
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 549
■constitution et contre un certain nombre d'autres personnes pour
complicité (1).
Après lecture de ce rapport, quelques membres demandent son
impression, d'autres l'ajournement de la discussion jusqu'après
l'impression. D'André s'oppose .au renvoi de la discussion, demande
qu'elle .s'ouvre immédiatement. Kobespierre au contraire se prononce
pour l'ajournement de 'la discussion jusqu'après l'impression du rap-
port. Alexandre <Lameth se déclare pour la discussion immédiate (2).
L'Assemblée rejeta la" proposition d'ajournement et ordonna
l'impression du rapport et des pièces.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXIX, p. 432
« M. Robespierre. Messieurs, si je pensais que demander un délai
qui me paroît nécessaire pour examiner la plus importante, la plus solem-
nelle des questions qui puissent être agitées dans l'assemblée nationale,
c'était attaquer la constitution et faire acte de factieux, je me garderois
bien d'appuyer la motion du premier opinant; mais je crois, messieurs,
que le véritable moyen d'assurer la constitution, c'est de délibérer avec
la plus grande maturité sur les objets importans qui nous restent à dis-
cuter : je crois que le plus sûr moyen de l'altérer, c'est d'en anéantir
les principes, c'est précisément de mettre la précipitation à la place du
calme et de la sagesse qui doivent toujours nous guider, de substituer
aux règles essentielles, de toute assemblée libre, la surprise et la préci-
pitation, qui sont les armes les plus terribles dans les mains de l'intrigue.
(Quelques applaudissemens). Je crois, dis-je, que cette règle est d'au-
tant plus nécessaire à suivre actuellement que si on adoptoit le principe
contraire, tout en parlant de constitution, on pourrait nous amener à
rendre des décrets contradictoires avec ceux qui ont établi la liberté.
J'appuie donc la motion faite de n'ouvrir la discussion qu'après l'impres-
sion du rapport » (3).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 196, p. 808.
« M. Roberspierre. J'ignore à quel titre on caractérise de factieux
ceux qui demandent qu'on examine le plus solennellement la question
importante qui vous est soumise. Le véritable moyen qui conduit à une
marche sûre : c'est de délibérer avec maturité. Ce n'est pas vouloir
le bien du royaume que de mettre la précipitation à la place du calme,
et de substituer la surprise aux règles de la prudence. (Quelques mem-
bres de la partie gauche et une grande partie des tribunes applaudis-
(1) Cf. ci-dessus séance extraordinaire des \21 juin et jours sui-
vants, 8° intervention. Le rapport des sept comités a provoqué de
vives protestations dans l'opinion parisienne, témoin 1'- « Adresse
au peuple français par la Société fraternelle contre l'inviolabilité
royale » mentionnée dans l'Orateur du Peuple (t. iVII, n° G, p. 45).
Ci. aussi, séance du 13 juillet aux Jacobins.
(2) Voir E. Hamel, I, 500.
(3) Texte reproduit dans les Arch. pari., XVIII, 243.
550 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
sent). Prenons garde qu'on ne nous conduise à un système contradic-
toire à nos précédens décrets. Je demande l'ajournement de la discus-
sion jusqu'à l'impression du rapport » (4).
L'Argus patriote, n° 12, p. 293.
« Comment M. Robespierre, qui est un grave magistrat, jn Séna-
teur de poids, une si bonne tête, a-t-il pu avancer que, pour délibérer
avec maturité, il faut livrer à la discussion de tous les méchans, de
tous les ignorans, de tous les antagonistes de la liberté, de tous les
contre-révolutionnaires, des exagérés dans tous les sens, et de tous les
ennemis du Royaume, une question qui, sous tous ses rapports, ne peut
produire, en retardant la discussion, que du désordre et de l'anarchie.
Ce Député a-t-il bien réfléchi aux moyens de rétablir la tranquillité.
Ramenez, a-t-il dit, les esprits aux principes de la liberté et de la Cons-
titution. Après avoir fourni des prétextes à la foule innombrable
de nos ennemis publics et secrets, de nos ennemis de toutes les des-
criptions, il verra qu'il ne peut point atteindre le but qu'il s'est
proposé ? J'admets qu'il peut résulter quelques dangers des mesures
modérées qu'ont proposées les sept Comités; mais des maux incalcu-
lables, les calamités les plus affreuses seraient l'effet des mesures
contraires. Si, comme on l'assure, M. Robespierre a des intentions
pures, il doit s'arrêter au bord du précipice; il doit en fixer la profon-
deur, et jeter les yeux sur tout ce qui l'environne. Alors, sans doute,
il s'arrêtera; alors, il ne balancera pas à se retirer du groupe effrayant,
à la tête duquel il s'est mis en scène. »
Le Défenseur du Peuple, n° 7, p. 7.
« M. Robespierre, sous prétexte de plus de maturité dans la déli-
bération, désirait l'ajournement; comme si on ne pouvait discuter froi-
dement, mais de suite, un point très important ! Comme s'il n'était pas
absolument nécessaire, à tous égards, de déterminer ce qui est relatif
au monaraue, sans désemparer î Malgré le vœu de M, Robesoierre, qui
n'a pas vu oue temDoriser ici serait ruiner la chose publioue, l'assemblée
a décrété, comme l'avait désiré M. d'André, que la discussion serait
ouverte à l'instant, et continuerait de suite. »
[Brève mention de cette intervention dans Le législateur français,
14 juillet 1791, p. 8; Le Creuset, t. III, n° 52: Les Annales patrio-
tiques et littéraires, n° 650, p. 1678: Le Journal de Rouen. n° 196,
p. 957; Les Aifiches d'Angers. n° 61, o. 291; Le Journal général,
p. 685: Le Journal universel t. XII, o. 11090; L'Ami du Roi (Mont-
joie), 15 iuillet 1791, p. 781; Le Journal de Louis XVI et de son
peuple, t. IV, n° 104; Le Journal de la Cour et de la Ville, n° 14,
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 120.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 551
p. 106; Le Courier de Provence, n° 316, p. 544; Le Patriote fran-
çois, n" 704, p. 54; Le Journal général du Pas-de-Calais, n° 6, p. 68;
L'Orateur du Peuple, t. VII, n° 6, p. 45; Le Journal des Débats,
n° 783, p. 22]
Société des Amis de la Constitution
317. — SEANCE DU 13 JUILLET 1791
Sur l'inviolabilité royale
La discussion s'engage sur la «question de l'inviolabilité de la
personne du roi. Anthoine rend compte du rapport présenté le matin
même à l'Assemblée nationale sur cette question, et qui concluait
à 'la unise en accusation de Bouille, « ses fauteurs, complices et adhé-
rents ». Legendre intervient dans le débat, puis Robespierre, Rosde-
rer et Danton. A la fin de la séance, iSigaud (1) communique à la
Société une lettre qu'il a rédigée au Palais Royal, au nom de 300
personnes, « pour voter des remerciements à Pétion et Robespierre,
qui ont montré le plus grand courage dans la défense du peuple
(2) »•
Journal de la Révolution, n° 337, p. 109.
(( M. Robespierre a d'abord fait quelques réflexions sur les moyens
de ceux qui opinent aujourd'hui en faveur de Louis, c'est-à-dire sur
leurs calomnies quand nous avons demandé, a-t-il dit, un ajournement,
afin, soit d'examiner le rapport, soit de consulter la nation, on nous
a répondu que nous étions des factieux qui cherchoient à détruire la
monarchie. Tel est le langage qu'on a tenu dans tous les tems, lorsque
nous nous sommes élevés contre l'insécurité de la liste civile contre
quelques autres décrets désastreux : aujourd'hui, on crie que nous som-
mes des républicains, mot vague, qu'on peut appliquer de mille
manières, et dont les vrais factieux abusent... La différence qu'il y a
entre nos adversaires et nous, c'est que nous voulons un monarque et une
nation libre, et des loix au-dessous. Les ministres doivent répondre de
tout ce qu'ils font avec le roi, mais de ce qu'il fait seul, qui répondra ?
Tous les crimes seront donc impunis... Celui qui n'est point soumis à la
loi est le plus vil et le plus malheureux des hommes; il est exposé à la
fureur du premier audacieux... Tarquin étoit inviolable aussi; mais i! se
trouva un Brutus. Pourquoi le second des Brutus assassina-t-il César ?
Voici comment les conjurés raisonnèrent : « II faut égorger César, parce
(1) « Fils du médecin que l'opération de la section de la sym-
phisc a rendu célèbre » i( Journal des Débats..., n° 26, p. 3).
(2) « On vous menacera, a-t-i'l dit, des poignards, de la mort:
ne craignez rien, leurs poignards ne pourront pénétrer jusqu'à vous
qu'à travers le rempart de nos corps. Nos bras, nos coeurs, nos vies,
tout est à vous. »> (Cf. Aulard, III, 14).
552 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
qu aucune loi ne peut l'atteindre; épargnons Antoine, son complice;
les loix nous feront justice de ses crimes. »
Journal des Débats des 'Amis de la Constitution, n° 26, p. 2.
« M. Robespierre. L'opinion des amis de la liberté me paraît
tellement fixée sur cette question que je me reprocherais de la traiter
longuement après les éloquentes opinions qui ont été prononcées à cette
tribune.
« Mais autour de cette opinion s'élève un nuage. Un des grands
obstacles que l'assemblée nationale rencontre à l'aborder de front, est
l'accusation générale de républicanisme.
« On m'a accusé, au sein de l'assemblée, d'être républicain (3),
on m'a fait trop d'honneur, je ne le suis pas. Si on m'eût accusé d'être
monarchiste, on m'eut déshonoré, je ne le suis pas non plus. J'observerai
d'abord que pour beaucoup d'individus les mots de république et de
monarchie sont entièrement vides de sens. Le mot république ne
signifie aucune forme particulière de gouvernement, il appartient à tout
gouvernement d'hommes libres, qui ont une patrie. Or, on peut être
libre avec un monarque comme avec un sénat. Qu'est-ce que la consti-
tution française actuelle, c'est une république avec un monarque. Elle
n'est donc point monarchie ni république, elle est l'un et l'autre » (4).
(3) A la suite des débats occasionnés par la tfuite^ du roi, les
attaques contre Robespierre redoublent. On l'accuse d'être l'un des
chefs d'un prétendu parti républicain <cf. G. Walter, p. 613). Depuis
plus de deux mois, les (Révolutions de Paris <n° 90, p. 613) s effor-
cent de démontrer les avantages d'une telle forme de 'gouvernement.
Brissot avait contribué, fin juin 1791, avec Condorcet, Thomas Paine
et Achille Duchastellet, au lancement du journal « Le Républicain
ou le Défenseur du gouvernement représentatif d> qui compte quatre
numéros (Cf. Tourneux, II, n° 10.682, p. 619). A ce sujet, Brissol
fut violemment pris à partie par le royaliste Dusquesnoy dans son
« Ami des Patriotes >, et lui répondit en ces termes : (Patriote
François, n° 682, p. 691): «< Que dirai-je encore des liaisons que vous
me prêtez avec M. Robespierre, et de cet infernal esprit que Vous
nous .attribuez à tous deux, de ce parti auquel vous nous faite
présider
« Je me suis toujours plu à rendre hommage au patriotisme
inflexible de M. Robespierre, mais je ne partage pas toutes ses opi-
nions ; mais je ne le vois point; plus d'un moi' s'est écoulé depuis
le dernier moment où j'ai eu le plaisir" de l'entretenir. Des chefs
de parti qui se coalisent, se voyent, je crois, un T>eu plus fréquem-
ment. Quant à mon parti, il est dans la raison et la liberté, et c'est
un bonheur pour la France, qu'il est nombreux. »
D'après A. Mathiez, Le Club des Cordeliers..., op. cit., Duchas-
tellet serait un ami de Laifayette.
(4) C. Desmoulins adopte à ce point de Vue une position ana-
logue à celle de Robespierre (Révolutions de France et de Brabant.
n° 78): « Par république j'entens mn Etat libre avec un roi ou un
Stathouder on un gouverneur général ou un empereur, le nom n'y
fait rien » (Cf. E. Hamel, J, 497).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 553
(M. Robespierre est entré dans la discussion du rapport, et a exposé
des sentiments dignes de son patriotisme et relevés par l'éloquence qui
lui est particulière) (5).
Journal de la Cour et de la Ville, n° 17, p. 133.
« M. Jourdain ne vouloit ni vers ni prose. Le philosophe Roberts...
a dit vendredi dernier à la tribune des Jacobins (6), qu'il ne vouloit
ni monarchie ni république. L'ignorance faisoit parler Jourdain; mais
on peut regarder le discours du neveu de Damien, comme un de ces
aveux précieux et maladroits qui échappent quelquefois aux scélérats
malgré eux; car il est impossible de supposer que si M. Roberts...
avoit eu le tems de la réflexion, il eût la gaucherie de se dévoiler,
comme il l'a fait en convenant tout bonnement qu'il préfère l'anarchie
à un gouvernement quelconque. »
(5) Texte reproduit dans Aulard, IÏÏ, 12.
<6) Il s'agit du mercredi 13 juillet. Le discours qu'il prononça
aux Jacobins le 15, ne comporte pas une semblable profession de 'foi.
318. — SEANCE DU 14 JUILLET 1791
Sur l'inviolabilité royale
1 M intervention : Sur l'adoption du rapport des comités
concernant la fuite du roi
(La discussion ay.ant été ouverte dès le 13 juillet sur le rapport
de Muguet relatif à la fuite 'du roi, Pétion -s'élève contre les conclu-
sions du rapporteur, et demande ique le roi lui-même soit mis e
cause et jugé soit par l'Assemblée nationale, soit par une Conven-
tion convoquée à cet effet.
Le 14 juillet, après divers orateurs, dont le duc de Lianoourt et,
en dernier lieu, Prugnon, qui appuie l'avis du comité, Robespierre
intervient à son tour. A la suite de Pétion, Ricard, Grégoire, Prieur,
Buzot, Vadier, il propose que l'Assemblée consulte le voeu de la
nation; il demande la question préalable sur l'avis des comités, que
Duport, après lui, défendra (1).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXIX, p. 453
« M. Robespierre. Je ne veux pas répondre à certains reproches
de républicanisme qu'on voudrait attacher à la cause de la justice et
(1) Cf. E. Hamel, I, 504. D'après iSeligman, op. oit.. II, 35,
un attroupement aurait envahi la cour du Manège dans la journée
du 14 pour protester contre l'attitude de la majorité. En réalité, il
s'agit d'une nouvelle pétition, dite « des 100 » présentée par le
Club des Cordeliers, renouvelant le vœu exprimé dans celle du
24 juin (cf. ci-dessius).
554 LES DISCOURS DE ROBESPJI-.KHK
de la vérité (2) : je ne veux pas non plus provoquer une décision sévère
contre un individu ; mais je viens combattre des opinions dures et cruelles
pour y substituer des mesures douces et salutaires à la cause publique :
je viens surtout défendre les principes sacrés de la liberté, non pas
contre de vaines calomnies qui sont des hommages, mais contre une
doctrine machiavélique ^ dont les progrès semblent la menacer d'une
entière subversion. Je n'examinerai donc pas s'il est vrai que la fuite de
Louis XVI soit le crime de M. Bouille, de quelques aides de camp,
de quelques gardes du corps et de la gouvernante du fils du roi; je
n'examinerai pas si le roi a fui volontairement de lui-même, ou si de
l'extrémité des frontières un citoyen l'a enlevé par la force de ses
conseils. Je n'examinerai pas si les périples en sont encore aujourd'hui
au point de croire qu'on enlève les rois comme les femmes (murmures);
je n examinerai pas non plus si, comme l'a pensé M. le rapporteur, le
départ du roi n'étoit qu'un voyage sans objet, une absence indifférente,
ou s'il faut le lier à tous les événements qui ont précédé; s'il était la
suite ou le complément des conspirations impunies, et par conséquent
toujours renaissantes, contre la liberté publique. Je n'examinerai pas
même si la déclaration signée de la main du roi en explique le motif,
ou si cet acte est la preuve de cet attachement sincère à la révolution
que Louis XVI avait professé plusieurs fois d'une manière si éner-
gique. Je veux examiner la conduite du roi, et parler de lui comme
je parlerais d'un roi de la Chine. Je veux examiner, avant tout, quelles
sont les bornes du principe de l'inviolabilité.
« Le crime légalement impuni est en soi une monstruosité révol-
tante dans l'ordre social, ou plutôt il est le renversement absolu de.
l'ordre social, si le crime est commis par le premier fonctionnaire public,
par le magistrat suprême. Je ne vois là que deux raisons de plus de
sévir : la première, que le coupable étoit lié à la patrie par un devoir
plus saint; la seconde, que, comme il est armé d'un grand pouvoir, il
est bien dangereux de ne pas réprimer ses attentats. Vous avez décrété
l'inviolabilité; mais aussi, Messieurs, avez-vous jamais eu quelque
doute sur l'intention qui vous avait dicté ce décret? Avez-vous jamais
pu vous dissimuler à vous-mêmes que l'inviolabilité du roi était intime-
ment liée ?> la responsabilité des ministres; que vous aviez décrété l'une
et l'autre, parce que, dans lé fait, vous aviez transféré du roi aux
ministres l'exercice réel de la puissance executive, et que, les ministres
étant les véritables coupables, c'était sur eux que devaient porter les
prévarications que le pouvoir exécutif pourrait faire. De ce système, il
résulte que le roi ne peut commettre aucun mal en administration, puis-
que aucun acte du gouvernement ne peut émaner de lui, et que ceux
qu'il pourrait faire sont nuls et sans effet; que, d'un autre côté, la loi
conserve toute sa puissance contre lui. Mais, Messieurs, s'agit-il d'un
<2) Cf. ci-dessus, séanse des Jacobins du 13 juillet 1791, note 1-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 555
acte personnel à un individu revêtu du titre de roi ? S'agil-il, par
exemple, d'un assassinat commis par cet individu; cet acte est-il nul et
sans effet, ou bien y a-t-il là un ministre qui signe et qui réponde ?
<( Mais, nous a-t-on dit, si le roi commettoit un crime, il faudrait
que la loi cherchât la main qui a fait mouvoir son bras. Mais, si le roi,
en sa qualité d'homme, et ayant reçu de la nature la faculté du mouve-
ment spontané, avait remué son bras sans les agens étrangers, quelle
seroit donc la personne responsable ?
« Mais, a-t-on dit encore, si le roi poussoit les choses à certains
excès, on lui nommeroit un régent. Mais, si on lui nommoit un régent
il seroit encore roi; il seroit donc encore investi du privilège de l'invio-
labilité. Que les comités s'expliquent donc clairement et qu'ils iious
disent si, dans ce cas, le roi serait encore inviolable. Or, c'est à vous
que je le demande, vous qui soutenez ce système avec tant d'énergie :
si un roi égorgeait votre fils sous vos yeux (murmures), s'il outrageait
votre femme ou votre fille, lui diriez-vous : Sire, vous usez de votre
droit; nous vous avons tout permis. Permettriez-vous au citoyen de se
venger ? Alors vous substituez la violence particulière, la justice privée
de chaque individu, à la justice calme et salutaire de la loi; et vous
appelez cela établir l'ordre public, et vous osez dire que l'inviolabi-
lité absolue est le soutien, la base immuable de l'ordre social.
« Mais, messieurs, qu'est-ce que toutes ces hypothèses particu-
lières, qu'est-ce que tous ces forfaits, auprès de ceux qui menacent le
salut et le bonheur du peuple ? Si un roi appeloit sur sa patrie toutes
les horreurs de la guerre civile et étrangère; si, à la tête d'une armée
de rebelles et d'étrangers, il venait ravager son propre pays, et ensevelir
sous ses ruines la liberté et le bonheur du monde entier, seroit-il invio-
lable ? (3) Le roi est inviolable! Vous l'êtes aussi, vous; mais avez-
vous la faculté de commettre le crime ? Et oserez-vous dire que les repré-
sentants du souverain ont des droits moins étendus pour leur sûreté indi-
viduelle que celui dont ils sont venus restreindre le pouvoir, celui à qui
ils ont délégué, au nom de la nation, le pouvoir dont il est revêtu? (4).
« Le roi est inviolable ! Mais les peuples ne le sont-ils pas aussi ?
Le roi est inviolable par une fiction; les peuples le sont par le droit
sacré de la nature; et que faites-vous en couvrant le roi de l'égide de
l'inviolabilité, si vous n'immolez l'inviolabilité des peuples à celle des
rois? (Quelques applaudissemens au fond de la gauche). Il faut en
convenir, on ne raisonne de cette manière que dans la cause des rois...
(3) Dès ce moment, Robespierre repousse do<nc l'inviolabilité
en cas de haute trahison, thèse que la Convention adoptera de fait
dans le procès du roi.
■(4) Goupil aurait, d'après l'Ami du Roi (Montjoie), p. 787, égayé
l'Assemblée par l'apostrophe suivante: « Sans doute nous sommes
inviolables, mais personne ne prétendra que M. Robespierre, par
exemple, et moi, soyons des personnes sacrées ».
556 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Et que fait-on en leur faveur? rien; mais on fait tout contre eux; car
d'abord, en élevant un homme au-dessus des loix, en lui assurant le
pouvoir d'être criminel impunément, on le pousse, par une pente irré-
sistible, dans tous les vices et dans tous les excès; on le rend le plus
vil, et par conséquent, le plus malheureux des hommes; on le désigne
comme un objet de vengeance personnelle à tous les innocents qu'il a
outragés, à tous les citoyens qu'il a persécutés: car la loi de la nature,
antérieure aux loix de la société, crie à tous les hommes que, lorsque
la loi ne les venge point, ils recouvrent le droit de se venger eux-mêmes;
et c'est ainsi que les prétendus apôtres de l'ordre public renversent
tout, jusqu'aux principes du bon sens et de l'ordre social. On invoque
les loix pour qu'un homme puisse impunément violer les loix : on invo-
que les lois pour qu'il puisse les enfreindre !
« O vous, qui pouvez croire qu'une telle supposition est probléma-
tique, avez-vous réfléchi sur la supposition bizarre et désastreuse d'une
nation qui serait régie par un roi criminel de lèse-nation ? Combien ne
paraîtrait-elle pas vile et lâche aux nations étrangères, celle qui leur
donnerait le spectacle scandaleux d'un homme assis sur le trône. Que
deviendraient toutes ces fastueuses déclamations avec lesquelles on vient
vanter sa gloire et sa liberté ? Mais au dedans, quelle source éternelle
et horrible de divisions, où le magistrat suprême est suspect aux citoyens ?
Comment les rappellera-t-il à l'obéissance aux lois contre lesquelles il
s'est lui-même déclaré ? Comment les juges pourront-ils rendre la justice
en son nom ? Comment les magistrats ne seront-ils pas tentés de se
couvrir le visage par pudeur, lorsqu'ils condamneront la fraude et la
mauvaise foi au nom d'un homme qui n'aurait pas respecté sa foi ? Quel
coupable sur l'échafaud ne pourra pas accuser cette étrange et cruelle
partialité des lois qui met une telle distance entre un coupable el un
homme bien plus coupable encore ?
« Messieurs, une réflexion bien simple, si on ne s'obs'inoit à
l'écarter, termineroit cette discussion. On ne peut envisager que deux
hypothèses en prenant une résolution semblable à celle que je combats:
ou bien le roi que je supposerois coupable envers une nation conserveroit
encore toute l'énergie de l'autorité dont il étoit d'abord revêtu, ou bien
les ressorts du gouvernement se relâcheroient dans ses mains. Dans le
premier cas, le rétablir dans toute sa puissance, n'est-ce pas évidemment
exposer la liberté publique à un danger perpétuel ? Et à quoi voulez-
vous qu'il emploie le pouvoir immense dont vous le îevêtez, si ce
n'est à attaquer la liberté et les lois, à se venger de ceux qui auront
constamment défendu contre lui la cause publique ? Au contraire,^ les
ressorts du gouvernement se relâchent-ils dans ses mains, alors les rênes
du gouvernement flottent nécessairement entre les mains de quelques
factieux qui le serviront, le trahiront, le caresseront, l'intimideront tour
à tour, pour régner sous son nom. Messieurs, rien ne convient aux
factieux et aux intrigants comme un gouvernement faible : c'est seule-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 557
ment sous ce point de vue qu'il faut envisager la question actuelle.
Que l'on me garantisse contre ce danger, qu'on garantisse la nation d'un
gouvernement où pourraient dominer les factieux, et je souscris à tout
ce que vos comités pourront vous propser.
« Qu'on m'accuse, si l'on veut, de républicanisme; je déclare
que j'abhorre toute espèce de gouvernement où les factieux régnent.
Il ne suffit pas de secouer le joug d'un despote, si l'on doit rt tomber
sous le joug d'un autre despotisme. L'Angleterre ne s'affranchit du
joug de l'un de ses rois, que pour retomber sous le joug plus avilissant
encore d'un petit nombre de ses concitoyens. Je ne vois point parmi
nous, je l'avoue, le génie puissant qui pourrait jouer le rôle de Crom-
well : je ne vois pas non plus personne disposé à le souffrir ; mais je
vois des coalitions plus actives et plus puissantes qu'il ne convient à
un peuple libre ; mais je vois des citoyens qui réunissent entre leurs
mains des moyens trop variés et trop puissants, d'influencer l'opinion;
mais la perpétuité d'un tel pouvoir dans les mêmes mains pourrait
alarmer la liberté publique (5). Il faut rassurer la nation contre la trop
longue durée d'un gouvernement oligarchique. Cela est-il impossible,
messieurs, et les factions qui pourraient s'élever, se fortifier, se coaliser,
ne seraient-elles pas un peu ralenties, si l'on voyait dans une perspec-
tive plus prochaine la fin du pouvoir immense dont nous sommes revêtus,
si elles n'étaient plus favorisées en quelque sorte par la suspension
indéfinie de la nomination des nouveaux représentants de la nation (6)
dans un temps où il faudrait profiter peut-être du calme qui nous reste,
dans un temps où l'esprit public, éveillé par les dangers de la patrie,
semble nous promettre les choix les plus heureux ? La nation ne verra-
t-elle pas avec quelque inquiétude la prolongation indéfinie de ces
détails éternels qui peuvent favoriser la corruption et l'intrigue ? Je
soupçonne qu'elle le voit ainsi, et du moins, pour mon compte per-
sonnel, je crains les factions, je crains les dangers.
« Messieurs, aux mesures que vous ont proposé les comités, il
faut substituer des mesures générales, évidemment puisées dans l'ir.térêt
de la paix et de la liberté. Les mesures proposées, il faut -vous en dire
un mot : elles ne peuvent que vous déshonorer, et, si j'étais réduit à
voir sacrifier aujourd'hui les premiers principes de la liberté, je deman-
derois au moins la permission de me déclarer l'avocat de tous h s accu-
sés; je voudrois être le défenseur des trois gardes du orps, de la gou-
vernante du Dauphin, de M. Bouille lui-même. Dans les principes de
vos comités, le roi n'est pas coupable : il n'y a point de délit. Partout
où il n'y a pas de délit, il n'y a pas de complices. Messieurs, si épar-
gner un coupable est une foiblesse, immoler un coupable plus fcble au
(5) Il vise les triumvirs Barnave, Duport et iLameth.
(6) 11 s'cvgit du décret du 24 juin 1791 ajournant jusqu'à nouvel
ordre la nomination des députés à La future Assemblée législative.
558 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
coupable puissant, c'est une lâche injustice. Vous ne pensez pas aue
le peuple françois soit assez vil pour se repaître du spectacle du sup-
plice de quelques victimes subalternes; ne pensez pas qu'il voie eans
douleurs ses représentants suivre encore la marche ordinaire <1es encla-
ves, qui cherchent toujours à sacrifier le faible au fort, et r.e cherchent
qu'à tromper et à abuser le peuple pour prolonger impunément l'injus-
tice et la tyrannie ! (applaudi). Non, messieurs, il faut ou prononcer sur
tous les coupables, ou prononcer l'absolution générale de tous les coupa-
bles. Voici, en dernier mot, l'avis que je propose.
« Je propose que l'assemblée décrète qu'elle consultera le vœu
de la nation pour statuer sur le sort du roi (7); en second lieu, que
l'Assemblée nationale lève le décret qui suspend la nomination des
représentants ses successeurs; 3° qu'elle admette la question préalable
sur l'avis des Comités. Et si les principes que j'ai réclamés pouvaient
être méconnus, je demande au moins que l'Assemblée nationale ne se
souille pas par une marque de partialité contre les complices prétendus
d'un délit sur lequel on veut jetter un voile » (applaudi) (8).
Le Point du Jour, t. XXIV, n° 736, p. 243.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 196, p. 811.
« M. Roberspierre. Je ne viens pas provoquer des dispositions
sévères contre un individu, mais combattre une proposition à la fois
faible et cruelle, pour y substituer une mesure douce et favorable à
l'intérêt public. Je n'examinerai pas si la fuite de Louis XVI est le
crime de quelques individus, s'il s'est enfui volontairement et de lui-
même, ou si de l'extrémité du royaume, un citoyen audacieux l'a enlevé
par la force de ses conseils; si les peuples enfin pourront croire qu'on
enlève des rois comme des femmes. (On murmure). Je n'examinerai
pas, si comme l'a pensé le rapporteur, le départ du roi n'étoit qu'un
voyage sans objet, si son absence était indifférente; je n'examinerai
pas si elle est le but ou le complément de conspirations toujours impuis-
santes et renaissant toujours : je n'examinerai pas même si la déclara-
tion donnée par le roi, n'attente point au serment qu'il a fait d'un
(7) Robespierre et Buzot considèrent que le principe de la sépa-
ration des pouvoirs s'oppose à la transformation doi corps légis-
latif en cour de justice. Brissot leur donne iraison et insi te sur
« cette violation des principes » ^(Patriote françois, n° 707, p. 70).
(8) Texte reproduit dans Bûchez et Roux, XI, 24; ÎLaponneraye,
1, 137-146; les Arch. pari., XXVIII, 261; Gh. Vellay, p. 79-36; et les
Editions du Centaure, op. cit., p. 56 et s.
Seul Laponneraye indique les mouvements de séance. Aulard re-
connaît que ce discours « est un des plus puissants que la Consti-
tuante ait entendus » (Cif. A. iMathiez, Robespierre orateur, Etudes
robespierristes, p. 311). C'est également l'avis de contemporains, tel
l'Argus patriote qui écrit (n° 12, p. 298) : « Il n'est pas facile de
débiter des discours avec autant de grâce que M. Robespierre ».
LÉS DISCOURS DE ROBESPIERRE 559
attachement sincère à la constitution. Je ne veux m 'occuper que d'une
hypothèse générale. Je parlerai du roi des Français comme d'un roi de
la Chine : je discuterai uniquement l'inviolabilité dans sa doctrine.
« L'impunité du crime est la violation et le renversement de
l'ordre public. Si le criminel est un grand fonctionnaire public, il est
bien plus dangereux encore de ne pas punir les attentats. Vous avez
décrété l'inviolabilité, mais avez-vous pu dissimuler qu'elle est intime-
ment liée à la responsabilité des ministres, et que le roi, fût-il coupable
dans un acte de ses fonctions, c'est sur eux que doit porter la peine.
Il résulte de-là que le roi ne peut faire aucun mal en administration;
mais s'agit-il d'un acte personnel de l'individu, d'un assassinat, par
exemple, cet acte est-il nul et sans effet ? Y a-t-il «m ministre qui
réponde? On a dit que dans ce cas on nommerait un régent; mais le
coupable serait donc encore roi? Serait-il encore investi de l'inviola-
bilité ? que le Comité s'explique. Si un roi égorgeait votre fils ou votre
frère, s'il violait votre femme ou votre fille, lui diriez-vous : Sire, vous
usez de votre droit, nous vous avons tout permis, ou bien laisseriez-vous
le citoyen se venger lui-même ? Vous mettriez alors la vengeance parti-
culière à la place de la loi, et croyez-vous ainsi établir l'ordre public
dont vous nous parlez sans cesse ? si un roi, à la tête des rebelles ou
d'étrangers, voulait ravager son pays, serait-il inviolable aussi, mais
avez-vous étendu cet incroyable privilège à vos actes particuliers, à la
faculté de commettre tous les crimes ? Cependant vous devez assurer la
liberté, l'indépendance de ceux qui sont venu mettre des bornes à la
puissance des rois, comme celle des rois eux-mêmes. Les rois sont invio-
lables, mais les peuples le sont aussi. (On entend quelques applaudisse-
mens). Par les raisonnemens dont on s'appuie pour établir l'inviolabi-
lité absolue, on fait tout contre le roi, on le pousse par une pente
irrésistible dans tous les vices. La loi de la nature est inférieure à toutes
les sociétés; elle apprend aux hommes que quand les lois ne les vengent
pas, ils ont droit de se venger eux-mêmes. Comment se peut-il qu'on
invoque les lois pour mettre un homme au-dessus d'elles, pour les
violer ?
« Une réflexion bien simple, si l'on ne s'obstinait à l'écarter, ter-
minerait bientôt cette discussion ? Ou le roi supposé coupable envers la
nation conserverait toute son autorité, ou les ressorts du gouvernement se
relâcheraient dans ses mains, s'il conserve toute son autorité, à quoi
voulez- vous qu'il l'emploie, si ce n'est à persécuter la liberté publique ?
Dans les cas où les ressorts se relâcheraient, les rênes du gouvernement
retomberaient dans les mains de quelques factieux. Qu'on me rassure
sur les dangers des factions, et j'adopterai tout ce que peuvent proposer
les Comités. Je déclare que j'abhorre toute espèce de gouvernement
où les factieux régnent. 11 faut rassurer la nation contre la trop longue
durée du gouvernement oligarchique ? Les moyens de la rassurer
n'existent-ils pas, ne sont-ils pas devant vous ? Les mesures proposées
560 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
par le Comité ne peuvent que vous déshonorer; et si j'étais réduit à voir
ces mesures triompher, je voudrais me déclarer l'avocat des gardes-
du-corps, de madame Tourzel, de Bouille lui-même. Si le roi n'est pas
coupable, s'il n'y a pas de délit, il n'y a pas de complices. Si sauver
un coupable puissant, c'est une faiblesse, lui sacrifier un coupable faible,
c'est une lâcheté ; il faut ou prononcer sur tous les coupables, ou les
absoudre tous. Je propose que l'Assemblée décrète qu'elle consultera
le vœu de la nation; qu'elle lève la suspension mise à l'élection des
membres de la législature. J'invoque ensuite la question préalable sur
l'avis des Comités. Mais si mes réflexions ne prévalent pas, je demande
que l'Assemblée ne se souille point en provoquant la perte des com-
plices prétendus » (9).
Journal de Paris, 16 juillet 1791, p. 790.
« Il n'y eut pas de morceau dans le discours de M. Roberspierre,
où l'on ne pût voir son sentiment tout entier. Nous en citerons le com-
mencement, et on pourra y pressentir tout son discours. On n'apperçoit
pas que cet Orateur étudie et fasse des progrès dans ce qu'on appelle
la tactique des Assemblées, et qui pourrait beaucoup ressembler à la
politique des Cours : M. Roberspierre ne recule jamais dans ses opinions,
et il avance toujours; voilà tout son art.
« Je ne viens point provoquer une décision injuste et sévère contre
un individu; je viens combattre des mesures également foibles et cruelles
pour y substituer des mesures douces qui peuvent sauver la Patrie. Je
viens réclamer aussi les droits de la Nation, et défendre les principes
sacrés de la liberté, je ne dis pas contre de vaines calomnies qui sont
des hommages, mais contre une doctrine fausse et machiavélique, dont
les progrès la menacent d'une ruine totale.
((Je n'examinerai pas même s'il est vrai que la fuite de Louis XVI
soit le crime de Bouille, de ses Aides-de-Camp, de trois Gardes-du-
Corps, de la Gouvernante du fils du Roi; je n'examinerai pas si le
Roi a fui volontairement, ou si de l'extrémité des frontières un Géné-
ral l'a enlevé par la force de ses conseils perfides; si les peuples en
sont encore au point de croire qu'on enlève les Rois comme les fem-
mes; je n'examinerai pas si le départ du Roi n'étoit qu'un voyage sans
objet, une absence indifférente, ou s'il faut le lier à tous les événements
qui ont précédé; s'il n'étoit que la suite ou le complément des conspi-
rations toujours renaissantes et toujours impunies, tramées contre la liberté
de la Nation; je n'examinerai pas même si la déclaration signée du Roi
en explique les motifs, ou si cet acte est la preuve de cet attachement
sincère à la révolution que le Roi a voit professé plusieurs fois d'une
manière si énergique.
(9) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 125.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 561
« Je ne veux raisonner que dans une hypothèse générale, et exami-
ner en lui-même le principe de l'inviolabilité.
« Le Roi est inviolable, dites-vous, il ne peut pas être puni; telle
est la Loi. Vous vous calomniez vous-mêmes. Non, jamais vous n'avez
décrété qu'il y eut un homme au-dessus des Loix; un homme qui pour-
roit impunément attenter à la liberté, à l'existence de la Nation, et
insulter paisiblement, dans l'opulence et dans la gloire, au désespoir
d'un Peuple malheureux et dégradé; non, vous ne l'avez pas fait; si
vous aviez osé porter une pareille Loi, le Peuple François n'y auroit
pas cru, ou un cri d'indignation universelle vous eût appris que !e Sou-
verain reprenoit ses droits. Je sais bien que, pour ce qui concerne les
actes d'Administration et de Gouvernement, l'Assemblée a transporté
la responsabilité du Roi aux Ministres.
« Cela paroît bien moins déraisonnable qu'on ne pourrait le croire,
au premier coup d'oeil, puisque le même système transfère à ces mêmes
Ministres la puissance executive, réelle et effective, et ne donne la force
de l'autorité publique qu'aux actes qu'ils ont adoptés et signés, d'où
il résulte d'un côté, que le Roi ne peut faire aucun mal en administra-
tion, puisque tout ce qu'il fait lui-même demeure sans effet, et que de
l'autre la Loi conserve toute sa force contre le Ministre qui est le véri-
table auteur du mal. Mais les actes individuels et personnels de
l'homme revêtu de la qualité de Roi, qu'ont-ils de commun avec cette
espèce d'inviolabilité ? Si un Roi commet un assassinat, par exemple,
cet acte là est-il nul et sans effet ? ou bien y a-t-il là un Ministre qui
signe et qui répond ?
[Suit le texte de Le Hodey, depuis: « La meilleure preuve. . »
jusqu'à « ...celle des Rois ».]
« Les conclusions de M. Roberspierre ne se bornèrent poin'. à
rejetter l'avis des Comités par la question préalable, il proposa d'autres
moyens parmi lesquels la levée de la suspension des opérations des
Assemblées Electorales et le prompt rassemblement du nouveau Corps
législatif, furent ceux sur lesquels il appuya davantage. »
Journal des Débats, n° 784. p. 9-12.
« M. Robespierre a dit : Je ne viens point repousser les reproches
de faction et de républicanisme que l'on a attachés à la défense des
principes les plus sacrés. Je ne viens pas non plus provoquer une décision
sévère, mais substituer des mesures douces à des mesures foibles, et
défendre les principes de la liberté contre une doctrine machiavélique
dont les progrès semblent menacer la Constitution d'une ruine entière.
« Je n'examinerai point si la fuite du Roi est l'ouvrage de Bouille
et de ses complices; je n'examinerai pas si le Roi a fui de lui-même
ou s'il a été enlevé; je n'examinerai pas si le Peuple en est encore au
point de croire qu'on enlève les Rois comme les femmes; je n'exa-
minerai pas si, comme l'a pensé M. le Rapporteur, le départ du Roi
562 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
est un voyage simple et sans objet, une absence indifférente, ou s'il est
une conséquence de toutes les mesures prises antérieurement, et qui
nous ont été dévoilées; je n'examinerai pas enfin si la déclaration du
Roi explique les motifs de sa fuite, ou si cet acte n'est que son aveu,
et le' genre d'adhésion qu'il prétend donner à la Constitution. Je vais
raisonner sur cette seule question. Quelles sont les bornes principales
de l'inviolabilité ?
(( Le crime légalement impuni est une monstruosité révoltante dans
l'ordre social, une monstruosité subversive de l'ordre social. Si un crime
est commis par un fonctionnaire public, par un magistrat supérieur, je
soutiens qu'il est bien plus punissable, pour deux raisons : la première,
qu'étant plus lié à la Patrie, il en a plus compromis les intérêts en
violant la Loi; la seconde, qu'étant armé d'un grand pouvoir, il peut
successivement se livrer aux abus les plus dangereux. Vous avez décrété
l'inviolabilité du Roi : eh bien ! en cela avez- vous pu vous dissimuler
que cette qualité n'est que ce qui auroit manqué à la responsabilité des
Ministres ? Il en résulte que le Roi ne peut porter atteinte à l'adminis-
tration, parce que tout ce qu'il fait seul est sans effet. Mais s'agit-il
d'un acte personnel ? S'agit-il d'un assassinat, par exemple ? Si ce
crime est commis, peut-il jamais être annulé par l'inviolabilité, ou bien
y a-t-il là un Ministre responsable ? On a dit que, dans cette hypo-
thèse, le Roi seroit déclaré insensé, et que l'on nommeroit un Régent;
mais cependant l'inviolabilité subsistera. Que le Comité s'explique
donc, et qu'il dise qu'encore alors le Monarque est inviolable.
« Si le Roi égorgeoit vos fils sous vos propres yeux, on a dit qu'il
vous seroit permis de vous venger, et l'on a substitué ainsi des vengean-
ces personnelles à la justice calme et indépendante de la Loi. Mais
qu'est-ce que des hypothèses particulières } Qu'est-ce que des forfaits
imaginaires, auprès de ceux qui menacent un Peuple entier? Si le Roi,
à la tête d'une armée, vouloit ravager son propre pays, et ensevelir
sous ses ruines un Peuple entier, le Roi seroit-il inviolable ? Voiio l'êtes
aussi. Cependant avez- vous étendu cette inviolabilité jusqu'à vous mettre
à l'abri de toute espèce d'accusation dans le cas d'un crime quelconque ?
Oseriez-vous dire au Roi que les Représentans du Souverain ont des
droits moins étendus que n'en a celui dont ils ont créé le pouvoir ? Un
Roi est inviolable ? Les Peuples ne le sont-ils pas aussi ? Si le Roi
l'est par une fiction, les Peuples le sont par la loi naturelle; et poavez-
vous, en couvrant le Roi du manteau fictif de l'inviolabilité, lui donner
à lui seul les droits qu'un grand Peuple ne peut avoir qu'en masse ">
« Avez-vous enfin réfléchi sur la situation d'une Nation gouvernée
par un Roi criminel de lèse-nation ? Avez-vous réfléchi sur les mépris
amers dont elle se couvrirait par une semblable disposition ? Quoi qu'il
en soit, pourvu que l'on rassure la Nation contre les dangers des fac-
tions, je souscris à tout ce que vous proposera le Comité. Que l'on
m'accuse encore de républicanisme, et je déclare solemnellement que
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 563
j'abhorre toute espèce de gouvernement où les factieux régnent. Qu'im-
porte en effet de secouer le joug d'un despote, pour se soumettre à un
despotisme qui ne différeroit que par le nombre de ceux qui l'exerce-
roient ? Je vois dans ce moment des coalitions trop actives. Je vois des
Citoyens qui réunissent dans leurs mains des moyens trop variés et trop
puissans d'influencer les travaux publics. Voilà ce qui fait naître nos
craintes. Il faut donc rassurer la Nation contre les factieux qui voudroient
se coaliser, s'élever. Je demande même si on ne les a pas favorisés par
une suspension indéfinie de la nomination des Représentais de la Nation
qui composeront la législature prochaine, dans un temps où l'on auroit
pu profiter pour les élections, du calme qui règne dans le royaume, et
où l'agitation qui avoit rallié les esprits, sembloit promettre les meil-
leurs choix.
« A ce qu'ont proposé les Comités, je soutiens qu'il faut substituer
des mesures générales. Celles qu'ils vous présentent ne peuvent être que
déshonorantes pour la Nation; et si je suis réduit par leur adoption à
voir sacrifier tous les principes de sa liberté, je demande à être l'avocat
de Bouille et de tous ceux contre qui on déclare qu'il n'y a lieu à accu-
sation. Où il n'y a point de coupable, il n'y a point de délit; où il n'y a
point de délit, on ne peut trouver des complices; et si épargner un
coupable puissant est une foiblesse, immoler un coupable plus foible est
une basse injustice. Je ne reconnois plus l'égalité dans un gouvernement
où l'on distingue un homme d'un homme, un crime d'un crime, un cou-
pable d'un plus grand coupable encore. Il faut prononcer que tous sont
coupables, ou les absoudre tous. Je propose donc : 1 ° que l'Assemblée
Nationale décrète qu'elle consultera le vœu de la Nation pour statuer
sur l'affaire du Roi; 2° Qu'elle lève le Décret qui suspend les élec-
tions pour la prochaine législature; et 3° je propose la question préalable
sur le projet du Comité. Si les principes que j'ai réclamés sont mécon-
nus, je demande au moins que l'Assemblée ne se souille point par une
partialité dans le choix des coupables. »
Annales patriotiques et littéraires, n° 651, p. 1684.
« Vous avez déclaré le roi inviolable, répond M. Robespierre,
mais ne vous êtes-vous pas déclarés inviolables aussi, et avez- vous pré-
tendu étendre cette inviolabilité jusqu'au droit de tout faire impunément ?
Si les rois sont inviolables par fiction, les peuples le sont par le droit
sacré de la nature; et que feriez-vous autre chose en consacrant la pre-
mière par la plus coupable des impunités, que d'y sacrifier la seconde?
« Que l'on m'accuse si l'on veut de républicanisme, je décWe
que j'abhorre tout gouvernement où les factieux dominent. Je soutiens
qu'adopter les mesures que vous proposent vos comités réunis, seroit
vous déshonorer; dans ces principes, le roi n'est pas coupable, mais
il y a un grand crime de commis; les seuls coupables à leurs sens sont
les complices de la fuite du roi; ils vous proposent de les faire punir,
564 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
c'est-à-dire, qu'ils veulent vous faire sacrifier le coupable faible au cou-
pable puissant. C'est une lâcheté.
« Il faut punir tous les coupables, ou bien il faut tous les absoudre,
point de milieu.
« M. Robespierre a conclu : 1 ° à ce que l'assemblée consultât
le vœu des départemens avant de rien statuer sur cette importante ques-
tion; 2° à la question préalable sur le projet des comités, dans le cas
où le roi ne seroit pas mis en cause avec les complices de sa fuite. »
Mercure universel, t. V, p. 239 et 247.
« M. Robespierre. Je ne viens point vous entretenir des mots de
factions et de républicanisme que l'on voudroit attacher aux principes;
je ne viens pas non plus provoquer la sévérité de la loi contre un indi-
vidu; je n'examinerai pas si la fuite du roi est la faute de quelques
femmes de chambre, de madame Tourzel ou même de Bouille ? Je
n'examinerai pas si aujourd'hui nous en sommes encore à ce temps où
l'on enlève les rois comme autrefois on enlevoit les femmes ? Je n'exa-
minerai pas si aujourd'hui nous en sommes encore à ce temps où l'on
enlève les rois comme autrefois on enlevoit les femmes ? Je n'exami-
nerai pas même si le manifeste du roi, écrit de sa main, est une décla-
ration de son dévouement à vos loix. Je n'examinerai que deux points :
le premier, c'est que le premier fonctionnaire public est chargé de
devoirs plus étendus, donc il doit être jugé plus sévèrement; le second,
c'est que muni d'un grand pouvoir, il est par cela seul plus dangereux
qu'aucun citoyen, et doit être plus soigneusement contenu. On parle
d'une inviolabilité sans bornes; mais s'il s'agissoit d'un crime, d'un
assassinat, ce fonctionnaire seroit-il donc alors inviolable ? On répond
qu'il faudroit chercher le bras qui l'auroit guidé pour commettre ce
délit ! C'étoit par sa seule impulsion et comme être agissant que ce
fonctionnaire eût commis un délit ! Je demande où seroit le coupable ^
On lui nommeroit un régent, me dit-on; s'il continuoit ainsi, il seroit
donc toujours roi; et si alors, je suppose, le roi égorgeoit votre fils sous
vos yeux, s'il outrageoit votre femme, votre fille, permettriez- vous aux
citoyens de se venger? Oui, dites-vous ainsi, vous établiriez la ven-
geance particulière légitime et nécessaire, est-ce là établir l'ordre ? Et
vous osez nous dire que l'inviolabilité est une chose nécessaire ? Mais
vous aussi vous êtes inviolable? Oseriez-yous attendre ce privilège
d'extravagance jusqu'à n'être pas soumis à la loi ? Les rois sont invio-
lables, nous dit-on, mais les peuples ne le sont-ils pas aussi ? Le roi
l'est par votre convention, le peuple l'est par le droit de la nature. »
« M. Robesp. Il est visible que l'on n'invoque ici les loix que
pour qu'un homme puisse les renverser ! O vous, qui défendez sa cause,
avez-vous réfléchi à ce que seroit un criminel de lèze-nation qui scoit
le roi ? A ce que seroit le crime établi sur le trône ? Comment je magis-
trat osera-t-il rendre un arrêt en son nom? Ne se couvrira-!-'! pas le
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 565
visage de pudeur, en prononçant une condamnation ? Le criminel sur
l'échafaud ne pourroit-il lui dire : celui au nom duquel vous me
condamnez est cent fois plus coupable que moi, et pourtant il est
couronné ! Où donc est cette égalité de droits que vous m'avez
promise ? Mais où le roi conservera toute la puissance dont il est revêtu,
alors il en abusera, il l'emploiera pour anéantir la liberté, pour persé-
cuter ceux qui ont défendu la cause du peuple, ou bien il sera sans
confiance et sans force; alors les rênes flotteront dans les mains des
factieux. On m'accusera de républicanisme, je le sais; mais je déclare
que je déteste les factieux et les Cromwel; je me rappelle l'exemple de
l'Angleterre, je vois parmi nous des coalitions plus actives que jamais;
je vois que l'on devroit ne pas continuer cette prolongation qui suspend
la nomination des nouveaux représentans : mais il faut vous dire un mot
des intentions des opinions de vos comités; ils ne peuvent que vous
déshonorer. Voici les principes de vos comités : un homme puissant qui
seroit jugé selon eux, ce seroit un crime; mais un foible qui seroit
complice avec cet homme puissant, doit être sacrifié pour détourner
l'attention publique et l'épargner; alors les femmes de la reine, les
gardes-du-corps, Bouille lui-même, tous sont en faute; le roi n'est
pas coupable, pourtant il a des complices ! Ou il n'y a que des inno-
cens, ou il n'y a que des coupables, puisque tous n'ont agi que pour
celui que l'on dit innocent. Je demande donc que le jugement soit le
même pour tous, que l'assemblée : 1 ° porte un décret par lequel elle
déclare qu'elle consultera le vœu de la nation pour statuer sur l'affaire
du roi.
« 2° Que l'interdit sur les élections sera incessamment levé;
« 3° Je demande la question préalable sur le projet des comités. »
L'Ami du Roi (Royou), 16 juillet 1791, p. 3.
« Le seul nom de M. Robespierre annonce des hyperboles, des
déclamations, des sen'timens exaltés et une caricature des principes :
l'imagination de l'orateur prend plaisir à nous offrir un roi qui égorge
un fils sous les yeux de son père, qui viole une femme en présence de
son mari, qui fait massacrer des provinces entières; et il demande sérieu-
sement si l'impunité n'est pas, pour de pareils monstres, un privilège
extravagant-
ce Louis XI, le plus cruel de tous, fut juste envers le peuple; et
sa politique ne fut jamais si meurtrière à l'égard des grands, que cette
même révolution que M. Robespierre préconise comme amie, de l'hu-
manité.
« M. Robespierre a relevé durement l'expression dont la fausse
politique de l'assemblée s'est servie pour désigner le départ du roi,
qu'elle a voulu faire passer pour un enlèvement; il a demandé si on
enlevoit un roi comme une femme; et je crois qu'il a raison de^blâmer
566 LES. DISCOURS DE ROBESPIERRE
cette mauvaise foi, indigne d'une assemblée nationale; pourquoi tromper
le peuple ? Pourquoi désigner à sa fureur des victimes ? Pourquoi le
flatter, en lui déguisant ses excès ? Il est évident que le roi n'a point
été enlevé; il est parti volontairement, pour se dérober aux rigueurs
d'une injuste captivité et aux insultes populaires. L'assemblée devoit
le dire au peuple, et prendre de-là occasion de lui reprocher ses atten-
tats contre la majesté royale; l'orateur a condamné avec encore plus
de raison l'inconséquence du comité, qui, après avoir déclaré, dans son
projet de décret, que le roi ne s'est rendu coupable d'aucun délit, pro-
pose de faire le procès aux complices de sa fuite : où il n'y a point de
délit, il n'y a point de complices. C'est une lâcheté et une infamie, de
sacrifier des Victimes subalternes au ressentiment du peuple : ces deux
traits prouvent que M. Robespierre n'est point un fourbe, mais seule-
ment un fanatique; qu'il ne trempe point dans les mystères d'iniquité
et dans les odieux complots de la démagogie, et que c'est de très-bonne
foi qu'il outrage la raison et la saine politique. Qu'on lui donne un
esprit moins borné, et plus de lumières, on en fera un bon français et
un excellent citoyen. »
Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. XII, n° 709, p, 4.
Journal du Soir (Beaulieu), t. III, n° 374, p. 3.
Gazette nationale ou Extrait..., t. XVIII, p. 96.
« Je n'examine pas, a dit M. Robespierre, si la fuite de Louis XVI
est l'ouvrage de Bouille et de quelques aides-de-camp; je n'examinerai
pas si les peuples croient encore qu'on enlève les rois comme des fem-
mes, j'examinerai seulement les bornes de l'inviolabilité. Si la personne
du roi est inviolable, c'est que la loi punit les fautes qu'il pourroit
commettre sur ceux qui en seroient les premiers moteurs.
« Mais il est certain cas où la loi ne peut s'en prendre qu'au roi.
Si un roi remue la main par un mouvement spontané, quelle autre per-
sonne que lui-même peut en être responsable ? Si un roi égorgeoit votre
fils sous vos yeux, seroit-il inviolable ? Et à plus forte raison un roi qui
appeïleroit la guerre civile, qui ravageroit son pays, seroit-il inviolable ?
« Si les rois sont inviolables, les peuples ne le sont-ils pas aussi ?
Voulez-vous immoler l'inviolabilité des nations à celle des rois ? Quel
spectacle présenterait aux autres peuples de l'Europe, celui chez qui
on verroit le vice placé sur le trône pour combattre la liberté.
« Qu'on m'accuse si l'on veut d'aimer le républicanisme; je hais
tout gouvernement où les factieux régnent. Je vais en donner la preuve.
Je demande que le décret qui suspend les assemblées primaires soit levé.
La perpétuité des pouvoirs du corps législatif accableroit la liberté;
mais aussi je demande qu'on écarte toute considération sur l'objet
important qui nous, occupe. La qualité du coupable n'est rien : si je
voyois sacrifier ici les principes au point de l'absoudre, je me porterais
pour avocat de la gouvernante du dauphin, des gardes-du-corps et des
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 567
autres prévenus. Il n'y a pas de complices quand il n'y a pas de délit.
L'opinant a conclu pour le rejet du projet du comité, et il a demandé
que la nation entière fût consultée sur le délit du roi.
« Il a demandé: 1° que le vœu de la nation fût consulté, pour
prononcer, si oui ou non, le Roi a encouru la peine de déchéance;
2° que l'assemblée lève le décret qui suspend les élections; 3° la
question préalable sur le projet de décret des comités; 4° que l'assem-
blée nationale ne se souille pas de partialité, en punissant les complices
d'un délit où le principal coupable est à l'abri de toute punition. »
Le Postillon (Calais), t. XI, n° 507, p. 4.
« M. Robespierre. Le crime légalement impuni est un renverse-
ment de l'ordre social, et s'il est commis par un fonctionnaire public,
je ne vois qu'une raison de plus pour le punir avec une plus grande
ostensibilité ; mais, dit-on, le roi est inviolable: vous avez donc oublié
que vous avez décrété la responsabilité dans le cas où le roi agiroit
par ses ministres; mais lorsque le roi fait un acte personnel, s'il assassine
votre fils, s'il outrage votre femme et votre fille, lui direz- vous : Sire,
nous vous avons permis de tout faire. La meilleure preuve de l'absur-
dité d'un système, c'est quand la première conséquence ne peut être
soutenue. Le roi est inviolable : mais les peuples le sont aussi de leur
nature, et vous ne pouvez les sacrifier à la barbarie d'un roi.
« Eh ! comment les divers fonctionnaires publics rempliront-ils avec
honneur leurs devoirs, lorsque celui au nom duquel ils agiront aura oublié
tous les siens ? Comment les juges condamneront-ils un homme pour
fraude ou mauvaise foi, lorsque le chef de la justice se sera rendu cou-
pable de parjure ? Une réflexion bien simple détruit toutes les objections
qu'on fait : ou le roi coupable conservera toute l'énergie de son pou-
voir, et dans ce cas la liberté publique est en danger; ou les ressorts
du gouvernement se relâcheront, et alors l'état tombe dans l'anarchie.
Qu'on m'accuse, si l'on veut, de républicanisme, je déclare que je
déteste tout gouvernement où les factieux régnent; mais je ne vois pas
qu'il se prépare de Cromwel, et je vois sur-tout que le peuple français
ne seroit pas disposé à le supporter.
<< Les mesures du comité sont propres à déshonorer l'assemblée,
on l'engage à sacrifier le foible au fort ; et si vous décrétez que le roi
n'est pas coupable, je prends l'engagement d'être l'avocat des trois
gardes-du-corps, et même de Bouille.
« Je conclus à ce que l'assemblée prenne le vœu de la nation sur
la cause du roi ; à ce qu'elle lève le décret qui suspend la nomination
des nouveaux députés, et enfin, à la question préalable sur le projet du
comité. ))
Courier de Provence, t. XV, n° 316, p. 549.
« M. Robespierre a fait entendre les mâles accents d'une élo-
quence austère, d'une éloquence dans le genre de l'antiquité. I! a
568 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
traité avec autant de clarté que de précision la question de l'inviolabi-
lité, et il a terminé cette partie de son opinion par ce trait. « Le roi
est inviolable par une fiction : les peuples le sont par le droit sacré de
la nature. Et que faites-vous en couvrant le roi de l'égide de l'inviola-
bilité ? Vous immolez l'inviolabilité des peuples à celle des rois. Ensuite
après avoir démontré l'impossibilité de mettre le roi hors de cause, après
avoir demandé comment les magistrats ne seroient pas tentés de se
couvrir le visage de pudeur, lorsqu'ils condamneroient la fraude et la
mauvaise foi, au nom d'un homme perfide et parjure, il a dévoilé avec
courage les indignes coalitions que l'ambition et l'intrigue ont formées
depuis le départ du roi.
« Il a fini par demander que l'assemblée lève le décret qui suspend
les assemblées électorales. A cette demande, M. Roberspierre a ajouté
celle de la question préalable sur le projet des comités, il a proposé de
consulter la nation pour statuer sur le sort du roi, ou du moins, s'i! est
mis hors de cause, de ne pas se souiller par une marque de partialité
révoltante contre les complices d'un délit sur lequel on veut jeter un
voile » (10).
Journal de la Noblesse, t. II, n° 30, p. 315.
« M. Roberspierre a senti cette horreur qui nous a fait qualifier
d' exécrable les principes des comités.
« Il a parlé conformément à ses maximes républicaines, et dès-lors
il devoit être contre l'inviolabilité : mais s'il est coupable aux yeux
des gouvernemens monarchiques, et sur-tout envers le nôtre, la raison
ne lui reproche pas une inconséquence cruelle. »
[Suit un passage imité du Moniteur depuis : « Je déclare que
j'abhorre., m jusqu'à la fin.]
(10) Le Courier <le Provence (nn 317) ajoute le commentaire sui-
vant: « M. Robespierre a prouvé le mot d'une grande énigme poli-
tique quand il a dit que rien ne convient mieux aux factieux et aux
intrigants que les gouvernements foibl.es. Voulez-vous savoir pour-
quoi les ennemis les plus .acharnés r,e sont embrassés fraternelle-
ment? Pourquoi les partis les plus divisés de principes et de seri-
timens se sont rapprochés? Pourquoi les intérêts les plus opposés
se sont confondais? Voulez-vous .savoir pourquoi la faction de la cour
marche maintenant d'accord avec la faction qui s'étoit longtemps
déclarée avec tant de violence contre cette cour où elle avoit Jadis
dominé? Pourquoi s'élèvent-ils hautement en faveur d'un roi que
la pluoart détestent que tous méprisent Je vous répond-ai avec
M. Robespierre : rien ne convient mieux aux (factieux et aux intri-
gants qu'un gouvernement foible » '(cité par E Hamel, I, 503.
note 1).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 569
Gazette de Paris, M juillet 1791, p. 1.
On a vu avec quelle énergie M. Prugnon a repoussé les sophis-
mes blasphématoires de M. Péthion, contre la Majesté Royale : à
ce très-honorable Membre a succédé dans la Tribune M. Robespierre.
Je n'ai pas besoin de dire que le petit-neveu de Damiens a parlé sur
cette grande question, comme s'il avoit à venger le Régicide son
parent, où à mériter la même place que lui dans l'Histoire. Il a cru
opposer à l'inviolabilité du Monarque, une démonstration irrésistible,
en le supposant déjà coupable de viol ou d'assassinat. Que le neveu
du Ravaillac du 18e siècle suppose le meurtre, sans doute cetfe idée
lui paroît simple et naturelle ; mais que le même homme qui prétend
que les mesures des Comités sont propres à déshonorer V Assemblée ; que
c'est l'engager à sacrifier le foible au fort; qui conclud à ce que l'on
prenne le vœu de la nation sur la cause du Roi, ose dire en même tems,
qu'il ne voit pas qu'il se prépare de Cromwel; et que sur-tout // voit
que le Peuple Français ne seroit pas disposé à le supporter, c'est cumu-
ler les sujets d'indignation et d'étonnement. Quoi ! ne pas trouver un
crime où la loi n'en trouve pas, c'est déshonorer l'Assemblée ! Son
honneur consiste-t-il à imaginer des crimes, à tourmenter l'innocence sur
le trône, pour complaire à la scélératesse souveraine des Clubs ? C'est
dit encore l'Orateur Républicain, immoler le foible au fort. Quoi !
dans cette horrible révolte, le foible c'est ce Peuple forcené, qui mon-
tre des millions de bras armés, dont plusieurs milliers sont déjà teints
de sang; et le fort c'est ce captif auguste, rassasié d'opprobres, chargé
de fers et jette dans une prison dont on grille toutes les issues. »
[Long résumé de cette intervention dans Le Journal des Décrets
de l'Assemblée nationale, 15 juillet 1791, p. 78; Le Journal de Rouen,
n° 195, p. 959; Le Défenseur du Peuple, n° 8, p. 7; Le Législateur
français, t. 111, 15 juillet 1791, p. 4. Brève mention dans Le Journal
universel, t. XII, p. 1 199; La Vedette ou Précis de toutes les nouvelles
du jour, 15 juillet 1791, p. 8; Le Journal général du Pas-de-Calais,
n° 6, p. 70; Le Patriote françois, n° 705, p. 57; La Chronique de
Paris, t. V, n° 197, p, 797; Le Courrier des LXXXlll départemens,
n° 15, p 251 ; L'Ami des Vieillards, n° 4, p. 61 ; Le Creuset, n° 52,
p. 97; Le Mercure de France, 23 juillet 1791, p. 306: L'Argus pa-
triote, n° 12, p. 300; Le Journal de la Révolution, n° 337, o. 109;
L'Ami du Roi (Montjoie), 15 juillet 1791, p. 783; L'Ami de la Ré-
volution, 20-24 juillet 1791, p. 93; L'Orateur du Peuple, t. Vil, n° 1 ;
Le Journal de Louis XVI et de son peuple, t. IV, n° 104, p 307;
La Correspondance nationale, n" 44, p. 158; L'Ami du Peuple (Ma-
rat), n° 520, p. 4; Le Pacquebot, n" 163; Le Journal du Soir, sans
réflexions (de la rue de Chartres), n° 374, p. 3.]
570 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
2* intervention : Sur une proposition de Démeunier
relative à la suspension du roi
Après l'intervention de Prieur, Démeunier propose que le roi
demeure suspendu jusqu'à l'achèvement de l'acte constitutionnel,
qui lui sera alors présenté; dans le cas où le roi ne l'accepterait
pas purement et simplement, i! serait déclaré déchu. Une vive discus-
sion s'engage. Robespierre déclare que décréter que l'acte constitu-
tionnel sera soumis au roi, c'est déclarer qu'il ne peut être mis
en jugement. Démeunier rédige sa proposition et la soumet à l'As-
semblée : <( Art. 1. Le décret rendu dans la séance du 21, qui suspend
l'exercice du pouvoir exécutif, subsistera ;tant que l'acte constitu-
tionnel n'aura pas été présenté et accepté purement et eimplement
par le roi.
« 2. Dans le cas où le roi actuel, ou tout autre, n'accepterait
pas purement et simplement, il serait censé renoncer à la cou-
ronne, et l'assemblée le déclarerait déchu du trône. »>
L'Assemblée passa à l'ordre du jour sur la proposition _ de
Démeunier. La suite de la discussion sur le rapport des comités
fut renvoyée au lendemain.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXIX, p. 477
« M. Robespierre. L'une des deux questions de M. Démeunier
préjuge évidemment celle que vous agitez actuellement, et suppose que
le Roi sera mis hors de jugement. En effet, si vous décrétez qu'on
présentera la charte constitutionnelle au roi à la fin de la Constitution,
il est évident que vous décrétez que le roi ne sera pas mis en juge-
ment (c'est Vrai). Je dis que l'article qu'on vous propose ne présente
aucun avantage en ce moment, puisqu'il étoit convenu généralement, et
qu'il étoit dicté par le sens commun, que si le roi n'acceptoit pas la
constitution, il ne pouvoit point exercer les fonctions royales. Ainsi,
vous ne gagnez rien par cet article (murmures) ; et c'est un moyen
très adroit pour faire passer le projet du comité. Je demande la question
préalable quant à présent » (11).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 196, p. 812.
« M. Robespierre. Si vous décrétez que la charte constitutionnelle
sera présentée au roi, vous préjugez la question qui nous est soumise,
vous déclarez qu'il ne peut pas être mis en jugement. Je m oppose
donc à cet ordre de délibération » (12).
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal des Débats,
n° 784, p. 18; L'Ami du Peuple (Marat), n° 520, p. 4; La Feville
du Jour, t. V, n° 196, p. 114; Le Journal de Rouen, n° 197, p. 962;
Le Creuset, t. III, n° 52; L'Ami du Roi (Montjoie), 15 juillet 1791,
p. 783; le Législateur français, t. III, 15 juillet 1791, p. 8; Le Ba-
billard, n° 34, p. 7.]
(«11) Texte reproduit dans lels Arch. pari., XXVIII, 270.
(12) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 128.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 571
319. — DERNIER DISCOURS DE M. ROBERSPIERRE
Sur la fuite du roi (1)
Ce discours, flans lequel Robespierre serait censé réfuter l'ar-
gumentation de Prugnon i(2), .et où il laisserait entendre que la fuite
du roi est un crime qu'on punirait de mort s'il s'agissait d'un simple
particulier, a été compose comme s'il devait être prononcé Le soir
même du grand débat qui avait eu lieu à l'Assemblée nationale le
il juillet 1791. Aucun journal ne l'ayant mentionné, E. Hamel le
place, à la même date, aux Jacobins (3).
Mais ce soir-là, « les Amis de la constitution se sont, pour
la première fois, distraits de leurs travaux, pour se livrer aux agré-
mens d'une fête »> (4). iL'après-midi, Robespierre avait été choisi,
avec 23 de ses collègues, pour représenter l'Assemblée nationale
à la commémoration du quatorze juillet (5). A l'issue de cette céré-
monie, les Jacobins organisèrent am banquet « où il a été porté au
bruit du canon, des santés... et « la fête a été terminée par un bal
avec illuminations <» (6).
Ce discours fu*t-il prononcé dans queliqu'autre société popu-
(1) B.N. Le29 1640, in-8°, 8 p., de l'imprimerie de Calixte Vol-
land, rue des Noyers, n° 38, sans aucune autre indication. Texte
reproduit dans « Les plus beaux discours de Robespierre » (Edit.
du Centa.ure), p. 50, et présenté comme ayant été prononcé à La
tribune des Jacobins, sans aucune date.
(2) Cf. ci-dessus, séance du 14 juillet 1791, à l'Assemblée na-
tionale.
(3) Cf. E. Hamel, I, 506-507.
(4) Mercure Universel, t. V, p. 263.
(5) (Le cortège se constitua sur les ruines de la Bastille et se
rendit « au Champ de fédération » (Gazette nationale ou le Moniteur
Universel, n° 197, p. 813). \Marat voit dans La nomination de Robes-
pierre une manœuvre habile pour l'éloigner de la tribune (Ami du
Peuple, n° 519, p. 7 et ,note 1) : *< Pour trouver moins d'obstacles à
leur dessein atroce, ils se sont débarrassé adroitement de Robes-
pierre et de quelques autres députés patriotes, qu'ils ont envoyés
commissaires à la fédération... Robespierre devait sentir le coup
et le faire retomber sur eux. Je reste à mon poste pour veiller au
saLut de la patrie, leur aurais-je répondu. Envoyez à la fédération,
d'André, Desmeuniers, Emery, Target, Voidel, Tbouret, Bamave,
Chapelier, iSyeyes, Rabaud, les Lameth et quelques autres de ces
nombreux coquins qui restent ici pour achever.de détruire la liberté.
A propos des Lameth, je le demande aux Jacobins, me trompais-je,
lorsque je les dénonçai, il y a un an, pour de vils courtisans qui
avaient spéculé s.ur le faux civisme qu'ils affichaient? » (cité par
E Hamel, I, 507).
De même C. Desmoulins engage les députés patriotes à la plui
grande vigilance (Révolutions de France et de Brabant, t. VII,
n° 85, p. 286): * Que Buzot, Pethion et Robespierre s'arrangent
ensemble de manière qne l'un des trois surveillans se trouve tou-
jours ià la séance : car s'ils avoient tin moment le dos tourna, je ne
répondrois plus de la liberté d'écrire, même de parler ».
(6) Mercure Universel, t. V, p. 263.
572 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
laire? (7) Nous ne le pensons pas. Nous croyons même pouvoir affir-
mer, tant le style diffère des véritables écrits de (Robespierre, qu'il
s'agit d'une contrefaçon (8) ; de celle même peut-être qu'il dénonce
aux Jacobins dans la séance du 17 juillet (9), lorsqu'il dit: « A
l'instant encore, aux -Champs-Elysées, on publiait sous mon nom un
discours séditieux dont il in' est jamais sorti un mot de ma bou-
che » (10).
« Le mot de Montaigne distinguo, je distingue, n'est pas encore
assez connu, ou du moins il n'a pas assez d'influence dans nos délibé-
rations. On se perd sans cesse dans les généralités; et parce que Rous-
seau a avancé qu'une loi ne pouvait porter que sur un objet général, on
en a conclu qu'il fallait écarter de sa disposition tout ce qu'il y a de
particulier. Mais, où trouver quelque chose qui soit absolument géné-
ral ? N'est-ce pas alors qu'une chose est plus générale, qu'elle devient
sujette à un plus grand nombre d'exceptions ? car renfermant dans ses
conséquences une multitude d'objets qu'elle ne peut saisir sous toutes
les faces, elle laisse nécessairement comme autant d'exceptions les faces
qu'elle n'embrasse pas. L'idée général, bien loin d'exclure l'idée
exception, la suppose au contraire, et la nécessite. On se sert du mot
absolu et non pas du mot général, quand on veut écarter l'idée de toute
distinction. Ce principe établi, dira-t-on, que l'exception faite à une
loi ne peut pas devenir elle-même l'objet d'une loi, ou que cette loi n'est
(7) /C'est l'idée que suggère G. Walter, p. 170.
(8) Ce faux pourrait bien être l'œuvre des orléanistes.
(9) Cf. ci-dessous, à la date, 2e intervention, texte du Mercure
universel.
(10) Un seul journal, à notre connaissance, signale ce discours;
c'est celui du royaliste Beffroy de .Reigny dit le- Cousin Jacques
Il écrit dans «on Défenseur du Peuple, n° 11, p. 7-8 et n° 12, p. 6:
« On disait hier que M. Robespierre, fatigué de aie pouvoir entraîner
à sa suite l'assemblée nationale, menace de la quitter ; à toute force
on pourrait se consoler de sa retraite; mais, bon peuple, comment
répareriez-voois la perte immense que vous feriez si, par vos insur-
rections, vos cris, vos menaces, 'vous forciez le Sénat à quitter les
murs de Paris, pour aller chercher la liberté, de ses opinions dans
une autre ville? Je ne le dissimule pas, il faut une force plus qu'hu-
maine pour délibérer froidement au milieu des orages. Les départe-
mens, jaloux de voir la constitution arriver à sa fin, sachant que
vingt-six mois n'ont pu achever cet ouvrage, instruits que, jusqu'à
sa confection,, l'anarchie, non? détruira, s'élèveraient contre vous,
auteurs des retards iforcés. Si l'assemblée quitte Paris, et établit
ses séances au milieu du royaume ; si le monarque qui doit habiter
près d'elle, la suit, que devenez-vous 1 la victime des factieux qui
vous ont soulevé ; vous perdez même le rang de capitale, une autre
ville peut s'en emparer. Il est temps encore, vous êtes en force,
quel meilleur usage pouvez -vous en faire que de chasser, je ne dis
pas punir, les pervers qui vous obsèdent.
« Le discours de M. Robespierre a passé dans toutes les mains;
l'auteur s'est jette dans l'analyse de toutes les exceptions, excepté
dans celle du bonheur public. Ce morceau est la critique de la façon
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 573
que particulière ? Ce ne sont là que des mots. De quelque nom que
l'on l'appelle, elle sera toujours générale dans ses effets, puisque la
moindre exception dans la loi la plus étendue a tout aussi bien que
cette dernière l'empire entier de l'objet.
« Dans la grande question qui s'agite aujourd'hui à l'Assemblée
nationale, question qu'on appelle grande, par son objet qui est le roi,
quoique dans la morale, tout ce qui intéresse cette science divine ait
réellement la même mesure et ne diffère que par l'énorroité du crime
sans acception des personnes; dans cette question, dis-je, les Orateurs
de l'Assemblée sont un déplorable exemple des grands écarts où peut
donner l'esprit humain, lorsqu'au lieu de composer ses principes géné-
raux des observations particulières qu'il a faites, il veut soumettre les
objets particuliers aux généralités, et qu'incapable de tenir un milieu
ou de s'étendre également à tous les points, il se porte sans cesse d'un
extrême à l'autre.
« Ainsi, en cherchant à définir l'inviolabilité du Roi, M. Péthion
veut que bornée aux actes du gouvernement, elle disparaisse dans les
moindres causes civiles. M. Prugnon, à qui cette idée d'un Roi sans
cesse tenu à comparaître devant les tribunaux, offre apparemment quel-
que chose d'indécent, ne veut pas qu'il puisse y être appelle même
pour crime de lèze-majesté nationale au premier chef, qui est une com-
de penser de ses collègues sur la question relative au Roi, qu'il voit
simplement chargé de la complication de tous les crimes ; heureuse-
ment près de mille autres membres n'ont pas vu de même. « Louis
XVI, selon l'Orateur artésien, est un parjure, chef d'une rébellion
universelle à la loi, le ravisseur de l'objet le plus cher à la nation
et le plus important à son repos, l'héritier du trône ; enfin, le bour-
reau de son peuple ; un .Néron qui, par le seul acte de sa fuite, a
exécuté, autant qu'il est .en lui, le vœu féroce de ce prince dénaturé,
qui souhaitait que le Peuple romain n'eût qu'une tête, pour la faire
tomber d'un seul et même coup ». Lecteurs, ce passage pourrait
appartenir à Néron de qui l'histoire a peint les crimes ; mais recon-
naissez-vous à ce portrait un roi coupable d'une faute majeure, il
est vrai, niais qui vous a tous appelle à la liberté, qui a convoqué
les Notables pour s'aider de leurs conseils, qui a rassemblé les
états-généraux avec double représentation pour le peuple, afin d'as-
surer son bonheur?
K M. Robespierre, que je ne puis quitter encore parcequ'il se
présente par-tout, et que vous avez vu comparer charitablement
Louis XVI à Néron, a le talent de plaisanter, lorsqu'il parle de
punition : il dit qu'il prétend ne pas diminuer l'immense considération
dont on veut investir le monarque, considération dont jouissent l'em-
pereur de la Chine, le .Sophi de Perse et le Grand-iSeigneur ; mais
qu'il ne pense pas qu'on veuille assimiler .le Roi constitutionnel
des Français à tous ces jolis Rois. Jolis Pois! est, eu honneur,
iw's-joli. Non, le souverain régnant sur un peuple libre ne doit point
ressembler aux souveraine asiatiques: disons cependant que ce joli
empereur de la Chine n'est autre que le père d'une immense famille,
qui fait un million d'actes de bienfaisance contre un de despotisme. »
574 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
plication de tous les crimes les plus énormes, puisqu'il fait de son
auteur un parjure, le chef d'une rébellion universelle à la Loi, le ravis-
seur de l'objet le plus cher à la nation et le plus important à son repos,
l'Héritier présomptif du trône, enfin le bourreau de son peuple, un Néron
qui, par le seul acte de sa fuite, met à exécution autant qu'il est en
lui le vœu féroce de ce prince dénaturé, qui souhaitoit que !e peuple
romain n'ait qu'une tête pour la lui faire tomber d'un seul et même
coup ! Enfin M. Prugnon, ménager du tems non moins que de la consi-
dération du monarque, craint que le Roi, appelé au barreau par de
continuels procès, ne trouve plus le moment de veiller à l'exécution
des loix; comme si, même avant l'établissement de la constitution, le
prince pour les faits de ses domaines ou engagements particuliers pris
par ses ancêtres, n'étoit pas obligé de soutenir des procès qui, non-
seulement ne le déroboient pas aux affaires du gouvernement, mais encore
le conservoient tout entier à ses plaisirs. Il semble qu'avec une liste de
vingt-cinq millions, le prince peut encore payer des procureurs et des
hommes d'affaires. Le fait est qu'il ne faut pas trop diminuer cette
immense considération, le premier besoin de la royauté, comme l'appelle
M. Prugnon, et c'est ce qu'on feroit en imprimant trop au roi l'attitude
d'un particulier: mais faut-il aussi faire d'un monarque un despote, un
tyran en faisant disparaître les plus énormes crimes à l'éclat de sa cou-
ronne ? Assurément, on peut dire que l'Empereur de la Chine, le
Sophi de Perse, et le grand Seigneur jouissent d'une immense considé-
ration, mais aussi cette considération coûte la liberté et souvent la vie
à leurs sujets, et je pense qu'à tous ces jolis Rois on ne veut pas assi-
miler le Roi constitutionnel des Français, ni à leurs troupeaux d'escla-
ves, un peuple d'hommes libres.
a Le roi ne doit donc pas pouvoir être appelé en justice pour de
trop légères causes; mais, pour des crimes capitaux; il n'y a pas de
doute que la justice ne doive étendre sa main jusque sur sa tête ointe ;
mais, me dira-t-on, un crime tel que celui que méditoit le roi, dont il
avoit déjà fait les premiers pas, et dont toutes les traces subsistent dans
les complots découverts de ses complices, un tel crime mente la mort
dans un cas particulier... Voudriez-vous donner à l'Europe une seconde
représentation de la cruelle tragédie, dont le noir Cromwell fut le
premier acteur!... La seule question est un crime; la réponse en seroit
un autre : je dis seulement que pour !a conservation même de cette
considération si nécessaire à l'effet de la royauté, il n'est plus possible
qu'un roi qui s'est déshonoré par un parjure, de tous les crimes le plus
antipathique à l'humeur française, un Roi qui, de sang-froid, alloit
faire couler celui des Français, il n'est plus possible qu'un tel roi se
montre encore sur le trône; le dernier de ses sujets se croirait déshonoré
en lui, et l'honneur, l'ame des combats, seroit éteint dans le sein des
Français; enfin, cette confiance dans le suprême exécuteur des lois, si
nécessaire au repos et à la prospérité de l'empire, comment pourroit-elle
Lés discours de Robespierre 575
renaître envers un Prince dont le premier soin, en désertant son poste,
avoit été de les condamner et de les abjurer ?
« Mais que M. Prugnon se rassure sur le maintien de cette monar-
chie à laquelle, depuis qu'elle est devenue constitutionnelle, non pas
seulement une partie de la nation, comme dit ce député, mais la nation
entière tient par sentiment. Ce que je croirois bien, c'est qu'une partie
de la nation tient sinon par sentiment, au moins beaucoup par intérêt,
à la monarchie arbitraire. J'aime les analogies, mais c'est lorsqu'on en
tire une inférence favorable à la cause que l'on soutient, sur tout quand
cette cause est juste. Sans doute, comme le dit Montesquieu, la religion
a sa racine dans le ciel, de qui n'empêche pas que la terre n'ait été
couverte des crimes commis en son nom, et que le fanatisme ne l'ait
fait envisager aux peuples comme un monstre sorti des enfers; aussi il se
peut « que la monarchie française ait sa racine dans le cœur de la plu-
part, et même de tous ceux qui habitent ce vaste empire » ; mais bientôt
elle n'y seroit plus, si un massacre national devoit en être le prix. C'est
aux monarques à faire aimer et respecter la monarchie ; cet amour et ce
respect, s'il étoit sans fondement de la part des peuples, seroit la plus
dangereuse de toutes les idolâtries. Assurément, les Romains ne se las-
sèrent pas des Tarquins, mais les Tarquins se lassèrent d'être justes,
et ils se firent chasser plutôt qu'on ne les chassa ».
320. — SEANCE DU 15 JUILLET 1791
Sur le jugement de Monsieur, complice du roi
Le débat se poursuit sur le rapport de Muguet concernant la
fuite du ,roi. Très vite la discussion s'élève, et c'est la question de
l'inviolabilité de la personne royale que traitant les orateurs. La
séance du 15 (juillet est marquée par les interventions de l'abbé
Grégoire et de Bwzot (1) qui se prononcent contre le projet de*
comités. Barnave, au nom de la nécessité de terminer la Bévo'iutioa,
(1) D'après le .Mercure de France (23 juillet 1791, p. 317): « On
(Y) entendoit à peine, et de fréquens murmures (1') ont interrom-
pu ». Les journaux patriotes accusent les d'André, Le Chapelier,
Lameth et Barnave qu'ils qualifient de « conspirateurs m d'ôter par
tous les moyens la parole *( aux 5 ou 6 «patriotes qui restent dans
l'assemblée nationale. L'Orateur du Peuple (t. VII, p. 30) écrit:
« M. Alexandre Lameth se charge de (faire interrompre MM. Buzot
et Robespierre s'il ne peut pas les empêcher de parler. Il a ses
jokeys ; ils iront de rang en rang fissurer que ces patriotes ont des
liaisons avec les Anglais... que ces républicaine ne veulent que le
désordre en prêchant l'égalité des droits... ■» Même son de cloche
dans le Patriote François, n° -703, p. 61; et dans le Creuset, t. III,
}■." 63, p. 140. On trouve aux Arch. nat. <D XXIX bis 34, d. 349, p. 30),
à la date du 18 juillet 1791, la copie d'une lettre d'un sieur Chatenay,
homme de loi de Paris, dénonçant les complots ourdis contre la cons-
titution par Lameth, Barnave, d'André, soutenus par La Fayette,
576 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
défend l'inviolabilité du roi, et adopte en. conséquence les propo-
sitions des comités <(2). (La discussion générale est alors fermée.
Muguet, rapporteur, donne lecture de Fart. 1 du projet des
comités: « Il -y a lieu à accusation contre iM. Bouille, ses complices
et adhérents, et procès leur sera fait et parfait devant la haute
cour nationale provisoire, séante à Orléans; à cet effet, les pièces
qui ont été adressées à l'Assemblée nationale seront envoyées à l'of-
ficier qui fait auprès de ce tribunal les fonctions d'accusateur pu-
blic ». .Robespierre, appuyé par (Prieur, demande que Monsieur,
frère du roi (3), 'dont 'l'inviolabilité n'a pas été proclamée par la
Constitution, soit poursuivi, comme complice. Chabroud s'élève con-
tre cette proposition.
L'Assemblée décréta l'art. 1 du projet des comités; puis après
quelques débats, les art. 2, 3, 4 et 5 qui ordonnaient qu'une accu-
sation devant la hante cour nationale soit ouverte contre certaines
personnes, complices de Bouille et que d'autres soient maintenues
en état d'arrestation. iLe débat devait rebondir le lendemain, 16
juillet. D'André demande qu'une adresse soit rédigée, afin d'éclairer
les Français sur le décret du 15 juillet et d'éviter des troubles, et
que les ministres soient rendus responsables de l'exécution du
décret. Après une vive discussion, l'Assemblée vota ces propositions.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXX, p. 44.
« M. Robespierre. J'ai l'honneur de proposer un amendement,
qui sera sans cloute dans les principes des comités. Je demande aux
comités, je demande aux plus zélés partisans de leur système, de quel
droit on excepte dans le décret les personnes qui ne sont point invio-
lables, je veux dire Monsieur, frère du roi (oui, oui, applaudi).
« J'entends autour de moi des personnes qui m'arrêtent et me
disent : quelles sont vos preuves contre le frère du roi ? Ces personnes
ne sont certainement pas dans la question : s'il y- avoit de> preuves con-
tre les complices prétendus du délit, il ne s'agiroit point de déclarer
qu'il y a lieu à accusation et de leur faire leur procès, mais de les
son état-major et le maire de Paris, et dégageant de toute compro-
mission Robespierre, Péthion, Rœderer, l'abbé Royer (évêque cons-
titutionnel de l'Ain), et Biauzat.
(2) La conduite de Barnave fut sévèrement jugée. Le Couriei
de Provence (t. XV, p. 559) écrit à son sujet: « M. Barnave qui
n'aurait dû songer qu'à faire oublier ses erreurs ou sa mauvaise foi
dans les affaires coloniales, a porté le dernier coup à sa gloire, dans
la discussion actuelle, et s'est montré un des membres les plus
ardents de la coalition ». De même, la Rocambole (20 juillet 1791,
n° 9) s'exprime ainsi: v< (La conduite de M. Barnave et de quelques
autres députés de son bord, est ,une énigme pqnr bien des ..per-
sonnes. On sait que ce farouche républicain s'est montré l'ennemi
le plus implacable du roi et de la Monarchie; on le sait, et cepen-
dant on l'a vu donnant l'essor à son éloquence, foudroyant les
abbé, Grégoire, les Robertspierre, etc., qui voulaient que le Roi fût
traduit en cause pour être sorti de la Capitale »>.
(3) Cf. E. iHamel, I, 505. Il s'agit du comte de Provence, le
futur Louis XVIII, qui, plus heureux que le roi, était parvenu à.
passer à l'étranger au même moment.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 577
condamner (grands murmures). On a interrompu mon raisonnement, au
moment où je n'en avois prononcé qu'une première partie qui en atten-
doit une seconde; et c'étoit un moyen très facile de le trouver ridicule.
Voici la seconde partie de ce raisonnement; puisqu'il n'est pas ques-
tion ici de prononcer un jugement définitif, mais seulement de déc'arer
qu'il y a lieu à accusation, et de faire le procès à tels ou tels indi-
vidus, il s'ensuit qu'il ne faut point de preuves, mais des indices contre
les accusés (murmures). Or, Messieurs, je le demande à tout homme de
bonne foi ; peut-on dire qu'il y a des indices plus forts de la complicité
de la fuite du roi contre plusieurs de ceux qui sont dénoncés par les
comités, que contre le frère du roi ? Par exemple, y a-t-il de plus
grands indices contre Madame Tourzel, qui n'a fait autre chose
qu'accompagner le roi ?
« Plusieurs voix. Précisément, elle n'est point accusée.
« Robespierre. Y a-t-il de plus forts indices contre les trois gardes-
du-corps qui ont suivi le roi, et qui n'ont fait qu'accompagner leur
maître, qu'il n'y en a contre Monsieur, frère du roi, dont la fuite a été
combinée avec la sienne dans les pays étrangers, dans le sein de nos
ennemis ? Qu'on me dise si les soupçons ne doivent pas porter spéciale-
ment sur un personnage plus intimement lié au roi, mais qui n'est pas
inviolable comme lui ? Messieurs, prenez-y bien garde : si vous faites
une exception aussi étrange, aussi évidemment contraire à tous les prin-
cipes, il est évident que vous vous exposez au reproche d'avoir éternel-
lement épargné les conspirateurs puissans; et l'on remarquera avec éton-
nement que la seule victime immolée au salut du peuple, étoit précisé-
ment une victime d'un rang inférieur, que l'opinion a cru être immolée
à ce même homme qui a fui avec le roi (murmure). J'ai l'honneur de
vous observer que, de quelque manière que vous prononciez sur le roi
lui-même, il faut prononcer. Il est de votre bonne foi, il est de votre
loyauté de prononcer, non pas d'une manière tacite, mais d'une manière
expresse.
« Une voix. On rentre dans la discussion.
« M. h Président. Laissez finir.
« M. Robespierre. Ces réflexions me paroissent si simples, il me
paroîtroit si contraire à la gloire de l'assemblée, au droit de la nation,
de s'en écarter, que si vous n'adoptez pas ma proposition, je me crois,
en vertu du serment qui me lie à l'assemblée nationale et encore plus
pour l'honneur de la nation, obligé de protester contre la détermination
que vous allez prendre. (Grands murmures) » (4).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 198, p. 818
« M Roberspierre. Dans le cas où l'on adopterait ce décret, je
proposerais un amendement que les Comités adopteront, sans doute;
(4) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVTII, 331.
578 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
c'est, que tous les coupables du délit dont vous venez de vous occuper,
qui ne sont pas le roi, soient dénoncés, que quelques personnes soup-
çonnées d'être les complices, et qui ne sont pas inviolables, telles que
le frère du roi, par exemple, soient poursuivies. (Un instant se passe
dans l'agitation). On me demande quelles sont les preuves contre lui.
Je réponds aux personnes qui m'interrogent, qu'elles ne sont pas dans
la question; s'il y avait des preuves, il ne s'agirait pas de déclarer
qu'il y a lieu à accusation, mais... (De violens murmures s'élèvent dans
différentes parties de la salle). Si l'on avait voulu prendre la peine de
m'entendre jusqu'au bout, on aurait vu que mon idée n'était pas si
absurde. Je voulais dire que pour accuser il n'est pas besoin qu'il y ait
des preuves, mais des indices, et je demande à tout homme de bonne
foi si les indices ne sont pas aussi forts contre Monsieur que contre
madame Tourzel par exemple. (On applaudit).
(( Prenez garde d'épargner des conspirateurs puissans, n'oubliez
pas que le seul homme qui ait été immolé à la révolution (5) était d'un
rang inférieur, et qu'il a été immolé à ce même homme qui vient de
fuir. Ces réflexions sont simples, et elles doivent être adoptées; car si
l'Assemblée cumule dans son décret tant d'inconséquences, je me crois
obligé en faveur de l'impérieuse loi qui me lie à la défense des intérêts
de la nation. Je me crois, dis-je, obligé de protester en son nom. (Des
éclats de rire se font entendre dans la partie gauche. Les tribunes
applaudissent) » (6).
Gazette de Paris, 19 juillet 1791.
« M. Dandré a dénoncé le factieux, qui rejettoit le Décret du 15,
comme le Républicain M. Robespierre osa protester contre. Quelque
nul que soit ce Décret pour la vengeance ou la sûreté du meilleur des
Rois, le petit-neveu de Damiens le repoussoit avec indignation. Il vou-
loit de plus, que Monsieur, frère du Roi, fût mis en cause. Il a besoin
d'avoir un Bourbon pour victime (7). Eh ! bien, je dénonce à mon tour
à la France, à l'Europe, la joie secrette de ces mêmes Jacob ites. Ils
s'applaudissent dans leur antre infernal, que le Roi ne soit pas nommé
dans le Décret. L'art. 3e ordonne que les personnes dénommées dans
l'art. 2e seront jugées par la Haute-Cour Nat. ; il espère qu'alors on
pourra dans les confrontations et dans les interrogatoires, trouver le
moyen d'inculper le Roi, d'arguer de faux sa déclaration sur quelque
point que ce soit. Ce n'est pas, d'après les projets de Décrets proposés
(5) Il s'agit de Favras, exécuté le 19 février 1790.
(6) Texte reproduit dans le .Moniteur, IX, 145.
(7) Camille Desinoulins, dans les .Révolutions de France et de
Brabant (VII, n° 85. p. 298) écrit: « Tous les faits arrivés depuis
deux ans n'ont fait que prouver combien j'avois eu raison alors, le
14 juillet, de résumer toute ma doctrine en oes deux mots : puisque
la bête est dans le piège, qu'on l'assomme ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 579
par les Comités, que Ton juge, c'est d'après les Décrets eux-mêmes.
Le Décret du 15 de ce mois, ne faisant mention ni de l'inviolabilité du
Roi, ni du vœu solennel qui reconnut qu'il n'a pu être mis en cause,
la race impie et régicide s'armera de cette omission contre le Monarque :
j'en avertis tous les serviteurs fidèles, tous les défenseurs intrépides
du Trône : — et quand je donne cet avis effrayant, je mérite peut-être
par la pureté de mon zèle, qu'on le prenne en considération. »
Le Courrier des LXXX111 départemens , n° 16, p. 268.
« M. Robespierre a demandé qu'on fît le procès au frère de Louis
XVI. Des huées lui ont prouvé que pour être applaudi, il ne faut pro-
poser que des choses injustes. Ainsi donc, une seconde fois, le perfide
Monsieur échappera au glaive de la loi ? Tout couvert du sang de Fa-
vras, il verra tomber les têtes des trois gardes du Roi qu'il a séduits,
et tranquille à Worms, il sera le maître de susciter des ennemis à la
France !!!... L'on ne peut se faire à de pareilles idées. Tout est perdu,
si les départemens n'envoient pas d'autres législateurs. »
[Brève mention de cette intervention dans Les Annales patrioti-
ques et littéraires, n° 652, p. 1689; La Gazette universelle, n° 198,
p. 791 ; L'Ami du Roi (Mont joie), 16 juillet 1791, p. 788; Le Pacque-
bot, n° 165; Le Journal de la Noblesse, t. II, n° 30, p. 319; Le Légis-
lateur français, t. III, 16 juillet 1791, p. 8; Les Affiches d'Angers,
n° 61, p. 292; Le Journal du Soir (des Frères Chaignieau), n° 375,
p. 4; Le Journal général du Pas-de-Calais, suppl. au n° 6, p. 75;
L'Ami du Peuple (Marat), n° 521, p. 6; La Correspondance nationale,
n° 44, p. 160; Le Courier de Provence, t. XV, p. 562; Le Journal de
Rouen, n° 198, p. 965; Le Bulletin et Journal des journaux, 18 juillet
1791, n° 85; Le Journal universesl, t. XIII, p. 12008; Le Mercure
universel, t. V, p. 256; Le Journal des Débats, n° 785, p. 14; Le
Point du Jour, t XXIV, n° 737, p. 264.]
Société des Amis de la Constitution
321. — SEANCE DU 15 JUILLET 1791
1 re intervention : Sur des propos injurieux contre Robespierre
Au début de la séance, un membre dénonce un citoyen, pour
avoir, le matin même, tenu des propos injurieux contre Robespierre
(]). Celle dénonciation produit une grande effervescence. La Société
(1) D'après « Le Journal de la Révolution >» (n° 339, p. 125) « il
étoit affublé de l'habit national, étoit accusé d'avoir menacé de
coupa ,de canne le vertueux et respectable Robespierre. JJ rlé-elamQit
à la tribune t».
580 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
arrête 'de passer à l'ordre du jour. Des membres de la Société qui
s'étaient opposés à cet arrêté, expulsent ]' accusé hors de l'assem-
blée. Le président .se couvre, insiste pour que le membre expulsé
boat réintégré. Finalement, il fut arrêté /que de3 commissaires se-
raient nommés sur cet objet. Robespierre, absent au moment de
l'incident, aussitôt .arrivé, prend la parole à son sujet.
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 27.
« Mrs. Péthion, Robespierre et Rcederer sont couverts d'applau-
dissemens à leur entrée dans la séance. M. le président nomme les com-
missaires pour le rapport du membre accusé d'avoir injurié M. Robes-
pierre, et qui était rentré dans l'assemblée.
« M. Robespierre. J'ai un double motif, messieurs, de regretter
de ne m'être pas trouvé plutôt au milieu de vous, celui d'avoir perdu
l'occasion de profiter de vos lumières, et celui de n'avoir pà m'opposer
à l'arrêté que votre zèle sans doute vous a fait prendre contre une per-
sonne qui ne pouvait être coupable -d'aucun délit, puisque cette per-
sonne n'a fait qu'exprimer sa façon de penser sur un individu, et que
d'ailleurs quand cette action indifférente serait un crime, elle l'a niée.
Je prie la société de vouloir bien prendre cet objet en considération,
de passer à l'ordre du jour sur la nomination des commissaires et de
n'inscrire aucun détail de cette affaire dans votre procès- verbal » (2).
La Feuille du Jour, t. V, n° 200, p. 147.
« Dénonciation d'un citoyen qui, dans une maison particulière, a
tenu des propos injurieux contre M. Robespierre. L'accusé monte à la
tribune. Il professe un respect bouffon pour M. Robespierre. On de-
mande l'ordre du jour... Le détracteur de M. Robespierre est maltraité,
bousculé, poussé hors de l'assemblée.
« MM. Péthion et Robespierre entrent dans la salle, au milieu
des applaudissements et des cris. M. Robespierre, instruit qu'un mem-
bre est accusé de discours injurieux contre lui, croise les deux mains sur
sa poitrine, s'incline avec une humilité monacale, et sollicite l'ordre
du jour. ))
2e intervention : Sur l'inviolabilité royale (suite)
L'Assemblée nationale avait adopté ce jour-là, le projet »de
décret présenté de 13, par ses comités, sur la mise en accusation
<le Bouille et de «es complices. Elle avait cru devoir le faire pré-
céder de ces trois articles: i« Un roi qui se mettra à la tête d'une
armée pour en diriger les forces contre la nation, sera censé avoir
abdiqué.
(2) Texte reproduit 'dans Aulard, III, 16. CL également E. Ha-
œiel, I, 507.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 581
« Un roi qui se rétractera après avoir prêté son serment à la
Constitution, sera censé avoir abdiqué.
« Un roi qui aura abdiqué, 'deviendra l'égal .des simples citoyens
et sera accusable comme eux pour tous les actes subséquent- à son
abdication. ,»
La discussion s'engage à la Société des Jacobins sur ce décret.
•L'un des membres, le marquis de la Poype (3) dépeint d'abord la
consternation 'des Parisiens, 'les spectacles fermés dans la capitale
à la nouvelle (qu'aucune sanction n'a été prise contre Louis XVI.
11 propose qu'un débat s'ouvre sur ce sujet et flu'on délibérera sur
la question de savoir sur ce que l'on doit faire de ,1a personne du
roi. fil .est soutenu par Robespierre, tandis que Reubell considère
que la question n'a pas à être mise en discussion.
Mercure universel, t. V, p. 278.
Journal des Débats des LA mis de la Constitution, n° 27, p. 2.
« M. Robespierre. \t est possible que l'assemblée ait eu l'intention
de déclarer Louis XVI hors de cause, mais si je regarde le décret qu'elle
a rendu, je ne vois nullement qu'elle y déclare cette intention. J'ai
demandé ce matin à l'assemblée nationale qu'elle s'explique franche-
ment et ouvertement sur cet article. Elle n'a pas cru devoir faire droit à
ma motion. Cela posé, je lis le décret, et je vois qu'en y mettant en
cause telles ou telles personnes, elle n'a rien décidé du tout, ni pour,
ni contre Louis XVI. La question à cet égard reste donc parfaitement
en son entier » (4).
3e intervention : Sur une adresse aux sociétés affiliées
La discussion continuant, Choderlos de Laclos propose ,que la
Société rédige une adresse qui aura pour objet de faire connaître
la position prise par les Jacobins au sujet -du roi. Copie en sera
■envoyée à -toutes les Sociétés patriotiques, et on admettra à la
signer M tous les citoyens sans distinction, actifs, non actifs, fem-
mes, mineurs »; ainsi l'on pourra présenter à l'Assemblée nationale
le vœu du "pays tout entier. Biauzat s'y oppose en rappelant que
cette motion est inconstitutionnelle : le ;roi étant -inviolable, l'Assem-
blée ne saurait revenir sur sa décision (quel que soit le jugement de
''opinion publique. Danton, puis Robespierre prennent alors la
parole.
Tandis -qu'on mettait aux voix la proposition de Laclos, une
importante délégation des citoyens qui s'étaient rassemblés au
Palais Royal, pénètre dans la salle des séances.
Après quelques hésitations, le président fait ouvrir les grilles
de la rue iSaint-Honoré et l'orateur de la députation vient inviter
les membres de la Société « à signer individuellement pour l,e len-
demain, ame pétition au. Champ de Mars et d'y jurer sur l'autel de
la patrie de ne pas recevoir Louis >XVI pour roi » avant d'avoir
<3) Jean François, maréchal de camp.
(4) Texte reproduit dans Aulard, III, .17. Gf. également E. Ha-
mel, I, 508.
582 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
recueilli les avis du pays tout entier (5). Le "président exhorte les
citoyens « au -calme qui convient aux hommes libres •» et assure que
(5) L'importance de cette manifestation populaire est soulignée
par '0. Desmoulins (Révolutions 'de France et de Brabant, t. VII,
ir' '85, p. 331). Il écrit: « L'intrépide Robespierre seul avoit pro-
testé solennellement à la tribune, contre l'infâme décret; i'1 étoit
aux Jacobins; le peuple, le peuple qui m'est point payé, qui n'est
point égaré, qui n'est point badaud, se rend aux Jacobins, où quatre
mille patriotes délibèrent ». 'Cf. également A. Mathiez, Le Club des
Cordeliers, op. cit., p. 116.
L'attitude de l'Assemblée et le décret du 15 juillet 1791, susci-
tèrent également de violentes critiques dans les départements,
témoins les adresses de protestation qui affluèrent soit au Manège,
soit aux Jacobins pendant tout un mois.. Celle de Clermont-Ferrand
est particulièrement nette (cf. Journal des Débabs, n° 799, p. 1) ;
elle (fut lue (à l'assemblée, 'le 28 juillet dans la séance du soir, et
s'exprime ainsi : •« ...Si dans quinze jours vous n'avez point révoqué
le Décret du 15 de ce mois, nous prendrons, pour y parvenir, les
voies que la souveraineté du Peuple nous donne. Nous votons de«
remereiemens à MM. Robespierre, Pétion, l' Evoque, Grégoire, Ca-
mus et autres qui ont combattu ce Décret. » Celle des citoyens de
Nantes donna lieu à une curieuse méprise. Une première adresse,
publiée par le Patriote François (n° 733, p. 177) et la Vedette ou
Précis 'de toutes les nouvelles du jour (31 juillet (1791, p. 4) était
ainsi conçue: « Messieurs, noiis recevons le décret que vous nous
avez extraordinairement envoyé. 'Nous jurons d'obéir, parce que le
sort de l'état dépend de l'obéissance provisoire des vrais amis de la
liberté. Nous jurons de ne point lire les inepties, les impertinences
et les viles conceptions des Duport, défi Barnave, et des Liancourt.
Nous jurons le plus profond respect aux incorruptibles Robespierre,
Pétion, Buzot, Grégoire, Vadier et Brissot de Varville. »
File fut bientôt désavouée .(Cf. le Courrier de Gorsas, 10 août
1791, reproduit par les Annales patriotiques et littéraires, n° 680,
p. 1811) : « Nantes. Nous avions eu raison de présenter comme une
parodie l'adresse qu'on disoit souscrite par 79.350 citoyens de cette
ville, et qu.e plusieurs journalistes avoient eu la bonhomie de pren-
dre pour un ,t>anégyriau;e du décret du 15. Les nantois, soumis aux
loix, savent même respecter celles qu'i'ls n'aiment pas, mais ils n'ont
pas fait d'a^re^se à l'Assemblée nationale. La seule dont on ait
entendu parler blâmait fortement la conduite des amis de la liste
civile. Un grand nombre de patriotes l'avoient déjà signée, mais
les personnalités qu'elle «contenoit la rirent rejetter. La voici:
« Messieurs,
« Nous recevons le décret que vous nous .avez extraordinaire-
ment envoyé. Nous jurons d'obéir, parce que le sort de l'état dépend
de l'obéissance provisoire des amis de la liberté. Nous jurons de
ne point lire ,!es «inepties, les impertinences et les viles conceptions
des Lu port, de& Barnave et des Liancourt. Nous jxirons le rv'lus
profond respect aux incorruptibles Robes'oierre, Pétion. Buzot, Gré-
goire. Vadier et Brissot de 'Warvil'le. Nous jurons enfin d'envoyer
à la prochaine Assemblée constituante, des représentans dignes de
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 583
la Société va aussitôt examiner leur proposition <6). Aprèï un*
longue discussion, ides commissaires sont désignés pour rédiger ooe
notre confiance, étrangers vaux douceurs de la liste civile, et investi-
de tous nos pouvoirs pour rendre la constitution digne de nous,
efc pour faire rentrer dans le néant de l'oubli et de l'ignominie les
actes -ténébreux de la lâcheté et la corruption. »
La Société des Jacobins reçut; également ià ce (sujet unie corres-
pondance volumineuse qui provoqua dans la Feuille du Jour, organe
royaliste (t. VI, n° 256, p. 594), 'les réflexionls suivantes: « Un
million d'adresses insignifiantes. Tous les auteurs de ces adresses
raffolent de M. Robespierre; ce qui .prouve, ou que des pièces d'élo-
quence sont composées à Paris, dans le sein (de la faction républi-
caine, ou que les départemcns sont encore étrangement fourvoyés
sur les véritables principes ».
(6) iLe compte rendu de cette séance est plus complet dans le
Mercure universel, t. V, p. 296. Cf. également E. Hamel, I, 509.
Cette démarche était la suite de 'celle que plusieurs sociétés patrio-
tiques, dont le -Club des Halles (cf. Le Babillard, n° 32, p. 78) et
le Club des Cordeliers, avaient tentée auprès des députés patriotes
de l'Assemblée nationale, vers trois heures de l'après-midi (cf.
E. Hamel, I, 504; et G. Walter, p. 176-177). Pétion en fait le récit
dans une « Lettre à ses commettans sur les circonstances actuelles ».
Elle est publiée dans le Patriote françois, n° 715, p. 103, dans la
Chroinique de Paris, t. V. n° 207, p. 836. Nous en reproduisons un
passage d'après les Révolutions de France et de Brabant (n° 86,
p 42) : « Il est des insurrections que je suis loin de condamner,
il en est qui sont utiles arai salut public, et où le peuple se montre
dans toute sa majesté. Mais l'énergie du calme est Celle qui plaît
à mon caractère, celle oui me paroit vraiment impos.ante : i'abbore
les excès. Le tumulte et le désordre déshonorent le peuple, et annon-
cent qu'il est peu fait pour la liberté.
« Loin de moi toute idée de désirer, de vouloir des agitations
d'un genre vil et méprisable. Je dirai, puisque l'occasion s'en pré-
sente, qu'une seule fois, dans cette affaire, un rapport s'est établi
entre les citoyens réunis, le 15 die ce mois, au Ohamp-de-Mars, et
moi. Ces citoyens a voient dressé une pétition pour F. assemblée
nationale; des commissaires en étoient porteurs; ils étoient chargés
de parler à ceux qui s' étoient élevés contre le projet des comités,
à MM. Grésroire, Robespierre, Prieur et moi, pour être leurs organes
auprès de l'assemblée, et négocier leur entrée à la barre. M. Robes-
pierre et moi sortîmes de la salle pour écouter ces commissaires,
et nous leur dîmes que cette pétition étoit inutile, que le décret
venoit d'être porté à l'instant. Ils nous demandèrent un mot pour
constater qu'ils a voient rempli leur mission; nous écrivîmes une
lettre qui respire l'amour de l'ordre, de la paix, et qui, je le crois,
a empêché des malheurs. Voilà la seule communication que j'ai eue
avec le peuple : et je puis dire avec confiance qu'elle a été digne
de lui et d« moi. i„ ,(Of. éealement Le Babillard, n° 33, p. 7 et 8. On
trouvera l'original de cette lettre aux Arch. n.at. (F74622) ; elle est
oubliée par A. Mathiez, Le Club des Cordeliers..., op. cit., p. 117).
'.•! déposition faite par Robespierre le 9 août 1791 concorde avec les
faits citr's par Pétion (Cf. A. Mathiez, op. cit., p. 332-333). *
584 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
pétition qui sera portée au Champ de Mars et envoyée à toutes les
Sociétés patriotiques (7).
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution (8), n° 27.
Mercure universel, t. V, p. 279.
« M. Robespierre. Dans les circonstances où nous nous trouvons,
ce serait une consolation de trouver un moyen légal, constitutionnel,
d'exprimer le vœu de la nation entière. J'ai dit qu'il était possible que
l'intention de l'assemblée nationale fut d'écarter Louis XVI de tout
jugement. Mais le premier caractère d'une loi doit être la clarté, la
précision. Car ce n'est pas l'intention du législateur, mais le sens clair
et précis de la loi qui commande l'obéissance, je ne crois pas avancer
une opinion hardie en disant que je crois que la nation peut dire à ses
représentans, votre décret n'est pas rendu d'une manière claire et pré-
cise, il nous paraît contre nos intérêts, expliquez vous. Vous prononcez
sur des complices, il y a donc un coupable, car jamais des complices
n'ont existé sans qu'il y ait de coupable. Montrez-le moi donc ou dites-
moi qu'il est excepté. Je suppose encore que le décret fut aussi clair
qu'il l'est peu, il y aurait peut-être encore un moyen de rassurer la
nation sur ses craintes. Louis, il est vrai, ne pourrait pas être soumis
aux peines prononcées par la loi en vertu de son inviolabilité, mais ne
serait-il pas possible qu'alors le roi ne put pas être rendu de nouveau,
dépositaire de la royauté ? De ce que Louis ne puisse pas être puni
comme les autres citoyens, s'ensuit-il que la France n'ait pas le droit de
retirer les rênes de l'empire, des mains de ce mandataire infidèle. Elle
a déclaré pour les ministres que dans le cas où elle ne voudrait pas leur
faire leur procès, elle pourrait déclarer qu'ils ont perdu la confiance pu-
blique, ne peut-elle pas faire la même déclaration à l'égard du roi.
« Tel homme a médité dans les commencemens des travaux de
'(7) Cf. Bûchez et Roux, X, 445. Ce fait Brissot, à ce que nous
apprend Bonneville, dans la Bouche de Fer Au 17 juillet, qui rédigea
ia pétition, dont on trouvera le texte dans le Mercure Uhiver el,
t. V, p. 262. D'autre part, on trouve idanss lAulard (Histoire poli-
tioue de la Révolution français^, p. 150) la ïiote suivante ti'-ée des
Mémoires de Brissot (IV, 343): « La pétition ifut rédigée par Brissot,
de l'aveu de Brissot lui-même ». D'après Mme Roland, les deux
•commissaires désigné-" étaient Laclos .et Bris>sot, mais le premier
prétexta ann violent mal à la tête « résultant du défaut de sommeil,
qui ne lui permettait pas de tenir la plume. Il .pria Brissot de la
prendre en main, raisonnant aivec lui de la rédaction » (Cf. G.
Walter, Histoire des Jacobins, p. '194). On en trouve le texte dan*
l'Orateur du Peuple, t. VII, n° 7, "et la Bouche de Fer (17 juillet
1791); ATMathiez le reproduit (p. 122-123).
(8) Aulard (III, 19) résume ainsi cette longue intervention :
« M. Robespierre parle dams le même sens (que Danton). Il vou-
drait « oue la Société fit une adresse aux Sociétés affiliées, pour le?
instruire de la position où nous sommes et des mesures fermes qui
auront été adoptées ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 585
Passemblée nationale, des projets de décrets qui, avant la fin de la
session, a formé celui d'en proposer d'autres qui rétabliraient insensi-
blement le despotisme ancien, et se croit en droit de nous traiter de
factieux toutes les fois que nous nous élevons contre ces nouveaux
décrets. Nous voulons bien obéir à tous les décrets, même à ceux qui
nous paraissent devoir être réformés; mais avant que la nation renonce
à exprimer son vœu' sur ces loix, nous prierons qu'on nous dise comment
la nation pour qui la constitution a été faite, aurait à cet égard moins de
droit que le roi [contre qui elle est faite] .
« La société n'a sans doute pas oublié que ceux qui, parce que
nous soutenons toujours les principes qu'ils soutenaient alors, nous trai-
tent aujourd'hui de factieux, que ceux-là mêmes disaient à cette tribune
en parlant contre M. de Mirabeau; qu'il semblait qu'on chercha1 à faire
une constitution nouvelle dans laquelle à une liberté raisonnée on substi-
tuerait le despotisme de l'aristocratie.
« Si MM. Duport et Alexandre Lameth concevaient alors ces
craintes contre M. de Mirabeau, pourquoi ne les concevrions-nous pas
aujourd'hui, que les hommes qui ont protesté contre les décrets, se con-
certent avec nos adversaires pour préparer ces mêmes décrets que
MM. Duport et Alexandre Lameth présageaient dès lors ?
« Prenons le caractère élevé d'hommes libres, ne nous laissons
pas aller à ces craintes désastreuses qu'on cherche à nous inspirer en
disant que la nation ne veut pas revoir les décrets qui peuvent être con-
traires à la liberté. Rassurons-nous au moment où la seconde législature
semble avancer avec l'avantage d'être envoyée en entier par le peuple.
(( Vous devez fixer votre attention sur la tranquillité publique et
sur les loix qui restent à faire pour achever la constitution. A ce dernier
égard, ne perdez pas de vue qu'il existe un projet de révision à la
faveur duquel les ennemis de la constitution pourraient l'altérer entière-
ment : que les patriotes se réunissent pour veiller sur cette opération.
« Quant à l'opinion de M. la Clos, elle me paraît devoir être,
sinon rejettée, du moins modifiée : pourquoi y appeller les mineurs, les
femmes. Je voudrais donc plutôt que la société fît une adresse aux
sociétés affiliées, pour les instruire de la position où nous sommes, et
des mesures fermes que nous aurons adopté » (9).
(9) Ce dernier alinéa n'est "pas reproduit dams le Mercure uni-
versel. 11 montre cependant que Robespierre n'est pas favorable à
la proposition de Laclos. Il ne veut pas d'une pétition, mais" seule-
ment d'urne adresse aux Sociétés affiliées et lui-même insista sur la
position qu'il prit alors, dans son « Adresse aux Français » (Cf. éga-
lement la déposition de l'imprimeur Brune 'citée par À. Mathiez, le
Club des Cordeliers..., op. cit., p. 292 ià 300). Umie adresse fût rédi-
gée à la date du 16 juillet, pour les (Sociétés affiliées, selon le vœu
de Robespierre qui figure, parmi les signataires, au premier rang
des membres du comité de correspondance (ef Aulard qui la ..publie
586 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
La Feuille du Jour, t. V, n° 198, p. 133.
« M. Robespierre parle; mais l'éloquence de ce prince parut
languissante, et la séance était menacée d'un grand froid. »
(III, 21-24) et le Patriote François <n° 744, p. 226). Le Mercure
universel rie reproduit pas également la fin du second paragraphe
que nous indiquons entre crochets carrés.
Société des Amis de la Constitution
322. — SEANCE DU 16 JUILLET 1791 (1)
Sur les menées contre-révolutionnaires
iLa pétition dont la rédaction avait été décidée la veille, est
présentée, vers onze heures, à la iSociété qui avise de son projet la
municipalité parisienne. Aussitôt, <c plus de 4.U00 citoyens assemblés
au Champ de Mars commencent à y opposer leur signature » (2).
Mais les membres du Club des Cordeliers ayant protesté contre un
passage du texte (3), on décide de remettre au lendemain 17 la
continuation des opérations.
À six heures du soir, la Société reprend s>es séances et l'un de
^as membres, Chépy fils, peut annoncer que tout s'est déroulé dans
Tordre et le calme. Mais en même temps, il fait part de ses craintes
et des bruits qui circulent. On s'efforce d'égarer le peuple et de
rendre les Jacobins responsables des désordres qui pourraient se
produire (4). Corroller (5) intervient dans le même sens, pui? Robes-
pierre prend la parole.
Pour éviter les représailles que l'attitude de la Constituante
laissait prévoir, la Société décida de retirer sa pétition.
(1) Rien dans Aulard (III, 24) à propos de cette séance. Il se
borne à reproduire deux extraits de journaux concernant Ja signa-
ture de la pétition au Champ de Mars.
(2) Of. Mercure universel, t. V, p. 296. D'après le Babillard
(n° du 18 juillet 1791), « le sieur Danton, monté sur l'un des angles
de l'autel, a fait une lecture très animée; la foule qui s'est pressée
autour de son vertueux tribun, ne nous a pas permis de l'entendre ».
(3) Il s'agit du passage dans lequel on engage l'Assemblée na-
tionale à « pourvoir au remplacement de Louis XVI par tous les
moyens constitutionnels ».
"(4) D'après A. Mathiez, Le Club des Cordeliers..., op. cit.,
p. 125, des délégués du Club, dont Momoro, se seraient rendus aux
Jacobins dans la soirée du 16 pour obtenir la suppression de la
phrase de l'adresse citée plus haut. Malgré 4 heures de discussion,
ils n'auraient pas eu gain die cause, et le texte primitif maintenu
aurait été envoyé à l'imprimeur Baudouin. 'Mais ce dernier refuse
de le composer, et il est aussitôt porté au Cercle social qui s'en
charge.
(5) Corroller du Moustoir, député du tiers état de la séné-
chaussée de Hennebcwat.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 587
Mercure universel, t. V, p. 297-309.
(( M Robespierre. Le moment du danger n'est pas celui de la
pusillanimité : je ne m'arrête point aux calomnies répandues à dessein
contre cette société; quand des hommes libres parlent, leurs œuvres
et leur conscience suffisent ; mais quand on vous harcelle par des per-
fidies, devez- vous vous détourner de la route du bien public pour
repousser de vaines accusations ? Messieurs, lorsqu'une infernale coali-
tion de ces hommes à privilèges, de ces hommes qui ont juré de les
recouvrer, lorsqu'ils ont droit au despotisme, lorsque l'on compte sur
des espérances, sur des projets d'ambition, lorsque la majorité des
représentans du peuple sont corrompus, gangrenés, il ne faut rien atten-
dre d'eux pour le salut de la nation.
« Messieurs, lorsque les grandes assemblées veulent se prolonger
au-delà du terme marqué par la nature, elles doivent comme les indi-
vidus se ressentir de leur foiblesse : ce n'est pas que la majorité de vos
représentans ne se soient jusqu'à ce moment refusés à la corruption, ce
n'est pas que la plupart ne soient restés purs; mais à la suite de leurs
travaux, la calomnie, les haines, les intrigues les ont détournés de leur
but, les ont rendu l'objet, je ne dirai pas de l'indifférence, mais d'un
sentiment moins estimable pour l'homme sage et le bon citoyen : cepen-
dant les représentans qui sont les vrais représentans du peuple des com-
munes devroient se ressouvenir de leur caractère (applaudi). N'est-il pas
vrai qu'ils devroient se respecter ? que des hommes qui ont passé les
deux tiers de leur vie à cajoler les despotes, à ramper à leurs pieds ou
devant ceux qu'ils avoient choisi pour leurs premiers esclaves, devroient
compter un peu moins sur une sorte de succès qui s'éclipsera comme
leurs intrigues ?
« N 'est-il pas vrai que l'ouvrage des factieux disparoîtra de la
constitution comme l'ombre s'éclipse devant la lumière ? Vrais repré-
sentans du peuple, c'est à vous que je m'adresse; osez me dire- qu'il
n'est pas certain que lorsqu'une grande nation a remis ses pouvoirs à une
assemblée d'hommes, dont le plus grand nombre sont les ennemis de la
majorité de cette même nation, et si cette assemblée est malheureuse-
ment conduite par les Comités, osez me dire qu'il n'est pas vrai que ce
soit l'esprit de ces comités qui la dominent ?
« Eh bien, jettez les yeux sur ces Comités, et voyez si ceux qui
les composent ne sont pas les députés des ci-devant ordres privilégiés.
i^Applaudi) (6). Daignez donc considérer avec moi le précipice où l'on
vous conduit !
(6) L'Assemblée constituante se composait des députés des trois
ordres, en sorte que oaux du 'Clergé 'et de la noblesse en formaient
la moitié. En outre, nombre da députés du Tiers avaient détenu des
charges vénales et privilégiées. Il est vrai que les ci-devant privi-
légiés figuraient dans les comités, mais non pas exclusivement.
588 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Ce n'est pas pour vous diviser que je propose cet examen : mais
considérez si la majeure partie de ces nommes qui vous gouvernent, n'a
pas été mue plutôt par son intérêt personnel que par l'intérêt du peuple ?
« Si, dans le tems, ils eurent l'air de se prêter à un nouvel ordre
de choses, c'est qu'ils espéroient se perpétuer dans de nouveaux avan-
tages. Des hommes ambitieux, élevés pour la plupart dans les cours,
attendoient de réunir dans leurs mains le ministère et les pouvoirs du
peuple : des décrets de l'assemblée nationale leur enlevèrent tout espoir;
dès ce moment, ils changèrent de patriotisme; ils se dirigèrent dans une
autre route (7).
« Quelque tems après, le roi partit et les voilà qui furent aux
nues; alors ils concentrèrent les pouvoirs dans leurs mains, alors ils sus-
pendirent les élections; ensuite ils ont prononcé des décrets inconstitu-
tionnels; tel est l'état où ils nous réduisent (8).
« Quand je considère que la fuite du roi était sue de l'étranger,
que parmi nous plusieurs membres le sa voient, je ne puis me persuader
que de grands desseins, que de prétendues transactions, qu'un lâche et
vil agiotage des droits, de la propriété des peuples, n'aient pas existé !
Je dis que, contre leur attente, l'individu royal étant arrêté, les mêmes
vues se perpétuent encore, et ces vues ne peuvent être que la coalition
des privilégiés de l'aristocratie qui se reproduit sous de nouvelles for-
mes, et cette coalition se fait avec les membres mêmes connus du côté
droit, cette coalition... (9).
« M. Corroler. Mon cher collègue, écoutez-moi, si les moyens
de conciliation peuvent sauver la chose publique, sans compromettre
la dignité de l'assemblée (violens murmures). M. Corroler sort brusque-
ment.
« M. Roberspierre. Je dis que je suis allarmé de la guerre civile,
de toutes les causes qu'elle nous présente; je dis que mépriser, écarter
la calomnie, montrer par tous les moyens la vérité, ce sont les points
où il faut nous attacher pour prévenir tous les troubles.
« La cause des troubles, c'est la lutte des amis de la liberté contre
quelques individus qui ne sont pas représentans du peuple, qui se coa-
lisent pour s'opposer par la force, par la violence, à des vues de justice
pour remettre la Nation sous le joug de l'esclavage; la cause des trou-
bles est d'appliquer aux plus fiers défenseurs de la patrie les mots de
factieux, de séditieux; la cause des troubles, c'est d'un côté l'énergie
des vrais citoyens, de l'autre, l'intrigue, la scélératesse des hommes
(7) Il vise le triumvirat qui voulait le ministère et soutenait le
principe de La réélection des députés.
(8) 'Suspension des élections: 24 juin 1791. Les « débat? incons-
titutionnels '» peuvent être ceux qui innocentèrent le roi.
(9) Il vis'8, et ne cessera plus de viser,, le projet de ramener
les cointre-révolutionnaires à la conciliation en révisant l'œuvre de
ia Révolution.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 589
faux et perfides qui veulent soumettre le peuple pour régner, si ce n'est
en apparence, c'est du moins en réalité; et je leur dis, à ces hommes
qui veulent mettre la Patrie aux fers, à ces hommes qui entourent le
sanctuaire de la nation de milliers de bayonnettes parce qu'ils redoutent
les haines équitables du peuple, je leur dis: Soyez justes, soyez vrais,
et vous n'aurez pas besoin de vous environner de tous les appareils du
despotisme.
« Quand je vois leurs tribunes fermées, désertes, pour se dérober
à l'opinion publique, à la juste indignation des citoyens, quand je vois
le temple de la législature environné de cet appareil formidable de
guerre, pour se préserver, dit-on, des factieux que soi-même on soudoit
pour se préserver des troubles que soi-même on fait naître, à cette
abominable conduite je m'indigne et m'écrie : Ecartez, écartez de vos
tribunes, et sur-tout de vos comités, les citoyens qui vous surveillent :
s'ils la voyaient cette conduite vous leur feriez horreur. Vous vous
entourez d'armes et de bayonnettes; sommes-nous donc dans ces jours
d'alarmes où le despotisme mettrait nos jours en danger ? Craignez- vous
les troubles du Champ de Mars ? Ne les connoissez-vous pas mieux
que nous ? Mais la calomnie est aujourd'hui le grand moyen, l'édifiant
mobile de la révolution; par la calomnie, on soulève la garde nationale,
on fait arriver des émeutes, on se venge de ceux dont on croit avoir à se
venger.
« Ce matin, Messieurs, le croiriez- vous, un député qui sait fort
bien ce qui se passe à l'assemblée nationale, a fait imprimer une pétition
supposée et qui vous est attribuée, avec une prétendue réponse du pré-
sident, qu'il sait très bien être fausse : cette pétition est conçue en des
termes odieux pour inspirer le soulèvement, pour inviter le peup'e et
toutes vos sociétés affiliées à s'élever contre vous; et ces actes de bas-
sesse, dont des laquais rougiroient, ce sont des législateurs qui les com-
mettent, et ils supposent de prétendus étrangers qui sèment des troubles,
et l'on paie des gens pour répandre à de certaines heures du jour des
bruits que l'on croit nécessaires! (10).
« Mais, Messieurs, c'est ici, au milieu de vous, que réside l'éten-
dart de la liberté; il est au milieu de ses plus fermes appuis, et rien ne
pourra l'en arracher.
« Le croiriez-vous, comme tous les bons citoyens qui, dans cette
cause, ont montré quelqu'énergie, j'ai été dénoncé au comité des recher-
ches (11) et l'on me veut rendre responsable des faits que l'on sait bien
ne me pas concerner : on m'accuse d'avoir défendu des citoyens insultés :
(10) Sans doute allusion à 1' « Adresse à l'Assemblée nationale
désavouant la pétition publiée par les journaux comme émanant de
la (Société ». 18 juillet 1791 (B.N. iLb40 620). Ce texte est signalé par
Tou mieux, II, u° 9178.
(11) Nous n'avon-s pas trouvé traoe de cette dénonciation, mais
« Ilobertspierre est regardé comme l'âme des projets tendant à
590 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
mais peu m'importe que ce soit mes persécuteurs qui veullent me juger,
si en effet, ils doivent être les maîtres des peuples, que m'importe quel
sera mon sort ! Ce ne sera pas comme les Brutus, les Catons que je
périrai, ce ne sera pas pour sauver la liberté expirante, non; ce sera
pour le salut d'un peuple sensible et généreux (très-applaudi) » (12).
Journal général du Pas-de-Calais, 1791, n° 8, p. 95.
« Le 16, on rédigea la pétition, et il est décidé qu'elle sera signée
sur l'autel de la patrie : le choix du local étoit une imprudence, paice
que ce rassemblement pouvoit donner lieu à des troubles. Le soir,
M. Robespierre, au lieu de remplir son poste de représentant à l'assem-
blée nationale, vint aux jacobins dénoncer ses collègues, comme corrom-
pus, gangrenés, et les lâches esclaves des sept comités qu'il osa repré-
senter, contre la vérité, comme composés principalement des députés
des ci-devant ordres privilégiés : il prétendit même que la majorité des
patriotes s'étoit coalisée avec le côté droit, quoique ce côté là n'ait
voulu prendre aucune part à ce décret, le regardant comme attentatoire
à la prérogative royale, à cause de l'amendement de M. Salle. Ce fut
alors que M. Coroller, indigné de cette attaque, abandonna les jacobins;
mais M. Robespierre, bien loin d'être étonné de la fermentation qui se
manifestoit, parla en faveur des rassemblemens au champ-de-mars; il
prétendit qu'on en vouloit à sa vie, mais qu'il périroit pour le salut du
peuple, quoiqu'il n'y ait assurément aucun parti qui ait intérêt à se
défaire de M. Robespierre, et que sa conduite ne puisse qu'être infi-
niement utile à la cause des aristocrates et des royalistes. »
La Bouche de Fer, n° 96, p. 6.
« Nous ne parlerons donc ici que du vertueux Robespierre, qui a
peint avec tant d'énergie la conspiration des comités, tous composés de
ci-devant privilégiés. »
N° 98, p. 6.
« Nous allions peindre le vertueux Robespierre à la tribune des
Jacobins, qui a montré la perte inévitable de la patrie, si l'on ne détruit
à l'instant, par une nouvelle législature, les conjurations des ci-devants
nobles et prêtres, qui viennent de se coaliser dans les comités de l'assem-
blée nationale, mais les persécutions qu'on fait éprouver à toutes les
sociétés patriotiques nous forcent d'insérer à l'instant la lettre suivante. »
■N° 99, p. 1.
« Voilà un honnête homme !
mettre le trouble et la division » (Lettre de Maupetit du 18 juillet
1791, oubliée dans le Bulletin de la Comuns--sion historique de la
Mayenne, t. XXII, p. 482). Cf. également A. Mathiez. Le Club des
Cordeliers..., op. cit.
(12) Texte reproduit par G. Walter, Histoire des Jacobins,
p. 201-205.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 591
<( Demandons une autre législature, mais obéissons à la loi, disoit
Robespierre à la tribune, le 16 vers les 7 heures du soir. J'obéirai à la
loi, mais je vous dois la vérité — terrible ! et il fit un tableau précis
et épouvantable de la conduite actuelle des anciennes classes privilé-
giées, coalisées dans les comités de l'assemblée nationale. — « Lisez
leurs noms sur la liste qui compose ces comités ». Il a fait voir qu'ils
avoient déjà commencé des atrocités qui annonçoient des atrocités nou-
velles.
« Adressons-nous à nos frères, aux gardes nationales qu'on pourroit
égarer, ne permettons pas que l'on sème la division entre les citoyens,
— c'est là où ils tendent. — Je sais tout ce qu'ils me préparent, a-t-il
ajouté, d'une voix attendrie, mais je tiendrai ferme, toujours inébran-
lable sur les principes. Il a répété vingt fois en faisant l'énumération de
tous les attentats préparés contre sa personne. Je verrai sans m'élvnner.
— Cela, cela, encore — tous leurs crimes. On croyoit entendre l'infor-
tuné Rowley, dire à ses bourreaux : — Frappez quand vous voudrez,
et de quelle manière vous voudrez, quand le cœur est droit qu'importe
où va la tête.
« Quelle différence, a-t-il dit, entre nos devoirs et ceux des pre-
miers citoyens de Rome et de la Grèce. Il s'agit ici de la liberté de
toutes les nations, c'est la cause de l'humanité toute entière, c'est le
triomphe de la vérité persécutée depuis des milliers de siècles. Encore
un peu de courage et tout sera consommé. Les députés des communes
se rappelleront la sainteté de leur mission ! Les peuples rentreront
dans leurs droits imprescriptibles, les tyrans seront confondus, leurs
infâmes calomnies n'auront que des succès passagers. Nous avons
la vérité et la justice. Nous serons invincibles. Mais détruisons la coa-
lition perfide de ces anciens despotes héréditaires qui foulent sous leurs
pieds l'espèce humaine avilie et dégradée » (13).
(13) Cité par E. Hamel, I, 511.
Société* des Amis de la Constitution
3Z3. — SEANCE DU 17 JUILLET 1791
Sur les événements du Champ de Mars (1)
1 " intervention :
Dès l'ouverture <le la séance, le 17 juillet, les membre, de la
Société qui. vers midi, distribuais L au .Champ de Mars des avis
conformas à la décision prise, la veille au 901T, aux Jacobins, et
(1) Cf. à ce sujet les « Révolutions de Paris », n° 106; la « Ga-
zette nationale ou le Moniteur universel », et aux Areh. nat.
lïXXIX bis, 31, dossier 325, p. 49: Lettre du comité des recherches
592 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
invitant les citoyens réunis devant l'Autel de la patrie à se retirer,
la signature de la pétition étant arrêtée, rendent compte de leur
mission. Les députés, dont Rcederer et Robespierre, pénètrent alors
dans la salle des -séances, et ce dernier prend la parole
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 28.
Mercure universel, t. V, p. 327.
<( M. Robespierre. Des bruits extraordinaires ont été répandus,
dont il est difficile de démêler la vérité et la cause. Je fais la motion
expresse de nommer à l'instant des commissaires qui s'informent de ce
qui se passe à Paris dans ce moment, et viennent nous en rendre compte.
« Quant aux effets de la calomnie acharnée plus que jamais contre
cette société, j'ai des moyens simples à vous proposer pour la repousser
et rétablir la paix. J'ai en outre à vous dire des choses trop intéres-
santes pour ne pas attendre pour vous en faire part que l'assemblée
soit plus nombreuse » (2).
2e intervention
La séance de la Société se poursuit, marquée en particulier par
un discours de Pétion. La Société 'ordonne l'impression et l'envoi
aux Sociétés affiliées, d'un arrêté par lequel elle déclare que «es
membres jurent de nouveau de maintenir la (Constitution de tout
leur pouvoir, et d'être, ainsi qu'ils l'ont toujours été, soumis aux
décrets de l' Assemblée nationale (3). Plusieurs membres de la So-
ciété interviennent encore sur les événements de la journée, en par-
ticulier Robespierre.
aux administrateurs de la Commune de Paris (27 juillet 1791). Cf.
également E. Hamel. I, 512 ; et A. Mathiez, (Le Club des Corde-
liers..., op. cit., p. 130 à 135. Il apparaît que l'on avait adroitement
attiré l'attention sur Robespierre, ainsi que le souligne avec un
malin plaisir le '■'. Journal général du Pas-de-Calais » (n° 8, p. 95) :
« Le lendemain dimanche, dès le matin, l'affluence fut plus grande au
Champ de Mars. Le premier exploit de ceux qui s'y rendirent fut
l'assassinat des deux malheureux invalides, sous le prétexte absurde
qu'ils vouloient faire sauter l'autel de la patrie.^ Le rassemblement
fut encore plus considérable sur le soir. La pétition se signoit tou-
jours sur l'autel; on la faisoit .signer à tout oe qui se présentait,
hommes, femmes et même à des enfans de douze à treize ans. Il y
avoit un tableau avec cette inscription, « à celui qui a bien mérité
de la patrie », au-dessous le nom de M. Robespierre. Son buste même
étoit porté en triomphe dans quelques endroits de la capitale. »
Mais Robespierre flétrit dans son « Adresse aux Français »
(p. 28) <( cette viole.nce criminelle ».
(2) Cf. Aulard, III, 25.
(3) Aulard (III, 29) reproduit le texte de cet arrêté, qui a été
publié dans les « Annales patriotiques et littéraires » (21 juillet
1791), la « Chronique de Paris » {21 juillet 1791), le ce Patriote Fran-
çois <» (22 juillet 1791).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 593
Mercure universel, t. V, p. 361 (4).
« M. Robespierre. Je suis effrayé des maux qu'on nous prépaie :
on veut se perpétuer, on veut régner : depuis deux ans, vous voyez les
ambitieux sacrifier tout à leurs vues. Le peuple conservoit une sorte
d'énergie; il falloit déployer un moyen qui le soumît, afin de l'em-
pêcher de rester dans cette attitude fière qui effraye ses oppresseurs.
Ce peuple croyoit avoir le droit de présenter une pétition à ses repré-
sentai : eh bien, on a fait couler son sang sur l'autel de la patrie : on a
choisi des foules de stipendiés, des bouches mercenaires, qui de tous
côtés répandoient la calomnie. Déjà toutes les batteries sont dirigées,
déjà ceux qui avoient proposé des mesures de justice sont dénoncés de
toutes parts comme de mauvais citoyens; moi, je ne puis paroître dans
l'assemblée nationale; on m'y attribue toutes les horreurs que l'on com-
met ou que l'on invente (5). A l'instant encore, aux Champs Elysées,
(4) Aulard (III, 30) ne cite que le passage suivant du u Journal
des Débats de la Société »> : « MM. iRoyer, éivêque constitutionnel,
et Robespierre occupant la tribune et versent dans le sein de la
Société lès chagrins que leur inspirent ces malheureux événements,
et les maux dont ils craignent qu'ils ne soient les précurseurs ».
(5) A partir de cette époque, Robespierre, mis dangereusement
eu vedette, fut violemment attaqué dans les milieux contre révolu-
tionnaires. Dès. le 26 juin, la Société des Amis de la Constitution
souhaitait qu'il fût choisi comme gouverneur du Dauphin, en même
temps que Pétion (Cf. Journal des Débâts de la Société, n° 17;
l'Ami des Patriotes, t. III, n° 33, p. 26; l'Ami du Peuple, t. IX,
ii° 510). Il faut remarquer à ce propos qu'il ne figura pas sur la
liste des candidats dressée le 2 juillet par la Constituante pour
remplir ces fonctions. D'autre part, le bruit courait que Robespierre
serait nommé dictateur et une perquisition effectuée au domicile de
Fréron, après le 17 juillet, aurait permis de découvrir une note dans
ce sens <Cf G. Walter, p. 176). Le Babillard (26 juillet 1791) signale
même que Robespierre aurait été demandé « pour roi par la nation
souveraine assemblée au Champ de Mars (cf. Mémoires de Ferrières,
H, 465; cit. par E. Hamel, I, 509, note 2). Selon l'Ami du Roi (18
juillet 1791, p. 2), il aurait été désigné pour la régence: « Ce n'est
pas une plaisanterie imaginée pour le couvrir de ridicule; c'est un
fait qu'on donne comme incontestable, et qui, au reste, ne m'étonne
que médiocrement ». Même écho dans la Rocambole (ai0 9, p. 157)
qui ajoute (p. 167) : « (Les Jacobites Robespierites, Péthionnites,
Antonnistes, Rœderistes et consorts étoient seuls les moteurs de
l'insurrection ; leur projet étoit de dissoudre l'Assemblée nationale,
d'investir le Club des Cordeliers du pouvoir législatif... d'ériger
la France en république, dont le digne neveu du régicide Damiens
de voit être le Doge ».
IL' Argus patriote, rédigé par le royaliste Théveneau de Morande,
résume toutes ces attaques en ces termes <n° 13, p. 335) : « On par-
lait aussi de choisir des Tribuns du Peuple, et parmi les absurdités
qui étaient à l'ordre du jour, on a entendu proférer le nom de
Robespierre par des malheureux qui le demandaient les uns pour
Maire, les autres pour Gouverneur de M. le Dauphin, les autres
pour Roi. Cotte mauvaise plaisanterie a été, dit-on, prise très sérièu-
ftom* nu,»' TA
594 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
on publioit sous mon nom un discours séditieux dont il n'est jamais
sorti un mot de ma bouche (6), on veut lier les événemens d'aujour-
d'hui à des faits qui vous regardent, on veut vous les attribuer et vous
charger de toutes ces abominations; on Irémiroit si je rapporto'.s toutes
les expressions qu'un membre de l'assemblée nationale qui jouit d'une
certaine réputation de patriotisme proféroit dernièrement sur cette assem-
blée; si je disois... (7).
« Nous tairons la suite de cette séance. Elle fut levée à onze heures
et demie, les portes étant entourées de bayonnettes » (8).
sèment par M. Robespierre, qui a modestement répondu aux per-
sonnes qui lui décernaient la couronne, qu'il n'en était pas digne !
Cette réponse est juste, et elle fait d'autant plus d'honneur à M. Ro-
bespierre, que le bruit s'était répandu quelques jours auparavant,
qu'en parlant aux Jacobins sur l'inviolabilité, et voulant en faire
sentir lés dangers, il ne trouva pas d'argument plus fort que celui-ci:
César, Messieurs, ne fut poignardé que parce qu'on l'avait déclaré
inviolable ».
(6) Cf. ci-dessus, Dernier discours de Robespierre sur la fuite
du Roi (n° 318).
(7) Texte reproduit par G. Walter, Histoire des Jacobins,
p 206-207.
(8) En passant devant le Club, la Garde nationale manifeste vio-
lemment son hostilité contre les Jacobins. Robespierre aurait alors
accepté l'hospitalité que .lui offrait, pour la nuit, le menuisier Duplay
qui habitait près de là, rue Saint-Honoré. (Cf. E. Hamel. I, 514 ;
et G. Walter, p. 180). A. Mathiez place au milieu du mois d'août
1791 l'installation de Robespierre chez Duplay (Ann. révol., 1910,
107).
Société des Amis de la Constitution
324. — SEANCE DU 18 JUILLET 1791
Sur la conduite des Jacobins
Les débats sur l'inviolabilité royale et les événements du Champ
de. Mars avaient rendu définitive la scission qui menaçait la Société
des Amis de la Constitution. [Le nouveau club qui groupait les
modérés siégeant dans l'église de l'ancien couvent des Feuillants,
est désormais désigné sous ce nom (1).
(1) Cf. G. Micho'U, Essai sur l'histoire du parti feuillant: Adrien
Duport-, Paris:. 192-1, E. Hamel, I, 522, et G. Walter, p. < 182. La
lettre de Périsse du Lue à Wuillermoz que nous reproduisons ci-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 595
Le 18, à l'ouverture de la séance des Jacobins, divers membre*
proposent de s'occuper de la conduite à tenir vis-à-vis des membres
de l'Assemblée nationale qui ont quitté la Société. %Feydel faisant
•observer que ces membres sont Les fondateurs de la Société, propose
que le local et la correspondance qui sont leur propriété leur .-oient
remis. Laclos appuie cette motion, à moins que l'on ne trouve un
moyen d'opérer la réunion (2). Après diverses interventions, Feydel
dessous (Bibl. Lyon, ms, Ô430, n° 38) nous paraît éclairer l'état
d'esprit des députés modérés:
« A Paris, le 17 juillet 1791 à cinq heures du soir.
« Je profite, très cher ami, d'un instant que me donne le pro
chain départ d'un courrier extraordinaire, pour vous dire que nous
sommes depuis trois jours dans des convulsions factieuses suscitées
par les intrigans qui se sont mis à la tête de quelques clubs et qui
sont les plus .grands ennemis de ;la (Constitution. Le Club des Jaco-
bins dont vous avez déjà apperçu la corruption, pendant votre séjour
ici, et qui depuis a fait des progrès en anarchie sous la conduite
du Sr. Laclos et autres de sa séquelle, délibérant avant-hier soir
et fit serment de ne jamais reconnaître Louis XVI pour Roi... Les
patriotes de l'assemblée révoltés des excès auxquels ce Club s'est
porté, de ses diatribes contre l'Assemblée Nationale dont les folli-
culaires Brissot et autres ne vous donnent qu'un léger échantillon,
et enfin de leur rébellion à la loi prononcée sur l'évasion du Roi,
ont décidé que les membres de l'Assemblée Nationale qui sont fonda-
teurs de la Société des Amis de la Constitution et qui l'ont toujours
présidée, tiendront désormais leurs séances aux Feuillants, et
n'auront rien de commun avec la Société se disant des Amis de la
Constitution séante aux Jacobins ; ils ont arrêté de communiquer
cette détermination aux clubs patriotiques du Royaume. Les factieux
seront vaincus comme les aristocrates, et il y a grande apparence
que leurs chefs, qui seuls ont ,1e secret, sont tacitement d'accord.
Il y a 'ongtemps que l'écrivis à mon frère que les anarchistes, la
plupart soudoyés, et oient plus dangereux que les contre-révolution-
naires, parce qu'ils montrent le masque du patriotisme et l' appas de
la licence qu'ils appellent Liberté... Il y a bien de la noirceur dans
tout cela, mon ami, que les bons citoyens s'unissent à l'assemblée,
et encore un peu, nous jouirons de la Constitution; mais ils ne man-
queront pas de faire des efforts pour enflammer les provinces sous
les apparences des défenseurs de la Liberté. Ils n'ont pas six parti-
sans dans l'assemblée, et encore n'osent-ils se montrer, et Robes-
pierre, l'atrabiliaire, et le diffus Péthion excepté, les autres sont
des imbéciles et des sots. Adieu, on me demande ma lettre... » Voir
également sur cette question Aulard III, 33-35.
(2) Un certain nombre de membres de la Société souhaitent
aboutir à une entente. Brissot, entre autres, écrit dans son Patriote
François <n° 710, p. 84) : « Que les patriotes dans tous les partis
cessent donc de s'accuser réciproquement d'être les auteurs de cette
affreuse catastrophe. Comment a-t-on eu l'audace de soupçonner
jusqu'à la vertu la plus pure? Comment a-t-on eu l'audace de soup-
çonner et de faire circuler que MM. Buzot, Pétion, Robespierre
étoient à la tête de ce soulèvement? Comment a-t-on cherché à sou-
lever contr-eux, et les gardes nationales, et le peuple? Sommes-
nous donc déjà arrivés aux temps malheureux de la démagogie, où
l'on faisoit boire la ciguë aux Socrate et aux Phociens (sic) ? .
C'est cet esprit de conciliation qui apparaît dans l' Adresse aux
596 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
et Laclos renouvellent leurs motions et proposent qu'une députaMor
soit envoyée à l'assemblée des Feuillants. .Robespierre intervient
alors (3).
Il fut décidé que l'adresse rédigée par Robespierre et adoptée
à l'unanimité, après avoir été présentée au président de l'Assemb'ée
nationale, serait imprimée et envoyée aux Sociétés affiliées.
Sociétés affiliées qu'il a composée et dont la rédaction fut approuvée
le 17 juillet a la fin de la séance. On en trouvera le texte dans
Aulard, III, 31. Il n'apparaît donc pas, ainsi que le suppose Miche-
let (Histoire de la Révolution française, III, 167) que Brissot l'ait
publiée pour la discréditer.
(3) -Son attitude est celle de tous les journalistes « patriotes ».
Marat écrit dans l'Ami du peuple (n° 527, p. 4) : « La retraite des
conspirateurs qui vous engueusent et qui vous ruinent est aux Feuil-
lants; c'est-là le club des Monarchiens, qui vous préparent des fers,
lorsque les Péthion, les Robespierre restent attachés aux patriotes
dans la société fraternelle des Jacobins. Les frelons ont abandonné
la ruche des abeilles ; ce seroit un bien, si vous étiez capables de les
surveiller; mais n'oubliez pas qu'ils ont encore des mouchards, des
espions dans nos sociétés, qui parlent divinement du patriotisme,
qu'ils servent si mal ». De même on lit dans les Révolutions de Paris
(n° 106, p. 130, note I) : « Il est inutile de dire que la société des amis
de la constitution tient ses séances aux Jacobins : celle qui siège aux
Feuillans est la société des amis de la contre-révolution; Barnave,
Duport en sont: Robespierre, Péthion, Buzot et quelques autres
n'ont pas quitté les Jacobins. On sait aujourd'hui que c'est le mi-
nistre de Lessart qui a envoyé et payé les courriers extraordinaires,
porteurs des lettres circulaires des Feuillans aux 83 départemens ».
Enfin Ç. Desmoulins écrit dans les Révolutions de France et de Bra-
bant (t. VII, n° 86, p. 27-28) : « L'Assemblée nationale se retire an
club aux feuillans, et fait .scission avec les jacobins, afin de leur
enlever leur correspondance. Mais Péthion et Robespierre, et le
petit nombre des représentans qui sont demeurés fidèles à la nation,
restent aux jacobins; et rassemblée nationale est toute où est
Péthion et Robespierre. Le reste n'est qu'un amas de nobles, de
prêtres, d'intrigans, de ministériels, de contre-révolutionnaires ou
dimbéciles; c'est l'assemblée anti-nationale. Je ne conçois pas com-
ment Robespierre, Buzot, Péthion, Rœderer, Prieur, Grégoire,
Royer •et une demi-douzaine d'autres, ne donnent pas leur démission,
et ne se retirent pas du milieu, non de ce sénat, mais de ce sabat
des conjurés contre le peuple, où le bien est impossible à faire. Mais
peut-être que les autres craignant .les suites de la retraite de ce
petit nombre de justes, chercheraient à les retenir au milieu d'eux,
et à plâtrer, par quelques bons décrets, leurs desseins ambitieux
et nationicides. Quant à moi, je ne me laisserai point prendre à ces
•apparences et je n'attendrai plus à l'autel de la patrie la troisième
proclamation de la loi martiale, et la première décharge à poudre,
peur racheter le droit de crier dans le désert, de défendre la décla-
ration des droits, et de montrer les sept rayons primitifs, à un peuple
de quinze-vingt. Il me faudroit m'avilir comme mes malheureux
•confrères, jusqu'à livrer La Fayette et ces compagnons de tyrannie.
Il faudroit pallier la vérité. Mentiri nescio, je ne saurois descendre
à cette lâche dissimulation à laquelle les écrivains patriotes sont
aujourd'hui contraints devant les sapeurs à u;ros ventre, et les naiub
de six pieds, à igros bonnet. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 597
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 29 (4).
Mercure universel, t. V, p. 379 (5).
« M. Robespierre. Je ne viens pas, messieurs, m 'opposer à la me-
sure proposée par les préopinans d'envoyer une dépuration à l'assemblée
des Feuillans, si toutefois la société croit devoir l'adopter. Je viens
vous soumettre une proposition, elle tend à vous faire adopter le moyen
le plus propre à ramener dans cette société les membres de l'assemblée
nationale qui sont vraiment patriotes, elle consiste à présenter à l'assem-
blée nationale une adresse dans laquelle, consacrant les principes qui
vous ont toujours animés, vous vous mettiez par là à l'abri des calomnies
qui s'attachent à vous dans ce moment. Le grand reproche qu'on fait à
cette société est, dit-on, d'avoir proposé une pétition contraire à des
décrets rendus; eh bien, messieurs, il me semble que de montrer que
vendredi, cette pétition n'était pas contraire aux décrets rendus, démon-
trer que depuis elle n'a eu aucune suite puisque cette pétition n'a pas
eu lieu, est, je crois, le moyen le plus propre à désarmer cette calom-
nie.
« M. Robespierre fait ensuite lecture de l'adresse qu'il a rédigée
dans cette intention et qui, après de légers changemens dans la rédaction
est adoptée à l'unanimité » (6).
(4) Texte reproduit dans Aulard, III, 36.
(5) Ce dernier texte comporte quelques variantes de détails par
rapport au précédent.
(6) On trouvera cette adresse dans le Courrier de Corsas, n° 26,
p. 418-422. et le Mercure Universel, V, 389. Elle est reproduite dans
Aulard, III, 38-42.
325. — SEANCE DU 23 JUILLET 1791
Sur la création d'un tribunal spécial pour juger les mjteurs
de la « rébellion )) du champ de mars (1)
Le 22 juillet, Salle avait présenté à l'Assemblée, au nom des
comités de constitution, des rapports et des recherches, un rapport
mr les événements du Champ de Mars, survenus le 17 juillet (2).
Il demandait la création d'un tribunal spécial, à juridiction souve-
raine, chargé de rechercher et de poursuivre les auteurs de la
« rébellion o>, comme de connaître les troubles généraux qui pour-
raient avoir lieu. Après une courte discussion, le débat fut ajourné
au lendemain.
Le 23 juillet, une vive opposition s'élève contre le projet de?
comités. .Robespierre se présente à la tribune. On demande à aller
gnardf
(1) Cf. A. Mathiez, Le Club dos Cordeliers..., op. cit., p. 208.
<(2) Salle fut, à la Convention, un ennemi acharné des Monta-
598 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
aux voix. L'Assamblée décide d'abord sur la proposition de d'An h'',
que les jugements qui seront rendus pour les délits relatifs à l'événe-
ment du Champ de Mars, seront soumis à l'appel. Elle rejette ensuite
la proposition de former une commission particulière.
Finalement, l'Assemblée chargea le tribunal du 6e arrondisse-
ment des recherches et procès relatifs aux délits commis les 17 et
18 juillet (3).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXX, p. 269
« M. Robespierre monte à la tribune (murmures, aux Voix, aux
voix).
« M. Reubell. Je demande que l'on rappelle à l'ordre ceux qui
crient toujours : aux voix, aux voix, et ne savent que cela.
« M. Robespierre. Jamais je n'ai cru avoir autant de droit d'être
écouté... » (4).
Courier de Provence, t. XVI, p. 62.
« M. Robespierre est monté à la tribune; mais les amis de la liberté
ont mieux aimé céder la victoire que d'entendre un orateur que son
patriotisme et son immuabilité leur ont rendu odieux. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 205, p. 849.
« M. Robespierre se présente à la tribune. On demande dans
diverses parties de la salle à aller aux voix » (5).
Le Patriote françois, n° 714, p. 97.
« Cependant, il faut le dire à la honte de quelques membres
de 89, à peine a-t-on vu M. Robespierre monter à la tribune pour
déployer son indignation, pour opposer les principes au renversement de
la constitution, qu'un cri perçant, aux voix, aux voix, s'est fait enten-
dre. »
Journal de Paris, 25 juillet 1791, p. 831.
« M. Roberspierre se présentoit à la tribune pour défendre cette
vérité, mais elle étoit reconnue avant qu'il eût parlé; et sur la proposi-
tion de M. d'André, l'Assemblée a déclaré que le Tribunal qui con-
naîtroit des événemens du Champ de Mars ne jugeroit point sans appel. »
Le Législateur français, 24 juillet 1791, p. 6.
« L'érection d'un tribunal, qui ne seroit effectivement qu'une
chambre ardente, a alarmé les amis de la liberté; déià M. Robertspierre
étoit à la tribune et demandoit à parler contre le décret. »
(3) Le 9 août 1791, Eobespierre comparaît comme témoin devant
le tribunal, le 9 août. (Cf. L. Jacob, op. cit., p. 118, note 1). A. Ma-
thiez reproduit sa déposition: Le Club des Cordeliers..., op. cit..
D 332-333
(4) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXVIII, 535.
(5) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 206.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 599
[Brève mention de cette tentative dans Le Mercure universel, t. V,
p. 394; Le Journal du soir (Beaulieu), t. III, n° 383, p. 3; Le Journal
des Débats, n° 793, p. 1 1 ; Le Journal général du Pas-de-Calais, n° 8,
p. 94; Les Annales patriotiques et littéraires, n° 660, p. 1722.]
Société des Amis de la Constitution
326. — SEANCE DU 24 JUILLET 1791
Sur la scission des Feuillants (1)
La Société discute sur la scission opérée par les Feuillants et
sur les moyens d'y mettre fin (2). Le président donne lecture d'une
déclaration des dissidents, de laquelle il ressort que la Société
séante aux Feuillants .se considère comme la vraie et légitime Société
des Amis de la Constitution. Bourdon lit un projet d'adresse aux
Feuillants. Robespierre intervient alors et propose de déclarer que
la Société a été et sera toujours celle des Amis de la Constitution.
Sa motio.n est adoptée à l'unanimité {3). I
Il est alors donné lecture de la réponse faite par les Feuillants
à des propositions des Jacobins. (Robespierre demande et obtient
ia lecture des conditions proposées par les Feuillants. Elles sont
jugées inacceptables, car elles excluent les citoyens passifs (4) ;
Robespierre propose d'envoyer aux Feuillants et à toutes les sociétés
affiiées, une adresse pour rendre compte des faits et des motifs de
la scission (5).
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 31.
Mercure universel, t. V, p. 472.
« M. Robespierre. Si depuis la guerre déclarée à la société, quel-
ques membres de l'assemblée nationale et moi nous sommes déterminés
(1) Cf. ci-dessus, séance du 18 juillet 1791.
(2) Le 20 juillet 1791, on avait étudié les moyens de conciliation
propres à mettre fin à cette scission.
(3) Cf. E. Hamel, I, 524.
(A) A cause de cela, les Révolutions de Paris (m0 107, p. 130)
baptisent les Feuillants d' « Amis de la contre-révolution ».
(5) Les Feuillants avaient envoyé une lettre circulaire aux 83
départements, et ils avaient invité les sociétés patriotiques à corres-
pondre avec eux. Mais un très faible nombre répondit à leur appel
(4 ou 5 seulement, d'après E. Hamel, I, 526). Tallien, président de
la Société fraternelle, vient le 25 juillet, à la tribune des Jacobins,
protester de son attachement <à la société mère (Aulard, III, 52). Le
Cercle social fait parvenir aux Jacobins une semblable profession
<U>. foi (cf. La Bouche de Fer. n° 101). D'autre part, la Société des
Amis de la Constitution de Versailles exclura Charles Lameth de
son sein. Elle en donne les raisons dans une lettre qu'elle adresse
•iiix Jacobins de Paris le 15 septembre (cf. Journal des débats de la
Société des Amis de la Constitution, n° 62, p. 4, séance du 18 sep-
tembre 1791): « Nous l'avons fait encore parce que ses contestations
continuelles avec les plus zélés défenseurs de la patrie, avec les
600 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
à rester dans son sein, nous ne l'avons fait que parce que nous avons
pensé que le moment où les patriotes étaient attaqués était celui où nous
devions nous serrer de plus près : ceux qu'il faut consulter dans cède
question sont ceux qui se disent hautement patriotes et qui ne craignent
pas de s'exposer à l'ignominie. Il faut examiner quel est le véritable
intérêt public : ceux qui vous proposent de vous dissoudre pour vous
refondre avec les Feuillans, ne connaissent point cet intérêt public. Par
cette démarche, vous consacreriez formellement tous les reproches qui
ont servi de prétexte à la scission... M. Robespierre a conclu à ce
qu'il fût décidé avant tout que la société avait été et serait toujours
celle des Amis de la Constitution.
« Tous les membres se lèvent et crient aux voix. M. Coroller
observe que la réponse des Feuillans est sur le bureau : M. Robespierre
insiste sur sa motion qui est adoptée à l'unanimité. On a fait lecture
de la réponse des Feuillans, dont voici les termes :
« Monsieur, la société des amis de la constitution, délibérant sur
les propositions qui lui ont été faites de la part de celle que vous pré-
sidez, a décidé qu'elle ne pouvait pas les admettre : elle a cru cepen-
dant devoir prendre des moyens faciles et sûrs, pour recevoir dans son
sein ceux d'entre vous qui pourraient désirer de s'y réunir. La société,
monsieur, vous fait passer un extrait des articles qu'elle a arrêtés dans
cette intention à sa dernière séance, afin que vous en donniez connais-
sance à la société que vous présidez. Goupil-Préfeln, président. »
« On demande l'ordre du jour sur la lecture du règlement des Feuil-
lans : M. Robespierre demande et obtient la lecture de ces conditions
qui paraissent inconvenantes.
« M. Robespierre propose d'envoyer une adresse aux Feuil'ans et
à toutes les sociétés affiliées, pour rendre compte des faits et des motifs
de la scission » (6).
Journal des Clubs, t. III, n° 38, p. 637.
« M. Robespierre fait observer que par cette démarche on consa-
creroit formellement tous les reproches qui ont servi de prétexte à la
scission, et appuyant sur la nécessité où sont les patriotes de se serrer
plus que jamais dans un instant où ils sont attaqués de toutes parts,
il conclut à ce qu'il soit décidé, avant tout, que la société a été et sera
toujours celle des amis de la constitution. Sa proposition est un signal
pour tous les membres qui jurent de rester à jamais unis, et elle est
arrêtée. »
Robespierre et Péthion, nous ooit mis de nouveau dans le cas de le
juger par comparaison ». (Aulard, III, 139, résume brièvement cette
lettre).
(6) .Cette adresse fut rédigée par Robespierre. Il en donna lec-
ture dans la séance du 1er août. Aulard l'a reproduite (III, 72-79).
les discours de robespierre 601
Société des Amis de la Constitution
327. — SEANCE DU 1er AOUT 1791
Sur un projet d'adresse au sujet des événements
du Champ de Mars
-Robespierre donne lecture d'un projet d'adresse aux Sociétés
affiliées, exposant les faits concernant la pétition déposée sur l'autel
de la patrie et .réchauffourée du Champ de Mars. Oorroller (1), puis
Rœderer, présentent un certain nombre d'observations sur ce pro-
jet, et proposent que des commissaires soient adjoints à Robespierre
pour rédiger l'adresse. Robespierre consent à cette proposition;
Pétion, Rœderer, Brissot et Buzot sont nommés commissaires.
L'adresse devra être présentée à la Société, le 5 août (2).
Journal des Clubs, t. III, n° 38, p. 641-2.
« M. Robespierre fait lecture d'une adresse aux sociétés affiliées,
elle est applaudie; on y propose néanmoins quelques changemens. »
La Rocambole, n° 13, p. 217.
« M. Robespierre a lu le premier août, au club des Jacobins, une
longue, plaintive et larmoyante adresse aux Sociétés affiliées, dans
laquelle il a laissé échapper cette grande vérité : La persécution s'est
attachée à nous, et nous osons dire que nous en étions dignes. — Veillez,
poursuit en finissant l'illustre député, veillez sur les ennemis de la patrie,
sur ses amis; que les factieux soient partout confondus. »
Mercure universel, t. VI, p. 53.
« M. Robespierre fait lecture d'une adresse aux Sociétés affiliées :
cette adresse est vivement applaudie. »
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n°30, p.l .
« M. Robespierre lit un projet d'adresse aux sociétés affiliées (3).
Voici la substance de ce projet :
[Suit le texte de l'adresse. Le journal ajoute:]
« M. Robespierre a été souvent interrompu dans sa lecture par de
vifs applaudissemens. »
(1) Il avait brusquement quitté la salle des séances le 16 juillet
à la suite d'une intervention de Robespierre (cf. ci-dessus, séance,
n» 321).
(2) Aulard (III. 72) reproduit cette Adresse à la date du 7 août
1791 (III, 72, pièce XXIV).
602 les discours de robespierre
Société des Amis de la Constitution
328. — SEANCE DU 3 AOUT 1791
Sur un compte-rendu tendancieux
du Journal des Débats de la Société
Robespierre se plaint de l'inexactitude et du caractère tendan-
cieux avec lesquels le rédacteur du Journal des Débats... a rendu
compte' du projet d'adresse aux iSociétés affiliées, qu'il avait présenté
à la séance du 1er août. Après diverses observations de Mendouze
(1) et de Sergent (2), la Société laissa à son comité le soin de pren-
dre des renseignements sur le rédacteur du Journal des Débats...
chargé des comptes rendus.
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n°37. p. 2.
Le Creuset, t. III, n° 63, p. 221 (3).
« M. Robespierre a observé que des membres de la société lui
avaient fait remarquer plusieurs inexactitudes dans le journal des débats
de la séance du lundi 1er août. Il s'est plaint de ce qu'en présentant
une espèce d'extrait du projet d'adresse aux sociétés affiliées qu'il avait
lu dans la même séance, le rédacteur lui faisoit dire ces mots : « Une
pétition avoit été arrêtée dans la salle de notre société; mais la séance
était levée, et il ne restait que quelques membres suspects que nous ne
comptons plus parmi nous, au milieu d'une foule de citoyens qui y étaient
venus apporter cette même pétition ».
Il a observé que le projet d'adresse qu'il avait rédigé ne contenait
rien de semblable à ces propositions; qu'il était d'autant plus éloigné
de s'être exprimé d'une manière aussi injurieuse et aussi vague sur les
membres de la société, désignés dans cet endroit qu'il n'était pas
même resté après la séance ; et qu'il connaissait des membres très
patriotes qui se plaignent de se trouver compromis par les réflexions
du rédacteur.
« M. Robespierre a réclamé encore contre un autre passage du
journal, où on lui fait dire, en parlant des deux hommes trouvés sous
l'autel de la patrie : « En sortant, le peuple les arrache des mains de la
garde ». Il a observé que jamais il n'avait attribué au peuple un acte
(1) Mendouze. rue Galande, n° 79, membre du Comité d'admi-
nistration de la Société.
(2) Sergent, graveur en taille douce, sera élu officier municipal
de Paris, puis député à la Convention.
(3) L'extrait de ce journal est précédé du passage suivant:
« Nous avons... vu avec surprise la hardiesse de [la_ manœuvre] qui
vient d'être mise en œuvre, pour détacher du patriote Robespierre
la partie saine et sincère des amis de la constitution restée aux Jaco-
bins ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 603
de violence, qu'il avait au contraire imputé, comme le public, à quel-
ques individus excités par les ennemis de la liberté; que ce langage
qui charge le peuple de tous les délits qu'il improuve, trop familier
aux partisans du despotisme, devait être réprouvé par tous les bons
citoyens: il a demandé que le journaliste insérât ce désaveu et ces
observations dans son prochain numéro » (4).
La Feuille du Jour, t. V, n° 221, p. 316.
« M. Robespierre réclame contre les propos qu'on lui prête, dans
le Journal Jacobin, au sujet des hommes pendus au Gros-Caillou, le
17 du mois dernier. Il dit qu'il n'a pas dit ce qu'on dit qu'il a dit;
mais on lui dit qu'il l'a dit. »
(4) Texte reproduit dans Aulard III, 66. D'après Mendouze. ce
n'est pas Deflers, rédacteur officiel du Journal depuis le 25 juillet
1791, qu'il faut incriminer, car Deflers était alors détenu à l'Abbaye.
Société des Amis de la Constitution
329. — SEANCE DU 5 AOUT 1791
Sur le projet d'adresse
AU SUJET DES ÉVÉNEMENTS DU CHAMP DE MARS (suite) (1)
Robespierre donne lecture du projet d'adresse rédigée par les
commissaires nommés à cet effet le 1er août. Quelques membres
présentent diverses observations concernant en particulier le récit
des faits. Robespierre défend la rédaction proposée et demande que
le récit des faits soit conservé, sauf les corrections des commis-
saires. Sa motion est adoptée. Rœderer qui avait proposé que des
commissaires soient nommés « pour rédiger ou supprimer l'adresse
à leur volonté », donne alors sa démission de commissaire pour la
rédaction de l'adresse. Tournon (2) est nommé pour le remplacer.
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n°38, p. 4.
« M. Robespierre a fait lecture du projet d'adresse rédigée par les
commissaires nommés ad hoc.
[Interventions de Creuzé-Latouche et de Corroller qui considèrent
que les faits exposés ne sont pas étayés de preuves suffisantes.]
« M. Robespierre observe qu'il y avait de la pusillanimité à taire
(1) Cf. ci-dessus séances des Jacobins des 1er et 3 août 1791.
(2) Tournon, homme de lettres, l'un des rédacteurs des Révo-
lutions de Paris, du Mercure universel et des Révolutions de l'Eu-
rope. Il fut guillotiné le 22 messidor an II,
604 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
un fait aussi connu, et d'ailleurs on avait promis ce détail aux Sociétés
affiliées (3).
« M. Robespierre demande que le récit des faits ?oit conservé,
sauf les corrections des commissaires » (4).
(3) On y dit en particulier, que la signature de la pétition avait
été «.journée le 17 à midi, oe qui semble indiquer qu'il n'y ait pas
ea de rassemblement sur le Champ de Mars, dans la matinée.
(4) Texte reproduit dans Aulard, III, 69-70, mais l'adresse n'y
figure pas.
330. — SEANCE DU 6 AOUT 1791 (soir)
Sur les troubles de Brie-Comte-Robert (suite)
iLe 6 août au soir, Muguet de Nanthou, au nom du comité des
rapports, présente un rapport sur les troubles de Brie-Comte-Robert,
et sur la pétition adressée le 12 juillet, par une députation de la
garde nationale de cette ville (1). Après a,voir fait l'historique des
faits, le rapporteur demande que l'Assemblée se prononce sur les
inculpations qui ont été faites contre l'administration du départe-
ment, dont il propose d'approuver la conduite, ainsi que celle des
chasseurs de Hainaut. Robespierre justifie ses interventions du
18 juin et du 12 juillet sur cette affaire. Les faits ne pouvant être
vérifiés que par la procédure, il demande 'que l'Assemblée s'abstienne
■de rendre un décret qui préjugerait en faveur de l'une ou l'autre
partie. Barnave s'élève contre les conclusions de Robespierre.
L'Assemblée adopta le décret présenté par Muguet, approuvant
la conduite du directoire du département de iSeine-et-Marne et celle
des chasseurs de Hainaut.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXXI, p. 226
« M. le Président. M. Robespierre a la parole {oh, oh).
« M. Robespierre. Je ne crois point faire une démarche qui puisse
déplaire à l'assemblée en venant proposer des observations contre le
rapport du comité.
« Messieurs, un grand nombre de citoyens de la ville de Brie-
Comte-Robert, au nombre desquels je voyais le procureur de la com-
mune et un officier municipal, m'ont présenté un mémoire portant
dénonciation d'une multitude de vexations faites, si elles étoient
vraies, pour exciter l'indignation de tous les honnêtes gens. Ils m'ont
prié de faire parvenir leurs plaintes à l'assemblée nationale et d'accé-
lérer la décision de cette affaire : je l'ai fait. Il n'y a rien là de contraire
aux devoirs d'un représentant de la nation. J'en viens au rapport.
<1) Of. séances des 18 juin 1791 (soir), 12 juillet 1791 (soir) ; et
G. Walter, p. 115.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 605
(( Le comité a d'abord pensé que l'assemblée nationale devoit
faire plus que de prononcer sa propre opinion sur le fond de l'affaire :
qu'elle devoit aller jusqu'à approuver formellement la conduite du direc-
toire de Mejun et des chasseurs de Hainault : je présente une observa-
tion qui prouve, sans réplique, qu'il est impossible d'adopter ce système.
11 suffit pour cela de se rappeller que la cause est pendante à un tri-
bunal; j'en conclus qu'il est impossible que l'assemblée nationale
préjuge elle-même, dès ce moment, le fond de cette affaire, en approu-
vant la conduite de l'une des parties. (Ce n'est pas là la question).
« On fait une objection à laquelle je réponds. On me dit : Vous
avez demandé vous-même, au nom de Brie-Comte-Robert, que l'assem-
blée prononçât sur cette affaire : par conséquent, vous ne pouvez pas
opposer que l'affaire est pendante dans un tribunal. Si l'assemblée veut
prononcer elle-même sur le fond de l'affaire, je ne combattrai pas
(murmures) : si l'assemblée, comme le suppose le comité des rapports,
laisse l'affaire pendante et indécise dans un tribunal, il est évident
qu'elle ne peut pas en préjuger le fond, et que si elle déclaroit que le
directoire et les chasseurs de Haynault inculpés par les citoyens, sont
exempts de tout reproche, il en résulteroit un préjugé fatal contre les
citoyens qui sont actuellement en procès avec ces particuliers.
« Je viens au fond de l'affaire et j'observe que le rapport passe
sous silence tout ce qui a donné lieu aux divisions entre la garde natio-
nale et la compagnie dite du Bon Dieu. Selon lui, la cause des troubles
est dans la désobéissance et la révolte de cette compagnie : et moi je
dis que c'est un fait qui mérite d'être éclairci : que la garde nationale
prétend au contraire que c'est elle qui a été forcée de résister aux
attaques et aux hostilités de la compagnie qui se révoltoit injustement
contre le vœu des citoyens et contre le vœu de l'assemblée nationale.
J'observe que ces citoyens prétendent prouver que ce sont leurs adver-
saires qui ont emploie la violence; qu'on les a taxés d'insurrecl.on,
tandis qu'ils n'ont opposé que la résistance à l'insurrection et à la vio-
lence coupable de leurs adversaires.- Voilà ce qu'on ne peut pas pré-
juger sans avoir approfondi la procédure, d'autant plus que ces citoyens
se plaignent de ce que deux pièces importantes de la procédure n'ont
pas été lues toutes au comité des rapports; et je suis autorisé par un
écrit signé de l'avocat de ces citoyens, à dire qu'ils ont vainement
employé leurs efforts pour obtenir que ces pièces fussent lues par M. le
rapporteur. Ainsi, si l'assemblée ne veut pas entendre ces nouvelles
pièces pour prononcer sur un fait semblable, elle doit laisser indécise
la question
« Je ne crois pas devoir me justifier contre les insinuations que l'on
cherche à répandre depuis trop long-tems contre ceux qui servent de
bonne foi la cause publique, et je me repose sur la probité de l'assem-
blée nationale du sort de toutes ces coupables calomnies. Je demande
la question préalable sur les propositions tendantes à ce que l'assem-
606 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
blée nationale, par des marques d'approbation, préjuge cette cause qu'.
doit rester pendante aux tribunaux dans toute son intégrité.
[Intervention de Barnave : la conduite des habitants de Brie ne
relève que de la compétence du tribunal. L'Assemblée connaît de la
conduite des administrateurs : ils ont rempli correctement leur droit.
Quant à la troupe de ligne, elle n'avait qu'à obéir à la réquisition
et a été « très mal à propos dénoncée dans cette Assemblée. »]
« M. Robespierre. C'est là la question, monsieur?. . (à l'ordre, à
l'ordre) » (2).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 220, p. 911.
« M. Roberspierre. Un grand nombre de citoyens de Brie, ayant
un officier municipal et le procureur de la commune à leur tête,
m'avaient présenté un mémoire contenant une dénonciation faite pour
exciter, si elle était vraie, l'indignation de tout âme honnête. Lorsque
j'ai présenté de leur part cette dénonciation à l'Assemblée, je me
suis borné à en demander le renvoi au Comité des rapports, là a fini
ma mission, et j'ose attester la bonne foi de tous ceux qui m'entendent,
je n'ai fait que ce qui convenait au devoir d'un représentant de la
nation. Je ne répondrai pas aux inculpations qu'on a faites à cette
occasion contre mon caractère et mes principes. J'attends ma justifica-
tion du tems et de la probité de l'Assemblée nationale. Je passe à
l'examen du projet de décret du Comité. Il vous propose d'approuver
la conduite du département et des chasseurs de Hainault. Eh ! ne voit-on
pas que ce procès entre la commune de Brie et l'administration du
département ne peut être jugé qu'après que la procédure aura fait con-
naître la vérité des faits. Sans doute, si les chasseurs de Hainault n'ont
fait qu'exécuter des décrets de prise de corps, ils ne sont pas coupa-
bles; mais on les accuse d'avoir traîné en prison des citoyens sans
décret. Ce sont des faits qui ne peuvent être vérifiés que par la pro-
cédure; je demande donc que l'Assemblée ne rende pas un décret qui
serait un préjugé défavorable contre l'une ou l'autre des parties inté-
ressées » (3).
Le Législateur français, t. III, 8 août 1791, p. 3.
« Le régiment des chasseurs de Hainaut a été requis de metlre à
exécution les ordres de la municipalité et les décrets de prise-de-corps.
Voilà à quoi se bornent toutes les vexations tyranniques que M. Ro-
bertspierre dit avoir été exercées par ces estimables militaires. A cha-
que fait que M. le rapporteur énonçoit, M. Robertspierre se levoit, et
accusoit le rapport d'infidélité. M. Muguet, pour toute réponse, pré-
(2) Texte reproduit dans les Ârch. pari., XXIX, 238.
(3) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 333. Bûchez et Roux
ne donnent que le début, jusqu'à « je passe à l'examen... ».
LÉS DISCOURS DE ROBESPIERRE 6Ô7
sentoit les pièces les plus probantes à l'appui de son dire, et M. Ro-
bertspierre étoit obligé de s'asseoir, un peu confus de sa méprise.
« Ce débat singulier a duré pendant tout le rapport, toujours
même assertion par M. Robertspierre, toujours même réplique par
M. Muguet, qui enfin péniblement arrivé à la fin de son rapport, a
proposé de décréter que le président de l'assemblée nationale écriroit
une lettre de satisfaction au directoire du département de Seine-et-
Marne et aux chasseurs de Hainaut, et qu'au surplus le tribunal conti-
nueroit la poursuite des délits dont il s'agit.
« M. Robertspierre ne vouloit, ni témoignage de satisfaction > ni
procédure, et il demandoit tout uniment la question préalable sur la
totalité du projet du décret; mais il n'a pas même été appuyé, et le
projet de décret a été adopté à l'unanimité. »
L'Ami du Roi (Royou), 8 août 1791, p. 4.
« C'est l'avis du comité, ce n'est pas celui de M. Roberspierre,
qui les avoit si grièvement inculpés, pour ne pas dire calomniés. Il s'ef-
force de se justifier personnellement; il prétend qu'adopter l'avis du
comité, ce seroit préjuger la cause; il nie les faits déduits par le rappor-
teur, en pose de contraires, et demande le renvoi du procès au tribunal
de Melun. Les seules tribunes soldées, qui ont dû faire serment de
fidélité au régent, l'applaudissent à outrance.
« Le rapporteur réplique et confond M. Roberspierre. Celui-ci,
loin de se reconnoître vaincu, et de s'envelopper dans la confusion dont
il venoit d'être couvert, redouble d'audace. M. Barnave prend la
parole, et fait voir qu'il n'est pas dans la question. L'avis du comité
est converti en décret. »
Courier de Provence, t. XVI, n° 327, p. 220.
« M. Robespierre, constant avocat des citoyens de Brie-Comte-
Robert, qui n'étoient que malheureux à ses yeux, vouloit que l'assem-
blée ne préjugeât rien et attendit le résultat de la procédure. En effet,
dit-il, si les chasseurs n'ont fait qu'exécuter des décrets de prise, Us
ne sont pas coupable; mais on les accuse d'avoir traîner en prison des
citoyens, sans décret. Ce sont des faits qui ne peuvent être vérifiés
» que par la procédure. »
Le Point du Jour, t. XXV, n° 759, p. 147.
« M. Robespierre se levoit contre certaines parties du rapport. Le
rapporteur a lu plusieurs pièces qui appuyoient les faits qu'il avançoit;
et le débat entre le rapporteur et lui a duré quelque temps...
...« M Robespierre a réclamé de l'inconvenant d'écrire au direc-
toire et aux chasseurs; il ne vouloit pas qu'on continuât non plus la
procédure, et il demandoit la question préalable sur le projet de décret
608 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
du comité des rapports : mais l'assemblée a adopté le projet de décret
unanimement » (4).
L'Argus patriote, n° 19, 11 août 1791.
« M. Robespierre a voulu répliquer à M. Muguet de Nanthou ;
mais ses efforts n'ont abouti à rien, et il a été clairement prouvé par
le Rapporteur que M. Robespierre avait mal représenté cette affaire.
Il s'est embarrassé dans sa réplique. Les gens sévères ont dit qu'il avait
perdu la tête; mais ceux qui connaissent M. Robespierre savent que
cela est impossible. »
Gazette universelle, 1791, n° 220, p. 880.
« M. Robespierre qui avait fait une dénonciation calomnieuse,
puisqu'il avoit dénoncé un crime qui n'existoit pas, a avoué à l'assem-
blée qu'il n'avait été que l'interprète de quelques habitans de Brie-
Comte-Robert, qui lui avaient fait croire que la liberté était en danger. »
Journal des Clubs, t. III, n° 39, p. 679.
« Le régiment des chasseurs de Hainaut a été chargé de mettre
à exécution les ordres de la municipalité et les décrets de prise de
corps. Ce sont là les vexations exercées par ces estimables militaires et
dénoncées par M. Robespierre. »
Le Babillard du Palais-Royal, n° 41, p. 7.
« Une lettre officielle de Melun a dénoncé M. Robespierre comme
auteur des troubles qui ont agité cette ville. Il s'est servi des factieux
dont la fortune délabrée a besoin de l'anarchie pour se réparer. Il faut
que M. Robespierre, tout inviolable qu'il est, réponde à cette accusa-
tion positive : le corps législatif, par respect pour sa dignité, doit lui
en imposer l'obligation. Ce député pense peut-être, avec M. Rœderer,
que la perfection de la morale publique exige que l'honneur soit désho-
noré : mais ce principe qui convient, sans doute, aux intérêts de ceux
qui l'adoptent, ne doit pas diriger l'assemblée nationale, et M. Robes-
pierre, s'il ne parvient pas à se justifier, doit en être chassé comme un
vil factieux. »
Le Défenseur du Peuple, n° XI, p. 4.
« Si l'on compare le discours de M. Barnave et celui de M. Ro-
berspierre, on y trouve la différence du blanc au noir; il paraît que
M. le député d'Arras s'est brouillé avec l'exactitude, et que le plaisir
qu'il trouve à dénoncer, vertu dont il est un des auteurs, l'entraîne
fort au delà du vrai; mais les plumes à ses ordres, ont un mensonge tout
prêt pour le disculper. On vous a dit que c'est « M. Le Grand, léger
accusateur public, qui a inculpé les Chasseurs en garnison à Brie-Comte-
Robert et la municipalité » ; non, c'est le grave Roberspierre qui, gra-
(4) Cité par E. Hamel, I; 535
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 609
vement, a reçu sur ce fait le démenti le plus formel de la part du dépar-
tement qui ne Ta pas jugé irréprochable. »
[Brève mention de cette intervention dans Assemblée nationale,
Corps administratifs (Perlet), t. XIII, n° 733, p. 3; Le Courrier des
LXXXIII départemens, t. XXVII, n° 8, p. 127; Le Lendemain, n° 130;
La Chronique de Paris, t. V, n° 220, p. 889.]
331. — SEANCE DU 8 AOUT 1791
Sur le mode de discussion du projet de Constitution
Thouret, au nom des comités de ■constitution et de révision, pré-
sente à l'Assemblée un rapport sur la révision de l'acte constitu-
tionnel. Le Chapelier précise que l'Assemblée n'a jamais entendu par
<<; révision », le « changement » de la Constitution : il ,ne s'agit que de
rassembler l'ensemble des décrets constitutionnels et de les classer
« dans l'ordre le plus méthodique », Il demande à l'Assemblée de
voter sur cette proposition et d'interdire toute critique générale.
Un vif débat s'engage sur cette motion, les députés de la partie
droite protestant contre ce mode de discussion. Finalement, l'As-
semblée décide d'adopter le mode de classification proposé par les
comités. Aussitôt ia discussion s'établit sur la disposition des articles
qui composent la Déclaration des droits de l'homme.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXXI, p. 259
« M. Robespierre. L'objet de la délibération n'étant point de
changer ni d'altérer la constitution d'aucune manière; mais au contraire
de la déclarer et de la déterminer d'une manière nette... (1).
« M. Lavie. La question est connue, je demande que l'on passe
à la délibération.
« M. Robespierre. Pour accélérer la délibération, il faut, ce me
semble, qu'il soit bien établi que la délibération a pour objet non seule-
ment d'examiner si tel ou tel article est ou non constitutionnel, mais
encore de regarder comme constitutionnel tout article qui est relatif à la
distribution des pouvoirs et qui fixe la forme du gouvernement. (Plusieurs
membres : l'ordre du jour).
« M. Lavie. Ce sont des phrases que cela.
« M. Treilhard. La motion est faite de passer à l'ordre du jour.
Monsieur le Président, mettez-la aux voix; tout le monde le demande.
« M. Robespierre.. Je demande que l'on discute le projet sous ce
point de vue » (2).
Gazette nationale ou Extrait..., t. XVIII, p. 412.
« M. Robespierre a dit qu'il ne s'agissoit pas de discuter dans ce
11) D'après Barère, Robespierre se serait levé pour combattre
la motion soutenue par. Malouet et Durai d'Esprémenil qui^ tondait
a remettre en question -la forme du gouvernement. Il s'agissait
donc, pour Robespierre, de déjouer cette manœuvre en déclarant
qu'à cet égard le texte de la Constitution était intangible.
(2) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIX, 2Q6.
610 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
moment la constitution décrétée, mais oie proposer les articles et le»
changemens qu'on croira nécessaires. Il n'y a d'articles vraiment cons-
titutionnels que ceux qui dérivent de la souveraineté du peuple et de la
déclaration des droits de l'homme. On a demandé de passer à l'ordre
du jour, et de décréter que l'on s'occuperoit d'abord de la méthode pro-
posée par les comités. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Point du Jour,
t. XXV, n° 761, p. 179.]
322. — SEANCE DU 10 AOUT 1791
Discussion du projet de Constitution
1 re intervention : Sur le rôle des officiers municipaux
La discussion sur la révision de l'acte constitutionnel reprend
à propos du titre II relatif à la division du royaume et à l'état des
citoyens. Un certain nombre d'articles sont votés, après un débat
rapide. Hobespierre intervient à propos de l'art. 8 qui, malgré ses
observations, est aaopté sous la rédaction proposée par le rappor-
teur : « Les citoyens qui composent chaque commune ont le droit
d'élire à temps, suivant les formes déterminées par la loi, ceux
d'entre eux qui, sous le titre d'officiers municipaux, sont chargés de
gérer les affaires particulières de la commune.
(( Il pourra être délégué aux officiers municipaux quelques fonc-
tions relatives à l'intérêt général de l'Etat ».
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXXI, p. 315
« M. Robespierre. Messieurs, les officiers municipaux n'avoient
point été institués dans le principe de cette manière : ils tenoient un
rang dans l'ordre politique; ils étoient le premier degré de ce qu'on
appelloit le pouvoir administratif, et par là, ils étoient incontestablement
chargés des fonctions publiques, et ressortissoient sous ce rapport aux
districts et aux départemens. Ils exercent encore actuellement ces fonc-
tions. Cependant, cet article, en disant qu'il pourra être délégué aux
officiers municipaux quelques fonctions relatives à l'intérêt général de
l'état, détruit évidemment cette constitution des municipalités : l'assem-
blée ne peut donc pas adopter un amendement aussi important sans
avoir examiné la question qu'on préjuge ici, c'est-à-dire si on changera
ou si on détruira la constitution primitive des municipalités. Je conclus
qu'on ne peut pas adopter le dernier paragraphe » (1).
Journal des Débats, n° 811, p. 8.
Gazette nationale ou Extrait..., t. XIX, p. 8.
« M- Robespierre s'est élevé contre une disposition de l'article
VIII, qui porte: Il pourra être délégué aux Officiers municipaux quel-
ques fonctions relatives à l'intérêt général de l'Etat. Les Officiers mu-
(1) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIX, 322.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 61 I
nicipaux, a dit M. Robespierre, n'ont pas été institués de cette ma-
nière : ils tiennent le premier degré dans le système administratif.
Cette disposition préjuge donc une question que nous n'avons pas à
examiner ici, celle de savoir si on ehangera le régime municipal adopté
par l'Assemblée Nationale; cet article est donc contraire aux principes
de la liberté, et à ceux de la Constitution même. L'observation de
M. Robespierre n'a pas été appuyée. »
2° intervention : Sur les principes de la souveraineté
Thouret donne lecture à l'Assemblée du titre III de l'acte
•constitutionnel, relatif aux pouvoirs publics :
« Art. 1. La souveraineté est une, indivisible et appartient à la
nation; aucune section' du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice.
<( 2. La nation, de qui seule émanent tous les pouvoirs, ne peut
les exercer que par délégation. La Constitution française est repré-
sentative; les représentants sont le corps législatif et le roi.
« 3. Le pouvoir législatif est délégué à une assemblée nationale,
composée de représentants temporaires, librement élus par le peu-
pie, pour être exercé par elle, avec la sanction du roi...
« 4. Le gouvernement est monarchique; le pouvoir exécutif est
délégué au roi, pour être exercé sous son autorité, par des ministres
et autres agents responsables.
« 5. Le pouvoir judiciaire est délégué à des juges élus à temps
par le peuple. »
Boederer intervient le premier dans le débat. Il propose une
rédaction nouvelle des articles 2, 3 et 4 :
« 2. La nation ne peut exercer elle-même sa souveraineté ; elle
institue, pour cet effet, un pourvoir représentatif et un pouvoir
commis...
« 8. Le pouvoir législatif est essentiellement représentatif; il
est délégué à des représentants temporaires librement élus par le
peuple.
ici 4. Le pouvoir exécutif est essentiellement commis. La partie
éminente et suprême du pouvoir exécutif sera exercée par le roi. Les
fonctions administratives supérieures sont déléguées à des représen-
tants élus par le peuple. »
Robespierre prend la parole après Hœderer. Thouret, pour met-
tre de la clarté dans la discussion, demande à l'Assemblée de déli-
bérer d'abord sur l'art. 1. Pétion propose qu'après les mots « la
souveraineté est une et indivisible », il soit ajouté « et inaliénable ».
Thouret estime qu'il vaudrait mieux « imprescriptible »> qu' « alié-
nable ». Buzot demande que les deux mots « imprescriptible » et
« inaliénable » soient insérés dans l'article.
Finalement, les deux premiers articles du projet furent fondus
en un seul, que l'Assemblée adopta sous cette rédaction : « La souve-
raineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible ; elle appar-
tient à la nation ; aucune section du peuple, ni aucun individix ne
peut s'en attribuer l'exercice; mais la nation, de qui émanent tous
les pouvoirs, ne peut l«s ex-ercur que par d#é,gatio» ».
Journal des Etats Généraux ou Journal Logo graphique, t. XXXI, p. 321
« M. le Prés'dent M. Robespierre a la parole (ah ! ah !).
« M. Robespierre. 11 y a dans l'opinion de M. Rœderer beaucoup
612 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
de principes vrais et auxquels il seroit difficile de répliquer d'après vos
principes. Cependant, ce n'est pas sur cet objet principalement que je
me propose d'insister, je crois qu'il y a dans le titre soumis à votre
délibération beaucoup d'expressions équivoques et de mots qui altèrent
le véritable sens et l'esprit .de votre constitution. C'est pour rectifier
ces mots et pour rendre d'une manière claire les principes de votre
constitution que je vous supplie d'écouter avec patience quelques prin-
cipes dont le développement ne sera pas long. Je commence par le pre-
mier article. (Il le lit). J'ajoute que la souveraineté est inaliénable. Le
pouvoir ne peut être ni aliéné ni délégué. Si l'on pouvoit déléguer les
pouvoirs en détail, il s'ensuivrait que la souveraineté ne pourrait être
déléguée, puisque ses pouvoirs ne sont autre chose que les diverses
parfies essentielles et constitutives de la souveraineté : et alors remar-
quez que contre vos propres intentions, vous décréteriez que la nation
a aliéné sa souveraineté (2). Car remarquez bien que la délégation pro-
posée par le comité est une délégation perpétuelle, et que le comité ne
laisse à la nation aucun moyen constitutionnel d'exprimer une seule fois
sa volonté sur ce que ses mandataires et ses délégués auront fait en
son nom. Il n'est pas même question de Convention dans tout le projet,
de manière que la délégation des trois pouvoirs consfitutifs seroit,
d'après le projet du comité, l'aliénation de la souveraineté elle-même.
J'observe en particulier que rien n'est plus contraire aux droits de la
nation que l'article 3 qui concerne le pouvoir législatif.
« Permettez-moi de vous citer ici l'autorité d'un homme dont
vous adoptez les principes, puisque vous lui avez décerné une statue,
à cause de ces principes-là et à cause du livre que je vais citer. Jean-
Jacques Rousseau a dit que le pouvoir législatif constituoit l'essence
de la souveraineté, parce qu'il étoit la volonté générale, qui est la
source de tous les pouvoirs délégués : et c'est dans ce sens que Rousseau
a dit que lorsqu'une nation déléguoit ses pouvoirs à ses représentans,
la nation n'étoit plus libre et qu'elle n'existoit plus. Et remarquez
comme on vous fait déléguer le pouvoir législatif, à qui ? non pas à des
représentans élus périodiquement et à de courts intervalles, mais à un
fonctionnaire public héréditaire, au roi. Car d'après l'article du comité,
le roi partage véritablement le pouvoir législatif; et j'observe qu'il a,
dans le pouvoir législatif, une portion plus grande que celle des repré-
sentans de la nation, puisque sa volonté seule peut paralyser seule pen-
dant quatre ans la volonté de deux législatures. Votre constitution, vos
premiers décrets ne portoient pas et vous n'avez pas entendu que le roi
i(2) 'Cf. Projet de la constitution française de 1791, notes manus-
crites .et médites de Robespierre, publiées par les soins du docteur
E Tardif, Aix, 1894 (B.N. Le3 324); Note sur l'art. 2: « On fait
plus, on anéantit la souveraineté même; aucune section du peuple;
le peuple s'en attribue l'exercice quand il dit: la nation ne peut les
exercer que par délégation. Remarquez bien que ce sont vos comi-
tés qui ont violé la constitution et moi qui la défends ».
LES DISCOURS PB ROBESPIERRE 613
faisoit partie du pouvoir législatif. Le veto suspensif accordé au roi ne
fut jamais regardé que comme un moyen de prévenir les funestes effets
des délibérations précipitées du corps législatif, et ne fut considéré que
comme un appel au peuple. Mais il a toujours été reconnu que l'exer-
cice du pouvoir législatif résidoit essentiellement et uniquement dans
l'assemblée nationale. Le roi ne fut jamais regardé comme partie inté-
grante du pouvoir législatif, et on ne peut supposer ceci dans la rédac-
tion du comité sans anéantir les premiers principes de la constitution (3).
« Qu'il me soit permis de lier cette idée aux principes développés
par M. Roederer; M. Roederer vous a dit une vérité qui n'a pas même*
besoin de preuves. C'est que le roi n'étoit pas le représentant de la
nation, et que l'idée de représentant supposoit nécessairement un choix
par le peuple, et vous avez déclaré la couronne héréditaire. Le roi n'est
donc pas représentant du peuple. Le hasard seul vous le donne et non
votre choix. M. Roederer vous a dit, avec raison, qu'il ne falloit pas
donner au roi seul cette prérogative, ou qu'il falloit la donner à tous
les fonctionnaires publics. Si l'on entend par représentant, celui qui
exerce une fonction publique au nom de la nation, si le titre de repré-
sentant a quelque chose de relatif à la nomination du peuple, certes, le
roi n'a pas ce caractère, ou les autres ne l'ont pas. Il est évident qu'on
ne peut lui appliquer la qualité de représentant : mais ce qu'il est impor-
tant de remarquer, c'est la conséquence immédiate de cette idée de
représentant. Pourquoi veut-on investir le roi du titre de représentant
héréditaire de la nation ? Voilà, messieurs, une partie des atteintes que
l'on porte à la constitution par la rédaction du comité.
« Il est dit dans deux articles de la constitution : aucune section
du peuple, etc.. J'adopte bien le véritable sens que l'on doit exprimer
par ces mots : mais je dis qu'il faut éclaircir les mots équivoques : on
ne peut pas dire d'une manière absolue et illimitée qu'aucune section
du peuple ne peut s'attribuer l'exercice de la souveraineté; il est bien
vrai encore qu'aucune section du peuple en aucun tems ne pourra pré-
tendre qu'elle exerce les droits du peuple tout entier; mais il n'est pas
vrai que dans aucun cas et pour toujours aucune section du peuple ne
pourra exercer, pour ce qui la concerne, un acte de la souveraineté.
(Ah! ah! ah!). Je m'explique, c'est d'après vos décrets que je parle.
N'est-il pas vrai que le choix des représentans du peuple est un acte de
la souveraineté ? N'est-il pas vrai même que les députés élus pour une
contrée sont les députés de la nation entière. Ne résulte-t-il pas de ces
deux faits incontestables que des sections exercent pour ce qui les con-
cerne partiellement un acte de la souveraineté? (Ah! ah!). Il est irnpos-
<3) Cf. Projet... op. cit. Note sur .l'art. 3: « Remarquez, je vous
»rie, que le pouvoir législatif ne peut être délégué de cette manière,
ar il est l'essence même de la souveraineté (Rousseau). Il n v
uirait plus même l'ombre de volonté générale, puisque l'on suppose
ci que le Roi partage cette délégation du pouvoir législatif ».
614 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
sible de prétendre, comme on l'a fait, que la nation étoit obligée de
déléguer toutes les autorités, toutes les fonctions publiques; qu'il n'y
avoit aucune manière d'en retenir aucune partie sans aucune modifica-
tion que ce soit.
« Je n'examine pas un système que l'assemblée a décrété, mais
je dis que dans le système de la constitution, on ne peut point rédiger
l'article de cette manière; on ne peut dire que la nation ne peut exercer
ses pouvoirs que par délégation; on ne peut pas dire qu'il y ait «h droit
que la nation n'ait point. On peut bien régler qu'elle n'en usera pas,
mais on ne peut pas dire qu'il existe un droit dont la nation ne peut pas
user si elle le veut.
« Je reviens aux principes de toutes les observations que je viens de
vous faire; je dis qu'il résulte de l'article du comité, que la nation
déléguerait ses pouvoirs, le pouvoir souverain qui est unique et indivi-
sible, en déléguant à perpétuité chaque partie du pouvoir. Je dis que ce
titre blesse encore les premiers principes de la constitution en présentant
le roi comme un représentant héréditaire qui exerce le pouvoir législatif
conjointement avec les véritables représentans du peuple. Je demande
en conséquence qu'au mot pouvoir soit substitué celui fonction. Je de-
mande que le roi soit appelle le premier fonctionnaire public, le chef
du pouvoir exécutif, mais point du tout le représentant de la nation:
je demande qu'il soit exDrimé d'une manière bien claire que le droit de
faire les actes de la législation appartient uniquement aux représentans
élus par le peuple.
« M. Thouret. L'assemblée vient d'entendre que par l'idée de
l'inaliénabilité de la souveraineté, le préopinant entendoi^ que la nation
ne pouvoit pas déléguer ses pouvoirs.
« M. Péthîon. Ce n'est pas cela.
« Plusieurs voix. Il n'a pas dit cela (bruit).
« M. Thouret. Cela a été dit par un des préopinans. Je dis que
M. Robespierre l'a soutenu.
« M. Robespierre. Je n'ai point dit cela (murmures). J'ai dit sim-
plement que la nation ne pouvoit pas déléguer ses pouvoirs à perpétuité
dans le sens du comité, ce qui est une aliénation » (4).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 223, p. 923.
« M. Roberspierre. 11 me semble qu'il y a dans l'ooinion de
M. Rcederer beaucoup de principes vrais et auxquels il est difficile de
répliauer. Cependant, ce n'est pas sur cet objet que je me propose
d'insister. Il y a dans le titre qui est soumis à votre délibération, beau-
coup de mots et d'expressions équivoques, qui me paraissent altérer
d'une manière dangereuse votre constitution. Il y est dit que la nation
ne peut exercer ses Douvoirs que par délégation. Or, je soutiens que les
dirTérens pouvoirs de la nation ne sont autre chose que les partie? consti-
(4) Texte reproduit dans les Aroh. pari., XXIX, 326.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 615
tutives de la souveraineté; et comme la souveraineté est inaltérable,
ces pouvoirs sont aussi indélégables.
« Les pouvoirs doivent être bien distingués des fondions ; les pre-
miers ne peuvent ni être aliénés ni délégués, puisqu'ils constituent la
souveraineté; et si vous déclarez qu'ils sont délégables, il vaudrait
autant, comme l'a proposé M. Malouet, que la nation déléguât en masse
la souveraineté: c'est pour réaliser ce système, sans doute, qu'il n'est
nullement question dans ce projet de constitution des conventions natio-
nales; permettez-moi de vous citer un homme, dont le témoignage ne
sera pas suspect, puisque vous lui avez décerné une statue précisément
pour l'ouvrage dont je parle. J.-J. Rousseau a dit que le pouvoir légis-
latif constituait l'essence de la souveraineté, puisqu'il était la volonté
générale, et que la souveraineté est la source de tous les pouvoirs délé-
gués, et en parlant du gouvernement représentatif, absolu; gouverne-
ment tel que les Comités paroissent vouloir l'introduire, et auquel je
préférerais le despotisme, il le dépeint sous les couleurs odieuses qu'il
mérite, en disant que, sous un pareil gouvernement, la nation n'est
plus libre, et n'existe plus.
« Le préopinant vous a dit avec raison que le roi ne devait point
avoir le titre de représentant de la nation. En effet, le pouvoir légis-
latif seul a la proposition et la confection de la loi, sauf une espèce de
remède ou une ressource que l'on a cru devoir donner au peuple en
conférant au roi le pouvoir de la sanction » (5).
Journal des Débats, n° 811, p. 10-12.
Gazette nationale ou Extrait..., t. XIX, p. 10.
« M. Robespierre a demandé la parole : Il me semble, a-t-il dit,
qu'il y a, dans l'opinion de M. Rcederer, beaucoup d'observations
justes; je crois devoir y en ajouter quelques autres, et je supplie l'As-
semblée d'écouter avec patience la déduction des pyncipes que je vais
lui soumettre.
« Le premier article commence par ces mots : la souveraineté est
une, indivisible : je demande que l'on ajoute inaliénable. Ce qu'on
appelle ici les différens pouvoirs, ne sont autre chose que des fonctions
déléguées. Le pouvoir doit être distingué des fonctions publiques; il
réside essentiellement dans la Nation: il ne peut être délégué; il est
inaliénable : les Comités ne laissent à la Nation aucun moyen d'exercer
la souveraineté; il n'est pas même question de Conventions nationales
dans tout l'acte constitutionnel.
(( Permettez-moi de vous citer l'autorité d'un homme dont vous
avez honoré la mémoire, et dont vous avouerez les principes.
« J.-J. Rousseau a dit que le Pouvoir législatif constitue la souve- .
raineté; et en s'expliquant sur la nature des Gouvernemens représenta-
(5) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 362; et Bûcher et
Roux, XI, 265.
616 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
tifs, il dit que lorsque la Nation délègue ce pouvoir tout entier à des
Représentans, elle n'est plus libre.
« Enfin, quelle trace de souveraineté reste-t-il à la Nation lors-
qu'elle délègue son pouvoir à un représentant héréditaire, lorsqu'elle
lui donne la plus grande portion dans le pouvoir législatif, puisque seul,
par sa volonté, il peut, pendant quatre ans, paralyser la volonté du
Corps législatif? (Il s'est élevé des murmures). C'est moi, a repris
M. Robespierre, qui défends la Constitution.
« Ma dernière observation porte sur ces mots : aucune section du
Peuple ne peut s'en attribuer l'exercice. J'avoue le principe en ce sens,
qu'une section ne peut pas s'attribuer l'autorité au nom de tous; mais
elle peut exercer particulièrement, pour ce qui la concerne, un acte
de souveraineté. (Quelqu'un a dit : vous perdez la tête). Une section,
a repris M. Robespierre, n'exerce-t-elle pas, dans les principes d?. la
Constitution, un acte de souveraineté quand elle élit ?
ï •■••!
« M. Thourel a représenté que dans une matière aussi grave, il
falloit peser avec soin toutes les expressions, et n'en employer aucune
qui pût prêter à l'arbitraire. Il paroît que M. Robespierre attache au
mot d'inaliénable cette idée, que la Nation ne peut pas déléguer les
pouvoirs.
« J'ai dit, a répondu M. Robespierre, que la Nation ne pou voit
pas déléguer les pouvoirs à perpétuité. »
Mercure de France, 20 août 1791, p. 226.
« En louant la justesse des idées de M. Rœderer, M. Roberspierre
s'est offert à y en joindre d'autres aussi justes, pour la déduction des-
quelles il n'a réclamé que la patience de l'Assemblée. Un article por-
toit : « La souveraineté est une et indivisible ». Il a voulu qu'on y
ajoutât : et inaliénable. Nous ne le suivrons pas dans sa théorie. Le
pouvoir ne peut être aliéné ; la délégation qu'on propose est perpétuelle ;
il n'est pas même parlé de convention dans tout le projet d'acte; c'est
une véritable aliénation de la souveraineté; rien de plus contraire aux
droits de la nation que l'article même qui concerne le pouvoir législatif ; *
ainsi rien de plus funeste à la nation que la constitution. Regarder le
Roi comme représentant, comme partie du pouvoir législatif, c'étoit
anéantir la constitution, en faire une autre, se parjurer, sacrifier la
liberté du peuple...
« Aucune section du peuple, disoit l'article, ne peut s'attribuer
l'exercice de la souveraineté ». M. Roberspierre s'est efforcé de prou-
ver le contraire; et l'on est réduit à l'avouer, quelques paradoxes érigés
en principes depuis deux ans, lui donnoient assez beau jeu pour qu'on
ne pût lui disputer la rigueur des conséquences. Le choix des repré-
sentans du peuple est un acte de la souveraineté, disoit-il. N'est-il pas
vrai même que les députés élus pour une contrée sont les députés de
LES DISCOURS DE~ ROBESPIERRE 617
la nation entière ? Ne résulte-t-il pas de ces faits incontestables que des
'sections exercent pour ce qui les concerne partiellement, un acte de la
souveraineté ? On ne lui a répondu que par des ah ! ah ! ; au mot faits
qu'on substitue le mot décrets, ils seront réellement incontestables, et
les auteurs de ceux-ci n'auront rien de meilleur à lui répondre que des
ah! ah! »
L'Ami du Roi (Mont joie), 1 1 août 1791, p. 892.
« M. Robespierre, après avoir vivement appuyé cette folie, s'est
attaché aux mots, la souveraineté est une et indivisible. Ils lui ont paru
insuffisans; il a craint qu'un jour le peuple n'augmentât le pouvoir du
roi, et ne se démît, en sa faveur, de sa souveraineté; il a conclu à ce
qu'on changeât ainsi l'article : La souveraineté est une, indivisible et
inaliénable. M. Robespierre a demandé également que l'on retranchât
la seconde partie de l'article, prétendant qu'une seule section du peuple
pouvoit s'attribuer l'exercice de la souveraineté.
« Cette seconde observation n'a pas fait fortune; quant à la pre-
mière, M. Thouret lui a objecté que l'addition étoit inutile, en ce que,
a-t-il dit, toute souveraineté est par sa nature même inaliénable : mais
M. Robespierre ayant insisté, et l'assemblée paraissant être de son avis,
M. Thouret a proposé de substituer au mot inaliénable le mot impres-
criptible. »
[Brève mention de cette intervention dans Les Annales patriotiques
et littéraires, n° 678, p. 1802; Le Babillard, n° 59, p.J26; La Feuille
du Jour, t. V, n° 224, p. 338; Le Journal général de l'Europe, p. 161 ;
Le Courrier des LXXXIII départemens, t. XXVII, n° 12, p. 188; Le
Patriote françois, n° 732, p. 171; Le Législateur français, t. III, 11
août 1791, p. 5; La Gazette universelle, n° 223, p. 892; Le Courier
de Provence, t. XVI, n° 328, p. 243; Le Point du Jour, t. XXV,
n° 762, p. 205; Le Mercure universel, t. VI, p. 172; Le Pacquebot,
n° 191, H août 1791.1
333. — SEANCE DU 11 AOUT 1791
Discussion du projet de Constitution (su/te)
Sur le marc d'argent et sur le cens électoral (1)
L'Assemblée poursuit la discussion du titre III de l'acte consti-
tutionnel, relatif à l'organisation des pouvoirs publics, A la fin de
(1) Cf. ci-dessus discours imprimé: « Sur la nécessité de révo-
quer les décrets qui attachent l'exercice de» droits du citoyen et la
contribution du marc d'argent... » <n° 249). On a ou que ce dernier
discours avait été prononcé le 11 août 1791, mais on remarque en le
comparant aux extraits de presse qu'il n'en fut rien. Ainsi que lf1
souligne déjà G. Walter (p. 666 ,note 59), il ne fit qu'en résumer les
principaux arguments.
618 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
la séance du 10 août, elle a, voté divers articles du chapitre premier,
concernant les assemblées primaires et les citoyens actifs. Le 11 ,
août, on en arrive aux conditions nécessaires pour être nommé élec-
teur (art. 7 du projet). Thouret, au nom des comités, propose qu'à
l'obligation de payer une contribution directe de dix journées de
travail, soit substituée celle d'en payer une de 40 journées: le prix
de la journée de travail variant de 10 à 20 sous suivant les régions,
il faudrait donc payer une contribution de 20 à 40 livres, ce qui
suppose un revenu foncier' de 120 à 240 livres. Les conditions pour
être électeur ayant été ainsi rendues plus difficiles, Thouret demande
que soit supprimée l'obligation de la contribution du marc d'argent
pour les représentants de la nation : « Le meilleur moven [pour avoir
une bonne législature] est de reporter la garantie sur les élec-
teurs ». Pétion intervient le premier: il s'oppose à la proposition
des comités. Malgré les protestations qui se sent élevées contre le
marc d'argent, il préfère Je maintenir, plutôt que de le rapporter sur
les assemblées électorales. Après lui, Proignon demande que l'on ne
puisse être électeur qu'autant que l'on paiera une contribution du
marc d'argent. Robespierre intervient alors. Beaumez le suit à la
tribune, puis Buzot, Rœderer, Barnave...
Au terme d'un long débat, l'Assemblée finit par décréter l'ajour-
nement. Le lendemain, le débat reprit. Devant l'opposition toujours
aussi vive rencontrée par le projet des comités, le rapporteur,
Thouret, consentit, en leur nom, à l'ajournement jusqu'à la fin du
travail de revision. Le débat sur le marc d'argent devait revenir
le 27 août, devant l'Assemblée qui adopta le décret suivant: « La
condition du marc d'argent, qui avait été exigée pour être député
aux assemblées nationales est supprimée, sans que néanmoins cette
suppression puisse s'appliquer aux élections qui vont être faites.
Tous les citoyens actifs, quel que soit leur état, profession ou contri-
bution, pourront être choisis pour représentants de la nation » (2).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXXI, o. 361
Journal des Amis de la Constitution, t. tlï, n° 36, pp. 451, 458 (3)
« M. Robespierre. Le projet de vos comités tend à changer l'esprit
de votre institution; jamais question du moins ne mérita, de la part
de l'assemblée nationale, une attention plus sérieuse. Le comité de
constitution vous propose de supprimer le marc d'argent à une condition
qui me paroît infiniment plus injuste et plus onéreuse à la nation. Les
motifs qui déterminent le comité à proposer de supprimer le décret du
marc d'argent, relativement aux députés du corps législatif, s'appliquent
encore d'une manière bien plus forte aux électeurs. Tel est l'un des
principaux motifs qui déterminent le comité à penser que le décret du
marc d'argent doit être supprimé, qu'il ne faut point gêner la confiance
(2) La distinction entre citoyens actifs et passifs ne cessera
qu'après le 10 août 1792.
(3) Ce journal 'reproduit le texte de Le Hodey, depuis : « Les
Comités. Messieurs... » jusqu'à... « sur la fortune ». Il reprend à:
« On nous parle de garantie... » jusqu'à « plus sacrées aux yeux de
la loi ». Il transcrit toute la fin depuis: « Ces idées me paroissent
établir... ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 619
du peuple dans le choix de ses représentans. Or, le peuple est-iî libre
de choisir ses représentans, lorsqu'il n'est pas même libre dans le choix
des intermédiaires qu'il est obligé de commettre pour choisir ces mêmes
représentans ? ou plutôt n'est-il pas évident que la liberté est gênée
d'une manière encore plus dangereuse, puisque non seulement il ne peut
pas atteindre tout de suite le but, mais qu'il ne peut pas même arriver
à l'intermédiaire auquel il doit arriver pour se porter ensuite vers le
but?
« Un autre motif qui a déterminé les réclamations élevées de toutes
parts contre le décret du marc d'argent, c'est qu'il ne faut point violer
l'égalité, ni concentrer les dignités dans la classe la plus riche de la
nation: et il est évident que ce motif s'applique aux corps électoraux,
et qu'il n'est pas moins important pour la nation que toutes les assem-
blées électorales soient ouvertes à tous les citoyens, sans distinction de
fortune, que le corps législatif lui-même, puisqu'encore un coup ils ne
peuvent envoyer leurs députés à la législature qu'en passant par l'inter-
médiaire des corps électoraux. Les comités, Messieurs, me paroisseit
être continuellement en contradiction avec eux-mêmes dans ce système.
Vous avez, sur leur proposition, reconnu que la Constitution aevoit
garantir, et vous avez dit en effet qu'elle garantissoit que tout citoyen
franc.ois étoit admissible à tous les emplois, sans autre distinction que
celle des vertus et des talens : or, je prie les auteurs du système que je
combats, de dire si la commission donnée à des citoyens de choisir
pour eux des représentans au corps législatif, n'est pas aussi un emploi.
Il en résulte donc que la garantie promise au nom de la constitution est
violée par le système du comité (applaudi). Messieurs, on conçoit les
plus heureuses espérances lorsqu'on ht le début de votre constitution et
qu'on voit le scrupule avec lequel vous vous êtes appliqués à arracher
les racines même de toutes les distinctions, de la noblesse et de tous
les autres préjugés qui mettoient une classe de citoyens au-dessus de tous
les autres; mais, que nous importe, messieurs, qu'il ne reste plus de
noblesse féodale, si à ces préjugés absurdes, si à ces distinctions humi-
liantes pour les autres citoyens, vous substituez une nouvelle distinction
plus réelle, qui a beaucoup plus d'influence sur le sort et sur les droits
des citoyens, puisau'on y attache un droit politique, celui de décider
du mérite des membres qui doivent représenter la nation, et par consé-
quent du bonheur de la nation et du peuple (4).
(4) Cf. Projet..., op. oit. Noies marginales: « ...A cet article,
Robespierre a accolé une longue note, il commence par dire: « limi-
ter les... » Mais mécontent de cette première tournure, il reprend sa
phrase ainsi qu'il suif: « Le motif rie supprimer le marc d'argent
s'armliqu" avec ni us do force encore à ce qui concerne les électeurs
Quel peut être le motif? De laisser la conscience A-onsiance) libre:
mais le choix des électeurs est aussi l'ouvrage de la conscience
(constance) De prévenir l'aristocratie des richesse: mais vous Tin-
620 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Que m'importe, à moi, citoyen, qu'il n'y ait plus de nobles, qu'il
n'y ait plus d'armoiries, qu'il n'y ait plus de tous ces titres ridicules
sur lesquels l'orgueil de quelques citoyens s'appuioit, s'il faut que je
voye succéder à ces privilégiés une autre classe à laquelle je sèrois
obligé de donner exclusivement mon suffrage, afin qu'ils puissent discu-
ter mes plus chers intérêts ? Il est évident qu'il est impossible d'imaginer
une contradiction plus formelle et plus injuste que celle-là; il est évident
que si vous adoptiez le système des comités, cette garantie, tant vantée
ne seroit qu'un vain appas présenté à la nation, et que vous tomberiez
en contradiction avec vous-mêmes, contradiction qui lui permettroit de
douter de votre bonne foi et de votre loyauté dans la défense de ses
droits. (Applaudi au fond de la gauche). N'est-il pas évident encore
que ce prétendu bienfait de la suppression du marc d'argent est illu-
soire, puisque l'usage sera établi" et durera toujours de choisir tous les
députés dans les corps électoraux, dès qu'une fois vous aurez reporté
sur les électeurs la charge du décret du marc d'argent. (Murmures).
« Quels sont les motifs que le comité oppose à ces principes et à
ces contradictions ? Le comité dit : il faut une garantie de l'indépendance
et de la pureté des intentions de ceux qui devront choisir les représen-
tai de la nation- D'abord, messieurs, je conviens qu'il faut une garan-
tie; mais cette garantie est-ce la contribution, est-ce la fortune oui la
donnent? Est-il vrai que la probité, que les talens se mesurent réelle-
ment sur la fortune ? Je dis que l'indépendance, la véritable indépen-
dance, es*: relative, non pas à la fortune, mais aux besoins, mais aux
passions des hommes; et je dis qu'un artisan, qu'un laboureur qui paie les
dix journées de travail exigées par vos précédens décrets, est plus
indépendant au'un homme riche, parce que ses désirs et ses besoins sont
encore plus bornés que sa fortune, parce qu'il n'est point accablé de
toutes ces passions ruineuses, enfans de l'opulence. Ces idées sont mora-
troduisez encore plus sûrement, des électeurs choisissent ordinaire-
ment dans leur sein ; et pr..r le fait il n'y aura que les gens au marc
d'argent oui soient élus. Les citoyens actifs n'iront -pas. Réfutation
du motif. Ce serait r>lutôt les millionnaires qu'il faudrait exclure que
les gens à dix journées d'ouvriers.
« (Le décret est votre propre satire. Ceux qui vous ont élus peu-
vent-ils être dépouillés par vous?
« La prochaine législature ne vaudra donc rien.
« Que signifie votre garantie de l'égalité des droits? L'admHsi-
bi'lité à tous les emr/lois. Qu'importe que vous avez supprimé la
Noblesse. Quelle é*awt la garantie d'Aristide; quelle était la garantie
de Rousseau Un d&rmté 'riche veut augmenter sa fortune; un député
pauvre vent être libre. »
Robesoierre termine enfin sa réfutation :
« Contradiction de^ comité». Le ministère: la législature ■: ils
croient ou'il n'est -permis de... ils croient qu'une incompatibilité qui
résulte d° la nature même de la chose, peut emoêch^r la perpétuité
de la coalition du corps législatif avee le roi contre la nation, et ils
ne trouvent aucun inconvénient à exclure les représentants de... »>
LÉS DISCOURS DE ROBESPIERRE 621
les sans cloute; mais elles n'en sont pas moins clignes d'être présentées
à l'assemblée nationale, qui ne les prendra pas pour des surlaces sans
profondeur, et des lignes sans étendue (on rit). J'examine donc avant
tout si vous avez le droit d'exiger que les électeurs paient une contri-
bution plus forte que celle que vous avez décrétée; et je dis que non.
Pourquoi ? parce que vous ne pouvez pas porter atteinte vous-même à la
garantie de la liberté, de la justice, de l'égalité exacte que vous avez
promise par la constitution ; parce que vous ne pouvez pas, de la manière
la plus formelle et la plus évidente, effacer ces principes fondamentaux
de la déclaration des droits des hommes et des citoyens, que vous avez
reconnus comme la base de votre constitution.
(( On nous parle de garantie; mais chez quel peuple libre a-t-on
exigé cette garantie ? Je ne parle point de l'Angleterre ni même de
l'Amérique. (On rit). Avant de censurer cette idée et de l' improuver,
il auroit fallu la prévoir et donner le tems d'en faire le développement.
Il seroit trop facile de prouver que l'Amérique se trouve dans des cir-
constances infiniment différentes, et que ce que je regarde comme un
vice est compensé par d'autres loix que nous n'avons pas chez nous.
Je reviens a ce que je disois : je dis que les peuples libres ont dédaigné,
ont méprisé cette garantie, que les plus grands législateurs de l'humanité
l'ont regardé comme une injuste absurdité; car les plus grands législa-
teurs sont ceux qui ont fondé la législation sur la morale. Aristide
subjugua seul par sa vertu les suffrages, non seulement de sa patiie,
mais de la Grèce entière. (Murmures). Quel eût été le résultat du
système du comité ? C'est que le fils du grand homme que je viens de
nommer, précisément parce que son père, après avoir administré les
deniers publics, seroit mort sans avoir laissé de quoi se faire enterrer,
n'auroit seulement pas pu être électeur (i7 auroit été élu). Quelle seroit
la garantie de Rousseau ? Il ne lui eût pas été possible de trouver accès
dans une assemblée électorale. Cependant, il a éclairé l'humanité, et
son génie puissant et vertueux a préparé vos travaux. D'après les prin-
cipes du Comité, nous devrions rougir d'avoir élevé des statues à un
homme qui ne payoit pas un marc d'argent.
« Je dis que tout homme, que tout citoyen françois a une garantie
suffisante de son aptitude à recevoir toutes les marques possibles de la
confiance de ses concitoyens dans sa qualité d'homme et de citoyen :
je dis que tout homme qui n'a point commis un crime, qui n'est point
infâme, est non-seulement présumé, par le choix de ses concitoyens,
mais par sa simple qualité d'homme et de citoyen, être digne de la
confiance de ses concitoyens: je dis qu'il n'est pas vrai qu'il faille être
riche pour tenir à sa patrie; je dis qu'il est, pour les hommes, des inté-
rêts sacrés et touchans qui attachent, à ses semblables et à la société,
des intérêts absolument indépendans de la fortune, et de te! ou tel degré
de fortune ou de contribution. Ces intérêts sont les intérêts primitifs de
l'homme; c'est la liberté individuelle, ce sont les jouissances de l'âme,
622 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
c'est l'intérêt qu'on attache à la propriété la plus petite, car l'intérêt
à la conservation de sa chose est proportionné à la modicité de sa for-
tune; et l'artisan, qui ne paie que dix journées de travail, tient à son
salaire, tient à ses petites épargnes, tient aux moyens qui le mettent en
état de vivre avec sa famille, autant que le riche tient à d'immenses
domaines; et ces propriétés sont d'autant plus sacrées, qu'elles touchent
de plus près aux besoins et à la subsistance nécessaire de l'homme : elles
n'en sont que plus sacrées aux yeux de la loi. Par conséquent, bien
loin d'éloigner ceux qui ont ce degré de fortune, des droits que leur
donne la nature, il faut les leur continuer, afin qu'ils puissent influer
le plus qu'il est possible, sur la conservation de la chose publique, et
sur les loix qui doivent protéger tous les citoyens. Et n'est-ce pas une
contradiction dans l'ordre social, que les loix étant faites pour protéger
les plus foibles, que les plus foibles étant ceux qui ont le plus besoin
de la protection des loix, que les hommes puissans, les hommes les plus
riches étant ceux qui peuvent les éluder plus facilement, et se passer,
par leur crédit et leurs ressources personnelles, de la protection des loix;
n'est-il pas injuste que de tels hommes aient plus d'influence sur les
loix que la partie qui en a le plus besoin ?
« Ces idées me paraissent établir d'une manière irrésistible et inva-
riable, l'intérêt social et celui de la justice qui ne peuvent jamais être
séparés; car pour décider une question, il suffit de se rappeller ce seul
principe : que rien n'est utile, que ce qui est honnête et juste. Or, pou-
vez-vous dire qu'il est juste d'ôter, à une si grande multitude de citoyens,
le droit de donner leurs suffrages à ceux qui leur en paraîtront dignes
sans distinction de fortune, et à tous les citoyens, sans distinction de
fortune, de recevoir les preuves de la confiance de leurs concitoyens?
Non : et pour vous convaincre tous que ce seroit la plus grande des
injustices, rappellez-vous à vous-mêmes quel est votre caractère et votre
titre, quels sont ceux qui vous ont envoyés dans cette assemblée ? Sont-ce
des électeurs calculés sur un demi-marc, sur un marc d'argent. (Non,
non).
« Messieurs, ce sont ceux qui ont été nommés par le peuple que
j'atteste sur ce fait; je les rappelle au titre de leur règlement, qui por-
toit que tout citoyen françois ou naturalisé, payant une imposition quel-
conque, seroit admis à nommer les électeurs qui dévoient nommer les
représentai ; et je leur rappelle que nulle loi n'a éloigné des assem-
blées un seul homme, pour raison de fortune et de contribution. Je
demande maintenant si vous, qui êtes arrivés ici sans titre, et qui tenez
vos pouvoirs de ces hommes-là, dont une grande partie n'atteignoit pas
la condition que vous leur imposez; je vous demande si vous pouvez
vous servir des pouvoirs qu'ils vous ont confiés, et si vous pouvez leur
dire : le jour où vous nous avez investis du pouvoir de défendre et de
garder vos loix, ce jour-là, vous l'avez perdu : vous ne rentrerez plus
dans ces assemblées où vous nous avez donné votre confiance; nous
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 623
n'avons point de garantie de votre indépendance et de votre probité;
c'est-à-dire nous-mêmes, nous ne sommes donc pas purs, puisqu'enfin,
nous avons été nommés sans aucun titre. (Applaudi).
« Je conclus de tout ce que je viens de dire, que d'après les prin-
cipes de la morale, par conséquent de la politique des législateurs de
la France, l'intérêt du peuple exige que vous révoquiez le décret du
marc d'argent et les conditions d'éligibilité prescrites pour les électeurs. »
[Briois de Beaumetz défend le projet du comité contre la critique
de Robespierre : il faut appeler, dit-il, la propriété comme garantie
pour la stabilité du gouvernement; « on vous a dit qu'aucun Etat, sauf
l'Amérique et l'Angleterre, n'avait inventé la garantie, pour la pro-
priété... (5). »]
« M. Robespierre. On n'a pas dit cela. »
[Briois de Beaumetz continue à s'attaquer au discours de Robes-
pierre : « Il est donc évident que le principe sur lequel s'appuie le
préopinant et sur lequel il a tourné pendant toute son opinion n'a été
que celui-ci : La société ne peut imposer de condition quelconque à
l'éligibilité ni des électeurs, ni des administrateurs, ni des représentants
de la nation; elle n'en peut même pas imposer à la qualité de citoyen
actif.]
a M. Robespierre. J'ai dit tout le contraire : vous ne faites que
dénaturer mon opinion pour me calomnier (murmures), et pour favoriser
le système de celui des intrigans dont vous êtes l'organe.. . »
« M. de Beaumetz. Sans m'être apperçu de l'interruption, je
reprends mon opinion... »
[La discussion se poursuit longtemps. Camus demande l'ajourne-
ment de la question au lendemain.]
« M. Robespierre. La question préalable sur l'ajournement (6). ,)
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 225, p. 929.
« M. Roberspierre . Les Comités vous proposent de substituer à une
condition mauvaise, une condition plus injuste et plus onéreuse encore.
Les inconvéniens s'appliquent d'une manière plus forte au nouveau sys-
tème. Le peuple est-il libre de choisir ses représentans, s'il ne l'est
pas dans le choix de ses intermédiaires ? Les Comités me paraissent
dans une contradiction continuelle. Vous avez reconnu, sur leur propo-
sition, que tous les citoyens étaient admissibles à toutes les fonctions,
sans autre distinction que celle des vertus et des talens ? A quoi nous
sert cette promesse, puisqu'elle a été violée sur le champ ? (Quelques
applaudissemens dans l'extrémité de la partie gauche et dans les tri-
bunes). Que nous importe qu'il n'y ait plus de noblesse féodale, si vous
<5) Briois de Beaumetz menait en Artois une violente campagne
contre Robespierre depuis le début de 1790.
(6) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIX, 359-361 et 371.
624 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
y substituez une distinction plus réelle, à laquelle vous attachez un droit
politique ? Et que m'importe, à moi, qu'il n'y ait plus d'armoiries, s'il
faut que je voye naître une nouvelle classe d'hommes à laquelle je serai
exclusivement obligé de donner ma confiance ? Cette contradiction per-
mettrait de douter de votre bonne foi et de votre loyauté. (Les tribunes
applaudissent). Je conviens cependant qu'il faut une garantie, qui ras-
sure contre les électeurs. Mais est-ce la richesse ? L'indépendance et la
probité se mesurent-elles sur la fortune ? Un artisan, un laboureur, qui
paient 10 journées de travail: voilà des hommes plus indépendans que
le riche, parce que leurs besoins sont encore plus bornés que leur for-
tune. Quoique ces idées soient morales, elles n'en sont pas moins dignes
d'être présentées à l'Assemblée. (On rit et on murmure. Une voix
s'élève: C'est trop fort, M. Roberspierre). Ce ne sont pas là des lignes
sans largeur. On nous a cité l'exemple des Anglais et des Américains.
Ils ont eu tort sans doute d'admettre des lois contraires aux principes de
la justice; mais chez eux ces inconvéniens sont compensés par d'autres
bonnes lois. Quelle était la garantie d'Aristide, lorsqu'il subjugua les
suffrages de la Grèce entière? Ce grand homme qui, après avoir admi-
nistré les deniers publics de son pays, ne laissa pas de quoi se faire
enterrer, n'aurait pas trouvé entrée dans vos assemblées électorales.
D'après les principes de vos Comités, nous devrions rougir d'avoir
élevé une statue à Jean-Jacques Rousseau, parce qu'il ne payait pas
le marc d'argent. Apprenez à reconnaître la dignité d'homme dans tout
être qui n'est pas noté d'infamie. Il n'est pas vrai qu'il faille être riche
pour tenir à son pays. La loi est faite pour protéger les plus faibles; et
n'est-il pas injuste qu'on leur ôte toute influence dans sa confection.
Pour vous décider, réfléchissez quels sont ceux qui vous ont envoyés ?
Etaient-ils calculés sur un marc, sur un demi-marc d'argent ? Je vous
rappelle au titre de votre convocation : « Tout français ou naturalisé
français, payant une imposition quelconque, devra être admis à choisir
les électeurs ». Nous ne sommes donc pas purs, puisque nous avons été
choisis par des électeurs qui ne payaient rien. (On applaudit). »
[Intervention de Beaumez.]
« M. Roberspierre. Vous calomniez, Monsieur » (7).
Journal général, 12 août 1791, p. 789-790.
Journal général du département du Pas-de-Calais, n° 14, p. 155.
« M. Robertspierre. Nous avions conçu les plus belles espérances,
en vous voyant détruire la féodalité; devions-nous alors penser que
nous serions si-tôt frustrés de cet espoir, en vous voyant créer une nou-
velle espèce de privilégiés, dont l'influence plus dangereuse encore se
dirigeroit sur tout le Corps politique. »
(7) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 374; dans Bûchez et
Roux, XI, 274-276; et dans* Laponneraye, I, 185-86.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE ,625
« Ici, l'honorable Membre appelle toute la profondeur de sa logi-
que et de sa politique, pour démontrer quuin Citoyen payant dix jour-
nées de travail est infailliblement dix fois plus honnête homme et plus
incorruptible que celui qui en paiera cent. On se permet ici de rire, et
là, de murmurer, ailleurs de hausser les épaules sur ces raisonnemens.
M. Robertspierre, sans s'étonner, reprend : « Quoique ces idées soient
morales, elles ont quelques droits à être présentées à cette Assemblée ».
On rit du compliment : l'Orateur enhardi, appelle, du fond de la Grèce,
Socrates et Aristide : « Quelle garantie, Messieurs, auriez- vous demandé
à ce sage, à ce juste, et quelle garantie demanderiez- vous encore à J.-J.
Rousseau ? » Aristide et Socrates ne s'attendoient guères à venir en
pareil argument: J -J Rousseau, infailliblement, ne l'eût pas mieux
accueilli que Thomas Raynal Peut-être aussi, en même compagnie,
n'auroit-il pas été mieux accueilli. Quoiqu'il en soit, fier de son Aris-
tide, l'honorable conclut, en îejettant la proposition du Rapporteur. Elle
est en revanche fortement appuyée par M. Beaumetz qui rit un peu
d'Aristide, de Sparte, et de quelques passages qui rappellent le discours
du Préopinant. « Vous me calomniez, lui crie M. Robertspierre, en
dénaturant mon opinion. C'est-là tout ce que cherchent, tout ce que
savent faire Messieurs ces intrigans dont vous êtes l'organe ». M. Robes-
pierre avoit cité les Philosophes; M. de Beaumetz les imite, en repre-
nant son opinion, sans répondre au petit compliment. »
Mercure de France, 20 août 1791, p 232-234.
« Le peuple est-il libre de choisir ses représentans lorsqu'il ne
l'est pas même de choisir ceux qu'il est obligé de charger de ce choix,
s est écrié M. Roberspierre ! Si le décret a excité des réclamations de
toutes parts, c'est qu'il violoit l'égalité. Ce qu'on vous propose est bien
plus dangereux encore. Vous avez déclaré que « tout citoyen François
est admissible à tous les emplois, sans autre distinction que celle des
vertus et des talens ». Que m'importe, à moi citoyen, qu'il n'y ait
plus de nobles, s'il est une classe privilégiée à laquelle je serai tenu
de confier le droit de discuter mes plus chers intérêts ? Cette égalité si
vantée ne seroit donc qu'un vain appât présenté à la nation ! Vous tom-
beriez en contradiction avec vous-mêmes, contradiction qui lui permet-
troit de douter de votre bonne foi... On nous parle de garantie, de
confiance ! A quoi les attache-t-on, à la probité ? Non, à de l'argent
L'artisan laborieux, le pauvre laboureur ne sont-ils pas plus indépendans
que le riche corrompu, corrupteur, dévoré d'une cupidité que rien ne
peut assouvir?... Quoique ces idées soient morales, elles sont dignes
d'être présentées à l'Assemblée nationale. (Murmures à gauche, et le
côté droit a vivement applaudi). Volant d'Angleterre en Amérique, de
Philadelphie en Grèce, l'orateur a dit qu'Aristide et /./ Rousseau ne
pourroient pas être électeurs parmi nous, et il a conclu à la révocation
de toute sorte de condition imposée à l'éligibilité.
feoms •■■■■■'■■> • H»
626 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Si ].]. Rousseau n'étoit pas électeur, a répondu M. de Beau-
metz, d'après la loi qu'on vous propose, il seroit législateur. Si les non-
propriétaires dominent, la propriété court le risque de n'être pas respec-
tée. Ne confondons pas les droits civils avec les droits politiques. Sparte
commença par mettre en monceau toutes ses richesses, et par les
brûler solemnellement ; le préopinant voudroit-il nous faire adopter cet
article de constitution ?
« Vous dénaturez tout ce que j'ai dit pour me calomnier, a répli-
qué M. Roberspierre, et pour favoriser le système des intrigans dont
vous êtes l'organe. »
Le Point du Jour, t. XXV, n° 763, p. 214.
« M. Robespierre est d'une opinion contraire. On voit, dit-il, avec
intérêt, au commencement de la constitution, que vous avez détruit les
distinctions de la noblesse, mais vous allez en créer une autre en éta-
blissant une sorte de noblesse électorale. (On 'applaudit).
« On voit par la proposition des Comités que la probité se mesure
sur la fortune. C'est cependant une foible garantie que donnera l'élec-
teur par sa richesse. La probité se mesure aux passions, et certainement
les hommes riches ont plus de passions et de besoins factices que l'ar-
tisan utile et le laboureur honnête. Ces derniers sont aussi une garantie
pour les bons choix. Quelle étoit la garantie d'Aristide dont la Grèce
dut nourrir et élever la famille ? Quelle auroit été, d'après les principes
du Comité, la garantie de J.-J. Rousseau, qui n'auroit pu être électeur?
L'assemblée n'auroit pas élevé une statue à un homme qui ne payoit pas
le marc d'argent; le comité de constitution y auroit été contraire N'est-
ce pas une contradiction dans les loix, qu'étant faites pour protéger les
plus foibles, elles soient faites en faveur du plus fort. Qui sont ceux qui
vous ont envoyés ici et qui vous ont revêtus de leur confiance ? Ces élec-
teurs étoient-ils calculés sur le marc d'argent et sur les preuves de leur
fortune ? Ou bien il faut dire que nous sommes corrompus, vénaux et
mal choisis; parce que nous avons été élus par des citoyens qui ne
payoient pas quarante journées de travail. Ces hommes simples et hon-
nêtes vous ont-ils envoyés ici pour les dépouiller de leurs droits ? Eh !
que leur importe qu'il n'y ait plus de noblesse et de clergé, s'ils
voient renaître un autre ordre d'aristocratie fondée sur l'argent et la
fortune ?
« Faites donc disparoître les distinctions offensantes attachées à
l'exercice des droits politiques. Rendez aux élections toute la liberté
dont elles ont besoin pour être bonnes. Car le laboureur honnête, ainsi
que l'artisan feront des choix plus propres au bonheur et à la sûreté
sociale, que vos riches qui. sont tourmentés par des passions et des pré-
jugés d'un autre genre bien plus dangereux pour la liberté. Je conclus
pour le rejet des conditions d'élégibilité, c'est-à-dire du marc d'argent,
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 627
ainsi que pour le rejet de la proposition faite par le comité pour les
conditions d'électeur » (8).
Journal universel, t. XIII, p. 14024 et 14028.
« Pethion a rejeté le projet du comité. Il a été vivement secondé
par M. Robespierre qui a dit avec vérité que J.-J. Rousseau n'aurait
pu être législateur. Il a conclu à ce que tous les citoyens actifs fussent
admissibles aux places de législateurs.
...« Ceux qu'on traite de factieux, ces vrais défenseurs des droits
de l'homme, ces véritables apôtres de la constitution, MM. Péthion,
Robespierre, Rœderer, Buzot, ont-ils employé toutes les ressources de
la logique, tous les ressorts de l'éloquence pour détourner l'assemblée
du piège qu'on lui tendoit. Ceux qui vous ont envoyés ici, s'est écrié
M. Robespierre, ont-ils donc chacun un marc d'argent ? Vous ont-ils
envoyés pour leur ôter la liberté de leur choix ? Eh ! que leur importe
qu'il n'y ait plus de nobles ni de clergé, s'ils voient renaître un autre
ordre d'aristocratie fondé sur le titre le plus chimérique : la fortune ?
« Jetez un coup d'ceil sur Sparte, sur Athènes : Aristide n'aurait
jamais pu être électeur. Jean-Jacques Rousseau, s'il eût vécu sous le
règne de la liberté, n'aurait pu approcher de nos assemblées ? Mes-
sieurs, faites disparaître ces distinctions offensantes attachées à l'exer-
cice des droits politiques, rendez aux élections toute la liberté dont
elles ont besoin pour être bonnes. »
L'Ami du Roi (Royou), 13 août 1791, p. 3.
« Il paroît qu'on s'est réuni pour se mocquer de MM. Péthion,
Robespierre,. Rœderer et Buzot, qui veulent dans le choix et des élec-
teurs et des représentans, la liberté la plus indéfinie, qui demandent que
leur éligibilité ne dépende d'aucune contribution. Ils vont, dit-on, intro-
duire dans le corps législatif tous les va-nuds-pieds du royaume; ils
pourroient bien même y introduire des gens du peuple de différentes
contrées qui, parlant chacun le patois de la sienne, ne s'entendroient
pas plus qu'un italien et un bas-breton, ce qui renouvelleroit l'histoire
de la tour de Babel.
« Mais que répondre à M. Robespierre, lorsqu'il dit que les comi-
tés sont en contradiction avec eux-mêmes. Que l'assemblée a reconnu,
sur leur proposition, que la constitution devoit garantir que tout citoyen
français étoit admissible à tous les emplois sans autre distinction que
celle des vertus et des talens. Or, le droit d'élection confié à un citoyen
(8) Oité par E. Hamel <i, àW-àM) qui utihbe également a propos
de cette séance le texte du discours imprimé, l'adresse de la Sté des
Indigents à Robespierre et le Courier de Provence. Cf. également
.S. Lacroix, op. cit., III, 617, note 1.
628 LES DISCOURS DE ROBESPIERRF.
par ses concitoyens, n'est-ce pas un emploi? La garantie promise par
la constitution est donc violée par le système du comité.
(( Il n'est donc pas vrai que les hommes naissent et demeurent
égaux en droits. Ce seul article renverse le fondement de la constitu-
tion, qui repose sur une égalité idéale. On ne peut répondre à M. Ro-
bespierre qu'en avouant que la constitution est vicieuse; qu'elle a pro-
mis un nivellement impraticable; qu'il a fallu tromper le peuple pour
l'attacher à cette constitution à laquelle le bon sens et la nécessité de
faire rouler la machine tant bien que mal, contraignent de porter des
atteintes continuelles. »
Journal de Bienfaisance, ci-devant L'Ami des Vieillards, n° 17, p. 2.
« M. Robespierre est en fureur, il passe toutes les mesures de la
raison, il outrage l'assemblée : « Quoique ces idées soient morales, dit-il,
elles n'en sont pas moins dignes d'être présentées à l'assemblée ». On
ne sait que rire de sa démence, au lieu de s'en offenser. Il imagine
enfin remuer les cendres d'Aristide, et de les interroger sur le marc d'ar-
gent. Le bon Jean-Jacques lui-même n'est tranquille au fond de son
tombeau, par les recherches de l'orateur éploré. On laisse pourtant
dormir la question jusqu'au lendemain (9).
Le Législateur Français, t. III, 12 août 1791, p. 7.
« M. Robertspierre a combattu dans un très-long discours l'avis
des comités, qu'il a regardé comme destructif de toute liberté. En
effet, disoit-il, le peuple est-il libre lorsqu'il ne lui a pas permis de
choisir ceux auxquels il confie ses plus chers intérêts, ses représentans ?
L'orateur a accusé les comités d'être dans une absolue contradiction
avec eux-mêmes; et pour prouver son assertion, il a rapporté l'article
de la déclaration des droits, qui déclare que tous les citoyens sont égale-
ment admissibles à toutes dignités, places et emplois, selon leur capa-
cité, sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talens.
« Toute l'opinion de M. Robertspierre a tourné sur cet éternel
pivot des droits de l'homme, de la faculté qu'a chaque homme d'être
admis à toutes les fonctions publiques. »
L'Orateur du Peuple, t. VII, n° 19, p. 145.
(( Discours sublime de l'incorruptible Robespierre en faveur de la
classe indigente du peuple »...
« O, Robespierre, tu es donc le seul qui ait osé prendre la défense
du peuple.
(9) Puis ce journal essaie de rejeter sur (Robespierre et son
discours sur le marc d'argent, la responsabilité des troubles des
campagnes. Il fait, sur le mode tragi-comique, le récit de l'admission
à la barre, dans la séance du 13 août aai soir, de Mme Guillin de
Montel dont le mari 'avait été massacré, le 26 juin, à Poleymjeux
(Rhône) (Arch. pari. XXIX: 421-424).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 629
« Vous avez consacré, disoit-ii, par cette constitution, que tous
les citoyens soient admissibles à tous les emplois, sans autres distinctions
que celles des talents et des vertus; et, en conservant le décret du
Marc d'argent, ou en adoptant ce que proposent vos comités, vous
concentrez évidemment tous les droits politiques dans les mains de la
classe la plus riche. A quoi me servira donc à moi, citoyen, ajoutoit-il,
que la noblesse, que la féodalité aient été abolies, si vous établissez une
autre distinction bien plus réelle, puisqu'elle tient aux richesses, source
de toute corruption. »
L'Ami du Roi (Montjoie), 12 août 1791, p. 895.
« M. Robespierre est allé bien plus loin encore; il n'a voulu ni
de l'article, ni du marc d'argent, ni du décret anciennement rendu,
qui portoit la contribution des électeurs à dix journées de travail, et il
a appuyé sa répugnance sur des raisons qui ne sont pas sans quelque
mérite (10). Assujettir le droit d'éligibilité à des conditions pécuniaires,
lui a paru contraire à la déclaration des droits, qui dit que tout homme,
tout citoyen est accessible aux emplois et aux fonctions publiques, sans
autres distinctions que celles du talent et du mérite. « Qu'importe, a-t-il
ajouté, que vous ayez supprimé la noblesse, si vous créez une autre
aristocratie, si vous mettez à sa place une classe privilégiée qui sera
seule accessible aux fonctions publiques ? Il a donc conclu à ce que
l'assemblée révoquât le décret du marc d'argent, et en même tems toutes
les conditions préliminaires de l'éligibilité exigées pour être électeurs. »
Le Thermomètre du Jour, n° 2, p. 7.
« M. Robespierre a soutenu que la plus grande latitude devoit
être laissée aux droits politiques des citoyens; il a vu, dans le décret
du marc d'argent, et dans la nouvelle proposition des comités, une con-
tradiction manifeste, une violation des principes établis par la constitu-
tion même.
« Vous avez consacré, disoit-il, par cette constitution, que tous
les citoyens sont admissibles à tous les emplois, sans autres distinctions
que celles des talens et des vertus; or, en conservant le décret du marc
d'argent, ou en adoptant ce que proposent vos comités, vous concentrez
évidemment tous les droits politiques dans les mains de la classe la
plus riche.
« A quoi me servira donc à moi, citoyen, ajoutoit-il , que la
noblesse, que la féodalité aient été abolies, si vous établissez une autre
(10) Les journaux royalistes ne désapprouvent pas l'attitude de
Robespierre, au contraire; car ses attaques contribuent à ruiner le
projet des monarchiens dont ih ne veulent pas eux-mêmes. Barère
remarque même (Point du Jour, t. XXV, p. 220) que « pendant tous
ces discours, le côté droit ne prenoit aucune part aux agitations qui
partageoient le reste de l'assemblée. On eut dit qu'on faisoit des Loix
pour un pays qui leur étoit étranger ».
630 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE.
distinction bien plus réelle, puisqu'elle tient aux richesses, source de
toute corruption. M. Robespierre a conclu tout ù la fois, à l'abolition
du marc d'argent, et à celle de la contribution exigée pour les électeurs.»
Le Courrier des LXXX11I départemens, 1791, n" 12, p. 207.
« M. Robespierre a été plus loin. Il vouloit que l'on mît de coté
et le marc d'argent et le taux exigé pour être électeur. Il ne faut pas
juger de la bonté de ses raisonnemens par la manière dont ils ont été
reçus. Dans plusieurs circonstances, les murmures honorent plus que les
éloges. »
L'Ami du Peuple (Marat), n° 533, p. 6.
« On a vu MM. Péthion, Buzot, Prieur, Roberspierre, ces fidèles
amis de la patrie, réduits, en s'opposant aux attentats des comités
vénaux, à demander la conservation du décret du marc d'argent, si
contraire à la légalité des droits des citoyens; et de combattre pour
la conservation des funestes décrets, dans la crainte qu'on ne leur en
substituât de plus funestes encore. »
Le Babillard du Palais Royal, n° 61, p. 142-
« On s'entretenait dans un autre groupe de la question qui divise
l'assemblée nationale. La contribution que l'on propose pour former les
bases de la représentation est, selon ies ouvriers, un attentat aux droits
de l'homme. Ils adoptent, en entier, l'opinion de M. Robespierre qui
veut que chacun puisse être électeur et éligible, sans autre titre que ses
talens et ses vertus (11). Il n'est pas difficile d'en imposer au peuple,
en lui présentant ces idées d'équité naturelle, vraies dans la théorie,
mais extrêmement dangereuses, si l'on veut les appliquer au gouverne-
ment. II serait utile de démontrer au peuple, d'une manière claire et
précise, que les droits de l'homme ne sont pas toujours ceux du citoyen,
que la nature assure les uns, tandis que la loi modifie les autres. On
remarque que les opinions exagérées, les principes généraux ont un
charme invincible pour les esprits ardens. Les discours de M. Robes-
pierre qui considère plus souvent les droits de l'homme dans l'état de
nature que ceux du citoyen dans la société, font un effet rapide et cer-
tain. Ce qu'il y a de singulier, c'est qu'ils sont toujours connus d'avance,
et que les opinions de ce député fameux, obtiennent un succès prodi-
gieux dans toutes les tavernes de la capitale, avant d'être prononcées
dans le sénat de la nation » (12).
(11) Passage cité par G. Walter, 666, note 59.
(12) (Le discours imprimé sur l'abolition du marc d'argent avait
en effet été publié dès avril 1791, et connaissait depuis cette date un
grand succèB.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 631
[Long résumé de ce discours dans Le Journal des Débals, n° 812
p. 1 1 ; Le Courrier de Provence, t. XVI, n° 328, p. 256-260; Le Jour
nal de Paris, 13 août 1791, p. 919. Brève mention dans Le Pacquebot
n° 200; Le Journal de Rouen, n° 224, p. 1089; Le Journal du Soir
(des Frères Chaignieau), t. III, n° 402, p. 3; L'Argus patriote, n° 20
Le Journal de la Révolution, n° 365, p. 328; Les Annales patriotiques
et littéraires, n° 679, p. 800; La Gazette universelle, n° 224, p. 895
Le Patriote jrançois, n° 733, p. 175]
334. — SEANCE DU 12 AOUT 1791
Discussion du projet de constitution (suite)
Sur le marc d'argent et le cens électoral (suite)
Thouret, rapporteur, présente une nouvelle rédaction de l'art 7
du projet de constitution, ■concernant les conditions exigées pour
être électeur (1). Grégoire insiste sur l'irrévocabilité des décrets
rendus, voulant ainsi éviter qu'on substitue aux clauses anciennes,
des dispositions plus contraignantes. Il est sans cesse interrompu
par les murmures du centre, tandis que l'extrême gauche le soutient
de ses applaudissements. D'André demande alors au président (2) de
maintenir la liberté des opinions et « d'imposer silence à ces mes-
sieurs (de l'extrême gauche) qui font un bruit épouvantable ».
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXI, p. 403.
« M. Robespierre. M. d'André veut devenir despote » (3).
(1) La manœuvre du comité fut également dénoncée par tous les
journaux patriotes. Audouin écrit à ce sujet dans son Journal Uni-
versel (t. XIII, p. 14043) : « Mais le peuple sent aussi que ce qui tenait
au cœur de nos intrigants, c'est Le décret qui les exclut du ministère
et de la législature. Pour le révoquer, il fallait faire révoquer un
décret, un décret impopulaire comme celui du marc d'argent, qui
aurait servi de précédent. C'était un piège, dans lequel les patriotes
ne sont pas tombés.
« Voilà le secret de la comédie jouée dans les dernières séances,
il était singulier de voir MM. Thouret, Barnave, d'André, Chapelier,
Beaumetz attaquer le marc d'argent, défendu par Péthion, Buzot,
Grégoire, Robespierre, Vadier, Rœderer ; c'est que ceux-ci veulent
avoir la constitution telle qu'elle est, afin du moins d'en avoir une
qui ne soit pas défavorable au peuple sous tous les rapports. »
(Cf. également Patriote François, n° 735, p. 185).
(2) C'est Alexandre de Beauharnais.
(3) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIX, 383.
632 les discours de robespierre
Société des Amis de la Constitution
335. — SEANCE DU 12 AOUT 1791
Sur le discours du député de la Société de Strasbourg
Robespierre préside en l'absence de Pétion. Laurent, député de
la Société de Strasbourg, rend compte d'une tentative de scission
analogue à celle des Amis de la Constitution à Paris, faite à Stras-
bourg; il donne quelques détails sur la situation politique dans
cette ville. Il conclut en demandant la traduction des décrets en alle-
mand, un décret contre l'exportation de l'argent, le retour des
•officiers dans leurs corps ou leur démission, enfin un meilleur état
de défense des frontières. Robespierre lui répond (1).
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n°42, p. 3.
« M. Robespierre, en qualité de président, a répondu : Vous nous
avez à la fois effrayés et consolés... votre courage nous assure qu'il
existe un grand nombre de Français capables de triompher des complots
des ennemis de la liberté; nous déploierons toutes nos ressources pour
les dévoiler et pour les déconcerter. Si nos efforts sont impuissans, nous
saurons, comme vous, préférer la mort et la liberté; et si nous ne
pouvons sauver la patrie, en combattant pour elle, nous saurons au moins
sauver la patrie en mourant » (2).
(1) Cf. E. Hamel, I, 545 ; et Aulard, III,
(2) Texte reproduit dans Aulard, III, 83.
336. — SEANCE DU 15 AOUT 1791
Sur la revision de la Constitution (suite)
lre intervention : Sur les délais de la sanction royale
L'Assemblée poursuit le débat relatif à la révision de la consti-
tution. Après une discussion rapide, elle vote successivement tous
les articles de la section II, concernant la sanction royale. Robes-
pierre intervient sur l'art. 4, proposant que le délai accordé au roi
pour sanctionner jou refuser les décrets du corps législatif, soit
réduit à 15 jours.
L'Assemblée ne s'arrêta pas à cette proposition et décréta la
rédaction proposée par «es comités: « 4. Le roi est tenu d'exprimer
son consentement ou son refus sur chaque décret dans les deux mois
de la présentation ; et, ce délai passé, son silence est réputé
refus » (1).
Journal des Débats, n° 816, p. 4.
Gazette nationale ou Extrait..., t. XIX, p. 83.
« M. Robespierre a dit : Je trouve le délai de deux mois trop
(1) Ci. Discours..., F» partie, p. 72 et 86.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 633
long. Il est des circonstances où il est dangereux de rester dans l'incer-
titude sur une loi (On a demandé à aller aux voix). Je propose un
amendement, et la majorité de l'Assemblée ne peut pas m'empêcher
d'énoncer mon opinion. Je dis que le délai de deux mois accordé au
Roi est trop long. On peut profiter de ce temps pour faire valoir des
intérêts particuliers, pour différer la sanction d'un Décret dont la prompte
sanction intéresseroit la chose publique; je demande que ce délai soit
fixé et restreint à quinze jours » (2).
Le Législateur français, t. III, 16 août 1791, p. 3.
« L'article portoit que le roi seroit tenu d'exprimer son consente-
ment au décret présenté, ou son refus dans le délai d'un mois. M. Maxi-
milien Robertspierre s'est opposé à cette disposition, et s'est efforcé de
prouver qu'il seroit fort dangereux d'accorder au roi autant de temps
pour délibérer. II vouloit que le temps fût limité à 15 jours. A peine
M. Robertspierre a-t-il cessé de parler, qu'on a crié aux voix de toutes
parts, et l'article a été adopté. »
L'Ami du Roi (Montjoie), 16 août 1 791 , p. 91 1 . •
« M. Robespierre ne s'est pas inquiété de la fiction; il a porté sa
critique sur l'article 4, où l'on donne deux mois au roi pour exprimer son
consentement ou son refus sur chaque décret. Cette faculté de délibérer
pendant deux mois a paru à M. Robespierre devoir favoriser ceux qui
voudroient profiter du bénéfice de l'ancienne loi. Il vouloit sans doute
que le roi signât aveuglément les décrets à l'instant même où on les lui
présenteroit. On n'a tenu aucun compte de sa censure, non plus que
de celle de MM. Guillaume (3) et Reubell. »
Journal de la Noblesse, t. II, n" 34, p. 467 (4).
« M. Roberspierre a fait un discours sur les deux mois accordés
pour la sanction; il trouvoit ce délai trop long; parce qu'il croit toujours
voir un ennemi du peuple dans un loi ; il suppose que le roi s'opposera
à une loi salutaire, ou qu'il n'aura point assez de conception pour en
juger les effets. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal général,
p. 805; Les Annales patriotiques et littéraires, 16 août 1791, p. 1824;
Le Factionnaire clairvoyant ou l'Argus impartial, n° 2, p. 12; L'Ami
du Roi (Royou), 17 août 1791, p 2.]
<B) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIX, 445.
(3) Guillaume, déouté du tiers état de Paris, hors les murs.
(4) A cette date, le « Journal de la Noblesse, de la Magistrature,
du Sacerdoce et du Militaire », fusionne avec le « Défenseur des
Opprimés ».
634 LES DISCOURS PE ROBESPIERRE
2" intervention : Sur l'exercice du pouvoir législatif
Au cours de la discussion du chapitre concernant l'exercice du
pouvoir législatif, un membre propose, comme article additionnel,
de donner au corps législatif la faculté, dans les cas de nécessité, de
licencier un corps armé sans avoir besoin d'autre consentement.
Robespierre vent appuyer cet article, mais l'Assemblée le rejette
par la question préalable.
Assemblée nationale. Corps administratif s (Peûet) , t. XIII, n° 741, p. 6.
« On a crié à l'ordre du jour. « Je croyois, a dit M. le Président,
que la proposition n'étoit pas appuyée, mais je m'apperçoi? qu'elle l'est
par M. Robespierre ». Dans ce cas, ont dit plusieurs membres, nous
demandons la question préalable... »
3e intervention : Sur l'admission des ministres aux séances
de V Assemblée législative
L'Assemblée aborde la section IV, concernant les relations du
corps législatif avec le roi. Elle vote rapidement les neuf premiers
articles. Thou§et, rapporteur, donne lecture de l'art. 10: « (Les
ministres du roi auront entrée dans l'Assemblée nationale législative ;
ils y auront une place marquée; ils seront entendus sur tous les
obiets sur lesquels ils demanderont à l'être, et toutes les fois qu'ils
seront requis de donner des éclaircissements ». Robespierre, inter-
venant te premier, demande la question préalable. Après lui. Barère,
Lanjuinais^ Camus, Reubell, Pétion... critiquent l'article proposé
par le comité.
Finalement. l'Assemblée décréta la rédaction proposée par Char-
les Lameth : « Les ministres du roi auront entrée à l'assemblée légis-
lative; ils auront une place marquée; ils seront entendus toutes les
fois qu'ils le demanderont sur les objets relatifs à leur administra-
tion, ou lorsqu'ils seront requis de donner des éclaircissements. Ils
seront également entendus sur les objets étrangers à leur administra-
tion toutes les fois que le corps législatif leur accordera la parole ».
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXXI, p. 492
« M. Robespierre. Je regarde cet article comme un de ceux qui
peuvent dénaturer les premiers principes de la constitution. Quelques
observations simples pourront le prouver; un des principes de la consti-
tution est la séparation des pouvoirs. Tout ce qui tend à les confondre,
de quelque manière anéantit l'esprit public et afFoiblit les bases de
la liberté. Or. d'après cet article, le pouvoir exécutif et le pouvoir légis-
latif sont confondus. Cet article donne aux ministres, non seulement le
droit d'assister aux séances quand ils le voudront, mais le droit de parler
sur tous les objets soumis à la délibération du corps législatif (mur-
mures). Je demande la permission de quitter la tribune, si ceux qui
m'entourent ne veulent pas me permettre de continuer mon opinion.
Il est dit dans l'article, qu'ils seront entendus sur tous les objets : ils ont
donc, comme les membres de l'Assemblée nationale, le droit d'opiner
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 635
sur tous les- objets (grands murmures). Il n'y a ici qu'une seule diffé-
rence entre le droit qui appartient aux membres de l'assemblée nationale
et les ministres qui y seront introduits ; savoir : que chaque membre de
l'assemblée nationale aura le droit de faire compter sa voix, au lieu que
les ministres n'auront que le droit de dire leur avis, de discuter, de
défendre leur opinion, mais que leur voix ne sera pas comptée. L'intérêt
essentiel n'est pas que la voix d'un ministre soit comptée, une seule
voix ne fait pas le grand poids dans la balance; mais il importe que: les
ministres ne puissent influer puissamment sur une délibération en discu-
tant tous les objets soumis à l'assemblée nationale : et certes, ici la voix
consultative est bien plus précieuse que le droit de faire compter son
opinion dans le recensement des suffrages; mais le droit de développer,
de défendre une opinion dans l'assemblée, donne la faculté d'attirer
plusieurs suffrages à son opinion, et influer par conséquent plus puis-
samment que la simple faculté de donner sa voix sans discuter son opi-
nion; et c'est sous ce point de vue que je dis que l'article est contraire
à l'esprit de votre constitution.
« Vous avez voulu, par plusieurs décrets, affranchir absolument les
délibérations du corps législatif, de l'influence du pouvoir exécutif et
des ministres; et certainement, vous allez directement contre votre but
par le décret qu'on vous propose. Ce ne peut pas être une chose indif-
férente, de donner un tel poids à un ministre, de livrer !e corps légis-
latif à l'influence que peuvent lui donner ses talens et son éloquence.
Il joint encore les moyens d'influence qui sont attachés à sa qualité
de ministre au pouvoir exécutif dont il est revêtu : et ne vous flattez pas
que la voix consultative d'un ministre ne sera pas, en général, une pré-
pondérance bien plus considérable que la voix d'un membre de la légis-
lature. Quelques précautions que vous ayez prises par certains décrets
pour tarir quelques-unes des sources de la corruption, il restera toujours
au pouvoir exécutif assez de moyens d'exercer une puissance funeste
sur la pureté et la liberté des délibérations du corps législatif. Le pou-
voir exécutif a à sa disposition, tant de places, d'emplois, que l'on peut
solliciter, que l'on peut obtenir, non pour soi, mais pour ses amis; le
pouvoir exécutif a d'ailleurs, dans ses mains, tant de moyens de séduc-
tion d'un autre genre, que je ne veux même pas désigner ici ouverte-
ment, que toujours il sera de la sagesse de l'assemblée nationale d'oppo-
ser toutes sortes de barrières à l'influence du pouvoir exécutif sur les
délibérations du corps législatif. Je conclus, d'après ces motifs, qu'il
est impossible que vous admettiez l'article sans être en contradiction
avec vous-mêmes, et sans renverser les bases de la liberté et de la cons-
titution » (5).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 228, p. 946.
« M. Robespierre. Je regarde cette disposition comme dénaturant
(5) Texte reproduit, dans les Arch. pari., XXIX, 445,
636 LES PISCWRS P£ ROBÇSPÎERRE
le principal article de votre constitution. Dans les principes <îe la consti-
tution est la séparation des pouvoirs; or, l'article qui vous est proposé
tend à les confondre en quelque manière; il donne aux ministres, non-
seulement le droit d'assister aux délibérations du corps législatif, mais
le droit de parler sur tous les objets soumis à la discussion. (Plusieurs
voix : Ce n'est pas cela).
« Il y est dit qu'ils seront entendus sur tous les objets sur lesquels
ils demanderont à l'être; donc ils peuvent opiner; la seule différence
qu'il y aura entre les membres de l'Assemblée nationale, c'est que
chaque membre aura droit de faire compter sa voix, au lieu que les
ministres auront le droit seulement de donner leur avis, et de discuter.
Or, quel est l'intérêt des ministres ? Il n'est pas que leurs voix soient
comptées, car une ou deux voix de plus n'ont pas beaucoup d'effet;
mais ils ont intérêt à influencer les délibérations, et c'est sous ce point
de vue que je dis que l'article est contraire à l'esprit de la constitution.
Ce n'est pas une petite chose que d'introduire dans le corps législatif
un homme qui, à l'influence de ses moyens et de son éloquence, ajou-
terait celle du grand caractère dont il serait revêtu. Lorsque les ministres
pourront diriger les délibérations, craignez qu'on ne les voye sans
cesse venir consommer dans l'Assemblée le succès des mesures qu'ils
auront prises au dehors. L'article tend évidemment à confondre le pou-
voir exécutif, non pas avec le pouvoir législatif, en ce qu'il donne le
droit de pouvoir faire compter sa voix; mais avec le pouvoir législatif,
en ce qu'il confère aux membres qui en sont revêtus, le droit de diriger
les délibérations et d'exercer une influence directe sur la formation de
la loi Je demande la question préalable » (6).
Journal de Paris, 16 ao0t 1791, p. 932.
« Le premier qui a parlé contre, c'est M. Roberspierre. M. Robers-
pierre a soutenu que l'article est subversif des principes fondamentaux
de la Constitution; que la Constitution a divisé et séparé les pouvoirs,
et que cet article tend à les réunir et à les confondre, à faire entrer
le Pouvoir exécutif en participation de la Puissance législative; que la
même proposition a déjà été faite et rejettée lorsqu'on a refusé de per-
mettre que les Ministres fussent Membres du Corps législatif; que
l'influence des Ministres, si redoutable lors même qu'elle n'agit qu'au
dehors, deviendrait terrible si on souffroit qu'elle agît dans le sein
même de l'Assemblée; qu'on ne diminue point le danger de cette
influence en ne donnant aux Ministres qu'une voix consultative sans voix
délibérative ; que la faculté d'entrer dans la délibération ne donne à
chacun qu'une voix, la sienne; mais que la faculté de parler peut donner
cent voix à celui qui possède le talent et la puissance de la parole;
qu'enfin le premier soin d'un Corps constituant doit être d'écarter du
(6) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 407; et Bûchez et
Roux, XI, 300.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 637
Corps législatif tout ce qui peut en altérer la pureté, et qu'il doit donc
être aussi d'en écarter les Ministres. »
Le Point du Jour, t. XXV, n° 768, p. 294.
« M. Robespierre s'est écrié d'abord contre cet article, dans lequel
il voyoit la confusion des pouvoirs, une trop grande influence donnée
aux ministres, et le pouvoir législatif entièrement dans leurs mains. Je
regarde, a-t-il dit, cet article comme un de ceux qui pourroient altérer
davantage les principes et renverser la constitution.
« Rien ne tend plus à bouleverser les principes que la réunion
des pouvoirs. L'article du comité donne aux ministres, non seulement
le droit d'assister aux séances, mais encore il leur permet de faire des
observations, et de prendre part aux délibérations ouvertes sur toutes
les loix.
« Comme MM. Desmeuniers, Thouret, Beaumetz et Chapelier
investissent la tribune, je demande, s'est écrié M. Robespierre, la per-
mission de parler dans une autre partie de la salle, ou que M. le pré-
sident impose silence à mes voisins. (Le calme s'est rétabli). Il est dit
dans l'article, a repris l'orateur, que les ministres seront entendus toutes
les fois qu'ils le demanderont; ils auront donc de fait, comme tous les
membres du corps législatif, le droit d'opiner, de discuter ? Ils pourront
donc donner leur avis ? Qu'on réfléchisse aux terribles conséquences qui
peuvent en résulter. Indépendamment des ressources de l'éloquence,
combien de moyens d'intrigue et de corruption le ministre ne pourra -
t-il pas employer ? Il aura donc plus de force et de prépondérance
qu'aucun représentant de la nation. Il aura bien des moyens pour séduire,
pour corrompre, pour entraîner les délibérations et attenter à la liberté
publique. Je ne parle pas des places qui seront à sa disposition, et que
tant de personnes brigueront pour eux ou pour leurs amis et leurs parens.
Je ne veux pas dévoiler tous les autres moyens que l'on fait valoir chez
les ministres : il est aisé de les comprendre, mais je crois de mon devoir
de m 'opposer de toutes mes forces à un article qui peut porter une
atteinte réelle à la Constitution » (7).
L'Ami du Roi (Royou), 17 août 1791, p. 2.
« M. Robespierre, après de longues déclamations sur la perversité
des ministres, sur l'esprit de corruption qu'ils portent par-tout, a fini
par déclarer qu'il voyoit dans cet article le renversement de la consti-
tution. Il est fâcheux que M. Robespierre n'y voie pas un peu mieux,
et qu'on ne puisse pas prendre confiance en ses apperçus. Il s'est appe-
santi sur le danger d'accorder aux ministres l'initiative, et de les admet-
tre à voter. On lui a répondu qu'il n'en étoit pas question dans ! 'article .
Cependant il faut convenir que le droit d'être entendu à volonté, auroit
pu tenir lieu d'initiative à un ministre habile; aussi a-t-il été modifié.
(7) Cf. E. Hamel, I, 539-540.
638 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
M. Robespierre a répliqué que donner la voix consultative aux minis-
tres, étoit la même chose que les admettre à la délibération; que l'effet
seroit le même; qu'une voix de plus ou de moins dans une si nombreuse
assemblée, n'est rien, mais que l'influence d'un homme qui a beaucoup
de places à donner, est quelque chose. »
Le Législateur français, t. III, 16 août 1791, p. 3.
M. Robertspierre est monté à la tribune, et après être entré dans
de longs détails sur la perversité des ministres, sur l'esprit de corruption
qu'ils portent par-tout, il a fait voir combien il seroit dangereux pour
la liberté d'accorder aux ministres l'initiative pour la confection de la
loi, et de les admettre à voter parmi les représentai de la nation. On
a fort judicieusement observé que par l'article on ne prétendoit ni don-
ner l'initiative aux ministres, ni les admettre à voter dans le sein du
corps législatif, mais seulement entendre de leur bouche des éclaircisse-
ments nécessaires à l'exécution des lois.
M. Robertspierre a repris et a soutenu que donner aux ministres
voix consultative dans l'assemblée nationale, étoit absolument la même
chose que les admettre à la délibération, puisque l'un ou l'autre droit
produisoit exactement le même effet; car ce n'est pas une voix de plus
ou de moins qui est bien déterminante, pour la confection d'une loi,
mais c'est l'influence d'un homme entouré d'une grande autorité, d'un
homme qui a beaucoup de places à sa disposition qu'il faut redouter
dans une assemblée législative; ce sont les grands talens qu'il faut
craindre.
Ces raisons ne sont pas méprisables, sans doute; et on a vu, par
le mouvement de l'assemblée, lorsque M. Robertspierre a eu cessé de
parler, combien ce qu'il venoit de dire de l'influence des personnes est
profondément vrai. A peine avoit-il cessé de parler que, dédaignant
de lui répondre, les membres même qui n'étoient pas de son avis, ont
crié aux voix.
L'Ami 'du Roi (Montjoie), 16 août 1791, p. 911.
« M. Robespierre d'abord a prétendu que si l'on admettoit les
ministres dans le sein du corps législatif, ce seroit confondre et réunir
tous les pouvoirs; que les ministres auraient alors les mêmes droits que
les députés; que leur voix consultative seroit plus dangereuse qu'une
voix délibérative, parce qu'elle auroit plus d'influence; enfin, que les
ministres auroient, indépendamment de leurs talens et de leur éloquence,
des moyens de corruption.
Tout cela étoit si pitoyable, qu'on ne s'est pas arrêté à y répondre.
On a crié presque unanimement et avec une sorte de fureur, aux voix,
aux voix. M. le président n'a pas pu mettre aux voix, parce que quel-
ques députés avoient demandé à parler, les uns pour, les autres contre
l'article du décret. Il en a fait l'observation. Ceux qui avoient demandé
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 639
à parler contre l'article, étoient MM- Robespierre, grand censeur de la
charte, Péthion, Barrère, Lanjuinais, Prieur. »
Journal Général de France, 16 août 1791, p. 915.
« M. Robertspierre n'a pas laissé échapper une si belle occasion
de faire une longue diatribe contre les Ministres; il a prétendu qu'ils
portent l'esprit de corruption partout, et il a semblé craindre, ce qui
est extrêmement flatteur pour les Ministres, qu'ils corrompissent l'Assem-
blée Nationale; mais tout le monde a bien vu que ce serait impossible.
L'Opinant a ajouté que donner aux Ministres voix consultative dans
l'Assemblée Nationale, ou les admettre à la délibération, étoit absolu-
ment la même chose, puisque l'un et l'autre produisoient le même
effet. »
Journal universel, t. XIII, pp. 14044 et 14045.
« MM. Robespierre, Péthion, Prieur, Rœderer, et un grand nom-
bre d'autres membres, qui, à ce qu'il paraît, conservent encore de la
rancune contre ce pauvre pouvoir exécutif, demandent à grands cris à
aller aux voix... »
...« La coalition qui prêchait la paix avec le pouvoir exécutif a été
vaincue encore une fois. Le peuple élèvera jusqu'aux cieux les noms
purs des Péthion, des Robespierre, des Grégoire, des Buzot. des
Rœderer, etc.. »
1 Brève mention de cette intervention dans La Chronique de Paris,
t. V, n° 229, p 925; Le Factionnaire clairvoyant..., n° 2, p. 12;
Le Mercure de France, 27 août 1791, o. 304; Le Journal de Rouen,
n° 228, p. 1109; Le Babillard, n° 65, p. 197; Le Journal général de
l'Europe, p. 221 ; Assemblée nationale, Corps administratifs (Periet),
t. XII, n° 741, p. 6; Le Journal des Débats, n° 816, p. 5 ; La Gazette
nationale ou Extrait..., t. XIX, p. 84; Le Courrier des LXXXIII dépar-
tement, t. XXVII, n° 23, p. 355; Le Courier de Provence, t. XVI,
n° 330; Les Annales patriotiques et littéraires, n° 683, p 1824.]
Société des Amis de la Constitution
337. — SEANCE DU 15 AOUT 1791
Sur l'admission des ministres aux séances
de l'Assemblée législative
A lu suite du débat qui «'était déroulé le jour même à l'Assem-
blée nationale, -cette dernière avait adopté le projet de décret pré-
senté par Thouret qui autorisait les ministres à prendre la parole
au cours des séances de la future Assemblée législative (1). liobeB-
pierre s'élève à nouveau contre cette disposition à la tribune des
Jacobins.
(]> Cf. ci-dessus, séance précédente; et E. Hamel, I, 540.
640 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Voidel (2) fait remarquer qu'il est inutile de rouvrir la discus-
sion sur ce sujet quant au fond, mais simplement sur la rédaction
de l'article.
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n°45, p. 4.
« M. Robespierre Au commencement de cette séance, un mem-
bre a invité les députés à se trouver demain, à l'assemblée nationale,
pour la lecture du procès-verbal. Le décret concernant l'admission des
ministres a été rendu au milieu du tumulte; presque tous, en sortant,
ne savaient pas quel était ce décret : voici l'article tel qu'il a été mis en
discussion :
« Les ministres du roi auront entrée dans l'assemblée nationale
législative; ils y auront une place marquée; ils seront entendus sur tous
les objets sur lesquels ils demanderont à l'être, et toutes les fois qu'ils
seront tenus de donner des éclaircissements. »
Il faut observer que cet article, très-dangereux pour la constitu-
tion, n'a été présenté que ce matin pour la première fois : il donnait aux
ministres une puissance égale et même supérieure à celle des députés
qui ne peuvent parler qu'en demandant la parole; au lieu que les minis-
tres auraient le droit de parler sur tout et lorsqu'ils le voudraient. Les
amis de la constitution ont désiré des restrictions et la première difficulté
s'est élevée sur ce point : les ministres auront-ils le droit de délibérer
sur tout? La discussion s'était éclairée; la majorité de rassemblée était
décidée pour la négative; lorsqu'au milieu du tumulte de ceux qui
demandaient à aller aux voix, M. Charles Lameth a proposé l'article
suivant :
« Les ministres auront l'entrée à l'assemblée nationale législative;
ils y auront une place marquée; ils seront entendus sur tous les objets
relatifs à leur administration; et sur les objets qui leur seront étrangers,
toutes les fois qu'ils en auront obtenu la permission. »
Observez combien cette rédaction est illusoire, puisqu'il ne peut
y avoir de loi dont l'exécution ne soit confiée aux ministres. L'opinant
conclut à ce que les députés se rendissent à la lecture du procès-verbal
pour demander la correction de cet article » (3).
(2) Voidel, député du tiers état du bailliage de Sarreguemines.
(3) Aularcl (III, 89} résume cette intervention en ces termes:
« M. Robespierre présente quelques observations sur un article du
■décret concernant l'admission des ministres. Il conclut à ce que les
députés demandent la correction de cet article ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 64!
338. — SEANCE DU 16 AOUT 1791
Discussion du projet de Constitution {suite)
Sur l'administration intérieure du royaume
Démeunier, rapporteur, donne lecture de l'art. 4 de la section II
concernant les administrateurs des départements et des districts :
« Il appartient au pouvoir législatif de déterminer l'étendue et les
règles de leurs fonctions ».
Après l'intervention de Robespierre, l'Assemblée décréta l'ajour-
nement de cet article.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXXII, p. 10
« M. Robespierre. Il me semble qu'il y a du danger à déclarer
constitutionnelle cette disposition, et à laisser à chaque législateur
le droit de déterminer l'étendue et les règles des fonctions des corps
administratifs. Les corps administratifs n'existent que par leurs fonc-
tions, et s'il dépend des législateurs de restreindre ou d'augmenter ceUes-
ei< il est évident qu'elle peut changer la nature et l'essence des corps
administratifs, et que, dès lors, ces corps administratifs ne sont plus
réellement constitutionnels » (1).
(1) Texte reproduit dans les Areh. pari., XXIX, 460.
339. — SEANCE DU 18 AOUT 1791
Sur la défense des frontières de l'Est
A la fin de la séance du 18 août, l'Assemblée entend le ministre
de la guerre, qu'elle a mandé pour qu'il lui rende compte de l'exé-
cution de ses décrets sur la .défense des places, frontières et sur
l'envoi de troupes de ligne qui a dû y être fait. Après lui, le ministre
des affaires étrangères est entendu sur les nouveaux mouvements
de troupes qu'on dit se faire en Espagne. Enfin, le ministre de
l'intérieur rend compte des envois d'armes faits dans l'intérieur du
royaume. Après l'intervention de (Robespierre, Fréteau de Saint-
Just, membre du comité diplomatique, dont Robespierre invoque le
témoignage, donne quelques détails sur l'état de la mise en défense
de la frontière de l'Est, et spécialement sur la place de Verdun.
Le ministre de la guerre présente ses explications (1).
Le président déclara l'Assemblée satisfaite des éclaircissements
qui lui 'avaient été fournis.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXXII, p. 83
« M Robespierre. Je demande la parole là-dessus... (Murmures).
(1) Cf. E. Hamel, I, 540.
642 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« M. Robespierre. Rien n'est plus rassurant que ce que messieurs
les ministres nous ont dit sur les dispositions de l'Espagne : et comme
il est intéressant de calmer les inquiétudes publiques, je prierois encore
Monsieur le ministre de la guerre de les calmer sur des objets qui
paroissent beaucoup plus importans; car il faut bien remarquer que les
allarmes ne portent point sur les frontières d'Espagne uniquement, mais
bien sur d'autres parties des frontières d'où sont arrivés des bruits très
allarmans, et qui ont trop d'authenticité pour ne pas mériter d'être dé-
mentis. Je me crois obligé, par le devoir le plus impérieux, de saisir
cette occasion d'offrir à Messieurs les ministres les moyens de mettre
la pureté de leur conduite dans tout leur jour et ce dernier m'a paru
d'autant plus impérieux que des personnes qui ont toute, ma confiance,
et qui sont à portée d'être bien instruites des événemens, m'ont encore
témoigné hier là dessus les plus grandes inquiétudes.
« Tout le monde sait qu'il est arrivé des département de la Meuse
et de la Moselle, des députés qui sont venus articuler des faits de la
plus haute importance. Ils .se plaignent que la frontière est dégarnie;
que, quoiqu'elle paroisse menacée, on a fait retirer des garnisons des
villes les plus exposées, pour les concentrer dans l'intérieur.
« On a remarqué, avec étonnement, que l'on établissait un camp
à quinze lieues de la frontière, tandis que Thionville et d'autres places
exposées aux premières attaques de l'ennemi sont dégarnies.
« Je tiens à la main un mémoire envoyé par le maire de Thion-
ville au comité militaire qui est effrayant non seulement par l'impor-
tance des faits qu'il contient, mais par la précision avec laquelle ces
faits sont articulés...
« Un membre de votre comité diplomatique qui mérite toute votre
confiance, a témoigné à plusieurs de ses collègues, ses inquiétudes fon-
dées sur des avis qu'il a dit être arrivés de plusieurs frontières, et il
m'avoit paru disposé ce matin à en faire part à l'assemblée. S'il veut
encore le faire, je me trouverois heureux de n'avoir rien à dire; mais
si M. Fréteau n'ajoute pas la même confiance à ces avis, je demanderai
la permission de faire quelques questions à messieurs les ministres.
(Applaudi des tribunes) » (2).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 232, p. 960.
« M. Roberspierre. Rien n'est plus rassurant que ce que vient
d'être dit par MM. les Ministres. Je me crois obligé de saisir cette
circonstance pour leur procurer l'occasion de mettre leur conduite au
grand jour. Des personnes dignes de confiance m'ont témoigné les plus
vives inquiétudes sur notre état de défense. Deux personnes arrivées des
déoartemens de la Meuse et de la Moselle ont articulé des faits impor-
tans, ont assuré qu'une partie des frontières était dégarnie, qu'on avait
(2) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIX, 542.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 643
retiré les garnisons de plusieurs villes, et qu'on établissait un camp à
quinze lieues des frontières, tandis que Thionville était sans défense.
Je tiens à la main un mémoire du maire de cette ville au Comité mili-
taire, qui est vraimant effrayant par la précision de ses détails. Un
membre du Comité diplomatique, digne de la confiance de toute
l'Assemblée, m'a aussi témoigné des inquiétudes fondées sur des avis
authentiques. Il m'avait paru décidé à en faire part à l'Assemblée. Si
M. Fréteau s'en acquitte, je ne prendrai pas la parole, s'il n'en fait
rien, mon devoir m'oblige à interpeller le ministre » (3).
Gazette universelle, n° 231, p. 924.
Affiches d'Angers, n° 71 bis, p. 335-
Journal de Rouen, n° 232, p. 1125.
« L'assemblée a paru satisfaite de ces éclaircissemens : cependant,
M. Robespierre a observé que les précautions ne dévoient pas seule-
ment se porter du côté de l'Espagne; il ajoutoit qu'on n'avoit pas conçu
moins d'inquiétudes sur les frontières du Nord que dans les dcparte-
mens des Pyrénées, et il a invité M. Fréteau, membre du comité diplo-
matique, à faire part à l'assemblée des renseignemens qu'il avait à ce
sujet » (4).
Journal des Débats, n° 819, p. 12.
Gazette nationale ou Extrait..., t. XIX, p. 145.
« M. Robespierre a demandé la parole : on a demandé de passer
à l'ordre du jour, et l'Assemblée l'a ainsi décrété. M. Robespierre
a réclamé la parole; M. le Président a répondu qu'il la lui donneroit
après que l'Assemblée auroit entendu M. de Less3rt.
« M. Robespierre a dit : Rien n est plus rassurant que les détails
qui viennent de vous être donnés relativement aux inquiétudes que l'on
pouvoit concevoir sur l'Espagne; mais les alarmes ne se portent pas
seulement sur cette partie. Je me crois obligé, par un devoir imposant,
de saisir cette occasion d'offrir aux Ministres la faculté de développer
leur conduite, en leur faisant quelques questions déterminées par des
(3) Texte reproduk dans le Moniteur, IX, 435, à la date du jeudi
1S août au Heu du jeudi 18 août.
(4) La Gazette universelle reconnaît le bien fondé des craintes
de Robespierre, et apporte les précisions suivantes: « Il est vrai que
h: retard des mesures que nous avons ordonnées à fait naître les
inquiétudes les plus profondes dans quelques départemens. Des
ici tics île Strasbourg, en date du 15 août, nous ont appris que
six mille" Hessois approchoient des frontières, et que six mille
autres dévoient les suivre. La ville de Verdun se trouve dans le plus
déplorable état de défense. Lors du départ des députés envoyé»
auprès de L'assemblée nationale, cette ville n'avoit que deux eent^
hommes de garnison ».
644 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
faits que m'ont communiqués des personnes qui ont toute ma confiance,
et qui m'ont témoigné les plus vives inquiétudes.
(( Tout le monde sait que les Députés du Département de la Meuse
sont venus, et qu'ils ont articulé des faits importans. Ils ont dit que les
frontières étoient dégarnies; qu'on avoit ôté les garnisons des villes les
plus exposées, pour les conduire dans l'intérieur du Royaume; que
l'on se proposent de faire un camp à quinze lieues de la frontière, tandis
que Thionville, qui étoit très-voisine de la frontière même, étoit presque
sans défense. Je tiens dans ma main un mémoire effrayant par la pré-
cision des détails qu'il renferme. Je pourrois réduire mes observations
à quelques questions; mais je dois vous observer qu'un Membre du
Comité Diplomatique, qui, à juste titre, a votre confiance, a Jà-dfssus
des renseignemens très-importans ; j'avois cru qu'il vous les donneroit.
Si M. Fréteau s'en occupe, je n'ai rien à dire; s'il ne parle point, je
ferai aux Ministres quelques questions dont la solution calmera sans
doute les inquiétudes de la Nation. ■»
Journal universel, t. XIII, p. 14085.
« L'assemblée a levé la séance sans entendre M. Robespierre
qui osoit élever quelques doutes sur l'efficacité de nos mesures et de
nos moyens de défense. Et cependant il n'y a point de troupes à Ver-
dun; de Toul à Montmédy, tout est vide et Bouille est à Luxembourg
(car sa promotion en Suède est un piège). Que penser de cela? qu'a
répondu M. Duportail au député qui demandoit un corps de troupes
de ligne vers les endroits les plus menacés ? »
[Brève mention de cette intervention dans Le Pacquebot, n° 198;
La Chronique de Paris, t. V, n° 232, p. 937; Le Législateur français,
19 août 1791, p. 4; Assemblée nationale, Corps administratifs (Per-
let), t. XIII, n° 744, p. 4; Le Journal général de France, 19 août 1791.
p. 928; Le Journal général du département du Pas-de-Calais, n° 16,
p. 174; Le Journal de Paris, 19 août 1791, p. 946.]
Société des Amis de la Constitution
340. — SEANCE DU 21 AOUT 1791
Sur une proposition de réunion adressée aux Feuillants
Siliery (1) propose qu'il soit écrit aux Feuillants pour leur
demander, vu le danger de la patrie, de se réunir aux Jacobins.
.Robespierre s'oppose à cette proposition, appuyé par Moreton.
Vadksr au contraire soutient la motion de Siliery. La discussion est
fermée. Robespierre demande qu'on passe <à l'ordre du jour. Cette
(1) Alexis Brulart, comte de Genlis, marquis de Siliery, député
de la noblesse du bailliage de Reims.
LES DISCOURS PE ROBESPIERRE 645
proposition est rejetée. Après quelques débats, la Société arrête
que « le- députés à l'Assemblée nationale membres des Jacobin?.
et maintenant séants aux Feuillants, seront invités à* rentrer dans
le sein de la Société-mère » (2).
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n°47, p.1 ',
« M. Robespierre. Je sais bien ce qu'il y a de délicat dans une
pareille délibération, je sais bien quels sont les avantages des enne-
mis les plus déclarés de la constitution sur ses amis : je ne suis point
efîrayé de ces avantages et plus je vois leur triomphe certain et plus
une fière indifférence m'élève au-dessus d'eux. Messieurs, vous ignorez
peut-être que. demain est à l'ordre du jour un projet du comité de
constitution, qui contient une constitution nouvelle, qui remet les Fran-
çais sous le joug du despotisme ! Oui, Français, vous ignorez qu'il n'y a
pas un seul de ces articles qui ne suffise pour détruire la liberté. Nous
n'avons que quelques heures, et vous allez les employer à délibérer sur
une proposition sur laquelle la société a prononcé deux fois... Eh bien,
je vais négliger les grands intérêts publics : perdez cette séance ! et
demain, que nous soyons abandonnés à ceux qui vont donner au roi
toutes les forces nécessaires pour opprimer la liberté... la liberté de la
presse est anéantie formellement : il n'est pas même admis l'amende-
ment proposé par M. Péthion... Ce sont toutes les démarches qu'on ai
faites oui ont retardé la réunion : il n'était pas un seul membre patriote
des Feuillans qui ne fut résolu à se réunir ici ; mais on a projeté de leur
envoyer une lettre d'invitation, ils ont attendu cette lettre, ils ont eu
des scrupules; la raison triomphant, le bien public aurait triomphé, ils
se seraient réuni... » L'opinant conclut à ce qu'en persistant dans le
dernier arrêté (3), la société passe à l'ordre du jour.
« M. Moreton (4) appuie la motion de M. Robespierre » (5).
Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. XIII, n° 749, p. 7.
a Je connois, a dit M. Robespierre, tous les avantages des ennemis
les plus déclarés de la Constitution sur ses amis : je ne suis point effrayé
de ces avantages et plus je vois leur triomphe certain, et plus une fière
indépendance m'élève au-dessus d'eux. »
(2) Cf. ci-dessus, séance du 24 juillet 1791; et E. Hamel, I, 545.
(3) Il s'agit sans doute de l'arrêté du 25 juillet qui assujétissait
tous les membres de La Société à signer la déclaration par laquelle
ils reconnaissent vouloir rester aux Jacobins et à se soumettre à un
scrutin épuratoire.
(4) Moreton-Chabrillant, colonel au régiment de la Fère. membre
de la municipalité parisienne en 1789.
(5) Texte reproduit dans Aulard, III, 94 ; et dans Bûchez, efc
Roux, XI, 479.
646 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
341. — SEANCE DU 22 AOUT 1791
Discussion du projet de Constitution (suite)
Sur la liberté de la presse (1)
La discussion sur l'acte constitutionnel se poursuit. Thouret, rap-
porteur, présente un certain nombre de textes qui ont été ajournés.
L'Assemblée décrète d'abord sept articles relatifs à la garantie des
droits individuel des citoyens. Thouret donne ensuite lecture de deux
articles relatifs à la répression des délits commis par la voie de
la presse: « 1. Nul homme ne peut être recherché ni poursuivi pour
raison des écrits qu'il aura fait imprimer ou publier, si ce n'est qu'il
ait provoqué à dessein la désobéissance à la loi, l'avilissement
des pouvoirs constitués, et la résistance à leurs actes; ou quelqu'une
des actions, crimes ou délits désignés par la loi. Les calomnies
volontaires contre la probité des fonctionnaires publics et contre la
droiture de leurs intentions dans l'exercice de leurs fonctions, pour-
ront être dénoncées et poursuivies par ceux qui en sont l'objet. Les
calomnies ou injures contre quelque personne que ce soit, relatives
aux actions de leur vie privée, seront punies sur leur poursuite.
« 2. Nul ne peut être jugé, soit par la voie civile, soit par la
voie criminelle, pour fait d'écrits imprimés ou publiés, sans qu'il ait
été reconnu et déclaré par un jury: 1° s'il y a délit dans l'écrit
énoncé : 2° .si la personne poursuivie en est coupable. Il appartient
à la police correctionnelle de réprimer la publication et la distribu-
tion des écrits et des images obscènes. » Robespierre intervient sur
^ensemble du orojet. Mais l'Assemblée se rallie à la proposition de
Defermon, de discuter séparément chaaue paragraphe des articles (2).
La première oartie de l'art. 1 fut adoptée avec cette addition :
« ...pour raison des écrits qu'il aura fait imprimer ou publier sur
quelque matière que ce soit. . »
Journal des Etats Généraux ou Journal J.ogographique, t. XXXIÎ, p. 173
« M. Robespierre. Par cela même, aue la liberté de la press.» fu*
toujours regardée comme le seul frein du desnotisme, il en es* résulté
que les principes sur lesauels elle est fondée, ont été méconnus et obscur-
cis par les gouvernemens despotioues, c'est-à-dire, dans presaue tous
les gouvcnemens. Le moment d'une révolution est neul-etre celui où
ces principes peuvent être développés avec moins d'avantaoes. parce
qu alors chaoue partie se ressouvient douleureusement des blessures
Qu'elle lui a faites: mais nous sommes dicmes de nous élever au-dessus
des préjugés et de tous les intérêts personnels. Voici, Messieurs, la loi
(1) Of. Discours.... 1™ partie, pp. 61 et 496.
<"2) Cf. E. Hamel. I. 540-541. Barnave défend le Tiroiet des comi-
tés, provoomsrit Tindiemation de Marat <Ami du Pennle, n° 538,
p. 3L TT smiliarne sa volte-face en ramvplan* on'il avait jnsau'&lorB
défendu la b'bert-é dp la presse : « Il pontenait bant^Tr^nt aue l'écri-
vain patriote, comptable au seul tribunal du public, pouvait se
donner librp carrière contre les agens du gouvernement ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 647
constitutionnelle que les Etats-Unis d'Amérique ont fait de la liberté de
la presse (3).
a La liberté de publier ses pensées étant le premier boulevard de
la liberté, ne peut être limitée ni gênée en aucune manière, si ce n'est
dans les états despotiques (4). Est-il vrai que la liberté de la presse
consiste uniquement dans la suppression de la censure et de toutes les
entraves qui peuvent arrêter l'essor de la liberté ? Je ne le pense pas,
et vous ne le penserez pas non plus. La liberté de la presse n'existe pas
dès que l'auteur d'un écrit peut être exposé à des poursuites arbitraires;
et ici il faut saisir une différence bien essentielle entre les actes crimi-
nels et ce qu'on a appelle les délits de la presse. Les actes criminels
consistent dans des faits palpables et sensibles. Ils peuvent être consta-
tés suivant des règles sûres et par des moyens infaillibles, d'après les-
quels la loi peut être appliquée sans aucune espèce d'arbitraire. Mais
quant aux opinions, leur mérite ou leur crime dépendent des rapports
qu'elles ont avec des principes de raison, de justice et d'intérêt public,
et souvent avec une foule de circonstances particulières : et dès lors
toutes les questions qui s'élèvent sur le mérite ou sur le crime é*W\ délit
quelconque sont nécessairement abandonnés à l'incertitude des opinions
et à l'arbitraire des jugemens particuliers. Chacun décide des questions
suivant ses principes, suivant ses préjugés, suivant ses habitudes, suivant
les intérêts de son parti, suivant ses intérêts particuliers : de là vient
qu'une loi sur les délits qui peuvent être commis par la voie de la presse,
demande de plus grandes circonspections avant d'être portée. De là
vient que cette loi, sous le prétexte de la liberté de la presse, produit
presque toujours l'effet infaillible d'anéantir la liberté en elle-même.
Rappellez-vous, Messieurs, ce qui s'est passé jusqu'ici, lorsque le gou-
vernement, sous prétexte de l'ordre et de l'intérêt public, poursmvoit
les écrivains. Quels étoient les écrits qui étoient les objets de la sévé-
rité ? C'étoient précisément ceux qui sont actuellement l'objet de notre
admiration et qui ont mérité de notre part des hommages à leurs auteurs.
En effet, il est dans la nature des choses qui suivent le? tems et les
lieux, qu'un écrivain essuyé des persécutions ou reçoit des couronnes.
Le Contrat Social étoit, il y a trois ans, un écrit incendiaire ! Jean-
Jacques Rousseau, l'homme qui a le plus contribué à préparer la révo-
lution, étoit un séditieux, étoit un novateur dangereux, et pour le faire
monter à l'échafaud, il n'a manqué au gouvernement que moins de
crainte du courage des patriotes; et on peut ajouter, sans craindre de
se tromper, que si le despotisme avoit assez compté sur se? forces et sur
l'habitude qui enchaînoit le peuple sous son joug, pour ne pas craindre
une révolution, J.-J. Rousseau eût payé de sa tête les services qu'il
(3) O'est également sur l'exemple des Constitutions américaines
qu'il avait établi sa première argumentation le 24 août 1789.
(4) Constitution de l'Etat de Virginie, art. 14 de la Déclaration
des Droits.
648 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
voulut rendre à la vérité et au genre humain, et qu'il eût augmenté la
liste des illustres victimes que le fanatisme, le despotisme et la tyrannie
ont frappées dans tous les tems. Concluez donc, Messieurs, que rien
n'est plus délicat, ni peut-être plus impossible à faire qu'une loi qui
prononce des peines contre les opinions que les hommes peuvent publier
sur toutes les choses qui sont les objets naturels des connoissances et des
raisonnemens humains. Pour moi, je conclus qu'on ne peut en faire;
vous en avez fait une; c'est peut-être la seule qu'il soit possible de faire
en la restreignant dans les termes dans lesquels votre sagesse l'a expri-
mée : c'est celle qui permet de prononcer des peines seulement contre
celui qui provoqueroit formellement (ce mot est bien essentiel) à quelque
crime ou à la désobéissance à la loi. Je ne crois pas que vous puissiez
aller plus loin, que vous puissiez mettre des termes différens sans atta-
quer la liberté de la presse dans son essence et dans son principe. Ceci
concerne les opinions que l'on peut publier sur les choses qui intéressent
le bien de l'humanité.
« Une autre question non moins importante s'élève relativement
aux personnes publiques. Il faut observer que dans tout état le seul
frein efficace des abus de l'autorité c'est l'opinion publique; et par une
suite nécessaire la liberté de manifester son opinion individuelle sur la
conduite des fonctionnaires publics, sur le bon et mauvais usage qu'ils
font de l'autorité que les citoyens leur ont confiée. Or, messieurs, sup-
posez que l'on ne puisse en exercer le droit qu'à condition d'être exposé
à toutes les poursuites, à toutes les plaintes juridiques des fonctionnaires
publics; je vous demande si ce frein ne devient pas impuissant et à peu
près nul pour celui qui voudra remplir la dette qu'il croira avoir contrac-
tée envers la patrie en dénonçant des abus d'autorité commis par les
fonctionnaires publics. S'il est possible de soutenir une lutte terrible
avec lui, qui ne voit pas quel est l'avantage immense qu'a dans cette
lutte un homme armé d'un grand pouvoir, environné de toutes les res-
sources que donne un crédit immense, une influence énorme sur la desti-
née des individus et sur celle même de l'état : qui ne voit que très
peu d'hommes seroient assez courageux pour avertir la société entière
des dangers qui la menacent.
« Permettre aux fonctionnaires publics de poursuivre comme calom-
niateurs quiconque oserait accuser leur conduite, c'est abjurer tous les
principes adoptés par tous les peuples libres. Chez tous les peuples
libres, chaque citoyen fut considéré comme une sentinelle vigilante qui
doit avoir sans cesse les yeux ouverts sur ce qui peut menacer la chose
publique; et non seulement on n'érigeoit pomt en crime une dénoncia-
tion fondée sur des indices plausibles; non seulement on n'exigeoit pas
que le citoyen qui prévenoit ses concitoyens, vint armé de preuves
juridiques; mais tous les magistrats vertueux eux-mêmes se soumettaient
avec joie à la liberté de cette mesure publlciue. Aristide condamné à
un glorieux exil par le caprice de ses concitoyens n'accusoit pas la
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 649
liberté que la loi donnoit à tout citoyen de surveiller avec la plus grande
sévérité les actions des magistrats, parce qu'il savoit bien que si une loi
plus favorable aux magistrats l'avoit mis à couvert même d'une témé-
raire accusation, cette même loi auroit favorisé la foule des magistrats
corrompus, et que par là le principal appui de la liberté auroit été ren-
versé.
« Qu'on ne croie pas que dans un état de choses où la liberté est
solidement affermie, la représentation d'un homme vertueux soit en proie
aux caprices et à la malice du premier dénonciateur. Quand la liberté
de la presse règne, quand on est accoutumé à la voir s'exercer en tous
sens, elle fait par cela même des blessures moins dangereuses, et il n'y
a réellement que les hommes dont la vertu est nulle ou équivoque, qui
puissent redouter la plus grande liberté de la censure de leurs conci-
toyens.
« Appliquez aux articles du comité les idées que je viens de déve-
lopper, et vous verrez que ces articles sont conçus en des termes vagues
qui ouvrent tous les moyens possibles de sacrifier arbitrairement tous
ceux qui auroient publié les opinions les plus justes, soit sur les objets
les plus essentiels pour le bien public, soit sur les abus d'autorité publi-
que. Je remarque ici que l'assemblée nationale avoit adopté un amen-
dement jugé par elle indispensable pour prévenir l'arbitraire auquel les
articles donnoient lieu, c'étoit le mot formellement. On avoit très bien
observé alors qu'il n'y avoit point d'écrit si raisonnable et si utile sur
les vices de l'administration ou de la législation, qui ne pût être regardé
par des juges ignorans ou prévenus, comme une provocation à la désobéis-
sance à la loi, puisqu'ils peuvent toujours prétendre que ce qui montre
les vices de la loi, inspire moins de respect pour la loi, et provoque
à la désobéissance. Il est donc absolument nécessaire que l'amendement
adopté à cet égard par l'assemblée nationale soit restitué.
(( Le comité a ajouté des termes qui n'étoient point dans la loi
que vous avez portée, et qui certainement forment la loi la plus arbi-
traire et la plus tyrannique que l'on puisse porter sur la presse. Les
voici : V avilissement des pouvoirs constitués. Qu'est-ce que provoquer
l'avilissement des pouvoirs constitués ? Cela veut sans doute dire quel-
que chose qui soit contraire à un fonctionnaire public. Mais si un
fonctionnaire public a des torts, si on dévoile au public ses pré van ca-
tions, cet homme, revêtu de pouvoirs constitués, est donc, avili. C'est
sûrement ce qu'a voulu dire le comité, du moins cela peut s'interpréter
ainsi, et cela ne peut subsister dans la loi (il lit le troisième para-
graphe). Nous sommes d'accord sur ce point, mais il faut observer
que le comité, dans ce même projet, non seulement engage l'assemblée
à prononcer des peines trop arbitraires contre l'usage de !a liberté de la
presse, mais qu'il va même jusqu'à arrêter l'émission des écrits. Ce
vice se trouve dans la seconde disposition de l'article II; voilà par
conséquent une espèce de censure établie sur les écrits. (Murmures). Je
650 LES DISCOURS D£ ROBESPIERRE
demande donc que l'assemblée nationale décrète que sauf les exceptions
qu'elle a cru devoir porter concernant les écrits qui provoquent formelle-
ment la désobéissance à la loi, elle déclare que tout citoyen a le droit
de publier son opinion, sans être exposé à aucune poursuite. (Applaudi
des tribunes) » (5).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 235, p. 973.
« M. Robespierre. Le plus sûr moyen de développer les vices
des articles dont il vient de vous être donné lecture, c'est de présenter
quelques idées générales sur la liberté de la presse. Le moment d'une
révolution ne présente pas de grands avantages pour cette discussion,
à cause des abus qui sont résultés de la presse. Voici quelle était la loi
constitutionnelle des Etats-Unis : « La liberté de publier ses pensées
étant le boulevard de la liberté, elle ne peut être gênée en aucune
manière, si ce n'est dans les états despotiques ». Les entraves peuvent
exister ailleurs que dans la censure; il ne faut pas abandonner le juge-
ment des opinions aux intérêts des partis. La loi qu'on nous propose,
sous prétexte de réprimer les abus, anéantit la liberté. Les opirrons
sont bonnes ou mauvaises, suivant les circonstances. Quels étaient, i' y
a trois ans, les écrits, objets de la sévérité du gouvernement ? C'étaient
ceux qui font aujourd'hui notre admiration. A cette époque, le Contrat
social était un écrit incendiaire, et Jean-Jacques Rousseau un novateur
dangereux. Vous avez fait contre les abus de la presse tout ce qu'il
fallait faire, en décrétant qu'il sera prononcé des peines contre ceux
qui provoqueront formellement la désobéissance à la loi; vous ne pouvez
aller plus loin.
« Si vous ne donnez point une certaine facilité pour surveiller les
fonctionnaires publics, pour réprimer leurs desseins lorsqu'ils pourraient
en avoir de coupables, vous n'avez point renversé le despotisme. Qui
osera dénoncer un fonctionnaire, s'il est obligé de soutenir une lutte
contre lui ? Qui ne voit pas dans ce cas l'avantage de l'homme armé
d'un grand pouvoir ? N'allons point opposer l'intérêt des fonctionnaires
à celui de la patrie. Aristide, condamné, n'accusait pas la loi qui don-
nait aux citoyens le droit de dénonciation. Caton, cité 60 fois en justice,
ne fit jamais entendre la moindre plainte; mais les décemvirs firent des
lois contre les libelles, parce qu'ils craignaient qu'on ne dévoilât leurs
complots. (On applaudit). Je proposerais de décréter: 1° que, sauf
l'exception portée contre ceux qui provoqueraient formellement la dés-
obéissance à la loi, tout citoyen a le droit de publier ses opinions sans
être exposé à aucune poursuite; 2° que le droit d'intenter l'action de
(5) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIX, 631.
D'après le Mercure de France (3 septembre 1791, p. 34), ce
discours a été très long: « M. Robespierre s'est plaint qu'on ne
vouloit pas l'entendre, après avoir parlé plus d'une heure et
demie ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 651
calomnie n'est accordé qu'aux personnes privées; (on murmure dans
diverses parties de la salle). 3° qu'à l'exemple de l'Amérique, dont la
constitution n'a pas été huée, les fonctionnaires publics ne pourront pour-
suivre les personnes qui les calomnieront. (Les murmures recommen-
cent) )> (6).
Mercure universel, t. VI, p. 375.
« M. Robespierre. Par cela même que la liberté de la presse fut
toujours regardée comme le frein du despotisme, il en est résulté des
entraves continuelles, et presque l'impossibilité de s'éclairer sur les
droits d'imprimer ses pensées. Le moment d'une révolution est le mo-
ment le moins convenable pour s'en bien pénétrer par les abus qu'en
font tous les jours à dessein les ennemis de "ta liberté. Mais il faut se
transporter dans des temps de calme, et voici le règlement de l'Améri-
que à cet égard : La liberté de la presse étant le boulevard de la liberté
civile, elle ne peut être limitée, et les auteurs des écrits ne peuvent
être poursuivi pour cause de leurs écrits. Voilà ce que les Américains
ont jugé de plus convenable; et en effet comment peut-on proposer
sérieusement de poursuivre des écrits qui ne contiennent que des idées,
des opinions; les hommes qui se trompent, ceux qui errent, les insensés,
les fous ont aussi des opinions; oserez-vous les punir de n'avoir pas un
jugement sain ? Oserez-vous punir les insensés, parce qu'ils sont mala-
des ? Il faut des faits, des actions pour trouver des délits, mais des
écrits, des opinions sont estimées différemment par chaque individu,
elles sont jugées selon les opinions versatiles de chacun, selon l'esprit
de parti, d'intérêt ou de sentiment qui agitent tel ou tel citoyen. Quels
sont les écrits que le gouvernement persécutait il y a cinq ans; ce sont
ceux qui depuis ont mérité nos hommages; il y a cinq ans qu'aux yeux
des gens de cour Jean- Jacques étoit un séditieux, un novateur dange-
reux. Le Contrat social étoit un ouvrage incendiaire, et il n'a manqué
à Jean-Jacques, pour porter sa tête sur l'échaffaud, que plus de courage
dans le gouvernement ou moins de lumières dans les peuples. Pour
moi, messieurs, je pense qu'il n'est pas possible de faire d'autres loix
sur. la liberté d'imprimer que celle que vous avez faite contre les écrits
qui, formellement, conseillent la désobéissance à la loi; les écrits, les
opinions doivent être au tribunal de la raison. Quant aux calomnies con-
tre les intentions de quelques fonctionnaires publics, il n'y a pas un
homme dans cette assemblée, excepté ceux des comités, qui ose faire
une loi à cet égard. Qui voudroit remplir la tâche dangereuse de dénon-
cer des fonctionnaires, des abus de pouvoir, des dangers qui menacent
la société, si ce paragraphe étoit décrété ? Qui voudroit s'exrx>ser \ une
lutte contre des fonctionnaires puissans ? Jamais aucun peuple libre n'a
exigé qu'un citoyen qui venoit dénoncer de tels hommes fut armé de
<6) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 462.
652 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE.
preuves: mais en Grèce, les magistrats se soumettaient avec joie aux
épreuves qui leur étoient suscitées ! Les magistrats ne sont établis que
pour l'intérêt public, et une loi inquiétante pour eux, si elle est utile,,
doit subsister. Il n'y a que les hommes dont la vertu est ou nulle ou
équivoque, qui puissent redouter la libre censure de ces concitoyens;
jamais Aristide se plaignît-il des dénonciations portées contre lui ?
D'ailleurs, plus la presse est libre, moins les blessures qu'elle fait sont
dangereuses. Tout bon citoyen se doit à sa patrie, et il ne redoute pas
de si légères atteintes. (Les tribunes applaudissent). Dans cet article,
vos comités ont subsistué ce mot, à dessein à celui-ci formellement : je
demande que ce mot soit restitué : qu'est-ce ensuite que provoquer à
l' avilissement des pouvoirs constitués ? Il suffira donc de dénoncer un
comité justement repréhensible pour être dans le cas de la loi ? Je
demande que l'assemblée décrète, sauf le cas qu'elle a décidé, sur les
écrits qui conseillent formellement la désobéissance à la loi, que tout
citoyen a le droit de publier ses opinions sur les actes d'administration,
sans pouvoir être poursuivi ni inquiété. (Applaudi). »
[Long résumé de ce discours dans Le Point du Jour, t. XXV,
n° 774, p. 402; Le Journal des Débats, n° 823, p. 11 ; La Gazette
nationale ou Extrait. ., t. XIX, p. 195; Le Courier de Provence,
t. XVI, n° 332, p. 355; Le Législateur français, t. III, 23 août 1791,
p. 4; Le Journal des décrets de l'Assemblée nationale, 22 août 1791,
p. 342; Le Journal de Rouen, n° 235, p. 1139. Brève mention dans
Le Journal de la Noblesse..., t. II, n° 35 B, p. 497; Le Mercure de
France, 3 septembre 1791, p. 18; Le Patriote françois, n° 743, p. 225;
Le Journal général du Pas-de-Calais, n° 17, p. 181 ; Assemblée natio-
nale, Corps administratifs (Perlet), t. XIII, n° 748, p. 5; Le Journal
universel, t. XIII, p. 14111 ; L'Ami du Roi (Montjoie), 23 août 1791,
p. 939; Le Journal de Paris, 23 août 1791, p. 962; L'Ami du Peuple
(Marat), n° 538, p. 3; Le Pacquebot, n° 233; Le Journal de la Révo-
lution, n° 376, p. 417.]
Société des Amis de la Constitution
342. — SEANCE DU 22 AOUT 1791
Sur la liberté de la presse
Le matin même, à V Assemblée nationale, Robespierre était inter-
venu sur le projet de décret concernant la répression des délits
commis par la voie de presse, en particulier sur l'art. 1 (1). A la
séance de la -Société, Rœderer présente quelques observations sur le
texte de l'article qui fut a-dopté (2). Anthoine parle sur le même
sujet. Robespierre appuie les observations de Rœderer.
(1) Cf. E. Hamel, I, 540.
(2) Cf. ci-dessus, séance précédente.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 653
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n°47, p. 2.
Mercure universel, t. VI, p. 426.
« M. Robespierre. J'attache peu d'importance au mot outrage ou
avilissement. Il est plus intéressant de s'occuper de l'article qui concerne
les calomnies contre les fonctionnaires publics. Je pense bien que les
calomniateurs doivent être poursuivis en justice : cependant je crois
que les fonctionnaires doivent être soumis à la censure de l'opinion publi-
que qui doit toujours être parfaitement libre. Si le magistrat avait le
droit de poursuivre tous ses calomniateurs, l'écrivain patriote qui cher-
cherait à faire observer la conduite du magistrat, serait obligé de lutter
inégalement avec le magistrat, toutes les fois qu'il parlerait de lui. Le
fonctionnaire public qui sera accusé à tort, saura, par l'exposé de sa
conduite irréprochable, faire sortir sa vertu brillante d'un plus bel éclat.
Les blessures de la calomnie ne sont dangereuses que sous le despotisme :
l'homme vertueux, qui s'est dévoué pour la patrie, est calomnié; mais
aussi la liberté de la presse reste entière, et sans elle point de liberté. »
« M. Royer, évêque de l'Ain, appuie les réflexions de M. Robes
pierre sur les calomnies dirigées contre les fonctionnaires publics, et cite
les apôtres et St. François de Sales », les premiers, dit-il, auxquels
l' homme-Dieu déclara qu'ils seraient en but à toutes les calomnies, et
l'autre qui fut calomnié toute sa vie malgré sa conduite irrépro-
chable » (3).
(3) Aulard (III, 97), de même que Bûchez et iRoux {XI, 476)
donne un bref résumé de cette intervention : « M. Robespierre
appuie les observations de M. Rœderer »;.
343. — SEANCE DU 23 AOUT 1791
Discussion du projet de Constitution {suite)
Sur la liberté de la presse (suite)
Le 23 août, la discussion reprend sur le second paragraphe de
l'art. 1 du titre relatif >à la liberté de la presse (1). Pétion demande
la question préalable sur l'avis du comité. Le duc de La Rochefou-
cauld, député de la noblesse de Paris, présente une nouvelle rédac-
tion : « Tout homme a le droit d'imprimer et de publier son opinion
sur tous les actes des pouvoirs publics et sur tous les actes des fonc-
tionnaires publics, relatifs à leurs fonctions; mais la calomnie contre
qHelque personne que ce soit, sur les actions de sa vie privée, pourra
être jugée sur sa poursuite ». D'André défend le projet des comités.
Robespierre qui intervient après lui, interrompu au début de son
discours par Regnaud de Saint- Jean-d'Angély, se rallie à la rédac-
tion de La Rochefoucauld. Duport se prononce • pour la rédaction
des comités. La discussion est fermée.
(1) Of. ci-dessus, séance du 22 août 1791.
654 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
L'Assemblée adopta un amendement présenté par Salle, et
accepté par le rapporteur, Thouret. Le paragraphe 2 de l'art. 1 fut
décrété en ces termes : « La censure de tous les actes des pouvoirs
constitués est permise; mais les calomnies volontaires contre la pro-
bité des fonctionnaires publics et contre la droiture de leurs inten-
tions dans l'exercice de leurs fonctions, pourront être poursuivies
par ceux qui en sont l'objet ».
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXXII, p. 207
« M. Robespierre. « Je réponds à M. d'André en posant seule-
ment l'état de la question. M. d'André et les partisans de l'article du
comité semblent quelquefois s'éloigner de nos principes, et quelquefois
s'en rapprocher; c'est ce que vient de faire M. d'André. Dans ce
moment, M. d'André paroit décidé à nous accorder... (Non, non;
murmures).
« M Régnault d'Angély (sic). Je demande que M. Robespierre
veuille bien désigner la corporation dont il est le chef. (On rit).
a M. Robespierre. Je vais satisfaire à l'interpellation du préopi-
nant (au fond à gauche : allons, allons, à l'ordre du jour). L'expression
dont je me suis servi n'étoit pas susceptible, ce me semble, d'une
pareille réflexion; car quand je dis nous, je parlois de ceux que la ques-
tion intéresse, et par conséquent de la généralité des citoyens. Ce sont
les droits de la nation que je réclame contre un système qui m'y paroît
contraire. Je disois donc que ML d'André paroissoit accorder aux
citoyens le droit d'exercer une censure salutaire et libre sur les actes
administratifs. Si effectivement l'article que nous combattons (je parle
de ceux qui ont combattu le projet du comité), si, dis-je, l'article rem-
plissoit cet objet, ce seroit alors qu'on pourroit dire, avec vérité, que
nous sommes d'accord ; mais la difficulté consiste en ce que nous préten-
dons qu'en même tems que le comité reconnoit la nécessité d'exercer
cette censure, la rédaction avec laquelle son article est rendu la détruit
entièrement. En effet, messieurs, qu'est-ce que la liberté d'exercer la
censure de l'opinion (murmures) ? Je demande s'il est raisonnable, lors-
que les comités et les partisans de l'opinion des comités parlent aussi
souvent et aussi long-tems qu'ils veulent, et sont entendus, je demande
s'il est juste de m'arrêter au milieu de mon opinion ? Quelle est donc
cette censure libre que l'on prétend accorder aux citoyens sur les actes
administratifs ? Et pour rendre ceci sensible, je vais me servir de l'opi-
nion de M. Thouret; il s'agit d'un ministre qui compromet la liberté et
la sûreté de la nation par un système perfide, qui, parlant toujours de
patriotisme, de loix, d'ordre public, néglige la défense du royaume,
et entretient des intelligences coupables avec les ennemis du dehors,
eh bien ! moi je demande si le droit d'un citoyen, dans cette circons-
tance, est borné à dire très-modestement, très respectueusement : M. le
ministre a négligé d'envoyer un corps de troupes suffisant sur cette fron-
tière. Je demande s'il n'*est pas permis de dire, non seulement le ministre
a négligé de défendre cette partie du royaume, mais j'apperçois dans
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 655
sa conduite un plan de conspiration contre le salut public (ah ! ah !). Je
citerois un autre exemple qui est réel, et qui autrefois eût non seulement
passé pour hypothétique, mais eût été une calomnie. Un général préposé
à la défense de nos frontières, a médité un plan qui doit être de déchirer
la nation par une guerre civile, et de la livrer à tous les fléaux de la
guerre intestine et de la guerre extérieure. Je suppose que j'aie des
indices très frappans et capables de convaincre tout homme de bonne-foi
et un peu clairvoyant. Je le demande, me sera-t-il permis seulement de
dire : ce général a commis telle action qui étoit contraire aux devoirs
qui lui étoient imposés, et si je vais jusqu'à dire ce général est un
traître, c'est l'ennemi de la patrie, serai-je coupable? Oui, je le serai
dans le sens du comité.
« Plusieurs voix. Non, non.
« M. Robespierre. Je dis, messieurs, que par la nature des choses,
l'intention de faire le mal est ici intimement liée au mal que l'on fait :
qu'il y a une connexité si nécessaire entre commettre un crime ef être
un scélérat ; que c'est une absurdité de dire : vous aurez le droit de dire
qu'un fonctionnaire public a commis un acte contraire à ses devoirs,
et non le droit de dire que le fonctionnaire public est un traître, un
prévaricateur. Eh ! quand on propose des articles de cette espèce, quel
peut en être le résultat, si ce n'est d'affoiblir l'énergie de la censure,
si ce n'est d'empêcher qu'elle ne s'exerce avec la force et l'étendue
nécessaire pour être réellement utile au salut public. Mais il y a une
raison bien supérieure à celles-là, que tous les partisans du système du
comité se sont empressés d'éviter, parce qu'elle montroit tous les vices
de leur raisonnement. Ils ont toujours supposé que, lorsque l'on réclamoit
le droit d'exercer la censure de l'opinion sur la conduite des hommes
en place, c'étoit le droit de calomnier que l'on réclamoit. C'est précisé-
ment tout le contraire : ce sont ceux qui prétendoient qu'il falloit bien se
garder de laisser la moindre ouverture à la calomnie contre les hommes
en place; ce sont ceux-là qui anéantissoient évidemment la censure la
plus légitime et la plus nécessaire sur la conduite des hommes publics.
Pour le prouver, il suffit de faire attention à une chose prouvée, non
seulement par le raisonnement mais par notre propre expérience. Je défie
M. d'André lui-même de répondre à l'exemple que je vais lui sou-
mettre. Il fut un tems où le général que je viens de désigner étoit aussi
coupable aux yeux des hommes tant soit peu clairvoyants et tant soit
peu zélés pour le succès de la révolution, il avoit des intentions aussi
perfides qu'il les a manifestées depuis. Eh ! bien, je vous en atteste, si
un citoyen eût dit que Bouille méditoit un projet funeste au salut de la
patrie, je le demande, la seule énonciation de ce fait n'eût-elle pas
passé pour une calomnie (applaudi) : si quelqu'un peut me contester la
vérité de cette réflexion, je lui rappellerai l'engouement général que
l'on avoit excité en faveur du patriotisme et du zèle de M. de Bouille.
J'en attesterais les éloges qui lui ont été donnés par l'intrigue et les
656 LES DISCOURS DE. ROBESPIERRE
lemerciements même surpris à l'assemblée nationale (2) (applaudi). Je
demande s'il est possible de faire une telle illusion à l'opinion publique,
à une nation presque entière, à la sagesse même des représentans d'une
grande nation. Je le demande, si ce ne seroit pas s'exposer à une perte
certaine que d'aller lutter en pareille circonstance avec un ennemi aussi
puissant. La conclusion de tout ceci est simple, c'est qu'il est impossible
d'exercer librement, sur la conduite des hommes publics, même les plus
coupables, une censure, si l'avertissement que l'on donne sur sa conduite,
si l'exercice que l'on fait de ce droit vous expose à une peine presqu'iné-
vitable. Car il est bien évident d'une part, que les fonctionnaires publics
puissans peuvent s'environner d'une force d'intrigue, de manœuvres,
d'opinions excitées par les manœuvres de la cabale, et quelquefois même
du gouvernement, qu'il soit absolument impossible, je ne dis pas de les
attaquer impunément, mais même de ne pas éprouver la condamnation
la plus humiliante et la plus accablante, si on ose dire un mot pour le
salut de la patrie, lorsqu'il peut les blesser.
« Il résulte de là que la question reste à savoir, si pour éviter le
danger d'exposer les fonctionnaires publics dans certaines circonstances
à des inculpations hazaidées, il faut priver la société de l'avantage
suprême et nécessaire à sa conservation, de dénoncer sur de simples
indices, et sans être exposé au sort d'une condamnation presqu'inévi-
table; il faut, en un mot, prononcer entre l'intérêt de la nation et l'inté-
rêt des fonctionnaires publics : c'est à cela qu'il faut réduire la question,
en raisonnant de bonne foi, et voilà le motif qui m'engage à conclure
en faveur de la rédaction de M. Larochefoucault » (3).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 236, p. 977.
« M. Roberspierre. M. Dandré et les autres partisans du Comité
semblent quelquefois se rapprocher des principes pour s'en éloigner sur
le champ. M. Dandré paraît dans la dernière partie de son opinion
déterminé à nous accorder... (Il s'élève des murmures).
« M. Regnaud de Saint Jean d'Angély. Je demande que le pré-
opinant veuille bien indiquer la corporation dont il est le chef.
« M. Roberspierre. Je m'en vais satisfaire à l'interpélation du pré-
opinant. Quand j'ai dit nous, je parlais de ceux que la question inté-
resse, c'est-à-dire, de la généralité des citoyens : ce sont les droits de
la nation que je réclame contre un article qui me paraît les attaquer.
Je dis donc que M. Dandré paraissait accorder le droit d'une censure
salutaire et libre sur les actes d'administration; si l'article remplissait
cet objet, alors on pourrait dire que nous sommes d'accord; mais il ne le
remplit pas.
« Qu'est-ce que la liberté d'exercer la censure ? (On murmure).
(2) 'A la suite de l'affaire de Nancy (Of. Discours..., Ve partie,
pp. 527, 529-535).
(3) Texte reproduit dans les Areh. pari., XXIX, 656-657,
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 657
La puissance des Comités s'étend-elle jusqu'à parler aussi long-tems
qu'ils veulent et à ne laisser parler personne ? Je dis que cette censure
sur les actes d'administration ne pourra pas s'exercer sans que, en vertu
de 1 article qui vous est proposé, on puisse poursuivre le censeur comme
calomniateur. Par exemple, un ministre parlant toujours de patriotisme et
d'ordre public, peut mettre une négligence coupable dans l'exécution
des lois relatives à la défense du royaume, entretenir des intelligences
secrettes avec les ennemis du dehors. Je demande si le droit du citoyen
se réduira à dire très modestement, très-respectueusement, M. le ministre
a négligé de porter tel corps de troupes sur les frontières, ou n'aura-
t-il pas le droit de dire, s'il en a le courage; j'apperçois dans sa conduite
un plan de conspiration contre le salut public; j'invite mes concitoyens
à le surveiller. (On murmure. Les tribunes applaudissent).
« Voici un autre exemple. Un général préposé à la défense de nos
frontières a exécuté un plan dont le résultat devait être de livrer la nation
à tous les fléaux de la guerre domestique et extérieure. Je suppose que
j'aye eu des indices certains de ce crime, comme tout homme de bonne
foi et clairvoyant a pu en avoir, je ne pourrai donc pas provoquer la
surveillance publique sur un tel homme sans être puni comme calomnia-
teur ? Je dis que par la nature des choses, l'intention de faire le mal
touche de si près à l'action même, qu'il y a une connexité si évidente
entre le crime consommé et l'intention du crime, qu'on ne pourra dénon-
cer un délit d'administration, sans risquer d'être poursuivi comme calom-
niateur des intentions.
« A quoi sert cette distinction qu'il est si facile d'éluder dans
son usage entre un délit commis et l'intention si ce n'est à gêner la
censure sur tous les points.
« Consultons l'expérience; sur cent accusations intentées par
l'Assemblée nationale elle-même contre les citoyens 99 sont restées
sans preuves. Si M. Bouille eût été dénoncé comme un homme méditant
des projets contre la patrie, le citoyen clairvoyant et zélé qui en eût
découvert les indices sans en découvrir encore les preuves juridiques;
n'eût-il pas passé pour calomniateur ? (Les tribunes applaudissent). Pour
appuyer la vérité de cette observation, je rappellerai l'engouement géné-
ral excité en faveur du patriotisme et du zèle de cet officier, les éloges
qui lui ont été prodigués par l'intrigue et les remerciements même sur-
pris à la sagesse de l'Assemblée nationale. (On applaudit). Lorsque les
chances de l'équité sont tellement incertaines en faveur de l'un et de
l'autre système, je demande s'il faut priver la société de l'avantage
suprême d'une censure illimitée sur les fonctionnaires publics. Je de-
mande que la rédaction plus précise de M. Larochefoucault soit pré-
férée à celle du Comité » (4).
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 471 ; dans Bûchez et
Bôux, XI, 323; et dans Laponneraye, I, 187.
658 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Le Point du Jour, t. XXV, n° 775, p. 403 (pour p. 420).
« Le préopinant, a dit M- Robespierre, paroit enfin décidé à nous
accorder ce que les principes donnent à tout citoyen.
« Ici, M. Renaud (5) demande à M. Robespierre, au nom de
quelle société ou corporation il parle, quand il dit nous accorde.
« M. Robespierre repousse l'interpellation, en disant qu'il parle
des bons citoyens qui veulent une liberté sage, une liberté nécessaire
de surveiller et de censurer les actions des administrateurs commises
en administration, et qu'il pense, quand il dit nous de ceux des préopi-
nans qui ne trouvoient pas assez de clarté dans l'article des comités.
Je le demande à tout homme raisonnable, le droit d'un citoyen se réduit-
il donc à dénoncer respectueusement, modestement, les actes illégaux
des administrateurs, sans oser expliquer les intentions eue !es actes
supposent ou manifestent. Un général (et vous en avez eu récemment
l'exemple, sous les yeux) (5), un général machine avec des factieux
ou des ennemis du bien public un plan qui doit déchirer le royaume par
une guerre intestine et extérieure, si je dis : c'est un traître, il a formé
le plan d'une conspiration contre sa patrie, je suis accusé de calomnie,
je suis puni. Cependant, malgré les flatteries et les éloges mendiés dont
quelques intriguans le firent couvrir par un décret de l'assemblée, il fut
une époque où ce général n'étoit aux yeux des hommes un peu clair-
voyans qu'un traître odieux, qu'un ennemi perfide qui cherchoit à allu-
mer la guerre civile. Alors, si quelqu'un eût dit, c'est un traître, i!
auroit été réputé calomniateur (On applaudit). — Je crois donc que
M. André a fort mal posé la question : il s'agit de savoir si l'on exposera
les fonctionnaires publics à quelques imputations mal fondées, ou si l'on
privera la société de l'utilité, qui peut résulter d'une liberté entière de
dénonciation, et pour résoudre le problème, je donne la préférence à la
rédaction de M. Larochefoucaud sur l'article des comités. »
Courier de Provence, t. XVI, n° 333, p. 366.
<( M. Robespierre a présenté une hypothèse bien simple. Il a sup-
posé qu'un général, chargé de la défense d'une frontière importante,
tramât un projet de conspiration, dont le résultat seroit de livrer le
royaume à ses ennemis; il a supposé qu'un écrivain eût des indices
certains de ce crime; dans le projet des comités, il ne pourroi* le
dénoncer sans être puni comme calomniateur, parce qu'il n'auroit pas
de preuves juridiques. Consultons l'expérience, a ajouté l'orateur; sur
cent accusations intentées par rassemblée nationale elle-même, contre des
citoyens, quatre-vingt-dix-neuf sont restées sans preuves. Si M. Bouille
eût été dénoncé comme un homme méditant des projets contre la patrie,
(5) Pour Begnaud.
(6) Allusion au rôle de Bouille dans la fuite du roi.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 659
le citoyen clairvoyant et zélé, qui en eût découvert des indices, sans
en avoir encore acquis les preuves juridiques, n'eût-il pas passé pour
un calomniateur ? Pour appuyer la vérité de cette observation, je rap-
pellerai l'engouement général excité en faveur du patriotisme et du
zèle de cet officier, les éloges qui lui ont été prodigués par l'intrigue,
et les remerciements mêmes surpris à la sagesse de l'assemblée nationale,
« M. Robespierre a conclu à ce qu'on préférât la rédaction de
M. Larochefoucauld à celle des comités » (7).
Mercure universel, t. VI, p. 382.
« M. Robespierre. En même temps que M. d'André et le comité
conviennent des mêmes principes que nous, la rédaction de leur article
ne les comporte pas; je cite un exemple; qu'il existe un ministre, qui
néglige la défense extérieure du royaume, qui entretienne des relayons
perfides ou machiavéliques, avec les ennemis extérieurs, ne me sera-t-il
donc pas permis de le dire ? Si son plan est de faire arriver à un terme
fixé une dissention intestine, la guerre civile, et la guerre extérieure,
pour renverser l'organisation publique, parce que je n'aurai aucune
preuve matérielle de ces intentions, ce que jamais on ne pourra démon-
trer, je vous demande si je dois me taire au risque de trahir, de perdre
ma patrie ? ou si je dois pour la sauver m'exposer à la vengeance d'un
ministre puissant, qui peut me faire porter la tête sur l'échafaud ? Si
lors même de l'affreuse affaire de Nancy, si quelqu'un eût dénoncé
Bouille, n'eut-il pas passé pour un calomniateur (très-applaudi) (8).
a J'en atteste les remerciemens surpris à l'assemblée (applaudi).
« La question se réduit donc à savoir si on laissera dans certaines
circonstances des fonctionnaires publics, exposés à des assertions hasar-
dées, ou bien si l'on exposera le salut du peuple aux trahisons, aux
extentions abusives de ceux à qui il a confié ses pouvoirs (applaudi). »
L'Ami du Peuple (Marat), nr 538, p. 5-
« De nouveaux articles, tout aussi destructeurs de la liberté de la
presse, ont été ajoutés Celui qui porte « que les calomnies volontaires
contre la probité et la droiture des intentions des fonctionnaires publics,
pourront être poursuivies par ceux qui en sont l'objet », a excité de vives
réclamations de la part de MM. Péthion et Roberspierre . Ce dernier,
pour faire sentir l'atrocité de cette disposition du projet des comités, a
relevé la politique des agens ministériels qui s'enfoncent dans un dédale
ténébreux, pour dérober les preuves de leurs crimes, et qui commencent
toujours par jouer le rôle d'amis des lois et du bien public,^ avant de
jetter le masque; à ce sujet, il a cité l'exemple de Bouille, regardé
(i, Cf. Ë. Btamel, I, 542.
(H) C'est ce passage qu'ont retenu les rédacteurs des petits jour-
660 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
comme un traître à la patrie par tous les gens de bien, lors même que
l'assemblée lui a décerné la couronne civique pour le massacre des
patriotes de Nancy, et il a demandé si un écrivain qui l'aurait dénoncé
comme un conspirateur avant la notoriété de ses dernières trahisons,
aurait mérité d'être traité comme calomniateur, conformément au décret,
En soutenant Ja négative, il a démontré la nécessité de la liberté illi-
mitée d'écrire contre les fonctionnaires publics; mais bien-tôt, forcé de
céder au torrent des ennemis de la patrie, il a voté lui-même pour le
tempéremment, proposé par le sieur la Rochefoucauld, et il a été
décrété « que la censure est licite à tout homme contre les actes des
pouvoirs constitués, mais que les calomnies volontaires contre la probité
des fonctionnaires publics, et contre la droiture de leurs intentions dans
l'exercice de leurs fonctions, pourront être poursuivies par les personnes
qui en sont l'objet; de même que les injures relatives aux actions de
leur vie privée » (9).
[Brève mention de cette intervention dans L'Ami du Roi (Mont-
joie), 24 août 1791, p. 942; Le Journal de la Révolution, n° 377,
p. 424; Le Courrier des LXXXIII département, t. XXV II, n° 24,
p. 382; Les Révolutions de Paris, n° 110, p. 279; Le Journal général
du Pas-de-Calais, n° 18, p. 186; La Gazette nationale ou Extrait.-.,
t. XIX, p 205; Le Journal des Débats, n° 824, p. 6: La Gazette
universelle, n° 236, p. 944; Le Mercure de France, 3 septembre 1791,
p. 23; Le Pacquebot, n" 236; Le Journal général de France, 24 août
1791, p. 947; Le Journal général de l'Europe, 24 août 1791, p. 352;
Le Babillard, n° 72, p. 249; Le Postillon (Calais), n° 562, p. 5; Le
Journal de Louis XVI et de son peuple, t. V, n° 1 15, p. 129; Assem-
blée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. XIII, n° 749, p. 4:
Les Annales patriotiques et littéraires, n° 691, p. 1856; Le Journal
universel, t. XIII, p. 14118; L'Ami du Roi (Royou), 25 août 1791,
p. 2; Le Journal de Rouen, n° 236, p. 1145.]
(9) En conclusion d'un article intitulé: « Instruction sur la liberté
absolue de La presse », les « Révolutions de Paris » réclament: « La
liberté de la presse ou la mort ».
344. — SEANCE DU 24 AOUT 1791
Discussion du projet de constitution (suite)
Sur la garde du roi
La discussion sur la révision de l'acte constitutionnel^ continue.
Thouret, rapporteur, soumet à l'Assemblée l'article relatif a la garde
du roi qu'il propose de former de 1.800 hommes, pris dans la ligne
et la garde nationale. Vadier critique ce projet et demande que la
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 661
garde du roi soit prise dans les 83 départements i(l). Le marqua
o'Estournel rappelle que l'Assemblée a voté l'établissement de la
maison militaire du roi (2) ; il suggère qu'il soit sur-le-champ décrété
par acclamation qu'une députation ira prier le roi de reprendre
l'exercice de ses fonctions. Robespierre intervient alors (3). Hébrard,
député du tiers état de la sénéchaussée de Saint-Flour, s'oppose,
après lui, au principe même d'une garde militaire.
Les deux paragraphes de l'article unique du projet des comités
furent décrétés par l'Assemblée.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXXII. p. 233
« M. Robespierre. Je ne répondrai pas au discours du préopinant,
je chercherai seulement à attacher, s'il est possible, à quelques principes
la double garde proposée par le comité de constitution. Pour moi, j'au-
rois pensé que les gardes nationales, auroient pu continuer quelque
tems encore, du moins, de garder le roi. Le comité vous propose, outre
mne garde composée de citoyens, un corps militaire de fantassins et de
cavalerie dont la composition sera absolument à la disposition du roi.
Je crois en général qu'un corps armé par un particulier, dévoué au ser-
vice d'un homme quelconque, est la plus inconstitutionnelle de toutes
les institutions. Je prouverai ensuite qu'elle est dangereuse, non pas dans
le sens de ceux qui ont souri à ce qu'a dit un des préopinans : je ne
pense pas qu'un corps de 1 .800 hommes puisse conquérir la France,
mais je crois que sous d'autres rapports une pareille institution peut être
infiniment dangereuse. Dans quelle circonstance vous propose-t-on d'éta-
blir un corps militaire voué à la garde du roi ? C'est dans un moment
de crise et de révolution. Et s'il est vrai qu'un corps de 1 .800 hommes
ne peut menacer la liberté publique dans un tems de calme, il est égale-
ment certain qu'il peut être très funeste à l'ordre public, et très propre
à occasionner un mouvement dangereux dans des tems d'orages et de
conspirations.
« Ici, messieurs, je ne crois pas que les réflexions sur les cir-
constances critiques, puissent exciter dans l'assemblée autre chose qu'un
sentiment sérieux. Ce qui s'est passé, ce qui se passe encore, ce que
l'avenir peut nous préparer, a-t-il donc dû nous porter à tant de sécu-
rité ? Pourquoi faut-il ici qu'on me force de parler des circonstances
connues de tout le monde ? Est-il quelqu'un qui ne connoisse les alarmes
publiques sur certains rassemblemens suspects, sur des desseins hostiles
manifestés hautement par les ennemis de la révolution. Est-ce donc là
le moment de donner au roi un corps particulier de 1 .800 hommes, au
milieu de tant de troubles, dont nous sommes menacés de toutes parts?
(1) Vadier aurait, d'après le « Point du Jour ■», heurté l'Assem-
blée tout entière en donnant à penser « qu'un corps de 1.800 hommes
lût suffisant pour conquérir la France ».
(2) Le roi avait précédemment, dans une lettre à l'Assemblée,
exprimé son désir de voir rétablir sa maison militaire.
(3) Cf. E. Hamel, I, 640.
662 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Et de quelle manière sera composé ce corps } Le choix portera-t-i! sur
des militaires, dont l'attachement à la révolution est le plus connu ? Le
comité de constitution croit vous rassurer, en vous disant qu'ils seront
pris dans la classe de ceux qui sont actuellement en activité dans les
troupes de ligne; mais qui ne voit qu'il est possible de trouver 1.800
hommes, qui ne seront rien moins qu'attachés à la révolution et à la
cause publique parmi ceux qui sont en activité dans les troupes de ligne.
Que le comité ne pense donc pas nous rassurer par une considération si
illusoire : il est évident que le danger est aussi grand que si on laissoit
au roi la faculté de choisir par-tout sa garde. J'aimerois autant que la
latitude du choix lui soit accordée de la manière la plus illimitée. Je
conclus qu'il est impossible de songer à adopter un pareil système, sans
consentir, de gaieté de cœur, à exposer la tranquillité publique, dans
un moment critique, à des dangers réels, sans rendre plus funeste? encore
les causes de trouble, de division qui nous menacent, et sans se jouer
de l'opinion publique la mieux fondée, et des alarmes de la nation
entière et de tous les bons citoyens.
« Je ne crois pas, messieurs, que dans le moment actuel nous ne
devons nous occuper en aucune manière de la garde du roi : le *oi a une
garde, le roi a été confié à la vigilance et au patriotisme des citoyens
armés; voilà la mesure qui convient aux circonstances. Quand la paix
publique et la révolution seront affermies, quand les intentions de
ceux qui peuvent influer de la manière la plus puissante sur le sort de la
liberté seront parfaitement bien connues, alors nous verrons s'il est un
système meilleur que celui qui a été adopté jusqu'à ce moment; mais
dans ce moment, il faut songer à conserver celui qui a eu lieu jusqu'à
présent, et c'est à quoi je conclus, en demandant la question préalable
sur le projet du comité. (Vifs applaudissemens des tribunes) (4). »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 237, p. 981.
« M. Roberspierre. Dans quelles circonstances vous propose-t-on
de rétablir les gardes du roi ? Dans un moment de crise et de résolu-
tion; et s'il est vrai que ce corps de troupes ne serait pas funeste dans
un moment calme, il est vrai qu'il peut protéger des projets contre l'ordre
public, dans un tems d'orage et de conspiration. Pourquoi faut-il que je
sois obligé à vous rappeler les circonstances que tout le monde con-
naît^... De quelle manière serait composé ce corps, ne serait ce pas
de la manière qui conviendrait le plus à la cour ? Dans quelle classe
croyez-vous qu'on prendrait ceux dont l'attachement à la constitution
est connu? Le Comité croit vous rassurer en disant qu'ils ne seront
pris que parmi les personnes actuellement en activité de service dans
les troupes de lisrne, ou dans la garde nationale, mais qui ne sait
combien il serait facile de trouver dans les troupes de ligne 1 .800 hom-
(4) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXIX, 695.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 66:5
mes prêts à se dévouer à une contre-révolution; il est donc clair que
le danger est le même que s'il était possible de les choisir partout. Je
crois qu'en ce moment nous ne devons nous occuper en aucune manière
de la garde du roi, qu'elle reste confiée à la vigilance et au patriotisme
des hommes armés, voilà la mesure qui convient aux circonstances. (Les
tribunes applaudissent) » (5).
Le Mercure universel, t. VI, p. 393.
« M. Robespierre. Je ne répondrai point à ce que vient dire
l'opinant, je m'attacherai aux principes. Dans quelle circonstance vous
propose-t-on d'établir un corps de troupes militaires ? C'est dans un
temps d'orages et de conspirations; ce qui s'est passé, ce qui se passe
encore, ce que l'avenir nous prépare, ne nous engage point à tant de
sécurité. Ne connoit-on pas ces rassemblemens secrets et clandestins,
ces projets de conspirations qui, dans ce moment même, alarment encore
les citoyens. Mais dans quelle classe seront pris les dix-huit cens hom-
mes qui, choisis par la cour, parmi les ennemis des loix et du peuple,
renouvelleront sans cesse ces scènes de troubles, de machination et de
révolte contre les loix : on ne peut songer à ce système, à moins qu'on
ne veuille de gaîté de coeur se soumettre à toutes les embûches que
l'on voudra nous tendre. Je crois que nous ne devons aujourd'hui nous
occuper aucunement d'une garde royale; le roi en a une. c'est la meil-
leure qu'il puisse avoir : dans d'autres temps, quand la liberté sera
plus assurée, nous verrons si nous devons lui en donner une. Je demande
la question préalable sur le projet du comité. (Applaudi) »
Chronique de Paris, t. V, n° 237, p. 961 .
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. III, n° 425.
« M. Roberspierre. Le comité propose d'accorder au roi une garde
spéciale et particulière de 1.800 hommes. Je crois qu'un corps voué à
un homme est la plus inconstitutionnelle de toutes les institutions. S'il
est vrai que 1 .800 hommes ne puissent être dangereux en tems de
calme, au moins ils peuvent l'être en tems d'orage. On nous dit qu'ils
seront pris dans les troupes de ligne, mais on n'aura pas beaucoup de
peine à y trouver 1 800 ennemis de la constitution Je conclus qu'il est
impossible dans les circonstances présentes de s'occuper de la garde du
roi, sans se ]ouer de l'opinion publique. »
L'Ami du Roi (Royou), 26 août 1791, p. 2.
« Nommer M. Robespierre, c'est annoncer un adversaire du projet
d'une garde pour le roi. Nous sommes, à ce qu'il dit, entourés de mal-
veillans, menacés d'hostilités et d'invasions de la part de toutes les
puissances de l'Europe On va mettre en péril la liberté publique.
(5) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 477.
664 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
] .800 hommes choisis par le roi lui semblent plus que suffisans pour la
compromettre dans ce tems de trouble; mais n'est-ce pas aussi dans les
momens d'orages qu'il convient que le roi soit environné d'une garde
plus formidable aux malfaiteurs, qui pullulent à ces époques désas-
treuses. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal des Débats,
n° 825, p. 4; La Gazette nationale ou Extrait.-, t. XIX, p. 214; Le
Journal de Rouen, n° 237, p. 1149; Le Point du Jour, t. XXV,
n° 776, p. 433; Le Mercure de France, 3 septembre 1791, p. 28:
Les Annales patriotiques et littéraires, 25 août 1791, p. 1861 ; Le Jour-
nal de Paris, 25 août 1791 ; Le Journal de la Noblesse..., t. II, n° 36,
p- 506; Le Journal général, 24 août 1791, p. 81 1 ; Le Journal général
du Pas-de-Calais, n° 18, p. 188; Le Journal universel, t. XIII,
p. 14127; L'Ami du Roi (Montjoie), 25 août 1791, p. 946; L'Argus
patriote, 26 août 1791.]
Société des Amis de la Constitution
345. — SEANCE DU 24 AOUT 1791
Sur les droits des membres de la famille royale
Un membre propose à la Société d'arrêter l'impression du
discours prononcé le matin même à l'Assemblée nationale, par le duc
d'Orléans (1). Ce dernier avait parlé contre J'article du projet de
constitution qui excluait les membres de la famille royale des droits
de citoyen actif (2) ; il avait conclu en déclarant que si cet article
était voté, il déposerait sur Je bureau, sa renonciation formelle aux
droits de membre de la dynastie régnante, pour >s'en tenir à ceux de
citoyen français. iSillery était ensuite intervenu, pour combattre le
projet du comité.
Robespierre prend la parole sur le fond du débat. Plusieurs
■autres membres parlèrent sur cette même question.
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 48.
Mercure universel, t. VI, p. 457.
« M. Robespierre. La question qui doit être traitée à l'assemblée
nationale est celle que M. de Sillery a déjà traitée ici. L'article soumis
à la délibération porte que les membres de la famille du roi, étant seuls
appelles à la dignité héréditaire, forment une classe distinguée des
citoyens et ne peuvent exercer les droits de citoyen actif. Il n'est pas diffi-
cile aux vrais amis de la liberté d'apprécier une pareille proposition,
(1) (Louis-Philippe-Joseph, duc d'Orléans, surnommé « Egalité »,
prince du sang, député de la noblesse du bailliage de Orépy-en-
Valois.
(2) Cf. séance suivante.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 665
qui est contraire aux principes de la constitution. Le comité veut concen-
trer dans le royaume une famille distinguée des autres citoyens : quel
est le motif de cette distinction ? C'est que les parens du roi sont
appelles à une dignité héréditaire. Il s'ensuit que la loi a jugé qu'il était
de l'intérêt public qu'il y eut une portion de citoyens privilégiés; et ce
privilège est de n'être point citoyen actif. Quelle absurdité!...
« M. le président (3) observe que les comités ont changé de bat-
terie; qu'ils sont convenus de laisser aux parens du roi les droits de
citoyen actif, en les rendant inhabiles à être élus à aucune place : ils
appuyent ce raisonnement sur ce que les parens du roi étant déjà élus
de droit pour régner, ne peuvent accumuler deux places à la fois.
« M. Robespierre. Le comité a appuyé son système sur celui des
substitutions; les substitutions le condamnent elles-mêmes; car ceux en
faveur desquels est faite la substitution n'y ont aucun droit qu'à la
mort de celui qui substitue; jusques-là ils sont totalement étrangers à la
propriété. Le comité a voulu comme de coutume, présenter cette vio-
lation de tous les principes sous les dehors de l'intérêt public : il a dit
qu'il fallait donner une grande distinction aux membres de la famille
royale, afin de relever l'éclat du trône: mais prétendre élever une
famille au-dessus des droits de citoyen, n'est autre chose qu'avilir la
qualité de citoyen ; c'est reconnaître formellement que le plus haut degré
de la gloire consiste à être plus que citoyen. Une telle déclaration est
un outrage fait au souverain... » (4).
(3) C'est .alors Pétion.
(4) Texte reproduit dans Àulard, III, 99.
346. — SEANCE DU 25 AOUT 1791
Discussion du projet de constitution {suite)
Sur le titre a donner aux membres de la famille royale
Le 24 août, après le vote de l'article concernant la garde du roi,
Thouret, rapporteur, avait donné lecture à l'Assemblée d'un article
unique concernant les droits des membres de la famille royale:
« Les membres de la famille du itoi étant seuls appelés à une dignité
héréditaire, forment une classe distinguée des citoyens, ne peuvent
exercer aucun des droits de citoyen actif, et n'ont d'autre droit poli-
tique que celui de la succession éventuelle au trône; ils porteront le
litre de prince ».
Le débat reprend le 25 août. Démeunier, faisant fonction de
rapporteur en l'absence de Thouret, défend le projet des comités.
Guillaume demande la question préalable, suivi en cela par Voidel.
Le -Chapelier soutient la rédaction du comité ; Goupil conclut à ce
que les membres de la famille royale aient un titre distinctif, et à ce
qu'ils soient susceptibles de toutes les fonctions politiques Robes-
666 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
pierre intervient ensuite. Après le discours de Barnave (1), la discus-
sion es-t fermée (2).
L'Assemblée rendit deux décrets: le premier à une grande majo-
rité, le second après un appel nominal, à la majorité de 87 voix:
1er décret. « Les membres de la famille royale jouiront des droits
de citoyens actifs ».
2e décret. « Les membres de la famille royale ne seront point
éligibles aux places et emplois qui sont à la nomination du peuple ».
Journal des Etats Généraux ou Journal Logograph., t. XXXII, p. 279.
« M. Robespierre. Je remarque que l'on s'occupe trop des inté-
rêts particuliers et non pas assez de l'intérêt national. Je crois que pour
donner une base certaine à cette délibération, il faut bien saisir l'esprit
de la loi qui vous est proposée. Il n'est pas vrai que l'on veuille dégrader
les parens du roi, mais l'effet de la loi par rapport aux parens du roi,
doit être nécessairement différent, suivant leurs principes et leur manière
de voir. Il est évident que ceux qui estiment exclusivement les titres
dont l'orgueil des grands les nourrissoit jusques ici, ne peuvent voir une
dégradation dans une loi qui les dispense de se ranger dans la classe
commune des citoyens, et qui les élève au-dessus de la qualité de
citoyens. La privation de la qualité de citoyen ne peut être considérée
comme une peine que pour celui qui sait en sentir la dignité et en
apprécier les droits. Je ne crois pas non plus, messieurs, que l'intention
de l'article soit d'écarter l'influence dangereuse des parens du roi. La
preuve en est que l'article tout entier est évidemment fait pour les parens
du roi, la preuve en est que l'on ne motive point les motifs pour les-
quels on les prive des droits de citoyen actif, sur les dangers dont ils
pourroient être pour la chose publique, mais sur la distance honorifique
qui sépare la famille du roi de toutes les autres familles. La preuve en
est que l'on veut pour les parens du roi un titre extraordiniirement
distingué, qui les sépare de tous les citoyens. L'article ainsi conçu, il est
question de le rapprocher de l'intérêt public et de la constitution.
« Messieurs, dans tout état, il n'y a qu'un seul prince, c'est le chef
du gouvernement; en France, il n'y a qu'un prince, le roi.
« A droite. Et le prince royal.
« M. Reubell. II est son suppléant.
« M. Robespierre. Je dis que le mot prince dans ce sens n'a qu'une
signification raisonnable et analogue avec le principe général, très compa-
tible, par conséquent, avec les principes de la liberté et de l'égalité;
au contraire, si vous l'appliquez dans un autre sens, ce n'est plus l'ex-
pression d'une fonction publique. Ce n'est plus un titre national, c'est
(1) Cf. E. Hamel, î, 543.
(2) D'après Audouin {Journal universel, t. XIII, p. 14136) :
« Barnave s'est montré l'orateur des fugitifs, en prêchant avec cha-
leur pour leur rendre la titre de prince, en les dispensant de prêter
serment ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 667
Un titre de distinction particulière; et parmi vous ce titre rappelleroit
l'esprit féodal, puisque jusqu'ici parmi nous les titres de prince et les
autres qui appartiennent aux ci-devant nobles, avoient la même origine
et étoient fondés sur le même préjugé.
« Pour moi, messieurs, je ne puis m'étonner assez de l'embarras
que trouve le comité de constitution à nommer les parens du roi. Je ne
puis concevoir qu'il attache assez d'importance à cet objet, pour vous
engager à révoquer vous-mêmes un décret que vous avez rendu à une
grande majorité. Pour moi, il me semble qu'il n'y a rien de si aisé,
et que les parens sont tout simplement les parens du roi (on rit). Je ne
conçois pas non plus comment le comité, dans ses principes, a pu croire
qu'il existât un nom au-dessus de celui-là, car d'après les hautes idées
qu'il a pu se former de tout ce qui touche à la royauté et au roi, il est
évident qu'il ne peut pas reconnoître de titre plus éminent que celui de
parent du roi. Je crois donc que l'assemblée peut se dispenser de déli-
bérer long-tems sur cet objet; je crois même que l'Europe sera étonnée
d'apprendre, que dans cette époque de sa carrière, l'une des délibéra-
tions de l'assemblée à laquelle on ait attaché le plus d'importance, a eu
pour objet de donner aux parens du roi le titre de princes.
(( Le comité vous propose d'élever les parens du roi au-dessus des
autres citoyens, en leur ôtant l'exercice des droits de citoyens. Mes-
sieurs, dès qu'un homme est retranché de la classe des citoyens actifs,
précisément parce qu'il fait partie d'une classe distinguée, alors il y a
dans l'état, des hommes au-dessus des citoyens, alors le titre de citoyen
est avili, et il n'est plus vrai pour un tel peuple que la plus précieuse de
toutes les qualités soit celle de citoyen; alors tout principe d'énergie,
tout principe de respect pour les droits de l'homme et du citoyen, est
anéanti chez un pareil peuple, et les idées dominantes sont celles de
supériorité, de distinction, de vanité et d'orgueil. Ainsi, sous ce rap-
port, la proposition du comité avilit la nation, et il n'est pas vrai qu'elle
honore le trône : il ne peut point avoir une gloire et un éclat fondés sur les
préjugés, mais sur la nature même des choses. L'éclat du trône, c est
la puissance légale et constitutionnelle dont il est investi ; c'est le devoir
imposé au monarque de faire respecter les loix; c'est ensuite, et secon-
dairement, les vertus et les talens du monarque : toute autre illustration
est fondée sur les préjugés; elle est indigne d'occuper l'assemblée natio-
nale, ou plutôt elle ne peut s'en occuper que pour la proscrire avec
dédain (applaudi à l'extrémité gauche).
« Si j'examine la base sur laquelle le comité appuie cette distinc-
tion à la fois immorale et impolitique, il n'est pas difficile d'appercevoir
qu'elle ne porte absolument sur rien. Le comité vous a dit : les parens
du roi ont des droits qui n'appartiennent à aucune autre famille, donc il
faut déclarer que la famille du roi forme une classe distincte de citoyens,
donc il faut l'élever au-dessus des autres citoyens, par un Jtitre parti-
668 LES discours de robespierrk
culier qui exprime leur distinction et leur grandeur; je dis, messieurs,
que le motif de la loi ne peut entraîner de pareilles conséquences.
« La famille du roi est distinguée des autres, mais sous le seul
rapport de l'intérêt général qui vous a paru exiger que la loi désignât
une seule famille, afin que les membres succédassent à leur tour au
trône, pour prévenir les dangers des élections. Voilà où en est la distinc-
tion de la famille royale : elle n'est pas dans une loi particulière, qui
n'est point un privilège pour elle, mais une loi établie pour l'intérêt
général, et c'est violer à la fois et l'objet et l'esprit de la loi que de
vouloir fonder sur cette distinction particulière une distinction générale,
qui considéreroit la famille royale comme une caste particulière, comme
une caste distinguée sous tous les rapports de toutes les autres familles.
Les principes de l'égalité et de la constitution exigent au contraire que
cette distinction soit renfermée très strictement dans les termes précis
de la loi.
« D'ailleurs, Messieurs, il est une observation importante qui tient
au premier principe de cette question, c'est qu'il n'est pas possible de
regarder les membres de la famille du roi, qui n'exercent point actuelle-
ment les fonctions auxquelles ils sont appelles éventuellement par la
constitution, comme des fonctionnaires publics déjà revêtus d'une auto-
rité spéciale. Ce droit est incertain; il est éventuel; il n'existe point
pour eux; il n'existe point jusqu'à ce que le moment fixé par la loi soit
arrivé. Jusques-là, ils sont des citoyens qui peuvent être un jour appelles
à la royauté; mais jusqu'à ce que ce jour soit arrivé, ils ne sont pas des
fonctionnaires publics, ils ne sont point des magistrats suprêmes, ils ne
sont que de simples citoyens. Or, comment voudriez- vous, sur la distinc-
tion éventuelle, qui est aux yeux des loix et des principes comme si elle
n'existoit pas, tant qu'elle ne s'est pas réalisée par l'événement; com-
ment dis-je, sur cette faculté future ou incertaine, voudriez-vous établir
une distinction actuelle et permanente à l'exercice des droits de citoyen }
J'ai déjà dit qu'une pareille distinction avilissoit en général la nation.
« Il est facile d'apprécier cette réflexion par une considération
particulière. Quoiqu'on en ait dit, il est certain qu'on ne peut pas
impunément déclarer qu'il existe en France une famille quelconque éle-
vée au-dessus des autres; vous ne pouvez pas le faire sans réchauffer,
pour ainsi dire, le germe de la noblesse détruit, par vos décrets, mais
qui n'est point encore détruit dans les esprits et que beaucoup de per-
sonnes, comme vous ne pouvez l'ignorer, désireroient voir revivre. Il me
paroit évident que lorsque nous serons accoutumés de voir l'égalité des
familles et des citoyens violée en un point, nous serons beaucoup moins
révoltés de la voir violée dans un autre point. Il me semble que lorsque
nous serons familiarisés avec l'idée que la famille qui occupait le premier
rang dans l'ordre de la noblesse conserve une distinction si extraordi-
naire, nous serons moins choqués de voir des familles distinguées par
leur naissance et leur grandeur, prétendre aussi à être distinguée. Nous
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 669
serons moins étonnés de les voir reprendre hautement les titres honori-
fiques proscrits par la Constitution.
« Ainsi, nous verrons cette famille unique rester au milieu de nous
comme la racine indestructible de la noblesse, s'attacher aux hommes,
s'allier avec eux, caresser leur orgueil, au point que bientôt il se for-
mera, entre toutes les familles qui regrettent leurs anciennes préroga-
tivs, une ligue formidable contre l'égalité et contre les vrais principes
de la constitution, dont l'altération augmentant graduellement en pro-
portion de la diminution de l'influence de. l'opinion publique, et à
mesure que l'on verra augmenter l'influence du gouvernement, et de
ceux qui tenoient jadis le premier rang dans l'état, ramener bientôt la
noblesse et les autres distinctions au milieu de nous, presque sans que
nous nous en fussions apperçu, mais d'une manière si formidable, qu'il
seroit impossible d'arrêter les progrès de ces dépravations des principes
de notre constitution. Il est si vrai, messieurs, que le maintien de l'éga-
lité politique et civile exige qu'il n'existe point dans l'état de familles
distinguées, que chez les peuples modernes mêmes, où il y a eu quel-
qu'idée d'égalité, on s'est appliqué constamment à empêcher une pa-
reille institution; je vous citerai l'Angleterre: en Angleterre les mem-
bres de la famille du roi forment-ils, comme on veut vous le faire décré-
ter, une famille distinguée et séparée des autres citoyens (murmures).
Je ne parle point du titre de prince, car c'est là une de ces mauvaises
institutions que je combats; je parle d'une loi plus importante qui existe
en Angleterre; je dis que les membres de la famille du roi sont comme
les autres nobles, membres de l'assemblée de la chambre des pairs
(murmures).
« Un membre. Ils sont donc nobles, puisqu'ils sont de la chambre
des pairs ?
« Plusieurs voix. Vous n'y connoissez rien-
« M. Démeunier. Je demande à répondre {Non, non).
« M. Robespierre. Je citerai un exemple plus frappant. Dans les
pays où la noblesse, jouissant exclusivement du droit politique, forme
à elle seule la nation, elle n'a pas voulu de distinction de famille.
Je citerai la Bohême et la Hongrie, parce qu'elles ont senti que, si une
famille étoit distinguée des autres l'égalité des membres du souverain
étoit violée, et qu'elle seroit le germe d'une aristocratie nouvelle, au
sein de l'aristocratie même. (Murmures). Ceci s'applique évidemment
à la France : le comité, s'il avoit conçu cette crainte, auroit cherché
à tarir la source : il ne peut ignorer que le moyen de donner lieu à toutes
les influences dangereuses, c'est d'attaquer les principes de ! 'égalité,
c'est de porter un coup funeste à la constitution; il devoit par consé-
quent s'abstenir de proposer à l'assemblée une loi qui distingue une
famille de toutes les autres. (Murmures).
670 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« M. Durleau (3) s'approche du ministre de l'intérieur et lui parle
quelques instants.
« M. Salsette (4). Je demande une motion d'ordre : c'est que
MM. les ministres ne viennent pas ici tenir leur audience (applaudisse-
mens à gauche); je dis que les députés ne doivent pas profiter du
moment où les ministres sont dans l'assemblée pour solliciter. (Applau-
dissemens) .
« M. le Président. J'exhorte les membres de cette assemblée à
s'abstenir de parler aux ministres pendant la séance.
« M. Robespierre. Je renonce donc au projet de développer mon
opinion (murmures longs et bruyans). Je suis fâché de voir que je n'ai
pas eu la liberté de l'énoncer. (Longs murmures).
« Plusieurs voix. 11 y a une heure que vous parlez : concluez.
« M. Robespierre. Je suis fâché aussi de l'avoir développée d'une
manière qui a pu offenser quelques personnes; mais je prie l'assemblée
de considérer avec impartialité, avec quel désavantage ceux qui soutien-
nent les principes que j'ai développés, émettent leurs opinions dans cette
tribune. Je crois que l'amour de la paix, motif dont on s'est servi pour
l'émouvoir dans cette tribune doit engager à désirer du moins que ceux
qui ont adopté les opinions contraires à la mienne, et à celle d'une
partie des membres de cette assemblée, veuillent bien se dispenser
désormais de présenter toujours nos opinions comme tendant à avilir la
royauté, comme étrangères au bien public; comme s il ne nous étoit pas
permis d'avoir des opinions aussi peu favorables à l'extrême extention
du pouvoir exécutif, que nous avons toujours combattu; comme si, dans
le moment actuel, on ne nous avoit pas vu sans être ma! intentionné,
professer encore les opinions que nos adversaires ont soutenu dans cette
assemblée, avec l'improbation de ceux qui les défendent aujour-
d'hui » (5).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 239, p. 984.
« M. Roberspierre. Je ne crois pas que l'intention de l'article du
Comité soit d'écarter l'influence dangereuse des parens du roi : la preuve
en est, que l'article tout entier est évidemment fait pour eux; que l'on
n'appuie point les motifs pour lesquels on les prive des droits de citoyen
actif sur les dangers dont ils pourraient être pour la chose publique,
mais sur la distance honorifique qui sépare la famille du roi de toutes
les autres familles. Je ne puis m'étonner assez de l'embarras que trouve
le Comité de constitution à nommer les parens du roi; pour moi, il me
semble qu'il n'y a rien de si aisé, et que les parens du roi sont tout
simplement ses parens. (On rit)."
(3) Sans doute Dulau Jean-Marie, archevêque et député d'Aix
ux Etats Généraux.
(4) Abbé Colaud de la Saloette.
(5) Texte reproduit dans les Ar-ch. pari., XXIX, 7l5-717k
LES DISCOURS DÉ ROBESPIERRE 671
« Je ne conçois pas non plus comment le Comité, dans ses prin-
cipes, a pu croire qu'il existât un nom au-dessus de celui-là; car
d'après les hautes idées qu'il a pu se former de tout ce qui touche à la
royauté et au roi, il est évident qu'il ne peut pas reconnaître de ntre
plus éminent. Je crois donc que l'Assemblée peut se dispenser de
délibérer long-tems sur cet objet; je crois même que l'Europe sera
étonnée d'apprendre que dans cette époque de sa carrière, Ftme des
délibérations de l'Assemblée à laquelle on ait attaché le plus d'impor-
tance, a eu pour objet de donner aux parens du roi : le titre de princes.
Dès qu'un homme est retranché de la classe des citoyens actifs, préci-
sément parce qu'il fait partie d'une classe distinguée, alors il y a dans
l'Etat des hommes au-dessus des citoyens, alors le titre de citoyen est
avili, et il n'est plus vrai pour un tel peuple que la plus précieuse de
toutes les qualités soit celle de citoyen; alors tout principe d'énergie,
tout principe de respect pour les droits de l'homme et du citoyen est
anéanti, et les idées dominantes sont celles de supériorité, de distinc-
tion, de vanité et d'orgueil. Nous verrions cette famille unique rester
au milieu de nous, comme la racine indestructible de la noblesse, s'atta-
cher aux anciens privilégiés, caresser leur orgueil, au point que bientôt
il se formerait entre eux une ligue formidable contre l'égalité et contre
les vrais principes de la constitution. Il est si vrai que le maintien de
l'égalité politique exige qu'il n'existe point dans l'Etat de familles
distinguées, que chez les peuples modernes même, où il y a eu quel-
qu'idée d'égalité, on s'est appliqué constamment à empêcher une pa-
reille institution; je vous citerai l'Angleterre, où les membres de la
famille du roi sont comme les autres nobles membres de la chambre
des pairs. Je citerai un exemple plus frappant : dans les pays où la
noblesse, jouissant exclusivement du droit politique, forme à elle seule
la nation, elle n'a pas voulu de distinction de famille. La Bohême et
la Hongrie, par exemple, ont senti que si une famille était distinguée
des autres, l'égalité des membres du souverain était violée, et qu'elle
serait le germe d'une aristocratie nouvelle au sein de l'aristocratie même.
« M. Roberspierre entre ensuite dans d'assez longs détails au
milieu de quelques murmures.
(( M. Roberspierre. Je renonce donc au projet de développer mon
opinion; je suis même fâché de l'avoir développée d'une manière qui
a pu offenser quelques personnes; mais je prie l'Assemblée de consi-
dérer avec quel désavantage, ceux qui soutiennent les principes que j'ai
défendus, émettent leurs opinions dans cette tribune. Je crois que
l'amour de la paix doit engager à désirer du moins que ceux qui ont
adopté des opinions contraires à la mienne, et à celle d'une partie des
membres de cette Assemblée veuillent bien se dispenser désormais de
présenter toujours nos opinions comme tendantes à avilir la royauté,
comme étrangères au bien public, comme si dans le moment actuel nous
ne pouvions pas, sans être mal intentionnés, professer encore les opinions
672 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
que nos adversaires ont eux-mêmes soutenues dans cette Assemblée. (On
applaudit dans l'extrémité de la partie gauche) » (6).
Le Point du Jour, t. XXV, n° 778, p. 461.
« M. Robespierre répond. Dans tout état il n'y a qu'un prince,
c'est le chef du gouvernement, et le prince royal est un suppléant
naturel. C'est le seul mot qui, avec ces fonctions, a un sens politique :
autrement il seroit un titre de vanité et de féodalité. On attache trop
d'importance à trouver un nom pour les parens du roi. Peut-on s'atta-
cher aussi long-temps à de telles puérilités ? Si vous les élevez au-
dessus des citoyens actifs, vous avilissez le beau titre, vous dégradez
la nation; tout principe d'énergie et d'égalité est perdu. Les idées
dominantes sont celles des frivoles distinctions. L'éclat du trône n'est
pas là. Il est dans le pouvoir légal et constitutionnel, de faire exécuter
et respecter les loix d'un grand peuple; le trône ne peut avoir d'ér.lat
fondé sur les préjugés et les hochets de famille. Les principes de l'éga-
lité et de la constitution rejettent toute idée de caste particulière et
privilégiée. Ce ne sont pas là des fonctionnaires publics, mais des héri-
tiers éventuels, et qui peut-être ne le seront jamais. Ils ne sont, jusqu'à
l'avènement au trône, que de simples citoyens. Prononcer autrement
est avilir la nation. Ce seroit réchauffer les germes de noblesse qui ne
sont pas encore éteints; c'est violer l'égalité des droits, c'est rappeller
des distinctions odieuses, c'est former une caste dont une foule d'escla-
ves et de lâches bien avilis viendront caresser la vanité; chez tous les
peuples modernes, on s'est appliqué à éloigner de pareilles distinctions,
témoin l'Angleterre, où les enfans des pairs sont de simples citoyens,
où les membres de la famille royale ne forment pas une caste séparée.
Dans la Bohême et la Hongrie, l'égalité de tous les citoyens n'est pas
si fortement violée; comment les comités ont-ils osé nous proposer une
telle loi ? (Il s'élève des discussions et des murmures sur les faits).
« M. Robespierre termine son opinion en se plaignant de ce que
l'assemblée entend sans cesse avec silence les membres des comités
professant des principes si différens de ceux qu'ils publioient aupara-
vant, tandis qu'on interrompt ceux qui n'ont pas changé de principes
et d'attachement réel pour la liberté et les principes de la constitution
(on applaudit). »
Mercure universel, t. VI, p. 413.
« M. Robespierre. On veut pour les parens du roi un titre extrême-
ment distingué qui les élève au-dessus de tous les citoyens, c'est pour-
quoi ils veulent le titre de prince ! Mais il n'y a qu'un seul prince dans
tout gouvernement; c'est le chef de ce gouvernement: en France, le
(6) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 491 ; et Bûchez et
Roux, XI, 334.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 673
roi seul est prince, et les parens du roi ne sont que ses parens. Je ne
conçois pas comment votre comité, qui a des idées si magnifiques de tout
ce qui tient au roi, ne s'en est pas tenu à ce titre ? Il doit par cela même
trouver sublime la qualification de parens du roi ! Et l'Europe ne sera
pas médiocrement étonnée d'apprendre que vous ayez mis tant d'impor-
tance à des titres si peu mérités et sur-tout si glorieux ! Quand on a
décrété la liberté, et qu'ensuite on veut former des castes, le plus conve-
nable, pour une assemblée qui se respecte, est de ne pas s'en occuper.
La loi de l'hérédité du trône n'est pas pour l'avantage de la famille
royale, ainsi elle ne doit donc pas former une caste à part. Le droit
des membres de la dynastie n'est qu'éventuel, et ils ne sont ni fonction-
naires ni magistrats; sur quoi voulez-vous donc établir leur distinction?
Est-ce pour réchauffer le germe de la noblesse ? Il est vrai que, lorsque
nous verrons l'égalité violée, nous serons moins étonné de voir la plupart
des familles reprendre leurs titres, leurs distinctions, et l'influence de la
cour ressuscitera aisément la noblesse; tous les peuples libres ont évité
ces sortes de castes. (Il s'élève des troubles). »
L'Ami du Roi (Montjoie), 26 août 1791 , p. 949.
« Jusqu'ici, et à l'exception de M. Guillaume, les orateurs avaient
jette assez d'intérêt dans la discussion; mais M. Robespierre est venu
la détruire totalement. Son opinion, dépourvue d'idées, et pleine au
contraire des témoignages de la plus profonde ignorance sur le gouver
nement anglais, qu'il s'est plaint de ne pouvoir développer, a versé
pendant trois quarts d'heure l'ennui sur l'assemblée; il a conclu à la
question préalable, et M. Barnave a réveillé l'attention. »
Journal de Paris, 26 août 1791, p. 973.
(( M. Roberspierre a été bien peu embarrassé dans cette question,
et les principes ont été bientôt posés. Dans une Monarchie libre, a-t-il
dit, il ne peut y avoir qu'un seul Prince, c'est le Roi; tout le reste
est Citoyen. On est embarrassé de la manière dont on annoncera que
les Membres de la Famille Royale sont Membres de la Famille
Royale : tout le monde le saura assez, et il n'y aura qu'à le dire à ceux
qui ne le sauront pas M. Robespierre alloit s'appuyer des exemples
de quelques Peuples, des Anglois, des Hongrois; on lui a contesté
ses faits historiques, il s'est impatienté, et après une vive protestation
contre ceux qui l'interrompaient, il a conclu à la question préalable. »
IBrève mention de cette intervention dans Le Journal général de
France, 26 août 1791, p. 956; Le Journal général de V Europe, 26 août
1791, p. 377; Le Patriote François, n" 747, p. 237; La Gazette
nationale ou Extrait..., t. XIX, p. 231 ; Le Mercure de France, 3 sep-
tembre 1791, p. 37; Le Législateur français, 26 août 1791, p. V; Le
Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. III, n° 415, p. 3; Le Jour-
flolll ni'.ul '■'
674 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
nal des Décrets de l'Assemblée nationale, 25 août 1791, p. 352; Le
Journal de la Noblesse..., t. III, n° 36 (B), p. 517; Le Journal général,
p. 846; Le Journal universel, t. XIII, p. 14136; Le Courrier des
LXXXIII départemens, n° 26, p. 414; Les Annaks patriotiques et litté-
raires, 26 août 1791, p. 1866; Le Journal des Débats, n° 825, p. 7.]
347. — SEANCE DU 26 AOUT 1791
Discussion du projet de Constitution (suite)
Sur le titre a donner aux membres de la famille royale (suite)
Dénieunier, rouvrant la discussion sur l'article proposé la veiile
par les comités, pose les termes du débat: l'Assemblée doit décider
d'abord si les membres de la famille royale pourront exercer des
places à la nomination du pouvoir exeeuGii, ensuite s ils porteront
un titre particulier et quel sera ce titre.
toiur le premier point, l'Assemblée décréta un amendement pré-
senté par Goupil, conjointement avec l' article du comité: « A l'excep-
tion des départements du ministère, les membres de la famille royale
sont eligioies aux places et emplois à la nomination du roi. ils ne
pourront commander les armées qu'avec l'agrément du corps légis-
latif ». .tour la proposition de Merlin, l'amendement de Goupil e~.
élargi: les membres tie la famine royaie ne pourront occuper des
postes d'ambassades, qu'avec l'agrément de l'Assemblée.
Puis Démeunier soumet à la délibération l'article suivant: « Les
membres de la famille royale, appelés éventuellement à la succession
du trône, porteront le titre de princes ». Jbtobespierre demande la
question préalable. Mise aux voix, elle est rejetée. D'André propose
que les membres de la famille royale ne portent aucun nom patro-
nymique, mais seulement leur nom de baptême, suivi de la qualifica-
tion de prince français (1).
Finalement, l'article en discussion fut voté sous cette rédaction:
« Les membres de la famille royale appelés à la succession éven-
tuelle, porteront le nom qui leur aura été donné dans l'acte de leur
naissance, suivi de la dénomination de prince français ».
Journal des Etats Généraux ou Journal Logograohique, t. XXXH, p.313
Courier de Provence, t. XVI, n° 334, p. 389 (2).
« M. Robespierre. A moins que vous ne reconnoissiez que les pro-
positions sur lesquelles l'assemblée a déclaré ne pouvoir délibérer peu-
vent cependant être adoptées par elle; à moins que vous ne détruisiez
vous-mêmes ce que vous avez fait, j'ai le droit de réclamer ce décret,
mais j'ai le droit de dire que les plus sages de vos décrets ne sont pas
ceux que vous avez faits à une époque antérieure à celle-ci. J'ai le
droit de demander à vous, qui voulez retracer ce décret ou tout autre,
si vous avez maintenant un zèle plus pur, plus ardent pour les principes
(1) Cf. E. HameL I, 543-544.
(2) D'après ce j'ournal : « Le discours fit une grande impression;
et des applaudissements nombreux le couronnèrent ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 675
de la constitution, qu'autrefois. J'ai le droit de vous demander si vous
êtes moins divisés que vous le fûtes autrefois; si les factions sont moins
fortes ou moins actives (plusieurs voix : oui, oui); si le pouvoir exécutif
a travaillé aujourd'hui avec moins de succès qu'autrefois (applaudi).
Maintenant qu'on peut parler encore sur une question décidée, je trouve
par ce qu'a dit M. le rapporteur et tout le comité qu'il est impossible
de donner ce titre distinctif aux parens du roi sans violer tous les prin-
cipes de votre constitution. Ou bien les distinctions qui consistent à
donner des dénominations honorifiques sont différentes par elles-mêmes,
ou elles ont quelqu' importance; si elles n'ont aucune importance, si
elles ne sont rien par elles-mêmes, rien n'empêche que vous rétablissiez
tous ces titres. Si elles sont quelque chose, elles méritent votre atten-
tion, et vous devez au moins vous ressouvenir qu'il n'est rien d'indifférent
dans l'ordre social, et que tout ce qui distingue un citoyen et une famille
des autres mérite d'être examiné. (Applaudissemens des tribunes).
J'observe que quand nous serons accoutumés à entendre appeller M. le
prince de Condé, M. le prince de Conti, nous ne serons pas étonnés
d'entendre dire M. le prince de Montmorenci , M. le prince de Broglie
(applaudi), et je demande que l'on dise encore M. le comte de Lameth,
si on dit le prince de Conti (applaudi) » (3).
Journal de la Noblesse .., t. II, n° 36 (B), p. 518.
« M. Robespierre toujours conséquent a voté pour l'alternative :
pour qu'on supprimât ou qu'on rétablît tous les titres, sans distinction;
il a assaisonné son discours de quelques traits déplaisants à MM. de
Lameth. On se rappelle que dans l'affaire du roi, il avoit voté de mSme,
et qu'il se déclara le défenseur de ces généreux gardes du corps, que
d'impudents triomphateurs avoient garroté sur le siège de la voiture du
monarque. Je somme ce républicain de tenir parole, et j'ai le droit de
le sommer, puisque l'on a précipité dans l'obscurité des cachots, ces
braves militaires, et que le titre de prince est rétabli. Assez et trop
d'exemples l'ont convaincu que le républicanisme ne peut prendre en
France; il a fallu toute l'astucieuse scélératesse du Genevois pour atta-
cher à cette terre fortunée quelques-unes de ses racines funestes. Il a
fallu qu'il ait usurpé le ministère pendant 16 ans. L'amour de la royauté
est en nous un sentiment inné : il semble même être indépendant de la
vertu des rois. Une abjuration franche régénéreroit son parti déjà couvert
du dédain d'une portion de ses membres qui mettent leur politique et
leur espoir à le méconnoître et à le perdre.
« Voici son discours: [Suit le texte de Le Hodey]
Chronique de Paris, t. V, n° 239, p. 969.
« Le décret qui supprime toute dénomination honorifique, n'est pas
(3) Texte reproduit <lans 1rs Areh. pari., XXIX, 733.
676 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
un des moins sages que vous ayez rendus précédemment, s'est écrié
M. Robespierre. Avez-vous aujourd'hui plus de zèle que vous n'en
aviez alors ? Les factions sont-elles moins puissantes ? Le pouvoir exécu-
tif travaille-t-il avec moins de succès ? (On murmure). Vous murmurez !
C'est l'aveu que vous redoutez de ce que je veux vous dire. Je soutiens
que vous ne pouvez donner le titre de princes aux parens du roi, sans
violer les principes qui ont nécessité la suppression de la noblesse. Ce
titre a une certaine connexité avec le rétablissement de cet ordre. Si
j'entends dire : M. le prince de Condé, M. le prince de Conti, je
consens volontiers à entendre dire : M. le prince de Montmorency,
M. le prince de Broglie. (Eclats universels). Rien ne me répugnera
plus, et je ne m'opposerai pas à ce qu'on dise : M. le comte de Lameth.
(Eclats de rire; quelques murmures). Malgré la pureté de ces principes,
il a été décrété que les membres de la famille du roi porteront le titre
de princes français, immédiatement après le nom qui leur aura été donné
dans l'acte de leur naissance. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 239, p. 991 .
Le Point du Jour, t. XXV, n° 779, p. 481.
« M. Roberspierre . Puisque je suis forcé de parler encore sur une
question décidée, je dis que ce titre distinctif est contraire à votre consti-
tution. Si vous croyez que les titres soient quelque chose d'absolument
indifférent, pourquoi ne les rétabliriez-vous pas tous ? S'ils ont quelque
importance, pourquoi ne voudrait-on pas examiner cette question avec
la plus scrupuleuse attention ? Pourquoi donnerait-on aux membres de la
famille royale d'autre titre que celui de leur parenté ? Une première
violation au principe n'en autorise-t-elle pas beaucoup d'autres ? S'il
faut encore nous accoutumer à dire M. le prince de Condé, M. le prince
de Conti, etc.. pourquoi ne dinons-nous pas aussi encore M. le prince
de Broglie, et M. le comte de Lameth. (Les tribunes applaudissent).
J'invoque donc la question préalable sur la proposition du Comité » (4).
Le Courrier des LXXX11I départemens, n° 27, p. 431.
« Le titre de prince a été soumis ensuite à la discussion. M. Robes-
pierre a matté l'orgueil des intrigans; ils ont murmuré... C'est faire
l'éloge du discours de M. Robespierre. En voici un extrait. « Vous ne
pouvez porter atteinte aux loix; or, le décret qui supprime toute déno-
mination honorifique n'est pas un des moins sages que vous avez rendus
précédemment. Avez-vous aujourd'hui moins de zèle que vous en
aviez alors? (On sourit: les tribunes applaudissent). Les factions sont-
elles moins puissantes } Le pouvoir exécutif travaille-t-il avec moins de
succès ? L'obtention du titre de prince a une certaine connexité avec la
résurrection de la noblesse. Si j'entends dire, M. le prince dç Condé,
(4) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 499.
LES DISCOURS PE ROBESPIERRE 677
M. le prince de Conti, je consens volontiers à entendre dire M. le
prince de Montmorencie, M. le prince de Broglie. Je ne m'opposerai
même pas à ce qu'on dise, M, le comte de Lameth. (Eclats de rire,
applaudissemens). »
Journal de Paris, 27 août 1791, p. 997.
« Sera-t-il donné un titre aux membres de la Famille Royale, et
quel sera ce titre ? Cette question a été ouverte ensuite, et elle a été
bientôt décidée. M. Robespierre est le seul qui l'ait agitée, et il l'a
agitée en homme qui en désespéroit. Pourquoi, demandoit-il aux comi-
tés, remettez-vous en question aujourd'hui ce que vous trouvez décidé
dans nos décrets ? L'amour de la liberté est-il donc plus fort et plus pur
aujourd'hui que dans les premiers tems de la révolution ? Les coalitions
sont-elles moins puissantes et moins dangereuses ? Le pouvoir exécutif
exerce-t-il moins d'influence ? On a décrété qu'il n'y avoit plus de
noblesse, et on veut nous en donner une nouvelle. Des familles de
Princes seront sans aucun doute des familles de Nobles. Si nous avons
des Princes de Conti, des Princes de Condé, je vous annonce que
bientôt nous aurons des Princes de Montmorency, des Princes de Bro-
glie; et si nous devons avoir M. le Prince de Bourbon, j'aime autant
que nous ayons M. le Comte de Lameth. Je demande la question
préalable sur l'article. »
L'Ami du Roi (Royou), 28 août 1791 , p. 3.
« Tous les rangs ne sont-ils pas confondus, disoit M. de Rober-
pierre; toutes les distinctions abolies; l'égalité la plus parfaite, la plus
universelle n'est-elle pas, depuis long-tems, établie par la constitution ?
Rendre aux membres de la famille royale cette odieuse qualité de prin-
ces dont on les a dépouillés par un décret ancien, c'est anéantir l'édifice
entier de cette constitution déjà vermoulue qu'on ne peut toucher sans
s'exposer à la voir tomber en poudre. Si les distinctions honorifiques
n'ont aucune importance, il faut les rétablir toutes; si elles peuvent
influer sur la liberté individuelle ou publique, il faut continuer à les
proscrire toutes sans pitié et sans distinction; ou si on en conserve quel-
ques-unes, en augmenter le nombre; car plus elles sont étendues, moins
elles sont dangereuses. Ainsi si l'on s'avise encore de dire le prince de
Condé, le prince de Conti, il faudra dire aussi le comte de Lameth, ce
qui paroît à M. de Robespierre la subversion totale de la constitution
et même de l'ordre social. »
L'Ami du Roi (Montjoie), 27 août 1791, p. 955.
« Ce nouvel article qu'on pourroit appeller une constitutionnelle
bagatelle, a excité plus de débats encore que le premier. M. Robespierre
l'a combattu de tout son patriotisme. Il a prétendu que l'assemblée, en
prononçant le 19 juin l'abolition de tous les titres de noblesse et en
678 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
consacrant de nouveau le même principe par le décret rendu relative-
ment au prince royal, s'étoit ôté le droit de ressusciter le nom de prince.
« M. Robespierre s'appercevant que ces argumens ne lui aftiroienr
pas beaucoup d'attention, a eu recours aux épigrammes qui valent bien
mieux auprès des tribunes que les raisons. « Quand vous aurez admis,
a-t-il dit, que l'on peut dire M. le prince de Condé, bientôt on dira
M. le prince Montmorency, M. le prince de Broglie, et l'on en viendra
à dire, M. le comte Lameth »... De vifs applaudissemens partis des
tribunes, ont interrompu l'énumération, et ont encouragé M. Robespierre
à demander la question préalable sur l'article. »
La Rocambole, n° 20, p. 339.
« Il a été question ensuite, de restituer aux parens du Roi. le titre
de Princes; mais M. Robespierre, que d'anciennes querelles de famille
rendent, dit-on, l'ennemi de celle des Bourbons, s'y est fortement
opposé. Le titre de Prince lui paroit avoir trop d'affinité avec le réta-
blissement de la noblesse, pour laquelle l'illustre député sent toujours
une aversion insurmontable. Si j'entends dire, a-t-il ajouté, M. le Prince
de Condé, M. le Prince de Conti, je consens volontiers à entendre dire
aussi M. le Prince de Montmorenci, M. le Prince de Broglie, et s'il le
faut encore, M. le comte de Lameth. »
« En entendant raisonner ainsi M. de Robespierre, c'est sans
doute le cas de s'écrier avec Racine :
« On pourrait bien crever de rire,
« Si l'on ne crevait pas de faim. »
« Enfin, pour bien symétnser les chutes, on a mis le devant der-
rière, et les membres de la famille du Roi porteront le titre de Princes
Français, immédiatement après leur nom de baptême Les noms d'Ar-
tois, de Provence et même d'Orléans demeurent éteints et supprimés,
comme sentant trop la féodalité. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal général du
Pas-de-Calais, n° 18, p. 192; Le Patriote François, n° 748, p 242;
Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. XIII, n° 752.
p. 5; La Gazette universelle, n° 239, p. 956; Le Mercure de France,
3 septembre 1791, p. 39; Le Journal universel, t. XIII, p. 14143; Le
Journal de Rouen, n° 239, p. 1159.]
348. — SEANCE DU 28 AOUT 1791
SUR LE RÉTABLISSEMENT DE LA DISCIPLINE DANS I.' ARMÉE
Chabroud rapporte devant l'Assemblée, au nom du comité mili-
taire, sur la dénonciation du ministre de la guerre au sujet de l'in-
subordination et de la révolte où se trouvent plusieurs réariments.
Le régiment d'Auvergne a chassé ses officiers ; le 2e bataillon du
68e régiment ci-devant Beauce, en garnison à Arras, s'est porté aux
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 679
plus grands excès... L'Assemblée avait, le 25 juillet, rendu un décret
d'amnistie générale des faits antérieurs de cette nature. Cette me°un-
n'ayant pas produit l'effet attendu, Chabrcud propose un projet do
décret en -14 articles : les commandants de division sont autorisés
à employer la force armée contre les régiments en révolte; seront
punis de la peine de mort les officiers et sous-officiers, et de
vingt ans de chaîne les soldats qui, après une troisième proclama-
tion, persisteraient dans la sédition; les cours martiales jugeront,
sans intervention dix jury, ceux qui auront été ^saisis par l'emploi
de la force.
Pétion demande l'ajournement. Alexandre Lameth soutient le
projet de décret déclarant que ce sont les opinions défendues dano
certaines sociétés, et particulièrement dans l'Assemblée nationale,
par Pétion et Robespierre, sur l'armée, qui lui ont fait le plus grand
mal. Robespierre demande en vain la parole. L'Assemblée décide que
le projet de décret présenté par Ohabroud sera immédiatement mis
en discussion. Le comte de C'ustine, maréchal de camp, député de
la noblesse du bailliage de Metz, demande que les généraux aient
ies moyens nécessaires pour faire respecter leur autorité. Robes-
pierre intervient alors, interrompu par Rous.sillon,- député du tiers
état de la sénéchaussée de Toulouse, puis par Charles Lameth. enfin
par le marquis d'Estourmel. Après l'intervention de Robespierre,
Alquier, député du tiers état de la sénéchaussée de La Rochelle,
cite des cas d'insubordination de la part de soldats du régiment de
Beauce. et insiste pour que les coupables soient punis (1). Fréteau
demande que le ministre de la guerre reçoive rapidement des moyens
de force pour rétablir la discipline <2).
L'Assemblée ferma la discussion et décréta le projet présenté
par ison comité militaire (3).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXXII, p. 389
« M. Robespierre- Je demande à être entendu.
« Plusieurs voix. Non, non, non...
« M. Robespierre. Je demande à répondre à ce qu'a dit M. La-
meth. Certainement l'assemblée ne compromettra pas sa justice, en
souffrant qu'un membre soit calomnié sans pouvoir répondre. (Tum::Ite).
Il est impossible que M. Lameth ait eu le droit de s'expliquer, non
seulement sur les faits, mais même sur les personnes, sans qu'il soit
(1) Alquier ayant incriminé des régiments d'Alsace, la Société
des Amis de la Constitution de Strasbourg réunit un certain nombre
de documents, démentant les faits supposés, et arrêta, le 5 septem-
bre, (( qu'ils seroient imprimés, envoyés à toutes les sociétés corres-
pondantes ; et que la société séante aux Jacobins à Paris seroit priée
de dépoper les pièces originales entre les mains de MM. Robespierre
et Pétion, afin qu'elles puissent leur servir à les venger des indé-
centes personnalités qu'ils ont essuyées en défendant de braves sol-
dats qui vivent dans la meilleure harmonie, et qui observent la plus
parfaite discipline. (Patriote françois, n° 770, p. 342).
(2) D'après Brissot également (Patriote françois, n° 750, p. 250),
Fréteau cite le cas du régiment de Rouergue « qui est sans souliers
et sans armes, parce que les soldats ont tout vendu ».
(3) Cf E. Hamel, I, 545.
680 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
permis de lui répondre. Il y auroit bien là une grande injustice dont
l'assemblée ne se rendra jamais coupable. (Il a eu raison).
« M Lavie. Vous vous obstinez à le calomnier dans les papiers
publics : il vous dit la vérité en face...
[ 1
« M Robespierre. Je n'ai que des observations très simples à
faire. Je vais prouver à tout le monde que jamais mon opinion n'a pu
être cause d'aucun désordre. (Murmures: à l'ordre du jour). Ensuite,
je discuterai la question d'après les principes que j'ai toujours profes-
sés; et je déclare que je n'ai parlé qu'une seule fois sur l'armée. Je
prierai ceux qui m'inculpent de répondre cathégoriquement , à ces
raisonnemens... (A l'ordre du jour) et j'invite M. Lameth à préférer
l'art du raisonnement à celui de la calomnie. (Murmures). En général
toute loi qui tend à supposer un danger, à déployer un grand appareil
de force et de terreur est dangereuse si elle est inutile.
« Je ne puis m'empêcher d'observer qu'il est très dangereux d'exa-
gérer les faits en pareilles matières, et sur-tout, il est coupable de les
imaginer; je n'accuse personne de les imaginer, mais pour les exagéra-
tions, je suis certain qu'il y en a.
« M. Roussillon. Il faut inviter M- Robespierre à nous faire part
de sa correspondance avec les régimens.
« M. Robespierre. Si ceci paroît autre chose qu'une calomnie,
il faudra bien qu'on me permette d'y répondre.
« M. Roussillon m'a interpellé de déclarer quelle est ma corres-
pondance avec les régimens; je vous avoue que je ne trouve là qu'une
absurdité grossière et une calomnie. Je prie M. Roussillon de nommer
les régimens auxquels il m'accuse d'avoir écrit. Puisqu'on vous avance
un fait très grave, et puisque c'est sur des faits qu'on provoque vos
décisions, je suis obligé de vous dire ce que je sais : c'est qu'il est
absolument faux qu'il y ait dans la Citadelle d'Arras 300 brigands.
« M. Charles Lameth. le demande à répondre à M. Robespierre.
Le régiment que je commande est en garnison à côté de celui de
Beauce; et il n'y a pas un officier du régiment des ci-devant cuirassiers
qui ne tremble pour la discipline de ce régiment. Ainsi, messieurs, il
n'y a point, comme on vous l'a dit, d'exagération; mais par prudence
je n'entrerai pas avec vous dans le détail de tous les faits et des délits
de tout genre nue commet le second bataillon du régiment de Beauce.
Je vous prie ^e ne point croire M. Robespierre.
« M. Robespierre, le déclare oue si les officiers du huitième
régiment de cavalerie, ci-devant cuirassiers, sont de l'avis que vient
d'énoncer M. Lameth, tous les citoyens impartiaux de la ville d'Arras
sont convaincus du contraire.
« M. Desrovrmel. Et moi je vous assure le contraire de ce
qu'avance M. Robespierre.
LES D'SCOURS DE ROBESPIERRE 681
« M. le Président. L'assemblée entend-elle que l'on interrompe
ainsi ? (Non, non).
« M. Destourmel. Il est tems que l'assemblée ne soit plus trom-
pée par des factieux.
« M. Robespierre. Il est vrai qu'il existe à Arras 300 hommes
à qui M. Rochambeau a cru devoir interdire le service pour une faute
contre la discipline militaire; je suis bien loin de vouloir justifier cette
faute, mais je dis qu'il est très possible de la réprimer, et que les
soldats sont dans l'état le plus parfait d'obéissance et de soumission
(Allons donc! Murmures). Je crois que dans de pareilles circonstances,
les loix, les cours martiales, les tribunaux suffisent, et que pour provo-
quer des mesures extraordinaires et terribles, il faut des événemens d'un
autre genre que l'état de choses dont je viens de vous parler (murmures).
C'est pour cela que j'ai pensé qu'il ne falloit pas toujours s'arrêter
simplement à l'idée de fautes contre la discipline; mais qu'il faut en
examiner les caractères et sur-tout les causes; or il est une circonstance
que l'on ne doit pas dissimuler, c'est que la cause de ces fautes de
discipline n'étoient point relatives au service militaire, mais seulement
à une chose qu'exigeoient les soldats; c'est que la source de toutes ces
querelles a été l'obstination de tous les soldats à vouloir conserver le
ruban patriotique qui leur avoit été donné par les citoyens de la ville
où ils avoient débarqué en revenant d'Amérique, et que les officiers
vouloient leur faire quitter. Il est possible que cette cause ait poussé les
soldats à parler très irrespectueusement à leurs officiers, à donner des
marques d'impatience qui passent pour indiscipline et insubordination;
mais il n'en est pas moins vrai que la cause n'est pas de celles qui
peuvent alarmer sur le salut public, et provoquer des mesures dont les
suites pourroient être infiniment funestes.
(( Il est un fait qui est bien propre à rassurer et la nation et vous
sur ces régimens. Les ennemis de la révolution ont voulu profiter de
l'état de disgrâce où étoit le régiment de Beauce; ils ont voulu profiter
de leur mécontentement pour les engager à prendre le parti des ennemis
de la révolution, et ce fait n'est point hasardé, la preuve en existe, elle
est authentique, elle est juridique; les hommes qui ont fait ces proposi-
tions coupables aux soldats du régiment de Beauce, ont été dénoncés
par eux au tribunal du district d' Arras : des informations ont été faites;
les faits les plus précis, les plus graves ont été constatés, et plusieurs
hommes, ennemis de la révolution, sont maintenant décrétés de prise-
de-corps; et le tribunal, s'il ne vous a pas encore envoyé là procédure,
est sur le point de vous l'envoyer. Il me semble que voilà des faits qui
méritent d'être placés dans un récit à côté de ces fautes d'indiscipline
qu'on exagère si souvent, et sur-tout dont on dissimule toujours les
causes. Comme il n'est pas juste que je sois compromis une seconde
fois pour avoir pris leur défense, autant que la justice le permet, je
demande que si l'on nie ces faits, il me soit permis d'y répondre, parce
662 LES PISCOURS DF, ROBESPIERRF,
qu'il n'est pas juste que le dernier qui allègue des fait? ait toujours
raison parce qu'il parle le dernier : et tout ce que je vous dis est de la
dernière exactitude, et il n'y a rien dans ces faits qui puisse provoquer
des mesures extraordinaires, il n'y a pas même de quoi punir avec une
extrême sévérité les soldats du régiment de Beauce (4).
« Je passe à la discussion de la loi : la loi en elle-même me paroit
dangereuse, précisément parce qu'elle déploie cet appareil formidable
de la force et de la terreur, qui est fait pour agiter les esprits et qui,
lors même qu'il n'y a pas de dispositions à la révolte, pourrait en faire
naître, car c'est souvent un moyen de provoquer à la sédition, que de
dire qu'il y aura sédition et de faire croire aux soldats et au peuple
qu'ils y sont disposés (applaudi dans le fond à gauche). Je dis en
second lieu que la principale disposition de la loi est extrêmement dan-
gereuse par sa nature ; dans le cas supposé où un régiment seroit déclaré
en état de révolte, ce qui peut être déclaré légèrement, )1 est très dan-
gereux d'appeller les gardes nationales contre les troupes de ligne, et
dans un tems, où nous ne pouvons nous dissimuler qu'on cherche à semer
la division entre les citoyens et les troupes de ligne elles mêmes, il est
très dangereux d'adopter une loi qui pourroit seconder un pareil projet
et fournir des armes aux mal-intentionnés.
« Messieurs, j'ajoute que vos loix seront toujours incomplettes,
comme l'a dit M. de Custine, lorsque vous verrez les soldats et que
vous ne penserez jamais aux chefs; il est très possible que des chefs
après avoir fomenté des troubles, après avoir tracassé sourdement et
longtems des soldats patriotes attachés à la discipline et aux loix, pro-
fitent ensuite d'un mouvement d'impatience et d'insubordination, auquel
ils les auront forcés pour les accuser, pour venger ensuite leurs injures
et exécuter leurs projets anti-révolutionnaires; voilà pourquoi je crois
que c'est sur les officiers et les chefs que doit porter la vigilance du
législateur, et dans toute cette affaire, il faut toujours se faire ces ques-
tions : quelle est la cause du désordre ? Qu'ont fait les officiers pour
(4) Les soldats emprisonnés dans la citadelle d'iArras furent
libérés le 9 septembre 1791. Voici comment le « Journal général du
Pas-de-Calais >» (suppl. au n° 30, p. 303) annonce le fait: « D'Arras,
le 11. Vendredi dernier, M. de la Roque a fait rendre les arme 3
an bataillon de Beauce détenu pour insurrection dans la citadelle
d'Arras. Il a lu aux soldats assemblés une lettre du roi, qui leur
accorde leur grâce, en leur ordonnant de rentrer dans le dévoir et
d'être soumis à leurs officiers, sous peine de punition exemplaire.
Ce bataillon est parti hier lundi pour iCambrai. Le club d'Arras lui
a donné un certificat de patriotisme, et en a, envoyé un pareil à la
municipalité de Cambrai. On voit que l'insurrection et le républica-
nisme passent dans l'esprit de ce club, pour patriotisme; et qu'il
met à profit ce principe : l'insurrection est le plus saint des devoirs.
Voilà sans doute pourquoi MM. Robespierre et Guffroi, et le très-
petit nombre de leurs partisans, sont les .seuls qui ne l'aient point
abandonné ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 683
la réprimer } N'ont-ils rien fait pour l'accroître ou même pour la faire
naître ? Car les soldats 'ne peuvent pas être plus suspects pour la révo-
lution que les officiers : en général il n'est pas vrai que les officiers aient
montré plus d'amour pour les loix, pour la constitution, pour la véritable
discipline que les soldats; et je crois que l'on ne se comporte pas
avec toute la prudence, avec tout le zèle qui seraient nécessaires pour
prévenir les désordres, lorsqu'on vient toujours vous proposer des décrets
contre les soldats et qu'on ne vous parle jamais des officiers. (Mur-
mures) » (5).
Journal des Débats, n° 829, p. 9-11.
« M. Robespierre a voulu prendre la parole. Il s'est élevé de
nombreuses huées. Il a insisté; les murmures ont recommencé. Je deman-
de, a-t-il dit, à répondre froidement à M. Alexandre Lameth... Les
murmures ont continué. — Il m'a calomnié. — On a demandé que la
discussion fût fermée. L'Assemblée a décidé que l'ordre de !a parole
seroit suivi. M. Custine a parlé le premier.
[ .1
« Je vais prouver, a dit M. Robespierre, que jamais mes opinions
n'ont été la cause d'aucun désordre... Les huées ont couvert la voix de
l'Opinant. Je suivrai la discussion actuelle d'après les seuls principes
que je professe; je prie ceux qui m'inculpent, de vouloir bien m'écou-
ter; et j'invite M. Lameth à préférer l'arme du raisonnement \ celle
de la calomnie.
« En général, toute loi qui tend à supposer un danger, à déployer
un grand appareil de force et de terreur, toute loi de cette nature,
dis-je, est dangereuse si elle est inutile : voilà pourquoi j'ai pensé que
quand on vous proposoit de rendre une pareille loi, il falloit l'appuyer,
non pas sur la terreur, mais sur les principes. J'observe en outre qu'il
est dangereux d'exagérer des faits, mais sur-tout qu'il est coupable
d'en imaginer. Je n'accuse personne d'en avoir imaginé, mais j'atteste
que l'on exagère beaucoup...
« Je demande à M. Robespierre, a dit M. Roussillon, quelle est
sa correspondance avec les régimens.
« Je vous avoue, a répondu M. Robespierre, que je ne trouve là
qu'une absurdité grossière et une calomnie. (Les tribunes ont vivement
applaudi). Je viens au fait : je nie qu'il y ait 300 brigands dans la
Citadelle d'Arras...
« Messieurs, s'est écrié M. Charles Lameth, je vous atteste que
dans le régiment des ci-devant cuirassiers, il n'y a point d'officier qui
ne craigne infiniment pour ses jours, et je vous supplie de ne pas
croire M. Robespierre.
« Je déclare, a repris M. Robespierre, que si les officiers des
(h) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXX, 8.
684 LES DJSCOURS DE ROBESPILKHI
«
ci-devant cuirassiers sont de l'avis que vient d'énoncer M. Lameth, les
citoyens impartiaux savent le contraire. — M. d'Estourmel a nié ce
que disoit l'Orateur, et a appuyé ce qu'avoit avancé M. Larnelh, au
nom de tous les citoyens d'Arras. — Il est seulement vrai qu'il existe
à Arras 300 hommes à qui M. Rochambeau a interdit le service pour
une faute contre la discipline militaire. Je suis loin de vouloir la justi-
fier, mais il étoit facile de la réprimer, et les soldats sont dans l'état
le plus parfait d'obéissance et de soumission. (On a murmuré).
« Dans de pareilles circonstance^, les tribunaux et les cours mar-
tiales doivent suffire; les loix extraordinaires doivent être déterminées
par des circonstances plus impérieuses. La première cause de l'insubordi-
nation dont on vous parle, est que ces 300 hommes ont voulu garder
le ruban patriotique qui leur avoit été donné pat les citoyens de la ville
de... Cette cause n'est point de celles qui peuvent alarmer le salut
public.
« Il est enfin un fait propre à rassurer. Les ennemis de la révolu-
tion ont voulu profiter de l'état de disgrâce où étoient ces soldats,
pour les engager à s'armer contre la révolution. Ceux-ci les ont dénon-
cés au tribunal du district d'Arras.
« Vous en recevrez incessamment la procédure. Voilà des faits
qu'il est important de mettre à coté de ceux de l'insubordination; et
comme il n'est pas juste que je sois compromis une seconde fois, je
demande, si l'on nie ces faits, qu'il me soit permis de répondre
« Je sais qu'il est venu des lettres de M. Rochambeau; mais je ne
pense point que les causes d'insubordination dont il parle, soient de
nature à provoquer une loi extraordinaire. Enfin, la loi est dangereuse,
parce qu'elle déploie un appareil formidable, qui peut provoquer des
séditions et des révoltes quand il n'y en a point; car souvent c'est pro-
voquer des séditions et des révoltes que d'en supposer. >^
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 241, p. 999.
« M. Roberspierre . J'ai des observations très-simples à présenter;
je vais prouver à tout le monde que mes opinions ne tendent pas à exciter
des troubles; car je discuterai la question d'après les mêmes principes
qui m'ont toujours dirigé, et je préférerai l'arme du raisonnement à celle
de la calomnie. Si le grand appareil de la force est dangereux, c'est
surtout quand il est inutile. Je pense que la question ne doit pas être
jugée sur les terreurs que quelques personnes cherchent à exciter, mais
sur des faits. Je ne sais si tous les faits qu'on vous a cités sont faux,
mais je jure qu'il y a beaucoup d'exagération.
« M... Le parieriez-vous ?
« M. Roussillon. N'est-il pas vrai que vous entretenez une coires-
pondance avec l'armée ?
« M. Roberspierre. Je ne réponds pas à une inculpation qui
LÉS DISCOURS DE ROBESPIERRE 685
n'est qu'une assertion ridicule ou une calomnie atroce. Je dirai plutôt
qu'il est absolument faux qu'il y ait 300 brigands dans la citadelle
d'Arras.
« M. Charles Lameth. Il n'est pas un des officiers de la garnison
d'Arras, qui ne regarde les excès des bataillons de Beauce comme
propres à mettre tous les régimens en révolte, et je prie l'Assemblée
de ne pas croire M. Roberspierre.
« M. Roberspierre. Je déclare que, si les officiers d'Arras sont
de l'avis de M. Lameth, tous les citoyens impartiaux sont d'un avis
contraire.
« M. Estournel. Je demande à éclairer à l'Assemblée, il est tems
enfin que les factieux ne l'égarent plus.
« M. Roberspierre. Il est possible que les 300 soldats de Beauce
qui sont dans la citadelle d'Arras, aient manqué au respect dû à leur
chef ; mais quel ordre leur donnait-on ? Celui de quitter le ruban patrio-
tique. Les ennemis de la constitution ont aussi-tôt profité de ce mouve-
ment, pour faire de ces soldats, les instrumens de leurs projets; mais
ils ont été dénoncés par les soldats eux-mêmes aux tribunaux, et la pro-
cédure va être envoyée à l'Assemblée nationale. Je ne vois rien là-
dedans qui nécessite les mesures extraordinaires qui vous ont été pro-
posées, i
« Maintenant je reviens à la question, je pense que c'est un moyen
d'exciter la sédition et la révolte, que d'agir comme s'il devait y avoir
une sédition. Je pense qu'il est extrêmement dangereux de montrer tou-
jours aux troupes de ligne, les gardes nationales comme prêtes à mar-
cher «contre elles- J'ajoute que vos lois pénales seront toujours, incom-
plètes lorsque vous ne verrez que les soldats et jamais les chefs. Je
demande en conséquence la question préalable » (6).
Le Courrier des LXXXUI départemens, n° 29, p. 463.
« M. Alexandre Lameth s'est oublié au point d'attribuer l'insur-
rection de l'armée aux opinions de MM. Péthion et Roberspierre. Ce
dernier a voulu répondre à la plus atroce des calomnies. Les meneurs
de l'Assemblée, tyrans plus injustes mille fois que les satrapes d'Asie,
ont étouffé ses réclamations par des huées et des murmures (7).
(( M. Robespierre a fait cependant un dernier effort. Il a voulu
justifier la garnison d'Arras, inculpée par Al. Lameth. « Les faits,
a-t-il dit, qu'on vient de vous citer, sont exagérés, je vous le jure.
<6) Texte reproduit clan., le Moniteur, IX, 517; et dans Bûchez
et Roux, XI, 450.
(7) Note du journal: « Lés voilà, ces amis de Tordre et de la
paix, des hommes désintéressés et patriotes ».
686 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
(Quelles sont vos relations avec les régimens, dit M. Roussillon ? (8).
Je ne vois, répond l'orateur, dans la question de M. Roussillon, qu'une
grossière absurdité. Je continue. Les trois cents hommes qu'on vous
représente comme des brigands prêts à incendier Arras, ne sont cou-
pables que d'un seul acte d'insubordination.
« On avoit donné à ces soldats un ruban aux couleurs nationales ;
ils s'obstinent à le garder malgré l'ordre des officiers; du reste, ils ont
dénoncé au tribunal d 'Arras des perfides qui vouloient abuser de ce
mécontentement passager pour les corrompre. » — Braves militaires !
que ne passiez-vous chez l'étranger ! Un Lameth ne vous auroit pas
dénoncés comme des factieux. — A quel degré d'avilissement nous
sommes parvenus ! — H n'est pas besoin de dire que le projet a été
adopté. »
Le Babillard du Palais Royal, n° 78, p. 303.
« Cependant, M. Péthion, soutenu de quelques membres, deman-
dait l'impression et l'ajournement du projet de décret : il se plaignait
de n'entendre parler que des soldats dans cette loi pénale. Elle n'est
que trop douce, s'est écrié M. Alexandre Lameth: tout le comité sait
que les opinions de MM. Péthion et Robespierre ont occasionné le plus
grand mouvement dans l'armée. A ces mots, les deux membres nommés
se lèvent: M. Robespierre veut parler; de violens murmures étouffent
sa voix : il est impossible, s'écrie-t-il, que M. Lameth ait le droit de
m'inculper, sans que j'aie celui de répondre. — Les cris redoublent.
M. Verrier (9) qui a succédé dans la présidence à M. de Broglie,
consulte l'assemblée; et la parole est refusée à M. Robespierre. ■ —
Enfin le projet de décret est adopté à la presqu'unanimité. — Cette
marque de mépris indigne les partisans du Démosthènes d 'Arras. Beau-
coup d'honnêtes gens prétendent, au contraire, que le fond a fait
oublier la forme, et que l'assemblée nationale a très-bien fait de ne pas
retarder, d'un moment, le décret le plus indispensable et le plus salu-
taire. »
Mercure de France, 3 septembre 1791, p. 52-53.
« Criant toujours à la calomnie, M. Roberspierre vouloit opposer
à des révoltés, non la terreur, mais des principes. On l'accusoit d'une
correspondance avec des régimens, il traitoit l'imputation d'absurdité
grossière; il a nié les dangers d'Arras, et dit que l'insubordination venoit
de l'ordre donné par M. de Rochambeau, de quitter le ruban tricolore
que les soldats aiment à porter à la boutonnière par patriotisme- Les tri-
bunes ont vivement applaudi M. Roberspierre, lorsqu'il a soutenu que
c'étoit provoquer des révoltes que d'en supposer. »
(8) Note du journal: « Et vos relations avec les ministres»
MM. les intrigans ».
<(J) Vernier Théodore, avocat, député du tiers état du bailliage
d'Aval} en Franche-Comté.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 687
La Rocambole, n° 20, p. 341.
« MM. Péthion et Robespierre se sont opposés à cette loi; mais
M. Alexandre de Lameth en a démontré l'urgente nécessité... Tout
le comité sait, ajoute-t-il, que MM. Péthion et Robespierre ont occa-
sionné le plus grand mouvement dans l'armée- M. Robespierre se fâche,
et M. Roussillon, curieux de connoître le principe des choses, lui dit
pour le calmer : Quelles sont donc vos relations avec les régimens ?
M. Robespierre « dont l'esprit phlegmatique garde dans ses fureurs un
ordre didactique », dédaigne cette demande indiscrette et veut justifier
les brigands d'Arras, et l'inutilité de la loi. Mais sa harangue est étouf-
fée par les faits graves qu'articulent MM. Alquier et Fréteau... »
[Résumé de cette intervention dans Le Point du Jour, t. XXVI,
n° 782, p. 39, et 783, p. 40; Le Courier de Provence, t. XVI, n° 334,
p. 407; Le Législateur français, t. III, 29 août 1791, p. 6; Le Journal
général, p. 858; Le Patriote François, n° 750, p. 250. Brève mention
dans Le Pacquebot, n° 239; Le Journal général du Pas-de-Calais,
n° 19, p. 194; Le Journal de Louis XVI et de son peuple, t. V,
n° 117; Les Annales patriotiques et littéraires, 29 août 1791, p 1880;
Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), t. XIII, p. 4; Le
Journal général de France, 29 août 1791, p. 968; L'Argus patriote,
n° 23, P. 616; L'Ami du Peuple (Marat), 1er septembre 1791; La
Gazette universelle, n° 242, p. 967; L'Ami du Roi (Royou), 30
août 1791, p. 4; Le Journal de Rouen, n° 241 , p.l 167.]
Société des Amis de la Constitution
349. — SEANCE DU 28 AOUT 1791
Sur le compte rendu de la séance de l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale avait, dans sa .séance du 28 août, discuté
le rapport présenté par Chabroud, sur le rétablissement de la disci-
pline dans l'armée. .Robespierre mis en cause, était intervenu plus
particulièrement sur l'affaire du 2° bataillon du 68° régiment,
ci-devant Beauce, caserne à Arras (1).
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 50.
Mercure universel, t. VII, p. 42-
« M. Robespierre a rendu compte de la séance de l'assemblée
nationale du matin » (2).
{1) Cf. ci-des.sus, «éance précédente.
(2) Texte reproduit dans Aulard, III, 105.
688 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
350. — SEANCE DU 30 AOUT 1791
Sur la revision de la Constitution
Le 29 août, Le Chapelier, au nom des comités de constitution
et de révision, avait présenté un rapport sur les modalités de révi-
sion de la constitution et sur la formation, les fonctions et les droits
de l'assemblée de révision, dite Convention nationale. Cette dernière
« ne pourra jamais s'emparer de la constitution, mais bien examiner
si les pouvoirs constitués sont restés dans les bornes, et si les points
sur lesquels les citoyens, le corps législatif et le roi se sont expli-
qués, devront être réformés ■». La discussion aussitôt instituée se
poursuit le 30 août. Camus demande alors à l'Assemblée de la limiter
aux 4 points suivants : Y aura-t-il ou n'y aura-t-il pas de conventions
nationales 1 A quelle époque se réuniront-elles ? De combien de mem-
bres seront-elles composées? Dans quel lieu is'assembleront-elles 1
D'André réclame alors la question préalable sur les deux premiers
points, et l'Assemblée décide qu'il n'y aura pas de convention &
périodiques.
Le Chapelier insiste pour que la prochaine convention nationale
ne se réunisse pas avant l'année 1801 pour laisser aux esprits le
temps de s'apaiser et pour recueillir les leçons de l'expérience. Dan-
dré, puis .Salles, estiment qu'il serait prudent d'attendre au moins
20 années. Robespierre veut intervenir, mais on ferme la discussion.
Elle reprend sur les amendements, et Lafayette soutient, comme
le voulait Robespierre, le droit imprescriptible de la nation de
réviser sa constitution quand il lui plaît. L'Assemblée se rallia alors
à la motion présentée par Thouret, qui fut décrétée en ces termes :
« La nation a le droit imprescriptible de revoir et changer sa consti-
tution quand il lui plaît; mais l'assemblée nationale déclare qu'il est
de l'intérêt général de suspendre l'exercice de son droit pendant
trente ans ».
Journal des Etats Généraux ou Journal Logograph., t. XXXII, p. 459.
« M. Robespierre. J'ai la parole pour une motion d'ordre (bruit).
M. d'André a fait une motion d'ordre, je demande à en faire une
seconde (bruit) qui est la conséquence de la sienne » (1).
Journal des Débats, n° 831, p. 9.
« M. Robespierre a demandé la parole; mais il a été décidé
qu'il ne seroit point entendu. »
Le Point du Jour, t. XXVI, n° 784, p. 59.
« M. Roberspierre demandoit à soutenir les principes de l'inalié-
nabilité du droit qu'a la nation de changer et de reviser sa constitution
quand il lui plaît. Mais la discussion a été fermée. »
(1) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXX, 66.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 689
351. — SEANCE DU 30 AOUT 1791 (soir)
Sur la proposition d'une députation d'électeurs
du Pas-de-Calais
Une députation des électeurs du Pas-de-Calais est admise à la
barre de l'Assemblée nationale. Après avoir fait, en son nom parti-
culier, un don patriotique pour aider à la défense des frontières.
1 orateur de la députation lit, au nom du corps électoral, une pétition
dans laquelle il exprime le vœu qu'une indemnité soit accordée aux
électeurs <1). Il montre que ces derniers ont dû, depuis 18 mois, se
déplacer très fréquemment au chef lieu, pour procéder à la nomina-
tion et au renouvellement des administrations (2;.
Cette demande fut renvoyée au comité de constitution, mais les
membres de la députation obtinrent les honneurs de la séance.
Journal général du département du Pas-de-Calais, n° 20, p. 205 (3).
« Une députation des électeurs du département du Pas-de-Calais
s'est présentée à la barre; et après avoir fort adroitement oflferi un
assignat de 80 hv. à l'assemblée nationale, elle a demandé une indem-
nité pour le tems qui avoit été employé dans les assemblées électorales.
M. de Robespierre s'est efforcé d'appuyer cette opinion » (4).
L'Ami du Roi (Mont joie), 1er septembre 1791, p. 974.
« Bien des murmures se sont élevés d'abord; mais M. Robespierre
qui connoit les hommes de son siècle, et qui sait parfaitement qu'on
ne peut les conduire tous qu'avec de l'argent, s'est déclaré pour la
demande des électeurs; il a soutenu que si l'assemblée n'accueilloit pas
sur-le-champ toutes ces sortes de demandes, il arriveroit indubitable-
(1) Robespierre ava.it fait une semblable proposition lors de la
réunion de l'Assemblée du tiers état de la Ville d'Arras, dans la
nuit du 29 au 30 mars 1789 (Cf. Discours..., lre partie, 15).
(2) Barère (Point du Jour, XXVI, 66) soutient ce point de vue
en faisant remarquer que la dépense engagée cessera dès que la
constitution sera mise en application. On trouvera le texte de la
pétition dans les Arch. pari., XXX, 81.
(3) Dans son numéro (p. 192), le même journal laisse entendre
que Robespierre le Jeune aurait essayé d'utiliser ce procédé. Il
écrit: « D'Arras... Plusieurs électeurs ont déclaré qu'on leur avoit
offert de les défrayer de leur séjour, s'ils vouloient donner
leur voix pour M. Robespierre, frère du député à l'assemblée natio-
nale. Il vient de paroître un imprimé dans lequel M. Robespierre
nie le fait )>.
(4) Ce journal rerient à la charge à la suite de l'élection de
Robespierre cadet à l'administration du département (n° 21, p. 217):
<•. 'L'accueil que M. «on frère a fait aux électeurs qui ont été en
députation pour obtenir le paiement de leurs vacations, a vallu
à M. Robespierre cadet cette place qu'il a préféré sans doute à celle
de volontaire ».
tobï*rtte*»fi M
690 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
ment que ceux-là qui ont du tems à perdre, et par conséquent les
riches seuls parviendraient à l'électorat (5). La conséquence de M. Ro-
bespierre a effrayé l'assemblée qui veut que les pauvres puissent aussi
être électeurs et députés; et sur la proposition de l'orateur, elle a envoyé
la pétition pécunière à ses comités de constitution et de finances; c'est
un avis à M. Vernier de laisser place dans son tableau, qu'on va impri-
mer, à la dépense des corps électoraux. »
(5) L'Ami du Roi de Rcyou (n° du 11 septembre 1791, p. 1) e"t
également partisan de cette indemnité: <c Les seuls riches voudront
voyager à leurs frais, et se rendront martres des élections. MM. Pé-
tition, Rœderer, Robespierre,, illustres défenseurs du peuple, où
ttiez-vous? ».
352. — SEANCE DU 31 AOUT 1791
Sur les conventions nationales et la revision
de la Constitution (suite)
Le débat reprend le 31 août. D'André, au nom des comités,
déclare qu'il n'est pas question d'examiner la possibilité d'un chan-
gement total de la constitution, mus .seulement de modificatio,ns par-
tielles. Pour ces dernières, il suffirait que soit émis non pas le vœu
individuel des citoyens consultés à cet effet, mais le vœu de la nation
exprimé par trois législatures consécutives. Robespierre intervient
alors et critique vivement le système proposé (1).
Au terme de cette discussion, les articles suivants furent décré-
tés : « 1. Lorsque trois législatures consécutives auront émis un vœu
uniforme pour la révision de quelques articles constitutionnels, il y
aura lieu à révision.
« 2. La quatrième législature sera chargée d'examiner les articles
dont les trois législatures précédentes et consécutives auront demandé
revision.
« 3. Les membres de la troisième législature ne pourront être
réélus à la prochaine. »
Journal des Etats Généraux ou Journal Logograph., t. XXXIII, p. 31.
Le Courrier des LXXX11I départemens, 2 sept. 1791, n° 2, p. 28 (2).
« M. Robespierre. M. d'André a distingué deux cas où la nation
pourroit désirer de revoir sa constitution; le second, celui où il s'agiroit
d'en retoucher quelque partie. Je crois, messieurs, que l'insurrection ne
peut jamais être un moyen constitutionnel ; puisqu'au contraire elle n'est
qu'un effet de la violence et le renversement même de la constitution.
« Puisqu'il peut exister, suivant M. d'André, un cas où la nation
alinéa.
C-l) Cf. E. Hamd, I. 546; et G. Walter, 472.
(2) Gorsas dans son « Courrier » ne reproduit pas le premier
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 691
voudroit revoir les bases de la constitution, il est évident qu'il ne laisse
à cet égard d'autre moyen que l'insurrection. (Murmures).
« M. d'André. M. le président, M. l'opinant m'attribue ses
moyens (applaudi). Je n'ai jamais parlé d'insurrections. Je ne les aime
pas du tout.
« M. Robespierre. M. d'André n'indique aucune espèce de
moyen par lequel la nation pourront réclamer ses droits, dans le cas
où je parle ; il se contente de dire simplement : si le vœu de la nation
étoit universel, pour changer l'ensemble de sa constitution, la conven-
tion aura lieu : il est certain qu'il ne faudrait point de loi, de mode
de -lélibérer pour cela. Alors c'est mettre l'insurrection à la place
de tout moven et de toute forme constitutionnelle. Or, messieurs, je
m'étonne que ce moyen là soit indiqué précisément par ceux qui ne
peuvent souffrir que nous réclamions un principe de liberté, c-ans nous
accuser de vouloir le désordre et l'anarchie. Il me semble que s'il étoit
une occasion de nous injurier, ce n'étoit point celle où je prouve que
M. d'André a dit cela précisément. (Grands murmures).
« Maintenant, je reviens au second cas qui est le seul pour lequel
M. d'André pense que vous devez faire une loi constitutionnelle, c'est
celui où il s'agit de réformer quelque partie de la constitution. Je dois
ajouter qu'il en est un troisième qui est échappé au préopinant, c'est
celui qui est indiqué par le comité de constitution lui-même, c'est la
fonction qui doit être attribuée à la Convention nationale d'examiner
si les pouvoirs constitués n'ont pas franchi les limites de la Constitution
et de les y faire rentrer. Or, sous ce point de vue-là, messieurs, com-
ment est-il possible de soutenir le système adopté par le préopinant ?
Dans ce sens-là la Convention Nationale est appellée pour réprimer les
abus commis par les autorités constituées, pour les forcer à rentrer dans
les bornes que la Constitution a prescrites, et cependant, on veut faire
dépendre l'existence et la formation de cette convention nationale de la
volonté des autorités constituées elles-mêmes. Car remarquez que dans
le système où je parle, pour que la Convention nationale puisse avoir
lieu, il faut que trois législatures consécutives y aient consenti, et déclaré
que la convention nationale doit être appellée. Ainsi la nation ne pourra
nommer une convention nationale pour maintenir sa constitution, pour
faire rentrer les représentans qui auront abusé de ses pouvoirs, qu'autant
qu'il plaira à ces mêmes autorités constituées qui ont violé ces mêmes
droits et contre lesquels on est obligé d'appeller la convention nationale.
Je demande s'il est possible de produire un renversement plus complet
de toutes les idées de justice et d'ordre social.
« N'est-il pas évident encore qu'un pareil système encore anéantit
évidemment le principe de souveraineté? En effet, si l'existence, si la
formation de la convention nationale dépend des pouvoirs constitués,
n'est-il pas évident que l'autorité de la nation est subordonnée au pouvoir
constitué; que c'est alors le législateur qui exerce cet acte sxvprême et
692 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
puissant de la souveraineté nationale, qui consiste à nommer des repré-
sentai pour réprimer les entreprises et les usurpations des délégués du
peuple ? Ainsi, messieurs, le système proposé renverse tous les principes;
il détruit la souveraineté nationale, et j'ajoute qu'il nous seroit un garant
certain que jamais aucune convention nationale ne pourroit avoir lieu.
« En effet, messieurs, de cela même que la convention nationale
est appellée pour réprimer les pouvoirs établis, pour redresser les griefs
des pouvoirs délégués, n'est-il pas évident que jamais on ne trouveroit
trois corps délégués de suite qui consentiroient à appeller cette autorité
formidable, qui seroit l'ennemie de toutes leurs prétentions et de toutes
leurs injustices? N'est-il pas évident que profitant de l'abus du gou-
vernement, qu'ils auroient eux-mêmes introduit, ils déploiroient, au con-
traire, toutes leurs ressources et toute leur influence, pour empêcher que
la convention nationale fût jamais appellée; et qu'ainsi le plan qu'on
vous propose auroit évidemment l'effet de délivrer les tyrans des conven-
tions nationales. Je demande la question préalable sur tous les projets.
(Applaudi des tribunes) (3)._
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n" 245, p. 1020.
« M. Robespierre M. Dandré ne veut pas que l'on détermine la
manière dont pourra être convoqué un corps constituant : je dis que
l'insurrection ne peut être un moyen sur lequel doive se fonder le légis-
lateur. Si la nation a le droit de changer en son entier la constitution,
il faut lui laisser un autre moyen de le faire que celui de l'insurrection.
« M. Dandré. L'opinant m'attribue ses moyens.
(( M. Roberspierre. Je dis que n'indiquer aucune espèce de moyen
par lequel la nation puisse exercer son droit de faire changer la consti-
tution, c'est évidemment ne lui laisser que le moyen de l' insurrection.
Je m'étonne que ce moyen soit établi par ceux même qui ne peuvent
nous voir réclamer aucun principe de liberté sans dire que nous voulons
le désordre et l'anarchie.
« Mais les conventions nationales ne doivent pas seulement pou-
voir être appelées pour changer la constitution dans son entier, ni pour
la réformer dans une partie, il est une troisième fonction des conven-
tions : c'est d'examiner si les pouvoirs constitués n'ont pas franchi les
bornes qui leur avaient été prescrites, et de les y faire rentrer. Dans ce
cas, comment espère-t-on que le corps législatif qui aura usurpé des pou-
voirs qu'il ne devait pas exercer, appelle lui-même une convention
nationale pour réprimer l'abus dont il profite ? Ne faut-il pas alors à la
nation un moyen d'avoir des conventions nationales indépendant du
corrps législatif lui-même ? En ordonner autrement ne serait-ce pas
anéantir le principe de la souveraineté nationale pour en revêtir le corps
législatif ? La souveraineté de la nation consiste en effet à pouvoir répri-
(3) Texte reproduit dans les Ârah. pari., XX^, 112.
LES DISCOURS PE ROBESPIERRE 693
mer quand elle le veut, les usurpations des pouvoirs constitués, Ainsi,
le système proposé est destructif de la liberté. Trouvera-t-on trois corps
consécutifs qui appellent contre eux cette autorité puissante qui serait
l'écueil de toutes leurs prétentions? Ce plan n'aurait d'autre effet que
de délivrer les tyrans, ceux qui usurpent l'autorité du peuple, de la
crainte des conventions nationales » (4).
Le Point du Jour, t. XXVI, n° 785, p. 75.
« M. Robespierre dit que M. d'André, par son système, appelle-
roit l'insurrection, moyen qui renverseroit la constitution même. (M. d'An-
dré dit que ce sont des moyens qu'il n'a jamais indiqué). M. Robers-
pierre dit qu'il est évident que s'il n'a pas de moyens constitutionnels
et réguliers pour réviser la constitution, il est sensible qu'il appelle l'in-
surrection. M. d'André veut que les assemblées nationales soient les
moyens propres à appeller le corps constituant, tandis que ces corps
constituans sont institués et appelles pour corriger et juger les usurpa-
tions des corps constituans. Je soutiens que c'est détruire la souveraineté
nationale. La législature sera l'écueil où échoueront les griefs et les
plaintes des citoyens. Je demande que la question préalable sur les
amendemens, proposés par M. d'André, soit adoptée. »
Mercure universel, t. VII, p. 13.
« M. Robespierre. Selon M. d'André, il n'y a aucune espèce de
moyen, si ce n'est celui de l'insurrection, pour que la nation puisse
changer en entier sa constitution; or, c'est vouloir que jamais le peuple
ne puisse jouir de ses droits. Pourquoi ne pas établir un moyen légal,
pour qu'il puisse dans tous les teins recouvrer ses droits ? Quant
au moyen de retoucher la constitution, il ne sera donc pas possible au
peuple de corriger sa constitution, sans le consentement du roi, sans
celui des pouvoirs constitués ? N'est-ce pas là s'arroger le pouvoir
souverain, renverser tous les principes de justice ? N'est-ce pas vouloir
qu'il n'y ait jamais de conventions ? En effet, ces autorités, qui par-
tagent et abusent du pouvoir, qui perpétuent et jouissent du bénéfice des
abus, demanderont-elles des conventions ? Je réclame la question préa-
lable sur la motion de M. d'André. (Applaudi).
[Brève mention de cette intervention dans La Gazette universelle,
n° 244, p. 976; Assemblée nationale, Corps administratifs (Perler),
t. XIII, n° 757, p. 4; Le Postillon (Calais), n° 570, p. 5; Le Mercure
de France, 10 septembre 1791, p. 151; L'Ami du Peuple (Marat),
n° 545, p. 5; Le Journal des Débats, n° 832, p. 16; Le Patriote
françois, n° 753, p. 263; Le Journal de Rouen, n° 244, p. 1181;
Le Journal des décrets de l'Assemblée Nationale, 31 août 1791, p. 384;
Le Journal de Paris, 1er septembre; Les Annales patriotiques et litté-
raires, 1er septembre 1791, p. 1894; Le Journal universel, t. XIII,
p. 14183; Le Journal Général de France, 1er septembre 1791, p.980.]
(4) Texte reproduit daaB le Moniteur, IX, 555.
694 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
353. — SEANCE DU 1" SEPTEMBRE 1791
Sur la présentation de la Constitution au roi
L'Assemblée ayant achevé la discussion de l'acte constitutionnel.
Beaumez (1) propose, au nom du comité de constitution, le décret
suivant: « Art. 1: Il sera nommé une députation pour présenter
l'acte constitutionnel au roi.
« 2. Le roi sera prié de donner tous les ordres qu'il jugera
convenable pour sa garde et pour la dignité de sa personne.
« 3. Si le roi se rend au vceu des Français en adoptant l'acte
constitutionnel, il sera prié d'indiquer le jour et de régler les formes
■dans lesquelles il prononcera formellement, en présence de l'Assem-
blée nationale, l'acceptation de La royauté constitutionnelle et l'en-
gagement d'en remplir les fonctions » (2).
Robespierre lut un discours qui provoqua de vives réactions dans
l'Assemblée (3) et dont l'impression fut ordonnée le soir même par
la Société des Amis de la Constitution (4). Malgré tout, les articles
présentés par Beaumez furent successivement mis aux voix et
décrétés (5).
DISCOURS DE MAXIMILIEN ROBESPIERRE
A L'ASSEMBLEE NATIONALE
Sur la présentation de la Constitution au roi
Imprimé par ordre de la Société des Amis de la Constitution (6)
MESSIEURS,
« L'Acte constitutionnnel est terminé, nous sommes donc enfin
arrivés à la fin de notre longue et pénible carrière. Il ne nous reste plus
qu'un devoir à remplir envers notre pays, c'est de lui garantir la stabilité
0) Dans un exposé des motifs, il a rappelé les services rendus
par le Roi à la nation, depuis la convocation des Etats Généraux.
(2) Montlosier s'élève contre un projet oui lui paraît attenter à
h dignité royale II demande acte à l'Assemblée du silence
qu'observe son parti au cours de la discussion (Mémoires, II, 201).
(3) Cf. E. Hamel, I, 546-549. G. Walter i(o. 116-119) analyse le
discours de Robespierre, ainsi que Michelet, Histoire de la Révolu-
tion française, III, 192.
(4) D'après le Mercure universel, t. VII, p. 72, et le Journal
des Débets de la Sté, n° 53. p. 2, un membre a demandé que la
société fît imprimer le discours prononcé, le matin, à l'Assemblée
nationale par M. RoHpsnierre, et dans lequel ce député avoit si
vigoureusement défendu la cause de la liberté. Cette motion a été
adoptée. » (Texte reproduit dans Aulard, III, 110).
(5) La constitution fut présentée au roi par une députation de
60 membres, le 3 septembre 1*791, et acceptée par lui le 13 septembre.
(6) Brochure in-8° s.d. de 8 p. Imprimerie du Patriote François.
CB.N". 8° Lb10 628: Areh.nat, AD xvm A 60; Bibl.Sorbonne H Fr 140;
B. V. de P.. «° 95^5). Ce texte est reproduit dans le Point
du Jour. t. XXVL n° 787, p. 105; la Gazette nationale ou le Moniteur
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 6Q5
de la constitution que nous lui présentons; il faut que le terme de no»
travaux soit aussi celui de ses alarmes et de ses agitations.
« Pour que la constitution existe, il ne faut qu'une seule condition;
c'est que la nation le veuille. Nul homme n'a le droit ni d'arrêter le
cours de sa destinée, ni de contredire sa volonté suprême.
« Le sort de la constitution est donc indépendant de la volonté
de Louis XVI. Ce principe a déjà été reconnu hautement dans cette
assemblée. Ce n'est point assez, il faut encore y croire sincèrement et
l'observer avec fidélité.
« Je ne doute pas que Louis XVI ne l'accepte avec transport. Le
pouvoir exécutif tout entier, assuré comme un patrimoine à lui et i sa
race; le droit d'arrêter les opérations de plusieurs assemblées nationales
consécutives; la faculté de les diriger par la proposition des !oix qu'il
peut rejetter lorsqu'elles sont faites par l'influence de ses ministres admis
au sein du corps législatif ; un empire absolu sur tous les corps adminis-
tratifs devenus ses agens, le pouvoir de régler les intérêts et les rapports
de la nation avec les nations étrangères; des armées innombrables dont
il dispose; le trésor public grossi de tous les domaines nationaux remis
en ses mains (7); 40 millions destinés à son entretien et à ses plaisirs
personnels; tout m'annonce qu'il n'existe point dans l'état de pouvoir
qui ne s'éclipse devant le sien; tout me prouve que nous n'avons rien
négligé pour rendre la constitution agréable à ses yeux. Cependant,
comme il est quelquefois dans le caractère des monarques d'être moins
sensibles aux avantages qu'ils ont acquis qu'à ceux qu'ils croient perdus,
comme le passé peut nous inspirer quelque défiance pour l'avenir, ce
n'est peut être pas sans raison que nous nous occupons de la manière
de lui présenter la constitution. C'est là sans doute le motif qui a déter-
miné le comité à vous présenter comme le sujet d'un problème, une
chose si simple au premier coup d'ceil. Pour moi je le résous facilement,
par les premières notions de la prudence et du bon sens. Tout délai dans
ce genre, ne seroit bon qu'à prolonger de funestes agitations, à nourrir
de coupables espérances, et à seconder de sinistres projets. Je crois
donc que c'est à Paris qu'il faut présenter la constitution à Louis XVI,
et qu'il doit s'expliquer sur cet objet dans le plus court espace de tems
possible. Je ne vois aucune raison même spécieuse, qui puisse justifier
la proposition de le faire partir pour la lui présenter ailleurs. Je ne
comprends pas même le mot de liberté ou de contrainte appliqué à cette
circonstance. Je ne conçois pas comment l'acceptation de Louis XVI
universel, n° 246, p. 1024. C'est à ce dernier journal que nous em-
pruntons les interruptions indiauées dans les notes ci-après. Le
Journal de Paris (2 septembre 1794, p. 1001) publie le passage sui-
vant: « Pour que la constitution existe... le plus court espace de
tems possible ».
(7) « (Il .s'élève de violens murmures). Ce ne sont pas Ja des
calomnies, c'est la constitution ». On trouvera une réimpression de
ce texte dans le Moniteur, I , 564; Bûchez et Eoux, XI, 389-392.
696 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
pourroit être supposée avoir été forcée, car la présentation de la consti-
tution pourroit être traduite en ces mots : la nation vous offre le trône
le plus puissant de l'univers. Voici le titre qui vous y appelle; voulez-
vous l'accepter ? Et la réponse ne peut être que celle-ci : je le veux,
ou je ne le veux pas.
Or, qui pourroit s'imaginer que Louis XVI ne seroit pas libre de
dire : je ne veux pas être roi des François ? Quelle raison de supposer
que le peuple feroit violence à un homme pour le forcer à être roi, ou
pour le punir de ne vouloir plus l'être ? Eh ! dans quel lieu de l'empire
peut-il être plus en sûreté qu'au milieu d'une garde nombreuse et fidèle
de citoyens qui l'environnent ? Le seroit-il plus dans une autre partie
de la France, sur nos frontières, ou dans un royaume étranger : ou pl'itôt
si ailleurs il se trouvoit entouré d'hommes ennemis de la révolution,
n'est-ce pas alors que l'on pourroit feindre avec plus de vraisemblence,
que sa résolution n'auroit pas été libre ? Mais que signifient tous ces
bizarres scrupules sur la liberté de l'acceptation d'une couronne ? C'est
le salut, c'est la sûreté de la nation qui doit seule être consultée. Or
vous permet-elle de désirer que Louis XVI s'éloigne dans ce moment,
avez-vous des garans plus certains de ses dispositions personnelles, de
celles des hommes qui l'entourent, qu'avant le 21 juin dernier ? Ces
rassemblemens suspects dont vous êtes les témoins; ce plan de laisser
vos frontières dégarnies, de désarmer les citoyens, de semer par-tout
le trouble et la division; les menaces de vos ennemis extérieurs, leur
coalition avec les faux amis de la constitution qui lèvent ouvertement le
masque, tout cela vous invite-t-il à rester dans la profonde sécurité où
vous avez paru plongés jusqu'à ce moment ? Voulez-vous vous exposer
au reproche d'avoir été les auteurs de la ruine de votre pays ? Le danger
fut-il moins réel qu'il ne le paraît, au moins la nation le craint : les avis,
les adresses qui vous sont envoyées de toutes les parties de l'état vous
le prouvent. Or, ce n'est point assez de ne pas compromettre évidemment
le salut de la nation, il faut respecter jusqu'à ses alarmes, il faut nous
rassurer nous-mêmes contre un danger qui n'est point douteux; il faut
nous prémunir contre tous les pièges qui peuvent nous être tendus, con-
tre toutes les intrigues qui peuvent nous obséder, dans ce moment
critique de la révolution. Il faut les déconcerter toutes, en élevant en
ce moment entre elles et nous une barrière insurmontable, en ôtant aux
ennemis de la liberté toute espérance d'entamer encore une fois notre
constitution. On doit être content sans doute de tous les changemens
essentiels que l'on a obtenus de nous; que l'on nous assure du moins
la possession des débris qui restent de nos premiers décrets; si on peut
attaquer notre constitution après qu'elle a été arrêtée deux fois, que
nous reste-t-il à faire, que de reprendre ou nos fers ou nos armes ? (8).
(8) (On applaudit dans l'extrémité de la partie gauche. Le reste
de la salle murmure). Je vous prie, M. le Président, d'ordonner à
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 697
Je ne présume pas qu'il existe dans cette assemblée un homme assez
lâche pour transiger avec la cour, sur aucun article de notre code consti-
tutionnel, assez perfide pour faire proposer par elle des changemens
nouveaux, que la pudeur ne lui permettrait pas de proposer lui-même;
assez ennemi de la patrie pour chercher à décréditer la constitution,
parce qu'elle mettrait quelque borne à son ambition ou }. sa cupidité;
assez impudent pour oser avouer aux yeux de la nation, qu'il n'a cher-
ché dans la révolution qu'un moyen de s'agrandir et de s'élever; car
je ne veux regarder certain écrit et certain discours qui pourrait présenter
ce sens, que comme l'explosion passagère du dépit déjà expié par le
repentir (9).
« Mais nous, du moins, nous ne serons ni assez stupides, ni assez
indifférens à la chose publique, pour consentir à être les jouets éternels
de l'intrigue, pour renverser successivement les différentes parties de
notre ouvrage, au gré de quelques ambitieux, jusqu'à ce qu'ils nous
aient dit : le voilà tel qu'il nous convient.. Nous avons été envovés pour
défendre les droits de la nation; non pour élever à la fortune quelques
individus, pour renverser les dernières digues qui restent encore à la
corruption, pour favoriser la coalition des intrigans avec la cour, et leur
assurer nous-mêmes le prix de leur complaisance et de leur trahison.
« Je demande que chacun de nous jure qu'il ne consentira jamais
à composer avec le pouvoir exécutif sur aucun article de la constitution ;
et que quiconque osera faire une semblable proposition, soit déclaré
traître à la patrie » (10).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logcgraph., t. XXIII. p. ;75-
« M. Robespierre. Messieurs, l'acte constitutionnel est terminé :
nous sommes arrivés par conséquent à la fin de notre longue et pénible
carrière; mais il vous reste encore un devoir à remplir envers votre pays,
c'est de lui garantir la stabilité de la constitution que nous lui présen-
tons. Il faut que le terme de nos travaux soit aussi le terme de nos
allarmes, de nos agitations. Pour que la constitution existe, il ne faut
qu'une seule condition, c'est que la nation le veuille, nulle puissance
n'a le droit d'arrêter ni de contre-dire sa volonté suprême : ce principe
M. Duport de ne pas nvinsulter, s'il veut rester auprès de moi.
(L'extrémité de la partie gauche eb les tribunes applaudisesnt).
M. Lavie. Je jure que M. Duport -n'a pas dit un seul mot à
M. Robespierre.
Plusieurs membres placés auprès do M. Duport assurent qu'ils
n'ont rien entendu.
(9) Il vise une îoh de plus les triumvirs.
(10) « (On applaudit à plusieurs reprises dans diverses parties
de la salle) ». Montlosier dans ses mémoires signale « la conduite
inconvenante » de Dur/ort qui s'est rallié à la proposition de ser-
ment par Robespierre. L'attitude de Duport est mentionnée dans
le Patriote françois, n° 754, p 205.
698 LES PISCOURS DE ROBESPJERRf,
a déjà été reconnu hautement dans cette assemblée. Il faut encore le
vouloir sincèrement et l'observer sur-tout avec fidélité.
« Je ne doute pas, s'il faut que je dise personnellement mon opinion
sur cet objet, que Louis XVI n'accepte avec transport la constitution.
Le pouvoir exécutif tout entier assuré comme un patrimoine à lui et à sa
race; le droit d'arrêter les opérations de plusieurs assemblées nationales
consécutives; la faculté de les diriger par la proposition des loix qu'il
peut suspendre encore lorsqu'elles sont faites par l'influence de ses
ministres admis au sein du corps législatif; le pouvoir de régler les
intérêts et les rapports de la nation avec les nations étrangères ; un empire
immense sur tous les corps administratifs; des armées innombrables dont
il dispose; le trésor public grossi de tous les domaines nationaux réunis
en ses mains (murmures); tous les immenses avantages dont l'énonciation
ne peut être regardée comme une calomnie par un homme de bon sens,
puisque c'est la constitution même; tous ces avantages me paroissent
autant de garans de l'empressement avec lequel il acceptera la consti-
tution qui les lui assure.
« Cependant, messieurs, comme ce n'est point l'enthousiasme,
mais la prudence et la sagesse, qui doivent diriger les fondateurs de la
constitution françoise dans le moment le plus critique de la révolution;
comme il est possible que la volonté qu'auroit eu Louis XVI aban-
donné à lui-même, puisse être ébranlée par des insinuations étrangères;
enfin, comme le passé peut nous inspirer quelques moyens de prévoyance
pour l'avenir, ce n'est peut-être pas sans raison que nous nous occupons
sérieusement de la manière dont nous lui présenterons la constitution
C'est là, sans doute, le motif qui a déterminé le comité à nous présenter,
comme le sujet d'un problème, une chose si simple au premier coup-
d'œil. Pour moi, je le résouds facilement par les premières notions de
la prudence et du bon sens.
« D'abord ce décret, tel qu'il est, ne seroit bon qu'à prolonger
de fausses agitations, à nourrir de coupables espérances, à seconder de
fatales intrigues. Je crois donc qu'il faut fixer le moment où Louis XVI
pourra faire la déclaration que nous lui demandons. Je ne vois aucune
raison qui puisse justifier la proposition de changer l'état actuel des
choses à son égard; je déclare même que je ne comprends pas les mots
de liberté et de contrainte, appliqués à une telle circonstance. Je ne
conçois même pas comment, dans aucun cas, la volonté de Louis XVI
pourroit être supposée avoir été forcée; car la présentation de la
constitution pourroit être traduite en ces mots : La nation vous offre le
trône le plus puissant de l'univers: voici le titre qui vous y appelle:
voulez-vous l'accepter? Et la réponse ne peut être que celle-ci: Je le
veux, ou je ne le veux pas. Qui pourroit imaginer que Louis XV! ne
seroit pas libre de dire : Je veux être roi, ou bien : Je ne veux pas être
roi des François? (On rit au centre: applaudissemens des tribunes). Ce
n'est pas la constitution que nous présentons à examiner à Louis XVI,
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 699
mais cette question : Voulez- vous être roi des François ? Or, je soutiens
que, pour faire sa répons*, le roi sera toujours libre, dans quelque lieu
qu'il se trouve. .
« Je ne veux adopter aucune des calomnies et des absurdités répé-
tées sur ce point depuis l'origine de la révolution. Eh ! dans quels lieux
de l'empire peut-il être mieux qu'au milieu d'une garde nombreuse et
fidèle des citoyens qui l'environnent? Le seroit-il plus dans une autre
partie de la France, sur nos frontières ou dans un royaume étranger ? ou
plutôt si ailleurs il se trouvoit entouré d'hommes ennemis de la consti-
tution, n'est-ce pas alors que l'on pourroit feindre, avec beaucoup plus
de vraisemblable, que sa résolution n'auroit pas été libre ? Mais que
signifient tous ces bizarres scrupules sur la liberté de l'acceptation d'une
couronne ? Quel peuple s'est avisé, quand il avoit une couronne à donner,
de dire au citoyen, sur la tête duquel il vouloit la poser : séparez- vous
de nous; nous vous donnons la liberté d'aller sur les extrémités de
l'empire, où vous voudrez, afin que nous puissions correspondre plus
librement avec vous.
« Quand les Francs nos ayeux donnoient la couronne, ils ne rele-
guoient pas à l'extrémité des frontières celui auquel ils faisoient ce don
(murmures). Cependant aux yeux de tout homme de bonne-foi, le projet
de décret du comité présente ce sens et ce but. C'est le salut, c'est la
sûreté même de la nation qui doit être ici le seul consulté. Or, je vous
le demande : vous permet-elle de désirer que les mêmes insinuations
dont elle a déjà été la victime, puissent engager une seconde fois
Louis XVI à s'éloigner dans ce moment ? Avez-vous des garans plus
certains des dispositions des hommes qui l'entourent, qu'avant le 21 juin
dernier ? Ne peut-on pas, sans être accusé de folie, appeller ici l'expé-
rience du passé, en témoignage de ce que vous devez faire pour
l'avenir ?
« Ce rassemblement suspect pour tous ceux qui en sont les témoins;
ce plan qui vous est dénoncé par tout l'empire, de laisser vos frontières
sans défense, de désarmer les citoyens, de semer par-tout le trouble et la
division ; les menaces insolentes de vos ennemis extérieurs qui sont encou-
ragés par les ennemis du dedans; les manœuvres de ceux-ci; leur coali-
tion avec les faux amis de la constitution qui lèvent ouvertement le mas-
que; tout cela vous invite-t-il à vous tenir dans la profonde sécurité où
vous avez paru plongés jusqu'à ce moment ? Et que mes paroles excitent
des murmures ou non, en sont-elles moins de terribles vérités (applaudi
au fond de la gauche) ? Voulez-vous vous exposer au reproche d'avoir
contribué, par trop de confiance, au malheur de votre pays ? Le danger
fût-il moins réel, au moins la nation le craint : les avis, les adresses
qui vous sont envoyés de toutes parts vous le prouvent. Or, ce n'est pas
assez pour vous de ne pas compromettre évidemment le salut de la nation ;
vous devez respecter jusqu'à ses alarmes; il faut nous prémunir contre
tous les pièges qui peuvent être tendus, contre toutes les intrigues qui
700 LES pJSCQURS PE ROBESPIERRE
peuvent nous obséder dans ce moment décisif : il faut les dénoncer
toutes; il faut élever, dès ce moment, entre elles et nous, une barrière
insurmontable, en ôtant aux ennemis de la liberté toute espérance d'enta-
mer encore une fois notre constitution.
« On doit être content sans doute de tous les changemens que
l'on a obtenus; que l'on nous assure du moins la possession de ce qui
nous reste- Si on veut attaquer encore notre constitution, après qu'elle
a été arrêtée deux fois, que nous reste-t-il à faire, que de reprendre
nos fers ou nos armes (applaudi à gauche) ?
« Une voix au centre. Ah ! c'est un peu fort !
« M. Robespierre. Je prie l'assemblée de faire quelqu'attention
à ce que j'ai l'honneur de lui dire dans ce moment. Les murmures
que j'entends autour de moi... (allons donc). Monsieur îe président, je
vous prie d'ordonner à M. Duport de ne point m'insulfer, si il veut
s'obstiner à rester... (au fond à gauche: bravo; applaudi des tribunes).
[Interruptions de MM. Lavie, Duport, Goupil et l'abbé Ju-
lien (11).]
« M. Robespierre. Je ne présume pas qu'il existe dans cette assem-
blée un homme assez lâche pour transiger avec la cour sur aucun article
de votre constitution (allons donc); assez audacieux pour proposer des
changemens que la prudence ne permettroit pas au roi de proposer lui-
même; assez ennemi de la patrie pour entraver l'exécution de la consti-
tution, parce qu'elle mettroit quelque borne à son ambition ou à sa
cupidité; assez impudent pour oser manifester, aux yeux de la nation,
qu'il n'a cherché dans la révolution qu'un moyen de s'aggrandii et de
s'élever; car je ne veux regarder certains écrits et certains discours qui
pourraient présenter ce sens que comme l'explosion passagère du dépit
déjà expié par le repentir : mais nous, du moins, nous ne serons ni
assez indifférens à la chose publique, ni assez stupides pour consentir
à être les jouets éternels de l'intrigue, pour renverser successivement
les différentes parties de notre ouvrage, au gré de quelques individus,
jusqu'à ce qu'ils nous aient dit : le voilà tel que nous le voulons. Nous
avons été envoyés pour faire la constitution et non pour la fortune de
quelques ambitieux, pour favoriser la coalition des intrigans avec la cour
et leur assurer nous-mêmes le prix de leurs complaisances et de leurs
trahisons (Applaudissemens. Murmures).
(( Messieurs, on vous a rappelle la plus glorieuse des actions qui
ont signalé votre carrière ; c'est une invitation à donner encore la même
preuve de courage et de magnanimité. Ce que vous avez fait pour éta-
blir la constitution, vous devez le faire pour la maintenir. Le seul
moven d'en imposer à tous les ennemis de la constitution, quels qu'ils
soient, c'est de leur prouver d'avance qu'il est absolument impossible
de vous entamer, j'ose le dire ainsi; et c'est pour cela que je demande
(11) Abbé Julien, curé d'Arrosey, député du clergé du Béarn.
LÉS DISCOURS DE ROBESPIERRE 701
pour article additionnel, que chacun de nous jure qu'il ne consentira
jamais à composer, sous aucun prétexte, avec le pouvoir exécutif ou
avec aucune puissance étrangère sur aucun article de la constitution
(applaudissemens des tribunes et du fond de la salle à gauche : ris au
centre). Je demande que quiconque osera proposer une pareille motion
ou proposer encore à l'assemblée la révocation d'un décret constitu-
tionnel, soit déclaré traître à la patrie (applaudi) » (12).
Courier de Provence, t. XVI, n° 336, p. 450-6.
« Après la lecture de ces articles et quelques débats occasionnés
par ceux qui vouloient qu'on décrétât sur le champ le projet du
comité, M. Robespierre obtint la parole, et prononça un discours que
nous croyons devoir insérer ici dans son entier, parce qu'il a été généra-
lement jugé un des plus énergiques et des plus éloquens que cet orateur
ait encore fait à la tribune. »
[Suit le texte de Le Hodey.]
Journal général du Pas-de-Calais, 1791, n° 20, p. 208.
« M. Robespierre récapitule verbieusement les avantages que la
constitution attache à la royauté; je ne balance pas, s'écrie-t-il, ensuite
à croire que Louis XVI n'accepte un pouvoir exécutif immense (d'au-
tres disent trop petit pour le maintien même de la constitution) ; un Veto
suspensif (les effets jusqu'ici disent irritatif) des opérations du corps
législatif; des armées innnombrables (tellement innombrables qu'il n'y a
pas moyen peut-être de les assembler pour en savoir le nombre) ; un tré-
sor public grossi de tous les domaines nationaux réunis en sa main.
Pour le coup, des murmures s'élèvent.
« Un membre demande de quel front on peut parler d'un trtsor
grossi, tandis que tous ne parlent que d'un déficit horriblement accru;
des domaines nationaux, tandis qu'on se croit bien modéré en doutant
si leur prix n'est pas dès aujourd'hui mangé d'avance.
« D'autres murmures violens intérompent long-temps l'orateur;
enfin, l'honorable membre s'étonne des précautions qu'on prend pour
que le roi ait au moins l'air d'accepter librement; on s'étonne bien
davantage de l'entendre_dire bien positivement : « Or, je soutiens que
pour faire sa réponse, le roi sera toujours libre dans quelque lieu qu'il
se trouve ». Quoi ! il seroit libre, même dans un cachot dont il ne pour-
roit sortir qu'en acceptant ou en se dépouillant de toute royauté ! C'est
en cela que l'honorable membre réduit la liberté constitutionnelle, nou-
veau murmure.
« La preuve cependant que l'honorable ne croit pas trop à cette
liberté du roi, c'est que, malgré son exorde, il craint beaucoup que le
roi ne soit trop libre pour accepter, s'il lui est permis d'aller examiner
(12) Texte reproduit dans les Arc^. par]., XXX, 138.
702 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
la constitution ailleurs que dans Paris; c'est qu'à l'aspect de ce danger,
il s'écrie : Il ne nous reste plus que de reprendre nos fers ou nos armes.
Ces paroles ont paru à quelques-uns, appeller assez clairement à l'insur-
rection, dans le cas de ce que l'on appelleroit vulgairement la liberté
du roi. Aussi, est-ce alors que l'orateur s'est vu interrompu par quelques
voix criant: « Oh! pour cela, c'est un peut fort ». Il se plaint des
insultes, de M. Duport, qui ne souffloit pas le mot; et qui a simple-
ment répondu : « Messieurs, c'est un mensonge. La salle à cette solem-
nelle déclaration retentit d'applaudissemens ».
« M. Robespierre, avec une patience évangélique, laisse couler,
reprend et demande, comme article constitutionnel, le serment à faire
par tous les membres de n'adhérer à aucune transaction avec les puis-
sances étrangères sur des articles constitutionnels. Les murmures redou-
blent. »
L'Ami du Roi (Montjoie), 2 septembre 1791, p. 979.
« MM . Robespierre et Rœderer, qui ont cru lire dans ces articles
l'ordre d'ouvrir au roi les portes de sa prison, se sont alarmés. « Le
roi, a dit le premier, n'a pas besoin pour déclarer ses intentions, d'être
tiré de la situation où il se trouve maintenant. N'ayant qu'à dire :
j'accepte ou je n'accepte pas, il sera toujours libre de faire telle réponse
qu'il lui plaira... Je m'étonne de l'espèce d'importance que l'on met à
cette acceptation. Le roi peut-il balancer à accepter les immenses avan-
tages que la constitution lui offre?... Si le roi propose quelque réforme,
la constitution est perdue. La nation n'a plus qu'à reprendre ses fers
ou ses armes. »
« M. Robespierre ne s'en est pas tenu à ces perfides déclamations :
il a demandé un article additionnel qui ordonnât que chacun des mem-
bres de l'assemblée jureroit de ne jamais consentir, sous aucun prétexte,
à composer avec le pouvoir exécutif, ni avec les puissances étrangères,
pour aucun article de l'acte constitutionnel. M. Robespierre demandoit
de plus qu'on déclarât traître à la patrie quiconque proposerait quelque
changement, quelque modification à un seul décret de l'acte constitu-
tionnel. Ces ruses de guerre sont trop usées; elles n'ont pas réussi à
M. Robespierre. »
Journal général de France, n° 245, p. 984.
« M. Robertspierre a prétendu que pour dire oui ou non, il ne
falloit pas à Louis XVI la grande étendue de liberté que veulent lai
donner les Comités.
« Il est bien étonnant que cet Orateur ne veuille point de bornes
pour la liberté du Peuple, et qu'il veuille renfermer celle du Roi dans
des limites si resserrées !
« Raisonnant ensuite comme un homme qui a tort, l'Opinant a qua-
lifié d'intrigans et d'autres épithètes semblables, plusieurs Membres de
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 703
l'Assemblée; ce qui a excité les plus violens murmures. Il a conclu,
après cela, à ce qu'il fût décrété que tous les Membres de l'Assemblée
seroient obligés de jurer, sous peine d'être déclarés traîtres à la Patrie,
qu'ils ne souffriroient jamais qu'on fît aucun changement à la Consti-
tution, par quelque puissance humaine qu'il pût être proposé. ;.
Mercure de France, 10 septembre 1791, p. 158.
« Le sort de la constitution est indépendant de Louis XVI, a dit
en substance M. Roberspierre. Nul doute qu'il n'accepte avec transport
le trône avec tous les avantages que nous y avons attachés, le pouvoir
exécutif, le oefo suspensif, des armées innombrables laissées à ses ordres,
un empire immense sur les corps administratifs, le trésor public grossi
de tous les biens nationaux à sa disposition, 40 millions destinés à ses
plaisirs personnels. Nous allons dire au Monarque : la nation vous offre
le plus beau trône de l'univers. Sa réponse ne peut être que : je le veux
ou je ne le veux pas. Or, pour répondre à cette question : voulez-vous
être Roi des François ? Je soutiens que le Roi sera toujours libre, dans
quelque lieu qu'il se trouve.
« L'opinant, concluant que l'état des choses, et la situation où est
Louis XVI, n'avoient aucun besoin d'être changés par soi) acceptation,
a fini par demander que quiconque proposeroit la révocation d'un décret
constitutionnel, fût déclaré traître à la patrie. »
L'Ami du Peuple (Marat), t. IX, n° 545, p. 8.
« Ce projet, dont on prévoit assez les suites funestes, a passé
malgré les réclamations de M. Roberspierre, qui les présentait mieux
que personne : il redoutait que le roi n'abusât de la liberté et des
privilèges dont on voulait l'investir.
a L'expérience, disait cet orateur incorruptible, me force de douter
de la sincérité de ses intentions : les menaces dont on nous environne
de toutes parts, les coalitions des intrigans peuvent amener le renverse-
ment de vos loix.
« Et alors, Messieurs, si notre constitution, après avoir été deux
fois arrêtée nous est enlevée, il ne nous reste plus qu'à reprendre nos
fers et nos armes. »
« M. Robespierre a conclu à ce que l'assemblée décrétât que
chaque membre de l'assemblée nationale jurerait que, sous aucun pré-
texte, il ne composerait avec le pouvoir exécutif, les puissances étran-
gères, et que celui qui proposerait la révocation d'un seul décret consti-
tutionnel serait déclaré traître à la patrie. »
Journal de la Cour et de la Ville, n" 4, 4 septembre 1791, p. 29.
« M. Robeitsp... a fait l'impossible peur empêcher l'assemblée de
rendre la liberté au Roi : il a dit qu'il ne falloit pas tant de façons
pour accepter ou refuser le plus beau trône de l'univers. Les yeux et le
704 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
geste de l'orateur annonçaient son regret de voir s'échapper ce beau
trône qu'il a eu longtems l'espérance d'occuper; mais, malgré tous les
droits qu'avoit M. Robertsp... l'assemblée y aurait plutôt nommé
un certain M. Cussy (13), parce que dans le royaume des aveugles,
les borgnes doivent être des rois. »
L'Ami du Roi (Royou), 3 septembre 1791, p. 3-4.
« C'est bien aussi la doctrine de <M. Robespierre, qui développe
parfaitement les vues de l'assemblée. Il fait voir que le sceptre offert
à Louis XVI est un présent qu'on daigne lui faire. Il ne voit aucune
raison de mettre fin à sa captivité que M. de Beaumetz dit être une
précaution respectueuse pour la sûreté, et non un attentat sur son
indépendance. M. de Robespierre, de meilleure foi, convient qu'il est
dans les fers, et ne voit aucune raison de changer cet état de choses.
Il ne comprend pas même les mots de contrainte et de liberté appliqués
à cette circonstance. La présentation de la charte peut être traduite en
ces mots : La nation Vous offre le trône le plus puissant de l'univers.
Voici le titre qui vous y appelle; voulez-vous l'accepter? Voilà bien
ce qui prouve qu'on regarde le roi comme détrôné ; car si le sceptre étoit
encore à lui, diroit-on qu'on le lui offre. S'il lui appartenoit par droit
de succession, diroit-on que la constitution est le titre qui le lui donne ?
Ces mots n'ont excité ni contradiction, ni murmure.
« M. Robespierre a montré l'Europe conspirant contre notre consti-
tution, et les faux amis de cette constitution coalisés avec ses ennemis
déclarés, le Roi prêt à s'échapper de nouveau; la constitution déjà
ébrêchée par les changemens de la révision, près de se dissoudre entière-
ment. Si on veut l'attaquer encore une fois, il ne nous reste que de
reprendre nos fers ou nos armes. Il a fini par demander encore des ser-
mens; il propose de jurer qu'on ne composera ni avec le pouvoir exécutif
ni avec les puissances étrangères sur la constitution. On s'attend donc
à l'intervention de ces puissances; et tandis que d'un côté on veut nous
endormir dans une fallacieuse sécurité, de l'autre on présente la guerre
contre l'Europe comme une donnée d'après laquelle on argumente.
M. Robespierre a été applaudi : mais les sermens proposés n'ont pas
réussi. Trop d'exemples ont dû enfin convaincre l'assemblée qu'ils sont
inutiles lorsqu'ils sont arrachés par la nécessité. »
Le Courrier des LXXXIU départemens, 2 sept. 1791, n° 2, p. 31.
« M. Freteau ne trouvoit pas d'inconvénient à accepter le projet.
Ce sera plus noble, disoit-il... » Je ne doute pas, répond M. Robes-
pierre, que Louis XVI n'accepte avec joie. La constitution lui vaut
(13) Gabriel de Cuisy, député du tiers état du bailliage de Caen,
ancien directeur de la Monnaie à Caen, il fit partie du Comité des
monnaiss et on compte plusieurs rapports et interventions de lui sur
les questions monétaires.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 705
un patrimoine immense, à lui et à sa race, un trône éclatant, !e droit
d'arrêter les décrets du corps législatif, le moyen d'influencer par les
faveurs dont on remplit ses mains, etc..
« Toutes vérités ne sont pas bonnes à dire. Aussi, beaucoup de
murmures se sont élevés contre l'orateur; il a fini par proposer de
décréter que tous les membres de l'assemblée nationale seront tenus de
jurer qu'ils ne consentiront jamais, sous aucun prétexte, à composer avec
le pouvoir exécutif. Cette motion a été décrétée, excepté le serment.
Ainsi, malgré toutes leurs menées, les intrigans ne seront pas ministres.
Il a été décidé qu'il ne seroit rien changé à l'acte constitutionnel. Cette
décision n'est qu'un peu d'onguent pour la brûlure; car, malgré les sages
observations de M. Robespierre, le projet de M. Beaumetz a été
accepté. La belle matière à réflexions! »
[Long résumé de ce discours dans Le Journal des Débats, n° 833,
p. 12; Le Législateur français, t. III, 2 septembre 1791, p. 6; Le Jour-
nal du soir (des Frères Chaignieau), t. III, n° 483, p 3 ; La Chronique
de Paris, t. V, n° 244, p. 990; Le Mercure universel, t. VII, p. 29;
Le Journal universel, t. XIV, p. 14206.
Brève mention dans Le Journal des Décrets de l'Assemblée na-
tionale, 1er septembre 1791, p. 388; Le Journal de Rouen, n° 245,
p. 1186; Les Annales patriotiques et littéraires, 2 septembre 1791,
p. 1898; Le Patriote François, n° 754, p. 265; La Gazette nationale
ou Extrait .., t. XIX, p. 322; Le Journal général de l'Europe, 2 sep-
tembre 1791, p. 32; Le Journal de Louis XVI et de son peuple, t. V,
n° 119, p- 176; Le Journal de la Noblesse..., t. II, n° 37 B, p. 545;
Le Défenseur du peuple, n° 57, p. 148; La Gazette de Berne, 7 sep-
tembre 1791, p. 4; La Rocambole, n° 22, p. 242; Le Journal de la
Révolution, n° 386, p. 11.]
Société des Amis de la Constitution
354. — SEANCE DU 1er SEPTEMBRE 1791
Sur le droit de grâce
Le 4 juin, rAsseniblée nationale, sur proposition du comité de
législation criminelle, avait adopté l'article suivant: « L'usage de
tous actes tendant à enmêcher ou à suspendre l'exercice de la justice
criminelle, l'usage des "lettres de grâce, de rémission, d'abolition,
de pardon, de commutation- de peine, est aboli pour tout délit qui
aura été jugé par voie de jury ». 'Le 1er septembre, Riffard de Saint-
Martin, député du tiers état de la .sénéchaussée d'Annonay, propose
à la Société des Jacobins, de soutenir la motion d'inclure dans l'acte
constitutionnel l'article portant abolition des lettres de grâce. Cette
proposition est appuyée par Biauzat et par llœderer qui préside.
Saint-Martin devait à la séance de l'Assemblée nationale du
3 septembre, revenir sur cette question (1).
(1) Cf. ci-dessous; et E. Hamel, I, 549.
706 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 53.
« MM. Robespierre et Prieur ont aussi parlé sur cette matière et
ont mérité les applaudissements de la société » (2).
(2) Texte reproduit dans Aulard, III, 110.
Société des Amis de la Constitution
355. — SEANCE DU 2 SEPTEMBRE 1791
Sur la correspondance de la Société
Un certain nombre de membres de la (Société formulent des
craintes au sujet de l'état de l'armement de nos -troupes. Les arse-
naux seraient dégarnis, même dans les départements frontières du
Nord et de l'Est. Rœderer signale une lettre d'un officie1- municipal
de Thionville qui aurait fait l'occasion à la tribune de l'Assemblée
nationale d'une accusation formulée par Le Chapelier. Il est donc
souhaitable que les députés patriotes soient instruits de ces corres-
pondances. C'est dans ce sens qu'intervient (Robespierre et sa motion
est adoptée (1).
Mercure universel, t. VII, p. 73.
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 53.
« M. Robespierre a demandé que MM. les Secrétaires réunissent
toutes les lettres que la société a reçues dernièrement, afin que les dépu-
tés pussent s'instruire exactement des faits qu'elles contiennent » (2).
(1) Carra, rédacteur des Annales patriotiques et littéraires, et
Salle, se font les éehos des bruits répandus sur l'insuffisance de nos
armements et la mauvaise volonté du ministre de la guerre.
(2) Texte reproduit dans Aulard, III, 112.
356. — SEANCE DU 3 SEPTEMBRE 1791
Sur le droit de grâce
L'Assemblée adopte un projet de décret relatif au mode de
révision. Riffard de Saint-Martin, qui avait déjà posé ce problème
devant les Jacobins, le 1er septembre, propose alors de déclarer
constitutionnel, l'article supprimant le droit de grâce ci-devant
exercé par le roi. Robespierre et Pétion l'appuient, tandis que
Tronche et Duport les combattent.
L'Assemblée passa à l'ordre du jour isur la proposition de
Saint-Martin (1).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique, t. XXXIII, p. 144
« Robespierre. La loi qui remet dans les mains du juré la fonction
(1) Cf. E. Hamel, I, 549.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 707
de tempérer comme on l'a dit, la justice par l'équité, est une loi inva-
riable, constitutionnelle, parce qu'elie est fondée dans la nature
même des choses. Ce que l'on a appelé l'équité, Messieurs, est une
partie de la justice ? Quoi qu'on eut séparé ces deux idées par deux
expressions différentes, elles tiennent nécessairement aux mêmes prin-
cipes, et il est vrai de dire que la loi n'est pas bien administrée dans
une société quelconque, à moins que le juge ne pèse également et la
loi et les circonstances.
« Deux choses constituent le crime : le fait matériel et l'intention.
Il faut donc que, pour rendre un jugement légitime, le juge pèse tou-
jours les circonstances relatives à l'intention; si l'intention n'existe pas
du tout, il déclare qu'il n'y a pas de délit; si l'intention est légère,
il déclare que le délit est moins grave. Toutes ces opérations entrent
nécessairement dans le jugement de celui qui est chargé d'administrer
la justice; il est donc absurde de vouloir distinguer ces deux choses,
et de supposer que le juge ne prononcera que sur le fait, et point du
tout sur l'intention : or, dès qu'un juge ne peut juger sans examiner ces
deux points, puisque cela tient aux principes de liberté, et est fondé
sur la nature des choses, il s'ensuit que cette règle ne peut jamais être
changée dans l'administration de la justice. Il n'y a donc aucune raison
de distinguer un autre pouvoir pour prononcer sur les raisons d'équité,
et pour tempérer par elle les jugements rigoureux; ainsi l'on ne peut
pas supposer qu'il sera nécessaire de remettre au roi le droit de faire
grâce. Il est évident que ce droit, d'après cet éclaircissement, ne peut
être que le pouvoir arbitraire de dérober un citoyen à la juste pvnition
qu'il a encourue par la loi » (2).
Mercure universel, t. VII, p. 62.
« M. Robespierre. Je dis que la loi qui permet aux jurés de tem-
pérer la loi par l'équité, est inhérente à la justice. Deux choses consti-
tuent le crime, le fait et l'intention; dans le premier cas, s'il n'y a point
d'intention, il n'y a point de crime. Il faudra toujours que le juge s'assure
que celui qui aura tué un homme en avoit le dessein ; cette règle ne pou-
vant être changée dans l'ordre de la justice, il est donc inutile de
remettre au roi le droit de tempérer les jugemens : il est visible que ce
n'est que pour qu'il pardonne à des favoris, criminels réellement, que
l'on veut donner au roi le droit de faire grâce: or, ce droit seroit
destructible de toute justice dans toute société bien organisée.
(Applaudi). »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 247, p- 1030.
« M. Roberspierre. 11 est constitutionnel que le droit d'équité ne
soit exercé que par les formes légales de la justice. Ce droit tenant
(2) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXX, 188.,
708 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
évidemment au pouvoir judiciaire, il est constitutionnel qu'il ne soit pas
exercé par le roi » (3).
Annales patriotiques et littéraires, n° 702, p. 1906.
« Le vertueux Robespierre s'est armé de toute son éloquence con-
tre le droit de faire grâce, qu'il regarde comme une criminelle exception
de la loi, comme le privilège exclusif des gens de cour, comme le
germe de la résurrection des privilèges, ou enfin comme le renversement
de cette égalité absolue, la base de l'ordre social et de notre sainte
constitution. »
Journal du Soir (Beaulieu), n° 244, p. 2.
« M. Robespierre a réclamé, avec énergie, l'égalité pour tous
les citoyens dans les droits comme dans les devoirs. Il pensoit que le
droit de faire grâce, ne devant être favorable qu'aux amis de la cour,
était un présent funeste à faire à la nation, et présentait tous les germes
d'où devaient renaître les privilèges que la nation proscrit; il vouloit que,
pour retenir ces principes constitutionnels dans toute leur puret^, il fût
déclaré formellement qu'aucun individu, aucune puissance, n'a le droit
de faire grâce. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Mercure de France,
10 septembre 1791, p. 162; Le Courrier des LXXXIII départemens,
t. XXVIII, n° 4, p. 64; Le Journal de Rouen, n° 247, p. 1194; Le
Journal général de France, 4 septembre 1791, p. 992; Le Journal géné-
ral du Pas-de-Calais, n° 20, p. 211; Le Patriote François, n° 756,
p. 273; La Gazette nationale ou Extrait..., t. XIX, p. 343; Le Journal
du Soir (des Frères Chaignieau), t. III, n° 425, p. 2; Le Journal des
Décrets de l'Assemblée nationale, 3 septembre 1791, p. 410: Assem-
blée nationale, Corps administratifs (Perler), t. XIII, n° 760, p. 3; Le
Journal de la Noblesse.., t. II, n° 37 B, p. 546; Le Journal de Paris,
4 septembre 1791 , p. 1008; Le Journal de Louis XVI et de son peuple,
t. V, n° 121, p. 203; Le Pacquebot, 4 septembre 1791 ; L'Ami du Roi
(Rovou), 5 septembre 1791, p. 2; Le Point du Jour, t. XXVI, n° 787,
P- 117.]
(3) Texte reproduit dans le Moniteur, IX, 575.
357, — SEANCE EXTRAORDINAIRE
DU 5 SEPTEMBRE 1791
Sur les troubles des colonies
Une députation de la ville de Brest est admise à la barre de
V Assemblée. Elle dénonce les manœuvres des agents du pouvoir exé-
cutif dans les colonies. Elle attire l'attention sur la non-application
du décret du 15 mai, qui accorde les droits politiques aux gens de
MES DISCOURS PE R93ESPIERRE 709
couleur libres. Les délègues se plaignent de ce qu'une pétition des
citoyens de Brest déjà présentée le ]1 juin n'ait jamais été examinée
par le comité colonial, malgré deux lettres successives adressées au
président de l'Assemblée (1). Ils dénoncent l'intention de certains
députés de faire révoquer le décret du 15 mai, en lui attribuant des
maux qu'ils exagèrent, et qui ne sont que le résultat des manœuvrer
des agents du pouvoir exécutif. La députation conclut en demandant
à l'Assemblée d'ordonner à son comité colonial l'examen de sa péti-
tion, conformément à son décret du 11 juin. Alexandre Lameth
répond à la députation des citoyens de Brest et conclut en adjurant
l'Assemblée de réfléchir au décret du 15 mai, dont dépend le sort
de toutes les villes de commerce de France (2).
Robespierre prend la parole après Alexandre Lameth et accuse
certains de ses collègues d'être cause de l'inexécution des décrets.
Earnave lui répond.
Après une discussion très vive, l'Assemblée passa à l'ordre du
jour.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logog., t. XXXIII, p. 186 (3).
« M. Robespierre. S'il étoit question en ce moment de discuter
l'affaire des colonies, il seroit très-facile de répondre à M. Alexandre
Lameth, aussi longuement qu'il a parlé; mais il ne s'agit que d'une
pétition présentée à l'assemblée nationale par les citoyens de Brest.
« Je ne me permettrai pas d'entrer dans le fond de la question,
comme M. Alexandre Lameth; et je vous dirai que je ne crois pas
qu'une pétition présentée à l'assemblée nationale sur un tel objet ait
besoin d'apologie, encore moins qu'elle puisse être attaquée en elle-
même par aucun membre de l'assemblée nationale : et certes, si l'on
pouvoit dire, en parlant de citoyens qui usent du droit de pétition : tel
(1) iGf. ci-dessus, séances des 12, 13 et 15 mai 1791. Voir égale-
ment E. Hamel, I, 551, et G. Walter, 120-122.
(2) Le décret du 15 mai avait eu de profondes répercussions (cf.
G. Hardy, Robespierre et la question, noire. Ann. révol., p. 357-382.
Le Journal général de France (n° 251, p. 1007) se fait l'écho des
plaintes des colons et des commerçants. Il écrit: <c On a donné
ieçture des trois Pétitions annoncées hier par M. Barnave; la pre-
mière du Commerce de Rennes, la seconde de celui de Rouen, et la
dernière des Marins du Havre. Elles demandent toutes le rapport
du Décret des 12 et 18 mai dernier, relatif aux Gens de couleur.
Suivant elles, la richesse et le bonheur de la France sont étroite-
ment liés aux mesures que prendra ultérieurement le Corps législa-
tif; et elles affirment que si l'on n'accueille pas le vœu des Colonies
à ce sujet, elles sont perdues pour la France. MM. Péthion. Robers-
piérre, Grégoire, Evêque constitutionnel de Blois, et J.-P. Brissot,
vont désignés dans la Pétition du Havre, par les lettres initiales
de leurs noms, comme des traîtres, des incendiaires et des ennemis
déclarés do In Patrie. On conçoit comment les trois Membres de
l'Assemblée dénommés peuvent (êtrc compromis dans cette affaire;
mais sans vouloir nous permettre de jouer sur le mot. qu'y avoit-il à
brissoter pour le dernier particulier dans ce Décret? »
(3) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXX, 236.
710 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
pétitionnaire ne mérite pas la confiance de l'assemblée nationale (4), il
seroit permis de dire de tel membre de l'assemblée législative, qui se
permet, avant tout examen de la pétition elle-même, d'inculper ceux
qu: l'apportent, il seroit permis, dis-je, d'adresser aussi, à ce membre
de l'assemblée nationale, des reproches qui pourroient troubler la gravité
et la tranquillité des délibérations du corps législatif (murmures) : mais
je ne m'occupe que du fond de la question, et je dis : lorsque les
députés d'une ville maritime viennent se présenter à vous, et vous parler
des colonies, la seule idée qui doit vous frapper principalement, c'est,
d'une part, l'importance de l'objet qui est soumis à votre discipline, et
de l'autre, l'impartialité que les représentans doivent mettre dans une
semblable discussion. Et, s'il est vrai que vous deviez peser avec scru-
pule tous les avis qui vous sont apportés, par toutes les parties de l'em-
pire intéressées à cette grande question, il n'en est pas moins vrai que,
dans le moment où ils vous sont présentés, vous devez vous imposer à
vous-mêmes le devoir d'entendre tous les citoyens qui vous donnent leur
avis. (Murmures).
« Si pour être entendu iî suffit de dire des personnalités, je vous
dirois, moi, que ceux qui se sont permis de répandre des soupçons,
et sur le fond de l'affaire et sur la députation de Brest; je vous dirois
que ces hommes-là sont ceux qui trahissent la patrie (applaudi ssemens
réitérés des tribunes : quelques apolaudissemens dans l'assemblée). S'il
est quelques individus, s'il est quelque section de l'assemblée qui puisse
imposer silence à quelques membres de l'assemblée, lorsqu'il est question
des intérêts qui les touchent de près, je vous dirois, moi, que les traîtres
à la patrie sont ceux qui cherchent à vous faire révoquer votre décret;
et si pour avoir le droit de se faire entendre dans cette assemblée, il
faut attaquer les individus, je vous déclare, moi, que j'attaque person-
nellement M. Barnave (5), MM. Lameth (6). (Vifs applaudissemens
des tribunes).
(4) A. Lameth accuse l'un des pétitionnaires « d'avoir sollicité
le licenciement des officiers de la marine ».
(6) D'après Audouin (Journal universel, t. XIV, p. 14238), on
promenait la veille « un mannequin représentant Barnave : son
visage était blanc d'un côté et noir de l'autre ». Son impopularité
était manifeste depuis son discours du 11 mai et surtout depuis le
retour de Varennes. {Cf. G Walter, p. 662, note 77).
(6) (La séance du 28 août 1791 avait déjà donné lieoi à une vive
altercation entre Robespierre et Alexandre Lameth. La plupart des
journalistes voient dans ce nouve.au conflit une opposition de
doctrine qui affaiblit les patriotes. Carra écrit dans ses Annales
fn° 705, p. 1918): « Pendant quelques instants le côté honorable a
offert aux ennemis du bien, le spectacle d'un désordre et du tumulte
qui sont pour eux une jouissance et une consolation ». De même, le
Journal du Pas-de-Calais souligne que « le côté droit rioit sous
cape » (n° 21, p. 216).
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 711
(Plusieurs membres de la gauche se lèvent en tumulte et cnent
vivement : l'opinant à l'abbaye)
« M. Chateauneuf- Randon (7). Attaquez-moi aussi, je vous
répondrai.
« M Robespierre. Je n'ai pas fini (nouveaux applaudissemens des
tribunes : grand bruit dans l'assemblée).
« M. Gombert (8). Cette affaire est trop intéressante pour être
discutée dans le tumulte. Je demande l'ordre du jour. (Bruit).
« M. Robespierre. Il est question d'un décret rendu : je demande
son exécution. (Le bruit redouble).
« M. Muguet. Je demande que M. Robespierre cite des faits.
« M. Robespierre. Je demande à m'expliquer... (Applaudi des
tribunes).
« M. le Président (9). Les tribunes sont invitées à se mettre à
l'ordre.
« M. Barnave monte à la tribune avec précipitation, et demande la
parole.
« Plusieurs voix. M. le Président, levez la séance.
« M. Broglie. Je demande que M. Robespierre éclaircisse les faits
qu'il vient d'avancer. (Le calme renaît).
« M. Robespierre. Si j'ai nommé des individus, dans cette déli-
bération importante, ne croyez pas que ce soit contre eux que je veuille
diriger mon opinion; mais il s'agit d'un décret qui, de quelque manière
que vous l'eussiez rendu, eût nécessairement éprouvé des difficultés
dans l'exécution; et il falloit, pour assurer l'exécution de ce décret, la
vigilance, le zèle et la bonne foi de ceux qui étoient chargés de le faire
exécuter. Ainsi je dis tout ce que chaque membre de cette assemblée
peut dire sur ceux qui, étant chargés de l'exécuter, n'auroient pas pris
toutes les mesures nécessaires pour en assurer l'exécution. Ceci n'est
point étranger au fond de l 'affaire : il y est intimement lié: et loin de
s'attacher à des individus, il porte essentiellement sur la cause publique.
C'est pour cette raison que je me suis permis de défendre des citoyens
patriotes, et de faire des réflexions sur quelques membres de cette
assemblée qui, à mes yeux, sont coupables de n'avoir pas concouru de
toutes leurs forces à l'exécution de ce décret. (Applaudi des tnbunes).
« M. le Président. J'ordonne aux tribunes de se taire.
« M. Robespierre. Je viens au point fondamental de la question,
et je défie tout homme de bonne foi qui n'est attaché à aucun parti, de
m 'accuser sur ce que je vais dire. Messieurs, vous avez à examiner, non
pas seulement l'état où sont actuellement les affaires, mais les causes
(7) Marquis <le Ohâteauneuf -Randon, député suppléant de la
noblesse de la sénéchaussée de Mende.
.(8) Gombert, député du tiers état de Chaumont-en-Bassigny.
(9) C'est Vernier, avocat à Xtons-le-Saulnier, député du tiers état
du bailliage d'Aval.
712 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
antérieures, et les personnes qui ont pu influer sur l'exécution de votre
décret. C'est en vain que l'on vous adresseroit, de la part de certaines
personnes et de la part de certains lieux de l'empire, des pétitions qui
vous annonceraient que votre décret est insensé, qu'il étoit contraire à
vos devoirs; je dis qu'il faut vous reporter au moment où vous l'avez
rendu; et alors je soutiens que les principes de saine politique, de
l'équité et de la justice ont dicté votre décision : je dis que votre décret
étoit juste et sage; je dis qu'il eût été exécuté si les autorités insti-
tuées pour le faire exécuter en avoient secondé la sagesse; je dis que
vous devez examiner d'un œil sévère si les personnes chargées de le
faire exécuter ont fait tout ce qui étoit en elles pour en procurer l'exé-
cution.
« Rappellez-vous que le ministre de la marine appelle à votre
barre, après vous avoir rendu compte de tous les faits, a rejette sur
ceux qui étoient chargés de rédiger les préliminaires toute la lenteur
des mesures d'exécution.
« Je ne prétends pas prononcer ici entre le ministre de la marine
et les membres dont il vous a parlé; mais certes, messieurs, vous devez
au moins examiner leur conduite... (Murmures).
« M. Gombert. Sans interrompre M. Robespierre...
« M. Robespierre. Monsieur, ce n'est pas sans m' interrompre.
« M Gombert... Nous ne devons pas passer notre tems à entendre
des inculpations personnelles, ni donner une séance entière à une péti-
tion. Nous sommes ici pour faire les affaires de la nation
« M. Robespierre. Messieurs, vous pouvez ne pas vouloir vous
occuper aussi longtems de la conduite de ceux sur lesquels le ministre
de la marine a éveillé votre attention; mais au moins vous ne devez pas
trouver mauvais que je pense, moi, que ces mêmes personne? sont
coupables en inculpant de la manière la plus grave tous les citovens
qui viennent vous présenter une pétition à cette barre sur l'affaire des
colonies. C'est là où en étoit la question lorsqu'on m'a reproché d'in-
culper certains membres de l'assemblée nationale. Hé bien ! je consens
qu'elle se réduise là; je consens à prendre sur moi toute la charge
{la bonne caution!) et si ces membres du comité colonial (finissez donc!)
se plaignent d'avoir été inculpés par moi, d'avoir été calomniés, je
demande qu'on use envers moi, non pas de la complaisance, mais de la
justice la plus sévère, et que l'on me permette, à tel jour qu'on voudra
fixer, de présenter à l'assemblée les motifs sur lesquels je fonde l'opinion
bien déterminée que ce sont ces membres de l'assemblée nationale qui
sont cause de l'inexécution de vos décrets.
[Réponse de Barnave, et interventions de Lavigne, Biauzat, Cor-
roller et Goupil.]
« M. Bamave. Malgré les interruptions de quelques personnes, il
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 713
ne faut pas que les honnêtes gens soient dupes d'une cabale qui est
uniquement destinée au but que j'ai annoncé (10).
« M. Robespierre. Et des traîtres.
[Barnave reprend son discours interrompu par Robespierre.]
« M. Robespierre. Ma motion aux voix... Ma motion aux voix...
La priorité pour ma motion.
« M. le Président. Monsieur, vous n'avez pas la parole. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 251, p. 1044.
« M. Roberspierre. S'il était question en ce moment de discuter
l'affaire des Colonies, il serait très-facile de répondre à M. Alexandre
Lameth aussi longuement qu'il a parlé ; mais il ne s'agit que d'une
pétition présentée à l'Assemblée nationale par les citoyens de Rrest.
« Je ne me permettrai pas d'entrer dans le fond de la question,
comme M. Alexandre Lameth, et je vous dirai que je ne crois
pas qu'une pétition présentée à l'Assemblée nationale sur un tel objet,
ait besoin d'apologie, encore moins qu'elle puisse être attaquée en
elle-même par aucun membre de l'Assemblée nationale.
[Suit le passage de Le Hodey, depuis: « Si, pour être entendu...
jusqu'à: ...M. Barnave et MM. Lameth. »]
(Les applaudissemens recommencent dans l'extrémité de la partie
gauche et dans les tribunes.)
« L'Assemblée est vivement agitée
<( Plusieurs voix s'élèvent dans toutes les parties de la salle ; A
l'Abbaye, à l'Abbave, M. Roberspierre.
« M. Muguet. Je demande que M. Roberspierre cite des faits.
a M. Roberspierre. Je demande à m'expliquer .. (Les applaudisse-
mens des tribunes recommencent).
« M. Victor Broglie. Je demande que M. Roberspierre éclairasse
les faits qu'il vient d'avancer. (L'agitation continue pendant plusieurs
minutes).
« M. Roberspierre. Je défends des citoyens patriotes, et je fais
des réflexions sur quelques membres de cette Assemblée qui, à mes
yeux, sont coupables de n'avoir pas concouru de toutes leurs force? à
l'exécution de vos décrets. (Nouveaux applaudissemens dans l'extrémité
gauche et dans les tribunes).
k( M. le Président. J'ordonne aux tribunes de se taire.
[Suit le texte de Le Hodey, depuis: « Messieurs, vous avez à
examiner..., jusqu'à ...examiner leur conduite. »]
« M. Robespierre. Si les membres du Comité colonial se plaignent
(10) Barnave met en cause Brissot, et veut démontrer que les
pétitionnaires de Brest ront députés du 'Club et non de la municipa-
lité. Enfin, il design* du «este, Robespierre comme « le perturbateur
de l'Empire françois ».
714 LES PîSCOURS PE ROBESPIERRE
d'avoir été inculptés par moi, d'avoir été calomniés, je demande que
Ion me permettre à tel jour que l'on voudra fixer, de présenter à
1 Assemblée les motifs sur lesquels je fonde l'opinion bien déterminée
que ce sont ces membres de l'Assemblée nationale qui sont cause de
l'inexécution de vos décrets.
[Intervention de Barnave.J
a M. Roberspierre . Il ne faut pas non plus qu'elle soit dupe des
traîtres » (11).
Courier de Provence, t. XVII, n° 340, p. 54-57.
« M. Robespierre succéda à M. Lameth; et après avoir fait
sentir l'indécence avec laquelle il venoit de se comporter, et rappelé à
l'assemblée l'impartialité qu'elle devoit mettre dans le jugement d'une
aussi grande affaire, a dit: [Suit le texte de Le Hodey, depuis: « Si,
pour être entendu... » jusqu'à: « ...Vous devez au moins examiner leur
conduite. »]
L'Ami du Roi (Royou), 8 septembre 1791, p. 3.
« Remarquant alors que M. Robespierre l'applaudissoit : Je renier"
de, a-t-il dit, M. Robespierre de ses applaudissemens ; rien n'est plus
flatteur pour moi. Voilà des traits de génie, M. Alexandre, a repris
M. Robespierre. Ce jeune avocat, si connu par ses emportemens et son
enthousiasme républicain, bien loin de s'éclairer par l'expérience,
s'opiniâtre et s'endurcit de plus en plus dans les erreurs; ce qui est la
marque infaillible d'un génie étroit et d'un esprit très-borné. La fatale
catastrophe de ses systèmes républicains, que les loix commencent à
poursuivre comme des crimes, n'a servi qu'à le rendre plus furieux; il ne
garde plus aujourd'hui aucune mesure, comme un lion blessé par les
chasseurs, il s'élance à travers les dards et les piques. Dépourvu de
raisons et de preuves, il se bat avec des injures et des calomnies: il
déchire, il mord ceux qu'il ne peut persuader. Les représentans de la
nation qui ne pensent pas comme lui, sont des traîtres à la patrie; il
accuse et dénonce nommément M. Barnave et MM. Lameth. Cet accès
de frénésie est applaudi par les tribunes, comme le plus subbme élan
du patriotisme. Plusieurs membres de l'assemblée demandent que l'opi-
nant soit conduit à l'abbaye; il suffiroit de le faire saigner copieusement.
D'autres veulent qu'on lève la séance; le président ordonne en vain aux
tribunes de se taire; les tribunes continuent d'applaudir, et M. Robes-
pierre de parler, enfin, avant de quitter la tribune, il jette le gant à
ceux qu'il a si grièvement inculpés, et demande le combat en champ
clos contre MM. Barnave et Lameth. M. Barnave s'élance à la tribune...
Il ne faut pas, a-t-il dit, que les honnêtes gens soient dupes d'une cabale;
et des traîtres, a répliqué vivement M. Robespierre. »
(11) Texte reproduit dans !e Moniteur, IX, 604.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 715
Le Courrier des LXXXI11 départemens, 7 sept. 1791 , nc 7, p. 98-110.
« Le président put bien lever cette séance, digne de figurer dans
les fastes de la honte et de l'improbité; il put bien, dis-je, lever cette
séance scandaleuse; mais rien ne vint à bout de calmer les expectora-
tions de la fureur, les éructations de l'injure, les vômissemens de la ca-
lomnie. Un crime est imputé à l'homme qu'on venoit tout à l'heure de
plonger dans une mer d'outrages; on accuse M. Robespierre d'avoir
soulevé par ses relations le régiment de Théodore de Lameth.. Quel
esj donc son accusateur?... Où est-il ?... On lui nomme M. de Lameth...
L'inculpation étoit trop grave pour qu'il ne cherchât pas à se justifier
avec le stoïcisme de la franchise. Il cherche par-tout l'homme qui lui
impute un crime contre lequel son âme se soulève. Il rencontre M. Mu-
guet de Nanthou, qui veut entrer en explications sur ce fait. « Je n'ai
pas besoin du valet, lui dit M. Robespierre, je veux parler au maître ».
Il s'explique enfin; mais les cris de la cabale étouffent sa voix. M. Bro-
glie. ce fils dont la piété est si connue, dont le patriotisme a eu des
élans si nobles, devient un des athlètes qui s'empressent d'arriver dans
la mêlée. M. Robespierre n'a qu'une voix foible pour repousser tous
ces assauts. Il est parti de sa bouche ce mot : Heureusement tous nos
soldats ne sont pas des Broglie!... Va-t-il donc, dans le sanctuaire
même de la loi... ? Le public le craint; on l'environne malgré lui; on
l'arrache aux tigres acharnés et haletant autour de la banquette sur
laquelle il étoit monté. Une escorte de patriotes se forme et ne veut
point le quitter qu'il ne l'ait vu rentrer dans sa demeure, où la paix et
la vertu modeste l'attendent (12).
« Si l'on se permet, répond M. Roberspierre, d'injurier des péti-
tionnaires, on peut répondre sur le même ton au membre du corps légis-
latif qui les inculpe ». (La coalition pousse des hurlemens). L'orateur
laisse gronder les ennemis de la justice, et poursuit tranquillement son
discours. « Si l'on n'est écouté qu'en disant des personnalités, je dirai
que ceux qui répandent des soupçons sur le fond de l'affaire et sur les
pétitionnaires, sont des traîtres à la patrie. (On applaudit avec trans-
port). J'attaque personnellement M. Barnave et MM. Lameth... Les
applaudissemens étouffent de nouveau les murmures, et les tribunes font
retentir la salle des bravo. La rage des intrigans augmente. M. Muguet
crie; le blanc Lavie s'agite, Tibvle Goupil s'enroue; l'on distingue
(12) Note du journal: « M. Robespierre, nous a-t-on assuré,
demeure chez un artisan, dont la probité et l'honneur sont la ri-
chesse. Hier matin (et ce fait nous a été confirmé par une personne
sure), un particulier s'est présenté chez cet estimable artisan, pour
le prévenir qu'il seroit dangereux que M. Robespierre sortît, que sa
/te ne seroit pas en sûreté, ^et avertissement sans doute n'a d'autre
but que d'éloigner ce député du sanctuaire de La loi, où son coulage
le conduira à travers les poignards dm crime et les pièges de l'in-
trigue. »
716 LES PfSÇQURS DE. ROBESPIERRE
sur-tout M. Roussillon, qui provoque l'orateur par des gestes; mais leurs
vociférations sont couvertes aussi-tôt par les plus vifs applaudi ssemens.
« L'orateur continue : « C'est pour défendre des pétitionnaires
insultés, que je me suis permis des réflexions sur des membres qui, char-
gés de l'exécution du décret, n'y ont pas concouru. Si l'on me taxe de
calomnie, je prouverai quand on voudra que ce sont ces membres qui
sont cause des désordres des colonies (13).
« Ces mots foudroyans allument toute la rage des Barnaviens . . Ils
se grouppent autour de l'orateur, qui oppose le calme de la probité aux
injures et aux menaces de l'incivisme. Le président rappelle en vain les
intrigans à l'ordre. Ils n'écoutent que leur passion. Barnave fait entendre
quelques demi-phrases dans le tumulte... Ce n'est qu'en levant la séance
que M. le président put faire cesser le scandale. La coalition harcela
même M. Robespierre après la fin de l'Assemblée. Des patriotes furent
obligés de l'entourer, etc. » (14).
Journal de Paris, 7 septembre 1791, p. 1020.
« Cette pétition n'avoit suscité que des débats (15); on en a lu
une autre qui a suscité des querelles : elle étoit présentée par des Dépu-
tés extraordinaires de Brest qui sollicitent l'Assemblée Nationale de ne
rien négliger de ce qui peut forcer les résistances qu'on oppose dans
les Colonies au décret du 15 mai sur les hommes de couleur libres.
M. Roberspierre, ne ménageant pas plus les personnes que les opinions,
a accusé M. Charles Lameth et M. Barnave d'avoir excité ces résis-
tances de concert avec M. Gouy-d'Arsy, M. Cocherel (16) et d'autres
Colons. M. Barnave et M. Lameth qui étoient présens ont repoussé ces
incutaations comme calomnieuses et en ont intenté d'autres contre
M. Roberspierre : de ces inculpations il n'en est rien résulté que des
cris et des violences, et ce ne sont pas les objets des notices historiques
que nous traçons pour la France. »
(13) Corsas revient sur cette séance en utilisant le texte du
Point du Jour. Le Bulletin ou Journal des Journaux (n° 108) résume
à son tour le passage du Courier de Gorsas.
(14) Depuis son discours soir la fuite du roi, le 81 juin, aux
Jacobins. Robespierre est en effet l'objet de nombreuses attaques.
Elles redoublent .avec la scission des Feuillants, ainsi que le remar-
que Audouin (Journal universel, t. XIV, p. 14-238) qui écrit: « On
voudroit éloigner l'intrépide Robespierre de l'assemblée nationale ;
mais so,n courage l'y conduira à travers les poignards du crime et
les pièges de l'intrigue. Il sera escorté, s'il en est besoin, par des
groupes de patriotes, oui le défendront de la rage des ci-devant
patriotes, devenus semblables à des titres, depuis que leurs manœu
vres sont découvertes, et que le peuple les montre du doigt. »
115) Allusion 'à la dénutation des électeurs parisiens, conduite par
Santerre et C. Desmoulins. qui venait d'être admise à la barre.
(16) Cocherel, député de la Province de l'Ouest de Saint-Do-
mingiue.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE J\J
Journal des Décrets de l'Assemblée Nationale, 5 septembre 1791 , p. 420
« Les pétitionnaires de Brest ont trouvé un défenseur dans l'in-
flexible Robespierre. Indigné des inculpations que M. Lameth s'étoit
permises contre eux, il a fait entendre ces mots terribles, à travers les
cris et les murmures qui couvroient son discours : « Ceux-là, son! les
ennemis du peuple et les traîtres à la patrie, qui ont empêché l'exécu-
tion de la loi; ce n'est pas le ministre qu'il faut accuser, car le ministre
vous a dit que les mesures à prendre avoient dépendu du comité colonial,
et s'il faut dénoncer ces traîtres et ces ennemis du peuple, je nommerai
MM. Barnave et Lameth.
« Les vifs applaudissements des tribunes et de la majorité, les
cris et les murmures de la coalition avoient souvent interrompu l'ora-
teur; mais ces derniers mots ont porté le tumulte à son comble. D'un
côté, les injures, les menaces et les imprécations retentissoient dans la
salle, de l'autre les tribunes, et le plus grand nombre des représentans
applaudissoient avec transport, et peignoient vivement leur sensibilité
aux outrages dont on essayoit d'accabler l'un des plus généreux et des
plus intègres défenseurs des droits du peuple. Tandis que M. Robes-
pierre opposoit le calme de la vertu aux clameurs des furieux, et deman-
doit une séance particulière pour prouver ce qu'il venoit d'avancer,
ceux-ci insistaient pour qu'il fût conduit à l'abbaye, et que le public
fut chassé des tribunes. »
Journal général, p. 897.
« M. Robertspierre en attribue tout le mauvais succès à la négli-
gence et aux manœuvres de ceux qui en dévoient presser l'exécution.
Il menace de démasquer les traîtres. On murmure; il reprend avec bien
plus de force : « Puisqu'il faut employer des personnalités, pour se
faire écouter paisiblement, je déclare attaquer personnellement MM. Bar-
nave et Alex. Lameth »■ Que l'on se représente des Membres qui se
lèvent étonnés, des Membres qui se lèvent furieux, des Membres qui
élèvent la voix et de terribles cris; des Membres qui se lancent des
gestes menaçans, des Tribunes qui crient, qui applaudissent, et un petit
côté qui rit sous cape, et tout ce bruit et toutes ces clameurs, et tout ce
tapage et tout cet orage, et M. Robertspierre attendant une bonne demi-
heure qu'il lui soit permis de conclure, on aura une petite idée de la
division qu'a produite aujourd'hui le malheureux Décret. M. Roberts-
pierre, ferme sur la Tribune, attend le moment de sa péroraison; elle
a été digne de l'exorde : « Je demande que l'on m'assigne un jour où
il me soit permis de fournir les preuves de ce que j'ai avancé. »
Le Point du Jour, t. XXVI, n'J 790, p. 155.
« M. Roberspierre prend la parole ainsi : si l'on se permet ici
d'injurier des pétitionnaires, on peut répondre sur le même ton aux
718 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
membres du corps législatif qui les inculpent. (Des murmures se font
entendre). Eh bien si l'on est écouté qu'en disant des personnalités,
je dirai que ceux qui répandent ainsi des soupçons sur le fonds de
1 affaire des hommes de couleur et sur les pétitionnaires, sont des traîtres
à la patrie.
« A ces mots qui ne devroient jamais être entendus dans une
assemblée qui donne des loix à un empire, il s'est élevé des cris d'un
coté et de violens applaudissemens de l'autre côté et dans toutes les
tribunes. M. Roberspierre continue en disant qu'il attaque personnelle-
ment MM. Lameth et Barnave (encore des applaudissements des tri-
bunes). On demande qu'elles soient ramenées fortement à l'ordre.
« MM. Lameth et Barnave se récrient avec force contre les person-
nalités indignes des collègues. MM. Muguet, Laire (17) et Goupille
réclament justice de ces injures, mais les applaudissements recommen-
cent avec un long tumulte. M. Roberspierre parle encore et dit : c'est
pour défendre des pétitionnaires insultés à la barre que je me suis permis
des réflexions sur des membres qui, chargés de l'exécution du décret,
n'y ont pas concourru. Si l'on me taxe de calomnie, je prouverai quand
l'on voudra, que ce sont ces membres qui ont occasionné une partie
des désordres dans les colonies. Je demande un jour pour dénoncer et
prouver les manoeuvres de plusieurs membres des comités des colonies »
Gazette de Paris, 8 septembre 1791, p. 2.
« M. Robespierre nommant MM. de Lameth et M. Barnave les
a dénoncés comme des factieux et des traîtres à la Patrie. Les Galeries
ont été tellement électrisées, que le Président n'a pu les contenir. On a
même entendu des voix qui crioient : à la lanterne ces Gueux-là; enfin,
le tumulte a été tel, que la Garde s'est rendue à ses Cors-de-Garde pour
s'armer. M. Robespierre étoit tellement ivre de fureur et des applau-
dissemens des Galeries, que l'on a craint, qu'achevant de perdre la tête,
il ne les appelât à son secours; elles étoient prêtes à s'élancer, et l'on
s'est crû au moment où le signal du carnage se donneroit. Jamais il n'y
eut de tumulte plus violent : jamais une Séance plus horrible n'a pu
marquer l'agonie de cette Législature. Tel un criminel pressé par ses
derniers remords, au moment de comparoître devant le juge, qui va pro-
noncer sa sentence, vomit des imprécations contre ceux qui furent ses
complices : mais il en est maudit à son tour ; cette lutte de rage et de
malédictions est la première vengeance que le Ciel de voit à l'innocence.
La Rocamhole, n° 23, p. 358.
(( MM. Alexandre Lameth, Barnave et Robetspierre ont le même
jour égayé la séance extraordinaire du soir, par une querelle si vive,
mais si vive, qu'on a craint que le temple de nos rois constitutionnels
(17) Pour (Lavie.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 719
ne fût prophané par quelque désordre civique, ce qui donna lieu le
lendemain aux vers irrespectueux que voici :
« Lameth, Barnave et Robetspierre
« Hier se sont fort querellés
« Dans les transports de leur colère,
« Ils s'appeloient fous, effrénés;
« Que pensez-vous de cette affaire ? »
« Qu'ils se disoient tous trois leurs vérités. »
[Brève mention de cette intervention dans Le Journal général de
France, n° 250, p. 1003; Le Mercure universel, t. VII, p. 107; La
Gazette universelle, n° 250, p. 999; La Chronique de Paris, t. V,
n° 249, p. 1010; Le Journal du Soir (des Frères Chaignieau), t. III,
n° 428, p. 2; Le Journal de Paris, 7 septembre 1791, p. 1020; Les
Annales patriotiques et littéraires, n° 705, p. 1918; L'Argus patriote,
t. II, n° 26, p. 23; Le Journal des Débats, n° 838, p. 2; Le Postillon
(Calais), n° 577, p. 2; Le Défenseur du Peuple, n° 63, p 2; Le Pac-
quebot, n° 248; Le Journal général du Pas-de-Calais, n° 21, p. 216;
Le Mercure de France, 17 septembre 1791, p. 202; Assemblée natio-
nale, Corps administratifs (Perlet), t. XIII, p. 3; Le Bulletin ou Journal
des journaux, n° 108; Le Patriote françois, n° 759, p. 285; La Vedette
ou Précis de toutes les nouvelles du jour, 7 septembre 1791 ; Le Journal
de la Révolution, n° 391, p. 50; Le Journal de Louis XVI et de son
peuple, t. V, n° 123, p. 218; L'Ami du Peuple (Marat), t. IX,
n° 551, p. 4; Le Législateur français, t. III, 7 septembre 1791, p. 4;
Le Journal Général de l'Europe, 7 septembre 1791, p. 103.]
358. —SEANCE DU 17 SEPTEMBRE 1791
SUR LE DROIT DE POLICE DES ASSEMBLÉES ÉLECTORALES
Le 14 septembre, le président de l'Assemblée avait annoncé une
pétition par laquelle les électeurs du département de Paris récla-
maient contre l'exécution d'un décret de prise de corps contre
Danton (1), tentée par un huissier, dans le sein même de l'assem-
blée électorale, le 13 septembre. Cette pétition avait été renvoyée
an comité de constitution. Le 17 septembre, Delavigne fait part à
l'Assemblée de la plainte de l'huissier chargé de l'arrestation de
Danton, et détenu depuis trois jours à l'Abbaye; il demande que le
(1) D'après A. Mathiez. Le Club des Cordeliers..., op. cit .
p. 211, Danton aurait été décrété de prise de corps le 4 août, non
pas à propos des événements du Champ de Mars, mais pour von
attitude lors du 21 juin. Prévenu le soir du 17 juillet, de l'hostilité
dont les meneurs des Cordeliers étaient l'objet de la part de lu
Constituante et de la municipalité parisienne, il se réfugia d'abord
chez son beau-père, à Fontenay-sous-Bdis, puis à Arcis-sur-Aube,
et enfin passa en Angleterre, d'où il rentra vers le 6 septembre.
720 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
rapport de cette affaire soit fait incessamment. Démeunier, au nom
du comité de ■constitution, propose que l'Assemblée ordonne l'éiar-
gissement de l'huissier. Le Chapelier appuie cette proposition et
demande que l'Assemblée improuve la conduite de l'assemblée élec-
toral. Keubell soutient que la constitution donne aux préside its
des assemblées électorales Ja police dans toute leur enceinte D'An-
dré demande le renvoi au comité de constitution pour un examen
plus attentif des faits. Duport, soir Tordre de l'Assemblée, donne
lecture des pièces relatives à cette affaire. Robespierre intervient
alors. Après lui, d'André reprend la parole et conclut à ce que le
président soit chargé d<? répondre aux électeurs pétitionnaires que
rassemblée électorale a outrepassé les bornes de son pouvoir (2).
L'Assemblée clôtura la discussion, et, sur la proposition de
iLanjuinais, rendit le décret suivant : « L'Assemblée nationale, ouï le
rapport de son comité de constitution, sur les pétitions respectives
du corps électoral du département de Paris, et de l'huissier Damiefi
et de son commis, décrète qu'elle improuve la conduite tenue par
les électeurs du département de Paris à l'égard de l'huissier Damien
et de son commis, et renvoie l'huissier et son commis à se pourvoir
devant les juges compétents.
Journal des Etats Généraux ou Journal Logograph., t. XXXIV, p. 55.
« M. Robespierre. Il me semble que la principale question qui
doit occuper l'assemblée et celle qui me paroit avoir le moins occupé
les préopinans, est d'examiner s'il est vrai que par la conduite de l'huis-
sier les droits et la dignité de la nation aient été violés dans la personne
des électeurs de Paris; toutes les autres questions dépendent essentielle-
ment de ce fait. Or, messieurs, quoi qu'il me paroit que l'huissier soit
entré dans la salle même de l'assemblée électorale, et qu'il ait tenté
là d'exécuter le décret de prise de corps; je crois cependant qu'il
résulte des circonstances une intention manifeste. (Grands murmures).
Je pense, Messieurs, s'il faut le dire, que lorsqu'il est question des
réclamations d'une assemblée électorale, qui prétend que sa dignité
a été compromise, nous n'avons pas le droit de traiter légèrement cette
affaire, et que c'est le moment de nous ressouvenir du respect que nous
devons aux représentais du peuple qui élisent en son nom. (Applaudi).
Je dis qu'il ne s'agit point ici de s'attacher aux questions oiseuses ren-
fermées dans l'interrogatoire. Je dis que l'objet le plus intéressant pour
l'assemblée n'est pas d'examiner si les formes ont été plus ou moins
scrupuleusement observées; mais que c'est le fond de la chose qu'il faut
sur-tout examiner, et bien loin de me livrer à aucune espèce de désir
de trouver coupable ou répréhensible l'assemblée électorale du départe-
ment de Paris, je ne m'attache qu'aux circonstances essentielles qui me
démontrent qu'il y a eu l'intention perfide d'insulter à la dignité de
l'assemblée électorale, et je vais la prouver. (Applaudi des tribunes).
« M. Duport. M. le président, je vous prie d'imposer silence aux
tribunes.
(2) Cf. E. Hamel, I, 555. Cette séance est datée par erreur dans
G. Walter (p. 724) du 9 septembre 1791
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 721
« M. Robespierre. M. Duport, ne m'interrompez pas.
« M. Malouet parle dans le bruit.
« M. d'André. Je demande qu'il soit fait mention que M. Malouet
appuie M. Robespierre.
« M- Malouet. Il ne faut pas accoutumer les tribunes à insulter
l'assemblée.
« M. Robespierre Je trouve très répréhensible la conduite de
l'huissier, qui, après avoir rôdé autour de la salle, armé d'un décret de
prise de corps contre un électeur, n'a pas dissimulé d'être venu pour
mettre le décret à exécution ; qu'il a manifesté formellement cette inten-
tion; qu'il a violé le territoire de l'assemblée électorale, en venant dans
l'un des bureaux de cette assemblée : car je ne crois pas qu'il suffise de
respecter la salle où siègent les électeurs; je crois que tous les lieux
destinés à apprêter leurs travaux, que toute l'enceinte du lieu où ils se
trouvent, doit être sacrée. Je dis qu'il est clair que l'huissier a insulté
formellement à la dignité de l'assemblée électorale, en annonçant, par
sa lettre au président, qu'il vouloit exécuter un décret de prise de
corps contre un membre de l'assemblée. Je dis que cette lettre par
laquelle il prétend avoir prévenu le président, est la preuve formelle
qu'il vouloit exécuter le décret dans le territoire du corps électoral ; et
s'il n'avoit point voulu l'exécuter dans ce lieu, qui devoit être sacré pour
lui, s'il avoit voulu l'exécuter dans tout autre lieu, il est clair qu'il
n'avoit pas besoin de prévenir le président; et toutes les circonstances
annoncent, et des faits dont vous n'êtes pas instruits, mais que j'ai
entendus dire à des personnes dignes de foi, prouvent qu'il a tenu des
propos qui annonçoient ses intentions, et qu'il ne s'est déterminé à
prévenir le président que par la crainte qu'on lui a inspirée sur les
suites d'une pareille démarche. Ainsi, la présence de l'huissier dans le
lieu, l'intention qu'il a eu l'audace de manifester, sa lettre même au
président; voilà autant d'insultes faites à la dignité du corps électoral:
et certes il est très permis d'attacher beaucoup d'intérêts à de pareilles
démarches; l'assemblée en sera convaincue si elle veut réfléchir combien
il importe à la constitution et à la liberté naissante de réprimer les
premières entreprises formées contre les représentans du peuple assem-
blés.
<( M. d'André. Qu'appellez-vous représentans du peuple?
« M. Robespierre. 11 n'est pas question de disputer sur les mots.
Les électeurs choisissent au nom du peuple, et pour cela, ils représen-
tent le peuple, et leur assemblée est aussi respectable et aussi sacrée
que celle du peuple lui-même ; ainsi vous ne sauriez apporter trop d'atten-
tion pour réprimer cet attentat formé contre notre liberté naissante, et le
signe des hommes libres, c'est l'intérêt qu'ils attachent à de pareilles
questions; c'est le respect ou les déférences qu'ils montrent aux prin-
cipes de la liberté et pour la majesté du peuple assemblé. J'aurois donc
lieu de m 'étonner si on ne répondoit à ces principes que par ces lieux
722 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
communs ordinaires, par des plaisanteries bannales (sic), par cette
méthode de jetter de la défaveur, de l'avilissement sur tout ce qui tient
aux idées sacrées de la liberté et de la constitution : quand bien même
les assemblées électorales commettraient quelqu' irrégularités, gardons-
nous bien de les exagérer et de les avilir, et de seconder ainsi les des-
seins de nos ennemis. Ici je vous prends à témoins, que l'on s'est attaché
à exagérer les torts prétendus qu'on impute à l'assemblée électorale de
Paris. On les a présentées comme attentatoires de la manière la plus
coupable aux autorités légitimes et aux droits des citoyens. C'est sans
doute parce qu'on n'a pas voulu faire une distinction très simple : il ne
faut pas juger les droits d'une assemblée électorale pour les objets qui
lui sont parfaitement étrangers comme les démarches qu'elle peut faire
pour le maintien de sa dignité ; mais de quoi s'agit-il ici ? Et sur quoi
l'assemblée électorale de Paris s'est-elle permis de délibérer ? C'étoit
sur un sujet directement relatif à l'exercice de ses fonctior.3 : c'est sur
un attentat qu'elle prétendoit avoir été commis contre ses droits les plus
sacrés. Or, messieurs, ce n'est point ici que l'on peut appliquer le prin-
cipe que les assemblées électorales ne peuvent délibérer. Les assemblées
électorales, et toutes les assemblées ont le droit de délibérer sur leurs
affaires particulières, sur ce qui concerne essentiellement leurs droits et
leur existence. L'assemblée électorale a donc le droit de délibérer sur
l'affaire qui est soumise maintenant à votre discussion, et il ne vous reste-
roit plus qu'à examiner si elle a abusé de ce droit incontestable en
lui-même. Or, messieurs, en réduisant la question, voyez combien il faut
rabattre de toutes les déclamations prodiguées, contre les électeurs de
Paris: ils ont interrogé l'huissier; mais, messieurs, qu'est-ce que cet
interrogatoire, en dégageant cet objet de toute la chicane du palais ?
Elle a fait venir devant elle l'huissier, pour s'assurer par sa bouche,
d'une manière plus formelle, de sa véritable intention. Je vois là,
messieurs, un moyen que l'assemblée a cru pouvoir prendre pour consta-
ter des faits essentiels qui l'intéressoient personnellement, et qui intéres-
soient spécialement le bien public- Je ne sais pas si vous y trouvez quel-
que vice de forme et de procédure, et s'ils vous feront quelqu'illusions;
mais je sais bien qu'il est impossible de présenter un acte aussi légitime
en lui-même, comme un crime, qui puisse justifier les déclamations inju-
rieuses, encore moins un jugement sévère contre l'assemblée électorale
de Paris. Je concluds de tout ceci que l'assemblée électorale de Paris
est exempte de la plupart des reproches qu'on lui a faits : je crois
même qu'elle n'a encouru aucun reproche, et il y a une circonstance qui
doit frapper tout esprit juste et impartial. (Une voix : Comme vous). C'est
que dans les circonstances où nous sommes, il était impossible au plus
habile des accusateurs de l'assemblée électorale de Paris de marquer
quelle étoit la forme employée pour constater ^ ce délit, quel étoh le
point où finissoit le droit, la jurisprudence de l'assemblée électorale de
Paris. Les loix nouvelles ne sont pas encore assez clairement définies.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 723
On n'est pas familiarisé par l'expérience avec leur exécution, ou plutôt,
elles n'existent pas. Je prétends donc que vous ne pouvez pas donner
une marque d'improbation à l'assemblée électorale de Paris: je pré-
tends qu'il n'y a qu'un seul objet à faire : c'est de faire protéger, de
faire respecter l'enceinte du lieu où délibèrent les assemblées électo-
rales. Voilà le seul objet digne de l'assemblée, le reste doit, être aban-
donné...
[Intervention de M. d'André contre « l'hérésie constitutionnelle »
du préopinant.]
« M. Robespierre. Je n'ai pas dit cela.
« Plusieurs voix. Si, si...
« M. Robespierre. La loi permet-elle de violer les assemblées
électorales ? (Laissez donc) » (3).
Journal de Rouen, n° 261, p. 1256.
« M. Robertspierre veut parler; mais les cris et les huées l'inter-
rompent à chaque instant; enfin il vient à bout de se faire entendre.
« Il faut mettre de côté tout ce qui est accessoire et étranger aux
faits principaux. Il s'agit de savoir s'il a été porté atteinte aux droits
du peuple, à la dignité de la nation : toutes les autres questions dépen-
dant de celle-là- Il résulte de toutes les circonstances de cette affaire
une résolution manifestée, de la part de l'huissier Damien, de violer
l'asyle d'un corps électoral.
« Cent voix tumultueuses se font entendre, les cris redoublent,
empêchent l'orateur de continuer.
« Oui, dit-il après cette- bourrasque, oui je pense que l'homme qui
se permet de rôder autour de la salle...
« Ici les ris succèdent à la colère.
« L'opinant, sans se déconcerter des ris et des plaisanteries, qui
sont fort déplacés lorsque l'assemblée a à prononcer sur un objet aussi
important : il me semble que nous ne devons pas passer légèrement sur
un outrage dont se plaignent les représentants du peuple. Il ne faut point
s'attacher à des circonstances oiseuses, il ne faut pas chicaner sur les
formes, c'est le fond qu'il faut examiner. Il vaut mieux passer sur l'oubli
des formes, que de souffrir que la dignité de la nation soit avilie.
« La salle retentit d'applaudissements. .)
Mercure universel, t. VII, p. 282.
« M. Robespierre. Un huissier armé d'un décret de prise-de-corps,
rôde autour de l'assemblée, s'y introduit, il en viole la dignité, et l'en-
ceinte qui renferme une assemblée électorale doit être sacrée ! L'huissier
par sa lettre au président a insulté à la majesté de cette assemblée, il a
prouvé qu'il vouloit mettre ce décret à exécution dans son sein; sans
(3) Texte rep/oduh da-ns les Arch. pari., XXX, 735
724 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
cela, il eut été inutile qu'il écrivit au président ; la lettre de cet
huissier à l'assemblée nationale prouve cette intention; certes, la pré-
sence d'un huissier dans une telle assemblée est un outrage à la consti-
tution, et la liberté naissante ne peut qu'en recevoir une atteinte ! Le
mépris ou l'indifférence que cet huissier montre pour la majesté du peuple
(des cris, du tumulte). Quoi, ce n'est pas là un attentat à la liberté, à la
constitution ? (Les tr'bunes applaudissent, des députés crient à l'ordre).
Sans doute, si l'assemblée électorale se fût permis d'employer des
formes judiciaires contre un citoyen, pour des délits qui lui fussent
étrangers, elle eut outre-passé ses pouvoirs, mais il s'agissoit d'un
outrage qui la regardoit directement; elle a voulu s'assurer des faits;
je ne sais si vous trouverez des vices de formes : mais je sais qu'essen-
tiellement elle étoit outragée : je conclus à ce que l'assemblée électorale
est exempte des reproches qu'on lui attribue; et si, ce que je ne pense
pas, il y avoit quelques vices de formes, l'on devroit avant tout songer
à faire respecter les hommes que le peuple a choisis, et l'on doit décréter
que nul homme ne pourra exploiter désormais dans les assemblées électo-
rales. (Les tribunes applaudissent, des députés huent).
« M. d'André. Je voudrais bien savoir si, dans le règne de la
liberté, on ne doit pas obéissance à la loi?...
« M. Robespierre. Y a-t-il là une désobéissance à la loi ? (Des
cris, des huées). »
L'Ami du Roi (Montjoie), 18 septembre 1791, p. 1043.
« La conduite du corps électoral, comme l'on voit, n'est point
justifiée par les pièces du procès. Celle de l'huissier au contraire paroît
irréprochable. M. Robespierre ne pouvant attaquer les actions de celui-
ci, a voulu faire le procès de ses intentions, et en est revenu à la majesté
du peuple, comme si la personne de M. Danton étoit le peuple entier.
« Il s'agit, a-t-il dit, d'examiner si la majesté du peuple a été
violée dans la personne des électeurs. Messieurs, quoiqu'il ne paroisse
pas que l'huissier ait voulu entrer dans la salle de l'assemblée, je crois
cependant qu'il résulte des circonstances, une intention manifeste...
(Des murmures très-violeris, se font entendre).
« Il s'agit d'un procédé que je regarde, moi, comme injurieux à
l'assemblée électorale; je crois qu'un huissier, qui se permet de rôder
autour de la salle... (Nouveaux murmures).
« Lorsqu'il est question des réclamations de l'assemblée électorale
qui se plaint que sa dignité a été compromise, on ne doit pas s'attacher
aux questions oiseuses; il ne s'agit pas d'examiner si les formes ont
été plus ou moins scrupuleusement observées; c'est au fond qu'il faut
s'attacher. Sans examiner les formes, je m'attache à prouver qu'il y a
eu une intention perfide d'insulter le corps électoral. Je trouve répré-
hensible la conduite de l'huissier qui, après avoir rôdé autour du corps
électoral, n'a pas dissimulé l'intention d'exécuter , son décret; qui a
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 725
violé le territoire de l'assemblée électorale, en venant dans les bureaux
de cette assemblée. L'assemblée électorale de Paris est exempte de
la plupart des reproches qui lui ont été faits; elle n'a encouru aucune
espèce de blâme, et s'il y avoit quelques irrégularités dans sa conduite,
il faudroit bien se garder de saisir un prétexte aussi frivole pour la
condamner. Je demande que l'assemblée se borne à décréter qu'il est
défendu à tout huissier ou autre, d'exécuter des loix, de vider le lieu
où délibèrent les assemblées électorales. »
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 261, p. 1085.
« M. Roberspierre. Je dis qu'on a violé le territoire de l'Assem-
blée électorale ; car je ne crois pas qu'il suffise de respecter la salle des
séances; je crois que tous les lieux destinés même à préparer les travaux,
que tout l'enceinte doit être sacrée. Il est certain que l'huissier dont il
s'agit a voulu exécuter un décret dans l'enceinte de l'Assemblée, car
sans cela il n'aurait pas écrit au président. Quant à l'assemblée électo-
rale, elle a le droit de délibérer sur des affaires particulières; elle a fait
venir l'huissier pour s'assurer, par sa bouche, de ses intentions, pour
prendre des éclaircissemens sur une affaire qui l'intéressait particulière-
ment. Je dis donc qu'elle est exempte d'inculpation, que s'il y a dans
sa conduite quelque irrégularité de forme, que je ne suis pas assez habile
pour saisir, il faut bien se garder de saisir ce prétexte pour avilir la
dignité de l'électorat. Je crois qu'il est une seule chose à faire, c'est
une loi sur le respect dû aux assemblées électorales » (4)
L'Ami du Roi (Royou), 19 septembre 1791, p. 3.
« M. Robespierre, qui a juré de ne pas se réconcilier avec la
raison, même à l'article de sa mort politique, a prétendu prouver que
l'huissier avoit eu intention d'arrêter M d'Anton au sein même de
l'assemblée électorale; il a érigé les électeurs en représentans du peu-
ple; il a exagéré la dignité et la majorité des fonctions électorales. Il
auroit dû en conclure naturellement qu'un homme décréta de prise de
corps, n'étoit pas digne de les exercer, et que des électeurs ne dévoient
pas compromettre le décorum de leur charge jusqu'à injurier et maltraiter
un huissier. Mais d'après sa logique accoutumée, il en a conclu que
l'huissier étoit coupable, et la conduite des électeurs au-dessus de tout
reproche, ce qui lui a mérité les plus vifs applaudissemens des tri-
bunes. »
Journal général de France, 18 septembre 1791, p. 1051. ,
« MM. d'André, Lavigne, Duport et Robertspierre ont pendant
long-temps parlé pour ou contre le Corps Electoral; les uns l'ont blâmé,
les autres l'ont justifié; de-là d'inciter les chicanes; delà le dévelop-
(1) Trxto reproduit dans )o Moniteur, IX, 697.
726 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
pement d'une tactique assez mal employée; de-là un grand combat
entre les Membres des Clubs de 1789 et des Jacobins, ou si l'on aime
mieux, entre les Monarchistes et les Républicains; de-là une Séancs
perdue; mais c'est le propre des animosités particulières, de faire tort
au bien général » (5).
L'Orateur du Peuple, t. VII, n° 54, p. 431.
« Les Desmeuniers, les Dandré, les Malouet, les Duport, ont tiré
à boulet rouge sur le Corps électoral.
« L'incorruptible Robespierre a pris la parole sur cette affaire. Il
pensoit que s'agissant d'une assemblée électorale qui prétend que sa
dignité a été compromise, c'étoit le cas de se rappeler du respect qu'on
doit aux représentans du peuple. Il voyait dans les circonstances du fait
une intention perfide d'insulter l'assemblée électorale, puisque l'huis-
sier avoit violé le territoire de cette assemblée (les tribunes applau-
dissent).
« M. Robespierre, continuant, tiroit la preuve que l'huissier vouloit
exécuter le décret de prise de corps dans le territoire électoral, de ce
qu'il avoit voulu le mettre à exécution; dans tout autre lieu, il n'auroit
pas prévenu le président pour lui demander la conduite qu'il avoit
à tenir.
« Il importe, ajoutoit M. Robespierre, au maintien de la Consti-
tution de réprimer les premières entreprises formées contre notre liberté
naissante. C'est ici un attentat porté aux fonctions électorales; c'est
une de ces circonstances où l'on ne peut appliquer le principe que les
assemblées électorales ne peuvent délibérer; je conclus à ce que la con-
duite de l'assemblée électorale de Paris soit regardée comme exempte de
toute espèce de reproche. »
La Chronique scandaleuse, n° 19, p. 3.
« L'huissier Damiens (6) a demandé à l'assemblée nationale son
élargissement. On sait que ce brave garçon a voulu arrêter Damiens
Danton. L'assemblée a renvoyé cette affaire aux tribunaux de justice.
M. Robespierre auroit bien voulu que l'huissier eût été envoyé aux
galères, eût-il dû l'y retrouver un jour. Mais séduit par le nom,
M. Robespierre n'a pas trop osé s'élever contre lui. »
[Résumé de cette intervention dans Le Journal dés Débats, n° 849,
p. 7; Le Point du Jour, t. XXVI, n° 801, p. 323; Le Législateur
français, t. III, 18 septembre 1791, p. 4; Assemblée nationale, Corps
(5) C'est en effet l'un dos épisodes de la lutte qui oppose Jaco-
bins et Feuillants.
(6) Rapprochement entre le nom de l'huissier et celui de l'auteur
d'une t-ntative d'assassinat contre (Louis XV, auquel les journaux
royalistes attribuent une parenté avec Robespierre.
LES DISCOURS DE, ROBESPIERRE 727
administratifs (Perlet), t. XIII, n" 774, p. 2. Brève mention dan« La
Gazette de Berne, 24 septembre 1791, p. 3; La Chronique de Paris,
t. V, n° 259, p. 1045; Le Mercure de France, 24 septembre 1791,
p. 308; Le Journal de Paris, 18 septembre 1791, p. 1063; Le Journal
universel, t. XIV, p. 14319; L'Argus patriote, t. II, n° 29, p. 107;
Le Pacquebot, n° 259; La Gazette universelle, n° 261, p. 1044; Le
Journal de la Noblesse..., t. II, n° 39, p. 600; Le Journal généra1 Je
l'Europe, 18 septembre 1791, p. 259; Le Patriote François, n° 769,
p. 337; Le Courrier des LXXXlll départemens, 18 sept. 1791, n° 18.
p. 288.1
Société des Amis de la Constitution
359. — SEANCE DU 21 SEPTEMBRE 1791
Sur l'examen des comptes du trésorier
Dubreuil, l'un des commissaires nommés pour examiner les
comptes du trésorier et la gestion du 'Comité d' administration , rend
compte de leur travail. La discussion générale qui s'instaure se ter-
mine par le renvoi smx commissaires, qui devront être à même de
débattre le compte général, contradictoiremen't avec le Comité, le
l01 octobre prochain. Moreton propose alors que la Société arrête
fcur le champ de remplacer le Comité d'administration et le trésorier.
Cette motion fut rejetée sur les observations de Robespierre,
et Moreton donna sa démission de commissaire, qui fut acceptée.
Journal des Débats de la Société des Amis de la Constitution, n° 64.
« Cette motion un peu vive est rejettée sur les observations de
M. Robespierre » (1).
(1) Texte reproduit dans Aulard, III, 143.
360. — SEANCE DU 24 SEPTEMBRE 1791
Sur les droits politiques des hommes de couleur (1)
Le 23 septembre, Barnave, au nom de quatre comités, avait pré-
senté un rapport à l'Assemblée, sur la situation des colonies. Les
comités entendaient, par des mesures de portée générale, assurer
d'une part Ja tranquillité des habitants, et d'autre part les intérêts
de la métropole dans le commerce colonial. En conséquence, ils pro-
posaient un projet de décret en 4 articles. Le premier donnait à
l'Assemblée législative seule, avec la sanction du roi, le droit de
statuer .sur les questions intéressant le commerce et la défense des
colonies. L'art. 2 stipulait que les assemblées coloniales pourraient
faire sur ces mêmes questions, toutes demandes et représentations
Cl) Cf. ci-dessus, séance extraordinaire, du 5 septembre 1791,
K. Hamel, I, 554, et G. Waltcr, p. 123.
728 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
qu'elles jugeraient utiles, mais qui ne seraient considérées que com-
me <le simples pétitions L'art. 3 portait que les lois concernant
l'état des personnes non libres et l'état politique des hommes de
couleur libres, seraient faite? par les assemblées coloniales et por-
tées directement à la sanction du roi, « sans qu'aucun décret anté-
rieur puisse porter obstacle au plein exercice du droit conféré par
ie présent article aux assemblées coloniales ». L'art. 4 prévoyait que
les autres lois concernant le régime intérieur des colonies, seraient
déterminées par le pouvoir législatif, les assemblées coloniales étant
simplement autorisées à exprimer leurs vœux en la matière. En fait.
ce projet de décret visait essentiellement à anmuler le décret du
15 niai, qui avait accordé les droits politiques aux hommes de couleur
libres (2). Plusieurs membres ayant ce jour-là demandé l'ajourne-
ment à da prochaine législature de tout ce qui concernait les colo-
nies, l'Assemblée avait rejeté l'ajournement à une majorité de 207
voix contre 191.
La discussion reprend le 24 septembre. Reubell demande que
l'Assemblée décide si elle est compétente pour révoquer elle-même
le décret du 15 mai. Sa motion est rejetée. Roussillon, député du
tiers état de la sénéchaussée de Toulouse, soutient le projet du
comité. Robespierre intervient après lui. Son discours donne lieu
à de vifs incidents où interviennent Begouen, négociant au Havre,
député du 'tiers état du bailliage de Oaux à Caudebec, et le mar-
quis de Gouy d'Arsy.
Finalement, la discussion générale ayant été fermée, les deux
premiers articles furent décrétés. L'art. 2, après qu'un amendement
sauvegardant les droits politiques des homme de couleur libres eût
été repoussé, fut voté avec un léger amendement présenté par Biau-
zat. L'art. 4 fut décrété à son tour par l'Assemblée (3).
(2) L'agitation nés à la suite du décret du 15 mai s'était accrue
depuis la séance du 5 septembre. Ainsi que l'écrit Périsse du Luc
à Wuillermoz (Bihl.mun. Lyon, ms. 5430, n° 44), les rivalités prennent
un tour plus général. « La scène a changé, Brissot, ami de Péthion
se mit à attaquer les Lameth; d'abord avec des égards, et augmen-
tant toujours son venin, jusqu'à sa discussion sur les gens de cou-
leur, il vint à bout par ses intrigues aux Jacobins et dans Paris,
de mettre les Lameth dessous et les Péthion dessus... ». On multiplie
à ce sujet les attaques contre Robespierre, et la Feuille du Jour
rappelle la phrase fameuse : « Périssent les colonies, plutôt que de
leur sacrifier un principe! » (n° 340, p. 1267).
(3) L'opposition des colons blancs subsiste après la séparation
de la Constituante, témoins la brochure de Joseph-Pierre Du Morier,
intitulée : « A l'Assemblée nationale, contre la motion faite par
M. Guadet, relative à l'état politique des gens de couleur et contre
toute autre motion tendante à faire révoquer ou altérer le décret
du 24 septembre 1791. <B.N. 4° LK9 192).
Barnave écrit à la reine, le 25 septembre : « La délibération
d'hier est une grande victoire; elle est importante pour le Roi, sous
le double rapport de l'intérêt national qui était dans le plus grand
danger et sous celui de la prérogative royale qui, par le décret
rendu, a acquis beaucoup de considération et d'influence. Ce décret
qui assure la conservation des colonies, un des plus grands biens,
des plus grands soutiens du gouvernement monarchique, non seule-
ment contrarie essentiellement les espérances des républicains, mais
donne au R,oi un moyen de plus pour les abattre, dans l'influence
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 729
Journal des Etats Généraux ou Journal Logog., t. XXXIV, p. 267 (4).
Courier de Provence, n° 346, p. 193 à 206 (5).
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 269, p. 1120-1121 (6).
« M. Robespierre Lorsqu'on se présente à votre tribunal pour
défendre celui de vos décrets qui, au jugement de la nation, a le plus
honoré cette Assemblée, pour empêcher que dans un moment, et presque
sans discussion, d'après des faits recueillis par des parties qui ne sont
pas entièrement désintéressées dans cette affaire, d'après des déclara-
tions plusieurs fois répétées et toujours repoussées par vous dans cette
affaire; on élève sur ce système, conforme aux droits de la justice, de
la raison, de l'intérêt national, un système nouveau fondé sur des prin-
cipes absolument différens; alors le premier sentiment qu'on éprouve,
c'est l'étonnement de discuter devant vous une pareille question; on est
bien éloigné sur-tout de penser que cette question soit déjà préjugée
avant d'avoir été discutée avec la profondeur qu'elle exige. Eh ! fut-il
vrai qu'on dût faire encore des efforts impuissans pour réclamer les
droits de l'humanité, ce seroit encore un devoir de les réclamer; c'est
ce qui m'encouragera à vous parler encore, et de l'intérêt national qui
paroît si méconnu par les sentimens de ceux que je combats, et même
de justice et de philosophie. ,
qu'il lui donne nécessairement sur tout le commerce dont les rela-
tions avec les colonies, mises en partie sous l'autorité exclusive du
Roi, sont très précieuses » (Marie-Antoinette et Barnave Corres-
pondance secrète, publiée par Aima Soëderhjelm, 1934, dans la collec-
tion « iLes classiques de la Révolution française », p. 117-118).
(4) Le texte de Le Hodey que nous publions ici est le plus complet ;
il a été reproduit dans les Arch. pari., XXXI, 274-278; Bûchez et
Roux, TX, 461-469; et tiré à part, brochure in-8", s.d. vraisemblable-
ment de 1838 (B.N. 8° Laïï2 200).
(5) Le texte du Courrier de Provence est identique à celui du
Moniteur, et il le présente (t. XVII, p. 191) par ces phrases: « Tous
les amis de l'humanité s'attendoient à voir M. Robespierre défendre
sa cause. Jamais cet orateur ne fut plus éloquent que dans le dis-
cours qu'il prononça 'à cette séance, en faveur des gens de couleur.
Comme nous croyons essentiel de le faire connaître en entier, et
que les bornes de cette feuille ne nous permettent pas de l'insérer
ici, nous le transcrirons dans le prochain inuméro... ».
(6) (Le Moniteur s'est conten'té de publier les passages suivants:
Lç début jusqu'à « leurs anciennes habitudes et leurs chances ».
« Les colons sont mdj?nés de cette assemblée. »
« Je rappelle à l'Assemblée celui-ci. »
« Ce qui vient d'être dit changer. »
« Je passe maintenant une chimère, »
k Des intrigues sont-elles et à la justice, »
« Qu'il me soit permis son naufrage. »>
« Mais, messieurs au fond et à gauche. »
« .Mais qnii est-ce donc jusqu'à la fin. »
Il est reproduit dans le Moniteur, IX, 767-770, et Laponneraye,
I. 189.
730 LES PJSÇQVRS m ROBESPIERRE
«, La première question que l'on doit se faire, ce me semble, dans
ce moment, c'est de demander si, pour attaquer les décrets que vous
ayez rendus, l'on vous présente des raisons qui n'aient été ni prévues
ni discutées, lorsque vous les avez portés. Or, je vois ici, messieurs, les
mêmes moyens employés; d'une part, des maux infinis qu'on vous pro
nostique pour vous faire peur; de l'autre, des raisonnemens qui ne pour-
roient souffrir le plus léger examen : raisonnemens démentis à la fois et
par les raisons et par les faits.
« Je commence par examiner en très-peu de mots les raisonnemens
moraux et politiques, allégués par le rapporteur du comité colonial. Il
vous a exposé sa théorie sur l'unique moyen, suivant lui, de conserver la
tranquillité et la subordination des esclaves dans les colonies. Or, il
nous a dit que cet ordre de choses tenoit essentiellement et exclusive-
ment à l'extrême distance que ces esclaves appercevoient *ntre les
blancs et eux; que cette distance disparoîtroit à leurs yeux, si les hom-
mes de couleur jouissoient des mêmes droits que les blancs.
« Voilà un raisonnement qui est absolument démenti par les faits, et
par toutes les raisons d'analogie. Il ne faut pas perdre de vue qu'avant
votre décret les hommes libres de couleur jouissoient des droits de
citoyen, qu'ils ne jouissoient pas des droits politiques, parce qu'alors
nul citoyen n'avoit des droits politiques; mais ils étoient dans !a classe
des blancs sous le rapport des droits civils dont les citoyens jouissoient
seuls alors; ainsi alors des esclaves voyoient des hommes de couleur
à une distance infinie d'eux, et cette distance étoit celle de l'esclavage
à la liberté, du néant à l'existence civile; or, je demande si ces nou-
veaux droits que vous avez accordés aux hommes libres de couleur met-
traient entr'eux et les autres une distance plus grande que ne mettrait
entr'eux et les esclaves l'acquisition de la liberté et de l'existence
civile. Or, si cette distance n'a rien diminué de la subordination des
esclaves, s'il est faux que ces idées parviennent jusqu'à leur esprit,
n'est-il pas évident que le raisonnement qu'on vous fait pour égarer votre
justice est une pure illusion, et le résultat de l'imagination des partisans
du projet de décret que je combats. On n'a pas manqué, messieurs,
d'appuyer ce système extravagant d'un fait très extraordinaire; on vous
a dit que la déclaration des droits que vous avez reconnue dans les hom-
mes libres de couleur, avoit excité une insurrection parmi les esclaves;
on vous a cité la Croix des bouquets; j'affirme que ce fait est faux (mur-
mures) et j'atteste tout homme raisonnable qui voudra réfléchir et sur
les faits et sur la nature même de la chose, que quelques lettres que
l'on peut se faire écrire à son gré (ah! ah!) n'auront jamais autant de
poids sur les personnes raisonnables, que ce fait, connu de tout le mon-
de, que dans les colonies nulle lettre, depuis l'origine des contestations
que la révolution a fait naître entre les blancs et les hommes libres de
couleur, ne peut parvenir aux hommes de couleur sans avoir été déca-
chetée; c'est un fait notoire connu de tout le monde, et qui est beau-
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 731
coup plus certain que les fables que Ton nous débite pour appuyer le
système du Comité. (Au centre: Ça n'est pas vrai; applaudi ssemens
dans l'extrémité gauche). On ne persuadera jamais à personne, je ne
dis pas seulement que les décrets de l'assemblée nationale, mais
même les relations de ces décrets, avec les droits de citoyens, puissent
donner des idées assez nettes à des hommes abrutis par l'esclavage, qui
ont très peu d'idées, ou qui n'ont que des idées absolument étrangères
à celles dont il s'agit en ce moment, pour les engager à rompre, tout à
la fois, et leurs anciennes habitudes et leurs chaînes.
« Je dis qu'on ne persuadera à personne que des esclaves, qui ne
savent pas lire, qui sont entourés de toutes les précautions, de toutes
les entraves, dont leurs maîtres veulent les environner, puissent prendre,
de vos décrets, la connoissance nécessaire à des hommes capables de
réflexions, pour en tirer de pareilles conséquences et pour y conformer
leur conduite. Je conclus de toutes ces raisons que le fait est absolument
faux (ah! ah! au centre; applaudi au fond à gauche).
« M. Bamave. Je demande à répondre.
« M. Robespierre. On vous a donné deux raisons de théorie pour
prouver que votre décret iroit absolument bouleverser les colonies. On
vous a dit que jamais les blancs ne pourroient s'y soumettre, pour deux
raisons : la première, c'est que vous avez violé la promesse solemnelle
faite aux colons par un décret précédent. La seconde, que cette pro-
messe une fois violée, les blancs ne pourroient jamais croire que vos
principes ne vous entraîneroient pas à décréter un jour la liberté des
esclaves. Eh bien, messieurs, voici encore une assertion dont chaque
membre de l'assemblée peut appercevoir la fausseté.
« Les colons sont indignés, dit-on, de ce que vous avez violé la foi
que vous leur avez donnée!.-. Mais quel homme de bonne foi peut
soutenir ici que, par aucun de vos décrets, vous ayez pris avec les colons
blancs l'engagement de dépouiller les hommes de couleur de la qualité
de citoyens actifs, que vous ayez promis de ne rien décréter à cet égard
sans le consentement et l'initiative des colons blancs ? Qu'on me le cite
ce décret: est-ce celui du 28 mars? Eh! c'est celui que j'invoque pour
réclamer la foi qui avoit été donnée à tous les membres de cette assem-
blée. Oui, messieurs, c'est Ce jour que l'on manqua deux fois, et parti-
culièrement à cette assemblée et à ceux qui avoient voté conformément
aux principes sur lesquels ce décret a été fondé, J'atteste la mémoire
et la conscience de ceux qui m'écoutent ,que, lorsqu'il fut question de
ce décret qui accordoit la proposition initiative aux habitans des colonies
sur l'état des personnes; jamais on n'expliqua, jamais on ne prétendit
que, par ces mots personnes, la proposition n'étoit point donnée aux
hommes libres de couleur, comme aux colons blancs, sans aucune distinc-
tion de couleur; en second lieu, que ce mot personnes renfermoit les
hommes libres de couleur.
« Je rappelle à l'Assemblée qu'alors, en effet, quelques personnes
732 LES PJSÇOVRS pE ROBESPIEWm
eurent des inquiétudes, non pas sur le fond de la chose, qui ne pouvoit
présenter aucune difficulté, mais sur les intentions de ceux qui auraient
pu désirer favoriser les colons blancs aux dépens des hommes libres de
couleur. Ils manifestèrent ces inquiétudes, et demandèrent que l'assem-
blée déclarât que ces mots ne renfermoient point les esclaves; on répon-
dit: Cela n'est point nécessaire; il est bien entendu que les hommes
libres de couleur n'y sont point compris : et c'est sur la foi de cette
explication, qui n'étoit pas même nécessaire, que tous les membres
acquiescèrent au décret qui vous fût présenté par le même rapporteur
qui vous présente celui-ci.
« M. Barnave (rapporteur). Ce fait est absolument faux.
« Plusieurs voix. C'est vrai, c'est vrai.
« M. Grégoire. Je demande la parole. Je ne conçois pas comment
M. Barnave peut nier ce fait. Il est de fait que le 28 mars, ce fut moi
qui demandai que nominativement les gens de couleur fassent dénom-
més dans ce décret. Il est de fait que M. Barnave me dit lui-même qu'il
ne les en avoit pas exclus; et il est de fait qu'au mois de mai dernier,
après bien des interpellations, M. Barnave a été obligé d'en faire l'aveu
lui-même.
a M. Barnave [ ] (7).
« M. Robespierre. Ce qui vient d'être dit prouve la vérité de ce
que j'ai avancé; car dès qu'une fois ces mots toute personne ne préju-
gent rien contre les hommes libres de couleur, il s'ensuit que vous
n avez fait aucune promesse aux colons blancs, relativement aux gens
de couleur. C'est à tort, par conséquent, qu'on vous objecte la préten-
due foi donnée aux colons blancs, comme une raison de leur sacrifier
les droits des hommes de couleur libres, et comme un motif qui peut
les exciter à la révolte contre vos décrets; et si j'avais besoin de resti-
tuer dans toute son intégrité le fait que j'avais posé, je vous rappellerons
un autre fait certain qui vous a été rappelé par M. Tracy, savoir qu'à
l'époque de ces décrets, toutes les prétentions que les colons blancs
annonçoient n'étaient que- celles de garantir leurs propriétés de la crainte
de voir toujours les esclaves parvenir à la liberté; c'est que ces mots
toute personne, c'est que les clauses qu'ils renferment ne leur furent
données que pour calmer leurs inquiétudes. Elles leur furent même
alors vivement disputées, parce que nous avions une extrême répugnance
à consacrer formellement l'esclavage. Ces tems devoient-ils changer?
« Quoiqu'il en soit, M. le rapporteur donne encore pour un des
motifs des troubles que vos justes et sages décrets doivent exciter parmi
.(7) Variante du 'Courier de Provence (p. 199). « Ici, M. Barnave
donna un démenti à M. Robespierre, et M. Grégoire, (à son Ibour,
démentit M. Barnave. M. Barnave. un peu déconcerté de la vigou-
reuse apostrophe de ce dernier, balbutia, et donna des raisons
tant bonnes que mauvaises. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 733
les colons blancs, la crainte que les principes de l'assemblée nationale
ne la portent un jour à décréter la liberté des esclaves. C'est prévoir
les malheurs de bien loin, il faut en convenir, car nous ne sommes pas
encore réduits au résultat de voir les principes de la justice et de l'hu-
manité faire des progrès assez rapides et pour occasionner des allarmes
telles que les amis de la libetré eussent lieu de s'en repentir. (Applaudi).
« Mais puisque cette crainte des principes de l'assemblée nationale
est fondée, suivant M. le rapporteur, sur l'exemple d'infidélité que nous
lui avons donné; comme cet exemple n'est qu'une chimère, il est évi-
dent que la crainte qu'il fait concevoir aux colons blancs est également
chimérique.
« Je passe maintenant à l'examen des faits préparés, présentés avec
beaucoup de chaleur et de véhémence pour exciter dans vos âmes des
alarmes capables de l'emporter sur votre justice et sur votre sagesse.
Quels sont donc ces faits ? Qui oserait donc ici invoquer l'expérience ?
Â-t-on fait quelque tentative pour exécuter vos décrets ? A-t-on employé
un seul moyen pour applanir les difficultés qui pouvoient se rencontrei
dans leur exécution ? A-t-on exigé l'obéissance comme on devait le
faire ? A-t-on manifesté que l'on vouloit réellement que ce décret fût
exécuté. Ce décret n'a pas même été envoyé ! Mais à la place des
libelles séditieux ont été envoyés, des manoeuvres coupables ont été
employées pour exciter la révolte. De tous les faits que l'on vous pré-
sente, ou que l'on auroit dû vous présenter, celui-là seul est vrai. Que
nos adversaires démentent cet écrit incendiaire envoyé du sein du Comité
colonial dans les colonies pour empêcher l'exécution de votre décret.
« M. Begouin. Quel est-il ? Je défie M. l'Opinant de le citer.
« M. Robespierre. La lettre de M. Gouy est-elle ausis une chi-
mère ?
« Une voix. M. Gouy n'est pas du Comité.
« M- Bégouin. Je demande que l'opinant cite l'écrit dont il parle,
sans quoi j'atteste qu'il est calomniateur. (Murmures).
« M. Gouy. Messieurs... {A l'ordre du jour).
« M. Robespierre. Peut-on dire qu'une loi est inexécutable, lors-
que ceux qui étoient chargés d'en faciliter l'exécution ne l'ont pas voulu,
lorsque ceux qui étoient intéressés à empêcher l'exécution, ont fait ce
qui étoit en leur pouvoir pour la traverser 7 Des intrigues sont-elles des
raisons péremptoires contre une loi sage, et faut-il que vous vous hâtiez
d'anéantir la vôtre pour conserver des intrigues ? Après tout, qu'y a-t-il
donc dans tous ces événemens que vous n'avez prévu, lorsque vous ren-
dîtes votre décret; alors on voulut vous épouvanter par des menaces;
alors on osa vous faire entendre qu'on provoqueroit l'insurrection des
blancs contre votre autorité; vous sentîtes que vous ne deviez point
céder à ces lâches terreurs, vous eûtes la sagesse de ne point encourager
l'audace, et de dédaigner les pièges de l'intrigue; vous ne pensiez pas
que la volonté et les passions d'une classe quelconque osassent lutter
734 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
sérieusement contre la fermeté de l'assemblée nationale, armée de la
justice, et contre la puissance de la nation françoise. Abjurerez-vous
aujourd'hui, ces grands principes, pour ne montrer que légèreté, fai-
blesse, inconséquence ? Oublierez- vous que c'est la foiblesse et la lâcheté
qui perdent les gouvernemens et les états, et que c'est le courage et la
constance qui les conservent } Eh ! quels sont donc ces faits effrayans
qui doivent vous ôter toute votre présence d'esprit ? Analysez-les avec
attention. Mais d'abord, jusqu'à quel point faut-il y croire ? n'est-ce
pas une chose étonnante que lorsqu'on délibère sur un objet aussi
important, aussi intimement lié et à la prospérité nationale, et à la
gloire des représentans de la nation, on ne se donne pas seule-
ment la peine d'examiner les faits dont on parle si souvent sans en
prouver aucun, et dont personne ne s'est donné la peine d'apprécier,
ni la nature, ni les circonstances, ni les auteurs? Qui sont ceux qui les
ont produits ? qui sont ceux qui les attestent ? ne sont-ce pas les parties
intéressées ? ne sont-ce pas ceux qui, après avoir extraordinairement
redouté le décret avant qu'il fût porté, n'ont cessé depuis de la calom-
nier et de l'enfreindre ? ne sont-ce pas ceux qui, après vous avoir pré-
dit de sinistres événemens, se seraient appliqués à les faire naître, et qui
voudraient ensuite les supposer ou les exagérer, (applaudissemens des
tribunes).
« Ah! messieurs, donnez-vous au moins le tems d'examiner; on a
bien pris le tems nécessaire pour préparer, pour recueillir ces adresses
présentées dans le moment qui a paru le plus convenable Qu'il nous
soit au moins permis aussi de recueillir tous les faits qui les démentent,
et de nous munir de toutes les preuves que le hasard et l'amoui de
l'humanité peuvent avoir jettées au milieu de nous. Défions-nous au
moins du tumulte et des cabales qui ont trop souvent présidé à nos déli-
bérations sur cet important objet (applaudi des tribunes). Opposez aux
adresses de plusieurs chambres de commerce les pétitions des citoyens
moins intéressés des mêmes villes, qui en prouvent toute l'exagération
et même quelque chose de plus, telles que celles des citoyens de
Rennes, de Brest, de Bordeaux. L'arrêté du département de cette
dernière ville, vous instruit de ce que l'intrigue peut faire pour
opprimer la liberté et la justice. Faites-vous représenter toutes ces let-
tres qui prouvent que la situation des colonies ne présente rien qui
puisse faire craindre une résistance décidée à l'exécution du décret,
quand l'autorité de la nation a parlé; ou plutôt rédu'sez à leur juste
valeur les faits même que nos adversaires vous attestent. Alors, loin
d'être effrayés, vous verrez que tout se réduit à des signes de mécon-
tentement plus ou moins prononcés par une partie des citoyens " de
quelques parties de nos colonies.
« Certes, il n'étoit pas difficile de prévoir qu'une loi qui blessoit
l'égoïsme d'une classe de colons, occasionnerait des mécontentemens et
vous l'aviez prévu au mois de mai dernier. Il n'est pas plus difficile de
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 735
concevoir que les chefs d'une insurrection apparente aient tenu des
propos séditieux et insensés, qu'ils aient affecté même de les tenir, pour
fournir aux chefs de leur faction en Europe un prétexte de faire craindre
la chimérique scission des colonies; mais, en vérité aux yeux des hom-
mes raisonnables, n'y a-t-il pas une distance infinie entre !e mécontente-
ment entre les menaces de quelques mal-intentionnés, et le dessein for-
mé de lever l'étendard de la révolte contre la nation, de briser violem-
ment les liens de l'habitude, de l'honneur, du devoir, et sur-tout de
l'intérêt, seul lien durable qui les attache à nous. Aussi, fixez votre
attention sur toutes les pièces relatives aux colonies, qui ne paraissent
point avoir été fabriquées par l'esprit de parti; vous y verrez qu'au
milieu de quelques insurrections partielles, la disposition générale des
esprits est d'obéir à la loi, si la soumission est exigée avec fermeté;
vous verrez que les colons blancs eux-mêmes vous avertissent des
pièges que l'on vous tend en Europe, et qu'ils vous conjurent de
déployer la fermeté qui vous convient, en vous donnant la garantie que
la résistance de l'orgueil, de l'intérêt particulier céderont à l'intérêt
général et à la justice.
« Je sais que l'on peut étayer le système contraire de plusieurs
adresses imposantes au premier coup d'œil, parce qu'elles sont sous-
crites par des commerçants de plusieurs classes, et que l'on prétend vous
présenter par là le vœu du commerce, pour la loi que vous devez
rendre.
« Mais on a voulu vous déterminer à consulter ce qu'on appelle
le corps du commerce, pour rendre votre décret. Avant de vous dire
quelles sont ces adresses en elles-mêmes, qu'il me soit permis de rap-
peller quelques principes simples, et l'on verra que non seulement le
vœu des cornmerçans n'est pas toujours le vœu du commerce; mais
qu'il est absurde de vouloir donner à une profession une influence spé-
ciale sur des lois d'un intérêt général; que les lois qui doivent fixer le
sort des habitans de nos colonies offraient aux représentant de la nation
réunis en assemblée nationale constituante, d'autres rapports que ceux
des intérêts mercantilles ; que le vœu général; que l'opinion publique,
que les principes régénérateurs du gouvernement fort, sont des règles
plus sûres que les préjugés ou l'intérêt particulier, qui peuvent coaliser
un certain nombre de négocians avec un certain nombre de colons;
que les moyens par lesquels une partie peut obtenir un nombre de signa-
tures plus ou moins nombreuses. Eh ! que sont-elles donc ces adresses,
si ce n'est le fruit de l'intrigue ? Voyez comment la plupart sont dictées
par le même esprit, formées en quelque sorte sur le même modèle qu'elles
présentent avec des diatribes violentes contre votre décret, des décla-
mations rebattues, contre la philosophie et les philosophes; contre la
justice, contre l'humanité et des éloges pompeux à tous ceux qui
mettent en avant le bien public avec les principes de la liberté ;
la justice à être injuste, l'humanité à n'avoir ni l'humanité ni philosophie.
736 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
« Daignez peser les considérations dignes de toute votre attention
à laquelle elles n'ont pourtant pas été portées. Daignez encore jette» un
regard en arrière sur l'objet de toutes les délibérations, sur l'objet
important qui nous occupe. Qu'il me soit permis de vous dire, quelque
haine qu'il puisse exister contre moi, le courage gratuit oue j'ai montré
à défendre la justice, l'humanité et les intérêts sacrés d'une partie des
citoyens que nous devons protéger en Amérique, puisque nous nous occu-
pons de leur sort, ne m'abandonnera pas; qu'il me soit permis de remet-
tre sous vos yeux quel spectacle nous a présenté l'affaire des colonies
depuis qu'il en a été question parmi nous. Rappelez-vous les disposi-
tions particulières toujours présentées à l'improviste. Jamais aucun plan
général qui vous permit d'embrasser d'un coup d'ceil et le but où l'on
vouloit vous conduire et les chemins par lesquels on vouloit vous faire
parvenir. Rappelez-vous toutes ces délibérations, où après avoir rem-
porté l'avantage auquel on semblait d'abord borner tous ses vœux, on
s'en faisoit un titre, pour en obtenir de nouveaux; où en vous conduisant
toujours de récits en récits, d'épisodes en épisodes, de terreurs en
terreurs, on gagnoit toujours quelque chose sur vos principes et sur
l'intérêt national, jusqu'à ce qu'enfin échouant contre un écueil, on s'est
bien promis de réparer son naufrage.
« Depuis ce moment, après avoir pris toutes les mesures analogues
à ce grand événement, après que l'on a cru pouvoir compter sur la majo-
rité de l'assemblée nationale, on vous demande tout d'un coup ce dont
on n'a pas même annoncé la prétention dans ces tems où yous avez com-
mencé à délibérer sur vos colonies. Daignez, et je le répète, daignez
consjdérer sans partialité, sans prévention et sans esprit de parti toutes
ces considérations majeures qui doivent nécessairement influer sur notre
gloire, sur votre intérêt, sur l'intérêt de la nation. Qu'il me soit permis
de vous dire encore que vous ne vous trouvez pas dans des circonstances
favorables pour prononcer avec le plus profond examen un décret sur
cette matière. Qu'il me soit permis de vous le dire : ne vous défiant
point avec raison des principes et du caractère des membres de votre
comité, colonial, mais vous défiant en général de la force avec laquelle
d'anciens préjugés et des intérêts puissans attachent ces hommes à
une opinion adoptée, vous avez douté quelque tems si le comité colonial
remplissoit avec assez d'ardeur la mission que votre confiance lui avoit
accordée, s'il fesoit tout ce qu'il étoit en lui pour faciliter l'exécution de
votre décret; que vous avez craint l'influence de toutes ces causes sur
toutes les mesures qu'il pouvoit proposer; que vous l'avez craint 'elle-
ment que vous lui avez adjoint des membres qui étoient étrangers aux
mêmes préjugés, aux mêmes habitudes et aux mêmes intérêts..
« Rappeliez- vous que ces membres sont d'un avis absolument
opposé à celui des anciens membres; que ceux-ci n'ont jamais pu conver-
tir les autres, ni par la terreur, ni par la raison. Eh ! cependant, mes-
sieurs, quels sont ceux qui persistent à vos yeux dans cette affaire si
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 737
grande et si compliquée ? Quels sont ceux sur la foi desquels vous
croyez à l'authenticité des pièces qui annoncent des faits arrivés à deux
mille lieues ? Quels sont ceux dont vous semblez disposés à adopter
le projet dans ce même moment ? Ce sont précisément ces mêmes hom-
mes très-estimables, que des préjugés impérieux attachent à une opinion
rejettée solemnellement après le plus mûr examen, opinion qu'on vous
propose derechef. Je le répète, il y a de quoi fixer votre attention
sur une affaire aussi importante. Je réclame ici l'intérêt national. J'espère
que les membres de cette assemblée, versés particulièrement dans la
science du commerce, n'auront pas de peine à démentir la théorie légère
et hasardée qui vous a été présentée par le comité colonial; mais je
réclame l'intérêt national qui n'est point étranger aux principes de justice
et de liberté sur lesquels vous avez fondé votre constitution. Je réclame
cet intérêt sacré de la justice et de l'humanité que jamais on ne par-
viendra à ridiculiser, ni dans cette assemblée ni ailleurs, dont la
destinée est de triompher toujours du machiavélisme et de l'intrigue, je
le réclame, et ne le réclamerai pas sans succès.
« Mais, messieurs, je ne puis me dispenser de répondre à une
certaine observation que l'on vous a présentée, pour affaiblir l'intérêt
dés hommes libres de couleur. Remarquez qu'il n'est pas question de
leur accorder leurs droits, remarquez qu'il n'est pas question de les
leur reconnoître, remarquez qu'il est question de les leur arracher, après
que vous les leur avez reconnus. Et quel est l'homme qui, avec quelque
sentiment de justice, puisse se porter légèrement à dire à plusieurs
milliers d'hommes; nous avions reconnu que vous aviez des droits, nous
vous avons regardés comme citoyens actifs ; mais nous allons vous
replonger dans la misère et dans l'avilissement; nous allons vous remet-
tre aux pieds de ces maîtres impérieux dont nous vous avions aidés
à secouer le joug ? (Applaudi au fond à gauche). Mais, vous a-t-on
dit, il n'est question ici que de très peu de chose, que d'une mince
importance pour ces hommes de couleur; il n'est question que des droits
politiques, nous leur laissons les droits civils.
« Mais qu'est-ce donc, sur-tout dans les colonies, que les
droits civils qu'on leur laisse, sans les droits politiques? Qu'est-ce
qu'un homme privé des droits de citoyen actif dans les colonies,
sous la domination des blancs ? C'est un homme qui ne peut
délibérer en aucune manière, qui ne peut influer ni directement,
ni indirectement sur les intérêts les plus touchans, les plus sacrés de la
société, dont il fait partie; c'est un homme qui est gouverné par des
magistrats au choix desquels il ne peut concourir en aucune manière,
par des loix, par des réglemens, par des actes d'administration pesant
sans cesse sur lui, sans avoir usé du droit qui appartient à tout citoyen
d'influer pour sa part dans les conventions sociales, en ce qui concerne
son intérêt particulier. C'est un homme avili, dont^la destinée est aban-
donnée aux caprices, aux passions, aux intérêts d'une caste supérieure.
738 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Voilà les biens auxquels on attache une médiocre importance ! Que
l'on pense ainsi lorsqu'on regarde la liberté, le bien le plus sacré de
l'homme, le souverain bien de tout homme qui n'est point abruti; que
l'on pense ainsi, lorsqu'on regarde la liberté comme le superflu dont
le peuple français peut se passer, pourvu que l'on lui laisse la tran-
quillité et du pain; que l'on raisonne ainsi avec de tels principes je ne
m'en étonne pas. Mais moi, dont la liberté sera l'idole, moi qui ne
connois ni bonheur, ni prospérité, ni moralité pour les hommes, ni pour
\zs nations sans liberté; je déclare que j'abhorre de pareils systèmes,
et que je réclame votre justice, l'humanité, la justice et l'intérêt
national en faveur des hommes libres de couleur. (Applaudi), ù
Mercure universel, t. VII, p. 396-397.
« M. Robespierre. Ce que vient de dire M. Barnave, confirme ce
que je viens d'avancer; quant on voulut obtenir de vous ce décret du
12 octobre, on vous dit que c'étoit pour tranquilliser les Colons blancs
sur leurs propriétés; ils craignoient, vous disoit-on, que l'on ne décrétât
la liberté des esclaves! Les temps sont bien changés! C'est bien plutôt
les amis de la liberté qui ont droit de s'effrayer maintenant. On vous a
dit que votre décret ne pouvoit être exécuté ; mais a-t-on demandé
l'obéissance, a-t-on pris quelques mesures pour le faire exécuter ^ On
ne l'a pas même envoyé officiellement, mais on a envoyé des foules
de libelles, et sur-tout l'écrit incendiaire du comité colonial...
« Une voix. Quel est-il ?
« M. Robespierre. La lettre de M. de Gouy. (Des applaudisse-
mens et des cris).
« M. de Gouy. Cela ne regarde pas le comité colonial; cette
lettre n'est pas de moi : c'est un faussaire qui l'a signée, et je prou-
verai que c'est pour me calomnier.
« Une voix L'assemblée sait à quoi s'en tenir. (Tumulte).
« M. Robespierre. L'on n'a rien fait pour faire exécuter votre
décret, l'on a tout fait pour en empêcher l'exécution; mais lorsque vous
avez voulu porter de sages décrets, on vous a aussi menacé, on a voulu
vous effrayer; et ne savez-vous pas que la dissolution des empires tient
à la foiblesse des gouvernemens ? Mais qui sont ceux qui vous rappor-
tent de si singuliers faits? Ne sont-ce pas ceux qui y sont intéressés?
Ne sont-ce pas ceux qui vous ont prédit des malheurs, qui se sont tour-
mentés pour les faire naître, et qui viennent ici les exagérer ou les déna-
turer ? Eh, messieurs, prenons le temps de connoître les faits, on a bien
pris le temps de chercher à les dénaturer; on a bien pris le temps de
fabriquer des adresses mandiées à des hommes intéressés plus ou moins ?
Défions-nous de la cabale et de l'intrigue qui trop souvent ont présidé
à nos délibérations ! (Applaudissemens des tribunes).
« M. le président les rappelle à l'ordre.
« M. Robespierre. Faites'- vous présenter ces lettres vraies qui vous
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 739
disent : votre décret sera exécuté dès que vous le voudrez, ces lettres-là
ne vous sont pas lues. On prétend vous forcer pour l'intérêt du com-
merce; cependant non-seulement l'esprit du commerçant n'est pas tou-
jours celui du commerce : mais encore, considérez combien il est dange-
reux de donner de l'influence à une classe trop nombreuse ! iViais
qu'est-ce donc que ces adresses ? Ne sont-elles pas le fruit des intrigues
d'un parti ? Ne sont-elles pas toutes calquées sur le même modèle ? Ne
portent-elles pas toutes le même esprit ? (Applaudi des tribunes). Ne
mettent-elles pas toute leur justice à blâmer l'humanité, !a philosophie,
les lumières, la vérité ? (Tumulte).
« Je vous en supplie, rappeliez toutes considérations; sou venez- vous
de ce temps où l'on vous conduisoit de récit en r^cit, d'épisodes en épiso-
vous de ce temps où l'on vous conduisoit de récit, d'épisodes en épiso-
des, alors on n'osoit pas ce qu'on ose vous demander aujourd'hui. Qu'il
me soit permis de vous dire encore que vous ne vous trouvez pas dans
une circonstance favorable pour porter un décret sur ce sujet : .l'oubliez
pas que les nouveaux membres adjoints à votre comité colonial n'ont
jamais pu être convaincus, ni par la terreur, ni par la raison des opinions
des anciens membres de ce même comité; je réclame pour l'intérêt natio-
nal; j'espère que quelques membres renverseront cette théorie hasardée
de commerce que l'on vient de vous présenter; j'espère que la justice,
l'humanité, qui ne peuvent jamais être ridiculisées, ni dans cette assem-
blée, ni ailleurs, et dont le sort est de triompher du machiavélisme, ne
succomberont pas devant vous ! Mais quel est l'homme, ou qui sont ceux
qui peuvent dire à une autre classe d'hommes : je vous ai rendu les
droits de citoyen actif : je ne vous ai pas privé des droits politiques ;
mais je vais vous précipiter aux pieds de vos tyrans, de vos maîtres !
(Applaudissemens). Quant à moi, qui ne peux connoître de justice sans
liberté, je réclame l'exécution de votre décret; la justice, l'humanité,
l'intérêt national en faveur de.s hommes libres de couleur. (Vifs applau-
dissemens, des bravo). »
Le Courrier des LXXXUI départemens, n° 26, p. 410-414.
« M. Robespierre prend la parole.
[Suit un passage du Moniteur, depuis: « Lorsqu'on se présente... »
jusqu'à « ...de ceux que je combats. »]
« Cn vous a dit qu'à la paroisse de la Croix-des-Bouquets, les
nègres se sont soulevés: ce fait est faux, je le prouverai; et quoiqu'on
se fasse écrire des lettres, pour justifier de telles assertions, ces faits
ne seront jamais aussi prouvés que celui connu de tout le monde, et que
voici : c'est qu'aucune lettre des gens de couleur n'est venue depuis
■long-terris de la Colonie sans être décachetée. (Applaudi).
« Un de vous a donné des raisons de théorie, pour prouver que
vous alliez renverser la Colonie; on vous a dit que vous aviez promis
de laisser aux colons le droit de statuer sur les gens de couleur; les
740 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
colons, nous a-t-on dit, sont indignés que vous ayez violé la foi que
vous leur aviez donnée ! Mais dans quel décret avons-nous dit que nous
ne donnerions pas le droit de citoyen actif et éligible aux hommes
libres de couleur ? Est-ce dans le décret du 28 mars ? Eh bien, c'est
ce décret même que j'invoque. N'est-il pas vrai que par ces mots
toute personne, on n'entendit point parler des hommes libres ? On
demanda une explication, et ce même rapporteur répondit que cela ne
regardoit point les hommes de couleur. (Vifs applaudissemens).
« M. Bamave se lève, et d'un ton hagard... Cela n'est pas vrai,
s'écrie-t-il, cela n'est pas Vrai... « Je ne conçois pas comment on peut
nier ce fait, répond l'estimable évêque de Blois; c'est moi qui, le 28
mars, fis cette interpellation à M. Bamave, et il est de fait qu'il répon-
dit comme vient de le faire l'opinant lui-même ».
« Le rapporteur du comité répond d'une voix chancelante, n'ose
pas nier le fait, et cherche un subterfuge. M. Roberspierre continue son
discours :
[Suit un passage de Le Hodey, depuis : « M. Bamave donne
comme un des motifs... » jusqu'à « ...de s'en repentir. »]
« Cette idée sublime et pathétique provoque des applaudissemens
généraux. A ces marques d'approbation succède bientôt un tumulte dif-
ficile à décrire. L'opinant cite un grand nombre de libelles envoyés à
St. Domingue, notamment une lettre de M. Gouy, dénoncée par
M. Curt. A ces mots, les meneurs poussent de long murmures, et c'est
avec peine que l'orateur peut reprendre le fil de son discours (8).
[Suit un passage du Moniteur, depuis: « Peut -on dire qu'une
loi.. » jusqu'à « ...à l'exécution du décret. » ; // ajoute un passage
du Mercure universel, depuis: « Qu'il me soi^ permis de vous dire »
jusqu'à « ...en faveur des hommes libres de couleur (Vifs applaudisse-
mens, des bravo!). )>]
L'Ami du Roi (Royou), 26 septembre 1791, p. 2.
« M. Robespierre, qui a toujours l'air de croire que ces discus-
sions sont sérieuses, monte à la tribune, armé d'un mortel discours. Ses
raisons on les devine. Unité, égalité, ces deux mots disent tout. C'est
le texte dont on ne se soucie pas beaucoup de connoître le commen-
taire; mais les faits sont plus curieux. L'opinant commence par annon-
cer qu'il ne fait pas grand cas de quelques lettres qu'on a pu se faire
(8) Note du journal : « Lorsque la lettre de M. Gouy fût lue à
l'Assemblée Nationale, les Lameth, Barnave et compagnie s'éle-
vèrent avec force contre son auteur. L'assemblée de St. Marc peut
expliquer cette énigme. M. Gouy étoit lié a-stec tous ses membres.
M. Barnave et ses dignes commensaux étoient au contraire les enne-
mis jurés de cette assemblée, ils dévoient haïr oonséquemment
St. Gouy. L'intérêt. les avoit divisés, l'intérêt les a réunis. Cependant
ils ne s'aiment pas ; ils s'estiment encore moins, et tous se rendent
justice. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 741
écrire à son gré. Ces paroles sont remarquables dans la bouche d'un des
plus brûlans patriotes dont la révolution s'honore. Il a sûrement bien
tort de dédaigner ce moyen; c'est un de ceux qui ont été le plus utiles
à la destruction de la monarchie, et qui ont le plus contribué à per-
suader aux sots que cette destruction étoit le vœu général. Mais quels
sont donc, dit l'orateur, ces faits préparés, présentés avec véhémence
pour exciter des allarmes ? Comment l'expérience a-t-elle démontré
l'impossibilité de l'exécution du décret du 15 mai? A-t-on employé un
seul moyen pour aplanir les difficultés qui pouvoient s'y rencontrer?
A-t-on manifesté qu'on vouloit véritablement l'exécution de ce décret?
Il n'a pas même été envoyé; mais, à sa place, des libelles séditieux.
Que nos adversaires démentent les coupables manœuvres de cet écrit
incendiaire envoyé du sein du comité colonial dans les colonies pour
empêcher l'exécution du décret. Citez l'écrit, a dit M. Begouin, sans
quoi j'atteste que vous êtes un calomniateur. M. Robespierre demande
si la lettre de M. de Gouy est aussi une chimère. Il n'est pas du comité,
a-t-on dit. M. de Gouy : elle n'est pas de moi : elle est d'un faussaire
qui y a mis mon nom, c'est une atrocité de mes ennemis. Le silence
de M. Robespierre est un aveu tacite de sa calomnie. Il n'est pas
heureux : aucune ne lui réussit. Il n'en poursuit pas moins son opinion.
Il ne veut pas qu'on ait aucun égard aux adresses. Eh! que sont-elles
donc ces adresses, si ce nest le fruit de l'intrigue? Oui, celles des
clubs, de cet amas de pooulace qui déliroit sur la constitution, qui
l'appelloit divine tandis qu'elle ne saura jamais ce que c'est qu'une
constitution, de telles adresses étoient sans contredit le résultat immédiat
de la plus basse intrigue. Mais celles du commerce, allarmé de la pro-
chaine destruction des colomes, sont le fruit d'une sage prévoyance,
d'un grand et légitime intérêt. L'orateur objecte que la plupart sont
dictées par le même esprit; c'est ce qui leur donne plus de poids. Il
observe avec plus de iustesse, en apparence, ou'on ne doit pas donner
à une profession une spéciale influence sur des loix d'un intérêt général;
mais on peut lui répondre d'abord, qu'il est juste d'écouter ceux qui
ont intérêt à la chose, s'il ne l'est pas de s'asservir toujours à 'eur opi-
nion intéressée. Ensuite que nos rapports avec les colonies étant princi-
palement commerciaux, c'est une ra'son de plus d'avoir éorard aux
représentations du commerce; enfin oue l'intérêt de la souveraineté sur
les colonies, d'accord avec ceux du commerce, exige au'on v main-
tienne ou plutôt ou'on y rétablisse la tranquillité que !e décret a si
essentiellement altérée. »
Le Patriote François, 1791, n° 777, p. 368.
« M. Robespierre, dans un discours étendu, plein de force et de
logique, a pulvérisé les paralogismes du rhéteur-soohiste Barnave Nous
sommes fâchés de ne pouvoir entrer dans tous les développemens de
cette opinion, où la questoin principale et toutes les questions accès-
742 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
soires se trouvent traitées à fonds. Nous nous contenterons de rapporter
la réponse énergique et précise que fait M. Robespierre à ceux qui
soutiennent que le décret du 15 mai n'est pas exécutable. Quels sont
donc, dit-il, les faits qu'on allègue? Par quels moyens l'expérience
nous a-t-elle démontré que votre décret ne pouvoit être exécuté ? Qui
oseroit donc ici invoquer l'expérience ? A-t-on fait quelques tentatives
pour exécuter ce décret ? A-t-on employé un seul moyen pour applanir
les difficultés qui pouvoient se rencontrer dans son exécution ? A-t-on
exigé l'obéissance comme on devoit le faire ? A-t-on manifesté que
l'on vouloit réellement que le décret fût exécuté ? Il n'a pas même été
envoyé! Au lieu du décret, on a envoyé des libelles séditieux; au lieu
des mesures d'exécution, on a employé les manœuvres les plus coupables
pour exciter à la révolte ! De tous les faits que l'on vous présente, ou
qu'on auro;t dû vous présenter, celui-là seul est vrai.
« Le discours de M. Robespierre valoit bien la peine d'être réfuté,
mais il falloit des raisons, ou, au défaut de raisons, un grand attirail
de mensonges et de sophismes. »
Révolutions de France et de Brabant, n° 95, p. 15-17.
« Robespierre répondit victorieusement à cette assertion, et le petit
vampire Barnave fut écrasé avec la massue de cet autre Hercule ; mais
le parti étoit pris, ainsi la raison et la vérité ont en vain élevé la voix,
elles n'ont point été entendues; le mensonge seul a été honoré de la
faveur qu'on leur devoit. Mais revenons à la réponse de Robespierre :
« Quels sont donc, dit-il, les faits qu'on allègue ? Par quels moyens
l'expérience nous a-t-elle démontré que votre décret ne pouvoit être
exécuté ? Qui oseroit donc ici invoquer l'expérience ? A-t-on fait quel-
ques tentatives pour exécuter ce décret ? A-t-on employé un seul moyen
pour applanir les difficultés qui pouvoient se rencontrer dans son exécu-
tion ? A-t-on exigé l'obéissance comme on devoit le faire? A.-t-on
manifesté que l'on vouloit réellement que le décret fût exécuté ? Il n'a
pas même été envoyé ! Au lieu du décret on a envoyé des libelles
séditieux; au lieu des mesures d'exécution, on a employé les manœu-
vres les plus coupables pour exciter à la révolte ! De tous les faits que
l'on vous présente, ou qu'on auroit dû vous présenter, celui-là seul est
vrai ». Il n'y avoit rien à répondre à tout cela, si ce n'est des men-
songes et des sophismes, armes ordinaires des intrigans; mais comme
tout cela demandoit du temps, et qu'on étoit pressé de conclure, on fit
faire par Regnault de Saint-Jean-d'Angely, la motion de prononcer
sans désemparer et ce qui fut dit fut fait, à la grande joie des coquins. »
[Long résumé de ce discours dans Le Journal du Soir (des Frères
Chaignieau), t. III, n° 445, p. 1 ; Le Journal de Rouen, n° 268,
p. 1291 ; Le Journal de Paris, 25 septembre 1791, n. 1093: La Curette
nationale ou Extrait. .... t.XX, p.353; Le Postillon (Calais), t.XII, n°594,
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 743
p. 5; Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet), n° 781, p. 5; La
Gazette universelle, n° 268, p. 1071 ; Le Journal du Soir (Beaulieu),
n° 265, p. 5. Brève mention dans Le Point du Jour, t. XXVI, n° 810,
p. 471 ; Le Journal des Débats, n° 856, p. 6; Le Journal général,
p. 970; Le Journal général de France, n° 257, p. 1079; Le Journal de
la Cour et de la Ville, n° 25, p. 193; L'iArgus patriote, t. II, n° 31,
p. 1485; La Chronique de Paris, t. V, n° 267, p. 1082; Le Journal
de Louis XVI et de son peuple, t. V, n° 128, p. 291 ; La Gazette
de Berne, 1er octobre 1791; Les Annales patriotiques et littéra'res,
n° 696, p. 1880; Le Journal universel, t. XIV, p. 14375 et 14403;
La Feuille du Jour, t. VI, n° 269, p. 698; Le Pacquebot, n° 267]
361. — SEANCE DU 29 SEPTEMBRE 1791
SUR LES DROITS DES SOCIÉTÉS ET DES CLUBS
Le Chapelier, au nom de l'ancien comité de constitution, présente
à l'Assemblée un rapport sur les sociétés et les clubs, tendant à
limiter leur action politique. Robespierre demande la question
préalable sur le projet du comité. D'André le soutient au contraire.
'La discussion est fermée.
'L'Assemblée adopta les trois premiers articles du projet; elle
rejeta le quatrième qui prévoyait que le rapport de (Le Chapelier
serait publié comme instruction à la loi ainsi votée : elle se contenta
d'ordonner son impression. L'art. 1 privait de leurs droits civiques
pendant deux ans les citoyens qui auraient entraîné une société ou
un club à mander à sa barre un fonctionnaire ou un simple citoyen,
ou à entraver l'action d'une autorité légale. L'art. 2 stipulait la
même peine, mais pendant six mois seulement, contre ceux qui
auraient entraîné une société ov un club à agir en nom collectif, à
envoyer une députa/tion, ou tout simplement jà paraître sous les for-
mes de l'existence publique. L*art. 3 établissait des amendes contre
les citoyens passifs coupables de ces délits (1).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logograph., t. XXXV, p 42.
Gazette nationale ou le Moniteur universel, n° 275, p. 1149 (2)
« M. Robespierre. On propose à l'assemblée de décréter que ce
(<1) Cf. E. H&mel, I, 556; et G. Walter, p. 124.
(2) Ce journal ne publie que leb passages suivants :
1° Depuis « La Constitution garantit aux Français... » jus-
qu'à « ...ne consacrent pas ces vérités ».
2° Depuis « On a donné de grands éloges... » jusqu'à « ...l'instru-
ment qui nous a si bien servi ».
3° Depuis « Pour moi, quand je vois... » jusqu'à « ...la révolu-
tion soit finie ».
4° Depuis « Je sais "que... » jusqu'à « ...sur le projet du comité ».
Texte reproduit dans le Moniteur, X, 9-10; dans mxchez et Roux,
XI, 454-457.
744 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
rapport sera imprimé et distribué comme instruction (3). Cependant, il
renferme une ambiguïté et des expressions qui attaquent les principes
de la constitution. On a su parler le langage de la liberté et de la
constitution pour les anéantir, cacher des vues personnelles, des resren-
timens particuliers sous le prétexte du bien de l'intérêt public et de la
justice. (Applaudi des tribunes).
« Plusieurs voix. A Tordre.
« M. Robespierre. C'est un art qui n'est pas étranger aux révolu-
tions et que nous avons vu déployer assez souvent dans la nôtre pour
avoir su l'apprécier. Pour moi, je l'avoue, si jamais j'ai senti la joie
de toucher au terme de notre carrière, c'est au moment où j'ai vu en
donner ce dernier exemple. J'aurois pensé que la veille du jour où la
législature nouvelle va nous remplacer, nous pouvions nous reposer à la
fois et sur les lumières et sur le zèle de nos successeurs, qui, arrivant
des départemens, sont à portée d'apprécier les faits dont on vous parle
et de savoir ce que les sociétés des amis de la constitution ont été et
sont encore, et si elles doivent être plus utiles que nuisibles à la consti-
tution et à la liberté : il me semble, dis-je, que nous aurions pu nous
reposer sur leur zèle et sur leurs lumières, du soin de prendre le parti
le plus convenable.
« Je me rappelle avec confiance, et c'est une chose qui me rassure
contre la manière dont on veut terminer notre session, je me rappelle
avec confiance, que c'est du sein de ces sociétés que sont sorti? un
très grand nombre de ceux oui vont occuper nos places. (Applaudisse-
mens des tribunes et au fond de la gauche), le sais ou'iîs sont l'espoir
de la nation françoise, et oue c'est à eux qu'elle semble recommander
le soin de défendre la liberté contre les progrès d'un système machiavé-
lique qui la menace d'une ruine prochaine (applaudissemens des tribunes).
(3) Ce rapport revêtait une gravité exceptionnelle orne les jour-
naux patriotes s'Vnalèrent aussitôt, tel « iL'Ami des Citoyens »
(n° 2. p. 18) oui écrit à ce sujet : « Ils m'avoient cependant pu par-
venir à leur but, celui de dissoudre ces sociétés. Le comité de consti-
tution de l'assemblée nationale se chargea de ce soin, et dans l'avant-
dernière séance du coros constituant, il proposa un décret, oui,
isolé du rapport o<ui l'avoit ■nvAcédé. étoit insignifiant ; mais par une
ruse perfide, il nronosoit de décréter ce rapport comme instruction ;
ce qui auroit consacré les dispositions on''l contenait. TMle étoit
l'interdiction de la cowpgnondance. de l'affiliation, de l'impression
des débats, et d° la nnbîieîté ^°s séances. Mais MM. Péthion, Buzot,
Robespierre et "Rvedsrer ont fait avorter le oomnlot ».
On lit de même. d,ans les "Annales patriotiomes et littéraires
(2 octobre 1791. p. 2020"* : « Le proiet de décret, isolé des instructions,
étoit insignifiant ; combiné avec les instructions, il étoit perfide... de
sorte cme <*-e décro+ n'a voit été imaginé que oour faire passer l'ins-
truction, c^nsp très-tv'zzare sans doute., e-t insou'ici sans exemple:
mais MM. P/**on, Tmzot. TRobesoierre et Rœderer, en découvrant
la mèche, ont fait avorter le complet. L'instruction a été écartée. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 745
« M. Bamave. M. le président, imposez donc silence aux tri-
mes.
bun
« M. Robespierre. Ce sont eux qui seront chargés de défendre
les droits de la nation contre les artifices de ces hommes faux, qui ne
parlent de la liberté avec éloge que pour l'opprimer avec impunité
(applaudissemens des tribunes), que pour la poignarder plus à leur aise.
C'est encore le choix de ces législateurs, de ces vrais représentans du
peuple, qui me rassure contre le décret proposé aujourd'hui, quel qu'en
puisse être le succès.
« J'aborde la question plus directement: je vais comparer le projet
de décret et l'instruction avec les principes de la constitution-
« La constitution garantit aux François le droit de s'assembler
paisiblement et sans armes : la constitution garantit aux François la com-
munication libre des pensées, toutes les fois qu'on ne fait point de tort
à autrui. D'après ces principes, je demande comment on ose vous dire
que la correspondance d'une réunion d'hommes paisibles et sans armes,
avec d'autres assemblées de la même nature, peut être proscrite par les
principes de la constitution ? Si les assemblées d'hommes sans armes
sont légitimes, si la communication des pensées est consacrée par la
constitution, comment osera-t-on me soutenir qu'il soit défendu à ces
sociétés de correspondre entre elles ? N'est-il pas évident que c'est
celui qui a attaqué ces principes, qui les viole de la manière la plus
ouverte, et qu'on ne les met aujourd'hui en avant que pour pallier ce
qu'il y a d'odieux dans l'attentat qu'on veut se permettre contre la
liberté ? Comment et de quel front enverrez-vous dans les départemens
une instruction par laquelle vous prétendez persuader aux citoyens,
qu'il n'est pas permis aux sociétés des amis de la constitution d'avoir
des correspondances, d'avoir des affiliations ? Qu'y a-t-il donc d'in-
constitutionnel dans une affiliation ? L'affiliation n'est autre chose que
la relation d'une société légitime avec une autre société légitime, par
laquelle elles conviennent de correspondre entre elles sur les objets de
l'intérêt public. Comment y a-t-il là quelque chose d'inconstitutionnel?
Ou plutôt, qu'on me prouve que les principes de la constitut'on que
j'ai développés ne consacrent pas ces vérités.
« M. le rapporteur. Je demande à répondre à M. Robespierre qui
ne sait pas.
« M. Lavie. Ce sont des déclamations divagantes.
« M. Prieur. Et moi je demande à répondre à l'instruction quand
nous la connoitrons. (Applaudi des tribunes).
« M. Rœderer. Le renvoi à la prochaine législature. On ne doit
pas plus gêner la liberté des clubs que celle des biribis.
« M. Robespierre. On a donné de grands éloges aux sociétés des
amis de la constitution : c'étoit à la vérité pour acquérir le droit d'en
dire beaucoup de mal et d'alléguer, d'une manière très vague, des faits
qui ne sont point du tout prouvés, et qui sont absolument calomnieux.
746 LES piscours pe Robespierre;
Mais, n'importe : on en a dit au moins le bien qu'on ne pouvoit pas
méconnoître. Eh bien! il n'est autre chose que l'aveu des services
rendus à la liberté et à la nation depuis le commencement de la révo-
lution; il me semble que cette considération seule auroit pu dispenser
le comité de constitution de se hâter sitôt de mettre des entraves à des
sociétés qui, de son aveu, ont été si utiles. Mais, dit le rapporteur,
nous n'avons plus besoin de ces sociétés, car la révolution est finie. Il
est tems de briser l'instrument qui nous a si bien servi. (Applaudi des
tribunes).
« M. le président (4). A l'ordre aux tribunes: elles ne doivent
pas troubler à chaque instant la délibération.
« M. Robespierre. La révolution est finie; je veux bien le suppo-
ser avec vous, quoique je ne comprenne pas bien le sens que vous atta-
chez à cette proposition, que j'ai entendu répéter avec beaucoup d'affec-
tation; mais, dans cette hypothèse, est-il -moins nécessaire de propager
les connoissances, les principes de la constitution et de l'esprit public,
sans lequel la constitution ne peut subsister ? Est-il moins utile de former
des assemblées où les citoyens puissent s'occuper, en commun, de la
manière la plus efficace de ces objets, des intérêts les plus chers de
leur patrie ? Est-il un soin plus légitime et plus digne d'un peuple
libre ? Pour qu'il soit vrai de dire que la révolution est finie, il faut que
la constitution soit affermie, puisque la chute et l'ébranlement de la
constitution doit nécessairement prolonger la révolution, qui n'est autre
chose que les efforts de la nation pour conserver ou pour conquérir la
liberté. Or, comment peut-on proposer de rendre nul et sans influence
le plus puissant moyen de l'affermir, celui qui, de l'aveu du rapporteur
lui-même, a été généralement reconnu nécessaire jusqu'ici.
a Mais d'où vient donc cet étrange empressement d'ôter tous les
étais qui appuient un édifice encore mal affermi. Quel est ce système
de vouloir plonger la nation dans une profonde inertie sur les plus sacrés
de tous ses intérêts, de vouloir interdire aux citoyens toute espèce d'in-
quiétudes, lorsque tout annonce qu'on peut encore en avoir sans être
insensés; de leur faire un crime de la surveillance que la raison impose
aux peuples mêmes qui jouissent, depuis des siècles, de la liberté ?
« Pour moi, quand je vois d'un côté que la constitution naissante
a encore des ennemis intérieurs et extérieurs, quand je vois que les dis-
cours et les signes extérieurs sont changés, mais que les actions sont
toujours les mêmes, et que les cœurs ne peuvent avoir été changés que
par un miracle; quand je vois l'intrigue, la fausseté donner en même
tems l'alarme, semer les troubles et la discorde, lorsque je vois les chefs
des factions opposées combattre moins pour la cause de la révolution
que pour envahir le pouvoir de dominer sous le nom de monarque ; lorsque
d'un autre côté je vois le zèle exagéré avec lequel ils prescrivent l'obéis-
(4) C'est Thouret.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 747
sance aveugle, en même tems qu'ils proscrivent jusqu'au mot de liberté;
que je vois les moyens extraordinaires qu'ils emploient pour tuer l'esprit
public, en ressuscitant les préjugés, la légèreté, l'idolâtrie, loin de
condamner l'esprit d'ivresse qui anime ceux qui m'entourent, je n'y vois
que l'esprit de vertige qui propage l'esclavage des nations et le despo-
tisme des tyrans. (Applaudi des tribunes). Si ceux qui partagent les
sollicitudes des législateurs sont regardés comme des hommes dange-
reux; si je ne suis pas convaincu que ceux qui pensent ainsi sont des
insensés, des imbéciles, une raison me force à les regarder comme
des perfides. S'il faut que je cesse de réclamer contre les projets des
ennemis de la patrie, s'il faut que j'applaudisse à la ruine de mon
pays : ordonnez-moi ce que vous voudrez, faites-moi périr avant la perte
de la liberté (applaudissemens et murmures) : aussi bien il restera en
France des hommes assez sincèrement amis de la liberté, assez clair-
voyants pour appercevoir tous les pièges que l'on nous tend de toutes
parts, pour empêcher les traîtres de jouir jamais du fruit de leurs travaux.
« Je sais que pour préparer le succès des projets que l'on offre
aujourd'hui à votre délibération, on a eu soin de prodiguer les critiques,
les sophismes, les calomnies et tous les petits moyens employés par de
petits hommes qui sont à la fois l'opprobre et le fléau des révolutions.
(Applaudi des tribunes : on rit au centre). Je sais qu'ils ont rallié à leurs
opinions tout ce qu'il y a en France de méchans et de sots (on rit). Je
sais que ces sortes de projets plaisent beaucoup à tous les hommes inté-
ressés ' à prévariquer impunément ; car tout homme qui peut être cor-
rompu, craint la surveillance des citoyens instruits, comme les brigands
redoutent la lumière qui éclaire leurs forfaits. Il n'y a que la vertu
qui puisse [déjouer] cette espèce de conspiration contre les sociétés
patriotiques. Détruisez-les, et vous aurez ôté à la corruption le frein le
plus puissant, vous aurez renversé le dernier obstacle qui s'opposoït à
ces sinistres projets; car les conspirateurs, les intriguans, les ambitieux,
sauront bien s'assembler, sauront bien éluder la loi qu'ils auront fait
rendre ; ils sauront bien se rallier sous les auspices du despotisme pour
régner sous son nom, et ils seront affranchis des sociétés d'hommes libres
qui se rassemblent paisiblement et publiquement sous des titres com-
muns, parce qu'il est nécessaire d'opposer l'a surveillance des honnêtes
gens aux forces des intrigans ambitieux et corrompus. Alors ils pour-
ront déchirer la patrie impunément pour élever leur ambition person-
nelle sur les ruines de la nation. Messieurs, si les circonstances passées
pouvoient maintenant se retracer d'une manière nette à votre esprit,
vous vous souviendriez que ces sociétés étoient composées des hommes
les plus recommandables par leurs talens, par leur zèle pour la liberté
qu'ils ont conquise; que dans leur sein ils se réunissoien^ pour se pré-
parer d'avance à combattre dans cette assemblée même la ligue des
ennemis de la révolution, pour apprendre à démêler les pièges que les
intrigans n'ont cessé de nous tendre jusqu'à ce moment. Si vous vous
748 LE5 PJSÇOIJRS m ROBESPIERRE
rappeliez toutes ces circonstances, vous verriez avec autant de surprise
que de douleur que ce décret est provoqué peut-être par l'injure person-
nelle qu'on a fait à certaines personnes qui avoient acquis une trop
grande influence dans l'opinion publique qui les repousse maintenant.
« Est-ce donc un si grand malheur que, dans les circonstances où
nous sommes, l'opinion publique, l'esprit public se développent aux
dépens même de la réputation de quelques hommes qui, après avoir
servi la cause de la patrie en apparence, ne l'ont trahie qu'avec plus
d'audace ? (Applaudi des tribunes : murmures).
« Je sais tout ce que ma franchise a de dur; mais c'est la seule
consolation qui puisse rester aux bons citoyens dans le danger où ces
hommes ont mis la chose publique, de les juger d'une manière sévère.
« On vous a représenté les sociétés patriotiques comme ayant usurpé
la puissance publique, tandis que jamais elles n'ont eu la ridicule pré-
tention de toucher aux autorités constituées, tandis qu'elles n'ont jamais
eu d'autre but que d'instruire, que d'éclairer leurs concitoyens sur les
vrais principes de la constitution, et de répandre les lumières sans les-
quelles elle ne peut subsister. Si quelques sociétés se sont écartées des
règles prescrites par les loix : eh bien ! les loix sont là pour réprimer ces
écarts particuliers; mais veut -on induire de quelcwes faits isolés dont on
n'a point apporté la preuve, la conséquence ou'il faille détruire, para-
lyser, anéantir entièrement une institution utile en elle-même, néces-
saire au maintien de la constitution, et oui. de l'aveu même de ses
ennemis a rendu des services essentiels à la liberté ? S'il est un spec-
tacle hideux, c'est celui où l'assemblée représentative sacrifierait aux
intérêts de quelaues individus dévorés de passions et ambitieux, la
sûreté de la constitution.
« ïe me borne à demander la question préalable sur !e proiet
du comité, et je laisse à ceux oui veulent combattre mon opinion le soin
de me réfuter oar les plaisanteries si ingénieuses, et par cet art machia-
véliste...; (applaudi au fond du côté gauche et des tribunes) » (5).
Mercure universel, 1er octobre 1791, p. 485-488.
« M. Robespierre. J'ai demandé la parole contre le projet du
comité. Je vais prouver que quoique l'instruction que l'on vient de vous
lire et qui précède le décret, ne paroisse pas directement attaquer les
principes de la constitution, elle en soutient comolettement le germe
destructif. (Les tribunes applaudissent, des députés de la droite et même
de la gauche font entendre des huées). L'on ne vous dit pas cme sous
le masque des principes, on s'efforce de cacher des vues et des ven-
gances personnelles, sous les apparences du bien public (applaudi) :
c'est un acte qui n'est pas étranger aux révolutions que celui des haines
et de l'intrigue; et si jamais j'ai senti le besoin de nous retirer de la
(5) Tfixte reproduit dans les Arch. pari., XXXI, 619-621.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 749
carrière publique, je puis le dire, c'est en ce moment: mais ce qui me
console, c'est que c'est en présence des députés des départemens, de
nos successeurs, que ces manœuvres se font appercevoir; comme si eux-
mêmes qui sont appelles de tous les points de l'empire, ne savent pas
mieux que nous si ces sociétés patriotiques sont utiles ou nuisibles ? Je
croyois que nous pouvions nous reposer sur leurs lumières de ce soin,
et je me rappelle avec confiance qu'un très-grand nombre de ceux qui
nous remplacent sont partis de ces sociétés. (Très-app).audi des tri-
bunes; le président les rappelle à l'ordre). Loin d'appréhender que ces
sociétés puissent en rien nuire à la constitution, je pense au contraire
que c'est à ces sociétés que la confiance de la nation paroît avoir remis
le soin de la défendre contre ces perfidies machiavéliques et ces hom-
mes faux qui osent tout tenter pour la détruire. (Applaudissemens très-
vifs des tribunes; des députés s'en trouvent offensés, et les menacent).
« C'est encore sur nos successeurs que je me repose, pour repousser
le funeste décret que l'on vous propose, et je suis tranquille, quelle
qu'en soit l'issue. (Applaudi vivement; des cris de la part du parti qui
propose le décret). On n'a pas rougi de se servir des principes de la
constitution pour vous présenter ce projet de décret; je vais le comparer
avec les principes, je montrerai qu'il y est complettement opposé. Les
assemblées d'hommes paisibles et sans armes, sont autorisées par la
constitution; il est aussi permis à tous les hommes de se communiquer
librement leurs idées; comment ose-t-on maintenant, par cette nouvelle
instruction, vous dire vouloir vous faire décréter que des hommes pai-
sibles ne peuvent s'assembler ? Comment donc ces sociétés, lorsqu'il est
libre à tout homme de communiquer ses idées, lorsque c'est un droit
imprescriptible, comment donc ces sociétés ne pourroient-elles corres-
pondre entr-elles ? Comment ceux qui réclament le contraire ne violent-
ils pas ces principes ? Que l'on me prouve qu'il y ait là quelque chose
d'inconstitutionnel.
« M. Robespierre. On a donné de grands éloges aux sociétés des
amis de la constitution pour les accuser ensuite plus sûrement ; pour allé-
guer des faits, sinon controuvés, au moins très-vagues, et qui ne sont
nullement prouvés ! Mais, est-ce bien-là la récompense des grands ser-
vices qu'elles ont rendu ces sociétés ? Est-ce bien ainsi que des hommes
profondément pervers et souillés par principes, reconnoissent des services
imminens? (Très-applaudi). Mais, dit le rapporteur, nous pouvons briser
l'instrument qui ne nous est plus utile ! (Les tribunes applaudissent :
à l'ordre, crie le président). Mais, vous dit-on, la révolution est finie,
nous pouvons maintenant dormir sur la foi de nos ennemis; ils ont en
un moment, en un jour changé de sentimens et de principes; ainsi donc
il n'est plus utile aux citoyens de s'instruire ! Il n'est plus nécessaire
d'apprendre aux citoyens à s'éclairer des principes de la liberté ! Mais,
d'où vient donc cet empressement ? Et pourquoi vouloir interdire aux
750 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
citoyens le droit de craindre quand ils en ont trop de raison "> Pour-
quoi vouloir, dans un pays libre, ôter aux citoyens le droit de surveil-
lance ? Quand je vois les chefs des factions opposées se disputer l'au-
torité secrette pour régner sous le nom du monarque; quand je les vois
tuer l'esprit public, abhorer le nom de liberté, faire renaître les pré-
jugés; quand on me crie qu'il faut que je m'endorme; ou il faut que je
pense que ceux qui me parlent sont des stupides, ou il faut que je croie
que ce sont des traîtres, et s'il faut que je renonce à défendre ma patrie,
faites-moi périr!... Je sais que l'on a employé de petits moyens pour
préparer ces petits projets, et toutes ces petites calomnies sont la honte
des petits hommes qui sont le fléau de ce pays (applaudi très-vivement) !
Je sais qu'ils ont rallié à leur opinion tout ce qu'il y a en France de
méchans et de sots ! (On rit). Je sais que ces sortes de projets pla.sent
beaucoup à ceux qui veulent prévariquer et conséquemment à presque
tous les fonctionnaires publics, ou à ceux qui veulent l'être ! Ces gens-là
craignent la surveillance comme les frippons craignent la lumière (applau-
dissemens); détruisez ces sociétés patriotiques, et aucun frein ne pourra
contenir ces intrigans qui veulent déchirer le sein de la patrie ! Si vous
vouliez porter un regard sur le passé, vous n'en auriez que des ressouve-
nirs agréables; c'est là, c'est dans ces assemblées que vous vous réunis-
siez pour vous instruire, pour vous préparer à combattre ensuite dans
cette assurance des gens ennemis de la constitution; c'est là que souvent
avec des lumières vous retrouviez le feu sacré du patriotisme le plus
pur; et c'est parce que l'on a reçu des affronts, c'est parce qu'on a eu
des torts, c'est parce que des hommes qui avoient servi en apparence la
cause du peuple, ne l'en ont trahi qu'avec plus d'audace ! (Applaudisse-
mens et cris de bravo). Pourtant, c'est l'opinion publique seule qui a
prononcé dans ces sociétés, c'est l'opinion publique qui a manifesté ces
affronts; mais si vous examiniez les calomnies que l'on n'a pas craint de
vous exposer, vous seriez convaincu que ces sociétés n'ont jamais attaqué
les autorités constituées, jamais elles n'ont voulu prononcer sur des
objets publics, et vous n'avez d'autres preuves des torts qu'on leur
impute que ce que vous en ont dit leurs accusateurs : d'ailleurs, si elles
s'étoient écartées des bornes qui leur sont prescrites, les loix étoient là
pour les punir, les loix existent pour tout homme, et les sociétés patrio-
tiques ne contiennent que des nommes; mais je vous le demande, en
supposant que quelques-unes d'elles eussent des torts, pourriez-vous en
tirer l'induction que vous devez détruire des institutions utiles à la liberté.
S'il est quelque chose de hideux au monde, c'est l'exemple d'une
assemblée de représentans du peuple, de législateurs, qui écoute et
suit les haines personnelles. Je demande la question préalable sur le pro-
jet du comité, et je laisse à celui qui va me réfuter, cette espèce de
plaisanterie machiavélique qui lui sied si bien; je ne lui envie pas cet
art ingénieux de servir la cause du despotisme, en faisant l'éloge de la
liberté. (Très-vivement applaudi). »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 751
Journal des Débats, n° 861, p. 15-16.
« Je viens, a dit M. Robespierre, dévoiler l'obscurité qui couvre
le projet qui vous est soumis; je viens vous montrer que l'on n'a pris le
langage de la liberté et de la Constitution que pour les anéantir, et pour
cacher des vues personnelles et des ressentimens particuliers sous l'appa-
rence de l'intérêt public. (On a applaudi dans les tribunes). C'est un
art que nous avons vu déployer souvent, et que nous avons appris à
démasquer. Pour moi, si j'ai jamais senti beaucoup de joie de toiicher
au terme de nos travaux, c'est quand j'ai entendu des réclamations
contre les Sociétés qui ont assuré la Révolution. J'aurois pensé que
nous aurions pu, au moment où les Députés arrivent de tous les Départe-
mens, leur laisser le soin de discuter de l'utilité des Sociétés, et de
prendre le parti le plus convenable; et je songe, avec confiance et avec
satisfaction, que c'est du sein de ces Sociétés qu'est sorti un très-grand
nombre de ceux qui vont nous remplacer. Je sais que c'est à eux parti-
culièrement que s'attachent l'espoir et la confiance de la Nation Fran-
çoise. C'est en eux que l'on espère. pour arrêter les progrès de ce système
machiavélique*; pour défendre les pouvoirs de la Nation, et pour la
garantir des attaques de ces hommes faux, qui ne parlent de la liberté
avec éloge, que pour opprimer avec impunité. C'est encore le choix de
ces Législateurs qui me rassure contre le Décret proposé aujourd'hui,
quel que soit le succès qui l'attend; car, sans doute, les personnes dont
je parle auront de l'influence, et nos erreurs seront bientôt redressées.
K J'aborde la question plus directement. On n'a pas craint de
justifier la loi que l'on vous propose, par des principes de la Constitu-
tion : je vais les comparer moi-même avec le projet de Loi. La Consti-
tution garantit aux Citoyens le droit de s'assembler publiquement et sans
armes La Constitution garantit le droit de communiquer librement ses
pensées quand elles ne nuisent point à autrui. La Constitution garantit
aux Citoyens François le droit de faire tous les actes qui, par leur
nature, n'ont rien de contraire aux Lois de l'Etat.
« D'après ces principes, je demande comment on ose dire que la
correspondance d'une société d'hommes paisibles et sans armes avec
d'autres sociétés de la même nature, viole les principes de la liberté.
N'est-il pas évident que c'est celui qui a voulu appuyer des principes
de la Constitution ce que l'on nous propose d'empêcher, qui les viole
pour se permettre des attaques contre la liberté ? De quel front osera-
t-on envoyer dans les Départemens une instruction par laquelle vous
persuaderiez aux Citoyens qu'il ne leur est pas permis de correspondre,
d'avoir des affiliations } Qu'y a-t-il donc d'inconstitutionnel dans une
affifiliation "> L'affiliation n'est que !a relation d'une société légitime
avec une autre société légitime. (Chaque phrase de M. Robespierre
avoit été couronnée par des applaudissemens des tribunes). Je demande,
a dit M. Chapelier, à répondre à M- Robespierre, qui ne sait pas un
752 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
mot de la Constitution. Et moi, s'est écrié M. Prieur, je demande à
répondre à M. Chapelier, qui la sait trop.
« M. d'André a dit: Je demande que M. Robespierre continue
son opinion; et je sais que j'ai la parole après lui. »
[Suit un bref résumé.]
fRésumé de cette intervention dans Le Législateur français, t. III,
1er octobre 1791, p. 2; Le Journal du Soir (Beaulieu), n° 271, p. 1-2;
Le Journal de Paris, 1er octobre 1791, p. 1 1 15; La Gazette universelle,
n° 273, p. 1092; Le Journal de Rouen, n° 274, p. 1317; Le Journal
des Décrets de l'Assemblée nationale, 29 septembre 1791, p. 600.
Brève mention dans Le Mercure de France, 8 octobre 1791, p. 106;
Le Journal de la Noblesse..., t. II, n° 41, p. 648; Le Journal général
du Pas-de-Calais, n° 28, p. 277; Le Journal universel, t. XIV,
p. 14413 et 14416; Assemblée nationale, Corps administratifs (Perlet),
t. XIII, n° 786, p. 5; Les Annales patriotiques et littéraires, n° 728,
p. 2013; La Rocambole, n° 29, p. 453; La Vedette ou Précis de toutes
les nouvelles du jour, 30 septembre 1791 ; Le Point du Jour, t. XXVI,
n° 814, p 534; Le Courier de Provence, t. XVII, n° 348, p. 248;
Les Révolutions de France et de Brabant, n° 96, p. 2.]
362. — SEANCE DU 29 SEPTEMBRE 1791 (soir)
SUR LE PROJET DE CODE PÉNAL MILITAIRE
Wimpfen, au nom du Comité militaire, présente un projet de
code pénal dont la discussion occupe la fin de la séance. Les pre-
miers articles sont rapidement décrétés, mais un débat s'engage soir
les articles 18, 19 et 20 du titre I qui prévoient l'établissement die
la dictature militaire conférée à un général -par un décret du Corps
législatif. L'art. 18 la définit ainsi: « La dictature militaire con-
siste en ce que celui qui en est revêtu peut, de son chef et de ison
autorité suprême, appliquer à ses subordonnés, sans formes ni
procès, tous les genres de peines établi'' par la loi. »
C'est alors que Robespierre intervient avec violence. Il est sou-
tenu par Reubell, et l'Assemblée décide l'ajournement de ces articles.
Ils ne reparurent pas dans le texte définitif adopté le 30 septembre (1).
Le Point du Jour, t. XXVI, p. 542.
« Plusieurs membres ont été soulevés d'indignation à la vue de ces
trois articles. M. Roberspierre a dit que c'étoit violer tous les principes
et tous les droits que d'établir ainsi une dictature, espèce de dignité au-
dessus des loix, contraire à la sûreté des individus et au bien de la
société; que c'étoit un moyen de faire commettre des vexations et des
(1) Rapport de "Wimpfen et texte de son projet dans les Arch.
pari., XXXI, 636-64-2. Texte définitif, ibidem, p. 680-683. Le Moni-
teur ne reproduit que ce dernier, X, 15.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 753
atrocités; qu'un pareil genre d'autorité étoit incompatible avec les prin-
cipes de la constitution, et qu'elle avoit été déjà rejettée avec horreur.
(On applaudit) » (2).
(2) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXXI, 642.
363. — SEANCE DU 30 SEPTEMBRE 1791
SUR LES DROITS DES SOCIÉTÉS ET DES CLUBS (suite)
Lors de la rédaction du décret rendu la veille par l'Assemblée,
sur les sociétés populaires, (Le Chapelier substitue dans l'art. I, le
mot inspection au mot action (1). Grégoire s'élève contre ce chan-
gement qui restreint le droit de contrôle accordé aux sociétés et aux
clubs, Buzot, puis .Robespierre le secondent.
L'Assemblée obligea Le Chapelier à reconstituer le texte pri-
mitif, et elle adopta un amendement de Camus, selon lequel « les
sociétés patriotiques ne pourront avoir d'action sur les autorités
constituées » (2).
Le Point du Jour, t. XXVI, n° 815, p. 552.
Mercure universel, 1er octobre 1791, p. 490.
« M. Robespierre. L'assemblée entend que les sociétés ne peu-
vent contrarier les actes des autorités constituées, qu'elles doivent y
obéir, s'y soumettre : mais l'assemblée n'a pas entendu que des citoyens
dans une terre libre, n'auroient aucune inspection sur les autorités consti-
tuées; dans tout pays libre cela est permis, tout citoyen y a le droit
d'inspection. (Vivement applaudi des tribunes) » (3).
Journal des Etats Généraux ou Journal Logographique , t. XXXV, p. 68
« M. Robespierre. L'assemblée ne peut pas empêcher des citoyens
qui appercevront un fonctionnaire public qui trahira la nation, de le
dénoncer. (Applaudi). »
(1) Cf. ci-dessus, préambule de la séance dm 29 septembre 1791.
(2) Cf. Le Point du Jour, t. XXVI, p. 652, et E. Hamel. I. 55«.
(3) Texte reproduit dans les Arch. pari., XXXI, 670.
364. — SEANCE DU 30 SEPTEMBRE 1791 {suite)
SÉPARATION DE L' ASSEMBLÉE NATIONALE
ET HOMMAGE DU PEUPLE A ROBESPIERRE
L'Assemblée constituante tint sa dernière séance le 3U septem-
bre. L'Assembla législative devait se réunir le lendemaiû 1er oeto-
bre 1791. .-.'.,, -i
Au début de l'après-midi, le roi vint rendre hommage au travail
des députés m rouis de la session; le président Thouret lui repon-
754 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
dit. A la sortie de la séance, Robespierre fut avec Pétion, l'objet
d'une manifestation d'enthousiasme de la part du peuple (1).
Le Thermomètre du Jour, n° 54, p. 6.
Annales patriotiques et littéraires, 4 octobre 1791, p. 2027.
« C'étoit à la fin de la législature que l'opinion publique devoit
faire justice des députés rentrés dans la classe des citoyens, et
rendre à chacun selon ses œuvres (2). Aussi une foule innombrable de
citoyens a couvert d'applaudissemens, le 30 septembre, aux iuiieries,
les Prieur, les Grégoire, les Roederer, les Buzot, les Coroller, enfin
tous ceux dont le patriotisme ne s'est point démenti (3). MM. Pétion
et Robespierre sortoient des derniers en se tenant sous les bras. Des
citoyens (^) ayant à la main des couronnes de chêne liées avec des
rubans tricolores, les ont embrassés en leur disant : Recevez le prix de
votre civisme et de votre incorruptibilité (5) ; nous donnons, en vous cou-
ronnant, le signal à la postérité; et les applaudissemens, les bravo, les
(1) Of. Ji. Hamel, I, 559; et le Point du Jour, t. XXVI, pp. 568
à 560.
Le 5 octobre 1791, Manuel dir.a à la tribune des Jacobins à propos
de Robespierre : « Toujours assis à-côté ae Pétion; c'étaient les
jumeaux de Ja liberté ». (Cité par G. "Walter, p. 662, note 79).
t,2) A propos de Barnave, Go r sa s écrit dans son Courrier (n° 31,
p 491) : « Messieurs Péthion et Robespierre ont reçu une couronne
civique à la sortie de séance, pendant qu'on affichait dans tous les
carrefours La figure du traître et méprisable barnave, avec deux
faces. Hier ià minuit a cessé l'inviolabilité. Quelques plaisans ont
attendu cette heure pour en étriller quelques-uns »>.
(3) D'après G. Walter (p. 126), « c'est à la Société fraternelle
des deux sexes, présidée par Tallien que revient peut-être l'initiative
de la manifestation patriotique qui eût lieu le 30 septembre ». 11
ajoute que Madame Robert y aurait également joué un rôle impor-
tant, et se fonde sur un passage du Babillard (27 octobre 1791). On
retrouve dans le Journal de la Cour et de la Ville (n° 29, p. 227),
la mention de ce fait à propos de la séance des Jacobins du dimanche
25 septembre: « M. Varnet... propose une fête civique qui sera décer-
née par La patrie reconnoissante à MM. Robespierre, Péthion, etc...
et qui sera bien plus belle, bien plus touchante, bien plus fraternelle,
enfin, que toutes ces fêtes à la royale qui rappellent l'ancienne
idolâtrie des Badauds (applaudi, applaudi, applaudi) ». (Mention
dans AuLard, III, 149).
(4) D'après La Vedette ou Précis de toutes les nouvelles du jour
(2 octobre 1791, p. 5), ce sont: « Les écoliers du collège de Louis Le
Grand, où a étudié M. Robespierre, qui Lui décernent une cou-
ronne ».
(5) On trouve le qualificatif d'Incorruptible accolé aai nom de
Robespierre à partir de mai 1791. E. Hamel cite un passage des
Mémoires sur la police, attribué à tort à Peuchet (I, 338) où l'on
relate qu'un agent .aurait vainement essayé de corrompre Robes-
pierre; mais Hamel ajoute qu'il n'a pu retrouver les originaux de
ces pièces.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 755
cris de vivent Pétion et Robespierre! Vivent les tpuiês sans tache!
(6) mêlés aux accords d'une musique militaire placé sur la terrasse des
feuiilans, ont rempli ious les coeurs de la plus douce ivresse. En vain,
les deux législateurs vouloient se dérober à ces témoignages de la recon-
noissance publique : comme ils fuyoient, au moins, leur a dit une jeune
dame qu'ils ont rencontrée dans l'escalier qui conduit au garde-meuble,
permettez que mon enfant vous embrasse; ce qu'i.s n'ont pu rehiser.
Pour échapper au concert d'appîaudisseir.ens qui les poursuivoit, les deux
députés, réfugiés dans une maison de la rue .Saint- Honoré, ont monté
en fiacre. Aussi-tôt, dans le délire de l'enthousiasme, on a dételé les
chevaux, et mille bias se sont empressés de traîner la voiture; idolâtrie
avilissante, dont ceux qui en étoient l'objet ont été affligés et indignés.
Dans ce moment l'honorable Robespierre, saisi d'une sainte indigna-
tion, est descendu précipitamment de la voiture. « Citoyens, a-t-il dit,
que faites-vous ? Quelle posture humiliante allez-vous prendre ? Est-ce
là le prix de mes travaux pour vous pendant deux ans ? Ne vous sou-
venez-vous déjà plus que vous êtes un peuple libre? » (7)... et il est
remonté avec vivacité aans la voiture où étoit son digne collègue. L'atti-
tude et l'admiration des citoyens dans ce moment ne peut se décrire :
sublime spectacle ! Tu fais couler des larmes délicieuses. Un a laissé
partir la voiture au bruit des fanfares, des applaudissemens, des cris
et des bénédictions les plus énergiques. Puissent ceux qui auroient pu
mériter un pareil triomphe sécher de dépit, en comparant cet excès de
reconnoissance au silence du mépris, ou aux malédictions de la haine
(6) Montlosier, dans ses Mémoires, insiste sur ce fait: « Au
moment où nous avancions, Robespierre et Pétion sont l'objet de
mêmes transports. On les porte en triomphe. De tous côtés, on
entend proclamer l'incorruptible Robespierre, le vertueux Pétion •>
(cité par G. Walter, p. 124). On associe à leurs noms celui du Roi
dont la présence à cette dernière séance de l'Assemblée a paru
comme un heureux présage (cf. Journal général du Pas-de-Calais).
(7-) Les contre-révolutionnaires craignaient depuis le 14 Juillet
la popularité grandissante de Robespierre, et devaient oiser de tous
les moyens pour empêcher aine manifestation organisée en son hon-
neur. Cette lettre de Périsse du Luc à WuiHermoz, du 30 octobre
1791 (Bibl. Lyon ms. 5430, n° 44), est très nette à cet égard: « Les
Jacobins de Paris enragent de ce qu'ils n'ont qu'une petite minorité
dans l'assemblée nationale, et que cette minorité même y est mépri-
sée, par ses efforts incendiaires, vagues et sans talents. Gare, gare,
nos législateurs ne tarderont pas à être persécutés, proscrits, calom-
niés comme les bons citoyens de l'Assemblée Constituante l'ont été
depuis le commencement de Juillet et après ; mais le ridicule des
éloges, des apothéoses, des couronnes décernées au ridicule trio de
Robespierre, Péthion, Grégoire, hommes médiocres, qui n'ont pas
fait une panse d'à dans la Constitution, de qui il n'existe pas un
seul décret, une iseule loi sur aucune matière, les cooivre de honte
dans la Capitale, et ce n'est qu'en province que les Empyrique*
purent faire croire, comme ici à la lie du Peuple, que rs h.i>
prétendus grands hommes sont les héros de la Patrie ».
756 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
qui les ont accompagnés. Puisse surtout cet exemple touchant nous pro-
duire des Pétion et des Robespierre dans la nouvelle législation ' »
Révolutions de France et de Brabant, t. VIII, n° 98, p. 18-22.
« Mais j'éprouvai un autre genre de jouissance, qui dilata mon
cœur, me fit aimer d'avantage ce bon peuple, ce peuple sensible et
reconnoissant qu'on a tant calomnié, quand je vis couvrir d'applaudisse-
mens et bénédictions, les Prieur, les Buzot, les Grégoire, les Rœderer,
et tous ceux qui n'ont jamais abandonné la bonne cause. Mais lorsque
s'avancèrent les deux Catons de la législature, Péthion et Robespierre,
ô vertu! que ta récompense me parût mille fois préférable, à celle que
promet la carrière ténébreuse et empoisonnée de l'intrigue ! Au bruit
des applaudissemens unanimes, des cris d'allégresse d'un peuple trans-
porté, unis aux accords d'une musique militaire placée sur la terrasse
des Feuillans, on les couronne de chêne civique. — Recevez, leur
dit-on, recevez le prix de votre civisme et de votre incorruptibilité ; en
vous couronnant, nous donnons le signal à la postérité — On leur remit
aussi ce quatrain :
« Que d'autres éblouis d'un éclat imposteur,
« Courent se prosterner autour du diadème;
« Nous couronnons en vous, le vrai législateur;
« De vos mâles vertus, ces festons sont l'emblème. »
« Tout mauvais qu'il est, ce quatrain étoit excellent, c'est le cœur
qui l'avoit composé (8).
« La vertu véritable est modeste, elle se refuse aux honneurs qu'elle
mérite; Péthion et Robespierre veulent se dérober au tribut si légitime
de ceux qu'on leur rend; de jeunes femmes les arrêtent. . Sexe char-
mant que vous êtes digne de notre amour, lorsque vos mains couronnent
la vertu ! L'une d'elles, suivant un de ces mouvemens spontanés de
l'âme que les femmes éprouvent d'une manière plus exquise que nous,
leur présente sa petite fille, de la figure la plus intéressante : Au moins,
(8) Cf. également Les Lettres bougrement patriotiques du Père
Duchesne (Lemaire) n° 187 (cité par G. Walter, p. 66(2, note 80). Au
début de septembre 1791, les Jacobins décidèrent d'offrir à Robes-
pierre un buste couronné de feuilles de chêne et de laurier (Cf. Le
Babillard, 4 octobre 1791, cité par G. Walter, p. 126). On trouve en
effet un curieux prospectus annonçant la mise en souscription
des bustes de Mirabeau de Robespierre et de Pétion, au prix de
72 liv. pour Paris, et 84 pour la province, exécutés par le statuaire
Peseine, sourd-muet de naissance, domicilié rue de Provence aux
Ecuries de M. d'Orléans <B.N. Lb10 640, cité par Tourneux, II,
n° 9-208, p. 393). Le Club des Halles proposa même d'offrir le buste
de Robespierre à la prochaine législature. La Feuille du Jour
fn° 268, p. 693) ajoute qu'on pourra ainsi « se venger de l'Assem-
blée, qui l'en a constamment écarté ». Enfin, le même club désigne
une députation chargée de porter au domicile de Robespierre l'hom-
mage de ses membres.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 757
dit-elle, vous permettrez que mon enfant vous embrasse. Des larmes
roulent dans les yeux des deux pères de la patrie, ils prennent l'enfant
dans leurs bras, et les applaudissemens, les bravo, les cris de vivent les
braves législateurs, les députés sans tache, redoublent et les reconduisent.
« Pour échapper au peuple, qui accouroit de toute part avec, la
musique, les deux héros de la fête s'empressent de monter en fiacre.
(Des Chapelier, des Barnave, des Lameth ont des carasses magnifiques;
malheur à celui qui ne préféreroit pas l'humble fiacre de Péthion et
de Robespierre). Aussi- tôt les chevaux sont dételés, et des citoyens
veulent traîner la voiture. A cette vue les députés s'élancent et tentent
de se sauver. De bons citoyens parviennent à les retenir, et à faire
entendre au peuple que cette idolâtrie d'esclave est avilissante pour
des hommes libres, et qu'elle donneroit des armes à la calomnie. On les
laisse donc partir au bruit des fanfares, des applaudissemens et des
acclamations; récompense bien légitime de trois années de travaux
pénibles, de soins, de courage, d'incorruptibilité et de persécutions.
« Que le ministère d'un écrivain est plein de charmes, lorsqu'il
'etrace de pareilles scènes ! Que son âme jouit délicieusement ' Heureux
celui qui écrit, quand des noms purs et chéris viennent se placer sous
sa plume, escortés de témoignages d'estime, d'amour et de recor.nois-
sance (9).
(9) La popularité de Robespierre dépasse 3e cadre de la capitale.
Gorsas souligne (n° 29, p 457) que « l'énergie est- à son comble dans
Ifts déparfcèmens. On va jusqu'à baptiser les enfants sous les noms
des B'uzot, des Péthion, des Roberspierre; c'est un fait, je puis
l'attester, car j'en ai baptisé un moi-même auquel les parents don-
nèrent ce dernier nom ». Les sociétés jacobines envoient de même
aux députés patriotes, de multiples adresses, telles celles repro-
duites ci-après :
1° (Mercure Universel, 17 octobre, p. 243):
« Strasbourg, 9 octobre. — La société des amis de la constitution,
dans sa dernière séance, a arrêté, à l'iunanimité, qu'il seroit envoyé
deux couronnes de chêne à Robespierre et Péthion. Voici la lettre
d'envoi :
« Frères et Amis,
« Nous les avons vu croître ces branches de chêne, qui doivent
ceindre votre front. Soiis les yeux des amis et des ennemis de la
France, elles ont ombragé jusqu'ici la rive libre du Bas-Rhin, et les
défenseurs de l'immortelle constitution que nous devons à votre
patriotisme. Recevez donc cette couronne civique, que des cœurs
purs et sensibles, des bras invincibles armés pour le soutien de votre
ouvrage, vous offrent avec enthousiasme. Qu'elle vous soit le gage de
notre éternelle reconnoissance, et de l'obligation que nous renou-
velions à la face de l'univers de mourir s'il le faut pour le salut
de la patrie, tout comme vous avez vécu pour elle.
« Nous sommes avec cordialité, vos frères et amis: suivent qava-
I )■(■ cens signatures. »
2° (Annales patriotiques et littéraires, 6 novembre 1791, p. 2173):
« («Extrait des registres des délibérations de la société des amis
de la constitution de Tulle, séance du 26 octobre): « La société vote
758 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE.
« Une société de dames patriotes Revoit alleT porter des couronnes
c Péthion. à Robespierre, accompagnée d'vn cortège nombreux de gar-
des et de musique; elles étoient déjà en assez? grand nombre; tout étoit
préparé pour cette fête civiaue, quand différens émissaires sont venus
les intimider, les menacei même de désagrémens si elles ne renonçoient
dos remercienienr publies tsrrx sacres lé^sl^eurs oui ont demeuré
fermes et inébranlables» dans les vrais principes, tels que les Robes-
pierre, les Pétion les Grégoire, les Roederer. les Prieur, les Bu^ot
le;= Camus etc. ; enf> déclare oue leurs noms précieux seront à jamais
gravés sur ses rentres et da.ns le cœur de tons ses membres: la
postérité saura «"'ils ont panv<s la. -no+^ip que ]a liberté est leur
ouvr3?° p* lpnr mémoire sera immortelle. »
3° (Révolution* dp Fnn^p p* d° Ttrabant, n° 100. p. 3-5):
« A Pr,lïosïr>iprrp et à P<£+hion
« T,„q o0f»;/<-^ nonùlairp des Amis de Ta Ponatinution. instituée
dans Ips tre^te-iine. section? df> la ville dp 'Lvon, répn;es en
flnrm'f^ oentr^l. le 18 octobre 'l^fil. l'an troisième de la Liberté.
(( Vpvfnpn-v- ^ifnvpng. permettez à une société oomnosée d'homme-s
peu favorisés de la, fortune, mais a.imant la v^ité et les vertus. f\f
vous donner les +émnia;naa-ps de reoonnnït?p.anee que vous ave/ méri-
tés en parcourant l'honorable et périlleuse carrière dont vous venez
de sortir.
« Déîà. •■législateurs sublimes ! vous avez reçu àp la r>ar+ d'un
peuple, toujours mste ouand il a<rir dp snn propre mouvorpent, la
récompense et les honneurs oui sont dus à la vertu Persécuté?!, à
l'homme oui a hipn servi sa patrie: mais tous les' citoyens . dont
vous avez défendu la plaise et irarpnti Ips droits, n'ont noint parti-
cipé à -"et acte de instice. Par l'effet d'un trop arrand éloisrnement,
nous n'avons pu .assister à la fête civique oui vous fut donnée au
moment où vous êtes rentrés dans la classe commune des citovèn-s ;
il est donc b;en naturel aue nous cherchions aujourd'hui à mettre
un nouveau f'p'^on à la couronne dont vos têtes furent ornées par
nos frères de Paris.
Nous no eor»"r>r>iseons o^int l'art do faire des phrases élop-itioues,
qu'on enseio'noit iadi? anv "Franeoip esolaves. mais nnns savons pon-
noîtrp et sentir le prix de la. vertu : pouf saurons conserver à i a/mai S
la mémoire des citovens tels oue vous, des citovens oui ont bravé
tous les da.ne-ers résisté à tonte? Ips fâchons n'érvrisé l'or et Ips
caresses des dominateurs d« la tprre Pour sortir les pennies de
l'oppression et dp la servitude. Si vos e-pop>eux efforts n'ont pas eu
tout le succès qu'on 'a voit droit d'attendre, nous en connoissons
la cause, nous savons qu'il est peu d'hommps capables de s'^ever
au-dessus dps antiones oréiiieés. et assez fermes pour enpourîr de
sang-froid la haine des tyrans : nous savons que les amis dn peuple,
les professeurs des bons principes sont infiniment rares: nous savons
que vous avez eu pour coopérat-eur?. des lâches, des fourbes qui,
pour complaire à une faction puissante, ont outr&sr-é la nature et
trahi la cause du peuple ; nous savons que la majeure partie dès
habitans de cette terre, si long-temps malheureuse, sont encore assez
stupides pour fléchir le genou devant les hommes riches et puissans
qui les dévorent: nous savons enfin que votre constance, votre
inflexibilité, votre énergie vous ont procuré tous les genres de per-
sécutions, et que la calomnie a aiguisé ses traits pour vous perdre,
pour vous ôter toute espèce de confiance. »
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 759
à leur projet; ils ont tant fait que la fête n'a pas eu lieu (10). Une de
ces aimables patriotes devoit prononcer un discours à chacun de ces
deux législateurs; je rapporte celui qui étoit destiné pour Robespierre,
je rapporterai l'autre si je puis me le procurer :
«^ Robespierre. — Des citoyennes libres et reconnoissantes, vien-
nent t'offrir un hommage que la France entière te doit.
« Eloignées par leur sexe et leurs occupations paisibles, du théâtre
où l'intrigue prépare des lauriers au vice, et aiguise les poignards de la
calomnie pour les tourner contre la vertu, nous ne jugeons ceux qui ont
été honorés de la confiance de la patrie, que par le bien qu'ils ont fait,
ou qu'ils ont voulu faire.
« Au milieu de la corruption, tu n'as cessé d'être l'inébranlable
soutien de la vérité; toujours ferme, toujours incorruptible., toujours
d'accord avec ta conscience, tu as combattu pour qu'aucun alliage impur
ne se mêlât à une constitution, que la philosophie devoit dicter pour
le bonheur du genre-humain.
« Le peuple à qui tu as dévoué ta vie, pour qui tu as fait avec
joie le sacrifice de ton repos, et des avantages que promet la fortune;
le peuple dont ton unique ambition est d'être le bienfaiteur et l'ami;
le peuple dont la cause t'a mérité tant d'atroces calomnies, tant de
cruelles, mais honorables persécutions,
« Le peuple, dis-je, ne prononce ton nom qu'avec estime; tu es
son ange tutélaire, son espoir, sa consolation. O Robespierre, son amour,
sa vénération, te vengeront toujours des noirs et vilains complets de tes
lâches détracteurs.
« Législateur courageux ! reçois donc la couronne que tes travaux
et tes vertus ont méritée. Nous ne faisons que devancer la France et le
monde. Plus éclairées les nations s'empresseront un jour d'offrir le tribut
de leur reconnaissance à l'apôtre le plus fidelle le plus énergique de la
liberté de l'humanité.
« Dans ces momens de langueur, si le triomphe momentané des
ennemis de la patrie, si le règne passager des intrigano empêche la
grande famille des Français de s'unir à nous, Robespierre ! la gloire
n'en acquiert que plus de lustre; tu as des autels dans tous les cœurs
de tous les bons citoyens. »
Journal de Rouen, 1791, n° 275, p. 1326.
« Les sociétés patriotiques de la capitale viennent de faire une
démarche remarquable : elles avoient arrêté de porter une couronne
civique à MM. Péthion et Robertspierre, comme incorruptibles défen-
seurs des droits du peuple : elles l'ont exécuté.
a Dans l'impatience où elles étaient de s'acquitter de ce glorieux
<10) C. Desmoulins sépare nettement la manifestation populaire
spontanée de celle qu'organisa la Société patriotique des deux sexes.
760 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
devoir, M. Robertspierre a été saisi au sortir de la salle, lorsqu'il entroit,
sur les quatre heures, aux Tuileries • on l'a porté en triomphe, et on lui
a posé la couronne sur la t?te.
« Ce n'est pas la première fois que la reconnoissance publique
s'est manifestée dune manière aussi signifiante; il va 8 à 10 jours
qu'au salon du Louvre on mit, au bas de son portrait, ces mots très-
expressifs : Législateur incorruptible » (11).
Gazette universelle, n° 275, p. 1098.
Journal général du Pas-de-Calais, n" 29, p. 291-292 (12).
« L'enthousiasme causé par la conduite affectueuse du roi, a donné
lieu à une scène assez bizarre et propre à peindre le caratère françois
et les circonstances actuelles. Dans la société fraternelle, il avoit été
proposé de couronner MM. Péthion et Robespierre à la sortie de la
dernière séance. Elle étoit à peine finie, qu'on 'fut chercher dans la
salle les deux héros de la constitution; c'est ainsi qu'on les appelloit,
quoiqu'il soit bien difficile de citer un seul article constitutionnel qui
soit éclos de leur tête, et qu'on sache au contraire qu'ils ont constam-
ment attaqué presque tous les systèmes. On sait que MM. Péthion,
Robespierre se sont sur-tout déclarés contre la partie monarchique, et
qu'il n'a pas tenu à eux que nous n'ayons eu un gouvernement purement
républicain : aussi étoit-ce une chose fort plaisante de voir, en voulant
(11) 'L'exposition d'un portrait de Robespierre au Salon de pein-
ture donna lieu également à des manifestations de sympathie à *on
égard. La Fouille du Jour (n1 297, p. 925) souligne que: « tous
le? jours il faut allonger le papier qui se laisse charger de vers
niais en l'honneur de l'Incorruptible. Cette guirlande n'est pas
prête de finir, si ton'; jacobin se propose d'y mettre son pavot. O .
lit au bas du second portrait de ce législateur: « A tous "tes cœurs
bien né.?, que Robespierre est cher! Parodie mélodieuse du célèbre
vers de Tancrède ». D'après Buffenoir (Les portraits de Robespierre,
in-8°, 222 p., Leroux, Paris, 1910), le salon de 1791 se serait en effet
orné de deux pastels représentant Robespierre, l'un dû à une élève
de La Tour: Mme Guyard, l'autre de Boze. Par la suite, Gérard et
David firent son portrait en pied. Le croquis au crayon rehaussé de
pastel, attribué à Gérard et qui lui servit à composer ce portrait,
est actuellement la propriété de Mme veuve Gautier, à Paris. L'un
de nos amis, M. Jean Durand, en a exécuté une très fidèle copie
dont il vient de faire don à la iSoeiété des Etudes Robesoierristes.
Qu'il trouve ici l'expression de notre vive gratitude.
(12) Les journaux royalistes tournent en dérision ces marques
de popularité. Le Journal général du Pas-de-Calais (n° 29. p. 292)
écrit à propos du Chib des Halles: « Au milieu des applaudissemens
unanimes, le Cicéron de la Société propose par accommodement de
susnendre 1^ buste [dp Robespierre] à la corde d'un kistre, afin que
la lumière frappe de tous côtés, l'image de celui qui la répand par-
tout. Cette euspenrdon est décrétée ».
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 761
couronner ces fiers ennemis de la royauté, les groupes céder au délire
général, et crier à tue-tête : vive le roi (13).
« On devine aisément quels sont les auteurs de cette farce ridi-
cule; MM. Pétion et Robespierre auroient dû sentir que l'exaltation de
ceux qui les couronnoient déshonoroit la nation. François, évitons les
excès de tous les systèmes; soyez sages. L'adulation fit les tyrans;
redoutez d'applaudir à tout ce qui ressemble à une faction; vous
seriez cent fois plus à plaindre que sous le fer du plus dur despotisme. »
[Mention de cette scène dans Les Révolutions de Paris, n° 116,
p. 516; La Chronique de Paris, n° 275; Le Législateur français, n° 1 ;
Le Journal général, n° 244, p. 999 et n° 246, p. 1006; Le Mercure
universel, l*r octobre 1791, p. 496; La Vedette ou Précis de toutes
les nouvelles du jour, 2 octobre 1791, p. 5; L'Auditeur national, 2 octo-
bre 1791, p. 5; Le Courrier extraordinaire-.., 2 octobre 1791, p. 8;
Le Mercure de France, 8 octobre 1791, p. 125; L'Ami des Citoyens,
n° 1, p. 4 (5 octobre 1791); L'Ami du Peuple (Marat), t. IX, n° 565,
p. 8; Le Réviseur universel et impartial, nos 118 et 122; La Chronique
scandaleuse, n° 22, p. 4; Le Babillard, 27 octobre 1791.]
(13) Cet article donna lieu à la protestation suivante (Courrier
de Corsas, n° 2, 3 octobre 1791, p. 30) : « Vous avez rendu compté,
M., de l'hommage que des citoyens reconnoissans ont rendu à
MM. Jioberspierre et Péthion ; je suis l'un de ceux qui y ont coopéré.
Je ne nuis pas de la société fraternelle, ni d'aucun club; vingt hon-
nêtes gens, qui partageoient mon enthousiasme et celui de mille bons
citoyens, n'étoient pas non plus de cette société. Comment d">nc
est-il possible que la Gazette universelle ait emprunté, pour nous
ridiculiser, un langage que ne désavoueroit pas l'Ami du Roi. [Suit
le passage cité ci-dessus]. Veuillez, M., insérer ma réclamation ; jo
suis lâché qu'elle soit dirigée contre une feuille que j'ai cru plus
impartiale et moins ouvertement ministérielle. Je suis... (Si^né, au
nom de MM., etc. (27 noms). Plein ville, soldat-citoyen du départe-
ment du Jura, député à la fédération du 14 Juillet 1790, actuelle-
ment à Paris. »).
INDEX DES JOURNAUX,
PROCES-VERBAUX ET PAMPHLETS
CITÉ8 DANS TES DEUX PREMIERS VOLUMES (i)
Actes des Apôtres, Les. I, xvn, 148 n, 454.
Actes des Bons Apôtres, Les, I, 595.
Affiches d'Angers, Les, II, 497, 546 n, 505,
579, 645.
Affiches d'Artois, du Boulonnais et du Ca-
laisis, I, xxiv, 21, 25, 50, 52, 78, 135 n,
136, 140. 161, 191, 193, 230, 318, 356,
369 n.
Ami de la Bévolution, L\ II, 199, 200,
250, 361, 450, 502 n, 553, 569.
Ami des Citoyens, L', I, 546, 587, 426, 443,
447 ; II, 744 n, 761.
Ami des Honnêtes Gens ou l'Optimiste, L\
I, 128.
Ami des Patriotes, U, !. 650 n ; II, 54,
100 n, 105, 365, 579, 455, 495, 552 n.
Ami des Vieillards, L, II, 569.
Ami du Peuple. L' (Marat). I, xix, xxv, 73,
79, 105 n, 174, 191, 195, 584, 595, 406,
496, 553, 556, 556, 545 n, 552, 564, 570,
OU ; II, 45 n, 54, 74, 87 n, 147, 159»
180, 307, 542, 545, 424 n, 445, 461, 477,
498, 507, 518, 557 n, 541, 569, 570, 579,
593 n, 593 n, 596 n, 650, 646 n, 659,
659, 085, 687, 695, 703, 719, 701.
Ami du Peuple, et Fidèle Observateur, L'
(Guignet), I, 215, 269.
Ami du Boi, L' (Royou et Montjoie), I. xv.n,
411, 414, 426, 449, 450, 452, 'i74, 485,
485, 505.
Ami du Boi, L' (Rovou), I, xvm, 533, 541,
544, 548, 553, 58Ï, 584, 075; II, 41, 40,
52, 01 70, 73, 79 n, 84. 105, 110, 118,
128, 154, 194, 225, 227, 244, 200, 269,
290, 292, 298, 505, 310, 539, 564, 579,
419, 422, 445, 455, 487, 498, 505, 540.
546 -n, 565, 595 n, 607, 027, 655, 657.
660, 065, 077, 687, 690 n, 704, 708, 714,
725, 740.
Ami du Boi, L' (Monljoie), I, xvm, 529,
544 n, 547, 686 ; II, 111, 120, 134, 145,
148, 151, 156, 198, 200, 205, 215, 227,
243, 251, 255, 200, 270, 282, 508, 310,
517, 545, 561, 570, 581, 401, 419, 495,
557, 548, 550, 555, 509, 570, 579, 617,
629, 655, 638, 652, 660, 664, 673, 677,
089, 702, 724.
Annales Patriotiques et Littéraires, I, 111,
142, 150, 179, 185, 192, 212, 265, 284,
506, 518. 558, 545, 551, 561, 569, 403.
426, 454, 467, 475, 477, 481, 500, bW,
5<i6, 570, 580, 584, 049, 673, 676, 686,
690 ; II, 16, 17, 71, 87 n, 105, 119, 135,
148, 149 n, 215, 226, 275, 282, 293, 297,
308, 550, 563, 579, 592 n, 599. 617, 631,
655, 059, 060, 664, 674, 687, 695, 705,
708, 719, 745, 744 n, 752, 754, 757 n.
Annales Universelles et Méthodiques (Poli-
tique), I, 188, 194, 554, 552, 422, 434,
445, '460, 478, 511, 546, 551, 555, 570,
575, 607, 658, 676 ; II, 15, 57, 58, 40,
53, 01, 84, 90, 100, 107, 119.
Anti-Marat, L', II, 119.
Apocalypse, L', I, 268, 454 n, 565 n.
Argus Patriote, L', II, 498, 555, 550, 558 n,
569, 595 n, 608, 651, 064, 687, 719,
727, 743.
Assemblée Nationale (Beaulieu), I, 190,
194, 199, 208, 262, 275, 285, 287, 503,
460, 469, 493, 495, 497, 510, 512, 517,
525, 552, 559. 559, 570, 575, 001 ; II, 84.
Assemblée Nationale et Commune de Paris
(Perlet), I, xxiii, 118, 122, 134, 142, 150,
159, 105, 179, 183, 190, 194, 198, 206,
213, 274, 312, 327, 529, 544, 352, 361,
500, 375, 580, 592, 590, 401, 424, 428,
459, 449, 461, 465, 478, 495, 500, 502,
500, 519, 532, 545, 551, 503 n, 509, 580,
070, 1.80, 090 ; II, (Assemblée Nationale,
Corps administratifs), 16. 18, 58, 79, 84,
(1) Nous indiquons, à fia suite du titre du journal, son le nom du principal rédacteur,
soit la cote, chaque fois qu'une différenciation apparaît nécessaire avec des publications
analogues. Les références aux pages, suivies de la let're n, se rapportent aux notes
de ces pages.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
763
86, 105, 140, 135, 199, 204, 215, 226,
228, 255. 247, 277, 282, 293, 308, 318,
565, 374, 582, 420, 457, 461, 498, 553,
55!', 566, 009, 654, 639, 644, 645, 652.
660, 678, 687. 693, 708, 719, 726, 745,
Paris
, 191,
, 289,
, 382,
, 459,
, 506,
, 554,
3, 17,
, 105,
Assemblée Nationale et Commune de
(imitation), I, xxiu, 158, 164, 177
193, 205, 250, 236. 251, 269, 276
501, 516, 321, 324, 352, 341, 546
589, 404, 405, 406, 412, 425, 453
445, 449, 457, 460, 467, 478, 495
510, 512, 517, 552, 541, 546, 550
557, 576, 607, 670, 676, 684 ; II, 1
20, 22, 60, 67, 76, 84, 86, 88, 97
107, 109, 117, 127, 133.
Assemblée Nationale, Correspondance de
, Bretagne (puis Bulletin de la Correspon-
dance de Bennes) (Yatar), I, xxiv, 29 n,
47, 56, 152, 281, 471.
Assemblée Nationale (Extrait du Journal de
Paris), I, 120, 152, 146 n, 299, 578, 598.
Assemblée Nationale ou Becueil très intéres-
sant ... (Angers), (Ars. 8° Jo 21964 A), I,
29 n, 51, 53.
Auditeur National, L\ II, 761.
Avant-Coureur, L', I, 529.
Avocat du Peuple, L', I, 191, 214.
Babillard du Palais-Royal, Le, II, xvi, 466
n, 502 n, 558 n, 570, 585 n, 585 n,
586 n, 595 n, 608, 617, 650, 659, 660,
686, 756 n, 761.
Bouche de Fer, La, II, 19, 54, 195, 194,
199, 205, 215, 254, 518, 545, 561, 565,
402, 498, 584 n, 590, 599 n.
Bulletin d'Aujourd'hui, Le, I, 381.
Bulletin d<; l'Assemblée Nationale (Maret)
(Ars. 8o Jo 20250), I, xx, 41, 45, 49,
58, 59, 62, 66, 71, 72, 76, 98, 108, 110,
112, 115. 119, 159, 140, 141, 145, 159,
167, 196. 201, 215, 228, 254, 241, 272,
282, 287, 295, 515, 510, 522, 529, 556.
540, 549, 559, 564, 572, 373, 377, 586,
405, 407, 415, 425, 427, 429, 458, 442,
444, 456, 457, 465.
Bulletin et Journal des Journaux, II, 55,
118, 150. 450, 446, 498, 551, 579, 716 n,
719.
Bulletin Manuscrit du Sieur de Riolle, I,
105.
Censeur PaCriote, I, xvm.
Chronique de Paris, I, 105 n, 267. 339, 345.
367, 592. 478, 492, 565 et n, 570, 578,
000, 072. 075 ; II, 16, 205, 206, 247, 518,
545, 361, 457, 458. 406 m, 497, 551, 55!»,
569, 585 n, 592 n, 609, 039, 644, 663,
075, 705 719, 726, 745, 761.
Chronique Scandaleuse, La, II, xvn, 726,
761.
Cicéron à Paris, II, 121.
Contrepoison, Le, II, 217 n.
Correspondance... d'An%ou (puis Correspon-
dance... du Maine-et-Loire...) (Pilastre et
Leclerc, I, 51, 36, 48 n, 50, 54 n, 96 n,
120, 136 n, 158, 190.
Correspondance Générale des Départemens
, de France, I, 650 ; II, 119, 180, 568, 402.
Correspondance Générale ou Journal de la
Société des LXXXIII départemens, II, 402.
Correspondance Nationale. II, 105, 107, 128,
155, 198. 205, 255, 245, 252, 282, 308,
318. 520 n, 345. 301, 376, 582, 420, 423,
446, 458, 466 n, 497, 502 n, 509, 531,
569, 579.
Correspondant Féâéralif des 83 Départe-
mens, I, 565 n, 581, 569.
Cowrier d'Avignon, ou Journal politique
d'Avignon, Le, I, xxiv, 187, 244, 559,
596, 436 et n ; II, 79, 89, 105, 144, 157,
197, 204. 255, 280, 295, 295, 508, 309,
361, 379.
Courrier de Lyon. I, xxiv, 151, 192, 251,
207, 504.
Courier de Madon (Dinocheau), I, xx, 156 n,
158, 147, 155, 155, 165, 183, 197 n,
228 n, 236, 259 n, 249, 279. 351, 554,
585, 499, 555, 545, 546, 551, 555, 557,
584, 007, 080 ; II, 14.
Courrier de Paris ou Le Publiciste Fran-
çais, le, I, 154, 152, 183, 212, 263 n, 280.
Courier de Provence (Mirabeau), I, xx, F 8,
62, 100, 113, 126, 148, 169, 179, 199,
213 n, 261, 284, 289, 501, 515, 582, 403.
414, 422, 455, 459, 466, 479, 491 n, 520,
525. 579, 611, 612 n, 646, 680, 691 et n ;
II, 18, 45 n, 50, 51, 61, 71, 73, 82, 86,
104, 110. 119, 126, 154, 178, 191, 199,
202, 247 n, 227, 291, 506, 540, 561, 420,
441, 447 n, 456, 490, 557, 551, 567.
570 n, 579. 598, 607, 617, 631, 639, 652,
658, 674, 687, 701, 714, 729, 732 n, 752.
Courrier de Versailles à Paris, Le (Gorsas),
I, 40, 46, 51, 70, 78, 84, 105 n, puis
Courrier de Paris dans les Provinces, I,
145, 144, 153, 163, puis Courrier de Paris
dans 1rs LXXXIII départemens, II, 18,
45 n, 61, 110, 119, 160 n, 180, 193, 199,
205 200, 220, 229. 246, 261, 293, 318,
51.-,, :,01, 565, 580 n, 382, 427, 430, 451,
401. 106 n, 487, 500, 502 n, 529, 552,
579, :.82 n. 597 n, 609, 617, 650, 639,
oon. 674, 070, os:,, 690, 704, 708, 7i:>,
727. 739. 754 n, 757 n, 761 n.
Courrier des Francis, II. 85, 97, 100, 164,
109, 116, 120, 128, 153, 180, 199, 205,
210, 225, 230, 255.
764
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Courrier du Département du Vaucluse, II,
318, 565, 420, 422, 424, 450, 446, 458,
177, 509.
Courrier Extraordinaire ou Le Premier Arri-
vé, I, 317, 558, 359, 552, 584, 455, 454 n,
470, 477, 499, 505, 510, 511 n, 512, 521,
522, 542, 547, 551, 570, 581, 585, 676 ;
II, 14. 85, 97, 118, 153, 175, 180, 205,
211, 255, 247, 252, 261, 276, 281, 293,
299, 308, 310, 518, 343, 376, 382, 402,
420, 423, 450, 444, 457, 464, 497, 500,
509, 531, 532, 761.
Courier Français,
I, 4
1, 42
n, 46, 66
, 74,
78,
82, 85, 104, 109
, 128,
, 135, 136,
166,
170,
179, 182,
195,
211,
216, 232,
264.
281,
299, 338,
351,
371,
575, 584,
395,
443,
448, 451,
455,
456,
461, 478,
480,
485,
488, 491,
499,
517,
535, 558,
557,
580.
608, 658,
676,
688;
II, 42, 71
, 97,
100,
107. 110,
116,
125,
128, 135,
148,
155,
157, 180,
189,
200,
204, 215,
225,
230,
233, 256,
276,
282,
299, 308,
343,
361,
373 n, 398,
420,
440,
445, 466 n,
497.
Courrier National ou Journal du Citoyen
(Beuvin), I, xxm, 54, 56, 73, 102, 112,
118, 122, 131, 154, 158, 150, 159, 163,
190, 198, 206, 216, 265, 274, 281, 288,
501, 512, 515 n, 527, 344, 352, 561, 566,
380, 592, 401, 413, 428, 459, 450 n, 461,
465, 519, 552, 551, 563 n, 605. 675, 684 ;
II, 58, 116, 135.
Courrier National {de Pussy), I, 41, 51 n.
9!) n', 106, 114.
Courrier National Politique et Littéraire.
I, 128.
Creuset, Le. II, 77 et n, 128, 155, 175 n,
205, 251, 254, 252, 255, 267 n, 272,
2,82, 290, 295. 508, 518, 543, 382. 402
432 n, 416, 457, 464, 466 n, 498, 502 n,
515, 558 n, 547, 550, 569, 570, 575 n, 602.
Défenseur des Opprimés, Le, II, 267.
Défenseur du Peuple, Le., II, 525, 548,
550, 569, 572 n, 608, 705, 719.
Encore un / I, 525.
Ephémérides de l'Assemblée Nationale, I,
74, 77, SI, 85.
Esprit des Journauc Français et Etrangers.
L\ I, xvi.
Etats de 1789 (Are 8» H 26500 A), I, 29 n,
51, 55.
Etats Généraux, Assemblée Nationale (Au-
dran. Rennes), I, xxiv, 41, 50, 57, 61,
63, 71, 78, 80, 89. 98, 105, 109. 111, 120,
124, 154, 141, 149, 158, 160, 162, 169,
170. 172. 177, 181, 184, 191, 195, 210,
255, 305. 317, 527, 545, 388, 434, 457.
455.
Etais Généraux, Journal du Premier Député
éten communes de Chatellerault (Creuzé-
Litouche), I, xiv, 27, 28, 29 n, 30, 53,
5:,. 59, 44.
Factionnaire Clairvoyant ou Argus Impartial,
Le, IL 655, 839. '
Feuille du Jour, La, I, 615, 686 ; II, 61,
7ii. 87, 91, 105, 119, 121, 152, 155, 194,
19f, 216, 221, 255, 282, 311, 345, 561,
568, 582, 599, 430, 498, 507, 509, 559,
542, 570, 580, 585 n, 602, 617, 728 n,
743, 756 n, 760 n.
National, Le, I, 127, 217.
Gazette de Berne, La, II, 458, 502 n. 705,
728, 743.
Gazelle de France, I, 435.
Gazette de Paris, I, 211, 405, 420, 448, 451,
507, 512, 563, 608 ; II, 180, 251. 458,
495, 500. 569, 578, 718.
Gazelle Nationale ou Extrait (Ars 8" Jo
20110), 1, xxiv, 22 n, 26 n, 29 n, 53, 37,
56. 6'.), 118, 122, 146, 163, 171, 181, 183,
207, 235, 241, 271, 568, 382, 591, 402,
409, 417, 424, 430, 456, 445, 448, 471 n,
495, 499, 504, 517, 522, 525, 527, 529,
554, 566, 601, 606, 610, 669, 687 ; II, 116,
146, 180 n, 188 n, 199, 205, 209, 255,
247, 252, 261. 277, 282, 295, 299, 505,
310, 565, 582, 402, 461, 466 n, 497, 559,
566, 609, 610. 615, 652, 659, 643, 652,
660, 664, 675, 705, 708, 742.
Gazette Nationale ou le Moniteur Universel,
I, xx, xxvn n, 154 n, 155, 159, 164, 165,
170, 175, 175, 178, 185, 185, 193, 196,
201, 214, 218, 226, 228, 234, 239 n, 241,
264 n, 269, 272, 280, 282, 285 n, 287,
295, 507 n, 515, 514 n, 521, 522, 323,
325, 529, 556, 559 n, 340, 349, 554, 564,
572, 575, 577, 586, 400, 405, 407, 425,
427, 428 n, 429, 458, 442, 444, 456, 457,
470, 471 n, 472, 476, 482, 484, 486, 487,
489, 494, 497, 503, 504, 507, 508, 511 n,
515, 524, 526, 528, 530, 534, 556, 545.
551, 554, 56 i. 568, 572, 585, 597, 651 n,
65';. 663, 677, 685, 689, 691, 695, 694 n ;
lï, 10, 17, 19, 45 n, 50, 01. 68, 75, 82,
88. 92, 99, 101, 108, 114, 151, 159, 156,
157, 180, 187, 195, 197, 204, 212, 229,
251, 259, 242, 248, 255 n, 255, 260 et n,
207, 277, 289, 294, 296, 503, 308 n, 509,
314, 556, 544, 550, 562, 364 n, 573, 377.
578, 394, 417, 422, 425, 429, 437, 449,
458 n, 459, 466 n, 467, 484, 500, 504.
511, 515. 529, 530, 556, 549, 558, 570,
571 n, 577, 591 n, 598, 606, 614, 625,
055. 642, 650, 656, 662, 670, 676, 684,
692, 695 n, 707, 725, 729, 743.
les discours de Robespierre
765
Gazette Universelle, I, 180, 189, 213, 216,
229, 289, 304, 519, 325, 332, 545, 552,
308, 584. 595, 405, 450 n, 478, 505, 521 ;
II, 19, 41, 71, 84, 119, 128, 177, 200,
277, 298, "310, 561, 400, 420, 446, 467,
551, 555, 579, 608, 617, 651, 645, 660,
678, 687, 693, 719, 727, 745, 752, 760.
IndéperuUtns, Les, II, 401.
Jacobinière, Parade comme il n'y en a pas,
Lu, U, 91, 96.
Journal de Bien{aisance, II, 628.
Journal de Duquesnoy, I, xiv, 25, 68 n,
113, 122, 151, 157, 150, 154 et n, 157,
161, 184, 196, 201, 251, 258, 450 n.
Journal de la Noblesse, de la Magistrature,
du Sacerdoce et du Militaire, 1, II, xix,
16, 54, 59, 81, 94, 105, J55, 148, 190,
199, 205. 215, 229, 242, 254, 276, 279,
295, 518, 580, 597, 418, 440, 458, 466 n,
495, 515, 556, 548, 568, 579, 655, 652,
664, 674, 675, 705, 708, 727, 752.
m
Journal de la Révolution, I, 555, 614 n ;
II, 97, 251, 235, 258, 258, 277, 511, 519,
402, 456, 551, 569, 579 n, 651, 652, 660,
705, 719.
Journal de la Société des Amis de la Cons-
titution Monarchique, II, 511, 461.
tournai de la Ville, I, 78.
Journal de Louis XVI et de son Peuple, II,
84, 97, 147, 518, 445, 458, 490, 550, 569,
660, 687, 705, 708, 719, 743.
Journal ou Annales de Normandie, I, xxiv,
127, 199, 215, 268, 303, 539, 345, 362,
583, 595, 455, 560, 570 ; puis Journal de
Normandie ou de Piouen, I, 579, 672 ;
puis Journal de Normandie, II, 14, 57,
71, 75, 85, 88, 94, 100, 104, 109, 120,
128, 133, 148, 156, 158, 180, 191, 199,
204, 206, 214, 226, 230, 252, 255, 246,
252, 261, 276, 293, 299, 308, 310, 518,
542, 560, 573 et n. 382, 402, 420, 424,
429, 446, 437, 461, 466 n, 497, 515, 332,
554, 548, 550, 509, 570, 579, 651, 639,
0i3, 052, 660, 664, 678, 687, 693, 705,
708, 723, 742, 752, 759.
Journal de M. Suleau, II, 361.
Journal de Paris, I, xxiv, 50, 55, 57, 75,
135, 146, 161, 171, 190, 197, 210, 216,
200, 299, 518, 378, 593, 421 ri, 425, 459,
493, 495, 501, 510, 529, 558, 577, 675.
685, 689. ; II, 15, 17, 21, 23 n, 51, 61,
06, 72, 85, 94, 104, 106, 134, 146, 154,
194, 195. 200, 205, 225, 251, 266, 293,
7,55, 378, 598, 446, 458. 495, 507, 536,
340 n, 548, 560, 598, 631, 636, 644, 652,
604, 675. 677, 605, 695 n, 708, 710, 719,
726, 742, 752.
Journal dé Versailles, I, 51, 54, 67, 71,
78, 85, 110, 115, 127, 155, 142, 154, 170,
188, 193. 267, 284, 289, 305, 506, 316,
319, 521, 529, 558, 352, 565, 585, 594,
415, 445 400, 482, 492, 498, 521, 525,
552, 540, 551, 605, 675, 676, 687.
Journal des Amis de ia Constitution de Ver-
sailles. II, 515, 618.
Journal des Clubs, I, 650 n ; II, 45, 44,
89 n, 252, 600, 601, 608.
Journal des Débats de la Société des Amis
de lu Constitution, II, 465 n, 466 n, 499,
50!», 592, 595 n, 599, 601, 602, 603, 632,
640, 542, 544, 552, 580, 581, 584, 645.
035, 064, 687, 694 n, 706, 727.
; Débals et des Décrets, 1, xx,
n, 48 n, 50 n, 62 n, 65 n, 65 n,
82, 96, 98, 105, 108, 113, 115,
126, 140, 142, 149, 152, 159,
174, 177, 181, 182, 187, 194.
250, 256, 257, 270, 278, 285.
504, 506, 517, 519, 520, 524,
558, 540, 542, 545, 547, 550,
550, 561, 565, 570, 572, 575,
401, 412, 427, 428, 455, 440,
451, 457, 404, 474, 477, 481,
485, 488, 490, 496, 498, 502,
508, 511, 517, 526, 527, 529,
558, 540, 541, 545, 562, 574,
056, 008, 674, 686, 689 ; II, 12,
48, 56, 61, 69, 72, 76, 80, 84,
107, 114, 120, 126, 152, 141,
9, 194, 195, 200, 214, 224, 227,
254, 260, 282, 295, 298, 510,
577, 578, 420, 422, 424, 450,
461, 467, 498, 508, 529 n,
558. 551 et n, 561, 570, 582 n,
010, 615, 651, 652, 659, 643,
664, 674, 685, 688, 693, 705,
. 743, 751.
Journal des Décrets de l'Assemblée Natio-
nale pour les habitans des campagnes, I,
102, 501, 517, 545, 555, 370, 377 n, 426,
438, 553, 553. 567, 582, 607, 673, 687 ;
il. 57. 58, 95, 204, 226, 250, 254, 293,
543, 561, 565, 402, 442, 466 n, 498, 509,
509. 052, 674. 695, 705, 708, 717, 752.
Journal des Etats Généraux (Devaux), I,
xxiv, 158, 160, 162, 172, 177, 179, 180 n,
181, 183, 184, 195, 199, 207, 227, 235,
246, 281, 280, 291, 524, 326, 328, 351,
541, 554, 560, 368, 382, 391, 597, 402,
409, 417, 424, 430, 436.
Journal des Etats Généraux (Le Hodey), I,
xvir n, 47, 52, 54 n, 55, 62, 65, 68, 69,
74 77, 81, 84, 105, 108, 115, 114, 125,
152 134, 141, 149, 151, 157, 103, 170,
175 176, 180, 209, 230, 258, 269, 271,
277, 281, 284, 296, 516, 527, 330, 337,
-,]\. 545, 517. 354, 307, 579, 588, 4(12,
M6 '.H» 425. '.32. '..57, 444 n, 448, 451,
',32 S.,',, 456, 158, W6, 4(58, 472, 477,
57 i
i, 40 ]
71 i
î, 78,
116,
118,
103,
169,
209,
210,
285,
289,
329^
551,
353,
555,
579,
590,
442,
446,
482^
484,
505,
504,
551,
556,
600,
611,
19,
45 n,
88,
101,
100
n, 17
228,
246,
518,
545,
440,
454,
551,
.,52,
597,
39!),
052,
600,
719,
720,
766
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
493, 495, 501, 505, 510, 518, 523, 528,
532, 550, 56<i, 569, 576, 602, 658, 671,
675, 687, 688 ; II, 15, 45 n, 176 n, puis
Journal des Etals Généraux ou Journal
Logographiquc, II, 22, 57, 58, 39, 41, 42,
43, 46, 57, 62, 64, 71, 73, 76, 85, 87,
95, 97, 98, 103, 105, 109, 110, 114, 120,
123, 152, 156, 150, 157, 176, 177, 178,
184, 190, 201, 205, 210, 222, 226, 227,
228, 231, 234, 240, 247, 255, 259, 261,
2S0, 286, 294, 299, 310, 312, 334, 344,
547. 565, 569, 376, 389, 421, 425, 425,
428, 451, 452, 449, 459, 477, 499, 501,
514, 516, 517, 529, 552, 535, 540, 543,
546, 549, 553, 570, 576, 598, 604, 609.
610, 611, 618. 631, 654, 641, 646, 654.
661, 666, 674, 679, 688, 690, 697, 706,
, 709, 720, 729, 745, 755.
Journal des Impartiaux, I, 268.
Journal des Journaux. I, xvi.
Journal des Mécontcns, II, 198, 205, 215,
2-2U, 281, 542, 567 et n, 458, 496r 498 n,
500, 539.
Journal du Diable, I, 571, 404.
Journal du Soir (Beaulieu), 1, 075 ; II, 22,
45. 52, 36, 59, 70. 74, 96, 99, 105, 119,
189, 199, 204, 210, 225, 228, 255, 246,
261, 273, 357, 373, 466 n, 530, 566, 599,
708, 743., 752.
Journal du Soir (des Frères Ghaignieau), I,
xxin, 550. 554, 557, 601, 670, 676, 683 ;
II, 14, 52, 59, 72, 97, 105, 109, 120, 148.
153, 205, 206, 211, 235, 247, 253, 308,
318, 545, 558, 365, 376, 581, 579, 651,
663, C73, 705, 708, 719.
Journal du Soir sans réflexions, II, 534,
509, 742.
Journal Général (Abbé Fontenai), 1, xix ;
II. 50, 80, 95, 102, 119, 128, 148, 150,
155, 158. 177, 180, 192, 199, 205, 215,
226, 229! 246, 250, 261, 277, 282, 295,
29.», 310, 345, 561, 576, 425, 428, 431,
446, 438, 460, 494, 509, 551, 553, 550,
624, 653, 664, 674. 687. 717, 743, 761.
Journal Général de France, I, xix, 104,
120, 152, 159, 155, 170, 175, 180, 260,
278, 375, 385, 391, 413, 459, 496, 520,
533, 549, 549, 567 ; II, 119, 158, 192,
205, 245, 250, 261, 279, 293, '298, 518,
340, 346, 559, 568, 382, 402, 446, 455,
463, 516, 551, 532, 542, 639, 644, 660,
675, 687, 693, 702, 708, 709 n, 719,
725, 745.
Journal General de la Cour et de la Ville,
1, xix, 155, 148, 593. 492, 504, 521. 503
n, 566, 570, 608 ; II, 256, 437, 502 ri,
507, 550, 553, 703, 743, 754 n.
tournai Centrai de l'Europe (Lebrun), I,
wii, 85, 194, 120, 127, 159, 162, 291 n,
293 ; II, 617, 660, 673.
Journal Général du département du Pas-de-
Calais, II, 89. 256, 559, 545, 551, 569,
579, 59"2 n, 599, 624, 059, 644, 652, 660,
604, 678, 682 n, 687, 689, 701, 705, 708,
710 n, 719, 727, 752, 760. -
Journal gratuit, I, 552.
Journal Logographique de l'Assemblée Na-
tionale, I, 682.
Journal manuscrit de Devisme, 1, 23 n, 25,
138, 167.
Journal manuscrit de Peilerin, I, xv, 29 n,
49, 52 11, 56, 59, 61, 64, 68 n, 69, 77,
80, 83, 99, 110, 113.
Journal manuscrit du Comte de CasleUane,
I, xv, 117, 122, 258.
Journal Politique ou Gazette des Gazelles
(Bouillon;, 1, 50, 55, 57, 75, 149, 153.
Journal Universel, I, 155, 164, 174, 191,
250, 502, 516, 523, 558, 351, 561, 568,
581, 592, 427, 428, 446, 436, 481, 4S5.
499, 505, 510, 520, 546, 565 u, 567, 569,
580, 007, 611, 612 et n, 650 n, 658, 675,
680 ; II, 70, 104, 110, 119, 120, 123 n,
128, 158, 194, 199, 202, 246, 256, 293,
296, 508, 518, 543, 561, 575, 582, 402,
420, 430. 440, 458, 466 n, 467, 484, 502
n, 548, 550, 5o9, 579, 627, 651 n, 659,
644, 652, 660, 664, 674, 678, 695, 705,
710 n, 716 n, 726, 743, 752.
Junius Français, Le, I, 594, 405.
Législateur Français, Le (Beaulieu), I, xxm;
II, 45, 12, 56, 59, 70, 96, 99, 105, 119,
127, 189. 199, 204, 210, 225, 228, 233,
246, 250, 273, 282, 295, 295, 502, 518,
545, 557, 565, 575, 579, 595, 450, 446,
458, 467, 477, 550, 551, 558, 547, 550,
509, 570, 579, 598, 606, 617, 628, 653,
638, 644, 652, 675, 687, 705, 719, 726,
752, 761.
Lendemain, Le, I, xix, 565 n, 582, 675 ; II,
21, 84, 89, 107, 119, 151, 155 et n, 221.
229, 258, 252, 258, 261, 282, 295, 299^
311, 517. 520, 558, 545, 561, 567, 402,
420, 423, 450, 440, 452, 458, 465, 609.
Lettres à M. le Comte de B..., I, xvm, 178.
Lettres de Gaultier de Biauzat, I, xiv, 35,
04, 67.
Logographe, Journal National, Le, I, xxm;
II, 425, 449.
Loisirs d'un Patriote Français, I, 40.
Mar'.irologe, Le, I, 451.
Mercure de France, I, 57, 41, 46, 51 n, 75.
81. 100, 141, 158, 169, 174, 179, 189;
195, 199, 207, 229, 237, 235, 269, 279,
288, 300, 518, 325, 552, 335, 544, 350,
354, 360. 370, 575, 584, 389, 402, 426,
449, 450 n, 452, 467, 469, 473, 478, 519,
525, 546, 550, 554, 565 n, 564, 569, 603,
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
767
010, 050 n. 671, 685 ; II, 16, 41, 53,
57. 76, 84, 87, 88, 89, 105, 110, 116, 120,
147, 199, 215, 224, 227, 250, 247, 249,
261, 282, 293, 299, 506, 310, 518, 345,
561, 565. 581, 400, 423, 450, 445, 452,
460 496, 500, 508, 531, 533, 539, 569,
575 n, 616, 625, 659, 650 n, 652, 660,
664, 675, 678, 686, 693, 703. 708, 719,
726, 752, 761.
Mercure National ou Journal d'Etat et du
Citoyen (Robert), I, xxi, 104, 112, 145,
149.' 190, 195, 210, 266, 274 n, 279, 505,
510, 545, 552, 559, 509, 577, 594, 598.
408, 418. 447, 461, 476. •
Mercure National et Etranger ou Journal
Politique de l'Europe, II, 41, 61, 174 n,
247, 252, 255, 261, 274, 295, 508, 518,
561, 582, 402, 446, 492, 551.
Mercure National et Révolutions de l'Eu-
rope, I, 542, 566, 569, 580, 586 n, 604,
612 n, 614, 650 n, 670, 687 ; II, 16, 84.
Mercure Universet (Tournon), 1,
86 n, 89 n, 90, 97, 105, 111,
152, 153. 155, 158, 174, 180,
255, 256, 252, 256, 267 n, 277,
304, 309, 311, 546, 558, 566,
596, 420, 426, 444, 461 et n,
524, 552, 564, 571 n, 579, 581,
584 n, 586 n, 587, 592, 595,
601, 617, 051, 655, 659, 665,
687, 694 n, 706, 707, 717, 723,
755, 757 n, 761.
Modérateur. Le, I, 183, 189, 209,
305.
Noncialeur ou les Nouvelles du Jour, Le,
I, 75, 82 85, 114 et n, 120, 128, 158,
145, 149, 170, 171, 190, 194, 197, 210,
241, 269, 272, 299, 518, 556, 578, 595,
425, 434, 4-46.
Nouvelles Ephémérides de l'Assemblée Na-
tionale, I, 66, 67, 72.
Nouvelliste National ou Journal de Toulouse,
Le, l, 165, 212, 216, 265, 284, 306, 318,
338, 545, 551, 369, 372, 595, 459, 467,
477.
Nouvelliste Universel, Le, I, 71, 82.
Observateur Français ou Le Publiciste Véri-
d.ique et Impartial, V. II, 75, 84, 105,
119.
Orateur du Peuple, L' (Fréron), I, xix, 395,
498, 556, 545, 565 n. 581, 584, 614 n ;
11, 151 n, 159 n, 174, 281, 316, 520 n,
561, 402, 502 n, 514 n, 518, 519 n,
537 n, 549. 551, 569, 575 n. 584 n, 628,
726.
Pacquebot Le, II, 569, 579, 617, 651, 644,
652, 060, 087, 708, 719, 727, 743.
Patriote Fiançais, Le (Brissot), I, xxiv, 62,
82, 112, 115, 129, 142, 150, 152, 185,
XXIII
; ii,
129,
149,
217,
250,
282,
299,
577,
379;
497,
498,
585,
584,
597,
599.
664,
672,
758,
748,
270,
211 n, 306, 531, 358, 340, 551, 370, 392,
405, 426, 499, 512, 521, 523, 543 n, 547,
550, 563 et n, 568, 607, 610, 615, 671 ;
II, 17, 60, 72, 75, 79, 84, 87, 89, 95,
105, 110, 122, 125 n, 127, 135, 144 n,
148, 150, 155 et n, 457, 180, 194, 199,
205, 216, 229; 252, 255, 256, 267 n, 277,
282, 291. 295, 307, 315, 320 n, 341, 561,
564 n, 375, 576 n, 382, 424, 450, 446,
461, 497, 505 n, 509, 516, 528 n, 550,
535, 556, 551. 552 n, 558 n, 569, 575 n,
582 n, 585 n, 586 n, 592 n, 595 n, 598,
617, 051,' 652, 675, 678, 679, 687, 695,
097 n, 705, 708, 719, 727, 741.
Père Duchesne, Le, Je suis le véritable Père
Duchène (Robin) (B.N. 8" LC2 519 bis), II.
134, 502 n.
Père Duchesne. Le, I, xxv, 756 n.
Point du Jour, Le (Rarère), I, xx, xxi,
xxm, 26, 29 n, 51, 54, 40, 45, 47, 50,
51 n, 57, 58, 60, 61, 65, 08, 70, 80, 84,
97, 98. 105, 109, 111, H9, 124, 151, 154,
159, 140, 142. 140, 151 n, 155, 157, 162,
166, 168, 175, 181, 185, 186, 194, 197,
204, 215, 226, 250, 255, 235, 244, 270,
275, 281, 295, 507, 525, 529, 531, 543,
547, 551, 556, 557, 565, 572, 374 et n,
599, 406, 411, 417, 420, 451, 458, 443,
445, 457, 461, 462, 468, 470 n, 479, 486.
488, 490, 496, 499, 508, 509 et n, 51 t.
514, 522, 525, 520 n, 527 n, 528 n, 529
et n, 550, 555 et 11, 559 et n, 540 n, 545,
5-48 n, 554, 555 508, 581, 582, 585, 609
et n. 012 n, 659, 680, 681, 689, 692, 695.
695 ; II, 8 et n, 40, 42, 44, 45 n, 49'.
56, 60, 62 n, 64, 66. 72, 76, 77 n, 79 n,
84, 96. 97, 99, 105, 106, 112, 125, 150,
156 n, 148, 151 n, 154, 157, 175, 177,
180, 181, 194, 198, 200, 201 n, 205, 206,
207. 215 n, 216. 225, 227, 229, 253, 259,
245, 249. 233 n, 256, 261, 267 n, 282.
297, 507. 509, 541, 545, 555, 565, 571 ;
— 577, 579, 492, 420, 425, 425, 451, 446,
447, 467, 484, 500, 515, 517, 531, 555,
557, 545, 558, 579, 607, 610, 617, 626,
629 n, 057, 652. 658, 664, 672, 676, 687,
688, 689 n, 693, 694 n, 708, 717, 726,
* 745, 752, 755 et n.
Postillon, Le (Calais), I, xxn, xxv, 287, 298,
503 n, 318, 550, 557, 544, 366, 376, 403,
412, 428, 439, 460, -467, 493, 511, 525
(2 fois), 542, 560, 563 n, 570 ; II, 16, 54,
97. 100, 105, 119, 205, 206, 567, 660,
095, 719, 742.
Postillon Extraordinaire ou Le Premier Ar ri-
vet Le, I, 594.
Postillon Français, Le, I, 351.
Hosti'lon, Le (imitation), I, 337, 461, 466.
Postillon, Le (par le Père Duchène), I, 543.
768
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Procès-Verbal de V Assemblée Nationale (et
pièces pour servir à la rédaction du pro-
cès-verbal), I, 54, 57, 58 n, 42 n, 48 n,
48 n, 76 n, 85 n, 96 n, 155 n, 226 n,
519 n. 596 n, 455 n. 462, 468, 409 n,
472, 479 n, 695 ; II, 45 n, 176 n, 177 n.
Réveil Malin ou Journal de Paris, Le, I,
257.
Réviseur Moniteur, Le, I, 554.
Réviseur Universel et Impartial, Le, II, 761.
Révolution de France, ou Correspondance
a<;ec un Etranger, La, I, 455.
Révolutions de France et de Brabant, I, xxi
165, 258, 549 n, 447, 479, 491, 496, 498.
50!, 552, 557, 545 n, 565 n, 597 n, 615,
647 ; II, 54, 55 et n, 87 n, 89 n, 118,
145, 144 n, 258 n, 505, 508, 508 n, 517,
561, 564 n, 575, 598, 405 n, 420, 502 n,
518, 519 n, 528 n, 552 n, 570 n, 578,
582 n, 585 n, 596, 742, 752, 756, 758 n.
Révolutions de l'Europe (Tournon), I, 571,
584, 594, 554, 557.
Révolutions de Paris (Prudhomme), I, xix,
68 115, 129 n, 150, 155 n, 596, 429,
529 n, 565 n, 570, 617 n ; II, 16, 54,
155, 178 n, 205, 299, 582, 456, 460, 509
591 n, 599, 660, 761.
Révolutions de Paris (Tournon), I, 152, 167
n, 170, 549 n, 558 n, 552 n.
Révolution* Nationales (Poinçot), I, 81.
Rocambole, La, II, 595, 601, 678, 687, 705,
718, 752.
Rôdeur Français, Le, I, xxiv, 164.
Sabats Jacobites, Les, II, xvn, 155, 220.
Secrétaire de VAssemblée Nationale, Le, I,
76, 79, 82.
Sentinelle du Peuple, La, I, 129, 153.
Sottises de la Semaine, I, 266.
Sottises et Vérités de la Semaine, 1, 454.
Spc-tatcur à VAssemblée Nationale, Le, I,
76; 106.
Spectateur National, Le, I, 413, 449, 467,
474, 479. 495, 501, 555, 542, 549, 569,
582, 584, 605, 614 n, 658 ; II, 15, 18,
55, 57. 85, 102, 109, 111, 119, 158, 200,
205, 247, 250, 255, 281, 293, 295, 299,
507, 510. 516, 545. 346, 380, 401, 423,
429.
Stalionnaire Patriote aux frontières, Le, II,
59 n.
Suite des Nouvelles de Versailles (Beaulieu),
1, 41, 42, 67, 68 n. 74, 84, 106, 120, 154,
142, 150, 152, 159, 170.
Thermomètre du four, II, 629, 754.
Union ou Le Journal de la Liberté, L\ I,
xxii, 159, 142, 147, 165, 169, 174, 180,
181, 188, 198, 2 12, 215, 229, 256, 265,
279, 285, 288, 304, 317, 568, 581, 594,
459, 460, 495, 499, 505, 510.
Vedette ou Précis de toides les Nouvelles
du Jour, II. 194, 450, 502 n, 551, 569.
570 n, 715, 752, 754 n, 761.
Veillées d'un Français (Jolv), I, xxm, 57,
58, 00, 01, 65, 65, 68, 70, 78, 84, 98,
102, 111, 125, 131, 153.
Véridique ou Le Courrier Patriote, Le, I,
128, 151, 170.
Versailles et Paris (Perlet), I, 48 n, 56,
60, 73, 102, 112.
Voix du Peuple, La, 1, 82.
Vrai Citoyen, Le, II, 361
INDEX DES NOMS DE PERSONNES ET DE LIEUX
ACIIVRD DR BONVOULOIR, II, 468 II.
Affenois, 1, '238 à 268.
Aiguillon (duc d"), I, 154, 237, 238, 254,
487, 488, 480, 490 ; II, 44, 87 n, 311.
Aix nu Rémy (baron d'), I, 12 n, 14 n, 15 n.
Albert de Riovis (d!), I, 156 à 159, 184 à
19-2, 463 à 466, 546.
Alger, I, 463 n.
Alquier, II. 135, 679, 687.
Alsace, I, '251.
Mtkirch, II, 107.
Aiini.ï (d'), I, 429, 434.
Amiens, I, 4'2 n.
André ùi), I, 60, 156, 571, 406, 552, 555,
585, 584. 610, 094 ; II, 56, 72 à 76, 93,
94, 98, 240 à 246. 259, 293 à 294, 335 n,
559, 599, 466 à 467, 499, 502 n, 506,
516 n. 521. 537 n, 544, 549 à 550, 571 n,
575 n, 576, 598, 651, 653 à 660, 674,
688, 690 à 693, 720 à 726, 743 à 751.
A.ndrieu, député de Riom, I, 33.
Angleterre, anglais, I, 109, 110, 200, 356
à 362, 458 n, 462 à 467, 486, 488 ;
II, 55.
Ansart, I, 11.
Anson, I, 192 à 194, 214, 285; II, 112.
213, 216.
Antkoixe. 1, 557. 566, 683, 584; II, 267,
•258 ri, 497, 511, 551, 652.
Aouk'j (marquis d), I, 57.
Àrdennet, I, 486.
Armand, député de Saint-Flour, II, 228.
Amay-le-Duc, II, 77.
Arras, 1, 6. 7, 9, 10 à 17, 19 n, 52, 355,
350, 408, 488 ; II. 678 à 687.
Artois, I, 5 à 22, 32, 52, 55. 201, 202,
204, 865, 266, 207, 208, 209, 217 à 226,
273, 280. 281, 523, 347. 386 ; II, 42 n, 76.
Artois (comte d'), 1, 43, 45 ; II, 520.
Asr (d'), président au Parlement de Tou-
louse, II, 175.
Ai'Dii r-Massillo.v, I, 502.
Autriche, I, 486, 487 n ; H, 55, 520.
Auvirgne, 1, 241. 257.
Avifinon, I, 475 à 479, 527, 585 a 608 ;
II 245, 247 à 252, 256 à 258. 277 à
2X2 296 à 511, 424 n.
ï
Baco de la Chamelle, I, 674, 675.
Baii.lt, I, 28, 34, 35, 38 n, 43 à 48, 105 n,
107 n, 164 *n, 362 n ; II, 500 n, 502 n,
557 n.
Ramai, dépulj de Comminges, I, 416.
Babèbe de Vieizac, I, 34, 58. 106, 133 à
135, 196, 574, 505 à 506 ; II, 78, 238,
420, 634.
Rarnave, I, 23 n, 26, 34, 49 n, 50, 51, 57,
76, 79 à82, 86, 121, 135, 141, 142, 143,
144, 149, 150, 151, 177 n, 192 à 195
196 à 199, 236, 237, 268, 270, 316, 318!
558, 546, 597, 403, 404, 416, 428, 444,
454, 613, 530 à 535, 585 ; II, 20, 43, 46,
51 : 53, 79 n, 80, 81 à 84, 87 n, 119, 122,
157 n, 158, 178, 19i, 195, 202 n, 203 n,
207, 215, 550, 551, 367 à 368, 369 à 376,
405 n, 426 à 427, 428, 514, 525 n, 557
n, 57u n, 575 et n, 576 n, 606 à 609,
618, 646 n, 666 à 673, 709 n, 710 à 719,
727 à 742, 745, 754 n,
Bassart, président du District de Versailles,
I, 440 n.
Béarn, I, 509 à 511.
Reauharnais (Alexandre, vicomte de), I, 537:
II, 558 n, 631.
Reaumetz : voir Briois de Beaumetz.
Begouen, député de Caux, II, 728.
Rehix, curé d'Hersin-Coupigny, député du
clergé d'Artois, I, 21 n, 53.
Bclfort, II, 152 n.
Belgique : voir Provinces belgiques.
Bellevue.. II, 77.
Rergasse-Laziroule, I, 21 n, 23 n, 68.
Rertier de Sauvigny, 1, 42.
Besançon, I, 616 n.
Rezenval (baron de), I, 48 à 50.
Béziers, I, 242 à 248.
Riauzat (Gaultier de), I, 54 n, 63, 14» à
151. 497, 500, 555, 558, 547 ; II, 44, 90,
107 à 110, 122, 128, 136 n, 143, 144,
221 n, 226, 576 n, 581, 705, 712, 728.
Rigot-I'réameneu, II, 502 n.
Rio\, député de Loudun, I,' 139 n.
Riron (duc de), I, 341, 356.
BlaconS (marquis de), I, 57.
/;/'//, i i-Manteaux (district dos), I, 48.
Miîv, député de Nantes, I, 192, 194, 195.
BoiSGEU* ps Cyc*, I, 58, 67, 113, 385.
Knww, (François de), évoque de Clermont,
I, (M), 235.
fco.
770
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Bonnat (marquis de), I, 85, 325. 450 n,
475, 092.
Bo.xne-Carhère, II, 155, 420, 427.
Bon.\e-Savardi\, I, 500, 501 a, 515 à 521.
Bonkevai (<nJbbé), 1, 100, 184.
liowiviï li; (Nicolas), I, 653 n.
Bonmèrks (Adrien-Louis de) : voir duc de
G unies.
Bordeaux, II, 62.
Bouche, I, 00, 63, 104, 602 n, 007 ; II, 80,
05, 94, 201, 247, 250.
Boucher d'Argis, I, 107 n ; II, 21 n, 55.
Bot cnoTTL. I, 33, 00, 216, 515, 518 à 520.
Boudard, I, 21 n, 53.
Boufflers (marquis de), I, 418 n.
Bouille (marquis de), I, 527 à 535, 536,
557 ; II, 140 n, 548, 551, 554 à 567, 570,
644. 065 à 000.
Bourdox député de Caux, I, 340 ; II, 599.
Boura-la-Reine, I, 554, 535.
Bourgogne, I, 40.
B0UR\'AZF.L, I, 54, 55.
BouiiMssAC. I, 155 n.
BoUSMARD DF Cil \:V J-R.UNF (d«)r I, 544.
Boussion député d'Agen, I, 268.
Bomthilijer (marquis de), I, 538.
Boutteviile-Dlwietz, 1, 171, 174, 270, 482,
602 ; II, 56, 88, 128, 138 à 146.
Bouvier, député d'Orange, I, 477 n.
Boye'i, procureur des Avignonais, I, 475,
476.
Bramas (duc de), 1. 485. 484.
Brassart, avocat à Arras, I, 15, 19 n, 20,
21 n, 53.
Brest, I, 185, 180, 457 à 459, 540 ; H,
150, 708 à 719.
Brevet de Beaujolr, I, 505, 506.
Bretagne, 1. 40, 52 n, 227, 229, 258 à 268.
Brie-Comtr-Boberl, I, 48 ; II, 500 à 508,
545 à 348, 604 à 609.
Briois de Beaumetz, I, 21 n, 55. 156, 171 à
174, 526, 534 à 338, 544 à 545, 356, 468,
480, 505 à 505, 686, 692 ; II, 77 n, 87.
120, 203 n 252 n, 554 à 545, 382, 399
à 401, 618, 023, 637, 694.
Brissot, I, 10 "21, 120 n ; H, 118 n, 552
n, 558 n, 001, 709 n, 713 n, 728 n.
Broglie (duc de), I, 63, 357, 361, 549 n ;
II, 111, 152, 175, 405 n, 711, 715.
Brostaret, I, 547.
Brouet, avocat -iu Parlement de Paris,
I, 211.
Buissart, I, 23, 26 n, 34, 75 n, 76 n,
152 n, 157 n, 152 n, 172 n, 172 n, 274 n,
352 n.
Buzoï, I. 54, 57 n, 58, 41, 121, 259, 522,
525, 085 à 688 ; II, 65, 81 à 84, 92 à 97,
100 à 104, 105 à 106, 155 à 155, 175,
185 n, 200, 205 11, 215, 216, 229, 230,
239, 295 ù 295, 554 à 342, 544, 380,
40" n, 420, 508, 520 n, 525 à 558, 553,
558 n. 571 ,., 573 et n, 601, 615, 618,
027 ù 050 839, 744 n, 754.
Calas, il, 48 ù 54.
(kimbrésis, I, 52 n, 145 ù 151, 217 à 226,
275.
Camus, I, 55, 54, 51, 135, 182, 185, 592,
593, 404, 414, 458, 440, 478, 479, 497,
il»8 500 n, 534, 557, 558, 6o9 ; II, 80,
654, 688, 753.
Caraaiax (comte de), I, 155 n, 185.
Cabiox, curé d Issy-1'Evêque, II, 129.
Carpenlrus, I, 5y0, 594, 595.
Carra, 1, 250 ; U, 766 n, 710 n.
Oas&el, 11, 151 n, 216.
Castellam: (coinie oe), I, 59, 116, 176, 282
447, 42S.
Castbleet (marquis de), I, 484, 508.
Casielnaij de Llrieres (baron), 1, 45, 46.
Cauwe't de Baly, lieutenant général du gou-
verncriient d Artois, I, 16, 19.
Cavlus (auc de), I, 361.
Cazales (Ue), !, l2ô, 126, 129, 150, 165,
192, 195, 252, 255, 246, 262, 270, 519,
562, 565, 407, 408, 410, 413, 476, 4?J,
480, 481, 484, 485, 489 à 493, 691 ; II.
20, 22, 64 à 70, 79, 118, 147, 181, 199 n,
580, 500, 410, 421 à 425, 424, 468, 487,
4U-J, 500.
Cluuiti, If, 457.
'■..elle, 1, 489. •
CiiAiiRouD, I, 57 n, 107 n, 482, 483, 507,
508, 570, 571, 580, 581, 583, 584 ; II,
20, 89, 98, 149, 555 à 558, 576, 678, 687.
tUiàlons-sur-Marne, I, 513 n.
Chamuon de Saii\t-Juliex (César), I, 184.
Champion' de Cicé, I, 202 n, 429 n.
CllARAMOXD, I, 9 n.
CiivssET, 1, 60, 106, 415, 427, 428, 457, 548.
C (tleau-ïhierry, I, 52 n, 545.
Chateauneuf-Bandon (marquis de), II, 711.
Châteauvieux (régiment de), I, 555 à 557 ;
11, 140.
Chûtelet (tribunal du), I, 107 n, 117, 124,
12.), 128, 150, 155, 161, 186, 520, 429,
406, 501 11, 515 à 521, 558, 567 à 570 ;
II, loi à 155, 252.
Chuelet-Lomont (duc du), I, 563, 569, 585,
607, 656 à 658 ; II, 107 à 110
Chat'zbl, I, 57.
Chaumont, II, 47 n.
Ché.mer (André), II, 455.
Chéi'y fils (Pierre), II, 122, 258 n, 586.
Clnnon, I, 226 à 227.
Choderlos ce Laclos, II, 519, 509, 511, 581,
585, 595.
Choisei l-Pr.\slix (comte de), I, 75 n, 505,
369, 537 : II, 64.
Clav.ère. II, 100 n.
CiiiuioNï-LoDÈvE (marquis de), I, 284 n ;
II, 277 ù 281.
Cleumont-Towerre (Stanislas, comte de\
f, 57 el n. 48 n. 75. 76, 117 ,à 120, 125 n,
167, 109, 170, 178 à 180, 190, 191, 192,
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
771
268, 422, 450 n, 585 a, 005, 007 , Il
z\M à "298.
Clopts (Anurcharsis), I, 430 n ; II, 457.
Cochard I, 274, 280.
COWIFREL, II, 716.
Collaud DE la Salcette, I, 192, 195, 191,
l«g ; 11, 070
Colmar. avocat, 1, 408 à 470.
Colonies, 1, 4ui ; 11, ib a i8, 709 à 719,
727 à 743.
Comial y euutsain, 1, 585 à 008 ; II, 245,
ï4/ à -toi, -^yo, 511.
Comme (prince uej, 1, 489 à 495 ; II, 520.
LoNiiORcE', II, 150, 552.
Conxié (Aigr de), I, 18.
Coroeil, II, 250, 231.
C'ORKOLLER DL .t.OUSTOlR, I, 57 \ II, 585 «
Ml, 001, 005, 712, 754.
Corse, 1, 190 à 200, 552, 535.
uiLti (comte de), 1, 37.
Coui-iÉ (Gobr-el-Uyacinthe), II, 137.
Couturier, 11, 514.
cre- zl-latoul1ie, ii, 005.
Crillox (comte ne), 1, o62, 568, 404, 405,
0:13 ; II, 158, 281.
Croia (comte tk'),*I, 21 n, 55, 280, 284.
Cl.^hy (comte d<:), I, 7 n.
curt (Louis de), 11, 740.
Cussv (Gabriel de), 11, 704.
Custini (comte de), député, I, 41, 528 ; II,
U'.l, 275, 298, 079 à 685.
Ûamiem, huissier, II, 720 à 726.
b'.MOJ, II. 111.
Danton 1, 416 ; H, 122, 155, 520, 551, 581,
5<Sti n, 719 à 724.
Darciie (lharlesj, 1, 96 n, 156.
Dapjvaudat, I, 509. 511 B.
Da; i.iiv, II, 405 n, 545.
Uaaphinc, I, 52 n.
Deitrmon les Ckapelières, I, 41, 63, 11V
n, 141, 142, 540, 552, 553; II, 62, 178,
545, 646.
Oeillrs, 11, 605.
Deiandi.ne, I, 672.
Itr.im.M.. Il, 107 à 110, 428 a 450, 460,
7::). 727.
Del w! lie Le Hollx, 1. 462. 465, 582.
De Lattre, député dWbbeville, II, 346.
Delaï d'Acier, I, 450 n.
Dlmmmir, I. 51, 110, 5(8, 348, 437. 439,
440, 444, 462, 467 500 à 502, 611 : II.
00 02 Ù 1)7, 99, 105, 125. 195, 203.
207. 215, 227, 228, 231, 2.12. 238 el n,
258 à 280. 519 399. 421. 12 1 425, 427,
516, 557 n, 559, 542, 570, 571 n, 037.
641), 665, 669, 674, 720 à 726.
Df.schamps, I. 116 et n.
Ursu'Zî' ris, I. 7, M.
i\e (Canine) I. T.") n. 166 n. 241 n,
416, m ù 500 543 : II, 122,
! ',", n 52b n, 759 n.
DlIvTSME, 1, 185.
Dieppe, I, 540 à 342.
Dili.on, curé du Vieux-Pouzauges, I, 60,
160.
Dillon (Arthur, comte), I, 445 à 448, 471 ;
II, 157.
Dixociieau, I, 557 n, 659.
Dioxis nu Séjour, I, 176.
' m:, curé de Ligny. 1, 21 n, 53.
0.) ssiT (duc de), I, 45 n.
ok.axs (comte de), I, 545.
nouai, II, 129 à 148, 150, 154.
Dreux-Lrézf. (marquis de), I, 35.
Dubois df Chance, I, 286, 500 à 502, 508,
537 ; II. 45 n, 74 n, 87 n, 252, 275 n,
291, 295, 319, 542.
Dubois de Iosse x. 1, 9 n, 11, 13, 14,
15 n, 555 n, 556 n.
Dubreuil, II, 727.
Dubi isson, l, 55, 581.
Dultiastei i .El (Ach lie). II, 552 n.
Du(.los-Dufre«noy, I. 49.
Duia , l'eui ii ut arli'lerie à Strasbourg,
I, 480. 481.
Dulau (Jean-Marie;, archevêque d Aix, II,
670.
Dcmetz : vo'r Boulteville-Dumetz.
Du Morier (Joseph-Pierre;, U, 728 n.
Difaty, II, 47 n.
Dupi rssi Bertaux, II, 542 n.
Dupovr de Nemours, I, 357, 361, 467 ; II,
36i n.
Duport, I, 65, fi*. 106, 150. 155, 167, 170,
252, 255, 286 à 289, 515 n. 674, 675,
687 ; II, 7, 20, 21 n, 22, 46. 65, 64. 71,
74 n. 89 n, 120. 155, 175, 202 n, 319,
364 n, 405 el n. 415, 451. 452 n, 442.
406 à 467, 502 n. 506, 534, 553, 555 n,
585, 053, 697 n, 700, 702, 706, 720 à 726.
DtipoRïAii, II. 149 n, 521, 644.
Dupuf, député de Carcassonne, II. 148.
Diqitsnoy, I, 60. 104, 201, 534. 611, 650
n : II, 122, 552 n.
D- R«n de Maillane, I, 33, 585, 607 ; H,
258.
Durget, I, 106.
Du Rosoy, 1, 55.
Dotai i> Brtdtewim., I. 196, 198. 199, 228,
229. 253. 246, 262, 284, 444 à 449, 539 ;
II, 79, 609 n.
Ecmont (comte de), I, 166.
R';gs 1. 513.
El brcq (baron d'), I, 486.
i:\uii in. I, 529 à 531, 537, 693; II, 157,
\:>x. 534, 657 n, 571 n.
Kipaane, 1, 563 à 57 i, 31)6 à 362, 458, 404,
m, 524, 525, 526: II, 641 a 643.
I.viuv: (comle d'), I, 153, 441.
Bbti «hazy (courte d'), I. ;,(>. :)7, 96.
Kstikwi . journaliste, II, M n.-*
772
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Estourmei. (marquis d'), I, 206, 564 et n
II, 661, 079 à 687.
FMta-Unis $ Amérique, I, 472 h 475.
Kwiu.v 0«bb.'-;. I, 595, 595, 417.
Faure b'Eclantine, II, 256.
Faucigny de Lucinge (comte de), I, 551.
Faure, II, 502 n.
Fêraiid, 1, 507, 512, 514.
Flandre, I, 52 n, 217 à 226, 272, 275, 280,
5 17 .
Fleurit, député, J, 20, 21 n, 55.
Ferrures (marquis de), I, 107 n, 125 n.
129 n, 261 n ; II. 580 n, 446 n.
l'iMin, II, 89, 595.
J n.ornv I, 485.
Foix (comté de), I, 52 a.
Folleville (marquis de), I, 502, 694 ; II,
40: 76 à 77, 158, 251.
Folcauld-Lardimalie (marquis de), I, 152,
195, 228, 229, 247, 251, ,258, 268, 269,
515 à 521, 611, 694 n ; II, 100.
Foulon, I, 42.
Fouaorin, I, 21 n.
François, I, 121 n.
Frékon, I, 498 n.
Fréteau de Saint-Jijst, I, 270, 285, 575,
417 )i, 450, 456, 487, 526, 691 ; II, 47 n,
107 à 110, 540, 499, 516, 641 à 645,
679, 987, 704.
Fribourg, I, 452.
Fromentin de Sartee, I, 555 n.
Fumel-Montséglr (marquis de), I, 214, 252,
255, 258.
Garai l'Aîné, I. 25 n, 60. 75, 155, 154, 155,
174. 197, 199, 252, 258, 268, 269, 285,
521, 416. 429, 455 ; II, 99, 175, 228, 577,
, 580, 581.
Garât le Jeune, 1, 155, 155, 529.
Car r an de Collom, I, 501 n.
Cènes, I, 196 à 200.
Gerle (don»), I. 176, 519.
GlLLET DE LA J.ACQUEMINIÈRE, I, 525.
Girarpin (Hené-Louis, marquis de), II, 464.
GiveL II, 152 n.
Glezen, I, 41, 42, 55 n.
Gobel, évoque de Lydda, I, 60.
Godart, I, 441 n.
Gomrert, II, 711, 712.
Gorsas, I, 145 n.
Gossin, I, 557 ; II, 156 n.
Goudard, I, 694.
GouGF.Tdksi andres (Maurice), II, 421.
Gmn.iART, maire de Soissoras, I, 481 n;
II, 89.
Goupil de Préfeln, I, 106, 155, 247, 518,
557, 501, 585, 592, 595, 571, 581, 582 ;
II. 175. 221, 226, 228, 256, 299 à 508,
421, 422, 509, 555 n, 600, 665, 674, 700,
712 à 719.
Goi pilleau (de Fontenay), I, 155, 520, 554;
II, 425.
Gouttes (abbé), I, 181, 226, 571, 394, 484,
185, 526, 554 ; H, 79 n, 100.
Goever.net (de), I, 441.
Gouv d'Arsy, 1, 45, 58, 67 ; II, 158, 716
728 à 742.
(inwciER, I, 529.
Grégoire (abbé), I, 57 et n, 106, 107, 150,
155. 155, 227, 274, 524, 546, 547, 401,
438, 452 : II, 275 n, 554 à 345, 547, 549,
575, 576, 553, 575, 576 n, 651, 659, 709
n, 752, 754.
Guàdet, I, 19, 21 ; II, 728 n.
GUERNOVAL llLsoiJELBECQ, II, 156 ri.
Gi ffroï, I, 135 ii, 200 n ; II, 682 n.
Geignard : voir Sainl-Priesi.
Guillaume (Louis-Marie), II, 655, 665 à 075.
Geillin de Montel (Mme), II, 628 n.
Glillotin, 1, 60, 72.
Gr ims kluc de), I, 5, 6, 18, 19, 21.
G ru: secrétaire de la Société des Amis de
la Constitution de Besançon, I, 016.
H I J K
Uainaul, I, 52 n, 217 ù 220, 275.
Hébrard (Pierre), II, 661.
IIe.s,)in, I, 52, 655 à 658.
HeURTAILI DE Lamerville, I, 346.
Hollande, I, 402, 467.
Hongrie, 1, 487.
IIoudon, sculpteur, II, 255,
Huningue, II, 107.
Issy-V Evèque, II, 129 à 455.
Jacquemart (abbé), 1, 597 a 403, 585, 005,
007.
Jeandon Saint-André, I, 505 n.
Jessé (baron de), II, 119.
Joir, I, 48.
Jones (Paul.), I, 472, 475.
Joehert (Pierre- Mathieu), évèque d'Augou-
lême, I, 57.
Jeuae, *le Tabngo, I, 471, 472.
Il'ifs, I, 167 à 170, 215, 214, 485 à 48k
Julien (abbé), II, 700.
Kereaim, II, 111, 121, 128, 217.
Lablaciie, I, 60, 511.
Lauorde de Méréville, I, 20, 65 ; II, 555.
557.
Lwhèse, député de Cahors, I, 60, 537.
Luti-èdf (de), II, 502 n.
Lacroix, I, 441 n.
La Tare (de), évèque de Nancy, I, 109,
170, 232, 255.
Lai arge, financier, II, 100 à 105.
La Fayette ("Marie-Joseph du Motier, mar-
quis de). I, 75, 121 n, 427, 428, 440,
491 n, 555. 611 ; II, 54 n, 55, 90 n,
575 n, 502 n, 520 n, 557 n, 575 n, 088.
Lamari'f: (de), II, 18.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
773
Lally-Tolevdal, I, 37 n, 39, 40 et n, 41,
42 46, 48 n, 75, 99 n.
La Luzerne (de), évêque de Langrcs, I, 40,
47, 60, 471.
La Marck (comte de), I, 585 n ; II, 89 n.
Lambert de Frondeville, I, 513 n.
Lameth (Alexandre de), I, 7 n, 145, 180,
557, 407, 498, 5-28, 693 ; II, 41, 45, 74 n,
lit», 122, 123, 140. 149, 202 n, 255 à 256,
•258. 575 n, 496, 549, 557 n, 571 n,
575 n, 585, 675, 679 à 687, 709, 710 à
719, 728 n.
Lameth (Charles de), I, 21 n, 53, 69, 71,
125. 127, 155, 155, 134, 192 à 195, 211
n, 252. 257, 238, 254, 507, 516 à 318,
354 à 559, 72, 404, 405, 416, 428, 441 n,
479, 489, 492, 500 n, 509, MO, 526, 527,
615 à 615 ; II, 55, 74 n, 119, 128. 195
à 198, 205 n, 258. 291, 295, 296 à 299,
511. 360 à 568, 375 n, 405 n, 496, 510.
525 n, 571 n, 599 n, 634, 640, 675, 679
à 687, 710 a 719, 728 n.
La mi tu (Théodore de), II, 715.
Langlade, II, 48.
La\jmnais, I, 29, 227 à 230, 270, 274, 502,
543 ; II, 57, 183 n, 228, 261, 276, 347,
424, 654, 720.
I.annoï (coinle de), I, 280.
Laporte (de), intendant de la liste civile,
II, 514, 525 n.
La Poi le, 1, 450 n ; II, 221.
La Poype (marquis de), II, 581.
La Revi i.lière-Lépeaux, II, 83 à 84, 403.
La Rochefoucauld (l/Ouis-Alexandre, duc
de), I, 37, 61, 85, 192, 194, 195, 251.
257, 262, 346, 428 ; II, 64, 299. 508, 545,
655 à Ô60.
La Roque (de), II, 682 n.
La Salle (marquis de), I, 73, 74.
La Tour du Pin-Gouvernet (de), I, 480, 481.
527, 555, 656, 693 ; II, 41 n.
La Tour Maubourg (de), I, 163 n ; II, 247.
Latude, II, 80, 128, 129.
Lai va y (de). I, 58.
Laurent, II, 652.
La Vauguyon (duc de), I, 53, 54.
Lavenue, I, 417
Lavicne, II, 712.
Lavie (Paul-Marie Arnaud de), I, 157 n, 159,
280 : II, 456, 545 à 547, 609, 680. 697 n,
700, 718, 745.
Lavoisieb, H, 118.
bt Blanc de Verneuil, I, 320 n.
Lebrun, député de Dourda-n, I, 455 à 457:
il. 112, 119.
l.i Chapelier, I, 22, 23 et n, 26, 34, 57 n,
67. 82, 83 à 85, 145, 149, 150, 151, 160
à 165. 193, 214, 257. 2M, 298, 397. 405,
404, 411. 413, 414, 427, 428, 555, 566,
567, 568, 371 et n, 611, 694; II, 18 a
19 20. 13, il. 72. 78. 79 n 80 ,' M,
X7 à 88, 92, 110, 111, 120. 140, 175, 161,
203 n, 512 à 318, 334 à 543, 344, 382,
599 a 401. 420 a 422, 537 n, 571 n,
575 n, 609 631 n, 657. 665. 688, '06,
720, 743 à 752, 753.
Lechon, I, 19 n.
Lecierc (abbé), I, 385.
Leclerc ni: Juigne, archevêque de Paris,
I, 252.
I.ec.uxtre, I, 441.
Le Couteuj.x de Ca.xteleu, I. 180 n, 194,
214, 216, 285 ; II, 157 n.
I. invar d'Ormesson, I, 154.
Le Franc de Pompignan, I, 37 n.
Le fiiuzRr: de Kervélégan, I, 38.
I.i«.i:m)re, II, 55, 551.
Lfgraxd, député de Bourges, I, 32, 34.
LeGBAND DE BorSLANDRY, I, 468.
Legravd, accusateur puhlic, II, 608.
Le Havre, I, 55, 54, 465 n, 465 ; II, 709 n.
L'Eleu de la Ville-aux-JBois, I, 325, 572,-
405.
Lepélbtifr de Saixt-Fargeau, I, 77, 78, 79,
505, 306, 428 n, 489 à 493, 503 à 506 ;
H, 58 à 61, 432.
LÉrmoR (Michel), II, 111, 320.
I. T-Ipinay du Lut (de), I, 239.
Le Houlx, curé de Saint-Pol, I, 21 n, 53.
Lissart (Claude-Antoine Valdec de), II,
522. 524.
I.i si iu.im d'Isbercces, I, 21 n, 53.
I.KSOING, I, 16.
Levai liant d'Oisy, I, 19 n.
Liancourt (Alexandre-François dé La Ro-
chefoucauld, duc de), I, 45, 44 n, 46,
162, 165. 190, 191, 192, 231, 455, 537 ;
II, 418, 499, 555.
Liège 'évoque de), I, 486 n.
Limousin (Bas), I, 227.
Lixguet, conseil de l'Assemblée de Saint-
Marc, II, 156, 194, 195.
loi. s XVI, I, 22. 27, 38, 59, 103 n, 357,
509 ; II, 514 à 539, 548, 551.
Loi si. mot, I, 549 n, 543.
Ion, I. 2*4. 482, 483, 687, 691 ; II, 459.
h -hersai: (de), I, 38.
luiirrille, I, 555.
Lucas, I, 427 ; IL 265, 268, 362.
la chet (do), publiciiste, 78 n.
Macate (vicomte de), I, 37.
M.xii.i.aiu» (Stanislas), I, 107 et n.
Mui.i.iiK.is. I, 500. 501 n, 513.
Haioi m. I, 21 n. 55 n, 63, 75, 155, 156
à 180, 101, 465 nù, 466, 476, 492. 496,
498. 5(18, 527. 585. 607, 611 ; II, 20, 64,
15 i. 299 à 50X. 309, 446 n, 009 n, 615,
721 à 72C.
Malseigne, I, 528 n.
Marx., I, 118 n, 496; II, 43 n, 54 à 56,
72 ii, 74 n, 159. 323 n.
\I\ik ramo (Mme), I, 21 n.
Mxu.ii -huttes (kiron <!.'), I. 65, 160, 102.
Uan ■nhourf), I, 56, 96, 136 n.
Marquis, I, 38.
774
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Uui cille, 1, 155, 185, 180, 189, 648; II.
... n, 4z(J i» 427.
Mali. nf.au, II, '52J, 500, r40S, 526, 583-584,
611 ; II, 175, 196 à 198, 210, 277, 538,
502 n.
Masceliv, I, 155.
Masse, «Je Tabago, I, 471, 472.
Massiac (Club), II, 16 n.
Haury, I. 8^, 145 j 151, 154, 169, 170, 192
a 194, i96, 199. 214, 227, 228, 248,' 282,
a95, 548, 551. 552, 469, 470, 472 à '474,
476, 477, 479, 498, 524, 525, 544, 566,
567, 568, 585 n, 607 ; II, 19 n, 46 à 48,
57 à 61, 71 à 72, 296.
Méditerranée (Commerce en). I. 465 n.
\lelun, II, 604 à 609.
Mf.ndouze, 11, 602.
Menol (baron de), I, 519, 525, 416 ; II, 59,
45 n, 74 n, 87 n, 90, 199, 252, 240 n, 247.
277 à 281, 299.
Mercier, I, 545.
Merle, II, 150.
Merlin (do Douai), I, 270, 271, 281, 520,
521, 524, 527, 529 II 56, 87, 120, 175,
508 à 510, 582, 500, 504 n, 674.
Merlin (de Thionville), II, 149 n.
Ifrtz, I, 157 à 139. 483, 484. 545, 547.
ileuithc, I, 555.
Miciiaud, 1, 1516.
Mirablau (comte de), I, 21 n, 26, 57 cl n.
42 n, 48, 51, 54, 60, 62 n, 68 n, 69 à
71, 72, 76, 81, 85, 85, 97, 107 n, 108,
109, 121, 126 n, 129 n, 150, 135, 155,.
155. 160, 179. 180, 196, 199 et n, 251,
255, 261, 348, 551, 557, 572, 575, 588 n.
489 à 495, 508, 524, 525, 526, 528, 555^
556 568 n, 585, 608, 612 à 615 ; II, 45,
79, 89 n, 100 à 104. 105, 106, 125, 155,
178 à 180. 181, 194, 204, 255.
MiR\i;i:.\r (vicomte de), I, 137 à 139, 161 à
166. 348, 498.
y»nto<t'>an. I, 562. 565, 484 à 485.
MONTIJAILLI, II, 48.
MoxTBOissiFR (comte de), II, 46.
Montcai m (de), I, 54.
Vovrn air, II. 500 n.
•'ont; osier (Reynaud de), I, 172, 178, 179,
180, 202. 207, 564 n. 611 ; II, 50, 55.
W, 4M n, 502 n. 694 n, 755 n.
•'ontuohfncy (de), I, 527.
.Vontmorin (comte de), I. 55, 251 n, 556,
486 n, 487, 526 ; II, 240 n, 271, 458, 516.
520, 525.
Moreal- df Smnt-Méry, I, 540 ; II, 16 à 18,
554, 561 à 365.
tloreU II. 77.
' O'.ITON ClARRIlLANf. II. 510. 644, 727.
Mokmns re Roquefort, I, 51, 176, 505, 506,
585, • 677, 685, 684, 686, 692 ; II, 175,
452 n.
"n"\i.-n. I. 25 n, 52. 34, 35, 37 n, 48 n,
M. 65. 67.
Muguet de Nanthou, I, 99, 104, 270, 271 ;
II, 89 n, 548, 553. 575, 576, 604 ù 600,
7il à 719.
M urinai s (comte de), 1, 289, 529, 364 et n,
lui, 416, 507 ; 11. 158, 177, 505. 508.
Mi scarb, II, lis à 150, 525.
\ 0
.Vantv, 1, 527 à 554, 555, 557 ; II, 525 n.
ni; kir, I, 28, 58 48. 97, 469, 470.
Mines, I, 478, 594 n, 595 ; II, 176, 177.
Aoaiiiis (v.conile <Ie), I. 72, 86, 195, 194,
195, 214, 270. 015, 615; II, 85 n, 245,
311, 544.
N'ompèrf de Champagny, I, 184, 192, 457,
159, !6Ô, 506.
iVooïka Si \i), I, 556, 444 n.
Normandie I. 40 n, 258 à 268.
.oi t (de), II 150 n.
I. 175 à 477, 592, 594.
ne d). I. 11,7 n, 568 n ; II, 064.
Orléans, II, 72
Paini: (Thomas), II, 552.
Paun, II, 311.
P\o i. I. 200, 552. 555.
Pans, I. 57. 58. 59, 75 n, 104. 107, 108,
121. 548 à 555. 451. 562 ; II, 44, 90 n.
l»\s -ai-ip, II. 427 n.
Pov rie Calais, I. «38, 486 à 488; II, il.
70. 77 089 à 690.
Pau (Château de), I, 509.
Pa*o, I, 20, 21 n, 53.
î'fi:ri\ DF IA B'XiÈRi:. I, 60.
Pf-urtin. I 509.
PrHgnrd. I, 227, 265.
Pk ussf nu L» .-. I, 64. 65, 67, 68 ; II, 444
n. 594 n. 72** n, 755 n.
Pfrrotin. abbé de Barmont, I, 513 à 521 ;
II. 151 a 155.
Pi;n< i\ori''nr t>f ia Bv dinii-re, I 547.
Pêtion de Vi"e\f"vf. I, 26 54, 58, 50,
51, 68 n. 72, 82. 83. 97. 98. 106. 121.
128, 155, 155. 155. 237. 285. 346. 505 à
571, 427, 4°8. 4i)9 à 454 497, 49° 500 n,
521. 557. 585, 605. 607, 685 à 6*7, 689 ;
II. 17 à 18, 42. 45 n 65 •> 70. 74 n.
Si à Si. 86. 92 à 97, 98 à 99. 107 à 110,
1I2 à 119, 125 à '128, 140. 175, 183 n,
194, 195 à 198 226. 227. 258 n. 240. H5,
249, 275 n. 281, 291. 295. 506. 509 n.
511. 312 à 518, 541, 575 et 376, 577,
599! 405. 420. 452 n 442, 445 467,
502 n. 54i. 542, 545 551, 5^3. 509.
571 n, 576 n, 580, 595, 600. 601, 011
à 617. 618 à 630. 634, 645, 653 à 060,
665. 679 •. 087, 690 n, 706, 709 n, 728 n,
744 n. 754.
Petit, I, 21 n. 55. •
Petits Aiiguitins. II, 153.
Pichfreau de Greffus, I, 226 n.
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
775
Pintevh.i.e (rinrwi de Cornon), T, 486, 489
à 493.
Pisôn du f.wiwr.. I. 34, 60, 63, 268, 270,
545
Poissy, I, 39, 40.
Polei/mieux, II, 028 n.
Popllus, I, 29, 31 11, 271, 417 n, 450 n.
470 n ; II, 545.
Porentruy, II, 239, 544.
Port-Louis (Ile-de-France), I, 47î.
Portsmouth, I, 465, 465.
Prieur (de la Marne), I, 104, 106, 182,
185, 204. 527, 414, 610, 674, 676, 683,
687, 692, 693 ; II 71. 87. 128. 175, 199 n,
203 n, 210, 228, 238 et ri, 280 à 281, 311.
500, 542 11, 553, 570, 576, 631), 706, 745
à 752, 754.
Provence (comte de), II, 77, 576 n.
Provence, I, 52 n, 587, 595.
Provinces Belgique s, I, 207 à 215, 259 :ï
263, 486 n, 487.
Prugnon, I, 537, 571, 580, 672, 687, 094 ;
• II, 382, 432, 441, 445, 553, 569, 571.
574, 575, 618.
Pi ysfgcr Crlnl I, 404.
Q B
Quercy, I, 227, 233, 237 à 255.
Rabalt Saint-Etienne, I, 22, 23 et n' 24,
58, 60, 151, 152, 610 à 612, 615 ; II, 227,
258, 207 n, 293, 571 n.
Raiuond, II, 367, 368
Ramfi.-Aogaret, I, 155, 156 ; II, 22, 450.
545.
l'.AVNAi. (abbé), II, 446 à 458.
Rebon, I. 03, 280 n.
Regnaud de Sunt-Jean d'Angely, I, 38, 72,
101, 171, 192. 194, 195. 233, 347, 396,
442 443 ; II, 38, 122 n, 143 n, 226,
50!). 554 à 542, 421 n, 466 à 467, 501 à
508, 515, 653 à 660.
l'.iïivu in d'Epercy, I, 182.
l'.H.MiK (Cteude-Aiïibroise), I, 123, 307.
Ilnines, I. 100 à 160 ; II, 709 n.
Un 1:11.1. 1. 33, 43, 49 n, 51, 67, 84, 85,
325, 529, 362, 568, 456, 557 : II. 45 n,
74 n, 87, 89 n, 98, 100, 107 à 110, 120,
240 à 240. 275 n, 511, 369 à 376, 382,
40f, 551. 544, 581, 598, 055. 054, 660,
72H. 728, 752.
lin, I. 687 : 11. 8.
Revbaz, 1, 50 11, 588 n.
Ric*rd de Si m 1. 1, 184 à 192, 427, 428.
Richier (de), I, 77.
Riffarr de Saint-Martin, I, 574 ; II, 181 n,
190, 705 à 706.
Ri* (Orangis), I, 450 n.
Riston (de), I, 520.
Rom iu (Mme), I, 408 II.
RoBESMfc&BK le Jfune, 1, 17 n, 151 n, 58S
n : II, 089 n.
Rocuambeau (comte de), II, 681 à 087.
P.oljerer. I, 1C0, 161. 162, 167, 252, 253,
270. 2X0 à 289, 317, 318, 418, 424, 425.
427. 428, 547 n, 552, 554, 582 ; II, 112,
119, 201, 205 n, 511. 421, 458, 461, 512,
545, 551, 576 n, 592, 601, 603, 611 à 617,
(lis. 027, 059, 652, 090 n, 702, 705, 744
n, 752, 754.
Romme, I, 415, 416.
Rouen, I, 43 n. 119, 180; II, 709 n.
nowrgne, I, 227
Roi ssn ion, I, 42; II, 176, 545 à 547, 679
à 087, 710, 728.
Roieh (abbé), II, 576 n, 595 n, 653.
ftus-iie, I, 200.
Ritiedge, II. 159, 230.
S'.tiiit-Dcnia, I, 354, 555.
Saint-Domingue, II, 156, 348 n, 497 n.
Saint-François (Ordre de), I, 544.
Saint-Germain-en-Laye, I, 39.
Saivi-Hi-ruge (marquis de), I, 75 n.
Saint-huai-de-Luz, I, 321, 522.
SainMmer, I, 0, 7 n, 18 n, 359, 540, 468,
480 ; II, 216, 217.
Saint-Paul, port de Paris, I, 75.
mint-Priest (Guignard, comte de), I, 42 n,
500 à 502, 509. 515, 516, 520.
Sain'e-Ctaire-d'Auxonne (Yonne), II, 545j
540.
Salicf.tti, I, 196.
Salies, I, 214, 215, 216, 554, 658 ; II, 590,
597, 654, 688, 706 n,
Salle de Choux-, I, 58 n, 86, 655 à 658.
Salomox de la Saugerie, I, 51, 55, 56.
Santerrf, II, 90.
Swïiiowx, I, 410.
S.iimus, I, 520, 521.
Sïuov.iue (de). I, 48 n, 54, 55.
Sergent, II, 544. 602.
Skuvièrfs Me), I, 166.
Sizi: (de), 38
Sk.ud, II, 551.
Siev.s, I. 52. 54. 37 n, 55, 75, 491 n ; II,
401, 509, 571 n.
Sii.ifry (Brulard de), II, 559, 527 n, 644.
004.
Sihviv. If, 54.
Stdùatu, I. 481 à 483, 515, 545 à 547 ;
11, Si) ;. 90.
Snnota (marrjjis de), I, 196 n.
Strasbourg, II, 632.
Suède, II. 520.
Tabago, I. 443 à 449, 471 a 472.
Tai 1 1 Miami -Pi 'r;i;ori( (de), évêque d'Autun,
I, 215 n II, 181.
776
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Tallien, II, 599 n.
Tarascon, I, 571, 372.
i ahc.iï, I, 2T> n. 20. 34, 49 n, 51, 58, 03,
67, 68 n, 82, 121, 133, ! 55, 171, 178,
•200 n, 211 n, 521, 522, 440; H, 577.
TiirniEK, I, 355.
Thfvenot, I, 502.
ThïunvUle, II, 642 à 6Ï5.
Tiiomassix. fermier à Poissv, I, 59.
Thoumeï, I, 54. 544. 427, 428, 502, 522,
525, 673, 688 n ; 7 n, 10 n, 581 n, 582,
599, 401, 405, 425, 465, 551, 558 n,
571 n, 609, (Il à 617, 618, 651, 654, 63»,
646, 054, 600, 005, 688, 753.
Thuault, II, 517.
Tissot, I, 456 n ; II, 247 n.
Toulon, I, 156 à 160. 184 à 192, 457, 508,
594 ; 159, 426 à 427.
ToulonCeon (vicomte de), I, 37, 437, 459.
Toulouse, I, 548 à 552 ; II, 175, 176.
Toumk«e-Laitri:c (comte de), I, 429 à 438,
Tourxox, pubHciste, II, 603.
Toi nzEi. (Mme de), II, 577.
Tracv Destutt (comte de), I, 289.
Trf.ii.hard, 1, 143, 150, 252, 234, 585, 595,
418, 420 429 559, 541, 544 ; II, 609.
Tréguier (cvèque de), I, 7 n, 117 à 120.
125 n, 126, 150, 259 n.
Troxchet, I„ 38, 527, 590. 659 ; II, 7 n,
181, 249, 706.
Troycs, I, 42 n, 290. 291, 505.
U V X Y Z
îlzè.g, II. 170 à 177.
\ idier, II. 553 631 n, 644, 660.
Vaillant, 1, 20, 21 n, 53.
l'ation {Comtat Venaissin), H, 247 n.
Valence, I, 105.
V.uux, II, 529.
\ kSSELIN. II, 445.
Vin.-, secrétaire de la Société des Amis de
la Constitution de Besançon, I, 616.
Verdun, II. 641 043 n.
Vermer, I. 65 ; II, 76, 87, 89 n, 686, 690,
711 n.
Versailles, I. 57, 75 n, 99, lOi et n, 415,
410. 410 à 443, 563. .
Vieillard, 1, 239 n, 540, 365 n; II, 455.
Vienne, II, 167 à 110.
V. (.mu, I, 429, 455.
YilLffiaiiche-de-Rouergiw, I, 51, 55.
VUtcnatuc (Marne), I, 48.
Vincennes, H, 90, 120.
ViKiEu (comte de), I, 59, 60, 65, 75, 160,
178. 179, 252, 233.
Y il. (Jean-P.eorges-Charles), I, 429, 489.
513, 534, 535, 545, 540; II, 54, 128, 138,
147, 255, 571 n, 640, 665.
Volnly (Cluissebeuf de), I, 25 n, 50, 502,
568 ; II, 377 n.
Vuiimont (de), conseiller au Parlement de
Xïuicy, I. 520.
Wimpiex, II, 100, 752.
Y\Tn\.u,i.T, député du Berry. I, 57.
l'A BLE DES MATIERES
1791
202 4 janvier Sur l'organisation de la justice cri-
minelle : sur la nécessité d'une pro-
cédure écrite 7
203- 11 — <soir) Sur les pouvoirs du comité colonial. 16
204. 13 -— (soir) Sur le règlement des théâtres .. 18
205. 19 -- Sur l'organisation de la justice crimi-
nelle (suite) 20
206. 20 — Sur l'organisation de la justice crimi-
nelle (suite) 20
lrc intervention : Sur la discussion
de l'ensemble du projet;
2° intervention: iSur les commis-
saires du roi;
3' intervention . Sur la durée des
fonctions de l' accusateur public.
Discours imprimé sur l'organisation
des jurés.
207. 21 — Sur l'organisation de la justice crimi-
nelle (suite) 36
1" intervention : Sur les fonctions du
président du tribunal criminel;
2' intervention : iSur les pouvoirs de
l'accusateur public.
208. 28 — Pc intervention: Sur l'armement des
gardes nationales 39
■2' intervention : Sur la suppression
de la milice ;
3° intervention : Sur la levée des
soldats auxiliaires ;
4° intervention : Sur le rapport de
Mirabeau concernant la sûreté du
royaume.
Sur l'organisation des gardes natio-
nales 43
Sur la surveillance des administra-
tions et la permanence des sections 44
Sur l'organisation de la justice crimi-
nelle: Sur les contumaces 44
Sur l'organisation de la justice crimi-
nelle (suite) : Sur la nécessité do
l'unanimité des jurés 46
Sur une dénonciation contre IMarat.. 54
Sur l'organisation de La justice crimi-
nelle (suite) 56
V intervention: Sur la forme de la
déclaration des jurés;
2e intervention : Sur le caractère
irrévocable du jugement.
209.
28
— Jaeobins . . .
?,10
B9
211
|rr
212
2
213.
214.
2
3
Jjicohins ...
778 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
215. 3 — r (soir) Sur la répression des actes d'indisci-
pline des matelots 62
216. 5 — Sur l'organisation de la justice crimi-
nelle (suite) 63
Ve intervention : Sur l'indemnité due
aux accusés innocents ;
2e intervention : Sur le choix des
jurés ;
3e intervention : Sur l'admission des
ecclésiastiques dans les jurys de
jugement.
217. 8 — Sur le siège de la Hau<te Cour natio-
nale 72
218. 12 — Sur la perception des droits sur les
eaux de vie dans le département du
Pas-de-Calais 76
219. 22 — jacobins . . . Sur les sanctions à prendre contre les
membres de la famille royale qui
'quitteraient la France 77
220. 25 — Sur la résidence d-u roi et de la famille
royale 78
221. 26 — (soir) Sur une indemnité en faveur de
iLatude 80
222. 28 — Sur le respect dû à la loi 80
223. 28 — (suite) Sur le secret de la correspondance. 85
224. 28 — {suite) Sur un projet de loi sur l'émigration. 87
225. 2 mars Jacobins Sur une demande d'affiliation de la
Société de Soissons 89
226. 2 — — (suite) Sur le projet de réorganisation des
corps administratifs 90
227. 3 — Sur l'organisation des corps adminis-
tratifs 92
lre intervention : iSur une discussion
d'ensemble du projet;
2e intervention : S'ur la signature des
arrêtés pris par les administra-
tions;
3e intervention: Sur la publication
de décisions contraires aux dé-
crets.
-— (soir) Sur un projet de tontine viagère 100
— Sur le jugement des contestations en
matière électorale K>5
— (soir) Sur une demande d'extradition de la
Cour de Vienne 107
— Sur la publicité des séances des corps
administratifs 110
— Jacobins Sur l'organisation du ministère 111
Sur la nomination des administrateurs
du Trésor national 112
— (soir) Sur la démolition du donjon de Vin-
cennes 120
— Jacobins lr(> intervention: Sur la responsabi-
lité des ministres 121
2l intervention : Sur l'impression du
discours de Kersaint 122
228.
229.
3
6
230.
5
231.
6
232.
233.
6
9
234.
9
235.
11
239.
17
240.
19
241.
20
242.
21
243.
23
245.
28
246.
30
247.
30
248.
31
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 779
236. 11 mars Jacobins (suite) Sur une adresse aux Sociétés affiliées,
rédigées par Barnave 122
237. 13 — Sur le jugement des contestations en
matière électorale (suite) 123
238. 13 — Jacobins Sur une demande de secours adressée
par Latude à l'Assemblée nationale. 128
(soir^ Sur l'affaire du curé d'Issyd'Evêque. 129
(soir) Sur les troubles de Douai 135
Jacobins Sur l'affaire Muscard 148
Sur les troubles de Douai (suite) 150
Sur le caractère électif ou héréditaire
de la régence 151
244. 25 — Jacobins Sur le renvoi des pétitions au comité
des recherches de l'Assemblée natio-
nale . 152
— Sur les distinctions entre les citoyens. 153
Sur la nomination des commissaires du
roi près les tribunaux criminels . . 153
Jacobins Sur la rédaction du procès- verbal et
sur une opinion de Danton 155
(soir) Sur une députation de l'assemblée co-
loniale de Saint-Marc 156
F' intervention : Sur la qualification
de l'assemblée coloniale de Saint-
Ma rc ;
2e intervention : Sur la remise de la
suite du discours de Linguet.
249. Avril Discours imprimé sut la nécessité de
révoquer les décrets qui attachent
l'exercice des droits du citoyen à
la contribution du marc d'argent,
ou d'un nombre déterminé de jour-
nées d'ouvrier 158
249 bis. — Principes de l'organisation des jurés
(rappel du discours imprimé) 174
259. 1er — Sur les successions comprenant des
biens ci -devant nobles ] 74
— (soir) Sur les troubles de Toulouse 175
— — (suite).. Sur les troubles de Nimes et d'Uzès. 176
— Sur les honneurs funèbres décernés
aux grands hommes 178
— Sur les inégalités dans les successions 181
— (soir) Sur la députation de l'assemblée colo-
niale de Saint-Marc (suite) 194
256. 6 — Sur le projet d'organisation du minis-
tère /••••.•• 195
]ro intervention: Sur la nécessité
d'une discussion d'ensemble;
2J intervention: Sur la responsabi-
lité des ministres.
7 — Sur la nomination des membres de
l'Assemblée au ministère 201
258. 8 — Sur la durée de la prescription en ma-
tière de responsabilité ministérielle 205
259 9 — Sur la délimitation des fonctions mi-
nistérielles 207
251.
2
252.
2
253.
3
254.
5
2Ô5.
5
2r>
260.
10
261.
10
262.
10
263.
11
780 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
Su r les attributions du ministre de la
Justice 215
Jacobins Sur les menées des aristocrates contre
les sociétés patriotiques 216
— (suite) Sur la délimitation des fonctions mi-
nistérielles 217
Sur le projet d'organisation du minis-
tère (suite) , 221
lr intervention : Sur les attribu-
tions du ministre de la Justice
(suite) ;
2e intervention : d° (§ 7)
3° intervention : 'Sur le titre des mi-
nistres français auprès des puis-
sances étrangères ;
4° intervention : Sur le traitement
des ministres.
264. 11 — Jacobins Sur l'aliénation des moulins de Gor-
beil . 230
265. 13 — Sur le projet d'organisation du minis-
tère (suite) 231
lrf' intervention : Sur les pouvoirs du
ministre des Contributions publi-
ques ;
2e intervention : Sur les pouvoirs du
ministre de l'Intérieur.
3° intervention • Sur la retraite des
Ministres.
Sur le buste de Mirabeau 235
— (suite) Sur les pouvoirs du Ministre de la
Justice 236
Sur l'organisation de la sûreté inté-
rieure du royaume 238
(soir) Sur l'incapacité du comité diploma-
tique 239
Sur les troubles d'Avignon et du
Conitat 247
Sur les procès intentés pour crime de
lèse-nation 252
(soir) Sur la lettre du roi aux ambassadeurs 253
Jacobins Sur l'affaire d'Avignon 256
Sur l'organisation des gardes natio-
nales 258
lro intervention : Sur la méthode de
discussion ;
2e intervention : Sur l'admission dans
la garde nationale des citoyens
domiciliés.
275. 28 — Sur l'affaire d'Avignon 277
276. 28 — (suite) Sur l'organisation des gardes natio-
nales (suite) 282
Ve intervention :
2° intervention :
277. 30 — Sur l'affaire d'Avignon (saiite) 296
278. 2 mai Sur l'affaire d'Avistnon (suite) 299
279. 4 — d° 308
266.
267.
13
13
268.
14
269.
19
270.
21
271.
22
272.
273.
274
23
25
•27
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
781
280. 4 — Jacobins
281. 9 —
882. 9 — Jacobins
283. 10 —
284. 10 —
285. 12 —
286. 13 —
287. 13 — Jacobins
288. 15 —
289. 16 —
290. 18 -•
291. 19 —
292. 27 —
293. 27 — Jacobins
294. 28 —
295. 30 —
296. 30 — (suite)
297. 31 —
298. 1er juin
299. 8 — Jacobins
300. 9 —
301. 10 — ,
302. 10 — Jacobins
303. 11 —
304. 18 — (soir)
305. 19 - Jacobins
306. 20 - Jacobins
de Versailles
Sur l'affaire d'Avignon et les menaces
de contre-révolution 310
f&ur le droit de pétition 312
(Sur la liberté de 1-a presse 319
Sur le droit de pétition (suite) 334
Sur la pétition des religieuses de
Sainte-Claire d'Auxonne 345
Sur la condition des hommes libres de
couleur 346
d° {suite) 361
d° 366
d° (suite) 368
Sur l'éligibilité des députés de l'as-
semblée nationale à la première
législature 377
lre intervention :
2e intervention :
Sur la rééligibilité des députés de
l'assemblée nationale à la première
législature (suite) 403
lre intervention :
2e intervention :
iSur l'éligibilité des ministres à la légis-
lature 423
Sur le lieu de réunion des assemblées
primaires 424
Sur le renouvellement des comités de
correspondance et de présentation
de la Société ,. . . 426
Sur le marc d'argent 427
Sur la nomination d'un commissaire
du roi près du Tribunal criminel de
Pari.s 431
Sur l'abolition de la peine de mort.. 432
iSur une lettre de l'abbé Raynal 446
Sur une demande de poursuites judi-
ciaires contre un journaliste 458
Sur le licenciement des officiers de
l'armée 461
Sur l'incompatibilité entre les fonc-
tions législatives et administratives
ou judiciaires 465
Sur Le licenciement des officiers de
l'armée 468
Sur un projet d'adresse aux assem-
blées primaires 498
Sur le licenciement des officiers de
l'armée (suite)
Sur les troubles de lirie-Comte-Kobcrt 500
Sur l'adresse aux àjsembléea primai-
res (suite) .")(»'.»
Sur I anniversaire du Serment du
Jeu de Paume 513
782 LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
307. 21 au 23 (séance per- Sur la fuite du roi 514
manente) 1'"° intervention : Sur les mesures à
prendre;
2° intervention :
3° intervention :
4e intervention :
308 21'- — Jacobins Sur les mesures à prendre après la
fuite du roi 517
309 23 au 26 (séance per- Sur la fuite du roi (suite) 529
manente) W intervention .
6° intervention :
7e intervention :
8e intervention :
310. 5 juillet Sur la police municipale 539
lre intervention : Sur l'inviolabilité
du domicile;
2e intervention : Sur la déclaration
des réunions des sociétés et des
clubs.
— Jacobins Sur les Tableaux de la Révolution . . 542
— Sur l'exposition et la vente d'images
obscènes 542
— Jacobins Sur l'affaire de Porentruy 544
— Sur le mode de calcul de la contribu-
tion foncière applicable aux tour-
bières 545
— (soir) Sur les troubles de Brie-Comte-Robert
(suite) 545
— Sur l'impression du rapport des comi-
tés concernant la fuite du roi 548
— Jacobins Sur l'inviolabilité royale 551
— d° 553
Fe interventionj Sur l'adoption du
rapport des comités concernant la
fuite du roi;
2e intervention : Sur une proposition
de Démeunier sur la suspension
du roi.
319. — • • Dernier discours de M. Roberspierre
sur la fuite du roi 571
320. 15 — • • Sur le jugement de Monsieur, com-
plice du roi 575
321 15 — Jacobins lr" intervention : Sur des propos inju-
rieux contre Robespierre 579
2e intervention : Sur l'inviolabilité
royale (suite);
3e intervention : Sur une adresse aux
sociétés affiliées.
322. 16 — Sur les menées contre-révolutionnaires 586
323. 17 — Sur les événements du Champ de
Mars 591
lre intervention :
- 2° intervention :
"•24. 1S — Sur Ta conduite des Jacobins 594
325. . 23 — Sur îa création d'un tribunal spécial
pour juger 'es auteurs de la « rébel-
lion » du Champ de Mars 597
311.
312.
6
7
313.
314.
9
12
315.
12
316.
13
317.
318.
13
14
326.
327.
24
1er
328.
3
329.
5
330.
6
331.
8
332.
10
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE 783
— Sur la scission des Feuillants 599
août, Jacobins (Sur uu projet d'adresse au sujet des
événements du Champ de Mars G01
— — Sur un compte rendu tendancieux du
Journal des débats de la Société . . 602
— — Sur un projet d'adresse au sujet des
•événements du Champ de Mars
(suite) 603
— (soir) Sur les troubles de Brie-Comte-Ho-
bert (suite) 604
— Sur le mode de discussion pour la
révision de la constitution 609
— Discussion du projet de constitution. 610
lre intervention : Sur le rôle des offi-
ciers municipaux;
2e intervention : Sur les principes de
la souveraineté.
333. 11 — Discussion du projet de Constitution
(suite) : Sur le marc d'argent et le
cens électoral 617
334. 12 — Discussion du projet de Constitution
(suite) • Sur le marc d'argent et le
cens électoral (suite) 631
335. 12 — Jacobins Sur le discours du député de la So-
ciété de Strasbourg 632
336. 15 — ' Discussion du projet de Constitution
(suite) 632
lre intervention : Sur les délais de la
sanction royale;
2e intervention: Sur l'exercice du
pouvoir législatif;
3e intervention : Sur l'admission des
ministres aux séances de l'Assem-
blée législative.
Jacobins Sur l'admission des ministres aux
séances de l'Assemblée législative.. 639
Discussion du projet de Constitution
(suite) • Sur l'administration inté-
rieure du royaume 641
Sur la défense des frontières de l'Est 641
Jacobins Sur une proposition de réunion adres-
sée aux Feuillants • 644
Sur la liberté de la presse 646
Jacobins Sur la liberté de la presse 652
Sur la liberté de la presse (suite) .. 653
Sur la garde du roi 660
Jacobins Sur les droits des membres de la fa-
mille royale 664
Sur le titre à donner aux membres de
ht famille royale 665
d° (suite) 674
Sur le rétablissement de la discipline
dans l'année 678
Jacobins Sur le compte rendu de la séance de
['Assemblée nationale 687
Sur les nationales ej ta
révision de la Constitution ...'. 088
337.
15
338.
16
339.
340.
18
24
341.
342.
343.
344.
345.
sa
22
23
24
24
346.
-'■>
347.
348.
26
2^
349.
23
350.
30
784
LES DISCOURS DE ROBESPIERRE
351.
30
352.
31
353.
1er
364.
355.
356.
357.
1er
2
3
5
358.
17
359.
360.
21
24
361.
362.
363.
29
29
30
— Sur la proposition d'une députation
d'électeurs du Pas-de-Calais
— Sur le? conventions nationales et la
révision de la Constitution (suite).,
septembre Sur la présentation de la Constitu-
tion au roi
— Jacobins. Sur le droit de grâce
. iSur la correspondance de la Société,
le droit de grâce (suite)
364. 30
t&UI
(séance ex-
traordinaire) Sur
— Jacobins.
(soir)
(suite)
les troubles des colonies
Sur le droit de police des assemblées
électorales
Sur l'examen des comptes du trésorier
Sur les droits politiques des hommes
de couleur
Sur les droits des sociétés et des clubs
Sur le projet de code pénal militaire
Sur les droits des sociétés et des clubs
(suite)
Séparation de l'Assemblée nationale et
hommage du peuple à Robespierre.
705
706
706
708
719
727
727
743
752
753
753
Index des noms de journaux, procès-verbaux et pamphlets cités
dans les deux premiers volumes 7^2
Index des noms de personnes et de lieux 769
Table des matières 777
DEP01
LEGAL
lrt édition
1er trimestre
195?
TOUS DROITS
de traduction, de reproduction
et d'adaptation réservés pour tous pays
N°
23.109
Uairick LAVERGNE, Imprimeur; 289: Rui: Saint-Jacques,
), — FAMS (Ve)
DC
U6
R6A2
1910
t. 7
Robespierre, Maxirail ien .Marie
Isidore de
Oeuvres complètes
PLEASE DO NOT REMOVE
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