Skip to main content

Full text of "Oeuvres complètes"

See other formats


m& 


Publication  de  la   VIe  section  de  l'Ecole  des  Hautes  Etudes  (Sciences 
économiques  et  sociales)  et  de  la  Société  des  Etudes  Robespierristes 


ŒUVRES    DE 

MAXIMILIEN 

ROBESPIERRE 

U  ) 

TOME      VII 

DISCOURS 

(2e  Partie) 
Janvier-Septembre   1791 

Edition  préparée  sous  la  direction  de 
Marc  Bouloiseau  Georges  Lefebvre 

Docteur  es  Lettres  Professeur    Honoraire 

Professeur    d'Histoire    nu    Collège  d'Histoire  de  la   Révolution  Français* 

Colberl  à  la  Faculté  des  Lettres  de  Paris 

Albert  Soboul 

Professeur    Agrégé   d'Histoire 
au   Lycée   Henri-lV 

Avec   le   concours   du   Centre   National   de   la   Recherche   scientifique 


PRESSES    UNIVERSITAIRES    DE    FRANCE 


NOTE  DES  EDITEURS 


Nous  poursuivons  cette  publication,  des  Discours  de 
Robespierre,  avec  notre  fidèle  équipe,  à  lalqitelle  est  venue 
se  joindre  Mme  Schumacher;  et,  selon  les  principes  qui  nous 
ont  guidés  dans  la  première  partie,  nous  présentons  les 
extraits  de  presse  dans  leur  texte  original  et  par  ordre 
d'importance.  Toutefois,  la  période  que  nous  abordons  dans 
ce  second  volume  est  déjà  mieux  connue,  et  les  journaux 
moins  nombreux,  mais  plus  complets.  D'autre  part,  les  pro- 
grès réalisés  par  certains  rédacteurs  dans  la  transcription 
des  interventions  des  députés,  nous  assurent  un  rapport 
jdus  fidèle  de  leurs  paroles.  C'est  le  cas,  pour  les  débats  de 
la  Constituante,  du  Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal 
logographique  (de  Le  Hodey)  que  les  Archives  parlemen- 
taires onf  largement  utilisé,  et  du  Mercure  Universel  Cd'Au- 
douin),  pour  les  séances  des  Jacobins. 

Ainsi,  nous  pouvons  estimer  que,  pour  les  discussions 
importantes  tout  au  moins,  nous  possédons,  de  ce  fait,  des 
textes  quasi  intégraux,  comme  on  peut  d'ailleurs  s'en  rendre 
compte  par  la  comparaison  entre  les  discours  imprimés  par 
ordre  de  l'Assemblée,  et  les  coîiiptes  rendus  de  Le  lïodey. 
Donc,  il  nous  a  paru  souhaitable,  pour  ne  pas  alourdir  inuti- 
lement une  édition  déjà  dense,  d'éliminer  les  extraits  de 
presse  qui  se  bornent  à  signaler  en  quelques  lignes  le 
passage  de  Robespierre  à  la  tribune.  Toutefois,  comme  il 
n'est  pas  indifférent  d'en  connaître  l'existence  pour  juger 
de  la  portée  de  cette  intervention,  nous  avons  réuni  toutes 
les  références  de  cet  ordre,  en  fin  de  séance. 

De  même  pour  les  annotations,  nous  avons  conservé 
les  abréviations  utilisées  dans  notre  premier  volume,  mais 
afin  d'éviter  des  confusions  regrettables,  nous  avons  fait 
suivre  le  nom  d'un  auteur  déjà  connu,  du  titre  complet  de 
la  publication  nouvelle  à  laquelle  nous  nous  référons.  Enfin, 
ies  renvois  à  la  première  partie  de  notre  travail  ont  été  indi- 
qués sous  cette  forme  :  Discours,  ire  partie,  p. 

i  Paris,  le  ier  Novembre  ïqôo. 


202.  —  SEANCE  DU  4  JANVIER  î  79 1 

Sur  l'organisation  de  la  justice  criminelle 
Sur  la  nécessité  d'une  procédure  écrite 


(Le  27  novembre  1790,  au  nom  des  Comités  de  constitution  et  de 
jurisprudence  criminelle,  Duport  avait  présenté  à  l'Assemblée  natio- 
nale un  rapport  sur  l'organisation  des  jurés  au  criminel.  La  discussiou 
se  poursuivit  au  cours  du  mois  de  décembre  (1).  Le  2  janvier  1791, 
le  titre  I  fut  décrété  par  l'Assemblée  (De  la  procédure  devant  le 
tribunal  de  district  et  du  juré  d'accusation). 

Le  débat  reprend  le  3  janvier,  sur  la  question  de  savoir  si  les 
procédures  faites  par  devant  les  jurés,  seront  écrites  ou  non.  Le  4  jan- 


(1)  La  réforme  de  la  procédure  criminelle  est  un  des  plus  beaux 
titres  de  .gloire  de  la  Constituante.  D'après  l'ordonnance  de  1G70, 
c'était  au  cours  de  l'instruction  que  prenait  place  l'acte  essentiel: 
la  confrontation  de  l'accusé  et  des  témoins.  Le  tribunal  décidait  après 
examen  du  dossier  remis  par  le  magistrat  instructeur,  et  des  conclu- 
sions écrites  du  procureur  du  roi,  en  l'absence  des  témoins  et  de 
l'accusé,  à  moins  que  la  cause  ne  comportât  peine  afiflictive,  auquel 
cas  on  interrogeait  une  dernière  fois  brièvement  ce  dernier  «  sur  la 
sellette  »;  sans  réquisitoire  oral,  ni  plaidoirie,  aucun  avocat  n'assis- 
tant l'inculpé. 

Discutant  la  nouvelle  organisation  judiciaire,  à  partir  du  24  mars 
1790,  l'Assemblée  nationale,  sur  l'exemple  de  l'Angleterre,  intro- 
duisit, le  30  avril,  le  jury  en  matière  criminelle  (voir  Discours, 
V*  partie,  p.  342),  d'où  il  résultait,  implicitement  que  la  procédure 
orale  remplacerait  devant  lui  la  procédure  écrite.  Mais  quand  elle 
en  vint  à  régler  la  procédure,  Duport,  dans  son  rapport  du  27  novem- 
bre, stipula  qu'elle  serait  orale  sans  aucune  réserve,  aussi  bien  au 
cours  de  l'instruction  que  dans  la  séance  de  jugement.  (Les  opposants, 
dont  le  principal  fut  Tronchet,  sans  contester  le  débat  oral  devant 
le  jury,  demandèrent  que  le  magistrat  instructeur  tînt  procès-ver- 
baux de  ses  opérations;  que  l'on  en  dressât  un  autre  du  débat  oral; 
que  le  jury  eût  le  dossier  sous  les  yeux  lors  de  sa  délibération.  Il 
est  évident  que  des  hommes  de  loi  voulaient,  par  routine,  maintenir 
l'usage  traditionnel  dans  toute  la  mesure  possible,  et  on  les  soup- 
çonna, non  sans  raison,  d'hostilité  à  l'égard  du  jury  lui-même.  Toute- 
fois, les  partisans  de  ce  dernier  objectèrent  à  Duport  qu'il  était  indis- 
pensable de  conserver  trace  écrite  des  dépositions  et  Robespierre  fut 
l'un  d'entre  eux.  La  solution  a  été  indiquée  par  Thouret,  dont  la 
Commission  et  Duport  acceptèrent  l'amendement:  on  continuerait  à 
tenir  procès-verbal  de  l'instruction ,  on  en  ferait  lecture  devant  le 
jury;  la  procédure  orale  suivrait,  mais  le  procureur  du  roi  et  l'accusé 
pourraient  demander  qu'on  rédigeât  de  celle-ci  un  résumé. 


8  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

vier,  après  que  Rey,  député  du  tiers  état  de  la  sénéchaussée  de 
Béziers,  se  fut  prononcé  en  faveur  de  la  procédure  écrite,  Robespierre 
intervient  à  son  tour  dans  le  même  sens  (2). 

Ce  ne  fut  que  le  18  janvier,  après  de  longues  controverses,  que 
l'Assamblée  adopta  l'art.  1.  du  projet  de  décret:  «  Les  déposition* 
des  témoins  seront  faites  et  reçues  par  écrit...   <>. 

Le  Point  du  Jour,  t.  XVIII,  nos  542  et  543,  p.  31  à  35. 

«  M.  Robespierre  a  parlé  ensuite  en  ces  termes  , 

«  Les  preuves,  les  dépositions  sur  lesquelles  les  juges  doivent 
asseoir  les  jugemens  qui  décident  de  la' destinée  des  accusés,  seront- 
elles  fixées  par  l'écriture  ?  ou  ne  doivent-elles  être  que  des  paroles 
fugitives,  qui,  de  la  bouche  des  témoins,  iront  expirer  dans  l'esprit  et 
dans  les  cœurs  des  juges  ? 

«  Quelque  simple  que  cette  question  paroisse  au  premier  coup 
d'oeil,  elle  tient,  par  des  rapports  aussi  délicats  qu'importans,  aux  plus 
grands  intérêts  de  la  Société.  Il  n'est  qu'un  moyen  de  l'éclaircir  et 
de  la  résoudre  promptement,  c'est  de  remonter  au  véritable  principe  de 
toute  législation  criminelle. 

«  En  général,  la  procédure  criminelle  n'est  autre  chose  que  les 
précautions  que  la  loi  prend  contre  les  foiblesses  et  contre  les  passions 
des  juges. 

«  Si  les  juges  étoient  des  anges,  s'ils  étoient  des  êtres  infaillibles 
ou  impeccables,  la  loi  leur  diroit  :  Voilà  des  citoyens  accusés;  faites 
ce  que  vous  trouverez  convenable  pour  découvrir  la  vérité  et  jugez 
ensuite  comme  vous  voudrez.  Les  formes  seront  ce  que  vous  aurez 
fait;  la  preuve,  ce  qui  vous  aura  convaincu;  la  vérité,  ce  que  vous 
aurez   décidé.    La    tâche    seroit    simple,    elle    se    borneroit    à    créer   des 

JUgei 

«    Mais  quels  qu'ils   soient,    ce'  seront   toujours   des   hommes;    loin 

de  considérer  les  magistrats  comme  des  êtres  abstraits  ou  impassibles, 
dont  l'existence  personnelle  est  parfaitement  confondue  avec  leur  exis- 
tence publique,  le  sage  législateur  sait  que  de  tous  les  hommes,  ce  sont 
ceux  qu'il  doit  surveiller  avec  plus  de  soin,  parce  que  l'orgueil  du 
pouvoir  est  le  plus  redoutable  écueil  de  la  foiblesse  humaine. 

«  Exempt  de  partialité  et  de  passions,  parce  qu'il  statue  sur  les 
choses,  par  des  loix  générales,  et  non  sur  les  individus,  par  des  déci- 
sions particulières,  c'est  à  lui  de  diriger,  par  des  règles  fixes  et  cons- 
tantes, le  juge  destiné  à  prononcer  sur  les  personnes  et  sur  les  intérêts 
privés;  de  là  les  formes  aux  quelles  la  marche  de  l'instruction  crimi- 
nelle fut  toujours  assujettie. 


(2)  Cl.  E.  Hamel,  I,  354-355.  Le  discours  et  le  projet  de  Rev  sont 
rapportés  longuement  dans  le  Point  du  Jour,  n°  542,  p.  24-30. 


LES    DISCOURS    DR    ROBESPIERRE  V 

«  Aussi,  loin  d'abandonner  à  la  seule  conscience,  à  la  seule  volonté 
arbitraire  des  juges,  le  pouvoir  de  décider  du  crime  ou  de  l'innocence; 
elle  leur  a  dit  énergiquement  :  «  Vous  ne  condamnerez  pas  si  vous 
n'avez  pas  des  preuves  plus  claires  que  le  jour  »  ;  elle  a  fait  plus; 
elle  a  déterminé  le  genre  des  preuves,  elle  a  établi  de  certaines  règles 
de  certitude  sans  lesquelles  il  ne  leur  est  pas  permis  de  condamner;  or, 
si  elle  a  établi  ces  règles,  ces  conditions,  il  faut  bien  qu'il  y  ait  un 
moyen  de  constater  qu'elles  ont  été  observées;  ce  moyen,  c'est  l'écri- 
ture; sans  elle,  il  ne  reste  aucune  trace  des  preuves  qui  rendent  les 
motifs  des  jugemens,  et  la  destinée  des  accusés;  il  n'y  a  plus  qu'incer- 
titude, obscurité,  arbitraire  et  despotisme. 

«  Ce  peu  de  mots  suffit,  ce  semble,  pour  résoudre  la  grande  ques- 
tion qui  vous  occupe.  Mais  nous  ne  l'avons  point  encore  envisagée 
dans  toute  son  étendue   et  tous  ses  rapports  les  plus   intéressans. 

«  Si  la  loi  doit  exiger  un  certain  genre,  un  certain  degré  de  preuve, 
sans  lequel  les  juges  ne  peuvent  condamner,  il  ne  s'ensuit  pas  que  cette 
preuve  suffise  pour  nécessiter  la  condamnation.  Il  faut  que  la  convic- 
tion personnelle  du  juge  se  joigne  à  cette  preuve.  Elle  doit  l'exiger, 
pour  mettre  un  frein  à  l'arbitraire;  les  règles  qu'elle  établir  à  cet 
égard  sont  le  résultat  de  la  sagesse  et  de  l'impartialité,  parce  qu'elles 
sont  générales:  mais  c'est  pour  cette  raison  là  même  que,  dans  la  pra- 
tique, elles  sont  souvent  démenties,  par  des  circonstances  particulières 
que  le  législateur  ne  peut  ni  prévoir  ni  détailler,  et  que  le  juge  seul 
peut  connaître  :  il  faut  donc  que  la  connaissance  et  la  conviction  per- 
sonnelle de  celui-ci  supplée  à  ce  que  la  prévoyance  générale  de  l'autre 
a  nécessairement  de  défectueux. 

«Le  témoignage  de  deux  hommes;  voilà  une  de  ces  preuves 
déterminées  par  la  loi.  Mais,  dans  tel  procès  particulier,  deux  témoins 
déposent  contre  l'accusé;  mais  le  juge  sait  qu'ils  sont  d'une  intelligence 
foible  ou  d'une  probité  équivoque,  ou  bien  il  les  a  vus  incertains  et 
vacillans;  enfin,  le  caractère  de  l'accusé,  sa  réputation  intacte,  mille 
circonstances  qui  se  développent  sous  les  yeux  du  juge,  forment  une 
preuve  plus  satisfaisante  et  plus  forte  que  la  foi  des  deux  témoins.  Le 
juge  condamnera-t-il  ?  Non,  ce  seroit  préférer  un  fantôme  de  preuves  à 
la^ preuve  réelle;  ce  seroit  préférer  l'ombre  de  la  vérité  à  la  vérité 
même  :  ce  seroit  frapper  en  aveugle  une  victime  innocente  avec  le  glaive 
des  loix;  ce  seroit  violer  leur  esprit  et  contrarier  leur  but. 

«  Je  conclus  de  tout  ceci  que  le  juge  ne  peut  condamner  si  la  preuve 
légale  n'est  point  acquise  ;  je  conclus  encore  qu'il  ne  doit  point  condam- 
ner, si  la  conviction  personnelle  est  en  contradiction  avec  cette  preuve 
apparente.  C'est  dans  ce  point  qui  concilie  et  le  système  du  Comité  et 
1  opinion  de  ceux  qui  la  combattent,  qui  prévient  les  inconvéniens  réels 
et  redoutables  que  l'un  et  l'autre  présentent,  que  résident  la  vérité  et 


10  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

le  bien  public.  Je  termine  cette  discussion,  trop  claire  pour  être  éten- 
due :  par  un  trait  qui  est  au-dessus  de  tous  les  argumens. 

«  Un  citoyen  est  accusé  d'un  grand  crime  :  une  nuée  de  preuves, 
de  celles  qui  subjuguent  tous  les  juges,  s'élève  contre  lui;  un  juré,  un 
seul  juré,  résiste  à  l'évidence  qui  frappe  tous  les  yeux.  Il  refuse  avec 
une  opiniâtreté  invincible,  de  joindre  son  suffrage  à  celui  de  ses  col- 
lègues... C'étoit  lui  qui  avoit  compris  le  crime.  La  trouveriez- vous  sage, 
la  loi  barbare,  qui  l'auroit  condamné  à  prononcer  la  perte  de  l'accusé  ? 

«  Ne  sentez-vous  pas  la  nature  se  révolter  au  dedans  de  vous  à  la 
seule  idée  d'un  juge  qui  reconnoît  l'innocence,  qui  la  plaint,  qui  frémit 
de  son  sort,  et  qui  l'envoie  au  supplice  ?  La  loi  peut-elle  outrager  à  ce 
point  la  raison,  la  justice,  et  la  conscience  ? 

«  Je  résume  ce  que  j'ai  dit  dans  les  trois  propositions  suivantes  : 

«    1  °   Les  dépositions  des  témoins   sont  indiquées  par  écrit  ; 

a  2°  Les  jurés  ne  pourront  déclarer  le  coupable  convaincu,  si  le 
genre  de  preuves  déterminé  par  la   loi  n'est  acquis; 

«  3°  Ils  pourront  et  devront  le  déclarer  non  convaincu  si  leur 
connoissance  et  leur  conviction  personnelle  est  contraire  à  cette 
preuve  »  (3). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  5,  p.    18. 

«  M.  Roberspierre.  Les  dépositions  seront-elles  écrites,  ou  plutôt 
les  accusés  seront-ils  condamnés  sur  les  traces  que  les  déclarations  ver- 
bales auront  laissées  dans  l'esprit  des  juges  ?  Pour  décider  cette  ques- 
tion, remontons  aux  premiers  principes  de  toute  procédure  criminelle. 
La  procédure  est  une  précaution  ordonnée  par  la  loi  contre  l'ignorance, 
la  faiblesse  ou  la  prévention  du  juge.  Si  les  juges  ne  sont  pas  infail- 
libles, la  loi  ne  doit  pas  leur  dire  :  choisissez  les  moyens  que  vous 
voudrez,  et  jugez  ce  que  vous  voudrez,  car  alors  la  conviction  des  juges 
ignorans  serait  substituée  aux  preuves.  Leur  décision  deviendrait  arbi- 
traire et  le  jugement  irréfléchi,   le  législateur  n'aurait  que  des  juges  à 


(3)  Le  discours  de  Robespierre  porte  donc  sur  deux  points  :  l'un 
concerne  la  procédure  qui  était  .l'objet  propre  du  débat,  l'autre  la 
a  preuve  légale  ».  Dans  la  procédure  traditionnelle,  le  tribunal  cher- 
chait dans  le  dossier  la  «  preuve  légal*  »,  par  exemple  l'accord  de 
deux  témoins  non  récusés  par  l'inculpé.  D'après  Thouret  (Discours 
du  11  janvier  1790;  Archives  parlementaires,  t.  XXII,  p.  132).  dans 
l'affaire  des  roués  de  Chaumont,  le  président,  réprimandant  un  des 
juges,  lui  dit  que  «  c'était  une  prévarication  de  ne  pas  céder  à  la 
preuve  faite  par  deux  témoins  non  reprochés  ».  Robespierre  estime 
avec  raison  que  deux  témoins  dont  les  dépositions  concordent  peu- 
vent néanmoins  se  tromper  et  que  l'esprit  de  l'institution  du  jury 
veut  qu'il  décide  d'après  la  vraisemblance  qui  résulte  pour  lui  de 
l'impression   laissée  par   le   débat   oral   et  contradictoire. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  1  1 

créer  :  il  n'y  aurait  plus  ni  frein  à  l'arbitraire,  ni  lois  protectrices  de 
l'innocence  opprimée...  Mais  le  législateur  sage  sait  que  de  tous  les 
hommes,  les  juges  sont  ceux  qu'on  doit  le  plus  surveiller  :  de  là  les 
formes  auxquelles  les  jugemens  ont  toujours  été  assujettis.  La  loi  ne  peut 
pas  abandonner  à  la  seule  conscience  du  juge  le  droit  de  décider  arbi- 
trairement, elle  lui  dit  :  vous  ne  condamnerez  personne,  à  moins  qu'il 
n'existe  contre  l'accusé  des  preuves  plus  claires  que  le  jour.  La  loi  a 
été  plus  loin.  Elle  a  elle-même  posé  des  règles  pour  l'examen  et  pour 
l'admission  de  ces  preuves,  règles  sans  l'observation  desquelles  les 
juges  ne  sauraient  condamner  quelle  que  fût  leur  conviction...  S'il  existe 
des  règles,  il  faut  constater,  qu'elles  ont  été  remplies  :  le  moyen  de  le 
constater  c'est  l'écriture:  sans  cela  il  n'y  a  plus  de  barrières  à  l'arbi- 
traire et  au  despotisme  :  il  n'y  a  rien  qui  empêche  ou  qui  constate  les 
assassinats  judiciaires  et  toutes  les  suites  de  la  malversation.  La  société 
doit  donc  s'assurer  que  l'accusé  n'a  été  condamné  que  sur  des  preuves 
indubitables... 

«  Mais  la  loi  ne  peut  prévoir  toutes  les  circonstances  ;  elle  ne 
peut  déterminer  avec  assez  de  précision  la  nature  de  tous  les  délits 
possibles  :  les  preuves  légales  sont  souvent  insuffisantes,  souvent  dans 
la  pratique  la  conviction  intime  des  juges  est  plus  sûre  que  les  déposi- 
tions de  deux  témoins  suspects.  Eh  bien  !  il  faut  que  les  lumières  des 
juges  concourent  avec  la  sagesse  du  législateur.  Par  exemple,  le  témoi- 
gnage de  deux  hommes  est  preuve  légale.  Cependant,  le  juge  sait  que 
ces  deux  témoins  sont  d'intelligence,  qu'ils  sont  d'une  probité  équi- 
voque; il  apperçoit  dans  leurs  déclarations  de  l'incertitude,  de  l'impro- 
babilité, il  a  une  connaissance  particulière  de  la  probité  ou  même  de 
l'innocence  de  l'accusé.  Dans  ce  cas,  forcer  le  juge  à  le  condamner,  ne 
serait-ce  pas  faire  immoler  l'innocence  par  le  glaive  de  la  loi?...  Il 
faut  donc  réunir  et  la  confiance  qui  est  due  aux  preuves  légales,  et  celle 
que  mérite  la  conviction  intime  du  juge.  Donner  tout  à  la  conviction 
des  juges,  sans  le  secours  des  preuves  légales,  c'est  créer  l'arbitraire 
et  le  despotisme,  accorder  une  confiance  sans  bornes  aux  preuves  légales, 
lors  même  qu'elles  sont  contraires  à  la  conviction  des  juges,  c'est 
tolérer  l'assassinat  judiciaire... 

«  Je  finis  par  un  trait  au-dessus  de  tous  les  argumens.  Les  preuves 
les  plus  importantes,  les  dépositions  de  plusieurs  témoins  se  prétendent  à 
la  charge  d'un  accusé,  l'un  des  jurés  est  auteur  du  crime,  il  le  déclare 
dans  le  trouble  de  sa  conscience  agitée,  obligerez-vous  le  juge  à  condam- 
ner l'accusé  dont  il  reconnaît  l'innocence,  parce  que  des  preuves  légales 
parlent  contre  lui  ?  Vous  voyez  que  la  confiance  que  mérite  la  convic- 
tion presque  unanime  des  juges,  doit  balancer  l'espèce  de  certitude 
acquise  par  les  preuves  légales.  Je  propose  donc  le  projet  de  décret 
suivant  : 

«    Art     rr.    Les  dépositions   seront  rédigées  par   écrit. 


12  ,  LES    DISCOURS    DF.    ROBESPIERRE 

«  II.  L'accusé  ne  pourra  être  déclaré  convaincu,  toutes  les  fois 
que  les  preuves  déterminées  par  la  loi  n'existeront  pas. 

a  III.  L'accusé  ne  pourra  être  condamné  sur  les  preuves  légales, 
si  elles  sont  contraires  à  la  connaissance  et  à  la  conviction  intime  des 
juges   »   (4). 

Journal  des  Débats,  t.  XVI,  n°  570,  p.  2. 

M.  Robespierre  a  posé  la  question  en  ces  termes  :  les  preuves,  les 
dépositions  des  témoins  sur  lesquelles  les  Juges  asseoient  les  jugemens 
qui  décident  du  sort  des  accusés,  doivent-elles  être  fixées  par  l'écriture, 
ou  ne  doivent-elles  être  que  des  sons  passagers  de  paroles  fugitives 
qui,  de  la  bouche  des  témoins,  vont  expirer  dans  l'esprit  et  dans  le 
cœur  des  Juges  ?  Cette  question  ne  peut  être  résolue  sans  remonter  au 
véritable  principe  de  toute  institution  judiciaire.  En  général,  la  procé- 
dure criminelle  n'est  autre  chose  que  les  précautions  prises  par  la  Loi 
contre  la  foiblesse  ou  les  passions  des  Juges.  Loin  de  considérer  les 
Magistrats  comme  des  êtres  abstraits  ou  impassibles  dont  l'existence 
individuelle  est  parfaitement  confondue  avec  l'existence  publique,  on 
sait  que  de  tous  les  hommes,  ce  sont  ceux  que  la  Loi  doit  surveiller  et 
enchaîner  avec  le  plus  de  soin,  parceque  l'abus  du  pouvoir  est  le  plus 
redoutable  écueil  de  la  foiblesse  humaine. 

Le  Législateur  se  trouve  placé  dans  un  cas  bien  différent  du 
Juge;  ce  seroit  une  grande  erreur  de  les  comparer.  Le  Législitem  est 
exempt  de  passions  et  de  partialité,  parcequ'il  statue  sur  les  choses  par 
les  loix  générales,  et  non  sur  les  individus  par  des  décisions  particu- 
lières; c'est  à  lui  de  diriger  le  Juge  par  des  règles  constantes.  M.  Ro- 
bespierre est  entré  dans  l'énumération  de  ces  règles  qui  sont  à  la  fois 
la  sûreté  de  l'accusé  et  celle  du  Juge.  Il  a  particulièrement  insisté  sur 
ces  expressions  mémorables,  et  d'une  justice  éternelle  qu'emploie  la 
Loi  :  Vous  ne  condamnerez  personne  si  vous  n'avez  des  preuves  plus 
claires  que  le  jour. 

La  Loi  a  même  déterminé  le  genre  de  preuves  sans  lequel  il  ne 
leur  est  pas  permis  de  condamner,  quelle  que  fût  la  force  de  leur  pré- 
somption intérieure  ;  il  n'y  a  que  le  génie  du  despotisme  qui  puisse 
imaginer  de  suppléer  à  cela  par  la  seule  opinion,  par  les  seules  affec- 
tions des  Juges;  point  de  preuves  légales  sans  l'écriture;  c'est  elle  qui 
atteste,  qui  consacre  que  les  formes  prescrites  par  la  Loi  ont  été  rem- 
plies, sans  elle  il  n'y  a  plus  qu'incertitude,  obscurité  arbitraire  et  despo- 
tisme. 

Il   faut  donc   qu'à   la  preuve   matérielle  que   la   Loi   demande,    se 


(4)  Texte   reproduit  dans   le   Moniteur,    VII,   35-36,   et  les  Arch. 
pari.,   XXII,   10. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  13 

joigne  la  conviction  intérieure  du  Juge;  prétendre  suppléer  à  î'une  par 
l'autre  est  une  véritable  barbarie. 

L'Orateur  a  cité  un  exemple  frappant  de  la  nécessité  de  la  con- 
viction intérieure  du  Juge.  En  Angleterre,  un  Citoyen  est  accusé  d'un 
grand  crime,  il  est  traduit  devant  les  Jurés.  Toutes  les  preuves  les  plus 
imposantes  s'élèvent  contre  lui.  Un  seul  Juré  résiste  à  l'évidence  qui 
frappe  tous  les  yeux.  Il  refuse  avec  une  opiniâtreté  incroyable  de  join- 
dre son  suffrage  à  ceux  de  ses  Collègues...  C'étoit  lui-même  qui  avoit 
commis  le  crime.  Voudriez-vous  que  la  Loi  l'eût  condamné  à  pronon- 
cer ?  Ne  sentez  vous  pas  la  nature  qui  frémit  en  vous  à  la  seule  idée  d'un 
Juge  qui  reconnoît  l'innocence,  qui  la  plaint,  qui  frémit  de  son  sort,  et 
l'envoyé  au  supplice  ? 

M.  Robespierre  a  lu  le  Projet  de  Décret  suivant  :... 

; [Suit  le  texte  du  projet  reproduit  par  Le  Point  du  Jour] 

Assemblée  nationale  et  Commune  de  Paris  (imitât.),  n°  515,  p.  2. 

a  M.  Robespierre  s'est  également  attaché  à  combattre  les  vues 
des  comités.  «  Si,  disoit-il,  les  dépositions  ne  sont  pas  rédigées  par 
écrit,  elles  partiront  des  lèvres  des  témoins  pour  aller  expirer  dans 
l 'esprit  des  jurés.  La  procédure  criminelle  est  une  sage  précaution  prise 
contre  la  foiblesse  ou  la  perversité  des  Juges.  S'ils  étoient  des  anges, 
elle  deviendrait  absolument  inutile;  car  le  législateur  n'auroit  qu'à 
leur  dire  :  tout  ce  que  vous  rapporterez  sera  la  vérité,  tout  ce  que  vous 
jugerez  sera  la  justice;  mais  les  juges  seront  des  hommes,  et  c'est  sur 
ces  hommes  auxquels  sont  confiés  les  pouvoirs  les  plus  redoutables,  que 
la  loi  doit  exercer  la  plus  active  surveillance.  La  loi  veut  que,  pour 
prononcer  qu'un  accusé  est  coupable,  il  y  ait  des  preuve?  plus  claires 
que  le  jour.  Il  faut  donc  trouver  un  moyen  de  recueillir  et  de  constater 
ces  preuves;  et  comment  les  saisir,  si  elles  ne  sont  pas  rédigées  par 
écrit.  M.  Robespierre  a  établi  ensuite  un  autre  principe,  savoir  :  que 
pour  la  condamnation  d'un  accusé,  la  conviction  personnelle  du  juge 
devoit  accompagner  la  preuve  légale,  et  même  quelquefois  prévaloir  sur 
elle.  Deux  témoins,  disoit-il,  déposent  d'une  manière  uniforme  contre 
un  accusé.  Cependant,  le  juge  sait,  d'une  part,  que  leur  probité  est 
plus  qu'équivoque,  et  de  l'autre,  il  est  -intimement  convaincu  que 
l'accusé  est  un  honnête  homme. 

«  Le  juge  condamnera-t-il  ?  Non,  il  ne  le  devra  pas,  car  ce  seroit 
alors  prendre  l'ombre  de  la  vérité  pour  la  vérité  elle-même;  je  conclus 
de  cet  exemple  que  le  juge  devra  condamner  s'il  n'a  que  la  preuve 
légale;  mais  que  si  elle  est  contre  sa  conviction  personnelle,  il  ne 
devra  pas  condamner. 

«  D'après  ces  principes,  M.  Roberspierre  a  conclu:  1"  à  ce  que 
les  dépositions  des  témoins  entendus  devant  les  jurés,  fussent  rédigées 


14  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

par  écrit;  2°  à  ce  que  les  jurés  ne  pussent  déclarer  l'accusé  coupable, 
si  le  genre  de  preuve  exigé  par  la  loi  n'étoit  pas  acquis;  3°  à  ce  que 
le  juge  eût  la  faculté  de  ne  pas  condamner  s'il  avoit  la  conviction 
personnelle  de  l'innocence  de  l'accusé.  » 

Journal  de  Normandie,   1791,  n°   5,  p.  22. 

«  M.  Roberspierre .  Je  ne  vous  rappellerai  point  MM.,  que  la 
question  sur  laquelle  vous  allez  prononcer  est  une  des  plus  essentielles 
sur  le  sort  de  tous  les  accusés;  que  vous  ne  pouvez  trop  méditer  sur  le 
parti  que  vous  allez  prendre,  et  qu'il  est  de  la  plus  haute  importance 
de  ne  rien  précipiter. 

«  En  matière  criminelle,  l'unique  point  est  la  recherche  et  la 
connoissance  exacte  de  la  vérité  ;  et  comment  y  parvenir  par  des  dépo- 
sitions qui  ne  laissent  aucune  trace,  et  se  perdent  ou  se  confondent 
dans  la  mémoire  ou  l'esprit  des  jurés  ?  Je  ne  répéterai  point  ce  que  j'ai 
déjà  dit  dans  une  autre  circonstance,  et  ce  qu'ont  dit  plusieurs  autres 
honorables  membres;  mais  sans  dépositions  écrites,  point  de  preuves 
légales,  point  de  conviction  dans  les  jurés,  et  dès-lors  toutes  les  condam- 
nations en  matière  criminelle  deviennent  autant  d'assassinats  juridiques. 
Je  conclus  donc  au  projet  suivant  : 

«    1  °   Les   dépositions  des   témoins   seront   écrites    ; 

«  2°  Les  juges  ne  pourront  déclarer  l'accusé  convaincu,  si  le 
genre  de  preuves  prescrit  par  la  loi  n'est  point  acquis;  mais  ils  pour- 
ront et  devront  le  déclarer  innocent,  si  tel  est  le  sentiment  de  leur 
conscience.  » 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.  II,  n°   180,  p.  2. 
Courrier  extraordinaire,   5  janvier    1791,  p.   3  (5). 
Courier  de  Madon,  t.  VII,  n°   3,  p.   35  (6). 

a  M.  Robetspierre  a  également  combattu  les  principes  des  comités; 
si,  disoit-il,  les  hommes  étoient  des  anges,  il  ne  faudroit  établir  aucunes 
règles,  il  ne  s'agiroit  que  de  leur  délivrer  le  coupable  en  leur  disant  : 
tout  ce  que  vous  aurez  décidé  sur  la  vérité,  sera  la  justice,  mais  les 
juges  seront  des  hommes  sur  lesquels  la  loi  doit  exercer  la  plus  rigou- 
reuse surveillance,  si  elle  exige  des  preuves  plus  claires  que  le  jour 
pour  la  condamnation  d'un  accusé,  il  faut  donc  trouver  un  moyen  de 
constater   ces  preuves. 

«  L'opinant  a  posé  un  autre  principe,  savoir  :  que  la  preuve  légale 
n'étoit  pas  suffisante  pour  le  juge  et  qu'il  lui  falloit  encore  la  conviction 


(5)  Le  Courrier  extraordinaire  ne  reproduit  que  le  premier  para- 
graphe. 

(6)  Ce  demie*   journal   ne   reproduit   que   le  début   et  là   fin    do 
l'extrait  du   Journal  du  Soir. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  15 

personnelle  des  faits  dont  déposeraient  les  témoins.  Deux  témoins, 
disoit-il,  déposent  d'une  manière  absolument  conforme  contre  un  accusé, 
le  juge  sait  que  leur  probité  est  équivoque,  et  il  est  au  contraire  convaincu 
de  celle  de  l'accusé,  le  condamnera-t-il  sur  la  preuve  légale?  Non,  il 
ne  le  doit  pas,  car  ce  seroit  prendre  l'ombre  pour  la  vérité.  Je  conclus 
donc:  1°  à  ce  que  les  dépositions  des  témoins  soient  écrites;  2°  à  ce 
que  les  jurés  ne  puissent  déclarer  un  accusé  convaincu,  si  le  genre  de 
preuves  exigé  par  la  loi,  n'est  point  acquis;  3°  à  ce  qu'il  puisse  ne 
pas  condamner  sur  la  preuve  légale  s'il  a  une  conviction  personnelle 
contraire  à  cette  preuve.   » 

Journal  des  Etats-Généraux  (Le   Hodey),   t.    XIX,   p.    266. 

«  M.  Robespierre  a  été  également  d'avis  de  conserver  les  dépo- 
sitions écrites.  Pour  prouver,  a-t-il  dit,  combien  sont  dangereuses  les 
preuves  orales,  je  finirai  pas  un  exemple  arrivé  en  Angleterre,.  Un 
citoyen  est  accusé  d'un  grand  crime.  Un  juré,  un  seul  juré  résiste  avec 
opiniâtreté  à  l'évidence  qui  condamnoit  l'accusé.  C'étoit  lui  qui  avoit 
commis  le  crime  :  il  le  déclare,  et  l'innocence  est  sauvée.   » 

Le  Spectateur  national,  5  janvier  1791,  p.   150 

«  Il  seroit,  en  effet,  dangereux  de  donner  à  des  hommes  chargés 
de  prononcer  sur  le  sort  4e  leurs  concitoyens,  le  droit  indéfini  de  con- 
damner ou  d'absoudre.  Voilà  pourquoi  nous  admettrions  volontiers  la 
proposition  faite  par  M.  Robespierre,  et  qui  consistoit  à  ordonner  que 
les  jurés  ne  pourront,  sans  une  preuve  légale,  prononcer  de  condamna- 
tions, mais  qu'ils  pourront  ne  pas  condamner  quand  cette  preuve  légale 
seroit  contraire  à  leur  conviction  personnelle.    » 

Journal  de  Paris,  6  janvier   1791,  p.   25. 

«  Hier,  après  que  M.  Rey  eut  présenté  quelques  difficultés  en 
forme  de  questions  et  d'hypothèses,  M.  de  Robespierre  traita  la 
question  des  dépositions  écrites  ou  orales  d'une  manière  plus  dogma- 
tique. M.  de  Robespierre  n'a  pas  mérité  assurément  le  reproche  d'aimer 
trop  les  vieilles  opinions  et  les  vieilles  pratiques,  et  le  système  des  dépo- 
sitions orales  est  très  nouveau  aujourd'hui  parmi  nous:  cependant,  M.  de 
Robespierre  s'est  déclaré  contre  ce  système.  » 

Annales  universelles,   5  janvier    1791,   p.   36. 

«  M.  Robespierre  a  dit  :  Vous  avez  à  décider  une  des  plus  essen- 
tielles questions  qui  vous  aient  été  soumises,  c'est  sur  le  sort  de  tous 
les  accusés  que  vous  allez  prononcer,  quelle  que  soit  l'opinion  des 
membres  qui  ont  parlé  et  qui  parleront  sur  cette  matière  dans  cette 
tribune,  j'ose  vous  supplier  de  ne  pas  hâter  votre  décision,  et  de  peser 
dans  une  juste  proportion  les  raisonnemens  les  plus  propres  à  atteindre 


16  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

le  but  auquel  vous  voulez  parvenir.  Il  a  terminé  par  un  projet  de  décret 
qui  a  été  combattu  vivement;  nous  en  rendrons  compte  demain   »  (7). 

Mercure  de  France,   15  janvier   1791,  p.    180. 

«  Reproduisant  sous  d'autres  mots  les  argumens  déjà  usés  contre 
les  preuves  orales  uniques,  M.  Roberspierre  a  conclu  de  l'existence  et 
de  la  nécessité  des  règles  pour  l'évaluation  légale  des  preuves,  qu'il 
faut  un  moyen  de  constater  que  ces  règles  ont  été  suivies;  qu'il  faut 
réunir  la  confiance  qu'on  leur  doit,  à  celle  que  mérite  la  conviction 
intime  du  juge.  Il  a  cité  le  trait  connu  du  juré  Anglois  qui,  coupable 
du  crime,  sauva  l'accusé  en  n'opposant  que  sa  voix  aux  autres  jurés;  et 
la  conclusion  de  M.  Roberspierre  a  été  que  les  dépositions  seront  écrites, 
et  que  la  condamnation  n'aura  lieu  que  sur  les  preuves  légales  réunies 
à  la  conviction  intime  des  juges.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans:  Les  Annales  patrio- 
tiques et  littéraires,  n°  460,  p.  875;  Le  Mercure  national  et  Révolu- 
tions de  l'Europe,  1791,  n°  2,  p.  62;  Le  Postillon  (Calais),  n'J  308; 
Le  Journal  de  la  noblesse,  de  la  magistrature,  du  sacerdoce  et  du  mili- 
taire, t.  I,  n°  3,  p.  66;  Les  Révolutions  de  Paris  (Prudhomme),  n°  79, 
p.  40;  Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  IX, 
n°  518,  p.  2;  La  Chronique  de  Paris,  n°  5,  p.   19.] 


(7)   Kien  dans   le   numéro   suivant   sur   ce   sujet. 


203.  —  SEANCE  DU  11  JANVIER  1791   (soir) 
Sur  les  pouvoirs  du  Comité  colonial 


A  la  séance  du  11  janvier  1791  au  soir,  Moreau  de  Saint-Mery, 
député  de  la  Martinique  (l),  membre  du  Comité  colonial  (2),  propose, 
en  son  nom  personnel,  le  décret  suivant  : 

«  L'Assemblée  nationale,  voulant  conserver  l'unité  qui  existe 
■entre  les  différentes  parties  de  la  constitution  et  de  l'administration 
des  colonies,  décrète:  1°  Que  les  objets  qui  intéresseront  directe- 
ment les  colonies  ne  pourront  lui  être  présentés  que  par  son  comité 


(1)  La  députation  de  la  Martinique  fut  élue  par  le  Comité  des 
colons   séant   à   Paris   (décret   du    14   octobre   1739). 

(2)  Le  comité  colonial,  élu  le  4  mars  1790,  se  composait  de  dépu- 
tés favorables  aux  colons,  et  en  rapport  avec  le  club  Massiac  qui 
défendait  leur  cause.  Il  avait  fait  voter,  dès  le  8,  un  décret  qui 
prescrivait  la  formation  d'assemblées  coloniales  suivant  les  disposi- 
tions électorales  adoptées  dans  la  métropole.  Les  hommes  de  couleur 
libres,  mulâtres  ou  noirs,  n'étant  pas  mentionnés,  la  question  de 
«avoir  s'ils  pouvaient  être  inscrits  comme  citoyens  actifs  et  exigibles 
divisait  violemment  les  esprits.  Moreau  redoutait  évidemment  que 
d'autres  comités  adoptassent  des  mesures  qui  impliqueraient  une 
solution   favorable   aux  hoimmes  de   couleur. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  17 

colonial  ;  2°  Que  ses  autres  comités  ne  pourront  soumettre  à  sa  déli- 
bération aucune  disposition  relative  aux  colonies  ni  prendre  aucun 
arrêté  à  cet  égard,  sans  en  avoir  préalablement  conféré  avec  le 
comité  colonial.    » 

Robespierre,  puis  Pétion  s'élèvent  contre  cette  proposition  (3). 

L'Assemblée  nationale  se  rallia  à  leur  avis.  La  question  préa- 
lable, mise  aux  voix,  fut  adoptée. 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   13,  p.  50. 

«  M.  Roberspierre.  La  motion  proposée  n'est  rien  moins  qu'une 
motion  d'ordre.  Elle  tend  à  gêner  la  liberté  qu'a  l'Assemblée  de  décré- 
ter, et  chaque  membre  de  proposer  ce  qui  sera  trouvé  utile  aux  colonies. 
C'est  tout  soumettre  au  Comité  colonial.  Je  demande  la  question  préa- 
lable )>  (4). 

Journal  de  Paris,  13  janvier  1791,  p.  51. 

«  M.  de  Roberspierre  et  M.  Pétion  de  Villeneuve  se  sont  élevé* 
fortement  contre  cette  proposition  :  il  leur  a  paru  qu'elle  tendoit  à 
établir  le  despotisme  d'un  Comité  sur  les  autres  Comités,  sur  tous  les 
Membres  de  l'Assemblée  et  sur  l'Assemblée  Nationale  elle-même.    » 

Assemblée  nationale  et  Commune  de  Paris  (imitât.),  n°  523,  p.  2. 

«  MM.  Roberspierre  et  Péthion  se  sont  fortement  élevés  contre 
cette  proposition,  comme  tendante,  selon  eux,  à  priver  chaque  membre 
de  l'Assemblée  du  droit  de  faire  des  motions  et  à  donner  au  comité 
colonial,  une  suprématie  très-opposée  aux  principes  de  l'Assemblée.   » 

Annales  patriotiques  et  littéraires,  n°  468,  p.  911. 

«  Cette  manière  impérieuse  et  rapide  qui  est  propre  à  l'opinant 
et  qu'il  porte  par-tout,  a  paru  fort  étrange  dans  une  Assemblée  législa- 
tive. Elle  a  été  relevée  par  M.  Robertspierre  à  qui  cette  remarque  a 
valu  de  la  part  de  M.  Moreau  quelques  personnalités  injurieuses.   » 

Le  Patriote  françois,  n°  525,  p.  59. 

«  N'a-t-elle  pas  [l'Assemblée]  déjà  manifesté  les  sentimens  qui 
l'inspirent,  en  rejettant  avec  dédain  tant  de  prétentions  de  ce  comité 
colonial,  où  l'on  ne  sait  trop  qui  domine  le  plus  de  l'ignorance  ou  de 
la  perversité  ;  en  rejettant  cette  dictature  que  vouloit  attribuer  à  ce  comité 
l'astucieux  Moreau  (de  Saint-Méry)  (5),  afin  de  paralyser  les  bras  des 


(3)  Cf.  E.  Hamel,  I,  366.  , 

(4)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VII,  99,  et  les  Arch.  pari., 
\XII    139 

(5)  Note  du  journal  :  «  Dans  la  séance  du  11  janvier,  ce  M.  Moreau 
demandait  qu'aucun  comité  ne  pût  faire  un  rapport  qui  eût;  le  plus 
léger  trait  aux  colonies,  sans  s'assujettir  à  la  censure  du  vertueux 
comité  colonial.  Cette  motion  a  été  rejetée  avec  mépris  et  à  l'una- 
nimité.  » 

Roui  smërre.  ■     2 


18  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

hommes  de  bien,  qui  veulent  effacer  les  taches  nombreuses  imprimées 
à  la  constitution  par  ce  comité;  dictature  si  heureusement  combattue 
par  MM.  Pétion  et  Robespierre  !  Et  M.  Moreau  s'avise  de  plaisanter 
sur  les  principes  de  ces  vigoureux  défenseurs  de  la  liberté,  lui  qui 
semble  n'avoir  puisé  les  siens  que  dans  les  codes  du  despotisme  asia- 
tique; lui,  qui,  vingt  fois  défié  au  combat,  reste  immobile,  et  ne  fait 
l'important  que  dans  les  conciliabules  ténébreux  de  colons  qui  le  mépri- 
sent !    )> 

Le  Courrier  de  Paris  dans  les  LXXXIII  Départemens,  t.  XX,  p.  206. 
«  MM.  Robertzpierre  et  Péthion  se  sont  élevés  avec  chaleur 
contre  la  première  partie  de  cette  proposition;  ils  ont  prétendu  que  les 
désordres  des  colonies  pouvoient  fort  bien  trouver  leur  source  dans  l'arbi- 
traire de  ce  Comité.  Ils  ont  demandé  la  question  préalable  M.  Moreau 
a  voulu  insister,  mais  il  a  perdu  la  cause,  et  l'on  est  passé  à  l'ordre  du 
jour,    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Courier  de  Pro- 
vence, t.  XIII,  p.  341  ;  Assemblée  nationale,  Corps  administratifs 
(Perlet),  t.  IX,  n°  526,  p.  2;  Le  Spectateur  national,  13  janvier  1791, 
P.   185.] 


204.  —  SEANCE  DU   13  JANVIER   1791   (soir) 
Sur  le  règlement  des  théâtres 


Le  23  août  1790  au  soir,  une  députation  des  auteurs  dramatiques 
s'était  présentée  à  l'Assemblée  ;  son  orateur,  Laharpe  (1)  avait 
réclamé  contre  les  usages  qui  portaient  atteinte  à  la  propriété  des 
auteurs.  Cette  pétition  fut  renvoyée  au  comité  de  constitution,  et 
la  députation  admise  aux  honneurs   de  la  séance  (2). 

Le  13  janvier  1791  au  soir.  Le  Chapelier,  au  nom  du  comité  de 
constitution,  lit  un  rapport  sur  cette  pétition,  et  présente  un  projet 
de   décret    garantissant    les   droits   des    auteurs   dramatiques    (3).    Au 


(1)  Laharpe  (Jean-François  Delharpe  ou  Delaharpe.  dit  De...), 
ne  en  1739,  auteur  de  tragédies  médiocres,  membre  de  .l' Académie 
française,  était  alors  surtout  réputé  comme  critique  depuis  qu'il 
avait  ouvert,  en  1786,  un  cours  au  «  Lycée  »  de  la  rue  Saint-Honoré. 
11  affichait  des  idées  philosophiques.  Arrêté  pendant  la  Terreur,  il 
passa,  après  Thermidor,  à  la  contre-révolution.  D'abord  fervent 
admirateur  de  llobespierre,  il  l' accabla  de  calomnies  après  son 
exécution.   Il  mourut  en   1803. 

(2)  Cf.    E.    Hamel,    I.   367. 

(3)  Le  Chapelier  pouvait  en  effet  se  prévaloir  de  l'art.  3  qui  sti- 
pulait que  les  officiers  municipaux  «  ne  pourront  pas  arrêter  ni 
défendre  la  représentation  d'une  ];ièce  sauf  la  responsabilité  des 
aiitcai-j  et  des  comédiens,  ni  rien  enjoindre  que  de  conforme  aux 
lois  et  réglementa  de  police  ».  Mais  Robespierre  redoutait  de  les  voir 
abuser  de   leur   droit  d'inspection   en   exerçant   une  censure. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  19 

COlias  de  la  discussion,  Robespierre  s'élève  contre  l'art.  6  ainsi 
■conçu  :  «  Les  -entrepreneurs  ou  les  membres  des  différents  théâtres, 
seront,  à  raison  de  leur  état,  sous  l'inspection  des  municipalité':;...  » 
Robespierre  ne  fut  point  suivi  par  l'Assemblée  qui  décréta  le 
projet  présenté   par   son    comité  de   constitution. 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    15,  p.  60. 

«  M.  Roberspierre.  Rien  ne  doit  porter  atteinte  à  la  liberté  des 
théâtres;  et  cependant,  l'article  VI  du  Comité  la  détruit  Ce  n'est  pas 
assez  que  beaucoup  de  citoyens  puissent  élever  des  théâtres,  il  ne  faut 
pas  qu'ils  soient  soumis  à  une  inspection  arbitraire.  L'opinion  publi- 
que est  seule  juge  de  ce  qui  est  conforme  au  bien.  Je  ne  veux  donc 
pas  que  par  une  disposition  vague  on  donne  à  un  officier  municipal 
le  droit  d'adopter  ou  de  rejeter  tout  ce  qui  pourrait  lui  plaire  ou  lui 
déplaire  ;  par  là  on  favorise  les  intérêts  particuliers  et  non  les  mœurs 
publiques.  Je  conclus  à  ce  que  l'on  ajourne  tout  le  projet,  plutôt  que 
d'adopter   le   sixième  article. 

«M.  le  Chapelier.  Je  loue  extrêmement  les  intentions  du  pré- 
opinant ;   elles  sont   les  nôtres. 

«  M.  Roberspierre.  Il  ne  suffit  pas  de  les  louer;  il  faut  les 
adopter. 

«  M.  le  Chapelier .. . 

«  M.  Roberspierre.  Je  demande  à  répondre  un  seul  mot  »  (4). 

La  Bouche  de  Fer,  n°  7,  p.  111, 

«  M.  Roberspierre  l'a  [l'Assemblée]  bientôt  rappelïée  à  la 
sévérité  de  ses  principes,  en  demandant  que  les  auteurs  ne  fussent  sou- 
mis à  aucune  responsabilité  pour  leurs  pièces.  Cette  demande  juste  et 
qui  fermoit  l'accès  à  l'arbitraire  des  accusations  a  été  rejettée  par  des 
hommes  moins  amis  de  la  liberté  que  lui.   » 

Journal  des  Débats,  t.  XVI,  n"  581,  p.   11. 

«  M.  Roberspierre  a  demandé  la  parole.  Nous  avons  d'abord 
entendu  assez  distinctement,  qu'il  pensoit  qu'un  individu,  un  Corps,  une 
Municipalité  ne  pouvoit  décider  quand  une  pièce  pourrait,  ou  ne 
pourroit  pas  être  jouée.  Mais  ensuite  son  opinion  a  reçu  tant  d'impro- 
bation,  qu'il  nous  a  été  impossible  de  la  suivre.  L'Assemblée  a  rejeté 
l'ajournement  qu'il  avoit  pTopo:é  »  (5). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  La  Gazette  universelle, 
1791,  n"    15,  p.  59.] 


I  1 1    i,    :  |     y      jteur,  Vît    na-120,  pi  les    Yteh 

■)..    XXI  i,   218. 

(.,)  i.    »pposition   et-a.i1    men   >■  par   Pabbé   Manry  qui  réclamait  une 
sure  des  théâtres. 


20  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

205.  —  SEANCE  DU  19  JANVIER  1791 
Sur  l'organisation  de  la  justice  criminelle  (suite) 


Duport,  rapporteur  du  projet  d'organisation  de  la  justice  crimi- 
nelle, avait  mis  en  discussion  le  3  janvier  la  question  de  la  procé- 
dure écrite  (1).  Le  débat  qui  s'était  instauré  alors,  se  continua  le 
17  janvier  et  les  jours  suivants. 

Le  19,  à  la  .suite  du  vote  de  l'art.  3  ainsi  conçu  :  «  L'examen  des 
témoins  et  le  débat  seront  faits  ensuite  devant  le  juré,  de  vive  voix 
et  non  par  écrit  »,  la  discussion  rebondit.  Plusieurs  amendements 
sont  déposés,  dont  celui  de  Malouet  qui  tend  à  faire  revivre  la  rédac- 
tion du  débat,  mais  Barnave  montre  que  c'est  mettre  en  cause  l'insti- 
tution des  jurés  dans  son  ensemble,  dont  Robespierre  demande  la 
discussion   (2). 

L'Assemblée  décida  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  à  délibérer  sur  les" 
amendements,  et  que  la  séance  du  lendemain  serait  consacrée  à  la 
formation   des   tribunaux   criminels. 

Assemblée  nationale  et  Commune  de  Paris  (imitât.),  n°  530,  p.  7. 

«  MM.  Robespierre  et  Cazalès  demandoient  que  l'on  ouvrit  une 
discussion  générale  sur  l'ensemble  de  l'organisation  du  juré,  mais  on 
leur  a  observé  que  cette  motion  tendoit  à  remettre  en  question  plusieurs 
points  déjà  jugés,  et  l'assemblée  a  décidé  qu'elle  s'occuperoit  du  titre 
de  la  formation  du  tribunal  criminel.  » 


(1)  Cf.   ci-dessus,    séance  du  4  janvier  1791. 

(2)  Cf.   séance  suivante. 


206.  —  SEANCE  DU  20  JANVIER  1791 
Sur  l'organisation  de  la  justice  criminelle  (suite) 


Abandonnant  la  discussion  sur  l'établissement  du  jury,  l'Assem- 
blée aborde,  le  20  janvier,  l'examen  du  titre  II  du  projet  présenté 
par  Duport  au  nom  das  comités  de  constitution  et  de  judicature. 
(Les  premiers  articles  fixent  le  nombre,  le  siège  et  la  composition 
des    tribunaux   criminels. 

I"  intervention:  Sur  la  discussion  de  l'ensemble  du  projet 

Le  siège  des  tribunaux  criminels  donna  lieu  à  plusieurs  inter- 
ventions, dont  celles  de  Le  Chapelier,  Chabroud  et  Malouet  ;  mais 
les  amendements  qu'ils  présentèrent  furent  écartés  par  la  question 
préalable  et  l'article  des  Comités  décrété  en  ces  termes:  «  Il  sera 
établi    un   tribunal   criminel   pour   chaque   département.    » 

C'est  alors  que  Robespierre  monte  à  la  tribune  pour  lire  l'impor- 
tant discours  qu'il  a  préparé  dans  le  but  de  réfuter  l'ensemble  du 
projet  présenté  par  Duport,  mais  on  refuse  de  l'entendre.  Comme 
il  ne  sera  pas  plus  heureux  au  cours  des  séances  suivantes,  nous 
avons  pensé  qu'il  était  préférable  de  reproduire  ce  texte  à  la  date 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  21 

mémo  où  Robespierre  souhaitait   qu'on   l'on  tondît  ;  on   lo  trouvera  :\ 
la  fin  de  cotte  séance  (1). 

Journal  de  Paris,  21  janvier   1791,  p.  85. 

«  Au  moment  de  passer  aux  articles  suivans,  M.  de  Robertspierre 
a  demandé  la  parole.  Dès  les  premières  phrases,  il  a  annoncé  des  vues 
générales  sur  toute  l'organisation  des  Tribunaux  criminels.  Pour  parler 
du  Tribunal,  il  parloit  des  Jurés,  des  nôtres,  de  ceux  qui  sont  décrétés 
(2)  et  qui,  suivant  M.  de  Robertspierre,  ne  sont  que  le  fantôme  des 
Jurés  Anglois  qu'on  a  mal  connus,  qu'on  ne  devoit  pas  imiter,  et  qui 
ont  été  mal  imités.  On  a  crié  à  M.  de  Robertspierre  :  Il  ne  s'agit  pas 
des  Jurés,  mais  du  Tribunal;  parlez-donc  du  Tribunal,  ou  ne  parlez 
pas.  Il  a  répondu  :  mes  idées  sur  le  Tribunal  se  lient  à  mes  idées 
sur  Les  Jurés;  il  appartient  aux  autres  d'adopter  ou  de  rejeter  mes  vues, 
mais  non  pas  de  me  prescrire  par  où  je  dois  commencer,  et  par  où 
je  dois  finir.  Si  l'Assemblée  ne  veut  pas  m'entendre,  je  vais  me  taire, 
l'Assemblée  n'a  pas  été  interrogée  par  le  Président,  et  n'a  pas  répondu 
formellement,  mais  M.  de  Robertspierre,  acta  qu'il  devoit  descendre 
de  la  Tribune  »  (3). 

2e  intervention  :   Sur  les  commissaires  du  roi  (4) 

Le  débat  s'engage  à  propos  de  l'art.  4  prévoyant  la  nomination 
cl  un  commissaire  du  roi  près  des  tribunaux  criminels.  Après  une 
légère  discussion  au  cours  de  laquelle  intervient  Robespierre,  l'art.  4 
est  décrété  en  ces  termes  :  «  Un  commissaire  du  roi  sera  toujours 
de  service  près  du  tribunal  criminel.  »  (5). 

jLe  Lendemain,  t.   II,  n°   21,  p.    174. 

«  M.  Robespierre  soutient  que  le  Ministère  des  Commissions  du 
Roi  est  inutile  au  tribunal  criminel.  » 


(1)  Malgré  les  nombreuses  tentatives  qu'il  fit  par  la  suite,  Robes- 
pierre ne  parvint  pas  en  effet  à  lire  son  discoure;  il  n'en  utilisa  que 
des  fragments  plus  ou  moins  importants.  On  a  coutume  de  le  dater 
du  5  février  1791  ;  c'est  ce  que  fit  Hamel  (I,  359)  et  après  lui  Cht. 
VeHay  (p.  1-2);  mais  au  eour.s  de  cette  dernière  .séance,  il  ne  fut 
cependant  pas  plus  heureux,  ainsi  que  nous  pouvons  le  constater  en 
étudiant  les  extraits  de  presse.  E.  Hamel  considère  que  l'animosité 
do   Duport   contre   Robespierre   date   de   cette   époque. 

(2)  Le  titre  I  du  projet  de  Duport,  intitulé:  «  De  la  procédure 
devant  lç  tribunal  de  district,  et  du  juré  d'accusation  »,  avait  été 
décrété   le  2  janvier   1791. 

(3)  E.  Hamel  (I,  359)  qui  a  eu  connaissance  de  cet  extrait  constate 
également  que  «  tous  les  autres  journaux  sont  muets  à  cet  égard  ». 

(4)  Le  commissaire  du  roi,  nommé  par  le  pouvoir  exécutif  auprès 
dos  tribunaux  civils,   surveillait  la  procédure  dans  l'intérêt  de  la  loi. 

(5)  L'assemblée  repoussait  ainsi  la  création  de  commissaires  du 
roi  spéciaux  aux  tribunaux  criminels  (cf.  ci-desBOiis,  séance  du  30 
niai    ]791). 


22  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

3°  intervention  :  Sur  la  durée  des  fonctions  de  l' accusateur  public 

Robespierre    iritervienl    à    nouveau    à    propos    dv    l'art.    (>    ainsi 
conçu  :  u  L'accusateur  public  sera  nommé  pour  dix  ans,   '■ 
pour  douze  Efier  sera  à  vie.  »  Oazalès  remet  aloi 

les    I  ande    que    La   durée    <lu    mandat    du 

président  soit  réduite  dans  la  même  proportion   que  celui  des  juge:;. 
Mais    Duport   se   rangea   à   l'amendement    de   Raimel-Nogaret   el 
semblée  adopta  l'article  souk  cette  rédaction:  <<  L'accusateur   public 
sera    nommé    pour    quatre    ans-    la    première    fois    et    pooir    six    ans    la 
seconde,  le  président  sera  norfimé  pour  six  ans  et  pourra  i 
le    greffier    sera    à    vie.    » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XX,  p.  224. 
«  M.  Robespierre.  J'observe  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  intéressant 
que  d'examiner  si  un  président  du  tribunal  criminel  et  si  un  accusateur 
public,  chargés  de  fonctions  si  redoutables  et  d'une  autorité  aussi  éten- 
due, doivent  être  en  place  aussi  longtemps  (6).  Je  supplie  l'Assemblée 
de  ne  pas  prendre  de  détermination  sur  cet  article  »  (7). 

[Brève  mention  dé  cette  intervention  dans  ^4ssemo/ée  nat'onale 
et  Commune  de  Paiis  (imitât.),  n°  531,  p.  8;  et  Le  Journal  du  Soir 
(Beaulieu),   n°   20,  p.   4.] 


PRINCIPES 

DE  L'ORGANISATION   DES  JURÉS,    ET   REFUTATION 

DU   SYSTÈME 

proposé  par  m.  duport,  au  nom  des  comités  de  juthcature 
&  de  Constitution, 

par  MAXIMILIEN  ROBESPIERRE 

DÉPUTÉ    DU    DÉPARTEMENT    DU    PAS-DE-CALAIS     A     L' ASSEMBI  ÉE 

Nationale.  (8) 

MESSIEURS, 

Le  mot  de  Jurés  semble  réveiller  l'idée  de  l'une  des  institu- 
tions sociales  les  plus  précieuses  à  l'humanité  :  mais  la  chose  qu  il 
exprime  est  loin  d'être  universellement  connue,  &  clairement  définie  : 
ou  plutôt  il  est  clair  que,  sous  ce  nom",  on  peut  établir  des  choses 
essentiellement  différentes  par  leur  nature  &  par  leurs  effets.  La  plu- 
part des  François  n'y  attachent  guère   aujourd'hui  qu'une  certaine   idée 

(6)  Robespierre    souhaitait   qu'ils   ne   fussent    nommées    que   pour 
de  ux  ans. 

(7)  Texte   reproduit  dans  les  Arch.   pari.   XXII,   34S. 

(8)  La  publication  de  ce  discours  subit  un  retard  de  plus  de  deux 
mois   dont   Robespierre    se    plaint  dans   une   lettre   qu'il    adresse,    en 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  23 

vague  du  système  anglois,  qui  ne  leur  est  point  parfaitement  connu. 
Au  reste,  il  nous  importe  bien  moins  de  savoir  ce  qu'on  fait  ailleurs, 
que  de  trouver  ce  qu'il  nous  convient  d'établir  chez  nous.  Les  Comités 
de  Constitution  &  de  Judicature  pourraient  même  avoir  calqué  exac- 
tement une  partie  du  plan  qu'ils  vous  proposent  sur  les  Jurés  connus 
en  Angleterre,  &  n'avoir  encore  rien  fait  pour  le  bien  de  la  Nation; 
car  les  avantages  et  les  vices  d'une  institution  dépendent  presque  tou- 
jours de  leurs  rapports  avec  les  autres  parties  de  la  législation,  avec 
les  usages,  les  mœurs  d'un  pays,  &  une  foule  d'autres  circonstances 
locales  &  particulières.  On  pourroit  de  plus  les  avoir  modifiés  de  telle 
manière,  &  attachés  à  de  telles  circonstances,  qu'au  lieu  des  fruits 
heureux  que  les  Anglois  en  auroient  recueillis,  les  Jurés  ne  produisis- 
sent chez  nous  que  des  poisons  mortels  pour  la  liberté.  Attachons- nous 
donc  à  la  nature  même  de  la  chose,  au  principe  de  toute  bonne  Consti- 
tution judiciaire,   &  de  l'institution  des  Jurés  (9). 

Son  caractère  essentiel,  c'est  que  les  Citoyens  soient  jugés  par 
leurs  Pairs. (10):  son  objet  est  que  les  Citoyens  soient  jugés  avec  plus 
de  justice  &  d'impartialité;  que  leurs  droits  soient  à  l'abri  des  coups 
du  despotisme  judiciaire.  Comparons  d'abord  avec  ces  principes,  le 
système  des  Comités.  C'est  pour  avoir  de  véritables  Jurés,  que  je 
vais  prouver  qu'ils  ne  nous  en  présentent  que  le  masque  &  le  fantôme. 

Dans  l'étendue  d'un  Département,  deux  cens  Citoyens  seront 
pris,  seulement,  parmi  ceux  qui  paien*  la  contribution  exigée  pour  être 
éligibles  aux  places  administratives.  Ces  deux  cens  éligibles  seront 
choisis  par  le  Procureur-Général  Syndic  de  l'Administration  du  Dépar- 
tement. Sur  ces  deux  cens,  douze  seront  tirés  au  sort;  ce  sont  ces 
douze  qui,  sous  le  titre  de  Jurés  de  jugement,  décideront  si  le  crime 
a  été  commis,  si  l'accusé  est  coupable.  Il  faut  observer  seulement  que, 
sur  les  deux  cens  éligibles  qui  formoient  la  liste  des  Jurés,  l'accusa- 
teur public  &  l'accusé  ont  également  la  faculté  d'en  récuser  chacun 
vingt. 

Maintenant,  pour  embrasser  l'ensemble  du  système,  pour  en  saisir 
l'esprit,  &  en  calculer  les  effets,  il  faut  rapprocher  de  cette  organisa- 
tion des  Jurés,  celle  du  Tribunal  qui  doit  intervenir  dans  les  procès 
criminels,  &  prononcer  la  peine. 


avril  1791.  à  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  de  Versailles 
(cf.  (i.  Miction,  I,  102),  où  l'on  peut  lire:  «  P. S.  J'y  joins  un  discours 
sur  les  jurés  dont  la  publication  a  éprouvé  dans  le  tems  des  obstacle;; 
d'une  nature  assez  extraordinaire.  Je  vous  prie  de  m'informer  de  la 
réception  de  cet  envoi.  »  Nous  rappelerons  cette  brochure  à  l'épo- 
que    de,    sa   diffusion    (cf.    ci-dessous,    n"    24H    bis). 

'(!))  C'est  à  ce  premier  paragraphe  que  fait  allusion  le  Journal 
de    Paris,    p.    85. 

(10)  Robespierre  a  prononcé  cette  phrase  dans  son  intervention 
du    5   février    1791. 


24  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Un  Tribunal  criminel ,  unique  par  chaque  Département,  composé 
de  deux  Juges  pris  à  tour  de  rôle,  &  tous  les  trois  mois,  parmi  les 
Membres  des  Tribunaux  de   District  que   renfermera   le   Département; 

A  la  tête  de  ce  Tribunal,  un  Magistrat  permanent,  un  Prési- 
dent, nommé  pour  l'espace  de  douze  années,  qui,  indépendamment 
des  fonctions  de  Juge,  est  seul  revêtu  d'une  autorité  infiniment  étendue, 
que  nous  ferons  connoître  dans  la  suite  (II). 

Contentons -nous  maintenant  de  développer  les  vices  cachés,  pour 
ainsi  dire,  dans  la  combinaison  des  dispositions  que  nous  venons  d'an- 
noncer. 

Quels  sont-ils  ces  Jurés,  ces  ihommes  appelles  à  décider  de  la 
condamnation  ou  du  salut  des  accusés  ?  Deux  cens  Citoyens  choisis 
par  le  Procureur-Syndic  du  Département.  Voilà  donc  un  seul  homme, 
un  Officier  d'Administration  maître  de  donner  au  Peuple  les  Juges 
qu'il  lui  plait.  Voilà  tout  ce  que  le  génie  de  la  législation  pouvoit 
inventer  pour  garantir  les  droits  les  plus  sacrés  de  l'homme  &  du 
Citoyen,  qui  aboutit  à  la  sagesse,  à  la  volonté,  au  caprice  d'un  Pro- 
cureur-Syndic. Je  sais  bien  que,  sur  ces  deux  cens,  douze  seront 
tirés  au  sort,  &  que  l'accusé  pourra  en  récuser  vingt  :  mais  !e  sort  ne 
pourra  jamais  s'exercer  que  sur  deux  cens  hommes  choisis  par  le  Pro- 
cureur-Syndic; mais,  après  les  récusations,  il  ne  restera  jamais  que  des 
hommes  dont  le  choix  ne  prouvera,  tout  au  plus,  que  la  confiance  du 
Procureur-Syndic;  mais  en  dernière  analyse,  il  demeure  certain  que 
vous  abandonnez  au  Procureur-Syndic  une  influence  aussi  étrange  que 
redoutable  sur  l'honneur,  sur  la  liberté,  sur  la  vie  peut-être,  des 
Citoyens.  J'aurois  pu  observer  aussi  que  l'effet  de  la  faculté  de  récuser, 
que  vous  donnez  à  l'accusé  est  anéanti  ou  compensé  par  celle  que  vous 
accordez  à  l'accusateur  public,  puisque,  si  d'un  côté  il  peut  écarter 
les  vingt  Jurés  qui  pourraient  lui  être  suspects,  son  adversaire  peut 
lui  ravir,  de  l'autre,  le  même  nombre  de  ceux  en  qui  il  auroit  le  plus 
de  confiance. 

Si  un  pareil  pouvoir  donné  au  Procureur-Syndic  est,  en  soi,  un 
abus  extrême,  que  sera-ce  si  nous  considérons  les  circonstances  parti- 
culières à  notre  Nation  &  à  notre  Révolution,  les  seuls  sans  doute 
qui  doivent  fixer  nos  regards. 

Dans  un  temps  où  la  Nation  est  divisée  par  tant  d'intérêts,  par 
tant  de  factions,  où  elle  est  sur-tout  partagée  en  deux  grandes  sections, 
la  majorité  des  Citoyens,  les  Citoyens  les  moins  puissans,  les  moins 
caressés  par  la  fortune  &  par  l'ancien  Gouvernement,  ces  Citoyens 
que  l'on  appelle  peuple,  que  j'appelle  ainsi,  parce  qu'il  faut  que  je 
parle  la  langue  de  mes  adversaires,  parce  que  ce  nom  me  paroît  à-la- 
fois  auguste  &  touchant;  dans  le  temps,  dis-je,  où  l'Etat  est  comme 
partagé  entre   le  Peuple   &   la   foule  innombrable  de   ces  hommes  qui 


(11)    Cf.    ci-dessus,    séance    du    20    janvier,    3e   intervention. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  25 

veulent,  ou  rappeler  les  anciens  abus,  ou  en  créer  de  nouveaux,  au 
profit  de  leur  ambition  &  aux  dépens  de  sa  liberté;  dans  le  temps  où 
les  plus  dangereux  de  ses  ennemis  ne  sont  pas  ceux  qui  se  montrent 
à  découvert,  mais  ceux  qui  cachent  leurs  sinistres  dispositions  sous  le 
masque  du  civisme,  &  sous  les  formes  de  la  Constitution  nouvelle, 
n'est-il  pas  possible,  n'est-il  pas  même  inévitable  &  conforme  à  l'ex- 
périence, que  l'intrigue  &  l'erreur  portent  souvent  aux  premières  places 
de  l'Administration  des  Citoyens  de  ce  caractère  ?  Or,  de  tels  Pro- 
cureurs-Syndics ne  seroient-ils  pas  naturellement  enclins  à  appeller 
aux  fonctions  de  Jurés  des  hommes  qui  auroient  adopté  les  mêmes 
principes,  &  qui  suivraient  le  même  parti  ?  Ne  pourroient-ils  pas  même, 
sans  nuire  à  leurs  vues,  les  entremêler,  pour  ainsi  dire,  d'un  certain 
nombre  de  ces  hommes  nuls  &  insignifians  qui  appartiennent  au  plus 
adroit  &  au  plus  puissant;  &,  s'ils  le  vouloient,  ne  le  pourroient-ils 
pas  facilement  ?  Seroient-ils  réduits  à  chercher  long-temps  deux  cens 
de  ces  hommes-là  dans  toute  l'étendue  du  Département  ?  Et  dès-lors 
ne  voilà-t-il  pas  le  peuple,  les  patriotes  les  plus  zélés  sur-tout,  livrés 
à  des  Juges  partiaux  et  ennemis  ?  Je  n'en  conclurai  pas  qu'on  se  hâtera 
d'abord  de  déployer  l'appareil  des  Jugemens  criminels  contre  ceux 
qui,  sur  un  grand  théâtre,  auront  défendu  avec  éclat  les  droits  de  la 
Nation  &  de  l'humanité;  mais  je  vois  les  Citoyens  foibles  et  sans 
appui,  suspects  d'un  trop  grand  attachement  à  la  cause  populaire,  per- 
sécutés au  nom  des  Loix  &  de  l'ordre  public;  je  vois  des  réclama- 
tions vigoureuses,  des  actes  de  résistance  provoqués  par  de  longs  outra- 
ges, ou,  si  l'on  veut,  les  actes  d'un  patriotisme  sincère,  mais  non  encore 
éclairé  par  la  connoissance  des  Loix  nouvelles,  punis  comme  des  actes 
de  rébellion  &  comme  des  attentats  à  la  sûreté  publique.  Je  vois  dans 
toutes  les  accusations  qui  auront  le  moindre  trait  aux  calomnies,  que 
les  ennemis  de  la  liberté  n'ont  cessé  de  répandre  contre  le  peuple, 
les  meilleurs  Citoyens  abandonnés  à  toutes  les  préventions,  à  toute 
la  malignité  hypocrite  des  faux  patriotes,  à  toutes  les  vengeances  de 
l'aristocratie  soupçonneuse  &  irritée. 

Ce  n'est  pas  tout  :  comme  si  ce  n'étoit  point  assez  de  ces  précau- 
tions pour  nous  assurer  ce  malheur,  les  Comités  ne  nous  proposent-ils 
pas  encore  de  restreindre  la  faculté  d'être  choisi  par  le  Procureur- 
Syndic,  à  la  classe  des  éligibles  aux  Administrations;  c'est-à-dire, 
des  Citoyens  les  plus  riches  &  les  plus  puissans  ?  Est-ce  donc  !à  ce  que 
vous  appeliez  être  jugés  par  ses  Pairs  ?  Ils  le  seront  peut-être  ces 
Citoyens  exclusivement  appelles  aux  fonctions  d'administrateurs  &  de 
Jurés;  mais  ils  ne  forment  pas  le  quart  de  la  Nation:  pour  les  autres, 
ils  le  seront  de  fait  par  leurs  supérieurs;  leur  sort  sera  soumis  à  une 
classe  séparée  d'eux  par  la  ligne  de  démarcation  la  plus  profonde,  par 
toute  la  distance  qui  existe  entre  la  puissance  politique  &  judiciaire, 
&  la  nullité,  entre  la  souveraineté  &  la  sujétion,  ou  si  vous  voulez 
la  servitude.   Et  comment  la  Nation  retrouveroit-elle  là,   je  ne  dis  pas 


26  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

l'égalité  des  droits,  je  ne  dis  pas  les  droits  imprescriptibles  des  hom- 
mes, mais  ce  principe  fondamental  de  toute  organisation  des  Jurés, 
ce  caractère  de  justice  &  d'impartialité  qui  doit  la  distinguer  £  Tous 
ceux  qui  seront  hors  de  votre  classe  privilégiée  ne  craindron!-i!s  pas 
de  trouver  dans  ces  Jurés  plus  de  penchant  à  l'indulgence,  plus  d'égards, 
plus  de  prévention  pour  les  personnes  de  leur  état,  &  moins  d'huma- 
nité, moins  de  respect  pour  ceux  qu'ils  sont  accoutumés  à  regarder 
comme  d'une  grande  hauteur  ? 

Je  suis  bien  éloigné  de  vouloir  que  les  accusés  soient  jugés  par 
les  Tribunaux.  Mais  certes,  je  ne  crains  pas  d'affirmer  que  ce  système 
seroit  beaucoup  moins  dangereux,  beaucoup  moins  contraire  aux  prin- 
cipes de  la  liberté  que  celui  qu'on  nous  propose.  Du  moins  les 
Citoyens  seroient  jugés  par  des  Magistrats  qu'ils  auroient  eux-mêmes 
choisis  :  dans  l'autre  leur  sort  est  soumis  à  des  hommes  nommés  par 
un   seul   fonctionnaire  public,   peut-être  par  leur  ennemi. 

Dans  le  premier,  l'égalité  des  droits  est  au  moins  respectée, 
puisque  tous  sont  jugés  par  ceux  que  tous  ont  choisi  ;  mais  le  second 
distingue  la  Nation  en  deux  classes,  dont  l'une  est  destinée  à  juger, 
&  l'autre  à  être  jugée;  la  partie  la  plus  précieuse  de  la  souveraineté 
nationale  est  transportée  à  la  minorité  de  la  Nation;  la  richesse  devient 
la  seule  mesure  des  droits  du  Citoyen,  &  le  Peuple  François  est  à-la- 
fois  avili  &  opprimé.  Enfin,  si  le  système  judiciaire,  que  je  mets  en 
parallèle  avec  celui  du  Comité,  est  défectueux,  celui  du  Comité  est 
inique    &    monstrueux   (12). 

Que  dirai-je  de  cette  autre  disposition  qui  porte,  que  'es  deux 
tiers  des  Jurés  seront  pris  dans  la  ville  où  sera  établi  le  Tribunal  crimi- 
nel 7  Que  dirai-je  de  cette  partialité  injuste  &  injurieuse  aux  Citoyens 
des  Campagnes,  dont  il  est  impossible  de  calculer  les  suites  funestes  ? 
de  cet  oubli  inconcevable  des  premiers  principes  de  la  raison  &  de 
l'ordre  social  ? 

Ces  inconvéniens  sont  si  frappans,  que  je  n'ai  pas  même  songé 
à  relever  une  atteinte  directe  qu'il  porte  aux  premiers  principes  de  notre 
Constitution,  en  donnant  le  droit  d'élire  des  Fonctionnaires  publics 
(&  quels  Fonctionnaires)  à  un  autre  Fonctionnaire  public,  à  un  Officier 
que  le  peuple  n'a  pas  chargé  de  cette  mission,  &  dont  le  pouvoir  est 
enfermé  dans  les  bornes  des  affaires  de  l'Administration.  Défions- nous 
de  cette  tendance  à  investir  les  Directoires  de  toutes  ces  prérogatives; 
elles  sont  autant  d'attentats  à  l'autorité  nationale  &  à  la  liberté  pubb- 
que. 

Mais  je  n'ai  encore  exposé  qu'une  partie  des  dangers  attachés 
à  l'Organisation  des  Jurés  dont  on  nous  menace  :    il   faut   les   voir   en 


(12)  C'est  cette  importante  question  du  choix  des  jurés  qui  fait 
l'objet  de  l'intervention  principale  de  Robespierre  au  cours  de  la 
séance  du  5  février.  Implicitement,  il  réclame  ainsi,  une  fois  de  plus, 
la   suppression  du'  cens. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  27 

action;  il  faut  considérer  leur  rapport  avec  ce  Tribunal  criminel  auquel 
on  les  lie.  Vous  savez  que  ce  Tribunal  est  composé  de  deux  Juges 
pris  dans  chaque  District  ;  mais  ces  Juges  changent  tous  les  tro's  mois  : 
le  Président  seul  reste  :  le  Président  est  nommé  pour  douze  années  ; 
c'est  vous  dire  assez  que  ce  Magistrat  aura  une  prodigieuse  influence  ; 
mais  considérez  l'étendue  de  ses  fonctions.  Indépendamment  de  celles 
qui  lui  sont  communes  avec  les  autres-Juges,  de  celle  de  tirer  les  Jurés 
au  sort,  de  les  convoquer,  il  fe-a  subir  im  interrogatoire  à  l'accusé  im- 
médiatement après  son  arrivée;  il  assistera,  il  présidera  à  foute  l'instruc- 
tion; l'instruction  finie,  il  sera  chargé  encore  de  diriger  les  Jurés  eux- 
mêmes  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions,  de  leur  exposer,  de  leur 
résumer  l'affaire,  de  leur  faire  remarquer  les  principales  preuves,  même 
de  leur  rappeler  leur  devoir. 

C'en  seroit  assez  pour  vous  convaincre  que  ce  Président  exercera 
une  singulière  influence  sur  la  procédure  et  sur  le  jugement  des  Jurés. 
Peut-être  aussi  serez-vous  étonnés  de  ce  qu'en  même-temps  que  l'on 
considère  cette  dernière  espèce  de  Juges,  comme  les  seuls  capables  de 
protéger  suffisamment  les  droits  de  l'innocence  &  la  liberté  civile,  on 
les  mette  ainsi  sous  la  tutèle  &  sous  la  férule  d'un  Magistrat  nom- 
mé pour  douze  ans.  Si  on  les  suppose  ineptes,  ils  verront  par  les  yeux 
du  Mentor  que  les  Comités  leur  donnent  :  si  on  les  suppose  capables 
de  leurs  fonctions,  pourquoi  ne  pas  leur  laisser  cette  indépendance  qui 
doit   caractériser   les   Juges  ? 

Mais  ce  qui  achève  de  dévoiler  l'esprit  de  ce  système,  c'est  le 
pouvoir  indéfini  &  arbitraire  dont  le  même  Président  est  investi  par 
un  autre  article.  «  Le  Président  du  Tribunal  criminel,  dit-on  en  pro- 
pres termes,  peut  prendre  sur  lui  de  faire  ce  qu'il  croira  utile  pour 
découvrir  la  vérité;  &  la  Loi  charge  son  honneur  &  sa  conscience 
d'employer  tous  ses  efforts  pour  en  favoriser  la  manifestation   »  (13). 

La  découverte  de  la  vérité  est  un  motif  très-beau;  c'est  l'objet  de 
toute  procédure  criminelle  &  le  but  de  tout  juge.  Mais  que  la  Loi 
donne  vaguement  au  Juge  le  pouvoir  illimité  de  prendre  sur  lui  tout 
ce  qu'il  croira  utile  pour  l'atteindre;  qu'elle  substitue  l'honneur  &  la 
conscience  de  l'homme  à  sa  sainte  autorité;  qu'elle  cesse  de  soup- 
çonner que  son  premier  devoir  est,  au  contraire,  d'enchaîner  les  capri- 
ces &  l'ambition  des  hommes  toujours  enclins  à  abuser  de  leur  pouvoir; 
&  qu'elle  fournisse  à  notre  président  criminel  un  texte  précis  qui  favo- 
rise toutes  les  prétentions,  qui  pallie  tous  les  écarts,  qui  justifie  tous  les 
abus  d'autorité,  c'est  un  procédé  absolument  nouveau,  &  dont  les  Comi- 
tés nous  donnent   le   premier   exemple. 

Je  ne  veux  point  parcourir  les  autres  vices  dont  leur  projet  est 
entaché;   je   ne   veux  pas  même  parler  des  fonctions   inutiles   &   dange- 


(13)  Cf.  séance  <h\  21  janvier   1791,   lr"  intervénti 


28  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

reuses  du  Commissaire  du  Roi  (14)  qu'ils  mêlent  à  toute  l'instruction, 
ni  de  l'autorité  énorme  qu'ils  donnent  à  l'accusateur  public,  en  lui 
attribuant  le  droit  de  mander,  de  réprimander  arbitrairement  les  Juges 
de  Paix,  les  Officiers  de  Police;  en  les  mettant  dans  sa  dépendance  ; 
en  lui  conférant  une  puissance  qui  répond  à  celle  de  nos  Intendans 
&  des  Procureurs-Généraux  de  nos  Parlemens  (15),  mais  comment 
taire  ou  qualifier  les  dispositions  par  lesquelles  ils  remettent  ensuite 
au  Roi  le  pouvoir  de  lui  donner  des  ordres  pour  la  poursuite  des  crimes  ? 

C'est  donc  en  vain  que  vous  avez  retiré  des  mains  du  Commis- 
saire du  Roi  le  redoutable  ministère  de  l'accusation  publique,  pour 
le  confier  à  un  Officier  nommé  par  le  Peuple  ;  voilà  que  vos  Comités 
osent  vous  proposer  de  le  remettre  indirectement  au  Roi  lui-même,  c'est- 
à-dire,  de  remettre  à  la  Cour  &  au  Ministère  la  plus  dangereuse  influence 
sur  le  sort  des  Citoyens  &  des  plus  zélés  partisans  de  la  liberté;  de 
dénaturer,  de  pervertir  l'institution  de  l'accusateur  public,  pour  en  faire 
un  vil  instrument  des  agens  du  Pouvoir  exécutif,  pour  avilir  le  Peuple 
lui-même,  le  Souverain,  en  soumettant  à  leur  empire  le  Magistrat  qu'il 
a  choisi  pour  poursuivre,  en  son  nom,  les  délits  qui  troublent  la  société. 
Eh  !  qui  ne  seroit  effrayé  de  ces  voies  obliques,  par  lesquelles  on 
s'efforce  sans  cesse  de  ramener  tous  les  jours  toute  la  puissance  natio- 
nale dans  les  mains  du  Roi,  &  de  nous  remettre  insensiblement  sous 
le  joug  d'un  despotisme  constitutionnel,  plus  redoutable  que  celui  sous 
lequel  nous  gémissions  ! 

Quel  est  le  résultat  de  tout  ce  que  nous  avons  dit  sur  les  prin- 
cipes des  Comités  ? 

Que  la  place  de  Président  sera  ce  qu'on  appelle  une  très-belle 
place  pour  celui  qui  aspireroit  à  s'asseoir  sur  ce  trône  de  !a  Justice 
criminelle;  qu'en  lui  se  concentrerait  presque  toute  l'autorité  du  Tri- 
bunal; qu'il  dominerait  également  &  sur  la  procédure  &  sur  les  Jurés; 
que  ces  Jurés  eux-mêmes  ne  seroient  que  des  instruments  passifs  &  sus- 
pects, passant,  pour  ainsi  dire,  des  mains  de  l'Officier  qui  les  auroit 
créés,  dans  celles  du  Président  qui  les  dirigeroit.  Je  vois  par-tout  les 
principes  de  la  justice  &  de  l'égalité  violés,  les  maximes  constitution- 
nelles foulées  aux  pieds,  la  liberté  civile  pressée,  pour  ainsi  dire,  entre 
un  accusateur  public,  un  Commissaire  du  Roi,  un  Président  &  un  pro- 
cureur syndic...  J'oubliois  les  Officiers  de  Maréchaussées  érigés  en 
Magistrats  de  Police  (16),  mais  laissons,  pour  un  moment,  ce  système 
fatal  qui  complette  le  plan  oppressif  que  nous  avons  développé,  qui  livre 
brutalement  la  liberté  des  Citoyens  aux  caprices  &  aux  outrages  du 
despotisme  militaire,  qui  semble  proposé,  non  pour  un  peuple  généreux, 
conquérant  de  sa  liberté,  mais  pour  un  troupeau  d'esclaves  que  l'on 
voudrait  punir  d'avoir  un  instant  secoué  leurs  chaînes. 


(14)  Cf.   séance  du  20  janvier  1791,   2»  intervention. 

(15)  Cf.    séance  du   21   janvier   1791.    2e  intervention. 

(16)  Cf.   Discours,   lre  partie,   p.   674-687. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  29 

Dissipons,  dans  ce  moment,  les  illusions  dont  les  Comités  sem- 
blent couvrir  leur  système.  Ils  ne  cessent  de  répéter  qu'il  existe  en 
Angleterre. 

Quand  on  veut  adopter  la  méthode  si  incertaine  &  si  fausse,  de 
préférer  des  exemples  étrangers  à  la  raison,  on  devroit  au  moins  être 
exact  sur  les  faits.  Mais  comment  peut-on  se  dissimuler  que  le  système 
anglois  &  celui  qu'on  nous  présente,  diffèrent  par  des  circonstances 
essentielles,  qui  en  changent  absolument  le  résultat  ?  Et  d'abord,  qui 
ne  sait  pas  que  le  système  anglois  présente  à  l'innocence  une  sauve- 
garde qui  suffirait  seule  pour  prévenir  bien  des  inconvéniens,  pour 
tempérer  bien  des  vices  dans  la  composition  des  Jurés  ?  C'est  la  Loi 
qui  veut  l'unanimité  absolue  pour  condamner  l'accusé  :  or,  cette  Loi 
salutaire  est  précisément  celle  que  les  Comités  commencent  par  effacer 
de  leur  projet. 

Non  contents  d'avoir  ainsi  garanti  l'innocence  avant  le  jugement, 
les  Loix  angloises  lu!  ménagent  une  ressource  puissante  après  la  con- 
damnation, en  donnant  à  un  Juge  unique  le  pouvoir  de  venir  à  son 
secours    en    soumettant    l'affaire    à    un    nouveau    Juré. 

Les  Comités  ne  laissent  la  possibilité  de  réclamer  la  révision  que 
dans  le  cas  presque  chimérique,  où  le  Tribunal  tout  entier  et  le  Com- 
missaire du  Roi  sont  unanimement  d'un  avis  contraire  à  la  déclaration 
du  Juré  qui  a  prononcé  la  condamnation,  de  manière  que,  suivant, 
dans  les  deux  cas,  le  principe  diamétralement  opposé  à  celui  de  la 
Législation  angloise,  ils  exigent  l'unanimité  lorsqu'il  s'agit  de  secourir 
l'accusé;   ils  en  dispensent,    lorsqu'il   est  question  de   le   condamner. 

Mais  quoi  !  les  Anglois  ont-ils  lié  au  système  de  leurs  jurés  ce 
pouvoir  monstrueux  de  la  Maréchaussée  ?  Ont-ils  remis  dans  les  mains 
de  l'aristocratie  militaire  le  pouvoir  de  rendre  et  d'exécuter  des  Ordon- 
nances de  Police;  de  traiter  les  Citoyens  comme  suspects;  de  les 
déclarer  prévenus;  de  les  livrer  à  l'accusateur  public;  de  les  envoyer 
en  prison;  de  dresser  des  procès-verbaux,  &  de  faire  contre  eux  une 
procédure  provisoire  ?  Ont-ils  confondu  les  limites  de  la  Justice  crimi- 
nelle &  de  la  Police,  pour  donner  à  des  Gendarmes  royaux,  sous  le 
titre  de  Gendarmes  nationaux,  le  plus  terrible  de  tous  les  pouvoirs? 
Ah  !  ils  ont  tellement  respecté  les  droits  du  Citoyen,  qu'ils  ont 
repoussé  avec  effroi  toutes  ces  institutions  dignes  du  génie  du  despo- 
tisme. Tout  le  monde  sait  qu'ils  ont  poussé,  à  cet  égard,  les  précau- 
tions jusqu'au  scrupule,  &  qu'ils  ont  mieux  aimé  paroître  affoiblir 
l'énergie  &  l'activité  de  la  police,  que  d'exposer  la  liberté  civile  aux 
vexations  de  ses  agens.  Or,  croit-on  que  cette  différence  doit  être 
comptée  pour  rien  ?  Croit-on  que  ce  soit  la  même  chose  de  pouvoir 
être  exposé  arbitrairement  à  des  poursuites  criminelles  par  une  auto- 
rité essentiellement  violente  et  despotique,  ou  d'être  protégé  par  la 
Loi    contre   ces  premiers  dangers  ? 

Pouvez- vous  nier  encore,    que,    malgré   quelques   rapports   de   res- 


30  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

semblance  presque  matériels,  de  quelques-unes  des  dispositions  que 
vous  proposez  avec  celles  de  la  Législation  angloise,  il  y  a  dans  l'en- 
semble &  dans  les  détails  de  grandes  nuances,  qui  doivent  pn  déter- 
miner les  effets  ?  Mais  pouvez-vous  sur-tout  vous  dissimuler  à  quel 
point  les  vices  énormes  de  votre  système  sont  liés  aux  circonstances 
politiques  où  nous  nous  trouvons  ? 

Les  Jurés  d'Angleterre  ont-ils  été  établis,  ont-ils  fleuri  au  milieu 
des  troubles  civils,  au  sein  des  intrigues  des  ennemis  du  Peuple  qui 
nous  environnent  ?  Sont-ils  organisés  de  manière  à  fournir  à  ses  oppres- 
seurs les  moyens  de  l'abattre,  de  le  remettre  sous  le  joug,  avec  l'appa- 
reil des  formes  judiciaires  ? 

En  Angleterre,  le  Peuple  a-t-il  réclamé  ses  droits  contre  le  Gou- 
vernement &  contre  l'aristocratie?  Existe-t-il  des  factions  dominantes 
qui  le  calomnient,  qui  peignent  les  plus  zélés  défenseurs  de  la  liberté, 
qui  le  représentent  lui-même  comme  une  troupe  de  brigands  &  de  sédi- 
tieux*? L'a-t-on  livré  sous  ce  prétexte,  à  des  Prévôts,  à  des  Soldats  ? 
A-t-on  lieu  de  croire  que  les  Jurés  Anglois  nommés  par  un  seul  homme, 
apporteront  sur  le  Tribunal  ces  sinistres  préventions,  ou  le  dessein 
formé  d'immoler  des  victimes  à  la  tyrannie  ?  Si  des  Représentai  du 
Peuple  Anglois,  dans  des  circonstances  semblables  à  celles  que  je 
viens  d'indiquer,  proposoient  de  pareilles  mesures;  si,  avant  que  la 
révolution  fût  affermie,  au  moment  où  elle  seroit  menacée  de  toutes 
parts,  ils  affectoient  toujours  une  défiance  injuste  &  une  rigueur  inexo- 
rable pour  la  majorité  des  Citoyens  intéressés  à  la  maintenir,  &  une 
aveugle  confiance,  une  complaisance  sans  borne  pour  ceux  dont  elle 
auroit,  ou  irrité  les  préjugés,  ou  offensé  l'orgueil;  quel  jugement  fau- 
droit-i!  porter,  ou  de  leur  prévoyance,  ou  de  leur  zèle  de  la  liberté? 

Que  conclure  de  tout  ce  que  j'ai  dit?  pour  moi,  j'en  conclus 
d'abord  qu'il  faut  au  moins  faire  disparoître  de  la  Constitution  des 
Jurés,   tous  les  vices  monstrueux  que  je   viens  de  relever. 

Je  conclus  qu'à  la  place  de  leur  système,  il  faut  substituer  un 
plan  d'organisation  fondé  sur  les  principes  d'une  Constitution  libre, 
&  qui  puisse  réaliser  les  avantages  que  le  nom  des  Jurés  semble  pro- 
mettre  à  la  Société. 

Nous  en  viendrons  facilement  à  bout,  ce  me  semble,  si  nous 
voulons,  d'un  côté,  fixer  un  moment  notre  attention  sur  les  maximes 
fondamentales  de  notre  Constitution,  de  l'autre,  observer  rapidement 
les  causes  de  la  méprise  où  les  Comités  me  semblent  être  tombés.  Elle 
consiste,  suivant  moi,  en  ce  que,  se  livrant  trop  à  l'esprit  d'imitation 
&  à  cette  espèce  d'enthousiasme  que  nous  a  inspiré  l'habitude  d'enten- 
dre vanter  les  Jurés  Anglois,  ils  n'ont  pas  fait  attention  qu'à  la  hau- 
teur où  notre  Révolution  nous  a  placés,,  nous  ne  pouvons  pas  *tre  aussi 
faciles  à   contenter  en   ce   genre,    que    la  Nation   Angloise. 

Que  les  Anglois,  chez  qui  le  pouvoir  de  nommer  les  Officiers  de 
Justice   étoit    livré   au   Roi,    aient    regardé    comme    un    avantage   d'être 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  31 

jugés,  en  matière  criminelle,  par  des  Citoyens  choisis  par  un  Officier 
appelle  Shérif,  &  ensuite  réduits  par  le  sort,  cela  se  conçoit  aisément; 
que  les  Anglois,  dont  la  représentation  politique,  si  absurde  et  si 
informe,  n'étoit  que  l'abus  de  l'aristocratie  des  riches,  ne  présentoit 
aux  yeux  des  politiques  philosophes  qu'un  fantôme  de  Corps  législatif 
asservi  &  acheté  par  un  Monarque;  que  les  Anglois,  dis-je,  ayant  vu, 
sans  étonnement,  le  choix  des  Jurés  renfermé  dans  la  classe  des 
Citoyens  qui  possédoient  une  quantité  de  propriétés  déterminée,  cela 
se  conçoit  avec  la  même  facilité. 

Que  les  Anglois,  contemplant  d'un  côté  les  Loix  bienfaisantes 
qui  adoucissoient  les  inconvéniens  de  cette  formation  vicieuse  de  leurs 
Jurés,  comparant  de  l'autre  leur  système  judiciaire  avec  le  honteux 
esclavage  des  peuples  qui  les  entouroient,  &  avec  les  vices  mêmes 
des  autres  parties  de  leur  Gouvernement,  aient  regardé  ce  sysfême 
comme  le  Palladium  de  leur  liberté  individuelle,  &  qu'ils  nous  aient 
communiqué  leur  enthousiasme  dans  le  temps  où  nous  n'osions  même 
élever  nos  regards  vers  l'image  de  la  liberté,  tout  cela  était  dans  l'ordre 
naturel  des  choses. 

Mais  qu'en  France,  où  les  droits  de  l'homme  &  la  souveraineté 
de  la  Nation  ont  été  solemneilement  proclamés;  où  ce  principe  consti- 
tutionnel, que  les  Juges  doivent  être  choisis  par  le  peuple,  a  été 
reconnu  ; 

Qu'en  France,  où,  en  conséquence  de  ce  principe,  les  moindres 
intérêts  civils  &  pécuniaires  des  Citoyens  ne  sont  décidés  que  par  les 
Citoyens  à  qui  ils  ont  confié  ce  pouvoir;  leur  honneur,  leur  destinée, 
soient  abandonnés  à  des  hommes  qui  n'ont  reçu  d'eux  aucune  mission, 
à  des  hommes  nommés  par  un  simple  Administrateur  auquel  le  Peuple 
n'a  point   donné   &    n'a  pu   donner  une   telle  puissance; 

Que  ces  hommes  ne  puissent  être  choisis  que  dans  une  classe 
particulière,  que  parmi  les  riches;  que  les  Législateurs  descendent  des 
principes  simples  &  justes  qu'ils  ont  eux-mêmes  consacrés,  pour  calquer 
laborieusement  un  système  de  Justice  criminelle  sur  des  institutions 
étrangères,  dont  ils  ne  conservent  pas  même  les  dispositions  les  plus 
favorables  à  l'innocence,  &  qu'ils  nous  vantent  ensuite  avec  enthou- 
siasme, &  la  sainteté  des  Jurés,  &  la  magnificence  du  présent  qu'ils 
veulent  faire  à  l'humanité,  voilà  ce  qui  me  paroît  incroyable,  incom- 
préhensible ;  voilà  ce  qui  me  démontre  plus  évidément  que  toute 
autre  chose,  à  quel  point  on  s'égare,  lorsqu'on  veut  s'écarter  de  ces 
vérités  éternelles  de  la  morale  publique  qui  doivent  être  à  la  base 
de  toutes  les  Sociétés  humaines. 

Il  suffit  de  revenir  à  ce  principe  pour  découvrir  le  véniable 
plan    d'organisation   des   Jurés  que    nous   devons   adopter. 

Voici  celui  que  je  propose,  c'est-à-dire  les  dispositions  que  je 
regarde  comme  fondamentales  de  l'organisation  des  Jurés;  (car,  pour 
les  loix  de  détail,  &  pour  les  formes  de  la  procédure,  je  ne  me  pique 


32  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

pas  de  les  énoncer  toutes,  d'autant  que  j'adopte  une  grande  partie  de 
celles  que  les  Comités  nous  proposent,  d'après  l'exemple  de  l'Angle- 
terre   &    l'opinion   publique). 

Formation   du  Jury  d'accusation 
I. 
Tous    les    ans,    les    Electeurs    de    chaque    Canton    s'assembleront 
pour   élire,    à    la   pluralité   des    suffrages,    6   Citoyens,    qui,    durant    le 
cours  de  l'année,   seront  appelés  à  exercer  les   fonctions  de  Jurés. 

II. 

Il  sera  formé,  au  Directoire  de  District,  une  liste  des  Jurés  nom- 
més par  les  Cantons. 

III. 
Le  Tribunal  de  District   indiquera  celui  des  jours  de  la  semaine 
qui   sera  consacré   à   l'assemblée  du   Jury  d'accusation. 

IV. 

Huitaine  avant  le  jour,  le  Directeur  du  Jury  fera  tirer  au  sort, 
en  présence  du  Public,  huit  Citoyens,  sur  la  liste  de  ceux  qui  auront 
été  choisis  par  tous  les  Cantons,  &  ces  huit  formeront  le  Jury  d'accu- 
sation. 

V. 

Quand  le  Jury  sera  assemblé,  il  prêtera  devant  le  Directeut  du 
Jury  le  serment  suivant  : 

Nous  jurons  d'examiner,  avec  une  attention  scrupuleuse,  les  témoi- 
gnages et  les  pièces  qui  nous  seront  présentées;  &  de  nous  expliquer 
sur  l'accusation,   selon  notre   conscience. 

VI. 
Ensuite,    l'acte  d'accusation   leur   sera  remis;    ils  examineront   les 
pièces,  entendront  les  témoins,  &  délibéreront  entr'eux. 

VII. 
Ils  feront  ensuite  leur  déclaration,  qui  portera  qu'il  y  a  lieu,  ou 
qu'il  n'y  a  pas  lieu  à  l'accusation. 

VIII. 

Le  nombre  de  huit  Jurés  sera  absolument  indispensable  pour  ren- 
dre cette  déclaration. 

IX. 

Il  faudra  l'unanimité  des  voix  pour  déclarer  qu'il  y  a  lieu  à 
accusation. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  33 

Formation  du  jury  de  jugement 
I. 

Il  sera  fait  une  liste  générale  de  tous  les  Jurés  qui  auront  été 
choisis  dans  tous  les  districts  du  Département. 

II. 

Sur  cette  liste,  le  premier  de  chaque  mois,  le  Président  du  Tri- 
bunal criminel,  dont  il  sera  parlé  ci-après,  fera  tirer  au  sort  16  Jurés 
qui  formeront  le  Jury  de  Jugement. 

III. 
Le    15  de  chaque  mois,   s'il   y  a  quelqu 'affaire  à  juger,    ces    16 
Jurés  s'assembleront,  d'après  la  convocation  qui  en  aura  été  faite 

IV. 

L'accusé  pourra  récuser  30  Jurés  sans  donner  aucun  motif. 

V. 

Il  pourra  récuser,  en  outre,  tous  ceux  qui  auront  assisté  au  Jury 
d'accusation. 

Formation   du    Tribunal   Criminel 

I. 

Il   sera  établi  un  Tribunal  criminel  par  chaque  Qépartement. 

II. 

Ce  Tribunal  sera  composé  de  six  Juges  pris  à  tour  de  rôles,  tous 
les  six  mois,  parmi  les  Juges  des  Tribunaux  de  District. 

III. 

Il  sera  nommé  tous  les  deux  ans  par  les  Electeurs  du  Départe- 
ment, un  Président  du  Tribunal  Criminel,  dont  les  fonctions  vont  être 
fixées. 

IV. 

Outre  les  fonctions  de  Juge,  qui  lui  sont  communes  avec  les 
autres  Membres  du  Tribunal,  il  sera  chargé  de  faire  tirer  au  sort  les 
Jurés,  de  les  convoquer,  de  leur  exposer  l'affaire  qu'ils  ont  à  juger, 
&  de  présider  à  l'instruction. 

V. 

Il  pourra,  sur  la  demande,  &  pour  l'intérêt  de  l'accusé,  permettre 
ou  ordonner  ce  qui  pourrait  être  utile  à  la  manifestation  de  l'inno- 
cence, quand  bien  même  cela  seroit  hors  des  formes  ordinaires  de  la 
procédure  déterminée  par  la  Loi. 

l«rvitt  si'li.iuti:.         >i 


34  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

VI. 

L'accusateur  public  sera  nommé  tous  les  deux  ans  par  'es  élec- 
teurs du  Département. 

VII. 
Ses   fonctions   se    borneront    à   poursuivre    les   délits    sur    les    actes 
d'accusation  admis  par  les  premiers  Jurés. 

VIII. 
Le  Roi  ne  pourra  lui  adresser  aucun  ordre  pour  la  poursuite  des 
crimes;    attendu    que    cette    prérogative    seroit    incompatible    avec    les 
principes    constitutionnels    sur    la    séparation    des    pouvoirs,    &    avec    la 
liberté. 

IX. 
Le   Corps   Législatif   lui-même   ne   pourra   lui   adresser  de   pareils 
ordres  ;    la    Constitution    renfermant    sa    compétence    dans    la    poursuite 
des   crimes  de   lèse-Nation,    devant   le   Tribunal   établi   pour   les   punir. 

X. 

L'accusateur  public  étant  nommé  par  le  Peuple,  pour  poursuivre, 
en  son  nom,  les  délits  qui  troublent  ia  Société,  aucun  Commissaire  du 
Roi  ne  pourra  partager  avec  lui  aucune  de  ses  fonctions,  ni  se  mêler 
en  aucune  manière,  de  l'instruction  des  affaires  criminelles. 

Manière  de  procéder  devant  le  Jury  de  Jugement 

(Je  ne  présenterai  ici  que  les  articles  nécessaires  pour  remplacer 
celles  des  dispositions  du  Comité,  qui  doivent  être  changées  ou  suppri- 
mées.) 

I. 
Les  dépositions  des  témoins  seront  rédigées  par  écrit,   si  l'accusé 
le  demande;  mais,  quelque  soit  leur  contenu,   les  Jurés  pèseront  toutes 
les    circonstances    de    l'affaire,    &    ne    se    détermineront    que    par    une 
intime  conviction. 

II. 
Néanmoins,     si    les    dépositions    écrites    sont    à    la    décharge    de 
l'accusé,    ils  ne  pourront   le   condamner,   quelle  que   soit  d'ailleurs   leur 
opinion  particulière. 

III. 

L'unanimité  sera  absolument  nécessaire  pour  déclarer  l'accusé 
convaincu. 

IV. 
Il    n'y   aura   pas   d'appel    du    jugement    des   Jurés,    mais,    si    deux 
Membres   du   Tnbunal   Criminel  pensoient   que   l'accusé  a   été   injuste- 
ment  condamné,    il   pourra  demander   un   nouveau   Jury   pour   examiner 
l'affaire  une  seconde  fois. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  35 

V. 

Les  Jurés  seront,  comme  les  Juges,  indemnisés  par  l'Etat,  du 
temps,  qu'ils  donneront  au  service  public. 

(Je  terminerai  ce  Projet  par  quelques  articles  qui  concernent 
l'arrestation  &  les  principes  de  la  Police.) 

L 

Tout  homme  pris  en  flagrant  délit  pourra  être  arrêté  par  tout 
agent    de  Police,   &  même  par  tout  Citoyen. 

II. 

Hors  ce  cas,  nul  Citoyen  ne  pourra  être  arrêté  qu'en  vertu  d'une 
Ordonnance  de  Police  ou  de  Justice,  selon  que  le  fait,  par  sa  nature, 
pourra  donner  lieu  à  une  procédure  criminelle,  ou  qu'il  sera  simplement 
du  ressort  de   la  Police. 

III. 

Lorsqu'il  ne  s'agira  pas  d'un  délit  emportant  peine  afflictive,  tout 
Citoyen  qui  donnera  caution  de  se  représenter,  sera  laissé,  à  la  garde 
de  ceux  qui  l'auront  cautionné. 

Je  sens  bien  que  les  Comités  ne  manqueront  pas  d'attaquer  les 
deux  premières  bases  de  ce  système  :  le  pouvoir  d'élire  que  je  veux 
donner  au  peuple,  &  le  principe  d'égalité  que  je  veux  maintenir.  Je 
terminerai  cette  discussion  en  prévenant  leurs  objections. 

Pour  nommer  les  Jurés  tous  les  ans,  il  faudra  tous  les  ans  une 
assemblée  nouvelle,  me  diront-ils;  or  les  assemblées  sont  incommodes 
&  fatiguantes,  pour  le  peuple.  Je  sais  bien  que,  dès  le  commence- 
ment de  la  révolution,  on  cherche  à  propager  ce  principe;  mais  il  ne 
peut  être  accueilli  que  par  ceux  qui  veulent  sacrifier  le  peuple  &  la 
liberté  à  des  embarras  &  des  difficultés  qu'ils  se  plaisent  à  créer.  Ras- 
surez-vous, le  peuple  aimera  mieux  s'assembler  quelques  fois  pour 
user  de  ses  droits,  que  de  retomber  sous  le  joug  de  ses  tyrans.  Ne 
découragez  pas  son  patriotisme,  n'abattez  pas  son  courage;  ne  le 
rendez  pas  étranger  à  la  patrie,  par  les  distinctions  funestes  de  Citoyens 
éligibles,  de  Citoyens  actifs,  &  vous  verrez  que  des  hommes  libres  ne 
raisonnent  pas  comme  les  despotes. 

J'avoue  que  mon  système  a  d'abord  en  apparence  ce  désavan- 
tage vis-à-vis  de  celui  du  Comité,  que  les  Jurés  seront  connus  un 
an  d'avance,  au  lieu  que  dans  celui  du  Comité,  ils  ne  le  seront  que 
trois  mois  d'avance;  mais  il  faut  d'abord  observer  que  ceux  qui,  dans 
chaque  affaire,  devront  en  fait  en  exercer  les  fonctions,  ne  le  feront 
qu'à  une  époque  voisine  du  jugement;  &  l'on  sent  assez  d'ailleurs 
que  cet  avantage  de  cacher  plus  ou  moins  leurs  noms,  n'est  qu'acces- 
soire &  bien  subordonné  à  la  nécessité  du  choix  du  peuple,  &  aux 
premiers  principes  de  la  liberté. 


36  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Ces  principes  seroient  anéantis;  l'égalité  des  droits,  qui  assure  à 
tous  les  Citoyens  la  faculté  d'être  élus  par  la  confiance  publique,  seroit 
illusoire,  si  la  différence  des  fortunes  mettoit  le  plus  grand  nombre 
d'entr'eux  dans  l'impossibilité  physique  de  soutenir  le  poids  des  fonc- 
tions nationales.  C'est  pour  cela  que  je  regarde  comme  tenant  essen- 
tiellement à  la  liberté,  l'article  par  lequel  je  propose  d'indemniser  les 
Jurés  J'avoue  qu'en  général  ce  n'est  pas  sans  allarmes,  que  j'ai  vu 
introduire  encore  le  système  de  laisser  sans  salaire  un  grand  nombre 
de  Fonctionnaires  publics  (17).  Ce  n'est  pas  surtout  sans  étonnement,  que 
j'ai  entendu  les  Membres  du  Comité  prononcer  cette  maxime  nouvelle, 
que  si  les  Jurés  étoient  indemnisés,  cette  institution  seroit  déshonorée. 
Les  juges,  les  Administrateurs,  sont  donc  déshonorés,  parce  que  la 
justice,  la  dignité,  l'intérêt  de  la  société  exigent  qu'ils  soient  salariés  ? 
Les  Législateurs  sont  donc  déshonorés!  Le  Roi,  sur-tout,  doit  être 
bien  humilié  de  sa  liste  civile  !  Je  ne  sais  si  cette  espèce  de  délica- 
tesse-là paroît  à  quelqu'un  bien  sublime?  Pour  moi,  je  la  trouve  ou 
bien  puérile,  ou  bien  perfide.  Oui,  le  plus  dangereux  de  tous  les  pièges 
que  l'on  peut  tendre  au  patriotisme,  la  plus  funeste  manière  de  trahir 
le  peuple,  en  le  livrant  à  l'aristocratie  des  riches,  c'est  sans  contredit 
d'accréditer  cette  absurde  doctrine,  qu'il  est  honteux  de  n'être  pas 
assez  riche,  pour  vivre,  en  servant  la  Patrie  sans  indemnité;  c'est  d'oser 
mettre  en  parallèle,  avec  quelques  dépenses  nécessaires,  l'intérêt  sacré 
de  la  liberté  &  de  la  Patrie  (18). 


(il7)  Robespierre  avait,  à  plusieurs  reprises,  proposé  d'indem- 
niser les  électeurs.   Cf.  Discours,   lre  partie,  p.  15  et  p.  547. 

(18)  Texte  conforme  au  texte.de  l'Imprimerie  nationale,  s.d., 
in-8°,  28  p.,  qu'on  trouve  à  Paris  dans  trois  dépôts:  B.N.  8°  LC 
29/1891,  Biblio.  Sorbonne,  H. F.  r  140,  Biblio.  V.  de  P.  18964.  Il  a  été 
reproduit  par  Bûchez  et  Roux,  III,  457,  par  les  Arch.  pari  ,  XII, 
574  à  579  (à  la  date  du  7  avril  1790),  et  par  Ch.  Vellay,  op.  cit.  p.  1 
à  21.  E.  Bamel  dit  avoir  consulté  une  copie  manuscrite  de  cet 
ouvrage  qu'il  résume  longuement  (I,  360-365).  Ce  discours  n'est  pas 
mentionné  par  Quérard  dans  sa  Monographie  bibliographique  des 
Robespierre. 


207.  —  SEANCE  DU  21  JANVIER  17^1 
Sur  l'organisation  de  la  justice  criminelle  (suite) 


I n   intervention  :    Sur   les   fonctions   du  président   du    tribunal   criminel 

L'Assemblée  nationale  poursuit  la  discussion  sur  l'oirganisation 
»de  la  justice  criminelle.  Elle  aborde  le  titre  III  concernant  les  fonc- 
tions particulières  du  président  (1).   Robespierre  intervient  au   sujet 

(I)  Il  avait  été  décrété  le  20  janvier  que  le  président  du  tribunal 
criminel  serait  élu  par  l'Assemblée  électorale  du  département.  Il  lui 
était  adjoint  trois  juges  prélevés,  tous  les  trois  mois  et  par  tour, 
dans  les  tribunaux  de  districts. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  37 

do  Fart.  2  ainsi  rédigé:  «  Le  président  du  tribunal  criminel  peut 
prendre  sur  lui  de  faire  ce  qu'il  croira  utile  pour  découvrir  la  vérité, 
et  la  loi  charge  son  honneur  et  sa  conscience  d'employer  tous  ses 
efforts  pour  en  favoriser  la  manifesta'tion.  » 

Après  une  légère  discussion,  l'Assemblée  nationale  décrète  cet 
article. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logogaphique ,  t.  XX,  p.  242. 

«  M.  Robespierre.  Cet  article  me  paroit  conçu  en  des  termes 
trop  vagues  et  donner  un  pouvoir  trop  illimité  aux  juges.  L'intérêt  de 
découvrir  la  vérité  est  un  motif  très-légitime;  c'est  le  but  de  toute 
procédure  et  le  vœu  de  tout  juge;  mais  il  ne  s'en  suit  pas  que  la  loi 
doive  donner  aux  juges  le  pouvoir  indéfini  de  prendre  sur  lui  de  faire 
tout  ce  qu'il  jugera  à  propos  pour  atteindre  ce  but.  La  loi  au  contraire 
doit  limiter  autan!  qu'il  est  possible  l'autorité  du  juge,  et  ne  doit 
jamais  substituer  ni  la  volonté  ni  l'intention  du  juge  aux  règles  qu'elle 
peut  établir 

«  Le  Comité  m'opposera  peut  être  qu'en  Angleterre  le  directeur 
du  juré  a  un  pouvoir  semblable;  il  n'est  pas  vrai  cependant  qu'en 
Angleterre  la  loi,  encore  moins  l'usage,  donnent  au  directeur  du  juré 
le  pouvoir  illimité  qui  résulteroit  des  termes  vagues  de  cet  article. 

«  En  Angleterre,  ce  pouvoir  n'appartient  au  président  que  pour 
l'intérêt  seul  de  l'accusé  :  il  ne  lui  est  point  accordé  indéfiniment  pour 
le  résultat  de  toute  la  procédure;  et  en  général  pour  la  manifestation 
de  ce  qu'on  appelle  la  vérité  judiciaire.  Je  proposerai  donc,  suivant 
l'esprit  de  la  jurisprudence,  de  rédiger  l'article  de  la  manière  suivante: 
Le  président  du  tribunal  criminel,  pourra  sur  la  demande,  et  pour 
l'intérêt  de  l'accusé  permettre  ou  ordonner  ce  qui  sera  nécessaire  pour 
la  manifestation  de  son  innocence  ;  encore  que  cela  soit  hors  des  formes 
ordinaires  et  décrétées  par  la   loi   »   (2). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Les  Annales  univer- 
selles, 22  janvier  1791,  p.  175;  et  dans  Le  Journal  des  Déaets  de 
l'Assemblée  nationale,  22  janvier  1791,  p.  40.]  ' 

2e   intervention  :   Sur  les  pouvoirs  de   l'accusateur  public 

L'Assemblée  en  arrive  ensuite  aux  paragraphes  du  titre  IV  défi- 
nissant les  fonctions  de  l'accusateur  public  (3),  Robespierre  s'élève 
contre  la  rédaction  des  art.  2  et  3  : 

«  2.  L'accusateur  public  sera  également  chargé  de  suivre  l'exécu- 
tion des  ordres  qui  pourront  lui  être  adressés  par  la  législature  et 
par  le  roi,  pour,  la  poursuite  de  crimes.   » 


{■>)  Texte,  reproduit  daps   les  Arch.   pari.,  XXII,  361. 

(.'3)  D'accusateur  public  près  1-e  tribunal  criminel  était  élu  par 
L'assemblée  électorale  du  département.  Il  surveillait  l'instruction 
confiée  au  juge  de  paix  et  à  l'officier  de  gendarmerie,  et,  à  l'audience 
du  jugement.,  soutenait  l'accusation. 


38  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  3.  Dans  le  cas  où  la  recherche  de  quelques  crimes,  autres  que 
le  crime  de  lèse-nation,  aura  été  ordonnée  par  la  législature  ou  par 
le  roi,  les  ordres  seront  adressés  directement  à  l'accusateur  public; 
il  les  transmettra  aux  officiers  de  police  et  veillera  à  ce  qu'ils  soient 
exécutés    par   les   voies   et   suivant   les   formes    ci-dessus    établies.    » 

Ces  deux   articles   furent   ajournés. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XX,  p.  243. 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  dans  les  principes 
de  la  constitution  que  la  législature  puisse  adresser  à  l'accusateur  public 
l'ordre  de  poursuivre  un  délit  ordinaire.  Ce  pouvoir  confié  à  !a  légis- 
lature seroit  trop  redoutable  pour  l'accusé,  et  pourroit  trop  facilement 
établir  une  prévention  formidable  contre  lui,  et  faire  pencher  la  ba- 
lance de  la  justice.  Un  pareil  droit  est  contraire  aux  pouvoirs  établis 
par  la  constitution.  Le  pouvoir  législatif  et  le  pouvoir  judiciaire  doivent 
être  séparés,  et  ne  peuvent  être  rapprochés  sous  aucune  forme.  Or, 
messieurs,  vous  les  rapprochez,  vous  les  confondez  en  quelque  sorte, 
si  vous  permettez  que  la  législature  puisse  mettre  en  mouvement  l'accu- 
sateur public,  si  ce  n'est  les  crimes  de  lèse-nation.  Les  mêmes  prin- 
cipes doivent  s'appliquer  nécessairement  au  pouvoir  exécutif  :  i!  ne 
faut  plus  le  confondre  avec  le  pouvoir  judiciaire.  Combien  serct  dange- 
reuse cette  initiative  royale  qui  déclareroit  un  citoyen  prévenu  et  suspect, 
et  qui  rendroit  le  pouvoir  exécutif  accusateur.  Tous  ces  dangers  mena- 
ceroient  la  liberté,  si  la  confusion  des  pouvoirs  avoit  lieu.  Je  demande 
la  question  préalable  sur  cette  partie  des  deux  articles  du  Comité  »  (4). 

Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  nationale,  22  janvier  1791,  p.  40. 

«  Les  articles  II  et  III  du  titre  V  (5)  ont  été  ajournés  sur  les 
observations  de  MM.  Regnauld  et  Robertspierre.  Celui-ci  a  soutenu 
que  la  législature  ne  pouvoit  adresser  à  l'accusateur  public  l'ordre  de 
poursuivre  un  délit  ordinaire  et  que  le  vœu  de  la  législature  établiroit 
contre  l'accusé  une  prévention  capable  de  faire  pencher  la  balance  de 
la  Justice;  en  un  mot,  que  l'Assemblée  nationale  ne  pouvoit  mettre 
l'Accusateur  public  en  mouvement  que  pour  la  punition  des  crimes  de 
lèse-nation.  Il  a  appliqué  les  mêmes  principes  à  l'initiative  royale,  et 
il  a  démontré  combien  il  seroit  dangereux  pour  la  liberté  que  !e  pouvoir 
exécutif  eût  le  droit  de  déclarer  un  citoyen  suspect  et  de  se  rendre 
son  accusateur.  Ce  danger,  qui  n'est  point  du  tout  illusoire,  déterminera 
sans  doute  l'Assemblée  Nationale  à  rejetter  ces  deux  articles.  Donner 
trop  d'influence  à  la  prérogative  royale,  lorsqu'il  s'agit  de  l'honneur 
et  de  la  vie,  des  citoyens,  ce  seroit  préparer  le  retour  du  despotisme.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Les  Annales  univer- 
selles,  22  janvier    1791,   p.    176.] 


(4)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.   pari.,  XXII,  362. 

(5)  Il  s'agit  da  titre  IV  et  non  du  titre  V  du  projet. 


I 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  39 

208.  -   SEANCE  DU  zs  JANVIER  1791 

I  "    intervention  :    Sur   V armement    des   gardes   nationales 


Menou,  au  nom  du  comité  militaire,  présente  à  l'Assemblée  un 
rapport  sur  l'armement  des  garder,  nationales.  Par  son  décret  du 
18  décembre  1790  (]),  la  Constituante  avait  demandé  au  roi  de  faire 
délivrer  par  les  arsenaux  militaires,  50.000  fusils  destinés  à  l'arme- 
ment des  gardes  nationales.  Mais  depuis  l'époque  de  ce  décret,  la 
tension  politique  en  Europe  détermina  l'Assemblée  à  prendre  des 
mesures  de  précaution,  et  le  comité  militaire  pensa  qu'il  était  néces- 
saire de  procéder  à  une  distribution  d'armes  plus  considérable  que 
celle  ordonnée  le  18  décembre  1790.  Le  rapporteur  se  plaît,  au 
passage,  à  rendre  justice  au  patriotisme  du  Ministère  de  la  Guerre 
et  à  son  attachement  à  la  Constitution. 

Après  un  court  débat  où  Robespierre  intervint,  l'Assemblée 
nationale  adopta  le  projet  de  décret  présenté  par  son  comité  mili- 
taire :  elle  décréta  qu'il  serait  distribué  aux  gardes  nationales  97.903 
fusils,    prélevés    dans    les    magasins    de    l'Etat    (2). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XX,  p.  399. 

«  M.  Robespierre.  Le  projet  du  comité  doit  vous  paroître  insuffi- 
sant; il  parLe  bien  de  fournir  des  armes  aux  départemens;  il  ne  vous 
parle  pas  de  leur  fournir  des  munitions,  de  la  poudre,  par  exemple. 
Cependant  elle  n'est  pas  moins  nécessaire  que  les  armes;  voilà  mon 
premier  amendement. 

«  Je  demande  encore  que  l'exportation  des  armes  soit  défendue, 
jusqu'à  ce  que  nos  gardes  nationales  soient  complètement  armées;  car 
elles  sont  loin  de  l'être;  et  vous  devez  ordonner  à  vos  comités  et  au 
ministre  de  la  guerre  de  vous  rendre  compte,  d'intervalle  en  intervalle, 
de   l'exécution  progressive  des   mesures  instantes  que  je   vous  propose. 

«  Je  ne  me  contente  pas  et  aucun  représentant  ne  se  contentera 
de  la  garantie  du  caractère  d'un  ministre;  personne  n'aimera  que.  pour 
toute  raison  et  pour  toute  précaution,  on  nous  vante  toujours  les  minis- 
tres. Les  comités  et  l'Assemblée  nationale  sont  faits  pour  surveiller 
les  ministres,   et  non  pour  les  flatter.   (Applaudissemens.)   »  (3). 


(1)  Cf.  Discours  sur  l'organisation  des  gardes  nationales  (Dis- 
cours...   I1''  partie,  p.  616  et  s.). 

(2)  Ci  E.  Hamel,  I,  368.  Le  S-tationnaire  patriote  aux  frontières 
(n°  6,  p.  20)  signale  ce  fait,  et  par  la  même  occasion  tourne  en 
ridicule  le  passage  du  Discours  imprimé...  dans  lequel  Robespierre 
prétend  qu'on  pourrait  opposer  aux  ennemis  de  la  Révolution:  cinq 
millions  de  gardes  nationales,  rappelant  qu'  «  à  la  Fédération,  le 
recensement  général  n'a  été  qu'à  2.934.564  suivant  les  registres  de 
l'Hôtel   de   Ville.    » 

(3)  Texte  utilisé  dans  les  Arch.  pari.,  XXII,  530.  On  y  a  ajouté 
le  §  2  de  l'amendement  cité  par  le  Point  du  Jour. 


40  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Le  Point  du  Jour,  t.  XVIII,  p.  421. 

«  M.  Robespierre  a  pensé  qu'il  y  avoit  des  dispositions  utiles 
qui  manquaient  dans  ce  projet  de  décret;  et  après  avoir  dit  que  les 
comités  de  l'assemblée  étoient  faits  pour  surveiller  les  ministres,  et 
non  pour  les  flatter,  il  a  proposé  pour  amendement  : 

«  1  °  Qu'il  sera  également  distribué  de  la  poudre  et  des  balles 
aux  gardes  nationales  qui  en  manqueront; 

«  2°  On  continuera  de  fabriquer  des  armes  avec  la  plus  grande 
célérité  dans  toutes  les  manufactures  du  royaume  ; 

«   3°   L'exportation  des  armes  hors  du  royaume   est   interdite; 

«4°  Les  comités  et  le  ministère  de  la  guerre  rendront  compte,  de 
quinze  jours  en  quinze  jours  de  l'exécution  des  mesures  tendantes  à  la 
fabrication  et  à  la  distribution  des  armes  et  des  munitions.  » 

Annales  universelles,  29  janvier   1791,  p.  234. 

«  Parmi  les  orateurs  qui  ont  été  entendus,  nous  distinguerons 
M.  de  Roberstpierre.  La  méthode  dont  il  a  fait  usage  dans  la  discus- 
sion, &  les  moyens  qu'il  a  présentés  méritent  l'attention  particulière 
de  nos  lecteurs  Après  avoir  démontré  la  nécessité  d'un  corps  armé 
pendant  la  paix,  pour  assurer  la  liberté  des  citoyens,  l'orateur  s'est 
attaché  ensuite  à  présenter   les  moyens  d'exécution. 

[Suit  un  fragment  du  discours  imprimé  sur  l'organisation  des  gar- 
des nationales,  depuis:  «  On  sent  assez...  »  jusqu'à  «  ceU^  de  défendre 
ce  qu'on  a  de  plus  cher.    »] 

«  Puis,  passant  à  l'objection,  tant  de  lois  rebattue,  pour  les 
détracteurs,  que  le  plus  grand  nombre  des  citoyens  n'a  pas  le  moyen 
d'acheter  des  armes,  ni  de  suffire  aux  dépenses  que  le  service  peut 
exiger,    M.    Roberspierre    leur    fait    le    raisonnement    suivant. 

[Suit  un  fragment  du  même  discours  imprimé,  depuis  :  «  Que 
concluez-vous  de  là...  »  jusqu'à  «  qu'ils  puissent  l'exercer  en  effet  » 
(4.)] 

«  Les  raisons  de  M.  Roberspierre,  appuyées  par  plusieurs  mem- 
bres, ont  donné  lieu  à  l'Assemblée  de  décréter  que  les  dépenses  résul- 
tantes du  transport   &  de  la  distribution  des  armes  seroient   supportées 


(4)  D'après  le  compte  rendu  des  Annales  Universelles,  il  semble 
que  Robespierre  ne  s'en  tint  pas  à  suspecter  le  ministre,  mais 
élargit  le  débat  en  se  déclarant  partisan  de  substituer  à  l'armée  per- 
manente la  garde  nationale  comme  milice  territoriale  chargée  de  la 
défense  nationale.  En  vérité,  il  ne  fait  qu'ajouter  à  l'intervention 
telle  que  la  relatent  les  autres  journaux,  des  passages  'du  discours 
imprimé  (cf.   Discours...   lre  partie,   p.   686). 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  41 

par   fe   trésor  public;    &    en    conséquence,    qu'il    seroît   délivré   40.700 
fusils,  pour  être  distribués  dans  les  83  départemens.  » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  t.   II,  n°  245,  p.  3. 

«  M.  Robespierre  a  jugé  à  propos  de  fournir  aussi  la  poudre  et 
le  plomb,  et  de  défendre  l'exportation  des  armes  :  cet  avis  sublime  a 
été  terminé  par  une  sentence  plus  sublime  encore,  où  il  est  dit  que 
les  comités  sont  faits  pour  surveiller  les  ministres,  et  non  pas  pour  les 
flatter  »   (5). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  La  Gazette  universelle, 
1791,  n°  29,  p.  115;  Le  Mercure  national  et  étranger,  t.  I,  n°  8, 
p.  319;  et  Le  Mercure  de  France,  5  février   1791,  p.   55.] 


2*  intervention  :   Sur  la  suppression  de  la  milice 

Alexandre  Lameth,  président  du  comité  militaire,  parlant  au 
nom  des  comités  militaire,  diplomatique  et  des  recherches,  présente 
à  l'Assemblée  un  rapport  sur  le  système  général  des  forces  militaires 
de  la  France.  Il  les  divise  en  trois  catégories  :  l'armée  active,  la 
réserve  formée  de  soldats  auxiliaires  (6),  les  gardes  nationales. 
L'Assemblée  s'est  déjà  occupée  de  la  formation  et  de  l'organisation 
de  l'armée  de  ligne.  Elle  s'attachera  bientôt  à  l'organisation^  des 
gardes  nationales,  dont  le  rapporteur  précise  quelques  principes. 
Pour  l'instant,  les  trois  comités  réunis  présentent  un  projet  de 
décret  sur  la  levée  et  l'organisation  de  100.000  soldats  auxiliaires, 
destinés  à  compléter  sur  le  pied  de  guerre,  tous  les  régiments  de 
l'armée,  dès  que  les  circonstances  l'exigeront.  Ces  'soldats  auxiliaires 
remplaceront  les  soldats  recrutés  par  le  système  oppressif  de  la 
milice,   dont  Robespierre   réclame   la   suppression   expresse. 

Ce  n'est  que  le  4  mars,  que  le  régime  des  milices  fut  aboli  par 
un  décret  formel  de  l'Assemblée. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XX,  p.  422. 

«  M.  Robespierre.  Pour  ce  qui  concerne  la  suppression  de  la 
milice  je  ne  puis  me  dispenser  d'apprendre  à  l'assemblée  que  les 
députés  du  département  du  Pas  de  Calais  ont  reçu  plusieurs  fois  des 
plaintes  fondées  sur  ce  qu'on  continue  de  la  percevoir  :  quoique  la 
suppression   semble    implicitement   décrétée   par   l'Assemblée   nationale. 


(5)  Depuis  le  4  août  1789,  le  Ministère  de  la  Guerre  était  confié 
au  comte  de  la  Tour  du  Pin,  lieutenant-général.  En  1790,  il  avait 
réduit  les  commandes  de  fusils  aux  manufactures  royales.  (Cf.  A.  h. 
de  la  Pi. F.,  1947,  p.  196)  ;  il  y  a-  lieu  de  penser  qu'il  ne  tenait  pas  à 
presser  l'armement  populaire. 

(6)  Le  décret  prévoyait  le  recrutement  de  volontaires  coimime 
soldats  auxiliaires  astreints,  moyennant  divers  avantages,  à  rejoindre 
les  régiments  de  ligne  sur  réquisition.  En  fait,  c'était  une  transfor- 
mation de  la  milice,  recrutée  par  tirage  au  sort,  en  un  volontariat. 
•L'expédient  n'eut  aucun   succès. 


42  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Je   demande   que    l'assemblée    décrète    à    l'instant    la    suppression    cfeà 
milices  »  (7). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XVIII,  p.  425. 

«  M.  Robespierre  observe  que  l'on  continue  de  percevoir  les 
droits  établis  pour  les  milices,  et  qu'il  en  demande  la  suppression. 
(On   applaudit)    »    (8). 


3°  intervention  :  Sur  la  levée  de  soldats  auxiliaires 

Après  le  rapport  d'Alexandre  Lameth,  sur  la  levée  et  l'organi- 
sation de  100.000  soldats  auxiliaires,  Robespierre,  intervenant  une 
fois  encore,  demande  Je  renvoi  à  une  plus  ample  discussion,  du  débat 
sur  les  principes  qui  doivent  présider  à  l'organisation  des  gardes 
nationales,   et  que  le  rapporteur  a  rapidement  esquissés. 

L'Assemblée  décréta  les  articles  organisant  la  levée  de  100.000 
soldats  auxiliaires,  destinés  à  être  .répartis  entre  les  régiments,  mais 
ajourna  les  articles  concernant  la  formation  provisoire  des  gardes 
nationales. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XX,  p.  424. 

«  M  Robespierre.  Cette  partie  qui  concerne  les  gardes  nationales 
me  paroit  devoir  être  renvoyée  à  l'organisation  des  gardes  nationales, 
parcequ'il  faut  considérer  ce  système  dans  son  ensemble.  I!  faudra 
examiner  avec  la  plus  grande  attention  s'il  est  conforme  aux  principes 
de  l'organisation  que  vous  adopterez  pour  les  gardes  nationales  d'établir 
au  milieu  d'elles  une  espèce  d'armée  auxiliaire,  d'établir  une  distinc- 
tion frappante  entre  une  partie  des  gardes  nationales  et  le  reste  de 
ce  même  corps.  'Sans  entrer  dans  le  développement  de  ces  raisons, 
qui  ne  me  paroit  pas  placé  dans  ce  moment  je  conclus  à  ce  que  vous 
renvoyiez  cette  partie  du  décret  lors  de  l'organisation  de  la  garde 
nationale   »   (9). 

Courier  Français,   t.    IX,   n°    29,   p.    228. 

«  On  a  ensuite  discuté  article  par  aticle,  mais  lorsqu'on  en  est 
venu  à  la  formation  provisoire  des  gardes  nationales,  MM.  Pethion, 
Robertspierre  et  le  Chapelier  ont  vivement  réclamé  l'ajournement 
auquel  le  Comité  même  n'a  pu  se  refuser.    » 


(7)  En  Artois,  la  levée  de  la  milice  avait  été  remplacée  par  une 
taxe.  Robespierre  s'était  déjà  élevé  contre  sa  perception  abusive.  (Cf. 
Discours,   P'e  partie,  p.   171). 

■(8)  Texte    reproduit  dans   les   Arch.    pari.,    XXII,    540. 

(9)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  parJ.,  XXII,  541. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  43 

4e   intervention  :   Sur   le   rapport  de  Mirabeau 
concernant  la  sûreté  du  royaume 

Au  nom  des  comités  diplomatique,  militaire  et  des  recherches, 
Mirabeau  l'aîné  présenta  à  l'Assemblée  un  rapport  dans  lequel  il 
propose  entre  autres  choses  «  d' organiser^  sur  pied  de  guerre  les 
gardes  nationales  et  l'armée  auxiliaire  ».  il  semble  ressortir  nette- 
ment de  ce  vœu  que  l'on  distingue,  ainsi  que  le  redoutait  Robespierre, 
deux  catégories  de  gardes  nationales.  Le  Chapelier,  comme  Robes- 
pierre, s'oppose  à  ces  vues.  Mirabeau  lui  répond  en  se  défendant  de 
vouloir  réaliser  un  tel  but  et  encore  moins  «  de  servir  l'ambition 
de  qui  que  ce  soit  ».  Mais  Le  Chapelier  ayant  demandé  une  nouvelle 
lecture  de  l'article,  s'attire  une  brutale  dénégation  de  la  part  de 
Mirabeau  et  de  Laraeth.  Robespierre  réplique  pour  défendre  la 
liberté  de  la  discussion. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XX,  p.  426. 

«    M.   Robespierre.   Je   demande   si  dans   l'assemblée  on   ne  peut 
dire  son  opinion  contre  l'avis  d'un  rapporteur  sans  être  insulté   »   (10). 


(10  Texte   reproduit  dans   les  Arch.    pari.,   XXII,   541. 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 


209.  —  SEANCE  DU  28  JANVIER  1791 
Sur  l'organisation  des  gardes  nationales 


L'organisation  des  gardes  nationales  était  à  l'ordre  du  jour  de 
l' Assemblée  comme  de  la  Société  des  Jacobins.  Robespierre  était 
déjà  intervenu  sur  cette  question  le  5  décembre  1790,  à  ces  deux 
tribunes. 

Le  28  janvier,  ce  même  problème  fut  porté  à  la  discussion  de  la 
salle    de    la    rue    Saint-Honoré. 

Journal  des  Clubs,  t.   I,  n°    12,  p.   547. 

«  Rapport  sur  l'organisation  de  la  Garde  nationale.  M.  Barnave 
et  M.  Robespierre  ont  parlé  sur  cet  objet,  et  inspiré  le  plus  grand 
intérêt  »  (1). 


(!)  Texte  reproduit  dans  Aulard,  II,  41.  Marat,  dans  son  Ami 
du  Peuple  (n°  357,  p.  8),  exhortait,  en  ces  termes,  les  orateurs  jaco- 
bins: «  Et  vous  Barmave,  Lameth,  Roberspierre,  Pethion,  Mcnou, 
Crancé,  Reubel,  si  vous  étiez  assez  lâches  pour  permettre  que  les 
traîtres  proposent  aucun  projet  pour  la  limite,  et  priver  la  nation 
du  seul  moyen  qui  lui  reste  d'assurer  son  salut,  le  peuple  indigné 
do  cet  acte  honteux  de  défection,  vous  traiteroit  comme  les  plus 
infâmes  de  sea  ennemis  et  vous  confondront  avec  les  plus  vils  de  ses 
fonspirateurs.   » 


44  les  discours  de  robespierre 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 


210.  —  SEANCE  DU  29  JANVIER  1791 

Sur  la  surveillance  des  administrations 
et  la  permanence  des  sections 


Un  membre  dénonce  la  Municipalité  de  Paris  au  sujet  d'une 
proclamation  qu'elle  a  faite,  concernant  le  Club  monarchique.  Biau- 
zat  prend  la  défense  de  la  Municipalité.  Le  duc  d'Aiguillon,  député 
de  la  noblesse  de  la  sénéchaussée  d'Aigen,  fait  sentir  la  nécessité 
pour  les  autorités  constituées,  d'une  grande  vigilance.  La  motion  est 
faite  d'inviter  toutes  les  sections  à  tenir  séance  tous  les  jours  (1), 
jusqu'à  ce  que  La  crise  actuelle  soit  passée  (le  bruit  courait  d'un 
enlèvement   possible   du    roi). 

Robespierre    intervint   dans   Je    même    sens. 

Journal  des  Clubs,  t.   I,  n°    1 1 ,  p.  551 . 

«  M.  de  Robespierre  a  parlé  avec  force  de  la  nécessité  de  sur- 
veiller l'administration  et  de  l'urgence  des  assemblées  permanentes 
dans  le  moment  actuel  »  (2). 

(1)  Les  48  sections  de  Paris,  substituées  aux  districts  en  mai 
1790,  étaient  des  circonscriptions  administratives  et  électorales  ;  les 
citoyens  qui  les  coimposaient  ne  pouvaient  se  réunir  que  sur  convo- 
cation de  la  Municipalité  ;  celle-ci  était  obligée  de  réunir  les  sections 
si  la  majorité  d'entre  elles  l'exigeaient  pourvu  que  la  demande  fût 
signée  par  cent  citoyens  actifs  dans  chacune.  La  «  permanence  », 
c'est-à-dire  la  réunion  quotidienne  des  assemblées  de  section  ainsi 
transformées  en  clubs,  ne  fut  autorisée,  et  à  Paris  seulement,  qu'en 
juillet  1792.  Elle  constituait  évidemment  un  moyen  de  surveillance 
et  d'action  révolutionnaires. 

(2)  Texte  reproduit  dans  Aulard,   II,   43. 


211.  —  SEANCE  DU  1er  FEVRIER  1791 
Sur  l'organisation  de  la  justice  criminelle  {suite) 


(L'Assemblée  continue  l'étude  du  projet  portant  organisation  de 
la  justice  criminelle  Elle  adopte,  presque  sans  discussion,  les  para- 
graphes du  titre  «  Des  contumaces  ».  L'art.  12,  critiqué  par  Robes- 
pierre, fut  décrété  sous  cette  rédaction:  «  Dans  le  cas  même  d'abso- 
lution, l'accusé  qui  a  été  contumace,  n'aura  aucun  recours;  et  le 
juge  pourra  lui  faire  en  public  une  réprimande  pour  avoir  douté 
de  la  justice  et  de  la  loyauté  'de  ses  concitoyens.   » 

Le  Po:nt  du  Jour,  t.  XIX,  n°  571,  p.   13. 

«    M.    Robespierre   a   demandé  avec  cette   chaleur  qu'il  met  tou- 
jours dans   ce   qui   intéresse   l'humanité,    comment   le   comité   avoit   osé 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  45 

proposer  un  article  qui  porte  que  dans  le  cas  d'absolution  l'accusé  qui 
a  été  contumax,  n'obtiendra  aucune  indemnité,  et  que  le  juge  le  con- 
damnera par  forme  de  correction  seulement  à  garder  prison  pendant  un 
temps,  qui  ne  pourra  excéder  un  mois. 

«  Le  Rapporteur  méconnoit  ici,  a  dit  M.  Robespierre,  les  pre- 
miers principes  du  droit  naturel  et  du  bon  sens.  Comment  peut-il  substi- 
tuer des  sophismes  politiques  si  frivoles  à  cette  loi  écrite  dans  le 
cœur  de  tous  les  hommes  qui  justifie  les  craintes  de  l'innocence  même, 
qui  se  dérobe  au  pouvoir  d'un  petit  nombre  d'hommes  qui  peuvent  le 
condamner  à  cette  loi  sacrée,  qui  veut  que  dans  tous  les  cas,  l'inno- 
cence  soit   indemnisée   lorsqu'elle   est   reconnue    »    (1). 

Le  Législateur  français,  2  février   1791,  p.  4. 
Journal  du  Soir  (Beaulieu),  n°  32,  p.  3. 

((  M.  de  Robetspierre  demandoit  s'il  n'étoit  pas  assez  fâcheux 
pour  un  innocent  d'avoir  été  l'objet  d'une  poursuite  criminelle,  sans 
être  encore  puni  dans  ses  biens  et  par  la  privation  de  sa  liberté,  d'une 

(1)  Cf.  E.  Hamel,  I,  356.  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari., 
XXII,   660,   qui   ajoutent  : 

«  Il  est  déjà  assez  fâcheux  pour  un  innocent  d'avoir  été  l'objet 
d'une  poursuite  criminelle,  sans  être  encore  puni,  dans  ses  biens  et 
par  la  privation  de  sa  liberté,  d'une  erreur  que-  la  société  ne  doit 
imputer  qu'à  elle-même. 

«  M.  le  rapporteur  paraît  persuadé  que  fuir  une  procédure  crimi- 
nelle est  toujours  un  crime  ;  et  il  (fonde  tout  ison  système  de  la  contu- 
mace sur  ce  principe.  Passons-lui  pour  un  moment  cette  idée  absurde, 
démentie  par  le  premier  sentiment  de  l'humanité  ;  mais  voyons  de 
quel  côté  est  le  plus  grand  tort,  ou  de  la  part  de  l'innocence  pour- 
suivie qui  a  craint  et  qui  a  fui  un  moment,  ou  de  la  part  de  celui 
qui  l'a  soupçonnée,  qui  l'a  poursuivie,  qui  l'a  mise  en  danger. 

«  Tout  Le  monde  conviendra,  sans  doute,  que  la  société,  au  nom 
de  laquelle  l'innocent  a  été  expoisé  à  toutes  les  suites  d'une  procédure 
criminelle,  lui  doit  une  plus  grande  réparation,  pour  cette  injure  ou 
pour  ce  danger,  que  l'innocent  n'en  doit  à  la  société  pour  avoir 
éprouvé  un  mouvement  de  défiance  éï  de  timidité. 

«  Comment  donc  la  société  pourrait-elle  lui  opposer  cette  fai- 
blesse, pour  se  dispenser  de  lui  donner  l'indemnité  qui  lui  est  due  < 
Que  dis-je  !  pour  l'en  punir  encore  par  un  mois  de  prison,  après 
qu'elle  aura  été  obligée  de  l'absoudre  ?  Punir  l'innocence  malheu- 
reuse, au  moment  où  l'on  avoue  qu'elle  a  été  injustement  persécu- 
tée !  Quelle  doctrine  !  Quelle  morale  !  Jamais  l'antique  tyrannie  judi- 
ciaire nous  a-t-elle  présenté  une  violation  aussi  révoltante  de  la 
raison,  de  la  nature  et  de  l'humanité? 

«  Je  demande,  pour  l'honneur  de  nos  principes,  que  cette  propo- 
sition soit  rejetée  sur-le-champ.    » 

Nous  n'avons  trouvé  aucune  trace  de  cet  extrait  dans  les  jour- 
naux suivants:  le  Point  du  Jour,  le  Courier  de  Provence,  le  Courrier 
de  Corsas,  la  Gazette  Nationale  ou  le  Moniteur  Universel,  le  Jour- 
nal des  Débats,  le  Journal  dés  Etats-Cénéraux,  qui  sont  les  éléments 
d'information  ordinaires  des  Archives  parlementaires,  pas  plus  d'ail- 
leurs que  dans  le  P.V.  de  l'Assemblée  Nationale. 


46  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

erreur   que    la    société    ne    devoit    imputer    qu'à    elle-même.    L'opinant 
trouvoit  que  l'article   étoit  absurde.    » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  t.  II,  n°  249,  p.  2. 

«  M.  Robespierre  lui-même,  qu'on  n'accusera  pas  d'une  excessive 
sensibilité,   a  trouvé   l'article  absurde  et  barbare.    » 


212.  —  SEANCE  DU  2  FEVRIER   1791 

Sur  l'organisation  de  la  justice  criminelle  {suite) 
Sur  la  nécessité  de  l'unanimité  des  jurés 


Continuant  à  s'occuper  de  l'organisation  de  la  justice  criminelle, 
1" Assemblée  adopte  un  certain  -nombre  d'articles  sur  l'organisation 
et  le  fonctionnement  du  jury.  Duport,  rapporteur,  donne  lecture  de 
l'art.  22:  «  L'opinion  de  trois  jurés  (1)  suffira  pour  faire  déclarer 
soit  que  le  délit  n'est  pas  constant,  soit  que  l'accusé  n'est  pa3 
convaincu,   soit  qu'il  y  a  lieu  à  l'excuse  ou  à  l'atténuation.   » 

Robespierre  intervient  aussitôt  en  faveur  de  la  règle  de  l'una- 
nimité. Barnave  combat  l'opinion  de  Bobespierre,  que  soutiennent 
au  contraire  le  marquis  de  Folleville  et  le  comte  de  Montboissier, 
député  de  la  noblesse  de  la  sénéchaussée  de  Clermont-Ferrand. 

LrAsseimblée  adopta  la  rédaction  du  comité. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXI,  p.  39. 
«  M.  Robespierre.  Cet  article  donne  lieu  à  une  des  questions 
les  plus  importantes  que  vous  puissiez  décider.  Je  vous  propose  d'adop- 
ter la  loi  angloise,  qui  veut  qu'aucun  jugement  de  condamnation  ne 
soit  prononcé  qu'à  l'unanimité.  Si  vous  vouliez  vous  décider  par  l'expé- 
rience, je  vous  citerois  l'expérience  et  l'autorité  de  l'Angleterre,  de 
l'Amérique  :  je  vous  citerois  de  plus  le  suffrage  de  toutes  les  autres 
nations,  qui  se  sont  accordées  pour  regarder  cette  loi  de  l'unanimité 
comme  la  plus  belle  de  toutes  celles  que  présente  leur  système  des 
jurés,  et  même  comme  le  remède  à  tous  les  défauts  qu'il  pourroit 
renfermer    »    (2). 

«  M.   l'abbé  Maury... 

<(  M.  Robespierre.  Messieurs,  d'après  l'exemple  de  l'Angleterre 
et  de  l'Amérique,  et  j'ose  dire  d'après  l'exemple  de  l'Europe  entière, 
j'ai  cru  pouvoir  vous  présenter  avec  confiance  l'adoption  de  cette  loi. 

«  Si  vous  aimez  mieux  vous  décider  par  la  raison  et  par  les 
principes,  je  remonte  aux  principes.  Un  mot  suffit  pour  établir  la 
nécessité  de   la   loi  que   je  propose. 

«  Les  jurés,  les  juges  qui  prononcent  sur  le  sort  d'un  accusé  repré- 


(1)  Trois   jurés    sur    12.    En   Angleterre,    la   condamnation    exige 
l'unanimité. 

(2)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.   pari.,  XXÏI,   717. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  47 

sentent  la  société  entière.  Ils  jugent  en  son  nom,  en  vertu  du  pacte  par 
lequel  chaque  citoyen  s'est  soumis  à  la  loi  générale,  lorsque  la  société 
entière  qui,  dans  la  pureté  ries  maximes  sociales,  devroit  exercer  ces 
fonctions,  est  obligée,  parce  qu'elle  est  trop  nombreuse,  de  la  déléguer 
à  un  très  petit  nombre  d'hommes.  Alors  je  crois  que  le  vœu  raison- 
nable et  juste  de  la  société  est  au  moins  que  les  opinions  de  ce  petit 
nombre  d'hommes  concourent  toutes  à  la  condamnation  de  l'accusé.  En 
effet,  messieurs,  dans  l'ordre  que  la  société  détermine  pour  les  juge- 
mens  criminels,  elle  exige  le  plus  haut  degré  de  certitude  morale 
possible  pour  asseoir  la  condamnation  :  et  toutes  les  fois  que  le  très- 
petit  nombre  de  juges  destinés  pour  prononcer  sur  le  sort  des  accusés, 
n'est  point  unanime,  alors  le  plus  grand  degré  de  certitude  morale  où 
vous  voulez  parvenir  est  bien  loin  d'être  acquis;  au  contraire,  je 
conclus  de  ce  qu'un  de  ces  juges  seroit  d'un  avis  différent,  qu'il  en 
résulteroit  une  présomption  considérable,  qu'il  manque  quelque  chose 
à  la  preuve  du  crime  :  et  toutes  les  fois  que  des  hommes  revêtus  de  la 
confiance  de  la  loi,  des  hommes  de  bon  sens  et  intègres,  sont  convain- 
cus, malgré  l'opinion  de  ceux  qui  ont  délibéré  avec  eux  et  qui  ont 
trouvé  l'accusé  coupable,  sont  convaincus  dis-je  et  persistent  à  soutenir 
que  l'accusé  est  innocent,  il  y  a  une  très  grande  présomption  morale 
que  la  preuve  n'est  pas  assez  claire,  et  que  l'on  s'exposeroit  à  sacrifier 
l'innocence  en  voulant  punir  le  crime.  Et  certes,  messieurs,  ce  n'est 
point  une  chose  si  rare  dans  toute  l'assemblée,  dans  toute  réunion 
d'hommes  que  la  raison  se  trouve  quelquefois  du  côté  de  la  minorité 
(le  côté  droit  fait  un  murmure  d'assentiment);  on  en  a  vu  des  exemples 
frappans,  sur-tout  dans  les  tribunaux.  Non  seulement  ce  n'est  pas  un 
phénomène  que  cela  arrive  parmi  des  juges;  mais  au  contraire,  il  peut 
arriver  que  ce  soit  une  grande  incorruptibilité,  une  grande  pureté  d'opi- 
nions, une  grande  étendue  de  lumières  qui  fasse  que  le  petit  nombre 
résiste  constamment  à  la  majorité.  Rappelez- vous,  messieurs,  les  der- 
niers exemples  que  votre  jurisprudence  criminelle  vous  offre  en  ce 
genre  :  rappelez-vous  ces  trois  condamnés  dont  le  sort  a  si  longtemps 
occupé  la  nation;  s'ils  n'ont  point  expiré  sur  la  route,  c'est  unique- 
ment parce  qu'un  seul  magistrat  étoit  d'une  opinion  contraire  à  celle 
de  tous  (3).  (On  crie  près  de  la  tribune  :  il  y  en  avoit  trois).  Qu'im- 
porte  le  nombre  :   à  défaut  de   l'unanimité,   ce  magistrat  eut  recours  à 


<3)  Le  12  août  1785,  le  bailliage  de  Chaumont  condamnait  aux 
galères  à  perpétuité  trois  paysans:  L ardoise,  Siman  et  Bradier, 
àccus-és  de  s'être  introduits,  la  nuit,  chez  le  fermier  Thomassin  et 
d'avoir  pillé  la  maison  après  s'être  livrés  à  de  graves  violences  sur 
Ji  personne  du  fermier  et  celle  de  sa  femme.  Le  20  octobre,  leur 
peine  fut  transformée  en  celle  de  la  roue.  Fréteau  qui  allait  être 
député  h  la  Constituante  plaida  leur  cause,  ainsi  que  son^  beau-frère, 
!c  Président  Dupaty,  du  Parlement  de  Bordeaux.  (Cf.  E.  Seligman. 
Là  justice  en  France  pendant  la  E/évolution  française,  I,  98). 


48  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

la  seule  voie  ouverte  pour  sauver  l'innocence,  et  elle  fut  sauvée.  Je  ne 
doute  pas  que  la  loi  de  l'unanimité  n'eût  également  sauvé  les  Calas 
(4),  les  Langlade  (5),  les  Montbailly  (6),  et  toutes  les  victimes  infor- 
tunées qui  ont  été   égorgées  avec   le   glaive  des  loix. 

«  Un  exemple  encore  plus  analogue  à  la  matière  que  je  traite, 
c'est  celui  de  cet  Anglois,  condamné  par  tous  les  jurés,  excepté  un. 
Les  preuves  paroissoient  si  claires,  qu'on  étoit  étonné  de  l'opiniâtreté 
de  celui  qui  s'obstinoit  à  ne  point  vouloir  condamner  l'accusé.  C'étoit 
lui  qui  avoit  commis  le  crime.  D'après  ce  seul  exemple,  croyez- vous 
possible  que  les  Anglois  eussent  jamais  pu  tenir  faiblement  à  cette  loi 
de  l'unanimité  dont  ils  avoient  reconnu  la  nécessité  par  tant  d'exemples 
éclatans  ?  Croyez-vous  qu'aucun  homme  humain  puisse  y  renoncer  ? 
Non,  quand  bien  même  elle  ne  devroit  sauver  qu'un  seul  accusé  dans 
un  siècle,  ce  seroit  encore  la  peine  de  l'établir.  On  ne  peut  y  renoncer 
sans  compromettre  le  salut  d'un  innocent,  sans  démentir  ce  principe  qui 
est  la  base  de  toutes  les  législations  criminelles  chez  tous  les  peuples 
justes,  que  pour  condamner  un  accusé,  il  faut  des  preuves  plus  claires 
que  le  jour;  il  faut  le  degré  de  certitude  de  morale  le  plus  grand  que 
puisse  obtenir  le  législateur.  C'en  est  assez  pour  vous  convaincre  et 
pour  vous  porter  à  décréter  qu'aucun  jugement  de  condamnation  ne 
pourra  jamais  être  prononcé  qu'à  l'unanimité.    » 

Journal  des  Débats,  t.  XVII,  n°  603,  p.  25, 

«  M.  Robespierre  s'est  élevé  contre  l'article  qui  dit  que  trois 
Juges  suffiront  pour  absoudre.  Il  a  réclamé  l'unanimité  pour  condam- 
ner. M.  l'abbé  (7)  s'est  élevé  contre  la  réclamation  de  l'Opinant, 
comme  contraire  à  la  décision  déjà  prise  par  l'Assemblée.  Il  a  demandé 
ensuite  s'il  s'agissoit  d'un  Juré  de  vingt-quatre  Membres  ou  de  douze. 
On  lui  a  répondu  qu'il  s'agissoit  d'un  Juré  de  douze. 

«  M.  Robespierre  a  retracé  les  principes  qui  rendent  l'unanimité 
indispensable.  Les  Jurés,  les  Juges  qui  prononcent  sur  le  sort  d'un 
accusé,   représentent  la  Nation  entière,   en  vertu  du  pacte  souscrit  par 


(4)  Calas  Jean,  négociant  à  Toulouse,  accusé  faussement  d'avoir 
donné  la  mort  à  son  fils  pour  l'empêcher  d'abjurer  la  religion  protes- 
tante. Il  fut  roué  à  Toulouse  en  1762  par  sentence  du  Parlement  et 
réhabilité  en  1765  à  la  suite  du  célèbre  plaidoyer  de  Voltaire. 

(5)  iLanglade.  Nous  avons  seulement  trouvé  mention  dans  le 
Recueil  des  factum  à  la  B.N.  (II,  439,  année  1690),  d'un  Laurent 
Guillemot,  sieur  d'Anglade,  condamné  pour  vol  et  mort  aux  galères, 
mais  nous  ne  pouvons  affirmer  s'il  s'agit  de  ce  dernier. 

(6)  Montbailli  roué  et  brûlé  vif  à  Saint-Omer  en  1770  pour  un 
prétendu  parricide.  iSa  femme  fut  condamnée  à  subir  le  même  sort. 
Tous  deux  ont  été  reconnus  innocents  en  1775.  Ci.  Voltaire,  Frag- 
ment  sur    le   procès   criminel   de   Montbailli. 

(7)  Il  s'agit  de  l'abbé  Maury. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  49 

chaque  Citoyen,  de  se  soumettre  à  son  jugement,  quand  ils  seront 
accusés. 

«  La  société  étant  obligée  de  déléguer  ce  redoutable  pouvoir  à 
un  très-petit  nombre  d'hommes,  doit  au  rnoins  exiger  leur  unanimité  et 
la  conviction  de  chacun  d'eux.  La  loi  doit  exiger  le  plus  grand  degré 
de  conviction,  et  à  coup  sûr,  ce  haut  degré  est  bien  loin  d'être  acquis, 
lorsque  ce  qui  paroît  évident  aux  yeux  du  plus  grand  nombre,  ne  lest 
pas  aux  yeux  d'un  ou  de  deux  hommes  appelés  à  la  même  fonction. 

«  Ce  n'est  nullement  un  phénomène  que  la  raison  se  trouve  du 
côté  de  la  minorité.  On  en  a  vu  des  exemples  frappans  dans  les  tribu- 
naux. Et  à  l'Assemblée,  ont  dit  quelques  Membres  du  côté  droit. 

«  Il  peut  arriver  qu'une  grande  incorruptibilité,  une  grande  fermeté 
d'âme,  enfin  une  grande  étendue  de  lumières  porte  quelques  hommes 
à  résister  à  ce  qui  entraîne  le  plus  grand  nombre. 

«  M.  Robespierre  en  a  cité  quelques  exemples  :  le  premier,  dans 
le  Magistrat  qui  a  refusé  de  donner  sa  voix  à  la  condamnation  des  trois 
roués,  et  qui  a  pris  pour  les  sauver  la  seule  voie  qui  fût  ouverte  alors  : 
le  second  exemple  est  celui  du  Juré  Anglois  qui  résistoit  opiniâtrement 
à  la  condamnation  d'un  accusé  que  les  autres  Jurés  s'accordoient  à 
condamner,  et  qui  a  fini  par  s'avouer  l'auteur  du  crime  qui  avoit  été 
commis. 

Croyez-vous  que  ce  seul  exemple  ne  suffise  pas  pour  attacher  les 
Anglois  à  la  précieuse  loi  de  l'unanimité,  loi  que  les  Américains  ont 
aussi  adoptée.   » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XIX,  n°  573,  p.  39. 

«  M.  Robespierre  a  demandé  que  cette  loi  d'unanimité  fût  adoptée 
par  l'assemblée  nationale.  Si  l'on  veut  consulter,  a-t-il  dit,  l'exemple 
des  autres  nations,  l'unanimité  est  la  loi  de  l'Amérique  et  de  l'An- 
gleterre; si  l'on  veut  consulter  la  raison  et  les  prinrcipes,  qui  sont  des 
guides  beaucoup  plus  sûrs,  les  premiers  principes  de  la  justice  et  la 
nature  même  des  choses  vous  obligent  de  l'adopter.  Les  juges  qui  pro- 
noncent sur  le  sort  des  accusés  sont  à  la  place  de  la  société.  Dans  la 
pureté  des  maximes  sociales,  ce  seroit  à  elle  à  juger  chacun  de  ses 
membres  accusé  de  l'avoir  offensée.  Si  par  un  malheur  attaché  aux 
grandes  conventions  d'hommes,  elle  est  obligée  de  déléguer  ce  pou- 
voir terrible  à  un  petit  nombre  d'individus,  son  vœu  raisonnable  et 
naturel,  le  droit  de  tout  citoyen  accusé,  est  qu'il  ne  puisse  être  con- 
damné, si  le  petit  nombre  d'hommes  n'est  pas  d'accord  sur  l'existence 
du  crime.  En  effet,  dans  l'ordre  qu'elle  établit  pour  les  jugemens  crimi- 
nels, elle  exige  et  doit  exiger  1s  plus  haut  degré  de  certitude  morale 
possible  pour  condamner.  Or,  ce  degré  n'est  point  atteint,  dès  que 
tous  les  juges  ne  sont  point  unanimes.  Il  résulte  au  contraire  du  dissen- 
timent de  ceux  ou  de   celui  qui   croit  à  l'innocence.   Une   forte  pré- 


50  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

somption  qu'il  manque  quelque  chose  à  la  preuve  du  crime.  E,h  !  com- 
ment l'humanité,  comment  la  société  seroit-elle  assurée  sur  le  sort  de 
l'innocence,  lorsque  des  hommes,  lorsqu'un  homme  honnête  et  intègre, 
revêtu  de  sa  confiance,  est  d'un  avis  opposé  au  jugement  qui  condamne 
l'accusé  ?  Pourquoi  ne  sont-ils  pas  morts  sur  la  roue,  ces  trois  infor- 
tunés qu'un  arrêt  condamnoit  au  plus  affreux  des  supplices  ?  parce 
qu'un  magistrat  s'obstine  à  reconnoître  leur  innocence  et  voulut  la 
sauver.  La  loi  de  l'humanité  eût  sauvé  sans  doute  les  Calas,  les  Lan- 
glade,  et  tant  de  victimes  innocentes  immolées  avec  le  glaive  des  loix, 
ne  dût-elle  sauver  qu'un  seul  innocent  dans  un  siècle,  il  faudroil 
l'adopter.   » 

Journal  général,   1791,  *n°  4,  p.    13. 

«  Quand  M.  Robertspierre  a  entendu  parler  des  trois  Jurés,  dont 
l'opinion  peut  arrêter  la  condamnation,  il  a  cru  que  tout  éto;t  perdu, 
parce  que  nous  allions  nous  écarter  de  cette  loi  angloise  qui  requiert 
l'unanimité  des  Jurés.  Le  crime  lui  sembloit  mal  constaté,  si,  sur  12, 
un  seul  Juge  en  doutoit.  Un  seul  pourroit  avoir  raison  contre  tous. 
L'honorable  Membre  se  eroyoït  dans  ce  cas;  car  ayant  toute  l'Assem- 
blée contre  lui,  il  n'en  soutenoit  pas  avec  moins  de  chaleur  que  la 
minorité  peut  être  respectable.  Le  côté  gauche  a  profité  de  la  thèse 
pour  se  l'appliquer.  Ce  n'étoit  pas  l'intention  de  l'Opinant.  Seul  de 
son  sentiment,  il  a  fallu  céder.   » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   34,  p.    140. 
Courier  de  Provence,  t.  XIII,  3  février  1791,  p.  25. 

«  M.  Roberspierre .  Lorsque  la  société  délègue  le  pouvoir  de  punir 
les  coupables,  son  vœu  raisonnable  est  au  moins  que  les  opinions  du 
petit  nombre  d'hommes  qui  concourent  à  la  condamnation,  soient  una- 
nimes. Si  elles  ne  le  sont  pas,  la  certitude  morale  est  loin  d'être 
acquise.  Il  en  résulte  nécessairement  la  présomption,  qu'il  est  possible 
que  l'homme  condamné  ne  soit  pas  coupable  :  et  cependant  nous  nous 
accordons  tous  à  dire  que  pour  condamner,  il  faut  des  preuves  aussi 
claires  que  le  jour.  L'Angleterre  et  l'Amérique  n'ont-elles  pas  adopté 
cette  sage  pratique,  de  ne  condamner  les  accusés  qu'à  une  unanimité 
parfaite?  Et  c'est  avec  raison;  car  il  n'est  peut  être  pas  extraordinaire 
de  voir  la  raison  du  côté  de  la  minorité.  (Il  s'élève  des  murmures  dans 
la  partie  droite.  M.  Monlosier  (8)  applaudit.)  Rappelez-vous  que  ces 
trois  malheureux  qui  ont  tant  excité  la  pitié  de  la  France,  ne  sont  point 
expirés  sur  l'échafaud,  parce  qu'un  seul  des  magistrats  chargés  de  les 
juger,  pensait  qu'ils  n'étaient  point  coupables.  La  .loi  de  l'unanimité  eût 


(8)   Keynaud  de  Montlosier,   députe  de   la   noblesse  de  la   Séné- 
chaussée de  Eiom. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  51 

certainement  sauvé  les  Calas,  les  Danglade  (9),  les  Montbailly,  et 
tant  d'autres  victimes.  Cette  loi  ne  ,  sauvât-elle  qu'un  innocent  dans 
un  siècle,  ce  serait  une  forte  raison  pour  la  porter.  Je  demande  donc 
que  l'Assemblée  décrète  qu'aucun  jugement  de  condamnation  ne  pourra 
être  porté  qu'à   l'unanimité   »    (10). 

Journal  de  Paris,  3  février   1791,  p.    140. 

«  M.  de  Robertspierre  ne  s'est  pas  mépris  au  sens  de  l'article,  et 
à  l'instant  il  a  pris  la  parole  pour  le  combattre. 

«  Il  a  cité  les  exemples  de  l'Angleterre  et  de  l'Amérique  :  là,  il 
faut  1  unanimité  des  voix  dans  les  Jurés  pour  que  la  société  soit  convain- 
cue qu'un  accusé  est  coupable. 

«  Il  a  invoqué  la  raison  qui  se  trouve  assez  souvent  dans  la  mino- 
rité plutôt  que  dans  la  majorité. 

«  Il  a  rappelé  l'histoire  fameuse  de  ces  trois  malheureux  à  qui  on 
a  donné  le  nom  du  supplice  auquel  ils  ont  échappé.  Un  seul  juge, 
quand  ils  furent  condamnés,  apperçut  leur  innocence  qui  a  été  prouvée. 

«  Quand  la  loi  de  l'unanimité,  disoit  M.  de  Robertspierre,  ne 
sauverait  qu'un  seul  innocent  dans  un  siècle,  une  Nation  juste  et  hu- 
maine devroit  en  faire  la  première  Loi  de  son  Code. 

«  Toutes  ces  Ombres  qui  gémiront  éternellement  autour  de  nos 
Palais  de  Justice,  les  Calas,  les  d'Anglade,  nauroient  pas  expiré  sous 
la  main  des  bourreaux,  si  la  voix  d'un  ou  de  deux  Juges  éclairés  avoient 
suffi  pour  les  sauver. 

«  M.  Barnave  a  pris  la  parole  pour  défendre  l'article  du  Comité. 

«  Il  a  assuré  d'abord  que  M.  de  Robertspierre  s'étoit  mépris  sur 
la  loi  de   l'Angleterre   et  de   l'Amérique  :   chez   ces  deux  peuples  ce 


(9)  Le  Courier  de  Provence  orthographie  Langlade  et  ajoute  le 
commentaire  suivant  (p.  27)  : 

«  Ne  peut-on  pas,  en  faveur  de  l'opinion  de  M.  Robespierre, 
soutenir  que  si  les  formes  dont  le  gouvernement  anglois  accompagne 
la  nécessité  de  réunir  l'unanimité  sont  vicieuses,  le  principe  de  cette 
unanimité  n'en  est  pas  moins  digne  de  l'humanité  d'un  peuple  libre. 
Si  on  ne  forçoit  pas  les  jurés  à  rester  trop  long-temps  sans  prendre 
des  alimens,  si  l'unanimité  n'étoit  nécessaire  que  pour  la  condamna- 
tion, et  nullement  pour  absoudre,  il  est  certain  qu'aucun  accusé 
ne  seroit  conduit  au  supplice  que  par  la  conviction  la  plus  évidente  ; 
peut-être  aussi'  plusieurs  coupables  trouveroient-ils  dans  cette  métho- 
de un  moyen  d'éviter  la  peine  due  à  leurs  crimes. 

«  Mais,  s'il  existe  un  mode  de  procéder  qui  rende  à  jamais 
impossible  la  condamnation  d'un  innocent,  quoiqu'en  facilitant  le 
salut  de  quelques  coupables,  un  peuple  éclairé,  humain,  juste,  peut-il 
lui  préférer  une  forme  qui,  pour  assurer  d'avantage  la  punition  des 
crimes,  exposeroit,  ne  fût-ce  qu'une  fois  dans  un  siècle,  l'innocence 
à  périr  ignominieusement?  Prenons  des  Anglois  ce  qu'ils  ont  de  bon, 
ne  condamnons  qu'à  l'unanimité;  rejetons  ce  qu'ils  ont  de  vicieux, 
n'exigeons  ni  le  jeûne  des  jurés,  ni  l'unanimité  pour  absoudre,   n 

(10)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VII,  287. 


52  LÉS    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

n'est    pas    seulement    pour    condamner    que    l'unanimité    est    nécessaire, 
c'est  encore  pour  absoudre. 

«  Mais  M.  de  Robertspierre  n'a  point  dit  que  l'unanimité  n'y 
est  pas  nécessaire  pour  absoudre,  il  a  dit  qu'elle  y  est  nécessaire  pour 
condamner;  et  il  n'y  a  là  de  méprise  d'aucune  manière  u  (11). 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  t.   II,  n°   250,  p.  2. 

«  Cependant  M.  de  Robespierre  ne  trouve  pas  que  la  sublime 
institution  du  jury,  qui  rend  l'ignorance  et  la  grossièreté  juges  du 
crime  ou  de  l'innocence;  que  l'abolition  presque  totale  des  preuves 
écrites,  qui  laisse  au  caprice  des  jurés  !a  condamnation  ou  l'absolution 
des  accusés  :  il  ne  trouve  pas,  dis-je,  que  ces  moyens  suffisent  pour 
arracher  un  coupable  à  la  justice;  il  veut  l'unanimité  des  suffrages  pour 
la  condamnation;  et  c'est  le  sophisme  le  plus-  misérable,  le  plus 
indigne  d'un  apprentit  (sic)  logicien,  qui  sert  de  base  à  cette  effrayante 
loi.  La  certitude  est  plus  grande,  dit-il,  quand  tous  les  juges 
sont  d'accord.  Or,  pour  condamner  un  accusé,  IL  FAUT  LA  PL.US 
GRANDE  CERTITUDE  POSSIBLE.  Donc,  il  faut  une  opinion  una- 
nime. Mais  comme  il  sent  lui-même  la  foiblesse  de  ce  raisonne- 
ment, il  a  recours  à  l'autorité  de  l'exemple.  Il  cite  celui  de  l'Angle- 
terre et  de  l'Amérique,  où  l'opposition  d'un  seul  juré  suffit  pour  arrêter 
la  condamnation  d'un  accusé;  enfin,  il  convient  que  la  raison  et  la 
justice  se  trouvent  souvent  dans  la  minorité,  incontestable  vérité  dont 
il  rapporte  plusieurs  exemples,  mais  non  pas  le  plus  frappant,  celui 
de   l'assemblée   nationale.    » 

Le  Législateur  Français,  3  février   1791,  p.   6. 
Journal  du  Soir  (Beaulieu),  n°  33,  p.  3-4. 

«  M.  de  Roberspierre  a  soutenu  que  toutes  les  loix,  faites  par 
une  société  humaine,  devant  tendre  à  atténuer  la  rigueur  des  condam- 
nations; celles  faites  par  l'assemblée  nationale  de  France  ne  pouvoent 
donner  trop  de  développement  à  la  vérité  de  ce  principe.  Il  n'est  pas 
rare,  disoit  M.  de  Roberspierre,  que  la  vérité  qui  n'aime  pas  la  foule 
aille  chercher  un  asyle  dans  la  minorité  :  et  il  a  cité  l'exemple  de 
Calas,  condamné  par  une  ville  entière,  et  qui  cependant  étoit  inno- 
cent. 

«  M.  de  Roberspierre  demandoit  qu'imitant  l'exemple  de  l'An- 
gleterre et  de  l'Amérique,  l'assemblée  nationale  décrétât  que  l'oppo- 
sition d'un  juré  suffiroit  pour  empêcher  la  condamnation  de  l'accusé.   » 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),   t.   II,  n°   203,  p.   3. 

«  M.  Robespierre  a  regardé  cette  précaution  comme  insuffisante 
pour  l'innocence;  il  voudrait  qu'un  accusé  fût  absous  toutes  les  fois 
que  tous  les  suffrages  ne  se  réuniroient  pas  pour  le  déclarer  coupable. 

(11)  Cité  par  E.  Hamel,  I,  356,  note  1. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  53 

<(  Il  faut,  a»l-il  dit,  puur  gag^  d'une  conviction  irréprochable,  que  tous 
les  jurés  s'accordent  :  si  un  seul  juré  doute  de  la  justice  de  la  condam- 
nation, s'il  doute,  lui  qui  a  été  environné  de  tous  les  renseignemens  ; 
il  faut  donc  que  la  prétendue  preuve  ne  soit  pas  portée  au  plus  haut 
degré  de  conviction;  et  cependant  nous  nous  accordons  tous  à  dire 
que  pour  condamner,  il  faut  des  preuves  aussi  claires  que  le  jour. 

«  L'Angleterre  n'a-t-elle  pas  adopté  cette  sage  pratique  de  ne 
condamner  les  accusés  qu'à  la  parfaite  unanimité  des  jurés,  et  c'est 
avec  bien  de  la  raison,  car  ce  n'est  pas  un  phénomène  que  de  voir 
dans  une  compagnie  de  juges,  que  la  minorité  a  de  son  côté  !a  raison 
et  l'équité...   Ici  on  applaudit  à  droite. 

«  L'opinant  continue  :  rappelez-vous  que  ces  trois  malheureux  qui 
ont  tant  occupé  la  France,  n'ont  dû  leur  existance  qu'à  la  vertueuse 
résistance  d'un  magistrat  qui  étoit  seul  de  son  opinion.  Je  ne  doute 
pas  que  si  la  France  eût  joui  de  la  loi  que  je  propose,  les  Calas,  les 
Danglade,  les  Mongali  (12)  et  beaucoup  d'autres  innocentes  victimes, 
eussent  été  sauvées.  » 

Le  Spectateur  national,  n°  65,  p.  278. 

«  M.  Robespierre,  après  avoir  avoué  avec  franchise  que,  dans 
les  assemblées  délibérantes,  c'étoit  souvent  du  côté  de  la  minorité 
qu'étoient  la  justice  et  la  raison,  en  a  conclu  qu'il  étoit  nécessaire,  et 
même  indispensable,  d'admettre  dans  la  délibération  des  jurés  l'unani- 
mité des  suffrages,  telle  qu'elle  existe  en  Angleterre.  L'opinion  de 
M.  Robespierre  a  eu  des  partisans;  mais  dire  que  M.  Barnave  s'en 
est  déclaré  l'adversaire,  c'est  dire  assez  que  cette  opinion  n'a  pas 
été   admise.    » 

Mercure  de  France,   12  février   1791,  p.    111. 

«  M.  Roberspierre  s'élève  contre  la  proposition  de  décréter  que 
trois  jurés  suffiront  pour  absoudre;  il  réclame  l'unanimité  comme  le 
complément  de  la  certitude  morale.  «  L'Angleterre  et  l'Amérique, 
a-t-il  dit,  n'ont-elles  pas  adopté  cette  sage  pratique,  et  c'est  avec 
raison;  car  il  n'est  peut-être  pas  extraordinaire  de  voir  la  raison  du  côté 
de  la  minorité...  »  M.  de  Montlausier  honore  de  ses  applaudissemens 
cette  naïveté  qui,  dans  la  bouche  de  l'orateur,  étoit  bien,  à  tous 
égards,  sans  conséquence.  «  Il  peut  arriver,  a  poursuivi  M.  Robers- 
pierre, qu'une  grande  incorruptibilité,  une  grande  fermeté  d'âme,  enfin 
une  grande  étendue  de  lumières  portent  quelques  hommes  g  résister 
à  ce  qui  entraîne  le  plus  grand  nombre.   » 

Annales  universelles,  3  février   1791,  p.  280. 

«    M.    Roberspierre    exige    l'unanimité    comme    en    Angleterre    & 


(12)  Pour  Montbailli. 


54  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

en  Amérique;  car  si  un  seul  juge  penche  pour  l'accusé,  c'est  un  signe 
que  les  preuves  employées  contre  lui  ne  sont  pas  évidentes.  Il  rapporte 
à  ce  sujet  les  jugemens  iniques  des  Calas  &  des  Sirven  (13),  etc  ,  où 
la  minorité  des  juges  avoit  raison;  il  s'étend  sur  cette  idée,  qui  fait  sou- 
rire le  côté  droit.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  de  la  No- 
blesse, de  la  Magistrature,  du  Sacerdoce  et  du  Militaire,  t.  I,  n°  7, 
n.  181;  Les  Révolutions  de  Paris  (Prudhomme),  n°  82,  p.  165;  Le 
Postillon  (Calais),  n°  337,  p.  8;  Les  Révolutions  de  France  et  de  Bra- 
bant,  t.  V,  n°  63,  p.  552;  La  Bouche  de  Fer,  n°  17;  L'Ami  des 
Patriotes,  t.  I,  n°   1 1 ,  p.  322  (note).] 


(13)  Sirven,  géomètre-arpenteur,  né  à  Castres.  De  religion  pro- 
testante, il  fut  condamné  à  mort,  le  29  /mars  1764,  par  le  tribunal  de 
Mazamet,  pour  avoir  fait  disparaître  sa  fille  cadette  Elisabeth  qui 
s'était  enfuie  du  couvent  des  Dames  noires  et  dont  on  retrouva  le 
cadavre  dans  un  puits.  Voltaire,  convaincu  de  son  innocence,  entre- 
prit de  le  réhabiliter.  Il  ouvrit  d'abord  une  souscription  en  sa 
faveur,  qui  fut  accueillie  par  Frédéric  II  et  Catherine  de  Russie, 
puis  il  publia  son  Avis  au  public  sur  les  parricides  imputés  aux 
Calas  et  aux  Sirven.  Mais  sa  requête  devant  le  Conseil  du  Roi  fut 
rejetée  le  29  janvier  1768  et  Sirven  ne  fut  réhabilité  par  le  Parle- 
ment de  Toulouse  que  le  25  novembre  1771. 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 


213.  —  SEANCE  DU  2  FEVRIER  1791   (1) 
Sur  une  dénonciation  contre  Marat 


Marat  dénoncé  au  Comité  des  Recherches  au  sujet  d'un  article 
paru  dans  l'Ami  du  Peuple,  fut  décrété  d'arrestation  sur  le  rapport 
de  Voidel  (2).   Ce  dernier,   secrétaire  de  la  Société  des  Amis  de  la 


(1)  Cf.  Aulard,  II,  58-62.  Pamphlet  :  Mille  et  unième  dénoncia- 
tion faite  à  la  tribune  des  Jacobins,  Imp.  de  l'Ami  de  l'Ordre,  s.  d., 
in-8°,  16  p.  Mais  il  n'est  fait  mention  ni  de  la  séance,  ni  de  l'inter- 
vention de  Robespierre.  De  même,  G.  Walter  dans  son  «  Marat  »  ne 
cite  pas  ce  fait.  Il  parle  (p.  191-198)  d'une  dénonciation  de  la  Section 
Notre-Dame,  contre  Marat,  le  22  décembre  1790,  à  la  suite  d'un 
article  désobligeant  pour  le  roi.  Toutefois,  le  8  janvier  1791,  s'ouvrait 
devant  le  Châtelet  le  procès  en  diffamation  intenté  contre  Marat 
par  le  journaliste  Estienne,  qui  semble  protégé  par  La  Fayette.  Les 
audiences  ayant  donné  lieu  à  des  manifestations  populaires  en  faveur 
de  Marat,  Estienne  ne  comparaît  pas  ;  il  est  débouté  et  condamné 
aux  dépens.  Marat  reprend  alors  seis  attaques  contre  La  Favette 
avec  une  violence  accrue.   (Cf.  Gaston  Martin,  Marat,  chap.   XII). 

(2)  Arch.  nat.  D  XXIX  bis  33,  dossier  339,  p.  21.  «  Lettre  des 
administrateurs  de  police  de  Paris  au  sujet  de  la  réquisition  à  eux 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  55 

Constitution;  tenta  de  se  justifier  devant  cette  dernière,  maigre  les 
murmures  de  l'assistance.  Charles  Lameth  qui  avait  été  comme  La 
Fayette  l'objet  des  attaques  de  l'Ami  du  Peuple,  déclara  qu'il  n'en 
défendrait  pas  moins,  en  la  personne  de  Marat,  la  liberté  de  la 
presse. 

Le  journaliste  fut  également  soutenu  par  le  boucher  Legendre  et 
par  Robespierre  (3). 

Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t.  V,  n°  63,  p.  484. 

«  A  la  même  séance  des  Jacobins,  Robespierre,  seul  membre  de 
l'assemblée  nationale,  à  qui  le  sévère  Marat  n'eût  point  donné  la  poule 
noire  (4),  prit  aussi  sa  défense.  Il  a  fait  sentir  l'absurdité  du  crime  que 
le  président  des  recherches  imputoit  à  l'ami  du  peuple,  de  s'entendre 
avec  les  Anglois  (5).  Marat  n'avoit  cessé  de  déplorer  le  traité  de  com- 
merce de  1786  avec  les  Anglois,  et  de  vociférer  contre  Pitt,  et  contre 
l'intelligence  du  cabinet  de  S.  James,  avec  le  comité  autrichien  des 
Tuileries,  et  puis  il  y  avoit  en  faveur  de  Marat,  ce  moyen  qui  milite  si 
fortement  pour  tous  les  écrivains  patriotiques  :  si  l'ami  du  peuple  est 
extrême  et  colérique,  au  moins  c'est  dans  le  sens  de  la  révolution.  De 
quel  front  le  comité  des  recherches  a-t-il  signé  cet  ordre  contre  lui,  sous 
le  ridicule  prétexte  d'une  intelligence  avec  les  Anglois,  tandis  qu'il 
laisse  en  paix  Durosoi  (6),  aussi  extrême,  aussi  sanguinaire  que  Marat, 
et  tant  d'autres  amis  du  roi,  de  la  noblesse  et  du  clergé,  qui  ne  cachèrent 
pas  même  leur  intelligence  avec  les  Autrichiens,  avec  tous  nos  ennemis, 
et  tous  les  jours  les  invitent  à  grands  cris  à  venir  égorger  les  patriotes. 
Il  n'y  a  point  de  réplique  à  ce  raisonnement;  aussi  Voidel  qui  lisoit 
sa  condamnation  dans  tous  les  yeux  reconnut  son  péché,  et  promit  de 
retirer  l'ordre  et  de  biffer  l'écrou.   » 

Le  Bulletin  et  Journal  des  Journaux,  n"    14,  2  février  1791. 

a  II  est  étonnant,  dit  le  Courier  de  Paris,  que  dans  ce  club  il  se 
soit  trouvé  plusieurs  membres  qui  ayent  pris   la  défense  de  ce  journa- 


«d rossée  par  le  Comité  des  Recherches  pour  faire  rechercher  et 
arrêter  l'auteur  d'une  feuille  incendiaire  signée  Marat  »  (29  janvier 
1791). 

(3)  Legendre  se  porta  caution  «  de  la  pureté  des  vues  de  Marat  », 
et  il  ajouta  même  que  «  pour  le  soustraire  à  la  vengeance  de  ceux 
qui  avaient  mis  sa  tête  à  prix  il  l'avait  retiré  chez  lui  pendant  un 
an   n  (Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t.  V,  p.  483). 

(4)  «  Donner  la  poule  noire  ».  Sans  doute  faut-il  lire:  «  Donner 
Ih  boule  noire  »,  expression  qui  fait  allusion  aux  jeux  de  hasard 
dans   lesquels   la  boule   noire  indique   le   perdant. 

(."))  Mirât  avait  dû,  en  février  1790,  chercher  pendant  plusieurs 
mois  refuge  en  Angleterre.  Ses  adversaires  laissaient  entendre  qu'il 
6r*y  était  mis  au  service  du  gouvernement  de  Londres,  et  qu'il  était 
payé   par   ce  dernier  pour  entretenir  l'agitation   en  France. 

(6)  Du  Rosoy,  principal  rédacteur  de  la  Gazette  de  Paris,  journal 
contre-révolutionnaire,  guillotiné  le  25  août  1792. 


56  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

liste  et  qui  se  soient  récriés  contre  Tordre  donné  de  l'appréhender  au 
corps.  M.  Charles  Lameth  s'est  contenté  de  blâmer  quelques-uns  de 
ses  numéros,  ainsi  que  M.  Robespierre  qui  a  prétendu  que  cet  ordre 
attentait  trop  à  la  liberté  de  la  presse.  » 


214.  —  SEANCE  DU  3  FEVRIER  1791 
Sur  l'organisation  de  la  justice  criminelle  {suite) 


I ro  intervention  :  Sur  la  forme  de  la  déclaration  des  jurés 

L'Assemblée  adapte  rapidement  une  série  d'articles  du  projet 
d'organisation  de  la  justice  criminelle,  se  rapportant  au  fonctionne- 
ment du  jury.  L'art.  26,  qui  suscita  un  court  débat,  fut  décrété  en 
ces  termes:  «  Chaque  juré  prononcera  les  diverses  déclarations  ci- 
dessus,  dans  la  formule  suivante:  il  mettra  la  main  sur  son  cœur, 
et  dira  :  «  Sur  mon  honneur  et  ma  conscience,  il  y  a  délit  constant  »>, 
ou  bien  «  le  délit  ne  me  paraît  pas  constant;  l'accusé  est  convaincu  », 
ou   bien   «   l'accusé  ne  .me  paraît  pas  convaincu.   » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XIX,  n°  573,  p.  41. 

«  Sur  l'article  26,  MM.  Merlin,  Robespierre  et  Dumetz  (1), 
ont  demandé  la  radiation  des  mots  sur  mon  honneur,  insérés  dans  la 
forme  de  la  déclaration  des  jurés.  Ils  soutenoient  que  l'idée  d'hon- 
neur, séparée  de  probité  et  de  conscience,  n'étoit  qu'une  idée  vaine 
et  féodale  par  laquelle  on  vouloit  suppléer  aux  Vertus  et  aux  principes 
de  la  morale;  ils  ont  même  ajouté  que  la  forme  proposée  par  !e  comité 
tendoit  à  perpétuer  les  préjugés  gothiques,  incompatibles  avec  les  prin- 
cipes des  nations  libres   ». 

Le  Législateur  Français,   4  février    1791,   p.    2. 
Journal  du  Soir  (Beaulieu),   n°   34,  p.    1-2. 

«  M.  de  Robertspierre  a  ouvert  un  avis  très-raisonnable,  il  pen- 
soit  que  pour  s'assurer  de  la  vérité,  la  justice  n'avoit  pas  de  moyen 
plus  sûr  que  de  faire  jurer  chacun  sur  ce  qu'il  a  de  plus  cher.  Ainsi, 
disoit-il,  si  le  juré  est  attaché  par  un  préjugé,  si  l'on  veut  à  ce  que 
nous  appelions  honneur,  il  faut  le  faire  jurer  sur  son  honneur.  Si  la  loi 
de  sa  conscience  lui  est  plus  sacrée,  il  faut  le  faire  jurer  sur  sa 
conscience   »   (2). 

Journal  des  Débats,  t.  XVII,  n°  604,  p.  4. 

((  MM....  et  Robespierre  ont  demandé  que  la  formule  de  la  décla- 
ration faite  par  les  Jurés  ne  portât  pas  ces  mots  :  en  conscience  et  en 

(1)  Boute ville-Dumetz,  député  du  tiers  état  du  gouvernement  de 
Péronne. 

(2)  Cet  extrait  attribue  à  Robespierre  l'opinion   de  d'André. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  57 

honneur;  le  mot  de  conscience  suffit;  en  y  joignant  celui  d'honneur,  on 
rappelle  un  mot  qui  a  été  la  source  des  préjugés  les  plus  barbare?  et 
qu'aujourd'hui  l'on  voudroit  encore  opposer  souvent  aux  sentimens  du 
patriotisme  et  de  la  vertu.   » 

Journal  de  Normandie,  n°  35,  p.   169, 

«  M.  Roberspieïre.  J'appuie  l'amendement  de  M.  Merlin  et  je 
pense  que  toute  distinction  entre  honneur  et  conscience  est  absolument 
futile;  il  est  impossible  qu'un  homme  soit  lié  par  son  honneur,  s'il 
croit  ne  pas  l'être  par  sa  conscience;  il  n'est  point  d'honneur  sans 
conscience.    » 

Mercure  de  France,    12  février   1791,  p.    114. 

((  MM.  Lanjuinais,  Merlin  et  Roberspierre  ne  vouloient  pas  du 
vieux  mot  honneur  qui  sent  le  gentilhomme,  la  féodalité,  la  monarchie, 
le  préjugé,  la  barbarie  et  qu'ils  supposoient  incompatibles  avec  le 
patriotisme  et  les  vertus  d'aujourd'hui.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Spectateur  national, 
4  février    1791,   p.   282.] 


2e  intervention  :  Sur  le  caractère  irrévocable  du  jugement 

L'Assemblée  adopte  le  titre  VIII  du  décret  sur  l'organisation  de 
la  justice  criminelle  («  Du  jugement  et  de  l'exécution  »).  Les  huit 
articles  de  ce  titre  traitent  de  la  condamnation  de  l'accusé  ou  son 
absolution.  L'art.  4  stipule  que:  «  Tout  particulier  ainsi  acquitté  ne 
pourra  plus  être  repris  ni  accusé  pour  raison  du  même  fait.   » 

L'abbé  Maury  intervient,  s'étonnant  de  ne  trouver  dans  les  arti- 
cles qui  .viennent  d'être  décrétés,  rien  qui  remplace  ce  que  l'on  appe 
iait  dans  l'ancienne  procédure  «  le  plus  ample  informé  »  ou  le  «  hors 
&!  cour  )>.  Il  demande  ique  les  comités  présentent  un  article  addi- 
tionnel dont  la  formule  sera:  «  les  charges  ne  sont  pas  approuvées  »; 
ainsi  on  pourra  élargir  l'accusé,  mais  l'arrêt  ne  sera  point  irrévo- 
cable,   liohespierre    s'élève    contre    cette    proposition. 

L'Assemblée  rejeta  la  motion  de  l'abbé  Maury  (3). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XX! ,  p.  58. 

«  M.  Robespierre.  Je  demande  la  question  préalable  sur  la  motion 
de  M.  l'abbé  Maury.  Il  demande  que  vous  introduisiez  dans  votre 
jurisprudence  criminelle  une  troisième  formule  qui  ne  voit  ni  la  condam- 
nation ni   l'absolution;   mais  qui   laisse  l'accusé  dans  un   état  de   soup- 

(3)  «  Cette  fois  ses  paroles,  écrit  Hamel,  dignes  de  la  doctrine 
évamîélique.  ne  furent  pas  jugées  trop  philosophiques,  et  l'Assemblée 
en  y   applaudissant  rejeta  la  proposition  de  l'abbé  Maury.   n 


58  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

çon.  Cet  état-là,  messieurs,  est  déjà  une  peine,  c'est  une  peine  infa- 
mante; car  dès  qu'un  homme  est  accusé,  et  qu'il  n'est  pas  déclaré 
innocent,  il  est  dès  lors  flétri  dans  l'opinion  publique,  il  est  pour 
jamais   dépouillé   de    la    considération    publique. 

«  Il  n'y  a  que  deux  alternatives,  ou  bien  la  société  a  prouvé  contre 
un  citoyen  accusé  qu'il  étoit  coupable  et  qu'il  devoit  être  privé  des 
droits  de  citoyen,  ou  elle  ne  l'a  pas  prouvé.  Si  elle  l'a  prouvé,  il  est 
coupable,  si  non,  il  jouit  de  tous  ses  droits  et  il  est  présumé  innocent. 

«  Remarquez  qu'une  pareille  motion  tend  à  altérer  entièrement 
l'esprit  du  juré.  En  effet,  quand  des  jurés  ont  à  prononcer,  si  dans  leur 
conscience  ils  croient  un  accusé  coupable  ou  non,  alors  ils  déploient 
tous  les  ressorts  moraux  possibles;  ils  examinent  avec  une  attention  reli- 
gieuse les  motifs  de  la  décision  qu'ils  vont  rendre  sur  le  sort  de  l'accu- 
sé :  mais  si  vous  leur  laissez  une  autre  alternative,  ils  sont  moins  scru- 
puleux. Sous  prétexte  qu'ils  ne  sont  pas  obligés  de  condamner,  ils  se 
laissent  aller  nonchalamment  à  prendre  un  parti  mitoyen;  et  sur  des 
présomptions  et  indices  foibles  et  incertaines,  ils  se  portent  à  flétrir 
un  accusé  qu'ils  auroient  absous.    (Applaudissemens). 

a  Telles  sont,  messieurs,  les  raisons  qui  dans  l'ancien  régime 
avoient  déjà  formé  une  opinion  publique,  qui,  avant  que  vous  fussiez 
établis,  avoit  proscrit  comme  un  grand  abus  de  la  jurisprudence  crimi- 
nelle, toute  cette  condamnation  mitoyenne  sous  le  nom  de  hors  cour 
et  de  prison  indéfinie  et  de  plus  amplement  informé. 

«  Il  n'y  a  dans  notre  jurisprudence  criminelle  et  dans  nos  principes 
que  deux  cas,  ou  l'innocence,  ou  le  crime  :  il  faut  condamner  ou 
absoudre.   Je  demande  la  question  préalable.   (Applaudissemens)   »  (4). 

Courier  national  (Beuvin),  4  février  1791,  p.  4. 

Assemblée  nationale.  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  X,  n°  548,  p.  4. 

«  M.  Robespierre  a  refuté  cette  opinion,  en  observant  qu'il  n'est 
aucun  criminaliste  éclairé,  qui  même  dans  l'ancien  régime,  n'eut  reconnu 
les  inconvéniens  du  plus  amplement  informé  :  espèce  de  transaction 
entre  le  crime  et  l'innocence,  qui  n'étoit  bonne  qu'à  favoriser  l'inten- 
tion et  la  paresse  des  juges,  et  à  tenir  perpétuellement  un  accusé  dans 
l'état  flétrissant  du  soupçon.  Les  jurés  sont  appelés  à  juger  d'après 
leur  conviction  intime  et  morale;  si,  après  que  l'instruction  se  trouve 
complette  ils  reconnoissent  l'innocence  ou  le  crime,  ils  doivent  absou- 
dre ou  condamner;  tout  milieu  ne  feroit  qu'ouvrir  une  porte  à  l'arbi- 
traire et  seroit  une  punition  cruelle  pour  l'innocence.  Il  a  demandé  la 
question  préalable  sur  la  formule  proposée  par  M.  l'abbé  Maury,  et 
il  a  été  appuyé  par  M.  Pelletier,  qui  a  observé  que  M.  l'abbé  Maury 
avoit  trop  d'affection  pour  la  jurisprudence  des  oundire.    » 


(4)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXJT,  727. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  59 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  n°   210,  p.  3. 

«  M.  Robest-Pierre,  je  demande  la  question  préalable  sur  la  pro- 
position de  M.  Maury.  Il  nous  offre  une  troisième  formule,  qui  seroit 
un  supplice  pour  l'innocence:  qu'elle  est  cette  espèce  de  transaction 
avec  le  crime  ou  avec  l'innocence  !  de  deux  choses  l'une;  ou  le  crime 
est  prouvé,  et  dans  ce  cas  il  faut  le  punir  :  ou  il  ne  l'est  pas,  et  dès 
lors  il  faut  reconnoître  l'innocence  et  ne  pas  la  flétrir  par  ces  absurdes 
hors  de  cour,  qui  avoient  été  inventés  par  des  juges  noncbalents  et 
barbares. 

«  Considérez  d'ailleurs  que  la  formule  du  hors  de  cours,  si  com- 
mode pour  des  juges  durs,  rendroit  les  jurés  moins  attentifs.  Ils  ne 
s'arrêteroient  pas  à  dissiper  des  doutes;  il  leur  seroit  si  facile  de 
consacrer  leur  indécision,  en  refusant  un  jugement  à  l'innocent;  car  le 
hors  de  cour  est  un  refus  de  jugement. 

«  Non,  Messieurs,  vous  ne  tolérerez  point  cette  détestable  méthode. 
Les  jurés  sont  appelés  à  juger  selon  leur  conviction,  ils  auront  donc 
toujours  une  opinion  déterminée,  ils  reconnoitront  l'innocence  ou  le 
crime,  qu'ils  soient  donc  forcés  d'absoudre  ou  de  condamner.  Point 
de  ces  transactions  affligeantes  pour  l'innocence.    » 

Journal  de  la  Noblesse,  t.  I,  n°   7,  p.    183. 

«  L'abbé  Maury  s'est  trouvé  en  opposition  avec  M.  Robespierre; 
le  premier  vouloit  que,  dans  les  cas  où  l'accusé  n'étoit  pas  évidemment 
innocent,  on  prononçât,  par  cette  formule  :  «  Les  charges  ne  sont 
point  approuvées  ».  L'accusé  auroit  été  élargi  sans  que  l'arrêt  eût  été 
irrévocable.  «  II  faut  proscrire,  a  dit  M.  Robespierre,  ces  conditions 
mitoyennes,  inventées  par  le  despotisme;  quel  est  le  peuple  assez  bar- 
bare pour  vouloir  que  l'innocent  soit  perpétuellement  en  butte  aux 
intrigues  de  ses  ennemis,  pour  vouloir  qu'on  suscite  sans  cesse  contre 
lui  des  accusations  qu'on  renouveilleroit  (sic)  à  mesure  qu'elles  échoue- 
roient.  La  loi  doit  condamner  ou  absoudre,  je  ne  connois  pas  de  milieu. 
L'ancienne  loi  n'en  connoissoit  pas  non  plus,  mais  si  le  juge  est  con- 
vaincu de  la  possibilité,  qu'il  intervienne  de  nouvelles  charges,  qui  se 
joignent  à  de  violens  indices;  le  plus  amplement  informé,  dans  un 
délai  prescrit  et  limité  par  le  législateur,  étoit  une  justice  dont  la  nou- 
velle loi  affranchit  l'accusé.   » 

Le  Législateur  Français,  4  février   1791,  p.   5-6. 
Journal  du  Soir  (Beaulieu),   n°    34,   p.    3. 

«  M.  Roberspierre  a  demandé  la  question  préalable  sur  îa  motion 
de  M.  l'abbé  Maurv  :  il  a  pensé  que  l'opinant  vouloit,  par  cette  dispo- 
sition, faire  revivre  le  système  de  la  flétrissure  de  l'opinion,  et  remettre 
les  citoyens  sous  la   loi  tyrannique   des  persécutions  juridiques,   qui   ne 


60  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

finiraient  pas  avec  la  vie  d'un  accusateur  passionné,  et  qui  seraient 
transmises  de  génération  en  génération  comme  un  droit  d'héritage. 

«  Si  la  preuve  du  délit,  disoit-il,  est  suffisante,  le  juré  prononcera, 
et  la  loi  vengera  la  société;  mais  si,  au  contraire,  les  preuves  ne  sont 
pas  convaincantes,  l'accusé  est  quitte  envers  la  loi,  et  il  seroit  barbare 
de  dire  à  l'homme  qu'on  absout,  je  vous  innocente;  mais  en  même 
temps,  je  vous  livre  à  l'infamie,  et  l'opinion  me  dédommagera  de  la 
condamnation  que  je  ne  puis  prononcer  contre  vous. 

«  Par  cet  usage  barbare,  les  agens  du  despotisme  se  menageoient 
la  certitude  d'atteindre  un  jour  leur  victime,  lorsque  les  circonstances 
contraires,  ou  une  sorte  de  pudeur  le  retenoit  dans  leur  penchant. 
Un  plus  ample  informé  les  tranquillisoit,  et  le  temps  du  repos  de 
l'homme  persécuté  étoit  de  courte  durée.  » 

Le  Patriote  François,  n°  546,  p.   141  (5). 

Assemblée  nationale  et  Commune  de  Paris  (imitât.),   n°   545,  p.   6. 

«  Aussi-tôt  M.  Roberspierre  a  demandé  la  question  préalable 
sur  cette  proposition.  M.  l'abbé  Maury,  disoit-il,  ne  vous  propose  autre 
chose  que  de  faire  revivre  le  système  odieux  de  la  flétrissure  dans 
l'opinion  publique,  et  de  remettre  les  citoyens  accusés  sous  la  loi  tyran- 
nique  des  persécutions  juridiques;  il  ne  peut  y  avoir  de  transaction 
entre  le  crime  et  l'innocence.  Si  le  crime  est  prouvé,  il  faut  condamner; 
s'il  ne  l'est  pas,  il  faut  reconnoître  l'innocence,  et  ne  pas  la  flétrir  par 
ces  absurdes  hors  de  cour,  inventés  par  des  juges  nonchalans  et  bar- 
bares. 

«  Considérez  d'ailleurs  que  la  formule  du  hors  de  cour,  du  plus 
amplement  informé,  rendrait  infailliblement  les  jurés  moins  attentifs. 
Ils  ne  s'attacheraient  pas  à  dissiper  leurs  doutes;  ils  se  livreraient  à 
toute  la  non-chalence  des  indécisions;  une  semblable  méthode  ne  peut 
être  tolérée;  les  jurés  sont  appelles  à  juger  selon  leur  conviction,  ils 
doivent  la  porter  au  plus  haut  degré  possible,  il  faut  qu'ils  ayent  une 
opinion  bien  prononcée,  il  faut  qu'ils  condamnent  ou  qu'ils  déchargent 
de  l'accusation;  vous  ne  devez  point  souffrir  de  transactions  affligeantes, 
humiliantes  pour  l'innocence.    » 

Le  Point  du  Jour,  t.   XIX,  n°   573,  p.  45. 

«  M.  Robespierre  a  demandé  la  question  préalable  sur  la  propo- 
sition de  M.  l'abbé  Mauri. 

«  Il  n'y  a  que  deux  alternatives,  a-t-il  dit  :  ou  la  société  a  prouvé 
qu'un  citoyen  est  coupable,  et  alors  il  faut  le  punir;  ou  bien  la  société 
ne  l'a  pas  prouvé  et  il  doit  alors  être  absous.  En  introduisant  cette 
troisième  formule  proposée  par  M.    Mauri   vous  altérez  l'institution  du 


(5)  Le  Patriote  François  ne  reproduit  que  le  premier  alinéa. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  61 

juré.  Si  vous  admettez  des  demi  peines  ou  des  ajournements,  ces  tran- 
sactions avec  le  crime  ou  l'innocence  vont  engager  le  juré  à  mollir 
dans  ses  jugemens  et  à  prononcer  sur  ces  demi  peines,  qui  ne  doivent 
pas  plus  exister  que  les  demi  vérités.  Il  n'y  a  pas  de  milieu  entre 
l'innocence  et  le  crime,  entre  la  preuve  ou  le  défaut  de  preuve.   » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  35,  p.   142. 
Courier  de  Provence,  t.  XIV,  n°  252,  p.  69. 

«  M.  Robespierre.  Il  faut  proscrire  ces  conditions  mitoyennes 
inventées  par  le  despotisme.  Quel  est  le  peuple  assez  barbare  pour 
vouloir  que  l'innocent  soit  perpétuellement  en  butte  aux  intrigues  de 
ses  ennemis,  pour  vouloir  qu'on  suscite  sans  cesse  contre  lui  des  accusa- 
tions qu'on  renouvellerait  à  mesure  qu'elles  échoueraient.  La  loi  doit 
condamner  ou  absoudre  ;  je  ne  connais  pas  de  milieu.  Je  demande  donc 
la  question  préalable  sur  la  proposition  de  M.  l'abbé  Maury  »  (6). 

Journal  des  Débats,  t.   XVII,   n°    604,   p.   5. 

«  Cette  proposition  a  été  combattue  par  M.  Robespierre  et 
M.  Saint-Fargeau.  Le  premier  a  représenté  qu'une  telle  formule  alté- 
roit  évidemment  l'institution  des  Jurés,  et  (ce  qui  est  beaucoup  plus 
grave  encore)  tous  les  sentimens  d'humanité  et  de  justice.  Il  ne  peut 
y  avoir  que  deux  alternatives  pour  l'accusé,  être  jugé  innocent  ou  cou- 
pable. En  admettre  une  troisième,  c'est  donner  du  crédit  et  de  l'auto- 
rité à  des  conjectures  qui  ne  peuvent  fonder  un  jugement;  c'est  punir 
du  supplice  affreux  de  l'infamie  celui  qu'on  a  craint  de  punir  d'une 
autre  manière.  Les  Jurés  abuseront  bientôt  de  cette  formule,  et  seront 
moins  scrupuleux  à  prononcer;  ri  rentrera  dans  la  société  une  foule 
d'individus  devenus  suspects,  et  flétris  par  l'opinion,  contre  lesquels 
il  n'y  aura  eu  aucun  délit  de  prouvé.   » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  n°   251,  p.   4. 

«  Mais,  dans  une  observation  aussi  sage,  M.  Robespierre  n'a  vu 
que  le  rétablissement  de  la  tyrannie  ministérielle  et  aristocratique;  et 
les  démagogues,  qui  ont  grand  peur  de  troubler  la  tranquillité  des 
scélérats,  ont  rejette  le  mode  salutaire  de  M.  l'abbé  Maury.   ^) 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  La  Feuille  du  Jour, 
t.  II,  n°  35,  p.  274;  Le  Journal  de  Paris,  5  février  1791,  p.  146; 
Le  Mercure  national  et  étranger,  t.  I,  n°  9,  p.  335;  Le  Courrier  de 
Paris  dans  les  LXXXIII  départemens,  t.  XXI,  n°  4,  p.  63;  Les  Anna- 
les universelles,  4  février  1791,  p.  288.] 


(6)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VII,  293. 


62  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

215.  —  SEANCE  DU  3  FEVRIER  1791  (soir) 
Sur  la  répression  des  actes  d'indiscipline  des  matelots 


Defernion  Des  Chapelières  présente  au  nom  du  comité  de  marine 
un  rapport  sur  la  «  répression  des  actes  d'insubordination  commis 
par  les  matelots  sur  le  territoire  de  Bordeaux  »  (1).  Le  projet  de 
décret  qu'il  propose  à  l'Assemblée,  donne  lieu  à  un  débat,  en  parti- 
culier l'art.  4  qui  charge  le  président  de  l'Assemblée  de  demander 
au  roi  de  faire  poursuivre  et  juger  devant  le  tribunal  de  district  du 
lieu  du  délit  les  excès  commis  par  quatre  individus  nommément  dési- 
gnés. 

Kobespierre  intervint,  et  l'Assemblée,  sur  sa  proposition,  rejeta 
l'article  par  la  question  préalable  (2). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXI,  p.   76. 

«  M.  Robespierre.  Je  vous  propose  un  amendement  sur  le  dernier 
article.  Je  crois  qu'il  y  a  trop  longtemps  que  l'assemblée  nationale 
se  mêle  des  délits  particuliers,  j'ai  entendu  souvent  proposer  à  l'assem- 
blée nationale  de  prier  le  roi  de  faire  punir  tel  ou  tel  crime;  je  crois 
qu'il  seroit  sujet  à  beaucoup  moins  d'inconvéniens  de  laisser  agir  le 
pouvoir  judiciaire  sur  toutes  les  affaires  particulières,  et  j'en  cite  pour 
preuve  le  rapport  qui  vient  de  vous  être  fait. 

«  Sur  quelles  preuves  et  sur  quels  indices  vous  exhorie-t-on  à 
punir  de  tels  crimes  et  à  provoquer  vous-mêmes  le  pouvoir  exécutif 
pour  faire  punir  des  faits  d'insubordination  ?  Vous  est-il  prouvé  par 
des  preuves  claires,  dont  chacun  de  vous  puisse  reconnoître  la  vérité, 
que  le  délit  a  été  commis  ?  Je  ne  prétends  pas  qu'il  n'y  en  ait  point 
eu.  Mais  ni  vous  ni  moi  ne  le  connoissons. 

«  On  vient  de  vous  faire  un  rapport  très  vague  ;  on  vient  de 
vous  citer  une  lettre  et  des  pièces  envoyées  par  le  ministère  de  la 
marine  ;  vous  ne  connoissez  pas  ces  pièces.  Le  rapporteur  vous  a  observé 
que  le  ministre  de  la  marine  ne  nommoit  pas  même  les  personnes 
coupables  d'insubordination.  Je  soutiens  que  dans  cette  situation,  vous 
n'êtes  point  assez  éclairés  pour  trouver  que  ces  délits  existent;  vous 
ne  l'êtes  donc  point  assez  pour  les  dénoncer  au  pouvoir  exécutif  et 
pour  provoquer  à  cet  égard  son  action.  Si  le  pouvoir  exécutif  connoit 
des  délits,  qu'il  agisse;  mais  qu'il  soit  seul  responsable:  ne  vous 
mêlez  point  de  ce  que  vous  ne  connoissez  pas.  Je  conclus  à  ce  que 
vous  ne  délibériez  pas  sur  l'article  du  décret  qui  consiste  à  prier  le 
roi  de  donner  des  ordres  pour  punir  les  prétendus  délits.   » 


(1)  Cf.    également   discussion   sur   le    Code   pénal   de   la   marine, 
séance  du  19  août  1790,  Discours,  lre  partie,  p.   506. 

(2)  Cf.  Le  Point  du  Jour,  t.  XIX,  p.  52. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  63 

«  M.  de  Fermont... 

«  M.  Robespierre.  Je  réponds  en  deux  mots  au  fait  qui  regarde 
les  tribunaux  (3).  L'assemblée  nationale  par  ses  décrets  précédens  a 
déjà  déterminé  quel  est  l'ordre  des  tribunaux  où  ces  affaires  doivent 
être  portées  ou  elle  l'a  fait,  ou  elle  ne  l'a  pas  fait.  Si  elle  l'a  fait, 
il  n'y  a  plus  rien  à  statuer  à  cet  égard;  si  elle  ne  l'a  pas  fait,  il  faut 
faire  une  loi  générale  qui  détermine  à  quels  tribunaux  devront  être  por- 
tées les  accusations  concernant  la  marine  et  les  matelots  :  mais  quant 
aux  faits  particuliers  dont  M.  le  rapporteur  a  parlé  d'une  manière 
vague,  je  soutiens  que  l'assemblée  nationale  ne  doit  pas  s'en  mêler, 
elle  doit  connoître  en  quoi  consiste  précisément  le  délit;  or,  vous  ne 
le  connoissez  pas;  quand  vous  le  connoîtriez,  vous  ne  devriez  pas  pro- 
noncer sur  un  délit  particulier.  Faîtes  des  loix  générales,  pourvoiez  au 
salut  public  dans  les  grandes  circonstances,  mais  dans  les  affaires  parti- 
culières,  laissez  tout  au  pouvoir  exécutif  et  judiciaire   »   (4). 


(3)  De  Fermont   venait  en  effet  de  poser  la  question  de   savoir 
quels  juges  auront -à  connaître  ces  sortes  de  délits. 

(4)  Texte   reproduit   dans  les  Aroh.   pari.,   XXII,    730. 


216.  —  SEANCE  DU  5  FEVRIER  1791 
Sur  l'organisation  de  la  justice  criminelle  (suite)  (1) 


I™  intervention:  Sur  l'indemnité  due  aux  accusés  innocents 

Le  4  février,  Duport,  rapporteur  du  projet  d'organisation  de  la 
justice  criminelle,  avait  présenté,  comme  article  29,  le  texte  suivant  : 
«<  Lorsqu'un  accusé  aura  été  acquitté,  il  pourra  présenter  requête 
pour  obtenir  de  la  iSociété  une  indemnité,  sur  laquelle  requête  il  sera 
statué  par  le  tribunal  criminel  ». 

L'article  fut  renvoyé  à  la  commission  comme  insuffisant.  Le  5, 
il  propose  l'adjonction  suivante  :  <(  Mais  lorsqu'il  n'y  a  ni  dénoncia- 
teur, ni  partie  civile,  ou  lorsqu'ils  sont  insolvables,  il  doit  présenter 
requête  pour  obtenir  de  la  société  une  indemnité  ». 

Des  opposants,  les  uns  rejetaient  toute  indemnité  ;  d'autres  refu- 
saient de  s'en  rapporter  au  tribunal,  alléguant  que  s'il  repoussait 
la  demande,  l'accusé  acquitté  resterait  dans  l'opinion,  sous  le  coup 
d'une  inculpation  écartée  faute  de  preuves,  mais  néanmoins  soute- 
nable.  Buzot  voulait  que  l'indemnité  fut  de  droit.  L'Assemblée  décida 
que  la  .société  ne  devait  pas  d'indemnité.  Alors  Pétion  insista  pour 
que  l' article  fut  de  nouveau  renvoyé  à  la  commission.  L'Assemblée 
passa  à  l'ordre  du  jour. 

<1)  Cf.  ci-dêssus,  séances  des  4,  19,  20,  21  janvier  1791,  1er,  2  et 
3   février. 


64  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Le  Point  du  Jour,  t.  XIX,  n°  575,  p.  69. 

«  M.  Pethion  a  été  appuyé  par  MM.  Larochefoucaud,  Robes- 
pierre, Praslin,  Buzot  et  plusieurs  autres  »  (2). 

2°  intervention  :  Sur  le  choix  des  jurés 

Duport  abordant  le  titre  X  du  projet,  qui  concerne  la  composi- 
tion du  jury  d'accusation,  déclare  impossible  que  tout  citoyen  actif 
puisse  être  inscrit  sur  la  liste  des  jurés.  Mais  n'admettre  que  les 
citoyens  éligibles  à  la  législature,  serait  exclure  une  infinité  d'hom- 
mes éclairés  et  très  propres  à  être  jurés.  JI  propose  donc  que  le  soin 
d'établir  la  liste  des  jurés  soit  confié  au  procureur  général  syndic 
du  département,  les  jurés  devant  être  ensuite  tirés  au  sort  sur  cette 
Lste  (3). 

Pétion  combat  cette  proposition  :  tout  citoyen  actif  doit  pouvoir 
être  juré,  le  choix  doit  en  être  fait  tous  les  ans  par  les  électeurs 
du  district.  Cazalès  demande  que  les  qualités  nécessaires  pour  être 
éligible  à  la  législature,  soient  aussi  exigibles  pour  exercer  les  fonc- 
tions de  juré  (4).  Robespierre  conclut  à  ce  que  tout  citoyen  puisse 
être  élu  juré,  et  à  ce  que  la  liste  des  jurés  soit  formée  par  les  élec- 
teurs de  chaque  district.  Ma/louet  soutient,  en  l'amendant,  la  propo 
sition  de  Cazalès. 

Finalement,  les  amendements  furent  écartés,  et  l'Assemblée 
décréta  les  deux  articles  suivants  : 

«  1.  La  liste  des  jurés  sera  composée  de  trente  citoyens  éligibles 
à   l'administration   de  district   et   de   département. 

«  2.  Le  procureur-syndic  et  les  membres  du  directoire  de  chaque 
district  formeront  tous  les  trois  mois  la  liste  des  citoyens  qui  doivent 
servir  de  jurés  dans  les  accusations.  » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXI,  p.  115. 

«  M  Robespierre.  A  qui  appartient  le  droit  d'élire  les  fonc- 
tionnaires publics  ?  C'est  là  la  question  :  car  les  jurés  sont  des  fonction- 
naires publics.  Il  n'en  est  point  de  plus  intéressans,  puisque  leur  pou- 
voir pèse  à  chaque  instant  sur  les  droits  particuliers  et  sur  la  liberté 
individuelle  des  citoyens.  A  qui  appartient  le  droit  d'élire  aux  places 
de  fonctionnaires  publics  ?  A  celui-là  seul  de  qui  émanent  toutes  les 
autorités,  toutes  les  fonctions  publiques,  au  souverain,  c'est-à-dire,  au 
peuple.  Remarquez  messieurs,  que,  dans  la  circonstance  actuelle,  vous 
ne  pouvez  pas  vous   écarter  de   ce  principe,   sans  ouvrir   la  porte  aux 


<2)  Texte  utilisé  par  les  Arch.  pari.,  XXII,  758. 

■(3)  C'est  cette  partie  du  Plan  que  Robespierre  a  réfutée  dans  les 
premières  pages  de  son  discours  imprimé  (Cf.  ci-dessus,  séance  du 
20  janvier  1791). 

(4)  Cazalès  élevait  ainsi  le  débat  :  lco  propriétaires  sont  la  société 
elle-<même  ;  pour  être  juré  il  faudrait  au  moins  posséder  un  bien 
foncier  de  mille  livres  de  revenu  ;  en  Angleterre,  une  propriété  de 
10  livres  de  rente  était  exigée. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  65 

plus  grands  inconvéniens.  C'est  dans  les  tems  de  révolution  sur-tout 
qu'il  faut  observer  scrupuleusement  ce  principe.  Il  ne  faut  pas  que 
ces  factions  connues  sous  le  nom  d'aristocrates,  de  démocrates,  d'im- 
partiaux, puissent,  sous  le  voile  de  la  justice,  se  faire  mutuellement 
une  guerre  aussi  lâche  que  cruelle.  Or  rien  n'est  si  possible  dans  les 
circonstances  où  nous  sommes  que  de  voir  l'administration  confiée  à 
un  officier  qui  pourroit  être  enclin  à  un  parti.  Il  composeroit  la  liste 
de  tous  ceux  qui  seroient  attachés  aux  mêmes  principes  que  lui  ;  il  seroit 
facile  à  un  procureur-syndic  de  composer  en  partie  ce  juré  de  ces 
hommes  nuls  et  foibles  qui  appartiennent  toujours  au  plus  adroit  et 
au  plus  rusé.  Ainsi  vous  verriez  par  là  la  destinée  des  citoyens  livrée 
à  ces  principes  factieux.  Vous  pourriez  même  voir  les  plus  zélés  patrio- 
tes victimes  de  ce  dangereux  inconvénient.  J'en  conclus  que,  soit  que 
vous  considériez  les  principes,  soit  que  vous  considériez  les  circonstan- 
ces si  décisives  de  la  Révolution,  vous  ne  pouvez  pas  confier  à  un  seul 
homme  le  droit  de  choisir  les  jurés  qui  doivent  prononcer  sur  la  vie  et 
la  liberté  des  citoyens.  Ce  droit  appartient  donc  essentiellement  au 
peuple. 

«  Le  caractère  essentiel  des  jurés,  consiste  à  être  jugé  par  ses 
pairs.  Or,  si  vous  attachez  à  une  certaine  quantité  de  propriété  le  droit 
exclusif  d'être  appelé  aux  fonctions  de  juré,  il  est  évident  que  l'égalité 
des  droits  est  violée  et  que  tous  les  accusés  ne  sont  pas  jugés  par  leurs 
pairs,  puisqu 'alors  les  citoyens  sont  en  quelque  sorte  divisés  en  deux 
sections,  dont  l'une  est  destinée  à  être  jugée,  et  l'autre  à  juger,  et  la 
dernière  de  ces  sections  est  élevée  au  dessus  de  l'autre  de  toute  la 
hauteur  qui  existe  entre  l'égalité  politique  et  la  nullité  et  la  sujétion. 
La  majorité  de  la  nation  seroit  donc  dans  un  état  de  nullité  et  d'abjec- 
tion qui  est  absolument  incompatibles  avec  les  principes  de  la  consti- 
tution et   les  droits  qu'elle   a  exigés  de   ses  représentans. 

«  Je  conclus  donc,  d'une  part,  qu'il  faut  que  tous  les  citoyens 
puissent  être  appelés  aux  fonctions  publiques.  Il  s'ensuit  de  là  que  les 
jurés  ne  peuvent  être  élus  que  par  le  peuple;  et  je  vous  prie  de 
remarquer  que  si  vous  adoptez  l'une  de  ces  deux  dispositions,  la  der- 
nière écarte  tous  les  inconvéniens  que  Ton  pourroit  trouver  à  permettre 
l'élection  dans  toutes  les  classes  de  la  société;  car  la  plus  sûre  garantie 
de  la  confiance  publique,  c'est  le  suffrage  de  la  majorité  des  citoyens; 
et  quelles  que  soient  les  classes  de  propriétaires  que  vous  veuillez 
distinguer,  quelles  que  soient  les  conditions  pécuniaires  que  vous  veuillez 
exiger,  il  est  évident  que  la  circonstance  qu'un  homme  possède  tant 
de  propriété,  que  la  circonstance  qu'un  tel  homme  paye  tant  d'imposi- 
tion, n'est  point  un  garant  aussi  certain  ni  de  ses  lumières,  ni  de  la 
droiture,  ni  de  son  incorruptibilité,  que  le  suffrage  de  ses  concitoyens; 
et  moins  cet  homme  sera  fortuné  et  moins  il  aura  de  ces  moyens  qui 
subjuguent  les  suffrages  et  qui  éblouissent  les  yeux  du  public;  ce  sera 
un  garant  certain  au  public  de  ses  talens  et  de  ses  vertus. 

k„;,;,„;,UlK.    -& 


66  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

«  Je  conclus  donc,  messieurs,  1  °  que  tous  les  citoyens  doivent 
avoir  la  faculté  d'être  élus  aux  fonctions  de  juré;  2°  que  les  électeurs 
du  peuple  doivent  élire  seuls  ceux  qui  doivent  être  élus  aux  fonctions 
de  jurés. 

«  En  conséquence,  je  propose  l'idée  suivante  :  Je  propose  que 
les  électeurs  de  chaque  district  nomment  tous  les  ans  les  30  citoyens 
qui  doivent  former  la  liste  des  jurés.  Si  les  assemblées  vous  paroissent 
devoir  être  trop  longues,  vous  pouvez  les  diviser  en  sections.  Dans 
tous  les  cas,  les  incommodités,  les  longueurs  ne  peuvent  jamais  vous 
appeller  à  sacrifier  les  intérêts  de  la  liberté  et  les  droits  les  plus 
sacrés.  Lorsqu'il  se  présentera  des  affaires  dans  les  cas  déterminés  par 
le  Comité,  on  tirera  au  sort,  sur  les  30  sujets  choisis  par  les  électeurs, 
ceux  qui  doivent  composer  le  juré  d'accusation.  Le  juré  de  jugement  se 
formera  avec  la  même  simplicité  et  sans  qu'il  soit  besoin  de  procéder 
à  de  nouvelles  élections.  On  réunira  dans  une  liste  les  jurés  qui  auront 
été  nommés  par  les  districts  et  dans  les  époques  aussi  déterminées  par 
le  Comité  et  voisines  des  momens  où  il  faudra  faire  les  procédures 
criminelles  Alors  le  président  du  tribunal  tirera  au  sort  pour  nommer 
les  jurés  »  (5). 

Journal  de  Paris,  8  février   1791,  p.    159. 

Le  Point  du  Jour,  t.  XIX,  n°   575,  p.   71   (6).' 

((  Nous  avons  annoncé  l'opinion  de  M.  de  Roberspierre,  la  voici. 
On  y  trouvera  cet  esprit  indépendant  qui  veut  ramener  toutes  les  loix 
sociales  aux  loix  éternelles  de  l'égalité  des  droits  naturels;  le  plus 
grand  mal  seroit  qu'il  n'y  eût  pas  des  esprits  de  cette  trempe  :  assez 
d'autres  savent  plier  la  vérité  à  ces  conventions  artificielles  que  les 
circonstances  peuvent  rendre  inévitables,  mais  qui  sont  à  la  fois  et  un 
nuage  devant  la  raison,  et  une  barrière  devant  ce  modèle  du  Mieux 
auquel    il    faut    toujours   tendre.    »  ' 

«  Le  Procureur-Syndic  ne  peut  pas  exercer  le  pouvoir  de  nommer 
les  Citoyens  qui  doivent  décider  du  sort  des  accusés.  C'est  violer  tous 
les  principes  de  la  liberté  d'abandonner  ce  pouvoir  à  un  seul  homme  ; 
c'est,  violer  tous  les  principes  de  la  Constitution,  de  cumuler,  dans  les 
mêmes  mains,  et  les  fonctions  administratives,  et  le  pouvoir  d'élire  ceux 
qui  doivent  exercer  l'autorité  de  la  société.  Ce  pouvoir  n'appartient 
qu'à  celui  de  qui  émane  toute  autorité,  au  Souverain,  au  Peuple 


<5)  Texte  reproduit  dans  Les  Arch.  pari.,  XXII,  760.  En  compa- 
rant ce  texte  avec  le  discours  imprimé,  on  verra  que  Robespierre 
n'en  a  utilisé  que  trois  paragraphes.  D'autre  part,  le  ton  général 
d  >  son  intervention  est  nettement  moins  violent  que  celui  des  passa- 
ges correspondants  du  discours  imprimé.  Qu'il  en  ait  eu  le  texte 
sous  les  yeux,  c'est  probable  ;  mais  tous  les  extraits  de  presse  s'accor 
dent  pour  montrer  qu'il  ne  l'a  pas  lu. 

(6)  Le  Point  du  Jour  ne  reproduit  pas  le  1er  §,  que  cite  E.  Haine  1, 
1,   364,   note  1. 


LES    DISCOURS    DE  .ROBESPIERRE  67 

«  Ce  suffrage  du  Peuple  est  la  seule  qualité  qu'il  soit  permis 
d'exiger  pour  être  appelle  aux  fonctions  de  Juré.  C'est  un  crime  de  le 
gêner  en  aucune  manière.  Qu'est-ce  que  la  garantie  d'une  certaine 
quantité  de  revenu  ?  Qu'est-ce  que  la  caution  de  la  richesse  auprès 
de  la  confiance  du  Peuple  ?  Quel  rapport  entre  la  richesse  et  la  vertu, 
entre  les  avantages  de  la  fortune  et  l'amour  de  la  liberté  et  de  l'égalité  ? 
Non-seulement  le  système  du  Comité  et  du  Préopinant  outrage  la  raison, 
la  justice,  l'humanité,  mais  il  anéantit  le  caractère  essentiel  du  Juré, 
qui  est  que  l'accusé  soit  jugé  par  ses  Pairs;  il  divise  la  Nation  en 
deux  sections,  dont  l'une,  qui  sera  la  plus  riche  et  la  moins  nombreuse, 
sera  destinée  à  juger,  et  l'autre  à  être  jugée;  dont  l'une  sera  élevée 
au-dessus  de  l'autre,  de  toute  la  distance  qui  existe  entre  la  puissance 
politique  et  judiciaire,  et  la  nullité,  la  sujettion,  ou,  si  l'on  veut,  la 
servitude  :  enfin  ce  système  avilit  et  opprime  à  la  fois  le  Peuple  Fran- 
çois que  vous  représentez. 

«  Mon  avis  est  que  tous  les  Citoyens  puissent  être  choisis  par  le 
Peuple,  pour  exercer  les  fonctions  de  Jurés,  sans  autre  condition  que 
la  confiance  du  Peuple. 

«   Les  élections  se  feront  tous  les  ans  dans  chaque  District. 

«  Il  sera  formé  une  liste  de  tous  les  Elus;  et  lorsqu'il  se  présentera 
des  adversaires,  aux  époques  indiquées  par  le  Comité,  on  tirera  au 
sort,  sur  cette  liste,  le  nombre  de  Jurés  nécessaires  pour  former,  soit 
le  Juré  d'accusation,   soit  le  Juré  de  jugement.    »  » 

Assemblée  nationale  et  Commune  de  Paris  (imitât.),  n°   546,  p.   5. 

«  M.  Péthion  a  le  premier  pris  la  parole  sur  ces  articles  pour  les 
combattre;  comme  M.  Robespierre,  qui  les  a  également  combattu,  n'a 
fait  que  développer  en  d'autres  termes  l'opinion  du  premier  opinant, 
je  les  ferai  parler  ensemble;  ils  ont  soutenu  d'abord  que  la  condition 
d'éligibilité  exigée  par  les  comités  contrarioit  formellement  les  prin- 
cipes d'égalité  auxquels  l'assemblée  avoit  constamment  cherché  à  rame- 
ner tous  les  citoyens;  pourquoi  donc  humilier  sans  cesse  la  majorité 
de  la  nation,  en  l'excluant  des  fonctions  de  la  société,  sous  prétexte 
de  défaut  de  fortune.  L'inégalité  des  richesses,  la  plus  pernicieuse  de 
toute,  ne  doit  pas  produire  aux  yeux  des  législateurs  l'inégalité  des 
droits;  prenez  garde  qu'en  confiant  la  fonction  si  importante  des  jurés 
aux  seuls  riches,  vous  ne  livriez  le  sort  de  l'accusé  au  plus  affreux 
arbitraire;  songez  qu'en  n'appellant  que  des  citoyens  élevés  par  leur 
fortune,  vous  violeriez  le  principe  de  l'institution  sainte  du  juré  qui 
veut  que  l'on  soit  jugé  par  ses  pairs.  Tous  les  citoyens  actifs  doivent 
pouvoir  participer  à  cette  fonction,  et  certes  il  n'y  a  nul  inconvénient 
à  les  admettre  à  l'inscription  sur  la  liste,  car  vous  pouvez  être  certain 
que  le  choix  se  fixera  toujours  sur  ceux  qui  mériteront  le  mieux  la 
confiance  ;  ce  seroit  donc  humilier  sans  raison  et  sans  fruit  cette  rnajo- 


68  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

rite  précieuse  de  citoyens  chez  lesquels  se  trouvent  le  plus  ordinaire- 
ment les  véritables  vertus  sociales.  Conformément  à  ces  principes,  les 
opinans  concluoient  à  ce  que  tous  les  citoyens  actifs  fussent  appelés 
à  se  faire  inscrire  sur  la  liste  de  ceux  qui  pourroient  former  le  juré 
d'accusation. 

«  A  l'égard  du  choix  des  jurés,  MM.  Péthion  et  Robespierre 
trouvoient  de  grands  inconvéniens  à  le  laisser  à  l'arbitraire  du  procu- 
reur-syndic de  chaque  district  :  «  Ce  choix,  disoient-ils,  violeroit  évi- 
demment le  droit  de  celui  de  qui  émanent  toutes  les  autorités,  celui 
en  qui  réside  toute  la  souveraineté,  c'est-à-dire,  le  peuple;  à  lui  seul, 
peut  appartenir  l'élection  des  fonctionnaires  publics;  combien  sur-tout 
dans  des  temps  de  révolution  qui  enfante  des  partis,  des  factions,  ne 
seroit-il  pas  dangereux  de  confier  le  choix  des  jurés  à  un  seul  homme 
qui  l 'appliquerait  infailliblement  suivant  qu'il  seroit  attaché  à  te!  ou 
tel  parti  ?  ».  Sur  ce  second  objet  les  deux  opinans  concluoient  à  ce 
que  les  électeurs  de  district  fissent  tous  les  ans  le  choix  des  jurés,  parmi 
lesquels  seraient  ensuite  tirés  au  sort  ceux  qui  devroient  composer  le 
juré  d'accusation.  » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n"  37,  p.    151. 

«  M.  Roberspierre.  Si  la  liste  des  jurés  devait  être  dressée  par 
un  seul  homme,  sous  le  prétexte  qu'il  agit  sous  les  regards  de  ses 
concitoyens,  nous  devrions  aussi  confier  à  un  seul  homme  toutes  les 
fonctions  publiques,  toutes  les  élections.  Doit-on  confier  la  liste  au 
procureur-général-syndic  ?  Cette  délégation  serait  contraire  aux  prin- 
cipes de  la  constitution.  Les  administrateurs  ne  peuvent  étendre  leurs 
pouvoirs  au-delà  de  leurs  fonctions.  Cette  tendance  à  accumuler  tous 
les  pouvoirs  sur  les  directoires,  pourrait  bien  les  rendre  aussi  redou- 
tables que  l'étaient  les  corps  judiciaires  que  vous  avez  détruits.  C'est 
sur-tout  dans  des  tems  de  révolutions  et  de  factions  que  rien  n'est  plus 
dangereux  que  de  mettre  entre  les  mains  d'un  seul  homme  des  choix 
que  peut  diriger  l'esprit  de  partialité.  Il  ne  faut  pas  que  les  factions 
connues  sous  les  noms  de  démocrates,  aristocrates  et  impartiaux,  puis- 
sent, sous  le  voile  de  la  justice,  se  faire  une  guerre  secrète,  aussi 
lâche  que  dangereuse. 

«  C'est  d'après  ces  principes  que  je  propose  que  tout  citoyen 
puisse  être  admis  à  exercer  les  fonctions  de  juré.  La  restriction  qu'on 
vous  propose  est  contraire  à  tout  principe,  aux  conditions  du  contrat 
social,  à  la  qualité  la  plus  essentielle  du  juré,  qui  'consiste  en  ce  que 
l'accusé  soit  jugé  par  ses  pairs.  Or,  il  est  évident  que  votre  Comité 
propose  de  diviser  les  citoyens  en  deux  sections,  dont  l'une  est  desti- 
née à  juger,  et  l'autre  à  être  jugée;  la  première  aura  toute  l'influence 
que  donne  l'autorité  judiciaire,  tandis  que  l'autre  sera  condamnée  à  une 
nullité   absolue.    La   plus    sûre   de   toutes   les   garanties  que    !a   société 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  69 

puisse  exiger  d'un  citoyen  qui  exerce  une  fonction  en  son  nom,  c'est 
la  confiance  publique.  Je  conclus:  1  °  à  ce  que  tout  citoyen  puisse 
être  élu  juré;  2°  à  ce  que  la  liste  des  jurés  soit  formée  par  les  élec- 
teurs de   chaque  district   »{7). 

Journal  des  Débats,  t.  XVII,  n°  606,  p.   5. 

«  Faut-il,  a  dit  M.  Robespierre,  que  les  Jurés  soient  choisis  par 
le  Procureur  Syndic  du  District,  ou  par  celui  du  Département  ?  Est-il 
vrai  qu'il  faille  abandonner  ce  choix  à  un  seul  homme  ?  Si  cela  étoit 
vrai,  il  faudroit  confier  à  un  seul  homme  l'élection  pour  les  fonctions 
publiques  les  plus  importantes,  et  ordonner  que  les  législateurs  mêmes 
fussent  élus  par  lui,  parce  que  l'importance  de  son  ministère,  en  fixant 
l'attention  publique  sur  lui,    le   rendroit   infiniment   circonspect. 

«  Cet  homme  doit-il  être  le  Procureur  Syndic  du  District  ou  du 
Département  ?  D'abord  les  dépositaires  des  fonctions  administratives 
peuvent-ils  remplir  aussi   les  fonctions  électives  ? 

a  J'observe  que  cette  tendance  à  accorder  tant  d'autorités  aux 
Administrateurs  pourroit  former  des  pouvoirs  divers  formidables  à  l'ave- 
nir pour  la  liberté. 

«  A  qui  appartient  le  droit  d'élire  les  fonctionnaires  publics  tels 
que  les  Jurés  ?  A  celui  de  qui  émanent  toutes  les  autorités  :  'es  fonc- 
tionnaires publics  doivent  être  choisis  par  le  Souverain,  c'est-à-dire 
par   le   Peuple. 

«  C'est  sur-tout  dans  des  tems  de  révolution  que  ce  principe  doit 
être  observé,  car  rien  n'est  plus  dangereux  que  de  placer  dans  un  seul 
homme  le  droit  de  choisir  les  fonctionnaires  publics.  Il  ne  faut  pas  que 
ces  factions  connues  sous  le  nom  d'aristocrates,  démocrates  ou  impar- 
tiaux, puissent  se  faire  sourdement  une  guerre  si  lâche  et  si  cruelle; 
et  cela  arnveroit  infailliblement,  car  rien  ne  seroit  plus  facile  à  un 
Procureur  Syndic  que  de  choisir  trente  Citoyens  qui  auroient  adopté 
ses  principes,  et  quels  inconvéniens  ne  résulteroit-il  pas  d'un  semblable 
choix  ?  Ainsi  donc,  soit  que  nous  considérions  les  principes,  soit  que 
nous  ayons  égard  aux  circonstances  de  la  Révolution,  nous  ne  pouvons 
pas  confier  à  un  seul  homme,  revêtu  des  fonctions  administratives,  le 
droit  d'élire  les  Jurés. 

«  Ce  droit  appartient  au  Peuple  ;  et  ceci  me  conduit  à  la  seconde 
question    qui    vous    est    soumise. 

«  Quelles  seront  les  qualités  nécessaires  pour  remplir  les  fonctions 
de  Jurés  ?  Je  réclame  l'égalité  des  droits,  qui  est  la  base  du  contrat 
social,  et  la  faculté  de  chaque  Citoyen  d'être  jugé  par  ses  Pairs.  Si 
vous  attachez  à  une  certaine  quantité  de  propriétés  le  droit  d'être  Juré; 


(7)  Texte   reproduit  dans  le   Moniteur.   VTT,   311;  et  dans  Bûchez 
et   Roux,  VTI,  454. 


70  LES    DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

il  n'y  aura  plus  d'égalité;  car  les  Citoyens  seront  divisés  en  deux 
sections  :  l'une  sera  Juge  et  l'autre  sera  jugée.  Je  conclus  donc  en 
général,  que  tous  les  Citoyens  doivent  avoir  le  droit  d'être  élus  par  le 
Peuple  à  la  place  de  Juré.   » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  n°  255,  p.    1. 

«  MM.  Péthion  et  Robespierre  se  sont  élevés  avec  toute  l'énergie 
du  zèle  populaire  contre  le  projet  du  comité.  Ils  n'ont  pas  eu  de  peine 
à  démontrer  que  ce  plan  étoit  en  contradiction  avec  les  premiers  éléi 
mens  de  la  constitution,  avec  les  droits  de  l'homme.  Ils  ont  crié,  crié 
à  tue-tête,  à  l'égalité,  à  l'admissibilité  de  tous  les  citoyens  aux  emplois 
indistinctement;  ils  ont  déclamé  chaudement  contre  l'aristocratie  des 
richesses,  contre  l'inégalité  des  fortunes,  qui  décidoit  de  celle  des 
droits;  ils  ont  menacé  de  voir  tous  les  abus  de  l'ancien  régime  renaître, 
si  le  dernier  des  citoyens  n'avoit  pas  droit  de  s'asseoir  sur  les  fleurs 
de  lys,  et  de  disposer  de  la  vie  de  ses  semblables.  On  a  beaucoup  ri 
de  ces  déclamations  populaires,  dont  la  saison  est  passée;  mais  on 
n'y  a  pas  fait  attention.  Cependant  il  faut  louer,  du  moins,  la  bonne 
foi  de  ces  deux  orateurs  du  peuple.  S'ils  ne  sont  pas  bons  politiques, 
ils  paraissent  du  moins  bons  logiciens  et  conséquens,  en  cette  occa- 
sion.  » 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),    1791,   n°   36,  p.   3. 
Le  Législateur  français,  6  février   1791,  p.   5. 

«  M.  de  Robertspierre  a  professé  des  principes  bien  différens  de 
ceux  développés  par  M  de  Cazalès.  11  a  pensé  d'abord  que  les  direc- 
toires des  corps  administratifs  n'avoient  déjà  que  trop  de  tendance  à 
atteindre  à  une  autorité  au-dessus  de  celle  qui  leur  a  été  déléguée,  pour 
que  l'assemblée  dût  leur  confier  des  fonctions  desquelles  dépend  l'exer- 
cice le  plus  sacré  de  la  liberté  :  cette  nouvelle  espèce  d'aristocratie 
ne  seroit  pas  moins  funeste,  suivant  M.  de  Robertspierre,  que  celle 
que  la  révolution  a  proscrite. 

«  Au  surplus,  c'est  le  jugement  par  nos  pairs,  disoit  l'orateur,  que 
l'assemblée  nationale  a  voulu  nous  donner  en  décrétant  la  procédure 
par  jurés  ;  serons  nous  jugés  par  nos  pairs,  lorsque  nos  juges  seront 
choisis  parmi  ceux  que  leurs  richesses,  leur  influence  dans  la  société, 
tiennent  de  nous  à  une  distance  si  éloignée  ?  Ces  considérations  ont 
amené  l'orateur  à  conclure  que  les  jurés  fussent  choisis  tous  les  ans 
par  les  électeurs  de  départements  parmi  tous  les  citoyens  éligibles.   » 

Journal  universel,  t.   IX,  p.  3522. 

Victoire  remportée  par  MM.  Pethion  et  Robespierre  sur  Caza- 
lès et  Malouet,  demandant  le  marc  d'argent  pour  être  élevés  à  la 
dignité  des  jurés. 

«    On    a    discuté    ensuite    les    qualités    requises    poar    être    jurés 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  71 

MM.  Malouet  et  Cazalès  voulaient  (aire  revivre  le  marc  d'argent  en 
demandant  que  pour  être  élu  à  cette  dignité,  un  juré  payât  au  moins 
50  livres  à  l'état  ;  MM.  Pethion  et  Robespierre  ont  combattu  avec 
succès  cette  demande  ridicule  et  l'article  premier  sur  la  formation 
du  juré  d'accusation  a  été  ainsi  décrété...   » 

Courier  de  Provence,  t.  XIII,  n°  253,  p.  77. 

«  Aux  principes  généraux  invoqués  par  M.  Pétion,  en  faveur  de 
l'égalité  des  droits,  M.  Robespierre  a  ajouté  des  réflexions  pour 
démontrer  combien  il  seroit  contraire  au  système  d'une  constitution 
populaire,  que  le  choix  des  jurés  fût  fait  par  un  seul  homme.  On  lui 
répondit  que  cet  officier  public  agiroit  en  présence  de  ses  concitoyens. 
Eh  bien  !  a-t-il  répondu,  sous  ce  prétexte,  il  n'est  plus  besoin  d'élec- 
tions, et  toutes  les  nominations  peuvent  être  confiées  à  un  seul  homme, 
qui  agira  sous  les  yeux  de  ses  concitoyens.  Le  ridicule  que  cet  argument 
a  répandu  sur  le  projet  du  comité  a   servi   à   le  modifier.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Les  Annales  patrio- 
tiques et  littéraires,  n°  402,  p.  101 1  ;  Le  Journal  de  Normandie,  n°  37, 
p.  181;  Le  Courier  Français,  n°  37,  p.  291;  La  Gazette  universelle, 
n°   37,  p.    148.1 

3"   intervention  :   Sur  l'admission  des   ecclésiastiques 
dans  les  jurys  de  jugement 

L'Assemblée  vote  les  trois  premiers  articles  du  titre  XI  du  projet 
de  décret  sur  la  réortganisation  de  la  justice  criminelle  («  De  la 
manière  de  former  le  juré  de  jugement  »).  Duport,  rapporteur, 
donne  lecture  de  l'art.  4:  «  Ne  pourront  être  jurés  les  officiers  de 
police,  les  juges,  les  commissaires  du  roi,  l'accusateur 'public,  les 
.procureurs-généraux-syndics  des  administrations,  ainsi  que  tous  les 
citoyens  qui  ne  so^nt  pas  portés  sur  la  liste  des  éligibles  ;  les  ecclé- 
siastiques et  les  septuagénaires  en  sont  dispensés.  »  Prieur  propose 
de  substituer  à  cette  dernière  formule:  «  Pourront  s'en  dispenser  », 
mais  l'abbé  Maury  combat  cet  amendement  en  faisant  remarquer 
que  l'Eglise  a  exeiu  les  ecclésiastiques  sous  peine  d'irrégularité,  de 
concourir  à  un  jugement  qui  portait  peine  de  mort;  c'est  pour  cela 
que  les   conseillers-clercs   ne   siégeaient  point   à   la  Tournelle. 

Après  un  court  débat  où  intervint  Robespierre,  l'Assemblée 
pdopta  l'art.  4  avec  l'amendement  de  Prieur. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXI,  p.   122 

«  M.  Robespierre.  Je  demande  la  question  préalable  sur  l'amen- 
dement. Je  soutiens  que  tous  les  devoirs  de  citoyen  conviennent  aux 
ecclésiastiques  au  moins  autant  qu'aux  autres  citoyens.  Il  est  certain 
qu'exercer  les  fonctions  de  juré,  ce  n'est  pas  exercer  une  fonction 
sanguinaire,  que  c'est  exercer  une  vertu  civile  (on  applaudit  à  gauche), 
que  c'est  exercer  véritablement  un  acte  de  bienfaisance  et  de  miséri- 


72  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

corde;  car  tout  ce  qui  terni  au  bien  public,  toute  fonction  qui  a  pour 
but  l'utilité  est  une  fonction  bienfaisante.  (On  murmure  à  droite).  La 
cruauté,  messieurs,  consiste,  suivant  les  principes  de  la  morale  et  de  la 
politique,  à  épargner  le  coupable.  La  véritable  religion  consiste  à  punir, 
pour  le  bonheur  de  tous,  ceux  qui  troublent  la  société.  La  motion  de 
M.  l'abbé  Maury  n'est  fondée  ni  sur  la  morale,  ni  sur  la  religion,  mais 
sur  un  préjugé  qui  n'est  pas  digne  de  notre  législation  nouvelle.  (On 
applaudit)  »  (8). 

Le  Patriote  françois,  n°   546,  p.    146. 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.   II,  n°   212,  p.   3. 

«  M.  Robespierre  :  L'emploi  des  jurés  est  un  ministère  de  bien- 
faisance; la  proposition  de  M.  Maury  n'est  fondée  ni  sur  la  religion, 
ni  sur  la  morale;  elle  ne  l'est  que  sur  un  usage  abusif.    » 

Le  Point  du  Jour,  t.   XIX,  n°   575,  p.    73. 

«  M.  Robespierre  a  soutenu  qu'il  y  avoit  des  principes  de  charité 
et  de  bienfaisance  universelle  qui  doivent  porter  tous  les  citovens  à  se 
secourir  et  à  remplir  les  fonctions  publiques.  I!  a  demandé  la  question 
préalable  sur  l'amendement.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  de  Paris, 
8  février  1791,  p.  160;  et  Le  Journal  des  Débats,  t.  XVII,  n°  606, 
P-   7.] 


(8)   Texte    reproduit   dans   les   Arch.    pari.,    XXIT,    763. 


217.  —  SEANCE  DU  8  FEVRIER  1791 
Sur  le  siège  de  la  Haute  Cour  nationale 


Le  Chapelier,  au  nom  du  Comité  de  Constitution,  présente  à 
l'Assemblée  son  rapport  sur  la  formation  de  la  Haute  Cour  natio- 
nale (1).  Les  cinq  premiers  articles  du  projet  de  décret  sont  rapide- 
ment votés.  Une  discussion  s'instaure  au  sujet  de  l'art.  6:  «  L'Assem- 
blée nationale  se  réunira,  à  une  distance  de  quinze  lieues  au  moins 
du  lieu  où  la  législature  tiendra  ses  séances.  Le  corps  législatif  indi- 
quera la  ville  où  la  Haute  Cour  nationale  s'assemblera.   » 

Robespierre  demande  que  la  Haute  Cour  siège  dans  le  même 
lieu  que  le  corps  législatif.  Son  opinion  est  combattue  par  d'André. 


(1)  Il  s'agit  de  créer  une  juridiction  exceptionnelle  pour  les 
crimes  de  ilèse-nation,  dont  il  avait  été  question  dès  juillet  1789. 
(Cf.  Discours,  lre  partie,  p.  48).  Comme  le  dit  Marat,  les  partisans 
d'un  pareil  tribunal  voulaient  le  tenir  sous  leur  surveillance  afin 
que  la  pression  de  l'opinion  révolutionnaire  l'empêchât  de  pro- 
longer la  procédure  et  de  se  montrer  indulgent.  C'est  évidemment 
ausiai  l'avis  de  Robespierre.  En  fait,  la  Haute  Cour  fut  installée  à 
Orléans  et  ce  qu'ils  redoutaient  se  produisit. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  73 

L'Assemblée    décida    qu'il    n'y    avait    pas    lieu    à    délibérer    sur 
l'amendement  proposé  par  Robespierre,   et  décréta  l'art.   6. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logo  graphique,  t.  XXI,  p    178. 

«  M.  Robespierre.  Je  crois,  Messieurs,  qu'au  contraire  la  haute- 
cour  nationale  devroit  siéger  dans  la  même  ville  que  le  corps  législatif 
(on  murmure).  Par  la  nature  de  ses  fonctions,  la  cour  nationale  aura  à 
prononcer  sur  le  sort  de  personnages  puissans,  parce  que  ce  ne  sont 
pas  les  citoyens  faibles  qui  conspirent  contre  la  liberté.  Ce  tribunal 
aura  donc  besoin  d'un  grand  courage  et  d'une  grande  énergie;  et,  pour 
cela,  il  faut  l'environner  d'une  grande  masse  d'opinion  publique;  or, 
c'est  dans  les  grandes  villes  que  l'opinion  publique  exerce  tout  son 
empire;  et  c'est  dans  la  plus  grande  ville  du  royaume  que  siège  le 
corps  législatif.  Il  y  a  donc  une  raison  sans  réplique,  puisée  dans  les 
fonctions  mêmes  de  la  haute  cour  nationale,  pour  placer  ses  séances 
près  du  Corps  législatif  :  remarquez,  Messieurs,  qu'en  la  reléguant  à 
quinze  lieues,  vous  ne  la  mettez  pas  à  l'abri  de  la  corruption  des  per- 
sonnages intéressés  à  la  corrompre,  puisqu'elle  peut  l'atteindre  par- 
tout :  mais  vous  l'éloignez  du  centre  de  l'opinion  publique,  nécessaire 
pour  former  le  contre-poids  à  ce  danger  éminent  de  la  corruption.  Je 
conclus  que  la  cour  nationale  doit  siéger  dans  la  Capitale  avec  le  corps 
législatif  »   (2). 

Courier  de  Provence,  t    XIII,  n°   254,  p.  99. 

«  Toujours  ardent  à  saisir  ce  qui  peut  assurer  la  liberté  publique, 
et  par  conséquent  la  punition  des  crimes  de  lèze-nation,  M.  Robes- 
pierre a  soutenu  que  la  haute-cour  nationale  devait  siéger  dans  le 
même  lieu  que  la  législature  : 

[Suit  le  texte  du  Journal  des  Etats  Généraux.] 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  n°   266,  p.  4. 

«  Cependant  M.  Robespierre  a  prétendu  qu'il  falloit  environner 
la  haute  cour  nationale  de  l'opinion  publique;  qu'elle  devoit  agir  et 
juger  sous  les  yeux  même  du  corps  législatif,  dans  la  crainte  que  les 
grands  conspirateurs  ne  pussent  la  corrompre.  Et  ce  qui  prouve  l'éten- 
due des  lumières  politiques  et  des  connoissances  de  M.  Robespierre, 
c'est  que  M.  d'André  s'est  servi  des  mêmes  raisons  pour  demander 
le  contraire;  comme  lui,  il  a  vu,  dans  l'opinion  publique,  le  plus  sûr 
garant  de  l'intégrité  des  juges.    » 


(2)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.   pari.,  XXIII,  46. 


74  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),    1791,  n°   39,  p.  3. 

«  M.  de  Robertspierre  s'est  élevé  avec  force  contre  cette  dispo- 
sition qui,  selon  lui,  tend  à  priver  la  haute  cour  nationale  des  lumières 
de  l'esprit  public,  qu'elle  ne  pourrait  trouver  avec  avantage  que  dans 
la  capitale. 

«  Les  fonctions  de  la  haute  cour  nationale,  disoit-il,  sont  de  la 
plus  haute  importance;  il  ne  paraîtra  devant  ce  tribunal  que  des  grands 
criminels,  qui  auront  toujours  de  grands  moyens  d'éluder  la  loi,  les 
hommes  ordinaires  ne  se  trouveront  jamais  à  la  tête  d'une  conspira- 
tion. C'est  donc  contre  la  corruption  qu'il  faut  s'armer.  On  ne  peut 
obtenir  ce  but  qu'en  environnant  ce  tribunal  de  toute  la  force  de 
l'opinion  publique,  qui  seule  peut  former  et  entretenir  son  énergie,  son 
courage  et  son  incorruptibilité.  Les  intrigues  de  la  séduction  l'ébran- 
lerant  souvent,  si  on  ne  lui  donne  toute  la  consistance,  toute  la  fermeté 
qui  lui  convient. 

«  L'opinant  a  terminé  en  demandant  que  la  haute  cour  nationale 
ne  puisse  tenir  séance  ailleurs,  qu'où  siégeront  les  législateurs.    » 

L'Ami  du  Peuple  (Marat),  t.   IV,  n°  367,  p.  2. 

«  Le  fidèle  Robespierre  est  le  seul  orateur  patriote  qui  se  soit 
élevé  contre  cette  clause  redoutable,  comme  il  l'avait  fait  lors  de  la 
première  lecture  du  projet  :  il  a  fait  sentir  qu'elle  tendait  à  priver  ce 
tribunal  des  lumières  de  l'esprit  public,  qu'il  ne  peut  trouver  que  dans 
la  Capitale.  Comme  les  fonctions  de  la  haute-cour  sont  de  la  plus  haute 
importance,  il  ne  paraîtra  devant  ce  tribunal  que  des  grands  criminels, 
qui  auront  toujours  des  grands  moyens  d'éluder  la  loi  :  les  hommes 
ordinaires  ne  se  trouveront  jamais  à  la  tête  d'une  conspiration.  C'est 
donc  contre  la  corruption  qu'il  faut  s'armer.  On  ne  peut  obtenir  ce 
but  qu'en  environnant  ce  tribunal  de  toute  la  force  de  l'opinion  publi- 
que, qui  seule  peut  former  et  entretenir  son  énergie,  son  courage  et 
son  incorruptibilité.  Les  intrigues  et  la  séduction  l'ébranleront  souvent, 
si  on  ne  lui  donne  toute  la  consistance,  toute  la  fermeté  qui  lui  con- 
vient. Et  il  a  conclu  en  demandant  que  la  haute  cour  nationale  ne 
puisse  tenir  séances  ailleurs,  qu'où  siégeront  les  législateurs  »  (3). 


(3)  Marat  commente  en  ces  termes  le  refus  de  l'Assemblée  (p. 
24)  :  «  D'après  cela  on  conçoit  que  les  ennemis  de  la  révolution  domi- 
nant dans  le  sénat,  l'opinion  du  traître  d'André  a  dû  l'emporter  sur 
les  réclamations  du  patriote  Roberspierre.  Mais  se  peut-il  que  Bar- 
nave,  les  Lameth,  Pethion,  Menou,  Crancé,  Duport,  Reuhel,  etc., 
et  tous  les  autres  qui  veulent  passer  pour  nos  fidèles  représentans, 
ayent  gardé  un  stupide  silence.  Ah!  n'en  doutez  point,  ils  sont 
vendus,  s'ils  ne  sont  pa;s  les  plus  lâches  des  hommes,  ils  croyent  la 
liberté  perdue:  ils  ne  veulent  pas  se  faire  anathème  pour  la  patrie, 
et  s'exposer  aux  vengea-nces  secrètes  de  La  cour.  Mais  ils  seront 
trompés  dans  leur  calcul,  la  liberté  ne  sera  point  perdue,  et  leur 
lâche,  silence    n'aura  fait   qu'afficher   leur   manque   de  vertu.    » 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  75 

Journal  de  Normandie,  n°  40,  p.  193. 

<<  M.  Roberspierre.  La  haute-cour  nationale  est  un  tribunal  qui 
aura  besoin  de  déployer  la  plus  grande  énergie  el  se  montrer  de  la 
manière  la  plus  imposante  :  il  aura  donc  besoin  d'être  environné  et  sou- 
tenu fortement  par  l'opinion  publique.  Or,  pour  avoir  cet  avantage,  il 
faut  qu'il  soit  placé  auprès  du  corps  législatif;  qu'il  siège  dans  une 
grande  ville  où  l'opinion  publique  ou  les  lumières  agissent  avec  plus 
■de  force  et  de  prépondérance.  Ainsi  je  demande  que  la  haute  cour 
nationale  soit  placée  auprès  du  corps  législatif.   » 

Le  Patriote  François,  n°  550,  p.   157. 

«  Dans  le  projet,  on  fait  de  l'assemblée  nationale  le  juré  d'accu- 
sation. M.  Robespierre  vouloit  plus;  il  vouloit  qu'elle  jugeât  défini- 
tivement le  crime.  Quant  un  corps  législatif  ne  compose  qu'une  seule 
chambre,  il  ne  peut  avoir  un  pareil  pouvoir.  La  liberté  seroit  dans  le 
plus  grand  danger;  une  faction  pourroit  y  faire  couper  les  têtes  qui  lui 
déplairoient,  aussi  facilement  qu'elle  fait  fermer  une  discussion  sans 
l'ouvrir. 

«  Enfin  l'article  6  portoit  que  la  haute-cour  nationale  ne  siégeroit 
qu'à  quinze  heures  au  moins  du  corps  législatif.  M.  Roberspierre  vou- 
loit qu'elle  siégeât  dans  la  capitale.  Il  faut,  disoit-il,  investir  ce  tribu- 
nal de  toute  la  puissance  qui  lui  est  nécessaire  pour  frapper  des  têtes 
élevées,    et  des   hommes  puissans.    » 

L'Observateur  François  ou  le  Publiciste  véridique,  n°   11,  p.   16. 

«  On  passe  à  la  formation  de  la  haute-cour  nationale.  M.  Roberts- 
pierre  demande  qu'elle  tienne  toujours  ses  séances  près  de  la  législa- 
ture et  dans  la  capitale,  parce  qu'elle  aura  à  juger  de  grands  criminels, 
et  qu'il  faut  l'environner  de  l'opinion  publique.  Est-ce  que  l'opinion 
publique  n'existe  pas  à  Paris?  Pourquoi  M.  Robertspierre  n'a-t-il  pas 
tout  de  suite  demandé  que  la  haute-cour  nationale  se  tint  aux  Jaco- 
bins.   » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   40,  p."  163. 

«  M.  Roberspierre.  Je  crois  au  contraire  que  la  haute  cour  nafo- 
nale  devrait  siéger  dans  le  même  lieu  que  le  corps  législatif.  Elle  aura 
à  prononcer  sur  le  sort  de  personnes  puissantes;  car  le  faible  ne  cons- 
pire pas,  il  faut  donc  qu'elle  soit  environnée  d'une  grande  masse  d  opi- 
nions publiques;  contre-poids  indispensable  au  danger  éminent  de  la 
corruption   »   (4). 


(4)  Texte   reproduit  dans  le  Moniteur,  VIT,  334  ;  et  dans  Bûchez 
et  Roux,  VITI,  458. 


76  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

Mercure  de  France,   19  février   1791,  p.    193. 

«  Nous  ne  transcrirons  pas  les  raisonnemens  de  M.  Roberspierre 
sur  la  nécessité  d'établir  la  haute-cour  à  Paris  «  parce  qu'une  grande 
masse  d'opinion  publique  est  un  contre-poids  indispensable  au  danger 
imminent  de  la  corruption  »  ;  raisonnemens  que  M.  d'André  a  si  bien 
rétorqués,  que  le  côté  gauche  a  murmuré  de  lui  entendre  dire  que, 
«  l'opinion  publique  n'est  trop  souvent  qu'une  opinion  populaire  très- 
dangereuse.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Point  du  Jour, 
t.  XIX,  n°  578,  p.  118;  Le  Journal  des  Débats,  t.  XVII,  n°  609, 
p.  7;  La  Feuille  du  Jour,  t.  II,  n°  40,  p.  314;  Assemblée  nationale 
et  Commune  de  Paris  (imitât.),  n°   550,  p.  4.] 


218.  —  SEANCE  DU  12  FEVRIER  1791 

Sur  la  perception  des  droits  sur  les  eaux-de-vie 

dans  le  département  du  pas-de-calais 


La  province  d'Artois  acquittait  en  partie  les  impôts  royaux  à 
l"aidie  du  produit  de  droits  sur  les  eaux-de-yie,  perçus  par  une  régie 
intéressée.  Les  villes  de  l'Artois  recevaient  en  outre  une  portion  de 
ce  produit. 

Les  droits  ayant  été  abaissés  sous  la  pression  de  la  révolution 
populaire  en  juillet  1789,  les  régisseurs  demandèrent  une  indemnité, 
c'est-à-dire  qu'on  réduisît  les  versements  prévus  par  le  bail.  Le 
décret  du  16  novembre  1790  suspendit  les  versements  des  régisseurs 
du  Département,  successeur  des  Etats  provinciaux,  mais  non  ceux 
des  villes,  et  prescrivit  au  Département  de  régler  l'indemnité  avant 
le  1er  janvier  1791.  La  perception  des  droits  d'octroi  ayant  été  main- 
tenue jusqu'à  'l'organisation  du  nouveau  système  d'impôts,  l'Assem- 
blée, le  27  janvier  1791,  autorisa  le  Département  à  les  augmenter. 
Il  répondit  que  cette  mesure  serait  pleine  d'inconvénients,  le  prix 
des  eaux-de-vie  s'étant  élevé  au  point  de  devenir  déjà  excessif. 

Sur  le  rapport  de  Vernier,  considérant  les  inconvénients  qu'il  y 
aurait  à  augmenter  ces  droits,  l'Assemblée  décréta,  le  12  février 
1791,  que  la  vente  et  le  commerce  des  eaux-de-vie  seraient  libres  dans 
le  département  du  Pas-de-Calais,  sauf  le  paiement  des  droits  qui 
pourraient  être  établis  au  profit  des  villes  dans  la  nouvelle  organi- 
sation fiscale,  tjuant  aux  engagements  contractés  par  la  ci-devant 
province  d'Artois  envers  le  trésor  public,  pour  les  années  1790  et 
antérieures,  ils  devraient  être  acquittés.  En  conséquence,  le  bail  de 
la  régie  des  droits  et  octrois  fut  résilié  à  compter  du  20  février  1791. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXI,  p.  269. 
«    M.    Robespierre    (1).    J'observe    à    l'assemblée   que    les    objec- 

(T)  Le  Point  du  Jour  (t.  XIX,  p.  185)  cite  seulement  une  inter- 
Arention  de  Briois  de  Beaumetz  qui  demande  l'ajournement  de  cette 
mesure  jusqu'après  le  décret  devant  être  rendu  sur  les  droits  d'en- 
trée dans  les  villes. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 


77 


tions  de  M  Folle  ville  ont  été  discutées  pendant  plusieurs  séances  au 
Comité  des  finances  avec  les  députés  du  Pas-de-Calais  et  des  députés 
extraordinaires  envoyés  par  cette  province;  qu'on  n'a  pas  trouvé  la 
moindre  solidité  à  ces  objections,  le  moindre  embarras  pour  faire  face 
aux  engagements  que  la  province  d'Artois  avait  contractés  avec  le  tré- 
sor public,  1  °  parce  qu'il  est  notoire  que  tous  les  ans  la  province 
d'Artois  avait  en  réserve  dans  son  trésor  des  sommes  d'économie  qui 
excédaient  tous  les  ans  ce  qu'elle  devait  au  trésor  public,  et  qu'elle 
se  trouve  déchargée  des  dépenses  pour  le  militaire.   » 

«  M.   We   Folleville.   Pourquoi  doit-elle? 

«  M.  Robespierre.  Les  régisseurs  conviennent  eux-mêmes  qu'il 
leur  est  impossible  de  percevoir  des  droits  contre  la  rigueur  desquels 
tous  les  citoyens  réclament.  Ces  raisons  ont  déterminé  le  comité  des 
finances  et  les  députés  de  ce  pays  à  se  réunir  pour  demander  la  sup- 
pression de  cet  impôt  »  (2). 


(2)  Texte  reproduit  dans  les  Arcih.  pari.,  XXIII,  141. 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 


219.  —  SEANCE  DU  22  FEVRIER  1791  (1) 

Sur  les  sanctions  a  prendre  contre  les  membres 
de  la  famille  royale  qui  quitteraient  la  france 


Le  19  février  1791,  Mesdames,  tantes  du  roi,  avaient  quitté  le 
château  de  Belle  vue,  pour  se  rendre  à  Rome.  Arrêtées  à  plusieurs 
reprises:  à  Moret  et  à  Arnay-le-Duc,  en  Côte-d'Or,  il  fallut  un  ordre 
spécial  de   l'Assemblée  pour  leur  permettre  de  continuer  leur  route. 

Ce  départ  provoqua  une  vive  agitation  dans  toute  la  France,  et 
le  22,  lorsque  le  Comte  de  Provence  prétendit  gagner  Bellevue,  il 
fut  arrêté  par  la  foule  et  conduit  aux  Tuileries  par  la  garde  nationale 
(2).  On  évoqua,  le  <soir  même,  ces  faits  à  la  tribune  des  Jacobins 
où  Robespierre  prit  la  parole. 

Le  Creuset,  t.  I,  n°   18,  p.  358/59. 


Rob 


civisme  ! 


espierre  !    Honneur    et    salut    à    votre    jugement    et    à    votre 


(1)  Cette  séance  ne  figure  pas  dans  Àulard. 

(2)  Cf.  Le  Creuset,  n°  18,  p.  347-348.  D'après  ce  journal,  le  prési- 
dent des  Jacobins  se  serait  même  rendu  à  la  tête  d'une  délégation 
de  femmes,  membres  de  la  Société,  le  samedi  soir  au  château  de 
Bellevue  pour  s'assurer  des  faits. 


78  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

«  A  la  séance  des  Jacobins  du  22  février,  vous  annonciez,  avec 
votre  zèle,  et  votre  candeur  accoutumée,  qu'il  falloit  que  l'Assemblée 
Nationale  rendit  un  décret,  par  lequel  il  seroit  de  principe  constitu- 
tionnel, que  les  personnages  de  la  dinastie  actuelle,  venant  à  s'absen- 
ter, sans  l'aveu  et  l'autorisation  du  peuple  François,  seroient  censés,  ou 
avoir  abdiqué  la  couronne,  ou  avoir  résigné  leurs  droits  à  jamais  de 
la  porter. 

«  Vous  avez  très  sensément  remarqué,  que  les  femmes  issues 
ou  alliées  à  la  Maison  Royale,  ne  pouvant  jamais  y  prétendre,  pour- 
roient,  sans  conséquence,  aller  et  venir  où  leur  piété  ou  leurs  caprices 
pourraient  les  conduire. 

«  Béni  soiez,  sage  Robespierre  !  j'ai  dit  aussi  l'équivalent  de  ces 
choses,  dans  les  divers  mémoires  qui  m'ont  été  demandés  de  la  part 
de  Louis  premier.  Attentif  à  s'approprier  tout  ce  qui  peut  contribuer 
à  raffermir  l'opinion  prématurée,  que  les  amateurs  de  rétorique  ont 
pris  de  son  patriotisme,  l'écolier  Barnave  a  ramassé  cette  idée  ><  0). 


(3)  Cf.   G.   Walter,  p.   719,  note. 


220.  —  SEANCE  DU  25  FEVRIER  1791 
Sur  la  résidence  du  roi  et  de  la  famille  royale 


L'Assamblée  entreprend  la  discussion  du  projet  de  loi  sur  la  rési- 
dence des  fonctionnaires  publics,  déposé  le  23,  par  Le  Chapelier  au 
nom  du  Comité  de  constitution.  Il  la  leur  rendait  obligatoire  à  peine 
d'être  réputés  démissionnaires,  ce  qui  leur  interdisait  implicitement 
d'émigrer.  Le  roi  «  premier  fonctionnaire  public  »  devait  résider  à 
portée  de  l'Assemblée  ou,  quand  elle  était  séparée,  dans  toute  autre 
partie  du  royaume.  L'héritier  présomptif  et,  s'il  était  mineur,  sa 
mère  et  le  plus  proche  suppléant  majeur,  ne  pourraient  sortir  du 
royaume  sans  la  permission  de  l'Assemblée.  Il  n'était  pas  dit  ce 
qui  arriverait  du  :roi  s'il  quittait  la  France,  mais  les  membres  de  la 
famille  royale  visés  par  le  décret  seraient  censés,  en  pareil  cas,  avoir 
renoncé  à  leurs  droits  de  succession  'sans  retour.  Les  autres  parents 
du  roi  restaient  libres  d'obligations  autres  que  celles  des  simples 
citoyens    (1). 

Barère,  dans  un  discours  très  ferme,  demanda  qu'on  stipulât 
que  le  roi  ne  pût  quitter  le  royaume  sans  permission  de  l'Assemblée 


(1)  Ce  débat  remit  en  lumière  la  notion  de  Constitution  qui  s'était 
posée  dès  le  mois  de  septembre  1789  (voir  Discours,  lre  partie,  p.  79 
et  83).  Le  titre  de  premier  fonctionnaire  attribué  au  roi  impliquait 
que  la  constitution,  tout  en  confirmant  l'existence  de  la  monarchie, 
la  recréait  pourtant  et  la  subordonnait  à  la  volonté  nationale.  Les 
violente-s  protestations  de  la  droite  affirmaient  qu'au  contraire,  elle 
regardait  la  royauté  comme  antérieure  et  indépendante  de  la  consti- 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  79 

et  qu'il  en  allât  de  même  pour  tous  les  membres  mâles  de  la  famille 
royale,  même  des  branches  collatérales,  des  femimes  pouvant  être 
aussi  retenues  dans  des  cas  critiques  à  déterminer  par  le  Corps 
législatif  (2). 

Un  débat  tumultueux  suivit;  les  membres  de  la  droite,  Cazalès 
et  Duval  d'Eprémesnil  entre  autres,  s'élevant  avec  violence  contre 
le  titre  de  fonctionnaire  attribué  au  roi.  Robespierre  essaya  en  vain 
'd'obtenir  la  parole.  Mirabeau,  hostile  au  fond  à  ce  décret,  appuya 
.l'ajournement  (3). 

Le  Patriote  François,  n°   567,  p.  205. 

«  L'ami  des  principes,  M.  Robespierre,  alloit  donner  une  leçon 
à  son  prédécesseur,  lorsque  M.  Cazalès  a  paré  le  coup,  en  demandant 
l'ajournement  de  la  question.  11  faisoit  un  sophisme  qui  n'étoil  pas  si 
gauche,  et  qui  prouvoit  combien  on  a  eu  tort  de  décréter  l'inviolabilité 
du  roi.  C'est  un  mot  qui  peut  s'entendre  dans  dix  sens;  il  falloit  le 
fixer  en  le  décrétant.   » 

Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  X,  n°  570,  p.  2. 
Courrier  d'Avignon;  1791,  n°   56,  p.   222. 

«  La  parole  étoit  à  M.  Robespierre,  lorsque  M.  Cazalès  a  demandé 
à  faire  une  motion  d'ordre.   » 


tution.  Cazalès  montra  fort  bien  que,  du  décret,  il  fallait  conclure 
que  le  roi  sériait  déclaré  déchu  s'il  sortait  du  royaume  sans  permis- 
sion et  Duval  d'Eprémesnil  déclara  que  le  roi,  «  dans  aucun  cas, 
même  par  l'effet  de  sa  volonté,  ne  peut  être  soumis  à  un  tribunal, 
à  une  peine  ».  L'un  et  l'autre  invoquaient  l' inviolabilité,  et  les 
patriotes,  quelle  que  fût  alors  la  réserve  que  certains  d'entre  eux 
faisaient  pour  le  cas  de  haute  trahison,  ne  s'expliquèrent  pas  sur 
ce  point.  11  est  donc  regrettable  que  Robespierre  n'ait  pu  parler.  On 
aimerait   savoir    ce    qu'il    en   pensait    alors. 

(2)  Cf.   Le  Point  du  Jour,  t.   XIX,  p.  403. 

(3)  Cette  discussion  trouva  dans  les  journaux  contne-révolutkm- 
naires  de  violents  échos.  L'Ami  du  Roi  de  Royou  (n°  283,  p.  2)  entre 
autres,  écrit:  «  Et  comme  suivant  l'article  IV,  le  roi  est  un  fonc- 
tionnaire public  toujours  en  activité,  il  s'ensuit  que  sans  autorisa- 
tion, il  ine  pourra  se  permettre  aucun  voyage;  il  sera  comme  le  doge 
de  Gênes,  à  qui,  lorsque  sa  magistrature  expire,  le  sénat  dit,  votre 
excellence  est  libre. 

«  Mais  qui  accordera  au  roi  la  permission  de  voyager?  On  n'a 
pas  osé  le  dire  clairement.  Mais  on  l'insinue  assez  par  l'article  III. 
L'autorisation  ou  la  dispense  ne  pourront  être  accordées  AUX 
FONCTIONNAIRES  PUBLICS  que  par  le  corps  dont  ils  sont  mem- 
bres, ou  PAR  LEURS  (SUPERIEURS.  Comme  le  roi  n'est  membre 
d'aucun  corps,  il  faut  que  le  passeport  et  la  permission  de  voyager 
lui  soient  délivrés  'par  des  supérieurs.  Mais  quels  sont  donc  ces  supé- 
rieurs? Ce  n'est  pas  la  nation  entière;  elle  ne  peut  pas  agir  et 
s'assembler  en  corps.  C'est  dune  rassemblée  nationale.  Quoi! 
MM.  Chapelier,  Barnave,  Robespierre,  Gouttes,  etc.,  seroient,  même 
réunis,  supérieurs  au  roi?  Quoi!  le  chef  de  l'état  auroit  un  supé- 
rieur,  du   moins  autre  que  la  nation   entière?   » 


80  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

221.  —  SEANCE  DU  26  FEVRIER  1791  (soir) 
Sur  une  indemnité  en  faveur  de  Latude 


(L'un  des  secrétaires  de  l'Assemblée  donne  lecture  d'une  adresse 
par  laquelle  Latude  demande  des  secours,  en  raison  du  dénûment 
où  l'a  réduit  une  détention  de  33  ans  à  la  Bastille  (1). 

Barnave  propose  que  le  comité  des  pensions  fasse,  dès  le  lundi 
suivant,  un  rapport  sur  cette  pétition,  vu  l'urgence  des  besoins  de 
Latude.  Bouche  demande  qu'il  soit  dès  à  présent  décrété  en  faveur 
de  Latude,  une  pension  viagère  de  50  louis.  Robespierre  intervient 
à   son  tour. 

L'Assemblée  accorda  la  priorité  à  la  motion  de  Barnave  qui  fut 
adoptée;  mais  le  12  mars,  elle  refusa  d'accorder  à  Latude  l'indemnité 
de  10.000  livres  proposée  par  Camus,  au  nom  du  Comité  des  pen- 
sions (2). 

Journal  des  Débats,  t.  XVII,  n°  631,  p.  4. 

«  M.  Robespierre  a  dit  :  soit  que  vous  adoptiez  la  motion  de 
M.  Bouche  ou  celle  de  M.  Barnave,  il  n'en  est  pas  moins  important 
de  reconnoître  le  principe  que  tout  homme  qui  a  été  long-temps  la 
victime  du  pouvoir  arbitraire,  qui  a  été  persécuté  par  la  Nation  au 
nom  du  despotisme,  a,  ainsi  que  tous  ceux  qui  sont  dans  la  même 
hypothèse  que  lui,  des  droits  à  la  justice  et  à  la  bienfaisance  de  la 
Nation.  Ce  principe  est  sur-tout  vrai  pour  M.  Latude;  on  ne  sauroit 
trop  tôt  venir  à  son  secours.  Je  demande  que  si  vous  n'adoptez  pas  la 
motion  de  )M.  Bouche,  vous  adoptiez  au  moins  celle  de  M.  Bar- 
nave »  (3). 

(1)  Cf.  ci-dessous,  séance  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitu- 
tion du  13  mars  1791.  En  mai  1790,  il  avait  fait  présenter  à  l'Assem- 
blée nationale  le  volume  de  ses  Mémoires  (Arch.   na*t.,   C39). 

(2)  Le  25  février   1792,  la  Législative  accorda  un  secours  de  3.C 
livres  en  sus  de  la  pension  qui  lui  avait  été  allouée  en  1784. 

(3)  Texte   reproduit  dans   les  Arçh.    pari.,   XXIII,    538. 


222.  —  SEANCE  DU  28  FEVRIER  1791 
Sur  le  respect  dû  a  la  loi 


Le  Chapelier,  au  nom  du  comité  de  constitution,  soucieux  de 
metttre  fin  aux  désordres  qui  s'élèvent  dans  le  royaume,  propose 
à  l'Assemblée  un  décret  «  solennel  qui  pose  les  principes  constitu- 
tionnels de  l'ordre  ».  L'Assemblée  est  invitée  à  déclarer  comme  prin- 
cipes constitutionnels,  un  certain  nombre  d'articles  en  forme  de 
préambule  à  la  loi  sur  la  police  des  tribunaux  : 

«  1.  La  nation  entière  possédant  seule  la  souveraineté  qu'elle 
n'exerce  que  par  ses  représentants,  et  qui  ne  peut  être  aliénée  ni 
divisée,  aucun  département,  .aucun  district,  aucune  commune,  aucune 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  81 

section  du  peuple  ne  participe  à  cette  souveraineté,  et  tout  citoyen 
sans  exception  y  est  soumis. 

«  2.  ...Les  fonctionnaires,  à  l'instant  où  ils  sont  élus,  appar- 
tiennent à  la  nation,  sont  indépendants  de  ceux  qui  les  ont  nommés 
et  ne  sont  responsables  qu'à  la  loi,  suivant  l'ordre  établi  par  la 
constitution. 

7.  Toute  invitation  faite  au  peuple  verbalement  ou  par  écrit  de 
désobéir  à  la  loi,  de  résister  soit  aux  fonctionnaires  publics,  soit 
aux  dépositaires  de  la  force  agissant  en  vertu  de  réquisitions  légales, 
ou  de  les  outrager,   est  un  crime  contre  la  constitution  de  l'Etat.   » 

Un  vif  débat  s'engage  sur  ces  propositions.  Pétion,  puis  Robes- 
pierre et  Barnave,  s'y  opposent.  Buzot  propose  que  la  loi  sur  la 
police  des  tribunaux  soit  simplement  précédée  d'une  instruction  rédi- 
gée en  termes  à  la  portée  du  peuple.  Le  Chapelier  se  rallie  à  la 
proposition    de    Buzot. 

L'Assemblée  consultée  chargea  >son  comité  de  constitution  de 
rédiger  l'instruction  proposée  par  Buzot  (1). 

Journal  de  la  Noblesse,  t.  I,  n°   11,  p.  283. 

«  M.  Robespierre  a  trouvé  les  principes  du  comité  évidens  pour 
tout  le  monde;  il  a  prouvé  avec  assez  de  clarté,  tout  en  avouant  cette 
évidence,  que  chaque  disposition  cachoit  un  piège,  et  que  le  citoyen 
seroit  esclave  et  sans  cesse  exposé  à  des  poursuites  inconnues,  même 
dans  les  pays  d'inquisition;  M.  Pethion  .a  proposé  de  se  renfermer 
dans  la  déclaration  des  droits,  sans  en  rien  perdre  et  sans  en  excéder 
les   limites  : 

a  Déjà,  a  dit  M.  Robespierre,  vous  avez  déclaré  la  souveraineté 
de  la  nation,  et  la  manière  dont  cette  souveraineté  doit  s'exercer. 
M.  Péthion  vous  a  dit  que  le  préambule  des  décrets  qui  vous  est  pro- 
posé attaque  la  souveraineté  de  la  nation  dans  son  principe,  et,  en 
effet,  sous  le  prétexte  de  dénoncer  le  principe,  qu'à  la  nation  seule 
appartient  la  souveraineté,  le  comité  va  jusqu'à  dire  que  les  sections 
de  la  nation  ne  participent  pas  à  la  souveraineté.  S'il  es*  vrai  que  la 
nation  est  composée  de  toutes  ces  sections,  il  est  vrai  de  dire  que  toute 
section,  que  tout  individu  même  est  membre  du  souverain;  lorsqu'on 
vous  propose  de  répéter  en  termes  équivoques  les  vérités  que  vous  avez 
déclarées  d'une  manière  solennelle  dans  la  déclaration  des  droits,  n'est- 
ce  pas  porter  atteinte  à  la  souveraineté  même  dont  on  prétend  censurer 
le  principe. 

«  Commentant  l'art.  7.  Quelle  étrange  rédaction,  a  dit  l'orateur! 
On  vous  propose  un  article  de  cette  importance  en  forme  de  préambule 
à  une  loi  sur  la  police  des  tribunaux,  et  l'on  rédige  en  termes  aussi 
généraux,  aussi  vagues,  une  loi  sur  la  liberté  de  la  presse  !  Ne  voit-on 
pas  combien  cette  loi  seroit  funeste  à  la  constitution  ?  Ne  voit  on  pas 
qu'elle  seroit  funeste  à  la  liberté  ?  Des  juges  prévenus,  partiaux,  pour- 
raient facilement  trouver  dans  les  expressions  de  cette  loi  les  moyens 
d'opprimer  un  écrivain  patriote  et  courageux.  Vous  avez  fait,   lui  dira- 

(1)  Cf.  E.  Hamel,  I,  370. 

h)  rs  ..'m:.  •     ii 


82  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

t-on,  une  déclamation  contre  la  loi,  vous  avez  fait  des  réflexions  si 
amères  qu'elles  ont  dû  naturellement  exciter  à  la  révolte,  vous  ouvrez 
la  porte  à  l'arbitraire,  vous  préparez  la  destruction  de  la  liberté  de  la 
presse...  Une  loi  qui  intéresse  aussi  essentiellement  la  liberté  publique 
et  individuelle  mérite  une  discussion  solemnelle,  et  m'autorise  à  con- 
clure à  ce  qu'elle  ne  soit  pas  perdue,  et  à  ce  qu'elle  soit  ajournée.    » 

Gazette    nationale    ou   le   Moniteur   universel,    n°    60,    p.    242-243 
Courier  de  Provence,  t.   XIII,  p.   281    (2). 

«  M.  Roberspierre.  Je  prends  la  parole,  parce  que  je  crois  très- 
utile  d'épargner  à  l'Assemblée  une  discussion  nécessairement  abstraite 
et  épineuse.  Déjà  vous  avez  déclaré  la  souveraineté  de  la  nation,  et 
la  manière  dont  cette  souveraineté  doit  s'exercer.  J'ai  entendu  dire 
que  le  préopinant  n'avait  dit  que  des  mots,  mais  ces  mots  exprimaient 
des  choses.  On  vous  a  dit  que  le  préambule  de  décret  qui  vous  est 
proposé,  attaque  la  souveraineté  de  la  nation  dans  son  principe  et  en 
effet  sous  le  prétexte  d'énoncer  le  principe  qu'à  la  nation  seule  appar- 
tient la  souveraineté,  on  va  jusqu'à  dire  que  les  sections  de  îa  nation  ne 
participent  pas  à  la  souveraineté.  S'il  est  vrai  que  la  nation  est  com- 
posée de  toutes  ces  sections,  il  est  vrai  de  dire  que  toute  section,  que 
tout  individu  même  est  membre  du  souverain;  lorsqu'on  vous  propose 
de  répéter  en  termes  équivoques  les  vérités  que  vous  avez  déclarées 
d'une  manière  solennelle  dans  la  déclaration  des  droits,  n'est-ce  pas 
porter  atteinte  à  la  souveraineté  même  dont  on  prétend  consacrer  le 
principe  ?..  Je  ne  me  traînerai  pas  sur  tous  les  articles  qui  vous  sont 
proposés,  pour  démontrer  le  vice  de  leur  rédaction. 

«  Je  passe  tout  de  suite  au  septième  qui  me  paraît  !e  plus  impor- 
tant. Toute  invitation  faite  au  peuple  pour  l'exciter  à  désobéir  à  la 
loi,  est  un  crime  contre  la  constitution.  Quelle  étrange  rédaction!  et 
l'on  nous  propose  un  article  de  cette  importance  en  forme  de  préam- 
bule à  une  loi  sur  la  police  des  tribunaux  ?  Et  l'on  rédige  en  termes 
aussi  généraux,  aussi  vagues,  une  loi  sur  la  liberté  de  la  presse  ?  Ne 
voit-on  pas  combien  une  pareille  loi  serait  funeste  à  la  constitution  ? 
Ne  voit-on  pas  qu'elle  serait  destructive  de  la  liberté  ?  Ne  voyons- 
nous  pas  que  des  juges  prévenus,  partiaux,  pourraient  facilement  trouver 
dans  les  expressions  de  cette  loi,  les  moyens  d'opprimer  un  écrivain 
patriote  et  courageux  ?  Vous  avez  fait,  lui  dirait-on,  une  déclaration 
si  véhémente  contre  la  loi,  vous  avez  fait  des  réflexions  si  amères 
qu'elles  ont  dû  naturellement  exciter  à  la  révolte.  Vous  voyez  que 
par  cette  loi,  vous  ouvrez  la  porte  à  l'arbitraire;  que  vous  préparez 
la  destruction  de  la  liberté  de  la  presse.  Je  n'entrerai  pas  dans  des 
détails  ultérieurs.    Il  me  suffit  d'observer  qu'une  loi  sur  la  presse,   une 


(2)  La  feuille  de  Mirabeau  ne  reproduit  que  le  passage  suivant; 
<(  Quelle  étrapge  rédaction...  exciter  à  la  révolte  ». 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  83 

loi  qui  intéresse  aussi  essentiellement  la  liberté  publique  et  indivi- 
duelle, mérite  une  discussion  solennelle,  pour  que  je  puisse  en  con- 
clure qu'elle  ne  doit  pas  être  insérée  dans  le  préambule  d'un  règlement 
particulier,  et  pour  que  je  sois  autorisé  à  en  demander  l'ajournement 
(Il  s'élève  quelques  applaudissemens)  »  (3). 

Journal  de  Normandie,  n°  60,  p.  285. 

Tel  est  le  préambule  de  la  loi  :  il  a  excité  beaucoup  de  récla- 
mations. Il  a  été  vivement  attaqué  par  MM.  Pethion,  Barnave,  Robers- 
pierre  et  Ruzot. 

...M.  Robespierre:  «  Le  paragraphe  7  est  souverainement  dan- 
gereux: il  tendrait  à  nous  ôter  le  palladium  de  notre  constitution,  la 
liberté  de  la  presse.  Je  sais  qu'il  faut  des  lois  qui  en  répriment  les 
délits;  mais  jusqu'à  ce  que  ces  lois  soient  faites,  gardons-nous  de 
fournir  à   nos  ennemis  prétexte  d'abuser  de  principes  mal   développés. 

Le  Spectateur  national,  n°  91,  p.  391. 

«  Mais  ces  principes,  celui  surtout  qui  établit  que  la  nation  entière 
possède  seule  la  souveraineté;  que  cette  souveraineté  ne  peut  être 
exercée  que  par  ses  représentans ;  qu'aucun  département,  aucun  district, 
aucune  commune,  aucune  section  du  peuple  ne  peuvent  y  participer; 
ce  principe,  disons-nous,  a  été  vivement  combattu  par  MM.  Pethion 
et  Robespierre.  Ces  prédicateurs  de  l'anarchie,  qui  à  force  d'égarer 
le  peuple,  sont  enfin  parvenus  à  briser  en  lui  tous  les  liens  de  l'obéis- 
sance, n'ont  pu,  malgré  leurs  efforts,  empêcher  que  cette  maxime 
salutaire  n'ait  été  adoptée.   » 

Courrier  des  Français,   n°    1 ,   p.   6. 

«  M.  Roberspierre  a  fait  observer  que  l'article  cinquième  portait 
atteinte  à  la  liberté  de  la  presse,  qu'il  regarde  à  si  juste  titre  comme 
le  palladium  de  la  liberté.  MM.  Barnave,  Lepaux  (4)  et  Pethyon  se 
sont  réunis  pour  décider  le  rejet  du  préambule  du  projet  de  décret.  » 

Courrier  extraordinaire,    1er  mars   1791,  p.  3. 

«  La  discussion  s'est  ouverte  sur  l'admission  ou  le  rejet  de  ce 
préambule  MM.  Pethion,  Roberspierre,  le  Paux  et  Barnave  ont 
invité  le  comité  à  le  retirer.  «  L'assemblée  nationale,  ont-ils  dit,  doit 
se  borner  à  décréter  des  loix  constitutionnelles  ou  réglementaires;  mais 
elle  doit  éviter  de  se  jetter  dans  des  déclarations  trop  vague?  qui  ne 
seroient   pas  des   loix  et  qui   seroient  des   bases   au  pouvoir   arbitraire, 


(3)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIT,  50Î  ;  et  les  Arch.  pari., 
XXITI,    561. 

(4)  LareveIlière-(LepeaUx,  député  du  tiers  état  dé  La  sénéchaussée 

<TAngerB. 


84  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

l'articie    IV    seroit   destructif    de    la    liberté    de    la   presse.    Cet    article 
enleveroit  le  palladium  de  la  liberté.   » 

Assemblée  nationale  et  Commune  de  Paris  (imitât.),   n°   570,  p     3 

«  MM.  Péthion,  Robespierre  et  Lepaux  ont  combattu  le  préam- 
bule, en  soutenant  qu'il  y  auroit  de  très-grands  inconvéniens  de  faire 
précéder  les  loix  de  déclarations  vagues  et  qui  prêteraient  beaucoup  à 
l'arbitraire;  ils  ont,  à  cet  égard,  particulièrement  fixé  l'attention  de 
l'assemblée  sur  le  7(  paragraphe  du  préambule,  auquel  ils  ont  reproché 
de  présenter  l'idée  qu'aucun  citoyen  ne  pourroit  jouir  du  droit  d'écrire 
sur  une  loi  et  d'en  démontrer  le  vice,  sans  s'exposer  à  être  arbitraire- 
ment regardé  comme  un  séditieux  et  un  ennemi  de  la  constitution  de 
l'état.    » 

Le  Patriote  François,  n'  570,  p.  218. 

«  Cet  article  ressuscitoit  obliquement  cette  fameuse  loi  contre 
la  liberté  de  la  presse,  proscrite  par  le  cri  public.  Il  est  évident  que 
les  réflexions  contre  de  mauvaises  lois  auroient  bientôt  été  travesties 
en  invitations  à  désobéir  à  la  loi;  aussi  M.  Pétion  et  Robespierre  se 
sont-ils  élevés  avec  force  contre  cet  article;  ils  ont  été  secondés  par 
MM.   Barnave  et  Lepaux.   » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  n°  286,  p.  2. 

a  On  a  craint,  avec  raison,  qu'il  ne  prît  envie  à  cette  foule  de 
souverains,  créés  par  M.  Péthion,  d'exercer  leur  souveraineté,  et  qu'il 
n'en  résultât  une  horrible  confusion.  Cette  défaveur  n'a  pu  refroidit 
la  popularité  de  M.  Robespierre,  qui  a  plaidé  avec  plus  de  force 
encore,   la  cause  de  la  licence  et  de  l'anarchie.   » 

Journal  de  Louis  XVI  et  de  son  peuple,  t.   II,  n°   43. 

«  M.  Le  Chapelier  fait  au  nom  du  comité  de  constitution,  le  rap- 
port d'un  projet  de  décret  sur  le  respect  de  la  loi.  Les  Péthion,  Robes- 
pierre et  le  fanfaron  Barnave  le  combattent.  Ces  MM  ne  voulaient 
pas  que  l'invitation  faite  au  peuple  de  désobéir  à  la  loi  fut  un  crime. 
A   ce  trait  on  les  reconnaît  parfaitement.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Assemblée  nationale, 
corps  administratifs  (Perlet),  t.  X,  n°  573,  p.  3;  Le  Lendemain,  t.  II, 
n"  60,  p.  733;  L'Observateur  François,  n°  8,  p.  61  ;  Le  Mercure  de 
Fronce,  12  mars  1791,  p.  108;  Le  Journal  des  Débats,  t.  XVII, 
n°  632,  p  5;  Le  Mercure  national  et  Révolutions  de  l'Europe,  t.  II, 
n°  16,  p.  202;  Les  Annales  vniverselles ,  1er  mars  1791,  p.  525; 
Assemblée  nationale  (Beaulieu),  V  mars  1791,  p.  3;  Le  Point  du 
Jour,  t.  XIX,  n°  598,  p.  443;  La  Gazette  universelle,  n°  60,  p    239.] 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  85 

223.  ~  SEANCE  DU  28  FEVRIER  1791  {suite) 
Sur  le  secret  de  la  correspondance 


Au  cours  du  débat  sur  le  préambule  à  la  lui  atfï  la  police  des 
tribunaux,  plusieurs  paquets ont  été  remis  sur  le  bureau  du  prési- 
dent de  l'Assemblée  nationale;  ils  sont  contre-signes  Assemblée  natio- 
u  île.  L'un  des  paquets  s'étant  ouvert,  les  commissaires  de  la  poste 
ont   constaté  qu'il   contient  des   papiers   anti-patriotiques   (1). 

l'i  court  débat  s'engage  où  sont  invoqués  les  principes  de  la 
liberté  de  la  presse  et  du  secret  de  la  correspondance  (2). 

L'Assemblée  nationale  décida  que  les  paquets  seraient  renvoyés 
à   la  poste,   pour   qu'ils   puissent   parvenir    à   leurs   destinataires. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXII,  p.  126. 

«  M  Robespierre.  Il  serait  d'un  bien  dangereux  exemple  que 
sous  le  prétexte  d'un  envoi  qui  a  pour  objet  des  écrits  aristocratiques, 
ou  anti-patriotiques,  comme  on  voudra'  les  nommer,  on  se  permette 
de  violer  le  secret  des  lettres;  et  certainement  si  l'on  arrête  à  la  poste 
des  écrits  aristocratiques,  il  n'y  a  aucune  raison  pour  n'y  pas  arrêter 
des  écrits  patriotiques.  Je  demande  que  les  paquets  soient  renvoyés  au 
dépôt  qui  les  a  reçus  »   (3). 

Journal  de  Paris,   1er  mars   1791,  p.  243.  » 

M.  de  Roberspierre  s'est  levé  à  l'instant.  «  Comment  sait-on, 
a-t-il  dit,  que  ce  sont  des  écrits  contre  l'Assemblée  Nationale  ?  On  a 
donc  violé  le  sceau  des  cachets  }  C'est  un  attentat  contre  la  foi  publi- 
que :  il  faut  que  ces  paquets  soient  remis  à  la  poste,  et  qu'ils  arrivent 
à  leur  destination.  Comme  ce  n'était  pas  ici  une  question  d'opinion, 
mais  de  délicatesse  et  d'honneur,  on  a  été  bientôt  d'accord;  et  les 
libelles  faits  contre  l'Assemblée  Nationale  ont  été  rendus  par  elle  à 
la  liberté  de  la  circulation  »  (4). 


(1)  D'après  E.  Hamel  (I,  371),  cet  incident  aurait  eu  lieu  au 
début  de  la  séance:  «  On  venait  de  déposer  sur  le  bureau  du  prési- 
dent un  panier  rempli  de  papiers  présentés  au  contire-seing  et  desti- 
nés à  divers  départements.  Ces  écrits  renfermaient,  il  paraît,  beau- 
coup «l'attaques  contre  l'Assemblée  nationale.  Noailles  qui  présidait, 
demanda  à  ses  collègues,  en  les  informant  du  contenu,  ce  qu'ils 
voulaient    qu'on    en    fît.    »> 

(2)  Sur  la  violation  du  secret  des  lettres,  voir  séance  du  30 
juillet  17S9.  Miehelet  reproché  à  Bâchez  ci  Houx,  L.  Blanc  et  Lamar- 
tine, d'avoir  omis  cette  première  intervention,  mais  il  garde  lui- 
même  le  silence  sur  cette  dernière  qui  éclaire  l'attitude  et  les  prin- 
cipes de  Robespierre. 

<3)   Texte   utilisé   par    les   Arch.    pari.,    XXIII,    566. 

(1)  Comme  on  le  voit,  des  journaux  de  tous  les  partis  lui  surent 
Kii  de  cette  attitude.  Dans  la  séance  de  la  Société  des  Amis  de  la 
Constitution  du  24  avril  1791,  le  vicomte  de  Noailles  fit  état  de-  ce 
fait  en  faveur  du  député  d'Arras  et  dit:  «  Je  dois  ici  vous  rappeller 


86  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),   n°   573,  p.   2. 

«  Alors  M.  Robespierre  a  dit  que  le  respect  qu'on  devoit  à  l'in- 
violabilité du  secret  des  correspondances,  n'auroit  pas  dû  permettre 
l'ouverture  ni  le  renvoi  de  ces  paquets;  que  si  l'administration  de  la 
poste  s'arrogeoit  le  droit  d'arrêter  les  paquets  contre-signes  de  l'assem- 
blée nationale,  sous  prétexte  qu'ils  contiennent  des  écrits  anti-patrio- 
tiques, il  n'y  avoit  point  de  raison  pour  qu'on  en  usât  de  la  même 
manière,  à  l'égard  des  écrits  patriotiques.  Il  a  demandé  que  tous  les 
paquets  fussent  renvoyés  à  la  poste  sans  les  ouvrir,  pour  parvenir  è 
leur  destination.   » 

Journal  général,   1791,  n°  30,  p.    118. 

«  Le  bon  sens  dit  à  M.  Robespierre,  que  si  l'on  se  permet  d'ar- 
rêter un  envoi  sous  prétexte  d'aristocratie,  les  lettres  les  plus  démocrates 
seront  bientôt  exposées  au  même  inconvénient.  Pour  consacrer  de 
nouveau  le  secret  des  postes,  l'Assemblée  renvoie  la  corbeille  et  les 
paquets  au  Bureau,   chargé  de  les  faire  partir.   » 

Assemblée  nationale  et  Commune  de  Paris  (imitât.),   n°   571,  p     7. 

«  MM.  Robespierre  et  Péthion  ont  observé  que  si,  sous  prétexte 
d'écrits  aristocratiques  et  anti-patriotiques,  on  arrêtoit  ainsi  les  paquets, 
on  pourroit  bien  aussi  peut-être  arrêter  les  écrits  patriotiques;  ils  ont 
soutenu  que  l'arrestation  étoit  une  violation  du  secret  de  la  poste,  et 
ils  ont  demandé  que  les  paquets  y  fussent  renvoyés  pour  aller  à  leur 
destination.  Cette  motion  a  été  décrétée  à  la  très-grande  majorité.   » 

Courier  de  Provence,  t.  XIII,  n°  261,  p.  287. 

«  M.  Robespierre,  qui  n'abandonne  que  très  rarement  les  vrais 
principes  de  la  liberté,  s'est  élevé  contre  ces  différentes  opinions;  il  a 
soutenu  que  le  contenu  d'un  paquet  ouvert  par  hasard,  n' étoit  pas  une 
preuve  que  tous  les  autres  renfermassent  les  mêmes  objets.  Il  y  a  plus, 
quand  même  les  imprimés  aristocratiques  seraient  découverts,  il  faut 
respecter  le  contre-seing  qui  y  a  été  apposé.  Chaque  député  est  libre 
dans  ses  opinions,  dans  ses  écrits,  et  à  plus  forte  raison  dans  sa 
correspondance.  On  a  senti  la  vérité  de  cette  proposition,  fondée  sur 
la  liberté  que  l'assemblée  doit  maintenir  pour  tous  les  membres,  de 
quelque  parti   qu'ils   soient.    » 


le  trait  d'un  des  membres  de  cette  Assemblée,  trait  qui  subjugue 
l'estime  due  à  ses  mœurs,  c'est  que  dans  l'Assemblée  nationale,  il 
obligea  de  recacheter  des  lettres  de  prêtres  réfraetaires  sans  les 
lire,  afin  de  ne  pas  violer  la  confiance  due  à  la  correspondance  qui 
n'existe  que  sous  le  sceau  de  la  foi  publique  :  ce  membre  est  M.  Robes- 
pierre.  (On  applaudit).   »  (Mercure  Universel,  t.  II,  p.  437). 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  87 

Le  Patriote  françois,  n°   571,  p,   223 

«  J'ai  retrouvé  encore  M.  Robespierre  clans  les  bons  principes, 
lorsqu'on  est  venu  tenter  l'Assemblée  avec  un  paquet  d'imprimés  aris- 
tocratiques envoyés  sous  son  contre-seing.  L'inconséquente  curiosité 
vouloir  les  ouvrir;  le  fanatisme  de  parti  vouloit  les  brûler.  Faites  cela, 
disoit  M.  Robespierre,  et  l'inquisition  s'exercera  bientôt  aussi  contre 
les   écrits  patriotiques.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  la  Feuille  du  Jour, 
t.  111,  n°  60,  p,  476;  et  le  Mercure  de  France,  12  mars  1791,  p.  114.] 


224.  —  SEANCE  DU  28  FEVRIER  1791  {suite) 
Sur  un  projet  de  loi  sur  l'émigration 


Le  Chapelier,  au  nom  du  Comité  de  Constitution,  rapporte 
devant  l'Assemblée,  sur  le  problème  de  l'émigration  (1).  Mais  avant 
ds  lire  le  projet,  il  demande  à  l'Assemblée  de  décider  si  elle  veut 
une  loi  sur  l'émigration,  ou  non.  Un  vil  débat  s'engage  à  ce  sujet, 
les  uns  (entre  autres  Robespierre,  Merlin,,  iteubell,  Prieur,  Beaumez) 
demandant  que  le  projet  du  comité  soit  lu,  imprimé  et  ajourné  à 
huitaine,  afin  que  puisse  s'instituer  une  large  discussion:  d'autres 
s'y  refusant  à  cause  du  caractère  anticonstitutionnel  d'un  tel  projet, 
et  exigeant  l'ordre  du  jour.  fL' Assemblée  consultée  décida  qu'il  sera 
donné  lecture  du  projet  de  loi;  Le  Chapelier  fait  cette  lecture  au 
milieu   du    tumulte. 

Finalement,  l'Assemblée  nationale,  après  des  débats  agités,  se 
rallia  à  la  proposition  de  Vernier,  «  de  renvoyer  le  soin  d'examiner 
si  la  loi  est  possible  ou  non,  à  chacun  des  comités  de  l'Assemblée 
qui,  après  s'en  être  occupés  séparément,  se  réuniront  par  commis- 
saires »  (2). 

Journal  des  Etals  Généraux  ou  Journal  Logo  graphique ,  t.  XXII,  p.   128. 

((  M.  Robespierre  :  Je  commence  par  déclarer  avec  franchise  que 
je  ne  suis  pas  plus  partisan  que  M.  Le  Chapelier  des  loix  contre 
l'émigration;  mais  je  crois  que  c'est  par  une  discussion  solennelle,  qui 
dissipe   les  nuages  qui  peuvent   être   répandus  sur   cette  question,   qu'il 


(1)  Les  journaux  parlaient  ouvertement  de  la  fuite  prochaine  du 
roi  (Cf.  Annales  patriotiques  et  littéraires,  1er  février  1791;  et  Révo- 
lutions de  France  et  de  Brabant,  n"  62).  Ces  bruits  semblaient  confir- 
més par  le  départ  de  Mesdames.  Aussi  l'Ami  du  Peuple,  n°  382,  som- 
mait-il les  patriotes  de  l'Assemblée  «  les  Lanto.th,  Pétion.  .Robes- 
pierre, Reube.Il.  Barnave,  d'Aiguillon,  Menou,  Cranoé,  sous  peine 
d'être  réputés  lâches  mandataires,  de  voter  un  décret  rigoureux 
contre  les  émigrans  d?  la  famille  royale  ». 

(2)  Cf.  E.  Hamel,  1,  372  à  375. 


88  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

faut  rejetler  une  pareille  loi,  et  qu'il  ne  faut  laisser  à  personne  le  pré- 
texte de  penser  que  l'on  a  voulu  écarter  cette  mesure  par  d'autres 
moyens  que  ceux  de  la  raison  et  de  l'intérêt  public.   (Applaudi)   »  (3). 

Journal  des  Débals,  n°  632,  p.    12. 
Courrier  des  Français,   n"   2,  p.   9. 

«  M.  Robespierre  a  déclaré  qu'il  n'étoit  pas  plus  partisan  que 
M.  Le  Chapelier  des  loix  contre  les  émigrans,  mais  qu'il  pensoit  que 
la  réjection  d'une  pareille  loi  devoit  suivre  une  discussion  solennelle. 
Nous  ne  devons,  a-t-il  dit,  laisser'  croire  à  personne  qu'on  ait  voulu 
éloigner  cette  question  autrement  que  par  la  raison  et  des  considéra- 
tions d'intérêt  public.   » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,   n°   60,   p.   244. 

«  M.  Roberspicrre.  Je  commence  par  déclarer  avec  franchise,  que 
je  ne  suis  pas,  plus  que  M.  le  Chapelier,  partisan  de  la  loi  sur  les 
émigrations;  mais  c'est  par  une  discussion  solennelle  que  vous  devez 
reconnaître  l'impossibilité  ou  les  dangers  d'une  telle  loi,  il  ne  faut  pas 
laisser  penser  que  vous  l'ayez  écartée  par  d'autres  moyens  que  ceux 
de  la  raison  et  de   l'intérêt  public.   (On   applaudit)  (4). 

Journal  de  Normandie,  n°  40,  p.    115. 

«  M.  Roberspierre  :  Quoique  je  ne  sois  pas  plus  partisan  d'une 
loi  sur  les  émigrations  que  le  comité  de  constitution,  je  demande 
cependant  que  cette  question  soit  discutée  solennellement  dans  cette 
Assemblée,  afin  de  convaincre  la  nation  des  motifs  qui  nous  ont  porté 
à  ne  point  prononcer  sur  la  demande  qui  nous  était  faite  de  toutes 
parts.    » 

Assemblée    nationale    et   Commune    de   Paris   (imitât.),    n°    570,    p.    5. 

«  Un  grand  nombre  de  membres  réclamoient  l'ordre  du  jour; 
MM.  Robespierre  et  Dumets,  soutenant  l'avis  du  comité  de  constitu- 
tion, pensoient  qu'il  étoit  nécessaire  d'entendre  îa  lecture  du  projet 
de  loi,  pour,  après  l'avoir  discuté  solemnellement,  le  rejetter,  et  con- 
vaincre ainsi  le  peuple  des  motifs  qui  auroient  déterminé  l'assemblée 
nationale.    » 

Mercure  de  France,    12  mars    1791,  p.    115. 

«    Discutez   la   loi,    ajoutoit   M.    Roberspierre;   vous   ne   devez  pas 

(3)  Texte    reproduit   dans    les   Arch.    pari.,    XXIII,    567. 

(4)  Texte    reproduit    dans   le    Moniteur,    VII,    504;    et   Bûchez    et 
Houx,   IX,   47. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  89 

laisser  croire  qu'on  l'ait  éloignée  autrement  que  par  la  raison  et  pour 
l'intérêt  public  »  (5). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Courrier  d' Avignon, 
n°  60,  p.  238;  Le  Journal  général  du  département  du  Pas-de-Calais, 
1791,  n°  18,  p.  150;  Le  Patriote  français,  n°  571,  p.  223;  Le  Lende- 
main, t.  II,  p.  809;  Le  Mercure  de  France,  5  mars  1791,  p.  84.] 


(5)  Robespierre  recueillit  l'approbation  des  modérés,  mais  il  fut 
blâmé  par  ses  amis  (Cf.  son  Adresse  aux  Français,  p.  11).  Cf.  égale- 
ment le  Mercure  Universel  (t.  I,  p.  60)  qui  relate  une  intervention 
de  Duport  à  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  le  soir  de  cette 
séance  :  «  On  ne  peut  calculer  quel  mal  «aurait  pu  résulter  de  la 
séance  d'aujourd'hui  si  les  amis  de  la  iliberté  eussent  été  vaincus. 
Mais  je  puis  le  dire,  MM.  Robespierre,  Reubell,  votre  président, 
Muguet,  Vernier,  ont  déployé  un  vrai  courage  et  ont  fait  triompher 
la  cause  de  la  liberté  et  celle  du  peuple  ».  Par  contre,  il  s'en  prend 
à  Mirabeau  deut  le  rôle  est  nettement  séparé  de  celui  de  Robespierre, 
car  il  proposait  de  passer  à  l'ordre  du  jour  par  le  motif  que  tout 
projet  contre  l'émigration  était  contraire  à  La  Constitution.  Mira- 
beau suivait,  en  l'occurrence,  les  instructions  du  comte  de  la  Marck 
(Cf.  A.  de  Bacourt,  Correspondance  entre  le  comte  de  Mirabeau  et 
Je  comte  de  la  Marck  de  1789  à  1791,  III,  65).  On  trouvera  dans  les 
Révolutions  de  France  et  de  Brabant  (n°  67)  un  intéressant  compte 
rendu  de  la  séance  des  Jacobins  du  28.  février  où  Mirabeau  fut 
accueilli   avec   froideur. 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 


225.  —  SEANCE  DU  2  MARS  1791 
Sur  une  demande  d'affiliation  de  la  Société  de  Sois  sons 


S'élevant  contre  une  demande  d'affiliation  aux  Jacobins  de 
Paris,  présentée  par  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  de  Sois- 
sons,  Feydel  fait  remarquer  qu'il  existe  en  réalité  deux  sociétés  de 
cette  nature  à  Sokssons,  l'une  qui  est  soutenue  par  le  maire  Gouil- 
lart  (1)  et  l'autre  à  laquelle  adhère  son  neveu.  Il  émet  des  doutes 
sur  le  patriotisme  de  Gouillart  et  propose  de  rejeter  cette  demande. 

Robespierre,  puis  Chabroud  insistent  pour  obtenir  un  complé- 
ment d'informations  et  l'affaire  est  renvoyée  aux  comités  de  vérifi- 
cation  et  de  correspondance   (2). 

(1)  Cf.  Moniteur,  'VII,  41.  Extrait  d'un  arrêté  de  la  municipalité 
de  Soissons,  signé  Goulliart,  maire,  prenant  acte  de  la  formation 
d'une  Société,  sous  le  nom  de  Société  des  Amis  de  la  Révolution  et 
de  ,1a  liberté.   Cf.    également:   Discours...   1M  partie,  p.   481. 

(2)  Aular  1  ne  mentionne  pas  ce  fait  et  donne  un  bref  résumé 
de  la  séance  (II,  151)  d'après  le  Journal  dos  Clubs,  t.  II, -n°  17, 
p-    160. 


90  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

Mercure  universel,  t.   I,  p.  68. 

a  M.  Robespierre.  Et  moi,  j'ai  de  fortes  raisons  pour  assurer  que 
M.  le  Maire  de  Soissons,  M.  Grouillard,  est  un  des  vrais  amis  du 
peuple,  je  dis  que  la  société  ne  peut  admettre  ces  inculpations  sans 
un  sérieux  examen  »  (3). 


(3)  Arch.  Nat.  D  XXIX,  1,  d.  8  bis,  p.  1.  Lettre  de  l'ancien  maire 
de  Soissons  :  Gouillart,  sur  les  troubles  survenus  à  l'occasion  de 
l'élection  de  l'évêque  constitutionnel  de  l'Aisne  (mars  1791).  Cf.  Ch. 
Vellay.  Robespierre  et  les  troubles  de  Soissons.  Revue  historique 
de   la  Révolution    française,   VIII,    303-305. 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 


226.  —  SEANCE  DU  2  MARS  1791  (suite) 
Sur  le  projet  de  réorganisation  des  corps  administratifs 


Après  avoir  entendu  le  rapport  de  Sauter re  (1)  sur  les  événe- 
ments du  lundi  28  février  où  le  peuple  se  porta  sur  le  donjon  de 
Vincennes,  Gauthier  de  Biauzat  qui  préskiait,  décide  de  passer  à 
l'ordre  du  jour.  Mais  Menou  insiste  pour  qu'on  entende  Robespierre 
qui  demande  à  exposer  au  club  le  projet  de  réforme  administrative 
présenté  par  Démeunier  et  dont  la  discussion  devait  avoir  lieu  le 
lendemain  à  l'Assemblée  Nationale  (2). 

Mercure  universel,  t.   I,  p.   69. 

«  M.  Robespierre.  La  question  que  je  vais  vous  soumettre  n'est 
point  de  celles  qui  frappent,  qui  intéressent  vivement,  mais  elle  est 
des  plus  importantes  pour  la  constitution.  C'est  une  chose  cruelle  pour 
un  peuple  qui  vient  de  recouvrer  sa  liberté,  de  se  trouver  sans  cesse 
entre  des  conspirateurs  et  des  hommes  perfides,  qui  se  disent  ses  amis, 
qui  se  montrent  ses  défenseurs,  et  cependant,  il  ne  tient  à  rien  que 
par  ces  mêmes  hommes  la  liberté  ne  soit  anéantie.  (Ici  M.  Robespierre 
a  fait  l'analyse  d'un  projet  de  décret  sur  les  dispositions  des  corps 
administratifs,   en   trente-sept  ou  trente-huit  articles,  que  nous  ne  pou- 


(1)  Santerre  était  alors  commandant  de  la  garde  nationale  du 
faubourg  Saint-Antoine.  La  marche  sut  Vincennes  où  l'on  soupçon 
nait  des  travaux  destinés  à  augmenter  les  fortifications  du  donjon, 
ne  fut  pas  le  seul  incident  de  la  journée  du  28  février,  connue  sous 
.le  nom  de  Journée  des  poignards  :  bon  nombre  de  contre-révolution- 
naires se  rendirent  armép  aux  Tuileries  et  La  Fayette'  vint  les  disper- 
ser à  la  tête  de  la  garde  nationale.  Le  rapport  de  Santerre  visait 
sûrement  le  conflit  qui  l'avait  mis  aux  prises  à  Vincennes  avec- 
La    Fayette,    incident   qui  entraîna   des    suites   judiciaires. 

(2)  Cf.    ci-dessous,   séance  du  3  mars. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  91 

vons  rapporter,  vu  leur  étendue;  mais  dont  l'esprit  est  de  mettre  les 
municipalités  sous  l'autorité  absolue  des  directoires  de  district,  et  ces 
directoires  sous  ceux  de  département,  et  enfin  les  directoires  de  dépar- 
tement sous  la  subordination  absolue  du  ministre  :  alors  il  suff.roit  que 
l'un  de  ces  corps  administratifs  soit  déclaré  avoir  manqué  de  respect, 
ou  avoir  entr'eux  une  correspondance,  pour  être  destitué  arbitrairement 
par  le  roi  sur  la  responsabilité  de  son  ministre;  d'où  résulte  nécessaire- 
ment dans  ces  circonstances,  la  révolution  n'étant  pas  achevée,  que 
la  puissance  du  peuple  et  sa  volonté  se  trouvent  enchaînées  dans  la 
main  du  ministre  qui,  influençant  les  corps  administratifs,  peut,  par 
ceux-ci,  lesquels  influencent  les  municipalités,  enchaîner  la  puissance 
civile  et  les  forces  militaires  du  peuple.  On  a  trouvé  que  le  comité 
de  constitution  s'étoit  écarté  des  principes  constitutionnels,  et  que 
bientôt  après  avoir  décrété  la  liberté,  il  ne  seroit  pas  étonnant  qu'il 
décrétât  la  servitude.  M.  Robespierre  a  terminé  ainsi  son  opinion  : 
«  Je  demande  que  demain,  lorsque  ce  projet  que  l'on  a  dit  être  la  clef 
de  la  constitution  et  que  je  regarde  comme  sa  ruine,  lorsque,  dis-je, 
ce  projet  sera  présenté  à  l'assemblée  nationale,  qu'il  ne  soit  pas  adopté 
sans  examen  »  (3). 
La  Feuille  du  Jour,  t.  III,  n°  66,  p.  526/7. 

«  M.  Roberspierre.  Messieurs,  l'ordre  du  jour  est  de  continuer 
la  discussion  sur  le  mode  de  décret  contre  les  émigrans;  cet  objet 
est  important,  mais  celui  qui  m'oblige  à  demander  la  parole  est  d'une 
autre  considération.  Il  ne  s'agit  de  rien  moins  que  de  remettre  le 
despotisme  sur  le  trône;  il  y  remontera,  si  !e  projet  de  décret  enfanté 
par  le  comité,  qui  doit  demain  le  présenter  à  l'assemblée  nationale, 
n'est  point  ajourné.  Ce  projet  inconstitutionnel  tend  à  soumettre  les 
fonctions  des  districts  et  des  municipalités  aux  conseils  directoires  des 
départemens,  ces  conseils  aux  ministres,  et  les  ministres  au  pouvoir 
exécutif.  N'est-ce  pas  là  la  marche  graduelle  d'une  contre-révolutio-i  ? 
Si  ce  projet  perfide  est  adopté,  les  communes  et  les  districts  ne  pour- 
ront rien  conclure  sans  l'adhésion  des  départemens.  Ceux-ci,  tout 
dévoués  au  despotisme,  pourront  suspendre  l'exécution;  ils  communi- 
queront, n'en  doutez  pas,   avec  les  agens  du  pouvoir  exécutif,   etc.    » 

La  Jacobinière,  parade  comme  il  n'y  en  a  pas,  du  2  mars  1791   (4). 

a  Alors  apparut  le  paillasse  du  spectacle,  le  petit  Robespierre. 
«  Vous  vous  amusez-là,  dit-il,  à  la  moutarde,  tandis  que  nous 
avons  bien  autre  chose  à  faire.  Vous  ne  savez  donc  pas  qu'on  vous 
prépare  demain  un  coup  fourré  ?  Cet  infernal  comité  de  constitution 
va  présetfter  demain  à  l'assemblée  nationale  un  projet  de  décret,  qui 
soumet  les  municipalités  aux  districts,   ceux-ci  aux  départemens,   et  ces 


(3)  liien  dân*   Aulard  isur  cette  intervention. 

(4)  B.   N.  8°  Lb39  9776. 


92  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

derniers  au  roi.  Ah  !  messieurs,  aye  !  aye  !  c'est  là  ce  qui  doit  vous 
faire  véritablement  trembler.  Eh  !  que  deviendra  donc  notre  travail, 
que  deviendront  nos  préparations  kle  petites  républiques,  à  la  *ête  des- 
quelles  nous  devions   trouver   chacun   une   niche,    si    nous   souffrons  que 

I  on  renoue  ainsi  au  trône  tous  les  fils  que  nous  avions  pris  tant  de  soin 
d'éparpiller  ?  Comment  pourrons-nous  continuer  d'entretenir  à  propos 
la  division;  d'élever,  suivant  les  circonstances,  les  municipalités  contre 
les  districts,  les  districts  contre  les  départemens  ;  de  faire  contrarier  au 
besoin  les  uns  par  les  autres;  de  susciter  des  émeutes  et  de  commander 
de  grands  soulèvements,  si  l'on  établit  un  centre  d'autorité  ?  Ah  ! 
Messieurs,   aye  !  aye  !  nous  sommes  perdus  si   ce  projet  passe, 

«  Et  nous  ne  sommes  point  en  forces  pour  le  faire  échouer  demain. 

II  faut  donc  faire  en  sorte  de  le  faire  ajourner  au  moins  à  huitaine. 
Pendant  ce  temps-là,,  nous  effraierons  le  peuple;  nous  lui  ferons  dire 
par  tous  nos  journaux,  par  tous  nos  discoureurs,  que  c'est-là  !e  réta- 
blissement du  despotisme;  nous  assemblerons  nos  coupe-jarrets,  nos 
coupe-têtes;  et  le  jour  du  rapport,  nous  ferons  faire  une  grande  insur- 
rection. Coalisons-nous  donc  pour  faire  ajourner. 

«  Paillasse  fut  fort  applaudi,  et  sa  motion  fut  unanimement  décré- 
tée.  )) 


227.  —  SEANCE  DU  3  MARS  1791 
Sur  l'organisation  des  corps   administratifs 


Le  2  mars,  au  nom  du  Comité  de  Constitution,  Démeunier  a 
présenté  un  rapport  sur  les  dispositions  qui  doivent  compléter  l'orga- 
nisation des  corps  administratifs,  le  décret  du  22  décembre-  J 780  ne 
prévoyant  pas  tous  les  détails  de  cette  organisation  (1). 

Le  3  mars,  Démeunier  demande'  à  l'Assemblée  nationale  de  com- 
mencer la  discussion  article  par  article,  du  décret  présenté  la  veille, 
sans   qu'un   débat  général   sur  l'ensemble  du  projet  ait  été   institué. 

Robespierre,  plusieurs  fois  interrompu,  s'élève  contre  cette 
précipitation  et  demande  l'ajournement;  Buzot,  Pétion  interviennent 
dans  le  même   sens  ;  Le   Chapelier   les  combat. 

L'Assemblée  décida  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  à  délibérer  sur 
l'ajournement  et  entama  la  discussion  du  projet,   article  par  article. 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   64,  p.   258-259. 

«  M.  Roberspierre    La  délibération  ne  peut  commencer  avant  qu'il 
se  soit  établi  une  discussion  générale  sur  l'ensemble  et  sur  les  résultats 


(1)  Cf.  E.  Haine],  1,  380:  «  Le  projet...  prévoyant  le  cas  où  des 
corps  administratifs  fomenteraient  la  résistance  à  la  loi  ou  à  l'auto- 
rité supérieure,  contenait  contre  eux  des  mesures  sévères  ».  D'autre 
part,  il  tendait  à  mettre  les  municipalités  et  les  districts  sous  la 
tutelle  des  administrations  départementales,  dont  on  connaissait 
dans   l'ensemble   les  opinions  très  modérées. 


LES   DISCOURS   DÉ   ROBESPIERRE  93 

de  ce  projet.  (Il  s'élève  des  murmures).  Ce  n'est  pas  par  des  cris  qu'il 
convient  de  repousser  les  réflexions  qu'un  membre  se  croit  obligé  de 
présenter  sur  un  décret  de  cette  importance,  sur  om  décret  d'où  dépend 
le  sort  des  corps  administratifs  et  de  la  constitution.  Ce  décret  n'ayant 
été  présenté  qu'hier,  il  est  impossible  d'en  faire  aujourd'hui  l'objet 
d'une  discussion,  et  bien  moins  d'une  délibération.  Le  Comité  vous 
propose  d'annuller  lels  corps  administratifs  inférieurs  pour  les  mettre 
dans  une  dépendance  passive  et  absolue.  (Il  s'élève  des  murmures  et 
des  applaudissemens).  Je  dis  qu'on  ne  propose  de  mettre  les  corps 
administratifs  inférieurs  dans  la  dépendance  absolue  des  directoires 
de  département,  que  pour  mettre  ensuite  ceux-ci  dans  la  dépendance 
du  ministre  (Il  s'élève  des  murmures).  Il  est  bien  douloureux  pour  un 
membre  qui  demande  à  parler  sur  une  matière  qui  intéresse  aussi 
essentiellement  la  nation,  de  se  voir  interrompu  par  des  murmures  tels 
qu'il  lui  est  impossible  de  se  livrer  à  aucune  espèce  de  discussion. 
Je  me  borne  donc  dans  ce  moment  à  demander  l'ajournement.  (Les 
murmures  redoublent).  » 

«  M.   Dandré.   Laissez-le  parler.    » 

«  M.  Roberspierre.  Je  demande  l 'ajournement,  et  un  délai  suffi- 
sant pour  que  tous  les  membres  puissent  prendre  connaissance  de  la 
question;  son  extrême  importance  s'apperçoit,  et  par  la  nature  de  la 
matière,  et  par  le  résultat  que  je  vous  ai  présenté.  » 

«  Plusieurs    voix.    Oui.    Non.     » 

«  M.  Bouche.  Je  demande  le  silence,  ce  que  M.  dit  est  juste.   » 

«  M.  Roberspierre.  Une  délibération  de  cette  importance  propo- 
sée du  so'.r  au  matin,  c'est  ce  qui  ne  s'est  jamais  vu.  Toujours  les 
questions  constitutionnelles  ont  été  discutées.  Ici  il  s'agit  d'un  décret 
qui  renferme  une  foule  de  questions  constitutionnelles  du  plus  grand 
intérêt,  et  dont  la  décision  peut,  ou  affermir,  ou  renverser  la  consti- 
tution... Je  n'ai  pas  besoin  d'en  dire  d'avantage  pour  réclamer  avec 
succès,  au  nom  de  la  liberté,  au  nom  de  la  nation,  un  ajournement 
qui  donne  à  tout  le  monde  le  tems  de  la  réflexion  »   (2). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXII,  p.  192. 
«  M.  Robespierre.  Le  projet  qu'on  nous  propose  est  de  la  der- 
nière importance:  il  touche  à  la  Constitution  entière;  il  décide  de  l'in- 
fluence des  corps  administratifs  sur  toute  la  constitution,  et  de  la 
destinée  des  corps  administratifs  eux-mêmes.  Le  résukat  évident  du 
projet  qui  vous  est  présenté,  est  d'annuller  les  corps  administratifs 
inférieurs,  tels  que  les  municipalités  et  les  administrations  de  distr:cts, 
pour  les  mettre  dans  une  dépendance  purement  passive  des  directoires 
de    département.    (Murmures    d'un    côté,    applaudissemens    de    l'autre). 


(2)  Texte   reproduit  le  Moniteur,    VII,   632;  et  Bûchez  et  Ruux, 
IX,  162.  t 


94  LES    DISCOURS   D2   ROBESPIERRE 

Et  on  ne  met  les  corps  administratifs  dans  la  dépendance  des  direc- 
toires de  département,  que  pour  remettre  ensuite  dans  ce  même  projet, 
les  directoires  de  département  eux-mêmes  dans  les  mains  du  ministère. 
Voilà,  Messieurs,  en  deux  mots,  le  résultat  du  projet.  {Applaudi 
à  gauche,   murmures   dans   la  salle). 

«   M.  Dandré  :  Je  demande  à  répondre. 

«  M  Robespierre:  Il  seroit  très  douloureux  pour  celui  de  nous 
qui  discute  un  projet  qui  intéresse  essentiellement  les  droits  de  la 
nation  qu'avant  d'être  entré  dans  la  discussion,  il  fût  repoussé  par  des 
murmures.  Je  ne  me  propose  dans  ce  moment  que  de  demander  l'ajour- 
nement à  huitaine,  pour  qu'on  examine  un  tel  projet  et  que  l'opinion 
s'éclaire  »   (3). 

Journal  de  la  Noblesse,  t.,I,  n°    1 1 ,  p.  291. 

«  La  délibération,  a  dit  M.  Robespierre,  ne  peut  commencer 
avant  qu'il  se  soit  établi  une  discussion  générale  sur  l'ensemble  et  sur 
les  résultats  de  ce  projet.  On  murmure. 

[Suit  un  passage  du  Moniteur,  depuis:  «  Ce  n'est  pas  par  des 
cris...    »,   jusqu'à:    «    la   dépendance   du   ministre.    »] 

«  L'orateur  vouloit  continuer,  et  il  a  été  interrompu  par  des 
murmures;  alors  il  s'est  borné  à  demander  l'ajournement:  on  peut  dire, 
à  sa  louange,  ou  pour  son  excuse,  que  s'il  a  porté  les  premiers  coups  à 
la  monarchie,  au  moins  on  voit  en  lui  l'amour  de  la  liberté;  et  l'on 
peut  dire  qu'il  a  reçu  dans  cette  séance  le  châtiment  de  son  fanatisme. 
Quoique  soutenu  par  MM.  Buzot,  Bouche  et  Péthion,  cette  faveur 
de  l'ajournement  lui  a  été  même  refusée;  il  a  fallu  délibérer  sur  le 
champ  sur  une  matière  que  l'on  doit  regarder  comme  la  pierre  angu- 
laire de  l'édifice.  » 
Journal  de  Normandie,  n°  63,  p.  299. 

«  M.  Robespierre.  Je  demande  l'ajournement  et  voici  les  raisons 
sur  lesquelles  je  l'appuie  :  il  n'est  personne  parmi  nous  qui  ait  eu  le 
temps  de  méditer  ce  projet  :  il  s'agit  d'objets  de  la  plus  haute  consé- 
quence :  il  ne  s'agit  rien  moins  que  de  consolider  la  constitution  ou  de 
la  renverser  de  fond  en  comble.  Le  résultat  est  d'écraser  les  adminis- 
trations inférieures,  les  municipalités,  les  districts,  par  les  administra- 
tions supérieures,  par  celles  de  département  et  de  remettre  ces  der- 
niers sous  l'autorité  du  ministère.  C'est  cet  aperçu,  que  j'ai  saisi  à  la 
simple  lecture,  qui  m'a  porté  à  réclamer  l'ajournement  à  huitaine.  » 
Journal  de  Paris,   4  mars    1791,   p.    254. 

«    M.    de    Robertspierre    a   pris    la   parole,    non   pour   discuter    le 


(3)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXIII,  644,  qui  ajou- 
tent un  passage  du  Moniteur  (§2),  un  passage  du  Journal  de  la 
Noblesse  (§  3)  et  concluent  par  Je  dernier  §  du  Moniteur. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  95 

projet,  mais  pour  prouver  que  nul  dans  l'Assemblée  n'étoit  en  état 
de  le  discuter.  On  veut  nous  faire  délibérer,  disoit-il,  non  pas  sur  une 
question,  mais  sur  plus  de  vingt,  sur  plus  de  trente  questions  qui 
naissent  des  dispositions  qu'on  vous  propose,  et  qui  toutes  sont  si 
décisives  pour  la  liberté  et  pour  la  prospérité  publique;  et  c'est  hier 
pour  la  première  fois,  que  le  rapport  et  le  projet  de  décret  ont  été  mis 
sous  vos  yeux,  et  remis  à  vos  domiciles.  Ce  ne  sont  pas  les  règles  que 
l'Assemblée  Nationale  s'est  prescrites  pour  délibérer  sur  les  matières 
importantes  et  difficiles;  elle  a  voulu  que  chacun  de  ses  membres 
pût  les  méditer  longuement  et  profondément  avant  qu'elle  ouvrît  dans 
ses  séances  le  concours  des  lumières  de  tous.  Je  demande  donc  qu'on 
nous  laisse  le  tems  de  réfléchir  avant  de  discuter,  et  que  le  projet  de 
décret  soit  ajourné  à  huit  jours.    » 

Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  nationale,  3  mars  1791,  p.  393. 
«  M.  Roberspierre,  que  l'on  peut  nommer  la  sentinelle  de  la 
liberté,  a  cru  devoir  s'opposer  à  celte  discussion,  parce  que,  disoit- 
îl,  le  projet  du  Comité  de  Constitution,  devoit  être  approfondi,  et  soi- 
gneusement examiné  avant  d'être  discuté  article  par  article.  Il  a  pensé, 
avec  raison,  que  c'étoit  de  l'adoption,  ou  de  la  rejection  de  ce  plan 
que  dépendoit  la  destinée  du  corps  administratif,  et  qu'il  étoit  très- 
dangereux  en  ce  qu'il  tente  à  paralyser  les  corps  les  plus  utiles,  c'est- 
à-dire  les  Municipalités,  et  à  remettre  absolument  toute  l'autorité 
executive  entre  les  mains  des  ministres;  en  un  mot,  à  anéantir  tous 
les  bienfaits  de  la  constitution,  et  le  règne  de  la  liberté.  De  grands 
murmures  l'ont  interrompu  :  mais  toujours  lui-même,  il  a  soutenu  son 
assertion,  trop  vraie  pour  n'être  pas  improuvée  par  la  majorité.    » 

Journal  général,  n°   32,  p.    127;   et  n°   33,  p.    129. 

«  Rapport  de  M.  Desmeunier  sur  l'organisation  des  Corps  Admi- 
nistratifs. M.  Robertspierre  croit  voir  dans  le  projet  de  Décret  qui  suit 
le  rapport,  les  Municipalités  et  les  Districts,  réduits  à  une  parfaite 
nullité  sous  l'esclavage  des  Départemeris.  MM.  Buzot  et  Péthion  sou- 
tiennent l'Opinant. 

«  ...M.  Robertspierre  craint  qu'on  n'aille  trop  vite  dans  un 
objet  de  cette  importance.  Quel  est  le  résultat  du  plan  qu'on  vous 
propose  ?  Il  met  tous  les  Corps  inférieurs  sous  la  dépendance  des 
Directoires  de  Départemens,  et  ces  Directoires  même  sous  la  férule 
du  ministère.  »  Des  murmures  et  à  droite  et  à  gauche,  des  applaudisse- 
mens  et  à  droite  et  à  gauche  interrompent  l'Orateur.  Il  répond  aux 
murmures,   en  demandant  au  moins  l'ajournement  à  huitaine.   » 

Le  Patriote  François,  n°   573,  p.  232. 

«  MM.  Robespierre,  Buzot  et  Pétion  ont  demandé  l'ajournement 
de  la  discussion  à  huitaine,  en  observant  qu'il  leur  paroissoit  impossible 


%  LES   DISCOURS   D2   ROBESPIERRE 

de  délibérer  avec  connoissance  de  cause  sur  un  projet  d<'ssi  important, 
qui  ne  venoit  que  d'être  distribué.  Sans  égard  à  ces  observations,  la 
discussion  a  été  entamée.  Plusieurs  arrêtés  ont  été  décrétés,  après  une 
légère  discussion.  Nous  les  rapporterons  en  faisant  mention  de  quelques 
débats.    » 

Annales  universelles,  4  mars   1791,  p.  31. 
Le  Législateur  français,  4  mars   1791,  p.  4. 
Journal  du  Soir  (Beaulieu),  n°  62,  p.  2. 

«  M.  Roberspierre  trouvoit  que  l'Assemblée  n'avoit  pas  assez 
réfléchi  sur  le  décret  proposé,  pour  être  en  état  de  prendre  une  délibé- 
ration instantanée.  Le  coup  d'oeil  rapide  qu'il  a  jeté  sur  le  travail  du 
comité,  ne  lui  a  montré  que  des  moyens  de  paraliser  l'autorité  des 
administrations  municipales  &  de  district,  sous  la  puissance  coactive 
des  administrations  de  département,  &  de  rendre  enfin  cette  puissance 
nulle  sous  le  pouvoir  ministériel. 

«  M.  Roberspierre  pensoit  que  cette  filiation  de  subordination 
étoit  destructive  de  la  liberté,  &  il  demandoit  l'ajournement  au  nom 
de  la  patrie. 

«  Le  grand  inconvénient  que  M.  Robertspierre  et  ceux  qui  par- 
tagent son  avis  trouvent  dans  le  projet  du  comité  est  dans  la  faculté 
accordée  par  ce  projet  au  directoire  de  département,  d'appeller  devant 
lui  le  procureur-syndic,  ou  même  plusieurs  membres  du  directoire  de 
district,  leur  remontrer  leur  erreur  et  prononcer,  par  une  délibération 
qui  seroit  imprimée,  la  défense  de  mettre  à  exécution  les  actes  déclarés 
nuls  par  le  directoire  du  département.    » 

La  Jacobinière,  parade  comme  il  n'y  en  a  pas,  2  mars  1791,  note. 

«  Robespierre  demanda  effectivement  l'ajournement  [du  décret] , 
mais  il  fut  traité  comme  un  véritable  paillasse,  et  malgré  les  efforts 
de  ses  camarades  qui  le  soutinrent  de  toutes  leurs  forces,  de  tous  leurs 
cris,  de  tous  leurs  trépignements,  l'ajournement  fut  rejeté  par  une 
majorité    accablante    et    le    projet    du    comité    adopté. 

«    Adieu,    Messieurs    les    Jacobins,    bon    voyage.    » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XX,  n°  601,  p.  6. 

«  M.  Robespierre  a  dit,  que  ce  projet  de  décret  du  comité  de 
constitution,  tendoit  à  anéantir  la  force  des  corps  administratifs  infé- 
rieurs, en  les  soumettant  au  despotisme  des  directoires  de  département 
(Des  murmures).  Je  demande,  a-t-il  ajouté,  l'ajournement  des  questions 
renfermées  dans  ce  projet  de  décret  ;  c'est  conforme  à  votre  règlement 
puisqu'elles  sont  constitutionnelles;  c'est  au  nom  de  la  Patrie  et  de  la 
liberté  que  je  sollicite  cet  ajournement.    » 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  97 

Journal  de  Louis  XVI  et  de  son  peuple,  t.   II,  n°   46,  p.   85. 

«  M.  Desmeuniers  demande  que  l'on  discute  son  projet  de  décret 
qui  doit  compléter  l'organisation  des  corps  administratifs.  M.  de 
Robespierre  et  plusieurs  autres  opinent  pour  que  ce  projet  soit  préala- 
blement examiné  par  tout  le  monde  pendant  un  temps  convenable;  il  a 
raison.  Mais  l'Assemblée  en  décrète  huit  articles  sans  se  donner 
la  peine  d'une  légère  discussion.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Courrier  des  Fran- 
çais, n°/4,  p.  29;  Le  Courier  François,  t.  X,  n°  63,  p.  20;  Le  Mercure 
universel,  t.  I,  p.  61;  Le  Journal  de  la  Révolution,  n°  204,  p.  28; 
Le  Postillon  (Calais),  n°  366,  p.  4;  Assemblée  nationale  et  Commune 
de  Paris  (imitât.),  n°  573,  p.  6;  Le  Courrier  extraordinaire,  4  mars 
1791,  p.  4;  Le  Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.  II,  n°  238, 
p.  2;  Le  Mercure  national  et  Révolutions  de  l'Europe,  t.  II,  n°  17, 
P.  239.] 


2e  intervention:  Sur  la  signature  des  arrêtés  pris  par  les  administrations 

L'Assemblée,  abordant  la  discussion  du  projet  présenté  par 
Démeunier,  sur  l'organisation  des  corps  administratifs,  adopte  les 
cinq  premiers  articles.  L'art.  2  qui,  dans  le  projet  du  comité, 
oblige  tous  les  membres  présents  d'un  corps  administratif  à  signer 
la  minute  de  chaque  arrêté,  même  s'ils  sont  d'un  avis  contraire, 
suscite  une  légère  discussion.  Reubell  propose  un  amendement,  sou- 
tenu pa.r  Robespierre. 

(L'art.  2  est  voté  sous  cette  rédaction  :  «  La  minute  de  chaque 
arrêté  sera  signée  par  tous  les  membres  présents  qui  en  auront  été 
d'avis,  sans  que  ceux  qui  auront  été  d'un  aviis  contraire  puissent 
être  assujettis  à  donner  leurs  signatures.  L'expédition  en  sera  faite 
sans  faire  mention  de  ceux  qui  auront  signé  la  minute  ou  qui  auront 
refusé  de  la  signer.   » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXII,  p.  195. 
«  M.  Robespierre.  J'appuie  l'amendement  du  préopinant:  l'ar- 
ticle est  immoral  d'une  part  et  impossible  de  l'autre,  parce  que  la 
loi  n'a  pas  un  moyen  dans  ses  mains  pour  forcer  un  homme  à  mettre 
son  nom  au  bas  d'un  avis  auquel  il  se  soumet,  parce  qu'il  doit  se  sou- 
mettre à  la  majorité,  mais  qu'il  regarde  en  son  âme  et  conscience  comme 
essentiellement  injuste.  En  conséquence,  je  demande  qu'on  retranche 
de  l'article  la  disposition  qui  tend  à  forcer  tous  les  membres  sans 
distinction   à   signer   les  arrêtés   »   (4). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XX,  n°  601,  p.  9. 

«    M.    Robespierre    a    demandé    qu'on   retranchât    de    l'article    la 


(4)  Texte    reproduit  dans    1rs   Arch.    pari.,    XXIII,    646. 


98  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

disposition  qui  tend  à  obliger  tous  les  membres  présens  à  signer  î'arrôté, 
quel  qu'ait  été  leur  opinion.   » 


3e  intervention  :  Sur  la  publication   de   décisions   contraires 
aux  décrets 

Après  avoir  voté  rapidement  les  sept  premiers  articles  du  projet 
de  décret  présenté  par  Démeunier,  sur  l'organisation  des  corps  admi- 
nistratifs, .l'Assemblée'  aborde  l'art.  8.  il  porte  que  tout  corps 
administratif  qui  publiera  ou  fera  circuler  des  arrêtés  ou  des  lettres 
■<  provoquant  ou  fomentant  la  résistance  à  l'exécution  des  délibéra- 
tions ou  ordres  émanés  des  autorités  supérieures,  sera  suspendu  de 
ses  fonctions  et,  en  cas  de  récidive,  destitué.   » 

Pétion  proteste  contre  le  caractère  vagoie  de  cet  article,  qui 
permet  toutes  les  interprétations  arbitraires.  Il  demande  que  le 
comité  précise  le  délit  pour  lequel  il  propose  une  peine  sévère. 
Robespierre.  Chabroud,  soutiennent  l'amendement  de  Pétion,  que 
combat  d'André. 

L'Assemblée  décréta  l'art.  8  en  ces  termes:  «  Tout  corps  admi- 
nistratif ou  municipal  qui  publiera  ou  fera  parvenir  à  d'autres  admi- 
nistrations ou  municipalités,  des  arrêtés  ou  lettres  provoquant  la 
résistance  à  l'exécution  des  délibérations  ou  ordren  émanés  des 
autorités  supérieures,  pourra  être  réprimé  suivant  une  forme  qui 
sera  déterminée,   et  même  être  (suspendu  de  ses  fonctions.   » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXII,  p.   198. 

«  M,  Robespierre.  Il  n'est  pas  un  seul  terme  dans  l'article  qui  ne 
présente  des  idées  vagues,  qui  toutes  dépendront  du  caractère  ou  de^s 
préventions  de  ceux  qui  prononceront.  Mais,  Messieurs,  voulez-vous 
appercevoir  tout  le  danger  de  l'article  ?  portez  vos  regards  sur  la 
gravité  de  la  punition  applicable  aux  corps  administratifs  des  corps 
nommés  par  le  peuple,  et  sur  celui  qui  dans  ie  projet  du  comité,  doit 
prononcer  cette  peine.  Un  article  subséquent  porte  que  le  roi  aura  le 
droit  de  suspendre  les  officiers  administratifs  qu'il  trouvera  avoir  contre- 
venu aux  loix.  Ainsi,  messieurs,  vous  voyez  que  ce  sera  le  ministre 
qui  sera  juge,  en  vertu  de  ces  termes  vagues  de  la  loi;  et  dans  quel 
cas  !  lorsqu'un  corps  administratif  aura  écrit  à  d'autres  corps  adminis- 
tratifs pour  provoquer  ou  fomenter  la  résistance  aux  ordres  supérieurs  : 
et  le  dernier  échelon  de  cette  administration  supérieure,  c'est  le 
ministre.  Rien  de  plus  contraire  à  la  liberté.  Je  demande  la  question 
préalable  sur  cet  article... 

«  M.  d'André...  M.  Robespierre  vous  a  présenté  le  pouvoir 
exécutif  comme  le  dernier  échelon  :  point  du  tout  :  le  dernier  échelon, 
c'est  le  corps  législatif;  car  le  pouvoir  exécutif  est  subordonné  lui-même 
au  pouvoir  législatif.   (Murmures). 

«  M.  Robespierre.   Non,  pas  dans  le  projet   »   (5). 


(5)  Texte   reproduit  dans   les  Arch,   pari.,   XXIII,   648. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  99 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   64,  p.  259. 

«  M.  Robespierre.  N'est-il  pas  évident  que  chacun  pourra  inter- 
préter l'article  à  sa  manière,  que  ce  décret  n'offre  aucune  idée  précise, 
qu'il  favoriserait  la  prévention  du  juge,  qu'il  ouvrirait  la  porte  à  l'arbi- 
traire ?  et  à  quel  arbitraire  ?  Le  voici  :  il  est  dit  dans  un  article  subsé- 
quent que  c'est  le  ministre  qui  pourra  suspendre  les  administrateurs  de 
leurs  fonctions.  Combien  il  lui  sera  facile  de  dire  qu'une  lettre  pro- 
voque, fomente  la  résistance  aux  ordres  supérieurs,  c'est-à-dire  aux 
ordres  du  ministre  !  Peut-on  faire  une  loi  plus  arbitraire  ?  et  peut-on  la 
faire  appliquer  plus  arbitrairement  que  par  un  ministre  qui,  pour  suspen- 
dre une  administration,  n'aura  qu'à  se  plaindre  qu'on  fomente  la  résis- 
tance contre  ses  ordres?  L'objet  de  cet  article  est  d'empêcher  même 
un  corps  administratif,  lorsqu'un  ministre  violera  la  constitution,  d'en 
avertir  les  autres  corps  admini'ratifs,  ^le  les  consulter,  etc.  Je  demande 
la  question  préalable  »  (6). 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),  n°   62,   p.   3. 
Le  Législateur  Français,  4  mars   1791,  p.  6. 

«  MM.  Pethion  et  Robertspierre  se  sont  élevés  avec  force  contre 
cette  disposition,  dont  ils  ont  trouvé  les  expressions  vagues,  et  faites 
pour  donner  la  plus  grande  latitude  à  l'arbitraire. 

«  A  l'abri  d'un  pareil  article,  disoient-ils,  les  administrateurs 
pourront  punir  de  la  manière  la  plus  sévère  de  simples  lettres,  souvent 
insignifiantes,  et  qu'ils  pourront  caractériser  de  rebelles,  puisque  l'inter- 
prétation de   ces  lettres  ou  délibérations  dépendra  d'eux. 

[Intervention  de  Démeunier,  qui  précise  que  les  termes  provo- 
quer et  fomenter  existent  dans  tous  les  codes,  et  qu'il  appartient  aux 
tribunaux  d'apprécier  la  conduite  des  prévenus.] 

«  M  Robertspierre  a  saisi  cette  occasion  pour  s'élever  contre  la 
disposition  du  rapport  qui  attribue  au  roi  le  droit  de  suspendre  les 
assemblées  administratives  de  leurs  fonctions.  Ici  M.  Robertspierre  a 
vu  revenir  sur  toute  la  surface  du  royaume  tous  les  abus  de  l'ancien 
régime,   le  despotisme   ministériel  avec  tous  ses  brigands     » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XX,  n°  601,  p.   11. 

<(  M.  Robespierre  s'est  encore  élevé  contre  l'arbitraire  que  présen- 
toit  l'article,  il  trouvoit  les  plus  grands  dangers  dans  la  gravité  des 
peines  qui  doivent  être  prononcées  contre  les  corps  administratifs,  dont 
le  ministre  sera  juge  toutes  les  fois  que  ces  corps  auront  écrit  des 
lettres  pour  provoquer  la  résistance  à  leurs  ordres.  Il  a  demandé  la 
question  préalable  sur  l'article  dont  M.  Garât  au  contraire  demandoit 
l'admission.  » 


(6)  Texte  reproduit  dnns  le  Moniteur,  VII,  533;  et  dans  Bûchez 
ci  Roux,  IX,  164.  Le  passade  depuis:  <'  Combien  il  lui  sera  facile... 
Jusqu'à  la  fin,   est  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXIII,   648. 


100  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  le  Courier  français, 
t.  X,  n°  63,  p.  21  ;  le  Courrier  des  Français,  nJ  4,  p.  30;  le  Journal 
de  Normandie,  n°  65,  p.  307;  Les  Annales  universelles,  4  mars  1791, 
p.  33;  Le  Postillon  (Calais),  n°  66,  p.  9.] 

228.  —  SEANCE  DU  3  MARS  1791  (soir) 
Sur  un  projet  de  tontine  viagère 


L'abbé  Gouttes  présente,  au  nom  dos  comités  de  finances  et  de 
mendicité,  un  rapport  sur  le  projet  du  financier  Lafarge,  tendant 
à  la  création  d'une  tontine  viagère  et  d'amortissement  (1).  Mirabeau 
appuie  le  projet  de  décret  et  propose,  en  amendement,  qu'il  soit 
p rélevé  par  le  trésor  public,  cinq  jouns  du  traitement  de  chaque 
député,  pour  former  douze  cents  actions  en  (faveur  de  douze  cents 
familles  pauvres  (2).  Foucauld  renchérit  et  demande  que,  si  le  5  mai, 
1\  (Constitution  n'est  point  achevée,  les  honoraires  des  députés  soient, 
à  compter  de  cette  date,  versés  dans  la  caisse  die  la  tontine  (3). 
Wimpfen,  député  de  la  noblesse  du  bailliage  de  Caen,  défend 
l'amendement  de  Foucault,  ainsi  que  Reubell. 

Robespierre,  soutenu  par  Buzot  (4),  demande  le  rejet  du  projet 
et  des  amendements  (5). 

L'Assemblée  rejeta  à  la  presque  unanimité,  le  projet  présenté 
par  l'abbé  Gouttes  (6). 


{1)  E.  Hamel,  I,  377,  place  cette  séance  au  7  mars. 

<2)  Le  projet  Latfange,  qui  était  basé  sur  les  calculs  de  l'Acadé- 
mie des  Sciences,  lut  soutenu  par  Mirabeau.  Clavière  aurait  été 
î'adminirtrateur-adjoint  de  cette  tontine  dont  le  premier  apport 
aurait  été  fourni  par  une  retenue  de  5  journéer5  d'honoraires  pour 
tous  les  députés.  Rejetée  à  l'unanimité,  la  tontine  Lafarge  fut 
reprise  à  titre  d'entreprise  particulière. 

(3)  Foucauld  demanda  même  que  si  le  5  mai  la  constitution  n'était 
pas  terminée,  les  traitements  des  députés  fussent  intégralement  ver- 
sés à  la  tontine. 

(4)  L'intervention  de  Buzot  fut  aussi  fort  brillante  et  porta  un 
coup  droit  à  Mirabeau  qui  ne  le  para  point  :  «  Il  est  important  que 
les  hommes  qui  travaillent  pour  le  peuple  soient  payés  par  lui; 
sans  cela,   ils  le  seraient  bientôt  par  d'autres.   » 

(5)  L'Ami  des  patriotes  ou  le  Défenseur  de  la  Constitution  (n°  15, 
du  5  mars  1791)  apprécie  ainsi  la  conduite  des  opposants  :  «  MM. 
Robespierre  et  Buzct.  .  sont  tous  deux  du  nombre  de  ceux  que  per- 
sonne n'accuse  d'être  à  un  parti,  de  servir  ou  de  défendre  une 
faction;  leur  conduite  publique  n'a  pas  varié  d'une  minute  et  elle 
est  parfaitement  d'accord  avec  leurs  idées  privées.  Je  crois  que 
M.  Robespierre  a  souvent  été  emporté  hors  des  mesures  par  un 
amour  peu  réfléchi  de  la  liberté,  mais  il  est  impossible  de  le  soup- 
çonner d'avoir  sacrifié  à  une  autre  idole.  »  Cependant,  le  rédacteur 
de  cette  feuille  est  le  royaliste  Duquesnoy. 

<6)  Malgré  le  vo.te  négatif  de  l'Assemblée,  la  tontine  Lafarge  fut 
organisée.  .Son  histoire  a  été  étudiée  par  M.  J.  Bouchary  (Los 
Compagnies  financières  à  Paris  à  la  fin  du  XVI1L  siècle,  t.  1,  1940) 
jusqu'à  l'année  1809,  date  à  laquelle  Napoléon   1er  en   retira   l'admi- 


LES    DISCOURS    PS    ROBESPIERRE  101 

Journal  des  Débats,  t.  XVIII,  n°  67,  p.  8. 

«  M.  Robespierre  a  pensé  que  rétablissement  de  M.  Lafargué 
(7)  de  voit  être  proscrit,  parce  que  de  tous  les  moyens  de  pourvoir  aux 
besoins  des  infortunés,  il  est  le  plus  contraire  à  la  morale  et  au  bien 
public.  II  a  laissé  à  ceux  qui  avoient  étudié  les  calculs  de  ce  projet 
à  en  développer  les  autres  vices.  Il  me  paroîtroit,  a-t-il  ajouté,  que 
cette  raison  seroit  suffisante  pour  le  faire  proscrire,  mais  je  m'étonne 
qu  on  ait  encore  imaginé,  pour  le  faire  adopter,  un  projet  d'amende- 
ment d'autant  plus  dangereux,  qu'il  a  l'apparence  de  servir  l'intérêt 
public.  C'est  l'amendement  de  M.  Mirabeau  que  je  veux  rappeler.  Je 
ne  suis  point  la  dupe  du  genre  de  générosité  qu'il  présente.  (On  a 
applaudi  dans  une  partie  de  la  salle).  Et  quoique  le  genre  de  courage 
qu  il  faudroit  montrer  dans  cette  circonstance  soit  peut-être  le  plus 
difficile  de  tous,  puisqu'il  sert  à  combattre  des  vues  d'humanité,  il 
faudroit  avoir  de  soi-même  et  du  caractère  des  Représentans  de  la 
Nation  une  bien  haute  idée  pour  ne  pas  voir  en  cela  un  intérêt  per- 
sonnel quelconque. 

«  Le  salaire  des  Représentans  de  la  Nation  n'est  point  une  pro- 
priété individuelle,  c'est  une  propriété  nationale.  La  Nation  leur  donne 
une  indemnité,  parce  que  l'intérêt  exige  que  tous  les  Citoyens  soient 
en  état  de  remplir  l'emploi  qui  leur  est  confié.  Pour  cela  elle  leur 
accorde  une  indemnité  légère  en  soi,  mais  qui  acquiert  une  grande 
importance,  parce  qu'elle  est  nécessaire  au  bien  public.  En  consé- 
quence, toute  motion  tendante  à  détourner  de  sa  destination  !e  salaire 
des  Représentans  de  la  Nation,  n'est  point  un  secours  accordé  aux 
malheureux,  c'est  l'anéantissement  du  principe  le  plus  intéressant  de 
l'intérêt  général.  Ainsi,  Messieurs,  vous  adopterez  pour  les  malheureux 
des  dispositions  grandes  et  efficaces  en  soi,  mais  vous  n'irez  pas  ren- 
verser une  des  bases  de  l'intérêt  public.  Faites-bien  attention,  en  effet, 
que  cette  bienfaisance  seroit  toute  entière  au  préjudice  du  Peuple. 
(L'Orateur  a  été  interrompu  par  des  murmures).  Je  prie  l'Assemblée 
de  faire  moins  attention  à  une  mauvaise  expression,  qu'à  la  nature 
de  la  chose.  Je  dis  que  ce  sacrifice,  plus  léger  pour  les  uns  que  pour 
les  autres,  seroit  cependant  très-grand  pour  plusieurs  d'entre  nous.  Je 
demande  qu'en  conséquence,  l'Assemblée  fixant  son  attention  sur  le 
vice  essentiel  du  projet,  et  sur  l'inconvenance  de  l'amendement  qu  on 
propose,  rejette  le  Projet  et  l'Ame1  c'err.ent.  » 
Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   64,  p.   260. 

«  M.  Roberspierre .  Il  semble  au'on  ait  choisi  le  projet  !e  moins 
conforme   à   la   morale,    celui   d'une    loterie   pour   la   présenter    sous   des 


p.ibtration  aux  fondateurs  au  profit  de  la  municipalité.  On  peut  suivre 
rotte  histoire  jusqu'à  la  fin  de  la  tontine  en  1888,  dans  J.  Moulin 
Les   Tontines   (1903) 

(7)  Lafarge,  et  non  (Lafargué. 


102  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

formes  séduisantes.  Je  laisse  à  ceux  qui  ont  étudié  les  calculs  de  ce 
projet  à  en  développer  les  autres  vices.  Je  m'étonne,  que  pour  'e 
faire  adopter,  on  vous  ait  présenté  un  amendement  fait  d'abord  pour 
en  imposer  à  l'Assemblée  nationale,  je  veux  parler  de  celui  de 
M.  Mirabeau,  je  ne  suis  point  la  dupe  de  l'appât  qu'il  présente.  (On 
entend  quelques  applaudissemens).  Quoique  le  genre  de  courage  qu'il 
faut  montrer  dans  cette  circonstance  soit  le  plus  difficile  de  tous,  j'oserai 
combattre  cet  amendement,  Le  salaire  des  représentans  de  la  nation 
n'est  point  une  propriété  individuelle,  c'est  une  propriété  nationale.  La 
nation  leur  donne  une  indemnité,  parce  que  l'intérêt  public  exige  qu'ils 
soient  îndépendans.  Toute  motion  tendante  à  détourner  de  sa  destina- 
tion le  salaire  des  représentans  de  la  nation  n'est  point  un  secours 
accordé  aux  malheureux,  c'est  l'anéantissement  d'un  des  principes 
protecteurs  de  la  sûreté  publique.  Faites  attention  que  cette  bienfai- 
sance serait  toute  entière  au  préjudice  du  peuple.  (Il  s'é'ève  des  mur- 
mures). Je  prie  l'Assemblée  de  faire  moins  attention  à  une  expression 
impropre  qu'à  la  nature  de  la  chose.  Je  dis  que  ce  sacrifice  léger  pour 
plusieurs  serait  peut-être  pénible  pour  quelques-uns.  Je  demande  en 
conséquence  que  le  projet  et  l'amendement  soient  rejetés.  (On  applau- 
dit »  (8). 
Journal  général,  n°   33,  p.    130. 

M.  Robespierre  :  Il  faut  du  courage  pour  combattre  une  opinion 
reçue  avec  acclamation...  C'est  précisément  pour  ces  raisons  que  je 
dois  n'écouter  que  la  voie  de  ma  conscience,  et  l'intérêt  bien  entendu 
du  Peuple.  Le  salaire  que  reçoivent  les  Représentans  est  une  propriété 
nationale  :  c'est  le  Peuple  qui  le  donne  pour  l'intérêt  du  Peuple  (de 
toutes  parts  alors,  il  a  raison,  il  a  raison).  Il  est  à  craindre  que  quelques 
individus  ne  supportent  pas  sans  une  espèce  de  gêne  la  privation, 
quoique  modérée,  dont  il  est  question  (des  murmures  annoncent  que  la 
générosité  de  l'Assemblée  se  sent  blessée).  L'Orateur  se  hâte  c'e 
montrer  une  vraie  Loterie  dans  la  Tontine,  et  conclut  qu'il  n'y  a  heu 
à  délibérer  ni  sur  le  fond  du  projet,  ni  sur  l'amendement  de  M.  Mira- 
beau. 
Le  Spectateur  national,  n°   95,  p.  409. 

«  M.  Robespierre  a  dit  qu'il  n'étoit  pas  dupe  de  l'apparence  de 
générosité  que  présentait  l'amendement  de  M.  Mirabeau;  que  ce 
seroit  trahir  le  peuple  que  de  distraire,  même  à  son  profit,  une  portion 
des  honorâmes  de  ses  représentants;  que  lorsqu'elle  salarie  ses  députés, 
la  nation  faisoit  en  cela  un  sacrifice  peur  elle,  et  non  pas  pour  eux; 
et  qu'enfin  le  traitement  qu'elle  leur  accorde  étant  une  propriété  natio- 
nale  et   non   pas   individuelle,    on    ne  pouvoit    gratifier    les    malheureux 


(8)   Texte    reproduit   dans    le   Moniteur,    VIT.    537;    et    les    Arch. 
pari.,   XXIII,   655. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  103 

d'une  "partie -de  ces  sommes,  sans  préjudiciel  aux  intérêts  de  l'étaf,  et 

sans  porter  peut-être  un  coup  mortel  à  la  liberté. 

«  On  a  quelque  fois  vu  de  la  démence,  mais  jamais  à  un  degré 
aussi  ridicule.    » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXII,  p.  205. 
a  M.  Robespierre.  Cette  manière  de  concourir  au  soulagement 
des  pauvres  est  immorale;  elle  nous  est  présentée  sous  la  forme  d'une 
loterie,  elle  en  a  nécessairement  les  inconvéniens.  En  vain  pour  faire 
accueillir  !e  plan  de  M.  de  la  Farge,  plus  favorablement  dans  l'Assem- 
blée, vient -on  nous  présenter  un  amendement  fait  pour  la  flatter:  je 
veux  parler  de  l'amendement  de  M.  de  Mirabeau.  Je  ne  suis  point 
la  dupe  de  la  générosité  qu'il  présente  (Applaudissements  au  fond, 
à  gauche),  et  quoique  de  tous  les  genres  de  courages,  celui  qu'il  faut 
pour  combattre  de  pareilles  propositions  soit  peut-être  les  plus  difficiles, 
je  suis  cependant  convaincu  qu'il  faut  l'avoir.  La  nation  accorde  une 
indemnité  à  ses  représentans  parce  que  l'intérêt  public  exige  que  tous 
les  citoyens,  quelque  soit  leur  fortune,  puissent  être  en  état  de  remplir 
les  grands  devoirs  qui  peuvent  leur  être  imposés  par  sa  confiance.  Par 
cela  même,  cette  indemnité  légère  en  elle-même  acquiert  une  grande 
importance,  en  ce  qu'elle  est  nécessaire  pour  le  bien  du  peuple,  le 
bien  public  et  pour  la  défense  de  ses  droits.  Je  demande  donc  que 
l'Assemblée  nationale,  fixant  son  attention  sur  l'inconvenance  du  projet 
en  forme  de  loterie,  et  de  l'amendement  qui  lui  est  proposé  pour 
appuyer  ce  projet,   les  rejette  l'un   et   l'autre  (Murmures).    » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),   n"   290,   p.   4. 

c  Cet  amendement  a  fait  tort  à  la  motion  principale.  Jamais  on 
n'a  vu  tant  d'embarras.  II  falloit  du  courage  pour  repousser  la  délicate 
proposition  de  M.  Mirabeau.  MM.  Buzot  et  Robespierre  ont  eu  cette 
grandeur  d'âme.  Oh  !  Quelle  humilité  !  Nous  sommes  nous-mêmes,  ont- 
ils  dit,  le  peuple  et  les  pauvres.  Nos  honoraires  sont  une  propriété 
nationale.  Les  diminuer,  ce  seroit  voler  le  peuple.  Ne  soyons  pas  dupes 
de  tant  de  générosité. 

«  Cette  morale  étoit  trop  du  goût  de  l'assemblée  pour  n'être  pas 
adoptée,  et  le  projet  de  la  lotterie  a  été  repoussé  par  la  crainte  de 
l'amendement.   » 

Le  Postillon  (Calais),   n°    267,   p.   2. 
Le  Patriote  François,  n°   574,  p.  235. 

«  M.  Roberspierre  a  combattu  toutes  ces  idées;  il  a  dit  qu'il 
falloit  se  défier  de  ceux  qui  proposoient  de  prendre  sur  les  honoraires 
des  députés  pour  faire  des  actes  de  générosité  envers  le  peuple  ;  que 
ces  prétendus  dons  ne  pouvoient  que  lui  être  funestes;  qu'il  avoit 
accordé  un  traitement  à  ses  représentans,  pour  qu'ils  fussent  inviolable- 


104  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

ment  attachés  à  ses  intérêts,  et  qu'en  faire  le  sacrifice,  ce  seroit  le 
trahir.  Il  a  conclu  à  la  question  préalable  sur  le  projet  et  les  amende- 
mens.    » 

Journal  universel,   t.    X,   p.    3739. 
Courrier  des  Français,  n°   4,  p.  32. 
Journal  de  Normandie,  n°   65,  p.   308. 

«  M.  Robespierre  et  M.  Buzot,  sans  s'arrêter  à  cet  incident, 
ont  combattu  le  fond  du  projet  de  l'établissement  d'une  tontine.  Ils 
ont  prouvé  que  c'étoit  une  vraie  loterie,  forme  odieuse  et  que  des 
législateurs  ne  pouvaient  adopter.  Enfin,  ils  ont  démontré  que  c'étoit 
ouvrir  une  spéculation  sur  la  misère  du  peuple.   » 

Journal  de  Paris,   n°   64,   p.   258. 

«  Cependant  M.  de  Roberspierre  a  attaqué  le  premier  ces  pro- 
positions au  milieu  des  apolaudissemens  qui  sembloient  les  décréter. 
Les  peuples,  a  dit  M.  de  Roberspierre,  ont  été  réduits  à  une  horrible 
indigence  par  des  chefs  qu'ils  ne  payoient  pas.  On  connaît  cette  bien- 
faisance qui  ne  reçoit  rien  et  qui  prend  tout.  On  ne  permettra  plus  que 
le  peuple  soit  trompé  par  de  semblables  illusions  :  il  veut  et  il  doit 
payer  ses  représentans  pour  que  d'autres  ne  les  paient  pas.  Ce  n'est 
pas  non  plus  par  des  loteries  qu'il  faut  aller  au  secours  du  peuple; 
je  demande  donc  la  question  préalable,  et  sur  le  projet  de  M.  l'abbé 
Gouttes,  et  sur  tous  les  amendemens  dont   il   a  été   grossi.    » 

Courier  de  Provence,  t.  XIII,  n°  263,  p.  319. 

«  Toutes  ces  idées  ont  été  vivement  combattues  par  MM.  Robes- 
pierre et  Buzot  qui,  à  leur  tour,  ont  été  vivement  applaudis  Ils  ont 
soutenu  que  le  mode  d'une  loterie  était  le  plus  contraire  à  la  morale, 
et  par  conséquent  le  moins  proore  à  être  adopté  par  des  législateurs. 
Quant  au  projet  de  faire  contribuer  les  membres  de  l'Assemblée,  ils 
ont  dit  qu'il  falloit  s'en  méfier,  que  toute  motion  tendante  à  détourner 
de  sa  destination  le  salaire  des  représentans  de  la  nation,  n'est  point 
un  secours  accordé  aux  malheureux,  que  c'est  l'anéantissement  cTun 
des  principes  protecteurs  de  la  sûreté  publique.    » 

Lettres  de  Périsse  du  Luc,  à  Wuillermoz  (9). 

«  A  Paris,   le  vendredi  4  mars   1791.   Matin. 

«  Je  vous  avois  promis,  mon  très  cher  ami,  de  vous  averfir  de  ce 
qui  seroit  décidé  sur  le  projet  de  Tontine  de  M.  Lafarge,  je  Drends 
à  la  hâte  un  moment  et  sous  les  yeux  des  députés  des  agens  de  Orange 
de  Lyon,  qui  sont  auprès  de  moi,  pour  vous  dire  que  malgré  l'abbé 
Gouttes,  et  une  apologie  faite  par  Mirabeau,  dans  laquelle,  à  vrai 
dire,  il  a  parlé  scandaleusement  contre  les  principes,  et  a  qualifié  cette 


(9)  Bibl.  de  Lyon,  mns.  5430,  n° 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  105 

loterie  viagère  de  Caisse  d'Epargne  et  de  bienfaisance  pour  le  Peuple, 
le  plan  a  été  repoussé  par  la  question  préalable,  MM.  Robespierre 
et  Buzot  ayant  expressément  fait  les  mêmes  réflexions  à  l'assemblée 
que  je  vous  avois  faites  chez  moi,  et  que  j'avois  prévu  qu'on  feroit. 
Il  y  a  trop  de  lumières  dans  l'assemblée  pour  qu'on  puisse  déguiser 
la  vraie  nature  d'une  opération  de  finance,  et  le  nouveau  rapport 
qu'on  avoi'  distribué  n'a  pu  produire  cet  effet.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Les  Annales  patrio- 
tiques et  littéraires,  n°  519,  p.  1127;  Le  Courrier  d'Atiignon,  n°  63, 
p.  251  ;  Le  Mercure  universel,  t.  I,  p.  74;  Le  Point  du  Jour,  t.  XX, 
n°  602,  p.  20;  Le  Journal  du  Soir,  t.  II,  n°  239,  p.  2;  Assemblée 
nationale,  corps  administratifs  (Perlet),  t.  X,  n°577,  p.  2;  Le  Joirrnal 
de  la  Noblesse,  t.  I,  n°  11,  p.  297;  La  Correspondance  nationale,  n°  6, 
p.  191  ;  Journal  du  Soir  (Beaulieu),  n°  63,  p.  1  ;  Le  Législateur  fran- 
çais. 5  mars  1791,  p.  2;  L'Observateur  français,  n°  8,  p.  62;  La 
Feuille  du  Jour,  t.  III,  n°  64,  p.  508;  Le  Mercure  de  France,  12  mars 
1791,  p.  133;  Assemblée  nationale  et  Commune  de  Paris  (imitât.), 
n°  574,  p.  3;  L'Ami  des  Patriotes,  t.  I,  n°    15.] 


229.  —  SEANCE  DU  5  MARS  1791 
Sur  le  jugement  des  contestations  en  matière  électorale 


L'Assemblée  nationale  poursuit  la  discussion  du  projet  de  décret 
destiné  à  compléter  l'organisation  des  corps  administratifs  Le  rap- 
porteur, Démeunier,  propose  un  article  tendant  à  faire  juger  les 
contestations  qui  pourront  s'élever  à  La  suite  des  élections,  par  le 
directoire  de  département  et.  en  appel,  par  le  directoire  du  dépar- 
tement voisin. 

Robespierre,  appuyé  par  Buzot,  demande  que  ces  contestations 
soient  attribuées  au  jugement  du  corps  législatif.  Mirabeau  se  pro- 
nonce pour  l'ajournement. 

L'Assemblée  ordonna  l'ajournement.  La  question  fut  réglée  le 
14  mars  (1). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXII,  p.  238. 

«  M.  Robespierre.  C'est  un  principe  incontestable  que  les  droits 
politiques  des  citoyens,  et  par  conséquent  les  droits  de  la  nation  ne 
peuvent  point  être  soumis  ni  au  pouvoir  exécutif,  ni  au  pouvoir  adminis- 
tratif, parce  que  si  l'un  ou  l'autre  avoit  droit  de  prononcer  sur  le  droit 
politique  d'un  citoyen  et,  par  une  conséquence  nécessaire,  sur  la  sou- 
veraineté du  peuple,  il  s'en  suivroit  qu'il  dépendrait  de  ces  corps 
d'attaquer  les  droits  du  peuple  dans  leurs  principes  et  la  Constitution 
dans  ses  fondemens. 

«  Il  faut  bien  se  garder,  Messieurs,  de  confondre  !e  pouvoir  des 
corps  administratifs  avec  le  pouvoir  du  corps  législatif.  Les  corps  admi- 


(1)  Cf.  ci-dessous,  séance  du  13  mars  1791. 


106  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

nistratifs  ne  sont  pas  les  représentans  du  peuple,  ils  ne  sont  que  ses 
délégués;  ils  ne  peuvent  juger  des  qualités  politiques  et  individuelles 
de  chaque  citoyen.  Ils  ne  peuvent  que  prévenir  le  vœu  <\\i  peuple. 
Le  corps  législatif,  au  contraire,  doit  juger  des  qualités  politiques  et 
individuelles,  parce  que  ce  sont  là  les  véritables  intérêts  du  peuple. 
Je  conclus  de  cela  que  lorsqu'il  s'élève  une  contestation  sur  'e  droit 
qu'a  un  citoyen  de  paroître  à  une  assemblée  primaire  ou  électorale, 
le  sort  de  ce  citoyen  ne  peut  être  soumis  ni  au  pouvoir  exécutif,  ni  au 
pouvoir  judiciaire,  ni  au  pouvoir  administratif,  mais  que  la  contes^tion 
doit  être  décidée  d'abord  par  la  majorité  des  citoyens  qui  composent 
l'assemblée,  et  qu'elle  doit  être  exécutée  provisoirement,  sauf  ensuite 
le  recours  au  corps  des  représentans  de  la  nation,  au  corps  législa- 
tif »  (2). 
Le  Point  du  Jour,  t.  XX,  n°  603,  p.  40. 

«  Aucune  contestation,  a  dit  M.  Robespierre,  ni  sur  la  validité 
des  élections,  ni  sur  les  droits  politiques  des  citoyens  ne  peut  être 
soumise  aux  tribunaux,  ni  aux  corps  administratifs;  car  ces  corps  seront 
les  maîtres  de  porter  atteinte  à  la  souveraineté  du  peuple;  qui  n'est 
que  le  résultat  des  droits  politiques  des  citoyens;  le  peuple  ne  leur  a 
pas  donné  cette  puissance,  leur  mission  n'a  de  respect  qu'aux  affaires 
de  l'administration  et  aux  intérêts  civils  des  individus;  ils  ne  repré- 
sentent pas  la  puissance  souveraine  du  peuple,  quand  ils  la  représente- 
roient,  ce  seroit  une  raison  de  plus  de  penser  qu'ils  ne  peuvent  point 
s'élever  au-dessu3  de  lui,  en  décidant  du  sort  et  de  la  formation  des 
assemblées  populaires;  de  ne  pas  leur  permettre  d'attenter  aux  droits 
de  leur  souverain.  Les  dispositions  proposées  par  le  comité  et  par 
M.   Thouret,   sont  donc  absolument  destructives  de   la   liberté. 

«  Je  demande  que  les  contestations  sur  les  droits  politiques  des 
citoyens,  ne  puissent  être  décidées  que  par  jes  assemblées  elles-mêmes, 
et  s'il  y  a  des  difficultés,  par  le  corps  législatif.   » 

Journal  de  Paris,  n°  65,  p.  263. 

«  La  première  étoit  soutenue  par  M.  Robertpierre  &  M.  Buzot 
principalement,  pour  que  les  contestations  de  ce  genre,  jugées  d'abord 
par  les  Electeurs  eux-mêmes,  le  fussent  ensuite  définitivement  par  le 
Corps  législatif.  Il  n'y  a,  disoient-ils,  dans  la  Constitution,  que  trois 
classes  de  Représentans  du  Peuple,  les  Electeurs,  le  Corps  législatif 
&  le  Roi.  Le  Roi  ne  peut  pas  être  juge  de  la  validité  des  élections, 
parce  que  ce  seroit  un  moyen  d'y  exercer  une  grande  influence.  Les 
Département  ne  sont  pas  des  Représentans,  mais  de  simples  Délégués  : 
ils  ne  peuvent  donc  pas  avoir  un  degré  de  juridiction  sur  les  Electeurs 
qui  sont  des  Représentans.  On  ne  peut  donc  appeller  du  jugement  des 
Electeurs  qu'au  jugement  des  Législateurs. 


(2)  Texte  reproduit  dans  las  Arch.  pari.,  XXIII,  674. 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  107 

«  Ce  sont  les  Législateurs  qui  doivent  bien  connoître  les  loix  et 
les  règles  essentielles  de  la  Constitution  :  c'est  à  eux  à  lever  les  doutes 
qui  peuvent  s'élever  sur  leur  application;  il  ne  faut  pas  craindre  que 
ces  décisions  particulières  les  détournent  trop  des  affaires  générales. 
Cette  crainte  n'a  aucun  fondement  pour  l'avenir;  il  ne  faut  pas  croire 
que  les  affaires  générales  soient  toujours  si  nombreuses;  elles  diminue- 
ront quand  la  Constitution  bien  consolidée  n'aura  plus  que  des  mouve- 
mens  faciles.  Les  contestations  ne  pourront  non  plus  se  multiplier  beau- 
coup, quand  l'habitude  d'appliquer  les  règles  en  rendra  l'application 
plus  sûre.  C'est  donc  au  Corps  législatif  qu'il  faut  déférer  ces  juge- 
mens    solemnels.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  :  Les  Annales  univer- 
selles, 6  mars  1791,  p.  152;  Assemblée  nationale  et  Commune  de 
Paris  (imitât.),  n°  575,  p.  6;  La  Correspondance  nationale,  n°  7, 
p.  221;  Le  Courier  Français,  t.  X,  n°  65,  p.  36;  Le  Lendemain, 
t.  II,  n°  65,  p.  804;  Le  Journal  des  Débats,  t.  XVIII,  n°  638,  p.  7.] 


230.  —  SEANCE  DU  5  MARS  1791  (soir) 
Sur  une  demande  d'extradition  de  la  cour  de  Vienne 


Le  duc  du  Chatelet-OLomont,  député  de  la  noblesse  du  bailliage 
de  Bar-le  Duc,  rapporte  au  nom  du  comité  diplomatique,  sur  me 
■demande  d'extradition  du  chargé  d'affaires  de  Vienne,  relative  à 
deux  individus  arrêtés  à  Huningue,  et  conforme  aux  usages  récipro- 
que-' existant  entre  la  France  et  les  Etats  d'Autriche.  Le  gouverne- 
anent  français  avait  ordonné  l'extradition  ;  mais  le  tribunal  d'Alt- 
kirch  a  fait  défense  à  la  municipalité  d'Huningue  d'obéir  à  cet 
ordre,  jusqu'à  ce  que  l'Assemblée  nationale  eût  prononcé  sur  cette 
question  de  droit  public.  En  attendant  que  l'Assemblée  ait  adopté 
une  mesure  d'ensemble,  le  rapporteur  propose  que,  s'en  tenant  aux 
lois  d'usage,  elle  fasse  droit  à  la  requête  du  chargé  d'affaires  de 
Vienne  et  ordonne  l'extradition  demandée  (1). 

("n  vif  débat  s'inutaure  sur  cette  affaire.  Reubell  (2),  Robes* 
pierre,  Delavigne,  député  du  tiers  état  de  la  ville  de  Paris,  Gaultier 
de  Biauzat,  Pétion...  demandent  l'ajournement  que  combat  Fréteau 
de  iSaint-Just.  Au  cours  du  débat,  le  due  du  Chatelet  présente  comme 
pièce  a  conviction,  un  certificat  du  conseil  impérial  et  roval  de 
Vienne,  portant  qu'il  résulte  de  la  procédure  assermentée,  que  l'un 
des  deux  accusés  a  fait  circuler  pour  200.000  florins  de  fausses 
lettres  de  change  (3). 


(l)  CE.  Harnel,  I,  381.  Mais  il  donne  le  15  mars  comme  date 
du  dépôt  du  rapport. 

(2^  Reube!!  s'efforce  de  démontrer  qu'il  s'agit  de  deux  inn .>- 
cents,  victimes  des  directeurs  dé  la  banque  de  Vienne  d^vt  les 
affaires  périclitent.  D'autre  part,  il  émet  la  crainte  que  ces  deman- 
des d'extradition  ne  s'étendent  aux  accusés  politiques. 

(3)  Dans  un  premier  rapport,  il  était  question  de  faux  billets:  de 
banque.    Robespierre   souligne  cette  contradiction. 


108  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

L'Assamblée  se  prononça  pour  l'ajournement,  et  chargea  ko;; 
comités  diplomatique  et  de  constitution,  de  lui  présenter  incessam- 
ment une  loi  générale  sur  cette  matière. 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  66,  p.  269-270. 

«  M.  Roberspierre.  Quoiqu'il  soit  vrai  que  l'Assemblée  ne  puisse 
juger  d'un  fait  sans  le  connaître;  quoiqu'il  soit  évident  qu'elle  n'a  point 
encore  réuni  les  bases  sur  lesquelles  doit  être  fondée  sa  décision,  et 
que,  dans  aucun  cas,  elle  ne  peut  prononcer  aussi  légèrement  sur  le 
sort  d  un  individu,  je  crois  que  ce  n'est  pas  même  encoie  la  question 
de  fait  qui  doit  nous  occuper.  Ne  voyez-vous  pas  qu'il  s'agit  de  la 
plus  grande  question  de  droit  public.  Il  s'agit  de  déterminer  quels  sont 
les  droits  et  les  devoirs  réciproques  des  nations;  il  s'agit  de  savoir 
quelle  est  la  juridiction  générale  des  sociétés  sur  les  individus  de 
l'espèce  humaine.  Croyez- vous  que  ce  soit  à  l'occasion  d'un  rapport 
superficiel,  incomplet  et  ambigu  que  vous  devez  prononcer  sur  les 
premières  et  les  plus  précieuses  lois  de  la  société,  et  sur  les  rapports 
du  genre  humain?...  Cette  observation  suffit  pour  vous  déterminer  à 
renvoyer  cette  question  au  Comité  de  Constitution,  pour  la  décider 
ensuite  avec  toute  la  préparation  et  la  maturité  qu'elle  mérite.    » 

[Interventions  de  MM.  Fréteau,  Buzot,  Duchâtelet.] 

«  M.  Roberspierre.  D'après  cette  pièce  il  me  paraît  que  les 
particuliers  arrêtés  à  Huningue  ne  sont  rien  moins  que  criminels.  Si  un 
véritable  crime  existait,  on  n'aurait  pas  manqué  sans  doute  de  le  pré- 
senter à  l'Assemblée  nationale.  J'atteste  au  contraire  tous  les  négocians, 
et  je  leur  demande  si  ce  dont  les  détenus  sont  accusés  est  réellement 
un  crime.  Ils  n'ont  fait  que  ce  qui  était  en  usage,  et  concevez-vous 
que  si  des  accusés  à  la  poursuite  desquels  on  met  tant  d'importance 
étaient  réellement  coupables,  on  se  fût  contenté  d'envoyer  un  certi- 
ficat, en  vous  cachant  l'information...  Ne  voyez-vous  pas  que  si  vous 
n'ajourniez  pas,  vous  décideriez  la  question  de  fait,  et  préjugeriez  la 
question  de  droit,   sans  connaître  ni  l'une  ni  l'autre  ?   » 

[Interventions  de  MM.   Lavigne  et  Fréteau.] 

«  M.  Roberspierre .  Je  ne  crois  pas  qu'aucun  membre  de  l'assem- 
blée veuille  faire  ici,  en  quelque  sorte,  le  rôle  d'accusateur,  et  que 
quelqu'un  ait  intérêt  à  s'opposer  à  T ajournement.  Je  demande  qu'on 
aille   aux  voix   »   (4). 


(4)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VU,  558-559,  et  les  Arch. 
•pari.,  XXIII,  695-697,  qui  ajoutent,  à  la  fin  du  1er  §:  «  Je  demande 
donc  qu'il  ne  soit  statué  sur  le  isort  des  trois  prisonniers  détenus  à 
Huningue  qu'après  que  l'Assemblée  aura  décrété  la  loi  générale  sur 
cette  matière  et  qu'en  conséquence  le  projet  de  décret  soit  renvoyé 
au  Comité  de  constitution.   » 


LES  DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  109 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.    II,  n°   241,  p.   2. 
Courrier  des  Français,  n°  6,  p.  47. 
Journal  de  Normandie,  n°   66,  p.  316. 

((  M.  Roberstpierre  a  prouvé  que  de  cette  affaire  naissoit  impro- 
visément  la  grande  question  du  droit  des  gens  qui  déjà  a  été  renvoyée 
aux  comités  de  constitution  et  diplomatique.  Il  concluoit  à  ce  que 
cette  affaire  ne  fut  pas  décidée,  avant  que  le  principe  ne  fut  reconnu 
et  consacré  par  un  décret. 

<(  Cette  motion  sage  devoit  être  adoptée  de  prime  abord  et  faire 
crouler  le  rapport  insidieux  de  M.  Duchâtelet;  et  cependant  les  plus 
grands  désordres  ont  régné  dans  l'Assemblée.  M.  Fréteau  soutenoit  le 
rejet;  M.  Lavigne  demandoit  l'élargissement  provisoire;  le  cul-de- 
sac  crioit  à  l'injustice.  M.  Peythion  a  renouvelé  la  motion  de  M.  Ro- 
berstpierre et  enfin  elle  a  été  adoptée.  » 
Assemblée  nationale  et  Commune  de  Paris  (imitât.),  n°  576,  p.  2. 

((  Le  comité  dyplomatique  conclut,  comme  il  l'avoit  précédam- 
ment  fait,  à  Y  extradition  des  deux  particuliers;  mais  MM.  Reubell, 
Péthion,  Biozat  et  Robetspierre  ont  objecté  d'abord  que  rien  ne  prou- 
voit  la  réciprocité  que  le  comité  dyplomatique  alléguoit  avoir  toujours 
existé  entre  la  cour  de  France  et  la  cour  impériale,  sur  l'extradition; 
car  au  contraire  depuis  long-tems  un  faux  monnoyeur  réfugié  à 
Bruxelles  a  été  vainement  réclamé;  les  opinans  ont  de  plus  observé 
que  les  particuliers  ne  pouvoient  être  régulièrement  extradés  que  sur 
le  vu  d'une  procédure  bien  légale;  enfin,  voyant  dans  cette  affaire 
une  question  très-importante  sur  le  droit  des  gens,  ils  en  ont  demandé 
le  renvoi  au  comité  de  constitution,  ce  qui  a  été  ordonné.  » 
Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXII,  p.  255. 

«  M.  Robespierre.  Il  résulte  des  pièces,  et  je  demande  à  le 
prouver,  que  les  accusés  sont  innocens  (murmures)  On  n'argumente 
contr'eux  que  d'après  l'aveu  d'une  négociation  usitée  entre  négocians; 
et  je  prends  à  témoin,  non-seulement  tous  ceux  qui  sont  ici,  mais 
tous  les  hommes  au  courant  de  ces  affaires  :  ils  savent  que  ce  n'est 
point-là  un  crime  (on  applaudit).  Si  vous  ne  renvoyez  pas  au  comité 
l'examen  de  cette  affaire,  vous  avez  à  décider  ici  et  la  question 
de  fait  et  la  question  de  droit  sur  lesquelles  ni  M.  Fréteau,  ni  M.  du 
Châtelet,  ni  personne  n'ont  encore  dit  un  mot.  » 
Le  Spectateur  national,  n°  97,  p.  415. 

«  Ces  motifs  et  plusieurs  autres  allégués,  tant  par  le  rapporteur 
que  par  M.  Fréteau,  ont  paru  faire  impression  sur  l'assemblée;  elle 
se  préparait  même  à  ordonner  l'extradition  des  trois  hommes  réclamés 
par  la  cour  de  Vienne,  lorsque  M.  Robespierre  s'est  écrié  que  les 
trois  accusés  dont  il  s'agissoit  n'étoient  point  coupables;  que  le  crime 
qu'on   leur  reprochoit  n'étoit  qu'une   opération  ordinaire  de   commerce, 


110  LES   DISCOURS    DZ    ROBESPIERRE 

et  qu'enfin  il  étoit  de  la  dignité  et  de  la  justice  de  l'assemblée,   non- 
seulement  de  ne  pas  les  rendre  à  leurs  juges  naturels,   mais  même  de 
les  mettre  en  liberté...   » 
L'Ami  du  Roi  (Montjoie),   7  mars   1791,  p.  262. 

«  La  pénétration  de  M.  de  Roberspierre  s'est  trouvée  en  défaut, 
sous  prétexte  que  l'affaire  n'était  pas  assez  claire;  il  en  a  demandé 
le  renvoi  à  un  nouvel  examen. 

«  ...Pour  éclairer  M.  de  Roberspierre,  M.  le  duc  du  Châteleî 
s'est  donné  la  peine  de  faire  lecture  d'une  des  principales  pièces  de 
son  rapport  contenant  la  preuve  du  crime  des  deux  prisonniers 

«    ...Tout-à-coup    l'assemblée    entière    ne    s'est    pas    trouvée    plus 
éclairée  que  M.  de  Roberspierre,  car  elle  a  adopté  sa  motion.   » 
Courier  de  Provence,  t.   XIII,   n°   264,  p.   350. 

«  MM.  Reubell,  Biauzat  et  Robespierre,  se  sont  fortement  oppo- 
sés à  la  proposition  insidieuse  du  comité  diplomatique  qu'ils  ont  accusé 
de  vouloir  complaire  au  ministre.  Ils  ont  observé  que  le  certificat  d'une 
municipalité  n'est  point  un  acte  judiciaire.  La  municipalité  de  Paris 
pourroit-elle,  avec  des  certificats,  exercer  le  despotisme  le  plus  arbi- 
traire sur  des  François  fugitifs  ?  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Patriote  jrançois, 
n°  576,  p.  243;  Le  Courrier  des  LXXXIII  départemens,  t.  XXII,  n°  7, 
p.  110;  Le  Journal  universel,  7  mars  1791  ;  Le  Courier  français,  t.  X, 
n°  65,  p.  39;  Le  Mercure  de  France,  12  mars  1791,  p.  145;  Assem- 
blée nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  X,  p.  3.] 


231.  —  SEANCE  DU  6  MARS  1791 
Sur  la  publicité  des  séances  des  corps  administratifs 


L'Assemblée  poursuit  l'examen  des  articles  du  projet  présenté 
par  Démeunier,  et  portant  complément  de  l'organisation  des  corps 
administratifs  Après  le  vote  de  l'ensemble  du  projet,  en  trente- 
ihuit  articles,  Robespierre  propose  un  article  additionnel  tendant  à 
assurer   la  publicité  des  séances  des  corps   administratifs. 

Sur  les  observations  de  Le  Chapelier,  l'Assemblée  prononça 
l' ajournement. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXII,  p.  271. 

«  M.  Robespierre.  J'ai  à  proposer  un  article  additionnel  qui  est 
infiniment  essentiel,  et  qui  ne  peut  éprouver  de  difficultés 

a  Vous  savez  que  la  publicité  est  en  même  temps  un  droU  du 
peuple  et  la  sauvegarde  de  la  liberté.  Je  demande  en  conséquence  que 
les  séances  des  corps  administratifs  soient  publiques  »  (Applaudisse- 
mens). 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  1  1  I 

Le  Spectateur  national,  7  mars   1791,  p.  416. 

«  Après  l'adoption  de  ce  décret,  M.  Robespierre  en  a  sollicité 
un  qui  ordonnât  que  les  corps  administratifs  tiendroient  leurs  séances 
publiquement;  mais  rien  n'a  été  statué  sur  cette  proposition,  que 
l'assemblée  a  cru  devoir  ajourner.    » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie) ,  7  mars  1791,  p.  262. 

«  On  a  employé  le  reste  de  la  séance  à  décréter  de  nouveaux 
articles  sur  les  corps  administratifs.  Avant  de  les  donner,  nous  disons 
que,  lorsqu'ils  ont  été  adoptés,  M.  Roberspierre  a  demandé  que  les 
séances  des  conseils  de  département,  des  districts  et  des  communes, 
se  tinssent  publiquement.    » 

Mercure   universel,   t.    I,   p.    108. 

«  M.  Robespierre  a  demandé  la  publicité  des  séances  des  corps 
administratifs,  prétendant  qu'elle  étoit  un  patrimoine  du  public.  Ce 
principe  peut  être  vrai  en  général,  mais  la  pratique  ne  seroit  peut-être 
pas  sans  de  grands  inconvéniens.  M.  le  Chapelier,  a  prévenu  l'assem- 
blée que  le  comité  s'étoit  occupé  de  cette  question,  et  que  sous  peu 
de  jours  il  lui  feroit  part  de  sa  résolution.  La  motion  de  M.  Robes- 
pierre n'a  plus  eu  d'objet.  » 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

232.  —  SEANCE  DU  6  MARS  1791 
Sur  l'organisation  du  Ministère 


Après  une  intervention  de  Broglie  au  sujet  des  rassemblements 
sur  la  frontière  du  lihin,  le  président  communique  à  la  Société 
l'ordre  du  jour  de  la  séance.  Mais  sur  l'observation  que  la  discussion 
du  plan  d'organisation  du  ministère  devait  commencer  demain  à 
l'Assemblée  nationale,  il  donne  la  parole  à  Robespierre.  Ce  dernier 
iiftiste  sur  l'importance  de  cette  question,  mais  refuse  de  développer 
ses  idées,  bien  que  Beauharnais  ait  consenti  à  lui  céder  son  tour 
de  parole. 

La  discussion  s'engagea  sans  lui:  Kersaint  (1),  Lépidor  (2), 
Danjou  (3)  et  plusieurs  autres  y  prirent  part.  Elle  se  continua  le  11 
mars. 

Mercure  universel,   t.    I,   p.    126. 

«    M.    Robespierre.    L'organisation   du    ministère    est,    selon    moi, 
1  une   des   questions    les   plus    importantes   pour    la    liberté,    et    pourtant 

<\)  11  s'a'/it  'lu  futur  conventionnel. 

{■i)  Lépidor  père,   électeur  de  la  Section  des  Invalide:;  on   1790. 
(3)  Danjou,  prêtre  et  instituteur;  il  sera  membre  de  la  Commune 
du  10  août  et  commissaire  du  Conseil  exécutif.     • 


112  LES  DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

personne  ici  ne  se  présente  pour  la  discuter;  c'est  ainsi  que  lorsqu'il 
fut  question  d'organiser  les  corps  administratifs  (4),  il  ne  se  présenta 
personne  pour  éclaircir  cette  matière;  les  décrets  portés  dernièrement 
sur  les  corps  administratifs  tendent  à  remettre  les  pouvoirs  du  peuple 
dans  les  mains  du  ministère.  Celui  dont  il  s'agira  demain  est  dans  le 
même  esprit,  et  l'on  vous  parle  de  la  loi  sur  les  émigrans  (5),  déjà 
éclaircie  par  la  discussion  et  par  tous  les  écrivains.  Vous  êtes  amis 
de  la  Constitution,  je  demande  si  vous  remplissez  votre  mission  ?  »  (6). 


(4)  Cf.  séance  des  Jacobins  du  2  m,ar.s  1791. 

(5)  Cf.  i&éance  de   l'Assemblée  nationale  du  28  février   1791. 

(6)  Rien  dans  Aulard  à  propos  de  Robespierre. 


233.  —  SEANCE  DU  9  MARS  1791 
Sur  la  nomination  des  administrateurs  du  trésor  national 


A  la  fin  de  sa  séance  du  7  mars,  l'Assemblée  nationale  avait 
décidé  de  placer  à  l'ordre  du  jour  du  lendemain,  l'organisation  du 
trésor  public.  Le  débat  s'engage  le  8  mars,  sur  la  question  de  savoir 
si  les  administrateurs  du  trésor  national  seront  nommés  par  le  roi, 
ainsi  que  le  propose  Lebrun  (1)  au  nom  du  comité  des  finances,  ou 
par  la  nation. 

La  discussion  se  poursuit  le  9  mars.  Pétion  demande  la  question 
préalable  sur  le  premier  article  du  projet  de  décret  du  comité  des 
finances,  qui  établit  un  ordonnateur  général  nommé  par  le  roi. 
Robespierre  défend  aussi  les  droits  de  la  nation  au  contrôle  de  ses 
finances.  Anson,  député  du  tiers  état  de  la  'ville  de  Paris,  et  Rœde- 
rer,  soutiennent  le  même  point  de  vue. 

L'Assemblée  décréta  que  les  administrateurs  du  trésor  national 
seraient  nommés  par  le   roi. 

Le  Point  du  Jour,  t.  XX,  n°  607,  p.  105. 

«  M.  Robespierre  a  défendu  avec  force  les  principes  du  droit 
national  :  «  Puisque  l'impôt  n'est  autre  chose,  a-t-il  dit,  qu'une  partie 
des  propriétés  nationales,  mise  en  commun  pour  subvenir  aux  besoins 
de  la  société  (2),  l'intérêt  et  les  droits  de  la  nation  exigent  essentielle- 
ment deux  choses:  la  première,  qu'il  n'existe  d'autre  impôt  que  ceux 
qu'elle  a  librement  établis;  la  seconde,  que  les  précautions  les  plus 
efficaces  soient  prises,  pour  assurer  la  conservation  et  le  fidèle  emploi 
des  sommes  qu'elle  consacre  à  ses  besoins.  C'est  à  ses  représentans 
qu'elle  confie   ce  double  soin;   c'est   vous  qu'elle   en  a   chargés.   Vous 

(1)  Il  s'agit  de  Lebrun,  député  de  Dourdan,  futur  consul  et  duc 
de  Plaisance. 

(2)  Cette  idée  a  déjà  été  exprimée  par  Robespierre  lors  de  la 
discussion  de  la  Déclaration  des  Droits,  dans  la  séance  du  26  août 
1789. 


.    LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  113 

avez  rempli  à  cet  égard  la  première  partie  de  votre  tâche,  en  consa- 
crant le  principe  que  tous  les  impôts  doivent  être  établis  par  elle;  il 
vous  reste  la  seconde,  sans  laquelle  la  première  seroit  presqu'absolu- 
ment  illusoire,  c'est-à-dire  de  prendre  les  précautions  les  plus  sages 
pour  assurer  la  conservation  et  le  fidèle  emploi  du  trésor  public. 

«  On  vous  propose  deux  partis  :  l'un  de  s'en  remettre  entre  les 
mains  du  ministre,  et  l'autre  de  le  laisser  entre  les  mains  de  la  nation, 
c'est-à-dire  de  le  confier  aux  mandataires  qu'elle  aura  choisis.  Il  s'agit 
donc  d'examiner  de  quel  côté  est  la  garantie  la  plus  sûre.  Or,  quel 
homme  de  bonne  foi  peut  hésiter  sur  cette  question  ?  Qui  osera  dire 
que  les  choix  des  ministres  méritent  plus  de  confiance  que  ceux  du 
peuple  ou  de  ses  représentans,  c'est-à-dire,  que  les  intrigues  de  cour 
sont  des  garans  moins  suspects  que  le  vœu  national. 

<(  Certes,  pour  résoudre  cette  question,  il  ne  faut  point  se  perdre 
dans  des  raisonnemens  subtils;  il  suffit  de  suivre  les  premiers  principes 
du  bon  sens,  et  les  premiers  mouvemens  de  sa  conscience.  Eh  !  qui 
sont  donc  ceux  qui  jusques-ici  et  dans  tous  les  tems  ont  dilapidé  les 
finances  et  dévoré  la  substance  du  peuple?  la  Cour,  les  ministres; 
qui  sont  ceux  qui  sont  préposés  pour  réparer  ces  désordres,  pour  en 
prévenir  le  retour?  les  représentans  de  la  nation,  vous;  et  c'est  entre 
les  mains  de  la  cour  et  du  ministre  que  l'on  vous  propose  de  remettre 
le  trésor  national;  et  ce  sont  eux  que  l'on  préfère  à  la  nation  même  ou 
à  ses  représentans  ? 

«  C'est  ici  le  moment  de  confondre  un  sophisme  qui  pourroit 
non  seulement  produire  en  cette  occasion,  une  erreur  funeste,  mais  qui 
seroit  un  prétexte  éternel  de  violer  les  droits  de  la  nation.  On  vous 
présente  le  roi,  ou  les  ministres,  d'un  côté,  l'assemblée  nationale  de 
l'autre,  comme  deux  espèces  de  représentans  placés  sur  la  même  ligne, 
comme  deux  pouvoirs  délégués,  auxquels  vous  pouvez  également  confier 
le  soin  de  veiller  à  la  conservation  du  trésor  public. 

«  Non,  les  véritables  représentans  de  la  nation  sont  ceux  qu'elle 
a  choisis  pour  défendre  ses  droits,  à  ce  titre,  pour  être  les  organes  de 
sa  volonté,  pour  surveiller  en  son  nom  les  divers  magistrats  et  les  agens 
du  pouvoir  exécutif.  Dans  tout  ce  qui  concerne  leur  compétence,  il 
faut  dans  votre  système  surtout,  reconnoître  en  eux  les  droits  et  l'auto- 
rité de  la  nation  elle-même,  il  faut  les  considérer  comme  tenant  sa 
place  Et  certes,  n'y  a-t-il  pas  trop  peu  de  bonne  foi,  tantôt  à  décréter 
que  la  nation  n'exerce  point  sa  souveraineté  et  ses  droits  par  elle-même, 
mais  seulement  par  le  ministère  de  ses  représentans,  tantôt  à  mécon- 
noître  dans  les  représentans  le  droit  d'exercer  son  pouvoir;  de  ne  les 
regarder  que  comme  des  délégués  ordinaires,  placés  sur  la  même  ligne 
que  les  fonctionnaires  exerçant  ce  que  vous  appeliez  le  pouvoir  exécutif. 
Il  résulîeroit  de  ce  système  que  la  nation  seroit  dépouillé-  de  sa  souve- 
raineté, puisqu'elle  ne  pourroit  en  exercer  les  droits,  ni  par  elle-même, 
ni  par  des  représentans;  il  n'y  auroit  plus  alors  qu'un  pouvoir,  royal  ou 


114  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

ministériel,  immense,  destiné  à  tout  engloutir;  il  n'y  auroit  plus  de 
nation.  Remettez  dans  ses  mains  l'armée  et  les  finances,  vous  aurez 
rempli  cet  objet  dans  toute  son  étendue;  vous  aurez  adopté  le  moyen 
le  plus  infaillible  de  rétablir  constitutionnellement  le  despotisme.  Je 
vous  supplie  donc  de  remplir  le  vœu  de  la  nation  et  de  respecter  ses 
droits,  en  décrétant  que  le  trésor  public  ne  sera  confié  qu'à  ceux  qu'elle 
aura  choisis  »  (3). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXII,  p.  313. 

«  M.  Robespierre.  L'intérêt  de  la  nation,  en  ce  qui  concerne 
les  finances,  est  qu'elle  s'assure  le  droit  de  n'être  contrainte  à  aucun 
impôt  que  celui  qu'elle  aura  librement  et  volontairement  établi;  en 
second  heu,  qu'elle  s'assure  également  que  le  trésor  composé  de  ses 
contributions,  ne  pourra  point  être  diverti  à  d'autres  besoins  que  les 
siens  propres;  elle  doit  donc  connoître  l'emploi  de  ses  fond?.  C'est 
pour  cela  en  partie  que  la  nation  nomme  ses  représentons  ;  c'est  pour 
cela  en  partie  qu'elle  vous  a  envoyés  à  cette  assemblée.  Déjà  vous 
avez  rempli  la  première  partie  de  votre  mission,  en  consacrant  le  droit 
qu'a  la  nation  de  ne  payer  que  les  impôts  qu'elle  aura  librement 
établis  :  il  vous  reste  maintenant  à  remplir  la  seconde  partie  de  cette 
mission,  non  moins  essentielle,  sans  laquelle  la  première  seroit  illusoire. 

«  Messieurs,  pour  décider  cette  question  il  ne  faut  point  se  perdre 
en  longs  raisonnements;  il  suffit  de  porter  ses  regards  en  arrière.  Qui 
sont  ceux  qui  ont  jusqu'ici  abusé  de  vos  finances  ?  qui  sont  ceux 
qui  ont  abusé  des  revenus  de  la  nation?  C'est  le  ministère,  c'est  la 
Cour.  (Applaudi  des  tribunes).  Le  ministère  et  la  cour  ne  peuvent 
donc  pas  nommer  désormais  ceux  qui  auront  l'administration  des  fonds 
publics.  La  nation  ne  peut  s'en  reposer  à  cet  égard  que  sur  les  repré- 
sentai de  la  nation,  que  sur  leur  fidélité  à  défendre  ses  droits.   » 

Journal  des  Débats,  t.   XVIII,  n°   642,  p.    7. 

<(  M.  Robespierre  a  dit  :  il  est  impossible  de  traiter  ou  même  de 
s'engager  à  traiter  aucune  question  de  détail  dont  on  a  enveloppé 
jusqu'ici  à  ce  moment  la  question  qui  vous  est  soumise,  avant  d'avoir 
décidé  cet  objet  important  :  savoir  si  l'intérêt  public,  si  les  principes 
exigent  que  le  trésor  de  la  Nation  soit  remis  entre  les  mains  du  Pou- 
voir exécutif;  s'il  faut  que  le  Trésor  National  soit  remis  à  des  Agens 
du  Pouvoir  exécutif,  ou  à  des  Représentans  de  la  Nation.  Quelle  que 
soit  la  diversité  d'opinions,  la  Nation  a  le  droit  d'espérer  qu'une 
pareille  question  sera  discutée  et  examinée  avec  la  plus  grande  atten- 
tion; et  les  circonstances  m'obligent  d'observer  que  toutes  les  fois  qu'un 


(3)  Cf.   E.   Hamel,   I,   383.   Texte   reproduit  dans  les  Arch     pari. 
XXIII,    745. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  115 

Opinant  a  présenté  des  principes  contraires  à  ceux  que  je  vais  déve- 
lopper, il  a  demandé  d'aller  aux  voix,  et  a  été  appuyé  par  plusieurs 
voix.  En  conséquence,  je  prie  l'Assemblée  de  vouloir  bien  m'écouter 
attentivement. 

«  L'Orateur  a  pensé  que  cette  question  importante  en  soi,  n'étoit 
pas  difficile  à  résoudre,  et  que,  pour  y  parvenir,  il  falloit  seulement  ne 
pas  repousser  les  principes  les  plus  simples  et  les  plus  familiers.  L'impôt 
est  une  portion  de  la  fortune  nationale.  Il  s'ensuit  que  l'intérêt  national 
exige  :  1  °  que  l'on  assure  le  droit  de  n'être  contraint  à  payer  que  les 
contributions  que  l'on  se  sera  imposées;  2°  que  le  trésor  que  la  Nation 
aura  formé  ne  soit  point  employé  à  d'autres  usages  que  ceux  que  solli- 
citera l'intérêt  public.  Il  faut  donc  prendre  des  précautions  sur  ce  der- 
nier objet;  c'est  pour  cela  en  partie  que  la  Nation  a  nommé  des  Repré- 
sentans;  et  quand  ils  ont  rempli  leur  première  mission,  ils  doivent 
aussi  s'acquitter  de  la  dernière,  c'est-à-dire  pour  la  conservation  et 
pour   la   fidélité   de   l'emploi  du   Trésor  public. 

«  M.  Robespierre  a  rappelé  les  deux  partis  que  l'on  proposoit; 
et  pour  combattre  celui  du  Comité,  il  a.  demandé  que  l'Assemblée 
reportât  ses  regards  sur  l'ancien  régime;  que  Ton  se  retraçât  les  dépré- 
dations des  anciens  Ministres,  et  l'importance  des  fonctions  de  ceux 
qui  sont  appelés  à  réparer  ces  désordres.  Quelques  considérations  ulté- 
rieures ont  déterminé  M.  Robespierre  à  conclure  que  l'Ordonnateur 
général  des  Finances,  et  les  Administrateurs,  fussent  élus  par  un  Corps 
électoral  pris  dans  le  Corps  législatif.  » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  69,  p.  282. 

«  M.  Roberspierre.  Je  demande  quel  est  le  choix  qui  mérite  le 
plus  de  confiance,  du  choix  ministériel  ou  de  celui  des  représentans 
de  la  nation,  exprimant  l'opinion  et  la  volonté  du  peuple  }  C'est  ici  le 
moment  de  repousser  un  sophisme  beaucoup  plus  dangereux  que  les 
nuages  dont  on  a  voulu  obscurcir  la  question,  et  qui  fournirait  un  pré- 
texte éternel  de  violer  les  droits  de  la  nation,  je  veux  dire  le  parallèle 
inexact  qu'on  a  fait  du  corps  législatif  et  du  roi  :  ils  sont  tous  deux, 
dit-on,  les  délégués  de  la  nation.  Je  ne  crois  pas  nécessaire  d'observer 
que  le  roi  ni  ses  agents  ne  sont  renouvelles  à  une  époque  déterminée 
par  des  réélections,  mais  je  réponds  que  le  corps  législatif  seul  à  la 
mission  d'exprimer  la  volonté  générale,  de  voter  et  de  diriger  l'emploi 
des  contributions  :  c'est  le  corps  législatif,  composé  de  citoyens  envoyés 
de  toutes  les  parties  du  royaume,  qui  est  l'intermédiaire  dont  la  nation 
se  sert  pour  diriger  l'action  du  gouvernement;  c'est  au  corps  législatif 
seul  à  nommer  les  hommes  à  qui  la  gestion  importante  du  trésor  public 
doit   être   confiée    »    (4). 


(4)  Texte  reproduit  dans   )<■   Moniteur,  VU,  584, 


1  1 6  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Courier  Français,  t.  X,  n°   69,  p.   67. 

«  M.  Robertspierre  a  voulu  aussi  nous  donner  un  échantillon  de  sa 
pénible  et  robuste  éloquence  sur  cet  important  sujet;  et  ron  avis  étoit, 
qu'après  avoir  décrété  qu'il  ne  seroit  établi  d'impôt  qu'en  vertu  d'un 
décret  du  corps  législatif,  on  devoit  prendre  le*  précautions  les  plus 
sévères  pour  éviter  le  gaspillage  de  nos  deniers;  que  la  nation  ne  doit 
pas  avoir  la  même  confiance  dans  des  administrateurs  menés  par  la 
cour,  que  dans  ceux  qui  seroient  désignés  par  la  nation;  qu'en  jettant 
nos  regards  sur  le  passé,  nous  ne  verrons  que  brigandage  et  dilapida- 
tions; que  les  représentans  du  peuple  étant  préposés  à  la  réparation  de 
ces  anciens  désordres,  il  faut  éviter  tout  ce  qui  pourroit  le  faire  renaître; 
que  la  responsabilité  d'un  agent,  nommé  par  la  cour,  seroit  nul,  aussitôt 
que  le  sentiment  du  patriotisme  se  seroit  affaibli,  et  que  les  intrigues 
de  la  cour  auroient  repris  leur  ancienne  activité;  qu'il  ne  faut  user  de 
subterfuge  envers  la  nation,  ne  pas  lui  présenter  de  garantie  illusoire; 
qu'il  faut  écarter  du  maniement  des  deniers  publics  ces  mains  suspec- 
tes qui  les  prodiguèrent  tant  de  fois  ;  que  les  représentans  du  peuple 
doivent  faire  seuls  ce  choix,  et  que,  sans  cela,  plus  de  constitution 
libre,    plus   de    souveraineté    nationale,    plus   de    nation.    » 

Mercure  de  France,    19  mars    1791,   p.    196-197. 

«  M.  Roberspierre  a  seul  trouvé  que  la  question,  importante  en 
soi,  n 'étoit  pas  difficile  à  résoudre;  et  pour  la  prouver,  il  a  délayé  de 
grands  principes.  L'impôt  est  une  portion  de  la  fortune  nationale,  de  là 
le  droit  de  voter  l'impôt,  celui  d'en  surveiller  l'emploi,  les  précau- 
tions et  mesures  toutes  dévolues  aux  représentans  du  peuple.  Ensuite 
un  coup-d'ceil  sur  l'ancien  régime,  sur  les  devoirs  des  législateurs  appe- 
lés à  réparer  tant  de  désordres...,  finalement  élection  de  l'ordonnateur 
et  des  administrateurs  des  finances  faite  par  un  corps  électoral  pris 
dans  le  corps  législatif     » 

Courrier  national  (Beuvin),   10  mars  1791,  p.  3. 

«  ...La  première  [opinion]  soutenue  par  MM.  Péthion  et  Robes- 
pierre, tendoit  à  attribuer  aux  représentans  de  la  nation,  le  droit  de 
nommer  les  administrateurs  chargés  de  la  gestion  de  la  caisse  nationale. 
Ils  se  sont  fondés  principalement  sur  le  souvenir  des  anciennes  dépré- 
dations des  ministres  des  finances,  sur  l'intrigue  des  courtisans  pour 
élever  à  ces  places  les  gens  qui  leur  sont  dévoués,  et  sur  la  facilité 
qu'il   y   aurait   à   éluder   les   lois  de   la   responsabilité.    » 

Gazette  nationale  ou  extrait...,  t.   XV,   p.    174. 

«  Il  est  impossible  de  bien  discuter  les  détails  avant  d'avoir  posé 
mes  principes.  Le  trésor  national  doit-il  être  confié  aux  agents  du  pou- 
voir exécutif,   ou  à  des  hommes  choisis  par  la   nation  ?   Une   question 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  117 

de  celte  importance  ne  doit  point  être  discutée  légèrement.  Je  supplie 
l'Assemblée  de  vouloir  bien  mécouter  avec  quelqu'attention ;  j'insiste 
particulièrement  pour  que  cette  grâce  me  soit  accordée,  &  ce  n'est  pas 
sans  douleur  que  j'ai  entendu  des  murmures,  lorsque  les  vues  les  plus 
sages  &  les  plus  conformes  aux  principes  de  la  constitution  ont  été 
développées  par  un  des  préopinans.  Peut-on  dire  raisonnablement  que 
le  délégué  de  la  nation,  que  le  Roi  fera  un  meilleur  choix  que  la 
nation  elle-même  ?  Quels  sont  ceux  qui  ont  dilapidé  les  finances  ?  ce 
sont  les  agents  du  ministère.  Quels  sont  ceux  qui  ont  été  appelés  pour 
réparer  ces  désordres?  ce  sont  les  représentant  de  la  nation...  Il  serait 
bien  simple  d'épargner  aux  agens  du  pouvoir  exécutif  le  reproche  éter- 
nel d'avoir  occasionné  les  ma::x  de  notre  patrie,  en  ne  leur  fournissant 
pas  les  occasions  de  manquer  à  leur  devoir.  Il  seroit  bien  plus  simple 
que  les  mandataires  de  la  nation,  que  des  hommes  dignes  de  sa  con- 
fiance fussent  chargés  de  la  garde  du  trésor  public.   » 

Assemblée  nationale  et  Commune  de  Paris  (imitât.),   n°   579,  p.   3. 

«  L'ordre  du  jour  étoit  la  suite  de  la  discussion  sur  l'organisation 
du  trésor  public;  MM-  Péthion  et  Roberspierre  ont  combattu  le  plan 
du  comité  des  finances,  qui  attribue  le  choix  des  administrateurs  au 
chef  du  pouvoir  exécutif.  Voici  leurs  motifs  :  l'impôt  est  une  partie 
de  la  propriété  nationale  mise  en  commun  pour  les  besoins  de  la 
nation;  de  ce  fait,  il  résulte  deux  choses:  Tune,  que  la  nation  doit 
s'assurer  qu'elle  ne  payera  que  la  somme  d'impôts  nécessaires  à  ses 
besoins,  et  pour  cela  elle  les  détermine  par  ses  représentans ;  l'autre, 
que  cet  impôt  ne  sera  pas  diverti  et  appliqué  à  des  objets  étrangers  à 
sa  destination;  or,  pour  être  bien  certaine  de  cette  application,  à  qui 
du  pouvoir  exécutif  ou  de  ses  représentans,  doit-elle  confier  le  manie- 
ment de  ses  deniers  ?  En  qui  doit-elle  prendre  plus  de  confiance,  des 
ministres  ou  des  délégués  par  le  corps  législatif  ?  L'argent  est  dans 
les  mains  du  pouvoir  exécutif,  le  plus  dangereux  de  tous  les  instru- 
mens;  c'est  avec  l'argent  qu'il  exerce  les  grands  moyens  de  corruption; 
c'est  avec  l'argent  qu'il  peut  anéantir  la  liberté.  Les  représentans  d'une 
nation  qui  vient  de  conquérir  sa  liberté  ne  doivent  jamais  perdre  de 
vue  les  déprédations  qui  se  sont  commises  dans  l'ancien  régime  et  qui 
ont   failli    la   perdre. 

«  En  vain  argurrenteroit-on  de  ia  ressource  de  la  responsabilité; 
l'expérience  a  prouvé  combien  elle  étoit  illusoire,  et  toujours  chez  nous, 
comme  chez  une  nation  voisine,  le  ministre  des  finances  se  fera  un 
jeu  de  la  comptabilité.  La  surveillance  du  corps  législatif  ne  seroit  pas 
non  plus  suffisante  pour  tranquilliser  la  nation  sur  l'administration  de 
ses  deniers,  si  elle  étoit  déléguée  au  pouvoir  exécutif;  il  faut  donc  la 
mettre  entre  les  mains  de  gens  qui  méritent  la  confiance  de  la  nation  ; 
mais  comment  s'y  prendre  pour  déterminer  cette  confiance  ?   » 


118  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Courrier  extraordinaire,   10  mars   1791,  p.  3. 

«  M.  Robespierre  a  soutenu  que  les  principes  les  plus  évidens 
s'opposoient  à  ce  que  les  administrateurs  du  trésor  national,  fussent  à 
la  disposition  du  pouvoir  exécutif;  l'impôt,  disoit-il,  étant  une  partie 
de  la  propriété  nationale  destinée  aux  besoins  de  la  nation,  c'est  à  la 
nation  à  veiller  par  ses  représentans  à  ce  que  cet  impôt  ne  soit  pas 
appliqué  à  d'autres  dépenses  que  celles  qui  lui  sont  nécessaires;  et  si 
l'application  de  l'impôt  ne  peut  être  faite  que  par  des  administrateurs, 
dignes  de  la  confiance  de  la  nation,  comment  croire  que  cette  confiance 
sera  mieux  placée  dans  un  agent  du  pouvoir  exécutif,  que  dans  l'homme 
choisi  par  la  nation. 

«  L'opinant  a  conclu  à  ce  que  l'on  commençât  par  décider  si  les 
administrateurs  du  trésor  national  seront  nommés  par  les  représentans 
de  la  nation  ou  par  le  pouvoir  exécutif.   » 

Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t.  VI,  n°   68,  p.    123. 

«  Bien  plus,  Cazalès,  dont  l'autorité  est  d'un  plus  grand  poids 
encore  dans  la  question,  que  celle  d'un  roi,  a  dit:  «  Je  ne  suis  pas 
suspect  de  vouloir  affoibhr  l'autorité  royale;  si  j'avois  eu  de  l'influence, 
je  l'aurois  étendue;  mais  ici  je  crois  qu'il  faut  la  resserrer;  il  y  auroit 
trop  de  danger  à  laisser  le  trésor  aux  mains  du  prince.  Péthion  et 
Robespierre  n'ont  pas  manqué  de  développer  ces  dangers.  Ce  n'étoii 
pas  la  peine  d'assigner  au  roi  une  liste  civile  de  25  millions,  puisqu'on 
lui  donnoit,  comme  par  le  passé,  la  clef  du  trésor.  Nous  sommes  tous 
persuadés,  a  dit  Péthion,  que  la  responsabilité  est  un  frein  chimé- 
rique, qui  ne  peut  donner  de  la  confiance  qu'à  des  enfans.  Il  esf  si 
facile  à  un  ministre  de  friser,  comme  on  dit,  la  corde,  sans  en  être 
atteint  »  (5). 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  n"   295,  p.  3. 

«  Le  seul  nom  de  M.  Robespierre  promet  des  déclamations,  des 
injures,  et  tous  les  lieux  communs  d'une  démocratie  effrénée  :  écho  de 
M.  Péthion,  il  n'a  rien  dit  qui  ne  lui  soit  propre,  et  la  seule  chose  qui 
lui  appartienne,  c'est  un  raisonnement  tout-à-fait  neuf  et  singulier.  Les 
impôts  sont  une  partie  de  la  propriété  de  la  nation  mise  en  commun; 
donc  c'est  aux  représentans  de  la  nation  à  l'administrer,  et  il  n'y  a 
point  de  salut  à  espérer  pour  les  finances,  si  elles  ne  sont  remises  à  la 
discrétion  du  club  des  Jacobins.  » 
Journal  universel,  t.  X,  p.  3782. 

«    MM.    Le   Brun   et   Jessé   (6)   ont   opiné   pour  que    l'ordonnateur 


(5)  E.  Hamel  souligne  l'importance  attribuée  à  ce  débat  par  les 
journaux  et  rappelle  les  accusations  portées  plus  tard  par  Brissot 
contre  iLavoisier,   administrateur  du  Trésor. 

(6)  Baron  de  Jessé,  député  de  la  noblesse  de  la  sénéchaussée  de 
Béziers. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  1  1 9 

fut   nommé  par   le   roi;    MM.    Péthion,    Robespierre,    Rœderer   par   le 
corps  législatif.   La  question  assez  débattue  a  été  ainsi  jugée. 

«   Ceux  qui  administreront   le   trésor  public   seront   nommés  par   le 
roi. 

«  Voilà  un  oubli  fatal  des  vrais  principes  !  Je  suis  désola. 


«  L'Assemblée  Nationale,  après  avoir  rendu  mercredi  ce  décret 
fatal  sur  l'organisation  du  tiésor  public,  ce  décret  qui  choque  les  prin- 
cipes, ce  décret  qui  n'auroit  point  passé  si  l'on  n'eût  pas  été  sourd 
à  la  voix  de  Robespierre,  de  Péthjon,  de  Rœderer,  qui  ont  fait  valoir 
avec  la  plus  grande  énergie  les  inconvénients  de  laisser  au  pouvoir 
exécutif  la  nomination  des  administrateurs  de  nos  finances;  enfin,  ce 
décret  que  les  Lameth.  les  Barnave  et  d'autres  membres  appelés  patrio- 
tes,  n'oni:  point  combattu...    » 

Journal  général,    1791,  n°  38,  p.    151. 

((  Un  état  de  la  recette  et  de  la  dépense,  imprimé  tous  les  mois, 
ne  suffiroit-i!  pas?  Non,  il  ne  suffit  pas  à  M.  Robertspierre,  qui  ne 
succède  au  Préopinant,  que  pour  nous  dire  que  dans  un  temps  même 
où  la  Nation  étoit  dans  toute  l'énergie  de  la  liberté,  et  où  nul  obstacle 
ne  sembloit  empêcher  les  effets  de  la  responsabilité,  les  ministres  du 
Trésor  l'ont  éludée.  Que  sera-ce  quand,  le  zèle  de  la  liberté  rallenti, 
le  Ministère  reprendra  peu-à-peu  son  antique  ascendant.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  une  lettre  de  Mme  de 
Chalabre  à  Robespierre  (7^  et  dans  les  journaux  suivants  :  Le  Courrier 
des  LXXXIII  départemens,  t.  XXII,  n"  11,  p.  175;  UAnH  Marat, 
n°  10,  p.  1  ;  Le  Mercure  national  et  Révolutions  de  l'Europe,  t.  II, 
n°  19,  p.  317;  La  Feuille  du  Jour,  t.  III,  n°  69,  p.  546;  L'Obser- 
vateur français,  n"  8,  p.  63;  Les  Annales  patriotiques  et  littéraires, 
n°  524,  p.  1148;  La  Correspondance  générale  des  départemens  de 
Farnce,  t.  II,  n°  21,  p.  326;  La  Gazette  universelle,  n°  69,  p.  276; 
Le  Courier  de  Provence,  t  XIII,  n°  276,  p.  374;  Le  Lendemain, 
t.  II,  n"  69,  p.  844;  Les  Annales  universelles,  10  mars  1791,  p.  110; 
Le  Spectateur  national,  10  mars  1791,  p.  427;  Le  Journal  général  de 
France,  10  mars  1791,  p.  274;  Le  Postillon  (Calais),  n°  372.  p.  6; 
Le  Journal  du  Soir  (Beaulieu),  n"  68,  p.  2,  et  le  Législateur  français, 
Le  Journal  du  So:r  (Beaulieu),  n°  68,  p.  2;  Le  Législateur  français, 
10  mars   1791,  p.  4;  Le  Courrier  des  Français,  n°    10,  p.   76.] 


(7)  Texte  publié  dans  les  «  Papiers  inédite  trouvés  chez  Robes- 
pierre, I,  173-175;  et  résumé  en  quelques  Ligne»  dans  G.  Michon, 
p     101. 


120  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

234.  —  SEANCE  DU  9  MARS  1791  (soir) 
Sur  la  démolition  du  donjon  de  Vincennes 


Le  Chapelier  s'indigne  qu'on  ait  pu  surprendre  à  rassemblée 
nationale,  un  décret  inconsidéré:  celui  qui  permet  à  la  municipalité 
de  Paris,  de  réparer  le  donjon  de  Vincennes.  Il  'demande  qu'il  soit 
ordonné  au  département  de  Paris,  de  faire  cesser  ce  travail  scanda- 
leux, et  qu'il  lui  soit  enjoint  de  mettre  en  vente  ce  .<  boulevard  du 
despotisme  ».  Rriois  de  Beaumez,  député  de  la  noblesse  de  la  gou- 
vernance d'Arras,  propose  qu'il  soit  démoli  Plusieurs  députés  inter- 
viennent dans  le  même  sens  (1). 

L'Assemblée  décida  que  les  réparations  du  donjon  de  Vincennes 
seraient  suspendues,  et  chargea  son  comité  d'aliénation  de  lui  pré- 
senter un  rapport  sur  la  vente  et  la  démolition  de  ce  donjon  et  des 
autres  prisons  d'Etat. 

Journal  universel,   t.   X,   p.   3787. 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.   II,  n°  245,  p.  334. 

Courrier  des  Français,  n°    10,  p.   80. 

Journal  de  Normandie,  n°  70,  p.  334. 

«  MM.  de  Biauzat,  Roberstpierre,  Duport,  Merlin  et  Reubell  ont 
parlé  tour  à  tour  sur  cette  proposition.  Ils  l'ont  appuyée,  ils  l'ont  ren- 
forcée; il  sembloit  qu'ils  voulussent  enlever  chacun  une  pierre  de  cette 
Bastille.   » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),    Il   mars   1791,  p.  278. 

«  MM.  Biauzat,  Roberspierre,  Merlin  et  Reubell  étaient  les  plus 
hardis  destructeurs;  ils  ont  parlé  l'un  après  l'autre,  et  que  n*ont-i!s  pas 
dit?  Dans  leur  acharnement  contre  le  donjon,  ils  paraissaient  vouloir  ie 
renverser  de  leurs  propres  mains,  ils  semblaient  à  l'envi  en  arracher  les 
pierres,  et  les  précipiter  dans  les  fossés.   » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographiqve ,  t.  XXII,  p.  327. 
«  M.  Robespierre.  On  ne  peut  opposer  à  la  motion  de  M.  Le  Cha- 
pelier   aucun    motif    raisonnable,    je    demande    qu'elle    soit    mise    aux 
voix  »  (2). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Mercure  de  France, 
19  mars  1791,  p.  200;  Le  Journal  des  Débats,  t.  XVIII,  n°  643, 
p.  4.] 


(1)  Cf.    séance   des   Jacobins   du    2   mars   1791. 

(2)  Texte    reproduit    dans    les    Arch.    pari.,    XXIII,    754. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  121 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 
235.  —  SEANCE  DU  11  MARS  1791 


l,e  intervention:  Sur  la  responsabilité  des  ministres 

Comme  il  l'avait  fait  le  6  mars,  Robespierre  engagea  à  nouveau 
le  débat  sur  l'organisation  du  ministère.  Kersaint  prononça  aussitôt 
un  important  discours  dans,  lequel  il  précisa  la  répartition  des  divers 
objets  de  l'administration  entre  les  départements  ministériels;  mais 
il  ne  se  prononça  pas  sur  la  forme  de  nomination  des  ministres.  A  ce 
propos,  (rouget  Deslandres  (1)  intervint  à  son  tour  et  conclut  comme 
Robespierre  à  l'élection  des  ministres  par  le  peuple. 

Cicéron  à  Paris,  n°  39,  p.  5. 

«  Au  lieu  de  passer  à  l'ordre  du  jour,  on  a  écouté  avec  beaucoup 
d'attention  une  motion  très  patriotique  de  M.   Roberspierre.   La  voici  : 

«  Je  suis  étonné,  Messieurs,  qu'aucun  des  honorables  membres  de 
cette  auguste  société  n'ait  eu  jusqu'ici  un  mouvement  de  patriotisme 
assez  éclairé,  pour  s'opposer  à  ce  que  la  nomination  des  six  ministres 
fut  déléguée  au  pouvoir  excutif.  Car,  prenez-y  bien  garde,  Messieurs, 
s'ils  sont  nommés  par  le  Roi,  plus  de  responsabilité  de  la  par*  de  ces 
agens  qui  ne  croiront  devoir  et  ne  devront  réellement  compte  qu'à  celui 
qui  les  aura  commis,  c'est-à-dire  au  Roi.  Or,  des  ministres  doivent 
être  responsables  de  fait  et  de  droit  envers  la  nation,  puisqu'ils  tien- 
dront dans  leurs  mains  le  bonheur  et  la  tranquillité  de  l'empire.  Je 
conclus  donc  à  ce  que  les  ministres  soient  électifs   »   (2). 

2°  intervention  :  Sur  V impression  du  discours  de  Kersaint 

L'impression  du  discours  de  Kersaint  donne  lieu  à  «  quelques 
débats   »   au   cours   desquels  Robespierre   intervient   à   nouveau. 

La  Société  arrêta  alors  à  l'unanimité  que  le  discours  ne  serait 
livré  à  l'impression  que  «  lorsque  l'auteur  en  aurait  fait  une  seconde 
lecture,   s'il  y  faisait  des  changements  ». 

La  Feuille  du  Jour,  t.  III,  n°  76,  p.  607  (3). 

«  M.  Robespierre  s'oppose  à  cette  proposition  raisonnable  (de 
purger,  avant  de  l'imprimer,  un  discours  dont  l'impression  a  été  déci- 
dée). » 


(1)  Gouget  des  Landres  (ou  des  Landes)  Maurice,  né  à  Dijon,  fut 
d'abord  avocat  au  parlement  de  Bourgogne,  puis  en  1778  substitut  du 
procureur  général.  Elu  parla  Côte-d'Or  juge  suppléant  au  tribunal 
do  cassation,  il  y  siégea  du  9  décembre  1791  au  22  septembre  1792. 
Jl  fut  ensuite  un  des  commissaires  nationaux  envoyés  par  Je  Conseil 
exécutif  provisoire  en  Belgique  (1792-1793);  puis  il  siégea  de  nouveau 
;mi    tribunal   de  cassation,   d'octobre   M'Xi   à    septembre   1797. 

(2)  Rien  dans  Aulard. 

(3)  Rien  dans  Aulard. 


122  les  discours  de  robespierre 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

236.  —  SEANCE  DU  11  MARS  1791 

Sur   une   adresse  aux   sociétés   affiliées, 

rédigée  par  barnave  (i) 


Le  président  de  la  société,  Biauzat,  avait  donné  lecture  dans 
la  séance  du  2  mars,  d'une  lettre  d'Adrien  Duquesnoy  (2)  qui  se 
plaignait  d'avoir  été  dénoncé  par  Alexandre  Lameth  comme  un 
ennemi  de  la  liberté  et  protestait  de  ses  sentiments  patriotiques. 
Barnave,  soutenu  par  Danton  et  Clhepy  fils,  avait  défendu  les 
Lameth  et  vivement  critiqué  le  contenu  de  cette  lettre.  La  société 
avait  alors  décidé  de  nommer  des  commissaires,  dont  Barnave, 
pour  rédiger  une  adresse  qui  ferait  connaître  les  vrais  principes  (3). 

Le  11  mars,  malgré  l'opposition  de  Robespierre,  on  arrêta 
l'impresion  de  l'adresse  rédigée  par  Barnave,  et  son  envoi  aux 
sociétés   affiliées   (4). 

Le  Patriote  françois,  n°  586,  p.  285  (5). 

«  M.  Robespierre  a  en  vain  élevé  la  voix  pour  demander  !a  discus- 
sion; M.  Barnave  a  enlevé  d'assaut  la  publication  de  la  lettre,  comme 
il  a  enlevé  les  décrets  des  colonies.  Si  M.  Robespierre  eut  pu  obtenir 
la  parole,  il  auroit  sans  doute  combattu  une  erreur  qui  renverse  la 
déclaration  des  droits,  et  qu'on  est  surpris  de  retrouver  dans  le  journal 
de  M.  Desmoulins,  qui  porte  encore  bien  plus  loin  la  souveraineté 
du  peuple,  puisqu'il  veut  lui  faire  ratifier  tous  les  actes  du  pouvoir 
législatif.  Cet  oubli  est  probablement  l'effet  de  ces  distractions  bachi- 
ques dont   il  parle  dans  ce  numéro. 

«  M.  Robespierre  auroit  encore  fait  disparoître  cette  expression 
d'amis  du  peuple,  dont  M.  Barnave  ne  peut  se  déshabituer,  et  qui  n'est 
que  le  langage  d'une  aristocratie  déguisée. 

«  Il  auroit  fait  retrancher  cette  phrase,  qui  n'offre  que  de  l'adu- 
lation en  pathos  : 

«  Dites  au  peuple  que  ses  représentans  poursuivent  sans  inter- 
ruption (c'est  un  mensonge,  ils  sont  interrompus,  et  ils  s'interrompent 
tous  les  jours)  leur  vaste  entreprise,  et  que  leurs  efforts  sont  secondés 
par  un  roi  dont  les  vertus  impriment  le  véritable  caractère  à  la  royauté 
constitutionnelle,  instituée  pour  le  bien  du  peuple  et  !a  stabilité  du 
gouvernement   »   (6). 

(1)  Adresse    reproduite    dans    Auiard,    IT,     185-189. 

(2)  Le  texte  de  cette  lettre  est  reproduit  dans  Auiard,  TI,  152- 
153.  Duquesnoy,  député  du  tiers  état  du  bailliage  de  Barde-Duc, 
siégea  en  1739  parmi  les  patriotes  avancés,  puis  en  1791,  il  se  rappro- 
cha de  la  Cour  et  rédigea  pour  le  compta  de  la  liste  civile,  avec 
Regnaud   da    Saint-Jean-d'Angély,    le   journaJ  :    L'Ami   des    Patriotes. 

(3)  Cf.    Mercure   universel,   t.    I,   p.    71-72. 

(4)  Cf.   Mercure  universel,   t.  I,  p.   212. 

(5)  Il    s'agit   du   n°   du    17   mars. 

(6)  Texte    reproduit   dans   Auiard,    II,    189-192. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  123 

237.  —  SEANCE  DU  13  MARS   1791 

Sur  le  jugement  des  contestations  en  matière  électorale 
(suite) 


L'Assemblée  revient  sur  les  'articles  du  projet  de  décret  concer- 
nant les  dispositions  qui  doivent  compléter  l'organisation  des  corps 
administratifs  <1).  Il  s'agit  des  art  19,  22  et  23,  relatifs  aux  contes 
tations  qui  peuvent  s'élever  en  matière  électorale.  Démeunier, 
rapporteur,  présente  un  projet  de  décret  en  dix  articles.  L'écono- 
mie générale  du  'projet  consiste  à  faire  juger  les  contestations  en 
matière    électorale,    par    les    corps    administratifs    eux-mêmes. 

Un  vif  débat  s'instaure.  Pétion,  Robespierre  et  Alexandre 
Lameth  soutiennent  que  les  jugements  à  porter  sur  la  validité  des 
assemblées  et  la  forme  des  élections  sont  de  la  compétence  du  corps 
législatif,  lorsqu'il  «'agit  des  députés,  ou  des  tribunaux  pour  les 
autres  élections.  Mirabeau  propose  l'ajournement  de  la  discussion  au 
lendemain. 

L'Assemblée  se  rangea  à  l'avis  de  Mirabeau,  et  le  14  mars  elle 
décida  : 

1°  Que  toutes  les  contestations  relatives  à  la  qualité  personnelle 
fie  citoyen  actif  ou  éligible,  seraient  portées  devant  les  tribunaux; 

2°  Que  le  corps  législatif  connaîtrait  seul  de  toutes  les  questions 
relatives  aux  élections  des  membres  des  législatures,  de  la  cour  de 
cassation  et  du  haut-jury; 

3°  Que  les  contestations  relatives  à  la  convocation,  à  la  formation 
et  à  la  tenue  des  assemblées  de  communes,  primaires  et  électorales, 
seraient  décidées  par  les  corps  administratifs,  sauf  le  recours  au 
corps  législatif  (2). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXII,  p.  413 

«  M.  Robespierre.  Le  préopinant  n'a  pu  soutenir  l'avis  du  comité 
qui,  en  confondant  des  notions  tout  à  fait  disparates,  les  fonctions  admi- 
nistratives et  législatives  avec  les  droits  individuels  et  politiques  de 
chaque  citoyen  renverse  les  premiers  principes  de  votre  constitution. 
Le  premier  principe  de  votre  constitution  est  la  conservation  du  droit 
de  souveraineté  de  la  nation;  et  cette  souveraineté  seroit  lésée  dans 
les  assemblées  primaires  ou  électorales,  dans  ces  assemblées  d'où  éma- 
nent tous  les  pouvoirs  délégués.  Car  ce  sont  ces  assemblées  qui  créent 
ces   pouvoirs  :    et    c'est   en    les   créant   que    la   nation    exerce    sa    souve- 

(1)  Cf.   ci-dessus,   séance  du   5  mars  1791. 

(2)  Le  décret  du  14  mars  donna  lieu  aux  commentaires  suivant!: 
dans  le  Journal  de  Brissot  (Patriote  françois,  n°  584,  p.  279),  et  dans 
le  Journal  universel,  d'Audouin  (p.  3828 >  :  «  Après  la  lecture  d'une 
note  du  garde  des  sceaux  sur  la  sanction  d'une  foule  de  décrets, 
du  bulletin  de  la  santé  du  roi,  moins  farci  de  la  ridicule  technologie 
fies  Diafoirus,  et  quelques  décrets  sur  la  réduction  des  paroisses, 
V,  De&meuniers  a  proposé  deux  articles  additionnels  sur  le  complé- 
ment des  corps  administratifs.  J'ai  peine  à  croire  que  M.  Robespierre 
fût  présent,  car  il  n'auroit  pas  sans  doute  laissé  passer  cette  faculté 
qu'on  donne  au   roi  de  remplacer  à  son  gré  le  directoire  suspendu.   » 


'24  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

raineté.  Si  donc  vous  donnez  à  un  pouvoir  quelconque,  soit  judiciaire, 
soit  administratif,  le  pouvoir  de  juger  si  elles  ont  pu  ou  n'on*.  pas  pu 
exister,  vous  anéantissez  la  souveraineté  de  la  nation  :  vous  élevez 
au-dessus  d'elle  les  pouvoirs  que  cette  même  nation  a  créés,  et  vous  les 
rendez  absolument  les  maîtres  d'empêcher  l'exercice  de  sa  puissance, 
ou  de  la  diriger  conformément  à  leurs  vues.  De  là  il  résulte  qu'au- 
cuns corps  administratifs  ne  peuvent  juger  si  les  assemblées  primaires 
et  électorales  ont  été  valables  ou  non. 

«  Et  quelles  sont  les  fonctions  que  le  peuple  leur  a  donné  dans 
ses  assemblées  primaires  ?  Qu'ont-elles  de  commun  avec  le  jugement 
des  droits  politiques  de  la  nation  >  Qu'est-ce  que  les  fonctions  des 
administrateurs,  si  ce  n'est  de  répartir  l'impôt,  de  veillei  au  maintien 
de  la  police,  de  régler  les  ouvrages  publics  qui  peuvent  être  utiles  à  la 
nation.  Qu'y  a-t-il  de  commun  entre  ces  fonctions,  dans  lesquels  l'auto- 
rité des  corps  administratifs  est  restreinte  par  l'autorité  souveraine  du 
peuple,  et  entre  le  pouvoir  de  juger  ?  Si  le  peuple  lui-même  s'est  légi- 
timement assemblé,  si  les  élections  sorties  de  ces  assemblées  sont 
valides,  n'est-il  pas  évident  au  contraire  que  donner  aux  corps  admi- 
nistratifs l'inspection  sur  ces  assemblées,  c'est  renverser  toutes  ces  idées, 
c'est  mettre  le  délégué  à  la  place  du  souverain  et  le  souverain  à  la 
place  du  délégué  (applaudi). 

«  Les  mêmes  principes  s'appliquent  également  aux  corps  judi- 
ciaires :  leur  pouvoir  consiste  uniquement  à  juger  les  contestations  des 
individus,  mais  il  ne  peut  s'étendre  à  juger  de  la  validité  des  assem- 
blées politiques.  En  général,  juger  des  droits  politiques  de  chaque 
citoyen,  c'est  évidemment  influer  sur  la  souveraineté  nationale,  c'est 
élever  le  corps  judiciaire  au-dessus  des  assemblées  où  réside  la  souve- 
raineté nationale.  Il  est  donc  impossible  que  les  corps  judiciaires  non 
plus  que  les  corps  administratifs,  puissent  exercer  le  droit  de  décider 
si  ces  assemblées  sont  bien  convoquées,  si  les  élections  sont  valides. 
«  Quel  est  donc  le  pouvoir  qui  doit  décider  cette  grande  ques- 
tion ?  Ce  pouvoir  ne  peut  être  que  celui  du  souverain,  s'il  peut  l'exer- 
cer par  lui-même  ;  mais  comme  la  nation  trop  nombreuse  ne  peut  s'assem- 
bler que  par  sections,  c'est  à  ses  représentant  immédiats  à  l'exercer; 
ce  ne  peut  être  qu'une  assemblée  qui  se  trouvera  dépositaire  du  pou- 
voir politique  de  la  nation,  qui  aura  une  qualité  suffisante  pour  être 
son  organe,  pour  être  l'interprète  de  ses  volontés;  et  quoique  l'on 
puisse  m'objecter,  il  faut  que  le  pouvoir  dont  je  parle  soit  exercé  par 
la  nation  ou  par  ses  representans,  par  le  corps  législatif.  Sans  cela,  la 
nation  n'est  plus  souveraine,  il  n'y  a  plus  de  liberté.  Personne  n'entre- 
prendra sans  doute  de  contester  ces  principes  :  mais  on  suivra  la 
méthode  ordinaire  qui  est  d'opposer  des  inconvémens. 
«  M.  Démeunier.  Ce  n'est  pas  là  la  question 
«  M.  Robespierre.  Eh  bien  !  qu'on  établisse  la  question  sur  les 
inconvéniens,    qu'on   examine   de   quel    côté    sont    les   plus    grands  :    je 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  125 

consens  à  réduire  là  la  question,  mais  je  demande  d'avance  à  ceux  qui 
objectent  sans  cesse  des  inconvéniens,  si  les  leurs  peuvent  balancer 
ceux  que  j'oppose  à  mes  adversaires.  Je  conclus  donc  à  ce  qu  on 
rejette  par  la  question  préalable  le  projet  du  comité,  comme  fondé 
sur  des  principes  destructifs  de  la  liberté  nationale  et  qu'on  ne  confie 
ce  pouvoir  redoutable  qu'il  veut  remettre  entre  les  mains  des  corps 
administratifs  qu'aux   représentai   véritables  de   "la   nation    »    (3V 

Courier  Français,  t.  X,  n°   74,  p.    108. 

«  Ce  n'étoit  pas  là  l'avis  de  M.  Robertspierre,  lequel  soutenoit 
que  le  comité,  en  confondant  des  notions  tout-à-fait  disparâtres  (sic); 
les  fonctions  administratives  &  législatives  avec  les  droits  individuels 
&  politiques  de  chaque  citoyen,  renversoit  les  premiers  principes  de 
la   constitution.    » 

[Suit  le  texte  de  Le  Hodey,  depuis:  «  Le  premier  principe... 
jusqu'à  :    «    qui    est    d'apposer   des    inconvéniens.    »] 

Le  Point  du  Jour,  t.   XX,  n°   612,  p.    180. 

«  M.  Robespierre,  toujours  fidèle  à  ses  principes,  a  soutenu  que 
les  corps  administratifs  ne  dévoient  s'occuper  en  aucune  manière  de 
ce  qui  concernoit  les  assemblées  primaires  ;  que  la  nation  ou  ses  repré- 
sentai avoient  seul  le  droit  de  connoître  des  contestations  élevées  dans 
le  sein  de  ces  assemblées,  qui  sont  des  sections  de  la  souveraineté. 
Il  a  conclu  à  ce  que  le  corps  législatif  jugeât  seul  ces  contestations. 
Il  ajoutoit  que  sans  cette  disposition  essentielle,  la  liberté  et  !a  consti- 
tution dégénéieroit  bientôt  entre  les  mains  des  corps  administratives 
(sic)  et  des  tribunaux  judiciaires. 

«  C'est  ainsi  que  s'est  reproduite  une  des  plus  grandes  questions 
du  droit  constitutionnel.  Sa  discussion,  mal  dirigée,  pouvoit  entraîner 
la  confusion  de  tous  les  pouvoirs,  les  soumettre  les  uns  aux  autres, 
détruire  la  hiérarchie  naturelle  de  chaque  pouvoir  en  particulier,  et 
amener  par-là  l'altération  sensible  et  graduelle  de  cette  belle  consti- 
tution, que  le  génie  de  la  liberté  donne  à  la  France. 

«  Il  ne  falloit  poser  que  trois  principes  incontestables  pour  conduire 
à  une  décision  propre  à  obvier  à  tant  dinconvéniens. 

«  Le  premier,  déjà  décrété,  c'est  que  chaque  corps  est  le  premier 
juge  de  l'éligibilité  de  ses  membres.  Le  second,  qui  reste  à  décréter, 
c'est  que  l'appel  des  contestations  élevées  sur  l'éligibilité  des  citoyens, 
dans  les  corps  relatifs  à  chaque  pouvoir  doivent  être  portées  au  corps 
supérieur   à   qui   appartient   chaque   pouvoir. 

«  Le  troisième  est  qu'il  faut  multiplier  le  moins  possible,  le  nom- 
bre et  l'espèce  des  tribunaux. 

«    De   ces   trois   principes,    le   premier   est   déjà   établi   en   loi;    le 


(3)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXIV,  72. 


126  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

second  doit  l'être  nécessairement  aujourd'hui,  si  on  ne  veut  tout 
confondre;  et  le  troisième  doit  être  aussi  décrété,  si  on  ne  veut  compli- 
quer  inutilement   la  machine   politique    »    (4). 

Courier  de  Provence,  t.  XIII,  n°   277,  p.  448. 

«  MM.  Pétion  et  Robespierre  ont  vivement  combattu  la  seconde 
partie  de  ce  plan;  ils  n'ont  élevé  aucune  difficulté  sur  la  proposition 
très-raisonnable  de  laisser  juger  par  les  tribunaux,  toutes  les  contesta- 
tions concernant  l'état  des  citoyens,  telles  que  l'activité  ou  l'éligibi- 
lité. Mais,  ce  qui  est  relatif  à  la  forme  des  assemblées,  et  des  élec- 
tions, leur  paroissoit  ne  pouvoir  pas  être  déféré  aux  corps  administratifs. 
Ce  seroit  donner,  sur  les  élections,  trop  d'influence  au  pouvoir  exécu- 
tif, dans  la  main  duquel  on  a  déjà  placé  toute  l'action  des  corps  admi- 
nistratifs; en  second  lieu,  la  constitution,  qui  ne  reconnoît  de  souve- 
raineté que  dans  le  peuple,  ne  seroit-elle  pas  blessée,  si  les  corps 
administratifs  jugeoient  de  la  validité  des  assemblées  primaires,  c'est- 
à-dire,  où  la  souveraineté  du  peuple  s'exerce  ? 

«  Le  souverain  seul  peut  donc  prononcer  t>ur  la  validité  des  actes 
de  souveraineté;  or,  dans  un  gouvernement  représentatif,  le  souverain, 
c'est-à-dire  le  peuple,  ne  pouvant  s'assembler  que  par  section,  ne  peut 
exercer  son  autorité  suprême  que  par  ses  représentans.  C'est  donc  au 
corps  législatif   seul  qu'il   faut   s'adresser. 

«  La  pureté  de  ces  principes  n'a  pu  être  altérée  par  M.  Desmeu- 
niers qui,   pour   soutenir   l'avis  du   comité,    s'est   perdu  dans  des   idées 
métaphisiques  (sic),   où   il   n'a  pas  été  possible  de  le   suivre.    » 
Journal  des  Débats,  t.  XVIII,  n°   649,  p.   7. 

«  M.  Robespierre  n'a  vu  dans  ces  diverses  considéiations  qu'une 
confusion  de  principes  et  sur-tout  l'oubli  du  principe  sacré  de  la  souve- 
raineté de  la  Nation.  Elle  réside  cette  souveraineté,  dans  les  Assem- 
blées primaires;  vous  élevez  le  Délégué  au-dessus  du  Souverain,  c'est 
anéantir  l'autorité  de  celui-ci,  que  de  vouloir  la  subordonner. 

«  Les  Tribunaux  ne  sont  institués  que  pour  juger  des  droits 
civils  des  hommes.  Leurs  droits  politiques  appartiennent  à  un  autre 
ordre. 

«  La  souveraineté  de  la  Nation  ne  se  composant  que  du  droit 
politique  de  chaque  citoyen,  la  Nation  seule  ou  ses  Représentans 
peuvent  donc  prononcer  si  un  citoyen  demeure  privé  de  son  droit  poli- 
tique, ou  si  au  contraire  il  doit  le  posséder. 

«  Si  la  Nation  n'étoit  pas  trop  nombreuse  pour  se  rassembler,  elle 
seule  auroit  ce  pouvoir:  mais  parce  qu'elle  est  forcée  de  se  diviser 
par  sections,  le  mode  du  rassemblement  est  changé;  son  pouvoir  n'est 
cependant  pas  anéanti  ;  elle  le  transmet  à  ses  Représentans;  mais  jamais 
elle  ne  doit  le  transmettre  aux  différens  corps  qu'elle  a  délégués. 


(4)    Cf.    E.    Hàmel,    1,   381. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  127 

((  Je  sais  qu'on  va  objecter  ce  qu'on  ne  manque  jamais  d'opposer 
aux  principes  les  plus  évidens,  et  qui  sont  le  fondement  du  bien  public, 
les  inconvéniens  :  eh  bien,  je  consens  que  la  question  ne  porte  plus  que 
sur  les  inconvéniens;  et  je  demande  si  le  plus  redoutable  de  tous  n'est 
pas  d'attaquer  la  liberté  et  la  souveraineté  de  la  Nation  dans  son 
principe  ?    M.    Robespierre   a   été    fort    applaudi.    » 

Le  Législateur  Français,    14  mars   1791,  p.    7. 

«  MM.  Pethion  et  Robertspierre  sur-tout  insistaient  pour  que  les 
contestations  fussent  portées  en  première  instance  aux  assemblées  pri- 
maires et   par   appel   au   corps   législatif. 

«  Il  répondoit  à  ceux  qui  prétendent  que  l'exécution  d'une  pareille 
loi  seroit  impossible,  que  c'étoit  là  des  sophisir.es,  qu'on  vouloit 
persuader  que  le  corps  législatif,  qui  avoit  fait  en  si  peu  de  temps  de  si 
grandes  et  si  importantes  choses,  n'auroit  pas  le  temps  de  prononcer 
sur  ces  difficultés;  la  liberté  nationale,  disoit-il,  est  intéressée  dans  le 
jugement  que  vous  allez  prononcer;  mais  je  ne  crains  pas  de  le  dire, 
elle  est  entièrement  anéantie  si  vous  ôtez  à  la  nation  l'exercice  de  sa 
souveraineté,    sur   l'objet   le   plus   important   pour   elle.    » 

Le  Patriote  françois,  n°   584,  p.  275. 

«  Tel  est  le  système  que  MM.  Pétion  et  Roberspierre  ont 
combattu  fortement  dans  la  séance  de  dimanche.  Le  premier  a  fait 
valoir  les  variations  dans  la  jurisprudence  des  administrations  qui  résul- 
teroient  de  cet  ordre,  l'influence  que  le  pouvoir  exécutif  conserveroit 
sur  les  assemblées  primaires,  Yinanalogie  des  pouvoirs  judiciaires 
confiés  aux  corps  administratifs,  avec  leur  nature,  etc.  Enfin,  M.  Pétion 
a  cru  qu'il  falloit  réserver  le  jugement  de  toutes  ces  questions  au  corps 
législatif,  et  si,  attendu  ses  vacances  eu  d'autres  considérations,  le 
corps  législatif  ne  pouvoit  juger,  il  valoit  mieux  renvoyer  ces  questions 
aux  tribunaux  indépendans  du  pouvoir  exécutif,  et  maintenant  plus 
redoutables. 

«  M.  Roberspierre  a  plus  fortement  insisté  sur  le  disparate  des 
fonctions  administratives  et  du  pouvoir  judiciaire,  sur  ce  que  le  plan 
du  comité  sourr.ettoit  la  nation  dans  ses  sections,  et  par  conséquent 
souveraine,  au  jugement  de  ses  délégués.  Sous  ce  point  de  vue,  il 
condamnoit  encore  l'intervention  des  corps  judiciaires  et  il  n'admettoit 
que  le  corps  législatif  pour  juge,  parce  que,  si  ce  n'étoit  pas  la  nation 
qui  jugeât  alors,  attendu  l'impossibilité,  au  moins  c'étoient  ses  repré- 
sentans.  Il  faut  l'avouer,  le  comité  de  constitution  n'a  fait  que  balbutier 
en  condamnant  ces  moyens.  » 

Assemblée  nationale  et  Commune  de  Paris  (imitât.),  n°   583,  p.   7 

«  MM.  Péthion  et  Robespierre  se  sont  particulièrement  attachés 
à  le  combattre;  ils  appelloient  l'attention  de  l'assemblée  sur  le  danger 


128  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

d'étendre  la  puissance  des  corps  administratifs,  en  leur  déléguant  un 
pouvoir  judiciaire  ;  ils  faisoient  sur-tout  remarquer  combien  leur  dépen- 
dance à  l'égard  du  pouvoir  exécutif  pouvoit  devenir  funeste  à  !a  liberté 
publique,  en  influençant  le  jugement  des  élections.  La  souveraineté 
de  la  nation,  disoient-ils,  existe  dans  les  assemblées  primaires,  puis- 
qu'elles nomment  les  fonctionnaires  publics.  Or,  si  vous  donniez  aux 
corps  administratifs  le  droit  de  juger  de  la  validité  des  élections,  ce 
seroit  évidemment  créer  un  pouvoir  au-dessus  de  la  nation,  ce  seroit 
mettre  le  délégué  à  la  place  du  souverain;  juger  des  droits  politiques 
des  citoyens,  est  évidemment  un  acte  de  souveraineté;  or,  quel  autre 
corps  peut  prononcer  un  pareil  jugement  que  celui  des  représentai 
de  la  nation;  c'est  donc  uniquement  au  pouvoir  législatif  qu'appartient 
un  droit  de  cette  importance;  d'après  ces  réflexions,  les  opinans  con- 
cluoient  à  la  question  préalable  sur  le  projet  du  comité  de  constitution, 
et  demandoient  qu'à  l'assemblée  nationale  seule  fut  attribué  le  juge- 
ment des  difficultés  sur  les  élections.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  L'Ami  du  Roi,  de 
Royou,  n°  300,  p.  3  ;  Le  Journal  général,  n°  42,  p.  167;  Le  Creuset, 
t.  I,  p.  22;  La  Gazette  universelle,  n°  73,  p.  292;  Le  Journal  de 
Normandie,  n°  74,  p.  353;  La  Correspondance  nationale,  n°  9,  p.  287; 
Le  Courrier  des  Français,  n°  14,  p.  109;  Le  Courier  Français,  t.  X, 
n°  73,  p.   101  ;  Le  Journal  universel,  t.  X,  p.  3826.] 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

238.   —  SEANCE  DU    13'  MARS    1791 

Sur  une  demande  de  secours  adressée  par  Latude 
a  l'Assemblée  Nationale 


Le  12  mars,  l'Assemblée  nationale  était  passée  à  l'ordre  du  jour 
sur  une  proposition  de  son  comité  des  pensions,  d' accorder  à  Latude 
à  titre  de  secours,  une  somme  de  10.000  livres.  Voidel  avait  en  parti- 
culier fait  valoir  que  Latude  avait  obtenu  des  moyens  de  subsistance 
de  plusieurs  particuliers. 

Dumetz,  .Robespierre  puis  Kersaint  interviennent  sur  cette 
affaire,  le  13  mars,  à  la  tribune  de  la  Société  des  Jacobins,  et 
"Charles  Lameth  propose  qu'il  lui  soit  accordé  une  pension  viagère 
de  2.000  livres  et  que  l'on  noimme  des  commissaires  pour  examiner 
sa  situation. 

Latude  devait  le  7  mai  adresser  une  nouvelle  demande  à  l'Assem- 
blée nationale.  Cette  réclamation  appuyée  par  Prieur  et  Biauzat,  fut 


(1)  Cf.  Aulard,  IL  p. -206-207.  Il  publie  à  propos  de  cette  séance 
u,i  pamphlet  intitulé  :  «  Asisembîée  jacobine  permanente,  journal 
noographique,   imp.   Chaudriet,   s.d.,   in-8°,   7  p. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  129 

renvoyée  au  comité  des  recherches.  Ce  ne  fut  que  le  25  février  1*792 
que  la  Législative  acorda  à  Latude  un  secours  de  3.000  livres. 

Mercure  universel,  t.   I,  p.  262. 

«  M.  Robespierre.  C'est  parce  que  je  suis  convaincu  que  la 
cause  des  infortunés  est  la  cause  de  la  liberté  et  de  l'humanité  que  je 
prends  la  parole  :  en  effet,  il  n'y  a  point  de  révolution  si  le  pauvre 
n'est  pas  soulagé,  si  un  citoyen  manque  du  nécessaire,  s'il  y  a  encore 
des  malheureux,  et  je  me  crois  engagé  de  défendre  autant  qu'il  est  en 
moi,  la  cause  de  M.  Latude.  J'ai  compati  à  ses  longs  malheurs: 
j'appuyai  sa  cause  lorsqu'elle  nous  fut  présentée.  Hier  j'arrivai  à 
l'assemblée  nationale  à  l'instant  où  le  décret  venoit  d'être  porté  :  les 
travaux  des  Comités  m'avoient  retenu.  Mais  j'ai  cru  que  M.  Latude 
n'avoit  pas  mérité  sa  punition  :  d'ailleurs,  une  nation  généreuse, 
humaine  ne  calcule  pas  si  un  homme  qui  a  gémi  quarante  ans  dans  les 
cachots,  n'a  pas  des  droits  à  des  secours  qu'il  demande  :  le  despo- 
tisme étoit  inexorable,  mais  les  amis  de  l'humanité  doivent  être  indul- 
gents; je  dis  plus:  on  a  élevé  dans  l'assemblée  nationale  des  alléga- 
tions, mais  les  preuvçs  légales  n'ont  point  été  données  :  et  tout  citoyen 
qui  n'a  point  été  appelle,  convaincu,  peut  faire  entendre  ses  réclama- 
tions, non  que  l'on  puisse  attaquer  un  représentant  de  la  nation  pour 
ses  opinions,  mais  que  M.  Latude  vienne  nous  dire  que,  malgré  ses 
torts,  la  nation  ne  peut  pas  calculer  avec  lui,  alors  il  est  impossible 
qu'un   ami  de   l'humanité   se   refuse   à   cette   demande.    » 


239.  —  SEANCE  DU  17  MARS  1791  (soir) 
Sur  l'affaire  du  curé  d'Issy-l'Evêque 


Lors  de  la  séance  du  10  février  au  soir,  une  députation  d'Issy- 
l'Evêque,  district  d'Autun,  avait  été  admise  à  la  barre  de  l'Assem- 
blée nationale.  Elle  demandait  l'élargissement  de  Carion,  curé  et 
maire  d'Issy-l'Evêque.  Accusé  d'avoir  usurpé  le  pouvoir  administra- 
tif, en  particulier  pour  avoir  taxé  des  grains  (1),  il  avait  été  traduit 

(1)  Après  la  révolte  .agraire  du  JVIâconnaiis  en  juillet  1789,  le  curé 
Carion  avait  fondé  un  Comité  permanent  dont  la  taxation  des  grains 
fut  loin  d'être  la  seule  mesure  révolutionnaire.  Carion  en  effet  lui 
fit  publier  un  règlement  de  police  qui  réglementa  le  métayage.  En 
1790,  il  envoya  à  l'Assemblée  un  mémoire  sur  la  condition  des 
«  colons  ;»  exploités  par  les  fermiers  généraux  qui  prenaient  à  ferme 
l'ensemble  des  biens  d'un  ou  de  plusieurs  propriétaires  et  impo- 
saient ensuite  leurs  conditions  aux  cultivateurs.  Carion  tomba  sous 
le  coup  d'un  décret  rendu  le  2  juin  1790  contre  ceux  qui  propose- 
raient de:;  règlem*nts  sur  «  le  prix  et  la  durée  des  baux  et  les  droits 
eaçrés  de  la  propriété  »  et  fut  arrêté.  Son  histoire  a  été  étudiée  par 
Montarlot  :  Jssy  l'Evêque  (1898),  sans  que  l'auteur  ait  rien  dit  de  la 
situation  de  la  campagne  autuboi&e  et  de  la  situation  des  métayers, 
ce    qui    rend    la   conduite    du    curé    inexplicable.    Voir    G.    Lefebvre, 

IlOni  sriium..  *—  fi 


130  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

devant  le  ci-devant  bailliage  d'Autun,  puis  décrété  de  prise  de  corps 
par  le  Châtelet  sous  l'inculpation  de  crime  de  lèse-nation;  il  était 
détenu  depuis  plus  de  six  mois.  La  députation  souligne  l'incompé- 
tence du  Châtelet  pour  des  affaires  purement  administratives  (2). 

Le  17  mars,  à  la  séance  du  soir,  l'affaire  Carion  est  rapportée 
devant  l'Assemblée  par  Merle,  député  du  tiers  état  du  bailliage  de 
Mâcon,  au  nom  du  comité  des  rapports. 

Après  un  court  débat,  l'Assemblée  ordonna  .l'élargissement  du 
curé  d'Issy-l'Evêque  et  renvoya  son  affaire  aux  tribunaux  ordinaires. 

Le  Point  du  Jour,  t.  XX,  n°  616,  p.  248-49. 

«  M.  Robespierre  s'est  élevé  le  premier  contre  l'avis  du  Comité, 
qu'il  trouvait  insuffisant;   il   a  dit: 

«  Il  est  impossible  que  l'assemblée  décrète  qu'e//e  ne  délibérera 
pas  sur  une  telle  affaire;  il  est  impossible  que  par  une  semblable  réso- 
lution, elle  prolonge  encore  la  captivité  d'un  malheureux  détenj  depuis 
sept  mois.  Depuis  7  mois,  le  curé  d'Issy-l'Evêque  est  décrété  comme 
criminel  de  lèse-nation.  Le  titre  même  de  cette  accusation  vous  fait 
une  loi  de  délibérer  sur  sa  réclamation;  car  vous  avez  statué  que  les 
crimes  de  lèze-nation  ne  pouvoient  être  jugés  que  d'après  un  décret 
de  l'assemblée  nationale,  qui  déclareroit  qu'il  y  a  lieu  à  accusation. 
Au  fond,  quel  est  le  crime  du  curé  d'Issy-l'Evêque;  on  ne  lui  repro- 
che rien  qui  approche  de  l'accusation  de  lèse-nation.  On  lui  reproche 
quelques  faits  qui  étoient  de  la  compétence  de  la  commune  et  de  la 
municipalité  dont  il  étoit  membre.  On  lui  en  reproche  d'autres  qui 
étoient  peut-être  étrangers  à  la  juridiction  municipale,  et  qui  étoient 
plus  analogues  aux  fonctions  du  législateur  :  mais  outre  que  les  faits  ne 
lui  sont  pas  personnels,  qu'ils  sont  ceux  de  la  municipalité  ou  de  la 
commune  d'Issy-l'Evêque,  qu 'ont-ils  de  commun  avec  ces  attentats 
contre  la  liberté,  contre  la  souveraineté  du  peuple  auxquels  s'applique 
la  dénomination  de  crime  de  lèze-nation  ?  Que  dis-je,  tout  le  monde 
convient  que  ces  torts,  quels  qu'ils  soient,  ont  leur  source  dans  un 
zèle  trop  ardent  peut-être,  mais  pur  et  généreux  pour  les  droits  du 
peuple  et  pour  les  intérêts  de  l'humanité.  Ah  !  s'il  eût  été  un  ennemi 
du  peuple,  il  ne  gémiroit  pas  depuis  sept  mois  dans  une  prison... 
Peut-être  n'y  seroit-il  jamais  entré...  ne  serions-nous  donc  inexorables 
que  pour  les  infortunés,  pour  les  amis  de  la  patrie,  accusés  d'un  excès 
d'enthousiasme  pour  la  liberté...  Non,  ce  n'est  point  le  moment  d'acca- 
bler des  citoyens  sans  appuy...  lorsque  tant  de  coupables  jadis  illustres 
ont    été    absous.    Je    demande   que   toutes    les   procédures    faites    contre 


Questions  agraires  au  temps  de  la  Terreur,  p.  104-105  et  p  195,  où  le 
Mémoire  de  1790  a  l'Assemblée  se  trouve  reproduit  ;  et  E.  Hiamel, 
I,  385. 

(2)  Arch.  nat.  D  XXIX  bis,  18,  dossier  173,  pièce  3.  Lettre  de 
l'abbé  Carion,  curé  et  maire  d'Issy-l'Evêque,  sollicitant  son  élar- 
gissement (4  novembre  1790). 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  131 

le  Curé  d'Issy-l'Evêque  soient  déclarées  nulles,   et  qu'il   soit  mis  sur- 
le-champ  en  liberté.   » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    78,  p.  316. 

((  M  Roberspierre.  Les  conclusions  du  rapporteur  me  paraissent 
contraires  à  vos  décrets.  Le  curé  d'Issy  a  été  décrété  par  le  Châtelet, 
comme  criminel  de  lèse-nation;  or,  vous  avez  décrété  que  nulle  accu- 
sation de  crime  de  lèse-nation  ne  pourrait  être  portée  aux  tribunaux 
sans  un  décret  du  corps  législatif.  Un  des  premiers  devoirs  de  l'Assem- 
blée est  donc  de  délibérer.  Il  y  a  sous  le  rapport  de  l'ordre  public 
une  différence  essentielle  entre  les  délits  privés,  et  le  crime  de  lèse- 
nation.  Ce  crime  ne  peut  être  déféré  arbitrairement  aux  tribunaux,  parce 
que  par  de  pareilles  accusations  malignement  prodiguées,  on  pourrait 
porter  atteinte  à  la  liberté  publique.  C'est  par  ce  puissant  motif  que 
vous  avez  voulu  qu'aucun  tribunal  ne  pût  s'occuper  d'une  accusation 
de  crime  de  lèse-nation,  qu'après  un  décret  du  corps  législatif.  D'après 
ce  principe,  il  faut  ou  que  le  curé  d'Issy  soit  accusé  par  vous  de 
crime  de  lèse-nation,  ou  qu'il  soit  mis  en  liberté.  Vous  savez  quels 
sont  les  prétendus  délits  dont  il  est  accusé.  Vous  voyez  que  c'est 
pour  des  faits  qui  ne  lui  étaient  pas  personnels,  pour  une  prétendue 
infraction  faite  aux  lois  administratives  dans  un  moment  où  aucune  de 
ces  lois  n'existait;  qu'il  a  été  opprimé  par  le  bailliage  d'Autun;  vous 
voyez  que  ce  tribunal  n'osa  pas  même  le  juger,  qu'il  le  renvoya  au 
châtelet,  qui  n'osa  pas  le  juger  non  plus,  et  qui  aima  mieux  le  retenir 
pendant  sept  mois  de  prison... 

«  Ce  que  vous  devez  faire  dans  cette  circonstance,  c'est  d'annuler 
cette  accusation  absurde  de  crime  de  lèse-nation.  (Il  s'élève  quelques 
murmures).  Combien  d'accusés  ont  été  élargis  sur  des  considérations 
de  liberté  et  d'humanité,  quoique  chargés  de  soupçons  bien  autrement 
graves  !  Je  ne  m'y  suis  jamais  opposé,  parceque  le  sentiment  d'huma- 
nité balançait  en  moi  la  crainte  de  voir  la  liberté  compromise  ;  mais 
ici  on  ne  m'objectera  pas  sans  doute  l'intérêt  de  la  liberté  et  le  salut 
de  la  Société.  Est-ce  donc  parce  que  celui  que  je  défends  est  malheu- 
reux et  sans  appui,  que  l'on  murmure?  Je  citerai  M.  l'abbé  Barmond, 
le  client  de  M.  Malouet,  et  tant  d'autres  clients  qui,  se  trouvant 
dans  l'ordre  anciennement  puissant,  ont  été  élargis  par  le  Châtelet. 
(On  applaudit).  Un  sentiment  de  justice,  l'humanité,  la  raison,  dont 
vous  devez  établir  l'empire,  ne  vous  dictent-ils  pas  ce  que  je  vous 
propose  ?  L'Assemblée  se  montrera-t-elle  inexorable  envers  un  mal- 
heureux de  cet  espèce,  tandis  que  tant  de  scélérats  jadis  illustres 
ont  été  élargis?...  Je  demande  l'élargissement  pur  et  simple  du  curé 
d'Issy   .,  (3). 


(3)  Cf.  Moniteur,  VII,  652.  iLes  Arch.  pa/l.,  XXIV,  156.  repro- 
«luisent  les  premières  lignes  du  texte  fie  Le  Hodey,  jusqu'à  «  vos 
décrets  »,   puis  copient  le  Moniteur. 


132  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Journal  des  Débats,  t.  XVIH,  n°  654,  p.  4. 

«  M.  Robespierre  est  monté  à  la  tribune;  il  a  dit  qu'il  n'invo- 
queroit  point  l'humanité  de  l'Assemblée,  quoique  peu  d'accusés  y 
eussent  plus  de  droits  que  le  curé  d'Issy-l'Evêque;  mais  qu'il  réclame- 
roit  la  plus  rigoureuse  justice  de  l'Assemblée,  et  l'exécution  littérale 
d'un  de  ses  Décrets  :  elle  a  voulu  très-sagement  que  les  Tribunaux 
ne  pussent  prononcer  sur  aucun  crime  de  lèse-Nation,  sans  qu'elle- 
même  en  eût  ordonné  le  renvoi  aux  Tribunaux.  Quel  est  ici  îe  motif 
et  le  prétexte  de  la  détention  du  curé  d'Issy-l'Evêque  ?  Ce  prétexte 
(on  frémit  de  le  dire,  tant  cette  injustice  est  révoltante),  ce  prétexte 
est  un  crime  de  lèse-Nation,  et  ce  crime  est  un  règlement  de  police 
qui  renferme  des  dispositions  sages,  peut-être,  mais  qui  n'appartien- 
nent pas  aux  fonctions  municipales. 

((  On  propose  à  l'Assemblée  de  déclarer  son  incompétence  pour 
juger  de  cette  affaire;  mais  si  l'Assemblée  la  prononce,  au  mépris 
de  son  propre  Décret,  ne  pourra-t-on  pas  se  plaindre  qu'elle  est  sans 
pitié  pour  un  accusé  qui  «n'est  point  environné  de  protecteurs  puissans  ? 
Ces  paroles  ont  excité  beaucoup  de  murmures.    » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XX111,  p.  27. 

«  M.  Robespierre  :  Puisqu'il  s'agit  d'un  citoyen  emprisonné  depuis 
sept  mois  sur  une  accusation  de  lèse-nation,  certainement  vous  m'accor- 
derez la  permission  de  dire  quelques  mots  en  sa  faveur;  et  sans  récla- 
mer les  sentimens  de  l'humanité,  je  me  contenterai  de  vous  observer 
que  la  conclusion  de  M.  le  Rapporteur  est  contraire  à  vos  décrets,  qui 
portent  qu'aucun  accusé  de  crime  de  lèse-nation  ne  pourra  être  jugé 
par  les  tribunaux  sans  un  décret  préalable  de  l'assemblée,  qui  déclare 
qu'il  y  a  lieu  à  accusation.  Il  est  donc  impossible  que  l'Assemblée 
déclare  qu'il  n'y  a  pas  lieu  à  délibérer,  lorsque  son  premier  devoir 
au   contraire    est    de   délibérer    sur   ces   sortes   d'affaires. 

<(  Enfin,  messieurs,  d'un  côté  les  faits  qu'on  suppose  au  curé  n'ont 
rien  de  commun  avec  les  crimes  de  lèse-nation;  de  l'autre,  ils  ne  sont 
point  personnels  au  curé;  ils  ne  peuvent  regarder  que  la  commune 
d'Issy-l'Evêque.  Ainsi,  il  n'y  a  pas  heu  à  accusation  contre  lui; 
ainsi  cette  accusation  est  injuste  et  visiblement  un  acte  d'oppression 
opéré  par  l'ancien  bailliage  d'Autun,  qui  n'osant  pas  juger  cette  accu- 
sation, l'a  renvoyée  au  Châtelet,  qui  lui-même  ne  l'a  pas  jugée. 

((  C'est  pour  les  principes  de  la  Constitution,  c'est  pour  les  prin- 
cipes de  la  liberté  que  je  réclame.  (Murmures).  On  ne  veut  pas  m'écou- 
ter;  cependant,  messieurs,  lorsque  dans  des  affaires  semblables,  on 
vous  a  allégué  l'intérêt  sacré  de  la  liberté,  lorsqu'on  vous  a  demandé 
provisoirement  l'élargissement  de  certains  accusés,  je  ne  m'y  suis  point 
opposé  !  L'intérêt  de  l'humanité  l'a  emporté  dans  mon  coeur  sur 
l'intérêt    même    de    la    liberté    qui    étoit    compromis    dans    ces    causes. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  B3 

(Applaudi  à  gauche;  murmures  à  droite)  Dans  des  occasions  sembla- 
bles, vous  vous  êtes  montrés  très  disposés  à  accorder  l'élargissement 
à  des  prisonniers  sans  examiner  le  fond  de  l'affaire.  (Murmures  à 
droite).  Je  citerai,  puisque  vous  m'y  forcez,  M.  l'abbé  de  Barmont, 
je  citerai  tous  les  cliens  de  M.  Malouet,  qui  étoient,  dans  l'ordre 
ancien,  des  hommes  très  puissans,  et  qui  ont  été  élargis  sans  examen. 
(Applaudi  vivement  à  gauche). 

«  Il  ne  faut  pas  que  l'assemblée  se  refuse  à  entendre  un  malheu- 
reux, tandis  que  tant  de  scélérats,  jadis  illustres,  ont  été  absous. 
(Applaudi). 

Courrier  extraordinaire,   19  n  ars  1791,  p.  2. 
Courrier  des  Français,  n°    18,  p.    135. 
Journal  de  Normandie,   n°    78,   p.    971. 

«  M.  Robertspierre  a  soutenu  que  l'Assemblée  qui  s'étoit  réservé 
le  droit  de  dénoncer  les  crimes  de  lèse-nation,  devoit,  au  Heu  de 
décréter  qu'il  n'y  avoit  lieu  à  délibérer,  examiner  s'il  y  avoit  lieu  ou 
non  à  l'accusation. 

«  Le  cul-de-sac  l'interrompit.  Eh  !  messieurs,  a  repris  l'orateur, 
je  parle  pour  un  bon  curé  de  village  et  je  ne  connois  que  l'innocence  : 
je  demande  sa  liberté  et  vous  refusez  de  m'entendre. 

«  Vous  avez  plaidé  pour  d'illustres  coupables,  et  je  ne  vous  ai 
point  interrompus...  Nommez  ces  coupables...  Croyez-vous  m'intimi- 
der  :  oui,  je  vous  nomme  M.  l'abbé  de  Barmond  (4).  Ici  M.  Roberts- 
pierre a  été  couvert  d'applaudissemens. 

«  M.  Mirabeau  a  fait  valoir,  mais  plus  éloquemment,  le  principe 
dont  s'étoit  prévalu  M.   Roberstpierre.    » 

Assemblée  nationale  e/  Commune  de  Paris  (imitât.),   n°    588,  p.   ?. 

«  M.  Robespierre  a  plaidé  avec  la  plus  grande  chaleur  la  cause 
de  cet  infortuné:  il  a  dit  qu'il  n'y  avoit,  et  ne  pou  voit  avoir  de  crime 
de  lèze-nation,  que  ceux  formellement  dénoncés  par  le  corps  législatif, 
il  s'est  indigné  qu'on  s'obstinât  à  retenir  dans  les  fers  un  malheureux 
sans  appui,  tandis  qu'on  s'étoit  montré  facile  pour  tant  d'autres  per- 
sonnes plus  coupables  que  lui.  Il  ne  faut  point,  disoit-il,  que  l'assem- 
blée se  montre  inexorable  pour  cet  infortuné,  lorsque  tant  de  scélérats, 
jadis  illustres,  ont  été  absous.   » 

Le  Patriote  françois,  n°   587,  p.  292. 

«  MM.  Robespierre  et  Mirabeau  ont  soutenu  qu'en  examinant 
cette  ridicule  accusation,  il  n'y  avoit  pas  le  moindre  fondement,  et 
qu'il  étoit  vexatoire  de  traîner  de  tribunaux  en  tribunaux  un  pauvre 
curé,  dans  la  conduite  duquel  il  n'y  avoit  pas  la  moindre  trace  d'anti- 


(4)    Cf.    Diseours,    lr"   partie,    p.    513. 


134  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

révolutionnarisme,    et    sur    leurs    observations,    il    a    été    élargi    et    son 
procès  renvoyé  devant  les  tribunaux  ordinaires.   » 

Journal  de  Paris,   19  mars  1791,  p.  314. 

«  M.  de  Robertspierre  s'est  élevé  avec  une  grande  force  contre 
ces  conclusions  du  Comité  des  Rapports.  «  Sur  quel  principe  deman- 
doit  M.  de  Robertspierre,  fonde-t-on  cet  il  n'y  a  pas  lieu  à  délibérer? 
Sur  ce  principe  que  le  Corps  Législatif,  borné  à  faire  des  loix,  ne 
peut  pas  annuler  une  procédure  :  mais  je  dis  au  contraire  que,  puisqu'un 
criminel  de  lèze-nation  ne  peut  être  traduit  devant  les  tribunaux  que 
lorsque  le  Corps  législatif  a  prononcé  qu'il  y  a  lieu  à  l'accusation,  ce 
même  Corps  législatif  a  aussi  le  droit  de  prononcer  qu'une  accusation 
a  été  mal  faite  et  qu'elle  doit  être  annulée. 

«  Quel  est  d'ailleurs  le  délit  du  Curé  d'Issy-l'Evêque  7  Etrange 
crime  de  lèze-Nation,  qui  consiste  à  avoir  embrassé  les  intérêts  de  la 
Nation  avec  trop  de  chaleur  !  Ah  !  croyez  que,  s'il  étoit  coupable  con- 
tre le  peuple,  les  portes  des  prisons  lui  seroient  bientôt  ouvertes,  ou 
que  plutôt  elles  ne  seroient  jamais  fermées  sur  lui.  Est-ce  pour  un 
Prêtre  patriote  que  vous  réserveriez  votre  inflexibilité,  lorsque  vous 
avez  de  l'indulgence  pour  tant  de  scélérats  qui  attaquoient  la  Consti- 
tution elle-même  ? 

((  M.  de  Robertspierre  conclut  à  l'élargissement  du  Curé  d'Issy- 
l'Evêque;  il  a  été  élargi  et  on  a  renvoyé  l'affaire  aux  tribunaux.   » 

La  Grande  Joie  du  Père  Duchêne,  n°   2. 

«  La  majorité-canaille  de  l'assemblée  nationale  alloit  dire  oui, 
comme  le  merle  noir;  mais,  un  homme  se  lève,  à  mes  côtés;  Robers- 
pierre.  Il  tonne,  il  vous  rembarre,  j'  dis  comme  il  faut,  toute  la  sacré 
vermine  astutieuse,  et  leur  dit  comme  ça  entre  autres  choses  :  «  Est-ce 
pour  un  prêtre  patriote  que  vous  réserveriez  votre  inflexibilité,  lorsque 
vous  avez  tant  d'indulgence  pour  tant  de  scélérats  qui  attaquèrent  la 
constitution  elle-même.  »  Il  conclue  à  l'élargissement  de  ce  pauvre 
bougre  de  curé,  on  ne  peut  plus  résister  davantage  à  la  voix  de  la 
justice,  et  il  peut  foutre  le  camp  des  prisons  quand  il  lui  plaira.   » 

L'Ami  du  Roi  (Mont joie),    19  mars    1791,   p.   310. 

«  L'assemblée,  a  dit  M.  Roberspierre,  s'est  réservé  le  droit  de 
dénoncer  les  crimes  de  lèse-nation;  elle  doit  examiner  s'il  y  a  lieu 
ou  non   à  une   accusation. 

«  Cette  affaire,  a  dit  un  membre  du  côté  droit,  regarde  les  tribu- 
naux.   » 

«  Vous  avez  parlé  pour  d'illustres  coupables,  a  repris  M.  Robers- 
pierre,  et  je  ne  vous  ai  pas   interrompu.    » 

—  Nommez  ces  coupables,  lui  a-t-on  crié  } 
—  Je   nommerai    M.    l'abbé   de   Barmond. 

«  A  ces  mots,  de  nombreux  applaudissements  sont  partis  du  côté 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  135 

gauche;  on  applaudit  donc  jusqu'à  î ' insulte  ?  mais  eût-on  applaudi, 
s'il  eût  été  question  de  nommer,  au  lieu  d'un  innocent,  les  coupables 
des  5  et  6  octobre,  pour  lesquels  le  côté  gauche  a  tant  parlé  et  tant 
fait  ? 

«  M.  Roberspierre,  tout  glorieux,  a  continué,  et  il  a  conclu  à  ce 
que  l'assemblée  déclarât  qu'il  n'y  avait  pas  'lieu  à  accusation  et  à  ce 
qu'elle  accordât  la  liberté  provisoire.  » 

Le  Creuset,  t.   I,   n°   25. 

((  M.  Robespierre  a  chaudement  et  sincèrement  défendu  la  cause 
de  la  probité  calomniée,  et  de  la  liberté  violée,  par  le  détestable 
Châtelet,  en  la  personne  du  curé  d'Issy-4'Evêque.   » 

Les  Révolutions  de  Paris  (Prudhomme),  n°   88,  p.   506. 

«  En  vain,  le  côté  droit  a  hurlé  la  question  préalable,  le  courage 
invincible  de  M.  Roberspierre  l'a  emporté,  il  a  fait  triompher  la  cause 
des  malheureux  et  a  fermé  la  bouche  aux  hurleurs...  Continue,  intré- 
pide Roberspierre,  à  te  faire  haïr  des  méchants  :  ta  vengeance  est 
dans  leur  cœur;   ils  sont  forcés  de  t'admirer.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Les  Annales  patrio- 
tiques et  littéraires,  n°  533,  p.  1187;  Le  Courier  français,  t.  X,  n°  77, 
p.#  136;  La  Correspondance  nationale,  n°  10;  Le  Courier  national 
(Beuvin),  19  mars  1791,  p.  2;  Assemblée  nationale,  Corps  adminis- 
tratifs (Perler),  t.  X,  n°  591,  p.  2;  Le  Journal  de  la  Noblesse,  t.  I„ 
n°   13,  p.  396.] 


240.  —  SEANCE  DU  19  MARS  1791  (soir) 
Sur  les  troubles  de  Douai 


Alquier,  député  du  tiers  état  de  la  sénéchaussée  de  La  Rochelle, 
rapporte  devant  l'Assemblée  nationale  au  nom  des  comités  des 
recherches,  militaire  et  des  rapports,  /sur  les  troubles  de  Douai. 

Le  1-1  mars,  un  négociant  de  Douai,  faisant  charger  sur  un  bateau 
du  blé  destiné  à  Dunkerque,  le  peuple  s'attroupa  et  empêcha  le 
chargement,  Le  lendemain,  le  peuple  déchargea  le  bateau  et  exigea 
que  les  grains  fussent  mis  en  vente;  le  négociant  consentit  à  la  vente. 
Le  directoire  du  département,  devant  l'agitation  croissante,  ordonna 
à  la  municipalité  de  prendre  les  précautions  nécessaires  et  de  faire 
une  réquisition  de  la  force  armée  au  commandant  de  la  place;  ce  que 
la  municipalité  n'accepta  qu'à  contre-cœur,  ne  demandant  que  cin- 
quante hommes-.  Dans  l'après-midi,  le  peuple  paraissant  devoir  se 
porter  à  de  grandes  violences,  le  directoire  du  département  demanda 
à  la  municipalité  de  proclamer  la  loi  martiale;  elle  refusa.  Le  peuple 
cependant  pendait  à  un   réverbère  un  officier  de  la  garde  nationale 


136  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

et  exigeait  la  mort  du  marchand  de  grains.  Le  17,  le  peuple  l'arracha 
de  sa  prison  et  le  pendit  à  un  arbre.  Le  directoire  du  département, 
fortement  menacé  et  se  voyant  dans  l'impossibilité  de  rétablir  la 
paix,   se  retira  à  Lille  (1). 

Le  rapporteur  met  ces  troubles  en  liaison  avec  l'élection  de 
Ï'évêque,  fixée  au  dimanche  20  mars  (2).  Il  ne  saurait  s'agir  là  de 
désordres  dus  à  la  disette,  dans  un  pays  où  le  blé  est  en  abondance 
et  où  le  pain  coûte  un  sou  la  livre.  Ces  désordres  sont  l'ouvrage  de 
fanatiques  révoltés  contre  les  décrets  de  l'Assemblée,  touchant  la 
constitution  du  clergé  de  France.  En  conséquence,  le  rapporteur  pro- 
pose un. décret  en  sept  articles  portant: 

1°  Que  la  municipalité  de  Douai  sera  mandée  à  la  barre  de 
T Assemblée  et  décrétée  d'arrestation  si  elle  n'obéit  pas  dans  les 
vingt- quatre  heures  ; 

2°  Que  l'information  commencée  au  tribunal  du  district  de  Douai 
sera  poursuivie   sans   relâche  ; 

3°  Que  les  comités  de  constitution  et  de  judicature  seront  char- 
gés de  présenter  incessamment  un  projet  de  décret  sur  les  peines  à 
infliger  aux  ecclésiastiques  qui,  par  leurs  discours  ou  par  leurs 
écrits,   excitent   le  peuple  à  la  révolte. 

Après  un  débat  'violent,  l'Assemblée  aggrava  le  projet  présenté 
par  ses  comités  :  la  municipalité  de  Douai  fut  décrétée  d'arresta- 
tion et  déférée  au  tribunal  provisoire  établi  à  Orléans  (3).  L'Assem- 
blée abandonna  cependant  le  troisième  point  du  projet  de  son  comité. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Jow-nal  Logographique,  t.  XXIII,  p.  65 

«  M  Robespierre.  Dans  le  projet  de  décret  qui  vient  d'être  "pré- 
senté à  l'assemblée  au  sujet  de  cette  affaire,  je  vois  d'abord  la  propo- 
sition qui  lui  est  faite  de  mander  à  la  barre  la  municipalité  de  Dcuai. 
A  cette  seule  proposition,  j'ai  vu  s'élever  des  murmures  d'improba- 
tion  :  que  signifioient-ils  ?  sinon  qu'au  lieu  de  mander  à  la  barre  la 
municipalité  de  Ç)ouai,  il  falloi-t  la  condamner,  la  punir  sur-le-champ 
(non,  non,  murmures;  pour  les  faire  arrêter,  on  ne  les  condamne  pas). 
Elh  bien  conformément  au  premier  article  du  'comité,  je  suis  d'avis, 
moi,  que  la  municipalité  soit  mandée  à  la  barre,  parce  que  je  crois 
que  sur  des  affaires  qui  intéressent  aussi  essentiellement  la  liberté  et 
la  tranquillité  publique,  sur  des  faits  qui  se  sont  passés  loin  de  l'assem- 


(1)  D'après  E.  Hamel,  I.  390,  le  directoire  était  composé  d'anciens 
conseillers  au  Parlement.  Quant  au  commandant  de  la  garde  natio- 
nale, c'était  M.  de  Noue.  En  vérité,  nous  ne  voyons  parmi  les  mem- 
bres du  département  aucun  conseiller  au  Parlement.  Les  noms  qui 
peuvent  éveiller  quelques  soupçons  sont  ceux  de  Gossain  et  de  Guer- 
noval  d'Esquelbecq  qui  avaient  été  commissaires  du  roi  pour  la  for- 
mation du  département. 

(2)  Ainsi  la  responsabilité  du  directoire  du  département  de 
Douai  se  trouvait  engagée  (Cf.  séance  du  21  mars)  puisqu'il  avait 
obtenu  le  17  mars  le  renvoi  de  l'élection  de  Ï'évêque  (Cf.  le  Point 
du  Jour,  t.  XX,  p.  275-282). 

(3)  C'était  en  effet  le  sens  de  la  motion  faite  par  Gaultier  de 
Biauzat. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  137 

blée  nationale,  il  faut  entendre  toutes  les  parties.  (Murmures).  Assuré- 
ment, si  pour  être  entendu  dans  cette  assemblée  il  falloit  faire  une 
profession  de  foi  (au  fait,  au  fait,  murmures).  Je  consens  qu'on  aille 
aux  voix,  je  n'ai  point  de  raison  à  opposer  à  une  force  aussi  tumultueuse 
que  celle  qui  m'interrompt  (murmures,  il  nous  insulte  à  plaisir).  J'avoue 
que  je  ne  connais  pas  cette  manière  de  voir.  Je  ne  !a  connais  pas. 
(Murmures).  Je  déclare  que  d'après  la  connoissance  personnelle  que 
j'ai  des  faits  qui  se  sont  passés  dans  la  ville  de  Douai,  je  suis  moins 
porté  que  personne  peut-être  à  prendre  le  parti  de  la  municipalité. 
Mais  que  m'importe  la  municipalité  de  Douai  ?  que  m'importe  sa 
conduite  ?  II  s'agit  ici  d'une  mesure  faite  pour  mieux  assurer  la  tran- 
quillité et  la  liberté  publique,  et  on  ne  veut  pas  que  je  dise  mon 
opinion  :  on  ne  veut  pas. . . 

«  M.  Couppé.  On  ne  veut  pas  que  vous  insultiez  l'assemblée 
nationale,   voilà  ie  fait. 

«  M.  Robespierre.  Je  pense  que  dans  des  affaires  aussi  impor- 
tantes, l'assemblée  nationale  doit  s'imposer  la  loi  de  les  examiner, 
je  ne  dis  pas  avec  scrupule,  mais  avec  l'attention  que  doit  s'imposer 
tout  juge  qui  prononce  sur   une  affaire  quelconque  (murmures). 

«  Je  prétends  que  vous  ne  pouvez  pas  prononcer  sur  cette 
affaire  sans  avoir  entendu  le  corps  revêtu  des  suffrages  de  ses  conci- 
toyens, \a  municipalité  de  Douai  (brouhaha,  //  perd  la  tête). 

«  M...  Je  demande  que  M.  soit  rappelé  à  l'ordre. 

«  M.  Robespierre.  J'y  consens...  Je  crois  en  avoir  dit  assez  sur 
le  premier  article.  (Plusieurs  voix:  Trop.) 

«  Je  passe  en  conséquence  au  dernier  article  analogue  à  d'autres 
objets  non  moins  importants;  j'ai  entendu  proposer  de  prononcer  des 
peines  contre  des  hommes  d'un  certain  état  (un  membre  à  droite  :  il  n'y 
en  a  plus),  contre  les  ecclésiastiques  qui,  par  des  écrits  et  par  des 
discours,  excitent  le  peuple  à  la  révolte.  Je  trouve  une  très  grande 
inexactitude  de  rédaction  dans  cet  article,  et  je  ne  relève  cette  inexacti- 
tude que  parce  qu'elle  est  absolument  contraire  aux  principes  du  bien 
public  et  de  la  liberté.  D'abord,  il  ne  faut  point  sévir  dans  ces  termes 
vagues  contre  ceux  qui,  par  leurs  discours  et  les  écrits,  excitent  le 
peuple  à  la  révolte.  Les  discours  et  les  écrits  !  il  n'y  a  rien  de  si  vague 
que  ces  mots-là  (ce  sont  les  vôtres  aui  sont  vagues)  et  je  vais  le  prouver 
par  un  raisonnement  très  simple  à  l'homme  qui  est  le  plus  zélé  partisan 
de  cet  article.  Je  dis  qu'il  est  impossible  que  rassemblée  nationale 
décrète  qu'un  discours  tenu  par  un  citoyen,  quel  qu'il  soit,  puisse  être 
l'objet  d'une  procédure  criminelle  (oh  !  oh  !)  ;  cependant  cet  article 
porte  que  les  ecclésiastiques  oui  auront  tenu  des  discours  jugés  capables 
d'exciter  le  peuple  à  la  révolte,  seront  poursuivis  en  vertu  d'un  décret 
de  l'assemblée  nationale.  Il  n'y  a  pas  ici  de  distinction  à  faire  entre 
les  ecclésiastiques  et  les  autres  citoyens;  je  crois  que  quelqu'impor- 
tantes  que   paraissent   être    les   affaires,    elles   ne   peuvent   jamais   servir 


138  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

de  prétexte  pour  porter  une  loi  générale  ou  particulière  contre  les 
discours  ni  contre  les  écrits,  et  qu'aucun  citoyen  ne  peut  être  soumis 
à  aucune  peine  ni  à  aucune  inquisition  pour  ses  discours  ni  pour  ses 
écrits.  (Murmures).  Je  ne  suis  pas  obstiné  dans  mon  opinion;  il  me 
semble  qu'elle  ne  me  concilie  pas  beaucoup  de  faveur.  {Non.  non, 
non).  Cela  m'est  égal;  mais  je  la  soutiens,  je  ne  dis  pas  seulement 
conforme  à  la  raison,  mais  à  l'opinion  même  des  membres  les  plus  zélés 
pour  la  liberté,  et  qui  l'appuieroient  dans  ce  moment  s'il  n'étoit  pas 
question  des  affaires  ecclésiastiques  (ris  ironiques  et  applaudisserr.ens 
à  droite.  On  lui  crie  à  gauche:  Allez  du  côté  droit). 

[M.   Dumetz  demande  que  la  parole  soit  retirée  à  Robespierre.] 
«  M.   de  Murinais.   Je  demande  au  nom  sacré  de   la   liberté   des 
opinions  que   M.   de  Robespierre  soit  entendu. 

«  M.  Robespierre.  Je  crois  qu'il  ne  dépend  pas  de  M.  Dumetz... 
(Au  fait,  au  fait).  En  conséquence,  je  conclus  à  ce  que  le  premier 
article  soit  confirmé,  et  que  l'article  tendant  à  soumettre  aux  procé- 
dures criminelles  des  discours  et  des  écrits  faits  par  des  ecclés'astiques 
soit  écarté  par  la  question  préalable.  Je  demande  à  cet  égard,  comme 
je  l'ai  déjà  proposé  plusieurs  fois,  et  comme  l'assemblée  l'a  toujours 
adopté,  que  les  loix  qui  tiennent  à  la  liberté  des  discours,  des  opinions, 
des  écrits  (et  des  faits,  n  est-ce  pas?),  ne  puissent  être  portées  que 
d'après  une  discussion  sur  les  principes  de  la  liberté,  parce  qu'il  ne 
faut  point  anéantir  les  principes  de  la  liberté  sous  le  prétexte  d'un 
fait  particulier  (quelques  applaudissemens  à  gauche).  Je  demande  en 
second  lieu  qu'il  ne  soit  porté  aucun  décret,  aucuns  changemens  sur  le 
fond  de  l'affaire,  d'après  la  conclusion  même  du  Rapporteur,  avant 
que  la  municipalité  de  Douai  n'ait  été  entendue.  (Il  descend  de  la 
tribune:  Ah!  Ah!).   » 


«  M.  Voidel.  Vos  comités  réunis  ont  parfaitement  bien  senti 
l'impression  douloureuse  et  le  mouvement  d'indignation  que  ces  évé- 
nemens  exciteroient  dans  l'assemblée  nationale. 

«  M.  Robespierre.  Il  ne  faut  point  d'indignation  pour  juger.  (Mur- 
mures). 

[On  passe  au  vote  des  articles  du  décret  :  les  articles  1  et  2  sont 
votés.   M.   le  Rapporteur  lit  l'article  3.] 

«  M.  Robespierre.  Je  demande  que,  suivant  sans  doute  J'intention 
de  rassemblée  nationale,  on  se  borne  à  poursuivre  les  instigateurs  et 
auteurs  du  délit  (murmures).  Je  n'invoque  pas  même  les  principes  de  la 
liberté,  j'invoque  les  principes  suivis  dans  tout  état  despotique,  et  je 
demande  si,  lorsqu'un  désordre  a  été  commis  par  une  multitude,  l'on 
étend  la  peine  à  ia  multitude  entière  ?  On  se  contente  de  poursuivre 
les  principaux  auteurs  (Aux  voix,  aux  voix).  (Vous  nous  ennuyez). 
Condamnez  tout  le  peuple  de  Douai,  si  vous  voulez,  ça  m'est  égal; 
mais  je  dois  faire  tout  ce  qui   est   en  mon  pouvoir  pour  prévenir   une 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  139 

injustice  atroce  (murmures).  Oui,  messieurs.  Sous  le  nom  de  fauteurs 
et  adhérens,  on  pourroit  comprendre  tous  ceux  qui  se  sont  trouvés  dans 
la  foule  (une  voix  crie  :  M.  Robespierre,  vous  êtes  fou).  En  consé- 
quence, je  demande  qu'on  retranche  les  mots  de  fauteurs  et  complices 
(murmures)   »   (4). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  80,  p.  324. 

«  M.  Roberspierre.  Les  lieux  où  se  sont  élevés  les  troubles  de 
Douay,  sont  voisins  de  celui  qui  m'a  député  à  cette  assemblée.  A  l'in- 
térêt général  qui  m'attache  à  tout  ce  qui  peut  contribuer  à  la  liberté 
publique,  se  joint  celui  qui  me  lie  à  mon  pays.  Ce  double  sentiment 
m'engage  à  examiner  avec  scrupule  les  faits  qui  sont  à  la  base  du  rap- 
port que  vous  venez  d'entendre;  et  je  dois  avouer  que  je  suis  forcé 
de  regretter  que  l' Assemblée  soit  exposée  à  prendre  une  délibération 
subite  sur  une  affaire  aussi  grave,  d'après  un  rapport  fait  avec  autant 
de  précipitation...  (Il  s'élève  des  murmures).  Voici  sur  quoi  porte 
mon  observation.  M.  le  Rapporteur  a  lu  un  projet  de  décret  dans 
lequel  il  propose  de  mander  la  municipalité  de  Douay  à  la  barre. 
A  ces  mots,  il  s'est  élevé  de  violens  murmures  qui  voulaient  dire  que 
ce  décret  ne  disait  pas  assez,  et  qu'il  fallait  sans  doute  la  condamner 
sur  le  champ.  (Il  s'élève  des  murmures.  —  Plusieurs  voix  :  On  n'a  pas 
dit  cela).  J'ai  entendu  crier  à  la  fois  par  un  très  grand  nombre  de 
voix  qu'il  fallait  l'envoyer  dans  les  prisons  d'Orléans;  et  moi,  au 
contraire,  je  suis  d'avis  qu'il  faut  se  contenter  de  la  mander  à  la 
barre;  car  avant  de  juger,  il  faut  commencer  par  entendre  toutes  les 
parties  (nouveaux   murmures). 

[Intervention  de   M...] 

«  M.  Roberspierre.  J'ai  cependant,  à  la  lecture  du  projet  de 
décret,  entendu  dire,  et  crier  unanimement  qu'il  fallait  l'envoyer  à 
Orléans  (murmures).  II  m'est  impossible  de  résister  à  la  force  tumul- 
tueuse des  interruptions...  S'il  fallait  une  profession  de  foi  pour  se 
faire  entendre  dans  cette  assemblée  .  Je  déclare  que  je  suis  moins  que 
tout  autre,  porté  à  approuver,  ou  à  excuser  la  municipalité;  je  discute 
les  principes  généraux  qui  doivent  déterminer  une  Assemblée  sage  et 
impartiale.  Je  pense  que  dans  une  affaire  aussi  importante,  le  corps 
législatif  doit  s'imposer  la  loi  d'examiner,  je  ne  dis  pas  avec  scrupule, 
mais  avec  attention  réfléchie  que  s'impose  tout  juge...  Ce  n'est  point 
l'ajournement  que  je  propose,   c'est  au  contraire   le  premier  article   du 


(4)  On  remarquera  que  Robespierre  ne  s'attache  pas  à  l'affaire 
en  olle  même,  mais  aux  conséquences  qu.e  le  projet  des  comités  veut 
lui  donner  (art.  3:  poursuites  contre  les  ecclésiastiques).  Les  A.rch. 
pari.,  XXIV,  213,  reproduisent  ce  texte  à  partir  de  la  3°  ligne,  mais 
empruntent  le  début  au  Moniteur. 


140  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

projet  de  décret  que  je  soutiens;  car  vous  ne  pouvez  prononcer  avant 
d'avoir  entendu  la  municipalité...  Je  passe  au  dernier  article  du  projet 
de  décret.  J'ai  entendu  dire  qu'il  fallait  déterminer  les  peines  à  infliger 
aux  ecclésiastiques  qui,  par  leurs  discours  ou  leurs  écrits,  exchent  le 
peuple  à  la  révolte.  Un  pareil  décret  serait  du  plus  grand  danger  pour 
la  liberté  publique  ;  il  serait  contraire  à  tous  les  principes.  On  ne  peut 
exercer  de  rigueur  contre  personne  pour  des  discours,  on  ne  peut  infliger 
aucune  peine  pour  des  écrits  (il  s'élève  des  murmures),  rien  n'est  si 
vague  que  les  mots  de  discours,  écrits  excitant  à  la  révolte.  II  est 
impossible  que  l'Assemblée  décrète  que  des  discours  tenus  par  un 
citoyen  quelconque,  puissent  être  l'objet  d'une  procédure  criminelle. 
Il  n'y  a  point  ici  de  distinction  à  faire  entre  un  ecclésiastique  et  un 
autre  citoyen.  Il  est  absurde  de  vouloir  porter  contre  les  ecclésiastiques 
une  loi  qu'on  n'a  pas  encore  osé  porter  contre  tous  les  citoyens.  Des 
conditions  particulières  ne  doivent  jamais  l'emporter  sur  les  principes 
de  la  justice  et  de  la  liberté.  Un  ecclésiastique  est  un  citoyen;  et 
aucun  citoyen  ne  peut  être  soumis  à  des  peines  pour  ses  discours;  et  il 
est  absurde  de  faire  une  loi  uniquement  dirigée  contre  les  discours 
des  ecclésiastiques...  J'entends  des  murmures  et  je  ne  fais  qu'exposer 
l'opinion  des  membres  qui  sont  les  plus  zélés  partisans  de  la  liberté, 
et  ils  appuieraient  eux-mêmes  mes  observations  s'il  n'était  pas  question 
des  affaires  ecclésiastiques...  (Applaudissemens  du  côté  droit,  mur- 
mures de  la  gauche.) 

[Intervention  de   M.    Dumetz.] 

«  M.  Roberspierre .  Je  demande,  comme  je  l'ai  déjà  souvent  pro- 
posé, et  comme  l'Assemblée  l'a  décrété,  qu'une  loi  qui  tient  à  la 
liberté  des  écrits  et  des  opinions,  ne  soit  portée  qu'après  une  discus- 
sion générale  et  approfondie  des  principes,  qu'elle  ne  porte  pas  sur 
une  classe  particulière.  Je  demande  ensuite  qu'il  n'y  ait  point  de  juge- 
ment sur  le  fond,  avant  que  la  municipalité  de  Douay  ait  été  entendue. 

[Intervention  de  MM.  Cazalès,  Voidel,  Alexandre  Lameth,  Le 
Chapelier,  Pétion.] 

«  M.  Roberspierre.  Il  est  un  article  du  projet  de  décret  qui 
porte  que  l'information  sera  continuée  contre  les  fauteurs,  complices 
du  délit...  (murmures).  Je  ne  puis  répondre  à  tant  d'interruptions.  Je 
dis  que  c'était  même  la  règle  du  despotisme,  que  lorsqu'un  délit  avait 
été  commis  par  une  multitude  on  n'informait  que  contre  les  auteurs  et 
les  instigateurs  du  délit.  Par  les  mots  vagues  de  complices,  tous  ceux 
qui  se  seraient  trouvés  dans  la  foule  pourraient  être  inquiétés,  poursuivis. 
(Les  murmures  redoublent  et  couvrent  les  conclusions  de  M.  Robers- 
pierre) »  (5). 


(5)  Texte    reproduit  dans   le    Moniteur,    VII,    668;    et    Bûchez    et 
Roux,    IX,    213-249.    Laponneraye    a   publié    le    passage   du    Moniteur 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  141 

Journal  des  Débats,  t.  XVIII,  n°  657,  p.  6. 

((  M.  Robespierre.  Le  lieu  où  se  sont  élevés  les  troubles  qui  vous 
sont  dénoncés,  est  voisin  de  celui  qui  m'a  envoyé  à  cette  Assemblée. 
A  l'intérêt  général  qui  m'attache  à  la  liberté  et  à  la  tranquillité  publi- 
que, se  joint  celui  qui  me  lie  au  pays  que  je  représente.  Ce  sentiment 
me  force  à  examiner  avec  plus  de  scrupule  les  faits  qui  font  l'objet 
du  rapport  qui  vient  de  vous  être  fait,  et  j'avoue  que  je  regrette  infini- 
ment que  l'Assemblée  soit  obligée  de  prendre  une  délibération  aussi 
précipitée,  d'après  un  rapport  fait  si  promptement,  et  sur  un  simple 
avis. 

«  Dans  les  circonstances  actuelles,  je  ne  fonde  mon  opinion  que 
sur  l'apperçu  qui  vous  a  été  présenté.  J'ai  vu  d'abord  qu'on  vous  a 
proposé  de  mander  à  la  barre  la  Municipalité  de  Douai;  j'ai  vu  qu  à 
cette  proposition,  il  s'est  élevé  un  murmure  qui  semblo't  l'improuver; 
ce  qui  ne  signifioit  autre  chose,  sinon  qu'il  falloit  condamner  et  punir 
la  Municipalité  sur-le-champ.  (Des  murmures  ont  interrompu  M.  Robes- 
pierre). Je  suis  de  l'avis  de  ce  premier  article  du  Décret,  parce  qu'il 
convient  en  effet  que  sur  une  affaire  qui  intéresse  aussi  essentiellement 
la  liberté  publique,  que  sur  des  faits  qui  se  sont  passés  loin  de  l'Assem- 
blée Nationale,  l'on  entende  toutes  les  parties.  Je  ne  conçois  pas 
comment  on  peut  interrompre  un  Membre  de  l'Assemblée.  C'est  une 
affaire  dont  les  conséquences  sont  très  étendues;  mais  je  consens  qu'on 
aille  aux  voix  si  on  veut,  parce  que  je  ne  saurois  opposer  !a  raison 
à  une  force  aussi  tumultueuse.  (A  l'ordre,  à  l'ordre,  s'est-on  écrié).  — 
Très  certainement,  Messieurs,  s'il  falloit  faire  une  profession  de  foi 
pour  être  entendu  dans  cette  Assemblée;  s'il  falloit  faire  une  profes- 
sion de  foi  sur  la  Municipalité  de  Douai,  je  ne  serois  pas  plus  porté 
à  l'exécuter  mie  qui  que  ce  soit,  d'après  des  connoissances  person- 
nelles mêmes,   j'y  serois   moins  porté  qu'un   autre...    » 

«  On  ne  peut  pas  plus  long-tems  insulter  l'Assemblée  ;>,  a  dit 
un   Membre   en  l'interrompant. 

«  Je  pense,  a  continué  M.  Robespierre,  que  l'Assemblée,  dans 
une  affaire  qui  consiste  en  faits,  doit  s'imposer  la  loi  de  les  examiner, 
non-seulement  avec  scrupule,  mais  avec  l'attention  que,  doit  s'imposer 
tout  juge. 

«  Je  ne  demande  point  l'ajournement;  c'est  au  contraire  le  pre- 
mier article  eu  projet  que  je  viens  appuyer  :  mais  je  prétends  que 
l'Assemb'ée  ne  peut  pas  prononcer,  sans  avo'r  entendu  la  Municipalité 
de    Dcuai.    Si,    après    l'avoir    entendue,    vous   persistez   dans    l'opinion 

le  la  séance  est  erronée 
itr  !  1,  il  a  omis  h's  lignes 
ie  pouvez  proMin'jer  avant 
passe  au  tFevniet  article  <lu 
;>rtie    'le    l'intervention    n'a 


(,..    70-7"  de   l'c'dit  :-.i    de 

l'i-lo),  niai:,  la  dot 

(27   mar-a  1790).   D'autfi 

•   part,    p.    77.    ligfl 

.  . 1 1 v  ■'.  'tes  :    «    Que   je    u"i 

utieas.   car   vous  n 

d;;iv>ir  e"lte:ndu  la  mu  i 

icipalité...  ».  '«  Je  ] 

projet   de  dé<  ret.    »   Eu 

fin,   'a  dernière  pi 

par;    été    reproduite. 

142  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

que  vous  paroissez  avoir,  vous  pourrez  la  conserver  dans  un  Décret; 
avant  cela,  vous  ne  pouvez,  sans  encourir  la  peine  de  démenïir  votre 
sagesse,  juger  la  Municipalité  de  Douai  sans  l'avoir  entendue. 

«  Je  demande,  a  dit  M...,  que  M.  Robespierre  soit  rappelé  à 
l'ordre;  jamais  une  semblable  idée  ne  se  présenta  à  l'Assemblée:  elle 
ne  peut  être  que  dans  la  tête  de  l'Orateur. 

«  Je  crois  en  avoir  dit  assez,  a  ajouté  M.  Robespierre,  sur  le 
premier  article,  puisque  l'objection  du  Préopinant,  qui  s'est  élevée 
contre  les  règles  de  cette  Assemblée,  n'exprime  autre  chose,  sinon 
que   l'opinion   de   l'Assemblée   est   précisément   celle    que   je   défends. 

«  Je  passe  à  un  autre  article.  J'ai  entendu  demander  de  prononcer 
des  peines  contre  des  hommes  d'un  certain  état.  H  n'y  en  a  plus, 
s'est  écriée  une  voix.  J'en  conviens  volontiers...  contre  les  Ecclésiasti- 
ques qui,  par  leurs  discours  ou  par  leurs  écrits,  excitent  le  peuple  à  la 
discorde.  J'ai  trouvé  une  grande  inexactitude  dans  la  rédaction  de  cet 
article,  et  je  ne  la  relève  que  parce  qu'eMe  me  paroît  contraire  au 
bien  public. 

«  Les  discours  !  les  écrits  !  rien  n'est  si  vague  que  ces  expressions- 
là;  et  je  m'en  vais  le  prouver  par  un  raisonnement  bien  simple,  à  celui 
qui  est  le  plus  zélé  partisan  de  cet  article  ;  i\  est  impossible  que 
l'Assemblée  décrète  qu'un  discours  tenu  par  Un  Citoyen,  quel  qu'il 
soit,  puisse  être  l'objet  d'un  procès  criminel.  (Il  s'est  élevé  de  nombreux 
murmures).  Cependant  cet  article  porte  que  des  Ecclésiastiques  qui 
auront  tenu  des  discours  qui  seront  jugés  capables  d'exciter  !e  peuple 
à  Ja  révolte,  seront  poursuivis  en  vertu  d'un  Décret  de  l'Assemblée 
Nationale.  Les  affaires  ecclésiastiques  ne  peuvent  jamais  être  un  pré- 
texte pour  porter  une  loi  générale  contre  les  discours  ou  les  écrits.  Un 
Ecclésiastique  est  un  Citoyen,  et  aucun  Citoyen  ne  peut  être  soumis 
à  une  peine  pour  ses  discours  ou  ses  écrits.  On  a  entendu  plusieurs 
demandes  de   rappeler   l'orateur   à   l'ordre. 

«  Je  ne  suis  point  obstiné  dans  mon  opinion,  a-t-iï  dit  :  je  sens 
qu'elle  ne  me  concilie  aucune  faveur.  —  Non,  non,  s'est-on  écrié.  — 
Mais  je  la  soutiens,  parce  qu'elle  est  conforme  non  seulement  à  la 
raison,  mais  encore  à  l'opinion  des  Membres  les  plus  zélés  pour  la 
liberté,  et  qui  l'appuieroient,  s'il  n'étoit  pas  question  dans  ce  moment 
des  affaires  ecclésiastiques.  On  a  applaudi  dans  le  côté  droit  de  In 
salle;  les  Membres  du  côté  gauche  témoignoient  un  vif  mécontente- 
ment. 

«  Je  demande,  a  dit  M.  Dumetz,  que  M.  le  Président  consulte 
l'Assemblée  pour  savoir  si  la  manière  dont  s'énonce  l'opinant,  est 
conforme  au  respect  qui  est  dû  au  Corps  législatif.  Il  semble  qu'il  ait 
formé  le  dessin  d'insulter  âP  plaisir. . .  Des  murmures  ont  arrêté  M.  Du- 
metz. 

«  M.  Robespierre  a  conclu  à  ce  que  l'article  concernant  les 
discours   et   les   écrits   incendiaires   des   Ecclésiastiques,    fût    écarté   par 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  143 

la  question   préalable;   et- en   second   lieu,    à  ce  qu'on   ne  statuât  rien 
sur  !a  Municipalité,   avant  qu'elle  eût  été  entendue.    » 

Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t.  VI,  n°  70,  p.  213-216. 

«  Robespierre.  Quand  on  a  lu  le  premier  article,  qui  mandoit  à  la 
barre,  il  s'est  élevé  de  violens  murmures  qui  vouloient  dire  qu'il  y  avoit 
trop  de  mollesse  et  qu'il  falloit  envoyer  les  municipaux  à  Orléans. 

«    Vingt  voix.  —  On  n'a  pas  dit  cela. 

«  Je  suis  de  l'avis  des  comités,  et  que  nous  devons  nous  contenter 
de  mander  à  la  barre;  car,  avant  de  juger,  il  faut  entendre. 

«  M...  Il  ne  s'agit  pas  de  juger  la  municipalité,  ni  de  l'envoyer 
en  prison  sans  l  entendre;  ce  projet  absurde  n'existe  que  dans  la  tête 
de   l'opinant. 

«  (Absurde  —  tant  que  vous  voudrez.  Il  n'est  pas  moins  vrai  que 
c'est  là  ce  que  venoit  de  dire  Biauzat,  c'est  ce  qu'on  crioit  de  toutes 
parts.  C'est  ce  qu'on  va  décréter  tout-à-1'heure,  à  l'unanimité.  N'est- 
il  pas  étrange  après  cela,  d'entendre  injurier  et  démentir  indécemment 
un  orateur  de  l'assemblée  nationale,  qui  ne  fait  que  répéter  que  ce 
qui  venoit  d'y  être  dit  ?  et  le  tachigraphe  de  Panckouke  auroit  bien 
dû  nommer  cet  interlocuteur  M...)  (6). 

«  Robespierre.  —  Je  passe  au  dernier  article  du  projet  de  décret. 
Il  est  contraire  à  tous  le?  principes  de  proposer  des  peines  à  détermi- 
ner contre  les  ecclésiastiques  qui  par  leurs  discours  ou  leurs  écrits  exci- 
tent le  peuple  à  la  révolte.  Il  est  absurde  de  faire  une  loi  uniquement 
dirigée  contre  les  ecclésiastiques.  (Ne  diroit-on  pas  en  effet,  que  la 
raison  a  peur  de  leurs  discours  et  de  leurs  écrits  ?  Erigez  une  statue 
à  Voltaire,  votre  Apollon,  dont  les  flèches  ont  tué  le  serpent  Pyîhon. 
Laissez  les  calotins  imprimer  les  brefs  du  pape,  leurs  excommunica- 
tions, leurs  contes  de  peau  d'âne.  Faites  imprimer  à  cent  mille  exem- 
plaires, une  petite  brochure  qui  vient  de  paroi tre,  intitulée  Eloge  de 
jesus,  ouvrage  qui  tout  incomplet  qu'il  est  et  fait  à  la  hâte,  ne  laisse 
pas  de  couvrir  le  papisme  d'ignominie.  Vous  avez  l'abbé  Rives.  Que 
votre  comité  ecclésiastique  le  charge  de  lui  fournir  les  matériaux  d'une 
instruction  en  réponse  au  bref  du  pape,  mais  laissez  au  papisme  son 
intolérance  et  ses  inquisiteurs;  c'est  la  raison  qui  fait  toute  no^re  force, 
pourquoi  voulez-vous  entourer  la  vérité  de  San  benito,  et  lui  donner 
le  masque  du  fanatisme  et  du  mensonge  7).  Un  calot  in  est  un  citoyen, 
et  un  citoyen  ne  peut  être  soumis  à  des  peines  pour  ses  discours;  il  est 
absurde  de  vouloir  porter  contre  les  calotins  une  loi  qu'on  n'a  point 
osé  porîer  contre  les  autres   citoyens.    Tout  le   ciil-de-sac  se   lève   pour 


(fi)  II  s'agit  sans  doute  de  Regnault  de  Saint-Jean-d'Augély  que 
('.  DeftiLi'juliu;;  qualifiait  de  «  pompier  de  K9  »  et  qui  réclama  en 
effet  comme  Biauzat  des  mesures  sévères  :  «  C'est  ici  le  moment, 
-Yerie  t-il,    de   d'plover   sur   la    tête   de:-;  coupables   la   vengeance  des 

loi!;     ». 


144  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

applaudir  Robespierre.  Le  côté  gauche  murmurait,  on  lui  crioit  : 
«  Passez  du  côté  droit  ».  Le  lendemain,  des  soi-disans  patriotes  dans 
leurs  journaux  dirent  beaucoup  d'injures  à  Robespierre;  cependant, 
mon  ami  Robespierre  avoit  raison  et  le  cul-de-sac  (7)  aussi,  pour  cette 
fois.  D'où  vient  ces  murmures,  continua-t-il  ?  Je  ne  fais  qu'exposer 
l'opinion  des  membres  qui  sont  les  plus  zélés  partisans  de  la  liberté, 
et  ils  appuyeroient  eux-mêmes  mes  observations,  s'il  n'étoit  pas  ques- 
tion des  ecclésiastiques. 

'(  Dumetz.  —  Je  demande  que  l'opinant  soit  rappelle  à  l'ordre, 
comme   ayant  outragé   l'assemblée. 

«  Ce  n'est  point  là  outrager  rassemblée,  et  on  n'a  pas  le  droit 
de  rappeller  à  l'ordre,  celui  qui  ne  fait  que  rappeller  aux  principes. 
On  a  calomnié  dans  les  journaux  l'opinion  de  Robespierre,  je  m'attache 
à  rétablir  les  faits  »  (8). 

Courrier  d'Avignon,    1791,   n°    76,   p.   302. 

«  M.  Robespierre  a  dit  : 

[Suit  la  première  partie  du  texte  du  Journal  des  Débats,  jusqu'à  : 
«   dans   la   tête  de   l'Orateur    ».] 

«  ...Ce  n'est  point  sur  les  mesures  que  vous  présentent  vos  comi- 
tés, que  j'ai  demandé  la  parole.  Je  fais  profession  de  croire  que  les 
magistrats  sous  lesquels  des  attentats  ont  été  commis,  sont  coupables, 
et  je  pense  que  l'assemblée  ne  saurait  déployer  contr'eux  une  trop 
grande  sévérité;  car,  quel  que  soit  le  gouvernement  que  vous  destinez 
à  la  France,  (il  s'est  élevé  des  murmures)  il  sera  mauvais,  si  les  magis- 
trats dont  la  négligence  aura  eu  des  suites  funestes,  ne  sont  pas  punis; 
et  si  j  avois  un  reprcche  à  faire  au  projet  de  décret  qui  vous  est 
soumis,  ce  serait  de  trouver  trop  douces  les  mesures  qu'il  vous  propose. 

«  Si  c'est  un  devoir  que  d'être  législateur  et  de  venger  les  crimes 
publics,  il  en  est  un  plus  doux  et  plus  agréable  à  remplir  :  c'est  celui 
de  les  prévenir.  Je  crains,  messieurs,  qu'une  grande  partie  des  émeutes 
qui  ont  été  excitées,  et  dont  tous  les  bons  citoyens,  quelles  que  soient 

(7)  Il  s'agit  du  côté  droit  de  l'A  ssemblée.  Passage  cité  par 
E    Hamel,  I,  395. 

(8)  iLe  Patriote  françois  s'indigne  «  de  l'acharnement  qu'ont 
montré  quelques  membres  du  côté  gauche  contre  M.  Robespierre  ». 
C'est  ce  qui  explique  le  soin  que  prend  Camille  Desmoulins  pour 
défendre  l'attitude  de  ce  dernier  (Révolutions  de  France  et  de  Bra- 
bant,  t.  VI,  n°  70,  p.  229)  ;  il  écrit  :  «  Certes,  voilà  de  part  et, 
d'autres  de  fortes  raisons  de  douter,  et  qui  dévoient  suspendre  le 
jugement  de  l'assemblée.  Ce  qui  n'est  point  douteux,  c'est  que  les 
comités  avoient  raison  de  se  contenter  de  mander  les  municipaux  à 
la  barre;  c'nst  que  Robespierre,  à  qui  on  a  crié  du  côté  gauche, 
passez  du  côté  droit,  et  qu'on  a  injurié  indignement  pour  son  opi- 
nion, c'est  que  Péthion  qui  a  voulu  parler  dans  le  sens^de  Robes- 
pierre, et  qu'on  a  fait  descendre  de  la  tribune,  avoient  raison  de 
vouloir  qu'on  ne  jugeât  pas  les  municipaux  sans  les  entendre.    » 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  145 

leurs  opinions  civiles  et  religieuses,  ont  sans  cloute  gémi;  je  crains, 
dis-je,  que  ces  émeutes  n'ayent  pris  leur  source  dans  la  foiblesse  de 
la  loi  que  vous  avez  portée;  de  cette  loi  qui  défend  aux  troupes  de 
développer  la  force  armée,  sans  la  réquisition  des  municipalités;  (Il 
s'est  élevé  de  grands  murmures)  de  cette  loi  qui  n'a  pas  mis  le  flagrant- 
délit  au  rang  des  réquisitions.  Il  ne  faut  pas  que  la  vie  des  citoyens 
dépende  de  la  foiblesse  ou  de  la  complicité  des  municipalités.  I!  faut 
donc  que  le  flagrant-délit  soit  mis  au  rang  des  réquisitions  légitimes. 
Si  cette  loi  ne  prévient  pas  le  premier  malheur,  elle  empêchera  du 
moins  le  second  :  d'ailleurs,  elle  sera  propre  à  effrayer  ceux  qui  veu- 
lent soulever  le  peuple.  Je  demande  que  le  comité  de  constitution  soit 
chargé  de  revoir  cette  loi  ;  de  présenter  des  moyens  d'assurer  la  tran- 
quillité publique,  lorsque  les  municipalités  refuseront  de  prendre  les 
précautions  nécessaires;  et  que,  dans  ces  moyens,  il  soit  dit  sur-tout 
que  tout  flagrant-délit  commis  à  la  vue  d'une  armée,  l'autorisera  à 
déployer...  Je  suis  surpris  de  la  défaveur  que  cette  opinion  éprouve 
dans  l'assemblée;  je  suis  étonné  des  interruptions  que  j'essuie.  Une 
cruelle  expérience  n'a-t-elle  donc  pas  appris  à  l'assemblée  combien 
elle  a  mal  fait?...  Si  le  flagrant-délit  eût  été  une  réquisition,  les  mal- 
heurs de  Nîmes  ne  seroient  point  arrivés;  les  malheurs  d'Aix  ne 
seroient  point  arrivés,  les  attentats  commis  à  Douai  n'auroient  point 
été  consommés,  et  nous  ne  serions  pas  obligés  de  gémir  aujourd'hui 
sur  trois  malheureux  événemens.  Je  persiste  dans  ma  motion.  —  Il  l'a 
répétée.  » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  21    mars    1791,  p.   318-9. 

«  M.  Robespierre  a  combattu  M.  Biauzat;  conformément  au  pre- 
mier principe  de  justice,  il  a  voulu  qu'on  entendît  les  officiers  munici- 
paux à  la  barre  ;  ensuite  il  est  tombé  sur  le  dernier  article  concernant 
les  ecclésiastiques.  Persistant  dans  ses  vues  de  justice,  il  a  fait  sentir, 
d'une  manière  digne  d'éloge,  et  combien  étoient  vagues  ces  mots 
discours  ou  écrits,  et  combien  ils  étoient  susceptibles  de  donner  lieu 
aux  plus  cruels  abus.  «  Aucun  discours,  a-t-il  ajouté,  ne  peut  faire 
la  matière  d'un  procès  criminel,  aucun  citoyen  ne  peut  être  soumis  à 
aucune  peine  pour  ses  écrits  ou  ses  discours. 

«  Cette  morale,  qui  est  celle  de  la  majorité  de  l'assemblée,  et 
dont  la  trop  grand  latitude  pourroit  bien,  à  son  tour,  donner  lieu  à  de 
grands  abus,  a  déplu,  en  ce  moment,  au  côté  gauche,  en  ce  qu'il  étoit 
ici  très-vrai  que  les  ecclésiastiques  bons  catholiques,  qui  n'ont  parlé 
et  écrit  qu'avec  modération,  et  pour  l'ancienne  religion,  ne  pouvoient 
être  soumis  à  aucune  peine  pour  leurs  discours  et  leurs  écrits.  Le  côté 
gauche  a  donc  murmuré  bien  violemment  contre  M.  Robespierre;  mais 
celui-ci  a  répliqué  très-vertement  :  «  Une  partie  des  membres  qui  me 
blâment,  a-t-il  dit,  m'approuveroient,  s'il  ne  s'agissoit  pas  d'ecclésias- 
tiques.  » 

ttottvtiMftK,  10 


146  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  Cette  excellente  vérité  de  M.  Robespierre  a  allumé  le  feu 
de  la  colère  dans  le  sein  de  M.  Durnetz  :  «  Je  demande,  s'est-il  écrié 
avec  emportement,  que  M.  Robespierre  soit  rappelé  à  l'ordre  pour 
avoir   insulté  l'assemblée. 

«  A  ce  cri,  qu'on  imagine,  la  violence  des  murmures;  cependant 
M.  Robespierre  a  trouvé  moyen  de  terminer  son  opinion,  et  il  a 
demandé  que  l'amendement  de  M.  Biauzat,  et  le  dernier  article  du 
projet   fussent   rejetés   par   la   question   préalable. 

<(  La  discussion  fermée,  M.  Robespierre  a  reproduit  ses  deux 
traits  de  justice;  mais  ils  ont  été  rejetés.   » 

Gazette  nationale  ou  extrait...,  t.  XV,  p.   256-257. 

«  M.  Robespierre  s'est  opposé  à  la  première  disposition,  en 
observant  qu'il  étoit  contraire  à  tous  les  principes,  de  juger  quelqu'un 
sans  l'entendre. 

«  Pour  tout  ce  qui  est  du  troisième  article,  a-t-il  dit,  qui  demande 
des  peines  pour  les  ecclésiastiques,  qui  par  leurs  discours  et  leurs 
écrits,  encouragent,  dit-on,  le  peuple  à  la  révolte,  je  m'y  oppose 
également,  parce  que  c'est  une  disposition  très  arbitraire  et  infiniment 
contraire  aux  principes:  arbitraire,  parce  qu'il  pouvoit  être  admis, 
qu'il  ne  devroit  pas  être  exclusivement  applicable  aux  ecclésiastiques, 
qui  sont  des  citoyens  comme  les  autres;  et  qui,  certes,  ne  sont  pas  les 
seuls  à  fomenter  les  troubles;  contraire  aux  principes,  parce  qu'aucun 
citoyen,  d'après  vos  décrets  même,  ne  peut  être  poursuivi  pour  ses 
écrits,  ni  pour  ses  discours.   (Grands  murmures). 

«  Je  suis  très  étonné,  Messieurs,  de  la  défaveur  que  j'obtiens, 
et  permettez  moi  de  vous  observer  qu'il  est  impossible  d'opposer  le 
langage  de  la  raison,  à  des  clameurs  tumultuaires.  Mes  principes  sont 
entièrement  conformes  à  la  liberté  publique,  ils  sont  ceux  des  membres 
qui  réclament  en  ce  moment  contre  moi,  et  ils  les  développeroient 
sans  doute,  s'il  n'étoit  question  d'ecclésiastiques.  (Grands  murmures, 
mais    beaucoup    plus    d'applaudussemens). 

«  Je  conclus  donc,  Messieurs,  à  la  question  préalable  sur  le 
projet  de  décret  du  comité,  et  je  la  demande  pour  il  'honneur  de 
l'assemblée.  » 

Journal  de  Paris.  n°  80,  p.  323. 

((  M.  de  Roberspierre  a  voulu  défendre  le  premier  article  du 
projet  des  Comités  et   attaquer   le   second. 

«  Je  suis  loin  de  justifier,  disoit-il,  les  Officiers  Municipaux  de 
Douai;  je  vois  que  de  fortes  présomptions  se  rassemblent «contr'eux; 
mais  je  ne  vois  pas  qu'ils  n'aient  aucun  moyen  de  combattre  ces 
précomptions  :  pour  en  juger,  il  faudroit  les  entendre.  Des  cr?s  de 
fureur  se  sont  élevés  contre  M.  de  Roberspierre  :  comme  s'il  avoit 
profané  la  tribune.    Il   avoit  beau   dire  :  je  ne  justifie  pas,  on   croyoit 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  147 

toujours  qu'i'/  justijioit.  Quand  vous  aurez  entendu  les  Officiers  Muni- 
cipaux de  Douai,  poursuivoit  M.  de  Robespierre,  vous  pourrez  les  livrer 
aussi  bien  au  Tribunal  d'Orléans,  et  vous  les  livrerez  avec  plus  de  con- 
noissance  de  cause.  Les  cris  ont  redoublé,  et  M.  de  Robespierre  a  été 
obligé  d'abandonner  cette  partie  de  son  opinion  :  il  est  passé  à  l'autre. 
«  Parce  que  des  Ecclésiastiques  fonctionnaires,  disoit-i!,  sont 
soupçonnés  de  parler  et  d'écrire  pour  rechauffer  le  fanatisme  vieilli 
du  peuple,  on  veut  que  vous  fassiez  une  loi  contre  des  paroles,  et  que 
vous  mettiez  des  limites  à  cette  liberté  de  la  presse  que  vous  avez 
regardée  comme  la  liberté  de  la  raison  humaine.  Ne  cessera-t-on  pas 
de  vous  proposer  des  loix  générales  lorsqu'on  n'a  besoin  que  de  mesu- 
res de  circonstances?  Ces  réflexions  de  M.  de  Roberspierre  n'ont  pas 
été  tout  à  fait  aussi  malheureuses  que  les  précédentes  ?  Tandis  qu'on 
les  couvroit  de  murmures,  le  Rapporteur  des  Comités  a  paru  les 
adopter.    » 

Mercure  de  France,  26  mars   1791,  p.   289. 

«  M.  Roberspierre,  au  contraire,  a  réclamé  contre  cette  précipi- 
tation, contre  l'injustice  d'emprisonner  des  officiers  du  peuple  sans  les 
avoir  entendus,  contre  la  tyrannie  des  châtimens  à  infliger  pour  des 
discours  ou  des  écrits,  sans  spécifier  moins  vaguement  leur  nature.  «  Un 
ecclésiastique,  a-t-il  ajouté,  est  un  citoyen  comme  un  autre.  Généralisez 
vos  voix  et  vos  punitions;  mais  vous  ne  pouvez  faire  rendre  de  décret 
qui  prive  d'une  liberté  commune  à  tous,  une  classe  particulière  de 
citoyens.   » 

«  Ces  réflexions  judicieuses,  saines,  conformes  aux  véritables 
notions  de  la  liberté,  ont  été  écoutées,  ou  plutôt  repoussées  avec  une 
impatience  de  fureur.  L'opinant  a  vu  s'élever  contre  lui,  les  voix 
habituées  à  lui  applaudir,  lorsqu'il  imite  leurs  exagérations  :  il  a  eu  le 
courage  de  la  raison  et  de  la  justice,  en  persistant  à  demander  la 
question  préalable  sur  l'article  concernant  les  ecclésiastiques,  et  que  la 
municipalité  fut  mandée  à  la  barre,   sans  être  arrêtée.   » 

Journal  de  Louis  XVI  et  de  son  peuple,  t.   II,  n°   52. 

«  M.  Robespierre  défend  avec  chaleur  le  premier  article  du  pro- 
jet de  décret  et  s'élève  sagement  contre  le  dernier.  Il  est  absurde, 
dit-il,  de  vouloir  porter  contre  les  ecclésiastiques  une  loi  qu'on  n'a 
pas  encore  osé  porter  contre  les  citoyens.  Il  devait  ajouter  que,  dans 
cette  affaire,  il  n'était  point  question  des  ecclésiastiques  et  que  rien 
ne   les  inculpait   sinon  des   idées  de   malveillance. 

«   M.  de  Casalès  applaudissait  à  l'opinion  de  Robespierre 
«  L'inquisiteur  Voidel  opinait  comme  M.  Robespierre.   » 

L'Ami  du  Peuple  (Marat),   1791,  n°  409,  p.  4. 

«  En  vain  le  juste  Roberspierre  jette-t-il  les  hauts  cris  contre  le 


148  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

parti  atroce  de  condamner  un  accusé  sans  l'entendre,  sa  voix  est 
étouffée  par  les  clameurs  des  factieux,  les  uns  le  rappellent  à  l'ordre, 
les  autres  invoquent  contre  lui  l'animadversion  du  corps;  révoltés,  sans 
doute,  tous  également,  par  la  crainte  qu'on  puisse  les  croire  amis  de 
la  justice.   » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),   n°   306,  p.   2. 

((  Un  des  plus  ardens  apôtres  de  la  liberté,  qui  en  pousse,  il  est 
/rai,  les  suites  beaucoup  trop  loin,  mais  qui,  du  moins,  est  conséquent 
dans  ses  principes,  M.  de  Robespierre,  s'est  élevé  'avec  force  contre 
cette  affreuse  tyrannie,  et  cette  partialité  révoltante  du  comité.  Il  est 
absurde,  disoit-il,  de  proposer  contre  les  seuls  ecclésiastiques,  une  loi 
qu'on  n'a  pas  encore  osé  porter  contre  tous  les  citoyens.  Ce  courage 
de  la  vérité  a  déplu  dans  un  'homme  qu'on  s'imaginoit  être  un  aveugle 
et  fanatique  partisan  du  despotisme  législatif  :  de  violens  murmures  par- 
tis du  côté  gauche,  ont  interrompu  l'orateur,  mais  ne  l'ont  pas  décon- 
certé. «  J'entends  des  murmures...  s'est-il  écrié:  cependant  je  ne  fais 
«  qu'exposer  l'opinion  des  plus  zélés  partisans  de  la  liberté;  et  ils 
«  appuieraient  eux-mêmes  mes  observations,  s'il  n'étoit  pas  question 
«  des  ecclésiastiques.  Mais  un  ecclésiastique  n'est-il  donc  plus  un 
((  citoyen?  Et  des  considérations  particulières  tloivent-elles  l'emporter 
«  sur  les  principes  immuables  de  la  justice  et  de  la  liberté.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Point  du  Jour, 
t.  XX,  n°  618,  p.  282;  Le  Bulletin  et  Journal  des  Journaux,  n°  35; 
Le  Journal  universel,  t.  X,  p.  3867;  Assemblée  nationale,  21  mars 
1791,  p.  5;  Le  Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.  II,  n°  255, 
p.  2;  Le  Journal  de  la  Noblesse...,  t.  I,  n°  13,  p.  398;  Le  Courier 
Français,  t.  X,  n°  73,  p.  150;  Les  Annales  patriotiques  et  litté- 
raires, n°  535,  p.  1195;  Le  Patriote  François,  n°  590,  p.  299;  Le 
Journal  général,  n°  49,  p.  194;  Le  Journal  de  Normandie.  1791, 
n°  80,  p.  382.] 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

241.  —  SEANCE  DU  20  MARS  1791 

Sur  l'affaire  Muscard 


Le  16  avril  1700,  Dupré,  député  du  tiers  état  de  la  sénéchau  ^°ée 
de  Carcassonne,  avait  signalé  à  l'Assemblée  nationale  le  cas  d?Ar- 
nould  Muscard,  fourrier  des  grenadiers  du  régiment  de  Vivarais, 
en  garnison  à  Verdun,  arrêté  depuis  février  pour  avoir  manifesté 
ses  opinions  révolutionnaires  et  transiféré  le  12  avril  à  Montmédy 
par  ordre  du  roi.  L'Assemblée  avait  ordonné  à  son  président  d'écrire 
au  roi  pour  remettre  la  cause  de  Muscard  entre  les  mains  des  juges 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  149 

(J).  Le  18  avril,  on  avait  lu  à  la  tribune  un,e  lettre  du  ministre  de 
la  Guerre  qui  considérait  Museard  comme  l'un  des  principaux  chefs 
de  l'insurrection  du  régiment  de  Vivarais  et  qui  demandait  à  l'As- 
semblée de  rendre  au  plus  tôt  un  décret  sur  la  discipline  militaire. 
L,e  4  juin  1793,  l'Assemblée  nationale  fut  saisie  d'une  nouvelle 
lettre  du  ministre  de  la  Guerre  lui  proposant  la  mise  en  liberté  de 
Museard  dont  le  procès  n'était  toujours  pas  engagé.  L'Assemblée 
nationale  décréta  alors  sa  mise  en  liberté  en  même  temps  qu'il  con- 
serverait  son   grade   et   recevrait   l'arriéré   de    sa   solde. 

Mercure  universel,   t.    I,  p.   359. 

ft  M.  Robespierre.  Si  l'infortuné  Muscar  gémit  depuis  deux  ans 
dans  les  cachots,  sans  autre  crime  que  d'avoir  respecté  et  chéri  la 
constitution,  c'est  un  crime  pour  les  patriotes  :  tant  qu'on  les  verra  sans 
défense,  on  ne  croira  pas  à  la  révolution.  J'interpelle  tous  les  patriotes, 
et  surtout  les  militaires,  de  nous  dire  pourquoi  l'infortuné  Muscar  est 
encore  opprimé  ? . . . 

M.  Chabroud... 

((  M.  Robespierre.  La  justice  du  comité  ne  doit  pas  se  borner  à 
Muscar.  Bapaumier  (2),  depuis  un  an,  gémit  dans  les  prisons;  je  recom- 
mande également  au  Comité  la  cause  des  soldats  de  Châleauvieux  qui 
ont  survécu  aux  exécutions  militaires  (3)  ;  les  bons  citoyens  gémissent 
de  voir  qu'ils  sont  encore  sous  l'oppression;  je  somme  les  membres 
du  comité  militaire  et  tous  ceux  qui  vantent  le  patriotisme  du  ministre 
de  la  guerre  de  nous  dire  si...    » 

M.  de  Lameth  :  [défend  cette  idée  que  l'on  ne  doit  pas  accuser 
sans  preuves  un  ministre  patriote  (on  murmure);  il  incrimine  les  commis 
des   bureaux.]    (4). 


(1)  Arch.  nat.  D  XXIX  bis,  16,  dossier  173,  pièce  25:  Lettre  de 
Merlin  de  Thionville  à  Duportail,  ministre  de  la  Guerre,  demandant 
1  autorisation  d'assister  le  sieur  .Muscar,  sous-officier  détenu  à 
lîodemaok,  autorisation  refusée  par  le  commandant  de  la  place  et 
par  M.  de  Bouille  (3  décembre  1790);  D  XXIX  bis,  16,  dossier  174, 
p.  6  :  Lettre  de  Thirion,  datée  de  Thionville,  dénonçant  la  présence 
d'aristocrates  dans  les  directoires  du  district  et  du  département, 
l'incivisme  des  officiers  des  régiments  allemands  en  garnison  à  Thion- 
ville... et  intervenant  en  faveur  du  sous-officier  Muscar  (20  décem- 
bre 1790).   Voir  également  Arch.   nat.   C  38. 

(2)  Nous  n'avons  rien  trouvé  à  son  sujet  aux  Arch.  nat.  dans 
les  dossiers  des   comités  des   recherches  et  des   rapports. 

(3)  Sur  l'affaire  de  Nancy  et  des  Suisses  du  régiment  de  Châ- 
teau vieux,  voir:  Discours,  lw  partie,  séances  des  31  août  et  3  sep- 
tembre 1790  et  le  Rapport  de  Sillery  (P.V.  de  l'Ass.  nat.,  n°  493, 
p.  40,  6  décembre  1790). 

<4)  Cf.  Aulard,  II,  210,  qui  donne  à  propos  de  cette  séance  un 
seul  extrait  des  «  Annales  patriotiques  et  littéraires  »,  où  le  rôle 
de    Robespierre  n'est  pas  mentionné. 


150  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Journal  général,    1791,   n°    54,   p.    216. 

«  M.  Robertspierre  demande  la  liberté  d'un  nommé  Muscar, 
depuis  deux  ans  dans  les  cachots,  et  celle  des  Soldats  de  Château- 
Vieux.   Il  inculpe  grièvement  le  patriotisme  de  M.  du  Portail.   » 

Le  Bulletin  et  Journal  des  Journaux,  n°  35. 

«  M.  Robespierre  prit  la  parole  et  somma  les  membres  du  comité 
militaire  de  faire  cesser  la  persécution  exercée  contre  Muscar  et  contre 
ceux  qui  languissent  dans  les  fers  depuis  l'affaire  de  Nancy,  entre 
autres,  les  suisses  de  Châtauvieux.   » 

Le  Patriote  François,    1791,   n°   591,  p.   305. 

«  Le  patriote  Robespierre  a  élevé  la  voix  sur-le-chan;p,  e*  a 
sommé  les  membres  du  comité  militaire  qui  étoient  dans  l'assemblée, 
et  qui  étoient  bons  patriotes,  d'employer  tous  leurs  efforts  pour  mettre 
fin  à  la  cruelle  persécution  que  le  malheureux  Muscar  essuyoit.  Il  a 
rappelle  aussi  à  la  pitié  de  ces  mêmes  députés,  le  sort  de  tant  d'autres 
victimes,  qui  languissent  dans  les  fers  depuis  l'affaire  de  Nancy,  et 
injustement,  entre  autres  les  suisses  de  Château-vieux.    ,o 


242.  —  SEANCE  DU  21  MARS  1791 
Sur  les  troubles  de  Douai  {sitite) 


Le  président  donne  lecture  à  l'Assemblée  de  lettres  de  la  muni- 
cipalité et  du  district  de  Douai,  auxquelles  est  joint  le  procès-verbal 
de  ce  qui  s'est  passé  lors  des  troubles   des  jours  précédents 

Robespierre  en  pro'fite  pour  rouvrir  le  débat.  Il  s'élève  contre 
la  translation  provisoire  du  directoire  du  département  du  Nord,  de 
Douai  à  Lille,  translation  reconnue  par  l'article  5  du  décret  du  17 
mars.  Il  proteste  de  plus,  contre  le  renvoi,  ordonné  par  le  directoire 
du  département,  de  l'assemblée  électorale  qui  devait  se  tenir  le  20 
mars,  à  Douai,  pour  l'élection  de  l'évêque,  renvoi  sanctionné  par 
l'article  4  du  décret  du  17  mars. 

*  L'Assemblée  ordonna  le  renvoi  des  pièces  au  pouvoir  exécutif, 
et  persista  à  ordonner  la  réunion  de  l'assemblée  électorale,  dans  le 
lieu  qui  .aura  été  choisi  en  vertu  de  son  décret  du  17  mars. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.XXIII,  p.  104. 
«  M.  Robespierre.  Il  paroit  par  la  lettre  du  département  du  Nord,. 
qu'il  est  impossible,  sans  occasionner  de  désordres,  sans  contrarier  les 
vues  sages  du  corps  électoral,  de  le  déplacer  de  Douai  pour  le  trans- 
porter en  un  autre  lieu;  mais  il  est  un  fait  oui  doit  vous  intéresser  sous 
le  rapport  de  la  constitution  et  de  l'ordre  public,  c'est  que  \e  directoire 
ne  paroit  pas  avoir  respecté  les  principes  constitutionnels.  En  suspen- 
dant de  son  chef  l'assemblée  électorale,  il  s'est  permis  d'arrêter  l'effet 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  151 

des  convocations  antérieures,  par  lesquelles  le  lieu  du  rassemblement 
de  l'assemblée  électorale  étoit  fixé  à  Douai  (murmures).  Je  conviens 
que  le  directoire  peut  être  excusable  ;  mais  je  réclame  les  principes 
et  je  soutiens  que  l'assemblée  des  électeurs  ne  peut  point  se  tenir 
ailleurs  qu'à  Douai.  En  conséquence,  je  demande  qu'en  vertu  des 
convocations  précédentes,  ce  soit  à  Douai  que  se  tienne  l'assemblée 
électorale  »  (1). 

Journal  général,  n°  50,  p.    198. 

«  M.  Robespierre  jette  quelques  soupçons  sur  le  Directoire  du 
département,  comme  ayant  empêché  l'Assemblée  des  Electeurs  à 
Douai,  le  20.  Des  murmures  sur  ces  soupçons,  portent  à  l'orateur 
l'improbation  de  l'Assemblée.   » 


(1)  Texte   reproduit  dans  les  Arch.    pari.,    XXIV,   255. 


243.  —  SEANCE  DU  23  MARS  1791 
Sur  le  caractère  électif  ou  héréditaire  de  la  régence 


Le  22  mars,  Thouret,  au  nom  du  comité  de  constitution,  a  pré- 
senté à  l'Assemblée  un  projet  de  décret  sur  la  régence  du  royaume. 
La  discussion  s'instaure  aussitôt,  et  l'Assemblée  vote  les  deux  pre- 
miers articles  du  projet.  Ée  débat  se  poursuit  le  23  mars,  sur  la 
question  de  savoir   si   la   régence   sera  élective  ou  héréditaire 

La  discussion  fut  fermée  avant  que  Robespierre  ait  pu  inter- 
venir, et  l'art.  3  du  décret  organisant  la  régence,  fut  voté  sous  cette 
rédaction  :  «  La  régence  du  royaume  appartiendra  de  plein  droit, 
pendant  tout  le  temps  de  la  'minorité  du  roi,  à  son  parent  majeur 
[é  plus  proche,  suivant  l'ordre  d'hérédité  au  trône  »  (1). 

Le  Lendemain,  t.  II,  n°  83,  p.  972  (2). 

«   Robertspierre  paraît   à   la  tribune.    On  demande  que   !a  diseuse 
sion  soit  fermée,  ce  qui  est  décrété...   » 


<1)  L'Orateur  du  Peuple  publie  (n°  L  III,  p.  424)  une  lettre 
curieuse  datée  du  26  juin  1791,  dans  laquelle  le  duc  d'Orléans  «  se 
met  à  la  disposition  de  la  patrie  pour  la  servir  sur  terre  et  sur 
mer...  mais  il  se  réserve,  le  cas  échéant,  la  faculté  de  renoncer  à  la 
régence.   » 

(2)  pe  Point  du  Jour  ne  mentionne  pas  cette  tentative  de  Robes- 
pierre ;  pu-  contre,  il  cité  longuement  le  discours  de  Pétion  (t.  XX, 
p  334).  Dans  la  suite,  on  reprochera  à  Robespierre  de  vouloir  la 
régence  pour  lui-môme  (Cf.  L'Ami  du  Roi  (de  Montjoie)  15  octobre 
1791,    p.   2). 


152  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 


244.  —  SEANCE  DU  25  MARS  1791 

Sur  le  renvoi  des  pétitions 
au  Comité  des  recherches  de  l'Assemblée  nationale 


Après  la  lecture  du  procès-verbal  et  des  adresses  envoyées  à  la 
Société,  trois  de  ces  dernières  sont  renvoyées  au  comité  des  recher- 
ches de  l'Assemblée  (1), 

Robespierre  intervient  pour  protester  contre  cette  procédure. 
L,e  duc  de  Broglie  soutient  au  contraire  que  le  renvoi  au  comité  n'est 
pas  inutile. 

Mercure  universel,  t.    I,   p.   439. 

«  M.  Robespierre.  Je  n'ai  qu'une  simple  observation  à  faire:  la 
forme  de  renvoyer  la  connoissance  d'une  affaire  à  une  assemblée  poli- 
tique n'appartient  à  aucune  congrégation  de  citoyens;  cette  manière 
d'agir  semble  déterminer  ou  que  l'on  fixe  les  droits  de  tel  corps,  ou 
que  l'on  en  attribue  la  connoissance  à  tel  tribunal;  je  dis  que  cela 
est  illégal.  Quand  on  vous  adresse  une  pétition,  que  vous  d^mande- 
t-on  ?  que  vous  en  preniez  connoissance;  si  vous  la  renvoyez  à  d'au- 
tres, vous  ne  remplissez  pas  ce  qu'on  vous* demande.  Est-ce  que  ceux 
qui  vous  la  font  passer  ne  savent  pas  qu'il  existe  des  comités,  des 
tribunaux  ?  S'adresseroient-ils  à  vous  s'ils  n'avoient  besoin  de  vos 
réflexions,  de  l'influence  que  vous  avez  dans  l'opinion  publique  ?  Vous 
dispenser  d'examiner  les  pétitions  qui  vous  sont  adressées,  c'est  vous 
exempter  de  ce  que  l'on  attend  de  vous.  Je  conclus  à  ce  que  jamais 
vous  ne  vous  permettiez  de  renvoyer  à  aucun  tribunal  ni  comité.    » 

la  Feuille   du  Jour,   t.    III,   n°    88,   p.    701. 

«  M.  Robespierre  se  plaint  de  ce  que  toutes  les  dénonciations 
sont  négligées;  il  demande  qu'on  prononce  sur  le  degré  d'attention 
qu'elles  méritent.  Le  président  répond  qu'il  ne  peut  que  les  recom- 
mander aux  tribunaux;  et  là-dessus,  M.  Robespierre  témoigne  de 
cette  humeur  patriotique  dont  son  visage  est  l'expression  conti- 
nuelle  »   (2). 


(1)  L'une  émanant  de  la  municipalité  de  Givet,  l'autre  de  Belfort, 
la  troisième  de   Cassel. 

(2)  Rien  dans  Aulard.  Cette  séance  n'est  même  ,pas  mentionnée. 


les  discours  de  robespierre  153 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

245.  —  SEANCE  DU  28  MARS  1791 

Sur  les  distinctions  entre  les  citoyens 


Un  long  débat  s'engage  sur  le  conflit  qui  oppose  le  bataillon  des 
Petits  Augustins  et  le  comité  de  surveillance  pour  la  discipline  mili- 
taire établi  par  la  municipalité  de  Paris.  Le  président  de  la  société 
saisi  de  plusieurs  motions,  demande  s'il  sera  nommé  des  commis- 
saires pour  enquêter  sur  les  agissements  de  ce  comité  de  surveillance, 
ou  s'il  suffira  que  tous  les  citoyens  actifs  se  rendent  dans  leur 
section  pour  les  dénoncer.  Robespierre  s'élève  contre  ces  distinc- 
tions inutiles  entre  les  citoyens 

Mercure  universel,  t.    II,  p.   41. 

«  M.  Robespierre.  Nous  ne  sommes  pas  ici  en  assemblées  de 
citoyens  actifs,  je  demande  que  l'on  banisse  ces  distinctions 
inutiles    »    (1). 


(1)  Rien  dans  Aulard. 


246.  —  SEANCE  DU  30  MARS  1791 

Sur  la  nomination  de  commissaires  du  roi 

près  les  tribunaux  criminels 


Duport  présente  deux  articles  additionnels  au  décret  sur  l'orga- 
nisation de  la  justice  criminelle.  Le  second  porte  que  les  commis- 
saires du  roi  près  les  tribunaux  civils,  ne  pourront  être  en  même 
temps  commissaires  près  les  tribunaux  criminels,  et  que  ces  deux 
fonctions  exigeront  des  personnes  différentes. 

La  question  préalable  a  été  réclamée  sur  cet  article,  et  après 
une  discussion  à  laquelle  prirent  part  Buzot  et  R.obespierre  (1),  l'As- 
semblée décida  qu'il  n'y  avait  pas  lieu   à  délibérer. 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.  II,  n°  265,  p.  3. 

«  M.  Roberspierre  s'est  élevé  contre  l'ajournement.  L'opinion  est 
formée,  a-t-il  dit,  sur  cet  article;  il  est  jugé,  il  n.' échappera  point  par 
l'ajournement.  Et  en  vérité  ce  seroit  chose  inutile  que  de  créer  exprès 
de  nouvelles  places  pour  donner  de  nouveaux  satellites  au  pouvoir 
exécutif.  D'ailleurs,  les  commissaires  du  roi  sont  assez  inutiles  auprès 
des  tribunaux  criminels.  J'y  vois  autour  de  l'accusé  d'une  part  un 
accusateur  public,  de  l'autre  un  défenseur,  et  enfin  des  juges,  qui 
faut-il  donc  encore?   »   (2). 

(1)  Cf.  E.  Hamel,  I,  395.  Buzot  intervient  plus  longuement, 
Robespierre  n'a  fait  que  reprendre  ses  arguments  en  fin  de  séance, 
.l'm-s  que  la  question  préalable  est  déjà  mise  aux  voix. 

(2)  Texte    utilisé    par    les    Areh.    pari.,    XXIV,    469. 


154  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  n°  318,  p.  2. 

«  Encore  des  commissaires  du  roi,  s'écrie  M.  Robespierre:  vous 
voulez  donc  anéantir  la  constitution,  rétablir  le  despotisme  ?  Et  puis, 
quelle  dépense  pour  le  pauvre  peuple  !  Qu'il  paye  des  centaines  de 
mille  d'administrateurs,  de  juges,  qui  sont  de  son  choix,  rien  de  plus 
juste  :  mais  le  surcharger  du  poids  d'impositions  ruineuses,  pour  le 
salaire  des  nouveaux  agens  du  despotisme,  en  vérité,  c'est  abuser  de 
sa  patience,  et  la  pousser  à  bout.  » 

Le  Point  du  Jour,  n°   628,  p.  446. 

«  La  discussion  a  été  très-vive;  MM.  Robespierre  et  Buzot  se 
sont  élevés  avec  force  contre  cette  proposition  dangereuse,  qui  donnoit 
au  pouvoir  exécutif  83  hommes  de  plus  à  sa  disposition  ;  dispendieuse 
parce  qu'elle  créoit  83  officiers  publics,  dont  les  indemnités  seroient 
une  charge  très-considérable  pour  le  peuple;  enfin,  inutile  et  super- 
flue, puisque  les  commissaires  du  roi  au  civil  sont  peu  occupés,  et 
pourront  faire  les  fonctions  auprès  du  tribunal  criminel,  avec  d'autant 
plus  de  raison,  que  les  accusateurs  publics  auront  tous  les  travaux  les 
plus  importans.  » 
Journal  de  Paris,  n°  90,  p.  361 . 

«  Une  discussion,  non  pas  très-longue,  mais  très-vive,  a  été  susci- 
tée par  cet  article,  et  ce  sont  MM.  Buzot  et  Roberspierre  qui  l'ont 
sur-tout  échauffée. 

«  Ils  se  sont  opposés  à  ce  qu'on  plaçât  des  Commissaires  du  Roi 
auprès  des  Tribunaux,  et  ils  ont  appelle  la  question  préalable  sur 
l'article.    Voici   leurs   motifs. 

«  1  °  Les  Commissaires  du  Roi  auprès  des  Tribunaux  de  District 
pourront  remplir  les  mêmes  fonctions  auprès  du  Tribunal  Criminel,  et 
ils  ne  seront  pas  très  surchargés  encore  de  travaux.  Naguères  les  Gens 
du  Roi,  qui  étoient  des  Commissaires  du  Roi,  avoient  des  fonctions 
bien  plus  étendues,  et  ils  suffisoient  à  les  remplir;  ils  réunissoient  aux 
fonctions  qu'ils  vont  avoir  celles  d'Accusateurs  Publics  qu'ils  n'auront 
plus;  2°  créer  83  Commissaires  du  Roi,  c'est  surcharger  la  Nation  de 
150  mille  livres  au  «moins  de  plus  dans  la  dépense  de  chaque  année, 
et  fortifier  le  parti  du  pouvoir  exécutif  d'un  grand  nombre  d'hommes 
intéressés  à  étendre  les  prérogatives.  L'économie,  la  liberté,  la  simpli- 
cité de  l'organisation,  ces  trois  grands  motifs,  disoient-ils,  doivent 
donc  faire  rejetter  la  proposition  de  placer  des  Commissaires  du  Roi 
auprès  des  Tribunaux  Criminels.  » 
Courier  de  Provence,  t.   XIV,  n°   275,  p.    10. 

«  Toutes  ces  raisons,  qui  ne  sont  pas  sans  fondement,  r'ont  pu 
tenir  contre  la  crainte  exprimée  avec  beaucoup  de  force  par  MM. 
Buzot  et  Robespierre,  de  donner  quatre  vingt  trois  nouveaux  satellites 
au  pouvoir  exécutif.    On  a  donc  écarté  la  proposition  du  comité,   les 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  !55 

commissaires  du  roi  des  tribunaux  civils,   exerceront  près  des  tribunaux 
criminels.    » 

Le  Lendemain,  t.   II,  n°   90,  p.    1034. 

«  Il  [BuzotJ  est  soutenu  par  M.  Robespierre,  qui  débve  fort 
ennuyeusement  tout  ce  qu'a  dit  M.  Buzot  :  néanmoins  les  jacobins  ne 
laissent  pas  échapper  l'occasion  de  l'encourager  par  leurs  applaudisse- 
mens.  » 

Le  Patriote  François,  n°  600,  p.  343. 

«  La  liberté  a  remporté  un  nouveau  triomphe  aujourd'hui,  grâces 
à  l'intrépidité  de  deux  patriotes  éclairés,  MM.  Buzot  et  Robespierre, 
et  à  l'esprit  de  justice  qui  règne  dans  lia  masse  de  l'assemblée.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Courier  français, 
t.  X,  n°  90,  p.  235;  Le  Journal  général,  1791,  n°  59,  p.  236;  La 
Feuille  du  Jour,  t.  III,  n°  90,  p.  716.] 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

247.  —  SEANCE  DU  30  MARS   1791 
Sur  la  rédaction  du  procès-verbal  et  sur  opinion  de  Danton 


Oollot  d'Herbois  avait  inséré  dans  le  procès-verbal  de  la  séance 
de  la  Société  du  29  mars,  quelques  mots  d'éloge  à  l'adre'sse  de 
Bonne-Carrère,  qui  avait  annoncé  au  cours  de  cette  séance,  sa  nomi- 
nation comme  ministre  plénipotentiaire  auprès  du  prince  de  iLiège. 
Danton  s'élève  contre  cette  rédaction  et  soutient  que  l'on  ne  peut 
être  à  la  fois  membre  de  la  Société  et  agent  du  pouvoir  exécutif. 
Robespierre  le   contredit. 

Mercure  universel,  t.   II,  p.  44. 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  puis  accepter  l'ensemble  des  idées 
que  l'on  vous  propose  :  je  connois  M.  Danton  pour  bon  citoyen,  mais 
je  ne  puis  penser  comme  lui  dans  cette  circonstance  :  il  me  semble 
qu'il  est  possible  d'être  nommé  agent  du  pouvoir  exécutif,  et  de  rester 
votre  secrétaire.  Quant  à  votre  procès-verbal,  il  ne  doit  contenir  aucune 
louange.  Il  n'est  pas  étonnant  qu'un  membre  de  cette  assemblée,  un 
bon  citoyen,  obtienne  une  place  :  mais  cela  n'élève  personne,  il  n'y  a 
pas  besoin  d'applaudissemens.  Qu'est-ce  que  des  expressions  de  voix 
coupées  ?  Cela  ne  signifie  rien  ;  vos  procès  verbaux  doivent  contenir 
des  faits  purs  et  simples   »   (1). 

(1)  Aulard  (TI,  220)  rend  compte  de  cett,e  séance  d'après  le  Len- 
demain, le  Patriote  françois  et  les  iSabbats  Jacobites,  mai 3  ne  men- 
tionne pas  l'intervention  de  Robespierre. 


156  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

248.  —  SEANCE  DU  31  MARS  1791  (soir) 
Sur  une  députation  de  l'assemblée  coloniale  de  Saint-Marc 


_  Après  la  réunion  des  Etats  Généraux,  les  trois  provinces  de 
Saint-Domingue,  sur  l'initiative  de  l'assemblée  formée  dans  celle  du 
Nord,  élurent  une  assemblée  générale  de  la  Colonie  qui  se  réunit 
à  Saint-Marc  le  25  mars  1790  et  vota  une  constitution  avec  l'intention 
évidente  d'assurer  à  Saint-Domingue  une  indépendance  de  fait  (1). 
L'Assemblée  provinciale  du  Nord  se  déclara  pour  l'union  avec  la 
métropole  et  les  autorités  françaises  dispersèrent  l'assemblée  de 
Saint-Marc  en  août  1790.  Ses  membres  s'embarquèrent  pour  la 
Franc?  où  l'Assemblée  nationale  les  cita  à  la  barre;  puis,  le  12 
octobre  annula  leur  œuvre,  prononça  la  dissolution  d,é  leur  assem- 
blée  et   les  maintint   provisoirement   à    sa   disposition. 

Le  30  mars  1791,  le  président  fit  lecture  d'une  lettre  de  la 
ci-devant  assemblée  de  iSaint-Marc,  par  laquelle  ses  quatre-vingt- 
cinq  membres  présents  en  France,  demandent  à  retourner  dans  leurs 
foyers,  et  que  les  griefs  que  l'Assemblée  peut  avoir  contre  eux,  leur 
soient  communiqués  individuellement.  L'Assemblée  décida  d'admettre 
ies  pétitionnaires  à  la  barre,  comme  individus,  mais  non  comme  mem- 
bres d'une  corporation 

Le  SI  mars  au  soir,  la  députation  est  admise  à  la  barre.  Linguet, 
conseil  des  membres  de  la  ci-devant  assemblée  coloniale,  porte  la 
parole  pour  eux. 

lre  intervention:  Sur  la  qualification  d'assemblée  coloniale  de  St-Marc 

L'Assemblée  ayant,  par  son  décret  du  12  octobre  1790,  supprimé 
cette  société,  un  des  membres  fait  une  motion  d'ordre  contre  laquelle 
s'élève  en  particulier  Robespierre'.  Le  président  rappelle  alors  aux 
pétitionnaires  qu'ils  devront,  en  vertu  du  décret  de  la  veille,  parler 
en  tant  qu'individus. 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  2  avril  1791,  p.  366. 

((  M.  Robespierre  a  observé  sagement  que  M.  Je  président  avait 
seul  le  droit  d'interrompre  les  pétitionnaires,  qu'aucun  membre  ne 
devait  les  troubler.    » 

Journal  de  Normandie,  n°  92,  p.  444. 

«  M.  Robespierre  :  Nous  ne  pouvons  sortir  d'embarras  que  par 
un  seul  moyen,  c'est  de  consulter  l'assemblée  pour  savoir  quelle  a  été 
son   intention  Jors  du  décret  du    15  mars.    » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   92,  p.  376. 

«  M.  Roberspierre.  Je  demande  que  si  l'orateur  paraît  s'écarter 
du  respect  dû  aux  décrets,  le  président  seul   l'y  rappelle,   et  qu'aucun 


(1)  Sur  les  événements  de  Saint-Domingue,   voir  J.    Saintoyant 
•La   Colonisation   française   pendant   la   Révolution,    t.    I   et   IL 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  157 

membre     n'introduise     le     désordre     dans     l'Assemblée     par   d'injustes 
interruptions  »  (2). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXIII,  p.  399 
«  M.  Robespierre.  Pour  la  dignité  de  l'assemblée,  je  demande  que 
si  l'orateur  paroit  s'écarter  de  la  règle,  M.  le  président  ait  seul  le 
droit  de  l'y  rappeller,  et  qu'aucun  membre  de  l'assemblée  n'introduise 
ici  le  désordre  par  oies  interruptions  partielles.   (Applaudi)   »   (3). 

2ft  intervention  : 

Après  avoir  parlé  pendant  ur\e  heure,  Linguet,  dont  la  santé  est 
altérée  par  les  mauvais  traitements  qu'il  a  subis,  demande  à  l'Assem- 
blée de  reporter  la  suite  de  son  discours  à  une  séance  ultérieure. 
Begouen  propose  alors  qu'un  autre  membre  de  la  députation  pour- 
suive sa  lecture,  Robespierre,  Dillon  et  Emmery  s'y  opposent  et 
appuient  le  renvoi. 

Ils  furent  combattus  par  Barnave  et  par  Le  Couteulx  de  Canteleu 
qui  avaient  souhaité  que  les  pétitionnaires  s'expliquent  sur-le-champ 
au  sujet  de  certains  écrits  (4).  Mais  l'Assemblée  décréta  le  renvoi 
à  la  séance  du  mardi  5  avril  au  soir. 

Le  Point  du  Jour,  t.  XX,  n°   630,  p.   467. 

«  Il  s'agit  de  citoyens  accusés,  s'est  écrié  M.  Robespierre,  de 
citoyens  qui  se  justifient;  il  est  de  la  dignité  et  de  l'honneur  de  l'assem- 
blée d'accéder  à  la  demande  du  défenseur  de  ces  citoyens,  et  de 
renvoyer    à    mardi.    (On    applaudit).    » 

Gazette   nationale   ou   le   Moniteur   universel,    n°    92,   p.    377. 

«  M.  Roberspietre.  Il  n'est  pas  question  de  juger  en  ce  moment 
le  fond  de  l'affaire,  rien  ne  presse,  mais  les  égards,  la  bienséance  et 
l'humanité  prescrivent  que  vous  acquiescerez  à  la  demande  des  accusés 
qui  s'étant  rendus  à  la  barre  en  vertu  de  votre  décret,  vous  déclarent 
qu'ils  ne  sont  pas  en  état  de  continuer  leur  défense    »   (5). 

Le  Patriote  jrançois,  n°   602,  p.  352. 
Courier  'français,   t.    X,    n°    91,   p.    246. 
Courrier  d' Avignon,  n°  86,  p  344. 

«  MM.  Dillon,  Robertspierre  et  Emmery  s'y  sont  vivement  oppo- 

(2)  Texte    reproduit   dans   le  Moniteur,    VIII,    12. 

(3)  Texte  reproduit   dans  les  Arch.  pari.,  XXIV,  487. 

(4)  Arch.  niât.  C  58,  590.  Imprimé  in-8"  de  26  pages,  intitulé: 
U  Aux  Constituans  de  l'Assemblée  générale  de  la  partie  fraueoue 
d»-  Saint-Domingue,  ci-devant  séante  à  Saint-Marc,  1791  »  (de  l'hnp. 
de  Quilhu,  rue  du  Fouarre,  n°  3),  avec  cette  su^-eripti'Mi  manus- 
crite:  «  déposé  sur   le   Bureau  par   M.   le  Coûteux  de   Canteleu   à  la 

lu  soir  le  jeudi  31  mars  1791.  » 
C>)    Texte    r -pi  Huit    dans    le    Moniteur,    VIII,    14;    et   les    Arch. 
pari.,   XXIV,   490. 


158  LES    DISCOURS   DE    ROBESPIERRE 

ses,  en  invoquant  l'humanité  de  l'assemblée,  qui  ne  devoit  pas  interro- 
ger des  accusés,  sans,  leur  avoir  donné  'le  tems  de  prendre  les  lumières 
de  leur  conseil.   » 

Mercure  universel,  t.  II,  p.  28. 

«  M.  Bamave  veut  qu'ils  répondent  sur  le  champ.  MM.  Robes- 
pierre, Folleville,  et  principalement  M.  Emery,  observent  que  tant 
de  précipitation  n'est  ni  conforme  aux  devoirs  de  l'humanité,  aux 
bienséances,  ni  aux  principes  constitutionnels,  d'après  lesquels  tout 
accusé  pouvoit  demander  à  se  recueillir  avec  son  conseil     » 

Le    Spectateur   national,    n°     123,    p.    529-530. 

«  Je  m'oppose  à  la  motion  qui  vient  d'être  faite,  a  dit  M.  Robes- 
pierre, et  j'insiste  pour  que  rassemblée  accueille  la  demande  du 
défenseur  des  pétitionnaires  qui  sont  à  la  barre;  demande  qu'elle  ne 
peut  rejetter  sans  blesser  toutes  les  lois  de  l'humanité  et  de  la  justice    » 

...«  MM.  de  Crillon,  Robespierre,  Gouy  d'Arcy  et  Emery  ont  pré- 
tendu au  contraire  que  les  pétitionnaires  qui  étoient  à  la  barre  avant 
d'être  tenus  de  répondre  à  la  question  qui  leur  étoit  faite,  dévoient 
avoir  la  permission  de  se  retirer  en  particulier  avec  leur  conseil,  ils  ont 
ajouté  que  l'assemblée  ne  pouvoit  exiger  d'eux  une  réponse  cathégo- 
rique  sur  un  écrit  qui  ne  leur  avoii  pas  été  communiqué  légalement, 
sans  violer,  non  seulement  les  règles  des  bienséances,  mais  celles 
mêmes  de   la  justice.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  de  Nor- 
mandie, n°  92,  p.  442;  Le  Journal  général  de  France,  2  avril  1791, 
p.  365;  Le  Journal  général,  n°   61,  p.  243.] 


249.  —  AVRIL   1791 
Sur  le  marc  d'argent 


Robespierre  s'était,  à  .maintes  reprises  .au  cours  de  l'année 
1790,  élevé  contre  les  .conditions  de  cens  exigées  des  citoyens  actifs 
et  des  éligibles.  Soutenu  par  l'opinion  publique,  il  avait  bravé,  le 
2*i  janvier,  l'opposition  de  .l'Assemblée  (1).  A  l'is£ue  de  cette  séance, 
il  avait  obtenu  qu'un  projet  de  décret  fût  élaboré  par  Je  comité 
ue    constitution    en    vue   de    supprimer    le    marc   d'argent. 

Le  8  février,  la  Commune  de  Paris  qui  avait  applaudi  à  ce  pre- 
mier résultat,  présenta  à  Ja  barre  de  la  Constituante,  au  nom  île 
2Ï    districts,    une    motion    similaire    qui    fut    égairmeut   .renvoyée    au 


(1)   Cf.    Discours,    lre  partie,   p.   200. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  159 

même  comité  (2);  et  le  résultat  escompté  se  faisant  attendre,  la 
municipalité  parisienne  revint  a  la  charge  Je  20  avril;  son  adresse 
rédigée  par  Condor-cet  subit  le  même  sort  (3).  En  juin,  de  nouvelles 
tentatives  eurent  lieu  sans  plus  de  résultat.  Marat,  de  son  côté, 
souleva  la  question  à  plusieurs  reprises  dans  son  A/mi  du  Peuple 
(4).  Toutefois,  l'Assemblée  refusait  de  tenir  compte  des  vœux  popu- 
laires et  .Robespierre,  «  malgré  ses  efforts  réitérés  (5)  ne  put  se 
faire  entendre  de  ses  collègues;  pourtant,  ri  avait  tout  prêt  un  long 
discours  entièrement  terminé  auquel  il  ne  manquait  que  l'occasion 
d'être   prononcé    »    (6) 

En  désespoir  de  cause,  il  le  fit  imprimer  à  la  fin  de  mars  1791 
et  J'advessa,  quelques  jours  plus  tard,  aux  sociétés  populaires.  Le 
11  avril,  il  l'envoie  aux  Jacobins  de  Versailles,  et  à  la  municipalité 
ainsi  qu'au  Club  de  Toulon  (7).  On'  en  donna  lecture  ià  Brest,  le  19 
avril,  au  cours  de  la  séance  de  la  Société  des  Amis  de  la  Consti- 
tution (8)  et  le  succès  se  renouvela  le  lendemain  à  Paris  au  Olub 
des  Cordeliers  qui  arrêta  sur  Le  champ  «  d'inviter  toutes  les  autres 
sociétés  patriotiques  à  faire  lire  dans  leurs  séances  cette  production 
d'un  esprit  juste  et  d'une  âme  pure  »  '(9).  iLa  réimpression  du 
discours  y  fut  décidée  d'urgence,  et  Rutledge,  l'un  de  ses  membres, 
retarda  la  composition  d'un  numéro  de  son  journal  «  le  Creuset  » 
pour   y  satisfaire   (10). 

Nous   possédons    ainsi   plusieurs    éditions   de   ce   texte    important 


(2)  Adresse  de  la  Commune  de  Paris  dans  ses  sections  à  l'Assem- 
blée nationale,  in-8°,  7  pages,  8  fév.  1790  (British  Muséum  F  R  7, 
16).  'Cité  dans  Actes   C.   de   P.,   2e  série,   III,   620. 

<3)  Cf.   G.   Walter,  p.   153. 

(4)  Cf.  nos  des  18-30  juin,  25-29  juillet,  28  octobre  1790.  De  même 
Fréron,  dans  l'Orateur  du  Peuple  (III,  336)  publie  une  pétition 
signée   par   13   sociétés,   contre   le  marc   d'argent. 

(5)  Cf.    Discours,    l"e  partie,    p.    552. 

(6)  Cf.   G. 'Walter,   p.    154. 

(7)  Lettre  d'envoi  de  Robespierre  à  la  Municipalité  de  Toulon, 
du  11  avril  1791,  et  lettre  de  remerciements  de  cette  Municipalité, 
publiées  par  G.  Michon,  I,   103,   104  et  par  L.  Jacob,   op.  cit.  p.   72. 

(8)  Extrait  du  procès-verbal  de  la  séance  du  19  avril  1791,  publié 
par  la  Correspondance  nationale,  n°  22,  p.  282:  «  L'ordre  du  jour 
amenant  la  discussion  relative  au  discours  à  l'assemblée  nationale, 
sur  la  nécessité  de  révoquer  les  décrets  qui  attachent  l'exercice 
des  droits  de  citoyen  à  la  contribution  du  marc  d'argent,  ou  d'un 
nombre  déterminé  de  journées  d'ouvriers,  par  M.  Robespierre  ;  on 
en  a  fait  la  lecture  qui  a  été  suivie  des  plus  ivifs  applaudissemens  ; 
ri  après  une  nuire  délibération,  l'assemblée  a  arrêté  de  donner  au 
projet  de  décret,  proposé  à  la  suite  de  ce  discours,  l'adhésion  la 
plus'  formelle  et  la  plus  authentique.  Et  pour  rendre  l'auteur  fort 
cle  l'opinion  publique,  elle  a  arrêté,  de  plus,  de  lui  adresser  copie 
certifiée  de  l'extrait  du  présent'  pioeès-verbal,  ainsi  qu'au  Club  des 
Jacobins  et  de  donner  connoissance  de  cet  arrêté,  à  toutes  le,;  cocié- 
Uea   les  amis  de  La  constitution,  par  la  voie  des  papiers-journaux.    » 

«  Pour  extrait  conforme  au  registre: 
Pierre  DES  BOUILLON  S,  secrétaire, 
/9)    Higné    Peyre,    président. 
(10)  'Cf.   G.  Walter,  p.   154. 


160  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

(11)  qui  donna  lieu  du  point  de  vue  chronologique  à  de  nombreuses 
méprises  (12)  et  dont  liobespierre  uti'lisa  un  certain  nombre  d'élé- 
ments lorsqu'à  Ja  fin  de  la  Constituante,  dans  la  séance  du  11  août 
1791,   cette  question  fut,   -une  dernière  fois,   évoquée  (13)- 

DISCOURS  DE  M.  DE  ROBESPIERRE 
A  L'ASSEMBLÉE  NATIONALE 

Sur  la  nécessité  de  révoquer  les  décrets  qui  attachent  l'exercice 

des  droits  du  citoyen  à  la  contribution  du  marc  d'argent, 

ou  d'un  nombre  déterminé  de  journées   d'ouvriers. 

MESSIEURS, 

J'ai  douté,  un  moment,  si  je  devois  vous  proposer  mes  idées  sur 
des  dispositions  que  vous  paraissiez  avoir  adoptées.  Mais  j'ai  vu  qu'il 
s'agissoit  de  défendre  Ja  cause  de  la  nation  et  de  la  liberté,  ou  de  la 


(11)  Il  en  existe  trois  à  la  13. X.  :  la  première  qui  sort  des 
presses  de  l'Imprimerie  Nationale  est  conservée  sous  la  cote  8"  Le 
89/1991  ;  la  seconde  qui  est  précédée  d'un  arrêté  du  Club  des  Oorde- 
liers  et  suivie  d'un  avis  de  iRutledge,  porte  la  cote  8°  Le  29/1701  ; 
la  troisième  (iLe  29/1991  A)  porte  la  mention  :  Imprimerie  de  Galix&e 
Volland,  quai  des  Augustins  n"  25,  Ces  trois  textes  sont  rigoureuse- 
ment identiques  ;  mais  il  semble  que  celui  qui  ait  été  imprimé  par 
les  soins  de  Robespierre,  soit  celui  que  nous  mentionnons  en  pre- 
mier lieu.  C'était  en  effet  coutume  courante  qu'un  député  qui 
n'avait  pu  prononcer  son  discours  à  la  tribune  de  l'Assemblée  le 
fît   cependant   publier   par    les    soins   de    l'Imprimerie    Nationale. 

Le  Journal  des  Débats  en  annonce  la  publication  dans  son 
n"  738  (}).  22)  en  même  temps  que  celle  des  Discours  sair  la  liberté 
de  la  presse  et  la  rééligibilité  des  députés.  De  même,  la  Feuille  d3 
Correspondance  du  libraire  l'annonce  à  deux  reprises  au  milieu 
d'autres  brochures  parues  en  mai  1791  (t.  I,  art.  204,  p.  32),  et 
pour  l'édition  du  Club  des  'Cordeliers  au  milieu  de  juin  1791  (t.  J, 
art.    522,    p.    85). 

Il   a  été   reproduit  par  Ch.    Vellay,   op.   cit.,    p.   87  à   109. 

(12)  Les  Arch.  pari,  le  publient  à  la  suite  de  la  séance  du  25 
janvier  1790  (XI,  320  et  iS\).  Elles  commettent  ainsi  une  erreur  de 
date,  le  fixant  à  avril  1790.  L'un  des  exemplaires  de  la  B.N".  (8°  Le 
29/1701)  porte  en  note  manuscrite  au  crayon:  9  août  1791,  et  celui 
de  la  Sorbonne,  deux  dates  indiquées  de  la  même  façon  :  22  octobre 
1739  et  1791.  fSigismond  [Lacroix,  III,  617,  note  1,  le  place  en  avril 
1791.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  avons  la  certitude  que  ce  discours, 
malgré  son  titre,  ne  fut  pas  prononcé  à  la  tribune  de  l'Assemblée. 
C'es'fc  la  lecture  qui  en  fut  faite  aux  Cordeliers  qui  causa  cette 
méprise  de  Gorsus  (Courrier,  t.  XXII,  n°  27,  p.  421);  il  écrit  à  la 
date  du  27  avril  1791  :  «  M.  Roberspierre  a  fait  à  l'Assemblée  Natio- 
nale un  discours  très  éloquent,  où  il  prouve  la  nécessité  de  révoquer 
tes  décrets  qui  attachent  l'exercice  des  droits  de  citoyen  à  la  contri- 
bution du  marc  d'argent.  »  On  discutait  alors  de  l'organisation  des 
gardes  nationales  qui,  il  est  vrai,  dans  l'esprit  de  Robespierre  était 
liée  à  celle  des   conditions  de  cens  électoral. 

(13)  Cf    ci-dessous,    à  Ja  date. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  161 

trahir  par  mon  silence;  et  je  n'ai  plus  balancé.  J'ai  même  entrepris 
cette  tâche  avec  une  confiance  d'autant  plus  ferme,  que  la  passion 
impérieuse  de  la  justice  et  du  bien  public  qui  me  l'imposait  m'étoit 
commune  avec  v^ous,  et  que  ce  sont  vos  propres  principes  et  votre  propre 
autorité  que  j'invoque  en  leur  faveur  (14). 

Pourquoi  sommes-nous  rassemblés  dans  ce  temple  des  loix  ?  Sans 
doute,  pour  rendre  à  la  nation  française  F  exercice  des  droits  impres- 
criptibles qui  appartiennent  à  tous  les  hommes.  Tel  est  l'objet  de 
toute  constitution  politique.  Elle  est  juste,  elle  est  libre,  si  elle  le 
remplit;  elle  n'est  qu'un  attentat  contre  l'humanité,  si  elle  le  contrarie. 

Vous  avez  vous-mêmes  reconnu  cette  vérité  d'une  manière  frap- 
pante, lorsqu' avant  de  commencer  votre  grand  ouvrage,  vous  avez  décidé 
qu'il  falloit  déclarer  solemnelJement  ces  droits  sacrés,  qui  sont  comme 
les  bases   éternelles   sur   lesquelles   il   doit   reposer. 

«  Tous  les  hommes  naissent  et  demeurent  libres,  et  égaux  en 
droit.  )) 

<<   La   souveraineté  réside  essentiellement  dans   la   nation.    » 

«  La  loi  est  l'expression  de  la  volonté  générale.  Tous  les  citoyens 
ont  le  droit  de  concourir  à  sa  formation,  soit  par  eux-mêmes,  soit  par 
leurs  représentai,  librement  élus.   » 

<(  Tous  les  citoyens  sont  admissibles  à  tous  îles  emplois  publics, 
sans  aucune  autre  distinction  que  celle  de  leurs  vertus  et  de  leurs 
talens.   » 

Voilà  les  principes  que  vous  avez  consacrés  :  il  sera  facile  main- 
tenant d'apprécier  les  dispositions  que  je  me  propose  de  combattre; 
il  suffira  de  les  rapprocher  de  ces  règles  invariables  de  la  société 
humaine. 

Or,  1  °  La  loi  est-elle  l'expression  de  la  volonté  générale,  lorsque 
le  plus  grand  nombre  de  ceux  pour  qui  elle  est  faite  ne  peuvent  con- 
courir, en  aucune  manière,  à  sa  formation  7  Non.  Cependant  interdire 
à  tous  ceux  qui  ne  payent  pas  une  contribution  égale  à  trois  journées 
d'ouvriers,  le  droit  même  de  choisir  les  électeurs  destinés  à  nommer 
les  membres  de  l'assemblée  législative;  qu'est-ce  autre  chose,  que 
rendre  la  majeure  partie  des  Français  absolument  étrangers  à  !a  forma- 
tion de  la  loi  7  Cette  disposition  est  donc  essentiellement  anti-constitu- 
tionnelle et  anti-sociale. 

• 

2°  Les  hommes  sont-ils  égaux  en  droits,  lorsque  les  uns  jouissant 
exclusivement  de  la  faculté  de  pouvoir  être  élus  membres  du  corps 
législatif,  ou  des  autres  établissements  publics,  les  autres  de  celle  de 
les  nommer  seulement,  les  autres  restent  privés  en  même-tems  de  tous 


(14)  Déclaration  des  Droits,  art.  6  :  «  La  loi  est  l'expression  de 
la  volonté  générale.  Tous  les  citoyens  ont  droit  de  concourir  person- 
nellement ou   par   leurs   représentants   à  «a  formation.    » 


162  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

ces  droits  ?  Non  ;  telles  sont  cependant  les  monstrueuses  différences 
qu'établissent  entr'eux  les  décrets  qui  rendent  un  citoyen  actif  ou 
passif;  moitié  actif,  et  moitié  passif,  suivant  les  divers  degrés  de 
fortune  qui  lui  permettent  de  payer  trois  journées,  dix  journées  d'impo- 
sitions directes,  ou  un  marc  d'argent.  Toutes  ces  dispositions  sont 
donc    essentiellement   anti-constitutionnelles    et   anti-sociales. 

3°  Les  hommes  sont-ils  admissibles  à  tous  les  emplois  pub'ics  sans 
autre  distinction  que  celles  des  vertus  et  des  taiens,  lorsque  l'impuis- 
sance d'acquitter  Ja  contribution  exigée  les  écarte  de  tous  les  emplois 
publics,  quels  que  soient  leurs  vertus  et  leurs  taiens?  Non;  *outes  ces 
dispositions  sont  donc  essentiellement  anti-constitutionnelles  et  anti- 
sociales. 

4°  Enfin,  la  nation  est -elle  souveraine,  quand  le  plus  grand  nombre 
des  individus  qui  la  composent  est  dépouillé  des  droits  politiques  qui 
constituent  la  souveraineté  ?  Non  ;  et  cependant  vous  venez  de  voir  que 
ces  mêmes  décrets  les  ravissent  à  la  plus  grande  partie  des  Français. 
Que  seroit  donc  votre  déclaration  des  droits,  si  ces  décrets  pouvoient 
subsister?  Une  vaine  formule.  Que  seroit  la  nation?  Esclave;  car  la 
liberté  consiste  à  obéir  aux  loix  qu'on  s'est  données,  et  la  servitude 
à  être  contraint  de  se  soumettre  à  une  volonté  étrangère.  Que  seroit 
votre  constitution  ?  Une  véritâ"ble  aristocratie.  Car  l'aristocratie  est 
l'état  où  une  portion  des  citoyens  est  souveraine  et  le  reste  sujets.  Et 
quelle  aristocratie!   La  plus  insupportable  de  toutes;  celle  des  Riches. 

Tous  les  hommes  nés  et  domiciliés  en  France  sont  membres  de  la 
société  politique,  qu'on  appelle  la  nation  Française;  c'est-à-dire, 
citoyens  Français.  Ils  le  sont  par  la  nature  des  choses  et  par  les  pre- 
miers principes  du  droit  des  gens.  Les  droits  attachés  à  ce  titre  ne 
dépendent  ni  de  la  fortune  que  chacun  d'eux  possède,  ni  de  la  quotité 
de  l'imposition  à  laquelle  il  est  soumis,  parce  que  ce  n'est  point 
l'impôt  qui  nous  fait  citoyens;  la  qualité  de  citoyens  oblige  seulement 
à  contribuer  à  la  dépense  commune  de  l'état,  suivant  ses  facultés.  Or, 
vous  pouvez  donner  des  loix  aux  citoyens  :  mais  vous  ne  pouvez  pas 
les  anéantir. 

Les  partisans  du  système  que  j'attaque  ont  eux-mêmes  senti  cette 
vérité,  puisque,  n'osant  contester  la  qualité  de  citoyen  à  ceux  qu'ils 
condamnoient  à  l'exhérédation  politique,  ils  se  sont  bornés  à  éluder 
^e  principe  de  l'égalité  qu'elle  suppose  nécessairement,  par  la  distinc- 
tion de  citoyens  actifs  et  de  citoyens  passifs.  Comptant  sur  la  facilité 
avec  laquelle  on  gouverne  les  hommes  par  les  mots,  ils  ont  essayé  de 
nous  donner  le  change  en  publiant,  par  cette  expression  nouvelle,  la 
violation  la  plus  manifeste  des  droits  de  l'homme. 

Mais  qui  peut  être  assez  stupide  pour  ne  pas  appercevoir  que 
ce  mot  ne  peut  ni  changer  les  principes,  ni  résoudre  la  difficulté;  puis- 
que  déclarer  que   tels   citoyens   ne   seront   point   actifs,   eu   dire   qu'ils 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  163 

n'exerceront  plus  les  droits  politiques  attachés  au  titre  de  citoyen,  c'est 
exactement  la  même  chose  dans  l'idiome  de  ces  subtils  politiques.  Or, 
je  leur  demanderai  toujours  de  quel  droit  ils  peuvent  ainsi  frapper 
d'inactivité  et  de  paralysie  leurs  concitoyens  et  leurs  commettans  :  je 
ne  cesserai  de  réclamer  contre  cette  locution  insidieuse  et  barbare  qui 
souillera  à-ïa-fois  et  notre  code  et  notre  langue,  si  nous  ne  nous  hâtons 
de  l'effacer  jde  l'une  et  de  l'autre,  afin  que  de  mot  de  liberté  ne  soit 
pas  lui-même  insignifiant  et  dérisoire. 

Qu'ajouterai-je  à  des  vérités  si  évidentes  ?  Rien,  pour  les  repré- 
sentai de  sa  nation,  dont  l'opinion  et  le  vœu  ont  déjà  prévenu  ma 
demande  :  il  ne  me  reste  qu'à  répondre  aux  déplorables  sophismes  sur 
lesquels  les  préjugés  et  l'ambition  d'une  certaine  classe  d'hommes 
s'efforcent  d'étayer  la  doctrine  désastreuse  que  je  combats;  c'est  à 
ceux-là  seulement  que  je  vais  parler. 

Le  peuple  !  des  gens  qui  n'ont  rien  !  les  dangers  de  la  corruption  ! 
l'exemple  de  l'Angleterre,  celui  des  peuples  que  l'on  suppose  libres; 
voilà  les  argumens  qu'on  oppose  à  la  justice  et  à  la  raison. 

Je  ne  devrois  répondre  que  ce  seul  mot  :  le  peuple,  cette  multitude 
d'hommes  dont  je  défends  la  cause,  ont  des  droits  qui  ont  la  même 
origine  que  les  vôtres.  Qui  vous  a  donné  le  pouvoir  de  les  leur  ôter  ? 

L'utilité  générale,  dites-vous  !  mais  est-il  rien  d'utile  que  ce  qui 
est  juste  et  honnête  ?  et  cette  maxime  éternelle  ne  s'applique-t-elle 
pas  surtout  à  l'organisation  sociale  }  Et  si  le  but  de  la  société  est  le 
bonheur  de  tous,  la  conservation  des  droits  de  l'homme,  que  faut-il 
penser  de  ceux  qui  veulent  l'établir  sur  la  puissance  de  quelques  indi- 
vidus et  sur  l'avilissement  et  la  nullité  du  reste  du  genre  humain  ! 
Quels  sont  donc  ces  sublimes  politiques,  qui  applaudissent  eux-mêmes 
à  leur  propre  génie,  lorsqu'à  force  de  laborieuses  subtilités,  ils  sont 
enfin  parvenus  à  substituer  leurs  vaines  fantaisies  aux  principes  immua- 
bles que  l'éternel  législateur  a  lui-même  gravés  dans  le  cœur  de  tous 
les  hommes  ! 

L'Angleterre  !  eh  !  que  vous  importe  l'Angleterre  et  sa  vicieuse 
constitution,  qui  a  pu  vous  paraître  libre  lorsque  vous  étiez  descendus 
au  dernier  degré  de  la  servitude,  mais  qu'il  faut  cesser  enfin  de  vanter 
par  ignorance  ou  par  habitude  ?  Les  peuples  libres  !  où  sont-ils  ?  Que 
vous  présente  l'histoire  de  ceux  que  vous  honorez  de  ce  nom  ?  si  ce 
n'est  des  aggrégations  d'hommes  plus  ou  moins  éloignées  des  routes 
de  la  raison  et  de  la  nature,  plus  ou  moins  asservies,  sous  des  gouverne- 
ments que  le  hazard,  l'ambition  ou  la  force  avoient  établis.  Est-ce 
donc  pour  copier  servilement  les  erreurs  ou  les  injustices  qui  ont  si 
longtems  dégradé  et  opprimé  l'espèce  humaine,  que  l'éternelle  provi- 
dence vous  a  appelles,  seuls  depuis  l'origine  du  monde,  à  rétablir,  sur 
la  terre,  l'empire  de  la  justice  et  de  la  liberté,  au  sein  des  plus  vives 
lumières  qui  aient  jamais  éclairé  la  raison  publique,  au  milieu  des 
..circonstances  presque  miraculeuses  qu'elle  s'est  plu  à  rassembler,  pour 


164  LES   DISCOURS   DE  ROBESPIERRE 

vous  assurer  le  pouvoir  de  rendre  à  <1 'homme  son  bonheur,  ses  vertus 
et  sa  dignité  primaire  ? 

Sentent-ils  bien  tout  le  poids  de  cette  sainte  mission,  ceux  qui, 
pour  toute  réponse  à  nos  justes  plaintes,  se  contentent  de  nous  dire 
froidement  :  «  Avec  tous  ses  vices,  notre  constitution  est  encore  la 
meilleure  qui  ait  existé  ».  Est-ce"  donc  pour  que  vous  laissiez  noncha- 
lamment, dans  cette  constitution,  des  vices  essentiels,  qui  détruisent 
les  premières  bases  de  l'ordre  social,  que  26  millions  d'hommes  ont 
mis  entre  vos  mains  le  redoutable  dépôt  de  leurs  destinées  ?  Ne  diroit-on 
pas  que  la  réforme  d'un  grand  nombre  d'abus  et  plusieurs  loix  utiles, 
soient  autant  de  grâces  accordées  au  peuple  qui  dispensent  de  faire 
davantage  en  sa  faveur  ?  Non,  tout  le  bien  que  vous  avez  fait  étoit 
un  devoir  rigoureux.  L'omission  de  celui  que  vous  pouvez  faire  seroit 
une  prévarication,  le  mal  que  vous  feriez  un  crime  de  leze-nation  et  de 
leze-humanité.  Il  y  a  plus;  si  vous  ne  faites  tout  pour  la  liberté,  vous 
n'avez  rien  fait.  Il  n'y  a  pas  deux  manières  d'être  libres  :  il  faut 
l'être  entièrement  ou  redevenir  esclave.  La  moindre  ressource  laissée 
au  despotisme  rétablira  bientôt  sa  puissance.  Que  dis-je  !  déjà  il  vous 
environne  de  ses  séductions  et  de  son  influence  ;  bientôt  il  vous  accable- 
roit  de  sa  force.  O  vous  qui,  contens  d'avoir  attaché  vos  noms  à  un 
grand  changement,  ne  vous  inquiétez  pas  s'il  suffit  pour  assurer  le  bon- 
heur des  hommes,  ne  vous  y  trompez  pas;  le  bruit  des  éloges  que 
l'étonnement  et  la  légèreté  font  retentir  autour  de  vous,  s'évanouira 
bientôt;  la  postérité  comparant  la  grandeur  de  vos  devoirs  et  l'immen- 
sité de  vos  ressources  avec  les  vices  essentiels  de  votre  ouvrage,  dira 
de  vous,  avec  indignation  :  «  Ils  pouvoient  rendre  les  hommes  heureux 
et  libres;  mais  ils  ne  l'ont  pas  voulu;   ils  n'en  étoient  pas  dignes.   » 

Mais  dites-vous,  le  peuple  !  des  gens  qui  n'ont  rien  à  perdre  ! 
pourront  donc,  comme  nous,  exercer  tous  les  droits  de  citoyens. 

Des  gens  qui  n'ont  rien  à  perdre  !  que  ce  langage  de  l'orgueil 
en  délire  est  injuste  et  faux  aux  yeux  de  la  vérité  ! 

Ces  gens  dont  vous  parlez  sont  apparemment  des  hommes  qui 
vivent,  qui  subsistent,  au  sein  de  la  société,  sans  aucun  moyen  de  vivre 
et  de  subsister.  Car  s'ils  sont  pourvus  de  ces  cnoyens^là,  ils  ont,  ce  me 
semble,  quelque  chose  à  perdre  ou  à  conserver.  Oui,  les  grossiers 
habits  qui  rre  couvrent,  l'humble  réduit  où  j'achète  le  droit  de  me 
retirer  et  de  vivre  en  paix;  le  modique  salaire  avec  lequel  je  nourris 
ma  femme,  mes  enfans;  tout  cela,  je  l'avoue,  ce  ne  sont  point  des 
terres,  des  châteaux,  des  équipages;  tout  cela  s'appelle  rien  peut-être, 
pour  le  luxe  et  pour  l'opulence  :  mais  c'est  quelque  chose  pour  l'huma- 
nité ;  c'est  une  propriété  sacrée,  aussi  sacrée  sans  doute  que  les  brillans 
domaines  de  la  richesse. 

Que  dis-je  !  ma  liberté,  ma  vie,  île  droit  d'obtenir  sûreté  ou  ven- 
geance pour  moi  et  pour  ceux  oui  me  sont  chers,  !e  droit  de  repousser 
l'oppression,    celui    d'exercer    librement    toutes    les    facultés    de    mon 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  165 

esprit  et  de  mon  cœur;  tous  ces  biens  si  doux,  les  premiers  de  ceux 
que  la  nature  a  départis  à  l'homme,  ne  sont-ils  pas  confiés,  comme  les 
vôtres,  à  la  garde  des  loix  !  et  vous  dites  que  je  n'ai  point  d'intérêt  à 
ces  loix;  et  vous  voulez  me  dépouiller  de  la  part  que  je  dois  avoir, 
comme  vous,  dans  l'administration  de  la  chose  publique,  et  cela  par 
la  seule  raison  que  vous  êtes  plus  riches  que  moi  !  Ah  !  si  la  balance 
:essoit  d'être  égale,  n'est-ce  pas  en  faveur  des  citoyens  les  moins  aisés 
'elle  devroit  pencher?  Les  loix,  d'autorité  publique,  n'est-elle  pas 
établie  pour  protéger  la  foiblesse  contre  l'injustice  et  l'oppression  ?  C'est 
Jonc  blesser  tous  les  principes  sociaux,  que  de  la  placer  toute  entière 
ître   les  mains  des  riches. 

Mais  les  riches,  les  hommes  puissans  ont  raisonné  autrement.  Par 
un  étrange  abus  des  mots,  ils  ont  restreint  à  certains  objets  l'idée  géné- 
rale de  propriété  ;  ils  se  sont  appelles  seuls  propriétaires  ;  ils  ont  pré- 
tendu que  les  propriétaires  seuls  étoient  dignes  du  nom  de  citoyen; 
ils  ont  nommé  leur  intérêt  particulier  l'intérêt  général,  et  pour  assurer 
le  succès  de  cette  prétention,  ils  se  sont  emparés  de  toute  la  puissance 
sociale.  Et  nous  !  ô  foiblesse  des  hommes  !  nous  qui  prétendons  à  les 
ramener  aux  principes  de  l'égalité  et  de  la  justice,  c'est  encore  sur  ces 
absurdes  et  cruels  préjugés  que  nous  cherchons,  sans  nous  en  apper- 
cevoir,  à  élever  notre  constitution  ! 

Mais  quel  est  donc  après  tout  ce  rare  mérite  de  payer  un  marc 
d'argent  ou  telle  autre  imposition  à  laquelle  vous  attachez  de  si  hautes 
prérogatives  ?  Si  vous  portez  au  trésor  public  une  contribution  plus 
considérable  que  la  mienne,  n'est-ce  pas  par  la  raison  que  la  société 
vous  a  procuré  de  plus  grands  avantages  pécuniaires }  Et,  si  nous 
voulons  presser  cette  idée,  quelle  est  la  source  de  cette  extrême  inéga- 
lité des  fortunes  qui  rassemble  toutes  les  richesses  en  un  petit  nombre 
de  mains  ?  Ne  sont-ce  pas  les  mauvaises  loix,  les  mauvais  gouverne- 
mens,  enfin  tous  les  vices  des  sociétés  corrompues  ?  Or,  pourquoi  faut-il 
que  ceux  qui  sont  les  victimes  de  ces  abus,  soient  encore  punis  de 
leur  malheur,  par  la  perte  de  la  dignité  de  citoyens  !  Je  ne  vous  envie 
point  le  partage  avantageux  que  vous  avez  reçu,  puisque  cette  inégalité 
est  un  mal  nécessaire  ou  incurable  :  mais  ne  m'enlevez  pas  du  moins 
les  biens  imprescriptibles  qu'aucune  loi  humaine  ne  peut  me  ravir.  Per- 
mettez même,  que  je  puisse  être  fier  quelquefois  d'une  honorable  pau- 
vreté, et  ne  cherchez  point  à  m'humilier,  par  l'orgueilleuse  prétention 
de  vous  réserver  la  qualité  de  souverain,  pour  ne  me  laisser  que  celle 
de   sujet. 

Mais  le  peuple!...   Mais  la  corruption! 

Ah  !  cessez,  cessez  de  profaner  ce  nom  touchant  et  sacré  du 
peuple,  en  le  liant  à  l'idée  de  corruption.  Quel  est  celui  qui,  parmi 
des  hommes  égaux  en  droits,  ose  déclarer  ses  semblables  indignes 
d'exercer  les  leurs,  pour  les  en  dépouiller  à  son  profit  !  Et  certes  si 
vous  vous  permettez  de  fonder  une  pareille  condamnation  sur  des  pré- 


166  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

somptions  de  corruptibihté,  quel  terrible  pouvoir  vous  vous  arrogez  sur 
1  humanité  !  Où  sera  le  terme  de  vos  proscriptions  ! 

Mais  est-ce  bien  sur  ceux  qui  ne  payent  point  le  marc  d'argent 
quelles  doivent  tomber,  ou  sur  ceux  qui  payent  beaucoup  au-delà? 
Oui  ;  en  dépit  de  toute  votre  prévention  en  faveur  des  vertus  que 
donne  la  richesse,  j'ose  croire  que  vous  en  trouverez  autant  dans  la 
classe  des  citoyens  les  moins  aisés  que  dans  celle  des  plus  opulens  ! 
Croyez-vous  de  bonne  foi  qu'une  vie  dure  et  laborieuse  enfante  plus 
de  vices  que  la  molesse,  le  luxe  et  l'ambition?  et  avez-vous  moins 
de  confiance  dans  la  probité  de  nos  artisans  et  de  nos  laboureurs,  qui 
suivant  votre  tarif  ne  seront  presque  jamais  citoyens  actifs,  que  dans 
celle  des  traitans,  des  courtisans,  de  ceux  que  vous  appelliez  grands 
seigneurs  qui,  d'après  le  même  tarif  le  seroient  six  cents  fois?  Je  veux 
venger  une  fois  ceux  que  vous  nommez  le  peuple  de  ces  calomnies 
sacrilèges. 

Etes-vous  donc  fait  pour  l'apprécier,  et  pour  connoître  les  hom- 
mes, vous  qui,  depuis  que  votre  raison  s'est  développée,  ne  les  avez 
jugés  que  d'après  les  idées  absurdes  du  despotisme  et  de  l'orgueil 
féodal;  vous  qui  accoutumés  au  jargon  bizarre  qu'il  a  inventé,  avez 
trouvé  simple  de  dégrader  la  plus  grande  partie  du  genre  humain,  par 
les  mots  de  canaille,  de  populace;  vous,  qui  avez  révélé  au  monde 
qu'il  existoit  des  gens  sans  naissance,  comme  si  tous  les  hommes  qui 
vivent  n'étoient  pas  nés;  des  gens  de  rien  qui  étoient  des  hommes  de 
mérite,  et  d'honnêtes  gens,  des  gens  comme  il  faut  qui  étoient  les  plus 
vils  et  les  plus  corrompus  de  tous  les  hommes.  Ah  !  sans  doute,  on 
peut  vous  permettre  de  ne  pas  rendre  au  peuple  toute  la  justice  qui  lui 
est  due.  Pour  moi,  j'atteste  tous  ceux  que  l'instinct  d'une  âme  noble 
et  sensible  a  rapprochés  de  lui  et  rendus  dignes  de  connoître  et  d'aimer 
l'égalité,  qu'en  général  il  n'y  a  rien  d'aussi  juste  ni  d'aussi  bon  que 
le  peuple,  toutes  les  fois  qu'il  n'est  point  irrité  par  l'excès  de  l'oppres- 
sion; qu'il  est  reconnoissant  des  plus  foibles  égards  qu'on  lui  témoigne, 
du  moindre  bien  Qu'on  lui  fait,  du  mal  même  qu'on  ne  lui  fait  pas;  que 
c'est  chez  lui  qu'on  trouve,  sous  des  dehors  que  nous  appelions  gros- 
siers, des  âmes  franches  et  droites,  un  bon  sens  et  une  énergie  que 
l'on  chercheroit  long-tems  en  vain  dans  la  classe  qui  le  dédaigne.  Le 
peuole  ne  demande  que  le  nécessaire,  il  ne  veut  que  justice  et  tran- 
quillité; les  riches  prétendent  à  tout,  ils  veulent  tout  envahir  et  tout 
dominer.  Les  abus  sont  l'ouvrage  et  le  domaine  des  riches,  ils  sont 
les  fléaux  du  oeuple  :  l'intérêt  du  peuple  est  l'intérêt  général,  celui 
des  riches  est  l'intérêt  particulier;  et  vous  voulez  rendre  le  peuple  nul 
et  les  riches  tout-puissans  ! 

M'oop^sera-t-on  encore  ces  inculpations  éternelles  dont  on  n'a 
cessé  de  le  charger  depuis  l'époque  où  il  a  secoué  le  joug  des  despotes 
jusau'à  ce  moment,  comme  si  le  peuple  entier  pouvoit  être  accusa  de 
quelques   actes   de   vengeance   locaux   et   particuliers   exercés   au    corn- 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  167 

mencement  d'une  révolution  inespérée,  où  respirant  enfin  H 'une  si 
longue  oppression,  il  étoit  dans  un  état  de  guerre  avec  tous  ses  tyrans  '? 
Que  dis-je  ?  Quel  temps  a  donc  jamais  fourni  des  preuves  plus  écla- 
tantes de  sa  bonté  naturelle,  que  celui  où  armé  d'une  force  irrésistible, 
il  s  est  tout-à-coup  arrêté  .lui-même  pour  rentrer  dans  le  calme,  à  la 
voix  de  ses  représentans  ?  O  vous  qui  vous  montrez  si  inexorables 
pour  J 'humanité  souffrante,  et  si  indulgens  pour  ses  oppresseurs,  ouvrez 
1  'histoire,  jettez  les  yeux  autour  de  vous,  comptez  les  crimes  des  tyrans, 
et  jugez  entr'eux  et  le  peuple. 

Que  dis-je  ?  A  ces  efforts  même  qu'ont  faits  les  ennemis  de  la 
révolution  pour  le  calomnier  auprès  de  ses  représentant,  pour  vous 
calomnier  auprès  de  lui,  pour  vous  suggérer  des  mesures  propres  à 
étouffer  sa  voix  ou  à  .abattre  son  énergie,  ou  à  égarer  son  patriotisme, 
pour  prolonger  l'ignorance  de  ses  droits,  en  lui  cachant  vos  décrets, 
à  la  patience  inaltérable  avec  laquelle  il  a  supporté  tous  ses  maux 
et  attendu  un  ordre  de  choses  plus  heureux,  comprenons  que  le  peuple 
est  le  seul  appui  de  la  liberté.  Eh!  qui  pourroit  donc  supporter  l'idée 
de  le  voir  dépouiller  de  ses  droits,  par  la  révolution  même  qui  est 
due  à  son  courage,  au  tendre  et  généreux  attachement  avec  lequel  il  a 
défendu  ses  représentans  !  Est-ce  aux  riches,  est-ce  aux  grands  que 
vous  devez  cette  glorieuse  insurrection  qui  a  sauvé  la  France  et  vous  ? 
Ces  soldats  qui  ont  déposé  leurs  armes  aux  pieds  de  la  patrie  alarmée, 
n'étoient-uls  pas  du  peuple  ?  Ceux  qui  les  conduisoient  contre  vous, 
à  quelles  classes  appartenoient-ils  ?...  Etoit-ce  donc  pour  vous  aider 
à  défendre  ses  droits  et  sa  dignité  qu'il  combattoit  alors,  ou  pour  vous 
assurer  le  pouvoir  de  les  anéantir  ?  Est-ce  pour  retomber  sous  le  joug 
de  l'aristocratie  des  riches,  qu'il  a  brisé  avec  vous  Je  joug  de  l'aristo- 
cratie féodale  ? 

Jusqu'ici,  je  me  suis  prêté  au  langage  de  ceux  qui  semblent 
vouloir  désigner  par  le  mot  peuple  une  classe  d'hommes  séparée,  à 
laquelle  ils  attachent  une  certaine  idée  d'infériorité  et  de  mépris.  11  est 
temps  de  s'exprimer  avec  plus  de  précision,  en  rappellant  que  le 
système  que  nous  combattons  proscrit  les  neuf  dixièmes  de  la  nation, 
qu'il  efface  même  de  la  liste  de  ceux  qu'il  appelle  citoyens  actifs, 
une  multitude  innombrable  d'hommes  que  les  préjugés  même  de  l'or- 
gueil avoient  respectés,  distingués  par  leur  éducation,  par  leur  industrie 
et  par  leur  fortune  même. 

Telle  est  en  effet  la  nature  de  cette  institution,  qu'elle  porte 
sur  les  plus  absurdes  contradictions,  et  que,  prenant  la  richesse  pour 
mesure  des  droits  du  citoyen,  elle  s'écarte  de  cette  règle  même  en  les 
attachant  à  ce  qu'on  appelle  impositions  directes,  quoiqu'il  soit  évident 
qu'un  homme  qui  paye  des  impositions  indirectes  considérables,  peut 
jouir  d'une  plus  grande  fortune  que  celui  qui  n'est  soumis  qu'à  june 
imposition  directe  modérée.  Mais  comment  a-t-on  pu  imaginer  de  faire 
dépendre  les  droits  sacrés  des  hommes  de  la  mobilité  des  systèmes  de 


168  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

finances,  des  variations,  des  bigarrures  que  le  nôtre  présente  dans  les 
différentes  parties  du  même  état  ?  Quel  système  que  celui  où  un 
homme  qui  est  citoyen  sur  tel  point  du  territoire  français,  cesse  de 
l'être  ou  en  tout  ou  en  partie,  s'il  passe  sur  tel  autre  point;  où  celui 
qui  1  est  aujourd'hui  ne  le  sera  plus  demain,  si  sa  fortune  éprouve  un 
revers  ! 

Quel  système  que  celui  où  l'honnête  homme  dépouillé  par  un 
injuste  oppresseur,  retombe  dans  la  classe  des  i/o/es,  tandis  que  l'autre 
s  élève  par  son  crime  même  au  rang  des  citoyens  !  où  un  père  voit 
croître,  avec  le  nombre  de  ses  enfants,  la  certitude  qu'il  ne  leur  laissera 
point  ce  titre  avec  la  foible  portion  de  son  patrimoine  divisé;  où 
tous  les  fils  de  famille,  dans  la  moitié  de  l'empire,  ne  peuvent  trouver 
une  patrie,  qu'au  moment  où  ils  n'ont  plus  de  père!...  Enfin,  à  quoi 
tient  cette  superbe  prérogative  de  membre  du  Souverain,  si  le  répar- 
titeur des  contributions  publiques  est  maître  de  me  la  ravir,  en  dimi- 
nuant d'un  sou  ma  cotisation  ;  si  elle  est  soumise  à  la  fois  et  aux  caprices 
des  hommes  et  à  l'inconstance  de  la  fortune  ? 

Mais  fixez  sur-tout  votre  attention  sur  les  funestes  inconvéniens 
qu'il  doit  nécessairement  entraîner.  Quelles  armes  puissantes  ne  va-t-il 
pas  donner  à  l'intrigue  !  Combien  de  prétextes  au  despotisme  et  à 
l'aristocratie,  pour  écarter  des  assemblées  publiques  les  hommes  les 
plus  nécessaires  à  la  défense  de  !a  liberté,  et  livrer  la  destinée  de 
l'état  à  la  merci  d'un  certain  nombre  de  riches  et  d'ambitieux  !  Déjà 
une  prompte  expérience  nous  a  révélé  tous  les  dangers  de  cet  abus. 
Quel  ami  de  la  liberté  et  de  l'humanité  n'a  pas  gémi  de  voit,  dans 
les  premières  assemblées  d'élection,  formées  sous  les  auspices  de  la 
constitution  nouvelle,  la  représentation  nationale  réduite,  pour  ainsi 
dire,  à  une  poignée  d ' individus  ?  Quel  spectacle  déplorable,  que  celui 
que  nous  ont  donné  ces  villes,  ces  contrées  où  des  citoyens  disputaient 
aux  citoyens  le  pouvoir  d'exercer  des  droits  communs  à  tous;  où  des 
officiers  municipaux,  où  les  représentans  du  peuple,  par  des  taxes  arbi- 
traires et  exagérées  des  journées  d'ouvriers,  sembloient  mettre  au  plus 
haut  prix  possible  la  qualité  de  citoyen  actif!...  Puissions-nous  ne  pas 
bientôt  ressentir  les  funestes  effets  de  ces  attentats  contre  les  droits  du 
peuple  !  Mais  c'est  à  vous  seuls  qu'il  appartient  de  les  prévenir.  Ces 
précautions  même  que  vous  avez  voulu  prendre  pour  adoucir  la  rigueur 
des  décrets  dont  je  parle,  soit  en  réduisant  à  20  sols  le  plus  haut  prix 
des  journées  d'ouvriers,  soit  en  admettant  plusieurs  exceptions;  tous 
ces  palliatifs  impuissans  prouvent  au  moins  que  vous  avez  vous-mêmes 
senti  toute  la  grandeur  du  mal  que  votre  sagesse  est  destinée  à  extirper 
entièrement.  Eh  !  qu'importe  en  effet  que  20  ou  30  sols  soient  les 
éléments  des  calculs  qui  décident  de  mon  existence  politique  ?  Ceux 
qui  n'atteignent  qu'à  19  n'ont-ils  pas  les  mêmes  droits;  et  les  prin- 
cipes éternels  de  la  justice  et  de  la  raison  sur  lesquels  ces  droits  sont' 
fondés,  peuvent-ils  se  plier  aux  règles  d'un  tarif  variable  et  arbitraire  ? 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  169 

Mais  voyez,  je  vous  prie,  à  quelles  bizarres  conséquences  entraîne 
une  grande  erreur  en  ce  genre.  Forcés  par  les  premières  notions  de 
l'équité  à  chercher  les  moyens  de  la  pallier,  vous  avez  accordé  aux 
militaires,  après  un  certain  temps  de  service,  les  droits  de  citoyen  actif 
comme  une  récompense  (15).  Vous  les  avez  accordés  comme  une 
distinction  aux  ministres  du  culte  (16),  lorsqu'ils  ne  peuvent  remplir 
les  conditions  pécuniaires  exigées  par  vos  décrets;  vous  les  accorderez 
encore  idans  des  cas  analogues,  par  de  semblables  motifs.  Or,  toutes 
ces  dispositions  si  équitables  par  leur  objet,  sont  autant  d'inconsé- 
quences et  d'infractions  des  premiers  principes  constitutionnels  }  Com- 
ment en  effet,  vous  qui  avez  supprimé  tous  les  privilèges,  comment 
avez- vous  pu  ériger  en  privilèges  pour  certaines  personnes,  et  pour 
certaines  professions,  l'exercice  des  droits  du  citoyen?  Comment  avez- 
vous  pu  changer  en  récompense  un  bien  qui  appartient  essentiellement 
à  tous  ?  D'ailleurs,  si  les  Ecclésiastiques  et  les  Militaires  ne  sont  pas 
les  seuls  qui  .méritent  bien  de  la  patrie,  la  même  raison  ne  doit-elle 
pas  vous  forcer  à  étendre  ila  même  faveur  aux  autres  professions  ?  Et 
si  vous  la  réservez  au  mérite,  comment  en  avez- vous  pu  faire  l'apa- 
nage de  la  fortune  ? 

Ce  n'est  pas  tout  :  vous  avez  fait,  de  la  privation  des  droits  de 
citoyen  actif,  la  peine  idu  crime,  et  du  plus  grand  de  tous  les  crimes, 
celui  de  lèze-nation.  Cette  peine  vous  a  paru  si  grande,  que  vous  en 
avez  limité  la  durée  :  que  vous  avez  laissé  les  coupables  maîtres  de  la 
terminer  eux-mêmes,  prrr  le  premier  acte  de  citoyen  qu'il  leur  plairoit 
de  faire...  Et  cette  même  privation  vous  l'avez  infligée  à  tous  les 
citoyens  qui  ne  sont  pas  assez  riches  pour  suffire  à  telle  quotité  et  à 
telle  nature  de  contribution;  de  manière  que  par  la  combinaison  de  ces 
décrets,  ceux  qui  ont  conspiré  contre  le  salut  et  contre  la  liberté  de  la 
nation;  et  les  meilleurs  citoyens,  les  défenseurs  de  la  liberté,  que  la 
fortune  n'aura  point  favorisés,  ou  qui  auront  repoussé  !a  fortune  pour 
servir  la  patrie,  sont  confondus  dans  la  même  classe.  Je  me  trompe; 
c'est  en  faveur  des  premiers  que  votre  prédilection  se  déclare;  car, 
dès  le  moment  où  ils  voudront  bien  consentir  à  faire  la  paix  avec  la 
nation,  et  à  accepter  le  bienfait  de  la  liberté,  ils  peuvent  rentrer  dans 
la   plénitude   "des   droits   du   citoyen;    au    lieu   que    les    autres   en    sont 


(15)  Décret  du  »28  février  1790,  art.  7  :  «  Tout  militaire  qui  aura 
servi  l'espace  de  16  ans  sans  interruption  et  isans  reproche  jouira 
de  la  plénitude  des  droits  de  citoyen  actif  et  est  dispensé  des  condi- 
tions relatives  à  la  propriété  et  à  la  contribution  sous  réserve... 
qu'il  ne  peut  exprimer  son  droit  s'il  est  en  garnison  dans  le  canton 
où  est  son  domicile.  » 

(16)  Aulard,  Histoire  politique  de  la  Révolution  française, 
p  66,  mentionne  cette  exemption  des  ministres  du  cul'te,  d'après  le 
discours  de  Robespierre,  en  ajoutant  qu'il  n'a  trouvé  ni  loi,  ni 
arrêté  sur  ce  sujet.  Nous  n'avons  pas  été  plus  heureux. 


170  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

privés  indéfiniment,  et  ne  peuvent  les  recouvrer  que  sous  une  condi- 
tion qui  n'est  point  en  leur  pouvoir.  Juste  ciel  !  le  génie  et  la  vertu 
mis  plus  bas  que  l'opulence  et  le  crime  par   le  législateur  ! 

«  Que  ne  vit-il  encore,  avons-nous  dit  quelquefois,  en  rappro- 
chant l'idée  de  cette  grande  révolution  de  celle  d'un  grand  homme 
qui  a  contribué  à  la  préparer  !  Que  ne  vit-il  encore  ce  philosophe  sen- 
sible et  éloquent,  dont  les  écrits  ont  développé  parmi  nous  ces  prin- 
cipes de  morale  publique  qui  nous  ont  rendus  dignes  de  concevoir  le 
desein  de  régénérer  notre  patrie  !  »  Eh  bien  !  s'il  vivoit  encore,  que 
verroit-il  ?  les  droits  sacrés  de  l'homme  qu'il  a  défendus  violés  par  la 
constitution  naissante  ;  et  son  nom  effacé  de  la  liste  des  citoyens.  Que 
diroient  aussi  tous  ces  grands  hommes,  qui  gouvernèrent  jadis  les  peu- 
ples les  plus  libres  et  les  plus  vertueux  de  la  terre,  mais  qui  ne  lais- 
sèrent pas  de  quoi  fournir  aux  irais  de  leurs  funérailles,  et  dont  les 
familles  étoient  nourries  aux  dépens  de  l'état?  Que  diroient-ils,  si 
revivans  parmi  nous,  ils  pouvoient  voir  s'élever  cette  constitution  tant 
vantée?  O  ^Aristide,  la  Grèce  t'a  sur-nommé  le  juste  et  t'a  fait  l'ar- 
bitre de  sa  destinée  :  la  France  régénérée  ne  verroit  en  toi  qu'un 
homme  de  rien,  qui  ne  paye  point  un  marc  d'argent.  En  vain,  la 
confiance  du  peuple  t'appelleroit  à  défendre  ses  droits,  il  n'est  point 
de  municipalité  qui  ne  te  repoussât  de  son  sein.  Tu  aurois  vingt  fois 
sauvé  la  patrie,  que  tu  ne  serois  pas  encore  citoyen  actif,  ou  éligible... 
à  «moins  que  ta  grande  âme  ne  consentît  à  vaincre  les  rigueurs  de  la 
fortune  aux  dépens  de  ta  liberté,  ou  de  quelqu'une  de  tes  vertus. 

Ces  héros  n'ignoroient  pas,  et  nous  répétons  quelquefois  nous- 
mêmes,  que  la  liberté  ne  peut  .être  solidement  fondée  que  sur  les 
moeurs.  Or,  quelles  moeurs  peut  avoir  un  peuple  chez  qui  les  loix 
semblent  s'appliquer  à  donner  à  la  soif  des  richesses  la  plus  furieuse 
activité  ?  Et  quel  moyen  plus  £Ûr  les  loix  peuvent-elles  prendre  pour 
irriter  cette  passion,  que  de  flétrir  l'honorable  pauvreté,  et  de  réser- 
ver pour  la  richesse  tous  les  honneurs,  et  toute  la  puissance  ?  Adopter 
une  pareille  institution,  qu'est-ce  autre  chose  que  forcer  l'ambition 
même  la  plus  noble,  celle  qui  cherche  la  gloire  en  servant  la  patrie, 
à  se  réfugier  dans  le  sein  de  la  cupidité  et  de  l'intrigue,  et  faire  de  la 
constitution  même  la  corruptrice  de  la  vertu  ?  Que  signifie  donc  ce 
tableau  civique  que  vous  affichez  avec  tant  de  soin  ?  Il  étale  à  mes 
yeux,  avec  exactitude,  tous  les  noms  des  vils  personnages  que  le 
despotisme  a  engraissés  de  la  substance  du  peuple  :  mais  j'y  cherche 
en  vain  celui  d'un  honnête  homme  indigent.  Il  donne  aux  citoyens 
cette  étonnante  leçon  :  «  Sois  riche,  à  quelque  prix  que  ce  soit,  ou 
tu  ne  seras  rien  ». 

Comment,  après  cela,  pourriez-vous  vous  flatter  de  faire  re.iaître 
parmi  nous  cet  esprit  public  auquel  est  attachée  !a  régénération  de 
la  France,  lorsque  rendant  la  plus  grande  partie  des  citoyens  étrangers 
aux  soins  de  la  chose  publique,  vous  la  condamnez  à  concentrer  toutes 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  171 

ses  pensées  et  toutes  ses  affections  dans  les  objets  de  son  intérêt 
personnel  et  de  ses  plaisirs;  c'eât-à-dire,  quand  vous  élevez  l'égoïsme 
et  la  frivolité  sur  les  ruines  des  talens  utiles  et  des  vertus  généreuses, 
qui  sont  les  seules  gardiennes  de  la  liberté,  il  n'y  aura  jamais  de 
constitution  durable  dans  tout  pays  où  elle  sera,  en  quelque  sorte,  le 
domaine  d'une  classe  d'hommes,  et  n'offrira  aux  autres  qu'un  objet 
indifférent,  ou  un  sujet  de  jalousie  et  d'humiliation.  Qu'elle  soit  atta- 
quée par  des  ennemis  adroits  et  puissans,  il  faut  qu'elle  succombe  tôt 
ou  tard.  Déjà,  MESSIEURS,  il  est  facile  de  prévoir  toutes  les 
conséquences  fatales  qu'entraîneroient  les  dispositions  dont  je  parle, 
si  elles  pouvoient  subsister.  Bientôt  vous  verrez  vos  assemblées  pri- 
maires et  électives  désertes,  non-seulement  parce  que  ces  mêmes 
décrets  en  interdisent  l'accès  au  plus  grand  nombre  des  citoyens,  mais 
encore  parce  que  la  plupart  de  ceux  qu'ils  appellent,  tels  que  les  gens 
à  trois  journées,  réduits  à  la  faculté  d'élire  sans  pouvoir  être  eux-mêmes 
nommés  aux  emplois  que  donne  la  confiance  des  citoyens,  ne  s'em- 
presseront pas  d'abandonner  leurs  affaires  et  leurs  familles,  pour  fré- 
quenter des  assemblées  où  ils  ne  peuvent  porter  ni  les  mêmes  espé- 
rances, ni  les  mêmes  droits  que  les  citoyens  plus  aisés;  à  moins  que 
plusieurs  d'entr'eux  ne  s'y  rendent  pour  vendre  leurs  suffrages.  Elles 
resteront  abandonnées  à  un  petit  nombre  d'intrigans  qui  se  partageront 
toutes  les  magistratures,  et  donneront  à  la  France  des  juges,  des  admi- 
nistrateurs, des  législateurs.  Des  législateurs  réduits  à  750  pour  un  si 
vaste  Empire  !  qui  délibéreront,  environnés  de  l'influence  d'une  cour 
armée  des  forces  publiques,  du  pouvoir  de  disposer  d'une  multitude 
de  grâces  et  d'emplois,  et  d'une  liste  civile  qui  peut  être  évaluée 
au  moins  à  35  millions.  Voyez-là,  cette  cour,  déployant  ses  immenses 
ressources  dans  chaque  assemblée,  secondée  par  tous  ces  aristocrates 
déguisés,  qui,  sous  le  masque  du  civisme,  cherchent  à  capter  les  suf- 
frages d'une  nation  encore  trop  idolâtre,  trop  frivole,  trop  peu  instruite 
de  ses  droits,  pour  connoître  ses  ennemis,  ses  intérêts  et  sa  dignité; 
voyez-là  essayer  ensuite  son  fatal  ascendant  sur  ceux  des  membres  du 
corps  législatif  qui  ne  seront  point  arrivés  corrompus  d'avance  et  voués 
à  ses  intérêts;  voyez-là  se  jouer  des  destins  de  la  France,  avec  une 
facilité  qui  n'étonnera  pas  ceux  qui  depuis  quelque  tems  suivent  les 
progrès  de  son  esprit  dangereux  et  de  ses  funestes  intrigues  et  préparez- 
vous  à  voir  insensiblement  le  despotisme  tout  avilir,  tout  dépraver,  tout 
engloutir;  ou  bien  hâtez-vous  de  rendre  au  peuple  tous  ses  droits,  et 
à  l'esprit  public  toute  la  liberté  dont  il  a  besoin  pour  s'étendre  et 
pour  se  fortifier. 

Je  finis  ici  cette  discussion,  peut-être  même  aurois-je  pu  m'en 
dispenser;  peut-être  aurois-je  dû  examiner,  avant  tout,  si  ces  disposi- 
tions que  j'attaquois  existent  en  effet;  si  elles  sont  de  véritables  loix. 
Pourquoi  craindrois-je  de  présenter  la  vérité  aux  représentans  du  peu- 
ple,  pourquoi    oublierois-je   que   défendre   devant   eux    la   cause-  sacrée 


172  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

des  hommes,  et  la  souveraineté  inviolable  des  nations,  avec  tou*e  la 
franchise  qu'elle  exige,  c'est-à-la-fois  flatter  le  plus  doux  de  leurs 
sentimens  et  rendre  le  plus  noble  hommage  à  leurs  vertus  ?  D'ailleurs 
1  univers  ne  sait-il  pas  que  votre  véritable  voeu,  que  votre  véritable 
décret  même  est  la  prompte  révocation  des  dispositions  dont  je  parle; 
et  que  c  est  en  effet  l'opinion  de  la  majorité  de  l'assemblée  nationale 
que  je  défends,  en  les  combattant  ?  Je  le  déclare  donc,  de  semblables 
décrets  n  ont  pas  même  besoin  d'être  révoqués  expressément;  ils  sont 
essentiellement  nuls,  parce  qu'aucune  puissance  humaine,  pas  même 
la  vôtre,  n'étoit  compétente  pour  les  porter.  Le  pouvoir  des  représen- 
tai des  mandataires  d'un  peuple  est  nécessairement  déterminé  par  la 
nature  et  par  l'objet  de  leur  mandat.  Or,  quel  est  votre  mandat  ?  De 
faire  des  loix  pour  rétablir  et  pour  cimenter  les  droits  de  vos  commet- 
tans.  II  ne  vous  est  donc  pas  possible  de  les  dépouiller  de  ces  mêmes 
droits.  Faites-y  bien  attention  :  ceux  qui  vous  ont  choisis,  ceux  par  qui 
vous  existez,  n'étoient  pas  des  contribuables  au  marc  d'argent,  à  trois, 
à  dix  journées  d'impositions  directes;  c'étoient  tous  les  Français,  c'est- 
à-dire,  tous  les  hommes  nés  et  domiciliés  en  France,  ou  naturalisés, 
payant  une  imposition  quelconque. 

Le  despotisme  lui-même  n'avoit  pas  osé  imposer  d'autres  cond'- 
tions  aux  citoyens  qu'il  convoquoit  (17).  Comment  donc  pouviez- vous 
dépouiller  une  partie  de  ces  hommes-là,  à  plus  forte  raison,  la  plus 
grande  partie  d'entr'eux,  de  ces  mêmes  droits  politiques  qu'ils  ont 
exercés  en  vous  envoyant  à  cette  assemblée,  et  dont  ils  vous  ont  confié 
la  garde  ?  Vous  ne  le  pouvez  pas  sans  détruire  vous-mêmes  votre  pou- 
voir, puisque  votre  pouvoir  n'est  que  celui  de  vos  commettans.  En 
portant  de  pareils  décrets,  vous  n'agiriez  pas  comme  représentans  de 
la  nation  :  vous  agiriez  directement  contre  ce  titre  :  vous  ne  feriez  poiru 
des  loix;  vous  frapperiez  l'autorité  législative  dans  son  principe.  Les 
peuples  même  ne  pourraient  jamais  ni  les  autoriser,  ni  les  adopter, 
parce  qu'ils  ne  peuvent  jamais  renoncer,  ni  à  l'égalité,  ni  à  la  liberté, 
ni  à  leur  existence  comme  peuple,  ni  aux  droits  inaliénables  de  l'homme. 
Aussi,  Messieurs,  quand  vous  avez  formé  la  résolution  déjà  bien  con- 
nue de  les  révoquer,  c'est  moins  parce  que  vous  en  avez  reconnu  la 
nécessité,  que  pour  donner  à  tous  les  législateurs  et  à  tous  les  déposi- 
taires de  l'autorité  publique,  un  grand  exemple  du  respect  qu'ils 
doivent  aux  peuples;  pour  couronner  tant  de  loix  salutaires,  tant  de 
sacrifices  généreux,  par  le  magnanime  désaveu  d'une  surprise  passa- 
gère, qui  ne  changea  jamais  rien  ni  à  vos  principes,  ni  à  votre  volonté 
constante    et    courageuse   pour    le    bonheur   des   hommes. 

Que  signifie  donc  l'éternelle  objection  de  ceux  qui  vous  gisent 
qu'il    ne    vous   est    permis,   dans    aucun   cas,    de    changer    vos    propres 

{17)  Note  du  texte  :  «  Voyez  le  règlement  de  la  convocation  des 
états-généraux.  » 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  173 

décrets  ?  Comment  a-t-on  pu  faire  céder  à  cette  prétendue  maxime 
cette  règle  inviolable,  que  le  salut  du  jpeuple  et  le  bonheur  des  hom- 
mes est  toujours  la  loi  suprême;  et  imposer  aux  fondateurs  de  la  consti- 
tution française,  celle  de  détruire  leur  propre  ouvrage,  et  d'arrêter  les 
glorieuses  destinées  de  la  nation  et  de  l'humanité  entière,  plutôt  que 
de  réparer  une  erreur  dont  ils  connoissent  tous  les  dangers.  Il  n'appar- 
tient qu'à  l'Etre  essentiellement  infaillible  d'être  immuable:  changer 
est  non-seulement  un  droit,  mais  un  devoir  pour  toute  volonté  humaine 
qui  a  failli.  Les  hommes  qui  décident  du  sort  des  autres  hommes 
sont  moins  que  personne  exempts  de  cette  obligation  commune.  Mais 
tel  est  le  malheur  d'un  peuple  qui  passe  rapidement  de  la  servitude 
à  la  liberté,  qu'il  transporte,  sans  s'en  appercevoir,  au  nouvel  ordre 
'des  choses,  les  préjugés  de  l'ancien  dont  il  n'a  pas  encore  eu  le  temps 
de  se  défaire.;  et  il  est  certain  que  ce  système  de  l'irrévocabihté  abso- 
lue des  décisions  du  corps  législatif,  n'est  autre  chose  qu'une  idée 
empruntée  du  despotisme.  L'autorité  ne  peut  reculer  sans  se  compro- 
mettre, disoit-il,  quoiqu'en  effet  il  ait  été  forcé  quelquefois  à  reculer 
(18).  Cette  maxime  était  bonne  en  effet  pour  le  despotisme,  dont  la 
puissance  oppressive  ne  pouvoit  se  soutenir  que  par  l'illusion  et  par 
la  terreur  :  mais  î  autorité  tutélaire  des  représentans  de  la  nation,  fon- 
dée à-la-fois  sur  l'intérêt  général  et  sur  la  force  de  la  nation  même, 
peut  réparer  une  erreur  funeste,  sans  courir  d'autre  risque  que  de 
réveiller  les  sentimens  de  la  confiance  et  de  l'admiration  qui  l'envi- 
ronnent; elle  ne  peut  se  compromettre  que  par  une  persévérance  invin- 
cible dans  des  mesures  contraires  à  la  liberté,  et  réprouvées  par  l'opi- 
nion publique.  I!  est  cependant  quelques  décrets  que  vous  ne  pouvez 
point  abroger,  ce  sont  ceux  qui  renferment  la  déclaration  des  droits 
de  l'homme,  parce  que  ce  n'est  point  vous  qui  avez  fait  ces  loix;  vous 
les  avez  promulguées.  Ce  sont  ces  décrets  immuables  du  législateur 
éternel  déposés  dans  la  raison  et  dans  le  cœur  de  tous  les  hommes 
avant  que  vous  les  eussiez  inscrits  dans  votre  code,  que  je  réclame 
contre  des  dispositions  qui  les  blessent,  et  qui  doivent  disparoître 
devant  eux.  Vous  avez  ici  à  choisir  entre  les  uns  et  les  autres;  et 
votre  choix  ne  peut  être  incertain,  d'après  vos  propres  principes.  Je 
propose  donc  à  l'assemblée  nationale  Je  projet  de  décret  suivant  : 

h  L'assemblée  nationale  pénétrée  d'un  respect  religieux  pour  les 
droits  des  hommes,  dont  le  maintien  doit  être  l'objet  de  toutes  les 
institutions  politiques; 

«  Convaincue  qu'une  constitution  faite  pour  assurer  la  liberté  du 
peuple  Français,  et  pour  influer  sur  celle  du  monde,  doit  être  sur-tout 
établie  sur  ce  principe; 

fl8)  Annotation  marginale  àur  l'édition  àù  Creuset  à  la  Ji.  N. 
a  Cependant  combien  d'arré^s  du  conseil  mis  au  néant  par  un  autre, 
tel  orluy  qui  defendoit  l'exportation  des  eaux  de  vie  de  notre 
Compté  pour  la  coste  de  Guinée;  il  fut  cassé  au  mois  de  janv.  1766.  » 


174  LES   DISCOURS   DE    ROBESPIERRE 

«  Déclare  que  tous  les  Français,  c'est-à-dire  tous  les  hommes 
nés  et  domiciliés  en  France,  ou  naturalisés,  doivent  jouir  de  la  pléni- 
tude et  de  l'égalité  des  droits  du  citoyen;  et  sont  admissibles  à  tous 
les  emplois  publics,  sans  autre  distinction  que  celle  des  vertus  et  des 
talens   »   (19). 


(19)  La  diffusion  de  ce  discours  provoqua  une  nouvelle  offensive 
contre  Je  marc  d'argent.  'La  Société  des  Indigents  qui  s'était  (••insti- 
tuée à  Paris,  rue  Christine  (cf  Isabelle  Bourdin.  Les  Sociétés  popu- 
laires à  Paris  pendant  'la  Révolution  française,  p.  231  et  note)  envoya 
à  Robespierre  une  chaleureuse  adresse  qui  fut  reproduite  par  les 
journaux  de  l'époque  à  la  date  du  27  mai  ((cf.  Mercure  national  et 
étranger,  n°  41,  p.  646-649;  l'Orateur  du  Peuple,  t.  II,  3e  vol. 
p.  188)  et  parut  plus  tard  en  brochure  in-8°  de  4  p.  à  PImp.  Provost, 
■s.d.  (B.N.  Lb40  2398).  (Cette  adresse  fut  communiquée  à  la  Société 
des  Amis  de  la  Constitution  et  lue  à  la  tribune  dans  la  séance  du 
29  mai  1791.  Le  Mercure  universel  qui  relate  le  fait  (t.  IV,  p.  11) 
considère  qu'elle  a  été  rédigée  en  vue  de  remercier  Robespierre 
;•  de  sa  réclamation,  dans  la  séance  du  fi8  mai  ■»  (cf.  ci-dessous  à  la 
date),  (mais  elle  avait  en  réalité  précédé  cette  intervention  et  peut 
être  datée  du  milieu  de  mai.  G.  Walter  en  a  publié  des  fragment^ 
dans  son  Robespierre,  p.  157-158.  On  la  trouvera  «  in  extenso  »  dans 
iLapomieraye,  I.  181-184;  Oh.  Vellay,  p.  107,  et  L.  Jacob,  p.  75.  H. 
Hamel  'la  mentionne  (I,  538). 

249  bis.  —  AVRIL   1791 

PRINCIPES 

DE   L'ORGANISATION   DES   JURÉS   ET  RÉFUTATION 

DU  SYSTÈME 

PROPOSÉ   PAR    M.    DUPORT,    AU   NOM    DES    COMITES    DE    JUDICATURE 

&  de  Constitution, 
par  MAXIMILIEN  ROBESPIERRE 

DÉPUTÉ    DU    DÉPARTEMENT    DU    PAS-DE-CALAIS    A    L' ASSEMBLÉE 

Nationale  (1) 

(ï)  Cf.  le  texte  intégral  de  ce  discours  à  la  séance  du  20  janvier 
1791. 


250.  —  SEANCE  DU  1er  AVRIL  1791 
Sur  LES   SUCCESSIONS  COMPRENANT   des   biens   ci-devant  nobles 


Le  25  février  171:0,  l'Assemblée  avait  décrété  le  partage  égal 
doc  3UceeBs£ons  tant  eu  lira*  directe  que  collatérale;  le  12  niaru 
1701,  elle  abolit  les  inégalités  de  partage  qui  subsistaient  encore 
pour   lea    successions    «    ab    intestat    >■. 

Le   rr  avril,    la   discussion   continue   sur   le   titre   1  du  projet  <iu 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  175 

comité  de  constitution.  Le  Chapelier  qui  remplace  Merlin,  rappor- 
teur, ayant  présenté  plusieurs  articles,  un  débat  s'engage  au  cours 
duquel  interviennent  iMougins  de  Roquefort,  Martineau,  Prieur, 
Goupil  de  Préfeln,  et  l'Assemblée  adopte  l'art.  16  qui  étend  'les 
dispositions  de  .la  nouvelle  loi  «  à  toutes  les  successions  qui  s'ou- 
vriront après  la  publication  du  présent  décret,  isans  préjudice  des 
institutions  .contractuelles  ou  autres  clauses  qui  ont  été  .légitime- 
ment stipulées  par  contrat  de  mariage,  'lesquelles  seront  exécutées 
conformément  aux  anciennes  loix  ». 

L'article  suivant  qui  tendait  à  maintenir  les  inégalités  coutu- 
mières  'pour  les  partages  des  biens  ci-devant  nobles  O)  «  en  faveur 
des  personnes  mariées  ou  veuves  sans  enfants  »,  conformément  aux 
dispositions  du  décret  du  15  mars  1790  '((2),  souleva  les  objections  de 
Petion,  Buzot  et  Robespierre;  et  l'Assemblée  'se  borna  à  «  décréter 
le  principe  de  l'article  et  en  renvoya  .la  rédaction  au  comité  de 
constitution  ». 

Le  Point  du  Jour,  t.  XX,  n°  630,  p.  475. 

«  M.  Robespierre  pensoit  que  le  décret  du  15  mars  1790  ne  por- 
toit  que  sur  la  ligne  directe  et  qu'elle  n'avoit  pas  d'extention  jusqu'à 
la  ligne  collatérale. 

«  11  falloit  examiner,  disoit-il,  la  vérité  de  ce  fait,  sans  craindre 
les  inconvéniens  présentés  par  M.  Chapellier,  et  il  concluoit  à  ce  que 
l'article  du  15  mars  1790,  ne  portoit  pas  sur  les  lignes  collatérales, 
et  que  le  décret  fût  rapporté,  afin  que  l'assemblée  pût  établir  une  par- 
faite égalité  dans  les  partages  »  (3). 
Courrier  extraordinaire,   2  avril    1791,   p.   5. 

«  MM.  Carat  et  Robespierre  ont  été  du  même  avis,  et  ils  ont 
dit  que  ce  seroit  une  bigarrure  dans  les  loix  que  d'établir  une  règle 
pour  les  successions  ci-devant  roturières,  différente  de  celle  admise 
pour  les  successions  ci-devant  nobles.   » 


(1)  Cf.  pour  !a  Normandie:  M  Bouloiseau,  (Le  Séquestre  et  'la 
vente  des  biens  des  émigrés  dans  le  district  de  Rouen,  Paris  1937, 
chap.  III,  p.  63-67;  et  pour  l'ensemble:  Ph.  Sagnac  :  La  législation 
Civile  de  la  Révolution  française,  Paris  1898,   p.  213-217. 

(2)  Titre    I,    art.    11. 

(3)  Le  président,  à  la  demande  de  Pétion  et  de  Robespierre, 
se  reporta  au  procès-verbal  de  la  séance  du  15  mars  1790  *et  on 
constata  que  le  décret  portait  aussi  bien  sur  les  successions  en  ligue 
directe  que   collatérale. 


251.  —  SEANCE  DU  2  AVRIL   1791    (soir) 

SUR   LES   TROUBLES   DE   TOULOUSE 

Dr  Broglie,  au  nom  du  comité  des  rapiportB,  rend  compte  des 
Événements  survenus  à  Toulouse  les  16,  17  et  18  mars  1791.  Lors 
<'■'  la  formation  de  la  garde  nationale,  les  membres  du  parlement 
et  leur  dientèle  tvaient  formé  la  2"  légion  de  iSaint-Barthélciaiy  dont 
!o  colonel  était  M.  d'Ast,  président  à  mortier.  Les  principes  contre- 


176  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

révolutionnaires  qu'il  professait  /provoquèrent  un  conflit  avec  les 
autres  compagnies.  Des  rixes  éclatèrent  en  particulier  avec  celle* 
de  .Saint-Nicolas  et  de  iSaint-Cyprien.  iLa  municipalité  intervint  et 
découvrit  un  mort  et  deux  blessés  graves,  dont  un  sieur  Lavigne  (1). 

iLe  conflit  ayant  'repris  les  jours  suivants,  les  corps  administ^a- 
lit's  parviennent  cependant  à  rétablir  le  calme.  La  municipalité 
adressa  un  rapport  à  n'Assemblée  nationale  à  la  suite  duquel  celle-ci 
décrète  la  suppression  de  la  légion  de  (Saint-Barthélémy,  l'incorpo- 
ration de  ses  volontaires  dans  les  autres  'légions  de  la  ville,  et  prie 
le  roi  de  donner  des  ordres  pour  continuer  les  informations  et  les 
poursuites  contre  des  coupables.  Elle  déclare  enfin  qu'elle  est  satis- 
faite de  la   conduite  des   administrateurs. 

Roussillon  trouve  que  les  dispositions  prises  vis-à-vis  des  admi- 
nistrations sont  insuffisantes  et  demande  qu'on  leur  adresse  une 
lettre  expresse  d'approbation  pour  bien  montrer  combien  il  est  utile 
en  pareil  cas  que  tous  les  corps  administratifs  agissent  d'un  com- 
mun  accord  (2). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXIII,  p.  461 

«  M.  Robespierre.  J'appuie  la  motion  »  (3). 

(1)  Cf.  Le  Hodey,  Journal  des  Etats  Généraux,  t.  XXIII, 
p     454-460. 

(2)  Cf.  le  texte  du  décret  voté  par  l'Assemblée  dans  le  P.-V. 
de   l'Ass.    nat.,    n°    609,    p.    13-15 

(3)  Texte   reproduit  dans  les  Areh.  pari.,   XXIV,   520. 


252.  —  SEANCE  DU  2  AVRIL  1791  (soir)  Me) 

SUR  LES  TROUBLES  DE  NlMES  ET  D'UzÈS 


Au  nom  des  comités  des  rapports  et  des  recherches,  Alquier 
expose  à  l'Assemblée  les  conditions  dans  lesquelles  ont  été  prises 
les  délibérations  des  <soi-disant  catholiques  de  Nîmes  et  d'Uzès  (1) 
et  propose  un  projet  de  décret  portant  que  l'Assemblée,  tenant 
compte  des  rétractations  de  plusieurs  des  accusés,  ne  traduira 
devant  «  le  tribunal  d'Orléans  que  ceux  qui  ne  se  sont  pas 
rétractés    »    (2). 

Après  intervention  de  Murinais  et  de  Robespierre,  l'Assemblée 
décréta  qu'il  n'y  avait  lieu  >à  délibérer  sur  le  cas  de  ceux  qui  s'étaient 
rétractés,  elle  «  renvoya  ceux  qui  persistaient  dans  leurs  arrêtés 
devant   la   haute   cour    nationale   provisoire   »   i(3). 


(1)  Areh.  nat.  D  XXIX  bis  13,  dossier  139,  pièce  12; 
H  XXIXbis  32,  dossier  335,  pièce  12;  ,D  XXIX  bis  33,  dossier  340, 
pièce   1.    Rapport  d'Alqu.ier   au   nom  du   Comité  des   recherches. 

(2)  Cf.  E.  Vingtrinier  :  la  Contre-Révolution,  Ve  période  (1789- 
1791),  Paris.  1924,  iu-8°  ;  et  F  Rouvière,  Histoire  de  la 
Révolution  française  dans  le  département  du  Gard,  Nîmes,  1887-89, 
4  vol.,  t.  1:  la  Constituante.  Les  faits  sont  longuement  racontes 
dans   le   Tourna1   der    Etats-Généraux,    t.    XXIII,   p.    462   et   s. 

(3)  Cl.    E.    Hamel,   I,   406. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  177 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXIII,  p.  464 

«  M.  Robespierre.  S'il  étoit  question  d'un  délit  qui  consistât  pure- 
ment en  faits,  il  seroit  très-facile  et  très-raisonnable  d'objecter  à  l'opi- 
nion du  comité,  que  la  rétractation  n'éteint  point  le  délit,  et  que  la  loi 
reste  toujours  avec  tous  ses  droits,  toute  sa  vigueur.  Mais  comme  il  est 
ici  question  d'une  opinion  prononcée  par  une  délibération,  c'est  peut- 
être  une  question  de  savoir  si,  dans  de  telles  affaires,  le  désaveu  et  la 
rétractation  ne  doivent  pas  être  comptés  pour  quelque  chose;  et  j'oserai 
me  déclarer  pour  le  parti  qu'a  adopté  le  comité. 

«  Quant  à  ceux  qui  ne  se  sont  point  rétractés,  je  n'ai  qu'une  seule 
réflexion  à  faire  sur  la  rédaction  du  décret,  c'est  que  le  titre  de 
l'accusation,  suivant  la  rédaction  proposée,  ne  me  paroît  point  suffisant. 
Sous  peine  de  blesser  la  liberté  civile,  il  faudroit  dire  :  dans  l'affaire  qui 
est  soumise  à  l'assemblée,  il  y  a  lieu  à  accusation  contre  tel  ou  tel; 
et  je  ne  comprendrois  pas  dans  cette  désignation  ceux  qui  ont  rétracté 
la  signature  apposée  au  bas  de  la  délibération,  mais  seulement  ceux 
qui  semblent  avoir  persisté  dans  le  parti  qu'ils  ont  pris  à  cet  égard  »  (4). 

Gazette  universelle,    1791,   n°   94,  p.   373. 

«  Dans  une  délibération,  répond  M.  Robespierre,  il  y  a  toujours 
des  hommes  qui  agissent  avec  indifférence,  et  sans  connoître  souvent 
la  proposition  à  laquelle  ils  donnent  leur  assentiment;  mais  il  y  a  tou- 
jours un  certain  nombre  de  personnes  qui  agissent  avec  connoîssance  de 
cause,  et  qui  prévoient  le  bien  ou  le  mal  qui  peut  résulter  de  telle 
ou  telle  détermination.  Ceux  qui  ont  donné  leur  rétractation  sont  dans 
le  premier  cas;  ils  ont  été  séduits;  mais  ils  ont  abjuré  leur  erreur,  dès 
qu'ils  l'ont  reconnue;  ils  ont  donc  cessé  d'être  coupables.  Quant  à 
ceux  qui  n'ont  point  voulu  se  rétracter,  personne  ne  peut  nier  qu'il  y  ait 
au  moins  lieu  à  accusation  contr'eux.  Ils  ont  voulu  les  malheurs  qu'ils 
ont  causés  :  et  leur  opiniâtreté  à  persister  dans  le  refus  de  se  rétracter, 
est  une  accusation  tacite  qu'ils  forment  contre  eux-mêmes.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Point  du  Jour, 
t.  XXI,  n"  632,  p.  20;  et  dans  Le  Journal  général,  n°  63,  p.  252.] 


(4)  Les  Arch.  pari.  (XXIV,  <fâg)  reproduisent  ce  texte  jusqu'à: 
"  sous  peine  :1e  blesser  la  liberté  civile  »,  puis  elles  ajoutent: 
■<  déclare  qu'il  y  a  lieu  à  inculpation  contre  les  sieurs  Fontarèche, 
d'Entraigues,  de  Cabane,  de  Lareyranglade,  Froment,  Fernel,  Fola- 
cher,  Michel  et  Gaussard,  pour  avoir  signé  et  envoyé  en  différents 
endroits  les  délibérations  prises  à  Nîmes  et  à  U#ès  par  les  soi- 
disants  catholiques  de  co3  villes  les  20  avril,  2  .mai  et  1er  juin  1790  »  ; 
(passage  qu'elles  ont  em-orunté  au  P.-V.  de  l'Ass.  nat.,  n°  609, 
P    H). 


178  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

253.  —  SEANCE  DU  3  AVRIL  1791 
Sur  les  honneurs  funèbres  décernés  aux  grands  hommes 


Une  députation  du  département  de  Taris  est  admise  à  la  barre 
et  présente  un  arrêté  du  directoire  du  département,  ordonnant 
d'envoyer  iune  députation  à  d'Assemblée  nationale,  pour  lui  deman- 
der que  l'église  Sainte-Geneviève  soit  destinée  à  recevoir  les  cendres 
des  grands  hommes,  et  que  Mirabeau,  mort  la  veille,  soit  jugé  digne 
de  cet  honneur. 

Defermon  demande  ie  renvoi  de  cette  motion  au  comité  de 
constitution.  Robespierre  propose  sa  division.  Barnave  soutient  l'avis 
de  Robespierre,  et  fait  voter  le  décret  .suivant  :  «  L'Assemblée 
nationale  déclare  qu'Honoré  Riquetti  Mirabeau  a  mérité  les  hon- 
neurs qui  seront  décernés  par  la  nation  aux  grands  hommes  qui 
l'ont  bien  servie.  Renvoie  le  surplus  de  ila  pétition  an  comité  de 
constitution,   pour   en    rendre  compte  incessamment.    » 

Le  4  avril,  sur  le  rapport  de  son  comité  de  constitution,  l'Assem- 
blée adopta  un  décret  conforme  à  ;la  motion  du  directoire  du  dépar- 
tement de  Paris,  consacrant  l'église  (Sainte-Geneviève  à  recevoir 
ies  cendres  des  grands  hommes,  à  dater  de  'l'époque  de  la  liberté 
française. 

Courier  de  Provence,  t.  XIV,   n'    277,  p.   61. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXIII,  p.  482 

((  M.  Robespierre.  La  pétition  du  département  de  Paris  vous  pré- 
sente deux  objets  également  dignes  de  votre  attention;  l'un  particulier 
à  M.  de  Mirabeau,  l'autre  général  en  tendant  à  fixer  la  manière  dont 
la  nation  doit  récompenser  les  grands  hommes  qui  l'ont  servie. 

«  Quant  au  premier,  il  n'appartient  je  crois,  à  personne  dans 
cette  assemblée  de  contester  la  justice  de  la  pétition  qui  vous  est  pré- 
sentée au  nom  du  département  de  Pans.  Ce  n'est  pas  au  momenf  où 
les  regrets  qu'exige  la  perte  d'un  homme  illustre  sont  les  plus  vifs,  ce 
n'est  pas  lorsqu'il  s'agit  d'un  homme  qui  dans  les  moments  critiques, 
a  opposé  la  plus  grande  force  au  despotisme,  qu'il  faut  se  montrer 
difficile  sur  les  moyens  de  l'honorer,  et  arrêter  l'effusion  du  sentiment 
qu'excite  une  perte  aussi  intéressante.  Je  ne  contesterai  donc  en  aucune 
manière  cette  première  partie  de  la  pétition  du  département  de  Paris. 


(1)  Mirabeau  mourut  en  effet  le  ,2  avril  à  8  heures  du  matin. 
Sa  disparition  provoqua  une  douleur  réelle  dans  tout  le  pays.  Les 
journaux  furent  quasi  imani.mes  à  lui  rendre  hommage.  Les  Révo- 
lutions de  Paris  i(de  Pradhomme)  écrivent  à  ce  sujet  <(n°  90, -p.  612): 
«  L'Assemblée  perd  le  premier  peut-être  de  ses  orateurs,  mais 
M.  Mirabeau  ne  tenoit  pas  le  même  rang  dans  le  petit  nombre  de 
ses  membres  patriotes.  Que  le  peuple  français  ne  désespère  pas  de 
la  chose  publique  tant  qu'il  lui  restera  quelque  représentant  de  la 
trempe  de  M.   Robespierre  ». 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  179 

Je  l'appuierai   au  contraire  de  tout  mon  pouvoir,   ou  plutôt  de   toute 
ma  sensibilité  (2). 

«  Le  second  objet  rallie  les  plus  grands  intérêts  de  la  Patrie  et  de 
la  Liberté;  car  ce  sont  les  récompenses  que  l'on  décerne  aux  grands 
hommes  qui  sont  le  germe  du  patriotisme,  la  semence  de  toutes  les  ver- 
tus. Cette  dernière  partie  de  la  pétition  du  département  de  Paris  est 
un  des  objets  les  plus  intéressans  de  la  constitution.  Elle  doit,  ce  me 
semble  être,  le  sujet  d'une  délibération  très  mûre.  Je  crois  donc  que 
votre  délibération  actuelle  ne  peut  porter  que  sur  la  première  partie 
de  la  pétition,  et  qu'il  ne  nous  appartient  point  d'opposer  des  formes 
à  ce  premier  sentiment  de  patriotisme  et  de  sensibilité,  à  cet  enthou- 
siasme de  la  liberté  qui  doit  nous  porter  et  qui  a  déjà  porté  tous  les 
citoyens  à  provoquer  des  récompenses  et  des  hommages  pour  la  mémoire 
de  M.  de  Mirabeau.  En  conséquence,  je  demande  la  division  de  la 
motion.  Je  demande  que  ce  qui  concerne  M.  de  Mirabeau  soit  adopté 
et  que  la  motion  soit  renvoyée  au  Comité  de  Constitution  »  (3). 
(Applaudi). 

Journal  des  Débats,  t.  XIX,  n°  676,  p.    10. 

«  M.  Robespierre  a  dit  :  La  Pétition  qui  vient  de  vous  être  faite, 
présente  en  effet  deux  objets  dignes  de  votre  attention.  L'un  est  parti- 
culier à  M.  Mirabeau;  l'autre  est  une  disposition  générale  qui  consiste 
à  fixer  la  manière  dont  la  Nation  doit  récompenser  les  grands  hommes 
qu'elle  aura  perdus.  Ce  n'est  pas  au  moment  où  des  regrets  sont  si 
vifs,  ce  n'est  pas  lorsqu'il  s'agit  d'un  homme  qui  a  opposé  au  despo- 
tisme un  très  grand  courage,  que  l'on  peut  se  refuser  à  l'effusion  du 
sentiment  qu'excite  une  perte  aussi  intéressante.  J'appuie  donc  la  pre- 
mière partie  de  la  Pétition  de  tout  mon  pouvoir,  ou  plutôt  de  toute 
ma  sensibilité,  et  je  demande  qu'elle  soit  décrétée  à  l'instant. 

«  Quant  à  l'autre,  elle  doit  être  le  premier  objet  de  vos  réflexions. 
11  est  question  de  savoir-  quel  mode  l'Assemblée  adoptera  pour  décer- 
ner des  récompenses  publiques;  et  les  intérêts  de  la  Patrie  et  de  la 
Liberté  s'attachent  naturellement  à  cette  idée.  Car  les  récompenses 
sont  la  semence  de  toutes  les  vertus  publiques.  Je  demande  que  la 
fixation  de  ce  mode  soit  renvoyée  au  Comité  de  Constitution,  pour 
qu'il  vous  la  présente   incessament.    » 


(2)  Tout  en  jugeant  Mirabeau  sans  indulgence  (cf.  sa  lettre 
à  Baissait  du  24  mai  1789),  Robespierre  rendait  hommage  à  son  talent. 
Il  ne  varia  vraiment  d'opinion  à  son  sujet  que  lorsqu'il  eut  les 
preuves  de  sa  collusion  avec  la  Cour  à  la  'Suite  de  la  découverte  de 
I'*rmoire  de  fer  en  novembre  1792  '(Or".  P.  Villiers,  Souvenirs  d'un. 
déporté,  p.  4). 

(3)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXIV  t  537 


180  Les  discours  de  Robespierre 

Gazette   nationale   ou  le  Moniteur  universel,   n"    94,   p.    386. 

«  M.  Roberspierre.  J'ai  remarqué  aussi  deux  objets  entièrement 
distincts  dans  l'arrêté  du  département.  Quand  à  celui  qui  regarde 
M.  Mirabeau,  je  pense  qu'il  n'appartient  à  personne  d'en  contester 
la  justice.  Ce  n'est  pas  au  moment  où  l'on  entend  de  toutes  parts  les 
regrets  qu'excite  la  perte  de  cet  homme  illustre  qui,  dans  les  époques 
les  plus  critiques,  a  déployé  tant  de  courage  contre  le  despotisme, 
que  l'on  pourrait  s'opposer  à  ce  qu'il  fût  décerné  des  marques  d'hon- 
neur. J'appuie  de  tout  mon  pouvoir,  ou  plutôt  de  toute  ma  sensibilité, 
cette  proposition.  Quand  au  second  objet  de  la  pétition  du  départe- 
ment, il  me  paraît  lié  aux  intérêts  de  la  liberté  et  de  la  patrie,  et 
j'en  demande  aussi  le  renvoi  au  Comité  de  constitution   si  (4). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXI,  n°  632,  p.  30. 

((  M.  Robespierre  a  parlé  avec  beaucoup  de  sensibilité,  et  il  a 
déclaré  qu'il  pensoit  que  personne  ne  contesteroit  à  la  mémoire  de 
M.  de  Mirabeau  les  honneurs  publics  que  la  nation  décernera  aux 
grands  hommes  qui  auront  servi  la  patrie;  mais  qu'il  fa!!oit  distinguer 
cette  partie  incontestable  de  la  pétition  du  département,  de  celle  qui 
a  trait  à  la  manière  dont  doivent  être  jugés  les  hommes,  à  qui  on 
voudra  décerner  les  honneurs  publics,  et  que  la  dernière  pouvoit  méri- 
ter quelque  discussion;  qu'en  conséquence,  il  falloit  renvoyer  cet  objet 
à  l'examen  du  comité  de  constitution,  en  décernant  dans  le  moment 
les  honneurs  publics  à  la  mémoire  de  M.  de  Mirabeau.  (On  applau- 
dit).  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  Général, 
n°  63,  p.  252;  La  Gazette  de  Paris,  6  avril  1791,  p.  2;  Le  Mercure 
Universel,  t.  II,  p.  63;  L'Ami  du  Peuple  (Marat),  t.  VIII,  n°  420, 
il  8;  Le  Courier  Français,  t.  X,  n°  94,  p.  270;  Le  Coutrier  des 
Français,  n°  35,  p.  269;  Le  Journal  de  Normandie,  n°  95,  p.  257; 
La  Correspondance  Générale  des  Départemens  de  France,  t.  II,  n°  28, 
p.445;  Le  Courrier  des  LXXXlll  Départemens,  t.XXIII,  n°  4,  p.58; 
Le  Patriote  François,  n°  604,  p.  361  ;  Le  Courrier  Extraordinaire, 
4   avril,   p.    5.] 


(4)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  Vlil,  31  ;  Bûchez  et  Rou 
IX,  2"/9  ;  et  utilisé  par  la  Gazette  nationale  ou  Extrait..,  t.  X 
p    403-404. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  181 

254.  —  SEANCE  DU  5  AVRIL  1791 
Sur  les  inégalités  dans  les  successions 


L'examen  du  projet  du  comité  de  constitution  relatif  aux  suc- 
cessions repris  le  1er  avril  1791  (1)  se  continua  le  lendemain.  Le 
Chapelier  soumet  alors  à  la  discussion  la  question  des  dispositions 
testamentaires  et  celle  des  inégalités  dans  les  successions  résultant 
de  la  volonté  de  l'homme.  Talleyrand  lit  à  ce  propos  un  important 
discours  de  Mirabeau  que  l'Assemblée  écoute  avec  une  religieuse 
attention  (2).  Ce  débat  se  poursuit  le  4  avril  et  (les  jours  suivants. 

Le  5  avril.  Robespierre  intervient.  Tronehet  et  Cazales  parlent 
après  lui   (2). 

(L'Assemblée  décréta  le  6  avril  l'ajournement  pur  et  simple,  et 
ordonna   l'impression  de   tout  ce   qui  avait  été  dit  en    la  matière. 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXI,  n°  634,  p.  60. 

«  Messieurs, 
«  Toute  institution  qui  tend  à  augmenter  l'inégalité  des  fortunes 
est  mauvaise  et  contraire  au  bonheur  social.  Je  sais  bien  qu'il  est 
impossible  d'établir  une  égalité  parfaite  dans  les  portions  et  que  mille 
causes  différentes  doivent  nécessairement  la  déranger  plus  ou  moins, 
mais  je  dis  que  le  but  des  loix  doit  être  de  la  maintenir  autant  que  la 
nature  des  choses  le  permet,  et  qu'elles  violent  tous  les  principes  de  la 
raison  lorsqu'elles  s'efforcent  elles-mêmes  de  la  troubler.  L'égalité  est 
la  source  de  tous  les  biens:  l'extrême  inégalité  est  la  source  de  tous 
les  maux.  C'est  elle  que  suit  les  tyrans  et  les  esclaves,  les  oppresseurs 
et  les  opprimés  :  c'est  par  elle  que  l'homme  avilit  l'homme,  et  fait 
de  son  semblable  l'instrument  de  son  orgueil,  le  jouet  de  ses  passions 
ou  le  complice  de  ses  crimes.  Quelle  vertu,  quel  bonheur  peu'  exister 
dans  un  pays  où  une  classe  d'individus  peuvent  dévorer  la  substance 
de  plusieurs  millions  d'hommes.  Les  grandes  richesses  enfantant  les 
excès  du  luxe  et  des  voluptés  qui  corrompent  à  la  fois,  rt  ceux  qui  les 
possèdent,  et  ceux  qui  les  envient;  alors  la  vertu  est  méprisée,  la 
richesse  seule  est  un  honneur.  Les  loix  elles-mêmes  ne.  sont  plus  que 
des  instrumens  entre  les  mains  des  riches,  pour  opprimer  les  pauvres; 
en  vain  on  dit  aux  uns  et  aux  autres  qu'ils  sont  nés  égaux.  Une  fatale 
expérience  les  dément  tous  les  jours;  l'homme  a  perdu  l'idée  de  ses 
droits,   et  le  sentiment  de   sa  dignité;   les  loix  éternelles  de   la  justice 


(1)  Cf.    ci-dossus,    séance   du  '1er   avril    1791,    préambule. 

(2)  »  Tandis  que  les  députés  opposants  du  Midi,  tels  que  Caza- 
l«'-s  et  Saint-Martin,  réclament  le  maintien  des  'lois  romaines  et  de 
la  faculté  de  tester,  les  jurisconsultes  de  la  France  coutumière  et  les 
esprits  libéraux  des  régions  méridionales,  veulent  réduire  consi- 
dérablement Mirabeau  au  dixième,  Tronehet  au  quart,  la  portio- 
de  biens  dont  on  pourra  disposer  en  ligne  directe  »  (Cf.  Ph  Sagnac, 
La  Législation   civile    de  Ta   Révolution   française,   p.    223). 


182  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

et  de  la  nature  ne  sont  plus  regardées  que  comme  des  chimères,  et 
ceux  qui  osent  les  réclamer  sont  regardés  comme  des  insensés,  s'ils  ne 
sont  traités  comme  des  séditieux.  Législateurs,  vous  n'avez  rien  fait 
pour  la  liberté,  si  vos  loix  ne  tendent  à  diminuer,  par  des  moyens  doux 
et  efficaces,  l'extrême  inégalité  des  fortunes.  La  loi  qui  va  le  plus 
directement  à  ce  but  est  celle  qui  établit  l'égalité  des  partages;  vous 
l'avez  jugée  nécessaire;  permettrez-vous  à  la  volonté  de  l'homme  de 
l'anéantir  ou  de  l'éluder?  Eh!  quel  seroit  le  motif  de  cette  funeste 
contradiction  ?  La  propriété  de  l'homme  s'étend  elle  au  delà  de  sa  vie  ? 
Peut-il  donner  des  loix  lorsqu'il  n'est  plus  ?  Peut-il  disposer  de 
cette  portion  de  la  terre  dont  il  a  joui,  lorsqu'il  n'est  plus  lui-même 
qu'une  vile  poussière  ?  Espérez- vous  que  la  volonté  du  testateur  sera 
plus  sage  que  la  sagesse  même  de  la  loi  ?  Non  :  calculez  les  effet?  de 
la  faiblesse  humaine  et  les  circonstances  où  se  trouve  ordinairement 
l'homme  qui  fait  son  testament;  et  vous  verrez  qu'une  prédilection 
aveugle,  que  les  passions,  les  caprices,  la  suggestion  même  président 
à  ces  actes  beaucoup  plus  souvent  que  la  raison.  Comme  il  envisage 
toujours  la  fin  de  son  existence  dans  une  perspective  infiniment  éloi- 
gnée; comme  l'idée  des  volontés  dernières  se  lie  à  celle  de  sa  destruc- 
tion, il  recule-  ordinairement  cet  acte  important,  au  moment  où  son 
esprit  est  affaibli  par  l'âge,  ou  absorbé  par  la  maladie;  dans  tous  les 
temps,  la  cupidité  l'assiège;  elle  le  poursuit  jusque  sur  son  ht  de  mort 
sous  le  masque  de  l'amitié. 

«  La  faculté  de  tester  est  en  général  l'aliment  de  l'intrigue  et  de 
la  fraude,  l'écueil  de  la  faiblesse  et  de  la  crédulité,  le  signal  de  la 
discorde.  Pensez-vous  en  effet  que  les  testateurs  useront  de  ce  pou- 
voir pour  distribuer  leurs  biens  suivant  les  règles  de  cette  égalité  pré- 
cieuse, qui  doit  être  l'unique  base  de  vos  décrets  ?  Non,  si  quelques- 
uns  montrent  cette  largesse,  la  plupart  préfèrent  ceux  de  leurs  proches 
qui,  déjà,  sont  les  plus  favorisés  de  îa  fortune.  Ce  sont  ceux-là  à  qui 
ils  semblent  se  glorifier  d'appartenir;  ce  sont  ceux-là  avec  lesquels  ils 
vivent  et  qu'ils  caressent  avec  plus  de  complaisance,  tandis  qj.'ils 
repoussent  avec  dédain  les  parens  pauvres  et  obscurs,  dont  ils  semblent 
rougir.  Parlerai-je  de  cet  orgueil  absurde  qui  se  plaît  à  entasser  tous 
les  avantages  sur  la  tête  d'un  héritier  favori,  de  ce  préjugé  funeste 
dont  les  profondes  racines  sont  encore  cachées  sous  les  débris  de  la 
féodalité  }  Il  régnera  longtemps  encore  avec  plus  d'empire  que  jamais 
si  vous  laissez  un  champ  libre  ouvert  à  la  volonté  des  testateurs.  Car 
la  vanité  de  ceux  qui  regrettent  le  plus  les  brillantes  chimères  de  la 
féodalité,  cherchera  à  se  venger  de  la  loi  même  en  dérangeant  ses 
sages  dispositions  par  leurs  volontés  particulières.  Les  partisans  de  la 
faculté  de  tester  la  pressentent  comme  un  moyen  salutaire  donné  aux 
pères  de  contenir  leurs  enfans  dans  le  devoir  et  de  s'assurer  leur 
soumission.  Mais  non,  jamais  la  piété  filiale  ne  peut  avoir  d'autre  base 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  183 

que  la  nature  et  les  mœurs:  il  est  aussi  absurde  qu'immoral  de.  vouloir 
enter  (3)  la  vertu  sur  la  cupidité  :  aussi  voici  combien  ce  système  est 
démenti  par  l'expérience,  ou  plutôt  rappellez-vous  quels  malheurs  le 
droit  de  tester  porte  dans  le  sein  des  familles.  Voyez  ces  procès  éter- 
nels dont  il  est  le  germe  inépuisable;  voyez  ces  viles  manœuvres  et 
ces  lâches  artifices  par  lesquels  l'avidité  s'efforce  de  conquérir  la 
prédilection  et  l'hérédité  paternelles;  voyez  les  enfants  immolés  à 
d'autres  enfans;  voyez  la  cruelle  opulence  d'un  frère  insultant  à  l'indi- 
gence de  son  frère;  et  les  tourmens  de  l'envie  et  les  fureurs  de  la 
vengeance  remplacer  les  doux  sentimens  de  la  nature  et  les  charmes 
de  la  paix  domestique.  Cependant  ce  sont  ces  familles  particulières 
qui  composent  la  grande  famille  de  l'état;  ce  sont  les  mœurs  privées 
qui  sont  !a  base  des  mœurs  publiques;  voilà  donc  la  félicité  générale 
empoisonnée  dans  la  source;  voilà  la  liberté  sappée  dans  ses  premiers 
fondemens. 

«  Opposera-t-on  à  ces  inconvéniens  immenses  des  déclamations 
rebattues  sur  les  prétendus  avantages  de  la  puissance  paternelle  ? 

«  Je  ne  répondrai  pas  qu'il  n'est  pas  du  tout  prouvé  que  les  parties 
de  la  France  où  cette  institution  est  adoptée  offrent  plus  de  modèles 
des  vertus  domestiques  et  sociales  que  celles  où  elle  est  inconnue.  Je 
ne  demanderai  pas  si  cette  bigarrure  dans  les  loix  d'un  même  empire 
peut  subsister  avec  les  principes  de  votre  Constitution.  Je  ne  vous 
ferai  pas  même  observer  que  le  hasard  seul  a  transplanté  chez  nous 
ce  système,  fait  pour  d'autres  circonstances  ou  pour  un  autre  peuple, 
qui  ne  la  devoit  pas  lui-même  à  des  causes  plus  raisonnables  ;  mais  je 
dirai  que  ce  qu'il  y  a  de  bon  et  de  sacré  dans  la  puissance  paternelle, 
c'est  ce  que  la  nature  a  mis  et  non  ce  que  des  systèmes  exagérés  y  ont 
ajouté.  Je  dirai  que  la  nature  elle-même  en  a  mesuré  la  durée  et 
l'étendue  sur  l'intérêt  et  sur  les  besoins  de  ceux  qu'elle  doit  protéger, 
et  non  sur  l'utilité  [de  ceux]  qui  l'exercent  :  que  c'est  une  erreur  de  la 
législation  qui  a  franchi  ces  bornes  sacrées,  lorsqu'elle  a  prolongé  la 
tutèle  des  citoyens  au-delà  de  l'âge  mûr  (4). 

«L'enfance  de  l'homme  jusqu'au  dernier  terme  de  la  vie,  lorsqu'elle 
a  dépouillé  les  citoyens  du  droit  de  propriété,  et  fait  dépendre  le  libre 
exercice  de  leurs  facultés,  non  de  leur  âge  et  de  leur  raison  ;  mais  de  la 
longaivité  de  leurs  pères  ou  de  leurs  ayeux,   c'est-à-dire  lorsqu'elle  les 


(3)  Enter   sur:  employé   ici   au    sens   de   fonder,   do   fi 
^  ur. 

(4)  ("est  également  l'avis  de  Mirabeau, 
Buzot.  La  propriété  est  un  droit  viager,  qu 
se  transmettre  <<  au  delà  du  «terme  de  l'es 
paragraphe  suivant  est  inintelligible,  si  1' 
continue  cette  y>hrase.  On  peut   la   rétablir  ainsi 

longé   la  tutele  des  citoyens    au-delà  do    V-Àvc    mur    ol    l'enfance  de 
l'homme    jusqu'au. ..    ». 


1'. 

•tioi 

i.    Lanjuic 

iais    et 

se 

ton 

eux,  ne  saunait 

de 

lire 

humaine 

».     Le 

il 

)  1 6 

considéra 

mu 'il 

i  : 

«  lorsqu'elle 

a  pro- 

184  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

a  enlevés  en  même  temps  à  eux-mêmes  et  à  leur  patrie.  Non.  ce  nVsl 
point  en  violant  la  raison  et  la  nature,  qu'on  établit  l'ordre  socal  ;  c'est 
en  les  consultant  avec  soin. 

«  Revenons  aux  principes  de  l'égalité  et  de  l'ordre  public,  que 
vous  avez  vous-mêmes  consacrés  :  nous  ne  ferons  pas  même  en  cela 
une  chose  nouvelle  ou  extraordinaire,  puisqu'un  grand  nombre  de  nos 
coutumes  défend  aux  testateurs  de  la  troubler  entre  leurs  héritiers, 
soit  en  directe,  soit  en  collatérale. 

h  Je  demande  que  l'Assemblée  nationale  décrète  :  1  °  que  nul  ne 
pourra  déroger  par  aucunes  dispositions  testamentaires  aux  principes 
de  l'égalité  des  partages  établis  entre  ses  héritiers,  soit  en  directe, 
soit  en  collatérale;  2°  que  les  substitutions  (5)  sont  abolies,  sauf  à 
maintenir    celles    qui    sont    échues.    » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIV,  p.  7. 

((  M  Robespierre.  Vous  avez  décrété  que  l'égalité  seroit  la  base 
du  partage  des  citoyens.  Permettrez- vous  aux  citoyens  de  la  troubler  par 
des  dispositions  particulières  ?  ou,  en  d'autres  termes,  conserverez-vous 
la  faculté  de  tester?  et,  dans  le  cas  de  l'affirmative,  quelles  seront  les 
bornes  que  vous  croirez  devoir  y  mettre  ?  Avant  d'examiner  les  principes 
qui  doivent  décider  cette  importante  question,  il  est  bon  de  jetter  un 
coup  d'ceil  sur  l'état  actuel  de  notre  législation  sur  ce  point.  D'un  côté 
vous  voyez  une  partie  de  la  France  où  la  faculté  de  tester  est  admise  dans 
la  plus  grande  étendue;  dans  une  autre  partie,  il  est  rigoureusement  inter- 
dit aux  citoyens  de  favoriser  aucun  de  leurs  héritiers  au  préjudice  des 
autres.  C'est  vous  dire  assez  que  vous  avez  à  choisir  entre  deux  prin- 
cipes différens;  car  votre  intention  n'est  pas  de  conserver  deux  loix  pour 
un  même  empire  qui  a  pour  premier  principe  le  bien  public.  Quel  sera 
donc  le  principe  de  votre  choix  et  de  votre  décision;  le  premier  qui  se 
présente  à  l'esprit,  le  plus  frappant  peut-être  au  premier  coup  d'ceil,  et 
j'ajoute  encore,  le  seul  qui  ait  été  proposé  a  été  le  vœu  de  la  nature, 
qui  semble  exiger  l'égalité  entre  les  enfans  d'un  même  père;  j'ose  dire 
que  ce  n'est  point  là  le  principe  fondamental  de  cette  question  ;  il  en  est 
un  supérieur  et  plus  étendu,  qui  ne  s'apolique  ooint  seulement  aux  succes- 
sions directes,  mais  aux  successions  collatérales;  c'est  ce  princoe  poli- 
tique oui  dit  que  la  base  de  la  liberté,  la  base  du  bonheur  social,  c'est 
l'égalité. 

«  Je  sais  qu'il  est  impossible  d'établir  l'égalité  parfaite,  ie  sais  que 
plusieurs  causes  différentes  tendent  sans  cesse  à  déranger  l'égalité  des 
fortunes;  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  oue  les  Icix  doivent  toujours 
tendre  à  la  maintenir,  autant  que  la  nature  des  choses  peut  le  permettre, 


(5)  La  Convention,  par  son  décret  kIu  25  octobre-14  novembre 
1792,  supprima  les  substitutions  oui  cumulaient  pendant  plusieurs 
.générations  sur  des  têtes  privilégiées  des  fortunes  capables  l'alar- 
mer la  «  liberté  publique   ». 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  185 

et  qu'elles  iront  directement  contre  leur  but,  contre  le  but  de  toute  société, 
lorsqu'elles  tendront  à  la  violer. 

«  L'égalité  est  la  source  de  tous  les  biens,  et  l'inégalité  des  for- 
tunes la  source  de  tous  les  maux  politiques;  c'est  par  celle-ci  que 
l'homme  avilit  l'homme;  et  fait  de  son  semblable  l'instrument  de  son 
orgueil,  le  jouet  de  ses  passions  et  souvent  même  le  complice  de  ses 
crimes.  Les  grandes  richesses  enfantent  les  défauts  du  luxe  ei  des 
voluptés,  qui  corrompent  à  la  fois  et  ceux  qui  en  jouissent  et  ceux 
qui  les  envient;  alors  la  vertu  est  aux  prises  avec  le  vice,  l'opulence 
seule  est  en  honneur,  les  talens  même  sont  moins  estimée  comme  des 
moyens  d'être  utile  à  sa  patrie,  que  comme  moyens  de  fortune;  les 
loix  ne  sont  plus  que  des  instrumens  entre  les  mains  des  hommes 
puissans,  pour  opprimer  les  faibles.  Dans  un  tel  état  de  choses,  c'est 
en  vain  que  la  raison  et  la  nature  disent  sans  cesse  aux  hommes  qu'ils 
sont  égaux  :  une  expérience  funeste  semble  les  démentir  à  chaque 
instant.  L'homme  a  perdu  la  dignité  de  ses  droits  et  la  dignité  de  son 
être;  et  les  loix  éternelles  de  la  justice  et  de  la  raison  ne  sont  plus 
regardées  que  comme  une  vaine  théorie  :  si  quelque  citoyen  ose  encore 
les  réclamer,  il  est  traité  comme  un  insensé,  s'il  n'est  point  traité 
comme  un  séditieux.  Vous  n'avez  donc  rien  fait  pour  le  bonheur  public, 
pour  la  régénération  des  mœurs,  si  vos  loix  ne  tendent  à  empêcher, 
par   des   loix   douces   et   efficaces   l'extrême   disproportion   des   fortunes. 

«  Déjà,  vous  en  avez  senti  la  nécessité  par  le  premier  décret  par 
lequel  vous  avez  statué  que  les  successions  ab  intestat  seroient  parta- 
gées également.  Permettrez-vous  au  caprice  de  chaque  individu  de 
déranger  cet  ordre  établi  par  la  sagesse  de  la  loi  ?  La  loi  tombera-t-eMe 
dans  une  contradiction  funeste  avec  elle-même,  en  disant  d'un  côté  : 
l'égalité  sera  le  principe  du  partage  des  successions,  et  en  disant  de 
l'autre  à  chaque  citoyen  :  vous  dérangerez,  vous  troublerez  cette  égalité 
à  votre  goût.  Voyez,  messieurs,  ce  qui  se  passe  dans  les  pays  de  droit 
écrit  :  là  règne  depuis  longtemps  cette  loi  de  l'égalité  que  vous  avez 
portée,  mais  là  règne  aussi  la  loi  qui  permet  au  testateur  d'y  déroger  : 
et  la  loi  est  nulle.  La  volonté  du  testateur  règne,  et  elle  ne  se  plaît 
qu'à  troubler  et  à  anéantir  les  salutaires  dispositions  de  la  loi  de  l'éga- 
lité. Il  faut  donc  que  vous  adoptiez  le  principe  tout  entier,  ou  bien 
que  vous  consentiez  à  regarder  comme  nul  le  décret  que  votre  sagesse 
et  votre  justice  vous  ont  dicté,  ou  bien  que  vous  défendiez  aux  citovens 
de  la  troubler.  Et  quel  seroit  le  motif  si  puissant  de  tomber  dans  cette 
contradiction?  La  propriété  de  l'homme  peut-elle  s'étendre  au  delà 
de  la  vie  ^  Peut-il  donner  des  lois  à  la  postérité  lorsqu'il   n'est  plus? 

«  Je  ne  vous  dirai  pas  de  quels  maux  cette  funeste  faculté  de 
tester  est  la  source.  Elle  est  la  mère  des  haines,  des  jalousies,  des 
dissensions  dans  les  familles,  du  scandale  de  la  société  et  d'une 
grande  partie  des  vices  qui   y  régnent.   Je  sais  tout  ce  que   l'on  peut 


186  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

in  opposer  en  faveur  de  l'autorité  paternelle.  Ici  je  me  contenterai 
d  observer  qu'il  n'y  a  de  beau  et  de  sacré  dans  la  puissance  pater- 
nelle que  ce  que  la  nature  y  a  mis  et  non  ce  que  des  systèmes  exagérés 
y  ont  ajouté. 

«  Je  dirai  que  la  nature  elle-même  et  la  raison  en  ont  mesuré  la 
durée  et  l'étendue  sur  l'intérêt  et  le  besoin  de  ceux  qu'elle  doit  pro- 
téger, et  non  sur  l'utilité  de  ceux  qui  l'exercent;  que  c'est  une  erreur 
de  la  législation  qui  a  franchi  les  bornes  sacrées  lorsqu'elle  a  prolongé 
m  tutelle,  lorsqu'elle  a  prolongé  l'enfance  de  l'homme  jusqu'à  sa 
décrépitude,  lorsqu'elle  a  dépouillé  les  citoyens  du  droit  de  propriété, 
lorsqu'elle  a  fait  dépendre  le  long  exercice  de  leurs  facultés  naturelles 
et  réelles,  non  de  leur  âge  et  de  leur  raison,  mais  de  la  longévité  de 
leur  père,  c'est-à-dire  lorsqu'elle  les  a  enlevés,  par  le  plus  absurde 
de  tous  les  systèmes,  et  à  eux-mêmes  et  à  la  patrie.  Non,  ce  n'es*  pas 
en  violant  les  droits  de  la  raison  et  de  la  nature  qu'on  établit  les  fonde- 
mens  de  l'ordre  social;  c'est  en  les  consultant  avec  soin.  Il  ne  faut 
donc  pas  justifier  la  liberté  de  tester  par  la  puissance  paternelle,  lors- 
qu'il est  évident  que  la  puissance  paternelle  a  elle-même  tant  besoin 
d'apologie,  ou  plutôt  qu'elle  doit  tomber  par  les  décrets  des  législa- 
teurs. Revenons  donc  au  principe  de  l'égalité  et  de  l'ordre  public  que 
vous  avez  consacré  :  et  certes,  il  faut  convenir  que  ces  idées  ne  sont 
point  puisées  dans  les  principes  d'une  philosophie  hardie,  lorsqu'ils 
sont  consacrés,  même  par  les  usages  et  les  loix  d'une  partie  des  pays 
que  vous  appeliez  coutumiers.  Il  ne  s'agit  que  de  choisir  ici  entre  ces 
loix  arbitraires  et  ces  loix  absurdes  que  vous  avez  empruntées  d'un 
peuple  barbare  et  de  faire  tomber  tous  ces  préjugés  et  toutes  ces  loix» 
funestes  par  le  même  principe. 

«  Je  conclus  de  tout  cela  que  l'égalité  introduite  par  la  loi  dans 
les  successions,  ne  peut  pas  être  dérangée  entre  les  hommes,  soit  en 
ligne  directe,  soit  en  ligne  collatérale,  par  les  dispositions  particu- 
lières de  l'homme.  Mais  je  n'en  conclus  pas  que  la  faculté  de  tester 
doive  être  entièrement  anéantie,  parce  que  le  principe  même  que  j'ai 
posé  n'exige  point  cette  conséquence.  Le  citoyen  peut  être  le  maître 
de  disposer  d'une  portion  bornée  de  sa  fortune,  pourvu  qu'il  ne  dérange 
pas  ce  principe  de  l'égalité  envers  ses  héritiers,  et  qu'il  en  dispose 
seulement  suivant  sa  sagesse  à  l'égard  des  étrangers.  Mon  avis  donc  est 
que  l'assemblée  nationale  [décrète]  que  nul  ne  pourra  favoriser  aucun 
de  ses  héritiers  au  préjudice  de  l'autre,  soit  en  ligne  directe,  soit  en 
ligne  collatérale  (murmures).  Pour  l'éclaircissement  parfait  de  la  aues- 
tion,  et  pour  le  bien  de  la  vérité,  je  demande  que  l'on  veuille  bien 
me  permettre  de  répondre  aux  honorables  membres  auxquels  les  prin- 
cipes sur  lesquels  se  fonde  mon  opinion  paraissent  à  plusieurs  égards, 
trop  étendus  »  (6). 

(6)  Texte   reproduit  dans  les  Arch.   pari.,   XXIV.   562. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  187 

Gazette  Nationale  ou  Le  Moniteur  Universel,  n°   97,  p.   396-397. 

«  M.  Roberspierre.  Vous  avez  décrété  que  l'égalité  serait  la 
base  des  successions.  Permettez-vous  que  cette  loi  soit  violée  par  la 
volonté  particulière  de  l'homme  ?  Conserverez-vous  la  faculté  de 
disposer,  et  quelles  en  seront  les  bornes  ?  Il  est  bon  de  jeter  un  coup- 
d  oeil  sur  l'état  actuel  de  la  législation  sur  ce  point.  Dans  certains  pays, 
la  faculté  de  tester  a  la  plus  grande  latitude;  dans  d'autres,  elle  est 
interdite  avec  rigueur,  c'est  entre  ces  deux  coutumes  que  vous  devez 
opter;  car  votre  intention  n'est  pas  de  conserver  deux  lois  et  deux  prin- 
cipes contradictoires.  L'une  de  ces  lois  est  fondée  sur  le  vœu  de  la 
nature,  qui  semble  exiger  l'égalité  entre  les  enfants;  mais  ce  n'est  pas 
là  le  principe  fondamental  de  cette  loi;  il  en  existe  un  autre  d'une 
importance  majeure  dans  l'état  politique,  et  qui  s'applique  même  aux 
successions  collatérales.  Ce  principe,  c'est  que  la  trop  grande  inéga- 
lité des  fortunes,  est  la  source  de  l'inégalité  politique,  de  la  destruc- 
tion de  la  liberté.  D'après  ce  principe,  les  lois  doivent  toujours  tendre 
à  diminuer  cette  inégalité,  dont  un  certain  nombre  d'hommes  font 
l'instrument  de  leur  orgueil,  de  leurs  passions,  et  souvent  de  leurs 
crimes.  Les  grandes  richesses  corrompent  et  ceux  qui  les  possèdent,  et 
ceux  qui  les  envient.  Avec  les  grandes  richesses,  la  vertu  est  en 
horreur.  Le  talent  même,  dans  les  pays  corrompus  par  le  luxe,  est 
regardé  moins  comme  un  moyen  d'être  utile  à  la  patrie  que  comme 
un  moyen  d'acquérir  de  la  fortune.  Dans  cet  état  de  choses,  la  liberté 
est  vaine  chimère;  les  lois  ne  sont  plus  qu'un  instrument  d'oppression. 
Vous  n'avez  donc  rien  fait  pour  le  bonheur  public,  si  toutes  vos  lois,  si 
toutes  vos  institutions  ne  tendent  pas  à  détruire  cette  trop  grande  inéga- 
lité des  fortunes.  Vous  avez  déjà  fait  une  loi  sur  les  successions.  Lais- 
serez-vous  au  caprice  d'un  individu  à  déranger  cet  ordre  établi  par  la 
sagesse  de  la  loi  ?  Voyez  ce  qui  se  passe  dans  les  pays  du  droit  écrit. 
La  loi  de  l'égalité  des  successions  y  règne;  mais  une  autre  loi  permet 
à  l'homme  d'éluder  par  un  testament  la  disposition  de  la  loi,  et  la  loi 
est  nulle  et  sans  effet.  Et  quel  est  le  motif  de  cette  faculté?  L'homme 
peut-il  disposer  de  cette  terre  qu'il  a  cultivée,  lorsqu'il  est  lui-même 
réduit  en  poussière  ?  Non,  la  propriété  de  l'homme,  après  sa  mort, 
doit  retourner  au  domaine  public  de  la  société.  Ce  n'est  que  pour  l'in- 
térêt public  qu'elle  transmet  ces  biens  à  la  postérité  du  premier  pro- 
priétaire; or,  l'intérêt  public  est  celui  de  l'égalité.  11  faut  donc  que 
dans  tous  les  cas  1  égalité   soit  établie  dans  les  successions. 

Quel  motif  encore  pour  préférer  la  sagesse  du  testateur  à  la 
sagesse  de  la  loi  ?  Consultez  la  nature  des  choses,  et  les  circonstances 
où  se  trouvent  ceux  qui  font  des  testamens.  N'est-il  pas  dans  la 
nature  de  l'homme  d'être  toujours  disposé  a  éloigner  dans  son  imagi- 
nation le  terme  de  son  existence  ?  Son  testament  lui  rappelle  l'heure 
de  la  mort,  et  il  ne  se  détermine  à  le  faire  que  lorsqu'il  est  affaibli  par 


188  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

l'âge,  absorbé  par  la  maladie  ;  mais  dans  tout  tems  la  cupidité,  Y  in- 
trigue lui  tendent  des  pièges.  Les  testamens  sont  l'écueil  de  la  fai- 
blesse et  de  la  crédulité,  le  signal  de  la  discorde  dans  les  familles. 
Ajoutez  que  presque  toujours  à  la  faiblesse  se  joint  le  préjugé,  cette 
habitude  des  chimères  qui  a  encore  ses  racines  sous  les  débris  de  la 
féodalité,  cette  vanité  qui  porte  l'homme  à  favoriser  l'un  de  ses 
enfants  pour  soutenir  la  gloire  de  son  nom.  Mais,  dit-on,  l'autorité 
paternelle  sera  anéantie.  Non,  qu'on  ne  se  persuade  pas  que  la  piété 
filiale  puisse  reposer  sur  d'autres  bases  que  sur  la  nature,  sur  les  soins, 
la  tendresse,  les  mœurs  et  les  vertus  des  pères.  Croit-on  que  la  plus 
belle  des  vertus  puisse  être  entée  sur  l'intérêt  personnel  et  la  cupidité  ? 
celui  qui  ne  respecte  son  père  que  parce  qu'il  espère  une  plus  forte 
part  de  sa  succession,  celui-là  est  bien  près  d'attendre  avec  impatience 
le  moment  de  la  recueillir,  celui-là  est  bien  près  de  haïr  son  père. 
Voyez  ces  procès  éternels,  voyez  ces  manœuvres  et  ces  artifices  par 
lesquels  la  cupidité  abusait  de  la  faiblesse  des  pères  :  voyez  l'opu- 
lence d'un  frère  insultant  à  la  misère  d'un  autre  frère.  Cette  loi,  qui 
produit  d'aussi  funestes  effets,  qui  tend  à  anéantir  les  mœurs  privées, 
et  par  conséquent  les  mœurs  publiques,  je  ne  vous  rappellerai  pas  que 
le  hasard  seul  l'a  transplantée  chez  nous.  Je  ne  vous  rappellerai  pas 
que  chez  les  Romains  la  puissance  d'un  père  sur  ses  enfans  repré- 
sentait celle  d'un  maître  sur  ses  esclaves  ;  que  cette  puissance  était 
marquée  par  le  pouvoir  atroce  de  vie  et  de  mort.  Cette  puissance  était 
si  révoltante,  que  toutes  les  lois  de  Rome  se  sont  par  la  suite  appli- 
quées à  la  modifier,  parce  qu'en  effet  elle  était  l'opprobre  des  lois 
sociales,  et  qu'elle  n'eût  jamais  été  admise  chez  une  nation  policée. 
Je  dirai  qu'il  n'y  a  de  sacré  dans  la  puissance  paternelle  que  l'auto- 
rité qui  [ui  est  confiée  ;  que  cette  autorité  est  bornée*  par  la  nature 
aux  besoins  de  ceux  pour  qui  elle  est  instituée,  et  non  pas  pour  l'utilité 
personnelle  des  premiers  protecteurs  de  l'enfance.  Je  dirai  que  le 
législateur  viole  la  nature  lorsqu'il  franchit  ces  bornes  sacrées,  lorsque, 
par  le  plus  absurde  de  tous  les  systèmes,  il  prolonge  inutilement  l'en- 
fance de  l'homme,  et  le  ravit  et  à  lui  même  et  à  la  patrie...  Je  con- 
clus de  tout  ce  que  je  viens  de  dire  que  l'égalité  des  successions  ne 
peut  être  dérangée  par  les  dispositions  de  l'homme  ;  mais  je  n'en 
conclus  pas  que  la  faculté  de  tester  doive  être  entièrement  anéantie. 
Je  crois  que  le  citoyen  peut  être  le  maître  de  disposer  d'une  partie 
de  sa  fortune,  pourvu  qu'il  ne  dérange  pas  ce  principe  d'égalité  envers 
ses  héritiers.  Mon  avis  est  donc  qu'on  ne  puisse  favoriser  aucun  de 
ses  héritiers  au  préjudice  de  l'autre,  soit  en  ligne  directe  soit  en  ligne 
collatérale,   sauf  les  cas  qui  seront  déterminés  par  la  loi.   »  (7» 

(7)  Texte  reproduit  dans  Je  Moniteur,  VIII,  56-57  ;  Bûchez  et 
Houx,  IX,  299-302;  et  utilisé  par  la  Gazette  nationale  ou  Extrait.., 
t.   XV,  p.   *15.à  419. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  189 

Courier  Français,    n°    37,    p.    283. 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),    1791,   n°   95,   p.   3. 

Le  Législateur  Français,  6  avril   1791,  p.  6. 

«  M.  Robertspierre  a  rouvert  la  discussion  sur  l'inégalité  résultante 
de   la   volonté   de    l'homme. 

La  législation  de  tous  les  pays,  a-t-il  dit,  a  sans  cesse  varié  sur 
ce  point,  et  particulièrement  en  France,  dont  une  partie  a  la  faculté 
illimitée  de  rester,  à  l'autre  en  est  privée  absolument,  et  par  les  loix 
les  plus  sévères  ;  il  s'agit  de  savoir  si  cette  faculté  sera  uniforme  pour 
toutes  les  parties  de  l'empire,   et  quelles  en  seront  les  bornes. 

Si  nous  consultons  la  nature,  elle  nous  dira  que  les  hommes  sont 
tous  égaux  à  ses  yeux,  et  qu'un  frère  a  autant  de  droit  qu'un  autre 
frère,  au  partage  égal  d'un  patrimoine  commun.  Elle  a  mis  dans  le 
coeur  de  r homme  un  sentiment  de  tendresse,  que  doivent  partager  éga- 
lement tous  les  êtres  à  qui  il  a  donné  le  jour,  et  auxquels  il  doit  indis- 
tinctement  l'affection   paternelle. 

Elle  répondra  encore  que  l'homme  qu'elle  a  jeté  sur  un  point 
du  globe,  a  droit  aux  fruits  que  la  terre  porte  pour  entretenir  quelques 
momens  sa  frêle  existence  mais  aussitôt  qu'il  cesse  d'être,  elle  lui 
retire  les  dons  qui  ne  lui  sont  plus  utiles  pour  les  remettre  un  moment 
encore   en   d'autres   mains,    qui   doivent   bientôt   aussi    les  quitter. 

Ensuite,  se  portant  sur  des  considérations  politiques  et  sociales, 
il  a  vu  dans  la  faculté  sans  bornes  de  donner  un  bien,  qu'on  est  près 
de  quitter,  le  système  le  plus  propre  à  détruire  l'égalité,  seul  gage  de 
la  durée  des  empires  et  de  la  prospérité  des  nations,  qui  ne  peuvent 
long-temns  conserver  leur  liberté,  lorsqu'un  petit  nombre  peut  accu- 
muler des  fortunes  immenses,  et  que  la  masse  du  peuple  dans  l'indi- 
gence se  trouve  à  la  merci  du  riche,  toujours  porté  à  faire  de  ces 
hommes  l'instrument  de  son  orgueil  et  le  jouet  de  ses  caprices  et  de 
ses    fantaisies. 

Alors,  disoit-il,  les  loix  ne  sont  qu'un  lien  de  plus  qui  enchaîne 
à  l'esclavage  ;  l'homme  avilit  l'homme  ;  le  vice  est  couronné  par  des 
signes  révérés,  et  la  vertu  rejetée,  ou  plutôt  elle  n'est  qu'un  vam  nom. 
Les  moeurs  se  dépravent  et  sont  bientôt  corrompues;  le  génie  de  la 
liberté  est  anéanti,  et  le  despotisme,  avec  sa  barbare  escorte,  se  replace 
sur  le   trône. 

L'ordre  des  choses  tend  sans  cesse  à  déranger  l'égalité  naturelle. 
C'est  aux  loix  à  réparer  les  ravages  du  temps,  quand  elles  n'ont  pu 
les  prévenir  ;  les  principes  de  la  raison,  de  la  justice  et  de  l'utilité 
publique  seraient  en  vain  cités,  sans  le  secours  des  loix.  Dès  que  le 
dogme  absurde  de  l'inégalité  est  introduit  et  reconnu,  l'homme  de 
passion  domine  et  commande  déjà,  et  l'homme  de  raison  a  toutes  les 
facultés  enchaînées. 

Les  contradictions  sans  nombre  qui  souillent  notre  ancienne  légis- 


190  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

lation,  montrent  assez  à  quoi  l'on  s'expose,  quand  on  s'écarte  des 
routes  de  la  nature;  l'homme  qui  n'est  plus  n'emporte-t-il  pas  aussi  la 
volonté  dans  le  tombeau  ?  faut-il  que  ses  cendres  commandent  encore 
avec  orgueil  à  l'homme  qui  lui  survit  ?  Le  coin  de  terre  qu'il  possé- 
doit  a  cessé  d'être  sa  propriété,  et  rentre  dans  le  domaine  social.  Il 
ne  faut  pas  croire  que  les  testateurs  seront  plus  sages  que  la  loi,  et 
en  conclure  que  l'homme  doit  conserver,  au  moment  où  son  existence 
lui  échappe,  le  pouvoir  d'en  disposer  à  son  gré.  Les  exemples  sont 
pour  nous  et  doivent  nous  guider  pour  l'avenir,  parce  que  les  généra- 
tions  sont   ressemblantes. 

Quel  moment,  disoit-il  en  finissant,  saisit  l'homme  pour  se  dé- 
pouiller ?  celui  où  sa  raison  s'affoiblit,  où  toutes  les  facultés  dispa- 
roissent,  et  où  son  âme  affaissée  sous  le  poids  de  la  douleur,  n'est 
plus  capable  d'acte  qui  porte  l'empreinte  de  la  raison,  et  où  son  choix 
et  la  préférence  est  l'effet  du  hasard  et  du  délire  ;  et  si  le  moribond 
conserve  encore  quelque  force,  c'est  pour  ne  s'occuper  que  d'objets 
de  vanité  et  d'orgueil,  dicter  son  testament;  et  c'est  celui  qui  avoit 
beaucoup,   qui   est  appelé   au  partage   de   ses  dépouilles. 

Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  discuter  la  digression  de  l'orateur 
sur  l'effet  de  la  faculté  de  tester,  considérée  sous  des  vues  domesti- 
ques ;  nous  dirons  seulement  qu'il  a  démontré  que  celui  qui  honore 
son  père  par  intérêt,  est  bien  digne  de  mépris  et  de  haine,  et  qu'il 
n'y  a  de  bon  et  de  sacré  dans  l'autorité  paternelle,  que  ce  que  la 
nature  y  a  mis,  et  non  ce  qui  y  a  été  ajouté  par  les  passions  humaines.» 

Journal  de  la  Noblesse,  t.    I,  n°    16,   p.   476. 

«  M.  Robespierre  n'est  point  tombé  dans  cette  erreur  de  M.  de 
Mirabeau  (8).  Il  ,a  vu  dans  les  lois  romaines,  et  non  pas  dans  le  droit 
des  anciens  Celtes,  ou  des  anciens  Français,  les  abus  des  testamens. 
Il  a  peint  ces  abus  avec  beaucoup  d'éloquence,  et  sa  conclusion  a  été 
la  même  que  celle  de  M.  de  Saint-Martin  (9).  Ce  dernier  avoit  montré 
en  quoi  les  testamens  étoient  justes;  M.  Robespierre  s'est  attaché  à 
la   partie   contraire. 

«  Voyez,  a-t-il  dit,  ce  qui  se  passe  dans  les  pays  de  droit  écrit  ; 
la  loi  de  l'égalité  des  successions  y  règne  :  mais  une  autre  loi  permet 
à  l'homme  d'éluder  par  un  testament  les  dispositions  de  la  loi,  et 
la   loi   est   nulle  et   sans  effet... 

La   piété    filiale    ne   peut   reposer    sur    d'autres    bases   que    sur    la 

(8)  On  trouve  le  texte  du  discours  rédigé  par  Mirabeau  et  lu 
par  Tallevra  ai  au  début  de  cette  séance  aux  Arch.  nat.,  AD  XVIII 
et.  164;  dans  1-e  Moniteur.  VII.  34;  Bûchez  et  Roux,  IX.  238 ;  et 
Les  Arch.   pari.,  XXIV.  510. 

(9)  De  iSaint-Martin,  avocat,  député  suppléant  du  tiers  état  d~- 
ia    sénéchaussée   d'Annonay,    remplaçant    Dodde,    démissionnaire. 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  191 

nature,  sur  les  soins,  la  tendresse,  les  mœurs  et  la  vertu  des  pères. 
La  vertu  ne  peut  être  entée  sur  l'intérêt  personnel  et  sur  la  cupidité. 
Celui  qui  ne  respecte  son  père,  que  parce  qu'il  espère  une  plus  forte 
part  dans  sa  succession,  est  bien  près  d'attendre  avec  impatience  le 
moment  de   la  recueillir... 

Chez  les  Romains  la  puissance  d'un  père  sur  ses  enfans,  rrprc- 
sentoit  celle  d'un  maître  sur  ses  esclaves  ;  cette  puissance  étoit  mar- 
quée par  le  pouvoir  atroce  de   vie  et  de  mort.    » 

L'orateur  a  cherché  à  résoudre  le  problème  de  savoir  si  l'homme 
peut  disposer  de  la  terre  qu'il  a  cultivée,  après  .qu'il  est  réduh  en 
poussière  ;  il  s'est  déterminé  pour  la  négative.  Il  veut  qu'après  sa 
mort,  la  propriété  de  l'homme  retourne  au  domaine  public  de  la  société.» 

Journal  de  Normandie,    1791,   n°   96,  p.   462. 

«  M.  Robertspierre.  Conserverez- vous  la  faculté  de  tester  ?  et 
dans  le  cas  où  vous  vous  prononceriez  à  l'affirmative,  quelles  seront  les 
limites  de  cette  faculté  ?  Telles  sont  les  questions  à  examiner. 

Vous  avez  décrété  l'égalité  de  partage  dans  les  successions.  Or, 
je  soutiens  qu'elle  est  incompatible  avec  cette  faculté  de  tester,  avec 
cette  faculté  de  favoriser  un  enfant  au  préjudice  de  l'autre.  Une  telle 
faculté  répugne  à  la  nature  et  à  la  raison  :  à  la  nature,  parce  que 
formés  du  même  sang,  tous  les  enfants  ont  droit  aux  mêmes  avantages  ; 
à  la  raison,  parce  qu'elle  intervertit  l'ordre  social.  Il  y  adroit  une  con- 
tradiction manifeste  à  l'admettre  ;  et  quel  seroit  le  motif  d'une  pareille 
admission  ?  Sur  quel  fondement  est-elle  appuyée  ?  L'homme  peut-il 
disposer  de  cette  portion  de  la  terre  dont  il  a  joui,  lorsqu'il  n'est  plus 
lui-même  qu'une  vile  poussière  ?  Vous  avez  sagement  proscrit  les  pri- 
vilèges, les  distinctions  ;  et  qui  ne  voit  que  ce  seroit  un  moyen  de  les 
ressusciter  ?  qui  ne  voit  qu'un  pareil  usage  n'a  pu  prendre  son  origine 
que  dans  l'orgueil  qui  nous  maîtrise,  orgueil  qui  nous  survit,  et  que 
nous  cherchons  à  nourrir  ,même  après  que  nous  sommes  descendus  au 
tombeau  Je  conclus  donc  à  ce  que  nul  ne  puisse  favoriser  aucun 
héritier  au  préjudice  de  l'autre,  soit  en  ligne  directe,  soit  en  ligne 
collatérale.  Tel  est  le  précis  du  discours  de  M.   Robertspierre.    » 

Courier  de  Provence,  t.   XIV,  n°   279,  p.    100. 

«  M.  Robespierre  est  aussi  un  de  ceux  qui  se  sont  déclarés  enne- 
mis des  inégalités  arbitraires.  Outre  que  la  nature  répugne  à  ce  que 
des  enfans  partagent  inégalement  les  biens  de  leur  père,  il  trouve,  avec 
raison,  que  l'inégalité  des  fortunes,  est  la  source  de  cette  inégalité 
politique,  qui  détruit  la  liberté.  «  Vous  n'avez  donc  rien  fait,  ajoute- 
t-il,  pour  îe  bonheur  public,  si  toutes  vos  institutions  ne  tendent  pas  à 
détruire  cA':t  trop  ^r^nde  inégalité  dans»  les  foi'cunes.  '  eus  aviez  deji 
réglé  l'égalité  des  successions  ab  intestat,  permettrez  vous  au  caprice 
d'un  individu  de  déranger  cet  ordre  établi  par  la  sagesse  de  la  loi  7  » 


192  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

L'orateur  a  peint  avec  force  l'état  d'un  homme  qui  fait  son  tes- 
tament. Le  plus  souvent  il  est  à  l'heure  de  la  mort,  par  conséquent 
affoibli  par  l'âge,  absorbé  par  la  maladie,  assiégé  par  les  préjugés 
qui,  dans  ces  moraens  de  crise,  reprennent  tout  leur  empire  sur  la  plu- 
part des  testateurs,  quelques  raisonnables  et  éclairés  qu'ils  ayent  été 
pendant  leur  vie.  Que  de  pièges  la  cupidité  et  l'intrigue  ne  tendent-ils 
pas  en  tout  temps  à  celui  qui  veut  écrire  ses  dernières  volontés  ?  Les 
testamens  sont  l'écueil  de  la  foiblesse  et  de  la  crédulité,  le  signal  de 
la   discorde    dans   toutes   les   familles. 

M.  Robespierre  termine  par  demander  qu'il  ne  soi1:  pas  permis 
de  favoriser  un  héritier  au  préjudice  de  l'autre,  soit  en  ligne  directe, 
soit  en  ligne  collatérale,  sauf  les  cas  qui  seront  déterminés  par  la  loi.   » 

Journal  Général,    1791,   n°    65,   p.    260. 

«  La  discussion  sur  les  successions  se  r'cuvre.  M.  Robertspierre 
s'élève  avec  force  contre  l'usage  de  tester  ;  usage  qui  lui  semble  con- 
traire au  Décret  adopté  qui  admet  l'égalité  des  partages.  Il  reproduit 
cette  idée  de  quelques  Philosophes,  qui  n'en  ont  pas  moins  fait  ieur 
testament  quand  ils  avoient  de  quoi  ;  Qu'un  homme  ne  peut  pas  dis- 
poser de  ses  biens  pour  un  temps  où  il  sera  poussière  ;  qu'après  la 
mort  du  Citoyen,  ses  propriétés  rentrent  dans  la  masse  commune  :  mal- 
gré celte  rentrée  dans  la  masse  commune  qui  donneroit  à  tous  le  droit 
de  les  partager,  il  n'en  pense  pas  moins  que  le  bien  de  la  Société 
exige  qu'ils  soient  seulement  partagés  également  entre  tous  les  Mem- 
bres de  la  même  famille.  «  On  m'objecte  que  les  enfans  auront  plus 
de  respect,  plus  d'amour  pour  les  parens  lorsqu'ils  seront  animés  par 
l'espoir  des  récompenses.  Je  réponds  à  cela  que  la  piété  filiale  doit 
être  indépendante  du  vil  intérêt  ;  que  cet  intérêt  même  est  contraire 
à  l'amour  qui  doit  seul  être  inspiré  par  la  nature,  que  l'enfant  parvenu 
au  point  de  désirer  et  de  convoiter  le  bien  de  son  père,  est  bien  près 
de  haïr  l'auteur  de  ses  jours.  Quoi  qu'il  y  ait  un  peu  loin  de  cette 
haine  au  plus  ou  moins  de  zèle  que  peuvent  témoigner  des  enfans, 
quoique  ce  droit  de  disposer  puisse  n'être  qu'un  moyen  de  plus  pour 
seconder  les  sentimens  que  la  nature  inspire  ;  et  punir  ceux  des  enfans 
qui  ne  les  suivroient  pas,  l'Orateur  croit  au  moins  seconder  la  philo- 
sophie, en  concluant  à  ce  que  nul  homme  n'ait  le  droit  de  privilégier 
un  héritier  au  préjudice  des  autres,  soit  en  ligne  directe,  soit  en  ligne 
collatérale.  D'assez  violens  murmures  annoncent  à  M.  Robertspierre  que 
sa  philosophie  n'est  pas  celle  de  l'Assemblée.    » 

Journal  Général  de  France,  n°  96,  p.  381/2. 

«  La  discussion  sur  les  Successions  étoit  à  l'ordre  du  jour.  M.  Ro- 
bertsDierre  a  fait  observer  que  la  Législation  de  tous  les  pays  a  varié 
sur  l'inégalité  qui  résulte  de  la  volonté  de  l'homme.  Il  a  présenté 
tous  les  hommes  comme  égaux  aux  yeux  de  la  nature,  et  il  a  prétendu 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  193 

qu'il  importait  de  conserver  cette  égalité,  autant  qu'il  étoit  possible, 
dans  un  Etat  bien  constitué.  L'ordre  des  choses,  a-t-il  dit,  tend  sans 
cesse  à  déranger  l'égalité  naturelle.  C'est  aux  Loix  à  réparer  les  rava- 
ges du  temps,  quand  elles  n'ont  pu  les  prévenir.  Dès  que  le  dogme 
absurde  de  l'inégalité  est  introduit  et  reconnu,  l'homme  de  passion 
domine  et  commande  déjà,  et  l'homme  de  raison  a  toutes  les  facultés 
enchaînées. 

Mais  nous  sera-t-il  permis  de  demander  à  M.  Robertspierre,  où 
il  prend  dans  la  nature  le  modèle  de  cette  chimérique  égalité  que  les 
Législateurs  François  encensent  avec  tant  de  vénération  ?  n'est-elle  pas 
comme  le  beau  idéal,  qui  n'a  jamais  existé  que  dans  l'imagination 
des  Artistes  ?  Disons  mieux  :  l'inégalité  semble  être  au  contraire  la 
plus  grande  règle  de  la  nature  ;  sans  elle,  plus  de  variété,  plus  de 
richesses  ;  sans  elle  une  monotonie  repoussante  se  feroit  appercevoir 
par-tout.  Laissons  maintenant  la  nature,  et  revenons  aux  individus  seuls, 
et  supposons  tous  les  hommes  égaux  en  richesses,  comme  il  paroît  que 
M.  Robertspierre  desireroit  qu'ils  fussent  ;  mais  seront-ils  également 
industrieux,  également  forts  ?  Non  sans  doute.  Comment  feront  donc 
les  paresseux  et  les  foibles  pour  obtenir  des  services  de  ceux  qui 
n'auront  pas  besoin  de  les  leur  accorder  }  Ils  s'en  passeront,  répon- 
dra-t-on.  Fort  bien  ;  mais  les  hommes  ne  seront  donc  pas  également 
heureux  ?  En  vérité  tous  les  beaux  raisonnemens  qu'on  a  faits  à  l'As- 
semblée Nationale  sur  deux  êtres  fantastiques,  la  liberté  et  l'égalité, 
ne  nous  ont  pas  fait  avancer  d'un  seul  pas  vers  le  bonheur,  et  au  Heu 
de  tout  ce  beau  parlage,  il  vaudroit  sans  doute  mieux  s'occuper  de 
rendre  les  François  plus  heureux  en  employant  tous  les  moyens  possi- 
bles pour  leur  ôter  des  impôts  et  leur  donner  la  paix.   » 

La  Bouche  de  Fer,  nc  40,  p.  80. 

<(  Roberspierre  a  vu  la  question  sous  un  point  de  vue  plus  philo- 
sophique que  les  orateurs  de  l'autre  séance.  L'homme  n'a  pas  le  droit 
de  violer  la  loi  qui  consacre  l'égalité  des  partages  :  les  dispositions 
testamentaires  tendent  à  augmenter  l'inégalité  des  fortunes  à  corrompre 
les  mœurs,  à  enraciner  le  despotisme.  L'homme  ne  peut  disposer  de  sa 
propriété  après  sa  mort,  elle  retourne  au  domaine  public  de  la  société.  » 

Le  Courrier  des  LXXX1II  Départemens,  t.  XXIII,   n°   7,  p.    108. 

M.  Robertspierre  :  L'égalité  des  partages  est  décrétée,^  il  reste 
à  décider  la  faculté  de  tester,  l'ouvrage  de  M.  Mirabeau  lève  toute 
discussion  à  cet  égard,  et  tout  ce  que  je  pourrois  dire  seroit  affoibli  par 
les  raisonnemens  et  la  justesse  des  idées  de  ce  grand  et  profond  légis- 
lateur ;  je  me  restreins  à  demander  que  l'Assemblée,  suivant  son  sys- 
tème d'égalité,  décrète  que  nul  ne  pourra  favoriser  aucun  de  ses  -héri- 
tiers au  préjudice  de  l'autre,  soit  en  ligne  directe,  soit  en  ligne  colla- 
térale. 


194  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

L'Ami  du  Roi  (Royou),   1791,  n°  325,  p.  3. 

«  Aussi  je  ne  daignerai  dire  qu'un  mot  des  misérables  et  puériles 
raisons  alléguées  par  les  ennemis  de  toute  autorité,  de  tout  joug,  par 
les  Mirabeau,  les  Pethion,  les  Robespierre,  contre  l'autorité  paternelle.» 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  La  Feuille  du  Jour, 
t.  111,  n°  96;  Le  Journal  Universel,  t.  X,  p.  3997;  Le  Journal  de 
Paris,  6  avril  1791,  p.  387  ;  Le  Journal  des  Débats,  t.  XIX,  n°  678, 
p.  3  ;  La  Vedette  ou  Précis  de  toutes  les  Nouvelles  du  Jour,  6  avril 
1791 ,  p.  8;  Le  Patriote  François,  n°  606,  p.  367.] 


255.  —  SEANCE  OU  5  AVRIL  1791  (soir) 
Sur  la  députation  de  l'assemblée  coloniale  de  St-Marc  (suite) 


Conformément  à  son  décret  du  31  mars  (1),  l'Assemblée  natio- 
nale admet  à  ls>  barre,  la  députation  de  la  ci-devant  assemblée 
■coloniale  de  Saint-Marc,  et  le  président  accorde  la  parole  à  Linguet, 
ison  conseil.  Barnave  intervient  longuement  après  Linguet,  et  pro- 
pose: 1°  Que  les  comités  de  constitution,  de  la  marine,  d'agriculture 
et  du  commerce,  se  réunissent  au  comité  colonial,  pour  examiner 
les.  instructions  qui  y  ont  été  rédigées  pour  l'organisation  des 
colonies  ;  2°  Que  soit  renvoyée  aux  mêmes  comités  réunis,  la  pétition 
des  membres  de  la  ci-devant  assemblée  générale  de  Saint-Marc, 
pour  présenter  à  l'Assemblée,  les  dispositions  qu'il  conviendra  de 
prendre  à  leur  égard. 

Malgré  Robespierre  qui  s'opposa  à  la  seconde  partie  de  la 
motion,  le  projet  de  décret  soutenu  par  Barnave,  fut  adopté  pax' 
l' Assemblée. 

Le  Point  du  Jour,   t.   XXI,   n°    632,  p.    71. 

«  M.  Robespierre  a  invoqué  la  question  préalable  sur  la  seconde 
partie  de  la  motion  de  M.  Barnave,  par  la  raison  que  la  discussion 
s'étant  engagée  entre  les  ci-devant  membres  de  l'assemblée  de  Saint- 
Marc,  et  le  Comité  colonial,  ce  devoit  être  nécessairement  au  Corps 
législatif  à  la  décider  »  (2). 

La  Bouche  de  Fer,  suppl.  au  n°  41,  p.  97. 

«  Au  soir,  les  députés  de  l'Assemblée  coloniale  ont  paru  à  la 
barre.  Linguet,  leur  orateur,  a  plaidé  leur  cause  en  avocat.  Barnave 
a  fait  valoir  la  douceur  et  la  longanimité  du  Comité  colonial  en  faveur 
de  ces  hommes,   et  a  demandé  un  nouveau  renvoi  au  Comité,   ce  qui 


(1)  Cf.    ci-dessus,   séance   du   31  mars   1791. 

(2)  Cité    par    E.    Hamel,    T,    406. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  195 

a  passé  malgré  les  réclamations  de  Robertspierre  :  nous  ne  doutons 
pas  qu'ils  n'y  restent  six  autres  mois  à  éprouver  la  douceur  de  leurs 
ennemis.   » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  99,  p.  406. 

«  M.  Roberspierre  parle  au  milieu  des  murmures  qui  l'interrom- 
pent, contre  la  proposition  d'adjoindre  trois  nouveaux  Comités  au 
Comité  colonial   »   (3). 

Journal  des  Etats  Généraux,  t.   XXIII,  suppl.,  p.   46. 

«   M  de  Robespierre.   Je  demande   la  question  préalable   sui    la 

proposition  d'adjoindre   trois   membres   au   comité    colonial,    et   que   de 

même  que  l'affaire  a  été   commencée  elle  soit  décidée   contradictoire- 

ment  entre  le  comité  colonial  et  le  contradicteur,  entendu  à  la  barre  » 
(4). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  des  Débats, 
t.  XIX,  n°  679,  p.  21.] 

(3)  Texte    reproduit   dans    Je   Moniteur,    VIII,    76. 

(4)  Texte   reproduit  dans   les  Arch.   pari.,   XXIV,    596. 


256.  —  SEANCE  DU  6  AVRIL  1791 
Sur  le  projet  d'organisation  du  ministère 


ln  intervention:  Sur  la  nécessité  d'une  discussion  d'ensemble 

Le  7  mars,  l'Assemblée  avait  entendu  le  rapport  de  Démeunier, 
au  nom  du  comité  de  constitution,  soir  l'organisation  du  ministère. 
Après  une  brève  discussion,  l'ajournement  de  ce  plan  avait  été 
décidé   (1). 

iLe  6  avril,  Démeunier,  après  quelques  "observations  sur  le  tra- 
vail du  comité,  'présente  à  l'Assemblée  l'article  premier  du  projet  : 
«  Au  roi  soûl  appartient  le  choix  et  la  révocation  des  ministres  ». 
Après  les  interventions  de  Robespierre,  de  Pétion,  de  Charles 
Lameth ...  l'Assemblée  décida  de  s'occuper  d'abord  du  titre  du 
projet,    relatif   à  la   responsabilité   des  ministres. 

Journal  de  Paris,  n°  98,  p.  393. 

«  M.  de  Roberspierre  a  pris  sur-le-champ  la  parole,  non  sur 
l'article  qui  venoit  d'être  lu,  mais  pour  faire  une  motion  d'ordre  : 
cette  motion  a  été  qu'il  ne  falloit  pas  délibérer  un  projet  de  Loi  de 


(1)  Cf.  ci-dessus,    séances   îles   JaccbÎBS  des  6  et  H   mars    1781. 


196  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

cette  importance  et  présenté  à  V improviste .  On  a  crié  à  M.  de  Robers- 
pierre  qu'il   y  a  deux   mois  que    le  projet   est   imprimé. 

«  On  a  fait  souvent  des  réponses  semblables,  nous  ne  les  croyons 
pas  très-bonnes.  Pour  être  préparés,  les  Orateurs  à  une  discussion,  et 
tous  les  Membres  à  une  délibération,  il  ne  suffit  pas  qu'un  projet  de 
décret  soit  imprimé  depuis  long-tems;  il  peut  arriver  même  que  plus  il 
y  aura  de  tems  qu'il  sera  imprimé,  plus  il  sera  oublié  :  pour  être  prêt 
il  faut  s'en  être  occupé  et  depuis  peu,  autrement  on  l'étudié  dans 
l'Assemblée,  où  il  ne  faudroit  pas  faire  ses  études,  mais  y  porter  le 
produit  des  études  qu'on  a  faites. 

«  M.  de  Roberspierre  a  repris  :  ce  n'est  ni  sans  effroi,  ni  sans 
douleur  que  j'observe  l'esprit  qui  préside  ou  veut  présider  depuis 
quelque  tems  dans  nos  délibérations.  —  C'est  un  très-bon  esprit,  a  dit 
M.  Martineau  (2),  et  c'est  le  seul  mot  qu'on  a  pu  distinguer  parmi 
beaucoup  de  cris  qui  s'élevoient  en  même-tems  contre  l'Orateur.  Cet 
esprit,  a  repris  encore  M.  Roberspierre,  est  celui  qui  sous  le  prétexte 
d'accélérer  nos  travaux  les  accumule  avec  cette  précipitation  qui  fut 
toujours  si  fatale  à  la  raison,  au  bon  et  au  beau.  Il  faut  achever  les 
travaux,  mais  il  n'y  a  d'achevé  que  ce  qui  est  bien  fait,  que  ce  qui 
est  indestructible.  C'est  de  la  constance  du  travail  et  non  pas  de  sa 
précipitation  que  naissent  les  grands  ouvrages.  La  nature  ne  précipite 
rien  dans  ses  opérations,  et  c'est  pour  cela  que  tout  ce  qu'elle  fait 
est  si  parfait.  Je  vous  conjure  donc,  MM.,  d'appeller  l'ajourne- 
ment ou  la  question  préalable  au  secours  de  la  Patrie  et  de  votre  gloire, 
toutes  les  fois  qu'on  voudra  vous  faire  délibérer  sur  de  grands  objets 
que  vous  n'aurez  pas  profondément  médités.   » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXIV,  p.  43. 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  puis  m'empêcher  de  vous  témoigner 
combien  je  suis  effrayé  de  la  précipitation  avec  laquelle  on  veut  adopter 
ce  projet  (murmures).  Je  me  plains  surtout  de  ce  système  suivi  de 
présenter  à  l 'improviste  les  matières  les  plus  intéressantes  pour  le  salut 
de  la  liberté  et  de  justifier  cette  méthode  par  un  motif  qu'on  sait 
bien  être  très  propre  à  faire  impression  sur  l'esprit  de  l'assemblée. 
Oui,  sans  doute,  il  faut  accélérer  nos  travaux;  mais  il  est  criminel 
de  se  servir  de  ce  prétexte  pour  déterminer  des  résolutions  précipitées 
qui  ne  tendent  à  rien  moins  qu'à  renverser  les  bases  que  nous  avons 
donné  à  la  constitution. 

«  Le  seul  parti  raisonnable  à  prendre  sur  le  projet  de  décret, 
c'est  la  question  préalable  que  je  justifie  par  un  seul  mot  r  le  but  de  ce 
projet  c'est  de.  renverser  la  liberté,  c'est  d'anéantir  les  pouvoirs  cornu- 


<2)  Martineau,   avocat  au  Parlement,  député  du  tiers  état  de  la 
Ville  de  Paris. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  197 

tutionnels  établi  par  vos  décrets  précédens,  en  donnant  aux  ministres 
un  pouvoir  immense,  plus  redoutable  que  l'ancien.  Voilà  la  réflexion 
que  je  présente  à  l'Assemblée.  Je  la  supplie,  au  nom  de  la  liberté, 
au  nom  du  bien  public,  au  nom  de  sa  gloire,  de  ne  point  la  repousser 
par  des  murmures  qui  ne  sont  point  dans  son  esprit.  Je  demande  ou 
l'ajournement  de  ce  projet,  ou  la  question  préalable.  Je  demande  au 
moins  que,  si  l'on  ne  veut  pas  ajourner,  on  discute  dans  son  ensemble; 
qu'on  en  rapproche  tous  les  articles,  et  que  l'on  se  rende  compte  à 
soi-même  de  ce  que  j'ai  dit  »  (3). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  98,  p.  401. 

«  M.  Roberspierre.  11  est  impossible  d'être  assez  préparé  pour 
examiner  ce  projet  qu'on  présente  à  l' improviste.  (Plusieurs  voix  :  il  est 
présenté  depuis  deux  mois)  Je  suis  effrayé  de  ce  projet,  et  plus  encore 
de  la  précipitation  avec  laquelle...  (On  murmure).  Je  le  dis  avec  l'effroi 
que  m'inspire  l'esprit  qui,  depuis  quelques  tems,  préside  à  vos  délibé- 
rations (Les  murmures  augmentent,  on  crie  :  à  l'ordre).  Mais  je  ne 
m'effraie  pas  de  cette  manière  d'étouffer  la  voix  de  ceux  qui  veulent 
dire  la  vérité.  Pourquoi  vient-on  nous  présenter  ici  des  projets  à  F  im- 
proviste ?  On  compte  bien  s'appuyer  sur  un  motif  qui  produira  toujours 
un  très-grand  effet;  on  vous  dira  qu'il  faut  accélérer  vos  travaux  (Un 
très  grand  nombre  de  voix  :  Oui,  oui).  Autant  il  est  vrai  qu'il  faut 
accélérer  vos  travaux,  autant  il  est  criminel  de  présenter  à  l' improviste, 
et  sur  ce  prétexte,  un  projet  de  décret  qui  tend  à  détruire  les  bases 
de  la  liberté.  Le  caractère  de  ce  projet,  caractère  imprimé  dans  cha- 
que ligne,  est  d'anéantir  la  liberté  et  les  principes  constitutionnels 
établis  par  les  précédens  décrets,  en  donnant  aux  ministres  un  pouvoir 
immense.  Voilà  l'instruction  essentielle  que  je  présente  à  l'Assemblée 
nationale  (On  entend  quelques  applaudissemens)  »  (4). 

Courrier  d'Avignon,    1791,   n°   90,   p.   357. 

«  Je  ne  crois  point,  a  dit  M.  Robespierre,  que  l'assemblée  soit 
suffisamment  préparée  sur  le  projet  de  loi  qui  vous  est  soumis.  I!  vous 
est  présenté  à  l'improviste.  —  Il  y  a  deux  mois,  s'est-on  écrié  de 
toutes  parts.  —  Je  suis  effrayé,  Messieurs,  des  dispositions  de  ce 
décret.  Oui,  je  l'avoue  avec  douleur;  je  le  dis  avec  effroi  :  l'esprit  qui 
préside  depuis  quelque  temps  à  vos  délibérations...  (Il  s'est  élevé  de 
violens  murmures.  C'est  un  très-bon  esprit,  a  dit  M.  Martineau).  Cet 
esprit.  Messieurs,  c'est  celui  qui  a  dicté  le  système  qui  vous  fait  pré- 
senter   ainsi,    improvisément,    les    matières    les    plus    importantes;    c'est 

(3)  (Le  texte  reproduit  par  les  Arch.  pari.,  XXIV,  606,  est  une 
combinaison  de  ceux  de  Le  Hodey,  du  Moniteur  et  du  Courrier 
d'Avignon. 

(4)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  66,  et  dans  Bûchez 
et  Roux,   IX,  817. 


198  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

celui  qui  fait  répéter  qu'il  faut  accélérer  nos  travaux.  (Oui,  oui,  ont  crié 
plusieurs  voix).  Oui,  sans  doute,  il  faut  accélérer  nos  travaux.  Eh! 
qui  en  est  mieux  convaincu  que  les  amis  de  la  liberté  ?  Mais  autant  il 
est  vrai  qu'il  faut  achever  nos  travaux,  autant  il  est  vrai  qu'il  seroit 
criminel  de  se  servir  de  ce  prétexte  pour  hâter  des  délibérations  de  la 
plus  grande  importance.  Voilà  l'abus  que  je  dénonce,  et  auquel  je  pense 
que  vous  ne  pouvez  remédier  que  par  l'ajournement  ou  par  la  question 
préalable.  {Une  petite  partie  du  côté  gauche  de  l'assemblée,  et  les 
tribunes  ont  applaudi).   » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXI,  n°  635,  p.   75. 

«  Je  suis  effrayé,  s'est  écrié  M.  Robespierre,  de  la  précipitation 
avec  laquelle  on  vous  propose  le  projet  de  décret  sur  le  ministère;  il 
n'y  a  qu'un  seul  parti  à  prendre,  c'est  celui  de  la  question  préalable 
sur  ce  premier  article;  l'adopter,  seroit  renverser  la  liberté  et  anéantir 
la  constitution;  je  vois  avec  douleur  cet  esprit  de  précipitation  qui 
préside  à  vos  séances,  cette  manie  d'étouffer  la  vérité,  ce  système 
éternel  de  présenter  à  l'improviste  les  objets  les  plus  importans,  avec 
des  grands  mots,  répétés  à  tous  les  instans,  qu'il  faut  accélérer  nos 
travaux.   » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),   7  avril    1791,  p.   387. 

«  MM.  Robespierre,  Pethion,  Lameth,  ont  vu  des  dangers 
incalculables  dans  cette  disposition.  Cependant  ne  pouvant  ouvertement 
nier  les  conséquences,  après  avoir  accordé  le  principe,  ne  pouvant 
arracher  un  arbre  planté  à  l'ombre  même  de  la  constitution,  ils  ont  pris 
un  autre  biais;  ils  ont  demandé  qu'on  abandonnât  pour  l'instant  l'ar- 
ticle, et  qu'on  passât  de  suite  à  ce  qui  concerne  la  responsabilité  des 
ministres;  ils  ont  été  exaucés,  et  le  docile  M.  Robespierre  a  présenté 
ses  articles  sur  cette  responsabilité.   » 

Journal  des  Mécontens,  n°  38,  p.   4. 

«  M.  de  Robertspierre  a  dit  :  je  suis  effrayé  de  la  précipitation 
avec  laquelle  on  vo'js  propose  ce  décret  ;  il  n'y  a  qu'un  bon  parti 
à  prendre;  je  vous  le  propose  avec  bonheur  et  pour  la  décharge  de  ma 
conscience  (la  conscience  de  M.  Robertspierre  !  Il  est  donc  bien  calom- 
nié à  Arras  ).   » 

Correspondance    nationale,    n°    16,    p.    93. 

«  On  crie  «  aux  voix,  aux  voix  ».  MM.  Robespierre,  Lameth  et 
Pethion  s'élèvent  avec  force  contre  cet  article;  iis  se  plaignent  amère- 
ment de  la  précipitation  avec  laquelle  on  propose  à  l'improv^te,  une 
question  aussi  importante:  adopter  l'article  proposé,  c'est  renverser  lé 
liberté,  c'est  anéantir  la  constitution;  il  auroit  fallu  avant  de  le  pro- 
poser, décréter  tout  ce  qui  est  relatif  à  la  responsabilité  des  ministres 
en  cas  qu'ils  soient  coupables.  » 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  199 

Gazette  nationale  ou  Extrait...,  t.  XV,  p.  431. 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  sais  comment  on  a  le  courage  de  nous 
proposer  d'aller  aux  voix  sur  un  article  qui  mérite  la  plus  longue 
discussion.  Je  le  dis  à  la  décharge  de  ma  conscience,  la  loi  qu'on 
vous  propose,  est  l'ouvrage  de  quelques  personnes  qui  veulent  mener 
l'assemblée,  et  qui,  sous  le  prétexte  de  terminer  la  constitution,  nous 
pressent  d'adopter  les  mesures  les  plus  destructives  de  cette  même 
constitution.  Je  demande  qu'on  discute,  non  article  par  article,  mais 
l'ensemble  du  plan.  » 
Journal  universel,  t.   XI,  p.   4010. 

«  L'intrépide  Robespierre  s'est  élevé  avec  force  contre  la  préci- 
pitation avec  laquelle  on  traitait  les  objets  les  plus  importants,  comme 
la  manie  éternelle  d'étouffer  la  vérité.  «  Le  seul  parti  à  prendre, 
s'écriait-il,  c'est  la  question  préalable;  car,  adopter  le  premier  article, 
c'est  renverser  la  liberté,  c'est  anéantir  la  Constitution.    > 

...«  L'ami  et  le  défenseur  de  la  liberté,  Robespierre,  avait  raison; 
il  a  été  vigoureusement  secondé  par  le  patriote  Péthion.    » 

Mercure  de  France,    16  avril    1791,   p.    198. 

<(  Cet  article  a  désorienté  M.  Roberspierre,  qui  s'est  ''écrié  sur 
la  cruauté  qu'on  avoit  de  ne  pas  le  prévenir  assez  tôt  pour  qu'il  pût 
improviser;  cet  objet  n'étoit  proposé  que  depuis  deux  mois.  Mais  en 
invoquant  de  toutes  ses  forces  la  question  préalable,  M.  Roberspierre 
s'est  fait  beaucoup  applaudir  du  côté  gauche  et  des  galeries.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  Général, 
n°  66,  p.  264;  L'Ami  de  la  Révolution,  p.  479;  Le  Patriote  Fran- 
çois, n°  607,  p.  372;  Le  Journal  de  la  Noblesse...,  t.  I,  n°  16, 
p.  481;  La  Bouche  de  Fer,  suppl.  au  n°  41,  p.  98;  La  Feuille  du 
Jour,  t.  III,  n°  97,  p.  62;  Le  Courrier  des  LXXXIII  départemens,  n°  7, 
p.  110;  Le  Courier  de  Provence,  t.  XIV,  p.  114;  Assemblée  natio- 
nale, Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XI,  n°  610,  p.  3;  Le  Journal  du 
Soir  (Beaulieu),  n°  96,  p.  3;  Le  Courrier  des  Français,  n°  38,  p.  292; 
Le  Législateur  français,  7  avril  1791,  p.  6;  Le  Journal  de  Normandie, 
n°  97,  p.  470.] 

2''  intervention  :  Sur  la  responsabilité  des  ministres 

L'Assemblée  aborde  la  discussion   sur  le  titre  du   projet   d'orga- 
nisation   du    ministère    relatif    à    la    responsabilité    (5).     Mcnnii,    puis 


(5)  D'après  E.  Hamel,  I,  407,  ce  serait  Cazalès  qui  imprudem 
roenî  aurait  déclenché  cette  discussion  en  proposant  de  donner  an 
roi  le  droit  de  dissoudre  le  Corps  législatif;  Prieur  lui  aurait 
répondu  par  la  proposition  inverse:  il  demanda  de  décréter  que  le 
C&rps  législatif  pourra  déclarer  au  roi.  iquand  il  le  trouvera  néees 
saire,    que    ses    ministres    ont    perdu    la  confiance   de    la   nation." 


200  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Buzot  proposent  le  rétablissement  d'un  article  accordant  au  corps 
législatif  la  faculté  de  demander  au  roi  le  renvoi  des  ministres.  La 
discussion    s'engage    sur    la    rédaction    de    cet    article. 

L'article  présenté  par  Buzot,  fut  rédigé  en  ces  termes  :  «  Le 
corps  législatif  pourra  présenter  au  toi  telle  déclaration  qu'il  jugera 
convenable  sur  la  conduite  des  ministres,  et  même  lui  déclarer 
qu'ils  ont  perdu  la  confiance  de  la  nation.   » 

Courier  Français,  t.  X,  n°   97,  p.  293. 

«  M.  Robertspierre  a  observé  que  la  nation,  que  le  corps  législatif 
représente,  ne  peut  pas  jouer  le  rôle  de  pétitionnaire;  qu'elle  ne  peut 
s'expliquer  envers  le  roi  par  adresse;  que  le  peuple  français  ne  peut 
parler  qu'avec  la  dignité  qui  convient  au  souverain;  et  qu'au  surplus, 
la  législature  devoit  déclarer  au  roi  que  ses  ministres  ne  sont  plus 
propres  au  bien  public.   » 

Journal  de  Paris,   n°   98,  p.   396. 

«  L'article  portoit  que  la  déclaration  seroit  faite  dans  une  adresse. 
Je  demande,  a  dit  M.  de  Roberspierre,  que  ce  mot  soit  changé  :  la 
majesté  de  la  Nation  ne  doit  pas  s'abaisser  au  rôle  de  pétitionnaire. 
Enfin,  après  quelques  autres  débats,  mais  sur  la  rédaction  seulement, 
il  a  été  décrété  que  le  Corps  législatif  pourra  présenter  au  Roi  telle 
déclaration  qu'il  jugera  convenable  sur  la  conduite  des  Ministres,  et 
même  lui  déclarer  qu'ils  ont  perdu  la  confiance  de   la  Nation.    » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),   7  avril   1791,  p.  388. 

«  M.  Robespierre  qui,  le  premier,  l'a  traité,  n'a  vu  dans  l'article 
que  le  seul  mot  adresse  à  reprendre.  Le  mot  a  blessé  sa  fierté,  «  Ce 
n'est  pas  ainsi,  a-t-il  dit,  qu'une  nation  parle  à  son  roi,  et  quand  elle 
énonce  un  vaeu  elle  n'est  pas  suppliante.  » 

«  M.  Robespierre  a  proposé  une  autre  rédaction,  dont  sa  majesté 
s'est  mieux  accomodée  ;  elle  était  ainsi  conçue  :  «  Le  corps  législatif 
pourra,  lorsqu'il  le  jugera  convenable,  déclarer  au  roi  que  ses  ministres 
ont  perdu  la  confiance  de  la  nation.    » 

Journal  des  Débats,  t.  XI\,  n°  679,  p.  31. 

«  M.  Robespierre  a  relevé  le  mot  d'Adresse  au  Corps  législatif, 
employé  dans  l'article  du  Comité;  il  lui  a  paru  indécent  que  le  Corps 
législatif  parlât  comme  Pétitionnaire  au  Roi   »  (6). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Point  du  Jour, 
t.  XXI,  n°  635,  p.  80;  Le  Spectateur  national,  7  avril  1791,  p.  551  ; 
La  Gazette   universelle,   n°   97,   p.   388.] 


(6)   Texte    reproduit  dans   les   Arch.    pari.,    XXIVj    612. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPI&RRE  201 

257.  —  SEANCE  DU  7  AVRIL  1791 
Sur  la  nomination  des  membres  de  lAssemblée  \u  ministère 


L'Assemblée  poursuivant  l'examen  du  projet  d'organisation  du 
ministère,  Robespierre  fait  la  motion  qu'aucun  membre  de  l'Assem- 
blée ne  puisse  être  porté  au  ministère  pendant  les  quatre  ans  qui 
suivront  la   session   (1). 

Après  que  divers  amendements  eussent  été  présentés,  dont 
ceux  de  Bouche  (2)  et  de  Koederer,  l'Assemblée  adopta  le  décret 
suivant,  «  à  la  presqu'unanimité  »  (3):  «  L'Assemblée  nationale 
décrète  constitutionnellement  que  ses  membres  et  ceux  des  législa- 
tures à  venir,  que  les  membres  du  tribunal  de  cassation  ne  pour- 
ront, pendant  quatre  ans  après  avoir  quitté  l'exercice .  de  leurs 
fonctions,  être  nommés  au  ministère,  ni  recevoir  du  pouvoir  exécutif 
ou  de  ses  agents,  aucun  emploi,  place,  don,  gratification,  traite- 
ment et  commission,  d'aucun  genre.  Aucun  membre  du  corps  légis- 
latif ne  pourra  solliciter  aucune  place,  grâce,  du  gouvernement 
ou  des  agents  du  pouvoir  exécutif,  ni  pour  autrui,  ni  pour  lui- 
même.  Le  comité  de  constitution  proposera  la  peine  à  infliger  à 
ceux  qui  contreviendraient  au  présent  décret.   » 

Journal  des^Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIV,  p. 57. 

«  M.  Robespierre.  J'ai  à  faire  à  l'assemblée  une  motion  très 
simple  qui  ne  peut  être  adoptée  utilement  que  dans  le  moment  où  je 
parle,  et  qui  doit  l'être  nécessairement  avant  toutes  celles  qui  tiennent 
au  ministère.  Un  philosophe  dont  vous  avez  honoré  la  mémoire  et  dont 
les  écrits  ont  préparé  là  révolution  et  vos  travaux  a  dit  :  Pour  inspirer 
plus  de  confiance  et  de  respect  pour  les  loix,  le  législateur  doit  en 
quelque  sorte  s'isoler  de  son  ouvrage,  et  s'affranchir  de  tous  les  rap- 
ports personnels  qui  peuvent  le  lier  aux  grands  intérêts  qu'il  a  à  décider. 
Comme  le  moment  où  vous  pouvez  faire  l'application  de  cette  maxime 
la  plus  honorable  à  l'assemblée  est  sans  contredit  le  moment  où,  tou- 
chant à  la  fin  de  votre  carrière,  vous  avez  encore  cependant  à  faire 
des  loix  très  importantes,  et  où  vous  allez  régler  la  responsabilité  et 
les  peines  et  les  avantages  du  ministère,  je  demande  que  ce  que  vous 
avez  déjà  fait  à  l'égard  des  commissaires  du  roi,  vous  le  fassiez  à 
l'égard  des  ministres;  et  je  fais  la  motion  expresse  que,  pendant  quatre 
ans  après  la  fin  de  cette  session,   aucun  membre  de  l'assemblée  natio- 

'(1)  Arch.    mit.    C  50,   633.   Texte   autographe  de  la  motion. 

(2)  Bouche  proposait  d'étendre  cette  mesure  aux  membres  du 
Tribunal  de  Cassation  et  de  la  .Haute  Cour,  ce  iqui  fait  écrire  à 
Rutledge  dans  son  Creuset:  «  Nous  prévenons  M.  Bouche  de  ne 
pas  être  étonné  si  les  esprits  méfiants  ve noient  un  jour  ou  l'autre, 
à  envisager  comme  une  rodomontade  et  un  rafinement  rempli 
de  cautèle,  sa  manière  d'enchérir  sur  les  traits  de  patriotisme  de 
M.    Robespierre.   » 

.(3)  Cf.  le  Point    du  Jour,  t.  XXI,   p.   87. 


202  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

nale  ne  puisse  être  promu  au  ministère  (applaudi),  ni  accepter  aucune 
place  quelconque.  (Aux  voix,  aux  voix). 

[Suivent  plusieurs   interventions   et   motions.] 

«  M  Charles  de  Lameth.  La  motion  de  M.  Robespierre  doit 
donc  d'abord  être  mise  aux  voix,  car  celle  qui  vous  est  faite  postérieu- 
rement n'est  pas  un  amendement.  (Allons,  allons  aux  voix,  c'est  fort 
bon.)  )) 

«  M.  Robespierre  :  Voici  ma  rédaction  :  «  L'Assemblée  natio- 
nale décrète  qu'aucun  membre  de  l'assemblée  actuelle  ni  des  législa- 
tures suivantes  ne  pourra  être  promu  au  ministère,  ni  recevoir  aucune 
place,  dons,  gratifications,  du  pouvoir  exécutif  pendant  4  ans  après 
être  sorti  de  ses  fonctions  »  (4). 

Journal  universel,  t.  XI,  p.  401 1  et  4018. 

«  Avant  d'entrer  dans  la  discussion  de  l'organisation  ministérielle, 
M.  Robespierre  a  demandé  à  fixer  une  motion  d'ordre  :  il  a  voulu 
déjouer  les  intrigants  et  les  ambitieux  de  l'Assemblée  Nationale;  en 
conséquence,  il  a  insisté  pour  que  l'Assemblée  Nationale  décrétât 
qu'aucun  membre  de  la  législature  actuelle,  ni  ceux  des  législatures 
suivantes,  ne  puissent  être  promus  au  ministère  ni  recevoir  dons,  pen- 
sions, gratifications  quelconques  du  pouvoir  exécutif  pendant  la  durée 
de  leurs  fonctions,  ni  quatre  ans  après.  » 

...«  On  accusait  plusieurs  partisans  très  chauds  de  !a  cause 
du  peuple  d'aspirer  au  ministère.  Il  est  certain  que  l'extrême  facilité 
avec  laquelle  ils  permettaient  l'extension  des  prérogatives  du  trône, 
rendait  de  telles  accusations  assez  vraisemblables.  L'inflexible 
Robespierre,  dans  la  crainte  que  des  vues  coupables  n'influencent  sur 
l'achèvement  de  la  constitution,  propose  de  décréter  que  les  membres 
de  l'Assemblée  Nationale  ne  puissent  être  choisis  par  le  roi,  pour 
remplir  les  places  de  ministres,  que  4  ans  après  la  fin  de  la  législature. 
Cette  motion  digne  d'un  vrai  patriote  et  autant  conforme  aux  principes 
qu'à  cette  délicatesse,  plusieurs  fois  manifestée  par  nos  représentants, 
est  vivement  accueillie.  Enfin,  on  a  vu  se  renouveler  la  superbe  scène 
du  4  août  1789.  Cette  bonne  motion  a  amené  une  foule  de  bons  amen- 
dements »  (5). 

Courier  de  Provence,  t.  XIV,  n°  280,  p.   121. 

«    Les    patriotes    doivent    compter    comme    une    de    leurs    grandes 

<4)    Texte    reproduit    dans    les    Arch.    pari.,    XXIV,    621. 

i(5)  Robespierre  vise  particulièrement  le  Triumivirat  (Barnave, 
Duport,  'Alexandre  de  Lameth),  dont  le  dessein  était  de  faire  abroger 
le  décret  du  7  novembre  1789  qui  interdisait  le  ministère  aux  député?. 
Ils  s'appropriaient  ainsi  l'ambition  ministérielle  de  Mirabeau.  (Cf. 
G.    Miohon,   Adrien   Duport,   p.    182  et  s.). 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  203 

victoires  le  décret  rendu  sur  la  motion  de  M.  Robespierre;  il  a  pris 
pour  texte  cette  grande  vérité  énoncée  par  un  philosophe  dont  les  écrits 
ont  préparé  la  révolution  :  «  Pour  inspirer  plus  de  confiance  et  de  respect 
pour  les  lois,  le  législateur  doit,  en  quelque  sorte,  s'isoler  de  son 
ouvrage,  et  s'affranchir  de  tous  les  rapports  personnels  qui  peuvent 
le  lier  aux  grands  intérêts  qu'il  a  décider  »  (6).  M.  Robespierre  a 
ensuite  établi  que  le  moment  le  plus  propre  à  faire,  de  cette  maxime, 
l'application  la  plus  honorable  à  l'assemblée,  est  celui  qui  précède 
l'organisation  du  ministère;  i!  a  terminé  par  demander  que,  pendant 
quatre  ans,  après  la  fin  de  cette  session,  aucun  membre  de  l'assemblée 
nationale  ne  puisse  être  promu  au  ministère,  ni  accepter  aucune  place 
quelconque. 

Les  plus  vifs  applaudissemens  annoncèrent  la  disposition  généreuse 
de  la  majorité. 

Le  Patriote  François,  n°  608,  p.  376. 

«  Un  patriote  vigoureux,  M.  Robespierre,  qui  craignoit  que  des 
vues  criminelles  n'influassent  sur  l'achèvement  de  la  constitution,  a 
proposé  de  décréter  qu'aucun  membre  de  la  convention  actuelle  ne  pût 
accepter  de  place  dans  l'administration  pendant  l'espace  de  quatre 
ans  à  datter  de  la  convention.  Cette  motion  étoit  autant  dans  les  prin- 
cipes que  conforme  aux  sentimens  de  délicatesse  manifestés  plusieurs 
fois  à  l'assemblée.  Aussi  a-t-elle  vivement  applaudi  et  accueilli  cette 
proposition  »  (7) 

Le  Creuset,  t.  II,  n°  31,  p.  84. 

«  La  probité  sévère  et  soutenue,  mais  malheureusement  isolée 
presque  du  patriote  Roberspierre  lui  a  fait  prendre  la  parole,  pour 
mettre  d'avance  un  utile  caveçon  à  l'ambition  honteuse  de  tous  les 
Desmeuniers  du  manège. 

«  Nous  sommes,  a  dit  l'opinant,  sur  le  point  de  mettre  fin  à  nos 
travaux;  nous  allons  décréter  l'organisation  et  la  responsabilité  du 
ministère.  Je  demande,  a-t-il  poursuivi  en  termes  moins  fermes  mais 
équivalens,  pour  notre  honneur,  et  pour  rassurer  les  patriotes  sur  les 
intentions  vénales  et  les  désirs  ambitieux  de  chacun  de  nous,  que  renou- 
velant vos  précédens  décrets,  les  membres  de  l'Assemblée  nationale 
ne  puissent  être  choisis  par  le  Roi,  pour  remplir  les  places  de  ministres, 
que  quatre  ans  après  la  fin  de  la  session.    » 

(6)  Robespierre  reprendra  cette  idée  dans  son  discours  du  16 
mai    1791    sur    la    réélection   des    membres   de    l'Assemblée    nationale. 

(7)  Brissot  se  félicite  tout  particulièrement  d'un  tel  succès  et 
('crit  :  c(  (La  motion  de  M.  ^Robespierre  a  été,  par  un  concert  bien 
rare  entre;  les  indépendans.,  les  Jacobins  et  1789,  appuyée  par 
MM.  Rœderer,  Baumetz,  Charles  Lameth.  Prieair,  Buzot,  Barnave, 
Chapelier   »   (n°  608). 


204  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Courrier  d'Avignon,   1791,  n°  91,  p.  361   et  362. 

«  Dans  la  séance  du  7,  l'ordre  du  jour  appeloit  la  discussion  sur 
l'organisation  du  ministère.  M.  Robespierre  a  demandé  à  faire  une 
motion  d'ordre.  11  a  rappelé  le  décret  dont  feu  M.  Mirabeau  avoit  été 
l'objet,  et  qui  défend  aux  membres  de  l'assemblée  nationale  de  recevoir 
les  fonctions  de  ministre  du  pouvoir  exécutif  (8).  Ce  décret  est  un  de 
ceux  qui  ont  le  plus  honoré  l'assemblée  nationale.  Sa  gloire,  l'intérêt 
de  la  nation,  les  circonstances  même  demandent  qu'elle  étende  aujour- 
d'hui cette  mesure  salutaire,  et  qu'elle  prononce  que,  pendan!  quatre 
ans,  aucun  membre  de  l'assemblée  ne  peut  être  promu  au  ministère.   » 

Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XI,  n°  611.  p.  2 
Courier  Français,  t.  X,  nc  98,  p.. 297. 
Journal  du  Soir  (Beaulieu),  n°  97,  p.  2. 
Le  Législateur  français,  8  avril  1791,  p.  3. 

«  Nous  sommes  sur  le  point,  a  dit  M.  Robertspierre,  de  mettre 
fin  à  nos  travaux;  mais  avant  ce  terme  désiré,  il  nous  reste  encore  à 
décréter  des  objets  d'une  bien  haute  importance,  et  entr  autres,  celui 
qui  est  soumis  actuellement  à  votre  délibération.  Je  demande  qu'il 
soit  décrété  que  les  membres  de  l'assemblée  nationale  ne  puissent  être 
choisis  par  le  roi  pour  remplir  les  places  du  ministère  que  quatre  ans, 
après  la  fin  de  la  session.   » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  99,  p.  407. 
Journal  de  Normandie,  n°   98,  p.   472. 

«  M.  Roberspierre .  J'ai  à  faire  une  proposition  simple  qui  ne 
peut  être  adoptée  que  dans  ce  moment.  Un  philosophe  dont  vous 
honorez  les  principes,  disait  que  pour  inspirer  plus  de  respect  et  de 
confiance,  le  législateur  devait  s'isoler  de  son  ouvrage.  C'est  l'appli- 
cation de  cette  maxime  que  je  veux  vous  proposer,  et  je  fais  la  motion 
qu'aucun  membre  de  cette  Assemblée  ne  puisse  être  porté  au  ministère 
pendant  les  4  années  qui  suivront  cette  session.  (On  applaudit)  »  (9). 

Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  nationale,  7  avril   1791,  p.  26. 

«  Le  précepteur  des  nations,  Jean- Jacques  Rousseau,  a  dit  que  le 
législateur  devoit  s'isoler,  s'oublier,  entièrement  pour  ne  s'occuper  que 
de  l'intérêt  national.  C'est  après  avoir  cité  cette  pensée  du  philosophe, 
qui  plus  que  tout  autre,  a  préparé  la  révolution  que  M.  Robespierre 
a  proposé  de  décréter  qu'aucun  membre  de  l'Assemblée  ne  pourra  être 
au  ministère  que  quatre  ans  après  la  clôture  de  la  session 

(8)  Décret  du   7   novembre   17S9. 

<9)   Texte   reproduit  dans   le   Moniteur,    VIII,    77;   et   Bûchez    et 
Houx,  IX,   317, 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  205 

«  Cette  motion,  trop  motivée  par  la  conduite  de  plusieurs  repré- 
sentai du  peuple,  a  excité  des  applaudissemens.   » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),    1791,  n°  327,  p.  4. 

«  Mais  M.  Robertspierre  l'a  écarté  un  moment  par  une  motion 
extraordinaire  :  il  demande  qu'aucun  membre  de  l'assemblée  ne  puisse 
accepter  une  place  de  ministre,  du  moins  avant  quatre  années  révolues. 
C'étoit  à  qui  renchériroit  le  plus  sur  le  projet  de  M.   Robertspierre.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Courrier  des 
LXXXIII  départemens,  t.  XXIII,  n°  9,  p.  141;  Le  Courrier  extraordi- 
naire, 8  avril  1791,  p.  2;  La  Bouche  de  Fer,  suppl.  au  n°  41,  p.  99; 
La  Correspondance  nationale,  n°  16,  p.  94;  Le  Spectateur  national, 
8  avril  1791,  p.  555;  Le  Postillon  (Calais),  n°  401,  p.  3;  Le  Journal 
général  de  France,  8  avril  1791,  p.  389;  Le  Journal  de  la  Noblesse..., 
t.  I,  n°  16,  p.  482;  Le  Journal  de  Paris,  n°  98,  p.  396;  Les  Révolu- 
tions de  Paris  (Prudhomme),  n°  92;  Le  Point  du  Jour,  t.  XX,  p.  83 
(10);  La  Chronique  de  Paris,  n°  98,  p.  391  ;  Le  Courrier  des  Français, 
n°  39,  p.  306;  Le  Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.  II,  n°  273, 
p.  1  ;  Le  Journal  des  Mécontens,  n°  39,  p.  4;  Le  Journal  général,  n°  67, 
p.  267;  La  Gazette  nationale  ou  Extrait,  t.  XVI,  p.  5.] 

(10)    Cité   par    E.    Hamel,    I,    407. 


258.  —  SEANCE  DU  8  AVRIL  1791 

Sur  la  durée  de  la  prescription 
en  matière  de  responsabilité  ministérielle 


L'examen  du  titre  sur  la  responsabilité  des  ministres  se  pour- 
suit. Malgré  l'intervention  de  Robespierre,  l'Assemblée  adopte 
l'art.  8,  sous  cette  rédaction  :  «  iL'acnon  en  matière  criminelle,  ainsi 
que  l'action  accessoire  en  dommages  et  intérêts  pour  faits  d'admi- 
nistration d'un  ministre  hors  de  place,  sera  prescrite  au  bout  de 
Crois  ans  à  l'égard  du  ministre  de  la  marine  et  de  celui  des  colo- 
nies, et  au  bout  de  deux» ans  à  l'égard  des  autres.  La  prescription 
n'aura  jamais  lieu  pour  les  atteintes  portées  à  la  liberté  indivi- 
duelle.  » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIV,  p.  91. 

«  M.  Robespierre.  Je  cherche  vainement  une  raison  pourquoi  les 
crimes  des  ministres  seroient  plus  privilégiés  que  ceux  des  autres 
citoyens;  pourquoi  les  crimes  des  citoyens  ne  sont  prescrits  que  par 
vingt  années,  ceux  des  ministres  le  seroient  par  deux  ou  trois  ans. 
Mais  je  ne  suis  point  embarrassé  à  trouver  des  raisons  pour  prouver 
que  ce  n'est  point  en  faveur  des  délits  ministériels  qu'il  faut  adoucir 
la   rigueur   des   loix,    mais   qu'il    faudrait   encore    l'augmenter,    d'abord 


206  L.ES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

parceque  les  délits  des  ministres  sont  plus  dangereux,  ont  des  consé- 
quences infiniment  plus  funestes,  en  ce  qu'il  est  plus  difficile  aux  loix 
d'atteindre  un  ministre  coupable  que  d'atteindre  un  citoyen  isolé  et 
sans  appui;  ensuite  parce  que,  d'après  l'article  précédent,  vous  avez 
environné  le  ministre  d'une  très  forte  barrière  contre  l'action  des 
citoyens,  en  exigeant  qu'il  obtienne  un  décret  du  corps  législatif.  Il 
faudroit  augmenter  cette  sévérité  si  l'on  pouvoit  établir  l'inégalité  des 
peines  entre  les  citoyens.  Je  demande  donc  la  question  préalable  sur 
le  temps  de  la  prescription   »   (1). 

Chronique   de   Paris,    n°    99,   p.   395. 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.  II,  n"  274. 

«  M.  Roberspierre  s'est  élevé  contre  l'article  :  Je  cherche  en  vain, 
a-t-il  dit,  pourquoi  les  crimes  des  ministres  seroient  privilégiés,  pour- 
quoi trois  ans  d'oubli  de  leurs  crimes  les  effaceroient,  tandis  que  les 
fautes  des  citoyens  ne  sont  prescrites  que  par  vingt  ans.  Le  comité 
conviendra  sans  doute  avec  moi,  que  les  crimes  des  ministres  sont  plus 
dangereux  que  ceux  des  simples  particuliers.  On  conviendra  peut-être 
aussi  qu'il  sera  plus  difficile  aux  lois  d'atteindre  un  ministre,  qu'il  ne 
leur  sera  difficile  de  frapper  un  citoyen  isolé  et  sans  appui.  Enfin  on 
doit  observer  que  ce  sera  déjà  une  prérogative  assez  belle  pour  le 
ministre,  que  d'être  enceint  de  toutes  les  formalités  que  l'on  sera  forcé 
de  traverser  pour  aller  l'attaquer.  Ces  formalités  ne  mettront  que  trop 
souvent  son  crime  sous  l'égide;  je  demande  la  question  préalable  sur 
le  terme  de  la  prescription  fixé  par  le  Comité.   » 

Le  Courrier  des  LXXXIII  départements,  t.   XXIII,   n°   9,  p.    143. 

«  Pourquoi  cette  discussion,  s'est  écrié  M.  Robespierre,  un  crime 
commis  n'importe  dans  quel  tems  est  toujours  un  crime.  Un  citoyen 
coupable  peut  être  poursuivi  toute  sa  vie,  pourquoi  les  ministres  seroient- 
ils  privilégiés  ?  Le  tems  efface-t-il  donc  les  crimes  ?  Si  ceux  des 
ministres  sont  plus  dangereux  que  les  autres,  ils  doivent  être  poursuivis 
en  tout  tems.  On  sait  que  ces  MM.  s'enveloppent  toujours  d'un  voile 
impénétrable.  Si  une  main  hardie  ne  déchire  ce  voile  que  4  ans  après, 
le  crime  restera  donc  victorieux  ?   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Point  du  Jour, 
t.  XXI,  n°  637,  p.  111  ;  et  dans  L'Ami  de  la  Révolution,  8-15  avril 
t.  XXI,  n°  637,  p.  111;  L'Ami  de  la  Révolution,  8-15  avril  1791, 
p.  509;  Le  Journal  général,  n°  68,  o.  275;  Le  Journal  de  Normandie, 
n°  99,  9  avril  1791  ;  Le  Postillon  (Calais),  n°  402,  p.  6.] 


(1)  Texte   reproduit  dans   les  Arch.    pari.,   XXIV,   654. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  207 

259.  —  SEANCE  DU  9  AVRIL  1791 
Sur  la  délimitation  des  fonctions  ministérielles 


Le  projet  de  décret  -sur  l'organisation  du  ministère,  présenté  par 
le  comité  de  constitution  et  rapporté  par  Démeunier  le  7  mars, 
déterminait  longuement  et  avec  précision  les  fonctions  ministériell  js 
(1).  Le  9  avril,  Démeunier  déclare  à  l'Assemblée  que  le  comité 
persiste  dans  son  projet  et  lui  propose  de  le  discuter.  Anthoine 
demande  la  question  préalable  sur  l'ensemble  du  titre  concernant 
les   fonctions   des  ministres.    Robespierre    intervient   après    lui. 

Sur  la  proposition  de  Barnave,  l'Assemblée,  avant  de  passeï 
à  l'examen  du  iprojet  du  comité,  décréta  qu'il  appartenait  au  corps 
législatif  de  statuer  sur  le  nombre,  la  division  et  les  attributions 
des  ministères. 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXI,  n"  638,  p.    118  (2). 

«  M.  Robespierre,  qui  trouvoit  dans  le  plan  du  comité  des  vues 
qui  compromettoient  la  liberté  et  la  constitution,  s'est  exprimé  en  ces 
termes    : 

«  Je  m'oppose  au  projet  proposé  par  le  comité  d'organiser  le 
ministère,  comme  un  pouvoir  nouveau,  distinct  du  pouvoir  royal,  dans 
la  seule  vue  de  l'élever  sur  les  ruines  de   la  puissance  nationale. 

«  Le  Comité  vous  présente  une  suite  d'articles  sous  le  nom  de 
fonctions  des  différens  ministres,  conçus  dans  les  termes  les  plus  vagues, 
les  plus  étendus,  les  plus  équivoques.  A  quoi  sert  ce  tableau  des  fonc- 
tions ministérielles  ?  Elles  sont  fixées  d'avance  par  vos  décrets  sur  toutes 
les  parties  de  la  constitution,  sur  le  pouvoir  exécutif;  car  les  fonctions 
des  ministres  ne  sont  que  les  fonctions  du  pouvoir  exécutif;  c'est  donc 
de  vous  faire  décréter  une  nouvelle  description  de  ces  fonctions;  leur 
donner  une  extension  arbitraire,  à  fournir  à  l'ambition  des  ministres 
un  texte  inépuisable,  pour  aggrandir  leui  pouvoir  et  sapper  insensible- 
ment les  fonderr.ens  de  la  liberté  naissante,  donner  au  ministre  de  la 
justice  le  pouvoir  d'interpréter  les  lois,  c'est-à-dire  d'usurper  le  pouvoir 
législatif;  lui  donner  le  droit  de  maîtriser,  de  gourmander,  d'avilir, 
les  juges  par  de  prétendus  avertissemens  nécessaires,  par  des  ordres, 
par  des  censures  arbitraires,  sous  le  prétexte  vague  de  les  rappeîler  o.  la 
règle,  à  la  décence  de  leurs  jonctions,  de  les  flétrir,  de  les  insulter 
au  moins,  sous  le  prétexte  de  rendre  compte  de  leur  conduite  à  chaque 
législature  ?  Eh  quoi,  un  courtisan,  un  homme  choisi  par  le  caprice  des 
princes,  ou  par  l'intrigue  des  cours  !  Quel  censeur  pour  une  nation  ! 
Quel  système  de  livrer  à  un  ministre  jusqu'à  l'honneur  et  la  tutelle  des 
magistrats  populaires;  à  quoi  sert  encore  ce  projet?  à  investir  ce  qu'on 
appelle  ministre  de  l'intérieur  d'un  pouvoir  aussi  despotique  qu'il  est 

(1)  Cf.   ci-dessus,   séance  du  6  avril   1791. 

(2)  Cf.    E.    Hamol,    I,    409-410. 


208  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

immense;  à  lui  donner  le  droit  d'altérer  sans  cesse  les  principes  consti- 
tutionnels, en  lui  conférant  le  pouvoir  de  régler  ce  qu'on  appelle  vague- 
ment les  détails  relatifs  au  régime  constitutionnel,  à  la  législation,  en 
lui  donnant  une  influence  immense  sur  les  assemblées  primaires,  admi- 
nistratives, sur  toutes  les  assemblées  populaires,  aussi  sous  l'impression 
vague  de  détails  relatifs  à  ces  objets,  c'est-à-dire  en  lui  assurant  les 
moyens  de  renverser  la  base  de  la  liberté  et  de  la  souveraineté  natio- 
nale; que  dis-je,  en  étendant  son  pouvoir  jusque  sur  les  gardes  natio- 
nales, le  plus  ferme  rempart  de  la  liberté,  par  l'expression  générale  de 
force  publique  (3).  Je  ne  veux  point  parcourir  tous  les  articles  de  ce 
projet,  qui  tous  présentent  le  même  caractère  et  tendent  directement 
à  la  perte  de  la  liberté.  De  quoi  pouvons-nous  nous  étonner,  en  pensant 
que  l'on  va  jusqu'à  attribuer  aux  ministres  le  pouvoir  de  faire  arrêter 
les  citoyens  arbitrairement;  que  l'on  a  pu  concevoir  l'étrange  idée  d'en 
faire  des  lieutenans  de  police  généraux  de  l'état;  de  renouveller  les 
lettres-de-cachet  sous  le  nom  de  mandats  d'arrêts;  et  cela  sous  le  plus 
dangereux  des  prétextes,  sous  un  prétexte  servile  digne  du  Sénat  de 
Rome  sous  Tibère  ?  Dans  tous  les  cas,  dit  le  projet,  où  le  ministre 
jugera  que  la  personne  du  roi  est  compromise,  disposition  qui  bientôt 
érigeroit  en  crime  de  lèze  majesté,  les  paroles  mêmes  qui  concerneroient 
l'individu  royal. 

«  Je  ne  dirai  pas  qu'il  seroit  dangereux  de  décréter  ce  projet, 
puisqu'il  seroit  la  ruine  de  la  liberté  et  une  contre-révolution  écrite; 
mais  je  dis  qu'il  seroit  dangereux  même  de  l'examiner;  car  de  toutes 
ces  dispositions  enveloppées  toujours  de  termes  vagues  susceptibles  de 
mille  interprétations  et  de  mille  extensions,  il  resteroit  toujours  quelque 
chose,  d'autant  plus  que  dans  une  assemblée  aussi  nombreuse  il  est 
difficile  d'analyser  rapidement  tant  d'idées  compliquées  et  d'en  saisir 
tous*  les  rapports.  Craignons  les  erreurs  auxquelles  pourroient  nous 
entraîner  !a  précipitation,  les  sophismes,  le  tumulte  :  peut-être  enfin 
toutes  les  causes  qui,  dans  des  occasions  de  cette  nature,  peuvent  éga- 
rer la  sagesse  même  des  législateurs. 

«  Je  demande  que  l'assemblée  nationale  se  borne  à  régler  le  nom- 
bre des  ministres,  leurs  départemens  ;  mais  que  sur  la  fixation  de  leurs 
fonctions,  elle  s'en  réfère  à  ses  décrets  précédens  et  à  l'ensemble  de 
la  constitution  qui  les  a  déterminées.  Les  paraphrases,  les  commen- 
taires, les  tableaux  tueroient  l'esprit  même  de  ces  décrets  »   (4). 


(3)  L'art  5  du  projet  établissait  la  division  du  ministère  de 
l'Intérieur  en  cinq  sections.  La  première  avait  comme  attributions 
«  les  détails  relatifs  au  maintien  du  régime  constitutionnel,  tou- 
chant les  assemblées  de  commune,  par  communautés  entières  ou 
par  sections,  les  assemblées  primaires  et  les  assemblées  électo- 
rales, -.les  •  corps  administratifs,  le  municipalités,  la  force  publique 
intérieure   »... 

(4)  Texte  reproduit  dans  les  Aroh.  pari.,  XXIV,  663,  qui  le 
complètent  avec  l'aide  du  Moniteur  et  du  Journal  des  Etats  Géné- 
raux. 


LES   DISCOURS   DE    ROBESPIERRE  209 

Gazette  nationale  ou  Extrait...,  t.  XVI,  p.  20. 

f<  M.  Robespierre.  Le  projet  du  comité  est  évidemment  contraire 
à  la  loi,  où  le  ministère  est  un  pouvoir  distinct  et  séparé  du  pouvoir 
royal,  où  les  ministres  ne  sont  que  les  préposés,  les  commis  du  Roi  : 
dans  le  premier  cas,  il  seroit  destructif  de  la  puissance  monarchique,  et 
vous-mêmes  vous  porteriez  l'atteinte  la  plus  manifeste  à  vos  principes, 
si  vous  le  définissiez  ainsi  :  oui,  ils  seraient  anéantis,  ces  principes  qui 
nous  sont  si  souvent  objectés,  et  toujours  lorsqu'il  est  question  de  main- 
tenir les  seuls  que  nous  devons  défendre. 

«  Ces  principes  éternels  et  inaltérables  de  liberté,  applicables  à 
toutes  sortes  de  gouvernemens  ;  ces  principes  sacrés  qu'on  affçcte  de 
méconnoître,  lorsqu'il  s'agit  du  pouvoir  ministériel,  et  quand  on  veut 
en  aggrandir  les  prérogatives  et  l'autorité;  c'est  pour  éviter  ce  danger, 
que  j'élève  la  voix,  que  je  m'oppose  de  tout  mon  pouvoir  à  cette  orga- 
nisation du  ministère.  (Il  s'élève  de  grands  murmures.)  Il  s'agit  peut- 
être  en  ce  moment  du  salut  de  l'Etat,  rien  ne  m'en  imposera,  personne 
ne  pourra  me  forcer  au  silence;  et  quoiqu'on  m'oppose  de  la  résistance, 
je  ne  cesserai  de  rappeller  ces  principes  de  liberté  et  de  justice  que 
l'on  cherche  à  méconnoître. 

«  Pourquoi  soumettre  tous  les  citoyens  à  la  censure  d'un  de  ses 
ministres  ?  Pourquoi  accorder  à  celui  de  la  justice,  cette  étendue 
effrayante  d'autorité  ?  Quoi  !  il  ne  me  sera  pas  permis  d'observer,  de 
faire  sentir  les  inconvéniens  d'un  pouvoir  aussi  abusif  ?  Je  ne  pourrai 
pas  dire  ce  que  sont  devenus  tous  les  objets  de  ses  mercuriales  ou  de 
son  indulgence  :  ce  ministre  ne  fera  agir  la  force  de  la  loi,  que  contre 
ceux  dont  il  ne  redoutera  point  la  récrimination,  et  elle  sera  toujours 
muette  pour  les  hommes  en  place,  pour  les  puissans,  pour  ceux,  en  un 
mot,  qui  l'aideront  à  échapper  à  la  responsabilité;  à  quoi  sert-il  encore 
de  déléguer  au  ministre  de  l'Intérieur  cette  immensité  de  pouvoirs  qui 
en  feront  un  despote?  Faut-il  donc  qu'il  ait  le  droit  de  régler  tous 
les  détails  relatifs  au  régime  constitutionnel. 

«  La  censure  attribuée  au  ministre  de  la  justice  et  le  droit  qu'on  lui 
donne  d'interpréter  les  loix,  sont  un  attentat  contre  les  droits  de  l'homme. 

«  Le  pouvoir  accordé  au  ministre  de  l'intérieur  est  aussi  opposé 
aux  bases  constitutionnelles;  la  marche  des  ministres  est  tracée  dans 
nos  décrets,  c'est  à  eux  à  ne  pas  s'en  écarter;  si  nous  nous  livrions  à 
une  opération  de  plus,  nous  ferions  un  acte  dangereux,  ou  tout  au  moins 
inutile:  ce  n'est  pas  à  nous  à  distribuer  aux  ministres  leur  travail;  ce 
soin  appartient  au  pouvoir  exécutif  qui  les  attire  auprès  de  lui.  Enlever 
au  Roi  ce  soin,  ou  plutôt  ce  droit,  ce  seroit  lui  ravir  ce  que  la  consti- 
tution elle-même  lui  donne:  d'ailleurs,  Messieurs,  à  mon  sens,  la  loi 
qu'on  nous  propose  est  vague,  elle  laisse  aux  ministres  les  moyens  d'être 
coupables  avec  impunité. 

«  Je  conclus  à  ce  que  l'assemblée  se  borne  à  fixer  le  nombre  des 
ministres,  et  ne  s'occupe  pas  de  la  distribution  de  leurs  fonctions.  » 

\\W.\  Mil  KIU  .  14 


210  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIV,  p.   101 

«  M.  Robespierre.  En  donnant  au  ministre  de  la  justice  le  droit 
d  interpréter  provisoirement  les  loix,  c'est  lui  donner  une  autorité  défi- 
nitive.; car  les  difficultés  seront  si  multipliées,  qu'il  faudra  bien  que 
l'assemblée  s'en  tienne  aux  décisions  provisoires.  Voilà  donc  la  pre- 
mière atteinte  portée  au  pouvoir  législatif.  A  quoi  tend  encore  ce 
projet  ?  A  donner  au  ministre  de  la  justice  le  pouvoir  de  commander, 
d'intimider,  de  menacer,  d'avilir  les  juges;  le  droit  de  les  dénoncer 
tous  les  deux  ans,  solennellement  au  commencement  de  chaque  législa- 
ture. Et,  certes,  c'est  une  disposition  bien  étonnante,  dans  les  cir- 
constances où  nous  sommes,  que  de  soumettre  tous  les  magistrats  nom- 
més par  le  peuple  à  la  censure  générale  du  ministre,  à  l'accusation 
solennelle  du  ministre  devant  la  magistrature.  (Applaudissemens  dans 
les  tribunes.  Murmures  dans  l'assemblée).  Eh  quoi  donc,  il  m'est  bien 
permis  de  croire  que  ces  magistrats  là  ne  seront  pas  les  plus  mauvais 
citoyens,  ne  seront  pas  les  hommes  les  moins  zélés  pour  la  Patrie  :  il 
m'est  bien  permis  de  croire  que  l'indulgence  du  ministre  pourra  porter 
particulièrement  sur  ceux  qui  seront  les  plus  dévoués  au  ministère.  A 
quoi  sert  encore  cet  article  ? 

«  M.    Martineau.  Vous  n'êtes  pas  dans  la  question. 

«  M.   Prieur,   Il  est  dans  la  question. 

«  M.  Robespierre.  A  donner  au  ministre  de  l'intérieur  un  pou- 
voir qui  n'est  pas  celui  d'un  ministre,  qui  n'est  pas  celui  d'une  magis- 
trature digne  d'un  peuple  libre,  mais  un  pouvoir  de  despote.  Cet  article 
confond  dans  la  main  du  ministre  de  l'intérieur  les  pouvoirs  dont  la 
division  est  le  plus  impérieusement  exigée  par  l'intérêt  de  la  liberté, 
en  ne  l'exprimant  que  d'une  manière  extrêmement  vague;  mais  de  quoi 
pourrait-on  s'étonner,  lorsque  dans  ce  projet  on  va  jusqu'à  donner  au 
ministre  de  la  justice  le  droit  d'arrêter  les  citoyens  s'ils  ont  tenu  des 
propos  sur  la  personne  du  roi  ?  N'est-ce  pas  là  les  lettres  de  cachet 
sous  une  autre  dénomination  ?  Car  que  fait  le  nom  si  l'effet  est  !e  même. 
L'abus  de  pouvoir  n'est-il  pas  également  à  craindre  ?  Il  y  a  du 
danger,  je  ne  [dis]  pas  à  décréter  un  pareil  projet,  mais  même  à 
l'examiner;  car  un  consentement  funeste  peut  échapper  à  l'attention 
fatiguée  des  représentans  de  la  nation.  Bornez-vous  donc,  d'après  les 
principes  de  la  constitution,  à  déterminer  les  limites  des  différens 
pouvoirs,  à  fixer  même  le  nombre  des  ministres,  si  vous  le  croyez 
nécessaire;  mais  arrêtez-vous  là.   » 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),    1791,  n°   99,  p.  2. 
Le  législateur  Français,    10  avril    1791,  p.   3. 
Courrier  des  Français,  n°  41,  p.  322. 

«  M.  Roberspierre  a  trouvé  dans  le  plan  du  comité  des  vues  qui 
compromettoient   la  liberté   et  la   constitution;   la  censure   qui  est  attri- 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  211 

buée  au  ministre  de  la  justice,  et  le  droit  d'interpréter  les  loix,  lui 
ont  paru  un  attentat  contre  les  premiers  droits  de  l'homme;  si  les 
ministres,  disoit-il,  ont  de  pareils  pouvoirs,  n'est-il  pas  à  craindre  qu'ils 
n'en  usent  que  contre  les  partisans  de  la  liberté,  et  que  ceux  qui  iront 
dans  le  sens  ministériel,  ne  puissent  s'assurer  d'avance  d'une  coupable 
indulgence. 

«  Puis  venant  à  l'organisation  intérieure  des  fonctions  ministérielles, 
il  a  pensé  que  le  comité  étoit  diamétralement  opposé  dans  ses  principes 
aux  bases  constitutionnelles.  Les  ministres  ont  leur  marche  tracée  dans 
les  décrets,  disoit-il;  cela  doit  nous  suffire.  Une  opération  de  plus 
seroit  inutile  ou  dangereuse.  Ce  n'est  pas  à  nous  à  leur  distribuer  leur 
travail,  c'est  au  roi  seul  qui  les  a  appelés  auprès  de  sa  personne,  à  leur 
faire  la  distribution  particulière  des  fonctions  qu'ils  doivent  remplir; 
il  seroit  absurde  d'avoir  délégué  au  roi  le  choix  des  ministres,  et  de  ne 
pas  lui  laisser  la  faculté  de  répartir  entre  eux  telle  ou  telle  partie  du 
travail  ministériel,  pourvu  qu'il  n'y  ait  pas  de  confusion  dans  l'adminis- 
tration ;  ce  seroit  envahir  sur  le  pouvoir  exécutif  un  droit  que  la  consti- . 
tution  lui  abandonne. 

«  Les  loix  qu'on  propose  sur  cet  objet  sont  vagues,  indécises, 
incertaines,  et  laissent  aux  ministres  les  moyens  d'être  coupables  avec 
impunité. 

«  L'opinant  a  pensé  qu'on  ne  devoit  s'occuper  que  de  la  fixation 
du  traitement  et  des  fonctions  générales,  des  règles  de  responsabilité,  et 
de  la  détermination  fixe  de  ceux  qui  y  seront  assujetis,  sans  s'occuper 
de  la  distribution  de  leurs  fonctions.   » 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.  II,  n°  275,  p.    1. 
Courrier  extraordinaire,    10  avril    1791,   p.   2. 

«  M.  Roberspierre  s'est  aussi  opposé  de  tout  son  pouvoir  à  l'admis- 
sion du  projet  du  comité;  «  Ou  vous  regarderez,  a-t-iî  dit,  le  ministère 
comme  un  pouvoir  distinct  et  séparé  du  pouvoir  exécutif,  ou  vous  ne 
verrez  dans  les  ministres  que  les  commis  du  roi.  Si  vous  distinguez 
leurs  fonctions  des  fonctions  royales,  vous  portez  une  atteinte  aux  prin- 
cipes de  la  monarchie,  principes  qu'on  nous  a  objecté  toutes  les  fois 
que  nous  avons  réclamé  une  liberté  générale.  Vous  n'avez  à  discuter 
que  trois  choses  :  1  °  la  fixation  des  dépenses  nécessaires  au  pouvoir 
exécutif;  2°  les  règles  de  la  responsabilité;  3°  les  moyens  à  prendre 
pour  déterminer  les  personnes  sur  lesquelles  cette  responsabilité  por- 
tera. 

«  C'est  pour  maintenir  la  pureté  des  principes,  que  je  m'oppose 
à  l'acceptation  d'un  projet  où  je  ne  vois  que  des  dangers.  Donner  aux 
ministres,  comme  je  le  vois  dans  le  projet  du  comité,  le  pouvoir  de 
répondre  aux  magistrats  sur  les  questions  épineuses,  n'est-ce  pas  leur 
donner  le  pouvoir  d'interpréter  les  loix;  l'interprétation  en  change  sou- 
vent  le  texte.   Vous  soumettez  les  magistrats  à   la   férule   du   minisife; 


212  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

n'estai  pas  à  craindre  que  sa  réprimande  ne  tombe  que  sur  les  meilleurs 
citoyens,  sur  les  plus  zélés  pour  la  liberté  !  Ne  voyez-vous  pas  que 
l'établir  aussi  juge  provisoire  des  contestations  qui  s'élèveront  au  sujet 
des  assemblées  primaires,  c'est  lui  mettre  la  hache  à  la  main  pour 
sapper  les  fondemens  de  la  liberté.  L'assemblée  a  paru  surprise  que 
le  préopinant  se  soit  servi  du  mot:  lettre  de  cachet;  un  mandat  d'ame- 
ner, est-il  autre  chose  ">  Les  fonctions  sont  les  mêmes,  le  nom  seul  est 
différent,  d'après  la  considération  de  tant  d'inconvéniens,  de  tant  de 
dangers,  je  conclus  à  demander  la  question  préalable  sur  le  projet  du 
comité.  » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n"   100,  p.  413. 

«  M.  Roberspierre .  Je  crois,  comme  le  préopinant,  que  rien  ne 
serait  plu?  dangereux  que  de  créer  un  nouveau  pouvoir  ministériel.  Si 
vous  regardez  le  ministère  comme  faisant  un  pouvoir  distinct  de  celui 
du  roi,  vous  portez  une  véritable  atteinte  aux  principes  monarchiques, 
à  ces  principes,  qu'on  a  toujours  opposés  avec  emphase,  lorsque  nous 
réclamions  les  principes  de  la  liberté,  à  ces  principes  généraux,  appli- 
cables à  toutes  les  espèces  de  gouvernement.  Si  au  contraire  les  minis- 
tres ne  sont  que  les  agens  du  roi,  leurs  fonctions  doivent  leur  être 
distribuées  par  le  roi.  C'est  pour  le  maintien  des  principes  de  îa  consti- 
tution, des  principes  de  la  monarchie,  que  je  m'oppose  au  plan  du 
Comité,  et  que  je  me  fais  un  devoir  de  vous  représenter  !e  danger  d'une 
loi  qui  servirait  de  texte  aux  ministres  pour  aggrandir  leur  pouvoir.  Il 
n'y  a  que  trois  choses  qui  puissent  vous  occuper  :  la  fixation  des  appoin- 
tements, les  règles  de  la  responsabilité;  enfin,  les  moyens  nécessaires 
pour  déterminer  les  personnes  sur  qui  doit  porter  cette  responsabilité. 
Quant  aux  fonctions,  eiles  sont  fixées  par  tous  les  décrets  qui  définis- 
sent le  pouvoir  exécutif.  En  jetant  un  coup  d'ceil  sur  le  tableau  qu'on 
a  prétendu  faire  des  fonctions  ministérielles,  vous  sentirez  le  danger 
de  faire  des  articles  qui,  inutiles  en  eux-mêmes,  comme  je  viens  de  le 
prouver,  sont  encore  conçus  en  termes  tellement  vagues,  qu'ils  devien- 
dront une  source  d'usurpations  de  pouvoirs.  On  donne,  par  exemple, 
au  ministre  de  la  justice  le  droit  d'éclairer  les  juges  sur  les  doutes 
qui  pourraient  s'élever  sur  l'application  de  la  loi,  à  la  charge  de  pré- 
senter ensuite  au  corps  législatif  les  questions  qui,  dans  l'ordre  du  pou- 
voir judiciaire,   demanderaient  une   interprétation  (5).   Avec  ces  termes 

(5)  L'art.  3  du  projet  du  comité  de  constitution  énumériit  les 
fonctions  du  ministre  de  la  Justice  : 

...«  4°  De  les  éclairer  (les  tribunaux)  sur  les  doutes  et  difficultés 
oui  peuvent  s'élever  dans  l'application  de  la  loi,  mais  à  la  charge 
de  proposer  au  corps  législatif  les  questions  qui,  dans  l'ordre  judi- 
ciaire,   demanderaient    une    interprétation. 

«  5°  De  donner  aux  juges  des  tribunaux  de  district,  ainsi  qu'aux 
juges  de  paix  et  de  commerce,  tous  les  avertissements  nécessaires; 
de  les  rappeler  à  la  règle,  ainsi  qu'à  la  décence  et  à  la  dignité  de 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  2!3 

vagues  d'éclaher  sur  les  doutes,  on  accorde  au  ministre  une  interpré- 
tation provisoire,  mais  qui  sera  définitive  dans  son  effet.  N'est-il  pas 
évident  que  l'esprit  de  cet  article  est  de  donner  au  ministre  le  droit 
d'influer  sur  les  jugemens  ?  Je  ne  m'étendrai  pas  davantage  sùî  'es 
inconvéniens  du  projet.  J'appuie  la  demande  du  renvoi  au  pouvoir 
exécutif   »    (6). 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),    10  avril   1791,  p.  398. 

«  M.  Robespierre  d'abord  a  voulu  faire  changer  !a  délibération 
d'objet,  sous  le  prétexte  qu'avant  de  fixer  le  nombre  de  ministres,  il 
falloit  s'occuper  de  la  division  des  pouvoirs  qui  dévoient  leur  être 
confiés. 

«  Prenant  l'essor  d'après  cette  idée,  M.  Robespierre  s'est  égaré 
dans  de  vagues  déclamations;  il  s'est  effrayé  de  l'étendue  des  diffé- 
rentes attributions  que  le  comité  donnoit  à  chaque  ministre. 

«  Celui  de  la  justice,  par  exemple,  a-t-il  dit,  est  chargé  d'en- 
tretenir une  correspondance  habituelle  avec  les  tribunaux  et  les  com- 
missaires du  roi.  Il  doit  les  éclairer  sur  les  doutes  et  les  difficultés 
qui  pourront  s'élever  dans  l'application  de  la  loi.  Il  doit  leur  donner 
tous  les  avertissemens  nécessaires,  les  rappeller  à  la  règle  s'ils  s'en 
éloignent,   ainsi  qu'à  la  décence  et  à  la  dignité  de  leurs  fonctions.    » 

«  Les  parlemens  qui  mettaient  bien  autant  de  décence  et  de  dignité 
dans  leurs  fonctions,  que  les  nouveaux  tribunaux,  ne  s'étonnoient  point 
que  le  chef  de  la  justice  exerçât  une  surveillance  sur  toutes  les  cours 
souveraines,  et  la  majesté  dont  ces  cours  étoient  environnées,  ne  perdoit 
rien  à  cette  surveillance.  Mais  les  parlemens  ne  connoissoient  que 
l'ordre  qui  doit  lier  toutes  les  parties  d'un  grand  empire.  Ils  n'avpient 
pas  apperçu  une  grande  vérité  qui  est  sortie  du  sein  de  la  révolution. 
Cette  vérité,  c'est  que  1  inférieur  doit  toujours  être  élevé  d'un  degré 
au-dessus   de   son    supérieur. 

«  C'est  là  en  effet  qu'en  vouloit  venir  M.  Robespierre  :  il  s'est 
franchement  déclaré  pour  les  tribunaux  contre  le  ministre  de  la  justice; 
son  opinion  est  que  l'obéissance  est  îéservée  à  celui-ci,  et  le  comman- 
dement à  ceux-là.  Laisser  la  supériorité  au  ministre,  c'est,  a-t-il  dît, 
mettre  les  juges  dans  sa  dépendance;  c'est  les  gêner  dans  l'exercice  de 
leurs  fonctions;  c'est  rendre  le  garde-des-sceaux  juge  souverain  et  défi- 
nitif de  toutes  les  contestations;  c'est  donner  naissance  à  une  foule 
d'abus. 

«  Ainsi,  dans  le  système  de  M.  Robespierre,  le  ministre  des 
affaires  étrangères  devroit  obéir  aux  ambassadeurs,  et  celui  de  la  guerre 
aux  officiers  et  aux  soldats;  car  c'est  le  seul  moyen  qui  puisse  rendre 


leurs  fonctions,    et   de    veiller   à   ce    que   la   justice    soit   bien    admi- 
nistrée.   » 

(6)    Texte    reproduit  dans    le   Moniteur,    VIII,    90,    et   les    Arch. 
pari.,    XXIV,    662. 


214  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

les  envoyés  dans  les  cours  étrangères,  et  les  gens  de  guerre  indépendans 
et  libres  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions.   » 

Journal  Je  Normandie,    1791,   n°    100,  p.   483. 

«  M.  Robertspierre.  Il  n'y  a  aucune  utilité  à  décréter  le  projet, 
il  y  a  le  plus  grand  danger  à  le  discuter,  et  je  demande  qu'il  soit 
écarté  par  la  question  préalable.  Nous  n'avons  nullement  besoin  d'en- 
trer dans  les  détails  des  fonctions  du  ministère;  qu'il  nous  suffise  de 
dire  qu'il  y  aura  tant  de  ministres;  mais  bornons-nous  là,  car  le  minis- 
tère, tel  qu'on  nous  le  présente,  exercera,  ou  un  pouvoir  distinct  du 
pouvoir  royal,  ou  ce  sera  le  pouvoir  royal  qu'il  exercera,  sous  !a  respon- 
sabilité des  membres  qui  le  composeront.  Si  le  pouvoir  des  ministres 
est  distinct  du  pouvoir  royal,  il  est  évident  que  vous  introduisez  un 
nouveau  pouvoir  dans  la  constitution.  Si  le  pouvoir  des  ministres  n'est 
autre  que  le  pouvoir  royal,  nous  ne  devons  point  nous  en  occuper. 
Que  le  roi  le  fasse  exercer  comme  il  le  jugera  à  propos.  Et  quel  est 
ce  pouvoir  attribué  au  ministre  de  la  justice  ?  De  donner  des  avertisse- 
ments aux  juges  de  paix  et  de  commerce,  de  l'établir,  en  quelque  sorte, 
juge  de  paix  général  dans  tout  le  royaume;  de  rappeller  les  juges  de 
districts  à  la  règle,  ainsi  qu'à  la  décence  et  à  la  dignité  de  leurs  fonc- 
tions; de  les  éclairer  sur  les  doutes  et  les  difficultés  qui  peuvent  s'éle- 
ver dans  l'application  de  la  loi. 

«  N'est-ce  point  lui  donner  l'autorité  la  plus  absolue  ?  N'est-ce 
point  le  constituer  l'interprète  de  la  loi  ?  Quel  est  le  juge  qui  osera 
résister  en  face  à  un  ministre  qu'il  saura  avoir  sur  lui  un  ascendant 
aussi  marqué  ?  On  s'est  récrié  contre  l'assertion  d'un  honorab'e  mem- 
bre, lorsqu'il  a  traité  de  lettres  de  cachet  les  mandats  d'arrêter  accordés 
au  ministre  de  la  justice.  Mais,  messieurs,  croit-on  que  les  choses  chan- 
gent de  nature,  parce  qu'elles  sont  revêtues  de  nouvelles  expressions  ? 
Que  ce  soient  des  mandats  d'arrêter  ou  des  lettres  de  cachet  que  le 
ministre  distribue,  peu  importe,  la  liberté  individuelle  n'en  est  pas 
moins  compromise.  Je  persiste  donc  à  demander  que  l'assemblée  ne 
s'occupe  point  de  cet  objet.   )) 

Journal  des  Débats,  t.  XIX,  n°  683,  p.  7. 

«  M.  Robespierre  a  représenté  qu'en  décrétant  successivement  les 
diverses  fonctions  que  le  Comité  attribue  au  Pouvoir  exécutif,  on  se 
trouveroit  engagé  à  lui  attribuer  une  étendue  de  pouvoir  contraire  à 
l'esprit  de  la  Constitution  décrétée,  et  aux  droits  du  Peuple.  De  quoi, 
au  reste,  pourrions-nous  nous  étonner  dans  un  projet  qui  donne  aux 
Ministres  le  droit  d'adresser  des  réprimandes  aux  Tribunaux,  aux  Corps 
administratifs;  qui  les  établit  ainsi  Juges  des  délégués  du  Peuple;  qui 
leur  donne  le  droit  d'arrêter  pour  des  paroles  injurieuses  contre  le  Roi  ; 
qui  en  fait  des  Juges  de  paix  pour  tout  le  Royaume  ?  Prétend-on  nous 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  215 

abuser  avec  des  mots  nouveaux,  lorsqu'on  rétablit  les  choses  les  plus 
odieuses,  lorsqu'on  rétablit  les  lettres-de-cachet?  Croit-or»,  avec  le  mol 
mandat  d'amener,  déguiser  l'acte  le  plus  tyrannique  et  le  plus  arbi- 
traire ?  Il  est  du  plus  grand  danger  d'agiter  ces  questions  :  il  ne  faut 
pas  que  l'esprit  s'habitue  à  discuter  froidement  des  principes  aussi 
contraires  aux  droits  du  Peuple. 

«  M.  Robespierre  a  pensé  qu'il  suffisoit  de  déterminer  le  nombre 
des  Départemens,  mais  qu'il  falloit  bien  se  garder  de  déterminer  leurs 
fonctions.    » 

Journal  général,  n°   69,  p.  275. 

«  M.  Robertspierre  pense  aujourd'hui  plus  sagement  qu'il  fau- 
drait éviter  ces  détails,  qu'au  Roi  appartient  de  les  régler.  «  Le  projet 
du  Comité  donnerait  au  Ministère  une  organisation  distincte  du  Pouvoir 
Royal.  Cependant  les  Ministres  que  sont-ils,  autre  chose  que  les  Agens 
du  Roi  ou  du  Pouvoir  exécutif  ?  Les  ministres  ne  doivent  donc  pas 
avoir  une  existence  politique,  séparée  de  celle  du  Pouvoir  Royal.  » 
Ces  observations  ne  préparaient  pas  à  voir  l'Opinant  se  rejetter  sur 
le  Ministre  de  la  Justice,  s'indigner  de  l'article  du  Comité  qui  lui 
permet  de  censurer  la  conduite  des  juges,  en  faisant  part  aux  Législa- 
tures des  actes  repréhensibles  de  ces  fonctionnaires.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  La  Bouche  de  Fer, 
n°  42,  p.  119;  Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet), 
t.  XI,  n"  613,  p.  2;  Le  Journal  de  la  Noblesse,  t.  I,  n°  16.  p.  486; 
Les  Annales  patriotiques  et  littéraires,  n°  555;  Le  Courier  Français, 
t.  X,  n°  100,  p.  313;  Le  Journal  des  Mécontens,  n°  41,  p.  4;  Le  Mer- 
cure de  France,  16  avril  1791,  p.  210.] 


260.  —  SEANCE  DU  10  AVRIL  1791 
Sur  les  attributions  du  ministre  de  la  justice 


Continuant  la  discussion  ..su r  l'organisation  du  ministère,  l'As 
semblée  .entend  un  discours  d'Anson  qui  présente  en  conclusion  un 
pian  d'ensemble  dans  lequel  il  accorde  à  la  justice  et  à  l'instruction 
publique  un  rôle  essentiel.  Le  Conseil  d'Etat  sera  composé  du 
Garde  des  Sceaux  et  de  six  secrétaires  d'Etat.  Mais  Démeunier 
ii'  voit  pas  d'intérêt  à  une  telle  tran:  formation  et,  sur  la  motion 
de  Barnave,  l'Assemblée  ,se  borate  à  décrète)'  que  les  ministres 
de  la  Justice,  de  la  Marine...  formeront  chacun  un  départemeoj 
Séparé.  Aussitôt  après,  la  discussion  s'engage  sur  les  fonctions  du 
ministre  de  la  Justice  et  donne  lieu  aux  interventions  de  Buzot  et 
de    Robespierre  (1). 


(1)  D'après  le  Point  du  Jour,  n°  639,  p.   143. 


216  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

La  discussion  étant  fermée,  l'Assemblée  décréta  que:  «  les  fonc- 
tions du  ministre  de  la  Justice  seront  de  garder  le  Sceau  de  l'Etat 
et  de  sceller  les  loix,  les  traités,  les  lettres  patentes  de  provisions 
d'offices,   les  commissions,  patentes  et  diplômes  du  gouvernement. 

Le  Patriote  François,   n°    612,   p.   391. 

«  MM.  Buzot  et  Robespierre  faisoient  une  observation  générale, 
qui  s'étendoit  sur  tous  ces  articles  à  la  fois;  il  les  trouvoient  très  vagues, 
et  d'autant  plus  dangereux  que,  sous  une  précision  apparente,  ils  don- 
noient  au  ministre  de  la  justice  une  latitude  de  pouvoir  dans  laquelle 
seroit  toujours  le  moyen  d'échapper  à  la  responsabilité  de  la  loi.  L'un 
et  l'autre  demandoient  que  le  projet  de  décret  de  M.  Anson  fût  pré- 
féré )>  (2). 

Le  Point  du  Jour,t.  XXI,  n°  639,  p.   144. 

«  M.  Robespierre  dit  que  la  rédaction  de  M.  Anson  se  rapporte 
évidemment  à  ce  qui  a  été  fixé  par  les  décrets  rendus  sur  l'ordre  judi- 
ciaire, et  qu'il  est  inutile  de  donner  la  priorité  à  la  rédaction  du 
comité   »   (3). 

La  Feuille  du  Jour,  t.   III,  n°    100,  p.  89. 

«  Opinion  de  M.  Robespierre  appuyée  par  MM.  Anson  et 
Buzot.   » 


(2)  Il  .semble  que  Brissot  confonde  ici  les  deux  interventions  de 
Buzot,  ce  dernier  ayant  déjà  soutenu  Robespierre  au  cours  de  la 
séance  précédente,  ià  la  suite  de  l'intervention  d'André. 

(3)  Cf.    E.    Hamel,    I,   410. 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

261.  —  SEANCE  DU   10  AVRIL   1791 

Sur  les  menées  des  aristocrates 
contre  les  sociétés  patriotiques 


Un  membre  du  comité  de  correspondance  déclare  qu'après  exa- 
men de  plusieurs  lettres  des  sociétés  de  iCassel  et  de  Saint^Ome. 
<1),  le  comité  s'est  convaincu  qu'à  la  suite  des  manœuvres  des 
ennemis  du  bien  public,  la  première  de  ces  sociétés  a  dû  se  dissoiu- 
dre.  Sur  la  proposition  du  co'mité,  cette  affaire  est  renvoyée  au 
comité    des    rapports    de    l'Assemblée    nationale. 

Robespierre  prend  la  parole.  Après  diverses  interventions,  la 
Société  nomme  des  commissaires  pour  suivre  l'affaire  de  Cassel 
auprès   du   comité   des    rapports   de    l'Assemblée    nationale 


(1)  Sur  l'affaire  de  Saint-Omer,  cf.  Moniteur,  VIII,  234;  et 
lettre  de  Robespierre  à  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  de 
Versailles  (G.  Michon,  I,  107). 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  217 

Mercure  universel,   t.    II,   p.    182. 

«  M.  Robespierre.  La  société  de  Saint-Omer  a  été  obligée  de 
fuir,  parce  que  les  aristocrates  la  calomnioient  et  trompoient  lâchement 
le  peuple;  voici  une  mesure  qui  a  réussi  dans  ces  cas  à  plusieurs  sociétés; 
celle  de  Lille  (2)  étoit  persécutée  affreusement;  elle  a  rendu  ses  séan- 
ces publiques;  le  peuple  y  a  couru  en  foule  et  ce  peuple  qui,  avant, 
vouloient  se  porter  contre  elle,  s'est  déclaré  bientôt  son  plus  ferme 
appui.  A  Arras  (3)  les  membres  de  cette  société  ont  été  je  ne  dis  pas 
persuadés,  mais  convaincus  qu'ils  couroient  le  plus  grand  danger;  on 
rend  leurs  séances  publiques  et  les  aristocrates  sont  rentrés  dans  le 
néant  »  (4). 


(2)  Robespierre  était  en  relations  avec  la  Société  patriotique 
de  Lille,  à  laquelle  il  avait  adressé  en  février  1790  un  certain 
nombre  d'exemplaires  de  son  «  Adresse  au  peuple  belgique  » 
(cf.    G.   Michon,    I,    64-65). 

(3)  Augustin  Robespierre  savait  joué  en  1790  un  rôle  important 
dans  la  formation  de  la  «  Société  des  Amis  de  la  Constitution  » 
d' Arras   (cf.    G.   Michon,   I,   73). 

(4)  Aucune  mention  ide  cette  intervention  dans  Aulard,  II,  3o4-3o>7. 
Cf.  également  Le  Contrepoison,  t.  II,  n°  2  (cité  par  G.  Walter,  p. 720). 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

262.  —  SEANCE  DU  10  AVRIL  \79\   (suite) 

Sur  la  délimitation  des  fonctions  ministérielles 


L'Assemblée  nationale  avait  poursuivi  le  10  avril  la  discussion 
du  proJ3t  d'organisation  du  ministère.  Elle  avait  décrété  les  trois 
premiers  paragraphes  de  l'art.  3  sur  les  fonctions  du  ministre  de  la 
Justice,   mais   avait  ajourné   au   lendemain   le  quatrième   (1). 

A  la  séance  des  Jacobins,  après  lecture  de  diverses  adresses, 
Kersaint  qui  devait  parler  sur  l'organisation  du  ministère  de  la. 
Marine  cède  la  place  à  Robespierre  qui  revient  sur  le  fond  même 
du    débat   du   matin   à    l'Assemblée    nationale. 

Mercure  universel,  t.   II,  p.    183-1%. 

«  M.  Robespierre.  Quelqu' intéressant  que  soit  l'organisation  de 
la  marine,  et  à  laquelle  je  prends  un  intérêt  particulier,  j'espère  néan- 
moins que  vous  donnerez  la  priorité  à  une  question  qui  touche  essen- 
tiellement à  tous  les  citoyens,  à  la  nation  entière,  et  non  à  une  classe 
de  citoyens;  je  dirai  plus:  il  n'y  a  pas  un  moment  à  perdre  pour  em- 
pêcher l'effet  du  vaste  projet  soumis  à  l'assemblée  nationale  ce  matin 
par  son  Comité  de  Constitution.  Le  dirai-je,  il  n'y  a  pas  une  seule 
ligne,    une    seule    phrase    de    ce    projet    qui    ne    tende    à    influencer,    à 

(1)  Cf.  séanc°  du  !)  avril  1791,  note  1;  et  ci-dessous,  séance  du 
11   avril  1791. 


218  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

détruire  !a  liberté  :  vous  allez  en  juger  :  voici  l'article  :  Les  fonctions 
du  ministre  Je  la  justice  seront  d'éclairer  les  tribunaux  sur  les  doutes  et 
difficultés  qui  pourront  s'élever  dans  l'application  de  la  loi.  Les  cloutes 
qui  s'élèveront  sont  ceux  qui  résultent  de  tous  les  procès,  de  là  le 
ministre  aura  le  droit  d'interpréter  la  loi  et  de  les  décider  tous  à  son  gré. 
«  S'il  y  avoit  un  homme  autre  que  le  corps  législatif  qui  pat  inter- 
préter la  loi,  il  décideroit  de  toutes  les  affaires;  il  auroit  la  vraie  puis- 
sance législative,  puisqu'il  pourroit  dénaturer  la  loi,  dans  tous  les  cas 
où  il  en  feroit  l'application.  Pour  exciter  un  puissant  intérêt,  je  ne  dis 
pas  que  ceci  exige  un  excessif  amour  de  la  liberté,  des  droits  du  peuple, 
mais  seulement  un  reste  de  pudeur  échapp'é  de  l'ancien  régime;  car 
jamais  les  anciens  Francs,  dans  les  temps  les  plus  reculés  de  la  monar- 
chie, ne  mirent  en  question,  ne  doutèrent  un  moment  que  le  Roi  ne 
pût  s'immiscer  dans  les  jugemens  des  tribunaux;  jamais  les  décisions 
d'un  garde  des  sceaux,  même  sous  les  règnes  les  plus  corrompus,  sous 
les  derniers  règnes  ne  faisoient  nullement  pencher  la  balance  de  la 
justice  :  et  si  l'on  avoit  voulu,  si  un  ministre  eût  osé  s'arroger  le  pouvoir 
judiciaire,  alors  tous  les  parlemens  s'y  seroient  opposés  :  aujourd'hui 
que  nous  propose-t-on  ?  Que  le  ministre  seul  décide  de  toutes  les  causes 
des  citoyens  :  on  va  jusqu'à  attribuer  au  pouvoir  exécutif  le  pouvoir 
judiciaire.  Ainsi  l'on  n'attaque  pas  seulement  la  liberté  politique,  mais 
la  liberté  individuelle.  Vainement,  on  me  dit  que  ce  n'est  que  dans 
les  cas  de  difficultés  survenues  entre  les  parties,  que  le  ministre  pronon- 
cera :  comme  si  l'on  ne  trouvera  pas  le  moyen  d'élever  des  flottes, 
quand  on  le  voudra;  comme  si  un  homme  puissant  ou  riche  ne  trouvera 
[pas]  .  toujours  le  moyen  d'engager  au  moins  des  juges  du  tribunal  à 
élever  des  doutes.  Mais  qu'est-ce  donc  qu'une  interprétation  de  la  loi, 
si  ce  n'est  un  jugement  arbitraire  ?  Devant  qui  pourra-t-on  se  pourvoir 
contre  les  injustices  du  ministre?  Devant  le  corps  législatif,  vous  dit-on: 
et  quand  le  corps  législatif  en  sera-t-il  occupé,  quand  le  pourra-t-il, 
accablé  comme  il  l'est  par  des  milliers  d'affaires  et  d'entraves  ?  (On 
applaudit). 

«  Voici  ce  que  l'on  oppose  aux  principes  constitutionnels:  com- 
ment nous  dit-on,  veut-on  que  la  machine  aille  si  le  ministre  n'a  pas  la 
faculté  de  lever  tous  les  doutes  ?  Il  est  malheureux  que  le  Comité  de 
Constitution  ait  accueilli  tant  d'ignorance  et  d'erreur  :  mais  je  î.r  de- 
mande, est-ce  une  raison  pour  anéantir  les  principes?  Pour  quoi  donc 
sont  faits  les  juges  ?  Pour  appliquer  la  loi  :  c'est  aux  juges  qu'il  appar- 
tient d'entendre  le  sens  de  la  loi;  et,  s'ils  ne  sont  pas  des  automates, 
ils  auront  certainement  autant  d'intelligence  que  des  ministres;  mais 
s'il  étoit  des  difficultés  supérieures,  y  aurait-il  plus  d'mconvéniens  à 
s'en  rapporter  aux  juges  qu'aux  ministres  ?  Il  faut  convenir  que  1  on 
doit  avoir  autant  de  confiance  dans  les  juges  que  dans  les  ministres. 
(On  applaudit).  Pour  moi,  je  ne  balancerai  pas  entre  ces  deux  incon- 
véniens;  j'accorderai  ma  confiance  aux  juges  populaires. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  219 

«  Mais  on  parle  de  difficultés,  de  doutes  à  naître;  en  voulez- 
vous  la  solution  ?  Elle  existe  dans  la  constitution  :  elle  y  a  pourvu  par 
le  tribunal  de  cassation.  (On  applaudit).  Les  membres  de  la  cour  de 
cassation  sont  élus  par  les  départemens;  seront-ils  moins  honnêtes, 
moins  éclairés  que  les  ministres  ?  Mais  si  cela  nétoit  pas,  ce  ne  seroit 
point  pour  moi  une  raison  pour  qu'on  dût  s'en  rapporter  à  un  ministre  : 
le  législateur  ne  peut  voir  à  côté  de  lui  un  homme  qui  dans  l'applica- 
tion des  loix  les  détériore;  quand  il  est  lui-même  ce  ministre,  par  son 
intérêt,  par  un  penchant  irrésistible,  l'infracteur  continuel  des  loix; 
quelle  cause  donc  peut  vous  y  faire  recourir,  si  ses  lumières,  si  son 
honnêteté  ne  peuvent  être  supérieures  à  celles  des  membres  de  la 
Cour  de  Cassation  ?  Mais  c'est  qu'on  a  en  vue  de  miner  sourdement, 
de  corrompre,  d'anéantir  la  constitution.  Remarquez  que  ce  n'est  pas 
encore  assez  pour  le  Comité  de  Constitution  d'avoir  donné  au  ministre 
l'inspection  sur  les  citoyens,  il  faut  encore  lui  donner  le  pouvoir  de 
flétrir,  de  présenter  à  son  gré  les  magistrats  du  peuple.  Les  ministres, 
selon  un  autre  article  du  projet  du  Comité,  seront  chargés  de  donner 
des  instructions  aux  juges,  de  les  rappeller  à  la  décence,  à  la  dignité 
de  leurs  fonctions  (on  murmure);  ce  sont  les  propres  mots  de  l'article; 
et  je  dis  que  ce  sont  les  expressions  vagues  dans  les  loix,  qui  furent 
toujours  celles  des  oppresseurs  des  peuples  et  des  tyrans.  (On  applau- 
dit). Croyez-vous  que  s'il  existoit  un  juge  qui  eût  plus  d'intégrité  qu'un 
ministre,  croyez-vous  que  celui-ci  n'auroit  pas  toujours  des  moyens  prêts 
pour  le  frapper  de  verges  ?  Croyez-vous  qu'il  manquerait  de  moyens 
pour  le  flétrir,  et  si  l'intention  du  Comité  n'a  pu  être  de  rendre  le 
pouvoir  arbitraire  au  ministre,  je  vous  demande  quel  sera  l'effet  de 
cet  imbécile  projet  ? 

«  Je  passe  à  un  autre  article  :  Au  commencement  de  chaque  ses- 
sion, le  ministre  rendra  un  compte  exact  de  la  conduite  des  juges... 
Quel  beau  censeur  pour  les  moeurs  publiques,  et  surtout  dans  un  grand 
empire,  qu'un  ministre  de  cour  qui  gourmande  et  corrige  des  magistrats 
nommés  par  le  peuple.  (On  applaudit).  Il  y  auroit  bien  plus  de  choses 
à  dire  encore  dans  le  plan  du  Comité,  sur  les  prérogatives  du  ministre 
de  ^intérieur;  il  n'y  a  pas  un  administrateur,  un  municipal,  nommé 
par  le  peuple,  qui  ne  se  trouve  sous  la  verge  du  ministre  de  l'intérieur  : 
mais  je  le  demande  :  y  a-t-il  un  magistrat  qui  ne  puisse  comme  tous 
les  citoyens,  être  jugé  autrement  que  par  la  loi  ?  Qu'est-ce  donc  que 
l'on  prétend,  si  ce  n'est  faire  repentir  le  peuple  de  son  choix  dans  ses 
juges,  dans  ses  administrateurs,  pour  en  faire  des  instrumens  passifs 
et  criminels  du  ministre,  pour  le  dégoûter,  ce  peuple,  pour  lui  faire 
haïr  le  nouvel  ordre  des  choses.  Le  ministre  décidera  encore  sur  les 
différens  des  assemblées  primaires,  sur  tous  les  électeurs;  il  décidera 
provisoirement,  dit-on;  mais  le  provisoire  est  tout  dans  ces  cas:  l'assem- 
blée séparée  tout  est  fini;  et  d'ailleurs  le  corps  législatif  pourra  t-il, 
aura-t-il   le   temps  ■;! .;   s'occuper  de   ces  détails?   En  outre,   les  détails 


220  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

des  nominations,  la  perception  des  impôts,  les  ponts  et  chaussées,  les 
hôpitaux,  le  vagabondage,  seront  confiés  aux  soins  et  à  1?  surveil- 
lance de  ce  ministre;  ainsi  tous  ceux  que  Ton  voudra  nommer  \aga- 
bonds,  ou  celui  que  le  ministre  voudra  faire  passer  pour  tel,  sera  son 
esclave;  ainsi  lorsque  le  peuple  s'est  soulevé  pour  conquérii  sa  liberté, 
on  ne  balance  pas  à  lui  forger  de  nouvelles  chaînes.  Or,  je  le  demande, 
les  amis  du  peuple  laisseront-ils  des  hommes,  parce  qu'ils  sont  pauvres, 
abandonnés   aux  crimes   des   ministres  ?    (On  applaudit). 

«  Non,  Messieurs,  et  c'est  ce  qu'il  vous  importe  de  considérer, 
car  vos  principes  reposent  essentiellement  sur  le  respect  dû  aux  hom- 
mes, et  si  une  classe  peut  être  sacrifiée  à  une  affreuse  aristocratie,  il 
n'y  a  plus  de  constitution,  ni  de  liberté.  Quelqu' importantes  que  soient 
les  choses  qui  restent  à  examiner,  et  les  articles  que  je  pourrais  sou- 
mettre à  votre  jugement  dans  ce  projet,  je  n'en  continuerai  pas  la 
lecture;  mais  je  demande  si  l'on  voudra  encore,  par  cet  examen,  nous 
accuser  nous,  les  amis  de  la  constitution,  de  vouloir  renverser  la  monar- 
chie ?  Je  demande  qui  de  nous  lui  porte  le  plus  d'atteintes  ou  de  ceux 
qui  ont  formé  ce  projet,  ou  de  nous  qui  nous  opposons  à  ce  qu'on 
anéantisse  la  monarchie  pour  rétablir  le  despotisme  ?  Renverser  la 
monarchie,  comme  si  moi,  j'étais  assez  insensé  pour  vouloir  détruire 
le  gouvernement,  qui,  seul  peut  convenir  à  un  grand  peuple,  et  assurer 
ses  droits  et  sa  prospérité;  comme  si  j'étois  plus  jaloux  du  gouverne- 
ment de  Pologne,  que  de  celui  de  Russie  ou  de  Venise  ?  Et  ce  sont 
ces  mots  de  République,  de  monarchie,  que  l'on  vient  sans  cesse 
opposer  aux  principes,  à  la  raison,  aux  droits  sacrés  des  peuples.  Ce 
n'est  pas  le  roi  que  je  redoute  ;  ce  n'est  pas  ce  mot  de  roi  qui  peut 
nous  être  funeste,  c'est  cette  tendance  continuelle  à  remettre  le  pouvoir 
arbitraire  dans  les  mains  des  ministres;  c'est  cette  manœuvre  irascible 
qui,  par  des  ruses  perfides,  par  des  calomnies  coupables,  ne  cherche 
qu'à  river  des  fers;  c'est  contre  ces  abominations  et  contre  leurs  auteurs 
corrompus  et  pervers  que  je  réclame  ;  c'est  par  là  que  je  répondrai  à 
toutes  les  imputations  insensées  que  l'on  nous  fait  chaque  jour;  mais, 
en  attendant,  je  déclare  que  je  compte  assez  sur  les  hommes  attachés 
à  la  liberté,  sur  leur  courage,  pour  croire  qu'elle  ne  sera  pas  compro- 
mise; et  je  le  dis  ici,  avant  d'y  porter  atteinte,  il  faut  que  ces  bons 
défenseurs  du  peuple  périssent;  ils  emporteront  avec  eux  la  liberté 
future  de  toutes  les  nations    (On  applaudit  vivement)  (2). 

Les  Sabbats  jacobites,  n°   16,  p.  249. 

«  Le  héros  de  Marat,  M.  Robespierre,  demande  la  parole.  Com- 
ment résister  ?   Force  fût  à  M.   de  Kersaint  de  céder  la  Tribune  :  des 


(2)  G.  Wafaer  signale  l'existence  'de  ce  discours  {«p.  471).  P?r 
contre,  Aulard  n'en  a  pas  eu  connaissance.  Il  reproduit  à  propos 
<ie  cette  séance  (II,  304)  les  extraits  des  Sabbats  jacobites  et  du 
Lendemain  donnés  ci-après. 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  221 

cris  douloureux,  des  lamentations  étemelles  expriment  I*  vif  chagrin 
que  M.  Robespierre  éprouve  de  ce  que  le  comité  de  Constitution 
attribue  le  droit  d'interpréter  les  loix  au  ministre  de  la  justice;  attri- 
bution désastreuse,  impatriotique;  tous  les  bons  citoyens  doivent  se 
coaliser  pour  en  empêcher  l'effet. 

«  M.  Goupil  et  M.  Lapcule  (3)  unissent  leurs  alarmes  et  leurs 
réclamations  aux  plaintes  de   M.   Robespierre.    » 

La  Feuille  du  Jour,  t.  III,  n°    105,  p.   135. 

«  M.  Robespierre  la  remplit  [la  tribune]  de  cris  douloureux  : 
tout  est  perdu  :  «  Le  comité  de  constitution  attribue  le  droit  d'inter- 
préter les  loix  au  ministre  de  la  justice;  attribution  désastreuse,  impa- 
tnotique  ;  il  est  urgent  que  tous  les  bons  citoyens  se  coalisent  pour 
en  empêcher  l'effet.    » 

Le  Lendemain,   t.   III,   n°    102,  p.    115. 

«  On  prie  M.  Kersaint...  de  céder  la  tribune  à  M.  Roberspierre 
qui  a  les  choses  de  la  plus  grande  importance  à  dire  à  la  société. 

«  Roberspierre,  dans  un  discours  bien  long,  bien  lourd,  bien 
ennuyeux,  prétend  que  tout  est  perdu,  si  le  projet  du  Comité  de  consti- 
tution, qui  attribue  au  ministre  le  pouvoir  d'interpréter  les  loix,  devient 
un  décret  ;  et  il  conjure  tous  les  députés  jacobites  de  se  coaliser  pour 
empêcher  ce  grand  malheur.   » 

(3)   La    Poule,    avocat    au    Parlement,    député   du    tiers    état    du 
bailliage   de   Besançon. 


263.  —  SEANCE  DU  1 1  AVRIL  1791 

SUR   LE   PROJET   D'ORGANISATION   DU   MINISTÈRE    (suite) 


Le  11  avril,  poursuivant  le  vote  de  l'article  consacré  aux  . fonc- 
tion s  du  ministre  'de  la  Justice  (1),  rassemblée  aborde  le  §  5  du 
projet    du    comité: 

«  De  donner  aux  juges  des  tribunaux  de  district,  des  tribunaux 
criminels  (2),  ainsi  qu'aux  juges  de  paix  et  de  commerce,  tous  les 
avertissements  nécessaires;  de  les  rappeler  à  la  règle,  ainsi  qu'à 
la  décence  et  à  la  dignité  de  leurs  fonctions,  et  de  veiller  'à  ce  que 
la   justice    soit    bien    administrée.    »' 

Après  une  légère  discussion,  ce  paragraphe  fut  voté  sous  cette 
rédaction,  sauf  les  mots  a  ainsi  qu'à  la  décence  et  à  la  dignité  de 
leurs   fonctions   »   qui   furent   supprimés. 


(1)  Cf.    ci-dessus,    séance  du    10   avril   1791. 

(2)  C?ttc  disposition  fut  étendue  aux  juges  des  tribun  uix  ^crimi- 
nels sur  la  proposition  de  Biauzat. 


222  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logo  graphique,  t.  XXIV,  p.  140 

«  M  Robespierre.  Je  suis  convaincu  que  cet  article  présente  de 
beaucoup  plus  grands  inconvéniens  que  celui  que  le  comité  vienf  de 
retirer  (3).  Je  dis  d'un  côté  qu'il  n'est  point  vrai  que  l'article  soit 
nécessaire  au  maintien  de  l'ordre  et  au  cours  des  affaires;  de  l'autre 
qu'il  est  le  renversement  des  principes  sur  lesquels  sont  assis,  la  consti- 
tution et  la  liberté.  Tel  est  l'effet  immédiat  de  cet  article,  c'est  de 
donner  au  ministre  de  la  justice  le  pouvoir  le  plus  illimité,  le  moins 
déterminé,  par  les  expressions  les  plus  vagues,  sur  tous  les  juges  du 
royaume.  Que  veut  dire  d"abord  :  donner  aux  juges  tous  les  aver'isse- 
mens  nécessaires }  Toujours  les  termes  les  plus  vagues  furent  l'écueil 
de  la  liberté  et  l'arme  la  plus  terrible  du  despotisme.  Sous  le  titre 
d'avertissemens  nécessaires  peuvent  être  renfermés  toutes  les  mercu- 
riales, toutes  les  remontrances,  tous  les  affronts  qu'il  plaira  au  ministre 
d'adresser  aux  juges. 

«  Mêmes  inconvéniens  et  plus  sensibles  encore  dans  les  termes 
suivans  :  de  les  rappeller  à  la  règle  ainsi  qu'à  la  décence  de  leurs 
fonctions.  Les  magistrats  nommés  par  le  peuple  ne  doivent-ils  point 
avoir  une  espèce  d'indépendance,  relativement  au  ministre  de  la  jus- 
tice. Je  m'explique  :  j'entends  par  indépendance  cette  certitude  que 
doit  surtout  avoir  tout  citoyen  investi  de  la  confiance  du  peuple  et 
qui  le  représente  dans  une  des  fonctions  sociales  les  plus  importantes, 
celle  de  l'Administration  de  la  justice;  la  certitude  qu'il  a  de  n'être 
comptable  de  ses  actions  qu'à  la  loi,  de  ne  pouvoir  essuyer  aucune 
injure,  de  ne  pouvoir  être  soumis  à  aucune  peine  ni  correction  infa- 
mante, à  moins  qu'il  n'ait  été  jugé  par  la  loi.  Cependant,  ne  voyez- 
vous  pas  que  par  ces  mots  vous  donnez  au  ministre  de  la  justic:  le 
pouvoir  d'infliger  des  peines  correctionnelles,  une  censure  flétrissante 
au  moins  dans  l'opinion,  puisqu'elle  suppose  toujours  un  délit,  un 
manquement  au  devoir  de  magistrat. 

<(  Pourquoi  les  magistrats  ont-ils  été  nommés  par  le  peuple  ?  Ce 
n'est  sans  doute  qu'afin  qu'ils  fussent  incorruptibles,  afin  qu'ils  fussent 
plus  indépendans  de  la  cour.  Je  vous  défie  de  trouver  un  autre  principe. 
Si  après  les  avoir  fait  nommer"  par  le  peuple,  vous  les  soumettez  telle- 
ment à  l'opinion,  au  caprice  du  garde-des-Sceaux,  qu'ils  soient  jugés 
par  lui,  vous  les  obligez  à  trembler  devant  lui,  à  craindre  toujours  sa 
censure.  (Applaudi).  Etablissez,  messieurs,  un  tribunal  composé  de 
juges  aussi  nommés  par  le  peuple  pour  surveiller  les  autres;  mais  ne 
donnez  pas  ce  pouvoir  dangereux  à  un  seul  homme,  à  un  homme  qui 
souvent  n'aura  été  porté  à  ses  fonctions  que  par  les  intrigues  de  la  cour. 
Tout  citoyen  lésé  n'a-t-ii  pas  la  voie  de  la  prise  à  partie?  L'accusa- 
teur public  n'est-il  pas  là  pour  poursuivre,   au  noni  de  la  loi,   1-   juge 


(3)  Le  Comité  de  Constitution  avait,   en  effet,   consenti  a  retirer 
l'art.   4  du  projet. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  223 

prévaricateur  ?  Mais  pour  renverser  la  machine,  faut-il  renverser  la 
liberté  ?  Le  Comité  voit  toujours  là  un  garde-des-Sceaux  devant  appe- 
santir la  verge  arbitrairement  sur  tous  les  juges;  et  si  les  sophismes  du 
comité  prévalent  sans  cesse  sur  les  maximes  qui  sont  gravées  dans  votre 
esprit,  vous  anéantissez  vous-mêmes  votre  propre  ouvrage,  et  vous  faites 
une  seconde  constitution  qui  renverse  essentiellement  la  première  »  (4). 
Le  Point  du  Jour,  t.  XXI,  n°  640,  p.   148. 

<(  M.  Robespierre  s'est  élevé  contre  quelques  expressions  de  cet 
article  et  il  a  dit  : 

«  Est-il  question  d'une  prévarication  réelle,  d'un  délit;  le  droit 
qu'ont  les  parties  de  se  plaindre,  l'accusateur  public  et  la  loi,  voilà 
le  soin  des  juges. 

«  S'agit-il  de  toute  autre  chose  que  le  comité  désigne  par  les 
mots  de  décence,  de  dignité,  aucun  magistrat,  aucun  citoyen  ne  peut 
être  puni,  inquiété,  en  aucune  manière  par  l'autorité  publique.  Donner 
à  ce:  égard  au  ministre  un  pouvoir  arbitraire,  c'est  avilir  les  juges  popu- 
laires, c'est  les  mettre  dans  une  dépendance  servile  et  funeste  du 
ministre.  Cette  dictature  correctionnelle  supposerait  nécessairement 
qu'un  ministre  mériteroit  plus  de  confiance,  seroit  préjugé  meilleur  juge 
des  mœurs,  de  la  délicatesse,  de  la  décence,  que  les  magistrats  popu- 
laires :  c'est  ce  qu'aucun  homme  sensé  ne  sera  tenté  de  soutenir.  Or, 
s'il  en  est  ainsi,  à  quoi  sert  l'article,  si  ce  n'est  à  remettre  insensible- 
ment la  puissance  judiciaire  entre  les  mains  de  la  Cour  et  du  minis- 
tère.  » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),   1791,  n°  329,  p.   1. 

«  M.  de  Robespierre  s'indigne  de  l'outrage  fait  par  cet  article, 
à  des  juges  honorés  du  choix  du  peuple.  C'est  les  calomnier,  que  de  les 
soupçonner  capables  de  s'écarter  des  sentiers  de  la  règle  et  de  la  jus- 
tice, des  devoirs  de  la  décence;  c'est  les  avilir  que  de  les' soumettre 
à  la  surveillance  d'un  homme  choisi  par  l'intrigue  des  cours.  C'est  les 
déshonorer  que  de  les  livrer  aux  soupçons  qui  seront  la  suite  d'une 
réprimande;  enfin,  c'est  anéantir  la  liberté  et  la  constitution,  c'est  réta- 
blir le  despotisme,  que  de  mettre  les  juges  du  peuple  sous  l'inspection 
du  ministère. 

«  Cependant,  ces  déclamations  triviales  n'ont  pas  fait  fortune, 
elles  ont  paru  inspirées,  plus  par  l'intérêt  que  par  le  zèle  du  bien  puMic, 
plus  par  l'amour  de  l'indépendance  que  par  celui  d'une  véritable  liberté. 
On  a  cru  que  M.  de  Robespierre,  qui  même  en  sa  qualité  de  législa- 
teur, avoit  quelquefois  essuyé  de  la  part  de  ses  collègues,  le  désagré- 
ment de  se  voir  rappelle  aux  loix  de  la  décence,  craignoit  d'être, 
comme  juge,  souvent  exposé  aux  mêmes  monitions  de  la  part  du  ministre 
de   la  justice. 


(4)  Texte    reproduit   dans    le*   Areh.    iru-1.,    XXIV,    095. 


224  LES    DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

f(  On  a  représenté  à  ce  grand  partisan  de  la  liberté  que  le  seul 
moyen  de  la  maintenir  étoit  de  n'avoir  pas  de  juges  indépendans, 
que  s'il  falloit  s'opposer  au  despotisme  ministériel,  celui  des  nouveaux 
magistrats  emplumés  seroit  bien  redoutable;  qu'un  avertissement  secret 
n'étoit  pas  un  affront;  que  s'il  se  trouvoit  juste,  ce  seroit  un  bienfait; 
que  s'il  étoit  mal-fondé,  on  pourroit  en  faire  rougir  et  repentir  le 
ministre  indiscret  et  prévenu;  qu'il  y  avoit  mille  fautes  légère?,  mille 
petits  écarts  qu'il  seroit  dangereux  de  tolérer  dans  les  juges,  et  qui  ne 
pourroient  cependant  être  réprimés  par  les  tribunaux;  qu'établir,  comme 
vouloit  M.  Robespierre,  des  tribunaux  pour  surveiller  les  premiers 
tribunaux;  c'étoit  un  progrès  sans  fin,  un  projet  ridicule  et  ruineux; 
enfin,  M.  Robespierre  a  été.  contrainte  (sic)  de  s'humilier,  et  l'article 
a  été  adopté,  si  ce  n'est  qu'il  ne  sera  pas  permis  de  rappeller  les  juges 
è  la  décence,  non  pas  qu'on  les  croie  incapables  d'y  manquer;  mais 
parce  que  le  juge  rappelle  à  la  décence  ne  manquerait  pas,  suivant  la 
judicieuse  remarque  de  M.  Antoine,  de  répondre  au  minière  de  la  jus- 
tice, c'est  vous  qui  êtes  indécent. 

Journal  des  Débats,  t.  XX,  n°   685,  p.    1. 

«  Je  ne  sais  pas,  a  dit  M.  Robespierre,  si  cet  article  paroî*  moins 
susceptible  de  difficultés  que  celui  qui  vous  a  été  présenté  hier  sous 
les  mêmes  auspices;  mais,  selon  moi,  il  présente  de  plus  grands  incon- 
véniens  encore.  J'observe  que  d'un  coté  cet  article  n'est  point  nécessaire 
au  maintien  de  l'ordre,  et  que  de  l'autre,  il  peut  renverser  les  principes 
de  notre  Constitution  et  de  la  Liberté.  Qui  peut  en  effet  avoir  déter- 
miné à  donner  aux  Agens  du  Pouvoir  exécutif  l'autorité  la  plus  indé- 
terminée sur  tous  les  Juges  du  Royaume  ?  Que  signifie  cette  faculté 
accordée  au  Ministre  de  donner  des  avertissemens  aux  Tribunaux  ?  Mais 
sous  ce  titre  sont  renfermées  les  mercuriales,  les  réprimandes,  les 
affronts  que  le  Ministre  'pourra  faire  selon  son  caprice  et  sa  volonté 
arbitraires.  Ensuite,  on  vous  propose  de  lui  permettre  de  rappeler  les 
Juges  à  la  règle  et  à  la  décence,  ainsi  qu'à  la  dignité  de  leurs  fonc- 
tions. Est-il  possible  de  réunir  plus  de  termes  vagues,  et  de  donner 
aux  Ministres  plus  de  prétextes  d'offenser  les  Magistrats  nommés  par 
le  Peuple  ?  Exista-t-il  jamais  rien  de  plus  vexatoire  ?  Les  Magistrats 
qui  ont  la  confiance  du  Peuple,  ne  doivent-ils  pas  être  dans  la  plus 
grande  indépendance  ?  Sans  doute,  Messieurs,  ils  ne  doivent  dépendre 
que  de  la  Loi;  ils  ne  doivent  encourir  d'autre  peine  que  celle  que  la  Loi 
leur  infligera. 

«  M.  Robespierre  a  encore  développé  ces  principes,  et  a  demandé 
la  question  préalable  sur  l'article  proposé.   » 

Mercure  de  France,  23  avril  1791,  p.  241-242. 

«  M.  Roberspierre  y  a  vu  de  plus  grands  inconvéniens  que  dans 
la  première  rédaction,  et  c'étoit  cependant  encore  ceux  qu'il  paroissoit 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  225 

impossible  d'exagérer,  le  renversement  total  des  principes  de  !a  consti- 
tution et  de  la  liberté.  «  Que  signifie,  a-t-il  dit,  cette  faculté  accordée 
au  ministre  de  la  justice,  de  donner  des  avertissemens  aux  tribunaux  ?  Il 
pourra  donc  se  permettre,  au  gré  de  ses  caprices,  les  mercuriales,  les 
réprimandes,  les  affronts  ?  Rappeler  des  juges  à  la  règle,  à  la  décence, 
à  la  dignité  de  leurs  fonctions  ?  Traiter  ainsi  des  magistrats  élus  par  le 
peuple  !  à  la  décence  !  Exista-t-il  jamais  rien  de  plus  vexatoire  ?  Hono- 
rés de  la  confiance  de  la  nation,  ils  ne  doivent  dépendre  que  de  la  loi, 
que  de  l'opinion  publique  ».  C'est  ainsi,  mais  bien  plus  longuement,  que 
l'orateur  a  foudroyé  cet  article.   » 

Courier  Français,  t.  X,  n°   102,  p.  332. 

«  M.  Robertspierre,  pensoit  qu'on  ne  pouvoit  lui  donner  un  tel 
droit  sur  des  magistrats  nommés  par  le  peuple,  sans  introduire  le  despo- 
tisme des  anciens  chanceliers;  que  ce  seroit  une  flétrissure  imprimée 
par  la  loi  à  des  citoyens  honnêtes  en  qui  le  peuple  a  mis  sa  confiance; 
et  ce  qu'il  y  a  oie  plus  déplorable,  s'écrioit  ce  député  d'Arras,  vous 
allez  donner  à  un  individu  choisi  par  l'intrigue  de  cour,  le  droit  d'hu- 
milier la  délicatesse  d'un  galant  homme,  élevé  à  un  poste  honorable 
par  le  vœu  de  ses  concitoyens.  » 

Journal  de  Paris,   12  avril   1791,  p.  416. 

«  M.  de  Roberspierre,  à  qui  on  ne  peut  jamais  dire  :  Tu  dors, 
Brutus,  s'est  élevé  avec  beaucoup  de  véhémence  contre  cet  article  : 
l'adopter,  disoit-il,  ce  seroit  renouveller  ces  mercuriales  faites  si  sou- 
vent dans  l'ancien  régime,  par  des  Magistrats  qui  avoient  tous  les 
vices,  à  des  Juges  qui  avoient  toutes  les  vertus  :  ce  seroit  mettre  un 
seul   au-dessus  de   tous  les   Tribunaux  d'un   Royaume. 

«  Cette  chaleur  de  M.  de  Roberspierre  ne  s'est  pas  beaucoup  com- 
muniquée à  l'Assemblée  Nationale.   » 

Journal  du  soir  (Beaulieu),  n°    101,  p.  2. 

Le  Législateur  français,    17   avril    1791,   p.   4. 

Courrier  des  Français,  n°  43,  p.  338. 

«  M.  Roberstpierre,  dans  une  discussion  très- véhémente,  a  pensé 
que  le  ministre  de  la  justice  ne  devoit  ni  donner  des  avertissemens 
aux  juges,  ni  les  surveiller,  ni  même  les  rappeler  à  la  décence. 

«  Il  a  pensé  qu'un  tel  droit,  attribué  au  ministre  de  la  justice  sur 
des  magistrats  nommés  par  le  peuple,  étoit  une  véritable  censure  qui 
ramenoit  le  despotisme  des  anciens  chanceliers.  Ce  droit  accorde  au 
ministre,  lui  paroissoit  une  flétrissure  imprimée  par  la  loi  sur  d'hon- 
nêtes citoyens,  en  qui  le  peuple  avoit  mis  sa  confiance;  et  à  qui, 
messieurs,  donnez-vous  la  faculté  d'humilier  ainsi  la  délicatesse  d'un 
galant  homme,  élevé  par  le  vœu  de  ses  concitoyens  à  la  plus  impor- 
tante des  fonctions  publiques?  A  un  homme  choisi  par  l'intrigue  des 
cours.   » 

HoiiiM'iiJiio .  15 


226  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Journal  des  Mécontens,  n°  43,  p.   4. 

«  MM.  Mougins,  Renaud  de  Saint-Jean-d'Angely,  Goupil, 
Biauzat  et  le  consciencieux  Roberspierre,  ont  porté  à  la  tribune  le  même 
esprit  de  vertige  qu'ils  avoient  signalé  la  veille  dans  le  cul-de-sac 
Jacobite;  et  l'Assemblée  a  enfin  décrété  les  articles  suivans  sur  l'attri- 
bution du  ministère  de  la  justice.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Courrier  des 
LXXXIII  départemens,  t.  XXIII,  n°  13,  p.  204;  Assemblée  nationale, 
Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XI,  n°  615,  p.  2;  Les  Annales  patrio- 
tiques et  littéraires,  n°'557;  Le  Journal  de  Normandie,  n°  102,  p  492; 
Le  Journal  général,  n°   71,  p.  284.] 


2°  intervention 


'Le  §  7  de  l'article  sur  les  fonctions  du  ministre  de  la  Justice, 
porte,  dans  le  projet  du  comité,  que  le  ministre  rendra  compte 
à  la  législature,  au  commencement  de  chaque  session,  «  de  l'état 
de  l'administration  de  la  justice,  des  abus  \qui  auraient  pu  s'y 
introduire,   et  de   la.  conduite    des   juges   et  de*    officiers   o>. 

Après  les  observations  de  Robespierre  et  de  Pétion,  ce  para- 
graphe fut  adopté  sous  la  rédaction  proposée,  sauf  les  mots  «  de 
l'état  de  l'administration   de   la   justice   »  (qui   furent  supprimés. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIV,  p.  143 

«  M.  Robespierre.  Le  pouvoir  que  l'on  attribue  au  ministre  de  la 
justice  de  distribuer,  au  commencement  de  chaque  session,  le  degré  de 
blâme  ou  de  louange,  me  paroit  d'une  invention  extrêmement  neuve. 
A  quoi  cela  aboutira-t-il  ?  Car  les  représentai  de  la  nation  n'auron»; 
pas  le  tems  d'examiner  ces  sortes  d'affaires.  Cette  censure  tend  à 
dépraver  les  moeurs  des  magistrats  en  les  faisant  dépendre,  non  pas  de 
l'opinion  publique,  mais  de  celle  du  ministre,  et  par  conséquent  de 
l'opinion  des  cours  et  de  tous  les  hommes  corrompus  qu!  les  habitent. 
Je  prétends  qu'il  n'y  a  rien  de  si  immoral,  de  si  impolitique,  de  si 
inconstitutionnel  que  cet  article,  et  qu'on  doit  le  rejetter. 

«  Quant  aux  premières  dispositions  de  l'article,  je  ne  dirai  qu'un 
mot,  c'est  qu'elles  tendent  à  donner  l'initiative  aux  ministres  sur  tout 
ce  qui  concerne  l'administration  de  la  justice  »  (5). 

Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  nationale,   11   avril   1791,  p.  69. 

«  Par  le  paragraphe  7  du  même  article,  le  Ministre  de  la  Justice 
devoit  rendre  compte  au  commencement  de  chaque  session  de  la  conduite 
des  Juges  et  des  Officiers.  M.  Robespierre  a  senti  que  cette  disposi- 
tion tendoit  à  mettre  les  Juges,   non  dans  la  dépendance  de  l'opinion 


(5)  Texte    reproduit  dans   les  Arch.   pari.,   XXIV,   697. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  227 

publique,  mais  de  celle  du  ministère,  et  conséquemment  de  la  Cour 
et  des  hommes  corrompus  qui  l'habitent.  Il  a  soutenu  qu'en  armant  les 
Ministres  d'un  droit  de  censure  aussi  étendu,  c'étoit  leur  fournir  les 
moyens  de  dépraver,  de  maîtriser  despotiquement  les  Magistrats,  et  que 
rien  n'étoit  plus  immoral,  plus  impolitique  et  plus  inconstitutionel  que 
cette  disposition,  M.  Pétion  a  appuyé  cette  observation  judicieuse.  •; 
L'Ami  du  Roi  (Royou),   n°   329,  p.   2. 

«  Ce  qui  doit  étonner  davantage,  et  même  effrayer  ceux  qui  con- 
noissent  les  hautes  prétentions  des  nouveaux  magistrats,  c'est  que  ce 
n'est  pas  à  la  surveillance  du  garde-des-sceaux  seul,  mais  aussi  à  celle 
du  corps  législatif,  qu'ils  prétendent  se  soustraire.  Il  étoit  dit  que  le 
ministre  de  la  justice  «  seroit  chargé  de  rendre  compte  à  la  législature, 
des  abus  qui  auraient  pu  se  glisser  dans  l'administration  de  la  justice, 
et  de  la  conduite  des  juges  ».  Ces  dernières  paroles  ont  fait  trembler 
MM.  Robespierre  et  Péthion;  il  sembloit  que  déjà  ils  se  voyoient 
dénoncés  à  la  prochaine  législature;  et,  pour  les  rassurer,  il  a  fallu  rayer 
ces  mots,  la  conduite  des  juges.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  des  Débats, 
t.  XIX,  n°  685,  p.  5;  Le  Mercure  de  France,  23  avril  1791,  p.  243; 
Le  Point  du  Jour,  t.  XXI,  n°  640,  p.  151.] 


3e  intervention  :  Sur  le  titre  des  ministres  français 
auprès  des  puissances  étrangères 

Démeunier,  au  nom  du  comité  de  constitution,  fait  lecture  de 
l'art.  13  du- projet,  relatif  aux  attributions  du  ministre  des  affaires 
étrangères:  «  Art.  13.  Le  ministre  des  affaires  étrangères  aura: 
1°  La  correspondance  avec  les  ministres  résidents  ou  agents  que  le 
roi  enverra  ou  entretiendra  auprès  des  puissances  étrangères  »... 
Robespierre  intervient  sur  ce  premier  point. 

L'Assemblée  décréta  l'article,  sous  la  rédaction  proposée  par 
son  comité. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXIV,  p.  !45 
«  M.  Robespierre.  Je  crois  que  vous  ne  pouvez  vous  dispenser 
d'examiner  si  nos  ministres  chez  l'étranger  doivent  être  appelles  minis- 
tres du  roi  ou  ministres  de  la  nation.  J'observe  que  M.  Rabaud  a  fait 
un  travail  à  ce  sujet,  et  je  demande  qu'il  soit  entendu  »  (6). 
L'Ami  du  Roi  (Royou),   1791,  n°  329,  p.  2. 

«  On  revient  à  l'organisation  du  ministère.  Celui  de  la  marine 
n'éprouve  aucune  difficulté.  Il  s'en  élève  d'avantage  sur  les  ambassa- 
deurs D'abord  M.  de  Robespierre,  pour  la  décharge  de  sa  conscience, 
veut  qu'ils  soient   appelés  les  agens   de   la  nation.   On   n'a  pas  assez 


(6)  Rabaut  réplique  que  ces  articles  ne  contrarient  en  rien   sou 
clan.  - 


228  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

d'égards  aux  scrupules  de  la  conscience  timorée  de  M.  Robespierre.   » 
Journal  des  Débats,  t.   XIX,  n°  685,  p.   5. 

((  M.  Robespierre  a  encore  combattu  l'article  suivant  :  il  s'est 
étonné  que  l'on  proposât  encore,  d'appeler  les  Ambassadeurs  de  la 
Nation,    Ambassadeur  du  Roi. 

«  On  a  répondu  à  M.  Robespierre  que  cela  ne  se  trouvoit  pas 
dans  l'article.    » 

Journal  du  soir  (Beaulieu),  n°    101,  p.  3. 

Le  Législateur  français,   12  avril   1791,  p.  6  et  7. 

Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XI,  n°  615,  p.  5. 

«  Sur  le  paragraphe  1,  M.  Robespierre  a  observé  qu'un  membre 
du  comité  de  constitution  avoit  un  travail  intéressant  sur  la  constitution 
extérieure  du  royaume,  et  il  a  demandé  qu'il  ne  fût  rien  statué  sur 
l'organisation  du  département  des  affaires  étrangères  sans  que  l'assem- 
blée en  eut  pris  connaissance.  » 

...«  M.  Robespierre  avoit  demandé  qu'il  fût  dit:  les  ministres, 
résidens  ou  agens  de  la  nation  que,  etc.  ;  mais  les  murmures  se  sont 
élevés,  et  cette  demande  n'a  pas  été  soutenue*   » 


4e  intervention  :  Sur  le  traitement  des  ministres 

Démeunier,  au  nom  du  comité  de  constitution,  donne  lecture 
à  l'assemblée  nationale,  de  Fart.  42  du  projet  sur  l'organisation 
du  ministère  :  «  Le  traitement  des  iministres  sera,  savoir  :  pour  celui 
des  affaires  étrangères,  de  150.000  livres  par  année,  et  pour  chacun 
des  autres  de  100.000  livres  payées  par  le  trésor  rpublic.  »  Robes- 
pierre s'élève  contre  ces  traitements,  que  défend  Garât.  Prieur, 
Lan  juin  ads,  Goupil  et  Armand,  député  du  tiers  état  de  la  séné- 
chaussée de  ;Saint-Flour,  interviennent  dans  le  même  sens  que 
Robespierre. 

(L'Assemblée   décréta    les    traitements    proposés    par    son    comité. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIV,  p.  151 
«  M.  Robespierre.  Je  crois  que  l'on  pourroit,  sans  beaucoup  d'm- 
convéniens,  porter  encore  plus  loin  les  vues  d'économie  proposées  par 
le  comité.  On  peut  certainement  avoir  un  traitement  moindre  de  100 
mille  livres,  et  être  un  homme  très  opulent,  et  être  un  homme  public 
capable  de  tenir  un  état  considérable.  Je  ne  vois  d'objection  contre  la 
diminution  proposée  au  traitement  de  100  mille  livres,  que  la  nécessité 
de  donner  à  dîner,  et  de  représenter.  Des  prétextes  si  puérils,  si 
étrangers  à  la  dignité  de  fonctionnaires  publics,  si  étrangers  surtout  à 
l'utilité  publique,  ne  doivent  pas  être  mis  en  parallèle  avec  les  prin- 
cipes d'économie  que  je  réclame. 

«    Je   demande    en    conséquence,    et   je    me   reproche    en   cela   de 
n'oser  pas  encore  pousser  mon  opinion  jusqu'au  bout  de   la   vérité,   je 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  229 

demande  que  le  traitement  de    100  mille  livres  soit  réduit  à  50  miMe. 
(Applaudi)  (7).  » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    102,  p.  422. 

«  M.  Roberspierre .  A  moins  qu'on  ne  prouve  qu'il  est  nécessaire 
d'accorder  aux  ministres  un  traitement  extraordinaire  pour  les  dîners 
qu'ils  donnent,  je  ne  vois  pas  qu'ils  aient  besoin  d'une  somme  aussi 
considérable,  et  je  ne  crains  pas  de  demander  que  leur  traitement  soit 
réduit  à  la  moitié  de  ce  que  propose  le  Comité  (8).   » 

Le  Patriote   François,   n°    612,   p.    392. 

«  Une  trentaine  d'articles  ont  été  ensuite  décrétés,  après  de  très 
légers  débats.  De  ce  nombre  est  celui  qui  concerne  'a  fixation  des 
salaires  des  ministres.  Le  comité  les  fixe  à  cent  mille  livres.  M.  Robes- 
pierre les  réduisoit  à  moitié;  M.  Buzot  les  vouloit  prendre  sur  la  liste 
civile;  tous  deux  avoient  raison,  mais  on  ne  vouloit  pas  lésiner,  et  le 
comité  l'a  emporté.  » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXI,  n°  640,  p.   158. 

«  M.  Robespierre  s'est  élevé  contre  cette  proposition,  qu'il  îrou- 
voit  contraire  à  l'économie,  principal  devoir  des  représentai  du  peuple, 
dangereuse  même  par  la  corruption  que  les  richesses  doivent  faire 
naître.  Il  a  demandé  que  les  ministres  fussent  réduits  à  50  mille  livres 
chacun.   (On  applaudit)  (9).    » 

Journal  général,  n°    71,   p.   285. 

«  M.  Robertspierre  se  lève  de  nouveau.  C'est  le  Mirabeau  du 
jour  ;  mais  voyant  les  choses  un  peu  moins  en  grand,  il  recommande 
l'économie  pour  le  maintien  du  nouvel  ordre  des  choses  et  conclut,  en 
bornant  ces  traitemens  à  50.000  1.  pour  chacun  des  Ministres.  » 

Le  Courrier  des  LXXXI1I  départemens,  t.  XXIII,  n°   13,   13  avril  1791. 

«  M.  Robertspierre  a  vivement  tancé  le  comité  sur  son  peu  d'éco- 
nomie. Il  trouvoit  de  la  prodigalité  à  accorder  150.000  liv.  au  mimstre 
des  affaires  étrangères  et  100.000  aux  autres  agens  du  pouvoir  exécutif: 
Je  demande,  en  conséquence,  a-t-il  dit,  et  je  me  reproche  de  n'oser 
pas  encore  pousser  mon  opinion  jusqu'au  bout  de  la  vérité,  je  demande 
que  le  traitement  soit  réduit  à  50.000  liv.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  de  la  No- 
blesse, t.   I,  n°    17,  p.   501;  Le  Lendemain,  t.   III,   n°    102,   p.    114; 


(7)  Texte    reproduit   dans    les    Arch.    pari.,    XXIV,    703, 

(8)  Texte    reproduit    dans    le   Moniteur,    VIII,    108-    et   Bûchez   et 
Roux,    IX,    332. 

(9)  Cf.   E.   Ho/mel,   I,   411. 


230  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Le  Journal  de  Normandie,  n°  103,  p.  495;  Le  Courrier  des  Français, 
n°  43,  p.  338;  Le  Courier  Français,  t.  X,  n°  102,  p.  332;  L'Ami 
de  la  Révolution,  p.  511;  Le  Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée 
nationale,  11  avril  1791,  p.  69;  Le  Mercure  de  France,  23  avril  17Q1, 
p.  243  et  244.] 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

264.  —  SEANCE  DU  11  AVRIL  1791 

Sur  l'aliénation  des  moulins  de  Corbeil  (1) 


Après  diverses  interventions,  une  délégation  du  Club  des  Cor- 
deliers  est  introduite.  Son  orateur,  Rutledge  (2)  annonce  à  la 
{Société  que  les  moulins  de  Oorbeil  devenus  biens  nationaux,  sont 
sur  le  point  d'être  aliénés;  des  démarches  ont  été  faites  auprès 
du  Comité  d'aliénation  et  du  /Directoire  du  département,  pour 
faire  suspendre  l'adjudication.  Rutledge  fait  part  à  la  Société  de 
ses  craintes  de  voir  les  moulins  de  Corbeil  tomber  aux  mains 
d'une  compagnie  financière  :  ainsi  se  préciseraient  les  moyens 
sourdement  préparés  pour  affamer  Paris.  Kersaint  et  Prieur  estiment 
que  les  moulins  de  Corbeil  peuvent  s'aliéner,  sans  que  les  acqué- 
reurs deviennent  les  maîtres  des  subsistances  de  Paris.  Rutledge 
insiste  pour  que  la  iSociété  'nomme  des  commissaires  qui  fassent. 
en  sorte  que  les  moulins  de  Corbeil  ne   soient  pas  vendus. 

Grâce  à  l'intervention  de  Robespierre,  cinq  commissaires  furent 
nommés  pour  suivre  cette  affaire. 

Mercure  universel,   t.    II,  p.   233. 

«  M.  Robespierre.  Sur  une  dénonciation  faite  par  un  club  popu- 
laire, j'ai  vu  l'effervescence  à  la  place  de  la  raison.  Je  ne  me  crois 
plus  dans  la  société  des  amis  de  la  Constitution;  et  moi  aussi  j'ai 
confiance  dans  les  magistrats  nommés  par  le  peuple,  et  moi  aussi  je 
crois  qu'il  n'y  a  pas  ici  un  seul  membre  qui  osât  proposer  que  la  société 
se  mêlât  d'administration;  mais  a-t-elle  donc  pour  cela  renoncé  à  une 
sage  surveillance  ?  (On  applaudit).  Quand  ce  ne  seroit  pas  pour  un 
club  patriote,  en  devriez- vous  moins  pour  l'intérêt  de  la  Capitale  peser 
soigneusement  les  raisons.  Il  faut  des  éclaircissements,  et  vous  le  devez 
pour  la  tranquillité  publique;  vous  le  devez  à  vos  frères,  à  vos  amis,  et 
la  demande  de  l'ordre  du  jour  ne  peut  convenir  à  vos  principes  :  je 
demande  des  commissaires.   » 


(1)  Cf.   Arch.    nat.   D  XXIX   bis,   dossier  258,   pièces  8,   9,   12,    13. 

(2)  Cf.  B.  Las  Vergnas:  Le  Chevalier  Rutledge,  gentilhomme 
anglais,  in-8°,  238  p.  (1935).  Rutledge  s'était  chargé  de  protester  au 
nom  des  boulangers  parisiens,  en  1789,  contre  la  politique  de 
Xecker  en  ce  qui  concernait  le  ravitaillement  en  farine  à  l'aide 
d'achats  à  l'étranger. 


LES    DISCOURS   DE    ROBESPIERRE  231 

Le  Creuset,  t.  II,  n°  30,  p.  80. 

«  M.  Robespierre  est  enfin  venu  à  bout  de  fixer  les  esprits  sur 
ce  qu'il  y  avoit  de  simple  et  de  vrai  dans  la  motion  de  l'orateur  des 
Cordehers  :  elle  a  été  adoptée  à  une  énorme  majorité.   )i 

Journal  de  la  Révolution,   13  avril  1791. 

«  M.  Robespierre  était  d'avis  de  ne  pouvoir  pas  repousser  la  récla- 
mation,  sans  l'avoir  scrupuleusement   examinée   »   (3). 


(3)  Cf.   Aulard,  II.  313,  qui  ne  cite  pas  les  extraits  précédents. 


265.  —  SEANCE  DU   13  AVRIL   179! 
Sur  le  projet  d'organisation  du  ministère  {suite) 


1 rp  intervention  :  Sur  les  pouvoirs  du  ministre  des  contributions  publiques 

L'Assemblée  poursuivant  la  discussion  du  projet  «l'organisation 
du  ministère,  décrète  rapidement  un  certain  nombre  d'articles  rela- 
tifs au  département  de  la  marine.  Elle  aborde  alors  les  articles 
concernant  les  pouvoirs  du  ministre  des  contributions  Le  §  1  donne 
iieu  à  un  vit  débat.  uVI.  de  Folleville  en  demande  .l' ajournement, 
se  basant  sur  le  fait  que,  dans  la  séance  du  11  avril,  la  question 
du  jugement  suprême  des  contestations  en  matière  d'impôts  est 
restée  sans  solution.^  Robespierre  intervient  après  lui  et  l'article 
est  adopté  sous   cette   rédaction: 

«  Le  ministre  des  contributions  publiques  aura  dans  son  dépar- 
tement :  1°  les  détails  relatifs  à  l'exécution  des  lois  touchant 
.■"assiette  des  contributions  directes  et  leur  répartition,  sans  qu'il 
puisse  juger  des  contestations  qui  surviendraient  à  cet  égard  tou- 
chant le  recouvrement,  dans  le  rapport  des  contribuables  avec 
les  percepteurs  ».. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIV,  p.   194 

«  M.  Robespierre.  Quoiqu'on  ait  disposé  les  esprits  à  ne  pas 
entendre  de  longues  discussions,  ceci  tient  évidemment,  comme  M.  de 
Folleville  vous  l'a  observé  au  pouvoir  de  juger  les  contestations  qui 
peuvent  s'élever  sur  la  perception  de  l'impôt  (non,  non).  L'on  a  beau 
déguiser  ces  inconséquences  sous  des  noms  qui  n'existent  plus,  c'est 
précisément  parce  que  ces  termes  sont  vagues,  que  l'article  compromet 
cette  grande  question  :  qu'est-ce  que  c'est  que  maintenir  l'exécution  des 
loix,  relativement  à  des  contestations,  qui  s'élèvent  sur  des  contributions? 

«  M.   Démeunicr.  Il  n'y  a  pas  de  contestation. 

«  M.  Robespierre.  Je  dis  que  le  ministre  qui  auroit  le  droit  de 
décider,  sous  quelque  titre,  sous  quelque  expression  qu'on  lui  donne, 
ce  droit  de  décider  pourroit,  à  la  faveur  de  l'obscurité  de  ces  articles, 
prétendre  au  pouvoir  de  décider  ces  contestations;  et  je  me  suis  apperçu 


232  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

que  l'intention  du  comité  est  de  donner  ici  la  plus  grande  partie  de  la 
puissance  judiciaire  au  ministre  de  l'intérieur.  Ces  idées  me  font 
appuyer  M.  de  Folleville  (1)    » 


2e  intervention  :  Sur  les  pouvoirs  du  ministre  de  l'Intérieur 

L'Assemblée  aborde  ensuite  les  articles  concernant  la  sûreté 
intérieure  du  royaume.  (La  discussion  s'engage  sur  l'article  qui 
soumet  au  ministre  la  force  publique  intérieure.  Robespierre  inter- 
vient à  nouveau  dans  le  débat.  Démeunier,  rapporteur,  reconnais- 
sant qu'il  y  a  dans  le  projet  de  décret  'sur  l'organisation  des  gardes 
nationales,  un  titre  sur  l'emploi  de  la  force  publique  intérieure, 
admet  l'ajournement,  dans  l'article  présenté,  de  ce  qui  concerna  la 
force   publique   intérieure. 

L'Assemblée    décréta    l'ajournement. 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   104,  p.  430. 

«  M.  Roberspierre.  Ne  voyez- vous  pas  quels  moyens  on  a  em- 
ployés avant  cette  discussion  pour  fermer  la  bouche  à  ceux  qui  veulent 
défendre  les  principes  du  patriotisme.  L'intention  du  Comité  est  de 
donner  tout  le  pouvoir  aux  ministres.  Je  demande  qu'ils  n'aien*  d  in- 
fluence ni  directe,  ni  indirecte  en  activité  (2).   » 

Journal  de  Normandie,  n°   104,  p.  506. 

«  Et  qu'importe,  a  dit  M.  Robertspierre,  que  se  soit  médiatement 
ou  immédiatement  que  ce  ministre  fasse  mouvoir  la  force  publique 
intérieure,  il  n'en  sera  pas  moins  redoutable  pour  la  liberté  indivduelîe  ! 
Une  pareille  distinction  est  illusoire  et  chimérique.   » 

Le  Patriote  François,  n"  615,  p.  404. 

«  Nous  ne  devons  pas  oublier  de  dire  que  l'assemblée  nationale 
a  ajourné  un  article  important.  Il  s'agissoit  de  savoir  si  l'on  subordon- 
neroit  au  ministre  de  l'intérieur  la  force  nationale  intérieure,  comme  le 
proposoit  le  comité.  MM.  Buzot,  Menou,  Robespierre,  Dubois  (de 
Crancé)  se  sont  élevés  contre  cet  article,  et  ont  réussi  à  l'écarter, 
malgré  les  réclamations  des  ministériels,  qui  craignent  que  le  pouvoir 
exécutif  n'ait  pas  assez  de  force  pour  nous  lier  (3).   » 


3*  intervention  :  Sur  la  retraite  des  Ministres 

Au  nom  du  .comité  de  constitution,  Démeunier  propose  à  l'Assem- 
blée   d'accorder    aux    ministres    renvoyés    ou    démissionnaires,     une 


(1)  Texte   reproduit  dans   les   Arch.  iparl.,    KXV,    11   et   12. 

(2)  Texte    reproduit   dans    le    Moniteur,    VIII,    123. 

(3)  Au  cours   de  ce   rapide  débat,  .Beaumetz  avait   accusé  Robes- 
pierre de   vouloir   aider    à   l'établissement   d'un    système   fédératif. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  233 

pension    de   2.000   livres    par    année    de    service,    en    fixant   à    12.000 
livres   le   maximum  de  cette   pension. 

Robespierre  intervient  pour  demander  la  question  préalable 
et,  malgré  les  efforts  du  rapporteur,  l'Assemblée  rejeta  cet  article 
du  projet. 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),  n°    103,  p.  3. 
Le  Législateur  français,   14  avril   1791,  p.  5. 
Courier  Français,  t.  X,  n°    104,  p.  348. 

c.  M.  Robertspierre,  qui  n'aime  pas  le  gaspillage,  s'est  vivement 
élevé  contre  cette  proposition,  et  il  demandoit  s'il  falloit  considérer 
les  ministres  comme  des  fonctionnaires  publics,  et  si  l'Assemblée 
croit  devoir  accorder  des  retraites  à  tous  ceux  que  la  nation  honore  de 
sa  confiance,  et  qui  méritent  le  titre  honorable  de  fonctionnaires  publics. 
L'honorable  membre  n'a  pas  eu  de  peine  à  se  faire  entendre  de 
l'Assemblée;  dont  les  opérations  sont  toutes  marquées  au  coin  de  la 
plus  sévère  économie;  et  il  a  été  décrété  qu'il  n'y  avoit  pas  lieu  à 
délibérer  sur  la  proposition  du  comité.    » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXI,  n°  642,  p.   191. 

«  M.  Robespierre  s'est  fortement  élevé  contre  cette  proposition, 
en  disant  :  «  Sera-ce  donc  toujours  avec  des  regards  superstitieux,  que 
nous  considérerons  les  places  des  ministres  ?  Et  tandis  que  les  autres 
fonctionnaires  publics  n'ont  pas  de  pension  à  espérer  après  de  longs 
services,  croit-on  qu'on  puisse  en  accorder  à  des  ministres  qui,  après 
avoir  eu  cent  mille  livres  de  traitement  par  année,  seront  forcés  ou 
voudront  quitter  leur  fonction  ?  Voulez-vous  établir  des  privilèges  et 
des  préférences  ?  Ne  croyez-vous  pas  que  les  places  de  ministres  soient 
vacantes  ?  Je  conclus  à  la  question  préalable.   » 

Courrier  d'Avignon,    1791,   n°   97,  p.  385. 

«  Dans  la  séance  du  13,  M.  Robespierre  demanda  la  question 
préalable  sur  l'article  qui  accorde  une  retraite  de  2.000  livres  aux 
ministres,  pour  chaque  année  de  leur  ministère,  sans  que  cette  pension 
pût  s'élever  au-delà  de  12.000  livres.  Cet  article  n'a  paru  à  M.  Robes- 
pierre que  le  fruit  de  l'ancienne  habitude  qui  faisoit  considérer  les 
ministres  avec  une  vénération  servile. 

«  Pourquoi  aujourd'hui  accorderoit-on  aux  ministres  une  retraite 
que  l'on  n'accorde  pas  aux  autres  fonctionnaires  publics?  Pourquoi 
établir  cette  différence  ?  Les  ministres  n'auront-ils  pas  droit  aux  récom- 
penses de  la  patrie,  ainsi  que  *ous  les  citoyens  qui  ont  bien  mérité 
d'elle  ?  Ne  faut-il  pas  les  attacher  par-là  à  se  rendre  chers  à  la  nation 
par  leur  administration  } 


(4)  Cf.    E.   Hamel,  I,  412. 


234  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  Ces  réflexions  furent  fort  applaudies.  La  question  préalable  fut 
mise  aux  voix  et  décrétée.   » 

Le  Creuset,  t.   II,  n°  32,  p.    115. 

«  L'honnête  Roberspierre ,  persuadé  sans  doute  qu'il  est  difficile 
à  un  grand  travailleur  de  dévorer  100.000  livres,  a  pris  la  parole:  Il 
faut,  a-t-iï  dit,  considérer  les  ministres  comme  des  fonctionnaires  pu- 
blics !  La  nation,  sous  cet  aspect,  le  plus  honorable  de  fous  pour  eux, 
leur  doit-elle  des  retraites  plutôt  qu'à  tous  les  autres  ?  «  L'honorable 
membre  sous-entendoit ,  sûrement  par  excès  de  civilité,,  que,  quant  aux 
bons  et  loyaux  services  qu'il  arriveroit  à  ces  Messieurs  de  rendre  au 
pouvoir  exécutif,  ce  devoit  être  là,  une  affaire  de  Valet  a  maître,  dont 
le  salaire  devoit  regarder  directement  la  liste  civile. 

«  ...Au  reste,  le  mouvement  honnête  et  énergique  de  M.  Robes- 
pierre a  fait  abandonner  aux  ministériels  la  prétention  de  faire  décréter 
des  retraite?  pour  leurs  amis.    » 

Journal  des  Décrets  de  V Assemblée  nationale,   13  avril   1791, 

«  M.  le  Rapporteur  n'a  pas  manqué  de  proposer  des  pensions 
pour  les  Ministres.  Ceux  qui  auroient  conservé  leur  place  moins  de  cinq 
ans,  auroient  obtenu  2.000  livres  pour  chacune  des  années  qu'ils 
auroient  exercé,  et,  quelle  qu'eût  été  la  durée  de  leurs  fonctions,  ces 
pensions  n'auroient  pu  excéder  12.000.  La  question  préalable,  invo- 
quée par  M.  Roberspierre,  a  repoussé  cette  proposition  anti-civique, 
dont  le  but  étoit  d'établir  une  distinction  entre  les  Agens  du  Pouvoir 
exécutif  et   les  autres  Fonctionnaires  publics.    » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXIV,  p.  199 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  puis  m'empêcher  de  dire  que  cet  article 
est  absolument  contraire  à  la  raison,  et  qu'il  introduit  une  distinction 
inutile  et  sans  objet  entre  ces  fonctionnaires  publics  et  d'autres  fonc- 
tionnaires publics.  Il  existe  une  règle  générale  pour  donner  des  récom- 
penses pécuniaires  à  ceux  qui  ont  bien  mérité  de  la  patrie;  et  je  ne 
connois  aucune  exception  pour  une  place  de  fonctionnaire  public.  Avez- 
vous  décerné  des  retraites  pour  les  magistrats  les  plus  importans,  pour 
les  membres  des  tribunaux  de  cassation  ?  En  existe-t-il  pour  les  législa- 
teurs, pour  tous  les  officiers  du  peuple  ?  Non.  Pourquoi  donc  en  établir 
une  pour  les  ministres  ?  Je  conclus  de  tout  ceci  que  vous  ne  pouvez 
point  adopter  la  distinction  proposée  par  l'article  entre  les  ministres  et 
les  autres  fonctionnaires  publics,  sans  supposer  implicitement  que  vous 
regarderiez  cette  classe  de  fonctionnaires  publics  comme  une  classe 
supérieure  à  toutes  les  autres.  Je  demande  donc  la  question  préalable 
sur  cet  article.  (Applaudi)  (5).   » 


(5)   Texte   reproduit  dans   les  Arch.    pari.,   XXV,    15. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  235 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Assemblée  nationale, 
Corps  administratifs  (Perler),  t.  XI,  n°  617,  p.  6;  Le  Journal  du  Soir 
(des  Frères  Chaignieau),  t.  II,  n°  279,  p.  4;  Courrier  des  Français, 
n°  45,  p.  358;  Le  Journal  de  Normandie,  n°  105,  p.  509;  La  Corres- 
pondance nationale,  n°  18,  p.  159;  La  Feuille  du  Jour,  t.  III,  n°  104, 
p.  122;  Le  Courrier  extraordinaire,  14  avril  1791,  p.  6;  Le  Patriote 
François,  n°  165,  p.  404,  et  La  Gazette  nationale  ou  Extrait...,  t.  XVI, 
P.  67.] 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

266.  —  SEANCE  DU  13  AVRIL  1791 
Sur  le  buste  de  Mirabeau 


Un  membre'  annonce  à  la  iSociété  que  Houdon  vient  d'achever 
le  buste  de  Mirabeau  ;  il  propose  que  ce  buste,  en  plâtre,  soit 
coulé  en  bronze.  Un  autre  membre  suggère  qu'il  soit  ouvert  un  con- 
cours, les  Amis  de  la  Constitution  ne  connaissant  pas  de  privilège. 
Divers  orateurs  appuient  cette  motion,  tandis  que  Robespierre 
demande    que    l'on    ne    s'occupe    pas   davantage    de    cet  objet. 

Finalement  la  iSociété  arrêta  que  tous  les  artistes  seraient  invités 
à  concourir  pour   le  buste  de  Mirabeau. 

Mercure  universel,  t.   II,  p.  247. 

«  M.  Robespierre.  Les  hommages  les  plus  multipliés  ne  sont  pas 
ceux  qui  honorent  le  plus  les  grands  hommes;  mais  c'est  la  nature  des 
hommages  qui  sont  décernés  et  les  personnes  qui  les  rendent;  un  buste, 
un  mausolée,  une  couronne  civique,  une  feuille  de  chêne,  tout  est  égal; 
mais  je  remarque  que  vos  travaux  appartiennent  à  la  chose  publique; 
vous  les  lui  devez,  et  si  toutes  les  sociétés  de  France  passoient  autant 
de  temps  à  délibérer  sur  les  honneurs  à  rendre  aux  grands  hommes  que 
nous  en  occupons  ici,  la  patrie  perdroit  beaucoup  de  momens  utiles. 
Je  demande  que   l'on  ne   s'occupe  pas  davantage  de   cet  objet.    » 

Journal  de  la  Révolution,   15  avril   1791. 

«  Avant  la  lecture  des  adresses,  il  a  été  arrêté  que  le  buste  de 
Mirabeau  serait  fait  au  concours   »  (1). 


(1)  Cf.   AuJard,  II,  315;  il  ne  cite  pas  l'extrait  précédent. 


236  les  discours  de  robespierre 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 
267.  —  SEANCE  DU  13  AVRIL  1791  (mite) 
Sur  les  pouvoirs  du  ministre  de  la  justice 


Dans  sa  séance  du  13  avril,  l'Assemblée  nationale  a  renvoyé  au 
comité  de  constitution,  les  articles  du  projet  sur  l'organisation  du 
ministère,  relatifs  <à  la  sûreté  intérieure  du  royaume.  Ils  portaient 
en  particulier  «que  «  dans  les  cas  où,  -soit  'la  sûreté  de  l'Etat,  soit 
la  personne  du  roi,  seraient  intéressées,  le  ministre  de  la  justice 
aurait  ainsi  le  pouvoir  de  délivrer  par  tout  .le  royaume,  des  man- 
dats d'amener  »,  ce  qui  entraînait  une  confusion  du  pouvoir  exécutif 
et  du  pouvoir  judiciaire. 

La  Société  des  Jacobins  aborde  ce  problème.  Robespierre  inter- 
vient dans  la  discussion. 

Mercure  universel,  t.  II,  p.  264. 

«  M.  Robespierre.  La  dernière  fois  que  j'eus  l'honneur  de  discu- 
ter ici  le  plan  du  comité,  j'oubliai  de  vous  parler  du  titre  le  plus  impor- 
tant :  ce  titre  est  intitulé  :  Dispositions  en  matière  civile  pour  la  sûreté 
de  l'Etat.  (Ici  l'opinant  a  fait  lecture  de  quatre  articles  de  ce  titre,  par 
lesquels  le  comité  de  constitution  de  l'assemblée  nationale  attribuoit 
au  ministre  de  la  justice  les  fonctions  d'un  juge  de  paix  de  tout  le  royau- 
me, lui  permettoit  de  donner  des  mandats  d'amener  et  de  requérir  la 
force  publique  contre  tous  les  citoyens  prévenus  de  vouloir  attenter  à  h 
sûreté  de  l'état  ou  à  la  personne  du  roi). 

«  Si  je  me  permets  de  discuter  ces  articles,  a  dit  M  Robespierre, 
c'est  qu'il  n'est  rien  de  si  absurde  qu'il  ne  soit  encore  besoin  d'expli- 
quer. Que  l'on  accorde  au  ministre  des  tribunaux  le  pouvoir  de  délivrer 
un  mandat  d'amener  contre  un  citoyen  quelconque,  et  sous  quelque 
prétexte  que  ce  puisse  être,  c'est  ressusciter  visiblement  les  lettres  de 
cachet.  On  vous  dit  à  cela  :  mais  c'est  la  réserve  expresse  que  l'état  ou 
la  personne  du  roi  courroit  quelque  danger.  Est-ce  donc  que  lorsque  les 
ministres  sous  le  despotisme  lançoient  des  lettres  de  cachet,  ils  n'avoient 
pas  aussi  des  motifs  ;  manquoient-ils  donc  de  prétextes  :  comment  vou- 
lez-vous, disoient-ils,  que  l'on  laisse  toute  une  famille  exposée  aux 
entreprises,  aux  égaremens  d'un  seul  individu  ?  Il  faut  prévenir  les 
malheurs;  et  ils  voyaient  des  égaremens,  des  malheurs  à  éviter  par-tout 
où  ils  vouloient  en  voir. 

«  Mais  un  second  motif  bien  plus  impérieux,  c'étoit,  selon  eux, 
l'intérêt  de  l'état  •  comment  vous  disoient-ils  encore,  quand  i!  y  oura 
une  conspiration  formée,  que  l'on  attende  les  lenteurs  inévitables,  des 
formalités  de  la  loi  ?  Il  faut  que  les  délits  soient  prévenus  e*  arrêtés 
sur  le  champ. 

«    Eh   bien,    aujourd'hui,    sous   un   nom   différent,    c'est    la   même 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  237 

chose  qu  on  vous  présente,  c'est  le  même  pouvoir  que  vous  donnez  au 
ministre.  Alors  tout  étoit  crime  d'état;  aujourd'hui,  tout  seroit  bientôt 
crime  de  lèze-nation  ou  de  lèze-royauté,  et  ce  n'est  pas  pour  l'intérêt 
de  la  nation  ni  de  la  royauté  que  l'on  veut  redonner  ce  droit  aux 
ministres:  non,  c'est  pour  attribuer  à  quelques  individus  le  droi*  d'op- 
primer leurs  concitoyens  et  la  liberté  naissante  :  cette  prétendue  raison 
d  Ltat  rut  le  motif  que  l'on  mit  en  oeuvre  sous  les  empereurs  romains, 
pour  punir  à  souhait  des  prétendus  crimes  de  lèze-majesté.  Que  ne 
peut-on  pas  entreprendre  encore  sous  le  nom  de  l'intérêt  du  roi  :  on 
donnera  à  tout  des  idées  opposées  même  à  leur  réalité,  on  rapprochera 
les  choses  les  plus  éloignées;  on  leur  découvrira  un  sens  inespéré,  et 
bientôt  ce  ne  sera  plus  qu'une  foule  d'esclaves  corrompus  qui  donneront 
des  interprétations  criminelles  à  tout;  de  là,  des  milliers  de  crimes  qui 
n'existèrent  jamais,  et  de  là  encore  l'esclavage  règne  sur  toute  la  nation. 

«  Pour  pouvoir  accorder  au  ministre  des  ordres  arbitraires,  on  a 
dit:  Il  faut  leur  attribuer  un  caractère  favorable;  l'institution  des  juges 
de  paix  est  généralement  bénie;  il  faut  décorer  le  ministre  du  caractère 
sacré  de  juge  de  paix!... 

«  Mais  ai-je  besoin  de  prouver  que  cette  odieuse  lâcheté  en  aug- 
mente le  crime  et  ne  le  pallie  point  ?  N'est-ce  pas  là  le  masque  outra- 
geant de  la  scélératesse  sous  l'image  de  l'équité  ?  N'est-il  pas  évident 
que  si  vous  donnez  à  un  ministre  du  roi  le  caractère  d'un  juge  de  paix, 
Vous  en  faites  dès  l'instant  un  lieutenant  de  police,  un  grand  inquisi- 
teur, un  tyran  ?  Je  dois  le  dire,  placer  un  tel  pouvoir  dans  la  main 
d'un  ministre,  c'est  donner  à  l'homme  qui  a  intérêt  de  persécuter  les 
défenseurs  du  peuple,  les  citoyens  vertueux,  le  droit  de  les  perdre,  c'est 
mettre  la  destinée  de  tous  les  bons  citoyens  dans  la  main  d'un  despote. 
(On  applaudit  vivement). 

«  Un  ministre  lance  un  mandat  d'amener  contre  un  citoyen,  d'un 
des  points  du  royaume  pour  un  crime  quel  qu'il  soit;  après  l'avoir 
traîné  en  criminel  le  long  des  routes,  on  le  conduit  à  un  dis*ncL";  le 
procès-verbal  est  dressé,  et  déjà  ce  verbal  établit  une  prévention  défa- 
vorable à  ce  citoyen.  S'il  ne  s'agit  que  d'une  accusation  d'un  délit 
ordinaire,  le  citoyen  sera  renvoyé  devant  un  tribunal  de  district;  mais  en 
attendant  l'instruction  de  la  procédure,  s'il  est  au  contraire  accusé  du 
crime  de  lèze-nation,  il  faut  le  temps  d'assembler  la  haute-cour  qui 
doit  en  connoître;  cependant  il  languit  dans  une  prison;  son  jugement 
arrive,  peut-être  au  bout  de  huit  mois;  il  est  déclaré  innocent;  je  vous 
demande  quels   dommages  peuvent   réparer  cette  oppression  ? 

'(  Celui  qui  aura  le  plus  grand  pouvoir  sera  celui  qui  voudra 
l'agrandir:  c'est  celui  qui  voudra  commander  arbitrairement  à  tous  les 
citoyens;  c'est  celui  qui  voudra  les  opprimer  tous,  pour  régner  seul:  et 
cependant  c'est  celui  que  l'on  veut  aujourd'hui  rétablir  !t-  gardien  des 
droits  de  !a  nation  :  quelle  ineptie  et  quelle  corruption  ! 

«    Mais    ce    mandat    d'amener    ne    sera    que    provisoire,    nous -dit 


238  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

innocemment  le  comité;  un  tribunal  prononcera...  mais  est-il  indifférent 
d'être  amené  en  criminel  du  fond  du  royaume,  d'être  jette  dans  une 
prison?  Le  ministre  sera  responsable,  dit  encore  le  comité;  cela  est 
faux;  le  ministre  sera  responsable  dans  la  loi  et  non  dans  le  fait;  c'est 
un  oeuvre  public  et  j'en  appelle  à  votre  exemple;  vous  n'avez  jamais 
porté  de  dénonciation  dans  un  tribunal  contre  un  ministre,  et  cependant 
vous  avez  reconnu  de  grands  criminels.  Il  y  a  plus,  si  vous  donnez  à  un 
ministre  des  fonctions  d'un  magistrat  de  police,  dans  la  rigidité  des 
principes,  tout  officier  de  police  ne  peut  être  responsable,  et  vous 
mêmes  vous  avez  énoncé  et  reconnu  ce  principe.  (Très  applaudi).   » 

Le  Lendemain,  t.  III,  n°   105,  p.    142. 

«  M.  Roberspierre  parle  longtems  contre  le  projet  du  comité  de 
constitution,  qui  accorde  au  ministre  de  la  justice  le  droit  de  donner 
des  mandats  d'amener.  Il  prétend  que  c'est  renouveller  le  régime  des 
lettres  de  cachet.   » 

Journal  de  la  Révolution,    15  avril   1791. 

«  On  est  passé  à  quelques  discussions  sur  la  suite  de  l'organisa- 
tion du  ministère.  MM.  Robespierre,  Barrère  de  Vieuzac,  Prieur,  ont 
porté  successivement  la  parole,  et  ont  établi  victorieusement  que  la 
fonction  de  juge  de  paix  que  le  Comité  prétendait  accorder  au  ministre 
de  la  Justice  sur  tout  le  royaume,  était  inconstitutionnelle,  immorale  et 
destructive  de  la  liberté;  qu'en  lui  donnant  le  droit  de  décerner  ces 
mandats  d'arrêt  et  d'amener,  c'était  faire  revivre  les  lettres  de  cachet, 
plus  formidables  que  jamais,  puisqu'elles  étaient  autorisées  par  les  lois; 
qu'enfin,  les  prétextes  de  sûreté  de  l'Etat  et  de  ia  personne  du  roi 
avaient  toujours  été  ceux  des  tyrans  »  (1). 

(1)  Cf.  Aulard,  II,  316,  il  cite  .également  l'extrait  du  «  Lende- 
main   »,   mais   non  celui   du   «   Mercure  Universel   ». 

268.  —  SEANCE  DU  14  AVRIL  1791 
Sur   l'organisation   de   la   sûreté   intérieure   du   royaume 

L'Assemblée  avait  renvoyé  au  comité  de  constitution.^  la  partie 
du  projet  sur  l'organisation  du  ministère,  concernant  lasurete  inté- 
rieure du  royaume.  Démeunier,  au  nom  du  comité,  rend  compte,  le 
14  avril  des  difficultés  rencontrées  dans  l'élaboration  des  "dispo- 
sitions relatives  à  la  sûreté  publique  (1).   Il  propose  d'ordonner  au 

<1)  Voici  comment  C,  Desmoulins  apprécie  le  rôle  de  Démeu- 
nier  (Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t  VI,  n°  73,  p.  343)  : 
<c  Comme  il  a  pris  sur  lui  l'odieux  du  principal  rôle,  ses  conireres 
ne  manqueront  pas  de  lui  laisser  jouer  quelque  farce  grossière  de 
patriotisme,    qui    lui    attirera  des  applaudissemens    infinis    avant   de 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  239 

comité  de  révision  de  se  réunir  au  comité  de  constitution,  pour 
examiner  ce  projet.  Pétion  s'élève  contre  ce  qu'il  considère  comme 
un  ajournement.  L'Assemblée  ferme  la  discussion  sans  que  Robes- 
pierre et   Prieur   aient  pu   intervenir. 

La  proposition   de   Démeunier  ifut   décrétée   par   l'Assemblée. 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    105,  p.  433. 

«  MM.  Prieur  et  Roberspierre  insistent  avec  chaleur  pour  obtenir 
la  parole. 

«  L'Assemblée  ferme  la  discussion,  et  ordonne  que  les  questions 
relatives  à  la  sûreté  générale  du  royaume  seront  rapportées  par  les 
Comités  de  constitution  et  de  révision  réunis,   m 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXI,  p.    196. 

«  M.  Robespierre  insistoit  pour  la  discussion  des  articles  du 
comité,  afin  de  proscrire  des  dispositions  si  effrayantes  pour  ia  liberté 
civile  »  (2). 


baisser  la  toile.  Ils  ont  pris  cet  art  de  Mirabeau  qui  y  excelloit. 
(-'est  ainsi  qu'après  avoir  achevé  son  organisation  détestable  du 
ministère,  et  qui  telle  qu'il  en  a  présenté  le  projet,  n'étoit  autre 
chose  qu'une  conspiration  constitutionnelle  contre  la  liberté,  coimme 
l'ont  prouvé  Roberspierre,  Péthion,  Buzot,  Antoine,  Prieur,  etc. 
.l'hypocrite  a  dit:  «  Messieurs,  le  travail  du  comité  de  constitution 
s'achève,  et  vers  la  mi-juillet  nous  pourrons  retourner  dans  nos 
foyers,  avec  la  satisfaction  d'avoir  fait  pour  la  France  tout  ce  qui 
dépendoit  de  nous  ».  A  ces  mots,  Desmeuniers  a  recueilli  des  applau 
dissemens  universels  des  igaleries,  témoignage  éclatant  de  l'espoir 
général  de  voir  arriver  le  14  juillet  et  un  meilleur  comité  de  consti- 
tution.  » 

(2)  Texte   utilisé   par   les  Arch.    pari.,   XXV,   68. 


269.  —  SEANCE  DU   19  AVRIL   1791   (soir) 
Sur  l'incapacité  du  comité  diplomatique 


Un  des  secrétaires  fait  lecture  d'un  mémoire  des  députés  extra- 
ordinaires des  états  de  Porentruy.  Ils  attirent  l'attention  de  l'As- 
semblée sur  les  rassemblements  de  troupes  qui  se  font  à  Porentruy. 
Ils  rappellent  que  les  traités  d'alliance  interdisent  à  l'évêque  de 
Bâle  d'introduire  des  troupes  étrangères,  dans  cette  partie  de  ses 
Etats,  sans  le  consentement  de  la  France  (1)  :  la  France  en  effet 
a  seule  le  droit  d'occuper  ce  territoire,  quand  elle  le  juge  néces- 
saire à  la  défense  de  ses  frontières.  Les  députés  supplient  en 
<  Mi.-'quence   l'Assemblée   et   le   roi    d'envoyer  des  troupes  à   Poren- 

(1)  L'évêque  de  Râle  avait  demandé  à  l'Autriche  d'occuper  son 
•territoire  pour  le  défendre  contre  l'agitation.  Cf.  G.  Gautherot,  La 
Révolution  dans  l'ancien  évêché  de  Bâle,  t.  I,  La  République  raura- 
cienne   (1908). 


240  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

truy,  afin  de  couvrir  le  département  du  Jura  contre  l'invasion  dont 
le  menacent  les  manœuvres  contre-révolutionnaires  du  prince- 
évêque,  et  de  protéger  les  habitants,  alliés  de  la  France,  contre 
les   vexations  de   leur  évêque   (2) 

Heabell  expose  longuement  l'affaire,  et  demande  que  le  comité 
diplomatique  soit  chargé  de  faire  un  rapport  à  ce  sujet.  Elargissant 
le  débat,  Robespierre  attaque  la  conduite  du  comité  (3).  D'André, 
membre   du    comité    diplomatique,    lui    répond. 

Après  la  fermeture  de  la  discussion,  Pétion  demande  que- le 
comité  diplomatique  soit  chargé  de  surveiller  les  mouvements  aux 
frontières  ;  Robespierre  l'appuie.  L'Assemblée  décréta  le  renvoi 
de   l'affaire  de  Porentruy  à  son  comité  diplomatique   (4) 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIV,  p.  350 

«  M.  Robespierre.  Sans  entrer  dans  le  détail  des  faits  qui  vous 
ont  été  exposés  par  M.  Reubell,  l'affaire  qui  vous  occupe  donne  lieu 
à  des  réflexions  beaucoup  plus  importantes.  Je  remarquerai  d'abord 
qu'autrefoy,  lorsque  les  frontières  de  la  France  étoient  menacées  par 
la  moindre  apparence  d'hostilités,  le  ministre  veilloit  avec  le  plus 
grand  scrupule  :  il  rassembloit,  sur  les  frontières,  des  troupes  capables 
d'en  imposer  à  l'ennemi  le  plus  puissant.  Aujourd'hui  qu'il  n'est  pas 
un  seul  mouvement  extérieur  qui  ne  soit  lié  à  la  tranquillité  intérieure 
et  à  l'intérêt  de  la  liberté,  je  vois  précisément  adopter  une  marche 
opposée.  La  plus  grande  sécurité,  la  plus  grande  incurie  fait  le  carac- 
tère de  votre  gouvernement  :  et,  j'ose  le  dire,  il  se  manifeste  jusqu'au 
sein  de  l'Assemblée  nationale  (applaudi)  depuis  plusieurs  mois  qu'une 
intelligence  est  formée  entre  des  ennemis  extérieurs,  quels  qu'ils  soient, 
et  des  ennemis  intérieurs,  depuis  plusieurs  mois  que  des  troupes  étran- 
gères sont  rassemblées  sur  toutes  nos  frontières. 

«  Ce  n'est  pas  ici  le  moment  d'examiner  les  motifs  de  ces  ras- 
semblemens,  ni  de  calculer  le  nombre  de  ces  troupes';  mais  je  vous  prie 
de  remarquer  d'où  émane  la  dénonciation  sérieuse  qui  vous  est  faite  en 
ce  moment  :  ce  n'est  ni  du  gouvernement,  ni  du  sein  de  cette  assem- 
blée :  c'est  de  la  part  d'un  pays  étranger,  de  la  part  de  nos  alliés  de 
Porentruy  :  et  comment  est  accueillie  cette  pétition.  Une  discussion 
s'élève  sur  la  compétence  de  deux  comités;  on  agite  des  questions  de 
patriotisme,  à  l'accusation  du  ministre  de  la  guerre  et  du  ministre  des 
affaires  étrangères,  comme  s'il  étoit  ici  question  de  peser  le  patrio- 
tisme des  ministres,  et  comme  si  les  ministres  n'étoient  pas  les  mêmes 
aux  yeux  des  représentans  de  la  nation,  dans  un  moment  aussi  cri- 
tique,   et    comme    si   les   représentans   de    la   nation   dévoient    avoir    un 

(2)  Cf.  Arch.  nat.  D  XXIX,  carton  2,  dossier  32,  pièces  1  à  24; 
et  D  XXIX  bis,   dossier  339,  pièces  45  et  46. 

(3)  Menou,  membre  du  comité  diplomatique,  avait  aussi  rejetï 
la  responsabilité- des  lenteurs  du  comité,  sur  Montmorin,  ministre 
des  Affaires   étrangères. 

(4)  iLe  comité  diplomatique  devait  présenter  à  l'Assemblée  un 
rapport  sur  cette  affaire  dans  les  deux  jours. 


LES  DISCOURS   DE  ROBESPIERRE  241 

autre  soin  que  de  surveiller  tous  les  ministres,  comme  s'il  importoit 
aux  représentans  de  la  nation  que  tel  comité  examine  telle  ou  telle 
affaire.  Ce  qui  nous  importe  à  tous,  c'est  que  ni  le  comité  diploma- 
tique ni  le  comité  militaire  n'ont  déployé  sur  les  affaires  les  plus 
importantes,  sur  la  sûreté  du  royaume  et  la  liberté  de  la  nation,  ce 
caractère  d'énergie,  de  patriotisme  et  de  sollicitude  qu'on  devoit  atten- 
dre de  tous  les  représentans  de  la  nation  (applaudi  vivement). 

«  Je  parle  ici  avec  une  franchise  qui  pourra  paroître  dure,  mais 
qui  me  semble  nécessaire.  Ce  n'est  pas,  messieurs,  le  moment  de 
nous  flatter,  de  nous  ménager  réciproquement;  c'est  le  moment,  pour 
nous  tous,  de  nous  dire  à  tous  la  vérité  (applaudi). 

«  M.  d'André.  Bravo!  Je  demande  la  parole. 

«  M.  Robespierre...  C'est  le  moment  pour  l'assemblée  nationale 
de  croire  que  chacun  de  ses  membres  doit  se  regarder  comme  chargé 
personnellement  de  la  destinée  de  la  nation  :  c'est  le  moment  de  sorlir 
de  la  tutelle  des  comités,  et  de  ne  point  prolonger  le  danger  public 
par  une  fausse  et  funeste  sécurité.  (Applaudi). 

«  Cet  avis  doit  suffire,  et  s'il  ne  suffisoit  pas,  j'interpellerais  le 
comité  diplomatique  de  me  dire  dans  quel  ntoment  intéressant  pour  la 
liberté,  il  nous  a  révélé  un  secret  qu'il  fût  important  de  connoître;  et 
si  l'on  m'interrogeait  dans  quelle  occasion  il  a  dissimulé  des  secrets, 
je  ne  serois  point  embarrassé  de  répondre. 

«  Plusieurs  voix  à  gauche.   Parlez,  parlez. 

«  M.  Robespierre.  Je  dirois  au  comité  diplomatique,  ou  plutôt 
à  l'assemblée  nationale,  qu'il  existe  depuis  très  longtems  des  rassem- 
blemens  sur  plusieurs  de  nos  frontières  qui  ont  fait  passer  au  comité 
des  adresses,  contenant  les  alarmes  universelles,  sans  que  le  comité  ait 
rien  fait  :  je  dirois  que  le  comité  diplomatique  ne  nous  a  point  averti 
ni  de  la  négligence  avec  laquelle  le  ministre  des  affaires  étrangères 
veille  à  la  sûreté  du  royaume,  ni  des  commandemans  laissés  à  des  offi- 
ciers connus  pour  être  ennemis  de  la  révolution,  ni  des  places  décisives 
pour  la  défense  du  royaume,  confiées  récemment  à  des  ennemis  de  la 
révolution  :  je  vous  dirois  que  la  ci-devant  Provence  est  maintenant 
à  la  veille  de  voir  s'allumer  une  guerre  civile,  non  seulement  à  Avignon 
et  dans  le  Comtat,  mais  entre  les  départemens  voisins,  dont  les  uns 
veulent  soutenir  la  cause  des  Avignonois  patriotes,  et  les  autres  la 
cause  des  prêtres  réfractaires,  et  des  contre-révolutionnaires  du  Comtat; 
et  cela  pourquoi  ?  Parce  que  le  comité  diplomatique  est  venu,  dans 
un  langage  mystérieux  et  diplomatique,  annoncer  des  inconvéniens  pré- 
tendus et  répandre  des  craintes,  au  moment  où  l'Assemblée,  pénétrée 
de  la  justice  de  la  cause  du  peuple  d'Avignon,  alloit  prononcer  une 
décision  qui  eût  rendu  la  paix  dans  les  provinces  méridionales  et  donné 
un  plus  puissant  appui  à  la  liberté  (murmures). 

«  Voilà  ce  que  j'ai  à  dire;  je  conclus  à  ce  que  l'assemblée  natio- 
nale veuille  bien  désormais  ne  pas  se  payer  de  ces  déclamations  vagues 


242  LES  DISCOURS  DE  ROBESPIERRE 

et  contradictoires,  lorsqu'il  s'agit  d'aussi  grands  intérêts,  mais  n'écouter 
que  sa  sagesse  et  sa  prudence.   (Applaudissemens)   »  (5). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,   n°    1 1  1 ,  p.   436-7. 
Journal  de  la  Noblesse...,  t.  I,  n°   18,  p.  533  (6). 

«  M.  Roberspierre.  L'affaire  qui  vous  est  soumise  donne  lieu  à  des 
réflexions  générales,  beaucoup  plus  importantes.  Autrefois,  lorsque 
les  frontières  de  l'Empire  étaient  menacées  par  les  moindres  indices 
d'hostilité,  le  ministère  exerçait  la  surveillance  la  plus  scrupuleuse,  il 
rassemblait  sur  les  frontières  menacées  les  forces,  les  plus  imposantes. 
Aujourd'hui,  que  non-seulement  nos  frontières,  mais  que  la  tranquillité 
intérieure,  et  l'ordre  public  sont  menacés,  je  vois  des  démarches  tout 
opposées.  La  plus  profonde  sécurité,  l'incurie  la  plus  dangereuse, 
sont  le  caractère  de  notre  gouvernement,  et  se  manifestent  jusqu'au  sein 
de  cette  Assemblée. 

«  Depuis  plus  de  six  mois  on  ne  peut  plus  douter  de  l'intelligence 
des  ennemis  extérieurs  avec  ceux  du  dedans;  et  les  ministres  sont 
inactifs  !  et  les  commissaires  nommés  par  l'Assemblée  pour  les  sur- 
veiller, gardent  le  silence,  ou  ne  l'interrompent  que  pour  nous  endormir 
dans  une  funeste  sécurité  !  Et  c'est  une  nation  étrangère  qui  nous  avertit 
des  dangers  que  nous  courons  !  Et  quand  un  député  des  départemens 
menacés,  connu  par  son  patriotisme,  demande  que  le  Comité  diploma- 
tique instruise  l'Assemblée,  lui  propose  des  mesures  pour  la  sûreté,  ce 
Comité  suppose  des  intentions  perfides  !  Il  vient  froidement,  par  l'or- 
gane d'un  de  ses  membres,  discuter  une  question  de  compétence, 
comme  s'il  n'était  pas  indifférent  à  quel  Comité  cette  affaire  fût  ren- 
voyée !  Il  discute  le  patriotisme  des  ministres;  il  prétend  qu'on  devrait 
plutôt  inculper  celui  de  la  guerre  que  celui  des  affaires  étrangères  : 
comme  si  les  représentans  de  la  nation  ne  devaient  pas  surveiller  avec 
la  même  activité  tous  les  ministres,  sans  exception  !  (L'extrémité 
gauche  applaudit).  Je  parle  ici  avec  une  franchise  qui  pourra  païaître 
dure.  (Plusieurs  voix:  Non,  non).  Mais  ce  n'est  pas  ici  le  moment  de 
nous  ménager  réciproquement;  c'est  le  moment  de  nous  dire  mutuelle- 
ment la  vérité  :  c'est  le  moment,  pour  l'Assemblée,  de  savoir  que  cha- 
cun de  ses  membres  doit  se  regarder  comme  chargé  personnellement 
des  intérêts  de  la  nation.  (On  applaudit).  C'est  le  moment  de  sortir 
de  la  tutelle  des  Comités,  et  de  ne  pas  prolonger  les  dangers  publics 
par  une  funeste  sécurité... 

«  Cet  avis  doit  suffire,  et  si  je  voulais  interpeller  le  Comité  diplo- 
matique de  dire  dans  quel  moment  il  nous  a  révélé  des  secrets  impor- 
tais que  l'Assemblée  aurait  dû  connaître,  et  si  je  voulais  lui  demander 


(5)  Texte  utilisé  par  les  Arch.  pari.,  XXV,  207-208,  qui  le  combi- 
nent avec  celui  du   Moniteur. 

(6)  Ce     journal  reproduit  le  texte  du  Moniteur  jusqu'à:  «  de  ce 
pays   ». 


LES  DISCOURS  DE  ROBESPIERRE  243 

pourquoi  il  en  a  dissimulé  d'autres,  je  ne  serais  pas  embarrassé... 
(Plusieurs  voix:  Parlez,  parlez).  Je  dirais  qu'il  ne  nous  a  jamais  parlé 
des  rassemblemens  qui  excitaient  des  alarmes  universelles  dans  le 
royaume,  qu'il  ne  nous  a  proposé  aucune  mesure  vigoureuse,  capable 
d'en  imposer,  que  jamais  il  ne  vous  a  fait  aucune  dénonciation;  que 
jamais  il  ne  vous  a  averti  de  la  négligence  des  ministres,  ni  des  ma- 
nœuvres des  ennemis  de  la  révolution.  Je  pourrais  citer  des  membres 
de  ce  Comité  qui  ont  fait  des  aveux  en  particulier,  des  aveux  impoitans, 
qu'ils  n'ont  pas  daigné  faire  à  l'Assemblée.  Il  me  suffira  de  vous 
rappeler  sa  conduite  dans  l'affaire  d'Avignon.  Pourquoi  nous  cache-t-il 
une  foule  d'événemens  relatifs  à  cette  affaire,  et  qui  sont  intimement 
liés  à  la  tranquillité  publique,  au  sort  de  la  révolution?  Pourquoi  ne 
vous  dit-il  pas  que  la  ci-devant  Provence  et  les  départemens  voisins 
sont  menacés  des  troubles  les  plus  alarmans.  C'est  pour  avoir  négligé  de 
prononcer  sur  le  vœu  des  Avignonais,  qu'on  est  prêt  à  avoir  une  guerre 
civile,  non  seulement  entre  les  citoyens  d'Avignon  et  ceux  du  Comtat, 
mais  entre  des  départemens  qui  diffèrent  d'opinion,  et  dont  les  uns 
prennent  le  parti  des  Avignonais  et  des  patriotes  du  Comtat,  et  les 
autres  des  aristocrates  de  ce  pays. 

«  D'où  vient  que  le  Comité  ne  vous  a  pas  encore  fait  le  rapport 
qui  seul  peut  prévenir  ces  troubles  ?  D'où  vient  que,  lorsque  vous 
voulûtes  vous  occuper  de  cette  affaire,  il  vint  interposer  un  langage 
mystérieux,  et  vous  inspirer  des  frayeurs  non  motivées  pour  éloigner 
votre  décision.  (11  s'élève  quelques  murmures).  Je  conclus  de  tout  cela 
que  l'Assemblée  ne  doit  point  s'arrêter  à  des  déclamations,  ni  donner 
une  pleine  confiance  à  ses  Comités,  lorsqu'ils  cherchent  à  obscurcir 
les  vérités  les  plus  évidentes  et  les  plus  certaines. 

[Interventions  de  MM.   Dandré,   Noailles  et  Pétion.] 
«  M.   Robespierre    Si  cette  proposition,  qui   intéresse  essentielle- 
ment la  tranquillité  publique,    est   rejetée,   je  demande  que   le   Comité 
diplomatique  soit  cassé  »  (7). 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  21   avril   1791,  p.  442. 

«  L'opinion  de  M.  Reubell,  et  sur-tout  ses  intelligences  avec  les 
habitans  de  Porentru  (sic)  ont  fait  une  grande  impression  sur  M.  Robes- 
pierre; il  a  parlé  dans  le  même  sens,  et  à-peu-près  de  la  même  manière; 
seulement  il  a  outré  ses  conséquences;  et  dans  sa  chaleur  oratoire,  il 
a  pris  à  partie  tous  les  membres  du  comité  diplomatique. 

«  L'incurie,  a-t-il  dit,  est  le  vrai  caractère  de  votre  gouvernement. 
Il  se  manifeste  au  sein  même  de  l'assemblée  nationale.  Depuis  plusieurs 
mois  le  silence  le  plus  profond  est  gardé  par  le  ministre,  par  les  com- 
missaires même  que  vous  avez  chargés  de  veiller  à  la  sûreté  du  royaume. 


(7)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  180;  et  dans  Bûchez 
çt,  Roux,  IX,  3Ô1-362. 


244  LES  DISCOURS   DE  ROBESPIERRE 

Les  membres  du  comité  diplomatique  n'ont  rompu  le  silence  que  pour 
vous  rassurer  par  des  tableaux  flatteurs  de  la  situation  du  royaume, 
et  vous  plonger  dans  une  dangereuse  sécurité  »... 

M.  Robespierre  a  été,  tout-à-coup,  interrompu  par  des  murmu- 
res; mais  élevant  fortement  la  voix,  il  s'est  écrié:  «  Ce  n'est  pas  le 
moment  de  nous  dire  à  tous  la  vérité;  c'est  le  moment  pour  l'assemblée 
nationale  de  croire  que  chacun  de  ses  membres  doit  se  regarder  comme 
chargé  personnellement  de  l'intérêt  de  la  nation...  C'est  le  moment  de 
secouer  le  joug  des  comités  !  » 

«  J 'interpellerai  u  ici,  le  comité  diplomatique,  de  me  dire  dans 
quel  moment  il  nous  a  dévoilé  un  secret  important  à  connoître,  et  si  l'on 
me  demande  dans  quel  moment  il  a  eu  de  ces  sortes  de  secret  à  révéler, 
je  ne   serai  point   embarrassé  de  répondre.    » 

Parlez,  parlez!  a-t-on  crié  aussi-tôt  à  l'orateur. 

«  Il  existe,  a  continué  celui-ci,  il  existe  depuis  long-tems  des 
rassemblemens  de  troupes  sur  plusieurs  de  nos  frontières.  De  toutes 
nos  villes  limitrophes  sont  arrivées  depuis  long-tems  des  adresses  qui 
renfermoient  des  inquiétudes,  et  par  lesquelles  on  demandoit  !e  com- 
plément des  gardes  nationales.  Je  pourrois  dire  que  le  comité  diploma- 
tique n'en  a  jamais  parlé.  Enfin,  je  demande  que  l'assemblée  nationale, 
sans  se  fier  à  son  comité,  n'écoule  que  son  courage  et  sa  prudence.   >. 

A  ce  discours  de  M.  Robespierre,  qui  annonce  en  lui  beaucoup 
moins  de  courage  et  de  prudence  que  de  terreur  panique,  M.  d'André 
a  répondu.  Personnellement  inculpé,  en  sa  qualité  de  membre  du  comité 
diplomatique,  il  a  repoussé  M.  Robespierre,  en  démontrant  que  le 
comité  avoit  toujours  fait  part  à  l'assemblée  de  tout  ce  qu'il  étoit  inté- 
ressant qu'elle  n'ignorât  pas.  Ses  preuves  ont  été  plusieurs  décrets,  et 
entr' autres,  celui  qui  a  ordonné  une  augmentation  d'armement  pour  la 
garde  nationale,   celui  qui   a  ordonné  des  rassemblemens... 

La  frayeur  avoit  fait  oublier  tout  cela  à  M.  Robespierre... 

L'assemblée  avoit  applaudi  à  la  diatribe  de  M.  Robespierre  con- 
tre le  comité,  et  par  une  bizarrerie,  qui  lui  est  peu  ordinaire,  elle  a 
aussi  applaudi  à  la  justification  de  M.  d'André.  » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),   1791,  n°  339,  p.  2. 

«  M.  de  Robespierre  ne  veut  pas  fixer  des  regards  trop  attentifs 
sur  ces  spectres  hideux;  il  ne  veut  pas  s'assurer  s'ils  ont  quelque  réalité, 
ou  s'ils  ne  sont  que  les  fantômes  d'une  imagination  alarmée,  ou  qui 
veut  alarmer  les  autres.  11  suppose  vrais,  sans  les  examiner,  tous  les 
faits  articulés  par  M.  Rewbel,  et  il  en  conclut  qu'il  faut  se  débarrasser 
prompt ement,  et  du  ministre  perfide  qui  dissimule  les  dangers  dont 
nous  sommes  menacés,  et  des  infidèles  comités  diplomatique  et  miliLaîre, 
complices  de  cet  horrible  mystère.  Il  est  tems,  dit-il,  de  se  dégager  de 
la  tutelle  dos  comités,  de  faire  une  justice  éclatante  des  ministres;  il 
faut  enfin  que  l'assemblée  écoute  son  courage,  et  n'écoute  que  cela.  (Je 


LES  DISCOURS  DE  ROBESPIERRE  245 

serois  d'avis  qu'elle  partît  pour  les  frontières,  présidée  par  M.  Robes- 
pierre ou  M.  Lavie)  et  si  elle  garde  encore  de  timides  ménagemens, 
il  annonce  qu'il  a  des  vérités  terribles  à  révéler.    » 

Journal  général  de  France,  n°    1 1 1 ,  p.  442. 

«  L'inertie  des  Comités  Diplomatique  et  Militaire  ont  excité  l'in- 
dignation de  M.  Robertspierre.  Autrefois,  a-t-il  dit,  les  Ministres 
prenoient  du  moins  toutes  les  précautions  nécessaires  pour  repousser  les 
attaques  des  ennemis  de  l'Etat,  et  les  Comités  se  dispensent  aujour- 
d'hui de  cette  sollicitude.  Ah  !  si  je  voulois  vous  dénoncer,  Messieurs, 
la  coupable  négligence  du  Comité  Diplomatique,  je  vous  dirois...  Plu- 
sieurs Membres  se  sont  alors  écriés  :  parlez,  parlez. 

«  Eh  bien,  a  repris  l'opinant,  je  vous  dirai  que  depuis  long-temps 
il  est  parvenu  à  ce  Comité,  qui  a  dédaigné  de  vous  en  rendre  compte, 
une  foule  d'Adresses  des  Départemens  frontières,  pour  l'instruire  du 
rassemblement  des  troupes  étrangères.  Aussi  la  Provence  est-elle  en 
butte  aujourd'hui  à  des  troubles,  et  tout  semble  y  annoncer  la  guerre 
civile.  Je  conclus  donc  à  ce  que  l'Assemblée  ne  se  paie  plus  désormais 
de  déclamations  vaines  et  contraditoires,  et  à  ce  qu'elle  n'écoute  plus 
que  sa  sagesse,   sa  prudence  et  son  courage.   » 

Correspondance  nationale,   n°    20,   p.   222. 

«  M.  Robespierre  s'élève  avec  force,  et  contre  le  ministre  et 
contre  les  commissaires  nommés  par  le  corps  législatif,  qui  ont  gardé 
sur  ces  rassemblemens  le  plus  profond  silence,  ou  ne  l'ont  interrompu 
que  pour  rassurer  la  nation,  et  l'endormir  sur  les  dangers  dont  elle  est 
environnée.  Il  est  arrivé  de  toutes  parts  des  adresses  à  l'assemblée, 
pour  qu'elle  prenne  des  mesures  vigoureuses  contre  les  ennemis  de 
l'Etat  :  la  Provence  est  menacée  d'une  guerre  intestine  entre  ses  diffé- 
rens  départemens;  les  places  les  plus  importantes  sont  confiées  à  des 
ennemis  déclarés  de  la  constitution,  et  cependant  votre  comité  ne  vous 
a  fait  part  d'aucun  de  ces  faits.  Il  est  tems  que  l'assemblée  nationale 
sorte  de  la  tutelle  des  comités,  et  qu'elle  n'écoute  que  son  courage, 
sa  sagesse  et  sa  prudence.   » 

Le  Point  du  Jour,   t.   XX,   p.   290. 

«  Sous  l'ancien  gouvernement,  a  dit  M.  Robespierre,  à  peine  y 
avoit-il  le  plus  léger  nuage  sur  l'horizon  politique  de  l'Europe,  que 
tout  étoit  en  mouvement  dans  notre  cabinet  et  dans  les  garnisons;  tout 
s'agitoit  pour  la  défense  de  l'Etat.  Aujourd'hui,  la  sûreté  a  be^u  être 
menacée,  ce  n'est  qu'avec  la  plus  grande  indifférence  que  ''on  s'en 
occupe  ;  et  pendant  que  les  représentans  de  la  nation  devroient  exiger 
les  mesures  les  plus  promptes  et  les  plus  fortes  pour  nous  mettre  en 
état  de  défense,  on  agite  des  questions  de  compétence;  on  dispute 
pour  savoir  à  quel  comité  on  renverra  l'adresse  de  Porentrui.  Apprenez 


246  LES   DISCOURS   DE  ROBESPIERRE 

donc  à  ne  livrer  à  aucun  comité  d'aussi  grands  intérêts,  à  ne  confier  qu'à 
1  assemblée  nationale  seule  le  soin  de  la  sûreté  publique.  Le  comité 
diplomatique  vous  a  traités  sans  cesse  avec  ce  ton  de  mystère  et  de 
secret  dont  s'enveloppoit  le  gouvernement  ancien  :  il  a  gardé  le  plus 
profond  silence,  lorsque  tous  les  papiers  publics  annonçoient  les  événe- 
mens  les  plus  fâcheux. 

«  C'est  ainsi  que  dans  l'affaire  d'Avignon,  dont  vous  seriez 
parvenus  à  arrêter  les  maux  de  l'anarchie,  en  suivant  le  voeu  de  tes 
habitans,  le  comité  diplomatique  parvint  à  vous  faire  prendre  une  déter- 
mination, qui,  malgré  les  efforts  des  départemens  voisins,  a  conservé 
les  malheurs  de  cette  ville.  Je  demande  que  l'assemblée  sorte  enfin 
de  la  tutelle  du  comité  diplomatique  et  qu'elle  ne  soit  plus  esclave  de 
son   étrange   sécurité   »   (8). 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),    1791,   n°    110,   p.    2. 
Le  Législateur  Français,  21   avril   1791,  p.  3. 

«  *M.  Robertspierre  a  dénoncé,  en  ces  termes  très-éloquens,  l'in- 
curie, la  négligence  des  comités  diplomatique  et  militaire;  il  disoit  que, 
dans  les  circonstances  où  nous  nous  trouvons,  chaque  membre  de  l'assem- 
blée nationale  devoit  se  regarder  comme  spécialement  chargé  de  la  chose 
publique;  que  ce  n'étoit  plus  le  temps  de  flatter  personne,  et  qu'on 
de  voit  sans  ménagement  se  dire  ses  vérités. 

«  Si  je  voulois,  disoit-il,  vous  dénoncer  la  coupable  négligence 
du  comité  diplomatique,  je  vous  dirais...  on  lui  a  ordonné  de  dire, 
et  M.  de  Robertspierre  a  parlé  d'une  multitude  d'adresses  des  divers 
départemens  frontières  sur  les  rassemblemens  des  troupes  étrangères, 
dont  le  comité  diplomatique  n'a  pas  rendu  compte.   » 

Le  Courrier  des  LXXXIII  Départemens,  t.  XXIII,  p.  334., 

«  M.  Robespierre  a  appuyé  la  proposition  de  M.  Rewbelî.  Autre- 
fois, s'écrioit-il,  lorsque  nos  frontières  étoient  menacées,  le  ministre 
n'oublioit  pas  la  moindre  précaution.  Aujourd'hui  que  tout  annonce 
une  coalition  générale,  je  vois  régner  une  parfaite  sécurité  jusque  dans 
le  sein  de  cette  Assemblée.  Si  une  dénonciation  sérieuse  vous  est  faite, 
vous  ne  la  devez  qu'à  des  étrangers.  Quelle  honte  pour  votre  comilé  ! 
Je  le  dirai  hautement;  ses  membres  n'ont  point  déployé  ce  caractère 
de  sollicitude  qu'on  a  droit  d'attendre  des  représentans  de  la  Nation. 
Voici  le  moment  de  sortir  de  la  tutelle  des  comités,  et  de  ne  pas  pro- 
longer le  péril  par  une  sécurité  funeste  (applaudi).   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  des  Débats, 
t.  XIX,  n°  695,  p.  2;  Le  Journal  de  Normandie,  n°  11 1 ,  p.  542; 
Le   Journal  général,    n°    80,    p.    319;    Le    Journal   universel,    t.    XI, 


(8)  Cf.  E.   Hamel,  I,  -415-416. 


LES  DISCOURS  DE  ROBESPIERRE  247 

p.  5014;  Le  Mercure  de  France,  30  avril  1791,  p  338:  Le  Courrier 
extraordinaire,  21  avril  1791,  p.  2;  Assemblée  nationale,  Corps  admi- 
nistratifs (Perlet),  t.  XI,  n°  624;  Le  Journal  du  Soir  (des  Frères  Chai- 
gnieau),  t.  II,  n°  296;  La  Chronique  de  Paris,  n°  1 1 1 ,  p.  444;  La  Ga- 
zette nationale  ou  Extrait...,  t.  XVI,  p.  131;  Le  Spectateur  national, 
n°   14^,  p.  613;  Le  Mercure  national  et  étranger,  t.  I,  p.  77.1 


270.  —  SEANCE  DU  21  AVRIL  1791 
Sur  les  troubles  d'Avignon  et  du  Comtat  (1) 


La  Tour-Maubourg,  député  de  la  .noblesse  de  la  sénéchaussée 
du  Puy-en-Velay,  demande  à  l'Assemblée  de  fixer  un  jour  pour 
entendre  le  rapport  sur  l'affaire  d'Avignon  et  du  Comtat  Menou 
répond  au  nom  du  comité  diplomatique,  que  le  comité  a  les  pièces 
nécessaires  pour  rendre  compte  de  ce  iqui  s'est  passé  dans  le  Comtat, 
mais  qu'il  n'est  point  à  même  de  faire  son  rapport  sur  la  pétitio-i 
des  Avignonars  :  en  vue  de  ce  travail,  Menou  s'est  rendu  plusieurs 
fois  à  la  Bibliothèque  du  roi  pour  réunir  les  documenta  destinés 
à  faire  l'historique  d'Avignon  i(2).  Robespierre  iqui  intervient  après 
Menou,  puis  Bouche  i(3),  soutiennent  la  proposition  de  La  Tour- 
Maubourg. 

(L'Assemblée  décréta  que  l'affaire  d'Avignon  serait  mise  à  l'or- 
dre du   jour  de   la   séance   du   mardi   26   avril    (4). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIV,  p.  393 

a  M.  Robespierre.  J'observe  à  l'assemblée  que  si  M.  de  Mau- 
bourg  avoit  voulu  entrer  dans  les  détails  des  faits  qui  ont  motivé  sa 
demande,  il  vous  auroit  convaincu  que  vous  n'avez  pas  un  moment  à 
perdre  pour  prévenir  les  plus  grands  désordres,  non  seulement  à  Avi- 
gnon et  dans  le  Comtat,  mais  encore  dans  les  départemens  méridionnaux 
de  la  France  :  il  vous  auroit  dit  que  le  parti  opposé  à  la  majorité  du 
Comtat  et  d'Avignon  qui  demande  la  réunion  a  fait  une   incursion  sur 

(1)  Cf.    Discours,   lrc  partie,  -séances  des  18  et   19  novembre  1790. 

(2)  Cf.  P.  Vaillandet,  op.  cit.  3e  partie,  lettre  CLXV,  p.  96  à 
08.  Les  envoyés  extraordinaires  d'Avignon  auprès  de  J'Assemblée, 
dont  Tissot,  fournissaient  à  Menou  des  matériaux  pour  la  confection 
(le   son    rapport. 

(3)  L'intervention  'de  Bouche  avait  été  particulièrement  vive. 
Décrivant  les  troubles  de  Vaison,  il  insistait  sur  le  fait  que  les 
rictimes  auraient  été  <(  coupées  en  morceaux  &>  et  ique  l'évêque  de 
Vaison  aurait:  glorifié  ces  crimes  en  faisant  chanter  un  «  Te  Demu   ». 

(4)  Cf.  ci-dessous  séances  des  28-30  avril  et  2  mai.  E.  Haincl, 
I,  417,  cite  ce  passage  du  Courier  de  Provence  (t.  XIV,  n°  285, 
p  260):  ((  M.  Robespierre  a  dû  le  faire  rougir  de  sa  lenteur  .par 
la  vivacité  avec  laquelle  il  l'a  opposée  aux  miotifs  les  plus  pressant 
pour  arrêter  le  carnage  qu'on  fait  dans  cette  contrée  malheureuse.  » 


248    ,  LÉS  DISCOURS  DE  ROBESPIERRE 

les  patriotes;  et  que  déjà  les  maires  de  plusieurs  communes  qui  ont 
voté  la  réunion,  que  les  patriotes  les  plus  distingués  du  Comtat  et  d'Avi- 
gnon, et  les  plus  attachés  à  la  révolution  françoise,  sont  égorgés  :  il 
vous  auroit  dit  que  les  départemens  voisins  prenoient  fait  et  cause  dans 
cette  querelle,  que  d'un  côté,  ceux  qui  agissent  sous  les  ordres  du 
directoire  du  département  -de  la  Drôme  volent  au  secours  du  parti  anti- 
révolutionnaire d'Avignon  et  du  Comtat;  et  que  de  l'autre  le  départe- 
ment des  Bouches-du-Rhône  est  disposé  et  a  fait  tous  les  préparatifs 
nécessaires  pour  voler  au  secours  des  patriotes  du  Comtat  et  d'Avi- 
gnon :  il  vous  auroit  dit  que  déjà  un  grand  nombre  de  citoyens,  de 
fonctionnaires  publics,  de  gardes  nationales  du  département  des  Bou- 
ches-du-Rhône sont  à  Avignon  ;  que  les  maires  et  en  particulier  le 
maire  d'Arles,  ont  juré  à  Avignon  de  venger  l'assassinat  commis  dans 
la  personne  des  patriotes  avignonois  et  comtadins,  dont  ils  regardent  la 
cause  comme  liée  à  celle  de  la  révolution  françoise. 

«  C'est  à  vous,  messieurs,  à  juger,  d'après  ces  faits,  qui  ne  peu- 
vent point  être  démentis,  qui  sont  constatés  par  des  lettres  qui  arrivent 
tous  les  jours  de  ces  contrées,  si,  sous  prétexte  qu'il  faudroit  faire  des 
recherches  ultérieures  à  la  bibliothèque  du  roi,  on  peut  vous  empêcher 
de  presser  ce  rapport  Je  demande,  au  nom  du  salut  piùSlic,  et  pour 
éviter  l'effusion  du  sang  françois,  que  le  rapport  soit  fait  incessamment; 
et,  certes,  si  vous  vouliez  écouter  tout  ce  que  vous  dicte  l'intérêt 
public,  dans  ce  moment  même  vous  conclueriez  de  tous  les  moyens  qui 
vous  ont  été  présentés  dans  les  deux  rapports  précédens,  que  cette 
cause  est  déjà  éclaircie  à  vos  yeux;  et  vous  prononceriez  sur-le-champ 
la  réunion  d'Avignon  et  du  Comtat  Venaissin  à  la  France  (Murmures. 
Applaudi  des  tribunes)  »  (5). 

Gazette  nationale  ou.  le  Moniteur  universel,  n°    112,  p.  461. 

((  M.  Roberspierre .  J'observe  que  si  M.  Maubourg  était  entré 
dans  le  détail  des  faits,  il  vous  aurait  convaincu  qu'il  n'y  a  pas  un 
moment  à  perdre  pour  prévenir  les  désastres  qui  menacent  le  Comtat  et 
les  départemens  méridionaux.  Il  vous  aurait  appris  que  le  parti  opposé 
à  la  réunion  du  Comtat,  a  fait  une  incursion  sur  les  patriotes  :  que  les 
personnes  les  plus  attachées  à  la  révolution  française  :  que  des  maires 
ont  été  égorgés;  que  les  départemens  voisins  prennent  fait  et  cause 
dans  cette  affaire;  que  celui  de  la  Drôme,  c'est-à-dire,  ceux  qui  agis- 
sent sous  l'autorité  du  directoire,  volent  au  secours  des  anti-révolution- 
naires; que  beaucoup  de  fonctionnaires  publics  sont  à  Avignon;  que 
le  maire  d'Arles  notamment  y  a  juré  de  venger  l'assassinat  des  patriotes 
Avignonais  et  Comtadins.  Jugez,  d'après  ces  faits  que  M.  Maubourg 
peut  affirmer,  si  vous  pouvez  être  arrêtés  par  de  vains  prétextes. 


(5)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.   pari..  XXV,  237,   et  complété 
à  l'aide  du  Moniteur. 


LES  DISCOURS  DE  ROBESPIERRE  249 

«  Je  puis  dire  que  le  rapport  est  prêt  depuis  trois  mois,  depuis  trois 
mois  vous  savez  tout  ce  que  vous  pouvez  savoir.  La  pétition  des  Avigno- 
nais  vous  avait  été  développée  dans  deux  rapports  faits,  l'un  par 
M.  Tronchet,  et  l'autre  par  M.  Pétion.  La  réunion  est  appuyée  par 
tous  les  moyens  du  droit  positif  et  du  droit  des  gens.  Si  l'on  veut 
bien  se  reporter  à  cette  époque,  on  se  rappellera  que  l'Assemblée  avait 
une  conviction  profonde  c'e  la  justice  de  cette  pétition  (6).  Est-il  pos- 
sible d'après  cela  que  l'on  diffère,  sous  prétexte  qu'il  faudrait  recher- 
cher dans  la  bibliothèque  du  roi  l'historique  d'Avignon  ?  Est-il  quel- 
qu'un qui  ne  sache,  sans  fouiller  une  bibliothèque,  tout  ce  qu'il  faut 
savoir  sur  les  rapports  des  Avignonais  avec  la  France  ?  Est-il  quel- 
qu'un qui  ne  connaisse  pas  les  départemens  voisins  ?  A-t-on  oublié 
que  les  députés  de  la  ci-devant  Provence  étaient  chargés  par  leurs 
mandats  de  solliciter  la  réunion  du  Comtat.  Je  demande  donc,  au  nom 
du  salut  public,  que  le  rapport  soit  fait  incessamment.  Si  vous  vouliez 
vous  décider  sur  ce  que  vous  savez,  vous  verriez  que  vous  connaissez 
assez  cette  affaire  pour  prononcer  en  ce  moment  la  réunion.  (On 
applaudit)   »  (7). 

Le  Point  du  jour,  t.  XXI,  n°  657,  p.  421. 

«   M.  Robespierre  a  appuyé  la  motion. 

«  Si  le  comité  partait,  a-t-il  dit,  il  vous  auroit  annoncé  que  le 
département  des  Bouches-du-Rhône  a  fait  toutes  les  dispositions  néces- 
saires pour  voler  au  secours  des  patriotes  d'Avignon  et  du  Comtat; 
plusieurs  maires,  entr'autres  le  maire  d'Arles,  ont  juré  à  Avignon  de 
venger  les  assassinats  commis  sur  plusieurs  patriotes.  Déjà  la  cause 
d'Avignon  vous  a  été  présentée  deux  fois  par  MM.  Tronchet  et  Pé- 
thion.  Ils  vous  ont  rappelle  les  droits  des  nations,  et  tout  ce  qui  pouvoit 
fonder  la  justice  de  la  pétition  d'Avignon;  vous  avez  vu  les  effets  que 
les  événemens  de  cette  ville  peuvent  produire  sur  le  sort  de  la  France. 
Les  députés  de  la  ci-devant  Provence  ont  été  chargés  par  leurs  man- 
dats de  réclamer  la  réunion  du  Comtat  à  la  France.  Je  demande  au 
nom  du  bien  public  et  pour  éviter  l'effusion  du  sang  français,  que  cette 
cause  déjà  éclairée  à  vos  yeux  soit  présentée  au  premier  jour  et  qu'Avi- 
gnon soit  réuni  à  la  France.    » 

Mercure  de  France,  30  avril    1791,  p.   345-46. 

«  Vous  savez  depuis  trois  mois,  tout  ce  que  vous  pouvez  et  devez 
savoir,  a  réparti  M.  Roberspierre.  Rappelez-vous  les  rapports  de  MM. 
Tronchet  et  Péthion.  )>  La  réunion  est  appuyée  par  tous  les  moyens  du 
droit  positif  et  du  droit  des  gens.   L'Assemblée  eut  dans  le  temps  une 


(6)  Passage   reproduit  dans   les   Arch.   pari.,   XXV,    237,  -depuis  : 
«  Je  puis  dire...   ». 

(7)  Texte    reproduit    dans    le    Moniteur,    VIII,    190. 


250  LES   DISCOURS   DE  ROBESPIERRE 

conviction  parfaite  de  l'équité  de  cette  pétition.  «  Est-il  besoin  de 
fouiller  dans  les  bibliothèques  pour  juger  des  rapports  des  Avignonois 
et  des  François  »?  Il  a  conclu,  comme  premier  exemple  de  la  sincérité 
du  renoncement  à  toute  espèce  de  conquête,  à  ce  qu'on  décrétât  sur  le 
champ  la  réunion  du  Comtat  à  la  France.   » 

Le  Spectateur  national,   n°    144,   p.    623. 

«  M.  Robespierre  a  dit  que  de  grands  désordres  régnoient  en  effet 
à  Avignon  et  dans  le  Comtat,  que  d'horribles  assassinats  y  avoient  été 
commis,  et  que  les  départemens  méridionaux,  partagés  d'opmjon  sur 
la  réunion  ou  la  non-réunion  de  cette  contrée  à  la  France,  étoient  eux- 
mêmes  près  d'en  venir  aux  mains.  Comment,  s'est  écrié  M.  Robes- 
pierre, comment,  à  la  vue  de  tels  attentats,  et  quand  il  s'agit  de  pré- 
venir de  nouveaux  massacres,  ose-t-on  nous  parler  de  recherches  à 
faire  dans  la  bibliothèque  du  roi  !  Je  demande  qu'au  nom  du  bien  géné- 
ral, et  pour  éviter  l'effusion  du  sang,  le  rapport  de  cette  affaire  soit 
incessamment  présenté;  et  si  l'assemblée  entendoit  ce  que  lui  dicte 
l'intérêt  public,  elle  décréteroit  sur  le  champ  même  qu'Avignon  et  le 
Comtat  sont  parties  intégrantes  de  l'Empire   françois.    » 

Journal  général,  n°   82,  p.   328. 

«  M.  Robespierre.  La  chose  est  instante  :  les  Patriotes  les  plus 
distingués  ont  été  égorgés.  On  prétend  que  le  Département  de  la  Drôme 
appuie  les  contre-révolutionnaires;  celui  des  Bouches-du-Rhone  veut 
venger  les  Patriotes.  Hâtez-vous  de  prononcer  si  vous  ne  voulez  que 
tout  ce  pays  soit  dévasté,  que  les  Départemens  voisins  soient  en  guerre 
les  uns  contre  les  autres,  et  que  le  sang  François  soit  versé.  L'Opinant 
croit  que  l'état  actuel  des  choses,  le  droit  naturel,  le  droit  politique, 
concourent  à  demander  la  réunion  d'Avignon  et  du  Comtat  à  la 
France.   >» 

Journal  général  de  France,  23  avril   1791,  p.  450. 

«  M.  Robertspierre  a  fait  ensuite  le  tableau  le  plus  terrible  des 
désordres  du  Comtat,  et  il  a  dit  une  chose  qui  paraîtra  sans  doute 
singulière  aux  habitants  de  ces  pays  et  des  départements  voisins;  c'est 
que  les  partisans  de  l'ancien  régime  y  sont  les  oppresseurs;^  et  les 
Patriotes,  c'est-à-dire  les  Insurgés,  les  opprimés.  Mais  ce  n'est  pas 
ceux-ci  qui  ont  sacrifié  à  Avignon  un  grand  nombre  de  victimes,  et  qui 
ont  porté  le  fer  et  la  flamme,  la  dévastation  et  le  pillage  à  Cavaiîlon 
et  à  Carpentras. 

«  Mais  il  falloit  frapper  de  grands  coups,  et  M.  Robertspiene  et 
M.  Bouche,  se  rappelant  le  précepte  de  Voltaire,  il  Vaut  mieux  frap- 
per fort  que  de  frapper  juste,  ont  voulu  disposer  les  esprits  par  des 
tableaux  effrayants  en  faveur  de  ceux  qu'ils  appellent  les  Patriotes,  et 
préparer  la  prise  du  Comtat  Venaissin.   » 


LES   DISCOURS   DE  ROBESPIERRE  251 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  23  avril  1791,  p.  450. 

M.  Robespierre,  qui  s'est  montré  disposé  à  secouer  le  joug  des 
comités,  n'a  pas  été  satisfait  des  motifs  de  retard  allégués  par  M.  de 
Menou;  puis  «'étendant  sur  les  prétendues  vexations  exercées  envers 
ceux  qu'il  a  désignés  sous  le  nom  de  patriotes  d'Avignon,  et  qui  sont 
les  seuls  vexateurs,  il  a  soutenu  qu'il  étoit  tems  de  les  faire  cesser; 
que  la  majorité  des  habitans  du  Comtat  demandant  à  être  réunis  à  la 
France,  la  question  ne  devoit  plus  souffrir  aucune  difficulté. 

Il  seroit  inutile  de  réfuter  encore  ici  cette  détestable  opinion  ;  elle 
ne  fait  que  se  reproduire,  et  déjà  il  y  a  long-tems  qu'elle  a  révolté 
toute  l'Europe;  mais  nous  devons  dire,  pour  la  honte  de  ceux  qui  s'occu- 
pent de  cette  téméraire  et  si  injuste  conquête,  qu'elle  a  été  viveme.it 
applaudie  parmi  eux. 

Gazette  de  Paris,  28  avril    1791,  p.  3. 

«  Le  Républicain,  M.  Robespierre,  a  répété  aussitôt  avec  enthou- 
siasme cette  maxime  :  les  droits  des  Avignonais,  comme  ceux  de  tous 
les  Peuples,  ne  sont  pas  dans  leur  histoire,  mais  dans  leur  nature; 
maxime  qui,  d'après  la  manière  dont  nos  Sophistes  la  commentent,  est, 
ne  l'oubliez  point,  le  premier  paragraphe  du  code  du  Régicide;  maxi- 
me écrite  d'ailleurs  dans  ce  style  énigmatique,  d'autant  plus  insidieux, 
que  par  lui  chaque  phrase  signifie  tout  ce  qu'on  veut  lui  faire  dire. 
Il  est  de  toute  fausseté  que  les  titres  des  Nations  ne  soient  pas  dans 
leur  histoire  :  elle  est  le  dépôt  des  connoissances  qu'ils  ont  acquises, 
des  progrès  qu'a  fait  l'entendement  humain,  des  vertus  morales  qui  ont 
succédé  à  cet  instinct  trop  souvent  aveugle,  qui  étoit  ce  que  l'on 
appelle  leur  nature.  Donc,  plus  ils  ont  acquis  de  bonté,  de  justice,  de 
sensibilité  réelle,  et  plus  ils  se  sont  éloignés  de  cette  Nature,  qui  avoit 
mis  en  eux  des  moyens  d'acquérir,  mais  non  des  trésors  encore  déve- 
loppés. » 

Journal  de  Paris,  n°    113,  p.   453. 

«  Il  s'agit  bien,  s'est  écrié  M.  de  Robespierre,  de  recherches 
historiques  :  les  droits  des  Avignonois,  comme  ceux  de  tous  les  hom- 
mes, ne  sont  pas  dans  leur  histoire,  mais  dans  leur  nature.  Tandis  que 
vous  étudierez  leur  histoire  ancienne,  craignez  que  par  notre  faute 
les  fastes  de  leur  histoire  actuelle  n'arrivent  ensanglantés  à  la  posté- 
rité. Déjà  le  sang  des  meilleurs  Citoyens  et  des  Maires  des  Communes 
qui  ont  voté  pour  la  réunion,  a  coulé  sous  le  poignards  des  Papistes.  De 
pareils  crimes,  lorsqu'ils  restent  impunis,  provoquent  la  vengeance.  Les 
Gardes  Nationales  du  Département  de  la  Drôme  ont  annoncé  qu'ils 
alloient  s'armer  contre  ces  assassins  :  ils  violeront  la  Loi  sociale,  je  le 
sais,  mais  ils  la  violeront  pour  suivre  la  Loi  de  l'humanité;  et  l'mcen- 
die   va   se   répandre   dans  tout   le    Midi   de   la   France.    Qui   faudn-t-il 


252  LES  DISCOURS  DE  ROBESPIERRE 

en  accuser?   Nous,   MM.,   nous,  qui  avons  mis  tant  de  lenteur  à  faire 
droit  à  une  pétition  d'une  justice  si  évidente.  » 

Le  Creuset,  t.  II,  n°  34. 

«  Enflammée  par  le  tableau  des  calamités  suscitées  dans  ces  can- 
tons par  le  fanatisme,  l'âme  franche  et  pure  de  M.  Roberspierre  a  fait 
entendre  ensuite  les  gémissemens  de  la  probité  et  de  la  philosophie.  Si 
on  ne  prend  pas  les  mesures  les  plus  promptes,  a-t-il  dit,  bientôt  toutes 
les  fureurs  de  la  guerre  civile  éclateront  dans  tout  le  midi  de  la 
France...   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  des  Clubs, 
t.  II,  n°  23,  p.  465;  La  Correspondance  Nationale,  n°  20,  p.  224; 
La  Gazette  Nationale  ou  Extrait...,  t.  XVI,  p.  149;  Le  Courrier 
extraordinaire,  23  avril  1791,  p.  6;  Le  Journal  de  Normandie,  n°  113, 
p.  552;  Le  Mercure  national  et  étranger,  22  avril  1791,  p.  112-  Le 
Lendemain,  t.  III,  n°    113,  p.  211.] 


271.  —  SEANCE  DU  22  AVRIL   1791 
Sur  les  procès  intentés  pour  crime  de  lèse-nation 


L'un  des  secrétaires  donne  lecture  à  l'Assemblée  d'une  lettre 
du  ministre  de  la  justice.  Il  annonce  qu'il  a  demandé  au  procureur 
du  roi  du  ci-devant  Châtelet,  la  liste  des  procès  pour  crimes  de 
lèse-nation.  Parmi  ces  procès,  plusieurs,  commencés  devant  des 
tribunaux  ordinaires,  et  ayant  pour  objet  soit  des  écrits  séditieux, 
■soit  des  discours,  ne  sauraient  être  confondus  avec  les  procès  pour 
crime  de  lèse-nation,  que  .seul  le  corps  législatif  peut  intenter.  Or, 
il  est  prévu  par  les  décrets  d'organisation  de  la  Haute  cour  natio- 
nale (1),  que  les  procédures  commencées  au  Châtelet  seront  trans- 
mises à  la  Haute  cour  siégeant  à  Orléans.  Le  ministre  demande  à 
l'Assemblée  de  .manifester  ses  intentions,  relativement  aux  procès 
qu'il   lui   a  signalés. 

L'Assemblée  ordonna,  ainsi  que  le  demanda  Robespierre,  le 
renvoi  de  la  lettre  du  ministre  de  la  justice,  aux  comités  des  rap- 
ports,   des   .recherches    et   de   jurisprudence    criminelle. 

Mercure  universel,  t.   II,  p.   382. 

«  M.  Robespierre  croit  qu'il  n'est  point  prudent  ni  digne  de 
l'assemblée  de  prodiguer  ainsi  les  accusations  de  lèze  nation;  qu'elle 
doit  se  préparer  à  la  donner  ou  à  la  refuser  aux  personnes  dont  il  s'agit 
par  un   examen   fait  en  comité.    » 

<1)   CL    Discours...,    lre  partie,    p.    555   à   667. 


LES  DISCOURS  DE  ROBESPIERRE  253 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  23  avril   1791,  p.  454. 

«  MM.  Voidel  et  Robespierre,  successivement,  ont  insisté  avec 
chaleur  sur  l'injustice  qu'il  y  aurait  à  transférer  à  Orléans  des  citoyens 
qui  ne  sont  coupables  que  de  propos  indiscrets;  ils  ont  démontré,  ce 
qui  n'était  pas  difficile,  la  nécessité  de  définir  les  crimes  de  lèze-nahon, 
et  ont  demandé  le  renvoi  de  la  lettre  aux  comités  de  constitution  et  de 
jurisprudence,  qui  présenteraient  enfin  un  rapport  sur  cette  définition 
mille  fois  trop  tardive.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Mercure  national 
et  étranger,  23  avril    1791,  p.    127.] 


272.  —  SEANCE  DU  23  AVRIL  1791  (soir) 
Sur  la  lettre  du  roi  aux  ambassadeurs 


L'un  des  secrétaires  donne  lecture  à  l'Assemblée  d'une  lettre 
du  ministre  des  affaires  étrangères  qui  en  fait  passer  une  autre, 
■écrite  au  nom  du  roi,  à  tous  les  ministres  et  ambassadeurs  de 
France  auprès  des  cours  étrangères  (1)-.  (Le  roi,  par  cette  .lettre, 
ordonne  aux  agents  diplomatiques  de  .notifier  aux  puissances  près 
desquelles  ils  résident,  la  Révolution  accomplie  en  France  et  les 
sentiments  qu'il  n'a  jamais  cessé  de  manifester  pour  la  Constitution 

Cette  lecture  suscite  de  vifs  applaudissements.  Alexandre  La- 
aneth  propose  qu'une  députation  soit  envoyée  à  Louis  XVI  «  pour 
le  remercier  du  bien  immense  qu'il  vient  de  faire  à  la  nation  en  lui 
rendant  la  paix  »  (3).  Robespierre  demande  que  le  roi  soit  félicité 
et    non    pas    remercié  ;(4). 

L'Assemblée  décida  «  qu'une  députation  de  60  membres  se  reti- 
rerait par  devers  le  Roi,  pour  le  féliciter  du  parfait  accord  de  ses 
sentiments  avec  ceux  'de  la  nation  n.  'Elle  décréta  çn  outre  que  la 
lettre  du  roi  serait  envoyée  à  tous  les  corps  civils  et  militaires  du 
royaume. 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.    II,  n°    190,  p.   3. 
Journal  des  Etats  Généraux  ov  Journal  Logographique .  t.  XXIV,  p.  427 
Le  Creuset,  t.  II,  n°  35,  p.   174. 

«  M.  Robespierre.  Je  vous  propose  de  rendre  au  roi  un  autre 
hommage  beaucoup  plus  noble  et  plus  digne  de  la  circonstance.  Le 
loi  connoit  la  souveraineté  de  la  nation  ;  il  connoit  la  dignité  de  ses 
représentans;  il  n'y  a  pas  un  mot  de  la  lettre  qui  vous  a  été  lue  qui  ne 

i(l)  Cotte  lettre,  fut  écrite  .après  l'affaire  du  J8  avril:  le  roi,  sur 
le  point  de  partir  pour  Saint-Cloud  où  il  comptait  faire  ses  Pâques 
avec  l'assistance  d'un  prêtre  .réfractairc,  en  fut  empêché  par  la 
foule. 

(2)  Le  texte  de  la  lettre  est  reproduit  dans  le  Moniteur  Uni- 
versel,  n°   115,   p.   473;  et  le  Point  du   Jour,   n°  653,   p.   363. 

(3)  Cf.   le  Point  du  Jour,   n°  653,  p.  365. 

(4)  Cf.   E.  'Hamel,  I,   123. 


254  LES  DISCOURS  DE  ROBESPIERRE 

soit  puisé  dans  ce  principe  et  dans  ce  sentiment.  Le  roi  verroit  donc  avec 
douleur  que  l'assemblée  nationale  montre  qu'elle  a  oublié  sa  dignité 
(murmures);  d'un  côté,  je  ne  m'éloignerai  pas  de  la  motion  de  M.  de 
Lameth.  Je  me  bornerai  seulement  à  y  faire  une  modification  qui  la 
rende  digne  de  l'assemblée  et  du  roi.  Moi  je  crois  qu'il  ne  suffit  pas  de 
remercier  le  roi  :  ce  n'est  pas  de  ce  moment-ci  que  l'assemblée  natio- 
nale doit  croire  au  patriotisme  du  roi  :  elle  doit  croire  que  dès  le  com- 
mencement de  la  révolution,  comme  le  roi  l'a  dit  dans  sa  lettre,  il  a  été 
ïnviolablement  attaché  aux  principes  de  la  révolution  et  de  la  liberté, 
et  qu'il  n'a  connu  d'autre  bonheur  que  celui  du  peuple.  Je  demande 
en  conséquence  qu'il  soit  envoyé  une  députation  au  roi  pour  le  féli- 
citer du  parfait  accord  de  ses  sentimens  avec  ceux  de  !a  nation  fran- 
çaise »  (5) 

La  Bouche  de  Fer,  suppl.  au  n"  48,  p.  254. 

«  La  lettre  du  roi  adressée  aux  cours  étrangères,  a  occasionné  un 
de  ces  enthousiasmes  dont  les  François  seuls  sont  capables.  Tous  vou- 
loient  aller  lui  témoigner  l'impression  que  cette  heureuse  fraternité  fai- 
soit  naître;  mais  Robertspieire  a  retenu  ce  premier  mouvement.  Il  a 
fait  sentir  ce  que  les  représentans  d'un  peuple  libre  doivent  au  souve- 
rain (le  peuple),  et  quelles  sont  leurs  relations  avec  !e  premier  sujet 
de  la  loi  (le  roi).  Il  a  conclu  qu'une  députation  devoit  aller,  non  point 
remercier  le  roi  de  ses  sentimens,  mais  l'en  féliciter.  On  observera 
que  les  prétendus  amis  du  roi,  séants  au  côté  droit  de  l'assemblée, 
n'ont  partagé  ni  l'ivresse,  ni  les  applaudissemens  des  vrais  amis  du  roi, 
les  François  régénérés.  » 
Journal  de  la  Noblesse,  t.  I,  n°   18,  p.  539. 

«  M.  Robespierre  plus  réfléchi,  a  senti  que  ces  hommages  tour- 
neraient contre  l'assemblée. 

«  Le  roi,  a-t-il  dit,  reconnoît  la  souveraineté  de  la  nation,  et  la 
dignité  de  ses  représentans;  sans  doute,  il  verroit  avec  peine  que 
l'assemblée  nationale,  oubliant  cette  dignité,  se  déplaçât  toute  entière. 
On  vous  propose  de  remercier  le  roi;  mais  ce  n'est  pas  de  ce  moment 
que  l'assemblée  doit  croire  à  son  patriotisme  (Quelle  sagacité  !)  Elle 
doit  penser  que  depuis  le  moment  de  la  révolution,  il  y  est  constam- 
ment attaché.  Il  ne  faut  pas  le  remercier,  mais  le  féliciter  du  parfait 
accord  de  ses  sentimens  avec  ceux  de  la  nation.   » 

Journal  des  Débats,  t.  XIX,  n°  699,  p.  3. 

«  M.  Robespierre  a  dit  :  je  propose  de  rendre  au  Roi  un  autre 
hommage,  qui  soit  tout-à-lafois  plus  noble  et  plus  digne  de  l'Assemblée 
Nationale  et  de  la  circonstance  dans  laquelle  elle  se  trouve  placée; 
je  trouve  dans  la   lettre  du   Roi  même   le   caractère   que  doit  prendre 

(5)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.   pari.,   XXV,  314. 


LES  DISCOURS  DE  ROBESPIERRE  255 

l'hommage  que  nous  avons  à  lui  rendre.  Le  Roi  reconnoît  la  souve- 
raineté de  la  Nation  ;  le  Roi  reconnoît  la  dignité  de  la  Nation  :  il  ver- 
rou sans  doute  avec  douleur  que  l'Assemblée  qui  la  représente,  se 
déplaçant  toute  entière,  montrât  qu'elle  a  oublié  sa  dignité.  (De  longs 
murmures  ont  interrompu  l'Orateur).  D'un  autre  côté  je  ne  suis  point 
éloigné  de  la  motion  de  M.  Lameth,  mais  je  me  borne  à  y  faire  une 
modification. 

«  M.  Lameth  propose  de  remercier  le  Roi  des  sentimens  qu'il 
manifeste  dans  sa  lettre;  et  moi,  je  crois  que  cela  ne  suffit  pas.  Ce 
n'est  pas  de  ce  moment-ci  seulement  qu'il  faut  croire  au  patriotisme  du 
Roi;  l'Assemblée  Nationale  doit  y  croire  depuis  le  commencement 
de  la  Révolution  :  et  comme  Sa  Majesté  ne  veut  avoir  d'autre  bon- 
heur que  celui  du  Peuple,  il  ne  faut  point  la  remercier,  mais  la  féliciter 
d'avoir  toujours  eu  des  sentimens  si  patriotiques,  si  dignes  d'Elle  et  de 
la  Nation  Françoise.   (Il  s'est  élevé  de  nouveaux  murmures). 

«  Je  me  résume  à  cette  dernière  idée,  qui  me  paroît  la  plus  con- 
forme à  la  dignité  de  l'Assemblée  Nationale,  et  à  la  circonstance  qui 
détermine  la  démarche  qu'elle  va  faire   »   (6). 

Le  Spectateur  national,  n°    146,  p.  632. 

«  Je  m'y  oppose,  s'est  écrié  M.  Robespierre.  Le  roi  vieil'  de 
reconnoître  la  souveraineté  de  la  nation,  la  dignité  de  ses  représentans. 
Il  n'y  a  pas  dans  la  lettre  du  ministre  une  ligne,  un  mot,  un  syllabe 
qui  ne  soient  puisés  dans  ce  principe  et  dans  ce  sentiment.  Il  faut  donc 
se  contenter  d'envoyer  une  députation  au  monarque,  et  ne  pas  faire 
croire,  par  une  démarche  inconsidérée,  que  nous  sommes  moins  péné- 
trés de  la  souveraineté  nationale  que  lui-même.  (Applaudissements  des 
tribunes).  Ce  n'est  pas  tout,  a  ajouté  l'opiniant,  je  demande  encore  que 
le  roi  soit,  non  pas  remercié,  comme  on  le  propose,  mais  seulement 
félicité  des  sentimens  patriotiques  qu'il  vient  de  faire  paroître. 

«  Cette  dernière  proposition  a  paru  très-déplacée  et  n'a  pas  même 
trouvé  d'appui  parmi  ceux  qu'on  sait  être,  comme  le  député  d'Arras, 
partisans  de  l'indépendance  populaire   »   (7). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    115,  p.   473. 

«  M.  Robespierre.  Il  faut  rendre  au  roi  un  hommage  noble  et 
digne  de  la  ciiconstance.  Il  reconnait  la  Souveraineté  de  la  nation  et 
la  dignité  de  ses  représentants,  et  sans  doute  il  verrait  avec  peine  que 
l'Assemblée  nationale,  oubliant  cette  dignité,  se  déplaçât  toute  entière. 
(Il  s'élève  de  grands  murmures.  Quelques  personnes  applaudissent).  Je 
ne  m'éloigne  pas  de  la  proposition  de  M.  Lameth;  je  me  borne  à  une 
petite  modification.  Il  vous  a  proposé  de  remercier  le  roi;  mais  ce  n'est 


(6)  Texte    reproduit    dans    les   Arch.    pari.     XXV,    314,    combiné 
avec  celui  de  Le   Hodey. 

(7)  Eu  fait  elle  fut  adoptée. 


256 


LES  DISCOURS  DE  ROBESPIERRE 


pas  de  ce  moment  que  l'Assemblée  doit  croire  à  son  patriotisme;  elle 
doit  penser  que  depuis  !e  moment  de  la  révolution,  il  y  est  resté 
constamment  attaché.  Il  ne  faut  donc  pas  le  remercier,  mais  le  féliciter 
du  parfait  accord  de  ses  sentimens  avec  ceux  de  la  nation  (on  applau- 
dit)  »  (8). 

Journal  de  la  Cour  et  de  la  Ville,  n°  58,  p.  508. 

«  C'est  un  Robertspierre  qui  s'oppose  à  ce  que  l'assemblée  natio- 
nale aille  faire  des  remerciemens  au  Roi  ;  il  suffit  de  lui  faire  des  féli- 
citations... Des  félicitations!  Et  de  quoi?  De  ce  qu'il  ne  s'est  pas 
trouvé  un  Damien  dans  la  cour  des  Tuileries,  le  jour  qu'on  a  proclamé 
la  liberté  du  Roi  ?   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Point  du  Jour, 
t.  XXI,  n°  653,  p.  366;  Le  Journal  général  du  Pas-de-Calais,  n°  34, 
p.  300;  Le  Courier  français,  t.  X,  n°  114,  p.  427;  Le  Journal  de 
Paris,  24  avril  1791,  p.  459;  Le  Législateur  français,  26  avril  1791, 
p.  2;  Le  Patriote  françois,  n°  626,  p.  452;  Le  Journal  universel,  t.  XI. 
p.  5048.] 


(8)  Texte    reproduit    dans    le    Moniteur,    VIII,    214. 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

273.  —  SEANCE  DU  25  AVRIL  1791 

Sur  l'affaire  d'Avignon 


L'Assemblée  nationale  avait  décrété,  le  21  avril,  que  l'affaire 
■d'Avignon  serait  mise  à  'l'ordre  du  jour  de  la  séance  du  26.  Le  25, 
à  la  Société  des  Jacobins,  divers  orateurs,  dont  Goupil,  Carra  (1), 
Labre  d'Eglantine  et  Robespierre,   interviennent  sur  ce  même  sujet. 

Mercure  universel,  t.   II,  p.   474. 

«  M.  Robespierre.  Il  ne  faut  pas  compromettre  l'intérêt  des  peu- 
ples par  des  questions  problématiques.  Le  principe  de  la  question  des 
Avignonois  a  été  décidé  par  des  hommes  étrangers  aux  droits  des 
hommes;  nous  ne  devons  pas  être  plus  délicats  que  ceux  qui  se  disoient 
les  maîtres  de  la  France  ;  nous  ne  devons  pas  être  plus  difficiles  que 
la  reine  Jeanne,  qui  écouta  la  séduction  du  pape  Clément  (2).  Les  états 
généraux  de  ce  tems  ont  déclaré  que  c'étoit  à  titre  précaire  que  les 
papes  possédo:ent  Avignon  ;  je  ne  crois  donc  pas  qu'il  fut  seulement 
décent  d'opposer  dans  l'assemblée  nationale,   un  droit  reconnu  par  les 

(1)  Carra,  rédacteur  des  Annales  patriotiques  et  littéraires, 
futur  député  à   la  Convention. 

(2)  Cf.   Discours...,   lre  partie,   p.    587. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  257 

parlemens,  par  nos  rois,  par  les  états-généraux  de  la  nation.  On  ne  peut 
mettre  en  question  si  un  peuple  souverain  peut  s'unir  à  un  autre  peuple  ? 
Il  n'y  a  qu'un  tyran  ou  un  esclave  qui  puisse  trouver  là  une  ques'ion. 
Cette  affaire  fut  traitée  à  l'assemblée  nationale  il  y  a  six  mois,  et  sans 
une  circonstance  étrangère,  la  réunion  eut  eu  lieu  :  alors,  on  tenoit  à 
des  considérations  particulières,  on  regardoit  Avignon  comme  un  foyer 
d'aristocratie,  on  a  prédit  les  désastres  présens;  ils  sont  arrivés:  l'on 
a  voulu  alors  ajourner  la  question  et  éluder  les  droits  des  peuples;  on 
a  depuis  affermi,  renforcé  un  parti  contre-révolutionnaire  qui  pourroit 
attenter  à  notre  liberté;  ce  parti  caché  dans  les  ténèbres  s'est  montré 
tout  à  coup;  des  communes  entières  ont  été  ravagées  et  des  maires 
égorgés,  leurs  entrailles  déchirées  ont  été  promenées  aux  regards  des 
peuples  !  Depuis  deux  armées  sont  en  présence  :  qu'arrivera-t-il  ?  Déjà 
les  généreux  Avignonnois  ont  été  victimes  de  la  liberté;  mais  voyons  les 
confédérations  des  départemens  voisins  réunis  à  Avignon;  d'un  autre 
côté  sont  les  aristocrates  de  ces  mêmes  départemens  liés,  coalisés  avec 
les  rebelles  comtadins;  il  faut  se  transporter  hors  de  l'enceinte  de 
l'assemblée  nationale,  il  faut  se  transporter  sur  le  champ  de  bataJle, 
jonché  de  morts,  il  faut  voir  les  entrailles  des  patriotes  portées  au  bout 
des  bayonnettes  :  quiconque  ne  les  voit  pas  ne  peut  délibérer  sur  cette 
affaire  !  Qui  osera  me  parler  ici  des  droits  des  papes  ?  Il  faut  que  ces 
peuples  soient  libres  ou  il  faut  déchirer  notre  déclaration  des  droits; 
quand  on  outrage  les  tyrans,  il  faut  mourir  plutôt  que  de  rentrer  sous 
leur  obéissance.    (Applaudi). 

«  Il  ne  faut  pas  juger  de  ceux  qui  détestent  la  tyrannie,  par  le 
nombre  de  ceux  qui  la  blâment,  mais  par  le  sentiment  intérieur  de 
chaque  homme.  La  partie  du  peuple  du  comtat  qui  n'a  pas  prononcé 
son  adhésion,  doit  être  regardée  comme  opprimée;  tout  peuple  veut 
être  libre,  et  il  y  a  longtemps  qu'il  n'y  auroit  plus  de  despotes  au 
monde,  si  les  peuples  avoient  pu  prononcer  leur  vœu  !  Ce  seroit  une 
chose  injuste  et  scandaleuse  de  croire  qu'un  peuple  qui  n'a  pu  secouer 
le  joug,  voulût  payer  une  indemnité  à  un  despote  :  ainsi  parce  que  les 
Avignonnois  ne  voudroient  plus  obéir  au  pape,  ils  lui  voudroient  accor- 
der une  indemnité;  ce  seroit  reconnaître  qu'il  avoit  droit  à  la  souve- 
raineté ;  cela  détruit  les  principes  ! 

«  Quant  aux  craintes  que  l'on  voudroit  nous  inspirer,  elles  sont 
ridicules  :  on  voudroit  nous  faire  croire  que  les  comtadins  pèsent 
quelque  peu  dans  la  balance  politique  de  l'Europe  !  Si  l'on  disoit  cela, 
ce  ne  seroit  qu'un  prétexte,  et  les  despotes  sauroient  bien  se  passer  de 
celui-là,  s'ils  en  vouloient  à  notre  liberté.  Au  surplus,  la  liberté  ne 
considère  que  la  justice;  les  peuples  libres  n'ont  opposé  aucune  feinte 
politique  aux  puissans  rois;  avec  une  poignée  d'hommes  libres,  leurs 
nations  ont  renversé  des  armées  formidables  :  ces  systèmes  de  crainte 
sont  le  poison  de  la  liberté;  ce  n'est  pas  ainsi  que  se  comportent  les 
hommes  libres.   11  faut  mettre  les  Avignonnois  sous  la  protection  de  la 


258  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

nation  françoise;  c'est  parce  qu'on  a  dit  que  nous  les  abandonnerions, 
que  l'aristocratie  fomente  ces  horribles  troubles.  Je  demande  que 
l'assemblée  nationale  prononce  la  réunion  des  Comtadins  à  la  France. 
(Applaudi)   »  (3). 

Le  Lendemain,  t.  III,  n°    117,  p.  251. 

«  Goupil,  Carra,  Robertpierre,  Chépy  (4),  Alexandre  Lameth, 
parlent  sur  cette  affaire;  et,  après  avoir  débité,  les  uns  des  sottises,  les 
autres  des  sophismes,  ils  concluent  à  la  réunion  de  cet  état  à  la 
France.    » 

Journal  de  la  Révolution,  27  avril  1791. 

«  MM.  Carra,  Fabre  d'Eglantine,  Robespierre,  Charles  1  .ameth, 
et  quelques  autres  membres  ont  parlé  alternativement  sur  le  même  objet 
et  à  peu  près  dans  le  même  sens  et  d'après  ces  principes  :  qu'un  peuple 
entier  et  souverain  s'appartient  à  lui-même,  et  non  à  un  individu  quel- 
conque, et  qu'il  peut  s'incorporer  à  un  autre  peuple  souverain  lorsque 
celui-ci  veut  le  recevoir. 

«  M.  Robespierre  a  fait  le  tableau  des  horreurs  dont  ce  pays  est 
le  théâtre  »  (5). 

{3)  'La  Correspondance  des  envoyés  extraordinaires  d'Avignon 
m  fait  pas  allusion  à  cette  .séance  ni  à  cette  intervention  (Cf.  P. 
Vaillandet,  op.  cit.,  3e  partie). 

(4)  Il  s'agit  de  Pierre  iC'hépy  qui  sera,  en  1792,  secrétaire  de 
légation  à  Liège  et  .à  Lisbonne,  puis  commissaire  nation  ni  en 
Belgique. 

(5)  Texte  reproduit  dans  Aulard,  II,  351,  qui  donne  aussi  l'ex- 
trait du   Lendemain,    mais   il   omet   celui  du   Mercure   Universel. 


274.  —  SEANCE  DU  27  AVRIL  1791 
Sur  l'organisation  des  gardes  nationales 


1 ,c  intervention  :  Sur  la  méthode  de  discussion 

Rabaut  de  Saint-Etienne,  après  avoir  rappelé  les  principes 
constitutionnels  déjà  établis  sur  l'organisation  des  gardes  natio- 
nales, expose  le  projet  du  comité  militaire.  Certains  députés  ayant 
demandé  la  discussion  article  par  article,  Durand  de  Maillane, 
«député  du  tiers  état  de  la  sénéchaussée  d'Arles,  demande  une 
discussion  générale.  Démeunier,  lui  répondant,  pose  la  question 
en  ces  termes:  «  la  discussion  sera-t-elle  ouverte  sur  les  divers 
plans  qui  pourraient  être  présentés,  ou  bien  s'ouvrira-t-elle  seule- 
ment sur  les  détails  du  plan  présenté  par  le  comité  ».  Robespierre 
intervient  une  première  fois,  en  faveur  d'une  discussion  générale 
de  tous  les  projets  et  non  pas  du  seul  plan  du  Comité. 

L'Assemblée  décida  que  la  discussion  s'ouvrirait  non  pas  article 
par   article,  mais  sur  l'ensemble  du  plan  du  comité» 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  x.59 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIV,  p.  491 

«  M.  Robespierre.  Ce  n'est  point  pour  justifier  le  plan  de  M.  Du- 
rand (I)  que  je  prends  la -parole,  mais  reprenant  la  discussion  au  point 
où  M,  Desmeuniers  J'avoit  mise  :  je  dis  que  s'il  est  vrai  que  l'organisa- 
tion des  gardes  nationales  paroisse  à  l'assemblée  une  entreprise  à  la  fois 
difficile  et  importante,  d'où  dépend  en  dernière  analyse  le  succès  de 
vos  travaux,  et  la  stabilité  de  la  liberté,  chacun  de  nous  doit  s'étonner 
qu'en  paroissant  convenir  que  la  liberté  d'une  telle  discussion  doit  être 
entière,  on  parle  cependant  si  long-temps  pour  la  circonscrire,  suivant 
le  système  que  l'on  s'est  fait,  en  suivant  le  but  que  l'on  se  propose. 
Pour  moi,  effrayé  de  l'importance  et  des  dangers  de  cette  organisation, 
je  le  suis  infiniment  de  voir  deux  orateurs  du  comité  de  constitution,  qui 
ont  eu  tout  le  loisir  nécessaire  pour  méditer,  pour  préparer  à  leur  gré 
le  système  qu'ils  veulent  faire  adopter  à  l'assemblée  nationale,  paroître 
à  la  tribune  pour  circonscrire  à  leur  manière  les  termes  de  la  délibération  ; 
j'ai  été  infiniment  étonné  sur-tout  de  voir  M.  Démeunier,  tout  en  proté- 
geant la  liberté  de  la  discussion,  ne  faire  autre  chose  que  nous  assurer 
que  le  plan  du  comité  de  constitution  étoit  si  évidemment  conforme  aux 
principes  adoptés  par  rassemblée  nationale,  qu'il  n'offroit  que  des  consé- 
quences toutes  naturelles  et  toutes  simples  :  que  toute  discussion  à  cet 
égard  lui  paroissoit  inutile,  et  devant  entraîner  une  perte  de  tems. 

«  M.  Démeunier.  Je  n'ai  pas  dit  cela.  M.  Robespierre  voudra 
bien  ne  pas  altérer  les  faits;  c'est  son  habitude  lorsqu'il  répond  à  quel- 
qu'un 

«  M.  Robespierre.  Vous  ne  devez  pas  m  interrompre.  J'ai  été 
étonné  de  le  voir  ensuite  passer  en  revue  tous  les  plans  contraires  à 
celui  du  comité  (Murmures.  Discutez,  on  vous  laissera  parler). 

«  S'il  n'est  permis  de  faire  naître  aucun  préjugé  contre  aucun 
système,  sous  tel  prétexte  que  ce  soit,  je  dis  que  ce  n'est  point  la  peine 
pour  nous  d'engager  une  si  grande,  et  j'ose  le  dire,  une  si  dangereuse 
discussion  :  car  chacun  de  nous  individuellement  n'a  plus  le  droit  de 
suffrage  avec  un  comité...  (Murmures:  applaudi  à  gauche)  ...avec  un 
comité  qui  après  avoir  préparé  les  délibérations  préparc  encore  les 
moyens  nécessaires  pour  faire  adopter  presque  de  confiance  toutes  ses 
dispositions,  toutes  ses  idées  de  réglemens. 

«  Plusieurs  voix.  Allez  donc  au  fait. 

«  M.    d'André.    Vous    allongez    la   discussion. 

«  M.  Robespierre.  Il  est  temps  de  ressaisir  la  liberté  des  suffrages. 

«  Ce  projet  des  comités  ne  sauroit  être  adopté  dans  son  ensemble. 
Je  demande  donc  qu'on  ouvre  la  discussion  sur  le  plan  en  général  »  (2). 


(!)  Durand  de  Maillane  devait  lui-même  être  l'auteur  d'un  pfon. 
(2)   Texte   reproduit  dans   les  Aroh.    pari.,   XXV,   3Q0. 


260  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    118,  p.   485. 

«  M  Robespierre  Je  reprends  la  discussion  au  point  où  M.  Des- 
meuniers l'a  laissée.  J'ai  été  étonné  de  voir  qu'en  faisan*  semblant  de 
protéger  la  liberté  de  la  discussion,  on  ne  faisait  autre  chose  que  nous 
assurer  que  le  plan  du  Comité  était  tellement  conforme  aux  principes 
que  toute  discussion  paraissait  inutile,  et  devait  au  moins  entraîner  une 
perte  de  tems. 

a  M.  Desmeuniers.  M.  Robespierre  devrait  bien  ne  pas  altérer 
les  faits. 

«  M.  Robespierre.  J'ai  été  étonné  de  voir  M.  Desmeuniers  pas- 
sant légèrement  en  revue  tous  les  plans  présentés,  conclure  avec  la  même 
légèreté  qu'il  fallait  passer  à  la  discussion  de  son  plan.  Chacun  de 
nous  n'a  donc  plus  ici  la  liberté  des  suffrages  ?  (Cinq  à  six  personnes 
applaudissent  dans  l'extrémité  droite  de  la  partie  gauche.)  Bien  loin 
de  regarder  le  plan  du  Comité  comme  une  conséquence  très-simple  des 
principes  déjà  décrétés,  je  pense  au  contraire  qu'il  faut  l'examiner  avec 
la  plus  scrupuleuse  attention,  parce  que,  après  l'avoir  examiné  il  sera 
évident  pour  tout  le  monde  qu'il  ne  tend  à  lien  moins  qu'à  anéantir 
les  gardes  nationales  et  la  liberté.  Je  demande  en  conséquence  que  la 
parole  soit  accordée  sans  restriction  »  (3). 

Journal  des  Débats,  t.  XIX,  n°   701,  p.   4. 

«  M.  Robespierre  n'a  vu,  dans  ces  différentes  observations,  qu'une 
manière  d'étouffer  la  discussion,  et  de  jeter  d'avance  une  grande  défa- 
veur sur  le  plan  qu'on  avoit  à  proposer.  On  veut  réduire,  a-t-il  dit, 
les  Membres  de  l'Assemblée  Nationale  à  n'avoir  plus  que  le  droit  de 
suffrage,  et  à  concentrer  toute  la  délibération  dans  les  Comités.  Des 
murmures  continuels  ont  interrompu  M.  Robespierre.  Le  résulta*  du 
Projet  de  Décret  du  Comité,  a-t-il  dit,  est  d'anéantir  les  Gardes 
Nationales  et  la  liberté.    » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  1791,  n°  345,  p.   1. 

«  Mais  M.  de  Robespierre,  qui  a  tout  prêt  un  beau  discours  sur 
l'ensemble  du  plan  des  comités,  ne  veut  pas  en  perdre  le  fruit  et  la 
gloire.  Après  avoir  secoué,  terrassé  le  despotisme  des  ministres  et  des 
Rois,  courberons-nous,  dit-il,  servilement  la  tête  sous  le  despotisme 
des  comités.  Il  est  tems  de  conquérir  la  liberté  des  suffrages.  L'orgueil 
de  M.  Rabaud  est  obligé  de  plier  sous  les  terribles  coups  du  conqué- 
rant Robespierre,   et  la  discussion  générale  est  permise.   » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  28  avril   1791,  p.  470. 

«  M.  Robespierre  s'est  déclaré  pour  l'affirmative;  et  tout  en  disant 


(3)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXV,  366,   à  partir  de 
«   Bien  loin  de  regarder...    »,   et  dans  le  Moniteur,  VIII,  S38. 


JJT.5    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  261 

qu'il  falloit  examiner  le  plan  avec  attention,  il  s'est  perdu  dans  une 
dissertation  si  vague  et  si  diffuse,  qu'il  a  empêché  pendant  plus  d'une 
demi-heure,  qu'on  -fit  l'examen  qu'il   sollicitoit.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  du  Soir 
(Beaulieu),  n°  I  16,  p.  2;  Le  Législateur  français,  28  avril  1791,  p.  14; 
Le  Mercure  de  France,  7  mai  1791,  p.  26;  La  Gazette  nationale  ou 
Extrait...,  t  XVI,  p.  181;  Le  Point  du  Jour,  t.  XXI,  p.  409;  Le 
Courrier  des  LXXXIII  départemens,  t.  XXIII,  n°  280,  p.  446;  Le 
Lendemain,  t.  III,  n°  118,  p.  258;  Le  Courrier  extraordinaire,  25  avril 
1791,  p.  4;  Le  Journal  de  Normandie,  n°  118,  p.  573;  Le  Journal 
général,  n°  87,  p.  348;  Le  Mercure  national  et  étranger,  28  avril  1791, 
p.  204;  Le  Journal  général  de  France,  28  avril   1791,  p.   470.] 

2°   intervention  :    Sur   l'admission   dans   la   garde    nationale 
des  citoyens  domiciliés 

iLa  discussion  s'engage  sur  l'ensemble  du  plan  du  comité.  Robes- 
pierre intervient  après  Lanjuinais  et  ,Custine.  La  suite  de  son 
discours  est  renvoyée  au  lendemain. 

Journal  des  Etats  Généraux,  ou  Journal  Logographique ,  t. XXIV,  p  495. 

«  M.  Robespierre.  Messieurs,  l'organisation  de  la  force  d'une 
grande  nation  est  sans  contredit  la  plus  périlleuse  opération  que  puissent 
faire  des  législateurs  Une  telle  institution  ne  souffre  ni  de  médiocres 
avantages  ni  de  médiocres  inconvéniens;  et  si  elle  n'est  pas  le  plus 
ferme  appui  de  la  liberté,  elle  est  le  plus  terrible  instrument  du  despo- 
tisme :  elle  mérite  donc   votre  attention. 

«  Pour  prouver  quelles  sont  les  bases  d'une  véritable  organisation 
des  gardes  nationales,  il  faut  avant  tout  faire  ce  que  votre  comité  n'a 
pas  même  soupçonné,  c'est-à-dire  rechercher  quel  est  le  véritable  objet 
de  l'institution  des  gardes  nationales.  Pourquoi  voulez-vous  les  organi- 
ser ?  Est-ce  pour  augmenter  vos  forces  militaires  et  vo?  moyens  de 
conquête  ou  de  défense  contre  les  ennemis  extérieurs  7  Non,  vous  avez 
une  armée  formidable  proportionnée  à  la  population  de  l'état;  vous  avez 
doublé  celle  que  la  nation  avoit  auparavant;  et  ce  n'est  pas  lorsque 
vous  avez  renoncé  solemnellement  à  tout  projet  de  conquête  et  pré- 
senté à  toutes  les  nations  le  signe  de  la  concorde  universelle  (4)  qu'il 
vous  appartient  de  trouver  ces  mesures  insuffisantes  ?  Je  parle  du  moins 
pour  tous  les  tems  que  vous  voulez  organiser  vos  gardes  nationales.  Peut- 
être  même  sous  ce  rapport,  conviendroit-il  de  vous  rappeller  que  cet 
usage  d'entretenir  de  grands  corps  armés,  au  sein  même  de  la  paix,  a 
toujours  effrayé  les  peuples  libres  et  qu'il  a  enchaîné  l'Europe.  Est-ce 
pour  le  maintien  du  bon  ordre  et  de  la  paix  publique   intérieure  ?   Ce 

(4)  Cf.  séance  du  15  mai  1790  (sur  le  droit  de  guerre  et  de  paix), 
Discours...,    lre  partie,    p.   -356. 


262  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

n  est  point  principalement  pour  cela.  Je  n'ai  jamais  vu  que  pour  main- 
tenir la  police,  il  fallût  qu'une  nation  entière  se  constituât  militaire- 
ment; et  si  l'on  trouvoit  que  toutes  les  forces  que  vous  avez  déjà  créées, 
que  l'établissement  de  votre  gendarmerie  nationale,  double  de  l'an- 
cienne maréchaussée,  fussent  au-dessous  de  ce  qu'exige  la  prévoyance 
des  législateurs,  il  faudroit  croire  que  vous  faites  des  loix  bien  foibles, 
ou  que  vous  feriez  des  loix  pour  un  peuple  bien  indigne  d'elles;  il  fau- 
droit ignorer  qu'en  Angleterre  la  police  est  confiée  à  une  poignée 
d'hommes  sans  armes,  et  que  la  moitié  des  précautions  que  vous  avez, 
adoptées  à  cet  égard  auroit  épouvanté  la  nation  angloise  ;  il  faudroit 
enfin  calomnier  les  loix,   les  hommes  et  la  liberté. 

«  Quel  est  donc  le  véritable  objet  de  la  garde  nationale  ?  Rappel- 
lez-vous  le  moment  où  elle  est  née,  et  vous  ne  pourrez  le  méconnoître. 
C'est  la  liberté  qui  l'enfanta  pour  sa  propre  défense,  quand  le  despo- 
tisme rassembloit  ses  forces  contre  elle. 

«  Des  voix  se  sont  élevées  du  sein  de  cette  assemblée  pour  appel- 
ler  les  gardes  nationales  :  et  la  nation  s'est  présentée,  pour  ainsi  dire 
toute  armée.  Il  n'y  a  pas  pour  elle  d'autre  cause  de  rester  armée,  que 
celle  pour  laquelle  elle  a  pris  les  armes;  elle  a  pris  les  armes  pour 
conquérir  la  liberté,  elle  les  conserve  pour  la  défendre. 

«  Les  loix  constitutionnelles  tracent  les  règles  qu'il  faut  observer 
pour  être  libres;  mais  c'est  la  force  publique  qui  nous  rend  libres  de 
fait,  en  assurant  l'exécution  des  loix.  La  plus  inévitabje  de  toutes  les 
loix,  la  seule  qui  soit  toujours  sûre  d'être  obéie,  c'est  la  loi  de  la  force. 
L'homme  armé  est  le  maître  de  celui  qui  ne  l'est  pas;  un  grand  corps 
armé,  toujours  subsistant  au  milieu  d'un  peuple  sans  armes,  est  néces- 
sairement l'arbitre  de  sa  destinée;  celui  qui  commande  à  ce  corps,  qui 
le  fait  mouvoir  à  son  gré,  pourra  bientôt  tout  asservir.  Plus  la  discipline 
sera  sévère,  plus  le  principe  de  l'obéissance  passive  et  de  la  subordi- 
nation absolue  sera  rigoureusement  maintenu;  plus  le  pouvoir  de  ce  chef 
sera  terrible;  car  la  mesure  de  sa  force  sera  la  force  de  tout  le  grand 
corps  dont  il  est  l'âme;  et  fût-il  vrai  qu'il  ne  voulût  pas  en  abuser 
actuellement,  ou  que  des  circonstances  extraordinaires  empêchassent 
qu'il  pût  le  vouloir  impunément,  il  n'en  est  pas  moins  certain  que, 
partout  où  une  semblable  puissance  existe,  sans  contrepoids,  le  peuple 
n'est  pas  libre,  en  dépit  de  toutes  les  loix  constitutionnelles  du  monde; 
car  l'homme  libre  n'est  pas  celui  qui  n'est  point  actuellement  opprimé; 
c'est  celui  qui  est  garanti  de  l'oppression  par  une  force  constante  et 
suffisante. 

a  Ainsi,  toute  nation  qui  voit  dans  son  sein  une  armée  nombreuse 
et  disciplinée  aux  ordres  d'un  monarque,  et  qui  se  croit  libre,  est 
insensée,  si  elle  ne  s'est  environnée  d'une  sauve-garde  puissante.  Elle 
ne  seroit  pas  justifiée  par  la  prétendue  nécessité  d'opposer  une  force 
militaire  égale  à  ceîle  des  nations  esclaves  qui  l'entourent.  Qu'importe 
à  des  hommes  généreux  à  quels  tyrans   ils  sont  soumis  ?  Et  vaut-il   la 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  263 

peine  de  se  donner  tant  de  soins  et  de  prodiguer  tant  de  sang  pour 
conserver  à  un  despote  un  immense  domaine  où  il  puisse  paisiblement 
fouler  aux  pieds  plusieurs  millions  d'esclaves  ? 

«  Je  n'ai  pas  besoin  d'observer  que  le  patriotisme  généreux  des 
soldats  françois,  que  les  droits  qu'ils  ont  acquis  dans  cette  révolution, 
à  la  reconnoissance  de  la  nation  et  de  l'humanité  entière,  ne  changent 
rien  à  la  vérité  du  principe  que  les  gardes  nationales  sont  le  contre- 
poids de  la  force  armée;  car  on  ne  fait  point  une  constitution  pour  une 
circonstance;  la  pensée  du  législateur  doit  embrasser  l'avenir  comme  le 
présent. 

«  Posons  donc  pour  premier  principe  qu'elles  doivent  être  orga- 
nisées de  manière  qu'elles  mettent  le  pouvoir  exécutif  dans  l'impuis- 
sance de  tourner,  contre  la  liberté  publique,  les  forces  immenses  dont 
il  est  armé  par  la  constitution  même,  mais  ce  ne  sera  point  assez;  il 
faudra  encore  qu'elles  ne  puissent  jamais  opprimer  la  liberté  ni  le  pou- 
voir exécutif,  puisque  tant  qu'il  se  renferme  dans  les  bornes  que  la 
constitution  lui  prescrit,  il  est  lui-même  une  portion  des  droits  de  la 
nation.  Tel  est  le  double  objet  que  doit  remplir  la  constitution  des 
gardes  nationales;  tel  est  le  double  point  de  vue  sous  lequel  je  veux 
l'examiner. 

«  Le  premier  ne  nous  présente  que  des  idées  innnimfr.it  simples. 
S'il  est  vrai  que  cette  institution  soit  une  espèce  de  remède  contre  le 
pouvoir  exorbitant  qu'une  force  armée  donne  à  celui  qui  la  commande, 
il  s'ensuit  qu'elles  ne  doivent  point  être  organisées  comme  les  troupes 
de  ligne;  qu'elles  ne  doivent  point  être  aux  ordres  de  celui  qui  dispose 
des  troupes  de  ligne;  qu'il  faut  bannir  de  leur  organisation  tout  ce  qui 
pourroit  les  soummettre  tôt  ou  tard  à  son  influence,  puisqu'alors,  loin  de 
diminuer  les  dangers  de  sa  puissance,  cette  institution  les  augmenterait  ; 
et  qu'au  lieu  de  créer  des  soldats  à  la  liberté,  elle  ne  feroit  que  donner 
de  nouveaux  auxiliaires  à  l'ambition  d'un  prince. 

«  De  ce  principe  simple,  je  tire  les  conséquences  suivantes  qui 
ne  le  sont  pas  moins  :  1  °  que  le  prince  ni  aucune  personne  sur  laquelle 
le  prince  a  une  influence  spéciale,  ne  doit  nommer  les  chefs,  ni  les 
officiers  des  gardes  nationales;  2"  que  les  chefs  et  les  officiers  des  trou- 
pes de  ligne  ne  peuvent  être  chefs  ni  officiers  des  gardes  nationales; 
3°  que  le  prince  ne  doit  ni  avancer  ni  récompenser,  ni  punir  les  gardes 
nationales.  Enfin,  messieurs,  évitez  soigneusement  tout  ce  qui  pourroit 
allumer  dans  l'âme  des  citoyens-soldats  cet  esprit  militaire  qui  isole 
les  soldats  des  citoyens,  et  qui  attache  sa  gloire  et  son  intérêt  personnel 
à  des  objets  différens  qui  font  1p.  ruine  des  citoyens.  Ce  n'est  point  là 
le  courage  qui  consiste  à  défendre  la  patrie.  L'évidente  simplicité  de 
ces  idées  me  dispense  de  tout  développement  ;  et  je  passe  au  second 
et  au  plus  important  des  objets  que  j'ai  annoncés;  je  veux  dire  à  l'exa- 
men des  moyens  à  employer  pour  que  les  gardes  nationales  ne  puissent 
pas  elles-mêmes  opprimer  la  liberté  des  citoyens.  Tous  ces  moyens  me 


264  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

semblent  se  rapporter  à  un  principe  général;  c'est  d'empêcher  qu'elles 
forment  un  corps  et  qu'elles  adoptent  un  esprit  particulier  qui  ressemble 
à  l'esprit  de  corps. 

«  Il  est  dedans  la  nature  des  choses  que  tout  corps  comme  tout 
individu  ait  une  volonté  différente  de  la  volonté  générale.  Plus  i!  est 
puissant,  plus  il  a  le  sentiment  de  ses  forces,  plus  cette  volonté  est 
active  et  impérieuse.  Songez  combien  l'esprit  de  despotisme  e!  de 
domination  est  naturel  aux  militaires  de  tous  les  tems  et  de  tous  les 
pays,  avec  quelles  facilités  ils  placent  la  qualité  de  citoyen  au-dessous 
de  celle  de  soldat.  Redoutez  sur-tout  ce  funeste  penchant  chez  une 
nation  dont  les  préjugés  ont  attaché  long-tems  une  considération  pres- 
que exclusive  à  la  profession  des  armes,  puisque  les  peuples  les  plus 
graves  n  ont  pu  s'en  défendre.  Voyez  les  citoyens  romains  commandés 
par  César  :  si,  dans  un  mécontentement  réciproque,  il  cherche  à  les 
humilier,  au  lieu  du  nom  de  soldats,  il  leur  donne  celui  de  citoyens 
quirites,  et  à  ce  mot,   ils  rougissent  et  s'indignent. 

«  Il  sera  facile  parmi  nous  de  prévenir  toutes  ces  espèces  d'incon- 
véniens.  Rappelions-nous  la  distance  énorme  qui  doit  exister  entre 
l'organisation  d'un  corps  d'armée  destiné  à  faire  la  guerre  au  dehors 
(5)  et  celle  de  citoyens  armés  pour  être  prêts  à  défendre  au  besoin 
leurs  droits  et  leur  liberté  contre  les  usurpations  du  despotisme  :  rap- 
pelions-nous que  la  continuité  d'un  service  dangereux,  que  la  loi  de 
l'obéissance  aveugle  et  passive  qui  change  des  soldats  en  des  automates, 
est  incompatible  avec  la  nature  même  de  leurs  devoirs,  avec  le  patrio- 
tisme généreux  et  éclairé  qui  doit  être  leur  premier  mobile.  Ne  cher- 
chez pas  à  les  animer  par  le  même  esprit,  à  les  émouvoir  par  les  mêmes 
ressorts  que  les  troupes  de  ligne.  Il  faut  sur-tout  se  garder  de  confondre 
chez  nous  la  qualité  de  soldat  dans  celle  de  citoyen  ;  les  distinctions 
militaires  les  séparent.  Prenez  toutes  précautions  contre  l'influence  des 
chefs;  que  tous  les  officiers  soient  nommés  pour  un  tems  très  limité; 
que  les  commandans  ne  réunissent  jamais  plusieurs  districts  sous  leur 
autorité;  détruisez  ces  marques  distinctives,  toujours  déplacées  lorsqu'on 
les  porte  hors  de  ses  fonctions.  A  qui  cette  vanité  puérile  convient-elle 
moins  qu'aux  chefs  des  citoyens-soldats?  Défenseurs  de  la  patrie,  vous 


{5)  Robespierre  distingue  donc  formellement  la  garde  nationale 
et  l'armée.  (L'opinion  des  révolutionnaires  même  modérés  est  long- 
temps restée  d'accord  sur  ce  point.  Quand  Narbonne,  au  début  de 
1792,  a  parlé  de  puiser  dans  la  garde  nationale  pour  compléter 
l'effectif  de  la  ligne,  la  Législative  n'a  pas  retenu  sa  suggestion. 
Encore  en  février  1793,  l'amalgame  n'a  été  admis  en  principe  qu'avec 
peu  d'enthousiasme  On  peut  d'autre  part  rappeler  <que  les  volon- 
taires ne  se  regardèrent  pas  comme  des  militaires.  Les  Mémoires 
de  Tihiébaut,  à  propos  de  sa  campagne  à  l'automne  de  1792,  sont 
à  cet  égard  très  significatifs.  Ce  ne  fut  qu'après  1793  que  la  conti- 
nuation de  la  lutte  contribua  à  transformer  les  citoyens  volontaires 
en  militaires. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  265 

ne  regretterez  pas  ces  hochets  dont  les  monarques  paient  le  dévouement 
aveugle  de  leurs  courtisans;  le  courage,  les  vertus  des  hommes  libres, 
la  cause  sacrée  pour  laquelle  vous  êtes  armés;  voilà  votre  gloire;  voilà 
vos  ornemens.    (Applaudissemens). 

«  Etre  armé  pour  sa  défense  personnelle,  est  le  droit  de  tout 
homme  indistinctement;  être  armé  pour  la  défense  de  la  patrie,  est  le 
droit  de  tout  citoyen.  Ceux  qui  sont  pauvres  deviennent-ils  par  là  des 
étrangers,  des  esclaves?  Il  faut  le  déclarer  avec  franchise;  mais  non: 
ils  sont  en  effet  citoyens.  Les  représentais  du  peuple  françois  n'ont 
pas  dépouillé  de  ce  titre  la  plus  grande  majorité  de  leurs  commettans. 
Car  on  sait  que  tous  les  françois  sans  aucune  distinction  ont  concouru 
à  l'élection  des  députés  à  l'assemblée  nationale.  Ceux-ci  n'ont  pas  pu 
tourner  contre  eux  le  même  pouvoir  qu'ils  en  avoient  reçu,  leur  ravir 
les  droits  qu'ils  étoient  chargés  de  maintenir  et  d'affermir,  et  par  cela 
même  anéantir  leur  propre  autorité;  ils  ne  l'ont  pas  pu;  ils  ne  l'ont 
pas  voulu;  ils  ne  l'ont  pas  fait.  (Applaudi)  (6). 

«  Mais  si  ceux  dont  je  parle  sont  en  effet  citoyens,  il  leur  reste 
donc  des  droits  de  cité,  à  moins  que  cette  qualité  ne  soit  un  vain  titre 
et  une  dérision.  Or,  parmi  tous  les  droits  dont  elle  rappelle  l'idée, 
trouvez-m'en,  si  vous  le  pouvez,  un  seul  qui  soit  plus  essentiellement 
attaché,  qui  soit  plus  nécessairement  fondé  sur  les  principes  les  plus 
inviolables  de  toute  société  humaine.  Si  vous  le  leur  ôtez,  trouvez-moi 
une  seule  raison  de  leur  en  conserver  aucun  autre.  H  n'y  en  a  aucune. 
Reconnoissez  donc,  comme  le  principe  fondamental  de  l'organisation 
des  gardes  nationales,  que  tous  les  citoyens  domiciliés  ont  le  droit 
d'être  admis  au  nombre  des  gardes  nationales;  et  décrétez  qu'ils  pour- 
ront se  faire  inscrire  comme  tels  dans  les  registres  de  la  commune 
où  ils  demeurent. 

«  A  ces  droits  inviolables  on  ne  peut  opposer  que  préjugés,  intri- 
gues, calomnies,  mauvaise  foi.  Partisans  de  ces  funestes  systèmes,  cessez 
de  calomnier  le  peuple  et  de  blasphémer  contre  votre  souverain,  en  le 
représentant  sans  cesse  en  grande  partie,  indigne  de  jouir  de  ses  droits. 
C'est  le  peuple  qui  est  bon,  patient,  généreux.  Le  peuple  ne  demande 
que  tranquillité,  que  justice,  que  droit  de  vivre.  L'intérêt,  le  vœu  du 
peuple  est  celui  de  la  nature  de  l'humanité;  c'est  l'intérêt  général.  L'in- 
térêt de  ce  qui  n'est  pas  peuple,  de  ce  qui  peut  se  séparer  du  peuple, 
est  celui  de   l'ambition  de   l'orgueil.   (Applaudi). 

«  M.  Lucas  (7).  Je  demande  ce  que  ce  monsieur  entend  par  le 
mot  peuple.   Par  ce  mot,   j'entends,   moi,   l'universalité  des  citovens. 

«  M.  Robespierre,  Je  réclame  moi-même  contre  toute  manière  de 
parler  qui  prend  le  mot  peuple  dans  une  acception  limitée;  et  si  je  Fai 


(6)  Robespierre  attaque  indirectement  le  cens. 

(7)  Lucas,  procureur  du  roi  à  ,Gannat,  député-tftrppléani  <lu 
tiers  état  de  la  iSénéchaussée  de  Moulins,  remplaçant  le  baron  de 
Breuil   de  iCoiffier,    démissionnaire. 


266  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

employé  dans  ce  dicours,  c'est  que  d'après  nos  anciennes  habitudes, 
d'après  notre  langue  actuelle,  il  étoit  impossible  de  caractériser,  par 
un  seul  mot,  les  personnes  à  qui  on  interdit  le  port  d'armes,  sans  se 
servir  de  cette  expression. 

«  Supposons  qu'à  la  place  de  cet  injuste  système,  on  adopte  les 
principes  que  j'ai  établis;  et  nous  voyons  d'abord  l'organisation  des 
gardes  nationales  en  sortir,  pour  ainsi  dire,  naturellement,  avec  tous 
ses  avantages;  sans  aucune  espèce  d'inconvéniens.  D'un  côté,  il  est 
impossible  que  le  pouvoir  exécutif,  et  la  force  dont  il  est  armé,  puis- 
sent renverser  la  constitution,  puisqu'il  n'est  pas  de  puissance  capable 
de  balancer  celle  des  citoyens  armés;  d'un  autre  côté,  il  est  également 
impossible  que  les  gardes  nationales  deviennent  d'elles-mêmes  dange- 
reuses pour  la  liberté,  puisqu'il  est  contradictoire  que  la  nation  veuille 
s  opprimer  elle-même.  Voyez  comme  par-tout,  à  la  place  de  domina- 
tion et  de  servitude,  naissent  les  sentiments  d'égalité,  de  fraternité,  de 
confiance  et  toutes  ces  vertus  douces  et  généreuses  qu'ils  doivent  néces- 
sairement enfanter;  voyez  encore  combien  dans  ce  système  les  moyens 
d'exécution  sont  simples  et  faciles. 

((  On  sent  assez  que  pour  être  en  état  d'en  imposer  aux  ennemis 
de  1  intérieur,  tant  de  millions  de  citoyens  armés  répandus  sur  toute 
la  surface  de  l'empire,  n'ont  pas  besoin  d'être  soumis  au  service  assidu, 
à  la  discipline  savante  d'un  corps  d'armée  destiné  à  porter  au  loin  la 
guerre.  Qu'ils  se  rassemblent  et  s'arment  à  certaines  époques  sur  la 
réquisition  des  corps  administratifs,  qu'ils  volent  à  la  défense  de  la 
liberté  lorsqu'elle  est  menacée,  voilà  ce  qu'exige  l'objet  de  leur  insti- 
tution. 

«  Les  cantons  libres  de  la  Suisse  nous  offrent  des  exemples  de  ce 
genre,  quoique  leurs  milices  ayent  une  destination  plus  étendue  que 
vos  gardes  nationales  et  qu'ils  n'ayent  point  d'autres  troupes  pour  com- 
battre les  ennemis  du  dehors.  Là  tout  habitant  est  soldat,  mais  seule- 
ment quand  il  faut  l'être,  pour  me  servir  de  l'expression  de  J.-J.  Rous- 
seau. Les  jours  de  dimanche  et  de  fêtes,  on  exerce  les  milices  selon 
l'ordre  de  leurs  rôles.  Quand  ils  ne  sortent  poiïit  de  leurs  demeures, 
ils  n'ont  aucune  paie,  mais  si-tôt  qu'ils  marchent  en  campagne,  ils 
sont  à  la  solde  de  l'état.  Mais  objecte-t-on,  cet  homme  n'est  pas  assez 
riche  pour  sacrifier  une  partie  de  son  tems  aux  devoirs  de  citoyen.  Au 
lieu  de  condamner  ainsi  une  grande  partie  des  citoyens  à  cette  espèce 
d'esclavage  politique,  il  faudroit  au  contraire  lever  les  obstacles  qui 
pourroient  les  éloigner  des  fonctions  publiques.  Payez  ceux  qui  les  rem- 
plissent, indemnisez  ceux  que  l'intérêt  public  appelle  aux  assemblées, 
équipez,  armez  les  citoyens-soldats:  pour  établir  la  liberté,  ce  n'est 
pas  assez  que  les  citoyens  puissent  s'occuper  de  la  chose  publique  ;  il 
faut  encore  qu'ils  puissent  "l'exercer  en  effet.  Au  reste,  pour  me  renfer- 
mer dans  l'objet  de  la  discussion,  je  conclus  que  l'état  doit  faire  les 
dépenses   nécessaires  pour   mettre   les   citoyens   en   état   de   remplir   les 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  267 

fonctions  de  gardes  nationales;  qu'il  doit  les  armer;  qu'il  doit  comme 
en  Suisse  les  salarier  lorsqu'ils  abandonnent  leurs  foyers  pour  le  défen- 
dre. Eh  !  quelle  dépense  publique  fut  jamais  plus  sacrée  ?  Quelle  sero't 
cette  étrange  économie  qui,  prodiguant  tout  au  luxe  funeste  et  corrup- 
teur des  coeurs,  ou  au  faste  des  suppôts  du  despotisme,  refuseroit  tout 
aux  besoins  des  fonctionnaires  publics  et  des  défenseurs  de  la  liberté  ! 
Que  pourroit-elle  annoncer,  si  ce  n'est  qu'on  préfère  le  despotisme  à 
l'argent  et  l'argent  à  la  vertu  et  à  la  liberté  »  (8). 
Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,   n°    118,  p.   485. 

«  M.  Robespierre.  Une  constitution  militaire  et  nationale  est  la 
plus  difficile  de  toutes  les  entreprises,  car  si  elle  n'est  le  plus  ferme 
appui  de  la  liberté,  elle  devient  le  plus  dangereux  instrument  du  despo- 
tisme. Avant  tout,  il  faut  rechercher  le  véritable  objet  de  l'organisa- 
tion de  la  garde  nationale  :  est-elle  établie  pour  repousser  les  ennemis 
du  dehors?  Non,  vous  avez  pour  cela  une  armée  formidable...  Il  est 
certain  que  partout  où  la  puissance  du  chef  d'une  force  militaire  consi- 
dérable existe  sans  contrepoids,  le  peuple  n'est  pas  libre.  Ce  contre- 
poids quel  est-il  ?  Les  gardes  nationales.  D'après  ce  principe  fonda- 
mental il  faut  organiser  la  garde  nationale  de  manière  que  le  pouvoir 
exécutif  ne  puisse  abuser  de  la  force  immense  qui  lui  est  confiée,  ni  la 
garde  nationale  opprimer  la  liberté  publique  et  ie  pouvoir  exécutif.  Ces 
deux  points  de  vue  doivent  nous  servir  de  guide  dans  !a  quesfion  qui 
nous  occupe.  Sous  ce  premier  point  de  vue  il  faut  organiser  îa  garde 
nationale  de  sorte  qu'aucune  de  ses  parties  ne  puisse  dépendre  du  pou- 
voir exécutif.  Le  prince  et  les  agens  ne  doivent  donc  pas  nommer  les 
chefs.  Les  chefs  des  troupes  de  ligne  ne  doivent  donc  pas  devenir  chefs 
des  gardes  nationales,  le  roi  ne  doit  donc  ni  récompenser  ni  punir  les 
gardes    nationales. 

(8)  Voir  le  discours  imprimé  .sur  l'organisation  des  gardes  natio- 
nales {Discours  de...,  lre  partie,  p.  614  à  643).  On  verra  que  Robes 
pierre  utilise  ce  texte,  mais  qu'il  l'adapte  aux  nécessités  de  la 
discussion,  car  il  s'agit  en  effet  non  seulement  d'exposer  son  plan 
personnel,  mais  encore  de  faire  la  critique  de  celui  du  comité. 
("est  ce  que  remarquent  Rutledge,  rédacteur  du  Creuset  (II,  n°  36, 
j»  11)0)  et  Brissôt  (Patriote  François,  n°  629).  Par  contre,  un  certain 
nombre  de  journaux  reproduisent  in  extenso  à  cette  date,  comme 
s'il  avait  été  prononcé,  la  première  partie  du  discours  imprimé 
jusqu'à:  «  ...qu'ils  doivent  nécessairement  enfanter  »>.  C'est  le  cas  du 
Point  du  Jour  (t.  XXI,  p.  409  à  416  et  425  à  433).  De  même,  à 
cette  date,  le  Mercure  Universel,  reproduit  la  totalité  du  discours 
imprimé  (t.  III,  p.  63,  92,  141.  156.  264).  D'autres  enfin  se  conten- 
tent d'analyser  alors  le  discours  publié  en  décembre  1790  (Cf.  Le 
Défenseur  des  Opprimés,  n°  74,  p.  8  à  11).  D'ailleurs,  les  sociétés 
patriotiques  recommandèrent  parfois  le  plan  de  Robespierre  à 
l'Assemblée,  entre  autres  celles  de  Nantes  (Of.  le  Patriote  François, 
n"  629,  p.  465).  Rabaut  de  iSaint-Etienne  dut  donc  en  tenir  compte, 
et  se  gardant  de  heurter  Robespierre  de  front,  il  se  retrancha 
derrière  le  décret  qui  fixait  les  conditions  de  cens  électoral.   * 


268  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  Sous  le  second  point  de  vue  il  faut  reconnaître  comme  principe 
général,  la  nécessité  d'empêcher  que  les  gardes  nationales  ne  forment 
un  corps  et  n'adoptent  un  esprit  particulier  qui  serait  un  esprit  de  corps, 
et  qui  menacerait  bientôt,  soit  la  liberté  publique,  soit  les  autorités 
constitutionnelles  Pour  y  parvenir,  on  doit  adopter  toutes  les  mesures 
qui  tendront  à  confondre  la  fonction  de  soldat  avec  celle  de  citoyen, 
diminuer  autant  qu'il  sera  possible  le  nombre  des  officiers,  ne  les  nommer 
que  pour  un  tems  très-limité,  ne  pas  étendre  le  commandeme  it  à  plus 
d  un  dis'.nct,  et  établir  que  la  marque  extérieure  des  grades  ne  sera 
portée  que  pendant  le  tems  du  service.  CiiS  décorations  ne  sont  accordées 
que  peur  le  service  public,  et  non  pour  satisfaire  un  ridicule  orgueil.  Ces 
distinctions  extérieures,  qui  autrefois  poursuivaient  partout  les  fonction- 
naires publics  excitaient  la  vanité  des  uns,  produisaient  l'humiliation  des 
autres,  avilissaient  le  peuple,  enhardissaient  les  tyrans,  détruisaient  ainsi 
l'énergie  publique,  et  corrompaient  le  caractère  national.  Défendeurs 
de  la  liberté  !  vous  ne  regretterez  pas  ces  hochets  du  des-potisme  ;  votre 
dévouemen\  votre  courage,  vos  succès,  la  cause  sacrée  pour  laquelle 
vous  êtes  armés,  voilà  votre  gloire,  voilà  vos  ornemens  (On  applaudit). 
Pour  parvenir  à  confondre  le  citoyen  et  le  soldat,  il  reste  encore  une 
disposition  à  prendre.  Elle  est  une  obligation  réelle,  l'équité,  l'égalité 
la  réclament...  (On  entend  un  peu  de  bruit  dans  quelques  parties  de  la 
salle). 

«  M.  Monlozier  Ce  que  dit  M.  Robespierre  vaut  sans  doute  la 
peine  d'être  écouté,  ainsi,  Messieurs  qui  causez,  silence.  (On  applaudit). 

«  M.  Robespierre.  Tous  les  citoyens  doivent  être  admis  à  remplir 
les  fonctions  de  garde  nationale.  Ceux  qui  n'ont  pas  de  facultés  déter- 
minées :  ceux  qui  ne  paient  pas  de  certaines  contributions,  sont-ils  escla- 
ves ?  Sont-ils  étrangers  aux  autres  citoyens?  Sont-ils  sans  intérêts  dans 
la  chose  publique  ?  Tous  ils  ont  contribué  à  l'élection  des  membres  de 
l'Assemblée  nationale;  ils  vous  ont  donné  des  droits  à  exercer  pour  eux; 
vous  en  ont-ils  donné  contre  eux  ?  Ils  ne  l'ont  pas  vouiu;  ils  ne  l'ont  pas 
pU;  ils  ne  l'ont  pas  fait.  Sont-ils  citoyens  ?  Je  rougis  d'avoir  à  faire  cette 
question.  Ils  jouissent  du  droit  de  cité.  Voulez- vous  jouir  seuls  du  droit 
de  vous  défendre  et  de  les  défendre.  Reconnaissez  donc  et  décrétez  que 
tous  les  citoyens  domicil'és  ont  le  droit  d'être  instruits  sur  le  registre  des 
gardes  nationales.  Ne  calomniez  pas  le  peuple  en  élevant  contre  lui 
d'injustes  craintes.  Le  peuple  est  bon,  il  est  courageux.  Vous  connaissez 
les  vertus  du  peuple  par  ce  qu'il  a  fait  pour  la  liberté,  après  avoir 
travaillé  avec  tant  de  courage  à  la  conquérir.  Il  demande  le  droit  de 
remplir  les  devoirs  qui  seront  imposés  à  tous  les  citoyens  pour  la  conser- 
ver. . . 

«  M.  Lucas.  J'entends  par  peuple  tous  les  citoyens. 

«  M.  Robespierre.  J'entends  par  peuple  la  généralité  des  indivi- 
dus qui  composent  la  société,  et  si  je  me  suis  un  moment  servi  de  cette 
expression  dans  un  sens  moins  étendu,  c'est  que  je  croyais  avoir  besoin 


1-ES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  269 

de  parler  le  langage  de  ceux  que  j'avais  à  combattre.  Répondrai- je  à 
une  observation  bien  utile  ?  On  a  dit  que  la  partie  du  peuple  qui  ne 
jouit  pas  de  l'activité  ne  pourra  supporter  ni  les  dépense?,  ni  la  perte 
de  tems  qu'entraînerait  le  service;  mais  l'Etat  doit  fournir  aux  frais 
nécessaires  pour  mettre  les  citoyens  à  même  de  servir;  il  doit  les  armer, 
et  les  solder,  comme  on  fait  en  Suisse,  quand  ils  quittent  leurs  foyers... 
Après  avoir  établi  ces  principes  constitutionnels,  il  resterait  à  déter- 
miner les  fonctions  des  gardes  nationales... 

«  Plusieurs  personnes  demandent  que  la  suite  du  discours  de  M.  Ro- 
berspierre  soit  renvoyée  à  demain  »  (9). 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  1791,  n°  345,  p.  3-4. 

«  Dans  le  plan  du  comité,  M.  de  Robespierre  voit  la  destruction 
de  la  liberté,  l'anéantissement  de  la  constitution,  une  contre-révolution, 
méditée  par  des  hypocrites,  traîtres  à  la  patrie,  et,  sous  le  manteau  de 
la  démagogie,  vendus  au  despotisme.  Mais  dans  les  trésors  de  son  génie 
et  de  son  imagination,  le  même  Robespierre  a  des  ressources  assurées, 
il  a  des  secrets  pour  déjouer  toutes  les  manœuvres  de  ces  perfides  comi- 
tés, et  il  va,  par  une  merveilleuse  organisation  de  la  garde  nationale, 
ôter  au  despotisme  tous  ses  appuis,  établir  la  constitution  sur  des  bases 
inébranlables. 

«  Mais  pour  bien  organiser  la  garde  nationale,  il  faut,  ce  à  quoi 
personne  avant  lui  n'avoit  songé,  bien  examiner  le  but,  la  destination, 
la  nature,  et,  pour  ne  pas  se  tromper  dans  cette  recherche,  remonter  à 
l'origine  de  la  garde  nationale,  qui,  heureusement,  ne  se  perd  pas  dans 
la  nuit  des  tems,  comme  le  berceau  de  la  monarchie.  Pourquoi,  dit-il, 
tous  les  amis  de  la  liberté,  dans  les  premiers  jours  de  la  révolution, 
ont-ils  pris  les  armes.  Est-ce  pour  repousser  les  ennemis  du  dehors  ?  Il 
n'en  existoit  pas.  Et  qui  auroit  osé  attaquer  vingt-quatre  millions  d'hom- 
mes dans  les  premiers  bouillons  de  leur  fureur  patriotique,  et  dans  le 
fort  de  leurs  convulsions?  Est-ce  pour  protéger  les  loix,  pour  mainîenir 
l'ordre  et  la  tranquillité  publique?  Non,  pas  encore;  il  ne  falloit^  pas, 
dit-il,  un  si  grand  appareil  pour  un  objet  si  léger.  Ce  seroit  d'ailleurs 
calomnier  les  loix,  les  hommes,  la  liberté,  que  de  croire  qu'il  faut 
employer  tant  de  forces  pour  le  maintien  de  la  tranquillité.  Quel  fut 
donc  le  but  unique  de  l'établissement  des  gardes  nationales?  Ce  fut 
d'opposer  une  force  irrésistible  à  l'armée,  qui  étoit  aux  ordres  du  pou- 
voir exécutif,  et  qu'on  lui  croyoit  soumise;  ce  fut  pour  résister  aux  agens 


(9)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  239;  Bûchez  et 
Poux,  IX,  338-341,  et  Laponneraye,  1,  80-83.  Par  contre,  les  Aren. 
pari  (XXV,  3S8-373)  publient  le  discours  imprimé  depuis  le  début 
Jusqu'à:  «  d'une  manière  plus  précise  ».  (Cf.  Discours...,  lro  partie, 
p.  616  à  628).  Elles  le  coupent  des  mouvements  de  séances  signale* 
dans  Le  Hodey  et  îé  Moniteur. 


270  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

au  despotisme  que  la  France  entière  se  mit  sous  les  armes;  c'est  pour 
les  contenir  encore  qu'elle  doit  rester  armée.  Elle  n'endossa  le  harnois 
et  la  cuirasse  que  pour  conquérir  la  liberté,  elle  ne  doit  les  conserver 
que  pour  !a  défendre. 

«  Ainsi,  ce  profond  législateur,  ce  grand  politique,  veut  faire  de  la 
France  un  état  toujours  en  guerre  contre  lui-même.  Il  veut  avoir  deux 
armées  toujours  en  présence.  Ce  n'est  pas  par  la  sagesse  des  loix,  par 
une  juste  distribution  des  pouvoirs,  qu'il  veut  en  maintenir  l'équilibre, 
c'est  par  des  forces  opposées  et  égales.  Ce  n'est  pas  en  liant  le  monar- 
que à  la  constitution,  par  les  nœuds  de  l'amour,  de  l'intérêt,  de  !a  recon- 
noissance,  de  son  propre  bonheur,  c'est  par  la  terreur  seule,  qu'il  pré- 
tend enchaîner  le  pouvoir  exécutif  :  c'est  en  fomentant  toujours  d'injustes 
défiances;  c'est  en  entretenant  une  lutte,  une  rivalité  continuelle  entre 
les  deux  forces  armées,  qu'il  s'imagine  établir  la  paix  et  l'union;  c'est 
d'après  cette  origine  sublime,  qu'il  a  conçu  le  plan  et  l'organisation 
de  la  garde  nationale. 

«  D'abord,  il  veut  que  tous  les  citoyens,  tous  absolument,  sans 
aucune  distinction,  soient  reçus  dans  le  corps  des  défenseurs  de  la  patrie. 
Il  ne  voit  pas  qu'il  est  injuste  d'imposer  le  fardeau  de  la  garde  publi- 
que, à  ceux  qui  n'ont  pas  le  nécessaire;  qu'il  est  dangereux  de  le  confier 
à  ceux  qui  n'ont  rien  à  perdre;  qu'il  est  affreux  de  livrer  les  possessions 
des  riches  à  la  discrétion  des  malheureux  dont  l'extrême  misère  peut 
exciter  la  cupidité.  La  grande  âme  de  M.  Robespierre  n'est  pas  effrayée 
de  ces  inconvéniens  :  il  a  des  remèdes  à  tout. 

«  D'abord  pour  obvier  à  la  détresse  qui  rendrait  le  service  impos- 
sible, aux  indigens,  M.  Robespierre  propose  l'expédient  tout  simple, 
d'armer,  d'équiper,  de  soudoyer,  aux  frais  de  la  nation,  tous  ces  défen- 
seurs volontaires  de  la  liberté.  Ce  seroi^  un  grand  trait  de  génie  de 
pouvoir  faire  coucher  sur  les  états  de  la  nation,  cette  armée  qui  commence 
à  devenir  une  charge  insupportable  au  club  des  Jacobins  :  ce  seroit  d'ail- 
leurs un  moyen  infaillible  d'avoir  une  garde  nombreuse,  une  armée  de 
patriotes  capable  de  suppléer,  par  le  nombre,  au  courage,  à  la  discipline 
des  troupes  de  ligne  ;  car  ces  milliers  de  vagabonds,  dont  on  est  obligé 
de  payer  même  l'oisiveté,  aimeroient  encore  mieux  un  bel  habit  d'uni- 
forme que  leurs  haillons;  préféreraient  de  porter  un  mousquet,  ?.  traîner 
la  brouette;  aimeroient  mieux  figurer  dans  un  corps-de-garde  que  de 
végéter  aux  barrières,  exposés  à  l'inclémence  des  saisons. 

«  Il  est  vrai  que  ce  seroit  une  dépense  énorme  pour  la  nation.  Mais 
peut-on  acheter  trop  cher  de  si  fidèles,  de  si  généreux  défenseurs  ?  Et 
quand  on  prodigue  l'or  aux  suppôts  du  despotisme,  peut-on  regretter 
quelques  sommes  consacrées  aux  besoins  des  fonctionnaires  publics,  dé- 
fenseurs de  la  liberté. 

«Il  y  aurait  un  autre  inconvénient  à  craindre  dans  ce  projet,  et 
c'est  M.  Robespierre  lui-même,  chose  étonnante,  qui  nous  l'indique. 
L'homme  armé,  dit  il,  est  toujours  maître  de  celui  qui  ne  l'est  pas.  Un 


LES  DISCOURS  DE   ROBESPIERRE  271 

grand  corps  armé,  toujours  subsistant  au  milieu  d'un  peuple  sans  armes, 
est  nécessairement  t'arbitre  de  sa  destinée.  D'après  cette  maxime  incon- 
testable, on  cxoiroit  que  M.  Robespierre  seroit  effraie  de  voir  !a  force 
publique  entre  les  mains  d'une  multitude  sans  mœurs,  sans  éducalion, 
sans  discipline,  sans  subordination,  en  proie  à  tous  les  vices  de  l'indi- 
gence, à  tous  les  tourmens  de  l'envie.  Point  du  tout;  c'est  calomnier  ce 
bon  peuple,  qui  n'aime  que  la  justice  et  la  tranquillité,  que  de  croire 
qu'il  veuille  jamais  abuser  de  sa  force;  c'est  calomnier  la  liberté,  que 
de  penser  qu'elle  puisse  jamais  dégénérer  en  licence;  c'est  calomnier 
les  loix,  que  de  voulon  suppléer  à  leur  impuissance  par  une  garde 
chargée  de  veiller  à  leur  exécution. 

«  Cependant,  malgré  la  confiance  de  M.  Robespierre  dans  l'em- 
pire des  !ojx.  et  la  sagesse  des  soutiens  de  la  liberté.  ?!  convient,  par 
la  plus  étrange  contradiction,  que  c'est  la  force  publique  qui  nous  fait 
libres  de  fait,  en  assurant  l'exécution  des  loix  Comment  donc  ose-t-il 
nous  bercer  de  l'espoir  d'une  liberté  réelle,  quand  elle  ne  sera  défendue 
que  par  ceux  qui,  par  leur  caractère  et  leurs  mœurs,  sont  les  perturba- 
teurs naturels  du  repos  public;  quand  la  garde  de  nos  biens  et  de  nos 
personnes  sera  confiée  à  ceux  contre  lesquels  seuls  nous  avons  besoin 
de  sentinelles  vigilantes  et  de  courageux  défenseurs;  quand,  en  un  mot, 
l'on  établira  pour  réprimer  les  désordres  et  les  violences,  ceux  mêmes 
qui  en  sont,  ou  les  auteurs  ou  les  agens  ?  Comment,  d  un  autre  coté, 
peut-il  proposer  d'ôter  au  pouvoir  exécutif  suprême  toute  influence,  toute 
inspection  sur  la  garde  nationale,  puisqu'elle  seule  peut  assurer  l'exécu- 
tion des  loix. 

«  Je  ne  sais  ce  qu'on  doit  admirer  le  plus,  ou  la  terreur  qu'ins- 
pire ce  pouvoir  exécutif,  qui  n'est  plus  qu'un  fantôme,  ou  la  nullité 
où  l'on  réduit  l'autorité  sur  laquelle  doit  reposer  la  tranquillité  publi- 
que. L'armée,  ou  les  troupes  de  ligne,  sont  essentiellement  destinées 
contre  les  ennemis  du  dehors;  ou  si,  contre  leur  destination  naturelle, 
essentielle,  elles  sont  quelquefois  appellées  contre  les  ennemis  du  de- 
dans, ce  n'est  qu'à  la  réquisition  des  corps  administratifs  qu'elles  peu- 
vent marcher.  Si  donc  le  roi  n'a  aucune  autorité  sur  les  gardes  natio- 
nales, quels  seront  ses  moyens  pour  assurer  l'exécution  des  loix,  et  par 
conséquent  notre  liberté  ?  N'est-ce  pas  un  démenti  formel  donné  à  la 
lettre,  par  laquelle  M.  de  Montmorin  atteste  à  l'Europe  que  le  pouvoir 
exécutif  suprême  a  été  conféré  au  monarque,  qu'il  a  le  droit  et  le  pou- 
voir exclusif  de  veiller  à  l'exécution  des  loix?  (10). 

«  Le  but  unique  que  M.  Robespierre  se  propose  dans  l'organisation 
de  la  garde  nationale,  étant  d'y  trouver  un  contre-poids  et  une  puissance 
rivale  de  l'armée,  si  jamais  elle  reprenoit  toute  entière  les  sentimens 
de  respect,  d'amour,  d'obéissance  qu'elle  a  voués  au  monarque,  tous 
les  soins  de  ce  grand  politique  ont  été  de  composer  cette  garde  pro- 


(10)  Cf.  séance  du  23  avril  1791. 


272  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

tectrice  de  la  liberté,  de  manière  qu'elle  ne  pût  jamais  devenir  l'ins- 
trument du  despotisme,  et  il  faut  convenir  qu'il  y  a  réussi,  excepté 
dans  un  point  cependant.  Il  ne  veut,  dans  son  armée  patriote,  ni  disci- 
pline, ni  obéissance.  Il  ne  sait  pas,  cet  apprenti  législateur,  que  sans 
une  discipline  sévère,  sans  une  obéissance  aveugle,  une  troupe  armée 
n'est  qu'un  poids  inutile  et  dangereux  dans  un  état;  il  ne  voit  pas  que 
si  cette  malheureuse  rivalité  qu'il  excite  par  ses  absurdes  défiances, 
s'élevoit  jamais  entre  les  troupes  de  ligne  et  les  gardes  nationales, 
malheur  dont  le  ciel  nous  préserve  à  jamais,  une  poignée  de  soldats 
expérimentés  et  bien  disciplinés,  détruirait  des  légions  d'hommes  armés, 
mais  dénués  de  la  science  militaire,  et  livrés  au  caprice  de  leurs  pas- 
sions Il  ne  sait  pas  que  toute  force  armée  doit  être  essentiellement 
obéissante,  ou  devient  nécessairement  oppressive.  Il  veut  faire  de  ses 
gardes  nationales,  au  heu  de  soldats  soumis,  des  raisonneurs  politiques; 
il  veut  qu'ils  calculent  les  degrés  de  l'obéissance,  qu'ils  discutent  les 
ordres  de  leur  chef,  c'est-à-dire  qu'il  veut  les  laisser  jouets  de  leurs 
propres  passions,  ou  de  celles  des  factieux;  c'est  le  moyen  infaillible 
d'exciter,  dans  la  garde  nationale  des  divisions,  peut-être  une  guerre 
civile. 

«  Cependant  ces  extravagances  de  M.  Robespierre  ont  reçu  les 
plus  vifs  applaudissemens  de  la  part  des  démagogues.  N'est-il  pas  bien 
affligeant  de  voir  les  destins  de  l'empire  confiés  à  ces  déclamateurs,  qui 
n'ont  pas  la  plus  légère  connoissance  du  cœur  humain,  qui  ne  se  doutent 
pas  des  premiers  élémens  de  la  sociabilité,  qui  se  croient  doués  d'un 
génie  supérieur,  parce  qu'ils  bouleversent  tous  les  principes  de  l'ordre 
social,  qui,  dans  le  délire  de  leur  imagination,  prennent  tous  leurs 
rêves  politiques  pour  des  inspirations  célestes. 

«  Quelle  plus  grande  extravagance,  que  de  constituer  à  la  garde 
des  citoyens  ceux  qui  en  sont  les  fléaux;  de  proposer  à  la  tranquillité 
publique,  ceux  qui  sont  la  terreur  de  la  société  !  Quelle  alliance  mons- 
trueuse ils  veulent  faire  de  la  bravoure  et  de  la  lâcheté,  de  !a  vertu 
et  du  crime  !  Comment  ne  voient-ils  pas  que  vouloir  introduire  dans  la 
garde  nationale  des  hommes  indignes  de  la  confiance  publique,  ce  seroit 
forcer  à  quitter  ce  poste  honorable  les  citoyens  zélés  qui  ont  fait  à  la 
sûreté  publique  le  sacrifice  de  leur  tranquillité  personnelle,  et  qui  rougi- 
raient de  porter  un  habit  que  leurs  nouveaux  camarades  ne  manque- 
raient pas  de  déshonorer.   » 

Le   Creuset,   t.    II,    n°    36,   p.    188-9. 

«  Nous  ne  ferons  point  aux  adhérans  et  fauteurs  de  l'apôtre  des 
comités,  l'honneur  de  répéter  leurs  ineptes  criailleries  en  cette  occasion; 
nous  aimons  mieux  répéter  les  principes  puisés  par  M.  Roberspierre, 
dans  son  propre  discours  sur  cette  importante  matière,  publié  il  y  a 
environ  quatre  mois,  discours  dont  nous  recommandons  la  lecture  et  la 
méditation  approfondie,  à  tous  les  amis  de  la  patrie.   L'institution  des 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  273 

gardes  nationales,  a  justement  dit  l'opinant,  doit  avoir  pour  but  essen- 
tiel et  unique  d'empêcher  le  pouvoir  exécutif  de  pouvoir  jamais  oppri- 
mer la  liberté  :  il  faut  éviter,  dans  cette  organisation,  que  jamais  les 
milices  citoyennes  ne  puissent  faire  usage  de  leurs  forces  pour  devenir 
les  oppresseurs  de  la  patrie. 

«  Ces  principes,  tellement  vrais,  qu'assurément  aucun  Desmeuniers 
n'eut  osé  les  contredire  ailleurs  que  dans  les  ténèbres  d'un  comité 
vénal,  ont  conduit  l'orateur  à  une  foule  de  conséquences  indéniables.  Le 
chef  du  pouvoir  exécutif,  a-t-il  dit,  ne  peut  pas  être  celui  des  gardes 
nationales,  parce  que  ce  pouvoir  ne  doit  point  commander  à  une  force 
spécialement  destinée  à  combattre  sa  tendance  à  l'autorité  despotique. 

«  M.  Roberspierre  a  d'avance  déclaré  dangereux  toute  espèce  de 
décret  tendant  à  inspirer  aux  gardes  nationales  cet  esprit  militaire,  le 
plus  funeste  de  tous  à  la  liberté  individuelle. 

«  N'en  faites  point,  a-t-il  poursuivi,  des  automates  homicides, 
obéissant  aveuglément  à  la  volonté  d'un  chef  ambitieux;  qu'elles  ne 
soient  point  revêtues  de  ces  distinctions  frivoles,  dont  l'effet  est  d'éta- 
blir une  ligne  de  démarcation  entre  elles  et  les  autres  citoyens  :  distinc- 
tions funestes,  qui  sont  le  signe  de  l'oppression,  et  qui  ne  peuvent  qu'en 
maintenir  l'esprit. 

«  Déplorables  badauds!  Et  toi,  colofichet  (11),  leur  commandant 
inepte  et  artificieux  !  vous,  poupées  de  la  capitale,  qui  applaudissez  de 
vos  croisées  à  ce  politique  baladin,  escorté  de  ses  marmots  bleus  (12), 
allez  aux  tribunes,  et  écoutez  Roberspierre  !  Descendez  ensuite,  et 
blasphémez,  si  vous  l'osez,  contre  l'opinion  des  généreux  citoyens  qu: 
ont  fait  rete»tir,  de  la  salle  des  Cordehers,  ce  cri  légitime  de  la  liberté, 
qu'un  directoire  équivoque,  qu'une  municipalité  stupide  et  servile  ont 
osé  menacer  d'arrêter  dans  son  explosion  ! 

«  Accordez,  a  dit  M.  Roberspierre,  à  tous  les  individus  du  corps 
social,  le  droit  de  se  faire  inscrire  sur  les  registres  des  gardes  nationales; 
nous  avons  été  députés  ici  par  tous  les  françois  qui  ne  connoissent  pas 
ces  distinctions  que  nous  avons  établies,  nous  ne  devons  pas  faire  usage 
des  droits  qu'ils  nous  ont  donné,  pour  anéantir  les  leurs. 

«  L'heure  étoit  avancée,  il  a  été  remis  au  lendemain  à  entendre 
le  patriote.   » 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),    1791,  n°    116,  p.   3. 
Le  Législateur  Français,  28  avril   1791,  p.  5. 

«   M.   Custines  a  demandé  que  la  discussion  s'établit  sur  le  plan 

(11)  'Colofichet  vise  "Lafayette  ;  c'est  un  jeu  de  mot  sur  colifichet 
et   colonel. 

(12)  Marmots  bleus  :  la  (garde  nationale  était  habillée  en  bleu 
(bleu  de  roi),  tandis  que  les  soldats  de  ligne  avaient  un  uniforme 
blanc.  Nombre  d'entre  eux  se  moquaient  par  suite  «  de  la  faïence 
bleue  qui  ne  va  pas  tau  feu  ». 

U,s,,ir.i»i.  1K 


274  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

du  comité;  mais  M.  Robertspierre  s'y  est  encore  opposé,  et  a  demandé 
d'être   entendu  :    l'assemblée   y   a   consenti. 

«  L'opinant  a  posé  en  principes  que  l'unique  but  de  l'institution 
des  gardes  nationales  devoit  être  d'empêcher  que  le  pouvoir  exécutif 
pût  jamais  opprimer  la  liberté;  voilà  l'objet  qui  rend  pour  nous  cette 
institution  indispensable;  mais  un  écueil  qu'il  faut  éviter  dans  cette 
organisation,  c'est  que  ces  milices  citoyennes  ne  puissent  jamais  faire 
usage  de  leurs  forces  pour  être  les  oppresseurs  de  la  patrie. 

«  Ces  premiers  principes  ont  conduit  M.  Robertspierre  à  une  foule 
de  conséquences.  D'abord  il  ne  voudroit  pas  que  le  chef  du  pouvoir 
exécutif  pût  être  celui  des  gardes  nationales,  parce  que  ce  pouvoir  ne 
doit  pas  obéir  à  une  force  spécialement  destinée  à  combattre  sa  ten- 
dance naturelle  à  l'autorité  arbitraire.  En  second  lieu,  M.  Robertspierre 
trouve  très-dangereux  toute  espèce  de  décret,  tendant  à  donner  aux 
gardes  nationales  un  esprit  militaire  le  plus  funeste  de  tous  à  !a  liberté 
individuelle. 

«  Il  ne  veut  pas  qu'on  en  fasse  des  automates  dangereux,  obéissant 
aveuglément  à  la  volonté  d'un  chef  ambitieux;  il  ne  veut  pas  qu'elles 
soient  revêtues  de  ces  distinctions  frivoles,  qui  tendent  à  établir  une  ligne 
de  démarcation  entr'elles  et  les  autres  citoyens;  distinctions  funest?s 
qui   sont   le   signe  de   l'oppression,   et  qui   en  maintient   l'esprit. 

«  Mais  un  point  sur  lequel  M.  Robertspierre  a  particulièrement 
insisté,  c'est  à  faire  accorder  à  tous  les  individus  du  corps  social  le 
droit  de  se  faire  inscrire  sur  le  registre  des  gardes  nationales.  Nous 
avons  été  députés  ici,  disoit-il,  par  tous  les  Français  qui  ne  conno'S- 
soient  pas  ces  distinctions  que  nous  avons  établies,  et  nous  ne  pouvons 
faire   usage   des   droits  qu'ils   nous  ont  donné   pour   anéantir   les   leurs. 

«  M.  Robertspierre  a  été  très-favorablement  écouté,  mais  comme 
l'heure  étoit  très-avancée,  il  n'a  pu  terminer  son  opinion,  qu'il  repren- 
dra demain.    » 

Mercure  national  et  étranger,  28  avril   1791,  p.  206. 

«  L'essentiel  étoit  de  rechercher  les  vraies  bases  sur  lesquelles 
devait  être  établie  l'organisation  des  gardes  nationales;  et  M.  Robes- 
pierre s'est  chargé  de  ce  soin.  Il  l'a  fait  dans  un  discours  noble,  éner- 
gique et  véhément,  dont  on  a  demandé  l'impression.  Il  a  regardé  les 
gardes  nationales  comme  un  contrepoids  nécessaire  à  la  force  qui  est 
entre  les  mains  du  pouvoir  exécutif,  et  en  conséquence  il  voudroit  que 
celui  qui  commande  à  la  troupe  de  ligne,  ne  pût  commander  à  !a  garde 
nationale;  que  le  prince  n'eût  aucune  influence  sur  sa  composition;  et 
ne  pût  ni  la  punir  ni  la  récompenser  ;  il  voudroit  surtout  que  tous  les 
citoyens  actifs  ou  non,  pourvu  qu'ils  eussent  un  domicile  en  France, 
fussent  inscrits  pour  servir  la  patrie,  sur  un  registre  déposé  dans  chaque 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  275 

commune,  que  la  nation  s'occupât  spécialement  de  les  armer,  et  enfin 
que  leurs  jours  de  service  fussent  payés  »   (13). 

Annales  patriotiques  et  littéraires,  n01  573,  p.   1344. 

«  M.  Robertspierre  s'est  levé  pour  se  plaindre  de  ce  que  l'opinion 
des  comités  sembloit  exercer  une  sorte  de  tyrannie  sur  la  liberté  des 
suffrages,   et  obtenir,  comme  un  droit  la  priorité,  qui  est  un  don. 

«  Dans  un  discours  fort  étendu,  mais  dont  personne  n'a  accusé  la 
longueur,  il  a  posé  en  principes  que  l'unique  but  de  l'institution  des 
gardes  nationales  devoit  être  d'empêcher  que  le  pouvoir  exécutif  pût 
jamais  opprimer  la  liberté;  voilà  l'objet  qui  rend  pour  nous  cette 
institution  indispensable.  Mais  l'écueil  qu'il  faut  éviter  dans  cette  orga- 
nisation, c'est  que  ces  milliers  de  citoyens  ne  puissent  jamais  faire 
usage  de  leurs  forces  pour  être  les  oppresseurs  de  la  patrie. 

«  De  ces  principes  l'opinant  tire  quatre  conséquences  importantes  : 
1°  dit-il,  il  ne  faudrait  pas  que  le  chef  du  pouvoir  exécutif  pût  être 
celui  des  gardes  nationales,  parce  que  ce  pouvoir  ne  doit  pas  obéir  à 
une  force  spécialement  destinée  à  combattre  sa  tendance  naturelle  à 
l'autorité  arbitraire. 

«  2°  Rien  ne  seroit  plus  dangereux  qu'un  décret  qui  tendrait  à 
donner  aux  gardes  nationales  un  esprit  militaire,  le  plus  funeste  de  tous 
à   la   liberté    individuelle. 


(13)  À  propos  de  l'attitude  de  Robespierre  dans  le  débat  -ur 
l'organisation  des  gardes  nationales,  le  même  journal  (p.  369)  publie 
les    appréciations   suivantes   (Morceau   communiqué)  : 

<(  AvanS'  d'entrer  en  discussion  sur  cette  imatière,  il  iaut  que  je 
roulage  mon  cœur,  et  que  Maxitmilie'n  Robespierre  reçoivie  le  tribut 
do  mon  estime  et  de  mon  amitié. 

«  Depuis  que  l'assemblée  nationale  existe,  je  n'ai  cessé  de  suivre 
tes  dift'érens  députés  dans  leur  opinion  et  leur  conduite,  et  la 
presque  totalité  arrivée  au  poste  périlleux  de  législateurs,  sans 
plan  de  conduite,  sans  connoissances,  sans  génie  ou  sans  vertu,  a 
flotté  dans  son  opinion,  échoué  contre  les  écueils  parsemés  à  des- 
sein, et  trahi  indignement  la  chose  publique;  j'en  .ai  <vu  un  trèvpetifc 
Nombre  inaccessibles  à  la  corruption,  inébranlables  dans  son  opi- 
nion, et  toujours  fidèles  aux  principes  qui  avoient  été  la  base  de 
leur  conduite.  Péthion,  Grégoire,  Dubois  (de  Çrancé),  Reubel,  à  la 
tête  desquels  je  place  Robespierre,  comme  le  plus  invariable,  et 
uent,  constamment  l'apôtre  et  le  défenseur  de  cette  maxime 
sacrée,  «  libertas  et  salus  populi  »:  reçois  donc,  Aristide  moderne, 
nage  du  pur  amour,  de  la  haute  vénération  que  tu  m'as  ins- 
pirés, et  qui  ne  peuvent  changer  qu'avec  tes  sentimens  et  ta  con- 
duite: sois  toujours  austère  dans  tes  mœurs,  sévère  dans  ta  con- 
'iiiil.e,    rude    dan  opinions;    ne    sacrifie    pas,    ainsi    qu'e    te    le 

lient  quelques  amis  qui  méconnoissent  les  vrais  simptômes  de 
rté,  cette  énergie  qui  te  caractérise,  à  cette  politesse,  cause 
en  effet  fie;  la  corruption,  qui  fait  le  succès  de  tes  adversaires  :  un 
joui'  viendra  que  ce  langage  sera  celui  de  tous  les  vrais  amis  de  la 
liberté.    » 


276  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

((  3°  Il  ne  faut  pas  non  plus  qu'on  en  fasse  des  automates  dange- 
reux, obéissant  aveuglément  à  la  volonté  d'un  chef  ambitieux;  il  ne 
faut  pas  qu'elles  soient  revêtues  de  ces  distinctions  frivoles,  qui  tendent 
à  établir  une  ligne  de  démarcation  entr 'elles  et  les  autres  citoyens; 
distinctions  funestes  qui  sont  le  signe  de  l'oppression  et  qui  en  maifî- 
tiennent  l'esprit. 

«  4°  Enfin,  il  est  absolument  essentiel  à  la  chose  publique  d'accor- 
der à  tous  les  individus  du  corps  social  le  droit  de  se  faire  inscrire 
sur  le  registre  des  gardes  nationales. 

«  Ce  discours  a  obtenu  le  plus  grand  succès;  mais  l'heure  étant 
trop  avancée,  la  discussion  est  continuée  à  demain.  » 

Journal  de  la  Noblesse,  t.   I,  n°    18,  p.   558-9. 

«  M.  Robespierre,  au  contraire,  ne  veut  voir  qu'un  peuple  de 
soldats.  Il  a  parlé  de  manière  à  échauffer  les  esprits;  mais  le  résultat 
de  son  système  seroit  une  anarchie  perpétuelle. 

[Suit  une  brève  analyse  du  discours.] 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),   28  avril    1791,  p.   470 

«  Enfin,  le  vœu  de  la  majorité  a  été  pour  une  discussion  générale; 
M.  Lanjuinais,  qui  l'a  commencé,  a  approuvé  l'ensemble  du  plan,  et 
s'est  borné  à  une  minutieuse  critique  de  quelques  dispositions.  M.  Ro- 
bespierre, après  lui,  a  repris  la  parole,  et  pérorant  plus  longuement 
encore  que  la  première  fois,  il  a  complètement  ennuyé  son  auditoire. 
Son  vœu  est  que  nous  devons  avoir  tous  indistinctement,  un  fusil,  une 
baïonnette,  un  sabre  et  une  suffisante  provision  de  munitions  de  guerre. 
Que  M.  Robespierre  nous  dise  donc  où  sera  la  force  publique,  lorsque 
tous  les   citoyens   seront   indistinctement   armés  ?    » 

Courier  français,  t.   X,  n°    118,  p.   460. 
Journal  de  Normandie,  1791,  n°   119,  p.  575. 

«  M.  Robertspierre  posoit  comme  le  principe  fondamental  de 
l'organisation  des  gardes  nationales,  que  tous  les  citoyens  domiciliés  ont 
le  droit  d'être  admis  au  nombre  des  gardes  nationales,  et  qu'ils  pour- 
ront se  faire  inscrire  comme  tels  dans  les  registres  de  la  commune  où  ils 
demeurent.    » 

[Suit  un  fragment  du  discours  imprimé,  depuis:  «  L'humanité,  la 
justice,  la  morale...  »  jusqu'à  «  ils  furent  toujours  les  fléaux  du  peu- 
pie.    »]    (14). 

Le  Courrier  extraordinaire,  29  avril   1791,  p.  4. 

[A   la  suite  d'un  résumé  du  discours,   il  ajoute  :] 

«  Il  alloit  entrer  dans  la  discussion  d'autres  objets,  lorsque  3  heures 

ayant  sonné,  l'assemblée  s'est  levée,  et  M.  Rabaud  a  terminé  en  disant, 


(14)    Cf.    Discours...,    11V  partie,   p.    624  625. 


LES    DISCOURS    DE    ROEESPIERRE  277 

qu'à  l'exception  de  l'admission  des  citoyens  non  actifs  vers  laquelle  il 
avoit  du  penchant,  le  comité  étoit  d'accord  avec  M.  Robespierre,  et 
que  ce  qu'il  avoit  dit,  le  comité  l'avoit  fait.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Patriote  françois, 
n°  628,  p.  459;  Le  Journal  général,  n°  87,  p.  348;  Le  Journal  de  la 
Révolution,  n°  259,  p.  427;  Assemblée  nationale,  Corps  administra- 
tifs (Perlet),  t.  XIII,  n°  631,  p.  4;  La  Gazette  nationale  ou  Extrait..., 
t.  XVI,  p.  181  ;  Le  Mercure  universel,  t.  II,  p.  144;  Le  Courier  de 
Provence,  t.  XIV,  n°  452;  La  Gazette  universelle,  n°    118,  p.  467.] 


275.  —  SEANCE  DU  28  AVRIL  1791 
Sur  l'affaire  d'Avignon  (1) 


Le  marquis  de  rClermo'nt-Lodève,  député  de  la  noblesse  de  la 
ville  d'Arles,  demande  à  l'Assemblée  qu'en  attendant  le  rapport 
remis  de  jour  en  jour,  que  Menou  doit  lui  présenter  sur  les  affaires 
d'Avignon  et  du  Comtat  (2),  il  soit  envoyé  dans  cette  région,  sous 
ia  direction  d'un  officier  général,  des  troupes  suffisantes  pour,  sur 
la  réquisition  de  commissaires  civils,  y  protéger  la  liberté  indivi- 
duelle des  citoyens  et  des  propriétés,  sans  d'ailleurs  que  les  droits 
du  Saint-Siège  qui  sont  inattaquables,  soient  méconnus.  Robespierre 
demande  à  l'Assemblée  de  passer  à  l'ordre  du  jour  sur  cette 
motion,  et  d'ouvrir  immédiatement  la  discussion  sur  l'affaire  d'Avi- 
gnon, sauf  à  entendre  la  lecture  <du  rapport  lde  Menou,  avant  de 
prendre  une  décision. 

Après  que  divers  orateurs  eurent  été  entendus,  l'Assemblée 
consultée  passa  k  l'ordre  du  jour  sur  la  motion  de  Olermont-Lodève, 
et  décida  que  le  rapport  sur  1" affaire  d'Avignon  lui  seiait  présenté 
le   30   avril'  (3) 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    119,  p.  488. 

«  M.  Roberspierre .  Je  suis  convaincu  comme  le  préopinant  qu'il 
ne  serait  pas  même  besoin  des  notions  qui  nous  sont  promises  pour 
prendre  sur  te  champ  un  parti  ;  mais  je  vous  prie  de  considérer  combien 
il  serait  dangereux  de  prendre  une  décision  provisoire,  précisément  en 


(1)  Cf.  ci-dessus,  séances  des  21  avril  1791  à  l'Assemblée,  et  25 
avril  aux  Jacobin-;. 

'2)  Le  président  annonce  une  lettre  de  Menou  déclara'nt  que  sa 
s.inl  '■  ne  lui  a  pas  pépiais  d'achever  son  rapport.  tClermont  Lodève 
en  profite  pour  présenter  Ba  proposition 

(3)  Ctf.  E  Haar.el,  I,  418.  Marin-eau  avait  proposé  qu'on  réela* 
niât  les  notes  de  Menou  pour  qu'un  collègue  en  donne  lecture.  La 
mesure  venait  d'être  adoptée  ]orsque  parvint  à  l'Assemblée  une 
troisième  lettre  de  Menou  indiquant  qu'il  serait  prêt  pour  la  séance 
ÛV  saintvli  suivant.  On  trouvera  un  bref  compte  rendu  de  cette 
séance  dans  la  lettre  des  envoyés  extraordinaires  d'Avignon  du 
2H   avril   (Cr\   P.   Vaillandet,   op.   cit.,  3e  partie,   p.   101). 


278  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

sens  inverse  de  celle  que  sollicitent  le  peuple  avignonais  et  l'intérêt  de 
la  nation  française.  Que  vous  propose-t-on  ?  de  méconnaître  le  droit  qui 
appartient  essentiellement  à  tous  les  peuples  de  s'associer  avec  un  peuple 
voisin,  droit  en  vertu  duquel  les  Avignonais  vous  offrent  le  seul  moyen 
de  protéger  la  révolution  dans  cette  partie  de  la  France  contre  les 
attaques  de  ses  ennemis.  Cette  proposition  a  pour  but  de  vous  em- 
pêcher et  de  reconnaître  la  souveraineté  du  peuple  avignonais,  et  de  la 
protéger  comme  partie  de  l'empire  français.  On  veut  que  vous  envoyiez 
provisoirement  des  troupes  pour  faire  la  loi  à  ce  pays,  pour  vous  en 
emparer,  pour  le  maîtriser,  tandis  que  vous  devriez  reconnaître  sa  sou- 
veraineté. La  première  fois  que  cette  grande  question  a  été  discutée, 
que  vous  disaient  ceux  qui  s'opposaient  à  la  réunion  ?  Que  vous  ne 
pouviez  vous  emparer  d'Avignon  sans  commettre  une  injustice,  sans 
porter  atteinte  aux  droits  d'une  puissance  étrangère,  sans  violer  l'engage- 
ment que  vous  avez  pris  de  ne  plus  faire  de  conquêtes.  Et  ce  sont  les 
mêmes  personnes  qui  vous  proposent  aujourd'hui  d'envoyer  des  loupes  : 
sans  doute  pour  que  ces  troupes,  aux  ordres  du  pouvoir  exécutif,  y  remet- 
tent ce  qu'on  appelle  la  paix.  (Il  s'élève  des  murmures  dans  la  partie 
droite).  Et  pourquoi  vous  propose-t-on  ce  parti  ?  Parce  que  les  Avi- 
gnonais, obligés  de  repousser  les  armes  à  la  main  les  attaques  du  parti 
opposé,  ont  su  résister  à  nos  ennemis  communs.  On  veut  envoyer  des 
troupes  pour  réprimer  ces  citoyens  qui,  par  leur  courage,  ont  fait  triom- 
pher la  justice  et  la  liberté  ? 

«  M.  Clermont-Lodèoe.  Attendez  le  rapport  pour  être  instant  des 
faits,  et  du  vœu  des  Avignonais. 

«  M.  Roberspierre.  Ne  serait-il  pas  à  craindre  que,  loin  de  sou- 
tenir le  parti  victorieux  pour  la  liberté,  on  ne  lui  envoyât  des  secours 
funestes  pour  protéger  les  ennemis  de  la  France  ?  Je  demande  que  vous 
décidiez  avec  promptitude,  mais  avec  sagesse,  que  vous  ne  compromet- 
tiez pas,  par  une  décision  provisoire,  les  intérêts  des  Avignonais  et  les 
vôtres;  et  puisque  le  préopinant  n'est  pas  d'accord  avec  moi  sur  les 
faits,  c'est  une  raison  de  plus  pour  que  vous  examiniez-  cette  affaire 
avec  la  plus  grande  attention.  Je  demande  donc  que  sur  la  motion  vous 
passiez  à  l'ordre  du  jour.  Quant  à  ce  qui  concerne  la  conduite  de 
M.  Menou,  je  ne  crois  pas  que  vous  deviez  accorder  un  délai  illimité; 
mais  au  contraire,  puisque  plusieurs  membre  de  cette  assemblée  con- 
naissent cette  affaire,  et  sous  le  rapport  des  faits,  et  sous  le  rapport  du 
droit  public;  puisqu'elle  a  déjà  été  discutée  plusieurs  fois,  puisqu'elle 
a  été  éclaircie  par  des  écrits  très-lumineux,  je  demande  que  la  discus- 
sion s'ouvre  dès  ce  moment,  sauf  à  entendre  la  lecture  du  rapport  avant 
votre  décision  »  (4). 


*  (4)  Texte  reproduit  (dans  le  Moniteur,  VIII,  244,  et  les  Arch. 
jarl.,  XXV,  3S0~  qui  ont  ajouté  l'interruption  suivante  au  'début 
eu  dernier  alinéa,  après:  «  le  parti  victorieux  pour  la  liberté: 
[Un  membre  de   la  '•droite  :   Dites  le  parti  des   brigands.    »] 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  279 

Journal  de  la  Noblesse,  t.  I,  n°   19,  p.  561. 

«  M.  Robespierre  a  parlé  dans  le  sens  de  la  constitution.  Sa  fran- 
chise,ne  permet  pas  aux  souverains  de  s'abuser  sur  ses  conséquences.   » 

[Suit  un  passage  du  Moniteur,  depuis  :  «  Que  vous  propose- 
t-on  ?  »...  jusqu'à:  «  reconnaître  sa  souveraineté  ».] 

«  On  voit  alors  où  conduit  ce  principe  de  la  souveraineté  des 
peuples;  il  ne  tend  à  rien  moins  qu'à  briser  le  sceptre  dans  les  mains 
des  empereurs  et  des  rois  (5).  Le  moindre  droit  de  la  souveraineté 
est  sans  doute  de  se  donner  ou  de  s'unir  à  qui  bon  lui  semble,  mais  le 
droit  des  gens  établit  des  principes  contraires.  Une  puissance  ne  peut 
profiter  des  désordres  d'une  autre  et  connoître  de  ses  dissentions  civiles. 
Quelle  que  soit  la  forme  du  gouvernement,  monarchique,  aristocratique 
ou  démocratique,  ceux  qui  ont  l'exercice  de  la  souveraineté  ont  droit 
de  soumettre  les  sujets  par  la  force;  ceux-ci  sont  tenus  d'obéir,  fant  que 
leur  liberté  n'est  point  attaquée.  Introduire  des  principes  contraires,  c'est 
mettre  le  désordre  et  l'anarchie  dans  tous  les  empires  et  dans  toutes 
les  républiques.  » 

Journal  Général  de  France,  n°    119,  p.  473. 

«  La  Nation  Françoise  a  renoncé  aux  conquêtes,  a  dit  M.  Roberts- 
pierre,  et  ce  seroit  conquérir  le  Comtat  que  d'y  envoyer  des  troupes. 
Il  ne  faut  donc  s'occuper  que  de  la  question  de  savoir  si  nous  réunirons 
le  Comtat  à  la  France. 

«  Que  diroit  l'Assemblée  Nationale,  si  l'on  s'occupoit  dans  le  Con- 
seil de  l'Empereur  et  dans  ceux  dez  Rois  d'Espagne  et  d'Angleterre, 
des  moyens  de  réunir  aux  Royaumes  de  ces  différens  Souverains,  les 
villes  de  Strasbourg,  de  Perpignan  et  de  Dunkerque  ?  M.  Robertspierre 
pense-t-il  qu'on  manqueroit  pour  cela  de  prétextes  plausibles  ?  Et  pour- 
roit-il  le  trouver  mauvais,  puisqu'il  a  demandé  qu'on  délibérât  sur  cette 
question  :  Le  Pays  d'Avignon  et  celui  du  Comtat  sont-ils  à  la  France, 
oui,  ou  non,  et  qu'il  s'est  décidé  pour  l'affirmative  ?  Mais  l'Orateur 
qui  a  voté  de  la  sorte,  est-il  bien  le  même  qui  a  d'abord  fait  observer 
que   l'Assemblée   Nationale  ne  peut  point   envoyer  de  troupes  à   Avi- 


(5)  Le  journal  contre-révolutionnaire  marque  fort  bie'n  la  trans- 
formation du  droit  des  gens  qu'implique  l'interprétation  de  la  sou- 
\oraineté  nationale  par  la  Révolution  et  notamment  ici  par  Robes- 
pierre. C'est  le  principe  selon  lequel  un  peuple  a  droit  de  disposer 
de  lui-même,  donc  de  se  transporter  d'un  Etat  dans  un  autre,  ou 
déclarer  indépendant.  Dans  l'ancien  régime,  l'homme  suit  la 
terre;  si  cette  dernière  'change  de  maître,  il  en  change  aussi;  la 
Révolution  pose  au  contraire  que  la  terre  suit  l'Homme.  Le  journal 
conclut  avec  raison  que  les  souverains  ne  pourront  accepter  cet  état 
de  choses.  La  France  a  renoncé  aux  conquêtes,  mais  elle  annexera, 
sans  faire  les  frais  d'une  guerre,  un  certain  nombre  de  territoires 
ci  <c  sera  l'une  des  causes  du  conflit  de  la  Révolution  et  de  FJEu- 
rope. 


280  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

gnon,  parce  qu'elle  a  renoncé  aux  conquêtes  ?  Cependant  si  le  Corps 
Législatif  décrète  que  le  Comtat  doit  être  réuni  au  Royaume,  l'Assem- 
blée Nationale  prendra  donc  le  Comtat  ?  Qu'auroient  fait  les  troupes 
qu'on  proposoit  d'y  envoyer?  Elles  l'auroient  tout  au  plus  conquis.  Or, 
quelle  différence  met  M.  Robertspierre  entre  prendre  et  conquérir  un 
pays  ?  » 

Courrier  d'Avignon,   1791,  n°    109,  p.   433. 

«  MM.  Clermont-Lodève,  Robespierre,  Prieur  et  autres,  parlèrent 
d'une  manière  à  faire  prévoir  que  la  discussion  de  l'affaire  sera  orageuse. 


«  (Robespierre).  Je  suis  convaincu  que  vous  n'avez  pas  besoin  des 
notions  qui  vous  sont  promises  pour  prendre  à  l'instant  même  une  déter- 
mination; mais  la  décision  provisoire  qu'on  vous  propose  est  l'inverse 
de  celle  que  sollicitent  de  vous  les  Avignonais,  puisqu'elle  vous  mène 
à  méconnoître  la  souveraineté  de  ce  peuple  et  les  intérêts  de  la  nation. 
Les  troupes  s'empareront  de  ce  pays,  le  maîtriseront.  Et  pourquoi  ceux 
qui  la  première  fois  ont  trouvé  cette  mesure  injuste  la  réclament-ils 
aujourd'hui  ?  C'est  que  les  Avignonais,  obligés  de  repousser,  'es  armes 
à  la  main,  les  attaques  du  parti  opposé,  ont  su  résister  à  nos  ennemis 
communs.  On  veut  envoyer  des  troupes  pour  réprimer  ces  citoyens, 
qui  par  leur  courage  ont  fait  triompher  la  justice  et  la  liberté  ;  secours 
funestes  qui  protégeroient  peut-être  les  ennemis  de  la  France. 

«  Décidez  avec  promptitude,  mais  sans  compromettre  les  intérêts 
des  Avignonais  et  les  vôtres;  et  puisque  le  préopinant  n'est  pas  d'accord 
avec  moi  sur  les  faits,  je  demande  que,  sur  sa  motion  vous  passiez  à 
l'ordre  du  jour.  Cependant,  comme  l'affaire  d'Avignon  est  déjà  connue 
et  sous  le  rapport  des  faits,  et  sous  celui  du  droit  public  par  des  écrits 
très-lumineux,  je  demande  encore  que  la  discussion  s'ouvre  dès  ce 
moment.  » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logo  graphique,  t.  XXV,  p.  10. 
«  M.  Robespierre.  Je  demande  si  ce  peut  être  là  le  résultat  de  tous 
ces  délais,  de  toutes  ces  délibérations;  il  contrediroit  évidemment  la 
pétition  des  avignonnois  et  de  la  majorité  du  comtat,  sur  laquelle  vous 
avez  maintenant  à  prononcer.  Il  seroit  à  craindre  que,  loin  d'aider  au 
parti  victorieux  en  ce  moment,  mais  victorieux  pour  la  liberté  et  pour 
la  cause  de  la  France  (à  des  brigands!  s'écrie  une  voix  de  la  droite),  on 
ne  lui  portât  un  secours  funeste,  et  qui  favoriseroit  les  ennemis  de  la 
liberté,  contre  l'intention  de  l'assemblée  nationale  et  contre  les  intérêts 
et  d'Avignon  et  de  la  France.  Je  conclus  à  ce  que  la  discussion  soit 
entamée  sur  le  champ,  et  à  ce  que  M.  de  Menou  soit  pressé  de  venir 
demain  nous  lire  son  rapport.  » 


(6)  Cf.   séance  du  15  mai  1790  (Discours...,   lre  partie,  p.   356). 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  281 

Journal  des  Mécontens,  n°  60,  p.  4. 

«  M.  Grillon  a  appuyé  cette  proposition  [celle  de  Clermont-Lo- 
dève] . 

«  MM.  Roberspierre,  Prieur  et  Péthion  l'ont  combattue;  ils  ont 
exposé  que  le  Comtat  ne  nous  demande  point  notre  médiation;  que  si 
nous  ne  voulons  point  accueillir  le  vœu  libre  et  authentique  qu'il  nous 
a  apporté  pour  sa  réunion  à  la  France,  il  faut  que  nous  laissions  ce  peu- 
ple libre  de  ses  actions. 

«  Nous  n'avons  pas  plus  de  droits  à  nous  mêler  de  ses  affaires 
intérieures  que  nous  en  aurions  à  aller  nous  mêler  de  celles  de  l'Angle- 
terre ou  de  l'Allemagne.  Vouloir  lui  lier  les  mains  sous  prétexte  de 
médiation,  ce  seroit  peut-être  nous  en  faire  un  ennemi,  et  nous  ne 
voulons  avoir  que  des  amis. 

«  Enfin,  envoyer  des  soldats  François  dans  ce  pays-là,  ce  seroit 
risquer  de  les  jeter  dans  l'un  ou  l'autre  parti,  et  d'augmenter  le  mal. 
Il  n'y  a  donc  point  de  provisoire  à  décréter,  il  faut  discuter  nécessaire- 
ment la  question  de  réunion.  » 

L'Orateur  du  Peuple,  t.  III,  n°   53,  p.  441. 

«  On  attendait  hier  le  rapport  de  l'affaire  d'Avignon.  Tandis  qu'on 
s'y  égorge,  le  comité  diplomatique  temporise  avec  la  plus  froide  cruauté. 
M.  Menou  a  fait  ajourner  ce  rapport  à  jeudi;  et  jusques  là  que  de  victi- 
mes vont  être  immolées  !  Cendres  de  Mirabeau  trempe  toi  du  sang  des 
Avignonnais  !  Car  c'est  toi  qui  as  repoussé  leur  vœu  de  réunion  à  la 
France;  c'est  toi  qui  as  étouffé  la  raison,  la  justice  et  l'humanité  qui 
s'exprimoient  par  la  voix  de  Robespierre  »  (7). 

Courrier  extraordinaire,  29  avril   1791,  p.  3. 

«  M.  Robespierre  a  combattu  la  proposition  de  M.  de  la  Tour  (8), 
comme  tendant,  par  une  mesure  provisoire,  à  décider  la  question  de  la 
réunion  du  Comtat  d'Avignon  à  la  France,  ou  au  moins  à  la  préjuger; 
car  un  état  ne  peut  faire  passer  des  troupes  dans  un  pays  sans  en  être 
le  maître,  ou  sans  en  être  requis,  s'il  est  étranger.   » 

Le  Spectateur  National,  n°    150,  p.  648. 

«  M.  Robespierre  s'est  opposé  à  la  décision  provisoire  que  solh- 
citoit  M.  de  Clermont-Lodève,  en  représentant  que  si  on  commençoit 
par  envoyer  des  troupes  à  Avignon  et  dans  le  Comtat,  les  François 
paroitroient  en  cela,  aux  yeux  de  l'Europe,  plutôt  des  tyrans  que  des 
protecteurs.    Ces    réflexions    n'ont    pas    empêché    M.    Robespierre    de 


<7)  C'est  en  effet  Mirabeau  qui,  le  18  novembre  1790,  a  fait 
ajourner  !a  réunion  d'Avignon  à  la  France  Of.  Discours...,  lre  par- 
lie,   p.   585. 

(S)  Ce  journal  confond  La  Tcur-Maubourg  .qui  est  intervenu 
lors  de  la  séance  du  21   avril,   avec  Clermont-Lodève. 


282  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

conclure  à  ce  qu'au  lieu  de  se  borner  à  des  mesures  provisoires,  l'assem- 
blée nationale  s'emparât,  sur  le  champ,  même  du  pays  dont  il  s'agit, 
de  la  manière  la  plus  absolue  et  la  plus  définitive.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Les  Annales  patriotiques 
et  littéraires,  n°  574,  p.  1347;  Le  Journal  général,  n°  88,  p.  352;. 
La  Correspondance  nationale,  n°  22,  p.  287;  L'Ami  du  Roi  (Mont- 
joie),  29  avril  1791 ,  p.  474;  Le  Courier  français,  t.  X,  n°  1  10,  p.  397; 
La  Feuille  du  Jour,  t.  III,  n°  119,  p.  242;  Le  Lendemain,  t.  III, 
n°  120,  p.  275;  Le  Creuset,  t.  II,  n°  35;  Le  Point  du  Jour,  t.  XXI, 
n°  657,  p  421  ;  Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet), 
t. XI,  n°  632,  p. 3;  Le  Mercure  universe,  t.  II,  p. 462,  et  La  Gazette 
nationale  ou  Extrait...,  t.  XVI,  p.  187;  Le  Législateur  français,  t.  II, 
p.  2;  Le  Patriote  français,  n°  629,  p.  465;  Le  Journal  des  Débats, 
t.  XIX,  n°  702,  p.  8;  Le  Mercure  de  France,  5  mai  1791,  p.  32.] 


276.  —  SEANCE  DU  28  AVRIL  1791  (suite) 
Sur  l'organisation  DES  GARDES  NATIONALES  (suite) 


1re  intervention 


Après  'le  débat  sur  l'affaire  d'Avignon,  l'Assemblée  revient  à 
Eon  mordre  du  jour  et  reprend  la  discussion  sur  l' organisation  des 
gardes  nationales.  Robespierre  poursuit  le  discours  interrompu  la 
veille,   et   demande  que   l'Assemblée   rejette  le  projet  du   comité. 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXI,  n°  660,  p.  474  (1). 

«  N'ayant  pu  rendre  compte  de  la  suite  de  la  discussion  sur  les 
gardes  nationales,  nous  placerons  ici  la  continuation  du  discours  de 
M,  Robespierre  qui  a  obtenu  les  plus  vifs  applaudissemens. 

«  Maintenant,  a  dit  M.  Robespierre,  si  j'applique  ces  principes 
au  plan  du  comité,  je  trouve  qu'il  les  viole  dans  tous  les  points  essen- 
tiels. Je  trouve  qu'en  dernière  analyse,  il  fait  de  la  garde  nationale  une 
classe  de  citoyens  qui  doit  tôt  ou  tard  devenir  le  jouet  et  l'instrument 
du  despotisme  royal. 

«  Le  comité  ouvre  d'abord  une  large  voie  à  l'influence  du  pouvoir 
exécutif,  en  proposant  que  le  roi  pourra  faire  donner  des  ordres  aux 
commandans  des  différentes  légions,  pour  la  défense  de  la  patrie;  il 
est  vrai  que  le  comité  suppose  le  cas  d'invasion  hostile  et  subite  par 
une  troupe  étrangère.   Mais  qui  est-ce  qui   ne   voit  pas  qu'il   sera  tou- 

(1)  On  remarquera  que  la  partie  du  discours  que  Robespierre 
prononça  le  28  n'est,  dans  aucun  des  extraits  de  presse,  conforme 
au  texte  imprimé  en  décembre  1790.  Il  s'agit  en  effet  de  la  partie 
où  il  attaque  directement  le  plan  du  comité. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  283 

jours  au  pouvoir  du  gouvernement  de  faire  naître  un  tel  événement; 
que  !a  moindre  irruption  de  quelques  brigands  étrangers  soudoyés  suflira 
pour  fournir  au  roi  le  prétexte  d'étendre  son  autorité  sur  les  gardes 
nationales  !  Qui  est  ce  qui  ignore  avec  quelle  funeste  utilité  les  rois 
tirent  parti  du  moindre  avantage  que  les  peuples  leur  abandonnent.  Ce 
n'est  pas  tout  :  il  semble  encore  que  le  comité  destine  les  gardes  natio- 
nales à  faire  la  guerre  habituellement  aux  étrangers  et  qu'il  les  envi- 
sage comme  une  espèce  d'armée  auxiliaire.  Cet  esprit  se  manifeste  dans 
les  articles  XI  et  XVI,  dont  le  premier  règle  la  manière  don*  elles 
marcheront  avec  l'armée  de  ligne  sous  les  ordres  de  son  général,  et 
l'autre  statue  aussi  indéfiniment  que  lorsqu'il  s'agira  d'action  militaire, 
le  corps  de  la  garde  nationale,  la  gendarmerie  et  les  troupes  de  ligne 
seront  commandés  par  l'officier  supérieur  de  la  troupe  de  ligne  ou  de  la 
gendarmerie  nationale.  Ici  je  vois  naître  tous  les  dangers  auxquels  la 
liberté  peut  être  exposée  par  le  pouvoir  que  le  roi  exercera  sur  les 
citoyens  armés.  Je  suis  bien  loin  d'être  rassuré  par  la  disposition  astu- 
cieuse de  l'article;  c'est  en  vain  qu'il  me  dit  que  s'il  n'y  a  point  d'in- 
vasion subite  du  territoire  français,  les  citoyens  actifs  et  leurs  enfans 
en  état  de  garde  nationale  ne  pourront  être  contraints  de  marcher  à  la 
guerre,  qu'à  la  réquisition  des  corps  administratifs,  sur  un  décret  émané 
du  corps  législatif.  Car  sans  parler  de  la  facilité  avec  laquelle  le  roi 
pourroit  faire  naître  le  cas  de  cette  invasion  subite,  comme  je  1  ai  déjà 
observé,  l'article  suppose  au  moins  que  les  gardes,  nationales  dans  l'autre 
cas  pourroient  du  moins  volontairement  se  joindre  à  l'armée  de  ligne 
sans  décret  du  corps  législatif  et  sans  réquisition  des  corps  administra- 
tifs; or,  dans  l'une  et  l'autre  hypothèse,  le  danger  est  toujours  le  même; 
que  seroit-ce,  si  nous  avions  le  droit  d'ajouter,  qu'avec  les  moyens  im- 
menses que  la  puissance  du  roi  et  l'influence  que  les  décrets  lui  ont 
donnée  sur  la  paix  et  sur  la  guerre,  la  formalité  d'un  décret  du  corps 
législatif  est  une  assez  foible  ressource  contre  ses  intrigues  et  contre 
son  ambition  :  eh  !  au  lieu  de  chercher  la  sauve-garde  de  la  liberté  dans 
une  délibération  du  corps  législatif,  pourquoi  ne  pas  la  mettre  dans  la 
nature  même  des  choses  et  dans  les  principes  constitutifs  de  la  garde 
nationale  ? 

«  Pourquoi  ne  pas  déterminer  nettement  les  véritables  rapports  de 
la  garde  nationale  avec  les  ennemis  extérieurs,  et  sur-tout  assurer  leur 
indépendance  -du  pouvoir  exécutif. 

«  Disons  d'abord  que  tant  que  nous  entretiendrons  des  troupes  de 
ligne  proportionnées  oa  supérieures  à  celles  des  autres  nations  de  l'Eu- 
rope, nos  gardes  nationales  ne  pourront  être  employées  aux  mêmes 
fonctions,  que  dans  des  périls  extrêmes  de  l'Etat,  que  dans  des  conjonc- 
tures extraordinaires,  qui  seront  bien  rares,  si  nous  persistons  e*  surtout 
si  nous  contenons  sévèrement  notre  gouvernement  dans  les  principes  de 
justice  et  de  fraternité,  que  nous  avons  annoncés  aux  autres  peuples 
de  l'Eurooe. 


284  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  Oisons  qu'elles  ne  sont  point  destinées  à  porter  la  guerre  au 
dehors.  Disons  que  le  soin  de  combattre  les  étrangers  ne  peut  les  regar- 
der, que  dans  le  cas  où  nous  serions  obligés  de  défendre  notre  propre 
territoire  :  or,  sous  ce  point  de  vue,  ou  bien  vous  prévoyez  un  événe- 
ment particulier,  une  crise  prochaine;  et  c'est  pour  ce  momen*,  c'est 
pour  cet  événement  que  vous  formez  votre  plan  d'organisation;  et  moi 
je  vous  dis  que  nulle  attaque  extérieure  ne  peut  être  formidable  ni  pos- 
sible, qu'autant  qu'elle  sera  secondée  par  des  trahisons  intérieures;  et 
dans  ce  cas  je  vous  dis:  veillez  sur  les  traîtres;  craignez  de  livrer  vos 
propres  forces  à  vos  ennemis  mêmes;  et  c'est  ici  que  vous  devez  suivre 
surtout  les  principes  que  je  vous  ai  développés  :  mais  envisagez-vous 
seulement  le  cours  naturel  des  choses  :  ce  n'est  pas  la  peine  de  vous 
tourmenter  l'esprit  pour  vous  préparer  des  dangers  réels,  sous  le  pré- 
texte d'éviter  des  dangers  chimériques  (2).  Figurez- vous  un  vaste  empire 
couvert  de  citoyens  libres  et  armés,  suivant  le  plan  que  je  propose  :  et 
s'il  est  possible  qu'il  existe  un  despote  assez  insensé,  pour  venir 
l'attaquer;  si  des  troupes  de  ligne  redoutables  ne  suffisent  pas  encore 
à  sa  défense,  reposez-vous  sur  l'ardeur,  sur  la  facilité  avec  laquelle 
tant  de  millions  de  citoyens  défendront  leur  patrie  et  leur  liberté,  fiez- 
vous  à  la  nature  même  des  choses,  et  n'allez  pas,  pour  des  cas  si 
rares,  et  pour  des  dangers  presque  chimériques,  convertir  en  fléau  une 
institution  salutaire,  et  livrer  vos  défenseurs  au  monarque,  et  la  nation 
peut-être   à  tous  les  maux  du  despotisme  militaire. 

«  Tel  est  le  résusîtat  inévitable  du  projet  de  votre  comité.  Mais 
quoi,  au  travers  des  nuages  dont  il  les  enveloppa,  ne  démêlez-vous  pas 
le  but  auquel  il  vous  conduit.  Ne  voyez-vous  pas  se  réaliser  dès  ce 
moment  même  tous  les  inconvéniens  que  je  ne  vous  avois  moi-même  mon- 
trés que  dans  le  lointain  }  11  veut  soummettre  la  garde  nationale  au  roi 
dans  le  cas  d'invasion  subite.  Eh  bien,  il  est  tout  prêt,  ce  cas-là.  Un 
rebelle  est  prêt  à  entrer  sur  le  territoire  français...  et  voilà  la  cour! 
voilà  les  ministres  !  voiià  les  ennemis  naturels  de  la  révolution  qui  vont 
disposer  des  gardes  nationales.  Ils  vont  rassembler  à  leur  gré  celles  qui 
conviennent  le  mieux  à  leurs  desseins;  les  autres  resteront  dans  !e  néant, 
puisque  suivant  le  plan  même,  il  leur  est  défendu  d'agir,  de  s'assembler 
sans  aucune  réquisition,  puisque  toute  délibération  leur  est  interdite, 
même  sur  les  dangers  de  la  liberté  et  de  la  patrie,  sous  peine  d'être 
réputées  ennemies  de  l'état...  Il  n'existe  plus  dans  i'état  d'autre  force 
armée  que  celle  que  le  despotisme  fera  mouvoir.  Aveugles  citoyens, 
connoissez-vous  enfin  le  secret  de  toutes  les  intrigues  coupables  dont 
vous  êtes  investis;  ne  voyez-vous  pas  l'objet  de  toutes  ces  factions,  qui 
semblent  se  combattre  quelquefois,  pour  mieux  cacher  leur  coupable 
intelligence  ;  devinez-vous  les  motifs  des  contradictions  perpétuelles 
des  uns,  du  silence  perfide  des  autres,  de  tout  ce  charlatanisme  oratoire 


(2)    C'est   l'un   'des    arguments   que   Robespierre    opposera    à    la 
Gironde  à  la  fin  de  1791  dans  ses  discours  contre  la  guerre. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  285 

ou  ministériel  prodigué  pour  vous  entraîner  sans  cesse  hors  des  principes 
de  la  liberté,  et  pour  vous  déguiser  les  dangers  qui  vous  environnent. 
Voyez-vous  enfin  percer  la  coalition  de  nos  ennemis  déclarés  et  de  nos 
ennemis  hypocrites?  Je  la  vois:  je  l'ai  vue  depuis  longtemps;  je  vous 
l'ai  annoncée.  Mais  en  vain  :  c'est  à  vous  de  décider  si  vous  voulez 
enfin  sortir  de  cette  funeste  léthargie,  si  vous  voulez  sauver  la  patrie, 
ou  la  livrer  à  toutes  les  horreurs  qui  la  menacent.  Pour  moi,  quoi  qu'il 
puisse  arriver,  je  continuerai  de  remplir  les  devoirs  touchans  et  sacrés 
qui  m'attachent  à  elle;  je  vais  achever  de  dévoiler  les  principes  et  les 
vues  du  comité,  dans  l'analyse  de  son  plan  :  il  suffiroit  de  jetter  les  yeux 
sur  le  chapitre  où  il  trace  les  fonctions  des  gardes  nationales.  Il  semble 
qu'il  n'en  connoisse  point  d'autre  que  de  faire  la  guerre  sous  les  ordres 
du  roi  et  maintenir  la  police.  Ils  se  gardent  bien  d'avouer  que  leur  prin- 
cipale, que  leur  véritable  distinction  est  de  défendre  la  liberté  contre 
les  attaques  du  despotisme,  à  voir  le  soin  avec  lequel  ils  écartent  cette 
idée,  et  s'abstiennent  de  prononcer  une  seule  fois  le  mot  de  liberté. 
Il  est  aisé  d'appercevoir  que  ce  n'est  point  pour  elle  qu'ils  ont  formé 
le  plan.  Dissiper  toutes  émeutes  populaires  et  attroupemens  séditieux, 
employer  la  force  des  armes  pour  repousser  les  brigandages  et  attrou- 
pemens séditieux,  saisir  et  livrer  à  la  justice  les  séditieux,  lorsqu'il  ne 
les  abandonne  que  pour  intimer  de  la  manière  la  plus  menaçante  !a 
défense  de  s'assembler  sans  réquisition,  que  pour  leur  imposer  sévère- 
ment la  loi  de  l'obéissance  aveugle  et  passive;  qui  croiroit  voir  une  loi 
proposée  pour  un  peuple  doux  et  généreux,  qui,  conquérant  de  sa  pro- 
pre liberté,  n'a  surpassé  son  courage  que  par  sa  patience  à  souffrir  ses 
persécuteurs  et  sa  misère,  au  sein  de  la  révolution  qu'il  avoit  lui-même 
opérée  !  Oui,  c'est  pour  ce  peuple,  en  effet,  qu'elle  est  proposée  par 
les  tyrans  qui  veulent  le  remettre  aux  fers;  ou  si  l'on  veut  par  des 
esclaves  qui  préfèrent  à  la  gloire  de  le  servir,  le  prix  infâme  pour  lequel 
ils  l'ont  vendu  à  leur  maître  !  par  ces  vils  esclaves  qui,  pour  trouver  un 
prétexte  de  l'opprimer,  ne  cessent  de  le  représenter  comme  une  horde 
de  brigands  qu'il  faut  dompter,  ou  d'esclaves  dangereux  qu'il  faut  en- 
chaîner !  Eh  !  quel  autre  esprit  règne  aujourd'hui  !  Que  voit-on  par-tout, 
si  ce  n'est  une  injuste  défiance,  de  superbes  préjugés  contre  ceux  que 
l'on  appelle  encore  le  peuple  !  Qui  est-ce  qui  aime  l'égalité  ?  Qui  est-ce 
qui  rajpecte  la  dignité  de  l'homme  dans  son  semblable  ?  Qui  est-ce 
<yui  connoît,  qui  est-ce  qui  respecte  la  majesté  du  peuple  ">  Certes,  voilà 
bien  des  hommes  qui  conviennent  au  despote  pour  rétablir  son  empire  : 
voilà  les  hommes  à  qui  un  despote  ne  convient  pas  moins,  pour  récom- 
penser leurs  vices  et  payer  leur  bassesse. 

«  Quoiqu'il  en  soit,  quel  seroit  (sic)  les  effets  de  l'institution  de  la 
garde  nationale  !  Quelle  seroit  son  influence  sur  l'esprit  public  ou  sui 
la  liberté,  si  le  législateur  ne  sembloit  l'avoir  établie  que  pour  un  tel 
but  et  dans  un  tel  esprit  ? 

«   Mais  que  dirai-je  de  ces  dispositions  qui  statuent  que  dans  les 


286  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

campagnes,  les  gardes  nationales  n'agiront  que  pour  soutenir  la  gendar- 
merie nationale  et  les  troupes  de  ligne;  les  troupes  de  ligne  ne  sont 
faites  que  pour  marcher  contre  les  ennemis  du  dehors.  Comment  peW-on 
les  consacrer  à  marcher  contre  les  citoyens  :  c'est  le  renversement  de 
tout  principe  de  liberté.  N'étoit-cè  donc  pas  assez  de  cette  institution 
de  la  gendarmerie  nationale  qui  la  blesse  d'une  manière  si  absurde  et 
si  funeste  :  mais  ne  faire  de  la  garde  nationale  qu'une  armée  subsi- 
diaire, destinée  pour  aider  les  troupes  de  ligne,  à  massacrer  les  citoyens, 
c'est  le  comble  du  délire;  ne  dirait-on  pas  que  la  nation  ne  s'arme  que 
pour  s'opprimer  elle-même,  e';  surtout  pour  faire  la  guerre  aux  habitans 
des  campagnes;  pouvait-on  le  déclarer  d'une  manière  plus  éclatante? 
C'est  ainsi  que  l'organisation  des  gardes  nationales  n'est  autre  chose 
qu'un  projet  de  réduire  en  système  toutes  les  violences  et  les  attentats 
de  la  tyrannie,  et  d'assurer  à  jamais  la  servitude  et  l'oppression  du 
peuple. 

«  Pourquoi  encore  cette  division  de  la  garde  nationale  calculée  de 
manière  qu'elle  ne  peut  point  être  organisée  par  communes,  excepté  les 
grandes  villes?  Pourquoi  cette  disposition  si  contraire  à  l'intérêt  des 
campagnes  dont  des  communes  ne  peuvent  jamais  avoir  une  garde  na- 
tionale complète,  et  ne  pourront  former  aucune  des  sections  qui  compo- 
sent la  division  projetée,  qu'en  se  réunissant  avec  beaucoup  de  diffi- 
cultés et  de  lenteur  ?   » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXV,  p.   12. 

«  M.  Robespierre.  J'applique  maintenant  les  deux  principes  que 
j'ai  établis  hier,  je  trouve  que  le  projet  du  comité  viole  tous  les  points 
essentiels  de  la  constitution:  je  trouve  qu'en  dernière  analyse  d  fait  de 
la  garde  nationale  une  classe  de  citoyens  qui  doit  être,  tôt  ou  tard,  ins- 
trument du  despotisme.  D'abord,  le  comité  ouvre,  selon  moi,  une  longue 
extension  au  pouvoir  exécutif,  en  proposant  que  le  roi  puisse  faire  donner 
aux  commandans  des  différentes  légions  des  ordres  pour  la  défense  de 
la  patrie.  Il  est  vrai  que  le  comité  suppose  une  invasion  hostile  et  subite 
par  une  -troupe  étrangère  :  mais  toutes  les  lois  dangereuses  ont  été  justi- 
fiées par  des  motifs  plausibles  :  or,  qui  ne  voit  pas  qu'il  sera  toujours 
au  pouvoir  du  gouvernement  de  faire  naître  l'événement,  et  que  la  moin- 
dre irruption  de  quelques  brigands  suffira  pour  lui  fournir  le  pré'exte 
d'étendre  son  autorité  sur  les  gardes  nationales  * 

«  Ce  n'est  pas  tout  :  il  me  semble  que  le  comité  destine  la  garde 
nationale  à  faire*  la  guerre  habituellement  aux  ennemis  étrangers,  et 
qu'il  l'envisage  comme  une  espèce  de  troupe  auxiliaire.  Cet  (^prit  se 
manifeste  dans  plusieurs  articles.  Ici  je  vois  naître  tous  les  dangers  aux- 
quels la  liberté  peut  être  exposée,  par  le  pouvoir  que  le  roi  exercera  sur 
les  citoyens  armés.  Je  suis  bien  loin  d'être  rassuré  par  une  disposition  du 
comité,  qui  dit  que  s'il  n'y  a  pas  d'invasion  subite,  la  garde  nationale 
ne  pourra  être  contrainte  de  marcher,  qu'à  la  réquisition  des  corps  admi- 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  287 

nistratifs,  sur  un  décret  émané  du  corps  législatif;  car  sans  parler  de  la 
facilité  de  faire  naître  cette  incursion  subite,  cette  disposition  suppose 
au  moins,  que  la  garde  nationale,  dans  l'autre  cas,  pourroit  volontaire- 
ment se  joindre  à  l'armée,  sans  le  décret  du  corps  législatif,  et  sans 
réquisition  du  corps  administratif.  Or,  dans  l'une  ou  l'autre  hypothèse, 
le  danger  est  toujours  le  même.  Mais  n'ai-je  pas  le  droit  d'ajouter 
qu'avec  les  moyens  immenses  que  la  constitution  donne  au  pouvoir  exé- 
cutif, avec  l'influence  qu'elle  lui  donne  sur  la  paix  et  la  guerre,  la 
formalité  d'un  décret  du  corps  législatif,  ne  seroit  pas  toujours  une  puis-, 
santé  ressource;  et  au  lieu  de  chercher  la  sauvegarde  de  la  liberté, 
dans  une  délibération  momentanée  du  corps  législatif,  pourquoi  ne  pas 
la  mettre  dans  la  nature  même  de  la  chose,  et  dans  les  principes  cons- 
titutionnels de  la  garde  nationale. 

«  Il  semble  encore  que  le  comité  ait  absolument  méconnu  l'objet 
unique  et  véritable  de  l'institution  des  gardes  nationales;  il  semble  qu'il 
ne  leur  connoisse  d'autre  destination  que  de  faire  la  guerre  sous  les 
ordres  du  roi,  et  de  faire  la  police.  Il  se  garde  bien  d'avancer  que 
leur  véritable  objet  est  de  défendre  la  liberté  au  besoin  contre  les 
attaques  du  despotisme.  A  voir  le  soin  avec  lequel  on  semble  s'abste- 
nir de  prononcer  une  seule  fois  le  mot  de  liberté  dans  tout  ce  plan 
d'organisation,  il  seroit  permis  de  douter  si  c'est  pour  elle  qu'il  a  été 
composé.  Dissiper  toutes  les  émeutes  populaires  et  attroupemens  sédi- 
tieux; employer  la  force  des  armes  pour  repousser  les  brigandages  et 
attroupemens;  saisir  et  livrer  à  la  justice  les  séditieux:  voilà,  messieurs, 
toutes  les  idées  que  nous  présente  le  projet  où  le  comité  fixe  toutes  les 
fonctions  des  gardes  nationales.  Mais  que  dirai-je  de  ces  dispositions, 
qui  statuent  que  dans  les  campagnes  les  gardes  nationales  n'agiront  que 
pour  soustenir  la  gendarmerie  nationale  et  les  troupes  de  ligne  ?    ' 

«  Ne  croirait-on  pas  que  !a  nation  ne  prendra  les  annes  que  pour 
s'opprimer  elle-même,  et  sur-tout  pour  faire  la  guerre  aux  hab;tans  des 
campagnes?  Pouvons-nous  soutenir  l'idée  que  ce  qu'il  y  a  de  plus 
respectable  dans  la  nation,  nos  cultivateurs,  les  habitans  de  nos  cam- 
pagnes ne  seront  présentés,  en  quelque  sorte,  que  comme  la  partie  qui 
a  le  plus  besoin  d'être  contenue  dans  les  bornes  du  devoir  qu'elle  ché- 
rit, dans  les  bornes  de  la  constitution  qu'elle  adore,  par  des  mesures 
aussi  extraordinaires  (applaudi  à  gauche).  Pourquoi  encore  cette  divi- 
sion de  la  garde  nationale  calculée  de  manière  qu'elle  ne  peut  point 
être  organisée  par  commune,  excepté  dans  les  grandes  villes  ? 

<(  Mais  il  n'étoit  point  nécessaire  d'entrer  dans  les  détails  de  tous 
ces  vices  essentiels  pour  prouver  la  nécessité  de  rejetter  le  plan  du 
comité,  celui  de  la  composition  même  des  gardes  nationales  et  le  ren- 
versement de  toute  liberté. 

«  Le  comité  interdit  à  tous  les  citoyens  non  actifs  le  droit  d  être 
admis  dans  les  gardes  nationales. 


288  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  Le  comité  dépouille  tous  ceux  qui  ne  sont  pas  inscrits  dans  la 
garde  nationale,  de  la  qualité  de  citoyen  actif. 

«  Le  comité  interdit  jusqu'au  port  d'armes  aux  citoyens  non  actifs. 

«  Que  dirai-je  de  ces  dispositions,  si  ce  n'est  qu'elles  sont  com- 
binées pour  faire  de  la  garde  nationale  un  vaste  corps  armé  dans  la 
nation,  qui  asservira  et  opprimera  le  reste  de  la  nation. 

«  Mais  de  quel  droit  interdirez-vous  à  chaque  citoyen  le  droit 
de  porter  !es  armes  pour  la  patrie  ?  Ne  sont-ils  pas  tous  également  ses 
enfans,  ne  sont-ils  pas  tous  membres  de  la  société  ?  Sont-ce  des  citoyens 
incapables  de  porter  les  armes  pour  la  patrie  ?  Ah  !  ils  en  étoient  capa- 
bles, lorsqu'ils  vous  ont  nommé  pour  défendre  leurs  droits;  ils  l'étoient 
lorsqu'ils  se  sont  armés  pour  vous  défendre,  ils  l'étoient  lorsqu'ils  ont 
fait  la  révolution. 

«  Il  est  vrai  que  le  comité  fait  une  exception  en  faveur  des 
citoyens  qui,  ayant  pris  les  armes  au  commencement  de  la  révolution, 
se  trouvent  encore  en  activité  de  service;  mais  c'est  une  nouvelle  injure 
à  la  classe  des  citoyens  qu'il  écarte  de  la  garde  nationale;  mais  il  veut 
les  faire  juger  s'ils  sont  dignes  de  servir  la  patrie;  il  leur  fait  présumer 
qu'ils  seront  rejettes  arbitrairement,  parce  qu'ils  ne  sont  pas  des  citoyens 
actifs,  parce  qu'ils  ne  sont  pas  favorisés  de  la  fortune  dont  les  rigueurs 
n'ont  pu  cependant  les  empêcher  de  sacrifier  leur  tems  à  la  patrie,  et 
l'on  verra  qu'un  citoyen  actif  qui  ne  se  sera  pas  armé  dans  les  pre- 
miers tems  du  danger  sera  digne  de  plein  droit  d'entrer  dans  la  garde 
nationale,  tandis  que  ses  plus  héroïques  défenseurs  en  seront  ignominieu- 
sement écartés  s'ils  n'obtiennent  une  décision  dont  la  nécessité  même 
est  un  outrage;  car  si  c'est  un  honneur  d'y  être  admis,  c'est  un  opprobre 
d'en  être  exclus.  Et  de  quel  droit  l'infligeriez- vous  à  l'honorable  pau- 
vreté. Il  est  bien  plus  digne  de  vous,  il  est  bien  plus  conforme  à  la 
justice  d'élever  par  une  présomption  aussi  juste  qu'honorable  tous  les 
citoyens  françois  au  droit  de  défendre  la  patrie.  Je  résume  ce  que  j'ai 
dit  aux  principes  fondamentaux  que  j'ai  posés.  Je  ne  veux  point  tirer 
les  conséquences  particulières  qui  sortent  d'elles-mêmes  de  ces  prin- 
cipes, et  qui  pourront  être  déduites  dans  la  discussion  de  l'organisa'ùon 
des  gardes  nationales;  mais  je  propose  à  l'assemblée  de  délibérer 
d'abord  sur  le  point  capital  et  essentiel. 

«  Ce  principe  est  celui-ci  que  je  propose  de  mettre  en  discussion 
ou  même  de  décider  sur  le  champ  :  c'est  que  tout  citoyen  domicilié  a 
droit  d'être  inscrit  dans  la  garde  nationale  en  vertu  du  principe  qui  assure 
à  tous  les  hommes,  à  tous  les  citoyens,  le  droit  d'être  armé  pour  leur 
défense  personnelle  (applaudi  à  plusieurs  reprises  du  côté  gauche  et 
des  tribunes)   »   (3). 


(3)  Le  texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.  (XXV,  381-389) 
comprend  un  important  passage  du  discours  imprimé  depuis  :  «  Cette 
théorie  peut  se  réduire  à  deux  ou  trois  questions  importantes  »  jus- 
qu'à la  fin;  puis  on  y   ajoute  le   dernier  paragraphe  de   Le   Ho'dey. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  289 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   119,  p.  489. 

«  M.  Roberspierre.  J'ai  établi  hier  les  principes  fondamentaux  de 
1  organisation  de  la  garde  nationale;  j'ai  prouvé  que  tous  les  citoyens 
devaient  y  être  admis,  si  l'on  ne  voulait  diviser  la  nation  en  deux  clas- 
ses dont  l'une  serait  à  la  discrétion  de  l'autre.  J'ai  prouvé  qu'il  fallait 
soustraire  la  garde  nationale  à  l'influence  du  pouvoir  exécutif,  puis- 
qu'elle doit  servir  au  besoin  pour  nous  défendre  contre  la  force  mili- 
taire dont  ce  pouvoir  exécutif  est  armé.  Maintenant  j'applique  ces  prin- 
cipes au  projet  qui  nous  est  présenté  par  les  deux  Comités  et  je  trouve 
qu'il  les  viole  entièrement;  il  fait  de  la  garde  nationale  un  corps  qui 
peut  devenir  l'instrument  du  pouvoir  exécutif.  Il  est  vrai  que  pour  cela 
le  Comité  suppose  le  cas  d'une  invasion  subite  par  une  troupe  étran- 
gère. C'est  ainsi  que  toutes  les  lois  dangereuses  ont  été  justifiées  par 
des  motifs  honnêtes.  C'est  le  fond  du  projet  qu'il  faut  examiner.  Ne 
voit-on  pas  que  le  gouvernement  pourra  faire  naître  facilement  l'événe- 
ment qu'a  prévu  le  Comité,  avec  l'influence  qu'a  le  pouvoir  exécutif 
sur  la  paix  et  la  guerre,  On  dirait  que  les  gardes  nationales  ne  doivent 
être  employées  que  pour  faire  la  guerre  aux  ennemis  de  dehors,  tandis 
que  les  principes  veulent  qu'ils  ne  soient  employés  que  dans  les  cas 
extrêmes.  Serait-ce  un  projet  qui  embrasse  tous  les  tems. 

«  Le  Comité  a  méconnu  l'objet  unique  et  véritable  de  l'institution 
des  gardes  nationales.  Il  place  sans  cesse  la  garde  nationale  dans  les 
circonstances  où  elle  doit  faire  la  guerre  sous  les  ordres  du  roi;  mais 
n'est-elle  pas  faite  aussi  pour  défendre  la  liberté  contre  les  attaques  du 
despotisme  ?  Ce  mot  liberté  n'a  pas  été  proféré  une  seule  fois  dans  tout 
le  projet.  Repousser  les  brigands,  livrer  à  la  justice  les  séditieux,  voilà 
les  seules  idées  que  présente  la  partie  du  projet  qui  fixe  les  fonctions 
de  la  garde  nationale.  Il  semble  qu'elle  ne  sera  instituée  dans  les  cam- 
pagnes que  pour  soutenir  la  gendarmerie  nationale  et  les  troupes  de 
ligne.  Faire  ainsi  une  armée  subsidiaire  pour  combattre  les  citoyens, 
n'est-ce  pas  là  l'oubli  de  tous  les  principes  ?  Pourrons-nous  soutenir 
l'idée  de  voir  les  paisibles  habitans  des  campagnes  présentés  comme 
la  partie  de  la  nation  qui  a  le  plus  besoin  d'être  contenue.  Cette  distinc- 
tion est  insultante.  Ces  détails  sont  inutiles.  Il  suffit  bien  d'avoir  prouvé 
que  la  composition  des  gardes  nationales  présentée  par  le  Comité,  est 
le  renversement  des  principes  de  la  liberté.  Il  interdit  jusqu'au  port 
d'armes  aux  citoyens  non  actifs.  N'est-ce  pas  là  créer  un  vaste  corps 
armé  pour  asservir  le  reste  de  la  nation?  N'est-ce  pas  remettre  le  pou- 
voir politique  et  la  force  armée  dans  les  mains  d'une  seule  classe  ?  Et 
cette  force  armée  à  la  disposition  du  pouvoir  exécutif  par  des  voies 
indirectes.  Tous  les  citoyens  ne  sont-ils  pas  également  enfans  de  la 
patrie?  Quels  sont  ceux  que  vous  jugez  incapables  de  porter  les  armes? 
Teniez-vous  ce  langage,  lorsqu'ils  se  sont  armés  pour  vous  défendre, 
lorsqu'enfin  ils  ont  fait  la  révolution?  Mais,  dira-t-on,  le  Comité  pro- 
pose de  maintenir  dans  la  fonction  de  garde   nationale,    ceux  qui  ont 

lUl.lM^.UU.  l'J 


290  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

pris  les  armes  depuis  l'époque  de  la  révolution,  s'ils  en  sont  jugés 
dignes.  Et  pourquoi  leur  faudrait-il  subir  un  jugement  nécessairement 
arbitraire  ?  Est-ce  parce  qu'ils  ne  seront  pas  favorisés  de  la  fortune  ? 
Où  étaient  donc  les  Comités  au  14  Juillet?  S'ils  avaient  vu  cette  jour- 
née, ils  n'auraient  pas  fait  cette  insulte  à  la  partie  respectable  de  leurs 
concitoyens.  Je  conclus  à  ce  que  l'Assemblée  décrète  que  tout  citoyen 
domicilié  a  droit  d'être  inscrit  sur  le  registre  des  gardes  nationales. 
(On  applaudit)  »  (4). 

Le  Creuset,  t.   II,   n°   36,   p.    193. 

«  L'ordre  du  jour  ayant  r'ouvert  la  lice  à  M.  Roberspierre,  ce 
patriote  a  dirigé  de  nouveau  ses  attaques  contre  le  projet  d'organisation 
des  gardes  nationales,  du  comité.  Etablir,  a-t-il  repris,  dans  l'empire, 
deux  corps  séparés;  l'un,  toujours  foible,  et  l'autre  toujours  fort;  ce 
dernier  pour  toujours  commander,  et  le  précédent,  pour  toujours  obéir, 
non-seulement  c'est  instituer  de  nouveau  l'esclavage  et  l'oppression, 
mais  c'est  présenter  au  despotisme  les  moyens  d'écraser  et  d'anéantir, 
tôt  ou  tard,  la  liberté. 

«  M.  Roberspierre  a  vu,  avec  raison,  l'accélération  inévitable 
du  retour  de  la  puissance  absolue  dans  l'autorité  accordée  au  roi  sur 
les  gardes  nationales,  par  le  projet  du  comité. 

«  Il  a  combattu,  avec  !a  même  vérité  et  le  même  avantage,  la 
faculté  accordée  à  la  gendarmerie  nationale,  de  requérir  l'assistance 
des  gardes  nationales  dans  la  campagne,  et  sur-tout  la  distinction  que  le 
comité  a  affecté  de  mettre  entre  les  gardes  nationales  des  campagnes  et 
celles  des  villes,  distinction  réellement  inique  dans  son  principe,  fansse 
dans  son  objet,  et  propre  à  multiplier,  dans  toute  î 'étendue  de  l'empire, 
le  détestable  régime  des  polycraties. 

((  Revenant  ensuite  à  la  disposition  de  ce  projet,  qui  exclue  les 
citoyens  appelles  inactifs  de  la  garde  nationale,  et  qui  heurte,  en  cela 
même,  et  bien  plus,  en  ce  qu'il  leur  défend  le  port  d'armes,  la  décla- 
ration des  droits.  Ils  étoient  citoyens,  s'est  écrié  l'orateur,  lorsqu'ils  se 
sont  rassemblés  poui  vous  déléguer  leurs  pouvoirs;  ils  l'étoient  lorsqu'ils 
se  sont  armés  pour  vous  défendre;  ils  l'étoient  au  14  juillet,  quand  ils 
ont  brisé  les  fers  du  despotisme  et  conquis  la  liberté  !   » 

L'^lmi  du  Roi  (Montjoie),  29  avril   1791,  p.  475. 

On  est  revenu  ensuite  à  la  discussison  sur  l'organisation  de  la 
garde  nationale,  et  M.  Robertspierre  après  avoir  très-longuement  répété 
ce  qu'il  avoit  développé  la  veille  d'une  manière  très-diffuse,  a  de  nou- 


(4)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  245;  Bûchez  et 
Eoux,  IX,  341.  Laponneraye  (I,  83-85)  publie  à  la,  suite,  un  fragment 
du  discours  imprimé,  depuis:  •«  Les  gardes  nationales  ne  seront 
jamais  ce  qu'elles  doivent  être...  ». 


LES    DISCOURS-  DE    ROBESPIERRE  291 

veau  établi  pour  principe,  que  tout  homme  a  le  droit  de  porter  les  armes 
pour  sa  défense  personnelle.  C'est  bien  là  la  plus  haute  folie  que  l'on 
puisse  prêcher  à  des  hommes  vivans  en  société,  et  il  faut  être  bien 
novice  en  législation,  pour  ne  pas  savoir  que  le  citoyen  ne  peut  et  ne 
doit  recevoir  de  protection  que  de  la  force  publique.  S'il  veut  se  défen- 
dre lui-même,  il  renonce  alors  à  la  protection  que  la  société  offre  et 
doit  à  chacun  de  ses  membres,  il  devient  le  plus  misérable  des  êtres. 

D'un  tel  principe,  M.  Roberstpierre  a  conclu  à  ce  que  tout  citoyen 
domicilié  eût  le  droit  de  se  faire  inscrire  sur  la  liste  des  gardes  natio- 
nales. 

Cette  conclusion  a  excité  une  grande  rumeur  (5).  MM.  Dubois  de 
Crancé,  Pethion  et  Charles  Lameth,  sont  ceux  qui  ont  fait  le  plus  de 
bruit  en  faveur  de  l'opinion  de  M.  Robertspierre. 

Courier  de  Provence,  t.  XIV,  p.  454  (368)  à  370. 

«  La  suite  de  la  discussion  sur  l'organisation  de  la  garde  nationale, 
a  été  reprise;  le  comité  vouloit  borner  aux  citoyens  actifs  le  droit  d'être 
garde  nationale;  M.  Robespierre  s'est  élevé  avec  chaleur  contre  une 
injustice  aussi  impolitique.   » 

[Suit  un  fragment  du  Moniteur,  depuis  :  «  Le  comité  méconnoit 
l'objet...    »    jusqu'à   «    la   partie   respectable   de   leurs   concitoyens    ».] 

Le  Patriote  françois,  n°  630,  p.  467. 

«  M.  Robespierre  s'élevoit  avec  chaleur  contre  une  injustice  aussi 
impolitique...  Cette  distinction,  disoit-il,  est  insultante.  Séparer ^  la 
nation  en  deux  classes,  ne  donner  qu'à  une  le  droit  d'être  armée,  c  est 
créer  un  vaste  corps  armé  pour  asservir  le  reste  de  la  nation;  et  ce  corps 
armé  est,  dans  le  projet  du  comité,  à  la  disposition  du  pouvoir  exécutif, 
par  des  voies  indirectes!...  Tous  les  citoyens  ne  sont-ils  donc  pas  égale- 
ment enfans  de  !a  patrie  ?  Quels  sont  ceux  que  vous  jugez  incapables 
de  porter  les  armes?  Ceux  qui  ont  fait  la  révolution.  Teniez-vous  ce 
langage  lorsqu'ils  ont  pris  les  armes  à  l'époque  de  la  révolution,  s'ils  en 
sont  jugés  dignes.  Eh!  pourquoi  leur  faire  subir  un  jugement  arbi- 
traire?... Où  étoient  donc  les  comités  au  14  Juillet?  S'ils  avoient  vu 
cette  journée,  ils  n'auroient  pas  fait  cette  insulte  à  la  partie  respectable, 
de  leurs  concitoyens. 


(5)  ,11  est  très  net  en  effet  que  les  applaudissements  dont  les 
députés  avaient  ponctué  un  certain  nombre  de  passages  <de  jon 
discours  du  27,  se  firent  plus  rares  le  28,  dès  qu'il  toucha  aux  Condi- 
tions de  cens,  tëon  discours  sur  le  marc  d'argent  qui  connais  «ait 
à  cette  date  'une  (grande  vogue  dans  les  Sociétés  populaires  avait 
contribué  à  indisposer  l'Assemblée  qui  avait  toujours  refuse  Ue 
l'entendre.  Les' efforts  .qu'il  déploya  »au  cours  do  cette  séance  valu- 
rent   à    Robespierre    un    reigain    de    popularité. 


292  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  M.  Robespierre  concjuoit  à  ce  que  tout  citoyen  domicilié  pût 
être  citoyen  actif.  » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  I79L  n"  346,  p.  3-4. 

«  Quelle  sera  la  différence  et  la  distinction  entre  les  gardes 
nationales  et  les  troupes  de  ligne,  entre  les  soldats  et  les  bourgeois  : 
c'est  encore  là  une  énigme  dont  il  n'est  pas  sûr  de  dire  le  mot  :  M.  Ro- 
bespierre, démagogue  fougueux,  n'entre  pas  assez  dans  la  situation  du 
comité  et  de  l'assemblée;  il  attaque,  sans  aucun  ménagement,  le  projet 
d'organisation.  Je  crois  qu'il  ne  voudroit  ni  gardes  nationales,  ni  maré- 
chaussée, et  en  cela  il  seroit  conséquent  à  ses  principes  de  liberté.  Les 
Anglais  n'ont  ni  l'un  ni   l'autre. 

«  Il  est  impossible  qu'une  nation  entière  soit  armée  en  tems  de 
paix;  il  faut,  de  toute  nécessité,  que  la  partie  armée  commande  à  la 
partie  désarmée,  quand  ceux  qui  sont  armés  ne  sont  pas  entre  les  mains 
du  chef  un  instrument  aveugle  et  passif.  Le  rétablissement  des  gardes 
nationales  sera  donc  directement  contraire  à  la  liberté,  il  sera  oppresseur 
et  tyrannique,  si  la  plus  sévère  discipline  ne  dirige  pas  tous  ses  rnou- 
vemens. 

«  Mais  lorsque  M.  Robespierre  propose  d'anéantir  cette  division 
de  citoyens  actifs  et  inactifs,  et  d'armer  indistinctement  tous  les  hom- 
mes, il  est  parfaitement  inconséquent,  et  on  ne  voit  plus  en  lui  qu'un 
flatteur  de  la  populace  :  si  les  armes  ne  conviennent  pas  aux  bourgeois 
dans  une  monarchie,  encore  moins  conviennent-elles  à  cette  classe 
d'hommes,  dont  les  désordres  nécessitent  sur-tout  la  force  publique;  si, 
lorsqu'ils  sont  désarmés,  ils  excitent  tant  de  troubles,  s'ils  bouleversent 
sans  cesse  l'ordre  social;  que  seroit-ce  si  on  leur  mettoit  les  armes  à 
la  main  ?  Puisqu'on  a  jugé  à  propos  de  les  exclure  de  tous  les  emplois 
et  même  des  assemblées  primaires,  il  seroit  absurde  de  les  armer  pour 
le  maintien  d'une  constitution  à  laquelle  ils  sont  étrangers.  La  société 
doit  veiller  sur  eux;  ils  ne  sont  pas  faits  pour  veiller  sur  la  société. 
M.  Robespierre  a  donc  joué  le  rôle  d'un  charlatan  et  d'un  histrion  plu- 
tôt que  celui  d'un  législateur  lorsque,  plaidant  pour  la  derrière  fois,  il 
s'est  écrié,  ils  furent  actifs  pour  conquérir  la  liberté,  et  ils  ne  le  seroient 
pas  pour  la  défendre.  Ah!  si  fétois  privé  du  titre  de  citoyen  actif,  et  du 
droit  de  porter  les  armes  pour  ma  patrie,  j'irois  chez  un  despote  pleurer 
mon  malheur.  Les  brigands  qui  ont  dévasté  la  maison  de  Réveillon,  pillé 
la  communauté  de  Saint-Lazare ,  porté  dans  les  rues  le  buste  du  duc 
d'Orléans  et  celui  de  M.  Necker,  mis  le  feu  aux  barrières,  etc.,  les 
scélérats  qui  ont  souillé  le  palais  de  nos  rois,  assassiné  ses  gardes,  porté 
le  fer  et  la  flamme  dans  tout  le  royaume,  sont  des  citoyens  très- actifs, 
et  c'est  parce  qu'ils  le  sont  trop  qu'on  ne  doit  pas  les  armer. 

«  L'orateur  oublie  toujours  que  ces  prétendues  conquêtes  de  la 
liberté  sont  de  véritables  crimes,  qui,  dans  tout  autre  tems  que  celui 
d'une  révolution*  auroient  été  justement  punis  du  dernier  supplice.  j> 


LES    DISCOUPS    DE    ROBESPIERRE  293 

Journal  de  Paris,   n°    120,    p.    481. 
Courrier  d'Avignon,   1791,  n°    109,  p.  434. 

«  M.  de  Robespierre  a  achevé  son  opinion.  Cette  opinion  étoit 
un  combat  livré  centre  le  plan  du  Comité  qu'elle  attaque  dans  toutes 
ses  parties  à  peu  près.  On  a  senti  que  M.  de  Roberspierre  l'avoit  tra- 
vaillée avec  beaucoup  de  soin,  et  qu'il  y  a  développé  tout  son  talent. 
L'article  du  plan  du  Comité,  sur  lequel  a  porté  le  plus  fort  de  sa  réfu- 
tation, est  celui  qui  n'admet  au  service  de  la  Garde  Nationale  que 
ceux  qui  jouissent  des  droits  de  création  de  Citoyen  actif.  Qui  a  pris 
les  armes  pour  la  création  de  la  liberté,  demandoit  M.  de  Robes- 
pierre ?  Ce  sont  pour  la  plupart  des  hommes  hors  d'état  de  payer  les 
impôts  auxquels  est  attachée  la  qualité  de  Citoyen  actif;  et  ce  sont  ces 
hommes,  ces  créateurs  de  la  liberté,  qu'on  veut  exclure  aujourd'hui  du 
droit  de  porter  les  armes  pour  sa  défense  !   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  de  la  No- 
blesse, t.  I,  n°  19,  p.  562;  Assemblée  nationale,  Corps  administratifs 
(Perlet),  t.  XI,  n°  632;  La  Correspondance  nationale,  n°  32,  p.  287; 
Le  Lendemain,  t.  III,  n°  120,  p.  275;  Le  Mercure  de  France,  7  mai 
1791,  p.  33;  Le  Courrier  des  LXXXIII  départemens,  t.  XXIII,  n°  29, 
p.  462;  Le  Journal  de  Normandie,  n°  119,  p.  578;  Le  Courrier  extra- 
ordinaire, 29  avril  1791,  p.  4;  Le  Mercure  national  et  étranger,  p.  207; 
Le  Journal  général,  n°  88,  p.  322;  Les  Annales  patriotiques  et  litté- 
raires, n°  374,  p.  1347;  Le  Spectateur  national,  n°  150,  p  648:  Résu- 
mé assez  long  dans  Le  Journal  des  Débats,  t.  XIX,  n°  702,  p.  1 1  ; 
Le  Journal  général  de  France,  n°  119,  p.  474;  La  Gazette  nationale 
ou  Extrait..,  t.  XVI,  p.  188;  Le  Législateur  français,  t.  II,  p.  4;  Le 
Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  nationale,  28  avril   1791,  p.   153.] 

2e  intervention  : 

L'Assamblée  entame  la  discussion  article  par  article,  du  projet 
d'organisation  des  gardes  nationales,  présenté  par  les  comités  de 
constitution  et  militaire.  Rabaut  de  (Saint-Etienne  do'nne  lecture  de 
l'art.  1er:  «  Les  citoyens  actifs  s'inscriront  pour  le  service  de  la 
garde  nationale,  sur  des  registres  qui  seront  ouverts  à  cet  effet 
dans  les  municipalités  de  leur  domicile  ou  'de  leur  résidence  conti- 
nuée depuis  un  an  ;  ils  «eront  ensuite  distribués  par  compagnies.  » 
Ruzot  propose  alors  d'y  adjoindre  tous  les  citoyens  domiciliés,  repre- 
nant sous  forme  d'amendement  l'idée  exprimée  par  Robespierre  dans 
son  discours  de  la  veille. 

D'André    s'élève    contre    ces    principes    qui    «ont    implicitement 
liés   à   la   suppression  du   cens   électoral.    Ea  discussion    est  fermée. 
La   proposition   d'admettre   sur   la   liste  des  'gardes   nationales   tous 
les  citoyens  domiciliés,   est  écartée  par  la  question  préalable.   Robes 
pierre   prend    fc   parole,    malgré  de    nombreuses   interruptions. 

L'Assemblée  nationale  consultée  décréta  l'art.  lftr  présenté  par 
les  comités  de   constitution    et  militaire. 


294  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    120,  p.  490. 

«  M.  Roberspierre.  Je  propose  un  amendement  au  premier  article. 
Dès  les  premières  idées  développées  par  M.  Dandré,  il  semblait  pen- 
ser que  la  question  pouvait  être  présentée  sous  d'autres  points  de  vue, 
et  j'ai  vu  le  moment  où  il  se  bornait  à  demander  l'ajournement.  Lorsque 
vous  allez  prononcer  sur  une  question  aussi  importante...  (Plusieurs  voix  : 
Votre  amendement).  La  question  tient  aux  premiers  principes  de  "l'ordre 
public,  et  (Plusieurs  voix  :  Votre  amendement)  après  une  pareille  ques- 
tion... (Votre  amendement)  est-il  un  décret  qui  m'interdit  les  réflexions 
nécessaires  pour  développer  mon  opinion.  Je  veux  vous  proposer  une 
mesure  et  non  pas  entrer  dans  le  fond  de  la  question.  (On  demande  à 
aller  aux  voix).  Toute  violence  qui  tend  à  étouffer  ma  voix  est  destruc- 
trice de  la  liberté.  (On  entend  quelques  applaudissemens).  Je  veux 
proposer  une  mesure  qui  prévienne  le  danger  :  lorsqu'une  question  a 
été  présentée  sous  un  rapport...  (Plusieurs  voix:  ce  nest  pas  là  un  amen- 
dement). Je  demande  une  mesure  qui  empêche...  (On  demande  à  grands 
cris  dans  presque  toutes  les  parties  de  la  salle  à  aller  aux  voix).  Je 
crains  les  formes  dangereuses... 

«  M    Dandré.   M.  Roberspierre  se  moque-t-il..     »  (6). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXV,  p.   13. 

M.  Robespierre.  Je  rentre  dans  la  première  idée  de  M.  d'André 
relative  à  l'ajournement.  Il  a  paru  penser  que  cette,  question  était  suscep- 
tible d'autres  points  de  vue. 

M.  le  Président  (7).  Monsieur,  vous  avez  la  parole  pour  un  amen- 
dement nouveau  :  je   vous  rappelle  à   l'ordre  et  à  l'amendement. 

M.  Robespierre.  La  proposition  que  je  vais  faire  à  l'assemblée  est 
justifiée  par  la  nature  même  de  la  question.  Quelque  soit  (sic)  la 
diversité  des  opinions,  je  veux  proposer  une  mesure... 

Plusieurs  voix.   Votre   amendement. 

M.  le  Président.  Je  vous  rappelle  à  l'ordre,  M.  Robespierre,  et  je 
vous  prie  de   vous  retrancher  dans   l'amendement. 

M.  Robespierre.  Je  me  retranche  dans  l'amendement:  mais  il 
faudroit  un  décret  de  l'assemblée  pour  m'interdire  les  moyens  de  le 
justifier;  et  toutes  prétentions  qui  tendroient  à  étouffer  ma  voix,  seraient 
évidemment  destructives  de  toute  liberté  (murmures  dans  l'assemblée  : 
applaudissemens  des  tribunes). 

M.  le  Président.  Silence  aux  tribunes. 

M.    Robespierre.    Je   demande   que    de   telles   questions   ne    soient 


(6)  Texte   reproduit   dans   le  Moniteur,    VIII,   248  ;   et   Bûchez   et 
Roux,    IX,    344;   et   en   partie  dans   les   Ar'ch.    pari..    XXV,   «S93-94. 

(7)  C'est  Reubell. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  295 

pas   décidées  par   des   formes   dangereuses    et  par   le    jeu   de    Pintrigue 
(murmures)   (8). 

Le  Spectateur  national,   n°    150,   p.   649. 

«  De  vifs  applaudissements  d'un  côté  et  de  nombreuses  réclama- 
tions de  l'autre,  s'étant  fait  entendre,  le  président  a  mis  aux  voix  la 
ridicule  proposition  de  MM.  Robespierre,  Buzot,  Dubois  de  Crancé, 
etc..  mais  en  vain,  l'avoient  réduite  à  la  substitution  des  mots  citoyen 
domicilié  aux  mots  citoyen  actif,  elle  n'a  eu  pour  elle  que  le  suffrage 
d'une  trentaine  de  jacobites. 

«  Beaucoup  de  membres  ayant  alors  demandé  qu'on  délibérât  enfin 
sur  le  premier  article  du  comité,  M.  Robespierre  s'y  est  encore  vive- 
ment opposé,  et  a  fait  pendant  quelque  tems  un  vacarme  effroyable.   » 

Le  Patriote  françois,   1791,  n°  633,  p.  481. 

«  Puisqu'on  pense  n'avoir  exclu  que  les  vagabonds  et  les  mendians, 
pourquoi  ne  pas  s'expliquer  de  manière  à  ne  pas  exclure  aussi  des 
citoyens  qui  ne  sont  ni  vagabonds,  ni  mendians  ?  Cette  explication 
étoit-elle  donc  si  difficile?  M.  d'André  convient  lui-même  que  les 
qualités  nécessaires  pour  former  le  corps  politique,  doivent  n'en  exclure 
presque  personne;  et  cependant  il  accuse  l'opinion  de  MM.  Robes- 
pierre, Pétion,  Charles  Lameth,  etc.  sur  les  gardes  nationales,  de  cacher 
le  désir  d'un  changement  dans  la  constitution.  » 

Le  Creuset,  t.  II,  n°  36,  p.   196. 

«  Sans  doute  Roberspierre  eut  été  plus  énergique  encore.  î!  est 
aisé  de  s'en  convaincre  par  !a  lecture  de  son  beau  discours  sur  la  néces- 
sité de  révoquer  les  décrets  qui  attachent  l'exercice  des  droits  du 
citoyen  à  la  contribution  du  marc  d'argent,  ou  d'un  nombre  déterminé  de 
journées  d'ouvriers  (9);  mais  les  pères  conscrits,  tremblans  de  l'entendre, 
lui  ont  coupé  la  parole,  et  ils  ont  fermé  la  discussion.  » 

Journal  universel,  t.   XI,  p.   5078. 

«  Mais  la  constitution  vient  de  blesser  sa  déclaration  des  droits 
de  l'homme;  car,  malgré  les  réclamations  patriotiques  de  M.  P.obes- 
pierre,  l'assemblée  a  décrété  que  pour  être  garde  nationale,  il  faudrait 
être  citoyen  actif,  c'est-à-dire  payer  3  livres  d'imposition.  Ainsi,  celui 
qui  ne  paiera  pas  3  livres,  n'aura  pas  l'honneur  de  servir  sa  patrie.  Se- 
conds législateurs,  vous  aurez  plusieurs  décrets  à  annuler,  l'opinion  pu- 
blique les  indiquera.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Législateur  français, 
t.  II,  p.  6;  Le  Courrier  d'Avignon,  n"    109,  p.  435.] 


(8)  Les  Arch.  -pari.,  XXV,  393-94,  combinent  ce  bexte  avec  celui 

di:   Moniteur. 

<9)   Cf.  ci-dessus,   n°  248. 


296  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

277.  —  SEANCE  DU  30  AVRIL  1791 
Sur  l'affaire  d'Avignon  (suite) 


Conformément  à  son  décret  du  28  avril,  'l'Assemblée  entend  If* 
rapport  présenté  par  Menou  au  nom  des  Comités  '  diplomatique  et 
d'Avignon  (1).  ÎLe  rapporteur  conclut  en  proposant  un  projet  de 
décret  incorporant  le  Comtat  Venaissin  et  Avignon,  à  fia  France, 
et  décidant  l'envoi  de  trocs  commissaires  avec  pleins  pouvoirs  pour 
rétablir   l'ordre   et  consommer   la  réunion. 

La  discussion  s'engage.  L'abbé  Maury  demande  «  que  le  débat 
soit  ajourné  jusqu'à  trois  jours  après  la  distribution  du  rapport, 
et  que  l'Assemblée  nationale  'déclare  qu'elle  prend  sous  sa  protec- 
tion spéciale  Avignon  et  le  Comtat  Venaissin»  (2).  Charles  Lameth 
s'oppose  à  l'ajournement  et  au  caractère  provisoire  du  décret 
proposé.  Le  comte  de  Clermont-Tonnerre  propose  d'adopter  les 
art.  2  et  3  du  projet  du  comité,  en  retranchant  l'art.  1  qui  préjuge 
de  la  question,  dont  l'examen  sera  retardé  jusqu'au  délai  demandé 
par  l'abbé  Maury.  Robespierre  intervient  alors  et  demande  que  la 
question    soit    iugée   immédiatement    au   fond   (3). 

La  discussion  fermée  sur  la  proposition  de  l'abbé  Maury,  l'As- 
scmblée  consultée  passa  à  l'ordre  du  jour.  La  suite  dix  débat  fut 
renvoyée   au   lendemain    (4). 

Gazette  nationale  ai*  le  Moniteur  universel,  n°    121,  p.   493. 
Journal  universel,  t.   XI,  p.   6003. 

'(  M.  Roberspierre.  Les  horreurs  qui  ont  désolé  le  Ccmtat  son'  un 
pressant  motif  de  hâter  notre  délibération.  S'il  nous  faut  donner  des 
regreîs,  nous  les  donnerons  également,  et  à  ceux  qui  sont  morts  surpris 
par  des  trahisons,  et  à  ceux  qui  ont  été  victimes  de  leur  méchanceté  II 
faut  de  l'indulgence  pour  tous  les  partis  dans  une  révolution,  parce  que 
l'on  ne  peut  se  dissimuler  la  peine  que  l'on  a  à  se  débarrasser  de  ses 
anciens  préjugés,  de  ses  anciennes  passions.  (On  applaudit).  II  y  a 
deux  partis  dans  le  Comtat,  celui  qui  désire  secouer  un  joug  oppresseur, 
et  celui  qui  veut  le  conserver,  peut-être  parce  qu'il  en  profite  :  ce  dernier 
parti  a  été  vaincu  jusqu'aujourd'hui.  Ou'on  le  plaigne  si  l'on  veut; 
mais  qu'on  vienne  au  secours  de  tous.  On  ne  le  peut  qu'en  prononçant 
la  réunion.  Les  mesures  provisoires  sent  impraticables,  à  moins  que  vous 
ne  regardiez  le  Comtat  comme  une  province  dont  les  affaires  vous  regar- 
dent.   Sans   cela   vous   n'avez  pas  plus  de    droit   sur  elle   que    vous   en 


'Cl)   Cf.  ci-dessus,   séance  du  28   avril   1791. 

(2)  L'abbé  Maury  était  soutenu  par  Clermont-Tonnerre  et  Caza- 
lès.   (Leur   proposition   d'ajournement,    mise    aux   voix,    fut    rejetée. 

(3)  On  trouvera  le  récit  de  cette  /séance  dans_  la  lettre  des 
envovés  extraordinaires  d'Avignon,  datée  du  1er  mai  (Cf  P.  Vail- 
landet,  on.  cit.,  3e  nartie,  p.  102-103V  Ils  indiquent  que  cette  affaire 
«  est  devenue  véritablement  une  affaire  de  parti»,  où  Noirs  et 
Patriotes   s'opposent  avec  violence. 

(4)  Le  lendemain  étant  un  dimanche,  le  débat  fut  reprib  le 
lundi  2  mai   (cf.   ci-dessous). 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  297 

auriez  eu  à  interposer  votre  autorité  dans  !e  Brabant.  Les  mesures  pro- 
visoires ne  pourraient  avoir  que  de  funestes  effets.  Ne  pourrait-on  pas 
croire  que  vos  troupes  ne  seraient  venues  que  pour  en  imposer  au  parti 
victorieux;  et  si  le  chef  de  ces  troupes  avait  adopté  des  principes  con- 
traires à  ce  parti,  ne  pourrait-on  pas  soupçonner  que  le  chef  et  l'armée 
voudraient  protéger  ce  qu'on  appelle  le  parti  aristocratique,  et  qui  est 
le  parti  vaincu  ?  Je  demande  en  conséquence  que  la  question  soit  jugée 
au  fond  »  (5). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXI,  n°  659,  p.  455. 

«  M.  Robespierre  a  dit  qu'il  s'agissoit  de  hâter  !a  délibération, 
et  non  de  l'entraver  et  de  la  retarder  par  des  discussions  inutiles  ou 
des  tableaux  exagérés  de  la  situation  des  comtadins. 

«  Je  déclare,  a-t-il  ajouté,  que  si  M.  Clermont  a  voulu  exciter 
notre  commisération  pour  les  victimes  malheureuses  des  deux  partis,  elle 
ne  peut  leur  être  refusée,  puisque  ce  sont  des  hommes  malheureux  dans 
tous  les  partis  (on  applaudit). 

«  Ne  nous  faisons  pas  illusion,  distinguons  de  quel  côté  est  la 
justice.  Des  hommes  excités,  des  hommes  victimes  se  sont  vengés:  ils 
n'ont  pu  avoir  des  mesures  modérées;  il  y  a  eu  une  révolution  dans  le 
Comtat;  il  a  dû  y  avoir  selon  le  cours  ordinaire  des  choses,  un  parti 
qui  tenoit  aux  abus  de  l'ancien  régime,  et  un  autre  qui  vouloit  les  dé- 
truire; mais  il  faut  venir  au  secours  de  tous  par  les  décrets.  Cependant, 
point  de  mesure  prov.oOire  ;  à  moins  que  vous  n'ayez  des  droits  sur  ce 
pays;  s'il  vous  est  étranger,  vous  n'avez  pas  plus  de  droits  de  donner 
des  loix  au  Comtat,  que  d'y  aller  porter  vos  armes,  pas  plus  que  vous 
n'en  avez  eu  pour  le  Brabant.  Vos  troupes  seroient  partagées  entre  les 
partis,  ou  leurs  chefs  partageroient  peut-être  les  armes  de  celui  qui  y 
seroit,  et  ne  feroient  qu'augmenter  les  troubles.  Vos  départemens  ne 
souffriraient  pas  d'ailleurs  qu'un  de  vos  chefs  pût  aller  soutenir  le  parti 
qu'on  appelle  aristocratique,  et  que  je  ne  caractérise  pas.  Je  demande 
que  l'ajournement  soit  rejeté,  et  que  la  discussion  commence  sur  le  projet 
de  décret.   (On  applaudit)   »   (6). 

Annales  patriotiques  et  littéraires,  n°   576,  p.    1357. 

«  M.  Robertspierre  a  déployé  toute  sa  sensibilité  au  soutien  de 
l'opinion  contraire.  Ces»:  la  commisération  même,  a-t-i!  dit,  qui  nous 
fait  un  devoir  de  délibérer,  et  de  prendre  enfin  un  parti  qui  puisse 
terminer  ces  rivalités  qui  ont  déjà  fait  couler  des  ruisseaux  de  sang,  et 
rétablir  ce  repos  heureux  réclamé  par  l'humanité.  Toute  mesure  pro- 
visoire seroit  cruelle  et  injuste;  l'envoi  d'une  force  quelconque  suppo- 
seroit  un  droit  sur  le  Comtat  et  Avignon  ;  sans  déclaration  ce  seroi*  une 


(5)  Texte    reproduit    dans    le    Moniteur,    VIII,    267. 

(6)  Les  Arch.   pari.  (t.   XXV,  p.   470)  publient  un  texte  quia  été 
composé  à  l'aide  des  extraits  du  Moniteur  et  du  Point  du  Jour. 


298  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

violation  manifeste  du  territoire  étranger;  il  ne  s'agit  donc  que  de  discu- 
ter le  droit,  s'il  n'existe  pas,  nous  ne  pouvons  envoyer  d'armée  dans 
le  Comtat,  sous  peine  d'être  des  oppresseurs;  s'il  existe,  il  faut  !?  décla- 
rer et  agir  sans  délai.  » 

Journal  général  de  France,   Ie'  mai  1791,  p.  482. 

«  M.  Robertspierre,  tout  en  s 'appuyant  sur  ce  que  venoit  de  dire 
le  Préopinant  [M.  de  Clermont-Tonnerre] ,  a  fait  remarquer  cependant 
que  dans  un  état  de  Révolution,  il  est  peut-être  pardonnable  de  fournir 
avec  quelque  énergie  les  abus  même  qu'on  croit  la  source  de  son 
bonheur. 

«  Juste  Dieu,  quelle  énergie  !  c'est  celle  du  scélérat  Damiens, 
plongeant  son  poignard  assassin  dans  les  flancs  de  Louis  le  bien-aimé. 

«  M.  Robertspierre  a  voulu  que  la  délibération  s'ouvrît  aussi-tôt 
sur  le  projet  du  Comité.   » 

Gazette  universelle,   1791,  n°    121,  p.  484. 

«  Il  a  dû  y  avoir  deux  partis  dans  le  Comtat  Venaissin,  continue 
M.  Robespierre,  l'un  qui  veut  la  liberté;  l'autre  qui  veut  la  domination 
du  pape.  Le  dernier  a  été  vaincu  :  venez  à  son  secours,  venez  au 
secours  de  tous;  mais  la  mesure  qu'on  vous  propose  ne  peut  qu  être 
funeste;  les  troupes  seroient  censées  y  aller  pour  adopter  le  parti  victo- 
rieux, ce  qui  ne  feroit  qu'augmenter  les  divisions  et  les  haines;  et  si, 
par  malheur,  le  chef  des  troupes  venoit  à  embrasser  un  parti,  que  de 
maux  n'auroit-on  pas  à  craindre  ?  M.  Robespierre  a  conclu  à  ce  qu'on 
s'occupe  sur-le-champ  de  la  discussion.   » 

Journal  des  Débats,  t.  XIX,  n°   705,  p.    14. 

«  M.  Robespierre  a  déclaré  qu'il  donnoit  sa  commisération  aux 
hommes  de  tous  les  partis  qui  sont  en  proie  aux  horreurs  de  la  guerre 
civile  dans  le  Comtat,  qu'il  la  donnoit  non-seulement  aux  Avignonois 
qui  avoient  été  surpris  et  massacrés,  mais  encore  à  tous  ceux  qui,  après 
avoir  fait  cette  horrible  provocation,  avoient  été  victimes  de  leurs 
fureurs.  Il  faut  de  l'indulgence  dans  une  Révolution.  Les  uns  ont  peine 
à  se  défaire  de  leurs  préjugés  et  de  leurs  passions,  les  autres  ont  peme 
à  modérer  leur  vengeance,  ne  nous  habituons  pas  à  regarder  comme 
des  factieux  ceux  qui,  ayant  été  provoqués  d'une  manière  cruelle  et  per- 
fide, se  portent  à  des  excès  contre  leurs  oppresseurs.  M.  Robespierre 
a  répété  plusieurs  des  raisonnemens  de  M.  Charles  Lameth,  et  il  a 
ajouté  que  si  le  Chef  du  Régiment  que  l'on  envoieroit  se  déclaroit  en 
faveur  des  Comtadins,  les  Avignonois  le  regarderaient  bientôt  comme 
leur  ennemi.    »  l 

L'Ami  du  Roi  (Royou),    1791,    n°    348,   p.   4. 

«  M.  Robespierre  s'est  apitoyé  sur  les  victimes  de  la  révolution 
française  et  avignonaise,  avec  un  faste  et  une  prétention  de  sensibilité, 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  299 

dont  on  n'a  pu  s'empêcher  de  rire  :  il  s'est  récrié  contre  la  cruauté  et 
l'injustice  de  toute  mesure  provisoire;  et  pour  le  bien  de  l'humanité, 
il  faut  s'emparer  définitivement  d'Avignon;  ce  casuiste  scrupuleux  pense 
que  ce  seroit  violer  un  territoire  étranger  que  d'y  envoyer  des  troupes, 
quoique  l'assemblée  se  soit  déjà  rendue  coupable  de  ce  crime;  mais 
il  ne  se  fait  point  de  scrupule  d'envahir  et  de  s'approprier  ce  territoire; 
c'est  ce  que  l'évangile  appelle  couler  un  moucheron  et  avaler  un  cha- 
meau; on  n'attendoit  pas  d'un  aussi  fougeux  déclamateur,  cette  modé- 
ration hypocrite.    » 

Mercure  de  France,  5  mai   1791,  p.   50. 

«  M.  Roberspierre  désiroit  qu'on  ne  s'habituât  pas  à  regarder  com- 
me des  factieux,  ceux  qui  se  prêtent  à  des  excès  contre  leurs  oppres- 
seurs. Ensuite,  il  a  périphrase  les  raisonnemens  de  M.  Charles  de  La- 
meth,  et  ajouté  que  si  le  chef  du  régiment  que  l'on  enverroit  se  décîaroit 
pour  les  Comtadins,  les  Avignonois  le  traiteroient  en  ennemi.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  général, 
n°  90,  p.  360;  Le  Lendemain,  t.  III,  n°  121,  p.  286;  Le  Spectateur 
national,  1er  mai  1791,  p.  658;  Le  Courrier  extraordinaire,  ler  mai 
1791,  p.  6;  Le  Journal  de  Normandie,  n°  122,  p.  589;  Les  Révolu- 
tions de  Paris  (Prudhomme),  n°  95,  p.  200;  Le  Mercure  universel, 
t.  III,  p.  12;  Le  Courier  français,  t.  XI,  n°  121,  p.  484;  Gazette 
nationale  ou  Extrait...,  t.  XVI,  p.  217.] 


278.  —  SEANCE  DU  2  MAI  1791 
Sur  l'affaire  d'Avignon  {suite) 


Les  débats  reprennent,  sur  le  rapport  de  Menou,  le  lundi  2  mai. 
La  .Rochefoucauld,  duc  de  Liancourt,  propose  au  nom  du  Comité 
diplomatique  «  qu'il  soit  déclaré  au  pape  les  titres  en  vertu  desquels 
la  nation  française  fonde  ses  droits  sur  Avignon;  en  retour,  le  pape 
ferait  connaître  les  siens  ».  La  discussion  rebondit.  Après  Goupil 
de  Préfeln  et  Malouet,  Robespierre  intervient  à  nouveau,  deman- 
dant que  La  réunion  soit  décrétée,  comme  conforme  au  vœu  des  habi- 
tants, .et  que  le  projet  du  comité  soit  adopté  (1). 

Le  déba<t  continue  les  4  et  ô  naai. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXV,  p.  133. 

«  M.  Robespierre.  S'il  est  prouvé  que  sous  le  rapport  des  droits 
des  nations,  Avignon  n'a  jamais,  pu  être  valablement  aliéné,  qu'il  na 
jamais  été  possédé  par  les  papes  qu'à  titre  précaire  et  d'engagement,  'a 

(1)  Cf.  E.  Hamel,  I,  420-21.  La  Correspondance  des  envoyés 
extraordinaires  d'Avignon  ne  relate  pas  cette  séance  (P.  Vaillandet, 
op.  cit.,  3e  partie,  p.  104). 


300  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

nation  françoise  a  toujours  été  et  est  encore  souveraine.  Les  avignonois, 
les  comtadins  ont  toujours  été  et  sont  encorf  françois.  Pour  qu'ils  soient 
françois,  pour  qu'ils  soient  réunis  à  la  France,  il  suffit  de  ne  point  les 
repousser;  il  suffit  de  ne  point  les  retrancher  de  l'empire  françois;  il 
suffit,  non  pas  de  décréter  un  droit  souverain,  mais  de  déclarer  celui 
qui  existe;  c'est-à-dire  que  les  avignonois,  les  comtadins  font  partie 
de  la  nation  françoise;  e*  vous  voyez,  messieurs,  que  si  vous  adoptez. 
ce  principe,  toutes  les  objections  par  lesquelles  on  semble  vouloir  obscur- 
cir cette  grande  affaire  tombent  d'elles-mêmes.  Dès  qu'une  fois  les 
avignonois  et  les  comtadins  sont  françois,  et  que  vous  n'avez  plus  qu'à 
les  déclarer  tels,  il  est  absolument  inutile  de  chicaner  sur  la  forme 
des  délibérations,  d'exiger  que  l'on  vous  prouve  qu'un  à  un  tous  les 
habitans  du  Comtat  et  d'Avignon  ont  voulu  la  Révolution  françoise  ; 
cet  examen  est  absolument  inutile.  Mais,  messieurs,  quand  même  on 
pourroit  me  contester  le  principe  fondé  sur  notre  histoire,  et  développé 
d'une  manière  sans  réplique  par  M.  de  Montclair  (2),  et  par  M.  Goupil 
qui  vous  a  présenté  son  opinion;  quand  bien  même  on  voudroit  préten- 
dre encore,  en  dépit  des  faits  et  de  l'évidence,  que  les  avignonois  et 
les  Comtadins  ne  sont  pas  françois,  il  en  résulteroit  qu'il  seroit  un  peuple 
séparé  de  la  France,  et  sous  ce  nouveau  titre,  il  pourroit  encore  deman- 
der à  être  réuni  à  la  nation  françoise,  et  dans  les  circonstances,  vous 
ne  pourriez  pas  rejeter   une   pareille   pétition. 

«  Ici,  certes,  il  n'est  pas  possible  d'adopter  les  prinapes  du 
préopinant  sur  les  droits  des  peuples  et  des  rois,  ni  sur  les  moyens  par 
lesquels  les  peuples  peuvent  ressaisir  leurs  droits;  car  si  les  peuples 
ne  sont  pas  des  troupeaux,  si  les  rois  n'en  sont  pas  les  propriétaires, 
certes  on  ne  pourra  contester  qu'un  peuple,  quand  il  le  veut,  au  moment 
où  il  le  veut,  puisse  changer  la  forme  de  son  gouvernement,  et  à  plus 
forte  raison,  changer  l'individu  à  qui  il  confie  ses  droits,  de  tenir  lui- 
même  les  rênes  de  ce  gouvernement;  et  si  le  pape  pouvoit  ici  réclamer 
des  droits,  s'il  pouvoit  dire  aux  Avignonois,  aux  Comtadins  :  Vous  ne 
vous  réunirez  point  à  !a  France,  vous  ne  changerez  point  la  forme  de 
votre  gouvernement  ;  vous  ne  vous  déroberez  point  à  ma  domination  ; 
le  gouvernement  des  Avignonois  et  des  Comtadins  seroit  fait  pour  le 
peuple;  les  Avignonois  et  les  comtadins  seroient  la  propriété  du  pape; 
certes,  il  n'est  pas  possible  de  réfuter  sérieusement  un  pareil  système. 
Or  si  les  comtadins,  si  les  Avignonois  nous  ont  réellement  adressé  ce 
vœu,  s'ils  nous  ont  réellement  renouvelle  cette  pétition  avec  une  ardeur 
qui  ne  s'est  jamais  démentie,  qui  pourra  leur  contester  le  droit  de  nous 
la  présenter  ?  qui  pourra  contester  qu'ils  n'ont  pas  le  droif  de  se  sous- 


(2)  .Montclair,  magistrat  célèbre,  avait  écrit  en  1769  un  important 
ouvrage  prouvant  la  légitimité  des  droits  de  la  France  sur  Avignon 
et  le  Comtat...  Le  volume  avait  été  saisi  chez  l'imprimeur,  sur  l'ordre 
de  Choiseul,  obéissant  aux  sollicitations  du  pape.  Goupil  de  Préfeln 
l'a   utilisé   dans   son  discours. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  301 

traire  à  !a  domination  du  pape  pour  se  réunir  à  la  France  ?  Or,  peut-on 
le  contester,  ce  voeu  >  Je  parle  d'abord  d'Avignon,  qui  est  un  état 
séparé  du  Comtat,  et  je  remarque  que,  sous  ce  premier  point  de  vue, 
il  n  est  pas  un  homme,  si  disposé  qu'il  soit  à  s'opposer  à  la  réunion  et 
à  favoriser  la  cause  des  ennemis  des  Avignonois,  qui  ose  dire  que  le 
vœu  de  ce  peuple  est  douteux.  Il  n'y  a  pas  de  difficultés  d'abord  sur 
ce  vœu,  où  il  est  prouvé  que,  par  les  faits  historiques  qui  vous  ont  été 
développés,  le  peuple  avignonois  formait  un  état  séparé  de  l'état 
Venaissin;  il  est  donc  évident  qu'il  a  eu  le  droit  de  demander  seul  la 
réunion  h  la  France.  Passons  au  Comtat.  Nous  avons  encore  la  majorité 
du  Comtat,  majorité  incontestable,  si  on  veut  écouter  la  vérité  et  ne 
point  poursuivre  le  svstême  d'embarrasser  l'assemblée  nationale  par  des 
doutes  que  les  faits  ont  démentis.  M.  le  Rapporteur  vous  a  attesté 
qu'il  étoit  porteur  des  déclarations  de  51  communautés  du  comtat  qui 
demandent  formellement  leur  réunion  à  la  France;  ces  51  communautés 
forment  évidemment  la  majorité  sur  95  :  aucun  de  nous  ne  peut  douter 
du  vœu  des  comtadins.  Si  vous  réunissez  le  Comtat  avec  Avignon,  pou- 
vez-vous  désirer  une  majorité  plus  complette  ? 

((  On  a  voulu  encore  opposer  des  présomptions  :  ils  payent  beau- 
coup moins  d'impôts  qu'ils  n'en  payeroient  sous  la  domination  de  la 
France  :  Est-il  possible  qu'ils  veulent  leur  réunion  à  la  France  ?  Cette 
objection  s'applique  aussi  comme  vous  le  voyez,  au  peuple  Avigno- 
nois :  vous  voyez  que  ce  prétendu  avantage  ne  l'a  pas  arrêté.  En  Tur- 
quie, on  paie  beaucoup  moins  d'impôt  qu'en  Angleterre  :  s'en  suit-il 
que  le  gouvernement  turc  soit  préférable  a  celui  d'Angleterre.  Eh  ! 
quoi  I  n'existe-t-il  pour  les  peuples  d'autre  bonheur  que  celui  de  payer 
plus  ou  moins  d'impôts  ?  comptez-vous  pour  rien  les  abus,  les  vexations  ? 

«  Ne  croiriez-vous  pas  que  le  désir  de  se  soustraire  à  tous  ses  mal- 
heurs ne  soit  point  gravé  dans  le  cœur  de  tous  les  peuples  ?  Oui,  les 
Avignonois,  en  dépit  de  Ja  modicité  de  l'impôt,  et  les  comtadins  ont 
voulu  se  soustraire  à  la  domination  du  pape,  parce  que,  chez  eux, 
comme  chez  nous,  il  y  a  voit  des  tyrans  subalternes  qui  opprimoient 
leurs  concitoyens;  parce  que  la  justice  y  étoit  vénale  et  arbitraire; 
parce  que  des  ordres  arbitraires  attentoient  aux  libertés  individuelles  ; 
parce  que  tous  les  fléaux,  qui  sont  la  suite  inséparable  du  gouverne- 
ment absolu,  désoloient  la  majorité  des  citoyens;  et  certes  ce  seroit  un 
phénomène  bien  étrange  dans  le  monde,  qu'il  y  eût  une  contrée  où 
le  despotisme  régnât,  et  où  cependant,  le  peuple  fût  heureux;  c'est 
par  la  force,  vous  a-t-on  dit,  qu'on  a  subjugué  le  vœu  du  peuple  avi- 
gnonois et  du  peuple  comtadin,  c'est  au  milieu  des  troubles  ef  des 
insurrections  que  le  vœu  du  peuple  d'Avignon  s'est  fait  entendre;  c'est 
dans  cette  guerre  civile  que  la  majorité  du  Comtat  a  fait  entendre  le 
sien.  C'est  ici  que  revient  le  principe  du  préopinant  sur  la  théorie  des 
insurrections  :  il  vous  a  dit  qu'aucun  vœu  n  étoit  légitime  qu  autant 
qu'il  étoit   émis  paisiblement;  que   lorsqu'il   étoit   la   suite   d'une   insur- 


302  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

rection,  il  étoit  illégitime  ou  coupable.  Que  le  préopinant  apprenne 
donc  aux  peuples  le  moyen  de  ressaisir  leurs  droits  sans  insurrection; 
ou  bien  qu'il  apprenne  aux  despotes  à  se  dépouiller  eux-mêmes  du 
pouvoir  absolu,  à  rendre  aux  peuples  leur  liberté  et  leurs  droits  :  alors 
je  conviendrai  facilement  que  l'insurrection  est  un  crime,  puisqu'elle 
sera  une  violence  inutile  (applaudi).  Ainsi,  tant  que  ceux  qui  sont 
investis  du  pouvoir  le  croiront  toujours  légitime,  et  croiront,  qu'il  ne 
peut  jamais  être  trop  étendu  pour  le  bonheur  du  peuple  et  pour  leur 
propre  satisfaction;  je  dis  qu'il  ne  restera  jamais  au  peuple  d'autre 
moyen  de  recouvrer  la  liberté  qu'en  secouant  le  joug  du  despotisme, 
et  qu'ils  ne  secoueront  jamais  le  joug  du  despotisme  sans  insurrection  : 
c'est  une  vérité  incontestable. 

«  Est-il  bien  convenable  de  se  montrer  difficile,  quand  il  est 
évident  que  la  majorité  a  dû  nécessairement  exister  par  la  nature  des 
choses  ?  Le  vœu  de  tous  les  peuples  n'est-il  pas  de  reconquérir  la  liber- 
té, et  quand  ils  ne  parviennent  à  la  liberté,  n'est-ce  pas  parce  qu'ils 
sont  toujours  retenus  par  la  crainte  sous  le  joug  de  la  tyrannie.  Le  peuple 
Avignonois,  le  peuple  Comtadin  devoit  vouloir  la  liberté.  Il  vous  dit 
qu'il  l'a  voulu,  les  faits  l'attestent,  comment  en  douteriez-vous.  Je  dis 
qu'on  ne  peut  pas  en  douter,  avec  quelque  bonne  foi;  qu'on  ne  peut 
feindre  d'en  douter  que  pour  prolonger  la  crise  funeste  qui  désole  le 
pays,  que  pour  y  faire  triompher  la  cause  des  ennemis  de  la  révolution. 
Je  dis  que  la  cause  de  tant  d'intérêt,  de  tant  de  combat,  ne  peut  être 
que  l'extrême  importance  du  décret  que  vous  allez  rendre,  que  l'influence 
infiniment  étendue  qu'il  doit  avoir  sur  la  tranquillité  de  vos  pays  méri- 
dionaux, sur  le  sort  de  la  révolution  françoise  en  général.  Ainsi  je 
conclus  à  adopter  le  plan  du  comité   »  (3). 

Le  Législateur  français,  t.  II,  3  mai  1791,  p.  7. 

a  M.  Robertspierre  s'est  attaché  à  prouver  d'abord  que  le  vœu 
du  Comtat  et  d'Avignon  n'étoit  pas  manifesté  dans  le  cahier  déposé 
sur  le  bureau  par  M.  l'abbé  Maury  (4).  Ce  vœu,  suivant  M.  Roberts- 
pierre, n'est  que  celui  des  anciennes  municipalités,  c'est-à-dire,  des 
officiers  du  pape,  des  aristocrates  enfin,  ennemis  naturels  du  peuple. 
Ainsi  la  pièce  sur  laquelle  s'appuient  les  adversaires  du  rapport  n'est 
d'aucun  poids. 

«  Je  vois,  disoit  M.  Robertpierre,  dans  la  révolution  Avignonaise 
et  Comtadine  le  caractère  qui  signale  la  révolution  Française;  j'y  vois 

<3)  Les  A-rch.  pari.  (XXV,  500-501)  reproduisent  d'subord  le  texte 
•du  Moniteur  jusqu'à  «  des  principes  »,  puis  le  texte  de  Le  Hoidey, 
et   terminent  par   la  dernière   phrase  du  (Moniteur. 

(4)  Il  s'agit  d'un  procès-verbal  dans  lequel  les  paroisses  du 
Comtat  renouvellent  leur  serment  de  fidélité  au  pape.  L'abbé  Maury 
dépose  ce  document  sur  le  bureau  de  l'Assemblée  au  cours  du  dis- 
cours de  Malouet,  afin  de  renforcer  les  arguments  présentés  par 
l'orateur   de   la   droite. 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  303 

une  insurrection  contre  les  abus  par  les  mêmes  hommes;  j'y  vois  les 
mêmes  individus  protégeant  ces  abus  par  tous  les  moyens  qui  sont  en 
eux,  et  je  pense  que  ceux  qui  ont  fait  la  révolution  Française  ne  peuvent 
voir  avec  indifférence  celle  qui  vient  de  s'opérer  à  Avignon  et  dans 
le  Comtat. 

«  S'il  s'agissoit  de  la  propriété  d'une  métairie,  continuoit  l'ora- 
teur, il  me  seroit  facile  de  prouver  que  le  pape  n'y  auroit  pas  plus  de 
droit  que  sur  les  peuples  dont  il  s'agit  ;  je  parcourrois  avec  vous  les 
fastes  de  l'histoire;  je  vous  rappellerais  la  donation  de  la  princesse  Na- 
politaine; je  vous  montrerais  que  la  possession  d'Avignon  et  du  Comtat 
n'a  été  acquise  au  pape  que  par  la  mauvaise  foi. 

«  L'orateur  prouve  ensuite  facilement  que,  s'agissant  de  la  cession 
d'un  peuple,  la  cause  est  bien  plus  favorable;  et  il  a  reproduit,  à  cet 
égard,  tout  ce  qui  avoit  déjà  été  dit  par  lui,  et  par  plusieurs  autres 
opinans. 

«  En  dernière  analyse,  M.  Robertspierre  observe  que  cette  révolu- 
tion étant  positivement  la  même  que  celle  de  France,  il  est  impossible 
que  les  amis  et  ennemis  de  la  constitution  française  n'y  prennent  pas 
part;  et  il  est  bien  à  craindre  que  la  guerre  Avignonaise  ne  s'étende 
dans  toute  la  partie  méridionale  de  la  France. 

«  Par  ces  considérations  puissantes,  M.  Robertspierre  pense  que 
l'assemblée,  pour  l'intérêt  de  l'humanité,  pour  celui  de  toute  la  France, 
de  sa  constitution,  ne  peut  se  dispenser  d'opérer  la  réunion  proposée 
par  le  comité  diplomatique.    » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   123,  p.  504. 

«  M.  Roberspierre.  E,n  nous  parlant  du  procès-verbs!  qui  constate 
le  vœu  des  avignonais,  M.  l'abbé  Maury  aurait  dû  ajouter  que  c'était 
le  résultat  d'une  délibération  des  anciennes  communautés  du  Comtat, 
qui,  loin  d'être  l'expression  du  peuple,  n'était  que  celle  des  anciens 
officiers  municipaux  maîtrisés  par  l'influence  du  pape.  Là,  comme  en 
France,  il  y  avait  un  parti  contre  le  voeu  du  peuple,  la  noblesse  et  le 
clergé  se  sont  armés,  on  en  est  venu  aux  mains,  le  parti  populaire  a 
vaincu  la  ligue  des  aristocrates,  a  été  victime  de  son  opposition,  et  on 
appelle  cela  du  brigandage;  cette  cause  est  la  même  que  la  nôtre,  les 
mêmes  intérêts  et  les  mêmes  passions  sont  en  mouvement.  C'est  peut- 
être  à  cela  qu'est  dû  le  grand  acharnement  qu'on  met  à  cette  cause. 

«  J'entre  en  peu  de  mots  dans  l'examen  des  principes.  Avignon 
et  le  Comtat  n'ont  jamais  été  aliénés  qu'à  titre  d'engagement;  ainsi 
ces  habitans  sont  toujours  français;  il  ne  s'agit  là  de  rien  innover,  mais 
de  déclarer  un  droit  existant.  Si  les  peuples  ne  sont  pas  des  troupeaux, 
ils  peuvent  changer  la  forme  de  leur  gouvernement.  Si  les  Comtadins 
vous  ont  adressé  leur  voeu  de  réunion,  il  n'y  a  pas  de  doute  ils  de, vent 
vous  être  réunis.  M.  Malouet  vous  a  dit  que  !em  vœu  n'avait  pas  é^c 
libre,   qu'il  avait  été   énoncé  au   milieu   des  désordres  et  des   vexations 


304  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

de  tout  genre;  qu'il  apprenne  donc  au  peuple  le  moyen  de  se  ressaisir 
de  ses  droits  sans  insurrection.  (La  partie  gauche  applaudit).  On  ne 
peut  affecter  de  douter  du  vœu  des  habitans  du  Comtat,  que  pour  pro- 
longer leur  crise  funeste.  On  connaît  toute  son  inffuence  sur  la  tran- 
quillité des  départements  méridionaux  et  sur  toute  la  révolution  fran- 
çaise. Sans  la  réunion,  vous  avez  au  milieu  de  vos  départemens  une 
province  qui  sera  sans  cesse  un  foyer  d'anarchie  et  de  guerre  civile.  Je 
demande  que  le  projet  du  Comité  soit  adopté.   » 

«  On  demande  que  la  discussion  soit  fermée  »  (5). 

Mercure  universel,  t.  III,  p.   73. 

«  Le  cahier  présenté  par  l'abbé  Maury  n'a  rien  de  relatif  à  la 
révolution  d'Avignon;  il  ne  renferme,  dit  M.  Robespierre,  que  des 
délibérations  des  anciennes  municipalités  qui  n'étoient  que  les  créatures 
du  pape. 

.«  L'orateur  rappelle  les  faits  qui  ont  précédé  l'insurrection  de  ce 
pays-là.  Dans  Carpentras  s'est  formé  une  ligue  des  aristocrates  d'Avi- 
gnon et  du  comtat.  Les  prêtres,  les  jurisconsultes  regardoient  Avignon 
comme  à  eux  seuls.  S'il  est  prouvé  aujourd'hui,  sous  le  rapport  du 
droit  national,  qu'Avignon  et  le  comtat  n'ont  jamais  pu  être  ahénés, 
il  faut  en  conclure  qu'ils  font  encore  partie  de  la  France:  voulût-on 
même  contester  les  principes  développés  par  M.  Goupil,  d'après  M.  de 
Montclar,  un  peuple  peut,  dès  l'instant  qu'il  le  veut,  changer  la  forme 
de  son  gouvernement,  ef  à  bien  plus  forte  raison  changer  l'individu 
qui  le  gouverne.  Or,  qiu  pourroit  méconnoître  le  vœu  des  Comtadins, 
lorsqu'ils  ont  cassé  leurs  anciens  officiers  municipaux,  lorsqu'ils  ont 
envoyé  des  députés  à  l'assemblée  nationale,  lorsqu'ils  en  ont  envoyé  à 
la  fédération,  pour  renouveler  leur  serment,  lorsqu 'enfin  des  combats. 
des  victoires  ont  attesté  et  couronné  leurs  vœux. 

«  Cinquante-une  communautés  forment  une  majorité  bien  mar- 
quante sur  84,  et  encore  celles  qui  n'adhèrent  pas  en  apparence,  le  font 
en  esprit,  et  n'ont  plus,  pour  émettre  leur  vœu,  qu'à  vaincre  la  ligue 
aristocratique  qui  les  entoure  et  les  presse...  On  objecte  pour  elles  que 
les  Comtadins  paient  beaucoup  moins  de  droits  qu'en  France;  mais  les 
Avignono's  ne  sont-ils  pas  dans  le  même  cas...  En  Turquie,  on  en 
paie  bien  moins  qu'en  Angleterre.  L'unique  bonheur  d'un  peuple  est-il 
donc  de  payer  plus  ou  moins  d'impôts  ?  Quelle  peut  donc  être  la  vraie 
cause  de  l'insurrection  des  Avignonois  ?  C'est  que  chez  eux  comme 
chez  nous  la  justice  étoit  vénale,  qu'il  y  avoit  des  tyrans  subalternes, 
et  que  chaque  minute  de  leur  règne  étoit  marqué' par  des  attentats  arbi- 
traires contre  la  liberté;  que  le  préopinant  apprenne  donc  au  peuple  un 
moyen  calme  de  reprendre  ses  droits,  de  secouer  le  joug  de  l'esclavage, 
et  alors  je  conviendrai  que  l'insurrection  est  un  crime;  et  quel  combat 

(5)  Texte   reproduit  dans  le  Moniteur,   VIII,   281. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  305 

les  Comtadins  n'ont-ils  pas  eu  à  soutenir  pour  faire  triompher  les  grands 
principes  de  la  raison?...  Si  vous  ne  vous  prêtez  à  eux,  si  vous  dédai- 
gnez leur  vœu  de  se  réunir  à  la  France,  cet  endroit  va  devenir  le  foyer 
d'une  guerre  civile  pour  vous-même,  qu'alimenteront  sans  cesse  vos 
aristocrates.  M.  Robespierre  entre  ensuite  dans  le  projet  du  comité, 
en  démontre  la  supériorité  sur  toutes  autres  mesures,  et  finit  par  demander 
qu'il  soit  décrété.  » 

Gazette  nationale  ou  Extrait...,  t.   XVI,  p.   236. 

«  M.  Robespierre.  M.  l'abbé  Maury  a  déposé  sur  le  bureau  ce 
qu'il  appelle  le  véritable  vœu  des  habitans  du  Comtat;  je  lui  observe 
que  les  comtadins  n'ont  point  rédigé  ce  vœu,  mais  bien  les  municipa- 
lités qui  existoient  en  1790,  et  qui  vivoient  sous  le  régime  papal. 
Ainsi  donc  je  ne  crois  pas  que  cette  pièce,  que  les  adversaires  de  la 
réunion  regardent  comme  d'un  grand  poids,  doive  avoir  le  même  mérite 
à  nos  yeux. 

«  Je  vois  dans  la  révolution  avignonoise  et  comtadine,  le  même 
caractère  que  portoit  la  révolution  françoise;  j'y  vois  d'un  coté  des 
hommes  las  et  victimes  des  abus,  et  c'est  le  plus  grand  nombre,  se 
livrer  à  une  insurrection  pour  les  détruire;  de  l'autre  côté,  je  vois  ceux 
qui  vivoient  des  abus,  s'efforcer  d'en  prolonger  le  règne,  et  tout  tenter 
pour  parer  le  coup  qui  les  menace.  Cette  comparaison  est  juste,  et  j'en 
conclus  que  les  françois,  amis  de  leur  propre  révolution,  ne  doivent  pas 
être  indifférents  sur  celle  d'Avignon  et  du  Comtat;  ils  prendront  néces- 
sairement parti  dans  la  querelle,  si  vous  en- laissez  subsister  les  motifs; 
et  alors,  un  peuple  qu'on  appelloit  étranger,  aura  amené  en  France  ce 
que  nous  avons  su  en  éloigner  nous-mêmes  pendant  le  cours  de  notre 
révolution,  la  guerre  civile  et  ses  horreurs. 

«  Prévenons  ces  maux,  tel  est  l'ordre  que  doit  nous  prescrire  notre 
conscience  Je  demande,  pour  l'intérêt  de  l'humanité,  pour  celui  de 
notre  constitution,  que  l'assemblée  adopte  le  projet  de  décret  présenté 
par  M.   le  rapporteur.   » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),   1791,  n°  350,  p.  3. 

«  Après  un  aussi  éloquent  interprète  de  la  raison,  de  la  justice 
et  de  l'honneur  (6),  il  est  triste  d'être  obligé  d'entendre  l'organe  impur 
de  la  calomnie  et  du  fanatisme.  M.  Robespierre  tire  ses  argumens  de 


(<0  II  s'agit  de  Malouet  :  Voici  en  quels  termes  C.  Desmoulins 
parle  de  ce  dernier,  dans  ses  Kévolutions  de  France  et  de  Brabant, 
p  416:  ...«  Je  ne  saurois  m'einpêcher  de  regarder  ici  Malouet  comme 
<cs  possédés  des  démons  qui  rendoieut  gloire  au  fils  de  Dieu.  Et 
déjà  dans  son  journal,  car  Malouet  qui  a  tant  insulté  les  follicu- 
laires, s'est  fait  folliculaire  du  club  monarchique,  j'avois  entendu 
notre  démoniaque  au  milieu  de  ses  blasphèmes,  crier  hosanna  à  la» 
révolution  ». 


306  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

l'esprit  de  parti,  de  la  logique  des  factions;  il  ne  voit,  dans  l'obser- 
vation des  règles,  de  la  justice,  que  la  victoire  du  parti  aristocratique 
sur  le  parti  populaire.  Dans  un  contrat  solemnel,  dans  les  traités  les 
plus  sacrés,  il  ne  voit  que  des  peuples  vendus  comme  de  vils  troupeaux  ; 
les  adhésions  des  communes,  tracées  avec  la  pointe  des  bayonnettes, 
lui  paroissent  les  titres  les  plus  légitimes;  les  impôts  dont  la  constitution 
française  menace  les  Comtadins,  ne  sont,  à  ses  yeux,  qu'un  foible  prix 
de  la  liberté  qu'elle  leur  procure.  On  paye  moins  d'impôts  en  Turquie 
qu'en  Angleterre;  quel  est  l'Anglais  qui  voulut  être  Turc?  Que 
M.  Robespierre  ne  s'y  trompe  pas;  les  révolutionnaires  Français  ne  se 
sont  point  arrangés  pour  payer,  sous  l'empire  de  la  liberté,  plus  que 
sous  le  despotisme,  et  je  ne  lui  réponds  pas  de  leur  patriotisme,  s'ils 
se  trouvent  si  loin  de  leur  compte.  11  a  couronné  ces  violentes  décla- 
mations par  une  sentence  qui  tend  à  établir  un  peu  trop  cruement  le  droit 
du  plus  fort,  et,  par  conséquent,  la  tyrannie.  Selon  lui,  l'insurrection 
est  un  crime,  quand  elle  ne  réussit  pas;  elle  n'est  pas  un  devoir  que 
lorsqu'elle  est  appuyée  de  la  force;  l'obéissance  est  le  devoir  du  foible. 
C'est  une  de  ces  vérités  affligeantes  et  atroces,  que  l'expérience  con- 
firme assez,  mais  qui  ne  devroient  jamais  échapper  à  un  législateur 
honnête  et  prudent.   » 

Courier  de  Provence,  t.  XIV,  p.   487. 

«  M.  Goupil  a  conclu  à  l'exécution  d'un  arrêt  du  parlement  d'Aix, 
portant  réunion  d'Avignon  et  du  Comtat  à  la  France.  M.  Robespierre, 
sans  s'arrêter  longtemps  à  ces  chicanes  diplomatiques,  à  ces  droits  ense- 
velis dans  des  parchemins  poudreux,  a  développé  avec  chaleur  les  véri- 
tables droits  des  peuples,  écrits  par  la  nature  elle-même.  «  Certes,  a-t-il 
dit,  si  les  peuples  ne  sont  pas  des  troupeaux,  si  les  rois  n'en  sont  pas 
les  propriétaires,  on  ne  pourra  contester  qu'un  peuple,  quand  il  le  veut, 
et  au  moment  qu'il  le  veut,  puisse  changer  îa  forme  de  son  gouverne- 
ment, et  à  plus  forte  raison,  changer  l'individu  à  qui  il  en  confie  les 
rênes.  »  11  a  ensuite  pulvérisé  les  chicanes  élevées  par  M.  Malouet,  sur 
la  validité  du  voeu  du  peuple  comtadin.  Il  a  conclu  par  demander 
l'adoption  du  projet  du  comité.  Rien  n'a  été  décidé.   » 

Mercure  de  France,   14  mai   1791,  p.    127. 

«  A  M.  Malouet  a  succédé  M.  Roberspierre  qui,  pour  diminuer 
l'effet  de  la  délibération  des  communes  du  Comtat,  n'y  a  vu  que  le 
voeu  des  municipaux  fidèles  au  Pape,  et  conséqtiemment  suspects,  du 
clergé,  de  la  noblesse.  Selon  lui,  les  nobles  et  les  prêtres  se  sont  armés; 
on  en  est  venu  aux  mains;  le  parti  populaire  a  vaincu;  la  ligue  des 
aristocrates  a  été  victime  de  son  opposition,  et  on  appelle  cela  du 
brigandage.  »  M-  Roberspierre  n'a  pas  hésité  d'ajouter:  «  Cette  cause 
est  la  même  que  la  nôtre  ».  Rentré  dans  ce  qu'il  nomme  les  principes, 
il  a  ressassé  les  phrases  de  MM.   Goupil,  Péthion,  etc.,  et  a  répondu 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  307 

à  M.  Malouet  et  à  tous  les  honnêtes  gens  qui  supposent  que  le  vœu 
d'un  peuple  n'est  pas  libre  au  milieu  des  massacres  :  «  Qu'on  apprenne 
donc  au  peuple  de  se  ressaisir  de  ses  droits  sans  insurrection  !  » .  Ses 
conclusions  ont  été  celles  du  rapporteur.  On  à  demandé  que  la  discus- 
sion fût  fermée.   » 

Le  Patriote  françois,    1791,   n°   633,  p.   479. 

«  Cependant,  MM.  Robespierre  et  Goupil  ont  pris  la  peine  de 
réfuter  sérieusement  tous  ces  champions  de  l'aristocratie  papale,  et  ils 
n'ont  pas  eu  de  peine.  Les  parchemins,  le  droit  naturel,  le  droit  social, 
les  circonstances  du  dehors,  les  convenances  du  dedans,  tout  nous  com- 
mande de  hâter  cette  réunion.  Devons-nous  balancer  un  seul  instant  à 
exterminer  ce  fléau  de  l'aristocratie,  lorsque  de  tous  côtés  on  nous  me- 
nace, et  lorsque  ce  repaire  de  brigands  sert  de  point  de  ralliement  aux 
aristocrates  les  plus  déterminés,  qui  seront  toujours  prêts  à  venir,  le 
brandon  à  la  main,  mettre  le  feu  aux  départemens  voisins?  » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  n°  661,  p.    14. 

«  M.  Robespierre  a  commencé  par  détruire  l'effet  que  M.  l'abbé 
Mauri  avoit  voulu  retirer  de  la  remise  sur  le  bureau  des  procès-verbaux 
des  délibérations  des  municipalités  du  Comtat.  Il  a  observé  que  ce 
n'étoient  !à  que  des  délibérations  des  municipalités  et  non  pas  des 
communes;  qu'elles  ont  d'ailleurs  une  époque  reculée  de  1789,  et  que 
le  vœu  exprimé  par  le  peuple  depuis  le  mois  de  mai  1790,  est  plus 
certain,  plus  prononcé  et  plus  légal.  Il  a  ajouté  ensuite  :  Cette  révolu- 
tion ayant  pour  objet,  chez  une  partie  des  habitans,  d'adopter  !a  consti- 
tution française  qu'un  parti  aristocratique  repousse,  il  faut  s'arrêter  au 
vœu  du  peuple  et  à  votre  propre  sûreté.  Ne  craignez- vous  pas  d'ouvrir 
une  voie  aux  ennemis  de  la  Révolution  dans  les  départemens  méri- 
dionaux, et  de  se  procurer  un  moyen  de  résistance  et  de  complot  qui 
pourroit  nuire  à  la  France. 

((  M.  Robespierre  a  voté  pour  l'adoption  du  projet  de  décret  du 
comité.   » 

Le  Spectateur  national,   3   mai    1791. 

«  Dire  que  M.  Robespierre  a  parlé  sur  cette  question,  c'est  dire 
assez  quel  avis  il  a  manifesté.  Pendant  tout  le  tems  qu'a  duré  son 
très-ennuyeux  discours,  l'honorable  membre  a  donné  le  nom  d  aristo- 
crates aux  comtadins  fidèles  au  pape,  et  celui  de  patriotes  aux  brigands 
qui,  dans  cette  contrée,  égorgent  leurs  concitoyens.   » 

L'Ami  du  Peuple  (Marat),  n°  448,  p.  2. 

«  A  tant  d'impudens  clabaudeurs  qui  devenoient  successivement 
agneaux  timides,  tigres  altérés  de  sang  et  serpens  tortueux,  deux  ..seuls 
orateurs   patriotes   ont    fait    face,    MM.    Goupil    et    Roberspierre  ;    tous 


308  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

deux  ont  combattu  avec  les  armes  de  la  justice  et  de   la  raison,   mais 
maniées  d'une  manière  différente.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Courier  français, 
t.  XI,  n°  123,  p.  14;  Le  Journal  de  Normandie,  n°  124,  p.  599; 
Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XI,  n°  636,  p.  5; 
Le  Courrier  extraordinaire,  3  mai  1791,  p.  5;  L'Ami  du  Roi  (Monljoie), 
3  mai  1791,  p.  490;  Le  Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.  II, 
n°  298,  p.  3;  La  Correspondance  nationale,  n°  23,  p.  32;  Le  Creuset, 
t.  II,  n°  37;  Le  Mercure  national  et  étranger,  2  mai  1791,  p.  270; 
Les  Annales  patriotiques  et  littéraires,  n°  578,  p.  1366;  Le  Journal 
universel,  t.  XI,  p.  6010;  Les  Révolutions  de  France  et  de  Brabant, 
t.  VI,  n°  76,  p.  416;  Le  Courrier  d'Avignon,  n°   112,  p.  448.] 


279.  —  SEANCE  DU  4  MAI  1791 
Sur  l'affaire  d'Avignon  {suite) 


Poursuivant  la  discussion  du  projet  de  réunion  d'Avignon  à  la 
France,.  l'Assemblée  avait  entendu,  le  3  rmai,  une  intervention  de 
l'abbé  Maury  (1).  L'orateur  avait  conclu  en  demandant  que  l'As- 
semblée déclare  qu'il  n'y  a  pas  lieu  à  délibérer  sur  la  demande  des 
Avignonais  et  des  habitants  du  Comtat,  et  que  le  roi  soit  prié  d'en- 
voyer des  troupes  pour  y  rétablir  l'ordre,  le  pape  ayant  réclamé  la 
protection  de  la  France.  Après  une  discussion  agitée,  l'Assemblée 
avait  décidé  à  l'unanimité  que  l'appel  nominal  aurait  lieu  sur  le 
fond  de  la  question  (2). 

(Le  4  mai,  (Merlin,  au  début  de  la  séance,  propose  que  l'Assem- 
blée aille  aux  voix  par  oui  ou  par  non,  sur  le  premier  article  du 
projet  du  comité  : .  «  L'Assemblée  nationale  déclare  qu'Avignon  et 
le  Comtat  Venaissin  font  partie  intégrante  de  l'empire  français  ». 
La  Rochefoucauld,  duc  de  Liancourt,  s'oppose  à  la  motion  de  Mer- 
lin, et  demande  que  la  question  soit  ainsi  posée:  l'Assemblée  natio- 
nale prononcera-t-elle  aujourd'hui  sur  le  premier  article  du  projet 
de  décret  du  comité?  Hobespierre  se  présente  à  la  tribune,  et  finit 
par  obtenir  la  parole,  au  milieu  du  tumulte.  Il  soutient  la  proposi- 
tion de  Merlin. 

Finalement,  l'art.  1  du  projet  de  décret  du  comité  fut  rejeté  par 
487  voix  contre  316  et  67  abstentions,  sur  870  votants  (3), 


(1)  Cf.  ci-dessus,  séances  des  28  et  30  avril,  2  mai  1791;  et 
P.  Vaillandet,  op.  cit.,  3e  partie,  p.  104-106;  ainsi  que  E.  Hamel. 
I,    422. 

(2)  Le  discours  de  l'abbé  Maury  aurait  duré  3  heures  (Lettre 
de  Palun,  envoyé  extraordinaire  d'Avignon,  cf.  P.  Vaillandet,  p.  104). 
C.  Desmoulins  se  plaint  également  que  «  l'abbé  Maury  a  pendant 
trois  heures  consécutives  assommé  l'assemblée  de  sa  cruelle  audition 
et  de  tes  dictionnaires  »  (Révolutions  de  France  et  de  Brabant, 
t.   VI,   n°   76,   p.  411). 

(3)  Les  chiffres  ci-dessus  sont  fournis  par  le  Moniteur  ;  ceux 
des    Arch.    pari.    {XXVI,    392)    en   diffèrent.    D'après   cette   dernière 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  309 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,   n'    125,   p     514. 
Courrier  d'Avignon,   1791,  n°    114,  p.  454. 

«  M.  Roberspierre  paraît  à  la  tribune.  (îl  s'élève  des  rumeurs  dans 
différentes  parties  de  la  salle). 

[Interventions  du  Président,  de  Malouet  et  de  Regnaud  de  Sairt 
Jean    d'Angély.] 

a  M.  le  Président.  Si  la  discussion  continue,  M.  Roberspierre 
a  la  parole. 

«  M.  Roberspierre.  Nous  proposons  de  déclarer  qu'Avignon  et  le 
Comtat  font  partie  intégrante  de  l'empire  français:  c'est  de  cette 
manière  que  doit  être  posée  la  question,  par  la  nature  même  des  choses, 
puisque  la  question  de  la  réunion  actuelle  ou  future,  et  toutes  les 
questions  secondaires  qui  vous  ont  été  proposées,  dépendent  de  cette 
première  question  :  A  vons-nous  des  droits  sur  A  vignon  ?  Comment  pour- 
rait-on vous  proposer,  soit  de  vous  en  emparer,  soit  d'envoyer  des  trou- 
pes, si  c'est  un  pays  étranger?  (Il  s'élève  des  murmures).  Il  faut  ou 
aller  aux  voix,  ou  me  donner  du  silence...  Il  est  évident  que  les  Avi- 
gnonais  sont  à  votre  égard,  ou  indépendans  ou  sujets...  (Plusieurs  voix: 
Ce  n'est  pas  là  la  question.) 

«   M.  Roberspierre  continue  au  milieu  des  murmures  »  (4). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  n°  663,  p.  35. 
Mercure  universel,  t.   III,  p.   79. 

«  II  n'y  a  pour  le  peuple  comtadin,  que  deux  manières  d'exister, 
a  dit  M.  Robespierre,  quant  à  nous,  d'être  sujet  de  l'empire  français, 
ou  d'être  indépendant;  s'il  est  sujet,  on  ne  peut  se  dispenser  de  décla- 
rer la  réunion  à  l'Empire  français,  s'il  est  indépendant,  c'est  à  lui  de 
régler  son  sort  comme  il  trouvera  convenable  ;  et  nous  ne  pouvons  y 
envoyer  ni  troupes  ni  commissaires  pour  décider  leurs  querelles  domes- 
tiques, et  faire  pencher  la  balance  du  côté  des  ennemis  de  la  liberté. 
Je  conclus  à  ce  qu'on  mît  aux  voix  la  question  de  savoir  si  le  peuple 


source,  l'article  1  aurait  été  rejeté  par  304  voix  contre  374  sur 
768  votants.  De  leur  côté,  les  envoyés  extraordinaires  d'Avignon, 
comirouniquent  les  résultats  suivants  :  i«  316  voix  pour  l'affirmative, 
490  pour  la  négative,  77  votants  ont  déclaré  n'avoir  pas  d'avis  » 
(P.  Vaillandet,  op.  cit  ,  p.   105). 

L'affaire  fut  raccrochée  le  5  mai  par  Pétion  qui  s'opposa  à  la 
discussion  de  l'art.  2  du  proiet  en  expliquant  que  le  vote  du  4  sur 
l'art.  1  n'avait  pas  été  concluant.  Il  v  a,  dit-il,  trois  partis:  ceux 
qui  s'opposent  à  la  réiinion,  ceux  qui  la  souhaitent  si  le  vœu  des 
Avignonais  a  été  libre,  et  ceux  qui  la  veulent  nettement;  le  second 
parti  n'a  pu  s'exprimer  dans  le  vote  précédent.  Il  obtint  satisfaction 
et  le  projet  fut  renvoyé  au  Comité,  si  bien  qu'en  fin  de  compte, 
aucune  décision   n'a  été   prise. 

.(4)  Texte   reproduit  dans   le  Moniteur,   VTIT,  300. 


310  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Avignonois   et   Comtadin   fait   ou   ne    fait   pas  partie   du   peuple   Fran- 
çais (grand  tumulte)  •»  (5). 

Journal  de  Normandie,   n°    125,   p.   605. 

«  M.  Robertspierre .  La  proposition  de  M.  Liancourt  s'écarte  en- 
tièrement de  l'esprit  du  décret  rendu  hier  soir;  il  a  été  dit  que  l'on 
iroit  aux  voix  sur  le  fond  du  projet  du  comité;  le  fond  est  pour  admet- 
tre ou  pour  rejeter  la  réunion  actuellement  et  non  pour  déterminer  si 
nous  prononcerons  ou  ne  prononcerons  pas  aujourd'hui  ;  car  que'que 
parti  que  vous  preniez,  ou  vous  considérez  les  Avignonnois  comme  un 
peuple  sujet  de  la  France,  ou  comme  un  peuple  indépendant.  Si  vous 
les  regardez  comme  sujets  de  la  France,  la  question  est  jugée;  s'ils  sont 
peuple  indépendant,  il  faut  en  revenir  à  la  propos'tion  de  M.  Merlin, 
et  j'insiste   pour  qu'elle   soit   admise.    » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXV,  d.  187. 
«  M.  Robespierre.  Il  est  évident  que  vous  ne  pouvez  prendre  qu'un 
parti  à  l'égard  des  Avignonnois  :  il  faut  que  vous  le  considériez  ou 
comme  sujet  de  la  France,  ou  comme  indépendant;  si  vous  le  considérez 
comme  indépendant  de  la  France,  il  est  évident  que  vous  ne  pourrez 
point  prendre  d'autre  parti  que  ce  que  vous  propose  M.  Merlin.  (Grands 
murrmures  à  droite).   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Spectateur  National, 
5  mai  1791,  p.  668;  La  Gazette  nationale  ou  Extrait  ..,  t.  XVI, 
p.  252;  L'Ami  du  Roi  (Mont joie),  5  mai  1791;  La  Gazette  univer- 
selle, n°  125,  p.  500;  Le  Journal  général,  n°  91,  p.  377;  Le  Courrier 
extraordinaire,  5  mai  1791,  p.  6;  Le  Mercure  de  France.  14  mai  1791, 
p.   119;  Le  Journal  des  Débats,  t.  XX,  n°  710,  p.  5.] 


(5)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.   pari.,  XXV,   558,   qui  le  corn 
binent  avec   ceux   du   Moniteur  et  de  Le  Jïodey; 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 


280.  —  SEANCE  DU  4  MAI  1791 
Sur  l'affaire  d'Avignon  et  les  menaces  de  contre -révolution 


Le  jour  même,  l'Assemblée  nationale  a  rejeté  l'art.  1  du  projet 
de  décret  que  lui  avait  soumis  son  Comité  diplomatique,  concernant 
la  réunion  d'Avignon  et  du  Comtat  à  la  France. 

A  la  séance  des  Jacobins,  les  députés  patriotes  vont  rechercher 
les  moyens  propres  à  reporter  l'affaire  devant  l'Assemblée.  C'est 
dans  cette  intention  que  divers  orateurs,  dont  Robespierre,  vont 
intervenir   sur   cette   question,   à   la  tribune  de   la  Société. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  311 

Lettre  de  MM.  Palun  et  Tissot  à  la  Municipalité  d'Avignon,  1791  (1). 
«  MM.  Lameth,  Prieur,  Rœderer,  Roberspierre ,  de  Noailles,  et 
autres  députés  de  l'Assemblée  Nationale,  et  M.  Reubell,  président, 
ont  parlé  avec  une  force  dont  rien  n'approche.  Plusieurs  d'entr'eux  ont 
dit  que  les  aristocrates  de  l'Assemblée  comptoient  sur  une  contre-révo- 
lution, que  commençoit  pour  eux  l'armée  de  Sainte  Cécile  (2),  qui 
s'étoit  rendue  à  Carpentras,  qu'ils  appelloient  leur  armée,  qu'ils  diso.ent 
y  avoir  de  bons  généraux  et  de  bons  artilleurs;  que  cette  armée,  après 
avoir  réduit  les  Patriotes  Avignonais  et  Comtadins,  elle  se  porteront 
dans  les  provinces  Méridionales  où  elle  seroit  renforcée  de  tous  les 
mécontens  et  continuerait  la  contre-révolution  qui  se  propagerai'  dans  le 
Royaume   »  (3). 

Mercure  universel,  t.  III,  p.   166. 

«  L'affliction  était  le  sentiment  qui  dominait  l'assemblée;  MM. 
Robespierre,  Prieur,  Reubell,  Ch.  Lameth,  Péthion,  Rœderer,  Noail- 
les, d'Aiguillon,  successivement  après  avoir  exposé  ce  qui  s'était  passé 
à  l'assemblée  nationale,  ont  développé  les  causes  qui  avaient  fait  perdre 
aux  patriotes,   une  cause  qu'ils  regardaient  comme  juste   »  (4). 

Le  Lendemain,  t.    III,   n°    126,   p.    331. 

«  Robespierre,  en  se  lamentant,  en  protestant  de  son  patriotisme, 
déclare  qu'il  n'a  point  de  si  bonnes  nouvelles  à  donner,  que  les  Jaco- 
bins ont   perdu    le    matin    leur   procès    sur   Avignon,    que    le    camp   de 
Jalès  se  fortifie,  et  que  tout  annonce  une  contre-révolution  »  (5). 
Journal  de  la  Révolution,  6  mai    1791. 

«  MM.  Robespierre,  Prieur,  Pétion,  Charles  Lameth,  Roederer, 
Noailles,  etc.,  ont  parlé  successivement  sur  le  décret  concernait  Avi- 
gnon «  f..a  guerre  civile  serait  assurée,  et  la  contre- révolution  poss'Me, 
a  dit  M.  Robespierre,  si  nous  ne  trouvions  pas  les  movens  de  réparer 
ce  triomphe  remporté  par  l'aristocratie   »  (6). 

La  Feuille  du  Jour,  t.  IV,  n°    129,  p.  325. 

«   M.    Robespierre   se  lamente   sur   la  perte   d'Avignon.    » 


(1)  Texte  reproduit  par  P.  Vail-landet,  op.  cit.,  3e  partie,  p.   105. 
<2)  L'armée  de  iSainte-Cécile,   évaluée  à  6  ou  7.000  hommes,   com- 
mandée par  M.  de  Tourreau,  avait  en   réalité  été  défaite  le  19  avril 
était  dispersée. 

(3)  Us  décidèrent  de  proposer  à  l'Assemblée  l'envoi  de  8  commis 
■aires   pour   rétablir   l'ordre  dans   cette  région. 

(4)  L'opinion  publique  parisienne  (manifesta  son  mécontente- 
ment en  malmenant  le  comte  de  Clermont  Tonnerre,  adversaire  de. 
la  réunion,  et  en  menaçant  d'incendier  son  hôtel  i(cf.  Journal  de  la 
Société  des  Amis  de  la  Constitution  monarchique,  7  mai  1791). 

(5)  Texte  reproduit  dans  Aulard,   II,  384. 

(6)  Texte    reproduit   dans   Aulard,    II,    384. 


312  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

281    —  SEANCE  DU  9  MAI   1791 
Sur  le  droit  de  pétition 


Le  Chapelier  rapporte,  devant  l'Assemblée,  au  nom  du  comité 
do  constitution,  sur  les  droits  de  pétition  et  d'affiche  (1)  Résumant 
l'économie  du  projet,  le  rapporteur  déclare  que  si  le  droit  de  péti- 
tion est  un  droit  individuel  de  «tout  citoyen  actif,  le  droit  d'affiche 
au  contraire  ne  doit  être  exercé  que  par  l'autorité  publique.  Les 
sept  premiers  articles  concernaient  le  point  capital,  c'est-à-dire 
l'exercice  par  les  seuls  citoyens  actifs  du  droit  de  pétition.  La  discus- 
sion s'instaure.  Robespierre,  après  Pétion,  critique  toute  restriction 
à  ces  droits  imprescriptibles  de  tous  les  citoyens,  passifs  aussi  bien 
qu'actifs,  et  demande  l'ajournement  (jusqu'à  l'impression  du  rap- 
port. 

L'Assemblée  décida  qu'il  n'y  avait  pas  lieu  à  délibérer  sur 
l'ajournement. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  l.  XXV,  p.  342. 

«  M.  Robespierre.  Si  en  décrétant  le  droit  de  pétition  vous  avez 
pensé  accorder  aux  François  un  droit  nouveau,  vous  vous  êtes  trompés. 
Le  droit  de  pétition  n'est  autre  chose  que  la  faculté  qui  appart.ent 
à  tout  citoven  d'émettre  son  voeu  et  de  demander  à  ceux  qui  peuvent 
subvenir  à  ses  besoins  ce  qui  lui  est  nécessaire.  Les  François  jouisso'ent 
de  ce  droit  avant  que  vous  fussiez  assemblés,  aucune  loi  ne  l'avoi*  limité, 
et  le  décret  que  vous  rendriez  pour  mettre  des  bornes  à  ce  droit,  seroit 
la  seule  chose  nouvelle  que  vous  eussiez  faite  à  cet  égard. 

«  Ce  n'est  pas  seulement  chez  les  peuples  libres  que  le  droit  de 
pétition  est  admis  et  qu'il  esf  regardé  comme  sacré  :  les  despotes  les 
plus  absolus  se  sont  fait  un  devoir  et  une  gloire  de  le  conserver  à  leurs 
sujets.  C'est  ainsi  que  Frédéric-le-Grand  appelloit  à  lui  toutes  *e«  plain- 
tes que  ses  peuples  avoient  à  lui  présenter  :  et  vous,  les  législateurs,  les 
représentai  du  peuple,  vous  oseriez  contester  à  un  seul  de  vos  conci- 
toyens le  droit  de  vous  adresser  son  vœu,  ses  observations,  ses  prières 
et  ses  demandes,  sur  ce  qui  lui  paroîtra  conforme  à  l'intérêt  général 
auquel  ils  participent  tous  ! 

«  D'après  ce  principe  incontestable,  comment  peut-on  faire  à  cet 
égard  une  distinction  entre  les  citoyens  actifs  et  les  citoyens  non-act:fs  ? 

«  Je  ne  m'abaisserai  point  à  répondre  aux  insinuations  par  les- 
quelles on  a  voulu  discréditer  d'avance  mon  opinion.  Non.  certes,  ce 
n'est  pas  pour  exciter  les  citoyens  à  la  révolte  que  je  parle  ici.  c'est 
pour  défendre  le  droit  des  hommes;  et  je  ne  connois  à  personne  le  droit 
d'enchaîner  mon  opinion  -%ur  ce  point;   et  si  quelqu'un  vouloit  m'accu- 


11)  D'après  E.  Hamel,  I,  431.  l'initiative  du  projet  reviendrait 
au  directoire  du  département  de  Paris,  dont  les  membres  apparte- 
naient à  la  haute  bourgeoisie. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  313 

ser,  je  consentirais  volontiers  à  mettre  mes  principes  et  ma  conduite 
en  parallèle  avec  les  siens,  et  peut-être  ne  craindrois-je  point  ce  paral- 
lèle. 

«  Je  déclare  donc  que  je  tiens  encore  à  ces  principes  que  j'ai 
soutenus  sans  cesse  dans  cette  tribune;  j'y  tiens  jusqu'à  la  mort;  et 
nous  serions  réduits  à  une  condition  bien  misérable,  si  l'on  pouvoit  avec, 
succès  nous  peindre  comme  des  perturbateurs  du  repos  public  et  comme 
les  ennemis  de  l'ordre,  parce  que  nous  continuerions  à  défendre,  avec 
énergie,  les  droits  les  plus  sacrés  dont  nos  commettans  nous  aient  confié 
la  défense  •  car  nos  commettans  sont  tous  les  François,  et  je  les  défen- 
drai tous,  sur-tout  les  plus  pauvres.  (Applaudi). 

«  Je  pourrois  peut-être  dire  à  M.  le  Rapporteur  :  si  vous  recon- 
noissez  le  droit  de  plainte  aux  citoyens  non  actifs,  pourquoi  n'en  pas 
faire  mention  dans  votre  projet  de  décret.  Je  pourrois  encore  lui  pro- 
poser de  diriger  l'article  premier  d'une  manière  conforme  à  ce  qu'il  a 
dit,  et  d'ajouter  à  cet  article  ces  mots  :  et  cependant  les  citoyens  non- 
actijs  pourront  adresser  des  plaintes;  et  voilà  cependant  le  sens  de  son 
opinion;  et  s'il  osoit  la  rédiger  ainsi,  n'exciteroit-elle  pas  le  rire  de  la 
pitié  ? 

«  Qu'est-ce  en  effet  que  la  plainte,  si  ce  n'est  une  demande,  une 
pétition  accompagnée  de  douleur,  accompagnée  d'une  dénonciation, 
d'une  lésion  qu'on  a  soufferte  ?  Ainsi  donc,  cette  distinction  que  M.  le 
Rapporteur  fait  entre  une  plainte  et  une  pétition  est  absurde. 

«  Eh  !  Messieurs,  le  droit  de  pétition  ne  devroit-i!  pas  être  assuré 
d'une  manière  plus  particulière  aux  citoyens  non-actifs  ?  Plus  un  homme 
est  foible  et  malheureux,  plus  il  a  de  besoin,  plus  les  prières  lui  sont 
nécessaires.  Eh  !  vous  refuseriez  d'accueillir  les  pétitions  qui  vous 
seroient  présentées  par  la  classe  la  plus  pauvre  des  citoyens  !  mais  Dieu 
souffre  bien  les  prières  !  Dieu  accueille  bien  les  voeux,  non  seulement 
des  plus  malheureux  des  hommes,  mais  encore  des  plus  coupables. 
Et  qui  êtes-vous  donc?  N'êtes-vous  point  les  protecteurs  du  pauvre, 
n'êtes- vous  point  les  promulgateurs  des  loix  du  législateur  éternel?  Oui, 
messieurs,  il  n'y  a  de  loix  sages,  de  loix  justes,  que  celles  qui  sont 
conformes  aux  loix  de  l'humanité,  de  la  justice,  de  la  nature,  dictées 
par  le  législateur  suprême.  Et  si  vous  n'êtes  point  les  promulgateurs  de 
ses  loix,  si  vos  sentimens  ne  sont  point  conformes  à  leurs  principes, 
vous  n'êtes  plus  les  législateurs,  vous  êtes  plutôt  les  oppresseurs  des 
peuples.  (Applaudi). 

«  Je  regarde  donc  qu'il  n'est  pas  permis  à  l'assemblée  d'accorder 
exclusivement  le  droit  de  pétition  aux  citoyens  actifs  :  je  crois  même 
que  l'assemblée,  à  titre  de  législateur  et  de  représentant  de  la  nation, 
est  incompétente  pour  ôter  aux  citoyens  ce  droit  imprescriptible  de 
l'homme  et  du  citoyen.   (Applaudi). 

«    Je   passe    au    second    vice    essentiel   que   présente    le   projet   du 


314  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

comité  :  c'est  celui  qui  met  des  entraves  de  toute  espèce  à  la  manière 
d'exercer    le    droit    de    pétition    collectivement. 

«  Une  collection  d'individus,  comme  un  particulier,  a  le  droit 
de  pétition,  et  ce  droit  n'est  point  une  usurpation  de  l'autorité  politique  : 
elle  n  a  rien  de  commun  avec  les  pouvoirs  qui  doivent  être  rigoureuse- 
ment réservés  à  ceux  qui  en  sont  investis  par  le  peuple;  c'est  au 
contraire  un  droit  naturel,  et  je  soutiens  que  puisque  tout  individu  isolé- 
ment a  le  droit  de  pétition,  il  n'est  pas  possible  que  vous  interdisiez  à 
une  collection  d'hommes  quelque  titre,  quelque  nom  qu'elle  porte,  que 
vous  lui  interdisiez,  dis-je,  la  faculté  d'émettre  son  vœu  et  de  l'adres- 
ser à  qui  que  ce  puisse  être. 

«  On  nous  parle  sans  cesse  de  désordres  :  on  nous  fait  craindre 
les  plus  grands  maux,  si  nous  laissons  aux  Sociétés  le  droit  de  pétition 
qu'elles  ont  exercé  jusqu'à  ce  moment  sans  aucune  contradiction  :  or, 
quels  faits  peut-on  citer  ?  Je  sais  bien  que  des  pétitions  ont  été  adres- 
sées par  ces  sociétés  qui  veillent  sans  cesse  au  maintien  des  loix.^et 
connues  sous  le  nom  des  Amis  de  la  Constitution;  qu'elles  ont  souvent 
présenté  à  l'assemblée  nationale  des  adresses  remplies  de  bons  prin- 
cipes qui  pouvaient  éveiller  la  sagesse  du  législateur  et  lui  révéler  des 
faits  importans  pour  le  salut  public  :  je  vois  bien  quels  sont  les  avan- 
tages immenses  que  ces  sociétés  ont  produits;  mais,  les  maux  qu'elles 
ont  faits,  je  ne  les  apperçois  nulle  part. 

«  Je  pense  donc  que  quand  au  droit  de  pétition  il  n'y  a  pas  lieu 
à  délibérer  sur  le  projet  du  comité  de  constitution.  Des  réflexions  non 
moins  frappantes  pourroient  vous  être  présentées  sur  le  droit  d'affiche  ; 
mais  je  les  réserve  à  un  autre  moment,  dans  le  cas  où  la  question 
préalable  sur  le  projet  du  comité,  que  je  vous  prie  de  mettre  aux  voix 
ne  seroit  point  adoptée.  (Applaudi)  »  (2). 


Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    131,  p.   539. 

«  M.  Roberspierre.  Le  droit  de  pétition  est  le  droit  imprescriptible 
de  tout  homme  en  société.   Les  français  en  jouissaient  avant  que  vous 
fussiez  assemblés;  les  despotes  les  plus  absolus  n'ont  jamais  osé  contester 
;e  droit  à  ce  qu'ils  appelaient  leurs  sujets  ">   Plusieu 


formellement  ce  droit  à  ce  qu'ils  appelaient  leurs  sujets  ">  Plusieurs  se 
font  une  gloire  d'être  accessibles  et  de  rendre  justice  à  tous.  C'est  ainsi 
que  Frédéric  II  écoutait  les  plaintes  de  tous  les  citoyens.  Et  vous 
législateurs  d'un  peuple  libre,  vous  ne  voudrez  pas  que  des  français 
vous  adressent  des  observations,  des  demandes,  des  prières,  comme 
vous  voudrez  les  appeler  !  non,  ce  n'est  point  pour  exciter  les  citoyens 
à  la  révolte  que  je  parle  à  cette  tribune,  c'est  pour  défendre  les^  droits 
des  citoyens;   et  si  quelqu'un  voulait  m'accuser,   je  voudrais  qu'il   mit 


(2)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.   pari.,   XXV,  684. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  315 

toutes  ses  actions  en  parallèle  avec  les  miennes,  et  je  ne  craindrais  pas 
le  parallèle.  Je  défends  les  droits  les  plus  sacrés  de  mes  commettans, 
car  mes  commettans  sont  tous  français;  et  je  ne  ferai  sous  ce  rapport 
aucune  différence  entr'eux,  je  défendrai  sur-tout  les  plus  pauvres.  Plus 
un  homme  est  faible  et  malheureux,  plus  il  a  besoin  du  droit  de  pétition; 
et  c'est  parce  qu'il  est  faible  et  malheureux  que  vous  le  lui  ôteriez  ? 
Dieu  accueflle  les  demandes  non  seulement  des  plus  malheureux  des 
hommes,  mais  des  plus  coupables.  Or,  il  n'y  a  de  lois  sages  et  justes 
que  celles  qui  dérivent  des  lois  simples  de  la  nature.  Si  vos  sentimens 
n  étaient  point  conformes  à  ces  lois,  vous  ne  seriez  plus  les  législa- 
teurs, vous  seriez  plutôt  les  oppresseurs  des  peuples.  Je  crois  donc  qu'à 
titre  de  législateurs  et  de  représentans  de  la  nation,  vous  êtes  incompé- 
tens  pour  ôter  à  une  partie  des  citoyens  les  droits  imprescriptibles  qu'ils 
tiennent   de   la   nature. 

«  Je  passe  au  titre  II,  à  celui  qui  met  des  entraves  de  toutes 
espèces  à  l'exercice  du  droit  de  pétition.  Tout  être  collectif  ou  non 
qui  peut  former  un  vœu,  a  le  droit  de  l'exprimer;  c'est  le  droit  impres- 
criptible de  tout  être  intelligent  et  sensible.  Il  suffit  qu'une  société  ait 
une  existence  légitime,  pour  qu'elle  ait  le  droit  de  pétition;  car  si  elle 
a  le  droit  d'exister,  reconnu  par  la  loi,  elle  a  le  droit  d'agir  comme 
Une  collection  d'êtres  raisonnables  qui  peuvent  publier  leur  opinion 
commune  et  manifester  leurs  vœux.  L'on  voit  toutes  les  sociétés  des 
amis  de  la  constitution  vous  présenter  des  adresses  propres  à  éclairer 
votre  sagesse,  vous  exposer  des  faits  de  la  plus  grande  importance;  et 
c'est  dans  ce  moment  qu'on  veut  paralyser  ces  sociétés,  leur  ôter  le  droit 
d'éclairer  les  législateurs.  Je  le  demande  à  tout  homme  de  bonne  foi 
qui  veut  sincèrement  le  bien,  mais  qui  ne  cache  pas  sous  un  langage 
spécieux  le  dessein  de  miner  la  liberté;  je  demande  si  ce  n'est  pas 
chercher  à  troubler  l'ordre  public  par  des  lois  oppressives,  et  porter 
le  coup  le  plus  funeste  à  la  liberté...  Je  réclame  l'ajournement  de  cette 
question  jusqu'après  l'impression  du  rapport  »  (3). 


Le  Patriote  françois,   1791,  n°  640,  p.  510. 

«  Que  dirai-je  encore  de  ces  pitoyables  argumens  pour  prouver 
que  le  droit  d'affiche  est  un  droit  souverain  ?  C'est  par  tout  la  même 
hypocrisie  qui  veut  tromper  le  peuple,  en  lui  mettant  le  collier. 

«  Telles  sont  les  réflexions  que  MM.  Pétion  et  Robespierre  ont 
offert  en  grande  partie  contre  ce  projet  présenté  par  M.  Chapelier  au 
nom  du  comité. 

«  Croira-t-on  cependant  que  M.  Chapelier  a  été  applaudi  V. 


(3)  Texte    reproduit  dans   le   Moniteur,    VIII,   353;   et   Bmchez  et 
Koux,    X,    1-6. 


316  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  ...La  scène  a  changé  quand  MM.  Pétion  et  Robespierre  ont 
parlé. 

«  L'assemblée  a  expié  ses  précédens  applaudissemens,  en  en  cou- 
vrant ces  deux  défenseurs  de  la  liberté;  sur-tout  quand  le  dernier 
a  justifié,  avec  la  noblesse  d'un  Romain,  ces  hommes  irréprochables 
qu'on  accuse  de  prêcher  l'anarchie,  parce  qu'ils  prêchent  la  surveil- 
lance; qui  ne  sont  attaqués  que  par  des  hommes  flétris  par  l'opinion 
publique,  et  qui  cherchent,  en  gênant  la  liberté  de  la  presse,  à  écarter 
une  censure  importante.  M.  Robespierre  demandoit  la  question  préa- 
lable, M.  Pétion  l'ajournement  de  la  discussion  jusqu'après  l'impres- 
sion du  rapport.  On  a  continué  la  discussion.  » 

U'Ami  du  Roi  (Royou),   1791,  n°  357,  p.  4. 

«  M.  Robespierre  s'est  déclaré  le  défenseur  des  pauvres;  il  a 
épuisé  tous  les  lieux  communs  de  la  popularité,  et  il  a  fini  par  un  accès 
de  dévotion  et  une  espèce  de  capucinade  patriotique  :  Dieu,  a-t-il  dit, 
écoute  bien  les  pauvres  indistinctement.  Pourquoi  en  seroit-il  que  vous 
n'écouteriez  pas?  Si  vous  n'imitez  pas  le  législateur  éternel,  ne  vous 
regardez  pas  comme  les  législateurs,  mais  comme  les  oppresseurs  des 
peuples;  s'appercevant  enfin  que  ses  déclamations  et  ses  injures  exci- 
toient  des  murmures  dans  la  salle;  je  me  tairai,  s'est-il  écrié,  puisque 
l'attention  de  l'assemblée  n'est  pas  proportionnée  à  l'importance  de 
l'objet. 

«  La  question  est  ajournée  au  lendemain.  » 

Le  Spectateur  national,   n°    161,   p.    688. 

«  Ces  maximes,  comme  on  le  voit,  sont  toutes  d'une  vérité  frap- 
pante et  incontestable;  cependant,  elles  ont  trouvé  d'ardens  contradic- 
teurs dans  MM.  Péthion  et  Robespierre,  ces  deux  fameux  prédica- 
teurs de  l'anarchie  qui,  faisant  consister  la  liberté  dans  l'indépendance 
populaire,  eroyent  toujours  voir  de  l'esclavage  dans  le  règne  des  loix. 
L'un  d'eux  a  demandé  l'ajournement,  en  quelque  sorte  indéfini,  du 
projet  de  décret  du  comité;  l'autre,  et  c'est  M.  Robespierre,  a  insisté 
pour  qu'il   fût  rejette  par  la  question  préalable.    » 

L'Orateur  du  Peuple,  t.  III,  2e  partie,  n°   2,  p.  31. 

«  M.  Chapelier,  dans  la  séance  d'hier,  a  présenté  un  projet  de 
décret  contre  le  droit  de  pétition...  Il  est  clair  que  c'est  contre  le 
club  des  Cordeliers  qu'est  dirigé  ce  décret.  MM.  Pétion  et  Robespierre 
ont  tonné  avec  raison  sur  les  principes  destructeurs  de  toute  liberté, 
mis  en  avant  avec  tant  d'impudence  par  le  comité  de  contre-révolution  : 
l'assemblée  n'a  rien  décrété...  » 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  317 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),    10  mai    1791. 

((  MM.  Péthion  et  Robespierre  se  sont  élevés  contre  ce  projet 
de  décret;  le  premier,  puisqu'il  faut  le  dire,  d'assez  mauvaise  grâce, 
le  second  avec  plus  de  loyauté;  le  premier  a  conclu  à  l'ajournement 
et  à  l'impression;  le  second  a  rejette  avec  indignation  toutes  ces  entraves, 
ni  l'un  ni  l'autre  n'a  été  exaucé.    » 

Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t.  VI,  n°  77,  p.  549-550. 

«  Ainsi  parle  M.  Chapelier,  et  l'assemblée  nationale  applaudit, 
et  il  n'y  a  que  Péthion  et  Robespierre  qui  prennent  la  parole  contre 
lui,  et  contre  lesquels  il  s'élève  un  murmure  d'improbation  presque 
universel,  quand  ils  lui  répondent  : 

«  Si  c'est  un  délit  de  conseiller  le  meurtre,  toute  l'assemblée 
nationale  est  coupable  de  ce  délit,  car  elle  a  fait  une  loi  de  la  résis- 
tance à  l'oppression  et  de  la  désobéissance  aux  pouvoirs  délégués  par 
le  peuple,  quand  ils  outrepassent  leur  pouvoir,  et  se  permettent  un  acte 
arbitraire.  Or,  quand  le  despotisme  en  écharpe  ou  en  épaulettes,  vient 
avec  des  bayonnettes  exécuter  un  acte  arbitraire  ou  oppressif,  comment 
voulez-vous,  je  vous  prie,  qu'on  résiste  à  l'oppression,  sans  effusion 
de  sang  ?  Et  de  qui  doit-on,  dans  de  semblables  occasions,  verser  le 
premier  sang,  sinon  de  celui  qui  a  commandé  l'acte  arbitraire,  et  qui 
préside  à  son  exécution  ?  Ainsi  nous  tous  dans  une  loi  nous  avons 
conseillé  le  meurtre  aussi  bien  que  ces  écrivains  que  M.  Chapelier 
veut  faire  pendre,  lorsqu'ils  ne  font  que  commenter  la  loi.  11  falloit 
donc  pendre  aussi  tous  les  orateurs  et  historiens  des  peuples  libres, 
qui  tous  ont  conseillé  le  meurtre,  en  certains  cas  déterminés  par  la  loi  » 
(4). 

Le  Lendemain,  t.  III,  n°   130,  p.  371. 

«  M.  Péthion  et  Robespierre  ont  combattu  ce  projet;  ils  ont  pré- 
tendu que  tout  particulier  même  devoit  jouir  du  droit  d'affiche;  mais 
ils  n'ont  été  applaudis  que  par  les  Jacobins  et  le  Palais-Royal,  et 
l'Assemblée  a  plus  d'une  fois  témoigné  son  impatience,  et  son  indi- 
gnation contre  leurs  principes. 


(4)  il/Assemblée  manifesta  en  effet  une  certaine  impatience, 
tJnsi  que  le  prouve  également  ce  passage  de  l'Ami  des  patriotes 
(t.  II,  n"  25,  p.  260):  «  ...MM.  Pétion,  Buzot  et  Robespierre  ont  été 
dans  ii/ir  minorité  énorme...  Je  raconterai  ici...  que  M.  Brissot,  en 
ie  plaignant  du  nom  <le  républicain  qu'un  donne  à  lui  et  à  ses  amis, 
dit  que  c'eut  le  mot  du  guet  dont  .les  fripons  «ont  convenus  de  se 
•servir  pour  désigner  la  maréchaussée  qui  les  dépiste...  Les  fripons 
c'est  la  majorité  de  l'assemblée,  la  maréchaussée,  MjM.  Brissot, 
Pétion,   Buzot  et  Robespierre  »  (note). 


318  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  Voyant  le  peu  d'impression  qu'ils  faisoient,  ils  demandent, 
pour  conserver  au  moins  cette  ressource  encore  quelques  jours,  l'ajourne- 
ment du  projet.  » 

La  Bouche  de  Fer,  n°  53,  p.  346. 

«  Péthion,  Robespierre,  continuez  à  résister!  vertueux  citoyens, 
couvrez  ces  esclaves  du  mépris  qu'ils  méritent  !  et  que  notre  liberté 
cesse   d'être    souillée    à   son   berceau  !    » 

Mercure  de  France,  21  mai   1791,  p.   192. 

«  S'appuyant  des  mêmes  principes  d'égalité  parfaite  et  de  liberté 
indéfinie,  M.  Roberspierre  a  déclaré  l'Assemblée  incompétente  pour 
prononcer  sur  le  droit  de  pétition.  La  fin  de  la  séance  a  prorogé  au 
lendemain   une   discussion  si   verbeuse    et   si   approfondie.    » 

Le  Courrier  des  LXXXIII  départemens ,  t.  XXIV,  n°   10,   10  mai  1791. 

«  M.  Robespierre  est  allé  plus  loin.  Il  a  soutenu  que  le  corps 
législatif  ne  pouvoit  pas  délibérer  sur  un  projet  de  loi  qui  priveroit  une 
partie  de  la  société  du  droit  de  pétition  :  ce  droit  est  inhérent,  a-t-il  dit 
à  la  liberté  individuelle,  nul  homme  ne  peut  en  être  privé.  Je  troave, 
d'ailleurs,  très-étonnant,  pour  ne  pas  dire  ridicule,  a-t-il  ajouté,  qu'on 
vous  propose  de  décréter  que  des  hommes  auront  le  droit  de  se  plaindre. 

«  L'orateur  vouloit  aussi  qu'on  rayât  le  mot  de  doléances,  qui 
n'est  pas  fait,  suivant  lui,  pour  un  peuple  libre.  La  discussion  a  été 
continuée  au  lendemain.    » 


[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  des  Débats, 
t.  XX,  n°  715,  p.  9;  La  Correspondance  nationale,  n°  25,  p.  96;  Le 
Législateur  français^  10  mai  1791,  p.  8;  Le  Journal  de  Normandie, 
n°  131,  p.  635;  Le  Jorrnal  de  Louis  XVI  et  de  son  peuple,  t.  III, 
n°  72,  p.  230;  Le  Journal  de  la  Noblesse...,  t.  II,  n°  21,  p.  33;  Le 
Courrier  extraordinaire,  10  mai  1791,  p.  6;  Le  Journal  universel,  t.  XI, 
p.  6067;  Le  Creuset,  t.  II,  n°  39,  p.  156;  Le  Courrier  du  département 
de  Vaucluse,  n°  119,  p.  475;  Le  Journal  politique  de  l'Europe,  10 
mai  1791,  p.  475;  Le  Journal  général  de  France,  10  mai  1791,  p.  518; 
Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XI,  n°  643,  p.  6; 
Chronique  de  Paris,  n°  130,  p.  520;  Le  Journal  du  Soir  (des  Frères 
Chaignieau),  t.  II,  n°  305,  p.  4.] 


les  discours  de  robespierre  319 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

282.  —  SEANCE  DU  9  MAI   1791 
Sur  la  liberté  de  la  presse 


La  séance  est  consacrée  à  un  débat  sur  la  liberté  de  la  presse 
(1).  Divers  orateurs,  outre  Robespierre,  devaient  intervenir,  dont 
Choderlos   de  Laclos   (2),    Dubois   de   Crancé    et   Duport   (3). 

Journal  de  la  Révolution,   10  mai  1791. 

«  M.  Robespierre  a  prononcé  un  discours  dans  lequel  il  a  prouvé 
de  la  manière  la  plus  lumineuse,  et  avec  cette  énergie  de  caractère 
qu'on  lui  connaît,  les  avantages  de  la  liberté  indéfinie,  et  les  inconvé- 
nients incalculables  qu'un  code  pénal  ou  toute  autre  loi  tendant  à  la 
restreindre  entraîneraient  nécessairement  (4).  Dire  et  communiquer  sa 
pensée  et  ses  opinions  est  un  droit  de  la  nature  et  un  besoin  de  l'âme. 
L'exercice  de  ce  droit  produit  une  censure  perpétuelle  et  salutaire  sur 
le  vice  (5).  C'est  du  mélange  de  l'erreur  avec  la  vérité,  c'est  de  leur 
combat  que  l'erreur  se  dissipe,  et  que  la  vérité  sort  dans  toute  sa  pureté; 
les  prévaricateurs  seuls,  les  hypocrites,  les  esclaves  et  les  méchants  la 
craignent,  et  ce  sont  eux  qui  réclament  aujourd'hui  des  entraves  contre 
la  presse.  Il  a  démontré  de  faire  à  cet  égard  une  loi  qui  n'ouvrît  pas 
le  champ  aux  plus  vastes  abus,  et  qui  fût  excusable.  Comment  déter- 
miner si  un  écrit  est  ou  non  incendiaire,  s'il  a  ou  n'a  pas  produit 
telles  émeutes  populaires  ?  Comment  démêler  la  sombre  politique  et 
les  trames  d'un  Catilina  ?  Ne  trouverait-on  pas  d'un  autre  côté,  le 
moyen  de  faire  déclarer  calomniateur  celui  qui  aurait  eu  le  courage 
de  parler  des  préparatifs  de  la  Saint-Barthelemy  ?  «  Dans  ce  moment, 
disait  M.  Robespierre,  ce  que  je  dis  ne  paraît-il  pas  un  paradoxe  per- 
pétuel à  certaines  gens,  et  à  d'autres  des  vérités?   »  (6). 


(1)  La  discussion  entamée  la  veille  à  l'Assemblée  nationale,  sur 
!;•  droit  de  pétition  posait  implicitement  la  question  de  la  liberté 
!  expression  dans  son  ensemble  et,  par  suite,  de  la  liberté  de  la 
presse. 

(2)  Choderlos  de  Laclos,  officier  d'artillerie  et  littérateur  connu 
surtout  comme  l'auteur  des  «  Liaisons  dangereuses  »  était  un  agent 
du  duc  d'Orléans.  Il  rédigeait  le  Journal  des  Amis  de  la  Consti- 
tution. Maréchal  de  camp  en  1792,  inspecteur  général  de  l'artillerie 
en  l'an  XI  à  Naples,  il  mourut  en  1803. 

(3)  Duport  a,  plus  particulièrement,  insisté  sur  le  devoir  du 
Journaliste  «  de  dénoncer  les  fautes  et  les  erreurs  des  hommes  pu- 
blics   ». 

(!)  Cf.  ci-après  séances  des  22  et  23  août  1791.  En  toute  occasion 
Robespierre  a  défendu  le  principe  de  la  liberté  de  la  presse  et  les 
journalistes   attaques  pour  leurs   écrits. 

■(5)  C'est,  également  l'idée  de  Marat  (cf.  Les  chaînes  de  l'escla- 
vage,   in-8°,    364    p.,    Paris,    B.N.    (Lb41 /294. 

(6)  Texte    reproduit    dans    Aulard,    U,    393. 


320  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Le  Lendemain,  t.  III,  n°    132,  p.  391. 

«  MM.  Roberspierre,  Laclos,  Lépidos  (7),  Dubois  de  Crancé, 
parlent  sur  la  liberté  de  la  presse;  ces  messieurs  ont  tout  perdu  si  on 
parvient  à  distinguer  la  liberté  de  la  licence  »  (8). 

DISCOURS  SUR  LA  LIBERTE  DE  LA  PRESSE 

Prononcé  à  la  Société  des  À  mis  de  la  Constitution  le  1 1   mai  1 79 1   (9) 

par  MAXIMILIEN  ROBESPIERRE, 
Député  à  l'Assemblée  Nationale  et  Membre  de  cette  Société 

MESSIEURS, 

Après  la  faculté  de  penser,  celle  de  communiquer  ses  pensées  à  ses 
semblables,  est  l'attribut  le  plus  frappant  qui  distingue  l'homme  de  la 
brute.  Elle  est  tout-à-la-fois  le  signe  de  la  vocation  immortelle  de  l'hom- 
me à  l'état  social,  le  lien,  l'âme,  l'instrument  de  la  société,  le  moyen 
unique  de  la  perfectionner,  d'atteindre  le  degré  de  puissance,  de  lu- 
mières et  de  bonheur  dont  il  est  susceptible.  0 


(7)  Lépidos  pour  Lépidor. 

(8)  Texte    reproduit    dans    Aulard,    II,    394. 

(9)  Ce  discours  a  été  prononcé  le  9  et  non  le  11  mai,  date  sous 
laquelle  il  a  été  publié  par  les  Jacobins  (in-8°,  23  p.,  Imprimerie 
nationale  s.  d.).  On  le  trouve  à  la  B.N.  (<Lb40/594);  à  la  Biblio.  de 
la  Sorbonne  i(8°  iHFr  140  et  HFr  141)  ;  et  aux  Arch.  nat.  (AD 
xvina  60).  Il  a  été  reproduit  par  iLaponneraye,  I,  201-225;  par 
Aulard,  II,  396-411,  par  Ch.  Vellay,  p.  22-42,  et  les  Editions  du 
Centaure,  op.  cit.,  p.  1  k  29.  E.  Hamel  en  donne  une  ample  analyse 
/ 1,458-465).  Il  a  été  édité  en  allemand  par  Théodore  Opitz  en  1848. 
"j.a  Correspondance  nationale  (n°  31,  p.  276  à  282)  lui  consacre  le 
31  mai  un  long  commentaire.  D'autre  part,  il  fut  lu  au  Cercle  social 
(cf.  Patriote  François,  n°  647,  p.  405).  A  propos  de  ce  discours, 
Hamel  a  mal  interprété  le  texte  suivant  de  l'Orateur  du  Peuple 
(t.  III,  n°  18,  p.  152)  :  «  M.  Robespierre  a  laissé  dans  un  fiacre 
qu'il  a  pris  à  neuf  heures  et  demie,  jeudi  12  sur  le  quai  des  Augus- 
tins,  un  manuscrit  sur  La  liberté  indéfinie  de  la  Presse  et  sur  les 
Sociétés  populaires.  Il  prie  les  bons  citoyens  qui  pourraient  en  avoir 
entendu  parler,  de  le  lui  faire  recouvrer.  Il  donnera  une  honnête 
récompense  à  ceux  qui  se  seront  donné  quelque  peine  pour  cela. 
On  s'adressera  chez  lui,  rue  de  iSaintonge,  a,u  Marais,  n°  8,  ou  bien 
chez  M.  F.  Lanthenas,  rue  Guénégaud,  Hôtel  Britannique,  faug- 
bourg  Saint-Germain.  La  dernière  partie  de  ce  manuscrit  a  été  lue 
au  Cercle  Social,  par  M.  C.  Fauchet.  On  espère  que  les  patriotes 
s'intéresseront  à  ce  qu'il  ne  soit  point  perdu  ».  Hamel  en  déduit 
qu'il  s'agit  du  manuscrit  du  discours  de  Robespierre.  En  réalité, 
c'est  celui  que  ^Lanthenas  avait  composé  sur  le  anême  sujet.  Ce  der- 
nier dut  le  récrire  d'un  bout  à  l'autre,  car  personne  ne  le  rapporta 
(cf.  Lettres  do  Mme  Roland,  édit.  Perroud,  cité  par  G.  Walter, 
p  667,  note  63).  L'incident  a  été  'reproduit  dans  Bûchez  et  Roux, 
X,   147. 


LES   DISCOURS   DÉ  ROBESPIERRE  321 

Qu'il  les  communique  par  la  parole,  par  l'écriture  ou  par  l'usage  de 
cet  art  heureux  qui  a  reculé  si  loin  les  bornes  de  son  intelligence,  et 
qui  assure  à  chaque  homme  les  moyens  de  s'entretenir  avec  le  genre 
humain  tout  entier,  le  droit  qu'il  exerce  est  toujours  le  même,  et  la 
liberté  .de  la  presse  ne  peut  être  distinguée  de  la  liberté  de  la  parole  ; 
l'une  et  l'autre  est  sacrée  comme  la  nature;  elle  est  nécessaire  comme 
la  société   même. 

Par  quelle  fatalité  les  lois  se  sont-elles  donc  presque  partout  appli- 
quées à  la  violer  ?  C'est  que  les  lois  étoient  l'ouvrage  des  despotes, 
et  que  la  liberté  de  la  presse  est  le  plus  redoutable  fléau  du  despo- 
tisme. Comment  expliquer  en  effet  le  prodige  de  plusieurs  millions 
d'hommes  opprimés  par  un  seul,  si  ce  n'est  par  la  profonde  ignorance 
et  par  la  stupide  léthargie  où  ils  sont  plongés  ?  Mais  que  tout  homme 
qui  a  conservé  le  sentiment  de  sa  dignité  puisse  dévoiler  les  vues  per- 
fides et  la  marche  tortueuse  de  la  tyrannie;  qu'il  puisse  opposer  sans 
cesse  les  droits  de  l'humanité  aux  attentats  qui  les  violent,  la  souve- 
raineté des  peuples  à  leur  avilissement  et  à  leur  misère;  que  l'innocence 
opprimée  puisse  faire  entendre  impunément  sa  voix  redoutable  et  tou- 
chante, et  la  vérité  rallier  tous  les  esprits  et  tous  les  cœurs,  aux  noms 
sacrés  de  liberté  et  de  patrie;  alors  l'ambition  trouve  partout  des  obsta- 
cles, et  le  despotisme  est  contraint  de  reculer  à  chaque  pas  ou  de  venir 
se  briser  contre  la  force  invincible  de  l'opinion  publique  et  de  la  volonté 
générale.  Aussi  voyez  avec  quelle  artificieuse  politique  les  despotes  se 
sont  ligués  contre  la  liberté  de  parler  et  d'écrire;  voyez  le  farouche 
inquisiteur  la  poursuivre  au  nom  du  ciel,  et  les  Princes  au  nom  des 
"lois  qu'ils  ont  faites  eux-mêmes  pour  protéger  leurs  crimes.  Secouons  le 
joug  des  préjugés  auxquels  ils  nous  ont  asservis,  et  apprenons  d'eux  à 
connoître  tout  le  prix  de  la  liberté  de  la  presse. 

Quelle  doit  en  être  la  mesure }  un  grand  peuple,  illustre  par  la 
conquête  récente  de  la  liberté,  répond  à  cette  question  par  son  exemple. 

Le  droit  de  communiquer  ses  pensées,  par  la  parole,  par  l'écri- 
ture ou  par  l'impression,  ne  peut  être  gêné  ni  limité  en  aucune  manière: 
voilà  les  termes  de  la  loi  que  les  Etals-Unis  d'Amérique  ont  faite 
sur  la  liberté  de  la  presse,  et  j'avoue  que  je  suis  bien  aise  de  pouvoir 
présenter  mon  opinion,  sous  de  pareils  auspices,  à  ceux  qui  auroient  été 
tentés  de  la  trouver  extraordinaire  ou  exagérée  (10). 

La  liberté  de  la  presse  doit  être  entière  et  indéfinie,  ou  elle  n'existe 
pas.  Je  ne  vois  que  deux  moyens  de  la  modifier,  l'un  d'en  assujétir 
l'usage  à  de  certaines  restrictions  et  à  de  certaines  formalités,  l'autre 
d'en  réprimer  l'abus  par  des  lois  pénales;  l'un  et  l'autre  de  ces  deux 
objets  exige  la  plus  sérieuse  attention. 

D'abord  il  est  évident  que  le  premier  est  inadmissible,   car  cha- 


(10)  Cf.  Discoure...  lro  partie,  p.  61. 

Vioni.M-H.nhr 


322  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

cun  sait  que  les  lois  sont  faites  pour  assurer  à  l'homme  le  libre  déve- 
loppement de  ses  facultés,  et  non  pour  les  enchaîner;  que  leur  pouvoir 
se   borne   à  défendre   à   chacun  de   nuire  aux   droits  d'autrui,    sans   lui 
interdire   l'exercice   des   siens.    Il   n'est   plus   nécessaire   aujourd'hui  de 
répondre  à  ceux  qui  voudroient  donner  des  entraves  à  la  presse,   sous 
le  prétexte  de  prévenir  les  abus  qu'elle  peut  produire.  Priver  un  homme 
des  moyens  que  la  nature  et  l'art  ont  mis  en  son  pouvoir  de  commu- 
niquer ses  sentiments  et  ses  idées,  pour  empêcher  qu'il  n'en  fasse  un 
mauvais  usage,  ou  bien  enchaîner  sa  langue  de  peur  qu'il  ne  calomnie, 
ou  lier  ses  bras  de  peur  qu'il  ne  les  tourne  contre  ses  semblables,  tout 
le  monde  voit  que  ce  sont  là  des  absurdités  du  même  genre,  que  cette 
méthode  est  tout  simplement  le  secret  du  despotisme  qui,  pour  rendre 
les   hommes    sages   et   paisibles,    ne   connoît   pas   de    meilleurs    moyens 
que  d'en  faire  des  instruments  passifs  ou  de  vils  automates.  Eh  !  quelles 
seroient  les  formalités  auxquelles  vous  soumettriez  le  droit  de  manifester 
ses   pensées?    Défendrez- vous    aux    citoyens   de    posséder    des    presses, 
pour  faire  d'un  bienfait  commun  à  l'humanité  entière,  le  patrimoine  de 
quelques  mercenaires  ?  donnerez-vous  ou  vendrez-vous  aux  uns  le  privi- 
lège exclusif  de  disserter  périodiquement  sur  des  objets  de  littérature, 
aux   autres   celui    de   parler    de   politique    et   des   événements   publics  ? 
Décréterez-vous  que  les  hommes  ne  pourront  donner  l'essor  à  leurs  op'- 
nions,    si   elles   n'ont   obtenu   le   passeport    d'un   officier   de   police,    ou 
qu'ils  ne  penseront  qu'avec  l'approbation  d'un  censeur,   et  par  permis- 
sion du  gouvernement  ?  tels  sont  en  effet  les  chefs  d'oeuvres  qu'enfanta 
l'absurde  manie  de  donner  des  lois  à  la  presse:  mais  l'opinion  publique 
et  la  volonté  générale  de  la  nation  ont  proscrit,  depuis  long-temps,  ces 
infâmes  usages.   Je  ne  vois  en  ce  genre  qu'une  idée  qui  semble  avoir 
surnagé  ;   c'est   celle   de  proscrire   toute   espèce  d'écrit  qui   ne  porteroit 
point  le  nom  de  l'auteur  ou  de  l'imprimeur,  et  de  rendre  ceux-ci  respon- 
sables; mais  comme  cette  question  est  liée  à  la  seconde  partie  de  notre 
discussion,   c'est-à-dire  à  la  théorie  des  lois  pénales  sur  la  presse,   elle 
se  trouvera  résolue  par  les  principes  que  nous  allons  établir  sur  ce  point. 
Peut-on   établir  des  peines   contre   ce   qu'on   appelle   l'abus  de   la 
presse  ?   dans  quels   cas   ces  peines   pourroient-elles   avoir   lieu  ">   Voilà 
de  grandes  questions  qu'il  faut  résoudre,  et  peut-être  la  partie  la  plus 
importante  de   notre   code   constitutionnel. 

La  liberté  d'écrire  peut  s'exercer  sur  deux  objets,  les  choses  et  les 
personnes. 

Le  premier  de  ces  objets  renferme  tout  ce  qui  touche  aux  plus 
grands  intérêts  de  l'homme  et  de  la  société,  tels  que  la  morale,  la 
législation,  la  politique,  la  religion.  Or  les  lois  ne  peuvent  jamais 
punir  aucun  homme,  pour  avoir  manifesté  ses  opinions  sur  toutes  ces 
choses.  C'est  par  la  libre  et  mutuelle  communication  de  ses  pensées, 
que  l'homme  perfectionne  ses  facultés,  s'éclaire  sur  ses  droits,  et  s'élève 
au  degré  de  vertu,  de  grandeur,  de  félicité,  auquel  la  nature  lui  per- 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  323 

met  d'atteindre.  Mais  cette  communication,  comment  peut-elle  se  faire, 
si  ce  n'est  de  la  manière  que  la  nature  même  l'a  permise  ?  Or  c'est 
la  nature  même,  qui  veut  que  les  pensées  de  chaque  homme  soient  !e 
résultat  de  son  caractère  et  de  son  esprit,  et  c'est  elle  qui  a  créé  cette 
prodigieuse  diversité  des  esprits  et  des  caractères.  La  liberté  de  publier 
son  opinion  ne  peut  donc  être  autre  chose  que  la  liberté  de  publier 
toutes  les  opinions  contraires.  Il  faut,  ou  que  vous  lui  donniez  cette 
étendue,  ou  que  vous  trouviez  le  moyen  de  faire  que  la  vérité  sorte 
d'abord  toute  pure  et  toute  nue  de  chaque  tête  humaine.  Elle  ne  peut 
sortir  que  du  combat  de  toutes  les  idées  vraies  ou  fausses,  absurdes  ou 
raisonnables.  C'est  dans  ce  mélange,  que  la  raison  commune,  la  faculté 
donnée  à  l'homme  de  discerner  le  bien  et  le  mal,  s'exerce  à  choisir 
les  unes,  à  rejeter  les  autres.  Voulez- vous  ôter  à  vos  semblables  l'usage 
de  cette  faculté,  pour  y  susbstituer  votre  autorité  particulière  ?  Mais 
quelle  main  tracera  la  ligne  de  démarcation  qui  sépare  l'erreur  de  la 
vérité  ?  Si  ceux  qui  font  les  lois  ou  ceux  qui  les  appliquent,  étoient  des. 
êtres  d'une  intelligence  supérieure  à  l'intelligence  humaine,  ils  pour- 
roient  exercer  cet  empire  sur  les  pensées  :  mais  s'ils  ne  sont  que  des 
hommes,  s'il  est  absurde  que  la  raison  d'un  homme  soit,  pour  ainsi  dire, 
souveraine  de  la  raison  de  tous  les  autres  hommes,  toute  loi  pénale  con- 
tre la  manifestation  des  opinions  n'est  qu'une  absurdité. 

Elle  renverse  les  premiers  principes  de  la  liberté  civile,  et  les  plus 
simples  notions  de  l'ordre  social.  En  effet,  c'est  un  principe  incontes- 
table que  la  loi  ne  peut  infliger  aucune  peine  là  où  il  ne  peut  y  avoir 
un  délit  susceptible  d'être  caractérisé  avec  précision,  et  reconnu  avec 
certitude;  sinon  la  destinée  des  citoyens  est  soumise  aux  jugemens  arbi- 
traires et  la  liberté  n'est  plus.  Les  lois  peuvent  atteindre  les  actions 
criminelles  parce  qu'elles  consistent  en  faits  sensibles,  qui  peuvent 
être  clairement  définis  et  constatés  suivant  des  règles  sûres  et  cons- 
tantes :  mais  les  opinions  !  leur  caractère  bon  ou  mauvais  ne  peut  être 
déterminé  que  par  des  rapports  plus  ou  moins  compliqués  avec  des  prin- 
cipes de  raison,  de  justice,  souvent  même  avec  une  foule  de  circonstances 
particulières  Me  dénonce-t-on  un  vol,  un  meurtre;  j'ai  l'idée  d'un 
acte  dont  la  définition  est  simple  et  fixée,  j'interroge  des  témoins. 
Mais  on  me  parle  d'un  écrit  incendiaire,  dangereux,  séditieux;  qu'est-ce 
qu'un  écrit  incendiaire,  dangereux,  séditieux  ?  Ces  qualifications  peu- 
vent-elles s'appliquer  à  celui  qu'on  me  présente  ?  je  vois  naître  ici 
une  foule  de  questions  qui  seront  abandonnées  à  toute  l'incertitude  des 
opinions;  je  ne  trouve  plus  ni  fait,  ni  témoins,  ni  loi,  ni  juge;  je  n'ap- 
perçois  qu'une  dénonciation  vague,  des  arguments,  des  décisions  arbi- 
traires. L'un  trouvera  le  crime  dans  la  chose,  l'autre  dans  l'intention 
un  troisième  dans  le  style.  Celui-ci  méconnoitra  la  vérité;  celui-là  la 
condamnera  en  connoissance  de  cause;  un  autre  voudra  punir  la  véhé- 
mence de  son*  langage,  le  moment  même  qu'elle  aura  choisi  pour  faire 
entendre  sa  voix.  Le  même  écrit  qui  paraîtra  utile  et  sage  à  l'homme 


324  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

ardent  et  courageux,  sera  proscrit  comme  incendiaire  par  l'homme  froid 
et  pusillanime;  l'esclave  ou  le  despote  ne  verra  qu'un  extravagant  ou 
un  factieux  où  l'homme  libre  reconnoît  un  citoyen  vertueux.  Le  même 
écrivain  trouvera,  suivant  la  différence  des  tems  et  des  lieux,  des 
éloges  ou  des  persécutions,  des  statues  ou  un  échafaud.  Les  hommes 
illustres,  dont  le  génie  a  préparé  cette  glorieuse  révolution  sont  enfin 
placés,  par  nous,  au  rang  des  bienfaiteurs  de  l'humanité  :  qu'étoient-ils 
durant  leur  vie  aux  yeux  des  gouvernements?  des  novateurs  dangereux, 
j  ai  presque  dit  des  rebelles.  Est-il  bien  loin  de  nous  le  tems  où  les' 
principes  mêmes  que  nous  avons  consacrés  auroient  été  condamnés 
comme  des  maximes  criminelles  par  ces  mêmes  tribunaux  que  nous  avons 
détruits  ?  Que  dis-je  !  aujourd'hui  même,  chacun  de  nous  ne  paroît-il 
pas  un  homme  différent  aux  yeux  des  divers  partis  qui  divisent  l'Etat, 
et  dans  ces  lieux  mêmes,  au  moment  où  je  parle,  l'opinion  que  je  pro- 
pose ne  paroît-elle  pas  aux  uns  un  paradoxe,  aux  autres  une  vérité  ?  ne 
trouve-t-elle  pas  ici  des  applaudissemens,  et  là,  presque  des  murmures  ? 
Or,  que  deviendroit  la  liberté  de  la  presse,  si  chacun  ne  pouvoit 
l'exercer  qu'à  peine  de  voir  son  repos  et  ses  droits  les  plus  sacrés  livrés 
à  tous  les  préjugés,  à  toutes  les  passions,  à  tous  les  intérêts  ! 

Mais  ce  qu'il  importe  sur-tout  de  bien  observer,  c'est  que  toute 
peine  décernée  contre  les  écrits,  sous  le  prétexte  de  réprimer  l'abus  de 
la  presse,  tourne  entièrement  au  désavantage  de  la  vérité  et  de  la  vertu, 
et  au  profit  du  vice,  de  l'erreur  et  du  despotisme. 

L'homme  de  génie  qui  révèle  de  grandes  vérités  à  ses  semblables, 
est  celui  qui  a  devancé  l'opinion  de  son  siècle  :  la  nouveauté  hardie 
de  ses  conceptions  effarouche  toujours  leur  foiblesse  et  leur  ignorance  ; 
toujours  les  préjugés  se  ligueront  avec  l'envie,  pour  le  peindre  sous  des 
traits  odieux  ou  ridicules.  C'est  pour  cela  précisément  que  le  partage 
des  grands  hommes  fut  constamment  l'ingratitude  de  leurs  contemporains, 
et  les  hommages  tardifs  de  la  postérité;  c'est  pour  cela  que  la  supersti- 
tion jeta  Galilée  dans  les  fers  et  bannit  Descartes  de  sa  patrie.  Quel 
sera  donc  le  sort  de  ceux  qui,  inspirés  par  le  génie  de  la  liberté,  vien- 
dront parler  des  droits  et  de  la  dignité  de  l'homme  à  des  peuples  qui 
les  ignorent  ?  Ils  alarment  presqu'également  et  les  tyrans  qu'ils  démas- 
quent, et  les  esclaves  qu'ils  veulent  éclairer.  Avec  quelle  facilité  les 
premiers  n'abuseroient-ils  pas  de  cette  disposition  des  esprits,  pour  les 
persécuter  au  nom  des  lois  !  Rappelez-vous  pourquoi,  pour  qui  s'ou- 
vroient,  parmi  vous,  les  cachots  du  despotisme;  contre  qui  étoit  dirigé 
le  glaive  même  des  tribunaux.  La  persécution  épargna-t-elle  l'éloquent 
et  vertueux  philosophe  de  Genève?  il  est  mort;  une  grande  révolution 
laissoit,  pour  quelques  momens  du  moins,  respirer  la  vérité,  vous  lui 
avez  décerné  une  statue;  vous  avez  honoré  et  secouru  sa  veuve  au  nom 
de  la  patrie,  je  ne  conclurai  pas  même  de  ces  hommages,  que,  vivant 
et  placé  sur  le  théâtre  où  son  génie  devoit  l'appeler,  il  n'essuyât  pas 
au  moins  le  reproche  si  banal  d'homme  morose  et  exagéré. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  325 

S'il  est  vrai  que  le  courage  des  écrivains  dévoués  à  la  cause  de  la 
justice  et  de  l'humanité,  soit  la  terreur  de  l'intrigue  et  de  l'ambition 
des  hommes  en  autorité;  il  faut  bien  que  les  lois  contre  la  presse  de- 
viennent entre  les  mains  de  ces  derniers  une  arme  terrible  contre  la  liberté 
(II).  Mais  tandis  qu'ils  poursuivront  ses  défenseurs,  comme  des  pertu- 
bateurs  de  l'ordre  public,  et  comme  des  ennemis  de  l'autorité  légitime, 
vous  les  verrez  caresser,  encourager,  soudoyer  ces  écrivains  dangereux, 
ces  vils  professeurs  de  mensonge  et  de  servitude,  dont  la  funeste  doc- 
trine, empoisonnant  dans  sa  source  la  félicité  des  siècles,  perpétue  sur 
la  terre  les  lâches  préjugés  des  peuples  et  la  puissance  monstrueuse  des 
tyrans,  les  seuls  dignes  du  titre  de  rebelles,  puisqu'ils  osent  lever  l'éten- 
dard contre  la  souveraineté  des  nations,  et  contre  la  puissance  sacrée 
de  'a  nature.  Vous  les  verrez  encore  favoriser,  de  tout  leur  pouvoir, 
toutes  ces  productions  licencieuses  qui  altèrent  les  principes  de  la  mo- 
rale, corrompent  les  mœurs,  énervent  le  courage  et  détournent  les  peuples 
du  soin  de  la  chose  publique,  par  l'appât  des  amusemens  frivoles,  ou 
par  les  charmes  empoisonnés  de  la  volupté  (12).  C'est  ainsi  que  toute 
entrave  mise  à  la  liberté  de  la  presse  est  entre  leurs  mains  un  moyen 
de  diriger  l'opinion  publique  au  gré  de  leur  intérêt  personnel,  et  de 
fonder  leur  empire  sur  l'ignorance  et  sur  la  dépravation  générale.  La 
presse  libre  est  la  gardienne  de  !a  liberté;  la  presse  gênée  en  est  le 
fléau.  Ce  sont  les  précautions  mêmes  que  vous  prenez  contre  ses  abus, 
qui  les  produisent  presaue  tous;  ce  sont  ces  précautions  qui  vous  en 
ôtent  tous  les  heureux  fruits,  pour  ne  vous  en  laisser  que  les  poisons. 
Ce  sont  ces  entraves  qui  produisent  ou  une  timidité  servile,  ou  une  au- 
dace extrême.  Ce  n'est  que  sous  les  auspices  de  la  liberté  que  îa  raison 
s'exprime  avec  le  courage  et  avec  le  calme  qui  la  caractérisent.  C'est 
à  elles  encore  que  sont  dus  les  succès  des  écrits  licencieux,  parce  que 
l'opinion  y  met  un  prix  proportionné  aux  obstacles  qu'ils  ont  franchis, 
et  à  la  haine  qu'inspire  le  despotisme  qui  veut  maîtriser  jusqu'à  la  pen- 
sée. Otez-lui  ce  mobile,  elle  les  jugera  avec  une  sévère  impartialité, 
et  les  écrivains  dont  elle  est  la  souveraine  ne  brigueront  ses  faveurs 
que  par  des  travaux  utiles:  ou  plutôt  soyez  libres;  avec  la  liberté  vien- 
dront toutes  les  vertus,  et  les  écrits  que  la  presse  mettra  au  jour,  seront 
purs,  graves  et  sains  comme  vos  moeurs. 

Mais  pourquoi  prendre  tant  de  soin  pour  troubler  l'ordre  que  la 
nature  établissoit  d'elle-même  ?  Ne  voyez-vous  pas  que,  par  le  cours 
nécessaire  des  choses,  le  tems  amène  la  proscription  de  l'erreur  et  le 
triomphe  de  la  vérité  ?  laissez  aux  opinions  bonnes  ou  mauvaises  un  essor 
également  libre,  puisque  les  premières  seulement  sont  destinées  à  rester. 
Avez- vous  plus  de  confiance  dans  l'autorité,  dans  la  vertu  de  quelques 

(11)  Allusion  aux  poursuites  qu'ont  dft  subir  les  journalistes  pa- 
triotes,  dont   Camille   Desmoulins,   et  plus  particulièrement  Marat. 

(12)  Robespierre  interviendra  le  7  juillet  1791  à  propos  de  l'expo- 
sition et  <\n  la  vente  dos  images  obcènes. 


326  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

hommes,  intéressés  à  arrêter  la  marche  de  l'esprit  humain,  que  dans  la 
nature  même  ?  elle  seule  a  pourvu  aux  inconvéniens  que  vous  redoutez; 
ce  sont  les  hommes  qui  les  feront  naître. 

L'opinion  publique,  voilà  le  seul  juge  compétent  des  opinions  pri- 
vées, le  seul  censeur  légitime  des  écrits.  Si  elle  les  approuve,  de  que! 
droit,  vous,  hommes  en  place,  pouvez-vous  les  condamner  ?  si  elle  les 
condamne,  quelle  nécessité  pour  vous  de  les  poursuivre  ?  si  après  Ips 
avoir  d'abord  improuvés,  elle  doit,  éclairée  par  le  tems  et  par  la 
réflexion,  les  adopter  tôt  ou  tard,  pourquoi  vous  opposez-vous  aux  pro- 
grès des  lumières  ?  comment  osez-vous  arrêter  ce  commerce  de  la  pen- 
sée, que  chaque  homme  a  le  droit  d'entretenir  avec  tous  les  esprits, 
avec  le  genre  humain  tout  entier  ?  l'empire  de  l'opinion  publique  sur 
les  opinions  particulières  est  doux,  salutaire,  naturel,  irrésistible;  celui 
de  i 'autorité  et  de  la  force  est  nécessairement  tyrannique,  odieux, 
absurde,   monstrueux. 

A  ces  principes  éternels,  quels  sophismes  objectent  les  ennemis  de 
la  liberté?  la  soumission  aux  lois;  il  ne  faut  point  permettre  d'écrire 
contre  les  lois. 

Obéir  aux  lois  est  le  devoir  de  tout  citoyen  :  publier  librement 
ses  pensées  sur  les  vices  ou  sur  la  bonté  des  lois,  est  le  droit  de  tout 
homme  et  l'intérêt  de  la  société  entière;  c'est  le  plus  digne  et  le  plus 
salutaire  usage  que  l'homme  puisse  faire  de  sa  raison;  c'est  le  plus 
saint  des  devoirs  que  puisse  remplir,  envers  les  autres  hommes,  celui 
qui  est  doué  des  talens  nécessaires  pour  les  éclairer.  Les  lois,  que  sont- 
elles  ?  l'expression  libre  de  la  volonté  générale,  plus  ou  moins  conforme 
aux  droits  et  à  l'intérêt  des  nations,  selon  le  degré  de  conformité 
qu'elles  ont  aux  lois  éternelles  de  la  raison,  de  la  justice  et  de  la  nature. 
Chaque  citoyen  a  sa  part  et  son  intérêt  dans  cette  volonté  générale;  il 
peut  donc,  il  doit  même  déployer  tout  ce  qu'il  a  de  lumières  et  d'éner- 
gie pour  l'éclairer,  pour  la  réformer,  pour  la  perfectionner.  Comme  dans 
une  société  particulière,  chaque  associé  a  le  droit  d'engager  ses  co- 
associés à  changer  les  conventions  qu'ils  ont  faites,  et  les  spéculations 
qu'ils  ont  adoptées  pour  la  prospérité  de  leurs  entreprises;  ainsi,  dans 
la  grande  société  politique,  chaque  membre  peut  faire  tout  ce  qui  est 
en  lui,  pour  déterminer  les  autres  membres  de  la  cité  à  adopter  les  dispo- 
sitions qui  lui  paroissent  les  plus  conformes  à  l'avantage  commun. 

S'il  en  est  ainsi  des  lois  qui  émanent  de  la  société  elle-même, 
que  faudra-t-il  penser  de  celles  qu'elle  n'a  point  faites,  de  celles  qui 
ne  sont  que  la  volonté  de  quelques  hommes,  et  l'ouvrage  du  despotisme  7 
c'est  lui  qui  inventa  cette  maxime  qu'on  ose  répéter  encore  aujourd'hui 
pour  consacrer  ses  forfaits  ?  Que  dis-je  ?  avant  la  révolution  même,  nous 
jouissions,  jusqu'à  un  certain  point,  de  la  liberté  de  disserter  et  d'écrire 
sur  les  lois.  Sûr  de  son  empire,  et  plein  de  confiance  dans  ses  forces, 
le  despotisme  n'osoit  p^int  contester  ce  droit  à  la  philosophie,  aussi 
ouvertement  que   ces  modernes   Machiavels,   qui   tremblent   toujours   de 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  327 

voir  leur  charlatanisme  anticivique  dévoilé  par  ta  liberté  entière  des 
opinions.  Du  moins  faudra-t-il  qu'ils  conviennent  que,  si  leurs  prin- 
cipes avoient  été  suivis,  les  lois  ne  seroient  encore,  pour  nous,  que  des 
chaînes  destinées  à  attacher  les  nations  au  joug  de  quelques  tyrans, 
et  qu'au  moment  où  je  parle,  nous  n'aurons  pas  même  le  droit  d'agiter 
cette  question. 

Mais,  pour  obtenir  cette  loi  tant  désirée  contre  la  liberté  on  pré- 
sente l'idée  que  je  viens  de  repousser,  sous  les  termes  les  plus  propres 
même  à  réveiller  les  préjugés,  et  à  inquiéter  le  zèle  pusillanime  et  peu 
éclairé  :  car,  comme  une  pareille  loi  est  nécessairement  arbitraire  dans 
l'exécution,  comme  la  liberté  des  opinions  est  anéantie  dès  qu'elle 
n  existe  point  entière,  il  suffit  aux  ennemis  de  la  liberté  d'en  obtenir 
une,  quelle  qu'elle  soit.  On  vous  parlera  donc  d'écrits  qui  excitent  les 
peuples  à  la  révolte,  qui  conseillent  la  désobéissance  aux  lois;  on  vous 
demandera  une  loi  pénale  pour  ces  écrits-là.  Ne  prenons  point  le  chan- 
ge; et  attachons-nous  toujours  à  la  chose,  sans  nous  laisser  séduire  par 
les  mots.  Croyez-vous,  d'abord,  qu'un  écrit  plein  de  raison  et  d'éner- 
gie, qui  démontreroit  qu'une  loi  est  funeste  à  la  liberté  et  au  salut  pu- 
blic, ne  produiroît  pas  une  impression  plus  profonde  que  celui  qui, 
dénué  de  force  et  de  rai°on,  ne  contiendrait  que  des  déclamations  contre 
cette  loi,  ou  le  conseil  de  ne  point  la  respecter  ?  Non  sans  doute.  S'il 
est  permis  de  décerner  des  peines  contre  ces  derniers  écrits,  une  raison 
plus  impérieuse  encore  les  provoquerait  donc  contre  les  autres,  et  le 
résultat  de  ce  système  seroit,  en  dernière  analyse,  l'anéantissement  de 
la  liberté  de  la  presse,  et  non  les  formes.  Mais  voyons  les  objets  tels 
qu'ils  sont  avec  les  yeux  de  la  raison,  et  non  avec  ceux  des  préjugés 
que  le  despotisme  a  accrédités.  Ne  croyons  pas  que,  dans  un  état  libre, 
ni  même  dans  aucun  état,  des  écrits  remuent  si  facilement  les  citoyens, 
et  les  portent  à  renverser  un  ordre  de  choses  cimenté  par  l'habitude, 
par  tous  les  rapports  sociaux,  et  protégé  par  la  force  publique.  En 
général,  c'est  par  une  action  lente  et  progressive  qu'ils  influent  sur  la 
conduite  des  hommes.  C'est  le  tems,  c'est  la  raison  qui  détermine  cette 
influence.  Ou  bien  ils  sont  contraires  à  l'opinion  et  à  l'intérêt  du  plus 
grand  nombre  et  alors  ils  sont  impuissants;  ils  excitent  même  le  blâme 
et  le  mépris  public,  et.  tout  reste  calme  :  ou  bien  ils  expriment  le  vœu 
général  et  ne  font  qu'éveiller  l'opinion  publique  :  qui  oscroit  les  regar- 
der comme  des  crimes  ?  Analysez  bien  tous  ces  prétextes,  toutes  ces 
déclamations  contre  ce  que  quelques-uns  appellent  écrits  incendiaires, 
et  vous  verrez  qu'elles  cachent  le  dessein  de  calomnier  le  peuple,  pour 
l'opprimer  et  pour  anéantir  la  liberté  dont  il  est  le  seul  appui,  vous  verrez 
qu'elles  supposent  d'une  part  une  profonde  ignorance  des  hommes,  de 
l'autre  un  profond  mépris  de  la  partie  de  la  nation  la  plus  nombreuse 
et  la  moins  corrompue. 

Cependant,  comme  il  faut  absolument  un  prétexte  de  soumettre 
la  presse  aux  poursuites  de   l'autorité,   on  nous  dit  :   Mais,   si   un   écrit 


328  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

a  provoqué  des  délits,  une  émeute,  par  exemple,  ne  punira-t-on  pas 
cet  écrit?  Donnez-nous  au  moins  une  loi  pour  ce  cas  là.  Il  est  facile, 
sans  doute,  de  présenter  une  hypothèse  particulière,  capable  d'effrayer 
l'imagination,  mais  il  faut  von  la  chose  sous  des  rapports  plus  étendus. 
Considérez  combien  il  seroit  facile  de  rapporter  une  émeute,  un  délit 
quelconque,  à  un  écrit  qui  n'en  seroit  cependant  point  la  véritable 
cause  ;  combien  il  est  difficile  de  distinguer  si  les  événements  qui 
arrivent  dans  un  tems  postérieur  à  la  date  d'un  écrit  en  sont  véritablement 
l'effet;  comment  sous  ce  prétexte,  il  seroit  facile  aux  hommes  en  auto- 
rité, de  poursuivre  tous  ceux  qui  auroient  exercé  avec  énergie  le  droit 
de  publier  leur  opinion  sur  la  chose  publique,  ou  sur  les  hommes  qui 
gouvernent  Observez,  sur-tout,  que,  dans  aucun  cas,  l'ordre  social  ne 
peut  être  compromis  par  l'impunité  d'un  écrit  qui  auroit  conseillé  un 
délit. 

Pour  que  cet  écrit  fasse  quelque  mal,  il  faut  qu'il  se  trouve  un 
homme  qui  commette  le  délit.  Or  les  peines  que  la  loi  prononce  contre 
ce  délit  sont  un  frein  pour  quiconque  seroit  tenté  de  s'en  rendre  cou- 
pable; et,  dans  ce  cas  là  comme  dans  les  autres,  la  sûreté  publique  est 
suffisamment  garantie,  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  chercher  une  autre 
victime.  Le  but  et  la  mesure  des  peines  est  l'intérêt  de  la  société.  Par 
conséquent,  s'il  importe  plus  à  la  société  de  ne  laisser  aucun  prétexte 
d'attenter  arbitrairement  à  la  liberté  de  la  presse,  que  d'envelopper 
dans  le  châtiment  du  coupable  un  écrivain  repréhensible,  il  faut  renon- 
cer à  cet  acte  de  rigueur,  il  faut  jeter  un  voile  sur  toutes  ces  hypothèses 
extraordinaires  qu'on  se  plaît  à  imaginer,  pour  conserver,  dans  toute 
son   intégrité,   un  principe  qui   est  la  première  base  du  bonheur   social. 

Cependant,  s'il  étoit  prouvé  d'ailleurs  que  l'auteur  d'un  semblable 
écrit  fût  complice,  il  faudroit  le  punir  comme  tel,  de  la  peine  infligée 
au  crime  dont  il  seroit  question,  mais  non  le  poursuivre  comme  auteur 
d'un  écrit,  en  vertu  d'aucune  loi  sur  la  presse. 

J'ai  prouvé  jusqu'ici  que  la  liberté  d'écrire  sur  les  choses  doit  être 
illimitée  :  envisageons-la  maintenant  par  rapport  aux  personnes. 

Je  distingue  à  cet  égard  les  personnes  publiques  et  les  personnes 
privées;  et  je  me  propose  cette  question;  les  écrits  qui  inculpent  les 
personnes  publiques,  peuvent-ils  être  punis  par  les  lois  ?  C'est  l'intérêt 
général  qui  doit  la  décider.  Pesons  donc  les  avantages  et  les  inconvé- 
niens  des  deux  systèmes  contraires. 

Une  importante  considération,  et  peut-être  une  raison  décisive,  se 
présente  d'abord.  Quel  est  le  principal  avantage,  quel  est  le  but  essen- 
tiel de  la  liberté  de  la  presse  }  C'est  de  contenir  l'ambition  et  le  despo- 
tisme de  ceux  à  qui  le  peuple  a  commis  son  autorité,  en  éveillant  sans 
cesse  son  attention  sur  les  atteintes  qu'ils  peuvent  porter  à  ses  droits. 
Or,  si  vous  leur  laissez  le  pouvoir  de  poursuivre  sous  le  prétexte  de 
calomnie,  ceux  qui  oseront  blâmer  leur  conduite,  n'est-iî  pas  clair  que 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  329 

ce  frein  devient  absolument  impuissant  et  nul  ?  qui  ne  voit  combien 
le  combat  est  inégal  entre  un  citoyen  foible,  isolé,  et  un  adversaire  armé 
des  ressources  immenses  que  donne  un  grand  crédit  et  une  grande  auto- 
rité ?  qui  voudra  déplaire  aux  ihommes  puissans,  pour  servir  le  peuple, 
s'il  faut  qu'au  sacrifice  des  avantages  que  présente  leur  faveur,  et  au 
danger  de  leurs  persécutions  secrètes,  se  joigne  encore  le  malheur 
presqu'inévitable  d'une   condamnation  ruineuse   et  humiliante  ? 

Mais,  d'ailleurs,  qui  jugera  les  juges  eux-mêmes  ?  car,  enfin,  il 
faut  bien  que  leurs  prévarications  ou  leurs  erreurs  ressortissent,  comme 
celles  des  autres  magistrats,  au  tribunal  de  la  censure  publique.  Qui 
jugera  le  dernier  jugement,  qui  décidera  ces  contestations  ?  car  il  faut 
qu'il  y  en  ait  un  qui  soit  le  dernier;  il  faut  aussi  qu'il  soit  soumis  à 
la  liberté  des  opinions.  Concluons  qu'il  faut  toujours  revenir  au  prin- 
cipe, que  les  citoyens  doivent  avoir  la  faculté  de  s'expliquer  et  d'écrire 
sur  la  conduite  des  hommes  publics,  sans  être  exposés  à  aucune  condam- 
nation légale. 

Attendrai-je  des  preuves  juridiques  de  la  conjuration  de  Catilina  ? 
et  n'oserai-je  la  dénoncer  au  moment  où  il  faudroit  déjà  l'avoir  étouf- 
fée ?  Comment  oserois-je  dévoiler  les  desseins  perfides  de  tous  ces  chefs 
de  parti,  qui  s'apprêtent  à  déchirer  le  sein  de  la  république,  qui  tous 
se  couvrent  du  voile  du  bien  public  et  de  l'intérêt  du  peuple,  et  qui  ne 
cherchent  qu'à  l'asservir  et  le  vendre  au  despotisme  ?  comment  vous 
développerai-je  la  politique  ténébreuse  de  Tibère  ^  Comment  les  aver- 
tirai-je  que  ces  pompeux  dehors  de  vertus  dont  il  s'es1-  tout  à  coup 
revêtu,  ne  cachent  que  le  dessein  de  consommer  plus  sûrement  ceîte 
terrible  conspiration  qu'il  trame  depuis  long-temps  contre  le  saluf  de 
Rome  ?  Eh  !  devant  quel  tribunal  voulez-vous  que  je  lutte  contre  lui  ? 
Sera-ce  devant  le  Préteur  ?  Mais  s'il  est  enchaîné  par  la  crainte,  ou  sé- 
duit par  l'intérêt?  Sera-ce  devant  les  Ediles?  mais  s'ils  sont  soumis 
à  son  autorite,  s'ils  sont  à  la  fois  ses  esclaves  et  ses  complices  ?  sera-ce 
devant  le  Sénat  ?  mais  si  le  sénat  lui-même  est  trompé  ou  asservi  ?  enfin 
si  le  salut  de  la  patrie  exige  que  j'ouvre  les  yeux  à  mes  concitoye  îs 
sur  !a  conduite  même  du  sénat,  du  Préteur  et  des  Ediles,  qui  jugera 
entr'eux  et  moi  ? 

Mais  une  autre  raison  sans  réplique  semble  achever  de  mettre 
cette  vérité  dans  tout  son  jour.  Rendre  les  citoyens  responsables  de  ce 
qu'ils  peuvent  écrire  contre  les  personnes  publiques,  ce  seroit  nécessai- 
rement supposer  qu'il  ne  leur  seroit  pas  permis  de  les  blâmer,  sans 
pouvoir  appuyer  leurs  inculpations  par  des  preuves  juridiques.  Or,  qui 
ne  voit  pas  combien  une  pareille  supposition  répugne  à  la  nature  même 
de  la  chose,  et  aux  premiers  principes  de  l'intérêt  social  ?  Qui  ne  sait 
combien  il  est  difficile  de  se  procurer  de  pareilles  preuves;  combien 
il  est  facile  au  contraire  à  ceux  qui  gouvernent,  d'envelopper  leurs  pro- 
jets ambitieux  des  voiles  du  mystère,  de  les  couvrir  même  du  prétexte 
spécieux  du  bien  public  ?  N'est-ce  pas  même  là  la  politique  ordinaire 


330  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

des  plus  dangereux  ennemis  de  la  patrie  ?  Ainsi  ce  seroit  ceux  qu'il 
importerait  le  plus  de  surveiller,  qui  échapperoient  à  la  surveillance  de 
leurs  concitoyens.  Tandis  que  l'on  chercheroit  les  preuves  exigées  pour 
avertir  de  leurs  funestes  machinations,  elles  seroient  déjà  exécutées,  et 
1  Etat  périroit  avant  que  l'on  eût  osé  dire  qu'il  étoit  en  péril.  Non, 
dans  tout  état  libre  chaque  citoyen  est  une  sentinelle  de  la  liberté  qui 
doit  crier,  au  moindre  bruit,  à  la  moindre  apparence  du  danger  qui  la 
menace.  Tous  les  peuples  qui  l'ont  connue  n'ont-ils  pas  craint  pour 
elle,  jusqu'à  l'ascendant  même  de  la  vertu  ? 

Aristide  banni  par  l'ostracisme,  n'accusoit  pas  cette  jalousie  om- 
brageuse qui  l'envoyoit  à  un  glorieux  exil.  H  n'eût  point  voulu  que  le 
peuple  Athénien  fût  privé  du  pouvoir  de  lui  faire  une  injustice.  Il  savoit 
que  la  même  loi  qui  eût  mis  le  magistrat  vertueux  à  couvert  d'une 
téméraire  accusation,  auroit  protégé  l'adroite  tyrannie  de  la  foule  des 
magistrats  corrompus.  Ce  ne  sont  pas  ces  hommes  incorruptibles,  qui 
n'ont  d'autre  passion  que  celle  de  faire  le  bonheur  et  la  gloire  de  leur 
patrie,  qui  redoutent  l'expression  publique  des  sentimens  de  leurs  conci- 
toyens. Ils  sentent  bien  qu'il  n'est  pas  si  facile  de  perdre  leur  estime, 
lorsqu'on  peut  opposer  à  la  calomnie  une  vie  irréprochable  et  les  preu- 
ves d'un  zèle  pur  et  désintéressé;  s'ils  éprouvent  quelquefois  une  per- 
sécution passagère,  elle  est  pour  eux  le  sceau  de  leur  gloire  et  le  témoi- 
gnage éclatant  de  leur  vertu;  ils  se  reposent,  avec  une  douce  confiance, 
sur  le  suffrage  d'une  conscience  pure  et  sur  la  force  de  la  vérité  qui 
leur  ramène  bientôt  ceux  de  leurs  concitoyens. 

Qui  sont  ceux  qui  déclament  sans  cesse  contre  la  licence  de  la 
presse,  et  qui  demandent  des  lois  pour  la  captiver  ?  ce  sont  ces  per- 
sonnages équivoques,  dont  la  réputation  éphémère,  fondée  sur  les 
succès  du  charlatanisme,  est  ébranlée  par  le  moindre  choc  de  !a  contra- 
diction; ce  sont  ceux  qui  voulant  à-la-fois  plaire  au  peuple  et  servir  les 
tyrans,  combattus  entre  le  désir  de  conserver  la  gloire  acquise  en  défen- 
dant la  cause  publique,  et  les  honteux  avantages  que  l'ambition  peut 
obtenir  en  l'abandonnant,  qui,  substituant  la  fausseté  au  courage,  l'in- 
trigue au  génie,  tous  les  petits  manèges  des  cours  aux  grands  ressorts 
des  révolutions,  tremblent  sans  cesse  que  la  voix  d'un  homme  libre 
vienne  révéler  le  secret  de  leur  nullité  ou  de  leur  corruption;  qui  sentent 
que  pour  tromper  ou  pour  asservir  leur  patrie,  il  faut,  avant  tout,  réduire 
au  silence  les  écrivains  courageux  qui  peuvent  "la  réveiller  de  sa  funeste 
léthargie,  à-peu-près  comme  on  égorge  les  sentinelles  avancées  pour  sur- 
prendre le  camp  ennemi  ;  ce  sont  tous  ceux  enfin  qui  veulent  être  impu- 
nément foibles,  ignorans,  traîtres  ou  corrompus  Je  n'ai  jamais  ouï  dire 
que  Caton,  traduit  cent  fois  en  justice,  ait  poursuivi  ses  accusateurs; 
mais  l'histoire  m'apprend  que  les  décemvirs  à  Rome  firent  des  lois  ter- 
ribles contre  lès  libelles. 

C'est  en  effet  uniquement  aux  hommes  que  je  viens  de  peindre, 
qu'il  appartient  d'envisager  avec  effroi  la  liberté  de  la  presse;  car  ce 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  331 

seroit  une  grande  erreur  de  penser  que  dans  un  ordre  de  choses  paisible 
où  elle  est  solidement  établie,  toutes  les  réputations  soient  en  proie  au 
premier  qui  veut  les  détruire. 

Que  sous  la  verge  du  despotisme,  où  l'on  est  accoutumé  à  entendre 
traiter  de  libelles  les  justes  réclamations  de  l'innocence  outragée  et  'es 
plaintes  les  plus  modérées  de  l'humanité  opprimée,  un  libelle  même 
digne  de  ce  nom  soit  adopté  avec  empressement  et  cru  avec  facilité, 
qui  pourroit  en  être  surpris?  Les  crimes  du  despotisme,  la  corruption 
des  mœurs  rendent  toutes  les  inculpations  si  vraisemblables  !  il  est  si 
naturel  d 'accueillir  comme  une  vérité  un  écrit  qui  ne  parvient  à  vous 
qu'en  échappant  aux  inquisitions  des  tyrans  !  Mais  sous  le  régime  de 
la  liberté,  croyez-vous  que  l'opinion  publique,  accoutumée  à  la  voir 
s'exercer  en  tout  sens,  décide  en  dernier  ressort  de  l'honneur  des 
citoyens,  sur  un  seul  écrit,  sans  peser  ni  les  circonstances,  ni  les  faits, 
ni  le  caractère  de  l'accusateur,  ni  celui  de  l'accusé.  Elle  juge  en  géné- 
ral et  jugera  sur-tout  alors  avec  équité  :  souvent  même  les  libelles  seront 
des  titres  de  gloire  pour  ceux  qui  en  seront  les  objets,  tandis  que  cer- 
tains éloges  ne  seront  à  ses  yeux  qu'un  opprobe  :  et  en  dernier  résultat, 
la  liberté  de  la  presse  ne  sera  que  le  fléau  du  vice  et  de  l'imposture, 
et  le  triomphe  de  la  vertu  et  de  la  vérité. 

Le  dirai-je  enfin  !  ce  sont  nos  préjugés,  c'est  notre  corruption  qui 
nous  exagère  les  inconvémens  de  ce  système  nécessaire.  Chez  un  peu- 
ple où  l'égoïsme  a  toujours  régné,  où  ceux  qui  gouvernent,  où  la  plupart 
des  citoyens  qui  ont  usurpé  une  espèce  de  considération  ou  de  crédit, 
sont  forcés  à  s'avouer  intérieurement  à  eux-mêmes  qu'ils  ont  besoin  non 
seulement  de  l'indulgence,  mais  de  la  clémence  publique,  la  liberté  de 
la  presse  doit  nécessairement  inspirer  une  certaine  terreur,  et  tout  système 
qui  tend  à  la  gêner,  trouve  une  foule  de  partisans  qui  ne  manquent  pas 
de  le  présenter  sous  les  dehors  spécieux  du  bon  ordre  et  de  l'intérêt 
public. 

A  qui  appartient  plus  qu'à  vous,  législateurs,  de  triompher  de  ce 
préjugé  fatal  qui  ruineroit  et  déshonorerait  à-la-fois  votre  ouvrage  ?  Que 
tous  ces  libelles  répandus  autour  de  vous  par  les  factions  ennemies  du 
peuple,  ne  soient  point  pour  vous  une  raison  de  sacrifier  aux  circonstan- 
ces du  moment  les  principes  éternels  sur  lesquels  doit  reposer  la  liberté 
des  nations.  Songez  qu'une  loi  sur  la  presse  n'arrêteroit  point,  ne  répa- 
reroit  point  le  mal,  et  vous  enleveroit  le  remède.  Laissez  passer  ce  tor- 
rent fangeux,  dont  il  ne  restera  bientôt  plus  aucune  trace,  pourvu  que 
vous  conserviez  cette  source  immense  et  éternelle  de  lumières  qui  doit 
répandre  sur  le  monde  politique  et  inoral  la  chaleur,  la  force,  le  bon- 
heur et  la  vie.  N'avez-vous  pas  déjà  remarqué  que  la  plupart  des  dénon- 
ciations qui  vous  ont  été  faites,  étoient  dirigées,  non  contre  ces  écrits 
sacrilèges  où  les  droits  de  l'humanité  sont  attaqués,  où  la  majesté  du 
peuple  'est  outragée,  au  nom  des  despotes  par  des  esclaves  lâchement 
audacieux;  mais  contre  ceux  que  l'on  accuse  de  défendre  la  cause  de  la 


332  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

liberté  avec  un  zèle  exagéré  et  irrespectueux  envers  !es  despotes? 
N'avez-vous  pas  remarqué  qu'elles  vous  ont  été  faites  par  des  hommes 
qui  réclament  amèrement  contre  des  calomnies  que  la  voix  publique  a 
mises  au  rang  des  vérités,  et  qui  se  taisent  sur  'les  blasphèmes  séditieux 
que  leurs  partisans  ne  cessent  de  vomir  contre  la  nation  et  contre  ses 
représentai  ?  Que  tous  mes  concitoyens  m'accusent  et  me  punissent 
comme  traître  à  la  patrie,  si  jamais  je  vous  dénonce  aucun  libelle,  sans 
en  excepter  ceux  où  couvrant  mon  nom  des  plus  infâmes  calomnies,  les 
ennemis  de  la  révolution  me  désignent  à  la  fureur  des  factieux  comme 
l'une  des  victimes  qu'elle  doit  frapper  !  Eh  !  que  nous  importent  ces 
méprisables  écrits  ?  ou  bien  la  nation  françoise  approuvera  les  efforts 
que  nous  avons  faits  pour  assurer  sa  liberté,  ou  elle  les  condamnera. 
Dans  le  premier  cas,  les  attaques  de  nos  ennemis  ne  seront  que  ridi- 
cules; dans  le  second  cas,  nous  aurons  à  expier  le  crime  d'avoir  pensé 
que  les  français  étoient  dignes  d'être  libres  et  pour  mon  compte  je  me 
résigne  volontiers  à  cette  destinée. 

Enfin  faisons  des  loix,  non  pour  un  moment,  mais  pour  les  siècles; 
non  pour  nous,  mais  pour  l'univers;  montrons-nous  dignes  de  fonder  la 
liberté  en  nous  attachant  invariablement  à  ce  grand  principe,  qu'el'e 
ne  peut  exister  là  où  elle  ne  peut  s'exercer  avec  une  étendue  illimitée 
sur  la  conduite  de  ceux  que  le  peuple  a  armés  de  son  autorité.  Que 
devant  lui  disparoissent  tous  ces  inconvéniens  attachés  aux  plus  excellen- 
tes institutions,  tous  ces  sophismes  inventés  par  l'orgueil  et  par  la  four- 
berie des  tyrans.  Il  faut,  vous  disent-ils,  mettre  ceux  qui  gouvernent 
à  l'abri  de  la  calomnie;  il  importe  au  salut  du  peuple  de  maintenir  le 
respect  qui  leur  est  dû.  Ainsi  auroient  raisonné  les  Guises  contre  ceux 
qui  auroient  dénoncé  les  préparatifs  de  la  Saint  Barthélémi  ;  ainsi  rai- 
sonneront tous  leurs  pareils,  parce  qu'ils  savent  bien  que  tant  qu'ils 
seront  tout-puissans,  les  vérités  qui  leur  déplaisent  seront  toujours  des 
calomnies,  parce  qu'ils  savent  bien  que  ce  respect  superstitieux  qu'ils 
réclament  pour  leurs  fautes  et  pour  leurs  forfaits  mêmes,  leur  assure  le 
pouvoir  de  violer  impunément  celui  qu'ils  doivent  à  leur  souverain,  au 
peuple  qui  mérite  sans  doute  autant  d'égards  que  ses  délégués  et  ses 
oppresseurs.  Mais  qui  voudra  à  ce  prix,  osent-ils  dire  encore,  qui  voudra 
être  roi,  magistrat,  qui  voudra  tenir  les  rênes  du  gouvernement  ?  qui  ? 
les  hommes  vertueux,  dignes  d'aimer  leur  patrie  et  la  véritable  gloire, 
qui  savent  bien  que  le  tribunal  de  l'opinion  publique  n'est  redoutable 
qu'aux  méchants.  Qui  encore  ?  Les  ambitieux  mêmes.  Eh  !  plut  à 
Dieu  qu'il  y  eût  sur  la  terre  un  moyen  de  leur  faire  perdre  l'envie  oU 
l'espoir  de  tromper  ou  d'asservir  les  peuples  ! 

En  deux  mots,  il  faut  ou  renoncer  à  la  liberté,  ou  consentir  à  la 
liberté  indéfinie  de  la  presse.  A  l'égard  des  personnes  publiques,  la 
question  est  décidée. 

Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  la  considérer  par  rapport  aux  personnes 
privées.  On  voit  que  cette  question  se  confond  avec  celle  du  meilleur 


LES   DISCOURS   DE  ROBESPIERRE  333 

système  de  législation  sur  la  calomnie,  soit  verbale,  soit  écrite,  et 
qu'ainsi  elle  n'est  plus  uniquement  relative  à  la  presse. 

Il  est  juste  sans  doute  que  les  particuliers  attaqués  par  la  calomnie 
puissent  poursuivre  la  réparation  du  tort  qu'elle  leur  a  fait;  mais  il  est 
utile  de  faire  quelques  observations  sur  cet  objet. 

Il  faut  d'abord  considérer  que  nos  anciennes  lois  sur  ce  point  sont 
exagérées,  et  que  leur  rigueur  est  le  fruit  évident  de  ce  système  tyran- 
nique  que  nous  avons  développé,  et  de  cette  terreur  excessive  que  l'opi- 
nion publique  inspire  au  despotisme  qui  les  a  promulguées.  Comme  nous 
les  envisageons  avec  plus  de  sang-froid,  nous  consentirons  volontiers  à 
modérer  le  code  pénal  qu'il  nous  a  transmis;  il  me  semble  du  moins  que 
la  peine  qui  sera  prononcée  contre  les  auteurs  d'une  inculpation  calom- 
nieuse doit  se  borner  à  la  publicité  du  jugement  qui  la  déclare  telle,  et 
à  la  réparation  pécuniaire  du  dommage  qu'elle  aura  causé  à  celui  qui 
en  étoit  l'objet.  On  sent  bien  que  je  ne  comprends  pas  dans  cette  classe 
le  faux  témoignage  contre  un  accusé,  parce  que  ce  n'est  point  ici  une 
simple  calomnie,  une  simple  offense  envers  un  particulier,  c'est  un 
mensonge  fait  à  la  loi  pour  perdre  l'innocence,  c'est  un  véritable  crime 
public. 

En  général,  quant  aux  calomnies  ordinaires,  il  y  a  deux  espèces  de 
tribunaux  pour  les  juger,  celui  des  magistrats  et  celui  de  l 'opinion  publi- 
que. Le  plus  naturel,  le  plus  équitable,  le  plus  compétent,  le  plus  puis- 
sant, c'est  sans  contredit  le  dernier;  c'est  celui  qui  sera  préféré  par  les 
attaques  de  la  haine  et  de  la  méchanceté;  car  il  est  à  remarquer  qu'en 
général  l'impuissance  de  la  calomnie  est  en  raison  de  la  probité  et  de 
la  vertu  de  celui  qu'elle  attaque  et  que  plus  un  homme  a  le  droit 
d'appeler  à  l'opinion  moins  il  a  besoin  d'invoquer  la  protection  du  juge; 
il  ne  se  déterminera  donc  pas  facilement  à  faire  retentir  les  tribunaux 
des  injures  qui  lui  auront  été  adressées,  et  il  ne  les  occupera  de  ses 
plaintes  que  dans  les  occasions  importantes  où  la  calomnie  sera  liée 
à  une  trame  coupable  ourdie  pour  lui  causer  un  grand  mal,  et  capable 
de  ruiner  la  réputation  même  la  plus  solidement  affermie.  Si  l'on  suit 
ce  principe,  il  y  aura  moins  de  procès  ridicules,  moins  de  déclamations 
sur  l'honneur,  mais  plus  d'honneur,  sur-tout  plus  d'honnêteté  et  de  vertu. 

Je  borne  ici  mes  réflexions  sur  cette  troisième  question,  qui  n'est 
pas  le  principal  objet  de  cette  discussion,  et  je  vous  propose  de  cimenter 
la  première  base  de  la  liberté  par  le  décret  suivant. 

L'Assemblée  nationale  déclare  : 

1°  Que  tout  homme  a  le  droit  de  publier  ses  pensées;  par  quel- 
ques moyens  que  ce  soit;  et  que  la  liberté  de  la  presse,  ne  peut  être 
gênée  ni   limitée  en  aucune  manière. 

2"  Que  quiconque  portera  atteinte  à  ce  droit  doit  être  regardé 
comme  ennemi  de  la  liberté,  et  puni  par  la  plus  grande  des  peines,  qui 
seront  établies  par  l'Assemblée  Nationale. 


334  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

3°  Pourront  néanmoins  les  particuliers  qui  auront  été  calomniés, 
se  pourvoir  pour  obtenir  la  réparation  du  dommage  que  la  calomnie  leur 
aura  causé,  par  les  moyens  que   l'Assemblée  nationale  indiquera   (!3). 

(13)  Robespierre  avait  composé  ce  discours  dans  l'intention  de 
le  prononcer  à  la  tribune  de  la  Constituante.  Il  ne  parviendra  à  en 
utiliser  des  extraits  devant  cette  Assemblée  qu'au  cours  de  la  .séance 
du  22  août  1791. 


283.  —  SEANCE  DU  10  MAI  1791 
Sur  le  droit  de  pétition  (suite) 


1 re  intervention  : 

Le  10  mai,  l'Assemblée  reprend  la  discussion  du  projet  du  comité 
de  constitution  sur  les  droits  de  pétition  et  d'affiche.  Après  l'abbé 
Grégoire,  qui  proteste  énergiquement  contre  l'attribution  de  ce 
droit  aux  seuls  citoyens  actifs,  Briois  de  Beaumez  considérant  qu  il 
s*agit  d'un  droit  individuel,  et  sans  tenir  compte  de  la  distinction 
entre  citoyens  actifs  et  passifs,  propose  de  substituer  aux  T  premiers 
articles  du  comité,   un   article  unique  : 

«  Le  droit  de  pétition  est  individuel  et  ne  peut  se  déléguer  ;  en 
conséquence,  il  ne  pourra  être  exercé  en  nom  collectif  par  les  corps 
électoraux,  judiciaires,  administratifs  ou  municipaux,  ni  par  les 
communes  ou  sections  de  communes,  ni  enfin  par  les  sociétés  de 
citoyens.  Tout  pétitionnaire  signera  sa  pétition  et  s'il  ne  le  peut  ou 
ne  le  sait,  il  en  sera  fait  mention.  ►> 

Le  Chapelier,  rapporteur,  se  rallie  à  cette  'rédaction.  Buzot  sou- 
tient au  contraire  les  pétitions  collectives.  Robespierre,  replaçant 
la  discussion  sur  son  véritable  terrain,  demande  qu'il  soit  déclaré 
que  le  droit  de  pétition  appartient  à  tout  citoyen  sans  distinction. 
11   est  fréquemment  interrompu. 

Après  une  discussion  violente,  l'article  présenté  par  Briois  de 
Beaumez  fut  adopté,  avec  un  amendement  de  Regnaïud  de  Saint 
Jean  d'Angélv  :  «  Le  droit  de  pétition  appartient  à  tout  individu...  » 

CD- 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXV,  p.  352. 

a  M.  Robespierre.  Je  demande  qu'au  lieu  de  dire  qu'il  sera  accor- 
dé aux  citoyens  actifs  seuls  le  droit  de  pétition;  et  qu'au  lieu  de  se 
contenter  de  dire  que  le  droit  de  pétition  est  un  droit  individuel,  ce  qui, 
d'après  les  principes  qui  ont  été  exposés  par  le  Comité  de  constitution, 
pourroit  être  censé  ne  s'appliquer  qu'aux  citoyens  actifs;  je  demande 
qu'il  soit  dit  formellement  que  le  droit  de  pétition  est  un  droit  appar- 
tenant à  tous  les  citoyens  sans  exception  (Applaudi)   »   (2). 

[Interventions  de  Moreau  et  de  Le  Chapelier.] 


(1)  C'est  une  importante,  mais  pénible  victoire  comme  Je  débat 
le  montre.  (Cf. .  E.  Hamel,  I,  433).  L'abbé  Maury  se  rangea  à  l'avis 
de  Robespierre. 

(2)  On   remarquera  qu'il   s'agit  encore  des  conditions  de  cens. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  335 

«  Ai.  Robespierre.  Il  résulte  de  ce  que  vient  de  dire  M,  le  Cha- 
pelier, qu'il  n'est  pas  d'accord  avec  l'éclaircissement  que  j'ai  proposé. 
Il  en  résulte  qu'il  ne  convient  pas  que  tout  citoyen  sans  distinction 
puisse  exercer  également  le  droit  de  pétition.  Il  ne  peut  donc  pas  nous 
dire  que  dans  la  rédaction  proposée,  il  ait  renfermé  l'opinion  de  ceux 
qui  prétendent  que  le  droit  de  pétition  ne  peut  être  refusé  à  personne. 
Ce  n'est  pas  ainsi  qu  on  décide  des  droits  les  plus  sacrés  des  citoyens, 
et  que  l'on  élude  les  réclamations  les  plus  importantes  et  les  plus  légi- 
times. Le  droit  de  pétition  qui,  comme  M.  le  Chapelier  vient  d'en  con- 
venir, n'est  pas  un  droit  politique... 

«  M.  le  Chapelier.  Je  n'en  conviens  pas. 

«  M.  Robespierre.  Le  droit  de  pétition  n'est  autre  chose  que  la 
faculté  accordée  à  un  homme,  quel  qu'il  soit,  d'émettre  son  voeu,  de 
demander  ce  qui  lui  paroit  plus  convenable,  soit  à  son  intérêt  particu- 
lier, soit  à  l'intérêt  général.  Il  est  évident  qu'il  n'y  a  point  là  de  droits 
politiques,  parce  qu'en  adressant  une  pétition,  en  émettant  un  vœu,  son 
désir  particulier,  on  ne  fait  aucun  acte  d'autorité,  on  exprime  à  celui 
qui  a  l'autorité  en  main  ce  que  l'on  désire  qu'il  vous  accorde. 

«  Remarquez,  messieurs,  que  l'exercice  du  droit  de  pétition  sup- 
pose, au  contraire,  dans  celui  qui  l'exerce,  l'absence  de  toute  autorité; 
il  suppose  l'infériorité  et  la  dépendance;  car  celui  qui  a  quelque  auto- 
rité, celui  qui  a  quelque  pouvoir,  ordonne  et  exécute;  celui  qui  n'a  pas 
de  pouvoir,  et  celui  qui  est  dépendant,  désire,  demande,  adresse  ses 
vœux,  adresse  des  pétitions.  (Applaudi).  Je  demande  si  cette  faculté 
ainsi  définie  peut  être  contestée  par  qui  que  ce  soit.  Je  dis  plus  :  je  dis 
que  c'est  le  libre  exercice  de  cette  liberté.  (Murmures  au  centre).  Je 
demande  à  M.  le  Président,  une  fois  pour  toute,  qu'il  ne  souffre  pas 
que  l'on  m'insulte  précisément  parce  que  je  réclame  les  droits  du  peuple. 
(Vifs  applaudissemens  à  gauche;  au  centre:  murmures). 

«  M.  le  Président  (3).  Je  demande,  moi,  à  l'opinant  s'il  trouve 
que  je  ne  mette  point  assez  de  soin  pour  lui  conserver  la  parole. 

«   Une  voix  à  gauche.  Non. 

«  Ai.  le  Président.  Je  prie  celui  qui  vient  de  me  dire  non  de  me 
dire  en  quoi  j'ai  manqué  à  mon  devoir. 

«  M.  de  la  Borde.  En  ce  que  M.  Robespierre  a  été  interrompu 
deux  fois,  et  que  vous  n'avez  pas  mis  le  même  soin  à  lui  protéger  le 
silence  qu'à  certains  autres.   (Applaudissemens  à  gauche). 

«  M.  le  Président.  Monsieur,  si  vous  aviez  suivi  la  délibération, 
vous  auriez  vu  que  pendant  tout  le  temps  que  l'opinant  a  parlé,  je  n'ai 
cessé  de  me  servir  de  la  sonnette  et  de  mes  pouïmons  pour  lui  obtenir 
du  silence;  que  j'ai  rappelle  plusieurs  personnes,  et  notamment  MM.  le 
Chapellier,  Regnault,  Beaumets,  à  l'ordre,  qu'ainsi  votre  inculpation 
est  absolument  mal  placée.  (Applaudissemens  au  centre). 


(3)  C'est  d'André  qui  préside  la  séance. 


336  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

«  M.  Robespierre.  Plus  on  est  pauvre,  plus  on  a  besoin  de  l'auto- 
rité protectrice;  ainsi,  loin  de  diminuer  cette  faculté,  pour  la  cause  des 
citoyens  les  plus  pauvres,  c'est  au  contraire  à  ces  citoyens-là  que  le  légis- 
lateur doit  la  garantir  de  la  manière  la  plus  authentique  et  la  plus  éten- 
due :  je  dis  que  tous  ces  termes  obscurs,  que  l'on  insinue  pour  faire  dé- 
créter que  les  citoyens  les  plus  pauvres,  les  plus  foibles,  ne  peuvent 
point  jouir  de  ce  droit  dans  une  égale  étendue...  (Murmures). 

«  M.  le  Président.  Messieurs,  je  vous  prie  de  ne  pas  interrompre 
M.  Robespierre.  (On  rit). 

«  M.  Robespierre.  Je  dis  que  toutes  ces  distinctions,  que  l'on  éta- 
blit par  cette  législation  nouvelle  sont  injurieuses  à  l'humanité.  Je  dis 
que  l'assemblée  rende  un  décret  qui  n'élude  pas  l'explication  que  je 
demande,  un  décret  qui  ne  semble  point  craindre  de  déclarer  les  droits 
les  plus  sacrés  de  l'humanité,  et  assez  clair,  pour  prévenir  toute  équi- 
voque, et  pour  repousser  les  principes  exposés  hier,  et  souvent  par  le 
comité  de  constitution,  principes  qui  pourroient  donner  lieu  de  dire  que 
l'esprit  du  décret  a  été  de  ne  donner  toute  l'étendue  de  ce  droit  qu'aux 
citoyens  actifs.  Je  dis  que  si  les  principes  que  je  viens  de  développer 
sont  vrais,  on  ne  peut  pas  refuser  de  mettre  expressément  dans  le  décret 
que  le  droit  de  pétition  appartient  également  à  tout  citoyen,  sans  aucune 
distinction,  et  j'y  conclus.   (Applaudi)   »   (4). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   132,  p.  542. 

«  M.  Roberspierre .  Je  demande  que  le  droit  contesté  hier  aux 
citoyens  appelés  non  actifs,  soit  déclaré  formellement,  et  qu'au  lieu  de 
dire  le  droit  de  pétition  est  un  droit  individuel,  on  dise  qu'il  appartient 
à  tout  citoyen  sans  distinction.  (On  entend  des  murmures  dans  le  milieu 
de  la  salle;  quelques  applaudissements  dans  l'extrémité  gauche). 

«  M.  Roberspierre.  Il  résulte  de  ce  que  M.  Le  Chapelier  vient  de 
dire,  qu'il  ne  convient  pas  que  tout  citoyen  sans  distinction  puisse 
exercer  le  droit  de  pétition.  Il  ne  peut  donc  pas  dire  que  sa  rédaction 
concilie  toutes  les  opinions. 

«  Il  faut  ou  que  M.  Le  Chapelier  nous  accorde  la  rédaction  que 
nous  demandons,  et  qui  tend  à  déclarer  le  droit  le  plus  sacré  de  l'hom- 
me ou  qu'il  combatte  la  demande  que  nous  formons;  en  un  mof,  il  est 
impossible  qu'on  tranche  une  question  de  cette  importance  d'une  manière 
aussi  brusque.  (Les  tribunes  applaudissent).  J'insiste  donc  pour  obtenu  la 
permission  de  prouver  que  l'article  doit  être  rédigé  de  manière  que  le 
droit  de  pétition  soit  formellement  reconnu  appartenir  à  tous  les  citoyens 
sans  distinction.  La  pétition,  la  demande,  la  requête,  la  plainte,  voilà 


(4)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXV,  690,  jusqu'à 
«  ce  n'est  pas  un  droit  politique  ».  Selon  leur  procédé  ordinaire, 
les  rédacteurs  de  cette  publication  amalgament  1rs  textes  de  Lrt} 
Hodey  et  du  Moniteur. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  33? 

bien  quatre  mots;  mais  M.  Le  Chapelier,  ni  personne,  ne  nous  a  prouvé 
la  distinction  qui  existe  entre  eux;  et  encore  moins  que  l'un  doive  être 
appliqué  aux  seuls  citoyens  actifs,  et  les  autres  aux  citoyens  non  actifs. 
Est-ce  ainsi  que  l'on  élude  les  réclamations  des  membres  de  cette 
assemblée  ?  Je  dis  que  le  Comité  de  constitution  n'a  pas  le  droit  de 
faire  échouer  en  quelque  sorte  les  délibérations  de  l'Assemblée,  en 
disant  d'abord  que  l'article  qu'on  propose  renferme  notre  vœu,  et  en- 
suite que  cependant  on  est  d'un  avis  contraire  (5).  {On  demande  à  aller 
aux  Voix).  Je  prie  qu'on  veuille  bien  m'écouter  jusqu'au  bout.  Si  le  droit 
de  pétition,  comme  M.  Le  Chapelier  vient  de  l'avouer,  n'est  pas  un 
droit  politique... 

«  M.  Le  Chapelier.  Ne  me  faites  pas  dire  une  absurdité. 

«  M.  Roberspierre.  Je  dis  que  bien  loin  que  le  droit  de  pétition 
soit  un  droit  collectif  ..  (M.  Le  Chapelier  interrompt.  M.  Le  Prési- 
dent le  rappelle  à  l'ordre).  11  est  évident  que  le  droit  de  pétition  n'est 
autre  chose  que  le  droit  d'émettre  son  vœu;  que  ce  n'est  donc  pas  un 
droit  politique;  mais  le  droit  de  tout  être  pensant.  Bien  loin  d'être, 
comme  on  vous  l'a  dit,  l'exercice  de  la  souveraineté,  de  devoir  être 
exclusivement  attribué  aux  citoyens  actifs,  le  droit  de  pétition  au 
contraire  suppose  l'absence  de  l'activité,  l'infériorité,  la  dépendance. 
Celui  qui  a  l'autorité  en  main  ordonne;  celui  qui  est  dans  l'inactivité, 
dans  la  dépendance  adresse  des  vœux.  La  pétition  n'est  donc  point 
l'exercice  d'un  droit  politique,  c'est  l'acte  de  tout  homme  qui  a  des 
besoins.  (Les  tribunes  applaudissent).  Or,  je  demande  si  cette  faculté 
peut  être  contestée  à  qui  que  ce  soit...  (6).  (On  entend  quelques  ru- 
meurs. M.  Martineau  observe  que  la  discussion  est  fermée).  Je  demande 
à  M.  Le  Président  une  fois  pour  toutes,  que  l'on  ne  m'insulte  pas 
continuellement  autour  de  moi,  lorsque  je  défends  les  droits  les  plus 
sacrés  des  citoyens. 

«  M.  Le  Président.  Je  demande  si  je  ne  préside  pas  bien,  et 
si  je  ne  fais  pas  tous  mes  efforts... 

«    Une  voix  à  gauche.  Non. 

«  M.  Le  Président.  Je  demande  que  la  personne  qui  a  dit  non 
se  nomme,  et  prouve. 

«  M.  Lahorde.  J'ai  dit  non,  parce  que  je  m'aperçois  que  vous 
ne  mettez  pas  le  même  soin  à  obtenir  du  silence  pour  M.  Roberspierre 
que  vous  en  mettiez  lorsque  MM.  Beaumetz  et  Chapelier  ont  parlé. 

«  M.  Le  Président.  On  doit  se  rappeler  que  pendant  tout  le  tems 
que  M.  Roberspierre  a  parlé,  je  n'ai  cessé  de  faire  aller  ma  sonnette, 
et  de  fatiguer  mes  poumons;  j'ai  rappelé  à  l'ordre  nominativement 
M.  Le  Chapelier  qui  l'interrompait. 

(;>)  Pas&age  reproduit  dans  les  Ai/ch.  pari.,  XXV,  690,  depuis 
I   I!   résulte  de  ce  que...  ». 

(6)  Passage  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXV,  690,  depuis 
«  Il  est  évident...   ». 


338  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  M.  Roberspierre .  Le  droit  de  pétition  doit  surtout  être  assuré 
dans  toute  son  intégrité  à  la  classe  des  citoyens  la  plus  pauvre  et  la  plus 
faible.  Plus  on  est  faible,  plus  on  a  besoin  de  l'autorité  protectrice  des 
mandataires  du  peuple  .  Ainsi,  loin  de  diminuer  l'exercice  de  cette 
faculté  pour  l'homme  indigent,  en  y  mettant  des  entraves,  il  faudrait  le 
faciliter,  et  Ton  veut  au  contraire,  sous  le  prétexte  de  droit  politique, 
le  priver  entièrement.  (On  murmure). 

«  M.  Le  Président.  Ecoutez  ÏV1.  Roberspierre  avec  le  plus  grand 
silence. 

«  M.  Martineau.   Mais  la  discussion  est  fermée. 

«  M.  Le  Président.   N'interrompez  pas  l'opinant. 

«  M.  Roberspierre.  Je  vous  assure  que  s'il  était  question  ici  de 
soutenir  une  opinion  qui  pût  m'être  favorable,  je  me  garderais  bien 
d'affronter  tant  de  contradictions;  mais  je  soutiens  les  droits  d'un  grand 
nombre  de  mes  commettans.  Je  dis  que  toutes  les  distinctions  qu'on 
vous  a  faites  entre  le  droit  de  pétition,  le  droit  de  plainte  sont  inju- 
rieuses à  l'humanité.  Il  faut  que  le  Comité  de  constitution  s'explique, 
ou  plutôt  qu'il  ne  s'explique  pas  :  il  faut  que  l'Assemblée  fasse  droit 
à  nos  justes  réclamations,  qu'elle  rende  un  décret  qui  n'élude  point 
insidieusement  la  question,  mais  qui  déclare  franchement  et  formelle- 
ment les  droits  de  l'humanité.  Et  puisque  je  ne  demande  autre  chose 
qu'une  explication  claire,  qui  ne  donne  lieu  à  aucune  équivoque  dange- 
reuse, qui  tendrait  à  priver  un  jour  les  citoyens  inactifs  de  leurs  droits; 
puisqu'il  est  vrai  que  le  droit  de  pétition  n'est  pas  un  droit  politique, 
mais  le  droit  de  l'homme;  on  ne  peut  refuser  de  mettre  dans  le  décret, 
que  ce  droit  peut  être  exercé  par  tout  citoyen  sans  distinction.  C'est  à 
quoi  je  conclus  »  (7). 

Le  Lendemain,  t.  III,  n°    135,  p.  414. 

(Coup  d' œil  sur  les  travaux  et  les  événemens  de  la  semaine.) 

«  M.  Roberspierre  n'a  pas  été  de  cet  avis,  on  sent  bien  pourquoi. 
Ce    Vertueux    et   modeste    orateur    ne    sera-t-il    donc    jamais    président  ? 
Marat  l'a  déjà  proclamé  trois  fois  successeur  de  Mirabeau. 
L'empire   d'Occident  finit  par  Augustule 

«  Il  faut  égayer  ce  récit  par  une  scène  d'un  très-bon  comique,  et 
dans  laquelle  M.  le  président  a  un  peu  joué  le  rôle  de  Maître  Albert, 
dans  le  dépit  amoureux,  où  il  s'arme  de  sa  sonnette  contre  le  pédant 
Métaphraste  (8). 

«  La  vivacité  de  M.  R...  l'ayant  emporté,  des  cris  d'improbation 
l'ont   interrompu  brutalement.   L'orateur  s'est  plaint  au  président  qu'on 


(7)  Texte    reproduit  dans   le   Moniteur,    VIII,    358;   et   Bûchez    et 
Houx,     X,     8-12.' 

(8)  Albert  et  Métaphraste  sont  des  personnages  du  «  Dépit  amou- 
reux »>,   de  Molière. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  339 

l'insultoit.  Un  membre  s'est  écrié  ;  «  M.  d'André  ne  fait  pas  son 
devoir  »  Et  M.  d'André  a  réparti:  «  Vous  savez,  Messieurs,  que 
j'ai  fait  tout  ce  que  j'ai  pu  pour  assr.rer  la  parole  à  M.  R..  N'ai-je 
pas,  à  grand  bruit,  agité  la  sonnette  ?  et  n'ai-je  pas  continuellement 
rappelé   à   l'ordre   ceux  qui    l'interrompoient  )    » 

«  On  a  ri,  applaudi,  on  rit  encore  de  ce  rire  inextinguible  dont 
parle  Homère,  et  qui  est  devenu  si  étranger  en  France  depuis  le  déficit. 
M.  R...  a  repris  la  parole,  et  chaque  fois  que  quelqu'un  avoit  l'air  de 
vouloir  ouvrir  la  bouche  ou  de  vouloir  rire,  M.  le  président  sonnoit, 
sonnailloit  avec  force,  et  disoit  avec  une  vivacité  vraiment  provençale 
ou  plutôt  gasconne:  Messsieurs,  messieurs,  laissez  parler  l'opinant;  eh! 
mon  Dieu,  messieurs,  n'interrompez  donc  pas  l'opinant;  parlez,  parlez, 
M.  R.,  et  M.  R.  ne  pouvoit  se  faire  entendre.  Enfin,  cette  scène  a  fini, 
à  force  de  durer,  comme  toutes  choses  humaines;  mais  réellement  le 
philosophe  le  plus  grave,  ou  l'aristocrate  le  plus  dépouillé,  auroient 
ri  de  bon  cœur  pendant  ce  petit  scandale  constitutionnel.  » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),    1791,  n°  358,  p.  2. 

«  M.  de  Robespierre,  que  l'habitude  a  rendu  insensible  à  ces 
outrages,  a  pris  en  main  la  même  cause  et  débité  une  nouvelle  ampli- 
fication, plus  forte  encore  de  rhétorique  et  de  déclamations  sur  l'égalité 
des  droits  de  l'homme,  que  celle  qu'il  avoit  composée  au  sujet  de  la 
garde  nationale.  Comme  il  vouloit  que  tous  les  habitans,  sans  distinction 
des  citoyens  honnêtes  ou  fripons,  paisibles  ou  séditieux,  fussent  armés 
pour  le  maintien  des  loix,  il  veut  aussi  que  tous,  sans  égards  aux  talens 
et  aux  lumières,  influent  sur  l'administration  et  la  confection  des  loix, 
et  portent  au  corps  législatif  le  tribut  de  leurs  extravagances,  comme 
celui  de  leurs  forces  au  club  des  Jacobins. 


«  Aussi,  les  efforts,  sans  cesse  réitérés  de  M.  Robespierre,  pour 
ajouter  au  ridicule  de  l'égalité  spéculative  établie  dans  les  droits  de 
l'homme,  les  dangers  de  la  pratique  dans  l'administration,  ces  efforts 
ont-ils  excité  de  nouveaux  troubles.  M.  de  Robespierre  a  voulu  rendre 
le  président  (M.  d'André)  responsable  des  désagrémens  qu'il  éprou- 
voit  :  mais  le  président  s'est  excusé  sur  ce  qu'il  avoit  trouvé  tout  établi, 
l'usage  de  siffler  ce  qui  paroissoit  mériter  de  l'être.  Il  a  prétendu  que 
les  risées  étoient  des  mouvemens  involontaires,  qu'il  n'étoit  pas  en  son 
pouvoir  de  réprimer  dans  les  autres;  il  a  pris  toute  l'assemblée  à  témoin, 
que  la  sonnette  et  ses  ordres  étoient  impuissans,  et  que  M.  de  Robes- 
pierre avoit  plus  de  talens  pour  exciter  le  rire,  que  lui  de  moyens  pour 
commander  le  silence  et  le  respect. 

«  Les  rieurs  étoient  d'autant  plus  acharnés  qu'ils  s'appercevoient 
que  le  Don  Quichotte  de  la  populace  s'escrimoit  contre  un  moulin  à 
vent.  En  effet,  dans  l'origine,  il  est  vrai,  le  comité  n'accordoit  le  droit 
de  pétition  qu'aux  seuls  citoyens  actifs;  mais,  depuis  long-tems,  il  avoit 


340  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

consenti  qu'à  ces  mots,  citoyen  actif,  on  substituât  ceux-ci  tout  individu. 
Mais  M.  Robespierre  qui  n'avoit  pas  prévu  ce  mauvais  tour,  avoit 
composé  son  amplification,  d'après  le  premier  projet,  et  n'a  pas  voulu 
la  perdre.  Cependant,  M.  Regnault  ne  vouloit  pas  non  plus  l'essuyer 
toute  entière;  et,  pour  mettre  fin  à  cette  scène  plus  scandaleuse  que 
comique,  il  a  demandé  la  lecture  de  l'article,  promettant  que  M.  Robes- 
pierre y  trouveroit  tout  ce  qu'il  désiroit;  en  effet,  voici  comme  il  étoit 
conçu,  et  a  été  décrété. 

((  Le  droit  de  pétition  appartient  à  tout  individu  et  ne  peut  se  délé- 
guer.  )) 

Journal  général  de  France,  n°    131,  p.  521. 

«  La  vivacité  qui  caractérise  M.  Robertspierre  l'a  accompagné 
à  la  Tribune,  et  a  beaucoup  animé  son  opinion,  d'après  laquelle  le 
droit  de   Pétition   appartient   à   chaque   individu   sans   exception. 

«  Des  cris,  des  murmures,  des  signes  d'improbation  ont  interrompu 
l'Orateur,  qui  s'est  plaint  à  M.  le  Président  de  ce  qu'il  n'empêchoit 
pas  que  des  personnes  qui  l'entouroient  l'insultasssent. 

«  Alors  un  Membre  a  crié  à  haute  voix,  que  M.  !e  Président  ne 
faisoit  pas  son  devoir. 

«  M.  d'André  a  prié  la  personne  qui  venoit  de  parler,  de  lui 
indiquer  en  quoi  il  avoit  manqué  en  exerçant  ses  fonctions. 

«  Vous  souffrez,  s'est  écrié  M.  de  Laborde,  en  se  levant,  que 
M.  Robertspierre  soit  sans  cesse  interrompu. 

«  Je  demande  à  l'Assemblée,  a  réparti  M.  le  Président,  si  je  n'ai 
pas  fait  tout  ce  qui  est  en  mon  pouvoir  pour  assurer  la  parole  à  M.  Ro- 
bertspierre; si  je  n'ai  pas  continuellement  agité  la  sonnette;  si  je  n'ai 
pas  continuellement  rappelle  à  l'ordre  ceux  qui  l'interrompoient  ? 

«  On  a  ri,  on  a  applaudi;  M.  Robertspierre  a  repris  la  parole,  et 
chaque  fois  que  quelqu'un  avoit  l'air  de  vouloir  ouvrir  la  bouche,  ou  de 
vouloir  rire,  M.  le  Président  sonnoit  avec  force,  et  disoit  avec  autant 
de  vivacité  que  d'énergie:  Messieurs,  laissez  parler  l'Opinant;  et! 
mon  Dieu,  Messieurs,  n'interrompez  donc  pas  l'Opinant  !  Cette  scène 
sérieuse  a  fini  avec  le  discours  de  M.  Robertspierre,  auquel  MM.  Re- 
gnaud  de  Saint-Jean-d'Angely  et  Fréteau  ont  répondu.   » 

Courier  de  Provence,   t.    XIV,   n°   290,   p.    515-517. 

«  L'insidieux  projet  de  décret,  présenté  hier  au  nom  du  comité  de 
constitution,  avoit  d'abord  surpris  quelques  applaudissemens,  et  MM. 
Pétion  et  Robespierre  avoient  vu  leur  éloquence  et  leur  patriotisme 
échouer  contre  l'astuce  du  rapporteur.  Aujourd'hui  ils  sont  revenus  à  la 
charge  avec  une  nouvelle  force,  tous  les  vrais  patriotes  se  sont  ralliés 
autour  d'eux,  et  leurs  argumens  réunis  ont  triomphé  des  sophismes 
éblouissans  et  des  faux  principes  du  comité. 

«   ...Nos  lecteurs  verront  sans  doute  avec  intérêt  le  même  moyen, 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  341 

développé  sous  une  autre  forme,  par  M.  Robespierre.  «  Eh  !  Messieurs, 
s'est  écrié  cet  ardent  ami  de  l'humanité,  le  droit  de  pétition  ne  devroit- 
il  pas  être  assuré  d'une  manière  plus  particulière  aux  citoyens  non  actifs  ? 
Plus  un  homme  est  foible  et  malheureux,  plus  il  a  de  besoins,  plus  les 
prières  lui  sont  nécessaires  :  Et  vous  refuseriez  d'accueillir  les  pétitions 
qui  vous  seroient  présentées  par  la  classe  la  plus  pauvre  des  citoyens  ! 
Mais  Dieu  souffre  bien  les  prières,  Dieu  accueille  bien  les  vœux,  non- 
seulement  des  plus  malheureux  des  hommes,  mais  encore  des  plus 
coupables.  Et  qu'êtes-vous  donc  ?  N'êtes-vous  point  les  protecteurs  du 
pauvre  ?  N'êtes-vous  pas  les  promulgateurs  des  lois  du  législateur 
étemel.  Oui,  Messieurs,  il  n'y  a  de  lois  sages,  de  lois  justes,  que 
celles  qui  sont  conformes  aux  lois  de  l'humanité,  de  la  justice,  de  la 
nature,  dictées  par  le  législateur  suprême;  et  si  vous  n'êtes  pas  les 
promulgateurs  de  ces  lois,  si  vos  sentimens  ne  sont  point  conformes  à 
leurs  principes,  vous  n'êtes  plus  les  législateurs,  vous  êtes  plutôt  les 
oppresseurs  des  peuples.   » 

«  Que  pouvoit  opposer  le  comité  à  ces  vérités  éternelles,  à  ces 
touchantes  considérations  ?  Le  rapporteur  lui-même  a  été  obligé  d'aban- 
donner les  sept  premiers  articles  de  son  projet,  ils  ont  été  remplacés 
par  un  seul,  qui  reconnoît  que  le  droit  de  pétition  appartient  à  tous  les 
individus,  sans  distinction.  » 

Le  Patriote  François,    1791,  n°   641,  p.   514. 

«  Le  projet  sur  le  droit  de  pétition  présenté  dans  cette  disposition 
des  esprits,  devoit  peu  rencontrer  d'obstacle?.  11  a  fallu  déployer  tou* 
le  zèle  que  MM.  l'évêque  Grégoire,  Robespierre,  Buzot  et  Pétion 
montrent  ordinairement  pour  vaincre  la  coalition  redoutable  qui  s  est 
formée  dans  l'assemblée,  pour  museler  le  peuple  en  détail  et  peu  à  peu. 
Non-seulement  on  les  entendoit  avec  frémissement  s'élever  contre  le 
projet  de  décret,  mais  on  ne  vouloit  pas  même  qu'ils  se  servissent  du 
mot  propre     » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  n°  668,  p.    116-117. 

«  Selon  M.  Robespierre,  la  rédaction  de  M.  Beaumetz  étoit 
obscure  et  équivoque.  Pour  dissiper  tous  les  doutes  sur  la  déclaration 
nécessaire  du  droit  qu'a  tout  citoyen  actif  ou  non  actif  de  faire  une 
pétition,  il  faut  énoncer  clairement,  disoit-il,  que  ce  droit  est  à  lui, 
qu'il  ne  peut  lui  être  contesté.   » 

[Réponse  de   Le  Chapelier.] 

«  M.  Robespierre  qui  ne  transige  pas  avec  les  principes,  a  traité 
cette  réponse  avec  le  mépris  qu'elle  lui  inspiroit,  et  il  a  demandé  que 
l'article  énonçât  de  la  manière  la  plus  claire  et  la  plus  positive,  le 
droit  de  pétition  en  faveur  de  chaque  citoyen  actif,  ou  non  actif.  *> 


342  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Journal  des  Mécontens,  n°   73,  p.  3. 

«  L'ordre  du  jour  étoit  la  discussion  du  droit  de  pétition  et  la 
liberté  d'imprimer  et  d'afficher.  L'abbé  Grégoire  a  le  premier  porté  la 
parole,  et  après  avoir  provoqué  les  murmures  universels  et  les  applau- 
dissemens  de  la  gauche,  il  a  été  remplacé  à  la  tribune  par  MM.  Beau- 
mets,  Buzot,  Robertspierre,  Dubois  de  Crancé,  etc.  Il  est  bon  de  remar- 
quer que  le  projet  de  décret  du  comité  avoit  par  sa  sagesse,  effrayé  les 
Jacobins,  qui  s'assemblèrent  extraordinairement  mardi,  et  parvinrent 
avec  le  secours  du  consciencieux  Robertspierre,  à  corriger  tout  ce  que  ce 
décret  pouvoit  avoir  d'inconstitutionnel.  » 

Journal  de  Normandie,  n°    131,  p.  633. 

«  M.  Robertspierre.  Le  comité  paroit  avoir  adopté  la  rédaction 
de  M.  Beaumetz;  mais  remarquez,  MM.,  qu'elle  présente  entièrement 
les  mêmes  inconvénients.  Elle  ne  s'exprime  point,  à  la  vérité,  d'une 
manière  aussi  précise  sur  le  sort  du  citoyen  inactif,  elle  est  plus  entor- 
tillée; mais  elle  ne  paroît  pas  moins  l'exclure  du  droit  de  pétition.  Si 
l'intention  de  M.  Beaumetz  et  du  comité  n'est  point  telle,  i!  faut  l'énon- 
cer clairement  et  dire  qu'indistinctement  tout  individu  aura  le  droit  de 
pétition.  » 

L'Ami  du  Peuple  (Marat),  n°  458,  p.  3. 

«    Outrages    faits   au    fidèle    Robespierre    par    les    traîtres 
à   la   patrie   qui    mènent    l'assemblée    nationale.    » 

«  Leur  parti  étoit  pris.  Croira-t-on  que  leur  fureur  a  éclaté  lorsque 
Robespierre,  le  digne  Robespierre  s'est  élevé  contre  cet  affreux  projet? 
Croira-t-on  que  de  violens  murmures  sont  partis  à  la  fois  de  tous  les 
coins  de  la  salle,  aujourd'hui  remplie  de  suppôts  ministé- 
riels 7  Croira-t-on  que  des  insultes  et  des  menaces  se  sont 
fait  entendre  à  ses  côtés  ?  Croira-t-on  qu'il  a  été  réduit  à  requérir 
le  président  d'interposer  son  autorité,  et  à  demander  protection  ? 
Croira-t-on  qu'il  n'a  pas  pu  articuler  deux  mots  de  suite  sans  être 
scandaleusement  interrompu  ?  O  François  !  voilà  de  quelle  manière  sont 
traités  par  les  traîtres  à  la  patrie  qui  mènent  le  sénat,  les  seuls  repré- 
sentans  fidèles  qui  vous  restent  !  vLa  nation  apprendra-t-elle  de  sang- 
froid  ces  outrages  ?  Laissera-t-elle  à  la  postérité  le  soin  de  les  venger  ? 
Prêter a-t-e lie  à  rire  à  ses  voisins  en  leur  offrant  le  spectacle  ridicule 
d'un  peuple  immense  qui  a  la  présomption  de  vouloir  être  libre,  et  qui 
abandonne  lâchement  ses  défenseurs  ?  Après  les  outrages  qu'a  eu  à 
dévorer  tant  de  fois  l'incorruptible  Robespierre  en  défendant  les  droits 
du  peuple,  contre  l'assemblée  presqu'entièrement  prostituée  à  Louis 
XVI,  et  le  peu  d'influence  qu'il  a  eu  sur  la  plupart  des  décrets  passés 
contre  ses  réclamations,  se  peut-il  qu'il  y  ait  un  seul  patriote  judicieux 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  343 

qui  n'ait  pour  les  travaux  des  pères  conscrits  le  juste  mépris  qu'ils  méri- 
tent ?  Qu'on  vienne  nous  vanter  la  constitution,  comme  un  monument 
de  justice,  de  liberté,  de  sagesse  !  à  quelques  articles  près,  elle  n'est 
qu'une  œuvre  d'astuce,  de  bassesse,  de  servitude,  de  vénalité  et  de 
perfidie.  » 

La  Feuille  du  Jour,  t.  IV,  n°   137,  p.  388. 

«  En  France,  il  [le  droit  de  pétition}  ne  signifie  que  le  droit  de 
requête,  de  plainte,  ou  même  de  doléance,  mot  affreux  qui  crispe  les 
fibres  républicaines  de  M.  Robespierre. 

«  ...Les  débats  de  cette  séance  ont  causé  de  grandes  agitations 
à  M.  Robespierre.  Son  popularisme  hyperbolique  a  chicané  toutes  les 
dispositions  du  projet,  comme  indifférentes  pour  la  glofre  et  la  félicité 
du  grand  nombre... 

«  Patience  !  M.  Robespierre  sera  président.  M.  Marat  l'a  déjà 
proclamé  trois  fois,   successeur  de  Mirabeau.    » 

Le  Creuset,  t.  II,  n°  39,  p.  258. 

u  Le  patriote  Robespierre  a  fortement  appuyé  cette  opinion;  et 
aussi-tôt  il  s'est  vu  indécemment  en  proie  aux  murmures  injurieux  de 
la  majeure  partie  du  manège  :  mais  en  même  temps  vivement  applaudi 
par  les  citoyens  qui  remplissoient  les  tribunes.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Spectateur  national, 
11  mai  1791,  p.  691  ;  L'Ami  du  Roi  (Mont joie) ,  11  mai  1791,  p.  522; 
La  Chronique  de  Paris,  n°  131,  p.  524;  Le  Journal  universel,  t.  XI, 
p.  6076;  La  Correspondance  nationale,  n°  26,  p.  123;  Le  Journal  des 
Débats,  t.  XX,  n°  716,  p.  5;  Le  Courrier  des  LXXXIII  départemens, 
t.  XXIV,  n°  11,  p.  174;  Le  Courier  français,  t.  XI,  n°  131,  p.  75; 
La  Bouche  de  Fer,  n°  54,  p.  252;  Le  Courrier  extraordinaire,  11  mai 
1791,  p.  3;  L'Ami  du  Peuple  (Marat),  n°  455,  p.  4;  Le  Journal  des 
Décrets  de  l'Assemblée  nationale,  10  mai  1791,  p.  212  et  215;  Le 
Mercure  de  France,  21  mai  1791,  p.  495;  Le  Journal  général,  n°  100, 
p.  400;  Le  Législateur  français,  t.  II,  11  imai  1791,  p.  4;  Le  Lende- 
main, n°  131,  p.  378;  Le  Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau), 
t.   II,   n°   306,   p.    2.] 


2e  intervention 


'L'Assemblée  adopte  rapidement  l'article  8  du  projet  sur  le 
droit  de  pétition,  qui  devient  l'article  2  du  décret  :  «  Les 
citoyens  qui  voudront  exercer  le  droit  de  pétition  déclaré 
ci- dessus  ne  pourront  se  former  en  assemblée  de  commune 
par  communauté  entière  ou  par  sections.  Les  assemblées  de  commune 
ne  peuvent  être  ordonnées,  provoquées  et  autorisées,  que  pour  les 
objets    d'administration     purement    municipale,     qui     regardent     les 


344  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

intérêts  propres  de  la  commune.  Toutes  convocations  et  délibéra- 
tions des  communes  et  des  sections  sur  d'autres  objets  sont  nulles 
et  inconstitutionnelles.  «  iLe  Chapelier  donne  alors  lecture  de  l'article 
Si   du    projet,    qui    devient    l'article   3   du    décret     : 

«  Dans  la  ville  de  Paris  comme  dans  toutes  .les  autres  villes  et 
municipalités  du  royaume,  les  citoyens  actifs  qui,  en  se  conformant 
aux  règles  prescrites  par  les  lois,  demanderont  le  rassemblement 
de  la  commune  ou  de  leur  section,  seront  tenus  de  former  leur 
demande  par  un  écrit  signé  d'eux,  et  dans  lequel  sera  déterminé 
<l'une  manière  précise  l'objet  d'intérêt  municipal  qu'ils  veulent  sou- 
mettre à  la  délibération  de  la  commune  ou  de  leur  section,  et,  à 
défaut  de  cet  écrit,  le  corps  municipal  ou  le  président  d'une  section 
ne  pourront  convoquer  la  section  ou   la  commune.   »  . 

■Robespierre  s'éleva  contre  ces  dispositions,  et  demanda,  appuyé 
par  Buzot,  que   l'article   soit   rejeté  par   la  question  préalable. 

L'Assemblée  décida  qu'il  y  avait  lieu  à  délibérer,  et  adopta 
littéralement  l'art.   3. 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    132,  p.  543. 

«  M.  Roberspierre .  Je  vois  par  cet  article  qu'on  rend  les  officiers 
municipaux  juges  absolus  et  arbitraires  des  assemblées  de  commune;  on 
leur  donne  le  droit  d'éluder  sous  les  moindres  prétextes  les  demandes 
des  citoyens.  Non  seulement  on  met  des  entraves  aux  convocations  des 
communes,  mais  à  l'émission  même  du  vœu  des  citoyens.  On  donne 
aux  municipalités  la  faculté  de  rejeter  les  plus  justes  réclamations  par 
une  fin  de  non-recevoir ;  car  elles  pourront  toujours  dire:  cet  objet 
n'est  pas  l'objet  précis  de  la  convocation.  C'est  ainsi  qu'on  parvient  à 
anéantir  insensiblement  les  droits  des  Citoyens,  à  leur  ôter  toute  in- 
fluence, à  les  mettre  dans  la  dépendance  de  leurs  délégués,  et  sous  le 
despotisme  des  municipalités  (murmures).  Les  objections  banales  qu'on 
fait  contre  ces  raisonnemens,  sont  le  désordre,  l'anarchie.  Eh  bien! 
aurez- vous  jamais  autre  chose  que  le  désordre  et  l'anarchie  si  vous  éta- 
blissez les  formes  despotique?  qu'on  vous  propose  ?  D'un  côté  oppres- 
sion, de  l'autre  indignation  des  citoyens,  lutte  perpétuelle  entre  les 
mandataires  et  le  peuple;  voilà  ce  qui  résultera  de  cet  ordre  de  choses. 
Lorsqu'au  contraire,  les  citoyens,  ont  le  droit  de  faire  des  représea- 
tations,  d'éclairer  leurs  représentant,  alors  l'ordre  se  soutient  sur  les 
bases  de  la  justice  et  de  la  confiance.  Je  conclus  à  ce  que  l'article 
du  Comité  tendant  à  donner  aux  officiers  municipaux  le  pouvoir  d'élu- 
der les  réclamations  des  communes,  soit  rejeté  par  la  question  préa- 
lable.   On   demande  à  aller   aux   voix   sur   l'article    »   (9). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXV,  p.  ^57. 

«   M.   Robespierre.   Je   ne   vois  aucun   avantage   dans   cet   article  : 

j'y  vois  un  prétexte  toujours  donné  aux  officiers  municipaux  de  contester 

aux  citoyens  l'énonciation  plus  ou  moins  précise  de  l'objet  de  leur  ras- 

(9)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  361  ;  et  Bûchez  et 
Roux,  X,  14-15. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  345 

semblement;  ils  la  saisiront  d'autant  plus  avidement  qu'ils  y  seront  inté- 
ressés, puisque  l'administration  municipale  sera  seule  l'objet  de  ces 
assemblées  :  de  là  le  despotisme  municipal.  D'après  l'article  suivant, 
on  ne  pourrait  même  délibérer  sur  les  accessoires  de  l'objet  principal, 
sans  lesquels  il  seroit  souvent  impossible  de  prendre  une  délibération 
complète.  Et  ici,  Messieurs,  il  y  a  une  observation  très  essentielle  à 
faire;  c'est  que  si  quelque  chose  peut  causer  des  désordres  c'est  d'ôter 
aux  citoyens  la  faculté  de  pourvoir  d'une  manière  paisible  et  constitu- 
tionnelle à  ce  que  peut  exiger  l'intérêt  du  public;  car  si  les  moyens 
faciles  ne  leur  sont  point  offerts,  alors  les  abus  de  l'administration 
croissant  toujours  d'une  part,  de  l'autre  les  citoyens  trouvant  des  obstacles 
dans  la  disposition  même  des  administrateurs  leur  indignation  croîtra 
aussi;  et  voilà  la  source  du  désordre  et  de  l'anarchie;  voilà  la  lutte 
perpétuelle  des  délégués  contre  les  commettans.  Au  contraire,  que  la 
loi  ouvre  toujours  aux  citoyens  libres  et  lésés  une  voie  d'éclairer  l'admi- 
nistration, et  l'ordre  se  soutiendra  sur  la  base  immuable  de  la  justice  et 
de  la  raison  Je  conclus  de  là  qu'il  n'y  a  pas  lieu  à  délibérer  sur  cet 
article  »  (10). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  n°  668,  p.   120. 

«  M.  Robespierre  a  soutenu  que  cet  article  tendoit  à  paralyser 
les  assemblées  convoquées  en  vertu  de  la  loi,  et  à  affaiblir  le  droit 
des  citoyens  pour  amener  le  despotisme  municipal,  et  laisser  impunies 
les  fautes  des  Administrateurs  :  «  Ce  sont,  disoit-il,  des  moyens  faciles 
d'empêcher  les  abus,  qu'on  enlève  aux  citoyens;  ils  trouveront  des  obsta- 
cles dans  l'esprit  des  administrateurs  pour  opérer  le  bien,  et  des  obsta- 
cles dans  !a  loi  pour  arrêter  les  désordres  des  administrateurs.  C'est  de 
là  que  peut  naître  l'anarchie.  Il  n'y  a  d'autres  moyens  pour  conserver 
l'ordre,  la  paix  et  la  liberté,  que  de  rejetter  cet  article,  et  je  demande 
la  question  préalable.  On  demande  d'aller  aux  voix.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  des  Débats, 
t.  XX,  n°  716,  p.  5.] 

•(10)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXV,  694,  en  même 
temps  qu'un  passage  du  Moniteur,  depuis:  «  Je  vois...  jusqu'à... 
municipalités  ». 


284.  —  SEANCE  DU  10  MAI   1791  (soir) 
Sur  la  pétition  des  religieuses  de  Sainte -Claire  d'Auxonne 


L'Assemblée   avait  fixé   dans   sa   séance  du  21   septembre   1790   (1) 
le    traitement    à    allouer    aux    religieuses.    Celles    de    Sainte-Clan  •••- 


(1)  Cf.    Discours...,   V  partie,   p.   544. 


346  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

d'Auxonne  (2)  lui  adressent  une  pétition  dans  laquelle  elles  se  plai- 
gnent de  l'oubli  dans  lequel  .on  les  laisse.  Huit  mois  se  sont  écoulés 
sans  que  leur  pension  ait  encore  été  payée. 

Robespierre  intervient  en  leur  faveur  et  propose  le  renvoi  de  la 
pétition  aux  comités.  Mais  Regnaud  fait  remarquer  que  l'affaire 
est  du   ressort  du  pouvoir  exécutif. 

L'Assemblée  se  rangea  à  ce  dernier  avis  et  décida  de  renvoyer 
H  pétition   au  ministre  des   contributions. 

Journal  général  de  France,   12  mai  1791,  p.  525. 

«  M.  Robertspierre  s'est  fortement  élevé  contre  cette  coupable 
négligence  dans  l'acquittement  d'une  dette  si  sacrée,  et  il  a  fait  obser- 
ver que  de  pareilles  réclamations  arrivoient  de  tous  les  départemer.s. 
II  a  demandé  qu'on  prît  à  ce  sujet  les  mesures  les  plus  promptes  et  les 
plus  efficaces;  et  il  a  conclu  à  ce  qu'on  renvoyât  la  Pétition  des  Reli- 
gieuses d'Auxonne  aux  comités  ecclésiastique  et  des  finances 
réunis.   » 

Le  Spectateur  national,    12  mai    1791,  p.   699. 

«  Après  cette  adresse,  on  en  a  lu  une  des  religieuses  de  Sainte- 
Claire  d'Auxonne,  qui  a  été  présentée  par  M.  Robespierre.  Ces  bonnes 
soeurs  supplient  l'assemblée  nationale  de  donner  des  ordres  pour  qu'à 
l'avenir  on  leur  paie  avec  plus  d'exactitude  qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'à 
ce  jour,  le  modique  traitement  que  leur  assurent  les  décrets.  Cette 
affaire  a  été  renvoyée  au  pouvoir  exécutif.   » 

Mercure  universel,  t.   III,  p.    190. 

a  Les  religieuses  d'Auxerre  (3)  se  plaignent  de  ce  qu'elles  ne 
sont  point  payées  du  traitement  qui  leur  a  été  fixé...  M.  Robespierre 
observe  que  les  mêmes  réclamations  arrivent  en  foule  de  tous  les  dépar- 
temens,  et  qu'il  est  nécessaire  de  prendre  des  mesures  aussi  promptes 
qu'efficaces,  pour  arrêter  cette  négligence  dans  l'acquittement  d'une 
dette  aussi  sacrée.   » 


(2)  Auxonne,  chef-lieu  de  canton  de  la  Côte-d'Or,   sur  la  Saône, 
à  30  km  de  Dijon. 

(3)  Le  Mercure  universel  confond  à  deux  reprises  Auxonne  avec 
Auxerre. 


285.  —  SEANCE  DU  12  MAI   1791 
Sur  la  condition  des  hommes  de  couleur  libres  (1) 


Le  7  mai,  l'Assemblée  entend  un  rapport  présenté,  au  nom  du 
comité  des  colonies,  par  Delattre,  négociant  à  Abbeville,  député 
du  tiers  état  de  la  sénéchaussée  de  Ponthieu,    sur  la  condition  poli- 


<1)  Cf.  ci-dessius,  séances  des  31  mars  et  5  avril  1791  ;  et  E.   Ha- 
mel,   I,  436. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  347 

tique  des  hommes  libres  de  couleur  (2).  Le  rapporteur  présente  un 
projet  dont  l'art.  1  a  pour  objet  de  décréter  constitutionnellement 
qu'aucune  loi  sur  la  condition  des  personnes  et  le  régime  intérieur 
des  colonies  ne  pourra  être  rendue  que  sur  Ja  demande  formelle 
des  assemblées  coloniales  (3).  En  conséquence  de  ce  principe,  la 
suite  du  projet  prévoit  la  formation  d'une  assemblée  générale  de 
toutes  les  colonies,  chargée  de  rédiger  des  lois  pour  l'amélioration 
de  la  condition  des  hommes  de  couleur  libres. 

Un  débat  d'une  grande  ampleur  s'instaure  aussitôt.  Les  députés 
du  côté  gauche,  l'abbé  Grégoire  le  premier,  font  remarquer  qu'il 
s'agit  en  fait  d'anéantir  pour  les  hommes  de  couleur  libres,  les  prin- 
cipes de  la  Déclaration  des  droits  de  l'homme,  afin  de  les  livrer 
à  l'oppression  des  colons  blancs  {4)-  La  discussion  se  poursuit  le 
11,  puis  le  12  mai.  Lanjuinais  d'abord  prend  la  défense  des  hommes 
de  couleur.  Robespierre  intervient  à  son  tour  et  demande  le  rejet 
du  projet. 

Après  un  débat  houleux,  l'Assemblée  décida,  par  appel  nomi- 
nal, qu'il  y  avait  lieu  à  délibérer  sur  le  projet  de  décret  de  son 
comité. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXV,  p.  427. 
«  M.  Robespierre.  I!  faut  bien  observer  que  la  question  n'est  pas 
de  savoir  si  vous  accorderez  les  droits  politiques  aux  hommes  de  cou- 
leur, mais  si  vous  les  leur  laisserez;  car  ils  les  avoient  avant  vos  décrets 
(murmures)  ;  et  les  hommes  de  couleur  étant  alors  égaux  en  droits  aux 
hommes  blancs,  il  s'en  suit  que  la  révolution  les  a  élevés,  par  la  nature 
même  des  choses,  au  même  rang  que  les  hommes  blancs,  c'est-à-dire 
aux  droits  politiques.  Vos  décrets  précédens  les  leur  ont-ils  ôtés  ?  Non. 
Car  vous  vous  rappeliez  très  bien  que  vous  en  avez  rendu  un  qui  donne 
les  droits  de  citoyen  actif  à  toutes  personnes  propriétaires  dans  les  colo- 
nies, et  payant  la  contribution.  Or,  les  gens  de  couleur  libres  v  sont 
compris.  Vous  remarquerez  encore  que,  depuis,  aucun  décret  n'a  dérogé 
à  celui-là;  que  ce  considérant  dont  on  a  voulu  former  une  déclaration 
contre  ce  qui  avoit  été  décrété,  n'étoit  point  une  loi  formelle  :  mais 
ce  considérant  ne  dit  rien  de  ce  qu'on  prétend  lui  faire  dire;  il  accorde 
l'initiative  aux  colonies  ,et  par  conséquent  aux  citoyens  des  colonies. 
Or,    comme    les    citoyens    libres   de    couleur    avoient    les    même?    droits 


(2)  On  considérait  aux  colonies,  trois  catégories  d'habitants;  les 
colons  blancs,  les  colons  mulâtres,  et  les  esclaves.  Il  s'agit,  dans  le 
projet  de  Delattre  uniquement  du  second  groupe,  ,1e  cas  des  esclaves 
n'est  pas  soulevé.  (iCf.  G.  Hardy.  Robespierre  et  la  question  noire, 
Ann.    rév.,    1920,    p.    357-382). 

(3)  D'après  le  décret  du  8  ma*s  1790,  les  Assemblées  coloniales 
devaient  être  composées  des  propriétaires  âgés  de  25  ans,  résidant 
depuis  2  ans  au  moins  dans  la  colonie. 

(4)  Grégoire  appartenait  à  la  Société  des  Amis  des  Noirs.  Mau- 
petit  dans  sa  Correspondance  publiée  par  E.  Queruau-Lamerie 
(Bulletin  de  la  Commission  historique  de  la  Mayenne,  t.  XXII, 
p  l.")8)  cite  également  Robespierre  à  la  suite  de  Grégoire  parmi 
les  membres  de  celte  »Société. 


348  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

antérieurement  à  ce  considérant,  et  même  en  vertu  des  décrets  précé- 
dens,  il  est  évident  qu'ils  doivent  partager  l'initiative  avec  les  colons 
blancs  auxquels  ces  colons  étoient  égaux  en  droits.  Ainsi  vos  décrets 
postérieurs  n'ont  point  dérogé  aux  premiers. 

«  Vous  perdez  vos  colonies,  vous  dit-on,  si  vous  ne  dépouillez  point 
les  citoyens  libres  de  couleur,  des  droits  politiques. 

«   Plusieurs  Voix.  Ce  n'est  pas  ça. 

«  M.  Robespierre.  Si  ce  ne  sont  pas  les  expressions,  au  moins 
c'est   le   sens. 

«  Pourquoi  perdriez-vous  vos  colonies  ?  c'est  parce  qu'une  partie 
des  citoyens  des  colonies,  que  l'on  appelle  les  blancs,  veulent  obtenir 
exclusivement  ces  droits  poux  eux-mêmes  et  qu'ils  vous  disent,  par 
l'organe  de  ceux  qui  vous  présentent  le  projet  des  comités  :  si  vous 
ne  nous  attribuez  exclusivement  les  droits  politiques,  nous  serons  mécon- 
tens;  votre  décret  portera  le  mécontentement  et  le  trouble  dans  ces 
colonies,  il  peut  avoir  des  suites  funestes.  Je  demande  d'abord  à  l'as- 
semblée nationale  s'il  est  bien  de  la  politique  du  législateur  de  faire 
des  transactions  de  cette  espèce,  avec  l'intérêt  personnel,  avec  les  pas- 
sions, avec  l'orgueil  d'une  classe  de  citoyens;  je  demande  s'il  est  bien 
politique  de  céder  ainsi  à  des  menaces,  pour  trafiquer  du  droit  des 
hommes  et  des  droits  les  plus  sacrés  de  la  justice  et  de  l'humanité. 
(Applaudi).  Ensuite,  messieurs,  il  me  semble  que  cette  objection  mena- 
çante est  bien  foible,  puisqu'il  est  évident  qu'elle  peut  être  rétorquée 
contre  ceux  qui  la  font.  En  effet,  si  les  blancs  vous  font  cette  objection 
d'un  côté,  les  hommes  de  couleur  de  l'autre  ne  peuvent-ils  pas  nous 
en  faire  une  semblable  ?  Or,  je  crois  que  la  libre  indignation  des  hom- 
mes libres,  que  le  courage  avec  lequel  ils  défendront  leur  liberté,  n'est 
ni  moins  puissant  ni  moins  redoutable  que  le  ressentiment  de  l'orgueil 
de  ceux  qui  n'ont  point  obtenu  les  injustes  avantages  auxquels  ils  aspi- 
raient   (Applaudi)  (5). 

«  Ainsi,  sous  ce  premier  rapport,  de  l'un  et  de  l'autre  côté,  le 
danger  est  égal,  et  j'ajouterai  une  observation  que  nous  devons  à  M.  Bar- 
nave  et  qui  rend  le  danger  moins  grand  du  côté  des  blancs;  c'est 
que  suivant  lui  les  hommes  les  plus  riches  des  colonies,  les  blancs  les 
plus  distingués  font  des  vœux  pour  la  cause  des  gens  de  couleur. 

«  Mais  sur  quoi  se  fonde  le  parti  des  blancs  qui  veulent  dépouiller 
leurs  concitoyens  de  leurs  droits  ?  Quel  est  donc  le  motif  de  cette 
extrême  répugnance  ?  Cela  diminuera,  disent-ils,  le  respect  des  noirs  à 
l'égard  des  blancs  qui  ne  peuvent  Jes  conduire  que  par  la  terreur.  Aux 
raisons  victorieuses  qui  ont  été  données  contre  cette  objection,  j'ajoute 
que  la  conservation  des  droits  politiques  que  vous  prononcez  en  faveur 
des  gens  de  couleur  ne  feroit  que  fortifier  la  puissance  des  maîtres  sur 


>(ô)  Il  arriva  en  effet,  en  août  1791,  qu'après  l'insurrection  des 
esclaves  à  -Saint-Domingue,  les  mulâtres  combattirent;  les  blancs  dans 
certaines   régions,    en  même  temps  que  les  esclaves   rebelles. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  349 

les  esclaves,  puisque  si  vous  donnez  à  tous  les  citoyens  de  couleur  pro- 
priétaires et  maîtres  le  même  intérêt,  si  vous  n'en  faites  qu'un  seul  parti 
ayant  le  même  intérêt  à  maintenir  les  noirs  dans  la  subordination,  il  est 
évident,  dis-je,  que  la  subordination  sera  cimentée  d'une  manière  encore 
plus  ferme  dans  les  colonies,  au  lieu  que  si  vous  faites  une  scission  entre 
les  blancs  et  les  hommes  de  couleur,  vous  rapprochez  naturellement 
tous  les  hommes  de  couleur,  qui  n'auront  pas  les  mêmes  droits  ni  les 
mêmes  intérêts  à  défendre  que  les  blancs;  vous  les  rapprochez  dis-je 
de  la  classe  des  nègres;  et  alors,  s'il  y  avoit  quelqu' insurrection  à  crain- 
dre de  la  part  des  esclaves  contre  les  maîtres,  il  est  évident  qu'elle 
seroit  bien  plus  redoutable,  étant  soutenue  par  des  hommes  libres  de  cou- 
leur qui  n'auront  pas  le  même  intérêt  à  'la  maintenir.  Vous  voyez  donc, 
messieurs,  à  quoi  se  réduit  toutes  ces  arguties  prodiguées  par  une  partie 
des  colons  blancs  pour  obtenir  le  droit  de  dominer  dans  !es  colonies. 

«  Vous  voyez  que  ces  objections  sont  évidemment  contraires  à  l'in- 
térêt bien  entendu  non  seulement  des  colonies,  mais  à  celui  de  la  classe 
des  blancs.  Vous  voyez  que  c'est  leur  système  sur  lequel  est  établi 
le  renversement  de  la  paix  publique  et  la  destruction  des  colonies. 

«  Voyons  maintenant  s'il  est  vrai  que  l'article  du  comité  ne  tend 
pas  à  dépouiller  les  gens  de  couleur.  Que  vous  a-t-on  dit  ?  On  vous  a 
dit  que  ce  ne  seroit  qu'une  espèce  d'ajournement,  que  ce  seroit  un 
mode  différent  mais  beaucoup  plus  certain,  plus  sage  que  vous  adopte- 
riez pour  assurer  aux  hommes  libres  de  couleur  la  justice  qui  leur  est 
due.  Eh  !  quel  est-il  ce  mode  si  favorable,  il  consiste  à  nommer  un 
congrès  (murmures). 

«  M.  Grégoire.  Il  semble  qu'il  y  ait  une  conjuration  pour  empêcher 
les  défenseurs  de  la  justice  et  de  l'humanité  d'être  entendus. 

«    M.  Démeunier.  Nous  demandons  qu'on  entende  M.  Rob-^spieire 

«  M.  Robespierre.  Mais  de  qui  ce  congrès  seroit-il  composé  ? 
de  blancs;  et  ce  seront  les  blancs  qui  demanderont  que  les  hommes 
de  couleur  ne  jouissent  point  de  ces  droits.  Alors,  messieurs,  ce  seroit 
renvoyer  les  hommes  de  couleur  à  leurs  adversaires  pour  obtenir  les 
droits  qu'ils  réclament,  et  qu'ils  prétendent  qu'on  ne  peut  pas  leur 
ôter.  Ainsi,  messieurs,  lorsque  !a  question  s'éleva  pour  la  première  fois 
en  France,  pour  savoir  si  ce  qu'on  appel loit  le  tiers-état  devc.t  avoir 
une  représentation  égale  à  celle  des  deux  autres  ordre?,  ce  n'auroit 
pas  été  une  méthode  maladroite  d'assembler  dans  une  des  villes  de 
France  un  congrès  composé  moitié  d'ecclésiastiques  et  moitié  de  nobles, 
pour  proposer  au  gouvernement  leur  avis  sur  cette  question.  Que  l'on 
me  montre  une  véritable  différence  entre  ce  cas  et  le  décret  qne  vous 
demande  le  comité  colonial,  et  je  consens  à  adopter  ce  décret.  Mais 
si  la  comparaison  est  exacte,  si  Je  cas  est  parfaitement  le  même,  je 
demande  que  l'on  ne  compromette  pas  les  intérêts  les  plus  chers  de 
l'humanité,  les  droits  sacrés  d'une  portion  intéressante  de  nos  conci- 
toyens,   à   une    classe    d'hommes   qui    ne   parle    devant    vous   que    pour 


350  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

obtenir  le  droit  de  dominer  sur  eux,  et  de  les  opprimer  impunément. 
Ce  n'est  pas  que  le  comité  colonial  n'ait  cherché  à  vous  rassurer  contre 
cette  injustice  trop  révoltante,  et  M.  Barnave  vous  a  dit  que  les  gens 
de  couleur  ne  couroient  aucun  risque  à  ce  que  cette  mesure  fût  adoptée; 
mais,  messieurs,  remarquez  combien  cette  objection  est  contradictoire 
avec  les  raisons  alléguées  par  leurs  adversaires  :  ils  vous  font  presque 
envisager  comme  une  chose  certaine,  que  îa  proposition  des  blancs 
sera  favorable  aux  gens  de  couleur;  et  ce  sont  les  mêmes  hommes  qui, 
pour  vous  épouvanter,  vous  ont  dit  que,  si  vous  prononciez  en  fa\eur 
des  gens  de  couleur,  vous  mécontenteriez  tellement  les  blancs,  vous 
jetteriez  un  tel  désordre  dans  nos  colonies,  que  c'en  étoit  fait  de  nos 
colonies  et  de  notre  commerce.  Non,  messieurs,  lorsqu'on  est  guidé, 
je  ne  dis  pas  seulement  par  la  justice,  mais  par  la  saine  politique,  on  ne 
raisonne  point  d'une  manière  contradictoire.  C'est  vouloir  ôter  à  l'assem- 
blée nationale  son  caractère  de  popularité  (à  droite  :  ah  !  ah  !)  son  carac- 
tère protecteur  des  droits  de  l'homme,  qui  est  la  première  base  de  sa 
puissance;  et  je  demande  à  présent  si  la  saine  politique,  la  seule  qui 
convienne  à  l'assemblée  nationale,  n'est  point  d'accord  avec  la  justice 
et  la  raison  pour  assurer  les  droits  que  nous  réclamons  en  faveur  des 
hommes   libres  de   couleur.    (Applaudi)    »    (6). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   1.34,  p.  553. 

«  M.  Roberspierre.  Avant  tout  il  est  important  de  fixer  le  véritable 
état  de  la  question  :  elle  n'est  pas  de  savoir  si  vous  accorderez  les  droits 
politiques  aux  citoyens  de  couleur,  mais  si  vous  les  leur  conserverez, 
car  ils  en  jouissaient  avant  vos  décrets.  (On  applaudit.  M.  l'abbé  Maury 
interrompt.  On  le  rappelle  à  l'ordre).  Je  dis  qu'ils  jouissaient  des  droits 
que  les  blancs  réclament  aujourd'hui  pour  eux  exclusivement,  des  droits 
civils,  les  seuls  dont  tous  les  citoyens  jouissaient  avant  la  révolution.  La 
révolution  a  rendu  les  droits  politiques  à  tous  les  citoyens  :  les  hommes 
libres  étant  égaux  en  droits  avant  elle,  ont  donc  dû  recevoir  les  mêmes 
droits  politiques.  Sont-ce  vos  décrets  précédens  qui  les  leur  ont  ôtés  ? 
Non.  Vous  avez  donné  la  qualité  de  citoyen  actif  à  tout  homme  qui 
paie  la  contribution  de  trois  journées  de  travail;  et  comme  la  couleur 
n'y  fait  rien,  tous  les  gens  de  couleur  qui  paient  trois  journées  de  travail 
sont  par  ce  décret  reconnus  citoyens  actifs,  le  considérant  du  décret  du 
12  octobre,  dont  on  a  voulu  s'armer  dans  cette  discussion,  loin  d'être 
favorable    aux    prétentions    qu'on    élève,    les    exclut    (7).    Il    porte    que 


(6)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXVI,  7-9,  qui  le  font 
précéder  d'un  passage  du  Moniteur. 

(7)  Décret  du  12  octobre  1790.  «  Considérant...  que  l'Assembler 
n-ationab  a  promis...  qu'aucunes  loix  sur  l'état  des  personnes  ne 
seront  décrétées  pour  les  colonies  que  sur  la  demande  précise  et 
formelle  de  leur  ri  Assemblées  coloniales...  (le  décret  annule  les  actes 
de  l'Assemblée  de  Saint-Marc  et  la  déclare  déchue  de  ses  pouvoirs;. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  351 

vous  avez  l'intention  de  ne  rien  innover  à  l'état  des  personnes  sans 
l'initiative  des  Colonies;  c'est  à  dire,  sans  doute,  des  citoyens  des  Colo- 
nies; donc  les  gens  de  couleur  étant  citoyens  des  Colonies,  et  ayant 
par  les  lois  anciennes  non  abrogées  par  vos  décrets  sur  les  qualités  de 
citoyen  actif,  les  mêmes  droits  que  les  colons  blancs,  doivent  partager 
cette  initiative. 

«  Voyons  maintenant  quelles  sont  les  raisons  qui  peuvent  vous 
forcer  à  violer  à  la  fois  et  les  lois  et  vos  décrets,  et  les  principes  de  la 
justice  et  de  l'humanité.  Vous  perdrez  vos  Colonies,  vous  dit-on,  si 
vous  ne  dépouillez  les  citoyens  libres  de  couleur  de  leurs  droits;  car 
j'ai  fait  voir  que  c'est-là  ce  que  l'on  demande.  Et  pourquoi  perdrez- 
vous  vos  Colonies  ?  c'est  parce  qu'une  partie  des  citoyens,  ceux  que 
l'on  appelle  les  blancs,  veulent  exclusivement  jouir  des  droits  de  cité. 
Et  ce  sont  eux-mêmes  qui  osent  vous  dire,  par  l'organe  de  leurs  députés, 
craignez  les  suites  de  ce  mécontentement.  Voici  donc  un  parti  factieux 
qui  vous  menace  d'incendier  vos  Colonies,  de  dissoudre  les  liens  qui 
les  anissent  à  la  métropole,  si  vous  ne  confirmez  ses  prétentions  !  je  de- 
mande s'il  est  bien  de  la  dignité  des  législateurs  de  faire  des  transac- 
tions de  cette  espèce  avec  l'intérêt,  l'avarice,  l'orgueil  d'une  classe  de 
citoyens.  (On  applaudit).  Je  demande  s'il  est  politique  de  se  déterminer 
par  !es  menaces  d'un  parti  pour  trafiquer  des  droits  des  hommes,  de  la 
justice  et  de  l'humanité.  Et  ne  pourrais-je  pas  rétorquer  l'objection  que 
l'on  fait  ?  Les  hommes  de  couleur  ne  peuvent-ils  pas  dire  :  si  vous  nous 
dépouillez  de  nos  droits,  nous  serons  mécontens  et  nous  ne  mettrons 
pas  moins  de  courage  à  défendre  les  droits  sacrés  et  imprescriptibles 
que  nous  tenons  de  la  nature,  que  nos  adversaires  ne  mettent  d'obsstma- 
tion  à  vouloir  nous  en  dépouiller,  la  juste  indignation  d'hommes  libres 
opprimés  ne  nous  donne  pas  moins  d'énergie  que  ne  peut  leur  en 
inspirer  le  vif  sentiment  de  l'orgueil... 

«  Ainsi,  de  l'un  et  l'autre  côté,  il  y  a  des  dangers  égaux,  et 
j'ajouterai  une  observation  que  nous  devons  à  M.  Barnave;  c'est  que 
les  colons  blancs  les  plus  riches  font,  selon  lui,  des  vœux  pour  les 
gens  de  couleur;  vous  affaibliriez  donc  le  parti  des  blancs,  et  vous  ren- 
forceriez celui  des  gens  de  couleur;  d'où  il  résulte  nécessairement  q:î'u 
y  a  moins  de  dangers  à  prononcer  en  faveur  de  ces  derniers. 

«  Mais  suivons  dans  leurs  détails  les  objections  de  ce  parti  des 
blancs.  Quel  est  le  motif  de  cette  extrême  répugnance  à  partager  avec 
leurs  frères  l'exercice  de  leurs  droits  politiques?  C'est  que  si  vous 
donnez  la  qualité  de  citoyens  actifs  aux  hommes  libres  de  couleur,  vous 
diminuez  le  respect  des  esclaves  pour  leurs  maîtres,  ce  qui  est  d'autant 
plus  dangereux  qu'ils  ne  peuvent  être  conduits  que  par  la  terreur, 
objection  absurde.  Les  droits  qu'exerçaient  auparavant  les  hommes  de 
couleur  ont-ils  eu  de  l'influence  sur  l'obéissance  des  noirs,  ont-ils  dimi- 
nué l'empire  de  la  force  qu'exercent  les  maîtres  sur  l^urs  esclaves? 
Mais,  raisonnons  dans  vos  propres  principes.  En  donnant  les  droits  pol'- 


352  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

tiques  aux  gens  de  couleur  propriétaires,  n'augmentez- vous  pas  la  puis- 
sance des  maîtres  ?  Lorsqu'ils  auront  le  même  intérêt  de  maintenir  les 
esclaves  dans  la  soumission,  et  que  cet  intérêt  ne  sera  plus  traversé  par 
aucun  autre,  la  subordination  ne  sera-t-elle  pas  cimentée  d'une  manière 
plus  solide  ?  Privez-les  au  contraire  de  leurs  droits  ;  vous  les  rapprochez 
de  la  classe  des  nègres.  S'il  y  avait  quelque  insurrection  à  craindre 
de  la  part  des  esclaves,  il  est  évident  qu'ils  n'auraient  pas  alors  le 
même  intérêt  à  la  réprimer,  parce  que  leur  cause  serait  presque  com- 
mune... Vous  voyez  donc  à  quoi  se  réduisent  toutes  ces  arguties  des 
colons  blancs,  ces  ridicules  prétentions  contraires  et  à  l'intérêt  général 
des  Colonies,  et  à  leur  propre  intérêt  bien  entendu. 

«  Ils  n'osent  pas  les  soutenir  en  principe;  examinons  comment  ils 
cherchent  à  éluder  la  question,  et  à  vous  séduire  par  l'illusion  de  vaines 
promesses.  Quel  est-il  ce  prétendu  moyen  si  facile,  pour  en  venir 
paisiblement  à  ce  que  la  nature  et  la  raison  réclament  ?  Il  consiste  à 
nommer  un  congrès,  qui  prononcera  sur  le  sort  des  hommes  de  couleur, 
sans  l'avis  duquel  vous  ne  pourrez  rien  décider.  Et  de  qui  ce  congrès 
sera-t-il  composé  ?  de  colons  blancs.  C'est  à  dire,  que  vous  refusez 
justice  aux  hommes  de  couleur  pour  les  renvoyer  à  leurs  adversaires. 
C'est  comme  si,  lorsqu'il  s'est  agi  en  France  de  savoir  si  le  hers-état 
aurait  une  double  représentation,  on  eût  fait  un  congrès,  composé  moitié 
de  clergé,  moitié  de  nobles,  pour  donner  au  gouvernement  son  avis 
sur  les  droits  des  communes.  (Une  partie  de  l'Assemblée,  et  les  tribunes 
applaudissent).  Je  demande  que  l'on  ne  soumette  pas  les  intérêts  les 
plus  chers,  les  droits  les  plus  sacrés,  à  cette  classe  d'hommes  qui  ne 
parlent  devant  vous  que  pour  obtenir  le  droit  de  dominer. 

«  M.  Barnave  vous  a  dit  que  la  décision  de  ce  congrès  sera  favo- 
rable aux  gens  de  couleur,  qui  pourrait  le  croire  ?  J'ai  pour  garant  du 
contraire  leur  intérêt  personne)  auquel  ils  sont  accoutumés  à  tout  sacri- 
fier, leurs  opinions  bien  prononcées,  les  prétentions  dans  lesquelles  ils 
s'obstinent  depuis  deux  ans...  Ils  vous  disent  qu'ils  seront  favorables 
aux  hommes  de  couleur,  et  vous  oubliez  que  ce  sont  les  mêmes  hommes 
qui  vous  ont  dit  que  si  les  hommes  de  couleur  triomphaient,  c'en  était 
fait  de  vos  Colonies  et  de  votre  commerce.  (On  applaudit).  Non,  lors- 
qu'on a  la  justice  de  son  côté,  on  ne  déraisonne  pas  d'une  manière  aussi 
contradictoire,  lorsqu'on  a  quelque  respect  pour  le  corps  législatif,  on 
ne  croit  pas  le  séduire  par  des  menaces  ou  par  des  raisons  aussi  ridi- 
cules... [On  applaudit). 

a  C'est  après  avoir  prodigué  tous  ces  sophismes  contradictoires, 
qu'on  a  jeté  en  avant  un  fait  dont  vous  avez  dû  remarquer  l'incohérence 
avec  le  discours  qui  l'a  précédé.  Ne  pouvant  vous  subjuguer  par  des 
raisons,  on  vous  inspire  de  vaines  terreurs.  C'est  M.  Barnave  qui  a  fait 
ce  singulier  épisode  que  vous  avez  entendu  sur  les  armements  de  l'An- 
gleterre. Eh  bien,  j'adopte  les  alarmes  que  vous  avez  conçues,  je  sup- 
pose au  gouvernement  anglais  les  intentions  les  plus  hostiles;  je  n  exa- 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  353 

mine  pas  si  les  tentatives  qu'il  pourrait  faire  ne  dépendent  pas  entière- 
ment de  la  paix  ou  de  la  guerre  qui  va  être  décidée  entre  l'Angleterre, 
la  Prusse  et  la  Russie.  Si  les  Anglais  cherchaient  à  profiter  des  troubles 
de  nos  colonies,  de  quel  côté  croyez-vous  qu'ils  trouveraient  la  plus 
ferme  résistance  ?  De  la  part  d'une  partie  des  colons  blancs,  indisposés 
de  ce  que  vous  auriez  rejeté  leurs  prétentions,  ou  de  la  part  des  hommes 
de  couleur,  accoutumés  à  défendre  vos  colonies  contre  les  invasions  ? 

«  Même,  tous  les  inconvéniens  dont  je  parle  étant  égaux,  il  est 
impossible  que  vous  ne  soyez  pas  convaincus  que  le  projet  du  Comité, 
s'il  était  adopté,  ôterait  à  l'Assemblée  son  caractère  de  justice  et  de 
popularité,  et  lui  ferait  perdre  son  titre  de  protectrice  des  droits  de 
l'humanité  Je  demande  d'après  cela  s'il  est  de  la  saine  politique  d'adop- 
ter ce  projet  »  (8). 

Journal  de  Paris,  nos  133-134,  p.  535  et  537. 

«  M.  de  Roberspierre  étoit  impatient  de  parler,  et  on  étoit  aussi 
impatient  de  l'entendre.  Voici  quelles  étoient  ses  idées.  Les  efforts 
qu'on  a  faits  pour  étouffer  sa  voix,  ont  assez  témoigné  qu'on  la  craignoit, 
et  c'étoit  un  hommage  qui  lui  étoit  rendu. 

«  Je  ne  m'étendrai  pas  sur  les  principes  de  la  justice  qui  réclament 
en  faveur  des  hommes  libres  de  couleur  la  plénitude  des  droits  du 
citoyen;  quoique  je  sois  bien  convaincu  que  la  justice  doit  entrer  au 
moins  pour  beaucoup  dans  vos  décisions;  quoique  je  ne  connoisse  point 
de  véritable  politique  contraire  à  la  justice.  Mais  puisqu'on  a  voul.i  les 
séparer,  j'examinerai  les  frivoles  prétextes  qu'on  a  décorés  du  nom 
de  politique  :  avant  tout  je  fixe  la  question. 

«  Elle  ne  consiste  pas  à  décider  si  vous  accorderez  aux  hommes 
libres  de  couleur  des  droits  nouveaux;  mais  si  vous  les  dépouillerez  de 
ceux  qui  leur  appartenoient  avant  vos  décrets,  et  qui  leur  sont  assurés 
par  vos  décrets.  » 

«  Avant  vos  décrets,  les  Blancs  et  les  Citoyens  libres  de  couleur 
étoient  égaux  en  droits;  ils  exerçoient  tous  les  droits  civils,  les  seuls 
dont  tous  les  François  pussent  jouir  alors.  Lorsque  la  révolution  a  eu 
rendu  à  tous  les  François  l'exercice  de  leurs  droits  politiques,  les 
Citoyens  des  Colonies  les  ont  recouvrés  également,  par  la  nature 
même  des  choses,  sans  aucune  distinction  de  couleur;  vous  n'aviez  pas 
le  droit  de  les  leur  ôter;  au  contraire,  votre  décret  du  28  mars  assure 
formellement  les  droits  politiques  à  toutes  personnes  dans  les  Colonies, 
contribuables  au  degré  que  vous  avez  déterminé;  ce  qui  renferme  bien 
évidemment  tous  les  Citoyens  des  Colonies  payant  cette  contribution, 
soit  blancs,  soit  d'une  autre  couleur. 

«  Les  dépouillerez-vous  aujourd'hui,  ces  hommes  de  couleur,  des 

(8)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  381.  Bûchez  et  Roux 
(X,  95)  ne  donnent  par  contre  qu'un  bref  résumé  de  cette  inter- 
veution. 

ItèBEsMIfcftkfc        8 


354  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

droits  sacrés  que  la  nature  et  les  loix  leur  garantissent  ?  Voilà  la  ques- 
tion, honteuse  à  mon  gré,  qui  agite  cette  assemblée.  Quelles  sont  ces 
puissantes  raisons  de  politique  qui  doivent  vous  forcer  à  les  violer  ?  On 
n'en  a  allégué  aucune  qui  ne  me  paroisse  ou  futile  ou  contradictoire. 

«  Vos  colonies  sont  perdues,  vous  crie-t-on,  si  vous  ne  dépouillez 
les  Citoyens  libres  de  couleur  de  leurs  droits.  Eli,  pourquoi  seront-elles 
perdues?  parce  que  vous  mécontenterez  les  Blancs:  ainsi,  ce  sont  les 
hommes  qui  plaident  devant  vous  contre  leurs  Concitoyens,  pour  s'em- 
parer de  la  domination,  qui  vous  disent  par  l'organe  de  votre  Comité 
Colonial  :  si  vous  ne  prononcez  point  en  notre  faveur,  nous  nous  révol- 
terons contre  votre  décret,  et  vos  Colonies  seront  perdues.  Je  pouirois 
demander  d'abord  s'il  est  bien  conforme  à  la  politique  des  Législateurs 
de  la  France  de  souscrire  cette  lâche  transaction  avec  l'orgueil  et  l'in- 
justice, et  de  céder  à  la  menace,  pour  trafiquer  des  droits  les  plus  sacrés 
de  l'humanité.  Mais  j'observe  surtout  que  cette  objection  menaçante 
peut  être  tournée,  avec  avantage,  contre  ceux  qui  la  proposent.  Les 
hommes  libres  de  couleur  n'auront-ils  pas  le  droit  de  vous  dire  aussi  : 
Si  vous  nous  sacrifiez  à  nos  adversaires,  votre  décret  portera  dans  nos 
coeurs  et  dans  notre  patrie  le  mécontentement  et  le  désespoir  :  nous 
aurons  à  combattre,  non  pour  la  domination  et  pour  le  despotisme,  mais 
pour  la  liberté  et  pour  les  intérêts  les  plus  sacrés  des  hommes;  et  nous 
prouverons  que  les  hommes  libres  n'ont  pas  moins  de  courage  pour 
défendre  leur  liberté,   que  les  oppresseurs  pour  usurper  l'empire. 

«  Ce  mécontentement  là  sera  juste  :  il  en  sera  plus  puissant  et 
plus  redoutable.   » 

«  Eh  !  sur  quels  motifs  les  Colons  blancs  fondent-ils  donc  cette 
extrême  répugnance  à  demeurer  les  égaux  de  leurs  concitoyens  ?  Sur 
des  motifs  dont  l'absurdité  palpable  est  la  meilleure  preuve  de  l'in- 
justice de  leurs  prétentions.  Si  vous  laissez,  vous  disent-ils,  aux  Citoyens 
de  couleur  les  droits  politiques,  nos  esclaves  auront  moins  de  respect 
pour  nous.  En  voyant  des  sangs  mêlés  jouir  de  la  plénitude  des  droits 
des  Citoyens,  les  Noirs  se  soumettront  avec  moins  de  docilité  à  notre 
empire. 

«  Mais  jusqu'aujourd'hui  n'ont-ils  pas  été  vos  égaux,  ces  Citoyens 
libres  de  couleur  ?  Vos  Esclaves  en  étoient-ils  moins  soumis  ?  Le  seront- 
ils  moins  parce  que  ces  Hommes  de  couleur  demeureront  vos  égaux  ? 
N'y  a-t-il  pas  toujours  eu  une  distance  infinie  entr'eux  et  les  Esclaves, 
la  même  qu'entre  l'esclavage  et  la  liberté  ?  Vous  craignez,  dites-vous, 
que  les  Esclaves  ne  s'appuyent  de  leur  protection  pour  s'affranchir  : 
c'est  avec  une  extrême  répugnance  que  je  traîne  avec  vous  mon  atten- 
tion sur  ces  funestes  idées. 

Xi  Mai?,  puisqu'il  faut  raisonner,  dans  votre  triste  système,  les 
hommes  libres  de  couleur  n'auront-ils  pas  le  même  intérêt  que  vous  ? 
N'ont-ils  pas  aussi  dès  à  présent  des  propriétés,  des  esclaves  même  ? 
N'est-il  pas  dans  l'esprit  même  de  votre  politique  de  vous  unir  plutôt 


1ES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  355 

à  eux  contre  vos  esclaves,  que  de  les  forcer  à  s'unir  à  ces  derniers  en 
les  condamnant  eux-mêmes  à  une  espèce  de  servitude  ? 

«  C'est  après  avoir  épuisé  tous  ces  subterfuges,  que  l'on  a  fait 
jouer  un  dernier  ressort  pour  maîtriser  votre  délibération  par  la  crainte, 
que  l'on  s'efforce  souvent,  dans  nos  discussions,  de  substituer  à  tous  les 
principes.  On  vous  a  présenté  l'Angleterre  armée,  animée  par  une  inten- 
tion hostile  contre  nous,  et  prête  à  fondre  sur  vos  Colonies  si  vous  mé- 
contentez les  Blancs.    » 

«  Je  n'examine  pas  ici  ce  qu'il  faut  penser  de  la  politique  de 
l'Europe  dans  le  moment  actuel;  sujet  qui  demanderait  un  examen  plus 
approfondi:  mais  je  vous  dis:  s'il  est  vrai  que  l'Angleterre  veuille 
attaquer  vos  Colonies,  et  que  vous  réduisiez  au  désespoir  les  hommes 
libres  de  couleur,  les  propriétaires  indigènes  des  Colonies,  ceux  qui 
sont  les  plus  utiles  à  la  défense  des  Colonies,  l'Angleterre  ne  rrouvera- 
t-elle  pas  aussi  dans  ce  décret  inique  des  semences  de  divisions,  de 
troubles,  qui  pourront  favoriser  ces  desseins  ?  Or,  s'il  y  avoit  des 
inconvéniens  dans  l'un  et  l'autre  parti,  quel  est  celui  qu'il  faudroit 
préférer?  celui  de  la  justice,  de  l'humanité,  de  la  liberté;  il  est  tou- 
jours le  plus  sûr,  le  plus  utile.  Ce  n'est  point  aux  Législateurs  François 
qu'il  appartient  de  fouler  aux  pieds  cette  sainte  maxime,  et  de  donner 
aux  Nations  l'exemple  scandaleux  de  la  politique,  à  la  fois  la  plus 
contraire  aux  droits  des  hommes,  aux  principes  de  la  morale,  et  aux 
règles  de  la  véritable  sagesse.   » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXIII,  n°  670,  p.   148. 

«  Je  ne  m'étendroi  pas  sur  les  principes  de  la  justice,  a  dit  M.  Ro- 
bespierre, quoique  je  regarde  que  la  justice  doit  entrer  au  moins  pour 
beaucoup  dans  vos  décisions  et  que  je  ne  connoisse  point  de  saine 
politique,   en  contradiction  avec  la  justice. 

«  Mais  puisqu'on  veut  le  séparer,  j'examinerai  les  puissantes 
raisons  politiques  dont  parlent  les  adversaires  des  hommes  libres  de 
couleur.  J'observe  avant  tout  que  la  question  qui  vous  est  soumise, 
n'est  pas,  si  vous  accorderez  aux  hommes  de  couleur  des  droits  nou- 
veaux, mais  si  vous  leur  arracherez  ceux  qui  leur  appartenoient  avant 
vos  décrets,  qui  leur  sont  garantis  par  vos  décrets  précédens. 

«  Avant  vos  décrets,  ils  étoient  égaux  en  droits  par  la  loi  même 
avec  les  blancs.  Les  citoyens  n'avoient  alors  que  les  droits  civils.  Les 
droits  politiques  n'ont  commencé  à  revivre  pour  les  citoyens,  qu'au 
moment  où  la  révolution  les  leur  a  restitués.  Tous  les  citoyens  dans 
les  colonies  comme  ailleurs  les  ont  recouvrés  alors  par  le  fait  même, 
sans  aucune  distinction  de  couleur.  Vous  ne  pouviez  point  les  ravir  aux 
hommes  libres  de  couleur,  plus  qu'aux  blancs;  vous  ne  leur  avez  pas 
ravis:  au  contraire,  votre  décret  du  28  mars  assure  les  droits  politiques 
dans   les   colonies   à   toutes  personnes  payant   la   quantité   d' impositions 


356  LES    DISCOURS    DZ    ROBESPIERRE 

déterminées     Or    ce    mot    général    renferme    toutes    les    personnes    qui 
payent    cette    contribution,    sans    aucune   distinction   de    couleur. 

«  Quels  sont  donc  ces  motifs  impérieux  de  politique  qui  doivent 
vous  forcer  à  dépouiller  aujourd'hui  de  leurs  droits  cette  classe  intéres- 
sante de  citoyens,  connue  sous  le  titre  de  citoyens  libres  de  couleur  ? 
La  peur.  Vos  colonies  sont  perdues,  vous  dit-on,  si  vous  les  leur  con- 
servez. Eh  !  pourquoi  ?  C'est  que  les  blancs  seront  mécontents.  Ainsi 
ces  mêmes  hommes  qui  demandent  que  vous  leur  donniez  exclusive- 
ment les  droits  qui  appartiennent  à  tous,  viennent  vous  dire  par  l'organe 
de  votre  comité  colonial  :  si  vous  ne  prononcez  en  notre  faveur,  nous 
nous  révolterons  contre  votre  décret  et  vous  perdrez  vos  colonies.  Je 
ne  vous  demanderai  pas  s'il  est  bien  conforme  à  la  politique  des  législa- 
teurs de  la  France  de  souscrire  à  ces  lâches  transactions  avec  !'  intrigue 
et  l'intérêt  personnel,  de  céder  à  la  crainte,  en  trafiquant  des  droits  les 
plus  sacrés  de  l'humanité;  mais  j'observe  que  cette  objection  peut  être 
tournée  avec  avantage  contre  ceux  qui  la  présentent.  I!  suffit,  pour 
cela,  de  la  mettre  dans  la  bouche  des  hommes  libres  de  couleur.  N'ont- 
ils  pas  le  même  droit  de  vous  dire  :  si  vous  nous  immolez  à  nos  adver- 
saires, si  vous  nous  opprimez  pour  leur  assurer  une  injuste  domination, 
nous  serons  mécontens  et  nous  prouverons  que  les  hommes  libres  n'ont 
pas  moins  de  courage  pour  défendre  leurs  droits  et  leur  liberté,  que  les 
oppresseurs  pour  conserver  leur  empire.  Ce  mécontentement  seroit  juste 
et  par  conséquent  plus  redoutable  ! 

«  Mais  sur  quoi  fondent-ils  leur  répugnance  à  demeurer  les  égaux 
de  leurs  concitoyens  ?  Nos  esclaves,  disent-ils,  seront  moins  soumis, 
s'ils  voient  des  hommes  de  couleur  s'élever  jusqu'à  nous;  mais  ces  hom- 
mes libres  de  couleur  étoient  vos  égaux;  mais  ils  ont  comme  vous 
des  propriétés,  même  des  esclaves;  mais  le  moyen  de  conserver  vos 
propriétés,  c'est  qu'ils  soient  unis  à  vous  par  un  intérêt  commun,  non 
disposés  à  vous  nuire  par  le  ressentiment  de  votre  injustice,  et  par  la 
disposition  funeste  qui  les  condamneroit  à  la  servitude  politique. 

«  Après  avoir  épuisé  ces  vains  subterfuges,  on  a  fait  jouer  un 
dernier  ressort  pour  vous  effrayer,  méthode  machiavélique  que  trop 
souvent  on  cherche  dans  vos  discussions  à  substituer  aux  principes;  on 
vous  a  présenté  tout  à  l'heure  l'Angleterre  armée,  prête  à  fondre  sur 
vos  colonies,  si  vous  ne  prononcez  point  en  faveur  des  blancs;  mais 
si  vous  opprimez  les  hommes  de  couleur,  les  Anglois  ne  pourront-ils  pas 
aussi  profiter  de  leur  mécontentement,  et  toute  cette  politique  ne  se 
plie-t-elle  pas  à  tous  les  systèmes.  Enfin,  s'il  y  a  des  inconvémens 
dans  l'un  et  l'autre  parti,  lequel  faut-il  préférer?  Celui  de  la  justice 
et  de  l'humanité;  il  est  toujours  le  plus  sûr,  le  plus  utile.  Ce  n'est 
point  aux  législateurs  françois  à  violer  cette  maxime  sacrée,  et  à  donner 
aux  nations  l'exemple  scandaleux  d'une  politique  également  contraire 
à  la  morale  et   aux  règles  de   la   véritable   sagesse 

«  Je  conclus  à  la  question  préalable  sur  le  projet  du  comité,  dont 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  357 

l'adoption  feroit  perdre  à  l'assemblée  le  beau  caractère  de  protectrice 
des  droits  de  l'humanité 

«  De  nombreux  applaudissemens  ont  été  donnés  au  discours  de 
M     Robespierre.    » 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),   1791,  n°    131,  p.  2-3. 
Le  Législateur  français,  t.   II,    13  mai    1791,  p.   4-5. 

«  M.  Robertspierre  a  cru  que  la  question  n'étoit  pas  de  savoir  si 
on  accorderoit  aux  gens  de  couleur  le  droit  qu'ils  réclament,  mais  si 
on  leur  conservera  celui  dont  les  décrets  de  l'assemblée  leur  ont  assuré 
la  jouissance.  Ces  décrets  sont  formels  en  leur  faveur  ;  et  il  y  est  textuel- 
lement dit  que  tous  les  citoyens  qui  ont  les  conditions  nécessaires  seront 
admis  dans  les  assemblées  coloniales.  Les  chicanes  et  !a  mauvaise  foi 
n'ont  pu  donc  naître  que  du  considérant  du  8  octobre  (9),  qui  ,ne  pou- 
voit  sans  inconséquence  altérer  leurs  droits.  Ils  ont  donc,  par  les  décrets 
de  l'assemblée,  des  titres  politiques  égaux  à  ceux  qui  ont  été  reconnus 
en  faveur  des  colons  blancs.  Avant  la  révolution,  les  uns  et  les  autres 
n'avoient  que  l'usage  du  droit  civil,  et  ils  l'exerçoient  avec  la  même 
extension,  sans  aucun  égard  pour  la  différence  des  couleurs.  Cependant 
ce  parallèle  parfait  n'avoit  effrayé  personne,  et  n'avoit  produit  aucun 
mal.  Pourquoi  donc  aujourd'hui  vouloir  tracer  une  ligne  de  démarcation 
que  le  despotisme  auroit  rougi  d'établir  ? 

«  L'état  des  personnes,  sur  lequel  on  a  accordé  l'initiative  aux 
colonies,  ne  peut  regarder  que  les  esclaves,  sur  le  sort  desquels  la 
malveillance  a  calomnié  les  intentions  de  l'assemblée  nationale  pour 
provoquer  un  décret  qu'elle  pouvoir  obtenir  sans  suivre  ces  routes  tor- 
tueuses. L'assemblée,  en  prononçant,  n'a  pu  avoir  en  vue  que  les 
esclaves,  et  les  hommes  de  couleur  doivent  être  confirmés  dans  les 
droits  qui  leur  sont  contestés,  ou  bien  il  faut  se  décider  à  effacer  du 
code  de  la  liberté  ces  lignes  tracées  par  la  sagesse,  qui  n'excluent  per- 
sonne des  droits  de  citoyen,  pourvu  qu'on  remplisse  les  conditions 
déterminées 

«  On  veut,  disoit  l'opinant,  combattre  avec  les  armes  de  la  frayeur; 
on  vous  menace  de  la  perte  inévitable  des  colonies,  si  le  vœu  des 
habitans  blancs  n'est  pas  accueilli.  On  parle  de  scission  et  de  vues 
politiques  de  l'Angleterre  qui  épie  nos  fautes  pour  en  faire  son  profit; 
mais  seroit-il  de  la  dignité  de  l'assemblée  de  .faire  une  honteuse  trans- 
action avec  l'intérêt  et  les  passions,  et  d'abandonner  ainsi  les  droits 
sacrés  de  la  liberté  à  la  merci  de  l'égoïsme,  de  l'avidité  et  de  l'oppres- 
sion ?  D'ailleurs  n'est-il  pas  possible  aux  colons  de  couleur  de  tenir 
le  langage  cjyi  semble  faire  une  si  vive  impression  sur  les  esprits;  au 
moins  la  raison  seroit-elle  de  leur  côté  :  votre  injustice  Jes  auroit  justi- 
fiés aux  yeux  de  tous  les  hommes  dégagés  de  toute  prévention   et  de 


(9)  Tl   s'agit  du  décret  du   12  octobre,  cité  plus  haut. 


358  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

tout  intérêt,  et  il  n'est  pas  douteux  qu'ils  ne  déployassent  autant  de 
vigueur  et  d'énergie  pour  ressaisir  leurs  droits,  que  les  autres  pour  les 
en  dépouiller;  ils  pourroient  aussi  vous  parler  de  scission,  et  leurs  me- 
naces mériteroient   sans  doute  quelqu'attention  de   votie  part. 

«  Les  blancs  prétendent  que  le  régime  colonial  ne  peut  exister,  si 
les  esclaves  n'ont  sans  cesse  le  plus  grand  respect  pour  eux;  qu'ils  ne 
peuvent  commander  que  par  la  terreur,  et  que  les  gens  de  couleur  doi- 
vent servir  de  barrière  entre  les  esclaves  et  les  blancs.  Qu'on  explique 
donc  comment  il  est  arrivé,  que,  depuis  que  cette  barrière  a  disparu, 
par  les  troubles  qui  ont  déchiré  les  Colonies,  il  n'est  pas  même  venu 
dans  l'idée  d'un  seul  esclave  qu'il  pouvoit  secouer  son  joug  ?  On  a 
avancé  que  les  blancs  étoient  très  bien  disposés  en  faveur  des  hommes 
de  couleur,  et  qu'il  est  plus  que  probable  que  le  résultat  des  délibéra- 
tions du  congrès,  ne  leur  laissera  rien  à  désirer.  Mais  il  est  impossible 
de  concilier  ce  langage  avec  les  menaces  de  se  réunir  à  l'Angleterre, 
si  la  demande  impérative  d'accorder  l'initiative  sur  l'état  politique  des 
créoles  libres  [est  repoussée] ,  à  moins  qu'on  ne  déclare  franchement 
qu'on  fera  usage  de  ce  droit  d'initiative  dans  l'esprit  bien  clairement 
manifesté  qui  le  provoque.  L'opinant  a  ici  rappelé  plusieurs  argumens 
qu'on  avoit  déjà  fait  valoir.  » 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t    II,  n°  308,  p.  2. 
Mercure  universel,  t.   III,  p.  206  (10). 

«  M.  Robespierre  n'a  pas  cru  que  l'on  pût  composer  avec  les  prin- 
cipes d'humanité  et  taire  les  bases  fondamentales  de  la  justice  politique, 
lorsque  l'impérieuse  vérité  et  le  devoir  sévère  du  législateur  exigent 
de  lui  qu'il  professe  hautement  ces  principes. 

«  L'opinant  a  réduit  la  question  à  ces  termes  :  «  Laissera-t-on,  ou' 
ou  non,  aux  hommes  de  couleur  libres,  propriétaires  et  contribuables, 
les  droits  qui  leur  appartiennent.  Il  ne  s'agit  pas  de  savoir  si  on  les 
leur  donnera,  puisque  des  loix  formelles  les  leur  ont  assurés,  et  que 
pour  les  empêcher  d'en  jouir  il  faudroit  abroger  ces  loix. 

«  Ils  avoient  ces  droits  avant  vos  décrets,  et  ils  les  ont  par  vos 
décrets,  ces  droits  que  les  blancs  voudroient  s'arroger  exclusivement. 
La  révolution  a  établi  les  hommes  égaux  en  droit.  Elle  a  donc  confirmé 
la  loi  de  Louis  XIV,  sur  les  gens  de  couleur. 

«  Quand  vous  avez  accordé  l'initiative  aux  colonies,  vous  ne 
l'avez  point  donnée  aux  blancs  qui  habitent  les  colonies.  Vous  1  avez 
donnée  aux  colons,  sans  distinctions,  aux  colonies  toutes  entières,  et 
non  pas  à  une  partie  des  habitans  des  colonies.  II  est  donc  vrai  que 
vous  leur  avez  laissé  les  droits  que  je  réclame.  Auriez- vous  maintenant 
la  barbarie  de  les  leur  enlever  ! 

«  Quels  sont  les  argumens  de  nos  adversaires  ?  Tout  se  rédiat  à 

(10)  'Le  Mercure  universel  ne  reproduit  que  les  §  2,  3.  5,  8,   11. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  359 

dire  que  vous  perdrez  vos  colonies,  si  vous  déclarez  le  droit  des  hom- 
mes de  couleur.  Je  ne  vois  parmi  tous  ces  argumenteurs,  que  des  gens 
qui  vous  menacent,  et  je  vous  le  demande  :  est-il  bien  du  caractère  du 
législateur,  et  de  sa  dignité,  de  transiger  ainsi  avec  l'orgueil  et  l'avarice 
de  l'intérêt  privé  ? 

«  Mais  pensez  donc  aussi  que  les  hommes  de  couleur  pourroient 
vous  dire;,  si  vous  nous  dépouillez  des  droits  sacrés  que  la  nature 
nous  avoit  donnés  avant  que  vous  existassiez,  la  désolation,  le  ravage, 
la  terreur  vont  couvrir  la  face  de  vos  colonies  :  et  peut-être  que  le  déses- 
poir de  cœurs  généreux  et  ulcérés,  est  aussi  formidable  que  la  vanité 
de  l'avarice  ! 

«  Si  vous  voulez  vous  déterminer  par  ïa  terreur,  si  les  menaces 
doivent  influer  sur  vos  décisions,  voyez  que  les  hommes  de  couleur 
pourroient  avoir  à  cet  égard  le  même  avantage  que   les  blancs. 

«  Que  signifie  le  congrès  des  blancs  que  l'on  vous  propose,  pour 
prononcer  sur  le  sort  de  ceux  qu'il  leur  plaît  d'appeler  leurs  ennemis  ? 
Que  feriez- vous,  vous,  si  lorsqu'il  s'agissoit  de  régler  la  représentation 
nationale,  on  eût  établi  un  congrès  de  nobles  et  d'ecclésiastiques,  pour 
décider  cette  question   fondamentale  ? 

«  Défiez-vous  donc  de  l'intérêt  particulier  et  de  l'avarice;  craignez 
même  que  ces  passions  viles  ne  viennent  se  mêler  dans  la  discussion, 
pour  y  jetter  de  l'erreur. 

«  On  vous  parle  de  désordres  et  d'insurrections  des  nègres  dans  les 
îles,  5t  vous  mécontentez  les  blancs;  mais  si  vous  mécontentez  aussi  les 
gens  de  couleur,  que  les  nègres,  dont  la  condition  n'est  pas  d'être 
contents,  veuillent  se  soulever,  n'est-il  pas  clair  que  les  gens  de  cou- 
leur seront  portés  à  s'unir  aux  nègres;  et  qui  pourra  leur  résister.  Et  si 
les  Anglais,  dont  on  vous  fait  peur,  s'y  jettoient  dans  cet  état  de 
discorde,  ne  seroient-ils  pas  les  maîtres,  puisque  les  gens  de  couleur, 
qui  sont  accoutumés  à  supporter  le  poids  du  joug,  puisque  les  hommes 
de  couleur  qui  sont  le  rempart  des  colonies,  seroient  nécessairement 
leurs  alliés  ? 

«  D'après  toutes  ces  considérations,  il  est  donc  impossible  que 
l'assemblée  ne  soit  pas  convaincue  que  le  projet  des  comités  dégraderoit 
la  majesté,  la  popularité  de  l'assemblée,  et  lui  feroit  perdre  son  carac- 
tère de  protectrice  des  droits  de  l'humanité.   » 

Journal  général  de  France,  n°    133,  p.  529. 

[Après  avoir  résumé  l'argumentation  de  Robespierre,  ce  journal 
ajoute  :  |  - 

«  Les  Commerçans  admireront  sans  doute  comme  nous  toutes  ces 
belles  phrases;  et  après  les  avoir  entendues,  ils  ne  manqueront  pas  de 
dire  à  l'Orateur  avec  Voltaire:  Mais  il  nous  faut  du  sucre!...  £t  si 
votre  opinion   est   suivie   nous   en    manquerons   bientôt,    ou    nous   serons 


360  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

obligés  de  l'acheter  aux  Anglois;  car  si  les  troubles  et  la  guerre  civile 
continuent  dans  nos  Colonies,  ni  les  Blancs,  ni  les  Gens  de  couleur 
ne  sonsgeront  ni  à  leur  café,;  ni  à  leurs  cannes;  et  cependant  il  nous 
faut  du  sucre!  Que  seroit-ce  si  les  Créoles  effectuoient,  au  cas  qu'on 
leur  refuse  l'initiative,  la  menace  qu'ils  font  de  se  réunir  à  l'Angle- 
terre ?   x> 

Journal  de  Rouen,   1791,  n°    133,  p.  643. 

[*Après  avoir  résumé  l'argumentation  de  Robespierre,  ce  journal 
ajoute  :] 

a  Ainsi  parîoit  et  raisonnoit  M.  Robertspierre  (reconnu  pour  le  tri- 
bun du  peuple).  Des  murmures  continuels  l'ont  interrompu  à  chaque 
instant. 

«  Si  l'on  ne  veut  pas  m'entendre,  a-t-il  dit,  eh  bien,  qu'on  ose 
juger  cette  question  sur  le  champ!    » 

Courrier   extraordinaire,    13    mai    1791,   p.    3-4. 

«  M.  Robespierre.  Ce  n'est  pas  avec  les  armes  de  la  justice  que 
je  défendrai  les  hommes  de  couleur  quoiqu'elle  doive  y  entrer  pour 
beaucoup,  mais  comme  on  a  voulu  distinguer  dans  cette  cause,  l'équité 
de  la  prudence,  j'examinerai  si  la  politique  doit  permettre  d'accorder 
aux  mulâtres,  les  droits  de  citoyens  actifs,  et  je  commence  par  dire 
qu'avant  vos  décrets  et  par  vos  décrets  ces  droits  leur  sont  assurés  : 
avant  vos  décrets,  par  les  loix  du  royaume  et  par  le  code  noir;  par 
vos  décrets,  en  ce  que  l'article  4  du  décret  du  8  mars  donne  à  tout 
propriétaire,  contribuable  et  domicilié  des  colonies,  le  droit  d'aller 
dans  les  assemblées  primaires.  Mais  vos  colonies  sont  perdues,  nous 
disent  les  blancs  :  nous  ne  souffrirons  jamais  que  les  gens  de  couleur 
soient  nos  égaux  et  jouissent  comme  nous  des  droits  politiques;  je  ne 
sais  pas,  messieurs,  s'il  est  de  la  dignité  de  l'assemblée  de  céder  ainsi 
à  des  menaces  et  de  transiger  avec  l'intérêt,  avec  l'orgueil;  mais  ne 
pourroit-on  pas  rétorquer  contre  les  blancs  leur  propre  argument  ?  ne 
pourroit-on  pas  leur  dire  ;  mais  si  vous  avez  tant  de  répugnance  à  vous 
allier  aux  mulâtres,  si  vous  annoncez  la  perte  des  colonies  comme  le 
résultat  nécessaire  de  leur  admission  aux  droits  de  citoyens  actifs,  qui 
nous  répondra  que  les  gens  de  couleur  adopteront  tranquillement  leur 
exclusion  ?  mais  on  cherche,  d'un  autre  côté,  à  rassurer  l'assemblée  sur 
le  sort  des  hommes  de  couleur,  en  disant  que  le  congrès  est  disposé 
à  faire  la  proposition  conforme  au  décret  que  nous  sollicitons  ;  eh  !  mes- 
sieurs, de  quelle  manière  sera  composé  ce  congrès  ?  Il  le  sera  de  blancs, 
c'est-à-dire,  des  adversaires  des  mulâtres;  c'est  comme  si  le  gouverne- 
ment eût  rassemblé  les  députés  ecclésiastiques  et  nobles  pour  qu'ils 
énonçassent  leur  voeu  sur  la  double  représentation.  Je  demande  la  ques- 
tion préalable  sur  le  projet  des  comités  réunis.   » 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  361 


Journal  universel,  t.  XI,  p.  6093. 

«  Mais  peu  après,  M.  Robespierre  a  entrepris,  avec  la  chaleur 
et  le  patriotisme  qu'on  lui  connoit,  la  défense  de  nos  frères  basannés. 
Le  tableau  de  comparaison  qu'il  a  présenté  entre  les  ci-devant  nobles 
et  le  clergé  qui  auraient  bien  voulu  que  ce  qu'on  appelait  alors  le  tiers- 
état  et  qui  est  aujourd'hui  le  souverain,  n'eût  qu'un  tiers  des  voix  dans 
la  législation  :  ce  tableau  a  vivement  intéressé  :  il  est  tout  à  l'avantage 
des  hommes  de  couleur  libres  qui  sont  le  tiers  état  des  Iles.  Ainsi  la 
conclusion  de  M.  Robespierre  le  patriote  n'a  pu  être  douteuse.  Il  a  bien 
défendu  la  cause  de  l'humanité.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Lendemain,  t.  III. 
n°  133,  p.  393;  L'Orateur  du  Peuple,  t.  III,  2e  partie,  n°  8,  p.  67; 
L'Ami  de  la  Révolution,  12-15  mai  1791,  p.  140;  La  Correspondance 
nationale,  n°  26,  p.  126;  La  Feuille  du  Jour,  t.  IV,  n°  133,  p  353; 
La  Chronique  de  Paris,  n°  133,  p  532;  Le  Journal  de  M.  Suleau, 
n°  3,  p.  5;  Le  Vrai  Citoyen,  p.  214;  Les  Révolutions  de  France  et  de 
Brabant,  t.  VI,  n°  77,  p.  368;  Le  Courier  de  Provence,  t.  XIV,  p.  530; 
Le  Courrier  des  LXXXIII  départemens,  t.  XXIV,  n°  13,  p.  207;  Le 
Courier  français,  t.  XI,  n°  133,  p.  94;  La  Bouche  de  Fer,  n°  55, 
p.  278;  L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  13  mai  1791,  p.  531  ;  Le  Patriote 
françois,  n°  643,  p.  528;  Le  Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  na- 
tionale, 12  mai  1791,  p.  225;  Le  Mercure  de  France,  21  mai  1791, 
p.  210;  Le  Journal  général,  n°  102,  p.  408;  La  Gazette  universelle, 
t.  I,  n°  133,  p.  531;  Le  Mercure  national  et  étranger,  17  mai  1791, 
p.  431  ;  Le  Courrier  d'Avignon,  n°    119,  p.  475.] 

286.  —  SEANCE  DU  13  MAI  1791 
Sur  la  condition  des  hommes  de  COULEUR  LIBRES  (suite) 


La  discussion  reprend  sur  le  projet  d'accorder  aux  assemblées 
coloniales  l'initiative  exclusive  pour  les  lois  relatives  à  la  condition 
des  personnes  dans  les  colonies.  Moreau  de  Saint-Méry  propose,  en 
accord  avec  les  députés  des  colonies,  un  nouveau  projer  de  rédac- 
tion. Le  débat  s'instaure  sur  la  priorité  à  accorder  à  ce  projet  ou 
à  celui  du  comité.  L'Assemblée  décide  d'accorder  la  priorité  au 
projet  du  comité.   On  fait  lecture  de  l'art.   1  : 

«  L'Assemblée  nationale  décrète  comme  article  constitutionnel, 
qu'aucune  loi  sur  l'état  des  personnes  ne  pourra  être  faite  par  le 
corps  législatif,  que  sur  la  demande  précise  et  formelle  des  assem- 
blées coloniales.   » 

Lucas,  député  du  tiers  état  de  la  sénéchaussée  de  Moulins, 
demande  qu'aux  mots:  m  sur  l'état  des  personnes  »,  il  soit  ajouté 
.<  non  libres  •».  Moreau  de  Saint-Méry  propose,  pour  éviter  toute 
<•  mfusion,  d'employer  au  lieu  de  l'expression  «  personnes  non  li- 
bres »,  le  mot  »  esclaves  ».  Robespierre  s'élève  avec  vigueur  Contre 
cet  amendement. 


362  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Après  une  discussion  très  vive,  l'article  fu<t  décrété  sous  cette 
rédaction:'"    ...sur   l'état  des  personnes    non    libres... 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    135.  p.  360. 

«  M.  Roberspierre.  J'ai  une  simple  observation  à  faire  sur  l'amen- 
dement. Votre  plus  grand  intérêt  est  de  rendre  un  décre!  qui  n'attaque 
pas  d'une  manière  trop  révoltante  et  les  principes  et  l'honneur  de  l'As- 
semblée (Il  s'élève  beaucoup  de  murmures.  On  entend  quelques 
applaudissemens).  Dès  le  moment  où  dans  un  de  vos  décrets  vous  aurez 
prononcé  le  mot  esclave,  vous  aurez  prononcé  et  votre  propre  déshon- 
neur, et..  (Mêmes  murmures,  mêmes  applaudissemens).  Je  me  plains, 
au  nom  de  l'Assemblée  elle-même,  de  ce  que  non  content  d'obtenir 
d'elle  ce  qu'on  désire,  on  veut  l'obtenir  d'une  manière  déshonorante 
pour  elle,  et  qui  démentirait  tous  ses  principes  (Nouveaux  murmures, 
nouveaux  applaudissemens).  Si  je  pouvais  soupçonner  que  parmi  ceux 
qui  ont  combattu  les  droits  des  hommes  de  couleur,  il  y  eût  un  homme 
qui  détestât  la  liberté  et  la  constitution,  je  croirais  que  pour  servir  la 
haine  il  a  voulu  vous  faire  lever  le  voile  sacré  et  terrible  que  la  pudeur 
même  du  législateur...  (On  applaudit  et  on  murmure).  Je  croirais  qu'on 
cherche  à  se  ménager  le  moyen  d'attaquer  toujours  avec  succès  et  vos 
décrets  et  vos  principes  quand  il  s'agira  de  l'intérêt  direct  de  la  métro- 
pole, on  vous  dirait  vous  nous  alléguez  sans  cesse  les  droits  de  l'homme, 
et  vous  y  avez  si  peu  cru  vous-mêmes,  que  vous  avez  décrété  consti- 
tutionnellement  l'esclavage.  (Il  s'élève  beaucoup  de  murmures).   » 

[Intervention  de   Lucas.] 

«  M.  Roberspierre .  L'intérêt  suprême  de  la  nation  et  des  Colonies 
est  que  vous  demeuriez  libres,  et  que  vous  ne  renversiez  pas  de  vos 
propres  mains  les  bases  de  la  liberté.  Périssent  les  Colonies.  (I!  s'élève 
de  violens  murmures)  s'il  doit  vous  en  coûter  votre  bonheur,  votre  gloire, 
votre  liberté  !  je  le  répète  :  périssent  les  Colonies,  si  les  colons  veulent, 
par  les  menaces,  nous  forcer  à  décréter  ce  qui  convient  le  plus  à  leurs 
intérêts!  .je  déclare  au  nom  de  l'Assemblée...,  au  nom  de  ceux  des 
membres  de  cette  Assemblée  qui  ne  veulent  pas  renverser  la  constitu- 
tion; je  déclare  au  nom  de  la  nation  entière  qui  veut  être  libre,  que 
nous  ne  sacrifierons  pas  aux  députés  des  Colonies  qui  n'ont  pas  défendu 
leurs  commettans,  comme  M.  Monneron  (1),  je  déclare,  dis-je,  que 
nous  ne  leur  sacrifierons  ni  la  nation,  ni  les  Colonies,  ni  l'humanité 
entière,  je  conclus  et  je  dis  que  tout  autre  parti,  quel  qu'il  soit,  est 
préférable.  A  l'amendement  de  M.  Moreau,  je  préférerais  le  plan 
du  Comité;  mais  comme  il  est  impossible  de  l'adopter  sans  adopter  les 
inconvéniens  extrêmes  que  je  viens  de  présenter,  je  demande  que  l'As- 


(1)  Jean-Louis  Monneron,  député  de  Pondichéry  à  la  Consti 
tuante.  Son  frère  aîné  était  député  du  tiers  état  de  la  sénéchaussée 
d'Annonay  ;  et  son  plus  jeune  frère .  Pierre  Antoine,  député  de 
l'Ile-de-France,  fut  admis  à  siéger  en  février  1791. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  363 

semblée  déclare  que  les  hommes  libres  de  couleur  ont  le  droit  de  jouir 
des  droits  des  citoyens  actifs.  Je  demande  de  plus  la  question  préalable 
sur  l'article  du  Comité  »  (2). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXV,  p.  4S3. 

<(  M.  Robespierre.  J'ai  une  explication  de  deux  mots  sur  l'amen- 
dement :  messieurs  le  plus  grand  intérêt  dans  cette  discussion  est  de 
rendre  un  décret  qui  n'attaque  pas  d'une  manière  trop  révoltante  et  les 
principes  et  l'honneur  de  l'assemblée. 

«  Dès  le  moment  où  dans  un  de  vos  décrets  vous  aurez  prononcé 
le  mot  esclave,  vous  aurez  prononcé  votre  propre  déshonneur  et  le  ren- 
versement de  votre  constitution  (oui;  oui;  applaudissemens,  murmures). 
Je  me  plains,  au  nom  de  l'assemblée  elle-même,  de  ce  que,  non  content 
d'obtenir  d'elle  ce  que  l'on  désire,  on  veut  la  forcer  à  l'accorder  d'une 
manière  déshonorante  pour  elle,  et  qui  démente  tous  ses  principes.  Lors- 
qu'on voulut  vous  forcer  à  lever  vous-mêmes  le  voile  sacré  et  terrible 
que  la  pudeur  même  du  législateur  a  été  forcée  de  jetter  (murmures  et 
applaudissemens),  je  crois  que  l'on  auroit  voulu  se  ménager  un  moyen 
pour  attaquer  toujours  avec  succès  vos  décrets,  pour  affoiblir  vos  prin- 
cipes, afin  qu'on  pût  toujours  vous  dire  :  vous  alléguez  sans  cesse  les 
droits  de  l'homme,  les  principes  de  la  liberté;  et  vous  y  avez  si  peu 
cru,  vous-mêmes,  que  vous  avez  décrété  constamment  l'esclavage. 

«  C'est  un  grand  intérêt  que  la  conservation  de  vos  colonies; 
mais  cet  intérêt  même  est  relatif  à  votre  constitution;  et  l'intérêt  suprême 
de  la  nation  et  des  colonies  elles-mêmes,  est  que  vous  conserviez  votre 
liberté,  et  que  vous  ne  renversiez  pas,  de  vos  propres  mains,  les  bases 
de  cette  liberté.  Eh  !  périssent  vos  colonies,  si  vous  les  conservez  à  ce 
prix  (murmures;  oui,  oui;  applaudi).  Oui,  s'il  falloit,  ou  perdre  vos 
colonies,  ou  perdre  votre  bonheur,  votre  gloire,  .votre  liberté,  je  répé- 
terois  :   périssent   vos   colonies.    (Applaudi). 

«  Je  conclus  de  tout  ceci  que  le  plus  grand  malheur  que  l'assemblée 
puisse  attirer,  non  pas  sur  les  citoyens  de  couleur,  non  pas  sur  les 
colonies,  mais  sur  l'empire  françois  tout  entier,  c'est  d'adopter  ce  funeste 
amendement  proposé  par  M.  Moreau  de  St.  Méry.  Je  conclus  que  tout 
autre  projet,  quel  qu'il  soit,  vaut  mieux  que  celui-là  »  (3). 

Courrier  du  département  de   Vaucluse,  n°    121,  p.  483. 

«  (M.  Roberspierre) .  Je  m'élève  fortement  contre  ce  décret.  Le 
plus  grand  intérêt  est  celui  de  rendre  un  décret  qui  n'altère  pus'  les 
principes  et  l'honneur  de  l'assemblée.  Du  moment  où  vous  aurez  rendu 
le  décret  qu'on  vous  propose,  vous  aurez  prononcé  votre  déshonneur  : 
non  contens  d'obtenir  ce  qu'ils  désirent,  les  colons  veulent  encore  l'obte- 


(2)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  395. 

(3)  Texte    reproduit   dans    les   Areh.    pari.,    XXVI,    60,    où' il    est 
combiné  avec  celui    Ju   Moniteur. 


364  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

nu  a  une  manière  déshonorante  pour  l'assemblée.  Si  je  pouvois  soup- 
çonner que  parmi  les  adversaires  des  gens  de  couleur,  il  se  trouvât 
quelqu'ennemi  secret  de  la  constitution,  je  croirois  qu'il  a  éfé  guidé 
par  cette  intention,  quand  il  a  proposé  de  soulever  le  voile  terrible  et 
sacré  que  la  pudeur  des  législateurs  doit  respecter.  Je  croirois  que  l'on 
a  voulu  se  ménager  un  moyen  d'attaquer  le  respect  dû  à  la  constitu- 
tion, afin  qu'on  puisse  nous  dire  un  jour:  vous  nous  alléguez  toujours 
la  déclaration  des  droits  de  l'homme,  et  vous  avez  vous-mêmes  consacré 
l'esclavage  !  •■ 

«  Il  est  d'un  grand  intérêt  pour  le  Royaume  que  nous  conservions 
nos  Colonies,  mais  l'intérêt  le  plus  pressant  est  que  nous  conservions  nos 
principes  et  notre  honneur.  Ah  !  périssent  nos  Colonies,  s'il  falloit  leur 
sacrifier  notre  gloire  et  notre  liberté  !  (4). 

«  Si  les  colons  prétendent  nous  faire  la  loi,  je  déclare  au  nom  de 
l'assemblée...  (Plusieurs  personnes:  non,  non;  oui,  oui).  Je  déclare, 
au  nom  de  ceux  qui  ne  veulent  pas  renverser  notre  constitution,  que  nous 
ne  leur  ferons  point  d'aussi  grands  sacrifices.  » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  n°  361,  p.  4. 

«  Après  la  discussion  il  s'est  élevé  une  guerre  et  une  mêlée  ter- 
rible d'amendements  :  au  milieu  de  laquelle  on  a  distingué  des  excla- 
mations atroces,  qui  trahissoient  le  secret  des  démagogues  et  s'échap- 
poient  de  leur  sein,  comme  malgré  eux  dans  la  chaleur  de  l'action  : 
périssent  vos  colonies,  s'est  écrié  M.  &e  Robespierre,  plutôt  que  de 
porter  la  moindre  atteinte  à  votre  sublime  constitution.  Le  désordre  est 
poussé  si  loin  que  le  président  n'y  pouvant  plus  tenir,  après  avoir  inu- 


(4)  D'après  E.  Hamel  (I,  439,  note  1),  la  fameuse  phrase  :  «  Péris- 
sent les  colonies  plutôt  qu'un  principe  !  »  n'est  donc  pas  de  Robes- 
pierre comme  on  l'a  quelquefois  avancé  par  erreur.  C'est  à  tort 
également  qu'on  l'a  attribuée  à  Barrère  ;  elle  est  de  Duport  qui  dit 
en  propres  termes:  «  Il  vaut  mieux  sacrifier  les  colonies  qu'un  prin- 
cipe ».  En  vérité,  Duport  n'est  pas  intervenu  au  cours  de  cette 
séance,  c'est  Dupont  de  Nemours  qui  avait  proféré  ces  paroles 
(Moniteur,  VIII,  p.  391),  ainsi  que  le  remarque  C.  Desmoulins 
(Révolutions  de  France  et.de  Brabant,  t.  VI,  n°  77,  pp.  565  et  572): 
«  Dupdnt-de-Nemours.  —  Et  moi  je  dis  que  vous  ne  perdrez  pas  les 
Colonies,  mais  dussiez-vous  les  perdre,  périssent  les  Colonies,  s'il 
faut  leur  sacrifier  les  principes.  L'ami  Dupont  qui  parle  comme 
Robespierre  !   ». 

.  Mais  il  ne  nie  pas  que  Robespierre  aurait  fort  bien  pu  les  pro- 
noncer. Non  seulement  on  les  lui  attribua,  mais  on  les  dénatura 
pour  3e  calomnier  et  Brissot  s'éleva  contre  les  agissements  des 
journaux  royalistes  (Patriote  franoçis,  n°  644,  p.  637):  «  Nous  devons 
observer  ici  qu'il  y  a  une  mauvaise  foi  insigne  à  répéter  éternelle- 
ment cette  phrase  :  «  périssent  les  colonies  ».  M.  Robespierre,  qui 
l'a  prononcée,  disoit  :  «  Périssent  les  colonies,  plutôt  que  le  prin- 
cipe de  notre  constitution  soit  renversé  ».  Certes,  on  ne  doit  pas 
syncoper  sa  proposition.  »  (Cf.  à  ce  propos,  l'article  de  L.  Combes, 
dans   Episodes   et  Curiosités,   p.   350-359.) 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  365 

tilement  brisé  une  sonnette,  s'enfuit  de  cette  halle;  les  députés  s'éva- 
dent insensiblement,  et  le  combat  finit  à  près  de  cinq  heures  du  soir, 
faute  de  combattans.   » 

Le  Législateur  français,    14  mai   1791,  p.   7. 

«  M.  Moreau  de  Saint-Méry  a  reproduit  son  projet  de  décret, 
et  a  demandé  que  l'assemblée  décrétât  formellement  qu'il  ne  seroit 
rien  statué  par  elle  sur  l'état  des  esclaves  que  sur  la  proposition  expresse 
et  spontanée  des  colonies.  Ce  mot  esclaves,  inséré  dans  une  proposition 
faite  à  l'assemblée  nationale  par  un  de  ses  membres,  a  excité  l'indigna- 
tion de  M.   Robertspierre.    » 

Mercure  de  France,  21    mai   1791,  p    222. 

«  A  la  faveur  des  amendemens,  M  Roberspierre  a  recommencé 
ses  déclamations.  11  a  soupçonné  que  les  défenseurs  des  colons  cachoient 
le  perfide  dessein  d'attaquer  la  constitution,  en  se  ménageant  l'occasion 
de  dire  un  jour  à  l'Assemblée  :  «  Vous  alléguez  votre  déclaration  des 
droits  et  vous  avez  consacré  l'esclayage.  »  D'où  son  horreur  pour  cet 
esclavage  qui  consiste  à  ne  pas  gouverner,  il  a  fini  par  dire  :  «  périssent 
nos  colonies  s'il  <falIoit  leur  sacrifier  nos  principes,  notre  liberté,  notre 
honneur  !    » 

Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  nationale,   13  mai   1791,  p.  22S. 

«  M.  Moreau  de  St.  Méry,  sans  doute  pour  éterniser  le  titre  de 
ses  ayeux,  vouloit  qu'on  substituât  le  mot  esclave,  à  ceux  de  Citoyens- 
non-libres,  M.  Roberspierre,  s'est  irrité  de  ce  qu'on  vouloit  souiller, 
d'un  mot  odieux,  les  législations  d'un  peuple  libre,  et  le  mot  d'esclave 
est  resté  à  M.   Moreau.   » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  p.    173. 

«  Ce  mot  esclaves,  inséré  dans  une  proposition  faite  à  l'assemblée 
nationale  par  un  de  ses  membres;  a  excité  l'indignation  de  M.  Robes- 
pierre. 

«  On  veut  vous  forcer,  disoit-il,  non-seulement  à  violer  les  prin- 
cipes de  votre  constitution,  mais  encore  on  vous  prescrit  les  termes 
dont  vous  devez  vous  servir  pour  consacrer  votre  déshonneur.  Périssent 
plutôt  nos  colonies,  si  elles  ne  doivent  nous  rester  que  par  des  outrages 
faits  (à  notre  liberté,  par  le  renversement  de  notre  constitution.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  du  Soir 
(des  Frères  Chaignieau),  t.  II,  n°  309,  p.  3;  Assemblée  nationale, 
Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XI,  n°  647,  p.  4;  Le  Courrier  des 
LXXXIII  départemens,  t.  XXIV,  n°  16,  p.  256;  La  Gazette  nationale 
ou  Extrait...,  t.  XVI,  p.  345;  La  Bouche  de  Fer,  n°  56,  p-.  293; 
L'Ami  des  Patriotes,  t.   II,  n°  25,  p.  269.] 


366  les  discours  de  robespierre 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

287.  —  SEANCE  DU   13  MAI   1791 

Sur  la  condition  des  hommes  libres  de  couleur 


L'Assemblée  nationale,  dans  ses  séances  des  12  et  des  13  mai  (1). 
a  discuté  de  la  condition  des  hommes  de  couleur  libres.  Cette  même 
question  vient  à  l'ordre  du  jour  de  la  Société,  le  13  au  soir.  Robes- 
pierre qui  présidait,  quitte  le  fauteuil  pour  intervenir  dans  le  débat. 

Mercure    universel,    t.    III,    p.    328. 

«  M.  Robespierre.  Tout  ce  que  j'entends  depuis  trois  jours  ne  m  a 
point  convaincu  ;  je  n'en  crois  pas  moins  que  la  justice  et  la  morale 
doivent  être  les  guides  des  législateurs.  On  nous  parle  de  l'initiative  : 
est-ce  donc  un  sénat  aristocratique  de  colons  que  nous  avons  à  consulter  ? 
est-ce  un  cabinet  ministériel,  ami  de  l'esclavage?  non;  c'est  l'intérêt 
suprême  de  la  nation,  celui  des  représentans  d'un  peuple  dont  toute  la 
puissance  n'est  que  l'opinion  et  les  principes.  Je  ne  suis  pas  surpris 
que  des  hommes  qui  ont  défendu  depuis  le  moment  de  la  formation  de 
l'assemblée  nationale,  les  droits  imprescriptibles  des  hommes  aient 
cependant  aujourd'hui  avec  la  même  chaleur  défendu  le  projet  du 
comité... 

«  Ch.  Lameth.  Je  demande  à  répondre!  (à  l'ordre!  à  l'ordre!  il 
veut  aller  à  la  tribune;  violens  murmures). 

«  M.  Robespierre.  Je  respecterai  non  seulement  les  personnes, 
mais  même  les  opinions.  (Applaudi).  Personne  n'aura  à  redouter  mes 
applications. 

«    M.   Lameth.  Je  demanderai  la  parole  après. 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  suis  pas  surpris  que  ces  membres  aient 
si  violemment  défendu  ce  projet;  en  effet,  ils  nous  disoient:  vous 
parlez  des  droits  des  hommes  ?  vous  êtes  bien  fondés  à  venir  nous  dire 
que  ces  droits  existent,  lorsque  vos  frères,  dans  une  autre  partie  du 
monde,  en  ont  été  privés  par  vous;  parce  qu'il  a  plu  à  l'être  suprême  de 
mettre  sur  leur  front  une  autre  couleur,  vous  les  avez  privés  de  ces  droits 
naturels;  il  avoit  donné  des  droits  égaux  aux  vôtres,  à  ces  hommes  à 
qui  vous  les  ravissez  ;  et  nous  leur  répondrons  alors  :  vous  nous  dîtes  que 
nous  n'avons  pas  respecté  en  Europe  les  droits  des  hommes;  nous  ne  les 
eussions  pas  violés  sans  vous  :  vous  nous  dites  encore  :  mais  ces  hommes 
jouissent  des  droits  civils  ;  je  réponds  encore  :  ces  droits  ne  sont  rien 
sans  des  droits  politiques;  car  ceux  qui  les  exercent,  seuls  peuvent 
attenter  à  tous  les  droits  des  hommes,  qui  n'ont  que  les  droits  civils; 
de  là,  ceux-ci  sont  nuls.   (Applaudi).    » 


(1)  Cf.  ci-dessus,   séance  du  12  mai   1791. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  367 

Journal  des  Mécontens,  n°   76,  p.  3. 

«  M.  Robertspierre  qui  s'impatientoil  déjà  de  ne  point  parier, 
s'empare  de  la  tribune;  long  et  plat  discours,  à  l'ordinaire,  sur  l'état 
des  gens  de  couleur,  bien  hérissé  de  sarcasmes  contre  les  Lameth  et 
Barnave. 

«  ...M.  Raymond,  mulâtre  (2)  parle  dans  le  sens  de  Robertspierre. 
Cela  va  de  droit.  Un  Turc,  ou  du  moins  un  homme  sous  cet  habit, 
car  il  y  a  là  toutes  sortes  de  masques,  plaide  aussi  la  cause  du  métis. 
C'est  beau  cela.  Il  rappelle  le  mot  de  ce  père,  qui  disoit  à  son  fils, 
qu'un  seul  faux-pas  faisoit  perdre  le  fruit  de  cinquante  ans  de  vertus. 
Avis  aux  Lameth  et  Barnave. 

«  Oh.  Lameth,  provoqué  de  nouveau,  s'élance  et  parvient  à  la 
tribune  :  un  orage  universel  ne  lui  permet  pas  de  se  faire  entendre,  et  le 
président  Robertspierre  ne  fait  charitablement  rien  pour  calmer  cette 
mer  agitée.  Lameth  se  retire  en  se  mordant  les  lèvres 

«  Bonne  Carrère,  l'ambassadeur  refusé,  fait  la  motion  que  24  mem- 
bres de  la  Société  aillent  avec  le  mulâtre  Raymond  à  la  barre  de  l'As- 
semblée nationale,  défendre  les  gens  de  couleur  qui  n'ont  pas  de  défen- 
seur. Cette  motion  peu  honnête  pour  M.  Robertspierre,  qui  est  sans 
contredit  un  avocat  sans  pareil,  n'a  point  de  suite  et  l'on  se  sépare, 
sans  même  entendre  une  députation  présentée  sous  le  nom  de  la  section 
de  la  Bibliothèque,  et  qui  attendoit  depuis  le  commencement  de  la 
séance,  l'instant  de  faire  une  belle  dénonciation   »   (3). 

Le  Lendemain,  t.  III,  n°    135,  p.  421. 

u  Le  fameux  Roberspierre  prend  la  sonnette.  Il  la  cède  pour 
pérorer,   car  c'est  sa  manie. 


(2)  Julien  Raimond,  né  en  1744  à  Saint-Domingue  d'un  blanc: 
Pierre  Raimond,  originaire  de  Buanes  dans  les  Landes,  et  de  Marie 
Bégasse,  mulâtresse,  était  donc  un  quarteron  et  non  proprement 
un  mulâtre.  Les  parents  eurent  12  enfants,  cependant  Raimond 
acquit  une  certaine  aisance:  en  1773,  il  acheta  d'un  noble  une 
propriété  de  75.000  livres.  Il  épousa  lui-même  en  secondes  noces 
une  mulâtresse,  fflie  d'une  négresse  libre.  En  1784,  il  quitta  Saint- 
Domingue  ;  on  îe  vit  ensuite  résider  'à  Angoulême  et  faire  de  fré- 
quents séjours  à  Paris.  En  1786,  il  présenta  des  mémoires  en  laveur 
des  hommes  de  couleur  au  (maréchal  de  Castries,  .ministre  de  la 
Mari  ip,  et  dès  1789  il  plaida  encore  leur  cause  (Renseignements 
Communiqués  par  M.  Nemours,  avocat,  membre  de  la  Société  des 
Etudes  Robespierristes). 

(3)  Raimond  fut,  le  14  mai  1791,  admis  à  la  barre  de  l'Assemblée 
nationale  où  il  défendit  les  sangs  mêlés  (mulâtres,  quarterons,  octa- 
vons)  et  les  noirs  libres.  Voici  commenl  le  Journal  des  mécontens 
<n"  7G,  p.  I)- juge  cette  intervention  :  «  Une  députation,.  c'est-à-dire 
un  rassemblement  rie  gens  quêtes  par  les  Jacobins,  s'est  présentée 
à  la  barre  et  a  dit  à  peu  près  les  mêmes  et  belles  choses  que  le  cons- 
ciencieux M.  Robespierre,  débite  chaque  jour  à  la  tribune  de  ee«Ue 
illustre  société  ». 


368  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  Robespierre  quitte  le  fauteuil  pour  venir  faire  un  discours  bien 
plat,  à  l'ordinaire,  sur  la  question  des  gens  de  couleur,  mais  bien 
hérissé  de  sarcasmes  contre  les  deux  Lameth  et  Barnave. 

[Intervention  «  de  Raimon,  métis  »  et  efforts  de  Lameth,  qui 
ne    peut    obtenir    la    parole.] 

«  ...et  le  petit  Roberspierre,  qui  avoit  repris  la  sonnette,  ne  l'a 
point  fait  parler  en  faveur  de  Lameth...  »  (4). 

La  Feuille  du  Jour,  t.  IV,  n°    136,  p.  380-1. 

«  Le  président  étoit  absent.  M.  Roberspierre  grimpa  au  fauteuil,, 
et  préside   fort  agréablement. 

«  ...M.  Roberspierre  s'élance  du  fauteuil  à  la  tribune;  i!  pérore 
sur  les  gens  de  couleur,  toujours  élégiaque,  douloureux,  courroucé. 
Cette  fois,  sa  philippique  est  toute  hérissée  de  petits  traits  malins 
contre   MM.   de   Lameth  et   Barnave. 

«  M.  Raymond  Métes  (5)  parle  comme  M.  de  Robespierre,  ou 
du  moins  dans  son  sens,  si  ce  n'est  pas  abuser  du  mot...    » 

Journal  général  de  France,   16  mai   1791,  p.  543. 

«  M.  Charles  Lameth  veut  en  vain  obtenir  la  parole  :  il  feint  de 
vouloir  sortir;  on  n'y  prend  pas  garde:  en  un  mot  il  commence  à 
s'appercevoir  que  sa  popularité  diminue  sensiblement  :  M.  Roberts- 
pierre  n'agite  point  sa  sonnette  en  sa  faveur,  et  on  lève  !a  séance.  :; 


(4)  Cf.    Aulard,    II,    414-415. 

(5)  II  est  probable  que  le  typographe  n'ayant  pas  compris  le 
mot  métis  l'a  mutilé  et  considéré  comme  un  nom  de  famille,  Ray- 
mond  devenant   alors   le  prénom. 


288.  —  SEANCE  DU  15  MAI  1791 
Sur  la  condition  des  HOMMES  LIBRES  DE  COULEUR  (suite) 


lM  intervention 


Le  14  onai,  le  débu^.  s'était  poursuivi  sur  la  condition  des  per- 
sonnes dans  les  colonies.  'Le  président  donna  lecture  de  l'article  sou- 
mis ià  la  discussion:  «  Quant  à  l'état  politique  des  hommes  de  cou- 
leur et  nègres  libres,  il  y  sera  statué,  par  le  corps  législatif,  sur  la 
proposition  des  assemblées  coloniales  actuellement  formées  ;  aucun 
changement  ne  pourra  être  prononcé  par  les  législatures,  si  ce 
nJ€St  sur  la  demande  formelle  et  spontanée  des  assemblées  colo- 
niales »  (1). 


(1)  D'après  la  Correspondance  générale  des  départements  de 
Fiance  <t.  IL  n°  40,  p  629).  Robespierre  serait  également  intervea*! 
au  cours  de  cette  séance.  Mais  il  s'agit  d'une  confusion  avec  la 
séance  de  la  ve;lle,  car  le  journal  y  mêle  les  noms  de  Grégoire 
et  de  Pétion. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  369 

Le  lô  mai,  l'Assemblée  entamant  la  discussion  de  la  première 
partie  de  cet  article,  iReubell  propose  cet  amendement:  «  L'Assem- 
blée nationale  décrète  qu'elle  ne  délibérera  jamais  isur  l'état  des 
gens  de  couleur  qui  ne  seraient  pas  nés  de  père  et  mère  libres, 
sans  le  vœu  préalable,  libre  -et  spontané  des  colonies;  que  les  assem- 
blées coloniales  actuelles  subsisteront;  mais  que  les  gens  de  codeur 
nés  de  père  et  mère  libres  seront  admis  dans  toutes  les  assemblées 
paroissiales  et  coloniales  futures,  s'ils  ont  d'ailleurs  les  qualités 
requises  ». 

Barnave,  après  avoir  obtenu  difficilement  la  parole,  une  partie 
de  l'Assemblée  demandant  à  aller  aux  voix,  combat  la  proposition 
de  Keubell,  comme  contredisant  le  décret  rendu  la  veille  qui  portait 
que  l'Assemblée  devaio  délibérer  sur  Ja  première  partie  de  l'article 
ijroposé  par  son  comité.  Barnave  demande  qu'on  en  revienne  à  cette 
.motion. 

Bobespierre  intervient  et  critique  à  la  fois  le  projet  du  comité 
et   l'amendement  de  Beubell  qui  fut  adopté  par   l'Assemblée  (2). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXVI,  p.  23. 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  crois  pas  avoir  besoin  de  répondre  à  la 
première  observation  du  préopinant,  par  laquelle  il  a  voulu  écarter  la 
discussion,  en  prétendant  que  votre  décret  d'hier  avoit  préjugé  la 
question  actuelle,  puisqu'il  est  évident,  que  déclarer  qu'il  y  a  lieu 
à  délibérer  sur  une  motion,  ce  n'est  point  adopter  la  motion  elle-même, 
à  plus  forte  raison  rejetter  les  amendemens  qui  pourroient  y  être  pro- 
posés. v 

«  M.  Barnave  a  voulu  trouver  un  autre  préjugé,  et  il  a  mêlé  à  ce 
préjugé  l'idée  d'un  reproche.  Il  a  prétendu  qu'ayant  déjà  consenti  à 
une  modification  de  la  liberté,  ou  plutôt  ayant  déjà  consacré  en  quelque 
sorte,  l'esclavage  dans  un  article  que  vous  avez  décrété,  vous  ne  deviez 
pas  être  si  difficiles  sur  le  reste,  et  que  vous  deviez  continuer  de 
suivre  la  route  qui  vous  étoit  tracée  par  les  défenseurs  des  colons 
blancs.  Et  moi  je  dis  et  je  crois  que  personne  n'a  ici  le  droit  de  nous 
faire  un  tel  reproche  :  et  certes  si,  dans  l'un  de  vos  décrets,  vous  avez 
prononcé  le  mot  d'hommes  non  libres;  vous  ne  l'avez  pas  fait  librement, 
et  il  est  avisé  de  connoitre  ceux  qui  nous  ont  réduit  à  cette  cruelle 
extrémité.  Nous  n'avons  que  trop  acquis  le  droit  d'exiger  le  prix  d'un 
si  grand  sacrifice,  et  j'atteste  à  l'assemblée  que  quand  nous  nous  y  som- 
mes résolus,  ou  plutôt  quand  vous  vous  y  êtes  résolus,  car  ce  ne  fut 
jamais  mon  opinion,  vous  avez  compté  sur  ce  prix,  et  que  vous  n'avez 
consenti  à  cet  acte  extrême  de  complaisance,  pour  ceux  qui  dominoient 
alors  notre  délibération,  qu'à  condition  qu'il  vous  seroit  permis,  au 
moins,  de  suivre  les  principes  de  la  justice  et  de  l'humanité  envers  des 
hommes  que  vous  n'aviez  pas  trouvés  dépouillés  de  la  liberté,  mais  que 
vous  avez  trouvés  libres  et  que  vous  devez  conserver  libres  (applaudi 


(2)  A  la  suite  du  vote  de  ce  décret,  les  députés  de  Saint  Pqmin- 
pno  et  de  la  Guadeloupe  font  connaître  à  l'Assemblée  dans  la  séance, 
du    l(i    'ii.ti   qu'ils   s'abbtiendront   désormais   d'assister   aux   débats. 


370  LES    DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

à  gauche).  Ainsi  l'objection  du  préopinant  tourne  en  entier  contre 
lui-même. 

«  Le  préopmant  n'a  pas  été  plus  heureux,  à  mon  avis,  lorsqu'il 
a  cherché  un  autre  préjugé  d.e  la  question  actuelle  dans  vos  décrets 
précédents;  car,  messieurs,  il  est  un  de  vos  décrets  qui  accorde, 
de  la  mamèfê  la  plus  formelle  et  la  plus  précise,  les  droits  de  citoyens 
actifs  aux  hommes  libres  de  couleur 

a  Certes,  s'il  est  un  moment  où  l'on  puisse  invoquer  le  principe  si 
souvent  réclamé,  qu'on  ne  peut  revenir  sur  vos  propres  décrets,  c'est, 
sans  contredit,  celui  où  il  est  question  d'un  décret  qui  consacre  les 
droits  les  plus  sacrés  de  l'humanité,  qui  conserve  à  des  hommes  des 
droits  précieux  et  imprescriptibles  qui  leur  appartenoient  avant  ce  décret. 
Or,  ce  décret-là  existe,  il  est  le  titre  inattaquable  des  hommes  libres 
de  couleur;  c'est  celui  par  lequel  vous  assurez  indistinctement,  les  droits 
de  citoyens  acHfs  à  toutes  personnes  indistinctement  dans  les  colonies, 
avec  la  seule  condition  quelles  seront  propriétaires  et  contribuables. 
Or,  si  le  terme  toute  personne  est  le  terme  le  plus  général  que  l'on 
puisse  employer;  s'il  renferme,  à  plus  forte  raison,  tous  les  citoyens 
libres  avant  le  décret,  il  est  évident  qu'il  s'applique  aux  hommes  de 
couleur  comme  aux  hommes  blancs  :  et  par  conséquent,  il  est  impos- 
sible, à  la  vue  d'un  pareil  décret,  d'élever  encore  aucune  objection 
contre  les  hommes  libres  de  couleur,  à  moins  qu'on  ne  vous  propose, 
formellement  et  directement,  de  révoquer  votre  décret. 

«  Mais,  dit-on,  votre  décret  ne  sera  point  exécuté,  et  par  consé- 
quent vous  perdrez  vos  colonies.  Quoi  !  si  vous  prononcez  en  faveur 
des  hommes  libres  de  couleur,  votre  décret  sera  méprisé  par  les  hom- 
mes blancs  '  et  cependant  on  vous  assure  que  le  voeu  des  blancs  éroit 
d'accorder  les  droits  de  citoyen  actif  aux  colons  de  couleur  :  cependant 
M.  Barnave  vous  a  dit  mille  fois  que  les  colons  blancs  étoient  attachés 
à  la  mère-patrie,  qu'ils  sont  pleins  d'un  respect  sincère  pour  les  décrets 
de  l'assemblée  nationale;  il  vous  a  lui-même  présenté  les  hommages 
respectueux,  les  protestations  de  fidélité  de  cette  assemblée  coloniale, 
contre  laquelle  il  avoit  provoqué  vos  décrets;  il  vous  a  dit  que  tous  les 
colons  étoient  réunis  dans  les  mêmes  sentimens  de  fidélité  à  !a  mère- 
patrie,  aux  représentans  de  la  nation  frarîçoise;  et  aujourd'hui  M.  Bar- 
nave suppose  que  la  répugnance  qu'éprouvent  les  blancs  pour  accorder 
les  droits  de  citoyen  actif  aux  hommes  de  couleur  est  si  forte,  si 
impérieuse,  qu'elle  les  détermineroit  à  fouler  aux  pieds  vos  propres 
décrets. 

«  Et  comment  après  cela,  messieurs,  pouvez-vous  penser  que  le 
vœu  qui  vous  sera  adressé  par  les  colons  seroit  de  réclamer  eux-mêmes 
les  droits  de  citoyen  actif  en  faveur  des  citoyens  libres  de  couleur  ?  Il 
est  impossible  de  concilier  ces  contradictions,  et  de  ne  pas  appercevoir 
que  le  projet  qui  vous  es!  proposé  tend  à  dépouiller  définitivement  les 
hommes   de    couleur  de   leurs   droits,    et   à   vous   rassurer   par   de    faux 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  371 

prétextes  sur  l'injustic£  atroce  qu'on  vous  propose.  J'ajoute  qu'il  n'est 
pas  permis  aux  membres  de  l'assemblée  nationale  qui  se  chargent  de 
cette  pétition  de  dire  :  si  vous  ne  nous  accordez  pas  ce  que  nous  vous 
demandons,  nous  nous  révoltons  :  je  dis  que  la  plus  grande  des  foibles- 
ses,  la  plus  haute  des  imprudences  des  représentans  de  la  nation,  seroit 
de  céder  à  de  pareilles  menaces  :  ce  seroit  renverser  de  vos  propres  mains 
les  bases  de  votre  autorité  (applaudi  au  fond  à  gauche).  Qu'il  me  soit 
permis,  messieurs,  de  rapprocher  encore  cette  objection  de  celle^  qui  vous 
a  été  faite  par  un  autre  orateur  qui,  au  jugement  de  M.  Barnave,  est 
celui  qui  a  fait  la  plus  vive  impression  sur  l'assemblée;  si  entre  les 
deux  orateurs  qui  ont  défendu  le  plus  vivement  la  cause  des  colons 
blancs  il  y  avoit  une  contradiction  manifeste  sur  le  moyen  qui  a  servi 
de  base  à  leur  opinion,  il  en  résulterait  sans  doute  que  leur  opinion  ne 
doit  pas  inspirer  une  grande  confiance. 

«  Or,  tandis  que  d'un  côté  M.  Barnave  vous  a  dit  que  les  colons 
les  plus  forts  refuseroient  d'exécuter  votre  décret,  de  l'antre  vous  savez 
très  bien  que  M.  l'abbé  Maury  vous  disoit  :  si  vous  accordez  le  droit 
de  citoyen  actif  aux  hommes  libres  de  couleur,  les  hommes  libres  de 
couleur  étant  plus  forts  s'empareront  de  la  domination,  feront  révolter 
les  nègres  et  égorgeront  les  blancs  (applaudi).  11  est  donc  impossible  de 
sacrifier  à  de  pareilles  terreurs,  à  de  pareils  sophismes,  les  droits  les 
plus  sacrés  de  l'humanité,  et  les  principes  les  plus  précieux  de  notre 
constitution.  Aussi,  suis-je  loin  d'appuyer  sous  ce  rapport  l'amendement 
de  M  Reubell;  au  contraire,  je  sens  que  je  ne  puis  point  adopter  cet 
amendement;  je  sens  que  je  suis  ici  pour  défendre  les  droits  des  hommes 
libres  de  couleur  en  Amérique,  dans  toute  leur  étendue;  qu'il  ne  m'est 
pas  permis,  que  je  ne  puis  pas,  sans  m'exposer  à  un  remord  cruel,  sacri- 
fier une  partie  de  ces  hommes-là  à  une  autre  portion  de  ces  hommes- 
là.  Or,  je  reconnois  les  mêmes  droits  à  tous  les  hommes  libres,  de  quel- 
que père  qu'ils  soient  nés,  et  je  conclus  qu'il  faut  admettre  le  principe 
dans  son  entier.  Je  crois  que  chaque  membre  de  cette  assemblée  sent 
en  avoir  déjà  trop  fait,  en  consacrant  constitutionnellement  l'esclavage 
dans  les  colonies  »  (3). 
Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  n°  673,  p.  205-206. 

«  M.  Robespierre  réplique  qu'il  ne  croit  pas  devoir  répondre  à 
l'objection  prise  du  décret  d'hier;  car  déclarer  qu'il  n'y  a  pas  lieu 
à  délibérer  sur  une  motion,  ce  n'est  pas  l'adopter,  ce  n'est  pas  s'inter- 
dire des  amendemens. 


a  M.  Robespierre.  M.  Barnave  se  sert  contre  nous  du  décret  par 
lequel  vous  avez  décrété  la  servitude,  comme  pour  tranquilliser  les 
colons  ;  mais  nous  pouvons  retourner  cet  argument  contre  lui  ;  car  si 
d'un   côté   vous   avez   cru   ne   devoir   rien   faire   pour  des   hommes  que 


(3)  Toxtc    reproduit  dans   les   Arcli.   pari.,   XXVI,   9195. 


372  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

vous  avez  trouvés  dans  l'esclavage,  de  l'autre,  vous  devez  faire  pour 
des  hommes  que  vous  avez  trouvés  libres.  (On  applaudit).  S'il  est  une 
occasion  où  vous  devez  vous  en  tenir  strictement  à  vos  décrets,  c'est 
lorsqu'ils  établissent  les  droits  des  hommes  qui  étoient  libres  à  l'époque 
de  vos  décrets.  Ils  s'appliquent  pour  les  colonies  aux  hommes  de  cou- 
leur libres  comme  aux  blancs  libres.  J'invoque  le- décret,  j'invoque  la 
maxime  que  vous  me  pouvez  pas  révoquer  un  tel  décret,  et  il  faudroit 
rappeller  à  l'ordre  celui  qui  vous  propose  de  le  faire.  La  question  est 
donc  décidée. 

«  M.  Barnave  élèveroit-il  la  prétention  que  le  décret  du  8  mars, 
[que]  l'instruction,  et  le  décret  du  12  octobre  enlève  aux  hommes  de 
couleur  les  droits  de  citoyen  actif  ?  Mais  il  est  impossible  de  le  trouver 
dans  les  décrets.  On  ne  peut  donc  pas  le  leur  opposer.  C'est  incon- 
testable. 

«  M.  Barnave  nous  a  dit  que  les  colons  étoient  fortement  attachés 
à  la  France,  et  qu'ils  étoient  prêts  à  lui  faire  tous  les  sacrifices  qu'elle 
exigeroit  d'eux.  Aujourd'hui,  il  prétend  que  les  colons  blancs  foule- 
roient  aux  pieds  les  décrets  s'ils  ne  sont  pas  conformes  à  leur  attente; 
mais  je  n'examinerai  pas  une  pareille  annonce,  comme  un  fait  qui  peut 
faire  impression.  Non,  il  n'est  pas  permis  à  des  membres  de  l'assem- 
blée nationale  de  dire  :  si  vous  ne  nous  accordez  pas  ce  que  nous 
demandons,  nous  n'exécuterons  pas  vos  décrets.  Pourquoi  cette  dure 
résistance,  si  les  colons  veulent  être  justes  envers  leurs  frères,  leurs 
concitoyens  ? 

«  M.  Barnave  a  donné  des  éloges  à  l'opinion  de  M.  l'abbé 
Mauri;  mais  a-t-on  observé  que  le  premier  nous  a  fait  craindre  que  les 
blancs  n'égorgeassent  les  hommes  de  couleur,  et  que  le  second  nous 
a  fait  craindre  que  les  noirs  n'égorgeassent  les  blancs  ?  Au  milieu 
de  ces  dangers  contraires,  quelle  délibération  pouvons-nous  prendre,  et 
quel  problême  n'y  a-t-il  pas  dans  toutes  ces  contradictions }  Tandis 
que  vous  anéantissez  toutes  les  distinctions  de  la  noblesse  en  France, 
quoiqu'elle  fût  fondée  sur  d'antiques  préjugés  de  grandeur,  vous  allez 
en  confirmer,  en  ériger  une  fondée  sur  des  préjugés  de  couleur.  Com- 
ment voulez-vous  donc  n'adopter  ai!  l'avis  du  Comité  ni  l'amendement 
de  M.  Reubell,  qui  ne  conviennent  pas  à  l'Assemblée,  si  elle  veut 
être  entièrement  juste  ?  Je  les  rejette  tous  les  deux. 

«  M.  Robespierre  a  terminé  son  opinion  en  disant  :  Je  suis  ici 
pour  défendre  les  hommes  de  couleur.  Je  ne  puis  pas,  sans  remords, 
sacrifier  cette  classe  de  citoyens  libres  et  propriétaires  qui  ont  des 
droits  incontestables. 

«  Je  crois  que  nous  devons  dire  que  nous  en  avons  fait  assez  pour 
les  colonies,  en  consacrant  l'esclavage  par  l'article  premier  du  co- 
mité... »  (4). 


(4)  Cf.   E.   Hamel,   I,  439. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  373 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),   1791,  n°    134,  p.  3. 
Le  Législateur  français,   16  mai   1791,  p.  6. 

[Ces  journaux  résument  l'intervention  de  Robespierre  et  en  repro- 
duisent  les  passages  suivants  :  J 

«  Si  vous  renversez  de  vos  propres  mains,  disoit-il,  ces  principes 
impérissables  gravés  dans  le  cœur  de  tout  être  pensant,  et  que  vous 
avez  consacré  au  milieu  des  luttes  et  des  combats,  vous  détruisez  les 
bases  de  votre  majestueux  édifice;  vous  n'avez  plus  de  boussole,  et 
vous  serez  réduits  à  errer  au  ihazard,  au  gré  des  passions  et  de  la  cor- 
ruption. Vos  ennemis  se  serviront  de  vos  erreurs  pour  vous  conduire  de 
précipices  en  précipices  et  lorsque  vous  réclamerez  en  votre  faveur  !a 
liberté  et  les  droits  d'égalité,  ils  vous  citeront  vos  propres  décrets 
Mesurez,  si  vous  l'osez,  la  profondeur  de  l'abîme  où  vous  allez  vous 
jetter,  et  réfléchissez  :  quand  on  n'a  plus  ni  morale,  ni  principes,  c'en 
est  fait  de  la  liberté.  » 

«  ...Est-il  bien  vrai,  disoit-il,  que  les  hommes  qui  murmurent 
quand  ils  demandent  un  décret,  seront  justes  et  humains  s'ils  l'obtien- 
nent ?  Pourquoi  donc  cette  longue  et  invincible  résistance,  si  elle  n'avoit 
pas  pour  objet  l'oppression  et  l'esclavage  d'une  portion  intéressante 
des  habitans  des  Colonies;  et  si  on  vouloit  le  bonheur  de  ses  frères, 
qu'on  m'explique  pourquoi  on  ne  peut  le  laisser  faire  à  d'autres.   » 

Journal  de  Rouen,   1791,  n°    136,  p.  659. 

«  M.  Robertspierre.  Je  vais  suivre  la  même  marche  qu'a  suivie 
M.  Barnave.  Il  nous  a  opposé  des  décrets,  je  lui  oppose,  moi,  l'art.  4 
de  celui  du  mois  de  mars;  il  est  formel,  il  est  précis:  l'assemblée 
n  y  a  point  dérogé,  il  doit  subsister  dans  son  entier.  » 

[Puis  ce  journal  résume  les  réponses  de  Robespierre  aux  argu- 
ments des  différents  orateurs]    (5). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    136,  p.  564. 

«  M.  Roberspierre.  On  a  suffisamment  répondu  dans  le  cours  de 
la  discussion  à  tout  ce  que  vient  de  dire  M.  Barnave.  Quant  au  décret 
qil*il  prétend  avoir  été  rendu  hier,  je  lui  observerai  que  déclarer  qu'il 
y  a  lieu  à  délibérer  sur  un  article,  ce  n'est  pas  l'adopter  II  prétend 
qu'ayant  déjà  par  un  décret  consacré  l'esclavage,  nous  ne  devons  pas, 
ou  pour  mieux  dire,  vous  ne  devez  pas  faire  tant  de  difficulté  sur  le 
reste.  Mais  l'avez-vous  prononcé  bien  librement  ce  mot  esclavage  ? 
N'est-il    pas   aisé    de    reconnaître    ceux    qui    vous   ont    conduits    à    rette 

(5)  'Le  Journal  de  Rouen  <n°  137,  p.  663)  levient  «  sur  l'opinion 
de  M.  Robertspierre  qui  paroît  avoir  singulièrement  influé  sur  ].i 
^tewnination  âe  l'Assamblée  ».  FI  reproduit,  de  même  que  le  Coar 
lier  français  (t.  XT,  n°  136,  p.  115)  un  passage  du  Journal  du  Soir, 
depuis:  «  Avant  la  Révolution...  jusqu'à  «  c'en  est  fait  de  la 
liberté    ». 


374  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

cruelle  extrémité  ?  Si  vous  avez  adopté  un  décret,  dont  il  y  a  six 
mois  les  colons  n'auraient  osé  vous  proposer  l'idée;  pour  prix  d'un 
pareil  sacrifice,  on  trouve  étrange  que  vous  vouliez  consacrer  des  prin- 
cipes de  liberté  envers  ceux  que  vous  avez  trouvés  libres.  Quant  à  moi, 
je  sens  que  je  suis  ici  pour  défendre  les  droits  des  hommes,  je  ne  puis 
consentir  à  aucun  amendement,  et  je  demande  que  le  principe  soit 
adopté  dans  son  entier. 

«  M.  Roberspierre  descend  de  la  tribune  au  milieu  des  applau- 
dissemens  réitérés  de  la  partie  gauche  et  de  toutes  les  tribunes  »  (6). 

Mercure  universel,   t.    III,   p.   253. 

«  M.  Robespierre.  Si  l'assemblée  a  décidé  hier  qu'il  y  a  lieu 
à  délibérer  sur  la  première  partie  de  l'article  du  comité,  il  est  donc 
convenu  que  l'on  ne  pouvoit  pas  adopter  l'ensemble  de  ce  décret,  et 
conséquemment  qu'il  pourrait  y  être  réuni  des  amendemens.  M.  Bar- 
nave  vous  a  dit  quet  parce  que  dans  un  article  vous  aviez  décrété 
l'esclavage,  vous  ne  deviez  pas  être  si  difficiles  sur  le  reste;  mais  en 
accordant  l'initiative  aux  colonies,  comme  elles  sont  composées  d'hom- 
mes de  couleur  libres  et  de  colons  blancs,  vous  avez  donné  l'initiative 
et  aux  uns,  et  aux  autres  :  or,  je  dis  que  l'assemblée  peut  revenir  sur 
ses  décrets.  Que  répondrez-vous  quand,  dans  l'avenir  on  vous  dira  :  d'une 
main  vous  avez  proclamé  l'égalité,  de  l'autre  l'esclavage  ?  que  répon- 
drez-vous quand  on  vous  dira  que  vous  avez,  par  un  motif  d'intérêt, 
anéanti  les  droits  d'une  classe  des  Français,  des  citoyens  libres  '?  Que 
répondrez-vous,  quand  ils  vous  reprocheront  d'avoir  avili  leur  postérité, 
d'avoir  soumis  des  hommes  libres  à  d'autres  hommes,  leurs  égaux  ?  Je 
ne  puis  adhérer  au  projet  du  comité.  (Très  applaudi). 

Assemblée  nationale,  Corps  adm:nistratifs  (Perlet),  t. XI,  n°  649,  p.  5. 

«  M.  Robespierre  a  réfuté  courageusement  tous  les  sophismes  de 
M.  Barnave.  Il  a  montré  l'inconséquence  des  colons  blancs,  dont  les 
députés  dans  l'assemblée  assurent  que  le  congrès  qui  sera  nommé 
votera  en  faveur  des  gens  de  couleur,  et  qui  ne  veulent  pas  que  l'as- 
semblée constituante  de  tout  l'empire  français,  fasse  elle-même  pour 
eux  ce  que  les  colons  veulent  faire  eux-mêmes  ;  ou  leur  promesse  est 
une  perfidie,  ou  ils  veulent  avoir  la  barbare  vamié  d'accorder  aux  gens 
de  couleur  comme  une  grâce,  ce  qui  n'est  qu'une  justice  rigoureuse; 
et  comment  compter  sur  les  dispositions  humaines  de  la  part  des  colons 
blancs,  quand  ils  viennent  vous  menacer  avec  arrogance  de  l' insurrection 
et  de  l'inexécution  de  vos  décrets  si  vous  rendez  une  décision  qui 
offense  leur  vanité.  L'opinant  a  ajouté  qu'il  n'avait  vu  qu'avec  douleur 
qu'on  eût  arraché  à  l'assemblée  un  décret  déjà  si  cruel  pour  les  hommes 
non   libres,   et  qu'en  répondant   aux   objections  de   M.    Barnave   contre 


(6)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  395. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  375 

l'amendement  de  M.  Reubell,  il  ne  pouvait  néanmoins  l'adopté?,  parce 
qu  il  n'éto't  pas  en  lui  de  composer  avec  les  princoipes  et  avec  les  droits 
sacrés  de  l'humanité.    » 

Journal  universel,  t.  XI,  p.  7019. 

«  M.  Robespierre,  toujours  ferme  sur  les  principes,  a  combattu 
M.  Barnave  et  fait  connoitre  les  contradictions  qu'il  avoit  produites 
dans  la  défense  des  blancs.  Il  a  surtout  fait  sentir  qu'il  étoit  bien 
étrange  que  M.  Barnave,  représentant  de  la  nation,  menaçât  de  désobéis- 
sance à  la  loi,  si  les  blancs  ne  gagnaient  pas;  ne  pouvant  se  déterminer 
à  composer  sur  les  principes,  il  a  réclamé  nettement  le  titre  de  citoyens 
actifs  pour  tous  les  hommes  qui,  sans  distinction  de  couleur,  remplissent 
les  conditions  exigées  par  la  loi.  » 

Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t.  VI,  n°  78,  p.  596-598. 

«  On  a  fait  des  réflexions  fort  judicieuses  sur  le  décret  du  14. 
L'assemblée  nationale  ne  délibérera  jamais  sur  l'état  des  personnes  non 
nées  Je  père  et  mère  .libres,  si  elle  n'est  requise  librement  par  les  Co- 
lonies. Ici  l'assemblée  s'interdit  de  délibérer  jamais  sur  l'esclavage  des 
noirs;  voilà  bien  ce  qui  s'appelle  sacrifier  les  principes  et  se  déshono- 
rer, aussi  Péthion,  Robespierre  et  Grégoire,  n'ont-ils  pas  voulu  partager 
ce  déshonneur  et  ont  rejette  ce  décret.  Dans  les  assemblées  coloniales, 
les  personnes  de  couleur  nées  de  père  et  mère  libres,  seront  admises  à 
tous  les  droits  de  l'activité.  » 

«  Il  est  impossible  de  voir  plus  à  découvert  l'esprit  de  parti,  qu» 
pour  acquérir  la  majorité  a  d'abord  mis  en  avant  Robespierre,  PétSion 
et  Grégoire,  afin  de  se  couvrir  de  leur  probité,  de  leur  popularité,  et 
lorsqu'aidé  de  ce  secours,  et  de  la  faveur  des  principes,  il  a  eu  acquis 
cette  majorité,  a  ensuite  sacrifié  et  les  principes  et  les  Colonies,  pour 
le  vain  plaisir  d'humilier  Barnave,  et  un  certain  parti  qui  d'ailleurs 
n'est  pas  exempt  de  reproches  »  (7). 

Le  Patriote  françois,    1791,  n"  646,  p.   537. 

\Après  avoir  résumé  le  décret  adopté  par  l'Assemblée,  ce  journal 
ajoute  :] 

«  Nous  devons  observer  qu'à  sept  ou  huit  Jacobins  près,  tous  ont 
voté  pour  ce  décret  ;   il  en  faut  encore  excepter  ceux  qni  tiennent  aux 

(7)  Le  «  certain  parti  »  pourrait  être  celui  de  Lafayette  que 
Camille  DesinouJins  redoute  davantage  depuis  la  mort  de  Mirabeau 
et  qu'il  accuse  de  complicité  ;l;uis  ,!;i  préparation  d'une  évasion  <lu 
) -M.  A  ce  parti,  Camille  voudrait  opposer  une  coalition  des  patriotes; 
e.  il  y  comprend  les  Lameth  et  Barnave;  de  là,  le  passage  de  l'extrait 
qui  est  sympathique  à  Barnave.  11  ne  faudrait  donc  pas  l'entendre 
comme  une  marque  d'hostilité  pour  les  hommes  de  couleur.  Toutefois 
on  doit  se  souvenir  que  les  Lameth  étaient  propriétaires  à  Saint- 
Bomingue  et  que  Camille  a  donc  bien  pu  incliner  vers  les  colons 
(Benseignements  fournis  par  M.  H.  Calvet). 


376  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

principes    rigoureux,    tels    que    MM.    Pétion,    Robespierre,    Grégoire, 
etc..  »  (8). 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),   16  mai   1791,  p.  543. 

«  M.  Barnave  a  été  remplacé  à  la  tribune  par  M.  Roberspierre, 
qui,  en  sa  qualité  de  défenseur  des  noirs,  a  été  écouté  en  silence.  Il  a 
rejette  le  projet  du  comité,  et  l'amendement  de  M.  Reubell;  !e  projet 
parce  qu'il  a  donné  l'initiative  aux  colons;  et  l'amendement,  parce  qu'au 
lieu  d'admettre  indistinctement  dans  les  assemblées  primaires,  tous  les 
hommes  de  couleur  libres,  il  n'y  admet  que  les  hommes  de  couleur 
nés  de  père  et  mère  libres.-  » 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.   II,  n°  311,  p.  3. 

«  M.  Roberspierre  a  pris  la  parole  pour  combattre  M.  Barnave. 
M.  le  président  a  été  obligé  de  faire  cesser  les  applaudissemens  que 
toutes  les  tribunes  donnoient  à  l'antagoniste  de  M.  Barnave. 

«  M.  Roberspierre  a  répondu  aux  objections  du  préopinant;  il  a 
aussi  rejette  l'amendement  proposé  par  M.  Reubell.  Cet  amendement, 
a-t-il  dit,  ne  peut  que  diminuer  l'esclavage,  et  moi  je  reconnois  que 
je  suis  ici  pour  défendre  la  liberté  en  son  entier.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  général, 
n°  105,  p.  420;  Le  Courrier  extraordinaire,  16  mai  1791,  p.  4:  La 
Correspondance  nationale,  n°   27,  p.    159.] 

2e  intervention  : 

La  discussion  ayant  été  fermée,  la  partie  droite  et  quelques, 
membres  de  la  partie  gauche  demandèrent  la  question  préalable  sur 
ia  rédaction  présentée  par  Reubell.  Le  vote  qui  suivit  ayant  paru 
douteux.  Robespierre  remonte  à  la  tribune.  Malgré  l' intervention 
de  l'abbé  Maury  et  l'opposition  de  la  droite,  l'article  est  décrété 
d'après   la   rédaction   proposée  par   Reubell. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logo  graphique,  t.  XXVI,  p.  26. 

«  M.  Robespierre.  Je  demande  qu'on  retranche  de  l'article  pro- 
posé la  disposition  qui  porte  que  l'assemblée  nationale  ne  prononcera 
jamais  sur  les  hommes  libres  de  couleur,  dont  les  père  et  mère  n'étoient 
point  tous  deux  libres,  sans  la  proposition  libre  spontanée  des  colonies. 
Je  demande  que   tous  les  hommes   libres   de   couleur   jouissent  de   tous 


(8)  Brissot  ajoutera  plus  tard  cette  .appréciation  sur  le  rôle  des 
trois  députés  (Patriote  françois,  n°  671,  p.  642)  :  «  Dans  la  question 
relative  aux  colonies,  j'ai  'sur-tout  été  satisfait  des  discours  de 
MM.  Grégoire,  Pétion  et  Robespierre,  on  diroit  qu'ils  ont  toute 
leur  vie  habité  les  colonies,  tant  ils  connoissent  parfaitement  les 
mœurs  et  l'esprit  des  habitans  ;  ce  qu'ils  proposent  est  le  seul  moyen 
de    nous    assurer   pour    toujours   leur    attachement.    d> 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  377 

les  droits  qui  leur  appartiennent.   (Murmures  à  droite  et  à  gauche:   la 
question  préalable!  »  (9). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    136,  p.  564. 

«  M.  Roberspierre .  Je  persiste  à  demander  l'adoption  du  prin- 
cipe. 

L'Assemblée  passe  à  l'ordre  du  jour  sur  la  proposition  de  M.  Ro- 
berspierre »  (10). 

JBrève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  des  Débats, 
t.  XX,  n°  722,  p.  13;  Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  p.  207;  Le  Mer- 
cure universel,  A.   III,  p.   255.1 


(9)  Texte   utilisé  par   les   Arch.    pari.,    XXVI,    95. 
(10)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  404. 


289.  —  SEANCE  DU  16  MAI   1791 

Sur   l'éligibilité   des   députés 
de  l'Assemblée  nationale  a  la  première  législature 


!"  intervention 


T/houret,  au  nom  du  comité  de  constitution,  présente  à  l'Assem- 
blée un  rapport  sut  l'organisation  du  corps  législatif.  Il  soumet 
immédiatement  à  la  discussion  deux  articles,  dont  l'art  7  ainsi 
conçu-  «Les  membres  de  la  précédente  législature  pourront  être 
réélus  ». 

Robespierre  prenant  aussitôt  la  parole  pour  une  motion  d'ordre, 
demande  que  les  membres  de  l'Assemblée  nationale  ne  puissent  être 
réélus  à  la  première  législature  (1).  Garât  l'aîné,  puis  Pétio.a 
appuient  la  motion  de  Robespierre.  Une  partie  de  l'Assemblée 
demande  à  aller  aussitôt  aux  voix.  Un  important  débat  s'instaure 
cependant. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXVI,  p.  45. 

«   M.  Robespierre.  Je  demande  la  parole  pour  une  motion  d'ordre. 

«  M.  Thovret.  Si  quelqu'un  s'élève  contre  la  proposition  que  j'ai 
faite,    c'est   véritablement    là    le   moment   de    l'entendre. 

«  M.  Robespierre.  Il  m'a  paru  que  la  question  qui  devoit  être 
agitée  la  première  dans  l'assemblée  étoit  déterminée  par  la  nature 
même  de  la  délibération.    Il  me   semble  convenable  et  utile   sous   tous 


(1)  E.  Hamel  signale  qu'à  la  fin  de  septembre  1789,  le  vicomte 
de  Mirabeau  aurait  demandé,  à  propos  d'une  motion  de  Voluey, 
Qu'aucun  membre  de  l'Assemblée  ne  pût  être  réélu  à  la  prochaine 
législature   (Cf.  Arch.    pari.,   VIII,  43). 


378  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

les  rapports  qu'avant  de  fixer  définitivement  les  fonctions,  les  pouvoirs 
de  la  législature,  le  mode  d'élection  qui  devoit  y  conduire,  il  m'a 
paru,  dis-je,  très  convenable  et  très-utile  que  le  législateur,  lui-même 
se  désintéressât  dans  cette  grande  question  :  il  m'a  paru  qu'il  étoit 
beaucoup  plus  intéressant  que  nous  délibérassions  sur  le  corps  législatif, 
comme  des  citoyens  qui  dévoient  bientôt  rentrer  dans  la  classe  commune, 
plutôt  que  de  délibérer  comme  des  législateurs  qui  pourroient  continuer 
d'être  membres  du  corps  qu'ils  alloient  organiser. 

«  En  conséquence,  je  fais  la  motion  dans  ces  fermes  précis  : 
qu'avant  de  discuter  aucune  des  questions  proposées,  l'assemblée  décrète 
que  les  membres  de  l'assemblée  actuelle  ne  pourront  être  membres  [de 
la  prochaine  législature]  {très  vifs  applaudissemens  :  les  deux  côt«s  de 
l'assemblée  se  lèvent  et  demandent  à  aller  aux  voix)  »  (2). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   137,  p.  568. 

«  M.  Roberspierre.  Je  demande  la  parole  pour  une  motion  d'ordre 
indiquée  par  la  nature  même  de  la  délibération,  afin  que  nous  puissions 
voter  comme  de  simples  citoyens,  et  non  pas  comme  des  hommes  qui 
pourroient  être  réélus.  Je  demande  donc  que  l'Assemblée  décète 
d'abord  que  les  membres  de  l'Assemblée  actuelle  ne  pourront  être 
élus  à  la  première  législature.  (On  applaudit  à  plusieurs  reprises  dans 
toutes  les  parties  de  la  salle,  et  on  demande  à  grands  cris  à  aller  aux 
voix)    »    (3). 

Journal  des  Débals,  t.  XX,  n°  723,  p.  8. 

«  M.  Robespierre  a  interrompu  M.  le  Rapporteur,  pour  demander 
que  l'Assemblée  Nationale,  avant  d'entrer  dans  la  discussion  du  Corps 
législatif,  se  désintéressât  tout-à-fait  sur  toutes  les  questions  qu'elle 
devoit  traiter,  en  considérant  déjà  chacun  de  ses  Membres  comme  un 
Citoyen  qui  va  rentrer  dans  la  foule  des  Citoyens.  11  a  fait  la  motion 
expresse  que  l'Assemblée  décidât  sur-le-champ  que  les  Membres  d  une 
Législature  ne  seroient  point  éligibles  à  la  Législature  suivante.  Cette 
motion  a  été  aussi-tôt  couverte  d' applaudissemens.  La  plupart  des  Mem- 
bres du  côté  gauche,  et  tous  ceux  du  côté  droit  se  sont  levés,  et  ont 
crié  :  aux  voix  la  motion  de  M.  Robespierre  !  » 

Journal  de  Paris,  17  mai  1791,  p.  544. 

«  M.  Robespierre  a  demandé  la  parole  :  et  partant,  dirigeait  au 
moins  sur  le  champ  la  discussion  sur  le  point  qui  attiroit  déjà  le  regard 
de  tous  les  esprits;  pour  opiner,  a-t-il  dit,  avec  impartialité  sur  la 
réélection  des  Membres  des  Législatures,  il  faut  commencer  par  nous 
désintéresser    entièrement    nous-mêmes    sur    le    résultat    de    la    décision: 


(2)  Texte   reproduit  dans  les  Arch.    pari.,   XXVI,    111 

(3)  Text*~ reproduit  dans  le  Moniteur,  VJII.   411;  et  dans  Bûchez 
et  Roux,  X,  25. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  379 

il  faut  prononcer  avant  tout  que  les  Membres  de  l'Assemblée  consti- 
tuante ne  pourront  pas  être  réélus  à  la  Législature  qui  doit  la  remplacer. 
«  De  nombreux  applaudissemens  ont  éclaté  et  annoncé  de  toutes 
parts  qu'un  vœu  général  étoit  déjà  formé  dans  l'Assemblée  Nationale. 
On  crioit  aux  voix,  et  on  n'avoit  pas  besoin  de  les  comDter  pour  voir 
qu'elles  formoient  la  majorité  pour  la  motion  qui  étoit  si  fortement 
applaudie.   » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  p.  211. 

«  M.  Robespierre  a  pris  le  premier  la  parole  sur  la  première  ques- 
tion relative  à  l'élection  des  députés  d'une  législature  à  l'autre. 

«  Cette  question  est  délicate,  a-t-il  dit,  nous  ne  pouvons  la  discuter 
avec  dignité  et  sur-tout  avec  impartialité  qu'autant  que  nous  serons  dé- 
pouillés de  tout  intérêt  personnel.  Il  faut  que  pour  l'examiner  de  sang- 
froid  nous  nous  placions  à  l'instant  dans  la  classe  des  citoyens  privés. 
Je  demande  donc  qu'à  l'instant  il  soit  décrété  sans  rien  préjuger  pour 
les  autres  législatures  que  les  membres  de  cella-ci  ne  seront  pas  réélus. 
(Vif  enthousiasme  dans  une  partie  de  l'assemblée).    » 

Le  Législateur  français,  t.  II,    17  mai   1791,  p.  3. 
Courrier  d'Avignon,  1791,  n°    120,  p.  478. 

«  M.  Robertspierre,  avant  que  la  discussion  fût  entamée,  a  de- 
mandé la  parole  pour  une  motion  d'ordre.  Avant  de  commencer  cette 
délibération,  disoit  l'honorable  membre,  il  faut  écarter  de  nous  tout  ce 
qui  pourroit  faire  croire  que  nous  allons  discuter  nos  intérêts  individuels; 
il  faut  délibérer  ici  comme  de  simples  citoyens,  n'ayant  uniquement 
en  vue  que  la  chose  publique;  je  demande  donc  qu'il  soit  décrété  avant 
tout  que  les  membres  d'une  législature  ne  pourront  être  réélus  pour  cel'e 
qui    la    suivra. 

«  Cette  motion  a  été  appuyée  par  presque  toute  l'assemblée,  à 
droite  et  à  gauche,  dans  le  milieu  de  la  salle  tout  le  monde  s'est  levé 
en  criant  :  aux  voix,  aux  voix.  » 

Mercure  universel,  t.  III,  p.  266. 

«  M.  Robespierre.  Avant  de  fixer  les  grandes  questions  de  la 
législature,  nous  devons  nous  regarder,  non  comme  législateurs,  mais 
comme  citoyens,  afin  de  ne  point  être  juges  et  parties  dans  notre  propre 
cause.  Il  importe  de  se  placer  convenablement  pour  bien  juger.  En  con- 
séquence je  fais  la  motion,  qu'avant  de  discuter  sur  les  articles  de 
l'organisation  de  la  législature,  il  soit  décrété  qu'aucun  membre  de 
cette  assemblée  ne  sera  réélu  dans  la  prochaine  législature.  (Les  plus 
Vifs  applaudissemens  de  tous  les  coins  de  la  salle).   » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),    1791,  n"  364,  p.   2. 

«  M.  de  Robespierre,  sur-tout,  s'est  distingué  dans  cette  occasion. 


380  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Si  l'on  veut  discuter  cette  matière,  je  demande  au  moins,  a-t-il  dit, 
que  pour  écarter  tout  soupçon  d'intérêt  personne^  on  commence  par 
statuer  que  les  membres  de  la  législature  actuelle  ne  seront  pas  éligibles 
pour  la  prochaine.  Mais  malgré  les  clameurs  de  haro  qui  poursuivoient 
le  commentateur  normand  (4),  il  s'est  présenté  fièrement  au  combat; 
il  a  supplié  l'assemblée  de  ne  pas  livrer  le  sort  des  législateurs  actuels 
aux  mouvemens  impétueux  et  au  cri  de  l'honneur,  de  juger  leur  cause 
avec  le  calme  et  la  réflexion  qui  ont  préparé  tant  d'immortels  décrets, 
et  s'est  engagé,  si  on  vouloit  l'écouter,  de  dissiper,  avec  le  flambeau 
de  sa  métaphysique,  ce  prestige  de  l'honneur  qui  fascine  les  yeux,  e; 
de  confondre  ces  raisons  factices,  ennemies  de  la  raison  éternelle.   a 

L'Ami  des  Patriotes,  t.  II,  n°  26,  p.  285. 

«  C'est  M.  Robespierre  qui  a  proposé  celui-ci;  et  M.  l'abbé 
Maury,  pour  témoigner  son  extrême  satisfaction,  est  monté  sur  un 
banc... 

«  M.  Cazalès  demandoit  la  parole  pour  établir  le  système  de  la 
rééligibilité  perpétuelle  ;  toute  la  droite  s'est  levée  pour  la  lui  refuser  ; 
toute  la  gauche  la  lui  a  accordée,  à  la  réserve  de  MM.  Pétion.  Buzot, 
Robespierre,  et  cinq  à  six  personnes  qui  les  entourent  et  qui  se  placent 
ordinairement  près  du  bureau  »  (5). 

Journal  de  la  Noblesse,  t.   II,   n°   22,  p.   59. 

«  MM.  Robespierre  et  Garât  l'aîné  (6),  se  sent  déclarés  pour  la 
non-réélection.  «  Nous  ne  devons  pas,  a  dit  le  premier,  voter  comme 
des  hommes  qui  peuvent  être  réélus,  mais  bien  comme  de  simples 
citoyens.  Il  faut  donc  décider  que  les  membres,  de  l'assemblée  actuelle 
ne  pourront  être  réélus  à  la  première  législature.   » 

«  Des  cris  tumultueux  se  sont  élevés  à  l'instant  dans  la  salle  pour 
que  l'on  décrétât  sur  le  champ  la  proposition  de  M.  Robespierre.   » 

Le  Spectateur  national,  n°    166,  p.   719. 

«  M.  Robespierre  et  plusieurs  autres  députés  du  côté  gauche  ont 
demandé  qu'il  fût,  sur  le  champ,  décidé  qu'aucun  membre  de  l'assem- 
blée nationale  actuelle  ne  pourrait  être  élu  à  la  prochaine  législature. 
Un  mouvement  qui   s'est  fait  ensuite  remarquer  dans  toutes  les  parties 


(4)  Il   s'agit  de  Thouret. 

(5)  Le  côté  droit  appuya,  en  effet,  la  motion  de  Robespierre 
(Cf.  Marquis  de  Ferrières,  Mémoires,  II,  286).  De  même,  Robespierre 
écrira  plus  tard,  dans  son  Défenseur  de  la  Constitution,  n°  3  (Edi- 
tion de  G.  Laurent,  p.  81)  :  «  iCe  n'est  point  les  Cazalès  et  les  Maury 
qui,  dans  l'Assemblée  'constituante,  ont  porté  des  coups  mortels  à  la 
liberté,  ils  contribuèrent  même  quelquefois  à  son  triomphe  »  (Cité 
par  G.  Walter,  p.  661,  note  72). 

(6)  Gorsas,  dans  son  Courrier,  t.  XXIV,  n°  17,  p.  269.  qualifie 
Garât  l'aîné  «  d'amant  de  l'abbé  Maury  ». 


LES    DISCOURS   DEr  ROBESPIERRE  381 

de  la  salle,  a  fait  croire  qi'e  la  motion  de  M.  Robespierre  alloi*  être 
accueillie  par  acclamation;  mais  -M.  Garât  l'aîné  a  arrêté  cette  ardeur 
naissante.  » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),    17  mai    1791,  p.   545. 

«  M.  Robespierre  qui  s'est  acquis  beaucoup  de  gloire  dans  !e 
cours  de  cette  discussion,  a  été  d'avis  qu'il  falloit  sur-le-champ  décréter 
qu'aucun  membre  des  législateurs  ne  pourrait  être  réélu  dans  la  législa- 
ture suivante. 

«  Il  étoit  naturel  que  M.  Robespierre,  en  dénonçant  une  telle 
opinion,  parlât  du  décret  déjà  rendu,  mais  il  n'a  eu  garde  de  le  faire, 
pour  ne  pas  priver  ses  co-députés  du  mérite  d'un  nouveau  sacrifice  (7). 

«  On  a  si  bien  compris  la  sagesse  de  son  intention,  que  par  un 
mouvement  subit,  toute  l'assemblée  s'est  levée,  et  on  n'a  entendu 
qu'un  cri;  ce  cri,  c'étoit  de  mettre  à  l'instant  aux  voix  la  proposition 
de  M.   Roberspierre.    » 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Ghaignieau),  t.  II,  n°  312,  p.  2. 

«  M.  Roberspierre  a  pris  la  parole  sur  la  première  question  de 
l'aptitude  des  députés  à  être  réélus:  cette  question  est  délicate,  nous 
ne  pouvons  la  discuter  avec  dignité,  qu'autant  que  nous  nous  serons 
dépouillés  de  tout  intérêt  personnel.  Il  faut  que  pour  l'examiner  tran- 
quillement, nous  nous  placions  à  l'instant  dans  la  classe  des  citoyens 
privés.  Je  demande  qu'à  l'instant  il  soit  décrété,  sans  rien  préjuger  pour 
les  autres  législatures,  que  les  membres  de  celle-ci  ne  seront  point 
réélus. 

«  Cette  proposition  a  été  saisie  avec  enthousiasme.  Toute  la  partie 
gauche  et  ime  section  de  la  droite  se  sont  levées  et  ont  demandé  la  mise 
aux  voix.   » 

Mercure  de  France,  28  mai   1791,  p.  274. 

«  M.  Roberspierre  a  demandé  que  l'Assemblée,  avant  de  discu- 
ter, se  désintéressât  sur  toutes  les  questions  qu'elle  alloit  traiter;  et  pour 
cela,  a  fait  la  motion  expresse  qu'on  décrétât  sur-le-champ  que  les 
membres  d'une  législature  ne  seront  pas  éligibles  à  la  législature  suivante. 
La  proposition  a  été  couverte  d'applaudissemens.  Beaucoup  de  mem- 
bres du  côté  gauche,  et  tous  ceux  de  la  droite  se  sont  levés,  en  criant  : 
aux  voix;  en  rendant  justice  à  ce  que  cette  motion  pouvoit  avoir  d'ho- 
norable. » 


(7)  Après  la  motion  <le  Robespierre  (iarat  rappela  en  effet  que 
i-  question  avait,  déjà  été  tranchée  par  un  décret  du  11  septembre 
789.  Thouret,  dans  Je  discours  qu'il  prononça  ensuite,  montra  qu'il 
usait  erreur:  le  14  septembre,  on  décida  que  chaque  législatun 
?rait  renouvelée  en  totalité,  onais  sans  préciser  si  aes  îru-mb.;  es 
fraient  rééligibles  ou  non. 


382  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Mercure  national  et  étranger,   17  mai   1791,  p.  494. 

«  M.  Robespierre  a  fait  la  motion  expresse  de  décréter  qu'aucun 
membre  de  l'Assemblée  nationale  actuelle  ne  pourra  être  réélu  dans 
la  législature  suivante.  Je  crois,  a-t-il  dit,  que  nous  discuterons  mieux 
cette  importante  matière,  lorsque  nous  aurons  écarté  de  nous  toute  idée 
d'intérêt  personnel,  et  que  nous  serons  bien  convaincus  que  nous  allons 
rentrer  dans  la  classe  des  citoyens.  Toute  l'assemblée  s'est  levée  avec 
un  cri  unanime  d'approbation,  et  l'on  a  demandé  les  voix  avec  instance.» 

Le  Creuset,   t.    II,   n°    41,   p.   285. 

«  Avant  de  commencer  cette  délibération,  a  dit  le  candide  et  pur 
Robespierre,  écartons  soigneusement  de  nous  tout  ce  qui  pourroit  donner 
lieu  de  penser  que  nous  allons  discuter  des  intérêts  individuels.  Nous 
devons  délibérer  comme  fercient  eux-mêmes  ceux  que  nous  représen- 
tons. Je  demande  qu'avant  tout  il  soit  délibéré  que  les  membres  d'une 
législature  ne  pourront  être  réélus  pour  celle  qui  la  suivra.  Un  oui,  non 
moins  honorable  que  le  non  essuyé  par  l'indigne  comité,  s'est  élevé 
avec  la  même  presque  unanimité;  ef  il  a  été  suivi  du  cri,  aux  voix,  aux 
voix!   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Assemblée  nationale, 
Corps  administratifs  (Perlet),  t  XI,  nu  650,  p.  3;  Le  Journal  de  Rouen, 
n°  137,  p.  644;  Les  Révolutions  de  Paris  (Prudhomme),  n°  97,  p.  308; 
La  Feuille  dh  Jour,  t  IV,  n°  137,  p.  385;  Le  Courrier  des  LXXXIII 
départemens,  t.  XXIV,  n°  17,  p.  269;  Le  Journal  général  de  France, 
17  mai  1791,  p.  545;  Le  Journal  universel,  t.  XI,  p.  7022;  La  Corres- 
pondance nationale,  n"  27,  p.  160;  Le  Patriote  jrançois,  n°  647, 
p.  541  ;  La  Gazette  nationale  ou  Extrait...,  t.  XVI,  p.  370;  Le  Cour- 
rier extraordinaire,    17  mai   1791,  p.  3.] 


2'   intervention 


A  .la  suite  de  la  motion  de  Robespierre,  Thouret,  reprenant  la 
parole,  défend  le  projet  du  comité  et  l'Assemblée  décrète  l'impres- 
sion de  son  discours.  Prugnon  se  range  à  l'avis  de  Robespierre;  il 
propose  en  outre  que  les  membres  d'une  législature  quelconque  ni' 
puissent  être  rééligibles  qu'après  un  intervalle  de  quatre  années 
L'impression  de  son  discours  est  décrétée.  Merlin,  par  contre, 
appme   l'opinion  du   comité. 

Après  une  courte  interruption,  l'Assemblée  revient  à  l'ordre  du 
jour.  Robespierre  prend  la  parole  pour  défendre  sa  motion.  L'As- 
semblée ordonne  à  la  presque  unanimité  l'impression  de  son  discours. 
La  discussion  est  fermée,  malgré  l'insistance  de  Briois  de  Beauniez, 
de  Le  Chapelier  et  de  Rcubell  qui  propose  d'ajouter  en  amendement 
que  les  membres  *des  législatures  suivantes  pourront  être  réélus. 
v  L'Assemblée  décréta  'à  la  presque  unanimité  que  ses  membres 
ue  pourraient  être   élus  à  la  première  législature. 


LÉS   DISCOURS   DÉ   ROBESPIERRE  383 

DISCOURS  DE  MAXIMILIEN  ROBESPIERRE 

A  L'ASSEMBLEE  NATIONALE 

Sur  la  Réélection  des  Membres  de'  l'Assemblée  Nationale 

Imprimé  par  ordre  de  l'Assemblée  nationale  (8) 

Messieurs, 

Les  plus  grands  législateurs  de  l'antiquité,  après  avoir  donné  une 
constitution  à  leur  pays,  se  firent  un  devoir  de  rentrer  dans  la  foule  des 
simples  citoyens,  et  de  se  dérober  même  quelquefois  à  l'empressement 
de  la  reconnoissance  publique.  Ils  pensoient  que  le  respect  des  lois  nou- 
velles dépendoit  beaucoup  de  celui  qu'inspiroit  la  personne  des  législa- 
teurs, et  que  le  respect  qu'imprime  le  législateur  est  attaché  en  grande 
partie  à  l'idée  de  son  caractère  et  de  son  désintéressement.  Du  moins, 
faut-il  convenir  que  ceux  qui  fixent  la  destinée  des  nations  et  des  races 
futures,  doivent  être  absolument  isolés  de  leur  propre  ouvrage;  qu'ils 
doivent  être  comme  la  nation  entière,  et  comme  la  postérité.  Il  ne  suffit 
pas  même  qu'ils  soient  exempts  de  toute  vue  personnelle  et  de  toute 
ambition;  il  faut  encore  qu'ils  ne  puissent  pas  en  être  soupçonnés.  Pour 
moi,  je  l'avoue,  je  n'ai  pas  besoin  de  chercher  dans  des  raiso.nnemens 
bien  subtils  la  solution  de  la  question  qui  vous  occupe;  je  la  trouve 
dans  les  premiers  principes  de  la  droiture  et  dans  ma  conscience.  Nous 
allons  délibérer  sur  la  partie  de  la  constitution  qui  est  la  première  base 
de  la  liberté  et  du  bonheur  public,  l'organisation  du  corps  législatif; 
sur  les  règles  constitutionnelles  des  élections,  sur  le  renouvellement  des 
corps  électoraux.  Avant  de  prononcer  sur  ces  questions,  faisons  qu'elles 
nous  soient  parfaitement  étrangères:  pour  moi,  du  moins,  je  crois  devoir 
m'appliquer  ce  principe.  En  effet,  je  suppose  que  je  ne  fusse  pas 
inaccessible  à  l'ambition,  d'être  membre  du  corps  législatif,  et  certes 
je  déclare  avec  franchise  que  c'est  peut-être  le  seul  objet  qui  puisse 
exciter  l'ambition  d'un  homme  libre;  je  suppose  que  les  chances  qui 
pourroient  me  porter  à  cet  emploi  fussent  liées  à  la  manière  dont  les 
grandes  questions  nationales  dont  j'ai  parlé  seroient  résolues;  sero>s-je 
dans  cet  état  d'impartialité  et  de  désintéressement  absolu  qu'exige  une 
tâche  aussi  importante  ?  Et  si  un  juge  se  récuse  lorsqu'il  tient  par  quel- 
qu'affection,  par  quelqu'intéret  même  indirect,  à  une  cause  particulière, 
serois-je  moins  sévère  envers  moi-même,  lorsqu'il  s'agit  de  la  cause  des 
peuples  ?  Non.  Et  puisqu'il  n'existe  pour  tous  les  hommes  qu'une  même 
morale,  qu'une  conscience,  je  conclus  que  cette  opinion  est  celle  de 
l'Assemblée  nationale  toute  entière.   C'est  la  nature  même  des  choses 


(H)  Brochure  in-b°,  11  p.,  Paris,  Imprimerie  Nationale,  s.d.  ; 
B.N.  8'J  Le  -y/l 506,  Le  27/10  <65),  Le  27/10'  A  (55).  Ce  catalogue  la 
dote  par  erreur  du  17  mai.  Arch.  .nat.,  AD  XVIII  a  60.  Biblio.  de-la 
Sorbonne    HFr    140.    Biblio    mazarine,    n°    42.734. 


384  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

qui  a  élevé  une  barrière  entre  les  auteurs  de  la  constitution  et  les  assem- 
blées qui  doivent  venir  après  eux.  En  fait  de  politique,  rien  n'est 
utile  que  ce  qui  est  juste  et  honnête;  et  rien  ne  prouve  mieux  cette 
maxime  que  les  avantages  attachés  au  parti  que  je  propose. 

Concevez-vous  quelle  autorité  imposante  donneroit  à  votre  consti- 
tution le  sacrifice  prononcé  par  vous-mêmes  des  plus  grands  honneurs 
auxquels  vos  concitoyens  puissent  vous  appeler  ?  Combien  les  efforts  de 
la  calomnie  seront  foibles,  lorsqu'elle  ne  pourra  pas  reprocher  à  un  seul 
de  ceux  qui  l'ont  élevée,  d'avoir  voulu  mettre  à  profit  le  crédit  que 
leur  mission  même  leur  donne  sur  leurs  commettans,  pour  ordonner  son 
pouvoir;  lorsqu'elle  ne  pourra  pas  même  dire  que  ceux  qui  passent  pour 
avoir  exercé  une  très-grande  influence  sur  vos  délibérations,  ont  eu  la 
prétention  de  se  faire  de  leur  réputation  et  de  leur  popularité  un  moyen 
d'étendre  leur  empire  sur  une  assemblée  nouvelle;  lorsqu'enfin  on  ne 
pourra  pas  les  soupçonner  d'avoir  plié  au  désir  très-louable  en  soi  de 
servir  la  patrie  sur  un  grand  théâtre,  les  principes  des  importantes  déli- 
bérations qui  nous  restent  à  prendre. 

Cependant,  si  incapables  de  tout  retour  personnel  sur  eux-mêmes, 
ils  étoient  attachés  au  système  contraire,  par  des  scrupules  purement 
relatifs  à  l'intérêt  public,  il  me  semble  qu'il  seroit  facile  de  les  dissiper. 

Plusieurs  semblent  croire  à  la  nécessité  de  conserver  dans  !a  légis- 
lature prochaine  une  partie  des  membres  de  l'Assemblée  actuelle; 
d'abord,  parceque,  pleins  d'une  juste  confiance  en  vous,  ils  désespèrent 
que  nous  puissions  être  remplacés  par  des  successeurs  également  dignes 
de  la  confiance  publique. 

En  partageant  le  sentiment  honorable  pour  l'Assemblée  actuelle, 
qui  est  la  base  de  cette  opinon,  je  crois  exprimer  le  vôtre,  en  disant 
que  nous  n'avons  ni  le  droit,  ni  la  présomption  de  penser  qu'une  nation 
de  vingt-cinq  millions  d'hommes,  libre  et  éclairée,  est  réduite  à  l'im- 
puissance de  trouver  facilement  720  défenseurs  qui  nous  vaillent.  Et  si, 
dans  un  temps  où  l'esprit  public  n'étoit  point  encore  né,  où  !a  nation 
ignoroit  ses  droits,  et  ne  prévoyoit  point  encore  sa  destinée,  elle  a  pu 
faire  des  choix  dignes  de  cette  révolution,  pourquoi  n'en  feroit-e!le  pas 
de  meilleurs  encore,  lorsque  l'opinion  publique  est  éclairée  et  fortifiée 
par  une  expérience  de  deux  années  si  fécondes  en  grands  évènemens 
et  en  grandes  leçons. 

Les  partisans  de  la  réélection  disent  encore  qu'un  certain  nombre 
de  membres,  et  même  que  certains  membres  de  cette  Assemblée  sont 
nécessaires  pour  éclairer,  pour  guider  la  législature  suivante  par  les 
lumières  de  leur  expérience,  et  par  la  connoissance  plus  parfaite  des 
lois  qui  sont  leur  ouvrage. 

Pour  moi,  sans  m'arrêter  à  cette  idée  qui*  a  peut-être  quelque 
chose  de  spécieux,  je  pense  d'abord,  que  ceux  qui,  hors  de  cette 
Assemblée,  ont  lu,  ont  suivi  nos  opérations,  qui  ont  adopté  nos  décrets, 
qui  les  ont  défendus,  qui  ont  été  chargés  par  la  confiance  publique  de 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  385 

les  faire  exécuter,  que  cette  foule  de  citoyens  dont  les  lumières  et  le 
civisme   fixent  les  regards  de   leurs   compatriotes,    connoissent  aussi   les 
lois  et  la  constitution,  je  crois  qu'il  n'est  pas  plus  difficile  de  les  con- 
noître,  qu'il  ne  l'a  été  de  les  faire.   Je  pourrois  même  ajouter  que  ce 
n'est  pas  au  milieu  de  ce  tourbillon  immense   d'affaires  où  nous  nous 
sommes  trouvés,  qu'on  a  été  le  plus  à  portée  de  connoître  l'ensemble  et 
les  détails  de  toutes  nos  opérations;   je  pense  d'ailleurs  que   les  prin- 
cipes de  cette  constitution  sont  gravés  dans  le  cœur  de  tous  les  hommes, 
et  dans  1  esprit  de  la  majorité  des  François;  que  ce  n'est  point  de  la 
tête  de  tels  ou  tels  orateurs  qu'elle  est  sortie,  mais  du  sein  même  de 
l'opinion  publique  qui  nous  avoit  précédés,  et  qui  nous  a  soutenus.  C'est 
à  elle,  c'est  à  la  volonté  de  la  nation,  qu'il  faut  confier  sa  durée  et  sa 
perfection,  et  non  à  l'influence  de  quelques-uns  de  ceux  qui  la  repré- 
sentent en  ce  moment.  Si  elle  est  votre  ouvrage,  n'est-elle  pas  le  patri- 
moine des  citoyens  qui  ont  juré  de  la  défendre  contre  tous  ses  ennemis  ? 
N'est-elle  pas   l'ouvrage  de   la   nation  qui   l'a   adoptée  ?   Pourquoi   les 
assemblées  de  représentans  choisis  par  elle  n'auront-elles  pas  droit  à  la 
même  confiance  ?  Et  quelle  est  celle  qui  oseroit  renverser  la  constitu- 
tion contre  sa  volonté  ?  Quant  aux  prétendus  guides  qu'une  assemblée 
pourroit  transmettre  à  celles  qui  la  suivent,   je  ne   crois  point  du  tout 
à  leur  utilité.   Ce  n'est  point  dans  l'ascendant  des  orateurs  qu'il   faut 
placer  l'espoir  du  bien  public,  mais  dans  les  lumières  et  dans  le  civisme 
de    la    masse    des   assemblées   représentatives  :    l'influence   de    l'opinion 
publique   et  de   l'intérêt   général   diminue    en  proportion  de   celle   que 
prennent  les  orateurs;  et  quand  ceux-ci  parviennent  à  maîtriser  les  déli- 
bérations,  il  n'y  a  plus  d'assemblées,   il  n'y  a  plus  qu'un  fantôme  de 
représentation.  Alors  se  réalise  le  mot  de  Thémistocle,  lorsque  montrant 
son  enfant,    il  disoit  :   voilà   celui  qui  gouverne   la  Grèce;   ce   marmot 
gouverne   sa   mère,   sa  mère  me   gouverne,   je   gouverne   les  Athéniens, 
et  les  Athéniens  gouvernent  la  Grèce.  Ainsi  une  nation  de  vingt-cinq 
millions    d'hommes    seroit    gouvernée    par    l'Assemblée    représentative, 
celle-ci  par  un  petit  nombre  d'orateurs  adroits,  et  par  qui  ces  orateurs 
seroient-ils  gouvernés  quelquefois?...  Je  n'ose  le  dire,  mais  vous  pour- 
rez facilement  le  deviner.  Je  n'aime  point  cette  science  nouvelle  qu'on 
appelle  la  tactique  des  grandes  assemblées  :  elle  ressemble  trop  à  l'in- 
trigue :  la  vérité  et  la  raison  doivent  seules  régner  dans  les  assemblées 
législatives.  Je  n'aime  pas  que  des  hommes  habiles  puissent,  en  domi- 
nant une  assemblée  par  ces  moyens,  préparer,   assurer  leur  domination 
sur  une  autre,  et  perpétuer  ainsi  un  système  de  coalition  qui  est  le  fléau 
de  la  liberté.  J'ai  de  la  confiance  en  des  représentans  qui,  ne  pouvant 
étendre  au-delà  de  deux  ans  les  vues  de  leur  ambition,  seront  forcés 
de  la  borner  à  la  gloire  de  servir  leur  pays  et  l'humanité,  de  mériter 
l'estime  et  l'amour  des  citoyens  dans  le  sein  desquels  ils  sont  sûrs  de 
retourner  à  la  fin  de  leur  mission.  Deux  années  de  travaux  aussi  brilïans 
qu'utiles  sur  un  tel  théâtre  suffisent  à  leur  gloire.  Si  la  gloire,  si*  le 


386  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

bonheur  de  placer  leurs  noms  parmi  ceux  des  bienfaiteurs  de  la  patrie 
ne  leur  suffit  pas,  ils  sont  corrompus,  ils  sont  au  moins  dangereux;  il  faut 
bien  se  garder  de  leur  laisser  les  moyens  d'assouvir  un  autre  genre 
d'ambition.  Je  me  défierois  de  ceux  qui,  pendant  quatie  ans,  reste- 
roient  en  butte  aux  caresses,  aux  séductions  royales,  à  la  séduction  de 
leur  propre  pouvoir,  enfin  à  toutes  les  tentations  de  l'orgueil  ou  de  la 
cupidité.  Ceux  qui  me  représentent,  ceux  dont  la  volonté  est  censée 
la  mienne,  ne  sauroient  être  trop  rapprochés  de  moi,  trop  identifiés 
avec  moi,  sinon  la  loi,  loin  d'être  la  volonté  générale,  ne  sera  plus  que 
l'expression  des  caprices  ou  des  intérêts  particuliers  de  quelques  ambi- 
tieux; les  représentans,  ligués  contre  le  peuple,  avec  le  ministère  et  la 
cour,  deviendront  des  souverains,  et  bientôt  des  oppresseurs.  Ne  nous 
dites  donc  plus  que,  s'opposer  à  la  réélection,  c'est  violer  la  liberté 
du  peuple.  Quoi  !  est-ce  violer  la  liberté  que  d'établir  les  formes,  que 
de  fixer  les  règles  nécessaires  pour  que  les  élections  soient  utiles  à  la 
liberté  ?  Tous  les  peuples  n'ont-ils  pas  adopté  cet  usage  ?  N'ont-ils  pas 
sur-tout  proscrit  la  réélection  dans  les  magistratures  importantes,  pour 
empêcher  que,  sous  ce  prétexte,  les  ambitieux  ne  se  perpétuassent  par 
l'intrigue  et  par  la  facilité  des  peuples ?  N'avez- vous  pas  vous-mêmes 
déterminé  des  conditions  d'éligibilité  ?  Les  partisans  de  la  réélection 
ont-ils  alors  réclamé  contre  ces  décrets?  Or  faut-il  que  l'on  puisse 
nous  accuser  de  n'avoir  cri  à  la  liberté  indéfinie  en  ce  genre,  que 
lorsqu'il  s'agissoit  de  nous-mêmes;  et  de  n'avoir  montré  ce  scrupule 
excessif  que  lorsque  l'intérêt  public  exigeoit  la  plus  salutaire  de  toutes 
les  règles  qui  peuvent  en  diriger  l'exercice  ?  Oui,  sans  doute,  toute 
restriction  injuste  contraire  aux  droits  des  hommes,  et  qui  ne  tourne 
point  au  profit  de  l'égalité,  est  une  atteinte  portée  à  la  liberté  du  peu 
pie;  mais  toute  précaution  sage  et  nécessaire,  que  la  nature  même  des 
dhoses  indique,  pour  protéger  Ja  liberté  contre  la  brigue  et  contre  les 
abus  de  pouvoir  des  représentans,  n'est-elle  pas  commandée  par  l'amour 
même  de  la  liberté  ! 

Et  d'ailleurs,  n'est-ce  pas  au  nom  du  peuple  que  vous  faites  ces 
lois?  C'est  mal  raisonner,  que  de  présenter  vos  décrets  comme  des  lois 
dictées  par  des  souverains  à  des  sujets;  c'est  la  nation  qui  les  porte 
elle-même,  par  l'organe  de  ses  représentans.  Dès  qu'ils  sont  justes  et 
conformes  aux  droits  de  tous,  ils  sont  toujours  légitimes.  Or  qui  peut 
douter  que  la  Nation  ne  puisse  convenir  des  règles  qu'elle  suivra  dans 
ses  élections,  pour  se  défendre  elle-même  contre  l'erreur  et  contre  la 
surprise. 

Au  reste,  pour  ne  parler  que  de  ce  qui  concerne  l'Assemblée 
actuelle,  j'ai  fait  plus  que  de  prouver  qu'il  étoit  utile  de  ne  point 
permettre  la  réélection;  j'ai  fait  voir  une  véritable  incompatibilité, 
fondée  sur  la  nature  même  de  ses  devoirs.  S'il  étoit  convenable  de 
paroître  avoir  besoin  d'insister  sur  une  question  de  cette  nature,  j'ajou- 
terois  encore  d'autres  raisons. 


■ 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  387 

Je  dirois  qu'il  importe  de  ne  point  donner  lieu  de  dire,  que  ce 
n'étoit  point  la  peine  de  tant  presser  la  fin  de  notre  mission,  pour  la 
continuer,  en  quelque  sorte,  sous  une  forme  nouvelle.  Je  dirois  sur-tout 
une  raison  qui  est  aussi  simple  que  décisive.  S'il  est  une  assemblée 
dans  le  monde  à  qui  il  convienne  de  donner  le  grand  exemple  que  je 
propose,  c'est,  sans  contre-dit,  celle  qui,  durant  deux  années  entières, 
a  supporté  des  travaux  dont  l'immensité  et  la  continuité  sembîoient 
être  au-dessus  des  forces  humaines. 

Il  est  un  moment  où  la  lassitude  affoiblit  nécessairement  les  res- 
sorts de  l'âme  et  de  la  pensée;  et  lorsque  ce  moment  e?t  arrivé,  il  y 
auroit  au  moins  de  l'imprudence,  pour  tout  le  monde,  à  se  charger 
encore,  pour  deux  ans,  du  fardeau  des  destinées  d'une  Nation.  Quand 
la  nature  même  et  la  raison  nous  ordonnent  le  repos,  pour  l'intérêt 
public,  autant  que  pour  le  nôtre,  l'ambition  ni  même  le  zèle  n'ont  point 
le  droit  de  les  contredire.  Athlètes  victorieux,  mais  fatigués,  laissons 
la  carrière  à  des  successeurs  frais  et  vigoureux,  qui  s'empresseront  de 
marcher  sur  nos  traces,  sous  les  yeux  de  la  Nation  attentive,  et  que 
nos  regards  seuls  empêcheront  de  trahir  leur  gloire  et  la  patrie  Pour 
nous,  hors  de  l'Assemblée  législative,  nous  servirons  mieux  notre  pays, 
qu'en  restant  dans  son  sein.  Répandus  sur  toutes  les  parties  de  cet 
Empire,  nous  éclairerons  ceux  de  nos  concitoyens  qui  ont  besoin  de 
lumières;  nous  propagerons  par-tout  l'esprit  public,  l'amour  de  la  paix, 
de  l'ordre,  des  lois  et  de  la  liberté.  Oui,  voilà,  dans  ce  moment,  la 
manière  la  plus  digne  de  nous  et  la  plus  utile  à  nos  concitoyens,  de 
signaler  notre  zèle  pour  leurs  intérêts.  Rien  n'élève  les  âmes  des  peu- 
ples, rien  ne  forme  les  mœurs  publiques  comme  les  vertus  des  Législa- 
teurs. Donnez  à  vos  concitoyens  ce  grand  exemple  d'amour  pour  l'éga- 
lité, d'attachement  exclusif  au  bonheur  de  la  patrie;  donnez-le  à  vos 
successeurs,  à  tous  ceux  qui  sont  destinés  à  influer  sur  le  sort  des  Nations. 
Que  les  François  comparent  le  commencement  de  votre  carrière  avec  la 
manière  dont  vous  l'aurez  terminée,  et  qu'ils  doutent  qu'elle  est  celle 
de  ces  deux  époques  où  vous  vous  serez  montrés  plus  purs,  plus  grands, 
plus  dignes  de  leur  confiance. 

Je  souhaite  que  ce  parti  soit  agréable  à  ceux  mêmes  qu>  croiroient 
avoir  les  prétentions  les  plus  fondées  aux  honneurs  de  la  législature. 
S'ils  ont  toujours  marché  d'un  pas  ferme  vers  le  bien  public  et  vers  la 
liberté,  il  ne  leur  reste  rien  de  plus  à  désirer,  si  quelqu'un  a?piroit 
à  d'autres  avantages,  ce  seroit  une  raison  pour  lui  de  fuir  une  car- 
rière où  peut-être  l'ambition  pourroit  à  la  fin  rencontrer  des  écueils.  Au 
reste,  je  pense  que  toutes  les  ressources  de  l'éloquence  et  de  la  dialec- 
tique seroient  ici  inutiles,  pour  obscurcir  des  vérités  que  le  sentiment, 
autant  que  le  bon  sens,  découvre  à  tous  les  hommes  honnêtes;  et  que  s'il 
est  facile  en  général  de  tenir  l'opinion  suspendue  par  des  raisonnemens 
plus  ou  moins  spécieux,  il  est  au  moins  dangereux,  dans  certaines  occa- 
sions, qu'un  œil  attentif  ne  voit  l'intérêt  personnel  percer  à  travers  les 


388  Les  discours  de  Robespierre 

plus  beaux  lieux  communs  sur  les  droits  et  sur  la  liberté  du  peuple. 
Je  suis  loin  de  prévoir  ici  de  pareils  obstacles  pour  une  proposition 
qui,  par  sa  nature,  semble  appeler  un  sentiment  aussi  prompt  que 
général  :  mais  si  elle  en  éprouvoit,  je  la  crois  tellement  nécessaire  à 
l'intérêt  de  la  nation  et  liée  à  la  gloire  de  ses  représentant,  que  je 
n'hésiterois  pas  à  leur  demander  une  permission  qu'ils  n'ont  jamais 
refusée  à  personne  ;  celle  de  dire  quelques  mots  pour  répondre  aux  objec- 
tions que  ma  motion  pourroit  essuier. 

Je  finis  par  une  déclaration  franche  :  ce  qui  a  achevé  de  me 
convaincre  de  la  vérité  de  l'opinion  que  je  soutiens,  ce  qui  m'y  a  inva- 
riablement attaché,  c'est  à  la  fois  et  la  vivacité  des  efforts  et  la  foi- 
blesse  des  raisons  par  lesquels  on  s'est  efforcé  de  préparer  de  longue 
main  les  esprits  au  système  contraire.  CeUe  curiosité  nquiète  avec 
laquelle  on  interrogeoit  les  opinions  particulières;  ces  insinuations  adroi- 
tes, ces  propos  répétés  à  l'oreille  pour  discréditer  d'avance  ceux  à  qui 
l'on  croyoit  une  opinion  contraire  en  assurant  qu'il  n'y  avoit  que  des 
ennemis  de  l'ordre  ou  de  la  liberté  qui  pussent  la  soutenir;  cet  art  de 
remplir  les  esprits  de  terreur  par  les  mots  d'anarchie,  d'aristocratie;  ces 
inquiétudes,  ces  mouvemens,  ces  coalitions  :  enfin  j'ai  vu  que  ce  système 
se  réduisoit  tout  entier  à  cette  idée  pusillanime,  fausse  et  injurieuse  à  la 
nation,  de  regarder  le  sort  de  la  révolution  comme  attaché  à  un  certain 
nombre  d'individus;  et  j'ai  dit:  la  raison  eï  la  vérité  ne  combattent 
point  avec  de  pareilles  armes,  et  ne  déploient  point  ce  genre  d'activité. 
J'ai  cru  sentir  qu'il  importoit  infiniment  de  détruire  la  cause  de  toutes  ces 
agitations;  il  m'a  paru  que  dans  un  tems  où  nous  devons  tous  rtunir 
toutes  nos  forces  pour  terminer  nos  travaux  d'une  Pianière  également 
prompte  et  réfléchie,  ce  seroit  un  grand  malheur  que  des  hommes  éclai- 
rés fussent  en  quelque  sorte  partagés  entre  les  soins  qu'ils  exigent  tt 
l'attention  qu'ils  pourroient  donner  à  ce  qui  se  passeroit  au  dehors,  dans 
le  tems  des  assemblées  et  des  élections  dont  le  moment  approche.  Quel 
scandale  si  ceux  qui  doivent  faire  des  lois  contre  la  brigue  p<<u voient 
en  être  eux-mêmes  accusés  !  Et  combien  n'importe-t-il  pas  de  faire 
cesser  certains  bruits,  mal  fondés  sans  doute,  qui  se  sont  déjà  répandus 
et  mêmes  accrédités  !  Enfin,  et  ce  seul  mot  suffiroit  peut-être  :  puisque 
nous  allons  fixer  définitivement  les  rapports,  le  pouvoir  des  législatures, 
la  manière  même  d'y  être  élu,  procédons  à  ce  grand  travail  comme  des 
hommes  qui  doivent  redevenir  bientôt  de  simples  citoyens.  Pour  nous 
garantir  à  nous-mêmes,  pour  garantir  à  la  nation  entière  que  nous  serons 
tous  animés  d'un  tel  esprit,  le  moyen  le  plus  sûr  est  de  nous  placer 
en  effet  nous-mêmes  dans  cette  condition.  Il  faut  donc  avant  tout 
décider  la  question  qui  concerne  les  membres  de  l'Assemblée  actuelle. 

Je  demande  que  l'on  décrète  que  les  membres  de  l'Assemblée 
actuelle  ne  pourront  être  réélus  à  la  suivante  (9). 


(9)   Texte    reproduit   par  le   Mercure    universel,    t.    HT.    p.    300;; 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  389 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXVI,  p.  67. 

«  M.  Robespierre.  J'ai  senti  toute  l'importance  de  la  motion  que 
j'ai  faite  à  l'assemblée;  ce  n'est  qu'après  un  mûr  examen  de?  raisons 
pour  et  contre,  que  je  me  suis  permis  de  les  lui  présenter.  Je  dois  dire 
aussi  qu'avant  d'être  convaincu  par  des  raisons  impérieuses  de  l'utilité 
de  cette  motion,  de  grands  exemples  m'avoient  déterminé  en  faveur  de 
sa  bonté;  un  trait  m'avoit  frappé  dans  l'histoire  de  tous  les  législateurs 
qui  ont  donné  une  constitution  à  leur  pays,  du  moins  de  tous  ceux 
dont  on  a  conservé  le  souvenir.  Tous  se  firent  un  devoir  de  rentrer  dans 
la  foule  des  citoyens  et  de  se  dérober  même  à  (la  reconnoissance  publi- 
que :  ils  pensoient  que  le  respect  des  loix  nouvelles  dépend  beaucoup 
de  celui  qu'inspire  la  personne  du  législateur,  et  qu'au  respect  qu'inspire 
le  législateur  est  attachée  'l'idée  de  son  caractère  et  de  son  désintéres- 
sement. Du  moins  faut-il  convenir  que  ceux  qui  fixent  les  destinées  des 
nations  et  çjes  races  futures  doivent  être  absolument  isolés  de  leur 
propre  ouvrage;  ils  doivent  être  à  cet  égard  comme  la  nation  entière 
est  à  la  postérité.  Il  ne  suffit  pas  même  qu'ils  soient  exempts  de  toutes 
vues  personnelles,  il  faut  qu'ils  ne  puissent  pas  en  être  soupçonnés. 
Pour  moi,  je  l'avoue,  messieurs,  je  n'ai  pas  eu  besoin  d'aller  chercher 
dans  des  raisonnemens  bien  subtils  la  solution  de  la  question  qui  vous 
occupe;  je  la  trouve  dans  les  premiers  principes  de  ma  droiture  et  de 
ma  conscience. 

«  Nous  allons  délibérer  sur  une  partie  de  la  constitution,  qui  est 
la  base  de  la  liberté  et  du  bonheur  public,  l'organisation  du  corps  légis- 
latif; sur  les  règles  constitutionnelles  des  élections.  Avant  de  pro- 
noncer sur  tant  de  questions  importantes,  faisons  qu'elles  me  soient 
étrangères,  me  suis-je  dit;  pour  moi  du  moins  je  crois  devoir  m'appli- 
quer  ce  principe.  En  effet,  je  suppose  que  je  ne  fusse  pas  insensible 
à  l'ambition  d'être  membre  du  corps  législatif,  et  je  déclare  ici  avec 
franchise  que  c'est  à  mes  yeux  le  plus  grand  de  tous  les  honneurs,  le 
seul  objet,  peut-être,  qui  puisse  exciter  l'ambition  d'un  homme  libre; 
je  suppose  que  les  chances  qui  pourroient  me  porter  à  cet  honneur 
fussent  liées,  en  quelque  sorte,  à  la  manière  dont  les  grandes  questions 
dont  je  parle  seront  résolues,  serois-je  dans  l'état  d'impartialité  et  de 
désintéressement  absolu  qu'exige  une  cause  aussi  importante  ?  Et  si  un 
juge  se  récuse,  lorsqu'il  tient  par  quelque  affection,  par  quelque  intérêt 
même  indirect,  à  une  cause  particulière,  serois-je  moins  sévère  envers 
moi-même  lorsqu'il  s'agit  de  la  cause  des  peuples?  Non.  Et  puisqu'il 
existe  dans  tous  les  hommes  une  même  morale,  une  même  conscience, 
j'ai  cru  pouvoir  conclure  que  cette  opinion  seroit  celle  de  l'assemblée 

puis  par  Ch.  Vellay,  p.  A4  à  62  ;  et  par  les  Editions  du  Centaure, 
p.  29.  iLes  Arch.  pari.,  t.  XXVI,  p.  123-126,  le  font  précéder  des 
premières  lignes  de  Le  Ho'dey  et  y  ajoutent  un  certain  .nombre  de 
mouvements  de  séances  signalés  par  le  Journal  des  Etats  Généraux 
et  le  Moniteur  universel;  de  même  que  iLaponneraye,  I,  97-108. 


390  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

nationale.  C'est  la  nature  même  des  choses,  ce  me  semble,  qui  a  élevé 
une  barrière  entre  les  auteurs  de  la  constitution,  et  rassemblée  qui  doit 
venir  après  eux.  En  fait  de  politique,  rien  n'est  juste  que  ce  qui  est 
honnête,  rien  n'est  utile  que  ce  qui  est  juste,  et  rien  ne  peut  être  mieux 
applicable  à  la  cause  que  je  discute  en  ce  moment,  que  les  avantages 
attachés  au  parti  que  je  propose. 

«  Concevez- vous,  en  effet,  quelle  autorité  imposante  donneroit  à 
votre  constitution  le  sacrifice  des  plus  grands  honneurs  auxquels  un 
citoyen  puisse  atteindre  ?  Combien  les  efforts  de  la  calomnie  seront 
foibles,  lorsqu'elle  ne  pourra  pas  même  reprocher  à  un  seul  de  ceux 
qui  l'ont  élevé,  d'avoir  voulu  mettre  à  profit  le  crédit  que  leur  mission 
leur  donne  auprès  de  leurs  commettans,  pour  prolonger  leurs  pouvoirs; 
lorsqu'elle  ne  pourra  pas  même  dire  que  ceux  qui  ont  joué  un  rôle 
distingué  dans  cette  assemblée,  n'ont  pas  même  eu  la  prétention  de 
faire  de  leur  popularité  un  moyen  d'étendre  leur  empire  sur  une  assem- 
blée nouvelle;  lorsqu'enfin  on  ne  pourra  pas  les  soupçonner  du  désir, 
très-louable  en  soi,  de  servir  la  patrie  sur  un  grand  théâtre  ! 

«  Si,  incapables  de  tout  retour  personnel  sur  eux-mêmes,  quelques- 
uns  des  membres  de  cette  assemblée  étoient  attachés  au  système  con- 
traire, par  des  scrupules  purement  relatifs  à  l'intérêt  public,  il  me  semble 
qu'il  seroit  facile  de  les  dissiper.  Plusieurs  semblent  croire  à  la  néces- 
sité de  conserver  dans  la  législature  prochaine  une  partie  des  membres 
de  l'assemblée  actuelle;  d'abord  parce  que,  pleins  de  confiance  en 
nous,  ils  désespèrent  que  nous  puissions  être  remplacés  par  des  hommes 
également  dignes  de  la  confiance  publique  (murmures). 

«  M.    de  Cazalès.   Ah,   c'est  modeste  ! 

«  M.  Robespierre  J'expose  la  base  de  cette  opinion;  et  je  crois 
exprimer  votre  vœu  en  disant  que  nous  n'avons  ni  le  droit,  ni  la  pré- 
tention de  penser  qu'une  nation  de  25  millions  d'hommes  libres  et 
éclairés  soit  réduite  à  l'impuissance  de  trouver  720  défenseurs.  Et  si 
dans  om  tems  où  l'esprit  public  n'étoit  pas  encore  né,  où  !a  nation  igno- 
roit  ses  droits,  et  ne  prévoyoit  pas  encore  sa  destinée,  elle  a  cru  faire 
des  choix  dignes  de  la  révolution,  pourquoi  n'en  feroit-elle  pas  d'aussi 
bons  lorsque  l'opinion  est  éclairée  et  fortifiée  par  l'expérience  de 
deux  années  si  fécondes  en  grands  événemens  et  en  grandes  leçons  ? 
(Applaudi).  v 

«  Les  partisans  de  la  réélection  disent  encore  qu'un  certain  nombre 
de  membres,  et  même  que  certains  membres  de  l'assemblée  actuelle, 
sont  nécessaires  pour  éclairer,  pour  guider  les  membres  de  la  législa- 
ture prochaine,  par  les  lumières  de  leur  expérience.  Pour  moi,  sans 
m'arrêter  à  ce  que  cette  idée  peut  présenter  de  spécieux,  je  pense 
d'abord  que  ceux  qui  hors  de  cette  assemblée,  ont  lu  ou  suivi  nos 
opérations,  qui  ont  été  chargés  par  la  confiance  publique,  de  les  faire 
exécuter;  que  cette  foule  de  citoyens,  dont  les  lumières  et  le  civisme 
fixent  aussi  les  regards  de  leurs  concitoyens,   connoissent  les  lois  et  la 


LES   DISCO;  .S   LZ   ROBESPIERRE  391 

constitution  (applaudi)  :  je  crois  qu'il  n'est  pas  plus  difficile  de  les 
connoître  qu'il  ne  l'a  été  de  les  faire.  Je  pense  d'ailleurs  que  les  prin- 
cipes de  cette  constitution  sont  gravés  dans  le  cœur  des  hommes  et 
dans  la  majorité  de  tous  les  françois;  que  ce  n'est  point  de  la  tête  de 
tel  ou  tel  orateur  qu'elle  est  sortie,  mais  du  sein  même  de  l'opinion 
publique  qui  nous  avoit  précédé  et  qui  nous  a  suivi.  Je  pourrois  même 
ajouter  que  ce  n'est  pas  au  milieu  de  ce  tourbillon  immense  d'affaires 
où  nous  nous  sommes  trouvés  sans  cesse  enveloppés,  qu'il  a  été  plus 
facile  de  saisir,  d'embrasser  l'ensemble  et  les  détails  de  toutes  nos  opé- 
rations. Je  crois,  enfin,  que  nous-mêmes,  étrangers  comme  nous  l'étions 
à  l'étude  des  principes  du  droit  public,  nous  étions  beaucoup  plus 
neufs  pour  notre  ouvrage,  que  ne  le  seront  nos  successeurs  éclairés  par 
nos  travaux  (applaudi).  C'est  sur  la  volonté  de  la  nation,  c'est  sur  son 
voeu  tant  de  fois  répété,  qu'il  faut  nous  reposer  de  la  durée  de  la 
constitution,  et  non  sur  l'influence  de  quelques-uns  de  ceux  qui  la  repré- 
sentent en  ce  moment.  Si  elle  est  votre  ouvrage,  n'est -elle  pas  le  patri- 
moine de  tous  ceux  qui  ont  juré  de  la  défendre  contre  ses  ennemis  ? 
N'est-elle  pas  l'ouvrage  de  la  nation  qui  l'a  adoptée.  Pourquoi  toutes 
les  assemblées  de  représentans  choisis  par  elle  n'auroient-iîs  pas  un  droit 
égal  à  sa  confiance.  Et  quelle  est  celle  qui  oseroit  la  violer  sans  sa 
volonté  }  Quant  aux  prétendus  guides  qu'une  assemblée  pourroit  trans- 
mettre à  l'assemblée  qui  lui  succède,  ce  n'est  pas  dans  l'ascendanf  des 
orateurs  qu'il  faut  placer  l'espoir  du  bien  public,  mais  dans  les  lumières 
et  dans  le  civisme  de  la  masse  des  assemblées  représentatives.  L'in- 
fluence de  l'opinion  publique  et  l'intérêt  général  diminuent  en  propor- 
tion de  celle  que  prennent  les  orateurs;  et  quand  ceux-ci  parviennent 
à  maîtriser  les  délibérations,  il  n'y  a  plus  d'assemblée,  il  n'y  a  plus 
qu'un  fantôme  -de  représentation  (applaudi).  Alors  se  réalise  le  mot 
de  Thémistocle,  lorsque  tenant  son  fils  entre  ses  mains,  i!  disoit  :  Voici 
celui  qui  gouverne  la  Grèce  :  celui-ci  gouverne  sa  mère,  sa  mère  me 
gouverne,  je  gouverne  les  Athéniens  et  les  Athéniens  gouvernent  la 
Grèce.  Ainsi,  une  nation  de  25  millions  d'hommes  seroit  gouvernée 
par  une  assemblée,  celle-ci  par  un  petit  nombre  d'orateurs;  et  par  qui 
ces  orateurs  seroient-ils  gouvernés  quelquefois?...  Je  n'aime  point  cette 
science  nouvelle  qu'on  appelle  la  tactique  des  grandes  assemblées,  elle 
ressemble  trop  à  l'intrigue.  La  vérité  et  la  raison  seules  doivent  régner 
dans  les  assemblées  législatives  (applaudi).  Je  n'aime  pas  que  des 
hommes  habiles  puissent,  en  dominant  une  assemblée  par  des  moyens 
quelconques,  perpétuer  ainsi  des  coalitions  de  parti  qui  seroient  le  fléau 
de  la  tranquillité  et  de  la  liberté  publique.  J'ai  confiance  dans  des  repré- 
sentans qui,  ne  pouvant  étendre,  au  delà  de  2  ans,  les  vues  de  leur 
ambition,  seront  forcés  de  la  borner  à  la  gloire  de  servir  leur  pays  et 
l'humanité,  de  mériter  l'estime  et  l'amour  de  leurs  concitoyens,  dans 
le  sein  desquels  ils  sont  sûrs  de  retourner  bientôt.  J'aurois  peu  de 
confiance  en  des  représentans  qui,  pendant  4  années  resteroient  en  butte 


392  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

aux  caiesses,  à  la  séduction,  enfin  à  toutes  les  tentations  de  l'orgueil  ou 
de  la  cupidité.  Ceux  qui  me  représentent,  ceux  dont  la  volonté  est 
censée  la  mienne,  ne  sauroient  trop  être  rapprochés  de  moi,  trop  iden- 
tifiés avec  moi;  sinon,  loin  d'être  la  volonté  générale,  la  loi  ne  seroit 
plus  que  l'expression  des  volontés  particulières  ou  des  intérêts  de  quel- 
ques ambitieux.  Les  représentants  ligués  contre  le  peuple,  deviendroient 
bientôt  des  souverains  et  même  des  oppresseurs  (applaudi). 

«  Ne  nous  dites  donc  plus  que  s'opposer  à  la  réélection,  c'est 
attaquer  les  principes,  car  je  crois  que  ce  que  je  viens  de  dire,  est 
aussi  des  principes;  ne  dites  plus  que  s'opposer  à  la  réélection,  c'est 
violer  la  liberté  du  peuple.  Eh  quoi  ?  Est-ce  violer  la  liberté  du  peuple 
d'établir  des  formes,  de  fixer  des  règles  sages  et  nécessaires  pour  que 
les  élections  soient  utiles  à  la  liberté  ?  Tous  les  peuples  libres  n'ont-ils 
pas  adopté  ces  usages  ?  N'ont-ils  pas  sur-tout  proscrit  la  réélection 
dans  les  magistratures  importantes,  pour  empêcher  que  sous  ce  prétexte, 
les  ambitieux  se  perpétuassent  par  d'intrigue,  par  l'habitude  et  par  l'in- 
dolence des  peuples?  N'avez- vous  pas  vous-mêmes  déterminé  des  con- 
ditions d'éligibilité  ?  Or,  faut-il  que  l'on  puisse  vous  accuser  de  n'avoir 
cru  à  la  liberté  indéfinie  que  lorsqu'il  ne  s'agissoit  que  de  nous-mêmes  ? 
Et  de  n'avoir  montré  de  scrupule  excessif,  que  lorsque  l'intérêt  public, 
exigeoit  la  plus  salutaire  de  toutes  les  règles  qui  peuvent  en  diriger 
l'exercice?   (Bravo,   bravo!). 

«  Les  partisans  de  la  réélection  se  sont  élevés  contre  les  autres 
conditions  que  vous  avez  exigées.  J'adopte  la  distinction  faite  par 
M.  Merlin.  11  est  des  règles,  il  est  des  modifications  aux  principes 
qui  violent  les  principes,  parce  qu'ils  sont  contraires  à  l'esprit  des 
principes.  Il  est  des  règles  puisées  dans  le  principe,  dans  l'esprit  de  la 
liberté,  qui  tendent  à  la  fortifier,  à  la  défendre  contre  tous  les  dangers 
qui  la  menacent;  et  ces  dernières  modifications  seulement  sont  confor- 
mes à  la  liberté  des  peuples.  Oui,  sans  doute,  toute  restriction  injuste 
qui  ne  touche  point  au  principe  de  l'égalité,  est  illicite;  mais  toute 
précaution  sage  et  nécessaire  que  la  nature  même  des  choses  a  exigée 
pour  protéger  le  peuple  lui-même  contre  l'intrigue,  contre  les  abus  du 
pouvoir  de  ses  représentans,  n'est-elle  pas  commandée  elle-même  par  la 
liberté  ?  Et  d'ailleurs,  n'est-ce  pas  au  nom  du  peuple  que  vous  faites 
ces  loix  par  l'organe  de  ses  représentans.  Dès  que  vos  décrets  sont 
justes,  conformes  aux  droits  de  tous,  ils  sont  par  cela  légitimes,  et  il 
n'est  question  que  de  bien  suivre  l'esprit  de  la  distinction  faite  par  le 
préopinant.  Au  reste  pour  ne  parler  que  de  ce  qui  concerne  l'assem- 
blée actuelle,  j'ai  fait  plus  que  de  prouver  qu'il  étoit  utile  de  ne  point 
permettre  la  réélection.  J'ai  fait  voir  une  véritable  incompatibilité  fondée 
sur  la  nature  même  de  son  pouvoir. 

«  S'il  étoit  convenable  d'insister  sur  une  question  de  cette  nature, 
j'ajouterois  encore  qu'il  ne  faut  pas  donner  lieu  à  nos  concitoyens  de 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  393 

dire  que  ce  n'étoit  pas  la  peine  de  tant  presser  la  fin  de  notre  mission, 
de  vouloir  précipiter  le  terme  expiré  de  nos  travaux,  pour  les  continuer 
er/  quelque  sorte  sous  une  forme  nouvelle;  je  vous  dirois,  sur-tout,  une 
raison  qui  est  aussi  simple  qu'elle  est  légitime  :  s'il  est  une  assemblée 
dans  le  monde,  à  qui  il  convient  de  donner  le  grand  exemple  que  je 
propose,  c'est  sans  contredit  celle  qui  a  supporté,  pendant  deux  années 
entières,  des  travaux  dont  l'immensité  et  la  continuité  sembloient  être 
au-dessus  des  forces  humaines.  Il  est  un  moment  où  la  lassitude  affoiblit 
naturellement  les  ressorts  de  l'âme  et  de  la  pensée,  et  lorsque  ce  moment 
est  arrivé,  il  y  auroit  au  moins  de  l'imprudence,  pour  qui  que  ce  soit, 
à  se  charger  encore  pour  deux  ans  du  pénible  fardeau  de  la  confiance 
publique  (vifs  applaudissemens).  Quand  la  nature  même  et  la  raison 
nous  ordonnent  le  repos,  l'intérêt  public  et  l'ambition  ne  peuvent  avoir 
le  droit  de  les  démentir.  Athlètes  vigoureux,  mais  fatigués,  laissons  la 
carrière  à  des  successeurs  frais  et  vigoureux;  ils  s'empresseront  de  mar- 
cher sur  nos  traces,  sous  les  yeux  de  la  nation.  Que  nos  regards  se 
portent  hors  de  l'assemblée  législative;  nous  servirons  mieux  notre  pays 
qu'en  restant  dans  son  sein  :  répandus  dans  toutes  les  parties  de  cet 
empire,  nous  éclairerons  ceux  de  nos  citoyens  qui  ont  besoin  de  lumières; 
nous  propagerons  par-tout  l'esprit  public,  l'amour  de  la  paix,  de  l'ordre, 
des  lois  et  de  la  liberté.   (Bravo!  Applaudissemens). 

«  Oui,  messieurs,  voilà  dans  ce  moment  la  manière  la  plus  digne 
de  nous,  et  la  plus  utile  à  nos  concitoyens,  de  signaler  notre  zèle  pour 
leurs  intérêts.  Rien  n'élève  les  âmes  des  peuples,  rien  ne  forme  les 
mœurs  publiques  comme  les  vertus  des  législateurs.  Donnez  à  vos  conci- 
toyens ce  grand  exemple  d'amour  pour  l'égalité,  d'attachement  exclusif 
au  bonheur  de  la  patrie  ;  donnez-le  à  vos  successeurs,  à  tous  ceux  qui 
sont  destinés  à  influer  sur  le  sort  des  nations.  Que  les  François,  par 
la  manière  dont  vous  aurez  commencé  et  terminé  votre  carrière,  pro- 
noncent quelle  est  celle  de  ces  deux  époques  où  vous  vous  serez  mon- 
trés plus  purs,  plus  grands,  plus  dignes  de  leur  confiance.  (Applau- 
dissemens). 

«  Je  ne  crois  pas  devoir  insister  plus  longtemps  sur  un  objet  de 
«  Je  ne  crois  pas  devoir  insister  plus  longtems  sur  un  objet  de 
cette  nature.  J'ai  pensé  que  l'utilité  de  cette  motion,  que  les  principes 
de  l'assemblée  tenoient  à  ce  qu'elle  ne  fût  pas  même  décrétée  avec 
trop  de  lenteur.  Pour  moi,  je  crois  qu'elle  touche  sous  plusieurs  points 
à  la  question  générale  de  la  rééligibilité  des  membres  de  la  législa- 
ture; mais  je  crois  aussi  qu'elle  en  est  indépendante  sous  d'autres  rap- 
ports. Je  crois  que  les  raisons  impérieuses  que  j'ai  déduites  l'établissent 
de  la  manière  la  plus  démonstrative.  J  ose  donc  prier  l'assemblée  de 
décréter  dès  ce  moment  que  les  membres  de  l'assemblée  actuelle  ne 
pourront  être  réélus  à  la  prochaine  législature.    » 


394  LES    DISCOURS   D2    ROBESPIERRE 

«  L'assemblée  nationale  décrète  la  motion  de  M.  Robespierre  à 
l'unanimité,  et  au  milieu  des  plus  grands  applaudissemens.   »  (10) 

Courier  de  Provence,  t.  XIV,  n°  291,  p.  541-546. 

«  L'organisation  de  la  législature  étoit  à  l'ordre  du  jour.  On  alloit 
s'occuper  de  la  question  de  la  rééligibilité  des  membres  d'une  législa- 
ture aux  suivantes.  Mais  pour  que  cette  discussion  prît  un  plus  grand 
caractère,  il  falloit  la  séparer  de  tout  intérêt  personnel;  pour  que  la 
décision  fût  plus  solennelle,  il  falloit  qu'elle  fût  prononcée  par  des 
hommes  qui  ne  décidassent  pas  pour  eux-mêmes.  Il  falloit  donc  commen- 
cer par  décréter  que  les  membres  de  l'assemblée  actuelle  ne  pourroient 
être  réélus  à  la  suivante.  M.  Robespierre  a  fait  sentir  cette  nécessité 
dans  un  discours  plein  de  ia  plus  vertueuse  énergie.  Il  est  possible  qu'un 
génie  ardent,  qu'une  imagination  vive  fournissent  à  un  homme  corrompu 
une  éloquence  brillante  et  passionnée;  mais  il  est  une  éloquence  sublime 
de  la  vertu,  il  est  un  langage  sacré  du  patriotisme  que  le  vice  et  la 
passion  ne  peuvent  emprunter  et  qui  décèle  toujours  une  âme  grande 
et  pure,  c'est  celui  que  M.  Robespierre  a  fait  entendre  aujourd'hui. 
Aussi  a-t-il  été  écouté  avec  un  enthousiasme  universel  que  nous  voulons 
faire  partager  à  nos  lecteurs,  en  leur  rapportant  les  morceaux  les  plus 
frappans  de  ce  discours. 

[Suivent  deux  fragments  du  texte  de  Le  Hodey  :  1  °  depuis  : 
«  Avant  de  prononcer...  »  jusqu'à...  «  sur  un  grand  théâtre  »,  et  2°  de- 
puis: «  S'il  étoit  convenable  d'insister...  »  jusqu'à  ..  «  plus  dignes  de 
leur  confiance   »  ;  puis  le  journal  ajoute  :] 

«  Ce  fut  un  des  beaux  momens  de  l'assemblée  nationale,  que  celui 
où  cédant  au  mouvement  irrésistible  de  la  persuasion,  elle  se  leva  toute 
entière  et  demanda  unanimement  à  aller  aux  voix  sur  cette  proposition; 
si  elle  a  rendu  des  décrets  qui  semblent  d'une  plus  grande  importance, 
elle  n'en  rendit  jamais  un  qui  lui  fit  tant  d'honneur.    » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    138,  p.  581. 

«  M.  Roberspierre .  Avant  d'être  convaincu  de  l'utilité  de  la 
motion  que  j'ai  faite,  de  grands  exemples  m'avaient  frappé.  Tous  les 
législateurs  dont  les  hommes  ont  conservé  le  souvenir  se  sont  fait  un 
devoir  de  rentrer  dans  la  foule  des  citoyens,  et  de  se  dérober  même  à 
la  reconnaissance.  Ils  pensaient  que  le  respect  des  lois  nouvelles  tenait 
au  respect  qu'inspirait  la  personne  des  législateurs.  Ceux  qui  fixent  les 
destinées  des  nations  doivent  s'isoler  de  leur  propre  ouvrage.   Je  n'ai 


(10)  Cf.  E.  Hamel,  I,  446;  et  G.  Walter,  p.  101.  A  Mathiez 
(Etudes  Robespierristes,  Robespierre  orateur,  p.  310),  considère  que 
ce  discours  est  «  une  des  pages  les  plus  parfaites  de  l'éloquence  de 
tous  les  temps  >>.  Aulard  reconnaît  de  même  que  ce  morceau  est 
«  d'un  orateur  consommé  ». 


LES    DISCOURS    DI    ROBESPIERRE  395 

pas  besoin  de  me  perdre  dans  des  raisonnemens   subtils  pour  trouver 
la  solution  de  la  question  qui  est  soumise.   » 

[Suit  un  long  compte  rendu  du  discours  qui  se  rapproche  du  texte 
de  Le  Hodey]   (11). 

Le  Législateur  Français,  t.   II,   18  mai   1791,  p.    1-3. 

Analyse  du  discours  de  M.  Robertspierre,  dont  l'assemblée  a 
ordonné  l'impression  : 

«  Sans  doute,  disoit  M.  Robertspierre,  c'est  un  sacrifice  bien 
précieux  que  celui  qui  est  offert  aujourd'hui  à  votre  vertu;  il  es*  doux 
de  recevoir  des  preuves  renouvelées  de  la  confiance  de  sa  patrie  :  je 
déclare  que  c'est  à  mes  yeux  !s  plus  grand  des  'honneurs  et  la  plus 
grande  ambition;  mais,  messieurs,  je  me  suis  supposé  revêtu  de  cette 
preuve  de  confiance,  et  je  me  suis  demandé  si,  pour  combattre  ou 
examiner  les  principes  qui  seroient  agités  [je  serais]  dans  un  état  d'im- 
partialité assez  caractérisé  pour  me  défendre  de  toute  prévention  :  c'est 
la  nature  des  choses  entre  les  auteurs  d'une  constitution  et  les  mem- 
bres de  la  législature  suivante. 

«  Concevez- vous,  messieurs,  combien  les  efforts  de  la  calomnie 
seront  foibles,  lorsqu'on  verra  chacun  de  vous  sacrifier  tous  les  moyens 
que  sa  réputation  et  sa  popularité  offroient  à  son  ambition,  et  venir 
donner  lui-même  parmi  ses  concitoyens  l'exemple  de  l'égalité  dont  il  a 
été  le  défenseur  dans  le  sanctuaire  des  loix  } 

<(  Pouvons-nous  douter  que  nous  ne  soyons  remplacés  par  des  suc- 
cesseurs également  dignes  de  la  confiance  publique  ?  Quoi  !  si  dans  un 
temps  où  l'esprit  public  n'existoit  pas  encore,  la  nation  a  pu  faire  des 
choix  dignes  de  la  révolution,  ne  peut-elle  pas  aujourd'hui  trouver  à 
choisir  parmi  tant  de  citoyens  qui  se  sont  distingués  par  leur  sagesse 
et  leur  patriotisme,  par  leur  empressement  à  faire  exécuter  vos  lois,  par 
les  écrits  qui  ont  porté  la  lumière  dans  cet  empire.  On  cramt  leur 
inexpérience!  ...Mais  nous-mêmes,  n'étions-nous  pas  beaucoup  plus 
étrangers  à  ce  nouvel  ordre  de  choses,  que  nous  avons  créé  d'après  le 
voeu  de  la  Nation  ?  Quel  sera  donc  le  fruit  de  cette  attention  si  géné- 
rale qui  est  donnée  au  cours  de  nos  travaux,  si  nous  seuls  nous  sommes  en 
état  de  les  diriger  encore  ?  Ne  sentez-vous  pas  tous  les  progrès  que 
doit  faire  l'opinion  publique,  lorsqu'elle  ne  sera  point  enchaînée  par 
l'action  permanente  des  orateurs  qui  maîtrisent  une  assemblée  ?  Cet 
empire  ne  deviendroit-il  pas  tous  les  jours  plus  fort?  Combien,  d'ail- 
leurs, de  législateurs  résisteroient,  pendant  quatre  années,  à  tant  de 
séductions  qui  les  environnent,  et  sur-tout  à  celle  du  pouvoir  ?  Les 
représentant  du  peuple  deviendraient  bientôt  ses  souverains  et  ses 
oppresseurs. 

«   Qu'on  ne  nous  dise  pas  que   ces  considérations   sont   contraires 

(11)  Texte   reproduit   dan»   le   Moniteur,    VIII,    418-419.- 


396  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

aux  principes,  car  elles  sont  elles-mêmes  des  principes.  Tous  les  peuples 
libres  n'ont-ils  pas  empêché  la  réélection  pour  les  magistratures  les 
plus  importantes  ?  Prenez  garde  qu'on  ne  vous  accuse  d'avoir  cru  à  la 
liberté  illimitée  du  choix  du  peuple  lorsqu'il  s'agissoit  de  nous-mêmes, 
et  de  l'avoir  méconnue  lorsqu'il  s'agissoit  des  classes  indigentes.  Toute 
restriction  inutile  est  sans  doute  illégitime;  mais  toute  précaution  sage 
est  nécessaire.  Prenez  garde  aussi  qu'on  ne  nous  dise  que  ce  n'étoit 
pas  la  peine  de  tant  presser  le  terme  de  nos  travaux,  pour  les  continuer 
dans  une  autre  législature. 

«  S'il  est  une  assemblée  à  laquelle  toutes  ces  considérations  soient 
applicables,  c'est  sans  doute  celle-ci.  Il  est  des  momens  où  la  lassitude 
affaiblit  les  ressorts  de  l'âme  et  de  la  pensée.  Après  deux  années  du 
travail  le  plus  continu,  le  plus  important,  le  plus  agité,  il  y  auroit  au 
moins  de  l'imprudence  à  nous  charger  encore  d'un  fardeau  qui  déjà 
accable  nos  forces.  La  nature  et  la  raison  nous  prescrivent  à  la  fois 
de  ne  pas  compromettre  ainsi   l'intérêt  public  et  le  nôtre. 

«  Allons  donner  à  nos  concitoyens,  non  pas  des  leçons,  mais  un 
exemple  constant  de  l'attachement  à  la  patrie,  à  la  liberté,  aux  loix; 
donnons-leur  toute  la  force  qu'elles  peuvent  recevoir  des  vertus  des 
législateurs.  Que  la  France  entière  compare  le  commencement  de  nos 
travaux  avec  la  manière  dont  nous  les  avons  terminés,  et  qu'elle  doute 
à  laquelle  de  ces  époques  nous  avons  été  plus  grands,  plus  justes,  plus 
dévoués  à  son  bonheur  !    » 

Mercure  universel,  t.  III,  p.  269. 

«  M.  Robespierre.  Dans  l'histoire  des  législateurs  du  monde,  un 
trait  m'a  frappé  :  j'y  ai  vu  que  tous  se  sont  fait  un  devoir  de  rentrer 
dans  la  classe  des  citoyens,  et  de  devenir  leurs  égaux.  Il  a  fallu  qu'ils 
s'éloignassent  de  leur  ouvrage  pour  le  mieux  juger.  En  fait  de  politique, 
rien  n'est  beau  que  ce  qui  est  juste  et  honnête;  concevez,  messieurs, 
quel  caractère  vous  donneroit  le  sacrifice,  de  renoncer  aux  élections 
dans  la  législature  prochaine,  quand  on  verroit  que  vous  n'avez  pas 
même  songé  à  vous  ?  Plusieurs  de  nous  semblent  craindre  que  nous  ne 
puissions  avoir  des  successeurs  qui  puissent  nous  remplacer;  mais  si, 
déjà  étrangère  à  la  liberté,  l'opinion  publique  a  pu  faire  ce  choix,  que 
ne  fera-t-elle  pas,  éclairée  par  une  expérience  de  deux  années  ?  Pour 
moi,  je  crois  que  cette  foule  de  citoyens  qui,  jusques  dans  cette  assem- 
blée, viennent  communiquer  des  lumières,  ces  citoyens  qui  ont  fait 
respecter  nos  loix,  qui  les  ont  fait  exécuter,  qui  ont  guidé  l'esprit  public, 
qui  ont  tant  concouru  à  notre  ouvrage,  connoissent  aussi  la  constitution 
(applaudi).  Ils  seront  moins  étrangers  que  nous  ne  l'étions  lorsque  nous- 
mêmes  nous  sommes  venus  (applaudi).  On  sait  ce  que  disoit  Thémistocle  : 
Cet  enfant  gouverne  sa  mère,  sa  mère  me  gouverne;  moi,  je  gouverne 
les  Grecs;  et  à  mon  tour,  je  dirai  l'assemblée  nationale  gouverne  la 
France,  l'orateur  l'assemblée,  et  lui  qui  le  gouverne  ?  (Applaudi).   Me 


LÉS    DlSCOUr.C    DE    ROBESPIERRE  397 

parlera-t-on  de  cette  tactique  de  l'assemblée,  science  nouvelle,  et 
qui  se  rapproche  un  peu  trop  de  l'intrigue;  des  membres  qui  seroient 
élus  pendant  quatre  années,  deviendraient  bientôt  des  souverains,  ensuite 
des  oppresseurs  !  Ne  dites  donc  plus  que  c'est  violer  les  principes  que 
d'empêcher  ces  réélections;  car  mes  observations  sont  aussi  des  prin- 
cipes! N'aurons-nous  cru  à  la  liberté  indéfinie  que  lorsqu'elle  aura  pu 
tourner  au  désavantage  du  peuple  ?  N'avez-vous  pas  déterminé  vous- 
même  des  conditions  d'éligibilité  ?  Il  faut  protéger  le  peuple  contre 
l'enthousiasme,  le  pouvoir  de  ses  représentans ;  dès  que  vos  décrets 
sont  justes,  ils  sont  conformes  au  vœu  du  peuple.  S'il  falloit  de  nou- 
velles raisons,  je  dirois,  si  une  assemblée  doit  donner  au  monde  un 
grand  exemple,  c'est  celui  de  cette  renonciation,  c'est  que  la  nature 
met  aussi  des  bornes  aux  forces  morales,  quand  les  liens  de  la  pensée 
se  désunissent,  que  la  nature  est  épuisée  par  de  longs  travaux.  Il  faut 
quelque  temps  au  moins  de  repos,  et  alors  il  seroit  imprudent  de  se 
charger  deux  années  de  tels  travaux.  Laissons  à  de  nouveaux  attelettes 
(sic),  le  soin  de  remplir  cette  carrière  et  de  suivre  notre  exemple. 
Pour  nous,  rentrons  dans  nos  foyers,  nous  y  serons  encore  utile  pour 
développer  l'esprit  public;  donnez  à  vos  concitoyens  ce  grand  exemple, 
donnez-le  à  vos  successeurs,  et  faites  douter  dans  les  derniers  instans 
de  vos  travaux,  en  comparant  ceux  où  vous  les  avez  commencés,  quels 
sont  les  momens  où  vous  aurez  été  plus  grands  ?  Je  demande  donc  que 
les  membres  de  la  législature  actuelle,  ne  puissent  être  élus  dans  la 
prochaine  législature.   (Vifs  applaudissemens,  aux  voix,  aux  voix.)  » 

Journal  de  la  Noblesse,  t.  II,  n°  22,  p.  62-64. 

«  On  a  repris  l'ordre  du  jour.  M.  Robespierre  a  parlé  contre  le 
projet  de  rééligibilité  et  a  obtenu  de  nombreux  applaudissemens  ;  le 
public  étoit  disposé  pour  tous  ceux  qui  parloient  de  rééligibilité. 

«  Ce  n'est  point  dans  l'ascendant  des  orateurs  qu'il  faut  placer 
l'espoir  du  bien  public,  mais  dans  les  lumières  et  dans  le  civisme  des 
assemblées  représentatives;  l'influence  de  l'opinion  publique  et  de 
l'intérêt  général  diminue  en  proportion  de  celle  que  prennent  les  ora- 
teurs; et  quand  ceux-ci  parviennent  à  maîtriser  les  délibérations,  il  n'y 
a  plus  d'assemblée,  il  n'y  a  plus  qu'un  fantôme  de  représentation.  A.lors 
se  réalise  le  mot  de  Thémistocle  qui  disoit,  en  montrant  son  fils  :  voilà 
celui  qui  gouverne  la  Grèce;  ce  marmot  gouverne  sa  mère,  sa  mère  me 
gouverne,  je  gouverne  les  Athéniens,  et  les  Athéniens  gouvernent  la 
Grèce. 

[Suit  un  fragment  du  discours  imprimé  depuis  :  «  Ainsi  une  nation 
de  25  millions  d'hommes  »  jusqu'à  «  ...par  l'amour  même  d'^  la 
liberté.   »] 

«  Il  ne  faut  pas  donner  lieu  de  dire  que  ce  n'étoit  point  !a  peine 
de  tant  presser  la  fin  de  notre  mission  pour  la  continuer  en  quelque  sorte 
sous  une  forme  nouvelle...  Voilà,  dans  ce  moment,  la  manière  la  plus 


398  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

digne  de  nous,  et  la  plus  utile  à  nos  concitoyens  de  signaler  notre  zèle 
pour  leurs  intérêts.  Rien  n'élève  l'âme  des  peuples,  rien  ne  *orme  les 
moeurs  publiques  comme   les  vertus  des  législateurs. 

«  L'orateur  a  conclu  à  ce  qu'il  fût  décrété  que  les  membres  de 
l'assemblée  nationale  actuelle  ne  puissent  être  réélus  à  la  première 
législature;  le  décret  a  été  porté  en  conformité  malgré  l'opiniâtreté  de 
quelques  membres  auxquels  M.  de  Custines  n'a  pu  s'empêcher  de  dire 
qu'on  voyoit  bien  qu'ils  vouloient  être  réélus.  L'impression  du  discours 
de  M.  Roberspierre  a  été  ordonnée.  » 
Journal  de  Paris,  n°    137,  p.   550-552. 

«  Après  tous  ces  discours,  M.  Roberspierre  en  a  prononcé  un 
qui  a  produit  dans  toute  l'Assemblée  Nationale,  à  droite  et  à  gauche, 
de  ces  effets  qu'on  ne  produit  pas  sans  un  vrai  talent,  mais  que  le  plus 
beau  talent  ne  produit  jamais  que  lorsqu'il  sert  d'organe  aux  vérités 
qui  élèvent  !a  raison,  et  aux  sentimens  purs,  généreux  et  nobles,  qui 
élèvent  l'âme. 

«  On  a  bien  fait  quelques  efforts  encore  pour  arrêter  le  transport 
dans  lequel  l'Assemblée,  après  avoir  entendu  ce  discours,  a  voulu  aller 
aux  voix  :  mais  tous  ces  efforts  ont  été  inutiles  ;  et  les  imaginations 
toutes  remplies  du  discours  de  M.  Roberspierre,  n'ont  voulu  entendre, 
n'ont  voulu  que  décréter  sa  motion.  Nous  renvoyons  tout  le  reste,  pour 
rapporter  de  ce  discours  autant  que  notre  feuille  pourra  en  recevoir. 
II  honore  l'esprit  de  M.  Roberspierre,  il  honore  son  talent,  il  honore 
son  caractère,  il  établit  une  grande  unité  dans  tous  les  principes  qu'il 
a  professés  dans  sa  carrière  politique,  il  en  garantit  la  sincérité.  Le 
vrai  démocrate,  le  voilà!  (12).  » 

[Suit  un  fragment  du  discours  imprimé,   depuis   le  début  :   «   Les 
plus  grands  législateurs  de  l'antiquité...   »  jusqu'à  «   ...l'ensemble  et  le 
détail  de  toutes  nos  opérations.   »] 
Courier  français,  t.   XI,   n°    137,   p.    125. 

«  M.  Robertspierre  qui  lui  a  succédé,  s  est  surpassé  lui-même, 
dans  un  discours  plein  de  chaleur  et  de  véritable  éloquence,  qu'il  a 
prononcé  pour  combattre  le  projet  du  comité;  et  nous  nous  obligeons 
d'en  présenter  demain  l'extrait,  qui  ne  peut  trouver  sa  place  ici  »  (13). 

[Il  reproduit  un  important  fragment  du  discours   imprimé  depuis  : 
«  Les  partisans  de  la  réélection...  »  jusqu'à  «  ...l'amour  de  la  paix,  de 
l'ordre,  des  lois  et  de  la  liberté.    »] 
Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t.  VI,  n°  78,  p.  599-601. 

«  L'ordre  du  jour  étoit  si  les  membres  de  la  législature  actuelle 
pourroient  être  réélus.  Robespierre  s'est  saisi  de  la  parole,  il  a  eu  un 
des  plus  beaux  succès  qu'aucun  membre  ait  jamais  obtenu  dans  l'assem- 

(12)  Texte   cité  par   Laponneraye,   I,    108-109. 

(13)  Ce  discours  est   reproduit   à  la  d»ate  du  18  mai. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  399 

blée,  et  j'ai  vu  ceux  qui  avoient  affecté  jusques  ici  de  ne  lui  reconnoître 
que  des  vertus,  convenir  ce  jour-là  de  son  éloquence  (14).  Il  a  montré 
avec  une  noble  énergie,  qu'avant  de  délibérer,  si  les  membres  des  légis- 
latures suivantes  pourroient  être  réélus,  l'assemblée  nationale  ne  pouvoit 
mieux  fermer  la  bouche  à  ses  détracteurs,  et  donner  une  preuve  plus 
éclatante  de  son  dépouillement  de  tout  intérêt  personnel  dans  les  loix 
qu'elle  établissent  qu'en  ouvrant  la  question  qu'on  alloit  discuter,  par  s'y 
désintéresser  elle-même,  en  déclarant  ses  membres  non  rééligibles  à  la 
seconde  législature.  La  générosité  de  cette  proposition  fut  accueillie  par 
de  tels  applaudissemens,  qu'il  ne,  se  trouva  que  Thouret,  Beaumetz  et 
Chapelier,  qui  n'eurent  pas  la  force  de  dissimuler  l'opposition  de  leur 
amour -propre,  et  de  leurs  espérances  à  la  motion  du  préopinant,  et  qui 
firent  d'inutiles  efforts  pour  s'opposer  au  décret  que  Robespierre  emporta 
d'emblée. 

«  Je  regarde  ce  décret  comme  un  coup  de  maître  de  notre  cher 
Robespierre.  On  pense  bien  qu'il  ne  l'a  emporté  ainsi  de  haute  lutte, 
que  parce  qu'il  avoit  des  intelligences  dans  l'amour-propre  de  la  grande 
majorité,  qui  ne  pouvant  être  réélue,  et  regardant  comme  une  espèce 
de  tache  la  réélection  des  chefs  d'opinion  et  de  ceux  qui  se  seroient  le 
plus  distingués,  a  saisi  avidement  cette  occasion  de  niveller  tous  les 
honorables  membres.  La  liberté  et  le  despotisme  aiment  tous  deux  le 
nivellement.  Tarquin  abat  les  têtes  des  pavots,  et  le  peuple  Romain 
ne  veut  point  que  la  maison  de  Valerius  Publicola  soit  si  haute.  Notre 
féal  a  donc  calculé  très-bien  que  l'amour-propre  du  comité  de  consti- 
tution et  de  tous  les  membres  dominateurs,  seroit  vaincu  par  tous  les 
amours-propres  de  l'assemblée  nationale,  et  de  ce  choc  est  résulté  ce 
décret  qui  fait  à  la  fois  honneur  à  la  politique,  à  l'éloquence  et  au 
désintéressement  de  Robespierre.  Car  bien  certainement  il  devoit  s'atten- 
dre à  être  réélu  le  premier,  lui  et  Péthion,  ou  bien  il  nous  faudroit 
mettre  la  clef  sous  la  porte;  mais  Robespierre  a  plus  craint  pour  la 
chose  publique  de  la  réélection  des  Chapelier,  des  Desmeuniers,  des 
d'André,  des  Beaumets,  etc.,  qu'il  n'a  espéré  de  la  sienne.  Voilà  le 
vrai  patriote  !  » 
La  Feuille  du  Jour,  t.   IV,   n°    144,  p.   443. 

«  Un  décret  emporté  d'élan,  par  M.  Robespierre,  a  déclaré  les 
députés  actuels  non  rééligibles.  La  joie  qui  s'est  manifestée  dans  les 
tribunes  et  par-tout,  doit  apprendre  au  corps  législatif  qu'il  est  temps 
de  songer  à  la  retraite,  puisque  la  confiance  et  l'opinion  sont  assez 
fortement  ébranlées,  pour  que  des  citoyens  qui  se  sont  exclus  de  la 
prochaine  législature,  du  ministère  et  des  grâces,  après  deux  années 
de  fatigues  et  d'orages,  ne  recueillent  d'autre  prix  de  leurs  sacrifices 
qu'une  ingrate  allégresse  lorsqu'ils  annoncent  le  terme  de  leur  repré- 
sentation. 


(14)  Pihrase  citée  par  L.   Jacob,  op.   cit.,   p.   77. 


400  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

«  M.  Robespierre  a  mérité  beaucoup  par  cette  motion  noblement 
présentée.    » 

Gazette  universelle,  t.   I,  n°    137,  p.  548. 

<(  Il  n'est  pas  plus  difficile  de  connoître  la  constitution  que  de  la 
faire,  a  dit  M.  Robespierre;  elle  n'est  pas  sortie  de  la  tête  de  te!  ou  tel 
orateur;  elle  est  née  de  l'opinion  publique,  qui  nous  a  précédés.  Plu- 
sieurs d'entre  nous  ont  perdu  leur  activité,  et  se  rendent  avec  peine  aux 
séances.  Bientôt  s'échappera  le  crédit  dont  nous  jouissons;  »t  quand 
une  assemblée  est  méprisée,  ce  n'est  plus  qu'un  vain  phantôme  de 
représentation.  Après  deux  ans  de  lassitude  et  d'épuisement,  après 
deux  ans  de  travaux  au-dessus  des  forces  humaines,  il  est  un  moment 
où  il  seroit  imprudent  à  chacun  de  nous  de  se  charger  encore  des 
intérêts  de  la  nation.  Athlettes  (sic)  victorieux,  mais  fatigués,  laissons 
la  place  à  ceux  qui  auront  toute  leur  énergie.  Répandus  sur  toutes  les 
parties  de  cet  empire,  nous  éclairerons  nos  concitoyens,  nous  porterons 
partout  l'amour  de  l'ordre  et  de  la  liberté.  M.  Robespierre  a  conclu 
en  demandant  que  les  membres  de  la  législature  actuelle  ne  pourront  être 
réélus  dans  la  législature  suivante.  Cette  opinion  a  été  généralement 
applaudie 

«  Seulement,  MM.  Chapelier,  Beaumetz  et  quelques  autres  ont 
paru  vouloir  l'attaquer;  mais  leurs  raisons  ont  été  interceptées  par  les 
murmures,  et  la  motion  de  M.  Robespierre  a  été  décrétée  presque  à 
l'unanimité.   » 

Mercure  de  France,  28  mai   1791,  p.  279. 

«  On  s'est  retrouvé  à  l'ordre  du  jour,  et  M.  Roberspierre  a  pris 
la  parole. 

«  Tous  les  législateurs  qui  ont  donné  à  des  nations  libres  des  loix 
qui  firent  leur  bonheur  et  leur  gloire,  sont  rentrés  dans  la  foule  après 
avoir  consommé  leur  ouvrage.  Plusieurs  semblent  croire  à  la  nécessité 
de  conserver  une  partie  des  membres  de  l'Assemblée  actuelle,  parce 
que  pleins  de  confiance  en  nous,  ils  désespèrent  que  nous  puissions  être 
remplacés  par  des  hommes  également  dignes  de  la  confiance  publique. 
On  craint  leur  inexpérience.  Mais  nous-mêmes  n'étions-nous  pas  beau- 
coup plus  étrangers  à  ce  nouvel  ordre  de  choses,  que  nous  avons  créé 
d'après  le  vœu  de  la  nation?  Etrangers  à  l'étude  des  principes  du  droit 
public,  nous  étions  bien  plus  neufs  pour  notre  ouvrage,  que  ne  le  seront 
nos  successeurs  éclairés  par  nos  travaux...  li  est  un  moment  où  la  lassi- 
tude affoiblit  les  ressorts  de  l'âme  et  de  la  pensée...  Athlètes  vigoureux 
mais  fatigués,  laissons  la  carrière  à  nos  successeurs  frais  et  vigoureux... 
Que  les  François,  par  la  manière  dont  vous  aurez  commencé  et  terminé 
votre  carrière,  prononcent  quelle  est  celle  de  ces  deux  époques  où 
vous  vous  serez  montrés  plus  purs,  plus  grands,  plus  dignes  de  leur 
confiance.  » 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  401 

Les  Indépendans,  n°   17,  p.   1. 

Sixième  lettre  à  un   étranger  sur  l'Assemblée   Nationale. 

«  M.  Robespierre...  est  un  des  hommes  qui  pouvaient  le  moins 
entraîner  l'Assemblée  Nationale,  puisqu'elle  est  accoutumée  de  repous- 
ser avec  tumulte,  quelquefois  même  avec  mépris,  les  dangereuses  exa- 
gérations qui  composent  sa  théorie  politique.  Mais  il  a  trouvé  l'art  de 
faire  impression  sur  l'Assemblée  Nationale,  par  deux  différens  motifs  : 
le  premier,  est  l'éclat  de  ce  sacrifice,  le  second,  est  le  plaisir  de 
déjouer  les  intrigues  soupçonnées  et  de  causer  le  désespoir  de  quelques 
ambitieux.  La  vengeance  de  certains  Membres,  l'envie  de  quelques 
autres  appuyaient  beaucoup  cette  dernière  considération.  M.  Robes- 
pierre a  parlé  contre  la  rééligibilité  des  Membres  de  la  Législature 
actuelle,  avec  un  talent  digne  du  sentiment  qui  lui  inspirait  cette  pro- 
position. Cependant,  les  considérations  morales  qu'il  a  présentées  ne 
peuvent  être  le  résultat  d'observations  bien  profondes...  L'Assemblée 
Nationale,  convaincue  ou  décidée  d'avance,  a  donné  au  discours  de 
M.  Robespierre  l'assentiment  le  plus  complet  et  le  plus  universel.   » 

Le  Spectateur  national,  n°    166,  p.   720. 

«  M.  Robespierre,  à  qui  il  arrive  si  souvent  de  présenter  des 
opinions  exagérées,  a  prononcé,  sur  cette  matière,  un  discours  où  l'on 
a  remarqué,  non  plus  le  langage  de  l'anarchie,  mais  celui  de  la  liberté, 
de  la  générosité,  de  la  raison  et  de  la  justice.  Cette  maxime  que,, 
dans  un  peuple  libre,  les  législateurs  doivent,  du  sanctuaire  de  la  nation, 
rentrer  dans  la  foule  des  citoyens,  a  été  la  vérité  capitale  d'où  sont 
écoulés,  comme  d'une  source,  tous  les  argumens  de  l'orateur;  mais 
cette  vérité,  il  l'a  reproduite  sous  tant  d'aspects  différens,  l'a  développée 
avec  tant  de  noblesse,  de  modération  et  de  désintéressement,  qu'un 
petit  nombre  de  contradicteurs  ou  d'ambitieux  ont  seuls  osé  opposer  des 
murmures  aux  applaudissemens  qui,  de  toutes  parts,  se  faisoient  en- 
tendre. 

«  Au  nombre  de  ceux-ci  se  trouvoient  MM.  de  Beaumetz,  Le 
Chapelier,  Rewbell  et  consorts,  qui  ont  épuisé  tous  les  moyens  d'une 
tactique  savante  et  profonde  pour  empêcher  l'assemblée  d'aller  aux 
voix  sur  la  généreuse  motion  de  M.  Robespierre.  Leurs  efforts  ont 
néanmoins  été  inutiles.  » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  17  mai  1791,  p.  547. 

«  Toutes  les  raisons  produites  par  M.  Thouret  ont  été  passées  en 
revue  par  M.  Robespierre,  qui  les  a  combattues  avec  une  telle  supério- 
rité que  nous  pouvons  dire,  sans  exagération,  qu'il  a  étonné  l'assemblée 
entière.  Jamais  on  n'a  parlé  avec  plus  de  sens,  avec  plus  de  sagesse,  et 
il  serait  difficile  d'être  plus  éloquent  que  l'a  été  dans  cette  occasion 
M.  Robespierre.  » 


402  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  n°  674,  p.  222-223. 

((  La  discussion  continue.  M.  Robespierre  reproduit  sa  motion  ten- 
dante là  ce  que  les  députés  actuels  ne  puissent  pas  être  réélus  pour  la 
première  législature,  sans  rien  préjuger  pour  les  suivantes.  Le  discours 
dans  lequel  il  a  développé  les  considérations  puissantes  qui  doivent 
interdire  généralement  la  législature  suivante  aux  membres  du  corps 
constituant  a  été  plusieurs  fois  interrompu  par  les  plus  vifs  applaudisse- 
mens. 

...«  Il  n'appartenoit  qu'à  un  patriote  pur,  ferme  et  désintéressé, 
comme  M.  Robespierre,  de  défendre  et  de  faire  adopter  une  pareille 
motion;  son  avis  sage,  mesuré  et  énergique,  a  produit  le  plus  grand  effet. 
On  a  vu  se  réunir  les  passions  les  plus  nobles  et  les  plus  viles  pour 
empêcher  ou  favoriser  la  réélection.  L'amour  de  la  patrie,  le  bien  et  la 
vertu  étoient  d'un  côté;  de  l'autre  la  haine,  la  vengeance  et  sans  doute 
le  coupable  espoir  des  tentatives  nouvelles  contre  la  constitution.  Quoi- 
qu'il en  soit,  l'Assemblée  a  décrété  au  milieu  des  plus  vifs  et  des  plus 
justes  applaudissements,  çfue  lés  membres  de  la  législature  actuelle  ne 
pourront  pas  être  réélus  pour  la  prochaine  législature.  m 

Mercure  national  et  étranger,  p.    496. 

«  L'on  est  revenu  à  la  discussion  que  M.  Robespierre  a  glorieuse- 
ment terminée  par  un  discours  vivement  applaudi  de  toutes  parts,  où  il 
a  fait  sentir  que  les  membres  de  la  législature  actuelle,  répandus  désor- 
mais sur  toute  la  surface  de  l'empire,  serviraient  mieux  leurs  concitoyens, 
en  les  éclairant  de  leurs  conseils,  en  les  échauffant  de  leur  patriotisme, 
qu'en  cherchant  à  se  perpétuer  dans  les  législatures  suivantes;  qu'il  y  avoit 
un  terme  aux  forces  humaines,  et  que  quatre  ans  d'un  travail  pénible  et 
assidu  n'étoit  point  supportable  ;  qu'il  falloit  céder  la  place  à  des  esprits 
neufs  et  vigoureux  :  qu'il  comptoit  assez  sur  le  civisme  et  les  lumières 
de  ses  concitoyens,  pour  ne  point  douter  que  dans  26  millions  d'hommes, 
il  ne  fût  aisé  de  trouver  sept  cent  vingt  individus  dignes  de  succéder 
aux  travaux  de  l'assemblée  actuelle.  Il  a  persisté  dans  ses  conclusions.  » 

j  [Brève  mention  de  ce  discours  dans  La  Correspondance  générale 
ou  Journal  de  la  Société  des  LXXX11I  départemens,  t.  III,  n°  41  ;  Le 
Journal  de  Rouen,  n°  138,  p.  657;  L'Orateur  du  Peuple,  t.  III,  n°  10, 
p.  87;  La  Bouche  de  Fer,  n°  57;  La  Gazette  nationale  ou  Extrait..., 
t.  XVI,  p.  373;  Le  Journal  général  de  France,  n°  137,  p.  546;  La 
Correspondance  générale  des  départemens,  t.  II,  n°  40,  p.  633;  Le  Creu- 
set, t.  II,  n°  41,  p.  285;  Le  Lendemain,  t.  III,  n°  137,  p.  437;  Le 
Courrier  extraordinaire,  17  mai  1791 ,  p.  6;  Le  Journal  de  la  Révolution, 
n°  278,  p.  580;  Le  Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  Nationale, 
J6  mai  1791,  p.  248;  Le  Journal  universel,  t.  XI,  p.  7023.] 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  403 


290.  —  SEANCE  DU  18  MAI  1791 
Sur  la  rééligibilité  des  députés  de  l'Assemblée  nationale 

A  LA  PREMIÈRE  LÉGISLATURE  (suite) 


1  ' e  intervention  : 


Sur  le  rapport  de  Thouret,  <au  nom  du  comité  de  constitution, 
l'Assemblée  revient,  le  17  mai,  sur  l'art.  7  du  projet  d'organisation 
du  corps  législatif  :  «<  Les  membres  de  la  précédente  législature 
pourront  être  réélus  ». 

Pétion  demande  qu'on  ne  puisse  être  réélu  qu'après  un  inter- 
valle de  deux  ans.  Buzot  soutient-  le  même  point  de  vue  Duport 
prononce  un  long  discours  dont  l'Assemblée  vote  l'impression  (1). 

Le  18  mai,  le  débat  se  poursuit  sur  cette  question.  Après  La 
Revellière  de  (Lépeaux  qui  conclut  à  la  non-rééligibilité  des  mem- 
bres du  corps  législatif,  après  le  duc  de  Liancourt,  qui  se  prononce 
en  un  sens  opposé,  Robespierre  intervient  à  son  tour  :  il  demande 
que  les  membres  des  assemblées  législatives  ne  puissent  être  réélus 
qu'après  l'intervalle  d'une  législature,  et  s'attache  à  réfuter  le 
discours  de  Duport  (2). 


(1)  Duport  exprime -la  crainte  que  la  Révolution  ne  progresse 
trop  rapidement  si  les  éléments  conservateurs  de  la  Constituante  ne 
sont  pas  réélus.  «  Ne  croyez  pas,  dit-il,  que  les  idées  de  liberté  et 
d'égalité  rétrogradent  jamais;  elles  s'étendent  au  contraire  de  leur 
nature  et  se  propagent  de  plus  en  plus...  elles  vont  toujours  nive- 
lant, toujours  dissolvant  jusqu'au  partage  des  terres  ».  Il  brandit 
devant  l'Assemblée  le  spectre  de  la  loi  agraire  et  souhaite  la  for- 
mation d'un  gouvernement  «  juste  et  ferme  ». 

(2)  Dans  son  discours,  Robespierre  fait  visiblement  allusion  à 
la  politique  des  triumvirs  :  Duport,  Lameth  et  Barnave,  qui  multi- 
plient leurs  efforts  pour  ^accéder  au  ministère.  O.  Desmoulins  insiste 
sur  ce  point  (Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t.  VII,  n°  86, 
p.  32):  «  .Montrons  aux  Lameth,  iaux  Duport,  aux  Barnave.  aux 
Broglie,  etc.,  qu'ils  ne  seront  point  réélus,  qu'ils  ne  pourront  arriver 
à  aucun  poste  important  avant  4  années;  Robespierre,  Péthion,  Bu- 
zot et  tous  les  vrais  patriotes  veulent  la  non-rééligibilité  aux  places 
de  la  législature,  et  la  non-rééligibilité  aux  places  du  ministère  avant 
4  ans  ;  que  tout  le  côté  droit  les  seconde  ;  par  pudeur  le  côté  gauche 
n'osera  paroître  moins  patriote.  Les  Lameth,  Duport,  Barnave, 
seront  furieux,  et  ils  ise  retourneront  vers  nous.  Le  comité  autrichien 
avoit  calculé  supérieurement.  Robespierre  fit  les  deux  motions,  et 
ce  sont,  je  crois,  les  deux  seules  de  ce  citoyen  éloquent  et  incorrup- 
tible, ,qui  ayent  jamais  été  accueillies.  Les  deux  décrets  furent  empor- 
tés d'emblée,  tout  le  côté  droit  se  leva  pour  Robespierre,  comme  le 
plus  fidèle  défenseur  du  peuple,  et  force  fut  à  89  et  aux  faux  jacobine 
de  s'incliner  ». 


404  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

SECOND  DISCOURS 

Prononcé 

A  L'ASSEMBLÉE  NATIONALE 

le   18  Mai   1791 

par  MAXIMILIEN  ROBESPIERRE, 
Député  du  Département  du  Pas-de-Calais 

Sur  la  Rééligibilité  des  Membres  du  Corps  Législatif  (3) 

Tout  prouve  l'importance  de  la  question  que  vous  agitez,  tout, 
jusqu'à  la  manière  dont  on  a  défendu  le  système  de  la  réélection. 
Quelles  qu'aient  été  les  circonstances  qui  ont  précédé  et  accompagné 
cette  discussion,  je  ne  veux  voir,  je  ne  veux  examiner  que  les  principes 
de  l'intérêt  général,  qui  doit  être  la  règle  de  votre  décision. 

Quel  est  le  principe,  quel  est  le  but  des  lois  à  faire  sur  les  élec- 
tions ?  L'intérêt  du  peuple.  Par-tout  où  le  peuple  n'exerce  pas  son 
autorité,  et  ne  manifeste  pas  la  volonté  par  lui-même,  mais  par  des 
représentans,  si  le  corps  représentatif  n'est  pas  pur  et  presqu'identine 
avec  le  peuple,  la  liberté  est  anéantie.  Le  grand  principe  du  gouver- 
nement représentatif,  l'objet  essentiel  des  lois,  doit  être  d'assurer  la 
pureté  des  élections  et  l'incorruptibilité  des  représentans.  Si  la  réélection 
va  à  ce  but,  elle  est  bonne  si  elle  s'en  éloigne,  elle  est  mauvaise.  Je  ne 
sais  si  c'est  sérieusement  que  les  partisans  de  la  réélection  ont  prétendu 
que  le  système  contraire  blessoit  la  liberté  du  peuple.  Toute  entrave 
mise  à  la  liberté  des  choix,  dès  qu'elle  est  inutile,  est  injuste  :  à  plus 
forte  raison,  si  elle  est  nuisible  ou  dangereuse  :  mais  toute  règle  qui 
tend  à  défendre  le  peuple  contre  la  brigue,  -  contre  les  malheurs  des 
mauvais  choix,  contre  la  corruption  de  ses  représentans,  est  juste  et 
nécessaire.  Voilà,  ce  me  semble,  les  vrais  principes  de  cette  question. 

Vous  avez  cru  me  mettre  en  contradiction  avec  moi-même,  en 
observant  que  j'avois  manifesté  une  opinion  contraire  à  la  condition 
prescrite  par  le  décret  du  marc  d'argent;  et  cet  exemple  même  est  la 
preuve  la  plus  sensible  de  la  vérité  de  la  doctrine  que  j'expose  ici.  Si 
plusieurs  ont  adopté  une  opinion  contraire  au  décret  du  marc  d'argent, 
c'est  parce  qu'ils  le  regardoient  comme  une  de  ces  règles  fausses,  qui 
offensent  la  liberté,  au-lieu  de  la  maintenir,  c'est  parce  qu'ils  pensoient 
que  la  richesse  ne  pouvoit  pas  être  la  mesure  ni  du  mérite,  ni  des 
droits  des  hommes,  c'est  qu'ils  ne  trouvoient  aucun  danger  à  laisser 
tomber  le  choix  des  électeurs,  sur  des  hommes  qui,  ne  pouvant  subjuguer 
les  suffrages  par  les  ressources  de  l'opulence,  ne  les  auroient  obtenus 


(3)  Brochure  in-8°  de  16  pages.  B.N.  8°  Le  29 /lois.  Biblio.  de  la 
iSorbonne  HFr  140 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  405 

qu'à  force  de  vertus;  c'est  parce  que  loin  de  favoriser  la  brigue,  la 
concurrence  des  citoyens  qui  ne  payoient  point  cette  contribution,  ne 
favorisoit  que  le  mérite  Maie  de  ce  que  je  croirois  que  le  décret  du 
marc  d'argent  n'est  pas  utile,  s'ensuit-il  que  je  b'âmerois  ceux  qui 
repoussent  les  hommes  flétris,  ceux  qui  défendent  la  réélection  des 
membres  des  corps  administratifs  ? 

Mais  si  lorsque  réellement  les  principes  de  la  liberté  étoient  atta- 
qués, vous  aviez  montré  beaucoup  moins  de  disposition  à  vous  alarmer; 
si  ce  même  décret  du  marc  d'argent  avoit  obtenu  votre  suffrage,  n'est-ce 
pas  moi  qui  pourrois  dire  que  vous  êtes  en  contradiction  avec  vous- 
mêmes,  et  qui  aurois  le  droit  de  m'étonner  que  les  excès  de  votre  zèle 
datent  précisément  du  moment  où  il  étoit  question  d'assurer  à  des  repré- 
sentai, et  même  sans  aucune  exception,  la  perspective  d'une  réélection 
éternelle. 

Laissez  donc  cette  extrême  délicatesse  de  principes,  et  examinons 
sans  partialité  le  véritable  point  de  la  question,  qui  consiste  à  savoir 
si  la  rééligibilité  est  propre  ou  non  à  assurer  au  peuple  de  bons  repré- 
sentai. C'est  d'après  les  vices  des  hommes  qu'il  faut  en  calculer  les 
effets;  car  ce  n'est  que  contre  ces  vices  que  les  lois  sont  faites.  Or, 
l'expérience  a  toujours  prouvé  qu'autant  les  peuples  sont  indolens  ou 
faciles  à  tromper,  autant  ceux  qui  les  gouvernent  sont  habiles  et  actifs 
pour  étendre  leur  pouvoir  et  opprimer  la  liberté  publique  :  c'est  cette 
double  cause  qui  -a  fait  que  les  magistratures  électives  sont  devenues 
perpétuelles  et  ensuite  héréditaires.  C'est  l'histoire  de  tous  les  siècles, 
qui  a  prouvé  qu'une  loi  prohibitive  de  la  réélection  est  le  plus  sûr 
moyen  de  conserver  la  liberté.  Parlez-vous  d'un  corps  de  représentans 
destinés  à  faire  des  lois,  à  être  les  interprètes  de  la  volonté  générale  ? 
La  nature  même  de  leurs  fonctions  les  rappelle  impérieusement  dans  la 
classe  des  simples  citoyens.  Ne  faut-il  pas  en  effet  qu'ils  se  trouvent 
dans  la  situation  qui  confond  !e  plus  leur  intérêt  et  leur  vœu  personnel 
avec  celui  du  peuple  ?  Or,  pour  cela,  il  faut  que  souvent  ils  redevien- 
nent peuple  eux-mêmes.  Mettez-vous  à  la  place  des  simples  citoyens, 
et  dites  de  qui  vous  aimeriez  mieux  recevoir  des  lois,  ou  de  celui  qui 
est  sûr  de  n'être  bientôt  plus  qu'un  citoyen  ou  de  celui  qui  tient  encore 
à  son  pouvoir  par  l'espérance  de  le  perpétuer. 

Vous  dites  que  le  corps  législatif  sera  trop  foible  pour  résister  à  la 
force  du  pouvoir  exécutif,  si  tous  les  membres  sont  renouvelés  tous  les 
deux  ans;  mais  à  quoi  tient  donc  la  véritable  force  du  corps  législatif? 
Est-ce  à  la  puissance,  au  crédit,  à  l'importance  de  tels  ou  tels  indi- 
vidus ?  Non  :  c'est  à  la  constitution  sur  laquelle  il  est  fondé  ;  c'est  à  la 
puissance,  à  la  volonté  de  la  nation  qu'il  représente  et  qui  le 
regarde  lui-même  comme  le  boulevard  nécessaire  de  la  liberté 
publique:  Croyez-vous  que  la  nation  consentira  encore  à  repren- 
dre ses  premières  chaînes,  et  à  voir  le  despotisme  ministériel  se  relever 
seul  sur  les  débris  des  anciennes  corporations,  ou  ces  corporations  elles- 


406  LÉS    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

mêmes  renaître  de  leurs  propres  cendres.  Si  telle  est  sa  volonté,  vos 
efforts  sont  superflus  :  mais  il  est  évident  aux  yeux  de  tout  homme  raison- 
nable que  si  sa  volonté  est  différente,  n'est-il  pas  ridicule  de  croire  que 
le  pouvoir  de  ses  représentans  disparoitra  devant  le  pouvoir  exécutif, 
si  tel  individu  cède  sa  place  à  un  autre  représentant  qu'elle  aura  choisi  ? 
Le  pouvoir  du  corps  législatif  est  immense  par  sa  nature  même  ;  il  est 
assuré  par  sa  permanence,  par  la  faculté  de  s'assembler  sans  convoca- 
tion, par  la  loi  qui  refusera  au  roi  le  pouvoir  de  la  dissoudre.  Le  respect, 
î  amour  qu'inspireront  les  collections  d'hommes  qui  le  composeront  suc- 
cessivement, dépendront  des  vertus,  de  la  justice  de  ces  hommes.  Or, 
croyez-vous  qu'ils  seront  plus  incorruptibles  sous  la  loi  de  la  rééligibi- 
lité, que  sous  celle  qui  la  proscrira. 

Je  crois  qu'il  est  facile  de  prouver  le  contraire.  C'est  dans  votre 
système  que  le  corps  législatif  sera  trop  foible  pour  résister,  non  pas  à 
la  force  du  pouvoir  exécutif,  mais  à  ses  caresses  et  à  ses  séductions. 
Car,  dès  le  moment  où  il  sera  assis  sur  les  bases  de  la  constitution,  ce 
n  est  pas  à  le  détruire  que  le  pouvoir  exécutif  s'appliquera,  mais  à  le 
corrompre -,  et  ce  qui  sera  à  craindre,  ce  n'est  pas  qu'il  soit  trop  foible 
contre  la  puissance  executive  :  c'est  qu'il  soit  trop  fort  contre  la  liberté 
des  citoyens.  Or.  comparez  les  moyens  de  corruption  dans  le  cas  de  )a 
rééligibilité,  avec  ceux  qu'il  peut  puiser,  dans  le  systsème  contraire. 
N'est-il  pas  clair  que  le  gouvernement  auroit  bien,  moins  d'intérêt  à 
corrompre  des  hommes  dont  la  retraite  romproit  la  trame  qu'il  auroit 
ourdie  de  concert  avec  eux  contre  la  liberté  de  la  nation;  qu'il  faudro't 
la  renouer  périodiquement  avec  de  nouveaux  frais,  sans  être  jamais 
sûr  de  recueillir  dans  une  assemblée  nouvelle  ce  qu'il  auroit  semé  dans 
la  précédente  :  au  contraire,  voyez-le  aux  prises,  pour  ainsi  dire,  avec 
des  représentans  rééligibles  ;  il  s'attachera  à  ceux  qui  par  ieur  éloquence 
et  par  leur  adresse  exerceront  plus  d'influence  sur  l'Assemblée  législa- 
tive; ils  feront  servir  au  succès  de  ses  prétentions,  la  réputation  même 
de  popularité  qu'ils  auront  eu  soin  d'acquérir;  et  quand  il  les  aura 
aidés  de  son  pouvoir,  pour  les  réélire  à  la  législature  suivante,  ils 
achèveront  alors  de  lui  rendre  les  plus  signalés  services.  Mais  vous  ne 
comprenez  pas,  dites-vous,  comment  le  pouvoir  exécutif  pourroit  conce- 
voir l'idée  de  séduire  des  membres  du  corps  législatif,  depuis  qu'il  ne 
peut  plus  les  appeler  au  ministère.  Je  rougirois  de  vous  rappeler  qu'il 
existe  d'autres  moyens  de  corruption;  mais  je  pourrois  au  moins  deman- 
der si  ces  places  que  l'on  ne  peut  obtenir  pour  soi,  on  peut  ne  pas  les 
détourner  sur  ses  amis,  sur  ses  proches,  sur  son  père,  sur  son  fils;  si  le 
crédit  d'un  ministre  est  entièrement  inutile;  s'il  est  impossible  que  des 
membres  du  corps  législatif  régnent  en  effet  sous  son  nom,  et  qu'ils 
fassent,  avec  lui,  une  espèce  d'échange  de  leur  crédit  et  de  leur 
pouvoir;  je  pourrois  dire  même,  que  ce  seroit  déjà  un  grand  avantage, 
que  celui  d'être  porté  à  la  législature  par  le  parti  et  par  l'influence  que 
le  pouvoir  exécutif  peut   avoir  dans   les  assemblées   électorales.    1!   est 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  407 

vrai  que  vous  supposez  toujours  que  ceux  qui  seront  réélus  seront  tou- 
jours les  plus  zélés  et  les  plus  sincères  défenseurs  de  la  patrie.  Vous 
oubliez  donc  que  vous  avez  dit  vous-mêmes,  qu'un  mot  dit  à  propos 
lève  tous  les  doutes  sur  le  patriotisme  d'un  homme  ?  (4)  Vous  croyez 
à  l'impuissance  de  l'intrigue  et  du  charlatanisme  !  Vous  croyez  au 
discernement  parfait,  à  l'impartialité  absolue  de  ceux  qui  choisiront 
pour  le  peuple  !  Vous  ignorez  qu'il  existe  un  art  de  s'abandonner  tou- 
jours au  cours  de  l'opinion  du  moment,  en  évitant  soigneusement  de  la 
heurter  pour  servir  le  peuple  !  Et  que  dans  cette  arène,  l'intrigant  souple 
et  ambitieux  lutte  souvent  avec  avantage,  contre  le  citoyen  modeste  et 
incorruptible  !  Mais  c'est  ici  que  le  parallèle  du  représentant  rééligible, 
et  de  celui  qui  ne  l'est  pas,  tourne  entièrement  contre  votre  système. 
Suivez-les  l'un  et  l'autre  dans  le  cours  de  leur  carrière.  Le  premier, 
séduit  par  l'espérance  de  prolonger  la  durée  de  son  pouvoir,  partage 
sa  sollicitude  entre  ce  soin  et  celui  de  la  chose  publique.  A  mesure 
sur-tout  qu'il  approche  de  la  fin  de  sa  carrière,  il  s'occupe  avec  plus 
d'ardeur  des  moyens  de  la  recommencer;  il  songera  plus  à  son  canton 
qu'à  sa  patrie,  à  lui-même  qu'à  ses  commettans  :  parmi  ceux-ci,  il  car- 
ressera,  il  défendra  avec  plus  de  zèle  ceux  qui  pourront  seconder  avec 
plus  de  succès  son  projet  favori  ;  il  se  gardera  bien  de  protéger  on 
citoyen  obscur  et  malheureux,  contre  un  homme  puissant  et  accrédité 
dans  sa  contrée,  sur-tout  si  cet  acte  de  justice  n'étoit  pas  de  nature 
à  produire  un  éclat  favorable  à  son  ambition.  Représentez- vous  une 
assemblée  toute  entière  dans  cette  situation  :  les  représentans  du  peuple 
détournés  du  grand  objet  de  leur  mission,  changés  en  autant  de  rivaux, 
divisés  par  la  jalousie,  par  l'intrigue,  occupés  presqu'uniquement  à  se 
supplanter,  à  se  décrier  les  uns  les  autres  dans  l'opinion  de  leurs  conci- 
toyens. Reconnoissez-vous  là  des  législateurs,  des  dépositaires  du  bon- 
heur du  peuple  ?  Quelle  sera  l'influence  de  ces  brigues  honteuses  ?  Elles 
dépraveront  les  moeurs  publiques  en  même  temps  qu'elles  dégraderont 
la  majesté  des  lois. 

Quel  respect  le  peuple  auroit-il  pour  des  législateurs  qui  lui  donne- 
roient  l'exemple  des  vices  mêmes  qu'ils  doivent  réprimer  !  Supposez, 
au  contraire,  que  les  législateurs  soient  mis  à  l'abri  de  ces  tentations 
par  la  loi  qui  met  obstacle  à  la  rééligibilité,  ils  ne  doivent  avoir  natu- 
rellement d'autre  pensée  que  celle  du  bien  public.  Le  pouvoir  exécutif 
a  moins  d'intérêt  de  les  séduire,  parce  qu'ils  ne  peuvent  pas  lui  vendre 
un  système  de  perfidies  gradué  et  prolongé  dans  une  autre  législature  : 
leur  prévarication  seroit  d'autant  plus  odieuse,  qu'elle  seroit  plus  brus- 
que et  plus  précipitée.  Le  véiitable  objet  de  leur  ambition,  déterminé 
par  la  durée  même  de  leur  mission,  est  de  la  mettre  à  profit  pour  leur 
gloire,  pour  mériter  l'estime  et  la  reconnoissance  de  la  nation  dans  le 

(4)  Allusion  au  discours  de  Duport:  Un  journaliste  a  même  été 
jusqu'à  dire  :  «  Un  mot  dit  à  propos  lève  tous  les  doutes  sur  le  patrio- 
tisme d'un  individu  »>. 


406  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

sein  de  laquelle  ils  sont  sûrs  de  retourner.  Je  m'étonne  donc  de  l'extrême 
prévention  que  l'un  des  préopinans  sur-tout,  M.  Du  Port,  a  marquée 
pour  une  législature  dont  les  membres  ne  pourraient  point  être  réélus, 
quand  il  a  prononcé  qu'ils  n'emploieroient  leur  temps  qu'à  deux  choses  : 
à  médire  des  ministres,  et  à  plaider  la  cause  de  leurs  départemens  contre 
l'intérêt  général  de  la  nation.  Quant  aux  intérêts  du  département  (5), 
j'ai  déjà  prouvé  que  cet  inconvénient,  et  même  un  inconvénient  plus 
grave,  n'existoit  que  dans  le  système  opposé;  quant  aux  ministres,  s'ils 
médisoient,  cela  prouveroit  au  moins  qu'ils  ne  leur  seroient  point 
asservis;  et  c'est  beaucoup.  D'ailleurs  quoique  nous  soyons  nous-mêmes 
entachés  de  ce  vice  capital,  par  le  décret  de  lundi  (6),  je  suis  persuadé 
que  nous  emploierons  notre  temps  à  quelque  chose  de  mieux  qu'à  médire 
des  ministres  sans  nécessité,  et  à  parler  uniquement  des  affaires  de  nos 
départemens;  et  je  suis  convaincu,  au  surplus,  que  ce  décret,  quoi  qu'on 
puisse  dire,  n'a  pas  affoibli  l'estime  de  la  nation  pour  ses  représentans 
actuels. 

On  a  fait  une  autre  objection  qui  ne  me  paroît  pas  plus  raison- 
nable, lorsqu'on  a  dit  que,  sans  l'espoir  de  la  rééligibilité,  on  ne  trou- 
verait pas  dans  les  vingt-cinq  millions  d'hommes  qui  peuplent  la  France, 
des  hommes  dignes  de  la  législature.  Ce  qui  me  paroît  évident,  c'est 
que,  s'opposer  à  la  réélection,  est  le  véritable  moyen  de  bien  composer 
la  législature.  Quel  est  le  motif  qui  doit  appeler,  qui  peut  appeler  un 
citoyen  vertueux  à  désirer  ou  à  accepter  cet  honneur,  le  plus  grand  de 
ceux  que  la  nation  françoise  puisse  accorder  à  ses  citoyens  ?  Sont-ce 
les  richesses,  le  désir  de  dominer,  et  l'amour  du  pouvoir?  Non.  Je  n'en 
connois  que  deux  :  le  désir  de  servir  sa  patrie  :  le  second,  qui  est  natu- 
rellement uni  à  celui-là,  c'est  l'amour  de  la  véritable  gloire,  celle  qui 
consiste,  non  dans  l'éclat  des  dignités,  ni  dans  le  faste  d'une  grande 
fortune,  mais  dans  le  bonheur  de  mériter  l'amour  de  ses  semblables  par 
des  talens  et  des  vertus.  Or,  je  dis  que  deux  années  de  travaux  aussi 
brillans  qu'utiles  sur  le  plus  grand  théâtre  où  les  talens  et  les  vertus 
puissent  se  développer,  suffisent  pour  satisfaire  ce  genre  d'ambition. 
(Quand  on  les  a  bien  su  mettre  à  profit,  on  peut  retourner,  avec  quelque 
plaisir,  dans  le  sein  de  sa  famille,  et  souffrir  avec  patience  cet  intervalle 
de  deux  ans,  qui  peut  paroître  une  situation  violente  à  un  ambitieux, 
mais  qui  est  nécessaire  à  l'homme  le  plus  éclairé,  pour  méditer  sur  les 
principes  de  la  législation  avec  plus  de  profondeur  qu'on  ne  peut  le  faire 
au  milieu  du  tourbillon  des  affaires,  et  sur-tout  pour  reprendre  ce  goût 
de  l'égalité,  que  l'on  perd  aisément  dans  les  grandes  places.  Ne  me 
parlez  pas  de  pur  civisme  et  de  perfection  idéale,  et  ne  calomniez  pas 

(5)  Allusion  au  discours  de  Duport:  «  Il  .n'aura  que  deux  choses 
à  faire:  dire  du  mal  des  ministres  et  faire  du  bien  dans  son  départe- 
ment ». 

(6)  Celui  du  lundi  16  mai,  obtenu  par  Robespierre,  et  qui  inter- 
dit la  réélection  des  députés  de  la  Constituante. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  409 

la  nature  humaine,  pour  avoir  un  prétexte  de  repousser  ces  principes. 
Je  vous  assure  que  ces  sentimens  sont  plus  naturels  que  vous  ne  croyez  : 
je  connois  plus  d'un  homme  qui  pense  ainsi;  j'en  ai  sous  mes  yeux; 
et  l'oeil  du  public  en  découvriroit  davantage,  si  l'état  ancien  de  notre 
gouvernement  avoit  permis  qu'un  plus  grand  nombre  d'hommes  acquit 
ou  l'habitude,  ou  l'audace  de  la  parole  :  mais  laissez  se  répandre  les 
principes  du  droit  public,  et  s'établir  la  nouvelle  constitution;  et  vous 
verrez  naître  une  foule  d'hommes  qui  développeront  un  caractère  et  des 
talens.  Croyez,  croyez  dès-à-présent  qu'il  existe  dans  chaque  contrée 
de  l'empire,  des  pères  de  famille  qui  viendront  volontiers  remplir  le 
ministère  de  législateurs,  pour  assurer  à  leurs  enfants  des  mœurs,  une 
patrie,  le  bonheur  et  la  liberté;  des  citoyens  qui  se  dévoueront  volon- 
tiers, pendant  deux  ans,  au  bonheur  de  servir  leurs  concitoyens,  et  de 
secourir  les  opprimés.  Et  si  vous  avez  tant  de  peine  à  croire  à  la  vertu, 
croyez  du  moins  à  l' amour-propre;  croyez  que,  chez  une  nation  qui 
n'est  pas  tout-à-fait  stupide  et  abrutie,  un  grand  nombre  d'hommes,  un 
trop  grand  nombre  peut-être,  sera  naturellement  jaloux  d'obtenir  le  prix 
le  plus  glorieux  de  la  confiance  publique.  Voulez- vous  me  parler  de 
ces  hommes  qu'une  ambition  vile  et  insensée  dévore,  qui  n'estiment 
rien  que  la  richesse  et  l'orgueil  du  pouvoir;  de  ces  hommes  que  le  génie 
de  l'intrigue  pousse  dans  une  carrière  que  le  seul  génie  de  l'humanité 
devroit  ouvrir  ?  Voulez- vous  me  dire  qu'ils  fuiront  la  législature,  si 
l'appât  de  la  réélection  ne  les  y  attire  ?  Tant  mieux  !  Ils  ne  troubleront 
pas  le  bonheur  public  par  leurs  intrigues;  et  la  vertu  modeste  recevra 
le  prix  qu'ils  lui  auroient  enlevé.  Voulez-vous  faire  des  fonctions  du 
législateur  un  état  lucratif,  un  vil  métier  ?  Non,  dispensez- vous  donc 
du  détail  de  toutes  ces  petites  convenances  personnelles,  de  fous  ces 
méprisables  calculs  qui  contrastent  avec  la  grandeur  d'une  si  sainte 
mission. 

Faut-il  dissiper  encore  une  autre  crainte }  Vous  craignez  que  si 
l'on  ne  conserve  pas  des  membres  de  chaque  législature,  les  autres 
n'ayent    pas    les    lumières    nécessaires    pour    remplir    leurs    fonctions. 

Je  pourrois  observer  que  cet  argument  banal,  comme  ceux  que 
j'ai  déjà  réfutés,  s'appliquoit  à  la  disposition  qui  écarte  les  membres  de 
l'Assemblée  nationale  actuelle  de  la  législature  prochaine,  et  que 
l'Assemblée  l'a  rejeté,  quoi  qu'on  ait  dit,  avec  une  profonde  sagesse. 
Son  moindre  défaut  est  de  présenter  les  fonctions  du  législateur  comme 
on  présentoit  la  finance  lorsqu'elle  étoit  couverte  d'une  voile  mysté- 
rieux. Quoi  !  Lorsqu'étrangers,  pour  la  plupart,  à  ces  occupations,  vous 
avez  suffi  à  des  travaux  si  immenses,  si  compliqués;  quand  vous  avez 
pensé  que  la  législature  qui,  après  vous,  devoit  être  la  plus  surchargée 
d'affaires,  pouvoit  se  passer  de  votre  secours,  et  être  entièrement  com- 
posée de  nouveaux  individus,  vous  croiriez  que  les  législatures  suivantes 
auront  besoin  de  transmettre  à  celles  qui  viendront  après  elles,  des 
guides,  des  Nestors  politiques,  dans  le  temps  où  toutes  les  parties  du 


410  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

gouvernement  seront  plus  simplifiés  et  plus  solidement  affermies.  Non; 
la  législation  tient  bien  plus  à  des  principes  qu'à  la  routine.  Toutes 
les  lois  importantes  sont  toujours  devancées  par  l'opinion  publique,  pro- 
voquées par  un  besoin  présent,  ou  par  la  nécessité  de  réformer  des  abus 
dont  on  a  long-temps  gémi.  On  a  voulu  fixer  votre  attention  sur  de 
certains  détails  de  finance,  d'administration,  comme  si  les  législatures, 
par  le  cours  naturel  des  choses,  ne  dévoient  pas  voir  dans  leur  sein  des 
hommes  instruits  dans  l'administration,  dans  la  finance,  et  présenter  une 
diversité  infinie  de  connoissances,  de  talens  en  tout  genre.  Je  conclurai 
plutôt  de  tout  ce  qu'on  a  dit  à  cet  égard,  qu'il  n'est  pas  bon  qu'il  reste 
des  membres  de  l'ancienne,  car  s'ils  étoient  présumés  d'avance  néces- 
saires à  certaines  parties  qui  tiennent  à  l'administration,  ils  se  perpétue- 
roient  dans  les  mêmes  emplois  :  les  autres  membres  se  dispenseraient  de 
s  en  instruire;  et  l'esprit  particulier,  l'intérêt  individuel  seroient  substitués 
aux  lumières,  au  vœu  général  de  l'Assemblée  représentative  ?  Ce  qui 
m'étonne  sur-tout,  c'est  que  ceux  qui  veulent  nous  inspirer  ces  terreurs, 
aient  oublié  de  faire  une  observation  bien  simple,  qui  les  en  eût  eux- 
mêmes  préservés.  Comment  croire  en  effet  à  cette  effroyable  pénurie 
d'hommes  éclairés,  puisqu'après  chaque  législature  on  pourra  choisir 
les  membres  de  celles  qui  l'auront  précédée,  les  partisans  les  plus 
zélés  de  la  réélection  peuvent  se  rassurer;  s'ils  se  croyoient  absolument 
nécessaires  au  salut  public,  dans  deux  ans  ils  pourront  être  les  orne- 
mens  et  les  oracles  de  la  législature  qui  suivra  immédiatement  la  pro- 
chaine. 

Comment  concevoir  après  cela  ces  cris  éternels  q\!e  nous  enten- 
dons retentir  depuis  plusieurs  jours;  c'en  est  fait  de  la  constitution;  la 
liberté  est  perdue  ?  Il  est  vrai  que  ces  déclamations  portoient  principale- 
ment sur  le  décret  qui  concerne  l'Assemblée  actuelle;  i!  est  vrai  que 
tous  ces  discours  étoient  faits  et  préparés  avant  ce  décret,  et  qu'ils 
étoient  destinés  à  prouver  aussi  que  nous  devions  être  réélus;  et  je  ne 
sais  si  l'on  trouve  un  secret  plaisir  à  le  censurer  en  discutant  une  ques- 
tion liée  aux  principes  qui  l'ont  dicté  :  mais  ce  que  je  sais  bien,  c'est 
qu'il  est  permis  de  s'étonner  de  ce  que  ces  personnes  n'ont  commencé 
à  nous  effrayer  sur  les  dangers  de  la  patrie  que  le  jour  où  l'Assemblée 
nationale  a  donné  ce  grand  exemple  de  sagesse  et  de  magnanimité. 
Pour  moi,  indépendamment  de  toutes  les  raisons  que  j'ai  déduites  et 
que  je  pourrois  ajouter,  un  fait  particulier  me  rassure  :  c'est  que  les 
mêmes  personnes  qui  nous  ont  dit  :  tout  est  perdu,  si  on  ne  réélit  pas, 
disoient  aussi,  le  jour  du  décret  qui  nous  interdit  l'entrée  du  ministère  : 
tout  est  perdu;  la  liberté  du  peuple  est  violée;  la  constitution  est  dé- 
truite. Je  me  rassure,  dis-je,  parce  que  je  crois  que  la  France  peut 
subsister,  quoique  quelques-uns  d'entre  nous  ne  soient  ni  législateurs, 
ni  ministres;  je  ne  crois  pas  que  l'ordre  social  soit  désorganisé,  comme 
on  l'a  dit,  précisément  parce  que  l'incorruptibilité  des  représentai  du 
peuple  sera  "garantie  par  des  lois  sages.  Ce  n'est  pas  que  je  ne  puisse 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  4M 

concevoir  aussi  de  certaines  alarmes  d'un  autre  genre;  j'oserois  même 
dire  que  tel  discours  véhément,  dont  l'impressiosn  fut  ordonnée  hier 
(7)  est  lui-même  un  danger,  ou  du  moins  en  présage  quelqu'un.  A  Dieu 
ne  plaise  que  ce  qui  n'est  point  relatif  à  l'intérêt  public  soit  ici  l'objet 
d'une  de  mes  pensées  !  Aussi  suis-je  bien  loin  de  juger  sévèremment 
cette  longue  mercuriale  prononcée  contre  l'Assemblée  nationale  le  len- 
demain du  jour  où  elle  a  rendu  un  décret  qui  l'honore,  et  tous  ces 
anathèmes  lancés  du  haut  de  la  tribune  contre  toute  doctrine  qui  n'est 
pas  celle  du  professeur,  mais  si  en  même  tems  qu'on  prévoit,  qu'on 
annonce  des  troubles  prochains;  en  même  tems  que  l'on  en  voit  les  causes 
dans  cette  lutte  continuelle  des  factions  diverses  et  dans  d'autres  cir- 
constances que  l'on  connoît  très  bien,  on  s'étudioit  à  les  attribuer 
d'avance  à  l'Assemblée  nationale,  au  décret  qu'elle  vient  de  rendre, 
on  cherchoit  d'avance  à  se  mettre  à  part,  ne  me  seroit-il  pas  permis 
de  m'affliger  d'une  telle  conduite,  et  d'être  trop  convaincu  de  ce  que 
l'on  auroit  voulu  prouver  :  que  la  liberté  seroit  en  effet  menacée. 
Mais  je  ne  veux  pas  moi-même  suivre  l'exemple  que  je  désapprouve, 
en  fixant  l'attention  de  l'Assemblée  sur  un  épisode  plus  long  que 
l'objet  de  la  discussion;  et  j'en  ai  dit  assez  pour  prouver  que  si  les 
dangers  de  la  patrie  étoient  mis  une  fois  à  l'ordre  du  jour,  j'aurois 
aussi  beaucoup  de  choses  à  dire.  Au  reste,  le  remède  contre  ces  dan- 
gers, de  quelque  part  qu'ils  viennent,  c'est  votre  prévoyance,  votre 
sagesse,  votre  fermeté.  Dans  tous  les  cas  nous  saurons  consommer,  s'il 
le  faut,  le  sacrifice  que  nous  avons  plus  d'une  fois  offert  à  la  patrie. 
Nous  passerons  ;  les  cabales  des  ennemis  de  la  patrie  passeront  :  les 
bonnes  lois,  le  peuple,  la  liberté,  resteront.  Maintenant  il  s'agit  de 
porter  une  loi  qui  doit  influer  sur  le  bonheur  des  tems  qui  nous  suivront; 
j'ai  prouvé  qu'elle  étoit  nécessaire  à  la  liberté  :  j'aurois  pu  me  conten- 
ter d'observer  que  les  mêmes  principes  qui  ont  nécessité  votre  décret 
relatif  à  l'assemblée  actuelle,  s'appliquent  à  toutes  les  Assemblées 
législatives.  Ce  n'est  qu'une  raison  de  convenance  très  impérieuse,  très 
morale  qui  m'a  déterminé  à  provoquer  préliminairement  le  premier 
décret.  Du  moins,  je  ne  l'eusse  jamais  proposé,  si  j'avois  pensé  qu'il 
fût  contraire  aux  principes  généraux  de  l'intérêt  public  :  il  importe  que 
ceux  qui  s'opposoient  à  ce  même  décret,  ne  vous  mettent  pas  en  contra- 
diction avec  vous-mêmes,  et  ne  prennent  pas  le  droit  de  présenter 
comme  un  acte  de  désintéressement  ou  de  générosité,  ce  qui  est  un 
acte  de  raison,  de  sagesse  et  de  zèle  pour  le  bien  public.  Au  reste, 
je  dois  ajouter  une  dernière  observation;  c'est  que  ce  même  décret  et 
les  principes  que  j'ai  développés,  militent  contre  toute  réélection  immé- 
diate d'une  législature  à  l'autre.  Ce  qui  me  porte  à  faire  cette  observa- 
tion, c'est  que  je  sais  que  l'on  proposera  de  réélire  au  moins  pour 
une  législature,  parce  que,  pour  peu  que  les  opinions  soient  partagées, 


(7)  Le   discours  de   Duport. 


412  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

on  se  laisse  facilement  entraîner  à  ces  termes  moyens,  qui  participent 
presque  toujours  des  inconvéniens  des  deux  termes  opposés. 

Je  demande  que  les  membres  des  Assemblées  législatives  ne  puis- 
sent  être   réélus   qu'après    l'intervalle    d'une    législature    (8). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXVI,  p.  133 
Le  Logographe,  Journal  national,   18  mai   1791,  p.    110-111. 

«  M.  Robespierre.  Vous  appréciez  de  plus  en  plus,  ce  me  semble, 
l'importance  de  la  question  qui  vous  occupe.  Je  ne  combattrai  pas  la 
manière  dont  le  svstême  de  la  réélection  a  été  défendu.  Je  ne  veux 
examiner  ici  que  les  principes  de  l'intérêt  général  qui  doit  être  la  règle 
de  votre  décision.  Mais  pour  mettre  cette  question  dans  tout  son  jour, 
permettez-moi  de  vous  rappeller  les  véritables  termes  de  la  disposition 
sur  laquelle  vous  délibérez. 

«  Elle  porte  que  les  membres  d'une  législature  précédente  pour- 
ront être  réélus  à  une  législature  prochaine. 

«  Il  résulteroit  de  cet  article,  que  les  membres  d'une  législature 
pourraient  être  réélus  à  perpétuité.  Avant  votre  décret  d'hier,  cette 
facuké  eu»:  appartenu  aux  membres  de  cette  assemblée,  comme  une 
conséquence  visible  de  ces  dispositions  générales.  Je  ne  fais  cette 
observation  que  pour  indiquer  l'étendue  de  l'esprit  de  l'article;  car 
je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  deux  opinions  dans  l'assemblée,  sur  la 
nécessité  d'empêcher  une  réélection  perpétuelle.  J'examinerai  seule- 
ment si  la  réégibilité,  en  elle-même,  est  plus  utile  à  la  liberté  et  au 
bien  public,  que  l'opinion  contraire. 

«  Je  crois  que  l'une  et  l'autre  exigent  que  les  membres  des  légis- 
latures ne  puissent  être  réélus,  qu'après  2  ans  d'intervalle;  c'est  ce 
que  je  vais  prouver  par  des  observations  simples,  et  c'est  par  les 
moyens  mêmes  que  les  partisans  du  système  contraire  ont  employé 
pour  l'établir. 

«  Quel  est  le  principe,  quel  est  le  but  des  loix  sur  cette  réélection  ? 
l'intérêt  du  peuple.  Quand  une  nation  n'exerce  pas  et  ne  peut  pas 
exercer  son  autorité  par  elle-même,  mais  par  des  représentans,  si  le 
corps  représentatif  n'est  pas  absolument  pur  et  identifié  avec  le  peuple, 
la  liberté  est  perdue.  Le  grand  principe  du  gouvernement  représentatif, 
l'objet  essentiel  des  loix  dans  un  tel  gouvernement,  est  donc  d'assurer 
la  pureté  des  élections  et  l'incorruptibilité  des  représentans.  Si  la 
rééligibilité  va  à  ce  but,  elle  est  bonne;  si  elle  s'en  écarte,  elle  est 
mauvaise.  Je  ne  sais  si  c'est  sérieusement  que  les  partisans  de  la  réélec- 
tion ont  prétendu  que  le  système  contraire  blessoit  la  liberté  du  peuple. 
Toute  entrave  inutile,   mise  à  la  liberté  du  choix,   est   injuste;   à  plus 


(8)  Texte  reproduit  par  Laponneraye,  I,  109-123  (avec  des  mou- 
vements de  séances  tirés  du  Moniteur)  et  par  Oh.  Vellay,  op.  cit., 
).    63-65. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  413 

forte  raison,  si  elle  est  nuisible  et  dangereuse.  Mais  toute  règle  qui 
tend  à  défendre  le  peuple  contre  la  brigue,  contre  la  surprise,  contre  les 
malheurs  des  mauvais  choix,  contre  la  corruption  de  ses  représentans, 
est  juste  et  nécessaire.  Voilà,  ce  me  semble,  les  vrais  principes  de 
cette  question. 

«  On  a  cru  me  mettre  en  contradiction  avec  moi-même,  en  obser- 
vant que  j'avois  manifesté  une  opinion  contraire  au  marc  d'argent.  Ne 
pourrois-je  pas  faire  un  reproche  plus  fondé  à  mes  adversaires,  et  leur 
demander  pourquoi,  ne  s'étant  pas  opposés  à  une  condition  si  rigou- 
reuse, ils  pensent  aujourd'hui  que  l'on  blesseroit  la  majesté  du  peuple, 
en  s'opposant  à  la  réélection  (applaudi).  Laissons  donc  cette  extrême 
délicatesse  de  principes,  et  examinons,  sans  partialité,  le  véritable 
point  de  la  question,  qui  consiste  à  savoir  si  la  rééligibilité  tend  à 
assurer  au  peuple  de  bons  représentans.  C'est  d'après  les  vices  des 
hommes,  qu'il  en  faut  calculer  les  effets;  car  ce  n'est  que  contre  les 
vices,  que  les  loix  sont  faites.  Or,  l'expérience  a  toujours  prouvé 
qu'autant  les  peuples  sont  indolens  et  faciles  à  tromper,  autant  ceux 
qui  les  gouvernent  sont  habiles  et  actifs  à  étendre  leur  pouvoir.  C'est 
cette  double  cause  qui  a  fait  que  les  magistratures  électives  sont  deve- 
nues perpétuelles,  et  ensuite  héréditaires;  c'est  l'histoire  de  tous  les 
siècles,  qui  a  prouvé  qu'une  loi  prohibitive  de  la  réélection  étoit  le 
plus  sûr  moyen  de  conserver  la  liberté.  Parlez-vous  d'un  corps  de 
représentans  destinés  à  faire  des  loix,  à  être  les  interprètes  de  la  volonté 
générale  ?  C'est  la  nature  même  de  leurs  fonctions  qui  les  rappelle  impé- 
rieusement dans  la  classe  des  autres  citoyens;  ne  faut-il  pas,  en  effet, 
qu'ils  se  trouvent  dans  la  situation  qui  confond  le  plus  leurs  intérêts  et 
leurs  vœux  personnels  avec  celui  du  peuple.  Or,  pour  cela,  i!  faut 
que,  le  plus  souvent  possible,  ils  redeviennent  peuple  eux-mêmes  :  met- 
tez-vous un  instant  à  la  place  des  simples  citoyens,  et  dites  de  qui  vous 
aimeriez  mieux  recevoir  des  loix,  ou  de  ceux  qui,  en  les  dictant, 
seroient  certains  de  redevenir,  comme  vous,  de  simples  citoyens,  ou  de 
ceux  qui  viendraient  avec  leurs  pouvoirs  par  l'espérance  de  les  perpé- 
tuer  (applaudissemens). 

«  Vous  dites  que  le  corps  législatif  sera  trop  foible  pour  résister 
à  la  force  du  pouvoir  exécutif,  si  tous  ses  membres  sont  renouvelés 
tous  les  deux  ans.  Mais  à  quoi  attribuerez- vous  donc  la  véritable  force 
du  pouvoir  législatif;  est-ce  à  la  puissance,  au  crédit,  à  l'importance 
de  tels  ou  tels  individus  ?  Non,  c'est  au  pouvoir  constitutionnel  qu'il 
appartient,  c'est  à  la  puissance,  à  la  volonté  de  la  nation  qu'il  repré- 
sente Le  pouvoir  du  corps  législatif  est  immense  par  sa  nature  même  : 
il  est  assuré  de  sa  permanence  par  la  faculté  de  s'assembler  sans  convo- 
cation, par  la  loi  qui  refusera  au  roi  le  droit  de  le  dissoudre.  Prenez- 
garde,  dit-on,  à  la  corruption,  à  l'influence  du  pouvoir  exécutif. 

«  C'est  dans  le  système  contraire  à  celui  que  je  soutiens  que  ce 
danger  sera  réel.   Obligé  de  recommencer  tous  les  deux  ans  ses  tenta- 


414  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

tives  sur  une  assemblée  nouvelle  et  pure,  le  pouvoir  exécutif  auroit  à  la 
fois  et  plus  de  dépenses  à  prodiguer,  et  plus  d'obstacles  à  surmonter. 
On  peut  ajouter  qu'il  auroit  bien  moins  d'intérêt  à  corrompre  des 
hommes  dont  la  retraite  romproit  la  trame,  et  qu'il  faudroit  la  renouer 
périodiquement  sans  être  jamais  sûr  de  recueillir  dans  une  assemblée 
nouvelle  ce  qu'il  auroit  semé  dans  la  précédente.  Au  contraire,  voyez- 
le  aux  prises,  pour  ainsi  dire  avec  des  représentans  rééligibles;  il  s'atta- 
chera d'abord  à  ceux  qui,  par  leur  éloquence  ou  par  leur  adresse,  exer- 
ceront plus  d'influence  sur  l'assemblée  législative.  Ils  feront  servir  au 
succès  de  ses  prétentions  avec  beaucoup  d'adresse,  d'abord  la  répu- 
tation de  popularité  qu'ils  auront  soin  d'acquérir,  et  qu'il  est  souvent 
facile  d'usurper  :  et  quand  il  les  aura  aidés  à  son  tour  de  tout  son  pou- 
voir pour  les  faire  réélire  à  la  législature  suivante,  ils  tâcheront  alors  de 
lui  rendre  les  services  les  plus  signalés.  Mais  vous  ne  concevez  oas, 
dites-vous,  comment  le  pouvoir  exécutif  pourroit  concevoir  l'idée  de 
séduire  des  membres  du  corps  législatif,  depuis  qu  il  ne  peut  plus  les 
appeller  au  ministère.  Je  rougirois  de  rappeller  qu'il  existe  d'autres 
moyens  de  corruption;  mais  je  pourrois  du  moins  demander  si  ces 
places  qu'on  ne  peut  obtenir  pour  soi,  on  ne  pourroit  les  obtenir  pour 
ses  amis,  pour  ses  proches,  pour  son  père,  pour  son  fils;  si  ce  crédit  du 
ministère  est  entièrement  inutile  ;  s'il  est  possible  que  des  membres  du 
Corps  législatif  régnent  en  effet  sous  son  nom,  et  qu'il  se  fasse  entr-eux 
une  espèce  d'échange  de  crédit  et  d'influence,  je  pourrois  dire  même 
que  ce  seroit  déjà  un  très-grand  avantage  de  pouvoir  être  porté  à  la 
législature  par  le  parti  et  par  l'influence  que  le  pouvoir  exécutif  peut 
exercer  dans  les  assemblées  électorales.  Il  est  vrai  que  vous  supposez 
toujours  que  ceux  qui  seront  réélus  seront  les  plus  zélés  et  les  plus 
sincères  défenseurs  de  la  nation.  Vous  oubliez  donc  que  vous  avez  dit 
vous-mêmes  qu'on  voit  un  mot  dit  à  propos,  lever  souvent  tous  les 
doutes  sur  le  patriotisme  d'un  homme.  Vous  croyez  à  l'impuissance  de 
l'intrigue,  et  du  charlatanisme:  vous  croyez  au  désintéressement  par- 
fait, à  l'impartialité  absolue  de  ceux  qui  choisiront  pour  le  peuple  :  vous 
ignorez  qu'il  existe  un  art  de  suivre  toujours  le  cours  de  l'opinion  popu- 
laire, en  même  temps  qu'on  fait  ce  qu'on  peut  pour  ne  pas  déplaire 
au  peuple;  de  saisir  la  faveur  publique  par  des  actions  éclatantes  qui  la 
flattent  après  avoir  trahi  la  nation  par  un  lâche  silence,  dont  elle  ne 
s'est  point  apperçue  ;  et  que  dans  cette  arène,  l'intrigant  souple  et  ambi- 
tieux lutte  toujours  avec  avantage  contre  le  citoyen  modeste  et  incor- 
ruptible. Mais  c'est  ici  que  le  parallèle  du  représentant  rééligible,  et 
de  celui  qui  ne  l'est  pas,  détruit  entièrement  votre  système.  Séduit  par 
le  désir  de  suivre  la  réélection,  partageant  sa  sollicitude  entre  ce  soin 
et  celui  de  la  chose  publique,  à  mesure  sur-tout  qu'il  approche  de  la 
fin  de  sa  carrière,  il  s'accaparera  avec  plus  d'ardeur  des  moyens  de  la 
recommencer;  il  songera  plus  à  son  canton  qu'à  sa  patrie,  à  lui-même 
qu'à  ses  commettans.  Parmi  ceux-ci,  il  caressera,  il  défendra  avec  zèle 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  415 

ceux  qui  le  pourront  seconder  dans  son  projet  favori.  II  se  gardera  bien 
de  protéger  un  citoyen  obscur  et  malheureux  contre  un  homme  puissant 
et  accrédité  dans  sa  contrée.  Représentez- vous  une  assemblée  dans  cette 
situation,  les  représentans  du  peuple  détournés  du  grand  objet  de  leur 
mission,  changés  en  autant  de  rivaux,  divisés  par  la  jalousie,  par  l'in- 
trigue, occupés  presqu'uniquement  à  se  supplanter,  à  se  décrier  les  uns 
les  autres  dans  l'opinion  de  leurs  concitoyens.  Reconnoissez-vous  là  des 
législateurs,  les  dépositaires  du  bonheur  du  peuple  ? 

«  Supposez  au  contraire  que  les  législateurs  soient  mis  à  l'abri 
de  ces  tentations  par  la  loi  qui  met  obstacle  à  la  rééligibilité;  ils  ne 
doivent  avoir  naturellement  d'autre  pensée  que  celle  du  bien  public.  Le 
pouvoir  exécutif  a  moins  d'intérêt  de  les  séduire,  parce  qu'ils  ne 
peuvent  pas  lui  vendre  un  système  de  perfidie,  gradué  et  prolongé  dans 
une  autre  législature  :  leur  prévarication  seroit  d'autant  plus  révoltante 
qu'elle  seroit  plus  brusque.  Je  m'étonne  donc  de  l'extrême  prévention 
que  l'un  des  préopinants,  M.  Duport,  a  marqué  pour  une  législature 
dont  tous  les  membres  seroient  renouvelles  en  entier.  Il  a  prétendu 
qu'ils  employeront  leur  tems  à  deux  choses;  la  première  à  médire  des 
ministres,  la  seconde  à  préférer  à  tout  les  affaires  de  leurs  départemens 
J'ai  déjà  prouvé  que  c'est  dans  le  système  contraire  que  cet  inconvé- 
nient arrivera.  Pour  ce  qui  regarde  les  ministres,  s'ils  médisoient  des 
ministres,  ce  seroit  au  moins  une  preuve  qu'ils  ne  leur  seroient  pas 
asservis,  et  ce  seroit  déjà  beaucoup.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  puis  d'autant 
moins  partager  avec  le  préopinant  cette  idée,  que  je  ne  pense  pas 
que,  quoique  nous  soyons  nous-mêmes  dans  cet  état  par  le  décret  d'avant- 
hier,  nous  employons  davantage  notre  tems,  soit  à  nous  occuper  exclusi- 
vement et  principalement  des  intérêts  de  nos  départemens,  soit  à  médire 
des  ministres  sans  nécessité;  et  je  ne  me  suis  point  apperçu  que  ce 
décret  ait  rien  diminué  de  l'estime  de  la  nation  pour  ceux  qui  l'ont 
porté. 

«  On  a  fait  une  autre  objection  qui  ne  me  paroit  pas  plus  raison- 
nable; lorsqu'on  a  dit  que  sans  l'espoir  de  rééligibilité,  on  ne  trou- 
verait pas  dans  les  25.000.000  d'hommes  qui  composent  la  France, 
des  hommes  dignes  de  la  législature.  Quel  est  donc  le  motif  qui  peut 
appeller  un  citoyen  ami  de  la  patrie,  à  désirer  ou  à  accepter  cet  hon- 
neur, le  plus  grand  de  ceux  que  la  nation  peut  accorder  ?  Sont-ce  les 
richesses  ?  Est-ce  le  désir  de  dominer  et  l'amour  du  pouvoir  ?  Non.  Je 
n'en  connois  que  deux;  le  premier,  c'est  de  servir  sa  patrie,  le  second, 
qui  est  pr.ut-être  véritablement  uni  à  celui-là,  c'est  l'amour  de  la  véri- 
table gloire,  qui  consiste  non  dans  i'éclat  ni  la  perpétuité  des  dignités, 
ni  dans  le  faste  d'une  grande  fortune,  mais  dans  le  bonheur  de  mériter 
l'estime  et  la  reconnoissance  de  ses  concitoyens  par  des  talens  ou  par 
des  vertus.  Or  je  dis  que  deux  années  de  travaux  sur  le  plus  grand 
théâtre  où  les  talens  et  les  vertus  puissent  se  développer  suffisent  pour 
satisfaire   ce   genre  d'ambition,   quand  on   les   sait   mettre   à  profit:   on 


416  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

peut  retourner  avec  plaisir  au  sein  de  sa  famille,  et  souffrir  avec  parience 
cet  intervalle  de  deux  années,  qui  peut  paroître  un  siècle  de  souf- 
frances à  un  ambitieux,  mais  qui  est  nécessaire  à  l'homme  le  plus 
éclairé,  pour  méditer  sur  les  principes  de  la  législation  avec  plus  de 
profondeur  qu'on  ne  peut  le  faire  dans  le  tourbillon  des  affaires. 

«  Mais,  dira-t-on,  vous  étoufferez  le  civisme  :  croyez  que  dès  à 
présent  il  existe  dans  chaque  contrée  de  l'empire  <Ies  père?  de  famille, 
qui  viendront  volontiers  remplir  le  ministère  de  législateur,  pour  assurer 
à  leurs  enfans  des  moeurs,  une  patrie.  Et  si  vous  avez  tant  de  peine  à 
croire  à  la  vertu,  croyez  du  moins  à  l' amour-propre  ;  croyez  que,  chez 
une  nation  qui  n'est  pas  tout  à  fait  stupide  et  abrutie,  un  grand  nombre 
d'hommes,  un  trop  grand  nombre  d'hommes  peut-être,  sera  naturelle- 
ment glorieux  d'obtenir  la  marque  la  plus  sûre  de  la  confiance  publique. 

«  Voulez- vous  me  parler  de  ces  hommes  qu'une  ambition  insensée 
dévore,  qui  n'estiment  rien  que  la  richesse  ou  l'orgueil  du  pouvoir; 
de  ces  hommes  que  le  génie  de  l'intrigue  poussent  dans  une  carrière 
que  celui  de  l'humanité  devoit  seul  ouvrir,  qu'une  loi  qui  les  priveroi* 
du  ministère  ou  de  la  législature  plongeroit  dans  la  consternation,  ou 
à  qui  elle  inspireroit  une  funeste  activité  ?  Voulez-vous  me  dire  qu'ils 
ne  voudroient  pas  de  la  législature,  si  l'espoir  de  la  réélection  ne  les 
y  attiroit  ?  Tant  mieux,  ils  ne  troubleront  pas  le  bonheur  du  peuple  par 
leurs  intrigues,  et  la  vertu  modeste  recevra  le  prix  qui  lui  auroit  été 
enlevé.  (Applaudissemens  à  droite).  Voulez-vous  faire  de  l'état  du 
législateur  un  état  lucratif,  un  vil  métier  ?  Non.  Dispensez-vous  donc 
du  détail  de  toutes  les  petites  convenances  partielles,  de  tous  ces 
méprisables  calculs  qui  contrastent  d'une  manière  ridicule  avec  la  gran- 
deur de  sa  mission.  Faut-il  dissiper  encore  une  objection  ?  Vous  crai- 
gnez, si  l'or  ne  conserve  pas  des  membres  d'une  législature,  que  les 
autres  n'aient  pas  les  lumières  nécessaires.  Quoi  !  vous  avez  pensé  que  la 
législature  prochaine  qui  après  vous  doit  être  la  plus  surchargée  d  af- 
faires, pouvoit  se  passer  de  votre  secours  et  être  entièrement  composée 
de  nouveaux  individus;  et  vous  croyez  que  les  législatures  suivantes 
aurcient  besoin  de  transmettre  à  celles  qui  viendront  après  elles,  des 
guides,  des  Nestors  politiques,  quand  toutes  les  parties  du  gouverne- 
ment seront  plus  simplifiées  et  plus  affermies  ?  Ce  qui  m'étonne  sur-tout, 
c'est  que  ceux  qui  veulent  nous  faire  croire  que  le  décret  est  une  erreur, 
aient  oublié  de  faire  une  observation  bien  simple;  c'est  que  les 
citoyens  dont  ils  parlent  peuvent  devenir  les  ornemens  de  la  législa- 
ture, (Applaudi).  Comment  concevoir  après  cela  ces  cris  éternels  que 
nous  entendons  retentir  depuis  quelques  jours  sur  l'effet  de  la  consti- 
tution et  de  la  liberté  du  peuple.  Il  est  vrai  que  ces  réclamations 
portoient  sur  le  décret  qui  concerne  l'assemblée  actuelle.  Il  est  vrai 
que  tous  ces  discours  étoient  préparés  avant  ce  décret  et  qu'ils  dévoient 
prouver  aussi  que  nous  devions  être  réélus:  et  je  ne  sais  si  l'on  trouve 
un  secret  plaisir  à  combattre  aujourd'hui  les  principes  qui  ont  déterminé 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  417 

ce  décret.  Mais  ce  que  je  sais  bien  c'est  qu'il  est  permis  de  s'étonner 
qu'on  commence  à  nous  effrayer  sur  les  dangers  de  la  patrie,  le  jour 
où  l'assemblée  nationale  a  donné  un  grand  exemple  de  sagesse  et  de 
magnanimité.  Au  reste,  ce  qui  me  rassure,  c'est  que  j'ai  entendu  les 
personnes  qui  prétendent  que  par  ce  décret  nous  avons  renversé  la  cons- 
titution, dire  aussi,  lorsque  vous  portâtes  celui  qui  concerne  le  ministère 
relativement  aux  membres  de  la  législature  actuelle,  que  la  liberté  du 
peuple  étoit  violée,  la  constitution  détruite.  Je  me  rassure  parce  que 
la  France  peut  subsister,  quoique  quelques-uns  d'entre  nous  ne  soient 
pas  législateurs  ou  ministres  (on  rit  et  on  applaudit  à  droite). 

«  Je  ne  crois  pas,  comme  on  l'a  dit,  que  l'ordre  social  soit  désor- 
ganisé parce  que  la  rééligibilité  n'aura  pas  lieu.  Il  sera  garanti  par  des 
loix  sages.  Ce  n'est  pas  que  je  ne  puisse  concevoir  aussi  de  certaines 
allarmes  parce  que  tel  discours  véhément  que  j'ai  entendu  annbnçoit 
des  dangers.  Au  reste,  je  ne  veux  pas  juger,  avec  trop  de  sévérité, 
cette  longue  censure  prononcée,  il  n'y  a  pas  longtemps,  contre  l'assem- 
blée nationale  entière,  et  contre  chaque  fraction  de  l'assemblée  natio- 
nale, sans  en  excepter  aucune;  je  ne  parle  pas  de  ces  anathêmes, 
lancés  du  haut  de  la  tribune,  contre  une  doctrine  qui  n'étoit  point  celle 
du  professeur.  Si  les  dangers  de  la  patrie  étoient  mis  à  l'ordre  du  jour, 
j'aurois  aussi  beaucoup  à  dire.  Au  reste,  le  remède  de  ces  dangers, 
de  quelque  parti  qu'ils  viennent,  c'est  votre  prévoyance,  votre  sagesse 
et  votre  fermeté  dans  tous  les  cas,  à  qui  nous  le  devons.  Je  finis  par 
une  réflexion,  c'est  que  ce  même  décret,  et  les  principes  que  j'ai  déve- 
loppés, militent  contre  toute  réélection  immédiate  d'une  législature  à 
l'autre.  Ce  qui  me  porte  à  vous  dire  cette  observation,  c'est  que  je  sais 
que  l'on  vous  proposera  de  réélire,  au  moins  pour  une  législature,  parce 
que,  pour  peu  que  les  opinions  soient  partagées,  on  se  laisse  facilement 
entraîner  par  des  opinions  qui  participent  toujours  de  deux  termes 
opposés.  J'appuie  donc  la  proposition  conforme  aux  vrais  principes  et 
à  l'intérêt  public,  qui  a  été  faite  par  un  des  deux  préopinans,  et  qui 
consiste  à  décréter  que  les  membres  d'une  législature  ne  pourront  être 
réélus  qu'après  un  intervalle  de  deux  ans.  (On  demande  l'impression; 
d'autres  l'ordre  du  jour.   L'assemblée  passe  à  l'ordre  du  jour)  »  (9). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    140,  p.   581. 

«  M.  Roberspierre .  Toute  règle  qui  tend  à  défendre  le  peuple 
contre  la  brigue,  contre  les  malheurs  des  mauvais  choix,  contre  la 
corruption  de  ses  représentans,  est  juste  et  nécessaire.  Voilà,  ce  me 
semble,  les  vrais  principes  de  la  grande  question  qui  vous  occupe. 

[Suit  le  texte  du  discours  imprimé,  depuis  :  «  Vous  avez  cru  me 
mettre  en  contradiction  avec  moi-même...  »  jusqu'à  la  fin;  avec  quel- 
ques variantes  de  détail.] 

(9)  Le  texte  reproduit  par  les  Arch.  pari.,  XXVI,  203,  combine 
ceux  du  discours  imprimé  et  de  (Le  Hodey. 


418  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

((  Les  applaudissemens  qui  avaient  fréquemment  interrompu  ce 
discours  recommencent  On  demande  l'impression.  On  réclame  l'ordre 
du  jour.  L'Assemblée  passe  à  l'ordre  du  jour  »  (10). 

Journal  de  la  Noblesse,  t.   II,  n°  22,  p.  67-69. 

«  On  a  repris  la  discussion  sur  la  rééligibilité.  M.  de  Liancourt 
a  parlé  après  M.  Robespierre,  qui  lui  a  répliqué,  a  détruit  toutes  ses 
objections",  et  s'est  justifié  de  plusieurs  contradictions  qu'on  lui  avoit 
reprochées  dans  les  débats;  il  a  eu  des  instans  fort  vifs,  et  quoiqu'il 
n'ait  fait  aucune  application  directe,  il  paroît  que  son  discours  n'étoit 
pas  sans  motifs,  et  que  la  conduite  de  plus  d'un  député  en  étoit  le 
canevas.  C'est  ici  que  je  sens  vivement  le  poids  du  malheur  qui  accable 
la  moitié  la  plus  vertueuse  de  toute  la  France  :  le  ministère,  au  lieu 
de  ressaisir  l'autorité  légitime  dont  le  trône  est  dépouillé,  en  suivant 
une  marche  grave  et  imposante,  aura  recours  aux  moyens  de  corruption, 
et  l'homme  de  bien  périra  victime  de  ses  espérances;  nous  laisserons 
à  nos  successeurs  un  jeu  aussi  terrible  qu'il  étoit  inconnu  jusqu'à  nous, 
celui  de  l'insurrection  et  des  révolutions. 

[Suit  un  fragment  du  discours  imprimé,  depuis:  «  Mais  vous  ne 
comprenez  pas...  »  jusqu'à  «  ...contre  le  citoyen  modeste  et  incor- 
ruptible.  »] 

«  Tous  ces  vices  que  décrit  l'orateur  devroient  noas  écarter  pour 
toujours  de  la  folle  idée  d'établir  un  gouvernement  populaire  :  ce  qui 
seroit  un  défaut  pour  les  autres  peuples  est  un  vice  pour  nous;  peut-on 
parler  de  régénération  et  de  vertu,  lorsque,  dans  un  tems  d'effervescence 
où  tous  les  esprits  semblent  être  portés  pour  le  succès  d'une  révolution, 
on  voit  toutes  les  sangsues  se  gorger  du  sang  du  peuple  ?  Tous  ces 
vertueux  marchands  qui  se  sont  armés  pour  la  cause  commune,  vendent 
leur  argent  aux  consommateurs,  qui  perdent  le  produit  des  entrées  dont 
l'Etat  est  lui-même  dépouillé;  telle  est  la  vertu  du  siècle  régénérateur 
et  régénéré.  Je  reprends  le  discours  de  M.  Robespierre,  qui  doit  être 
l'oracle  des  révolutionnaires.  «  Voyez,  dit-il,  les  représentans  du  peuple 
détournés  du  grand  objet  de  leur  mission,  changés  en  autant  de  rivaux, 
divisés  par  la  jalousie,  par  l'intrigue,  occupés  presqu'unanimement 
à  se  supplanter,  à  se  décrier  les  uns  les  autres  dans  l'opinion  de  leurs 
concitoyens.  Ces  brigues  honteuses  dépraveront  les  moeurs  publiques, 
en  même  tems  qu'elle  dégraderont  la  majesté  des  loix... 

[Suit  un  fragment  du  discours  imprimé,  depuis  :  «  On  a  voulu 
fixer  notre  attention...   »  jusqu'à  «   ...le  peuple,  la  liberté  resteront.  »] 

«  La  fin  de  ce  discours  nous  présage  quelque  supplément  sur  la 
turpitude  des  députés. 


(10)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  438. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  419 

«  Je  dois  ajouter,  a-t-il  dit  en  finissant,  une  dernière  observation, 
c'est  que  le  décret  que  vous  avez  rendu  lundi,  et  les  principes  que  j'ai 
développés,  militent  contre  la  réélection  immédiate  d'une  législature  à 
l'autre.  Ce  qui  me  porte  à  faire  cette  observation,  c'est  que  je  sais  que 
l'on  proposera  de  réélire  au  moins  pour  une  législature,  parce  que,  pourvu 
que  les  opinions  soient  partagées,  on  se  laisse  facilement  entraîner  à  ces 
termes  moyens  qui  participent  presque  toujours  des  inconvéniens  des 
deux  termes  opposés.    » 

L'orateur  a  conclu  à  ce  que  les  membres  d'une  législature  ne  puis- 
sent être  réélus  qu'après  l'intervalle  d'une  législature. 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  n°  367,  p.  2. 

«  La  grande  question  de  la  réégibilité  a  été  enfin  décidée  dans 
cette  séance.  Il  faut  rendre  cette  justice  à  M.  Robespierre;  il  semble 
avoir  expié  tous  ses  écarts  démagogiques,  par  la  manière  ferme  et  noble 
dont  il  s'est  montré  dans  cette  discussion;  aucun  intérêt  secret,  aucun 
esprit  de  parti,  aucune  considération  étrangère  n'a  pu  ébranler  sa  réso- 
lution, ni  affoiblir  son  zèle  pour  une  cause  qui  lui  paroissoit  intimement 
liée  au  bien  public.  Jamais  il  n'a  parlé  avec  plus  de  force  et  d'élo- 
quence, et  peut-être  ses  efforts  auroient  été  couronnés  du  succès,  s'il 
n'eût  pas  été  pour  ainsi  dire  écrasé  de  tout  le  poids  des  talens  supé- 
rieurs et  de  la  prodigieuse  réputation  de  M.  Cazalès;  mais  ce  que  je 
regarde  comme  un  véritable  triomphe  pour  M.  de  Robespierre,  c'est 
que  sa  constance  et  son  courage  dans  une  pareille  occasion,  donnent 
lieu  de  croire  qu'il  est  plus  attaché  à  ses  principes  qu'à  ses  intérêts; 
que  s'il  est  démagogue,  c'est  de  bonne  foi,  et  qu'il  ne  lui  manque  qu'une 
meilleure  tête  et  un  esprit  plus  juste  pour  être  un  excellent  citoyen  et 
même  un  bon  législateur  »  (11). 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  19  mai  1791,  p.  555. 

«  Ce  qu'a  dit  M.  Roberspierre  fera  sentir  de  quelle  nature  ont 
été  ses  raisonnemens. 

«  Je  crois,  a  dit  celui-ci,  que  la  France  peut  subsister,  que  l'ordre 
social  ne  sera  pas  désorganisé,  quoique  nous  ne  puissions  être  ni  législa- 
teurs, ni  ministres...  Nous  passerons,  les  cabales  des  intrigues  passeront; 
mais  la  liberté  restera... 

«  Ces  derniers  mots  ont  excité  une  espèce  d'enthousiasme;  on  a 
ordonné  l'impression  du  discours  de  M.  Robespierre,  et  certainement 
c'étoit  pour  lui  faire  tous  les  honneurs  à-la-fois,  car  on  crioit  en  même 


(11)  Cf.  E.  Haamel,  I,  .448.  Robespierre  .eut  en  effet  dans  cette 
séance  "du  18  un  succès  moindre.  Sans  doute  faut-il  en  voir  la  raison 
dans  le  fait  qu'il  a,  au  début  de  son  discours,  soulevé  la  question 
du  marc  d'argent  et  peut-être  aussi  dans  lés  craintes  suscitées  par 
I)uport. 


420  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

temps  aux  voix,  aux  voix,  comme  si  l'orateur  eût  porté  le  flambeau  de  la 
vérité  dans  tous  les  esprits,  et  y  eût  fait  naître  une  détermination  indes- 
tructible.   » 

Courier  de  Provence,  t.  XIV,  n°  291,  p.  554-5. 

«  Dans  cette  affaire,  comme  dans  toutes  les  autres  questions  de 
principes  et  de  grand  intérêt  national,  M.  Robespierre  s'est  exprimé 
avec  autant  d'énergie  que  de  patriotisme.  Il  a  combattu,  l'une  après 
l'autre,  toutes  les  raisons,  toutes  les  objections  des  adversaires,  avec 
la  supériorité  que  donnent  toujours  une  âme  droite  et  une  conscience 
pure  (12).  Il  a  prouvé  combien  seroit  favorable  à  la  cour,  la  rééïigibilité 
absolue,  il  a  parlé  de  la  corruption  en  homme  incorruptible.  Voici  ce 
qu'il  a  répondu  à  cette  futile  objection,  tirée  du  défaut  de  capacité 
des  personnes  qui  entreroient  pour  la  première  fois  dans  la  législature. 

[Suit  un  fragment  du  discours  imprimé,  depuis:  «  Laissez  se 
répandre   les  principes...    »  jusqu'à  «    ...qu'ils  lui   auroient  enlevé.    »] 

((  M.  Robespierre  a  conclu  comme  M.  Buzot  et  Pétion,  à  ce  qu'on 
ne  pût  être  réélu  à  une  nouvelle  législature,  qu'après  un  intervalle  de 
deux  ans,   » 

[Brève  mention  de  ce  discours  dans  Le  Journal  des  Débats,  t.  XX. 
n°  725,  p.  10;  Le  Courrier  d'Avignon,  n°  123,  p.  490;  Assemblée 
nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XI,  n°  652,  p.  5  ;  Le  Len- 
demain, t.  III,  n°  139,  p.  451  ;  Le  Journal  universel,  t.  XI,  p.  7040; 
Le  Couriei  français,  t.  XI,  n°  139,  p.  138;  La  Gazette  universelle, 
t.  I,  n°  139,  p.  555;  La  Correspondance  nationale,  n°  28,  p.  190;  Le 
Courrier  extraordinaire,  19  mai  1791,  p.  5;  Les  Révolutions  de  France 
et  de  Brabant,  t.  VI,  n°  78,  p.  611  ;  Le  Journal  de  Rouen,  n°  139, 
p.  675;  Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  n°  676,  p.  247;  Le  Mercure 
universel,  t.  III,  p.  298.] 

2e  intervention  : 

Après  le  discours  de  Robespierre,  Le  (Chapelier  défend  à  nou- 
veau le  principe  de  la  réélection  des  députés.  La  discussion  est 
fermée.  Le  président  met  aux  voix  la  priorité  pour  l'avis  du  comité. 
Le  résultat  étant  douteux,  les  députés  du  côté  droit  demandent 
l'appel  nominal.  Robespierre  prenant  encore  la  parole,  dénonce 
les  manœuvres  de  ceux  qui  veulent  revenir  sur  le  décret  du  16  mai. 
Après  un  débat  confus,  l'Assemblée  décida,  à  une  majorité  très 
marquée,  que  la  priorité  serait  accordée  au  projet  du  comité 

Le  19  mai,  l'Assemblée  devait  se  rallier  à  une  proposition  tran- 
sactionnelle présentée  la  veille  par  Barère  de  Vieuzac:  les  membres 
d'une  législature  (pourront  être  réélus  >à  la  législature  suivante, 
mais  ilâ  ne  pourront  ,1'être  de  nouveau  par  la  suite,  qu'après  uu 
intervalle  de  deux  années. 


(12)  Passage  cité  par  L.  Jacob,  p.  78. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  421 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique  y  t.  XXVI,  p.  139 

«  M.  Robespierre.  Avant  la  proposition  de  l'appel  nominal, 
M.  Thouret  a  dit  quelque  chose  qui  mérite  une  réponse. 

«  M.   Desmeuniers 

<(  M.  Robespierre.  Tout  le  monde  est  également  persuadé  de 
l'importance  de  la  question.  Je  pense  que  votre  délibération  ne  doit 
pas  être  dirigée  par  des  déclamations  vagues,  par  des  insinuations  insi- 
dieuses; et  si  je  pensois  que  ce  motif  pût  influer  sur  une  délibération 
si  importante,  j'ajouterois  aussi  un  trait  de  lumière  qui  vous  décou- 
vrirait la  cause  pour  laquelle  on  met  tant  de  chaleur  de  part  et  d'autre 
à  soutenir  son  opinion  (parlez,  parlez).  Il  est  un  fait  constant,  dont  il 
sera  facile  d'être  convaincu.  La  résistance  que  l'on  apporte  en  ce  mo- 
ment à  la  délibération,  c'est  que  ceux  qui  soutiennent  aujourd'hui  le 
système  de  la  réélection,  sont  tellement  convaincus  que  votre  décret 
d'hier  est  mauvais,  qu'ils  ont  formé  le  dessein  de  le  rendre  inutile. 
(Murmures). 

«  M.  de  Cazalès.  Je  demande  la  parole  pour  prouver  au  pré- 
opinant que  le  décret  d 'avant-hier  est  bon  et  n'a  en  rien  préjugé  l'im- 
portante question  d'aujourd'hui. 

«  M.  Robespierre.  Je  tire  la  preuve  du  fait  que  j'annonce  à  l'as- 
semblée, du  principe  très  hardi  avancé  pour  la  première  fois  dans  cette 
tribune,  par  M.  Chapellier,  lorsqu'il  a  dit  que  les  départemens  seroient 
autorisés  à  désobéir  à   votre  décret  (murmures)   (13). 

«  M.  Roederer.  Il  n'est  question  que  de  savoir  si  on  fera  l'appel 
nominal,  oui,  ou  non. 

«   M.    Goupil.  C'est  une  imposture  et  une  calomnie. 

«  M.  Démeunier.  Que  l'on  me  donne  la  parole,  et  je  répondrai 
à  M.  Robespierre,  non  par  des  conjectures,  mais  par  des  faits.  (Quel- 
ques applaudissemens). 

«  M.  Robespierre .  Il  étoit  d'autant  plus  convenable  de  m'accorder 
la  liberté  de  finir  mon  opinion,  que  si  le  fait  que  je  dis  n'est  pas 
exact,  il  est  important  qu'il  soit  démenti;  or  je  conclus  de  renonciation 
faite  dans  cette  tribune,  par  M.  Chapellier  que  l'intention  manifeste 
de  ceux  qui  s'opposent  au  cours  de  la  délibération,  est  de  vous  faire 
revenir  sur  le  décret  d'avant-hier.  (Murmures  à  gauche:  à  l'ordre!)  » 
(14). 


(13)  Le  Chapelier  aurait  dit:  «  Par  quel  étrange  principe  ^  vou- 
lez-vous interdire  au  peuple  la  faculté  de  réélire  l'homme  qui  l'aura 
bien  servi?...  iSi  vous  décrétez  cet'  acte  anti-constitutionnel,  chaque 
département  aura  le  'droit  de  n'y  pas  obéir  ».  Ce  passage  excita  de 
violents  murmures.  Regnaud  et  Montlosier  demandèrent  que  l'ora- 
teur fût  rappelé  ià  l'ordre. 

(14)  Texte   reproduit  dans  les  .Arch.   pari.,  XXVI,  210. 


422  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   140,  p.  582. 

«  M.  Roberspierre .  Tout  le  monde  conçoit  l'importance  de  la 
question,  ne  nous  laissons  pas  séduire  par  de  vagues  réclamations.  Je 
sais  la  cause  de  cette  résistance,  de  cette  chaleur  avec  laquelle  on 
soutient  son  opinion,  c'est  que  ceux  qui  défendent  aujourd'hui  le  sys- 
tème de  la  réélection  sont  tellement  convaincus  que  votre  décret 
d'avant-hier  est  mauvais  qu'ils  ont  formé  le  projet  de  le  rendre  inutile... 
(On  murmure). 

«  M.  Cazalès.  Le  décret  d'avant-hier  est  bon,  mais  n'a  en  rien 
préjugé  l'importante  question  d'aujourd'hui;  qu'on  m'accorde  la  parole 
et  je  m'engage  à  le  prouver  (15). 

«  M.  Roberspierre.  Je  tire  la  preuve  de  ce  que  je  viens  d'annoncer 
du  principe  avancé  par  M.  Le  Chapelier  lorsqu'il  a  dit  que  les  départe- 
mens  seraient  autorisés  à  désobéir  à  votre  décret...  (Les  murmures  re- 
commencent). 

«  M.  Goupil.  C'est  une  imposture,  c'est  une  calomnie;  oui,  mon- 
sieur, une  calomnie. 

«  M.  Roberspierre.  Qu'on  me  laisse  finir  mon  opinion,  car  si  le 
fait  que  j'avance  est  faux,  il  est  important  qu'il  soit  démenti.  Je 
conclus  de  l'énonciation  de  M.  Le  Chapelier  que  l'intention  manifeste 
de  ceux  qui  s'opposent  à  la  délibération,  est  de  vous  faire  revenir  sur 
le  décret  d'avant-hier  »  (16). 

Journal  des  Débats,  t.  XX,  n°   725,  p.   14. 
Courrier  d'Avignon,   1791,  n°   123,  p.  491. 

«  M.  Robespierre  a  annoncé  que  si  l'on  vouloit  il  répandroit  un 
trait  de  lumière  qui  découvriroit  la  cause  pour  laquelle  on  met  de  part 
et  d'autre  tant  de  chaleur  dans  la  discussion.  —  Dites,  dites.  —  Voici 
le  fait,  voici  ce  qui  m'explique  la  résistance  qui  frappe  l'Assemblée 
dans  ce  moment  :  c'est  que  ceux  qui  soutiennent  le  système  de  la  ré- 
élection sont  tellement  convaincus  que  votre  Décret  d'avant-hier  est 
mauvais,  qu'ils  ont  formé  le  dessein  de  vous  le  faire  recevoir  et  changer. 

'.(  M.  Cazalès  a  demandé  à  M.  Robespierre  de  prouver  cette 
assertion.  M.  Robespierre,  pour  répondre  à  M.  Cazalès,  a  reproché 
à  M.  Chapelier  d'avoir  dit  que  les  Départemens  seroient  obligés  de 
désobéir  au  Décret. 

«    M.    Démeunier   a   demandé   la   parole    contre    M.    Robespierre. 
M.  Robespierre  a  répété  ce  qu'il  avoit  dit.    M.    Lachèze  a   demandé 
qu'on  passât  à  l'appel  nominal.   » 
L'Ami  du  Roi  (Royou),   n°   367,  p.   3. 

«  Sur  la  fin  de  la  séance  d'hier,    M.  Robespierre,   désespéré  du 


(15)  Cazalès  avait  en  effet  d'abord  approuvé  l'interdiction  de  la 
réélection,  mais  à  la  fin  de  la  séance  du  18  mai.  il  changea  d'avis. 

(16)  Texte   reproduit   dans  le   Moniteur,    VIII,    441. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  423 

triomphe  de  ses  adversaires,  a  voulu  du  moins  périr  avec  gloire  au 
milieu  du  champ  de  bataille,  et  lancer  encore  un  dernier  trait  capable 
de  faire  reculer  les  vainqueurs,  et  de  retarder  sa  défaite.  }'ai  un  impor- 
tant mystère  à  vous  révéler,  Messieurs,  s'est-i!  écrié  :  Voulez-vous 
savoir  pourquoi  les  partisans  de  la  réélection  mettent  dans  leur  manière 
d'opiner  tant  de  chaleur,  d'opiniâtreté,  et  d'emportement;  c'est  que 
leur  intention  est  de  revenir  sur  le  décret  d'avant-hier,  qui  ne  permet 
pas  aux  membres  de  la  législature  actuelle,  d'être  réélus  pour  la  sui- 
vante; c'est  ce  décret  sur-tout  qui  leur  tient  à  cœur,  et  qu'ils  veulent 
faire  révoquer.  On  a  paru  très-scandalisé  de  l'excessive  et  incommode 
pénétration  de  M.  Robespierre.  On  a  affecté  de  regarder  cette  dénon- 
ciation comme  un  trait  de  vengeance  et  un  coup  de  désespoir.  M.  de 
Cazalès,  qui  se  trouvoit,  par  un  incident  assez  nouveau,  faufilé  avec  les 
démagogues,  s'est  chargé  de  pulvériser  l'audacieux  détracteur  de  la 
pureté  de  leurs  intentions.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  La  Correspondance  na- 
tionale, n°  28,  p.  190;  Le  Lendemain,  t.  III,  n°  139,  p.  452;  Le  Mer- 
cure de  France,  28  mai  1791,  p.  293;  Le  Courrier  extraordinaire,  19 
mai  1791,  p,  6;  L'^4rm  du  Peuple  (Marat),  n°  462,  p.  8;  Le  Specta- 
teur national,  n°  170,  p.  728;  Le  Journal  général,  n°  108,  p.  432; 
Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  n°  676,  p.  251.] 


291.  —  SEANCE  DU  19  MAI   1791 
Sur  l'éligibilité  des  ministres  a  la  législature 


Apre  avoir  adopté  l'article  sur  la  réélection  des  législateurs, 
l'Assemblée  entend  la  suite  du  projet  présenté  par  Thouret  dont 
l'art.  6  est  ainsi  conçu  :  «  Aucun  état,  profession  ou  fonction  publi- 
que n'exclut  de  l'éligibilité  à  la  législature,  les  citoyens  qui  réunis- 
sent les  conditions  prescrites  par  la  constitution   ». 

Thouret  précise  qu'il  n'entend  point  préjuger  de  la  question  de 
l'éligibilité  des  ministres  :  l'Assemblée  en  décidera,  lorsqu'elle  abor 
fiera  la  discussion  sur  l'organisation  du  pouvoir  exécutif.  Lanjuinais 
demande  que  le  président  mette  aux  voix  la  question  des  incompa- 
tibilités et  plus  particulièrement  celle  de  l' inéligibilité  des  ministres. 
Robespierre  intervient  également   sur   ce  dernier  point. 

Après  une  légère  discussion,  l'Assemblée  décMa  que  l'art.  6  ne 
préjugeait  point  de  cette  question.  Il  fut  décrété  tel  que  l'avait 
présenté   le  comité  de  constitution. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXVI,  p.  171 

«  M.  Robespierre.  Pourquoi  exclure  de  la  discussion  ce  qui  re- 
garde les  ministres  :  il  est  évident  qu'on  cherche  à  nous  faire  préjuger 
la  question.  Je  demande  qu'on  mette  aux  voix  la  proposition  de  M.  Ca- 


424  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

zalès,  et  qu'on  discute  sur  la  question  ainsi  posée  :  les  ministres  seront-ils 
éligibles,  ou  ne  seront-ils  pas  éligibles  à  la  législature?   »  (1). 

Journal  de  Rouen,  n°   140,  20  mai  1791,  p.  680. 

«  M.  Robertspierre  s'y  opposoit  en  représentant  que  le  devoir 
d'un  législateur  étoit  de  faire  des  lois  claires  et  précises,  de  les  énoncer 
dans  des  termes  qui  n'admissent  aucune  exception,  sans  quoi  il  en 
pouvoit  résulter  les  plus  grands  inconvénients.   » 

Le  Patriote  François,   1791,  n°  651,  p.  557. 

«  L'article  6,  qui  admet  à  l'éligibilité  les  citoyens  de  toutes  les 
professions,  avoit  pour  objet  de  glisser  subtilement  les  ministres  dans 
la  législature.  MM.  Lanjuinais  et  Robespierre  se  prépaioient  à  argu- 
menter contr'eux,  lorsqu'on  a  eu  l'art  de  faire  ajourner  la  question, 
parce  que  la  veine  ne  paroît  pas  heureuse  pour  les  ministériels.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Courrier  d'Avignon, 
n°  124,  p.  994;  Le  Journal  des  Débats,  n°  276,  p.  8.] 


(1)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXVI,  229. 


292.  —  SEANCE  DU  27  MAI  1791  (1) 
Sur  le  lieu  de  réunion  des  assemblées  primaires 


Démeunier,  au  nom  du  comité  de  constitution,  rapporte  le  pro- 
jet relatif  au  mode  et  à  l'époque  des  élections,  à  la  première  légis- 
lature. Après  l'adoption  d'un  certain  nombre  d'articles,  il  donne 
lecture  de  l'art.  1  du  titre  II:  «  Les  directoires  de  district  sont 
autorisés  à  déterminer,  selon  la  circonstance,  le  lieu  où  se  réuniront 
les  assemblées  primaires  » 

Robespierre  demande  la  question  préalable  sur  cet  article,   esti- 


(1)  Robespierre  ne  parut  pas  aux  tribunes  de  l'Assemblée  et  des 
Jacobins  pendant  la  semaine  qui  suivit  les  débats  sur  la  réélection 
des  députés  «  Une  courte  maladie  l'avait  obligé  à  garder  la  cham- 
bre »  (iCf.  G.  Walter,  p.  110).  Jl  ne  put  ainsi  intervenir  pour  défen- 
dre pendant  cette  période  la  cause  des  Avignoniais  et  des  Marseil- 
lais ;  il  s'en  excuse  le  24  mai  (Cf.  A.  Chabaud.  Robespierre  défen- 
seur de  Marseille  en  1791.  Ann.  révol.,  1923,  p.  113-125).  A  ce  propos, 
Marat  écrit  ^Ami  du  Peuple,  t.  VIII,  n°  472,  p.  3):  «  Les  prétendus 
patriotes  de  l'Assemblée  sont  vendus  à  la  cour...  (note).  J'en  excepte 
le  sieur  Robespierre  ;  on  est  étonné  de  ne  l'avoir  pas  vu  à  la  tribune, 
le  24,  pour  défendre  la  cause  des  Avignonnois,  et  les  jours  suivans 
pour  combattre  le  décret  désastreux  des  maisons  de  plaisance 
accordées  au  Roi,  et  les  projets  funestes  sur  la  dictature  suprême 
du  roî  en  temps  de  guerre.  Mais  Robespierre  est  malade,  à  coup 
sûr,  s'il  n'est  même  devenu  la  victime  de  quelques  attentats  des 
conspirateurs  ». 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  425 

niant  que  le  lieu  des  assemblées  primaires  doit  être  fixe.  Goupilleau 
&e  prononce  dans  le  même  sens.  Démeunier  adopte  ce  point  de  vue, 
et  propose  le  texte  suivant:  «  Les  assemblées  primaires  se  tiendront 
dans  les  chefs-lieux  de  canton,  dans  les  départements  où  ils  seront 
fixés  ;  et  dans  ceux  où  ils  ne  le  seront  pas,  le  directoire  de  district 
désignera  le  lieu  où  se  tiendront  les  assemblées  primaires  »  (2). 
Cette   rédaction  fut  décrétée  par   l'Assemblée   (3). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXVI,  p.  401 
Le  Logographe,  Journal  national,  27  mai  1791,  p.   153. 
Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  n°  686,  p.  500. 

«  M.  Robespierre.  Tout  le  monde  sait  combien  il  est  essentiel 
de  ne  porter  aucune  atteinte  à  la  liberté  des  élections;  et  on  sent  aussi 
combien  peut  influer  sur  les  élections  le  droit  de  transférer  les  assem- 
blées primaires  partout  où  on  jugera  à  propos.  La  proposition  du 
comité  tient  essentiellement  à  la  liberté  des  élections;  et  cette  liberté 
doit  décider  la  composition  de  la  législature  prochaine,  de  laquelle 
dépend  en  dernière  analyse  le  salut  de  la  constitution  et  de  l'état.  Je 
crois  donc  que  vous  ne  pouvez  pas  faire  trop  d'attention  à  cet  article, 
et  qu'il  faudroit  même  ajourner  le  titre  2  en  entier.  Si  vous  voulez  le 
décréter  aujourd'hui,  je  vous  supplie  au  moins  de  ne  pas  le  décréter 
sans  le  plus  mûr  examen.  Pour  moi  je  crois  qu'il  faut  que  le  lieu  des 
assemblées  primaires  soit  fixé;  et  qu'il  ne  doit  pas  dépendre  de  l'au- 
torité particulière  d'un  directoire,  qui  peut  être  plus*  ou  moins  attaché 
aux  principes  de  la  révolution,  de  transférer  des  assemblées  primaires 
partout  où  il  le  jugera  à  propos,  suivant  ses  vues.  Je  demande  la  question 
préalable  là-dessus  »  (4). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,   n°    149,   p.   619. 

«  M.  Roberspierre.  Tout  le  monde  sait  combien  il  est  essentiel 
de  ne  porter  aucune  atteinte  à  la  liberté  des  élections,  et  on  sait  quelle 
influence  pourrait  y  avoir  le  droit  de  transférer  les  assemblées  primaires 
par-tout  où  voudraient  les  directoires  de  district.  Je  crois  donc  que  vous 
ne  pouvez  faire  trop  d'attention  à  cet  article,  qu'il  faut  au  moins 
l'ajourner.  Quant  à  moi,  je  pense  qu'il  faut  que  le  lieu  des  assemblées 


(2)  Les  citoyens  actifs  ne  votaient  pas  comme  le  font  les  élec- 
teurs depuis  1852  sur  présentation  de  leur  carte  électorale  et  au 
moment  qui  leur  convient  Ils  se  réunissaient,  élisaient  un  bureau 
et  venaient  voter  à  l'appel  de  leur  nom:  c'était  l'assemblée  primaire. 
Sauf  à  l'occasion  des  élections  municipales,  rassemblée  primaire  en 
province,  à  l'exception  des  grandes  villes,  se  formait  par  canton  ou 
section  Je  canton.  Le  citoyen  actif  devait  donc  couvent  quitter  sa 
commune  et  parcourir  des  distances  plus  ou  moins  considérables 
La  fixation  du  lieu  d'assemblée  pouvait  donc  donner  lieu  à  des  ma- 
nœuvres ayant  pour  but  de  modifier  les  résultats  électoraux  eu  pro- 
voquant l'abstention  de  telle  partie  du  canton. 

(3)  Cf.    E.    Hamel,    I,    451. 

(4)  Texte   reproduit  dans   les  Arch.   pari.,    XXVI,   509. 


426  LES   DISCOURS    DR   ROBESPIERRE 

primaires    soit    fixé,    et    j'invoque    la   question    préalable    sur    l'article, 
dans  le  cas  où  on  voudrait  le  discuter  aujourd'hui  »  (5). 


(5)  Texte   reproduit  dans  le  Moniteur,   VIII,   518. 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

293.  —  SEANCE  DU  27  MAI  1791 

Sur  le  renouvellement  des  comités  de  correspondance 

ET  DE  PRÉSENTATION   DE   LA  SOCIÉTÉ   (1) 


Les  sociétés  patriotiques  de  Marseille  et  de  Toulon  s'étant  plain- 
tes de  la  tiédeur  des  opinions  des  membres  composant  les  comités 
de  correspondance  et  de  présentation  de  la  société,  un  membre  pro- 
pose leur  renouvellement  total.  Barnave  s'y  oppose  (2).  Pour  main- 
tenir une  certaine  continuité  dans  l'esprit  de  ces  comités,  il  souhaite 
qu'on  ne   remplace  à  la  fois  que  le  tiers  de  leurs   membres. 

Robespierre  appuie  le  renouvellement  total,  malgré  les  vives 
répliques  des  membres  de  ces  comités  dont  Bonnecarère.  Barnave 
intervient  à  nouveau  pour  les  justifier,  mais  la  société  se  langea  à 
l'avis  de  Robespierre. 

Mercure  universel,  t.  III,  p.  486. 

«  M.  Robespierre.  Tout  comité  doit  être  renouvelle  le  plus  tôt 
possible,  et  ce  ne  peut  être  par  tiers,  ni  par  moitié,  de  crainte  des 
habitudes  involontaires  qui  s'y  perpétuent.  Cependant,  ignorez-vous 
que  votre  comité  de  correspondance  a  excité  quelquefois,  je  ne  dirai 
pas  des  mécontentemens,  ni  des  plaintes,  mais  qu'il  a  été  taxé  d'une 
sorte  de  modération,  d'une  sorte  de  froideur  qui,  si  j'ose  le  dire,  ne 
convient  pas  à  votre  patriotisme  :  ignorez-vous  qu'à  Marseille,  à  Tou- 
lon, et  tout  ce  qu'il  y  a  de  fervens  patriotes  dans  le  département  des 
Bouches-du-Rhône,  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  patriotique  en  France,  n'a 
pas  trouvé  dans  votre  comité  ce  dévouement,  cet  appui  qu'il  avoit 
droit  d'en  attendre;  et  ces  lettres  ne  contenoient  pas  le  voeu  des  amis 
de  la  Constitution  !  Quand  les  Sociétés  du  département  des  Bouches- 
du-Rhône  se  sont  plaintes  à  vous  des  attaques  dangereuses  de  leurs 
ennemis,  elles  n'ont  reçu  au  lieu  de  consolation,  de  moyens  sages  et 
fermes,  elles  n'ont  reçu  que  des  lettres  foibles  :  cela  n'a  pas,  je  l'avoue, 
découragé  les  amis  de  la  liberté,  mais  cela  a  donné  de  l'audace  à  leurs 
ennemis,  et  certes,  messieurs,  il  ne  vous  appartenoit  pas  d'émettre  un 
voeu  tel  :  et  moi,  qui  suis  l'ami  le  plus  vrai  des  patriotes,  je  ne  puis 


<1)  Rien  dans  Aulard  (II,  453)  à  propos  de  cette  question.  Par 
contre,  G.  Walter,  Histoire  des  Jacobins,  p.  141-143,  signale  ïe 
discours  de   Robespierre  d'après   le   Mercure   universel. 

(2)  On  trouvera  la  liste  des  membres  de  ces  comités,  au  1er  mai 
1791,  dans  Aulard,  I,  LXXVII-LXXV1II. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  427 

voir  tout  cela  sans  en  être  vivement  ému.  Les  commissaires  envoyés 
aux  Bouches-du-Rhône  ont  calomnié  le  département;  ils  ont  calomnié 
ces  patriotes  marseillois,  si  fiers,  si  énergiques  (3). 

«  Eh  bien,  si  vous  aimez  la  liberté,  vous  ne  devez  pas  le  souf- 
frir; vous  ne  devez  pas  souffrir  que  des  particuliers  émettent  des  vœux 
en  votre  nom,  qui  ne  soient  pas  les  vôtres;  vous  ne  devez  pas  souffrir 
que  l'esprit  d'orgueil,  le  désir  de  dominer  se  manifeste  au  nom  de 
votre  patriotisme,  que  je  suis  bien  loin  de  ne  pas  croire  infiniment  au- 
dessus  de  celui  que  l'on  voudroit  vous  prêter  !  Ce  motif  me  détermine 
à  vous  demander  le  renouvellement  en  entier  de  votre  comité  de  cor- 
respondance.   (Applaudissemens).    » 

[Interventions  de  Bonnecarère   et  de  Barnave] 

«  M.  Robespierre.  Je  déclare  que  mon  opinion  n'a  pas  eu  d'objet 
personnel;  je  déclare  qu'il  n'y  aura  jamais  de  dissention  entre  moi  et 
les  vrais  patriotes;  par-tout  où  je  les  trouverai  sur  la  ligne  des  prin- 
cipes, je  les  embrasserai.  (Vifs  applaudissemens).   » 

Le  Courrier  des  LXXXIII  d épar terriens ,  t.  XXIV,  n°  31,  p.  487. 

«  Cette  séance  sur  laquelle  nous  reviendrons  a  été  remarquable 
par  le  renouvellement  du  comité  de  correspondance  qui  avoit  été  dé- 
noncé par  M.  Robertspierre.   » 


(3)  En  décembre-  1790,  à  Aix,  des  officiers  du  régiment  de  Lyon- 
nais sortirent  d'un  café  pour  attaquer  un  cortège  de  patriotes  qui 
passait.  Il  en  résulta  des  troubles  violents  au  cours  desquels  Pasea- 
lis,  avocat  célèbre,  devenu  l'un  des  chefs  de  la  contre-révolution,  fut 
pendu  par  la  foule  avec  deux  de  ses  amis.  Le  20  décembre,  l'Assem- 
blée pria  le  roi  d'envoyer  des  troupes  dans  les  Bouches-du-Rhône, 
ainsi  que  trois  commissaires  civils  autorisés  à  requérir  la  'orée  armée 
avec  l'avis  des  administrations.  Ils  eurent  ensuite  à  s'occuper  de 
troubles  à  Toulon  et  à  Marseille  qui  ne  sont  pas  sans  rapport  avec 
l'échec  du  complot  de  Lyon  en  décembre.  Ces  commissaires  furent 
pris  à  partie  par  les  patriotes  et  demandèrent  leur  rappel,  ne 
pouvant  obtenir  l'appui  des  corps  administratifs.  Le  2  avril  1791, 
l'Assemblée  les  autorisa  à  requérir  seuls  la  force  armée  (Cf.  A. 
Chabaud,    art.    cit.,    Ann.    révol.,    1923,    p.    113-125). 


294.  —  SEANCE  DU  28  MAI   1791 
Sur  le  marc  d'argent 


Démeunier,  au  nom  du  comité  de  constitution,  soumet  à  la  déli- 
bération de  l'Assemblée  le  second  titre  des  articles  additionnels  sur 
l'élection  les  députés  à  la  première  législature.  Quatorze  articles 
sont  successivement  décrétés,  presque  sans  discussion.  Ils  ont  trait, 
en  particulier,  à  la  fixation  de  la  valeur  de  la  journée  de  travail 
par    les  directoires   de   département,    base   d'après   laquelle- doit   se 


428  •        LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

faire  la  distinction .  entre  citoyens  actifs  et  citoyens  passifs  II). 
.Robespierre  en  profite  pour  s'élever  une  nouvelle  fois  contre  le 
décret  du  marc  d'argent.  Delavigne,  député  du  tiers  état  de  la  ville 
de  Paris,  demande  à  appuyer  la  proposition  de  Robespierre  et 
déchaîne   un   véritable   tumulte  (2). 

L'Assemblée  décida  que  Delavigne  ne  serait  point  entendu  c  t 
passa  à  l'ordre  du  jour. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXVI,  p.  428 

«  M.  Robespierre.  C'est  avec  raison,  ce  me  semble,  que  les  diffi- 
cultés élevées  sur  cet  article  arrêtent  l'attention  de  l'assemblée,  car 
il  touche  immédiatement  aux  droits  précieux  de  tous  les  citoyens  : 
or,  je  crois  ces  droits  essentiellement  blessés  par  deux  dispositions  de 
cet  article  ;  1  °  je  crois  qu'il  vaudroit  mieux  laisser  la  municipalité 
maîtresse  de  régler  les  droits  à  cet  égard,  que  d'en  laisser  la  décision 
au  directoire,  parceque  les  officiers  municipaux  sont  beaucoup  plus  à 
portée  de  connoître  la  fortune  et  l'état  des  citoyens  qui  sont  sans  cesse 
sous  leurs  yeux.  Voici,  messieurs,  le  moyen  que  je  vous  propose,  c'est 
de  déclarer  que  tout  françois,  c'est-à-dire,  tous  les  hommes  nés  en 
France,  ont  droit  de  jouir  de  la  plénitude  des  droits  de  citoyens,  et 
sont  éligibïes  tous  également.  (Applaudissemens  des  tribunes  et  murmures 
à  gauche)  (3). 

[ ] 

«  M.  Robespierre.  Puisque  nous  sommes  tous  convaincus  que 
c'est  principalement  la  convocation  de  la  nouvelle  législature  qui  importe 
au  salut  public,  il  s'ensuit  que  c'est  dans  ce  moment  même  et  pour 
la  législature  prochaine  sur-tout  que  vous  devez  adopter  une  disposition 
dont  la  nécessité  a  déjà  été  annoncée  par  le  comité  de  constitution 
lui-même,  qui  paroit  déjà  adopté  dans  l'opinion  de  l'assemblée,  et 
qui  est  réclamée  par  l'opinion  non  équivoque  de  la  nation.  Je  veux 
parler  de  la  révocation  du  décret  du  marc  d'argent,  et  j'en  fais  la  mo- 
tion. (Quelques  applaudissemens  à  gauche.  Murmures  à  droite)  *  (4). 

Journal  général,  n°    118,  p.  476. 

«    M.   'Robert spi erre   renouvelle    la   motion  qu'il    a    faite   plusieurs 

(1)  Cf.  séance  du  25  janvier  1790  (Discours...,  lre  partie,  p.  200) 
et  discours   imprimé,    reproduit  ci-dessus,    n°   248. 

(2)  Cf.   E.  Hamel,   I,  451;  et_  Actes  C.  de  P.,   V,   112. 

(3)  Cette  première  intervention  a  lieu  à  -propos  de  l'art.  2  du 
titre  II.  Il  fut  voté  avec  un  amendement  de  Barnave  qui  attribuait 
au  Corps  législatif  la  fixation  de  la  valeur  maximum  et  minimum 
de  la  valeur  de  la  journée  de  travail,  pour  six  années.  Robespierre 
prend  à  nouveau  part  à  la  discussion,  à  la  suite  du  vote  de  l'art.  17  ; 
et  c'est  à  ce  moment  qu'il  pose  plus  nettement  encore  la  question 
de  la  suppression  du  marc  d'argent.  Nous  n'avons  pas  séparé  ces 
deux  interventions,  car  la  plupart  des  extraits  de  presse  les  résu- 
ment ensemble. 

(4)  Texte   reproduit  dans  les  Arch.   pari.,   XXVI,   579  et   582. 


LÉS    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  429 

fois,  que  tout  François  domicilié  aura  le  droit  d'activité,  qu'on  laissera 
aux  Municipalités  le  soin  de  déterminer  la  valeur  locale  de  la  journée 
de  travail,  c'est  la  vingtième  fois  qu'on  revient  sur  cet  objet;  l'Assem- 
blée un  peu  fatiguée  de  ces  retours,  repousse  la  motion  par  des  mur- 
mures.  » 

...«  M.  Robertspierre  profitant  du  tems  qui  lui  reste,  propose  un 
article  additionnel  aux  Décrets  sur  le  mode  de  convocation.  Il  demande 
que  l'Assemblée  révoque  son  Décret  sur  le  marc  d'argent.  C'est  encore 
un  retour  sur  les  conditions  d'activité  civique;  l'Assemblée  en  mur- 
mure :  un  tumulte  s'élève,  quelques  Membres  demandent  que  la  délibé- 
ration sur  cette  motion  soit  renvoyée  à  l'époque  où  le  Comité  de  Révi- 
sion présentera  son  travail.  » 

Journal  de  Rouen,   1791,  n°    149,  p.  723. 

«  M.  Robertspierre  s'est  sur-tout  élevé  contre  la  disposition  qui 
attribue  la  fixation  aux  directoires  de  département,  au  lieu  de  l'accorder 
aux  municipalités. 

«  Ces  dispositions,  disoit-il,  blessent  les  droits  de  l'homme,  et 
privent  une  foule  d'individus  des  avantages  auxquels  ils  ont  les  droits 
les  plus  légitimes.  Les  officiers  municipaux  ne  sont-ils  pas  plus  à  portée 
de  connoître  ceux  qui  sont  au  milieu  d'eux  ?  Les  droits  ne  paroi ssent-ils 
pas  infiniment  plus  précieux  aux  représentants  immédiats  des  citoyens, 
qu'à  ceux  qui  ne  les  voient  presque  jamais,  et  avec  lesquels  ils  n'ont 
aucune  habitude  ?  Voulez-vous,  messieurs,  faire  cesser  toutes  les  diffi- 
cultés que  vous  rencontrerez  toujours  dans  ces  sortes  de  questions  ? 
Bannissez  toutes  ces  distinctions,  qui  ont  été  malheureusement  inven- 
tées, et  déclarez  solemnellement  que  tout  français  libre  et  domicilié 
jouira  de  la  plénitude  des  droits  de  citoyen  actif. 

«  On  s'est  récrié  contre  une  proposition  qui  paroissoit  renverser 
des  décrets  déjà  rendus;  on  a  étouffé  la  voix  de  l'opinant,  et  l'article 
a  été  décrété  ainsi  que  celui  qui  suit.   » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  unioersel,  n°    149,  p.  620. 

«  M.  Roberspierre .  C'est  ici  le  moment  de  réformer  le  décret  du 
marc  d'argent.  Je  demande  que  tout  Français  domicilié  soit  déclaré 
citoyen  actif  et  éligible.   (11  s'élève  de  violens  murmures). 

«  M.  Lavigne  demande  à  appuyer  la  proposition  de  M.  Robers- 
pierre. Sa  voix  est  étouffée  par  les  clameurs  qui  s'élèvent  dans  toutes 
les  parties  de  la  salle  m  (5). 

Le  Spectateur  national,  29  mai    1791,  p.   768. 

«  Les  mêmes  efforts  viennent  d'être  renouvelles  par  M.  Robes- 
pierre, qui,  à  la  fin  de  la  séance,  a  proposé  à  l'assemblée  de  couronner 

(5)  Texte   reproduit  dans  le  Moniteur,   VIII,   620,. 


430  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

ses  travaux  par  l'anéantissement  absolu  de  cette  décision  attentatoire  aux 
droits  naturels  de  l'homme.  M.  Robespierre  a  été  vivement  appuyé  par 
M.  Lavigne  et  plusieurs  autres  membres  du  côté  gauche,  mais  !a  très- 
grande  majorité  de  l'assemblée  a  déclaré  vouloir  passer  à  l'ordre  du 
jour.    » 

Le  Législateur  français,   29  mai    1791,  p.    7. 

«  Après  ce  décret,  M.  Robertspierre  a  rappelle  l'immoralité  et 
l'injustice  de  la  loi,  qui  exige  une  contribution  égale  à  la  valeur  d'un 
marc  d'argenj  pour  être  éligible  aux  fonctions  législatives,  et  a  demandé 
que  cette  loi  fût  à  l'instant  réformée.  » 

Le  Patriote  françois,  n°  659,  p.  592. 

«  Nous  ne  devons  pas  omettre  de  dire  que  M.  Robespierre  a 
demandé  la  révocation  des  décrets  qui  attachent  la  qualité  de  citoyen 
actif  au  paiement  d'une  imposition  égale  à  la  valeur  de  trois  journées 
de  travail,  et  celle  de  citoyen  éligible  à  la  législature,  au  paiement 
d'un  impôt  équivalant  au  marc  d'argent.  Certainement  les  principes  éter- 
nels et  la  saine  politique  militoient  pour  M.  Robespierre,  qui  d'ailleurs 
avoit  le  vœu  d'un  grand  nombre  de  citoyens;  mais  l'assemblée  n'a  pas 
cru  devoir  abroger  elle-même  son  décret,  elle  a  laissé  ce  soin  à  la 
prochaine  convention.   » 

Mercure  de  France,  4  juin  1791,  p.  47. 

«  Dans  le  cours  peu  intéressant  d'une  discussion,  plutôt  allongée 
que  remplie,  ont  été  noyées  des  réflexions  et  motions  de  MM.  Ro- 
berspierre,  Nogaret  et  Lavigne.  Le  premier  souhaitoit  qu'on  laissât  les 
municipalités  maîtresses  de  régler  la  valeur  de  la  journée  de  travail,  et 
pour  mieux  soumettre  le  gouvernement  représentatif  à  l'empire  anarchi- 
que  d'une  ignorante  multitude,  qu'il  fût  décrété  que  tous  les  hommes 
nés  en  France  ont  la  plénitude  des  diroits  de  citoyens,  et  sont  tous 
également  éligibles  à  toutes  les  places. 

«  Revenant  à  la  charge,  M  Roberspierre  a  fait  de  nouveaux 
efforts  pour  obtenir  la  révocation  du  décret,  qui  déclare  inéligibles  aux 
législatures  ceux  qui  ne  payeront  pas  un  marc  d'argent  en  impositions 
directes.  I!  prétendoit  que  cette  révocation  étoit  déjà  déterminée  par 
l'opinion  de  l'Assemblée  et  par  Y  équivoque  de  la  nation.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Courrier  des  LXXXIII 
départemens,  t.  XXIV,  n°  39,  p.  464;  Le  Journal  universel,  t.  XII, 
p.  8019;  Le  Journal  des  Débats,  n°  375,  p.  1 1  ;  Le  Courrier  d'Avi- 
gnon, n°  131,  p.  523;  Le  Lendemain,  t.  III,  n°  149,  p.  540;  Le 
Bulletin  et  Journal  des  Journaux,  n°  64;  La  Vedette  ou  Pièces  de  toutes 
les  nouvelles  du  Jour,  29  mai  1791,  p.  8;  La  Feuille  du  Jour,  t.  IV, 
n°  149,  p.  482;  Le  Courrier  extraordinaire,  29  mai  1791,  p.  4;  L'Ami 
de  la  Révolution,  29  mai  1791,  p.  238.] 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  431 


295.  —  SEANCE  DU  30  MAI  1791 

Sur  la  nomination  d'un  commissaire  du  roi 
près  du  Tribunal  criminel  de  Paris 


Duport,  au  nom  du  comité  de  constitution  et  de  législation  cri- 
minelle, présente  un  projet  de  décret  sur  l'organisation  du  tribunal 
criminel  de  Paris.  Les  premiers  articles  sont  votés  rapidement. 
(L'art.  5  prévoit  qu'  «  il  y  aura  auprès  du  tribunal  un  commissaire 
du  roi,  dont  le  traitement  sera  égal  à  celui  des  commissaires  du 
roi  du  tribunal  criminel  o>  (1). 

Malgré  l'intervention  de  Kobespierre,  qui  réclama  la  question 
préalable,  l'art.  5  fut  adopté. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXVI,  p.  484 

«  M.  Robespierre.  L'assemblée  nationale  a  rejette  par  la  question 
préalable  la  proposition  de  nommer  un  commissaire  du  roi  près  les 
tribunaux  criminels  dans  chaque  tribunal  criminel,  et  l'assemblée  ne 
l'a  point  fait  sans  connoissance  de  cause.  Vu  la  nature  des  fonctions 
attribuées  pour  le  civil  aux  commissaires  du  Roi,  il  est  visible  qu'ils 
n'auroient  eu  rien  ou  presque  rien  à  faire  :  il  a  donc  fallu  les  occuper 
dans  les  affaires  criminelles.  Je  réclame  donc  le  décret  déjà  rendu 
par  l'assemblée  nationale  :  si  on  pouvoit  tous  les  jours  proposer  sous 
d'autres  formes  des  motions  repoussées,  alors  la  dictature  des  comités 
seroit  irrésistible,  puisqu'ils  seroient  toujours  les  maîtres  des  moyens 
qu'ils  jugeroient  à  propos  de  choisir  pour  faire  prévaloir  enfin  leur 
système  chéri.   Je  demande  la  question  préalable.   (Applaudi)   »   (2). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  n°  688,  p.  542. 

«  M.  Robespierre  a  réclamé  l'exécution  du  décret  déjà  rendu 
à  ce  sujet,  et  qui  répète  la  création  de  commissaires  du  roi  près  les 
tribunaux  criminels;  il  a  dit  que  l'assemblée  devait  cette  disposition  à 
l'économie  nécessaire  dans  les  établissemens  judiciaires,  et  aux  vues  du 
bien  public  qui  furent  développées  lors  du  premier  décret  »  (3). 

.[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  général, 
n°   120,  p.  483.] 


(1)  Dans  sa  séance  du  20  janvier  1791,  l'Assemblée  avait  décrété 
«  qu'il  y  aurait  toujours  un  commissaire  du  roi  de  service  auprès  du 
tribunal  criminel  »,  mais  il  ne  s'agissait  pas  de  créer  une  nouvelle 
fonction,  les  commissaires  du  roi  près  les  tribunaux  civils  pouvant 
y  être  délégués.   {'Gf.    ci-dessus,    séance    du   20  janvier) 

(2)  Texte   reproduit  dans   les  Arch.    pari.,    XXVI.   61Q, 

(3)  Cité  par  E.   Hamel,  I,   452. 


432  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

296.  —  SEANCE  DU  30  MAI  1791  (suite) 
Sur  la  peine  de  mort 


Lepeletier  de  Saint-Fargeau,  au  nom  des  comités  de  constitution 
et  de  législation  criminelle,  avait  présenté  le  28  mai,  à  l'Assemblée, 
un  rapport  sur  le  projet  de  code  pénal.  (Le  30  mai,  la  discussion  s'en- 
gage sur  T ensemble  du  projet.  iLepelefcier  précise  qu'en  préambule 
à  toute  discussion,  il  est  nécessaire  de  fixer  la  question  de  savoir 
si  la  peine  de  mort  sera  -ou  non  conservée.  L'Assemblée  décide  que 
la  discussion  est  ouverte  sur  cette  question.  Elle  entend  d'abord  un 
discours  de  Prugnon,  qui  se  prononce  pour  le  maintien  de  la  peine 
de  mort  (l).  .Robespierre  intervient  ensuite  et  conclut  à  ce  que  la 
peine  de  mort   soit   abrogée  (2). 

La  discussion  devait  se  poursuivre  le  31  mai  et  le  1er  juin  (3)  ; 
l'Assemblée  décida  ce  jour-là  que  la  peine  de  mort  ne  serait  pas 
abrogée. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXVI,  p.  496 

«  M.  Robespierre.  La  nouvelle  ayant  été  portée  à  Argos,  q.ie 
dans  la  ville  d'Athènes  des  citoyens  avoient  été  condamnés  à  mort, 
on  courut  dans  les  temples  pour  conjurer  les  dieux  de  détourner  les 
Athéniens  de  pensées  aussi  cruelles.  Je  viens  prier,  non  les  dieux, 
mais  les  législateurs  qui  en  doivent  être  les  interprêtes  et  les  organes, 
d' effacer  du  Code  des  François  ces  loix  de  sang  qui  commanden!  des 
meurtres  juridiques  que  proscrit  l'intérêt  général,  encore  plus  que  la 
raison  et  l'humanité.  Je  veux  leur  prouver  2  propositions  principales  : 
la  première,  que  la  peine  de  mort  est  essentiellement  injuste;  la 
deuxième,  qu'elle  n'est  pas  la  plus  répressive  de  toutes  les  peines,  et 
qu'elle  contribue  beaucoup  plus  à  multiplier  les  crimes  qu'à  les  prévenir. 

«  La  société  a-t-elle  le  droit  d'infliger  la  peine  de  mort  ?  La  ques- 
tion peut  se  résoudre  en  un  seul  mot  :  la  société  ne  peu*  avoir  d'autre 
droit  que  celui  qui  appartenoit  primitivement  à  chaque  homme,  de 
poursuivre  la  réparation  des  injures  particulières  qui  lui  étoient  faites 
Si,  indépendamment  même  de  l'état  social,  l'exercice  de  ce  droit  a 
des  bornes  posées  par  les  loix  de  la  nature  et  de  la  raison  qui  défen- 
dent à  l'homme  d'exiger  une  réparation   immodérée,   et  d'exercer  une 


(1)  «  Opinion  de  M.  Prugnon  sur  la  peine  de  mort,  imprimée 
par   ordre  de  l'Assemblée   nationale   »,   B.1S1.   8°   Le   29/1559. 

(2)  D'après  <(  Le  Creuset  »  >(t.  II,  n°  45)  au  moment  où  «  Eobes- 
pierre  s'apprêtait  à  réfuter  M.  Prugnon,  la  demande  a  été  formée, 
pour  que  les  Comités  fissent  leur  rapport  sur  la  pétition  des  admi- 
nistrateurs du  Bas-Rhin  »>,  anais  «  il  a  été  répondu  qu'ils  n'étoient 
pas  encore  prêts  ». 

(3)  On  trouve  à  la  B.N.  les  discours  de  Pétion  (8°  (Le  29/1555), 
de  Mougins  de  Roquefort  (8°  Le  29/1556)  et  de  Duport  (8°  Le  29/ 
1557). 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  433 

vengeance  atroce,  peut-il  donner  la  mort  à  son  ennemi?  Oui;  mais 
dans  un  cas  seulement,  celui  où  cet  acte  terrible  est  absolument  néces- 
saire à  sa  propre  défense.  Suivez  l'application  de  ce  principe  dans 
l'état  social;  les  hommes  ont  dit:  nos  forces  individuelles  sont  trop 
foibles  pour  protéger  notre  tranquillité  et  nos  droits;  réunissez-les  pour 
en  composer  une  force  publique  contre  laquelle  toute  force  particulière 
vienne  se  briser;  réunissons  nos  volontés  pour  en  former  une  volonté 
générale  qui,  sous  le  nom  de  loi,  consacre,  détermine  les  droits  de 
chacun  ;  établissons  des  peines  contre  quiconque  osera  les  violer.  C'est 
ainsi  que  les  peines  légales  furent  substituées  aux  moyens  naturels  qui 
appartenoient  à  chaque  homme  de  réprimer  et  de  punir  les  injures  dont 
il  étoit  l'objet.  Or,  si  la  véritable  mesure  de  la  sévérité  qu'on  doit 
déployer  contre  un  ennemi  se  mesure  elle-même  sur  la  puissance  de 
celui  qui  se  venge,  qui  peut  douter  que  la  Société  ne  soit  obligée  de 
mettre  beaucoup  plus  de  douceur  dans  les  peines,  que  l'homme  isolé  qui 
poursuit  une  injure  ? 

«  J'ai  dit,  qu'avant  le  pacte  social,  l'homme  n'avoit  le  droit  de 
donner  la  mort  à  son  ennemi,  que  dans  le  cas  où  cet  acte  funeste  seroit 
absolument  nécessaire  à  sa  défense,  mais  ce  cas  unique  peut-il  exister 
pour  la  société,  relativement  à  un  coupable  ?  Il  ne  reste  que  ce  point 
à  décider,  pour  juger  de  la  peine  de  mort.  Hors  de  la  société,  qu'un 
ennemi  vienne  attaquer  mes  jours,  ou  que,  repoussé  vingt  fois,  il  revienne 
encore  ravager  le  champ  que  j'ai  cultivé,  puisque  je  ne  puis  opposer 
alors  que  mes  forces  individuelles  aux  siennes,  il  faut  que  je  périsse 
ou  que  je  le  tue,  et  la  loi  de  la  justice  naturelle  me  justifie  et  m'ap- 
prouve :  mais,  dans  la  société,  quand  la  force  de  tous  s'arme  contre 
un  seul,  quel  principe  de  justice  peut  l'autoriser  à  lui  donner  la  mort? 
Et  remarquez  bien  une  circonstance  qui  décide  la  question  :  quand  >a 
société  punit  un  coupable,  il  est  hors  d'état  de  lui  nuire;  elle  le  tient 
dans  les  fers;  elle  le  juge  paisiblement;  elle  peut  le  châtier,  le  mettre 
dans  l'impossibilité  de  se  faire  craindre,  à  l'avenir,  par  tous  les  moyens 
que  lui  fournit  une  autorité  sans  bornes.  Un  vainqueur  qui  égorge  ses 
captifs,  est  appelé  barbare.  (Murmures).  Un  homme  fait,  qui  égorge 
un  enfant  pervers  qu'il  peut  désarmer  et  punir,  paroît  un  monstre.  {Mur- 
mures) . 

«  M.  l'abbé  Maury.  11  faut  prier  M.  Robespierre  d'aller  débiter 
son  opinion  dans  la  forêt  de  Bondy. 

«  M.  Robespierre.  Les  principes  que  je  développe  sont  ceux  de 
tous  les  hommes  célèbres,  qui  certainement  ne  m'eussent  pas  dit  comme 
M.  Maury:  Allez  débiter  ces  maximes  dans  la  forêt  de  Bondy.  Ainsi, 
en  dépit  de  tous  les  préjugés,  il  est  certain  qu'aux  yeux  de  la  morale 
et  de  la  justice  les  scènes  d'horreur  que  la  société  étale  avec  tant 
d'appareil  ne  sont  que  des  assassinats  solemnels  commis  par.  des  nations 
entières. 

«  Mais  ces  préjugés  ont  régné  long-tems  sur  les  peuples.  J'avoue 

Uon.M-n  .un  H 


434  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

que  c'est  une  terrible  autorité  que  celle  du  genre  humain  :  mais  cepen- 
dant, il  est  permis  de  s'appercevoir  que  cette  terrible  autorité  consa- 
creroit  tous  les  abus  et  tous  les  crimes  qui  ont  fait  les  malheurs  du 
monde;  et  que  pour  les  consacrer  véritablement,  il  faut  au  moins  méditer 
avec  impartialité  et  ce  qui  a  été  et  ce  qui  est  et  ce  qui  doit  être,  et  ne 
pas  compter  les  voix  mais  poser  la  vérité. 

«  Croyez-vous  que  ce  soient  les  hommes  sortant  des  mains  de  la 
nature,  qui  ont  prononcé  que  si  quelque  vice,  quelque  passion  portent 
quelqu'un  de  nous  à  violer  cette  loi,  il  soit  puni  de  mort?  Non;  mais, 
dans  chaque  pays,  les  usurpateurs  heureux,  lorsqu'ils  se  sont  trouvés  assez 
puissans  pour  corrompre  et  pour  effrayer  leurs  concitoyens,  ont  dit  :  celui 
qui  osera  conspirer  contre  nous,  contre  notre  autorité,  sera  puni  de 
mort.  Ils  ont  calculé,  ils  ont  créé  les  crimes  et  les  peines  sur  leurs 
intérêts  personnels.  Sous  Tibère,  l'éloge  de  Brutus  fut  un  crime  digne 
de  mort.  Caligula  condamna  à  mort  ceux  qui  s'étoient  déshabillés  devant 
sa  statue.  Quand  la  tyrannie  eut  inventé  les  crimes  de  lèse-majesté, 
le  fanatisme  et  l'ignorance  inventèrent  à  leur  tour  des  crimes  de  lèse- 
majesté  divine,  qui  ne  pouvoient  s'expier  qu'avec  du  sang. 

«  Envisageons  donc  avec  plus  d'impartialité  et  de  justice  une 
question  qui,  pour  la  première  fois,  se  présente  à  l'attention  des  législa- 
teurs d'un  peuple.  Le  peu  de  mots  que  j'ai  dits  suffit  pour  prouver  que 
la  peine  de  mort  est  essentiellement  injuste,  que  la  société  n'avoit  pas 
le  droit  de  l'infliger,  mais  il  faut  entrer  dans  les  détails,  et  ne  point 
s'arrêter  à  cette  maxime  insuffisante,  et  néanmoins  incontestable  qu'en 
fait  de  politique  rien  n'est  juste  que  ce  qui  est  honnête,  et  que  l'ordre 
social  ne  peut  être  fondé  que  sur  la  justice.  Je  vais  donc  prouver  que 
cette  loi  est  aussi  funeste  dans  ses  effets  et  dans  ses  conséquences,  qu'elle 
est  absurde,  qu'elle  est  injuste  dans  son  principe. 

«  Elle  est  nécessaire,  disent  les  partisans  de  l'ancien  usage.  Qui 
vous  l'a  dit  ?  Avez- vous  calculé  tous  les  ressorts  par  lesquels  les  loix 
peuvent  agir  sur  la  sensibilité  humaine  ?  Avant  la  peine  de  mort,  com- 
bien de  peines  physiques  et  morales  l'homme  ne  peut-il  pis  endurer  ? 
L'homme  est-il  un  simple  animal  qui  ne  puisse  être  affecté  que  par  la 
crainte  de  la  mort  et  des  tourmens  corporels  ?  Non.  C'est  surtout  la 
partie  morale  de  son  être  qui  est  la  source  de  ses  sensations  agréables 
ou  douloureuses.  C'est  par  elle  qu'il  offre  le  plus  de  prise  à  la  sévérité 
des  loix.  Indépendamment  des  biens  et  des  maux  dont  la  nature  l'a 
entouré,  la  société  en  crée  pour  lui  une  infinité  d'autres.  Voyez  par 
combien  d'affections  nouvelles  elle  l'enchaîne  au  joug  des  loix;  voyez 
comme  elle  attache  son  bonheur  à  ses  propriétés,  à  sa  famille,  à  ses 
amis,  à  sa  patrie;  comme  elle  lui  fait  surtout  un  besoin  de  la  bienveil- 
lance de  ceux  qui  l'environnent.  Non,  la  mort  n'est  pas  toujours  pour 
l'homme  'le  plus  grand  des  maux.  Il  la  préfère  souvent  h  la  perte  ces 
avantages  précieux  sans  lesquels  la  vie  lui  devient  insupportable.  Il 
voudra  périr  mille   fois  plutôt  que  de   vivre  l'objet  du  mépris  de   ses 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  435 

concitoyens.  Le  désir  de  vivre  cède  à  l'orgueil,  la  plus  impérieuse  de 
toutes  les  passions  humaines.  La  plus  terrible  de  toutes  les  peines  pour 
l'homme  social,  c'est  l'opprobre,  c'est  l'accablant  témoignage  de  l'exé- 
cration publique.  Eh  !  messieurs,  si  vous  y  faites  bien  attention,  vous 
trouverez  même  que  ce  qu'il  y  a  de  plus  terrible  dans  la  mort  que  la  loi 
donne  au  coupable,  c'est  l'appareil  ignominieux  qui  l'environne.  Le 
guerrier  qui  s'immole  pour  la  patrie  sur  un  champ  de  bataille,  le  héros 
de  la  liberté  qui  périt  pour  elle,  et  le  scélérat  que  la  loi  condamne, 
meurent  tous  également  :  quelle  est  la  différence  ?  C'est  que  l'ignomi- 
nie entoure,  accable  les  moments  de  celui-ci,  tandis  que  la  mort  n'est 
pour  l'autre  qu'une  source  de  gloire. 

«  Quand  le  législateur  peut  frapper  les  citoyens  par  tant  d'en- 
droits sensibles,  et  de  tant  de  manières,  comment  pourroit-il  se  croire 
réduit  à  employer  la  peine  de  mort  ?  Les  peines  ne  sont  pas  faites  pour 
tourmenter  les  coupables,  mais  pour  prévenir  le  crime  par  la  crainte  de 
les  encourir.  Or,  messieurs,  cette  crainte  dépend  de  l'impression  qu'elle 
fait;  et  cette  impression  elle-même  dépend  moins  de  la  grandeur  du  mal 
que  du  caractère,  des  préjugés,  des  mœurs  et  des  loix  du  peuple 
où  elles  sont  en  usage  ;  et  tous  ces  ressorts  sont  entre  les  mains  du  légis- 
lateur. Aussi  le  législateur  qui  préfère  la  peine  de  mort  aux  peines  plus 
modérées  qu'il  peut  employer,  ne  fait  autre  chose  qu'outrager  la  sensi- 
bilité publique  chez  le  peuple  qu'il  gouverne  :  enfin  il  affoiblit  les 
ressorts  du  gouvernement  en  voulant  l'étendre  avec  trop  de  force. 

«  Pour  l'homme  qu'agite  une  passion  indomptable,  il  s'en  faut 
bien  que  la  mort  soit  le  plus  puissant  de  tous  les  freins.  Mourir  ou 
posséder  l'objet  de  sa  passion,  voilà  le  raisonnement  de  l'homme  pas- 
sionné. Voyez  l'ambitieux  qui  espère  de  mettre  sur  son  front  le  dia- 
dème des  rois  :  l'idée  de  la  mort  qu'il  affronte  l'effraie  moins  que  celle 
de  vivre  dans  l'humiliation  et  dans  la  misère.  Le  législateur  qui  établit 
cette  peine  renonce  donc  à  ce  principe  salutaire,  que  le  moyen  le  plus 
efficace  de  réprimer  les  crimes  est  d'adapter  la  peine  au  caractère  des 
différentes  passions  qui  les  produisent,  de  les  punir  pour  ainsi  dire  par 
elles-mêmes. 

«  La  peine  de  mort  est  nécessaire,  dites- vous.  Si  cela  est  vrai, 
pourquoi  plusieurs  peuples  ont-ils  pu  s'en  passer,  et  par  quelle  fatalité 
ces  peuples  ont-ils  été  les  plus  sages  et  les  plus  heureux  ?  Si  la  peine 
de  mort  est  plus  propre  à  prévenir  les  grands  crimes,  il  faut  qu'ils  aient 
été  plus  rares  chez  les  peuples  qui  l'ont  prodiguée.  Or,  c'est  précisé- 
ment le  contraire.  Voyez  le  Japon,  nulle  part  la  peine  de  mort  et  les 
supplices  n'y  sont  plus  prodigués.  Eh  bien  !  nulle  part  les  crimes  ne 
sont  si  fréquents  ni  si  atroces.  On  diroit  que  le  Japonnois  veut  disputer 
de  férocité  avec  les  loix  barbares  qui  l'outragent  et  qui  l'irritent. 

«  Maintenant,  messieurs,  veuillez  bien  observer  que  si  vous  adoptez 
le  principe  faux,  quoique  très  accrédité,  que  la  véritable  cause  répri- 
mante dans  les  peines,  c'est  la  crainte  de  la  mort  et   des  douleurs,   il 


436  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

s'ensuivra  que  pour  prévenir  les  crimes  d'une  manière  plus  efficace,  il 
faudra  porter  le  plus  loin  possible  ce  principe,  et  après  la  mort,  inventer 
des  tourmens. 

«  D'ailleurs,  messieurs,  eussiez-vous  imaginé  l'ordre  judiciaire  le 
plus  parfait,  eussiez-vous  trouvé  les  juges  les  plus  intègres  et  les  plus 
éclairés,  il  restera  toujours  quelque  place  à  l'erreur  et  à  la  prévention. 
Pourquoi  donc  vous  condamner  à  l'impuissance  de  tendre  une  main  à 
l'innocence  opprimée  ?  Ces  stériles  regrets,  ces  réhabilitations  illusoires 
que  vous  accordez  à  une  ombre  vaine,  à  une  cendre  insensible,  ne  sont 
que  de  foibles  réparations,  ne  sont  que  de  tristes  témoignages  de  la  bar- 
bare témérité  des  loix  pénales.  Il  n'appartient  qu'à  celui  dont  l'œil  éter- 
nel voit  au  fond  des  coeurs,  de  prononcer  des  peines  irrévocables.  Vous, 
législateurs,  vous  ne  pouvez  vous  charger  de  cette  tâche  terrible  sans 
vous  rendre  responsable  de  tout  le  sang  innocent  qui  coulera  sous  le 
glaive  des  loix  (4). 

«  Gardez- vous  bien  de  confondre  l'efficacité  des  peines  avec 
l'excès  de  la  sévérité;  l'une  est  absolument  opposée  à  l'autre.  Tout 
seconde  les  loix  justes  et  modérées;  tout  conspire  contre  les  loix 
cruelles.  L'indignation  qu'excite  le  crime  est  balancée  par  la  commi- 
sération qu'inspire  l'extrême  rigueur  des  châtimens.  La  voix  irrésistible 
de  la  nature  s'élève  contre  la  loi,  en  faveur  du  coupable.  Chacun  s'em- 
presseroit  de  livrer  un  coupable,  si  la  peine  étoit  douce,  mais  il  sent 
la  nature  frémir  au-dedans  de  lui,  à  la  seule  idée  d'envoyer  à  la  mort. 
Oui,  je  ne  crains  pas  de  le  dire,  cette  loi  que  vous  avez  imposée  à  tous 
les  citoyens  de  dénoncer  les  coupables,  ne  sera  qu'une  loi  inique, 
absurde  et  impraticable,  si  vous  conservez  la  peine  de  mort.  Cette 
première  disposition  prouve  la  nécessité  de  combiner  l'ensemble  des 
loix;  elle  prouve  qu'une  loi  isolée  peut  devenir  absurde  par  ses  rapports 
avec  les  autres  loix. 

«  La  force  des  loix  dépend  de  l'amour  et  klu  respect  qu'elles 
inspirent  et  cet  amour,  ce  respect  dépendent  du  sentiment  intime  qu'elles 
sont  justes  et  raisonnables.  Ouvrez  l'histoire  de  tous  les  peuples  :  vous 
verrez  que  la  douceur  des  loix  pénales  y  est  toujours  en  raison  de  la 
liberté,  de  la  sagesse,  de  la  douceur  du  gouvernement.  Vous  voyez  cette 
gradation  suivie  dans  l'histoire  des  peuples.  J'en  ai  cité  mille  exemples; 
je  vous  rappelle  à  celui,  non  pas  de  la  Toscane,  mais  à  celui  d'un 
empire  qui  avoit  toujours  été  soumis  au  despotisme,  à  la  Russie. 

«  Il  faut  donc  croire  que  le  bonheur  de  la  société  n'est  pas  attaché 
à  la  peine  de  mort,  puisqu'une  grande  société  qui  n'a  point  les  mœurs 


■(4)  D'après  les  Mémoires  de  Charlotte  Robespierre,  p.  69,  «  Ro- 
bespierre obligé  de  condamner  à  mort  un  accusé  (alors  qu'il  était 
juge  au  tribunal  de  ï'éyêqué  d'Arias),  aurait  immédiatement  donne 
sa  démission  tant  la  peine  de  mort  lui  inspirait  d'horreur:  «  Je 
sais  bien,  disait-il,  que  c'est  un  scélérat,  mais  faire  mourir  un 
homme!  »  (Cf.  E.  Hamel,  I,  452). 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  437 

d'un  peuple  libre  continue  d'exister  quoi  que  la  peine  de  mort  y  ait 
été  abolie.  Il  faut  croire  que  le  peuple  doux,  sensible,  généreux  qui 
habite  la  France,  et  dont  toutes  les  vertus  vont  être  développées  par  le 
régime  de  la  liberté  traitera  avec  humanité  les  coupables,  et  convenir 
que  l'expérience,  la  sagesse  vous  permettent  de  consacrer  les  principes 
sur  lesquels  s'appuie  la  motion  que  je  fais  que  la  peine  de  mort  soit 
abolie  (applaudi).  » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   152,  p.  630. 

«  M.  Roberspierre.  La  nouvelle  ayant  .été  portée  à  Athènes  (5) 
que  des  citoyens  avaient  été  condamnés  à  mort  dans  la  ville  d'Argos. 
on  courut  dans  les  temples  et  on  conjura  les  dieux  de  détourner  «des 
Athéniens  des  pensées  si  cruelles  et  si  funestes;  je  viens  prier  non  les 
dieux,  mais  les  législateurs  qui  doivent  être  les  organes  et  les  interprètes 
des  lois  éternelles  que  la  divinité  a  dictées  aux  hommes,  d'effacer  du 
code  des  français  les  lois  de  sang  qui  commandent  des  meurtres 
juridiques,  et  que  repoussent  leurs  mœurs  et  leur  constitution  nouvelle. 
Je  veux  leur  prouver  :  1  °  que  la  peine  de  mort  est  essentiellement 
injuste;  2°  qu'elle  n'est  pas  la  plus  réprimante  des  peines,  et  qu'elle 
multiplie  les  crimes  beaucoup  plus  qu'elle  ne  les  prévient. 

«  Hors  de  !a  société  civile  qu'un  ennemi  acharné  vienne  attaquer 
mes  jours,  ou  que  repoussé  vingt  fois,  il  revienne  encore  ravager  le 
champ  que  mes  mains  ont  cultivé;  puisque  je  ne  puis  opposer  que  mes 
forces  individuelles  aux  siennes,  il  faut  que  je  périsse  ou  que  je  le  tue; 
et  la  loi  de  la  défense  naturelle  me  justifie  et  m'approuve.  Mais  dans 
la  société  quand  la  force  de  tous  est  armée  contre  un  seul,  quel  prin- 
cipe de  justice  peut  l'autoriser  à  lui  donner  la  mort  ?  Quelle  nécessité 
peut  l'en  absoudre  ?  Un  vainqueur  qui  fait  mourir  ses  ennemis  captifs 
est  appelle  barbare  !  Un  homme  fait  qui  égorge  un  enfant  qu'il  peut 
désarmer  et  punir  paraît  un  monstre  !  Un  accusé  que  la  société  condamne 
n'est  tout  au  plus  pour  elle  qu'un  ennemi  vaincu  ei  impuissant,  il  est 
devant  elle  plus  faible  qu'un  enfant  devant  un  homme  fait. 

«  Ainsi,  aux  yeux  de  la  vérité  et  de  la  justice,  ces  scènes  de 
mort  qu'elle  ordonne  avec  tant  d'appareil  ne  sont  autre  chose  que.de 
lâches  assassinats,  que  des  crimes  solennels,  commis,  non  par  des  indi- 
vidus, mais  par  des  nations  entières,  avec  des  formes  légales.  Quelques 
cruelles,  quelqu'extravagantes  que  soient  ces  loix,  ne  vous  en  étonnez 
plus.  Elles  sont  l'ouvrage  de  quelques  tyrans;  elles  sont  les  chaînes 
dont  ils  accablent  l'espèce  humaine;  elles  sont  les  armes  avec  lesquelles 
ils  la  subjuguent.  Elles  furent  écrites  avec  du  sang  :  «  Il  n'est  point 
permis  de  mettre  à  mort  un  citoyen  romain  ».  Telle  est  la  loi  que  le 
peuple  avait  portée  :   mais  Sylla   vainquit,   et  dit  :    Tous  ceux   qui  ont 


(5)  Contradiction   avec  le  Journal   des  Etats  Généraux.   C'est  le 
texte  de   Le   Hodey   que   plusieurs  journaux    reproduisent. 


438  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

porté  les  armes  contre  moi,  sont  dignes  de  mort.  Octave  et  les  compa- 
gnons de  ses  forfaits  confirmèrent  cette  loi. 

«  Sous  Tibère,  avoir  loué  Brutus  fut  un  crime  digne  de  mort. 
Caligula  condamna  à  mort  ceux  qui  étaient  assez  sacrilèges  pour  se 
déshabiller  devant  l'image  de  l'empereur.  Quand  la  tyrannie  eut  inventé 
les  crimes  de  lèse-majesté,  qui  étaient  ou  des  actions  indifférentes  ou 
des  actions  héroïques,  qui  eût  osé  penser  qu'elles  pouvaient  mériter  une 
peine  plus  douce  que  la  mort,  à  moins  de  se  rendre  coupable  lui-même 
de  lèse-majesté  ? 

«  Quand  le  fanatisme,  né  de  l'union  monstrueuse  de  l'ignorance 
et  du  despotisme,  inventa  à  son  tour  les  crimes  de  lèse-majesté  divine 
quand  il  conçut  dans  son  délire  le  projet  de  venger  Dieu  lui-même, 
ne  fallut-il  pas  qu'il  lui  offrît  aussi  du  sang,  et  qu'il  le  mît  au  moins 
au  niveau  des  monstres  qui  se  disaient  ses  images  ! 

«  La  peine  de  mort  est  nécessaire,  disent  les  partisans  de  l'antique 
et  barbare  routine  ;  sans  elle  il  n'est  point  de  frein  assez  puissant  pour 
le  crime.  Qui  vous  l'a  dit  ?  Avez- vous  calculé  tous  les  ressorts  par 
lesquels  les  lois  pénales  peuvent  agir  sur  la  sensibilité  humaine.  Hélas  ! 
avant  la  mort,  combien  de  douleurs  phisiques  et  morales  l'homme  ne 
peut-il  pas  endurer. 

«  Le  désir  de  vivre  cède  à  l'orgueil,  la  plus  impérieuse  de  tontes 
les  passions  qui  maîtrisent  le  cœur  de  l'homme;  la  plus  ternb'e  de 
toutes  les  peines  pour  l'homme  social,  c'est  l'opprobre,  c'est  l'acca- 
blant témoignage  de  l'exécration  publique.  Quand  le  législateur  peut 
frapper  les  citoyens  par  tant  d'endroits  sensibles  et  de  tant  de  ma- 
nières, comment  pourrait-il  se  croire  réduit  à  employer  la  peine  de 
mort  ?  Les  peines  ne  sont  pas  faites  pour  tourmenter  les  coupables, 
mais  pour  prévenir  le  crime  par  la  crainte  de  les  encourir. 

«  Le  législateur  qui  préfère  la  mort  et  les  peines  atroces  aux 
moyens  plus  doux  qui  sont  en  son  pouvoir,  outrage  la  délicatesse  publi- 
que, émousse  le  sentiment  moral  chez  le  peuple  qu'il  gouverne,  sem- 
blable à  un  précepteur  mal  habile  qui,  par  le  fréquent  usage  des  châti- 
mens  cruels,  abrutit  et  dégrade  l'âme  de  son  élève;  enfin,  il  use  et 
affaiblit  les  ressorts  du  gouvernement  en  voulant  les  tendre  avec  trop 
de   force. 

«  Le  législateur  qui  établit  cette  peine  renonce  à  ce  principe  salu- 
taire que  le  moyen  le  plus  efficace  de  réprimer  les  crimes,  et  d'adapter 
les  peines  au  caractère  des  différentes  passions  qui  les  produisent,  et  de 
les  punir,  pour  ainsi  dire,  par  elles-mêmes.  Il  confond  toutes  les  idées, 
il  trouble  tous  les  rapports,  et  contrarie  ouvertement  le  but  des  lois 
pénales. 

«  La  peine  de  mort  est  nécessaire,  dites-vous?  Si  cela  est,  pour- 
quoi plusieurs  peuples  ont-ils  su  s'en  passer  ?  Par  quelle  fatalité  ces 
peuples  ont-ils  été  les  plus  sages,  les  plus  heureux  et  les  plus  libres  ? 
Si  la  peine  de  mort  est  la  plus  propre   à  prévenir  les  grands  crimes, 


LES   DISCOURS   DE  ROBESPIERRE  439 

il  faut  donc  qu'ils  aient  été  plus  rares  chez  les.  peuples  qui  l'ont  adoptée 
et  prodiguée:  or,  c'est  précisément  tout  le  contraire.  Voyez  le  Japon; 
nulle  part  la  peine  de  mort  et  les  supplices  ne  sont  autant  prodigués; 
nulle  part  les  crimes  ne  sont  si  fréquens  ni  si  atroces.  On  dirait  que 
les  Japonais  veulent  disputer  de  férocité  avec  les  lois  barbares  qui 
les  outragent  et  qui  les  irritent.  Les  républiques  de  la  Grèce,  où  les 
peines  étaient  modérées,  où  la  peine  de  mort  était  ou  infiniment  rare 
ou  absolument  inconnue,  offraient-elles  plus  de  crimes  et  moins  de  vertu 
que  les  pays  gouvernés  par  des  lois  de  sang  ?  Croyez-vous  que  Rome 
fût  souillée  par  plus  de  forfaits,  lorsque  dans  les  jours  de  sa  gloire, 
la  loi  Porcia  eut  anéanti  les  peines  sévères  portées  par  les  rois  et  par 
les  décemvirs,  qu'elle  ne  le  fut  sous  Sylla  qui  les  fit  revivre,  et 
sous  les  empereurs,  qui  en  portèrent  la  rigueur  à  un  excès  digne  de  leur 
infâme  tyrannie  ?  La  Russie  a-t-elle  été  bouleversée  depuis  que  le 
despote  qui  la  gouverne  a  entièrement  supprimé  la  peine  de  mort, 
comme  s'il  eût  voulu  expier  par  cet  acte  d'humanité  et  de  philosophie 
le  crime  de  retenir  des  millions  d'hommes  sous  le  joug  du  pouvoir 
absolu. 

a  Ecoutez  la  voix  de  la  justice  et  de  la  raison;  elle  vous  crie 
que  les  jugemens  ihumains  ne  sont  jamais  assez  certains  pour  que  la 
Société  puisse  donner  la  mort  à  un  homme  condamné  par  d'autres  hom- 
mes sujets  à  l'erreur.  Eussiez- vous  imaginé  l'ordre  judiciaire  le  plus 
parfait,  eussiez-vous  trouvé  les  juges  les  plus  intègres  et  les  plus  éclairés, 
il  restera  toujours  quelque  place  à  l'erreur  ou  à  la  prévention.  Pourquoi 
vous  interdire  le  moyen  de  les  réparer  ?  Pourquoi  vous  condamner  à 
l'impuissance  de  tendre  une  main  secourable  à  l'innocence  opprimée  7 
Qu'importent  ces  stériles  regrets,  ces  opérations  illusoires  que  vous 
accordez  à  une  ombre  vaine,  à  une  cendre  insensible  :  elles  sont  les 
tristes  témoignages  de  la  barbare  témérité  de  vos  lois  pénales.  Ravir 
à  l'homme  la  possibilité  d'expier  son  forfait  par  son  repentir  ou  par 
des  actes  de  vertu,  lui  fermer  impitoyablement  tout  retour  à  la  vertu, 
à  l'estime  de  soi-même,  se  hâter  de  le  faire  descendre,  pour  ainsi  dire, 
dans  le  tombeau  encore  tout  couvert  de  la  tache  récente  de  son  crime, 
est  à  mes  yeux  le  plus  horrible  rafinement  de  la  cruauté. 

<(  Le  premier  devoir  du  Législateur  est  de  former  et  de  conserver 
les  moeurs  publiques,  source  de  toute  liberté,  source  de  tout  bonheur 
social,  lorsque,  pour  courir  à  un  but  particulier,  il  s'écarte  du  but 
général  et  essentiel,  il  commet  la  plus  grossière  et  la  plus  funeste  des 
erreurs.  Il  faut  donc  que  la  loi  présente  toujours  aux  peuples  le  modèle 
le  plus  pur  de  la  justice  et  de  la  raison.  Si,  à  la  place  de  cette  sévérité 
puissante,  calme,  modérée  qui  doit  les  caractériser,  elles  mettent  la 
colère  et  la  vengeance;  si  elles  font  couler  le  sang  humain  qu'elles 
peuvent  épargner  et  qu'elles  n'ont  pas  le  droit  de  répandre,  si  elles 
étalent  aux  yeux  du  peuple  des  scènes  cruelles  et  des  cadavres  meurtris 
par  des  tortures,  alors  elles  altèrent  dans  le  coeur  des  citoyens  les  idées 


440  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

du  juste  et  de  l'injuste,  elles  font  germer  au  sein  de  la  société,  des 
préjugés  féroces  qui  en  produisent  d'autres  à  leur  tour.  L'homme  n'est 
plus  pour  1  homme  un  objet  si  sacré  ;  on  a  une  idée  moins  grande 
de  sa  dignité  quand  l'autorité  publique  se  joue  de  sa  vie.  L'idée  du 
meurtre  inspire  bien  moins  d 'effroi  lorsque  la  loi  même  en  donne 
l'exemple  et  le  spectacle;  l'horreur  du  crime  diminue  dès  qu'elle  ne 
le  punit  plus  que  par  un  autre  crime.  Gardez- vous  bien  de  confondre 
l'efficacité  des  peines  avec  l'excès  de  sa  sévérité:  l'un  est  absolument 
opposé  à  l'autre.  Tout  féconde  les  lois  modérées,  tout  conspire  contre 
les   lois  cruelles. 

«  On  a  observé  que  dans  les  pays  libres,  les  crimes  étaient  plus 
rares,  et  les  lois  pénales  plus  douces.  Toutes  les  idées  se  tiennent.  Les 
pays  libres  sont  ceux  où  les  droits  de  l'homme  sont  respectés,  et  où, 
par  conséquent,  les  lois  sont  justes.  Par-tout  où  elles  offensent  l'huma- 
nité par  un  excès  de  rigueur,  c'est  une  preuve  que  la  dignité  de 
l'homme  n'y  est  pas  connue,  que  celle  du  citoyen  n'existe  pas  ;  c'est 
une  preuve  que  le  législateur  n'est  qu'un  maître  qui  commande  à  des 
esclaves,  et  qui  les  châtie  impitoyablement  suivant  sa  fantaisie.  Je 
conclus  à  ce  que  la  peine  de  mort  soit  abrogée  »  (6). 

Courier  Français,  t.  XI,  n"    152,  p.  252. 

«  Ce  n'étoit  pas  ainsi  (7)  que  penscit  M.  Robertspierre.  [Suit  le 
passage  du  texte  de  Le  Hodey  depuis:  «  Croyez- vous,  disoit-il...  jus- 
qu'à ...s'expier  qu'avec  du  sang.  »  Puis  il  reproduit  d'après  le  même 
journal  le  fragment  suivant:  «  Cette  peine  est  nécessaire.  .  jusqu'à  ..et 
qui  l'irritent.    »] 

Journal  de  la  Noblesse,  t.  II,  n°  23     (B),  p.   105. 

«  Ce  n'est  point  par  une  prédilection  pour  M.  Robespierre  que 
je  ferai  l'extrait  de  son  discours;  mes  principes  sur  le  gouvernement 
sont  presque  entièrement  opposés  aux  siens;  et  s'il  est  favorable  au 
criminel,  il  me  donne  des  armes  en  faveur  de  l'innocence,  et  même  de 
la  vertu  persécutée  et  immolée.  S'il  eût  prononcé  ce  discours  avant  la 
mort  de  Favras,  la  gloire  de  cet  infortuné  ne  seroit  pas  pour  nous  un 
opprobre,  et  tant  d'autres  dont  le  seul  crime  est  de  penser  contre  la 
majeure  partie  du  royaume,  et  de  ne  point  mesurer  assez  leur  zèle  sur 
leur  sûreté  personnelle,  pourraient  se  rassurer  contre  les  attentats  de   la 


(6)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  546;  et  dans  Bûchez 
et  Roux,  X,  66.  Il  a  été  publié  en  1830  chez  Prévost,  Hbraire,  rue  de 
Vaugirard,  avec  un  avant-propos  apocryphe  tiré  des  Mémoires  de 
Robespierre  par  Ch.  Reybaud,  t.  II,  p.  180  (B.N.  8°  Le  29/1564)  ; 
puis  par  Laponneraye,  I,  151-157;  et  par  Ch.  Vellay,  op.  cit.,  p.  66- 
71.  (Le  texte  des  Àrch.  pari.  (XXVI,  622)  y  ajoute  plusieurs  passages 
et  des   mouvements  de   séances    empruntés   à   Le   Hodey. 

<7)  Il  s'agit  de  l'opinion  de  Prugnon. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  441 

loi.  On  verroit  s'écrouler  ce  tribunal  destiné  à  répandre  !e  sang  et  que 
la  ville  d'Orléans  (8)  ne  peut  voir  qu'avec  horreur. 
[Suif  le  §  1   du  Moniteur.] 

«  Le  seul  danger  peut  m'autoriser  à  tuer  mon  ennemi  armé  pour 
m'ôter  la  vie;  mais,  quand  dans  les  sociétés,  la  force  de  tous  est  armée 
contre  un  seul,  quel  principe  de  justice  peut  l'autoriser  à  lui  donner 
la  mort  ?  Quelle  nécessité  peut  l'en  absoudre  ?  Un  vainqueur  qui  fait 
mourir  ses  ennemis  captifs,  est  appelé  barbare;  un  homme  qui  égorge 
un  enfant  qu'il  peut  désarmer  et  punir,  paroît  un  monstre.  Un  accusé 
que  la  société  condamne,  est  tout  au  plus  pour  elle  un  ennemi  vaincu 
et  impuissant;  ii  est  devant  elle  plus  foible  qu'un  enfant  devant  an 
homme  fait...  Le  législateur  qui  préfère  la  mort  et  les  peines  atroces 
à  des  moyens  plus  doux,  outrage  la  délicatesse  publique,  émousse  le 
sentiment  moral  chez  le  peuple  qu'il  gouverne;  semblable  à  un  précep- 
teur malhabile,  qui  par  le  fréquent  usage  des  châtiments  cruels,  abrutit 
et  dégrade  l'âme  de  son  élève;  il  use  et  affoiblit  les  ressorts  du  gouver- 
nement, en  voulant  les  tendre  avec  trop  de  force. 

«  Ici,  M.  Robespierre  oublie  la  moitié  du  principe,  qui  veut 
que  le  meurtrier  soit  puni  de  mort;  il  ne  contemple  que  la  société,  et 
alors  il  fait  du  meurtrier  un  esclave,  dont  le  sang  peut  être  impunément 
versé  par  le  scélérat  qu'il  soustrait  à  la  peine  du  talion.  Il  a  cité 
l'exemple  de  plusieurs  peuples  qui  n'ont  pas  connu,  ou  qui  ont  aboli 
la  peine  de  mort,  et  particulièrement  celui  de  Catherine.  II  a  fait  la 
comparaison  des  meurtres  qui  se  sont  commis  chez  les  mêmes  peuples, 
aux  époques  où  cette  peine  a  subsisté,  et  à  celles  où  elle  a  été  abolie.  » 

[Suit  le  passage  du  Moniteur,  depuis  :  «  Ecoutez  la  voix  de  la 
justice...   jusqu'à  ...contre   les  loix  cruelles   ».] 

Courier  de  Provence,  t.  XV,  n°  295,  p.  44-48. 

«  M.  Prugnon  a  opiné  pour  la  conservation  de  la  peine  de  mort; 
M.  Robespierre  en  a  demandé  l'abolition.  Le  premier  a  traité  cette 
question  terrible  avec  la  délicatesse  et  les  grâces  d'un  homme  d'esprit, 
le  second  avec  la  sensibilité  d'un  philosophe  pénétré  de  la  lugubre 
importance  de  son  sujet. 

a  Voici  l'exorde  touchant  du  discours  de  M.   Robespierre  : 
[Suit  le  début  du  texte  de  Le  Hodey,  jusqu'à:  «   ...la  raison  et 
l'humanité    »] 

«  L'opinion  de  M.  Robespierre  se  divisoit  en  deux  parties.  Dans 
la  première,  il  a  prouvé  que  la  peine  de  mort  étoit  essentiellement 
injuste;  dans  la  seconde,  qu'elle  n'est  pas  la  plus  répressive  de  toutes 


(8)  C'est   la    Haute    Cour    nationale    créée    par    le   décret  'du    10 
mai    1791. 


442  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

les  peines,   et  qu'elle  contribue  beaucoup  plus  à  multiplier   les  crimes 
qu'à  les  prévenir. 

«  L'orateur  a  discuté  le  droit  qu'a  la  société  d'infliger  la  peine 
de  mort.  Ce  droit  n'est  fondé  que  sur  celui_  qu'a  tout  individu  de 
donner  la  mort  à  son  ennemi,  dans  le  cas  où  cet  acte  funeste  seroit 
absolument  nécessaire  à  sa  défense.  Mais  il  est  évident  que  ce  cas  ne 
peut  jamais  exister  pour  la  société,  relativement  à  un  coupable,  si  ce 
n'est  peut-être,  comme  l'a  prévu  le  comité,  quand  ce  coupable  e«t  un 
chef  de  parti. 

[Suit  le  texte  de  Le  Ilodey,  depuis:  «  Croyez-vous. . .  jusqu'à 
...s'expier  qu'avec  du  sang.  »] 

a  L'orateur  a  demandé  ensuite  si  la  peine  de  mort  étoit  nécessaire, 
et  i!  a  conclu  pour  la  négative.  I!  a  démontré  que  les  peines  n'étant 
point  faites  pour  tourmenter  les  coupables,  mais  pour  prévenir  le  crime 
par  la  crainte  de  les  encourir;  que  cette  crainte  dépendant  de  l'impres- 
sion qu'elle  fait,  et  cette  impression  elle-même  dépendant  moins  de  la 
grandeur  du  mal  que  du  caractère,  des  préjugés,  des  mœurs  et  des  lois 
du  peuple  chez  lequel  elles  sont  en  usage;  c'étoit  outrager  les  mœurs 
et  la  sensibilité  d'un  peuple  libre,  que  de  préférer  la  peine  de  mort 
aux  autres  ressorts  qui  sont  entre  les  mains  du  législateur.  Il  a  demandé 
pourquoi,  par  quelle  fatalité  les  peuples  chez  lesquels  cette  peme  étoit 
le  plus  prodiguée,  ont  été  constamment  les  plus  corrompus  et  les  plus 
pervers;  pourquoi  il  se  commettoit  moins  de  crimes  dans  les  pays  où 
cette  peine  est  abolie.  Il  a  fini  par  un  argument  auquel  les  partisans 
de  la  peine  de  mort  ne  pourront  jamais  répondre;  c'est  l'impossibilité 
de  réparer  les  funestes  erreurs  des  juges,  si  jamais,  comme  il  n'y  en  a 
que   trop  d'exemples,    ils  condamnoient   à  mort  un   innocent. 

«  La  discussion  a  été  ajournée.  » 

Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  nationale,  1er  juin  1791,  p.  341. 

«  Trois  séances  et  plus  ont  été  employées  à  la  discussion  de  cette 
seule  question  :  la  peine  de  mort  sera-t-elle  abolie  ou  conservée  }  Parmi 
les  Membres  qui  ont  déployé  leurs  talens  pour  la  faire  rejetter,  on  a 
distingué  MM.  Roberspierre,  Pétion,  Duport  et  quelques  autres.  Ils 
regardoient  cette  peine  comme  un  assassinat  solemnel  commis  par  la 
Loi,  qui,  au  mépris  de  la  morale,  de  la  justice  et  de  l'humanité,  abuse 
avec  autant  de  barbarie  que  de  lâcheté,  de  la  force  infinie  de  la  société 
contre  un  individu.  Ils  soutenoient  que  les  crimes  doivent  être  punis 
par  les  passions  qui  auroient  porté  à  les  commettre;  que  les  privations. 
la  honte  et  le  mépris,  seroient  plus  réprimans  que  l'appareil  des  écha- 
fauds;  que  plus  un  gouvernement  étoit  libre,  plus  les  Citoyens  étoient 
vertueux,  et  plus  le  Code  pénal  devoit  être  humain;  que  la  peine  de 
mort  étoit  une  barbarie  sans  effet;  que  des  mœurs  pures,  et  des  lois 
pour  prévenir  le  crime,  plutôt  que  pour  le  punir,  seroient  la  perfection 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  443 

du  Code  pénal.  Ils  ajoutaient,  que  la  peine  de  mort  tiroit  son  origine 
de  la  Loi  du  Talion;  que  la  Loi  du  Talion  n'était  qu'un  effet  de  la 
vengeance  individuelle,  mais  que  la  société  ne  devoit  pas  agir  comme 
un  individu;  que  le  supplice  détruisoit  dans  le  coupable  tout  espoir  de 
retour  à  la  vertu,  toute  occasion  de  réparer  son  crime;  enfin,  que  sans 
la  peine  de  mort,  Calas  et  tant  d'autres  Citoyens  morts  sur  l'échafaud 
avec  la  honte  du  crime  et  la  conscience  de  la  vertu,  n'auroient  pas 
donné  lieu  à  des  Arrêts  de  réhabilitation,  qui  n'ont  pu,  ni  dédommager 
ces  infortunés  des  horreurs  de  leur  supplice,  ni  ranimer  leurs  cendres, 
ni  réparer  l'iniquité  de  leurs  Juges.   » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  2  juin  1791,  p.  3. 

«  M.  l'abbé  Maury  entendant  M.  Robespierre  débiter  avec 
emphase  ces  dangereuses  folies,  s'est  contenté  de  dire  qu'i/  falloit 
prier  l'orateur  d'aller  prêcher  ses  maximes  dans  la  forêt  de  Bondy.  » 

«  ..M.  Péthion  a  répété  les  mêmes  sophismes,  les  mêmes  absurdi- 
tés que  M.  Robespierre,  il  s'est  jette  dans  les  mêmes  déclamations  :  ces 
messieurs,  sans  songer  à  la  légèreté  de  leurs  provisions,  s'avisent  quel- 
quefois de  vouloir  étaler  des  connoissances  et  briller  par  l'érudition, 
mais  ces  tentatives  leur  réussissent  bien  rarement.  Par  exemple,  M.  Ro- 
bespierre a  débuté  par  un  trait  fort  ridicule  d'histoire  ancienne.  La 
nouvelle,  dit-il,  ayant  été  portée  à  Argos,  que  dans  la  ville  d'Athènes 
des  citoyens  avaient  été  condamnés  à  mort,  on  courut  dans  les  temples 
pour  conjurer  les  dieux  de  détourner  les  A  théniens  de  pensées  aussi 
cruelles.  Ne  diroit-on  pas  que  la  peine  de  mort  était  inconnue  \  Argos, 
et  qu'il  étoit  inouï  que  des  citoyens  fussent  condamnés  à  mort  à  Athènes. 
M.  Robespierre  auroit  dû  nous  indiquer  la  source  où  il  avoit  puisé 
cette  étrange  érudition.    » 

Mercure  de  France,   11   juin  1791,  p.    120-122. 

«  M.  Roberspierre  s'est  chargé  de  prouver  que  la  peine  de  mort 
est  essentiellement  injuste,  qu'elle  n'est  pas  la  plus  répressive,  et  que 
son  effet  est  de  multiplier  les  crimes  au  lieu  de  les  prévenir.  L'homme 
ne  peut  donner  la  mort  à  son  ennemi,  que  lorsque  celte  mort  est  néces- 
saire à  la  propre  conservation  de  celui  qui  tue  pour  n'être  pas  tué; 
or,  la  société  n'a  rien  à  craindre  du  coupable  qu'elle  punit,  il  est 
dans  l'impuissance  de  nuire;  on  !e  juge  paisiblement.  Un  vainqueur  qui 
égorge  ses  captifs  est  appelle  barbare  ;  un  homme  fait  qui  égorge  un 
enfant  pervers  qu'il  peut  désarmer  et  punir,  paroît  un  monstre...  Ici  des 
murmures  ayant  interrompu  l'orateur,  M.  l'abbé  Maury  lui  a  conseillé 
d'aller  débiter  ces  maximes  dans  la  forêt  de  Bondy. 

«  L'avocat  des  parricides,  des  assassins,  des  incendiaires,  de  ces 
enfans  pervers  qui,    dès   qu'on   les   prend,    sont   aussi   respectables   aux 


444  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

yeux  de  la  loi  que  le  brave  guerrier  dont  des  forces  supérieures  ont 
fait  un  captif  sacré  pour  son  généreux  vainqueur,  l'impassible  écho  de 
ces  sophismes  mille  fois  réfutés,  M.  Roberspierre,  a  répondu  que  sa 
doctrine  étoit  celle  de  tous  les  hommes  célèbres,  qui  ne  l'enverroient 
pas  prêcher  dans  la  forêt  de  Bondy.  Avouant  que  c'est  une  terrible 
autorité  que  celle  du  genre  humain,  il  a  dit  qu'elle  avoit  consacré  tous 
les  crimes,  qu'on  ne  devoit  pas  compter  les  voix,  mais  peser  la  vérité 
(proposition  inconstitutionnelle,  anti-révolutionnaire,  qui  sappe  le  grand 
principe  fondamental  de  la  souveraineté  du  peuple  en  ce  sens,  que 
la  loi  est  la  volonté  générale,  axiome  qui  suppose  que  les  voix  seront 
comptées).  Il  a  dit  que  la  question  agitée  se  présentoit  pour  la  première 
fois  à  l'attention  d'un  législateur;  qu'il  venoit  de  la  résoudre;  qu'il 
falloit  frapper  de  préférence  les  scélérats  dans  leur  partie  morale;  que 
l'on  n'auroit  plus  de  délateurs,  si  le  crime  étoit  puni  de  mort,  comme 
si  tous  les  jours  on  ne  dénonçoit  pas  d  honnêtes  gens,  dans  l'abominable 
espoir  que  des  factieux  en  ordonneront  le  supplice.  M.  Roberspierre 
a  conclu  à  ce  que  la  peine  de  mort  fût  abolie,  et  les  galeries  ont  vive- 
ment applaudi  cette  intéressante  conclusion.   » 

Courrier  extraordinaire,  31    mai   1791,  p.   5  (9). 
Mercure  universel,  t.   III,  p.  493. 

«  M.  Robespierre  a  repris  la  discussion  sur  le  code  pénal;  ij  a 
offert  de  prouver:  1°  que  la  peine  de  mort  est  injuste;  2°  qu'elle  n'est 
pas  la  plus  réprimante,  et  qu'elle  contribue  plus  à  justifier  les  crimes 
qu'à  les  punir;  il" a  appuyé  la  première  de  ces  deux  divisions,  sur  ce  que 
la  société  n'a  le  droit  d'infliger  la  peine  de  mort,  que  comme  un 
homme  a  le  droit  de  se  défaire  de  celui  qui  l'attaque,  quand  cet  acte 
terrible  est  indispensablement  nécessaire  pour  la  conservation  de  sa  vie. 

«  Il  a  comparé  les  criminels  punis  de  mort  aux  captifs  qu'un 
vainqueur  immole,   et  à  des   enfans  foibles  qu'un  homme   fort  égorge. 

«  M.  Maury.  Allez  débiter  ce  discours  dans  la  forêt  de  Bondy. 

«  Oui,  a-t-il  dit,  les  peines  de  mort  ne  sont  autre  chose  que  des 
assassinats  solemnels,  faits  par  les  nations  qui,  au  mépris  des  principes, 
abusent  avec  autant  de  perfidie  que  de  bassesse,  d'une  force  infinie 
contre  une   foiblesse   infinie. 

«  Aussi  ce  n'est  point  ce  peuple  qui  a  introduit  la  peine  de  mort; 
ce  sont  les  tyrans  qui  se  sont  environnés  de  satellites;  ce  sont  les  Marius, 


(9)  Le  Courrier  extraordinaire  ajoute  :  «  En  vérité,  nous  aimons 
autant  entendre  raisonner  .M.  Robespierre,  l'apologiste  des  cachots, 
sur  le  code  pénal,  que  'Périsse  Du'luc  sur  la  finance.  L'opinion  de 
ce  brave  Robespierre,  homme  de  bien,  il  faut  en  convenir,  aura  cet 
effet  que  la  forêt  de  Bondy  et  de  iSénar  lui  élèveront  des  autels  ; 
qu'il  n'existera  plus  de  sûreté  sur  les  grands  chemins,  et  gare  nos 
pauvres  assignats,  si  pour  s'en  emparer  sur  les  routes,  on  en  est 
quitte  pour   le  cachot  ». 


LÈS    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  445 

les  Sylla,  les  Octave  qui  ont  porté  la  peine  de  mort  contre  ceux  qui 
attaqueroient  leur  puissance. 

«  Chez  nous,  les  tyrans  crioient  toujours  du  sang,  du  sang.  Le 
vol  d'une  pièce  de  monnaie  étoit  puni  de  la  mort.  Tuoit-on  un  lièvre 
sur  les  plaisirs  du  prince,  c'étoit  encore  la  mort.  Quelles  exécrables 
loix  !  L'opinant  a  demandé  le  rejet  de  la  peine  de  mort.   » 

Journal  de  Louis  XVI  et  de  son  peuple,  t.  IV,  n°  81 ,  p.  32. 

«  Le  démocrate  Robespierre  parle  longtems  contre  la  peine  de 
mort  qu'il  regarde  comme  indigne  d'un  peuple  libre.  Son  discours  n'est 
que  philosophique,  étayé  de  quelques  exemples  historiques,  mais  il  est 
dénué  de  politique  et  de  cette  profondeur  qui  caractérise  l'habile  légis- 
lateur.   S) 

L'Ami  du  Peuple  (Marat),  t.  VIII,  n°  478,  p.  4. 

«  L'ordre  du  jour  ayant  ramené  la  discussion  sur  l'abolissement  de 
la  peine  de  mort,  l'assemblée  a  décrété  avec  raison,  mais  sans  tirer  à 
conséquence,  que  la  peine  de  mort  seroit  réservée  pour  les  grands  cri- 
mes: question  sur  laquelle  nos  fidèles  Péthion  et  Roberspierre  avoient 
établi  un  sentiment  qui  fait  honneur  à  leur  sensibilité,  mais  sujet  à  des 
inconvéniens  trop  graves  pour  être  adopté.  Le  droit  d'infliger  des  peines 
capitales  qu'à  la  société  n'est  pas  douteux,  puisqu'il  découle  de  la 
même  source  que  le  droit  de  donner  la  mort  qu'a  tout  individu,  je  veux 
dire  le  soin  de  sa  propre  conservation.  Or,  si  toute  peine  doit  être  pro- 
portionnée au  délit,  celle  de  l'assassin  et  de  l'empoisonneur  doit  être 
capitale;  à  plus  forte  raison,  celle  du  conspirateur,  et  de  l'incen- 
diaire »  (10). 

Courrier  Français,  t.  XI,  n°   151,  p.  239. 

«  MM.  Prugnon  et  Robertspierre  ont  alors  été  successivement 
entendus  :  le  premier  contre  la  suspension  de  la  peine  de  mort,  et  le 
second  en  sa  faveur.  Comme  la  discussion  a  été  renvoyée  à  demain, 
nous  ferons  connoître  ces  deux  discours  en  observant  que  ce  que  M.  Ro- 
bertspierre a  dit  de  mieux,  étoit  puisé  dans  un  excellent  ouvrage  composé 
sur  les  peines  capitales,  pai  M.  Vasselin  »  (11). 


(10)  Cité  par   E.    Hamel,    I,    455,    note   2. 

(11)  Nous  n'avons  pu  retrouver  cet  ouvrage;  mais  la  questiou 
de  l'abolition  de  la  peine  de  mort  eut  un  grand  retentissement, 
témoin  ces  réflexions  de  Boussemart,  qui  rédigera  plus  tard  des 
pamphlets  imités  du  Père  Duchesne  i(cf.  G.  Walter,  p.  110  et 
note  02):  Sentimens  d'un  François  sur  la  peine  de  mort  prononcée 
i>ar  l'As-cnibli'i'  Nationale,  par  lîoussemart,  avocat,  dé'dié  à  M.  Ro- 
bespierre, député  pat  viole,  avec  .cette  épigraphe:  «  Non  occkle*  » 
(Paris,  in-8",  «  pages),  «  Mou  cher  confrère,  non  pas  en  qualité 
de  député,  mais  par  un  caractère  indélébile,  celui  d'avoir  prêté 
tous  doux   le  même  serment  dans  le  même  tribunal   où   nous   avons 


446  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Point  du  Jour, 
t.  XXII,  n°  690,  p.  576;  Le  Journal  général  de  France,  1*r  juin  1791, 
p.  606;  Le  Bulletin  et  Journal  des  Journaux,  n°  65;  La  Correspon- 
dance nationale,  n°  31,  p.  288;  Le  Journal  de  Paris,  31  mai  1791, 
p.  607;  Le  Creuset,  t.  II,  n°  45;  Le  Patriote  français,  n°  662,  p.  608; 
Le  Lendemain,  t.  III,  n°  151,  p.  564;  Le  Journal  universel,  t.  XII, 
p.  8035;  Le  Journal  général,  n°  120,  p.  484;  Le  Mercure  national  et 
étranger,  31  mai  1791,  p.  716;  Le  Législateur  français,  t.  II,  1er  juin 
1791,  p.  3;  La  Gazette  universelle,  t.  III,  n°  151 ,  p.  604;  Le  Journal 
de  Rouen,  n°  152,  p.  735;  Le  Courrier  d'Avignon,  n°  132,  p.  527; 
Le  /ourna/  c/es  Deèafs,  n°  737,  p.  20.] 


juré  d'offrir  notre  ministère  au  pauvre  comme  au  riche,  à  la  veuve 
comme  à  l'orphelin,  de  défendre  les  droits  de  l'humanité,  de  la 
justice,  serment  sacré,  serment  que  rien  ne  peut  rompre,  Robes- 
.pierre,  recevez  mon  hommage,  vous  le  méritez,  et  la  postérité 
vous  rendra  justice.  Vous  êtes  brave,  Robespierre,  vous  marchez 
à  grands  pas  vers  l'immortalité,  que  les  obstacles  ne  vous  arrêtent 
point.  Plus  le  péril  aura  été  grand,  plus  la  gloire  sera  durable; 
tonnez  dans  la  tribune;  terrassez  avec  ces  .armes  de  l'éloquence  qui 
vous  ont  si  bien  servi  jusqu'à  ce  jour,  et  qui  sont  si  redoutables-  aux 
ennemis  de  notre  constitution  et,  du  genre  humain  ;  frappez,  dis-je, 
d'anathème  ces  hommes  qui  ont  ose  donner  leurs  voix  pour  la  des- 
truction de  leurs  semblables...  »  (cité  par  F-  Hamel,  I,  454,  note  1); 
cf  également  l'opinion  de  l'abbé  Jallet  sur  la  peine  de  mort  (Esprit 
des  Journaux,   1791,  t.   III,  p.   172). 


297.  —  SEANCE  DU  31  MAI  1791 
Sur  une  lettre  de  l'abbé  Raynal 


Le  président  de  l'Assemblée,  .Bureau  de  Pusy,   annonce  qu'il  a 
reçu    une   adresse  de    l'abbé  Haynal    (1)    et  demande   à    l'Assemblée 


(1)  L'abbé  Raynal,  banni  par  un  arrêt  du  Parlement  pour  son 
u  Histoire  philosophique  des  deux  Indes  »,  était  récemment  revenu 
à  Paris.  Dès  son  retour,  il  avait  été  circonvenu  par  les  membres 
de  la  droite.  Il  se  rend  chez  Bureau  de  Pusy  dans  la  matinée  du 
31  mai  et  lui  remet  cette  lettre.  Ferrières  i(Mémoires,  II,  313)  trouve 
que  le  président  de  l'Assemblée  se  serait  un  peu  trop  complaisam- 
ment  prêté  à  cette  comédie  i(Cf.  E.  .Hamel,  I,  456-458,  et  A.  Feu- 
gère  :  «  L'abbé  Raynal  et  la  Révolution  française  »  (Ann.  révol. 
1913,  p.  309).  Gorsas  insiste  sur  ce  fait  dans  son  Courrier  (2  juin 
1791,  n°  2,  p.  42,  note  2)  et  écrit:  «  Il  y  a  déjà  quelque  temps  que 
les  noirs  projettoient  l'exécution  de  cette  comédie.  Le  dessein  en 
fut  pris  dans  un  repas  donné  par  Malhouet  à  plusieurs  de  ses  illus- 
tres confrères.  L'abbé  Raynal  étoit  un  des  co.nvives.  M.  d'Uh... 
(membre  du  côté  droit),  eut  la  sottise  d'en  faire  confidence  à  un 
de  ses  collègues,  dont  un  ne  peut  soupçonner  les  vertus  civiques. 
Ce  que  nous  osons  .affirmer,  c'est  que  dans  la  séance  où  ce  pamphlet* 
fut  lu,  le  côté  droit  ne  contenoit  pas  60  députés  vers  les  11  heures; 
il  se  garnit  tout  d'un  coup  au  moment  fixé  par  le  règlement  pour 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  447 

si  elle  veut  en  entendre  la  lecture.  Un  des  secrétaires  en  donne 
aussitôt  connaissance  (2).  L'abbé  Raynal  s'y  'livre  à  une  critique 
sévère  de  l'œuvre  de  la  Constituante:  «  ...Que  vois-je  autour  de 
•moi?  des  troubles  religieux,  des  dissensions  civiles;  la  consternation 
des  uns,  la  tyrannie  et  l'audace  -des  autres;  un  gouvernement  esclave 
de  la  tyrannie  populaire,  le  sanctuaire  des  lois  envahi  par  des  hom- 
mes effrénés  qui  veulent  alternativement  les  dicter  ou  les  braver; 
des  soldats  sans  discipline,  des  chefs  sans  .autorité,  des  ministres 
sans  moyens;  un  roi,  le  premier  ami  de  son  peuple,  plongé  dams 
l'amertume,  outragé,  menacé,  dépouillé  de  toute  autorité  ».  Il  con- 
clut en  préconisant  le  renforcement  du  pouvoir  exécutif:  «  ...confier 
au_  roi  toute  la  force  nécessaire  pour  assoirer  la  puissance  des 
lois...    ». 

Robespierre  prend  la  parole  et  demande  que  l'Assemblée  passe 
à  l'ordre  du  jour,   ce  qu'elle  décide   à  la  presque  unanimité. 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXII,  p.  563. 

«  Après  la  lecture  de  cette  étrange  lettre,  M.  Robespierre  a  pris 
ainsi  la  parole. 

«  Jamais  l'Assemblée  nationale  ne  m'a  paru  aussi  supérieure  aux 
reproches  de  ses  ennemis  qu'au  moment  où  je  l'ai  vu  écouter  avec  une 
patiente  tranquillité  la  diatribe  véhémente  qui  vient  d'être  lue  contre  la 
révolution,  à  laquelle  elle  a  contribué.  (On  applaudit).  Quelqu'un  se 
seroit-il  flatté  qu'il  existe  en  France  ou  ailleurs  un  homme  assez  grand 
pour  opposer  avec  succès  sa  censure  aux  opérations  des  représentans 
de  la  nation  française  et  au  vœu  général  de  cette  même  nation  ?  (On 
applaudit   encore). 

«  Je  ne  sais,  mais  il  me  semble  que  la  lettre  qu'on  vient  de  vous 
lire  est  infiniment  instructive,  mais  dans  un  sens  différent  de  l'esprit  qui 
l'a  dictée.  Une  circonstance  m'a  frappé  pendant  la  lecture  qui  vous  en 
a  été  faite,  Cet  homme  célèbre  qui  est  censé  vous  l'adresser,  a  vu  les 
commencemens  de  cette  grande  révolution,  et  il  n'a  pas  parlé  à  ses  conci- 
toyens pour  les  éclairer,  ni  pour  favoriser  la  conquête  de  cette  liberté 
dont  il  se  déclare  l'adorateur.  Dans  quel  moment  rompt-il  cet  étonnant 
silence  ?  Dans  celui  où  chacun  sait  que  les  ennemis  de  la  révolution 
déployent  toutes  leurs  ressources  pour  en  arrêter  le  cours,  dans  celui 
où  ils  espèrent  faire  échouer  la  liberté  au  port  où  elle  est  si  près  d'arri- 
ver. Je  ne  veux  pas  cependant  livrer  à  la  sévérité  de  l'opinion  publique 
l'auteur  célèbre  de  cette  diatribe,  cet  homme  qui,  à  côté  de  plusieurs 
opinions   qui    parurent    outrées   et    réprouvées   par    la    raison    aux    yeux 

lire  les  adresses.  (On  dit  même  que  M.  Bureau  de  Puzy,  impatienté 
de  ne  pas  voir  arriver  assez  tôt  les  chefs  de  la  bande  noire,  envoya 
plusieurs   fois   à   leur    rencontre)    ». 

(2)  La  lettre  de  l'abbé  Raynal  a  été  imprimée  chez  Migneret, 
rue  Jacob  fin  8°,  16  p.,  17«>1)  et  figure  aux  Arcli.  nat.  (C  70,  pi.  686, 
p  27)  cl.  h,  l;i  B.N.  (iLb39  -1!)72)  qui  possède  une  autre  édition  parue 
chez  Volland  (Lb;;>  1(j71)  ainsi  qu'une  traduction  anglaise  (Lba9 
41)73).  On  en  trouve  également  le  teAte  dans  le  Courier  de  Provence, 
t.   XV,   p.   53. 


448  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

mêmes  des  amis  de  !a  liberté,  publia  cependant  des  vérités  funestes 
à  la  superstition  et  au  despotisme.  Je  lui  cherche  une  excuse  dans  la 
circonstance  même  qu'il  vous  a  rappelle,  son  grand  âge.  Je  pardonne 
même  à  ceux  qui  pourraient  avoir  quelque  part  à  la  démarche  extraordi- 
naire qu'il  s'est  permise  auprès  de  vous,  à  ceux  qui  tout  à  l'heure  ont 
paru  y  applaudir.  (Le  côté  gauche  et  les  tribunes  ne  cessent  d'applau- 
dir). Je  leur  pardonne  parce  que  je  suis  convaincu  que  la  lettre  pro- 
duira un  effet  tout  opposé  à  celui  qu'on  en  a  attendu.  0n  dira  :  elle 
est  donc  bien  favorable  aux  peuples  et  fatale  aux  tyrans,  cette  révo- 
lution que  l'on  attaque  par  tant  de  moyens.  Ils  ont  donc  fait  quelque 
chose  pour  le  bonheur  des  hommes,  ceux  que  les  ennemis  de  l'égalité 
et  de  l'humanité  calomnient  avec  tant  d'acharnement.  Le  peuple  fran- 
çais a  donc  acquis  le  droit  de  donner  un  exemple  salutaire  aux  autres 
peuples,  puisque  les  fauteurs  du  despotisme  poussent  leur  délire  jus- 
qu'au point  de  faire  servir  l'autorité  d'un  homme  qui  conserve  encore 
un  nom,  à  accréditer,  s'il  étoit  possible,  toutes  les  opinions  insensées  que 
nous  entendons  tant  répéter  par  les  ennemis  du  peuple  et  de  la  liberté. 
(On  applaudit). 

«  Ces  calomnies  absurdes  contre  les  représentans  de  la  nation,  les 
blasphèmes  contre  la  nation  même  et  contre  la  liberté,  puisqu'ils  n'ont 
pas  été  effrayés  de  l'absurde  contradiction  qui  existe  entre  les  écrits 
antérieurs  de  ce  même  homme  et  les  absurdités  qui  sont  parvenues 
jusqu'à  nous  par  son  organe,  entre  ces  diatribes  violentes  et  quelquefois 
indécentes,  qu'il  publia  non  seulement  contre  le  clergé,  dont  il  étoit 
membre,  mais  contre  la  religion  elle-même,  et  ces  regrets  amers  qu'il 
donne,  non  au  clergé,  non  à  la  religion,  mais  aux  abus  qui  infectoient 
l'église  de  France,  et  qui  déshonoroient  la  nation;  entre  ces  violentes 
sorties  contre  les  rois,  et  les  efforts  qu'il  fait  aujourd'hui  pour  vous 
engager  à  rétablir  le  despotisme  ministériel  sous  des  formes  nouvelles. 
C'est  ici  qu'il  est  important  de  saisir  le  véritable  esprit  de  la  lettre 
dont  nous  parlons  Vous  approchez  du  moment  où  vous  allez  mettre 
le  sceau  à  votre  ouvrage  et  décider  définitivement  quel  sera  le  véritable 
caractère  de  votre  constitution,  si  elle  penchera  vers  la  liberté  ou  vers 
le  despotisme,  et  cet  illustre  défenseur  de  la  liberté  vous  invite,  en 
propres  termes,  à  modifier  vos  principes  dans  la  révision  de  vos  décrets; 
il  vous  présente  sous  les  couleurs  exagérées  de  l'anarchie  e*  du  désordre, 
et  ce  mouvement,  ces  contradictions  passagères,  qui  sont  l'effet  naturel 
de  toute  révolution  et  la  crise  nécessaire  de  la  liberté;  il  les  impute 
à  crime  aux  représentans  du  peuple  françois,  à  ce  peuple  sur-tout  qu'il 
peint  comme  une  horde  de  brigands  qu'il  faut  dompter.  Il  vous  invite 
à  faire  cesser  ces  prétendus  désordres  en  rendant  au  pouvoir  exécutif 
une  énergie,  une  autorité  absolue  incompatible  avec  la  liberté  et  la 
constitution  nouvelle.  Voilà  en  peu  de  mots  l'esprit  et  l'objet  de  toutes 
les  déclamations  insolentes  que  vous  avez  entendues.  Je  me  charge 
d'y  répondre,   en  un  mot,  au  nom  de  l'assemblée  nationale.   Je  renou- 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  449 

velle  en  son  nom  le  serment  de  suivre  constamment  ces  principes  d'éga- 
lité, de  justice,  d'humanité  sur  lesquels  elle  doit  fonder  la  constitution, 
d'aimer,  de  respecter  toujours  ce  peuple  doux,  patient,  vertueux,  que 
l'on  ne  calomnieroit  pas,  s'il  avoit  les  vices  de  ses  tyrans.  (On  applaudit 
plusieurs  fois).  Ce  peuple  qui  est  à  la  fois  l'objet,  la  cause  et  l'appui 
de  cette  glorieuse  révolution,  qui,  comme  l'auteur  de  la  lettre  l'a  prévu, 
doit  ébranler  le  monde  pour  le  régénérer. 

«  Je  ne  m'occupe  plus  de  cette  misérable  diatribe  que  vous  avez 
lue,  entendue.  Tout  ce  que  je  peux  faire,  c'est  de  donner  un  senti- 
ment de  considération  à  un  auteur  célèbre,  dont  on  n'a  pas  craint  de 
déshonorer  la  vieillesse.  Il  suffit  que  l'assemblée  nationale  soit  au-dessus 
de  toutes  les  calomnies,  et  que  réparant  la  foiblesse  qu'elle  auroit  pu 
montrer  quelquefois  pour  les  ennemis  du  peuple,  et  qu'on  se  gardera 
bien  de  lui  reprocher,  elle  confonde  tous  les  siens  en  servant  le  peuple 
et  la  liberté  avec  le  courage  et  cette  énergie  qu'elle  a  déployée  dans 
le  commencement  de  la  révolution.  Je  demande  qu'on  passe  à  l'ordre 
du  jour. 

«  (On  a  applaudi  de  toutes  les  parties  de  la  salle  et  des  tribunes. 
Le  côté  droit  a  seul  gardé  le  silence).  » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXVII,  p.  17 

Le  Logographe,  Journal  national,  30  mai   1791,  p.    171. 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    153,  p.   635  (3). 

«  M.  Robespierre.  J'ignore  quelle  impression  a  faite  sur  vos  esprits 
la  lettre  dont  la  lecture  vient  de  vous  être  faite  (a),  mais  l'assemblée 
ne  m'a  jamais  paru  tant  au-dessus  de  ses  ennemis  qu'au  moment  où  je 
l'ai  vue  écouter  avec  une  tranquillité  si  expressive  la  censure  la  plus 
véhémente  de  sa  conduite  et  de  la  révolution  qu'elle  a  faite  (b)  et  qu'elle 
doit  protéger.  (Vifs  applaudissemens).  Une  circonstance  m'a  frappé  à  la 
lecture  de  cette  lettre.  Cet  homme  célèbre  qui,  à  côté  de  beaucoup 
d'opinions  qui  furent  accusées  jadis  de  pécher  par  un  excès  d'exagé- 


(3)  Variantes  du  Moniteur  :  <a)  dont  vous  venez  d'entendre  la 
lecture;  b)  (la  partie  gauche  et  les  tribunes  applaudissent  à  plu- 
sieurs reprises).  Je  ne  sais,  mais  cette  lecture  me  paraît  instructive 
dans  un  sens  bien  différent  de  celui  où  elle  a  été  faite.  En  effet, 
une  réflexion  m'a  frappé  en  entendant  cette  lecture;  c)  (les  applau- 
dissemens recommencent);  d)  parce  que  je  suis  persuadé  qu'elle...; 
e)  elle  est  donc  bien  favorable  au  peuple,  dira-t-on  ;  f)  passage  sup- 
primé jusqu'à...  .révolution;  g)  puisque  pour  y  réussir  on  se  sert 
d'un  homme  qui  ;  h)  (nouveaux  applaudissemens)  et  que  .sous  son 
non)  on  produit  [les  opinions  les  plus  contraires  aux  siennes];  i)  qui 
est  aine  crise  si  naturelle  de  la  liberté  que  sans  cette  crise,  le  des- 
potisme...; j)  passage  omis  jusqu'à:  nous  ne  .nous  livrerons  point...; 
k)  passage  omis  jusqu'à  la  lin  de  l'alinéa;  1)  passage  omis  jusqu'à 
la  fin  de  l'alinéa;  m)  M.  Robespierre  descend  de  la  tribune  au  milieu 
d<  s  applaudissemens  de  la  partie  gauche  et  de  toutes  les  tribunes  ». 
Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,   VIII,   555. 


450  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

ration,  a  cependant  publié  des  vérités  utiles  à  la  liberté,  cet  homme, 
depuis  le  commencement  de  la  révolution,  n'a  point  pris  la  plume  pour 
éclairer  ses  concitoyens,  ni  vous  :  et  dans  quel  momen'  rompt-il  le 
silence  ?  Dans  le  moment  où  les  ennemis  de  la  révolution  réunissent 
leurs  efforts  pour  l'arrêter  dans  son  cours  (c).  (Vifs  applaudissemens). 
«  Je  suis  bien  éloigné  de  vouloir  diriger  la  sévérité,  je  ne  dis  pas 
de  1  assemblée,  mais  de  l'opinion  publique  sur  un  homme  qui  conserve 
un  grand  nom.  Je  trouve  pour  lui  une  excuse  suffisante  dans  une  circons- 
tance qu'il  vous  a  rappelée,  je  veux  dire  son  grand  âge.  (Murmures  à 
droite,  applaudissemens  à  gauche).  Je  pardonne  même  à  ceux  qui  au- 
roient  pu,  sinon  contribuer  à  la  démarche  qu'il  a  faite  auprès  de  vous,  du 
moins  à  ceux  qui  sont  tentés  d'y  applaudir;  je  leur  pardonne,  dis-je 
(d),  car  je  suis  convaincu  que  la  lettre  produira  dans  le  public,  dans 
toute  la  nation  et  par-tout  un  effet  contraire  à  celui  qu'on  attendoit.  (Vifs 
applaudissemens). 

(e)  «  Oui,  messieurs,  tout  le  monde  dira  :  elle  est  donc  bien  favo- 
rable au  peuple  cette  constitution,  elle  est  donc  bien  funeste  à  la  tyran- 
nie; (f)  ils  ont  donc  acquis  bien  des  droits  à  la  reconnoissance  des 
nations,  ceux  qui  ont  contribué  à  cette  révolution,  puisqu'on  emploie  des 
ressorts  si  extraordinaires  pour  les  décrier  dans  l'opinion  publique,  (g) 
puisqu'un  homme  qui  n'étoit  connu  dans  l'Europe,  jusqu'à  ce  moment, 
que  par  un  amour  passionné  de  la  liberté,  qui  étoit  jadis  accusé  de 
licence  par  ceux  qui  le  prennent  aujourd'hui  pour  leur  apôtre  et  pour 
leur  héraux  (h)...  (Applaudissemens  réitérés). 

<(  Ils  sont  donc  bien  dignes  d'être  imités  par  tous  ceux  qui  gou- 
vernent ou  qui  représentent  les  peuples,  dira-t-on,  puisque  l'on  a  poussé 
l'acharnement  contre  eux,  au  point  de  se  couvrir  du  nom  d'un  tel  homme 
pour  les  calomnier,  puisque  sous  son  nom,  ont  été  produites  les  opinions 
les  plus  contraires  aux  siennes,  les  absurdités  même  que  l'on  trouve 
dans  la  bouche  des  ennemis  les  plus  déclarés  de  la  révolution  (applaudi), 
non  plus  simplement  ces  reproches  imbéciles  prodigués  contre  ce  que 
l'assemblée  nationale  a  fait  pour  la  liberté,  mais  contre  la  nation  fran- 
çaise toute  entière,  mais  contre  la  liberté  elle-même;  car  n'est-ce  pas 
attaquer  la  liberté  elle-même  que  de  dénoncer  à  l'uni  ver?  comme  les 
crimes  des  françois  ou  de  ses  représentans  le  trouble,  le  tiraillement  (i) 
qui  accompagne  nécessairement  toute  révolution,  qui  est  une  crise  si 
naturelle  de  la  liberté  que  sans  cette  crise,  la  maladie  du  corps  poli- 
tique, le  despotisme  et  la  servitude  seraient  incurables  (applaudi)  ?  (j) 
N'est-il  pas  évident  que  c'est  la  liberté  qu'on  veut  attaquer  avant  qu'elle 
soit  encore  solidement  établie  sur  tous  ses  fondemens,  lorsqu'au  moment 
où  les  représentans  de  la  nation  sont  sur  le  point  de  compléter  leur 
ouvrage  et  de  fixer  définitivement  le  véritable  caractère  de  leurs  opéra- 
tions, de  l'incliner  ou  vers  le  despotisme,  ou  vers  la  liberté,  on  les 
prépare  par  de  telles  insinuations,  et  par  l'autorité  imposante  d'un  grand 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  451 

nom  à  se  défier  de  leurs  principes,  à  renverser,  à  altérer  par  un  dernier 
décret  l'ouvrage  qu'ils  ont  préparé  par  les  décrets  précédens. 

«  Non,  messieurs,  nous  ne  nous  livrerons  point  aux  alarmes  dont 
on  veut  nous  environner  :  (k)  nous  ne  concevrons  point  de  mépris  pour 
les  principes  de  la  liberté,  de  préventions  contre  ceux  qui  la  défen- 
dent, ni  contre  ce  peuple  généreux,  bon  et  patient  (se  tournant  à  droite) 
que  toutes  vos  calomnies  ne  remettront  pas  dans  vos  fers  (!a  partie 
droite  se  soulève  et  murmure  pendant  longtems),  ce  peuple,  objet  de 
nos  travaux,  soutien  de  la  révolution,  que  vous  calomniez  en  vain,  et  qui 
sera  toujours  juste,  toujours  patient,  toujours  vertueux  et  l'appui  le  plus 
ferme  de  sa  liberté  (vifs  applaudissemens). 

«  C'est  dans  ce  moment,  où  par  une  démarche  extraordinaire,  on 
vous  annonce  clairement  quelles  sont  les  intentions  manifestes,  quel  est 
l'acharnement  des  ennemis  de  l'assemblée  nationale  et  de  la  révolution; 
c'est  dans  ce  moment  que  je  ne  crains  point  de  renouveller,  en  votre 
nom,  le  serment  de  suivre  toujours  les  principes  sacrés  qui  ont  été  la 
base  de  votre  constitution,  de  ne  jamais  nous  écarter  de  ces  principes 
pour  revenir  par  une  voie  oblique  et  indirecte  au  despotisme,  ce  qui 
sera  le  seul  moyen  de  ne  laisser  à  nos  successeurs  et  à  la  nation  que 
troubles,  qu'anarchie;  (1)  car  il  y  a  trouble,  il  y  a  anarchie  toutes  les 
fois  que  d'un  côté  une  nation  a  conçu  l'espérance  de  la  liberté,  qu'on 
lui  en  a  donné  le  gage  assuré  dans  la  reconnoissance  des  principes  sur 
lesquels  elle  est  fondée,  et  que  de  l'autre  on  l'entraîne  hors  de  ces 
principes  et  qu'on  veut  la  rappeller  au  despotisme. 

«  M.  le  Président,  je  ne  veux  point  m'occuper  davantage  de  cette 
lettre,  ni  de  la  circonstance  particulière.  L'assemblée  s'est  honorée  en 
entendant  cette  lettre.  Je  demande  que  l'on  passe  à  l'ordre  du  jour 
(très  vifs  applaudissemens)  (m).  A  l'ordre  du  jour,  à  l'ordre  du  jour)  »  (4). 

Le  Courrier  des  LXXXIII  départemens,  2  juin  1791,  n°  2,  p.  42. 

Réflexions  de  M.  Roberspierre  sur  cette  lettre  qui  a  occasionné 
des  trépignemens  de  joie  dans  le  côté  droit 

[Suit  le  texte  de  Le  Hodey,  depuis  :  «  l'Assemblée  ne  m'a  jamais 
paru  ..  »  jusqu'à:  «  le  despotisme  et  la  servitude,  seraient  incurables  ».] 

<(  Non,  messieurs,  nous  ne  nous  livrerons  point  aux  allarmes  dont 
on  veut  nous  environner  :  nous  ne  concevrons  point  de  mépris  pour  les 
principes  de  la  liberté,  de  prévention  contre  ceux  qui  la  défendent,  ni 
contre  ce  peuple  généreux,  bon  et  patient  (il  se  tourne  du  côté  droit)  que 
toutes  vos  calomnies  ne  remettront  pas  dans  vos  fers.  (Ici  la  partie  droite 
se  soulève...  s'avance  au  milieu  de  la  salle...  vers  la  tribune,  et  menace 
l'orateur  éloquent,  qui  continue  à  dévoiler  cïcc  comagç  hs  manœuvré* 


<4)  Le  texte  reproduit  dana  le«  Arch.  pari.,  XXVI,  JkhJ,  eut  une 

combinaison    de    coux    du    Moniteur,    de    Le    Hodey    e1     du    l'oint    du 
Jour. 


452  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

perfides  des  ennemis  du  bien  public).  Ce  peuple,  ajoute  M.  Roberspierre, 
objet  de  nos  travaux,  soutien  de  la  révolution  que  vous  calomniez  en 
vain,  et  qui  sera  toujours  juste,  toujours  patient,  ne  se  lassera  point.  Il 
gardera  le  sceptre  de  la  hberté,  et  si  les  hommes  qu'il  a  honorés  de 
sa  confiance  vouloient,  par  une  démarche  rétrograde,  détruire  leur  propre 
ouvrage,  la  Nation  généreuse  qui  les  a  soutenus  jusqu'à  ce  jour,  tour- 
neroit  contre  eux  les  armes  dont  elle  s'est  servie  pour  écraser  l'hydre  de 
la  tyrannie. 

<(  N.B.  —  Telle  est  la  force  de  la  justice  et  de  la  vérité,  que  ce 
discours  inspiré  par  le  patriotisme  le  plus  pur,  répandit  le  trouble  et  la 
crainte  dans  l'âme  de  ces  hommes  ambitieux  qui  ne  peuvent  survivre 
à  la  ruine  du  despotisme.   » 

Mercure  de  France,   11  juin  1791,  p.   131-132. 

«  A  peine  a-t-on  eu  fini  cette  désolante  lecture,  que  M.  Robers- 
pierre s'est  emparé  de  la  tribune,  et  a  dit  que  jamais  l'Assemblée  ne  lui 
avoit  paru  tant  au-dessus  de  ses  ennemis,  qu'au  moment  où  il  l'a  vue 
écouter  avec  une  tranquillité  si  expressive,  la  censure  la  plus  violente  de 
sa  conduite  et  de  la  révolution  qu'elle  a  faite,  et  qu'elle  doit  protéger. 
Eloigné  de  diriger  la  sévérité  des  législateurs,  ou  même  l'opinion,  contre 
un  homme  qui  conserve  un  grand  nom,  il  a  rappelle  son  âge  pour  l'excuser, 
et  a  prétendu  que  sa  lettre  produiroit  un  effet  contraire  à  celui  qu'on 
en  attendoit. 

[Suit  un  passage  de  Le  Hodey,  depuis:  «  Oui,  messieurs.,  tout  le 
monde  dira...   »  jusqu'à:  «  mais  contre  la  liberté  elle-même  ».] 

«  Après  avoir  accusé  l'auteur  de  la  lettre  de  vouloir  nous  ]etter 
dans  l'anarchie  en  conseillant  d'abandonner  les  principes,  M.  Robers- 
pierre  a  conclu  à  ce  qu'on  passât  à  Tordre  du  jour.  Le  côté  gauche 
a  couvert  son  propre  éloge  d'applaudissemens  ingénus,  et  des  vociféra- 
tions ont  appelle  l'ordre  du  jour.   » 

Le  Lendemain,  t.   III,  n°    156,  p.  606. 

«  M.  Roberspierre  a  dit  qu'il  falloit  pardonner  cette  lettre  à  la 
caducité  de  l'abbé  Raynal.  M.  Roberspierre  est  accoutumé  à  faire  du 
pathos,  et  ici  il  s'est  surpassé.  On  ne  pardonne  qu'un  délit  ou  une 
injure.  La  lettre  est  ferme,  elle  est  vigoureuse,  mais  elle  n'est  point 
injurieuse;  il  n'y  a  nulle  injure  à  dire  à  un  individu  ou  à  un  corps  qui 
s'est  trompé,  parce  que  l'erreur  est  l'apanage  le  plus  ordinaire  de  la 
foiblesse  humaine. 

«  La  lettre  n'est  point  un  délit,  elle  ne  fait  que  présenter  avec 
force,  mais  en  même  tems  sans  circonlocution,  sans  aigreur,  l'opinion 
de  l'abbé  Raynal. 

«  M.  Roberspierre  auroit-il  voulu  dire  que  cette  opinion  est  une 
folie,  produite  par  la  foiblesse  de  la  tête  de  notre  philosophe? 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  453 

((  Cette  foiblesse  ne  s'apperçoit  ni  dans  le  style  ni  dans  !e  raison- 
nement, et  il  seroit  difficile  à  M.  Roberspierre  de  la  faire  appercevoir 
dans  le  fond  du  jugement. 

«  Il  seroit  curieux  de  voir  comment  M.  Roberspierre,  qui  n'est 
pas  encore  caduc,  détruirait  les  preuves  qu'apporte  l'abbé  Raynal  de 
l'anéantissement  de  la  monarchie;  comment  il  pourroit  justifier  le  gouver- 
nement tyrannique  des  clubs;  comment  il  prouveroit  que  nous  ne  som- 
mes pas  parvenus  au  dernier  degré  de  l'anarchie,  aujourd'hui  que  les 
décrets  de  l'assemblée  nationale  même  ne  sont  plus  respectés,  et  que 
les  hordes  aussi  cruelles  qu'impies,  viennent  au  milieu  des  violences 
et  des  sacrilèges,  d'infirmer  impunément  la  loi  portée  sur  la  liberté  du 
culte  religieux.   » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  3  juin  1791,  p.  2-3. 

«  M.  Robespierre  s'est  chargé  de  vanger  l'honneur  du  corps; 
après  avoir  félicité  la  compagnie  sur  l'héroïque  patience  avec  laquelle 
elle  avoit  écouté  cette  xensure  humiliante;  il  a  témoigné  sa  surprise 
de  ce  que  l'abbé  Raynal  qui,  depuis  le  commencement  de  la  révolution, 
n'a  point  pris  la  plume  pour  éclairer  ses  concitoyens,  eût  choisi  pour 
rompre  le  silence,  le  moment  où  les  ennemis  de  la  révolution  réunissent 
leurs  efforts  pour  l'anéantir  dans  son  cours.  Il  y  a  de  la  malice,  mais 
encore  plus  d'injustice  dans  ce  reproche.  Pour  juger  la  constitution,  il 
falloit  bien  attendre  qu'elle  fût  finie,  il  falloit  en  voir  les  effets  et 
s'éclairer  par  l'expérience  :  qui  se  seroit  attendu  qu'après  tant  de  pro- 
messes, de  déclamations  et  d'éloges,  ces  sublimes  travaux  aboutiroient 
à  la  ruine  et  au  malheur  de  la  nation  :  c'est  dans  le  moment  où  la  nation 
doit  ratifier  l'ouvrage  de  ses  représentans,  que  tous  les  citoyens  doivent 
élever  la  voix  et  prononcer  leur  jugement;  c'est  le  moment  critique  que 
l'abbé  Raynal  a  dû  choisir;  et  si  tant  d'efforts  se  réunissent  aujourd'hui 
contre  la  révolution,  c'est  qu'après  l'essai  qu'on  en  vient  de  faire, 
on  la  juge  dangereuse,  et  qu'elle  n'a  point  le  suffrage  de  la  partie 
la  plus  saine  et  la  plus  éclairée  de  la  nation. 

«  M.  Robespierre  prétend  que  tout  le  monde  dira:  «  Elle  est  donc 
bien  favorable  au  peuple  cette  constitution;  elle  est  donc  bien  funeste 
à  la  tyrannie;  ils  ont  donc  acquis  bien  des  droits  à  la  reconnaissance  des 
nations,  ceux  qui  ont  contribué  à  cette  révolution,  puisqu'un  homme  qui 
n'étoit  connu  dans  l'Europe  jusqu'à  ce  moment  que  par  un  amour  pas- 
sionné pour  la  liberté,  qui  étoit  jadis  accusé  de  licence  par  ceux  qui  le 
prennent  aujourd'hui  pour  leur  apôtre  et  pour  leur  hérault...  »  Les 
applaudissemens  n'ont  pas  permis  à  l'orateur  d'achever  sa  phrase,  mais 
il  est  aisé  d'y  suppléer.  Il  me  semble  qu'il  vaudroit  mieux  se  tenir  pour 
battu  que  de  chercher  à  éluder  sa  défaite  par  une  misérable  subtilité. 
En  voyant  l'un  des  chefs  de  la  moderne  philosophie,  un  des  plus  ardens 
apôtres  de  la  liberté,  faire  une  satyre  aussi  sanglante  de  la  révolution, 


454  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

tout  le  monde,  au  contraire,  dira:  «  Elle  est  donc  bien  funeste  à  la 
société  cette  constitution  :  elle  est  donc  bien  favorable  au  désordre  et  à 
l'anarchie;  ils  ont  donc  encouru  le  mépris  et  l'indignation  de  tous  les 
honnêtes  gens,  ceux  qui  ont  contribué  à  cette  révolution,  puisqu'un  hom- 
me qui  n'étoit  connu  dans  l'Europe  que  par  sa  haine  vigoureuse  contre 
la  superstition  et  le  despotisme ,  regarde  cette  constitution  comme  la  ruine 
du  royaume,  et  ses  auteurs  comme  les  fléaux  de  la  nation  et  les  ennemis 
de  la  véritable  liberté.  » 

«  ...M.  Robespierre  a  terminé  sa  déclamation  par  un  serment 
solemnel  de  ne  point  profiter  des  sages  avis  de  M.  l'abbé  Raynal.   » 

Journal  des  Débats,  n°  738,  p.   17-18. 

«  Après  quelques  murmures  qui  agitoient  l'Assemblée.  M.  Robes- 
pierre a  pris  la  parole. 

«  L'Assemblée,  a-t-il  dit,  ne  m'a  jamais  paru  tant  au-dessus  des 
reproches  de  ses  accusateurs,  que  quand  elle  a  écouté  avec  silence  la 
censure  véhémente  de  sa  conduite  et  de  la  dévolution  qu'elle  a  faite. 
(On  a  vivement  applaudi).  Quelqu'un  se  seroit-il  flatté  qu'il  existât 
un  homme  assez  grand  pour  opposer  avec  succès  son  opinion  aux  tra- 
vaux des  Représentans  de  la  Nation  Françoise,  et  à  l'opinion  et  au 
vœu  de  la  Nation  Françoise,  elle-même  !  La  lettre  dont  vous  avez 
entendu  la  lecture,  me  paroît  instructive  dans  un  sens  bien  différent 
de  celui  où  elle  a  été  faite.  Une  circonstance  m'a  frappé,  en  effet, 
pendant  cette  lecture  ;  c'est  que  cet  homme  qui  a  péché  dans  ses  écrits 
par  un  excès  d'exagération  dans  ses  principes  de  liberté  et  de  philoso- 
phie; cet  homme,  dis-je,  depuis  le  commencement  de  la  Révo'ut.'on, 
n'a  pas  pris  la  plume  pour  éclairer  ses  Concitoyens.  Et  dans  quel  mo- 
ment rompt-il  le  silence  ?  C'est  dans,  celui  où  nos  ennemis  réunissent 
tous  leurs  efforts  contre  la  Révolution,  pour  l'arrêter  dans  son  cours. 

«  Je  suis  bien  éloigné  de  vouloir  diriger  la  sévérité,  non  pas  de 
l'Assemblée,  mais  de  l'opinion  publique,  sur  un  homme  qui  porte  un 
grand  nom;  je  trouve  d'ailleurs  une  excuse  suffisante  dans  son  grand 
âge;  et  je  pardonne  à  ceux  qui  l'ont  déterminé  à  faire  cette  démarche, 
parce  que  je  suis  persuadé  qu'elle  produira  dans  le  public  un  effet 
entièrement  contraire  à  celui  qu'on  en  attend.  Tout  le  monde  dira  : 
elle  est  donc  bien  funeste  à  la  tyrannie  cette  Révolution,  puisqu'on 
emploie  des  moyens  si  extraordinaires,  pour  la  décrier  dans  l'opinion 
publique;  puisqu'on  se  sert  d'un  homme  dont  le  nom  n'est  connu  que 
par  son  amour  pour  la  liberté,  et  qui  est  accusé  de  licence  par  ceux 
mêmes  qui  le  prennent  aujourd'hui  pour  leur  apôtre  et  pour  leur  héros. 
(De  vifs  applaudissemens  ont  interrompu  l'Orateur). 

«  Ils  sont  donc  bien  dignes  de  notre  reconnoissance,  ces  Repré- 
sentans, puisqu'on  a  poussé  l'acharnemnet  contr'eux  au  point  de  se  cou- 
vrir du  nom  d'un  tel  homme  pour  les  combattre;  puisqu'on  a  placé  dans 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  455 

sa  bouche  les  mêmes  absurdités  que  l'on  trouve  dans  celle  des  ennemis 
les  plus  déclarés  de  la  Révolution. 

«  Ce  n'est  plus  simplement  contre  les  Représentai  de  la  Nation 
que  ces  traits  sont  dirigés,  c'est  aussi  contre  la  Nation  elle-même;  car 
n'est-ce  pas  attaquer  la  liberté,  qui  est  devenue  son  appanage,  que  de 
dénoncer  comme  ses  crimes,  des  troubles,  des  agitations,  des  tiraille- 
mens  .inséparables  des  crises  sans  lesquelles  le  despotisme,  ce  mal  ter- 
rible des  Nations,  seroit  incurable. 

«  M.  Robespierre,  après  avoir  assuré  que  l'on  ne  se  livreroit  point 
aux  alarmes  que  l'on  oherchoit  à  faire  naître,  a  demandé  que  l'on  passât 
à  l'ordre  du  jour.   » 

Journal  général  de  France,  ler-5-7  juin  1791,  pp.  606,  625,  637. 

«  Cet  illustre  Vieillard,  en  improuvant  les  principales  opérations 
de  nos  législateurs,  qu'il  a  le  courage  de  critiquer,  devoit  s'attendre 
à  être  taxé  d'aristocratie  par  le  côté  gauche  :  aussi  M,  Robertspierre 
a-t-il  remarqué  qu'il  est  bien  singulier  que  cette  lettre  ait  été  écrite 
à  l'Assemblée,  dans  un  moment  où  l'on  cherche  à  détruire  son  ou- 
vrage.  » 

...«  On  crie  une  réponse  de  M.  Roberspierre  à  M.  l'Abbé 
Raynal  (5).  Comment  M.  Roberspierre  ose-t-il  entrer  en  lice  avec  cet 
Ecrivain  profond  ?  C'est  se  mettre  en  scène  et  faire  dire  à  la  postérité, 
qui  n'oubliera  rien  de  ce  qui  pourra  caractériser  l'Auteur  de  l'Histoire 
Philosophique,  sur-tout  sa  dernière  démarche,  qui  est  un  modèle  de 
fermeté  et  d'éloquence  :  Roberspierre  et  l'Abbé  Raynal  ont  été  opposés 
de  sentimens,  etc.,  etc..  Mais  qu'il  ne  s'y  trompe  pas;  tandis  que  la 
postérité  couvrira  Raynal  de  gloire,  eile  couvrira  son  antagoniste  de 
ridicule.  Et  d'ailleurs,  que  dit  cette  réponse,  quels  sont  ses  plus  forts 
argumens  ?  On  peut  s'en  douter  par  cet  échantillon  :  Vous  trouvez  que 
ça  va  mal,  tout  Va  bien  au  contraire,  et  ça  ira,  etc.,  etc..  Tsl  est 
à-peu-près  le  sens  des  longues,  longues  phrases  que  le  répondeur  a  cou- 
sues au  bout  les  unes  des  autres.  Quelle  pitié!...   » 

«  ...Et  M.  Chénier  qui  se  mêle  aussi  de  se  mesurer  avec  M.  l'Abbé 
Raynal!...  Oh!  c'est  bien  le  coup  de  pied  de  l'âne,  i!  faut  en  con- 
venir;-André  Chénier  répond  à  ce  grand  homme  comme  M.  Roberts- 
pierre, dans  une  longue,  longue  lettre  qui  ne  finit  pas.  André  Chénier 
dit  que   l'Abbé   Raynal  a  fait  autrefois  amende  honorable  d'avoir  été 


(5)  Nous  n'avons  pas  trouvé  trace  d'un  texte  imprimé,  publié 
V>ar  Robespierre.  ,Par  contre,  il  existe  des  «  Réflexions  importantes 
sur  l'Adresse  présentée  à  l'Assemblée  nationale,  le  31  mai  1791, 
bar  (iuillaume  Thomas  Raynal  ».  Elles  sont  l'œuvre  de  M.  de 
Binéty,  député  de  la  noblesse  de  la  sénéchaussée  de  Marseille.  (Imp. 
nationale,  39  p.,  B.N.  8°  Le  29/1561).  A.  Mathiez  (Etudes  Robespier- 
ristes,  Robespierre  orateur,  p  311)  cite  un  passage  de  ce  discours 
de   Robespierre    qu'il   considère  comme  une   improvisation. 


456  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Prêtre:  quand  André  Chénier  fera-t-il  amende  honorable  d'avoir  vouîu 
être  Poète  ?    »   (6). 

Courier  de  Provence,  t.  XV,  n°  295,  p.  53. 

«  C'est  moins  encore  pour  accuser  et  pour  réfuter  cet  infortuné 
vieillard,  que  pour  l'excuser  et  pour  le  justifier  en  quelque  sorte,  que 
M.  Robespierre  a  pris  la  parole.  Il  en  a  parlé  comme  un  fils  sensible 
et  respectueux  parlerait  des  erreurs  d'un  père  égaré  ;  mais  il  a  tonné 
contre  ces  hommes  pervers  qui  ont  fait  d'un  apôtre  de  la  liberté,  l'organe 
de  leurs  serviles  conceptions;  il  leur  a  reproché  d'avoir  eu  la  lâche 
cruauté  d'immoler  un  nom  respectable  à  leurs  extravagantes  espérances. 
Mais  il  leur  a  annoncé  que  ces  espérances  étoient  chimériques,  que  la 
honte  dont  ils  avoient  voulu  couvrir  Raynal  retomberoit  sur  eux,  et 
qu  on  aimeroit  mieux  croire  un  homme  écrivant  et  combattant  pour  la 
liberté,  pendant  soixante  ans,  qu'un  vieillard  séduit  qui,  un  pied  dans  la 
tombe,  attaque  cette  même  liberté,  qui  lui  a  préparé  tant  de  triomphes 

«  M.  Robespierre  a  fini  par  dire  que  l'assemblée  qui  s'étoit  hono- 
rée en  entendant  avec  une  majesté  tranquille,  une  indécente  censure, 
devoit  s'honorer  encore  en  passant  à  l'ordre  du  jour.  » 

Journal  de  la  Révolution,  n°  293,  p.  699. 

«  M.  Robespierre  est  monté  à  la  tribune,  non  pour  invectiver 
l'auteur  d'une  si  étrange  lettre,  mais  pour  louer  la  noblesse  magnanime 
de  l'assemblée  qui  en  avoit  soutenu  la  lecture.  Il  a  trouvé  singulier  que 
M.  Raynal  n'ait  mis  la  main  à  la  plume  que  dans  un  moment  on  il  voit 
tout  perdu;  il  l'a  excusé  par  son  grand  âge  et  par  la  séduction  dont 
l'environnent  ceux  qui  veulent  faire  servir  la  célébrité  de  son  nom  contre 
la  chose  publique.  L'opinant  a  demandé  qu'on  passât  à  l'ordre  du 
jour,   et  on  y  est  passé  après  quelques   instants  d'agitation.    » 

Les  Révolutions  de  Paris  (Prudhomme),  n°   99,  p.  376. 

«  Quoiqu'il  en  puisse  arriver,  cette  lettre  de  Guillaume-Thomas 
Raynal  n'a  pas  été  lue  tout  d'une  haleine.  Plusieurs  députés  patriotes 
n'ont  pu  taire  leur  indignation.  MM.  Roberspierre  et  Lavie,  le  premier 
sur-tout,  sont  ceux  qui,  dans  cette  circonstance,  ont  agi  le  plus  selon 
les  principes.  Il  n'y  a  que  des  citoyens  sans  courage,  ont-il  dit,  qui  ne 
souffrent  pas  qu'on  leur  parle  avec  liberté.  » 


(6)  La  lettre  d'André  Chénier  en  date  du  1er  juin  fut  insérée 
dans  le  Moniteur  du  5  (Moniteur,  VIII,  580)  ;  elle  est  reproduite 
•clans  les  éditions  de  ses  œuvres  en  prose,  notamment  dans  celle  de 
Becq   de   Fouquières. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  457 

Journal  de  Rouen,  1791,  n°  153,  p.  739. 

Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XIII,  n°  665,  p.  4 

Courrier  extraordinaire,   1er  juin  1791,  p.  5. 

Chronique  de  Paris,  n°    152,  p.  608  (7). 

«  M.  Robespierre  est  monté  à  la  tribune  et  a  parlé  sur  cette 
adresse  avec  autant  de  dignité  que  de  modération.  » 

[Suit  une  analyse  du  discours.] 
Le  Creuset,  t.  II,  n°  45,  p.  375. 

«  M.  Robespierre  a  poussé  la  complaisance  jusqu'à  prodiguer  ses 
réflexions,  à  l'occasion  de  cette  palinodie,  vraie  ou  supposée,  de  l'octo- 
génaire ex-jésuite;  et  l'honorable  membre  a  oublié  de  montrer  à  ses 
collègues,  le  bout  de  l'oreille  du  Genevois  (8),  disposant  du  génie  en 
décrépitude  de  Raynal,  comme  il  a  fait  de  la  plume  alternativement 
populaire  et  servile  de  l'autre  ex-jésuite  Cerutti!  »  (9). 

Journal  de  la  Cour  et  de  la   Ville,  n°   37,  p.   294  (Variétés). 

«  II  faut  avouer  qu'il  n'y  a  rien  de  si  piquant  pour  nos  augustes 
législateurs,  que  de  se  voir  vigoureusement  flagellés  par  M.  l'abbé 
Raynal,  dont  ils  attendoient  de  grands  compliments.  Aussi,  M.  Roberts- 
pierre  a-t-il  assuré  qu'il  ne  savoit  ce  qu'il  disoit,  parce  qu'il  avoit 
80  ans.  A  la  manière  dont  M.  Robertspierre  raisonne  à-présent,  on 
peut  croire  qu'elle  sera  curieuse  lorsqu'il  aura  le  même  âge.  » 
N°  41,  p.  325. 

((  S'il  étoit  vrai,  comme  Rob . . .pier . . .  a  osé  le  dire,  que  !e  grand- 
âge  de  l'abbé  Raynal  lui  eut  fait  perdre  une  partie  de  son  éloquence, 
le  député  d'Arras  ne  pourroit  mieux  faire  que  de  tâcher  de  la  retrouver.» 

N°   44,  p.   350-351    (Programme  d'une  Académie). 

«  4°  Diatribe  dans  le  style  de  FArétin,  contre  l'abbé  Raynal, 
M.  Robersp...  et  l'Ane~à-Charsis  (10)  Clots,  sont  invités  d'ajouter  une 
teinte  un  peu  plus  forte  aux  couleurs  qu'ils  ont  broyées  contre  cet 
illustre    écrivain.    A    cette    condition,    leurs   ouvrages    seront    admis    au 


(7)  L'abbé  Raynal  était  >alo,rs  âgé  de  près  de  80  ans.  La  Chroni- 
que de  Paris  le  qualifie  de  «  vieux  Noé  »>. 

(8)  Il  s'agit  de  Necker  dont  le  'rédacteur  du  Creuset,  Rutledge, 
était  l'adversaire. 

(9)  Joseph  Cerutti,  né  à  Turin  en  1738,  ex-jésuite,  participa  par 
se?  écri'ts  à  l'action  révolutionnaire  et  prononça  l'oraison  funèbre 
de  Mirabeau  à  l'église  de  Saint-Eustache.  Il  fut  élu  à  l'Assemblée 
Législative   et  mourut  h  Paris  le   3  février   1792. 

(10)  Jeu  de  mots  sur  le  prénom  d'A'nacharsis  que  s'était  donné 
le  baron  rhénan  Jean  -Baptiste  Clootz  qui  sera  par  la  suite  élu 
député  &  la  Convention.  Sans  doute  est-il  intervenu  aux  Jacobins 
à  propos  de  cette  lettre,  maiis  nous  n'en  avons  relevé  aucune  trace 
dans  Aulard.  .Signalons  un  article  de  notre  ami  M.  Jean  Dautry  qui 
doit  paraître  prochainement,  sur  ce  personnage,  dans  les  A.  h. 
de  la  B.F. 


458  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

concours.  Chaque  prix  sera  une  fleur  de  lys  bien  dessinée  et  d'un  trans- 
port très-facile;  on  ne  recevra  aucun  ouvrage  de  prose  ou  de  vers, 
qui  ne  soit  muni  d'une  approbation  des  auteurs  de  la  Chronique.   » 

Journal  des  Mécontcns,   n°    105    ,p.   3. 

«  M.  Robertspierre,  le  chef  forcené  de  la  démagogie,  !e  soutien 
et  le  propagateur  des  principes  jacobites,  vient  de  répondre  à  M.  l'abbé 
Raynal.  On  ne  voit  qu'un  froid  déclamateur,  et  un  pygmée  attaquant 
Hercule,  et  terrassé  par  sa  massue  redoutable.  » 

Correspondance  nationale,  n°  32,  p.  29. 

«  Après  la  lecture  de  cette  lettre,  M.  Robespierre  dit  qu'elle  lui 
paroit  venir  fort  à  propos  pour  seconder  les  ennemis  de  la  nation.  Il 
demande  que  l'on  passe  à  l'ordre  du  jour.  Fort  applaudi  et  adopté 
malgré  M.  Roederer,  qui  demande  que  M.  le  président  soit  rappelle 
à  l'ordre  pour  avoir  fait  lire  cette  lettre  »  (11). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  de  L,ouis 
XVI  et  de  son  peuple,  t.  VI,  n°  81,  p.  33;  L'Ami  des  Patriotes,  t.  II, 
n°  28,  p.  344,  note;  Le  Lendemain,  t.  III,  n°  152,  p.  573;  Les  Mé- 
moires de  Malouet,  II,  50;  La  Chronique  de  Paris,  n°  153,  p.  1612; 
Le  Journal  universel,  t.  XII,  p.  8044;  Le  Journal  de  la  Noblesse,  t.  II, 
n°  23,  p.  109;  Histoire  authentique  de  la  Révolution  française,  t.  II, 
p.  566;  La  Gazette  de  Berne,  8  juin  1791,  p.  3;  Le  Législateur  fran- 
çais, 1er  juin  1791,  p.  8;  La  Gazette  de  Paris,  2  juin  1791,  p.  4;  Le 
Journal  de  Paris,  n°  152,  p.  612;  Le  Journal  général,  n°  121,  p.  488; 
Le  Courrier  d'Avignon,  n°   135,  p.  539.] 


(11)  Roederer  protesta  en  effet  très  vivement  contre  cette  lettre, 
et  condamna  l'attitude  du  président  Bureau  de  Pusy. 


298.  -  SEANCE  DU  1er  JUIN  1791 
Sur  une  demande  de  poursuites  judiciaires  contre  un  journaliste 


L'un  des  secrétaires  donne  lecture  d'une  lettre  adressée  au  pré- 
sident de  l'Assemblée,  par  Montmorin,  ministre  des  affaires  étran- 
gères. Le  ministre  fait  état  d'une  correspondance  de  Francfort,  en 
date  du  17  inai  1791,  parue  dans  le  n°  151  de  la  Gazette  nationale  ou 
Moniteur  universel,  sous  le  titre  «  Allemagne  .».  (L'auteur  y  suppose 
que  deux  contre-lettres  ont  été,  en  même  temps  que  les  instructions  du 
roi,  envoyées  dans  les  cours  étrangères.  Il  prétend  que  son  correspon- 
dant de  Francfort  a  les  copies  fidèles  de  ces  contre-lettres,  et,  ne 
craignant  pas  de  prêter  à  iSa  Majesté  le  projet  d'évasion  le  plu* 
absurde,  il  affirme  que  les  «détails  partent  des  Tuileries,  qu'ils  sont 
portés  dans  une  cour  d'Allemagne  par  des  lettres  confidentielle:;, 
et  que  le  même  correspondant  de  Francfort  a  vu  deux  fois  les  lettres 
originales...    Il  est   temps   de    regarder    comme  des   ennemis   publics 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  459 

ceux  qui  ne  cessent  de  tromper  le  peuple  pour  l'agiter,  font  naître 
au  milieu  de  nous  des  périls  réels  en  lui  en  présentant  sans  ce^se 
d'imaginaires. 

iL'Assemblée  décrète  que  la  lettre  du  ministre  sera  imprimée 
et  insérée  au  procès-verbal.  Loys.  député  du  tiers  -état  de  la  séné- 
chaussée de  Périgueux,  demande  que  l'Assemblée  ordonne  des  pour- 
suites contre  l'imprimeur,  afin  qu'il  fasse  connaître  l'auteur  de  l'ar- 
ticle. On  demande  à  passer  ià  l'ordre  du  jour.  L'Assemblée  s'y  refuse; 
la  discussion  s'engage  dans  laquelle  intervient  Robespierre  (1). 

Finalement,  l'Assemblée  passa  à  l'ordre  du  jour. 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    154,  p.  640. 

«  M.  Roberspierre .  Je  demande  la  question  préalable  sur  toutes 
les  propositions  (2).  Quand  un  ministre  se  plaint  d'un  écrivain,  et  que 
l'Assemblée  législative  se  charge  de  la  vengeance  ministérielle,  et  arme 
le  pouvoir  judiciaire  contre  l'écrivain,  elle  devient  le  plus  grand  fléau 
de  la  liberté  individuelle.  Je  demande  si,  de  quelque  part  que  vienne, 
une  dénonciation,  l'Assemblée  peut  s'en  charger  sans  savoir  si  elle  est 
vraie  ou  fausse.  Quelles  preuves  avez-vous  contre  l'assertion  de  l'écri- 
vain ?  L'assertion  de  M.  Montmorin  et  rien  de  plus.  Est-ce  ici  qu'on 
peut  accueillir  un  système  qui  tendrait  à  défendre  aux  citoyens  de 
révéler  des  faits  importans  au  salut  public.  (On  applaudit).  Il  serait 
dangereux  de  dire  aux  citoyens  que  celui  qui  attaquera  un  ministre  se 
trouvera  entre  la  poursuite  ministérielle  et  celle  de  l'Assemblée  natio- 
nale; il  se  présente  ici  une  question  du  plus  grand  intérêt.  Avez-vous 
fixé  le  degré  des  opinions  à  l'égard  des  hommes  en  place  ?  Savez-vous 
si  vous  n'adopterez  pas  la  différence  à  faire  entre  les  hommes  en  place 
et  les  simples  particuliers  ?  Pouvez-vous  oublier  que  l 'opinion  des  hom- 
mes qui  ont  le  plus  d'idées  sur  la  liberté  de  la  presse,  est  que  cette 
liberté  doit  être  illimitée  quand  il  s'agit  des  hommes  publics,  et  que 
l'action  en  calomnie  soit  interdite  aux  hommes  en  place.  (On  murmure). 
Je  demande  la  question  préalable,  avec  d'autant  plus  d'assurance  de 
succès  qu'il  serait  dangereux  qu'on  pût  faire  désormais  dans  cette  Assem- 
blée des  motions  aussi  serviles  »  (3). 
Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXVII,  p.  68, 

«    M,    Robespierre.    Je   m'oppose   à   toutes   ces   motions.    Si    lors- 
qu'un  ministre   se   plaint   d'une    injure   qu'il    a   reçue   d'un   écrwain   (à 


(1)  Cf.    E.    Hamel,    T,    465,    «   A   trois    semaines   de    là    les    faits 
vinrent  donner  raison  à  Robespierre  ». 

(2)  Il  s'agit  des  propositions  suivantes: 

1°  Demande  de  poursuites   contre  l'abbé  Raynal  ;  ( 

2"  Proposition    de   Duport   selon   laquelle  il   est  inconstitutionnel 

que  l'Assemblée  dénonce   un  individu  à  l'accusateur   public  pour   le 

faire  poursuivre  ; 

S0  Proposition  d'envoyer  le  Président  avertir  le  Roi  de  l'arrêté 

pris   ce   matin    concernant   la   lettre  de   Montmorin. 

(3)  Texte    reproduit  dans    le   Moniteur,    VIII,    566;    et   dans    les 
Arch.   pari.,   XXVI,  692. 


460  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

droite  :  C'est  le  roi!  C'est  le  roi!),  soit  que  ce  ministre  parlât  en  son 
nom,  soit  qu'il  se  couvrît  du  nom  plus  respecté  du  roi,  si  dans  ce  mo- 
ment, dis-je,  il  sortoit  du  corps  législatif  un  décret  qui  chargeât  le  corps 
législatif  lui-même  en  quelque  sorte  de  la  vengeance  de  ce  ministre, 
par  lequel  l'assemblée  législative  se  chargeât  elle-même  d'armer  le 
pouvoir  judiciaire  contre  l'individu  qui  seroit  accusé  devant  elle,  le 
corps  législatif  seroit  le  plus  terrible  fléau  de  la  liberté  individuelle. 
Je  réclame,  moi,  devant  l'assemblée  nationale  les  premiers  principes  de 
la  justice,  et  je  demande  à  l'assemblée  si,  de  quelque  part  que  vienne 
une  dénonciation,  soit  d'un  ministre,  soit  d'un  autre  dénonciateur,  elle 
peut  adopter  cette  dénonciation,  la  dénoncer  elle-même  à  son  tour  aux 
tribunaux,  sans  juger  elle-même  si  cette  dénonciation  est  vraie  ou 
fausse  ?  (4).  Or,   ici,  vous  n'avez  aucune  preuve.   » 

«  Je  demande  donc  la  question  préalable  sur  toutes  les  proposi- 
tions avec  d'autant  plus  de  raison  qu'il  seroit  du  plus  dangereux  exemple 
que  l'on  pût  faire  avec  quelqu'espérance  de  succès  des  motions  aussi 
serviles  que  celle  sur  laquelle  vous  avez  à  délibérer  »  (Applaudi). 

Journal  général,  n°    122,  p.  494. 

«  M.  Lavigne  (5).  Il  ne  seroit  pas  de  la  dignité  de  l'Assemblée 
de  paroître  dans  l'arène  vis-à-vis  un  folliculaire,  pour  le  traduire  devant 
les  Tribunaux. 

«  M.  Robertspierre  appuie  cette  opinion.  Il  est  donc  au-dessous 
de  l'Assemblée  d'ordonner  la  poursuite  des  folliculaires,  mais  il  n'est 
pas  au-dessous  du  Roi,  de  ses  Ministres,  d'être  réduits  à  réclamer  auprès 
de  l'Assemblée  contre  des  folliculaires.  L'insertion  de  leur  lettre  dans 
le  procès-verbal  est  une  réparation  assez  honorable!...  » 

Mercure  de  France,   11   juin   1791,  p.   138. 

«  Se  trouvant  naturellement  à  la  hauteur  de  M.  Lavigne  et  des 
tendres  amis  du  Roi,  qui  le  révèrent  trop  pour  empêcher  qu'on  ne  l'ou- 
trage, M.  Robespierre  a  frémi  que  l'Assemblée  ne  préjugeât  en  dénon- 
çant, ce  qu'à  l'en  croire,  elle  n'avoit  jamais  fait,  et  il  a  écarté  des 
motions  aussi  serviles  par  la  question  préalable.   » 

Les  Révolutions  de  Paris  (Prudhomme),  n°  99,  p.  383. 

«  Qui  croiroit  qu'une  dénonciation  ministérielle  a  été  reçue  avec 
applaudissemens  dans  l'assemblée  nationale,  et  qu'elle  a  obtenu  les 
honneurs  de  l'insertion  au  procès-verbal  >  Qui  croiroit  qu'il  n'a  pas 
moins  fallu  que  le  courage  de  M.  Roberspierre  pour  protéger  le  journa- 
liste, et  l'empêcher  peut-être  d'être  livré  à  l'accusateur  public  ?  On  a 
passé  à  l'ordre  du  jour.  » 

(4)  Texte  utilisé  par  les  Arch.  pari.,  XXVI,  692,  en  tête  du  pré- 
cédent. 

(5)  Belavigne,  député  du  tiers  état  de  la  Ville  de  Paris. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  46 1 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Patriote  françois, 
n°  663,  p.  609;  Le  Courrier  des  LXXXHI  départemens,  t.  XXV,  n°  1, 
p.  31  ;  Le  Journal  des  Débats,  n°  740,  p.  7;  La  Gazette  nationale  ou 
Extrait...,  t.  XVII,  p.  118;  Assemblée  nationale^  Corps  administratifs, 
t.  XII,  n°  666,  p.  5;  L'Ami  du  Peuple  (Marat),  t.  VIII,  n°  478,  p.  6; 
Le  Journal  de  Rouen,  n°   154,  p.  473.] 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

299.  —  SEANCE  DU  8  JUIN  1791 

Sur  le  licenciement  des  officiers  de  l'Armée 


La  Société  ayant  nommé  un  comité  pour  examiner  la  question 
de  l'armée  (1),  Boederer  lui  présente  le  8  juin  les  conclusions  aux- 
quelles ses  membres  se  sont  ralliés.  De  tous  les  projets,  ils  n'en 
ont  retenu  qu'un  seul:  le  licenciement  des  officiers  (2).  Sieyes, 
Barry,  puis  ^Robespierre  interviennent  (3). 

iLa  discussion  devait  se  poursuivre  à  la  séance  du  10  juin  (4). 

Mercure  universel,  t.  IV,  p.  217  (5). 

Journal  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°  6,  p.  4,  n°  7,  p.  1. 

a  M.  Robespierre.  Je  ne  viens  pas  ici  vous  proposer  des  mesures 
sur  le  licenciement,  ni  approfondir  les  inconvéniens  dont  on  prétend  qu'il 
peut  être  suivi.  Je  viens  épancher  dans  votre  sein  quelques-uns  de  ces 
sentimens  qu'inspirent  à  tout  bon  citoyen,  et  l'amour  de  la  patrie  et  la 
vue  des  dangers  dont  elle  est  menacée. 

«  Au  milieu  des  ruines  de  l'aristocratie  terrassée,  qu'elle  est  donc 
cette  puissance  qui  semble  attester  qu'elle  n'est  pas  entièrement  détruite. 
Vous  avez  détruit  la  noblesse,  et  la  noblesse  subsiste  au  centre  de  votre 
armée.  Où  est  donc  le  titre  de  cette  exception  ?  Médecins,  est-ce  pour 
assurer  la  vigueur  du  corps  politique  que  vous  laissez  circuler  dans  ses 
veines  un  virus  aussi  pestilentiel  ?  Et  vous,  législateurs,  est-ce  pour 
prouver  la  sagesse  de  vos  vues  que  vous  souffrez  une  institution  aussi 
impolitique. 

«  C'est  par  les  armées  que  par-tout,  les  gouvernemens  ont  assujetti 
les  hommes,  et  vous  soumettez  votre  armée  à  des  chefs  aristocratiques. 

«  S'ils  sont  sans  autorité  ces  chefs,  quelles  suites  funestes  ne  pou- 


<(1)  Gf.  séanoes  des  Jacobins  des  5  et  6  juin  1791,  dans  Aulard,  II. 
483,  487.  Dès  le  2  juin,  la  (Société  avait  entendu  un  discours  d'An- 
tfaoine"(in-8°,   12  p.,  B.N.  Lb10  599). 

(2)  Robespierre  aurait  appuyé  l'impression  du  discours  de 
Ilœderer,  mais  avec  quelques  changements  (Le  Babillard,  n°  7, 
P     56). 

(3)  Cf.   Mercure  universel,  t.   IV,   p.   215-216. 

(4)  Cf.   Aulard,    II,    492-494;   et   ci-dessous,    à   la  date. 

(5)  iSauf  le  1er  alinéa,  le  texte  que  nous  reproduisons  est  extrait 
du   Mercure   Universel. 


462  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

vez-vous  pas  craindre  de  l'anarchie  qui  doit  en  résulter,  et  s'ils  en  ont, 
quel  usage  en  feront-ils  ? 

«  Voyez  avec  quelle  chaleur  la  majeure  partie  de  vos  officiers 
embrasse  tout  ce  qui  tend  à  bouleverser  l'ordre  de  choses  que  vous  avez 
établi.  Voyez-les  dissoudre  des  corps  entiers,  par  ce!a  seul  qu'ils 
étaient  patriotes,  en  pousser  d'autres  à  des  excès  par  une  suite  de 
menées  et  de  mauvais  traitemens. 

«  Quelle  était  l'armée  qui,  avant  l'époque  fameuse  du  14  juillet, 
assiégeait  cette  capitale.  Que  sont  devenus  ces  étranger?,  ou  plutôt 
ceux  qu'on  appellait  tels,  dont  elle  était  composée.  Dépouillés  du  droit 
de  servir  la  patrie  qu'ils  ont  sauvée;  forcés  d'errer  sans  subsistance, 
soumis  à  la  misère  et  à  l'opprobre,  si  l'opprobre  pouvais  être  infligé 
par  le  crime  à  la  vertu.  (Applaudi). 

«  Pour  achever  ce  tableau,  il  faudrait  parler  des  malheurs  de 
Nancy,  vous  montrer  les  citoyens,  plongeant  leurs  bras  dans  le  sang  de 
leurs  concitoyens,  pour  procurer  à  quelques  chefs  le  plaisir  d'assouvir 
leur  haine;  vous  rappeller  les  supplices  qui  suivirent  ces  jours  de  mal- 
heurs, supplices  qui  présentèrent  pendant  plusieurs  jours  le  spectacle  le 
plus  satisfaisant  pour  des  ennemis  de  la  liberté.  Il  faudrait  les  voir  se 
réjouir  de  leurs  crimes,  forcer  la  patrie  en  deuil,  d'applaudir  au  supplice 
de  ses  défenseurs.  Les  intrigues  des  officiers  de  ces  corps  furent  la 
seule  cause  de  toutes  ces  horreurs.  Vous  doutez  que  le  licenciement 
soit  nécessaire.  Avez-vous  oublié  que  des  officiers  ont  arboré  la  cocarde 
blanche.  Ne  font-ils  pas  profession  ouverte  de  mépriser  le  peuple,  et 
n'affectent-ils  pas  au  contraire  !e  plus  profond  respect  pour  la  cour, 
à  laquelle  seule  ils  veulent  tenir.  Et  vous  croyez  qu'il  vous  soit  possible 
de  les  conserver...  Vous  voulez,  dites-vous,  prendre  des  mesures  pour 
assurer  le  maintien  de  notre  constitution.  N'est-il  pas  trop  ridicule  de 
mettre  au  nombre  de  ces  mesures,  celle  de  confier  vos  troupes  aux 
ennemis  de  la  constitution.  Les  despotes  en  agissent-ils  ainsi  ?  Confient- 
ils  à  des  personnes  dont  ils  ne  sont  pas  sûrs,  la  garde  de  leurs  places, 
la  défense  de  leurs  frontières  ?  La  France  n'est-elle  plus  digne  d'être 
conservée,  depuis  qu'elle  est  devenue  le  séjour  de  la  liberté. 

«  Je  le  dis  avec  franchise,  peut-être  mêm%  avec  rudesse;  quiconque 
ne  veut  pas,  ne  conseille  pas,  le  licenciement,  est  un  traître.  (Applau- 
dissemens  répétés). 

«  M...  Je  demande  que  cette  maxime  soit  tracée  en  gros  carac- 
tères aux  quatre  coins  de  la  salle.  (On  applaudit). 

«  M.  Robespierre.  Rien  ne  doit  vous  dispenser  de  le  prononcer, 
ce  licenciement,  pas  même  les  craintes  qu'on  cherche  de  toutes  parts 
à  vous  inspirer.  Vous  le  craindriez  !  Lorsque  vous  avez  pour  vous  la 
raison,  la  justice,  la  nation  et  l'armée  !   [ ]  (6). 

(6)  (Le  Journal  des  Débats  de  la  Société...  ajoute  en  cet  endroit 
le  passage  suivant  :  «  Les  officiers    patriotes  le  désirent,  quand  à  la 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  463 

«  Quel  étrange  projet  que  celui  de  vouloir  changer  des  soldats 
en  automates...  Et  cela  afin  qu'ils  en  soient  plus  propres  à  défendre  la 
constitution  !  Un  jour  peut-être  ces  questions  seront  éclaircies,  à  la  honte 
des  charlatans  politiques  :  mais  en  attendant  cette  époque,  gardez-vous, 
législateurs,  de  vouloir  des  choses  contradictoires,  gardez-vous  de  pren- 
dre des  mesures  contraires  à  la  raison... 

«  Après  tout,  il  faut  que  la  nation  soit  sauvée,  et  si  elle  ne  l'est 
pas  par  ses  mandataires...  Prenez-y  garde,  le  trouble  ou  !e  despotisme, 
ou  peut-être  même  tous  les  deux,  voilà  le  but  où  tendent  les  ennemis 
du  licenciement.  Il  n'y  a  que  les  seuls  amis  de  la  liberté  qui  puissent 
le  désirer  .. 

«  Craignez  ces  chefs  de  parti  qui,  dans  des  momens  de  troubles 
et  d'inquiétudes,  cherchent  toujours  par  quelques  fausses  démarches  à 
vous  faire  violer  quelques-uns  de  vos  principes. 

«  Craignez  ces  serpens  qui  s'insinuent  près  de  vous,  et  par  des 
conversations  -insidieuses,  des  assertions  jetées  comme  par  hasard,  se 
flattent  à  l'avance  d'avoir  préparé  vos  décisions.  Toujours,  ils  ont  cher- 
ché à  vous  faire  renoncer  à  vos  principes,  pour  l'amour  de  la  paix  et  le 
soutien  de  la  liberté. 

«  Craignez  ces  hommes  qui,  ne  se  sentant  pas  assez  de  forces  pour 
être  sûrs  de  trouver  les  places  qu'ils  ambitionnent,  dans  le  nouvel  ordre 
de  choses,  seroient  tentés  de  regretter  l'ancien,  qui  n'ont  pas  assez  de 
talens  pour  faire  du  bien,  mais  assez  pour  faire  du  mal,  et  qui  n'ont 
vu  dans  la  révolution  que  des  moyens  d'avancer  leurs  fortunes. 

«  Craignez  ces  hommes,  dont  la  fausse  modération,  plus  affreuse 
que  la  plus  atroce  arrogance,  vous  tend  continuellement  des  pièges. 

«  Craignez  enfin  votre  propre  bonne  foi  et  votre  facilité,  car  je  ne 
redoute  pour  notre  constitution  que  deux  ennemis,  la  foiblesse  des  hon- 
nêtes gens  et  la  duplicité  des  malveillans.  (Applaudi  vivement)  »  (7). 

majorité,  si  elle  était  à  craindre,  soyez  sûrs  que  votre  décret  ne  les 
rendra  pas  tels,  il  ne  fera  que  les  rendre  un  peu  moins  dangereux. 
Un  ennemi  connu  est  toujours  moins  à  craindre.  Le  général  qui 
attaque  une  place  est  moins  à  craindre  que  le  gouverneur  qui  la 
trahit...  On  craint  l'anarchie  qui  peut  résulter  du  licenciement,  on 
craint  la  licence  du  soldat.  Mais  jusqu'ici  les  soldats  ne  se  sont 
signalés  que  par  leur  douceur,  par-tout,  ils  ont  montré  le  contraste 
étonnant  d'une  force  immense  et  d'une  douceur  sans  bornes.  Avec 
quelle  docilité  n'obéiront-ils  donc  pas  à  des  officiers  patriotes,  à  des 
officiers,  qu'ils  estimeront.  Si  c'est  vraiment  l'intérêt  de  la  discipline 
qui  vous  touche,  donnez-leur  des  officiers  qui,  par  leur  exemple. 
leur  conduite,  ne  cherchent  pas  à  leur  inspirer  le  mépris  de  notre 
constitution,  qui  leur  'donnent  des  ordres  auxquels  ils  puissent  obéir 
sans   répugner  à  leur  patriotisme. 

«  Pourquoi  leur  en  laisser  qui  ne  peuvent  mériter  leur  confiance: 
pourquoi  attacher  des  cadavres  à  des  corps  vivans...   » 

(7)  Texte  reproduit  par  Laponneraye,  I,  123-1*26,  d'après  le  Jour- 
nal des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  Aulard 
(il,    190  491)   se  contente  de,   résumer   brièvement  cette  intervention. 


464  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

Le  Creuset,,  t.  II,  n°  47,  p.  421. 

«  Mais  le  sage  Robespierre,  y  a  ensuite  parfaitement  fait  écho,  aux 
choses  développées  dans  le  discours  de  M.  René  Girardin  (8)  pro- 
nonce le  29  mai,  dans  la  salle  du  Musée,  rue  Dauphine  (9)  au  milieu 
de  l'archipatriotique  assemblée  des  amis  des  droits  de  l'homme  et  du 
citoyen,  dite  Club  des  Cordeliers. 

«  On  a  singulièrement  applaudi,  dans  le  discours  de  M.  Robes- 
pierre, à  ce  mouvement  oratoire  :  «  Je  le  dis  avec  franchise,  peut-être 
même  avec  rudesse;  quiconque  ne  veut  pas,  ne  conseille  pas  le  licen- 
ciement, est  un  traître!  ». 

«  Je  demande,  s'est  écrié  un  membre,  que  cette  maxime  soit 
tracée  en  gros  caractères  aux  quatre  coins  de  la  salle  !  » 

«  L'impression  du  superbe  discours  du  patriote,  ordonné  à  cette 
séance  (10),  nous  dispense  d'en  entreprendre  l'analise.  Nous  en  recom- 
mandons la  lecture  à  tous  ceux  sur-tout  qui  se  seront  sentis  émus  par 
celle  du  discours  de  René  Girardin  (11),  joint  à  ce  numéro.  Le  paté- 
tique  (sic)  de  l'un  ne  pourra  qu'ajouter  aux  impressions  produites  par 
les  principes  lumineux  exposés  dans  l'autre.  » 

Courrier  extraordinaire,    11   juin   1791,  p.  6-7. 

((  M.  Robespierre  a  fait  un  tableau  rapide  des  attentats  et  des 
crimes  des  officiers  et  états-majors  depuis  le  commencement  de  la  révo- 
lution. On  n'a  point  oublié,  a-t-il  dit,  ces  camps,  ces  grils  à  boulets, 
tous  ces  arsenaux  de  guerre  qui  environnoient  Paris  et  les  représentans 
de  la  nation,  les  massacres  de  Nancy  et  de  mille  autres  endroits,  les 
vexations,  les  calomnies,  les  meurtres  dont  les  soldats  et  les  citoyens 
ont  été  et  sont  les  victimes  :  quelle  est  donc  cette  aristocratie  qui,  au 
milieu  des  débris  de  toutes  les  autres,  ose  encore  lever  la  tête  ?  Oui, 
celui  qui  ne  voit  pas  la  nécessité  d'un  licenciement  est  un  stupide;  celui 
qui  la  voit  et  ne  la  conseille  pas  est  un  traître...  (Ici  les  applaudissemens 
ont  retenti  dans  toute  la  salle  ;  un  membre  a  demandé  que  ces  mots  y 
fussent  gravés  en  gros  caractères  {Avis  à  MM.  du  comité  militaire); 
l'expérience  n'a-t-elle  pas  assez  prouvé  que  ces  ci-devant  nobles  ne 
peuvent  plus  ni  commander  à  des  soldats-citoyens,  ni  rester  parmi  eux  ? 
Par  quelle  extravagance,  a-t-il  ajouté,  persiste-t-on  à  attacher  des  cada- 


(8)  René  Louis,  marquis  de  Girardin,  maréchal  de  camp,  ami  de 
Rousseau,   mort  en   1808. 

(9)  Le  Club  des  Oordeliei-s  siégeait  en  effet  à  cette  époque, 
rue  Dauphine,  dans  la  salle  du  Musée,   société  des  conférences. 

(10)  L?impres.sion  du  discours  de  Robespierre  fut  en  réalité  déci- 
dée dans  la  séance  du  10  juin. 

(11)  Discours  'sur  l'institution  de  la  iforce  publique  prononcé 
à  la  tribune  du  Club  des  Cordeliers.  Brochure  in-8°  de  12  p.,  imp. 
du  Creuset  <B.N.  8°  Lb40  813  (1).  Elle  fut  distribuée  à  tous  les 
députés  de  la  Constituante. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  465 

Vres  pestiférés  à  des  corps  sains?  (Nouveaux  applaudissemens).  Sans 
un  licenciement,  anarchie,  massacres,  guerres  intestines,  voilà  ce  qu'on 
n'évitera  jamais.  L'impression  de  ce  discours,  dont  nous  regrettons  de 
ne  pouvoir  ici  donner  qu'une  esquisse,  a  été  arrêtée,  ainsi  que  l'envoi 
à  toutes  les  sociétés.  » 

Le  Lendemain,  t.  III,  n°    162,  p.  664. 

«  Roberspierre,  qui  ne  connoît  pas  les  ménagemens,  et  qui  ne  doute 
de  rien,  Roberspierre  qui  diroit  :  périsse  l'armée,  comme  il  a  dit  péris- 
sent nos  colonies,  a  parlé  sur  le  même  sujet,  sans  être  embarrassé  comme 
le  préopinant,  parce  qu'à  la  place  de  raisons  pour  appuyer  son  système, 
il  a  mis  les  grands  mots,  d'aristocratie,  de  peuple,  de  liberté,  et  beau- 
coup d'injures,  beaucoup  d'outrages,  contre  le  roi,  les  ministres,  tous 
les  hommes  en  place,  et  les  officiers  auxquels  il  en  veut.  Cette  sorte 
d'éloquence  a  été  fort  du  goût  des  jacobins,  et  l'impression  du  discours 
a  été  décrétée  à  l'unanimité.   » 

Journal  général  de  France,    13   juin    1791,   p.    661. 

«  M.  Robertspierre,  l'homme  incorruptible,  le  Dieu  des  Marat, 
Garât,  Carra,  Corsas  et  Martel,  le  grand  Robertspierre  en  un  mot, 
parle  sur  le  même  sujet;  mais  à  défaut  de  raisons,  son  éloquence  emploie 
si  heureusement  les  mots  ronflans  d'aristocrates,  de  Peuple,  de  liberté, 
■d'ancien  régime,  de  despotisme  et  des  droits  de  l'homme;  il  sait  si 
bien  y  ajouter  des  injures  contre  le  Roi,  les  Ministres,  les  hommes  en 
place  et  les  Officiers  de  l'Armée,  que  les  honorables  Membres,  extasiés 
de  son  superbe  discours,  en  décrètent  l'impression  à  l'unanimité.  Un 
Grenadier  du  Régiment  d'Auvergne  succède  à  M.  Robertspierre.  » 
Journal  des  Mécontens,  n°    103,  p.  4. 

«  Robertspierre,  qui  n'est  point  l'esclave  des  convenances,  n'a 
éprouvé  aucun  embarras;  avec  les  mots  peuple,  liberté,  aristocratie, 
contre-révolution,  et  en  mettant  à  la  place  des  raisons,  des  injures  très 
grossières  contre  les  officiers,  des  outrages  bien  sanglants  contre  le  Roi 
et  les  ministres;  il  s'en  est  tiré  à  merveille.  » 


300.  —  SEANCE  DU  9  JUIN  1791  (1) 
Sur  l'incompatibilité  entre  les  fonctions  législatives 

ET   ADMINISTRATIVES    OU    JUDICIAIRES 


Thouret,  au   nuin  du  comité  de  constitution,  propose  à  l'Assem- 
blée divers  articles   relatifs   aux  incompatibilités  ta  prononcer  entre 


(1)  La  séance  était  présidée  par  Dauchy,  maître  de  la  poste  aux 
chevaux  de  iSt.  Just,  député  du  tiers  état  du  bailliage  de  Clenneût- 
en  Be&uvolsis.  Il  avait  été  élu  le  6  juin,  contre  Kobespierre.  Ce  der- 
nier avait  été  désigné  comme' candidat  à  la  présidence  de  l'Assemblée 

r,.iui:si'H  hiu.  "—    50 


466  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

les  fonctions  législatives  et  diverses  autres  fonctions  publiques  ou 
particulières  {2).  L'art.  2  précise  que  «  i'on  ne  peut  exercer  en 
même  temps  les  fonctions  législatives  et  administratives  ou  judi- 
ciaires; que  pendant  la  durée  des  sessions,  les  titulaires  de  fonctions 
administratives  et  judiciaires,  nommés  à  la  .législature,  seront  tenus 
(I  »  se  faire  remplacer,  dans  leur  administration,  par  leurs  sup- 
pléants   ». 

Regiiaud  de  Saint-Jean-d'Angely  demande  que  les  membres  du 
corps  législatif  ne  puissent  exercer  les  fonctions  ordinaires  d'un 
corps  administratif  pendant  l'intervalle  des  sessions  et  que  l'incom- 
patibilité soit  étendue  à  toute  la  durée  de  la  législature.  Robespierre, 
d'André,    Duport,   soutiennent   le  même  point  de   vue. 

L'Assemblée  déclara  qu'il  n'y  a  pas  lieu  à  délibérer  sur  l'article 
du    comité.    Duport   propose    la   rédaction    suivante  :    «   Les  fonctions 


nationale  par  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  dans  sa  séance 
du  3  juin  (cf.  Journal  des  Débats  de  la  Société...  nu  3,  p.  2).  Le 
4  juin,  lors  d'un  premier  tour  de  scrutin,  les  voix  des  députés  se 
partagèrent  entre  Dauchy  et  .Robespierre,  sans  qu'aucun  d'eux  ait 
atteint  la  majorité  .absolue,  de  nombreux  membres  s'étant  abstenus 
et  le  nombre  des  votants  ne  «'élevant  qu'à  «  trois  cents  et  quel- 
ques »  -(cf.  Journal  du  iSoir  (Beaulieu),  6  juin  1791,  p.  5,  et  le  Creu- 
set, t.  II,  n°  47).  Cif.  également  le  Courrier  (français,  t.  XI,  n°  156, 
p.  288;  la  Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  157, 
p  649;  la  Chronique  de  Paris,  n°  157,  p.  627;  le  Journal  de  Rouen, 
n"  157,  p.  758;  la  Correspondance  nationale,  n°  33,  p.  62  ;  la  Gazette 
nationale  ou  Extrait...,  t.  XVII  p.  158;  le  Journal  universel, 
t.  XII,  p.  80S2).  Un  nouveau  tour  de  scrutin  a  lieu  le  lendemain, 
et  au  début  de  la  séance  du  6,  le  président  en  .annonce  le  résultat: 
c'est  Dauchy  qui  l'emporte.  Voici  comment  les  journaux  apprécient 
ce  choix  :  (Le  Babillard,  n°  3,  p.  24)  :  «  Les  gens  raisonnables  vien- 
nent de  remporter  une  victoire  sur  les  aristocrates  et  les  démago- 
gues. Ceux-ci  portaient  à  la  présidence  M  Robespierre,  connu  par 
l'exagération  de  ses  opinions.  fLea  aristocrates  qui  le  regardent 
comme  un  homme  absolument  décrié,  le  portaient  aussi  parée  qu'ils 
espéraient  qu'un  pareil  choix  fera  tort  à  l'assemblée.  «  (Le  Journal 
de  la  ^Noblesse,  t.  II,  h°  2,  p.  87)  :  «  M.  Robespierre  avoit  balancé 
les  suffrages  pour  la  présidence  au  dernier  scrutin.  II  auroit  dû 
l'emporter  dans  celui-ci,  et  il  n'a  pas  même  eu  l'avantage  de  la 
concurrence.  La  franchise  qui  s'est  manifestée  dans  la  discussion  sur 
l'organisation  du  corps  législatif,  ne  pouvait  plaire  qu'aux  amis  de 
la  vérité,  mais  ils  sont  en  petit  nombre  dans  rassemblée.  »  (Le 
Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  Nationale,  p.  376)  :  «  M.  Dauchy 
a  pris  possession  du  fauteuil  de  la  présidence  :  le  premier  scrutin 
avoit  fait  espérer  aux  vrais  Patriotes  que  M.  Robespierre  recevroit 
enfin  la  juste  récompense  de  son  imperturbable  attachement  aux 
grands  principes  de  la  liberté,  i»  (Le  Courrier  des  LXXXIII  Dé- 
partemens,  t.  XXV,  p.  95):  «  Depuis  long-tems  les  bons  citoyen- 
désirent  que  M.  Robespierre  soit  enfin  assis  à  cette  place.  «  Sans 
doute  elle  est  à  lui  si  la  vertu  la  donne  »,  mais  depuis  qu'elle  est 
devenue,  pour  ainsi  dire,  le  patrimoine  de  la  brigue  et  de  l'inci- 
visme,  la  probité  ne  peut  plus  la  regarder  comme  un  honneur  ou 
une    récompense.    » 

(2)  Cf.   ci-dessus,   séance  du  19  mai  1791. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  467 

municipales,  administratives,  judiciaires  et  de  commandant  de  la 
garde  nationale,  sont  incompatibles  avec  ceLles  de  la  législature, 
et  ceux  qui  en  seront  revêtus,  ne  pourront  en  reprendre  l'exercice 
qu'après   la  fin   de   leur    députatioi   au'  corps   législatif.    » 

L'article   proposé    par    Duport   fut   adopté,    sauf    rédaction    (3). 

Journal  universel,  t.  XIII,  p.  9015. 

«  MM.  Dandré,  Péthion,  Duport  et  Robespierre  ont  vivement 
soutenu  qu'il,  était  impossible  qu'un  membre  du  corps  lég:slatif  retournât 
dans  son  département  remplir  un  rôle  secondaire  et  qu'il  se  présentât 
ensuite  à  la  législature  pour  y  exercer  la  plus  belle  et  la  plus  honorable 
fonction  du  royaume,  celle  de  coopérer  à  la  confection  des  lois.    » 

Le  Législateur  français,   10  juin  1791,  p.  6. 

«  M.  Renaud  (4)  a  fait  une  autre  proposition  qui  a  excité  les 
plus  larges  débats:  il  vouloit  qu'il  fût  déclaré  qu'il  y  avait  lieu  à 
incompatibilité  entre  les  diverses  fonctions  publiques  et  celles  de  légis- 
lateur. M.  Robertspierre  disoit  à  l'appui  de  cette  opinion  que  l'avis 
du  Comité  détruisoit  les  principes,  en  les  mettant  en  opposition  les 
uns  aux  autres.    » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    161,  p.   669. 

«  M.  Robespierre.  Il  faut  que  le  législateur  conserve  son  caractère 
pendant  toute  la  durée  de  la  législature.  Or,  le  même  homme  ne  peut 
être  inviolable  et  responsable.  (On  applaudit)  »  (5). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXIII,   n°   698,  p.    123. 

«  Il  seroit  absurde,  disoit  M.  Robespierre,  de  cumuler  les  fonc- 
tions de  législateur  et  l'autorité  de  fonctionnaire  public  sur  la  même 
tête,  car  comme  législateur,  il  seroit  inviolable  et  comme  fonctionnaire 
public  il  seroit  responsable  ;  comment  allier  ces  deux  genres  de  respon- 
sabilité et  d'inviolabilité.  Il  faut  donc  recevoir  l'amendement  de  M.  Re- 
gnaud  »  (6). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  La  Gazette  universelle, 
n°  161,  p.  644;  Le  Journal  des  Débats,  n°  748,  p.  10.] 


(3)  Cf.  E.  Hamcl,  I,  474. 

(1)  Pour   Eegnaud    de  Saint-JeâU-d'Angely. 

(5)  Texte  reprodui!  dans  le  Moniteur,  V J  II ,  824;  et  Afrch.   pan., 

XXVII,   81. 

(6)  Texte    reproduit    dans    les    Areh.    pari.,    XXVH,    81. 


468  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

301.  —  SEANCE  DU  10  JUIN  1791 
Sur  le  licenciement  des  officiers  de  l'armée  (1) 

Bureau  de  Pusy  présente  à  l'Assemblée,  au  nom  des  comité- 
de  constitution,  militaire,  diplomatique  et  des  recherches,  un  rap- 
port sur  les  moyens  de  rétablir  la  tranquillité  dans  le  royaume, 
.bes  comités  se  sont  d'abord  occupés  de  l'armée.  Ils  proposent  de 
décréter  que  tous  les  officiers  prêteront  le  serment  d'être  fidèle  à  la 
nation,  à  Ja  loi  et  au  roi.  '(Jette  mesure  peut  rétablir  entre  les 
soldats  et  les  officiers  une  confiance  réciproque  ;  mais  elle  ne  peut 
être  imposée  et  doit  demeurer  libre.  Les  comités  proposent  en  consé- 
quence, pour  ne  pas  placer  les  officiers  entre  l'engagement  de  leur 
honneur  et  l'extrémité  du  besoin,  d'accorder  aux  officiers  démis- 
sionnaires faute  d'avoir  prêté  le  serment,  le  quart  de  leurs  appointe- 
ments, soit  450  livres  en  moyenne.  Par  ailleurs,  les  comités  estiment 
qu'il  faut  éloigner  les  soldats  des  villes,  et  proposent  en  conséquence 
de  cantonner  l'armée,  d'y  rétablir  la  discipline  et  d'appliquer  a  ceux 
(ju;  y  manqueront  toute  la  rigueur  des  peines.  Bureau  présente,  au 
nom  des  eix  comités,  un  projet  de  décret  contenant  les  dispositions 
développées  dans  son  rapport  (2). 

Ilobespierre  intervient  le  premier  dans  la  discussion  générale, 
demande  la  question  préalable  sur  l'avis  des  comités,  et  propose 
le  licenciement  des  officiers.  Cazalès  lui  répond.  (La  discussion  est 
ajournée  au  lendemain. 

Le  11  juin,  l'Assemblée  nationale  adopta  le  projet  de  décret 
présenté  par  Bureau  de  Pusy,   au  nom  des  six  comités. 

DISCOURS  DE  MAXIMILIEN  ROBESPIERRE 

Sur  le  licenciement  des  officiers  de  l'armée  (3) 

MESSIEURS, 

je  viens  défendre  devant  vous  une  opinion  tout-à-fait  opposée  aux 
principes  des  membres  du  comité  militaire  ;  mais  qui  est  appuyée  sur  le 


(1)  Cf.   ci-dessus,    séance  des  Jacobins  du  8  juin   1791. 

(2)  (Cette  question  avait  déjà  été  évoquée  par  Mirabeau,  dans  la 
séance  du  20  août  1790  {cf.  Discours...  lre  partie,  p.  508);  et  hors 
de  l'Assemblée,  par  Dumouriez  (cf.  E.  Hamel,  I,  468).  [L'opinion  y 
paraissait  favorable,  et  plusieurs  députés  avaient  composé  des  dis- 
cours sur  ce  sujet.  Tous  ne  purent  intervenir  et  l'un  d'eux,  Achard 
de  Bonvouloir,  député  du  département  de  la  Manche,  se  résolut,  en 
désespoir  de  cause,  à  faire  imprimer  son  texte  sous  le  titre:  «  Obser- 
vations sur  l'état  de  l'armée  »  (B.N.  8°  Le29   1548). 

(3)  Discours  publié  par  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution. 
in-8°,  s.d..  15  p.  Imprimerie  nationale,  B.N.  8°  Lb40  597,  Biblio. 
de  la  V.  de  P  n°  952988,  Biblio.  de  la  Sorbonne,  HFr  140.  Le 
catalogue  de  la  B.N.  le  mentionne  comme  ayant  été  prononcé  le  10 
juin,  à  la-  tribune  des  Jacobins,  ce  qui  est  faux.  LTnc  partie  seule- 
ment a  été  lue  par  Ilobespierre  devant  cette  Société,  le  8  juin,  et 
c'est  à  l'Assemblée  nationale  'qu'il  a  prononcé  l'ensemble  du  texte 
dont  les  Jacobins  ont  voté  l'impression.  (Voyez  p.  475,  note  5.) 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  469 

vœu  souverain  de  la  Nation,  sur  les  pétitions  formelles  des  citoyens 
de  ces  parties  de  l'empire,  où  l'on  est  beaucoup  plus  à  portée,  que  nous 
ne  le  sommes,  d'observer  les  faits  qui  doivent  être  la  base  de  votre  déci- 
sion. 

Il  s'agit  de  trouver  un  remède  aux  troubles  de  l'armée:  ces  troubles 
ont  été  beaucoup  exagérés;  les  causes  sur-tout  en  ont  toujours  été  dissi- 
mulées ou  présentées  d'une  manière  infidèle.  Cependant,  c'est  dans  les 
dangers  publics  que  vous  avez  particulièrement  besoin  d'entendre  la 
vérité;  elle  vous  sera  dite  au  moins  une  fois,  car  j'énoncerai  mon  opinion 
avec  la  franchise  qu'exige  le  salut  de  la  patrie;  on  me  la  pardonnera 
d'autant  plus  facilement  qu'elle  ne  sera  altérée  par  aucun  sentiment 
étranger  à  l'intérêt  public. 

Les  causes  des  divisions  qui  régnent  dans  l'armée,  sont  faciles 
à  connoitre;  je  les  trouve  dans  la  révolution  même,  et  dans  la  consti- 
tution particulière  du  corps  des  officiers.  Tout  vous  imposoit  dès  long- 
temps la  loi  de  les  changer,  sous  peine  de  troubler  l'harmonie  politique 
que  vous  voulez  établir. 

Au  milieu  des  ruines  de  toutes  les  aristocraties,  quelle  est  cette 
puissance  qui  seule  élève  encore  un  front  audacieux  et  menaçant  ?  Vous 
avez  détruit  la  noblesse;  et  Ta  noblesse  vit  encore  à  la  tête  de  l'armée; 
la  noblesse  règne  sur  l'armée.  Vous  avez  reconstitué  toutes  les  fonctions 
publiques,  suivant  les  principes  de  la  liberté  et  de  l'égalité;  et  vous 
conservez  un  corps  de  fonctionnaires  publics  armés,  dont  la  constitution 
est  à-la-fois  l'appui  et  l'instrument  du  despotisme,  le  triomphe  de  l'aris- 
tocratie, le  démenti  le  plus  formel  des  principes  de  la  constitution  de 
l'Etat,  et  l'insulte  la  plus  révoltante  à  la  majesté  du  peuple.  Où  est 
donc  le  titre  de  cette  bisarre  exception  ?  Médecins  habiles  des  maux  du 
corps  politique,  est-ce  pour  les  guérir,  que  vous  laissez  circuler  dans 
ses  veines  cette  humeur  mortelle  qui  les  tourmente  ?  Législateurs,  est-ce 
pour  justifier  aux  yeux  de  l'univers  l'opinion  qu'il  a  conçue  de  votre 
sagesse,  que  vous  lui  présentez  ce  hideux  contraste  des  principes  de  la 
raison  et  de  la  justice,  et  des  préjugés  les  plus  extravagans,  cette 
alliance  monstrueuse  du  despotisme  avec  la  liberté  ?...,  Je  ne  sais  de 
quelle  manière  traiter  une  pareille  question  :  je  me  sens  repoussé,  dès 
le  premier  pas,  par  la  difficulté  de  prouver  l'évidence. 

Croyez-vous  qu'une  armée  immense  soit  un  objet  indifférent  pour 
la  liberté  ?  Ignorez-vous'  que  tous  lès  peuples  qui  l'ont  connue,  ont 
réprouvé  cette  institution,  ou  ne  l'ont  envisagée  qu'avec  effroi.  Combien 
de  précautions  ne  devez- vous  donc  pas  prendre  pour  la  préserver  d'une 
influence  dangereuse  !  Vous  savez  que  c'est  par  elle  que  les  gouverne- 
mens  ont  par-tout  subjugué  les  nations  ;  vous  connoissez  l'esprit  des 
cours;  vous  ne  croyez  point  aux  conversions  miraculeuses  de  ces  hommes 
dont  le  cœur  est  dépravé  et  endurci  par  l'habitude  du  pouvoir  absolu, 
et  vous  soumettez  l'armée  à  des  chefs  attachés  naturellement  au  régime 


470  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

que  la  révolution  a  détruit  !  Qu'attendez- vous  donc  de  ces  chefs  ?  S'ils 
sont  sans  autorité,  sans  ascendant,  ils  ne  peuvent  exercer  leurs  fonctions; 
s'ils  en  ont,  à  quoi  voulez-vous  qu'ils  l'emploient,  si  ce  n'est  à  faire 
triompher  leurs  principes  et  leur  parti  ? 

Sans  doute,  il  est  une  partie  des  officiers  de  l'armée,  sincèrement 
attachée  à  la  cause  de  la  révolution,  animée  des  plus  purs  sentimens 
du  civisme.de  la  liberté;  j'en  connois  moi-même  de  ce  caractère, 
même. dans  des  grades  distingués:  mais  pouvons-nous  fermer  les  oreilles 
aux  plaintes  innombrables  des  citoyens,  des  administrateurs  même  qui 
vous  prouvent  qu'une  partie  très  nombreuse  -de  ce  corps  professe  des 
sentimens  opposés  ?  Que  dis-je  !  Jetez  un  regard  sur  le  passé,  et  trem- 
blez pour  l'avenir.  Voyez  avec  quelle  obstination  ils  ont  servi,  dès  le 
commencement  de  la  révolution,  le  projet  favori  de  la  cour  d'attacher 
l'armée  à  ses  intérêts  particuliers  ;  voyez-les  semant  la  division  et  le 
trouble,  armant,  dans  quelques  lieux,  les  soldats  contre  les  citoyens, 
et  les  citoyens  contre  les  soldats,  interdisant  à  ceux-ci  toute  communica- 
tion avec  les  citoyens,  et  les  écartant  sur-tout  des  lieux  où  ils  pouvoient 
apprendre  les  devoirs  sacrés  qui  les  lient  à  la  cause  de  la  patrie  et  de 
la  constitution;  tantôt  dissolvant  des  corps  entiers  dont  le  civisme  décon- 
certait les  projets  des  conspirateurs,  les  poussant  à  force  d'injustices  et 
d'outrages,  à  des  actes  prétendus  d'insubordination,  pour  provoquer 
contr'eux  des  décisions  sévères;  tantôt  chassant  de  l'armée,  en  déiail, 
les  militaires  les  plus  courageux,  les  plus  éclairés,  les  plus  zélés  pour 
le  maintien  de  la  constitution,  par  des  congés  inf amans,  de  mille  formes 
différentes  et  inusitées,  par  des  ordres  arbitraires  de  toute  espèce,  que 
le  despotisme  lui-même  n'eût  osé  se  permettre  avant  la  révolution. 
Qu'est-elle  devenue  cette  puissante  armée,  qui,  par  une  sainte  désobéis- 
sance aux  ordres  sacrilèges  des  despotes,  a  terminé  l'oppression  du 
peuple  et  rétabli  la  puissance  du  Souverain  ?  Plus  de  cinquante  mille 
peut-être  des  citoyens  qui  la  composoient,  dépouillés  de  leur  état  et  du 
droit  de  servir  la  patrie  qu'ils  ont  sauvée,  errent  maintenant  sans  res- 
source et  sans  pain  sur  la  surface  de  cet  empire,  expiant  leurs  services 
et  leurs  vertus  civiques  dans  la  misère  et  dans  l'opprobre  ;  ..si  l'oppro- 
bre pouvoit  être  imprimé  par  le  crime  à  la  vertu,  Que  sont  devenus 
ces  corps,  qui  naguères,  près  des  murs  de  cette  capitale,  déposèrent 
aux  pieds  de  la  patrie  alarmée  ces  armes  qu'ils  avoient  reçues  pour 
déchirer  son  sein,  ces  corps  que  n'ont  pu  protéger  la  reconnoissance  et 
l'amour  de  la  nation?  Que  sont  devenus  ceux  qui,  quoique  étrangers, 
quoique  appelés  à  ce  titre,  par  les  féroces  combinaisons  de  nos  enne- 
mis ?..  Mais  mon  imagination  effrayée  répugne  à  se  retracer  ces  lugu- 
bres idées  '  Je  ne  puis  consentir  à  rouvrir  toutes  les  plaies  de  mon 
âme  :  il  faudroit  parler  des  crimes  et  des  catastrophes  de  Nanci  :  il  fau- 
droit  reporter  mes  regards  sur  ces  scènes  de  sang,  où  les  amis  de  la 
liberté  plongeoient  dans  le  sein  de  ses  défenseurs,  des  armes  qui  ne 
dévoient  être  terribles  que  pour  les  tyrans,  et  ne  déployoïent  le  courage 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  47) 

du  civisme  et  de  la  vertu,  que  pour  préparer  au  despotisme,  le  plus 
affreux  de  tous  les  triomphes  :  il  faudroit  voir  les  victimes  échappées 
au  fer  des  vainqueurs,  tombant  en  foule  sous  les  coups  des  bourreaux; 
présentant  pendant  plusieurs  jours  le  plus  doux  des  spectacles  -iux  yeux 
des  ennemis,  qui  purent  à  loisir  se  rassasier  de  leurs  supplices,  et  les 
premiers  jours  de  la  liberté  souillée  par  des  cruautés,  qui  n'ont  pas 
flétri  la  mémoire  des  plus  cruels  tyrans.  Il  faudroit  voir  le  vice  déifié 
par  l'intrigue,  et  la  vertu  déshonorée  par  la  scélératesse;  enfin,  la  plus 
criminelle  et  la  plus  perfide  politique,  insultant  long-temps  à  la  douleur 
des  bons  citoyens  par  des  calomnies  impudentes  et  par  des  fêtes  sacri- 
lèges, forcer  en  quelque  sorte  la  patrie  en  deuil  à  applaudir  aux  sup- 
plices de  ses  défenseurs.  Quelles  ont  été  les  premières  causes  de  tous 
ces  malheurs?  L'incivisme  et  l'injustice,  les  persécutions,  les  calomnies, 
les  intrigues  des  officiers  de  ces  mêmes  corps.  Mais  quoi  !  une  grande 
partie  des  officiers  de  l'armée  en  général,  vous  a-t-elle  même  laissé 
le  droit  de  douter  de  ses  intentions?  Avez- vous  oublié  Béfort,  où  les 
chefs  ont  eux-mêmes  entraîné  les  soldats  à  insulter  publiquement  la 
nation  et  ,vs  représentans  ">  Avez-vous  oublié  que  d'autres  ont  arboré 
la  cocarde  blanche,  foulé  aux  pieds  le  signe  auguste  de  notre  liberté 
^conquise  ?  La  voix  publique,  les  avis  qui  vous  sont  envoyés  de  tous  les 
départemens,  vous  ont-ils  permis  d'ignorer  les  blasphèmes  proférés  contre 
l'autorité  de  la  nation,  les  conseils  perfides,  et  les  cabales  continuelles 
qui  semblent  menacer  la  liberté  ?  Ne  font-ils  pas  une  profession  ouverte 
de  mépriser  le  peuple,  de  méconnoître  les  droits  des  citoyens,  de  ne 
connoître,  de  ne  servir  que  le  roi  ?  Que  dis-je  ?  Vous-mêmes  vous  sem- 
blez  croire  à  la  possibilité  d'une  ligue  des  despotes  de  l'Europe  contre 
votre  constitution;  vous  avez  paru  prendre  quelquefois  des  mesures 
pour  prévenir  des  attaques  prochaines:  or,  n'est-il  pas  trop  absurde, 
que  vous  mettiez  précisément  au  nombre  de  ces  mesures  celle  de  laisser 
votre  armée  entre  les  mains  des  ennemis  déclarés  de  notre  constitution  ? 
Avez-vous  jamais  entendu  dire  que  dans  aucun  temps  les  despotes  aient 
pourvu  de  cette  manière  à  la  défense  de  leurs  états  ?  Ont-ils  jamais 
confié  en  connoissance  de  cause,  la  moindre  forteresse,  le  plus  foible 
corps  de  troupes,  à  un  gouverneur  ou  à  un  général  suspect  ?  N'y  auroit-il 
donc  que  le  domaine  des  despotes  qui  (méritât  d'être  conservé  ?  La 
France  ne  seroit-elle  plus  digne  d'être  défendue,  depuis  que  la  destinée 
de  la  liberté  et  le  bonheur  des  peuples  sont  liés  à  la  sûreté  ?  Les 
premières  notions  de  la  prudence  et  du  bon  sens  sont-elles  l'apanage 
exclusif  des  monarques  absolus,  et  ne  sont-elles  d'aucun  usage  dans  la 
conduite  des  législateurs,  et  des  représentans  du  peuple?  Pour  moi,  je 
rougirois  de  prouver  plus  long-temps  que  le  licenciement  des  officiers 
de  l'armée  est  commandé  par  la  nécessité  la  plus  impérieuse,  et  je  le 
dirai  avec  une  franchise  qui  paroîtra  tenir  un  peu  de  la  rudesse,  mais 
que  les  circonstances  autorisent  :  quiconque  ne  voit  pas  cette  nécessité, 
est  un  homme  stupide;  quiconque  la  voit,  et  ne  veut  point,  ne  conseille 


472  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

point  le  licenciement,  est  un  traître  (4).  Quel  motif  peut  vous  dispenser 
de  le  prononcer  ?  Vous  craignez  les  suites  de  cette  démarche  éclatante  ? 

Vous  craignez  !  Et  vous  avez  pour  vous  la  raison,  la  justice,  la 
nation  et  l'armée.  Voilà  des  garans  qui  doivent  vous  rassurer  au  moins 
sur  l'exécution  de  votre  décret. 

Craignez-vous  les  machinations  des  officiers  congédiés  ?  Ceci  ne 
peut  point  regarder  ceux  qui  sont  patriotes,  qui  gémissent  sur  la  conduite 
de  leurs  confrères  et  pour  qui  leur  civisme  même  est  un  sujet  de  tra- 
casserie ou  de  tourment;  ils  désirent  une  disposition  qui,  en  sauvant  la 
patrie,  ne  peut  que  leur  ouvrir  à  eux-mêmes  une  perspective  plus  avan- 
tageuse. Quant  aux  autres,  quant  à  la  majorité  si  vous  voulez,  puisqu'ils 
se  sont  déclarés  les  ennemis  de  la  révolution,  ce  ne  sera  point  votre 
décret  qui  les  rendra  tels  :  seulement  il  les  rendra  moins  dangeureux, 
puisque,  dans  la  classe  des  simples  citoyens,  ils  auront  moins  de  pouvoir 
pour  lui  nuire,  qu'à  la  tête  de  l'armée.  Cette  observation  seroit  juste 
quand  bien  même  vous  supposeriez  qu'ils  iroient  ,grossn  une  armée 
ennemie,  et  cela  par  la  raison  toute  simple  qu'un  ennemi  déclaré  est 
moins  à  craindre  qu'un  ennemi  caché  et  que  le  général  qui  assiège  une 
place,  en  avance  moins  la  conquête,  que  le  gouverneur  perfide  qui  la 
livre. 

Que  craignez-vous  encore  7  Que  les  soldats  ne  soient  portés  à 
l'indiscipline  par  une  disposition  qui  aura  comblé  leurs  vœux  ?  Au  con- 
traire, rien  n'inspire  le  reispect  de  la  loi  et  de  ceux  qui  en  sont  les 
auteurs,  ou  les  organes,  comme  la  raison  el  la  justice.  Ne  souffrez  pas 
oue  l'intrigue  triomphe  plus  long-tems  en  calomniant  sans  cesse  devant 
vous  les  soldats,  le  peuple,  l'humanité;  croyez  des  tyrans,  des  oppres- 
seurs, des  esclaves,  des  courtisans,  des  ennemis  naturels  de  l'égalité, 
tout  le  mal  qu'ils  vous  disent  des  foibles,  des  opprimés,  des  hommes 
malheureux,  mais  simples  et  droits,  et  vous  aurez  rencontré  !a  vérité. 
Les  soldats  en  général  ne  se  sont  signalés  que  par  leur  douceur  à  suppor- 
ter les  injustices  les  plus  atroces,  à  respecter  la  discipline  et  les  lois, 
en  dépit  de  leurs  chefs  ;  ils  ont  présenté  le  contraste  étonnant  d'une  force 
immense  et  d'une  patience  sans  borne;  et  si  vous  connaissiez  vos  véri- 
tables intérêts,  l'intérêt  suprême  du  bien  public  et  de  la  liberté,  vous 
seriez  effrayés  de  la  facilité  avec  laquelle  ils  se  sont  laissé  opprimer, 
plus  que  de  leur  énergie.  S'ils  n'ont  pas  secoué  le  joug  des  chefs  dont 
j'ai  parlé,  avec  quelle  docilité  n'obéiront-ils  pas  ;à  des  chefs  amis  des 
lois  et  de  la  constitution  ?  Mais  par  quelle  étrange  iatatlité  les  idées  1»'S 
plus  simples  semblent-elles  aujourd'hui  confondues  parmi  nous  ?  On 
souffre  paisiblement  que  les  officiers  violent,  outragent  publiquement 
iles  lois  et  la  constitution,  et  on  exige  des  inférieurs  avec  une  rigueur 
sans  exemple,  le  ,respect  le  plus  profond,  la  soumission  !a  plus  aveugle 


(4)  On  trouve  cette  même  phrase  dans  le  discours  prononcé  aux 
Jacobins.   Cf.   ci-dessu^   p.   462. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE.  473 

et  la  plus  illimitée  pour  ces  mêmes  officiers;  on  assure  aux  officiers  le 
droit  de  donner  les  plus  coupables  exemples  aux  soldats,  que  dis-je  ? 
d'attaquer  leur  fidélité  envers  la  nation,  de  leur  interdire,  sous  le  pré- 
texte de  discipline,  l'exercice  le  pilus  légitime,  le  plus  innocent  des 
droits  -qui  appartiennent  à  tous  les  citoyens;  et  si,  en  résistant  à  ces 
exemples,  ceux-ci,  par  un  mouvement  contraire,  paroissent  dépasser  la 
ligne  de  ce  qu'on  appelle  la  discipline  militaire,  on  les  immole  impi- 
toyablement à  l'inimitié  de  leurs  chefs;  on  '.s'indigne  d'un  mouvement, 
d'un  symptôme  de  vie  échappé  à  l'impatience,  et  provoqué  par  un 
sentiment  louable  et  généreux;  et  l'on  peint  l'armée  toute  entière 
comme  une  horde  de  brigands  indisciplinés.  S'il  est  vrai  que  ce  soit 
le  véritable  intérêt  de  la  discipline  qui  vous  touche,  donnez  donc  aux 
soldats  des  chefs  auxquels  ils  puissent  obéir,  des  'chefs  qui  ne  s'appli- 
iquent  point  sans  cesse  à  comprimer,  à  blesser  en  eux  toutes  les  plus 
douces,  toutes  les  plus  généreuses  affections  du  cœur  humain,  tous  les 
sentimens  les  plus  chers  et  les  plus  impérieux  des  bons  citoyens. 
Pourquoi  vous  obstiner  à  lier  des  guerriers  fidèles  à  des  chefs  obstinés, 
là  attacher  des  cadavres  à  des  corps  vrvans  ?  Faites  qu'ils  puissent  à-la- 
ifois  respecter  leurs  officiers,  ila  loi  et  la  justice  ;  ne  les  réduisez  point 
à  opter  entre  un  capitaine,  un  lieutenant  et  la  liberté,  la  patrie.  Que! 
étrange  projet  de  vouloir  à  toute  force  changer  aujourd'hui  les  soldats 
françois  en  des  automates  sans  intelligence,  sans  âme,  sans  patrie,  sans 
aucun  sentiment  de  la  liberté,  sans  aucune  ic'jée  de  la  dignité  de 
l'homme,  et  tout  cela  afin  qu'ils  défendent  mieux  la  patrie  et  les  droits 
de  la  nation,  et  cela  afin  que  l'esprit  de  l'armée  soit  mieux  assorti 
aux  principes  et  à  la  nature  de  la  constitution  !  Oh  !  quel  étrange  abus, 
on  a  fait  ici  de  ce  mot  de  discipline  militaire  !  Avec  quels  lâches  arti- 
fices on  a  confondu  toutes  les  idées,  méconnu  tous  les  principes  et 
cimenté  tous  les  préjugés  sur  lesquels  s'appuie  la  puissance  des  despotes 
les  plus  absolus,  et  sur  lesquels  on  a  espéré  peut-être  dis  raffermir  parmi 
nous  le  despotisme  chancelant,  mais  non  point  abattu  !  Un  jour  peut- 
être,  ces  questions  seront  éclaircids  à  la  honte  des  charlatans  politiques; 
mais  <en  attendant  ce  moment,  législateurs,  gardez-vous  de  vouloir,  avec 
obstination,  des  choses  contradictoires,  de  vouloir  établir  l'ordre  sans 
justice;  législateurs,  ne  vous  croyez  pas  plus  sages  que  la  raison,  ni 
plus  puissans  que  la  nature;  c'est  la  nature  même  qui,  dans  la  situation 
où  se  trouve  votre  armée,  ne  permet  pas  que  vos  soldats  soient  encore 
long-tems  soumis  à  vos  officiers  et  fidèles  à  l'a  nation;  c'est  la  raison 
qui,  bientôt,  au  nom  de  la  patrie,  leur  commandera  une  obéissance 
moins  passive.  Si  vous  ne  faites  pas  vous-mêmes  oè  qu'exige  1  empire 
de  la  nécessité,  craignez  qu'ils  ne  le  fassent  eux-mêmes;  car,  après 
tout,  il  faut  que  l'Etat  et  ia  liberté  soient  sauvés;  s'ils  ne  le  «ont  pas 
par  les  représentans,  il  faut  bien  qu'ils  le  soient  par  la  nation.  Alors 
il  seroit  peut-être  permis  de  penser  que  les  soldats  seroient  moins  sou- 
ples à  la  discipline  :  pour  moi,  je  n'ai  pas  même  cette  crainte;  je  suis 


474  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

bien  plus  porté  à  croire,  qu'à  l'exemple  <le  quelques  corps,  dont  les 
officiers  ont  disparu,  ils  n'en  seroient  que  plus  inviolablen.ent  attachés 
à  leurs  devoirs,  et  que  loin  d'abuser  d'un  succès  remporté  au  nom  de  la 
patrie,  leur  force  ne  seroit  redoutable  qu'à  ses  ennemis. 

Le  dénouement  que  je  viens  de  supposer  seroit,  sans  contredit,  le 
plus  heureux  ;  mais  puisque  nos  adversaires  n'y  croient  pas,  puisqu'ils 
en  espèrent  un  autre,  je  vais  vous  dévoiler  leur  plus  secrète  pensée.  Il 
est  assez  clair,  ce  'me  semble  que  ceux  qui  T'allèguent  veulent  nous  faire 
courir  une  double  chance.  En  effet,  si  les  officiers  actuels  restent  à  la 
tête  de  l'armée,  il  arrivera  nécessairement  l'une  ou  l'autre  de  ces  deux 
alternatives  :  ou  bien  dans  cette  espèce  de  lutte  établie  entre  les  soldats 
et  les  officiers,  ceux-ci  triompheront  avec  l'appui  'du  gouvernement,  ou 
ils  écarteront  les  uns,  ils  séduiront  les  autres  par  les  divers  moyens 
qui  seront  en  leur  pouvoir,  et  les  soldats  ne  seront  plus  entre  leurs 
mains  que  des  automates  dévoués  et  des  instrumens  dociles;  ou  bien 
le%  soldats  l'emporteront  par  l'usage  de  leurs  forces.  Dans  ce  dernier 
cas  vous  avez,  suivant  nos  adversaires,  le  trouble,  îe  désordre,  l'anar- 
chie; dans  le  premier  qu 'avez- vous  ?  Une  armée  animée  de  l'esprit  des 
conspirateurs,  et  portée  à  seconder  les  projets  les  plus  sinistres  contre 
la  nation,  et  par  conséquent  le  despotisme;  ainsi,  ce  oui  pourroit  arri- 
ver de  plus  heureux  pour  les  ennemis  de  la  liberté,  de  plus  terrible  pour 
nous,  ce  seroit  précisément  l'espèce  de  paix,  de  subordination,  de 
discipline  que  l'on  nous  vante.  Ainsi  le  trouble  ou  le  despotisme,  voilà 
les  deux  perspectives  que  nous  présentent  ceux  qui  s'opposent  au  licen- 
ciement des  officiers.  Ainsi  ils  pourront  choisir  l'un  ou  l'autre,  ou 
peut-être  nous  susciter  l'un  et  l'autre  à-la-fois,  suivant  les  vues  de  leur 
intérêt  ou  de  l'ambition  personnelle.  Il  n'y  a  que  les  amis  de  la  liberté 
et  de  la  paix  publique  à  qui  le  licenciement  puisse  convenir. 

Non  non,  ne  craignez  plus  les  dangers  chimériques  que  l'on  vous 
présente,  pour  vous  distraire  des  dangers  réels  ;  craignez  plutôt  cette 
facilité  funeste  que  l'on  trouve  à  vous  inspirer  de  fausses  terreurs; 
craignez,  craignez  tous  ces  chefs  de  parti  qui,  dans  chaque  occasion 
importante,  trouvent  toujours  quelque  sujet  d'alarme,  pour  vous  déter- 
miner à  enfreindre  quelqu'un  de  vos  principes,  à  violer  quelqu'un  de 
vos  devoirs.  Craignez  tous  ces  serpens  de  cour  qui,  avant  vos  délibéra- 
tions et  à  chaque  instant,  rampent  autour  de  vous  pour  vous  insinuer 
le  poison  de  leurs  opinions  pusillanimes  et  de  leurs  systèmes  perfides, 
et  qui,  soit  par  des  calomnies  adroites,  soit  par  des  sopbismes  puisés 
dans  nos  anciens  préjugés,  soit  par  des  faits  controuvés^  par  les  cir- 
constances, préparent  et  déterminent  vos  opinions,  comme  à  votre  insçu. 
Réfléchissez*  un  moment,  pour  considérer  les  suites  des  conseils  qu'ils 
vous  ont  donnés  jusqu'aujourd'hui;  toujours  ils  vous  ont  engagés  à  dévier 
des  principes,  pour  le  bien  de  la  paix  et  pour  l'affermissement  de  la 
liberté;  et  les  causes  de  troubles,  de  dissensions,  d'embarras,  n'ont 
cessé  de  croître  avec  l'audace  des  ennemis  de  la  révolution  et  les  forces 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  475 

du  despotisme,  qui  me  semble  méditer  dans  un  silence  terrible  des 
complots  que  vous  auriez  déjà  dû  prévenir.  Craignez  ces  hommes 
qui,  doués  de  trop  peu  de  sensibilité  et  de  vertu  pour  attacher  leur 
bonheur  individuel  au  bonheur  public,  de  trop  peu  de  tàlens  et  d'éner- 
gie pour  faire  le  bien,  mais  ayant  assez  de  ressources  pour  faire  le  mal, 
ne  voient  dans  une  révolution  qui  devoit  faire  le  bonheur  du  monde, 
que  le  sujet  d'une  spéculation  qui  aboutit  à  leur  bien-être  personnel, 
et  peut-être  à  l'intérêt  de  quelque  vîle  passion  :  craignez  ces  coalitions 
meurtrières,  qui  sont  comme  les  canaux  par  lesquels  la  cour  distille 
sur  la  nation  le  poison  mortel  qui  tue  l'esprit  public  et  la  liberté  dans 
Bon  berceau;  ces  hommes,  qui  calculant  la  foiblesse  de  l'opinion  publi- 
que naissante,  l'orgueil,  la  frivolité,  l'a  corruption  des  riches,  l'inexpé- 
rience et  la  bonne  foi  du  peuple,  les  ressources  formidables  et  cachées 
du  gouvernement,  se  sont  ligués  pour  opposer  les  préjugés  et  les  habi- 
tudes vicieuses  qui  nous  restent  encore,  à  la  marche  de  la  raison,  et  pour 
ensevelir  le  bonheur  de  la  France  et  de  tous  les  peuples,  dans  ce  pas- 
sage pénible  des  moeurs  et  des  idées  du  despotisme  à  celles  de  la 
liberté;  ces  hommes  dont  la  fausse  modération,  plus  cruelle  que  la  plus 
atroce  barbarie,  nous  ramènera,  s'il* est  possible,  à  un  gouvernement 
despotique  dont  les  formes  seules  seront  changées,  ou  nous  dévouera  à 
ces  longues  convulsions  qui  sont  comme  le  prix  auquel  le  ciel  a  mis 
le  bienfait  de  la  liberté.  Enfin,  craignez  votre  propre  bonne  foi,  crai- 
gnez votre  prcpre  foiblesse.  Je  ne  redoute  pour  ma  patrie  que  deux 
écueils,  la  foiblesse  des  honnêtes  gens  et  la  duplicité  des  ambitieux 
intrigans  (5). 

J'ai  prouvé  jusqu'ici  la  nécessité  du  licenciement  des  officiers  ; 
examinons  rapidement  les  moyens  que  le  comité  militaire  propose  de 
substituer  à  cette  disposition  indispensable. 

1°   Punir  sévèrement  les  soldats  qu'il  accuse  d'indiscipline. 

Jusqu'à  quand  vous  proposera-t-on  d'être  toujours  inexorables  pour 
les  foibles  et  pour  les  innocens  opprimés  et  doux,  complaisans  pour 
les  oppresseurs  ?  Est-ce  ainsi  que  vous  tiendrez  la  promesse,  que 
vous  avez  faite  depuis  deux  ans  aux  soldats,  de  réprimer  les  désordres 
isans  aucune  distinction  de  grades  ni  de  conditions  ?  Par  quel  ac'e  avez- 
vous  acquitté  jusqu'ici  cet  engagement  sacré?  Est-ce  par  l'impunité 
'constante  dont  les  officiers  ont  joui,  et  par  les  persécutions  atroces  que 
les  soldats  ont  souffertes  ?  Est-ce  ainsi  que  vous  observerez  les  règles 
les  plus  simples  de  la  justice  et  cki  bon  sens,  qui  veulent  que  !«$  supé- 
rieurs, auteurs  du  mal,  soient  punis  plus  sévèrement  que  les  inférieurs? 


(5)  Le  discours  qu'il  prononça  aux  Jacobins  s'arrêtait  ici;  et 
cette;  partir,  seule  semble  avoir  été  préparée  par  Robespierre;  la 
suite  ji  été  improvisée)  ainsi  que  le  remarque  le  Journal  de  Paris: 
«  M.  Robespierre  n'a  .eessé  de  parler  quand  il  est  parvenu  à  la  fin 
do  son  discours  écrit  ».   (Ci.   G.   Walter,   p.   161). 


476  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

Voulelz-vous  que  l'on  dise  que  les  militaires  ci-devant  nobles  sont 
ici  les  arbitres  suprêmes  de  la  destinée  de  l'armée,  et  que  vous  ne 
voulez  vous  réserver  d'autres  droits  que  celui  de  sanctionner  les  loix 
qu'ils  font  pour  leur  intérêt  personnel  ? 

Ils  vous  proposent  de  demander  aux  officiers  un  nouveau  serment, 
une   nouvelle  promesse  de   ne  point   conspirer  contre  la  nation. 

Eh  quoi  !  n'êtes- vous  pas  encore  las  de  prodiguer  les  sermens  ? 
Est-ce  par  des  sermens  ou  par  des  'loix  que  vous  voulez  gouverner  la 
France  et  affermir  la  liberté  ?  Les  sermens,  inutiles  pour  les  bons 
Citoyens,  n'enchaînent  point  les  mauvais,  s'ils  effraient  quelques  hommes 
de  bonne-foi,  les  conspirateurs  et  les  traîtres  s'y  prêtent  avec  facilité, 
et  rient  de  la  crédulité  de  ceux  qui  se  reposent  du  salut  de  l'Etat  sur 
de  pareils  garans.  Les  citoyens,  les  militaires  en  général  n'ont-ils  pas 
déjà  prêté  le  serment  civique  ?  Ceux  qui  ont  pu  le  violer  en  respecte- 
iront-ils  un  second  ?  Et  si  ce  second  peut  ajouter  à  la  force  du  premier, 
il  faudra  leur  en  demander  un  troisième,  ensuite  un  quatrième,  le  tout 
pour  corroborer  leur  patriotisme,  et  donner  des  preuves  plus  éclatantes 
de  votre  sagesse. 

Mais,  dit-on,  ce  n'est  point  un  nouveau  serment  qu'on  propose. 
C'est  un  engagement  d'honneur.  Ainsi  vous  connoissez  donc  un  engage- 
ment plus  sacré  que  la  religion  du  serment.  Quel  est  donc  cet  honneur 
qui  s'allie  avec  le  parjure,  qui  ne  suppose  ni  amour  de  la  patrie,  nî 
respect  pour  l'humanité,  ni  fidélité  aux  devoirs  les  plus  sacrés  du 
citoyen  ?  Il  est  donc  une  vertu  secrète,  Un  talisman  attaché  à  la  parole 
d'honneur  d'une  classe  de  citoyens.  L'honneur  est  le  patrimoine  parti- 
culier du  corps  des  officiers.  Les  actes  de  patriotisme,  les  sermens  sont 
faits  pour  les  autres;  mais  ceux-ci,  il  suffira  qu'ils  promettent  sur  leur 
honneur,  et  c'est  vous  qui  consacrerez  ces  absurdes  préjugés  et  ces  inso- 
lentes prétentions;  c'est  vous  qui  établirez  en  principe,  que  chez  les 
François,  chez  les  hommes  libres,  l'honneur  féodal  peut  remplacer  la 
morale  et  la  vertu  ! 

Que  dirai-je  de  la  troisième  disposition  du  comité  militaire,  qui 
porte  que  ceux  qui  refuseront  de  souscrire  cet  engagement,  recevront 
pour  retraite  le  tiers  de  leur  traitement.  Admirable  munificence,  libéra- 
lité vraiment  digne  d'une  nation  sage  et  magnanime,  qui  assure  des 
pensions  et  des  récompenses  aux  citoyens  qui  ne  veulent  pas  même 
promettre  de  ne  point  conspirer  «contr'elle  ! 

Enfin  le  comité  couronne  ce  projet  de  décret  par  une  disposition 
encore  plus  importante,  c'est  de  séparer  les  soldats  des  citoyens;  c'est 
de  cantonner  les  troupes,  de  les  distribuer  en  différens  camps.  Oui, 
sans  doute,  il  faut  cantonner  les  soldats.  Dans  le  sein,  de  nos  villes,  ils 
pourroient  demeurer  citoyens,  malgré  l'esprit  de  la  constitution  militaire, 
malgré  tous  les  dangers  attachés  à  de  semblables  institutions. _  Il  faut 
les  isoler,  pour  les  pratiquer  plus  aisément;  afin  que  l'on  puisse' plus 
aisément  séduire  les  uns,  dégoûter,  écarter  les  autres,  et  faire  de  l'armée 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  477 

un  assemblage  de  satellites  dociles  aux  inspirations  de  la  cour  et  des 
intrigans  ambitieux.  Alors  on  pourra  avoir  toujours  des  corps  prêts  à 
accabler  par-tout  les  plus  zélés  patriotes,  à  favoriser  les  injustices  et  le 
despotisme  des  aristocrates  ministériels,  à  étouffer  l'esprit  public,  anéan- 
tir la  liberté  «dans  sa  naissance,  pour  élever  sur  ses  ruines  quelques 
iptrigans  ambitieux;  et  même,  si  le  moment  est  favorable,  tenter  des 
entreprises  encore  plus  vastes  et  plus  importantes.  Oui,  ce  projet  est 
très-bien  conçu;  et  la  seule  chose  qui  m'étonne,  c'est  l'audace  avec 
laquelle  on  a  espéré  de  le  faire  sanctionner  par  l'Assemblée  nationale. 
Pour  moi,  je  demande  qu'il  soit  rejeté  avec  indignation,  et  que  le 
licenciement  des  officiers  soit  décrété  avant  tout. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXVII,  p.  307 
L'Ami  du  Peuple  (Marat),  t.  VIII,  n°  488,  p.  2-4  <6). 
Le  Législateur  français  (Beaulieu),  t.  II,   12  juin  1791,  d.   1-3  (6). 
Le  Courrier  d'Avignon,  n°   143,  p.  571  (6). 

«  M.  Robespierre.  Je  viens  défendre  une  opinion  bien  différente 
de  celle  b!e  votre  comité,  une  opinion  qui  a  été  portée  jusqu'à  vous 
par  le  vœu  public,  qui,  quelquefois  est  susceptible  de  se  tromper, 
mais  qui  le  plus  souvent  est  l'interprète  de  la  vérité  et  de  l'intérêt 
général,  et  sur -tout  par  les  pétitions  qui  vous  ont  été  présentées  parti- 
culièrement de  la  part  des  citoyens  de  cette  partie  -de  l'empire  où  l'on 
est  beaucoup  plus  à  portée  que  nous,  d'observer  les  faits  qu'il  vous 
importe  de  connaître,  et  qui  doivent  être  la  première  base  de  votre 
décision. 

«  Il  s'agit  de  trouver  un  remède  au  désordre  actue!  de  l'armée. 
Les  désordres  ont  été  exagérés  dans  un  certain  sens  et  sur-tout  les  causes 
en  ont  été  dissimulées.  Il  importe  de  les  approfondir.  C'est  sur-tout 
dans  les  grands  dangers  qu'il  est  nécessaire  d'entendre  ïa  vérité;  vous 
me  permettrez  donc,  messieurs,  de  vous  énoncer  mon  opinion  avec  une 
franchise  que  je  ne  pousserai  pas  jusqu'à  l'excès,  mais  à  laquelle  du 
moins  ne  se  mêlera  aucun  sentiment  étranger  à  l'intérêt  public. 

«  Messieurs,  il  étoit  facile  de  prévoir  les  événemens  qui  vous 
forcent  aujourd'hui  à  délibérer  tsur  une  question  si  importante.  Les  deux 
causes  qui  les  ont  amenés  sont  et  la  constitution  nouvelle  et  la  constitu- 
tion du  corps  des  officiers  qui  devoit  être  calquée  d'après  les  principes 
de  cette  constitution  nouvelle.  Vous  avez  conservé  un  corps  de  fonction- 
naires publics  armés  dont  la  constitution  est  à  la  fois  le  chef-d'œuvre 
des  préjugés  aristocratiques,  le  raffinement  même  de  l'aristocratie,  une 
constitution  qui,  dans  un  corps  d'officiers  «nobles,  vous  montre  à  peine 
quelques  bourgeois  qui  n'y  sont  introduits  qu'à  titre  de  grâce  et  dont 


(6)  Ces  trois  journaux  reproduisent  seulement  le  début  du  tcxic 
de  JLe  Hodey,  jusqu'à  «  de  nos  ennemis,  les  ont  perdus  ». 


478  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

l'infériorité  est  marquée  par  une  dénomination  aussi  injuste  que  ridi- 
cule; quel  est,  messieurs,  le  titre  de  cette  bizarre  exception  à  vos  prin- 
cipes ?  Croyez-vous  qu'une  armée  immense  soit  un  objet  indifférent  pour 
la  liberté  et  pour  votre  ouvrage  ?  Ignorez-vous  que  tous  les  peuples  qui 
ont  la  moindre  idée  de  la  liberté  ont,  ou  réprouvé  de  pareilles  constitu- 
tions, ou  ne  les  ont  envisagées  du  moins  qu'avec  effroi  ? 

«  (Combien  de  précautions  ne  deviez-vous  pas  prendre  pour  pré- 
server votre  armée  d'une  influence  dangereuse  qu'il  était  si  facile 
d'écarter  en  décrétant  à  propos  le  licenciement  de  l'armée  ou  du 
moins  des  chefs. 

«  Les  officiers  peuvent  être  divisés  en  deux  classes;  il  en  est  qui 
sont  attachés  bien  sincèrement  au  bien  public  et  aux  principes  de  la 
constitution,  et  j'ai  l'avantage  d'en  connoître  de  ce  caractère;  mais 
aussi  pouvez-vous  vous  dissimuler  ce  que  la  voix  publique  vous  a  appris, 
que  la  majorité  des  officiers  a  des  principes  absolument  opposés  à  la 
révolution.  Qu'attendez- vous  donc  de  ces  chefs  de  l'armée  ?  S'ils  sont 
sans  autorité,  sans  ascendant,  ils  ne  peuvent  exercer  leurs  fonctions,  s'ils 
en  ont,  à  quoi  voulez-vous  qu'ils  l'emploient,  si  ce  n'est  à  faire  triom- 
pher leurs  principes  et  leurs  sentimens  les  plus  chers.  Vous  avez  donc 
à  craindre  qu'ils  ne  se  servent  de  cette  autorité,  de  cette  influence  pour 
inspirer  leurs  sentimens  et  leurs  vices  aux  soldats,  pour  les  ranger  du 
côté  des  ennemis  de  la  révolution  contre  la  constitution  et  contre  vous- 
mêmes.  Vous  avez  dû  vous  attendre  qu'ils  persécuteroient  ceux  qui 
demeureroient  attachés  à  la  cause  de  la  nation,  qu'ils  efforceroient  de 
séduire  les  autres,  jusqu'à  ce  qu'ils  eussent  fait  de  l'armée  un  assem- 
blage de  satellites  étrangers  aux  véritables  intérêts  de  la  patrie.  Jetiez 
un  regard  sur  le  passé  et  tremblez  pour  l'avenir.  Voyez,  messieurs,  une 
partie  considérable  des  officiers  semant  dans  l'armée  la  division  et  le 
trouble,  ici  armant  les  soldats  contre  les  soldats,  là  divisant  les  soldats 
des  citoyens,  les  écartant  sur-tout  les  lieux  où  ils  pouvoient  apprendre 
ce  qu'ils  doivent  à  la  patrie  et  à  la  constitution.  Voyez-les  tantôt  dis- 
solvant des  corps  entiers  dont  le  civisme  déconcertait  les  funestes  pro- 
jets, les  poussant  à  force  d'injustices  à  des  actes  prétendus  d'insubordi- 
nation pour  trouver  un  prétexte  de  provoquer  des  décisions  sévères,  tantôt 
chassant  en  détail  de  l'armée  les  militaires  les  plus  courageux,  les  plus 
éclairés,  les  plus  zélés  pour  le  maintien  de  la  constitution  par  des 
congés  infâmans  sous  mille  formes  infamantes  et  inusitées,  par  des 
ordres  arbitraires  de  toute  espèce  que  le  despotisme  lui-même  n'eût 
osé  se  permettre  avant  la  révolution.  Qu'est  devenue  une  partie  consi- 
dérable de  cette  puissante  armée  qui,  par  une  sainte  désobéissance  à 
des  ordres  sacrilèges,  a  terminé  l'oppression  du  peuple  et  rétabli  les 
droits  de  la  nation?  Plus  de  cinquante  mille  (et  cela  est  plus  précis 
que  ce  que  l'on  vous  a  dit  avant  moi  sur  les  causes  des  troubles  de 
l'armée),  plus  de  50  mille  citoyens  qui  la  composoient,  dépouillés  de 
leur  état  et  du  droit  de  servir  la  patrie  qu'ils  ont  sauvée,  errent  mainte- 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  479 

nant  sans  ressource  et  sans  pain  sur  la  surface  de  cet  empire,  expiant 
ces  services  et  ces  vertus  civiques  dans  la  misère  et  dans  l'oppiobre,  si 
l'opprobre  pouvoit  être  infligé  par  l'injustice  à  la  probité  et  à  la  vertu 
Que  sont  devenus  ces  'corps  qui  n'aguères  près  des  murs  de  cette 
capitale  déposèrent  aux  pieds  de  la  patrie  les  armes  qu'ils  avoienî  reçues 
pour  déchirer  son  sein,  ces  corps  qui  n'ont  pu  protéger  la  îeconnoissance 
et  l'amour  de  la  nation?  Que  sont  devenus  ceux  qui  qùoiqu'étrangers, 
ont  servi  la  chose  publique  ?  Les  féroces  combinaisons  de  nos  ennemis 
les  ont  perdus. 

«  Mais,  Messieurs,  mon  imagination  effrayée  répugne  à  pousser 
plus  loin  ces  idées  :  je  ne  puis  consentir  à  rouvrir  les  plaies  des  bons 
citoyens.  Il  faudroit  rappeller  le  souvenir  des  crimes  et  des  calamités 
de  Nancy;  je  me  contenterai  de  Vous  observer  qu'une  des  causes 
notoires  de  tous  ces  événemens  funestes,  que  la  première  cause  incon- 
testable, ce  fut  la  conduite  des  officiers,  que  ce  qu'on  a  appelle  leur 
mécontentement,  ce  fut  les  persécutions  suscitées  rux  soldats  patriotes. 

«  Eh  quoi,  messieurs,  voudriez-vous  fermer  l'oreille  à  tant  de 
récits  importans  et  décisifs,  à  ces  récits  t|ui  alarment  la  nation  entière  ? 
Ignorez- vous  qu'une  partie  très  considérable  de  l'armée  exhalent  leur 
mécontentement  par  des  imprécations  contre  notre  constitution  contre  la 
souveraineté  de  la  nation,  contre  l'autorité  de  ses  représentans  ?  Pou vez- 
vous  méconnaître  et  leurs  efforts  et  leurs  conseils  perfides,  et  leurs 
cabales  continuelles  ?  Ne  font-ils  pas  une  profession  ouverte  de  mécon- 
noître  les  droits  des  citoyens,  de  ne  reconnoître  et  de  ne  servir  que  le 
roi  ?  Ne  vous  montrent-ils  pas  d'un  côté  le  monarque  dont  ils  prétendent 
défendre  la  cause  contre  le  peuple  et  contre  lui-même,  de  l'autre  les 
armées  étrangères  dont  ils  vous  menacent  en  même  tems,  qu'ils  s'effor- 
cent de  dissoudre  et  de  séduire  la  nôtre  ?  Eh  !  vous  croyez  pouvoir  les 
conserver,  que  dis-je,  vous-mêmes  vous  semblez  croire  à  la  possibilité 
d'une  ligue  de  despotes  de  l'Europe  contre  votre  constitution  !  Vous 
avez  pu  prendre  quelquefois  des  mesures  pour  prévenir  des  attaques 
prochaines,  mais  n'est-il  pas  déraisonnable  de  mettre  bénignement  au 
rang  de  ces  (mesures,  celle  de  laisser  votre  armée  entre  les  mains  des 
ennemis  de  notre  révolution  !  Avez-vous  jamais  entendu  dire  que  les 
despotes  aient,  dans  aucun  tems,  pourvu  de  cette  manière  à  la  défense 
de  leurs  états  ?  Ont-ils  jamais  confié  en  connoissance  de  cause  la 
moindre  forteresse,  ou  le  plus  petit  corps  de  troupes  à  un  gouvernement 
ou  à  un  général  suspect  ?  N'y  auroit-il  donc  que  le  domaine  des 
despotes  qui  méritât  d'être  conservé }  La  France  ne  seroit-eUe  plus 
digne  d'être  conservée  depuis  que  la  destinée  de  la  liberté  et  le  bon- 
heur des  peuples  sont  liés  à  sa  sûreté  ?  Les  premières  notions  de  la 
prudence  et  du  bonheur  sont-elles  l'apanage  exclusif  des  monarques  les 
plus  absolus,  et  ne  sont-eîles  d'aucun  usage  dans  la  conduite  des  légis- 
lateurs et  des  représentans  du  peuple  ?  Pour  moi,  je  ïougirois  de  prouver 
plus   long-tems  que   le   licenciement   de   l'armée   est   commandé  par   la 


480  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

nécessité  la  plus  impérieuse  et  par  le  salut  public.  Quels  motifs  peuvent 
vous  ■empêcher  de  le  prononcer  ? 

«  Vous  craignez  les  suites  de  cette  démarche  éclatante,  et  vous 
avez  pour  vous  la  raison,  la  justice,  la  nation  et  l'armée;  voilà  des 
garans  qui  doivent  vous  rassurer  au  moins  sur  l'exécution  de  votre 
décret;  craignez-vous  les  machinations  que  peuvent  se  permettre  les 
officiers  ?  Ceci  ne  peut  regarder  ceux  des  officiers  patriotes,  qui  gémis- 
sent sur  la  conduite  de  leurs  confrères,  et  pour  qui  leur  crime  même 
est  un  sujet  continuel  de  tracasseries  et  de  tourmens;  ils  désirent  avec 
ardeur  cette  salutaire  opération,  qui  seule  peut  sauver  la  patrie. 

«  Quant  aux  autres,  il  faut  les  supposer  nécessairement  ennemis 
de  la  révolution  ;  ce  ne  sera  point  votre  décret  qui  les  rendra  tels  : 
seulement  il  les  rendra  beaucoup  moins  dangereux,  puisqu'ils  rentrent 
dans  la  classe  des  simples  citoyens;  ils  auront  bien  moins  de  movens 
de  pouvoir  vous  nuire  qu'à  la  tête  de  votre  armée.  Cette  observation 
seroit  juste,  quand  bien  même  vous  supposeriez  qu'ils  iroient  se  joindre 
à  une  armée  ennemie,  et  cela  par  la  raison  toute  simple  qu'un  ennemi 
déclaré  est  moins  à  craindre  qu'un  ennemi  caché,  et  que  le  général 
qui  assiège  une  place  est  moins  dangereux  que  le  gouverneur  perfide 
qui  la  livre. 

«  Ne  craignez  pas  que  les  soldats  soient  portés  à  l'indiscipline  par 
une  disposition  qui  couronnera  leurs  vœux  :  ne  souffrez  pas  que  1'intr'gue 
triomphe  constamment  sur  les  soldats,  le  peuple  et  l'humanité»  les 
soldats  en  généra)  ne  se  sont  signalés  que  par  leur  douceur  à  supporter 
les  injustices  et  les  vexations  les  plus  criantes  de  leurs  officiers  (à  droite 
murmures) x  \  respecter  en  général  la  discipline  et  les  ioix,  en  déprt  de 
leurs  chefs  qui  parlent  tant  de  loix  et  de  discipline,  et  les  méprisent  : 
il/ ont  présenté,  ces  soldats,  le  contraste  étonnant  d'une  force  immense 
et  d'une  patience  sans  borne,  et  si  vous  voulez  consulter  vos  véritables 
intérêts;  l'intérêt  suprême  du  bien  public  et  de  la  patrie,  vous  serez 
effrayés  peut-être  de  la  facilité  avec  laquelle  ils  ont  été  opprimés  bien 
plus  que  de  leur  énergie. 

«  Messieurs,  si  les  soldats  n'ont  pas  secoué  le  joug  dont  j'ai'par^é, 
n'obéiront-ils  pas  avec  docilité,  avec  zèle  à  des  officiers  amis  des  loix 
et  de  la  constitution  ?  Mais  par  quelle  fatalité  les  idées  les  plus  simples 
semblent-elles  confondues!...  On  a  souffert  paisiblement  jusqu'ici  que 
les  officiers  violassent  outrageusement,  publiquement  les  loix  de  la 
constitution;  et  on  a  exigé  de  leurs  inférieurs,  avec  une  ligueur  sans 
exemple,  le  respect  le  plus  profond,  la  soumission  la  plus  aveugle  et  la 
plus  illimitée  pour  de  tels  officiers. 

«  On  assure  aux  officiers  le  droit  de  donner  le  plus  coupable  des 
exemples  aux  soldats,  que  dis-je,  d'ébranler  leur  zèle  pour  la  consti- 
tution, de  leur  interdire,  sous  le.  prétexte  de  discipline,  l'exercice  le 
plus  légitime  et  le  plus  innocent  des  droits  qui  appartiennent  à  tous  les 
citoyens;    et    si    en    résistant    à    ces   pernicieux    exemples,    les    soldats 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  481 

paroissent  dépasser  la  lîgne  qu'on  appelle  la  discipline  militaire,  on  les 
immole  sans  cesse  et  impitoyablement  à  l'inimitié  de  leurs  chefs,  on 
s'indigne  d'un  simptôme  (sic)  de  vie  échappé  à  un  sentiment,  et  l'on 
peint  l'armée  françoise  entière  comme  une  horde  d'hommes  indisci- 
plinés. 

«  S'il  est  vrai,  messieurs,  que  ice  soit  le  véritable  intérêt  de  la 
discipline  qui  vous  guide,  donnons  donc  aux  soldats  des  chefs  auxquels 
ils  puissent  obéir,  des  chefs  qui  ne  s'appliquent  point  sans  cesse  à  com- 
primer, à  blesser  toutes  les  plus  douces,  toutes  les  plus  chères  affections 
du  cœur  humain,  tous  les  sentimens  les  plus  chers  à  de  bons  citoyens. 
Pourquoi  forcer  des  hommes  à  obéir  à  des  chefs  qui  les  oppriment  ? 
Faut-il  donc  qu'ils  ne  puissent  à  la  jfois  respecter  leurs  chefs,  les  loix 
et  la  justice.  Ne  les  réduisez  point  à  opter  entre  un  lieutenant,  un 
capitaine,  et  la  liberté,  et  la  patrie.  (Applaudi  à  gauche;  murmures 
à  droite). 

«  Quels  étranges  projets  que  ceux  de  vouloir  changer  aujourd'hui 
des  soldats  françois  en  automates,  sans  intelligence,  sans  patrie,  sans 
aucun  sentiment  de  liberté,  sans  aucune  idée  de  la  dignité  de  l'homme, 
et  tout  cela  afin  qu'ils  défendent  mieux  la  patrie  et  les  droits  de  la 
nation,  et  tout  cela  afin  o,ue  l'esprit  de  l 'armée  soit  mieux  assorti  aux 
principes  et  à  la  nature  de  la  constitution.  Oh  !  quel  étrange  abus  on 
a  fait  de  ce  mot  de  discipline  militaire  !  (Par  quel  artifice  on  a  confondu 
toutes  les  idées,  méconnu  tous  les  principes,  cumulé  tous  les  préjugés 
sur  lesquels  la  puissance  du  despote  le  plus  absolu  s'appuie.  Un  jour, 
et  peut-être  bientôt,  ces  questions  seront  éclaircies,  mais  en  attendant 
cette  époque,  messieurs,  gardez- vous  de  vouloir  obstinément  des  choses 
contradictoires,  de  vouloir  établir  l'ordre  sans  la  justice. 

«  Législateurs,  ne  vous  croyez  pas  plus  sages  que  la  raison,  et 
plus  puissans  que  la  nature.  C'est  la  fraison,  c'est  la  nature  même  qui, 
dans  la  situation  où  se  trouve  notre  armée,  ne  permet  pas  que  vos 
soldats  soient  encore  long-tems  Jidè'les  à  la  nation  et  soumis  à  leurs 
officiers.  C'est  la  raison  qui  bientôt  au  nom  de  la  (patrie,  au  «nôtre  même, 
leur  demandera  Une  obéissance  moins  aveugle.  Eh  !  si  vous  ne  faites 
pas  vous-mêmes  ce  qu'exige  l'empire  de  la  nécessité,  craignez  que  la 
nécessité  elle-même  ne  le  fasse.  Alors  peut-être  il  seroit  permis  de 
penser  que  les  soldats  seroient  moins  souples  à  la  discipline.  Pour 
moi  je  n'ai  pas  même  cette  appréhension.  Je  suis  bien  plus  porté  à 
croire  que  sur  l'exemple  de  quelques  corps  dont  les  officiers  ont  disparu, 
ils  n'en  seroient  que  plus  inviolablement  attachés  à  leurs  devoirs;  et 
<que  loin  d'abuser  d'un  succès  qu'ils  auroient  été  obligés  d'emporter 
pour  le  salut  de  la  patrie,  leur  force  ne  seroit  jamais  redoutable  qu'à 
leurs  ennemis  et  aux  nôtres 

«  Il  est  assez  clair,  ce  me  semble,  qu'en  s'obstinant  à  empêcher 
ce  licenciement  des  officiers,  on  vous  expose  essentiellement  à  courir 
deux  chances.  En  effe+,  messieurs,  si  les  officiers  actuels  restent  à  la 

IW,spnun..  T.! 


482  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

tête  de  l'armée,  il  doit  arriver  nécessairement  l'une  ou  l'autre  de  ces 
alternatives  :  ou  bien  la  discorde  continuera  de  légner  entre  eux  et  les 
soldats;  alors  comme  cette  même  opposition  subsistera  toujours;  comme 
cette  discorde  a  sa  source  dans  le  mécontentement  des  officiers,  et 
dans  l'attachement  des  soldats  fidèles  à  leurs  devoirs  de  citoyens; 
alors,  ou  les  officiers  triompheront,  ou  ils  écarteront  les  uns,  séduiront 
les  autres  par  les  divers  moyens  qui  sont  en  leur  pouvoir,  et  les  soldats 
ne  seront  plus  entre  leurs  tmains  que  des  instrumens  dociles  et  dévoués  : 
ou  bien  ces  soldats  l'emporteront  par  l'usage  de  leur  force.  Dans  ce 
dernier  cas,  vous  avez,  suivant  nos  adversaires,  le  trouble,  le  désordre 
de  l'anarchie.  iDans  le  premier  qu 'avez- vous  ?  Une  armée  animée  d'un 
esprit  de  conspiration,  et  prête  à  seconder  les  projets  les  plus  sinistres 
contre  la  constitution  :  par  conséquent  le  despotisme,  c'est-à-dire  ce 
qui  pourroit  arriver  de  plus  heureux  pour  les  ennemis  de  la  liberté. 

«  Telle  est  la  cruelle  alternative  où  l'on  nous  place  ?  Ce  seroit 
précisément  cette  paix,  'cette  subordination,  cette  discipline  si  extra- 
ordinaire que  l'on  veut  établir  par  des  .moyens  plus  extraordinaires 
encore,  le  trouble  ou  le  despotisme.  Voilà  les  perspectives  qui  se 
présentent  dans  le  système  opposé  au  licenciement.  Ainsi  l'on  pourra 
choisir  l'un  ou  l'autre  |à  la  fois  :  suivons  les  vues  de  l'intérêt  et  de 
l'ambition  personnelle. 

«  Il  n'y  a  que  les  amis  de  la  liberté  publique  à  qui  le  licencie- 
ment puisse  convenir.  Non,  'messieurs,  ne  craignez  plus  les  dangers  chi- 
mériques que  l'on  vous  présente  pour  ivous  distraire  des  dangers  réels. 
Craignez  plutôt  cette  facilité  funeste  que  l'on  trouve  à  vous  inspirer 
de  fausses  terreurs.  Craignez  la  foiblesse,  que  dis-je,  ne  la  craignez 
pas.  La  foiblesse  et  la  crainte  conviennent  aux  tyrans,  le  courage  aux 
défenseurs  du  peuple  et  de  l'humanité.  Je  ne  .redoute  pour  les  honnêtes 
gens  et  pour  vous  que  deux  écueils  :  la  crédulité  des  honnêtes  gens 
et  la  duplicité  des  méchans. 

«  Après  avoir  pourvu  à  la  nécesité  impérieuse  d'opérer  !e  licen- 
ciement, je  ne  puis  'm'errpêcher  de  jetter  un  coup  d'œil  sur  'les  moyens 
qui  vous  ont  été  présentés  pour  y  suppléer.  Ils  se  réduisent  seulement 
à  punir  les  soldats,  et  à  attendre  patiemment  que  les  officiers  prennent 
intérêt  à  la  constitution,  lorsqu'un  jour  ils  connoîtront  que  leurs  véri- 
tables intérêts  les  y  attachent;  à  stimuler  l'honneur  et  le  préjugé  des 
officiers,  en  leur  faisant  contracter  par  écrit  l'engagement  de  respecter 
la  constitution  :  à  accorder  .un  traitement  à  ceux  qui  refuseront  de  sous- 
crire à  l'engagement  de  ne  pas  faire  de  mal  à  la  patrie:  enfin  à  can- 
tonner l'armée,  la  séparer  des  citoyens  pour  punir  les  soldats  du  mal 
qu'ils  n'ont  pas  fait,  et  les  laisser  à  la  discrétion  de  leurs  chefs  pour 
les  pratiquer  ou  les  tyranniser,  s'ils  ne  veulent  pas  se  prêter  ù  leurs 
coupables  vues.  Eh  !  dans  quel  état  de  choses  vous  propose-t-on  d'agir 
ainsi  ? 

«   Les  premières  notions  du   sens  commun  de  la  justice,   exigent 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  483 

que  l'on  porte  un  œil  sévère  sur  la  conduite  des  supérieurs,  sur-tout 
quand  ces  supérieurs  sont  justement  suspects  d'avoir  causé  le  mal  que 
l'on  cherche  à  prévenir;  sans  justice,  mak  sans  équité,  et  sans  huma- 
nité je  le  répète,  il  n'y  a  point  de  rétablissement  de  discipline  ni  de 
subordination. 

a  Présenter  à  la  nation,  pour  garant  de  la  fidélité,  de  l'attache- 
ment des  officiers,  qui  jusqu'ici  ont  professé  des  principes  opposés 
à  la  constitution,  la  parole  d'honneur  de  ces  mêmes  officiers,  c'est, 
j'en  conviens,  une  idée  qui  peut  prêter  à  une  déclamation  heureuse, 
mais  qui,  aux  yeux  de  la  politique  et  de  la  sagesse,  est  bien  la  plus 
ridicule  de  toutes  les  mesures.  Ces  officiers  de  qui  vous  exigez  un 
engagement  d'honneur,  n'ont-ils  pas  déjà  prêté  un  serment  équivalent 
de  celui  qu'on  veut  leur  faire  prêter,  celui  de  défendre  la  constitution, 
celui  d'être  fidèle  à  la  nation,  à  la  loi  et  au  roi.  Par  quel  renversement 
de  raison  peut-on  croire  que  la  parole  d'honneur  des  officiers  a  quelque 
chose  de  plus  sacré  que  le  serment  le  plus  solemnél  et  le  plus  religieux  ? 
Mais,  messieurs,  de  qui  exigez-vous  cette  parole  d'honneur  ?  La  déli- 
bération qui  vous  occupe  le  dit  déjà  clairement,  de  ceux  qui  sont  suppo- 
sés déjà  être  les  ennemis  de  la  révolution,  les  ennemis  des  droits  de 
la  nation.  Eh  !  c'est  l'honneur  de  ces  hommes  qu'on  vous  donne  pour 
un  sûr  garant  de  leurs  sentimens. 

«  Je  ne  sais,  messieurs,  ce  que  vous  pensez,  en  qualité  de  citoyens, 
en  qualité  de  législateur,  en  qualité  d'hommes  publics,  d'un  pareil 
sentiment;  mais  pour  moi,  je  vous  déclare  qu'il  n'a  rien  de  commun, 
ni  avec  le  civisme,  ni  avec  la  vertu;  je  déclare  qu'il  me  paroit  trop 
extraordinaire,  trop  bizarre,  trop  contradictoire,  pour  que  je  puisse  lui 
confier  l'intérêt  de  la  nation  et  le  maintien  de  la  constitution.  (A  droite 
un  peu  de  murmures). 

«  Messieurs,  oies  législateurs  pourvoyans  au  salut  public,  prennent 
des  mesures  beaucoup  plus  sûres,  beaucoup  plus  imposantes;  ce  n'est 
point  dans  les  prétendus  préjugés  d'une  classe  de  citoyens,  qu'est 
placé  l'espoir  du  salut  public,  c'est  dans  l'autorité  des  loix,  c'est  dans 
des  mesures  qui  mettent  les  ennemis  reconnus  de  la  patrie  dans  l'impos- 
sibilité de  lui  nuire.  Voilà  les  précautions  dignes  de  vous. 

«  Messieurs,  si  je  voulois  entrer  dans  de  plus  grands  détails  sur 
cet  objet,  je  vous  dirois  que,  même  de  l'aveu  de  cet  homme  bizarre, 
on  peut  éluder  le  serment  qu'on  auroit  proféré. 

«  Messieurs,  pour  être  un  bon  citoyen,  pour  défendre  utilement 
la  patrie  contre  ses  ennemis  intérieurs  et  extérieurs,  il  ne  suffit  pas 
d'avoir  juré  qu'on  sera  fidèle  à  la  constitution;  il  faut  encore  connoître 
ious  les  devoirs  de  détail  qu'impose  le  véritable  [esprit]  de  la  consti- 
tution, i!  faut  avoir  encore  dans  l'âme  ce  zèle  impérieux  qui  vous  porte 
à  user  de  tous  les  moyens  qui  sont  en  votre  pouvoir,  pour  la  défendre-  il 
faut  être  disposé  à  sacrifier,  non  seulement  sa  vie,  mais  ses  af^er'-o-s, 
mais  ses  préjugés;  eh!  pour  ce,  un  engagement  d'honneur  ne  suffit  pas 


484  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

(à  droite  :  allons  donc.  Applaudissemens  à  l'extrémité  de  la  gauche  et 
des  tribunes.  A  droite  :  Vous  ne  connoissez  pas  l'honneur). 

«  On  dit  que  je  ne*  connois  pas  les  principes  de  l'honneur 
(à  droite  :  Non)  :  et  je  me  fais  gloire  de  ne  pas  connoître  cet  honneur 
qui  permet  d'être  l'ennemi  de  la  liberté  et  de  la  patrie,  qui  peut 
violer  un  premier  serment  fait  au  nom  de  la  patrie,  et  qui  a  besoin 
d'un  second  serment  pour  rassurer  la  patrie.  (Applaudissemens  à  gauche). 

«  J'ajoute,  messieurs,  que  rien  n'est  si  impolitique  de  la  part  des 
législateurs  et  des  auteurs  de  la  constitution  françoise,  que  de  recon- 
noître  que  l'on  peut  se  passer  de  civisme,  d'honnêteté,  de  vertu,  pourvu 
qu'on  ait  de  l'honneur,  et  de  (mettre  ce  principe,  ce  préjugé  féodal  à  la 
place  de  la  vertu.  (A  droite  :  Oh  !  quelle  impertinence). 

«  Je  passe  à  la  quatrième  disposition  du  projet  du  comité,  qui 
consiste  à  assurer  un  traitement  à  ceux  qui  n'auront  pas  voulu  souscrire 
l'engagement  proposé,  qui  est  de  ne  pas  conspirer  contre  i'état,  et  de 
défendre  la  constitution.  11  faut  convenir  que  c'«est  un  singulier  genre 
de  libéralité  que  celui  qui  assure  une  pension  à  ceux  qui  ne  veulent 
pas  même  jurer  de  ne  pas  conspirer  contre  l'état. 

«  Je  finis  par  un  mot  sur  le  dernier  article  (7)  qui  porte  que  les 
soldats  seront  cantonnés  et  séparés  des  citoyens.  Je  conçois  que  ce*te 
mesure  est  bien  entendue  pour  assurer  la  liberté  de  pratiquer  l'armée, 
et  de  la  porter  au  but  que  l'on  se  propose;  je  conçois  que  l'on  craint 
l'influence  de  l'esprit  civique  répandu  dans  toutes  les  parties  de  la 
France  sur  l'armée;  je  n'ai  donc  plus  rien  à  opposer  à  cet  article,  si 
ce  n'est  qu'il  est  trop  adroit,  et  conséquemment  qu'il  faut  le  rejetter. 
Je  conclus,  de  tout  ce  que  j'ai  dit,  que  la  question  préalable  sur  le 
projet  de  décret,  et  que  le  licenciement  sont  indispensables  »  (8). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    162,  p.  673. 
Journal  universel  t.  XII,  p.  9030-9032  (9). 
Le  Point  du  Jour,  t.  XIII,  p.   145. 

«  M.  Roberspierre.  Au  milieu  des  ruines  de  toutes  les  aristocra- 
ties, quelle  est  cette  puissance  qui  seule  élève  un  front  audacieux  et 
menaçant  ?  Vous  avez  reconstitué  toutes  les  fonctions  publiques  suivant 
les  principes  de  la  liberté  et  de  l'égalité,  et  vous  conservez  un  corps 

(7)  'C'est  l'art.  9:  «  Le  roi  sera  prié  d'annoncer  à  toutes  les 
troupes  de  ligne  qu'elles  aient  à  se  tenir  prêtes  à  se  rendre  dans 
les  camps  d'instruction,  où  elles  s'occuperont  des  évolutions  et  de 
tous  les  exercices  relatifs  à  l'art  de  la  guerre.   » 

(8)  Texte   reproduit  dans  les  Arch,   pari.,  XXVII,   108-109. 

(9)  (Le  Journal  universel  fait  précéder  son  texte  du  passage  sui- 
vant (p.  9082):  "  M.  Robespierre  est  sur  le  champ  monté  à  la  tribune 
pour,  demander  le  licenciement  des  officiers  connue  le  yo&u  de  la 
justice,  de  la  raison,  de  la  nation  et  de  l'armée.  Il  a  été  vivement 
goûté  par  les  bons  citoyens.   Eh!  comment  ne  l'aurait-il  pas  été?  » 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  485 

de  fonctionnaires  publics  armés  créés  par  le  despotisme,  dont  la  consti- 
tution est  fondée  sur  les  maximes  les  plus  extravagantes  du  despotisme 
et  de  l'aristocratie;  qui  est  à  la  fois  l'appui  et  l'instrument  du  despo- 
tisme,   le   triomphe   de   l'aristocratie,    le   démenti   le   plus   formel   de   la 
constitution,   et  l'insulte  la  plus  révoltante  à  la  dignité  eu  peuple.  Sur 
qu^|  puissant  motif  est  fondé   ce  hideux   contraste  de   l'ancien  régime 
et  du  nouveau  ?  Croyez-vous  qu'une  armée  immense  soit  un  objet  indif- 
férent pour  la  liberté  ?  Vous  savez  que  c'est  par  elle  que  les  gouverne- 
ments ont  partout  subjugué  les  nations;  les  officiers  sont  divisés  en  deux 
classes:   il   en   est  d'attachés   au  bien  public;   mais   la   majorité   a   des 
principes  opposés  à  la  constitution.  Vous  soumettez  l'armée  à  des  chefs 
attachés  naturellement  aux  abus  que  la  révolution  a  détruits.  Qu'atten- 
dez-vous de  ces  chefs?  S'ils  sont  sans  autorité,  sans  ascendant,   ils  ne 
peuvent  exercer  leurs  fonctions.  S'ils  en  ont,  à  quoi  voulez-vous  qu'ils 
l'emploient,  si  ce  n'est  à  faire  triompher  leurs  sentiments  les  plus  chers. 
«  Jetez  un  regard  sur  le  passé  et  tremblez  pour  l'avenir.  Voyez-les 
semant  la  division  et  le  trouble,  armer  les  soldats  contre  les  citoyens  et 
les  soldats,   interdire  à  ceux-ci  toute  communication  avec  les  citoyens, 
en  les  écartant  sur-tout  des  lieux  où  ils  pouvaient  apprendre  les  devoirs 
sacrés  qui  les  lient  à  la  cause  de  la  patrie  et  de  la  constitution;  tantôt 
dissolvant  des  corps  entiers,  dont  le  civisme  déconcertait  les  projets  des 
conspirateurs;  les  poussant  à  force  d'injustice  et  d'outrages,  à  des  actes 
prétendus  d'insubordination,   pour  provoquer   contre   eux   des   décisions 
sévères;    tantôt   chassant  de    l'armée   en   détail,    les   militaires    les   plus 
courageux,  les  plus  éclairés,  les  plus  zélés  pour  le  maintien  de  la  consti- 
tution, par  des  cartouches  infamantes,  par  des  ordres  arbitraires  de  toute 
espèce,    que   le  despotisme   lui-même   n'eût  osé   se  permettre   avant    la 
révolution,   qui  est  due   en  grande  partie  à  leur  amour  pour  la  patrie. 
Qu 'est-elle  devenue  cette  puissance  qui,  par  une   sainte  désobéissance 
aux  ordres   sacrilèges  des  despotes,    a  terminé   l'oppression  du  peuple 
et   rétabli    la    puissance    du    souverain  ?    Plus    de    cinquante    mille    des 
citoyens  qui   la   composaient,    dépouillés  de   leur   état   et   du   droit   de 
servir  la  patrie,   errent  maintenant  sans  ressources  et   sans  pain   sur   la 
surface  de   cet  empire,   expiant  (leurs   services  et  leurs   vertus  dans   la 
misère  et  dans   l'opprobre...    si   l'opprobre  pouvait   être   infligé  par   le 
crime  à  la  vertu.   Que   sont  devenus  ces  corps,  qui  naguère,   près  des 
murs  de  cette  capitale,  déposèrent  aux  pieds  de  la  patrie  alarmée,  ces 
armes  qu'ils  avaient  reçues  pour  déchirer  son  sein  ? 

«  Les  officiers  ne  vous  montrent-ils  pas  sans  cesse,  d'un  côté,  le 
monarque  dont  ils  prétendent  défendre  la  cause  contre  le  peuple,  de 
l'autre  les  armées  étrangères,  dont  ils  vous  menacent,  en  même  temps 
qu'ils  s'efforcent  de  dissoudre  et  de  séduire  la  vôtre;  et  vous  croyez 
qu'il  vous  soit  permis  de  les  conserver  ?  Que  dis-je  ?  Vous-mêmes  vous 
semblez  croire  à  la.  possibilité  d'une  ligue  des  despotes  de  l'Europe 
contre  votre  constitution;  vous  avez  paru  prendre  quelquefois  même  des 


486  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

mesures  pour  prévenir  des  attaques  prochaines  :  or,  n'est-il  pas  trop 
absurde  que  vous  mettiez  précisément  au  nombre  de  ces  mesures, 
celle  de  laisser  votre  armée  entre  les  mains  des  ennemis  déclarés  de 
votre  constitution  ? 

«  Je  rougirai  de  prouver  plus  longtemps  que  le  licenciement  des 
officiers  de  l'armée  est  commandé  par  la  nécessité  la  plus  impérftuse. 
Quel  motif  peut  vous  dispenser  de  le  prononcer  ?  Vous  craignez  les 
suites  de  cette  démarche  éclatante.  Vous  craignez  !  Vous  avez  pour 
vous  la  raison,  la  justice,  la  nation  et  l'armée;  voilà  des  garanls  qui 
doivent  vous  rassurer  sur  l'exécution  de  votre  décret.  Ne  souffrez  pas 
que  l'intrigue  triomphe  plus  longtemps,  en  calomniant  sans  cesse  les 
soldats,  le  peuple,  l'humanité. 

«  Les  soldats,  en  général,  ne  se  sont  signalés  que  par  leur  douceur 
à  supporter  les  injustices  les  plus  atroces,  à  respecter  la  discipline,  et 
les  loix  en  dépit  de  leurs  chefs;  ils  ont  présenté  le  contraste  étonnant 
d'une  force  immense  et  d'une  patience  sans  bornes.  Par  quelle  étrange 
fatalité  les  idées  les  plus  simples  semblent-elles  aujourd'hui  confon- 
dues parmi  nous  ?  On  souffre  paisiblement  que  les  officiers  violent, 
outragent  publiquement  les  loix  et  la  constitution,  et  on  exige  des 
inférieurs,  avec  une  rigueur  impitoyable,  le  respect  le  plus  profond, 
la  soumission  la  plus  aveugle  et  la  plus  illimitée  pour  ces  mêmes 
officiers  !  On  s'indigne  d'un  mouvement,  d'un  symptôme  de  vie  échappé 
à  l'impatience  et  provoqué  par  un  sentiment  louable  et  généreux,  et 
l'on  peint  l'armée  tout  entière  comme  une  horde  de  brigands  indisci- 
plinés !  Pourquoi  vous  obstiner  à  lier  des  guerriers  fidelles  à  des  chefs 
révoltés?  Faites  qu'ils  puissent  à  la  fois  respecter  leurs  officiers  et  les 
loix  et  la  justice  Ne  les  obligez  point  à  opter  entre  l'obéissance  que 
vous  leur  imposez  envers  leurs  officiers,  et  l'amour  qu'ils  doivent  à  leur 
patrie.  Législateurs,  gardez-vous  de  vouloir  avec  obstination  des  choses 
contradictoires,  de  vouloir  établir  l'ordre  sans  justice.  Ne  vous  crovez 
pas  plus  sages  que  la  raison,  ni  plus  puissants  que  la  nature. 

«  Que  nous  proposent  les  comités  ?  Punir  les  soldats,  attendre  que 
les  intérêts  personnels  aient  attaché  les  officiers  à  la  constitution,  sti- 
muler leur  honneur,  accorder  un  traitement  à  ceux  qui  refuseron:  de 
prêter  le  serment,  cantonner  l'armée,  voilà  leur  système.  De  quel  hon- 
neur vieni-on  nous  parler  ?  Quel  est  cet  honneur  au-dessus  de  la  vertu 
et  de  l'amour  de  son  pays  ?  On  peut  se  passer  de  tout  pourvu  qu'on 
conserve  encore  ce  principe  féodal  (on  applaudit  dans  la  partie  gau- 
che). Je  me  fais  gloire  de  ne  pas  connaître  un  pareil  honneur.  On  nous 
propose  d'accorder  un  traitement  à  ceux  qui  ne  veulent  pas  jurer  de  ne 
pas  conspirer  contre  leur  patrie  ;  quel  singulier  genre  de  libéralité  !  Je 
finis  par  un  mot  sur  la  proposition  de  cantonner  l'armée;  c'est  un  sys- 
tème, bien  entendu,  pour  se  faciliter  les  moyens  de  la  pratique-,  de  la 
travailler,  et  de  parvenir  au  but  qu'on  se  propose.  Je  demande  la  ques- 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  487 

tion  préalable  sur  l'avis  du  Comité,  et  je  prétends  que  le  licenciement 
des  officiers  est  indispensable  »  (10). 

Le  Courrier  des  LXXX1II  départemcns,   12  juip  1791,  n°    12.  p.   189. 

«  A  peine  M.  Bureau  de  Pusy  avoit-il  fini  son  rapport,  que  M.  Ro- 
berspierre  obtint  la  parole,  et  annonça  une  opinion  bien  différente  de 
celle  du  comité.  «  Il  s'agit,  MM.,  dit-il,  de  trouver  un  remède  aux 
désordres  actuels  de  l'armée...  [Suit  le  passage  du  Journal  des  Etats 
Généraux  jusqu'à:  «  ...qu'avec  effroi  »;  puis  de  :  «  Voyez,  messieurs, 
une  partie  considérable...  »  jusqu'à:  «  ...à  la  probité  et  à  la  vertu.  » 
Le  reste  est  emprunté  à  la  Gazette  nationale  et  comprend  deux  passages  : 
l'un  depuis  :  «  Les  officiers  ne  vous  montrent-ils  pas...  »  jusqu'à:  «  ...de 
votre  constitution  »  ;  et  l'autre  depuis  :  «  Que  nous  proposent  les  comi- 
tés ?  »  jusqu'à:  «   ...le  licenciement  des  officiers  est  indispensable.    »] 

L'Ami  du  Roi  (Royou),   13  juin  1791,  p.   1-3. 

«  Comme  il  n'y  a  pas  de  séance  aujourd'hui,  je  réserve  pour  la 
feuille  de  demain  cette  matière  intéressante,  et  je  vais  me  borner  aujour- 
d'hui à  rendre  compte,  comme  je  l'ai  promis,  du  discours  de  M.  Robes- 
pierre sur  le  licenciement  du  corps  des  officiers  de  l'année,  et  de  la 
réponse  énergique  de  M.  de  Cazalès  à  cet  absurde  et  insolent  orateur. 

«  Tout  ce  que  la  basse  jalousie,  la  haine  implacable,  la  fureur 
aveugle,  le  fanatisme  audacieux,  peuvent  imaginer  d'accusations  absur- 
des, d'injures  grossières,  de  calomnies  atroces,  l'imagination  délirante 
de  M.  Robespierre  semble  l'avoir  rassemblé  dans  ce  discours,  le  chef- 
d'œuvre,  le  nec  plus  ultra  de  la  déraison.  Pour  donner  une  idée  des 
derniers  excès,  où  puisse  monter  la  fureur,  on  citoit  autrefois  celle 
d'une  femme  outragée,  furens  quid  foemina  possit!  C'est  désormais 
M.  Robespierre  qui  servira  de  modèle,  en  ce  genre,  de  thermomètre 
pour  graduer  le  plus  haut  degré  possible  de  la  déraison,  de  la  folie,  de 
la  fureur. 

«  Pour  capter  les  suffrages  de  l'assemblée,  c'est  elle-même  qu'il 
commence  par  gourmander.  La  seule  réforme  sage  et  raisonnable  peut- 
être  qu'elle  ait  faite,  est  celle  de  l'armée.  Elle  a  corrigé  les  abus, 
sans  renverser  l'édifice;  enflammé  l'émulation,  sans  énerver  la  subordi- 
nation (11);  eh!  bien,  c'est  cette  sage  constitution  militaire  qui  allume 
d'abord  la  bile  et  le  courroux  du  fougueux  Robespierre;  il  ose,  au 
sein  même  de  l'assemblée,  calomnier  les  loix  qu'elle  a  instituées,  le 
chef-d'œuvre  de   ses  travaux;    il   a    l'audace   de  dire   que   la   première 


(10)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VTII,  631;  par  Bûchez 
et  ftoux,  X.,   179. 

(11)  Note  du  journal:  «  Je  parle  des  loix  établies  par  rassem- 
blée entière,  sur  l'organisation  de  l'armée,  et  non  pas  des  manœu- 
vres  infâmes  de  quelques  factieux,   pratiquées  pour  la  corrompre.    » 


488  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

cause  de  tous  les  troubles,  de  tous  les  désordres  qui  régnent  dans  l'ar- 
mée, c'est  sa  nouvelle  organisation,  le  chef-d'  œuvre  des  préjugés  aristo- 
cratiques, le  raffinement  même  de  l'aristocratie.  Ce  n'est  pas  assez  que 
l'assemblée  ait  établi  la  plus  parfaite  égalité  pour  l'avenir,  ait  statué 
que  tous  les  grades  seront  désormais  conférés  au  seul  mérite,  sans  égard 
à  la  naissance,  il  eût  fallu,  pour  satisfaire  cet  énergumène,  qu'elle  eût, 
dès  ce  moment,  dépouillé  de  leur  état,  dix  mille  citoyens  qui  se  sont 
voués,  dès  l'enfance,  au  service  de  la  patrie,  et  qui  ne  pourroient 
aujourd'hui  trouver  dans  l'exercice  d'aucun  autre  emploi,  aucun  moyen 
de  subsistance.  Parce  qu'ils  ont  eu  le  malheur  de  naître  nobles,  ils  ne 
sont  ni  des  citoyens,  ni  des  hommes  aux  yeux  de  cet  insensé  ;  il  faut 
leur  enlever  fortune,  honneur,  tout  ce  qu'ils  possèdent,  pour  revêtir  de 
leurs  dépouilles,  pour  élever  à  leurs  places,  des  hommes;  nés  dans  la 
fange,  tirés  de  la  poussière. 

«  Voilà  les  principes  d'égalité  que  M.  Robespierre  veut  établir. 
C'est  d'ôter  à  la  noblesse  entière  tous  les  emplois  qu'elle  exerce  pour 
en  revêtir  la  bourgeoisie.  Voilà  aussi  quelle  est  la  reconnoissance  d'un 
homme  dont  la  naissance  équivoque  fut  accueillie,  dont  la  nudité  fut 
revêtue  par  un  noble  ecclésiastique  !  Voilà  l'usage  qu'il  fait  des  mal- 
heureux talens  déclamatoires,  dont  il  ne  doit  la  culture  qu'à  la  noblesse 
et  à  l'église.  C'est  pour  déchirer  leur  sein  qu'elles  ont  élevé  ce  serpent. 

«  Après  la  censure  qu'il  a  osé  se  permettre  des  oeuvres  de  l'assem- 
blée même,  qu'il  sait  pourtant  bien  n'être  pas  disposée  à  recevoir  favo- 
rablement les  critiques,  on  ne  sera  pas  étonné  de  l'audace  des  calom- 
nies qu'il  a  vomies  contre  le  corps  entier  des  officiers.  A  l'entendre, 
tous  les  désordres,  tous  les  excès  d'une  soldatesque  effrénée,  sont  leur 
ouvrage;  ils  n'ont  cherché  qu'à  armer  tous  les  soldats  contre  les  citoyens, 
et  les  soldats  contre  les  soldats;  les  sages  précautions  qu'ils  ont  pu 
prendre  pour  éloigner  de  l'armée  les  sujets  pernicieux  qui  y  semoient 
le  trouble  et  la  division,  sont  traduites  par  lui  comme  des  combinaisons 
féroces  et  des  actes  d'un  despotisme  que  l'ancien  régime  n'eût  osé 
se  permettre;  ce  digne  ami  de  la  liberté  pleure  avec  des  larmes  amères 
ces  dignes  appuis  de  la  révolution.  Les  révoltes  même  des  soldats  fac- 
tieux ce  sont,  si  on  l'en  croit,  les  officiers  qui  les  ont  provoquées,  afin 
de  punir  sévèrement  leur  propre  ouvrage;  et  c'est  pour  avoir  le  plaisir 
de  la  vengeance  qu'ils  sont  exposés  au  danger,  trop  souvent  réalisé,  de 
perdre  leur  état  et  leur  vie  même.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  massacres  de 
Nancy,  dont  il  ne  veuille  rendre  les  officiers  responsables,  et  peu  s'en 
est  fallu  qu'il  ne  citât  à  son  tribunal  M.  de  Bouille,  qu'il  n'évoquât  les 
mânes  du  grand  Desilles,  pour  imprimer  à  leurs  noms  la  flétrissure  que 
méritent,  à  son  gré,  les  combinaisons  féroces  qu'ils  ont  employées,  1  un 
pour  arrêter  les  effets  de  la  fureur  des  séditieux,  l'autre  pour  la  punir 
et  venger  les  loix  outragées,  et  la  patrie  menacée. 

«  Ma  plume  se  refuse  à  retracer  les  autres  horreurs  qu'a  vomies 
ce  démoniaque  contre  le  corps  des  officiers  français,   ce  corps  illustre 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  499 

qui  fut  de  tout  tems  la  gloire  de  nos  armes,  le  rempart  de  nos  fron- 
tières, l'appui  de  la  monarchie  souvent  chancelante,  l'admiration  de 
l'Europe,  la  terreur  de  nos  ennemis;  de  ce  corps  dont  la  valeur  hérédi- 
taire étonne  moins  que  la  patience  et  la  constance  qu'il  a  fait  éclater 
depuis  deux  ans.  Ils  ont,  en  effet,  ces  généraux  militaires  qu'on  diffame, 
ils  ont  dû  supporter  sans  murmures,  tous  les  affronts,  surmonter  tous  les 
dégoûts  d'un  service  qui  n'offroit  plus  que  des  dangers  sans  gloire,  des 
peines  sans  profit  pour  la  patrie;  ils  ont  pu  dévorer  les  outrages  de 
leurs  concitoyens,  les  excès  de  leurs  inférieurs,  l'ingratitude  des  légis- 
lateurs même  et  de  certains  ministres  :  leur  fortune,  leur  repos,  leur 
vie,  leur  honneur  même  (je  parle  de  celui  qui  gît  dans  l'opinion),  ils 
ont  tout  sacrifié  à  leur  devoir;  ils  se  sont  plutôt  laissés  égorger  sans 
défense,  que  de  quitter  leur  poste.  Et  si  le  courage  de  la  patience  est 
au-dessus  de  celui  de  la  valeur;  s'il  y  a  moins  de  mérite  dans  les  mou- 
vemens  d'un  héroïsme  pour  ainsi  dire  inoculé  en  naissant,  que  dans  le 
sacrifice  des  préjugés  respectables  de  la  naissance,  de  l'éducation,  des 
plus  anciennes  habitudes,  des  plus  chères  affections,  ne  doit-on  pas 
admirer  davantage  ces  héros,  quand  ils  consentent  à  mourir,  ou  vivre 
sans  gloire,  pour  le  service  de  la  patrie,  que  quand  ils  affrontoient,  dans 
les  combats,  une  mort  honorable,  ou  la  donnoient  à  nos  ennemis  ?  Et 
voilà  les  hommes  qu'un  obscur  aboyeur  du  barreau,  qui  ne  s'est  fait 
connoître  que  par  l'audace  de  ses  calomnies,  ose  diffamer  dans  le  sanc- 
tuaire des  loix,  à  la  face  de  la  patrie.  Ah  !  que  l'inviolabilité  est  un 
beau  privilège  ! 

«  Mais  cet  avocat  des  brigands,  des  séditieux,  des  assassins,  des 
incendiaires,  est,  en  revanche,  plein  de  tendresse,  d'indulgence,  que 
dis-je  !  de  respect  et  de  vénération  pour  les  soldats  rebelles.  L'infrac- 
tion de  toutes  les  loix  de  la  discipline,  le  mépris  des  ordres  de  leurs 
supérieurs,  des  ministres,  du  Roi,  de  rassemblée  même  (12);  l'expul- 
sion de  leurs  officiers,  l'enlèvement  des  caisses  militaires;  les  horribles 
massacres  de  leurs  chefs,  la  désertion  même  et  les  horreurs  commises, 
dans  le  Comtat,  par  des  soldats  français,  tous  ces  attentats  ne  sont,  aux 
yeux  de  M.  Robespierre,  que  des  peccadilles,  qu'on  qualifie,  mal-à 
propos,  d'actes  d'insubordination.  Les  soldats  ne  se  sont,  en  général, 
signalés  que  par  leur  douceur,  et  par  le  respect  qu'ils  ont  montré  pour 
les  loix  et  la  discipline,  en  dépit  de  leurs  chefs.  Ce  qui  étonne  M.  Ro- 
bespierre, ce  n'est  pas  l'énergie  des  soldats;  il  est  aussi  surpris  que  fâché 
de  ne  pas  les  voir  en  déployer  davantage  ;  mais  de  leur  bénignité,  de 
la  patience,  de  la  facilité  avec  laquelle  ils  se  sont  laissés  opprimer.  Si 
quel(fies-uns  ont  paru  dépasser  la  ligne  qu'on  appelle  (bien  mal-à-pro- 


(12)  Note  du  journal  :  «  Je  parle  des  ordres  émanés  de  l'assem- 
blée entière,  et  non  pas  des  instructions  secrettes  qu'ils  ont  WX 
recevoir  de  quelques-uns  de  ses  membres,  et  auxquelles  je  sais  qu'ils 
ont  été  constamment  fidèles.  « 


490  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

pos)  la  discipline  militaire,  cétoit  une  sainte  désobéissance  (13)  à  des 
ordres  sacrilèges. 

«  Du  restse,  M.  Robespierre  a  pour  toutes  les  fautes  d'insubordi- 
nation que  pourront  commettre  les  soldats,  une  excuse  toute  prête;  c'est 
qu  il  leur  est  impossible  d'obéir  aux  chefs  qui  les  commandent.  Donnez- 
leur,  dit-il,  si  vous  voulez  maintenir  ce  qu'on  appelle  la  discipline,  don- 
nez-leur des  chefs  auxquels  ils  puissent  obéir.  Ainsi,  voilà  un  brevet 
■d'amnistie  donné  d'avance  à  tous  les  rebelles,  et  la  tribune  est  comme 
un  bureau  d'assurance  pour  les  révoltés.  Les  soldats  n'auront  plus  besoin 
de  témoigner  un  respect  si  scrupuleux  pour  la  discipline,  en  dépit  de 
leurs  chefs. 

<(  Voilà  la  politique  et  la  morale  de  ce  grand  législateur.  Elles 
éclatent  encore  bien  mieux  dans  ses  réflexions  sur  les  précautions  que 
les  six  comités  proposoient  au  défaut  du  licenciement  des  officiers, 
qu'ils  regardoient  comme  la  dissolution  de  l'armée,  et  par  conséquent 
du  royaume.  La  première  pour  s'assurer  des  dispositions  des  officiers 
étoit  de  les  assujettir  à  un  nouveau  serment,  par  lequel  ils  s'engage- 
roient,  sur  leur  honneur,  non  seulement  de  n'entrer  dans  aucun  complot 
contre  la  révolution,  mais  encore  de  maintenir,  de  tout  leur  pouvoir, 
la  constitution.  M.  de  Robespierre  ne  veut  pas  de  ces  vieilles  chi- 
mères. L'honneur  est  un  mot  vide  de  sens  à  ses  oreilles.  Jamais  il  ne 
l'a  trouvé,  dit-il,  dans  son  dictionnaire;  mais  on  l'a  prié  de  ne  pas 
blasphémer  ce  qu'il  ignoroit. 

«  La  seconde  disposition  regardoit  les  soldats.  Pour  les  arracher 
aux  délices  des  villes,  aux  séductions  des  clubs,  aux  manœuvres  de 
tout  genre,  les  comités  désiroient  qu'on  formât  des  camps,  où  les  exer- 
cices militaires  fussent  remis  en  vigueur.  M.  Robespierre  est  indigné 
de  cette  perfidie  aristocratique.  Il  croit  les  discours  des  orateurs  de 
clubs  bien  plus  propres  à  former  de  braves  guerriers  que  les  exercices 
militaires,  et  la  corruption  des  villes  bien  plus  précieuse  que  la  sévérité 
des  camps. 

«  Mais  je  me  lasse  de  transcrire  les  inepties  de  cet  audacieux,  de 
cet  insensé;  il  vaut  mieux  dire  la  justice  éclatante  qu'en  a  fait  sur-le- 
champ  et  sans  préparation,   M.   de  Cazalès.    » 

Courier  de  Provence,  t.  XV,  n°  295,  p.   158-164. 

«  Oui,  nous  le  disons  avec  douleur,  l'assemblée  nationale  a  adopté 
ces  dispositions  presque  sans  aucune  discussion;  le  vertueux  Roberspierre 
est  le  seul  qui  ait  eu  le  courage  d'élever  la  voix  contre  ce  projet  de 
décret. 


(13)  Note  du  journal  :  «  Voilà  deux  mots  qui  doivent  être  étonnés 
de  .se  trouver  accouplés,  et  qui  hurlent  ensemble.  Sainte  insurrec- 
tion !  Sainte  désobéissance!  De  la-  sainteté  par-tout.  Il  n'y  a  plus 
que  la  religion  qui  ne  soit  pas  sacrée.  C'est  le  retour  de  ces  tems 
où  tout   étoit  Dieu,    excepté  Dieu  même.    » 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  491 

«  Mais  avec  quelle  force  de  raisonnement  n'a-t-il  pas  démontré 
la  nécessité  du  licenciement  ?  Avec  quelle  force  de  principes  n'a-t-il 
pas  pulvérisé  le  projet  des  comités  ?  Avec  quelle  force  de  style  n'a-t-il 
pas  fait  le  triste  tableau  des  troubles  qui  agitent  l'armée,  et  dévoilé  les 
longues  iniquités  des  chefs  ?  Et  c'est  par  là  qu'il  a  commencé  son 
discours. 

«  Il  a  montré  une  partie  considérable  des  officiers  semant  dans 
l'armée  la  division  et  le  désordre,  ici  armant  le  soldat  contre  le  soldat, 
là  divisant  le  soldat  du  citoyen,  tantôt  dissolvant  des  corps  entiers  dont 
le  civisme  déconcertoit  leurs  funestes  projets,  les  poussant  à  force  d'in- 
justices à  des  actes  prétendus  d'insubordination,  pour  trouver  un  prétexte 
de  provoquer  les  décisions  les  plus  sévères,  tantôt  chassant  en  détail, 
et  par  des  congés  infamans,  les  militaires  les  plus  courageux,  les  plus 
éclairés,  les  plus  zélés  pour  le  maintien  de  la  constitution. 

[Suit  le  passage  du  Journal  des  Etats  Généraux,  depuis  :  «  Eh 
quoi,  messieurs,  voudriez-vous...  »  jusqu'à:  «  ...sont  liés  à  sa  sûreté  ».] 

«  C'est  sur  ces  faits,  c'est  sur  ces  raisonnemens  que  l'orateur  a  éta- 
bli la  nécessité  du  licenciement  du  corps  des  officiers,  et  il  s'est  donné 
la  peine  de  combattre  les  pitoyables  objections  qu'on  oppose  à  ce  sys- 
tème. Celle  sur  laquelle  les  partisans  du  projet  des  comités  ont  le  plus 
appuyé,  c'est  la  crainte  des  extrémités  où  une  mesure  trop  rigoureuse 
pourroit  porter  les  officiers.  Mais,  comme  l'a  très-sagement  observé 
M.  Robespierre,  ceci  ne  peut  regarder  ceux  des  officiers  patriotes  qui 
gémissent  sur  la  conduite  de  leurs  confrères;  ils  désirent  avec  ardeur 
cette  salutaire  opération  qui  seule  peut  sauver  la  patrie.  Quant  aux 
autres,  il  faut  les  supposer  nécessairement  ennemis  de  la  révolution  : 
ce  n'est  pas  le  licenciement  qui  les  rendra  tels,  seulement  il  les  rendra 
beaucoup  moins  dangereux.  Puisqu'ils  rentrent  dans  la  classe  de  simples 
citoyens,  ils  auront  bien  moins  de  moyens  de  pouvoir  nous  nuire  qu'à 
la  tête  de  notre  armée.  Cette  observation  seroit  juste,  quand  bien 
même  vous  supposeriez  qu'ils  iroient  se  joindre  à  une  armée  ennemie, 
et  cela,  par  la  raison  toute  simple  qu'un  ennemi  déclaré  est  moins  à 
craindre  <ju'un  caché,  et  que  le  général  qui  assiège  une  place,  est  moins 
dangereux  que  le  gouverneur  perfide  qui  la  livre.  En  un  mot,  toute  la 
question  sur  ce  point  se  réduit  à  savoir  s'il  vaut  mieux  que  les  contre- 
révolutionnaires  soient  en  France  qu'en  Allemagne. 

«  La  seconde  objection  est  la  crainte  que  les  soldats  ne  soient 
portés  à  l'indiscipline  par  une  disposition,  après  laquelle  ils  soupirent 
depuis  long-temps. 

[Suit  le  passage  du  Journal  des  Etats  Généraux,  depuis  :  «  S'il  est 
vrai  ..   »  jusqu'à:  «    ...la  liberté  et  la  patrie.    »] 

«  M.  Robespierre  a  ensuite  examiné  les  mesures  que  les  comités 
croyoient  plus   efficaces,  ou  plus  sûres  que   le   licenciement.    Il 'n'a  pu 


492  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

parler  sans  une  méprisante  indignation  de  cet  engagement  d'honneur, 
qu'on  présente  à  la  nation  comme  un  sûr  garant  de   la  fidélité   et  de 

I  attachement  des  officiers  qui,  jusqu'ici,  se  sont  montrés  ennemis  de  la 
constitution.  Il  a  déclaré  que  ce  sentiment  d'honneur  n'avoit  rien  de 
commun,  ni  avec  le  civisme,  ni  avec  la  vertu;  il  a  déclaré  qu'il  lui 
paroissoit  trop  extraordinaire,  trop  bizarre,  trop  contradictoire,  pour  qu'il 
puisse  lui  confier  l'intérêt  de  la  nation,  et  le  maintien  de  la  constitution. 

II  a  ajouté  que  ce  n'étoit  point  dans  les  prétendus  préjugés  d'une  classe 
de  citoyens,  qu'étoit  placé  l'espoir  du  salut  public,  que  c'étoit  dans 
l'autorité  des  lois,  dans  des  mesures  qui  mettent  les  ennemis  reconnus 
de  la  patrie  dans  l'impossibilité  de  lui  nuire. 

«  Le  côté  droit  lui  a  crié  qu'il  ne  connoissoit  pas  l'honneur. 

«  Oui,  a  répliqué  vivement  l'orateur,  je  me  fais  gloire  de  ne  pas 
connoître  cet  honneur  qui  permet  d'être  l'ennemi  de  la  liberté  et  de  la 
patrie,  qui  peut  violer  un  premier  serment  fait  au  nom  de  la  patrie, 
et  qui  a  besoin  d'un  second  serment  pour  rassurer  la  patrie. 

«  Il  a  démontré  ensuite  combien  il  étoit  contradictoire  de  décréter 
un  traitement  à  ceux  qui  ne  voudroient  pas  souscrire  l'engagement  de 
ne  pas  conspirer  contre  la  constitution  et  contre  l'état,  après  que  le 
rapporteur  lui-même  avoit  avoué  que  nul  homme  de  bonne  foi,  nu! 
honnête  homme  ne  pouvoit  se  refuser  à  cet  engagement.  Enfin,  après 
avoir  dit  quelques  mots  sur  l'injustice  et  le  danger  de  cantonner  les 
soldats,  et  de  les  séparer  des  citoyens,  M.  Robespierre  a  conclu  par 
demander  la  question  préalable  sur  le  projet  des  comités,  et  l'adoption 
de  la  mesure  du  licenciement.  » 

Mercure  national  et  étranger,   11   juin   1791,  p.   891. 

«  Le  rapporteur  eut  à  peine  fini  de  parler,  que  déjà  l'inflexible 
Robespierre  étoit  à  la  tribune,  pour  le  combattre.  Il  parla  avec  son 
énergie  ordinaire. 

a  11  s'agit,  dit-il,  de  trouver  un  remède  au  désordre  de  l'armé-. 
On  vous  a  beaucoup  exagéré  ce  désordre  :  on  a  eu  grand  soin,  surtout, 
de  vous  en  dissimuler  les  véritables  causes.  C'est  dans  un  grand  danger 
que  la  vérité  est  utile.  J'oserai  vous  la  dire  avec  modération  et  avec 
ma  franchise  ordinaire. 

«  Deux  causes  ont  occasionné  la  confusion  où  se  trouve  actuelle- 
ment l'armée  :  la  constitution  nouvelle  du  royaume  principe  d'indépen- 
dance et  de  la  liberté,  et  la  constitution  vicieuse  de  l'armée,  qui,  à 
l'égard  des  officiers,  est  un  chef-d'œuvre  d'aristocratie.  Peut-il  subsister 
en  contrariété  avec  tous  les  principes  de  la  constitution  plus  long-tems 
ce  corps,  monument  insolent  de  la  tyrannie  féodale,  ce  corps,  dais 
lequel  on  n'a  jamais  admis  qu'avec  une  espèce  de  grâce  de  simples 
bourgeois,  encore  en  les  distinguant  par  une  qualification  impropre  et 
injurieuse. 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  493 

«  Jettons  un  regard  sur  le  passé  et  tremblons  pour  l'avenir.  Voyez 
ces  indignes  chefs  jetter  par-tout  la  discorde,  armer  les  soldats  contre 
les  citoyens,  les  soldats  contre  les  soldats,  encourager  les  traîtres  par 
des  récompenses,  chasser  les  meilleurs  sujets  pour  avoir  manifesté  leur 
amour  pour  la  constitution,  les  chasser  avec  des  cartouches  infamantes, 
licencier  des  corps  entiers  après  avoir  suscité  les  mouvemens  qui  en  ont 
occasionné  la  dissolution.  Que  sont-ils  devenus  ceux  qu'on  avoit  réunis 
autour  de  cette  capitale  pour  la  détruire  ?  Où  sont  ces  soldats  qui 
vont  déposer  sur  l'autel  de  la  patrie  les  armes  qu'on  vouloit  leur  faire 
tourner  contre  notre  sein.  Je  ne  veux  point  rouvrir  une  plaie  encore  san- 
glante :  mais  je  dois  m'élever  avec  force  contre  ceux  qui  ont  occasionné 
tant  de  maux. 

«  Il  n'est  qu'un  seul  moyen  de  les  prévenir  par  la  suite,  c'est  de 
l'arrêter  à  la  source,  c'est  de  licencier  l'armée.  Ce  parti  obvie  à  tous 
les  inconvéniens,  et  ne  peut  donner  lieu  à  aucun,  puisque  nous  avons 
pour  nous  la  force,  la  justice  et  la  raison. 

«  Qu'ose-t-on  vous  proposer  de  substituer  au  serment  que  vous 
avez  décrété  une  vaine  formule  qui  ne  seroit  qu'un  nouveau  prétexte 
pour  éluder  la  plus  sainte  des  obligations  !  Quoi  donc,  n'ont-ils  pas 
déjà  fait  le  serment  solemnel  d'obéir  à  la  loi;  ceux  qu'on  veut  lier  par 
cette  nouvelle  promesse  ne  l 'ont-ils  pas  violée  ouvertement  ?  Seront-ils 
plus  fidèles  à  leur  parole  ! 

((  L'on  concevra  sans  peine  que  cette  véhémence,  que  ce  nerveux 
patriotisme  n'a  pas  été  du  goût  de  toute  l'assemblée.  Le  côté  droit 
faisoît  rage;  l'orateur  a  été  insulté,  outragé  à  diverses  reprises,  et  lors- 
qu'il a  conclu  à  la  question  préalable  sur  le  projet  du  comité,  et  au 
licenciement  de  l'armée,  il  a  reçu  encore  une  nouvelle  bordée  d'injures. 
M.  Cazalès  a  été  le  champion  de  son  parti,  et  il  s'est  acquitté  si  bien 
de  la  commission,  qu'il  a  fini  par  s'enrouer.  On  n'a  pu  mettre  fin  à  cette 
indécence,  qu'en  ajournant  la  question  et  en  levant  la  séance.   » 

Journal  de  Paris,  n°   163,  p.  655. 

«  C'est  M.  Roberspierre  qui  a  pris  le  premier  la  parole.  Son 
opinion  a-.'.roit  pu  être  facilement  devinée,  mais  elle  étoit  connue  par 
l'éclat  qu'elle  avoit  reçu  de  son  succès  dans  la  société  des  amis  de  la 
Constitution.  M.  Roberspierre  a  pensé  que,  si  le  licenciement  de  l'ar- 
mée demandé  par  une  partie  de  la  nation  n 'étoit  pas  décrété,  la  nation 
entière  étoit  en  péril  avec  ses  nouvelles  loix  et  sa  constitution.  La 
mesure  du  licenciement  n'a  pas  paru  nécessaire  à  M.  Roberspierre,  seu- 
lement par  les  circonstances  du  moment  qui  la  rendent  plus  pressante, 
mais  par  la  nature  des  choses.  Comment  pourriez- vous,  MM.,  deman- 
doit-il,  comment  pourriez-vous  laisser  subsister  dans  une  Constitution, 
fondée  essentiellement  sur  l'égalité,  une  armée  dont  l'organisation  est 
essentiellement   aristocratique,   puisque    c'étoit   une   de    ses   loix  ^ou  du 


494  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

moins  de  ses  maximes,  de  n'admettre  au  grade  d'Officier  que  ce  qu'on 
appelloit  des  Nobles  ? 

a  M.  Roberspierre  n'a  pas  cessé  de  parler,  quand  i!  est  parvenu 
à  la  fin  de  son  discours  écrit  :  il  avoit  fait  un  relevé  des  principales  pro- 
positions du  projet  de  décret  des  Comités;  il  les  a  combattues  successi- 
vement et  toutes;  il  a  sur-tout  attaqué  avec  une  grande  véhémence  cette 
idée  de  faire  prononcer  aux  Officiers  un  serment  sur  leur  honneur,  comme 
si  cet  honneur,  Divinité  fantastique  de  leur  orgueil,  étoit  plus  sacré 
qu'une  Constitution  dont  tous  les  principes  sont  puisés  dans  les  saintes 
maximes  des  droits  du  genre  humain;  comme  si  c'étoit  à  eux-mêmes, 
et  non  pas  à  la  Nation  dont  ils  sont  les  serviteurs,  que  les  Officiers 
dévoient  faire  serment. 

«  La  conclusion  de  M.  Roberspierre  étoit  que  le  licenciement  étoit 
indispensable,  qu'il  étoit  pressant,   et  qu'il  ne  falloit  s'occuper  que  de 
la  recherche  du  mode  le  plus  convenable.  » 
Le  Lendemain,  t.  III,  n°   162,  p.  663. 

«  M.  Roberspierre  toujours  zélateur  des  mesures  violentes,  et  consé- 
quemment  ennemi  de  toutes  les  mesures  de  sagesse  et  de  politique,  parle 
pour  le  licenciement  des  officiers. 

«  Il  s'attache  à  faire  l'apologie  de  l'insubordination  souvent  crimi- 
nelle des  soldats,  et  affirme  que  tous  les  officiers  sont  les  mêmes,  c'est- 
à-dire,  tous  ennemis  de  la  révolution. 

«  Il  ne  craint  pas,  avec  les  six  comités  réunis,  et  avec  tous  les 
esprits  sages,  que  ce  licenciement  n'opère  le  complément  de  l'indisci- 
pline, il  voit,  au  contraire,  tous  les  soldats  se  hâter  de  rentrer  dans 
l'ordre,  au  seul  cri  de  l'honneur,  et  par  une  contradiction  bien  étrange 
la  parole  d'honneur,  que  les  comités  proposent  d'exiger  des  officiers, 
comme  un  garant  de  leur  soumission  à  la  loi,  lui  paroît  insuffisante. 

«  Souvent  applaudi,  par  le  Palais-Royal  et  les  galeries,  nullement 
par  l'assemblée.    » 
Journal  général,  n°   131,  p.  530. 

-«  M.  Robespierre  n'est  ni  Officier,  ni  pour  les  Officiers.  Ce  projet 
ne  le  satisfait  pas;  il  croit  les  voir  cherchant  sans  cesse  à  comprimer 
et  à  blesser  les  sentimens  les  plus  doux  du  Soldat  Patriot-e;  et  sur-tout 
résolus  à  n'obéir  qu'au  Roi,  et  non  à  la  Nation.  Leur  licenciement  lai 
semble  indispensable,  dut-il  les  remplacer  :  il  ne  veut  pas  de  cet  enga- 
gement d'honneur,  qu'il  regarde  comme  très-insuffisant.  «  Vous  n'avez 
aucune  idée  d'un  engagement  d'honneur,  lui  crie-t-on  ^  » .  Je  ne  me 
soucie  pas  de  le  connoître,  reprend  M.  Robertspierre,  s'il  dispense  du 
civisme  et  de  la  vertu.  Un  bon  Officier  doit  non-seulement  être  résolu 
au  sacrifice  de  sa  vie,  mais  encore  à  celle  de  tous  ses  préjugés,  pour 
le  salut  de  la  Patrie  ;  et  un  engagement  d'honneur  ne  donnera  pas  tout 
cela  ».  Toute  cette  diatribe  contre  l'honneur  n'a  pas  été  entendue  sans 
murmure.    Elle  étoit  trop  nouvelle   dans  une   assemblée  de  François.    )> 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  495 

Gazette  de  Paris,  13  juin  1791,  p.  3. 

«  Enfin,  ainsi  que  je  l'avois  annoncé,  M.  Roberspierre  a  fait  dans 
cette  séance  le  rapport  de  son  projet  de  Décret,  tendant  à  licencier 
tous  les  Officiers  de  l'Armée.  Le  neveu  de  Pierre  Damien,  s'il  est 
vrai  qu'il  le  soit,  ne  doit  pas  supporter  l'idée  qu'un  pareil  rempart 
existe  encore  pour  la  défense  du  Roi  et  le  salut  de  la  Monarchie.  S'il 
n'est  pas,  comme  on  l'a  imprimé  plus  d'une  fois,  le  neveu  du  Ravaillac 
du  18e  siècle,  il  a  hérité  du  moins  de  l'ancien  pouvoir  du  Comte  de 
Mirabeau  dans  la  caverne  Jacobite  ;  ses  titres  sont  les  mêmes.  Je  n'ap- 
prends dans  ma  retraite  ce  nouveau  trait  de  despotisme  inouï,  de  la 
part  des  Sectaires  Républicains,  qu'au  moment  où  j'avois  composé 
l'article  qui  précède  celui-ci.  La  discussion  ayant  été  remise  à  la  séance 
suivante,  je  réserve  tout  le  développement  que  mérite  un  pareil  sujet 
pour  le  numéro  prochain  :  je  le  présenterai  dans  tout  son  ensemble,  et 
sans  que  rien  suspende  l'intérêt  d'une  si  grande  question.  L'Armée 
Française  sait  quel  dévouement  j'ai  consacré  à  défendre  sa  cause,  à 
recueillir  ses  titres  de  gloire.  Mais  dans  le  moment  le  plus  critique, 
peut-être,  où  jamais  nos  soldats  se  soient  trouvés;  que  faire  pour  combat- 
tre les  doutes  qui  pourroient  s'élever  dans  leur  conscience  ?  Que  faire  ? 
Leui  opposer  leurs  propres  vertus. 

«  ...M.  Roberspierre  s'est  permis  la  diatribe  la  plus  insolente  et 
la  plus  calomnieuse  contre  le  Corps  des  Officiers,  en  prétendant  que  leur 
licenciement  était  commandé  par  l'intérêt  public.  » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  1 1  juin  1791 ,  p.  648. 

«  Nous  rougissons  de  le  dire  :  M.  Robespierre,  qui  le  premier  a 
parlé  après  M.  Bureau  de  Pusy,  n'a  su  défendre  l'insensé  projet  du 
licenciement  du  corps  entier  des  officiers,  qu'en  répandant  sur  ce  corps 
estimable,  le  venin  des  injures,  des  invectives  les  plus  grossières,  des 
calomnies  les  plus  atroces.  Nous  en  ferons  grâce  à  nos  lecteurs;  nous 
n'aurions  pas  le  courage  de  les  répéter;  et  en  vérité  on  se  lasse  de  ne 
répéter  que  des  sottises  et  des  impostures.  » 

Journal  de  la  Noblesse,  t.  II,  n°  25,  p.  157  et  158. 

«  M.  Robertspierre  s'est  élevé  avec  véhémence  contre  ce  plan, 
mais  quoiqu'il  ait  parlé  avec  beaucoup  d'éloquence,  on  a  vu  plutôt  en 
lui  un  avocat  qui  cherchoit  à  gagner  une  cause  qu'un  législateur  qui 
doit  rappeler  tous  les  esprits  à  une  opinion  impartiale. 

...<(  M.  Robertspierre,  qui  parloit  dans  les  maximes  républicaines, 
étoit  plus  conséquent  que  M.   de  Cazalès.   » 

L'Ami  des  Patriotes,  t.  II,  n"  29,     p.  384,  et  n"  30,  p.  387  (note). 

«  Je  ne  connois  rien  de  plus  insensé  que  le  discours  de  M.  Robes- 
pierre; il  faut  être  ou  bien  méchant  ou  bien  aveugle,  pour  croire  que 


496  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

tous  les  mécontens  sont  des  scélérats.  A  quels  hommes,  grands  dieux, 
livrez-vous  l'Univers! 

...«  Le  licenciement  des  officiers  a  été  demandé  par  M.  Robes- 
pierre, dans  un  discours  plein  d'invectives,  vide  de  raisonnemens  et  de 
faits;  il  n'a  eu  pour  appui  que  cinq  à  six  de  ses  plus  familiers  amis. 

...«Il  est  évident  que  M.  Robespierre  et  ses  amis  n'ont  demandé 
le  licenciement  des  officiers  que  dans  la  double  vue  de  faire  perdre 
à  MM.  Lameth,  qu'ils  haïssent,  l'état  que  leur  assure  !a  constitution 
militaire,  et  de  fortifier  je  ne  sais  quelle  apparente  popularité  qui  s'en 
va  leur  échappant  chaque  jour,  et  qui  disparaîtra  bientôt  tout  à  fait.   » 

Journal  des  Mécontens,  n°   104,  p.  4. 

«  Robertspierre  calomnie,  de  la  manière  la  plus  lâche,  les  braves 
officiers  qui  gémissent  sous  les  scélératesses  et  l'insubordination  des 
troupes.  Il  ne  proposoit  rien  moins  que  de  chasser  ignominieusement  les 
officiers  et  de  confier  au  sort  le  soin  de  les  remplacer.  » 

Journal  de  Louis  XVI  et  de  son  peuple,  t.  IV,  n°  86,  p.  95. 

((  L'enragé  Robespierre,  ennemi  de  tout  ce  qui  est  sage  politique, 
ou  plutôt  le  plus  ignorant  en  fait  de  tout  ce  qui  s'appelle  gouverne- 
ment, a  vomi  une  foule  de  mots  que  ses  partisans  prétendent  former 
en  discours  raisonné  sur  la  nécessité  du  licenciement  des  officiers.  Il  n'a 
pas  manqué  de  les  invectiver.  » 

Mercure  de  France,  18  juin  1791,  p.  211-212. 

«  Fougueux  apologiste  de  tous  les  genres  d'insurrection,  M.  Ro- 
berspierre  a  traité  les  officiers  d'Aristocrates;  de  fonctionnaires  armés 
créés  par  le  despotisme,  de  corps  formé  sur  les  maximes  les  plus  extra- 
vagantes du  despotisme,  instrument  de  tyrannie,  triomphe  de  l'aristo- 
cratie, démenti  formel  à  la  constitution,  insulte  révoltante  à  la  dignité 
du  peuple  :  «  Voyez-les  semant  la  division  et  le  trouble,  armer  les 
soldats  contre  les  citoyens,  et  les  soldats  écarter  ceux-ci  des  lieux  (des 
clubs)  où  ils  pouvoient  apprendre  les  devoirs  sacrés  qui  les  lient  à  la 
cause  de  la  patrie...  Pousser  les  soldats,  à  force  d'injustices  et  d'ou- 
trages, à  des  actes  prétendus  d'insubordination,  pour  provoquer  contre 
eux  des  décisions  sévères.  Il  n'a  pas  ro*ugi  d'accuser  les  officiers  d'avoir 
donné  des  cartouches  infamantes  aux  meilleurs  patriotes:  «  Qu'est 
devenue,  s'est-il  écrié,  cette  puissance  qui,  par  une  sainte  désobéissance 
aux  ordres  sacrilèges  des  despotes,  a  terminé  l'oppression  du  peuple,  et 
rétabli  la  puissance  du  souverain  ?  Plus  de  50  mille  des  citoyens  qui 
la  composoient...  errent  maintenant  sans  ressource,  sans  pain,  expiant 
leurs  services  et  leurs  vertus  dans  la  misère  et  dans  l'opprobre...,  si 
l'opprobre   pouvoit   être   infligé   par   le   crime   à   la   vertu. 

«  A  en  croire  ce  promoteur,  pour  le  moins  inconsidéré,  de  scènes 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  497 

exécrables,  telles  que  le  massacre  de  M.  Mauduit  (14),  etc.,  on  calom- 
nie les  soldats,  le  peuple,  l'humanité;  les  soldats  ne  se  sont  signalés 
que  par  leur  douceur  à  supporter  les  injustices  les  plus  atroces,  à  res- 
pecter la  discipline  en  dépit  de  leurs  chefs,  qui  s'efforcent  de  séduire, 
de  dissoudre  l'armée,  et  qui  ne  veulent  que  défendre  le  monarque 
contre  le  peuple.  Le  mot  honneur  l'a  mis  hors  de  lui.  Il  l'a  nommé  un 
principe  féodal.  Quelqu'un  lui  a  crié  de  se  taire  sur  ce  qu'il  ne  con- 
noissoit  pas.  Il  a  répondu  :  «  Je  me  fais  gloire  de  ne  pas  connoître  un 
pareil  honneur  »  ;  et  pour  l'en  dédommager,  les  galeries  l'ont  applaudi 
de  toutes  leurs  forces.  Sa  conclusion  a  été  le  licenciement  indispensable 
des  officiers.   » 

Le  Patriote  François,  n°  673,  p.  653. 

«  Si  les  partisans  des  officiers  disent  qu'il  y  a  du  danger  dans 
les  circonstances  où  nous  sommes  de  licencier  les  officiers,  que  c'est  en 
envoyer  la  majeure  partie  grossir  les  camps  ennemis,  au-delà  du  Rhin, 
M.  Robespierre  a  raison  aussi  de  craindre  que  si  l'on  conserve  les  offi- 
ciers, la  haine  des  soldats  contr'eux  ne  s'aggrave,  et  que  de  cette  dis- 
corde il  ne  résulte  les  plus  fâcheux  effets,  dans  le  cas  où  nos  voisins 
voudroient  nous  attaquer. 

«  On  ne  peut  rien  d'ailleurs  opposer  au  tableau  effrayant  que 
M.  Robespierre  a  fait  de  toutes  les  vexations,  les  inquisitions,  les  hor- 
reurs commises  dans  la  plupart  des  régimens  par  les  officiers.  M.  Caza- 
lès  appelle  cela  des  calomnies;  mais  trop  de  voix  s'élèvent  en  faveur 
de  ces  faits,  pour  qu'ils  soyent  des  calomnies. 

«  Nous  n'avons  pas  dit  encore  la  principale  difficulté  :  comment 
remplacer  les  officiers,  si  on  les  licencie  ?  Il  est  aisé  de  détruire,  mais 
difficile  de  réédifier.  M.  Robespierre  n'a  donné  aucun  mode;  on  en 
trouve  un  dans  le  discours  de  M.  Antoine  (15),  mais  qui  entraîne  aussi 
des  inconvéniens. 

«  D'un  autre  côté,  on  ne  peut  se  déguiser,  avec  M.  Robespierre, 
que  le  serment  d'honneur  que  le  comité  exige,  en  conservant  les  officiers, 
ne  sera,  pour  la  plupart,  qu'une  vaine  formalité  qu'ils  violeront  à  la 
première  occasion  favorable,  et  dont  ils  se  croiront  absous  par  le  succès.» 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Courier  français, 
t.  XI,  n°  162,  p.  331  ;  Le  Mercure  universel,  t.  IV,  p.  174;  La  Chro- 
nique de  Paris,  n°  163,  p.  652;  Le  Courrier  extraordinaire,  11  juin 
1791,  p.  6:  La  Correspondance  nationale,  n°  34,  p.  96;  Le  Journal 
de  Rouen,  n°  162,  p.  783,  et  n°  163,  p.  785;  La  Gazette  nationale 
ou  Extrait...,  t.  XVII,  p.  208;  Les  Affiches  d'Angers,   1791.  n°  49, 


;(14)  Le  colonel  Mauduit  fut  'massacré  à  Port-au-Prince  (iSaint 
Domingue),  le  4  mars  1791  i(Monibeur,  VIII,  219),  Les  Arch.  pari., 
XX VI II.  684,  reproduisent  une  lettre  de  la  municipalité  de  Po-rt-au- 
Frince   communiquant  une  lettre  de   Mauduit.- 

(15)  Cf.  séance  des  Jacobins,  du  8  juin  1701,  note  1. 


IUt$i 


498  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

p.  239;  L'Argus  patriote,  n°  11,  p.  56;  Assemblée  nationale,  Corps 
administratifs  (Perlet),  t.  XII,  n°  675,  p.  6;  La  Bouche  de  Fer,  n"  67, 
p.  15;  La  Feuille  du  Jour,  t.  IV,  n°  162,  p.  593;  Le  Bulletin  et  Jour- 
nal des  journaux,  n°  70;  L'Ami  du  Peuple  (Marat),  n°  488,  p.  5;  Le 
Creuset,  t.  II,  n°  48;  L'Ami  du  Roi  (Royou),  14  juin  1791,  p.  1  et  4. 
Long  résumé  dans  Le  Journal  des  Débats,  n°  749,  p.  12-15;  .Le  Jour- 
nal des  Décrets  de  l'Assemblée  nationale,   11   juin  1791,  p.  422.] 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

302.  —  SEANCE  DU  10  JUIN  1791 

Sur  un  projet  d'adresse  aux  assemblées  primaires 


Après  diverses  affaires  et  après  que  la  Société  eût  abordé  une 
nouvelle  fois  la  question  du  licenciement  des  officiers  de  l'armée 
(1),  un  membre  du  comité  de  correspondance  donne  lecture  de 
l'adressa  destinée  à  être  envoyée  par  la  Société,  aux  assemblées 
primaires,  qui  venaient  de  se  réunir  dans  les  départements,  pour 
éclairer  .leur  choix  dans  la  nomination  des  électeurs.  Robespierre 
prend  la  parole  et  conclut  à  l'ajournement  de  l'adresse. 

La  Société  se  'rangea  à  cet  avis. 

Mercure  universel,  t.   IV,  p.   246. 

«  M.  Robespierre,  Il  ne  suffit  pas  qu'un  citoyen  ait  montré  du 
patriotisme  avant  les  élections  pour  mériter  le  choix  du  peuple;  il  faut 
avoir  prouvé  des  vertus  publiques,  avant  que  la  révolution  ait  été  con- 
sommée; avant  qu'on  ait  pu  savoir  quel  seroit  le  sort  des  défenseurs 
du  peuple,  avant  que  le  patriotisme  ait  pu  faire  espérer  d'obtenir  des 
places. 

«  Qu'est-ce  donc  que  ces  prétendus  patriotes  d'aujourd'hui,  ces 
égoïstes  qui  se  jettent  avec  fureur  dans  nos  assemblées,  dans  les  assem- 
blées primaires,  et  qui  eussent  été  nos  lâches  persécuteurs  et  les  suppôts 
du  despotisme  si  nous  eussions  succombé  ?  Le  peuple  a  maintenant  des 
places  à  donner,  et  des  hommes  prennent  le  masque  du  patriotisme; 
dans  une  autre  circonstance,  ces  mêmes  hommes  eussent  été  les  valets 
de  ses  tyrans  ! 

«  Je  ne  reconnois  pas  dans  cette  adresse  les  caractères  importans 
qu'il  convient  d'y  trouver  :  apparemment  que  son  auteur  a  jugé  que  le 
nombre  des   vrais  patriotes  n'étoit  point  assez   considérable  pour  qu'il 

(1)  Le  Journal  des  Mécontent  <n°  109,  p.  3)  signale  «  qu'un 
soldat  d'infanterie,  secondé  de  M.  Robertspierre,  avoit  prouvé  incon- 
testablement que  la  seule  manière  de  rajeunir  ce  vieux  corps,  étoit 
d'en  chasser  civiqucment  tous  les  officiers,  et  de  les  remplacer  par 
des  soldats  élus  au  sciïutin  i».  Il  s'agit  de  .l'intervention  d'un  certain 
Meissard,  mais  on  ne  trouve  nulle  part  tra.ee  de  paroles  qu'aurait 
pu  prononcer  Robespierre. 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  499 

fût  déjà  temps  de  prendre  de  sages  mesures  contre  les  individus  qui 
s'enveloppent  du  manteau  du  despotisme  :  je  demande  l'ajournement  de 
cette  adresse.  (Applaudi).   » 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°  7,  p.  4 
«  M.  de  Robespierre,  en  approuvant  la  plupart  des  maximes  conte- 
nues dans  cette  adresse,  s'élève  contre  le  ton  général  dont  elle  est  rédigée. 
Il  se  plaint  avec  l'éloquence  de  la  vertu  et  de  la  vérité  qui  lui  est 
propre,  de  ce  qu'on  affecte  de  recommander  au  choix  des  électeurs  des 
personnes  amies  de  la  paix.  Il  démontre  que  ces  prétendus  amis  de  la 
paix  et  de  l'ordre  ne  sont  rien  moins  que  les  véritables  amis  des  inté- 
rêts du  peuple;  il  conclut  à  l'ajournement  de  l'adresse;  ce  qui  est 
adopté  »   (2). 

(2)  Extrait  reproduit  dans  Aulard,  II,  493;  mais  il  ne  donne  pas 
le  texte  de  l'adresse.  Of.  ci-dessous  séance  des  Jacobins  du  19  juin 
1791.  Voir  également  <G.   Walter,  Histoire  des  Jacobins,   p.   144. 

303.  —  SEANCE  DU  11  JUIN  1791 

SUR   LE    LICENCIEMENT   DES    OFFICIERS    DE    L'ARMÉE   (suite) 


Fréteau  présente  un  rapport  sur  les  mesures  générales  à  pren- 
dre, pour  la  sûreté  du  royaume  (1),  et  donne  lecture  d'un  projet 
de  décret.  Le  duc  de  Liancourt  propose  alors  que  ,1a  discussion  s'en- 
gage sur"  la  question  du  licenciement  des  officiers  de  l'armée. 
D'André  demande  lui  aussi  l'ouverture  du  débat,  tandis  que  Caza- 
lès  s'oppose  à  toute  discussion.  iL' Assemblée  décide  que  la  discussion 
est  fermée. 

Robespierre  demande  la  parole  pour  une  onction  d'ordre.  Le  pré- 
sident consulte  l'Assemblée  qui  décide  que  /Robespierre  ne  sera  pas 
entendu. 

Le  président  met  alors  aux  voix  la  question  préalable  sur  la  pro- 
position de  licencier  les  officiers  de  l'armée.  L'Assemblée  décida 
qu'il  n'y  (avait  pas  lieu  à  délibérer  sur  le  projet  de  licencier  les 
officiers. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t. XXVII,  p. 337. 

«  M.  Cazalès.  Je  demande  que  la  question  préalable,  sur  le  licen- 
ciement, soit  mise  aux  voix  sans  discussion  et  que  cette  motion  horrible 
ne  soit  jamais  discutée  dans  cette  assemblée... 

«  M.  le  Président... 

(L'Assemblée  ferme  la  discussion.) 

«  M.  Robespierre.  Je  demande  à  faire  une  motion  d'ordre  (Aux 
voix,  aux  voix,  grand  bruit)  »  (2). 

(1)  On  trouvera  le  rapport  de  Fréteau  dans  le  Moniteur.  VOL 
643-646. 

(2)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXVII,  124.  L'attitude 
do    Robespierre    au    cours    de    cette    séance,    inspira   >à    Pio    de    vifs 


500  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   164,  p.  680. 

«  M.  le  Président.  L'Assemblée  a  fermé  la  discussion.  M.  Robes- 
pierre me  demande  la  parole  pour  une  question  d'ordre.  (On  entend 
dans  toutes  les  parties  de  la  salle  ces  mots:  Non,  non  !  Aux  voix  !  Aux 
voix  !). 

«  M.  le  Président.  Que  ceux  qui  veulent  que  M.  Robespierre  soit 
bntendu  se  lèvent. 

«    L'Assemblée   décide   que    M.    Robesoierre   ne    sera   pas   enten- 
du  »  (3). 
Journal  des  Mécontens,  n°   105,  p.  3. 

«  Après  ce  rapport  [de  M.  Fréteau] ,  on  a  ouvert  et  fermé  en 
même  tems  la  discussion  sur  le  licenciement  du  corps  des  officiers  et 
malgré  les  hurlemens  de  MM.  Robertspierre  et  Prieur,  qui  vouloient 
absolument  chasser  les  officiers,  l'Assemblée  s'est  contentée,  pour  cette 
fois,  de  déshonorer  ceux  qui  seraient  assez  lâches  pour  trahir  leurs 
premiers  sermens,  leur  patrie  et  leur  Roi,  en  souscrivant  l'infamant 
formulaire  que  voici.  » 

[Brève  mention  de  cette  tentative  dans  Le  Mercure  de  France, 
18  juin  1791,  p.  219;  Le  Courrier  extraordinaire,  12  juin  1791,  p.  4; 
Le  Courrier  des  LXXXIII  départemens,  t.  XXV,  n°  13^  p.  206;  La 
Gazette  de  Paris,   15  juin  1791,  p.   1.] 


éloges  du  député  d'Arras,  da.ns  une  «  Lettre  à  l'auteur  »  des  Révolu- 
tions de  France  et  de  Brabant,  que  Desmoulins  publia  (t.  VII, 
n°  81,  p.   130-132)  et  que  reproduit  .E.  .Hamel,  I,  472. 

(3)  Texte   reproduit  dans  le  Moniteur,   VIII,   646.  Seuls  Rœderer 
et  Prieur   soutinrent  .Robespierre. 

304.  —  SEANCE  DU  18  JUIN  1791  (soir) 
Sur  les  troubles  de  Brie-Comte-Robert 


Merlin  donne  lecture  du  procès-verbal  dressé  par  la  municipalité 
de  Cambrai  des  troubles  survenus  dans  cette  ville  le  13  juin.  L'As 
semblée  renvoie  l'affairé  à  son  comité  des  rapports  pour  qu'il  lui  en 
soit  rendu  compte  le  lendemain.  Robespierre  intervient  alors  pour 
dénoncer  les  troubles  suscités  à  Brie-Comte-Robert,  par  les  chas- 
seurs de  Hainault  qui  y  tiennent  garnison.  Sur  sa  demande,  l'Assem- 
blée  ordonne   le  renvoi  de  cette   affaire   au  comité   des   rapports. 

Un  député  ayant  précisé  que  c'est  en  vertu  des  décrets  de 
l'Assemblée  que  les  chasseurs  de  Hainault  avaient  été  envoyés  a 
Brie-Comte-Robert  et  qu'ils  n'avaient  fait  qu'exécuter  des  décrets 
de   prise   de   corps,    pris   par   le   tribunal  de  Melun   (1),    Regnaud   de 

(1)  SLe  17  janvier  17!»],  sur  le  rapport  de  .Muguet,  l'Assemblée 
avait  décrété  de  demander  au  roi  ae  faire  passer  à  Brie-dmitr- 
Ruber-t   «   une   force   publique  capable  d'y  procurer   l'exécution  des 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  501 

Saint-Jean-d'Angély  demande  que  cette  affaire  ne  soit,  renvoyée  an 
comité  des  rapports  que  si  des  pièces  justificatives  et  signées  sont 
déposées  sur  le  buream  de  l'Assemblée,  soit  par  les  plaignants,  soit 
par  Robespierre.  Robespierre  reprend  la  parole  pour  se  justifier. 
Cette  affaire  devait  revenir  devant  l'Assemblée  le  12  juillet 
et  les  2  et  6  août  (2). 

Journal  des  Etais  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t. XXVIII,  p. 69. 

«  M.  de  Robespierre.  Je  ne  puis  me  dispenser  de  demander  à  l'as- 
semblée nationale  le  renvoi  au  comité  des  rapports,  avec  l'ordre  très 
exprès  de  lui  rendre  le  compte  le  plus  prompt,  d'une  affaire  infiniment 
urgente,  dont  je  vais  vous  apprendre  l'objet  en  deux  mots. 

«  Vous  ne  croiriez  pas,  messieurs,  que  dans  un  temps  où  on  ne 
parle  que  de  justice  et  de  liberté,  il  existe  à  très  peu  de  distance  de 
cette  capitale,  presque  sous  les  yeux  de  l'assemblée  nationale,  une 
ville  dont  les  citoyens  sont  exposés  depuis  longtems  à  toutes  les  insultes; 
où  tout  récemment,  au  milieu  de  la  nuit,  une  troupe  de  ce  corps  a 
enfoncé  les  portes  de  plusieurs  maisons,  a  arraché  de  leurs  lits  plusieurs 
citoyens,  tant  hommes  que  femmes,  les  a  garottés  et  traînés  impitoyable- 
ment dans  des  cachots;  que  dans  cette  même  ville,  plusieurs  autres 
citoyens  ont  été  insultés  avec  violence,  blessés  et  mutilés;  que  d'autres 
ont  été  forcés  de  prendre  la  fuite;  et  que  tout  ce  qu'il  y  a  de  patriotes 
dans  cette  ville  est  plongé  dans  le  désespoir  et  la  consternation.  Les 
auteurs  de  ces  désordres,  messieurs,  sont  les  chasseurs  du  Hainault, 
égarés  par  des  suggestions  perfides,  favorisés  même  par  un  maire  et  des 
officiers  municipaux  dont  l'élection,  si  les  loix  étoient  observées  avec 
sévérité,  vous  eût  été  déjà  dénoncée  comme  l'effet  de  la  violence  la 
plus  coupable  et  l'infraction  de  toutes  les  formes  constitutionnelles.  Le 
théâtre  de   ces   scènes  horribles,    c'est   la   ville   de   Brie-Comte-Robert. 

«  Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  dans  les  intentions  de  l'assemblée  de 
souffrir  que  le  désordre  dure  plus  long-tems,  ni  de  réduire  les  patriotes, 
opprimés  d'une  manière  aussi  cruelle,  à  la  nécessité  de  repousser  l'op- 
pression par  la  force.  Je  demande  en  conséquence  que  cette  affaire 
soit  renvoyée  au  comité  des  rapports,  et  qu'il  en  soit  rendu  compte  à 
la  séance  de  mardi  soir. 


lois,  faire  respecter  l'autorité  des  corps  administratifs,  et  assurer 
le  retour  et  la  tranquillité  des  citoyens  qui  ont  été  forcés  de  s'éloi- 
gner de  la  dite  ville  ».  Elle  décidait  en  outre,  qu'une  procédure 
serait  ouverte  'devant  le  tribunal  du  district  de  Melun  «  contre  les 
auteurs  des  troubles  qui  ont  eu  lieu  dans  le  cours  de  janvier,  dans 
la  ville  de  Brie-Comte-Robert  ».  (Cf.  Moniteur,  VII,  338,  correspon- 
dance de  MeLun  relative  à  ces  troubles  suscités  par  le  conflit  d'une 
compagnie  dite  du  Bon  Dieu  avec  la  Garde  nationale).  Cf.  égale- 
ment: Arch.  nat.,  D  XXIX  bis,  19,  dossier  208,  p.  19  et  20.  Lettre 
de  Bailly  transmettant  une  lettre  de  la  municipalité  de  Brie-Comte- 
Bobert,  où  sont  dénoncées  les  (manœuvres  séditieuses  de  certains 
habitants,  dirigés  par  le  sieur  Cousin,  ancien  maire. 
(2)  Cf.    ci-dessous,    séances,    aux  dates   indiquées. 


502  LES    DISCOURS   DE    ROBESPIERRE 

«  Plusieurs  voix.  Avez-vous  lu  les  pièces  ? 

«  M.  Robespierre.  Oui,  messieurs. 

«  M.  Regnault.  Je  demande  donc  que  l'on  remette  sur  le  bureau 
la  dénonciation  des  citoyens  de  la  ville  de  Brie-Comte-Robert,  et  que 
celui  qui  l'a  faite,  la  signe  (applaudi  à  droite). 

«  M.  de  Murinais.  C'est  l'apprentissage  de  M.  Robespierre  :  il 
vient  d'être  nommé  accusateur  public  (3). 


(3)  Le  10  juin  1791,  Je  corps  électoral  du  département  de  Paris 
avait  élu  Robespierre  accusateur  public  près  le  tribunal  criminel, 
à  la  suite  d'un  scrutin  mouvementé.  Au  premier  tour,  sur  235 
votants,  Robespierre  obtient  la  .majorité  absolue,  soit  118  voix,  mais 
2  électeurs  ayant  omis  de  faire  suivre  son  nom  de  sa  qualité  de 
député,  le  comte  de  Lacépède,  président,  décide  de  procéder  à  un 
nouveau  tour  qui  donne  les  résultats  suivants,  sur  372  votants: 
Robespierre,  député  :  220  voix.  Robespierre  :  5  voix  ;  Dandré  :  99  ; 
Martineau  :  24.  (Cf.  E.  Charavay,  Les  Assemblées  électorales  de 
Paris,  1790-91,  p.  558,  590;  cité  par  .G.  Walter,  p.  673,  note  1).  D'après 
E  Hamel,  I,  474-476,  Duport  aurait  fait  l'impossible  pour  s'opposer 
à  l'élection  de  Robespierre  ;  il  aurait  été  aidé  par  Lafayette  et  Bailly 
(cf.  Montlosier,  Mémoires,  II,  livre  15,  p.  124).  -Duport  devait  en 
effet  donner  aussitôt  sa  démission  de  président  du  même  tribunal, 
ainsi  que  Bigot  de  Préaraeneu  vice-président  et  Dandré  substi- 
tut, Ils  furent  remplacés  par  Pétion,  Buzot  et  Faure.  De  nombreux 
journaux  se  font  les  échos  de  ces  nominations  (cf.  Correspondance 
nationale,  n°  34;  Gazette  de  Berne,  .22  juin  ,1791,  p.  2;  Le  Creuset, 
t.  II,  n°  48;  la  Vedette  ou  Précis  de  toutes  les  nouvelles  du  jour, 
13  juin  1791,  p.  4;  l'Ami  de  la  Révolution,  p.  208).  Tandis  que  les 
feuilles  patriotes  se  réjouissent  (Journal  universel,  t.  XII,  p.  9022  ; 
Orateur  du  Peuple,  vol.  III,  t.  II,  n°  35,  p.  081  ;  le  Père  Duchesne, 
p.  5;  le  Courrier  de  Gorsas,  XXV,  172;  les  Révolutions  de  France 
et  de  Brabant,  VII,  n°  81,  p.  97)  ;  les  journaux  contre-révolution 
naires  fulminent,  tels  le  Babillard  qui  écrit  (n°  7,  p.  52)  :  «  Roberts- 
pierre  est  donc  nommé  accusateur  public...  (il)  donne  toujours  raison 
aux  uns  et  tort  aux  autres  sans  consulter  la  loi,  la  justice  ni  les 
vrais  principes  de  la  constitution...  on  lisait  ces  jours  derniers,  au 
Palais  Royal,  ces  vers,  pour  être  mis  au  bas  de  son  portrait  : 
«  Médiocre  orateur,  (absurde  démagogue, 
En  voulant  le  servir,  il  nuit  à  son  parti, 
Tout  en  justifiant  le  sens  de  l'apologue; 
Rien  n'est  si  dangereux  qu'un  ignorant  ami; 
Mieux  vaudrait  un  sage  ennemi.  » 
et  le  Journal  de  la  Cour  et  de  la  Ville  (n°  <52,  p.  405  et  445): 

«  Damien-Robertsp...  vient  d'être  nommé  accusateur  public  au 
tribunal  criminel  suprême.  Quand  on  se  rappelle  que  c'est  un  Joli 
de  Fleury  qui  poursuivit,  il  y  a  84  ans,  le  patriote  Damien,  comme 
criminel  de  lèze-majesté,  et  que  l'on  pense  que  le  neveu  de  ce  grand 
homme  poursuivra  dans  quelques  mois  des  Bourbons,  des  Condé, 
des  Joli  de  Fleury,  etc.,  etc.,  comme  criminels  de  lèze-natiorV,  peut-on 
ne  pas  admirer  les  beautés  de  la  {révolution1?  Ah!  Hobertsp...,  c'est 
bien  de  toi  qne  le  srrand  (St.  Mirabeau  pouvoit  dire:  tu  es  petra. 
et  super  petram  oedifioabo  ecclesiam  meam.   » 

«   N'est-il  pas  à   craindre  que  M.    Robertspierre,    dans   une   de 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  503 

«  M.  Robespierre.  M.  le  président,  c'est  en  qualité  de  membre 
de  l'assemblée  nationale,  que  je  viens  de  rendre  compte  de  faits  qui 
intéressent  essentiellement  la  constitution,  la  liberté  et  l'ordre  public. 
Je  ne  l'ai  pas  fait  sans  des  indices  détermmans.  Si,  pour  subjuguer  la 
confiance,  il  suffisoit  d'avoir  entendu  après  moi  un  député  qui,  pour 
toute  réponse  à  la  prière  que  je  faisois  à  l'assemblée  nationale  de  s  occu- 
per d'un  objet   aussi    Important,   a   allégué  qu'il   étoit  présumable   que 

ses  premières  fonctions  d'accusateur  public  ne  soit  accusé  lui- 
même...  presque  d'étourderie?  Quant  à  moi,  .j'en  tremble  pour  lui, 
pour  le  bien  des  nouvelles  loix,  pour  la  prospérité  de  la  constitu- 
tion... D'ailleurs  chacun  ne  pourra-t-il  pas  faire  cette  effrayante 
réflexion1?...  Quel  homme  peut  se  croire  infaillible,  si  M.  Roberts- 
r.ierre  ne  l'est  pas  !   » 

(Le  Colonel  SEGUR. 

Voici  comment  Brissot,  dans  son  Patriote  françois,  commente 
ces  différents  choix  (n°  676,   p.  665)  et  les  réactions  des  éLus  : 

«  -Si  l'on  ne  veille  pas  sur  les  principes,  les  détails  les  tueront. 
M.  Duport  est  nommé  président  du  tribunal  criminel  ;  il  refuse, 
parce  que  M.  Robespierre  est  nommé  accusateur  public.  On  peut 
examiner  son  motif,  puisqu'il  le  dit  ouvertement.  M.  Robespierre 
est,  suivant  M.  Duport,  un  homme  sans  mesure.  Raison  de  rester, 
pour  un  président  qui  croit  en  avoir  beaucoup,  et  qui  sera  à  portée 
de  tempérer  la  chaleur  de  l'accusateur.  Il  accusera  sans  raison, 
vous  le  condamnerez.  Il  accusera  en  flattant  le  peuple,  et  en  mettant 
ses  juges  dans  l'embarras  de  décider  contre  le  peuple  ou  contre  la 
loi.  Celui  qui  croit  à  cet  embarras  n'est  pas  digne  d'être  juge.  Il 
faut,  quand  on  monte  sur  le  siège,  être  décidé  à  condamner  le 
peuple,  s'il  a  tort,  à  braver  la  mort  s'il  le  faut.  Le  juge  qui,  ayant 
la  justice  pour  lui.  craint  le  peuple,  le  connoît  peu,  ou  connoît  trop 
sa  propre  foiblesse. 

«  M.  Robespierre  est  bon  patriote,  ferme  dans  les  principes, 
sourd  aux  considérations.  Voilà  ce  que  M.  Duport  devoit  voir  et 
respecter,  et  qui  devoit  excuser  à  ses  yeux  l'excès  de  patriotisme 
de  M.  Robespierre. 

«  Je  ne  vois  point  dans  l'Histoire  Romaine  que  Cicéron  ait  quitté 
le  consulat,  parce  qu'il  avoit  un  collègue  très-foible,  et  d'un  parti 
différent.  Si  le  collègue  est  pour,  tant  mieux  ;  s'il  est  contre,  il  faut 
rester,   on   l'en   combattra  d'autant  mieux. 

«  Les  hommes  ■  appelles  aux  places  se  laissent  trop  entraîner 
par  de  petits  calculs.  Par  exemple,  M.  D  and  ré  quitte,  parce  qu'il 
•regarde  comme  une  plaisanterie  d'être  accollé  avec  M.  Robespierre. 
Eh,  quoi  !  Démosthène,  dans  son  ambassade  vers  Philippe,  n'étoit-il 
pas  accollé  avec  le  bavard  et  vil  Demade,  avec  l'ivrogne  Policrate  ? 
Et!  de  quel  côté  est  ici  le  désavantage?  Un  patriote  ardent  ne 
vaut-il   pas    bien    un    modéré? 

((  J'.ai  admiré  la  combinaison  de  ces  choix.  M.  Duport  président, 
il  est  criminaliste.  M.  Robespierre  accusateur,  c'est  l'ennemi  le  plus 
implacable  dos  aristocrates.  M.  Dan  d  ré  substitut  de  M.  Robespierre, 
il  calmera  sa  fougue.  De  petites  vanités  ont  dérangé  tous  ces  calculs; 
et  on  se  vante  d'être  libres!  La  liberté  veut  bien  d'autres  sacrifices! 
Jn  le  vois,  on  n'y  cherche  que  î'égoïsme.  » 


504  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

les  violences  continuelles  que  j'ai  dénoncées  étoient  l'exécution  d'un 
autre  jugement  présumé,  s'il  suffisoit  qu'un  autre  membre  après  lui  eût 
dit  qu'il  y  avoit  de  l'audace,  de  la  part  d'un  représentant  de  la  nation 
à  présenter  à  l'assemblée  nationale  de  pareils  faits  (il  n'a  pas  dit  cela), 
pour  faire  pencher  avant  l'examen  la  balance  en  faveur  de  ceux  qui 
sont  dénoncés,  alors  ma  tâche  seroit  finie  :  je  me  trouverois  heureux 
personnellement  d'être  déchargé  d'un  devoir  trop  pénible  que  beaucoup 
d'hommes  ne  seroient  pas  tentés  de  remplir  à  ma  place  (à  droite  :  Oh! 
non). 

«  Mais  si  l'assemblée  veut  être  juste,  je  lui  rappelleroi  que  rien 
n'est  plus  futile  que  ce  qui  a  été  opposé  à  ce  que  j'ai  dit,  que  rien 
n'est  plus  indigne  du  caractère  d'un  représentant  de  la  nation  que  cette 
défaveur  que  l'on  a  voulu  répandre  sur  le  parti  que  j'ai  pris,  à  la  prière 
de  plusieurs  centaines  de  citoyens  opprimés,  de  dénoncer  le  fait  à  l'as- 
semblée nationale  (murmures);  et  rien  ne  prouve  mieux  la  justesse  des 
observations  que  je  viens  de  faire,  rien  ne  prouve  mieux  la  difficulté 
que  l'on  trouve  maintenant  à  défendre  les  opprimés,  que  la  malveillance 
continuelle  que  je  n'ai  cessé  d'éprouver  depuis  que  j'ai  pris  la  parole 
(applaudi). 

«  M.  Robespierre.  Je  méprise  ce  système  de  persécution  et  les 
inculpations  continuelles,  que  ces  mêmes  personnes  s'occupent  sans  cesse 
à  prodiguer  contre  ma  conduite  et  mes  principes  (Longs  murmures  à 
gauche).  J'en  appelle  au  tribunal  de  l'opinion  publique,  qui  jugera 
entre  nous  et  ces  lâches  détracteurs  de  la  loi. 

«  Pour  revenir  à  l'affaire  de  Brie-Comte-Robert,  je  n'ai  voulu 
demander  autre  chose  que  la  vérification  des  faits  le  plus  promptement 
possible.  Je  suis  fondé  sur  un  mémoire  signé  par  les  citoyens  reconnus 
les  plus  patriotes  dans  la  ville  de  Brie-Comte-Robert.  Si  on  m'en 
demande  davantage,  on  n'a  qu'à  chercher  des  principes  plus  satisfaisans 
dans  la  bouche  de  mes  adversaires. 

«  Plusieurs  voix.  A  l'ordre  du  jour  »  (4). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   171,  p.  708. 

«  M.  Robespierre.  Je  demande  le  renvoi  au  Comité  des  rapports 
d'une  autre  affaire  (5)  également  importante.  Vous  ne  croiriez  pas  que 
dans  un  tems  où  l'on  parle  de  justice  et  de  liberté,  on  exerce,  à  peu  de 
distance  de  la  capitale,  presque  sous  nos  yeux,  les  plus  horribles  vexa- 
tions contre  les  citoyens.  Les  habitans  de  Brie-Comte-Robert  sont  expo- 
sés depuis  lon-tems  aux  insultes  d'un  corps  de  troupes  qui  y  est  en  gar- 
nison. Récemment  encore,  au  milieu  de  la  nuit,  on  a  arraché  de  leurs 
lits  plusieurs  citoyens,  hommes  et  femmes,  on  les  a  garrottés,  mutilés, 
traînés  en  prison.  Les  auteurs  de  ces  violences  sont  les  chasseurs  d'Hai- 

(4)  Texte   reproduit  dans   les   Arch.    pari.,   XXVII,   318. 
<5)  Merlin  de  Douai  était  en  effet  venu   rendre  compte  aupara- 
vant des  événements  de  Cambrai. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  505 

nault,  égarés  par  des  suggestions  perfides,  favorisés  même  par  les  offi- 
ciers municipaux,  dont  l'élection,  si  les  lois  eussent  été  observées  avec 
sévérité,  vous  eût  déjà  été  dénoncée,  comme  l'ouvrage  de  la  violence. 
Il  n'est  pas  possible  de  souffrir  que  de  tels  désordres  subsistent  plus 
lon-tems  et  il  serait  malheureux  de  réduire  les  patriotes  à  la  nécessité 
de  repousser  l'oppression  par  la  force.  Je  demande  le  renvoi  de  cette 
affaire  au  Comité  des  rapports. 

«  M.  Murinais.  Je  demande  à  M.  Roberspierre  s'il  fait  l'appren- 
tissage de  son  emploi  d'accusateur  public. 

«  M  Roberspierre.  C'est  en  qualité  de  membre  de  l'Assemblée 
nationale  que  je  lui  expose  des  faits  qui  intéressent  essentiellement  le 
maintien  de  ra  constitution  et  de  la  liberté  publique;  je  n'ai  pas  parlé 
sur  cet  objet  sans  avoir  entre  mes  mains  des  pièces  propres  à  déterminer 
l'homme  le  plus  prudent.  S'il  suffisait  d'entendre  après  moi  un  membre 
de  l'Assemblée,  donner  pour  toute  réponse  qu'il  est  probable  que  les 
violences  dont  j'ai  parlé  ont  été  commises  en  vertu  d'un  jugement; 
s'il  suffisait,  pour  vous  empêcher  d'examiner  cette  affaire,  qu'un  autre 
après  lui,  vint  nous  dire  qu'il  y  a  de  l'audace  à  défendre  des  opprimés; 
qu'il  vint  pour  jeter  de  la  défaveur  sur  l'homme  qui  n'a  fait  que  remplir 
un  devoir  rigoureux,  alléguer  les  mots  d'ordre  public  et  d'insurrection; 
si  l'Assemblée,  enfin,  applaudissant  à  ces  déclamations,  faisait  pencher 
la  balance  en  faveur  des  oppresseurs  contre  les  opprimés,  je  serais  du 
moins  heureux  d'être  déchargé  d'une  tâche  pénible  que  beaucoup  d'au- 
tres n'eussent  pas  osé  entreprendre.  Mais  j'espère  que  l'Assemblée 
sentira  combien  il  serait  indigne  de  son  caractère  de  refuser  avec  une 
si  révoltante  partialité,  d'examiner  les  plaintes  des  opprimés.  Je  lui 
fais  observer  que  je  tiens  à  la  main  des  plaintes  signées  par  des  centaines 
de  citoyens;  et  qv.e  rien  ne  prouve  mieux  la  nécessité  de  vous  faire 
présenter  les  détails  de  cette  affaire,  par  l'organe  du  Comité  des  rap- 
ports, que  la  malveillance  dont  je  ne  cesse  d'éprouver  les  témoignages. 
Mais  je  méprise  ce  système  d'oppression,  et  les  inculpations  continuelles 
qu'on  cherche  à  répandre  contre  ma  conduite  et  mes  principes.  J'en 
appelle  au  tribunal  de  l'opinion  publique;  il  jugera  entre  mes  détrac- 
teurs et  moi.  Pour  revenir  à  l'affaire  dont  il  s'agit,  je  dis  que  je  ne 
demande  rien  autre  chose,  sinon  que  rassemblée  vérifie  les  faits;  et  que, 
pour  s'y  opposer,    il   faudrait   prouver  qu'ils   sont   faux   »    (6). 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  21  juin   1791,  p.  2. 

«  M.  Robespierre,  ensuite,  a  paru  sur  la  scène,  et  a  fait  la  pre- 
mière répétition  du  rôle  d'accusateur  public,  dont  les  bons  parisiens, 
amis  de  la  justice,  viennent  de  le  charger.  Des  insurrections,  mais  tr>«- 


(6)  Texte   reproduit  dans  le  Moniteur,   VIII,    700;   et   Bûchez   et 
Roux,    X,    210. 


506  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

populaires,  et  point  du  tout  aristocratiques,  se  sont  manifestées  à  Brie- 
Comte-Robert.  Par  ordre  de  rassemblée,  le  tribunal  de  Melun  a  infor- 
mé et  lancé  des  décrets.  La  municipalité  de  Brie  a  requis  les  chasseurs 
de  Hainault  de  saisir  les  coupables.  Les  soldats,  aussi  prudens  que 
dociles,  ont  choisi  la  nuit,  afin  d'éviter  le  scandale  et  la  résistance. 
Voilà  encore,  au  jugement  de  M.  Robespierre,  un  autre  projet  de  contre- 
révolution  en  l'air.  C'est  un  acte  de  tyrannie  de  la  part  des  soldats. 
Avocat  né  de  tous  les  scélérats,  il  dépeint  les  coupables  arrêtés  à  Brie, 
comme  des  victimes  du  despotisme  militaire;  les  chasseurs  de  Hainault, 
comme  des  tyrans  subalternes,  soudoyés;  la  municipalité,  comme  com- 
plice de  ces  noirs  attentats  contre  la  liberté  des  plus  vertueux  patriotes. 
On  lui  demande  la  preuve  de  si  graves  accusations.  Il  n'a  ni  pièces,  ni 
témoins  à  produire.  C'est  dans  son  cerveau  malade  seul,  que  se  broyent 
les  noires  couleurs  avec  lesquelles  il  peint  les  personnages  qu'il  met  sur 
la  scène.  Une  indignation  presque  générale  venge  cependant,  cette 
fois,  la  justice  des  outrages  de  son  ministre.  Mais  il  s'en  console  par 
l'espoir  que  l'opinion  publique  le  vengera,  à  son  tour,  du  système  de 
persécution  intenté  contre  lui,  par  les  lâches  détracteurs  de  la  loi.  C'est 
ainsi  qu'il  qualifie  les  membres  même  du  côté  gauche.  Quels  exploits 
ne  promet  pas  un  accusateur  public  de  cette  trempe  ?  Faut-il  s'étonner 
que  MM.  d'André,  Duport,  etc.,  aient  rougi  de  s'associer  à  ses  tra- 
vaux, et  mieux  aimé  abdiquer  leur  nouvelle  dignité,  que  d'avoir  à  lutter 
contre  sa  fougue,  ou  de  paroître  complices  de  ses  iniquités?  » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXIII,  n°  708,  p.  278. 

«  M.  Robespierre  a  dénoncé  des  attentats,  qu'il  a  dit  avoir  été 
commis  contre  la  liberté  civile  à  Brie-Comte-Robert,  par  les  chasseurs 
de   Hainaut,   à   la  réquisition   de   la   municipalité. 

«  Il  existe  donc,  disoit-il,  presque  sous  ses  yeux,  une  ville  livrée 
au  despotisme  militaire.  Au  milieu  de  la  nuit,  des  portes  ont  été  bri- 
sées, des  femmes  cruellement  traitées,  des  citoyens  traînés  en  pnson. 
Je  demande  que  l'assemblée  se  fasse  rendre  compte  de  cette  affaire. 

«  ...M.  Regnaud  demande  que  les  pièces  qui  prouvoient  les  délits 
commis  à  Brie  fussent  déposées  sur  le  bureau,  ou  que  M.  Robespierre 
signât  sa  dénonciation. 

«  M.  Robespierre  s'est  fortement  récrié  contre  cette  demande. 
Quand  un  représentant,  a-t-il  dit,  dénonce  un  fait  ou  un  délit,  sa  dénon- 
ciation seule  suffit,  et  ouand  il  s'agit  de  la  liberté  individuelle,  l'as- 
semblée qui  a  établi  la  liberté  des  citoyens  doit  s'occuper  de  la  recher- 
che d'un  tel  délit  et  le  punir  s'il  existe.  Au  surplus,  a-t-il  ajoufé,  je 
déposerai  sur  le  bureau  une  pièce  signée  d'un  grand  nombre  de  citoyens 
de  Brie  »  (7). 


(7)  Utilisé  par  E.  Hameî,  I,  479. 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  507 

L'Ami  du  Peuple  (Marat),  n°  499,  p.  2. 

<(  Dans  la  séance  du  17  (8),  M.  Robespierre  a  instruit  l'assemblée 
que  dans  une  ville  très-peu  éloignée  de  Paris,  les  citoyens  en  butte  à  des 
persécutions  et  des  vexations  attroces,  étaient  réduits  au  désespoir  le 
plus  affreux.  Les  chasseurs  de  Hainaut,  en  quartier  à  Brie-Comte-Robert, 
se  sont  portés  et  se  portent  tous  les  jours  à  de  nouveaux  actes  de  violence 
contre  les  habitans.  Dernièrement  encore,  pendant  la  nuit,  ils  sont 
entrés  par  force  dans  plusieurs  maisons,  et  après  avoir  arraché  de  leurs 
lits  plusieurs  citoyens  et  citoyennes,  les  avoir  garottés  et  maltraitée  hor- 
riblement, ils  les  ont  traînés  dans  des  cachots;  a  demandé  que  les  oppri- 
més obtinssent  enfin  justice,  et  que  l'affaire  fût  renvoyée  au  comité  des 
rapports,  pour  en  rendre  compte  à  l'assemblée  à  la  séance  du  mardi 
soir.  Ce  qui  a  été  arrêté.  » 

Journal  de  Paris,  21   juin  1791,  p.  689. 

u  Tandis  que  nous  faisons  ici  des  loix,  a  dit  M.  Roberspierre, 
tandis  que  nous  faisons  retentir  incessamment  ces  vérités  des  mots  de 
liberté,  d'humanité,  non  loir,  de  nous,  dans  une  ville  de  la  France, 
de  cette  terre  régénérée,  une  soldatesque  effrénée  foule  aux  pieds  les 
droits  sacrés  des  hommes,  elle  arrache  de  leurs  lits  les  citoyens  signalés 
par  leur  civisme,  elle  les  entraîne  dans  des  cachots  ouverts  par  un 
pouvoir  arbitraire.  Cette  ville  malheureuse  est  Brie-Comte-Robert;  cette 
soldatesque,  ce  sont  les  chasseurs  de  Hainault;  Tels  sont,  messieurs, 
a  ajouté  M.  Roberspierre,  les  attentats  que  je  vous  dénonce  :  j'ai  rempli 
mon  devoir,  remplissez  le  vôtre.   » 

La  Feuille  du  Jour,  t.  IV,  n°    172,  p.  698-9. 
L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  2  juillet  1791,  p.  731. 
Journal  de  la  Cour  et  de  la  Ville,  n°  56,  p.  144  (9). 

«  Je  dénonce,  dit  M.  Robespierre  à  l'assemblée  nationale  dans 
la  séance  du  18,  les  chasseurs  du  Hainaut,  pour  avoir  commis  des 
attentats  contre  la  liberté  individuelle...  pour  avoir,  presque  sous  les 
yeux  de  l'assemblée  nationale,  livré  la  ville  de  Brie-Comte-Robert  à 
l'esclavage  militaire;  pour  avoir  enfoncé  des  portes  au  milieu  de  la 
nuit,  traité  cruellement  des  femmes,  des  citoyens,  etc.,  etc.,  etc.  . 

«  Telles  sont  les  paroles  du  nouvel  accusateur  public  :  mais  si  par 
hasard  les  chasseurs  du  Hainaut  n'avoient  marché  à  Brie-Comte-Robert 
que  pour  donner  main  forte  à  la  gendarmerie  nationale  requise,  ainsi 
que  le  détachement  de  ce  corps,  par  le  tribunal  criminel  de  Melun...  ce 
qui  est  une  vérité  que  j'atteste; 

«  Si  de  plus  les  chasseurs  du  Hainaut  n'avoient  arrêté  des  citoyens 
et  citoyennes  de  Brie  qu'en  vertu  d'un  décret  de  prise-de-corps  lancé 

(8)  Il   s'agit  de  la   séance  du  18. 

(9)  Le  journal   ne   reproduit  que   le   premier   alinéa. 


508  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

contr'eux   par    le    susdit    tribunal...    ce    qui    est    une    autre    vérité    que 
j'atteste; 

«  Si  la  réquisition  du  tribunal  pour  donner  main-forte  à  la  gendar- 
merie nationale  est  déposée  en  forme  légale  à  l' état-major  des  chas- 
seurs du  Hainaut  que  je  commande...  ce  qui  est  encore  une  autre  vérité 
que  j'affirme...    » 

«  Signé:  Le  Colonel  SEGUR.   » 

Journal  des  Débats,  n°  759,  p.  2-3. 

«  M.  Robespierre  a  demandé  la  parole  pour  dénoncer  les  violences 
atroces  qu'il  prétend  avoir  été  commises  par  les  chasseurs  du  Régiment 
de  Hainaut,  contre  des  Citoyens  patriotes  de  la  ville  de  Brie-Comte- 
Robert.  Il  a  demandé  le  renvoi  de  cette  affaire  au  Comité  des  Rap- 
ports. 

((  M.  Buzot  a  appuyé  la  motion  de  M.  Robespierre. 

«  M.  Murinais  a  demandé  si  M.  Robespierre  faisoit  ainsi  son 
apprentissage  d'accusateur  public  à  Paris. 

«  S'il  suffisoit,  a  dit  M.  Robespierre,  d'avoir  entendu  un  Membre 
de  cette  Assemblée,  qui  allègue  d'autres  faits  que  ceux  que  j'ai  dénon- 
cés; s'il  suffisoit  d'avoir  entendu  un  autre  Membre  qui  a  saisi  cette 
occasion  pour  se  livrer  à  une  violente  sortie,  ma  tâche  seroit  finie,  et 
je  me  hâterois  d'abdiquer  un  devoir  trop  pénible,  que  peu  d'hommes 
peut-être  seroient  tentés  de  remplir.  Quoiqu'il  devienne  chaque  jour 
plus  difficile  de  faire  entendre  la  vérité,  je  m'opposerai  constamment 
à  ce  système  de  persécution.  » 

Mercure  de  France,  25  juin   1791,  p.  285.    * 

«  Dans  un  temps,  a  dit  M.  Roberspierre,  où  l'on  ne  parle  que  de 
justice  et  de  liberté,  on  exerce  les  plus  horribles  vexations  contre  les 
citoyens.  Ce  préambule  l'a  conduit  à  dénoncer  les  chasseurs  de  Hai- 
nault,  comme  ayant  arraché  de  leur  lit  plusieurs  hommes  et  femmes  de 
Brie-Comte-Robert,  de  les  avoir  garrottés,  mutilés,  traînés  en  prison. 
Il  a  demandé  le  renvoi  de  sa  dénonciation  au  comité  des  rapports;  ce 
qui  a  été  décrété. 

«  ...Traitant  ces  débats  de  déclamations,  et  s'autorisant  de  tout 
ce  qu'il  y  a  de  sacré  dans  la  défense  des  opprimés,  M.  Roberspierre 
a  répondu  que  s'il  dénonçoit  les  chasseurs  de  Hainault,  c'étoit  en 
ayant  en  main  des  plaintes  signées  de  plusieurs  centaines  de  citoyens. 
Rien  ne  prouve  mieux,  a-t-il  ajouté,  la  nécessité  de  vous  faire  présenter 
les  détails  de  cette  affaire  par  l'organe  du  comité  des  rapports,  que  la 
malveillance  dont  je  ne  cesse  d'éprouver  les  témoignages.  Mais.  Je 
méprise  ce  système  d'oppression  et  les  inculpations  continuelles  qu'on 
cherche  à  répandre  sur  ma  conduite  et  mes  principes.  J'en  appelle  au 
tribunal  de  l'opinion  publique.  Il  jugera  entre  mes  détracteurs  et  moi.  » 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  509 

Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  nationale,  19  juin  1791,  p.  462. 

«  L'Assemblée  a  encore  renvoyé  au  Comité  des  Rapports  la  dénon- 
ciation faite  par  M.  Roberspierre,  des  attentats  commis  contre  !a  liberté 
individuelle,  par  les  Chasseurs  de  Hainault,  à  la  réquisition  de  !a  Muni- 
cipalité de  Brie-Comte-Robert.  Un  Membre  ayant  soutenu  que  ces 
arrestations  avoient  été  faites,  en  exécution  de  décrets  de  prise-de-corps 
décernés  par  le  Tribunal  de  Melun,  M.  Regnault  de  Saint-Jean-d'An- 
gely,  s'est  fortement  élevé  contre  M.  Roberspierre,  qui,  affecté  du  ton 
et  des  réflexions  de  son  antagoniste,  a  déposé,  pour  justifier  sa  dénon- 
ciation, un  Mémoire  signé  d'un  grand  nombre  d'habitans  de  Brie.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  La  Feuille  du  Jour, 
t.  IV,  n°  171,  p.  689-90;  Le  Courrier  extraordinaire,  20  juin  1791, 
p.  2;  Le  Patriote  jrançois,  n°  681,  p.  685;  Les  Révolutions  de  Paris 
(Prudhomme),  n°  102,  p.  572;  Le  Journal  général,  n°  140,  p.  585; 
Le  Courrier  d'Avignon,  n°  149,  p.  596;  La  Correspondance  nationale, 
n°  37,  p.   190.] 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

305.  —  SEANCE  DU  19  JUIN  1791 
Sur  l'adresse  AUX  ASSEMBLÉES  PRIMAIRES  (suite) 


La  Société,  (après  diverses  interventions,  ouvre  la  discussion  sur 
un  écrit  de  'Sieyes,  dont  Goupil  de  Préfeln  signale  l'importance  (1). 
Laclos  demande  que  ce  débat  soit  renvoyé  au  lendemain,  pour  que 
la  Société  puisse  discuter  des  diverses  motions  qui  s'agitent  au  même 
moment  dans  les  sections.  (Robespierre  intervient  pour  demander 
à  donner  lecture  d'un  projet  d'adresse  aux  Assemblées  primaires  (2). 

L'impression  de  l'adresse  fut  arrêtée,  'au  nombre  de  trois  mille 
exemplaires,  ainsi  que  l'envoi  aux  (Sociétés  affiliées  et  aux  quarante- 
huit  sections. 

Journal  des  Débats  des  Amis  de  la  Constitution,  n°    12,  p.  2. 

«  M.  Robespierre,  Messieurs,  je  vous  demanderai  la  priorité  pour 
M.  Goupil,  après  que  vous  aurez  entendu  la  lecture  de  l'adresse  que 
vous  avez  ordonnée  à  votre  comité  de  correspondance  de  rédiger,  pour 
être   envoyée  aux  assemblées  primaires. 

O)  11  s'agit  de  la  «  Déclaration  proposée  par  l'abbé  Sieyès  aux 
patriotes  des  83  départements  n  (Cf.  Aulard,  II,  516  et  523.)  On  en 
trouvera  le  texte  dans  les  Révolutions  de  Paris,   n°   102,   p.   554. 

(2)   Cf.    ci-dessus    séance    des   Jacobins   du    10   juin    1791.    D'après 
G    W  al  ter  (Histoire  des  Jacobins,  p.  146),  Robeftpiérrê  aurait  accepté 
rie   rédiger  cette  adresse  le  19  au  matin  et  aurait  le   soir  même  pré- 
senté son  projet.  Il  était,  ainsi  admis  dans  le  Comité  de  Côrreep  >0 
danee    par  cooptation    et  en   signait   les   pièces. 


510  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  M.  Goupil  a  motivé  sa  motion,  sur  ce  que  l'écrit  de  M.  Syeies 
contenait  des  principes  contraires  à  la  liberté  (3).  M.  la  Clos  n'a  pas 
motivé  les  sujets  des  motions  à  discuter,  j'ignore  donc  s'ils  sont  bons 
ou  mauvais. 

«  Il  existe  dans  les  départemens,  un  parti  d'autant  plus  dange- 
reux, qu'il  se  pare  de  l'amour  de  la  liberté  et  de  l'attachement  à  la 
constitution,  le  but  de  ce  parti  est,  à  l'aide  de  la  précipitation  des 
élections,  de  porter  dans  la  prochaine  législature  une  grande  quantité 
de  gens  de  ce  parti. 

«  J'ai  demandé  la  discussion  après  la  lecture  de  l'adresse  aux 
assemblées  primaires,  qui  quoique  tardive  peut  encore  être  d'une  grande 
utilité.  Je  vous  prie  donc  d'accorder  quelques  instans  à  la  lecture  de 
cette  adresse,  que  le  comité  de  correspondance  m'a  chargé  de  rédiger. 

«  M.  Moreton.  Je  demande  qu'avant  d'entamer  cette  lecture, 
M.  Robespierre  veuille  bien  nous  dire  s'il  a  fait  part  de  sa  rédaction 
au  comité  qui  l'en  a  chargé. 

«  M.  Robespierre.  Je  n'ai  reçu  que  ce  matin  en  rentrant  de  l'as- 
semblée nationale,  la  lettre  par  laquelle  le  comité  me  chargeait  de 
cette  rédaction,  je  n'ai  pu  y  donner  d'autre  tems  que  le  court  intervalle 
qui  se  trouve  entre  ce  moment  et  notre  séance,  il  m'a  donc  été  impos- 
sible de  la  porter  au  comité.  Obligé  à  faire  un  petit  voyage  demain 
soir  (4),  il  m'eut  été  impossible  de  vous  la  lire  demain,  je  vous  prie 
d'excuser  les  fautes  de  rédaction  qui  pourront  s'y  trouver  en  faveur 
de  la  précipitation  avec  laquelle  elle  a  été  faite. 

«  Citoyens,  ce  serait  perdre  un  tems  précieux  que  de  vous  parler 
de  l'importance  des  élections  dont  vous  allez  vous  occuper.  Vous  savez 
que  les  électeurs  que  vous  allez  choisir,  nommeront  à  leur  tour  les 
députés  dont  dépendent,  ou  votre  bonheur  ou  votre  misère.  Vous  vous 
rendrez  donc  exactement  aux  assemblées  primaires,  vous  sur-tou*,  qui 
par  vos  faibles  moyens  pourriez  craindre  l'oppression,  songez  que  c'est 
vous  qu'il  importe  d'être  éclairés  sur  ces  choix  puisqu'il  est  question 
de  discuter  vos  plus  chers  intérêts.  Si  vous  êtes  obligés  par  là  à  des 
sacrifices,  la  raison,  la  justice  et  l'intérêt  public  vous  assurent  des  indem- 
nités. 

«  Dans  les  choix  que  vous  ferez,  songez  que  la  vertu  et  les  talens 
sont  nécessaires,  mais  que  des  deux,  la  vertu  est  la  plus  nécessa'ie 
encore.  La  vertu  sans  talens  peut  être  moins  utile,  les  talens  sans  vertu 
ne  peuvent  être  qu'un  fléau.  (On  applaudit).  Et  en  effet  la  vertu  sup- 
pose ou  donne  assez  souvent  les  talens  nécessaires  aux  représentans  du 
peuple.  Quand  on  aime  la  justice  et  la  vérité,  on  aime  les  droits  des 
citoyens,  on  les  défend  avec  chaleur. 


(3)  La  Déclaration  de  iSieyès  contenait  en  particulier  une  accep- 
tation de  principe  du  bicamérisme  et  imposait  la  soumission  aux  lois. 

(4)  Il   se    rendait   le    lendemain   à   Versailles   pour   la   commémo- 
ration du  Serment  du  Jeu  de  Paume  {cf.   ci-dessous,   n°  306). 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  5 1  I 

((  Tenez-vous  en  garde  contre  les  apparences  trompeuses.  Les  amis 
et  les  ennemis  de  la  liberté  se  présenteront  à  vous,  avec  les  mêmes 
dehors  et  le  même  langage.  Si  vous  voulez  vous  assurer  des  sentimens 
de  quelques  citoyens,  remontez  au  de-là  de  l'époque  où  vous  êtes 
aujourd'hui.  L'homme  ne  se  détache  pas  tout-à-coup  de  tous  les  pré- 
jugés qui  ont  formé  ses  sentimens. 

«  Si  une  fois  dans  la  vie,  un  homme  s'est  montré  vil,  ou  impitoya- 
ble, rejettez-Ie. 

«  Rejettez  ces  hommes  qu'on  a  vu  ramper  dans  les  cours  et  s'hu- 
milier heureusement,   aux  pieds  d'un  ministre  ou   d'une   femme. 

«  Leur  manière  est  changée,  leur  cœur  est  resté  le  même.  (On 
applaudit) . 

«  Ils  flattent  aujourd'hui  leurs  concitoyens,  comme  ils  flattaient 
les  tyrans  subalternes.  On  ne  devient  pas  subitement,  d'un  vil  adula- 
teur, d'un  lâche  courtisan,  un  héros  de  la  liberté.  (On  applaudit). 

«  Mais  si  vous  connaissiez  des  hommes  qui  ayent  consacré  leurs 
vies  à  venger  l'innocence,  si  vous  connaissiez  quelqu'un  d'un  caractère 
ferme  et  prompt  dont  les  entrailles  se  soient  toujours  émues  au  récit 
des  malheurs  de  quelques-uns  de  ses  concitoyens,  allez  le  chercher  au 
fond  de  sa  retraite,  priez-le  d'accepter  la  charge  honorable  et  pénible 
de  défendre  la  cause  du  peuple,  contre  les  ennemis  déclarés  de  sa 
liberté,  contre  ses  ennemis,  bien  plus  perfides  encore,  qui  se  couvrent 
du  voile  de  l'ordre  et  de  la  paix.  Ils  appellent  ordre,  tout  système  qui 
convient  à  leurs  arrangemens,  ils  décorent  du  nom  de  paix,  la  tran- 
quillité des  cadavres,  et  le  silence  des  tombeaux. 

«  Ce  sont  ces  personnages,  cruellement  modérés,  dont  il  faut  vous 
défier  le  plus.  Les  ennemis  déclarés  de  la  révolution,  sont  bien  moins 
dangereux.  Ce  sont  ceux-là  qui  assiègent  les  assemblées  primaires  pour 
obtenir  du  peuple,  qu'ils  flattent,  le  droit  de  l'opprimer  constitutionnelle- 
ment.  Evitez  leurs  pièges,  et  la  patrie  est  sauvée.  S'ils  viennent  à  bout 
de  vous  tromper,  il  ne  nous  reste  plus  que  de  réaliser  la  devise  qui  nous 
rallie  sous  les  drapeaux  de  la  liberté  :   Vivre  libre  ou  mourir. 

(On  demande  l'impression  sur  le  champ,  et  l'envoi  aux  sections 
assemblées)  (5). 

[Interventions  de  Laclos  et  d'Anthoine.] 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  m'oppose  pas  à  la  motion  de  M.  Antoine 


(5)  Texte  reproduit  par  Bûchez  et  'Roux,  X,  230-233,  depuis: 
a  Je  n'ai  reçu  que  ce  matin...  '»  jusqu'à  «  auix  sections  assemblées  ». 
Aulard  (II,  518)  se  .contente  de  résumer  brièvement  cette  partie  de 
l'intervention  de  Robespierre.  Par  contre,  il  reproduit  le  texte  de 
l'adresse  (p.  620-523)  d'après  la  brochure  de  la  B.iN.  Lb10  603,  qui 
est  identique  à  celui  que  publie  le  (Moniteur  universel  (t.  IV,  20 
juin  1791). 


512  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

(6),  mais  je  crois  devoir  répondre  à  M.  de  la  Clos  (7).  Il  croit  qu'il  est 
dangereux  de  manifester  l'opinion  de  la  société  sur  le  payement  des 
électeurs,  pour  moi,  je  crois  que  s'il  est  un  moyen  de  dégoûter  les 
citoyens  peu  aisés,  de  la  chose  publique,  c'est  de  les  placer  entre  cet 
intérêt  et  leur  intérêt  particulier. 

«  Tel  est  l'effet  de  l'opinion  de  ceux  qui,  sous  l'apparence  de 
désintéressement,  veulent  éloigner  des  élections,  la  partie  peu  fortunée 
du  peuple.  Il  ne  doit  pas  être  douteux  que  les  électeurs  soient  payés, 
afin  que  la  classe  nombreuse  et  intéressante  pour  qui  je  parle,  soit 
dédommagée  des  sacrifices  qu'elle  est  forcée  de  faire  à  la  chose  publi- 
que. Et  lorsqu'on  assure  des  traitemens  aux  représentans  du  peuple, 
aux  juges,  à  des  places  de  finances,  lorsqu'on  donne  vingt-cinq  millions 
au  chef  du  pouvoir  exécutif,  pourquoi  n'en  donnerait-on  pas  à  la  partie 
intéressante  des  citoyens,  lorsqu'elle  sacrifie  son  tems  et  ses  travaux. 
(On  applaudit)  (8). 

[Intervention  de  Rcederer]   (9). 

«  M.  Robespierre.  L'observation  de  M.  Rœderer  porte  sur  un 
fait  qui  n'est  pas  exact.  Il  suppose  qu'il  était  décidé  que  les  électeurs 
ne  seraient  pas  payés  cette  année,  et  cela  n'est  pas  décidé.  La  motion 
en  fut  faite  il  y  a  quelques  jours  à  l'Assemblée  nationale.  M.  Démeu- 
nier, rapporteur,  n'a  pas  du  tout  éloigné  cette  idée,  et  l'avis  des  mem- 
bres de  l'Assemblée  m'a  paru  y  être  favorable.  J'ai  donc  cru  pouvoir 
annoncer  cet  avis  dans  un  moment  où  il  s'agit  de  porter  un  plus  grand 
nombre  de  citoyens  dans  les  assemblées  primaires,  qui  en  général  sont 
peu  nombreuses  »  (10). 


(6)  Anthoine  demandait  le  renvoi  de  l',adresse  au  Comité  de  Cor- 
respondance. 

(7)  Laclos  s'élevait  contre  le  passage  dans  lequel  Robespierre 
donnait   aux   électeurs    l'espoir   qu'ils    seraient   payés. 

(8)  La  question  ifut  posée  dans  la  séance  du  3  décembre  1790 
et  renvoyée  aux  Comités.  Elle  ne  fut  résolue  par  La  négative  que  le 
7    septembre   1791. 

(9)  Hoederer  fait  à  nouveau  remarquer  qu'il  n'y  a  pas  de  fonds 
prévus  pour  rémunérer  les  électeurs  cette  année. 

(10)  Après  rectification  de  la  phrase  visée  qui  devient:  «  La 
raison,  la  justice  et  l'intérêt  public  sollicitent  pour  vous  »,  l'impres- 
sion est  arrêtée.  Le  20  juin,  plusieurs  citoyens  de  diverses  sections 
viennent  remercier  la  Société  de  l'envoi  de  l'Adres'se  (Journal  des 
Débats  de  la  Société...,   n°  13). 


les  discours  de  robespierre  513 

Société  des  Amis  de  la  Constitution  de  Versailles 

306.  —  SEANCE  DU  20  JUIN  1791 

Sur  l'anniversaire  du  serment  du  Jeu  de  Paume 

Le  17  juin,  la  iSociété  des  Ami§  de  la  Constitution  de  Versailles 
avait  arrêté  de  célébrer  l'anniversaire  du  serment  du  Jeu  de  Paume, 
dans  la  salle  même  où  les  députés  aux  Etats  généraux  s'étaient 
réunis  le  20  juin  1789. 

Robespierre,  présent  à  la  séance,  y  prit  la  parole. 

Journal  des  Amis  de  la  Constitution  de  Versailles,  n°  9,  p.  10-11  et  15. 

«  ...La  séance  s'ouvrit  à  sept  heures  en  présence  et  au  milieu 
d'un  concours  nombreux  de  citoyens  de  tout  âge  et  de  tout  sexe.  Une 
foule  immense  occupait  les  rues  adjacentes,  la  vaste  salle  du  Jeu  de 
Paume  était  pleine  jusqu'à  la  voûte  :  tout  présentait  l'image  de  la 
journée  du  20  juin  1789. 

«  La  présence  d'un  des  plus  intéressans  acteurs  de  cette  sainte 
conjuration  ajoutait  encore  à  la  majesté  de  la  scène.  M.  Robespierre, 
comme  il  l'avait  annoncé  dans  la*  lettre  que  nous  avons  rapportée  dans 
notre  dernier  numéro,  se  rendit  ce  jour-là  à  la  société;  non  pas  sans 
doute  pour  la  convaincre  de  la  pureté  de  ses  motifs  en  acceptant  la 
place  d'accusateur  public  à  Paris,  de  préférence  à  celle  de  juge  au 
tribunal  de  Versailles,  il  ne  devait  pas  être  inquiet  de  l'opinion  des 
amis  de  la  constitution  à  son  sujet  ;  il  venait  plutôt  s'attendrir  avec  ses 
frères  sur  cette  dure  séparation,  et  se  consoler  avec  eux,  en  vue  du 
bien  général,  des  sacrifices  que  la  patrie  commande  impérieusement  à 
ceux  qui  la  servent.  Il  a  traité  d'une  manière  plus  développée  et  plus 
étendue  les  raisons  qu'il  avait  indiquées  dans  sa  lettre  :  il  a  témoigné 
les  regrets  les  plus  sincères  et  les  moins  équivoques  de  quitter  une 
ville  où  [en  blanc  dans  le  texte]  fixer  son  séjour.  Il  a  rappelle  tous 
les  liens  qui  l'y  attachaient,  et  n'a  point  oublié  l'époque  célèbre  dont 
les  circonstances  lui  retraçaient  le  souvenir  et  l'image  (1). 

a  C'est  ainsi,  disait-il,  que  nous  étions  pressés  par  cette  foule  de 
généreux  citoyens  qui  excitaient  notre  courage  et  soutenaient  notre 
fermeté.  Les  accens  de  son  éloquence  vive  et  touchante  remuaient  tout 
le  coeur;  mais,  bientôt  passant  de  l'attendrissement  à  l'enthousiasme, 
le  salut  de  la  patrie  l'a  emporté  sur  toutes  les  autres  considérations, 
et  l'assemblée  a  vivement  applaudi  celui  qu'elle  craignait  si  fort  de 
perdre.  Tout  le  monde  a  été  convaincu  que  ce  vertueux  et  intrépide 
défenseur  des  droits  du  peuple  était  le  plus  propre  à  remplir  les  nou- 
velles et  importantes  fonctions  auxquelles  il  était  appelle.  En  effet,  quel 

(1)  Ilobcspierre  avait  dû,  le  13  juin,  après  son  élection  au  poste 
d'accusateur  public  près  le  tribunal  criminel  de  Paris,  donner  sa 
démission  de  juge  du  tribunal  du  district  de  Versailles.  (Cf.  G.  Mi- 
chon,   I,   110-113;  et  E.    Hamel,  I,   477). 

hitiiUM-l!  nul  35 


51  4  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

est  l'homme  (ce  sont  les  expressions  de  M.  Couturier)  (2),  quel  est 
1  homme  qui  oserait  jetter  la  première  pierre  à  ses  concitoyens  égarés 
ou  coupables,  si  ce  n'est  l'homme  vierge,  l'homme  incorruptible,  qui 
ne  s'est  jamais  écarté  du  sentier  du  patriotisme  et  de  la  vertu.   » 

«  ...La  séance  a  été  levée,  après  neuf  heures,  au  jeu  de  paume, 
et  de  suite  les  membres  de  la  société,  ayant  M.  Roberspierre  au  milieu 
d'eux,  se  sont  rendus  au  lieu  ordinaire  de  leurs  séances.  Pendant  tout 
le  trajet,  des  battemens  de  mains  sans  fin,  des  cris  multipliés  de  vive 
Roberspierre,  vive  la  nation,  vive  les  amis  de  la  constitution,  don- 
naient à  cette  marche  l'air  d'un  triomphe.  Jamais  accueil  ne  fut  plus 
flatteur  ni  mieux  mérité  que  celui  que  reçut  M.  Robespierre  de  tous  les 
citoyens  de  Versailles.    » 


(2)   Président  de  la  Société. 


307.  —  SEANCE  PERMANENTE  DU  21  JUIN  1791  (1) 
Sur  la  fuite  du  Roi 


lrc  intervention  (21    juin  au  matin):  Sur  les  mesures  à  prendre 

Au  début  de  la  séance,  le  président  annonce  à  l'Assemblée  que 
m  le  roi  et  une  partie  de  sa  famille  ont  été  enlevés  cette  nuit  par 
les  ennemis  de  la  chose  publique  »  (2).  L'Assemblée  donne  aussitôt 
ordre  à  tous  les  fonctionnaires  publics  et  à  tous  les  représentants 
de  la  force  armée,  de  prendre  toutes  les  mesures  nécessaires  «  pour 
arrêter  ledit  enlèvement  ».  Elle  décide  ensuite  d'adresser  une  pro- 
clamation aux  citoyens  de  Paris,  pour  les  inviter  à  se  tenir  «  prêts 
à  agir,  pour  le  maintien  de  l'ordre  public  et  la  défense  de  la  patrie, 
suivant  les  ordres  qui  leur  seront  donnés  d'après  les  décrets  de 
l'Assemblée  nationale  ».  La  séance  se  poursuit  dans  la  plus  grande 
agitation;  les  motions  se  multiplient.  Il  est  donné  lecture  de  la 
Proclamation  du  iroi  à  tous  les  Français,  à  <sa  sortie  de  Paris: 
Barnave  demande  qu'avant  toute  chose  ce  mémoire  soit  paraphé  par 
Laporte,  intendant  de  la  liste  civile,  qui  l'a  remis  sur  le  bureau  de' 
l'Assemblée,  et  par  le  président.  11  propose  en  outre  que  les  com- 
mandants des  troupes  .actuellement  à  Paris,  soient  mandé?  à  la 
barre,  pour  y  prêter  leur  serment  d'obéissance  à  l'Assemblée  et  y 
recevoir  ses  ordres.  Robespierre  intervient  alors  pour  la  première 
fois. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t. XXVIII,  p.  194. 

«,  M.  Robespierre    Je  ne  puis  que  m'étonner  que  dans  de  pareilles 

circonstances,    on    ne    propose    que    des    mesures    aussi    insignifiantes    et 

(1)  La  nouvelle  d'un  prochain  départ  du  roi  circulait  dans  Paris 
depuis  plusieurs  jours.  >(Cf.  la  lettre  attribuée  à  Marie-Antoinette 
et  publiée  par  l'Orateur  du  Peuple,  n°  49).'  Voir  également  a  ce  sujet 
Bûchez   et   Roux,    X,    213;   E.    Hamel,   I,    483;   et  Seligman,    II.    24-26. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  5)5 

aussi  illusoires,  et  qu'on  n'offre  à  la  nation,  pour  garant  unique,  qu'un 
nouveau  serment  après  tant  d'autres.  Les  autres  mesures  déjà  prises  par 
l'assemblée  nationale  me  paraissent  également  foibles  et  insuffisantes; 
mais  je  crois  en  même  tems  que  ce  moment-ci  n'est  pas  propice  à  pré- 
parer les  hommes;  qu'il  faut  connoître  plus  particulièrement  les  circons- 
tances qui  tiennent  au  grand  événement  qui  nous  occupe,  avant  de  vous 
proposer  d'autres  mesures;  et  qu'il  faut  d'abord  méditer  profondément. 
Ce  que  l'assemblée  nationale  doit  faire  pour  ne  point  tromper  la  nation, 
c'est  d'avertir  tous  les  bons  citoyens  de  veiller  sur  les  traîtres,  et  au 
salut  de  la  chose  publique  »  (3). 

Le  Point  du  Jour,   t.   XXIII,   p.   332. 

«  M.  Robespierre  trouvoit  étonnant  que  dans  des  circonstances 
aussi  importantes,  on  ne  proposât  d'autres  mesures  qu'un  serment.  L'as- 
semblée nationale,  disoit-il,  doit  inviter  tous  les  citoyens  à  veiller  sur 
les  traîtres.  » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    174,  p.  719. 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  puis  que  m'étonner  de  ce  que  l'on  pro- 
pose des  mesures  aussi  molles;  je  crois  que  celles  déjà  adoptées  sont 
également  faibles,  mais  il  faut  connaître  plus  particulièrement  les  cir- 
constances, et  en  attendant,  il  faut  veiller  sur  les  traîtres  et  sur  le  salut 
de  la  chose  publique  »  (4). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Creuset,  t.  II,  n°  51, 
p.  487;  Le  Journal  de  la  Noblesse,  t.  II,  n°  26  B,  p.  207;  Le  Journal 
de  Rouen,  n°  174,  p.  840.] 

2e  intervention  (21  juin  au  soir)  : 

La  séance  suspendue  un  moment,  reprend  à  cinq  heures  du  soir. 
Regnaud  de  Saint-Jean-d'Angély  propose  de  donner  une  garde  d'hon- 
neur aux  ministres  ou  ambassadeurs  étrangers  résidant  à  P«aris,  dont 
quelques-uns  témoignent  de  l'inquiétude.  Un  député  s'élève  contre 
cette  proposition  que  la  tranquillité  du  peuple  de  Paris  rend  abso- 
lument inutile.  Regnaud  retire  sa  motion  et  demande  que  les  ambas- 
sadeurs actuellement  en  France  soient  .avertis  qu'ils  peuvent  con- 
tinuer leurs  relations  avec  le  ministre  des  affaires  étrangères.  Il 
propose  en  second  lieu  que  les  ministres  et  ambassadeurs  de  France 
près  les  cours  étrangères  reçoivent  l'ordre  de  continuer  leurs  tra- 
vaux, leurs  négociations  et  leurs  correspondances,  comme  à  l'ordi- 
naire. 

Mialgré  les  observations  de  Robespierre,  l'Assemblée  décréta 
ces  deux  propositions. 


(•1)  Sur  l;i  fuit!'  du  roi  et  son  arrestation  à  Varennes,  voir  aux 
Aich.   nat.    clans  la  série  D  XXIX  bis,  les  cartons  «'55.  36,   37,  38. 

('■',)  Texte   reproduit   dans   les   Arch.    pari.,    XXVII,   3b4. 

(4)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  7-23;  et  Bûchez  et 
Roux,   X,   275. 


516  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t. XXVIII,  p.  194. 

«  M.  Robespierre.  Il  me  semble  que  les  mesures  partielles,  propo- 
sées par  les  deux  préopinans,  sont  absolument  étrangères  à  l'objet  de 
votre  délibération  actuelle.  Je  ne  vois  pas  pourquoi  vous  rendriez  .in 
décret  particulier  et  formel  pour  M.  de  Montmorin.  Jusqu'à  présent, 
vous  n  avez  pas  renvoyé  les  ministres  actuels;  vous  avez  même  rendu 
un  décret,  ce  matin,'  qui  semble  confirmer  les  ministres  dans  leurs  fonc- 
tions (5).  Ainsi  nul  besoin  d'un  décret  particulier,  pour  attirer  sur  lui, 
d'une  manière  spéciale,  la  confiance  de  la  nation,  et  pour  dire  aux 
nations  étrangères  qui  sont  accoutumées  à  correspondre  avec  le  ministre, 
qu'elles  doivent  particulièrement  correspondre  avec  lui.  Il  est  inutile 
de  vous  occuper  actuellement,  et  de  M.  de  Montmorin  qui  est  dans  la 
classe  des  autres  ministres,  et  de  ce  qui  peut  concerne;  bs  ambassa- 
deurs étrangers  qu'aucun  citoyen  françois  n'a  voulu  ni  ne  \  _ut  attaquer. 
Je  demande  donc  que  vous  passiez  à  l'ordre  du  jour  sur  une  telle  motion 
(murmures),  et  que  vous  vous  occupiez  des  mesures  qu'exigent  de  vous 
les  circonstances  actuelles.  (Murmures)  »  (6). 


3e  intervention  (21   juin  au  soir)  : 

Fréteau  demande  qu'il  soit  dépêché  des  courriers  aux  puis- 
sances étrangères,  peur  leur  témoigner  que  la  nation  française 
restera  fidèle  à  ses  traités.  Démeunier,  Robespierre,  Charles  Lameth 
s'élèvent  -contre   cette  proposition. 

Fréteau   retira   sa  motion. 

Journal  général  de  France,  23  juin  1791,  p.  699. 

«  M.  Fréteau,  qui  bientôt  a  retiré  sa  motion,  demandait  qu'il  fût 
expédié  des  Couriers  extraordinaires  à  toutes  les  Cours  pour  leur  assurer 
que  la  Nation  Française  resteroit  toujours  fidelle  aux  traités;  mais 
M.  Desmeuniers,  M.  Robertspierre  et  M.  Charles  Lameth  se  sont 
élevés  contre  sa  proposition,    n 

Le  Patriote  François,  n°   684,  p.   701. 

«  Ces  idées  [de  M.  Desmeuniers]  ont  été  combattues  par  M.  Ro- 
bespierre; elles  ont  été  soutenues  par  M.  Charles  Lameth,  qui  a  carac- 
térisé l'absence  du  roi,  non  pas  un  enlèvement,  mais  une  fuite,  une 
désertion,  et  qui  la  croit  appuyée  de  quelque  complot.  M.  Fréteau  a 
retiré  sa  motion.  » 


(5)  >Sur  la  proposition  de  Dandré,  l'Assemblée  avait  autorisé  les 
ministres  à  se  réunir  dans  l'hôtel  du  Sceau  de  l'Etat,  en  vertu  de 
l'article  de  la  Constitution  qui  porte  qu'en  l'absence  du  roi,  les 
ûunistres  se  réuniront  en  conseil  et  seront  .autorisés  à  délibérer  et 
à    signer    des   proclamations    et   autres    actes   d'administration. 

(6)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXVII,   386. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  517 

4e  Intervention  (21    juin   au   soir) 

Le  président  demande  à  l'Assemblée  si  elle  autorise  la  lecture 
druue  adresse  de  la,  section  de  la  Croix-Houge,  qui  proteste  de  son 
respect  pour  l'Assemblée  et  de  son  obéissance  pour  tous  les  décrets 
sanctionnés  ou  non  (7).  Thuault,  député  du  tiers  état  de  la  séné- 
chaussée de  Ploërmel,  proteste  et  demande  le  renvoi  de  cette 
adresse  au  département.  Robespierre  insiste  pour  qu'elle  soit  lue  à 
l'Assemblée. 

L'Assemblée  décida  d'entendre  la  lecture  de  l'adresse  de  la 
section  de  la  Croix^Rouge.   Elle  reprit  ensuite  son  ordre  du  jour. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t. XXVIII,  p. 205. 

«  M    Robespierre.    Je  demande   que   la   section   soit  entendue. 

Plusieurs    voix.    Non,    non... 

M.  Robespierre.  Lorsqu'il  s'agit  du  salut  public,  le  peuple  seul 
peut  y  pourvoir  (quelques  applaudissemens). 

M.  Thuault.  Le  département  est  là,  et  c'est  par  lui  que  la  section 
peut  se  faire  entendre. 

M.  Robespierre.  C'est  parce  que  le  département  est  là  que  je 
demande  que  la  section  soit  entendue. 

M.  le  Président.  J'observe  que  la  Section  ne  demande  pas  à  être 
entendue.  C'est  un  arrêté  qu'elle  a  pris,  et  qu'elle  envoyé  à  l'assem- 
blée nationale,  et  duquel  elle  désire  que  l'assemblée  prenne  connois- 
sance. 

M.  Robespierre.  Il  est  indécent  qu'un  membre  de  cette  assem- 
blée refuse  d'entendre  une  section,  le  peuple  peut  être  trahi.  (Murmu- 
res)  »   (8). 

Le  Point  du  Jour,  t.   XXIII,  p.   337. 

«  M.  Robespierre  soutient  que  la  Section  doit  être  entendue,  parce 
(que)  lorsqu'il  s'agit  du  salut  public,  le  peuple  seul  doit  y  pourvoir.   » 

(7)  L'Assemblée  xavait,  le  matin  même,  ordonné  «  que  les  décrets 
rendus  ou  à  rendre,  non  sanctionnés  par  le  roi,  à  raison  de  son 
absence,  auront  néanmoins  provisoirement  force  de  loi  dans  toute 
l'étendue  du  royaume  ». 

(8)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXVII,  389. 

Société  des  Amis  de  la  Conetitution 

308.  —  SEANCE  DU  21   JUIN   1791   (1) 

Sur  les  mesures  a  prendre  après  la  fuite  du  Roi 


Le  21  juin,  étant  donné  les  circonstances,  la  Société  des  Jacobins 
tient  une  séance  extraordinaire  dès  midi.  La  séance  est  assez  avai>- 


(1)  Cf.  AuLard,  II,  531. 


518  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

cée,  et  de  nombreuses  députations  se  sont  présentées,  quand  Robes- 
pierre monte  à  la  tribune 

L'Ami  du  Peuple  (Marat),   n°   515,  9  juillet   1791. 

L'Orateur  du  Peuple,  t.  VI,  n°   54,  p.   435-459. 

Les  Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t. VII,  n°  82,  rv  162  à  '73  (2) 

Dénonciation  des  Pères  conscrits  vendus  à  la  Cour,  traîtres,  cons- 
pirateurs, et  contre  révolutionnaires,  par  le  seul  homme  pur  et  incor- 
ruptible, qu'il  y  eut  dans  l'Assemblée  Nationale  :  ou  tableau  de  la  si- 
tuation  des   Affaires   publiques   par    M.    Robespierre. 

«  Tourmenté  d'une  migraine  violente  qui  m'ôte  la  faculté  de  pen- 
ser, je  prends  le  parti  de  mettre  aujourd'hui  sous  les  yeux  de  mes  lec- 
teurs le  superbe  discours  de  Robespierre,  à  la  Tribune  des  Jacobins 
le  surlendemain  de  la  fuite  de  la  famille  Capet.  On  y  verra  !a  confir- 
mation de  la  plupart  des  inculpations  que  je  n'ai  cessé  de  faire  depuis 
près  de  deux  ans  contre  les  députés  du  peuple,  les  ministres,  le  général 
et  autres  fonctionnaires  publics,  tous  vendus  au  monarque  pour  rétablir 
le   despotisme.    » 

DISCOURS  DE  M.  ROBESPIERRE 

«  Ce  n'est  pas  à  moi  que  la  fuite  du  premier  fonctionnaire  public 
devait  paraître  un  événement  désastreux.  Ce  jour  pouvait  être  le  plus 
beau  de  la  révolution;  il  peut  le  devenir  encore,  et  le  gain  de  40  mil- 
lions d'entretien  que  coûte  l'individu  royal  serait  le  moindre  des  bien- 
faits de  cette  journée.  Mais  pour  cela,  il  faudrait  prendre  d'autres 
mesures  que  celles  qui  ont  été  adoptées  par  l'assemblée  nationale,  et  je 
saisis  un  moment  où  la  séance  est  levée  pour  vous  parler  de  ces  mesures, 
qu'il  me  semble  qu'il  eût  fallu  prendre  et  qu'il  ne  m'a  pas  même  été 
permis  de  proposer. 

«  Le  roi  a  choisi,  pour  déserter  son  poste,  le  moment  où  l'ouver- 
ture des  assemblées  primaires  allait  réveiller  toutes  les  ambitions,  toutes 
les  espérances,  tous  les  partis,  et  armer  une  moitié  de  la  nation  contre 
l'autre,  par  l'application  du  décret  du  marc  d'argent,  et  par  les  distinc- 
tions ridicules  établies  entre  les  citoyens  entiers,  les  demi-citoyens  et 
les  quarterons  (3).  II  a  choisi  le  moment  où  la  première  législature,  à  îa  fin 
de  ses  travaux,  dont  une  partie  est  improuvée  par  l'opinion,  voi*  de  cet 
oeil  dont  on  regarde  son  héritier,  s'approcher  la  législature  qui  va  la 
chasser,  et  exercer  le  veto  national  en  cassant  une  partie  de  ses  actes. 


.(2)  Discours  reproduit  par  Bûchez  et  Roux,  X,  289-296;  par  les 
Editions  du  Centaure,  op.  cit.,  p.  42  et  suiv.  ;  et  par  Oh.  Vellay, 
op.  cit.,  p.  72  à  78.  Nous  donnons  ici  le  texte  de  l'Ami  du  Peuple. 
On  remarquera  qu'il  ne  présente,  sauf  pour  quelques  mots,  aucune 
différence  avec  celui  de  Camille  Desmoulins.  iSans  aucun  doute, 
ces  trois  journaux  transcrivent  le  même  texte. 

(3)  C'est-à-dire,  les  citoyens  élisribles,  les  simples  actifs  et  les 
passifs  assimilés  aux  quarterons,   enfants  de  blancs  et  de  mulâtres. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  519 

II  a  choisi  le  moment  où  des  prêtres  traîtres  ont  par  des  mandemens  et 
des  bulles,  mûri  le  fanatisme  et  soulevé  contre  la  constitution  tout  ce 
que  la  philosophie  a  laissé  d'idiots  dans  les  83  départemens.  Il  a  attendu 
le  moment  où  l'empereur  et  le  roi  de  Suède  seraient  arrivés  à  Bruxelles 
pour  le  recevoir,  et  où  la  France  serait  couverte  de  moisson,  de  sorte 
qu'avec  une  bande  très  peu  considérable  de  brigands  on  pût,  la  torche 
à  la  main,  affamer  la  nation  (4). 

«  Mais  ce  ne  sont  point  ces  circonstances  qui  m'effraient.  Que 
toute  l'Europe  se  ligue  contre  nous  et  l'Europe  sera  vaincue.  Ce  qui 
m  épouvante,  moi,  Messieurs,  c'est  cela  même  qui  me  parai*  rassurer 
tout  le  monde.  Ici,  j'ai  besoin  qu'on  m'entende  jusqu'au  bout;  ce  qui 
m'épouvante  encore  une  fois,  c'est  précisément  cela  même  qui  semble 
rassurer  tous  les  autres.  C'est  que  depuis  ce  matin,  tous  nos  ennemis 
parlent  le  même  langage  que  nous.  Tout  le  monde  est  réuni.  Tous  ont 
le  même  visage,  et  pourtant  il  est  clair  qu'un  roi  qui  avait  40  millions 
de  rentes  (5),  qui  disposait  encore  de  toutes  les  places,  qui  avait  encore 
la  plus  belle  couronne  de  l'univers  et  la  mieux  affermie  sur  sa  tête, 
n'a  pu  renoncer  à  tant  d'avantages  sans  être  sûr  de  les  recouvrer. 

«  Or,  ce  ne  peut  pas  être  sur  l'appui  de  Léopold  et  du  roi  de 
Suède,  et  sur  l'armée  d'outre-Rhin  qu'il  fonde  ses  espérances.  Que 
tous  les  brigands  d'Europe  se  liguent,  et,  encore  une  fois,  ils  sont 
vaincus. 

«  C'est  donc  au  milieu  de  nous,  c'est  dans  cette  Capitale,  que  le 
roi  fugitif  a  laissé  les  appuis  sur  lesquels  il  compte  pour  sa  rentrée 
triomphale  :  autrement,   sa  fuite  serait  trop  insensée  (6). 

«  Vous  savez  que  trois  millions  d'hommes  armés  pour  la  liberté 
seraient  invincibles;   il  a  donc  un  parti  puissant  et  de  grandes   intelli- 


(4)  On  retrouve  ici  l'un  des  soupçons  qui  avaient  été  à  l'origine 
de  la  Grande  Peur  de  1789. 

(5)  La  liste  civile  avait  été  fixée,   le  26  mai  1791,   à  25  millions, 
non  compris  le  revenu  des  domaines  laissés  au  roi. 

(6)  Cf.  Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t.  VII,  n°  82, 
p.  180-182  :  «  Il  étoit  difficile  à  des  citoyens  convaincus  qu'il  n'y 
avoit  pas  un  mot  qui  ne  fût  vrai  dans  le  discours  de  Robespierre, 
de  partager  la  joie  publique  ;  et  chaque  moment  ajoutant  à  la  cer- 
titude de  mes  preuves  que  les  complices  de  l'évasion  du  roi  étoient 
dans  la  capitale,  et  y  étoient  tout  puissans.  nous  ne  pensions  qu'aux 
moyens  de  faire  revenir  les  citoyens  de  leur  aveuglement  par  un 
coup  d'état.  L'Orateur  du  Peuple  [Fréron]  avoit  conduit  à  la  sec- 
tion du  Théâtre  Français,  dans  la  soirée  de  mardi,  une  femme  qui 
l'avoit  prévenu  du  départ  du  roi,  et  dont  les  dires  jettoient  une 
grande  lumière  sur  le  complot  ténébreux.  Cette  femme  ayant  per 
BÎsté  dans  sa  déclaration,  je  pensai  qu'il  ne  falloit  pas  donner  aux 
traîtres  le  teins  de  se  reconnoitre  et  de  prendre  des  mesures,  et  je 
fi;:  la  motion  de  produire  sur  le  champ  nos  témoins,  d'engager 
Robespierre  à  accuser  hautement  dans  l'assemblée  nationale,  et  à  la 
I  ice  'le  la  nation,  le  commandant  général  et  le  maire,  que  la  veille 
il  avoit  déjà  désignes  assez  clairement  aux  Jacobins  comme  les-  com 


520  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

gences  au  milieu  de  nous;  et  cependant  regardez  autour  de  vous,  et 
partagez  mon  effroi,  en  considérant  que  tous  ont  le  même  masque  de 
patriotisme.  Ce  ne  sont  point  des  conjectures  que  je  hasarde,  ce  sont 
des  faits  dont  je  suis  certain;  je  vais  tout  vous  révéler,  et  je  défie  ceux 
qui  parleront  après  moi  de  me  répondre. 

a  Vous  connaissez  le  mémoire  que  Louis  XVI  a  laissé  en  par- 
tant (7);  vous  avez  pris  garde  comment  il  marque,  dans  la  constituî'on,  les 
choses  qui  le  blessent  et  celles  qui  ont  le  bonheur  de  lui  plaire.  Lisez 
cette  protestation  du  roi,  et  vous  y  saisirez  tout  le  complot.  Le  roi  va 
reparaître  sur  les  frontières,  aidé  de  Léopold,  du  roi  de  Suède;  de 
d'Artois,  de  Condé,  de  tous  les  fugitifs  et  de  tous  les  brigands,  dont 
la  cause  commune  des  rois  aura  grossi  son  armée.  On  grossira  encore 
à  ses  yeux  les  forces  de  cette  armée  ;  il  paraîtra  un  manifeste  paternel, 
tel  que  celui  de  l'empereur,  quand  il  a  reconquis  le  Brabant  (8).  Le  roi 
y  dira  encore  comme  il  a  dit  cent  fois  :  Mon  peuple  peut  toujours 
compter  sur  mon  amour.  Non-seulement  on  y  vantera  les  douceurs  de 
la  paix,  mais  celles  mêmes  de  la  liberté.  On  proposera  une  transaction 
avec  les  émigrans,  paix  éternelle,  amnistie,  fraternité.  En  même  tems 
les  chefs,  dans  la  capitale  et  dans  les  départemens  avec  qui  ce  projet 
est  concerté,  peindront  de  leur  côté  les  horreurs  de  la  guerre  civile. 
Pourquoi  s' entr' égorger  entre  frères  qui,  tous,  veulent  être  libres?  Car 
Bender  et  Condé  se  diront  patriotes  plus  que  nous. 

«  Si,  lorsque  vous  n'aviez  point  de  moisson  à  préserver  de  l'in- 
cendie ni  d'armée  ennemie  sur  vos  frontières,  le  comité  de  constitution 
vous  a  fait  tolérer  tant  de  décrets  nationicides,  balancerez-vous  à  céder 
aux  insinuations  de  vos  chefs,  lorsqu'on  ne  vous  demandera  que  des 
sacrifices  d'abord  très  légers,  pour  amener  une  réconciliation  générale. 
Je  connais  bien  le  caractère  de  la  nation.  Des  chefs  qui  ont  pu  vous 
faire  voter  des  remerciemens  à  Bouille  pour  la  Saint-Barthéîemi  des 
patriotes  de  Nancy,  auront-ils  de  la  peine  à  amener  à  une  transaction, 
à  un  moyen  terme  un  peuple  lassé,  et  qu'on  a  pris  grand  soin  jusqu'ici 


plices  de  l'enlèvement.  Aussitôt  la  section  rromma  une  députation 
de  12  membres  et  nous  conduisons  cette  femme  à  l'assemblée  natio- 
nale. 

«  Robespierre  et  Buzot,  que  nous  consultions,  furent  entraînés 
par  la  .contenance  assurée  du  témoin,  et  par  l'ensemble  de  la  dépo- 
sition ;  mais  ils  étoiént  grandement  embarrassés  sur  les  mesures  à 
prendre.  Tous  les  membres  de  l'assemblée  étoient  contre-révolution- 
naires de  fait,  quelques-uns,  sans  le  savoir,  mais  beaucoup  sciem- 
ment, et  les  autres  par  peur.  Nous  serons,  disoient-ils  repoussés 
de  la  tribune,  renvoyés  au  comité  des  recherches,  et  notre  accu- 
sation ira  s'inscrire  sur  ce  registre  mortuaire  des  dénonciations. 
Péthion  vint,  qui  accrut  l'embarras,  et  enraya  Robespierre,  qui 
d'abord,  étoit  assez  disposé  à,  enlever  d'assaut  .la  réputation  de  Bailly 
et  de  La  Fayette  »  (mentionné  par  G.  Walter,  p.  175). 

(7)  Publié   par   le  Moniteur,    VIII,    721. 

(8)  Voir  le  Moniteur,  VI,  323  et  331. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  521 

de  sevrer  des  douceurs  de  la  liberté,  pendant  qu'on  affectait  d'en 
appesantir  sur  lui  toutes  les  charges,  et  de  lui  faire  sentir  toutes  les 
privations,  qu'impose  le  soin  de  la  conserver.  Et  voyez  comme  tout 
se  combine  pour  exécuter  ce  plan,  et  comme  l'assemblée  nationale 
elle-même  marche  vers  ce  but  avec  un  concert  merveilleux. 

«  Louis  XVI  écrit  à  l'assmblée  nationale,  de  sa  main,  il  signe 
qu'il  prend  la  fuite,  et  l'Assemblée,  par  un  mensonge,  bien  lâche, 
puisqu'elle  pouvait  appeller  les  choses  par  leur  nom,  au  milieu  de  3  mil 
lions  de  bayonnettes;  bien  grossier,  puisque  le  roi  avait  eu  l'impru- 
dence d'écrire  lui-même  on  ne  m'enlève  pas,  je  pars  pour  revenir  vous 
subjuguer;  bien  perfide,  puisque  ce  mensonge  tendoit  à  conserver  au 
ci-devant  roi  sa  qualité  et  le  droit  de  venir  nous  dicter,  les  armes  à  la 
main,  les  décrets  qui  lui  plairont,  l'assemblée  nationale,  dis-je,  aujour- 
d'hui, dans  vingt  décrets,  a  affecté  d'appeller  la  fuite  du  roi  un  enlève- 
ment. On  devine  dans  quelle  vue. 

«  Voulez- vous  d'autres  preuves  que  l'assemblée  nationale  trahit 
les  intérêts  de  la  nation  ?  Quelles  mesures  a-t-elle  prises  ce  matin  ? 
Voici  les  principales.  Le  ministre  de  la  guerre  continuera  de  vaquer 
aux  affaires  de  son  département,  sous  la  surveillance  du  Comité  mili- 
taire; le  ministre  des  affaires  étrangères  sous  la  surveillance  du  Comité 
diplomatique.  De  même  des  autres  ministres. 

«  Or,  quel  est  le  ministre  de  la  guerre  ?  (9)  C'est  un  homme  que  je 
n'ai  cessé  de  vous  dénoncer,  qui  a  constamment  suivi  les  eriemens  de  ses 
prédécesseurs,  persécutant  tous  les  soldats  patriotes,  fauteur  de  tous  les 
officiers  aristocrates. 

«  Qu'est-ce  que  le  comité  militaire  chargé  de  le  surveiller?  (10) 
C'est  un  comité  tout  composé  de  colonels  aristocrates  déguisés,  et  nos 
ennemis  les  plus  dangereux.  Je  n'ai  besoin  que  de  leurs  œuvres  pour  les 
démasquer.  C'est  du  comité  militaire  que  sont  partis  dans  ces  derniers 
tems  les  décrets  les  plus  funestes  à  la  liberté. 

(Ici  Robespierre  a  commenté  quelques-uns  de  ces  décrets;  et  pièces 
à  la  main,  il  a  prouvé  que  le  comité  militaire  regorgeait  de  traîtres,  qu'il 
n'avait  toujours  fait  qu'un  avec  Duportail,  que  Duportail  était  la  créa- 
ture du  co.mité,  et  que  la  surveillance  du  ministre  par  le  comité,  son 
compère,  était  une  dérision  !) 

«  Et  le  ministre  des  affaires  étrangères,  a-t-il  ajouté,  quel  est-il  ? 
C'est  un  Montmorin  qui,  il  y  a  un  mois,  il  y  a  quinze  jours,  vous  répon- 
dait, se  faisait  caution  que  le  roi  adorait  la  constitution  (11).  C'est  à  ce 
traître  que  vous  abandonnez  vos  relations  extérieures,  sous  la  surveillance 
de  qui  ?  du  comité  diplomatique,  de  ce  comité  où  règne  un  d'André,  et 


<9)  Duportail. 

(10)  Voir    sa  composition.    Arch.    pari.,    XXXII,    560. 
{11)  Circulaire  du  23  avril   (Moniteur,   VIII,  213)  ;  lettre  à  l'As- 
semblée,   1er  juin   (ibid.,    571). 


522  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

dont  un  de  ses  membres  me  disait,  qu'un  homme  de  bien,  qu'un  homme 
qui  n'était  pas  un  traître  à  sa  patrie,  ne  pouvait  pas  y  mettre  le  pied  ! 

«  Je  ne  poursuivrai  pas  plus  loin  cette  revue.  Lessart  (12)  n'a  pas 
plus  ma  confiance  que  Necker  qui  lui  a  laissé  son  manteau. 

«  Citoyens,  viens-je  de  vous  montrer  assez  la  profondeur  de  l'abîme 
qui  va  engloutir  notre  liberté.  Voyez-vous  assez  clairement  la  coalition 
des  ministres  du  roi,  dont  je  ne  croirai  jamais  que  quelques-uns,  sinon 
tous,  n'aient  pas  su  la  fuite  7  Voyez-vous  assez  clairement  la  coalition 
de  vos  chefs  civils  et  militaires;  elle  est  telle  que  je  ne  puis  pas  croire 
qu'ils  n'aient  pas  favorisé  cette  évasion,  dont  ils  avouent  avoir  été  si 
bien  avertis  !  Voyez-vous  cette  coalition  avec  vos  comités,  avec  l'assem- 
blée nationale  !  Et  comme  si  cette  coalition  n'était  pas  assez  forte, 
je  sais  que  tout  à  l'heure  on  va  vous  proposer  à  vous-mêmes  une  réunion 
avec  tous  vos  ennemis  les  plus  connus:  dans  un  moment,  tout  89,  le 
maire,  le  général,  les  ministres,  dit-on,  vont  arriver  ici.  Comment 
pourrions-nous  échapper  !  Antoine  commande  les  légions  qui  veulent 
venger  César;  et  c'est  Octave  qui  commande  les  légions  de  la  répu- 
blique. 

«  On  nous  parle  de  réunion,  de  nécessité  de  se  serrer  autour  des 
mêmes  hommes.  Mais,  quand  Antoine  fut  venu  camper  à  côté  de  Lé- 
pidus  et  parla  aussi  de  se  réunir,  bientôt  il  n'y  eut  plus  que  le  camp 
d'Antoine,  et  il  ne  resta  plus  à  Brutus  et  à  Cassius  qu'à  se  donner 
la  mort. 

«  Ce  que  je  viens  de  dire,  je  jure  que  c'est  dans  tous  les  points, 
la  plus  exacte  vérité.  Vous  pensez  bien  qu'on  ne  l'eût  pas  entendue 
dans  l'assemblée  nationale.  Ici  même,  parmi  vous,  je  sens  que  ces  véri- 
tés ne  sauveront  pas  la  nation,  sans  un  miracle  de  la  providence,  qui 
daigne  veiller  mieux  que  vos  chefs  sur  les  gages  de  la  liberté.  Mais 
j'ai  voulu  du  moins  déposer  dans  votre  procès- verbal  un  monument  de 
tout  ce  qui  va  vous  arriver.  Du  moins  je  vous  aurai  tout  prédit,  je 
vous  aurai  tracé  la  marche  de  nos  ennemis  et  on  n'aura  rien  à  me 
reprocher.  Je  sais  que  par  une  dénonciation  pour  moi  dangereuse  à  faire, 
mais  non  dangereuse  pour  la  chose  publique;  je  sais  qu'en  accusant, 
dis-je,  ainsi  la  presqu'universalité  de  mes  confrères  les  membres  de 
l'assemblée,  d'être  contre-révolutionnaires,  les  uns  par  ignorance,  les 
autres  par  terreur,  d'autres  par  un  ressentiment,  par  un  orgueil  blessé, 
d'autres  par  une  confiance  aveugle,  beaucoup  parce  qu'ils  sont  corrom- 
pus, je  soulève  contre  moi  tous  les  amours-propres,  j'aiguise  mille  poi- 
gnards, et  je  me  dévoue  à  toutes  les  haines;  je  sais  le  sort  qu'on  me 
garde;    mais   si   dans   les   commeneemens   de    la   révolution,    et   lorsque 


(12)  Claude-Antoine  Valdec  de  'Lessart,  maître  des  requêtes  à  la 
Cour  des  Aides  de  Paris,  contrôleur  général  des  finances  en  1790, 
ministre  de  l'Intérieur,  puis  des  Affaires  étrangères  en  1791,  mas- 
sacré à  Versailles  le  9   septembre   1792. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  523 

j'étais  à  peine  apperçu  dans  l'assemblée  nationale;  si,  lorsque  je  n'y 
étais  vu  que  de  ma  conscience,  j'ai  fait  le  sacrifice  de  ma  vie,  à  la 
vérité,  à  la  liberté  et  à  la  patrie;  aujourd'hui  que  les  suffrages  de  mes 
concitoyens,  qu'une  bienveillance  universelle,  que  trop  d'indulgence, 
de  reconnaissance,  d'attachement  m'ont  bien  payé  de  ce  sacrifice,  je 
recevrai  presque  comme  un  bienfait  une  mort  qui  m'empêchera  d'être 
témoin  des  maux  que  je  vois  inévitables.  Je  viens  de  faire  le  procès 
à  toute  l'assemblée  nationale,  je  lui  dénie  de  faire  le  mien  »  (13). 

Le  Défenseur  du  Peuple,  n"  3,  p.  2-5. 

«  Discours  de  M.  Roberspierre  aux  Jacobins  :  on  le  connaît,  ma's 
pas  assez;  des  morceaux  de  cette  force  peignent  le  caractère  de  l'au- 
teur; il  regardera  sans  doute  comme  un  service  rendu,  notre  attention 
à  publier  ses  phrases  moelleuses. 

«  Le  représentant  d'Arras  répète  ce  que  d'autres  ont  dit.  que 
l'assemblée  nationale,  qui  a  décrété  la  plus  parfaite  égalité  possible, 
a  créé  quatre  ordres  au  lieu  de  trois;  il  dit  qu'elle  a  distingué  des 
blancs,  des  noirs,  des  métis,  des  quarterons;  ce  réchauffé  peut  être 
vrai;  mais  un  collègue  tel  que  lui  devait  s'opposer  au  décret  avant 
qu'ii  fût  prononcé  :  après  sa  sanction,  son  devoir  est  de  le  défendre 
et  d'espérer  une  modification.  Il  se  garde  bien  de  prononcer  son  discours 
au  milieu  du  sénat,  mais  aux  Jacobins,  de  l'indulgence  de  qui  il  semble 
douter  encore.  Il  analyse  le  mémoire  que  le  roi  a  laissé  en  partant,  et 
c'est  avec  toute  la  rigueur  qu'on  connaît  à  ce  député  qui  veut  acquérir 
une  popularité  distinguée  aux  dépens  de  celle  de  ses  co-législateurs. 

«  Voulez- vous  d'autres  preuves  que  l'assemblée  a  trahi  la  nation  ?  » 
L'avons-nous  bien  lu  ?  N'y  a-t-il  pas  ici  une  faute  soldée  de  typogra- 
phie ?   Trahir  la  nation!  Et  c'est  un  député  que  la  chronique,   scanda- 


(13)  C.  Desmoulins  fait  suivre  ce  discours  du  commentaire  ci- 
après:  ((  Voilà,  autant  que  je  m'en  souviens,  la  substance  du  discours 
de  mon  cher  Robespierre.  Que  ne  puis-je  rendre  cet  abandon,  cet 
accent  de  patriotisme  et  d'indignation  avec  lesquels  il  l'a  prononcé! 
11  fut  écouté  avec  cette  attention  religieuse  dont  on  recueille  les 
dernières  paroles  d'un  mourant.  C'était  en  effet  comme  son  testa- 
ment de  mort  qu'il  venait  déposer  dans  les  archives  de  la  société. 
Je  n'entendis  pas  ce  discours  avec  autant  de  sang-froid  que  je  le 
rapporte  en  ce  moment,  où  1 '(arrestation  du  ci-devant  roi  a  changé 
la  face  des  affaires.  J'en  îvts  affecté  jusqu'aux  larmes  en  plus  d'un 
endroit;  et  lorsque  cet  excellent  citoyen  au  milieu  de  son  discours, 
parla  de  la  certitude  de  payer  de  sa  tête  les  vérités  qu'il  venait  de 
dire,  m'étant  écrié:  Nous  mourrons  tons  'avant  toi,  l'impression  que 
son  éloquence  naturelle  et  la  force  de  ses  discours  faisaient  sur 
l'Assemblée  était  telle.,  que  plus  de  800  personnes  se  levèrent  toutes 
à  la  fois  et  entraînées  comme  moi  par  un  mouvement  involontaire, 
firent  un  serment  de  se  rallier  autour  de  .Robespierre,  et  offrirent 
un  tableau  admirable  par  le  feu  de  leurs  paroles,  l'action  de  leurs 
mains,  de  leurs  chapeaux,  de  tout  leur  visage,  et  par  l'inattendu  de 
cette   inspiration   soudaine.   » 


524  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

leuse  ou  non,  dit  être  du  sang  de  Damien,  qui  se  permet  cette  injure 
qui  doit  lui  aliéner  à  jamais  l'estime  de  ses  pairs?  Nous  disons  voulez- 
vous  savoir  à  propos  de  quoi  cette  sortie  ?  Il  s'agit  de  dénoncer  M.  de 
Montmorin  et  le  comité  diplomatique,  et  tous  les  autres  ministres  in 
globo;  puis  il  fait  des  particularités,  et  M.  Duportail  qui  persécute  les 
soldats  patriotes,  est  peint  comme  le  fauteur  des  officiers  aristocrates  : 
nous  en  doutons,  car  nous  avons  la  preuve  acquise  qu'une  justice  méri- 
tée par  de  très  longs  services,  n'a  été  obtenue  de  lui  qu'après  plusieurs 
mois  d'attente.  Qu'est-ce  que  le  comité  militaire  chargé  de  le  surveiller  ? 
Ce  sont  des  membres  choisis  par  l'assemblée  nationale,  parmi  lesquels 
nous  ne  connaissons  que  M.  le  Chevalier  de  Franc,  homme  plein  d'hon- 
neur, et  que  nous  aimons  à  croire  l'égal  de  ses  camarades;  M.  de  Mont- 
morin n'est  appelé  que  traître;  c'est  une  bagatelle,  on  connaît  le  style 
honnête  de  M.  Roberspierre.  Vient  ensuite  le  comité  diplomatique  où 
règne  un  M.  Dandré,  et  dont  un  de  ses  membres  disait  à  l'orateur 
véhément  qu'un  homme  de  bien  ne  pouvait  y  mettre  le  pied.  Pendant 
que  M.  Roberspierre  était  en  train  de  dénoncer,  il  aurait  bien  dû  nom- 
mer cet  honnête  homme,  et  mieux  encore  cet  excellent  patriote  aurait 
dû  se  retirer  de  ce  comité  coupable,  et,  de  mieux  en  mieux,  M.  Robers- 
pierre devrait  quitter  l'assemblée  nationale  où  vous  allez  voir  qu'il  ne 
reconnaît  que  des  coquins,  ou  à -peu-près.  M.  de  Lessart,  revêtu  du 
manteau  de  M.  Nec^er,  ne  vaut  pas  mieux  que  lui.  Puis  le  grand  Arté- 
sien nous  montre  la  lanterne  magique  :  «  Voyez-vous  la  coalition  des 
ministres  du  Roi  ?  Voyez-vous  la  coalition  de  vos  chefs  civils  et  mili- 
taires. Voyez-vous  leur  coalition  avec  vos  comités,  avec  l'assemblée 
nationale,  etc..  ?  »  M.  Roberspierre,  nouveau  Nostradamus,  prédit  tout 
ce  qui  doit  arriver,  et  n'arrivera  pas.  Il  finit  par  accuser  «  la  presque 
universalité  de  ses  confrères  d'être  contre-révolutionnaires,  les  uns  par 
ignorance,  les  autres  par  terreur,  d'autres  par  une  confiance  aveugle, 
beaucoup  parce  qu'ils  sont  corrompus  ».  Ceci  est  flatteur  au  possible: 
nous  ne  craignons  pas  que  le  dénonciateur  aiguise,  ainsi  qu'il  le  prétend, 
mi//e  poignards  contre  lui,  nous  savons  pardonner  des  excès  de  ce  genre; 
il  ne  pourrait,  à  toute  force,  que  redouter  une  correction  plus  douce;  il 
n'aura  point  l'honneur  de  mourir  victime  de  sa  démagogie,  et  l'assem- 
blée nationale,  malgré  ses  injures,  ne  perdra  point  de  sa  dignité.  » 

Mercure  universel,  t.  IV,  p.  405. 

«  M.  Robespierre.  J'ai  vu  aujourd'hui  des  citoyens  remplis  du  saint 
amour  de  la  liberté;  j'ai  cru  qu'il  étoit  des  mesures  à  prendre;  je  viens 
vous  exposer  celles  que  je  crois  indispensables.  Je  suis  convaincu  qu  un 
roi  qui  se  détermine  à  renoncer  à  25  millions  de  rentes,  à  des  châteaux 
immenses,  à  un  grand  pouvoir,  un  roi  qui  se  détermine  à  abandonner 
une  aussi  riche  proie  que  le  trône  de  France,  ne  s'y  détermineroit  pas 
s'il  ne   comptait   sur  un  parti   très  puissant.   Des   forces  extérieures   ne 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  525 

pouvant  être  redoutables  à  trois  millions  d'hommes  armés,  j'ai  pensé 
qu'il  falloit  porter  nos  regards  dans  l'intérieur  du  royaume. 

«  Une  nation  seroit  imprudente  et  j'ose  dire  insensée,  si  elle  ne 
prenoit  tous  les  moyens  qui  sont  en  sa  puissance  pour  déterminer  sa 
sûreté.  Jusqu'à  présent,  qu'a-t-on  fait  ?  Les  ministres  ont  été  mandés  à 
la  barre,  mais  on  leur  a  confirmé,  ou  peu  s'en  faut,  les  pouvoirs  qu'ils 
avoient  (14):  ils  sont  sous  la  surveillance  des  comités;  mais  qu'est-ce 
que  des  comités  ?  Ni  ces  comités,  ni  les  ministres,  je  l'avoue,  ne  peu- 
vent avoir  ma  confiance  :  quand  je  ne  parlerois  pas  du  désarmement 
des  gardes  nationales,  de  l'infortuné  Muscar  (15),  laissé  injustement 
dans  les  fers,  des  malheureux  soldats  de  Bourgogne  (16)  condamnés  aux 
galères,  tant  d'autres  faits  connus  que  je  pourrois  citer,  m'obligent  à 
déclarer  que  le  ministre  de  la  guerre  ne  peut  avoir  ma  confiance. 

«  Quant  à  M.  de  Montmorin,  ne  peut-il  pas  être  soupçonné,  ce 
ministre  de  l'ancien  régime  de  «'avoir  pas  envers  le  peuple  les  dispo- 
sitions désirables  ?  Quel  est  M.  de  Montmorin  ?  qu'on  le  juge  par  les 
faits.  Il  n'y  a  pas  quinze  jours  encore  qu'à  l'assemblée  nationale  iî  osa 
se  plaindre  d'un  article  du  Moniteur  sur  l'éclaircissement  donné  des 
contre-lettres  envoyées  dans  les  cours  pour  démentir  cette  lettre  consti- 
tutionnelle que  lui-même  avoit  signée  (17). 

«  Maintenant,  le  roi  est  parti,  et  ses  ministres  régnent  à  sa  place. 
Avant  ce  départ,  eux  seuls  concentroient  en  leurs  mains  le  pouvoir 
royal,  rien  n'est  changé;  or,  le  roi  désormais  va  se  concerter  avec  nos 
ennemis,  et  ses  ministres  seront  chargés  de  nous  défendre.  Qui  osera 
me  dire  que  c'est  pourvoir  à  son  salut  que  de  laisser  à  la  tête  de  l'ar- 
mée, dans  ce  moment,  des  officiers  qui  sont  esclaves-nés  de  l'ancien 
régime  ?  que  de  se  confier  à  des  ministres,  dont  il  n'est  pas  bien  prouvé 
que  la  cour  se  soit  trompée  en  les  choisissant  ?  Une  foule  de  patriotes 
de  l'Empire  dépose  contre  ses  ministres. 

«  Ce  matin,  l'assemblée  nationale  a  reçu  de  la  main  du  roi  lui- 
même  un  manifeste,  dans  lequel  il  se  plaint  de  la  prétendue  spoliation 
de  son  royaume  (18);  selon  lui  encore,  dans  les  idées  de  ce  roi  plei.i  de 

<14)  Cf.  ci-dessus,  séance  permanente  de  l'Assemblée.  2e  inter- 
vention. 

(15)  Muscard,  bas  officier  du  régiment  de  Vivarais.  Cf.  ci-dessus, 
séance  des  Jacobins  du  20  mars  1791. 

(16)  Il   s'agit  sans   doute   de  l'affaire  de  Nancy. 

(17)  Cf    ci-dessus,    séance   du    1er  juin    1791. 

fis)  Au  cours  de  la  séance  permanente  de  l'Assemblée  nationale 
(21  juin  au  matin),  le  ministre  Laporte,  intendant  de  la  liste  civile, 
mandé  à  la  barre,  avait  remis  au  président  un  billet  et  un  mémoire 
de  iLouis  XVI,  que  lui  avait  transmis  un  domestique  du  premier 
valet  de  chambre  du  roi.  A  K  demande  de  Charles  Lameth,  un 
secrétaire  avait  donné  lecture  de  cette  Proclamation  du  roi  à  tous 
lûç  Français  à  sa  sortie  de  Paris.  Sur  la  proposition  de  Barnave, 
l'Assemblée  décréta  que  ce  mémoire  serait  signé  et  paraphe  jpar 
Laporte  et  par  le  président  de  l'Assemblée. 


526  LES   DISCOURS   DE    ROBESPIERRE 

candeur,  de  ce  roi  honnête  homme,  la  France  est  sa  métairie,  et  les 
Français  ses  vassaux.  Seroit-ce  donc  qu'un,  roi  ne  penseroit  pas  même 
avoir  à  remplir  les  obligations  des  devoirs  d'un  homme  ?  Si  cela  étoit, 
les  rois  seroient  donc  des  fléaux  dont  la  présence  afflige  et  pèse  sur  les 
peuples?  Nous  sommes  arbitres  de  nos  destinées;  elles  peuvent  nous 
échapper  pour  jamais  :  les  Français  doivent  y  penser  (applaudi).  Je  ne 
voudrois  donc  pas  que  les  ministres  de  la  nation  en  fussent  les  arbitres; 
je  ne  voudrois  donc  pas  qu'un  petit  nombre  d'individus  sacrifiassent  la 
nation  à  leurs  intérêts.  On  cherche  à  établir  des  dissensions,  des  trou- 
bles; on  cherche  à  dégoûter  le  peuple;  on  voudroit  que,  las  des  maux 
qu'il  endure,  ce  peuple  affamé  demandât  du  pain  à  ses  tyrans  et  que, 
riches  de  ses  dépouilles,  ces  mêmes  tyrans  lui  en  restituassent* quelque 
peu  pour  le  forcer  d'accepter,  non  le  retour  de  l'ancien  régime,  on  sait 
que  cela  ne  se  peut  pas,  mais  une  douce  constitution  machiavélique  ! 
On  voudroit  vous  ministérialiser  ;  déjà  toutes  les  batteries  sont  dres- 
sées; on  séduira  les  hommes  foibles;  on  leur  fera  entendre  qu'un  roi 
et  des  ministres  sont  au  monde  les  biens  les  plus  doux,  les  plus  dési- 
rables!... Mais  une  anecdote  que  je  ne  puis  croire,  c'est  qu'on  répète 
que,  dans  cette  enceinte  même,  vous  allez  voir  arriver  les  ministres!... 
(Point  de  ministres,  point  de  ministres,  disent  mille  voix  à  l'instant)  (19). 

«  M.  Danton.  Je  prends  ici  l'engagement  le  plus  sacré  de  porter 
ma  tête  sur  l'échafaud,  où  la  leur  doit  tomber  (20). 

«  M.  Robespierre.  Je  voudrois  que  les  députés  des  communes  se 
souvinssent  qu'eux  seuls  sont  les  vrais  représentans  du  peuple,  qu'ils  en 
sont  les  plus  fermes  appuis.  Je  voudrois  qu'à  rassemblée  nationale  ils 
fissent  régner  dans  leurs  délibérations,  la  plus  belle  des  loix  pour  un 
peuple  libre,  celle  du  silence;  je  voudrois  que  l'on  se  souvînt  du  jour 
où  nous  vîmes  à  Paris,  au  milieu  de  deux  haies  de  citoyens  armés,  qui 
n'étoient  pas  des  riches,  mais  qui  offroient  le  spectacle  le  plus  sublime  ! 
(21).  Qu'il  fut  heureux  ce  jour  où  les  députés  rassemblés  au  Jeu  de 
Paulme,  firent  serment  de  mourir  libres  !... 

(Un  mouvement  imprévu  saisit  l'assemblée;  tous  les  Amis  de  la 
Constitution  se  lèvent,  tous  s'écrient  avec  l'énergie  et  le  courage  de 
la  liberté  ;  Jurons  tous  de  vivre  libre  ou  de  mourir.  Sitôt  après  arrivent 
les  Députés  patriotes  de  l'assemblée  nationale,  qui  se  réunissent,  aux 
Amis  de   la   Constitution  pour   ne   former  désormais   avec   eux   qu'une 

:(19)  Il  n'a  jamais  été  question  d'ame  visite  des  ministres  aux 
Jacobins. 

(20)  Panton  qui  est  en  uniforme  de  la  garde  nationale,  debout 
près  de  la  tribune  (G.  Walter,  Histoire  des  Jacobins,  p.  164)  s'écrie 
alors:  «  Si  les  traîtres  se  présentent  dans  .cette  assemblée,  je  prend  i 
rengagement  formel  de  porter  ma  tête  sur  ai  ri  échafaud,  ou  de  prou- 
ver que  la  leur  doit  tomber  aux  pieds  de  la  Nation  qu'ils  ont  tra- 
nie  !  <»  Cité  par  E.  Hamel,  I,  491,  "et  par  Aulard,  II,  533.  Cf.  égale- 
ment  A.    Lameth,    Histoire    de    la   Constituante,    I,    124. 

(21)  Cf.    Discours,    lre   partie,    p.    38. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  527 

sainte  ligue  de  défenseurs  du  peuple  et  de  la  liberté.  (Les  applaudisse- 
mens  redoublent)  (22). 

«  M.  Robespierre.  Qu'il  fut  heureux,  ce  moment  où  les  repré- 
sentai du  peuple  étoient  exempts  de  toute  influence  funeste.  Ce  moment 
est  changé,  mais  la  nation  tout  entière  reste  encore  !  Il  reste  encore  la 
majorité  des  bons  Français,  il  reste  encore  leur  courage,  leur  amour 
pour  la  liberté,  leur  résolution  de  mourir  libres  !  J'ai  prévu  toute  l'éten- 
due des  mesures  que  je  viens  d'exposer,  et  de  la  démarche  que  je  fais 
aujourd'hui  ;  je  n'en  serai  pas  moins  tranquille  sur  la  destinée  qui 
m'attend  :  l'on  m'a  calomnié,  mais  aujourd'hui  que  la  générosité  de 
ce  peuple,  qui  m'a  déjà  payé  mille  vies,  me  donne  un  nouveau  courage, 
je  la  lui  sacrifie,  cette  vie  que  j'aime  à  consacrer  pour  sa  défense; 
et  si  je  suis  victime  de  quelque  méprisable  cabale,  je  mourrai  du  moins 
avec  un  nom  cher  à  la  postérité  (très  applaudi)  »  (23). 

Procès-verbal  de  la  séance  du  21  juin  1791  de  la  Société  des  Amis 
de  la  Constitution  de  Paris,  séante  aux  Jacobins 

«  M.  Robespierre  est  monté  à  la  tribune.  Il  a  fait,  en  peu  de 
mots,  le  détail  de  ce  qui  s'est  passé  à  l'Assemblée  nationale  et  des 
mesures  qu'elle  avait  prises  en  cette  circonstance.  Il  a  énoncé  son  opinion 
à  ce  sujet.  Il  a  discuté  ensuite  le  décret  qui  conserve  aux  ministres 
actuels,  réunis  aux  différents  Comités  de  l'Assemblée  nationale,  le  pou- 
voir exécutif.  M.  Robespierre  a  fini  son  discours,  qui  a  été  vivement 
applaudi,  par  cette  réflexion  sur  lui-même  :  «  Peut-être  en  vous  parlant 
avec"  cette  franchise,  vais-je  attirer  sur  moi  les  haines  de  tous  les  partis. 
Ils  sentiront  bien  que  jamais  ils  ne  viendront  à  bout  de  leurs  desseins 
tant  qu'il  restera  parmi  eux  un  seul  homme  juste  et  courageux,  qui 
déjouera  continuellement  leurs  projets  et  qui  méprisant  la  vie,  ne  redoute 
ni  le  fer  ni  le  poison,  et  serait  trop  heureux  si  sa  mort  pouvait  être  utile 
à  la  liberté  de  la  patrie  ».  Le  saint  enthousiasme  de  la  vertu  s'est 
emparé  de  toute  l'Assemblée,  et  chaque  membre  a  juré,  au  nom  de  la 
liberté,  de  défendre  M.  Robespierre,  au  péril  même  de  sa  vie  (24). 
M.  Robespierre  a  ajouté  que  la  réunion  des  membres  de  l'Assemblée 

(22)  Cf.  Aulard,  IL  533,  note  B.  et  E.   Hamel,   I,  491. 

(23)  Texte  reproduit  par  G.  Walter,  Histoire  des  Jacobins, 
p.    162   à   165. 

(24)  Le  Club  des  Cordeliers,  aierté,  avait  lui  aussi  décidé  de 
protéger  Kobespierre  (Journal  du  Club,  n°  6,  p.  08,  10  juillet  1791): 
«  Un  autre  membre  >a  annoncé  qu'une  société  d'ennemis  de  la  révo- 
lution avoit  mis  à  prix  la  tête  de  M.  lioberspïerre  ;  ique  cette  société 
tan  oit  des  assemblées  secrettes,  et  qu'il  falloit  veiller  à  la  sécurité 
de  M.  Roberspierre.  Chacun  sait  qu'il  ;i  fiait  son  testament  et  qu'il 
s'attend  à  chaque  iustaut  à  devenir  la  victime  de  son  patriotisme. 
La  Société  considérant  que  les  >amis  des  droits  de  l'homme  doivent 
particulièrement  veiller  à  la  sûreté  individuelle  des  patriotes,  a 
arrêté   que  des  commissaires   seroient  nommés   pour   s'attacher   aux 


528  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

nationale,  que  l'on  venait  d'annoncer,  ainsi  que  la  réunion  des  ministres 
à  la  Société,  allait  avoir  lieu  à  l'instant  même  »  (25). 

Le  Logographe,  journal  national,  30  juin  1791,  p.  314. 

«  La  séance  y  fut  orageuse;  M.  Robespierre  y  parla  contre  le* 
mesures  prises  par  l'assemblée  nationale,  jetta  des  soupçons  contre  les 
comités,  contre  les  individus;  il  invita  pour  ainsi  dire  à  la  défiance.  » 


pas  de  'M.  Roberspierre,  et  le  garantir  aux  dépens  de  leur  vie  des 
dangers  dont  il  est  menacé.  Ne  crains  rien,  Roberspierre,  une  puis- 
sance inconnue  veille  sur  toi,  et  ta  vie  est  en  sûreté  au  milieu  de 
tes  plus  cruels  ennemis.  Le  Club  des  Gordeliers  qui  renferme  dans 
son  sein  autant  de  tyrannicides  qu'il  compte  de  membres,  ne  t'aban- 
donne  pas    à   l'aveugle   fureur   d'assassins   détestables.    » 

De  même,  la  Société  des  Jacobins  de  Marseille  envoie  à  celle  de 
Paris  l'adresse  suivante:  «  Français,  hommes  vraiment  libres  des 
quatre-vingt-trois  départemens,  vos  frères  et  amis  les  Marseillois, 
vous  invitent  .à  rendre  hommage  à  Robespierre,  ce  digne  représen- 
tant de  la  nation,  cet  apôtre  de  la  liberté  nationale.  Reconnoissez 
avec  lui  l'attentat  énorme  commis  contre  vos  droits.  Il  est  cette 
sentinelle  'vigilante,  que  rien  n'a  pu  surprendre,  cet  unique  émule 
du  Romain  Fabrice,  dont  le  despote  Pyrrhus  louoit  les  vertus  par 
ces  mots  si  célèbres  :  il  est  plu"*  facile  de  détourner  le  soleil  de  sa 
course,  que  d'écarter  Fabrice  de  la  voie  de  l'honneur. 

<(  Voûte  sacrée  des  Jacobins,  pourrez-vous  retentir  de  plus  de 
vérités  que  Kobespierre  et  Danton  ne  vous  en  ont  fait  entendre 
Prolongez-en  les  sons  dans  tous  les  clubs  de  l'Empire.  Nos  voûtes 
retentiront  comme  les  vôtres,  et  répéteront  leurs  noms. 

«  Sachez,  Français,  que  vos  frères  de  Marseille  ont  juré  de 
veiller  à  la  constitution  précieuse  de  ces  hommes  rares,  que  la  capi- 
tale a  l'heureux  avantage  de  posséder  dans  son  sein,  et  dont  les 
nombreux  essaims  des  noirs,  des  impartiaux,  méditent  la  perte.  Si 
par  une  constance  fière,  vous  n'arrêtez  les  projets  ambitieux  de  ces 
prétendus  zélés  qui  se  sont  coalisés  pour  éterniser  leur  pouvoir, 
répondez-nous  de  la  vie,  des  jours  de  Robespierre  et  Danton  :  que 
vos  corps  leur  servent  de  rempart.  Fixez  sur-tout  vos  regards  autour 
du  fauteuil  constitutionnel  que  quelques  traîtres  à  la  patrie  veulent 
ériger  en  trône.  Ralliez-vous  contre  les  attaques  et  les  plans  machia 
vélistes  d'un  André:  ne  souffrez  pas  que  la  constitution  soit  livrée 
à  un  membre  si  dangereux  pour  la  chose  publique.  Des  Marseillois, 
à  la  moindre  lueur  de  danger,  voleront  auprès  de  vous,  pour  vju.s 
servir  de  leurs  bras  ;  et  suivis  des  excellens  patriotes  des  départe- 
mens, dis  iront  dans  la  capitale  arracher  le  masque  aux  hypocrites, 
et  placer  la  vérité  sur  le  fauteuil  national,  entre  Robespierre  et 
Danton  (Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t.  VII,  n°  86, 
I>    22)  cité  dans  le  Patriote  François,  n°  723,  p.  135.  » 

<25)  Texte   reproduit  dans   Aulard,    II,    533. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  529 

309.  —  SEANCE  PERMANENTE 

DES  23  JUIN  1791  ET  JOURS  SUIVANTS 

Sur  la  fuite  du  roi  (suite) 


5  e  intervention  (23   juin,  au  soir)  : 

Le  22  au  soir,  la  .nouvelle  de  l'arrestation  du  roi  parvient  à 
l'Assemblée  qui  siège  en  permanence.  (Le  président  donne  connais- 
sance aux  députés  d'un  certain  nombre  de  lettres  qu'il  vient  de  rece- 
voir. L'une  émane  de  la  municipalité  de  Varennes,  qui  annonce 
l'envoi  de  M.  Mangin,  chirurgien  à  Varennes,  chargé  de  prévenir 
l'Assemblée  que  le  roi  est  dans  cette  ville,  et  de  prendre  les  ordres 
de  l'Assemblée. 

Le  23  juin,  dans  la  soirée  (1),  Robespierre  propose  qu'une  cou- 
ronne civique  soit  décernée  à  Mangin.  L'Assemblée  renvoie  cette 
proposition  à  son  comité  de  constitution. 

Le  18  août,  sur  le  rapport  de  Varin,  député  du  tiers  état  de  la 
sénéchaussée  de  Rennes,  au  sujet  des  récompenses  à  (accorder  «  à 
ceux  qui  ont  empêché  le  plus  efficacement  à  Varennes  l'évasion  du 
roi  .)>,  l'Assemblée  décida,  entre  autres  mesures,  que  Mangin  rece- 
vrait «  à  titre  de  récompense  nationale,  une  somme  de  6.000  livres  ». 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t. XXVIII,  p. 279 
Courrier  des  LXXX1I1  départemens,  n°  26,  p.  400. 

«  M.  Robespierre.  Vous  avez  assez  applaudi,  ce  matin,  au  zèle 
des  citoyens  qui  ont  arrêté  le  roi;  mais  ce  n'est  point  assez,  il  faut 
encore  saisir  l'occasion  la  plus  utile  qui  se  soit  présentée  à  vous,  de 
récompenser  et  d'encourager  les  vertus  civiques  :  c'est  dans  le  moment 
le  plus  cntiçue  de  la  révolution,  où  M.  Petit-Mangin  et  ceux  qui  ont 
secondé  l'action  la  plus  patriotique  ont  rendu  à  la  patrie  le  plus  signalé 
de  tous  les  services,  que  vous  devez  à  ces  citoyens  une  récompense 
digne  à  la  fois  de  leur  patriotisme,  et  du  peuple  libre  qui  doit  les  récom- 
penser. Je  demande  qu'il  leur  soit  décerné  par  l'assemblée  nationale, 
une  couronne  civique  (oui,  oui;  vifs  applaudissemens)  »   (2). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    175,,  p.   725. 

«  M.  Roberspierre.  La  patrie  doit  être  reconnaissante.  M.  Mangin 
et  les  deux  gardes  nationales  qui  ont  arrêté  la  voiture  du  roi,  ont  rendu 
un  service  signalé.  Je  demande  qu'il  leur  soit  décerné  une  couronne 
civique  »  (3). 


(1)  Il  s'agirait  d'après  le  Journal  des  Débats  de  1  heure  de 
l'après-midi,   et  de  5  heures  d'après   le  Mercure  de  France. 

<2)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXVII,  450. 

(3)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  736;  et  Bûchez  et» 
Itoux,   X,  331. 


530  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   175,  p.  725. 

«  M.  Roberspierre.  Le  décret  qu'on  vous  propose,  préjuge  de 
grandes  questions  On  ne  voit  dans  la  première  partie  qu'une  disposi- 
tion sévère  contre  les  conseillers  de  l'évasion  du  roi.  Le  devoir  des 
représentans  de  la  nation  les  oblige  à  agiter  une  question  plus  impor- 
tante Vous  la  pressentez  tous,  je  ne  veux  pas  la  déveolpper  et  j'en 
demande  l'ajournement.  Vous  avez  reconnu  avec  sagesse  que  vous  ne 
devez  pas  supposer  des  intentions  coupables  contre  la  personne  du  roi. 
Les  mesures  que  vous  avez  déjà  prises  sont  suffisantes.  Depuis  cet 
événement,  le  peuple  a  montré  une  conduite  si  sage,  si  imposante,  qu'il 
est  impossible  de  ne  pas  se  reposer  sur  sa  modération.  Ce  serait  lui  faire 
injure  que  de  ne  pas  regarder  comme  suffisantes,  les  précautions  déjà 
prises.  Je  finis  en  disant  que  prévoir  un  désordre  qui  ne  peut  exister, 
c'est  faire  naître  le  danger  »  (4). 

Le  Législateur  français,  t.   II,  p.  3-4. 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),  n°   173,  24-6-91,  p.  2. 

«  M.  Robertspierre  s'est  élevé  contre  les  deux  premières  disposi- 
tions du  projet;  il  lui  a  semblé  qu'elles  préjugeoient  une  grande  ques- 
tion dont  l'assemblée  nationale  devoit  la  discussion  au  peuple.  Il  ne 
s'est  pas  expliqué  très-clairement;  mais  il  n'est  pas  difficile  de  deviner 
qu'il  vouloit  parler  du  droit  des  peuples  de  destituer  les  rois  :  il  a 
demandé  l'ajournement  du  premier  article. 

«  Qua$t  au  second,  il  pensoit  que  c'étoit  une  injure  faite  au 
peuple  Français;  qu'on  ne  devoit  pas  douter  qu'il  ne  se  comportât  avec 
cette  sagesse  et  cette  fierté  majestueuse  qui  étonnera  l'Europe;  deshon- 
norât  sa  gloire  par  des  excès  coupables,  au  moment  où  les  personnes 
qui  vouloisat  s'exiler  de  la  France,  rentreroient  dans  la  capitale. 

a  Croyez-moi,  messieurs,  disoit  M.  Robertspierre,  ne  portez  point 
des  lois  pénales  contre  un  peuple  généreux,  dans  la  supposition  où  il 
pourroit  se  laisser  aller  à  des  désordres.  Laissez-lui  le  mérite  de  sa 
dignité;  reposez-vous  sur  son  intérêt  et  sa  sagesse  »  (5). 

Le  Patriote  françois,  n°  686,  p.  709. 

«  M.  Robespierre  a  appelé  la  reconnoissance  publique  sur  M.  Mon- 
gins,  chirurgien,  qui  a  le  plus  contribué  à  l'arrestation  du  roi.  Ce 
citoyen  est  le  premier  qui  l'ait  reconnu,  et  qui,  avec  deux  ou  trois  autres 

(4)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  736;  et  Bûchez  et 
Roux,   X,  332;  et  les  Arch.   pari.,   XXVII,   452. 

(5)  Le  Club  des  Cordeliers  porte  à  l'Assemblée,  dans  l'après- 
midi  du  24,  la  pétition  dite  «  des  ,30.000  »  dans  laquelle  il  souhaite 
qu'on  ne  prenne  «aucune  mesure  relative  -au  roi  sans  avoir  consulté 
au  préalable  les  départements  Cette  démarche  se  déroule  dans  le 
plus  grand  calme  .(Cf.  A.  Mathiez,  (Le  Club  des  Cordeliers  pendant 
la  crise  de  "Varennes,  in-8°  Champion,  Baris,  -1910,  p.  53). 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  531 

gardes  nationales,  a  forcé  la  voiture  de  s'arrêter,  malgré  les  dragons  et 
les  hussards  qui  l'accompagnoient.  M.  Robespierre  proposoit  de  lui 
décerner  une  couronne  civique.  On  a  renvoyé  au  comité  de  constitution, 
pour  faire  un  rapport  sur  les  cas  dans  lesquels  cette  couronne  sera  décer- 
née, et  sur  celle  que  mérite  M.  Mongins.  » 

Courrier  extraordinaire,  25  juin  1791,  p.  2-3. 
Chronique  de  Paris,  n°   176,  p.  702. 

«  M.  Robespierre  a  appelle  l'attention  de  l'assemblée  sur  la  récom- 
pense qu'elle  doit  aux  personnes  qui  ont  empêché  l'évasion  du  roi. 
Ce  n'est  pas  assez,  a  dit  l'opinant,  d'avoir  applaudi  à  leur  action,  il 
faut  aussi  récompenser  leurs  vertus  civiques.  M.  Mougin,  qui  a  le  plus 
contribué  à  l'arrestation,  mérite  une  couronne  civique.  Je  fais  la  motion 
que  l'assemblée  la  lui  décerne.  » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XVIII,  n°  715,  p.  323. 

«  La  patrie  doit  être  reconnoissante,  a  dit  M.  Robespierre.  M. 
Maugin  et  les  deux  gardes  nationales  qui  ont  arrêté  la  voiture  du  roi, 
ont  rendu  un  service  signalé  à  la  patrie.  Je  demande  qu'il  leur  soit 
décerné  une  couronne  civique.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Législateur  fran- 
çais, t.  II,  25  juin  1791,  p.  2;  La  Gazette  universelle,  n°  176,  p.  703; 
Le  Bulletin  et  Journal  des  Journaux,  27  juin  1791,  n°  76;  Le  Journal 
général  de  France,  25  juin  1791,  p.  707;  Le  Mercure  national  et  étran- 
ger, p.  1 1 1 1  ;  Le  Journal  général,  n°  145,  p.  605;  Le  Mercure  de 
France,  2  juillet  1791,  p.  42;  La  Vedette  ou  Pièces  de  toutes  les  nou- 
velles du  Jour,  25  juin  1791,  p.  7  ;  La  Correspondance  nationale,  25  juin 
1791,  n°  38;  Le  Journal  des  Débats,  n°  764,  p.  5.] 

6e  intervention   (nuit  du  23   au   24)  : 

La  séance  permanente  se  poursuit.  Thouret,  au  nom  du  comité 
de  constitution,   propose  le  projet  de   décret   suivant: 

«  L'Assemblée  nationale  déclare  traîtres  à  la  nation  et  au  roi, 
ceux  qui  ont  conseillé,  aidé  ou  exécuté  l'enlèvement  du  roi,  et  de 
tous  ceux  qui,  pour  favoriser  des  desseins  pervers,  aussi  contraires 
aux  droits  du  peuple  qu'aux  intérêts  de  la  royauté,  tenteraient  de 
mettre  obstacle  à  .son  retour  et  à  sa  réunion  aux  représentants 
de  la  nation. 

«  L'Assemblée  nationale  ordonne  à  tout  fonctionnaire  civil  ou 
militaire  d'employer,  chacun  en  ce  qui  le  concerne,  •  l'autorité  qui 
leur  est  confiée  pour  protéger  le  retour  du  roi,  de  repousser  par  la 
force,  saisir  et  mettre  en  état  d'arrestation  tous  ceux  qui  porte- 
raient  atteint^  au  respect  dû  à  la  dignité  royale    » 

.Robespierre  intervint  le  premier  dans  la  discussion  de  ce  pro- 
jet. Après  que  divers  orateurs  eurent  pris  la  parole,  dont  Reubell, 
ic   projet    de  décret  lut  ajourné. 


532  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Courrier  extraordinaire,  25  juin   1791,  p.   4. 

Mercure  universel,  t.  IV,  p.  392. 

Le  Courrier  des  LXXXîîl  départemens,  n°  26,  p.  402. 

<(  M.  Roberspierre  s'est  élevé  fortement  contre  les  deux  pre- 
mières dispositions  du  projet  :  il  lui  a  semblé  quelles  préjugeoient  une 
grande  question. 

«  On  ne  voudroit  donc,  a-t-il  dit,  ne  s'attacher  qu'à  punir  les 
perfides  conseillers  du  roi.  Il  est  ,  je  le  conçois,  une  mesure  plus 
vaste  qu'exige  la  stricte  justice.  Vous  me  comprenez,  sans  doute, 
messieurs,  sans  que  je  m'explique  davantage.  (Ici  l'Assemblée  paroît 
frappée  d'étonnement  de  la  hardiesse  des  propos  de  l'opinant).  Il 
continue. 

«  Je  trouve  encore  un  très  grand  vice  dans  ce  projet  He  loi  ;  c'est 
d'aller  prévoir  que  ce  peuple  qui  vient  de  se  montrer  si  s?~e  et  si  fier, 
se  livreroit  à  des  désordres  au  moment  où  les  personnes  que  l'on  ramène 
entreroient  à  Paris.  Cette  présomption  est  une  injure  atroce.  Croyez- 
moi,  messieurs,  ne  portez  point  de  loix  pénales  contre  ce  peuple  géné- 
reux dans  la  fausse  supposition  qu'il  pourroit  se  laisser  aller  à  des  désor- 
dres. Laissez-lui  le  mérite  de  la  dignité  ;  reposez-vous  sur  son  intérêt 
et  sur  sa  sagesse.  » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t. XXVII! .  p. 285. 

«  M.  Robespierre.  Le  premier  article  préjuge  une  grande  et  impor- 
tante question  que  vous  pressentez  tous  et  qui  doit  être  discutée  solem- 
nellement  et  sous  ce  rapport,  je  demande  qu'il  soit  ajourné.  Quant  à 
ce  qui  concerne  le  second  article,  je  demande  que,  pour  l'intérêt  même 
des  personnes  dont  on  parle,  que  pour  l'homme  du  peuple  françois,  il 
soit  rejette,  et  que  vous  reposiez  sur  les  mesures  suffisantes  déjà  pr.ses 
à  cet  égard.   » 

Journal  général  de  France,  p.  708. 

«  Lm  Orateur,  M.  Robertspierre,  en  s'élevant  contre  les  pre- 
mières dispositions  de  ce  projet,  a  voulu  faire  entendre,  assez  obscuré- 
ment toutefois,  que  les  Peuples  ont  le  droit  de  destituer  les  Rois.  Quant 
au  reste  du  Décret,  l'Orateur  a  pensé  qu'on  ne  doit  point  porter  de  loix 
pénales  contre  un  Peuple  généreux,  dont  la  fierté  et  la  sagesse  majes- 
tueuse étonnent  toute  l'Europe;  laissez-lui,  a-t-il  dit,  le  mérite  de  sa 
dignité,  reposez- vous  sur  lui  et  ne  craignez  point  qu'il  se  laisse  aller 
à  des  désordres.  )) 

Journal  de  Rouen,  n°   176,  p.  852. 

«  M.  Robertspierre.  Il  y  a  dans  cet  article  deux  dispositions:  la 
première  me  paroît  prématurée,  nous  n'avons  point  encore  des  rensei- 
gnements assez  clairs  pour  l'admettre. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  533 

((  La  seconde  me  paroît  injurieuse  au  peuple  français;  il  a  dans 
cette  circonstance  montré  la  plus  grande  modération  ;  ainsi  il  ne  doit 
être  question  à  son  égard  d'aucune  peine  afflictive.  Ces  réflexions  ont 
été  vivement  appuyées  par  M.  Rewbel.  » 

Journal  des  Débats,  n°  764,  p.  7. 

«  Ce  projet  de  Décret,  a  dit  M.  Robespierre,  me  paroît  suscep- 
tible d'une  critique  sévère.  Il  préjuge  une  grande  et  terrible  question 
que  le  salut  de  la  Patrie  vous  prescrit  d'examiner;  on  n'y  voit  autre 
chose  que  des  dispositions  sévères  contre  les  conseillers  perfides  qui 
ont  égaré  le  Roi.  Mais  le  devoir  des  Représentans  de  la  Nation  les 
oblige  à  agiter  une  question  plus  importante.  Je  ne  veux  pas  l'agiter 
moi-même  en  ce  moment;  et  sous  ce  rapport,  je  demande  qu'on  passe 
à  l'ordre  du  jour  sur  le  premier  article  du  Comité.  M.  Robespierre  s'est 
vivement  élevé  contre  le  dernier  article  :  ce  n'est  pas,  a-t-il  dit,  au 
moment  où  le  Peuple  montre  la  sagesse  et  la  fermeté  !a  plus  noble, 
qu'on  peut  lui  faire  des  injonctions  et  des  menaces  indignes  de  la 
majesté  du  Peuple  François.   » 

Le  Patriote  François,  n°  686,  p.   710. 

«  M.  Robespierre  a  paru  animé  de  ces  sentimens,  lorsqu'il  s'est 
élevé  avec  indignation  contre  le  projet  de  décret.  «  On  ne  voudroit 
donc,  a-t-il  dit,  s'attacher  qu'à  punir  les  perfides  conseillers  du  roi;  il  est 
une  mesure  plus  vaste  qu'exige  la  stricte  justice.  (Ici  mouvement  de  sur- 
prise, et  d'une  espèce  d'effroi). 

«  Mais  pourquoi  prendre  dans  ce  décret  des  précautions  insultantes 
contre  le  peuple  ?  A-t-il  excité  des  désordres  au  moment  de  la  fuite  du 
roi  ?...  Ah  !  laissez,  laissez  à  ce  peuple  le  mérite  de  la  dignité,  reposez- 
vous  sur  son  intérêt  et  sur  sa  sagesse.  » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXIII,  n*   715,  p.   324. 

«  M.  Robespierre  s'y  oppose  :  il  se  présente  ici,  a-t-il  dit,  de 
grandes  questions,  mais  le  devoir  des  représentans  de  la  nation  les 
oblige  à  agiter  une  question  plus  importante.  Vous  devez  m'entendre 
et  j'en  demande  l'ajournement.  Vous  ne  devez  pas  supposer  des  inten- 
tions coupables  contre  la  personne  du  roi.  Les  mesures  déjà  pr'ses  sont 
suffisantes.  Le  peuple  a  montré  une  conduite  si  sage,  si  importante, 
qu'il  est  impossible  de  ne  pas  se  reposer  sur  sa  modération.  Ce  seroit 
faire  naître  des  dangers.  Je  demande  le  rejet  de  la  deuxième  partie  et 
l'ajournement  de  la  première.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  L'Ami  de  la  Révoh' 
lion,  23-30  juin  1791,  p.  172;  L'Argus  patriote,  n°  6,  p.  163;  La 
Gazette  universelle,  n°  176,  p.  703;  Le  Mercure  de  France,  2  juillet 
1791,  p.  44;  Le  Journal  général,  n"  145,  p.  605;  Assemblée  nationale, 
Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XII,  n°  689,  p.  2.1 


534  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

7Ô  intervention  (25  juin  au  matin)  : 
Sur  l'état  de  siège   dans  les  places  de  guerre 

Emmery  présente,  au  nom  du  comité  militaire,  un  projet  de 
décret  relatif  aux  places  de  guerre.  Il  prévoit,  entre  autres  disposi- 
tions, que  dans  les  places  de  guerre,  les  magistrats  et  autres  offi- 
ciers civils,  lorsque  l'état  de  guerre  aura  été  proclamé,  pourront 
être  requis  par  le  commandant  militaire  de  se  prêter  aux  mesures 
d'ordre  et  de  police,  qui  intéresseront  la  sûreté  de  la  place  (art.  7). 
Lorsque  l'état  de  siège  sera  proclamé,  toute  l'autorité  dont  les 
magistrats  et  officiers  civils  sont  revêtus  par  la  constitution,  pour 
le  maintien  de  l'ordre  et  de  la  sécurité  intérieure,  passera  au  com- 
mandant militaire  iqui  l'exercera  exclusivement  sous  sa  responsa- 
bilité personnelle  {.art.    10). 

Malgré  la  protestation  de  (Robespierre,  l'Assemblée  décréta  le 
projet  présenté  par  son  comité  militaire. 

Journal  du  Soir  sans  réflexions,  n°  449. 
Journal  de  Rouen,   1791,  n°    178,  p.  864. 

«  M.  Robespierre  frémissait  des  conséquences  terribles  d'un  décret 
qui  anéantissait  les  plus  sages  dispositions  de  l'organisation  administra- 
.tive;  c'était  suivant  lui,  substituer  à  l'autorité  légitime  de  la  loi,  le  pou- 
voir toujours  arbitraire,  toujours  tyrannique  des  commandans  de  place. 
Il  est  possible  que  pour  anéantir  la  constitution,  on  déclare  la  majeure 
partie  des  places  de  guerre  pour  paralyser  le  pouvoir  du  corps  adminis- 
tratif, afin  d'habituer  insensiblement  le  peuple  à  la  vexation,  afin  de 
sonder  ses  dispositions,  et  d'épier  le  moment  favorable  pour  le  replon- 
ger dans  l'esclavage;  je  demande  donc  la  question  préalable  sur  un 
projet  aussi  anti-constitutionnel,  ou  du  moins  mon  avis  est  que  nous  déli- 
bérions plus  long-tems,  et  avec  plus  de  circonspection,  sur  un  objet 
de  si  grande  importance.  » 


8e  intervention  (26  juin  au  matin)  : 
Sur  la  déclaration  à  recevoir  du  roi,  au  sujet  de  sa  fuite 

Duport,  au  nom  des  comités  de  constitution  et  de  législation 
criminelle,  rappelle  le  décret  pris  la  veille  par  l'Assemblée,  et  qui 
ordonne  que  ,les  personnes  qui  accompagnaient  le  roi  et  sa  famille, 
seront  mises  en  état  d'arrestation  et  qu'une  information  sera  ouverte. 
Il  présente  un  projet  de  décret  en  conséquence.  L'information  sera 
ouverte  par  le  tribunal  de  l'arrondissement  .où  le  délit  a  été  com- 
mis, c'est-à-dire  par  le  tribunal  de  l'arrondissement  des  Tuileries 
(art.  1)  (6).  L'interrogatoire  et  l'audition  des  témoins  seront  donc 
menés  par  des  commissaires  de  ce  tribunal  (art.  2).  Quant  aux  décla- 

(6)  La  Haute  Oo'ur  d'Orléans  en  conçut  du  dépit.  Une  députation 
qu'elle  envoya  à  la  Constituante  pour  protester,  fut  admise  à  la 
barre   le  6  juillet  <Cf.   Se'ligman,   op.    cit.,   II,   29). 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  535 

rations  du  roi  et  de  la  reine,  elles  seront  reçues  par  trois  commis- 
saires nommés  par  l'Assemblée  nationale  qui,  fsur  leur  rapport, 
décidera  des  mesures  ultérieures  qu'elle  prendra  (art.  3).  Robes- 
pierre,   puis   Buzot  et  iCihabroud   protestent  centre  cet  art.    3. 

L'Assemblée  n'en  «suivit  pas  moins  ,ses  comités  /et  vota  l'art.  3, 
sous  cette  rédaction  :  <•  L'Assemblée  nationale  nommera  trois  com- 
missaires pris  dans  son  sein  pour  recevoir  les  déclarations  du  roi 
et  de  la  reine;  elles  seront  reçues  séparément  de  la  bouche  du  r  à 
et  de  la  reine,  mises  par  écrit  et  signées  de  l'un  et  de  l'autre.  Le 
tout  sera  rapporté  à  l'Assemblée  nationale,  pour  «tre  pris  par  elle 
les  dispositions   qu'elle  croira  convenables.    » 

Journal   des  Etats   Généraux   ou   Journal   Logographique ,    t.    XXVIII, 
pp.  375  et  386. 

«  M.  Robespierre.  Le  parti  d'attribuer  à  des  commissaires,  pris 
dans  le  sein  de  l'assemblée,  le  soin  de  recevoir  les  déclarations  du  roi 
et  de  la  reine,  ne  me  paroît  ni  le  plus  sage,  ni  le  plus  conforme  aux 
principes:  j'observe  que,  comme  il  s'agit  d'un  fait  grave,  comme  toutes 
les  mesures  que  vous  prenez  tendent  à  connoître,  à  constater  la  vérité 
d'un  seul  fait,  il  est  impossible  qu'une  partie,  chargée  de  recevoir  les 
premiers  éclaireissemens,  soit  également  chargée  de  prendre  juridique- 
ment des  éclaireissemens  relatifs  au  même  fait;  ce  sont  les  premiers 
principes  qui  le  disent.  Il  n'y  a  donc  aucune  raison  d'attribuer  à  des 
commissaires  de  l'assemblée  une  autorité  spéciale  pour  recueillir  les 
lumières  qui  peuvent  émaner  du  roi  et  de  la  reine,  tandis  que  vous 
attribuez  les  mêmes  pouvoirs  au  pouvoir  judiciaire.  Vous  devez  donc 
attribuer  au  tribunal  des  Tuileries,  chargé  d'interroger  les  autres  témoins, 
le  soin  de  recevoir  les  déclarations  du  roi  et  de  la  reine,  qui  ne  peu- 
vent être  considérés  que  comme  d'autres  agens  de  ces  mêmes  événe- 
mens. 

«  Eh  !  que  l'on  ne  dise  pas  que  la  confiance  de  la  nation,  qui  s'est 
ralliée  autour  de  l'assemblée  nationale,  impose  à  cette  assemblée  le 
devoir  ou  la  convenance  de  se  charger  elle-même  de  nommer  des  com- 
missaires pour  entendre  le  roi  ou  la  reine;  car,  messieurs,  plus  la  con- 
fiance de  la  nation  se  rallie  autour  de  vous,  plus  vous  devez  la  ménager 
avec  soin,  et  j'ose  le  dire,  avec  délicatesse.  Il  ne  faut  point  donner 
lieu  à  la  nation  de  s'étonner  de  ce  que  vous  auriez  fait  une  division 
aussi  extraordinaire,  de  ce  que  vous  auriez  violé  tous  les  principes  pour 
faire  une  exception  aussi  singulière  pour  le  roi  et  pour  la  reine,  lorsqu'il 
est  évident  qu'ils  dévoient  être  entendus  par  le  même  tribunal  chargé 
de  recueillir  toutes  les  lumières  relatives  à  procédure.  Que  l'on  ne  dise 
pas  non  plus  que  l'autorité  royale  seroit  dégradée  par  le  maintien  de  la 
règle  que  je  propose.  Un  citoyen,  une  citoyenne,  de  quelque  rang  qu'il 
soit,  un  homme  quelconque  quelqu'élevé  qu'il  soit  en  dignité,  ne  peut 
jamais  être  dégradé,  lorsqu'il  est  soumis  à  la  règle  établie  par  les  loix. 
La  reine  n'est  qu'une  citoyenne,  le  roi,  dans  le  moment  actuel,  et  pour 
l'affaire  dont  il  s'agit,  est  un  citoyen  comptable  envers  la  nation;  et  en 


536  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

qualité  de  premier  fonctionnaire  du  royaume,  il  est  soumis  aux  lois,  et 
doit  suivre  les  principes  de  la  loi  »  (7). 

...«  Je  demande  que  la  déclaration  du  roi  et  de  la  reine  soit  réd'gée 
par  écrit,  signée  d'eux  et  des  commissaires  »  (8). 

Journal  de  Paris,  n°   178,  p.  714. 
Le  Patriote  françois,  n°  689,  p.  721. 

u  Je  m'oppose,  a  dit  le  premier  M.  de  Roberspierre,  à  l'article  qui 
tend  à  faire  interroger  par  la  Justice  tous  ceux  qui  ont  concouru  à  l'éva- 
sion du  Roi  et  de  la  Reine,  et  à  faire  nommer  trois  Membres  de  cette 
Assemblée  pour  que  le  Roi  et  la  Reine  fassent  devant  eux  leur  décla- 
ration; quand  ils  ont  à.  répondre  de  leur  conduite  à  la  Nation,  le  Roi 
et  la  Reine  ne  sont  plus  que  des  Citoyens  :  ces  distinctions  d'esclaves 
ne  peuvent  pas  être  admises  par  des  Législateurs  qui  parlent  de  liberté 
et  d'égalité  On  dit  qu'il  ne  faut  pas  rabaisser  la  dignité  royale;  je  le 
pense  aussi  :  mais  qui  peut  se  rabaisser  en  se  soumettant  à  la  loi,  dont 
le  joug  honore  tous  ceux  qui  le  reçoivent?  Vous  avez  vu,  MM.,  la 
confiance  de  la  Nation  se  rallier  autour  de  vous  dans  cette  époque 
difficile;  mais  prenez-y  garde,  pour  conserver  cette  confiance  il  faut  la 
traiter  avec  ménagement,  avec  délicatesse  même.  Au  moment  où  tant 
d'hommes  que  l'orgueil  affecte  de  dédaigner  viennent  de  montrer  une 
grandeur  si  réelle,  n'allez  pas  les  humilier  par  ces  distinctions  qui 
doivent  s'effacer  au  moins  devant  la  Loi.  Je  conclus  donc  à  ce  que 
le  Roi  et  la  Reine  soient  interrogés  par  le  même  Tribunal  de  Justice 
que  tous  ceux  qui,  pour  le  même  fait,  sont  dans  un  état  d'arrestation.  » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    178,  p.  735. 
Journal  de  la  Noblesse,  t.  II,  n°  27,  p.  232. 

«  M.  Roberspierre.  Je  demande  à  parler  contre  l'art.  III,  qui 
ordonne  que  les  Commissaires  de  l'Assemblée  nationale  recevront  les 
déclarations  du  roi  et  de  la  reine  ;  il  faut  que  la  même  autorité  qui  est 
chargée  d'une  partie  des  informations,  soit  chargée  de  les  prendre 
toutes;  c'est  là  le  principe;  il  n'y  a  aucune  raison  pour  en  charger  les 
commissaires  de  l'Assemblée  nationale,  et  qu'on  ne  dise  pas  que  la 
confiance  que  le  peuplé  témoigne  à  l'Assemblée  nationale  lui  en  impose 
le  devoir;  car  plus  la  confiance  de  la  nation  se  rallie  autour  de  nous, 
plus  nous  devons  la  ménager  avec  soin  et  délicatesse.  Or,  nous  ne  méri- 
terions plus  cette  confiance,  si  nous  violions  le  principe,  si  nous  faisions 
une  exception  pour  le  roi  et  la  reine  ;  qu'on  ne  dise  pas  non  plus  que  l'au- 
torité royale  sera  dégradée.  Un  citoyen,  une  citoyenne,  un  homme 
quelconque,  à  quelque  dignité  qu'il  soit  élevé,  ne  peut  jamais  être 
dégradé  par  la  loi.  La  reine  est  une  citoyenne;  le  roi,  dans  ce  moment 


(7)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXVII,  537. 

(8)  Texte   reproduit  dans  les  Arch.   pari.,   XXVII,   542. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  537 

est  un  citoyen  comptable  de  la  nation  et  en  qualité  de  premier  fonc- 
tionnaire public,  il  doit  être  soumis  à  la  loi.  (On  applaudit)  »  (9). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXIII,  n°  718,  p.  400  et  405. 

«  La  proposition  de  prendre  trois  commissaires  dans  rassemblée, 
s  est  écrié  M.  Robespierre,  n'est  ni  sage,  ni  conforme  aux  principes. 
Il  faut  charger  le  même  tribunal  qui  fera  l'information  de  recevoir  les 
déclarations  du  roi  et  de  la  reine.  C'est  parce  que  la  confiance  de  la 
nation  s'est  ralliée  autour  de  l'assemblée  nationale,  qu'il  faut  la  ménager 
avec  beaucoup  de  délicatesse  et  de  soin.  Qu'on  ne  dise  pas  que  la 
déclaration  du  roi  et  de  la  reine  faites  (sic)  à  des  membres  de  l'assem- 
blée nationale,  ne  dégradera  pas  la  dignité  royale;  comme  si  cette 
dignité  pouvoit  l'être  devant  les  tribunaux  !  Le  roi  et  la  reine,  comme 
citoyens,  sont  soumis  aux  loix;  il  n'y  a  pas  de  dégradation  à  paroître 
devant  les  tribunaux  en  vertu  de  la  loi.  Je  concluds  à  ce  que  les  mêmes 
juges  reçoivent  ces  déclarations.  » 

...«  M.  Robespierre  a  demandé  que  la  déclaration  fût  reçue  par 
écrit  et  signée  du  roi,  de  la  reine  et  des  commissaires;  adopté.   » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  28  juin  1791,  p.  715. 

«  MM.  Robespierre,  Buzot,  et  sur-tout  M.  Chabroud,  ont  soutenu 
que  le  roi  ne  deûoit  pas  être  traité  différemment  qu'un  autre  citoyen; 
que  c'étoit  d'ailleurs  comme  individu,  et  non  comme  roi  qu'il  étoit 
requis  de  faire  cette  déclaration,  et  qu'en  conséquence  il  falloit  donner 
cette  mission  aux  mêmes  juges,  à  ceux  de  l'arrondissement  »  (10). 
Courier  de  Provence,  n°  178,  p.  867. 

«  Cet  article  a  été  attaqué  par  MM.  Robertspierre,  Buzot  et  Cha- 
brout. 


(9)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  VIII,  756;  et  Bûche-,  et 
Boux,  X,  382. 

(10)  Fréron  dans  l'Orateur  du  Peuple  (t.  VII,  n°  6,  p.  48)  signale 
qu'  m  un  o'fficier  de  la  garde  nationale,  section  des  Petits  Pères 
Nazareth,  a  arrêté  un  colporteur  sur  l'annonce  qu'il  faisait  que 
M.  Robespierre  avait  demandé  à  l'Assemblée  nationale  que  le  ci- 
devant  roi  fût  jugé  comme  tous  les  autres  particuliers.  Cette  arresta- 
tion a  eu  lieu  'dans  la  rue  Neuve-Sain.t-Laurent  ».  Il  conclut  en 
dénonçant  «  à  tout  Paris  cet  épaulettier  puant  le  royalisme  ».  De 
son  côté,  Marat  (Ami  'du  Peuple,  n°  504,  p.  8)  prend  violemment 
à  parti  la  majorité  de  l'Assemblée.  «  Voyez,  écrit-il,  I*  marche  de 
l'assemblée  nationale  toute  composée  de  contre-révolutionnaires, 
['incorruptible  Robespierre  seul  excepté.  Elle  commence  par  mettre 
à  couvert  de  la  juste  fureur  du  peuple,  le  monarque  et  sa  famille  ». 
II  s'en  prend  également  aux  Jacobins  i(n"  511,  p.  8):  «  Amis  de  la 
patrie,  faites  passer  par  des  voies  sûres  cette  feuille  aux  sociétés 
patriotiques  de  tous  les  département»,  et  à  tous  nos  régimens  étran- 
gers et  nationaux  ;  prévenez-les  de  ?.e  méfier  des  Jacobins,  plus  que 
suspects  depuis  leur  réunion  à  Mottié,  Bailly,  Chapelier.  Emery, 
Target,    Desmeuniors,    d'André    et   d'autres    chefs    des   conspirateurs 


538  LES   DISCOURS   PE   ROPESPIERRE 

«  Nous  ne  devons  pas,  ont-ils  dit,  nous  arroger  des  droits  qui  ne 
nous  conviennent  point  ;  nous  avons  délégué  tous  les  pouvoirs,  nous  ne 
pouvons  les  retenir.  La  reine  est  une  citoyenne,  le  roi  est  un  citoyen; 
c'est  le  premier  fonctionnaire  public;  en  cette  qualité,  il  est  soumis 
à  la  loi.  Il  faut  donc  suivre  la  marche  ordinaire  de  la  justice,  et  que  les 
mêmes  commis  reçoivent  la  déclaration  du  roi  et  de  la  reine.   » 

Journal  des  Débats,  n°  766,  p.   13. 

«  M.  Robespierre  et  M.  Buzot  ont  demandé  que  les  déclarations 
du  Roi  et  de  la  Reine  fussent  entendues  par  les  Tribunaux,  sans  l'ad- 
jonction des  Commissaires  pris  dans  l'Assemblée.  Ces  déclarations  ne 
peuvent,  en  effet,  être  considérées  que  comme  des  actes  judiciaires, 
comme  des  actes  de  la  procédure.  L'Assemblée,  qui  a  repoussé  avec 
sagesse  la  proposition  d'adjoindre  quelques-uns  de  ses  Membres  aux 
fonctions  du  pouvoir  exécutif,  se  gardera  bien  de  s'immiscer  dans  les 
fonctions  plus  dangereuses  encore  du  pouvoir  judiciaire.  Plus  la  Nation 
lui  témoigne  de  confiance,  plus  elle  doit  en  user  avec  ménagement. 
Quelle  raison  aurions-nous  ici  de  nous  écarter  des  principes  ?  La  Reine 
est  une  simple  citoyenne,  et  le  Roi  n'est,  dans  ce  moment,  qu'un 
citoyen  comptable  envers  la  Nation.  » 

Le  Législateur  français,  27  juin   1791,  p.    7. 

«  L'article  III,  portant  qu'il  seroit  nommé  des  commissaires,  pris 
dans  le  sein  de  l'assemblée,  pour  recevoir  les  déclarations  du  roi  et  de 
la  reine,  a  été  l'objet  d'une  discussion  assez  vive.  M.  Roberspierre 
disoit  nettement  que  ce  seroit  faire  une  injure  à  la  nation  de  faire  une 


contre-révolutionnaires  ;  prévenez-les  que  Robespierre  est  le  seul 
homme  pur  qui  se  trouve  encore  dans  le  sénat,  et  que  l'ami  du 
peuple  sera  toujours  l'incorruptible,  L'imperturbable  défenseur  et 
des  droits  du  citoven  et  de  la  liberté  publique  ». 

Enfin,  le  Babillard  <n°  24,  p.  4)  rapporte  que:  «  dans  le  Café 
du  Caveau...  un  homme  aux  cheveux  ronds  et  plats...  a  rappelé  la 
■séance  du  21  juin  dans  laquelle  Robespierre  aurait  dû  monter  à  la 
tribune  pour  dénoncer  tous  les  membres  gangrenés  de  l'assemblée 
nationale  et  les  chasser  sur  le  champ  ».  Tandis  que  la  Constituante 
achève  de  se  discréditer  dans  l'opinion  publique,  Robespierre  et  ses 
amis  apparaissent  comme  les  seuls  'défenseurs  des  droits  du  peuple 
et  leur  popularité  s'accroît.  «  Que  ne  ferait-il  pas,  écrit  le  rédacteur 
des  Révolutions  de  Paris  (n°  102,  p.  341)  à  propos  de  Thouret,  jî 
Robespierre  n'étoit  là  pour  opposer  la  digue  de  son  patriotisme  au 
débordement  des  principes  détestables  de  ce  comité  »  (du  comité  de 
constitution).  Et  Rutle'dge,  dans  son  Creuset  (t.  II,  n°  51)  ajoute 
à  propos  de  l'élection  à  la  présidence  de  l'assemblée  qui  eut  lieu 
pendant  cette  période:  «  M.  de  Beauharnais  a  été  élu...  et  le  sage 
Kobespierre  écarté  !  Les  observateurs  sévères  en  rapprochant  cette 
mesure  de  l'événement  qui  vient  d'avoir  lieu  le  21,  en  ont  tiré 
d'étranges  inductions  contre  la  pureté  de  la  majeure  partie  du  Sénat 
en  exercice  ». 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  539 

exception  pour  la  reine,  et  le  roi  qui  sont  comptables  de  leurs  actions 
au  peuple,  et  le  roi  sur-tout  en  sa  qualité  de  premier  fonctionnaire  public; 
et  il  concluoit  à  ce  que  les  déclarations,  dont  il  s'agit,  fussent  reçues 
par  le  tribunal  chargé  du  fond  de  l'affaire.  » 

Mercure  de  France,  9  juillet   1791,  p.    102. 

«  Moins  enveloppé,  M.  Roberspierre  a  soutenu  que  les  juges  du 
tribunal  de  l'arrondissement  des  Tuileries,  dévoient  interroger  les  té- 
moins et  recevoir  toutes  les  déclarations;  que  plus  le  peuple  a  de 
confiance  en  l'Assemblée  nationale,  plus  celle-ci  doit  la  ménager  avec 
délicatesse,  et  ne  pas  violer  tous  les  principes  pour  faire  une  exception 
aussi  singulière;  qu'aucun  citoyen  ne  se  dégrade  en  obéissant  aux  loix; 
que  la  Reine  n'est  qu'une  citoyenne,  et  le  Roi  un  citoyen  comptable 
à  la  nation.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Assemblée  nationale, 
Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XII,  n°  691,  p.  4;  Le  Journal  des 
Mêcontens,  n°  121,  p.  2;  La  Feuille  du  Jour,  t.  IV,  n°  178,  p.  750; 
La  Chronique  de  Paris,  n°  178,  p.  715;  La  Gazette  nationale  ou  Ex- 
trait..., t.  XVII,  p.  354;  Le  Journal  général  du  Pas-de-Calais,  17°1, 
n°   1,p.  5.] 


310.  —  SEANCE  DU  5  JUILLET  1791 
Sur  la  police  municipale 


1re  intervention:  Sur  l'inviolabilité  du  domicile 

Démeunier,  au  nom  du  comité  'de  constitution,  rapporte  devant 
l'Assemblée  le  projet  lde  décret  sur  l'organisation  et  les  règles  de 
la  police  municipale  et  la  police  correctionnelle.  iL'Àssemblée  vote 
rapidement  les  articles  concernant  les  «dispositions  d'ordre  public 
pour  les  villes  de  vingt  mille  âmes  et  au-dessus,  et  en  arrive  aux 
règles  à  suivre  par  les  officiers  municipaux  pour  constater  les  contra- 
ventions de  police. 

L'art.  10  du  projet  donne  lieu  à  débat.  Robespierre  intervient. 
Ses  observations  amènent  le  rapporteur,  <à  proposer  la  division  de 
l'article  en  deux  parties  distinctes.  iL'Assemblée  se  range  à  cet  avis, 
et  vote  les  art.  9  et  10:, 

«  9.  Nul  officier  municipal,  commissaire  <ju  officier  de  police 
municipale,  ne  pourra  entrer  dans  les  maisons  des  citoyens,  si  ce 
n'est  pour  la  confection  des  états  ordonnés  par  les  articles  I,  II  et 
III  (sur  le  recensement  des  citoyens)  et  la  vérification  des  registres 
des  logeurs,  pour  l'exécution  des  lois  sur  les  contributions  directes, 
ou  en  vertu  des  ordonnances,  contraintes  et  jugements  dont  ils  seront 
porteurs,  ou  enfin  sur  le  cri  des  citoyens  invoquant  de  l'intérieur 
d'une  maison,   le  secours  de  la  force  publique. 

<(   10.  A  l'égard  des  lieux  livrés  notoirement  à  la  débauche,   de 


540  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

ceux  où  tout  le  monde  est  admis  indistinctement,  tels  que  les  cafés, 
cabarets,  boutiques,  les  officiers  <de  police  pourront  toujours  y 
entrer  »... 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXIX,  p.  158 

«  M.  Robespierre.  Messieurs,  il  faut  qu'un  citoyen  soit  prévenu 
d'un  délit  pour  qu'on  puisse  rendre  sa  condition  pire  que  celle  des  autres 
citoyens,  et  surtout  pour  que  l'on  puisse  entrer  arbitrairement  dans  sa 
propre  maison,  et  violer  le  secret  de  ses  affaires.  (Murmures). 

«  Je  sais  qu'il  existe  un  préjugé  contraire,  et  cela  doit  être  puisque 
tel  étoit  l'ancien  usage  et  l'esprit  de  l'ancienne  police;  mais,  messieurs, 
il  vous  appartient  d'examiner  si  la  sûreté  publique  exige  la  violation  arbi- 
traire, et  très  dangereuse  de  la  liberté  individuelle.  N'est-il  pas  clair, 
par  exemple,  que  lorsqu'un  marchand  est  en  contravention,  que  lorsqu'il 
s'est  servi  de  faux  poids  et  de  fausses  mesures,  celui  qui  a  été  la 
victime  de  cette  fraude,  peut  s'en  être  apperçu  et  peut  le  dénoncer. 
Sans  doute  dans  ce  cas,  il  doit  être  permis  à  l'officier  de  police  de 
pénétrer  dans  l'intérieur  des  maisons,  parce  qu'aucun  citoyen  ne  peut 
souffrir  une  atteinte  dans  sa  liberté  individuelle,  à  moins  qu'il  ne  soit 
suspect;  mais  on  ne  peut  pas  donner  d'une  manière  vague  et  générale  aux 
officiers  de  police  le  droit  de  violer  ainsi  le  secret  des  maisons.  Je  vous 
prie  de  considérer,  messieurs,  qu'il  n'y  a  ptfs  un  seul  instant  dans  la 
journée  où,  en  vertu  de  l'article  proposé,  les  personnes  y  mentionnées 
ne  puissent  être  soumises  à  des  visites,   à  des  inquisitions  »   (1). 


2e  intervention  :  Sur  la  déclaration  des  réunions  des  sociétés  et  des  clubs 

Poursuivant  la  discussion  du  projet  de  décret  sur  l' organisation 
de  la  police  municipale  et  de  la  police  correctionnelle,  l'Assemblée 
en  arrive  aux  articles  concernant  les  délits  de  police  municipale 
et  les  peines  qui  seront  prononcées.  (L'art.  14,  sur  la  déclaration 
obligatoire  des  lieux  et  jours  de  réunion  des  sociétés  et  des  clubs, 
donne  à  Robespierre  l'occasion  d'intervenir. 

L'article,  amendé  par  le  rapporteur,  fut  adopté  sous  cette  rédac- 
tion :  <(  Ceux  qui  voudront  former  des  sociétés  ou  clubs  seront  tenus 
chacun,  à  peine  de  200  livres  d'amende,  de  faire  préalablement  au 
greffe  de  la  municipalité,  la  ^déclaration  des  lieux  et  jours  de  leur 
réunion;  et  en  cas  de  récidive,  ils  seront  condamnés  à  500  livres 
d'amende  ». 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIX,  p.  160 

«  M.  Robespierre.  L'article  62  (2)  cité  ici  n'est  relatif  qu'aux  assem- 
blées de  citoyens  qui  se  réunissent  pour  exercer  en  commun  une  partie 

(1)  Texte   reproduit  dans   les   Arch.   pari.,   XXVII,    747. 

(2)  Article  62  du  décret  du  14  décembre  1789,  rappelé  dans  la  ré- 
daction primitive  de  l'article  14  du  décret.  Cette  mention  fut  éliminée. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  541 

de  leurs  droits  politiques.  Je  ne  crois  pas  qu'il  s'applique  aux  clubs  et 
sociétés  particulières.  A  cet  égard,  j'observe  qu'il  résulteroit  de  l'ar- 
ticle proposé,  qu'il  n'y  auroit  pas  une  société  quelconque,  quelqu' indif- 
férente qu'elle  pût  être,  même  une  société  de  bal  ou  de  plaisirs,  qui  ne 
fût  astreinte  à  la  nécessité  de  faire  la  déclaration  de  ses  plaisirs  au 
greffe,  à  peine  de  200  livres  d'amende.  A-t-on  en  vue  des  sociétés  plus 
importantes,  celles  par  exemple  où  les  citoyens  se  réuniroient  pour  déli- 
bérer sur  leurs  intérêts,  pour  s'éclairer  sur  leurs  droits,  en  un  mot  pour 
appliquer  leurs  pensées  aux  objets  les  plus  intéressans  pour  des  hommes 
libres  ?  Je  dis  que  l'article  est  encore  plus  déplacé.  La  loi  ne  doit  pas 
avoir  d'autre  droit  envers  les  citoyens  qui  se  rassemblent,  que  de  punir 
les  contraventions,  s'il  s'en  commet;  mais  les  sociétés  sont  essentielle- 
ment légitimes,  et  la  loi  ne  peut  mettre  aucune  entrave  à  leur  formation, 
sans  porter  une  atteinte  également  injuste  et  inutile  à  la  liberté.  Quel 
est  le  but  de  cet  article  ?  C'est  de  mettre  des  obstacles  à  la  formation 
des  sociétés  dont  l'existence  a  été  jusqu'ici  le  plus  ferme  rempart  de 
la  liberté  publique  et  individuelle,  c'est  de  donner  aux  municipalités 
le  pouvoir  de  chicaner  celles  qui  voudraient  se  former.  Une  loi  de 
cette  nature  ne  peut  pas  être  adoptée  par  l'assemblée.  Nous  ne  devons 
pas  mettre  de  nouveaux  obstacles  à  ia  formation  de  l'esprit  public.  La 
liberté,  dans  les  momens  de  crise  où  nous  sommes,  a  encore  besoin 
de  surveillans  et  de  défenseurs,  a  encore  besoin  de  citoyens  qui  éclai- 
rent leurs  concitoyens  sur  leurs  droits,  sur  les  ennemis  qu'ils  ont  à  com- 
battre, en  un  mot  sur  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  le  maintien  de  la 
liberté  et  de  la  constitution;  et  bien  loin  de  mettre  des  entraves  à  de 
pareils  établissemens,  il  faudroit  les  encourager.  En  conséquence,  je 
demande  la  question  préalable  sur  l'article  proposé  »  (3). 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  7  juillet  1791,  p.  2. 

«  Cependant  ces  entraves  paroissoient  encore  à  MM.  Péthion  et 
Robespierre  contraires  à  la  liberté  ;  et  tandis  que  les  citoyens  honnêtes 
et  paisibles  ne  peuvent  s'assembler  tranquillement  pour  rédiger  une  péti- 
tion, sans  prévenir  le  corps  municipal,  ces  deux  amis  de  la  liberté  vou- 
loient  que  les  associés  jacobites,  au-dessus  de  toutes  les  îoix,  indépen- 
dans  de  toute  administration,  pussent  former  librement  même  leurs  ligues 
infernales,  sans  être  tenus  d'indiquer  même  l'antre  où  se  trament  leurs 
complots  si  funestes  à  la  tranquillité  publique.   » 

L'Ami  du  Peuple  (Marat),  n°  514,  p.  5. 

«  Flétrissez  d'un  fer  rouge,  appliqué  sur  les  joues,  tous  les  autres 
coquins  qui  ont  appuyé  les  funestes  décrets,  sans  néanmoins  se  vendre 
à  deniers  comptans;  et  n'oubliez  pas  de  donner  la  couronne  de  gloire 
à  l'incorruptible  Robespierre.   » 

(3)  Texte  reproduit  dans   les  Arch.   par!.,  XXVII,   749. 


542  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 
311.  —  SEANCE  DU  6  JUILLET   1791 
Sur  les  «  Tableaux  de  la  Révolution  » 


Robespierre  fait  hommage  à  la  Société  des  Tableaux  de  la  .Révo- 
lution. Il  demande  qu'il  soit  écrit  aux  (Sociétés  affiliées,  pour  leur 
faire  agréer  cet  ouvrage.  Sa  motion,  mise  aux  voix,  est  adoptée  (1). 

Journal  général  de  France,  12  juillet  1791,  p.  776. 

«  Des  murmures  sourds  succèdent  aux  éclats,  et  pour  les  faire 
cesser,  M.  Robertspierre  fixe  l'attention  des  honorables  Membres  sur 
des  tableaux  de  la  révolution  que  des  Auteurs  leur  présentent,  et  de- 
mande que  la  Société  daigne  en  accueillir  l'hommage  :  la  Société  a 
cette  bonté-là.   » 

Journal  des  Débats  des  Amis  de  la  Constitution,  n°  22,  p.  1. 

«  M  Robespierre.  J'ai  une  simple  annonce  à  faire  à  la  Société, 
c'est  celle  de  l'hommage  que  lui  font  les  auteurs  des  Tableaux  de  la 
Révolution.  Je  prie  la  Société  d'agréer  cet  hommage,  et  je  demande 
que  l'on  écrive  aux  sociétés  affiliées  pour  le  leur  faire  agréer  égale- 
ment »  (2). 

La  Feuille  du  Jour,  t.  V,  n°  191 ,  p.  75. 

«  M.  Robespierre  demande  que  la  Société  daigne  accueillir  l'hom- 
mage des  tableaux  de  la  révolution,  que  leurs  auteurs  leur  présentent, 
et  la  société  les  accueille.   » 


(1)  Société  des  Amis  de  la  Constitution.  Comité  de  Correspon- 
dance, 20  août  1791,  in-4°,  3  p.  (B.N.  Lb40  2242).  Envoi  d'un  pros- 
pectus des  Tableaux  de  la  Révolution  française  (cité  par  Tourneux, 
II,  n°  9191;  il  étudie  ce  recueil  dans  le  ttome  Ier,  p.  35,  n°  278).  Il 
.s'agit  de  la  célèbre  collection  de  48  gravures,  de  Prieur  et  de  Du- 
plessi-Bertaux. 

(2)  Texte  reproduit  par  Aulard,  II,  587. 


312.  —  SEANCE  DU  7  JUILLET  1791 
Sur  l'exposition  et  la  vente  d'images  obscènes 


Démeunier,  rapporteur  au  nom  du  comité  de  constitution,  pré- 
sente à  l'Assemblée  le  titre  II  du  projet  de  décret  sur  la  police 
municipale  et  la  police  correctionnelle.  Il  concerne  les  dispositions 
générales  sur  les  peines  de  police  correctionnelle.  Pétion  et  Robes- 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  543 

pierre  interviennent  au  sujet  de  l'art.  7  qui,  malgré  leurs  observa- 
tions, est  adopté  sous  la  rédaction  proposée  par  le  rapporteur: 
••<  Ceux  qui  seront  prévenus  d'avoir  attenté  publiquement  aux  mœurs, 
par  outrage  à  la  pudeur  des  femmes,  par  actions  déshonnêtes  ; 
d'avoir  favorisé  la  débauche  ou  corrompu  des  jeunes  gens  de  l'un 
ou  l'autre  sexe,  par  exposition  et  vente  d'images  obscènes,  pourront 
être  saisis  sur  le  champ  et  conduit  devant  le  juge  de  paix,  lequel  est 
autorisé  à  les  faire  retenir  jusqu'à  la  prochaine  audience  de  la  police 
correctionnelle  ». 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIX,  p.  219 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  vois  pas  que  le  comité  puisse  résoudre 
le  problème  proposé  par  M.  Pétion,  du  moins  je  ne  vois  pas  que  l'on 
puisse  substituer  à  l'épithète  d'obscène  une  autre  épithète  moins  vraie, 
et  qui  puisse  moins  donner  lieu  à  l'arbitraire.  J'adopte  cependant  l'avis 
de  M.  Péthion,  et  j'y  ajoute  cette  observation  :  c'est  que  si  le  législa- 
teur peut  se  mêler  de  la  vente  et  de  l'exposition  des  images,  s'il  peut 
la  punir,  il  y  a  la  même  raison  contre  les  écrits  obscènes  et  licentieux 
(sic),  il  faut  par  conséquent  attaquer  ici  la  liberté  de  la  presse  (ah!  ah!). 
C'est  sur  un  principe  qu'il  faut  établir  la  loi;  or,  le  principe  est  ici  le 
même  pour  les  communications  des  idées  qui  sont  présentées  au  public, 
soit  par  la  parole,  soit  par  les  écrits,  soit  par  les  usages  des  beaux-arts, 
tel  que  la  gravure  et  la  peinture.  La  loi  doit  être  uniforme;  et  puisque 
cette  loi  porte  sur  le  principe  sacré  de  la  liberté,  je  dis  que  pour  faire 
une  pareille  loi  il  faut  en  approfondir  le  principe,  il  faut  la  considérer 
d'une  manière  générale,  et  ne  point  entamer  sans  cesse  le  principe  par 
des  loix  partielles  qui,  tantôt  sous  un  prétexte,  tantôt  sous  un  autre, 
portent  atteinte  à  la  liberté  de  publier  ses  pensées.  Nous  avons  le  droit 
de  faire  au  comité  de  constitution  le  reproche  d'avoir  sans  cesse  éludé 
la  discussion  solemnelle  et  profonde  de  cette  question,  et  de  nous  l'avoir 
toujours  fait  préjuger  en  détail  par  des  articles  partiels.  Je  conclus  que 
dans  ce  moment  l'assemblée  nationale  ne  doit  point  porter  une  loi  sur 
ce  que  le  comité  appelle  les  images  obscènes  »  (1). 

Journal  Général  du  Pas-de-Calais,  1791,  n°  4,  p.  60. 

«  M.  Robespierre  voit  dans  cet  article  un  grand  obstacle  à  !a  liberté 
de  la  presse.  Si  vous  établissez  une  peine  contre  les  vendeurs  d'images 
obscènes,  il  faudra  donc  aussi  en  décerner  contre  les  vendeurs  de  cer- 
tains livres.  Sa  conclusion  étoit  assez  juste  et  devoit  étendre  la  punition 
sur  un  double  délit  contre  les  moeurs  publiques.  L'honorable  opinant 
voit  dans  le  projet  du  comité  de  constitution  une  marche  insidieuse, 
qui  tend  à  altérer  la  liberté  individuelle.   » 


(1)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXVIII, 


544  les  discours  de  robespierre 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

313.  —  SEANCE  DU  9  JUILLET  1791 
Sur  l'affaire  de  Porentruy 


L'ordre  du  jour  appelle  le  rapport  de  Sergent  sur  les  habitants 
de  Porentruy  enfermés  à  iSaint-Hippolyte,  comme  criminels  de  haute 
trahison  envers  l'évêque  de  Bâle,  prince  de  Porentruy,  qui  réclame 
leur  extradition  (1). 

En  mars  1791,  des  troupes  impériales  s'étaient  installées  à  Poren- 
truy, à  l'appel  du  prinee-évêque  de  Bâle.  Le  19  avril,  à  la  séance 
du  soir,  il  avait  été  (fait  lecture  à  l'Assemblée  nationale  d'un  mé- 
moire des  députés  extraordinaires  de  Porentruy  :  ils  provoquaient 
l'attention  de  l'Assemblée  sur  les  rassemblements  de  troupes  opérés 
à  Porentruy;  ils  rappelaient  les  traités  d'alliance  renouvelés  en  1780 
d'après  lesquels,  le  prinee-évêque  de  Bâle  ne  peut  introduire  de 
troupes  étrangères  dans  cette  partie  de  ses  états,  sans  le  consente- 
ment de  la  France,  cette  dernière  puissance  ayant  seule  le  droit 
d'occuper  ce  territoire  quand  elle  le  juge  nécessaire  à  la  défense 
de  ses  frontières.  Ils  suppliaient  en  conséquence  l'Assemblée  natio- 
nale et  le  roi  d'envoyer  des  troupes  à  Porentruy,  dans  le  double 
objet  de  défendre  le  département  du  Jura  contre  les  menaces  contre- 
révolutionnaires  du  prinee-évêque,  et  de  protéger  les  habitants,  alliés 
de  la  France,  contre  ses  vexations.  OLe  28  avril,  d'André,  au  nom 
du  comité  diplomatique,  rend  compte  de  cette  affaire,  qu'il  déclare 
ne  présenter  .aucun  danger  <2).  Elle  devait  revenir  devant  l'Assem- 
blée le  2:2  juillet,  puis  le  23.  L'As>se<mblée  décréta  que  le  ministre 
des  affaires  étrangères  enverrait  auprès  de  l'évêque  de  Bâle,  un 
ministre  chargé  de  réclamer  l'exécution  du  traité  de   1780. 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n"   24. 

«  En  vain,  MM.  de  Noailles,  Reubell  et  Robespierre  s'efforcèrent- 
ils  de  démontrer  que  la  position  de  Pqrentruy,  la  nature  de  son  site, 
pouvaient  inspirer  quelques  craintes  à  la  France  dans  un  moment  où 
il  y  arrivait  chaque  jour  des  troupes  à  la  solde  d'une  puissance  enne- 
mie de  la  révolution,  en  vain  rappelèrent-ils  que  par  le  traité  de  1739 
renouvelle  en  1780,  le  prince  évêque  ne  peut  faire  garder  les  défilés 
et  les  gorges  de  ses  états  que  par  des  troupes  françaises.  En  vain  l'adresse 
des  habitants  de  Porentruy  sollicita  de  l'Assemblée  nationale  l'exécu- 
tion de  ce  traité,  elle  fut  renvoyée  au  Comité  diplomatique,  et  les 
troupes  autrichiennes  restèrent  maîtresses  de  nos  fortifications  dans  ce 
pays.   » 


11)  Cf.  Arch.  tnat.  D  XXIX  bis,  33,  dossier  339,   et  D  XXIX,   2, 
dossier  32,   p.   1-24. 

(2)  Aulard  (II,  599)  donne  un  résumé  très  bref  de  cette  séance. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  545 

314.  —  SEANCE  DU  12  JUILLET  1791 
Sur  le  mode  de  calcul  de  la  contribution  foncière 

APPLICABLE    AUX   TOURBIÈRES 


Le  duc  de  La  (Rochefoucauld;  au  nom  du  comité  des  contribu- 
tions publiques,  fait  un  rapport  concernant  l'évaluation  des  bois 
taillis  et  des  tourbières,  iqui  doit  servir  «de  base  au  calcul  de  la  con- 
tribution foncière.  Il  propose  à  l'Assemblée  de  décréter,  entre 
autres,   l'article   suivant: 

«  3.  Lorsqu'un  terrain  sera  exploité  en  tourbière,  on  évaluera, 
pendant  les  dix  années  qui  .suivront  le  commencement  du  tourbage, 
son  revenu  au  double  de  la  somme  ,à  laquelle  il  était  évalué  l'année 
précédente.   » 

Après  une  légère  discussion,  l'Assemblée  adopta  le  projet  du 
comité. 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXIV,  n°   73    3,  p.  206. 

«  M.  Robespierre  a  présenté  un  projet  de  décret  qui  a  été  débattu 
par  MM.  Nogaret,  Dorthan  (1),  Fermond,  Populus,  Rcederer  et  Dau- 
chi.  » 


(1)  Comte  de  Dortans,   député  de  la  noblesse  de   Dole. 


315.  —  SEANCE  DU  12  JUILLET  1791  (soir) 
Sur  les  troubles  de  Brie-Comte -Robert  (suite) 


Le  18  juin  au  soir,  sur  l'intervention  de  Robespierre,  l'Assem- 
blée avait  renvoyé  à  son  comité  des  rapports,  l'affaire  des  troub'es 
survenus  à  Brie-Comte-Robert,  du  fait  des  chasseurs  de  Hainaut 
cantonnés  dans  cette  ville  {1).  Le  12  juillet  au  soir,  une  députation 
de  la  garde  nationale  de  Brie-Comte-Robert  demande  à  être  admise 
a  la  barre  :  elle  .réclame  la  liberté  provisoire  des  citoyens  détenus 
h  la  suite  des  troubles.  La  députation  n'ayant  pas  été  autorisée  à 
présenter  son  .adresse,  Robespierre  insiste  pour  que  lecture  en  soit 
donnée  >à  l'Assemblée.  Malgré  'Lavie  et  Roussillou,  député  du  tiers 
état  de  la  sénéchaussée  de  Toulouse,  l'Assemblée  décide  d'entendre 
la   lecture  de  cette  adresse. 

L'affaire  fut  à  nouveau  .renvoyée  au  comité  des  rapports.  Elle 
revint  devant  l'Assemblée  le  16  juillet  1791.  Ce  jouir-là,  un  secrétaire 
donna  lecture  d'une  adresse  du  directoire  du  département  de  Seine- 
et-Marne  dans  laquelle  il  s'élève  contre  les  dénonciations  de  Robes- 
pierre, du  18  juin  et  du  12  juillet,  visant  les  corps  administratifs 
et    le    détachement   des   chasseurs   de   Hainaut   (2).  Le   2    août,    une 


(1)  Cf.    ci-dessus,    séance   du   18  juin   1791. 

(2)  L'adresse  est  mentionnée  dans  le  Pacquebot,  n°  165;  l'Ami 
du  Roi,  17  juil.  1791,  p.  791  ;  le  Journal  du  Soir  (B.N.  LC2  414) 
u"   376,   p.   3;  le  Législateur  français,   17  juillet   1791,   p.   8;   l'Argus 


546  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

nouvelle  députation  déléguée  par  la  municipalité,  et  la  Société  des 
Amis  de  la  (Constitution  de  Brie-Comte-Robert,  protesta  une  nou- 
velle fois  contre  la  dénonciation  de  Robespierre,  concernant  les  offi- 
ciers municipaux  de  cette  ville  (3). 

L'affaire  ne  fut  définitivement  réglée  par  l'Assemblée  que  le 
6  août  1791. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIX,  p.  378 

«  M.  Robespierre.  Je  demande  qu'une  adresse  apportée  à  l'assem- 
blée nationale  par  des  citoyens  de  Brie-Comte-Robert  soit  lue,  parce 
qu'il  ne  leur  a  pas  été  permis  de  la  lire  eux-mêmes.  Je  demande  qu'elle 
soit  lue,  parce  que,  quoique  cette  adresse  ne  contienne  point  de  louan- 
ges, elle  n'en  est  que  plus  intéressante  pour  l'assemblée  nationale;  elle 
lui  dénonce  des  faits  qu'elle  a  intérêt  à  connoître,  des  persécutions 
atroces  exercées  contre  les  citoyens  de  la  garde  nationale... 

«  M.  Lavie.  Si  cette  adresse  doit  contenir  les  mêmes  faits  que 
ceux  dénoncés  par  M.  Robespierre,  je  dis  que  ces  faits  ont  été  ren- 
voyés au  pouvoir  exécutif;  que  par  conséquent  il  est  inutile  de  les  tracer. 

«  M.  Robespierre.  J'ai  l'honneur  d'observer  que  ce  ne  sont  point 
les  mêmes  faits.  11  y  a  d'abord... 

«  Plusieurs  voix.  Qu'on  la  lise. 

[Lecture  est  faite  de  l'adresse  des  citoyens  de  Brie-Comte-Rob^rt.] 

patriote,  n°  12,  p.  316;  les  Affiches  d'Angers,  n°  61  bis,  p.  292;  les 
Annales  patriotiques  et  littéraires,  p.  1693  ;  et  reproduite  dans  les 
Arch.  par'l.,  XXVIII,  219,  d'après  le  Moniteur. 

(3)  Cf.  le  Journal  de  Paris,  4  août  1791,-  p.  869;  l'Argus  patriote. 
n°  17,  p.  454;  les  Affiches  d'Angers,  n°  67,  p.  317;  et  l'Ami  du  Roi, 
4  août  1791,  p.  862,  qui  s'exprime  en  ces  termes:  «  La  municipalité 
et  les  amis  de  la  constitution  de  Brie-Comte-Robert,  se  sont  réunis 
pour  envoyer,  ià  l'assemblée,  une  députation.  Admis  à  la  barre, 
l'orateur  a,  rendu  compte  des  troubles  qui  ont  désolé  cette  petite 
ville,  et  qui  ne  sont  pas  encore  entièrement  éteints;  ensuite  il  s'est 
appesanti  sur  la  calomnie  du  législateur;  il  n'a  point  été  difficile 
de  reconnoître  M.  .Robespierre  dans  le  portrait  peu  flatteur  qu'il  a 
fait  de  l'auteur  de  cette  calomnie;  il  a  représenté  combien  il  avoit 
été  affligeant  pour  les  officiers  municipaux,  d'en  >avoir  été  l'objet, 
tandis  que  sans  leur  conduite  ferme,  la  ville  seroit  devenue  le 
théâtre  d'une  scène  sanglante:  il  a  fini  par  demander,  comme  un 
moyen  efficace,  de  rétablir  la  paix,  que  l'assemblée  autorisât  la 
municijDalité  à  organiser  provisoirement  sa  garde  nationale. 

«  M.  Robespierre  souffroit,  sans  doute,  pendant  le  discours  de 
l'orateur;  mais  M.  le  président  a  pris  la  verge,  à  son  tour,  et  en 
consolant  la  municipalité  de  Brie  des  injures  qu'elle  avoit  reçues, 
et  en  faisant  le  plus  grand  éloge  du  zèle  et  du  courage  qu'elle  avoit 
montrés  contre  les  factieux,  il  .a  frappé  M.  Robespierre  d'une  assez 
bonne  manière,  pour  qu'il  s'en  souvienne;  et  comme  si  l'assemblée 
vouloit  aussi  se  mêler  d'ajouter  à  la  correction,  elle  a  ordonné 
["impression  tant  du  discours,  qua  de  'la  réponse  du  président,  et 
accordé  les  honneurs  de  .la  séance  à  la  députation. 

«  M.   Robespierre  n'a  pas  soufflé...    » 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  547 

((  M.  Robespierre  J'ai  l'honneur  d'observer  que  l'affaire  a  déjà 
été  renvoyée  au  comité  des  rapports  par  un  décret  rendu  il  y  a  quinze 
jours;  que  le  comité  étoit  chargé  d'en  rendre  compte  deux  jours  après; 
que,  depuis  cette  époque,  un  de  ces  malheureux  est  mort;  et  que,  si  le 
rapport  eût  été  fait  plus  tôt,  sans  doute  l'assemblée  nationale  n'auroit 
point  à  se  reprocher  ce  malheur.  (Murmures).  C'est  la  commune  qui 
réclame  contre  une  municipalité  aristocratique  et  coupable.  J'ai  tou- 
jours vu  que  lorsqu'on  avoit  présenté  à  l'assemblée  nationale  la  cause 
des  citoyens  opprimés,  l'assemblée  témoignoit  la  plus  vive  sollicitude, 
et  qu'il  n'y  avoit  eu  d'exception  qu'en  faveur  des  patriotes  opprimés. 
(Allons,  allons.  Murmures  dans  l'Assemblée;  applaudissemens  aux  tri- 
bunes)  »  (4). 

Le  Législateur  français,  t.  III,   14  juillet  1791,  p.  2. 

«  M.  Robertspierre  a  demandé  qu'il  fût  fait  lecture  d'une  adresse 
des  habitans  de  Brie-Comte-Robert,  qui  élèvent  les  plaintes  les  plus 
vives  contre  les  officiers  municipaux,  qu'ils  accusent  d'avoir  inhumaine- 
ment retenu  dans  les  cachots  plusieurs  citoyens  irréprochables. 

«  M.  Robertspierre  demandoit  que  les  citoyens  dont  il  parloit 
fussent  provisoirement  mis  en  liberté.  M.  Roussillou  a  interpellé  M.  Ro- 
bertspierre et  a  observé  à  l'assemblée  qu'il  devoit  vraisemblablement 
avoir  entre  ses  mains  la  délibération  de  la  municipalité,  en  vertu  de 
laquelle  les  citoyens  dont  il  parloit  avoient  été  emprisonnés;  et  il  l'a 
prié  de  vouloir  bien  en  donner  connoissance  à  l'assemblée. 

«  M.  Robertspierre  n'a  pas  répondu  très-directement  à  la  demande 
de  M.  Roussillon  :  il  s'est  contenté  de  dire  que  par  une  fatalité  cruelle 
on  ne  rendoit  jamais  justice  aux  patriotes  persécutés. 

«  Les  tribunes  ont  applaudi  à  la  réflexion  patriotique  de  M.  Ro- 
bertspierre; mais  d'autres  patriotes  répondoient  qu'il  y  avoit  des  tribu- 
naux établis  par  la  constitution,  à  qui  les  citoyens  de  Brie-Comte-Robert 
ou  ceux  qui  prenoient  leur  défense  pouvoient  porter  leurs  plaintes  et 
faire  punir  légalement  les  officiers  municipaux  prévaricateurs.  Ces  prin- 
cipes ont  triomphé  en  observations  de  M.  Robertspierre,  et  on  est  passé 
à  l'ordre  du  jour  sur  sa  demande.  » 

Le  Creuset,  t.   III,  p.  93. 

«  Les  citoyens  de  Brie-Comte-Robert  ont  élevé  des  plaintes  contre 
leurs  officiers  municipaux,  à  raison  des  emprisonemens  interminables 
qu'ils  font  illégalement  subir  à  leurs  concitoyens.  Robespierre  a  voulu 
parler  en  faveur  des  opprimés;  un  brigand  nommé  Roussillout  s'est 
rangé  du  côté  des  oppresseurs.  Ce  dernier  a  fait  des  difficultés  de 
forme,  le  patriote  a  répliqué  par  des  raisons  de  fonds.  Les  tribunes 
ont  applaudi  Robespierre.  Mais  un  coquin  de  gazettier  nommé  Beaulieu 

(4)  Texte  reproduit  datte  les  Arch.  pari.,  XXVIII,  219.      : 


548  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

a  eu  l'audace  d'imprimer  le  lendemain  que  l'assemblée  avoit  passé  à 
l'ordre  du  jour.  Malheureusement  pour  les  pères  conscrits,  Beauîieu  ne 
ment  point  toujours  !   » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  14  juillet  1791,  p.  777. 

«  M.  Robespierre  ici,  a  sans  doute  été  convaincu  de  l'étourderie 
de  sa  dénonciation,  contre  les  chasseurs  du  Hainault,  qu'il  annonçait 
comme  exerçant  à  Brie-Comte-Robert  le  despotisme  militaire;  ils  exé- 
cutaient des  jugements  constitutionnels;  le  fait  est  actuellement  avoué 
par  les  citoyens  et  les  gardes  nationales  de  cette  ville.  L'étourderie  est 
quelquefois  pardonnable,  mais  elle  est  un  grand  vice  dans  un  législa- 
teur. Puisse  encore  M.  Robespierre  n'être  coupable  que  d'étourderie  !  » 

Le  Défenseur  du  Peuple,  n°   12,  p.  6. 

«  M.  Robespierre,  l'irréprochable,  l'incorruptible  ami  de  Marat, 
qu'il  prétend  ne  pas  connaître,  peut  dénoncer,  dénoncer,  dénoncei,  à 
Paris,  avec  assez  peu  de  succès;  mais  ce  que  dit  un  homme  d'une  aussi 
grande  réputation,  inquiète  les  provinces.  Le  département  de  Seine-et- 
Marne  s'est  plaint  de  ce  que,  dans  la  séance  du  12,  le  député  d'Arras 
a  fait  une  dénonciation  qui  a  excité  le  trouble  dans  la  vfll*  de  Brie- 
Comte-Robert  ;  elle  inculpait  les  Chasseurs  qui  y  sont  en  garnison  ;  *ls 
se  sont  toujours  distingués  par  leur  zèle  et  leur  soumission  aux  loix,  ce 
qui  est  un  peu  différent  de  ce  que  disait  M.  Robespierre  qui  avait  fait 
briller  sa  chaude  éloquence  en  faveur  d'un  mort,  prétendu  victime  des 
exhalaisons  méphitiques  des  prisons  de  Brie  :  les  membres  du  départe- 
ment assurent  que  les  prisonniers  n'y  respirent  point  un  air  insalubre,  et 
finissent  par  un  trait  de  lumière.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  universel, 
t.  XII,  p.  11086;  Le  Journal  de  Rouen,  n°  195,  p.  951  ;  Le  Journal 
de  Paris,  14  juillet  1791,  p.  781  ;  Le  Journal  de  la  Noblesse...,  t.  II, 
n°  29  (B),  p.  303.] 


316.  —  SEANCE  DU  13  JUILLET  1791 

Sur  l'impression  du  rapport  des  comités 

concernant  la  fuite  du  roi 


Muguet  de  Nanthou,  au  nom  des  comités  diplomatique,  militaire, 
de  constitution,  de  revision,  de  jurisprudence  criminelle,  des  rap- 
ports et  des  recherchés,  présente  à  l'Assemblée  un  rapport  sur, là 
fuite  du  roi.  Il  conclut  en  demandant  qu'elle  décrète  qu'il  y  a.  lieu 
à   accusation    contre   Bouille   pour  complot   tendant   à   renverser   la 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  549 

■constitution  et  contre  un  certain  nombre  d'autres  personnes  pour 
complicité    (1). 

Après  lecture  de  ce  rapport,  quelques  membres  demandent  son 
impression,  d'autres  l'ajournement  de  la  discussion  jusqu'après 
l'impression.  D'André  s'oppose  .au  renvoi  de  la  discussion,  demande 
qu'elle  .s'ouvre  immédiatement.  Kobespierre  au  contraire  se  prononce 
pour  l'ajournement  de  'la  discussion  jusqu'après  l'impression  du  rap- 
port. Alexandre  <Lameth  se  déclare  pour  la  discussion  immédiate  (2). 

L'Assemblée  rejeta  la"  proposition  d'ajournement  et  ordonna 
l'impression  du   rapport  et  des   pièces. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXIX,  p.  432 

«  M.  Robespierre.  Messieurs,  si  je  pensais  que  demander  un  délai 
qui  me  paroît  nécessaire  pour  examiner  la  plus  importante,  la  plus  solem- 
nelle  des  questions  qui  puissent  être  agitées  dans  l'assemblée  nationale, 
c'était  attaquer  la  constitution  et  faire  acte  de  factieux,  je  me  garderois 
bien  d'appuyer  la  motion  du  premier  opinant;  mais  je  crois,  messieurs, 
que  le  véritable  moyen  d'assurer  la  constitution,  c'est  de  délibérer  avec 
la  plus  grande  maturité  sur  les  objets  importans  qui  nous  restent  à  dis- 
cuter :  je  crois  que  le  plus  sûr  moyen  de  l'altérer,  c'est  d'en  anéantir 
les  principes,  c'est  précisément  de  mettre  la  précipitation  à  la  place  du 
calme  et  de  la  sagesse  qui  doivent  toujours  nous  guider,  de  substituer 
aux  règles  essentielles,  de  toute  assemblée  libre,  la  surprise  et  la  préci- 
pitation, qui  sont  les  armes  les  plus  terribles  dans  les  mains  de  l'intrigue. 
(Quelques  applaudissemens).  Je  crois,  dis-je,  que  cette  règle  est  d'au- 
tant plus  nécessaire  à  suivre  actuellement  que  si  on  adoptoit  le  principe 
contraire,  tout  en  parlant  de  constitution,  on  pourrait  nous  amener  à 
rendre  des  décrets  contradictoires  avec  ceux  qui  ont  établi  la  liberté. 
J'appuie  donc  la  motion  faite  de  n'ouvrir  la  discussion  qu'après  l'impres- 
sion du  rapport  »  (3). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°    196,  p.  808. 

«  M.  Roberspierre.  J'ignore  à  quel  titre  on  caractérise  de  factieux 
ceux  qui  demandent  qu'on  examine  le  plus  solennellement  la  question 
importante  qui  vous  est  soumise.  Le  véritable  moyen  qui  conduit  à  une 
marche  sûre  :  c'est  de  délibérer  avec  maturité.  Ce  n'est  pas  vouloir 
le  bien  du  royaume  que  de  mettre  la  précipitation  à  la  place  du  calme, 
et  de  substituer  la  surprise  aux  règles  de  la  prudence.  (Quelques  mem- 
bres de  la  partie  gauche  et  une  grande  partie  des  tribunes  applaudis- 


(1)  Cf.  ci-dessus  séance  extraordinaire  des  \21  juin  et  jours  sui- 
vants, 8°  intervention.  Le  rapport  des  sept  comités  a  provoqué  de 
vives  protestations  dans  l'opinion  parisienne,  témoin  1'-  «  Adresse 
au  peuple  français  par  la  Société  fraternelle  contre  l'inviolabilité 
royale  »  mentionnée  dans  l'Orateur  du  Peuple  (t.  iVII,  n°  G,  p.  45). 
Ci.   aussi,   séance  du  13  juillet  aux  Jacobins. 

(2)  Voir  E.  Hamel,   I,  500. 

(3)  Texte   reproduit  dans   les  Arch.   pari.,   XVIII,   243. 


550  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

sent).  Prenons  garde  qu'on  ne  nous  conduise  à  un  système  contradic- 
toire à  nos  précédens  décrets.  Je  demande  l'ajournement  de  la  discus- 
sion jusqu'à  l'impression  du  rapport  »  (4). 

L'Argus  patriote,  n°    12,  p.  293. 

«  Comment  M.  Robespierre,  qui  est  un  grave  magistrat,  jn  Séna- 
teur de  poids,  une  si  bonne  tête,  a-t-il  pu  avancer  que,  pour  délibérer 
avec  maturité,  il  faut  livrer  à  la  discussion  de  tous  les  méchans,  de 
tous  les  ignorans,  de  tous  les  antagonistes  de  la  liberté,  de  tous  les 
contre-révolutionnaires,  des  exagérés  dans  tous  les  sens,  et  de  tous  les 
ennemis  du  Royaume,  une  question  qui,  sous  tous  ses  rapports,  ne  peut 
produire,  en  retardant  la  discussion,  que  du  désordre  et  de  l'anarchie. 
Ce  Député  a-t-il  bien  réfléchi  aux  moyens  de  rétablir  la  tranquillité. 
Ramenez,  a-t-il  dit,  les  esprits  aux  principes  de  la  liberté  et  de  la  Cons- 
titution. Après  avoir  fourni  des  prétextes  à  la  foule  innombrable 
de  nos  ennemis  publics  et  secrets,  de  nos  ennemis  de  toutes  les  des- 
criptions, il  verra  qu'il  ne  peut  point  atteindre  le  but  qu'il  s'est 
proposé  ?  J'admets  qu'il  peut  résulter  quelques  dangers  des  mesures 
modérées  qu'ont  proposées  les  sept  Comités;  mais  des  maux  incalcu- 
lables, les  calamités  les  plus  affreuses  seraient  l'effet  des  mesures 
contraires.  Si,  comme  on  l'assure,  M.  Robespierre  a  des  intentions 
pures,  il  doit  s'arrêter  au  bord  du  précipice;  il  doit  en  fixer  la  profon- 
deur, et  jeter  les  yeux  sur  tout  ce  qui  l'environne.  Alors,  sans  doute, 
il  s'arrêtera;  alors,  il  ne  balancera  pas  à  se  retirer  du  groupe  effrayant, 
à  la  tête  duquel  il  s'est  mis  en  scène.    » 

Le  Défenseur  du  Peuple,  n°  7,  p.  7. 

«  M.  Robespierre,  sous  prétexte  de  plus  de  maturité  dans  la  déli- 
bération, désirait  l'ajournement;  comme  si  on  ne  pouvait  discuter  froi- 
dement, mais  de  suite,  un  point  très  important  !  Comme  s'il  n'était  pas 
absolument  nécessaire,  à  tous  égards,  de  déterminer  ce  qui  est  relatif 
au  monaraue,  sans  désemparer  î  Malgré  le  vœu  de  M,  Robesoierre,  qui 
n'a  pas  vu  oue  temDoriser  ici  serait  ruiner  la  chose  publioue,  l'assemblée 
a  décrété,  comme  l'avait  désiré  M.  d'André,  que  la  discussion  serait 
ouverte   à   l'instant,   et   continuerait  de   suite.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  législateur  français, 
14  juillet  1791,  p.  8;  Le  Creuset,  t.  III,  n°  52:  Les  Annales  patrio- 
tiques et  littéraires,  n°  650,  p.  1678:  Le  Journal  de  Rouen.  n°  196, 
p.  957;  Les  Aifiches  d'Angers.  n°  61,  o.  291;  Le  Journal  général, 
p.  685:  Le  Journal  universel  t.  XII,  o.  11090;  L'Ami  du  Roi  (Mont- 
joie),  15  iuillet  1791,  p.  781;  Le  Journal  de  Louis  XVI  et  de  son 
peuple,  t.  IV,  n°    104;  Le  Journal  de  la  Cour  et  de  la  Ville,  n°   14, 


(4)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  IX,  120. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  551 

p.  106;  Le  Courier  de  Provence,  n°  316,  p.  544;  Le  Patriote  fran- 
çois,  n"  704,  p.  54;  Le  Journal  général  du  Pas-de-Calais,  n°  6,  p.  68; 
L'Orateur  du  Peuple,  t.  VII,  n°  6,  p.  45;  Le  Journal  des  Débats, 
n°  783,  p.  22] 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

317.  —  SEANCE  DU  13  JUILLET  1791 
Sur  l'inviolabilité  royale 


La  discussion  s'engage  sur  la  «question  de  l'inviolabilité  de  la 
personne  du  roi.  Anthoine  rend  compte  du  rapport  présenté  le  matin 
même  à  l'Assemblée  nationale  sur  cette  question,  et  qui  concluait 
à 'la  unise  en  accusation  de  Bouille,  «  ses  fauteurs,  complices  et  adhé- 
rents ».  Legendre  intervient  dans  le  débat,  puis  Robespierre,  Rosde- 
rer  et  Danton.  A  la  fin  de  la  séance,  iSigaud  (1)  communique  à  la 
Société  une  lettre  qu'il  a  rédigée  au  Palais  Royal,  au  nom  de  300 
personnes,  «  pour  voter  des  remerciements  à  Pétion  et  Robespierre, 
qui  ont  montré  le  plus  grand  courage  dans  la  défense  du  peuple 
(2)  »• 

Journal  de  la  Révolution,  n°   337,  p.    109. 

((  M.  Robespierre  a  d'abord  fait  quelques  réflexions  sur  les  moyens 
de  ceux  qui  opinent  aujourd'hui  en  faveur  de  Louis,  c'est-à-dire  sur 
leurs  calomnies  quand  nous  avons  demandé,  a-t-il  dit,  un  ajournement, 
afin,  soit  d'examiner  le  rapport,  soit  de  consulter  la  nation,  on  nous 
a  répondu  que  nous  étions  des  factieux  qui  cherchoient  à  détruire  la 
monarchie.  Tel  est  le  langage  qu'on  a  tenu  dans  tous  les  tems,  lorsque 
nous  nous  sommes  élevés  contre  l'insécurité  de  la  liste  civile  contre 
quelques  autres  décrets  désastreux  :  aujourd'hui,  on  crie  que  nous  som- 
mes des  républicains,  mot  vague,  qu'on  peut  appliquer  de  mille 
manières,  et  dont  les  vrais  factieux  abusent...  La  différence  qu'il  y  a 
entre  nos  adversaires  et  nous,  c'est  que  nous  voulons  un  monarque  et  une 
nation  libre,  et  des  loix  au-dessous.  Les  ministres  doivent  répondre  de 
tout  ce  qu'ils  font  avec  le  roi,  mais  de  ce  qu'il  fait  seul,  qui  répondra  ? 
Tous  les  crimes  seront  donc  impunis...  Celui  qui  n'est  point  soumis  à  la 
loi  est  le  plus  vil  et  le  plus  malheureux  des  hommes;  il  est  exposé  à  la 
fureur  du  premier  audacieux...  Tarquin  étoit  inviolable  aussi;  mais  i!  se 
trouva  un  Brutus.  Pourquoi  le  second  des  Brutus  assassina-t-il  César  ? 
Voici  comment  les  conjurés  raisonnèrent  :  «  II  faut  égorger  César,  parce 


(1)  «  Fils  du  médecin  que  l'opération  de  la  section  de  la  sym- 
phisc   a    rendu   célèbre   »  i(  Journal   des   Débats...,    n°   26,    p.   3). 

(2)  «  On  vous  menacera,  a-t-i'l  dit,  des  poignards,  de  la  mort: 
ne  craignez  rien,  leurs  poignards  ne  pourront  pénétrer  jusqu'à  vous 
qu'à  travers  le  rempart  de  nos  corps.  Nos  bras,  nos  coeurs,  nos  vies, 
tout  est  à  vous.  »>  (Cf.  Aulard,  III,  14). 


552  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

qu  aucune   loi   ne  peut  l'atteindre;    épargnons   Antoine,    son   complice; 
les  loix  nous  feront  justice  de  ses  crimes.  » 

Journal  des  Débats  des  'Amis  de  la  Constitution,  n°  26,  p.  2. 

«  M.  Robespierre.  L'opinion  des  amis  de  la  liberté  me  paraît 
tellement  fixée  sur  cette  question  que  je  me  reprocherais  de  la  traiter 
longuement  après  les  éloquentes  opinions  qui  ont  été  prononcées  à  cette 
tribune. 

«  Mais  autour  de  cette  opinion  s'élève  un  nuage.  Un  des  grands 
obstacles  que  l'assemblée  nationale  rencontre  à  l'aborder  de  front,  est 
l'accusation   générale   de   républicanisme. 

«  On  m'a  accusé,  au  sein  de  l'assemblée,  d'être  républicain  (3), 
on  m'a  fait  trop  d'honneur,  je  ne  le  suis  pas.  Si  on  m'eût  accusé  d'être 
monarchiste,  on  m'eut  déshonoré,  je  ne  le  suis  pas  non  plus.  J'observerai 
d'abord  que  pour  beaucoup  d'individus  les  mots  de  république  et  de 
monarchie  sont  entièrement  vides  de  sens.  Le  mot  république  ne 
signifie  aucune  forme  particulière  de  gouvernement,  il  appartient  à  tout 
gouvernement  d'hommes  libres,  qui  ont  une  patrie.  Or,  on  peut  être 
libre  avec  un  monarque  comme  avec  un  sénat.  Qu'est-ce  que  la  consti- 
tution française  actuelle,  c'est  une  république  avec  un  monarque.  Elle 
n'est  donc  point  monarchie  ni  république,  elle  est  l'un  et  l'autre  »  (4). 

(3)  A  la  suite  des  débats  occasionnés  par  la  tfuite^  du  roi,  les 
attaques  contre  Robespierre  redoublent.  On  l'accuse  d'être  l'un  des 
chefs  d'un  prétendu  parti  républicain  <cf.  G.  Walter,  p.  613).  Depuis 
plus  de  deux  mois,  les  (Révolutions  de  Paris  <n°  90,  p.  613)  s  effor- 
cent de  démontrer  les  avantages  d'une  telle  forme  de  'gouvernement. 
Brissot  avait  contribué,  fin  juin  1791,  avec  Condorcet,  Thomas  Paine 
et  Achille  Duchastellet,  au  lancement  du  journal  «  Le  Républicain 
ou  le  Défenseur  du  gouvernement  représentatif  d>  qui  compte  quatre 
numéros  (Cf.  Tourneux,  II,  n°  10.682,  p.  619).  A  ce  sujet,  Brissol 
fut  violemment  pris  à  partie  par  le  royaliste  Dusquesnoy  dans  son 
«  Ami  des  Patriotes  >,  et  lui  répondit  en  ces  termes  :  (Patriote 
François,  n°  682,  p.  691):  «<  Que  dirai-je  encore  des  liaisons  que  vous 
me  prêtez  avec  M.  Robespierre,  et  de  cet  infernal  esprit  que  Vous 
nous  .attribuez  à  tous  deux,  de  ce  parti  auquel  vous  nous  faite 
présider 

«  Je  me  suis  toujours  plu  à  rendre  hommage  au  patriotisme 
inflexible  de  M.  Robespierre,  mais  je  ne  partage  pas  toutes  ses  opi- 
nions ;  mais  je  ne  le  vois  point;  plus  d'un  moi'  s'est  écoulé  depuis 
le  dernier  moment  où  j'ai  eu  le  plaisir"  de  l'entretenir.  Des  chefs 
de  parti  qui  se  coalisent,  se  voyent,  je  crois,  un  T>eu  plus  fréquem- 
ment. Quant  à  mon  parti,  il  est  dans  la  raison  et  la  liberté,  et  c'est 
un  bonheur  pour  la  France,  qu'il  est  nombreux.  » 

D'après  A.  Mathiez,  Le  Club  des  Cordeliers...,  op.  cit.,  Duchas- 
tellet  serait  un  ami  de  Laifayette. 

(4)  C.  Desmoulins  adopte  à  ce  point  de  Vue  une  position  ana- 
logue à  celle  de  Robespierre  (Révolutions  de  France  et  de  Brabant. 
n°  78):  «  Par  république  j'entens  mn  Etat  libre  avec  un  roi  ou  un 
Stathouder  on  un  gouverneur  général  ou  un  empereur,  le  nom  n'y 
fait  rien  »  (Cf.  E.  Hamel,  J,  497). 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  553 

(M.  Robespierre  est  entré  dans  la  discussion  du  rapport,  et  a  exposé 
des  sentiments  dignes  de  son  patriotisme  et  relevés  par  l'éloquence  qui 
lui  est  particulière)  (5). 

Journal  de  la  Cour  et  de  la  Ville,  n°   17,  p.  133. 

«  M.  Jourdain  ne  vouloit  ni  vers  ni  prose.  Le  philosophe  Roberts... 
a  dit  vendredi  dernier  à  la  tribune  des  Jacobins  (6),  qu'il  ne  vouloit 
ni  monarchie  ni  république.  L'ignorance  faisoit  parler  Jourdain;  mais 
on  peut  regarder  le  discours  du  neveu  de  Damien,  comme  un  de  ces 
aveux  précieux  et  maladroits  qui  échappent  quelquefois  aux  scélérats 
malgré  eux;  car  il  est  impossible  de  supposer  que  si  M.  Roberts... 
avoit  eu  le  tems  de  la  réflexion,  il  eût  la  gaucherie  de  se  dévoiler, 
comme  il  l'a  fait  en  convenant  tout  bonnement  qu'il  préfère  l'anarchie 
à  un  gouvernement  quelconque.    » 


(5)  Texte  reproduit  dans  Aulard,   IÏÏ,   12. 

<6)   Il   s'agit  du  mercredi  13  juillet.   Le  discours  qu'il  prononça 
aux  Jacobins  le  15,  ne  comporte  pas  une  semblable  profession  de 'foi. 


318.  —  SEANCE  DU  14  JUILLET  1791 
Sur  l'inviolabilité  royale 


1 M  intervention  :  Sur  l'adoption  du  rapport  des  comités 
concernant  la  fuite  du  roi 

(La  discussion  ay.ant  été  ouverte  dès  le  13  juillet  sur  le  rapport 
de  Muguet  relatif  à  la  fuite  'du  roi,   Pétion  -s'élève  contre  les  conclu- 
sions  du    rapporteur,   et  demande  ique  le  roi  lui-même  soit  mis    e 
cause  et  jugé  soit  par  l'Assemblée  nationale,    soit  par  une  Conven- 
tion convoquée  à  cet  effet. 

Le  14  juillet,  après  divers  orateurs,  dont  le  duc  de  Lianoourt  et, 
en  dernier  lieu,  Prugnon,  qui  appuie  l'avis  du  comité,  Robespierre 
intervient  à  son  tour.  A  la  suite  de  Pétion,  Ricard,  Grégoire,  Prieur, 
Buzot,  Vadier,  il  propose  que  l'Assemblée  consulte  le  voeu  de  la 
nation;  il  demande  la  question  préalable  sur  l'avis  des  comités,  que 
Duport,    après   lui,   défendra   (1). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXIX,  p.  453 

«  M.  Robespierre.   Je  ne  veux  pas  répondre  à  certains  reproches 
de  républicanisme  qu'on  voudrait  attacher  à  la  cause  de  la  justice  et 

(1)  Cf.  E.  Hamel,  I,  504.  D'après  iSeligman,  op.  oit..  II,  35, 
un  attroupement  aurait  envahi  la  cour  du  Manège  dans  la  journée 
du  14  pour  protester  contre  l'attitude  de  la  majorité.  En  réalité,  il 
s'agit  d'une  nouvelle  pétition,  dite  «  des  100  »  présentée  par  le 
Club  des  Cordeliers,  renouvelant  le  vœu  exprimé  dans  celle  du 
24  juin   (cf.   ci-dessius). 


554  LES    DISCOURS    DE    ROBESPJI-.KHK 

de  la  vérité  (2)  :  je  ne  veux  pas  non  plus  provoquer  une  décision  sévère 
contre  un  individu  ;  mais  je  viens  combattre  des  opinions  dures  et  cruelles 
pour  y  substituer  des  mesures  douces  et  salutaires  à  la  cause  publique  : 
je  viens  surtout  défendre  les  principes  sacrés  de  la  liberté,  non  pas 
contre  de  vaines  calomnies  qui  sont  des  hommages,  mais  contre  une 
doctrine  machiavélique  ^  dont  les  progrès  semblent  la  menacer  d'une 
entière  subversion.  Je  n'examinerai  donc  pas  s'il  est  vrai  que  la  fuite  de 
Louis  XVI  soit  le  crime  de  M.  Bouille,  de  quelques  aides  de  camp, 
de  quelques  gardes  du  corps  et  de  la  gouvernante  du  fils  du  roi;  je 
n'examinerai  pas  si  le  roi  a  fui  volontairement  de  lui-même,  ou  si  de 
l'extrémité  des  frontières  un  citoyen  l'a  enlevé  par  la  force  de  ses 
conseils.  Je  n'examinerai  pas  si  les  périples  en  sont  encore  aujourd'hui 
au  point  de  croire  qu'on  enlève  les  rois  comme  les  femmes  (murmures); 
je  n  examinerai  pas  non  plus  si,  comme  l'a  pensé  M.  le  rapporteur,  le 
départ  du  roi  n'étoit  qu'un  voyage  sans  objet,  une  absence  indifférente, 
ou  s'il  faut  le  lier  à  tous  les  événements  qui  ont  précédé;  s'il  était  la 
suite  ou  le  complément  des  conspirations  impunies,  et  par  conséquent 
toujours  renaissantes,  contre  la  liberté  publique.  Je  n'examinerai  pas 
même  si  la  déclaration  signée  de  la  main  du  roi  en  explique  le  motif, 
ou  si  cet  acte  est  la  preuve  de  cet  attachement  sincère  à  la  révolution 
que  Louis  XVI  avait  professé  plusieurs  fois  d'une  manière  si  éner- 
gique. Je  veux  examiner  la  conduite  du  roi,  et  parler  de  lui  comme 
je  parlerais  d'un  roi  de  la  Chine.  Je  veux  examiner,  avant  tout,  quelles 
sont  les  bornes  du  principe  de  l'inviolabilité. 

«  Le  crime  légalement  impuni  est  en  soi  une  monstruosité  révol- 
tante dans  l'ordre  social,  ou  plutôt  il  est  le  renversement  absolu  de. 
l'ordre  social,  si  le  crime  est  commis  par  le  premier  fonctionnaire  public, 
par  le  magistrat  suprême.  Je  ne  vois  là  que  deux  raisons  de  plus  de 
sévir  :  la  première,  que  le  coupable  étoit  lié  à  la  patrie  par  un  devoir 
plus  saint;  la  seconde,  que,  comme  il  est  armé  d'un  grand  pouvoir,  il 
est  bien  dangereux  de  ne  pas  réprimer  ses  attentats.  Vous  avez  décrété 
l'inviolabilité;  mais  aussi,  Messieurs,  avez-vous  jamais  eu  quelque 
doute  sur  l'intention  qui  vous  avait  dicté  ce  décret?  Avez-vous  jamais 
pu  vous  dissimuler  à  vous-mêmes  que  l'inviolabilité  du  roi  était  intime- 
ment liée  ?>  la  responsabilité  des  ministres;  que  vous  aviez  décrété  l'une 
et  l'autre,  parce  que,  dans  lé  fait,  vous  aviez  transféré  du  roi  aux 
ministres  l'exercice  réel  de  la  puissance  executive,  et  que,  les  ministres 
étant  les  véritables  coupables,  c'était  sur  eux  que  devaient  porter  les 
prévarications  que  le  pouvoir  exécutif  pourrait  faire.  De  ce  système,  il 
résulte  que  le  roi  ne  peut  commettre  aucun  mal  en  administration,  puis- 
que aucun  acte  du  gouvernement  ne  peut  émaner  de  lui,  et  que  ceux 
qu'il  pourrait  faire  sont  nuls  et  sans  effet;  que,  d'un  autre  côté,  la  loi 
conserve  toute  sa  puissance  contre  lui.   Mais,   Messieurs,   s'agit-il  d'un 

<2)  Cf.  ci-dessus,   séanse  des  Jacobins  du  13  juillet  1791,    note  1- 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  555 

acte  personnel  à  un  individu  revêtu  du  titre  de  roi  ?  S'agil-il,  par 
exemple,  d'un  assassinat  commis  par  cet  individu;  cet  acte  est-il  nul  et 
sans  effet,  ou  bien  y  a-t-il  là  un  ministre  qui  signe  et  qui  réponde  ? 

<(  Mais,  nous  a-t-on  dit,  si  le  roi  commettoit  un  crime,  il  faudrait 
que  la  loi  cherchât  la  main  qui  a  fait  mouvoir  son  bras.  Mais,  si  le  roi, 
en  sa  qualité  d'homme,  et  ayant  reçu  de  la  nature  la  faculté  du  mouve- 
ment spontané,  avait  remué  son  bras  sans  les  agens  étrangers,  quelle 
seroit  donc  la  personne  responsable  ? 

«  Mais,  a-t-on  dit  encore,  si  le  roi  poussoit  les  choses  à  certains 
excès,  on  lui  nommeroit  un  régent.  Mais,  si  on  lui  nommoit  un  régent 
il  seroit  encore  roi;  il  seroit  donc  encore  investi  du  privilège  de  l'invio- 
labilité. Que  les  comités  s'expliquent  donc  clairement  et  qu'ils  iious 
disent  si,  dans  ce  cas,  le  roi  serait  encore  inviolable.  Or,  c'est  à  vous 
que  je  le  demande,  vous  qui  soutenez  ce  système  avec  tant  d'énergie  : 
si  un  roi  égorgeait  votre  fils  sous  vos  yeux  (murmures),  s'il  outrageait 
votre  femme  ou  votre  fille,  lui  diriez-vous  :  Sire,  vous  usez  de  votre 
droit;  nous  vous  avons  tout  permis.  Permettriez-vous  au  citoyen  de  se 
venger  ?  Alors  vous  substituez  la  violence  particulière,  la  justice  privée 
de  chaque  individu,  à  la  justice  calme  et  salutaire  de  la  loi;  et  vous 
appelez  cela  établir  l'ordre  public,  et  vous  osez  dire  que  l'inviolabi- 
lité absolue  est  le  soutien,  la  base  immuable  de  l'ordre  social. 

«  Mais,  messieurs,  qu'est-ce  que  toutes  ces  hypothèses  particu- 
lières, qu'est-ce  que  tous  ces  forfaits,  auprès  de  ceux  qui  menacent  le 
salut  et  le  bonheur  du  peuple  ?  Si  un  roi  appeloit  sur  sa  patrie  toutes 
les  horreurs  de  la  guerre  civile  et  étrangère;  si,  à  la  tête  d'une  armée 
de  rebelles  et  d'étrangers,  il  venait  ravager  son  propre  pays,  et  ensevelir 
sous  ses  ruines  la  liberté  et  le  bonheur  du  monde  entier,  seroit-il  invio- 
lable ?  (3)  Le  roi  est  inviolable!  Vous  l'êtes  aussi,  vous;  mais  avez- 
vous  la  faculté  de  commettre  le  crime  ?  Et  oserez-vous  dire  que  les  repré- 
sentants du  souverain  ont  des  droits  moins  étendus  pour  leur  sûreté  indi- 
viduelle que  celui  dont  ils  sont  venus  restreindre  le  pouvoir,  celui  à  qui 
ils  ont  délégué,  au  nom  de  la  nation,  le  pouvoir  dont  il  est  revêtu?  (4). 

«  Le  roi  est  inviolable  !  Mais  les  peuples  ne  le  sont-ils  pas  aussi  ? 
Le  roi  est  inviolable  par  une  fiction;  les  peuples  le  sont  par  le  droit 
sacré  de  la  nature;  et  que  faites-vous  en  couvrant  le  roi  de  l'égide  de 
l'inviolabilité,  si  vous  n'immolez  l'inviolabilité  des  peuples  à  celle  des 
rois?  (Quelques  applaudissemens  au  fond  de  la  gauche).  Il  faut  en 
convenir,  on  ne  raisonne  de  cette  manière  que  dans  la  cause  des  rois... 


(3)  Dès  ce  moment,  Robespierre  repousse  do<nc  l'inviolabilité 
en  cas  de  haute  trahison,  thèse  que  la  Convention  adoptera  de  fait 
dans  le  procès  du  roi. 

■(4)  Goupil  aurait,  d'après  l'Ami  du  Roi  (Montjoie),  p.  787,  égayé 
l'Assemblée  par  l'apostrophe  suivante:  «  Sans  doute  nous  sommes 
inviolables,  mais  personne  ne  prétendra  que  M.  Robespierre,  par 
exemple,   et  moi,   soyons  des  personnes   sacrées  ». 


556  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Et  que  fait-on  en  leur  faveur?  rien;  mais  on  fait  tout  contre  eux;  car 
d'abord,  en  élevant  un  homme  au-dessus  des  loix,  en  lui  assurant  le 
pouvoir  d'être  criminel  impunément,  on  le  pousse,  par  une  pente  irré- 
sistible, dans  tous  les  vices  et  dans  tous  les  excès;  on  le  rend  le  plus 
vil,  et  par  conséquent,  le  plus  malheureux  des  hommes;  on  le  désigne 
comme  un  objet  de  vengeance  personnelle  à  tous  les  innocents  qu'il  a 
outragés,  à  tous  les  citoyens  qu'il  a  persécutés:  car  la  loi  de  la  nature, 
antérieure  aux  loix  de  la  société,  crie  à  tous  les  hommes  que,  lorsque 
la  loi  ne  les  venge  point,  ils  recouvrent  le  droit  de  se  venger  eux-mêmes; 
et  c'est  ainsi  que  les  prétendus  apôtres  de  l'ordre  public  renversent 
tout,  jusqu'aux  principes  du  bon  sens  et  de  l'ordre  social.  On  invoque 
les  loix  pour  qu'un  homme  puisse  impunément  violer  les  loix  :  on  invo- 
que les  lois  pour  qu'il  puisse  les  enfreindre  ! 

«  O  vous,  qui  pouvez  croire  qu'une  telle  supposition  est  probléma- 
tique, avez-vous  réfléchi  sur  la  supposition  bizarre  et  désastreuse  d'une 
nation  qui  serait  régie  par  un  roi  criminel  de  lèse-nation  ?  Combien  ne 
paraîtrait-elle  pas  vile  et  lâche  aux  nations  étrangères,  celle  qui  leur 
donnerait  le  spectacle  scandaleux  d'un  homme  assis  sur  le  trône.  Que 
deviendraient  toutes  ces  fastueuses  déclamations  avec  lesquelles  on  vient 
vanter  sa  gloire  et  sa  liberté  ?  Mais  au  dedans,  quelle  source  éternelle 
et  horrible  de  divisions,  où  le  magistrat  suprême  est  suspect  aux  citoyens  ? 
Comment  les  rappellera-t-il  à  l'obéissance  aux  lois  contre  lesquelles  il 
s'est  lui-même  déclaré  ?  Comment  les  juges  pourront-ils  rendre  la  justice 
en  son  nom  ?  Comment  les  magistrats  ne  seront-ils  pas  tentés  de  se 
couvrir  le  visage  par  pudeur,  lorsqu'ils  condamneront  la  fraude  et  la 
mauvaise  foi  au  nom  d'un  homme  qui  n'aurait  pas  respecté  sa  foi  ?  Quel 
coupable  sur  l'échafaud  ne  pourra  pas  accuser  cette  étrange  et  cruelle 
partialité  des  lois  qui  met  une  telle  distance  entre  un  coupable  el  un 
homme  bien  plus  coupable  encore  ? 

«  Messieurs,  une  réflexion  bien  simple,  si  on  ne  s'obs'inoit  à 
l'écarter,  termineroit  cette  discussion.  On  ne  peut  envisager  que  deux 
hypothèses  en  prenant  une  résolution  semblable  à  celle  que  je  combats: 
ou  bien  le  roi  que  je  supposerois  coupable  envers  une  nation  conserveroit 
encore  toute  l'énergie  de  l'autorité  dont  il  étoit  d'abord  revêtu,  ou  bien 
les  ressorts  du  gouvernement  se  relâcheroient  dans  ses  mains.  Dans  le 
premier  cas,  le  rétablir  dans  toute  sa  puissance,  n'est-ce  pas  évidemment 
exposer  la  liberté  publique  à  un  danger  perpétuel  ?  Et  à  quoi  voulez- 
vous  qu'il  emploie  le  pouvoir  immense  dont  vous  le  îevêtez,  si  ce 
n'est  à  attaquer  la  liberté  et  les  lois,  à  se  venger  de  ceux  qui  auront 
constamment  défendu  contre  lui  la  cause  publique  ?  Au  contraire,^  les 
ressorts  du  gouvernement  se  relâchent-ils  dans  ses  mains,  alors  les  rênes 
du  gouvernement  flottent  nécessairement  entre  les  mains  de  quelques 
factieux  qui  le  serviront,  le  trahiront,  le  caresseront,  l'intimideront  tour 
à  tour,  pour  régner  sous  son  nom.  Messieurs,  rien  ne  convient  aux 
factieux  et  aux   intrigants  comme  un  gouvernement  faible  :  c'est   seule- 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  557 

ment  sous  ce  point  de  vue  qu'il  faut  envisager  la  question  actuelle. 
Que  l'on  me  garantisse  contre  ce  danger,  qu'on  garantisse  la  nation  d'un 
gouvernement  où  pourraient  dominer  les  factieux,  et  je  souscris  à  tout 
ce  que  vos  comités  pourront  vous  propser. 

«  Qu'on  m'accuse,  si  l'on  veut,  de  républicanisme;  je  déclare 
que  j'abhorre  toute  espèce  de  gouvernement  où  les  factieux  régnent. 
Il  ne  suffit  pas  de  secouer  le  joug  d'un  despote,  si  l'on  doit  rt tomber 
sous  le  joug  d'un  autre  despotisme.  L'Angleterre  ne  s'affranchit  du 
joug  de  l'un  de  ses  rois,  que  pour  retomber  sous  le  joug  plus  avilissant 
encore  d'un  petit  nombre  de  ses  concitoyens.  Je  ne  vois  point  parmi 
nous,  je  l'avoue,  le  génie  puissant  qui  pourrait  jouer  le  rôle  de  Crom- 
well  :  je  ne  vois  pas  non  plus  personne  disposé  à  le  souffrir  ;  mais  je 
vois  des  coalitions  plus  actives  et  plus  puissantes  qu'il  ne  convient  à 
un  peuple  libre  ;  mais  je  vois  des  citoyens  qui  réunissent  entre  leurs 
mains  des  moyens  trop  variés  et  trop  puissants,  d'influencer  l'opinion; 
mais  la  perpétuité  d'un  tel  pouvoir  dans  les  mêmes  mains  pourrait 
alarmer  la  liberté  publique  (5).  Il  faut  rassurer  la  nation  contre  la  trop 
longue  durée  d'un  gouvernement  oligarchique.  Cela  est-il  impossible, 
messieurs,  et  les  factions  qui  pourraient  s'élever,  se  fortifier,  se  coaliser, 
ne  seraient-elles  pas  un  peu  ralenties,  si  l'on  voyait  dans  une  perspec- 
tive plus  prochaine  la  fin  du  pouvoir  immense  dont  nous  sommes  revêtus, 
si  elles  n'étaient  plus  favorisées  en  quelque  sorte  par  la  suspension 
indéfinie  de  la  nomination  des  nouveaux  représentants  de  la  nation  (6) 
dans  un  temps  où  il  faudrait  profiter  peut-être  du  calme  qui  nous  reste, 
dans  un  temps  où  l'esprit  public,  éveillé  par  les  dangers  de  la  patrie, 
semble  nous  promettre  les  choix  les  plus  heureux  ?  La  nation  ne  verra- 
t-elle  pas  avec  quelque  inquiétude  la  prolongation  indéfinie  de  ces 
détails  éternels  qui  peuvent  favoriser  la  corruption  et  l'intrigue  ?  Je 
soupçonne  qu'elle  le  voit  ainsi,  et  du  moins,  pour  mon  compte  per- 
sonnel, je  crains  les  factions,  je  crains  les  dangers. 

«  Messieurs,  aux  mesures  que  vous  ont  proposé  les  comités,  il 
faut  substituer  des  mesures  générales,  évidemment  puisées  dans  l'ir.térêt 
de  la  paix  et  de  la  liberté.  Les  mesures  proposées,  il  faut  -vous  en  dire 
un  mot  :  elles  ne  peuvent  que  vous  déshonorer,  et,  si  j'étais  réduit  à 
voir  sacrifier  aujourd'hui  les  premiers  principes  de  la  liberté,  je  deman- 
derois  au  moins  la  permission  de  me  déclarer  l'avocat  de  tous  h  s  accu- 
sés; je  voudrois  être  le  défenseur  des  trois  gardes  du  orps,  de  la  gou- 
vernante du  Dauphin,  de  M.  Bouille  lui-même.  Dans  les  principes  de 
vos  comités,  le  roi  n'est  pas  coupable  :  il  n'y  a  point  de  délit.  Partout 
où  il  n'y  a  pas  de  délit,  il  n'y  a  pas  de  complices.  Messieurs,  si  épar- 
gner un  coupable  est  une  foiblesse,  immoler  un  coupable  plus  fcble  au 


(5)  Il   vise  les  triumvirs  Barnave,   Duport  et  iLameth. 

(6)  11  s'cvgit  du  décret  du  24  juin  1791  ajournant  jusqu'à   nouvel 
ordre  la  nomination  des  députés  à  La  future  Assemblée   législative. 


558  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

coupable  puissant,  c'est  une  lâche  injustice.  Vous  ne  pensez  pas  aue 
le  peuple  françois  soit  assez  vil  pour  se  repaître  du  spectacle  du  sup- 
plice de  quelques  victimes  subalternes;  ne  pensez  pas  qu'il  voie  eans 
douleurs  ses  représentants  suivre  encore  la  marche  ordinaire  <1es  encla- 
ves, qui  cherchent  toujours  à  sacrifier  le  faible  au  fort,  et  r.e  cherchent 
qu'à  tromper  et  à  abuser  le  peuple  pour  prolonger  impunément  l'injus- 
tice et  la  tyrannie  !  (applaudi).  Non,  messieurs,  il  faut  ou  prononcer  sur 
tous  les  coupables,  ou  prononcer  l'absolution  générale  de  tous  les  coupa- 
bles. Voici,  en  dernier  mot,  l'avis  que  je  propose. 

«  Je  propose  que  l'assemblée  décrète  qu'elle  consultera  le  vœu 
de  la  nation  pour  statuer  sur  le  sort  du  roi  (7);  en  second  lieu,  que 
l'Assemblée  nationale  lève  le  décret  qui  suspend  la  nomination  des 
représentants  ses  successeurs;  3°  qu'elle  admette  la  question  préalable 
sur  l'avis  des  Comités.  Et  si  les  principes  que  j'ai  réclamés  pouvaient 
être  méconnus,  je  demande  au  moins  que  l'Assemblée  nationale  ne  se 
souille  pas  par  une  marque  de  partialité  contre  les  complices  prétendus 
d'un  délit  sur  lequel  on  veut  jetter  un  voile  »  (applaudi)  (8). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXIV,  n°  736,  p.  243. 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   196,  p.  811. 

«  M.  Roberspierre.  Je  ne  viens  pas  provoquer  des  dispositions 
sévères  contre  un  individu,  mais  combattre  une  proposition  à  la  fois 
faible  et  cruelle,  pour  y  substituer  une  mesure  douce  et  favorable  à 
l'intérêt  public.  Je  n'examinerai  pas  si  la  fuite  de  Louis  XVI  est  le 
crime  de  quelques  individus,  s'il  s'est  enfui  volontairement  et  de  lui- 
même,  ou  si  de  l'extrémité  du  royaume,  un  citoyen  audacieux  l'a  enlevé 
par  la  force  de  ses  conseils;  si  les  peuples  enfin  pourront  croire  qu'on 
enlève  des  rois  comme  des  femmes.  (On  murmure).  Je  n'examinerai 
pas,  si  comme  l'a  pensé  le  rapporteur,  le  départ  du  roi  n'étoit  qu'un 
voyage  sans  objet,  si  son  absence  était  indifférente;  je  n'examinerai 
pas  si  elle  est  le  but  ou  le  complément  de  conspirations  toujours  impuis- 
santes et  renaissant  toujours  :  je  n'examinerai  pas  même  si  la  déclara- 
tion donnée  par   le  roi,   n'attente  point   au   serment  qu'il   a   fait   d'un 

(7)  Robespierre  et  Buzot  considèrent  que  le  principe  de  la  sépa- 
ration des  pouvoirs  s'oppose  à  la  transformation  doi  corps  légis- 
latif en  cour  de  justice.  Brissot  leur  donne  iraison  et  insi  te  sur 
«  cette  violation  des  principes  »  ^(Patriote  françois,   n°  707,   p.   70). 

(8)  Texte  reproduit  dans  Bûchez  et  Roux,  XI,  24;  ÎLaponneraye, 
1,  137-146;  les  Arch.  pari.,  XXVIII,  261;  Gh.  Vellay,  p.  79-36;  et  les 
Editions  du  Centaure,  op.  cit.,  p.  56  et  s. 

Seul  Laponneraye  indique  les  mouvements  de  séance.  Aulard  re- 
connaît que  ce  discours  «  est  un  des  plus  puissants  que  la  Consti- 
tuante ait  entendus  »  (Cif.  A.  iMathiez,  Robespierre  orateur,  Etudes 
robespierristes,  p.  311).  C'est  également  l'avis  de  contemporains,  tel 
l'Argus  patriote  qui  écrit  (n°  12,  p.  298)  :  «  Il  n'est  pas  facile  de 
débiter  des  discours  avec  autant  de  grâce  que  M.  Robespierre  ». 


LÉS    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  559 

attachement  sincère  à  la  constitution.  Je  ne  veux  m 'occuper  que  d'une 
hypothèse  générale.  Je  parlerai  du  roi  des  Français  comme  d'un  roi  de 
la  Chine  :  je  discuterai  uniquement  l'inviolabilité  dans  sa  doctrine. 

«  L'impunité  du  crime  est  la  violation  et  le  renversement  de 
l'ordre  public.  Si  le  criminel  est  un  grand  fonctionnaire  public,  il  est 
bien  plus  dangereux  encore  de  ne  pas  punir  les  attentats.  Vous  avez 
décrété  l'inviolabilité,  mais  avez-vous  pu  dissimuler  qu'elle  est  intime- 
ment liée  à  la  responsabilité  des  ministres,  et  que  le  roi,  fût-il  coupable 
dans  un  acte  de  ses  fonctions,  c'est  sur  eux  que  doit  porter  la  peine. 
Il  résulte  de-là  que  le  roi  ne  peut  faire  aucun  mal  en  administration; 
mais  s'agit-il  d'un  acte  personnel  de  l'individu,  d'un  assassinat,  par 
exemple,  cet  acte  est-il  nul  et  sans  effet  ?  Y  a-t-il  «m  ministre  qui 
réponde?  On  a  dit  que  dans  ce  cas  on  nommerait  un  régent;  mais  le 
coupable  serait  donc  encore  roi?  Serait-il  encore  investi  de  l'inviola- 
bilité ?  que  le  Comité  s'explique.  Si  un  roi  égorgeait  votre  fils  ou  votre 
frère,  s'il  violait  votre  femme  ou  votre  fille,  lui  diriez-vous  :  Sire,  vous 
usez  de  votre  droit,  nous  vous  avons  tout  permis,  ou  bien  laisseriez-vous 
le  citoyen  se  venger  lui-même  ?  Vous  mettriez  alors  la  vengeance  parti- 
culière à  la  place  de  la  loi,  et  croyez-vous  ainsi  établir  l'ordre  public 
dont  vous  nous  parlez  sans  cesse  ?  si  un  roi,  à  la  tête  des  rebelles  ou 
d'étrangers,  voulait  ravager  son  pays,  serait-il  inviolable  aussi,  mais 
avez-vous  étendu  cet  incroyable  privilège  à  vos  actes  particuliers,  à  la 
faculté  de  commettre  tous  les  crimes  ?  Cependant  vous  devez  assurer  la 
liberté,  l'indépendance  de  ceux  qui  sont  venu  mettre  des  bornes  à  la 
puissance  des  rois,  comme  celle  des  rois  eux-mêmes.  Les  rois  sont  invio- 
lables, mais  les  peuples  le  sont  aussi.  (On  entend  quelques  applaudisse- 
mens).  Par  les  raisonnemens  dont  on  s'appuie  pour  établir  l'inviolabi- 
lité absolue,  on  fait  tout  contre  le  roi,  on  le  pousse  par  une  pente 
irrésistible  dans  tous  les  vices.  La  loi  de  la  nature  est  inférieure  à  toutes 
les  sociétés;  elle  apprend  aux  hommes  que  quand  les  lois  ne  les  vengent 
pas,  ils  ont  droit  de  se  venger  eux-mêmes.  Comment  se  peut-il  qu'on 
invoque  les  lois  pour  mettre  un  homme  au-dessus  d'elles,  pour  les 
violer  ? 

«  Une  réflexion  bien  simple,  si  l'on  ne  s'obstinait  à  l'écarter,  ter- 
minerait bientôt  cette  discussion  ?  Ou  le  roi  supposé  coupable  envers  la 
nation  conserverait  toute  son  autorité,  ou  les  ressorts  du  gouvernement  se 
relâcheraient  dans  ses  mains,  s'il  conserve  toute  son  autorité,  à  quoi 
voulez- vous  qu'il  l'emploie,  si  ce  n'est  à  persécuter  la  liberté  publique  ? 
Dans  les  cas  où  les  ressorts  se  relâcheraient,  les  rênes  du  gouvernement 
retomberaient  dans  les  mains  de  quelques  factieux.  Qu'on  me  rassure 
sur  les  dangers  des  factions,  et  j'adopterai  tout  ce  que  peuvent  proposer 
les  Comités.  Je  déclare  que  j'abhorre  toute  espèce  de  gouvernement 
où  les  factieux  régnent.  11  faut  rassurer  la  nation  contre  la  trop  longue 
durée  du  gouvernement  oligarchique  ?  Les  moyens  de  la  rassurer 
n'existent-ils  pas,  ne  sont-ils  pas  devant  vous  ?   Les  mesures  proposées 


560  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

par  le  Comité  ne  peuvent  que  vous  déshonorer;  et  si  j'étais  réduit  à  voir 
ces  mesures  triompher,  je  voudrais  me  déclarer  l'avocat  des  gardes- 
du-corps,  de  madame  Tourzel,  de  Bouille  lui-même.  Si  le  roi  n'est  pas 
coupable,  s'il  n'y  a  pas  de  délit,  il  n'y  a  pas  de  complices.  Si  sauver 
un  coupable  puissant,  c'est  une  faiblesse,  lui  sacrifier  un  coupable  faible, 
c'est  une  lâcheté  ;  il  faut  ou  prononcer  sur  tous  les  coupables,  ou  les 
absoudre  tous.  Je  propose  que  l'Assemblée  décrète  qu'elle  consultera 
le  vœu  de  la  nation;  qu'elle  lève  la  suspension  mise  à  l'élection  des 
membres  de  la  législature.  J'invoque  ensuite  la  question  préalable  sur 
l'avis  des  Comités.  Mais  si  mes  réflexions  ne  prévalent  pas,  je  demande 
que  l'Assemblée  ne  se  souille  point  en  provoquant  la  perte  des  com- 
plices prétendus  »  (9). 

Journal  de  Paris,   16  juillet  1791,  p.  790. 

«  Il  n'y  eut  pas  de  morceau  dans  le  discours  de  M.  Roberspierre, 
où  l'on  ne  pût  voir  son  sentiment  tout  entier.  Nous  en  citerons  le  com- 
mencement, et  on  pourra  y  pressentir  tout  son  discours.  On  n'apperçoit 
pas  que  cet  Orateur  étudie  et  fasse  des  progrès  dans  ce  qu'on  appelle 
la  tactique  des  Assemblées,  et  qui  pourrait  beaucoup  ressembler  à  la 
politique  des  Cours  :  M.  Roberspierre  ne  recule  jamais  dans  ses  opinions, 
et  il  avance  toujours;  voilà  tout  son  art. 

«  Je  ne  viens  point  provoquer  une  décision  injuste  et  sévère  contre 
un  individu;  je  viens  combattre  des  mesures  également  foibles  et  cruelles 
pour  y  substituer  des  mesures  douces  qui  peuvent  sauver  la  Patrie.  Je 
viens  réclamer  aussi  les  droits  de  la  Nation,  et  défendre  les  principes 
sacrés  de  la  liberté,  je  ne  dis  pas  contre  de  vaines  calomnies  qui  sont 
des  hommages,  mais  contre  une  doctrine  fausse  et  machiavélique,  dont 
les  progrès  la  menacent  d'une  ruine  totale. 

((Je  n'examinerai  pas  même  s'il  est  vrai  que  la  fuite  de  Louis  XVI 
soit  le  crime  de  Bouille,  de  ses  Aides-de-Camp,  de  trois  Gardes-du- 
Corps,  de  la  Gouvernante  du  fils  du  Roi;  je  n'examinerai  pas  si  le 
Roi  a  fui  volontairement,  ou  si  de  l'extrémité  des  frontières  un  Géné- 
ral l'a  enlevé  par  la  force  de  ses  conseils  perfides;  si  les  peuples  en 
sont  encore  au  point  de  croire  qu'on  enlève  les  Rois  comme  les  fem- 
mes; je  n'examinerai  pas  si  le  départ  du  Roi  n'étoit  qu'un  voyage  sans 
objet,  une  absence  indifférente,  ou  s'il  faut  le  lier  à  tous  les  événements 
qui  ont  précédé;  s'il  n'étoit  que  la  suite  ou  le  complément  des  conspi- 
rations toujours  renaissantes  et  toujours  impunies,  tramées  contre  la  liberté 
de  la  Nation;  je  n'examinerai  pas  même  si  la  déclaration  signée  du  Roi 
en  explique  les  motifs,  ou  si  cet  acte  est  la  preuve  de  cet  attachement 
sincère  à  la  révolution  que  le  Roi  a  voit  professé  plusieurs  fois  d'une 
manière  si  énergique. 


(9)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  IX,   125. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  561 

«  Je  ne  veux  raisonner  que  dans  une  hypothèse  générale,  et  exami- 
ner en  lui-même  le  principe  de  l'inviolabilité. 

«  Le  Roi  est  inviolable,  dites-vous,  il  ne  peut  pas  être  puni;  telle 
est  la  Loi.  Vous  vous  calomniez  vous-mêmes.  Non,  jamais  vous  n'avez 
décrété  qu'il  y  eut  un  homme  au-dessus  des  Loix;  un  homme  qui  pour- 
roit  impunément  attenter  à  la  liberté,  à  l'existence  de  la  Nation,  et 
insulter  paisiblement,  dans  l'opulence  et  dans  la  gloire,  au  désespoir 
d'un  Peuple  malheureux  et  dégradé;  non,  vous  ne  l'avez  pas  fait;  si 
vous  aviez  osé  porter  une  pareille  Loi,  le  Peuple  François  n'y  auroit 
pas  cru,  ou  un  cri  d'indignation  universelle  vous  eût  appris  que  !e  Sou- 
verain reprenoit  ses  droits.  Je  sais  bien  que,  pour  ce  qui  concerne  les 
actes  d'Administration  et  de  Gouvernement,  l'Assemblée  a  transporté 
la  responsabilité  du  Roi  aux  Ministres. 

«  Cela  paroît  bien  moins  déraisonnable  qu'on  ne  pourrait  le  croire, 
au  premier  coup  d'oeil,  puisque  le  même  système  transfère  à  ces  mêmes 
Ministres  la  puissance  executive,  réelle  et  effective,  et  ne  donne  la  force 
de  l'autorité  publique  qu'aux  actes  qu'ils  ont  adoptés  et  signés,  d'où 
il  résulte  d'un  côté,  que  le  Roi  ne  peut  faire  aucun  mal  en  administra- 
tion, puisque  tout  ce  qu'il  fait  lui-même  demeure  sans  effet,  et  que  de 
l'autre  la  Loi  conserve  toute  sa  force  contre  le  Ministre  qui  est  le  véri- 
table auteur  du  mal.  Mais  les  actes  individuels  et  personnels  de 
l'homme  revêtu  de  la  qualité  de  Roi,  qu'ont-ils  de  commun  avec  cette 
espèce  d'inviolabilité  ?  Si  un  Roi  commet  un  assassinat,  par  exemple, 
cet  acte  là  est-il  nul  et  sans  effet  ?  ou  bien  y  a-t-il  là  un  Ministre  qui 
signe  et  qui  répond  ? 

[Suit  le  texte  de  Le  Hodey,  depuis:  «  La  meilleure  preuve.  .  » 
jusqu'à  «   ...celle  des  Rois  ».] 

«  Les  conclusions  de  M.  Roberspierre  ne  se  bornèrent  poin'.  à 
rejetter  l'avis  des  Comités  par  la  question  préalable,  il  proposa  d'autres 
moyens  parmi  lesquels  la  levée  de  la  suspension  des  opérations  des 
Assemblées  Electorales  et  le  prompt  rassemblement  du  nouveau  Corps 
législatif,  furent  ceux  sur  lesquels  il  appuya  davantage.   » 

Journal  des  Débats,  n°   784.  p.  9-12. 

«  M.  Robespierre  a  dit  :  Je  ne  viens  point  repousser  les  reproches 
de  faction  et  de  républicanisme  que  l'on  a  attachés  à  la  défense  des 
principes  les  plus  sacrés.  Je  ne  viens  pas  non  plus  provoquer  une  décision 
sévère,  mais  substituer  des  mesures  douces  à  des  mesures  foibles,  et 
défendre  les  principes  de  la  liberté  contre  une  doctrine  machiavélique 
dont  les  progrès  semblent  menacer  la  Constitution  d'une  ruine  entière. 

«  Je  n'examinerai  point  si  la  fuite  du  Roi  est  l'ouvrage  de  Bouille 
et  de  ses  complices;  je  n'examinerai  pas  si  le  Roi  a  fui  de  lui-même 
ou  s'il  a  été  enlevé;  je  n'examinerai  pas  si  le  Peuple  en  est  encore  au 
point  de  croire  qu'on  enlève  les  Rois  comme  les  femmes;  je  n'exa- 
minerai pas  si,  comme  l'a  pensé  M.   le  Rapporteur,   le  départ  du  Roi 


562  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

est  un  voyage  simple  et  sans  objet,  une  absence  indifférente,  ou  s'il  est 
une  conséquence  de  toutes  les  mesures  prises  antérieurement,  et  qui 
nous  ont  été  dévoilées;  je  n'examinerai  pas  enfin  si  la  déclaration  du 
Roi  explique  les  motifs  de  sa  fuite,  ou  si  cet  acte  n'est  que  son  aveu, 
et  le'  genre  d'adhésion  qu'il  prétend  donner  à  la  Constitution.  Je  vais 
raisonner  sur  cette  seule  question.  Quelles  sont  les  bornes  principales 
de  l'inviolabilité  ? 

((  Le  crime  légalement  impuni  est  une  monstruosité  révoltante  dans 
l'ordre  social,  une  monstruosité  subversive  de  l'ordre  social.  Si  un  crime 
est  commis  par  un  fonctionnaire  public,  par  un  magistrat  supérieur,  je 
soutiens  qu'il  est  bien  plus  punissable,  pour  deux  raisons  :  la  première, 
qu'étant  plus  lié  à  la  Patrie,  il  en  a  plus  compromis  les  intérêts  en 
violant  la  Loi;  la  seconde,  qu'étant  armé  d'un  grand  pouvoir,  il  peut 
successivement  se  livrer  aux  abus  les  plus  dangereux.  Vous  avez  décrété 
l'inviolabilité  du  Roi  :  eh  bien  !  en  cela  avez- vous  pu  vous  dissimuler 
que  cette  qualité  n'est  que  ce  qui  auroit  manqué  à  la  responsabilité  des 
Ministres  ?  Il  en  résulte  que  le  Roi  ne  peut  porter  atteinte  à  l'adminis- 
tration, parce  que  tout  ce  qu'il  fait  seul  est  sans  effet.  Mais  s'agit-il 
d'un  acte  personnel  ?  S'agit-il  d'un  assassinat,  par  exemple  ?  Si  ce 
crime  est  commis,  peut-il  jamais  être  annulé  par  l'inviolabilité,  ou  bien 
y  a-t-il  là  un  Ministre  responsable  ?  On  a  dit  que,  dans  cette  hypo- 
thèse, le  Roi  seroit  déclaré  insensé,  et  que  l'on  nommeroit  un  Régent; 
mais  cependant  l'inviolabilité  subsistera.  Que  le  Comité  s'explique 
donc,  et  qu'il  dise  qu'encore  alors  le  Monarque  est  inviolable. 

«  Si  le  Roi  égorgeoit  vos  fils  sous  vos  propres  yeux,  on  a  dit  qu'il 
vous  seroit  permis  de  vous  venger,  et  l'on  a  substitué  ainsi  des  vengean- 
ces personnelles  à  la  justice  calme  et  indépendante  de  la  Loi.  Mais 
qu'est-ce  que  des  hypothèses  particulières  }  Qu'est-ce  que  des  forfaits 
imaginaires,  auprès  de  ceux  qui  menacent  un  Peuple  entier?  Si  le  Roi, 
à  la  tête  d'une  armée,  vouloit  ravager  son  propre  pays,  et  ensevelir 
sous  ses  ruines  un  Peuple  entier,  le  Roi  seroit-il  inviolable  ?  Voiio  l'êtes 
aussi.  Cependant  avez- vous  étendu  cette  inviolabilité  jusqu'à  vous  mettre 
à  l'abri  de  toute  espèce  d'accusation  dans  le  cas  d'un  crime  quelconque  ? 
Oseriez-vous  dire  au  Roi  que  les  Représentans  du  Souverain  ont  des 
droits  moins  étendus  que  n'en  a  celui  dont  ils  ont  créé  le  pouvoir  ?  Un 
Roi  est  inviolable  ?  Les  Peuples  ne  le  sont-ils  pas  aussi  ?  Si  le  Roi 
l'est  par  une  fiction,  les  Peuples  le  sont  par  la  loi  naturelle;  et  poavez- 
vous,  en  couvrant  le  Roi  du  manteau  fictif  de  l'inviolabilité,  lui  donner 
à  lui  seul  les  droits  qu'un  grand  Peuple  ne  peut  avoir  qu'en  masse  "> 

«  Avez-vous  enfin  réfléchi  sur  la  situation  d'une  Nation  gouvernée 
par  un  Roi  criminel  de  lèse-nation  ?  Avez-vous  réfléchi  sur  les  mépris 
amers  dont  elle  se  couvrirait  par  une  semblable  disposition  ?  Quoi  qu'il 
en  soit,  pourvu  que  l'on  rassure  la  Nation  contre  les  dangers  des  fac- 
tions, je  souscris  à  tout  ce  que  vous  proposera  le  Comité.  Que  l'on 
m'accuse   encore  de  républicanisme,   et  je  déclare   solemnellement  que 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  563 

j'abhorre  toute  espèce  de  gouvernement  où  les  factieux  régnent.  Qu'im- 
porte en  effet  de  secouer  le  joug  d'un  despote,  pour  se  soumettre  à  un 
despotisme  qui  ne  différeroit  que  par  le  nombre  de  ceux  qui  l'exerce- 
roient  ?  Je  vois  dans  ce  moment  des  coalitions  trop  actives.  Je  vois  des 
Citoyens  qui  réunissent  dans  leurs  mains  des  moyens  trop  variés  et  trop 
puissans  d'influencer  les  travaux  publics.  Voilà  ce  qui  fait  naître  nos 
craintes.  Il  faut  donc  rassurer  la  Nation  contre  les  factieux  qui  voudroient 
se  coaliser,  s'élever.  Je  demande  même  si  on  ne  les  a  pas  favorisés  par 
une  suspension  indéfinie  de  la  nomination  des  Représentais  de  la  Nation 
qui  composeront  la  législature  prochaine,  dans  un  temps  où  l'on  auroit 
pu  profiter  pour  les  élections,  du  calme  qui  règne  dans  le  royaume,  et 
où  l'agitation  qui  avoit  rallié  les  esprits,  sembloit  promettre  les  meil- 
leurs choix. 

«  A  ce  qu'ont  proposé  les  Comités,  je  soutiens  qu'il  faut  substituer 
des  mesures  générales.  Celles  qu'ils  vous  présentent  ne  peuvent  être  que 
déshonorantes  pour  la  Nation;  et  si  je  suis  réduit  par  leur  adoption  à 
voir  sacrifier  tous  les  principes  de  sa  liberté,  je  demande  à  être  l'avocat 
de  Bouille  et  de  tous  ceux  contre  qui  on  déclare  qu'il  n'y  a  lieu  à  accu- 
sation. Où  il  n'y  a  point  de  coupable,  il  n'y  a  point  de  délit;  où  il  n'y  a 
point  de  délit,  on  ne  peut  trouver  des  complices;  et  si  épargner  un 
coupable  puissant  est  une  foiblesse,  immoler  un  coupable  plus  foible  est 
une  basse  injustice.  Je  ne  reconnois  plus  l'égalité  dans  un  gouvernement 
où  l'on  distingue  un  homme  d'un  homme,  un  crime  d'un  crime,  un  cou- 
pable d'un  plus  grand  coupable  encore.  Il  faut  prononcer  que  tous  sont 
coupables,  ou  les  absoudre  tous.  Je  propose  donc  :  1  °  que  l'Assemblée 
Nationale  décrète  qu'elle  consultera  le  vœu  de  la  Nation  pour  statuer 
sur  l'affaire  du  Roi;  2°  Qu'elle  lève  le  Décret  qui  suspend  les  élec- 
tions pour  la  prochaine  législature;  et  3°  je  propose  la  question  préalable 
sur  le  projet  du  Comité.  Si  les  principes  que  j'ai  réclamés  sont  mécon- 
nus, je  demande  au  moins  que  l'Assemblée  ne  se  souille  point  par  une 
partialité  dans  le  choix  des  coupables.   » 

Annales  patriotiques  et  littéraires,  n°  651,  p.   1684. 

«  Vous  avez  déclaré  le  roi  inviolable,  répond  M.  Robespierre, 
mais  ne  vous  êtes-vous  pas  déclarés  inviolables  aussi,  et  avez- vous  pré- 
tendu étendre  cette  inviolabilité  jusqu'au  droit  de  tout  faire  impunément  ? 
Si  les  rois  sont  inviolables  par  fiction,  les  peuples  le  sont  par  le  droit 
sacré  de  la  nature;  et  que  feriez-vous  autre  chose  en  consacrant  la  pre- 
mière par  la  plus  coupable  des  impunités,  que  d'y  sacrifier  la  seconde? 

«  Que  l'on  m'accuse  si  l'on  veut  de  républicanisme,  je  décWe 
que  j'abhorre  tout  gouvernement  où  les  factieux  dominent.  Je  soutiens 
qu'adopter  les  mesures  que  vous  proposent  vos  comités  réunis,  seroit 
vous  déshonorer;  dans  ces  principes,  le  roi  n'est  pas  coupable,  mais 
il  y  a  un  grand  crime  de  commis;  les  seuls  coupables  à  leurs  sens  sont 
les  complices  de  la  fuite  du  roi;  ils  vous  proposent  de  les  faire  punir, 


564  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

c'est-à-dire,  qu'ils  veulent  vous  faire  sacrifier  le  coupable  faible  au  cou- 
pable puissant.  C'est  une  lâcheté. 

«  Il  faut  punir  tous  les  coupables,  ou  bien  il  faut  tous  les  absoudre, 
point  de  milieu. 

«  M.  Robespierre  a  conclu  :  1  °  à  ce  que  l'assemblée  consultât 
le  vœu  des  départemens  avant  de  rien  statuer  sur  cette  importante  ques- 
tion; 2°  à  la  question  préalable  sur  le  projet  des  comités,  dans  le  cas 
où  le  roi  ne  seroit  pas  mis  en  cause  avec  les  complices  de  sa  fuite.  » 

Mercure  universel,  t.  V,  p.  239  et  247. 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  viens  point  vous  entretenir  des  mots  de 
factions  et  de  républicanisme  que  l'on  voudroit  attacher  aux  principes; 
je  ne  viens  pas  non  plus  provoquer  la  sévérité  de  la  loi  contre  un  indi- 
vidu; je  n'examinerai  pas  si  la  fuite  du  roi  est  la  faute  de  quelques 
femmes  de  chambre,  de  madame  Tourzel  ou  même  de  Bouille  ?  Je 
n'examinerai  pas  si  aujourd'hui  nous  en  sommes  encore  à  ce  temps  où 
l'on  enlève  les  rois  comme  autrefois  on  enlevoit  les  femmes  ?  Je  n'exa- 
minerai pas  si  aujourd'hui  nous  en  sommes  encore  à  ce  temps  où  l'on 
enlève  les  rois  comme  autrefois  on  enlevoit  les  femmes  ?  Je  n'exami- 
nerai pas  même  si  le  manifeste  du  roi,  écrit  de  sa  main,  est  une  décla- 
ration de  son  dévouement  à  vos  loix.  Je  n'examinerai  que  deux  points  : 
le  premier,  c'est  que  le  premier  fonctionnaire  public  est  chargé  de 
devoirs  plus  étendus,  donc  il  doit  être  jugé  plus  sévèrement;  le  second, 
c'est  que  muni  d'un  grand  pouvoir,  il  est  par  cela  seul  plus  dangereux 
qu'aucun  citoyen,  et  doit  être  plus  soigneusement  contenu.  On  parle 
d'une  inviolabilité  sans  bornes;  mais  s'il  s'agissoit  d'un  crime,  d'un 
assassinat,  ce  fonctionnaire  seroit-il  donc  alors  inviolable  ?  On  répond 
qu'il  faudroit  chercher  le  bras  qui  l'auroit  guidé  pour  commettre  ce 
délit  !  C'étoit  par  sa  seule  impulsion  et  comme  être  agissant  que  ce 
fonctionnaire  eût  commis  un  délit  !  Je  demande  où  seroit  le  coupable  ^ 
On  lui  nommeroit  un  régent,  me  dit-on;  s'il  continuoit  ainsi,  il  seroit 
donc  toujours  roi;  et  si  alors,  je  suppose,  le  roi  égorgeoit  votre  fils  sous 
vos  yeux,  s'il  outrageoit  votre  femme,  votre  fille,  permettriez- vous  aux 
citoyens  de  se  venger?  Oui,  dites-vous  ainsi,  vous  établiriez  la  ven- 
geance particulière  légitime  et  nécessaire,  est-ce  là  établir  l'ordre  ?  Et 
vous  osez  nous  dire  que  l'inviolabilité  est  une  chose  nécessaire  ?  Mais 
vous  aussi  vous  êtes  inviolable?  Oseriez-yous  attendre  ce  privilège 
d'extravagance  jusqu'à  n'être  pas  soumis  à  la  loi  ?  Les  rois  sont  invio- 
lables, nous  dit-on,  mais  les  peuples  ne  le  sont-ils  pas  aussi  ?  Le  roi 
l'est  par  votre  convention,  le  peuple  l'est  par  le  droit  de  la  nature.   » 

«  M.  Robesp.  Il  est  visible  que  l'on  n'invoque  ici  les  loix  que 
pour  qu'un  homme  puisse  les  renverser  !  O  vous,  qui  défendez  sa  cause, 
avez-vous  réfléchi  à  ce  que  seroit  un  criminel  de  lèze-nation  qui  scoit 
le  roi  ?  A  ce  que  seroit  le  crime  établi  sur  le  trône  ?  Comment  je  magis- 
trat osera-t-il  rendre  un  arrêt  en  son  nom?  Ne  se  couvrira-!-'!  pas  le 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  565 

visage  de  pudeur,  en  prononçant  une  condamnation  ?  Le  criminel  sur 
l'échafaud  ne  pourroit-il  lui  dire  :  celui  au  nom  duquel  vous  me 
condamnez  est  cent  fois  plus  coupable  que  moi,  et  pourtant  il  est 
couronné  !  Où  donc  est  cette  égalité  de  droits  que  vous  m'avez 
promise  ?  Mais  où  le  roi  conservera  toute  la  puissance  dont  il  est  revêtu, 
alors  il  en  abusera,  il  l'emploiera  pour  anéantir  la  liberté,  pour  persé- 
cuter ceux  qui  ont  défendu  la  cause  du  peuple,  ou  bien  il  sera  sans 
confiance  et  sans  force;  alors  les  rênes  flotteront  dans  les  mains  des 
factieux.  On  m'accusera  de  républicanisme,  je  le  sais;  mais  je  déclare 
que  je  déteste  les  factieux  et  les  Cromwel;  je  me  rappelle  l'exemple  de 
l'Angleterre,  je  vois  parmi  nous  des  coalitions  plus  actives  que  jamais; 
je  vois  que  l'on  devroit  ne  pas  continuer  cette  prolongation  qui  suspend 
la  nomination  des  nouveaux  représentans  :  mais  il  faut  vous  dire  un  mot 
des  intentions  des  opinions  de  vos  comités;  ils  ne  peuvent  que  vous 
déshonorer.  Voici  les  principes  de  vos  comités  :  un  homme  puissant  qui 
seroit  jugé  selon  eux,  ce  seroit  un  crime;  mais  un  foible  qui  seroit 
complice  avec  cet  homme  puissant,  doit  être  sacrifié  pour  détourner 
l'attention  publique  et  l'épargner;  alors  les  femmes  de  la  reine,  les 
gardes-du-corps,  Bouille  lui-même,  tous  sont  en  faute;  le  roi  n'est 
pas  coupable,  pourtant  il  a  des  complices  !  Ou  il  n'y  a  que  des  inno- 
cens,  ou  il  n'y  a  que  des  coupables,  puisque  tous  n'ont  agi  que  pour 
celui  que  l'on  dit  innocent.  Je  demande  donc  que  le  jugement  soit  le 
même  pour  tous,  que  l'assemblée  :  1  °  porte  un  décret  par  lequel  elle 
déclare  qu'elle  consultera  le  vœu  de  la  nation  pour  statuer  sur  l'affaire 
du  roi. 

«  2°   Que  l'interdit  sur  les  élections  sera  incessamment  levé; 

«  3°   Je  demande  la  question  préalable  sur  le  projet  des  comités.  » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),    16  juillet   1791,   p.  3. 

«  Le  seul  nom  de  M.  Robespierre  annonce  des  hyperboles,  des 
déclamations,  des  sen'timens  exaltés  et  une  caricature  des  principes  : 
l'imagination  de  l'orateur  prend  plaisir  à  nous  offrir  un  roi  qui  égorge 
un  fils  sous  les  yeux  de  son  père,  qui  viole  une  femme  en  présence  de 
son  mari,  qui  fait  massacrer  des  provinces  entières;  et  il  demande  sérieu- 
sement si  l'impunité  n'est  pas,  pour  de  pareils  monstres,  un  privilège 
extravagant- 
ce  Louis  XI,  le  plus  cruel  de  tous,  fut  juste  envers  le  peuple;  et 
sa  politique  ne  fut  jamais  si  meurtrière  à  l'égard  des  grands,  que  cette 
même  révolution  que  M.  Robespierre  préconise  comme  amie,  de  l'hu- 
manité. 

«  M.  Robespierre  a  relevé  durement  l'expression  dont  la  fausse 
politique  de  l'assemblée  s'est  servie  pour  désigner  le  départ  du  roi, 
qu'elle  a  voulu  faire  passer  pour  un  enlèvement;  il  a  demandé  si  on 
enlevoit  un  roi  comme  une  femme;  et  je  crois  qu'il  a  raison  de^blâmer 


566  LES.  DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

cette  mauvaise  foi,  indigne  d'une  assemblée  nationale;  pourquoi  tromper 
le  peuple  ?  Pourquoi  désigner  à  sa  fureur  des  victimes  ?  Pourquoi  le 
flatter,  en  lui  déguisant  ses  excès  ?  Il  est  évident  que  le  roi  n'a  point 
été  enlevé;  il  est  parti  volontairement,  pour  se  dérober  aux  rigueurs 
d'une  injuste  captivité  et  aux  insultes  populaires.  L'assemblée  devoit 
le  dire  au  peuple,  et  prendre  de-là  occasion  de  lui  reprocher  ses  atten- 
tats contre  la  majesté  royale;  l'orateur  a  condamné  avec  encore  plus 
de  raison  l'inconséquence  du  comité,  qui,  après  avoir  déclaré,  dans  son 
projet  de  décret,  que  le  roi  ne  s'est  rendu  coupable  d'aucun  délit,  pro- 
pose de  faire  le  procès  aux  complices  de  sa  fuite  :  où  il  n'y  a  point  de 
délit,  il  n'y  a  point  de  complices.  C'est  une  lâcheté  et  une  infamie,  de 
sacrifier  des  Victimes  subalternes  au  ressentiment  du  peuple  :  ces  deux 
traits  prouvent  que  M.  Robespierre  n'est  point  un  fourbe,  mais  seule- 
ment un  fanatique;  qu'il  ne  trempe  point  dans  les  mystères  d'iniquité 
et  dans  les  odieux  complots  de  la  démagogie,  et  que  c'est  de  très-bonne 
foi  qu'il  outrage  la  raison  et  la  saine  politique.  Qu'on  lui  donne  un 
esprit  moins  borné,  et  plus  de  lumières,  on  en  fera  un  bon  français  et 
un  excellent  citoyen.  » 

Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XII,  n°  709,  p,  4. 
Journal  du  Soir  (Beaulieu),  t.  III,  n°  374,  p.  3. 
Gazette  nationale  ou  Extrait...,  t.  XVIII,  p.  96. 

«  Je  n'examine  pas,  a  dit  M.  Robespierre,  si  la  fuite  de  Louis  XVI 
est  l'ouvrage  de  Bouille  et  de  quelques  aides-de-camp;  je  n'examinerai 
pas  si  les  peuples  croient  encore  qu'on  enlève  les  rois  comme  des  fem- 
mes, j'examinerai  seulement  les  bornes  de  l'inviolabilité.  Si  la  personne 
du  roi  est  inviolable,  c'est  que  la  loi  punit  les  fautes  qu'il  pourroit 
commettre  sur  ceux  qui  en  seroient  les  premiers  moteurs. 

«  Mais  il  est  certain  cas  où  la  loi  ne  peut  s'en  prendre  qu'au  roi. 
Si  un  roi  remue  la  main  par  un  mouvement  spontané,  quelle  autre  per- 
sonne que  lui-même  peut  en  être  responsable  ?  Si  un  roi  égorgeoit  votre 
fils  sous  vos  yeux,  seroit-il  inviolable  ?  Et  à  plus  forte  raison  un  roi  qui 
appeïleroit  la  guerre  civile,  qui  ravageroit  son  pays,  seroit-il  inviolable  ? 

«  Si  les  rois  sont  inviolables,  les  peuples  ne  le  sont-ils  pas  aussi  ? 
Voulez-vous  immoler  l'inviolabilité  des  nations  à  celle  des  rois  ?  Quel 
spectacle  présenterait  aux  autres  peuples  de  l'Europe,  celui  chez  qui 
on  verroit  le  vice  placé  sur  le  trône  pour  combattre  la  liberté. 

«  Qu'on  m'accuse  si  l'on  veut  d'aimer  le  républicanisme;  je  hais 
tout  gouvernement  où  les  factieux  régnent.  Je  vais  en  donner  la  preuve. 
Je  demande  que  le  décret  qui  suspend  les  assemblées  primaires  soit  levé. 
La  perpétuité  des  pouvoirs  du  corps  législatif  accableroit  la  liberté; 
mais  aussi  je  demande  qu'on  écarte  toute  considération  sur  l'objet 
important  qui  nous,  occupe.  La  qualité  du  coupable  n'est  rien  :  si  je 
voyois  sacrifier  ici  les  principes  au  point  de  l'absoudre,  je  me  porterais 
pour  avocat  de  la  gouvernante  du  dauphin,  des  gardes-du-corps  et  des 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  567 

autres  prévenus.  Il  n'y  a  pas  de  complices  quand  il  n'y  a  pas  de  délit. 
L'opinant  a  conclu  pour  le  rejet  du  projet  du  comité,  et  il  a  demandé 
que  la  nation  entière  fût  consultée  sur  le  délit  du  roi. 

«  Il  a  demandé:  1°  que  le  vœu  de  la  nation  fût  consulté,  pour 
prononcer,  si  oui  ou  non,  le  Roi  a  encouru  la  peine  de  déchéance; 
2°  que  l'assemblée  lève  le  décret  qui  suspend  les  élections;  3°  la 
question  préalable  sur  le  projet  de  décret  des  comités;  4°  que  l'assem- 
blée nationale  ne  se  souille  pas  de  partialité,  en  punissant  les  complices 
d'un  délit  où  le  principal  coupable  est  à  l'abri  de  toute  punition.  » 
Le  Postillon  (Calais),  t.  XI,  n°  507,  p.  4. 

«  M.  Robespierre.  Le  crime  légalement  impuni  est  un  renverse- 
ment de  l'ordre  social,  et  s'il  est  commis  par  un  fonctionnaire  public, 
je  ne  vois  qu'une  raison  de  plus  pour  le  punir  avec  une  plus  grande 
ostensibilité ;  mais,  dit-on,  le  roi  est  inviolable:  vous  avez  donc  oublié 
que  vous  avez  décrété  la  responsabilité  dans  le  cas  où  le  roi  agiroit 
par  ses  ministres;  mais  lorsque  le  roi  fait  un  acte  personnel,  s'il  assassine 
votre  fils,  s'il  outrage  votre  femme  et  votre  fille,  lui  direz- vous  :  Sire, 
nous  vous  avons  permis  de  tout  faire.  La  meilleure  preuve  de  l'absur- 
dité d'un  système,  c'est  quand  la  première  conséquence  ne  peut  être 
soutenue.  Le  roi  est  inviolable  :  mais  les  peuples  le  sont  aussi  de  leur 
nature,   et  vous  ne  pouvez   les  sacrifier  à  la  barbarie  d'un  roi. 

«  Eh  !  comment  les  divers  fonctionnaires  publics  rempliront-ils  avec 
honneur  leurs  devoirs,  lorsque  celui  au  nom  duquel  ils  agiront  aura  oublié 
tous  les  siens  ?  Comment  les  juges  condamneront-ils  un  homme  pour 
fraude  ou  mauvaise  foi,  lorsque  le  chef  de  la  justice  se  sera  rendu  cou- 
pable de  parjure  ?  Une  réflexion  bien  simple  détruit  toutes  les  objections 
qu'on  fait  :  ou  le  roi  coupable  conservera  toute  l'énergie  de  son  pou- 
voir, et  dans  ce  cas  la  liberté  publique  est  en  danger;  ou  les  ressorts 
du  gouvernement  se  relâcheront,  et  alors  l'état  tombe  dans  l'anarchie. 
Qu'on  m'accuse,  si  l'on  veut,  de  républicanisme,  je  déclare  que  je 
déteste  tout  gouvernement  où  les  factieux  régnent;  mais  je  ne  vois  pas 
qu'il  se  prépare  de  Cromwel,  et  je  vois  sur-tout  que  le  peuple  français 
ne  seroit  pas  disposé  à  le  supporter. 

<<  Les  mesures  du  comité  sont  propres  à  déshonorer  l'assemblée, 
on  l'engage  à  sacrifier  le  foible  au  fort  ;  et  si  vous  décrétez  que  le  roi 
n'est  pas  coupable,  je  prends  l'engagement  d'être  l'avocat  des  trois 
gardes-du-corps,  et  même  de  Bouille. 

«  Je  conclus  à  ce  que  l'assemblée  prenne  le  vœu  de  la  nation  sur 
la  cause  du  roi  ;  à  ce  qu'elle  lève  le  décret  qui  suspend  la  nomination 
des  nouveaux  députés,  et  enfin,  à  la  question  préalable  sur  le  projet  du 
comité.   )) 
Courier  de  Provence,  t.  XV,  n°   316,  p.   549. 

«  M.  Robespierre  a  fait  entendre  les  mâles  accents  d'une  élo- 
quence   austère,    d'une    éloquence   dans   le    genre   de    l'antiquité.    I!    a 


568  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

traité  avec  autant  de  clarté  que  de  précision  la  question  de  l'inviolabi- 
lité, et  il  a  terminé  cette  partie  de  son  opinion  par  ce  trait.  «  Le  roi 
est  inviolable  par  une  fiction  :  les  peuples  le  sont  par  le  droit  sacré  de 
la  nature.  Et  que  faites-vous  en  couvrant  le  roi  de  l'égide  de  l'inviola- 
bilité ?  Vous  immolez  l'inviolabilité  des  peuples  à  celle  des  rois.  Ensuite 
après  avoir  démontré  l'impossibilité  de  mettre  le  roi  hors  de  cause,  après 
avoir  demandé  comment  les  magistrats  ne  seroient  pas  tentés  de  se 
couvrir  le  visage  de  pudeur,  lorsqu'ils  condamneroient  la  fraude  et  la 
mauvaise  foi,  au  nom  d'un  homme  perfide  et  parjure,  il  a  dévoilé  avec 
courage  les  indignes  coalitions  que  l'ambition  et  l'intrigue  ont  formées 
depuis  le  départ  du  roi. 

«  Il  a  fini  par  demander  que  l'assemblée  lève  le  décret  qui  suspend 
les  assemblées  électorales.  A  cette  demande,  M.  Roberspierre  a  ajouté 
celle  de  la  question  préalable  sur  le  projet  des  comités,  il  a  proposé  de 
consulter  la  nation  pour  statuer  sur  le  sort  du  roi,  ou  du  moins,  s'i!  est 
mis  hors  de  cause,  de  ne  pas  se  souiller  par  une  marque  de  partialité 
révoltante  contre  les  complices  d'un  délit  sur  lequel  on  veut  jeter  un 
voile  »  (10). 


Journal  de  la  Noblesse,  t.  II,  n°  30,  p.  315. 

«  M.  Roberspierre  a  senti  cette  horreur  qui  nous  a  fait  qualifier 
d' exécrable  les  principes  des  comités. 

«  Il  a  parlé  conformément  à  ses  maximes  républicaines,  et  dès-lors 
il  devoit  être  contre  l'inviolabilité  :  mais  s'il  est  coupable  aux  yeux 
des  gouvernemens  monarchiques,  et  sur-tout  envers  le  nôtre,  la  raison 
ne  lui  reproche  pas  une  inconséquence  cruelle.   » 

[Suit  un  passage  imité  du  Moniteur  depuis  :  «  Je  déclare  que 
j'abhorre.,     m  jusqu'à  la  fin.] 


(10)  Le  Courier  <le  Provence  (nn  317)  ajoute  le  commentaire  sui- 
vant: «  M.  Robespierre  a  prouvé  le  mot  d'une  grande  énigme  poli- 
tique quand  il  a  dit  que  rien  ne  convient  mieux  aux  factieux  et  aux 
intrigants  que  les  gouvernements  foibl.es.  Voulez-vous  savoir  pour- 
quoi les  ennemis  les  plus  .acharnés  r,e  sont  embrassés  fraternelle- 
ment? Pourquoi  les  partis  les  plus  divisés  de  principes  et  de  seri- 
timens  se  sont  rapprochés?  Pourquoi  les  intérêts  les  plus  opposés 
se  sont  confondais?  Voulez-vous  .savoir  pourquoi  la  faction  de  la  cour 
marche  maintenant  d'accord  avec  la  faction  qui  s'étoit  longtemps 
déclarée  avec  tant  de  violence  contre  cette  cour  où  elle  avoit  Jadis 
dominé?  Pourquoi  s'élèvent-ils  hautement  en  faveur  d'un  roi  que 
la  pluoart  détestent  que  tous  méprisent  Je  vous  répond-ai  avec 
M.  Robespierre  :  rien  ne  convient  mieux  aux  (factieux  et  aux  intri- 
gants qu'un  gouvernement  foible  »  '(cité  par  E  Hamel,  I,  503. 
note  1). 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  569 

Gazette  de  Paris,   M  juillet   1791,  p.    1. 

On  a  vu  avec  quelle  énergie  M.  Prugnon  a  repoussé  les  sophis- 
mes  blasphématoires  de  M.  Péthion,  contre  la  Majesté  Royale  :  à 
ce  très-honorable  Membre  a  succédé  dans  la  Tribune  M.  Robespierre. 
Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  que  le  petit-neveu  de  Damiens  a  parlé  sur 
cette  grande  question,  comme  s'il  avoit  à  venger  le  Régicide  son 
parent,  où  à  mériter  la  même  place  que  lui  dans  l'Histoire.  Il  a  cru 
opposer  à  l'inviolabilité  du  Monarque,  une  démonstration  irrésistible, 
en  le  supposant  déjà  coupable  de  viol  ou  d'assassinat.  Que  le  neveu 
du  Ravaillac  du  18e  siècle  suppose  le  meurtre,  sans  doute  cetfe  idée 
lui  paroît  simple  et  naturelle  ;  mais  que  le  même  homme  qui  prétend 
que  les  mesures  des  Comités  sont  propres  à  déshonorer  V  Assemblée  ;  que 
c'est  l'engager  à  sacrifier  le  foible  au  fort;  qui  conclud  à  ce  que  l'on 
prenne  le  vœu  de  la  nation  sur  la  cause  du  Roi,  ose  dire  en  même  tems, 
qu'il  ne  voit  pas  qu'il  se  prépare  de  Cromwel;  et  que  sur-tout  //  voit 
que  le  Peuple  Français  ne  seroit  pas  disposé  à  le  supporter,  c'est  cumu- 
ler les  sujets  d'indignation  et  d'étonnement.  Quoi  !  ne  pas  trouver  un 
crime  où  la  loi  n'en  trouve  pas,  c'est  déshonorer  l'Assemblée  !  Son 
honneur  consiste-t-il  à  imaginer  des  crimes,  à  tourmenter  l'innocence  sur 
le  trône,  pour  complaire  à  la  scélératesse  souveraine  des  Clubs  ?  C'est 
dit  encore  l'Orateur  Républicain,  immoler  le  foible  au  fort.  Quoi  ! 
dans  cette  horrible  révolte,  le  foible  c'est  ce  Peuple  forcené,  qui  mon- 
tre des  millions  de  bras  armés,  dont  plusieurs  milliers  sont  déjà  teints 
de  sang;  et  le  fort  c'est  ce  captif  auguste,  rassasié  d'opprobres,  chargé 
de  fers  et  jette  dans  une  prison  dont  on  grille  toutes  les  issues.   » 

[Long  résumé  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  des  Décrets 
de  l'Assemblée  nationale,  15  juillet  1791,  p.  78;  Le  Journal  de  Rouen, 
n°  195,  p.  959;  Le  Défenseur  du  Peuple,  n°  8,  p.  7;  Le  Législateur 
français,  t.  111,  15  juillet  1791,  p.  4.  Brève  mention  dans  Le  Journal 
universel,  t.  XII,  p.  1 199;  La  Vedette  ou  Précis  de  toutes  les  nouvelles 
du  jour,  15  juillet  1791,  p.  8;  Le  Journal  général  du  Pas-de-Calais, 
n°  6,  p.  70;  Le  Patriote  françois,  n°  705,  p.  57;  La  Chronique  de 
Paris,  t.  V,  n°  197,  p,  797;  Le  Courrier  des  LXXXlll  départemens, 
n°  15,  p  251  ;  L'Ami  des  Vieillards,  n°  4,  p.  61  ;  Le  Creuset,  n°  52, 
p.  97;  Le  Mercure  de  France,  23  juillet  1791,  p.  306:  L'Argus  pa- 
triote, n°  12,  p.  300;  Le  Journal  de  la  Révolution,  n°  337,  o.  109; 
L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  15  juillet  1791,  p.  783;  L'Ami  de  la  Ré- 
volution, 20-24  juillet  1791,  p.  93;  L'Orateur  du  Peuple,  t.  Vil,  n°  1  ; 
Le  Journal  de  Louis  XVI  et  de  son  peuple,  t.  IV,  n°  104,  p  307; 
La  Correspondance  nationale,  n"  44,  p.  158;  L'Ami  du  Peuple  (Ma- 
rat),  n°  520,  p.  4;  Le  Pacquebot,  n"  163;  Le  Journal  du  Soir,  sans 
réflexions  (de  la  rue  de  Chartres),   n°   374,  p.   3.] 


570  LES  DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

2*  intervention  :  Sur  une  proposition  de  Démeunier 
relative  à  la  suspension  du  roi 

Après  l'intervention  de  Prieur,  Démeunier  propose  que  le  roi 
demeure  suspendu  jusqu'à  l'achèvement  de  l'acte  constitutionnel, 
qui  lui  sera  alors  présenté;  dans  le  cas  où  le  roi  ne  l'accepterait 
pas  purement  et  simplement,  i!  serait  déclaré  déchu.  Une  vive  discus- 
sion s'engage.  Robespierre  déclare  que  décréter  que  l'acte  constitu- 
tionnel sera  soumis  au  roi,  c'est  déclarer  qu'il  ne  peut  être  mis 
en  jugement.  Démeunier  rédige  sa  proposition  et  la  soumet  à  l'As- 
semblée :  <(  Art.  1.  Le  décret  rendu  dans  la  séance  du  21,  qui  suspend 
l'exercice  du  pouvoir  exécutif,  subsistera  ;tant  que  l'acte  constitu- 
tionnel n'aura  pas  été  présenté  et  accepté  purement  et  eimplement 
par  le  roi. 

«  2.  Dans  le  cas  où  le  roi  actuel,  ou  tout  autre,  n'accepterait 
pas  purement  et  simplement,  il  serait  censé  renoncer  à  la  cou- 
ronne, et  l'assemblée  le  déclarerait  déchu  du  trône.  »> 

L'Assemblée  passa  à  l'ordre  du  jour  sur  la  proposition  _  de 
Démeunier.  La  suite  de  la  discussion  sur  le  rapport  des  comités 
fut   renvoyée  au   lendemain. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXIX,  p.  477 
«  M.  Robespierre.  L'une  des  deux  questions  de  M.  Démeunier 
préjuge  évidemment  celle  que  vous  agitez  actuellement,  et  suppose  que 
le  Roi  sera  mis  hors  de  jugement.  En  effet,  si  vous  décrétez  qu'on 
présentera  la  charte  constitutionnelle  au  roi  à  la  fin  de  la  Constitution, 
il  est  évident  que  vous  décrétez  que  le  roi  ne  sera  pas  mis  en  juge- 
ment (c'est  Vrai).  Je  dis  que  l'article  qu'on  vous  propose  ne  présente 
aucun  avantage  en  ce  moment,  puisqu'il  étoit  convenu  généralement,  et 
qu'il  étoit  dicté  par  le  sens  commun,  que  si  le  roi  n'acceptoit  pas  la 
constitution,  il  ne  pouvoit  point  exercer  les  fonctions  royales.  Ainsi, 
vous  ne  gagnez  rien  par  cet  article  (murmures)  ;  et  c'est  un  moyen 
très  adroit  pour  faire  passer  le  projet  du  comité.  Je  demande  la  question 
préalable  quant  à  présent  »  (11). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   196,  p.  812. 

«  M.  Robespierre.  Si  vous  décrétez  que  la  charte  constitutionnelle 
sera  présentée  au  roi,  vous  préjugez  la  question  qui  nous  est  soumise, 
vous  déclarez  qu'il  ne  peut  pas  être  mis  en  jugement.  Je  m  oppose 
donc  à  cet  ordre  de  délibération  »  (12). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  des  Débats, 
n°  784,  p.  18;  L'Ami  du  Peuple  (Marat),  n°  520,  p.  4;  La  Feville 
du  Jour,  t.  V,  n°  196,  p.  114;  Le  Journal  de  Rouen,  n°  197,  p.  962; 
Le  Creuset,  t.  III,  n°  52;  L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  15  juillet  1791, 
p.  783;  le  Législateur  français,  t.  III,  15  juillet  1791,  p.  8;  Le  Ba- 
billard, n°  34,  p.  7.] 


(«11)  Texte   reproduit  dans  lels  Arch.   pari.,   XXVIII,   270. 
(12)  Texte    reproduit    dans    le    Moniteur,    IX,    128. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  571 

319.  —  DERNIER  DISCOURS  DE  M.  ROBERSPIERRE 
Sur  la  fuite  du  roi  (1) 


Ce  discours,  flans  lequel  Robespierre  serait  censé  réfuter  l'ar- 
gumentation de  Prugnon  i(2),  .et  où  il  laisserait  entendre  que  la  fuite 
du  roi  est  un  crime  qu'on  punirait  de  mort  s'il  s'agissait  d'un  simple 
particulier,  a  été  compose  comme  s'il  devait  être  prononcé  Le  soir 
même  du  grand  débat  qui  avait  eu  lieu  à  l'Assemblée  nationale  le 
il  juillet  1791.  Aucun  journal  ne  l'ayant  mentionné,  E.  Hamel  le 
place,   à  la  même  date,   aux  Jacobins  (3). 

Mais  ce  soir-là,  «  les  Amis  de  la  constitution  se  sont,  pour 
la  première  fois,  distraits  de  leurs  travaux,  pour  se  livrer  aux  agré- 
mens  d'une  fête  »>  (4).  iL'après-midi,  Robespierre  avait  été  choisi, 
avec  23  de  ses  collègues,  pour  représenter  l'Assemblée  nationale 
à  la  commémoration  du  quatorze  juillet  (5).  A  l'issue  de  cette  céré- 
monie, les  Jacobins  organisèrent  am  banquet  «  où  il  a  été  porté  au 
bruit  du  canon,  des  santés...  et  «  la  fête  a  été  terminée  par  un  bal 
avec  illuminations  <»   (6). 

Ce    discours    fu*t-il    prononcé    dans    queliqu'autre    société    popu- 


(1)  B.N.  Le29  1640,  in-8°,  8  p.,  de  l'imprimerie  de  Calixte  Vol- 
land,  rue  des  Noyers,  n°  38,  sans  aucune  autre  indication.  Texte 
reproduit  dans  «  Les  plus  beaux  discours  de  Robespierre  »  (Edit. 
du  Centa.ure),  p.  50,  et  présenté  comme  ayant  été  prononcé  à  La 
tribune   des  Jacobins,    sans  aucune  date. 

(2)  Cf.  ci-dessus,  séance  du  14  juillet  1791,  à  l'Assemblée  na- 
tionale. 

(3)  Cf.  E.  Hamel,  I,  506-507. 

(4)  Mercure   Universel,   t.   V,   p.   263. 

(5)  (Le  cortège  se  constitua  sur  les  ruines  de  la  Bastille  et  se 
rendit  «  au  Champ  de  fédération  »  (Gazette  nationale  ou  le  Moniteur 
Universel,  n°  197,  p.  813).  \Marat  voit  dans  La  nomination  de  Robes- 
pierre une  manœuvre  habile  pour  l'éloigner  de  la  tribune  (Ami  du 
Peuple,  n°  519,  p.  7  et  ,note  1)  :  *<  Pour  trouver  moins  d'obstacles  à 
leur  dessein  atroce,  ils  se  sont  débarrassé  adroitement  de  Robes- 
pierre et  de  quelques  autres  députés  patriotes,  qu'ils  ont  envoyés 
commissaires  à  la  fédération...  Robespierre  devait  sentir  le  coup 
et  le  faire  retomber  sur  eux.  Je  reste  à  mon  poste  pour  veiller  au 
saLut  de  la  patrie,  leur  aurais-je  répondu.  Envoyez  à  la  fédération, 
d'André,  Desmeuniers,  Emery,  Target,  Voidel,  Tbouret,  Bamave, 
Chapelier,  iSyeyes,  Rabaud,  les  Lameth  et  quelques  autres  de  ces 
nombreux  coquins  qui  restent  ici  pour  achever.de  détruire  la  liberté. 
A  propos  des  Lameth,  je  le  demande  aux  Jacobins,  me  trompais-je, 
lorsque  je  les  dénonçai,  il  y  a  un  an,  pour  de  vils  courtisans  qui 
avaient  spéculé  s.ur  le  faux  civisme  qu'ils  affichaient?  »  (cité  par 
E    Hamel,   I,  507). 

De  même  C.  Desmoulins  engage  les  députés  patriotes  à  la  plui 
grande  vigilance  (Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t.  VII, 
n°  85,  p.  286):  *  Que  Buzot,  Pethion  et  Robespierre  s'arrangent 
ensemble  de  manière  qne  l'un  des  trois  surveillans  se  trouve  tou- 
jours ià  la  séance  :  car  s'ils  avoient  tin  moment  le  dos  tourna,  je  ne 
répondrois   plus  de   la   liberté  d'écrire,   même  de  parler   ». 

(6)  Mercure  Universel,  t.  V,  p.  263. 


572  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

laire?  (7)  Nous  ne  le  pensons  pas.  Nous  croyons  même  pouvoir  affir- 
mer, tant  le  style  diffère  des  véritables  écrits  de  (Robespierre,  qu'il 
s'agit  d'une  contrefaçon  (8)  ;  de  celle  même  peut-être  qu'il  dénonce 
aux  Jacobins  dans  la  séance  du  17  juillet  (9),  lorsqu'il  dit:  «  A 
l'instant  encore,  aux  -Champs-Elysées,  on  publiait  sous  mon  nom  un 
discours  séditieux  dont  il  in' est  jamais  sorti  un  mot  de  ma  bou- 
che  »  (10). 

«  Le  mot  de  Montaigne  distinguo,  je  distingue,  n'est  pas  encore 
assez  connu,  ou  du  moins  il  n'a  pas  assez  d'influence  dans  nos  délibé- 
rations. On  se  perd  sans  cesse  dans  les  généralités;  et  parce  que  Rous- 
seau a  avancé  qu'une  loi  ne  pouvait  porter  que  sur  un  objet  général,  on 
en  a  conclu  qu'il  fallait  écarter  de  sa  disposition  tout  ce  qu'il  y  a  de 
particulier.  Mais,  où  trouver  quelque  chose  qui  soit  absolument  géné- 
ral ?  N'est-ce  pas  alors  qu'une  chose  est  plus  générale,  qu'elle  devient 
sujette  à  un  plus  grand  nombre  d'exceptions  ?  car  renfermant  dans  ses 
conséquences  une  multitude  d'objets  qu'elle  ne  peut  saisir  sous  toutes 
les  faces,  elle  laisse  nécessairement  comme  autant  d'exceptions  les  faces 
qu'elle  n'embrasse  pas.  L'idée  général,  bien  loin  d'exclure  l'idée 
exception,  la  suppose  au  contraire,  et  la  nécessite.  On  se  sert  du  mot 
absolu  et  non  pas  du  mot  général,  quand  on  veut  écarter  l'idée  de  toute 
distinction.  Ce  principe  établi,  dira-t-on,  que  l'exception  faite  à  une 
loi  ne  peut  pas  devenir  elle-même  l'objet  d'une  loi,  ou  que  cette  loi  n'est 


(7)  /C'est  l'idée  que  suggère  G.   Walter,   p.   170. 

(8)  Ce   faux  pourrait  bien   être   l'œuvre   des    orléanistes. 

(9)  Cf.  ci-dessous,  à  la  date,  2e  intervention,  texte  du  Mercure 
universel. 

(10)  Un  seul  journal,  à  notre  connaissance,  signale  ce  discours; 
c'est  celui  du  royaliste  Beffroy  de  .Reigny  dit  le- Cousin  Jacques 
Il  écrit  dans  «on  Défenseur  du  Peuple,  n°  11,  p.  7-8  et  n°  12,  p.  6: 
«  On  disait  hier  que  M.  Robespierre,  fatigué  de  aie  pouvoir  entraîner 
à  sa  suite  l'assemblée  nationale,  menace  de  la  quitter  ;  à  toute  force 
on  pourrait  se  consoler  de  sa  retraite;  mais,  bon  peuple,  comment 
répareriez-voois  la  perte  immense  que  vous  feriez  si,  par  vos  insur- 
rections, vos  cris,  vos  menaces,  'vous  forciez  le  Sénat  à  quitter  les 
murs  de  Paris,  pour  aller  chercher  la  liberté,  de  ses  opinions  dans 
une  autre  ville?  Je  ne  le  dissimule  pas,  il  faut  une  force  plus  qu'hu- 
maine pour  délibérer  froidement  au  milieu  des  orages.  Les  départe- 
mens,  jaloux  de  voir  la  constitution  arriver  à  sa  fin,  sachant  que 
vingt-six  mois  n'ont  pu  achever  cet  ouvrage,  instruits  que,  jusqu'à 
sa  confection,,  l'anarchie,  non?  détruira,  s'élèveraient  contre  vous, 
auteurs  des  retards  iforcés.  Si  l'assemblée  quitte  Paris,  et  établit 
ses  séances  au  milieu  du  royaume  ;  si  le  monarque  qui  doit  habiter 
près  d'elle,  la  suit,  que  devenez-vous  1  la  victime  des  factieux  qui 
vous  ont  soulevé  ;  vous  perdez  même  le  rang  de  capitale,  une  autre 
ville  peut  s'en  emparer.  Il  est  temps  encore,  vous  êtes  en  force, 
quel  meilleur  usage  pouvez -vous  en  faire  que  de  chasser,  je  ne  dis 
pas  punir,  les  pervers  qui  vous  obsèdent. 

«  Le  discours  de  M.  Robespierre  a  passé  dans  toutes  les  mains; 
l'auteur  s'est  jette  dans  l'analyse  de  toutes  les  exceptions,  excepté 
dans  celle  du  bonheur  public.  Ce  morceau  est  la  critique  de  la  façon 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  573 

que  particulière  ?  Ce  ne  sont  là  que  des  mots.  De  quelque  nom  que 
l'on  l'appelle,  elle  sera  toujours  générale  dans  ses  effets,  puisque  la 
moindre  exception  dans  la  loi  la  plus  étendue  a  tout  aussi  bien  que 
cette  dernière  l'empire  entier  de  l'objet. 

«  Dans  la  grande  question  qui  s'agite  aujourd'hui  à  l'Assemblée 
nationale,  question  qu'on  appelle  grande,  par  son  objet  qui  est  le  roi, 
quoique  dans  la  morale,  tout  ce  qui  intéresse  cette  science  divine  ait 
réellement  la  même  mesure  et  ne  diffère  que  par  l'énorroité  du  crime 
sans  acception  des  personnes;  dans  cette  question,  dis-je,  les  Orateurs 
de  l'Assemblée  sont  un  déplorable  exemple  des  grands  écarts  où  peut 
donner  l'esprit  humain,  lorsqu'au  lieu  de  composer  ses  principes  géné- 
raux des  observations  particulières  qu'il  a  faites,  il  veut  soumettre  les 
objets  particuliers  aux  généralités,  et  qu'incapable  de  tenir  un  milieu 
ou  de  s'étendre  également  à  tous  les  points,  il  se  porte  sans  cesse  d'un 
extrême  à  l'autre. 

«  Ainsi,  en  cherchant  à  définir  l'inviolabilité  du  Roi,  M.  Péthion 
veut  que  bornée  aux  actes  du  gouvernement,  elle  disparaisse  dans  les 
moindres  causes  civiles.  M.  Prugnon,  à  qui  cette  idée  d'un  Roi  sans 
cesse  tenu  à  comparaître  devant  les  tribunaux,  offre  apparemment  quel- 
que chose  d'indécent,  ne  veut  pas  qu'il  puisse  y  être  appelle  même 
pour  crime  de  lèze-majesté  nationale  au  premier  chef,  qui  est  une  com- 

de  penser  de  ses  collègues  sur  la  question  relative  au  Roi,  qu'il  voit 
simplement  chargé  de  la  complication  de  tous  les  crimes  ;  heureuse- 
ment près  de  mille  autres  membres  n'ont  pas  vu  de  même.  «  Louis 
XVI,  selon  l'Orateur  artésien,  est  un  parjure,  chef  d'une  rébellion 
universelle  à  la  loi,  le  ravisseur  de  l'objet  le  plus  cher  à  la  nation 
et  le  plus  important  à  son  repos,  l'héritier  du  trône  ;  enfin,  le  bour- 
reau de  son  peuple  ;  un  .Néron  qui,  par  le  seul  acte  de  sa  fuite,  a 
exécuté,  autant  qu'il  est  .en  lui,  le  vœu  féroce  de  ce  prince  dénaturé, 
qui  souhaitait  que  le  Peuple  romain  n'eût  qu'une  tête,  pour  la  faire 
tomber  d'un  seul  et  même  coup  ».  Lecteurs,  ce  passage  pourrait 
appartenir  à  Néron  de  qui  l'histoire  a  peint  les  crimes  ;  mais  recon- 
naissez-vous à  ce  portrait  un  roi  coupable  d'une  faute  majeure,  il 
est  vrai,  niais  qui  vous  a  tous  appelle  à  la  liberté,  qui  a  convoqué 
les  Notables  pour  s'aider  de  leurs  conseils,  qui  a  rassemblé  les 
états-généraux  avec  double  représentation  pour  le  peuple,  afin  d'as- 
surer son  bonheur? 


K  M.  Robespierre,  que  je  ne  puis  quitter  encore  parcequ'il  se 
présente  par-tout,  et  que  vous  avez  vu  comparer  charitablement 
Louis  XVI  à  Néron,  a  le  talent  de  plaisanter,  lorsqu'il  parle  de 
punition  :  il  dit  qu'il  prétend  ne  pas  diminuer  l'immense  considération 
dont  on  veut  investir  le  monarque,  considération  dont  jouissent  l'em- 
pereur de  la  Chine,  le  .Sophi  de  Perse  et  le  Grand-iSeigneur  ;  mais 
qu'il  ne  pense  pas  qu'on  veuille  assimiler  .le  Roi  constitutionnel 
des  Français  à  tous  ces  jolis  Rois.  Jolis  Pois!  est,  eu  honneur, 
iw's-joli.  Non,  le  souverain  régnant  sur  un  peuple  libre  ne  doit  point 
ressembler  aux  souveraine  asiatiques:  disons  cependant  que  ce  joli 
empereur  de  la  Chine  n'est  autre  que  le  père  d'une  immense  famille, 
qui  fait  un  million  d'actes  de  bienfaisance  contre  un  de  despotisme.  » 


574  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

plication  de  tous  les  crimes  les  plus  énormes,  puisqu'il  fait  de  son 
auteur  un  parjure,  le  chef  d'une  rébellion  universelle  à  la  Loi,  le  ravis- 
seur de  l'objet  le  plus  cher  à  la  nation  et  le  plus  important  à  son  repos, 
l'Héritier  présomptif  du  trône,  enfin  le  bourreau  de  son  peuple,  un  Néron 
qui,  par  le  seul  acte  de  sa  fuite,  met  à  exécution  autant  qu'il  est  en 
lui  le  vœu  féroce  de  ce  prince  dénaturé,  qui  souhaitoit  que  !e  peuple 
romain  n'ait  qu'une  tête  pour  la  lui  faire  tomber  d'un  seul  et  même 
coup  !  Enfin  M.  Prugnon,  ménager  du  tems  non  moins  que  de  la  consi- 
dération du  monarque,  craint  que  le  Roi,  appelé  au  barreau  par  de 
continuels  procès,  ne  trouve  plus  le  moment  de  veiller  à  l'exécution 
des  loix;  comme  si,  même  avant  l'établissement  de  la  constitution,  le 
prince  pour  les  faits  de  ses  domaines  ou  engagements  particuliers  pris 
par  ses  ancêtres,  n'étoit  pas  obligé  de  soutenir  des  procès  qui,  non- 
seulement  ne  le  déroboient  pas  aux  affaires  du  gouvernement,  mais  encore 
le  conservoient  tout  entier  à  ses  plaisirs.  Il  semble  qu'avec  une  liste  de 
vingt-cinq  millions,  le  prince  peut  encore  payer  des  procureurs  et  des 
hommes  d'affaires.  Le  fait  est  qu'il  ne  faut  pas  trop  diminuer  cette 
immense  considération,  le  premier  besoin  de  la  royauté,  comme  l'appelle 
M.  Prugnon,  et  c'est  ce  qu'on  feroit  en  imprimant  trop  au  roi  l'attitude 
d'un  particulier:  mais  faut-il  aussi  faire  d'un  monarque  un  despote,  un 
tyran  en  faisant  disparaître  les  plus  énormes  crimes  à  l'éclat  de  sa  cou- 
ronne ?  Assurément,  on  peut  dire  que  l'Empereur  de  la  Chine,  le 
Sophi  de  Perse,  et  le  grand  Seigneur  jouissent  d'une  immense  considé- 
ration, mais  aussi  cette  considération  coûte  la  liberté  et  souvent  la  vie 
à  leurs  sujets,  et  je  pense  qu'à  tous  ces  jolis  Rois  on  ne  veut  pas  assi- 
miler le  Roi  constitutionnel  des  Français,  ni  à  leurs  troupeaux  d'escla- 
ves, un  peuple  d'hommes  libres. 

a  Le  roi  ne  doit  donc  pas  pouvoir  être  appelé  en  justice  pour  de 
trop  légères  causes;  mais,  pour  des  crimes  capitaux;  il  n'y  a  pas  de 
doute  que  la  justice  ne  doive  étendre  sa  main  jusque  sur  sa  tête  ointe  ; 
mais,  me  dira-t-on,  un  crime  tel  que  celui  que  méditoit  le  roi,  dont  il 
avoit  déjà  fait  les  premiers  pas,  et  dont  toutes  les  traces  subsistent  dans 
les  complots  découverts  de  ses  complices,  un  tel  crime  mente  la  mort 
dans  un  cas  particulier...  Voudriez-vous  donner  à  l'Europe  une  seconde 
représentation  de  la  cruelle  tragédie,  dont  le  noir  Cromwell  fut  le 
premier  acteur!...  La  seule  question  est  un  crime;  la  réponse  en  seroit 
un  autre  :  je  dis  seulement  que  pour  !a  conservation  même  de  cette 
considération  si  nécessaire  à  l'effet  de  la  royauté,  il  n'est  plus  possible 
qu'un  roi  qui  s'est  déshonoré  par  un  parjure,  de  tous  les  crimes  le  plus 
antipathique  à  l'humeur  française,  un  Roi  qui,  de  sang-froid,  alloit 
faire  couler  celui  des  Français,  il  n'est  plus  possible  qu'un  tel  roi  se 
montre  encore  sur  le  trône;  le  dernier  de  ses  sujets  se  croirait  déshonoré 
en  lui,  et  l'honneur,  l'ame  des  combats,  seroit  éteint  dans  le  sein  des 
Français;  enfin,  cette  confiance  dans  le  suprême  exécuteur  des  lois,  si 
nécessaire  au  repos  et  à  la  prospérité  de  l'empire,  comment  pourroit-elle 


Lés  discours  de  Robespierre  575 

renaître  envers  un  Prince  dont  le  premier  soin,  en  désertant  son  poste, 
avoit  été  de  les  condamner  et  de  les  abjurer  ? 

«  Mais  que  M.  Prugnon  se  rassure  sur  le  maintien  de  cette  monar- 
chie à  laquelle,  depuis  qu'elle  est  devenue  constitutionnelle,  non  pas 
seulement  une  partie  de  la  nation,  comme  dit  ce  député,  mais  la  nation 
entière  tient  par  sentiment.  Ce  que  je  croirois  bien,  c'est  qu'une  partie 
de  la  nation  tient  sinon  par  sentiment,  au  moins  beaucoup  par  intérêt, 
à  la  monarchie  arbitraire.  J'aime  les  analogies,  mais  c'est  lorsqu'on  en 
tire  une  inférence  favorable  à  la  cause  que  l'on  soutient,  sur  tout  quand 
cette  cause  est  juste.  Sans  doute,  comme  le  dit  Montesquieu,  la  religion 
a  sa  racine  dans  le  ciel,  de  qui  n'empêche  pas  que  la  terre  n'ait  été 
couverte  des  crimes  commis  en  son  nom,  et  que  le  fanatisme  ne  l'ait 
fait  envisager  aux  peuples  comme  un  monstre  sorti  des  enfers;  aussi  il  se 
peut  «  que  la  monarchie  française  ait  sa  racine  dans  le  cœur  de  la  plu- 
part, et  même  de  tous  ceux  qui  habitent  ce  vaste  empire  »  ;  mais  bientôt 
elle  n'y  seroit  plus,  si  un  massacre  national  devoit  en  être  le  prix.  C'est 
aux  monarques  à  faire  aimer  et  respecter  la  monarchie  ;  cet  amour  et  ce 
respect,  s'il  étoit  sans  fondement  de  la  part  des  peuples,  seroit  la  plus 
dangereuse  de  toutes  les  idolâtries.  Assurément,  les  Romains  ne  se  las- 
sèrent pas  des  Tarquins,  mais  les  Tarquins  se  lassèrent  d'être  justes, 
et  ils  se  firent  chasser  plutôt  qu'on  ne  les  chassa  ». 


320.  —  SEANCE  DU  15  JUILLET  1791 
Sur  le  jugement  de  Monsieur,  complice  du  roi 


Le  débat  se  poursuit  sur  le  rapport  de  Muguet  concernant  la 
fuite  du  ,roi.  Très  vite  la  discussion  s'élève,  et  c'est  la  question  de 
l'inviolabilité  de  la  personne  royale  que  traitant  les  orateurs.  La 
séance  du  15  (juillet  est  marquée  par  les  interventions  de  l'abbé 
Grégoire  et  de  Bwzot  (1)  qui  se  prononcent  contre  le  projet  de* 
comités.  Barnave,  au  nom  de  la  nécessité  de  terminer  la  Bévo'iutioa, 


(1)  D'après  le  .Mercure  de  France  (23  juillet  1791,  p.  317):  «  On 
(Y)  entendoit  à  peine,  et  de  fréquens  murmures  (1')  ont  interrom- 
pu ».  Les  journaux  patriotes  accusent  les  d'André,  Le  Chapelier, 
Lameth  et  Barnave  qu'ils  qualifient  de  «  conspirateurs  m  d'ôter  par 
tous  les  moyens  la  parole  *(  aux  5  ou  6  «patriotes  qui  restent  dans 
l'assemblée  nationale.  L'Orateur  du  Peuple  (t.  VII,  p.  30)  écrit: 
«  M.  Alexandre  Lameth  se  charge  de  (faire  interrompre  MM.  Buzot 
et  Robespierre  s'il  ne  peut  pas  les  empêcher  de  parler.  Il  a  ses 
jokeys  ;  ils  iront  de  rang  en  rang  fissurer  que  ces  patriotes  ont  des 
liaisons  avec  les  Anglais...  que  ces  républicaine  ne  veulent  que  le 
désordre  en  prêchant  l'égalité  des  droits...  ■»  Même  son  de  cloche 
dans  le  Patriote  François,  n°  -703,  p.  61;  et  dans  le  Creuset,  t.  III, 
}■."  63,  p.  140.  On  trouve  aux  Arch.  nat.  <D  XXIX  bis  34,  d.  349,  p.  30), 
à  la  date  du  18  juillet  1791,  la  copie  d'une  lettre  d'un  sieur  Chatenay, 
homme  de  loi  de  Paris,  dénonçant  les  complots  ourdis  contre  la  cons- 
titution  par   Lameth,  Barnave,   d'André,  soutenus   par  La   Fayette, 


576  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

défend  l'inviolabilité  du  roi,  et  adopte  en.  conséquence  les  propo- 
sitions des  comités  <(2).  (La  discussion  générale   est  alors  fermée. 

Muguet,  rapporteur,  donne  lecture  de  Fart.  1  du  projet  des 
comités:  «  Il  -y  a  lieu  à  accusation  contre  iM.  Bouille,  ses  complices 
et  adhérents,  et  procès  leur  sera  fait  et  parfait  devant  la  haute 
cour  nationale  provisoire,  séante  à  Orléans;  à  cet  effet,  les  pièces 
qui  ont  été  adressées  à  l'Assemblée  nationale  seront  envoyées  à  l'of- 
ficier qui  fait  auprès  de  ce  tribunal  les  fonctions  d'accusateur  pu- 
blic ».  .Robespierre,  appuyé  par  (Prieur,  demande  que  Monsieur, 
frère  du  roi  (3),  'dont  'l'inviolabilité  n'a  pas  été  proclamée  par  la 
Constitution,  soit  poursuivi,  comme  complice.  Chabroud  s'élève  con- 
tre cette  proposition. 

L'Assemblée  décréta  l'art.  1  du  projet  des  comités;  puis  après 
quelques  débats,  les  art.  2,  3,  4  et  5  qui  ordonnaient  qu'une  accu- 
sation devant  la  hante  cour  nationale  soit  ouverte  contre  certaines 
personnes,  complices  de  Bouille  et  que  d'autres  soient  maintenues 
en  état  d'arrestation.  iLe  débat  devait  rebondir  le  lendemain,  16 
juillet.  D'André  demande  qu'une  adresse  soit  rédigée,  afin  d'éclairer 
les  Français  sur  le  décret  du  15  juillet  et  d'éviter  des  troubles,  et 
que  les  ministres  soient  rendus  responsables  de  l'exécution  du 
décret.  Après  une  vive  discussion,  l'Assemblée  vota  ces  propositions. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXX,  p.  44. 

«  M.  Robespierre.  J'ai  l'honneur  de  proposer  un  amendement, 
qui  sera  sans  cloute  dans  les  principes  des  comités.  Je  demande  aux 
comités,  je  demande  aux  plus  zélés  partisans  de  leur  système,  de  quel 
droit  on  excepte  dans  le  décret  les  personnes  qui  ne  sont  point  invio- 
lables, je  veux  dire  Monsieur,   frère  du  roi  (oui,  oui,  applaudi). 

«  J'entends  autour  de  moi  des  personnes  qui  m'arrêtent  et  me 
disent  :  quelles  sont  vos  preuves  contre  le  frère  du  roi  ?  Ces  personnes 
ne  sont  certainement  pas  dans  la  question  :  s'il  y-  avoit  de>  preuves  con- 
tre les  complices  prétendus  du  délit,  il  ne  s'agiroit  point  de  déclarer 
qu'il  y  a  lieu  à  accusation  et  de   leur  faire  leur  procès,   mais  de   les 


son  état-major  et  le  maire  de  Paris,  et  dégageant  de  toute  compro- 
mission Robespierre,  Péthion,  Rœderer,  l'abbé  Royer  (évêque  cons- 
titutionnel de  l'Ain),  et  Biauzat. 

(2)  La  conduite  de  Barnave  fut  sévèrement  jugée.  Le  Couriei 
de  Provence  (t.  XV,  p.  559)  écrit  à  son  sujet:  «  M.  Barnave  qui 
n'aurait  dû  songer  qu'à  faire  oublier  ses  erreurs  ou  sa  mauvaise  foi 
dans  les  affaires  coloniales,  a  porté  le  dernier  coup  à  sa  gloire,  dans 
la  discussion  actuelle,  et  s'est  montré  un  des  membres  les  plus 
ardents  de  la  coalition  ».  De  même,  la  Rocambole  (20  juillet  1791, 
n°  9)  s'exprime  ainsi:  v<  (La  conduite  de  M.  Barnave  et  de  quelques 
autres  députés  de  son  bord,  est  ,une  énigme  pqnr  bien  des  ..per- 
sonnes. On  sait  que  ce  farouche  républicain  s'est  montré  l'ennemi 
le  plus  implacable  du  roi  et  de  la  Monarchie;  on  le  sait,  et  cepen- 
dant on  l'a  vu  donnant  l'essor  à  son  éloquence,  foudroyant  les 
abbé,  Grégoire,  les  Robertspierre,  etc.,  qui  voulaient  que  le  Roi  fût 
traduit  en  cause  pour  être  sorti  de  la  Capitale  »>. 

(3)  Cf.  E.  iHamel,  I,  505.  Il  s'agit  du  comte  de  Provence,  le 
futur  Louis  XVIII,  qui,  plus  heureux  que  le  roi,  était  parvenu  à. 
passer  à  l'étranger  au  même  moment. 


LES    DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  577 

condamner  (grands  murmures).  On  a  interrompu  mon  raisonnement,  au 
moment  où  je  n'en  avois  prononcé  qu'une  première  partie  qui  en  atten- 
doit  une  seconde;  et  c'étoit  un  moyen  très  facile  de  le  trouver  ridicule. 
Voici  la  seconde  partie  de  ce  raisonnement;  puisqu'il  n'est  pas  ques- 
tion ici  de  prononcer  un  jugement  définitif,  mais  seulement  de  déc'arer 
qu'il  y  a  lieu  à  accusation,  et  de  faire  le  procès  à  tels  ou  tels  indi- 
vidus, il  s'ensuit  qu'il  ne  faut  point  de  preuves,  mais  des  indices  contre 
les  accusés  (murmures).  Or,  Messieurs,  je  le  demande  à  tout  homme  de 
bonne  foi  ;  peut-on  dire  qu'il  y  a  des  indices  plus  forts  de  la  complicité 
de  la  fuite  du  roi  contre  plusieurs  de  ceux  qui  sont  dénoncés  par  les 
comités,  que  contre  le  frère  du  roi  ?  Par  exemple,  y  a-t-il  de  plus 
grands  indices  contre  Madame  Tourzel,  qui  n'a  fait  autre  chose 
qu'accompagner  le  roi  ? 

«  Plusieurs  voix.   Précisément,   elle  n'est  point  accusée. 

«  Robespierre.  Y  a-t-il  de  plus  forts  indices  contre  les  trois  gardes- 
du-corps  qui  ont  suivi  le  roi,  et  qui  n'ont  fait  qu'accompagner  leur 
maître,  qu'il  n'y  en  a  contre  Monsieur,  frère  du  roi,  dont  la  fuite  a  été 
combinée  avec  la  sienne  dans  les  pays  étrangers,  dans  le  sein  de  nos 
ennemis  ?  Qu'on  me  dise  si  les  soupçons  ne  doivent  pas  porter  spéciale- 
ment sur  un  personnage  plus  intimement  lié  au  roi,  mais  qui  n'est  pas 
inviolable  comme  lui  ?  Messieurs,  prenez-y  bien  garde  :  si  vous  faites 
une  exception  aussi  étrange,  aussi  évidemment  contraire  à  tous  les  prin- 
cipes, il  est  évident  que  vous  vous  exposez  au  reproche  d'avoir  éternel- 
lement épargné  les  conspirateurs  puissans;  et  l'on  remarquera  avec  éton- 
nement  que  la  seule  victime  immolée  au  salut  du  peuple,  étoit  précisé- 
ment une  victime  d'un  rang  inférieur,  que  l'opinion  a  cru  être  immolée 
à  ce  même  homme  qui  a  fui  avec  le  roi  (murmure).  J'ai  l'honneur  de 
vous  observer  que,  de  quelque  manière  que  vous  prononciez  sur  le  roi 
lui-même,  il  faut  prononcer.  Il  est  de  votre  bonne  foi,  il  est  de  votre 
loyauté  de  prononcer,  non  pas  d'une  manière  tacite,  mais  d'une  manière 
expresse. 

«   Une  voix.  On  rentre  dans  la  discussion. 

«  M.  h  Président.  Laissez  finir. 

«  M.  Robespierre.  Ces  réflexions  me  paroissent  si  simples,  il  me 
paroîtroit  si  contraire  à  la  gloire  de  l'assemblée,  au  droit  de  la  nation, 
de  s'en  écarter,  que  si  vous  n'adoptez  pas  ma  proposition,  je  me  crois, 
en  vertu  du  serment  qui  me  lie  à  l'assemblée  nationale  et  encore  plus 
pour  l'honneur  de  la  nation,  obligé  de  protester  contre  la  détermination 
que  vous  allez  prendre.  (Grands  murmures)  »  (4). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   198,  p.  818 

«  M  Roberspierre.  Dans  le  cas  où  l'on  adopterait  ce  décret,  je 
proposerais   un   amendement   que   les  Comités   adopteront,    sans   doute; 

(4)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXVTII,  331. 


578  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

c'est,  que  tous  les  coupables  du  délit  dont  vous  venez  de  vous  occuper, 
qui  ne  sont  pas  le  roi,  soient  dénoncés,  que  quelques  personnes  soup- 
çonnées d'être  les  complices,  et  qui  ne  sont  pas  inviolables,  telles  que 
le  frère  du  roi,  par  exemple,  soient  poursuivies.  (Un  instant  se  passe 
dans  l'agitation).  On  me  demande  quelles  sont  les  preuves  contre  lui. 
Je  réponds  aux  personnes  qui  m'interrogent,  qu'elles  ne  sont  pas  dans 
la  question;  s'il  y  avait  des  preuves,  il  ne  s'agirait  pas  de  déclarer 
qu'il  y  a  lieu  à  accusation,  mais...  (De  violens  murmures  s'élèvent  dans 
différentes  parties  de  la  salle).  Si  l'on  avait  voulu  prendre  la  peine  de 
m'entendre  jusqu'au  bout,  on  aurait  vu  que  mon  idée  n'était  pas  si 
absurde.  Je  voulais  dire  que  pour  accuser  il  n'est  pas  besoin  qu'il  y  ait 
des  preuves,  mais  des  indices,  et  je  demande  à  tout  homme  de  bonne 
foi  si  les  indices  ne  sont  pas  aussi  forts  contre  Monsieur  que  contre 
madame  Tourzel  par  exemple.  (On  applaudit). 

((  Prenez  garde  d'épargner  des  conspirateurs  puissans,  n'oubliez 
pas  que  le  seul  homme  qui  ait  été  immolé  à  la  révolution  (5)  était  d'un 
rang  inférieur,  et  qu'il  a  été  immolé  à  ce  même  homme  qui  vient  de 
fuir.  Ces  réflexions  sont  simples,  et  elles  doivent  être  adoptées;  car  si 
l'Assemblée  cumule  dans  son  décret  tant  d'inconséquences,  je  me  crois 
obligé  en  faveur  de  l'impérieuse  loi  qui  me  lie  à  la  défense  des  intérêts 
de  la  nation.  Je  me  crois,  dis-je,  obligé  de  protester  en  son  nom.  (Des 
éclats  de  rire  se  font  entendre  dans  la  partie  gauche.  Les  tribunes 
applaudissent)  »  (6). 

Gazette  de  Paris,  19  juillet  1791. 

«  M.  Dandré  a  dénoncé  le  factieux,  qui  rejettoit  le  Décret  du  15, 
comme  le  Républicain  M.  Robespierre  osa  protester  contre.  Quelque 
nul  que  soit  ce  Décret  pour  la  vengeance  ou  la  sûreté  du  meilleur  des 
Rois,  le  petit-neveu  de  Damiens  le  repoussoit  avec  indignation.  Il  vou- 
loit  de  plus,  que  Monsieur,  frère  du  Roi,  fût  mis  en  cause.  Il  a  besoin 
d'avoir  un  Bourbon  pour  victime  (7).  Eh  !  bien,  je  dénonce  à  mon  tour 
à  la  France,  à  l'Europe,  la  joie  secrette  de  ces  mêmes  Jacob ites.  Ils 
s'applaudissent  dans  leur  antre  infernal,  que  le  Roi  ne  soit  pas  nommé 
dans  le  Décret.  L'art.  3e  ordonne  que  les  personnes  dénommées  dans 
l'art.  2e  seront  jugées  par  la  Haute-Cour  Nat.  ;  il  espère  qu'alors  on 
pourra  dans  les  confrontations  et  dans  les  interrogatoires,  trouver  le 
moyen  d'inculper  le  Roi,  d'arguer  de  faux  sa  déclaration  sur  quelque 
point  que  ce  soit.  Ce  n'est  pas,  d'après  les  projets  de  Décrets  proposés 


(5)  Il   s'agit  de  Favras,   exécuté   le   19  février  1790. 

(6)  Texte   reproduit  dans   le  .Moniteur,    IX,   145. 

(7)  Camille  Desinoulins,  dans  les  .Révolutions  de  France  et  de 
Brabant  (VII,  n°  85.  p.  298)  écrit:  «  Tous  les  faits  arrivés  depuis 
deux  ans  n'ont  fait  que  prouver  combien  j'avois  eu  raison  alors,  le 
14  juillet,  de  résumer  toute  ma  doctrine  en  oes  deux  mots  :  puisque 
la  bête  est  dans  le  piège,  qu'on  l'assomme  ». 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  579 

par  les  Comités,  que  Ton  juge,  c'est  d'après  les  Décrets  eux-mêmes. 
Le  Décret  du  15  de  ce  mois,  ne  faisant  mention  ni  de  l'inviolabilité  du 
Roi,  ni  du  vœu  solennel  qui  reconnut  qu'il  n'a  pu  être  mis  en  cause, 
la  race  impie  et  régicide  s'armera  de  cette  omission  contre  le  Monarque  : 
j'en  avertis  tous  les  serviteurs  fidèles,  tous  les  défenseurs  intrépides 
du  Trône  :  —  et  quand  je  donne  cet  avis  effrayant,  je  mérite  peut-être 
par  la  pureté  de  mon  zèle,  qu'on  le  prenne  en  considération.  » 

Le  Courrier  des  LXXX111  départemens ,  n°    16,  p.   268. 

«  M.  Robespierre  a  demandé  qu'on  fît  le  procès  au  frère  de  Louis 
XVI.  Des  huées  lui  ont  prouvé  que  pour  être  applaudi,  il  ne  faut  pro- 
poser que  des  choses  injustes.  Ainsi  donc,  une  seconde  fois,  le  perfide 
Monsieur  échappera  au  glaive  de  la  loi  ?  Tout  couvert  du  sang  de  Fa- 
vras,  il  verra  tomber  les  têtes  des  trois  gardes  du  Roi  qu'il  a  séduits, 
et  tranquille  à  Worms,  il  sera  le  maître  de  susciter  des  ennemis  à  la 
France  !!!...  L'on  ne  peut  se  faire  à  de  pareilles  idées.  Tout  est  perdu, 
si  les  départemens  n'envoient  pas  d'autres  législateurs.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Les  Annales  patrioti- 
ques et  littéraires,  n°  652,  p.  1689;  La  Gazette  universelle,  n°  198, 
p.  791  ;  L'Ami  du  Roi  (Mont joie),  16  juillet  1791,  p.  788;  Le  Pacque- 
bot,  n°  165;  Le  Journal  de  la  Noblesse,  t.  II,  n°  30,  p.  319;  Le  Légis- 
lateur français,  t.  III,  16  juillet  1791,  p.  8;  Les  Affiches  d'Angers, 
n°  61,  p.  292;  Le  Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  n°  375, 
p.  4;  Le  Journal  général  du  Pas-de-Calais,  suppl.  au  n°  6,  p.  75; 
L'Ami  du  Peuple  (Marat),  n°  521,  p.  6;  La  Correspondance  nationale, 
n°  44,  p.  160;  Le  Courier  de  Provence,  t.  XV,  p.  562;  Le  Journal  de 
Rouen,  n°  198,  p.  965;  Le  Bulletin  et  Journal  des  journaux,  18  juillet 
1791,  n°  85;  Le  Journal  universesl,  t.  XIII,  p.  12008;  Le  Mercure 
universel,  t.  V,  p.  256;  Le  Journal  des  Débats,  n°  785,  p.  14;  Le 
Point  du  Jour,  t    XXIV,  n°  737,  p.  264.] 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 
321.  —  SEANCE  DU  15  JUILLET  1791 

1 re  intervention  :  Sur  des  propos  injurieux  contre  Robespierre 

Au  début  de  la  séance,  un  membre  dénonce  un  citoyen,  pour 
avoir,  le  matin  même,  tenu  des  propos  injurieux  contre  Robespierre 
(]).  Celle  dénonciation   produit  une  grande  effervescence.  La  Société 

(1)  D'après  «  Le  Journal  de  la  Révolution  >»  (n°  339,  p.  125)  «  il 
étoit  affublé  de  l'habit  national,  étoit  accusé  d'avoir  menacé  de 
coupa  ,de  canne  le  vertueux  et  respectable  Robespierre.  JJ  rlé-elamQit 
à  la  tribune  t». 


580  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

arrête  'de  passer  à  l'ordre  du  jour.  Des  membres  de  la  Société  qui 
s'étaient  opposés  à  cet  arrêté,  expulsent  ]' accusé  hors  de  l'assem- 
blée. Le  président  .se  couvre,  insiste  pour  que  le  membre  expulsé 
boat  réintégré.  Finalement,  il  fut  arrêté  /que  de3  commissaires  se- 
raient nommés  sur  cet  objet.  Robespierre,  absent  au  moment  de 
l'incident,   aussitôt  .arrivé,    prend   la  parole  à   son   sujet. 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°  27. 

«  Mrs.  Péthion,  Robespierre  et  Rcederer  sont  couverts  d'applau- 
dissemens  à  leur  entrée  dans  la  séance.  M.  le  président  nomme  les  com- 
missaires pour  le  rapport  du  membre  accusé  d'avoir  injurié  M.  Robes- 
pierre, et  qui  était  rentré  dans  l'assemblée. 

«  M.  Robespierre.  J'ai  un  double  motif,  messieurs,  de  regretter 
de  ne  m'être  pas  trouvé  plutôt  au  milieu  de  vous,  celui  d'avoir  perdu 
l'occasion  de  profiter  de  vos  lumières,  et  celui  de  n'avoir  pà  m'opposer 
à  l'arrêté  que  votre  zèle  sans  doute  vous  a  fait  prendre  contre  une  per- 
sonne qui  ne  pouvait  être  coupable  -d'aucun  délit,  puisque  cette  per- 
sonne n'a  fait  qu'exprimer  sa  façon  de  penser  sur  un  individu,  et  que 
d'ailleurs  quand  cette  action  indifférente  serait  un  crime,  elle  l'a  niée. 
Je  prie  la  société  de  vouloir  bien  prendre  cet  objet  en  considération, 
de  passer  à  l'ordre  du  jour  sur  la  nomination  des  commissaires  et  de 
n'inscrire  aucun  détail  de  cette  affaire  dans  votre  procès- verbal   »  (2). 

La  Feuille  du  Jour,  t.  V,  n°  200,  p.    147. 

«  Dénonciation  d'un  citoyen  qui,  dans  une  maison  particulière,  a 
tenu  des  propos  injurieux  contre  M.  Robespierre.  L'accusé  monte  à  la 
tribune.  Il  professe  un  respect  bouffon  pour  M.  Robespierre.  On  de- 
mande l'ordre  du  jour...  Le  détracteur  de  M.  Robespierre  est  maltraité, 
bousculé,  poussé  hors  de  l'assemblée. 

«  MM.  Péthion  et  Robespierre  entrent  dans  la  salle,  au  milieu 
des  applaudissements  et  des  cris.  M.  Robespierre,  instruit  qu'un  mem- 
bre est  accusé  de  discours  injurieux  contre  lui,  croise  les  deux  mains  sur 
sa  poitrine,  s'incline  avec  une  humilité  monacale,  et  sollicite  l'ordre 
du  jour.  )) 

2e   intervention  :   Sur  l'inviolabilité   royale  (suite) 

L'Assemblée  nationale  avait  adopté  ce  jour-là,  le  projet  »de 
décret  présenté  de  13,  par  ses  comités,  sur  la  mise  en  accusation 
<le  Bouille  et  de  «es  complices.  Elle  avait  cru  devoir  le  faire  pré- 
céder de  ces  trois  articles:  i«  Un  roi  qui  se  mettra  à  la  tête  d'une 
armée  pour  en  diriger  les  forces  contre  la  nation,  sera  censé  avoir 
abdiqué. 

(2)  Texte  reproduit  'dans  Aulard,  III,  16.  CL  également  E.  Ha- 
œiel,  I,  507. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  581 

«  Un  roi  qui  se  rétractera  après  avoir  prêté  son  serment  à  la 
Constitution,    sera   censé   avoir    abdiqué. 

«  Un  roi  qui  aura  abdiqué,  'deviendra  l'égal  .des  simples  citoyens 
et  sera  accusable  comme  eux  pour  tous  les  actes  subséquent-  à  son 
abdication.   ,» 

La  discussion  s'engage  à  la  Société  des  Jacobins  sur  ce  décret. 
•L'un  des  membres,  le  marquis  de  la  Poype  (3)  dépeint  d'abord  la 
consternation  'des  Parisiens,  'les  spectacles  fermés  dans  la  capitale 
à  la  nouvelle  (qu'aucune  sanction  n'a  été  prise  contre  Louis  XVI. 
11  propose  qu'un  débat  s'ouvre  sur  ce  sujet  et  flu'on  délibérera  sur 
la  question  de  savoir  sur  ce  que  l'on  doit  faire  de  ,1a  personne  du 
roi.  fil  .est  soutenu  par  Robespierre,  tandis  que  Reubell  considère 
que  la  question  n'a  pas  à  être  mise  en  discussion. 

Mercure  universel,  t.  V,  p.  278. 

Journal  des  Débats  des  LA  mis  de  la  Constitution,   n°   27,  p.   2. 

«  M.  Robespierre.  \t  est  possible  que  l'assemblée  ait  eu  l'intention 
de  déclarer  Louis  XVI  hors  de  cause,  mais  si  je  regarde  le  décret  qu'elle 
a  rendu,  je  ne  vois  nullement  qu'elle  y  déclare  cette  intention.  J'ai 
demandé  ce  matin  à  l'assemblée  nationale  qu'elle  s'explique  franche- 
ment  et  ouvertement  sur  cet  article.  Elle  n'a  pas  cru  devoir  faire  droit  à 
ma  motion.  Cela  posé,  je  lis  le  décret,  et  je  vois  qu'en  y  mettant  en 
cause  telles  ou  telles  personnes,  elle  n'a  rien  décidé  du  tout,  ni  pour, 
ni  contre  Louis  XVI.  La  question  à  cet  égard  reste  donc  parfaitement 
en  son  entier  »  (4). 


3e  intervention  :  Sur  une  adresse  aux  sociétés  affiliées 

La  discussion  continuant,  Choderlos  de  Laclos  propose  ,que  la 
Société  rédige  une  adresse  qui  aura  pour  objet  de  faire  connaître 
la  position  prise  par  les  Jacobins  au  sujet  -du  roi.  Copie  en  sera 
■envoyée  à  -toutes  les  Sociétés  patriotiques,  et  on  admettra  à  la 
signer  M  tous  les  citoyens  sans  distinction,  actifs,  non  actifs,  fem- 
mes, mineurs  »;  ainsi  l'on  pourra  présenter  à  l'Assemblée  nationale 
le  vœu  du  "pays  tout  entier.  Biauzat  s'y  oppose  en  rappelant  que 
cette  motion  est  inconstitutionnelle  :  le  ;roi  étant  -inviolable,  l'Assem- 
blée ne  saurait  revenir  sur  sa  décision  (quel  que  soit  le  jugement  de 
''opinion  publique.  Danton,  puis  Robespierre  prennent  alors  la 
parole. 

Tandis  -qu'on  mettait  aux  voix  la  proposition  de  Laclos,  une 
importante  délégation  des  citoyens  qui  s'étaient  rassemblés  au 
Palais  Royal,    pénètre  dans   la   salle  des   séances. 

Après  quelques  hésitations,  le  président  fait  ouvrir  les  grilles 
de  la  rue  iSaint-Honoré  et  l'orateur  de  la  députation  vient  inviter 
les  membres  de  la  Société  «  à  signer  individuellement  pour  l,e  len- 
demain, ame  pétition  au.  Champ  de  Mars  et  d'y  jurer  sur  l'autel  de 
la  patrie  de  ne  pas   recevoir   Louis  >XVI  pour   roi  »   avant  d'avoir 


<3)  Jean  François,  maréchal  de   camp. 

(4)  Texte  reproduit  dans  Aulard,  III,  .17.  Gf.   également  E.  Ha- 
mel,  I,  508. 


582  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

recueilli  les  avis  du  pays  tout  entier  (5).  Le  "président  exhorte  les 
citoyens  «  au  -calme  qui  convient  aux  hommes  libres  •»  et  assure  que 


(5)  L'importance  de  cette  manifestation  populaire  est  soulignée 
par  '0.  Desmoulins  (Révolutions  'de  France  et  de  Brabant,  t.  VII, 
ir'  '85,  p.  331).  Il  écrit:  «  L'intrépide  Robespierre  seul  avoit  pro- 
testé solennellement  à  la  tribune,  contre  l'infâme  décret;  i'1  étoit 
aux  Jacobins;  le  peuple,  le  peuple  qui  m'est  point  payé,  qui  n'est 
point  égaré,  qui  n'est  point  badaud,  se  rend  aux  Jacobins,  où  quatre 
mille  patriotes  délibèrent  ».  'Cf.  également  A.  Mathiez,  Le  Club  des 
Cordeliers,    op.  cit.,   p.   116. 

L'attitude  de  l'Assemblée  et  le  décret  du  15  juillet  1791,  susci- 
tèrent également  de  violentes  critiques  dans  les  départements, 
témoins  les  adresses  de  protestation  qui  affluèrent  soit  au  Manège, 
soit  aux  Jacobins  pendant  tout  un  mois..  Celle  de  Clermont-Ferrand 
est  particulièrement  nette  (cf.  Journal  des  Débabs,  n°  799,  p.  1)  ; 
elle  (fut  lue  (à  l'assemblée,  'le  28  juillet  dans  la  séance  du  soir,  et 
s'exprime  ainsi  :  •«  ...Si  dans  quinze  jours  vous  n'avez  point  révoqué 
le  Décret  du  15  de  ce  mois,  nous  prendrons,  pour  y  parvenir,  les 
voies  que  la  souveraineté  du  Peuple  nous  donne.  Nous  votons  de« 
remereiemens  à  MM.  Robespierre,  Pétion,  l' Evoque,  Grégoire,  Ca- 
mus et  autres  qui  ont  combattu  ce  Décret.  »  Celle  des  citoyens  de 
Nantes  donna  lieu  à  une  curieuse  méprise.  Une  première  adresse, 
publiée  par  le  Patriote  François  (n°  733,  p.  177)  et  la  Vedette  ou 
Précis  'de  toutes  les  nouvelles  du  jour  (31  juillet  (1791,  p.  4)  était 
ainsi  conçue:  «  Messieurs,  noiis  recevons  le  décret  que  vous  nous 
avez  extraordinairement  envoyé.  'Nous  jurons  d'obéir,  parce  que  le 
sort  de  l'état  dépend  de  l'obéissance  provisoire  des  vrais  amis  de  la 
liberté.  Nous  jurons  de  ne  point  lire  les  inepties,  les  impertinences 
et  les  viles  conceptions  des  Duport,  défi  Barnave,  et  des  Liancourt. 
Nous  jurons  le  plus  profond  respect  aux  incorruptibles  Robespierre, 
Pétion,   Buzot,    Grégoire,   Vadier   et  Brissot  de  Varville.   » 

File  fut  bientôt  désavouée  .(Cf.  le  Courrier  de  Gorsas,  10  août 
1791,  reproduit  par  les  Annales  patriotiques  et  littéraires,  n°  680, 
p.  1811)  :  «  Nantes.  Nous  avions  eu  raison  de  présenter  comme  une 
parodie  l'adresse  qu'on  disoit  souscrite  par  79.350  citoyens  de  cette 
ville,  et  qu.e  plusieurs  journalistes  avoient  eu  la  bonhomie  de  pren- 
dre pour  un  ,t>anégyriau;e  du  décret  du  15.  Les  nantois,  soumis  aux 
loix,  savent  même  respecter  celles  qu'i'ls  n'aiment  pas,  mais  ils  n'ont 
pas  fait  d'a^re^se  à  l'Assemblée  nationale.  La  seule  dont  on  ait 
entendu  parler  blâmait  fortement  la  conduite  des  amis  de  la  liste 
civile.  Un  grand  nombre  de  patriotes  l'avoient  déjà  signée,  mais 
les  personnalités  qu'elle  «contenoit  la  rirent   rejetter.  La  voici: 

«  Messieurs, 

«  Nous  recevons  le  décret  que  vous  nous  .avez  extraordinaire- 
ment envoyé.  Nous  jurons  d'obéir,  parce  que  le  sort  de  l'état  dépend 
de  l'obéissance  provisoire  des  amis  de  la  liberté.  Nous  jurons  de 
ne  point  lire  ,!es  «inepties,  les  impertinences  et  les  viles  conceptions 
des  Lu  port,  de&  Barnave  et  des  Liancourt.  Nous  jxirons  le  rv'lus 
profond  respect  aux  incorruptibles  Robes'oierre,  Pétion.  Buzot,  Gré- 
goire. Vadier  et  Brissot  de  'Warvil'le.  Nous  jurons  enfin  d'envoyer 
à  la  prochaine  Assemblée  constituante,   des  représentans  dignes  de 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  583 

la  Société   va   aussitôt   examiner    leur    proposition  <6).    Aprèï    un* 
longue  discussion,  ides  commissaires  sont  désignés  pour  rédiger  ooe 


notre  confiance,  étrangers  vaux  douceurs  de  la  liste  civile,  et  investi- 
de  tous  nos  pouvoirs  pour  rendre  la  constitution  digne  de  nous, 
efc  pour  faire  rentrer  dans  le  néant  de  l'oubli  et  de  l'ignominie  les 
actes  -ténébreux  de  la  lâcheté  et  la  corruption.   » 

La  Société  des  Jacobins  reçut;  également  ià  ce  (sujet  unie  corres- 
pondance volumineuse  qui  provoqua  dans  la  Feuille  du  Jour,  organe 
royaliste  (t.  VI,  n°  256,  p.  594),  'les  réflexionls  suivantes:  «  Un 
million  d'adresses  insignifiantes.  Tous  les  auteurs  de  ces  adresses 
raffolent  de  M.  Robespierre;  ce  qui  .prouve,  ou  que  des  pièces  d'élo- 
quence sont  composées  à  Paris,  dans  le  sein  (de  la  faction  républi- 
caine, ou  que  les  départemcns  sont  encore  étrangement  fourvoyés 
sur  les  véritables  principes  ». 

(6)  iLe  compte  rendu  de  cette  séance  est  plus  complet  dans  le 
Mercure  universel,  t.  V,  p.  296.  Cf.  également  E.  Hamel,  I,  509. 
Cette  démarche  était  la  suite  de  'celle  que  plusieurs  sociétés  patrio- 
tiques, dont  le  -Club  des  Halles  (cf.  Le  Babillard,  n°  32,  p.  78)  et 
le  Club  des  Cordeliers,  avaient  tentée  auprès  des  députés  patriotes 
de  l'Assemblée  nationale,  vers  trois  heures  de  l'après-midi  (cf. 
E.  Hamel,  I,  504;  et  G.  Walter,  p.  176-177).  Pétion  en  fait  le  récit 
dans  une  «  Lettre  à  ses  commettans  sur  les  circonstances  actuelles  ». 
Elle  est  publiée  dans  le  Patriote  françois,  n°  715,  p.  103,  dans  la 
Chroinique  de  Paris,  t.  V.  n°  207,  p.  836.  Nous  en  reproduisons  un 
passage  d'après  les  Révolutions  de  France  et  de  Brabant  (n°  86, 
p  42)  :  «  Il  est  des  insurrections  que  je  suis  loin  de  condamner, 
il  en  est  qui  sont  utiles  arai  salut  public,  et  où  le  peuple  se  montre 
dans  toute  sa  majesté.  Mais  l'énergie  du  calme  est  Celle  qui  plaît 
à  mon  caractère,  celle  oui  me  paroit  vraiment  impos.ante  :  i'abbore 
les  excès.  Le  tumulte  et  le  désordre  déshonorent  le  peuple,  et  annon- 
cent qu'il  est  peu  fait  pour  la   liberté. 

«  Loin  de  moi  toute  idée  de  désirer,  de  vouloir  des  agitations 
d'un  genre  vil  et  méprisable.  Je  dirai,  puisque  l'occasion  s'en  pré- 
sente, qu'une  seule  fois,  dans  cette  affaire,  un  rapport  s'est  établi 
entre  les  citoyens  réunis,  le  15  die  ce  mois,  au  Ohamp-de-Mars,  et 
moi.  Ces  citoyens  a  voient  dressé  une  pétition  pour  F. assemblée 
nationale;  des  commissaires  en  étoient  porteurs;  ils  étoient  chargés 
de  parler  à  ceux  qui  s' étoient  élevés  contre  le  projet  des  comités, 
à  MM.  Grésroire,  Robespierre,  Prieur  et  moi,  pour  être  leurs  organes 
auprès  de  l'assemblée,  et  négocier  leur  entrée  à  la  barre.  M.  Robes- 
pierre et  moi  sortîmes  de  la  salle  pour  écouter  ces  commissaires, 
et  nous  leur  dîmes  que  cette  pétition  étoit  inutile,  que  le  décret 
venoit  d'être  porté  à  l'instant.  Ils  nous  demandèrent  un  mot  pour 
constater  qu'ils  a  voient  rempli  leur  mission;  nous  écrivîmes  une 
lettre  qui  respire  l'amour  de  l'ordre,  de  la  paix,  et  qui,  je  le  crois, 
a  empêché  des  malheurs.  Voilà  la  seule  communication  que  j'ai  eue 
avec  le  peuple  :  et  je  puis  dire  avec  confiance  qu'elle  a  été  digne 
de  lui  et  d«  moi.  i„  ,(Of.  éealement  Le  Babillard,  n°  33,  p.  7  et  8.  On 
trouvera  l'original  de  cette  lettre  aux  Arch.  n.at.  (F74622)  ;  elle  est 
oubliée  par  A.  Mathiez,  Le  Club  des  Cordeliers...,  op.  cit.,  p.  117). 
'.•!  déposition  faite  par  Robespierre  le  9  août  1791  concorde  avec  les 
faits  citr's  par   Pétion  (Cf.  A.  Mathiez,  op.   cit.,  p.   332-333).  * 


584  LES    DISCOURS    DE  ROBESPIERRE 

pétition  qui  sera  portée  au  Champ  de  Mars  et  envoyée  à  toutes  les 
Sociétés   patriotiques   (7). 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  (8),  n°  27. 
Mercure  universel,  t.  V,  p.  279. 

«  M.  Robespierre.  Dans  les  circonstances  où  nous  nous  trouvons, 
ce  serait  une  consolation  de  trouver  un  moyen  légal,  constitutionnel, 
d'exprimer  le  vœu  de  la  nation  entière.  J'ai  dit  qu'il  était  possible  que 
l'intention  de  l'assemblée  nationale  fut  d'écarter  Louis  XVI  de  tout 
jugement.  Mais  le  premier  caractère  d'une  loi  doit  être  la  clarté,  la 
précision.  Car  ce  n'est  pas  l'intention  du  législateur,  mais  le  sens  clair 
et  précis  de  la  loi  qui  commande  l'obéissance,  je  ne  crois  pas  avancer 
une  opinion  hardie  en  disant  que  je  crois  que  la  nation  peut  dire  à  ses 
représentans,  votre  décret  n'est  pas  rendu  d'une  manière  claire  et  pré- 
cise, il  nous  paraît  contre  nos  intérêts,  expliquez  vous.  Vous  prononcez 
sur  des  complices,  il  y  a  donc  un  coupable,  car  jamais  des  complices 
n'ont  existé  sans  qu'il  y  ait  de  coupable.  Montrez-le  moi  donc  ou  dites- 
moi  qu'il  est  excepté.  Je  suppose  encore  que  le  décret  fut  aussi  clair 
qu'il  l'est  peu,  il  y  aurait  peut-être  encore  un  moyen  de  rassurer  la 
nation  sur  ses  craintes.  Louis,  il  est  vrai,  ne  pourrait  pas  être  soumis 
aux  peines  prononcées  par  la  loi  en  vertu  de  son  inviolabilité,  mais  ne 
serait-il  pas  possible  qu'alors  le  roi  ne  put  pas  être  rendu  de  nouveau, 
dépositaire  de  la  royauté  ?  De  ce  que  Louis  ne  puisse  pas  être  puni 
comme  les  autres  citoyens,  s'ensuit-il  que  la  France  n'ait  pas  le  droit  de 
retirer  les  rênes  de  l'empire,  des  mains  de  ce  mandataire  infidèle.  Elle 
a  déclaré  pour  les  ministres  que  dans  le  cas  où  elle  ne  voudrait  pas  leur 
faire  leur  procès,  elle  pourrait  déclarer  qu'ils  ont  perdu  la  confiance  pu- 
blique, ne  peut-elle  pas  faire  la  même  déclaration  à  l'égard  du  roi. 

«   Tel   homme   a   médité   dans  les   commencemens   des   travaux  de 


'(7)  Cf.  Bûchez  et  Roux,  X,  445.  Ce  fait  Brissot,  à  ce  que  nous 
apprend  Bonneville,  dans  la  Bouche  de  Fer  Au  17  juillet,  qui  rédigea 
ia  pétition,  dont  on  trouvera  le  texte  dans  le  Mercure  Uhiver  el, 
t.  V,  p.  262.  D'autre  part,  on  trouve  idanss  lAulard  (Histoire  poli- 
tioue  de  la  Révolution  français^,  p.  150)  la  ïiote  suivante  ti'-ée  des 
Mémoires  de  Brissot  (IV,  343):  «  La  pétition  ifut  rédigée  par  Brissot, 
de  l'aveu  de  Brissot  lui-même  ».  D'après  Mme  Roland,  les  deux 
•commissaires  désigné-"  étaient  Laclos  .et  Bris>sot,  mais  le  premier 
prétexta  ann  violent  mal  à  la  tête  «  résultant  du  défaut  de  sommeil, 
qui  ne  lui  permettait  pas  de  tenir  la  plume.  Il  .pria  Brissot  de  la 
prendre  en  main,  raisonnant  aivec  lui  de  la  rédaction  »  (Cf.  G. 
Walter,  Histoire  des  Jacobins,  p.  '194).  On  en  trouve  le  texte  dan* 
l'Orateur  du  Peuple,  t.  VII,  n°  7,  "et  la  Bouche  de  Fer  (17  juillet 
1791);  ATMathiez  le   reproduit  (p.   122-123). 

(8)  Aulard  (III,  19)  résume  ainsi  cette  longue  intervention  : 
«  M.  Robespierre  parle  dams  le  même  sens  (que  Danton).  Il  vou- 
drait «  oue  la  Société  fit  une  adresse  aux  Sociétés  affiliées,  pour  le? 
instruire  de  la  position  où  nous  sommes  et  des  mesures  fermes  qui 
auront  été  adoptées  ». 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  585 

Passemblée  nationale,  des  projets  de  décrets  qui,  avant  la  fin  de  la 
session,  a  formé  celui  d'en  proposer  d'autres  qui  rétabliraient  insensi- 
blement le  despotisme  ancien,  et  se  croit  en  droit  de  nous  traiter  de 
factieux  toutes  les  fois  que  nous  nous  élevons  contre  ces  nouveaux 
décrets.  Nous  voulons  bien  obéir  à  tous  les  décrets,  même  à  ceux  qui 
nous  paraissent  devoir  être  réformés;  mais  avant  que  la  nation  renonce 
à  exprimer  son  vœu' sur  ces  loix,  nous  prierons  qu'on  nous  dise  comment 
la  nation  pour  qui  la  constitution  a  été  faite,  aurait  à  cet  égard  moins  de 
droit  que  le  roi   [contre  qui  elle  est  faite] . 

«  La  société  n'a  sans  doute  pas  oublié  que  ceux  qui,  parce  que 
nous  soutenons  toujours  les  principes  qu'ils  soutenaient  alors,  nous  trai- 
tent aujourd'hui  de  factieux,  que  ceux-là  mêmes  disaient  à  cette  tribune 
en  parlant  contre  M.  de  Mirabeau;  qu'il  semblait  qu'on  chercha1  à  faire 
une  constitution  nouvelle  dans  laquelle  à  une  liberté  raisonnée  on  substi- 
tuerait le  despotisme  de  l'aristocratie. 

«  Si  MM.  Duport  et  Alexandre  Lameth  concevaient  alors  ces 
craintes  contre  M.  de  Mirabeau,  pourquoi  ne  les  concevrions-nous  pas 
aujourd'hui,  que  les  hommes  qui  ont  protesté  contre  les  décrets,  se  con- 
certent avec  nos  adversaires  pour  préparer  ces  mêmes  décrets  que 
MM.  Duport  et  Alexandre  Lameth  présageaient  dès  lors  ? 

«  Prenons  le  caractère  élevé  d'hommes  libres,  ne  nous  laissons 
pas  aller  à  ces  craintes  désastreuses  qu'on  cherche  à  nous  inspirer  en 
disant  que  la  nation  ne  veut  pas  revoir  les  décrets  qui  peuvent  être  con- 
traires à  la  liberté.  Rassurons-nous  au  moment  où  la  seconde  législature 
semble  avancer  avec  l'avantage  d'être  envoyée  en  entier  par  le  peuple. 

((  Vous  devez  fixer  votre  attention  sur  la  tranquillité  publique  et 
sur  les  loix  qui  restent  à  faire  pour  achever  la  constitution.  A  ce  dernier 
égard,  ne  perdez  pas  de  vue  qu'il  existe  un  projet  de  révision  à  la 
faveur  duquel  les  ennemis  de  la  constitution  pourraient  l'altérer  entière- 
ment :  que  les  patriotes  se  réunissent  pour  veiller  sur  cette  opération. 

«  Quant  à  l'opinion  de  M.  la  Clos,  elle  me  paraît  devoir  être, 
sinon  rejettée,  du  moins  modifiée  :  pourquoi  y  appeller  les  mineurs,  les 
femmes.  Je  voudrais  donc  plutôt  que  la  société  fît  une  adresse  aux 
sociétés  affiliées,  pour  les  instruire  de  la  position  où  nous  sommes,  et 
des  mesures  fermes  que  nous  aurons  adopté  »  (9). 


(9)  Ce  dernier  alinéa  n'est  "pas  reproduit  dams  le  Mercure  uni- 
versel. 11  montre  cependant  que  Robespierre  n'est  pas  favorable  à 
la  proposition  de  Laclos.  Il  ne  veut  pas  d'une  pétition,  mais"  seule- 
ment d'urne  adresse  aux  Sociétés  affiliées  et  lui-même  insista  sur  la 
position  qu'il  prit  alors,  dans  son  «  Adresse  aux  Français  »  (Cf.  éga- 
lement la  déposition  de  l'imprimeur  Brune  'citée  par  À.  Mathiez,  le 
Club  des  Cordeliers...,  op.  cit.,  p.  292  ià  300).  Umie  adresse  fût  rédi- 
gée à  la  date  du  16  juillet,  pour  les  (Sociétés  affiliées,  selon  le  vœu 
de  Robespierre  qui  figure,  parmi  les  signataires,  au  premier  rang 
des  membres  du  comité  de  correspondance  (ef  Aulard  qui  la  ..publie 


586  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

La  Feuille  du  Jour,  t.  V,  n°  198,  p.  133. 

«    M.    Robespierre   parle;    mais   l'éloquence   de    ce   prince   parut 
languissante,  et  la  séance  était  menacée  d'un  grand  froid.   » 


(III,  21-24)  et  le  Patriote  François  <n°  744,  p.  226).  Le  Mercure 
universel  rie  reproduit  pas  également  la  fin  du  second  paragraphe 
que  nous  indiquons   entre  crochets  carrés. 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

322.  —  SEANCE  DU  16  JUILLET  1791  (1) 

Sur  les  menées  contre-révolutionnaires 


iLa  pétition  dont  la  rédaction  avait  été  décidée  la  veille,  est 
présentée,  vers  onze  heures,  à  la  iSociété  qui  avise  de  son  projet  la 
municipalité  parisienne.  Aussitôt,  <c  plus  de  4.U00  citoyens  assemblés 
au  Champ  de  Mars  commencent  à  y  opposer  leur  signature  »  (2). 
Mais  les  membres  du  Club  des  Cordeliers  ayant  protesté  contre  un 
passage  du  texte  (3),  on  décide  de  remettre  au  lendemain  17  la 
continuation   des  opérations. 

À  six  heures  du  soir,  la  Société  reprend  s>es  séances  et  l'un  de 
^as  membres,  Chépy  fils,  peut  annoncer  que  tout  s'est  déroulé  dans 
Tordre  et  le  calme.  Mais  en  même  temps,  il  fait  part  de  ses  craintes 
et  des  bruits  qui  circulent.  On  s'efforce  d'égarer  le  peuple  et  de 
rendre  les  Jacobins  responsables  des  désordres  qui  pourraient  se 
produire  (4).  Corroller  (5)  intervient  dans  le  même  sens,  pui?  Robes- 
pierre prend  la  parole. 

Pour  éviter  les  représailles  que  l'attitude  de  la  Constituante 
laissait  prévoir,   la  Société  décida  de   retirer   sa  pétition. 


(1)  Rien  dans  Aulard  (III,  24)  à  propos  de  cette  séance.  Il  se 
borne  à  reproduire  deux  extraits  de  journaux  concernant  Ja  signa- 
ture de  la  pétition  au  Champ  de  Mars. 

(2)  Of.  Mercure  universel,  t.  V,  p.  296.  D'après  le  Babillard 
(n°  du  18  juillet  1791),  «  le  sieur  Danton,  monté  sur  l'un  des  angles 
de  l'autel,  a  fait  une  lecture  très  animée;  la  foule  qui  s'est  pressée 
autour  de  son  vertueux  tribun,  ne  nous  a  pas  permis  de  l'entendre  ». 

(3)  Il  s'agit  du  passage  dans  lequel  on  engage  l'Assemblée  na- 
tionale à  «  pourvoir  au  remplacement  de  Louis  XVI  par  tous  les 
moyens  constitutionnels  ». 

"(4)  D'après  A.  Mathiez,  Le  Club  des  Cordeliers...,  op.  cit., 
p.  125,  des  délégués  du  Club,  dont  Momoro,  se  seraient  rendus  aux 
Jacobins  dans  la  soirée  du  16  pour  obtenir  la  suppression  de  la 
phrase  de  l'adresse  citée  plus  haut.  Malgré  4  heures  de  discussion, 
ils  n'auraient  pas  eu  gain  die  cause,  et  le  texte  primitif  maintenu 
aurait  été  envoyé  à  l'imprimeur  Baudouin.  'Mais  ce  dernier  refuse 
de  le  composer,  et  il  est  aussitôt  porté  au  Cercle  social  qui  s'en 
charge. 

(5)  Corroller  du  Moustoir,  député  du  tiers  état  de  la  séné- 
chaussée  de   Hennebcwat. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  587 

Mercure  universel,  t.  V,  p.  297-309. 

((  M  Robespierre.  Le  moment  du  danger  n'est  pas  celui  de  la 
pusillanimité  :  je  ne  m'arrête  point  aux  calomnies  répandues  à  dessein 
contre  cette  société;  quand  des  hommes  libres  parlent,  leurs  œuvres 
et  leur  conscience  suffisent  ;  mais  quand  on  vous  harcelle  par  des  per- 
fidies, devez- vous  vous  détourner  de  la  route  du  bien  public  pour 
repousser  de  vaines  accusations  ?  Messieurs,  lorsqu'une  infernale  coali- 
tion de  ces  hommes  à  privilèges,  de  ces  hommes  qui  ont  juré  de  les 
recouvrer,  lorsqu'ils  ont  droit  au  despotisme,  lorsque  l'on  compte  sur 
des  espérances,  sur  des  projets  d'ambition,  lorsque  la  majorité  des 
représentans  du  peuple  sont  corrompus,  gangrenés,  il  ne  faut  rien  atten- 
dre d'eux  pour  le  salut  de  la  nation. 

«  Messieurs,  lorsque  les  grandes  assemblées  veulent  se  prolonger 
au-delà  du  terme  marqué  par  la  nature,  elles  doivent  comme  les  indi- 
vidus se  ressentir  de  leur  foiblesse  :  ce  n'est  pas  que  la  majorité  de  vos 
représentans  ne  se  soient  jusqu'à  ce  moment  refusés  à  la  corruption,  ce 
n'est  pas  que  la  plupart  ne  soient  restés  purs;  mais  à  la  suite  de  leurs 
travaux,  la  calomnie,  les  haines,  les  intrigues  les  ont  détournés  de  leur 
but,  les  ont  rendu  l'objet,  je  ne  dirai  pas  de  l'indifférence,  mais  d'un 
sentiment  moins  estimable  pour  l'homme  sage  et  le  bon  citoyen  :  cepen- 
dant les  représentans  qui  sont  les  vrais  représentans  du  peuple  des  com- 
munes devroient  se  ressouvenir  de  leur  caractère  (applaudi).  N'est-il  pas 
vrai  qu'ils  devroient  se  respecter  ?  que  des  hommes  qui  ont  passé  les 
deux  tiers  de  leur  vie  à  cajoler  les  despotes,  à  ramper  à  leurs  pieds  ou 
devant  ceux  qu'ils  avoient  choisi  pour  leurs  premiers  esclaves,  devroient 
compter  un  peu  moins  sur  une  sorte  de  succès  qui  s'éclipsera  comme 
leurs  intrigues  ? 

«  N 'est-il  pas  vrai  que  l'ouvrage  des  factieux  disparoîtra  de  la 
constitution  comme  l'ombre  s'éclipse  devant  la  lumière  ?  Vrais  repré- 
sentans du  peuple,  c'est  à  vous  que  je  m'adresse;  osez  me  dire- qu'il 
n'est  pas  certain  que  lorsqu'une  grande  nation  a  remis  ses  pouvoirs  à  une 
assemblée  d'hommes,  dont  le  plus  grand  nombre  sont  les  ennemis  de  la 
majorité  de  cette  même  nation,  et  si  cette  assemblée  est  malheureuse- 
ment conduite  par  les  Comités,  osez  me  dire  qu'il  n'est  pas  vrai  que  ce 
soit  l'esprit  de  ces  comités  qui  la  dominent  ? 

«  Eh  bien,  jettez  les  yeux  sur  ces  Comités,  et  voyez  si  ceux  qui 
les  composent  ne  sont  pas  les  députés  des  ci-devant  ordres  privilégiés. 
i^Applaudi)  (6).  Daignez  donc  considérer  avec  moi  le  précipice  où  l'on 
vous  conduit  ! 


(6)  L'Assemblée  constituante  se  composait  des  députés  des  trois 
ordres,  en  sorte  que  oaux  du  'Clergé  'et  de  la  noblesse  en  formaient 
la  moitié.  En  outre,  nombre  da  députés  du  Tiers  avaient  détenu  des 
charges  vénales  et  privilégiées.  Il  est  vrai  que  les  ci-devant  privi- 
légiés figuraient  dans  les   comités,   mais  non  pas   exclusivement. 


588  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

«  Ce  n'est  pas  pour  vous  diviser  que  je  propose  cet  examen  :  mais 
considérez  si  la  majeure  partie  de  ces  nommes  qui  vous  gouvernent,  n'a 
pas  été  mue  plutôt  par  son  intérêt  personnel  que  par  l'intérêt  du  peuple  ? 

«  Si,  dans  le  tems,  ils  eurent  l'air  de  se  prêter  à  un  nouvel  ordre 
de  choses,  c'est  qu'ils  espéroient  se  perpétuer  dans  de  nouveaux  avan- 
tages. Des  hommes  ambitieux,  élevés  pour  la  plupart  dans  les  cours, 
attendoient  de  réunir  dans  leurs  mains  le  ministère  et  les  pouvoirs  du 
peuple  :  des  décrets  de  l'assemblée  nationale  leur  enlevèrent  tout  espoir; 
dès  ce  moment,  ils  changèrent  de  patriotisme;  ils  se  dirigèrent  dans  une 
autre  route  (7). 

«  Quelque  tems  après,  le  roi  partit  et  les  voilà  qui  furent  aux 
nues;  alors  ils  concentrèrent  les  pouvoirs  dans  leurs  mains,  alors  ils  sus- 
pendirent les  élections;  ensuite  ils  ont  prononcé  des  décrets  inconstitu- 
tionnels; tel  est  l'état  où  ils  nous  réduisent  (8). 

«  Quand  je  considère  que  la  fuite  du  roi  était  sue  de  l'étranger, 
que  parmi  nous  plusieurs  membres  le  sa  voient,  je  ne  puis  me  persuader 
que  de  grands  desseins,  que  de  prétendues  transactions,  qu'un  lâche  et 
vil  agiotage  des  droits,  de  la  propriété  des  peuples,  n'aient  pas  existé  ! 
Je  dis  que,  contre  leur  attente,  l'individu  royal  étant  arrêté,  les  mêmes 
vues  se  perpétuent  encore,  et  ces  vues  ne  peuvent  être  que  la  coalition 
des  privilégiés  de  l'aristocratie  qui  se  reproduit  sous  de  nouvelles  for- 
mes, et  cette  coalition  se  fait  avec  les  membres  mêmes  connus  du  côté 
droit,  cette  coalition...  (9). 

«  M.  Corroler.  Mon  cher  collègue,  écoutez-moi,  si  les  moyens 
de  conciliation  peuvent  sauver  la  chose  publique,  sans  compromettre 
la  dignité  de  l'assemblée  (violens  murmures).  M.  Corroler  sort  brusque- 
ment. 

«  M.  Roberspierre.  Je  dis  que  je  suis  allarmé  de  la  guerre  civile, 
de  toutes  les  causes  qu'elle  nous  présente;  je  dis  que  mépriser,  écarter 
la  calomnie,  montrer  par  tous  les  moyens  la  vérité,  ce  sont  les  points 
où  il  faut  nous  attacher  pour  prévenir  tous  les  troubles. 

«  La  cause  des  troubles,  c'est  la  lutte  des  amis  de  la  liberté  contre 
quelques  individus  qui  ne  sont  pas  représentans  du  peuple,  qui  se  coa- 
lisent pour  s'opposer  par  la  force,  par  la  violence,  à  des  vues  de  justice 
pour  remettre  la  Nation  sous  le  joug  de  l'esclavage;  la  cause  des  trou- 
bles est  d'appliquer  aux  plus  fiers  défenseurs  de  la  patrie  les  mots  de 
factieux,  de  séditieux;  la  cause  des  troubles,  c'est  d'un  côté  l'énergie 
des  vrais  citoyens,   de   l'autre,    l'intrigue,    la   scélératesse   des   hommes 


(7)  Il  vise  le  triumvirat  qui  voulait  le  ministère  et  soutenait  le 
principe  de  La  réélection  des  députés. 

(8)  'Suspension  des  élections:  24  juin  1791.  Les  «  débat?  incons- 
titutionnels '»  peuvent   être  ceux  qui   innocentèrent   le   roi. 

(9)  Il  vis'8,  et  ne  cessera  plus  de  viser,,  le  projet  de  ramener 
les  cointre-révolutionnaires  à  la  conciliation  en  révisant  l'œuvre  de 
ia  Révolution. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  589 

faux  et  perfides  qui  veulent  soumettre  le  peuple  pour  régner,  si  ce  n'est 
en  apparence,  c'est  du  moins  en  réalité;  et  je  leur  dis,  à  ces  hommes 
qui  veulent  mettre  la  Patrie  aux  fers,  à  ces  hommes  qui  entourent  le 
sanctuaire  de  la  nation  de  milliers  de  bayonnettes  parce  qu'ils  redoutent 
les  haines  équitables  du  peuple,  je  leur  dis:  Soyez  justes,  soyez  vrais, 
et  vous  n'aurez  pas  besoin  de  vous  environner  de  tous  les  appareils  du 
despotisme. 

«  Quand  je  vois  leurs  tribunes  fermées,  désertes,  pour  se  dérober 
à  l'opinion  publique,  à  la  juste  indignation  des  citoyens,  quand  je  vois 
le  temple  de  la  législature  environné  de  cet  appareil  formidable  de 
guerre,  pour  se  préserver,  dit-on,  des  factieux  que  soi-même  on  soudoit 
pour  se  préserver  des  troubles  que  soi-même  on  fait  naître,  à  cette 
abominable  conduite  je  m'indigne  et  m'écrie  :  Ecartez,  écartez  de  vos 
tribunes,  et  sur-tout  de  vos  comités,  les  citoyens  qui  vous  surveillent  : 
s'ils  la  voyaient  cette  conduite  vous  leur  feriez  horreur.  Vous  vous 
entourez  d'armes  et  de  bayonnettes;  sommes-nous  donc  dans  ces  jours 
d'alarmes  où  le  despotisme  mettrait  nos  jours  en  danger  ?  Craignez- vous 
les  troubles  du  Champ  de  Mars  ?  Ne  les  connoissez-vous  pas  mieux 
que  nous  ?  Mais  la  calomnie  est  aujourd'hui  le  grand  moyen,  l'édifiant 
mobile  de  la  révolution;  par  la  calomnie,  on  soulève  la  garde  nationale, 
on  fait  arriver  des  émeutes,  on  se  venge  de  ceux  dont  on  croit  avoir  à  se 
venger. 

«  Ce  matin,  Messieurs,  le  croiriez- vous,  un  député  qui  sait  fort 
bien  ce  qui  se  passe  à  l'assemblée  nationale,  a  fait  imprimer  une  pétition 
supposée  et  qui  vous  est  attribuée,  avec  une  prétendue  réponse  du  pré- 
sident, qu'il  sait  très  bien  être  fausse  :  cette  pétition  est  conçue  en  des 
termes  odieux  pour  inspirer  le  soulèvement,  pour  inviter  le  peup'e  et 
toutes  vos  sociétés  affiliées  à  s'élever  contre  vous;  et  ces  actes  de  bas- 
sesse, dont  des  laquais  rougiroient,  ce  sont  des  législateurs  qui  les  com- 
mettent, et  ils  supposent  de  prétendus  étrangers  qui  sèment  des  troubles, 
et  l'on  paie  des  gens  pour  répandre  à  de  certaines  heures  du  jour  des 
bruits  que  l'on  croit  nécessaires!  (10). 

«  Mais,  Messieurs,  c'est  ici,  au  milieu  de  vous,  que  réside  l'éten- 
dart  de  la  liberté;  il  est  au  milieu  de  ses  plus  fermes  appuis,  et  rien  ne 
pourra  l'en  arracher. 

«  Le  croiriez-vous,  comme  tous  les  bons  citoyens  qui,  dans  cette 
cause,  ont  montré  quelqu'énergie,  j'ai  été  dénoncé  au  comité  des  recher- 
ches (11)  et  l'on  me  veut  rendre  responsable  des  faits  que  l'on  sait  bien 
ne  me  pas  concerner  :  on  m'accuse  d'avoir  défendu  des  citoyens  insultés  : 


(10)  Sans  doute  allusion  à  1'  «  Adresse  à  l'Assemblée  nationale 
désavouant  la  pétition  publiée  par  les  journaux  comme  émanant  de 
la  (Société  ».  18  juillet  1791  (B.N.  iLb40  620).  Ce  texte  est  signalé  par 
Tou mieux,    II,    u°   9178. 

(11)  Nous  n'avon-s  pas  trouvé  traoe  de  cette  dénonciation,  mais 
«    Ilobertspierre    est    regardé   comme    l'âme    des    projets    tendant    à 


590  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

mais  peu  m'importe  que  ce  soit  mes  persécuteurs  qui  veullent  me  juger, 
si  en  effet,  ils  doivent  être  les  maîtres  des  peuples,  que  m'importe  quel 
sera  mon  sort  !  Ce  ne  sera  pas  comme  les  Brutus,  les  Catons  que  je 
périrai,  ce  ne  sera  pas  pour  sauver  la  liberté  expirante,  non;  ce  sera 
pour  le  salut  d'un  peuple  sensible  et  généreux  (très-applaudi)  »  (12). 
Journal  général  du  Pas-de-Calais,  1791,  n°  8,  p.  95. 

«  Le  16,  on  rédigea  la  pétition,  et  il  est  décidé  qu'elle  sera  signée 
sur  l'autel  de  la  patrie  :  le  choix  du  local  étoit  une  imprudence,  paice 
que  ce  rassemblement  pouvoit  donner  lieu  à  des  troubles.  Le  soir, 
M.  Robespierre,  au  lieu  de  remplir  son  poste  de  représentant  à  l'assem- 
blée nationale,  vint  aux  jacobins  dénoncer  ses  collègues,  comme  corrom- 
pus, gangrenés,  et  les  lâches  esclaves  des  sept  comités  qu'il  osa  repré- 
senter, contre  la  vérité,  comme  composés  principalement  des  députés 
des  ci-devant  ordres  privilégiés  :  il  prétendit  même  que  la  majorité  des 
patriotes  s'étoit  coalisée  avec  le  côté  droit,  quoique  ce  côté  là  n'ait 
voulu  prendre  aucune  part  à  ce  décret,  le  regardant  comme  attentatoire 
à  la  prérogative  royale,  à  cause  de  l'amendement  de  M.  Salle.  Ce  fut 
alors  que  M.  Coroller,  indigné  de  cette  attaque,  abandonna  les  jacobins; 
mais  M.  Robespierre,  bien  loin  d'être  étonné  de  la  fermentation  qui  se 
manifestoit,  parla  en  faveur  des  rassemblemens  au  champ-de-mars;  il 
prétendit  qu'on  en  vouloit  à  sa  vie,  mais  qu'il  périroit  pour  le  salut  du 
peuple,  quoiqu'il  n'y  ait  assurément  aucun  parti  qui  ait  intérêt  à  se 
défaire  de  M.  Robespierre,  et  que  sa  conduite  ne  puisse  qu'être  infi- 
niement  utile  à  la  cause  des  aristocrates  et  des  royalistes.  » 
La  Bouche  de  Fer,  n°   96,  p.   6. 

«  Nous  ne  parlerons  donc  ici  que  du  vertueux  Robespierre,  qui  a 
peint  avec  tant  d'énergie  la  conspiration  des  comités,  tous  composés  de 
ci-devant  privilégiés.  » 

N°  98,  p.  6. 

«  Nous  allions  peindre  le  vertueux  Robespierre  à  la  tribune  des 
Jacobins,  qui  a  montré  la  perte  inévitable  de  la  patrie,  si  l'on  ne  détruit 
à  l'instant,  par  une  nouvelle  législature,  les  conjurations  des  ci-devants 
nobles  et  prêtres,  qui  viennent  de  se  coaliser  dans  les  comités  de  l'assem- 
blée nationale,  mais  les  persécutions  qu'on  fait  éprouver  à  toutes  les 
sociétés  patriotiques  nous  forcent  d'insérer  à  l'instant  la  lettre  suivante.  » 

■N°  99,  p.    1. 

«  Voilà  un  honnête  homme  ! 


mettre  le  trouble  et  la  division  »  (Lettre  de  Maupetit  du  18  juillet 
1791,  oubliée  dans  le  Bulletin  de  la  Comuns--sion  historique  de  la 
Mayenne,  t.  XXII,  p.  482).  Cf.  également  A.  Mathiez.  Le  Club  des 
Cordeliers...,    op.    cit. 

(12)  Texte     reproduit     par     G.     Walter,     Histoire    des    Jacobins, 
p.  201-205. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  591 

<(  Demandons  une  autre  législature,  mais  obéissons  à  la  loi,  disoit 
Robespierre  à  la  tribune,  le  16  vers  les  7  heures  du  soir.  J'obéirai  à  la 
loi,  mais  je  vous  dois  la  vérité  —  terrible  !  et  il  fit  un  tableau  précis 
et  épouvantable  de  la  conduite  actuelle  des  anciennes  classes  privilé- 
giées, coalisées  dans  les  comités  de  l'assemblée  nationale.  —  «  Lisez 
leurs  noms  sur  la  liste  qui  compose  ces  comités  ».  Il  a  fait  voir  qu'ils 
avoient  déjà  commencé  des  atrocités  qui  annonçoient  des  atrocités  nou- 
velles. 

«  Adressons-nous  à  nos  frères,  aux  gardes  nationales  qu'on  pourroit 
égarer,  ne  permettons  pas  que  l'on  sème  la  division  entre  les  citoyens, 

—  c'est  là  où  ils  tendent.  —  Je  sais  tout  ce  qu'ils  me  préparent,  a-t-il 
ajouté,  d'une  voix  attendrie,  mais  je  tiendrai  ferme,  toujours  inébran- 
lable sur  les  principes.  Il  a  répété  vingt  fois  en  faisant  l'énumération  de 
tous  les  attentats  préparés  contre  sa  personne.  Je  verrai  sans  m'élvnner. 

—  Cela,  cela,  encore  —  tous  leurs  crimes.  On  croyoit  entendre  l'infor- 
tuné Rowley,  dire  à  ses  bourreaux  :  —  Frappez  quand  vous  voudrez, 
et  de  quelle  manière  vous  voudrez,  quand  le  cœur  est  droit  qu'importe 
où  va  la  tête. 

«  Quelle  différence,  a-t-il  dit,  entre  nos  devoirs  et  ceux  des  pre- 
miers citoyens  de  Rome  et  de  la  Grèce.  Il  s'agit  ici  de  la  liberté  de 
toutes  les  nations,  c'est  la  cause  de  l'humanité  toute  entière,  c'est  le 
triomphe  de  la  vérité  persécutée  depuis  des  milliers  de  siècles.  Encore 
un  peu  de  courage  et  tout  sera  consommé.  Les  députés  des  communes 
se  rappelleront  la  sainteté  de  leur  mission  !  Les  peuples  rentreront 
dans  leurs  droits  imprescriptibles,  les  tyrans  seront  confondus,  leurs 
infâmes  calomnies  n'auront  que  des  succès  passagers.  Nous  avons 
la  vérité  et  la  justice.  Nous  serons  invincibles.  Mais  détruisons  la  coa- 
lition perfide  de  ces  anciens  despotes  héréditaires  qui  foulent  sous  leurs 
pieds  l'espèce  humaine  avilie  et  dégradée  »  (13). 


(13)  Cité  par  E.  Hamel,  I,  511. 


Société*  des  Amis  de  la  Constitution 
3Z3.  —  SEANCE  DU  17  JUILLET  1791 
Sur  les  événements  du  Champ  de  Mars  (1) 


1  "   intervention  : 
Dès   l'ouverture  <le   la   séance,    le    17  juillet,    les   membre,  de   la 
Société  qui.    vers   midi,   distribuais L    au   .Champ    de   Mars   des    avis 
conformas   à    la  décision   prise,    la    veille    au   901T,    aux   Jacobins,    et 


(1)  Cf.  à  ce  sujet  les  «  Révolutions  de  Paris  »,  n°  106;  la  «  Ga- 
zette nationale  ou  le  Moniteur  universel  »,  et  aux  Areh.  nat. 
lïXXIX  bis,  31,  dossier  325,  p.  49:  Lettre  du  comité  des  recherches 


592  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

invitant  les  citoyens  réunis  devant  l'Autel  de  la  patrie  à  se  retirer, 
la  signature  de  la  pétition  étant  arrêtée,  rendent  compte  de  leur 
mission.  Les  députés,  dont  Rcederer  et  Robespierre,  pénètrent  alors 
dans  la  salle  des  -séances,  et  ce  dernier  prend  la  parole 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°  28. 
Mercure  universel,  t.  V,  p.  327. 

<(  M.  Robespierre.  Des  bruits  extraordinaires  ont  été  répandus, 
dont  il  est  difficile  de  démêler  la  vérité  et  la  cause.  Je  fais  la  motion 
expresse  de  nommer  à  l'instant  des  commissaires  qui  s'informent  de  ce 
qui  se  passe  à  Paris  dans  ce  moment,  et  viennent  nous  en  rendre  compte. 

«  Quant  aux  effets  de  la  calomnie  acharnée  plus  que  jamais  contre 
cette  société,  j'ai  des  moyens  simples  à  vous  proposer  pour  la  repousser 
et  rétablir  la  paix.  J'ai  en  outre  à  vous  dire  des  choses  trop  intéres- 
santes pour  ne  pas  attendre  pour  vous  en  faire  part  que  l'assemblée 
soit  plus  nombreuse  »  (2). 


2e  intervention 


La  séance  de  la  Société  se  poursuit,  marquée  en  particulier  par 
un  discours  de  Pétion.  La  Société  'ordonne  l'impression  et  l'envoi 
aux  Sociétés  affiliées,  d'un  arrêté  par  lequel  elle  déclare  que  «es 
membres  jurent  de  nouveau  de  maintenir  la  (Constitution  de  tout 
leur  pouvoir,  et  d'être,  ainsi  qu'ils  l'ont  toujours  été,  soumis  aux 
décrets  de  l' Assemblée  nationale  (3).  Plusieurs  membres  de  la  So- 
ciété interviennent  encore  sur  les  événements  de  la  journée,  en  par- 
ticulier Robespierre. 


aux  administrateurs  de  la  Commune  de  Paris  (27  juillet  1791).  Cf. 
également  E.  Hamel.  I,  512  ;  et  A.  Mathiez,  (Le  Club  des  Corde- 
liers...,  op.  cit.,  p.  130  à  135.  Il  apparaît  que  l'on  avait  adroitement 
attiré  l'attention  sur  Robespierre,  ainsi  que  le  souligne  avec  un 
malin  plaisir  le  '■'.  Journal  général  du  Pas-de-Calais  »  (n°  8,  p.  95)  : 
«  Le  lendemain  dimanche,  dès  le  matin,  l'affluence  fut  plus  grande  au 
Champ  de  Mars.  Le  premier  exploit  de  ceux  qui  s'y  rendirent  fut 
l'assassinat  des  deux  malheureux  invalides,  sous  le  prétexte  absurde 
qu'ils  vouloient  faire  sauter  l'autel  de  la  patrie.^  Le  rassemblement 
fut  encore  plus  considérable  sur  le  soir.  La  pétition  se  signoit  tou- 
jours sur  l'autel;  on  la  faisoit  .signer  à  tout  oe  qui  se  présentait, 
hommes,  femmes  et  même  à  des  enfans  de  douze  à  treize  ans.  Il  y 
avoit  un  tableau  avec  cette  inscription,  «  à  celui  qui  a  bien  mérité 
de  la  patrie  »,  au-dessous  le  nom  de  M.  Robespierre.  Son  buste  même 
étoit  porté  en  triomphe  dans  quelques  endroits  de  la  capitale.  » 

Mais  Robespierre  flétrit  dans  son  «  Adresse  aux  Français  » 
(p.  28)  <(  cette  viole.nce  criminelle  ». 

(2)  Cf.   Aulard,   III,  25. 

(3)  Aulard  (III,  29)  reproduit  le  texte  de  cet  arrêté,  qui  a  été 
publié  dans  les  «  Annales  patriotiques  et  littéraires  »  (21  juillet 
1791),  la  «  Chronique  de  Paris  »  {21  juillet  1791),  le  ce  Patriote  Fran- 
çois <»   (22  juillet  1791). 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  593 

Mercure  universel,  t.  V,  p.  361   (4). 

«  M.  Robespierre.  Je  suis  effrayé  des  maux  qu'on  nous  prépaie  : 
on  veut  se  perpétuer,  on  veut  régner  :  depuis  deux  ans,  vous  voyez  les 
ambitieux  sacrifier  tout  à  leurs  vues.  Le  peuple  conservoit  une  sorte 
d'énergie;  il  falloit  déployer  un  moyen  qui  le  soumît,  afin  de  l'em- 
pêcher de  rester  dans  cette  attitude  fière  qui  effraye  ses  oppresseurs. 
Ce  peuple  croyoit  avoir  le  droit  de  présenter  une  pétition  à  ses  repré- 
sentai :  eh  bien,  on  a  fait  couler  son  sang  sur  l'autel  de  la  patrie  :  on  a 
choisi  des  foules  de  stipendiés,  des  bouches  mercenaires,  qui  de  tous 
côtés  répandoient  la  calomnie.  Déjà  toutes  les  batteries  sont  dirigées, 
déjà  ceux  qui  avoient  proposé  des  mesures  de  justice  sont  dénoncés  de 
toutes  parts  comme  de  mauvais  citoyens;  moi,  je  ne  puis  paroître  dans 
l'assemblée  nationale;  on  m'y  attribue  toutes  les  horreurs  que  l'on  com- 
met ou  que  l'on  invente  (5).  A  l'instant  encore,  aux  Champs  Elysées, 


(4)  Aulard  (III,  30)  ne  cite  que  le  passage  suivant  du  u  Journal 
des  Débats  de  la  Société  »>  :  «  MM.  iRoyer,  éivêque  constitutionnel, 
et  Robespierre  occupant  la  tribune  et  versent  dans  le  sein  de  la 
Société  lès  chagrins  que  leur  inspirent  ces  malheureux  événements, 
et  les  maux  dont  ils   craignent  qu'ils   ne   soient   les   précurseurs   ». 

(5)  A  partir  de  cette  époque,  Robespierre,  mis  dangereusement 
eu  vedette,  fut  violemment  attaqué  dans  les  milieux  contre  révolu- 
tionnaires. Dès.  le  26  juin,  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution 
souhaitait  qu'il  fût  choisi  comme  gouverneur  du  Dauphin,  en  même 
temps  que  Pétion  (Cf.  Journal  des  Débâts  de  la  Société,  n°  17; 
l'Ami  des  Patriotes,  t.  III,  n°  33,  p.  26;  l'Ami  du  Peuple,  t.  IX, 
ii°  510).  Il  faut  remarquer  à  ce  propos  qu'il  ne  figura  pas  sur  la 
liste  des  candidats  dressée  le  2  juillet  par  la  Constituante  pour 
remplir  ces  fonctions.  D'autre  part,  le  bruit  courait  que  Robespierre 
serait  nommé  dictateur  et  une  perquisition  effectuée  au  domicile  de 
Fréron,  après  le  17  juillet,  aurait  permis  de  découvrir  une  note  dans 
ce  sens  <Cf  G.  Walter,  p.  176).  Le  Babillard  (26  juillet  1791)  signale 
même  que  Robespierre  aurait  été  demandé  «  pour  roi  par  la  nation 
souveraine  assemblée  au  Champ  de  Mars  (cf.  Mémoires  de  Ferrières, 
H,  465;  cit.  par  E.  Hamel,  I,  509,  note  2).  Selon  l'Ami  du  Roi  (18 
juillet  1791,  p.  2),  il  aurait  été  désigné  pour  la  régence:  «  Ce  n'est 
pas  une  plaisanterie  imaginée  pour  le  couvrir  de  ridicule;  c'est  un 
fait  qu'on  donne  comme  incontestable,  et  qui,  au  reste,  ne  m'étonne 
que  médiocrement  ».  Même  écho  dans  la  Rocambole  (ai0  9,  p.  157) 
qui  ajoute  (p.  167)  :  «  (Les  Jacobites  Robespierites,  Péthionnites, 
Antonnistes,  Rœderistes  et  consorts  étoient  seuls  les  moteurs  de 
l'insurrection  ;  leur  projet  étoit  de  dissoudre  l'Assemblée  nationale, 
d'investir  le  Club  des  Cordeliers  du  pouvoir  législatif...  d'ériger 
la  France  en  république,  dont  le  digne  neveu  du  régicide  Damiens 
de  voit  être  le  Doge  ». 

IL' Argus  patriote,  rédigé  par  le  royaliste  Théveneau  de  Morande, 
résume  toutes  ces  attaques  en  ces  termes  <n°  13,  p.  335)  :  «  On  par- 
lait aussi  de  choisir  des  Tribuns  du  Peuple,  et  parmi  les  absurdités 
qui  étaient  à  l'ordre  du  jour,  on  a  entendu  proférer  le  nom  de 
Robespierre  par  des  malheureux  qui  le  demandaient  les  uns  pour 
Maire,  les  autres  pour  Gouverneur  de  M.  le  Dauphin,  les  autres 
pour  Roi.  Cotte  mauvaise  plaisanterie  a  été,  dit-on,  prise  très  sérièu- 

ftom*  nu,»'         TA 


594  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

on  publioit  sous  mon  nom  un  discours  séditieux  dont  il  n'est  jamais 
sorti  un  mot  de  ma  bouche  (6),  on  veut  lier  les  événemens  d'aujour- 
d'hui à  des  faits  qui  vous  regardent,  on  veut  vous  les  attribuer  et  vous 
charger  de  toutes  ces  abominations;  on  Irémiroit  si  je  rapporto'.s  toutes 
les  expressions  qu'un  membre  de  l'assemblée  nationale  qui  jouit  d'une 
certaine  réputation  de  patriotisme  proféroit  dernièrement  sur  cette  assem- 
blée; si  je  disois...   (7). 

«  Nous  tairons  la  suite  de  cette  séance.  Elle  fut  levée  à  onze  heures 
et  demie,   les  portes  étant  entourées  de  bayonnettes  »  (8). 


sèment  par  M.  Robespierre,  qui  a  modestement  répondu  aux  per- 
sonnes qui  lui  décernaient  la  couronne,  qu'il  n'en  était  pas  digne  ! 
Cette  réponse  est  juste,  et  elle  fait  d'autant  plus  d'honneur  à  M.  Ro- 
bespierre, que  le  bruit  s'était  répandu  quelques  jours  auparavant, 
qu'en  parlant  aux  Jacobins  sur  l'inviolabilité,  et  voulant  en  faire 
sentir  lés  dangers,  il  ne  trouva  pas  d'argument  plus  fort  que  celui-ci: 
César,  Messieurs,  ne  fut  poignardé  que  parce  qu'on  l'avait  déclaré 
inviolable  ». 

(6)  Cf.  ci-dessus,  Dernier  discours  de  Robespierre  sur  la  fuite 
du  Roi  (n°  318). 

(7)  Texte  reproduit  par  G.  Walter,  Histoire  des  Jacobins, 
p     206-207. 

(8)  En  passant  devant  le  Club,  la  Garde  nationale  manifeste  vio- 
lemment son  hostilité  contre  les  Jacobins.  Robespierre  aurait  alors 
accepté  l'hospitalité  que  .lui  offrait,  pour  la  nuit,  le  menuisier  Duplay 
qui  habitait  près  de  là,  rue  Saint-Honoré.  (Cf.  E.  Hamel.  I,  514  ; 
et  G.  Walter,  p.  180).  A.  Mathiez  place  au  milieu  du  mois  d'août 
1791    l'installation   de   Robespierre   chez    Duplay   (Ann.    révol.,    1910, 


107). 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

324.  —  SEANCE  DU  18  JUILLET  1791 

Sur  la  conduite  des  Jacobins 


Les  débats  sur  l'inviolabilité  royale  et  les  événements  du  Champ 
de. Mars  avaient  rendu  définitive  la  scission  qui  menaçait  la  Société 
des  Amis  de  la  Constitution.  [Le  nouveau  club  qui  groupait  les 
modérés  siégeant  dans  l'église  de  l'ancien  couvent  des  Feuillants, 
est  désormais  désigné  sous  ce   nom   (1). 


(1)  Cf.  G.  Micho'U,  Essai  sur  l'histoire  du  parti  feuillant:  Adrien 
Duport-,  Paris:.  192-1,  E.  Hamel,  I,  522,  et  G.  Walter,  p.  <  182.  La 
lettre   de   Périsse  du   Lue  à   Wuillermoz    que    nous   reproduisons    ci- 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  595 

Le  18,  à  l'ouverture  de  la  séance  des  Jacobins,  divers  membre* 
proposent  de  s'occuper  de  la  conduite  à  tenir  vis-à-vis  des  membres 
de  l'Assemblée  nationale  qui  ont  quitté  la  Société.  %Feydel  faisant 
•observer  que  ces  membres  sont  Les  fondateurs  de  la  Société,  propose 
que  le  local  et  la  correspondance  qui  sont  leur  propriété  leur  .-oient 
remis.  Laclos  appuie  cette  motion,  à  moins  que  l'on  ne  trouve  un 
moyen  d'opérer  la  réunion  (2).  Après  diverses  interventions,  Feydel 


dessous  (Bibl.  Lyon,  ms,  Ô430,  n°  38)  nous  paraît  éclairer  l'état 
d'esprit  des  députés  modérés: 

«  A  Paris,  le  17  juillet  1791  à  cinq  heures  du  soir. 

«  Je  profite,  très  cher  ami,  d'un  instant  que  me  donne  le  pro 
chain  départ  d'un  courrier  extraordinaire,  pour  vous  dire  que  nous 
sommes  depuis  trois  jours  dans  des  convulsions  factieuses  suscitées 
par  les  intrigans  qui  se  sont  mis  à  la  tête  de  quelques  clubs  et  qui 
sont  les  plus  .grands  ennemis  de  ;la  (Constitution.  Le  Club  des  Jaco- 
bins dont  vous  avez  déjà  apperçu  la  corruption,  pendant  votre  séjour 
ici,  et  qui  depuis  a  fait  des  progrès  en  anarchie  sous  la  conduite 
du  Sr.  Laclos  et  autres  de  sa  séquelle,  délibérant  avant-hier  soir 
et  fit  serment  de  ne  jamais  reconnaître  Louis  XVI  pour  Roi...  Les 
patriotes  de  l'assemblée  révoltés  des  excès  auxquels  ce  Club  s'est 
porté,  de  ses  diatribes  contre  l'Assemblée  Nationale  dont  les  folli- 
culaires Brissot  et  autres  ne  vous  donnent  qu'un  léger  échantillon, 
et  enfin  de  leur  rébellion  à  la  loi  prononcée  sur  l'évasion  du  Roi, 
ont  décidé  que  les  membres  de  l'Assemblée  Nationale  qui  sont  fonda- 
teurs de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  et  qui  l'ont  toujours 
présidée,  tiendront  désormais  leurs  séances  aux  Feuillants,  et 
n'auront  rien  de  commun  avec  la  Société  se  disant  des  Amis  de  la 
Constitution  séante  aux  Jacobins  ;  ils  ont  arrêté  de  communiquer 
cette  détermination  aux  clubs  patriotiques  du  Royaume.  Les  factieux 
seront  vaincus  comme  les  aristocrates,  et  il  y  a  grande  apparence 
que  leurs  chefs,  qui  seuls  ont  ,1e  secret,  sont  tacitement  d'accord. 
Il  y  a  'ongtemps  que  l'écrivis  à  mon  frère  que  les  anarchistes,  la 
plupart  soudoyés,  et  oient  plus  dangereux  que  les  contre-révolution- 
naires, parce  qu'ils  montrent  le  masque  du  patriotisme  et  l' appas  de 
la  licence  qu'ils  appellent  Liberté...  Il  y  a  bien  de  la  noirceur  dans 
tout  cela,  mon  ami,  que  les  bons  citoyens  s'unissent  à  l'assemblée, 
et  encore  un  peu,  nous  jouirons  de  la  Constitution;  mais  ils  ne  man- 
queront pas  de  faire  des  efforts  pour  enflammer  les  provinces  sous 
les  apparences  des  défenseurs  de  la  Liberté.  Ils  n'ont  pas  six  parti- 
sans dans  l'assemblée,  et  encore  n'osent-ils  se  montrer,  et  Robes- 
pierre, l'atrabiliaire,  et  le  diffus  Péthion  excepté,  les  autres  sont 
des  imbéciles  et  des  sots.  Adieu,  on  me  demande  ma  lettre...  »  Voir 
également   sur   cette   question   Aulard  III,   33-35. 

(2)  Un  certain  nombre  de  membres  de  la  Société  souhaitent 
aboutir  à  une  entente.  Brissot,  entre  autres,  écrit  dans  son  Patriote 
François  <n°  710,  p.  84)  :  «  Que  les  patriotes  dans  tous  les  partis 
cessent  donc  de  s'accuser  réciproquement  d'être  les  auteurs  de  cette 
affreuse  catastrophe.  Comment  a-t-on  eu  l'audace  de  soupçonner 
jusqu'à  la  vertu  la  plus  pure?  Comment  a-t-on  eu  l'audace  de  soup- 
çonner et  de  faire  circuler  que  MM.  Buzot,  Pétion,  Robespierre 
étoient  à  la  tête  de  ce  soulèvement?  Comment  a-t-on  cherché  à  sou- 
lever contr-eux,  et  les  gardes  nationales,  et  le  peuple?  Sommes- 
nous  donc  déjà  arrivés  aux  temps  malheureux  de  la  démagogie,  où 
l'on  faisoit  boire  la  ciguë  aux  Socrate  et  aux  Phociens  (sic)  ?  . 
C'est    cet   esprit    de    conciliation    qui    apparaît     dans    l' Adresse    aux 


596  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

et  Laclos  renouvellent  leurs  motions  et  proposent  qu'une  députaMor 
soit  envoyée  à  l'assemblée  des  Feuillants.  .Robespierre  intervient 
alors  (3). 

Il  fut  décidé  que  l'adresse  rédigée  par  Robespierre  et  adoptée 
à  l'unanimité,  après  avoir  été  présentée  au  président  de  l'Assemb'ée 
nationale,  serait  imprimée  et  envoyée  aux  Sociétés  affiliées. 


Sociétés  affiliées  qu'il  a  composée  et  dont  la  rédaction  fut  approuvée 
le  17  juillet  a  la  fin  de  la  séance.  On  en  trouvera  le  texte  dans 
Aulard,  III,  31.  Il  n'apparaît  donc  pas,  ainsi  que  le  suppose  Miche- 
let  (Histoire  de  la  Révolution  française,  III,  167)  que  Brissot  l'ait 
publiée  pour  la  discréditer. 

(3)  -Son  attitude  est  celle  de  tous  les  journalistes  «  patriotes  ». 
Marat  écrit  dans  l'Ami  du  peuple  (n°  527,  p.  4)  :  «  La  retraite  des 
conspirateurs  qui  vous  engueusent  et  qui  vous  ruinent  est  aux  Feuil- 
lants; c'est-là  le  club  des  Monarchiens,  qui  vous  préparent  des  fers, 
lorsque  les  Péthion,  les  Robespierre  restent  attachés  aux  patriotes 
dans  la  société  fraternelle  des  Jacobins.  Les  frelons  ont  abandonné 
la  ruche  des  abeilles  ;  ce  seroit  un  bien,  si  vous  étiez  capables  de  les 
surveiller;  mais  n'oubliez  pas  qu'ils  ont  encore  des  mouchards,  des 
espions  dans  nos  sociétés,  qui  parlent  divinement  du  patriotisme, 
qu'ils  servent  si  mal  ».  De  même  on  lit  dans  les  Révolutions  de  Paris 
(n°  106,  p.  130,  note  I)  :  «  Il  est  inutile  de  dire  que  la  société  des  amis 
de  la  constitution  tient  ses  séances  aux  Jacobins  :  celle  qui  siège  aux 
Feuillans  est  la  société  des  amis  de  la  contre-révolution;  Barnave, 
Duport  en  sont:  Robespierre,  Péthion,  Buzot  et  quelques  autres 
n'ont  pas  quitté  les  Jacobins.  On  sait  aujourd'hui  que  c'est  le  mi- 
nistre de  Lessart  qui  a  envoyé  et  payé  les  courriers  extraordinaires, 
porteurs  des  lettres  circulaires  des  Feuillans  aux  83  départemens  ». 
Enfin  Ç.  Desmoulins  écrit  dans  les  Révolutions  de  France  et  de  Bra- 
bant  (t.  VII,  n°  86,  p.  27-28)  :  «  L'Assemblée  nationale  se  retire  an 
club  aux  feuillans,  et  fait  .scission  avec  les  jacobins,  afin  de  leur 
enlever  leur  correspondance.  Mais  Péthion  et  Robespierre,  et  le 
petit  nombre  des  représentans  qui  sont  demeurés  fidèles  à  la  nation, 
restent  aux  jacobins;  et  rassemblée  nationale  est  toute  où  est 
Péthion  et  Robespierre.  Le  reste  n'est  qu'un  amas  de  nobles,  de 
prêtres,  d'intrigans,  de  ministériels,  de  contre-révolutionnaires  ou 
dimbéciles;  c'est  l'assemblée  anti-nationale.  Je  ne  conçois  pas  com- 
ment Robespierre,  Buzot,  Péthion,  Rœderer,  Prieur,  Grégoire, 
Royer  •et  une  demi-douzaine  d'autres,  ne  donnent  pas  leur  démission, 
et  ne  se  retirent  pas  du  milieu,  non  de  ce  sénat,  mais  de  ce  sabat 
des  conjurés  contre  le  peuple,  où  le  bien  est  impossible  à  faire.  Mais 
peut-être  que  les  autres  craignant  .les  suites  de  la  retraite  de  ce 
petit  nombre  de  justes,  chercheraient  à  les  retenir  au  milieu  d'eux, 
et  à  plâtrer,  par  quelques  bons  décrets,  leurs  desseins  ambitieux 
et  nationicides.  Quant  à  moi,  je  ne  me  laisserai  point  prendre  à  ces 
•apparences  et  je  n'attendrai  plus  à  l'autel  de  la  patrie  la  troisième 
proclamation  de  la  loi  martiale,  et  la  première  décharge  à  poudre, 
peur  racheter  le  droit  de  crier  dans  le  désert,  de  défendre  la  décla- 
ration des  droits,  et  de  montrer  les  sept  rayons  primitifs,  à  un  peuple 
de  quinze-vingt.  Il  me  faudroit  m'avilir  comme  mes  malheureux 
•confrères,  jusqu'à  livrer  La  Fayette  et  ces  compagnons  de  tyrannie. 
Il  faudroit  pallier  la  vérité.  Mentiri  nescio,  je  ne  saurois  descendre 
à  cette  lâche  dissimulation  à  laquelle  les  écrivains  patriotes  sont 
aujourd'hui  contraints  devant  les  sapeurs  à  u;ros  ventre,  et  les  naiub 
de    six   pieds,   à   igros   bonnet.    » 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  597 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°  29  (4). 
Mercure  universel,  t.  V,  p.  379  (5). 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  viens  pas,  messieurs,  m 'opposer  à  la  me- 
sure proposée  par  les  préopinans  d'envoyer  une  dépuration  à  l'assemblée 
des  Feuillans,  si  toutefois  la  société  croit  devoir  l'adopter.  Je  viens 
vous  soumettre  une  proposition,  elle  tend  à  vous  faire  adopter  le  moyen 
le  plus  propre  à  ramener  dans  cette  société  les  membres  de  l'assemblée 
nationale  qui  sont  vraiment  patriotes,  elle  consiste  à  présenter  à  l'assem- 
blée nationale  une  adresse  dans  laquelle,  consacrant  les  principes  qui 
vous  ont  toujours  animés,  vous  vous  mettiez  par  là  à  l'abri  des  calomnies 
qui  s'attachent  à  vous  dans  ce  moment.  Le  grand  reproche  qu'on  fait  à 
cette  société  est,  dit-on,  d'avoir  proposé  une  pétition  contraire  à  des 
décrets  rendus;  eh  bien,  messieurs,  il  me  semble  que  de  montrer  que 
vendredi,  cette  pétition  n'était  pas  contraire  aux  décrets  rendus,  démon- 
trer que  depuis  elle  n'a  eu  aucune  suite  puisque  cette  pétition  n'a  pas 
eu  lieu,  est,  je  crois,  le  moyen  le  plus  propre  à  désarmer  cette  calom- 
nie. 

«  M.  Robespierre  fait  ensuite  lecture  de  l'adresse  qu'il  a  rédigée 
dans  cette  intention  et  qui,  après  de  légers  changemens  dans  la  rédaction 
est  adoptée  à  l'unanimité  »  (6). 


(4)  Texte   reproduit  dans  Aulard,   III,   36. 

(5)  Ce  dernier  texte  comporte  quelques  variantes  de  détails  par 
rapport   au  précédent. 

(6)  On  trouvera  cette  adresse  dans  le  Courrier  de  Corsas,  n°  26, 
p.  418-422.  et  le  Mercure  Universel,  V,  389.  Elle  est  reproduite  dans 
Aulard,   III,  38-42. 


325.  —  SEANCE  DU  23  JUILLET  1791 

Sur  la  création  d'un  tribunal  spécial  pour  juger  les  mjteurs 
de  la  «  rébellion  ))  du  champ  de  mars  (1) 


Le  22  juillet,  Salle  avait  présenté  à  l'Assemblée,  au  nom  des 
comités  de  constitution,  des  rapports  et  des  recherches,  un  rapport 
mr  les  événements  du  Champ  de  Mars,  survenus  le  17  juillet  (2). 
Il  demandait  la  création  d'un  tribunal  spécial,  à  juridiction  souve- 
raine, chargé  de  rechercher  et  de  poursuivre  les  auteurs  de  la 
«  rébellion  o>,  comme  de  connaître  les  troubles  généraux  qui  pour- 
raient avoir  lieu.  Après  une  courte  discussion,  le  débat  fut  ajourné 
au  lendemain. 

Le  23  juillet,  une  vive  opposition  s'élève  contre  le  projet  de? 
comités.  .Robespierre  se  présente  à  la  tribune.  On  demande  à  aller 


gnardf 


(1)  Cf.  A.  Mathiez,  Le  Club  dos  Cordeliers...,  op.   cit.,   p.   208. 
<(2)  Salle  fut,   à  la  Convention,   un   ennemi   acharné  des   Monta- 


598  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

aux  voix.  L'Assamblée  décide  d'abord  sur  la  proposition  de  d'An  h'', 
que  les  jugements  qui  seront  rendus  pour  les  délits  relatifs  à  l'événe- 
ment du  Champ  de  Mars,  seront  soumis  à  l'appel.  Elle  rejette  ensuite 
la   proposition  de  former  une  commission   particulière. 

Finalement,  l'Assemblée  chargea  le  tribunal  du  6e  arrondisse- 
ment des  recherches  et  procès  relatifs  aux  délits  commis  les  17  et 
18  juillet  (3). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXX,  p.  269 

«  M.  Robespierre  monte  à  la  tribune  (murmures,  aux  Voix,  aux 
voix). 

«  M.  Reubell.  Je  demande  que  l'on  rappelle  à  l'ordre  ceux  qui 
crient  toujours  :  aux  voix,  aux  voix,  et  ne  savent  que  cela. 

«  M.  Robespierre.  Jamais  je  n'ai  cru  avoir  autant  de  droit  d'être 
écouté...   »   (4). 

Courier  de  Provence,  t.  XVI,  p.  62. 

«  M.  Robespierre  est  monté  à  la  tribune;  mais  les  amis  de  la  liberté 
ont  mieux  aimé  céder  la  victoire  que  d'entendre  un  orateur  que  son 
patriotisme  et  son  immuabilité  leur  ont  rendu  odieux.    » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  205,  p.  849. 

«  M.  Robespierre  se  présente  à  la  tribune.  On  demande  dans 
diverses  parties  de  la  salle  à  aller  aux  voix  »  (5). 

Le  Patriote  françois,  n°   714,  p.  97. 

«  Cependant,  il  faut  le  dire  à  la  honte  de  quelques  membres 
de  89,  à  peine  a-t-on  vu  M.  Robespierre  monter  à  la  tribune  pour 
déployer  son  indignation,  pour  opposer  les  principes  au  renversement  de 
la  constitution,  qu'un  cri  perçant,  aux  voix,  aux  voix,  s'est  fait  enten- 
dre. » 
Journal  de  Paris,  25  juillet  1791,  p.  831. 

«  M.  Roberspierre  se  présentoit  à  la  tribune  pour  défendre  cette 
vérité,  mais  elle  étoit  reconnue  avant  qu'il  eût  parlé;  et  sur  la  proposi- 
tion de  M.  d'André,  l'Assemblée  a  déclaré  que  le  Tribunal  qui  con- 
naîtroit  des  événemens  du  Champ  de  Mars  ne  jugeroit  point  sans  appel.  » 
Le  Législateur  français,  24  juillet   1791,   p.   6. 

«  L'érection  d'un  tribunal,  qui  ne  seroit  effectivement  qu'une 
chambre  ardente,  a  alarmé  les  amis  de  la  liberté;  déià  M.  Robertspierre 
étoit  à  la  tribune  et  demandoit  à  parler  contre  le  décret.   » 


(3)  Le  9  août  1791,  Eobespierre  comparaît  comme  témoin  devant 
le  tribunal,  le  9  août.  (Cf.  L.  Jacob,  op.  cit.,  p.  118,  note  1).  A.  Ma- 
thiez  reproduit  sa  déposition:  Le  Club  des  Cordeliers...,  op.  cit.. 
D    332-333 

(4)  Texte   reproduit  dans   les  Arch.   pari.,   XXVIII,   535. 

(5)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  IX,   206. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  599 

[Brève  mention  de  cette  tentative  dans  Le  Mercure  universel,  t.  V, 
p.  394;  Le  Journal  du  soir  (Beaulieu),  t.  III,  n°  383,  p.  3;  Le  Journal 
des  Débats,  n°  793,  p.  1 1  ;  Le  Journal  général  du  Pas-de-Calais,  n°  8, 
p.  94;  Les  Annales  patriotiques  et  littéraires,  n°  660,  p.   1722.] 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

326.  —  SEANCE  DU  24  JUILLET  1791 

Sur  la  scission  des  Feuillants  (1) 


La  Société  discute  sur  la  scission  opérée  par  les  Feuillants  et 
sur  les  moyens  d'y  mettre  fin  (2).  Le  président  donne  lecture  d'une 
déclaration  des  dissidents,  de  laquelle  il  ressort  que  la  Société 
séante  aux  Feuillants  .se  considère  comme  la  vraie  et  légitime  Société 
des  Amis  de  la  Constitution.  Bourdon  lit  un  projet  d'adresse  aux 
Feuillants.  Robespierre  intervient  alors  et  propose  de  déclarer  que 
la  Société  a  été  et  sera  toujours  celle  des  Amis  de  la  Constitution. 
Sa  motio.n  est  adoptée  à  l'unanimité  {3).  I 

Il  est  alors  donné  lecture  de  la  réponse  faite  par  les  Feuillants 
à  des  propositions  des  Jacobins.  (Robespierre  demande  et  obtient 
ia  lecture  des  conditions  proposées  par  les  Feuillants.  Elles  sont 
jugées  inacceptables,  car  elles  excluent  les  citoyens  passifs  (4)  ; 
Robespierre  propose  d'envoyer  aux  Feuillants  et  à  toutes  les  sociétés 
affiiées,  une  adresse  pour  rendre  compte  des  faits  et  des  motifs  de 
la  scission  (5). 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°  31. 
Mercure  universel,  t.  V,  p.  472. 

«  M.  Robespierre.  Si  depuis  la  guerre  déclarée  à  la  société,  quel- 
ques membres  de  l'assemblée  nationale  et  moi  nous  sommes  déterminés 


(1)  Cf.  ci-dessus,  séance  du  18  juillet  1791. 

(2)  Le  20  juillet  1791,  on  avait  étudié  les  moyens  de  conciliation 
propres  à  mettre  fin  à  cette  scission. 

(3)  Cf.    E.   Hamel,   I,   524. 

(A)  A  cause  de  cela,  les  Révolutions  de  Paris  (m0  107,  p.  130) 
baptisent  les  Feuillants  d'   «  Amis  de  la  contre-révolution   ». 

(5)  Les  Feuillants  avaient  envoyé  une  lettre  circulaire  aux  83 
départements,  et  ils  avaient  invité  les  sociétés  patriotiques  à  corres- 
pondre avec  eux.  Mais  un  très  faible  nombre  répondit  à  leur  appel 
(4  ou  5  seulement,  d'après  E.  Hamel,  I,  526).  Tallien,  président  de 
la  Société  fraternelle,  vient  le  25  juillet,  à  la  tribune  des  Jacobins, 
protester  de  son  attachement  <à  la  société  mère  (Aulard,  III,  52).  Le 
Cercle  social  fait  parvenir  aux  Jacobins  une  semblable  profession 
<U>.  foi  (cf.  La  Bouche  de  Fer.  n°  101).  D'autre  part,  la  Société  des 
Amis  de  la  Constitution  de  Versailles  exclura  Charles  Lameth  de 
son  sein.  Elle  en  donne  les  raisons  dans  une  lettre  qu'elle  adresse 
•iiix  Jacobins  de  Paris  le  15  septembre  (cf.  Journal  des  débats  de  la 
Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°  62,  p.  4,  séance  du  18  sep- 
tembre 1791):  «  Nous  l'avons  fait  encore  parce  que  ses  contestations 
continuelles    avec   les   plus    zélés   défenseurs   de    la   patrie,    avec   les 


600  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

à  rester  dans  son  sein,  nous  ne  l'avons  fait  que  parce  que  nous  avons 
pensé  que  le  moment  où  les  patriotes  étaient  attaqués  était  celui  où  nous 
devions  nous  serrer  de  plus  près  :  ceux  qu'il  faut  consulter  dans  cède 
question  sont  ceux  qui  se  disent  hautement  patriotes  et  qui  ne  craignent 
pas  de  s'exposer  à  l'ignominie.  Il  faut  examiner  quel  est  le  véritable 
intérêt  public  :  ceux  qui  vous  proposent  de  vous  dissoudre  pour  vous 
refondre  avec  les  Feuillans,  ne  connaissent  point  cet  intérêt  public.  Par 
cette  démarche,  vous  consacreriez  formellement  tous  les  reproches  qui 
ont  servi  de  prétexte  à  la  scission...  M.  Robespierre  a  conclu  à  ce 
qu'il  fût  décidé  avant  tout  que  la  société  avait  été  et  serait  toujours 
celle  des  Amis  de  la  Constitution. 

«  Tous  les  membres  se  lèvent  et  crient  aux  voix.  M.  Coroller 
observe  que  la  réponse  des  Feuillans  est  sur  le  bureau  :  M.  Robespierre 
insiste  sur  sa  motion  qui  est  adoptée  à  l'unanimité.  On  a  fait  lecture 
de  la  réponse  des  Feuillans,  dont  voici  les  termes  : 

«  Monsieur,  la  société  des  amis  de  la  constitution,  délibérant  sur 
les  propositions  qui  lui  ont  été  faites  de  la  part  de  celle  que  vous  pré- 
sidez, a  décidé  qu'elle  ne  pouvait  pas  les  admettre  :  elle  a  cru  cepen- 
dant devoir  prendre  des  moyens  faciles  et  sûrs,  pour  recevoir  dans  son 
sein  ceux  d'entre  vous  qui  pourraient  désirer  de  s'y  réunir.  La  société, 
monsieur,  vous  fait  passer  un  extrait  des  articles  qu'elle  a  arrêtés  dans 
cette  intention  à  sa  dernière  séance,  afin  que  vous  en  donniez  connais- 
sance à  la  société  que  vous  présidez.  Goupil-Préfeln,  président.   » 

«  On  demande  l'ordre  du  jour  sur  la  lecture  du  règlement  des  Feuil- 
lans :  M.  Robespierre  demande  et  obtient  la  lecture  de  ces  conditions 
qui   paraissent   inconvenantes. 

«  M.  Robespierre  propose  d'envoyer  une  adresse  aux  Feuil'ans  et 
à  toutes  les  sociétés  affiliées,  pour  rendre  compte  des  faits  et  des  motifs 
de  la  scission  »  (6). 


Journal  des  Clubs,  t.  III,  n°  38,  p.  637. 

«  M.  Robespierre  fait  observer  que  par  cette  démarche  on  consa- 
creroit  formellement  tous  les  reproches  qui  ont  servi  de  prétexte  à  la 
scission,  et  appuyant  sur  la  nécessité  où  sont  les  patriotes  de  se  serrer 
plus  que  jamais  dans  un  instant  où  ils  sont  attaqués  de  toutes  parts, 
il  conclut  à  ce  qu'il  soit  décidé,  avant  tout,  que  la  société  a  été  et  sera 
toujours  celle  des  amis  de  la  constitution.  Sa  proposition  est  un  signal 
pour  tous  les  membres  qui  jurent  de  rester  à  jamais  unis,  et  elle  est 
arrêtée.    » 


Robespierre  et  Péthion,  nous  ooit  mis  de  nouveau  dans  le  cas  de  le 
juger  par  comparaison  ».  (Aulard,  III,  139,  résume  brièvement  cette 
lettre). 

(6)  .Cette  adresse  fut  rédigée  par  Robespierre.   Il  en  donna  lec- 
ture dans  la  séance  du  1er  août.  Aulard  l'a  reproduite  (III,   72-79). 


les  discours  de  robespierre  601 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

327.  —  SEANCE  DU  1er  AOUT  1791 

Sur  un  projet  d'adresse  au  sujet  des  événements 
du  Champ  de  Mars 


-Robespierre  donne  lecture  d'un  projet  d'adresse  aux  Sociétés 
affiliées,  exposant  les  faits  concernant  la  pétition  déposée  sur  l'autel 
de  la  patrie  et  .réchauffourée  du  Champ  de  Mars.  Oorroller  (1),  puis 
Rœderer,  présentent  un  certain  nombre  d'observations  sur  ce  pro- 
jet, et  proposent  que  des  commissaires  soient  adjoints  à  Robespierre 
pour  rédiger  l'adresse.  Robespierre  consent  à  cette  proposition; 
Pétion,  Rœderer,  Brissot  et  Buzot  sont  nommés  commissaires. 
L'adresse  devra  être  présentée  à  la  Société,   le  5  août  (2). 

Journal  des  Clubs,  t.  III,  n°  38,  p.  641-2. 

«  M.  Robespierre  fait  lecture  d'une  adresse  aux  sociétés  affiliées, 
elle  est  applaudie;  on  y  propose  néanmoins  quelques  changemens.   » 

La  Rocambole,  n°    13,  p.  217. 

«  M.  Robespierre  a  lu  le  premier  août,  au  club  des  Jacobins,  une 
longue,  plaintive  et  larmoyante  adresse  aux  Sociétés  affiliées,  dans 
laquelle  il  a  laissé  échapper  cette  grande  vérité  :  La  persécution  s'est 
attachée  à  nous,  et  nous  osons  dire  que  nous  en  étions  dignes.  —  Veillez, 
poursuit  en  finissant  l'illustre  député,  veillez  sur  les  ennemis  de  la  patrie, 
sur  ses  amis;  que  les  factieux  soient  partout  confondus.  » 

Mercure  universel,  t.  VI,  p.  53. 

«  M.  Robespierre  fait  lecture  d'une  adresse  aux  Sociétés  affiliées  : 
cette  adresse  est  vivement  applaudie.  » 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°30,  p.l . 

«  M.  Robespierre  lit  un  projet  d'adresse  aux  sociétés  affiliées  (3). 
Voici  la  substance  de  ce  projet  : 

[Suit  le  texte  de  l'adresse.  Le  journal  ajoute:] 

«  M.  Robespierre  a  été  souvent  interrompu  dans  sa  lecture  par  de 
vifs  applaudissemens.   » 


(1)  Il  avait  brusquement  quitté  la  salle  des  séances  le  16  juillet 
à  la  suite  d'une  intervention  de  Robespierre  (cf.  ci-dessus,  séance, 
n»  321). 

(2)  Aulard  (III.  72)  reproduit  cette  Adresse  à  la  date  du  7  août 
1791  (III,  72,  pièce  XXIV). 


602  les  discours  de  robespierre 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

328.  —  SEANCE  DU  3  AOUT  1791 

Sur  un  compte-rendu  tendancieux 
du  Journal  des  Débats  de  la  Société 


Robespierre  se  plaint  de  l'inexactitude  et  du  caractère  tendan- 
cieux avec  lesquels  le  rédacteur  du  Journal  des  Débats...  a  rendu 
compte' du  projet  d'adresse  aux  iSociétés  affiliées,  qu'il  avait  présenté 
à  la  séance  du  1er  août.  Après  diverses  observations  de  Mendouze 
(1)  et  de  Sergent  (2),  la  Société  laissa  à  son  comité  le  soin  de  pren- 
dre des  renseignements  sur  le  rédacteur  du  Journal  des  Débats... 
chargé  des  comptes  rendus. 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°37.  p. 2. 
Le  Creuset,  t.  III,  n°  63,  p.  221  (3). 

«  M.  Robespierre  a  observé  que  des  membres  de  la  société  lui 
avaient  fait  remarquer  plusieurs  inexactitudes  dans  le  journal  des  débats 
de  la  séance  du  lundi  1er  août.  Il  s'est  plaint  de  ce  qu'en  présentant 
une  espèce  d'extrait  du  projet  d'adresse  aux  sociétés  affiliées  qu'il  avait 
lu  dans  la  même  séance,  le  rédacteur  lui  faisoit  dire  ces  mots  :  «  Une 
pétition  avoit  été  arrêtée  dans  la  salle  de  notre  société;  mais  la  séance 
était  levée,  et  il  ne  restait  que  quelques  membres  suspects  que  nous  ne 
comptons  plus  parmi  nous,  au  milieu  d'une  foule  de  citoyens  qui  y  étaient 
venus  apporter  cette  même  pétition  ». 

Il  a  observé  que  le  projet  d'adresse  qu'il  avait  rédigé  ne  contenait 
rien  de  semblable  à  ces  propositions;  qu'il  était  d'autant  plus  éloigné 
de  s'être  exprimé  d'une  manière  aussi  injurieuse  et  aussi  vague  sur  les 
membres  de  la  société,  désignés  dans  cet  endroit  qu'il  n'était  pas 
même  resté  après  la  séance  ;  et  qu'il  connaissait  des  membres  très 
patriotes  qui  se  plaignent  de  se  trouver  compromis  par  les  réflexions 
du  rédacteur. 

«  M.  Robespierre  a  réclamé  encore  contre  un  autre  passage  du 
journal,  où  on  lui  fait  dire,  en  parlant  des  deux  hommes  trouvés  sous 
l'autel  de  la  patrie  :  «  En  sortant,  le  peuple  les  arrache  des  mains  de  la 
garde  ».   Il  a  observé  que  jamais  il  n'avait  attribué  au  peuple  un  acte 


(1)  Mendouze.  rue  Galande,  n°  79,  membre  du  Comité  d'admi- 
nistration de  la  Société. 

(2)  Sergent,  graveur  en  taille  douce,  sera  élu  officier  municipal 
de  Paris,  puis  député  à  la  Convention. 

(3)  L'extrait  de  ce  journal  est  précédé  du  passage  suivant: 
«  Nous  avons...  vu  avec  surprise  la  hardiesse  de  [la_  manœuvre]  qui 
vient  d'être  mise  en  œuvre,  pour  détacher  du  patriote  Robespierre 
la  partie  saine  et  sincère  des  amis  de  la  constitution  restée  aux  Jaco- 
bins ». 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  603 

de  violence,  qu'il  avait  au  contraire  imputé,  comme  le  public,  à  quel- 
ques individus  excités  par  les  ennemis  de  la  liberté;  que  ce  langage 
qui  charge  le  peuple  de  tous  les  délits  qu'il  improuve,  trop  familier 
aux  partisans  du  despotisme,  devait  être  réprouvé  par  tous  les  bons 
citoyens:  il  a  demandé  que  le  journaliste  insérât  ce  désaveu  et  ces 
observations  dans   son  prochain  numéro   »    (4). 

La  Feuille  du  Jour,  t.  V,  n°  221,  p.  316. 

«  M.  Robespierre  réclame  contre  les  propos  qu'on  lui  prête,  dans 
le  Journal  Jacobin,  au  sujet  des  hommes  pendus  au  Gros-Caillou,  le 
17  du  mois  dernier.  Il  dit  qu'il  n'a  pas  dit  ce  qu'on  dit  qu'il  a  dit; 
mais  on  lui  dit  qu'il  l'a  dit.    » 


(4)  Texte  reproduit  dans  Aulard  III,  66.  D'après  Mendouze.  ce 
n'est  pas  Deflers,  rédacteur  officiel  du  Journal  depuis  le  25  juillet 
1791,  qu'il  faut  incriminer,  car  Deflers  était  alors  détenu  à  l'Abbaye. 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

329.  —  SEANCE  DU  5  AOUT  1791 

Sur  le  projet  d'adresse 

AU  SUJET  DES  ÉVÉNEMENTS  DU  CHAMP  DE  MARS  (suite)  (1) 


Robespierre  donne  lecture  du  projet  d'adresse  rédigée  par  les 
commissaires  nommés  à  cet  effet  le  1er  août.  Quelques  membres 
présentent  diverses  observations  concernant  en  particulier  le  récit 
des  faits.  Robespierre  défend  la  rédaction  proposée  et  demande  que 
le  récit  des  faits  soit  conservé,  sauf  les  corrections  des  commis- 
saires. Sa  motion  est  adoptée.  Rœderer  qui  avait  proposé  que  des 
commissaires  soient  nommés  «  pour  rédiger  ou  supprimer  l'adresse 
à  leur  volonté  »,  donne  alors  sa  démission  de  commissaire  pour  la 
rédaction  de  l'adresse.  Tournon  (2)  est  nommé  pour  le  remplacer. 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°38,  p. 4. 

«  M.  Robespierre  a  fait  lecture  du  projet  d'adresse  rédigée  par  les 
commissaires  nommés  ad  hoc. 

[Interventions  de  Creuzé-Latouche  et  de  Corroller  qui  considèrent 
que   les  faits  exposés  ne   sont  pas  étayés   de   preuves   suffisantes.] 

«  M.  Robespierre  observe  qu'il  y  avait  de  la  pusillanimité  à  taire 


(1)  Cf.  ci-dessus  séances  des  Jacobins  des  1er  et  3  août  1791. 

(2)  Tournon,  homme  de  lettres,  l'un  des  rédacteurs  des  Révo- 
lutions de  Paris,  du  Mercure  universel  et  des  Révolutions  de  l'Eu- 
rope. Il  fut  guillotiné  le  22  messidor  an  II, 


604  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

un  fait  aussi  connu,  et  d'ailleurs  on  avait  promis  ce  détail  aux  Sociétés 
affiliées  (3). 

«   M.  Robespierre  demande  que  le  récit  des  faits  ?oit   conservé, 
sauf  les  corrections  des  commissaires  »  (4). 


(3)  On  y  dit  en  particulier,  que  la  signature  de  la  pétition  avait 
été  «.journée  le  17  à  midi,  oe  qui  semble  indiquer  qu'il  n'y  ait  pas 
ea  de  rassemblement  sur  le  Champ  de  Mars,  dans  la  matinée. 

(4)  Texte  reproduit  dans  Aulard,  III,  69-70,  mais  l'adresse  n'y 
figure  pas. 


330.  —  SEANCE  DU  6  AOUT  1791  (soir) 
Sur  les  troubles  de  Brie-Comte-Robert  (suite) 


iLe  6  août  au  soir,  Muguet  de  Nanthou,  au  nom  du  comité  des 
rapports,  présente  un  rapport  sur  les  troubles  de  Brie-Comte-Robert, 
et  sur  la  pétition  adressée  le  12  juillet,  par  une  députation  de  la 
garde  nationale  de  cette  ville  (1).  Après  a,voir  fait  l'historique  des 
faits,  le  rapporteur  demande  que  l'Assemblée  se  prononce  sur  les 
inculpations  qui  ont  été  faites  contre  l'administration  du  départe- 
ment, dont  il  propose  d'approuver  la  conduite,  ainsi  que  celle  des 
chasseurs  de  Hainaut.  Robespierre  justifie  ses  interventions  du 
18  juin  et  du  12  juillet  sur  cette  affaire.  Les  faits  ne  pouvant  être 
vérifiés  que  par  la  procédure,  il  demande  'que  l'Assemblée  s'abstienne 
■de  rendre  un  décret  qui  préjugerait  en  faveur  de  l'une  ou  l'autre 
partie.   Barnave  s'élève  contre  les  conclusions  de  Robespierre. 

L'Assemblée  adopta  le  décret  présenté  par  Muguet,  approuvant 
la  conduite  du  directoire  du  département  de  iSeine-et-Marne  et  celle 
des  chasseurs  de  Hainaut. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXXI,  p.  226 

«  M.   le  Président.   M.    Robespierre   a  la   parole   {oh,   oh). 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  crois  point  faire  une  démarche  qui  puisse 
déplaire  à  l'assemblée  en  venant  proposer  des  observations  contre  le 
rapport  du  comité. 

«  Messieurs,  un  grand  nombre  de  citoyens  de  la  ville  de  Brie- 
Comte-Robert,  au  nombre  desquels  je  voyais  le  procureur  de  la  com- 
mune et  un  officier  municipal,  m'ont  présenté  un  mémoire  portant 
dénonciation  d'une  multitude  de  vexations  faites,  si  elles  étoient 
vraies,  pour  exciter  l'indignation  de  tous  les  honnêtes  gens.  Ils  m'ont 
prié  de  faire  parvenir  leurs  plaintes  à  l'assemblée  nationale  et  d'accé- 
lérer la  décision  de  cette  affaire  :  je  l'ai  fait.  Il  n'y  a  rien  là  de  contraire 
aux  devoirs  d'un  représentant  de  la  nation.  J'en  viens  au  rapport. 

<1)  Of.  séances  des  18  juin  1791  (soir),  12  juillet  1791  (soir)  ;  et 
G.   Walter,  p.   115. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  605 

((  Le  comité  a  d'abord  pensé  que  l'assemblée  nationale  devoit 
faire  plus  que  de  prononcer  sa  propre  opinion  sur  le  fond  de  l'affaire  : 
qu'elle  devoit  aller  jusqu'à  approuver  formellement  la  conduite  du  direc- 
toire de  Mejun  et  des  chasseurs  de  Hainault  :  je  présente  une  observa- 
tion qui  prouve,  sans  réplique,  qu'il  est  impossible  d'adopter  ce  système. 
11  suffit  pour  cela  de  se  rappeller  que  la  cause  est  pendante  à  un  tri- 
bunal; j'en  conclus  qu'il  est  impossible  que  l'assemblée  nationale 
préjuge  elle-même,  dès  ce  moment,  le  fond  de  cette  affaire,  en  approu- 
vant la  conduite  de  l'une  des  parties.  (Ce  n'est  pas  là  la  question). 

«  On  fait  une  objection  à  laquelle  je  réponds.  On  me  dit  :  Vous 
avez  demandé  vous-même,  au  nom  de  Brie-Comte-Robert,  que  l'assem- 
blée prononçât  sur  cette  affaire  :  par  conséquent,  vous  ne  pouvez  pas 
opposer  que  l'affaire  est  pendante  dans  un  tribunal.  Si  l'assemblée  veut 
prononcer  elle-même  sur  le  fond  de  l'affaire,  je  ne  combattrai  pas 
(murmures)  :  si  l'assemblée,  comme  le  suppose  le  comité  des  rapports, 
laisse  l'affaire  pendante  et  indécise  dans  un  tribunal,  il  est  évident 
qu'elle  ne  peut  pas  en  préjuger  le  fond,  et  que  si  elle  déclaroit  que  le 
directoire  et  les  chasseurs  de  Haynault  inculpés  par  les  citoyens,  sont 
exempts  de  tout  reproche,  il  en  résulteroit  un  préjugé  fatal  contre  les 
citoyens  qui  sont  actuellement  en  procès  avec  ces  particuliers. 

«  Je  viens  au  fond  de  l'affaire  et  j'observe  que  le  rapport  passe 
sous  silence  tout  ce  qui  a  donné  lieu  aux  divisions  entre  la  garde  natio- 
nale et  la  compagnie  dite  du  Bon  Dieu.  Selon  lui,  la  cause  des  troubles 
est  dans  la  désobéissance  et  la  révolte  de  cette  compagnie  :  et  moi  je 
dis  que  c'est  un  fait  qui  mérite  d'être  éclairci  :  que  la  garde  nationale 
prétend  au  contraire  que  c'est  elle  qui  a  été  forcée  de  résister  aux 
attaques  et  aux  hostilités  de  la  compagnie  qui  se  révoltoit  injustement 
contre  le  vœu  des  citoyens  et  contre  le  vœu  de  l'assemblée  nationale. 
J'observe  que  ces  citoyens  prétendent  prouver  que  ce  sont  leurs  adver- 
saires qui  ont  emploie  la  violence;  qu'on  les  a  taxés  d'insurrecl.on, 
tandis  qu'ils  n'ont  opposé  que  la  résistance  à  l'insurrection  et  à  la  vio- 
lence coupable  de  leurs  adversaires.-  Voilà  ce  qu'on  ne  peut  pas  pré- 
juger sans  avoir  approfondi  la  procédure,  d'autant  plus  que  ces  citoyens 
se  plaignent  de  ce  que  deux  pièces  importantes  de  la  procédure  n'ont 
pas  été  lues  toutes  au  comité  des  rapports;  et  je  suis  autorisé  par  un 
écrit  signé  de  l'avocat  de  ces  citoyens,  à  dire  qu'ils  ont  vainement 
employé  leurs  efforts  pour  obtenir  que  ces  pièces  fussent  lues  par  M.  le 
rapporteur.  Ainsi,  si  l'assemblée  ne  veut  pas  entendre  ces  nouvelles 
pièces  pour  prononcer  sur  un  fait  semblable,  elle  doit  laisser  indécise 
la  question 

«  Je  ne  crois  pas  devoir  me  justifier  contre  les  insinuations  que  l'on 
cherche  à  répandre  depuis  trop  long-tems  contre  ceux  qui  servent  de 
bonne  foi  la  cause  publique,  et  je  me  repose  sur  la  probité  de  l'assem- 
blée nationale  du  sort  de  toutes  ces  coupables  calomnies.  Je  demande 
la  question  préalable  sur  les  propositions  tendantes  à  ce  que  l'assem- 


606  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

blée  nationale,  par  des  marques  d'approbation,  préjuge  cette  cause  qu'. 
doit  rester  pendante  aux  tribunaux  dans  toute  son  intégrité. 

[Intervention  de  Barnave  :  la  conduite  des  habitants  de  Brie  ne 
relève  que  de  la  compétence  du  tribunal.  L'Assemblée  connaît  de  la 
conduite  des  administrateurs  :  ils  ont  rempli  correctement  leur  droit. 
Quant  à  la  troupe  de  ligne,  elle  n'avait  qu'à  obéir  à  la  réquisition 
et  a  été  «  très  mal  à  propos  dénoncée  dans  cette  Assemblée.  »] 

«  M.  Robespierre.  C'est  là  la  question,  monsieur?.  .  (à  l'ordre,  à 
l'ordre)   »   (2). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  220,  p.  911. 

«  M.  Roberspierre.  Un  grand  nombre  de  citoyens  de  Brie,  ayant 
un  officier  municipal  et  le  procureur  de  la  commune  à  leur  tête, 
m'avaient  présenté  un  mémoire  contenant  une  dénonciation  faite  pour 
exciter,  si  elle  était  vraie,  l'indignation  de  tout  âme  honnête.  Lorsque 
j'ai  présenté  de  leur  part  cette  dénonciation  à  l'Assemblée,  je  me 
suis  borné  à  en  demander  le  renvoi  au  Comité  des  rapports,  là  a  fini 
ma  mission,  et  j'ose  attester  la  bonne  foi  de  tous  ceux  qui  m'entendent, 
je  n'ai  fait  que  ce  qui  convenait  au  devoir  d'un  représentant  de  la 
nation.  Je  ne  répondrai  pas  aux  inculpations  qu'on  a  faites  à  cette 
occasion  contre  mon  caractère  et  mes  principes.  J'attends  ma  justifica- 
tion du  tems  et  de  la  probité  de  l'Assemblée  nationale.  Je  passe  à 
l'examen  du  projet  de  décret  du  Comité.  Il  vous  propose  d'approuver 
la  conduite  du  département  et  des  chasseurs  de  Hainault.  Eh  !  ne  voit-on 
pas  que  ce  procès  entre  la  commune  de  Brie  et  l'administration  du 
département  ne  peut  être  jugé  qu'après  que  la  procédure  aura  fait  con- 
naître la  vérité  des  faits.  Sans  doute,  si  les  chasseurs  de  Hainault  n'ont 
fait  qu'exécuter  des  décrets  de  prise  de  corps,  ils  ne  sont  pas  coupa- 
bles; mais  on  les  accuse  d'avoir  traîné  en  prison  des  citoyens  sans 
décret.  Ce  sont  des  faits  qui  ne  peuvent  être  vérifiés  que  par  la  pro- 
cédure; je  demande  donc  que  l'Assemblée  ne  rende  pas  un  décret  qui 
serait  un  préjugé  défavorable  contre  l'une  ou  l'autre  des  parties  inté- 
ressées »  (3). 

Le  Législateur  français,  t.  III,  8  août  1791,  p.  3. 

«  Le  régiment  des  chasseurs  de  Hainaut  a  été  requis  de  metlre  à 
exécution  les  ordres  de  la  municipalité  et  les  décrets  de  prise-de-corps. 
Voilà  à  quoi  se  bornent  toutes  les  vexations  tyranniques  que  M.  Ro- 
bertspierre  dit  avoir  été  exercées  par  ces  estimables  militaires.  A  cha- 
que fait  que  M.  le  rapporteur  énonçoit,  M.  Robertspierre  se  levoit,  et 
accusoit  le  rapport  d'infidélité.    M.    Muguet,   pour  toute  réponse,   pré- 


(2)  Texte  reproduit  dans  les  Ârch.  pari.,  XXIX,  238. 

(3)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,   IX,  333.   Bûchez  et  Roux 
ne  donnent  que  le  début,   jusqu'à  «  je  passe  à  l'examen...   ». 


LÉS    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  6Ô7 

sentoit  les  pièces  les  plus  probantes  à  l'appui  de  son  dire,  et  M.  Ro- 
bertspierre étoit  obligé  de  s'asseoir,  un  peu  confus  de  sa  méprise. 

«  Ce  débat  singulier  a  duré  pendant  tout  le  rapport,  toujours 
même  assertion  par  M.  Robertspierre,  toujours  même  réplique  par 
M.  Muguet,  qui  enfin  péniblement  arrivé  à  la  fin  de  son  rapport,  a 
proposé  de  décréter  que  le  président  de  l'assemblée  nationale  écriroit 
une  lettre  de  satisfaction  au  directoire  du  département  de  Seine-et- 
Marne  et  aux  chasseurs  de  Hainaut,  et  qu'au  surplus  le  tribunal  conti- 
nueroit  la  poursuite  des  délits  dont  il  s'agit. 

«  M.  Robertspierre  ne  vouloit,  ni  témoignage  de  satisfaction  >  ni 
procédure,  et  il  demandoit  tout  uniment  la  question  préalable  sur  la 
totalité  du  projet  du  décret;  mais  il  n'a  pas  même  été  appuyé,  et  le 
projet  de  décret  a  été  adopté  à  l'unanimité.  » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  8  août  1791,  p.  4. 

«  C'est  l'avis  du  comité,  ce  n'est  pas  celui  de  M.  Roberspierre, 
qui  les  avoit  si  grièvement  inculpés,  pour  ne  pas  dire  calomniés.  Il  s'ef- 
force de  se  justifier  personnellement;  il  prétend  qu'adopter  l'avis  du 
comité,  ce  seroit  préjuger  la  cause;  il  nie  les  faits  déduits  par  le  rappor- 
teur, en  pose  de  contraires,  et  demande  le  renvoi  du  procès  au  tribunal 
de  Melun.  Les  seules  tribunes  soldées,  qui  ont  dû  faire  serment  de 
fidélité  au  régent,  l'applaudissent  à  outrance. 

«  Le  rapporteur  réplique  et  confond  M.  Roberspierre.  Celui-ci, 
loin  de  se  reconnoître  vaincu,  et  de  s'envelopper  dans  la  confusion  dont 
il  venoit  d'être  couvert,  redouble  d'audace.  M.  Barnave  prend  la 
parole,  et  fait  voir  qu'il  n'est  pas  dans  la  question.  L'avis  du  comité 
est  converti  en  décret.   » 

Courier  de  Provence,  t.  XVI,  n°  327,  p.  220. 

«  M.  Robespierre,  constant  avocat  des  citoyens  de  Brie-Comte- 
Robert,  qui  n'étoient  que  malheureux  à  ses  yeux,  vouloit  que  l'assem- 
blée ne  préjugeât  rien  et  attendit  le  résultat  de  la  procédure.  En  effet, 
dit-il,  si  les  chasseurs  n'ont  fait  qu'exécuter  des  décrets  de  prise,  Us 
ne  sont  pas  coupable;  mais  on  les  accuse  d'avoir  traîner  en  prison  des 
citoyens,  sans  décret.  Ce  sont  des  faits  qui  ne  peuvent  être  vérifiés 
»  que  par  la  procédure.  » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXV,  n°   759,  p.   147. 

«  M.  Robespierre  se  levoit  contre  certaines  parties  du  rapport.  Le 
rapporteur  a  lu  plusieurs  pièces  qui  appuyoient  les  faits  qu'il  avançoit; 
et  le  débat  entre  le  rapporteur  et  lui  a  duré  quelque  temps... 

...«  M  Robespierre  a  réclamé  de  l'inconvenant  d'écrire  au  direc- 
toire et  aux  chasseurs;  il  ne  vouloit  pas  qu'on  continuât  non  plus  la 
procédure,  et  il  demandoit  la  question  préalable  sur  le  projet  de  décret 


608  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

du  comité  des  rapports  :  mais  l'assemblée  a  adopté  le  projet  de  décret 
unanimement   »   (4). 

L'Argus  patriote,  n°    19,   11   août  1791. 

«  M.  Robespierre  a  voulu  répliquer  à  M.  Muguet  de  Nanthou  ; 
mais  ses  efforts  n'ont  abouti  à  rien,  et  il  a  été  clairement  prouvé  par 
le  Rapporteur  que  M.  Robespierre  avait  mal  représenté  cette  affaire. 
Il  s'est  embarrassé  dans  sa  réplique.  Les  gens  sévères  ont  dit  qu'il  avait 
perdu  la  tête;  mais  ceux  qui  connaissent  M.  Robespierre  savent  que 
cela  est  impossible.   » 

Gazette  universelle,  1791,  n°  220,  p.  880. 

«  M.  Robespierre  qui  avait  fait  une  dénonciation  calomnieuse, 
puisqu'il  avoit  dénoncé  un  crime  qui  n'existoit  pas,  a  avoué  à  l'assem- 
blée qu'il  n'avait  été  que  l'interprète  de  quelques  habitans  de  Brie- 
Comte-Robert,  qui  lui  avaient  fait  croire  que  la  liberté  était  en  danger.  » 
Journal  des  Clubs,  t.  III,  n°  39,  p.  679. 

«  Le  régiment  des  chasseurs  de  Hainaut  a  été  chargé  de  mettre 
à  exécution  les  ordres  de  la  municipalité   et   les  décrets  de  prise  de 
corps.  Ce  sont  là  les  vexations  exercées  par  ces  estimables  militaires  et 
dénoncées  par  M.  Robespierre.  » 
Le  Babillard  du  Palais-Royal,  n°   41,  p.   7. 

«  Une  lettre  officielle  de  Melun  a  dénoncé  M.  Robespierre  comme 
auteur  des  troubles  qui  ont  agité  cette  ville.  Il  s'est  servi  des  factieux 
dont  la  fortune  délabrée  a  besoin  de  l'anarchie  pour  se  réparer.  Il  faut 
que  M.  Robespierre,  tout  inviolable  qu'il  est,  réponde  à  cette  accusa- 
tion positive  :  le  corps  législatif,  par  respect  pour  sa  dignité,  doit  lui 
en  imposer  l'obligation.  Ce  député  pense  peut-être,  avec  M.  Rœderer, 
que  la  perfection  de  la  morale  publique  exige  que  l'honneur  soit  désho- 
noré :  mais  ce  principe  qui  convient,  sans  doute,  aux  intérêts  de  ceux 
qui  l'adoptent,  ne  doit  pas  diriger  l'assemblée  nationale,  et  M.  Robes- 
pierre, s'il  ne  parvient  pas  à  se  justifier,  doit  en  être  chassé  comme  un 
vil  factieux.   » 

Le  Défenseur  du  Peuple,  n°  XI,  p.  4. 

«  Si  l'on  compare  le  discours  de  M.  Barnave  et  celui  de  M.  Ro- 
berspierre,  on  y  trouve  la  différence  du  blanc  au  noir;  il  paraît  que 
M.  le  député  d'Arras  s'est  brouillé  avec  l'exactitude,  et  que  le  plaisir 
qu'il  trouve  à  dénoncer,  vertu  dont  il  est  un  des  auteurs,  l'entraîne 
fort  au  delà  du  vrai;  mais  les  plumes  à  ses  ordres,  ont  un  mensonge  tout 
prêt  pour  le  disculper.  On  vous  a  dit  que  c'est  «  M.  Le  Grand,  léger 
accusateur  public,  qui  a  inculpé  les  Chasseurs  en  garnison  à  Brie-Comte- 
Robert  et  la  municipalité  »  ;  non,  c'est  le  grave  Roberspierre  qui,  gra- 


(4)  Cité  par  E.   Hamel,   I;   535 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  609 

vement,  a  reçu  sur  ce  fait  le  démenti  le  plus  formel  de  la  part  du  dépar- 
tement qui   ne   Ta  pas  jugé   irréprochable.    » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Assemblée  nationale, 
Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XIII,  n°  733,  p.  3;  Le  Courrier  des 
LXXXIII  départemens,  t.  XXVII,  n°  8,  p.  127;  Le  Lendemain,  n°  130; 
La  Chronique  de  Paris,  t.  V,  n°   220,  p.   889.] 


331.  —  SEANCE  DU  8  AOUT  1791 
Sur  le  mode  de  discussion  du  projet  de  Constitution 


Thouret,  au  nom  des  comités  de  ■constitution  et  de  révision,  pré- 
sente à  l'Assemblée  un  rapport  sur  la  révision  de  l'acte  constitu- 
tionnel. Le  Chapelier  précise  que  l'Assemblée  n'a  jamais  entendu  par 
<<;  révision  »,  le  «  changement  »  de  la  Constitution  :  il  ,ne  s'agit  que  de 
rassembler  l'ensemble  des  décrets  constitutionnels  et  de  les  classer 
«  dans  l'ordre  le  plus  méthodique  »,  Il  demande  à  l'Assemblée  de 
voter  sur  cette  proposition  et  d'interdire  toute  critique  générale. 

Un  vif  débat  s'engage  sur  cette  motion,  les  députés  de  la  partie 
droite  protestant  contre  ce  mode  de  discussion.  Finalement,  l'As- 
semblée décide  d'adopter  le  mode  de  classification  proposé  par  les 
comités.  Aussitôt  ia  discussion  s'établit  sur  la  disposition  des  articles 
qui  composent  la  Déclaration  des  droits  de  l'homme. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXXI,  p.  259 

«  M.  Robespierre.  L'objet  de  la  délibération  n'étant  point  de 
changer  ni  d'altérer  la  constitution  d'aucune  manière;  mais  au  contraire 
de  la  déclarer  et  de  la  déterminer  d'une  manière  nette...  (1). 

«  M.  Lavie.  La  question  est  connue,  je  demande  que  l'on  passe 
à  la  délibération. 

«  M.  Robespierre.  Pour  accélérer  la  délibération,  il  faut,  ce  me 
semble,  qu'il  soit  bien  établi  que  la  délibération  a  pour  objet  non  seule- 
ment d'examiner  si  tel  ou  tel  article  est  ou  non  constitutionnel,  mais 
encore  de  regarder  comme  constitutionnel  tout  article  qui  est  relatif  à  la 
distribution  des  pouvoirs  et  qui  fixe  la  forme  du  gouvernement.  (Plusieurs 
membres  :  l'ordre  du  jour). 

«  M.  Lavie.  Ce  sont  des  phrases  que  cela. 

«  M.  Treilhard.  La  motion  est  faite  de  passer  à  l'ordre  du  jour. 
Monsieur  le  Président,  mettez-la  aux  voix;  tout  le  monde  le  demande. 

«  M.  Robespierre..  Je  demande  que  l'on  discute  le  projet  sous  ce 
point  de  vue  »  (2). 
Gazette  nationale  ou  Extrait...,  t.  XVIII,  p.  412. 

«  M.  Robespierre  a  dit  qu'il  ne  s'agissoit  pas  de  discuter  dans  ce 


11)  D'après  Barère,  Robespierre  se  serait  levé  pour  combattre 
la  motion  soutenue  par.  Malouet  et  Durai  d'Esprémenil  qui^  tondait 
a  remettre  en  question  -la  forme  du  gouvernement.  Il  s'agissait 
donc,  pour  Robespierre,  de  déjouer  cette  manœuvre  en  déclarant 
qu'à    cet   égard   le   texte  de   la  Constitution   était   intangible. 

(2)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.   pari.,   XXIX,  2Q6. 


610  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

moment  la  constitution  décrétée,  mais  oie  proposer  les  articles  et  le» 
changemens  qu'on  croira  nécessaires.  Il  n'y  a  d'articles  vraiment  cons- 
titutionnels que  ceux  qui  dérivent  de  la  souveraineté  du  peuple  et  de  la 
déclaration  des  droits  de  l'homme.  On  a  demandé  de  passer  à  l'ordre 
du  jour,  et  de  décréter  que  l'on  s'occuperoit  d'abord  de  la  méthode  pro- 
posée par  les  comités.  » 

[Brève    mention    de    cette    intervention    dans    Le    Point    du   Jour, 
t.  XXV,  n°   761,  p.    179.] 


322.  —  SEANCE  DU  10  AOUT  1791 
Discussion  du  projet  de  Constitution 


1 re  intervention  :  Sur  le  rôle  des  officiers  municipaux 

La  discussion  sur  la  révision  de  l'acte  constitutionnel  reprend 
à  propos  du  titre  II  relatif  à  la  division  du  royaume  et  à  l'état  des 
citoyens.  Un  certain  nombre  d'articles  sont  votés,  après  un  débat 
rapide.  Hobespierre  intervient  à  propos  de  l'art.  8  qui,  malgré  ses 
observations,  est  aaopté  sous  la  rédaction  proposée  par  le  rappor- 
teur :  «  Les  citoyens  qui  composent  chaque  commune  ont  le  droit 
d'élire  à  temps,  suivant  les  formes  déterminées  par  la  loi,  ceux 
d'entre  eux  qui,  sous  le  titre  d'officiers  municipaux,  sont  chargés  de 
gérer   les   affaires   particulières  de   la  commune. 

((  Il  pourra  être  délégué  aux  officiers  municipaux  quelques  fonc- 
tions  relatives   à  l'intérêt  général  de  l'Etat  ». 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXXI,  p.  315 
«  M.  Robespierre.  Messieurs,  les  officiers  municipaux  n'avoient 
point  été  institués  dans  le  principe  de  cette  manière  :  ils  tenoient  un 
rang  dans  l'ordre  politique;  ils  étoient  le  premier  degré  de  ce  qu'on 
appelloit  le  pouvoir  administratif,  et  par  là,  ils  étoient  incontestablement 
chargés  des  fonctions  publiques,  et  ressortissoient  sous  ce  rapport  aux 
districts  et  aux  départemens.  Ils  exercent  encore  actuellement  ces  fonc- 
tions. Cependant,  cet  article,  en  disant  qu'il  pourra  être  délégué  aux 
officiers  municipaux  quelques  fonctions  relatives  à  l'intérêt  général  de 
l'état,  détruit  évidemment  cette  constitution  des  municipalités  :  l'assem- 
blée ne  peut  donc  pas  adopter  un  amendement  aussi  important  sans 
avoir  examiné  la  question  qu'on  préjuge  ici,  c'est-à-dire  si  on  changera 
ou  si  on  détruira  la  constitution  primitive  des  municipalités.  Je  conclus 
qu'on  ne  peut  pas  adopter  le  dernier  paragraphe  »  (1). 
Journal  des  Débats,  n°  811,  p.  8. 
Gazette  nationale  ou  Extrait...,  t.  XIX,  p.  8. 

«  M-  Robespierre  s'est  élevé  contre  une  disposition  de  l'article 
VIII,  qui  porte:  Il  pourra  être  délégué  aux  Officiers  municipaux  quel- 
ques fonctions  relatives  à  l'intérêt  général  de  l'Etat.  Les  Officiers  mu- 


(1)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXIX,  322. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  61  I 

nicipaux,  a  dit  M.  Robespierre,  n'ont  pas  été  institués  de  cette  ma- 
nière :  ils  tiennent  le  premier  degré  dans  le  système  administratif. 
Cette  disposition  préjuge  donc  une  question  que  nous  n'avons  pas  à 
examiner  ici,  celle  de  savoir  si  on  ehangera  le  régime  municipal  adopté 
par  l'Assemblée  Nationale;  cet  article  est  donc  contraire  aux  principes 
de  la  liberté,  et  à  ceux  de  la  Constitution  même.  L'observation  de 
M.  Robespierre  n'a  pas  été  appuyée.  » 


2°  intervention  :  Sur  les  principes  de  la  souveraineté 

Thouret  donne  lecture  à  l'Assemblée  du  titre  III  de  l'acte 
•constitutionnel,    relatif  aux  pouvoirs   publics  : 

«  Art.  1.  La  souveraineté  est  une,  indivisible  et  appartient  à  la 
nation;  aucune  section'  du  peuple  ne  peut  s'en  attribuer  l'exercice. 

<(  2.  La  nation,  de  qui  seule  émanent  tous  les  pouvoirs,  ne  peut 
les  exercer  que  par  délégation.  La  Constitution  française  est  repré- 
sentative; les   représentants   sont  le  corps   législatif  et  le   roi. 

«  3.  Le  pouvoir  législatif  est  délégué  à  une  assemblée  nationale, 
composée  de  représentants  temporaires,  librement  élus  par  le  peu- 
pie,  pour  être  exercé  par  elle,  avec  la  sanction  du  roi... 

«  4.  Le  gouvernement  est  monarchique;  le  pouvoir  exécutif  est 
délégué  au  roi,  pour  être  exercé  sous  son  autorité,  par  des  ministres 
et  autres  agents  responsables. 

«  5.  Le  pouvoir  judiciaire  est  délégué  à  des  juges  élus  à  temps 
par  le  peuple.  » 

Boederer  intervient  le  premier  dans  le  débat.  Il  propose  une 
rédaction  nouvelle  des  articles  2,   3  et  4  : 

«  2.  La  nation  ne  peut  exercer  elle-même  sa  souveraineté  ;  elle 
institue,  pour  cet  effet,  un  pourvoir  représentatif  et  un  pouvoir 
commis... 

«  8.  Le  pouvoir  législatif  est  essentiellement  représentatif;  il 
est  délégué  à  des  représentants  temporaires  librement  élus  par  le 
peuple. 

ici  4.  Le  pouvoir  exécutif  est  essentiellement  commis.  La  partie 
éminente  et  suprême  du  pouvoir  exécutif  sera  exercée  par  le  roi.  Les 
fonctions  administratives  supérieures  sont  déléguées  à  des  représen- 
tants élus  par  le  peuple.  » 

Robespierre  prend  la  parole  après  Hœderer.  Thouret,  pour  met- 
tre de  la  clarté  dans  la  discussion,  demande  à  l'Assemblée  de  déli- 
bérer d'abord  sur  l'art.  1.  Pétion  propose  qu'après  les  mots  «  la 
souveraineté  est  une  et  indivisible  »,  il  soit  ajouté  «  et  inaliénable  ». 
Thouret  estime  qu'il  vaudrait  mieux  «  imprescriptible  »>  qu'  «  alié- 
nable ».  Buzot  demande  que  les  deux  mots  «  imprescriptible  »  et 
«  inaliénable  »  soient  insérés  dans  l'article. 

Finalement,  les  deux  premiers  articles  du  projet  furent  fondus 
en  un  seul,  que  l'Assemblée  adopta  sous  cette  rédaction  :  «  La  souve- 
raineté est  une,  indivisible,  inaliénable  et  imprescriptible  ;  elle  appar- 
tient à  la  nation  ;  aucune  section  du  peuple,  ni  aucun  individix  ne 
peut  s'en  attribuer  l'exercice;  mais  la  nation,  de  qui  émanent  tous 
les  pouvoirs,  ne  peut  l«s  ex-ercur  que  par  d#é,gatio»   ». 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logo  graphique,  t.  XXXI,  p.  321 

«  M.  le  Prés'dent    M.  Robespierre  a  la  parole  (ah  !  ah  !). 

«  M.  Robespierre.  11  y  a  dans  l'opinion  de  M.  Rœderer  beaucoup 


612  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

de  principes  vrais  et  auxquels  il  seroit  difficile  de  répliquer  d'après  vos 
principes.  Cependant,  ce  n'est  pas  sur  cet  objet  principalement  que  je 
me  propose  d'insister,  je  crois  qu'il  y  a  dans  le  titre  soumis  à  votre 
délibération  beaucoup  d'expressions  équivoques  et  de  mots  qui  altèrent 
le  véritable  sens  et  l'esprit  .de  votre  constitution.  C'est  pour  rectifier 
ces  mots  et  pour  rendre  d'une  manière  claire  les  principes  de  votre 
constitution  que  je  vous  supplie  d'écouter  avec  patience  quelques  prin- 
cipes dont  le  développement  ne  sera  pas  long.  Je  commence  par  le  pre- 
mier article.  (Il  le  lit).  J'ajoute  que  la  souveraineté  est  inaliénable.  Le 
pouvoir  ne  peut  être  ni  aliéné  ni  délégué.  Si  l'on  pouvoit  déléguer  les 
pouvoirs  en  détail,  il  s'ensuivrait  que  la  souveraineté  ne  pourrait  être 
déléguée,  puisque  ses  pouvoirs  ne  sont  autre  chose  que  les  diverses 
parfies  essentielles  et  constitutives  de  la  souveraineté  :  et  alors  remar- 
quez que  contre  vos  propres  intentions,  vous  décréteriez  que  la  nation 
a  aliéné  sa  souveraineté  (2).  Car  remarquez  bien  que  la  délégation  pro- 
posée par  le  comité  est  une  délégation  perpétuelle,  et  que  le  comité  ne 
laisse  à  la  nation  aucun  moyen  constitutionnel  d'exprimer  une  seule  fois 
sa  volonté  sur  ce  que  ses  mandataires  et  ses  délégués  auront  fait  en 
son  nom.  Il  n'est  pas  même  question  de  Convention  dans  tout  le  projet, 
de  manière  que  la  délégation  des  trois  pouvoirs  consfitutifs  seroit, 
d'après  le  projet  du  comité,  l'aliénation  de  la  souveraineté  elle-même. 
J'observe  en  particulier  que  rien  n'est  plus  contraire  aux  droits  de  la 
nation  que  l'article  3  qui  concerne  le  pouvoir  législatif. 

«  Permettez-moi  de  vous  citer  ici  l'autorité  d'un  homme  dont 
vous  adoptez  les  principes,  puisque  vous  lui  avez  décerné  une  statue, 
à  cause  de  ces  principes-là  et  à  cause  du  livre  que  je  vais  citer.  Jean- 
Jacques  Rousseau  a  dit  que  le  pouvoir  législatif  constituoit  l'essence 
de  la  souveraineté,  parce  qu'il  étoit  la  volonté  générale,  qui  est  la 
source  de  tous  les  pouvoirs  délégués  :  et  c'est  dans  ce  sens  que  Rousseau 
a  dit  que  lorsqu'une  nation  déléguoit  ses  pouvoirs  à  ses  représentans, 
la  nation  n'étoit  plus  libre  et  qu'elle  n'existoit  plus.  Et  remarquez 
comme  on  vous  fait  déléguer  le  pouvoir  législatif,  à  qui  ?  non  pas  à  des 
représentans  élus  périodiquement  et  à  de  courts  intervalles,  mais  à  un 
fonctionnaire  public  héréditaire,  au  roi.  Car  d'après  l'article  du  comité, 
le  roi  partage  véritablement  le  pouvoir  législatif;  et  j'observe  qu'il  a, 
dans  le  pouvoir  législatif,  une  portion  plus  grande  que  celle  des  repré- 
sentans de  la  nation,  puisque  sa  volonté  seule  peut  paralyser  seule  pen- 
dant quatre  ans  la  volonté  de  deux  législatures.  Votre  constitution,  vos 
premiers  décrets  ne  portoient  pas  et  vous  n'avez  pas  entendu  que  le  roi 


i(2)  'Cf.  Projet  de  la  constitution  française  de  1791,  notes  manus- 
crites .et  médites  de  Robespierre,  publiées  par  les  soins  du  docteur 
E  Tardif,  Aix,  1894  (B.N.  Le3  324);  Note  sur  l'art.  2:  «  On  fait 
plus,  on  anéantit  la  souveraineté  même;  aucune  section  du  peuple; 
le  peuple  s'en  attribue  l'exercice  quand  il  dit:  la  nation  ne  peut  les 
exercer  que  par  délégation.  Remarquez  bien  que  ce  sont  vos  comi- 
tés qui  ont  violé  la  constitution  et  moi  qui  la  défends  ». 


LES  DISCOURS   PB  ROBESPIERRE  613 

faisoit  partie  du  pouvoir  législatif.  Le  veto  suspensif  accordé  au  roi  ne 
fut  jamais  regardé  que  comme  un  moyen  de  prévenir  les  funestes  effets 
des  délibérations  précipitées  du  corps  législatif,  et  ne  fut  considéré  que 
comme  un  appel  au  peuple.  Mais  il  a  toujours  été  reconnu  que  l'exer- 
cice du  pouvoir  législatif  résidoit  essentiellement  et  uniquement  dans 
l'assemblée  nationale.  Le  roi  ne  fut  jamais  regardé  comme  partie  inté- 
grante du  pouvoir  législatif,  et  on  ne  peut  supposer  ceci  dans  la  rédac- 
tion du  comité  sans  anéantir  les  premiers  principes  de  la  constitution  (3). 

«  Qu'il  me  soit  permis  de  lier  cette  idée  aux  principes  développés 
par  M.  Roederer;  M.  Roederer  vous  a  dit  une  vérité  qui  n'a  pas  même* 
besoin  de  preuves.  C'est  que  le  roi  n'étoit  pas  le  représentant  de  la 
nation,  et  que  l'idée  de  représentant  supposoit  nécessairement  un  choix 
par  le  peuple,  et  vous  avez  déclaré  la  couronne  héréditaire.  Le  roi  n'est 
donc  pas  représentant  du  peuple.  Le  hasard  seul  vous  le  donne  et  non 
votre  choix.  M.  Roederer  vous  a  dit,  avec  raison,  qu'il  ne  falloit  pas 
donner  au  roi  seul  cette  prérogative,  ou  qu'il  falloit  la  donner  à  tous 
les  fonctionnaires  publics.  Si  l'on  entend  par  représentant,  celui  qui 
exerce  une  fonction  publique  au  nom  de  la  nation,  si  le  titre  de  repré- 
sentant a  quelque  chose  de  relatif  à  la  nomination  du  peuple,  certes,  le 
roi  n'a  pas  ce  caractère,  ou  les  autres  ne  l'ont  pas.  Il  est  évident  qu'on 
ne  peut  lui  appliquer  la  qualité  de  représentant  :  mais  ce  qu'il  est  impor- 
tant de  remarquer,  c'est  la  conséquence  immédiate  de  cette  idée  de 
représentant.  Pourquoi  veut-on  investir  le  roi  du  titre  de  représentant 
héréditaire  de  la  nation  ?  Voilà,  messieurs,  une  partie  des  atteintes  que 
l'on  porte  à  la  constitution  par  la  rédaction  du  comité. 

«  Il  est  dit  dans  deux  articles  de  la  constitution  :  aucune  section 
du  peuple,  etc..  J'adopte  bien  le  véritable  sens  que  l'on  doit  exprimer 
par  ces  mots  :  mais  je  dis  qu'il  faut  éclaircir  les  mots  équivoques  :  on 
ne  peut  pas  dire  d'une  manière  absolue  et  illimitée  qu'aucune  section 
du  peuple  ne  peut  s'attribuer  l'exercice  de  la  souveraineté;  il  est  bien 
vrai  encore  qu'aucune  section  du  peuple  en  aucun  tems  ne  pourra  pré- 
tendre qu'elle  exerce  les  droits  du  peuple  tout  entier;  mais  il  n'est  pas 
vrai  que  dans  aucun  cas  et  pour  toujours  aucune  section  du  peuple  ne 
pourra  exercer,  pour  ce  qui  la  concerne,  un  acte  de  la  souveraineté. 
(Ah!  ah!  ah!).  Je  m'explique,  c'est  d'après  vos  décrets  que  je  parle. 
N'est-il  pas  vrai  que  le  choix  des  représentans  du  peuple  est  un  acte  de 
la  souveraineté  ?  N'est-il  pas  vrai  même  que  les  députés  élus  pour  une 
contrée  sont  les  députés  de  la  nation  entière.  Ne  résulte-t-il  pas  de  ces 
deux  faits  incontestables  que  des  sections  exercent  pour  ce  qui  les  con- 
cerne partiellement  un  acte  de  la  souveraineté?  (Ah!  ah!).  Il  est  irnpos- 


<3)  Cf.  Projet...  op.  cit.  Note  sur  .l'art.  3:  «  Remarquez,  je  vous 
»rie,  que  le  pouvoir  législatif  ne  peut  être  délégué  de  cette  manière, 
ar  il  est  l'essence  même  de  la  souveraineté  (Rousseau).  Il  n  v 
uirait  plus  même  l'ombre  de  volonté  générale,  puisque  l'on  suppose 
ci  que  le  Roi  partage  cette  délégation  du  pouvoir  législatif  ». 


614  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

sible  de  prétendre,  comme  on  l'a  fait,  que  la  nation  étoit  obligée  de 
déléguer  toutes  les  autorités,  toutes  les  fonctions  publiques;  qu'il  n'y 
avoit  aucune  manière  d'en  retenir  aucune  partie  sans  aucune  modifica- 
tion que  ce  soit. 

«  Je  n'examine  pas  un  système  que  l'assemblée  a  décrété,  mais 
je  dis  que  dans  le  système  de  la  constitution,  on  ne  peut  point  rédiger 
l'article  de  cette  manière;  on  ne  peut  dire  que  la  nation  ne  peut  exercer 
ses  pouvoirs  que  par  délégation;  on  ne  peut  pas  dire  qu'il  y  ait  «h  droit 
que  la  nation  n'ait  point.  On  peut  bien  régler  qu'elle  n'en  usera  pas, 
mais  on  ne  peut  pas  dire  qu'il  existe  un  droit  dont  la  nation  ne  peut  pas 
user  si  elle  le  veut. 

«  Je  reviens  aux  principes  de  toutes  les  observations  que  je  viens  de 
vous  faire;  je  dis  qu'il  résulte  de  l'article  du  comité,  que  la  nation 
déléguerait  ses  pouvoirs,  le  pouvoir  souverain  qui  est  unique  et  indivi- 
sible, en  déléguant  à  perpétuité  chaque  partie  du  pouvoir.  Je  dis  que  ce 
titre  blesse  encore  les  premiers  principes  de  la  constitution  en  présentant 
le  roi  comme  un  représentant  héréditaire  qui  exerce  le  pouvoir  législatif 
conjointement  avec  les  véritables  représentans  du  peuple.  Je  demande 
en  conséquence  qu'au  mot  pouvoir  soit  substitué  celui  fonction.  Je  de- 
mande que  le  roi  soit  appelle  le  premier  fonctionnaire  public,  le  chef 
du  pouvoir  exécutif,  mais  point  du  tout  le  représentant  de  la  nation: 
je  demande  qu'il  soit  exDrimé  d'une  manière  bien  claire  que  le  droit  de 
faire  les  actes  de  la  législation  appartient  uniquement  aux  représentans 
élus  par  le  peuple. 

«  M.  Thouret.  L'assemblée  vient  d'entendre  que  par  l'idée  de 
l'inaliénabilité  de  la  souveraineté,  le  préopinant  entendoi^  que  la  nation 
ne  pouvoit  pas  déléguer  ses  pouvoirs. 

«  M.  Péthîon.  Ce  n'est  pas  cela. 

«  Plusieurs  voix.  Il  n'a  pas  dit  cela  (bruit). 

«  M.  Thouret.  Cela  a  été  dit  par  un  des  préopinans.  Je  dis  que 
M.  Robespierre  l'a  soutenu. 

«  M.  Robespierre.  Je  n'ai  point  dit  cela  (murmures).  J'ai  dit  sim- 
plement que  la  nation  ne  pouvoit  pas  déléguer  ses  pouvoirs  à  perpétuité 
dans  le  sens  du  comité,   ce  qui  est  une  aliénation  »  (4). 
Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  223,  p.  923. 

«  M.  Roberspierre.  11  me  semble  qu'il  y  a  dans  l'ooinion  de 
M.  Rcederer  beaucoup  de  principes  vrais  et  auxquels  il  est  difficile  de 
répliauer.  Cependant,  ce  n'est  pas  sur  cet  objet  que  je  me  propose 
d'insister.  Il  y  a  dans  le  titre  qui  est  soumis  à  votre  délibération,  beau- 
coup de  mots  et  d'expressions  équivoques,  qui  me  paraissent  altérer 
d'une  manière  dangereuse  votre  constitution.  Il  y  est  dit  que  la  nation 
ne  peut  exercer  ses  Douvoirs  que  par  délégation.  Or,  je  soutiens  que  les 
dirTérens  pouvoirs  de  la  nation  ne  sont  autre  chose  que  les  partie?  consti- 

(4)  Texte  reproduit  dans  les  Aroh.  pari.,  XXIX,  326. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  615 

tutives  de  la   souveraineté;   et   comme   la   souveraineté   est   inaltérable, 
ces  pouvoirs  sont  aussi  indélégables. 

«  Les  pouvoirs  doivent  être  bien  distingués  des  fondions  ;  les  pre- 
miers ne  peuvent  ni  être  aliénés  ni  délégués,  puisqu'ils  constituent  la 
souveraineté;  et  si  vous  déclarez  qu'ils  sont  délégables,  il  vaudrait 
autant,  comme  l'a  proposé  M.  Malouet,  que  la  nation  déléguât  en  masse 
la  souveraineté:  c'est  pour  réaliser  ce  système,  sans  doute,  qu'il  n'est 
nullement  question  dans  ce  projet  de  constitution  des  conventions  natio- 
nales; permettez-moi  de  vous  citer  un  homme,  dont  le  témoignage  ne 
sera  pas  suspect,  puisque  vous  lui  avez  décerné  une  statue  précisément 
pour  l'ouvrage  dont  je  parle.  J.-J.  Rousseau  a  dit  que  le  pouvoir  légis- 
latif constituait  l'essence  de  la  souveraineté,  puisqu'il  était  la  volonté 
générale,  et  que  la  souveraineté  est  la  source  de  tous  les  pouvoirs  délé- 
gués, et  en  parlant  du  gouvernement  représentatif,  absolu;  gouverne- 
ment tel  que  les  Comités  paroissent  vouloir  l'introduire,  et  auquel  je 
préférerais  le  despotisme,  il  le  dépeint  sous  les  couleurs  odieuses  qu'il 
mérite,  en  disant  que,  sous  un  pareil  gouvernement,  la  nation  n'est 
plus  libre,   et  n'existe  plus. 

«  Le  préopinant  vous  a  dit  avec  raison  que  le  roi  ne  devait  point 
avoir  le  titre  de  représentant  de  la  nation.  En  effet,  le  pouvoir  légis- 
latif seul  a  la  proposition  et  la  confection  de  la  loi,  sauf  une  espèce  de 
remède  ou  une  ressource  que  l'on  a  cru  devoir  donner  au  peuple  en 
conférant  au  roi  le  pouvoir  de  la  sanction  »  (5). 
Journal  des  Débats,  n°  811,  p.  10-12. 
Gazette  nationale  ou  Extrait...,  t.  XIX,  p.   10. 

«  M.  Robespierre  a  demandé  la  parole  :  Il  me  semble,  a-t-il  dit, 
qu'il  y  a,  dans  l'opinion  de  M.  Rcederer,  beaucoup  d'observations 
justes;  je  crois  devoir  y  en  ajouter  quelques  autres,  et  je  supplie  l'As- 
semblée d'écouter  avec  patience  la  déduction  des  pyncipes  que  je  vais 
lui  soumettre. 

«  Le  premier  article  commence  par  ces  mots  :  la  souveraineté  est 
une,  indivisible  :  je  demande  que  l'on  ajoute  inaliénable.  Ce  qu'on 
appelle  ici  les  différens  pouvoirs,  ne  sont  autre  chose  que  des  fonctions 
déléguées.  Le  pouvoir  doit  être  distingué  des  fonctions  publiques;  il 
réside  essentiellement  dans  la  Nation:  il  ne  peut  être  délégué;  il  est 
inaliénable  :  les  Comités  ne  laissent  à  la  Nation  aucun  moyen  d'exercer 
la  souveraineté;  il  n'est  pas  même  question  de  Conventions  nationales 
dans  tout  l'acte  constitutionnel. 

((  Permettez-moi  de  vous  citer  l'autorité  d'un  homme  dont  vous 
avez  honoré  la  mémoire,  et  dont  vous  avouerez  les  principes. 

«  J.-J.  Rousseau  a  dit  que  le  Pouvoir  législatif  constitue  la  souve-  . 
raineté;  et  en  s'expliquant  sur  la  nature  des  Gouvernemens  représenta- 


(5)  Texte    reproduit   dans    le    Moniteur,    IX,    362;    et    Bûcher    et 
Roux,  XI,  265. 


616  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

tifs,  il  dit  que  lorsque  la  Nation  délègue  ce  pouvoir  tout  entier  à  des 
Représentans,  elle  n'est  plus  libre. 

«  Enfin,  quelle  trace  de  souveraineté  reste-t-il  à  la  Nation  lors- 
qu'elle délègue  son  pouvoir  à  un  représentant  héréditaire,  lorsqu'elle 
lui  donne  la  plus  grande  portion  dans  le  pouvoir  législatif,  puisque  seul, 
par  sa  volonté,  il  peut,  pendant  quatre  ans,  paralyser  la  volonté  du 
Corps  législatif?  (Il  s'est  élevé  des  murmures).  C'est  moi,  a  repris 
M.  Robespierre,  qui  défends  la  Constitution. 

«  Ma  dernière  observation  porte  sur  ces  mots  :  aucune  section  du 
Peuple  ne  peut  s'en  attribuer  l'exercice.  J'avoue  le  principe  en  ce  sens, 
qu'une  section  ne  peut  pas  s'attribuer  l'autorité  au  nom  de  tous;  mais 
elle  peut  exercer  particulièrement,  pour  ce  qui  la  concerne,  un  acte 
de  souveraineté.  (Quelqu'un  a  dit  :  vous  perdez  la  tête).  Une  section, 
a  repris  M.  Robespierre,  n'exerce-t-elle  pas,  dans  les  principes  d?.  la 
Constitution,  un  acte  de  souveraineté  quand  elle  élit  ? 

ï  •■••! 

«  M.  Thourel  a  représenté  que  dans  une  matière  aussi  grave,  il 
falloit  peser  avec  soin  toutes  les  expressions,  et  n'en  employer  aucune 
qui  pût  prêter  à  l'arbitraire.  Il  paroît  que  M.  Robespierre  attache  au 
mot  d'inaliénable  cette  idée,  que  la  Nation  ne  peut  pas  déléguer  les 
pouvoirs. 

«  J'ai  dit,  a  répondu  M.  Robespierre,  que  la  Nation  ne  pou  voit 
pas  déléguer  les  pouvoirs  à  perpétuité.  » 

Mercure  de  France,  20  août  1791,  p.  226. 

«  En  louant  la  justesse  des  idées  de  M.  Rœderer,  M.  Roberspierre 
s'est  offert  à  y  en  joindre  d'autres  aussi  justes,  pour  la  déduction  des- 
quelles il  n'a  réclamé  que  la  patience  de  l'Assemblée.  Un  article  por- 
toit  :  «  La  souveraineté  est  une  et  indivisible  ».  Il  a  voulu  qu'on  y 
ajoutât  :  et  inaliénable.  Nous  ne  le  suivrons  pas  dans  sa  théorie.  Le 
pouvoir  ne  peut  être  aliéné  ;  la  délégation  qu'on  propose  est  perpétuelle  ; 
il  n'est  pas  même  parlé  de  convention  dans  tout  le  projet  d'acte;  c'est 
une  véritable  aliénation  de  la  souveraineté;  rien  de  plus  contraire  aux 
droits  de  la  nation  que  l'article  même  qui  concerne  le  pouvoir  législatif  ;  * 
ainsi  rien  de  plus  funeste  à  la  nation  que  la  constitution.  Regarder  le 
Roi  comme  représentant,  comme  partie  du  pouvoir  législatif,  c'étoit 
anéantir  la  constitution,  en  faire  une  autre,  se  parjurer,  sacrifier  la 
liberté  du   peuple... 

«  Aucune  section  du  peuple,  disoit  l'article,  ne  peut  s'attribuer 
l'exercice  de  la  souveraineté  ».  M.  Roberspierre  s'est  efforcé  de  prou- 
ver le  contraire;  et  l'on  est  réduit  à  l'avouer,  quelques  paradoxes  érigés 
en  principes  depuis  deux  ans,  lui  donnoient  assez  beau  jeu  pour  qu'on 
ne  pût  lui  disputer  la  rigueur  des  conséquences.  Le  choix  des  repré- 
sentans du  peuple  est  un  acte  de  la  souveraineté,  disoit-il.  N'est-il  pas 
vrai  même  que  les  députés  élus  pour  une  contrée  sont  les  députés  de 


LES    DISCOURS    DE~  ROBESPIERRE  617 

la  nation  entière  ?  Ne  résulte-t-il  pas  de  ces  faits  incontestables  que  des 
'sections  exercent  pour  ce  qui  les  concerne  partiellement,  un  acte  de  la 
souveraineté  ?  On  ne  lui  a  répondu  que  par  des  ah  !  ah  !  ;  au  mot  faits 
qu'on  substitue  le  mot  décrets,  ils  seront  réellement  incontestables,  et 
les  auteurs  de  ceux-ci  n'auront  rien  de  meilleur  à  lui  répondre  que  des 
ah!  ah!  » 
L'Ami  du  Roi  (Mont joie),  1 1  août  1791,  p.  892. 

«  M.  Robespierre,  après  avoir  vivement  appuyé  cette  folie,  s'est 
attaché  aux  mots,  la  souveraineté  est  une  et  indivisible.  Ils  lui  ont  paru 
insuffisans;  il  a  craint  qu'un  jour  le  peuple  n'augmentât  le  pouvoir  du 
roi,  et  ne  se  démît,  en  sa  faveur,  de  sa  souveraineté;  il  a  conclu  à  ce 
qu'on  changeât  ainsi  l'article  :  La  souveraineté  est  une,  indivisible  et 
inaliénable.  M.  Robespierre  a  demandé  également  que  l'on  retranchât 
la  seconde  partie  de  l'article,  prétendant  qu'une  seule  section  du  peuple 
pouvoit  s'attribuer  l'exercice  de  la  souveraineté. 

«  Cette  seconde  observation  n'a  pas  fait  fortune;  quant  à  la  pre- 
mière, M.  Thouret  lui  a  objecté  que  l'addition  étoit  inutile,  en  ce  que, 
a-t-il  dit,  toute  souveraineté  est  par  sa  nature  même  inaliénable  :  mais 
M.  Robespierre  ayant  insisté,  et  l'assemblée  paraissant  être  de  son  avis, 
M.  Thouret  a  proposé  de  substituer  au  mot  inaliénable  le  mot  impres- 
criptible. » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Les  Annales  patriotiques 
et  littéraires,  n°  678,  p.  1802;  Le  Babillard,  n°  59,  p.J26;  La  Feuille 
du  Jour,  t.  V,  n°  224,  p.  338;  Le  Journal  général  de  l'Europe,  p.  161  ; 
Le  Courrier  des  LXXXIII  départemens,  t.  XXVII,  n°  12,  p.  188;  Le 
Patriote  françois,  n°  732,  p.  171;  Le  Législateur  français,  t.  III,  11 
août  1791,  p.  5;  La  Gazette  universelle,  n°  223,  p.  892;  Le  Courier 
de  Provence,  t.  XVI,  n°  328,  p.  243;  Le  Point  du  Jour,  t.  XXV, 
n°  762,  p.  205;  Le  Mercure  universel,  t.  VI,  p.  172;  Le  Pacquebot, 
n°    191,    H    août    1791.1 


333.  —  SEANCE  DU  11  AOUT  1791 

Discussion  du  projet  de  Constitution  (su/te) 

Sur  le  marc  d'argent  et  sur  le  cens  électoral  (1) 


L'Assemblée  poursuit  la  discussion  du  titre  III  de  l'acte  consti- 
tutionnel,  relatif  à  l'organisation  des  pouvoirs  publics,  A  la  fin   de 


(1)  Cf.  ci-dessus  discours  imprimé:  «  Sur  la  nécessité  de  révo- 
quer les  décrets  qui  attachent  l'exercice  de»  droits  du  citoyen  et  la 
contribution  du  marc  d'argent...  »  <n°  249).  On  a  ou  que  ce  dernier 
discours  avait  été  prononcé  le  11  août  1791,  mais  on  remarque  en  le 
comparant  aux  extraits  de  presse  qu'il  n'en  fut  rien.  Ainsi  que  lf1 
souligne  déjà  G.  Walter  (p.  666  ,note  59),  il  ne  fit  qu'en  résumer  les 
principaux  arguments. 


618  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

la  séance  du  10  août,  elle  a,  voté  divers  articles  du  chapitre  premier, 
concernant  les  assemblées  primaires  et  les  citoyens  actifs.  Le  11 , 
août,  on  en  arrive  aux  conditions  nécessaires  pour  être  nommé  élec- 
teur (art.  7  du  projet).  Thouret,  au  nom  des  comités,  propose  qu'à 
l'obligation  de  payer  une  contribution  directe  de  dix  journées  de 
travail,  soit  substituée  celle  d'en  payer  une  de  40  journées:  le  prix 
de  la  journée  de  travail  variant  de  10  à  20  sous  suivant  les  régions, 
il  faudrait  donc  payer  une  contribution  de  20  à  40  livres,  ce  qui 
suppose  un  revenu  foncier' de  120  à  240  livres.  Les  conditions  pour 
être  électeur  ayant  été  ainsi  rendues  plus  difficiles,  Thouret  demande 
que  soit  supprimée  l'obligation  de  la  contribution  du  marc  d'argent 
pour  les  représentants  de  la  nation  :  «  Le  meilleur  moven  [pour  avoir 
une  bonne  législature]  est  de  reporter  la  garantie  sur  les  élec- 
teurs ».  Pétion  intervient  le  premier:  il  s'oppose  à  la  proposition 
des  comités.  Malgré  les  protestations  qui  se  sent  élevées  contre  le 
marc  d'argent,  il  préfère  Je  maintenir,  plutôt  que  de  le  rapporter  sur 
les  assemblées  électorales.  Après  lui,  Proignon  demande  que  l'on  ne 
puisse  être  électeur  qu'autant  que  l'on  paiera  une  contribution  du 
marc  d'argent.  Robespierre  intervient  alors.  Beaumez  le  suit  à  la 
tribune,    puis   Buzot,   Rœderer,    Barnave... 

Au  terme  d'un  long  débat,  l'Assemblée  finit  par  décréter  l'ajour- 
nement. Le  lendemain,  le  débat  reprit.  Devant  l'opposition  toujours 
aussi  vive  rencontrée  par  le  projet  des  comités,  le  rapporteur, 
Thouret,  consentit,  en  leur  nom,  à  l'ajournement  jusqu'à  la  fin  du 
travail  de  revision.  Le  débat  sur  le  marc  d'argent  devait  revenir 
le  27  août,  devant  l'Assemblée  qui  adopta  le  décret  suivant:  «  La 
condition  du  marc  d'argent,  qui  avait  été  exigée  pour  être  député 
aux  assemblées  nationales  est  supprimée,  sans  que  néanmoins  cette 
suppression  puisse  s'appliquer  aux  élections  qui  vont  être  faites. 
Tous  les  citoyens  actifs,  quel  que  soit  leur  état,  profession  ou  contri- 
bution, pourront  être  choisis  pour  représentants  de  la  nation  »  (2). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXXI,  o.  361 
Journal  des  Amis  de  la  Constitution,  t.  tlï,  n°  36,  pp.  451,  458  (3) 

«  M.  Robespierre.  Le  projet  de  vos  comités  tend  à  changer  l'esprit 
de  votre  institution;  jamais  question  du  moins  ne  mérita,  de  la  part 
de  l'assemblée  nationale,  une  attention  plus  sérieuse.  Le  comité  de 
constitution  vous  propose  de  supprimer  le  marc  d'argent  à  une  condition 
qui  me  paroît  infiniment  plus  injuste  et  plus  onéreuse  à  la  nation.  Les 
motifs  qui  déterminent  le  comité  à  proposer  de  supprimer  le  décret  du 
marc  d'argent,  relativement  aux  députés  du  corps  législatif,  s'appliquent 
encore  d'une  manière  bien  plus  forte  aux  électeurs.  Tel  est  l'un  des 
principaux  motifs  qui  déterminent  le  comité  à  penser  que  le  décret  du 
marc  d'argent  doit  être  supprimé,  qu'il  ne  faut  point  gêner  la  confiance 


(2)  La  distinction  entre  citoyens  actifs  et  passifs  ne  cessera 
qu'après   le   10  août  1792. 

(3)  Ce  journal  'reproduit  le  texte  de  Le  Hodey,  depuis  :  «  Les 
Comités.  Messieurs...  »  jusqu'à...  «  sur  la  fortune  ».  Il  reprend  à: 
«  On  nous  parle  de  garantie...  »  jusqu'à  «  plus  sacrées  aux  yeux  de 
la  loi  ».  Il  transcrit  toute  la  fin  depuis:  «  Ces  idées  me  paroissent 
établir...    ». 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  619 

du  peuple  dans  le  choix  de  ses  représentans.  Or,  le  peuple  est-iî  libre 
de  choisir  ses  représentans,  lorsqu'il  n'est  pas  même  libre  dans  le  choix 
des  intermédiaires  qu'il  est  obligé  de  commettre  pour  choisir  ces  mêmes 
représentans  ?  ou  plutôt  n'est-il  pas  évident  que  la  liberté  est  gênée 
d'une  manière  encore  plus  dangereuse,  puisque  non  seulement  il  ne  peut 
pas  atteindre  tout  de  suite  le  but,  mais  qu'il  ne  peut  pas  même  arriver 
à  l'intermédiaire  auquel  il  doit  arriver  pour  se  porter  ensuite  vers  le 
but? 

«  Un  autre  motif  qui  a  déterminé  les  réclamations  élevées  de  toutes 
parts  contre  le  décret  du  marc  d'argent,  c'est  qu'il  ne  faut  point  violer 
l'égalité,  ni  concentrer  les  dignités  dans  la  classe  la  plus  riche  de  la 
nation:  et  il  est  évident  que  ce  motif  s'applique  aux  corps  électoraux, 
et  qu'il  n'est  pas  moins  important  pour  la  nation  que  toutes  les  assem- 
blées électorales  soient  ouvertes  à  tous  les  citoyens,  sans  distinction  de 
fortune,  que  le  corps  législatif  lui-même,  puisqu'encore  un  coup  ils  ne 
peuvent  envoyer  leurs  députés  à  la  législature  qu'en  passant  par  l'inter- 
médiaire des  corps  électoraux.  Les  comités,  Messieurs,  me  paroisseit 
être  continuellement  en  contradiction  avec  eux-mêmes  dans  ce  système. 
Vous  avez,  sur  leur  proposition,  reconnu  que  la  Constitution  aevoit 
garantir,  et  vous  avez  dit  en  effet  qu'elle  garantissoit  que  tout  citoyen 
franc.ois  étoit  admissible  à  tous  les  emplois,  sans  autre  distinction  que 
celle  des  vertus  et  des  talens  :  or,  je  prie  les  auteurs  du  système  que  je 
combats,  de  dire  si  la  commission  donnée  à  des  citoyens  de  choisir 
pour  eux  des  représentans  au  corps  législatif,  n'est  pas  aussi  un  emploi. 
Il  en  résulte  donc  que  la  garantie  promise  au  nom  de  la  constitution  est 
violée  par  le  système  du  comité  (applaudi).  Messieurs,  on  conçoit  les 
plus  heureuses  espérances  lorsqu'on  ht  le  début  de  votre  constitution  et 
qu'on  voit  le  scrupule  avec  lequel  vous  vous  êtes  appliqués  à  arracher 
les  racines  même  de  toutes  les  distinctions,  de  la  noblesse  et  de  tous 
les  autres  préjugés  qui  mettoient  une  classe  de  citoyens  au-dessus  de  tous 
les  autres;  mais,  que  nous  importe,  messieurs,  qu'il  ne  reste  plus  de 
noblesse  féodale,  si  à  ces  préjugés  absurdes,  si  à  ces  distinctions  humi- 
liantes pour  les  autres  citoyens,  vous  substituez  une  nouvelle  distinction 
plus  réelle,  qui  a  beaucoup  plus  d'influence  sur  le  sort  et  sur  les  droits 
des  citoyens,  puisau'on  y  attache  un  droit  politique,  celui  de  décider 
du  mérite  des  membres  qui  doivent  représenter  la  nation,  et  par  consé- 
quent du  bonheur  de  la  nation  et  du  peuple  (4). 


(4)  Cf.  Projet...,  op.  oit.  Noies  marginales:  «  ...A  cet  article, 
Robespierre  a  accolé  une  longue  note,  il  commence  par  dire:  «  limi- 
ter les...  »  Mais  mécontent  de  cette  première  tournure,  il  reprend  sa 
phrase  ainsi  qu'il  suif:  «  Le  motif  rie  supprimer  le  marc  d'argent 
s'armliqu"  avec  ni  us  do  force  encore  à  ce  qui  concerne  les  électeurs 
Quel  peut  être  le  motif?  De  laisser  la  conscience  A-onsiance)  libre: 
mais  le  choix  des  électeurs  est  aussi  l'ouvrage  de  la  conscience 
(constance)    De  prévenir  l'aristocratie  des  richesse:  mais  vous  Tin- 


620  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  Que  m'importe,  à  moi,  citoyen,  qu'il  n'y  ait  plus  de  nobles,  qu'il 
n'y  ait  plus  d'armoiries,  qu'il  n'y  ait  plus  de  tous  ces  titres  ridicules 
sur  lesquels  l'orgueil  de  quelques  citoyens  s'appuioit,  s'il  faut  que  je 
voye  succéder  à  ces  privilégiés  une  autre  classe  à  laquelle  je  sèrois 
obligé  de  donner  exclusivement  mon  suffrage,  afin  qu'ils  puissent  discu- 
ter mes  plus  chers  intérêts  ?  Il  est  évident  qu'il  est  impossible  d'imaginer 
une  contradiction  plus  formelle  et  plus  injuste  que  celle-là;  il  est  évident 
que  si  vous  adoptiez  le  système  des  comités,  cette  garantie,  tant  vantée 
ne  seroit  qu'un  vain  appas  présenté  à  la  nation,  et  que  vous  tomberiez 
en  contradiction  avec  vous-mêmes,  contradiction  qui  lui  permettroit  de 
douter  de  votre  bonne  foi  et  de  votre  loyauté  dans  la  défense  de  ses 
droits.  (Applaudi  au  fond  de  la  gauche).  N'est-il  pas  évident  encore 
que  ce  prétendu  bienfait  de  la  suppression  du  marc  d'argent  est  illu- 
soire, puisque  l'usage  sera  établi"  et  durera  toujours  de  choisir  tous  les 
députés  dans  les  corps  électoraux,  dès  qu'une  fois  vous  aurez  reporté 
sur  les  électeurs  la  charge  du  décret  du  marc  d'argent.  (Murmures). 

«  Quels  sont  les  motifs  que  le  comité  oppose  à  ces  principes  et  à 
ces  contradictions  ?  Le  comité  dit  :  il  faut  une  garantie  de  l'indépendance 
et  de  la  pureté  des  intentions  de  ceux  qui  devront  choisir  les  représen- 
tai de  la  nation-  D'abord,  messieurs,  je  conviens  qu'il  faut  une  garan- 
tie; mais  cette  garantie  est-ce  la  contribution,  est-ce  la  fortune  oui  la 
donnent?  Est-il  vrai  que  la  probité,  que  les  talens  se  mesurent  réelle- 
ment sur  la  fortune  ?  Je  dis  que  l'indépendance,  la  véritable  indépen- 
dance, es*:  relative,  non  pas  à  la  fortune,  mais  aux  besoins,  mais  aux 
passions  des  hommes;  et  je  dis  qu'un  artisan,  qu'un  laboureur  qui  paie  les 
dix  journées  de  travail  exigées  par  vos  précédens  décrets,  est  plus 
indépendant  au'un  homme  riche,  parce  que  ses  désirs  et  ses  besoins  sont 
encore  plus  bornés  que  sa  fortune,  parce  qu'il  n'est  point  accablé  de 
toutes  ces  passions  ruineuses,  enfans  de  l'opulence.  Ces  idées  sont  mora- 

troduisez  encore  plus  sûrement,  des  électeurs  choisissent  ordinaire- 
ment dans  leur  sein  ;  et  pr..r  le  fait  il  n'y  aura  que  les  gens  au  marc 
d'argent  oui  soient  élus.  Les  citoyens  actifs  n'iront  -pas.  Réfutation 
du  motif.  Ce  serait  r>lutôt  les  millionnaires  qu'il  faudrait  exclure  que 
les  gens  à  dix  journées  d'ouvriers. 

«  (Le  décret  est  votre  propre  satire.  Ceux  qui  vous  ont  élus  peu- 
vent-ils être  dépouillés  par  vous? 

«  La  prochaine  législature  ne  vaudra  donc  rien. 

«  Que  signifie  votre  garantie  de  l'égalité  des  droits?  L'admHsi- 
bi'lité  à  tous  les  emr/lois.  Qu'importe  que  vous  avez  supprimé  la 
Noblesse.  Quelle  é*awt  la  garantie  d'Aristide;  quelle  était  la  garantie 
de  Rousseau  Un  d&rmté  'riche  veut  augmenter  sa  fortune;  un  député 
pauvre  vent  être  libre.  » 

Robesoierre   termine  enfin    sa   réfutation  : 

«  Contradiction  de^  comité».  Le  ministère:  la  législature ■:  ils 
croient  ou'il  n'est  -permis  de...  ils  croient  qu'une  incompatibilité  qui 
résulte  d°  la  nature  même  de  la  chose,  peut  emoêch^r  la  perpétuité 
de  la  coalition  du  corps  législatif  avee  le  roi  contre  la  nation,  et  ils 
ne  trouvent  aucun  inconvénient  à  exclure  les  représentants  de...  »> 


LÉS    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  621 

les  sans  cloute;  mais  elles  n'en  sont  pas  moins  clignes  d'être  présentées 
à  l'assemblée  nationale,  qui  ne  les  prendra  pas  pour  des  surlaces  sans 
profondeur,  et  des  lignes  sans  étendue  (on  rit).  J'examine  donc  avant 
tout  si  vous  avez  le  droit  d'exiger  que  les  électeurs  paient  une  contri- 
bution plus  forte  que  celle  que  vous  avez  décrétée;  et  je  dis  que  non. 
Pourquoi  ?  parce  que  vous  ne  pouvez  pas  porter  atteinte  vous-même  à  la 
garantie  de  la  liberté,  de  la  justice,  de  l'égalité  exacte  que  vous  avez 
promise  par  la  constitution  ;  parce  que  vous  ne  pouvez  pas,  de  la  manière 
la  plus  formelle  et  la  plus  évidente,  effacer  ces  principes  fondamentaux 
de  la  déclaration  des  droits  des  hommes  et  des  citoyens,  que  vous  avez 
reconnus  comme  la  base  de  votre  constitution. 

((  On  nous  parle  de  garantie;  mais  chez  quel  peuple  libre  a-t-on 
exigé  cette  garantie  ?  Je  ne  parle  point  de  l'Angleterre  ni  même  de 
l'Amérique.  (On  rit).  Avant  de  censurer  cette  idée  et  de  l' improuver, 
il  auroit  fallu  la  prévoir  et  donner  le  tems  d'en  faire  le  développement. 
Il  seroit  trop  facile  de  prouver  que  l'Amérique  se  trouve  dans  des  cir- 
constances infiniment  différentes,  et  que  ce  que  je  regarde  comme  un 
vice  est  compensé  par  d'autres  loix  que  nous  n'avons  pas  chez  nous. 
Je  reviens  a  ce  que  je  disois  :  je  dis  que  les  peuples  libres  ont  dédaigné, 
ont  méprisé  cette  garantie,  que  les  plus  grands  législateurs  de  l'humanité 
l'ont  regardé  comme  une  injuste  absurdité;  car  les  plus  grands  législa- 
teurs sont  ceux  qui  ont  fondé  la  législation  sur  la  morale.  Aristide 
subjugua  seul  par  sa  vertu  les  suffrages,  non  seulement  de  sa  patiie, 
mais  de  la  Grèce  entière.  (Murmures).  Quel  eût  été  le  résultat  du 
système  du  comité  ?  C'est  que  le  fils  du  grand  homme  que  je  viens  de 
nommer,  précisément  parce  que  son  père,  après  avoir  administré  les 
deniers  publics,  seroit  mort  sans  avoir  laissé  de  quoi  se  faire  enterrer, 
n'auroit  seulement  pas  pu  être  électeur  (i7  auroit  été  élu).  Quelle  seroit 
la  garantie  de  Rousseau  ?  Il  ne  lui  eût  pas  été  possible  de  trouver  accès 
dans  une  assemblée  électorale.  Cependant,  il  a  éclairé  l'humanité,  et 
son  génie  puissant  et  vertueux  a  préparé  vos  travaux.  D'après  les  prin- 
cipes du  Comité,  nous  devrions  rougir  d'avoir  élevé  des  statues  à  un 
homme  qui  ne  payoit  pas  un  marc  d'argent. 

«  Je  dis  que  tout  homme,  que  tout  citoyen  françois  a  une  garantie 
suffisante  de  son  aptitude  à  recevoir  toutes  les  marques  possibles  de  la 
confiance  de  ses  concitoyens  dans  sa  qualité  d'homme  et  de  citoyen  : 
je  dis  que  tout  homme  qui  n'a  point  commis  un  crime,  qui  n'est  point 
infâme,  est  non-seulement  présumé,  par  le  choix  de  ses  concitoyens, 
mais  par  sa  simple  qualité  d'homme  et  de  citoyen,  être  digne  de  la 
confiance  de  ses  concitoyens:  je  dis  qu'il  n'est  pas  vrai  qu'il  faille  être 
riche  pour  tenir  à  sa  patrie;  je  dis  qu'il  est,  pour  les  hommes,  des  inté- 
rêts sacrés  et  touchans  qui  attachent,  à  ses  semblables  et  à  la  société, 
des  intérêts  absolument  indépendans  de  la  fortune,  et  de  te!  ou  tel  degré 
de  fortune  ou  de  contribution.  Ces  intérêts  sont  les  intérêts  primitifs  de 
l'homme;  c'est  la  liberté  individuelle,  ce  sont  les  jouissances  de  l'âme, 


622  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

c'est  l'intérêt  qu'on  attache  à  la  propriété  la  plus  petite,  car  l'intérêt 
à  la  conservation  de  sa  chose  est  proportionné  à  la  modicité  de  sa  for- 
tune; et  l'artisan,  qui  ne  paie  que  dix  journées  de  travail,  tient  à  son 
salaire,  tient  à  ses  petites  épargnes,  tient  aux  moyens  qui  le  mettent  en 
état  de  vivre  avec  sa  famille,  autant  que  le  riche  tient  à  d'immenses 
domaines;  et  ces  propriétés  sont  d'autant  plus  sacrées,  qu'elles  touchent 
de  plus  près  aux  besoins  et  à  la  subsistance  nécessaire  de  l'homme  :  elles 
n'en  sont  que  plus  sacrées  aux  yeux  de  la  loi.  Par  conséquent,  bien 
loin  d'éloigner  ceux  qui  ont  ce  degré  de  fortune,  des  droits  que  leur 
donne  la  nature,  il  faut  les  leur  continuer,  afin  qu'ils  puissent  influer 
le  plus  qu'il  est  possible,  sur  la  conservation  de  la  chose  publique,  et 
sur  les  loix  qui  doivent  protéger  tous  les  citoyens.  Et  n'est-ce  pas  une 
contradiction  dans  l'ordre  social,  que  les  loix  étant  faites  pour  protéger 
les  plus  foibles,  que  les  plus  foibles  étant  ceux  qui  ont  le  plus  besoin 
de  la  protection  des  loix,  que  les  hommes  puissans,  les  hommes  les  plus 
riches  étant  ceux  qui  peuvent  les  éluder  plus  facilement,  et  se  passer, 
par  leur  crédit  et  leurs  ressources  personnelles,  de  la  protection  des  loix; 
n'est-il  pas  injuste  que  de  tels  hommes  aient  plus  d'influence  sur  les 
loix  que  la  partie  qui  en  a  le  plus  besoin  ? 

«  Ces  idées  me  paraissent  établir  d'une  manière  irrésistible  et  inva- 
riable, l'intérêt  social  et  celui  de  la  justice  qui  ne  peuvent  jamais  être 
séparés;  car  pour  décider  une  question,  il  suffit  de  se  rappeller  ce  seul 
principe  :  que  rien  n'est  utile,  que  ce  qui  est  honnête  et  juste.  Or,  pou- 
vez-vous  dire  qu'il  est  juste  d'ôter,  à  une  si  grande  multitude  de  citoyens, 
le  droit  de  donner  leurs  suffrages  à  ceux  qui  leur  en  paraîtront  dignes 
sans  distinction  de  fortune,  et  à  tous  les  citoyens,  sans  distinction  de 
fortune,  de  recevoir  les  preuves  de  la  confiance  de  leurs  concitoyens? 
Non  :  et  pour  vous  convaincre  tous  que  ce  seroit  la  plus  grande  des 
injustices,  rappellez-vous  à  vous-mêmes  quel  est  votre  caractère  et  votre 
titre,  quels  sont  ceux  qui  vous  ont  envoyés  dans  cette  assemblée  ?  Sont-ce 
des  électeurs  calculés  sur  un  demi-marc,  sur  un  marc  d'argent.  (Non, 
non). 

«  Messieurs,  ce  sont  ceux  qui  ont  été  nommés  par  le  peuple  que 
j'atteste  sur  ce  fait;  je  les  rappelle  au  titre  de  leur  règlement,  qui  por- 
toit  que  tout  citoyen  françois  ou  naturalisé,  payant  une  imposition  quel- 
conque, seroit  admis  à  nommer  les  électeurs  qui  dévoient  nommer  les 
représentai  ;  et  je  leur  rappelle  que  nulle  loi  n'a  éloigné  des  assem- 
blées un  seul  homme,  pour  raison  de  fortune  et  de  contribution.  Je 
demande  maintenant  si  vous,  qui  êtes  arrivés  ici  sans  titre,  et  qui  tenez 
vos  pouvoirs  de  ces  hommes-là,  dont  une  grande  partie  n'atteignoit  pas 
la  condition  que  vous  leur  imposez;  je  vous  demande  si  vous  pouvez 
vous  servir  des  pouvoirs  qu'ils  vous  ont  confiés,  et  si  vous  pouvez  leur 
dire  :  le  jour  où  vous  nous  avez  investis  du  pouvoir  de  défendre  et  de 
garder  vos  loix,  ce  jour-là,  vous  l'avez  perdu  :  vous  ne  rentrerez  plus 
dans   ces   assemblées  où   vous   nous   avez  donné   votre   confiance;    nous 


LES    DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  623 

n'avons  point  de  garantie  de  votre  indépendance  et  de  votre  probité; 
c'est-à-dire  nous-mêmes,  nous  ne  sommes  donc  pas  purs,  puisqu'enfin, 
nous  avons  été  nommés  sans  aucun  titre.   (Applaudi). 

«  Je  conclus  de  tout  ce  que  je  viens  de  dire,  que  d'après  les  prin- 
cipes de  la  morale,  par  conséquent  de  la  politique  des  législateurs  de 
la  France,  l'intérêt  du  peuple  exige  que  vous  révoquiez  le  décret  du 
marc  d'argent  et  les  conditions  d'éligibilité  prescrites  pour  les  électeurs.  » 

[Briois  de  Beaumetz  défend  le  projet  du  comité  contre  la  critique 
de  Robespierre  :  il  faut  appeler,  dit-il,  la  propriété  comme  garantie 
pour  la  stabilité  du  gouvernement;  «  on  vous  a  dit  qu'aucun  Etat,  sauf 
l'Amérique  et  l'Angleterre,  n'avait  inventé  la  garantie,  pour  la  pro- 
priété... (5).   »] 

«  M.  Robespierre.  On  n'a  pas  dit  cela.  » 

[Briois  de  Beaumetz  continue  à  s'attaquer  au  discours  de  Robes- 
pierre :  «  Il  est  donc  évident  que  le  principe  sur  lequel  s'appuie  le 
préopinant  et  sur  lequel  il  a  tourné  pendant  toute  son  opinion  n'a  été 
que  celui-ci  :  La  société  ne  peut  imposer  de  condition  quelconque  à 
l'éligibilité  ni  des  électeurs,  ni  des  administrateurs,  ni  des  représentants 
de  la  nation;  elle  n'en  peut  même  pas  imposer  à  la  qualité  de  citoyen 
actif.] 

a  M.  Robespierre.  J'ai  dit  tout  le  contraire  :  vous  ne  faites  que 
dénaturer  mon  opinion  pour  me  calomnier  (murmures),  et  pour  favoriser 
le  système  de  celui  des  intrigans  dont  vous  êtes  l'organe.. .   » 

«  M.  de  Beaumetz.  Sans  m'être  apperçu  de  l'interruption,  je 
reprends  mon  opinion...  » 

[La  discussion  se  poursuit  longtemps.  Camus  demande  l'ajourne- 
ment de  la  question  au  lendemain.] 

«  M.  Robespierre.  La  question  préalable  sur  l'ajournement  (6).  ,) 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  225,  p.  929. 

«  M.  Roberspierre .  Les  Comités  vous  proposent  de  substituer  à  une 
condition  mauvaise,  une  condition  plus  injuste  et  plus  onéreuse  encore. 
Les  inconvéniens  s'appliquent  d'une  manière  plus  forte  au  nouveau  sys- 
tème. Le  peuple  est-il  libre  de  choisir  ses  représentans,  s'il  ne  l'est 
pas  dans  le  choix  de  ses  intermédiaires  ?  Les  Comités  me  paraissent 
dans  une  contradiction  continuelle.  Vous  avez  reconnu,  sur  leur  propo- 
sition, que  tous  les  citoyens  étaient  admissibles  à  toutes  les  fonctions, 
sans  autre  distinction  que  celle  des  vertus  et  des  talens  ?  A  quoi  nous 
sert  cette  promesse,  puisqu'elle  a  été  violée  sur  le  champ  ?  (Quelques 
applaudissemens  dans  l'extrémité  de  la  partie  gauche  et  dans  les  tri- 
bunes). Que  nous  importe  qu'il  n'y  ait  plus  de  noblesse  féodale,  si  vous 


<5)  Briois  de  Beaumetz  menait  en  Artois  une  violente  campagne 
contre    Robespierre  depuis  le  début  de   1790. 

(6)  Texte   reproduit  dans  les  Arch.  pari.,   XXIX,  359-361   et  371. 


624  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

y  substituez  une  distinction  plus  réelle,  à  laquelle  vous  attachez  un  droit 
politique  ?  Et  que  m'importe,  à  moi,  qu'il  n'y  ait  plus  d'armoiries,  s'il 
faut  que  je  voye  naître  une  nouvelle  classe  d'hommes  à  laquelle  je  serai 
exclusivement  obligé  de  donner  ma  confiance  ?  Cette  contradiction  per- 
mettrait de  douter  de  votre  bonne  foi  et  de  votre  loyauté.  (Les  tribunes 
applaudissent).  Je  conviens  cependant  qu'il  faut  une  garantie,  qui  ras- 
sure contre  les  électeurs.  Mais  est-ce  la  richesse  ?  L'indépendance  et  la 
probité  se  mesurent-elles  sur  la  fortune  ?  Un  artisan,  un  laboureur,  qui 
paient  10  journées  de  travail:  voilà  des  hommes  plus  indépendans  que 
le  riche,  parce  que  leurs  besoins  sont  encore  plus  bornés  que  leur  for- 
tune. Quoique  ces  idées  soient  morales,  elles  n'en  sont  pas  moins  dignes 
d'être  présentées  à  l'Assemblée.  (On  rit  et  on  murmure.  Une  voix 
s'élève:  C'est  trop  fort,  M.  Roberspierre).  Ce  ne  sont  pas  là  des  lignes 
sans  largeur.  On  nous  a  cité  l'exemple  des  Anglais  et  des  Américains. 
Ils  ont  eu  tort  sans  doute  d'admettre  des  lois  contraires  aux  principes  de 
la  justice;  mais  chez  eux  ces  inconvéniens  sont  compensés  par  d'autres 
bonnes  lois.  Quelle  était  la  garantie  d'Aristide,  lorsqu'il  subjugua  les 
suffrages  de  la  Grèce  entière?  Ce  grand  homme  qui,  après  avoir  admi- 
nistré les  deniers  publics  de  son  pays,  ne  laissa  pas  de  quoi  se  faire 
enterrer,  n'aurait  pas  trouvé  entrée  dans  vos  assemblées  électorales. 
D'après  les  principes  de  vos  Comités,  nous  devrions  rougir  d'avoir 
élevé  une  statue  à  Jean-Jacques  Rousseau,  parce  qu'il  ne  payait  pas 
le  marc  d'argent.  Apprenez  à  reconnaître  la  dignité  d'homme  dans  tout 
être  qui  n'est  pas  noté  d'infamie.  Il  n'est  pas  vrai  qu'il  faille  être  riche 
pour  tenir  à  son  pays.  La  loi  est  faite  pour  protéger  les  plus  faibles;  et 
n'est-il  pas  injuste  qu'on  leur  ôte  toute  influence  dans  sa  confection. 
Pour  vous  décider,  réfléchissez  quels  sont  ceux  qui  vous  ont  envoyés  ? 
Etaient-ils  calculés  sur  un  marc,  sur  un  demi-marc  d'argent  ?  Je  vous 
rappelle  au  titre  de  votre  convocation  :  «  Tout  français  ou  naturalisé 
français,  payant  une  imposition  quelconque,  devra  être  admis  à  choisir 
les  électeurs  ».  Nous  ne  sommes  donc  pas  purs,  puisque  nous  avons  été 
choisis  par  des  électeurs  qui  ne  payaient  rien.   (On  applaudit).    » 

[Intervention  de  Beaumez.] 

«  M.  Roberspierre.  Vous  calomniez,  Monsieur  »  (7). 

Journal  général,   12  août  1791,  p.  789-790. 

Journal  général  du  département  du  Pas-de-Calais,  n°    14,  p.   155. 

«  M.  Robertspierre.  Nous  avions  conçu  les  plus  belles  espérances, 
en  vous  voyant  détruire  la  féodalité;  devions-nous  alors  penser  que 
nous  serions  si-tôt  frustrés  de  cet  espoir,  en  vous  voyant  créer  une  nou- 
velle espèce  de  privilégiés,  dont  l'influence  plus  dangereuse  encore  se 
dirigeroit  sur  tout  le  Corps  politique.  » 

(7)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,   IX,   374;  dans  Bûchez  et 
Roux,   XI,  274-276;  et  dans*  Laponneraye,   I,   185-86. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  ,625 

«  Ici,  l'honorable  Membre  appelle  toute  la  profondeur  de  sa  logi- 
que et  de  sa  politique,  pour  démontrer  quuin  Citoyen  payant  dix  jour- 
nées de  travail  est  infailliblement  dix  fois  plus  honnête  homme  et  plus 
incorruptible  que  celui  qui  en  paiera  cent.  On  se  permet  ici  de  rire,  et 
là,  de  murmurer,  ailleurs  de  hausser  les  épaules  sur  ces  raisonnemens. 
M.  Robertspierre,  sans  s'étonner,  reprend  :  «  Quoique  ces  idées  soient 
morales,  elles  ont  quelques  droits  à  être  présentées  à  cette  Assemblée  ». 
On  rit  du  compliment  :  l'Orateur  enhardi,  appelle,  du  fond  de  la  Grèce, 
Socrates  et  Aristide  :  «  Quelle  garantie,  Messieurs,  auriez- vous  demandé 
à  ce  sage,  à  ce  juste,  et  quelle  garantie  demanderiez- vous  encore  à  J.-J. 
Rousseau  ?  »  Aristide  et  Socrates  ne  s'attendoient  guères  à  venir  en 
pareil  argument:  J  -J  Rousseau,  infailliblement,  ne  l'eût  pas  mieux 
accueilli  que  Thomas  Raynal  Peut-être  aussi,  en  même  compagnie, 
n'auroit-il  pas  été  mieux  accueilli.  Quoiqu'il  en  soit,  fier  de  son  Aris- 
tide, l'honorable  conclut,  en  îejettant  la  proposition  du  Rapporteur.  Elle 
est  en  revanche  fortement  appuyée  par  M.  Beaumetz  qui  rit  un  peu 
d'Aristide,  de  Sparte,  et  de  quelques  passages  qui  rappellent  le  discours 
du  Préopinant.  «  Vous  me  calomniez,  lui  crie  M.  Robertspierre,  en 
dénaturant  mon  opinion.  C'est-là  tout  ce  que  cherchent,  tout  ce  que 
savent  faire  Messieurs  ces  intrigans  dont  vous  êtes  l'organe  ».  M.  Robes- 
pierre avoit  cité  les  Philosophes;  M.  de  Beaumetz  les  imite,  en  repre- 
nant son  opinion,  sans  répondre  au  petit  compliment.  » 

Mercure  de  France,  20  août  1791,  p    232-234. 

«  Le  peuple  est-il  libre  de  choisir  ses  représentans  lorsqu'il  ne 
l'est  pas  même  de  choisir  ceux  qu'il  est  obligé  de  charger  de  ce  choix, 
s  est  écrié  M.  Roberspierre  !  Si  le  décret  a  excité  des  réclamations  de 
toutes  parts,  c'est  qu'il  violoit  l'égalité.  Ce  qu'on  vous  propose  est  bien 
plus  dangereux  encore.  Vous  avez  déclaré  que  «  tout  citoyen  François 
est  admissible  à  tous  les  emplois,  sans  autre  distinction  que  celle  des 
vertus  et  des  talens  ».  Que  m'importe,  à  moi  citoyen,  qu'il  n'y  ait 
plus  de  nobles,  s'il  est  une  classe  privilégiée  à  laquelle  je  serai  tenu 
de  confier  le  droit  de  discuter  mes  plus  chers  intérêts  ?  Cette  égalité  si 
vantée  ne  seroit  donc  qu'un  vain  appât  présenté  à  la  nation  !  Vous  tom- 
beriez en  contradiction  avec  vous-mêmes,  contradiction  qui  lui  permet- 
troit  de  douter  de  votre  bonne  foi...  On  nous  parle  de  garantie,  de 
confiance  !  A  quoi  les  attache-t-on,  à  la  probité  ?  Non,  à  de  l'argent 
L'artisan  laborieux,  le  pauvre  laboureur  ne  sont-ils  pas  plus  indépendans 
que  le  riche  corrompu,  corrupteur,  dévoré  d'une  cupidité  que  rien  ne 
peut  assouvir?...  Quoique  ces  idées  soient  morales,  elles  sont  dignes 
d'être  présentées  à  l'Assemblée  nationale.  (Murmures  à  gauche,  et  le 
côté  droit  a  vivement  applaudi).  Volant  d'Angleterre  en  Amérique,  de 
Philadelphie  en  Grèce,  l'orateur  a  dit  qu'Aristide  et  /./  Rousseau  ne 
pourroient  pas  être  électeurs  parmi  nous,  et  il  a  conclu  à  la  révocation 
de  toute  sorte  de  condition  imposée  à  l'éligibilité. 

feoms  •■■■■■'■■>    •       H» 


626  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  Si  ].].  Rousseau  n'étoit  pas  électeur,  a  répondu  M.  de  Beau- 
metz,  d'après  la  loi  qu'on  vous  propose,  il  seroit  législateur.  Si  les  non- 
propriétaires  dominent,  la  propriété  court  le  risque  de  n'être  pas  respec- 
tée. Ne  confondons  pas  les  droits  civils  avec  les  droits  politiques.  Sparte 
commença  par  mettre  en  monceau  toutes  ses  richesses,  et  par  les 
brûler  solemnellement  ;  le  préopinant  voudroit-il  nous  faire  adopter  cet 
article  de  constitution  ? 

«  Vous  dénaturez  tout  ce  que  j'ai  dit  pour  me  calomnier,  a  répli- 
qué M.  Roberspierre,  et  pour  favoriser  le  système  des  intrigans  dont 
vous  êtes  l'organe.   » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXV,  n°  763,  p.  214. 

«  M.  Robespierre  est  d'une  opinion  contraire.  On  voit,  dit-il,  avec 
intérêt,  au  commencement  de  la  constitution,  que  vous  avez  détruit  les 
distinctions  de  la  noblesse,  mais  vous  allez  en  créer  une  autre  en  éta- 
blissant une  sorte  de  noblesse  électorale.   (On 'applaudit). 

«  On  voit  par  la  proposition  des  Comités  que  la  probité  se  mesure 
sur  la  fortune.  C'est  cependant  une  foible  garantie  que  donnera  l'élec- 
teur par  sa  richesse.  La  probité  se  mesure  aux  passions,  et  certainement 
les  hommes  riches  ont  plus  de  passions  et  de  besoins  factices  que  l'ar- 
tisan utile  et  le  laboureur  honnête.  Ces  derniers  sont  aussi  une  garantie 
pour  les  bons  choix.  Quelle  étoit  la  garantie  d'Aristide  dont  la  Grèce 
dut  nourrir  et  élever  la  famille  ?  Quelle  auroit  été,  d'après  les  principes 
du  Comité,  la  garantie  de  J.-J.  Rousseau,  qui  n'auroit  pu  être  électeur? 
L'assemblée  n'auroit  pas  élevé  une  statue  à  un  homme  qui  ne  payoit  pas 
le  marc  d'argent;  le  comité  de  constitution  y  auroit  été  contraire  N'est- 
ce  pas  une  contradiction  dans  les  loix,  qu'étant  faites  pour  protéger  les 
plus  foibles,  elles  soient  faites  en  faveur  du  plus  fort.  Qui  sont  ceux  qui 
vous  ont  envoyés  ici  et  qui  vous  ont  revêtus  de  leur  confiance  ?  Ces  élec- 
teurs étoient-ils  calculés  sur  le  marc  d'argent  et  sur  les  preuves  de  leur 
fortune  ?  Ou  bien  il  faut  dire  que  nous  sommes  corrompus,  vénaux  et 
mal  choisis;  parce  que  nous  avons  été  élus  par  des  citoyens  qui  ne 
payoient  pas  quarante  journées  de  travail.  Ces  hommes  simples  et  hon- 
nêtes vous  ont-ils  envoyés  ici  pour  les  dépouiller  de  leurs  droits  ?  Eh  ! 
que  leur  importe  qu'il  n'y  ait  plus  de  noblesse  et  de  clergé,  s'ils 
voient  renaître  un  autre  ordre  d'aristocratie  fondée  sur  l'argent  et  la 
fortune  ? 

«  Faites  donc  disparoître  les  distinctions  offensantes  attachées  à 
l'exercice  des  droits  politiques.  Rendez  aux  élections  toute  la  liberté 
dont  elles  ont  besoin  pour  être  bonnes.  Car  le  laboureur  honnête,  ainsi 
que  l'artisan  feront  des  choix  plus  propres  au  bonheur  et  à  la  sûreté 
sociale,  que  vos  riches  qui.  sont  tourmentés  par  des  passions  et  des  pré- 
jugés d'un  autre  genre  bien  plus  dangereux  pour  la  liberté.  Je  conclus 
pour  le  rejet  des  conditions  d'élégibilité,  c'est-à-dire  du  marc  d'argent, 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  627 

ainsi  que  pour  le  rejet  de  la  proposition  faite  par  le  comité  pour  les 
conditions  d'électeur  »  (8). 

Journal  universel,  t.  XIII,  p.    14024  et   14028. 

«  Pethion  a  rejeté  le  projet  du  comité.  Il  a  été  vivement  secondé 
par  M.  Robespierre  qui  a  dit  avec  vérité  que  J.-J.  Rousseau  n'aurait 
pu  être  législateur.  Il  a  conclu  à  ce  que  tous  les  citoyens  actifs  fussent 
admissibles  aux  places  de  législateurs. 

...«  Ceux  qu'on  traite  de  factieux,  ces  vrais  défenseurs  des  droits 
de  l'homme,  ces  véritables  apôtres  de  la  constitution,  MM.  Péthion, 
Robespierre,  Rœderer,  Buzot,  ont-ils  employé  toutes  les  ressources  de 
la  logique,  tous  les  ressorts  de  l'éloquence  pour  détourner  l'assemblée 
du  piège  qu'on  lui  tendoit.  Ceux  qui  vous  ont  envoyés  ici,  s'est  écrié 
M.  Robespierre,  ont-ils  donc  chacun  un  marc  d'argent  ?  Vous  ont-ils 
envoyés  pour  leur  ôter  la  liberté  de  leur  choix  ?  Eh  !  que  leur  importe 
qu'il  n'y  ait  plus  de  nobles  ni  de  clergé,  s'ils  voient  renaître  un  autre 
ordre  d'aristocratie  fondé  sur  le  titre  le  plus  chimérique  :  la  fortune  ? 

«  Jetez  un  coup  d'ceil  sur  Sparte,  sur  Athènes  :  Aristide  n'aurait 
jamais  pu  être  électeur.  Jean-Jacques  Rousseau,  s'il  eût  vécu  sous  le 
règne  de  la  liberté,  n'aurait  pu  approcher  de  nos  assemblées  ?  Mes- 
sieurs, faites  disparaître  ces  distinctions  offensantes  attachées  à  l'exer- 
cice des  droits  politiques,  rendez  aux  élections  toute  la  liberté  dont 
elles  ont  besoin  pour  être  bonnes.  » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),    13  août  1791,  p.  3. 

«  Il  paroît  qu'on  s'est  réuni  pour  se  mocquer  de  MM.  Péthion, 
Robespierre,.  Rœderer  et  Buzot,  qui  veulent  dans  le  choix  et  des  élec- 
teurs et  des  représentans,  la  liberté  la  plus  indéfinie,  qui  demandent  que 
leur  éligibilité  ne  dépende  d'aucune  contribution.  Ils  vont,  dit-on,  intro- 
duire dans  le  corps  législatif  tous  les  va-nuds-pieds  du  royaume;  ils 
pourroient  bien  même  y  introduire  des  gens  du  peuple  de  différentes 
contrées  qui,  parlant  chacun  le  patois  de  la  sienne,  ne  s'entendroient 
pas  plus  qu'un  italien  et  un  bas-breton,  ce  qui  renouvelleroit  l'histoire 
de  la  tour  de  Babel. 

«  Mais  que  répondre  à  M.  Robespierre,  lorsqu'il  dit  que  les  comi- 
tés sont  en  contradiction  avec  eux-mêmes.  Que  l'assemblée  a  reconnu, 
sur  leur  proposition,  que  la  constitution  devoit  garantir  que  tout  citoyen 
français  étoit  admissible  à  tous  les  emplois  sans  autre  distinction  que 
celle  des  vertus  et  des  talens.  Or,  le  droit  d'élection  confié  à  un  citoyen 


(8)  Oité  par  E.  Hamel  <i,  àW-àM)  qui  utihbe  également  a  propos 
de  cette  séance  le  texte  du  discours  imprimé,  l'adresse  de  la  Sté  des 
Indigents  à  Robespierre  et  le  Courier  de  Provence.  Cf.  également 
.S.    Lacroix,  op.  cit.,  III,  617,  note  1. 


628  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRF. 

par  ses  concitoyens,  n'est-ce  pas  un  emploi?   La  garantie  promise  par 
la  constitution  est  donc  violée  par  le  système  du  comité. 

((  Il  n'est  donc  pas  vrai  que  les  hommes  naissent  et  demeurent 
égaux  en  droits.  Ce  seul  article  renverse  le  fondement  de  la  constitu- 
tion, qui  repose  sur  une  égalité  idéale.  On  ne  peut  répondre  à  M.  Ro- 
bespierre qu'en  avouant  que  la  constitution  est  vicieuse;  qu'elle  a  pro- 
mis un  nivellement  impraticable;  qu'il  a  fallu  tromper  le  peuple  pour 
l'attacher  à  cette  constitution  à  laquelle  le  bon  sens  et  la  nécessité  de 
faire  rouler  la  machine  tant  bien  que  mal,  contraignent  de  porter  des 
atteintes  continuelles.  » 
Journal  de  Bienfaisance,  ci-devant  L'Ami  des  Vieillards,  n°    17,  p.  2. 

«  M.  Robespierre  est  en  fureur,  il  passe  toutes  les  mesures  de  la 
raison,  il  outrage  l'assemblée  :  «  Quoique  ces  idées  soient  morales,  dit-il, 
elles  n'en  sont  pas  moins  dignes  d'être  présentées  à  l'assemblée  ».  On 
ne  sait  que  rire  de  sa  démence,  au  lieu  de  s'en  offenser.  Il  imagine 
enfin  remuer  les  cendres  d'Aristide,  et  de  les  interroger  sur  le  marc  d'ar- 
gent. Le  bon  Jean-Jacques  lui-même  n'est  tranquille  au  fond  de  son 
tombeau,  par  les  recherches  de  l'orateur  éploré.  On  laisse  pourtant 
dormir  la  question  jusqu'au  lendemain  (9). 

Le  Législateur  Français,  t.   III,    12  août   1791,  p.   7. 

«  M.  Robertspierre  a  combattu  dans  un  très-long  discours  l'avis 
des  comités,  qu'il  a  regardé  comme  destructif  de  toute  liberté.  En 
effet,  disoit-il,  le  peuple  est-il  libre  lorsqu'il  ne  lui  a  pas  permis  de 
choisir  ceux  auxquels  il  confie  ses  plus  chers  intérêts,  ses  représentans  ? 
L'orateur  a  accusé  les  comités  d'être  dans  une  absolue  contradiction 
avec  eux-mêmes;  et  pour  prouver  son  assertion,  il  a  rapporté  l'article 
de  la  déclaration  des  droits,  qui  déclare  que  tous  les  citoyens  sont  égale- 
ment admissibles  à  toutes  dignités,  places  et  emplois,  selon  leur  capa- 
cité, sans  autre  distinction  que  celle  de  leurs  vertus  et  de  leurs  talens. 

«  Toute  l'opinion  de  M.  Robertspierre  a  tourné  sur  cet  éternel 
pivot  des  droits  de  l'homme,  de  la  faculté  qu'a  chaque  homme  d'être 
admis  à  toutes  les  fonctions  publiques.  » 

L'Orateur  du  Peuple,  t.  VII,  n°  19,  p.  145. 

((  Discours  sublime  de  l'incorruptible  Robespierre  en  faveur  de  la 
classe  indigente  du  peuple  »... 

«  O,  Robespierre,  tu  es  donc  le  seul  qui  ait  osé  prendre  la  défense 
du  peuple. 


(9)  Puis  ce  journal  essaie  de  rejeter  sur  (Robespierre  et  son 
discours  sur  le  marc  d'argent,  la  responsabilité  des  troubles  des 
campagnes.  Il  fait,  sur  le  mode  tragi-comique,  le  récit  de  l'admission 
à  la  barre,  dans  la  séance  du  13  août  aai  soir,  de  Mme  Guillin  de 
Montel  dont  le  mari  'avait  été  massacré,  le  26  juin,  à  Poleymjeux 
(Rhône)  (Arch.  pari.   XXIX:  421-424). 


LES  DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  629 

«  Vous  avez  consacré,  disoit-ii,  par  cette  constitution,  que  tous 
les  citoyens  soient  admissibles  à  tous  les  emplois,  sans  autres  distinctions 
que  celles  des  talents  et  des  vertus;  et,  en  conservant  le  décret  du 
Marc  d'argent,  ou  en  adoptant  ce  que  proposent  vos  comités,  vous 
concentrez  évidemment  tous  les  droits  politiques  dans  les  mains  de  la 
classe  la  plus  riche.  A  quoi  me  servira  donc  à  moi,  citoyen,  ajoutoit-il, 
que  la  noblesse,  que  la  féodalité  aient  été  abolies,  si  vous  établissez  une 
autre  distinction  bien  plus  réelle,  puisqu'elle  tient  aux  richesses,  source 
de  toute  corruption.   » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),   12  août  1791,  p.  895. 

«  M.  Robespierre  est  allé  bien  plus  loin  encore;  il  n'a  voulu  ni 
de  l'article,  ni  du  marc  d'argent,  ni  du  décret  anciennement  rendu, 
qui  portoit  la  contribution  des  électeurs  à  dix  journées  de  travail,  et  il 
a  appuyé  sa  répugnance  sur  des  raisons  qui  ne  sont  pas  sans  quelque 
mérite  (10).  Assujettir  le  droit  d'éligibilité  à  des  conditions  pécuniaires, 
lui  a  paru  contraire  à  la  déclaration  des  droits,  qui  dit  que  tout  homme, 
tout  citoyen  est  accessible  aux  emplois  et  aux  fonctions  publiques,  sans 
autres  distinctions  que  celles  du  talent  et  du  mérite.  «  Qu'importe,  a-t-il 
ajouté,  que  vous  ayez  supprimé  la  noblesse,  si  vous  créez  une  autre 
aristocratie,  si  vous  mettez  à  sa  place  une  classe  privilégiée  qui  sera 
seule  accessible  aux  fonctions  publiques  ?  Il  a  donc  conclu  à  ce  que 
l'assemblée  révoquât  le  décret  du  marc  d'argent,  et  en  même  tems  toutes 
les  conditions  préliminaires  de  l'éligibilité  exigées  pour  être  électeurs.  » 

Le  Thermomètre  du  Jour,  n°  2,  p.  7. 

«  M.  Robespierre  a  soutenu  que  la  plus  grande  latitude  devoit 
être  laissée  aux  droits  politiques  des  citoyens;  il  a  vu,  dans  le  décret 
du  marc  d'argent,  et  dans  la  nouvelle  proposition  des  comités,  une  con- 
tradiction manifeste,  une  violation  des  principes  établis  par  la  constitu- 
tion même. 

«  Vous  avez  consacré,  disoit-il,  par  cette  constitution,  que  tous 
les  citoyens  sont  admissibles  à  tous  les  emplois,  sans  autres  distinctions 
que  celles  des  talens  et  des  vertus;  or,  en  conservant  le  décret  du  marc 
d'argent,  ou  en  adoptant  ce  que  proposent  vos  comités,  vous  concentrez 
évidemment  tous  les  droits  politiques  dans  les  mains  de  la  classe  la 
plus  riche. 

«  A  quoi  me  servira  donc  à  moi,  citoyen,  ajoutoit-il  ,  que  la 
noblesse,  que  la  féodalité  aient  été  abolies,  si  vous  établissez  une  autre 


(10)  Les  journaux  royalistes  ne  désapprouvent  pas  l'attitude  de 
Robespierre,  au  contraire;  car  ses  attaques  contribuent  à  ruiner  le 
projet  des  monarchiens  dont  ih  ne  veulent  pas  eux-mêmes.  Barère 
remarque  même  (Point  du  Jour,  t.  XXV,  p.  220)  que  «  pendant  tous 
ces  discours,  le  côté  droit  ne  prenoit  aucune  part  aux  agitations  qui 
partageoient  le  reste  de  l'assemblée.  On  eut  dit  qu'on  faisoit  des  Loix 
pour  un  pays  qui  leur  étoit  étranger  ». 


630  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE. 

distinction  bien  plus  réelle,  puisqu'elle  tient  aux  richesses,  source  de 
toute  corruption.  M.  Robespierre  a  conclu  tout  ù  la  fois,  à  l'abolition 
du  marc  d'argent,  et  à  celle  de  la  contribution  exigée  pour  les  électeurs.» 

Le  Courrier  des  LXXX11I  départemens,   1791,  n"   12,  p.  207. 

«  M.  Robespierre  a  été  plus  loin.  Il  vouloit  que  l'on  mît  de  coté 
et  le  marc  d'argent  et  le  taux  exigé  pour  être  électeur.  Il  ne  faut  pas 
juger  de  la  bonté  de  ses  raisonnemens  par  la  manière  dont  ils  ont  été 
reçus.  Dans  plusieurs  circonstances,  les  murmures  honorent  plus  que  les 
éloges.    » 

L'Ami  du  Peuple  (Marat),  n°  533,  p.  6. 

«  On  a  vu  MM.  Péthion,  Buzot,  Prieur,  Roberspierre,  ces  fidèles 
amis  de  la  patrie,  réduits,  en  s'opposant  aux  attentats  des  comités 
vénaux,  à  demander  la  conservation  du  décret  du  marc  d'argent,  si 
contraire  à  la  légalité  des  droits  des  citoyens;  et  de  combattre  pour 
la  conservation  des  funestes  décrets,  dans  la  crainte  qu'on  ne  leur  en 
substituât  de  plus  funestes  encore.   » 

Le  Babillard  du  Palais  Royal,  n°  61,  p.   142- 

«  On  s'entretenait  dans  un  autre  groupe  de  la  question  qui  divise 
l'assemblée  nationale.  La  contribution  que  l'on  propose  pour  former  les 
bases  de  la  représentation  est,  selon  ies  ouvriers,  un  attentat  aux  droits 
de  l'homme.  Ils  adoptent,  en  entier,  l'opinion  de  M.  Robespierre  qui 
veut  que  chacun  puisse  être  électeur  et  éligible,  sans  autre  titre  que  ses 
talens  et  ses  vertus  (11).  Il  n'est  pas  difficile  d'en  imposer  au  peuple, 
en  lui  présentant  ces  idées  d'équité  naturelle,  vraies  dans  la  théorie, 
mais  extrêmement  dangereuses,  si  l'on  veut  les  appliquer  au  gouverne- 
ment. II  serait  utile  de  démontrer  au  peuple,  d'une  manière  claire  et 
précise,  que  les  droits  de  l'homme  ne  sont  pas  toujours  ceux  du  citoyen, 
que  la  nature  assure  les  uns,  tandis  que  la  loi  modifie  les  autres.  On 
remarque  que  les  opinions  exagérées,  les  principes  généraux  ont  un 
charme  invincible  pour  les  esprits  ardens.  Les  discours  de  M.  Robes- 
pierre qui  considère  plus  souvent  les  droits  de  l'homme  dans  l'état  de 
nature  que  ceux  du  citoyen  dans  la  société,  font  un  effet  rapide  et  cer- 
tain. Ce  qu'il  y  a  de  singulier,  c'est  qu'ils  sont  toujours  connus  d'avance, 
et  que  les  opinions  de  ce  député  fameux,  obtiennent  un  succès  prodi- 
gieux dans  toutes  les  tavernes  de  la  capitale,  avant  d'être  prononcées 
dans  le  sénat  de  la  nation  »  (12). 


(11)  Passage  cité  par  G.  Walter,  666,  note  59. 

(12)  (Le  discours  imprimé  sur  l'abolition  du  marc  d'argent  avait 
en  effet  été  publié  dès  avril  1791,  et  connaissait  depuis  cette  date  un 
grand  succèB. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  631 

[Long  résumé  de  ce  discours  dans  Le  Journal  des  Débals,  n°  812 
p.  1 1  ;  Le  Courrier  de  Provence,  t.  XVI,  n°  328,  p.  256-260;  Le  Jour 
nal  de  Paris,  13  août  1791,  p.  919.  Brève  mention  dans  Le  Pacquebot 
n°  200;  Le  Journal  de  Rouen,  n°  224,  p.  1089;  Le  Journal  du  Soir 
(des  Frères  Chaignieau),  t.  III,  n°  402,  p.  3;  L'Argus  patriote,  n°  20 
Le  Journal  de  la  Révolution,  n°  365,  p.  328;  Les  Annales  patriotiques 
et  littéraires,  n°  679,  p.  800;  La  Gazette  universelle,  n°  224,  p.  895 
Le  Patriote  jrançois,  n°  733,  p.  175] 


334.  —  SEANCE  DU  12  AOUT  1791 

Discussion  du  projet  de  constitution  (suite) 
Sur  le  marc  d'argent  et  le  cens  électoral  (suite) 


Thouret,  rapporteur,  présente  une  nouvelle  rédaction  de  l'art  7 
du  projet  de  constitution,  ■concernant  les  conditions  exigées  pour 
être  électeur  (1).  Grégoire  insiste  sur  l'irrévocabilité  des  décrets 
rendus,  voulant  ainsi  éviter  qu'on  substitue  aux  clauses  anciennes, 
des  dispositions  plus  contraignantes.  Il  est  sans  cesse  interrompu 
par  les  murmures  du  centre,  tandis  que  l'extrême  gauche  le  soutient 
de  ses  applaudissements.  D'André  demande  alors  au  président  (2)  de 
maintenir  la  liberté  des  opinions  et  «  d'imposer  silence  à  ces  mes- 
sieurs (de  l'extrême  gauche)  qui  font  un  bruit  épouvantable  ». 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXI,  p.  403. 
«  M.  Robespierre.  M.  d'André  veut  devenir  despote  »  (3). 


(1)  La  manœuvre  du  comité  fut  également  dénoncée  par  tous  les 
journaux  patriotes.  Audouin  écrit  à  ce  sujet  dans  son  Journal  Uni- 
versel (t.  XIII,  p.  14043)  :  «  Mais  le  peuple  sent  aussi  que  ce  qui  tenait 
au  cœur  de  nos  intrigants,  c'est  Le  décret  qui  les  exclut  du  ministère 
et  de  la  législature.  Pour  le  révoquer,  il  fallait  faire  révoquer  un 
décret,  un  décret  impopulaire  comme  celui  du  marc  d'argent,  qui 
aurait  servi  de  précédent.  C'était  un  piège,  dans  lequel  les  patriotes 
ne  sont  pas  tombés. 

«  Voilà  le  secret  de  la  comédie  jouée  dans  les  dernières  séances, 
il  était  singulier  de  voir  MM.  Thouret,  Barnave,  d'André,  Chapelier, 
Beaumetz  attaquer  le  marc  d'argent,  défendu  par  Péthion,  Buzot, 
Grégoire,  Robespierre,  Vadier,  Rœderer  ;  c'est  que  ceux-ci  veulent 
avoir  la  constitution  telle  qu'elle  est,  afin  du  moins  d'en  avoir  une 
qui  ne  soit  pas  défavorable  au  peuple  sous  tous  les  rapports.  » 
(Cf.  également  Patriote  François,  n°  735,  p.  185). 

(2)  C'est  Alexandre  de  Beauharnais. 

(3)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.   pari.,  XXIX,  383. 


632  les  discours  de  robespierre 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

335.  —  SEANCE  DU  12  AOUT  1791 
Sur  le  discours  du  député  de  la  Société  de  Strasbourg 


Robespierre  préside  en  l'absence  de  Pétion.  Laurent,  député  de 
la  Société  de  Strasbourg,  rend  compte  d'une  tentative  de  scission 
analogue  à  celle  des  Amis  de  la  Constitution  à  Paris,  faite  à  Stras- 
bourg; il  donne  quelques  détails  sur  la  situation  politique  dans 
cette  ville.  Il  conclut  en  demandant  la  traduction  des  décrets  en  alle- 
mand, un  décret  contre  l'exportation  de  l'argent,  le  retour  des 
•officiers  dans  leurs  corps  ou  leur  démission,  enfin  un  meilleur  état 
de  défense  des  frontières.   Robespierre  lui  répond  (1). 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°42,  p. 3. 
«  M.  Robespierre,  en  qualité  de  président,  a  répondu  :  Vous  nous 
avez  à  la  fois  effrayés  et  consolés...  votre  courage  nous  assure  qu'il 
existe  un  grand  nombre  de  Français  capables  de  triompher  des  complots 
des  ennemis  de  la  liberté;  nous  déploierons  toutes  nos  ressources  pour 
les  dévoiler  et  pour  les  déconcerter.  Si  nos  efforts  sont  impuissans,  nous 
saurons,  comme  vous,  préférer  la  mort  et  la  liberté;  et  si  nous  ne 
pouvons  sauver  la  patrie,  en  combattant  pour  elle,  nous  saurons  au  moins 
sauver  la  patrie  en  mourant  »  (2). 


(1)  Cf.   E.  Hamel,   I,   545  ;  et  Aulard,   III, 

(2)  Texte   reproduit  dans  Aulard,   III,  83. 


336.  —  SEANCE  DU  15  AOUT  1791 
Sur  la  revision  de  la  Constitution  (suite) 


lre  intervention  :  Sur  les  délais  de  la  sanction  royale 

L'Assemblée  poursuit  le  débat  relatif  à  la  révision  de  la  consti- 
tution. Après  une  discussion  rapide,  elle  vote  successivement  tous 
les  articles  de  la  section  II,  concernant  la  sanction  royale.  Robes- 
pierre intervient  sur  l'art.  4,  proposant  que  le  délai  accordé  au  roi 
pour  sanctionner  jou  refuser  les  décrets  du  corps  législatif,  soit 
réduit  à  15  jours. 

L'Assemblée  ne  s'arrêta  pas  à  cette  proposition  et  décréta  la 
rédaction  proposée  par  «es  comités:  «  4.  Le  roi  est  tenu  d'exprimer 
son  consentement  ou  son  refus  sur  chaque  décret  dans  les  deux  mois 
de  la  présentation  ;  et,  ce  délai  passé,  son  silence  est  réputé 
refus  »  (1). 

Journal  des  Débats,  n°  816,  p.  4. 

Gazette  nationale  ou  Extrait...,  t.  XIX,  p.  83. 

«   M.  Robespierre  a  dit  :  Je  trouve  le  délai  de  deux  mois  trop 

(1)  Ci.  Discours...,  F»  partie,  p.  72  et  86. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  633 

long.  Il  est  des  circonstances  où  il  est  dangereux  de  rester  dans  l'incer- 
titude sur  une  loi  (On  a  demandé  à  aller  aux  voix).  Je  propose  un 
amendement,  et  la  majorité  de  l'Assemblée  ne  peut  pas  m'empêcher 
d'énoncer  mon  opinion.  Je  dis  que  le  délai  de  deux  mois  accordé  au 
Roi  est  trop  long.  On  peut  profiter  de  ce  temps  pour  faire  valoir  des 
intérêts  particuliers,  pour  différer  la  sanction  d'un  Décret  dont  la  prompte 
sanction  intéresseroit  la  chose  publique;  je  demande  que  ce  délai  soit 
fixé  et  restreint  à  quinze  jours  »  (2). 

Le  Législateur  français,  t.  III,    16  août   1791,  p.   3. 

«  L'article  portoit  que  le  roi  seroit  tenu  d'exprimer  son  consente- 
ment au  décret  présenté,  ou  son  refus  dans  le  délai  d'un  mois.  M.  Maxi- 
milien  Robertspierre  s'est  opposé  à  cette  disposition,  et  s'est  efforcé  de 
prouver  qu'il  seroit  fort  dangereux  d'accorder  au  roi  autant  de  temps 
pour  délibérer.  II  vouloit  que  le  temps  fût  limité  à  15  jours.  A  peine 
M.  Robertspierre  a-t-il  cessé  de  parler,  qu'on  a  crié  aux  voix  de  toutes 
parts,  et  l'article  a  été  adopté.   » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  16  août  1 791 ,  p.  91 1 .  • 

«  M.  Robespierre  ne  s'est  pas  inquiété  de  la  fiction;  il  a  porté  sa 
critique  sur  l'article  4,  où  l'on  donne  deux  mois  au  roi  pour  exprimer  son 
consentement  ou  son  refus  sur  chaque  décret.  Cette  faculté  de  délibérer 
pendant  deux  mois  a  paru  à  M.  Robespierre  devoir  favoriser  ceux  qui 
voudroient  profiter  du  bénéfice  de  l'ancienne  loi.  Il  vouloit  sans  doute 
que  le  roi  signât  aveuglément  les  décrets  à  l'instant  même  où  on  les  lui 
présenteroit.  On  n'a  tenu  aucun  compte  de  sa  censure,  non  plus  que 
de  celle  de  MM.  Guillaume  (3)  et  Reubell.  » 

Journal  de  la  Noblesse,  t.  II,  n"  34,  p.  467  (4). 

«  M.  Roberspierre  a  fait  un  discours  sur  les  deux  mois  accordés 
pour  la  sanction;  il  trouvoit  ce  délai  trop  long;  parce  qu'il  croit  toujours 
voir  un  ennemi  du  peuple  dans  un  loi  ;  il  suppose  que  le  roi  s'opposera 
à  une  loi  salutaire,  ou  qu'il  n'aura  point  assez  de  conception  pour  en 
juger  les  effets.  » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  général, 
p.  805;  Les  Annales  patriotiques  et  littéraires,  16  août  1791,  p.  1824; 
Le  Factionnaire  clairvoyant  ou  l'Argus  impartial,  n°  2,  p.  12;  L'Ami 
du  Roi  (Royou),   17  août  1791,  p    2.] 


<B)  Texte   reproduit  dans  les  Arch.   pari.,   XXIX,   445. 

(3)  Guillaume,   déouté  du   tiers  état  de  Paris,  hors  les  murs. 

(4)  A  cette  date,  le  «  Journal  de  la  Noblesse,  de  la  Magistrature, 
du  Sacerdoce  et  du  Militaire  »,  fusionne  avec  le  «  Défenseur  des 
Opprimés  ». 


634  LES   DISCOURS   PE   ROBESPIERRE 

2"  intervention  :  Sur  l'exercice  du  pouvoir  législatif 

Au  cours  de  la  discussion  du  chapitre  concernant  l'exercice  du 
pouvoir  législatif,  un  membre  propose,  comme  article  additionnel, 
de  donner  au  corps  législatif  la  faculté,  dans  les  cas  de  nécessité,  de 
licencier  un  corps  armé  sans  avoir  besoin  d'autre  consentement. 
Robespierre  vent  appuyer  cet  article,  mais  l'Assemblée  le  rejette 
par  la  question  préalable. 

Assemblée  nationale.  Corps  administratif  s  (Peûet) ,  t.  XIII,  n°  741,  p.  6. 

«  On  a  crié  à  l'ordre  du  jour.  «  Je  croyois,  a  dit  M.  le  Président, 
que  la  proposition  n'étoit  pas  appuyée,  mais  je  m'apperçoi?  qu'elle  l'est 
par  M.  Robespierre  ».  Dans  ce  cas,  ont  dit  plusieurs  membres,  nous 
demandons  la  question  préalable...  » 


3e  intervention  :  Sur  l'admission  des  ministres  aux  séances 
de  V Assemblée  législative 

L'Assemblée  aborde  la  section  IV,  concernant  les  relations  du 
corps  législatif  avec  le  roi.  Elle  vote  rapidement  les  neuf  premiers 
articles.  Thou§et,  rapporteur,  donne  lecture  de  l'art.  10:  «  (Les 
ministres  du  roi  auront  entrée  dans  l'Assemblée  nationale  législative  ; 
ils  y  auront  une  place  marquée;  ils  seront  entendus  sur  tous  les 
obiets  sur  lesquels  ils  demanderont  à  l'être,  et  toutes  les  fois  qu'ils 
seront  requis  de  donner  des  éclaircissements  ».  Robespierre,  inter- 
venant te  premier,  demande  la  question  préalable.  Après  lui.  Barère, 
Lanjuinais^  Camus,  Reubell,  Pétion...  critiquent  l'article  proposé 
par  le  comité. 

Finalement.  l'Assemblée  décréta  la  rédaction  proposée  par  Char- 
les Lameth  :  «  Les  ministres  du  roi  auront  entrée  à  l'assemblée  légis- 
lative; ils  auront  une  place  marquée;  ils  seront  entendus  toutes  les 
fois  qu'ils  le  demanderont  sur  les  objets  relatifs  à  leur  administra- 
tion, ou  lorsqu'ils  seront  requis  de  donner  des  éclaircissements.  Ils 
seront  également  entendus  sur  les  objets  étrangers  à  leur  administra- 
tion toutes  les  fois  que  le  corps  législatif  leur  accordera  la  parole  ». 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXXI,  p.  492 
«  M.  Robespierre.  Je  regarde  cet  article  comme  un  de  ceux  qui 
peuvent  dénaturer  les  premiers  principes  de  la  constitution.  Quelques 
observations  simples  pourront  le  prouver;  un  des  principes  de  la  consti- 
tution est  la  séparation  des  pouvoirs.  Tout  ce  qui  tend  à  les  confondre, 
de  quelque  manière  anéantit  l'esprit  public  et  afFoiblit  les  bases  de 
la  liberté.  Or.  d'après  cet  article,  le  pouvoir  exécutif  et  le  pouvoir  légis- 
latif sont  confondus.  Cet  article  donne  aux  ministres,  non  seulement  le 
droit  d'assister  aux  séances  quand  ils  le  voudront,  mais  le  droit  de  parler 
sur  tous  les  objets  soumis  à  la  délibération  du  corps  législatif  (mur- 
mures). Je  demande  la  permission  de  quitter  la  tribune,  si  ceux  qui 
m'entourent  ne  veulent  pas  me  permettre  de  continuer  mon  opinion. 
Il  est  dit  dans  l'article,  qu'ils  seront  entendus  sur  tous  les  objets  :  ils  ont 
donc,  comme  les  membres  de  l'Assemblée  nationale,  le  droit  d'opiner 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  635 

sur  tous  les- objets  (grands  murmures).  Il  n'y  a  ici  qu'une  seule  diffé- 
rence entre  le  droit  qui  appartient  aux  membres  de  l'assemblée  nationale 
et  les  ministres  qui  y  seront  introduits  ;  savoir  :  que  chaque  membre  de 
l'assemblée  nationale  aura  le  droit  de  faire  compter  sa  voix,  au  lieu  que 
les  ministres  n'auront  que  le  droit  de  dire  leur  avis,  de  discuter,  de 
défendre  leur  opinion,  mais  que  leur  voix  ne  sera  pas  comptée.  L'intérêt 
essentiel  n'est  pas  que  la  voix  d'un  ministre  soit  comptée,  une  seule 
voix  ne  fait  pas  le  grand  poids  dans  la  balance;  mais  il  importe  que:  les 
ministres  ne  puissent  influer  puissamment  sur  une  délibération  en  discu- 
tant tous  les  objets  soumis  à  l'assemblée  nationale  :  et  certes,  ici  la  voix 
consultative  est  bien  plus  précieuse  que  le  droit  de  faire  compter  son 
opinion  dans  le  recensement  des  suffrages;  mais  le  droit  de  développer, 
de  défendre  une  opinion  dans  l'assemblée,  donne  la  faculté  d'attirer 
plusieurs  suffrages  à  son  opinion,  et  influer  par  conséquent  plus  puis- 
samment que  la  simple  faculté  de  donner  sa  voix  sans  discuter  son  opi- 
nion; et  c'est  sous  ce  point  de  vue  que  je  dis  que  l'article  est  contraire 
à  l'esprit  de  votre  constitution. 

«  Vous  avez  voulu,  par  plusieurs  décrets,  affranchir  absolument  les 
délibérations  du  corps  législatif,  de  l'influence  du  pouvoir  exécutif  et 
des  ministres;  et  certainement,  vous  allez  directement  contre  votre  but 
par  le  décret  qu'on  vous  propose.  Ce  ne  peut  pas  être  une  chose  indif- 
férente, de  donner  un  tel  poids  à  un  ministre,  de  livrer  !e  corps  légis- 
latif à  l'influence  que  peuvent  lui  donner  ses  talens  et  son  éloquence. 
Il  joint  encore  les  moyens  d'influence  qui  sont  attachés  à  sa  qualité 
de  ministre  au  pouvoir  exécutif  dont  il  est  revêtu  :  et  ne  vous  flattez  pas 
que  la  voix  consultative  d'un  ministre  ne  sera  pas,  en  général,  une  pré- 
pondérance bien  plus  considérable  que  la  voix  d'un  membre  de  la  légis- 
lature. Quelques  précautions  que  vous  ayez  prises  par  certains  décrets 
pour  tarir  quelques-unes  des  sources  de  la  corruption,  il  restera  toujours 
au  pouvoir  exécutif  assez  de  moyens  d'exercer  une  puissance  funeste 
sur  la  pureté  et  la  liberté  des  délibérations  du  corps  législatif.  Le  pou- 
voir exécutif  a  à  sa  disposition,  tant  de  places,  d'emplois,  que  l'on  peut 
solliciter,  que  l'on  peut  obtenir,  non  pour  soi,  mais  pour  ses  amis;  le 
pouvoir  exécutif  a  d'ailleurs,  dans  ses  mains,  tant  de  moyens  de  séduc- 
tion d'un  autre  genre,  que  je  ne  veux  même  pas  désigner  ici  ouverte- 
ment, que  toujours  il  sera  de  la  sagesse  de  l'assemblée  nationale  d'oppo- 
ser toutes  sortes  de  barrières  à  l'influence  du  pouvoir  exécutif  sur  les 
délibérations  du  corps  législatif.  Je  conclus,  d'après  ces  motifs,  qu'il 
est  impossible  que  vous  admettiez  l'article  sans  être  en  contradiction 
avec  vous-mêmes,  et  sans  renverser  les  bases  de  la  liberté  et  de  la  cons- 
titution »  (5). 
Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  228,  p.  946. 

«  M.  Robespierre.  Je  regarde  cette  disposition  comme  dénaturant 


(5)  Texte  reproduit,  dans  les  Arch.   pari.,  XXIX,  445, 


636  LES    PISCWRS    P£    ROBÇSPÎERRE 

le  principal  article  de  votre  constitution.  Dans  les  principes  <îe  la  consti- 
tution est  la  séparation  des  pouvoirs;  or,  l'article  qui  vous  est  proposé 
tend  à  les  confondre  en  quelque  manière;  il  donne  aux  ministres,  non- 
seulement  le  droit  d'assister  aux  délibérations  du  corps  législatif,  mais 
le  droit  de  parler  sur  tous  les  objets  soumis  à  la  discussion.  (Plusieurs 
voix  :  Ce  n'est  pas  cela). 

«  Il  y  est  dit  qu'ils  seront  entendus  sur  tous  les  objets  sur  lesquels 
ils  demanderont  à  l'être;  donc  ils  peuvent  opiner;  la  seule  différence 
qu'il  y  aura  entre  les  membres  de  l'Assemblée  nationale,  c'est  que 
chaque  membre  aura  droit  de  faire  compter  sa  voix,  au  lieu  que  les 
ministres  auront  le  droit  seulement  de  donner  leur  avis,  et  de  discuter. 
Or,  quel  est  l'intérêt  des  ministres  ?  Il  n'est  pas  que  leurs  voix  soient 
comptées,  car  une  ou  deux  voix  de  plus  n'ont  pas  beaucoup  d'effet; 
mais  ils  ont  intérêt  à  influencer  les  délibérations,  et  c'est  sous  ce  point 
de  vue  que  je  dis  que  l'article  est  contraire  à  l'esprit  de  la  constitution. 
Ce  n'est  pas  une  petite  chose  que  d'introduire  dans  le  corps  législatif 
un  homme  qui,  à  l'influence  de  ses  moyens  et  de  son  éloquence,  ajou- 
terait celle  du  grand  caractère  dont  il  serait  revêtu.  Lorsque  les  ministres 
pourront  diriger  les  délibérations,  craignez  qu'on  ne  les  voye  sans 
cesse  venir  consommer  dans  l'Assemblée  le  succès  des  mesures  qu'ils 
auront  prises  au  dehors.  L'article  tend  évidemment  à  confondre  le  pou- 
voir exécutif,  non  pas  avec  le  pouvoir  législatif,  en  ce  qu'il  donne  le 
droit  de  pouvoir  faire  compter  sa  voix;  mais  avec  le  pouvoir  législatif, 
en  ce  qu'il  confère  aux  membres  qui  en  sont  revêtus,  le  droit  de  diriger 
les  délibérations  et  d'exercer  une  influence  directe  sur  la  formation  de 
la  loi    Je  demande  la  question  préalable  »  (6). 

Journal  de  Paris,   16  ao0t  1791,  p.  932. 

«  Le  premier  qui  a  parlé  contre,  c'est  M.  Roberspierre.  M.  Robers- 
pierre  a  soutenu  que  l'article  est  subversif  des  principes  fondamentaux 
de  la  Constitution;  que  la  Constitution  a  divisé  et  séparé  les  pouvoirs, 
et  que  cet  article  tend  à  les  réunir  et  à  les  confondre,  à  faire  entrer 
le  Pouvoir  exécutif  en  participation  de  la  Puissance  législative;  que  la 
même  proposition  a  déjà  été  faite  et  rejettée  lorsqu'on  a  refusé  de  per- 
mettre que  les  Ministres  fussent  Membres  du  Corps  législatif;  que 
l'influence  des  Ministres,  si  redoutable  lors  même  qu'elle  n'agit  qu'au 
dehors,  deviendrait  terrible  si  on  souffroit  qu'elle  agît  dans  le  sein 
même  de  l'Assemblée;  qu'on  ne  diminue  point  le  danger  de  cette 
influence  en  ne  donnant  aux  Ministres  qu'une  voix  consultative  sans  voix 
délibérative  ;  que  la  faculté  d'entrer  dans  la  délibération  ne  donne  à 
chacun  qu'une  voix,  la  sienne;  mais  que  la  faculté  de  parler  peut  donner 
cent  voix  à  celui  qui  possède  le  talent  et  la  puissance  de  la  parole; 
qu'enfin  le  premier  soin  d'un  Corps  constituant  doit  être  d'écarter  du 

(6)  Texte    reproduit   dans    le    Moniteur,    IX,    407;    et   Bûchez    et 
Roux,  XI,  300. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  637 

Corps  législatif  tout  ce  qui  peut  en  altérer  la  pureté,  et  qu'il  doit  donc 

être  aussi  d'en  écarter  les  Ministres.  » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXV,  n°  768,  p.  294. 

«  M.  Robespierre  s'est  écrié  d'abord  contre  cet  article,  dans  lequel 
il  voyoit  la  confusion  des  pouvoirs,  une  trop  grande  influence  donnée 
aux  ministres,  et  le  pouvoir  législatif  entièrement  dans  leurs  mains.  Je 
regarde,  a-t-il  dit,  cet  article  comme  un  de  ceux  qui  pourroient  altérer 
davantage  les  principes  et  renverser  la  constitution. 

«  Rien  ne  tend  plus  à  bouleverser  les  principes  que  la  réunion 
des  pouvoirs.  L'article  du  comité  donne  aux  ministres,  non  seulement 
le  droit  d'assister  aux  séances,  mais  encore  il  leur  permet  de  faire  des 
observations,  et  de  prendre  part  aux  délibérations  ouvertes  sur  toutes 
les  loix. 

«  Comme  MM.  Desmeuniers,  Thouret,  Beaumetz  et  Chapelier 
investissent  la  tribune,  je  demande,  s'est  écrié  M.  Robespierre,  la  per- 
mission de  parler  dans  une  autre  partie  de  la  salle,  ou  que  M.  le  pré- 
sident impose  silence  à  mes  voisins.  (Le  calme  s'est  rétabli).  Il  est  dit 
dans  l'article,  a  repris  l'orateur,  que  les  ministres  seront  entendus  toutes 
les  fois  qu'ils  le  demanderont;  ils  auront  donc  de  fait,  comme  tous  les 
membres  du  corps  législatif,  le  droit  d'opiner,  de  discuter  ?  Ils  pourront 
donc  donner  leur  avis  ?  Qu'on  réfléchisse  aux  terribles  conséquences  qui 
peuvent  en  résulter.  Indépendamment  des  ressources  de  l'éloquence, 
combien  de  moyens  d'intrigue  et  de  corruption  le  ministre  ne  pourra - 
t-il  pas  employer  ?  Il  aura  donc  plus  de  force  et  de  prépondérance 
qu'aucun  représentant  de  la  nation.  Il  aura  bien  des  moyens  pour  séduire, 
pour  corrompre,  pour  entraîner  les  délibérations  et  attenter  à  la  liberté 
publique.  Je  ne  parle  pas  des  places  qui  seront  à  sa  disposition,  et  que 
tant  de  personnes  brigueront  pour  eux  ou  pour  leurs  amis  et  leurs  parens. 
Je  ne  veux  pas  dévoiler  tous  les  autres  moyens  que  l'on  fait  valoir  chez 
les  ministres  :  il  est  aisé  de  les  comprendre,  mais  je  crois  de  mon  devoir 
de  m 'opposer  de  toutes  mes  forces  à  un  article  qui  peut  porter  une 
atteinte  réelle  à  la  Constitution  »  (7). 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  17  août  1791,  p.  2. 

«  M.  Robespierre,  après  de  longues  déclamations  sur  la  perversité 
des  ministres,  sur  l'esprit  de  corruption  qu'ils  portent  par-tout,  a  fini 
par  déclarer  qu'il  voyoit  dans  cet  article  le  renversement  de  la  consti- 
tution. Il  est  fâcheux  que  M.  Robespierre  n'y  voie  pas  un  peu  mieux, 
et  qu'on  ne  puisse  pas  prendre  confiance  en  ses  apperçus.  Il  s'est  appe- 
santi sur  le  danger  d'accorder  aux  ministres  l'initiative,  et  de  les  admet- 
tre à  voter.  On  lui  a  répondu  qu'il  n'en  étoit  pas  question  dans  ! 'article . 
Cependant  il  faut  convenir  que  le  droit  d'être  entendu  à  volonté,  auroit 
pu  tenir  lieu  d'initiative  à  un  ministre  habile;  aussi  a-t-il  été  modifié. 


(7)  Cf.   E.   Hamel,  I,   539-540. 


638  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

M.  Robespierre  a  répliqué  que  donner  la  voix  consultative  aux  minis- 
tres, étoit  la  même  chose  que  les  admettre  à  la  délibération;  que  l'effet 
seroit  le  même;  qu'une  voix  de  plus  ou  de  moins  dans  une  si  nombreuse 
assemblée,  n'est  rien,  mais  que  l'influence  d'un  homme  qui  a  beaucoup 
de  places  à  donner,  est  quelque  chose.  » 

Le  Législateur  français,  t.  III,  16  août  1791,  p.  3. 

M.  Robertspierre  est  monté  à  la  tribune,  et  après  être  entré  dans 
de  longs  détails  sur  la  perversité  des  ministres,  sur  l'esprit  de  corruption 
qu'ils  portent  par-tout,  il  a  fait  voir  combien  il  seroit  dangereux  pour 
la  liberté  d'accorder  aux  ministres  l'initiative  pour  la  confection  de  la 
loi,  et  de  les  admettre  à  voter  parmi  les  représentai  de  la  nation.  On 
a  fort  judicieusement  observé  que  par  l'article  on  ne  prétendoit  ni  don- 
ner l'initiative  aux  ministres,  ni  les  admettre  à  voter  dans  le  sein  du 
corps  législatif,  mais  seulement  entendre  de  leur  bouche  des  éclaircisse- 
ments nécessaires  à  l'exécution  des  lois. 

M.  Robertspierre  a  repris  et  a  soutenu  que  donner  aux  ministres 
voix  consultative  dans  l'assemblée  nationale,  étoit  absolument  la  même 
chose  que  les  admettre  à  la  délibération,  puisque  l'un  ou  l'autre  droit 
produisoit  exactement  le  même  effet;  car  ce  n'est  pas  une  voix  de  plus 
ou  de  moins  qui  est  bien  déterminante,  pour  la  confection  d'une  loi, 
mais  c'est  l'influence  d'un  homme  entouré  d'une  grande  autorité,  d'un 
homme  qui  a  beaucoup  de  places  à  sa  disposition  qu'il  faut  redouter 
dans  une  assemblée  législative;  ce  sont  les  grands  talens  qu'il  faut 
craindre. 

Ces  raisons  ne  sont  pas  méprisables,  sans  doute;  et  on  a  vu,  par 
le  mouvement  de  l'assemblée,  lorsque  M.  Robertspierre  a  eu  cessé  de 
parler,  combien  ce  qu'il  venoit  de  dire  de  l'influence  des  personnes  est 
profondément  vrai.  A  peine  avoit-il  cessé  de  parler  que,  dédaignant 
de  lui  répondre,  les  membres  même  qui  n'étoient  pas  de  son  avis,  ont 
crié   aux   voix. 

L'Ami 'du  Roi  (Montjoie),    16  août    1791,   p.   911. 

«  M.  Robespierre  d'abord  a  prétendu  que  si  l'on  admettoit  les 
ministres  dans  le  sein  du  corps  législatif,  ce  seroit  confondre  et  réunir 
tous  les  pouvoirs;  que  les  ministres  auraient  alors  les  mêmes  droits  que 
les  députés;  que  leur  voix  consultative  seroit  plus  dangereuse  qu'une 
voix  délibérative,  parce  qu'elle  auroit  plus  d'influence;  enfin,  que  les 
ministres  auroient,  indépendamment  de  leurs  talens  et  de  leur  éloquence, 
des  moyens  de  corruption. 

Tout  cela  étoit  si  pitoyable,  qu'on  ne  s'est  pas  arrêté  à  y  répondre. 
On  a  crié  presque  unanimement  et  avec  une  sorte  de  fureur,  aux  voix, 
aux  voix.  M.  le  président  n'a  pas  pu  mettre  aux  voix,  parce  que  quel- 
ques députés  avoient  demandé  à  parler,  les  uns  pour,  les  autres  contre 
l'article  du  décret.  Il  en  a  fait  l'observation.  Ceux  qui  avoient  demandé 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  639 

à  parler  contre  l'article,  étoient  MM-  Robespierre,  grand  censeur  de  la 
charte,    Péthion,    Barrère,    Lanjuinais,    Prieur.    » 

Journal  Général  de  France,  16  août  1791,  p.  915. 

«  M.  Robertspierre  n'a  pas  laissé  échapper  une  si  belle  occasion 
de  faire  une  longue  diatribe  contre  les  Ministres;  il  a  prétendu  qu'ils 
portent  l'esprit  de  corruption  partout,  et  il  a  semblé  craindre,  ce  qui 
est  extrêmement  flatteur  pour  les  Ministres,  qu'ils  corrompissent  l'Assem- 
blée Nationale;  mais  tout  le  monde  a  bien  vu  que  ce  serait  impossible. 
L'Opinant  a  ajouté  que  donner  aux  Ministres  voix  consultative  dans 
l'Assemblée  Nationale,  ou  les  admettre  à  la  délibération,  étoit  absolu- 
ment la  même  chose,  puisque  l'un  et  l'autre  produisoient  le  même 
effet.  » 
Journal  universel,  t.  XIII,  pp.   14044  et   14045. 

«  MM.  Robespierre,  Péthion,  Prieur,  Rœderer,  et  un  grand  nom- 
bre d'autres  membres,  qui,  à  ce  qu'il  paraît,  conservent  encore  de  la 
rancune  contre  ce  pauvre  pouvoir  exécutif,  demandent  à  grands  cris  à 
aller   aux   voix...    » 

...«  La  coalition  qui  prêchait  la  paix  avec  le  pouvoir  exécutif  a  été 
vaincue  encore  une  fois.  Le  peuple  élèvera  jusqu'aux  cieux  les  noms 
purs  des  Péthion,  des  Robespierre,  des  Grégoire,  des  Buzot.  des 
Rœderer,  etc..  » 

1  Brève  mention  de  cette  intervention  dans  La  Chronique  de  Paris, 
t.  V,  n°  229,  p  925;  Le  Factionnaire  clairvoyant...,  n°  2,  p.  12; 
Le  Mercure  de  France,  27  août  1791,  o.  304;  Le  Journal  de  Rouen, 
n°  228,  p.  1109;  Le  Babillard,  n°  65,  p.  197;  Le  Journal  général  de 
l'Europe,  p.  221  ;  Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Periet), 
t.  XII,  n°  741,  p.  6;  Le  Journal  des  Débats,  n°  816,  p.  5  ;  La  Gazette 
nationale  ou  Extrait...,  t.  XIX,  p.  84;  Le  Courrier  des  LXXXIII  dépar- 
tement, t.  XXVII,  n°  23,  p.  355;  Le  Courier  de  Provence,  t.  XVI, 
n°  330;  Les  Annales  patriotiques  et  littéraires,  n°  683,  p    1824.] 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

337.  —  SEANCE  DU  15  AOUT  1791 

Sur  l'admission  des  ministres  aux  séances 

de  l'Assemblée  législative 


A  lu  suite  du  débat  qui  «'était  déroulé  le  jour  même  à  l'Assem- 
blée nationale,  -cette  dernière  avait  adopté  le  projet  de  décret  pré- 
senté par  Thouret  qui  autorisait  les  ministres  à  prendre  la  parole 
au  cours  des  séances  de  la  future  Assemblée  législative  (1).  liobeB- 
pierre  s'élève  à  nouveau  contre  cette  disposition  à  la  tribune  des 
Jacobins. 


(]>  Cf.   ci-dessus,   séance  précédente;   et  E.    Hamel,    I,    540. 


640  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Voidel  (2)  fait  remarquer  qu'il  est  inutile  de  rouvrir  la  discus- 
sion sur  ce  sujet  quant  au  fond,  mais  simplement  sur  la  rédaction 
de  l'article. 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°45,  p. 4. 

«  M.  Robespierre  Au  commencement  de  cette  séance,  un  mem- 
bre a  invité  les  députés  à  se  trouver  demain,  à  l'assemblée  nationale, 
pour  la  lecture  du  procès-verbal.  Le  décret  concernant  l'admission  des 
ministres  a  été  rendu  au  milieu  du  tumulte;  presque  tous,  en  sortant, 
ne  savaient  pas  quel  était  ce  décret  :  voici  l'article  tel  qu'il  a  été  mis  en 
discussion  : 

«  Les  ministres  du  roi  auront  entrée  dans  l'assemblée  nationale 
législative;  ils  y  auront  une  place  marquée;  ils  seront  entendus  sur  tous 
les  objets  sur  lesquels  ils  demanderont  à  l'être,  et  toutes  les  fois  qu'ils 
seront  tenus  de  donner  des  éclaircissements.    » 

Il  faut  observer  que  cet  article,  très-dangereux  pour  la  constitu- 
tion, n'a  été  présenté  que  ce  matin  pour  la  première  fois  :  il  donnait  aux 
ministres  une  puissance  égale  et  même  supérieure  à  celle  des  députés 
qui  ne  peuvent  parler  qu'en  demandant  la  parole;  au  lieu  que  les  minis- 
tres auraient  le  droit  de  parler  sur  tout  et  lorsqu'ils  le  voudraient.  Les 
amis  de  la  constitution  ont  désiré  des  restrictions  et  la  première  difficulté 
s'est  élevée  sur  ce  point  :  les  ministres  auront-ils  le  droit  de  délibérer 
sur  tout?  La  discussion  s'était  éclairée;  la  majorité  de  rassemblée  était 
décidée  pour  la  négative;  lorsqu'au  milieu  du  tumulte  de  ceux  qui 
demandaient  à  aller  aux  voix,  M.  Charles  Lameth  a  proposé  l'article 
suivant  : 

«  Les  ministres  auront  l'entrée  à  l'assemblée  nationale  législative; 
ils  y  auront  une  place  marquée;  ils  seront  entendus  sur  tous  les  objets 
relatifs  à  leur  administration;  et  sur  les  objets  qui  leur  seront  étrangers, 
toutes  les  fois  qu'ils  en  auront  obtenu  la  permission.   » 

Observez  combien  cette  rédaction  est  illusoire,  puisqu'il  ne  peut 
y  avoir  de  loi  dont  l'exécution  ne  soit  confiée  aux  ministres.  L'opinant 
conclut  à  ce  que  les  députés  se  rendissent  à  la  lecture  du  procès-verbal 
pour  demander  la  correction  de  cet  article  »  (3). 


(2)  Voidel,  député  du  tiers  état  du  bailliage  de  Sarreguemines. 

(3)  Aularcl  (III,  89}  résume  cette  intervention  en  ces  termes: 
«  M.  Robespierre  présente  quelques  observations  sur  un  article  du 
■décret  concernant  l'admission  des  ministres.  Il  conclut  à  ce  que  les 
députés   demandent   la  correction   de   cet   article    ». 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  64! 

338.  —  SEANCE  DU  16  AOUT  1791 

Discussion  du  projet  de  Constitution  {suite) 
Sur  l'administration  intérieure  du  royaume 


Démeunier,  rapporteur,  donne  lecture  de  l'art.  4  de  la  section  II 
concernant  les  administrateurs  des  départements  et  des  districts  : 
«  Il  appartient  au  pouvoir  législatif  de  déterminer  l'étendue  et  les 
règles  de  leurs  fonctions  ». 

Après  l'intervention  de  Robespierre,  l'Assemblée  décréta  l'ajour- 
nement de  cet  article. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXXII,  p.   10 

«  M.  Robespierre.  Il  me  semble  qu'il  y  a  du  danger  à  déclarer 
constitutionnelle  cette  disposition,  et  à  laisser  à  chaque  législateur 
le  droit  de  déterminer  l'étendue  et  les  règles  des  fonctions  des  corps 
administratifs.  Les  corps  administratifs  n'existent  que  par  leurs  fonc- 
tions, et  s'il  dépend  des  législateurs  de  restreindre  ou  d'augmenter  ceUes- 
ei<  il  est  évident  qu'elle  peut  changer  la  nature  et  l'essence  des  corps 
administratifs,  et  que,  dès  lors,  ces  corps  administratifs  ne  sont  plus 
réellement  constitutionnels  »  (1). 


(1)  Texte  reproduit  dans  les  Areh.  pari.,  XXIX,  460. 


339.  —  SEANCE  DU  18  AOUT  1791 
Sur  la  défense  des  frontières  de  l'Est 


A  la  fin  de  la  séance  du  18  août,  l'Assemblée  entend  le  ministre 
de  la  guerre,  qu'elle  a  mandé  pour  qu'il  lui  rende  compte  de  l'exé- 
cution de  ses  décrets  sur  la  .défense  des  places,  frontières  et  sur 
l'envoi  de  troupes  de  ligne  qui  a  dû  y  être  fait.  Après  lui,  le  ministre 
des  affaires  étrangères  est  entendu  sur  les  nouveaux  mouvements 
de  troupes  qu'on  dit  se  faire  en  Espagne.  Enfin,  le  ministre  de 
l'intérieur  rend  compte  des  envois  d'armes  faits  dans  l'intérieur  du 
royaume.  Après  l'intervention  de  (Robespierre,  Fréteau  de  Saint- 
Just,  membre  du  comité  diplomatique,  dont  Robespierre  invoque  le 
témoignage,  donne  quelques  détails  sur  l'état  de  la  mise  en  défense 
de  la  frontière  de  l'Est,  et  spécialement  sur  la  place  de  Verdun. 
Le  ministre  de  la  guerre  présente  ses  explications  (1). 

Le  président  déclara  l'Assemblée  satisfaite  des  éclaircissements 
qui  lui  'avaient  été  fournis. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXXII,  p.  83 
«   M    Robespierre.  Je  demande  la  parole  là-dessus...  (Murmures). 


(1)  Cf.   E.   Hamel,  I,  540. 


642  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  M.  Robespierre.  Rien  n'est  plus  rassurant  que  ce  que  messieurs 
les  ministres  nous  ont  dit  sur  les  dispositions  de  l'Espagne  :  et  comme 
il  est  intéressant  de  calmer  les  inquiétudes  publiques,  je  prierois  encore 
Monsieur  le  ministre  de  la  guerre  de  les  calmer  sur  des  objets  qui 
paroissent  beaucoup  plus  importans;  car  il  faut  bien  remarquer  que  les 
allarmes  ne  portent  point  sur  les  frontières  d'Espagne  uniquement,  mais 
bien  sur  d'autres  parties  des  frontières  d'où  sont  arrivés  des  bruits  très 
allarmans,  et  qui  ont  trop  d'authenticité  pour  ne  pas  mériter  d'être  dé- 
mentis. Je  me  crois  obligé,  par  le  devoir  le  plus  impérieux,  de  saisir 
cette  occasion  d'offrir  à  Messieurs  les  ministres  les  moyens  de  mettre 
la  pureté  de  leur  conduite  dans  tout  leur  jour  et  ce  dernier  m'a  paru 
d'autant  plus  impérieux  que  des  personnes  qui  ont  toute,  ma  confiance, 
et  qui  sont  à  portée  d'être  bien  instruites  des  événemens,  m'ont  encore 
témoigné  hier  là  dessus  les  plus  grandes  inquiétudes. 

«  Tout  le  monde  sait  qu'il  est  arrivé  des  département  de  la  Meuse 
et  de  la  Moselle,  des  députés  qui  sont  venus  articuler  des  faits  de  la 
plus  haute  importance.  Ils  .se  plaignent  que  la  frontière  est  dégarnie; 
que,  quoiqu'elle  paroisse  menacée,  on  a  fait  retirer  des  garnisons  des 
villes   les  plus  exposées,   pour   les  concentrer  dans   l'intérieur. 

«  On  a  remarqué,  avec  étonnement,  que  l'on  établissait  un  camp 
à  quinze  lieues  de  la  frontière,  tandis  que  Thionville  et  d'autres  places 
exposées  aux  premières  attaques  de  l'ennemi  sont  dégarnies. 

«  Je  tiens  à  la  main  un  mémoire  envoyé  par  le  maire  de  Thion- 
ville au  comité  militaire  qui  est  effrayant  non  seulement  par  l'impor- 
tance des  faits  qu'il  contient,  mais  par  la  précision  avec  laquelle  ces 
faits  sont  articulés... 

«  Un  membre  de  votre  comité  diplomatique  qui  mérite  toute  votre 
confiance,  a  témoigné  à  plusieurs  de  ses  collègues,  ses  inquiétudes  fon- 
dées sur  des  avis  qu'il  a  dit  être  arrivés  de  plusieurs  frontières,  et  il 
m'avoit  paru  disposé  ce  matin  à  en  faire  part  à  l'assemblée.  S'il  veut 
encore  le  faire,  je  me  trouverois  heureux  de  n'avoir  rien  à  dire;  mais 
si  M.  Fréteau  n'ajoute  pas  la  même  confiance  à  ces  avis,  je  demanderai 
la  permission  de  faire  quelques  questions  à  messieurs  les  ministres. 
(Applaudi  des  tribunes)  »  (2). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   232,  p.  960. 

«  M.  Roberspierre.  Rien  n'est  plus  rassurant  que  ce  que  vient 
d'être  dit  par  MM.  les  Ministres.  Je  me  crois  obligé  de  saisir  cette 
circonstance  pour  leur  procurer  l'occasion  de  mettre  leur  conduite  au 
grand  jour.  Des  personnes  dignes  de  confiance  m'ont  témoigné  les  plus 
vives  inquiétudes  sur  notre  état  de  défense.  Deux  personnes  arrivées  des 
déoartemens  de  la  Meuse  et  de  la  Moselle  ont  articulé  des  faits  impor- 
tans, ont  assuré  qu'une  partie  des  frontières  était  dégarnie,  qu'on  avait 

(2)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXIX,  542. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  643 

retiré  les  garnisons  de  plusieurs  villes,  et  qu'on  établissait  un  camp  à 
quinze  lieues  des  frontières,  tandis  que  Thionville  était  sans  défense. 
Je  tiens  à  la  main  un  mémoire  du  maire  de  cette  ville  au  Comité  mili- 
taire, qui  est  vraimant  effrayant  par  la  précision  de  ses  détails.  Un 
membre  du  Comité  diplomatique,  digne  de  la  confiance  de  toute 
l'Assemblée,  m'a  aussi  témoigné  des  inquiétudes  fondées  sur  des  avis 
authentiques.  Il  m'avait  paru  décidé  à  en  faire  part  à  l'Assemblée.  Si 
M.  Fréteau  s'en  acquitte,  je  ne  prendrai  pas  la  parole,  s'il  n'en  fait 
rien,  mon  devoir  m'oblige  à  interpeller  le  ministre  »  (3). 

Gazette  universelle,  n°   231,  p.  924. 
Affiches  d'Angers,  n°  71  bis,  p.  335- 
Journal  de  Rouen,  n°  232,  p.   1125. 

«  L'assemblée  a  paru  satisfaite  de  ces  éclaircissemens  :  cependant, 
M.  Robespierre  a  observé  que  les  précautions  ne  dévoient  pas  seule- 
ment se  porter  du  côté  de  l'Espagne;  il  ajoutoit  qu'on  n'avoit  pas  conçu 
moins  d'inquiétudes  sur  les  frontières  du  Nord  que  dans  les  dcparte- 
mens  des  Pyrénées,  et  il  a  invité  M.  Fréteau,  membre  du  comité  diplo- 
matique, à  faire  part  à  l'assemblée  des  renseignemens  qu'il  avait  à  ce 
sujet  »  (4). 

Journal  des  Débats,  n°  819,  p.   12. 

Gazette  nationale  ou  Extrait...,  t.  XIX,  p.    145. 

«  M.  Robespierre  a  demandé  la  parole  :  on  a  demandé  de  passer 
à  l'ordre  du  jour,  et  l'Assemblée  l'a  ainsi  décrété.  M.  Robespierre 
a  réclamé  la  parole;  M.  le  Président  a  répondu  qu'il  la  lui  donneroit 
après  que  l'Assemblée  auroit  entendu  M.  de  Less3rt. 

«  M.  Robespierre  a  dit  :  Rien  n  est  plus  rassurant  que  les  détails 
qui  viennent  de  vous  être  donnés  relativement  aux  inquiétudes  que  l'on 
pouvoit  concevoir  sur  l'Espagne;  mais  les  alarmes  ne  se  portent  pas 
seulement  sur  cette  partie.  Je  me  crois  obligé,  par  un  devoir  imposant, 
de  saisir  cette  occasion  d'offrir  aux  Ministres  la  faculté  de  développer 
leur  conduite,    en   leur  faisant  quelques  questions  déterminées  par  des 


(3)  Texte  reproduk  dans  le  Moniteur,  IX,  435,  à  la  date  du  jeudi 
1S  août  au  Heu  du  jeudi  18  août. 

(4)  La  Gazette  universelle  reconnaît  le  bien  fondé  des  craintes 
de  Robespierre,  et  apporte  les  précisions  suivantes:  «  Il  est  vrai  que 
h:  retard  des  mesures  que  nous  avons  ordonnées  à  fait  naître  les 
inquiétudes  les  plus  profondes  dans  quelques  départemens.  Des 
ici  tics  île  Strasbourg,  en  date  du  15  août,  nous  ont  appris  que 
six  mille"  Hessois  approchoient  des  frontières,  et  que  six  mille 
autres  dévoient  les  suivre.  La  ville  de  Verdun  se  trouve  dans  le  plus 
déplorable  état  de  défense.  Lors  du  départ  des  députés  envoyé» 
auprès  de  L'assemblée  nationale,  cette  ville  n'avoit  que  deux  eent^ 
hommes  de  garnison  ». 


644  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

faits  que  m'ont  communiqués  des  personnes  qui  ont  toute  ma  confiance, 
et  qui  m'ont  témoigné  les  plus  vives  inquiétudes. 

((  Tout  le  monde  sait  que  les  Députés  du  Département  de  la  Meuse 
sont  venus,  et  qu'ils  ont  articulé  des  faits  importans.  Ils  ont  dit  que  les 
frontières  étoient  dégarnies;  qu'on  avoit  ôté  les  garnisons  des  villes  les 
plus  exposées,  pour  les  conduire  dans  l'intérieur  du  Royaume;  que 
l'on  se  proposent  de  faire  un  camp  à  quinze  lieues  de  la  frontière,  tandis 
que  Thionville,  qui  étoit  très-voisine  de  la  frontière  même,  étoit  presque 
sans  défense.  Je  tiens  dans  ma  main  un  mémoire  effrayant  par  la  pré- 
cision des  détails  qu'il  renferme.  Je  pourrois  réduire  mes  observations 
à  quelques  questions;  mais  je  dois  vous  observer  qu'un  Membre  du 
Comité  Diplomatique,  qui,  à  juste  titre,  a  votre  confiance,  a  Jà-dfssus 
des  renseignemens  très-importans  ;  j'avois  cru  qu'il  vous  les  donneroit. 
Si  M.  Fréteau  s'en  occupe,  je  n'ai  rien  à  dire;  s'il  ne  parle  point,  je 
ferai  aux  Ministres  quelques  questions  dont  la  solution  calmera  sans 
doute  les  inquiétudes  de  la  Nation.  ■» 

Journal  universel,  t.  XIII,  p.    14085. 

«  L'assemblée  a  levé  la  séance  sans  entendre  M.  Robespierre 
qui  osoit  élever  quelques  doutes  sur  l'efficacité  de  nos  mesures  et  de 
nos  moyens  de  défense.  Et  cependant  il  n'y  a  point  de  troupes  à  Ver- 
dun; de  Toul  à  Montmédy,  tout  est  vide  et  Bouille  est  à  Luxembourg 
(car  sa  promotion  en  Suède  est  un  piège).  Que  penser  de  cela?  qu'a 
répondu  M.  Duportail  au  député  qui  demandoit  un  corps  de  troupes 
de  ligne  vers  les  endroits  les  plus  menacés  ?   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Pacquebot,  n°  198; 
La  Chronique  de  Paris,  t.  V,  n°  232,  p.  937;  Le  Législateur  français, 
19  août  1791,  p.  4;  Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Per- 
let),  t.  XIII,  n°  744,  p.  4;  Le  Journal  général  de  France,  19  août  1791. 
p.  928;  Le  Journal  général  du  département  du  Pas-de-Calais,  n°  16, 
p.  174;  Le  Journal  de  Paris,   19  août  1791,  p.  946.] 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

340.  —  SEANCE  DU  21  AOUT  1791 

Sur  une  proposition  de  réunion  adressée  aux  Feuillants 


Siliery  (1)  propose  qu'il  soit  écrit  aux  Feuillants  pour  leur 
demander,  vu  le  danger  de  la  patrie,  de  se  réunir  aux  Jacobins. 
.Robespierre  s'oppose  à  cette  proposition,  appuyé  par  Moreton. 
Vadksr  au  contraire  soutient  la  motion  de  Siliery.  La  discussion  est 
fermée.   Robespierre  demande  qu'on  passe  <à  l'ordre  du  jour.   Cette 

(1)  Alexis  Brulart,  comte  de  Genlis,  marquis  de  Siliery,  député 
de  la  noblesse  du  bailliage  de  Reims. 


LES   DISCOURS    PE    ROBESPIERRE  645 

proposition  est  rejetée.  Après  quelques  débats,  la  Société  arrête 
que  «  le-  députés  à  l'Assemblée  nationale  membres  des  Jacobin?. 
et  maintenant  séants  aux  Feuillants,  seront  invités  à*  rentrer  dans 
le  sein  de  la  Société-mère  »  (2). 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°47,  p.1  ', 

«  M.  Robespierre.  Je  sais  bien  ce  qu'il  y  a  de  délicat  dans  une 
pareille  délibération,  je  sais  bien  quels  sont  les  avantages  des  enne- 
mis les  plus  déclarés  de  la  constitution  sur  ses  amis  :  je  ne  suis  point 
efîrayé  de  ces  avantages  et  plus  je  vois  leur  triomphe  certain  et  plus 
une  fière  indifférence  m'élève  au-dessus  d'eux.  Messieurs,  vous  ignorez 
peut-être  que. demain  est  à  l'ordre  du  jour  un  projet  du  comité  de 
constitution,  qui  contient  une  constitution  nouvelle,  qui  remet  les  Fran- 
çais sous  le  joug  du  despotisme  !  Oui,  Français,  vous  ignorez  qu'il  n'y  a 
pas  un  seul  de  ces  articles  qui  ne  suffise  pour  détruire  la  liberté.  Nous 
n'avons  que  quelques  heures,  et  vous  allez  les  employer  à  délibérer  sur 
une  proposition  sur  laquelle  la  société  a  prononcé  deux  fois...  Eh  bien, 
je  vais  négliger  les  grands  intérêts  publics  :  perdez  cette  séance  !  et 
demain,  que  nous  soyons  abandonnés  à  ceux  qui  vont  donner  au  roi 
toutes  les  forces  nécessaires  pour  opprimer  la  liberté...  la  liberté  de  la 
presse  est  anéantie  formellement  :  il  n'est  pas  même  admis  l'amende- 
ment proposé  par  M.  Péthion...  Ce  sont  toutes  les  démarches  qu'on  ai 
faites  oui  ont  retardé  la  réunion  :  il  n'était  pas  un  seul  membre  patriote 
des  Feuillans  qui  ne  fut  résolu  à  se  réunir  ici  ;  mais  on  a  projeté  de  leur 
envoyer  une  lettre  d'invitation,  ils  ont  attendu  cette  lettre,  ils  ont  eu 
des  scrupules;  la  raison  triomphant,  le  bien  public  aurait  triomphé,  ils 
se  seraient  réuni...  »  L'opinant  conclut  à  ce  qu'en  persistant  dans  le 
dernier  arrêté  (3),   la  société  passe  à  l'ordre  du  jour. 

«  M.  Moreton  (4)  appuie  la  motion  de  M.  Robespierre  »  (5). 

Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XIII,  n°  749,  p.  7. 

a  Je  connois,  a  dit  M.  Robespierre,  tous  les  avantages  des  ennemis 
les  plus  déclarés  de  la  Constitution  sur  ses  amis  :  je  ne  suis  point  effrayé 
de  ces  avantages  et  plus  je  vois  leur  triomphe  certain,  et  plus  une  fière 
indépendance  m'élève  au-dessus  d'eux.  » 


(2)  Cf.  ci-dessus,   séance  du   24  juillet  1791;  et  E.   Hamel,   I,   545. 

(3)  Il  s'agit  sans  doute  de  l'arrêté  du  25  juillet  qui  assujétissait 
tous  les  membres  de  La  Société  à  signer  la  déclaration  par  laquelle 
ils  reconnaissent  vouloir  rester  aux  Jacobins  et  à  se  soumettre  à  un 
scrutin  épuratoire. 

(4)  Moreton-Chabrillant,  colonel  au  régiment  de  la  Fère.  membre 
de  la  municipalité  parisienne  en  1789. 

(5)  Texte  reproduit  dans  Aulard,  III,  94  ;  et  dans  Bûchez,  efc 
Roux,  XI,  479. 


646  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 


341.  —  SEANCE  DU  22  AOUT  1791 

Discussion  du  projet  de  Constitution  (suite) 
Sur  la  liberté  de  la  presse  (1) 


La  discussion  sur  l'acte  constitutionnel  se  poursuit.  Thouret,  rap- 
porteur, présente  un  certain  nombre  de  textes  qui  ont  été  ajournés. 
L'Assemblée  décrète  d'abord  sept  articles  relatifs  à  la  garantie  des 
droits  individuel  des  citoyens.  Thouret  donne  ensuite  lecture  de  deux 
articles  relatifs  à  la  répression  des  délits  commis  par  la  voie  de 
la  presse:  «  1.  Nul  homme  ne  peut  être  recherché  ni  poursuivi  pour 
raison  des  écrits  qu'il  aura  fait  imprimer  ou  publier,  si  ce  n'est  qu'il 
ait  provoqué  à  dessein  la  désobéissance  à  la  loi,  l'avilissement 
des  pouvoirs  constitués,  et  la  résistance  à  leurs  actes;  ou  quelqu'une 
des  actions,  crimes  ou  délits  désignés  par  la  loi.  Les  calomnies 
volontaires  contre  la  probité  des  fonctionnaires  publics  et  contre  la 
droiture  de  leurs  intentions  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions,  pour- 
ront être  dénoncées  et  poursuivies  par  ceux  qui  en  sont  l'objet.  Les 
calomnies  ou  injures  contre  quelque  personne  que  ce  soit,  relatives 
aux  actions  de  leur  vie  privée,  seront  punies  sur  leur  poursuite. 

«  2.  Nul  ne  peut  être  jugé,  soit  par  la  voie  civile,  soit  par  la 
voie  criminelle,  pour  fait  d'écrits  imprimés  ou  publiés,  sans  qu'il  ait 
été  reconnu  et  déclaré  par  un  jury:  1°  s'il  y  a  délit  dans  l'écrit 
énoncé  :  2°  .si  la  personne  poursuivie  en  est  coupable.  Il  appartient 
à  la  police  correctionnelle  de  réprimer  la  publication  et  la  distribu- 
tion des  écrits  et  des  images  obscènes.  »  Robespierre  intervient  sur 
^ensemble  du  orojet.  Mais  l'Assemblée  se  rallie  à  la  proposition  de 
Defermon,  de  discuter  séparément  chaaue  paragraphe  des  articles  (2). 

La  première  oartie  de  l'art.  1  fut  adoptée  avec  cette  addition  : 
«  ...pour  raison  des  écrits  qu'il  aura  fait  imprimer  ou  publier  sur 
quelque  matière  que  ce  soit.  .   » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  J.ogographique,  t.  XXXIÎ,  p.  173 

«  M.  Robespierre.  Par  cela  même,  aue  la  liberté  de  la  press.»  fu* 
toujours  regardée  comme  le  seul  frein  du  desnotisme,  il  en  es*  résulté 
que  les  principes  sur  lesauels  elle  est  fondée,  ont  été  méconnus  et  obscur- 
cis par  les  gouvernemens  despotioues,  c'est-à-dire,  dans  presaue  tous 
les  gouvcnemens.  Le  moment  d'une  révolution  est  neul-etre  celui  où 
ces  principes  peuvent  être  développés  avec  moins  d'avantaoes.  parce 
qu  alors  chaoue  partie  se  ressouvient  douleureusement  des  blessures 
Qu'elle  lui  a  faites:  mais  nous  sommes  dicmes  de  nous  élever  au-dessus 
des  préjugés  et  de  tous  les  intérêts  personnels.  Voici,  Messieurs,  la  loi 


(1)  Of.    Discours....    1™   partie,    pp.    61    et  496. 

<"2)  Cf.  E.  Hamel.  I.  540-541.  Barnave  défend  le  Tiroiet  des  comi- 
tés, provoomsrit  Tindiemation  de  Marat  <Ami  du  Pennle,  n°  538, 
p.  3L  TT  smiliarne  sa  volte-face  en  ramvplan*  on'il  avait  jnsau'&lorB 
défendu  la  b'bert-é  dp  la  presse  :  «  Il  pontenait  bant^Tr^nt  aue  l'écri- 
vain patriote,  comptable  au  seul  tribunal  du  public,  pouvait  se 
donner   librp   carrière   contre   les   agens  du   gouvernement   ». 


LES  DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  647 

constitutionnelle  que  les  Etats-Unis  d'Amérique  ont  fait  de  la  liberté  de 
la  presse  (3). 

a  La  liberté  de  publier  ses  pensées  étant  le  premier  boulevard  de 
la  liberté,  ne  peut  être  limitée  ni  gênée  en  aucune  manière,  si  ce  n'est 
dans  les  états  despotiques  (4).  Est-il  vrai  que  la  liberté  de  la  presse 
consiste  uniquement  dans  la  suppression  de  la  censure  et  de  toutes  les 
entraves  qui  peuvent  arrêter  l'essor  de  la  liberté  ?  Je  ne  le  pense  pas, 
et  vous  ne  le  penserez  pas  non  plus.  La  liberté  de  la  presse  n'existe  pas 
dès  que  l'auteur  d'un  écrit  peut  être  exposé  à  des  poursuites  arbitraires; 
et  ici  il  faut  saisir  une  différence  bien  essentielle  entre  les  actes  crimi- 
nels et  ce  qu'on  a  appelle  les  délits  de  la  presse.  Les  actes  criminels 
consistent  dans  des  faits  palpables  et  sensibles.  Ils  peuvent  être  consta- 
tés suivant  des  règles  sûres  et  par  des  moyens  infaillibles,  d'après  les- 
quels la  loi  peut  être  appliquée  sans  aucune  espèce  d'arbitraire.  Mais 
quant  aux  opinions,  leur  mérite  ou  leur  crime  dépendent  des  rapports 
qu'elles  ont  avec  des  principes  de  raison,  de  justice  et  d'intérêt  public, 
et  souvent  avec  une  foule  de  circonstances  particulières  :  et  dès  lors 
toutes  les  questions  qui  s'élèvent  sur  le  mérite  ou  sur  le  crime  é*W\  délit 
quelconque  sont  nécessairement  abandonnés  à  l'incertitude  des  opinions 
et  à  l'arbitraire  des  jugemens  particuliers.  Chacun  décide  des  questions 
suivant  ses  principes,  suivant  ses  préjugés,  suivant  ses  habitudes,  suivant 
les  intérêts  de  son  parti,  suivant  ses  intérêts  particuliers  :  de  là  vient 
qu'une  loi  sur  les  délits  qui  peuvent  être  commis  par  la  voie  de  la  presse, 
demande  de  plus  grandes  circonspections  avant  d'être  portée.  De  là 
vient  que  cette  loi,  sous  le  prétexte  de  la  liberté  de  la  presse,  produit 
presque  toujours  l'effet  infaillible  d'anéantir  la  liberté  en  elle-même. 
Rappellez-vous,  Messieurs,  ce  qui  s'est  passé  jusqu'ici,  lorsque  le  gou- 
vernement, sous  prétexte  de  l'ordre  et  de  l'intérêt  public,  poursmvoit 
les  écrivains.  Quels  étoient  les  écrits  qui  étoient  les  objets  de  la  sévé- 
rité ?  C'étoient  précisément  ceux  qui  sont  actuellement  l'objet  de  notre 
admiration  et  qui  ont  mérité  de  notre  part  des  hommages  à  leurs  auteurs. 
En  effet,  il  est  dans  la  nature  des  choses  qui  suivent  le?  tems  et  les 
lieux,  qu'un  écrivain  essuyé  des  persécutions  ou  reçoit  des  couronnes. 
Le  Contrat  Social  étoit,  il  y  a  trois  ans,  un  écrit  incendiaire  !  Jean- 
Jacques  Rousseau,  l'homme  qui  a  le  plus  contribué  à  préparer  la  révo- 
lution, étoit  un  séditieux,  étoit  un  novateur  dangereux,  et  pour  le  faire 
monter  à  l'échafaud,  il  n'a  manqué  au  gouvernement  que  moins  de 
crainte  du  courage  des  patriotes;  et  on  peut  ajouter,  sans  craindre  de 
se  tromper,  que  si  le  despotisme  avoit  assez  compté  sur  se?  forces  et  sur 
l'habitude  qui  enchaînoit  le  peuple  sous  son  joug,  pour  ne  pas  craindre 
une  révolution,   J.-J.    Rousseau  eût  payé  de   sa  tête   les  services  qu'il 


(3)  O'est  également  sur  l'exemple  des  Constitutions  américaines 
qu'il  avait  établi  sa  première  argumentation  le  24  août  1789. 

(4)  Constitution  de  l'Etat  de  Virginie,   art.   14  de  la  Déclaration 
des  Droits. 


648  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

voulut  rendre  à  la  vérité  et  au  genre  humain,  et  qu'il  eût  augmenté  la 
liste  des  illustres  victimes  que  le  fanatisme,  le  despotisme  et  la  tyrannie 
ont  frappées  dans  tous  les  tems.  Concluez  donc,  Messieurs,  que  rien 
n'est  plus  délicat,  ni  peut-être  plus  impossible  à  faire  qu'une  loi  qui 
prononce  des  peines  contre  les  opinions  que  les  hommes  peuvent  publier 
sur  toutes  les  choses  qui  sont  les  objets  naturels  des  connoissances  et  des 
raisonnemens  humains.  Pour  moi,  je  conclus  qu'on  ne  peut  en  faire; 
vous  en  avez  fait  une;  c'est  peut-être  la  seule  qu'il  soit  possible  de  faire 
en  la  restreignant  dans  les  termes  dans  lesquels  votre  sagesse  l'a  expri- 
mée :  c'est  celle  qui  permet  de  prononcer  des  peines  seulement  contre 
celui  qui  provoqueroit  formellement  (ce  mot  est  bien  essentiel)  à  quelque 
crime  ou  à  la  désobéissance  à  la  loi.  Je  ne  crois  pas  que  vous  puissiez 
aller  plus  loin,  que  vous  puissiez  mettre  des  termes  différens  sans  atta- 
quer la  liberté  de  la  presse  dans  son  essence  et  dans  son  principe.  Ceci 
concerne  les  opinions  que  l'on  peut  publier  sur  les  choses  qui  intéressent 
le  bien  de  l'humanité. 

«  Une  autre  question  non  moins  importante  s'élève  relativement 
aux  personnes  publiques.  Il  faut  observer  que  dans  tout  état  le  seul 
frein  efficace  des  abus  de  l'autorité  c'est  l'opinion  publique;  et  par  une 
suite  nécessaire  la  liberté  de  manifester  son  opinion  individuelle  sur  la 
conduite  des  fonctionnaires  publics,  sur  le  bon  et  mauvais  usage  qu'ils 
font  de  l'autorité  que  les  citoyens  leur  ont  confiée.  Or,  messieurs,  sup- 
posez que  l'on  ne  puisse  en  exercer  le  droit  qu'à  condition  d'être  exposé 
à  toutes  les  poursuites,  à  toutes  les  plaintes  juridiques  des  fonctionnaires 
publics;  je  vous  demande  si  ce  frein  ne  devient  pas  impuissant  et  à  peu 
près  nul  pour  celui  qui  voudra  remplir  la  dette  qu'il  croira  avoir  contrac- 
tée envers  la  patrie  en  dénonçant  des  abus  d'autorité  commis  par  les 
fonctionnaires  publics.  S'il  est  possible  de  soutenir  une  lutte  terrible 
avec  lui,  qui  ne  voit  pas  quel  est  l'avantage  immense  qu'a  dans  cette 
lutte  un  homme  armé  d'un  grand  pouvoir,  environné  de  toutes  les  res- 
sources que  donne  un  crédit  immense,  une  influence  énorme  sur  la  desti- 
née des  individus  et  sur  celle  même  de  l'état  :  qui  ne  voit  que  très 
peu  d'hommes  seroient  assez  courageux  pour  avertir  la  société  entière 
des  dangers  qui  la  menacent. 

«  Permettre  aux  fonctionnaires  publics  de  poursuivre  comme  calom- 
niateurs quiconque  oserait  accuser  leur  conduite,  c'est  abjurer  tous  les 
principes  adoptés  par  tous  les  peuples  libres.  Chez  tous  les  peuples 
libres,  chaque  citoyen  fut  considéré  comme  une  sentinelle  vigilante  qui 
doit  avoir  sans  cesse  les  yeux  ouverts  sur  ce  qui  peut  menacer  la  chose 
publique;  et  non  seulement  on  n'érigeoit  pomt  en  crime  une  dénoncia- 
tion fondée  sur  des  indices  plausibles;  non  seulement  on  n'exigeoit  pas 
que  le  citoyen  qui  prévenoit  ses  concitoyens,  vint  armé  de  preuves 
juridiques;  mais  tous  les  magistrats  vertueux  eux-mêmes  se  soumettaient 
avec  joie  à  la  liberté  de  cette  mesure  publlciue.  Aristide  condamné  à 
un   glorieux   exil  par  le   caprice   de   ses   concitoyens   n'accusoit   pas   la 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  649 

liberté  que  la  loi  donnoit  à  tout  citoyen  de  surveiller  avec  la  plus  grande 
sévérité  les  actions  des  magistrats,  parce  qu'il  savoit  bien  que  si  une  loi 
plus  favorable  aux  magistrats  l'avoit  mis  à  couvert  même  d'une  témé- 
raire accusation,  cette  même  loi  auroit  favorisé  la  foule  des  magistrats 
corrompus,  et  que  par  là  le  principal  appui  de  la  liberté  auroit  été  ren- 
versé. 

«  Qu'on  ne  croie  pas  que  dans  un  état  de  choses  où  la  liberté  est 
solidement  affermie,  la  représentation  d'un  homme  vertueux  soit  en  proie 
aux  caprices  et  à  la  malice  du  premier  dénonciateur.  Quand  la  liberté 
de  la  presse  règne,  quand  on  est  accoutumé  à  la  voir  s'exercer  en  tous 
sens,  elle  fait  par  cela  même  des  blessures  moins  dangereuses,  et  il  n'y 
a  réellement  que  les  hommes  dont  la  vertu  est  nulle  ou  équivoque,  qui 
puissent  redouter  la  plus  grande  liberté  de  la  censure  de  leurs  conci- 
toyens. 

«  Appliquez  aux  articles  du  comité  les  idées  que  je  viens  de  déve- 
lopper, et  vous  verrez  que  ces  articles  sont  conçus  en  des  termes  vagues 
qui  ouvrent  tous  les  moyens  possibles  de  sacrifier  arbitrairement  tous 
ceux  qui  auroient  publié  les  opinions  les  plus  justes,  soit  sur  les  objets 
les  plus  essentiels  pour  le  bien  public,  soit  sur  les  abus  d'autorité  publi- 
que. Je  remarque  ici  que  l'assemblée  nationale  avoit  adopté  un  amen- 
dement jugé  par  elle  indispensable  pour  prévenir  l'arbitraire  auquel  les 
articles  donnoient  lieu,  c'étoit  le  mot  formellement.  On  avoit  très  bien 
observé  alors  qu'il  n'y  avoit  point  d'écrit  si  raisonnable  et  si  utile  sur 
les  vices  de  l'administration  ou  de  la  législation,  qui  ne  pût  être  regardé 
par  des  juges  ignorans  ou  prévenus,  comme  une  provocation  à  la  désobéis- 
sance à  la  loi,  puisqu'ils  peuvent  toujours  prétendre  que  ce  qui  montre 
les  vices  de  la  loi,  inspire  moins  de  respect  pour  la  loi,  et  provoque 
à  la  désobéissance.  Il  est  donc  absolument  nécessaire  que  l'amendement 
adopté  à  cet  égard  par  l'assemblée  nationale  soit  restitué. 

((  Le  comité  a  ajouté  des  termes  qui  n'étoient  point  dans  la  loi 
que  vous  avez  portée,  et  qui  certainement  forment  la  loi  la  plus  arbi- 
traire et  la  plus  tyrannique  que  l'on  puisse  porter  sur  la  presse.  Les 
voici  :  V avilissement  des  pouvoirs  constitués.  Qu'est-ce  que  provoquer 
l'avilissement  des  pouvoirs  constitués  ?  Cela  veut  sans  doute  dire  quel- 
que chose  qui  soit  contraire  à  un  fonctionnaire  public.  Mais  si  un 
fonctionnaire  public  a  des  torts,  si  on  dévoile  au  public  ses  pré  van  ca- 
tions, cet  homme,  revêtu  de  pouvoirs  constitués,  est  donc,  avili.  C'est 
sûrement  ce  qu'a  voulu  dire  le  comité,  du  moins  cela  peut  s'interpréter 
ainsi,  et  cela  ne  peut  subsister  dans  la  loi  (il  lit  le  troisième  para- 
graphe). Nous  sommes  d'accord  sur  ce  point,  mais  il  faut  observer 
que  le  comité,  dans  ce  même  projet,  non  seulement  engage  l'assemblée 
à  prononcer  des  peines  trop  arbitraires  contre  l'usage  de  !a  liberté  de  la 
presse,  mais  qu'il  va  même  jusqu'à  arrêter  l'émission  des  écrits.  Ce 
vice  se  trouve  dans  la  seconde  disposition  de  l'article  II;  voilà  par 
conséquent  une  espèce  de  censure  établie  sur  les  écrits.  (Murmures).   Je 


650  LES    DISCOURS    D£    ROBESPIERRE 

demande  donc  que  l'assemblée  nationale  décrète  que  sauf  les  exceptions 
qu'elle  a  cru  devoir  porter  concernant  les  écrits  qui  provoquent  formelle- 
ment la  désobéissance  à  la  loi,  elle  déclare  que  tout  citoyen  a  le  droit 
de  publier  son  opinion,  sans  être  exposé  à  aucune  poursuite.  (Applaudi 
des  tribunes)   »   (5). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  235,  p.  973. 

«  M.  Robespierre.  Le  plus  sûr  moyen  de  développer  les  vices 
des  articles  dont  il  vient  de  vous  être  donné  lecture,  c'est  de  présenter 
quelques  idées  générales  sur  la  liberté  de  la  presse.  Le  moment  d'une 
révolution  ne  présente  pas  de  grands  avantages  pour  cette  discussion, 
à  cause  des  abus  qui  sont  résultés  de  la  presse.  Voici  quelle  était  la  loi 
constitutionnelle  des  Etats-Unis  :  «  La  liberté  de  publier  ses  pensées 
étant  le  boulevard  de  la  liberté,  elle  ne  peut  être  gênée  en  aucune 
manière,  si  ce  n'est  dans  les  états  despotiques  ».  Les  entraves  peuvent 
exister  ailleurs  que  dans  la  censure;  il  ne  faut  pas  abandonner  le  juge- 
ment des  opinions  aux  intérêts  des  partis.  La  loi  qu'on  nous  propose, 
sous  prétexte  de  réprimer  les  abus,  anéantit  la  liberté.  Les  opirrons 
sont  bonnes  ou  mauvaises,  suivant  les  circonstances.  Quels  étaient,  i'  y 
a  trois  ans,  les  écrits,  objets  de  la  sévérité  du  gouvernement  ?  C'étaient 
ceux  qui  font  aujourd'hui  notre  admiration.  A  cette  époque,  le  Contrat 
social  était  un  écrit  incendiaire,  et  Jean-Jacques  Rousseau  un  novateur 
dangereux.  Vous  avez  fait  contre  les  abus  de  la  presse  tout  ce  qu'il 
fallait  faire,  en  décrétant  qu'il  sera  prononcé  des  peines  contre  ceux 
qui  provoqueront  formellement  la  désobéissance  à  la  loi;  vous  ne  pouvez 
aller  plus  loin. 

«  Si  vous  ne  donnez  point  une  certaine  facilité  pour  surveiller  les 
fonctionnaires  publics,  pour  réprimer  leurs  desseins  lorsqu'ils  pourraient 
en  avoir  de  coupables,  vous  n'avez  point  renversé  le  despotisme.  Qui 
osera  dénoncer  un  fonctionnaire,  s'il  est  obligé  de  soutenir  une  lutte 
contre  lui  ?  Qui  ne  voit  pas  dans  ce  cas  l'avantage  de  l'homme  armé 
d'un  grand  pouvoir  ?  N'allons  point  opposer  l'intérêt  des  fonctionnaires 
à  celui  de  la  patrie.  Aristide,  condamné,  n'accusait  pas  la  loi  qui  don- 
nait aux  citoyens  le  droit  de  dénonciation.  Caton,  cité  60  fois  en  justice, 
ne  fit  jamais  entendre  la  moindre  plainte;  mais  les  décemvirs  firent  des 
lois  contre  les  libelles,  parce  qu'ils  craignaient  qu'on  ne  dévoilât  leurs 
complots.  (On  applaudit).  Je  proposerais  de  décréter:  1°  que,  sauf 
l'exception  portée  contre  ceux  qui  provoqueraient  formellement  la  dés- 
obéissance à  la  loi,  tout  citoyen  a  le  droit  de  publier  ses  opinions  sans 
être  exposé  à  aucune  poursuite;  2°  que  le  droit  d'intenter  l'action  de 

(5)  Texte   reproduit  dans  les  Arch.   pari.,   XXIX,   631. 

D'après  le  Mercure  de  France  (3  septembre  1791,  p.  34),  ce 
discours  a  été  très  long:  «  M.  Robespierre  s'est  plaint  qu'on  ne 
vouloit  pas  l'entendre,  après  avoir  parlé  plus  d'une  heure  et 
demie  ». 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  651 

calomnie  n'est  accordé  qu'aux  personnes  privées;  (on  murmure  dans 
diverses  parties  de  la  salle).  3°  qu'à  l'exemple  de  l'Amérique,  dont  la 
constitution  n'a  pas  été  huée,  les  fonctionnaires  publics  ne  pourront  pour- 
suivre les  personnes  qui  les  calomnieront.  (Les  murmures  recommen- 
cent) )>  (6). 

Mercure  universel,  t.  VI,  p.  375. 

«  M.  Robespierre.  Par  cela  même  que  la  liberté  de  la  presse  fut 
toujours  regardée  comme  le  frein  du  despotisme,  il  en  est  résulté  des 
entraves  continuelles,  et  presque  l'impossibilité  de  s'éclairer  sur  les 
droits  d'imprimer  ses  pensées.  Le  moment  d'une  révolution  est  le  mo- 
ment le  moins  convenable  pour  s'en  bien  pénétrer  par  les  abus  qu'en 
font  tous  les  jours  à  dessein  les  ennemis  de  "ta  liberté.  Mais  il  faut  se 
transporter  dans  des  temps  de  calme,  et  voici  le  règlement  de  l'Améri- 
que à  cet  égard  :  La  liberté  de  la  presse  étant  le  boulevard  de  la  liberté 
civile,  elle  ne  peut  être  limitée,  et  les  auteurs  des  écrits  ne  peuvent 
être  poursuivi  pour  cause  de  leurs  écrits.  Voilà  ce  que  les  Américains 
ont  jugé  de  plus  convenable;  et  en  effet  comment  peut-on  proposer 
sérieusement  de  poursuivre  des  écrits  qui  ne  contiennent  que  des  idées, 
des  opinions;  les  hommes  qui  se  trompent,  ceux  qui  errent,  les  insensés, 
les  fous  ont  aussi  des  opinions;  oserez-vous  les  punir  de  n'avoir  pas  un 
jugement  sain  ?  Oserez-vous  punir  les  insensés,  parce  qu'ils  sont  mala- 
des ?  Il  faut  des  faits,  des  actions  pour  trouver  des  délits,  mais  des 
écrits,  des  opinions  sont  estimées  différemment  par  chaque  individu, 
elles  sont  jugées  selon  les  opinions  versatiles  de  chacun,  selon  l'esprit 
de  parti,  d'intérêt  ou  de  sentiment  qui  agitent  tel  ou  tel  citoyen.  Quels 
sont  les  écrits  que  le  gouvernement  persécutait  il  y  a  cinq  ans;  ce  sont 
ceux  qui  depuis  ont  mérité  nos  hommages;  il  y  a  cinq  ans  qu'aux  yeux 
des  gens  de  cour  Jean- Jacques  étoit  un  séditieux,  un  novateur  dange- 
reux. Le  Contrat  social  étoit  un  ouvrage  incendiaire,  et  il  n'a  manqué 
à  Jean-Jacques,  pour  porter  sa  tête  sur  l'échaffaud,  que  plus  de  courage 
dans  le  gouvernement  ou  moins  de  lumières  dans  les  peuples.  Pour 
moi,  messieurs,  je  pense  qu'il  n'est  pas  possible  de  faire  d'autres  loix 
sur.  la  liberté  d'imprimer  que  celle  que  vous  avez  faite  contre  les  écrits 
qui,  formellement,  conseillent  la  désobéissance  à  la  loi;  les  écrits,  les 
opinions  doivent  être  au  tribunal  de  la  raison.  Quant  aux  calomnies  con- 
tre les  intentions  de  quelques  fonctionnaires  publics,  il  n'y  a  pas  un 
homme  dans  cette  assemblée,  excepté  ceux  des  comités,  qui  ose  faire 
une  loi  à  cet  égard.  Qui  voudroit  remplir  la  tâche  dangereuse  de  dénon- 
cer des  fonctionnaires,  des  abus  de  pouvoir,  des  dangers  qui  menacent 
la  société,  si  ce  paragraphe  étoit  décrété  ?  Qui  voudroit  s'exrx>ser  \  une 
lutte  contre  des  fonctionnaires  puissans  ?  Jamais  aucun  peuple  libre  n'a 
exigé  qu'un  citoyen  qui  venoit  dénoncer  de  tels  hommes  fut  armé  de 

<6)  Texte    reproduit  dans    le    Moniteur,    IX,    462. 


652  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE. 

preuves:  mais  en  Grèce,  les  magistrats  se  soumettaient  avec  joie  aux 
épreuves  qui  leur  étoient  suscitées  !  Les  magistrats  ne  sont  établis  que 
pour  l'intérêt  public,  et  une  loi  inquiétante  pour  eux,  si  elle  est  utile,, 
doit  subsister.  Il  n'y  a  que  les  hommes  dont  la  vertu  est  ou  nulle  ou 
équivoque,  qui  puissent  redouter  la  libre  censure  de  ces  concitoyens; 
jamais  Aristide  se  plaignît-il  des  dénonciations  portées  contre  lui  ? 
D'ailleurs,  plus  la  presse  est  libre,  moins  les  blessures  qu'elle  fait  sont 
dangereuses.  Tout  bon  citoyen  se  doit  à  sa  patrie,  et  il  ne  redoute  pas 
de  si  légères  atteintes.  (Les  tribunes  applaudissent).  Dans  cet  article, 
vos  comités  ont  subsistué  ce  mot,  à  dessein  à  celui-ci  formellement  :  je 
demande  que  ce  mot  soit  restitué  :  qu'est-ce  ensuite  que  provoquer  à 
l' avilissement  des  pouvoirs  constitués  ?  Il  suffira  donc  de  dénoncer  un 
comité  justement  repréhensible  pour  être  dans  le  cas  de  la  loi  ?  Je 
demande  que  l'assemblée  décrète,  sauf  le  cas  qu'elle  a  décidé,  sur  les 
écrits  qui  conseillent  formellement  la  désobéissance  à  la  loi,  que  tout 
citoyen  a  le  droit  de  publier  ses  opinions  sur  les  actes  d'administration, 
sans  pouvoir  être  poursuivi  ni  inquiété.  (Applaudi).  » 

[Long  résumé  de  ce  discours  dans  Le  Point  du  Jour,  t.  XXV, 
n°  774,  p.  402;  Le  Journal  des  Débats,  n°  823,  p.  11  ;  La  Gazette 
nationale  ou  Extrait.  .,  t.  XIX,  p.  195;  Le  Courier  de  Provence, 
t.  XVI,  n°  332,  p.  355;  Le  Législateur  français,  t.  III,  23  août  1791, 
p.  4;  Le  Journal  des  décrets  de  l'Assemblée  nationale,  22  août  1791, 
p.  342;  Le  Journal  de  Rouen,  n°  235,  p.  1139.  Brève  mention  dans 
Le  Journal  de  la  Noblesse...,  t.  II,  n°  35  B,  p.  497;  Le  Mercure  de 
France,  3  septembre  1791,  p.  18;  Le  Patriote  françois,  n°  743,  p.  225; 
Le  Journal  général  du  Pas-de-Calais,  n°  17,  p.  181  ;  Assemblée  natio- 
nale, Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XIII,  n°  748,  p.  5;  Le  Journal 
universel,  t.  XIII,  p.  14111  ;  L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  23  août  1791, 
p.  939;  Le  Journal  de  Paris,  23  août  1791,  p.  962;  L'Ami  du  Peuple 
(Marat),  n°  538,  p.  3;  Le  Pacquebot,  n°  233;  Le  Journal  de  la  Révo- 
lution, n°  376,  p.  417.] 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

342.  —  SEANCE  DU  22  AOUT  1791 

Sur  la  liberté  de  la  presse 


Le  matin  même,  à  V Assemblée  nationale,  Robespierre  était  inter- 
venu sur  le  projet  de  décret  concernant  la  répression  des  délits 
commis  par  la  voie  de  presse,  en  particulier  sur  l'art.  1  (1).  A  la 
séance  de  la  -Société,  Rœderer  présente  quelques  observations  sur  le 
texte  de  l'article  qui  fut  a-dopté  (2).  Anthoine  parle  sur  le  même 
sujet.   Robespierre  appuie  les  observations  de  Rœderer. 

(1)  Cf.  E.  Hamel,  I,  540. 

(2)  Cf.   ci-dessus,    séance  précédente. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  653 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°47,  p. 2. 
Mercure  universel,  t.  VI,  p.  426. 

«  M.  Robespierre.  J'attache  peu  d'importance  au  mot  outrage  ou 
avilissement.  Il  est  plus  intéressant  de  s'occuper  de  l'article  qui  concerne 
les  calomnies  contre  les  fonctionnaires  publics.  Je  pense  bien  que  les 
calomniateurs  doivent  être  poursuivis  en  justice  :  cependant  je  crois 
que  les  fonctionnaires  doivent  être  soumis  à  la  censure  de  l'opinion  publi- 
que qui  doit  toujours  être  parfaitement  libre.  Si  le  magistrat  avait  le 
droit  de  poursuivre  tous  ses  calomniateurs,  l'écrivain  patriote  qui  cher- 
cherait à  faire  observer  la  conduite  du  magistrat,  serait  obligé  de  lutter 
inégalement  avec  le  magistrat,  toutes  les  fois  qu'il  parlerait  de  lui.  Le 
fonctionnaire  public  qui  sera  accusé  à  tort,  saura,  par  l'exposé  de  sa 
conduite  irréprochable,  faire  sortir  sa  vertu  brillante  d'un  plus  bel  éclat. 
Les  blessures  de  la  calomnie  ne  sont  dangereuses  que  sous  le  despotisme  : 
l'homme  vertueux,  qui  s'est  dévoué  pour  la  patrie,  est  calomnié;  mais 
aussi  la  liberté  de  la  presse  reste  entière,  et  sans  elle  point  de  liberté.  » 

«  M.  Royer,  évêque  de  l'Ain,  appuie  les  réflexions  de  M.  Robes 
pierre  sur  les  calomnies  dirigées  contre  les  fonctionnaires  publics,  et  cite 
les  apôtres  et  St.  François  de  Sales  »,  les  premiers,  dit-il,  auxquels 
l' homme-Dieu  déclara  qu'ils  seraient  en  but  à  toutes  les  calomnies,  et 
l'autre  qui  fut  calomnié  toute  sa  vie  malgré  sa  conduite  irrépro- 
chable »   (3). 

(3)  Aulard  (III,  97),  de  même  que  Bûchez  et  iRoux  {XI,  476) 
donne  un  bref  résumé  de  cette  intervention  :  «  M.  Robespierre 
appuie  les  observations  de  M.  Rœderer  »;. 


343.  —  SEANCE  DU  23  AOUT  1791 

Discussion  du  projet  de  Constitution  {suite) 

Sur  la  liberté  de  la  presse  (suite) 


Le  23  août,  la  discussion  reprend  sur  le  second  paragraphe  de 
l'art.  1  du  titre  relatif  >à  la  liberté  de  la  presse  (1).  Pétion  demande 
la  question  préalable  sur  l'avis  du  comité.  Le  duc  de  La  Rochefou- 
cauld, député  de  la  noblesse  de  Paris,  présente  une  nouvelle  rédac- 
tion :  «  Tout  homme  a  le  droit  d'imprimer  et  de  publier  son  opinion 
sur  tous  les  actes  des  pouvoirs  publics  et  sur  tous  les  actes  des  fonc- 
tionnaires publics,  relatifs  à  leurs  fonctions;  mais  la  calomnie  contre 
qHelque  personne  que  ce  soit,  sur  les  actions  de  sa  vie  privée,  pourra 
être  jugée  sur  sa  poursuite  ».  D'André  défend  le  projet  des  comités. 
Robespierre  qui  intervient  après  lui,  interrompu  au  début  de  son 
discours  par  Regnaud  de  Saint- Jean-d'Angély,  se  rallie  à  la  rédac- 
tion de  La  Rochefoucauld.  Duport  se  prononce  •  pour  la  rédaction 
des  comités.  La  discussion  est  fermée. 


(1)  Of.  ci-dessus,   séance  du  22  août  1791. 


654  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

L'Assemblée  adopta  un  amendement  présenté  par  Salle,  et 
accepté  par  le  rapporteur,  Thouret.  Le  paragraphe  2  de  l'art.  1  fut 
décrété  en  ces  termes  :  «  La  censure  de  tous  les  actes  des  pouvoirs 
constitués  est  permise;  mais  les  calomnies  volontaires  contre  la  pro- 
bité des  fonctionnaires  publics  et  contre  la  droiture  de  leurs  inten- 
tions dans  l'exercice  de  leurs  fonctions,  pourront  être  poursuivies 
par  ceux  qui  en  sont  l'objet  ». 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXXII,  p.  207 
«  M.  Robespierre.  «  Je  réponds  à  M.  d'André  en  posant  seule- 
ment l'état  de  la  question.  M.  d'André  et  les  partisans  de  l'article  du 
comité  semblent  quelquefois  s'éloigner  de  nos  principes,  et  quelquefois 
s'en  rapprocher;  c'est  ce  que  vient  de  faire  M.  d'André.  Dans  ce 
moment,  M.  d'André  paroit  décidé  à  nous  accorder...  (Non,  non; 
murmures). 

«  M  Régnault  d'Angély  (sic).  Je  demande  que  M.  Robespierre 
veuille  bien  désigner  la  corporation  dont  il  est  le  chef.  (On  rit). 

a  M.  Robespierre.  Je  vais  satisfaire  à  l'interpellation  du  préopi- 
nant (au  fond  à  gauche  :  allons,  allons,  à  l'ordre  du  jour).  L'expression 
dont  je  me  suis  servi  n'étoit  pas  susceptible,  ce  me  semble,  d'une 
pareille  réflexion;  car  quand  je  dis  nous,  je  parlois  de  ceux  que  la  ques- 
tion intéresse,  et  par  conséquent  de  la  généralité  des  citoyens.  Ce  sont 
les  droits  de  la  nation  que  je  réclame  contre  un  système  qui  m'y  paroît 
contraire.  Je  disois  donc  que  ML  d'André  paroissoit  accorder  aux 
citoyens  le  droit  d'exercer  une  censure  salutaire  et  libre  sur  les  actes 
administratifs.  Si  effectivement  l'article  que  nous  combattons  (je  parle 
de  ceux  qui  ont  combattu  le  projet  du  comité),  si,  dis-je,  l'article  rem- 
plissoit  cet  objet,  ce  seroit  alors  qu'on  pourroit  dire,  avec  vérité,  que 
nous  sommes  d'accord  ;  mais  la  difficulté  consiste  en  ce  que  nous  préten- 
dons qu'en  même  tems  que  le  comité  reconnoit  la  nécessité  d'exercer 
cette  censure,  la  rédaction  avec  laquelle  son  article  est  rendu  la  détruit 
entièrement.  En  effet,  messieurs,  qu'est-ce  que  la  liberté  d'exercer  la 
censure  de  l'opinion  (murmures)  ?  Je  demande  s'il  est  raisonnable,  lors- 
que les  comités  et  les  partisans  de  l'opinion  des  comités  parlent  aussi 
souvent  et  aussi  long-tems  qu'ils  veulent,  et  sont  entendus,  je  demande 
s'il  est  juste  de  m'arrêter  au  milieu  de  mon  opinion  ?  Quelle  est  donc 
cette  censure  libre  que  l'on  prétend  accorder  aux  citoyens  sur  les  actes 
administratifs  ?  Et  pour  rendre  ceci  sensible,  je  vais  me  servir  de  l'opi- 
nion de  M.  Thouret;  il  s'agit  d'un  ministre  qui  compromet  la  liberté  et 
la  sûreté  de  la  nation  par  un  système  perfide,  qui,  parlant  toujours  de 
patriotisme,  de  loix,  d'ordre  public,  néglige  la  défense  du  royaume, 
et  entretient  des  intelligences  coupables  avec  les  ennemis  du  dehors, 
eh  bien  !  moi  je  demande  si  le  droit  d'un  citoyen,  dans  cette  circons- 
tance, est  borné  à  dire  très-modestement,  très  respectueusement  :  M.  le 
ministre  a  négligé  d'envoyer  un  corps  de  troupes  suffisant  sur  cette  fron- 
tière. Je  demande  s'il  n'*est  pas  permis  de  dire,  non  seulement  le  ministre 
a  négligé  de  défendre  cette  partie  du  royaume,   mais  j'apperçois  dans 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  655 

sa  conduite  un  plan  de  conspiration  contre  le  salut  public  (ah  !  ah  !).  Je 
citerois  un  autre  exemple  qui  est  réel,  et  qui  autrefois  eût  non  seulement 
passé  pour  hypothétique,  mais  eût  été  une  calomnie.  Un  général  préposé 
à  la  défense  de  nos  frontières,  a  médité  un  plan  qui  doit  être  de  déchirer 
la  nation  par  une  guerre  civile,  et  de  la  livrer  à  tous  les  fléaux  de  la 
guerre  intestine  et  de  la  guerre  extérieure.  Je  suppose  que  j'aie  des 
indices  très  frappans  et  capables  de  convaincre  tout  homme  de  bonne-foi 
et  un  peu  clairvoyant.  Je  le  demande,  me  sera-t-il  permis  seulement  de 
dire  :  ce  général  a  commis  telle  action  qui  étoit  contraire  aux  devoirs 
qui  lui  étoient  imposés,  et  si  je  vais  jusqu'à  dire  ce  général  est  un 
traître,  c'est  l'ennemi  de  la  patrie,  serai-je  coupable?  Oui,  je  le  serai 
dans  le  sens  du  comité. 

«  Plusieurs  voix.  Non,  non. 

«  M.  Robespierre.  Je  dis,  messieurs,  que  par  la  nature  des  choses, 
l'intention  de  faire  le  mal  est  ici  intimement  liée  au  mal  que  l'on  fait  : 
qu'il  y  a  une  connexité  si  nécessaire  entre  commettre  un  crime  ef  être 
un  scélérat  ;  que  c'est  une  absurdité  de  dire  :  vous  aurez  le  droit  de  dire 
qu'un  fonctionnaire  public  a  commis  un  acte  contraire  à  ses  devoirs, 
et  non  le  droit  de  dire  que  le  fonctionnaire  public  est  un  traître,  un 
prévaricateur.  Eh  !  quand  on  propose  des  articles  de  cette  espèce,  quel 
peut  en  être  le  résultat,  si  ce  n'est  d'affoiblir  l'énergie  de  la  censure, 
si  ce  n'est  d'empêcher  qu'elle  ne  s'exerce  avec  la  force  et  l'étendue 
nécessaire  pour  être  réellement  utile  au  salut  public.  Mais  il  y  a  une 
raison  bien  supérieure  à  celles-là,  que  tous  les  partisans  du  système  du 
comité  se  sont  empressés  d'éviter,  parce  qu'elle  montroit  tous  les  vices 
de  leur  raisonnement.  Ils  ont  toujours  supposé  que,  lorsque  l'on  réclamoit 
le  droit  d'exercer  la  censure  de  l'opinion  sur  la  conduite  des  hommes 
en  place,  c'étoit  le  droit  de  calomnier  que  l'on  réclamoit.  C'est  précisé- 
ment tout  le  contraire  :  ce  sont  ceux  qui  prétendoient  qu'il  falloit  bien  se 
garder  de  laisser  la  moindre  ouverture  à  la  calomnie  contre  les  hommes 
en  place;  ce  sont  ceux-là  qui  anéantissoient  évidemment  la  censure  la 
plus  légitime  et  la  plus  nécessaire  sur  la  conduite  des  hommes  publics. 
Pour  le  prouver,  il  suffit  de  faire  attention  à  une  chose  prouvée,  non 
seulement  par  le  raisonnement  mais  par  notre  propre  expérience.  Je  défie 
M.  d'André  lui-même  de  répondre  à  l'exemple  que  je  vais  lui  sou- 
mettre. Il  fut  un  tems  où  le  général  que  je  viens  de  désigner  étoit  aussi 
coupable  aux  yeux  des  hommes  tant  soit  peu  clairvoyants  et  tant  soit 
peu  zélés  pour  le  succès  de  la  révolution,  il  avoit  des  intentions  aussi 
perfides  qu'il  les  a  manifestées  depuis.  Eh  !  bien,  je  vous  en  atteste,  si 
un  citoyen  eût  dit  que  Bouille  méditoit  un  projet  funeste  au  salut  de  la 
patrie,  je  le  demande,  la  seule  énonciation  de  ce  fait  n'eût-elle  pas 
passé  pour  une  calomnie  (applaudi)  :  si  quelqu'un  peut  me  contester  la 
vérité  de  cette  réflexion,  je  lui  rappellerai  l'engouement  général  que 
l'on  avoit  excité  en  faveur  du  patriotisme  et  du  zèle  de  M.  de  Bouille. 
J'en  attesterais  les  éloges  qui   lui  ont  été  donnés  par  l'intrigue   et   les 


656  LES    DISCOURS    DE.    ROBESPIERRE 

lemerciements  même  surpris  à  l'assemblée  nationale  (2)  (applaudi).  Je 
demande  s'il  est  possible  de  faire  une  telle  illusion  à  l'opinion  publique, 
à  une  nation  presque  entière,  à  la  sagesse  même  des  représentans  d'une 
grande  nation.  Je  le  demande,  si  ce  ne  seroit  pas  s'exposer  à  une  perte 
certaine  que  d'aller  lutter  en  pareille  circonstance  avec  un  ennemi  aussi 
puissant.  La  conclusion  de  tout  ceci  est  simple,  c'est  qu'il  est  impossible 
d'exercer  librement,  sur  la  conduite  des  hommes  publics,  même  les  plus 
coupables,  une  censure,  si  l'avertissement  que  l'on  donne  sur  sa  conduite, 
si  l'exercice  que  l'on  fait  de  ce  droit  vous  expose  à  une  peine  presqu'iné- 
vitable.  Car  il  est  bien  évident  d'une  part,  que  les  fonctionnaires  publics 
puissans  peuvent  s'environner  d'une  force  d'intrigue,  de  manœuvres, 
d'opinions  excitées  par  les  manœuvres  de  la  cabale,  et  quelquefois  même 
du  gouvernement,  qu'il  soit  absolument  impossible,  je  ne  dis  pas  de  les 
attaquer  impunément,  mais  même  de  ne  pas  éprouver  la  condamnation 
la  plus  humiliante  et  la  plus  accablante,  si  on  ose  dire  un  mot  pour  le 
salut  de  la  patrie,   lorsqu'il  peut  les  blesser. 

«  Il  résulte  de  là  que  la  question  reste  à  savoir,  si  pour  éviter  le 
danger  d'exposer  les  fonctionnaires  publics  dans  certaines  circonstances 
à  des  inculpations  hazaidées,  il  faut  priver  la  société  de  l'avantage 
suprême  et  nécessaire  à  sa  conservation,  de  dénoncer  sur  de  simples 
indices,  et  sans  être  exposé  au  sort  d'une  condamnation  presqu'inévi- 
table;  il  faut,  en  un  mot,  prononcer  entre  l'intérêt  de  la  nation  et  l'inté- 
rêt des  fonctionnaires  publics  :  c'est  à  cela  qu'il  faut  réduire  la  question, 
en  raisonnant  de  bonne  foi,  et  voilà  le  motif  qui  m'engage  à  conclure 
en  faveur  de  la  rédaction  de  M.  Larochefoucault  »  (3). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  236,  p.  977. 

«  M.  Roberspierre.  M.  Dandré  et  les  autres  partisans  du  Comité 
semblent  quelquefois  se  rapprocher  des  principes  pour  s'en  éloigner  sur 
le  champ.  M.  Dandré  paraît  dans  la  dernière  partie  de  son  opinion 
déterminé  à  nous  accorder...  (Il  s'élève  des  murmures). 

«  M.  Regnaud  de  Saint  Jean  d'Angély.  Je  demande  que  le  pré- 
opinant veuille  bien  indiquer  la  corporation  dont  il  est  le  chef. 

«  M.  Roberspierre.  Je  m'en  vais  satisfaire  à  l'interpélation  du  pré- 
opinant. Quand  j'ai  dit  nous,  je  parlais  de  ceux  que  la  question  inté- 
resse, c'est-à-dire,  de  la  généralité  des  citoyens  :  ce  sont  les  droits  de 
la  nation  que  je  réclame  contre  un  article  qui  me  paraît  les  attaquer. 
Je  dis  donc  que  M.  Dandré  paraissait  accorder  le  droit  d'une  censure 
salutaire  et  libre  sur  les  actes  d'administration;  si  l'article  remplissait 
cet  objet,  alors  on  pourrait  dire  que  nous  sommes  d'accord;  mais  il  ne  le 
remplit  pas. 

«   Qu'est-ce  que  la  liberté  d'exercer   la  censure  ?   (On  murmure). 

(2)  'A  la  suite  de  l'affaire  de  Nancy  (Of.  Discours...,   Ve  partie, 
pp.    527,   529-535). 

(3)  Texte  reproduit  dans  les  Areh.  pari.,  XXIX,  656-657, 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  657 

La  puissance  des  Comités  s'étend-elle  jusqu'à  parler  aussi  long-tems 
qu'ils  veulent  et  à  ne  laisser  parler  personne  ?  Je  dis  que  cette  censure 
sur  les  actes  d'administration  ne  pourra  pas  s'exercer  sans  que,  en  vertu 
de  1  article  qui  vous  est  proposé,  on  puisse  poursuivre  le  censeur  comme 
calomniateur.  Par  exemple,  un  ministre  parlant  toujours  de  patriotisme  et 
d'ordre  public,  peut  mettre  une  négligence  coupable  dans  l'exécution 
des  lois  relatives  à  la  défense  du  royaume,  entretenir  des  intelligences 
secrettes  avec  les  ennemis  du  dehors.  Je  demande  si  le  droit  du  citoyen 
se  réduira  à  dire  très  modestement,  très-respectueusement,  M.  le  ministre 
a  négligé  de  porter  tel  corps  de  troupes  sur  les  frontières,  ou  n'aura- 
t-il  pas  le  droit  de  dire,  s'il  en  a  le  courage;  j'apperçois  dans  sa  conduite 
un  plan  de  conspiration  contre  le  salut  public;  j'invite  mes  concitoyens 
à  le  surveiller.  (On  murmure.  Les  tribunes  applaudissent). 

«  Voici  un  autre  exemple.  Un  général  préposé  à  la  défense  de  nos 
frontières  a  exécuté  un  plan  dont  le  résultat  devait  être  de  livrer  la  nation 
à  tous  les  fléaux  de  la  guerre  domestique  et  extérieure.  Je  suppose  que 
j'aye  eu  des  indices  certains  de  ce  crime,  comme  tout  homme  de  bonne 
foi  et  clairvoyant  a  pu  en  avoir,  je  ne  pourrai  donc  pas  provoquer  la 
surveillance  publique  sur  un  tel  homme  sans  être  puni  comme  calomnia- 
teur ?  Je  dis  que  par  la  nature  des  choses,  l'intention  de  faire  le  mal 
touche  de  si  près  à  l'action  même,  qu'il  y  a  une  connexité  si  évidente 
entre  le  crime  consommé  et  l'intention  du  crime,  qu'on  ne  pourra  dénon- 
cer un  délit  d'administration,  sans  risquer  d'être  poursuivi  comme  calom- 
niateur des  intentions. 

«  A  quoi  sert  cette  distinction  qu'il  est  si  facile  d'éluder  dans 
son  usage  entre  un  délit  commis  et  l'intention  si  ce  n'est  à  gêner  la 
censure  sur  tous  les  points. 

«  Consultons  l'expérience;  sur  cent  accusations  intentées  par 
l'Assemblée  nationale  elle-même  contre  les  citoyens  99  sont  restées 
sans  preuves.  Si  M.  Bouille  eût  été  dénoncé  comme  un  homme  méditant 
des  projets  contre  la  patrie,  le  citoyen  clairvoyant  et  zélé  qui  en  eût 
découvert  les  indices  sans  en  découvrir  encore  les  preuves  juridiques; 
n'eût-il  pas  passé  pour  calomniateur  ?  (Les  tribunes  applaudissent).  Pour 
appuyer  la  vérité  de  cette  observation,  je  rappellerai  l'engouement  géné- 
ral excité  en  faveur  du  patriotisme  et  du  zèle  de  cet  officier,  les  éloges 
qui  lui  ont  été  prodigués  par  l'intrigue  et  les  remerciements  même  sur- 
pris à  la  sagesse  de  l'Assemblée  nationale.  (On  applaudit).  Lorsque  les 
chances  de  l'équité  sont  tellement  incertaines  en  faveur  de  l'un  et  de 
l'autre  système,  je  demande  s'il  faut  priver  la  société  de  l'avantage 
suprême  d'une  censure  illimitée  sur  les  fonctionnaires  publics.  Je  de- 
mande que  la  rédaction  plus  précise  de  M.  Larochefoucault  soit  pré- 
férée à  celle  du  Comité  »  (4). 

(4)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,   IX,   471  ;  dans  Bûchez  et 
Bôux,    XI,   323;  et  dans  Laponneraye,   I,  187. 


658  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXV,  n°  775,  p.  403  (pour  p.  420). 

«  Le  préopinant,  a  dit  M-  Robespierre,  paroit  enfin  décidé  à  nous 
accorder  ce  que  les  principes  donnent  à  tout  citoyen. 

«  Ici,  M.  Renaud  (5)  demande  à  M.  Robespierre,  au  nom  de 
quelle  société  ou  corporation  il  parle,  quand  il  dit  nous  accorde. 

«  M.  Robespierre  repousse  l'interpellation,  en  disant  qu'il  parle 
des  bons  citoyens  qui  veulent  une  liberté  sage,  une  liberté  nécessaire 
de  surveiller  et  de  censurer  les  actions  des  administrateurs  commises 
en  administration,  et  qu'il  pense,  quand  il  dit  nous  de  ceux  des  préopi- 
nans  qui  ne  trouvoient  pas  assez  de  clarté  dans  l'article  des  comités. 
Je  le  demande  à  tout  homme  raisonnable,  le  droit  d'un  citoyen  se  réduit- 
il  donc  à  dénoncer  respectueusement,  modestement,  les  actes  illégaux 
des  administrateurs,  sans  oser  expliquer  les  intentions  eue  !es  actes 
supposent  ou  manifestent.  Un  général  (et  vous  en  avez  eu  récemment 
l'exemple,  sous  les  yeux)  (5),  un  général  machine  avec  des  factieux 
ou  des  ennemis  du  bien  public  un  plan  qui  doit  déchirer  le  royaume  par 
une  guerre  intestine  et  extérieure,  si  je  dis  :  c'est  un  traître,  il  a  formé 
le  plan  d'une  conspiration  contre  sa  patrie,  je  suis  accusé  de  calomnie, 
je  suis  puni.  Cependant,  malgré  les  flatteries  et  les  éloges  mendiés  dont 
quelques  intriguans  le  firent  couvrir  par  un  décret  de  l'assemblée,  il  fut 
une  époque  où  ce  général  n'étoit  aux  yeux  des  hommes  un  peu  clair- 
voyans  qu'un  traître  odieux,  qu'un  ennemi  perfide  qui  cherchoit  à  allu- 
mer la  guerre  civile.  Alors,  si  quelqu'un  eût  dit,  c'est  un  traître,  i! 
auroit  été  réputé  calomniateur  (On  applaudit).  —  Je  crois  donc  que 
M.  André  a  fort  mal  posé  la  question  :  il  s'agit  de  savoir  si  l'on  exposera 
les  fonctionnaires  publics  à  quelques  imputations  mal  fondées,  ou  si  l'on 
privera  la  société  de  l'utilité,  qui  peut  résulter  d'une  liberté  entière  de 
dénonciation,  et  pour  résoudre  le  problème,  je  donne  la  préférence  à  la 
rédaction  de  M.  Larochefoucaud  sur  l'article  des  comités.  » 

Courier  de  Provence,  t.  XVI,  n°  333,  p.  366. 

<(  M.  Robespierre  a  présenté  une  hypothèse  bien  simple.  Il  a  sup- 
posé qu'un  général,  chargé  de  la  défense  d'une  frontière  importante, 
tramât  un  projet  de  conspiration,  dont  le  résultat  seroit  de  livrer  le 
royaume  à  ses  ennemis;  il  a  supposé  qu'un  écrivain  eût  des  indices 
certains  de  ce  crime;  dans  le  projet  des  comités,  il  ne  pourroi*  le 
dénoncer  sans  être  puni  comme  calomniateur,  parce  qu'il  n'auroit  pas 
de  preuves  juridiques.  Consultons  l'expérience,  a  ajouté  l'orateur;  sur 
cent  accusations  intentées  par  rassemblée  nationale  elle-même,  contre  des 
citoyens,  quatre-vingt-dix-neuf  sont  restées  sans  preuves.  Si  M.  Bouille 
eût  été  dénoncé  comme  un  homme  méditant  des  projets  contre  la  patrie, 


(5)  Pour    Begnaud. 

(6)  Allusion  au  rôle  de  Bouille  dans  la  fuite  du  roi. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  659 

le  citoyen  clairvoyant  et  zélé,  qui  en  eût  découvert  des  indices,  sans 
en  avoir  encore  acquis  les  preuves  juridiques,  n'eût-il  pas  passé  pour 
un  calomniateur  ?  Pour  appuyer  la  vérité  de  cette  observation,  je  rap- 
pellerai l'engouement  général  excité  en  faveur  du  patriotisme  et  du 
zèle  de  cet  officier,  les  éloges  qui  lui  ont  été  prodigués  par  l'intrigue, 
et  les  remerciements  mêmes  surpris  à  la  sagesse  de  l'assemblée  nationale, 
«  M.  Robespierre  a  conclu  à  ce  qu'on  préférât  la  rédaction  de 
M.  Larochefoucauld  à  celle  des  comités  »  (7). 

Mercure  universel,   t.   VI,   p.   382. 

«  M.  Robespierre.  En  même  temps  que  M.  d'André  et  le  comité 
conviennent  des  mêmes  principes  que  nous,  la  rédaction  de  leur  article 
ne  les  comporte  pas;  je  cite  un  exemple;  qu'il  existe  un  ministre,  qui 
néglige  la  défense  extérieure  du  royaume,  qui  entretienne  des  relayons 
perfides  ou  machiavéliques,  avec  les  ennemis  extérieurs,  ne  me  sera-t-il 
donc  pas  permis  de  le  dire  ?  Si  son  plan  est  de  faire  arriver  à  un  terme 
fixé  une  dissention  intestine,  la  guerre  civile,  et  la  guerre  extérieure, 
pour  renverser  l'organisation  publique,  parce  que  je  n'aurai  aucune 
preuve  matérielle  de  ces  intentions,  ce  que  jamais  on  ne  pourra  démon- 
trer, je  vous  demande  si  je  dois  me  taire  au  risque  de  trahir,  de  perdre 
ma  patrie  ?  ou  si  je  dois  pour  la  sauver  m'exposer  à  la  vengeance  d'un 
ministre  puissant,  qui  peut  me  faire  porter  la  tête  sur  l'échafaud  ?  Si 
lors  même  de  l'affreuse  affaire  de  Nancy,  si  quelqu'un  eût  dénoncé 
Bouille,  n'eut-il  pas  passé  pour  un  calomniateur  (très-applaudi)  (8). 

a  J'en  atteste  les  remerciemens  surpris  à  l'assemblée  (applaudi). 

«  La  question  se  réduit  donc  à  savoir  si  on  laissera  dans  certaines 
circonstances  des  fonctionnaires  publics,  exposés  à  des  assertions  hasar- 
dées, ou  bien  si  l'on  exposera  le  salut  du  peuple  aux  trahisons,  aux 
extentions  abusives  de  ceux  à  qui  il  a  confié  ses  pouvoirs  (applaudi).  » 

L'Ami  du  Peuple  (Marat),  nr  538,  p.  5- 

«  De  nouveaux  articles,  tout  aussi  destructeurs  de  la  liberté  de  la 
presse,  ont  été  ajoutés  Celui  qui  porte  «  que  les  calomnies  volontaires 
contre  la  probité  et  la  droiture  des  intentions  des  fonctionnaires  publics, 
pourront  être  poursuivies  par  ceux  qui  en  sont  l'objet  »,  a  excité  de  vives 
réclamations  de  la  part  de  MM.  Péthion  et  Roberspierre .  Ce  dernier, 
pour  faire  sentir  l'atrocité  de  cette  disposition  du  projet  des  comités,  a 
relevé  la  politique  des  agens  ministériels  qui  s'enfoncent  dans  un  dédale 
ténébreux,  pour  dérober  les  preuves  de  leurs  crimes,  et  qui  commencent 
toujours  par  jouer  le  rôle  d'amis  des  lois  et  du  bien  public,^  avant  de 
jetter  le   masque;   à  ce   sujet,   il  a  cité   l'exemple  de   Bouille,   regardé 

(i,  Cf.  Ë.  Btamel,  I,  542. 

(H)  C'est  ce  passage  qu'ont  retenu   les  rédacteurs  des  petits  jour- 


660  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

comme  un  traître  à  la  patrie  par  tous  les  gens  de  bien,  lors  même  que 
l'assemblée  lui  a  décerné  la  couronne  civique  pour  le  massacre  des 
patriotes  de  Nancy,  et  il  a  demandé  si  un  écrivain  qui  l'aurait  dénoncé 
comme  un  conspirateur  avant  la  notoriété  de  ses  dernières  trahisons, 
aurait  mérité  d'être  traité  comme  calomniateur,  conformément  au  décret, 
En  soutenant  Ja  négative,  il  a  démontré  la  nécessité  de  la  liberté  illi- 
mitée d'écrire  contre  les  fonctionnaires  publics;  mais  bien-tôt,  forcé  de 
céder  au  torrent  des  ennemis  de  la  patrie,  il  a  voté  lui-même  pour  le 
tempéremment,  proposé  par  le  sieur  la  Rochefoucauld,  et  il  a  été 
décrété  «  que  la  censure  est  licite  à  tout  homme  contre  les  actes  des 
pouvoirs  constitués,  mais  que  les  calomnies  volontaires  contre  la  probité 
des  fonctionnaires  publics,  et  contre  la  droiture  de  leurs  intentions  dans 
l'exercice  de  leurs  fonctions,  pourront  être  poursuivies  par  les  personnes 
qui  en  sont  l'objet;  de  même  que  les  injures  relatives  aux  actions  de 
leur  vie  privée  »  (9). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  L'Ami  du  Roi  (Mont- 
joie),  24  août  1791,  p.  942;  Le  Journal  de  la  Révolution,  n°  377, 
p.  424;  Le  Courrier  des  LXXXIII  département,  t.  XXV II,  n°  24, 
p.  382;  Les  Révolutions  de  Paris,  n°  110,  p.  279;  Le  Journal  général 
du  Pas-de-Calais,  n°  18,  p.  186;  La  Gazette  nationale  ou  Extrait.-., 
t.  XIX,  p  205;  Le  Journal  des  Débats,  n°  824,  p.  6:  La  Gazette 
universelle,  n°  236,  p.  944;  Le  Mercure  de  France,  3  septembre  1791, 
p.  23;  Le  Pacquebot,  n"  236;  Le  Journal  général  de  France,  24  août 
1791,  p.  947;  Le  Journal  général  de  l'Europe,  24  août  1791,  p.  352; 
Le  Babillard,  n°  72,  p.  249;  Le  Postillon  (Calais),  n°  562,  p.  5;  Le 
Journal  de  Louis  XVI  et  de  son  peuple,  t.  V,  n°  1 15,  p.  129;  Assem- 
blée nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XIII,  n°  749,  p.  4: 
Les  Annales  patriotiques  et  littéraires,  n°  691,  p.  1856;  Le  Journal 
universel,  t.  XIII,  p.  14118;  L'Ami  du  Roi  (Royou),  25  août  1791, 
p.  2;  Le  Journal  de  Rouen,  n°  236,  p.  1145.] 

(9)  En  conclusion  d'un  article  intitulé:  «  Instruction  sur  la  liberté 
absolue  de  La  presse  »,  les  «  Révolutions  de  Paris  »  réclament:  «  La 
liberté  de  la  presse  ou  la  mort  ». 


344.  —  SEANCE  DU  24  AOUT  1791 

Discussion  du  projet  de  constitution  (suite) 
Sur  la  garde  du  roi 


La  discussion   sur  la   révision  de  l'acte  constitutionnel^  continue. 
Thouret,  rapporteur,  soumet  à  l'Assemblée  l'article  relatif  a  la  garde 


du  roi  qu'il  propose  de  former  de  1.800  hommes,  pris  dans  la  ligne 
et  la  garde  nationale.  Vadier  critique  ce  projet  et  demande  que  la 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  661 

garde  du  roi  soit  prise  dans  les  83  départements  i(l).  Le  marqua 
o'Estournel  rappelle  que  l'Assemblée  a  voté  l'établissement  de  la 
maison  militaire  du  roi  (2)  ;  il  suggère  qu'il  soit  sur-le-champ  décrété 
par  acclamation  qu'une  députation  ira  prier  le  roi  de  reprendre 
l'exercice  de  ses  fonctions.  Robespierre  intervient  alors  (3).  Hébrard, 
député  du  tiers  état  de  la  sénéchaussée  de  Saint-Flour,  s'oppose, 
après  lui,  au  principe  même  d'une  garde  militaire. 

Les  deux  paragraphes  de  l'article  unique  du  projet  des  comités 
furent  décrétés  par  l'Assemblée. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXXII.  p.  233 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  répondrai  pas  au  discours  du  préopinant, 
je  chercherai  seulement  à  attacher,  s'il  est  possible,  à  quelques  principes 
la  double  garde  proposée  par  le  comité  de  constitution.  Pour  moi,  j'au- 
rois  pensé  que  les  gardes  nationales,  auroient  pu  continuer  quelque 
tems  encore,  du  moins,  de  garder  le  roi.  Le  comité  vous  propose,  outre 
mne  garde  composée  de  citoyens,  un  corps  militaire  de  fantassins  et  de 
cavalerie  dont  la  composition  sera  absolument  à  la  disposition  du  roi. 
Je  crois  en  général  qu'un  corps  armé  par  un  particulier,  dévoué  au  ser- 
vice d'un  homme  quelconque,  est  la  plus  inconstitutionnelle  de  toutes 
les  institutions.  Je  prouverai  ensuite  qu'elle  est  dangereuse,  non  pas  dans 
le  sens  de  ceux  qui  ont  souri  à  ce  qu'a  dit  un  des  préopinans  :  je  ne 
pense  pas  qu'un  corps  de  1 .800  hommes  puisse  conquérir  la  France, 
mais  je  crois  que  sous  d'autres  rapports  une  pareille  institution  peut  être 
infiniment  dangereuse.  Dans  quelle  circonstance  vous  propose-t-on  d'éta- 
blir un  corps  militaire  voué  à  la  garde  du  roi  ?  C'est  dans  un  moment 
de  crise  et  de  révolution.  Et  s'il  est  vrai  qu'un  corps  de  1 .800  hommes 
ne  peut  menacer  la  liberté  publique  dans  un  tems  de  calme,  il  est  égale- 
ment certain  qu'il  peut  être  très  funeste  à  l'ordre  public,  et  très  propre 
à  occasionner  un  mouvement  dangereux  dans  des  tems  d'orages  et  de 
conspirations. 

«  Ici,  messieurs,  je  ne  crois  pas  que  les  réflexions  sur  les  cir- 
constances critiques,  puissent  exciter  dans  l'assemblée  autre  chose  qu'un 
sentiment  sérieux.  Ce  qui  s'est  passé,  ce  qui  se  passe  encore,  ce  que 
l'avenir  peut  nous  préparer,  a-t-il  donc  dû  nous  porter  à  tant  de  sécu- 
rité ?  Pourquoi  faut-il  ici  qu'on  me  force  de  parler  des  circonstances 
connues  de  tout  le  monde  ?  Est-il  quelqu'un  qui  ne  connoisse  les  alarmes 
publiques  sur  certains  rassemblemens  suspects,  sur  des  desseins  hostiles 
manifestés  hautement  par  les  ennemis  de  la  révolution.  Est-ce  donc  là 
le  moment  de  donner  au  roi  un  corps  particulier  de  1 .800  hommes,  au 
milieu  de  tant  de  troubles,  dont  nous  sommes  menacés  de  toutes  parts? 


(1)  Vadier  aurait,  d'après  le  «  Point  du  Jour  ■»,  heurté  l'Assem- 
blée tout  entière  en  donnant  à  penser  «  qu'un  corps  de  1.800  hommes 
lût  suffisant  pour  conquérir  la  France  ». 

(2)  Le  roi  avait  précédemment,  dans  une  lettre  à  l'Assemblée, 
exprimé  son  désir  de  voir   rétablir   sa  maison  militaire. 

(3)  Cf.  E.  Hamel,  I,  640. 


662  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

Et  de  quelle  manière  sera  composé  ce  corps  }  Le  choix  portera-t-i!  sur 
des  militaires,  dont  l'attachement  à  la  révolution  est  le  plus  connu  ?  Le 
comité  de  constitution  croit  vous  rassurer,  en  vous  disant  qu'ils  seront 
pris  dans  la  classe  de  ceux  qui  sont  actuellement  en  activité  dans  les 
troupes  de  ligne;  mais  qui  ne  voit  qu'il  est  possible  de  trouver  1.800 
hommes,  qui  ne  seront  rien  moins  qu'attachés  à  la  révolution  et  à  la 
cause  publique  parmi  ceux  qui  sont  en  activité  dans  les  troupes  de  ligne. 
Que  le  comité  ne  pense  donc  pas  nous  rassurer  par  une  considération  si 
illusoire  :  il  est  évident  que  le  danger  est  aussi  grand  que  si  on  laissoit 
au  roi  la  faculté  de  choisir  par-tout  sa  garde.  J'aimerois  autant  que  la 
latitude  du  choix  lui  soit  accordée  de  la  manière  la  plus  illimitée.  Je 
conclus  qu'il  est  impossible  de  songer  à  adopter  un  pareil  système,  sans 
consentir,  de  gaieté  de  cœur,  à  exposer  la  tranquillité  publique,  dans 
un  moment  critique,  à  des  dangers  réels,  sans  rendre  plus  funeste?  encore 
les  causes  de  trouble,  de  division  qui  nous  menacent,  et  sans  se  jouer 
de  l'opinion  publique  la  mieux  fondée,  et  des  alarmes  de  la  nation 
entière  et  de  tous  les  bons  citoyens. 

«  Je  ne  crois  pas,  messieurs,  que  dans  le  moment  actuel  nous  ne 
devons  nous  occuper  en  aucune  manière  de  la  garde  du  roi  :  le  *oi  a  une 
garde,  le  roi  a  été  confié  à  la  vigilance  et  au  patriotisme  des  citoyens 
armés;  voilà  la  mesure  qui  convient  aux  circonstances.  Quand  la  paix 
publique  et  la  révolution  seront  affermies,  quand  les  intentions  de 
ceux  qui  peuvent  influer  de  la  manière  la  plus  puissante  sur  le  sort  de  la 
liberté  seront  parfaitement  bien  connues,  alors  nous  verrons  s'il  est  un 
système  meilleur  que  celui  qui  a  été  adopté  jusqu'à  ce  moment;  mais 
dans  ce  moment,  il  faut  songer  à  conserver  celui  qui  a  eu  lieu  jusqu'à 
présent,  et  c'est  à  quoi  je  conclus,  en  demandant  la  question  préalable 
sur  le  projet  du  comité.  (Vifs  applaudissemens  des  tribunes)  (4).   » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  237,  p.  981. 

«  M.  Roberspierre.  Dans  quelles  circonstances  vous  propose-t-on 
de  rétablir  les  gardes  du  roi  ?  Dans  un  moment  de  crise  et  de  résolu- 
tion; et  s'il  est  vrai  que  ce  corps  de  troupes  ne  serait  pas  funeste  dans 
un  moment  calme,  il  est  vrai  qu'il  peut  protéger  des  projets  contre  l'ordre 
public,  dans  un  tems  d'orage  et  de  conspiration.  Pourquoi  faut-il  que  je 
sois  obligé  à  vous  rappeler  les  circonstances  que  tout  le  monde  con- 
naît^... De  quelle  manière  serait  composé  ce  corps,  ne  serait  ce  pas 
de  la  manière  qui  conviendrait  le  plus  à  la  cour  ?  Dans  quelle  classe 
croyez-vous  qu'on  prendrait  ceux  dont  l'attachement  à  la  constitution 
est  connu?  Le  Comité  croit  vous  rassurer  en  disant  qu'ils  ne  seront 
pris  que  parmi  les  personnes  actuellement  en  activité  de  service  dans 
les  troupes  de  lisrne,  ou  dans  la  garde  nationale,  mais  qui  ne  sait 
combien  il  serait  facile  de  trouver  dans  les  troupes  de  ligne  1 .800  hom- 

(4)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXIX,  695. 


LES  DISCOURS   DE  ROBESPIERRE  66:5 

mes  prêts  à  se  dévouer  à  une  contre-révolution;  il  est  donc  clair  que 
le  danger  est  le  même  que  s'il  était  possible  de  les  choisir  partout.  Je 
crois  qu'en  ce  moment  nous  ne  devons  nous  occuper  en  aucune  manière 
de  la  garde  du  roi,  qu'elle  reste  confiée  à  la  vigilance  et  au  patriotisme 
des  hommes  armés,  voilà  la  mesure  qui  convient  aux  circonstances.  (Les 
tribunes  applaudissent)  »  (5). 

Le  Mercure  universel,  t.  VI,  p.  393. 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  répondrai  point  à  ce  que  vient  dire 
l'opinant,  je  m'attacherai  aux  principes.  Dans  quelle  circonstance  vous 
propose-t-on  d'établir  un  corps  de  troupes  militaires  ?  C'est  dans  un 
temps  d'orages  et  de  conspirations;  ce  qui  s'est  passé,  ce  qui  se  passe 
encore,  ce  que  l'avenir  nous  prépare,  ne  nous  engage  point  à  tant  de 
sécurité.  Ne  connoit-on  pas  ces  rassemblemens  secrets  et  clandestins, 
ces  projets  de  conspirations  qui,  dans  ce  moment  même,  alarment  encore 
les  citoyens.  Mais  dans  quelle  classe  seront  pris  les  dix-huit  cens  hom- 
mes qui,  choisis  par  la  cour,  parmi  les  ennemis  des  loix  et  du  peuple, 
renouvelleront  sans  cesse  ces  scènes  de  troubles,  de  machination  et  de 
révolte  contre  les  loix  :  on  ne  peut  songer  à  ce  système,  à  moins  qu'on 
ne  veuille  de  gaîté  de  coeur  se  soumettre  à  toutes  les  embûches  que 
l'on  voudra  nous  tendre.  Je  crois  que  nous  ne  devons  aujourd'hui  nous 
occuper  aucunement  d'une  garde  royale;  le  roi  en  a  une.  c'est  la  meil- 
leure qu'il  puisse  avoir  :  dans  d'autres  temps,  quand  la  liberté  sera 
plus  assurée,  nous  verrons  si  nous  devons  lui  en  donner  une.  Je  demande 
la  question  préalable  sur  le  projet  du  comité.   (Applaudi)     » 

Chronique  de  Paris,  t.  V,  n°  237,  p.  961 . 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.   III,  n°   425. 

«  M.  Roberspierre.  Le  comité  propose  d'accorder  au  roi  une  garde 
spéciale  et  particulière  de  1.800  hommes.  Je  crois  qu'un  corps  voué  à 
un  homme  est  la  plus  inconstitutionnelle  de  toutes  les  institutions.  S'il 
est  vrai  que  1 .800  hommes  ne  puissent  être  dangereux  en  tems  de 
calme,  au  moins  ils  peuvent  l'être  en  tems  d'orage.  On  nous  dit  qu'ils 
seront  pris  dans  les  troupes  de  ligne,  mais  on  n'aura  pas  beaucoup  de 
peine  à  y  trouver  1  800  ennemis  de  la  constitution  Je  conclus  qu'il  est 
impossible  dans  les  circonstances  présentes  de  s'occuper  de  la  garde  du 
roi,  sans  se  ]ouer  de  l'opinion  publique.  » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  26  août  1791,  p.  2. 

«  Nommer  M.  Robespierre,  c'est  annoncer  un  adversaire  du  projet 
d'une  garde  pour  le  roi.  Nous  sommes,  à  ce  qu'il  dit,  entourés  de  mal- 
veillans,  menacés  d'hostilités  et  d'invasions  de  la  part  de  toutes  les 
puissances   de    l'Europe     On    va   mettre    en    péril    la    liberté   publique. 


(5)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  IX,  477. 


664  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

]  .800  hommes  choisis  par  le  roi  lui  semblent  plus  que  suffisans  pour  la 
compromettre  dans  ce  tems  de  trouble;  mais  n'est-ce  pas  aussi  dans  les 
momens  d'orages  qu'il  convient  que  le  roi  soit  environné  d'une  garde 
plus  formidable  aux  malfaiteurs,  qui  pullulent  à  ces  époques  désas- 
treuses.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  des  Débats, 
n°  825,  p.  4;  La  Gazette  nationale  ou  Extrait.-,  t.  XIX,  p.  214;  Le 
Journal  de  Rouen,  n°  237,  p.  1149;  Le  Point  du  Jour,  t.  XXV, 
n°  776,  p.  433;  Le  Mercure  de  France,  3  septembre  1791,  p.  28: 
Les  Annales  patriotiques  et  littéraires,  25  août  1791,  p.  1861  ;  Le  Jour- 
nal de  Paris,  25  août  1791  ;  Le  Journal  de  la  Noblesse...,  t.  II,  n°  36, 
p-  506;  Le  Journal  général,  24  août  1791,  p.  81 1  ;  Le  Journal  général 
du  Pas-de-Calais,  n°  18,  p.  188;  Le  Journal  universel,  t.  XIII, 
p.  14127;  L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  25  août  1791,  p.  946;  L'Argus 
patriote,  26  août  1791.] 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

345.  —  SEANCE  DU  24  AOUT  1791 

Sur  les  droits  des  membres  de  la  famille  royale 


Un  membre  propose  à  la  Société  d'arrêter  l'impression  du 
discours  prononcé  le  matin  même  à  l'Assemblée  nationale,  par  le  duc 
d'Orléans  (1).  Ce  dernier  avait  parlé  contre  J'article  du  projet  de 
constitution  qui  excluait  les  membres  de  la  famille  royale  des  droits 
de  citoyen  actif  (2)  ;  il  avait  conclu  en  déclarant  que  si  cet  article 
était  voté,  il  déposerait  sur  Je  bureau,  sa  renonciation  formelle  aux 
droits  de  membre  de  la  dynastie  régnante,  pour  >s'en  tenir  à  ceux  de 
citoyen  français.  iSillery  était  ensuite  intervenu,  pour  combattre  le 
projet  du  comité. 

Robespierre  prend  la  parole  sur  le  fond  du  débat.  Plusieurs 
■autres  membres  parlèrent  sur  cette  même  question. 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°  48. 
Mercure  universel,  t.  VI,  p.   457. 

«  M.  Robespierre.  La  question  qui  doit  être  traitée  à  l'assemblée 
nationale  est  celle  que  M.  de  Sillery  a  déjà  traitée  ici.  L'article  soumis 
à  la  délibération  porte  que  les  membres  de  la  famille  du  roi,  étant  seuls 
appelles  à  la  dignité  héréditaire,  forment  une  classe  distinguée  des 
citoyens  et  ne  peuvent  exercer  les  droits  de  citoyen  actif.  Il  n'est  pas  diffi- 
cile aux  vrais  amis  de  la  liberté  d'apprécier  une  pareille  proposition, 


(1)  (Louis-Philippe-Joseph,  duc  d'Orléans,  surnommé  «  Egalité  », 
prince  du  sang,  député  de  la  noblesse  du  bailliage  de  Orépy-en- 
Valois. 

(2)  Cf.    séance   suivante. 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  665 

qui  est  contraire  aux  principes  de  la  constitution.  Le  comité  veut  concen- 
trer dans  le  royaume  une  famille  distinguée  des  autres  citoyens  :  quel 
est  le  motif  de  cette  distinction  ?  C'est  que  les  parens  du  roi  sont 
appelles  à  une  dignité  héréditaire.  Il  s'ensuit  que  la  loi  a  jugé  qu'il  était 
de  l'intérêt  public  qu'il  y  eut  une  portion  de  citoyens  privilégiés;  et  ce 
privilège   est   de   n'être   point    citoyen   actif.    Quelle   absurdité!... 

«  M.  le  président  (3)  observe  que  les  comités  ont  changé  de  bat- 
terie; qu'ils  sont  convenus  de  laisser  aux  parens  du  roi  les  droits  de 
citoyen  actif,  en  les  rendant  inhabiles  à  être  élus  à  aucune  place  :  ils 
appuyent  ce  raisonnement  sur  ce  que  les  parens  du  roi  étant  déjà  élus 
de  droit  pour  régner,  ne  peuvent  accumuler  deux  places  à  la  fois. 

«  M.  Robespierre.  Le  comité  a  appuyé  son  système  sur  celui  des 
substitutions;  les  substitutions  le  condamnent  elles-mêmes;  car  ceux  en 
faveur  desquels  est  faite  la  substitution  n'y  ont  aucun  droit  qu'à  la 
mort  de  celui  qui  substitue;  jusques-là  ils  sont  totalement  étrangers  à  la 
propriété.  Le  comité  a  voulu  comme  de  coutume,  présenter  cette  vio- 
lation de  tous  les  principes  sous  les  dehors  de  l'intérêt  public  :  il  a  dit 
qu'il  fallait  donner  une  grande  distinction  aux  membres  de  la  famille 
royale,  afin  de  relever  l'éclat  du  trône:  mais  prétendre  élever  une 
famille  au-dessus  des  droits  de  citoyen,  n'est  autre  chose  qu'avilir  la 
qualité  de  citoyen  ;  c'est  reconnaître  formellement  que  le  plus  haut  degré 
de  la  gloire  consiste  à  être  plus  que  citoyen.  Une  telle  déclaration  est 
un  outrage  fait  au  souverain...   »  (4). 


(3)  C'est  .alors  Pétion. 

(4)  Texte  reproduit  dans  Àulard,  III,  99. 


346.  —  SEANCE  DU  25  AOUT  1791 

Discussion  du  projet  de  constitution  {suite) 
Sur  le  titre  a  donner  aux  membres  de  la  famille  royale 


Le  24  août,  après  le  vote  de  l'article  concernant  la  garde  du  roi, 
Thouret,  rapporteur,  avait  donné  lecture  à  l'Assemblée  d'un  article 
unique  concernant  les  droits  des  membres  de  la  famille  royale: 
«  Les  membres  de  la  famille  du  itoi  étant  seuls  appelés  à  une  dignité 
héréditaire,  forment  une  classe  distinguée  des  citoyens,  ne  peuvent 
exercer  aucun  des  droits  de  citoyen  actif,  et  n'ont  d'autre  droit  poli- 
tique que  celui  de  la  succession  éventuelle  au  trône;  ils  porteront  le 
litre  de  prince  ». 

Le  débat  reprend  le  25  août.  Démeunier,  faisant  fonction  de 
rapporteur  en  l'absence  de  Thouret,  défend  le  projet  des  comités. 
Guillaume  demande  la  question  préalable,  suivi  en  cela  par  Voidel. 
Le  -Chapelier  soutient  la  rédaction  du  comité  ;  Goupil  conclut  à  ce 
que  les  membres  de  la  famille  royale  aient  un  titre  distinctif,  et  à  ce 
qu'ils   soient  susceptibles  de   toutes  les  fonctions   politiques     Robes- 


666  LES  DISCOURS  DE  ROBESPIERRE 

pierre  intervient  ensuite.  Après  le  discours  de  Barnave  (1),  la  discus- 
sion es-t  fermée  (2). 

L'Assemblée  rendit  deux  décrets:  le  premier  à  une  grande  majo- 
rité, le  second  après  un  appel  nominal,  à  la  majorité  de  87  voix: 

1er  décret.  «  Les  membres  de  la  famille  royale  jouiront  des  droits 
de  citoyens  actifs  ». 

2e  décret.  «  Les  membres  de  la  famille  royale  ne  seront  point 
éligibles  aux  places  et  emplois  qui  sont  à  la  nomination  du  peuple  ». 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logograph.,  t.  XXXII,  p.  279. 

«  M.  Robespierre.  Je  remarque  que  l'on  s'occupe  trop  des  inté- 
rêts particuliers  et  non  pas  assez  de  l'intérêt  national.  Je  crois  que  pour 
donner  une  base  certaine  à  cette  délibération,  il  faut  bien  saisir  l'esprit 
de  la  loi  qui  vous  est  proposée.  Il  n'est  pas  vrai  que  l'on  veuille  dégrader 
les  parens  du  roi,  mais  l'effet  de  la  loi  par  rapport  aux  parens  du  roi, 
doit  être  nécessairement  différent,  suivant  leurs  principes  et  leur  manière 
de  voir.  Il  est  évident  que  ceux  qui  estiment  exclusivement  les  titres 
dont  l'orgueil  des  grands  les  nourrissoit  jusques  ici,  ne  peuvent  voir  une 
dégradation  dans  une  loi  qui  les  dispense  de  se  ranger  dans  la  classe 
commune  des  citoyens,  et  qui  les  élève  au-dessus  de  la  qualité  de 
citoyens.  La  privation  de  la  qualité  de  citoyen  ne  peut  être  considérée 
comme  une  peine  que  pour  celui  qui  sait  en  sentir  la  dignité  et  en 
apprécier  les  droits.  Je  ne  crois  pas  non  plus,  messieurs,  que  l'intention 
de  l'article  soit  d'écarter  l'influence  dangereuse  des  parens  du  roi.  La 
preuve  en  est  que  l'article  tout  entier  est  évidemment  fait  pour  les  parens 
du  roi,  la  preuve  en  est  que  l'on  ne  motive  point  les  motifs  pour  les- 
quels on  les  prive  des  droits  de  citoyen  actif,  sur  les  dangers  dont  ils 
pourroient  être  pour  la  chose  publique,  mais  sur  la  distance  honorifique 
qui  sépare  la  famille  du  roi  de  toutes  les  autres  familles.  La  preuve  en 
est  que  l'on  veut  pour  les  parens  du  roi  un  titre  extraordiniirement 
distingué,  qui  les  sépare  de  tous  les  citoyens.  L'article  ainsi  conçu,  il  est 
question  de  le  rapprocher  de  l'intérêt  public  et  de  la  constitution. 

«  Messieurs,  dans  tout  état,  il  n'y  a  qu'un  seul  prince,  c'est  le  chef 
du  gouvernement;  en  France,  il  n'y  a  qu'un  prince,  le  roi. 

«   A  droite.  Et  le  prince  royal. 

«   M.    Reubell.    II    est    son    suppléant. 

«  M.  Robespierre.  Je  dis  que  le  mot  prince  dans  ce  sens  n'a  qu'une 
signification  raisonnable  et  analogue  avec  le  principe  général,  très  compa- 
tible, par  conséquent,  avec  les  principes  de  la  liberté  et  de  l'égalité; 
au  contraire,  si  vous  l'appliquez  dans  un  autre  sens,  ce  n'est  plus  l'ex- 
pression d'une  fonction  publique.  Ce  n'est  plus  un  titre  national,   c'est 

(1)  Cf.   E.   Hamel,   î,   543. 

(2)  D'après  Audouin  {Journal  universel,  t.  XIII,  p.  14136)  : 
«  Barnave  s'est  montré  l'orateur  des  fugitifs,  en  prêchant  avec  cha- 
leur pour  leur  rendre  la  titre  de  prince,  en  les  dispensant  de  prêter 
serment  ». 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  667 

Un  titre  de  distinction  particulière;  et  parmi  vous  ce  titre  rappelleroit 

l'esprit  féodal,  puisque  jusqu'ici  parmi  nous  les  titres  de  prince  et  les 

autres  qui  appartiennent  aux  ci-devant  nobles,  avoient  la  même  origine 
et  étoient  fondés  sur  le  même  préjugé. 

«  Pour  moi,  messieurs,  je  ne  puis  m'étonner  assez  de  l'embarras 
que  trouve  le  comité  de  constitution  à  nommer  les  parens  du  roi.  Je  ne 
puis  concevoir  qu'il  attache  assez  d'importance  à  cet  objet,  pour  vous 
engager  à  révoquer  vous-mêmes  un  décret  que  vous  avez  rendu  à  une 
grande  majorité.  Pour  moi,  il  me  semble  qu'il  n'y  a  rien  de  si  aisé, 
et  que  les  parens  sont  tout  simplement  les  parens  du  roi  (on  rit).  Je  ne 
conçois  pas  non  plus  comment  le  comité,  dans  ses  principes,  a  pu  croire 
qu'il  existât  un  nom  au-dessus  de  celui-là,  car  d'après  les  hautes  idées 
qu'il  a  pu  se  former  de  tout  ce  qui  touche  à  la  royauté  et  au  roi,  il  est 
évident  qu'il  ne  peut  pas  reconnoître  de  titre  plus  éminent  que  celui  de 
parent  du  roi.  Je  crois  donc  que  l'assemblée  peut  se  dispenser  de  déli- 
bérer long-tems  sur  cet  objet;  je  crois  même  que  l'Europe  sera  étonnée 
d'apprendre,  que  dans  cette  époque  de  sa  carrière,  l'une  des  délibéra- 
tions de  l'assemblée  à  laquelle  on  ait  attaché  le  plus  d'importance,  a  eu 
pour  objet  de  donner  aux  parens  du  roi  le  titre  de  princes. 

((  Le  comité  vous  propose  d'élever  les  parens  du  roi  au-dessus  des 
autres  citoyens,  en  leur  ôtant  l'exercice  des  droits  de  citoyens.  Mes- 
sieurs, dès  qu'un  homme  est  retranché  de  la  classe  des  citoyens  actifs, 
précisément  parce  qu'il  fait  partie  d'une  classe  distinguée,  alors  il  y  a 
dans  l'état,  des  hommes  au-dessus  des  citoyens,  alors  le  titre  de  citoyen 
est  avili,  et  il  n'est  plus  vrai  pour  un  tel  peuple  que  la  plus  précieuse  de 
toutes  les  qualités  soit  celle  de  citoyen;  alors  tout  principe  d'énergie, 
tout  principe  de  respect  pour  les  droits  de  l'homme  et  du  citoyen,  est 
anéanti  chez  un  pareil  peuple,  et  les  idées  dominantes  sont  celles  de 
supériorité,  de  distinction,  de  vanité  et  d'orgueil.  Ainsi,  sous  ce  rap- 
port, la  proposition  du  comité  avilit  la  nation,  et  il  n'est  pas  vrai  qu'elle 
honore  le  trône  :  il  ne  peut  point  avoir  une  gloire  et  un  éclat  fondés  sur  les 
préjugés,  mais  sur  la  nature  même  des  choses.  L'éclat  du  trône,  c  est 
la  puissance  légale  et  constitutionnelle  dont  il  est  investi  ;  c'est  le  devoir 
imposé  au  monarque  de  faire  respecter  les  loix;  c'est  ensuite,  et  secon- 
dairement, les  vertus  et  les  talens  du  monarque  :  toute  autre  illustration 
est  fondée  sur  les  préjugés;  elle  est  indigne  d'occuper  l'assemblée  natio- 
nale, ou  plutôt  elle  ne  peut  s'en  occuper  que  pour  la  proscrire  avec 
dédain  (applaudi  à  l'extrémité  gauche). 

«  Si  j'examine  la  base  sur  laquelle  le  comité  appuie  cette  distinc- 
tion à  la  fois  immorale  et  impolitique,  il  n'est  pas  difficile  d'appercevoir 
qu'elle  ne  porte  absolument  sur  rien.  Le  comité  vous  a  dit  :  les  parens 
du  roi  ont  des  droits  qui  n'appartiennent  à  aucune  autre  famille,  donc  il 
faut  déclarer  que  la  famille  du  roi  forme  une  classe  distincte  de  citoyens, 
donc  il   faut   l'élever  au-dessus  des  autres  citoyens,   par  un  Jtitre  parti- 


668  LES  discours  de  robespierrk 

culier  qui  exprime  leur  distinction  et  leur  grandeur;  je  dis,  messieurs, 
que  le  motif  de  la  loi  ne  peut  entraîner  de  pareilles  conséquences. 

«  La  famille  du  roi  est  distinguée  des  autres,  mais  sous  le  seul 
rapport  de  l'intérêt  général  qui  vous  a  paru  exiger  que  la  loi  désignât 
une  seule  famille,  afin  que  les  membres  succédassent  à  leur  tour  au 
trône,  pour  prévenir  les  dangers  des  élections.  Voilà  où  en  est  la  distinc- 
tion de  la  famille  royale  :  elle  n'est  pas  dans  une  loi  particulière,  qui 
n'est  point  un  privilège  pour  elle,  mais  une  loi  établie  pour  l'intérêt 
général,  et  c'est  violer  à  la  fois  et  l'objet  et  l'esprit  de  la  loi  que  de 
vouloir  fonder  sur  cette  distinction  particulière  une  distinction  générale, 
qui  considéreroit  la  famille  royale  comme  une  caste  particulière,  comme 
une  caste  distinguée  sous  tous  les  rapports  de  toutes  les  autres  familles. 
Les  principes  de  l'égalité  et  de  la  constitution  exigent  au  contraire  que 
cette  distinction  soit  renfermée  très  strictement  dans  les  termes  précis 
de  la  loi. 

«  D'ailleurs,  Messieurs,  il  est  une  observation  importante  qui  tient 
au  premier  principe  de  cette  question,  c'est  qu'il  n'est  pas  possible  de 
regarder  les  membres  de  la  famille  du  roi,  qui  n'exercent  point  actuelle- 
ment les  fonctions  auxquelles  ils  sont  appelles  éventuellement  par  la 
constitution,  comme  des  fonctionnaires  publics  déjà  revêtus  d'une  auto- 
rité spéciale.  Ce  droit  est  incertain;  il  est  éventuel;  il  n'existe  point 
pour  eux;  il  n'existe  point  jusqu'à  ce  que  le  moment  fixé  par  la  loi  soit 
arrivé.  Jusques-là,  ils  sont  des  citoyens  qui  peuvent  être  un  jour  appelles 
à  la  royauté;  mais  jusqu'à  ce  que  ce  jour  soit  arrivé,  ils  ne  sont  pas  des 
fonctionnaires  publics,  ils  ne  sont  point  des  magistrats  suprêmes,  ils  ne 
sont  que  de  simples  citoyens.  Or,  comment  voudriez- vous,  sur  la  distinc- 
tion éventuelle,  qui  est  aux  yeux  des  loix  et  des  principes  comme  si  elle 
n'existoit  pas,  tant  qu'elle  ne  s'est  pas  réalisée  par  l'événement;  com- 
ment dis-je,  sur  cette  faculté  future  ou  incertaine,  voudriez-vous  établir 
une  distinction  actuelle  et  permanente  à  l'exercice  des  droits  de  citoyen  } 
J'ai  déjà  dit  qu'une  pareille  distinction  avilissoit  en  général  la  nation. 

«  Il  est  facile  d'apprécier  cette  réflexion  par  une  considération 
particulière.  Quoiqu'on  en  ait  dit,  il  est  certain  qu'on  ne  peut  pas 
impunément  déclarer  qu'il  existe  en  France  une  famille  quelconque  éle- 
vée au-dessus  des  autres;  vous  ne  pouvez  pas  le  faire  sans  réchauffer, 
pour  ainsi  dire,  le  germe  de  la  noblesse  détruit,  par  vos  décrets,  mais 
qui  n'est  point  encore  détruit  dans  les  esprits  et  que  beaucoup  de  per- 
sonnes, comme  vous  ne  pouvez  l'ignorer,  désireroient  voir  revivre.  Il  me 
paroit  évident  que  lorsque  nous  serons  accoutumés  de  voir  l'égalité  des 
familles  et  des  citoyens  violée  en  un  point,  nous  serons  beaucoup  moins 
révoltés  de  la  voir  violée  dans  un  autre  point.  Il  me  semble  que  lorsque 
nous  serons  familiarisés  avec  l'idée  que  la  famille  qui  occupait  le  premier 
rang  dans  l'ordre  de  la  noblesse  conserve  une  distinction  si  extraordi- 
naire, nous  serons  moins  choqués  de  voir  des  familles  distinguées  par 
leur  naissance  et  leur  grandeur,  prétendre  aussi  à  être  distinguée.   Nous 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  669 

serons  moins  étonnés  de  les  voir  reprendre  hautement  les  titres  honori- 
fiques proscrits  par  la  Constitution. 

«  Ainsi,  nous  verrons  cette  famille  unique  rester  au  milieu  de  nous 
comme  la  racine  indestructible  de  la  noblesse,  s'attacher  aux  hommes, 
s'allier  avec  eux,  caresser  leur  orgueil,  au  point  que  bientôt  il  se  for- 
mera, entre  toutes  les  familles  qui  regrettent  leurs  anciennes  préroga- 
tivs,  une  ligue  formidable  contre  l'égalité  et  contre  les  vrais  principes 
de  la  constitution,  dont  l'altération  augmentant  graduellement  en  pro- 
portion de  la  diminution  de  l'influence  de.  l'opinion  publique,  et  à 
mesure  que  l'on  verra  augmenter  l'influence  du  gouvernement,  et  de 
ceux  qui  tenoient  jadis  le  premier  rang  dans  l'état,  ramener  bientôt  la 
noblesse  et  les  autres  distinctions  au  milieu  de  nous,  presque  sans  que 
nous  nous  en  fussions  apperçu,  mais  d'une  manière  si  formidable,  qu'il 
seroit  impossible  d'arrêter  les  progrès  de  ces  dépravations  des  principes 
de  notre  constitution.  Il  est  si  vrai,  messieurs,  que  le  maintien  de  l'éga- 
lité politique  et  civile  exige  qu'il  n'existe  point  dans  l'état  de  familles 
distinguées,  que  chez  les  peuples  modernes  mêmes,  où  il  y  a  eu  quel- 
qu'idée  d'égalité,  on  s'est  appliqué  constamment  à  empêcher  une  pa- 
reille institution;  je  vous  citerai  l'Angleterre:  en  Angleterre  les  mem- 
bres de  la  famille  du  roi  forment-ils,  comme  on  veut  vous  le  faire  décré- 
ter, une  famille  distinguée  et  séparée  des  autres  citoyens  (murmures). 
Je  ne  parle  point  du  titre  de  prince,  car  c'est  là  une  de  ces  mauvaises 
institutions  que  je  combats;  je  parle  d'une  loi  plus  importante  qui  existe 
en  Angleterre;  je  dis  que  les  membres  de  la  famille  du  roi  sont  comme 
les  autres  nobles,  membres  de  l'assemblée  de  la  chambre  des  pairs 
(murmures). 

«  Un  membre.  Ils  sont  donc  nobles,  puisqu'ils  sont  de  la  chambre 
des  pairs  ? 

«   Plusieurs  voix.  Vous  n'y  connoissez  rien- 

«   M.  Démeunier.  Je  demande  à  répondre  {Non,  non). 

«  M.  Robespierre.  Je  citerai  un  exemple  plus  frappant.  Dans  les 
pays  où  la  noblesse,  jouissant  exclusivement  du  droit  politique,  forme 
à  elle  seule  la  nation,  elle  n'a  pas  voulu  de  distinction  de  famille. 
Je  citerai  la  Bohême  et  la  Hongrie,  parce  qu'elles  ont  senti  que,  si  une 
famille  étoit  distinguée  des  autres  l'égalité  des  membres  du  souverain 
étoit  violée,  et  qu'elle  seroit  le  germe  d'une  aristocratie  nouvelle,  au 
sein  de  l'aristocratie  même.  (Murmures).  Ceci  s'applique  évidemment 
à  la  France  :  le  comité,  s'il  avoit  conçu  cette  crainte,  auroit  cherché 
à  tarir  la  source  :  il  ne  peut  ignorer  que  le  moyen  de  donner  lieu  à  toutes 
les  influences  dangereuses,  c'est  d'attaquer  les  principes  de  ! 'égalité, 
c'est  de  porter  un  coup  funeste  à  la  constitution;  il  devoit  par  consé- 
quent s'abstenir  de  proposer  à  l'assemblée  une  loi  qui  distingue  une 
famille  de  toutes  les  autres.  (Murmures). 


670  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  M.  Durleau  (3)  s'approche  du  ministre  de  l'intérieur  et  lui  parle 
quelques   instants. 

«  M.  Salsette  (4).  Je  demande  une  motion  d'ordre  :  c'est  que 
MM.  les  ministres  ne  viennent  pas  ici  tenir  leur  audience  (applaudisse- 
mens  à  gauche);  je  dis  que  les  députés  ne  doivent  pas  profiter  du 
moment  où  les  ministres  sont  dans  l'assemblée  pour  solliciter.  (Applau- 
dissemens) . 

«  M.  le  Président.  J'exhorte  les  membres  de  cette  assemblée  à 
s'abstenir  de  parler  aux  ministres  pendant  la  séance. 

«  M.  Robespierre.  Je  renonce  donc  au  projet  de  développer  mon 
opinion  (murmures  longs  et  bruyans).  Je  suis  fâché  de  voir  que  je  n'ai 
pas  eu  la  liberté  de  l'énoncer.  (Longs  murmures). 

«   Plusieurs  voix.  11  y  a  une  heure  que  vous  parlez  :  concluez. 

«  M.  Robespierre.  Je  suis  fâché  aussi  de  l'avoir  développée  d'une 
manière  qui  a  pu  offenser  quelques  personnes;  mais  je  prie  l'assemblée 
de  considérer  avec  impartialité,  avec  quel  désavantage  ceux  qui  soutien- 
nent les  principes  que  j'ai  développés,  émettent  leurs  opinions  dans  cette 
tribune.  Je  crois  que  l'amour  de  la  paix,  motif  dont  on  s'est  servi  pour 
l'émouvoir  dans  cette  tribune  doit  engager  à  désirer  du  moins  que  ceux 
qui  ont  adopté  les  opinions  contraires  à  la  mienne,  et  à  celle  d'une 
partie  des  membres  de  cette  assemblée,  veuillent  bien  se  dispenser 
désormais  de  présenter  toujours  nos  opinions  comme  tendant  à  avilir  la 
royauté,  comme  étrangères  au  bien  public;  comme  s  il  ne  nous  étoit  pas 
permis  d'avoir  des  opinions  aussi  peu  favorables  à  l'extrême  extention 
du  pouvoir  exécutif,  que  nous  avons  toujours  combattu;  comme  si,  dans 
le  moment  actuel,  on  ne  nous  avoit  pas  vu  sans  être  ma!  intentionné, 
professer  encore  les  opinions  que  nos  adversaires  ont  soutenu  dans  cette 
assemblée,  avec  l'improbation  de  ceux  qui  les  défendent  aujour- 
d'hui »  (5). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   239,  p.  984. 

«  M.  Roberspierre.  Je  ne  crois  pas  que  l'intention  de  l'article  du 
Comité  soit  d'écarter  l'influence  dangereuse  des  parens  du  roi  :  la  preuve 
en  est,  que  l'article  tout  entier  est  évidemment  fait  pour  eux;  que  l'on 
n'appuie  point  les  motifs  pour  lesquels  on  les  prive  des  droits  de  citoyen 
actif  sur  les  dangers  dont  ils  pourraient  être  pour  la  chose  publique, 
mais  sur  la  distance  honorifique  qui  sépare  la  famille  du  roi  de  toutes 
les  autres  familles.  Je  ne  puis  m'étonner  assez  de  l'embarras  que  trouve 
le  Comité  de  constitution  à  nommer  les  parens  du  roi;  pour  moi,  il  me 
semble  qu'il  n'y  a  rien  de  si  aisé,  et  que  les  parens  du  roi  sont  tout 
simplement  ses  parens.  (On  rit)." 


(3)  Sans  doute   Dulau   Jean-Marie,    archevêque    et   député   d'Aix 
ux  Etats  Généraux. 

(4)  Abbé  Colaud  de  la  Saloette. 

(5)  Texte  reproduit  dans  les  Ar-ch.  pari.,  XXIX,  7l5-717k 


LES    DISCOURS    DÉ    ROBESPIERRE  671 

«  Je  ne  conçois  pas  non  plus  comment  le  Comité,  dans  ses  prin- 
cipes, a  pu  croire  qu'il  existât  un  nom  au-dessus  de  celui-là;  car 
d'après  les  hautes  idées  qu'il  a  pu  se  former  de  tout  ce  qui  touche  à  la 
royauté  et  au  roi,  il  est  évident  qu'il  ne  peut  pas  reconnaître  de  ntre 
plus  éminent.  Je  crois  donc  que  l'Assemblée  peut  se  dispenser  de 
délibérer  long-tems  sur  cet  objet;  je  crois  même  que  l'Europe  sera 
étonnée  d'apprendre  que  dans  cette  époque  de  sa  carrière,  Ftme  des 
délibérations  de  l'Assemblée  à  laquelle  on  ait  attaché  le  plus  d'impor- 
tance, a  eu  pour  objet  de  donner  aux  parens  du  roi  :  le  titre  de  princes. 
Dès  qu'un  homme  est  retranché  de  la  classe  des  citoyens  actifs,  préci- 
sément parce  qu'il  fait  partie  d'une  classe  distinguée,  alors  il  y  a  dans 
l'Etat  des  hommes  au-dessus  des  citoyens,  alors  le  titre  de  citoyen  est 
avili,  et  il  n'est  plus  vrai  pour  un  tel  peuple  que  la  plus  précieuse  de 
toutes  les  qualités  soit  celle  de  citoyen;  alors  tout  principe  d'énergie, 
tout  principe  de  respect  pour  les  droits  de  l'homme  et  du  citoyen  est 
anéanti,  et  les  idées  dominantes  sont  celles  de  supériorité,  de  distinc- 
tion, de  vanité  et  d'orgueil.  Nous  verrions  cette  famille  unique  rester 
au  milieu  de  nous,  comme  la  racine  indestructible  de  la  noblesse,  s'atta- 
cher aux  anciens  privilégiés,  caresser  leur  orgueil,  au  point  que  bientôt 
il  se  formerait  entre  eux  une  ligue  formidable  contre  l'égalité  et  contre 
les  vrais  principes  de  la  constitution.  Il  est  si  vrai  que  le  maintien  de 
l'égalité  politique  exige  qu'il  n'existe  point  dans  l'Etat  de  familles 
distinguées,  que  chez  les  peuples  modernes  même,  où  il  y  a  eu  quel- 
qu'idée  d'égalité,  on  s'est  appliqué  constamment  à  empêcher  une  pa- 
reille institution;  je  vous  citerai  l'Angleterre,  où  les  membres  de  la 
famille  du  roi  sont  comme  les  autres  nobles  membres  de  la  chambre 
des  pairs.  Je  citerai  un  exemple  plus  frappant  :  dans  les  pays  où  la 
noblesse,  jouissant  exclusivement  du  droit  politique,  forme  à  elle  seule 
la  nation,  elle  n'a  pas  voulu  de  distinction  de  famille.  La  Bohême  et 
la  Hongrie,  par  exemple,  ont  senti  que  si  une  famille  était  distinguée 
des  autres,  l'égalité  des  membres  du  souverain  était  violée,  et  qu'elle 
serait  le  germe  d'une  aristocratie  nouvelle  au  sein  de  l'aristocratie  même. 

«  M.  Roberspierre  entre  ensuite  dans  d'assez  longs  détails  au 
milieu  de  quelques  murmures. 

((  M.  Roberspierre.  Je  renonce  donc  au  projet  de  développer  mon 
opinion;  je  suis  même  fâché  de  l'avoir  développée  d'une  manière  qui 
a  pu  offenser  quelques  personnes;  mais  je  prie  l'Assemblée  de  consi- 
dérer avec  quel  désavantage,  ceux  qui  soutiennent  les  principes  que  j'ai 
défendus,  émettent  leurs  opinions  dans  cette  tribune.  Je  crois  que 
l'amour  de  la  paix  doit  engager  à  désirer  du  moins  que  ceux  qui  ont 
adopté  des  opinions  contraires  à  la  mienne,  et  à  celle  d'une  partie  des 
membres  de  cette  Assemblée  veuillent  bien  se  dispenser  désormais  de 
présenter  toujours  nos  opinions  comme  tendantes  à  avilir  la  royauté, 
comme  étrangères  au  bien  public,  comme  si  dans  le  moment  actuel  nous 
ne  pouvions  pas,  sans  être  mal  intentionnés,  professer  encore  les  opinions 


672  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

que  nos  adversaires  ont  eux-mêmes  soutenues  dans  cette  Assemblée.  (On 
applaudit  dans  l'extrémité  de  la  partie  gauche)  »  (6). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXV,  n°  778,  p.  461. 

«  M.  Robespierre  répond.  Dans  tout  état  il  n'y  a  qu'un  prince, 
c'est  le  chef  du  gouvernement,  et  le  prince  royal  est  un  suppléant 
naturel.  C'est  le  seul  mot  qui,  avec  ces  fonctions,  a  un  sens  politique  : 
autrement  il  seroit  un  titre  de  vanité  et  de  féodalité.  On  attache  trop 
d'importance  à  trouver  un  nom  pour  les  parens  du  roi.  Peut-on  s'atta- 
cher aussi  long-temps  à  de  telles  puérilités  ?  Si  vous  les  élevez  au- 
dessus  des  citoyens  actifs,  vous  avilissez  le  beau  titre,  vous  dégradez 
la  nation;  tout  principe  d'énergie  et  d'égalité  est  perdu.  Les  idées 
dominantes  sont  celles  des  frivoles  distinctions.  L'éclat  du  trône  n'est 
pas  là.  Il  est  dans  le  pouvoir  légal  et  constitutionnel,  de  faire  exécuter 
et  respecter  les  loix  d'un  grand  peuple;  le  trône  ne  peut  avoir  d'ér.lat 
fondé  sur  les  préjugés  et  les  hochets  de  famille.  Les  principes  de  l'éga- 
lité et  de  la  constitution  rejettent  toute  idée  de  caste  particulière  et 
privilégiée.  Ce  ne  sont  pas  là  des  fonctionnaires  publics,  mais  des  héri- 
tiers éventuels,  et  qui  peut-être  ne  le  seront  jamais.  Ils  ne  sont,  jusqu'à 
l'avènement  au  trône,  que  de  simples  citoyens.  Prononcer  autrement 
est  avilir  la  nation.  Ce  seroit  réchauffer  les  germes  de  noblesse  qui  ne 
sont  pas  encore  éteints;  c'est  violer  l'égalité  des  droits,  c'est  rappeller 
des  distinctions  odieuses,  c'est  former  une  caste  dont  une  foule  d'escla- 
ves et  de  lâches  bien  avilis  viendront  caresser  la  vanité;  chez  tous  les 
peuples  modernes,  on  s'est  appliqué  à  éloigner  de  pareilles  distinctions, 
témoin  l'Angleterre,  où  les  enfans  des  pairs  sont  de  simples  citoyens, 
où  les  membres  de  la  famille  royale  ne  forment  pas  une  caste  séparée. 
Dans  la  Bohême  et  la  Hongrie,  l'égalité  de  tous  les  citoyens  n'est  pas 
si  fortement  violée;  comment  les  comités  ont-ils  osé  nous  proposer  une 
telle  loi  ?  (Il  s'élève  des  discussions  et  des  murmures  sur  les  faits). 

«  M.  Robespierre  termine  son  opinion  en  se  plaignant  de  ce  que 
l'assemblée  entend  sans  cesse  avec  silence  les  membres  des  comités 
professant  des  principes  si  différens  de  ceux  qu'ils  publioient  aupara- 
vant, tandis  qu'on  interrompt  ceux  qui  n'ont  pas  changé  de  principes 
et  d'attachement  réel  pour  la  liberté  et  les  principes  de  la  constitution 
(on  applaudit).  » 

Mercure  universel,  t.  VI,  p.   413. 

«  M.  Robespierre.  On  veut  pour  les  parens  du  roi  un  titre  extrême- 
ment distingué  qui  les  élève  au-dessus  de  tous  les  citoyens,  c'est  pour- 
quoi ils  veulent  le  titre  de  prince  !  Mais  il  n'y  a  qu'un  seul  prince  dans 
tout  gouvernement;   c'est  le  chef  de   ce   gouvernement:   en  France,   le 

(6)  Texte    reproduit    dans    le    Moniteur,    IX,    491  ;    et    Bûchez    et 
Roux,   XI,   334. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  673 

roi  seul  est  prince,  et  les  parens  du  roi  ne  sont  que  ses  parens.  Je  ne 
conçois  pas  comment  votre  comité,  qui  a  des  idées  si  magnifiques  de  tout 
ce  qui  tient  au  roi,  ne  s'en  est  pas  tenu  à  ce  titre  ?  Il  doit  par  cela  même 
trouver  sublime  la  qualification  de  parens  du  roi  !  Et  l'Europe  ne  sera 
pas  médiocrement  étonnée  d'apprendre  que  vous  ayez  mis  tant  d'impor- 
tance à  des  titres  si  peu  mérités  et  sur-tout  si  glorieux  !  Quand  on  a 
décrété  la  liberté,  et  qu'ensuite  on  veut  former  des  castes,  le  plus  conve- 
nable, pour  une  assemblée  qui  se  respecte,  est  de  ne  pas  s'en  occuper. 
La  loi  de  l'hérédité  du  trône  n'est  pas  pour  l'avantage  de  la  famille 
royale,  ainsi  elle  ne  doit  donc  pas  former  une  caste  à  part.  Le  droit 
des  membres  de  la  dynastie  n'est  qu'éventuel,  et  ils  ne  sont  ni  fonction- 
naires ni  magistrats;  sur  quoi  voulez-vous  donc  établir  leur  distinction? 
Est-ce  pour  réchauffer  le  germe  de  la  noblesse  ?  Il  est  vrai  que,  lorsque 
nous  verrons  l'égalité  violée,  nous  serons  moins  étonné  de  voir  la  plupart 
des  familles  reprendre  leurs  titres,  leurs  distinctions,  et  l'influence  de  la 
cour  ressuscitera  aisément  la  noblesse;  tous  les  peuples  libres  ont  évité 
ces  sortes  de  castes.  (Il  s'élève  des  troubles).  » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  26  août   1791 ,  p.  949. 

«  Jusqu'ici,  et  à  l'exception  de  M.  Guillaume,  les  orateurs  avaient 
jette  assez  d'intérêt  dans  la  discussion;  mais  M.  Robespierre  est  venu 
la  détruire  totalement.  Son  opinion,  dépourvue  d'idées,  et  pleine  au 
contraire  des  témoignages  de  la  plus  profonde  ignorance  sur  le  gouver 
nement  anglais,  qu'il  s'est  plaint  de  ne  pouvoir  développer,  a  versé 
pendant  trois  quarts  d'heure  l'ennui  sur  l'assemblée;  il  a  conclu  à  la 
question  préalable,  et  M.  Barnave  a  réveillé  l'attention.   » 

Journal  de  Paris,  26  août  1791,  p.  973. 

((  M.  Roberspierre  a  été  bien  peu  embarrassé  dans  cette  question, 
et  les  principes  ont  été  bientôt  posés.  Dans  une  Monarchie  libre,  a-t-il 
dit,  il  ne  peut  y  avoir  qu'un  seul  Prince,  c'est  le  Roi;  tout  le  reste 
est  Citoyen.  On  est  embarrassé  de  la  manière  dont  on  annoncera  que 
les  Membres  de  la  Famille  Royale  sont  Membres  de  la  Famille 
Royale  :  tout  le  monde  le  saura  assez,  et  il  n'y  aura  qu'à  le  dire  à  ceux 
qui  ne  le  sauront  pas  M.  Robespierre  alloit  s'appuyer  des  exemples 
de  quelques  Peuples,  des  Anglois,  des  Hongrois;  on  lui  a  contesté 
ses  faits  historiques,  il  s'est  impatienté,  et  après  une  vive  protestation 
contre  ceux  qui  l'interrompaient,   il  a  conclu  à  la  question  préalable.   » 

IBrève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  général  de 
France,  26  août  1791,  p.  956;  Le  Journal  général  de  V Europe,  26  août 
1791,  p.  377;  Le  Patriote  François,  n"  747,  p.  237;  La  Gazette 
nationale  ou  Extrait...,  t.  XIX,  p.  231  ;  Le  Mercure  de  France,  3  sep- 
tembre 1791,  p.  37;  Le  Législateur  français,  26  août  1791,  p.  V;  Le 
Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.  III,  n°  415,  p.  3;  Le  Jour- 

flolll       ni'.ul  '■' 


674  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

nal  des  Décrets  de  l'Assemblée  nationale,  25  août  1791,  p.  352;  Le 
Journal  de  la  Noblesse...,  t.  III,  n°  36  (B),  p.  517;  Le  Journal  général, 
p.  846;  Le  Journal  universel,  t.  XIII,  p.  14136;  Le  Courrier  des 
LXXXIII  départemens,  n°  26,  p.  414;  Les  Annaks  patriotiques  et  litté- 
raires, 26  août  1791,  p.    1866;  Le  Journal  des  Débats,  n°  825,  p.  7.] 

347.  —  SEANCE  DU  26  AOUT  1791 

Discussion  du  projet  de  Constitution  (suite) 

Sur  le  titre  a  donner  aux  membres  de  la  famille  royale  (suite) 


Dénieunier,  rouvrant  la  discussion  sur  l'article  proposé  la  veiile 
par  les  comités,  pose  les  termes  du  débat:  l'Assemblée  doit  décider 
d'abord  si  les  membres  de  la  famille  royale  pourront  exercer  des 
places  à  la  nomination  du  pouvoir  exeeuGii,  ensuite  s  ils  porteront 
un  titre  particulier  et  quel  sera  ce  titre. 

toiur  le  premier  point,  l'Assemblée  décréta  un  amendement  pré- 
senté par  Goupil,  conjointement  avec  l' article  du  comité:  «  A  l'excep- 
tion des  départements  du  ministère,  les  membres  de  la  famille  royale 
sont  eligioies  aux  places  et  emplois  à  la  nomination  du  roi.  ils  ne 
pourront  commander  les  armées  qu'avec  l'agrément  du  corps  légis- 
latif ».  .tour  la  proposition  de  Merlin,  l'amendement  de  Goupil  e~. 
élargi:  les  membres  tie  la  famine  royaie  ne  pourront  occuper  des 
postes   d'ambassades,   qu'avec   l'agrément  de   l'Assemblée. 

Puis  Démeunier  soumet  à  la  délibération  l'article  suivant:  «  Les 
membres  de  la  famille  royale,  appelés  éventuellement  à  la  succession 
du  trône,  porteront  le  titre  de  princes  ».  Jbtobespierre  demande  la 
question  préalable.  Mise  aux  voix,  elle  est  rejetée.  D'André  propose 
que  les  membres  de  la  famille  royale  ne  portent  aucun  nom  patro- 
nymique, mais  seulement  leur  nom  de  baptême,  suivi  de  la  qualifica- 
tion de  prince  français  (1). 

Finalement,  l'article  en  discussion  fut  voté  sous  cette  rédaction: 
«  Les  membres  de  la  famille  royale  appelés  à  la  succession  éven- 
tuelle, porteront  le  nom  qui  leur  aura  été  donné  dans  l'acte  de  leur 
naissance,  suivi  de  la  dénomination  de  prince  français  ». 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logograohique,  t.  XXXH,  p.313 
Courier  de  Provence,  t.  XVI,  n°  334,  p.  389  (2). 

«  M.  Robespierre.  A  moins  que  vous  ne  reconnoissiez  que  les  pro- 
positions sur  lesquelles  l'assemblée  a  déclaré  ne  pouvoir  délibérer  peu- 
vent cependant  être  adoptées  par  elle;  à  moins  que  vous  ne  détruisiez 
vous-mêmes  ce  que  vous  avez  fait,  j'ai  le  droit  de  réclamer  ce  décret, 
mais  j'ai  le  droit  de  dire  que  les  plus  sages  de  vos  décrets  ne  sont  pas 
ceux  que  vous  avez  faits  à  une  époque  antérieure  à  celle-ci.  J'ai  le 
droit  de  demander  à  vous,  qui  voulez  retracer  ce  décret  ou  tout  autre, 
si  vous  avez  maintenant  un  zèle  plus  pur,  plus  ardent  pour  les  principes 


(1)  Cf.   E.  HameL  I,  543-544. 

(2)  D'après  ce  j'ournal  :  «  Le  discours  fit  une  grande  impression; 
et   des   applaudissements  nombreux   le  couronnèrent  ». 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  675 

de  la  constitution,  qu'autrefois.  J'ai  le  droit  de  vous  demander  si  vous 
êtes  moins  divisés  que  vous  le  fûtes  autrefois;  si  les  factions  sont  moins 
fortes  ou  moins  actives  (plusieurs  voix  :  oui,  oui);  si  le  pouvoir  exécutif 
a  travaillé  aujourd'hui  avec  moins  de  succès  qu'autrefois  (applaudi). 
Maintenant  qu'on  peut  parler  encore  sur  une  question  décidée,  je  trouve 
par  ce  qu'a  dit  M.  le  rapporteur  et  tout  le  comité  qu'il  est  impossible 
de  donner  ce  titre  distinctif  aux  parens  du  roi  sans  violer  tous  les  prin- 
cipes de  votre  constitution.  Ou  bien  les  distinctions  qui  consistent  à 
donner  des  dénominations  honorifiques  sont  différentes  par  elles-mêmes, 
ou  elles  ont  quelqu' importance;  si  elles  n'ont  aucune  importance,  si 
elles  ne  sont  rien  par  elles-mêmes,  rien  n'empêche  que  vous  rétablissiez 
tous  ces  titres.  Si  elles  sont  quelque  chose,  elles  méritent  votre  atten- 
tion, et  vous  devez  au  moins  vous  ressouvenir  qu'il  n'est  rien  d'indifférent 
dans  l'ordre  social,  et  que  tout  ce  qui  distingue  un  citoyen  et  une  famille 
des  autres  mérite  d'être  examiné.  (Applaudissemens  des  tribunes). 
J'observe  que  quand  nous  serons  accoutumés  à  entendre  appeller  M.  le 
prince  de  Condé,  M.  le  prince  de  Conti,  nous  ne  serons  pas  étonnés 
d'entendre  dire  M.  le  prince  de  Montmorenci ,  M.  le  prince  de  Broglie 
(applaudi),  et  je  demande  que  l'on  dise  encore  M.  le  comte  de  Lameth, 
si  on  dit  le  prince  de  Conti  (applaudi)  »  (3). 

Journal  de  la  Noblesse  ..,  t.  II,  n°  36  (B),  p.  518. 

«  M.  Robespierre  toujours  conséquent  a  voté  pour  l'alternative  : 
pour  qu'on  supprimât  ou  qu'on  rétablît  tous  les  titres,  sans  distinction; 
il  a  assaisonné  son  discours  de  quelques  traits  déplaisants  à  MM.  de 
Lameth.  On  se  rappelle  que  dans  l'affaire  du  roi,  il  avoit  voté  de  mSme, 
et  qu'il  se  déclara  le  défenseur  de  ces  généreux  gardes  du  corps,  que 
d'impudents  triomphateurs  avoient  garroté  sur  le  siège  de  la  voiture  du 
monarque.  Je  somme  ce  républicain  de  tenir  parole,  et  j'ai  le  droit  de 
le  sommer,  puisque  l'on  a  précipité  dans  l'obscurité  des  cachots,  ces 
braves  militaires,  et  que  le  titre  de  prince  est  rétabli.  Assez  et  trop 
d'exemples  l'ont  convaincu  que  le  républicanisme  ne  peut  prendre  en 
France;  il  a  fallu  toute  l'astucieuse  scélératesse  du  Genevois  pour  atta- 
cher à  cette  terre  fortunée  quelques-unes  de  ses  racines  funestes.  Il  a 
fallu  qu'il  ait  usurpé  le  ministère  pendant  16  ans.  L'amour  de  la  royauté 
est  en  nous  un  sentiment  inné  :  il  semble  même  être  indépendant  de  la 
vertu  des  rois.  Une  abjuration  franche  régénéreroit  son  parti  déjà  couvert 
du  dédain  d'une  portion  de  ses  membres  qui  mettent  leur  politique  et 
leur  espoir  à  le  méconnoître  et  à  le  perdre. 

«  Voici  son  discours:    [Suit  le  texte  de  Le  Hodey] 

Chronique  de  Paris,  t.  V,  n°  239,  p.  969. 

«  Le  décret  qui  supprime  toute  dénomination  honorifique,  n'est  pas 


(3)  Texte    reproduit  <lans   1rs   Areh.   pari.,   XXIX,   733. 


676  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

un  des  moins  sages  que  vous  ayez  rendus  précédemment,  s'est  écrié 
M.  Robespierre.  Avez-vous  aujourd'hui  plus  de  zèle  que  vous  n'en 
aviez  alors  ?  Les  factions  sont-elles  moins  puissantes  ?  Le  pouvoir  exécu- 
tif travaille-t-il  avec  moins  de  succès  ?  (On  murmure).  Vous  murmurez  ! 
C'est  l'aveu  que  vous  redoutez  de  ce  que  je  veux  vous  dire.  Je  soutiens 
que  vous  ne  pouvez  donner  le  titre  de  princes  aux  parens  du  roi,  sans 
violer  les  principes  qui  ont  nécessité  la  suppression  de  la  noblesse.  Ce 
titre  a  une  certaine  connexité  avec  le  rétablissement  de  cet  ordre.  Si 
j'entends  dire  :  M.  le  prince  de  Condé,  M.  le  prince  de  Conti,  je 
consens  volontiers  à  entendre  dire  :  M.  le  prince  de  Montmorency, 
M.  le  prince  de  Broglie.  (Eclats  universels).  Rien  ne  me  répugnera 
plus,  et  je  ne  m'opposerai  pas  à  ce  qu'on  dise  :  M.  le  comte  de  Lameth. 
(Eclats  de  rire;  quelques  murmures).  Malgré  la  pureté  de  ces  principes, 
il  a  été  décrété  que  les  membres  de  la  famille  du  roi  porteront  le  titre 
de  princes  français,  immédiatement  après  le  nom  qui  leur  aura  été  donné 
dans  l'acte  de  leur  naissance.   » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  239,  p.  991 . 
Le  Point  du  Jour,  t.  XXV,  n°  779,  p.  481. 

«  M.  Roberspierre .  Puisque  je  suis  forcé  de  parler  encore  sur  une 
question  décidée,  je  dis  que  ce  titre  distinctif  est  contraire  à  votre  consti- 
tution. Si  vous  croyez  que  les  titres  soient  quelque  chose  d'absolument 
indifférent,  pourquoi  ne  les  rétabliriez-vous  pas  tous  ?  S'ils  ont  quelque 
importance,  pourquoi  ne  voudrait-on  pas  examiner  cette  question  avec 
la  plus  scrupuleuse  attention  ?  Pourquoi  donnerait-on  aux  membres  de  la 
famille  royale  d'autre  titre  que  celui  de  leur  parenté  ?  Une  première 
violation  au  principe  n'en  autorise-t-elle  pas  beaucoup  d'autres  ?  S'il 
faut  encore  nous  accoutumer  à  dire  M.  le  prince  de  Condé,  M.  le  prince 
de  Conti,  etc..  pourquoi  ne  dinons-nous  pas  aussi  encore  M.  le  prince 
de  Broglie,  et  M.  le  comte  de  Lameth.  (Les  tribunes  applaudissent). 
J'invoque  donc  la  question  préalable  sur  la  proposition  du  Comité  »  (4). 

Le  Courrier  des  LXXX11I  départemens,  n°  27,  p.  431. 

«  Le  titre  de  prince  a  été  soumis  ensuite  à  la  discussion.  M.  Robes- 
pierre a  matté  l'orgueil  des  intrigans;  ils  ont  murmuré...  C'est  faire 
l'éloge  du  discours  de  M.  Robespierre.  En  voici  un  extrait.  «  Vous  ne 
pouvez  porter  atteinte  aux  loix;  or,  le  décret  qui  supprime  toute  déno- 
mination honorifique  n'est  pas  un  des  moins  sages  que  vous  avez  rendus 
précédemment.  Avez-vous  aujourd'hui  moins  de  zèle  que  vous  en 
aviez  alors?  (On  sourit:  les  tribunes  applaudissent).  Les  factions  sont- 
elles  moins  puissantes }  Le  pouvoir  exécutif  travaille-t-il  avec  moins  de 
succès  ?  L'obtention  du  titre  de  prince  a  une  certaine  connexité  avec  la 
résurrection  de  la  noblesse.  Si  j'entends  dire,  M.  le  prince  dç  Condé, 


(4)  Texte   reproduit  dans   le  Moniteur,    IX,   499. 


LES  DISCOURS   PE   ROBESPIERRE  677 

M.  le  prince  de  Conti,  je  consens  volontiers  à  entendre  dire  M.  le 
prince  de  Montmorencie,  M.  le  prince  de  Broglie.  Je  ne  m'opposerai 
même  pas  à  ce  qu'on  dise,  M,  le  comte  de  Lameth.  (Eclats  de  rire, 
applaudissemens).    » 

Journal  de  Paris,  27  août  1791,  p.  997. 

«  Sera-t-il  donné  un  titre  aux  membres  de  la  Famille  Royale,  et 
quel  sera  ce  titre  ?  Cette  question  a  été  ouverte  ensuite,  et  elle  a  été 
bientôt  décidée.  M.  Robespierre  est  le  seul  qui  l'ait  agitée,  et  il  l'a 
agitée  en  homme  qui  en  désespéroit.  Pourquoi,  demandoit-il  aux  comi- 
tés, remettez-vous  en  question  aujourd'hui  ce  que  vous  trouvez  décidé 
dans  nos  décrets  ?  L'amour  de  la  liberté  est-il  donc  plus  fort  et  plus  pur 
aujourd'hui  que  dans  les  premiers  tems  de  la  révolution  ?  Les  coalitions 
sont-elles  moins  puissantes  et  moins  dangereuses  ?  Le  pouvoir  exécutif 
exerce-t-il  moins  d'influence  ?  On  a  décrété  qu'il  n'y  avoit  plus  de 
noblesse,  et  on  veut  nous  en  donner  une  nouvelle.  Des  familles  de 
Princes  seront  sans  aucun  doute  des  familles  de  Nobles.  Si  nous  avons 
des  Princes  de  Conti,  des  Princes  de  Condé,  je  vous  annonce  que 
bientôt  nous  aurons  des  Princes  de  Montmorency,  des  Princes  de  Bro- 
glie; et  si  nous  devons  avoir  M.  le  Prince  de  Bourbon,  j'aime  autant 
que  nous  ayons  M.  le  Comte  de  Lameth.  Je  demande  la  question 
préalable  sur  l'article.  » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  28  août  1791 ,  p.  3. 

«  Tous  les  rangs  ne  sont-ils  pas  confondus,  disoit  M.  de  Rober- 
pierre;  toutes  les  distinctions  abolies;  l'égalité  la  plus  parfaite,  la  plus 
universelle  n'est-elle  pas,  depuis  long-tems,  établie  par  la  constitution  ? 
Rendre  aux  membres  de  la  famille  royale  cette  odieuse  qualité  de  prin- 
ces dont  on  les  a  dépouillés  par  un  décret  ancien,  c'est  anéantir  l'édifice 
entier  de  cette  constitution  déjà  vermoulue  qu'on  ne  peut  toucher  sans 
s'exposer  à  la  voir  tomber  en  poudre.  Si  les  distinctions  honorifiques 
n'ont  aucune  importance,  il  faut  les  rétablir  toutes;  si  elles  peuvent 
influer  sur  la  liberté  individuelle  ou  publique,  il  faut  continuer  à  les 
proscrire  toutes  sans  pitié  et  sans  distinction;  ou  si  on  en  conserve  quel- 
ques-unes, en  augmenter  le  nombre;  car  plus  elles  sont  étendues,  moins 
elles  sont  dangereuses.  Ainsi  si  l'on  s'avise  encore  de  dire  le  prince  de 
Condé,  le  prince  de  Conti,  il  faudra  dire  aussi  le  comte  de  Lameth,  ce 
qui  paroît  à  M.  de  Robespierre  la  subversion  totale  de  la  constitution 
et  même  de  l'ordre  social.  » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  27  août   1791,  p.  955. 

«  Ce  nouvel  article  qu'on  pourroit  appeller  une  constitutionnelle 
bagatelle,  a  excité  plus  de  débats  encore  que  le  premier.  M.  Robespierre 
l'a  combattu  de  tout  son  patriotisme.  Il  a  prétendu  que  l'assemblée,  en 
prononçant   le    19  juin  l'abolition  de  tous  les  titres  de  noblesse  et  en 


678  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

consacrant  de  nouveau  le  même  principe  par  le  décret  rendu  relative- 
ment au  prince  royal,  s'étoit  ôté  le  droit  de  ressusciter  le  nom  de  prince. 
«  M.  Robespierre  s'appercevant  que  ces  argumens  ne  lui  aftiroienr 
pas  beaucoup  d'attention,  a  eu  recours  aux  épigrammes  qui  valent  bien 
mieux  auprès  des  tribunes  que  les  raisons.  «  Quand  vous  aurez  admis, 
a-t-il  dit,  que  l'on  peut  dire  M.  le  prince  de  Condé,  bientôt  on  dira 
M.  le  prince  Montmorency,  M.  le  prince  de  Broglie,  et  l'on  en  viendra 
à  dire,  M.  le  comte  Lameth  »...  De  vifs  applaudissemens  partis  des 
tribunes,  ont  interrompu  l'énumération,  et  ont  encouragé  M.  Robespierre 
à  demander  la  question  préalable  sur  l'article.   » 

La  Rocambole,  n°  20,  p.  339. 

«  Il  a  été  question  ensuite,  de  restituer  aux  parens  du  Roi.  le  titre 
de  Princes;  mais  M.  Robespierre,  que  d'anciennes  querelles  de  famille 
rendent,  dit-on,  l'ennemi  de  celle  des  Bourbons,  s'y  est  fortement 
opposé.  Le  titre  de  Prince  lui  paroit  avoir  trop  d'affinité  avec  le  réta- 
blissement de  la  noblesse,  pour  laquelle  l'illustre  député  sent  toujours 
une  aversion  insurmontable.  Si  j'entends  dire,  a-t-il  ajouté,  M.  le  Prince 
de  Condé,  M.  le  Prince  de  Conti,  je  consens  volontiers  à  entendre  dire 
aussi  M.  le  Prince  de  Montmorenci,  M.  le  Prince  de  Broglie,  et  s'il  le 
faut  encore,  M.  le  comte  de  Lameth.  » 

«  En  entendant  raisonner  ainsi  M.  de  Robespierre,  c'est  sans 
doute  le  cas  de  s'écrier  avec  Racine  : 

«   On   pourrait   bien   crever  de   rire, 
«   Si  l'on  ne  crevait  pas  de  faim.   » 

«  Enfin,  pour  bien  symétnser  les  chutes,  on  a  mis  le  devant  der- 
rière, et  les  membres  de  la  famille  du  Roi  porteront  le  titre  de  Princes 
Français,  immédiatement  après  leur  nom  de  baptême  Les  noms  d'Ar- 
tois, de  Provence  et  même  d'Orléans  demeurent  éteints  et  supprimés, 
comme  sentant  trop  la  féodalité.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  général  du 
Pas-de-Calais,  n°  18,  p.  192;  Le  Patriote  François,  n°  748,  p  242; 
Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XIII,  n°  752. 
p.  5;  La  Gazette  universelle,  n°  239,  p.  956;  Le  Mercure  de  France, 
3  septembre  1791,  p.  39;  Le  Journal  universel,  t.  XIII,  p.  14143;  Le 
Journal  de  Rouen,  n°   239,  p.    1159.] 


348.  —  SEANCE  DU  28  AOUT  1791 

SUR  LE  RÉTABLISSEMENT  DE  LA  DISCIPLINE  DANS  I.' ARMÉE 


Chabroud  rapporte  devant  l'Assemblée,  au  nom  du  comité  mili- 
taire, sur  la  dénonciation  du  ministre  de  la  guerre  au  sujet  de  l'in- 
subordination et  de  la  révolte  où  se  trouvent  plusieurs  réariments. 
Le  régiment  d'Auvergne  a  chassé  ses  officiers  ;  le  2e  bataillon  du 
68e  régiment  ci-devant  Beauce,  en  garnison  à  Arras,   s'est  porté  aux 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE  679 

plus  grands  excès...  L'Assemblée  avait,  le  25  juillet,  rendu  un  décret 
d'amnistie  générale  des  faits  antérieurs  de  cette  nature.  Cette  me°un- 
n'ayant  pas  produit  l'effet  attendu,  Chabrcud  propose  un  projet  do 
décret  en  -14  articles  :  les  commandants  de  division  sont  autorisés 
à  employer  la  force  armée  contre  les  régiments  en  révolte;  seront 
punis  de  la  peine  de  mort  les  officiers  et  sous-officiers,  et  de 
vingt  ans  de  chaîne  les  soldats  qui,  après  une  troisième  proclama- 
tion, persisteraient  dans  la  sédition;  les  cours  martiales  jugeront, 
sans  intervention  dix  jury,  ceux  qui  auront  été  ^saisis  par  l'emploi 
de  la  force. 

Pétion  demande  l'ajournement.  Alexandre  Lameth  soutient  le 
projet  de  décret  déclarant  que  ce  sont  les  opinions  défendues  dano 
certaines  sociétés,  et  particulièrement  dans  l'Assemblée  nationale, 
par  Pétion  et  Robespierre,  sur  l'armée,  qui  lui  ont  fait  le  plus  grand 
mal.  Robespierre  demande  en  vain  la  parole.  L'Assemblée  décide  que 
le  projet  de  décret  présenté  par  Ohabroud  sera  immédiatement  mis 
en  discussion.  Le  comte  de  C'ustine,  maréchal  de  camp,  député  de 
la  noblesse  du  bailliage  de  Metz,  demande  que  les  généraux  aient 
ies  moyens  nécessaires  pour  faire  respecter  leur  autorité.  Robes- 
pierre intervient  alors,  interrompu  par  Rous.sillon,-  député  du  tiers 
état  de  la  sénéchaussée  de  Toulouse,  puis  par  Charles  Lameth.  enfin 
par  le  marquis  d'Estourmel.  Après  l'intervention  de  Robespierre, 
Alquier,  député  du  tiers  état  de  la  sénéchaussée  de  La  Rochelle, 
cite  des  cas  d'insubordination  de  la  part  de  soldats  du  régiment  de 
Beauce.  et  insiste  pour  que  les  coupables  soient  punis  (1).  Fréteau 
demande  que  le  ministre  de  la  guerre  reçoive  rapidement  des  moyens 
de  force  pour  rétablir  la  discipline  <2). 

L'Assemblée  ferma  la  discussion  et  décréta  le  projet  présenté 
par  ison  comité  militaire  (3). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXXII,  p. 389 

«   M.  Robespierre-  Je  demande  à  être  entendu. 

«   Plusieurs  voix.  Non,  non,  non... 

«  M.  Robespierre.  Je  demande  à  répondre  à  ce  qu'a  dit  M.  La- 
meth. Certainement  l'assemblée  ne  compromettra  pas  sa  justice,  en 
souffrant  qu'un  membre  soit  calomnié  sans  pouvoir  répondre.  (Tum::Ite). 
Il  est  impossible  que  M.  Lameth  ait  eu  le  droit  de  s'expliquer,  non 
seulement   sur  les  faits,   mais  même   sur  les  personnes,    sans   qu'il   soit 


(1)  Alquier  ayant  incriminé  des  régiments  d'Alsace,  la  Société 
des  Amis  de  la  Constitution  de  Strasbourg  réunit  un  certain  nombre 
de  documents,  démentant  les  faits  supposés,  et  arrêta,  le  5  septem- 
bre, ((  qu'ils  seroient  imprimés,  envoyés  à  toutes  les  sociétés  corres- 
pondantes ;  et  que  la  société  séante  aux  Jacobins  à  Paris  seroit  priée 
de  dépoper  les  pièces  originales  entre  les  mains  de  MM.  Robespierre 
et  Pétion,  afin  qu'elles  puissent  leur  servir  à  les  venger  des  indé- 
centes personnalités  qu'ils  ont  essuyées  en  défendant  de  braves  sol- 
dats qui  vivent  dans  la  meilleure  harmonie,  et  qui  observent  la  plus 
parfaite  discipline.  (Patriote  françois,  n°  770,  p.  342). 

(2)  D'après  Brissot  également  (Patriote  françois,  n°  750,  p.  250), 
Fréteau  cite  le  cas  du  régiment  de  Rouergue  «  qui  est  sans  souliers 
et  sans  armes,  parce  que  les  soldats  ont  tout  vendu  ». 

(3)  Cf    E.  Hamel,  I,  545. 


680  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

permis  de  lui  répondre.   Il  y  auroit  bien  là  une  grande  injustice  dont 
l'assemblée  ne  se  rendra  jamais  coupable.  (Il  a  eu  raison). 

«  M  Lavie.  Vous  vous  obstinez  à  le  calomnier  dans  les  papiers 
publics  :  il  vous  dit  la  vérité  en  face... 

[ 1 

«  M  Robespierre.  Je  n'ai  que  des  observations  très  simples  à 
faire.  Je  vais  prouver  à  tout  le  monde  que  jamais  mon  opinion  n'a  pu 
être  cause  d'aucun  désordre.  (Murmures:  à  l'ordre  du  jour).  Ensuite, 
je  discuterai  la  question  d'après  les  principes  que  j'ai  toujours  profes- 
sés; et  je  déclare  que  je  n'ai  parlé  qu'une  seule  fois  sur  l'armée.  Je 
prierai  ceux  qui  m'inculpent  de  répondre  cathégoriquement ,  à  ces 
raisonnemens...  (A  l'ordre  du  jour)  et  j'invite  M.  Lameth  à  préférer 
l'art  du  raisonnement  à  celui  de  la  calomnie.  (Murmures).  En  général 
toute  loi  qui  tend  à  supposer  un  danger,  à  déployer  un  grand  appareil 
de  force  et  de  terreur  est  dangereuse  si  elle  est  inutile. 

«  Je  ne  puis  m'empêcher  d'observer  qu'il  est  très  dangereux  d'exa- 
gérer les  faits  en  pareilles  matières,  et  sur-tout,  il  est  coupable  de  les 
imaginer;  je  n'accuse  personne  de  les  imaginer,  mais  pour  les  exagéra- 
tions, je  suis  certain  qu'il  y  en  a. 

«  M.  Roussillon.  Il  faut  inviter  M-  Robespierre  à  nous  faire  part 
de  sa  correspondance  avec  les  régimens. 

«  M.  Robespierre.  Si  ceci  paroît  autre  chose  qu'une  calomnie, 
il  faudra  bien  qu'on  me  permette  d'y  répondre. 

«  M.  Roussillon  m'a  interpellé  de  déclarer  quelle  est  ma  corres- 
pondance avec  les  régimens;  je  vous  avoue  que  je  ne  trouve  là  qu'une 
absurdité  grossière  et  une  calomnie.  Je  prie  M.  Roussillon  de  nommer 
les  régimens  auxquels  il  m'accuse  d'avoir  écrit.  Puisqu'on  vous  avance 
un  fait  très  grave,  et  puisque  c'est  sur  des  faits  qu'on  provoque  vos 
décisions,  je  suis  obligé  de  vous  dire  ce  que  je  sais  :  c'est  qu'il  est 
absolument  faux  qu'il  y  ait  dans  la  Citadelle  d'Arras  300  brigands. 

«  M.  Charles  Lameth.  le  demande  à  répondre  à  M.  Robespierre. 
Le  régiment  que  je  commande  est  en  garnison  à  côté  de  celui  de 
Beauce;  et  il  n'y  a  pas  un  officier  du  régiment  des  ci-devant  cuirassiers 
qui  ne  tremble  pour  la  discipline  de  ce  régiment.  Ainsi,  messieurs,  il 
n'y  a  point,  comme  on  vous  l'a  dit,  d'exagération;  mais  par  prudence 
je  n'entrerai  pas  avec  vous  dans  le  détail  de  tous  les  faits  et  des  délits 
de  tout  genre  nue  commet  le  second  bataillon  du  régiment  de  Beauce. 
Je  vous  prie  ^e  ne  point  croire   M.    Robespierre. 

«  M.  Robespierre,  le  déclare  oue  si  les  officiers  du  huitième 
régiment  de  cavalerie,  ci-devant  cuirassiers,  sont  de  l'avis  que  vient 
d'énoncer  M.  Lameth,  tous  les  citoyens  impartiaux  de  la  ville  d'Arras 
sont  convaincus  du  contraire. 

«  M.  Desrovrmel.  Et  moi  je  vous  assure  le  contraire  de  ce 
qu'avance    M.    Robespierre. 


LES    D'SCOURS    DE   ROBESPIERRE  681 

«  M.  le  Président.  L'assemblée  entend-elle  que  l'on  interrompe 
ainsi  ?  (Non,  non). 

«  M.  Destourmel.  Il  est  tems  que  l'assemblée  ne  soit  plus  trom- 
pée par  des  factieux. 

«  M.  Robespierre.  Il  est  vrai  qu'il  existe  à  Arras  300  hommes 
à  qui  M.  Rochambeau  a  cru  devoir  interdire  le  service  pour  une  faute 
contre  la  discipline  militaire;  je  suis  bien  loin  de  vouloir  justifier  cette 
faute,  mais  je  dis  qu'il  est  très  possible  de  la  réprimer,  et  que  les 
soldats  sont  dans  l'état  le  plus  parfait  d'obéissance  et  de  soumission 
(Allons  donc!  Murmures).  Je  crois  que  dans  de  pareilles  circonstances, 
les  loix,  les  cours  martiales,  les  tribunaux  suffisent,  et  que  pour  provo- 
quer des  mesures  extraordinaires  et  terribles,  il  faut  des  événemens  d'un 
autre  genre  que  l'état  de  choses  dont  je  viens  de  vous  parler  (murmures). 
C'est  pour  cela  que  j'ai  pensé  qu'il  ne  falloit  pas  toujours  s'arrêter 
simplement  à  l'idée  de  fautes  contre  la  discipline;  mais  qu'il  faut  en 
examiner  les  caractères  et  sur-tout  les  causes;  or  il  est  une  circonstance 
que  l'on  ne  doit  pas  dissimuler,  c'est  que  la  cause  de  ces  fautes  de 
discipline  n'étoient  point  relatives  au  service  militaire,  mais  seulement 
à  une  chose  qu'exigeoient  les  soldats;  c'est  que  la  source  de  toutes  ces 
querelles  a  été  l'obstination  de  tous  les  soldats  à  vouloir  conserver  le 
ruban  patriotique  qui  leur  avoit  été  donné  par  les  citoyens  de  la  ville 
où  ils  avoient  débarqué  en  revenant  d'Amérique,  et  que  les  officiers 
vouloient  leur  faire  quitter.  Il  est  possible  que  cette  cause  ait  poussé  les 
soldats  à  parler  très  irrespectueusement  à  leurs  officiers,  à  donner  des 
marques  d'impatience  qui  passent  pour  indiscipline  et  insubordination; 
mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  la  cause  n'est  pas  de  celles  qui 
peuvent  alarmer  sur  le  salut  public,  et  provoquer  des  mesures  dont  les 
suites  pourroient  être  infiniment  funestes. 

((  Il  est  un  fait  qui  est  bien  propre  à  rassurer  et  la  nation  et  vous 
sur  ces  régimens.  Les  ennemis  de  la  révolution  ont  voulu  profiter  de 
l'état  de  disgrâce  où  étoit  le  régiment  de  Beauce;  ils  ont  voulu  profiter 
de  leur  mécontentement  pour  les  engager  à  prendre  le  parti  des  ennemis 
de  la  révolution,  et  ce  fait  n'est  point  hasardé,  la  preuve  en  existe,  elle 
est  authentique,  elle  est  juridique;  les  hommes  qui  ont  fait  ces  proposi- 
tions coupables  aux  soldats  du  régiment  de  Beauce,  ont  été  dénoncés 
par  eux  au  tribunal  du  district  d' Arras  :  des  informations  ont  été  faites; 
les  faits  les  plus  précis,  les  plus  graves  ont  été  constatés,  et  plusieurs 
hommes,  ennemis  de  la  révolution,  sont  maintenant  décrétés  de  prise- 
de-corps;  et  le  tribunal,  s'il  ne  vous  a  pas  encore  envoyé  là  procédure, 
est  sur  le  point  de  vous  l'envoyer.  Il  me  semble  que  voilà  des  faits  qui 
méritent  d'être  placés  dans  un  récit  à  côté  de  ces  fautes  d'indiscipline 
qu'on  exagère  si  souvent,  et  sur-tout  dont  on  dissimule  toujours  les 
causes.  Comme  il  n'est  pas  juste  que  je  sois  compromis  une  seconde 
fois  pour  avoir  pris  leur  défense,  autant  que  la  justice  le  permet,  je 
demande  que  si  l'on  nie  ces  faits,  il  me  soit  permis  d'y  répondre,  parce 


662  LES   PISCOURS    DF,    ROBESPIERRF, 

qu'il  n'est  pas  juste  que  le  dernier  qui  allègue  des  fait?  ait  toujours 
raison  parce  qu'il  parle  le  dernier  :  et  tout  ce  que  je  vous  dis  est  de  la 
dernière  exactitude,  et  il  n'y  a  rien  dans  ces  faits  qui  puisse  provoquer 
des  mesures  extraordinaires,  il  n'y  a  pas  même  de  quoi  punir  avec  une 
extrême  sévérité  les  soldats  du  régiment  de  Beauce  (4). 

«  Je  passe  à  la  discussion  de  la  loi  :  la  loi  en  elle-même  me  paroit 
dangereuse,  précisément  parce  qu'elle  déploie  cet  appareil  formidable 
de  la  force  et  de  la  terreur,  qui  est  fait  pour  agiter  les  esprits  et  qui, 
lors  même  qu'il  n'y  a  pas  de  dispositions  à  la  révolte,  pourrait  en  faire 
naître,  car  c'est  souvent  un  moyen  de  provoquer  à  la  sédition,  que  de 
dire  qu'il  y  aura  sédition  et  de  faire  croire  aux  soldats  et  au  peuple 
qu'ils  y  sont  disposés  (applaudi  dans  le  fond  à  gauche).  Je  dis  en 
second  lieu  que  la  principale  disposition  de  la  loi  est  extrêmement  dan- 
gereuse par  sa  nature  ;  dans  le  cas  supposé  où  un  régiment  seroit  déclaré 
en  état  de  révolte,  ce  qui  peut  être  déclaré  légèrement,  )1  est  très  dan- 
gereux d'appeller  les  gardes  nationales  contre  les  troupes  de  ligne,  et 
dans  un  tems,  où  nous  ne  pouvons  nous  dissimuler  qu'on  cherche  à  semer 
la  division  entre  les  citoyens  et  les  troupes  de  ligne  elles  mêmes,  il  est 
très  dangereux  d'adopter  une  loi  qui  pourroit  seconder  un  pareil  projet 
et  fournir  des  armes  aux  mal-intentionnés. 

«  Messieurs,  j'ajoute  que  vos  loix  seront  toujours  incomplettes, 
comme  l'a  dit  M.  de  Custine,  lorsque  vous  verrez  les  soldats  et  que 
vous  ne  penserez  jamais  aux  chefs;  il  est  très  possible  que  des  chefs 
après  avoir  fomenté  des  troubles,  après  avoir  tracassé  sourdement  et 
longtems  des  soldats  patriotes  attachés  à  la  discipline  et  aux  loix,  pro- 
fitent ensuite  d'un  mouvement  d'impatience  et  d'insubordination,  auquel 
ils  les  auront  forcés  pour  les  accuser,  pour  venger  ensuite  leurs  injures 
et  exécuter  leurs  projets  anti-révolutionnaires;  voilà  pourquoi  je  crois 
que  c'est  sur  les  officiers  et  les  chefs  que  doit  porter  la  vigilance  du 
législateur,  et  dans  toute  cette  affaire,  il  faut  toujours  se  faire  ces  ques- 
tions :  quelle  est  la  cause  du  désordre  ?   Qu'ont  fait  les  officiers  pour 


(4)  Les  soldats  emprisonnés  dans  la  citadelle  d'iArras  furent 
libérés  le  9  septembre  1791.  Voici  comment  le  «  Journal  général  du 
Pas-de-Calais  >»  (suppl.  au  n°  30,  p.  303)  annonce  le  fait:  «  D'Arras, 
le  11.  Vendredi  dernier,  M.  de  la  Roque  a  fait  rendre  les  arme 3 
an  bataillon  de  Beauce  détenu  pour  insurrection  dans  la  citadelle 
d'Arras.  Il  a  lu  aux  soldats  assemblés  une  lettre  du  roi,  qui  leur 
accorde  leur  grâce,  en  leur  ordonnant  de  rentrer  dans  le  dévoir  et 
d'être  soumis  à  leurs  officiers,  sous  peine  de  punition  exemplaire. 
Ce  bataillon  est  parti  hier  lundi  pour  iCambrai.  Le  club  d'Arras  lui 
a  donné  un  certificat  de  patriotisme,  et  en  a,  envoyé  un  pareil  à  la 
municipalité  de  Cambrai.  On  voit  que  l'insurrection  et  le  républica- 
nisme passent  dans  l'esprit  de  ce  club,  pour  patriotisme;  et  qu'il 
met  à  profit  ce  principe  :  l'insurrection  est  le  plus  saint  des  devoirs. 
Voilà  sans  doute  pourquoi  MM.  Robespierre  et  Guffroi,  et  le  très- 
petit  nombre  de  leurs  partisans,  sont  les  .seuls  qui  ne  l'aient  point 
abandonné  ». 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  683 

la  réprimer  }  N'ont-ils  rien  fait  pour  l'accroître  ou  même  pour  la  faire 
naître  ?  Car  les  soldats  'ne  peuvent  pas  être  plus  suspects  pour  la  révo- 
lution que  les  officiers  :  en  général  il  n'est  pas  vrai  que  les  officiers  aient 
montré  plus  d'amour  pour  les  loix,  pour  la  constitution,  pour  la  véritable 
discipline  que  les  soldats;  et  je  crois  que  l'on  ne  se  comporte  pas 
avec  toute  la  prudence,  avec  tout  le  zèle  qui  seraient  nécessaires  pour 
prévenir  les  désordres,  lorsqu'on  vient  toujours  vous  proposer  des  décrets 
contre  les  soldats  et  qu'on  ne  vous  parle  jamais  des  officiers.  (Mur- 
mures) »  (5). 

Journal  des  Débats,  n°   829,  p.  9-11. 

«  M.  Robespierre  a  voulu  prendre  la  parole.  Il  s'est  élevé  de 
nombreuses  huées.  Il  a  insisté;  les  murmures  ont  recommencé.  Je  deman- 
de, a-t-il  dit,  à  répondre  froidement  à  M.  Alexandre  Lameth...  Les 
murmures  ont  continué.  —  Il  m'a  calomnié.  —  On  a  demandé  que  la 
discussion  fût  fermée.  L'Assemblée  a  décidé  que  l'ordre  de  !a  parole 
seroit  suivi.  M.  Custine  a  parlé  le  premier. 

[ .1 

«  Je  vais  prouver,  a  dit  M.  Robespierre,  que  jamais  mes  opinions 
n'ont  été  la  cause  d'aucun  désordre...  Les  huées  ont  couvert  la  voix  de 
l'Opinant.  Je  suivrai  la  discussion  actuelle  d'après  les  seuls  principes 
que  je  professe;  je  prie  ceux  qui  m'inculpent,  de  vouloir  bien  m'écou- 
ter;  et  j'invite  M.  Lameth  à  préférer  l'arme  du  raisonnement  \  celle 
de  la  calomnie. 

«  En  général,  toute  loi  qui  tend  à  supposer  un  danger,  à  déployer 
un  grand  appareil  de  force  et  de  terreur,  toute  loi  de  cette  nature, 
dis-je,  est  dangereuse  si  elle  est  inutile  :  voilà  pourquoi  j'ai  pensé  que 
quand  on  vous  proposoit  de  rendre  une  pareille  loi,  il  falloit  l'appuyer, 
non  pas  sur  la  terreur,  mais  sur  les  principes.  J'observe  en  outre  qu'il 
est  dangereux  d'exagérer  des  faits,  mais  sur-tout  qu'il  est  coupable 
d'en  imaginer.  Je  n'accuse  personne  d'en  avoir  imaginé,  mais  j'atteste 
que  l'on  exagère  beaucoup... 

«  Je  demande  à  M.  Robespierre,  a  dit  M.  Roussillon,  quelle  est 
sa  correspondance  avec  les  régimens. 

«  Je  vous  avoue,  a  répondu  M.  Robespierre,  que  je  ne  trouve  là 
qu'une  absurdité  grossière  et  une  calomnie.  (Les  tribunes  ont  vivement 
applaudi).  Je  viens  au  fait  :  je  nie  qu'il  y  ait  300  brigands  dans  la 
Citadelle  d'Arras... 

«  Messieurs,  s'est  écrié  M.  Charles  Lameth,  je  vous  atteste  que 
dans  le  régiment  des  ci-devant  cuirassiers,  il  n'y  a  point  d'officier  qui 
ne  craigne  infiniment  pour  ses  jours,  et  je  vous  supplie  de  ne  pas 
croire   M.    Robespierre. 

«   Je  déclare,    a  repris   M.    Robespierre,   que   si   les  officiers  des 

(h)  Texte   reproduit  dans   les  Arch.    pari.,   XXX,   8. 


684  LES    DJSCOURS    DE    ROBESPILKHI 

« 

ci-devant  cuirassiers  sont  de  l'avis  que  vient  d'énoncer  M.  Lameth,  les 
citoyens  impartiaux  savent  le  contraire.  —  M.  d'Estourmel  a  nié  ce 
que  disoit  l'Orateur,  et  a  appuyé  ce  qu'avoit  avancé  M.  Larnelh,  au 
nom  de  tous  les  citoyens  d'Arras.  —  Il  est  seulement  vrai  qu'il  existe 
à  Arras  300  hommes  à  qui  M.  Rochambeau  a  interdit  le  service  pour 
une  faute  contre  la  discipline  militaire.  Je  suis  loin  de  vouloir  la  justi- 
fier, mais  il  étoit  facile  de  la  réprimer,  et  les  soldats  sont  dans  l'état 
le  plus  parfait  d'obéissance  et  de  soumission.  (On  a  murmuré). 

«  Dans  de  pareilles  circonstance^,  les  tribunaux  et  les  cours  mar- 
tiales doivent  suffire;  les  loix  extraordinaires  doivent  être  déterminées 
par  des  circonstances  plus  impérieuses.  La  première  cause  de  l'insubordi- 
nation dont  on  vous  parle,  est  que  ces  300  hommes  ont  voulu  garder 
le  ruban  patriotique  qui  leur  avoit  été  donné  pat  les  citoyens  de  la  ville 
de...  Cette  cause  n'est  point  de  celles  qui  peuvent  alarmer  le  salut 
public. 

«  Il  est  enfin  un  fait  propre  à  rassurer.  Les  ennemis  de  la  révolu- 
tion ont  voulu  profiter  de  l'état  de  disgrâce  où  étoient  ces  soldats, 
pour  les  engager  à  s'armer  contre  la  révolution.  Ceux-ci  les  ont  dénon- 
cés au  tribunal  du  district  d'Arras. 

«  Vous  en  recevrez  incessamment  la  procédure.  Voilà  des  faits 
qu'il  est  important  de  mettre  à  coté  de  ceux  de  l'insubordination;  et 
comme  il  n'est  pas  juste  que  je  sois  compromis  une  seconde  fois,  je 
demande,  si  l'on  nie  ces  faits,  qu'il  me  soit  permis  de  répondre 

«  Je  sais  qu'il  est  venu  des  lettres  de  M.  Rochambeau;  mais  je  ne 
pense  point  que  les  causes  d'insubordination  dont  il  parle,  soient  de 
nature  à  provoquer  une  loi  extraordinaire.  Enfin,  la  loi  est  dangereuse, 
parce  qu'elle  déploie  un  appareil  formidable,  qui  peut  provoquer  des 
séditions  et  des  révoltes  quand  il  n'y  en  a  point;  car  souvent  c'est  pro- 
voquer des  séditions  et  des  révoltes  que  d'en  supposer.   >^ 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  241,  p.  999. 

«  M.  Roberspierre .  J'ai  des  observations  très-simples  à  présenter; 
je  vais  prouver  à  tout  le  monde  que  mes  opinions  ne  tendent  pas  à  exciter 
des  troubles;  car  je  discuterai  la  question  d'après  les  mêmes  principes 
qui  m'ont  toujours  dirigé,  et  je  préférerai  l'arme  du  raisonnement  à  celle 
de  la  calomnie.  Si  le  grand  appareil  de  la  force  est  dangereux,  c'est 
surtout  quand  il  est  inutile.  Je  pense  que  la  question  ne  doit  pas  être 
jugée  sur  les  terreurs  que  quelques  personnes  cherchent  à  exciter,  mais 
sur  des  faits.  Je  ne  sais  si  tous  les  faits  qu'on  vous  a  cités  sont  faux, 
mais  je  jure  qu'il  y  a  beaucoup  d'exagération. 

«   M...    Le  parieriez-vous  ? 

«  M.  Roussillon.  N'est-il  pas  vrai  que  vous  entretenez  une  coires- 
pondance  avec  l'armée  ? 

«   M.    Roberspierre.    Je    ne    réponds    pas    à    une    inculpation    qui 


LÉS    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  685 

n'est  qu'une  assertion  ridicule  ou  une  calomnie  atroce.  Je  dirai  plutôt 
qu'il  est  absolument  faux  qu'il  y  ait  300  brigands  dans  la  citadelle 
d'Arras. 

«  M.  Charles  Lameth.  Il  n'est  pas  un  des  officiers  de  la  garnison 
d'Arras,  qui  ne  regarde  les  excès  des  bataillons  de  Beauce  comme 
propres  à  mettre  tous  les  régimens  en  révolte,  et  je  prie  l'Assemblée 
de  ne  pas  croire  M.  Roberspierre. 

«  M.  Roberspierre.  Je  déclare  que,  si  les  officiers  d'Arras  sont 
de  l'avis  de  M.  Lameth,  tous  les  citoyens  impartiaux  sont  d'un  avis 
contraire. 

«  M.  Estournel.  Je  demande  à  éclairer  à  l'Assemblée,  il  est  tems 
enfin  que  les  factieux  ne  l'égarent  plus. 

«  M.  Roberspierre.  Il  est  possible  que  les  300  soldats  de  Beauce 
qui  sont  dans  la  citadelle  d'Arras,  aient  manqué  au  respect  dû  à  leur 
chef  ;  mais  quel  ordre  leur  donnait-on  ?  Celui  de  quitter  le  ruban  patrio- 
tique. Les  ennemis  de  la  constitution  ont  aussi-tôt  profité  de  ce  mouve- 
ment, pour  faire  de  ces  soldats,  les  instrumens  de  leurs  projets;  mais 
ils  ont  été  dénoncés  par  les  soldats  eux-mêmes  aux  tribunaux,  et  la  pro- 
cédure va  être  envoyée  à  l'Assemblée  nationale.  Je  ne  vois  rien  là- 
dedans  qui  nécessite  les  mesures  extraordinaires  qui  vous  ont  été  pro- 
posées, i 

«  Maintenant  je  reviens  à  la  question,  je  pense  que  c'est  un  moyen 
d'exciter  la  sédition  et  la  révolte,  que  d'agir  comme  s'il  devait  y  avoir 
une  sédition.  Je  pense  qu'il  est  extrêmement  dangereux  de  montrer  tou- 
jours aux  troupes  de  ligne,  les  gardes  nationales  comme  prêtes  à  mar- 
cher «contre  elles-  J'ajoute  que  vos  lois  pénales  seront  toujours,  incom- 
plètes lorsque  vous  ne  verrez  que  les  soldats  et  jamais  les  chefs.  Je 
demande  en  conséquence  la  question  préalable   »   (6). 

Le  Courrier  des  LXXXUI  départemens,  n°  29,  p.  463. 

«  M.  Alexandre  Lameth  s'est  oublié  au  point  d'attribuer  l'insur- 
rection de  l'armée  aux  opinions  de  MM.  Péthion  et  Roberspierre.  Ce 
dernier  a  voulu  répondre  à  la  plus  atroce  des  calomnies.  Les  meneurs 
de  l'Assemblée,  tyrans  plus  injustes  mille  fois  que  les  satrapes  d'Asie, 
ont  étouffé  ses  réclamations  par  des  huées  et  des  murmures  (7). 

((  M.  Robespierre  a  fait  cependant  un  dernier  effort.  Il  a  voulu 
justifier  la  garnison  d'Arras,  inculpée  par  Al.  Lameth.  «  Les  faits, 
a-t-il  dit,   qu'on   vient  de   vous  citer,    sont   exagérés,    je   vous  le   jure. 


<6)  Texte  reproduit  clan.,  le  Moniteur,  IX,  517;  et  dans  Bûchez 
et  Roux,  XI,   450. 

(7)  Note  du  journal:  «  Lés  voilà,  ces  amis  de  Tordre  et  de  la 
paix,  des  hommes  désintéressés  et  patriotes  ». 


686  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

(Quelles  sont  vos  relations  avec  les  régimens,  dit  M.  Roussillon  ?  (8). 
Je  ne  vois,  répond  l'orateur,  dans  la  question  de  M.  Roussillon,  qu'une 
grossière  absurdité.  Je  continue.  Les  trois  cents  hommes  qu'on  vous 
représente  comme  des  brigands  prêts  à  incendier  Arras,  ne  sont  cou- 
pables que  d'un  seul  acte  d'insubordination. 

«  On  avoit  donné  à  ces  soldats  un  ruban  aux  couleurs  nationales  ; 
ils  s'obstinent  à  le  garder  malgré  l'ordre  des  officiers;  du  reste,  ils  ont 
dénoncé  au  tribunal  d 'Arras  des  perfides  qui  vouloient  abuser  de  ce 
mécontentement  passager  pour  les  corrompre.  »  —  Braves  militaires  ! 
que  ne  passiez-vous  chez  l'étranger  !  Un  Lameth  ne  vous  auroit  pas 
dénoncés  comme  des  factieux.  —  A  quel  degré  d'avilissement  nous 
sommes  parvenus  !  —  H  n'est  pas  besoin  de  dire  que  le  projet  a  été 
adopté.   » 

Le  Babillard  du  Palais  Royal,  n°   78,  p.  303. 

«  Cependant,  M.  Péthion,  soutenu  de  quelques  membres,  deman- 
dait l'impression  et  l'ajournement  du  projet  de  décret  :  il  se  plaignait 
de  n'entendre  parler  que  des  soldats  dans  cette  loi  pénale.  Elle  n'est 
que  trop  douce,  s'est  écrié  M.  Alexandre  Lameth:  tout  le  comité  sait 
que  les  opinions  de  MM.  Péthion  et  Robespierre  ont  occasionné  le  plus 
grand  mouvement  dans  l'armée.  A  ces  mots,  les  deux  membres  nommés 
se  lèvent:  M.  Robespierre  veut  parler;  de  violens  murmures  étouffent 
sa  voix  :  il  est  impossible,  s'écrie-t-il,  que  M.  Lameth  ait  le  droit  de 
m'inculper,  sans  que  j'aie  celui  de  répondre.  —  Les  cris  redoublent. 
M.  Verrier  (9)  qui  a  succédé  dans  la  présidence  à  M.  de  Broglie, 
consulte  l'assemblée;  et  la  parole  est  refusée  à  M.  Robespierre.  ■ — 
Enfin  le  projet  de  décret  est  adopté  à  la  presqu'unanimité.  —  Cette 
marque  de  mépris  indigne  les  partisans  du  Démosthènes  d 'Arras.  Beau- 
coup d'honnêtes  gens  prétendent,  au  contraire,  que  le  fond  a  fait 
oublier  la  forme,  et  que  l'assemblée  nationale  a  très-bien  fait  de  ne  pas 
retarder,  d'un  moment,  le  décret  le  plus  indispensable  et  le  plus  salu- 
taire. » 
Mercure  de  France,  3  septembre   1791,  p.  52-53. 

«  Criant  toujours  à  la  calomnie,  M.  Roberspierre  vouloit  opposer 
à  des  révoltés,  non  la  terreur,  mais  des  principes.  On  l'accusoit  d'une 
correspondance  avec  des  régimens,  il  traitoit  l'imputation  d'absurdité 
grossière;  il  a  nié  les  dangers  d'Arras,  et  dit  que  l'insubordination  venoit 
de  l'ordre  donné  par  M.  de  Rochambeau,  de  quitter  le  ruban  tricolore 
que  les  soldats  aiment  à  porter  à  la  boutonnière  par  patriotisme-  Les  tri- 
bunes ont  vivement  applaudi  M.  Roberspierre,  lorsqu'il  a  soutenu  que 
c'étoit  provoquer  des  révoltes  que  d'en  supposer.  » 


(8)  Note  du  journal:  «  Et  vos  relations  avec  les  ministres» 
MM.   les  intrigans  ». 

<(J)  Vernier  Théodore,  avocat,  député  du  tiers  état  du  bailliage 
d'Aval}    en  Franche-Comté. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  687 

La  Rocambole,  n°  20,  p.  341. 

«  MM.  Péthion  et  Robespierre  se  sont  opposés  à  cette  loi;  mais 
M.  Alexandre  de  Lameth  en  a  démontré  l'urgente  nécessité...  Tout 
le  comité  sait,  ajoute-t-il,  que  MM.  Péthion  et  Robespierre  ont  occa- 
sionné le  plus  grand  mouvement  dans  l'armée-  M.  Robespierre  se  fâche, 
et  M.  Roussillon,  curieux  de  connoître  le  principe  des  choses,  lui  dit 
pour  le  calmer  :  Quelles  sont  donc  vos  relations  avec  les  régimens  ? 
M.  Robespierre  «  dont  l'esprit  phlegmatique  garde  dans  ses  fureurs  un 
ordre  didactique  »,  dédaigne  cette  demande  indiscrette  et  veut  justifier 
les  brigands  d'Arras,  et  l'inutilité  de  la  loi.  Mais  sa  harangue  est  étouf- 
fée par  les  faits  graves  qu'articulent  MM.   Alquier  et  Fréteau...    » 

[Résumé  de  cette  intervention  dans  Le  Point  du  Jour,  t.  XXVI, 
n°  782,  p.  39,  et  783,  p.  40;  Le  Courier  de  Provence,  t.  XVI,  n°  334, 
p.  407;  Le  Législateur  français,  t.  III,  29  août  1791,  p.  6;  Le  Journal 
général,  p.  858;  Le  Patriote  François,  n°  750,  p.  250.  Brève  mention 
dans  Le  Pacquebot,  n°  239;  Le  Journal  général  du  Pas-de-Calais, 
n°  19,  p.  194;  Le  Journal  de  Louis  XVI  et  de  son  peuple,  t.  V, 
n°  117;  Les  Annales  patriotiques  et  littéraires,  29  août  1791,  p  1880; 
Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XIII,  p.  4;  Le 
Journal  général  de  France,  29  août  1791,  p.  968;  L'Argus  patriote, 
n°  23,  P.  616;  L'Ami  du  Peuple  (Marat),  1er  septembre  1791;  La 
Gazette  universelle,  n°  242,  p.  967;  L'Ami  du  Roi  (Royou),  30 
août   1791,  p.   4;  Le  Journal  de  Rouen,  n°   241 ,  p.l  167.] 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

349.  —  SEANCE  DU  28  AOUT  1791 

Sur  le  compte  rendu  de  la  séance  de  l'Assemblée  nationale 


L'Assemblée  nationale  avait,  dans  sa  .séance  du  28  août,  discuté 
le  rapport  présenté  par  Chabroud,  sur  le  rétablissement  de  la  disci- 
pline dans  l'armée.  .Robespierre  mis  en  cause,  était  intervenu  plus 
particulièrement  sur  l'affaire  du  2°  bataillon  du  68°  régiment, 
ci-devant  Beauce,  caserne  à  Arras  (1). 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°   50. 
Mercure  universel,  t.  VII,  p.  42- 

«    M.   Robespierre  a  rendu   compte  de   la   séance   de   l'assemblée 
nationale  du  matin  »  (2). 


{1)  Cf.  ci-des.sus,  «éance   précédente. 

(2)  Texte   reproduit   dans   Aulard,   III,    105. 


688  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

350.  —  SEANCE  DU  30  AOUT  1791 
Sur  la  revision  de  la  Constitution 


Le  29  août,  Le  Chapelier,  au  nom  des  comités  de  constitution 
et  de  révision,  avait  présenté  un  rapport  sur  les  modalités  de  révi- 
sion de  la  constitution  et  sur  la  formation,  les  fonctions  et  les  droits 
de  l'assemblée  de  révision,  dite  Convention  nationale.  Cette  dernière 
«  ne  pourra  jamais  s'emparer  de  la  constitution,  mais  bien  examiner 
si  les  pouvoirs  constitués  sont  restés  dans  les  bornes,  et  si  les  points 
sur  lesquels  les  citoyens,  le  corps  législatif  et  le  roi  se  sont  expli- 
qués, devront  être  réformés  ■».  La  discussion  aussitôt  instituée  se 
poursuit  le  30  août.  Camus  demande  alors  à  l'Assemblée  de  la  limiter 
aux  4  points  suivants  :  Y  aura-t-il  ou  n'y  aura-t-il  pas  de  conventions 
nationales  1  A  quelle  époque  se  réuniront-elles  ?  De  combien  de  mem- 
bres seront-elles  composées?  Dans  quel  lieu  is'assembleront-elles  1 
D'André  réclame  alors  la  question  préalable  sur  les  deux  premiers 
points,  et  l'Assemblée  décide  qu'il  n'y  aura  pas  de  convention  & 
périodiques. 

Le  Chapelier  insiste  pour  que  la  prochaine  convention  nationale 
ne  se  réunisse  pas  avant  l'année  1801  pour  laisser  aux  esprits  le 
temps  de  s'apaiser  et  pour  recueillir  les  leçons  de  l'expérience.  Dan- 
dré,  puis  .Salles,  estiment  qu'il  serait  prudent  d'attendre  au  moins 
20  années.  Robespierre  veut  intervenir,  mais  on  ferme  la  discussion. 

Elle  reprend  sur  les  amendements,  et  Lafayette  soutient,  comme 
le  voulait  Robespierre,  le  droit  imprescriptible  de  la  nation  de 
réviser  sa  constitution  quand  il  lui  plaît.  L'Assemblée  se  rallia  alors 
à  la  motion  présentée  par  Thouret,  qui  fut  décrétée  en  ces  termes  : 
«  La  nation  a  le  droit  imprescriptible  de  revoir  et  changer  sa  consti- 
tution quand  il  lui  plaît;  mais  l'assemblée  nationale  déclare  qu'il  est 
de  l'intérêt  général  de  suspendre  l'exercice  de  son  droit  pendant 
trente  ans  ». 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logograph.,  t.  XXXII,  p.  459. 

«  M.  Robespierre.  J'ai  la  parole  pour  une  motion  d'ordre  (bruit). 
M.  d'André  a  fait  une  motion  d'ordre,  je  demande  à  en  faire  une 
seconde  (bruit)  qui  est  la  conséquence  de  la  sienne  »  (1). 

Journal  des  Débats,  n°   831,  p.  9. 

«  M.  Robespierre  a  demandé  la  parole;  mais  il  a  été  décidé 
qu'il  ne  seroit  point  entendu.  » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXVI,  n°  784,  p.  59. 

«  M.  Roberspierre  demandoit  à  soutenir  les  principes  de  l'inalié- 
nabilité  du  droit  qu'a  la  nation  de  changer  et  de  reviser  sa  constitution 
quand  il  lui  plaît.  Mais  la  discussion  a  été  fermée.   » 


(1)  Texte   reproduit   dans   les  Arch.   pari.,   XXX,   66. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  689 

351.  —  SEANCE  DU  30  AOUT  1791  (soir) 

Sur  la  proposition  d'une  députation  d'électeurs 
du  Pas-de-Calais 


Une  députation  des  électeurs  du  Pas-de-Calais  est  admise  à  la 
barre  de  l'Assemblée  nationale.  Après  avoir  fait,  en  son  nom  parti- 
culier, un  don  patriotique  pour  aider  à  la  défense  des  frontières. 
1  orateur  de  la  députation  lit,  au  nom  du  corps  électoral,  une  pétition 
dans  laquelle  il  exprime  le  vœu  qu'une  indemnité  soit  accordée  aux 
électeurs  <1).  Il  montre  que  ces  derniers  ont  dû,  depuis  18  mois,  se 
déplacer  très  fréquemment  au  chef  lieu,  pour  procéder  à  la  nomina- 
tion  et  au   renouvellement   des   administrations   (2;. 

Cette  demande  fut  renvoyée  au  comité  de  constitution,  mais  les 
membres   de    la    députation    obtinrent    les    honneurs    de    la    séance. 

Journal  général  du  département  du  Pas-de-Calais,  n°  20,  p.  205  (3). 

«  Une  députation  des  électeurs  du  département  du  Pas-de-Calais 
s'est  présentée  à  la  barre;  et  après  avoir  fort  adroitement  oflferi  un 
assignat  de  80  hv.  à  l'assemblée  nationale,  elle  a  demandé  une  indem- 
nité pour  le  tems  qui  avoit  été  employé  dans  les  assemblées  électorales. 
M.  de  Robespierre  s'est  efforcé  d'appuyer  cette  opinion  »  (4). 

L'Ami  du  Roi  (Mont joie),    1er  septembre    1791,   p.   974. 

«  Bien  des  murmures  se  sont  élevés  d'abord;  mais  M.  Robespierre 
qui  connoit  les  hommes  de  son  siècle,  et  qui  sait  parfaitement  qu'on 
ne  peut  les  conduire  tous  qu'avec  de  l'argent,  s'est  déclaré  pour  la 
demande  des  électeurs;  il  a  soutenu  que  si  l'assemblée  n'accueilloit  pas 
sur-le-champ   toutes   ces  sortes  de  demandes,    il   arriveroit   indubitable- 


(1)  Robespierre  ava.it  fait  une  semblable  proposition  lors  de  la 
réunion  de  l'Assemblée  du  tiers  état  de  la  Ville  d'Arras,  dans  la 
nuit  du  29  au  30  mars   1789  (Cf.   Discours...,    lre  partie,    15). 

(2)  Barère  (Point  du  Jour,  XXVI,  66)  soutient  ce  point  de  vue 
en  faisant  remarquer  que  la  dépense  engagée  cessera  dès  que  la 
constitution  sera  mise  en  application.  On  trouvera  le  texte  de  la 
pétition  dans  les  Arch.  pari.,  XXX,  81. 

(3)  Dans  son  numéro  (p.  192),  le  même  journal  laisse  entendre 
que  Robespierre  le  Jeune  aurait  essayé  d'utiliser  ce  procédé.  Il 
écrit:  «  D'Arras...  Plusieurs  électeurs  ont  déclaré  qu'on  leur  avoit 
offert  de  les  défrayer  de  leur  séjour,  s'ils  vouloient  donner 
leur  voix  pour  M.  Robespierre,  frère  du  député  à  l'assemblée  natio- 
nale. Il  vient  de  paroître  un  imprimé  dans  lequel  M.  Robespierre 
nie  le  fait  )>. 

(4)  Ce  journal  rerient  à  la  charge  à  la  suite  de  l'élection  de 
Robespierre  cadet  à  l'administration  du  département  (n°  21,  p.  217): 
<•.  'L'accueil  que  M.  «on  frère  a  fait  aux  électeurs  qui  ont  été  en 
députation  pour  obtenir  le  paiement  de  leurs  vacations,  a  vallu 
à  M.  Robespierre  cadet  cette  place  qu'il  a  préféré  sans  doute  à  celle 
de  volontaire  ». 

tobï*rtte*»fi  M 


690  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

ment  que  ceux-là  qui  ont  du  tems  à  perdre,  et  par  conséquent  les 
riches  seuls  parviendraient  à  l'électorat  (5).  La  conséquence  de  M.  Ro- 
bespierre a  effrayé  l'assemblée  qui  veut  que  les  pauvres  puissent  aussi 
être  électeurs  et  députés;  et  sur  la  proposition  de  l'orateur,  elle  a  envoyé 
la  pétition  pécunière  à  ses  comités  de  constitution  et  de  finances;  c'est 
un  avis  à  M.  Vernier  de  laisser  place  dans  son  tableau,  qu'on  va  impri- 
mer, à  la  dépense  des  corps  électoraux.  » 


(5)  L'Ami  du  Roi  de  Rcyou  (n°  du  11  septembre  1791,  p.  1)  e"t 
également  partisan  de  cette  indemnité:  <c  Les  seuls  riches  voudront 
voyager  à  leurs  frais,  et  se  rendront  martres  des  élections.  MM.  Pé- 
tition, Rœderer,  Robespierre,,  illustres  défenseurs  du  peuple,  où 
ttiez-vous?  ». 


352.  —  SEANCE  DU  31  AOUT  1791 

Sur  les  conventions  nationales  et  la  revision 
de  la  Constitution  (suite) 


Le  débat  reprend  le  31  août.  D'André,  au  nom  des  comités, 
déclare  qu'il  n'est  pas  question  d'examiner  la  possibilité  d'un  chan- 
gement total  de  la  constitution,  mus  .seulement  de  modificatio,ns  par- 
tielles. Pour  ces  dernières,  il  suffirait  que  soit  émis  non  pas  le  vœu 
individuel  des  citoyens  consultés  à  cet  effet,  mais  le  vœu  de  la  nation 
exprimé  par  trois  législatures  consécutives.  Robespierre  intervient 
alors  et  critique  vivement  le  système  proposé  (1). 

Au  terme  de  cette  discussion,  les  articles  suivants  furent  décré- 
tés :  «  1.  Lorsque  trois  législatures  consécutives  auront  émis  un  vœu 
uniforme  pour  la  révision  de  quelques  articles  constitutionnels,  il  y 
aura  lieu  à  révision. 

«  2.  La  quatrième  législature  sera  chargée  d'examiner  les  articles 
dont  les  trois  législatures  précédentes  et  consécutives  auront  demandé 


revision. 


«  3.   Les  membres  de   la  troisième  législature  ne  pourront  être 
réélus  à  la  prochaine.  » 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logograph.,  t.  XXXIII,  p.  31. 
Le  Courrier  des  LXXX11I  départemens,  2  sept.   1791,  n°  2,  p.  28  (2). 

«  M.  Robespierre.  M.  d'André  a  distingué  deux  cas  où  la  nation 
pourroit  désirer  de  revoir  sa  constitution;  le  second,  celui  où  il  s'agiroit 
d'en  retoucher  quelque  partie.  Je  crois,  messieurs,  que  l'insurrection  ne 
peut  jamais  être  un  moyen  constitutionnel  ;  puisqu'au  contraire  elle  n'est 
qu'un  effet  de  la  violence  et  le  renversement  même  de  la  constitution. 

«  Puisqu'il  peut  exister,  suivant  M.  d'André,  un  cas  où  la  nation 


alinéa. 


C-l)  Cf.   E.  Hamd,  I.  546;  et  G.  Walter,  472. 

(2)  Gorsas  dans   son  «   Courrier   »   ne   reproduit  pas  le  premier 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  691 

voudroit  revoir  les  bases  de  la  constitution,  il  est  évident  qu'il  ne  laisse 
à  cet  égard  d'autre  moyen  que  l'insurrection.   (Murmures). 

«  M.  d'André.  M.  le  président,  M.  l'opinant  m'attribue  ses 
moyens  (applaudi).  Je  n'ai  jamais  parlé  d'insurrections.  Je  ne  les  aime 
pas  du   tout. 

«  M.  Robespierre.  M.  d'André  n'indique  aucune  espèce  de 
moyen  par  lequel  la  nation  pourront  réclamer  ses  droits,  dans  le  cas 
où  je  parle  ;  il  se  contente  de  dire  simplement  :  si  le  vœu  de  la  nation 
étoit  universel,  pour  changer  l'ensemble  de  sa  constitution,  la  conven- 
tion aura  lieu  :  il  est  certain  qu'il  ne  faudrait  point  de  loi,  de  mode 
de  -lélibérer  pour  cela.  Alors  c'est  mettre  l'insurrection  à  la  place 
de  tout  moven  et  de  toute  forme  constitutionnelle.  Or,  messieurs,  je 
m'étonne  que  ce  moyen  là  soit  indiqué  précisément  par  ceux  qui  ne 
peuvent  souffrir  que  nous  réclamions  un  principe  de  liberté,  c-ans  nous 
accuser  de  vouloir  le  désordre  et  l'anarchie.  Il  me  semble  que  s'il  étoit 
une  occasion  de  nous  injurier,  ce  n'étoit  point  celle  où  je  prouve  que 
M.  d'André  a  dit  cela  précisément.  (Grands  murmures). 

«  Maintenant,  je  reviens  au  second  cas  qui  est  le  seul  pour  lequel 
M.  d'André  pense  que  vous  devez  faire  une  loi  constitutionnelle,  c'est 
celui  où  il  s'agit  de  réformer  quelque  partie  de  la  constitution.  Je  dois 
ajouter  qu'il  en  est  un  troisième  qui  est  échappé  au  préopinant,  c'est 
celui  qui  est  indiqué  par  le  comité  de  constitution  lui-même,  c'est  la 
fonction  qui  doit  être  attribuée  à  la  Convention  nationale  d'examiner 
si  les  pouvoirs  constitués  n'ont  pas  franchi  les  limites  de  la  Constitution 
et  de  les  y  faire  rentrer.  Or,  sous  ce  point  de  vue-là,  messieurs,  com- 
ment est-il  possible  de  soutenir  le  système  adopté  par  le  préopinant  ? 
Dans  ce  sens-là  la  Convention  Nationale  est  appellée  pour  réprimer  les 
abus  commis  par  les  autorités  constituées,  pour  les  forcer  à  rentrer  dans 
les  bornes  que  la  Constitution  a  prescrites,  et  cependant,  on  veut  faire 
dépendre  l'existence  et  la  formation  de  cette  convention  nationale  de  la 
volonté  des  autorités  constituées  elles-mêmes.  Car  remarquez  que  dans 
le  système  où  je  parle,  pour  que  la  Convention  nationale  puisse  avoir 
lieu,  il  faut  que  trois  législatures  consécutives  y  aient  consenti,  et  déclaré 
que  la  convention  nationale  doit  être  appellée.  Ainsi  la  nation  ne  pourra 
nommer  une  convention  nationale  pour  maintenir  sa  constitution,  pour 
faire  rentrer  les  représentans  qui  auront  abusé  de  ses  pouvoirs,  qu'autant 
qu'il  plaira  à  ces  mêmes  autorités  constituées  qui  ont  violé  ces  mêmes 
droits  et  contre  lesquels  on  est  obligé  d'appeller  la  convention  nationale. 
Je  demande  s'il  est  possible  de  produire  un  renversement  plus  complet 
de  toutes  les  idées  de  justice  et  d'ordre  social. 

«  N'est-il  pas  évident  encore  qu'un  pareil  système  encore  anéantit 
évidemment  le  principe  de  souveraineté?  En  effet,  si  l'existence,  si  la 
formation  de  la  convention  nationale  dépend  des  pouvoirs  constitués, 
n'est-il  pas  évident  que  l'autorité  de  la  nation  est  subordonnée  au  pouvoir 
constitué;  que  c'est  alors  le  législateur  qui  exerce  cet  acte  sxvprême  et 


692  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

puissant  de  la  souveraineté  nationale,  qui  consiste  à  nommer  des  repré- 
sentai pour  réprimer  les  entreprises  et  les  usurpations  des  délégués  du 
peuple  ?  Ainsi,  messieurs,  le  système  proposé  renverse  tous  les  principes; 
il  détruit  la  souveraineté  nationale,  et  j'ajoute  qu'il  nous  seroit  un  garant 
certain  que  jamais  aucune  convention  nationale  ne  pourroit  avoir  lieu. 

«  En  effet,  messieurs,  de  cela  même  que  la  convention  nationale 
est  appellée  pour  réprimer  les  pouvoirs  établis,  pour  redresser  les  griefs 
des  pouvoirs  délégués,  n'est-il  pas  évident  que  jamais  on  ne  trouveroit 
trois  corps  délégués  de  suite  qui  consentiroient  à  appeller  cette  autorité 
formidable,  qui  seroit  l'ennemie  de  toutes  leurs  prétentions  et  de  toutes 
leurs  injustices?  N'est-il  pas  évident  que  profitant  de  l'abus  du  gou- 
vernement, qu'ils  auroient  eux-mêmes  introduit,  ils  déploiroient,  au  con- 
traire, toutes  leurs  ressources  et  toute  leur  influence,  pour  empêcher  que 
la  convention  nationale  fût  jamais  appellée;  et  qu'ainsi  le  plan  qu'on 
vous  propose  auroit  évidemment  l'effet  de  délivrer  les  tyrans  des  conven- 
tions nationales.  Je  demande  la  question  préalable  sur  tous  les  projets. 
(Applaudi  des  tribunes)  (3)._ 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n"  245,  p.    1020. 

«  M.  Robespierre  M.  Dandré  ne  veut  pas  que  l'on  détermine  la 
manière  dont  pourra  être  convoqué  un  corps  constituant  :  je  dis  que 
l'insurrection  ne  peut  être  un  moyen  sur  lequel  doive  se  fonder  le  légis- 
lateur. Si  la  nation  a  le  droit  de  changer  en  son  entier  la  constitution, 
il  faut  lui  laisser  un  autre  moyen  de  le  faire  que  celui  de  l'insurrection. 

«  M.  Dandré.  L'opinant  m'attribue  ses  moyens. 

((  M.  Roberspierre.  Je  dis  que  n'indiquer  aucune  espèce  de  moyen 
par  lequel  la  nation  puisse  exercer  son  droit  de  faire  changer  la  consti- 
tution, c'est  évidemment  ne  lui  laisser  que  le  moyen  de  l' insurrection. 
Je  m'étonne  que  ce  moyen  soit  établi  par  ceux  même  qui  ne  peuvent 
nous  voir  réclamer  aucun  principe  de  liberté  sans  dire  que  nous  voulons 
le  désordre  et  l'anarchie. 

«  Mais  les  conventions  nationales  ne  doivent  pas  seulement  pou- 
voir être  appelées  pour  changer  la  constitution  dans  son  entier,  ni  pour 
la  réformer  dans  une  partie,  il  est  une  troisième  fonction  des  conven- 
tions :  c'est  d'examiner  si  les  pouvoirs  constitués  n'ont  pas  franchi  les 
bornes  qui  leur  avaient  été  prescrites,  et  de  les  y  faire  rentrer.  Dans  ce 
cas,  comment  espère-t-on  que  le  corps  législatif  qui  aura  usurpé  des  pou- 
voirs qu'il  ne  devait  pas  exercer,  appelle  lui-même  une  convention 
nationale  pour  réprimer  l'abus  dont  il  profite  ?  Ne  faut-il  pas  alors  à  la 
nation  un  moyen  d'avoir  des  conventions  nationales  indépendant  du 
corrps  législatif  lui-même  ?  En  ordonner  autrement  ne  serait-ce  pas 
anéantir  le  principe  de  la  souveraineté  nationale  pour  en  revêtir  le  corps 
législatif  ?  La  souveraineté  de  la  nation  consiste  en  effet  à  pouvoir  répri- 

(3)  Texte  reproduit  dans  les  Ârah.  pari.,  XX^,   112. 


LES   DISCOURS    PE   ROBESPIERRE  693 

mer  quand  elle  le  veut,  les  usurpations  des  pouvoirs  constitués,  Ainsi, 
le  système  proposé  est  destructif  de  la  liberté.  Trouvera-t-on  trois  corps 
consécutifs  qui  appellent  contre  eux  cette  autorité  puissante  qui  serait 
l'écueil  de  toutes  leurs  prétentions?  Ce  plan  n'aurait  d'autre  effet  que 
de  délivrer  les  tyrans,  ceux  qui  usurpent  l'autorité  du  peuple,  de  la 
crainte  des  conventions  nationales  »  (4). 
Le  Point  du  Jour,  t.  XXVI,  n°  785,  p.  75. 

«  M.  Robespierre  dit  que  M.  d'André,  par  son  système,  appelle- 
roit  l'insurrection,  moyen  qui  renverseroit  la  constitution  même.  (M.  d'An- 
dré dit  que  ce  sont  des  moyens  qu'il  n'a  jamais  indiqué).  M.  Robers- 
pierre  dit  qu'il  est  évident  que  s'il  n'a  pas  de  moyens  constitutionnels 
et  réguliers  pour  réviser  la  constitution,  il  est  sensible  qu'il  appelle  l'in- 
surrection. M.  d'André  veut  que  les  assemblées  nationales  soient  les 
moyens  propres  à  appeller  le  corps  constituant,  tandis  que  ces  corps 
constituans  sont  institués  et  appelles  pour  corriger  et  juger  les  usurpa- 
tions des  corps  constituans.  Je  soutiens  que  c'est  détruire  la  souveraineté 
nationale.  La  législature  sera  l'écueil  où  échoueront  les  griefs  et  les 
plaintes  des  citoyens.  Je  demande  que  la  question  préalable  sur  les 
amendemens,  proposés  par  M.  d'André,  soit  adoptée.  » 
Mercure  universel,  t.  VII,  p.   13. 

«  M.  Robespierre.  Selon  M.  d'André,  il  n'y  a  aucune  espèce  de 
moyen,  si  ce  n'est  celui  de  l'insurrection,  pour  que  la  nation  puisse 
changer  en  entier  sa  constitution;  or,  c'est  vouloir  que  jamais  le  peuple 
ne  puisse  jouir  de  ses  droits.  Pourquoi  ne  pas  établir  un  moyen  légal, 
pour  qu'il  puisse  dans  tous  les  teins  recouvrer  ses  droits  ?  Quant 
au  moyen  de  retoucher  la  constitution,  il  ne  sera  donc  pas  possible  au 
peuple  de  corriger  sa  constitution,  sans  le  consentement  du  roi,  sans 
celui  des  pouvoirs  constitués  ?  N'est-ce  pas  là  s'arroger  le  pouvoir 
souverain,  renverser  tous  les  principes  de  justice  ?  N'est-ce  pas  vouloir 
qu'il  n'y  ait  jamais  de  conventions  ?  En  effet,  ces  autorités,  qui  par- 
tagent et  abusent  du  pouvoir,  qui  perpétuent  et  jouissent  du  bénéfice  des 
abus,  demanderont-elles  des  conventions  ?  Je  réclame  la  question  préa- 
lable sur  la  motion  de  M.  d'André.   (Applaudi). 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  La  Gazette  universelle, 
n°  244,  p.  976;  Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perler), 
t.  XIII,  n°  757,  p.  4;  Le  Postillon  (Calais),  n°  570,  p.  5;  Le  Mercure 
de  France,  10  septembre  1791,  p.  151;  L'Ami  du  Peuple  (Marat), 
n°  545,  p.  5;  Le  Journal  des  Débats,  n°  832,  p.  16;  Le  Patriote 
françois,  n°  753,  p.  263;  Le  Journal  de  Rouen,  n°  244,  p.  1181; 
Le  Journal  des  décrets  de  l'Assemblée  Nationale,  31  août  1791,  p.  384; 
Le  Journal  de  Paris,  1er  septembre;  Les  Annales  patriotiques  et  litté- 
raires, 1er  septembre  1791,  p.  1894;  Le  Journal  universel,  t.  XIII, 
p.  14183;  Le  Journal  Général  de  France,   1er  septembre  1791,  p.980.] 

(4)  Texte   reproduit  daaB   le  Moniteur,   IX,  555. 


694  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

353.  —  SEANCE  DU  1"  SEPTEMBRE  1791 
Sur  la  présentation  de  la  Constitution  au  roi 


L'Assemblée  ayant  achevé  la  discussion  de  l'acte  constitutionnel. 
Beaumez  (1)  propose,  au  nom  du  comité  de  constitution,  le  décret 
suivant:  «  Art.  1:  Il  sera  nommé  une  députation  pour  présenter 
l'acte   constitutionnel   au   roi. 

«  2.  Le  roi  sera  prié  de  donner  tous  les  ordres  qu'il  jugera 
convenable  pour  sa  garde  et  pour  la  dignité  de  sa  personne. 

«  3.  Si  le  roi  se  rend  au  vceu  des  Français  en  adoptant  l'acte 
constitutionnel,  il  sera  prié  d'indiquer  le  jour  et  de  régler  les  formes 
■dans  lesquelles  il  prononcera  formellement,  en  présence  de  l'Assem- 
blée nationale,  l'acceptation  de  La  royauté  constitutionnelle  et  l'en- 
gagement d'en    remplir   les  fonctions   »   (2). 

Robespierre  lut  un  discours  qui  provoqua  de  vives  réactions  dans 
l'Assemblée  (3)  et  dont  l'impression  fut  ordonnée  le  soir  même  par 
la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  (4).  Malgré  tout,  les  articles 
présentés  par  Beaumez  furent  successivement  mis  aux  voix  et 
décrétés  (5). 

DISCOURS  DE  MAXIMILIEN  ROBESPIERRE 

A  L'ASSEMBLEE  NATIONALE 

Sur  la  présentation  de  la  Constitution  au  roi 

Imprimé  par  ordre  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  (6) 

MESSIEURS, 

«  L'Acte  constitutionnnel  est  terminé,  nous  sommes  donc  enfin 
arrivés  à  la  fin  de  notre  longue  et  pénible  carrière.  Il  ne  nous  reste  plus 
qu'un  devoir  à  remplir  envers  notre  pays,  c'est  de  lui  garantir  la  stabilité 

0)  Dans  un  exposé  des  motifs,  il  a  rappelé  les  services  rendus 
par  le  Roi  à  la  nation,  depuis  la  convocation  des  Etats  Généraux. 

(2)  Montlosier  s'élève  contre  un  projet  oui  lui  paraît  attenter  à 
h  dignité  royale  II  demande  acte  à  l'Assemblée  du  silence 
qu'observe  son  parti  au  cours  de  la  discussion  (Mémoires,   II,   201). 

(3)  Cf.  E.  Hamel,  I,  546-549.  G.  Walter  i(o.  116-119)  analyse  le 
discours  de  Robespierre,  ainsi  que  Michelet,  Histoire  de  la  Révolu- 
tion française,   III,    192. 

(4)  D'après  le  Mercure  universel,  t.  VII,  p.  72,  et  le  Journal 
des  Débets  de  la  Sté,  n°  53.  p.  2,  un  membre  a  demandé  que  la 
société  fît  imprimer  le  discours  prononcé,  le  matin,  à  l'Assemblée 
nationale  par  M.  RoHpsnierre,  et  dans  lequel  ce  député  avoit  si 
vigoureusement  défendu  la  cause  de  la  liberté.  Cette  motion  a  été 
adoptée.    »   (Texte   reproduit  dans  Aulard,    III,    110). 

(5)  La  constitution  fut  présentée  au  roi  par  une  députation  de 
60  membres,  le  3  septembre  1*791,  et  acceptée  par  lui  le  13  septembre. 

(6)  Brochure  in-8°  s.d.  de  8  p.  Imprimerie  du  Patriote  François. 
CB.N".  8°  Lb10  628:  Areh.nat,  AD  xvm  A  60;  Bibl.Sorbonne  H  Fr  140; 
B.  V.  de  P..  «°  95^5).  Ce  texte  est  reproduit  dans  le  Point 
du  Jour.  t.  XXVL  n°  787,  p.  105;  la  Gazette  nationale  ou  le  Moniteur 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  6Q5 

de  la  constitution  que  nous  lui  présentons;  il  faut  que  le  terme  de  no» 
travaux  soit  aussi  celui  de  ses  alarmes  et  de  ses  agitations. 

«  Pour  que  la  constitution  existe,  il  ne  faut  qu'une  seule  condition; 
c'est  que  la  nation  le  veuille.  Nul  homme  n'a  le  droit  ni  d'arrêter  le 
cours  de  sa  destinée,  ni  de  contredire  sa  volonté  suprême. 

«  Le  sort  de  la  constitution  est  donc  indépendant  de  la  volonté 
de  Louis  XVI.  Ce  principe  a  déjà  été  reconnu  hautement  dans  cette 
assemblée.  Ce  n'est  point  assez,  il  faut  encore  y  croire  sincèrement  et 
l'observer  avec  fidélité. 

«  Je  ne  doute  pas  que  Louis  XVI  ne  l'accepte  avec  transport.  Le 
pouvoir  exécutif  tout  entier,  assuré  comme  un  patrimoine  à  lui  et  i  sa 
race;  le  droit  d'arrêter  les  opérations  de  plusieurs  assemblées  nationales 
consécutives;  la  faculté  de  les  diriger  par  la  proposition  des  !oix  qu'il 
peut  rejetter  lorsqu'elles  sont  faites  par  l'influence  de  ses  ministres  admis 
au  sein  du  corps  législatif  ;  un  empire  absolu  sur  tous  les  corps  adminis- 
tratifs devenus  ses  agens,  le  pouvoir  de  régler  les  intérêts  et  les  rapports 
de  la  nation  avec  les  nations  étrangères;  des  armées  innombrables  dont 
il  dispose;  le  trésor  public  grossi  de  tous  les  domaines  nationaux  remis 
en  ses  mains  (7);  40  millions  destinés  à  son  entretien  et  à  ses  plaisirs 
personnels;  tout  m'annonce  qu'il  n'existe  point  dans  l'état  de  pouvoir 
qui  ne  s'éclipse  devant  le  sien;  tout  me  prouve  que  nous  n'avons  rien 
négligé  pour  rendre  la  constitution  agréable  à  ses  yeux.  Cependant, 
comme  il  est  quelquefois  dans  le  caractère  des  monarques  d'être  moins 
sensibles  aux  avantages  qu'ils  ont  acquis  qu'à  ceux  qu'ils  croient  perdus, 
comme  le  passé  peut  nous  inspirer  quelque  défiance  pour  l'avenir,  ce 
n'est  peut  être  pas  sans  raison  que  nous  nous  occupons  de  la  manière 
de  lui  présenter  la  constitution.  C'est  là  sans  doute  le  motif  qui  a  déter- 
miné le  comité  à  vous  présenter  comme  le  sujet  d'un  problème,  une 
chose  si  simple  au  premier  coup  d'ceil.  Pour  moi  je  le  résous  facilement, 
par  les  premières  notions  de  la  prudence  et  du  bon  sens.  Tout  délai  dans 
ce  genre,  ne  seroit  bon  qu'à  prolonger  de  funestes  agitations,  à  nourrir 
de  coupables  espérances,  et  à  seconder  de  sinistres  projets.  Je  crois 
donc  que  c'est  à  Paris  qu'il  faut  présenter  la  constitution  à  Louis  XVI, 
et  qu'il  doit  s'expliquer  sur  cet  objet  dans  le  plus  court  espace  de  tems 
possible.  Je  ne  vois  aucune  raison  même  spécieuse,  qui  puisse  justifier 
la  proposition  de  le  faire  partir  pour  la  lui  présenter  ailleurs.  Je  ne 
comprends  pas  même  le  mot  de  liberté  ou  de  contrainte  appliqué  à  cette 
circonstance.   Je  ne  conçois  pas  comment  l'acceptation  de  Louis  XVI 

universel,  n°  246,  p.  1024.  C'est  à  ce  dernier  journal  que  nous  em- 
pruntons les  interruptions  indiauées  dans  les  notes  ci-après.  Le 
Journal  de  Paris  (2  septembre  1794,  p.  1001)  publie  le  passage  sui- 
vant: «  Pour  que  la  constitution  existe...  le  plus  court  espace  de 
tems  possible   ». 

(7)  «  (Il  .s'élève  de  violens  murmures).  Ce  ne  sont  pas  Ja  des 
calomnies,  c'est  la  constitution  ».  On  trouvera  une  réimpression  de 
ce  texte  dans  le  Moniteur,  I  ,  564;  Bûchez  et  Eoux,  XI,  389-392. 


696  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

pourroit  être  supposée  avoir  été  forcée,  car  la  présentation  de  la  consti- 
tution pourroit  être  traduite  en  ces  mots  :  la  nation  vous  offre  le  trône 
le  plus  puissant  de  l'univers.  Voici  le  titre  qui  vous  y  appelle;  voulez- 
vous  l'accepter  ?  Et  la  réponse  ne  peut  être  que  celle-ci  :  je  le  veux, 
ou  je  ne  le  veux  pas. 

Or,  qui  pourroit  s'imaginer  que  Louis  XVI  ne  seroit  pas  libre  de 
dire  :  je  ne  veux  pas  être  roi  des  François  ?  Quelle  raison  de  supposer 
que  le  peuple  feroit  violence  à  un  homme  pour  le  forcer  à  être  roi,  ou 
pour  le  punir  de  ne  vouloir  plus  l'être  ?  Eh  !  dans  quel  lieu  de  l'empire 
peut-il  être  plus  en  sûreté  qu'au  milieu  d'une  garde  nombreuse  et  fidèle 
de  citoyens  qui  l'environnent  ?  Le  seroit-il  plus  dans  une  autre  partie 
de  la  France,  sur  nos  frontières,  ou  dans  un  royaume  étranger  :  ou  pl'itôt 
si  ailleurs  il  se  trouvoit  entouré  d'hommes  ennemis  de  la  révolution, 
n'est-ce  pas  alors  que  l'on  pourroit  feindre  avec  plus  de  vraisemblence, 
que  sa  résolution  n'auroit  pas  été  libre  ?  Mais  que  signifient  tous  ces 
bizarres  scrupules  sur  la  liberté  de  l'acceptation  d'une  couronne  ?  C'est 
le  salut,  c'est  la  sûreté  de  la  nation  qui  doit  seule  être  consultée.  Or 
vous  permet-elle  de  désirer  que  Louis  XVI  s'éloigne  dans  ce  moment, 
avez-vous  des  garans  plus  certains  de  ses  dispositions  personnelles,  de 
celles  des  hommes  qui  l'entourent,  qu'avant  le  21  juin  dernier  ?  Ces 
rassemblemens  suspects  dont  vous  êtes  les  témoins;  ce  plan  de  laisser 
vos  frontières  dégarnies,  de  désarmer  les  citoyens,  de  semer  par-tout 
le  trouble  et  la  division;  les  menaces  de  vos  ennemis  extérieurs,  leur 
coalition  avec  les  faux  amis  de  la  constitution  qui  lèvent  ouvertement  le 
masque,  tout  cela  vous  invite-t-il  à  rester  dans  la  profonde  sécurité  où 
vous  avez  paru  plongés  jusqu'à  ce  moment  ?  Voulez-vous  vous  exposer 
au  reproche  d'avoir  été  les  auteurs  de  la  ruine  de  votre  pays  ?  Le  danger 
fut-il  moins  réel  qu'il  ne  le  paraît,  au  moins  la  nation  le  craint  :  les  avis, 
les  adresses  qui  vous  sont  envoyées  de  toutes  les  parties  de  l'état  vous 
le  prouvent.  Or,  ce  n'est  point  assez  de  ne  pas  compromettre  évidemment 
le  salut  de  la  nation,  il  faut  respecter  jusqu'à  ses  alarmes,  il  faut  nous 
rassurer  nous-mêmes  contre  un  danger  qui  n'est  point  douteux;  il  faut 
nous  prémunir  contre  tous  les  pièges  qui  peuvent  nous  être  tendus,  con- 
tre toutes  les  intrigues  qui  peuvent  nous  obséder,  dans  ce  moment 
critique  de  la  révolution.  Il  faut  les  déconcerter  toutes,  en  élevant  en 
ce  moment  entre  elles  et  nous  une  barrière  insurmontable,  en  ôtant  aux 
ennemis  de  la  liberté  toute  espérance  d'entamer  encore  une  fois  notre 
constitution.  On  doit  être  content  sans  doute  de  tous  les  changemens 
essentiels  que  l'on  a  obtenus  de  nous;  que  l'on  nous  assure  du  moins 
la  possession  des  débris  qui  restent  de  nos  premiers  décrets;  si  on  peut 
attaquer  notre  constitution  après  qu'elle  a  été  arrêtée  deux  fois,  que 
nous  reste-t-il  à  faire,  que  de  reprendre  ou  nos  fers  ou  nos  armes  ?  (8). 


(8)  (On  applaudit  dans  l'extrémité  de  la  partie  gauche.  Le  reste 
de  la  salle  murmure).  Je  vous  prie,  M.   le  Président,  d'ordonner  à 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  697 

Je  ne  présume  pas  qu'il  existe  dans  cette  assemblée  un  homme  assez 
lâche  pour  transiger  avec  la  cour,  sur  aucun  article  de  notre  code  consti- 
tutionnel, assez  perfide  pour  faire  proposer  par  elle  des  changemens 
nouveaux,  que  la  pudeur  ne  lui  permettrait  pas  de  proposer  lui-même; 
assez  ennemi  de  la  patrie  pour  chercher  à  décréditer  la  constitution, 
parce  qu'elle  mettrait  quelque  borne  à  son  ambition  ou  }.  sa  cupidité; 
assez  impudent  pour  oser  avouer  aux  yeux  de  la  nation,  qu'il  n'a  cher- 
ché dans  la  révolution  qu'un  moyen  de  s'agrandir  et  de  s'élever;  car 
je  ne  veux  regarder  certain  écrit  et  certain  discours  qui  pourrait  présenter 
ce  sens,  que  comme  l'explosion  passagère  du  dépit  déjà  expié  par  le 
repentir  (9). 

«  Mais  nous,  du  moins,  nous  ne  serons  ni  assez  stupides,  ni  assez 
indifférens  à  la  chose  publique,  pour  consentir  à  être  les  jouets  éternels 
de  l'intrigue,  pour  renverser  successivement  les  différentes  parties  de 
notre  ouvrage,  au  gré  de  quelques  ambitieux,  jusqu'à  ce  qu'ils  nous 
aient  dit  :  le  voilà  tel  qu'il  nous  convient..  Nous  avons  été  envovés  pour 
défendre  les  droits  de  la  nation;  non  pour  élever  à  la  fortune  quelques 
individus,  pour  renverser  les  dernières  digues  qui  restent  encore  à  la 
corruption,  pour  favoriser  la  coalition  des  intrigans  avec  la  cour,  et  leur 
assurer  nous-mêmes  le  prix  de  leur  complaisance  et  de  leur  trahison. 

«  Je  demande  que  chacun  de  nous  jure  qu'il  ne  consentira  jamais 
à  composer  avec  le  pouvoir  exécutif  sur  aucun  article  de  la  constitution  ; 
et  que  quiconque  osera  faire  une  semblable  proposition,  soit  déclaré 
traître  à  la  patrie  »  (10). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logcgraph.,  t.  XXIII.  p.   ;75- 

«  M.  Robespierre.  Messieurs,  l'acte  constitutionnel  est  terminé  : 
nous  sommes  arrivés  par  conséquent  à  la  fin  de  notre  longue  et  pénible 
carrière;  mais  il  vous  reste  encore  un  devoir  à  remplir  envers  votre  pays, 
c'est  de  lui  garantir  la  stabilité  de  la  constitution  que  nous  lui  présen- 
tons. Il  faut  que  le  terme  de  nos  travaux  soit  aussi  le  terme  de  nos 
allarmes,  de  nos  agitations.  Pour  que  la  constitution  existe,  il  ne  faut 
qu'une  seule  condition,  c'est  que  la  nation  le  veuille,  nulle  puissance 
n'a  le  droit  d'arrêter  ni  de  contre-dire  sa  volonté  suprême  :  ce  principe 


M.  Duport  de  ne  pas  nvinsulter,  s'il  veut  rester  auprès  de  moi. 
(L'extrémité  de   la   partie   gauche    eb   les  tribunes    applaudisesnt). 

M.  Lavie.  Je  jure  que  M.  Duport  -n'a  pas  dit  un  seul  mot  à 
M.   Robespierre. 

Plusieurs  membres  placés  auprès  do  M.  Duport  assurent  qu'ils 
n'ont  rien  entendu. 

(9)  Il  vise  une  îoh  de  plus  les  triumvirs. 

(10)  «  (On  applaudit  à  plusieurs  reprises  dans  diverses  parties 
de  la  salle)  ».  Montlosier  dans  ses  mémoires  signale  «  la  conduite 
inconvenante  »  de  Dur/ort  qui  s'est  rallié  à  la  proposition  de  ser- 
ment par  Robespierre.  L'attitude  de  Duport  est  mentionnée  dans 
le   Patriote  françois,    n°    754,    p     205. 


698  LES   PISCOURS    DE    ROBESPJERRf, 

a  déjà  été  reconnu  hautement  dans  cette  assemblée.  Il  faut  encore  le 
vouloir  sincèrement  et  l'observer  sur-tout  avec  fidélité. 

«  Je  ne  doute  pas,  s'il  faut  que  je  dise  personnellement  mon  opinion 
sur  cet  objet,  que  Louis  XVI  n'accepte  avec  transport  la  constitution. 
Le  pouvoir  exécutif  tout  entier  assuré  comme  un  patrimoine  à  lui  et  à  sa 
race;  le  droit  d'arrêter  les  opérations  de  plusieurs  assemblées  nationales 
consécutives;  la  faculté  de  les  diriger  par  la  proposition  des  loix  qu'il 
peut  suspendre  encore  lorsqu'elles  sont  faites  par  l'influence  de  ses 
ministres  admis  au  sein  du  corps  législatif;  le  pouvoir  de  régler  les 
intérêts  et  les  rapports  de  la  nation  avec  les  nations  étrangères  ;  un  empire 
immense  sur  tous  les  corps  administratifs;  des  armées  innombrables  dont 
il  dispose;  le  trésor  public  grossi  de  tous  les  domaines  nationaux  réunis 
en  ses  mains  (murmures);  tous  les  immenses  avantages  dont  l'énonciation 
ne  peut  être  regardée  comme  une  calomnie  par  un  homme  de  bon  sens, 
puisque  c'est  la  constitution  même;  tous  ces  avantages  me  paroissent 
autant  de  garans  de  l'empressement  avec  lequel  il  acceptera  la  consti- 
tution qui  les  lui  assure. 

«  Cependant,  messieurs,  comme  ce  n'est  point  l'enthousiasme, 
mais  la  prudence  et  la  sagesse,  qui  doivent  diriger  les  fondateurs  de  la 
constitution  françoise  dans  le  moment  le  plus  critique  de  la  révolution; 
comme  il  est  possible  que  la  volonté  qu'auroit  eu  Louis  XVI  aban- 
donné à  lui-même,  puisse  être  ébranlée  par  des  insinuations  étrangères; 
enfin,  comme  le  passé  peut  nous  inspirer  quelques  moyens  de  prévoyance 
pour  l'avenir,  ce  n'est  peut-être  pas  sans  raison  que  nous  nous  occupons 
sérieusement  de  la  manière  dont  nous  lui  présenterons  la  constitution 
C'est  là,  sans  doute,  le  motif  qui  a  déterminé  le  comité  à  nous  présenter, 
comme  le  sujet  d'un  problème,  une  chose  si  simple  au  premier  coup- 
d'œil.  Pour  moi,  je  le  résouds  facilement  par  les  premières  notions  de 
la  prudence  et  du  bon  sens. 

«  D'abord  ce  décret,  tel  qu'il  est,  ne  seroit  bon  qu'à  prolonger 
de  fausses  agitations,  à  nourrir  de  coupables  espérances,  à  seconder  de 
fatales  intrigues.  Je  crois  donc  qu'il  faut  fixer  le  moment  où  Louis  XVI 
pourra  faire  la  déclaration  que  nous  lui  demandons.  Je  ne  vois  aucune 
raison  qui  puisse  justifier  la  proposition  de  changer  l'état  actuel  des 
choses  à  son  égard;  je  déclare  même  que  je  ne  comprends  pas  les  mots 
de  liberté  et  de  contrainte,  appliqués  à  une  telle  circonstance.  Je  ne 
conçois  même  pas  comment,  dans  aucun  cas,  la  volonté  de  Louis  XVI 
pourroit  être  supposée  avoir  été  forcée;  car  la  présentation  de  la 
constitution  pourroit  être  traduite  en  ces  mots  :  La  nation  vous  offre  le 
trône  le  plus  puissant  de  l'univers:  voici  le  titre  qui  vous  y  appelle: 
voulez-vous  l'accepter?  Et  la  réponse  ne  peut  être  que  celle-ci:  Je  le 
veux,  ou  je  ne  le  veux  pas.  Qui  pourroit  imaginer  que  Louis  XV!  ne 
seroit  pas  libre  de  dire  :  Je  veux  être  roi,  ou  bien  :  Je  ne  veux  pas  être 
roi  des  François?  (On  rit  au  centre:  applaudissemens  des  tribunes).  Ce 
n'est  pas  la  constitution  que  nous  présentons  à  examiner  à  Louis  XVI, 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  699 

mais  cette  question  :  Voulez- vous  être  roi  des  François  ?  Or,  je  soutiens 
que,  pour  faire  sa  répons*,  le  roi  sera  toujours  libre,  dans  quelque  lieu 
qu'il  se   trouve.  . 

«  Je  ne  veux  adopter  aucune  des  calomnies  et  des  absurdités  répé- 
tées sur  ce  point  depuis  l'origine  de  la  révolution.  Eh  !  dans  quels  lieux 
de  l'empire  peut-il  être  mieux  qu'au  milieu  d'une  garde  nombreuse  et 
fidèle  des  citoyens  qui  l'environnent?  Le  seroit-il  plus  dans  une  autre 
partie  de  la  France,  sur  nos  frontières  ou  dans  un  royaume  étranger  ?  ou 
plutôt  si  ailleurs  il  se  trouvoit  entouré  d'hommes  ennemis  de  la  consti- 
tution, n'est-ce  pas  alors  que  l'on  pourroit  feindre,  avec  beaucoup  plus 
de  vraisemblable,  que  sa  résolution  n'auroit  pas  été  libre  ?  Mais  que 
signifient  tous  ces  bizarres  scrupules  sur  la  liberté  de  l'acceptation  d'une 
couronne  ?  Quel  peuple  s'est  avisé,  quand  il  avoit  une  couronne  à  donner, 
de  dire  au  citoyen,  sur  la  tête  duquel  il  vouloit  la  poser  :  séparez- vous 
de  nous;  nous  vous  donnons  la  liberté  d'aller  sur  les  extrémités  de 
l'empire,  où  vous  voudrez,  afin  que  nous  puissions  correspondre  plus 
librement  avec  vous. 

«  Quand  les  Francs  nos  ayeux  donnoient  la  couronne,  ils  ne  rele- 
guoient  pas  à  l'extrémité  des  frontières  celui  auquel  ils  faisoient  ce  don 
(murmures).  Cependant  aux  yeux  de  tout  homme  de  bonne-foi,  le  projet 
de  décret  du  comité  présente  ce  sens  et  ce  but.  C'est  le  salut,  c'est  la 
sûreté  même  de  la  nation  qui  doit  être  ici  le  seul  consulté.  Or,  je  vous 
le  demande  :  vous  permet-elle  de  désirer  que  les  mêmes  insinuations 
dont  elle  a  déjà  été  la  victime,  puissent  engager  une  seconde  fois 
Louis  XVI  à  s'éloigner  dans  ce  moment  ?  Avez-vous  des  garans  plus 
certains  des  dispositions  des  hommes  qui  l'entourent,  qu'avant  le  21  juin 
dernier  ?  Ne  peut-on  pas,  sans  être  accusé  de  folie,  appeller  ici  l'expé- 
rience du  passé,  en  témoignage  de  ce  que  vous  devez  faire  pour 
l'avenir  ? 

«  Ce  rassemblement  suspect  pour  tous  ceux  qui  en  sont  les  témoins; 
ce  plan  qui  vous  est  dénoncé  par  tout  l'empire,  de  laisser  vos  frontières 
sans  défense,  de  désarmer  les  citoyens,  de  semer  par-tout  le  trouble  et  la 
division  ;  les  menaces  insolentes  de  vos  ennemis  extérieurs  qui  sont  encou- 
ragés par  les  ennemis  du  dedans;  les  manœuvres  de  ceux-ci;  leur  coali- 
tion avec  les  faux  amis  de  la  constitution  qui  lèvent  ouvertement  le  mas- 
que; tout  cela  vous  invite-t-il  à  vous  tenir  dans  la  profonde  sécurité  où 
vous  avez  paru  plongés  jusqu'à  ce  moment  ?  Et  que  mes  paroles  excitent 
des  murmures  ou  non,  en  sont-elles  moins  de  terribles  vérités  (applaudi 
au  fond  de  la  gauche)  ?  Voulez-vous  vous  exposer  au  reproche  d'avoir 
contribué,  par  trop  de  confiance,  au  malheur  de  votre  pays  ?  Le  danger 
fût-il  moins  réel,  au  moins  la  nation  le  craint  :  les  avis,  les  adresses 
qui  vous  sont  envoyés  de  toutes  parts  vous  le  prouvent.  Or,  ce  n'est  pas 
assez  pour  vous  de  ne  pas  compromettre  évidemment  le  salut  de  la  nation  ; 
vous  devez  respecter  jusqu'à  ses  alarmes;  il  faut  nous  prémunir  contre 
tous  les  pièges  qui  peuvent  être  tendus,   contre  toutes  les  intrigues  qui 


700  LES   pJSCQURS    PE    ROBESPIERRE 

peuvent  nous  obséder  dans  ce  moment  décisif  :  il  faut  les  dénoncer 
toutes;  il  faut  élever,  dès  ce  moment,  entre  elles  et  nous,  une  barrière 
insurmontable,  en  ôtant  aux  ennemis  de  la  liberté  toute  espérance  d'enta- 
mer encore  une  fois  notre  constitution. 

«  On  doit  être  content  sans  doute  de  tous  les  changemens  que 
l'on  a  obtenus;  que  l'on  nous  assure  du  moins  la  possession  de  ce  qui 
nous  reste-  Si  on  veut  attaquer  encore  notre  constitution,  après  qu'elle 
a  été  arrêtée  deux  fois,  que  nous  reste-t-il  à  faire,  que  de  reprendre 
nos  fers  ou  nos  armes  (applaudi  à  gauche)  ? 

«  Une  voix  au  centre.  Ah  !  c'est  un  peu  fort  ! 

«  M.  Robespierre.  Je  prie  l'assemblée  de  faire  quelqu'attention 
à  ce  que  j'ai  l'honneur  de  lui  dire  dans  ce  moment.  Les  murmures 
que  j'entends  autour  de  moi...  (allons  donc).  Monsieur  îe  président,  je 
vous  prie  d'ordonner  à  M.  Duport  de  ne  point  m'insulfer,  si  il  veut 
s'obstiner  à  rester...  (au  fond  à  gauche:  bravo;  applaudi  des  tribunes). 

[Interruptions  de  MM.  Lavie,  Duport,  Goupil  et  l'abbé  Ju- 
lien (11).] 

«  M.  Robespierre.  Je  ne  présume  pas  qu'il  existe  dans  cette  assem- 
blée un  homme  assez  lâche  pour  transiger  avec  la  cour  sur  aucun  article 
de  votre  constitution  (allons  donc);  assez  audacieux  pour  proposer  des 
changemens  que  la  prudence  ne  permettroit  pas  au  roi  de  proposer  lui- 
même;  assez  ennemi  de  la  patrie  pour  entraver  l'exécution  de  la  consti- 
tution, parce  qu'elle  mettroit  quelque  borne  à  son  ambition  ou  à  sa 
cupidité;  assez  impudent  pour  oser  manifester,  aux  yeux  de  la  nation, 
qu'il  n'a  cherché  dans  la  révolution  qu'un  moyen  de  s'aggrandii  et  de 
s'élever;  car  je  ne  veux  regarder  certains  écrits  et  certains  discours  qui 
pourraient  présenter  ce  sens  que  comme  l'explosion  passagère  du  dépit 
déjà  expié  par  le  repentir  :  mais  nous,  du  moins,  nous  ne  serons  ni 
assez  indifférens  à  la  chose  publique,  ni  assez  stupides  pour  consentir 
à  être  les  jouets  éternels  de  l'intrigue,  pour  renverser  successivement 
les  différentes  parties  de  notre  ouvrage,  au  gré  de  quelques  individus, 
jusqu'à  ce  qu'ils  nous  aient  dit  :  le  voilà  tel  que  nous  le  voulons.  Nous 
avons  été  envoyés  pour  faire  la  constitution  et  non  pour  la  fortune  de 
quelques  ambitieux,  pour  favoriser  la  coalition  des  intrigans  avec  la  cour 
et  leur  assurer  nous-mêmes  le  prix  de  leurs  complaisances  et  de  leurs 
trahisons  (Applaudissemens.  Murmures). 

((  Messieurs,  on  vous  a  rappelle  la  plus  glorieuse  des  actions  qui 
ont  signalé  votre  carrière  ;  c'est  une  invitation  à  donner  encore  la  même 
preuve  de  courage  et  de  magnanimité.  Ce  que  vous  avez  fait  pour  éta- 
blir la  constitution,  vous  devez  le  faire  pour  la  maintenir.  Le  seul 
moven  d'en  imposer  à  tous  les  ennemis  de  la  constitution,  quels  qu'ils 
soient,  c'est  de  leur  prouver  d'avance  qu'il  est  absolument  impossible 
de  vous  entamer,  j'ose  le  dire  ainsi;  et  c'est  pour  cela  que  je  demande 


(11)  Abbé  Julien,  curé  d'Arrosey,  député  du  clergé  du  Béarn. 


LÉS    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  701 

pour  article  additionnel,  que  chacun  de  nous  jure  qu'il  ne  consentira 
jamais  à  composer,  sous  aucun  prétexte,  avec  le  pouvoir  exécutif  ou 
avec  aucune  puissance  étrangère  sur  aucun  article  de  la  constitution 
(applaudissemens  des  tribunes  et  du  fond  de  la  salle  à  gauche  :  ris  au 
centre).  Je  demande  que  quiconque  osera  proposer  une  pareille  motion 
ou  proposer  encore  à  l'assemblée  la  révocation  d'un  décret  constitu- 
tionnel, soit  déclaré  traître  à  la  patrie  (applaudi)  »  (12). 

Courier  de  Provence,  t.  XVI,  n°   336,  p.   450-6. 

«  Après  la  lecture  de  ces  articles  et  quelques  débats  occasionnés 
par  ceux  qui  vouloient  qu'on  décrétât  sur  le  champ  le  projet  du 
comité,  M.  Robespierre  obtint  la  parole,  et  prononça  un  discours  que 
nous  croyons  devoir  insérer  ici  dans  son  entier,  parce  qu'il  a  été  généra- 
lement jugé  un  des  plus  énergiques  et  des  plus  éloquens  que  cet  orateur 
ait  encore  fait  à  la  tribune.   » 

[Suit  le  texte  de  Le  Hodey.] 

Journal  général  du  Pas-de-Calais,    1791,   n°    20,   p.   208. 

«  M.  Robespierre  récapitule  verbieusement  les  avantages  que  la 
constitution  attache  à  la  royauté;  je  ne  balance  pas,  s'écrie-t-il,  ensuite 
à  croire  que  Louis  XVI  n'accepte  un  pouvoir  exécutif  immense  (d'au- 
tres disent  trop  petit  pour  le  maintien  même  de  la  constitution)  ;  un  Veto 
suspensif  (les  effets  jusqu'ici  disent  irritatif)  des  opérations  du  corps 
législatif;  des  armées  innnombrables  (tellement  innombrables  qu'il  n'y  a 
pas  moyen  peut-être  de  les  assembler  pour  en  savoir  le  nombre)  ;  un  tré- 
sor public  grossi  de  tous  les  domaines  nationaux  réunis  en  sa  main. 
Pour  le  coup,  des  murmures  s'élèvent. 

«  Un  membre  demande  de  quel  front  on  peut  parler  d'un  trtsor 
grossi,  tandis  que  tous  ne  parlent  que  d'un  déficit  horriblement  accru; 
des  domaines  nationaux,  tandis  qu'on  se  croit  bien  modéré  en  doutant 
si  leur  prix  n'est  pas  dès  aujourd'hui  mangé  d'avance. 

«  D'autres  murmures  violens  intérompent  long-temps  l'orateur; 
enfin,  l'honorable  membre  s'étonne  des  précautions  qu'on  prend  pour 
que  le  roi  ait  au  moins  l'air  d'accepter  librement;  on  s'étonne  bien 
davantage  de  l'entendre_dire  bien  positivement  :  «  Or,  je  soutiens  que 
pour  faire  sa  réponse,  le  roi  sera  toujours  libre  dans  quelque  lieu  qu'il 
se  trouve  ».  Quoi  !  il  seroit  libre,  même  dans  un  cachot  dont  il  ne  pour- 
roit  sortir  qu'en  acceptant  ou  en  se  dépouillant  de  toute  royauté  !  C'est 
en  cela  que  l'honorable  membre  réduit  la  liberté  constitutionnelle,  nou- 
veau murmure. 

«  La  preuve  cependant  que  l'honorable  ne  croit  pas  trop  à  cette 
liberté  du  roi,  c'est  que,  malgré  son  exorde,  il  craint  beaucoup  que  le 
roi  ne  soit  trop  libre  pour  accepter,  s'il  lui  est  permis  d'aller  examiner 

(12)  Texte  reproduit  dans  les  Arc^.  par].,  XXX,  138. 


702  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

la  constitution  ailleurs  que  dans  Paris;  c'est  qu'à  l'aspect  de  ce  danger, 
il  s'écrie  :  Il  ne  nous  reste  plus  que  de  reprendre  nos  fers  ou  nos  armes. 
Ces  paroles  ont  paru  à  quelques-uns,  appeller  assez  clairement  à  l'insur- 
rection, dans  le  cas  de  ce  que  l'on  appelleroit  vulgairement  la  liberté 
du  roi.  Aussi,  est-ce  alors  que  l'orateur  s'est  vu  interrompu  par  quelques 
voix  criant:  «  Oh!  pour  cela,  c'est  un  peut  fort  ».  Il  se  plaint  des 
insultes,  de  M.  Duport,  qui  ne  souffloit  pas  le  mot;  et  qui  a  simple- 
ment répondu  :  «  Messieurs,  c'est  un  mensonge.  La  salle  à  cette  solem- 
nelle   déclaration   retentit  d'applaudissemens    ». 

«  M.  Robespierre,  avec  une  patience  évangélique,  laisse  couler, 
reprend  et  demande,  comme  article  constitutionnel,  le  serment  à  faire 
par  tous  les  membres  de  n'adhérer  à  aucune  transaction  avec  les  puis- 
sances étrangères  sur  des  articles  constitutionnels.  Les  murmures  redou- 
blent.  » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),  2  septembre    1791,  p.   979. 

«  MM  .  Robespierre  et  Rœderer,  qui  ont  cru  lire  dans  ces  articles 
l'ordre  d'ouvrir  au  roi  les  portes  de  sa  prison,  se  sont  alarmés.  «  Le 
roi,  a  dit  le  premier,  n'a  pas  besoin  pour  déclarer  ses  intentions,  d'être 
tiré  de  la  situation  où  il  se  trouve  maintenant.  N'ayant  qu'à  dire  : 
j'accepte  ou  je  n'accepte  pas,  il  sera  toujours  libre  de  faire  telle  réponse 
qu'il  lui  plaira...  Je  m'étonne  de  l'espèce  d'importance  que  l'on  met  à 
cette  acceptation.  Le  roi  peut-il  balancer  à  accepter  les  immenses  avan- 
tages que  la  constitution  lui  offre?...  Si  le  roi  propose  quelque  réforme, 
la  constitution  est  perdue.  La  nation  n'a  plus  qu'à  reprendre  ses  fers 
ou  ses  armes.    » 

«  M.  Robespierre  ne  s'en  est  pas  tenu  à  ces  perfides  déclamations  : 
il  a  demandé  un  article  additionnel  qui  ordonnât  que  chacun  des  mem- 
bres de  l'assemblée  jureroit  de  ne  jamais  consentir,  sous  aucun  prétexte, 
à  composer  avec  le  pouvoir  exécutif,  ni  avec  les  puissances  étrangères, 
pour  aucun  article  de  l'acte  constitutionnel.  M.  Robespierre  demandoit 
de  plus  qu'on  déclarât  traître  à  la  patrie  quiconque  proposerait  quelque 
changement,  quelque  modification  à  un  seul  décret  de  l'acte  constitu- 
tionnel. Ces  ruses  de  guerre  sont  trop  usées;  elles  n'ont  pas  réussi  à 
M.    Robespierre.    » 

Journal  général  de  France,  n°   245,  p.  984. 

«  M.  Robertspierre  a  prétendu  que  pour  dire  oui  ou  non,  il  ne 
falloit  pas  à  Louis  XVI  la  grande  étendue  de  liberté  que  veulent  lai 
donner  les  Comités. 

«  Il  est  bien  étonnant  que  cet  Orateur  ne  veuille  point  de  bornes 
pour  la  liberté  du  Peuple,  et  qu'il  veuille  renfermer  celle  du  Roi  dans 
des  limites  si  resserrées  ! 

«  Raisonnant  ensuite  comme  un  homme  qui  a  tort,  l'Opinant  a  qua- 
lifié d'intrigans  et  d'autres  épithètes  semblables,  plusieurs  Membres  de 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  703 

l'Assemblée;  ce  qui  a  excité  les  plus  violens  murmures.  Il  a  conclu, 
après  cela,  à  ce  qu'il  fût  décrété  que  tous  les  Membres  de  l'Assemblée 
seroient  obligés  de  jurer,  sous  peine  d'être  déclarés  traîtres  à  la  Patrie, 
qu'ils  ne  souffriroient  jamais  qu'on  fît  aucun  changement  à  la  Consti- 
tution, par  quelque  puissance  humaine  qu'il  pût  être  proposé.   ;. 

Mercure  de  France,  10  septembre  1791,  p.   158. 

«  Le  sort  de  la  constitution  est  indépendant  de  Louis  XVI,  a  dit 
en  substance  M.  Roberspierre.  Nul  doute  qu'il  n'accepte  avec  transport 
le  trône  avec  tous  les  avantages  que  nous  y  avons  attachés,  le  pouvoir 
exécutif,  le  oefo  suspensif,  des  armées  innombrables  laissées  à  ses  ordres, 
un  empire  immense  sur  les  corps  administratifs,  le  trésor  public  grossi 
de  tous  les  biens  nationaux  à  sa  disposition,  40  millions  destinés  à  ses 
plaisirs  personnels.  Nous  allons  dire  au  Monarque  :  la  nation  vous  offre 
le  plus  beau  trône  de  l'univers.  Sa  réponse  ne  peut  être  que  :  je  le  veux 
ou  je  ne  le  veux  pas.  Or,  pour  répondre  à  cette  question  :  voulez-vous 
être  Roi  des  François  ?  Je  soutiens  que  le  Roi  sera  toujours  libre,  dans 
quelque  lieu  qu'il  se  trouve. 

«  L'opinant,  concluant  que  l'état  des  choses,  et  la  situation  où  est 
Louis  XVI,  n'avoient  aucun  besoin  d'être  changés  par  soi)  acceptation, 
a  fini  par  demander  que  quiconque  proposeroit  la  révocation  d'un  décret 
constitutionnel,  fût  déclaré  traître  à  la  patrie.  » 

L'Ami  du  Peuple  (Marat),  t.  IX,  n°  545,  p.  8. 

«  Ce  projet,  dont  on  prévoit  assez  les  suites  funestes,  a  passé 
malgré  les  réclamations  de  M.  Roberspierre,  qui  les  présentait  mieux 
que  personne  :  il  redoutait  que  le  roi  n'abusât  de  la  liberté  et  des 
privilèges  dont  on  voulait  l'investir. 

a  L'expérience,  disait  cet  orateur  incorruptible,  me  force  de  douter 
de  la  sincérité  de  ses  intentions  :  les  menaces  dont  on  nous  environne 
de  toutes  parts,  les  coalitions  des  intrigans  peuvent  amener  le  renverse- 
ment de  vos  loix. 

«  Et  alors,  Messieurs,  si  notre  constitution,  après  avoir  été  deux 
fois  arrêtée  nous  est  enlevée,  il  ne  nous  reste  plus  qu'à  reprendre  nos 
fers  et  nos  armes.  » 

«  M.  Robespierre  a  conclu  à  ce  que  l'assemblée  décrétât  que 
chaque  membre  de  l'assemblée  nationale  jurerait  que,  sous  aucun  pré- 
texte, il  ne  composerait  avec  le  pouvoir  exécutif,  les  puissances  étran- 
gères, et  que  celui  qui  proposerait  la  révocation  d'un  seul  décret  consti- 
tutionnel serait  déclaré  traître  à  la  patrie.   » 

Journal  de  la  Cour  et  de  la  Ville,  n"  4,  4  septembre   1791,  p.  29. 

«  M.  Robeitsp...  a  fait  l'impossible  peur  empêcher  l'assemblée  de 
rendre  la  liberté  au  Roi  :  il  a  dit  qu'il  ne  falloit  pas  tant  de  façons 
pour  accepter  ou  refuser  le  plus  beau  trône  de  l'univers.  Les  yeux  et  le 


704  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

geste  de l'orateur  annonçaient  son  regret  de  voir  s'échapper  ce  beau 
trône  qu'il  a  eu  longtems  l'espérance  d'occuper;  mais,  malgré  tous  les 
droits  qu'avoit  M.  Robertsp...  l'assemblée  y  aurait  plutôt  nommé 
un  certain  M.  Cussy  (13),  parce  que  dans  le  royaume  des  aveugles, 
les  borgnes  doivent  être  des  rois.   » 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  3  septembre   1791,  p.  3-4. 

«  C'est  bien  aussi  la  doctrine  de  <M.  Robespierre,  qui  développe 
parfaitement  les  vues  de  l'assemblée.  Il  fait  voir  que  le  sceptre  offert 
à  Louis  XVI  est  un  présent  qu'on  daigne  lui  faire.  Il  ne  voit  aucune 
raison  de  mettre  fin  à  sa  captivité  que  M.  de  Beaumetz  dit  être  une 
précaution  respectueuse  pour  la  sûreté,  et  non  un  attentat  sur  son 
indépendance.  M.  de  Robespierre,  de  meilleure  foi,  convient  qu'il  est 
dans  les  fers,  et  ne  voit  aucune  raison  de  changer  cet  état  de  choses. 
Il  ne  comprend  pas  même  les  mots  de  contrainte  et  de  liberté  appliqués 
à  cette  circonstance.  La  présentation  de  la  charte  peut  être  traduite  en 
ces  mots  :  La  nation  Vous  offre  le  trône  le  plus  puissant  de  l'univers. 
Voici  le  titre  qui  vous  y  appelle;  voulez-vous  l'accepter?  Voilà  bien 
ce  qui  prouve  qu'on  regarde  le  roi  comme  détrôné  ;  car  si  le  sceptre  étoit 
encore  à  lui,  diroit-on  qu'on  le  lui  offre.  S'il  lui  appartenoit  par  droit 
de  succession,  diroit-on  que  la  constitution  est  le  titre  qui  le  lui  donne  ? 
Ces  mots  n'ont  excité  ni  contradiction,  ni  murmure. 

«  M.  Robespierre  a  montré  l'Europe  conspirant  contre  notre  consti- 
tution, et  les  faux  amis  de  cette  constitution  coalisés  avec  ses  ennemis 
déclarés,  le  Roi  prêt  à  s'échapper  de  nouveau;  la  constitution  déjà 
ébrêchée  par  les  changemens  de  la  révision,  près  de  se  dissoudre  entière- 
ment. Si  on  veut  l'attaquer  encore  une  fois,  il  ne  nous  reste  que  de 
reprendre  nos  fers  ou  nos  armes.  Il  a  fini  par  demander  encore  des  ser- 
mens;  il  propose  de  jurer  qu'on  ne  composera  ni  avec  le  pouvoir  exécutif 
ni  avec  les  puissances  étrangères  sur  la  constitution.  On  s'attend  donc 
à  l'intervention  de  ces  puissances;  et  tandis  que  d'un  côté  on  veut  nous 
endormir  dans  une  fallacieuse  sécurité,  de  l'autre  on  présente  la  guerre 
contre  l'Europe  comme  une  donnée  d'après  laquelle  on  argumente. 
M.  Robespierre  a  été  applaudi  :  mais  les  sermens  proposés  n'ont  pas 
réussi.  Trop  d'exemples  ont  dû  enfin  convaincre  l'assemblée  qu'ils  sont 
inutiles  lorsqu'ils  sont  arrachés  par  la  nécessité.  » 

Le  Courrier  des  LXXXIU  départemens,  2  sept.    1791,   n°   2,  p.   31. 

«  M.  Freteau  ne  trouvoit  pas  d'inconvénient  à  accepter  le  projet. 
Ce  sera  plus  noble,  disoit-il...  »  Je  ne  doute  pas,  répond  M.  Robes- 
pierre, que  Louis  XVI   n'accepte  avec  joie.    La  constitution  lui   vaut 

(13)  Gabriel  de  Cuisy,  député  du  tiers  état  du  bailliage  de  Caen, 
ancien  directeur  de  la  Monnaie  à  Caen,  il  fit  partie  du  Comité  des 
monnaiss  et  on  compte  plusieurs  rapports  et  interventions  de  lui  sur 
les   questions  monétaires. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  705 

un  patrimoine  immense,  à  lui  et  à  sa  race,  un  trône  éclatant,  !e  droit 
d'arrêter  les  décrets  du  corps  législatif,  le  moyen  d'influencer  par  les 
faveurs  dont  on  remplit  ses  mains,  etc.. 

«  Toutes  vérités  ne  sont  pas  bonnes  à  dire.  Aussi,  beaucoup  de 
murmures  se  sont  élevés  contre  l'orateur;  il  a  fini  par  proposer  de 
décréter  que  tous  les  membres  de  l'assemblée  nationale  seront  tenus  de 
jurer  qu'ils  ne  consentiront  jamais,  sous  aucun  prétexte,  à  composer  avec 
le  pouvoir  exécutif.  Cette  motion  a  été  décrétée,  excepté  le  serment. 
Ainsi,  malgré  toutes  leurs  menées,  les  intrigans  ne  seront  pas  ministres. 
Il  a  été  décidé  qu'il  ne  seroit  rien  changé  à  l'acte  constitutionnel.  Cette 
décision  n'est  qu'un  peu  d'onguent  pour  la  brûlure;  car,  malgré  les  sages 
observations  de  M.  Robespierre,  le  projet  de  M.  Beaumetz  a  été 
accepté.   La  belle  matière  à  réflexions!   » 

[Long  résumé  de  ce  discours  dans  Le  Journal  des  Débats,  n°  833, 
p.  12;  Le  Législateur  français,  t.  III,  2  septembre  1791,  p.  6;  Le  Jour- 
nal du  soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.  III,  n°  483,  p  3  ;  La  Chronique 
de  Paris,  t.  V,  n°  244,  p.  990;  Le  Mercure  universel,  t.  VII,  p.  29; 
Le   Journal   universel,   t.    XIV,    p.    14206. 

Brève  mention  dans  Le  Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  na- 
tionale, 1er  septembre  1791,  p.  388;  Le  Journal  de  Rouen,  n°  245, 
p.  1186;  Les  Annales  patriotiques  et  littéraires,  2  septembre  1791, 
p.  1898;  Le  Patriote  François,  n°  754,  p.  265;  La  Gazette  nationale 
ou  Extrait  ..,  t.  XIX,  p.  322;  Le  Journal  général  de  l'Europe,  2  sep- 
tembre 1791,  p.  32;  Le  Journal  de  Louis  XVI  et  de  son  peuple,  t.  V, 
n°  119,  p-  176;  Le  Journal  de  la  Noblesse...,  t.  II,  n°  37  B,  p.  545; 
Le  Défenseur  du  peuple,  n°  57,  p.  148;  La  Gazette  de  Berne,  7  sep- 
tembre 1791,  p.  4;  La  Rocambole,  n°  22,  p.  242;  Le  Journal  de  la 
Révolution,  n°   386,  p.    11.] 

Société  des  Amis  de  la  Constitution 

354.  —  SEANCE  DU  1er  SEPTEMBRE  1791 

Sur  le  droit  de  grâce 


Le  4  juin,  rAsseniblée  nationale,  sur  proposition  du  comité  de 
législation  criminelle,  avait  adopté  l'article  suivant:  «  L'usage  de 
tous  actes  tendant  à  enmêcher  ou  à  suspendre  l'exercice  de  la  justice 
criminelle,  l'usage  des  "lettres  de  grâce,  de  rémission,  d'abolition, 
de  pardon,  de  commutation-  de  peine,  est  aboli  pour  tout  délit  qui 
aura  été  jugé  par  voie  de  jury  ».  'Le  1er  septembre,  Riffard  de  Saint- 
Martin,  député  du  tiers  état  de  la  .sénéchaussée  d'Annonay,  propose 
à  la  Société  des  Jacobins,  de  soutenir  la  motion  d'inclure  dans  l'acte 
constitutionnel  l'article  portant  abolition  des  lettres  de  grâce.  Cette 
proposition  est  appuyée  par  Biauzat  et  par  llœderer  qui  préside. 

Saint-Martin  devait  à  la  séance  de  l'Assemblée  nationale  du 
3   septembre,   revenir   sur  cette  question   (1). 

(1)  Cf.  ci-dessous;  et  E.  Hamel,  I,  549. 


706  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°  53. 

«  MM.  Robespierre  et  Prieur  ont  aussi  parlé  sur  cette  matière  et 
ont  mérité  les  applaudissements  de  la  société  »  (2). 


(2)  Texte   reproduit  dans  Aulard,   III,    110. 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

355.  —  SEANCE  DU  2  SEPTEMBRE  1791 

Sur  la  correspondance  de  la  Société 


Un  certain  nombre  de  membres  de  la  (Société  formulent  des 
craintes  au  sujet  de  l'état  de  l'armement  de  nos  -troupes.  Les  arse- 
naux seraient  dégarnis,  même  dans  les  départements  frontières  du 
Nord  et  de  l'Est.  Rœderer  signale  une  lettre  d'un  officie1-  municipal 
de  Thionville  qui  aurait  fait  l'occasion  à  la  tribune  de  l'Assemblée 
nationale  d'une  accusation  formulée  par  Le  Chapelier.  Il  est  donc 
souhaitable  que  les  députés  patriotes  soient  instruits  de  ces  corres- 
pondances. C'est  dans  ce  sens  qu'intervient  (Robespierre  et  sa  motion 
est  adoptée  (1). 

Mercure  universel,  t.  VII,  p.   73. 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°  53. 

«  M.  Robespierre  a  demandé  que  MM.  les  Secrétaires  réunissent 
toutes  les  lettres  que  la  société  a  reçues  dernièrement,  afin  que  les  dépu- 
tés pussent  s'instruire  exactement  des  faits  qu'elles  contiennent  »  (2). 


(1)  Carra,  rédacteur  des  Annales  patriotiques  et  littéraires,  et 
Salle,  se  font  les  éehos  des  bruits  répandus  sur  l'insuffisance  de  nos 
armements  et  la  mauvaise  volonté  du  ministre  de  la  guerre. 

(2)  Texte  reproduit  dans  Aulard,   III,   112. 


356.  —  SEANCE  DU  3  SEPTEMBRE  1791 
Sur  le  droit  de  grâce 


L'Assemblée  adopte  un  projet  de  décret  relatif  au  mode  de 
révision.  Riffard  de  Saint-Martin,  qui  avait  déjà  posé  ce  problème 
devant  les  Jacobins,  le  1er  septembre,  propose  alors  de  déclarer 
constitutionnel,  l'article  supprimant  le  droit  de  grâce  ci-devant 
exercé  par  le  roi.  Robespierre  et  Pétion  l'appuient,  tandis  que 
Tronche  et  Duport  les  combattent. 

L'Assemblée  passa  à  l'ordre  du  jour  isur  la  proposition  de 
Saint-Martin   (1). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique,  t.  XXXIII,  p.  144 
«  Robespierre.  La  loi  qui  remet  dans  les  mains  du  juré  la  fonction 


(1)  Cf.  E.  Hamel,  I,  549. 


LES   DISCOURS   DE  ROBESPIERRE  707 

de  tempérer  comme  on  l'a  dit,  la  justice  par  l'équité,  est  une  loi  inva- 
riable, constitutionnelle,  parce  qu'elie  est  fondée  dans  la  nature 
même  des  choses.  Ce  que  l'on  a  appelé  l'équité,  Messieurs,  est  une 
partie  de  la  justice  ?  Quoi  qu'on  eut  séparé  ces  deux  idées  par  deux 
expressions  différentes,  elles  tiennent  nécessairement  aux  mêmes  prin- 
cipes, et  il  est  vrai  de  dire  que  la  loi  n'est  pas  bien  administrée  dans 
une  société  quelconque,  à  moins  que  le  juge  ne  pèse  également  et  la 
loi  et  les  circonstances. 

«  Deux  choses  constituent  le  crime  :  le  fait  matériel  et  l'intention. 
Il  faut  donc  que,  pour  rendre  un  jugement  légitime,  le  juge  pèse  tou- 
jours les  circonstances  relatives  à  l'intention;  si  l'intention  n'existe  pas 
du  tout,  il  déclare  qu'il  n'y  a  pas  de  délit;  si  l'intention  est  légère, 
il  déclare  que  le  délit  est  moins  grave.  Toutes  ces  opérations  entrent 
nécessairement  dans  le  jugement  de  celui  qui  est  chargé  d'administrer 
la  justice;  il  est  donc  absurde  de  vouloir  distinguer  ces  deux  choses, 
et  de  supposer  que  le  juge  ne  prononcera  que  sur  le  fait,  et  point  du 
tout  sur  l'intention  :  or,  dès  qu'un  juge  ne  peut  juger  sans  examiner  ces 
deux  points,  puisque  cela  tient  aux  principes  de  liberté,  et  est  fondé 
sur  la  nature  des  choses,  il  s'ensuit  que  cette  règle  ne  peut  jamais  être 
changée  dans  l'administration  de  la  justice.  Il  n'y  a  donc  aucune  raison 
de  distinguer  un  autre  pouvoir  pour  prononcer  sur  les  raisons  d'équité, 
et  pour  tempérer  par  elle  les  jugements  rigoureux;  ainsi  l'on  ne  peut 
pas  supposer  qu'il  sera  nécessaire  de  remettre  au  roi  le  droit  de  faire 
grâce.  Il  est  évident  que  ce  droit,  d'après  cet  éclaircissement,  ne  peut 
être  que  le  pouvoir  arbitraire  de  dérober  un  citoyen  à  la  juste  pvnition 
qu'il  a  encourue  par  la  loi  »  (2). 

Mercure  universel,  t.  VII,  p.  62. 

«  M.  Robespierre.  Je  dis  que  la  loi  qui  permet  aux  jurés  de  tem- 
pérer la  loi  par  l'équité,  est  inhérente  à  la  justice.  Deux  choses  consti- 
tuent le  crime,  le  fait  et  l'intention;  dans  le  premier  cas,  s'il  n'y  a  point 
d'intention,  il  n'y  a  point  de  crime.  Il  faudra  toujours  que  le  juge  s'assure 
que  celui  qui  aura  tué  un  homme  en  avoit  le  dessein  ;  cette  règle  ne  pou- 
vant être  changée  dans  l'ordre  de  la  justice,  il  est  donc  inutile  de 
remettre  au  roi  le  droit  de  tempérer  les  jugemens  :  il  est  visible  que  ce 
n'est  que  pour  qu'il  pardonne  à  des  favoris,  criminels  réellement,  que 
l'on  veut  donner  au  roi  le  droit  de  faire  grâce:  or,  ce  droit  seroit 
destructible  de  toute  justice  dans  toute  société  bien  organisée. 
(Applaudi).  » 
Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  247,  p-  1030. 

«  M.  Roberspierre.  11  est  constitutionnel  que  le  droit  d'équité  ne 
soit  exercé  que  par  les  formes  légales  de  la  justice.   Ce  droit  tenant 

(2)  Texte   reproduit  dans  les  Arch.   pari.,   XXX,  188., 


708  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

évidemment  au  pouvoir  judiciaire,  il  est  constitutionnel  qu'il  ne  soit  pas 
exercé  par  le  roi  »  (3). 

Annales  patriotiques  et  littéraires,  n°  702,  p.   1906. 

«  Le  vertueux  Robespierre  s'est  armé  de  toute  son  éloquence  con- 
tre le  droit  de  faire  grâce,  qu'il  regarde  comme  une  criminelle  exception 
de  la  loi,  comme  le  privilège  exclusif  des  gens  de  cour,  comme  le 
germe  de  la  résurrection  des  privilèges,  ou  enfin  comme  le  renversement 
de  cette  égalité  absolue,  la  base  de  l'ordre  social  et  de  notre  sainte 
constitution.  » 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),  n°  244,  p.  2. 

«  M.  Robespierre  a  réclamé,  avec  énergie,  l'égalité  pour  tous 
les  citoyens  dans  les  droits  comme  dans  les  devoirs.  Il  pensoit  que  le 
droit  de  faire  grâce,  ne  devant  être  favorable  qu'aux  amis  de  la  cour, 
était  un  présent  funeste  à  faire  à  la  nation,  et  présentait  tous  les  germes 
d'où  devaient  renaître  les  privilèges  que  la  nation  proscrit;  il  vouloit  que, 
pour  retenir  ces  principes  constitutionnels  dans  toute  leur  puret^,  il  fût 
déclaré  formellement  qu'aucun  individu,  aucune  puissance,  n'a  le  droit 
de  faire  grâce.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Mercure  de  France, 
10  septembre  1791,  p.  162;  Le  Courrier  des  LXXXIII  départemens, 
t.  XXVIII,  n°  4,  p.  64;  Le  Journal  de  Rouen,  n°  247,  p.  1194;  Le 
Journal  général  de  France,  4  septembre  1791,  p.  992;  Le  Journal  géné- 
ral du  Pas-de-Calais,  n°  20,  p.  211;  Le  Patriote  François,  n°  756, 
p.  273;  La  Gazette  nationale  ou  Extrait...,  t.  XIX,  p.  343;  Le  Journal 
du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.  III,  n°  425,  p.  2;  Le  Journal  des 
Décrets  de  l'Assemblée  nationale,  3  septembre  1791,  p.  410:  Assem- 
blée nationale,  Corps  administratifs  (Perler),  t.  XIII,  n°  760,  p.  3;  Le 
Journal  de  la  Noblesse..,  t.  II,  n°  37  B,  p.  546;  Le  Journal  de  Paris, 
4  septembre  1791 ,  p.  1008;  Le  Journal  de  Louis  XVI  et  de  son  peuple, 
t.  V,  n°  121,  p.  203;  Le  Pacquebot,  4  septembre  1791  ;  L'Ami  du  Roi 
(Rovou),  5  septembre  1791,  p.  2;  Le  Point  du  Jour,  t.  XXVI,  n°  787, 
P-   117.] 

(3)  Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  IX,  575. 


357,  —  SEANCE  EXTRAORDINAIRE 
DU  5  SEPTEMBRE  1791 

Sur  les  troubles  des  colonies 


Une  députation  de  la  ville  de  Brest  est  admise  à  la  barre  de 
V Assemblée.  Elle  dénonce  les  manœuvres  des  agents  du  pouvoir  exé- 
cutif dans  les  colonies.  Elle  attire  l'attention  sur  la  non-application 
du  décret  du  15  mai,  qui  accorde  les  droits  politiques  aux  gens  de 


MES  DISCOURS   PE  R93ESPIERRE  709 

couleur  libres.  Les  délègues  se  plaignent  de  ce  qu'une  pétition  des 
citoyens  de  Brest  déjà  présentée  le  ]1  juin  n'ait  jamais  été  examinée 
par  le  comité  colonial,  malgré  deux  lettres  successives  adressées  au 
président  de  l'Assemblée  (1).  Ils  dénoncent  l'intention  de  certains 
députés  de  faire  révoquer  le  décret  du  15  mai,  en  lui  attribuant  des 
maux  qu'ils  exagèrent,  et  qui  ne  sont  que  le  résultat  des  manœuvrer 
des  agents  du  pouvoir  exécutif.  La  députation  conclut  en  demandant 
à  l'Assemblée  d'ordonner  à  son  comité  colonial  l'examen  de  sa  péti- 
tion, conformément  à  son  décret  du  11  juin.  Alexandre  Lameth 
répond  à  la  députation  des  citoyens  de  Brest  et  conclut  en  adjurant 
l'Assemblée  de  réfléchir  au  décret  du  15  mai,  dont  dépend  le  sort 
de  toutes  les  villes  de  commerce  de  France  (2). 

Robespierre  prend  la  parole  après  Alexandre  Lameth  et  accuse 
certains  de  ses  collègues  d'être  cause  de  l'inexécution  des  décrets. 
Earnave  lui  répond. 

Après  une  discussion  très  vive,  l'Assemblée  passa  à  l'ordre  du 
jour. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logog.,  t.  XXXIII,  p.  186  (3). 

«  M.  Robespierre.  S'il  étoit  question  en  ce  moment  de  discuter 
l'affaire  des  colonies,  il  seroit  très-facile  de  répondre  à  M.  Alexandre 
Lameth,  aussi  longuement  qu'il  a  parlé;  mais  il  ne  s'agit  que  d'une 
pétition  présentée  à  l'assemblée  nationale  par  les  citoyens  de  Brest. 

«  Je  ne  me  permettrai  pas  d'entrer  dans  le  fond  de  la  question, 
comme  M.  Alexandre  Lameth;  et  je  vous  dirai  que  je  ne  crois  pas 
qu'une  pétition  présentée  à  l'assemblée  nationale  sur  un  tel  objet  ait 
besoin  d'apologie,  encore  moins  qu'elle  puisse  être  attaquée  en  elle- 
même  par  aucun  membre  de  l'assemblée  nationale  :  et  certes,  si  l'on 
pouvoit  dire,  en  parlant  de  citoyens  qui  usent  du  droit  de  pétition  :  tel 


(1)  iGf.  ci-dessus,  séances  des  12,  13  et  15  mai  1791.  Voir  égale- 
ment E.  Hamel,  I,  551,  et  G.  Walter,  120-122. 

(2)  Le  décret  du  15  mai  avait  eu  de  profondes  répercussions  (cf. 
G.  Hardy,  Robespierre  et  la  question,  noire.  Ann.  révol.,  p.  357-382. 
Le  Journal  général  de  France  (n°  251,  p.  1007)  se  fait  l'écho  des 
plaintes  des  colons  et  des  commerçants.  Il  écrit:  <c  On  a  donné 
ieçture  des  trois  Pétitions  annoncées  hier  par  M.  Barnave;  la  pre- 
mière du  Commerce  de  Rennes,  la  seconde  de  celui  de  Rouen,  et  la 
dernière  des  Marins  du  Havre.  Elles  demandent  toutes  le  rapport 
du  Décret  des  12  et  18  mai  dernier,  relatif  aux  Gens  de  couleur. 
Suivant  elles,  la  richesse  et  le  bonheur  de  la  France  sont  étroite- 
ment liés  aux  mesures  que  prendra  ultérieurement  le  Corps  législa- 
tif; et  elles  affirment  que  si  l'on  n'accueille  pas  le  vœu  des  Colonies 
à  ce  sujet,  elles  sont  perdues  pour  la  France.  MM.  Péthion.  Robers- 
piérre,  Grégoire,  Evêque  constitutionnel  de  Blois,  et  J.-P.  Brissot, 
vont  désignés  dans  la  Pétition  du  Havre,  par  les  lettres  initiales 
de  leurs  noms,  comme  des  traîtres,  des  incendiaires  et  des  ennemis 
déclarés  do  In  Patrie.  On  conçoit  comment  les  trois  Membres  de 
l'Assemblée  dénommés  peuvent  (êtrc  compromis  dans  cette  affaire; 
mais  sans  vouloir  nous  permettre  de  jouer  sur  le  mot.  qu'y  avoit-il  à 
brissoter  pour  le  dernier  particulier  dans  ce  Décret?  » 

(3)  Texte   reproduit  dans   les  Arch.   pari.,   XXX,   236. 


710  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

pétitionnaire  ne  mérite  pas  la  confiance  de  l'assemblée  nationale  (4),  il 
seroit  permis  de  dire  de  tel  membre  de  l'assemblée  législative,  qui  se 
permet,  avant  tout  examen  de  la  pétition  elle-même,  d'inculper  ceux 
qu:  l'apportent,  il  seroit  permis,  dis-je,  d'adresser  aussi,  à  ce  membre 
de  l'assemblée  nationale,  des  reproches  qui  pourroient  troubler  la  gravité 
et  la  tranquillité  des  délibérations  du  corps  législatif  (murmures)  :  mais 
je  ne  m'occupe  que  du  fond  de  la  question,  et  je  dis  :  lorsque  les 
députés  d'une  ville  maritime  viennent  se  présenter  à  vous,  et  vous  parler 
des  colonies,  la  seule  idée  qui  doit  vous  frapper  principalement,  c'est, 
d'une  part,  l'importance  de  l'objet  qui  est  soumis  à  votre  discipline,  et 
de  l'autre,  l'impartialité  que  les  représentans  doivent  mettre  dans  une 
semblable  discussion.  Et,  s'il  est  vrai  que  vous  deviez  peser  avec  scru- 
pule tous  les  avis  qui  vous  sont  apportés,  par  toutes  les  parties  de  l'em- 
pire intéressées  à  cette  grande  question,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que, 
dans  le  moment  où  ils  vous  sont  présentés,  vous  devez  vous  imposer  à 
vous-mêmes  le  devoir  d'entendre  tous  les  citoyens  qui  vous  donnent  leur 
avis.  (Murmures). 

«  Si  pour  être  entendu  iî  suffit  de  dire  des  personnalités,  je  vous 
dirois,  moi,  que  ceux  qui  se  sont  permis  de  répandre  des  soupçons, 
et  sur  le  fond  de  l'affaire  et  sur  la  députation  de  Brest;  je  vous  dirois 
que  ces  hommes-là  sont  ceux  qui  trahissent  la  patrie  (applaudi ssemens 
réitérés  des  tribunes  :  quelques  apolaudissemens  dans  l'assemblée).  S'il 
est  quelques  individus,  s'il  est  quelque  section  de  l'assemblée  qui  puisse 
imposer  silence  à  quelques  membres  de  l'assemblée,  lorsqu'il  est  question 
des  intérêts  qui  les  touchent  de  près,  je  vous  dirois,  moi,  que  les  traîtres 
à  la  patrie  sont  ceux  qui  cherchent  à  vous  faire  révoquer  votre  décret; 
et  si  pour  avoir  le  droit  de  se  faire  entendre  dans  cette  assemblée,  il 
faut  attaquer  les  individus,  je  vous  déclare,  moi,  que  j'attaque  person- 
nellement M.  Barnave  (5),  MM.  Lameth  (6).  (Vifs  applaudissemens 
des  tribunes). 


(4)  A.  Lameth  accuse  l'un  des  pétitionnaires  «  d'avoir  sollicité 
le  licenciement  des  officiers  de  la  marine  ». 

(6)  D'après  Audouin  (Journal  universel,  t.  XIV,  p.  14238),  on 
promenait  la  veille  «  un  mannequin  représentant  Barnave  :  son 
visage  était  blanc  d'un  côté  et  noir  de  l'autre  ».  Son  impopularité 
était  manifeste  depuis  son  discours  du  11  mai  et  surtout  depuis  le 
retour  de  Varennes.  {Cf.  G    Walter,  p.  662,  note  77). 

(6)  (La  séance  du  28  août  1791  avait  déjà  donné  lieoi  à  une  vive 
altercation  entre  Robespierre  et  Alexandre  Lameth.  La  plupart  des 
journalistes  voient  dans  ce  nouve.au  conflit  une  opposition  de 
doctrine  qui  affaiblit  les  patriotes.  Carra  écrit  dans  ses  Annales 
fn°  705,  p.  1918):  «  Pendant  quelques  instants  le  côté  honorable  a 
offert  aux  ennemis  du  bien,  le  spectacle  d'un  désordre  et  du  tumulte 
qui  sont  pour  eux  une  jouissance  et  une  consolation  ».  De  même,  le 
Journal  du  Pas-de-Calais  souligne  que  «  le  côté  droit  rioit  sous 
cape  »  (n°  21,  p.  216). 


LES  DISCOURS   DE  ROBESPIERRE  711 

(Plusieurs  membres  de  la  gauche  se  lèvent  en  tumulte  et  cnent 
vivement  :   l'opinant  à  l'abbaye) 

«  M.   Chateauneuf-  Randon    (7).     Attaquez-moi    aussi,     je    vous 
répondrai. 

«  M   Robespierre.  Je  n'ai  pas  fini  (nouveaux  applaudissemens  des 
tribunes  :  grand  bruit  dans  l'assemblée). 

«  M.  Gombert  (8).  Cette  affaire  est  trop  intéressante  pour  être 
discutée  dans  le  tumulte.  Je  demande  l'ordre  du  jour.  (Bruit). 

«  M.  Robespierre.  Il  est  question  d'un  décret  rendu  :  je  demande 
son  exécution.  (Le  bruit  redouble). 

«   M.  Muguet.  Je  demande  que  M.  Robespierre  cite  des  faits. 

«  M.  Robespierre.  Je  demande  à  m'expliquer...  (Applaudi  des 
tribunes). 

«  M.  le  Président  (9).  Les  tribunes  sont  invitées  à  se  mettre  à 
l'ordre. 

«  M.  Barnave  monte  à  la  tribune  avec  précipitation,  et  demande  la 
parole. 

«   Plusieurs  voix.  M.   le  Président,  levez  la  séance. 

«  M.  Broglie.  Je  demande  que  M.  Robespierre  éclaircisse  les  faits 
qu'il  vient  d'avancer.  (Le  calme  renaît). 

«  M.  Robespierre.  Si  j'ai  nommé  des  individus,  dans  cette  déli- 
bération importante,  ne  croyez  pas  que  ce  soit  contre  eux  que  je  veuille 
diriger  mon  opinion;  mais  il  s'agit  d'un  décret  qui,  de  quelque  manière 
que  vous  l'eussiez  rendu,  eût  nécessairement  éprouvé  des  difficultés 
dans  l'exécution;  et  il  falloit,  pour  assurer  l'exécution  de  ce  décret,  la 
vigilance,  le  zèle  et  la  bonne  foi  de  ceux  qui  étoient  chargés  de  le  faire 
exécuter.  Ainsi  je  dis  tout  ce  que  chaque  membre  de  cette  assemblée 
peut  dire  sur  ceux  qui,  étant  chargés  de  l'exécuter,  n'auroient  pas  pris 
toutes  les  mesures  nécessaires  pour  en  assurer  l'exécution.  Ceci  n'est 
point  étranger  au  fond  de  l 'affaire  :  il  y  est  intimement  lié:  et  loin  de 
s'attacher  à  des  individus,  il  porte  essentiellement  sur  la  cause  publique. 
C'est  pour  cette  raison  que  je  me  suis  permis  de  défendre  des  citoyens 
patriotes,  et  de  faire  des  réflexions  sur  quelques  membres  de  cette 
assemblée  qui,  à  mes  yeux,  sont  coupables  de  n'avoir  pas  concouru  de 
toutes  leurs  forces  à  l'exécution  de  ce  décret.  (Applaudi  des  tnbunes). 

«   M.  le  Président.  J'ordonne  aux  tribunes  de  se  taire. 

«  M.  Robespierre.  Je  viens  au  point  fondamental  de  la  question, 
et  je  défie  tout  homme  de  bonne  foi  qui  n'est  attaché  à  aucun  parti,  de 
m 'accuser  sur  ce  que  je  vais  dire.  Messieurs,  vous  avez  à  examiner,  non 
pas  seulement  l'état  où  sont  actuellement   les  affaires,   mais  les  causes 

(7)  Marquis  <le  Ohâteauneuf -Randon,  député  suppléant  de  la 
noblesse  de  la   sénéchaussée   de  Mende. 

.(8)  Gombert,  député  du  tiers  état  de  Chaumont-en-Bassigny. 

(9)  C'est  Vernier,  avocat  à  Xtons-le-Saulnier,  député  du  tiers  état 
du  bailliage  d'Aval. 


712  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

antérieures,  et  les  personnes  qui  ont  pu  influer  sur  l'exécution  de  votre 
décret.  C'est  en  vain  que  l'on  vous  adresseroit,  de  la  part  de  certaines 
personnes  et  de  la  part  de  certains  lieux  de  l'empire,  des  pétitions  qui 
vous  annonceraient  que  votre  décret  est  insensé,  qu'il  étoit  contraire  à 
vos  devoirs;  je  dis  qu'il  faut  vous  reporter  au  moment  où  vous  l'avez 
rendu;  et  alors  je  soutiens  que  les  principes  de  saine  politique,  de 
l'équité  et  de  la  justice  ont  dicté  votre  décision  :  je  dis  que  votre  décret 
étoit  juste  et  sage;  je  dis  qu'il  eût  été  exécuté  si  les  autorités  insti- 
tuées pour  le  faire  exécuter  en  avoient  secondé  la  sagesse;  je  dis  que 
vous  devez  examiner  d'un  œil  sévère  si  les  personnes  chargées  de  le 
faire  exécuter  ont  fait  tout  ce  qui  étoit  en  elles  pour  en  procurer  l'exé- 
cution. 

«  Rappellez-vous  que  le  ministre  de  la  marine  appelle  à  votre 
barre,  après  vous  avoir  rendu  compte  de  tous  les  faits,  a  rejette  sur 
ceux  qui  étoient  chargés  de  rédiger  les  préliminaires  toute  la  lenteur 
des  mesures  d'exécution. 

«  Je  ne  prétends  pas  prononcer  ici  entre  le  ministre  de  la  marine 
et  les  membres  dont  il  vous  a  parlé;  mais  certes,  messieurs,  vous  devez 
au  moins  examiner  leur  conduite...  (Murmures). 

«  M.    Gombert.    Sans   interrompre    M.    Robespierre... 

«   M.  Robespierre.  Monsieur,  ce  n'est  pas  sans  m' interrompre. 

«  M  Gombert...  Nous  ne  devons  pas  passer  notre  tems  à  entendre 
des  inculpations  personnelles,  ni  donner  une  séance  entière  à  une  péti- 
tion. Nous  sommes  ici  pour  faire  les  affaires  de  la  nation 

«  M.  Robespierre.  Messieurs,  vous  pouvez  ne  pas  vouloir  vous 
occuper  aussi  longtems  de  la  conduite  de  ceux  sur  lesquels  le  ministre 
de  la  marine  a  éveillé  votre  attention;  mais  au  moins  vous  ne  devez  pas 
trouver  mauvais  que  je  pense,  moi,  que  ces  mêmes  personne?  sont 
coupables  en  inculpant  de  la  manière  la  plus  grave  tous  les  citovens 
qui  viennent  vous  présenter  une  pétition  à  cette  barre  sur  l'affaire  des 
colonies.  C'est  là  où  en  étoit  la  question  lorsqu'on  m'a  reproché  d'in- 
culper certains  membres  de  l'assemblée  nationale.  Hé  bien  !  je  consens 
qu'elle  se  réduise  là;  je  consens  à  prendre  sur  moi  toute  la  charge 
{la  bonne  caution!)  et  si  ces  membres  du  comité  colonial  (finissez  donc!) 
se  plaignent  d'avoir  été  inculpés  par  moi,  d'avoir  été  calomniés,  je 
demande  qu'on  use  envers  moi,  non  pas  de  la  complaisance,  mais  de  la 
justice  la  plus  sévère,  et  que  l'on  me  permette,  à  tel  jour  qu'on  voudra 
fixer,  de  présenter  à  l'assemblée  les  motifs  sur  lesquels  je  fonde  l'opinion 
bien  déterminée  que  ce  sont  ces  membres  de  l'assemblée  nationale  qui 
sont  cause  de  l'inexécution  de  vos  décrets. 

[Réponse  de  Barnave,  et  interventions  de  Lavigne,  Biauzat,  Cor- 
roller  et  Goupil.] 

«  M.  Bamave.  Malgré  les  interruptions  de  quelques  personnes,  il 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  713 

ne  faut  pas  que  les  honnêtes  gens  soient  dupes  d'une  cabale  qui  est 
uniquement  destinée  au  but  que  j'ai  annoncé  (10). 

«   M.    Robespierre.    Et   des   traîtres. 

[Barnave   reprend   son  discours   interrompu  par   Robespierre.] 

«  M.  Robespierre.  Ma  motion  aux  voix...  Ma  motion  aux  voix... 
La  priorité  pour  ma  motion. 

«  M.  le  Président.  Monsieur,  vous  n'avez  pas  la  parole.  » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°   251,  p.    1044. 

«  M.  Roberspierre.  S'il  était  question  en  ce  moment  de  discuter 
l'affaire  des  Colonies,  il  serait  très-facile  de  répondre  à  M.  Alexandre 
Lameth  aussi  longuement  qu'il  a  parlé  ;  mais  il  ne  s'agit  que  d'une 
pétition  présentée  à  l'Assemblée  nationale  par  les  citoyens  de  Rrest. 

«  Je  ne  me  permettrai  pas  d'entrer  dans  le  fond  de  la  question, 
comme  M.  Alexandre  Lameth,  et  je  vous  dirai  que  je  ne  crois 
pas  qu'une  pétition  présentée  à  l'Assemblée  nationale  sur  un  tel  objet, 
ait  besoin  d'apologie,  encore  moins  qu'elle  puisse  être  attaquée  en 
elle-même  par  aucun  membre  de  l'Assemblée  nationale. 

[Suit  le  passage  de  Le  Hodey,  depuis:  «  Si,  pour  être  entendu... 
jusqu'à:   ...M.   Barnave  et  MM.   Lameth.   »] 

(Les  applaudissemens  recommencent  dans  l'extrémité  de  la  partie 
gauche  et  dans  les  tribunes.) 

«    L'Assemblée    est   vivement   agitée 

<(  Plusieurs  voix  s'élèvent  dans  toutes  les  parties  de  la  salle  ;  A 
l'Abbaye,   à  l'Abbave,    M.   Roberspierre. 

«  M.  Muguet.  Je  demande  que  M.  Roberspierre  cite  des  faits. 

a  M.  Roberspierre.  Je  demande  à  m'expliquer  ..  (Les  applaudisse- 
mens des  tribunes  recommencent). 

«  M.  Victor  Broglie.  Je  demande  que  M.  Roberspierre  éclairasse 
les  faits  qu'il  vient  d'avancer.  (L'agitation  continue  pendant  plusieurs 
minutes). 

«  M.  Roberspierre.  Je  défends  des  citoyens  patriotes,  et  je  fais 
des  réflexions  sur  quelques  membres  de  cette  Assemblée  qui,  à  mes 
yeux,  sont  coupables  de  n'avoir  pas  concouru  de  toutes  leurs  force?  à 
l'exécution  de  vos  décrets.  (Nouveaux  applaudissemens  dans  l'extrémité 
gauche  et  dans  les  tribunes). 

k(  M.  le  Président.  J'ordonne  aux  tribunes  de  se  taire. 

[Suit  le  texte  de  Le  Hodey,  depuis:  «  Messieurs,  vous  avez  à 
examiner...,   jusqu'à   ...examiner   leur   conduite.    »] 

«  M.  Robespierre.  Si  les  membres  du  Comité  colonial  se  plaignent 


(10)  Barnave  met  en  cause  Brissot,  et  veut  démontrer  que  les 
pétitionnaires  de  Brest  ront  députés  du  'Club  et  non  de  la  municipa- 
lité. Enfin,  il  design*  du  «este,  Robespierre  comme  «  le  perturbateur 
de  l'Empire  françois  ». 


714  LES  PîSCOURS   PE  ROBESPIERRE 

d'avoir  été  inculptés  par  moi,  d'avoir  été  calomniés,  je  demande  que 
Ion  me  permettre  à  tel  jour  que  l'on  voudra  fixer,  de  présenter  à 
1  Assemblée  les  motifs  sur  lesquels  je  fonde  l'opinion  bien  déterminée 
que  ce  sont  ces  membres  de  l'Assemblée  nationale  qui  sont  cause  de 
l'inexécution  de  vos  décrets. 

[Intervention  de  Barnave.J 

a  M.  Roberspierre .  Il  ne  faut  pas  non  plus  qu'elle  soit  dupe  des 
traîtres  »  (11). 

Courier  de  Provence,  t.  XVII,  n°  340,  p.  54-57. 

«  M.  Robespierre  succéda  à  M.  Lameth;  et  après  avoir  fait 
sentir  l'indécence  avec  laquelle  il  venoit  de  se  comporter,  et  rappelé  à 
l'assemblée  l'impartialité  qu'elle  devoit  mettre  dans  le  jugement  d'une 
aussi  grande  affaire,  a  dit:  [Suit  le  texte  de  Le  Hodey,  depuis:  «  Si, 
pour  être  entendu...  »  jusqu'à:  «  ...Vous  devez  au  moins  examiner  leur 
conduite.  »] 

L'Ami  du  Roi  (Royou),   8  septembre   1791,  p.   3. 

«  Remarquant  alors  que  M.  Robespierre  l'applaudissoit  :  Je  renier" 
de,  a-t-il  dit,  M.  Robespierre  de  ses  applaudissemens ;  rien  n'est  plus 
flatteur  pour  moi.  Voilà  des  traits  de  génie,  M.  Alexandre,  a  repris 
M.  Robespierre.  Ce  jeune  avocat,  si  connu  par  ses  emportemens  et  son 
enthousiasme  républicain,  bien  loin  de  s'éclairer  par  l'expérience, 
s'opiniâtre  et  s'endurcit  de  plus  en  plus  dans  les  erreurs;  ce  qui  est  la 
marque  infaillible  d'un  génie  étroit  et  d'un  esprit  très-borné.  La  fatale 
catastrophe  de  ses  systèmes  républicains,  que  les  loix  commencent  à 
poursuivre  comme  des  crimes,  n'a  servi  qu'à  le  rendre  plus  furieux;  il  ne 
garde  plus  aujourd'hui  aucune  mesure,  comme  un  lion  blessé  par  les 
chasseurs,  il  s'élance  à  travers  les  dards  et  les  piques.  Dépourvu  de 
raisons  et  de  preuves,  il  se  bat  avec  des  injures  et  des  calomnies:  il 
déchire,  il  mord  ceux  qu'il  ne  peut  persuader.  Les  représentans  de  la 
nation  qui  ne  pensent  pas  comme  lui,  sont  des  traîtres  à  la  patrie;  il 
accuse  et  dénonce  nommément  M.  Barnave  et  MM.  Lameth.  Cet  accès 
de  frénésie  est  applaudi  par  les  tribunes,  comme  le  plus  subbme  élan 
du  patriotisme.  Plusieurs  membres  de  l'assemblée  demandent  que  l'opi- 
nant soit  conduit  à  l'abbaye;  il  suffiroit  de  le  faire  saigner  copieusement. 
D'autres  veulent  qu'on  lève  la  séance;  le  président  ordonne  en  vain  aux 
tribunes  de  se  taire;  les  tribunes  continuent  d'applaudir,  et  M.  Robes- 
pierre de  parler,  enfin,  avant  de  quitter  la  tribune,  il  jette  le  gant  à 
ceux  qu'il  a  si  grièvement  inculpés,  et  demande  le  combat  en  champ 
clos  contre  MM.  Barnave  et  Lameth.  M.  Barnave  s'élance  à  la  tribune... 
Il  ne  faut  pas,  a-t-il  dit,  que  les  honnêtes  gens  soient  dupes  d'une  cabale; 
et  des  traîtres,  a  répliqué  vivement  M.   Robespierre.   » 


(11)  Texte   reproduit  dans   !e   Moniteur,    IX,   604. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  715 

Le  Courrier  des  LXXXI11  départemens,  7  sept.  1791 ,  nc  7,  p.  98-110. 

«  Le  président  put  bien  lever  cette  séance,  digne  de  figurer  dans 
les  fastes  de  la  honte  et  de  l'improbité;  il  put  bien,  dis-je,  lever  cette 
séance  scandaleuse;  mais  rien  ne  vint  à  bout  de  calmer  les  expectora- 
tions de  la  fureur,  les  éructations  de  l'injure,  les  vômissemens  de  la  ca- 
lomnie. Un  crime  est  imputé  à  l'homme  qu'on  venoit  tout  à  l'heure  de 
plonger  dans  une  mer  d'outrages;  on  accuse  M.  Robespierre  d'avoir 
soulevé  par  ses  relations  le  régiment  de  Théodore  de  Lameth..  Quel 
esj  donc  son  accusateur?...  Où  est-il  ?...  On  lui  nomme  M.  de  Lameth... 
L'inculpation  étoit  trop  grave  pour  qu'il  ne  cherchât  pas  à  se  justifier 
avec  le  stoïcisme  de  la  franchise.  Il  cherche  par-tout  l'homme  qui  lui 
impute  un  crime  contre  lequel  son  âme  se  soulève.  Il  rencontre  M.  Mu- 
guet de  Nanthou,  qui  veut  entrer  en  explications  sur  ce  fait.  «  Je  n'ai 
pas  besoin  du  valet,  lui  dit  M.  Robespierre,  je  veux  parler  au  maître  ». 
Il  s'explique  enfin;  mais  les  cris  de  la  cabale  étouffent  sa  voix.  M.  Bro- 
glie.  ce  fils  dont  la  piété  est  si  connue,  dont  le  patriotisme  a  eu  des 
élans  si  nobles,  devient  un  des  athlètes  qui  s'empressent  d'arriver  dans 
la  mêlée.  M.  Robespierre  n'a  qu'une  voix  foible  pour  repousser  tous 
ces  assauts.  Il  est  parti  de  sa  bouche  ce  mot  :  Heureusement  tous  nos 
soldats  ne  sont  pas  des  Broglie!...  Va-t-il  donc,  dans  le  sanctuaire 
même  de  la  loi...  ?  Le  public  le  craint;  on  l'environne  malgré  lui;  on 
l'arrache  aux  tigres  acharnés  et  haletant  autour  de  la  banquette  sur 
laquelle  il  étoit  monté.  Une  escorte  de  patriotes  se  forme  et  ne  veut 
point  le  quitter  qu'il  ne  l'ait  vu  rentrer  dans  sa  demeure,  où  la  paix  et 
la  vertu  modeste  l'attendent  (12). 

«  Si  l'on  se  permet,  répond  M.  Roberspierre,  d'injurier  des  péti- 
tionnaires, on  peut  répondre  sur  le  même  ton  au  membre  du  corps  légis- 
latif qui  les  inculpe  ».  (La  coalition  pousse  des  hurlemens).  L'orateur 
laisse  gronder  les  ennemis  de  la  justice,  et  poursuit  tranquillement  son 
discours.  «  Si  l'on  n'est  écouté  qu'en  disant  des  personnalités,  je  dirai 
que  ceux  qui  répandent  des  soupçons  sur  le  fond  de  l'affaire  et  sur  les 
pétitionnaires,  sont  des  traîtres  à  la  patrie.  (On  applaudit  avec  trans- 
port). J'attaque  personnellement  M.  Barnave  et  MM.  Lameth...  Les 
applaudissemens  étouffent  de  nouveau  les  murmures,  et  les  tribunes  font 
retentir  la  salle  des  bravo.  La  rage  des  intrigans  augmente.  M.  Muguet 
crie;    le    blanc   Lavie   s'agite,    Tibvle   Goupil   s'enroue;    l'on   distingue 


(12)  Note  du  journal:  «  M.  Robespierre,  nous  a-t-on  assuré, 
demeure  chez  un  artisan,  dont  la  probité  et  l'honneur  sont  la  ri- 
chesse. Hier  matin  (et  ce  fait  nous  a  été  confirmé  par  une  personne 
sure),  un  particulier  s'est  présenté  chez  cet  estimable  artisan,  pour 
le  prévenir  qu'il  seroit  dangereux  que  M.  Robespierre  sortît,  que  sa 
/te  ne  seroit  pas  en  sûreté,  ^et  avertissement  sans  doute  n'a  d'autre 
but  que  d'éloigner  ce  député  du  sanctuaire  de  La  loi,  où  son  coulage 
le  conduira  à  travers  les  poignards  dm  crime  et  les  pièges  de  l'in- 
trigue.  » 


716  LES   PfSÇQURS    DE.    ROBESPIERRE 

sur-tout  M.  Roussillon,  qui  provoque  l'orateur  par  des  gestes;  mais  leurs 
vociférations  sont  couvertes  aussi-tôt  par  les  plus  vifs  applaudi ssemens. 

«  L'orateur  continue  :  «  C'est  pour  défendre  des  pétitionnaires 
insultés,  que  je  me  suis  permis  des  réflexions  sur  des  membres  qui,  char- 
gés de  l'exécution  du  décret,  n'y  ont  pas  concouru.  Si  l'on  me  taxe  de 
calomnie,  je  prouverai  quand  on  voudra  que  ce  sont  ces  membres  qui 
sont  cause  des  désordres  des  colonies  (13). 

«  Ces  mots  foudroyans  allument  toute  la  rage  des  Barnaviens . .  Ils 
se  grouppent  autour  de  l'orateur,  qui  oppose  le  calme  de  la  probité  aux 
injures  et  aux  menaces  de  l'incivisme.  Le  président  rappelle  en  vain  les 
intrigans  à  l'ordre.  Ils  n'écoutent  que  leur  passion.  Barnave  fait  entendre 
quelques  demi-phrases  dans  le  tumulte...  Ce  n'est  qu'en  levant  la  séance 
que  M.  le  président  put  faire  cesser  le  scandale.  La  coalition  harcela 
même  M.  Robespierre  après  la  fin  de  l'Assemblée.  Des  patriotes  furent 
obligés  de  l'entourer,  etc.  »  (14). 

Journal  de  Paris,  7  septembre  1791,  p.   1020. 

«  Cette  pétition  n'avoit  suscité  que  des  débats  (15);  on  en  a  lu 
une  autre  qui  a  suscité  des  querelles  :  elle  étoit  présentée  par  des  Dépu- 
tés extraordinaires  de  Brest  qui  sollicitent  l'Assemblée  Nationale  de  ne 
rien  négliger  de  ce  qui  peut  forcer  les  résistances  qu'on  oppose  dans 
les  Colonies  au  décret  du  15  mai  sur  les  hommes  de  couleur  libres. 
M.  Roberspierre,  ne  ménageant  pas  plus  les  personnes  que  les  opinions, 
a  accusé  M.  Charles  Lameth  et  M.  Barnave  d'avoir  excité  ces  résis- 
tances de  concert  avec  M.  Gouy-d'Arsy,  M.  Cocherel  (16)  et  d'autres 
Colons.  M.  Barnave  et  M.  Lameth  qui  étoient  présens  ont  repoussé  ces 
incutaations  comme  calomnieuses  et  en  ont  intenté  d'autres  contre 
M.  Roberspierre  :  de  ces  inculpations  il  n'en  est  rien  résulté  que  des 
cris  et  des  violences,  et  ce  ne  sont  pas  les  objets  des  notices  historiques 
que  nous  traçons  pour  la  France.  » 


(13)  Corsas  revient  sur  cette  séance  en  utilisant  le  texte  du 
Point  du  Jour.  Le  Bulletin  ou  Journal  des  Journaux  (n°  108)  résume 
à  son  tour  le  passage  du  Courier  de  Gorsas. 

(14)  Depuis  son  discours  soir  la  fuite  du  roi,  le  81  juin,  aux 
Jacobins.  Robespierre  est  en  effet  l'objet  de  nombreuses  attaques. 
Elles  redoublent  .avec  la  scission  des  Feuillants,  ainsi  que  le  remar- 
que Audouin  (Journal  universel,  t.  XIV,  p.  14-238)  qui  écrit:  «  On 
voudroit  éloigner  l'intrépide  Robespierre  de  l'assemblée  nationale  ; 
mais  so,n  courage  l'y  conduira  à  travers  les  poignards  du  crime  et 
les  pièges  de  l'intrigue.  Il  sera  escorté,  s'il  en  est  besoin,  par  des 
groupes  de  patriotes,  oui  le  défendront  de  la  rage  des  ci-devant 
patriotes,  devenus  semblables  à  des  titres,  depuis  que  leurs  manœu 
vres  sont  découvertes,   et  que  le  peuple  les  montre  du  doigt.   » 

115)  Allusion  'à  la  dénutation  des  électeurs  parisiens,  conduite  par 
Santerre  et  C.   Desmoulins.    qui   venait  d'être   admise   à   la  barre. 

(16)  Cocherel,  député  de  la  Province  de  l'Ouest  de  Saint-Do- 
mingiue. 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  J\J 

Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  Nationale,  5  septembre  1791 ,  p.  420 

«  Les  pétitionnaires  de  Brest  ont  trouvé  un  défenseur  dans  l'in- 
flexible Robespierre.  Indigné  des  inculpations  que  M.  Lameth  s'étoit 
permises  contre  eux,  il  a  fait  entendre  ces  mots  terribles,  à  travers  les 
cris  et  les  murmures  qui  couvroient  son  discours  :  «  Ceux-là,  son!  les 
ennemis  du  peuple  et  les  traîtres  à  la  patrie,  qui  ont  empêché  l'exécu- 
tion de  la  loi;  ce  n'est  pas  le  ministre  qu'il  faut  accuser,  car  le  ministre 
vous  a  dit  que  les  mesures  à  prendre  avoient  dépendu  du  comité  colonial, 
et  s'il  faut  dénoncer  ces  traîtres  et  ces  ennemis  du  peuple,  je  nommerai 
MM.  Barnave  et  Lameth. 

«  Les  vifs  applaudissements  des  tribunes  et  de  la  majorité,  les 
cris  et  les  murmures  de  la  coalition  avoient  souvent  interrompu  l'ora- 
teur; mais  ces  derniers  mots  ont  porté  le  tumulte  à  son  comble.  D'un 
côté,  les  injures,  les  menaces  et  les  imprécations  retentissoient  dans  la 
salle,  de  l'autre  les  tribunes,  et  le  plus  grand  nombre  des  représentans 
applaudissoient  avec  transport,  et  peignoient  vivement  leur  sensibilité 
aux  outrages  dont  on  essayoit  d'accabler  l'un  des  plus  généreux  et  des 
plus  intègres  défenseurs  des  droits  du  peuple.  Tandis  que  M.  Robes- 
pierre opposoit  le  calme  de  la  vertu  aux  clameurs  des  furieux,  et  deman- 
doit  une  séance  particulière  pour  prouver  ce  qu'il  venoit  d'avancer, 
ceux-ci  insistaient  pour  qu'il  fût  conduit  à  l'abbaye,  et  que  le  public 
fut  chassé  des  tribunes.   » 

Journal  général,  p.  897. 

«  M.  Robertspierre  en  attribue  tout  le  mauvais  succès  à  la  négli- 
gence et  aux  manœuvres  de  ceux  qui  en  dévoient  presser  l'exécution. 
Il  menace  de  démasquer  les  traîtres.  On  murmure;  il  reprend  avec  bien 
plus  de  force  :  «  Puisqu'il  faut  employer  des  personnalités,  pour  se 
faire  écouter  paisiblement,  je  déclare  attaquer  personnellement  MM.  Bar- 
nave et  Alex.  Lameth  »■  Que  l'on  se  représente  des  Membres  qui  se 
lèvent  étonnés,  des  Membres  qui  se  lèvent  furieux,  des  Membres  qui 
élèvent  la  voix  et  de  terribles  cris;  des  Membres  qui  se  lancent  des 
gestes  menaçans,  des  Tribunes  qui  crient,  qui  applaudissent,  et  un  petit 
côté  qui  rit  sous  cape,  et  tout  ce  bruit  et  toutes  ces  clameurs,  et  tout  ce 
tapage  et  tout  cet  orage,  et  M.  Robertspierre  attendant  une  bonne  demi- 
heure  qu'il  lui  soit  permis  de  conclure,  on  aura  une  petite  idée  de  la 
division  qu'a  produite  aujourd'hui  le  malheureux  Décret.  M.  Roberts- 
pierre, ferme  sur  la  Tribune,  attend  le  moment  de  sa  péroraison;  elle 
a  été  digne  de  l'exorde  :  «  Je  demande  que  l'on  m'assigne  un  jour  où 
il  me  soit  permis  de  fournir  les  preuves  de  ce  que  j'ai  avancé.  » 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXVI,  n'J   790,  p.    155. 

«  M.  Roberspierre  prend  la  parole  ainsi  :  si  l'on  se  permet  ici 
d'injurier   des   pétitionnaires,   on  peut   répondre    sur   le   même   ton   aux 


718  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

membres  du  corps  législatif  qui  les  inculpent.  (Des  murmures  se  font 
entendre).  Eh  bien  si  l'on  est  écouté  qu'en  disant  des  personnalités, 
je  dirai  que  ceux  qui  répandent  ainsi  des  soupçons  sur  le  fonds  de 
1  affaire  des  hommes  de  couleur  et  sur  les  pétitionnaires,  sont  des  traîtres 
à  la  patrie. 

«  A  ces  mots  qui  ne  devroient  jamais  être  entendus  dans  une 
assemblée  qui  donne  des  loix  à  un  empire,  il  s'est  élevé  des  cris  d'un 
coté  et  de  violens  applaudissemens  de  l'autre  côté  et  dans  toutes  les 
tribunes.  M.  Roberspierre  continue  en  disant  qu'il  attaque  personnelle- 
ment MM.  Lameth  et  Barnave  (encore  des  applaudissements  des  tri- 
bunes).  On  demande  qu'elles  soient  ramenées  fortement  à  l'ordre. 

«  MM.  Lameth  et  Barnave  se  récrient  avec  force  contre  les  person- 
nalités indignes  des  collègues.  MM.  Muguet,  Laire  (17)  et  Goupille 
réclament  justice  de  ces  injures,  mais  les  applaudissements  recommen- 
cent avec  un  long  tumulte.  M.  Roberspierre  parle  encore  et  dit  :  c'est 
pour  défendre  des  pétitionnaires  insultés  à  la  barre  que  je  me  suis  permis 
des  réflexions  sur  des  membres  qui,  chargés  de  l'exécution  du  décret, 
n'y  ont  pas  concourru.  Si  l'on  me  taxe  de  calomnie,  je  prouverai  quand 
l'on  voudra,  que  ce  sont  ces  membres  qui  ont  occasionné  une  partie 
des  désordres  dans  les  colonies.  Je  demande  un  jour  pour  dénoncer  et 
prouver  les  manoeuvres  de  plusieurs  membres  des  comités  des  colonies    » 

Gazette  de  Paris,  8  septembre   1791,  p.  2. 

«  M.  Robespierre  nommant  MM.  de  Lameth  et  M.  Barnave  les 
a  dénoncés  comme  des  factieux  et  des  traîtres  à  la  Patrie.  Les  Galeries 
ont  été  tellement  électrisées,  que  le  Président  n'a  pu  les  contenir.  On  a 
même  entendu  des  voix  qui  crioient  :  à  la  lanterne  ces  Gueux-là;  enfin, 
le  tumulte  a  été  tel,  que  la  Garde  s'est  rendue  à  ses  Cors-de-Garde  pour 
s'armer.  M.  Robespierre  étoit  tellement  ivre  de  fureur  et  des  applau- 
dissemens des  Galeries,  que  l'on  a  craint,  qu'achevant  de  perdre  la  tête, 
il  ne  les  appelât  à  son  secours;  elles  étoient  prêtes  à  s'élancer,  et  l'on 
s'est  crû  au  moment  où  le  signal  du  carnage  se  donneroit.  Jamais  il  n'y 
eut  de  tumulte  plus  violent  :  jamais  une  Séance  plus  horrible  n'a  pu 
marquer  l'agonie  de  cette  Législature.  Tel  un  criminel  pressé  par  ses 
derniers  remords,  au  moment  de  comparoître  devant  le  juge,  qui  va  pro- 
noncer sa  sentence,  vomit  des  imprécations  contre  ceux  qui  furent  ses 
complices  :  mais  il  en  est  maudit  à  son  tour  ;  cette  lutte  de  rage  et  de 
malédictions  est  la  première  vengeance  que  le  Ciel  de  voit  à  l'innocence. 

La  Rocamhole,  n°   23,  p.  358. 

((  MM.  Alexandre  Lameth,  Barnave  et  Robetspierre  ont  le  même 
jour  égayé  la  séance  extraordinaire  du  soir,  par  une  querelle  si  vive, 
mais  si  vive,  qu'on  a  craint  que  le  temple  de  nos  rois  constitutionnels 

(17)  Pour  (Lavie. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  719 

ne  fût  prophané  par  quelque  désordre   civique,   ce  qui  donna   lieu  le 
lendemain  aux  vers  irrespectueux  que  voici  : 

«  Lameth,  Barnave  et  Robetspierre 

«  Hier  se  sont  fort  querellés 

«  Dans  les  transports  de  leur  colère, 

«  Ils  s'appeloient  fous,  effrénés; 

«  Que  pensez-vous  de  cette  affaire  ?  » 

«  Qu'ils  se  disoient  tous  trois  leurs  vérités.   » 

[Brève  mention  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  général  de 
France,  n°  250,  p.  1003;  Le  Mercure  universel,  t.  VII,  p.  107;  La 
Gazette  universelle,  n°  250,  p.  999;  La  Chronique  de  Paris,  t.  V, 
n°  249,  p.  1010;  Le  Journal  du  Soir  (des  Frères  Chaignieau),  t.  III, 
n°  428,  p.  2;  Le  Journal  de  Paris,  7  septembre  1791,  p.  1020;  Les 
Annales  patriotiques  et  littéraires,  n°  705,  p.  1918;  L'Argus  patriote, 
t.  II,  n°  26,  p.  23;  Le  Journal  des  Débats,  n°  838,  p.  2;  Le  Postillon 
(Calais),  n°  577,  p.  2;  Le  Défenseur  du  Peuple,  n°  63,  p  2;  Le  Pac- 
quebot,  n°  248;  Le  Journal  général  du  Pas-de-Calais,  n°  21,  p.  216; 
Le  Mercure  de  France,  17  septembre  1791,  p.  202;  Assemblée  natio- 
nale, Corps  administratifs  (Perlet),  t.  XIII,  p.  3;  Le  Bulletin  ou  Journal 
des  journaux,  n°  108;  Le  Patriote  françois,  n°  759,  p.  285;  La  Vedette 
ou  Précis  de  toutes  les  nouvelles  du  jour,  7  septembre  1791  ;  Le  Journal 
de  la  Révolution,  n°  391,  p.  50;  Le  Journal  de  Louis  XVI  et  de  son 
peuple,  t.  V,  n°  123,  p.  218;  L'Ami  du  Peuple  (Marat),  t.  IX, 
n°  551,  p.  4;  Le  Législateur  français,  t.  III,  7  septembre  1791,  p.  4; 
Le  Journal  Général  de  l'Europe,  7  septembre   1791,  p.    103.] 

358.  —SEANCE  DU  17  SEPTEMBRE  1791 

SUR  LE   DROIT  DE  POLICE   DES   ASSEMBLÉES   ÉLECTORALES 


Le  14  septembre,  le  président  de  l'Assemblée  avait  annoncé  une 
pétition  par  laquelle  les  électeurs  du  département  de  Paris  récla- 
maient contre  l'exécution  d'un  décret  de  prise  de  corps  contre 
Danton  (1),  tentée  par  un  huissier,  dans  le  sein  même  de  l'assem- 
blée électorale,  le  13  septembre.  Cette  pétition  avait  été  renvoyée 
an  comité  de  constitution.  Le  17  septembre,  Delavigne  fait  part  à 
l'Assemblée  de  la  plainte  de  l'huissier  chargé  de  l'arrestation  de 
Danton,  et  détenu  depuis  trois  jours  à  l'Abbaye;  il  demande  que  le 

(1)  D'après  A.  Mathiez.  Le  Club  des  Cordeliers...,  op.  cit  . 
p.  211,  Danton  aurait  été  décrété  de  prise  de  corps  le  4  août,  non 
pas  à  propos  des  événements  du  Champ  de  Mars,  mais  pour  von 
attitude  lors  du  21  juin.  Prévenu  le  soir  du  17  juillet,  de  l'hostilité 
dont  les  meneurs  des  Cordeliers  étaient  l'objet  de  la  part  de  lu 
Constituante  et  de  la  municipalité  parisienne,  il  se  réfugia  d'abord 
chez  son  beau-père,  à  Fontenay-sous-Bdis,  puis  à  Arcis-sur-Aube, 
et  enfin  passa  en  Angleterre,  d'où  il  rentra  vers  le  6  septembre. 


720  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

rapport  de  cette  affaire  soit  fait  incessamment.  Démeunier,  au  nom 
du  comité  de  ■constitution,  propose  que  l'Assemblée  ordonne  l'éiar- 
gissement  de  l'huissier.  Le  Chapelier  appuie  cette  proposition  et 
demande  que  l'Assemblée  improuve  la  conduite  de  l'assemblée  élec- 
toral. Keubell  soutient  que  la  constitution  donne  aux  préside  its 
des  assemblées  électorales  Ja  police  dans  toute  leur  enceinte  D'An- 
dré demande  le  renvoi  au  comité  de  constitution  pour  un  examen 
plus  attentif  des  faits.  Duport,  soir  Tordre  de  l'Assemblée,  donne 
lecture  des  pièces  relatives  à  cette  affaire.  Robespierre  intervient 
alors.  Après  lui,  d'André  reprend  la  parole  et  conclut  à  ce  que  le 
président  soit  chargé  d<?  répondre  aux  électeurs  pétitionnaires  que 
rassemblée  électorale  a  outrepassé  les  bornes  de  son  pouvoir  (2). 

L'Assemblée  clôtura  la  discussion,  et,  sur  la  proposition  de 
iLanjuinais,  rendit  le  décret  suivant  :  «  L'Assemblée  nationale,  ouï  le 
rapport  de  son  comité  de  constitution,  sur  les  pétitions  respectives 
du  corps  électoral  du  département  de  Paris,  et  de  l'huissier  Damiefi 
et  de  son  commis,  décrète  qu'elle  improuve  la  conduite  tenue  par 
les  électeurs  du  département  de  Paris  à  l'égard  de  l'huissier  Damien 
et  de  son  commis,  et  renvoie  l'huissier  et  son  commis  à  se  pourvoir 
devant  les  juges  compétents. 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logograph.,  t.  XXXIV,  p.  55. 

«  M.  Robespierre.  Il  me  semble  que  la  principale  question  qui 
doit  occuper  l'assemblée  et  celle  qui  me  paroit  avoir  le  moins  occupé 
les  préopinans,  est  d'examiner  s'il  est  vrai  que  par  la  conduite  de  l'huis- 
sier les  droits  et  la  dignité  de  la  nation  aient  été  violés  dans  la  personne 
des  électeurs  de  Paris;  toutes  les  autres  questions  dépendent  essentielle- 
ment de  ce  fait.  Or,  messieurs,  quoi  qu'il  me  paroit  que  l'huissier  soit 
entré  dans  la  salle  même  de  l'assemblée  électorale,  et  qu'il  ait  tenté 
là  d'exécuter  le  décret  de  prise  de  corps;  je  crois  cependant  qu'il 
résulte  des  circonstances  une  intention  manifeste.  (Grands  murmures). 
Je  pense,  Messieurs,  s'il  faut  le  dire,  que  lorsqu'il  est  question  des 
réclamations  d'une  assemblée  électorale,  qui  prétend  que  sa  dignité 
a  été  compromise,  nous  n'avons  pas  le  droit  de  traiter  légèrement  cette 
affaire,  et  que  c'est  le  moment  de  nous  ressouvenir  du  respect  que  nous 
devons  aux  représentais  du  peuple  qui  élisent  en  son  nom.  (Applaudi). 
Je  dis  qu'il  ne  s'agit  point  ici  de  s'attacher  aux  questions  oiseuses  ren- 
fermées dans  l'interrogatoire.  Je  dis  que  l'objet  le  plus  intéressant  pour 
l'assemblée  n'est  pas  d'examiner  si  les  formes  ont  été  plus  ou  moins 
scrupuleusement  observées;  mais  que  c'est  le  fond  de  la  chose  qu'il  faut 
sur-tout  examiner,  et  bien  loin  de  me  livrer  à  aucune  espèce  de  désir 
de  trouver  coupable  ou  répréhensible  l'assemblée  électorale  du  départe- 
ment de  Paris,  je  ne  m'attache  qu'aux  circonstances  essentielles  qui  me 
démontrent  qu'il  y  a  eu  l'intention  perfide  d'insulter  à  la  dignité  de 
l'assemblée  électorale,  et  je  vais  la  prouver.  (Applaudi  des  tribunes). 

«  M.  Duport.  M.  le  président,  je  vous  prie  d'imposer  silence  aux 
tribunes. 


(2)  Cf.  E.  Hamel,  I,  555.  Cette  séance  est  datée  par  erreur  dans 
G.   Walter  (p.   724)  du  9  septembre  1791 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  721 

«  M.  Robespierre.  M.  Duport,  ne  m'interrompez  pas. 

«  M.   Malouet  parle  dans  le  bruit. 

«  M.  d'André.  Je  demande  qu'il  soit  fait  mention  que  M.  Malouet 
appuie  M.   Robespierre. 

«  M-  Malouet.  Il  ne  faut  pas  accoutumer  les  tribunes  à  insulter 
l'assemblée. 

«  M.  Robespierre  Je  trouve  très  répréhensible  la  conduite  de 
l'huissier,  qui,  après  avoir  rôdé  autour  de  la  salle,  armé  d'un  décret  de 
prise  de  corps  contre  un  électeur,  n'a  pas  dissimulé  d'être  venu  pour 
mettre  le  décret  à  exécution  ;  qu'il  a  manifesté  formellement  cette  inten- 
tion; qu'il  a  violé  le  territoire  de  l'assemblée  électorale,  en  venant  dans 
l'un  des  bureaux  de  cette  assemblée  :  car  je  ne  crois  pas  qu'il  suffise  de 
respecter  la  salle  où  siègent  les  électeurs;  je  crois  que  tous  les  lieux 
destinés  à  apprêter  leurs  travaux,  que  toute  l'enceinte  du  lieu  où  ils  se 
trouvent,  doit  être  sacrée.  Je  dis  qu'il  est  clair  que  l'huissier  a  insulté 
formellement  à  la  dignité  de  l'assemblée  électorale,  en  annonçant,  par 
sa  lettre  au  président,  qu'il  vouloit  exécuter  un  décret  de  prise  de 
corps  contre  un  membre  de  l'assemblée.  Je  dis  que  cette  lettre  par 
laquelle  il  prétend  avoir  prévenu  le  président,  est  la  preuve  formelle 
qu'il  vouloit  exécuter  le  décret  dans  le  territoire  du  corps  électoral  ;  et 
s'il  n'avoit  point  voulu  l'exécuter  dans  ce  lieu,  qui  devoit  être  sacré  pour 
lui,  s'il  avoit  voulu  l'exécuter  dans  tout  autre  lieu,  il  est  clair  qu'il 
n'avoit  pas  besoin  de  prévenir  le  président;  et  toutes  les  circonstances 
annoncent,  et  des  faits  dont  vous  n'êtes  pas  instruits,  mais  que  j'ai 
entendus  dire  à  des  personnes  dignes  de  foi,  prouvent  qu'il  a  tenu  des 
propos  qui  annonçoient  ses  intentions,  et  qu'il  ne  s'est  déterminé  à 
prévenir  le  président  que  par  la  crainte  qu'on  lui  a  inspirée  sur  les 
suites  d'une  pareille  démarche.  Ainsi,  la  présence  de  l'huissier  dans  le 
lieu,  l'intention  qu'il  a  eu  l'audace  de  manifester,  sa  lettre  même  au 
président;  voilà  autant  d'insultes  faites  à  la  dignité  du  corps  électoral: 
et  certes  il  est  très  permis  d'attacher  beaucoup  d'intérêts  à  de  pareilles 
démarches;  l'assemblée  en  sera  convaincue  si  elle  veut  réfléchir  combien 
il  importe  à  la  constitution  et  à  la  liberté  naissante  de  réprimer  les 
premières  entreprises  formées  contre  les  représentans  du  peuple  assem- 
blés. 

<(  M.  d'André.  Qu'appellez-vous  représentans  du  peuple? 
«  M.  Robespierre.  11  n'est  pas  question  de  disputer  sur  les  mots. 
Les  électeurs  choisissent  au  nom  du  peuple,  et  pour  cela,  ils  représen- 
tent le  peuple,  et  leur  assemblée  est  aussi  respectable  et  aussi  sacrée 
que  celle  du  peuple  lui-même  ;  ainsi  vous  ne  sauriez  apporter  trop  d'atten- 
tion pour  réprimer  cet  attentat  formé  contre  notre  liberté  naissante,  et  le 
signe  des  hommes  libres,  c'est  l'intérêt  qu'ils  attachent  à  de  pareilles 
questions;  c'est  le  respect  ou  les  déférences  qu'ils  montrent  aux  prin- 
cipes de  la  liberté  et  pour  la  majesté  du  peuple  assemblé.  J'aurois  donc 
lieu  de  m 'étonner  si  on  ne  répondoit  à  ces  principes  que  par  ces  lieux 


722  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

communs  ordinaires,  par  des  plaisanteries  bannales  (sic),  par  cette 
méthode  de  jetter  de  la  défaveur,  de  l'avilissement  sur  tout  ce  qui  tient 
aux  idées  sacrées  de  la  liberté  et  de  la  constitution  :  quand  bien  même 
les  assemblées  électorales  commettraient  quelqu' irrégularités,  gardons- 
nous  bien  de  les  exagérer  et  de  les  avilir,  et  de  seconder  ainsi  les  des- 
seins de  nos  ennemis.  Ici  je  vous  prends  à  témoins,  que  l'on  s'est  attaché 
à  exagérer  les  torts  prétendus  qu'on  impute  à  l'assemblée  électorale  de 
Paris.  On  les  a  présentées  comme  attentatoires  de  la  manière  la  plus 
coupable  aux  autorités  légitimes  et  aux  droits  des  citoyens.  C'est  sans 
doute  parce  qu'on  n'a  pas  voulu  faire  une  distinction  très  simple  :  il  ne 
faut  pas  juger  les  droits  d'une  assemblée  électorale  pour  les  objets  qui 
lui  sont  parfaitement  étrangers  comme  les  démarches  qu'elle  peut  faire 
pour  le  maintien  de  sa  dignité  ;  mais  de  quoi  s'agit-il  ici  ?  Et  sur  quoi 
l'assemblée  électorale  de  Paris  s'est-elle  permis  de  délibérer  ?  C'étoit 
sur  un  sujet  directement  relatif  à  l'exercice  de  ses  fonctior.3  :  c'est  sur 
un  attentat  qu'elle  prétendoit  avoir  été  commis  contre  ses  droits  les  plus 
sacrés.  Or,  messieurs,  ce  n'est  point  ici  que  l'on  peut  appliquer  le  prin- 
cipe que  les  assemblées  électorales  ne  peuvent  délibérer.  Les  assemblées 
électorales,  et  toutes  les  assemblées  ont  le  droit  de  délibérer  sur  leurs 
affaires  particulières,  sur  ce  qui  concerne  essentiellement  leurs  droits  et 
leur  existence.  L'assemblée  électorale  a  donc  le  droit  de  délibérer  sur 
l'affaire  qui  est  soumise  maintenant  à  votre  discussion,  et  il  ne  vous  reste- 
roit  plus  qu'à  examiner  si  elle  a  abusé  de  ce  droit  incontestable  en 
lui-même.  Or,  messieurs,  en  réduisant  la  question,  voyez  combien  il  faut 
rabattre  de  toutes  les  déclamations  prodiguées,  contre  les  électeurs  de 
Paris:  ils  ont  interrogé  l'huissier;  mais,  messieurs,  qu'est-ce  que  cet 
interrogatoire,  en  dégageant  cet  objet  de  toute  la  chicane  du  palais  ? 
Elle  a  fait  venir  devant  elle  l'huissier,  pour  s'assurer  par  sa  bouche, 
d'une  manière  plus  formelle,  de  sa  véritable  intention.  Je  vois  là, 
messieurs,  un  moyen  que  l'assemblée  a  cru  pouvoir  prendre  pour  consta- 
ter des  faits  essentiels  qui  l'intéressoient  personnellement,  et  qui  intéres- 
soient  spécialement  le  bien  public-  Je  ne  sais  pas  si  vous  y  trouvez  quel- 
que vice  de  forme  et  de  procédure,  et  s'ils  vous  feront  quelqu'illusions; 
mais  je  sais  bien  qu'il  est  impossible  de  présenter  un  acte  aussi  légitime 
en  lui-même,  comme  un  crime,  qui  puisse  justifier  les  déclamations  inju- 
rieuses, encore  moins  un  jugement  sévère  contre  l'assemblée  électorale 
de  Paris.  Je  concluds  de  tout  ceci  que  l'assemblée  électorale  de  Paris 
est  exempte  de  la  plupart  des  reproches  qu'on  lui  a  faits  :  je  crois 
même  qu'elle  n'a  encouru  aucun  reproche,  et  il  y  a  une  circonstance  qui 
doit  frapper  tout  esprit  juste  et  impartial.  (Une  voix  :  Comme  vous).  C'est 
que  dans  les  circonstances  où  nous  sommes,  il  était  impossible  au  plus 
habile  des  accusateurs  de  l'assemblée  électorale  de  Paris  de  marquer 
quelle  étoit  la  forme  employée  pour  constater ^  ce  délit,  quel  étoh  le 
point  où  finissoit  le  droit,  la  jurisprudence  de  l'assemblée  électorale  de 
Paris.  Les  loix  nouvelles  ne  sont  pas  encore  assez  clairement  définies. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  723 

On  n'est  pas  familiarisé  par  l'expérience  avec  leur  exécution,  ou  plutôt, 
elles  n'existent  pas.  Je  prétends  donc  que  vous  ne  pouvez  pas  donner 
une  marque  d'improbation  à  l'assemblée  électorale  de  Paris:  je  pré- 
tends qu'il  n'y  a  qu'un  seul  objet  à  faire  :  c'est  de  faire  protéger,  de 
faire  respecter  l'enceinte  du  lieu  où  délibèrent  les  assemblées  électo- 
rales. Voilà  le  seul  objet  digne  de  l'assemblée,  le  reste  doit,  être  aban- 
donné... 

[Intervention  de  M.  d'André  contre  «  l'hérésie  constitutionnelle  » 
du  préopinant.] 

«  M.   Robespierre.   Je   n'ai  pas  dit  cela. 

«  Plusieurs  voix.  Si,  si... 

«  M.  Robespierre.  La  loi  permet-elle  de  violer  les  assemblées 
électorales  ?  (Laissez  donc)  »  (3). 

Journal  de  Rouen,  n°  261,  p.    1256. 

«  M.  Robertspierre  veut  parler;  mais  les  cris  et  les  huées  l'inter- 
rompent à  chaque  instant;  enfin  il  vient  à  bout  de  se  faire  entendre. 

«  Il  faut  mettre  de  côté  tout  ce  qui  est  accessoire  et  étranger  aux 
faits  principaux.  Il  s'agit  de  savoir  s'il  a  été  porté  atteinte  aux  droits 
du  peuple,  à  la  dignité  de  la  nation  :  toutes  les  autres  questions  dépen- 
dant de  celle-là-  Il  résulte  de  toutes  les  circonstances  de  cette  affaire 
une  résolution  manifestée,  de  la  part  de  l'huissier  Damien,  de  violer 
l'asyle  d'un  corps  électoral. 

«  Cent  voix  tumultueuses  se  font  entendre,  les  cris  redoublent, 
empêchent  l'orateur  de  continuer. 

«  Oui,  dit-il  après  cette-  bourrasque,  oui  je  pense  que  l'homme  qui 
se  permet  de  rôder  autour  de  la  salle... 

«  Ici  les  ris  succèdent  à  la  colère. 

«  L'opinant,  sans  se  déconcerter  des  ris  et  des  plaisanteries,  qui 
sont  fort  déplacés  lorsque  l'assemblée  a  à  prononcer  sur  un  objet  aussi 
important  :  il  me  semble  que  nous  ne  devons  pas  passer  légèrement  sur 
un  outrage  dont  se  plaignent  les  représentants  du  peuple.  Il  ne  faut  point 
s'attacher  à  des  circonstances  oiseuses,  il  ne  faut  pas  chicaner  sur  les 
formes,  c'est  le  fond  qu'il  faut  examiner.  Il  vaut  mieux  passer  sur  l'oubli 
des  formes,  que  de  souffrir  que  la  dignité  de  la  nation  soit  avilie. 

«  La  salle  retentit  d'applaudissements.   .) 

Mercure  universel,  t.  VII,  p.   282. 

«  M.  Robespierre.  Un  huissier  armé  d'un  décret  de  prise-de-corps, 
rôde  autour  de  l'assemblée,  s'y  introduit,  il  en  viole  la  dignité,  et  l'en- 
ceinte qui  renferme  une  assemblée  électorale  doit  être  sacrée  !  L'huissier 
par  sa  lettre  au  président  a  insulté  à  la  majesté  de  cette  assemblée,  il  a 
prouvé  qu'il  vouloit  mettre  ce  décret  à  exécution  dans  son  sein;  sans 

(3)  Texte   rep/oduh  da-ns  les  Arch.  pari.,   XXX,   735 


724  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

cela,  il  eut  été  inutile  qu'il  écrivit  au  président  ;  la  lettre  de  cet 
huissier  à  l'assemblée  nationale  prouve  cette  intention;  certes,  la  pré- 
sence d'un  huissier  dans  une  telle  assemblée  est  un  outrage  à  la  consti- 
tution, et  la  liberté  naissante  ne  peut  qu'en  recevoir  une  atteinte  !  Le 
mépris  ou  l'indifférence  que  cet  huissier  montre  pour  la  majesté  du  peuple 
(des  cris,  du  tumulte).  Quoi,  ce  n'est  pas  là  un  attentat  à  la  liberté,  à  la 
constitution  ?  (Les  tr'bunes  applaudissent,  des  députés  crient  à  l'ordre). 
Sans  doute,  si  l'assemblée  électorale  se  fût  permis  d'employer  des 
formes  judiciaires  contre  un  citoyen,  pour  des  délits  qui  lui  fussent 
étrangers,  elle  eut  outre-passé  ses  pouvoirs,  mais  il  s'agissoit  d'un 
outrage  qui  la  regardoit  directement;  elle  a  voulu  s'assurer  des  faits; 
je  ne  sais  si  vous  trouverez  des  vices  de  formes  :  mais  je  sais  qu'essen- 
tiellement elle  étoit  outragée  :  je  conclus  à  ce  que  l'assemblée  électorale 
est  exempte  des  reproches  qu'on  lui  attribue;  et  si,  ce  que  je  ne  pense 
pas,  il  y  avoit  quelques  vices  de  formes,  l'on  devroit  avant  tout  songer 
à  faire  respecter  les  hommes  que  le  peuple  a  choisis,  et  l'on  doit  décréter 
que  nul  homme  ne  pourra  exploiter  désormais  dans  les  assemblées  électo- 
rales. (Les  tribunes  applaudissent,   des  députés  huent). 

«  M.  d'André.  Je  voudrais  bien  savoir  si,  dans  le  règne  de  la 
liberté,  on  ne  doit  pas  obéissance  à  la  loi?... 

«  M.  Robespierre.  Y  a-t-il  là  une  désobéissance  à  la  loi  ?  (Des 
cris,   des  huées).   » 

L'Ami  du  Roi  (Montjoie),   18  septembre   1791,  p.    1043. 

«  La  conduite  du  corps  électoral,  comme  l'on  voit,  n'est  point 
justifiée  par  les  pièces  du  procès.  Celle  de  l'huissier  au  contraire  paroît 
irréprochable.  M.  Robespierre  ne  pouvant  attaquer  les  actions  de  celui- 
ci,  a  voulu  faire  le  procès  de  ses  intentions,  et  en  est  revenu  à  la  majesté 
du  peuple,  comme  si  la  personne  de  M.  Danton  étoit  le  peuple  entier. 

«  Il  s'agit,  a-t-il  dit,  d'examiner  si  la  majesté  du  peuple  a  été 
violée  dans  la  personne  des  électeurs.  Messieurs,  quoiqu'il  ne  paroisse 
pas  que  l'huissier  ait  voulu  entrer  dans  la  salle  de  l'assemblée,  je  crois 
cependant  qu'il  résulte  des  circonstances,  une  intention  manifeste... 
(Des  murmures  très-violeris,  se  font  entendre). 

«  Il  s'agit  d'un  procédé  que  je  regarde,  moi,  comme  injurieux  à 
l'assemblée  électorale;  je  crois  qu'un  huissier,  qui  se  permet  de  rôder 
autour  de  la  salle...  (Nouveaux  murmures). 

«  Lorsqu'il  est  question  des  réclamations  de  l'assemblée  électorale 
qui  se  plaint  que  sa  dignité  a  été  compromise,  on  ne  doit  pas  s'attacher 
aux  questions  oiseuses;  il  ne  s'agit  pas  d'examiner  si  les  formes  ont 
été  plus  ou  moins  scrupuleusement  observées;  c'est  au  fond  qu'il  faut 
s'attacher.  Sans  examiner  les  formes,  je  m'attache  à  prouver  qu'il  y  a 
eu  une  intention  perfide  d'insulter  le  corps  électoral.  Je  trouve  répré- 
hensible  la  conduite  de  l'huissier  qui,  après  avoir  rôdé  autour  du  corps 
électoral,    n'a  pas  dissimulé    l'intention  d'exécuter  , son   décret;    qui   a 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  725 

violé  le  territoire  de  l'assemblée  électorale,  en  venant  dans  les  bureaux 
de  cette  assemblée.  L'assemblée  électorale  de  Paris  est  exempte  de 
la  plupart  des  reproches  qui  lui  ont  été  faits;  elle  n'a  encouru  aucune 
espèce  de  blâme,  et  s'il  y  avoit  quelques  irrégularités  dans  sa  conduite, 
il  faudroit  bien  se  garder  de  saisir  un  prétexte  aussi  frivole  pour  la 
condamner.  Je  demande  que  l'assemblée  se  borne  à  décréter  qu'il  est 
défendu  à  tout  huissier  ou  autre,  d'exécuter  des  loix,  de  vider  le  lieu 
où  délibèrent  les  assemblées  électorales.   » 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  261,  p.   1085. 

«  M.  Roberspierre.  Je  dis  qu'on  a  violé  le  territoire  de  l'Assem- 
blée électorale  ;  car  je  ne  crois  pas  qu'il  suffise  de  respecter  la  salle  des 
séances;  je  crois  que  tous  les  lieux  destinés  même  à  préparer  les  travaux, 
que  tout  l'enceinte  doit  être  sacrée.  Il  est  certain  que  l'huissier  dont  il 
s'agit  a  voulu  exécuter  un  décret  dans  l'enceinte  de  l'Assemblée,  car 
sans  cela  il  n'aurait  pas  écrit  au  président.  Quant  à  l'assemblée  électo- 
rale, elle  a  le  droit  de  délibérer  sur  des  affaires  particulières;  elle  a  fait 
venir  l'huissier  pour  s'assurer,  par  sa  bouche,  de  ses  intentions,  pour 
prendre  des  éclaircissemens  sur  une  affaire  qui  l'intéressait  particulière- 
ment. Je  dis  donc  qu'elle  est  exempte  d'inculpation,  que  s'il  y  a  dans 
sa  conduite  quelque  irrégularité  de  forme,  que  je  ne  suis  pas  assez  habile 
pour  saisir,  il  faut  bien  se  garder  de  saisir  ce  prétexte  pour  avilir  la 
dignité  de  l'électorat.  Je  crois  qu'il  est  une  seule  chose  à  faire,  c'est 
une  loi  sur  le  respect  dû  aux  assemblées  électorales  »  (4) 

L'Ami  du  Roi  (Royou),   19  septembre  1791,  p.  3. 

«  M.  Robespierre,  qui  a  juré  de  ne  pas  se  réconcilier  avec  la 
raison,  même  à  l'article  de  sa  mort  politique,  a  prétendu  prouver  que 
l'huissier  avoit  eu  intention  d'arrêter  M  d'Anton  au  sein  même  de 
l'assemblée  électorale;  il  a  érigé  les  électeurs  en  représentans  du  peu- 
ple; il  a  exagéré  la  dignité  et  la  majorité  des  fonctions  électorales.  Il 
auroit  dû  en  conclure  naturellement  qu'un  homme  décréta  de  prise  de 
corps,  n'étoit  pas  digne  de  les  exercer,  et  que  des  électeurs  ne  dévoient 
pas  compromettre  le  décorum  de  leur  charge  jusqu'à  injurier  et  maltraiter 
un  huissier.  Mais  d'après  sa  logique  accoutumée,  il  en  a  conclu  que 
l'huissier  étoit  coupable,  et  la  conduite  des  électeurs  au-dessus  de  tout 
reproche,  ce  qui  lui  a  mérité  les  plus  vifs  applaudissemens  des  tri- 
bunes. » 

Journal  général  de  France,   18  septembre   1791,  p.    1051.  , 

«  MM.  d'André,  Lavigne,  Duport  et  Robertspierre  ont  pendant 
long-temps  parlé  pour  ou  contre  le  Corps  Electoral;  les  uns  l'ont  blâmé, 
les  autres  l'ont  justifié;  de-là  d'inciter  les  chicanes;  delà  le  dévelop- 

(1)  Trxto   reproduit  dans  )o   Moniteur,   IX,   697. 


726  LES  DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

pement  d'une  tactique  assez  mal  employée;  de-là  un  grand  combat 
entre  les  Membres  des  Clubs  de  1789  et  des  Jacobins,  ou  si  l'on  aime 
mieux,  entre  les  Monarchistes  et  les  Républicains;  de-là  une  Séancs 
perdue;  mais  c'est  le  propre  des  animosités  particulières,  de  faire  tort 
au  bien  général  »  (5). 

L'Orateur  du  Peuple,  t.  VII,  n°  54,  p.  431. 

«  Les  Desmeuniers,  les  Dandré,  les  Malouet,  les  Duport,  ont  tiré 
à  boulet  rouge  sur  le  Corps  électoral. 

«  L'incorruptible  Robespierre  a  pris  la  parole  sur  cette  affaire.  Il 
pensoit  que  s'agissant  d'une  assemblée  électorale  qui  prétend  que  sa 
dignité  a  été  compromise,  c'étoit  le  cas  de  se  rappeler  du  respect  qu'on 
doit  aux  représentans  du  peuple.  Il  voyait  dans  les  circonstances  du  fait 
une  intention  perfide  d'insulter  l'assemblée  électorale,  puisque  l'huis- 
sier avoit  violé  le  territoire  de  cette  assemblée  (les  tribunes  applau- 
dissent). 

«  M.  Robespierre,  continuant,  tiroit  la  preuve  que  l'huissier  vouloit 
exécuter  le  décret  de  prise  de  corps  dans  le  territoire  électoral,  de  ce 
qu'il  avoit  voulu  le  mettre  à  exécution;  dans  tout  autre  lieu,  il  n'auroit 
pas  prévenu  le  président  pour  lui  demander  la  conduite  qu'il  avoit 
à  tenir. 

«  Il  importe,  ajoutoit  M.  Robespierre,  au  maintien  de  la  Consti- 
tution de  réprimer  les  premières  entreprises  formées  contre  notre  liberté 
naissante.  C'est  ici  un  attentat  porté  aux  fonctions  électorales;  c'est 
une  de  ces  circonstances  où  l'on  ne  peut  appliquer  le  principe  que  les 
assemblées  électorales  ne  peuvent  délibérer;  je  conclus  à  ce  que  la  con- 
duite de  l'assemblée  électorale  de  Paris  soit  regardée  comme  exempte  de 
toute  espèce  de  reproche.  » 

La  Chronique  scandaleuse,  n°    19,  p.   3. 

«  L'huissier  Damiens  (6)  a  demandé  à  l'assemblée  nationale  son 
élargissement.  On  sait  que  ce  brave  garçon  a  voulu  arrêter  Damiens 
Danton.  L'assemblée  a  renvoyé  cette  affaire  aux  tribunaux  de  justice. 
M.  Robespierre  auroit  bien  voulu  que  l'huissier  eût  été  envoyé  aux 
galères,  eût-il  dû  l'y  retrouver  un  jour.  Mais  séduit  par  le  nom, 
M.  Robespierre  n'a  pas  trop  osé  s'élever  contre  lui.  » 

[Résumé  de  cette  intervention  dans  Le  Journal  dés  Débats,  n°  849, 
p.  7;  Le  Point  du  Jour,  t.  XXVI,  n°  801,  p.  323;  Le  Législateur 
français,  t.  III,   18  septembre   1791,  p.  4;  Assemblée  nationale,  Corps 

(5)  C'est  en  effet  l'un  dos  épisodes  de  la  lutte  qui  oppose  Jaco- 
bins et  Feuillants. 

(6)  Rapprochement  entre  le  nom  de  l'huissier  et  celui  de  l'auteur 
d'une  t-ntative  d'assassinat  contre  (Louis  XV,  auquel  les  journaux 
royalistes   attribuent  une  parenté   avec  Robespierre. 


LES   DISCOURS   DE,   ROBESPIERRE  727 

administratifs  (Perlet),  t.  XIII,  n"  774,  p.  2.  Brève  mention  dan«  La 
Gazette  de  Berne,  24  septembre  1791,  p.  3;  La  Chronique  de  Paris, 
t.  V,  n°  259,  p.  1045;  Le  Mercure  de  France,  24  septembre  1791, 
p.  308;  Le  Journal  de  Paris,  18  septembre  1791,  p.  1063;  Le  Journal 
universel,  t.  XIV,  p.  14319;  L'Argus  patriote,  t.  II,  n°  29,  p.  107; 
Le  Pacquebot,  n°  259;  La  Gazette  universelle,  n°  261,  p.  1044;  Le 
Journal  de  la  Noblesse...,  t.  II,  n°  39,  p.  600;  Le  Journal  généra1  Je 
l'Europe,  18  septembre  1791,  p.  259;  Le  Patriote  François,  n°  769, 
p.  337;  Le  Courrier  des  LXXXlll  départemens,  18  sept.  1791,  n°  18. 
p.  288.1 


Société  des  Amis  de  la  Constitution 

359.  —  SEANCE  DU  21  SEPTEMBRE  1791 

Sur  l'examen  des  comptes  du  trésorier 


Dubreuil,  l'un  des  commissaires  nommés  pour  examiner  les 
comptes  du  trésorier  et  la  gestion  du  'Comité  d' administration ,  rend 
compte  de  leur  travail.  La  discussion  générale  qui  s'instaure  se  ter- 
mine par  le  renvoi  smx  commissaires,  qui  devront  être  à  même  de 
débattre  le  compte  général,  contradictoiremen't  avec  le  Comité,  le 
l01  octobre  prochain.  Moreton  propose  alors  que  la  Société  arrête 
fcur  le  champ  de  remplacer  le  Comité  d'administration  et  le  trésorier. 

Cette  motion  fut  rejetée  sur  les  observations  de  Robespierre, 
et   Moreton  donna   sa  démission  de   commissaire,    qui  fut   acceptée. 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  n°  64. 
«   Cette  motion  un  peu   vive  est  rejettée  sur   les  observations  de 
M.   Robespierre   »    (1). 


(1)  Texte  reproduit  dans  Aulard,   III,   143. 


360.  —  SEANCE  DU  24  SEPTEMBRE  1791 
Sur  les  droits  politiques  des  hommes  de  couleur  (1) 


Le  23  septembre,  Barnave,  au  nom  de  quatre  comités,  avait  pré- 
senté un  rapport  à  l'Assemblée,  sur  la  situation  des  colonies.  Les 
comités  entendaient,  par  des  mesures  de  portée  générale,  assurer 
d'une  part  Ja  tranquillité  des  habitants,  et  d'autre  part  les  intérêts 
de  la  métropole  dans  le  commerce  colonial.  En  conséquence,  ils  pro- 
posaient un  projet  de  décret  en  4  articles.  Le  premier  donnait  à 
l'Assemblée  législative  seule,  avec  la  sanction  du  roi,  le  droit  de 
statuer  .sur  les  questions  intéressant  le  commerce  et  la  défense  des 
colonies.  L'art.  2  stipulait  que  les  assemblées  coloniales  pourraient 
faire  sur  ces  mêmes  questions,  toutes  demandes   et   représentations 


Cl)  Cf.    ci-dessus,    séance   extraordinaire,    du    5   septembre    1791, 
K.  Hamel,   I,  554,  et  G.  Waltcr,  p.  123. 


728  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

qu'elles  jugeraient  utiles,  mais  qui  ne  seraient  considérées  que  com- 
me <le  simples  pétitions  L'art.  3  portait  que  les  lois  concernant 
l'état  des  personnes  non  libres  et  l'état  politique  des  hommes  de 
couleur  libres,  seraient  faite?  par  les  assemblées  coloniales  et  por- 
tées directement  à  la  sanction  du  roi,  «  sans  qu'aucun  décret  anté- 
rieur puisse  porter  obstacle  au  plein  exercice  du  droit  conféré  par 
ie  présent  article  aux  assemblées  coloniales  ».  L'art.  4  prévoyait  que 
les  autres  lois  concernant  le  régime  intérieur  des  colonies,  seraient 
déterminées  par  le  pouvoir  législatif,  les  assemblées  coloniales  étant 
simplement  autorisées  à  exprimer  leurs  vœux  en  la  matière.  En  fait. 
ce  projet  de  décret  visait  essentiellement  à  anmuler  le  décret  du 
15  niai,  qui  avait  accordé  les  droits  politiques  aux  hommes  de  couleur 
libres  (2).  Plusieurs  membres  ayant  ce  jour-là  demandé  l'ajourne- 
ment à  da  prochaine  législature  de  tout  ce  qui  concernait  les  colo- 
nies, l'Assemblée  avait  rejeté  l'ajournement  à  une  majorité  de  207 
voix  contre  191. 

La  discussion  reprend  le  24  septembre.  Reubell  demande  que 
l'Assemblée  décide  si  elle  est  compétente  pour  révoquer  elle-même 
le  décret  du  15  mai.  Sa  motion  est  rejetée.  Roussillon,  député  du 
tiers  état  de  la  sénéchaussée  de  Toulouse,  soutient  le  projet  du 
comité.  Robespierre  intervient  après  lui.  Son  discours  donne  lieu 
à  de  vifs  incidents  où  interviennent  Begouen,  négociant  au  Havre, 
député  du  'tiers  état  du  bailliage  de  Oaux  à  Caudebec,  et  le  mar- 
quis de  Gouy  d'Arsy. 

Finalement,  la  discussion  générale  ayant  été  fermée,  les  deux 
premiers  articles  furent  décrétés.  L'art.  2,  après  qu'un  amendement 
sauvegardant  les  droits  politiques  des  homme  de  couleur  libres  eût 
été  repoussé,  fut  voté  avec  un  léger  amendement  présenté  par  Biau- 
zat.   L'art.   4  fut  décrété   à   son   tour  par   l'Assemblée    (3). 


(2)  L'agitation  nés  à  la  suite  du  décret  du  15  mai  s'était  accrue 
depuis  la  séance  du  5  septembre.  Ainsi  que  l'écrit  Périsse  du  Luc 
à  Wuillermoz  (Bihl.mun.  Lyon,  ms.  5430,  n°  44),  les  rivalités  prennent 
un  tour  plus  général.  «  La  scène  a  changé,  Brissot,  ami  de  Péthion 
se  mit  à  attaquer  les  Lameth;  d'abord  avec  des  égards,  et  augmen- 
tant toujours  son  venin,  jusqu'à  sa  discussion  sur  les  gens  de  cou- 
leur, il  vint  à  bout  par  ses  intrigues  aux  Jacobins  et  dans  Paris, 
de  mettre  les  Lameth  dessous  et  les  Péthion  dessus...  ».  On  multiplie 
à  ce  sujet  les  attaques  contre  Robespierre,  et  la  Feuille  du  Jour 
rappelle  la  phrase  fameuse  :  «  Périssent  les  colonies,  plutôt  que  de 
leur  sacrifier  un  principe!  »  (n°  340,  p.  1267). 

(3)  L'opposition  des  colons  blancs  subsiste  après  la  séparation 
de  la  Constituante,  témoins  la  brochure  de  Joseph-Pierre  Du  Morier, 
intitulée  :  «  A  l'Assemblée  nationale,  contre  la  motion  faite  par 
M.  Guadet,  relative  à  l'état  politique  des  gens  de  couleur  et  contre 
toute  autre  motion  tendante  à  faire  révoquer  ou  altérer  le  décret 
du  24  septembre  1791.  <B.N.  4°  LK9  192). 

Barnave  écrit  à  la  reine,  le  25  septembre  :  «  La  délibération 
d'hier  est  une  grande  victoire;  elle  est  importante  pour  le  Roi,  sous 
le  double  rapport  de  l'intérêt  national  qui  était  dans  le  plus  grand 
danger  et  sous  celui  de  la  prérogative  royale  qui,  par  le  décret 
rendu,  a  acquis  beaucoup  de  considération  et  d'influence.  Ce  décret 
qui  assure  la  conservation  des  colonies,  un  des  plus  grands  biens, 
des  plus  grands  soutiens  du  gouvernement  monarchique,  non  seule- 
ment contrarie  essentiellement  les  espérances  des  républicains,  mais 
donne  au  R,oi  un  moyen  de  plus  pour  les  abattre,   dans  l'influence 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  729 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logog.,  t.  XXXIV,  p.  267  (4). 

Courier  de  Provence,  n°  346,  p.   193  à  206  (5). 

Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  269,  p.   1120-1121    (6). 

«  M.  Robespierre  Lorsqu'on  se  présente  à  votre  tribunal  pour 
défendre  celui  de  vos  décrets  qui,  au  jugement  de  la  nation,  a  le  plus 
honoré  cette  Assemblée,  pour  empêcher  que  dans  un  moment,  et  presque 
sans  discussion,  d'après  des  faits  recueillis  par  des  parties  qui  ne  sont 
pas  entièrement  désintéressées  dans  cette  affaire,  d'après  des  déclara- 
tions plusieurs  fois  répétées  et  toujours  repoussées  par  vous  dans  cette 
affaire;  on  élève  sur  ce  système,  conforme  aux  droits  de  la  justice,  de 
la  raison,  de  l'intérêt  national,  un  système  nouveau  fondé  sur  des  prin- 
cipes absolument  différens;  alors  le  premier  sentiment  qu'on  éprouve, 
c'est  l'étonnement  de  discuter  devant  vous  une  pareille  question;  on  est 
bien  éloigné  sur-tout  de  penser  que  cette  question  soit  déjà  préjugée 
avant  d'avoir  été  discutée  avec  la  profondeur  qu'elle  exige.  Eh  !  fut-il 
vrai  qu'on  dût  faire  encore  des  efforts  impuissans  pour  réclamer  les 
droits  de  l'humanité,  ce  seroit  encore  un  devoir  de  les  réclamer;  c'est 
ce  qui  m'encouragera  à  vous  parler  encore,  et  de  l'intérêt  national  qui 
paroît  si  méconnu  par  les  sentimens  de  ceux  que  je  combats,  et  même 
de  justice  et  de  philosophie.  , 

qu'il  lui  donne  nécessairement  sur  tout  le  commerce  dont  les  rela- 
tions avec  les  colonies,  mises  en  partie  sous  l'autorité  exclusive  du 
Roi,  sont  très  précieuses  »  (Marie-Antoinette  et  Barnave  Corres- 
pondance secrète,  publiée  par  Aima  Soëderhjelm,  1934,  dans  la  collec- 
tion  «  iLes  classiques  de   la  Révolution  française  »,   p.   117-118). 

(4)  Le  texte  de  Le  Hodey  que  nous  publions  ici  est  le  plus  complet  ; 
il  a  été  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXXI,  274-278;  Bûchez  et 
Roux,  TX,  461-469;  et  tiré  à  part,  brochure  in-8",  s.d.  vraisemblable- 
ment de  1838  (B.N.  8°  Laïï2  200). 

(5)  Le  texte  du  Courrier  de  Provence  est  identique  à  celui  du 
Moniteur,  et  il  le  présente  (t.  XVII,  p.  191)  par  ces  phrases:  «  Tous 
les  amis  de  l'humanité  s'attendoient  à  voir  M.  Robespierre  défendre 
sa  cause.  Jamais  cet  orateur  ne  fut  plus  éloquent  que  dans  le  dis- 
cours qu'il  prononça  'à  cette  séance,  en  faveur  des  gens  de  couleur. 
Comme  nous  croyons  essentiel  de  le  faire  connaître  en  entier,  et 
que  les  bornes  de  cette  feuille  ne  nous  permettent  pas  de  l'insérer 
ici,  nous  le  transcrirons  dans  le  prochain  inuméro...  ». 

(6)  (Le  Moniteur  s'est  conten'té  de  publier  les  passages  suivants: 
Lç  début  jusqu'à  «  leurs  anciennes  habitudes  et  leurs  chances  ». 

«  Les    colons    sont   mdj?nés de   cette    assemblée.    » 

«  Je  rappelle  à  l'Assemblée celui-ci.  » 

«  Ce   qui    vient   d'être  dit changer.    » 

«  Je  passe  maintenant une  chimère,  » 

k  Des   intrigues  sont-elles et  à   la  justice,    » 

«  Qu'il  me  soit  permis son  naufrage.  »> 

«  Mais,   messieurs au   fond   et   à  gauche.    » 

«  .Mais  qnii  est-ce  donc jusqu'à  la  fin.  » 

Il  est  reproduit  dans  le  Moniteur,  IX,  767-770,  et  Laponneraye, 
I.    189. 


730  LES   PJSÇQVRS    m   ROBESPIERRE 

«,  La  première  question  que  l'on  doit  se  faire,  ce  me  semble,  dans 
ce  moment,  c'est  de  demander  si,  pour  attaquer  les  décrets  que  vous 
ayez  rendus,  l'on  vous  présente  des  raisons  qui  n'aient  été  ni  prévues 
ni  discutées,  lorsque  vous  les  avez  portés.  Or,  je  vois  ici,  messieurs,  les 
mêmes  moyens  employés;  d'une  part,  des  maux  infinis  qu'on  vous  pro 
nostique  pour  vous  faire  peur;  de  l'autre,  des  raisonnemens  qui  ne  pour- 
roient  souffrir  le  plus  léger  examen  :  raisonnemens  démentis  à  la  fois  et 
par  les  raisons  et  par  les  faits. 

«  Je  commence  par  examiner  en  très-peu  de  mots  les  raisonnemens 
moraux  et  politiques,  allégués  par  le  rapporteur  du  comité  colonial.  Il 
vous  a  exposé  sa  théorie  sur  l'unique  moyen,  suivant  lui,  de  conserver  la 
tranquillité  et  la  subordination  des  esclaves  dans  les  colonies.  Or,  il 
nous  a  dit  que  cet  ordre  de  choses  tenoit  essentiellement  et  exclusive- 
ment à  l'extrême  distance  que  ces  esclaves  appercevoient  *ntre  les 
blancs  et  eux;  que  cette  distance  disparoîtroit  à  leurs  yeux,  si  les  hom- 
mes de  couleur  jouissoient  des  mêmes  droits  que  les  blancs. 

«  Voilà  un  raisonnement  qui  est  absolument  démenti  par  les  faits,  et 
par  toutes  les  raisons  d'analogie.  Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  qu'avant 
votre  décret  les  hommes  libres  de  couleur  jouissoient  des  droits  de 
citoyen,  qu'ils  ne  jouissoient  pas  des  droits  politiques,  parce  qu'alors 
nul  citoyen  n'avoit  des  droits  politiques;  mais  ils  étoient  dans  !a  classe 
des  blancs  sous  le  rapport  des  droits  civils  dont  les  citoyens  jouissoient 
seuls  alors;  ainsi  alors  des  esclaves  voyoient  des  hommes  de  couleur 
à  une  distance  infinie  d'eux,  et  cette  distance  étoit  celle  de  l'esclavage 
à  la  liberté,  du  néant  à  l'existence  civile;  or,  je  demande  si  ces  nou- 
veaux droits  que  vous  avez  accordés  aux  hommes  libres  de  couleur  met- 
traient entr'eux  et  les  autres  une  distance  plus  grande  que  ne  mettrait 
entr'eux  et  les  esclaves  l'acquisition  de  la  liberté  et  de  l'existence 
civile.  Or,  si  cette  distance  n'a  rien  diminué  de  la  subordination  des 
esclaves,  s'il  est  faux  que  ces  idées  parviennent  jusqu'à  leur  esprit, 
n'est-il  pas  évident  que  le  raisonnement  qu'on  vous  fait  pour  égarer  votre 
justice  est  une  pure  illusion,  et  le  résultat  de  l'imagination  des  partisans 
du  projet  de  décret  que  je  combats.  On  n'a  pas  manqué,  messieurs, 
d'appuyer  ce  système  extravagant  d'un  fait  très  extraordinaire;  on  vous 
a  dit  que  la  déclaration  des  droits  que  vous  avez  reconnue  dans  les  hom- 
mes libres  de  couleur,  avoit  excité  une  insurrection  parmi  les  esclaves; 
on  vous  a  cité  la  Croix  des  bouquets;  j'affirme  que  ce  fait  est  faux  (mur- 
mures) et  j'atteste  tout  homme  raisonnable  qui  voudra  réfléchir  et  sur 
les  faits  et  sur  la  nature  même  de  la  chose,  que  quelques  lettres  que 
l'on  peut  se  faire  écrire  à  son  gré  (ah!  ah!)  n'auront  jamais  autant  de 
poids  sur  les  personnes  raisonnables,  que  ce  fait,  connu  de  tout  le  mon- 
de, que  dans  les  colonies  nulle  lettre,  depuis  l'origine  des  contestations 
que  la  révolution  a  fait  naître  entre  les  blancs  et  les  hommes  libres  de 
couleur,  ne  peut  parvenir  aux  hommes  de  couleur  sans  avoir  été  déca- 
chetée; c'est  un  fait  notoire  connu  de  tout  le  monde,  et  qui  est  beau- 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  731 

coup  plus  certain  que  les  fables  que  Ton  nous  débite  pour  appuyer  le 
système  du  Comité.  (Au  centre:  Ça  n'est  pas  vrai;  applaudi ssemens 
dans  l'extrémité  gauche).  On  ne  persuadera  jamais  à  personne,  je  ne 
dis  pas  seulement  que  les  décrets  de  l'assemblée  nationale,  mais 
même  les  relations  de  ces  décrets,  avec  les  droits  de  citoyens,  puissent 
donner  des  idées  assez  nettes  à  des  hommes  abrutis  par  l'esclavage,  qui 
ont  très  peu  d'idées,  ou  qui  n'ont  que  des  idées  absolument  étrangères 
à  celles  dont  il  s'agit  en  ce  moment,  pour  les  engager  à  rompre,  tout  à 
la  fois,  et  leurs  anciennes  habitudes  et  leurs  chaînes. 

«  Je  dis  qu'on  ne  persuadera  à  personne  que  des  esclaves,  qui  ne 
savent  pas  lire,  qui  sont  entourés  de  toutes  les  précautions,  de  toutes 
les  entraves,  dont  leurs  maîtres  veulent  les  environner,  puissent  prendre, 
de  vos  décrets,  la  connoissance  nécessaire  à  des  hommes  capables  de 
réflexions,  pour  en  tirer  de  pareilles  conséquences  et  pour  y  conformer 
leur  conduite.  Je  conclus  de  toutes  ces  raisons  que  le  fait  est  absolument 
faux  (ah!  ah!  au  centre;  applaudi  au  fond  à  gauche). 

«  M.   Bamave.    Je    demande    à    répondre. 

«  M.  Robespierre.  On  vous  a  donné  deux  raisons  de  théorie  pour 
prouver  que  votre  décret  iroit  absolument  bouleverser  les  colonies.  On 
vous  a  dit  que  jamais  les  blancs  ne  pourroient  s'y  soumettre,  pour  deux 
raisons  :  la  première,  c'est  que  vous  avez  violé  la  promesse  solemnelle 
faite  aux  colons  par  un  décret  précédent.  La  seconde,  que  cette  pro- 
messe une  fois  violée,  les  blancs  ne  pourroient  jamais  croire  que  vos 
principes  ne  vous  entraîneroient  pas  à  décréter  un  jour  la  liberté  des 
esclaves.  Eh  bien,  messieurs,  voici  encore  une  assertion  dont  chaque 
membre  de  l'assemblée  peut  appercevoir  la  fausseté. 

«  Les  colons  sont  indignés,  dit-on,  de  ce  que  vous  avez  violé  la  foi 
que  vous  leur  avez  donnée!.-.  Mais  quel  homme  de  bonne  foi  peut 
soutenir  ici  que,  par  aucun  de  vos  décrets,  vous  ayez  pris  avec  les  colons 
blancs  l'engagement  de  dépouiller  les  hommes  de  couleur  de  la  qualité 
de  citoyens  actifs,  que  vous  ayez  promis  de  ne  rien  décréter  à  cet  égard 
sans  le  consentement  et  l'initiative  des  colons  blancs  ?  Qu'on  me  le  cite 
ce  décret:  est-ce  celui  du  28  mars?  Eh!  c'est  celui  que  j'invoque  pour 
réclamer  la  foi  qui  avoit  été  donnée  à  tous  les  membres  de  cette  assem- 
blée. Oui,  messieurs,  c'est  Ce  jour  que  l'on  manqua  deux  fois,  et  parti- 
culièrement à  cette  assemblée  et  à  ceux  qui  avoient  voté  conformément 
aux  principes  sur  lesquels  ce  décret  a  été  fondé,  J'atteste  la  mémoire 
et  la  conscience  de  ceux  qui  m'écoutent  ,que,  lorsqu'il  fut  question  de 
ce  décret  qui  accordoit  la  proposition  initiative  aux  habitans  des  colonies 
sur  l'état  des  personnes;  jamais  on  n'expliqua,  jamais  on  ne  prétendit 
que,  par  ces  mots  personnes,  la  proposition  n'étoit  point  donnée  aux 
hommes  libres  de  couleur,  comme  aux  colons  blancs,  sans  aucune  distinc- 
tion de  couleur;  en  second  lieu,  que  ce  mot  personnes  renfermoit  les 
hommes  libres  de   couleur. 

«  Je  rappelle  à  l'Assemblée  qu'alors,  en  effet,  quelques  personnes 


732  LES    PJSÇOVRS    pE    ROBESPIEWm 

eurent  des  inquiétudes,  non  pas  sur  le  fond  de  la  chose,  qui  ne  pouvoit 
présenter  aucune  difficulté,  mais  sur  les  intentions  de  ceux  qui  auraient 
pu  désirer  favoriser  les  colons  blancs  aux  dépens  des  hommes  libres  de 
couleur.  Ils  manifestèrent  ces  inquiétudes,  et  demandèrent  que  l'assem- 
blée déclarât  que  ces  mots  ne  renfermoient  point  les  esclaves;  on  répon- 
dit: Cela  n'est  point  nécessaire;  il  est  bien  entendu  que  les  hommes 
libres  de  couleur  n'y  sont  point  compris  :  et  c'est  sur  la  foi  de  cette 
explication,  qui  n'étoit  pas  même  nécessaire,  que  tous  les  membres 
acquiescèrent  au  décret  qui  vous  fût  présenté  par  le  même  rapporteur 
qui  vous  présente  celui-ci. 

«  M.   Barnave   (rapporteur).    Ce   fait   est   absolument   faux. 

«  Plusieurs  voix.  C'est  vrai,  c'est  vrai. 

«  M.  Grégoire.  Je  demande  la  parole.  Je  ne  conçois  pas  comment 
M.  Barnave  peut  nier  ce  fait.  Il  est  de  fait  que  le  28  mars,  ce  fut  moi 
qui  demandai  que  nominativement  les  gens  de  couleur  fassent  dénom- 
més dans  ce  décret.  Il  est  de  fait  que  M.  Barnave  me  dit  lui-même  qu'il 
ne  les  en  avoit  pas  exclus;  et  il  est  de  fait  qu'au  mois  de  mai  dernier, 
après  bien  des  interpellations,  M.  Barnave  a  été  obligé  d'en  faire  l'aveu 
lui-même. 

a  M.   Barnave    [ ]    (7). 

«  M.  Robespierre.  Ce  qui  vient  d'être  dit  prouve  la  vérité  de  ce 
que  j'ai  avancé;  car  dès  qu'une  fois  ces  mots  toute  personne  ne  préju- 
gent rien  contre  les  hommes  libres  de  couleur,  il  s'ensuit  que  vous 
n  avez  fait  aucune  promesse  aux  colons  blancs,  relativement  aux  gens 
de  couleur.  C'est  à  tort,  par  conséquent,  qu'on  vous  objecte  la  préten- 
due foi  donnée  aux  colons  blancs,  comme  une  raison  de  leur  sacrifier 
les  droits  des  hommes  de  couleur  libres,  et  comme  un  motif  qui  peut 
les  exciter  à  la  révolte  contre  vos  décrets;  et  si  j'avais  besoin  de  resti- 
tuer dans  toute  son  intégrité  le  fait  que  j'avais  posé,  je  vous  rappellerons 
un  autre  fait  certain  qui  vous  a  été  rappelé  par  M.  Tracy,  savoir  qu'à 
l'époque  de  ces  décrets,  toutes  les  prétentions  que  les  colons  blancs 
annonçoient  n'étaient  que- celles  de  garantir  leurs  propriétés  de  la  crainte 
de  voir  toujours  les  esclaves  parvenir  à  la  liberté;  c'est  que  ces  mots 
toute  personne,  c'est  que  les  clauses  qu'ils  renferment  ne  leur  furent 
données  que  pour  calmer  leurs  inquiétudes.  Elles  leur  furent  même 
alors  vivement  disputées,  parce  que  nous  avions  une  extrême  répugnance 
à   consacrer  formellement   l'esclavage.    Ces  tems  devoient-ils   changer? 

«  Quoiqu'il  en  soit,  M.  le  rapporteur  donne  encore  pour  un  des 
motifs  des  troubles  que  vos  justes  et  sages  décrets  doivent  exciter  parmi 


.(7)  Variante  du  'Courier  de  Provence  (p.  199).  «  Ici,  M.  Barnave 
donna  un  démenti  à  M.  Robespierre,  et  M.  Grégoire,  (à  son  Ibour, 
démentit  M.  Barnave.  M.  Barnave.  un  peu  déconcerté  de  la  vigou- 
reuse apostrophe  de  ce  dernier,  balbutia,  et  donna  des  raisons 
tant    bonnes    que   mauvaises.    » 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  733 

les  colons  blancs,  la  crainte  que  les  principes  de  l'assemblée  nationale 
ne  la  portent  un  jour  à  décréter  la  liberté  des  esclaves.  C'est  prévoir 
les  malheurs  de  bien  loin,  il  faut  en  convenir,  car  nous  ne  sommes  pas 
encore  réduits  au  résultat  de  voir  les  principes  de  la  justice  et  de  l'hu- 
manité faire  des  progrès  assez  rapides  et  pour  occasionner  des  allarmes 
telles  que  les  amis  de  la  libetré  eussent  lieu  de  s'en  repentir.  (Applaudi). 

«  Mais  puisque  cette  crainte  des  principes  de  l'assemblée  nationale 
est  fondée,  suivant  M.  le  rapporteur,  sur  l'exemple  d'infidélité  que  nous 
lui  avons  donné;  comme  cet  exemple  n'est  qu'une  chimère,  il  est  évi- 
dent que  la  crainte  qu'il  fait  concevoir  aux  colons  blancs  est  également 
chimérique. 

«  Je  passe  maintenant  à  l'examen  des  faits  préparés,  présentés  avec 
beaucoup  de  chaleur  et  de  véhémence  pour  exciter  dans  vos  âmes  des 
alarmes  capables  de  l'emporter  sur  votre  justice  et  sur  votre  sagesse. 
Quels  sont  donc  ces  faits  ?  Qui  oserait  donc  ici  invoquer  l'expérience  ? 
Â-t-on  fait  quelque  tentative  pour  exécuter  vos  décrets  ?  A-t-on  employé 
un  seul  moyen  pour  applanir  les  difficultés  qui  pouvoient  se  rencontrei 
dans  leur  exécution  ?  A-t-on  exigé  l'obéissance  comme  on  devait  le 
faire  ?  A-t-on  manifesté  que  l'on  vouloit  réellement  que  ce  décret  fût 
exécuté.  Ce  décret  n'a  pas  même  été  envoyé  !  Mais  à  la  place  des 
libelles  séditieux  ont  été  envoyés,  des  manoeuvres  coupables  ont  été 
employées  pour  exciter  la  révolte.  De  tous  les  faits  que  l'on  vous  pré- 
sente, ou  que  l'on  auroit  dû  vous  présenter,  celui-là  seul  est  vrai.  Que 
nos  adversaires  démentent  cet  écrit  incendiaire  envoyé  du  sein  du  Comité 
colonial  dans  les  colonies  pour  empêcher  l'exécution  de  votre  décret. 

«  M.   Begouin.   Quel  est-il  ?   Je  défie  M.   l'Opinant  de  le   citer. 

«  M.  Robespierre.  La  lettre  de  M.  Gouy  est-elle  ausis  une  chi- 
mère ? 

«   Une  voix.   M.  Gouy  n'est  pas  du  Comité. 

«  M-  Bégouin.  Je  demande  que  l'opinant  cite  l'écrit  dont  il  parle, 
sans  quoi  j'atteste  qu'il  est  calomniateur.  (Murmures). 

«  M.  Gouy.   Messieurs...  {A   l'ordre  du  jour). 

«  M.  Robespierre.  Peut-on  dire  qu'une  loi  est  inexécutable,  lors- 
que ceux  qui  étoient  chargés  d'en  faciliter  l'exécution  ne  l'ont  pas  voulu, 
lorsque  ceux  qui  étoient  intéressés  à  empêcher  l'exécution,  ont  fait  ce 
qui  étoit  en  leur  pouvoir  pour  la  traverser  7  Des  intrigues  sont-elles  des 
raisons  péremptoires  contre  une  loi  sage,  et  faut-il  que  vous  vous  hâtiez 
d'anéantir  la  vôtre  pour  conserver  des  intrigues  ?  Après  tout,  qu'y  a-t-il 
donc  dans  tous  ces  événemens  que  vous  n'avez  prévu,  lorsque  vous  ren- 
dîtes votre  décret;  alors  on  voulut  vous  épouvanter  par  des  menaces; 
alors  on  osa  vous  faire  entendre  qu'on  provoqueroit  l'insurrection  des 
blancs  contre  votre  autorité;  vous  sentîtes  que  vous  ne  deviez  point 
céder  à  ces  lâches  terreurs,  vous  eûtes  la  sagesse  de  ne  point  encourager 
l'audace,  et  de  dédaigner  les  pièges  de  l'intrigue;  vous  ne  pensiez  pas 
que  la  volonté  et  les  passions  d'une   classe   quelconque  osassent   lutter 


734  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

sérieusement  contre  la  fermeté  de  l'assemblée  nationale,  armée  de  la 
justice,  et  contre  la  puissance  de  la  nation  françoise.  Abjurerez-vous 
aujourd'hui, ces  grands  principes,  pour  ne  montrer  que  légèreté,  fai- 
blesse, inconséquence  ?  Oublierez- vous  que  c'est  la  foiblesse  et  la  lâcheté 
qui  perdent  les  gouvernemens  et  les  états,  et  que  c'est  le  courage  et  la 
constance  qui  les  conservent }  Eh  !  quels  sont  donc  ces  faits  effrayans 
qui  doivent  vous  ôter  toute  votre  présence  d'esprit  ?  Analysez-les  avec 
attention.  Mais  d'abord,  jusqu'à  quel  point  faut-il  y  croire  ?  n'est-ce 
pas  une  chose  étonnante  que  lorsqu'on  délibère  sur  un  objet  aussi 
important,  aussi  intimement  lié  et  à  la  prospérité  nationale,  et  à  la 
gloire  des  représentans  de  la  nation,  on  ne  se  donne  pas  seule- 
ment la  peine  d'examiner  les  faits  dont  on  parle  si  souvent  sans  en 
prouver  aucun,  et  dont  personne  ne  s'est  donné  la  peine  d'apprécier, 
ni  la  nature,  ni  les  circonstances,  ni  les  auteurs?  Qui  sont  ceux  qui  les 
ont  produits  ?  qui  sont  ceux  qui  les  attestent  ?  ne  sont-ce  pas  les  parties 
intéressées  ?  ne  sont-ce  pas  ceux  qui,  après  avoir  extraordinairement 
redouté  le  décret  avant  qu'il  fût  porté,  n'ont  cessé  depuis  de  la  calom- 
nier et  de  l'enfreindre  ?  ne  sont-ce  pas  ceux  qui,  après  vous  avoir  pré- 
dit de  sinistres  événemens,  se  seraient  appliqués  à  les  faire  naître,  et  qui 
voudraient  ensuite  les  supposer  ou  les  exagérer,  (applaudissemens  des 
tribunes). 

«  Ah!  messieurs,  donnez-vous  au  moins  le  tems  d'examiner;  on  a 
bien  pris  le  tems  nécessaire  pour  préparer,  pour  recueillir  ces  adresses 
présentées  dans  le  moment  qui  a  paru  le  plus  convenable  Qu'il  nous 
soit  au  moins  permis  aussi  de  recueillir  tous  les  faits  qui  les  démentent, 
et  de  nous  munir  de  toutes  les  preuves  que  le  hasard  et  l'amoui  de 
l'humanité  peuvent  avoir  jettées  au  milieu  de  nous.  Défions-nous  au 
moins  du  tumulte  et  des  cabales  qui  ont  trop  souvent  présidé  à  nos  déli- 
bérations sur  cet  important  objet  (applaudi  des  tribunes).  Opposez  aux 
adresses  de  plusieurs  chambres  de  commerce  les  pétitions  des  citoyens 
moins  intéressés  des  mêmes  villes,  qui  en  prouvent  toute  l'exagération 
et  même  quelque  chose  de  plus,  telles  que  celles  des  citoyens  de 
Rennes,  de  Brest,  de  Bordeaux.  L'arrêté  du  département  de  cette 
dernière  ville,  vous  instruit  de  ce  que  l'intrigue  peut  faire  pour 
opprimer  la  liberté  et  la  justice.  Faites-vous  représenter  toutes  ces  let- 
tres qui  prouvent  que  la  situation  des  colonies  ne  présente  rien  qui 
puisse  faire  craindre  une  résistance  décidée  à  l'exécution  du  décret, 
quand  l'autorité  de  la  nation  a  parlé;  ou  plutôt  rédu'sez  à  leur  juste 
valeur  les  faits  même  que  nos  adversaires  vous  attestent.  Alors,  loin 
d'être  effrayés,  vous  verrez  que  tout  se  réduit  à  des  signes  de  mécon- 
tentement plus  ou  moins  prononcés  par  une  partie  des  citoyens  "  de 
quelques  parties  de  nos  colonies. 

«  Certes,  il  n'étoit  pas  difficile  de  prévoir  qu'une  loi  qui  blessoit 
l'égoïsme  d'une  classe  de  colons,  occasionnerait  des  mécontentemens  et 
vous  l'aviez  prévu  au  mois  de  mai  dernier.  Il  n'est  pas  plus  difficile  de 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  735 

concevoir  que  les  chefs  d'une  insurrection  apparente  aient  tenu  des 
propos  séditieux  et  insensés,  qu'ils  aient  affecté  même  de  les  tenir,  pour 
fournir  aux  chefs  de  leur  faction  en  Europe  un  prétexte  de  faire  craindre 
la  chimérique  scission  des  colonies;  mais,  en  vérité  aux  yeux  des  hom- 
mes raisonnables,  n'y  a-t-il  pas  une  distance  infinie  entre  !e  mécontente- 
ment entre  les  menaces  de  quelques  mal-intentionnés,  et  le  dessein  for- 
mé de  lever  l'étendard  de  la  révolte  contre  la  nation,  de  briser  violem- 
ment les  liens  de  l'habitude,  de  l'honneur,  du  devoir,  et  sur-tout  de 
l'intérêt,  seul  lien  durable  qui  les  attache  à  nous.  Aussi,  fixez  votre 
attention  sur  toutes  les  pièces  relatives  aux  colonies,  qui  ne  paraissent 
point  avoir  été  fabriquées  par  l'esprit  de  parti;  vous  y  verrez  qu'au 
milieu  de  quelques  insurrections  partielles,  la  disposition  générale  des 
esprits  est  d'obéir  à  la  loi,  si  la  soumission  est  exigée  avec  fermeté; 
vous  verrez  que  les  colons  blancs  eux-mêmes  vous  avertissent  des 
pièges  que  l'on  vous  tend  en  Europe,  et  qu'ils  vous  conjurent  de 
déployer  la  fermeté  qui  vous  convient,  en  vous  donnant  la  garantie  que 
la  résistance  de  l'orgueil,  de  l'intérêt  particulier  céderont  à  l'intérêt 
général  et  à  la  justice. 

«  Je  sais  que  l'on  peut  étayer  le  système  contraire  de  plusieurs 
adresses  imposantes  au  premier  coup  d'œil,  parce  qu'elles  sont  sous- 
crites par  des  commerçants  de  plusieurs  classes,  et  que  l'on  prétend  vous 
présenter  par  là  le  vœu  du  commerce,  pour  la  loi  que  vous  devez 
rendre. 

«  Mais  on  a  voulu  vous  déterminer  à  consulter  ce  qu'on  appelle 
le  corps  du  commerce,  pour  rendre  votre  décret.  Avant  de  vous  dire 
quelles  sont  ces  adresses  en  elles-mêmes,  qu'il  me  soit  permis  de  rap- 
peller  quelques  principes  simples,  et  l'on  verra  que  non  seulement  le 
vœu  des  cornmerçans  n'est  pas  toujours  le  vœu  du  commerce;  mais 
qu'il  est  absurde  de  vouloir  donner  à  une  profession  une  influence  spé- 
ciale sur  des  lois  d'un  intérêt  général;  que  les  lois  qui  doivent  fixer  le 
sort  des  habitans  de  nos  colonies  offraient  aux  représentant  de  la  nation 
réunis  en  assemblée  nationale  constituante,  d'autres  rapports  que  ceux 
des  intérêts  mercantilles ;  que  le  vœu  général;  que  l'opinion  publique, 
que  les  principes  régénérateurs  du  gouvernement  fort,  sont  des  règles 
plus  sûres  que  les  préjugés  ou  l'intérêt  particulier,  qui  peuvent  coaliser 
un  certain  nombre  de  négocians  avec  un  certain  nombre  de  colons; 
que  les  moyens  par  lesquels  une  partie  peut  obtenir  un  nombre  de  signa- 
tures plus  ou  moins  nombreuses.  Eh  !  que  sont-elles  donc  ces  adresses, 
si  ce  n'est  le  fruit  de  l'intrigue  ?  Voyez  comment  la  plupart  sont  dictées 
par  le  même  esprit,  formées  en  quelque  sorte  sur  le  même  modèle  qu'elles 
présentent  avec  des  diatribes  violentes  contre  votre  décret,  des  décla- 
mations rebattues,  contre  la  philosophie  et  les  philosophes;  contre  la 
justice,  contre  l'humanité  et  des  éloges  pompeux  à  tous  ceux  qui 
mettent  en  avant  le  bien  public  avec  les  principes  de  la  liberté  ; 
la  justice  à  être  injuste,  l'humanité  à  n'avoir  ni  l'humanité  ni  philosophie. 


736  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

«  Daignez  peser  les  considérations  dignes  de  toute  votre  attention 
à  laquelle  elles  n'ont  pourtant  pas  été  portées.  Daignez  encore  jette»  un 
regard  en  arrière  sur  l'objet  de  toutes  les  délibérations,  sur  l'objet 
important  qui  nous  occupe.  Qu'il  me  soit  permis  de  vous  dire,  quelque 
haine  qu'il  puisse  exister  contre  moi,  le  courage  gratuit  oue  j'ai  montré 
à  défendre  la  justice,  l'humanité  et  les  intérêts  sacrés  d'une  partie  des 
citoyens  que  nous  devons  protéger  en  Amérique,  puisque  nous  nous  occu- 
pons de  leur  sort,  ne  m'abandonnera  pas;  qu'il  me  soit  permis  de  remet- 
tre sous  vos  yeux  quel  spectacle  nous  a  présenté  l'affaire  des  colonies 
depuis  qu'il  en  a  été  question  parmi  nous.  Rappelez-vous  les  disposi- 
tions particulières  toujours  présentées  à  l'improviste.  Jamais  aucun  plan 
général  qui  vous  permit  d'embrasser  d'un  coup  d'ceil  et  le  but  où  l'on 
vouloit  vous  conduire  et  les  chemins  par  lesquels  on  vouloit  vous  faire 
parvenir.  Rappelez-vous  toutes  ces  délibérations,  où  après  avoir  rem- 
porté l'avantage  auquel  on  semblait  d'abord  borner  tous  ses  vœux,  on 
s'en  faisoit  un  titre,  pour  en  obtenir  de  nouveaux;  où  en  vous  conduisant 
toujours  de  récits  en  récits,  d'épisodes  en  épisodes,  de  terreurs  en 
terreurs,  on  gagnoit  toujours  quelque  chose  sur  vos  principes  et  sur 
l'intérêt  national,  jusqu'à  ce  qu'enfin  échouant  contre  un  écueil,  on  s'est 
bien  promis  de  réparer  son  naufrage. 

«  Depuis  ce  moment,  après  avoir  pris  toutes  les  mesures  analogues 
à  ce  grand  événement,  après  que  l'on  a  cru  pouvoir  compter  sur  la  majo- 
rité de  l'assemblée  nationale,  on  vous  demande  tout  d'un  coup  ce  dont 
on  n'a  pas  même  annoncé  la  prétention  dans  ces  tems  où  yous  avez  com- 
mencé à  délibérer  sur  vos  colonies.  Daignez,  et  je  le  répète,  daignez 
consjdérer  sans  partialité,  sans  prévention  et  sans  esprit  de  parti  toutes 
ces  considérations  majeures  qui  doivent  nécessairement  influer  sur  notre 
gloire,  sur  votre  intérêt,  sur  l'intérêt  de  la  nation.  Qu'il  me  soit  permis 
de  vous  dire  encore  que  vous  ne  vous  trouvez  pas  dans  des  circonstances 
favorables  pour  prononcer  avec  le  plus  profond  examen  un  décret  sur 
cette  matière.  Qu'il  me  soit  permis  de  vous  le  dire  :  ne  vous  défiant 
point  avec  raison  des  principes  et  du  caractère  des  membres  de  votre 
comité,  colonial,  mais  vous  défiant  en  général  de  la  force  avec  laquelle 
d'anciens  préjugés  et  des  intérêts  puissans  attachent  ces  hommes  à 
une  opinion  adoptée,  vous  avez  douté  quelque  tems  si  le  comité  colonial 
remplissoit  avec  assez  d'ardeur  la  mission  que  votre  confiance  lui  avoit 
accordée,  s'il  fesoit  tout  ce  qu'il  étoit  en  lui  pour  faciliter  l'exécution  de 
votre  décret;  que  vous  avez  craint  l'influence  de  toutes  ces  causes  sur 
toutes  les  mesures  qu'il  pouvoit  proposer;  que  vous  l'avez  craint  'elle- 
ment  que  vous  lui  avez  adjoint  des  membres  qui  étoient  étrangers  aux 
mêmes  préjugés,   aux  mêmes  habitudes  et  aux  mêmes  intérêts.. 

«  Rappeliez- vous  que  ces  membres  sont  d'un  avis  absolument 
opposé  à  celui  des  anciens  membres;  que  ceux-ci  n'ont  jamais  pu  conver- 
tir les  autres,  ni  par  la  terreur,  ni  par  la  raison.  Eh  !  cependant,  mes- 
sieurs,  quels  sont   ceux  qui  persistent  à  vos  yeux  dans  cette  affaire  si 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  737 

grande  et  si  compliquée  ?  Quels  sont  ceux  sur  la  foi  desquels  vous 
croyez  à  l'authenticité  des  pièces  qui  annoncent  des  faits  arrivés  à  deux 
mille  lieues  ?  Quels  sont  ceux  dont  vous  semblez  disposés  à  adopter 
le  projet  dans  ce  même  moment  ?  Ce  sont  précisément  ces  mêmes  hom- 
mes très-estimables,  que  des  préjugés  impérieux  attachent  à  une  opinion 
rejettée  solemnellement  après  le  plus  mûr  examen,  opinion  qu'on  vous 
propose  derechef.  Je  le  répète,  il  y  a  de  quoi  fixer  votre  attention 
sur  une  affaire  aussi  importante.  Je  réclame  ici  l'intérêt  national.  J'espère 
que  les  membres  de  cette  assemblée,  versés  particulièrement  dans  la 
science  du  commerce,  n'auront  pas  de  peine  à  démentir  la  théorie  légère 
et  hasardée  qui  vous  a  été  présentée  par  le  comité  colonial;  mais  je 
réclame  l'intérêt  national  qui  n'est  point  étranger  aux  principes  de  justice 
et  de  liberté  sur  lesquels  vous  avez  fondé  votre  constitution.  Je  réclame 
cet  intérêt  sacré  de  la  justice  et  de  l'humanité  que  jamais  on  ne  par- 
viendra à  ridiculiser,  ni  dans  cette  assemblée  ni  ailleurs,  dont  la 
destinée  est  de  triompher  toujours  du  machiavélisme  et  de  l'intrigue,  je 
le  réclame,  et  ne  le  réclamerai  pas  sans  succès. 

«  Mais,  messieurs,  je  ne  puis  me  dispenser  de  répondre  à  une 
certaine  observation  que  l'on  vous  a  présentée,  pour  affaiblir  l'intérêt 
dés  hommes  libres  de  couleur.  Remarquez  qu'il  n'est  pas  question  de 
leur  accorder  leurs  droits,  remarquez  qu'il  n'est  pas  question  de  les 
leur  reconnoître,  remarquez  qu'il  est  question  de  les  leur  arracher,  après 
que  vous  les  leur  avez  reconnus.  Et  quel  est  l'homme  qui,  avec  quelque 
sentiment  de  justice,  puisse  se  porter  légèrement  à  dire  à  plusieurs 
milliers  d'hommes;  nous  avions  reconnu  que  vous  aviez  des  droits,  nous 
vous  avons  regardés  comme  citoyens  actifs  ;  mais  nous  allons  vous 
replonger  dans  la  misère  et  dans  l'avilissement;  nous  allons  vous  remet- 
tre aux  pieds  de  ces  maîtres  impérieux  dont  nous  vous  avions  aidés 
à  secouer  le  joug  ?  (Applaudi  au  fond  à  gauche).  Mais,  vous  a-t-on 
dit,  il  n'est  question  ici  que  de  très  peu  de  chose,  que  d'une  mince 
importance  pour  ces  hommes  de  couleur;  il  n'est  question  que  des  droits 
politiques,  nous  leur  laissons  les  droits  civils. 

«  Mais  qu'est-ce  donc,  sur-tout  dans  les  colonies,  que  les 
droits  civils  qu'on  leur  laisse,  sans  les  droits  politiques?  Qu'est-ce 
qu'un  homme  privé  des  droits  de  citoyen  actif  dans  les  colonies, 
sous  la  domination  des  blancs  ?  C'est  un  homme  qui  ne  peut 
délibérer  en  aucune  manière,  qui  ne  peut  influer  ni  directement, 
ni  indirectement  sur  les  intérêts  les  plus  touchans,  les  plus  sacrés  de  la 
société,  dont  il  fait  partie;  c'est  un  homme  qui  est  gouverné  par  des 
magistrats  au  choix  desquels  il  ne  peut  concourir  en  aucune  manière, 
par  des  loix,  par  des  réglemens,  par  des  actes  d'administration  pesant 
sans  cesse  sur  lui,  sans  avoir  usé  du  droit  qui  appartient  à  tout  citoyen 
d'influer  pour  sa  part  dans  les  conventions  sociales,  en  ce  qui  concerne 
son  intérêt  particulier.  C'est  un  homme  avili,  dont^la  destinée  est  aban- 
donnée aux  caprices,  aux  passions,  aux  intérêts  d'une  caste  supérieure. 


738  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

Voilà  les  biens  auxquels  on  attache  une  médiocre  importance  !  Que 
l'on  pense  ainsi  lorsqu'on  regarde  la  liberté,  le  bien  le  plus  sacré  de 
l'homme,  le  souverain  bien  de  tout  homme  qui  n'est  point  abruti;  que 
l'on  pense  ainsi,  lorsqu'on  regarde  la  liberté  comme  le  superflu  dont 
le  peuple  français  peut  se  passer,  pourvu  que  l'on  lui  laisse  la  tran- 
quillité et  du  pain;  que  l'on  raisonne  ainsi  avec  de  tels  principes  je  ne 
m'en  étonne  pas.  Mais  moi,  dont  la  liberté  sera  l'idole,  moi  qui  ne 
connois  ni  bonheur,  ni  prospérité,  ni  moralité  pour  les  hommes,  ni  pour 
\zs  nations  sans  liberté;  je  déclare  que  j'abhorre  de  pareils  systèmes, 
et  que  je  réclame  votre  justice,  l'humanité,  la  justice  et  l'intérêt 
national  en  faveur  des  hommes  libres  de  couleur.  (Applaudi),  ù 

Mercure  universel,  t.  VII,  p.  396-397. 

«  M.  Robespierre.  Ce  que  vient  de  dire  M.  Barnave,  confirme  ce 
que  je  viens  d'avancer;  quant  on  voulut  obtenir  de  vous  ce  décret  du 
12  octobre,  on  vous  dit  que  c'étoit  pour  tranquilliser  les  Colons  blancs 
sur  leurs  propriétés;  ils  craignoient,  vous  disoit-on,  que  l'on  ne  décrétât 
la  liberté  des  esclaves!  Les  temps  sont  bien  changés!  C'est  bien  plutôt 
les  amis  de  la  liberté  qui  ont  droit  de  s'effrayer  maintenant.  On  vous  a 
dit  que  votre  décret  ne  pouvoit  être  exécuté  ;  mais  a-t-on  demandé 
l'obéissance,  a-t-on  pris  quelques  mesures  pour  le  faire  exécuter  ^  On 
ne  l'a  pas  même  envoyé  officiellement,  mais  on  a  envoyé  des  foules 
de   libelles,    et   sur-tout   l'écrit   incendiaire   du  comité   colonial... 

«   Une  voix.  Quel  est-il  ? 

«  M.  Robespierre.  La  lettre  de  M.  de  Gouy.  (Des  applaudisse- 
mens  et  des  cris). 

«  M.  de  Gouy.  Cela  ne  regarde  pas  le  comité  colonial;  cette 
lettre  n'est  pas  de  moi  :  c'est  un  faussaire  qui  l'a  signée,  et  je  prou- 
verai que  c'est  pour  me  calomnier. 

«   Une  voix    L'assemblée  sait  à  quoi  s'en  tenir.  (Tumulte). 

«  M.  Robespierre.  L'on  n'a  rien  fait  pour  faire  exécuter  votre 
décret,  l'on  a  tout  fait  pour  en  empêcher  l'exécution;  mais  lorsque  vous 
avez  voulu  porter  de  sages  décrets,  on  vous  a  aussi  menacé,  on  a  voulu 
vous  effrayer;  et  ne  savez-vous  pas  que  la  dissolution  des  empires  tient 
à  la  foiblesse  des  gouvernemens  ?  Mais  qui  sont  ceux  qui  vous  rappor- 
tent de  si  singuliers  faits?  Ne  sont-ce  pas  ceux  qui  y  sont  intéressés? 
Ne  sont-ce  pas  ceux  qui  vous  ont  prédit  des  malheurs,  qui  se  sont  tour- 
mentés pour  les  faire  naître,  et  qui  viennent  ici  les  exagérer  ou  les  déna- 
turer ?  Eh,  messieurs,  prenons  le  temps  de  connoître  les  faits,  on  a  bien 
pris  le  temps  de  chercher  à  les  dénaturer;  on  a  bien  pris  le  temps  de 
fabriquer  des  adresses  mandiées  à  des  hommes  intéressés  plus  ou  moins  ? 
Défions-nous  de  la  cabale  et  de  l'intrigue  qui  trop  souvent  ont  présidé 
à  nos  délibérations  !  (Applaudissemens  des  tribunes). 

«   M.  le  président  les  rappelle  à  l'ordre. 

«  M.  Robespierre.  Faites'- vous  présenter  ces  lettres  vraies  qui  vous 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  739 

disent  :  votre  décret  sera  exécuté  dès  que  vous  le  voudrez,  ces  lettres-là 
ne  vous  sont  pas  lues.  On  prétend  vous  forcer  pour  l'intérêt  du  com- 
merce; cependant  non-seulement  l'esprit  du  commerçant  n'est  pas  tou- 
jours celui  du  commerce  :  mais  encore,  considérez  combien  il  est  dange- 
reux de  donner  de  l'influence  à  une  classe  trop  nombreuse  !  iViais 
qu'est-ce  donc  que  ces  adresses  ?  Ne  sont-elles  pas  le  fruit  des  intrigues 
d'un  parti  ?  Ne  sont-elles  pas  toutes  calquées  sur  le  même  modèle  ?  Ne 
portent-elles  pas  toutes  le  même  esprit  ?  (Applaudi  des  tribunes).  Ne 
mettent-elles  pas  toute  leur  justice  à  blâmer  l'humanité,  !a  philosophie, 
les  lumières,  la  vérité  ?  (Tumulte). 

«  Je  vous  en  supplie,  rappeliez  toutes  considérations;  sou  venez- vous 
de  ce  temps  où  l'on  vous  conduisoit  de  récit  en  r^cit,  d'épisodes  en  épiso- 
vous  de  ce  temps  où  l'on  vous  conduisoit  de  récit,  d'épisodes  en  épiso- 
des, alors  on  n'osoit  pas  ce  qu'on  ose  vous  demander  aujourd'hui.  Qu'il 
me  soit  permis  de  vous  dire  encore  que  vous  ne  vous  trouvez  pas  dans 
une  circonstance  favorable  pour  porter  un  décret  sur  ce  sujet  :  .l'oubliez 
pas  que  les  nouveaux  membres  adjoints  à  votre  comité  colonial  n'ont 
jamais  pu  être  convaincus,  ni  par  la  terreur,  ni  par  la  raison  des  opinions 
des  anciens  membres  de  ce  même  comité;  je  réclame  pour  l'intérêt  natio- 
nal; j'espère  que  quelques  membres  renverseront  cette  théorie  hasardée 
de  commerce  que  l'on  vient  de  vous  présenter;  j'espère  que  la  justice, 
l'humanité,  qui  ne  peuvent  jamais  être  ridiculisées,  ni  dans  cette  assem- 
blée, ni  ailleurs,  et  dont  le  sort  est  de  triompher  du  machiavélisme,  ne 
succomberont  pas  devant  vous  !  Mais  quel  est  l'homme,  ou  qui  sont  ceux 
qui  peuvent  dire  à  une  autre  classe  d'hommes  :  je  vous  ai  rendu  les 
droits  de  citoyen  actif  :  je  ne  vous  ai  pas  privé  des  droits  politiques  ; 
mais  je  vais  vous  précipiter  aux  pieds  de  vos  tyrans,  de  vos  maîtres  ! 
(Applaudissemens).  Quant  à  moi,  qui  ne  peux  connoître  de  justice  sans 
liberté,  je  réclame  l'exécution  de  votre  décret;  la  justice,  l'humanité, 
l'intérêt  national  en  faveur  de.s  hommes  libres  de  couleur.  (Vifs  applau- 
dissemens, des  bravo).  » 

Le  Courrier  des  LXXXUI  départemens,  n°  26,  p.  410-414. 

«  M.  Robespierre  prend  la  parole. 

[Suit  un  passage  du  Moniteur,  depuis:  «  Lorsqu'on  se  présente...  » 
jusqu'à  «  ...de  ceux  que  je  combats.  »] 

«  Cn  vous  a  dit  qu'à  la  paroisse  de  la  Croix-des-Bouquets,  les 
nègres  se  sont  soulevés:  ce  fait  est  faux,  je  le  prouverai;  et  quoiqu'on 
se  fasse  écrire  des  lettres,  pour  justifier  de  telles  assertions,  ces  faits 
ne  seront  jamais  aussi  prouvés  que  celui  connu  de  tout  le  monde,  et  que 
voici  :  c'est  qu'aucune  lettre  des  gens  de  couleur  n'est  venue  depuis 
■long-terris  de  la  Colonie  sans  être  décachetée.  (Applaudi). 

«  Un  de  vous  a  donné  des  raisons  de  théorie,  pour  prouver  que 
vous  alliez  renverser  la  Colonie;  on  vous  a  dit  que  vous  aviez  promis 
de   laisser  aux   colons  le  droit  de   statuer   sur  les  gens  de   couleur;   les 


740  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

colons,  nous  a-t-on  dit,  sont  indignés  que  vous  ayez  violé  la  foi  que 
vous  leur  aviez  donnée  !  Mais  dans  quel  décret  avons-nous  dit  que  nous 
ne  donnerions  pas  le  droit  de  citoyen  actif  et  éligible  aux  hommes 
libres  de  couleur  ?  Est-ce  dans  le  décret  du  28  mars  ?  Eh  bien,  c'est 
ce  décret  même  que  j'invoque.  N'est-il  pas  vrai  que  par  ces  mots 
toute  personne,  on  n'entendit  point  parler  des  hommes  libres  ?  On 
demanda  une  explication,  et  ce  même  rapporteur  répondit  que  cela  ne 
regardoit  point  les  hommes  de   couleur.    (Vifs  applaudissemens). 

«  M.  Bamave  se  lève,  et  d'un  ton  hagard...  Cela  n'est  pas  vrai, 
s'écrie-t-il,  cela  n'est  pas  Vrai...  «  Je  ne  conçois  pas  comment  on  peut 
nier  ce  fait,  répond  l'estimable  évêque  de  Blois;  c'est  moi  qui,  le  28 
mars,  fis  cette  interpellation  à  M.  Bamave,  et  il  est  de  fait  qu'il  répon- 
dit comme  vient  de  le  faire  l'opinant  lui-même  ». 

«  Le  rapporteur  du  comité  répond  d'une  voix  chancelante,  n'ose 
pas  nier  le  fait,  et  cherche  un  subterfuge.  M.  Roberspierre  continue  son 
discours  : 

[Suit  un  passage  de  Le  Hodey,  depuis  :  «  M.  Bamave  donne 
comme  un  des  motifs...   »  jusqu'à  «   ...de  s'en  repentir.   »] 

«  Cette  idée  sublime  et  pathétique  provoque  des  applaudissemens 
généraux.  A  ces  marques  d'approbation  succède  bientôt  un  tumulte  dif- 
ficile à  décrire.  L'opinant  cite  un  grand  nombre  de  libelles  envoyés  à 
St.  Domingue,  notamment  une  lettre  de  M.  Gouy,  dénoncée  par 
M.  Curt.  A  ces  mots,  les  meneurs  poussent  de  long  murmures,  et  c'est 
avec  peine  que  l'orateur  peut  reprendre  le  fil  de  son  discours  (8). 

[Suit  un  passage  du  Moniteur,  depuis:  «  Peut -on  dire  qu'une 
loi..  »  jusqu'à  «  ...à  l'exécution  du  décret.  »  ;  //  ajoute  un  passage 
du  Mercure  universel,  depuis:  «  Qu'il  me  soi^  permis  de  vous  dire  » 
jusqu'à  «  ...en  faveur  des  hommes  libres  de  couleur  (Vifs  applaudisse- 
mens,  des  bravo!).    )>] 

L'Ami  du  Roi  (Royou),  26  septembre  1791,  p.  2. 

«  M.  Robespierre,  qui  a  toujours  l'air  de  croire  que  ces  discus- 
sions sont  sérieuses,  monte  à  la  tribune,  armé  d'un  mortel  discours.  Ses 
raisons  on  les  devine.  Unité,  égalité,  ces  deux  mots  disent  tout.  C'est 
le  texte  dont  on  ne  se  soucie  pas  beaucoup  de  connoître  le  commen- 
taire; mais  les  faits  sont  plus  curieux.  L'opinant  commence  par  annon- 
cer qu'il  ne  fait  pas  grand  cas  de  quelques  lettres  qu'on  a  pu  se  faire 


(8)  Note  du  journal  :  «  Lorsque  la  lettre  de  M.  Gouy  fût  lue  à 
l'Assemblée  Nationale,  les  Lameth,  Barnave  et  compagnie  s'éle- 
vèrent avec  force  contre  son  auteur.  L'assemblée  de  St.  Marc  peut 
expliquer  cette  énigme.  M.  Gouy  étoit  lié  a-stec  tous  ses  membres. 
M.  Barnave  et  ses  dignes  commensaux  étoient  au  contraire  les  enne- 
mis jurés  de  cette  assemblée,  ils  dévoient  haïr  oonséquemment 
St.  Gouy.  L'intérêt. les  avoit  divisés,  l'intérêt  les  a  réunis.  Cependant 
ils  ne  s'aiment  pas  ;  ils  s'estiment  encore  moins,  et  tous  se  rendent 
justice.   » 


LES  DISCOURS   DE  ROBESPIERRE  741 

écrire  à  son  gré.  Ces  paroles  sont  remarquables  dans  la  bouche  d'un  des 
plus  brûlans  patriotes  dont  la  révolution  s'honore.    Il  a  sûrement  bien 
tort  de  dédaigner  ce  moyen;  c'est  un  de  ceux  qui  ont  été  le  plus  utiles 
à  la  destruction  de  la  monarchie,  et  qui  ont  le  plus  contribué  à  per- 
suader aux  sots  que  cette  destruction  étoit  le  vœu  général.   Mais  quels 
sont  donc,  dit  l'orateur,   ces  faits  préparés,  présentés  avec  véhémence 
pour   exciter    des    allarmes  ?    Comment    l'expérience    a-t-elle    démontré 
l'impossibilité  de  l'exécution  du  décret  du  15  mai?  A-t-on  employé  un 
seul   moyen   pour  aplanir   les   difficultés  qui  pouvoient   s'y  rencontrer? 
A-t-on  manifesté  qu'on  vouloit  véritablement  l'exécution  de  ce  décret? 
Il  n'a  pas  même  été  envoyé;  mais,  à  sa  place,  des  libelles  séditieux. 
Que  nos  adversaires  démentent  les  coupables  manœuvres  de  cet  écrit 
incendiaire   envoyé  du   sein  du  comité   colonial  dans  les  colonies  pour 
empêcher  l'exécution  du  décret.  Citez  l'écrit,  a  dit  M.  Begouin,  sans 
quoi  j'atteste  que  vous  êtes  un  calomniateur.   M.  Robespierre  demande 
si  la  lettre  de  M.  de  Gouy  est  aussi  une  chimère.  Il  n'est  pas  du  comité, 
a-t-on  dit.   M.  de  Gouy  :  elle  n'est  pas  de  moi  :  elle  est  d'un  faussaire 
qui  y  a  mis  mon  nom,   c'est  une  atrocité  de  mes  ennemis.   Le  silence 
de   M.    Robespierre   est  un   aveu   tacite   de   sa   calomnie.    Il   n'est  pas 
heureux  :  aucune  ne  lui  réussit.   Il  n'en  poursuit  pas  moins  son  opinion. 
Il  ne  veut  pas  qu'on  ait  aucun  égard  aux  adresses.  Eh!  que  sont-elles 
donc  ces  adresses,   si  ce  nest  le  fruit  de  l'intrigue?  Oui,   celles  des 
clubs,   de   cet   amas   de   pooulace   qui   déliroit   sur   la   constitution,   qui 
l'appelloit  divine  tandis  qu'elle   ne   saura  jamais   ce  que   c'est   qu'une 
constitution,  de  telles  adresses  étoient  sans  contredit  le  résultat  immédiat 
de  la  plus  basse  intrigue.  Mais  celles  du  commerce,  allarmé  de  la  pro- 
chaine destruction   des   colomes,    sont   le   fruit  d'une   sage  prévoyance, 
d'un  grand   et   légitime   intérêt.    L'orateur  objecte  que   la   plupart   sont 
dictées  par  le  même  esprit;   c'est  ce  qui  leur  donne  plus  de  poids.   Il 
observe  avec  plus  de  iustesse,  en  apparence,  ou'on  ne  doit  pas  donner 
à  une  profession  une  spéciale  influence  sur  des  loix  d'un  intérêt  général; 
mais  on  peut  lui  répondre  d'abord,  qu'il  est  juste  d'écouter  ceux  qui 
ont  intérêt  à  la  chose,  s'il  ne  l'est  pas  de  s'asservir  toujours  à  'eur  opi- 
nion intéressée.  Ensuite  que  nos  rapports  avec  les  colonies  étant  princi- 
palement   commerciaux,    c'est    une    ra'son    de    plus    d'avoir    éorard    aux 
représentations  du  commerce;  enfin  oue  l'intérêt  de  la  souveraineté  sur 
les  colonies,   d'accord   avec  ceux   du   commerce,   exige  au'on   v   main- 
tienne ou   plutôt  ou'on   y  rétablisse   la  tranquillité  que   !e  décret  a   si 
essentiellement  altérée.    » 

Le  Patriote  François,  1791,  n°  777,  p.  368. 

«  M.  Robespierre,  dans  un  discours  étendu,  plein  de  force  et  de 
logique,  a  pulvérisé  les  paralogismes  du  rhéteur-soohiste  Barnave  Nous 
sommes  fâchés  de  ne  pouvoir  entrer  dans  tous  les  développemens  de 
cette  opinion,  où  la  questoin  principale  et  toutes  les  questions  accès- 


742  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

soires  se  trouvent  traitées  à  fonds.  Nous  nous  contenterons  de  rapporter 
la  réponse  énergique  et  précise  que  fait  M.  Robespierre  à  ceux  qui 
soutiennent  que  le  décret  du  15  mai  n'est  pas  exécutable.  Quels  sont 
donc,  dit-il,  les  faits  qu'on  allègue?  Par  quels  moyens  l'expérience 
nous  a-t-elle  démontré  que  votre  décret  ne  pouvoit  être  exécuté  ?  Qui 
oseroit  donc  ici  invoquer  l'expérience  ?  A-t-on  fait  quelques  tentatives 
pour  exécuter  ce  décret  ?  A-t-on  employé  un  seul  moyen  pour  applanir 
les  difficultés  qui  pouvoient  se  rencontrer  dans  son  exécution  ?  A-t-on 
exigé  l'obéissance  comme  on  devoit  le  faire  ?  A-t-on  manifesté  que 
l'on  vouloit  réellement  que  le  décret  fût  exécuté  ?  Il  n'a  pas  même  été 
envoyé!  Au  lieu  du  décret,  on  a  envoyé  des  libelles  séditieux;  au  lieu 
des  mesures  d'exécution,  on  a  employé  les  manœuvres  les  plus  coupables 
pour  exciter  à  la  révolte  !  De  tous  les  faits  que  l'on  vous  présente,  ou 
qu'on  auro;t  dû  vous  présenter,  celui-là  seul  est  vrai. 

«  Le  discours  de  M.  Robespierre  valoit  bien  la  peine  d'être  réfuté, 
mais  il  falloit  des  raisons,  ou,  au  défaut  de  raisons,  un  grand  attirail 
de  mensonges  et  de  sophismes.   » 

Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  n°  95,  p.  15-17. 

«  Robespierre  répondit  victorieusement  à  cette  assertion,  et  le  petit 
vampire  Barnave  fut  écrasé  avec  la  massue  de  cet  autre  Hercule  ;  mais 
le  parti  étoit  pris,  ainsi  la  raison  et  la  vérité  ont  en  vain  élevé  la  voix, 
elles  n'ont  point  été  entendues;  le  mensonge  seul  a  été  honoré  de  la 
faveur  qu'on  leur  devoit.  Mais  revenons  à  la  réponse  de  Robespierre  : 
«  Quels  sont  donc,  dit-il,  les  faits  qu'on  allègue  ?  Par  quels  moyens 
l'expérience  nous  a-t-elle  démontré  que  votre  décret  ne  pouvoit  être 
exécuté  ?  Qui  oseroit  donc  ici  invoquer  l'expérience  ?  A-t-on  fait  quel- 
ques tentatives  pour  exécuter  ce  décret  ?  A-t-on  employé  un  seul  moyen 
pour  applanir  les  difficultés  qui  pouvoient  se  rencontrer  dans  son  exécu- 
tion ?  A-t-on  exigé  l'obéissance  comme  on  devoit  le  faire?  A.-t-on 
manifesté  que  l'on  vouloit  réellement  que  le  décret  fût  exécuté  ?  Il  n'a 
pas  même  été  envoyé  !  Au  lieu  du  décret  on  a  envoyé  des  libelles 
séditieux;  au  lieu  des  mesures  d'exécution,  on  a  employé  les  manœu- 
vres les  plus  coupables  pour  exciter  à  la  révolte  !  De  tous  les  faits  que 
l'on  vous  présente,  ou  qu'on  auroit  dû  vous  présenter,  celui-là  seul  est 
vrai  ».  Il  n'y  avoit  rien  à  répondre  à  tout  cela,  si  ce  n'est  des  men- 
songes et  des  sophismes,  armes  ordinaires  des  intrigans;  mais  comme 
tout  cela  demandoit  du  temps,  et  qu'on  étoit  pressé  de  conclure,  on  fit 
faire  par  Regnault  de  Saint-Jean-d'Angely,  la  motion  de  prononcer 
sans  désemparer  et  ce  qui  fut  dit  fut  fait,  à  la  grande  joie  des  coquins.  » 

[Long  résumé  de  ce  discours  dans  Le  Journal  du  Soir  (des  Frères 
Chaignieau),  t.  III,  n°  445,  p.  1  ;  Le  Journal  de  Rouen,  n°  268, 
p.  1291  ;  Le  Journal  de  Paris,  25  septembre  1791,  n.  1093:  La  Curette 
nationale  ou  Extrait. ....  t.XX,  p.353;  Le  Postillon  (Calais),  t.XII,  n°594, 


LES  DISCOURS   DE  ROBESPIERRE  743 

p. 5;  Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet),  n°  781,  p. 5;  La 
Gazette  universelle,  n°  268,  p.  1071  ;  Le  Journal  du  Soir  (Beaulieu), 
n°  265,  p.  5.  Brève  mention  dans  Le  Point  du  Jour,  t.  XXVI,  n°  810, 
p.  471  ;  Le  Journal  des  Débats,  n°  856,  p.  6;  Le  Journal  général, 
p.  970;  Le  Journal  général  de  France,  n°  257,  p.  1079;  Le  Journal  de 
la  Cour  et  de  la  Ville,  n°  25,  p.  193;  L'iArgus  patriote,  t.  II,  n°  31, 
p.  1485;  La  Chronique  de  Paris,  t.  V,  n°  267,  p.  1082;  Le  Journal 
de  Louis  XVI  et  de  son  peuple,  t.  V,  n°  128,  p.  291  ;  La  Gazette 
de  Berne,  1er  octobre  1791;  Les  Annales  patriotiques  et  littéra'res, 
n°  696,  p.  1880;  Le  Journal  universel,  t.  XIV,  p.  14375  et  14403; 
La  Feuille  du  Jour,  t.  VI,  n°  269,  p.  698;  Le  Pacquebot,  n°  267] 


361.  —  SEANCE  DU  29  SEPTEMBRE  1791 

SUR   LES    DROITS    DES    SOCIÉTÉS    ET    DES    CLUBS 


Le  Chapelier,  au  nom  de  l'ancien  comité  de  constitution,  présente 
à  l'Assemblée  un  rapport  sur  les  sociétés  et  les  clubs,  tendant  à 
limiter  leur  action  politique.  Robespierre  demande  la  question 
préalable  sur  le  projet  du  comité.  D'André  le  soutient  au  contraire. 
'La  discussion   est  fermée. 

'L'Assemblée  adopta  les  trois  premiers  articles  du  projet;  elle 
rejeta  le  quatrième  qui  prévoyait  que  le  rapport  de  (Le  Chapelier 
serait  publié  comme  instruction  à  la  loi  ainsi  votée  :  elle  se  contenta 
d'ordonner  son  impression.  L'art.  1  privait  de  leurs  droits  civiques 
pendant  deux  ans  les  citoyens  qui  auraient  entraîné  une  société  ou 
un  club  à  mander  à  sa  barre  un  fonctionnaire  ou  un  simple  citoyen, 
ou  à  entraver  l'action  d'une  autorité  légale.  L'art.  2  stipulait  la 
même  peine,  mais  pendant  six  mois  seulement,  contre  ceux  qui 
auraient  entraîné  une  société  ov  un  club  à  agir  en  nom  collectif,  à 
envoyer  une  députa/tion,  ou  tout  simplement  jà  paraître  sous  les  for- 
mes de  l'existence  publique.  L*art.  3  établissait  des  amendes  contre 
les  citoyens  passifs  coupables  de  ces  délits  (1). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logograph.,  t.  XXXV,  p    42. 
Gazette  nationale  ou  le  Moniteur  universel,  n°  275,  p.    1149  (2) 

«  M.  Robespierre.  On  propose  à  l'assemblée  de  décréter  que  ce 

(<1)  Cf.   E.   H&mel,    I,   556;  et   G.    Walter,   p.    124. 

(2)  Ce  journal  ne  publie  que  leb  passages  suivants  : 

1°  Depuis  «  La  Constitution  garantit  aux  Français...  »  jus- 
qu'à «  ...ne  consacrent  pas  ces  vérités  ». 

2°  Depuis  «  On  a  donné  de  grands  éloges...  »  jusqu'à  «  ...l'instru- 
ment qui  nous  a  si  bien  servi  ». 

3°  Depuis  «  Pour  moi,  quand  je  vois...  »  jusqu'à  «  ...la  révolu- 
tion  soit  finie  ». 

4°  Depuis  «  Je  sais  "que...  »  jusqu'à  «  ...sur  le  projet  du  comité  ». 

Texte  reproduit  dans  le  Moniteur,  X,  9-10;  dans  mxchez  et  Roux, 
XI,  454-457. 


744  LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 

rapport  sera  imprimé  et  distribué  comme  instruction  (3).  Cependant,  il 
renferme  une  ambiguïté  et  des  expressions  qui  attaquent  les  principes 
de  la  constitution.  On  a  su  parler  le  langage  de  la  liberté  et  de  la 
constitution  pour  les  anéantir,  cacher  des  vues  personnelles,  des  resren- 
timens  particuliers  sous  le  prétexte  du  bien  de  l'intérêt  public  et  de  la 
justice.  (Applaudi  des  tribunes). 

«  Plusieurs  voix.   A   Tordre. 

«  M.  Robespierre.  C'est  un  art  qui  n'est  pas  étranger  aux  révolu- 
tions et  que  nous  avons  vu  déployer  assez  souvent  dans  la  nôtre  pour 
avoir  su  l'apprécier.  Pour  moi,  je  l'avoue,  si  jamais  j'ai  senti  la  joie 
de  toucher  au  terme  de  notre  carrière,  c'est  au  moment  où  j'ai  vu  en 
donner  ce  dernier  exemple.  J'aurois  pensé  que  la  veille  du  jour  où  la 
législature  nouvelle  va  nous  remplacer,  nous  pouvions  nous  reposer  à  la 
fois  et  sur  les  lumières  et  sur  le  zèle  de  nos  successeurs,  qui,  arrivant 
des  départemens,  sont  à  portée  d'apprécier  les  faits  dont  on  vous  parle 
et  de  savoir  ce  que  les  sociétés  des  amis  de  la  constitution  ont  été  et 
sont  encore,  et  si  elles  doivent  être  plus  utiles  que  nuisibles  à  la  consti- 
tution et  à  la  liberté  :  il  me  semble,  dis-je,  que  nous  aurions  pu  nous 
reposer  sur  leur  zèle  et  sur  leurs  lumières,  du  soin  de  prendre  le  parti 
le  plus  convenable. 

«  Je  me  rappelle  avec  confiance,  et  c'est  une  chose  qui  me  rassure 
contre  la  manière  dont  on  veut  terminer  notre  session,  je  me  rappelle 
avec  confiance,  que  c'est  du  sein  de  ces  sociétés  que  sont  sorti?  un 
très  grand  nombre  de  ceux  oui  vont  occuper  nos  places.  (Applaudisse- 
mens  des  tribunes  et  au  fond  de  la  gauche),  le  sais  ou'iîs  sont  l'espoir 
de  la  nation  françoise,  et  oue  c'est  à  eux  qu'elle  semble  recommander 
le  soin  de  défendre  la  liberté  contre  les  progrès  d'un  système  machiavé- 
lique qui  la  menace  d'une  ruine  prochaine  (applaudissemens  des  tribunes). 

(3)  Ce  rapport  revêtait  une  gravité  exceptionnelle  orne  les  jour- 
naux patriotes  s'Vnalèrent  aussitôt,  tel  «  iL'Ami  des  Citoyens  » 
(n°  2.  p.  18)  oui  écrit  à  ce  sujet  :  «  Ils  m'avoient  cependant  pu  par- 
venir à  leur  but,  celui  de  dissoudre  ces  sociétés.  Le  comité  de  consti- 
tution de  l'assemblée  nationale  se  chargea  de  ce  soin,  et  dans  l'avant- 
dernière  séance  du  coros  constituant,  il  proposa  un  décret,  oui, 
isolé  du  rapport  o<ui  l'avoit  ■nvAcédé.  étoit  insignifiant  ;  mais  par  une 
ruse  perfide,  il  nronosoit  de  décréter  ce  rapport  comme  instruction  ; 
ce  qui  auroit  consacré  les  dispositions  on''l  contenait.  TMle  étoit 
l'interdiction  de  la  cowpgnondance.  de  l'affiliation,  de  l'impression 
des  débats,  et  d°  la  nnbîieîté  ^°s  séances.  Mais  MM.  Péthion,  Buzot, 
Robespierre  et  "Rvedsrer   ont  fait  avorter  le  oomnlot  ». 

On  lit  de  même.  d,ans  les  "Annales  patriotiomes  et  littéraires 
(2  octobre  1791.  p.  2020"*  :  «  Le  proiet  de  décret,  isolé  des  instructions, 
étoit  insignifiant  ;  combiné  avec  les  instructions,  il  étoit  perfide...  de 
sorte  cme  <*-e  décro+  n'a  voit  été  imaginé  que  oour  faire  passer  l'ins- 
truction, c^nsp  très-tv'zzare  sans  doute.,  e-t  insou'ici  sans  exemple: 
mais  MM.  P/**on,  Tmzot.  TRobesoierre  et  Rœderer,  en  découvrant 
la  mèche,  ont  fait  avorter  le  complet.  L'instruction  a  été  écartée.  » 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  745 

«  M.  Bamave.    M.    le   président,    imposez  donc   silence   aux   tri- 


mes. 


bun 

«  M.  Robespierre.  Ce  sont  eux  qui  seront  chargés  de  défendre 
les  droits  de  la  nation  contre  les  artifices  de  ces  hommes  faux,  qui  ne 
parlent  de  la  liberté  avec  éloge  que  pour  l'opprimer  avec  impunité 
(applaudissemens  des  tribunes),  que  pour  la  poignarder  plus  à  leur  aise. 
C'est  encore  le  choix  de  ces  législateurs,  de  ces  vrais  représentans  du 
peuple,  qui  me  rassure  contre  le  décret  proposé  aujourd'hui,  quel  qu'en 
puisse   être   le   succès. 

«  J'aborde  la  question  plus  directement:  je  vais  comparer  le  projet 
de  décret  et  l'instruction  avec  les  principes  de  la  constitution- 

«  La  constitution  garantit  aux  François  le  droit  de  s'assembler 
paisiblement  et  sans  armes  :  la  constitution  garantit  aux  François  la  com- 
munication libre  des  pensées,  toutes  les  fois  qu'on  ne  fait  point  de  tort 
à  autrui.  D'après  ces  principes,  je  demande  comment  on  ose  vous  dire 
que  la  correspondance  d'une  réunion  d'hommes  paisibles  et  sans  armes, 
avec  d'autres  assemblées  de  la  même  nature,  peut  être  proscrite  par  les 
principes  de  la  constitution  ?  Si  les  assemblées  d'hommes  sans  armes 
sont  légitimes,  si  la  communication  des  pensées  est  consacrée  par  la 
constitution,  comment  osera-t-on  me  soutenir  qu'il  soit  défendu  à  ces 
sociétés  de  correspondre  entre  elles  ?  N'est-il  pas  évident  que  c'est 
celui  qui  a  attaqué  ces  principes,  qui  les  viole  de  la  manière  la  plus 
ouverte,  et  qu'on  ne  les  met  aujourd'hui  en  avant  que  pour  pallier  ce 
qu'il  y  a  d'odieux  dans  l'attentat  qu'on  veut  se  permettre  contre  la 
liberté  ?  Comment  et  de  quel  front  enverrez-vous  dans  les  départemens 
une  instruction  par  laquelle  vous  prétendez  persuader  aux  citoyens, 
qu'il  n'est  pas  permis  aux  sociétés  des  amis  de  la  constitution  d'avoir 
des  correspondances,  d'avoir  des  affiliations  ?  Qu'y  a-t-il  donc  d'in- 
constitutionnel dans  une  affiliation  ?  L'affiliation  n'est  autre  chose  que 
la  relation  d'une  société  légitime  avec  une  autre  société  légitime,  par 
laquelle  elles  conviennent  de  correspondre  entre  elles  sur  les  objets  de 
l'intérêt  public.  Comment  y  a-t-il  là  quelque  chose  d'inconstitutionnel? 
Ou  plutôt,  qu'on  me  prouve  que  les  principes  de  la  constitut'on  que 
j'ai  développés  ne  consacrent  pas  ces  vérités. 

«  M.  le  rapporteur.  Je  demande  à  répondre  à  M.  Robespierre  qui 
ne  sait  pas. 

«  M.  Lavie.  Ce  sont  des  déclamations  divagantes. 

«  M.  Prieur.  Et  moi  je  demande  à  répondre  à  l'instruction  quand 
nous  la  connoitrons.   (Applaudi  des  tribunes). 

«  M.  Rœderer.  Le  renvoi  à  la  prochaine  législature.  On  ne  doit 
pas  plus  gêner  la  liberté  des  clubs  que  celle  des  biribis. 

«  M.  Robespierre.  On  a  donné  de  grands  éloges  aux  sociétés  des 
amis  de  la  constitution  :  c'étoit  à  la  vérité  pour  acquérir  le  droit  d'en 
dire  beaucoup  de  mal  et  d'alléguer,  d'une  manière  très  vague,  des  faits 
qui  ne  sont  point  du  tout  prouvés,  et  qui  sont  absolument  calomnieux. 


746  LES  piscours  pe  Robespierre; 

Mais,  n'importe  :  on  en  a  dit  au  moins  le  bien  qu'on  ne  pouvoit  pas 
méconnoître.  Eh  bien!  il  n'est  autre  chose  que  l'aveu  des  services 
rendus  à  la  liberté  et  à  la  nation  depuis  le  commencement  de  la  révo- 
lution; il  me  semble  que  cette  considération  seule  auroit  pu  dispenser 
le  comité  de  constitution  de  se  hâter  sitôt  de  mettre  des  entraves  à  des 
sociétés  qui,  de  son  aveu,  ont  été  si  utiles.  Mais,  dit  le  rapporteur, 
nous  n'avons  plus  besoin  de  ces  sociétés,  car  la  révolution  est  finie.  Il 
est  tems  de  briser  l'instrument  qui  nous  a  si  bien  servi.  (Applaudi  des 
tribunes). 

«  M.  le  président  (4).  A  l'ordre  aux  tribunes:  elles  ne  doivent 
pas  troubler  à  chaque   instant  la  délibération. 

«  M.  Robespierre.  La  révolution  est  finie;  je  veux  bien  le  suppo- 
ser avec  vous,  quoique  je  ne  comprenne  pas  bien  le  sens  que  vous  atta- 
chez à  cette  proposition,  que  j'ai  entendu  répéter  avec  beaucoup  d'affec- 
tation; mais,  dans  cette  hypothèse,  est-il -moins  nécessaire  de  propager 
les  connoissances,  les  principes  de  la  constitution  et  de  l'esprit  public, 
sans  lequel  la  constitution  ne  peut  subsister  ?  Est-il  moins  utile  de  former 
des  assemblées  où  les  citoyens  puissent  s'occuper,  en  commun,  de  la 
manière  la  plus  efficace  de  ces  objets,  des  intérêts  les  plus  chers  de 
leur  patrie  ?  Est-il  un  soin  plus  légitime  et  plus  digne  d'un  peuple 
libre  ?  Pour  qu'il  soit  vrai  de  dire  que  la  révolution  est  finie,  il  faut  que 
la  constitution  soit  affermie,  puisque  la  chute  et  l'ébranlement  de  la 
constitution  doit  nécessairement  prolonger  la  révolution,  qui  n'est  autre 
chose  que  les  efforts  de  la  nation  pour  conserver  ou  pour  conquérir  la 
liberté.  Or,  comment  peut-on  proposer  de  rendre  nul  et  sans  influence 
le  plus  puissant  moyen  de  l'affermir,  celui  qui,  de  l'aveu  du  rapporteur 
lui-même,  a  été  généralement  reconnu  nécessaire  jusqu'ici. 

a  Mais  d'où  vient  donc  cet  étrange  empressement  d'ôter  tous  les 
étais  qui  appuient  un  édifice  encore  mal  affermi.  Quel  est  ce  système 
de  vouloir  plonger  la  nation  dans  une  profonde  inertie  sur  les  plus  sacrés 
de  tous  ses  intérêts,  de  vouloir  interdire  aux  citoyens  toute  espèce  d'in- 
quiétudes, lorsque  tout  annonce  qu'on  peut  encore  en  avoir  sans  être 
insensés;  de  leur  faire  un  crime  de  la  surveillance  que  la  raison  impose 
aux  peuples  mêmes  qui  jouissent,  depuis  des  siècles,  de  la  liberté  ? 

«  Pour  moi,  quand  je  vois  d'un  côté  que  la  constitution  naissante 
a  encore  des  ennemis  intérieurs  et  extérieurs,  quand  je  vois  que  les  dis- 
cours et  les  signes  extérieurs  sont  changés,  mais  que  les  actions  sont 
toujours  les  mêmes,  et  que  les  cœurs  ne  peuvent  avoir  été  changés  que 
par  un  miracle;  quand  je  vois  l'intrigue,  la  fausseté  donner  en  même 
tems  l'alarme,  semer  les  troubles  et  la  discorde,  lorsque  je  vois  les  chefs 
des  factions  opposées  combattre  moins  pour  la  cause  de  la  révolution 
que  pour  envahir  le  pouvoir  de  dominer  sous  le  nom  de  monarque  ;  lorsque 
d'un  autre  côté  je  vois  le  zèle  exagéré  avec  lequel  ils  prescrivent  l'obéis- 

(4)  C'est  Thouret. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  747 

sance  aveugle,  en  même  tems  qu'ils  proscrivent  jusqu'au  mot  de  liberté; 
que  je  vois  les  moyens  extraordinaires  qu'ils  emploient  pour  tuer  l'esprit 
public,  en  ressuscitant  les  préjugés,  la  légèreté,  l'idolâtrie,  loin  de 
condamner  l'esprit  d'ivresse  qui  anime  ceux  qui  m'entourent,  je  n'y  vois 
que  l'esprit  de  vertige  qui  propage  l'esclavage  des  nations  et  le  despo- 
tisme des  tyrans.  (Applaudi  des  tribunes).  Si  ceux  qui  partagent  les 
sollicitudes  des  législateurs  sont  regardés  comme  des  hommes  dange- 
reux; si  je  ne  suis  pas  convaincu  que  ceux  qui  pensent  ainsi  sont  des 
insensés,  des  imbéciles,  une  raison  me  force  à  les  regarder  comme 
des  perfides.  S'il  faut  que  je  cesse  de  réclamer  contre  les  projets  des 
ennemis  de  la  patrie,  s'il  faut  que  j'applaudisse  à  la  ruine  de  mon 
pays  :  ordonnez-moi  ce  que  vous  voudrez,  faites-moi  périr  avant  la  perte 
de  la  liberté  (applaudissemens  et  murmures)  :  aussi  bien  il  restera  en 
France  des  hommes  assez  sincèrement  amis  de  la  liberté,  assez  clair- 
voyants pour  appercevoir  tous  les  pièges  que  l'on  nous  tend  de  toutes 
parts,  pour  empêcher  les  traîtres  de  jouir  jamais  du  fruit  de  leurs  travaux. 
«  Je  sais  que  pour  préparer  le  succès  des  projets  que  l'on  offre 
aujourd'hui  à  votre  délibération,  on  a  eu  soin  de  prodiguer  les  critiques, 
les  sophismes,  les  calomnies  et  tous  les  petits  moyens  employés  par  de 
petits  hommes  qui  sont  à  la  fois  l'opprobre  et  le  fléau  des  révolutions. 
(Applaudi  des  tribunes  :  on  rit  au  centre).  Je  sais  qu'ils  ont  rallié  à  leurs 
opinions  tout  ce  qu'il  y  a  en  France  de  méchans  et  de  sots  (on  rit).  Je 
sais  que  ces  sortes  de  projets  plaisent  beaucoup  à  tous  les  hommes  inté- 
ressés '  à  prévariquer  impunément  ;  car  tout  homme  qui  peut  être  cor- 
rompu, craint  la  surveillance  des  citoyens  instruits,  comme  les  brigands 
redoutent  la  lumière  qui  éclaire  leurs  forfaits.  Il  n'y  a  que  la  vertu 
qui  puisse  [déjouer]  cette  espèce  de  conspiration  contre  les  sociétés 
patriotiques.  Détruisez-les,  et  vous  aurez  ôté  à  la  corruption  le  frein  le 
plus  puissant,  vous  aurez  renversé  le  dernier  obstacle  qui  s'opposoït  à 
ces  sinistres  projets;  car  les  conspirateurs,  les  intriguans,  les  ambitieux, 
sauront  bien  s'assembler,  sauront  bien  éluder  la  loi  qu'ils  auront  fait 
rendre  ;  ils  sauront  bien  se  rallier  sous  les  auspices  du  despotisme  pour 
régner  sous  son  nom,  et  ils  seront  affranchis  des  sociétés  d'hommes  libres 
qui  se  rassemblent  paisiblement  et  publiquement  sous  des  titres  com- 
muns, parce  qu'il  est  nécessaire  d'opposer  l'a  surveillance  des  honnêtes 
gens  aux  forces  des  intrigans  ambitieux  et  corrompus.  Alors  ils  pour- 
ront déchirer  la  patrie  impunément  pour  élever  leur  ambition  person- 
nelle sur  les  ruines  de  la  nation.  Messieurs,  si  les  circonstances  passées 
pouvoient  maintenant  se  retracer  d'une  manière  nette  à  votre  esprit, 
vous  vous  souviendriez  que  ces  sociétés  étoient  composées  des  hommes 
les  plus  recommandables  par  leurs  talens,  par  leur  zèle  pour  la  liberté 
qu'ils  ont  conquise;  que  dans  leur  sein  ils  se  réunissoien^  pour  se  pré- 
parer d'avance  à  combattre  dans  cette  assemblée  même  la  ligue  des 
ennemis  de  la  révolution,  pour  apprendre  à  démêler  les  pièges  que  les 
intrigans  n'ont  cessé  de  nous  tendre  jusqu'à  ce  moment.   Si  vous  vous 


748  LE5   PJSÇOIJRS    m   ROBESPIERRE 

rappeliez  toutes  ces  circonstances,  vous  verriez  avec  autant  de  surprise 
que  de  douleur  que  ce  décret  est  provoqué  peut-être  par  l'injure  person- 
nelle qu'on  a  fait  à  certaines  personnes  qui  avoient  acquis  une  trop 
grande  influence  dans  l'opinion  publique  qui  les  repousse  maintenant. 

«  Est-ce  donc  un  si  grand  malheur  que,  dans  les  circonstances  où 
nous  sommes,  l'opinion  publique,  l'esprit  public  se  développent  aux 
dépens  même  de  la  réputation  de  quelques  hommes  qui,  après  avoir 
servi  la  cause  de  la  patrie  en  apparence,  ne  l'ont  trahie  qu'avec  plus 
d'audace  ?  (Applaudi  des  tribunes  :  murmures). 

«  Je  sais  tout  ce  que  ma  franchise  a  de  dur;  mais  c'est  la  seule 
consolation  qui  puisse  rester  aux  bons  citoyens  dans  le  danger  où  ces 
hommes  ont  mis  la  chose  publique,  de  les  juger  d'une  manière  sévère. 

«  On  vous  a  représenté  les  sociétés  patriotiques  comme  ayant  usurpé 
la  puissance  publique,  tandis  que  jamais  elles  n'ont  eu  la  ridicule  pré- 
tention de  toucher  aux  autorités  constituées,  tandis  qu'elles  n'ont  jamais 
eu  d'autre  but  que  d'instruire,  que  d'éclairer  leurs  concitoyens  sur  les 
vrais  principes  de  la  constitution,  et  de  répandre  les  lumières  sans  les- 
quelles elle  ne  peut  subsister.  Si  quelques  sociétés  se  sont  écartées  des 
règles  prescrites  par  les  loix  :  eh  bien  !  les  loix  sont  là  pour  réprimer  ces 
écarts  particuliers;  mais  veut -on  induire  de  quelcwes  faits  isolés  dont  on 
n'a  point  apporté  la  preuve,  la  conséquence  ou'il  faille  détruire,  para- 
lyser, anéantir  entièrement  une  institution  utile  en  elle-même,  néces- 
saire au  maintien  de  la  constitution,  et  oui.  de  l'aveu  même  de  ses 
ennemis  a  rendu  des  services  essentiels  à  la  liberté  ?  S'il  est  un  spec- 
tacle hideux,  c'est  celui  où  l'assemblée  représentative  sacrifierait  aux 
intérêts  de  quelaues  individus  dévorés  de  passions  et  ambitieux,  la 
sûreté  de  la  constitution. 

«  ïe  me  borne  à  demander  la  question  préalable  sur  !e  proiet 
du  comité,  et  je  laisse  à  ceux  oui  veulent  combattre  mon  opinion  le  soin 
de  me  réfuter  oar  les  plaisanteries  si  ingénieuses,  et  par  cet  art  machia- 
véliste...;  (applaudi  au  fond  du  côté  gauche  et  des  tribunes)  »  (5). 

Mercure  universel,  1er  octobre  1791,  p.  485-488. 

«  M.  Robespierre.  J'ai  demandé  la  parole  contre  le  projet  du 
comité.  Je  vais  prouver  que  quoique  l'instruction  que  l'on  vient  de  vous 
lire  et  qui  précède  le  décret,  ne  paroisse  pas  directement  attaquer  les 
principes  de  la  constitution,  elle  en  soutient  comolettement  le  germe 
destructif.  (Les  tribunes  applaudissent,  des  députés  de  la  droite  et  même 
de  la  gauche  font  entendre  des  huées).  L'on  ne  vous  dit  pas  cme  sous 
le  masque  des  principes,  on  s'efforce  de  cacher  des  vues  et  des  ven- 
gances  personnelles,  sous  les  apparences  du  bien  public  (applaudi)  : 
c'est  un  acte  qui  n'est  pas  étranger  aux  révolutions  que  celui  des  haines 
et  de  l'intrigue;  et  si  jamais  j'ai  senti  le  besoin  de  nous  retirer  de  la 

(5)  Tfixte   reproduit  dans  les  Arch.   pari.,  XXXI,  619-621. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  749 

carrière  publique,  je  puis  le  dire,  c'est  en  ce  moment:  mais  ce  qui  me 
console,  c'est  que  c'est  en  présence  des  députés  des  départemens,  de 
nos  successeurs,  que  ces  manœuvres  se  font  appercevoir;  comme  si  eux- 
mêmes  qui  sont  appelles  de  tous  les  points  de  l'empire,  ne  savent  pas 
mieux  que  nous  si  ces  sociétés  patriotiques  sont  utiles  ou  nuisibles  ?  Je 
croyois  que  nous  pouvions  nous  reposer  sur  leurs  lumières  de  ce  soin, 
et  je  me  rappelle  avec  confiance  qu'un  très-grand  nombre  de  ceux  qui 
nous  remplacent  sont  partis  de  ces  sociétés.  (Très-app).audi  des  tri- 
bunes; le  président  les  rappelle  à  l'ordre).  Loin  d'appréhender  que  ces 
sociétés  puissent  en  rien  nuire  à  la  constitution,  je  pense  au  contraire 
que  c'est  à  ces  sociétés  que  la  confiance  de  la  nation  paroît  avoir  remis 
le  soin  de  la  défendre  contre  ces  perfidies  machiavéliques  et  ces  hom- 
mes faux  qui  osent  tout  tenter  pour  la  détruire.  (Applaudissemens  très- 
vifs  des  tribunes;  des  députés  s'en  trouvent  offensés,  et  les  menacent). 
«  C'est  encore  sur  nos  successeurs  que  je  me  repose,  pour  repousser 
le  funeste  décret  que  l'on  vous  propose,  et  je  suis  tranquille,  quelle 
qu'en  soit  l'issue.  (Applaudi  vivement;  des  cris  de  la  part  du  parti  qui 
propose  le  décret).  On  n'a  pas  rougi  de  se  servir  des  principes  de  la 
constitution  pour  vous  présenter  ce  projet  de  décret;  je  vais  le  comparer 
avec  les  principes,  je  montrerai  qu'il  y  est  complettement  opposé.  Les 
assemblées  d'hommes  paisibles  et  sans  armes,  sont  autorisées  par  la 
constitution;  il  est  aussi  permis  à  tous  les  hommes  de  se  communiquer 
librement  leurs  idées;  comment  ose-t-on  maintenant,  par  cette  nouvelle 
instruction,  vous  dire  vouloir  vous  faire  décréter  que  des  hommes  pai- 
sibles ne  peuvent  s'assembler  ?  Comment  donc  ces  sociétés,  lorsqu'il  est 
libre  à  tout  homme  de  communiquer  ses  idées,  lorsque  c'est  un  droit 
imprescriptible,  comment  donc  ces  sociétés  ne  pourroient-elles  corres- 
pondre entr-elles  ?  Comment  ceux  qui  réclament  le  contraire  ne  violent- 
ils  pas  ces  principes  ?  Que  l'on  me  prouve  qu'il  y  ait  là  quelque  chose 
d'inconstitutionnel. 

«  M.  Robespierre.  On  a  donné  de  grands  éloges  aux  sociétés  des 
amis  de  la  constitution  pour  les  accuser  ensuite  plus  sûrement  ;  pour  allé- 
guer des  faits,  sinon  controuvés,  au  moins  très-vagues,  et  qui  ne  sont 
nullement  prouvés  !  Mais,  est-ce  bien-là  la  récompense  des  grands  ser- 
vices qu'elles  ont  rendu  ces  sociétés  ?  Est-ce  bien  ainsi  que  des  hommes 
profondément  pervers  et  souillés  par  principes,  reconnoissent  des  services 
imminens?  (Très-applaudi).  Mais,  dit  le  rapporteur,  nous  pouvons  briser 
l'instrument  qui  ne  nous  est  plus  utile  !  (Les  tribunes  applaudissent  : 
à  l'ordre,  crie  le  président).  Mais,  vous  dit-on,  la  révolution  est  finie, 
nous  pouvons  maintenant  dormir  sur  la  foi  de  nos  ennemis;  ils  ont  en 
un  moment,  en  un  jour  changé  de  sentimens  et  de  principes;  ainsi  donc 
il  n'est  plus  utile  aux  citoyens  de  s'instruire  !  Il  n'est  plus  nécessaire 
d'apprendre  aux  citoyens  à  s'éclairer  des  principes  de  la  liberté  !  Mais, 
d'où  vient  donc  cet  empressement  ?   Et  pourquoi  vouloir  interdire  aux 


750  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

citoyens  le  droit  de  craindre  quand  ils  en  ont  trop  de  raison  ">  Pour- 
quoi vouloir,  dans  un  pays  libre,  ôter  aux  citoyens  le  droit  de  surveil- 
lance ?  Quand  je  vois  les  chefs  des  factions  opposées  se  disputer  l'au- 
torité secrette  pour  régner  sous  le  nom  du  monarque;  quand  je  les  vois 
tuer  l'esprit  public,  abhorer  le  nom  de  liberté,  faire  renaître  les  pré- 
jugés; quand  on  me  crie  qu'il  faut  que  je  m'endorme;  ou  il  faut  que  je 
pense  que  ceux  qui  me  parlent  sont  des  stupides,  ou  il  faut  que  je  croie 
que  ce  sont  des  traîtres,  et  s'il  faut  que  je  renonce  à  défendre  ma  patrie, 
faites-moi  périr!...  Je  sais  que  l'on  a  employé  de  petits  moyens  pour 
préparer  ces  petits  projets,  et  toutes  ces  petites  calomnies  sont  la  honte 
des  petits  hommes  qui  sont  le  fléau  de  ce  pays  (applaudi  très-vivement)  ! 
Je  sais  qu'ils  ont  rallié  à  leur  opinion  tout  ce  qu'il  y  a  en  France  de 
méchans  et  de  sots  !  (On  rit).  Je  sais  que  ces  sortes  de  projets  pla.sent 
beaucoup  à  ceux  qui  veulent  prévariquer  et  conséquemment  à  presque 
tous  les  fonctionnaires  publics,  ou  à  ceux  qui  veulent  l'être  !  Ces  gens-là 
craignent  la  surveillance  comme  les  frippons  craignent  la  lumière  (applau- 
dissemens);  détruisez  ces  sociétés  patriotiques,  et  aucun  frein  ne  pourra 
contenir  ces  intrigans  qui  veulent  déchirer  le  sein  de  la  patrie  !  Si  vous 
vouliez  porter  un  regard  sur  le  passé,  vous  n'en  auriez  que  des  ressouve- 
nirs  agréables;  c'est  là,  c'est  dans  ces  assemblées  que  vous  vous  réunis- 
siez pour  vous  instruire,  pour  vous  préparer  à  combattre  ensuite  dans 
cette  assurance  des  gens  ennemis  de  la  constitution;  c'est  là  que  souvent 
avec  des  lumières  vous  retrouviez  le  feu  sacré  du  patriotisme  le  plus 
pur;  et  c'est  parce  que  l'on  a  reçu  des  affronts,  c'est  parce  qu'on  a  eu 
des  torts,  c'est  parce  que  des  hommes  qui  avoient  servi  en  apparence  la 
cause  du  peuple,  ne  l'en  ont  trahi  qu'avec  plus  d'audace  !  (Applaudisse- 
mens  et  cris  de  bravo).  Pourtant,  c'est  l'opinion  publique  seule  qui  a 
prononcé  dans  ces  sociétés,  c'est  l'opinion  publique  qui  a  manifesté  ces 
affronts;  mais  si  vous  examiniez  les  calomnies  que  l'on  n'a  pas  craint  de 
vous  exposer,  vous  seriez  convaincu  que  ces  sociétés  n'ont  jamais  attaqué 
les  autorités  constituées,  jamais  elles  n'ont  voulu  prononcer  sur  des 
objets  publics,  et  vous  n'avez  d'autres  preuves  des  torts  qu'on  leur 
impute  que  ce  que  vous  en  ont  dit  leurs  accusateurs  :  d'ailleurs,  si  elles 
s'étoient  écartées  des  bornes  qui  leur  sont  prescrites,  les  loix  étoient  là 
pour  les  punir,  les  loix  existent  pour  tout  homme,  et  les  sociétés  patrio- 
tiques ne  contiennent  que  des  nommes;  mais  je  vous  le  demande,  en 
supposant  que  quelques-unes  d'elles  eussent  des  torts,  pourriez-vous  en 
tirer  l'induction  que  vous  devez  détruire  des  institutions  utiles  à  la  liberté. 
S'il  est  quelque  chose  de  hideux  au  monde,  c'est  l'exemple  d'une 
assemblée  de  représentans  du  peuple,  de  législateurs,  qui  écoute  et 
suit  les  haines  personnelles.  Je  demande  la  question  préalable  sur  le  pro- 
jet du  comité,  et  je  laisse  à  celui  qui  va  me  réfuter,  cette  espèce  de 
plaisanterie  machiavélique  qui  lui  sied  si  bien;  je  ne  lui  envie  pas  cet 
art  ingénieux  de  servir  la  cause  du  despotisme,  en  faisant  l'éloge  de  la 
liberté.  (Très-vivement  applaudi).  » 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  751 

Journal  des  Débats,  n°  861,  p.   15-16. 

«  Je  viens,  a  dit  M.  Robespierre,  dévoiler  l'obscurité  qui  couvre 
le  projet  qui  vous  est  soumis;  je  viens  vous  montrer  que  l'on  n'a  pris  le 
langage  de  la  liberté  et  de  la  Constitution  que  pour  les  anéantir,  et  pour 
cacher  des  vues  personnelles  et  des  ressentimens  particuliers  sous  l'appa- 
rence de  l'intérêt  public.  (On  a  applaudi  dans  les  tribunes).  C'est  un 
art  que  nous  avons  vu  déployer  souvent,  et  que  nous  avons  appris  à 
démasquer.  Pour  moi,  si  j'ai  jamais  senti  beaucoup  de  joie  de  toiicher 
au  terme  de  nos  travaux,  c'est  quand  j'ai  entendu  des  réclamations 
contre  les  Sociétés  qui  ont  assuré  la  Révolution.  J'aurois  pensé  que 
nous  aurions  pu,  au  moment  où  les  Députés  arrivent  de  tous  les  Départe- 
mens,  leur  laisser  le  soin  de  discuter  de  l'utilité  des  Sociétés,  et  de 
prendre  le  parti  le  plus  convenable;  et  je  songe,  avec  confiance  et  avec 
satisfaction,  que  c'est  du  sein  de  ces  Sociétés  qu'est  sorti  un  très-grand 
nombre  de  ceux  qui  vont  nous  remplacer.  Je  sais  que  c'est  à  eux  parti- 
culièrement que  s'attachent  l'espoir  et  la  confiance  de  la  Nation  Fran- 
çoise. C'est  en  eux  que  l'on  espère. pour  arrêter  les  progrès  de  ce  système 
machiavélique*;  pour  défendre  les  pouvoirs  de  la  Nation,  et  pour  la 
garantir  des  attaques  de  ces  hommes  faux,  qui  ne  parlent  de  la  liberté 
avec  éloge,  que  pour  opprimer  avec  impunité.  C'est  encore  le  choix  de 
ces  Législateurs  qui  me  rassure  contre  le  Décret  proposé  aujourd'hui, 
quel  que  soit  le  succès  qui  l'attend;  car,  sans  doute,  les  personnes  dont 
je  parle  auront  de  l'influence,  et  nos  erreurs  seront  bientôt  redressées. 

K  J'aborde  la  question  plus  directement.  On  n'a  pas  craint  de 
justifier  la  loi  que  l'on  vous  propose,  par  des  principes  de  la  Constitu- 
tion :  je  vais  les  comparer  moi-même  avec  le  projet  de  Loi.  La  Consti- 
tution garantit  aux  Citoyens  le  droit  de  s'assembler  publiquement  et  sans 
armes  La  Constitution  garantit  le  droit  de  communiquer  librement  ses 
pensées  quand  elles  ne  nuisent  point  à  autrui.  La  Constitution  garantit 
aux  Citoyens  François  le  droit  de  faire  tous  les  actes  qui,  par  leur 
nature,  n'ont  rien  de  contraire  aux  Lois  de  l'Etat. 

«  D'après  ces  principes,  je  demande  comment  on  ose  dire  que  la 
correspondance  d'une  société  d'hommes  paisibles  et  sans  armes  avec 
d'autres  sociétés  de  la  même  nature,  viole  les  principes  de  la  liberté. 
N'est-il  pas  évident  que  c'est  celui  qui  a  voulu  appuyer  des  principes 
de  la  Constitution  ce  que  l'on  nous  propose  d'empêcher,  qui  les  viole 
pour  se  permettre  des  attaques  contre  la  liberté  ?  De  quel  front  osera- 
t-on  envoyer  dans  les  Départemens  une  instruction  par  laquelle  vous 
persuaderiez  aux  Citoyens  qu'il  ne  leur  est  pas  permis  de  correspondre, 
d'avoir  des  affiliations }  Qu'y  a-t-il  donc  d'inconstitutionnel  dans  une 
affifiliation  ">  L'affiliation  n'est  que  !a  relation  d'une  société  légitime 
avec  une  autre  société  légitime.  (Chaque  phrase  de  M.  Robespierre 
avoit  été  couronnée  par  des  applaudissemens  des  tribunes).  Je  demande, 
a  dit  M.  Chapelier,  à  répondre  à  M-  Robespierre,  qui  ne  sait  pas  un 


752  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

mot  de  la  Constitution.  Et  moi,  s'est  écrié  M.  Prieur,  je  demande  à 
répondre  à  M.  Chapelier,  qui  la  sait  trop. 

«  M.  d'André  a  dit:  Je  demande  que  M.  Robespierre  continue 
son  opinion;  et  je  sais  que  j'ai  la  parole  après  lui.  » 

[Suit  un  bref  résumé.] 

fRésumé  de  cette  intervention  dans  Le  Législateur  français,  t.  III, 
1er  octobre  1791,  p.  2;  Le  Journal  du  Soir  (Beaulieu),  n°  271,  p.  1-2; 
Le  Journal  de  Paris,  1er  octobre  1791,  p.  1 1 15;  La  Gazette  universelle, 
n°  273,  p.  1092;  Le  Journal  de  Rouen,  n°  274,  p.  1317;  Le  Journal 
des  Décrets  de  l'Assemblée  nationale,  29  septembre  1791,  p.  600. 
Brève  mention  dans  Le  Mercure  de  France,  8  octobre  1791,  p.  106; 
Le  Journal  de  la  Noblesse...,  t.  II,  n°  41,  p.  648;  Le  Journal  général 
du  Pas-de-Calais,  n°  28,  p.  277;  Le  Journal  universel,  t.  XIV, 
p.  14413  et  14416;  Assemblée  nationale,  Corps  administratifs  (Perlet), 
t.  XIII,  n°  786,  p.  5;  Les  Annales  patriotiques  et  littéraires,  n°  728, 
p.  2013;  La  Rocambole,  n°  29,  p.  453;  La  Vedette  ou  Précis  de  toutes 
les  nouvelles  du  jour,  30  septembre  1791  ;  Le  Point  du  Jour,  t.  XXVI, 
n°  814,  p  534;  Le  Courier  de  Provence,  t.  XVII,  n°  348,  p.  248; 
Les  Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  n°  96,  p.  2.] 


362.  —  SEANCE  DU  29  SEPTEMBRE  1791  (soir) 

SUR  LE  PROJET  DE  CODE  PÉNAL  MILITAIRE 


Wimpfen,  au  nom  du  Comité  militaire,  présente  un  projet  de 
code  pénal  dont  la  discussion  occupe  la  fin  de  la  séance.  Les  pre- 
miers articles  sont  rapidement  décrétés,  mais  un  débat  s'engage  soir 
les  articles  18,  19  et  20  du  titre  I  qui  prévoient  l'établissement  die 
la  dictature  militaire  conférée  à  un  général  -par  un  décret  du  Corps 
législatif.  L'art.  18  la  définit  ainsi:  «  La  dictature  militaire  con- 
siste en  ce  que  celui  qui  en  est  revêtu  peut,  de  son  chef  et  de  ison 
autorité  suprême,  appliquer  à  ses  subordonnés,  sans  formes  ni 
procès,   tous  les  genres  de  peines  établi''  par  la  loi.    » 

C'est  alors  que  Robespierre  intervient  avec  violence.  Il  est  sou- 
tenu par  Reubell,  et  l'Assemblée  décide  l'ajournement  de  ces  articles. 
Ils  ne  reparurent  pas  dans  le  texte  définitif  adopté  le  30  septembre  (1). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXVI,  p.  542. 

«  Plusieurs  membres  ont  été  soulevés  d'indignation  à  la  vue  de  ces 
trois  articles.  M.  Roberspierre  a  dit  que  c'étoit  violer  tous  les  principes 
et  tous  les  droits  que  d'établir  ainsi  une  dictature,  espèce  de  dignité  au- 
dessus  des  loix,  contraire  à  la  sûreté  des  individus  et  au  bien  de  la 
société;  que  c'étoit  un  moyen  de  faire  commettre  des  vexations  et  des 


(1)  Rapport  de  "Wimpfen  et  texte  de  son  projet  dans  les  Arch. 
pari.,  XXXI,  636-64-2.  Texte  définitif,  ibidem,  p.  680-683.  Le  Moni- 
teur ne   reproduit  que  ce  dernier,   X,    15. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  753 

atrocités;  qu'un  pareil  genre  d'autorité  étoit  incompatible  avec  les  prin- 
cipes de  la  constitution,  et  qu'elle  avoit  été  déjà  rejettée  avec  horreur. 
(On  applaudit)   »   (2). 

(2)  Texte   reproduit  dans   les   Arch.    pari.,   XXXI,   642. 


363.  —  SEANCE  DU  30  SEPTEMBRE  1791 

SUR  LES  DROITS  DES  SOCIÉTÉS  ET  DES  CLUBS  (suite) 


Lors  de  la  rédaction  du  décret  rendu  la  veille  par  l'Assemblée, 
sur  les  sociétés  populaires,  (Le  Chapelier  substitue  dans  l'art.  I,  le 
mot  inspection  au  mot  action  (1).  Grégoire  s'élève  contre  ce  chan- 
gement qui  restreint  le  droit  de  contrôle  accordé  aux  sociétés  et  aux 
clubs,    Buzot,    puis  .Robespierre  le   secondent. 

L'Assemblée  obligea  Le  Chapelier  à  reconstituer  le  texte  pri- 
mitif, et  elle  adopta  un  amendement  de  Camus,  selon  lequel  «  les 
sociétés  patriotiques  ne  pourront  avoir  d'action  sur  les  autorités 
constituées  »  (2). 

Le  Point  du  Jour,  t.  XXVI,  n°  815,  p.  552. 
Mercure  universel,    1er  octobre    1791,  p.   490. 

«  M.  Robespierre.  L'assemblée  entend  que  les  sociétés  ne  peu- 
vent contrarier  les  actes  des  autorités  constituées,  qu'elles  doivent  y 
obéir,  s'y  soumettre  :  mais  l'assemblée  n'a  pas  entendu  que  des  citoyens 
dans  une  terre  libre,  n'auroient  aucune  inspection  sur  les  autorités  consti- 
tuées; dans  tout  pays  libre  cela  est  permis,  tout  citoyen  y  a  le  droit 
d'inspection.    (Vivement    applaudi    des   tribunes)    »    (3). 

Journal  des  Etats  Généraux  ou  Journal  Logographique ,  t.  XXXV,  p.  68 
«  M.  Robespierre.  L'assemblée  ne  peut  pas  empêcher  des  citoyens 
qui   appercevront  un   fonctionnaire   public   qui   trahira   la   nation,    de   le 
dénoncer.   (Applaudi).   » 


(1)  Cf.   ci-dessus,   préambule  de  la  séance  dm  29  septembre   1791. 

(2)  Cf.  Le  Point  du  Jour,  t.  XXVI,  p.  652,  et  E.  Hamel.    I.   55«. 

(3)  Texte  reproduit  dans  les  Arch.  pari.,  XXXI,  670. 


364.  —  SEANCE  DU  30  SEPTEMBRE  1791  {suite) 

SÉPARATION  DE  L' ASSEMBLÉE  NATIONALE 
ET  HOMMAGE  DU   PEUPLE  A  ROBESPIERRE 


L'Assemblée  constituante  tint  sa  dernière  séance  le  3U   septem- 
bre. L'Assembla  législative  devait   se  réunir  le  lendemaiû  1er  oeto- 

bre  1791.  .-.'.,,  -i 

Au  début  de  l'après-midi,  le  roi  vint  rendre  hommage  au  travail 

des  députés  m  rouis  de  la  session;  le  président  Thouret  lui  repon- 


754  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

dit.   A  la  sortie  de  la   séance,   Robespierre   fut  avec   Pétion,    l'objet 
d'une  manifestation  d'enthousiasme  de  la  part  du  peuple  (1). 

Le  Thermomètre  du  Jour,  n°   54,  p.  6. 

Annales  patriotiques  et  littéraires,  4  octobre  1791,  p.  2027. 

«  C'étoit  à  la  fin  de  la  législature  que  l'opinion  publique  devoit 
faire  justice  des  députés  rentrés  dans  la  classe  des  citoyens,  et 
rendre  à  chacun  selon  ses  œuvres  (2).  Aussi  une  foule  innombrable  de 
citoyens  a  couvert  d'applaudissemens,  le  30  septembre,  aux  iuiieries, 
les  Prieur,  les  Grégoire,  les  Roederer,  les  Buzot,  les  Coroller,  enfin 
tous  ceux  dont  le  patriotisme  ne  s'est  point  démenti  (3).  MM.  Pétion 
et  Robespierre  sortoient  des  derniers  en  se  tenant  sous  les  bras.  Des 
citoyens  (^)  ayant  à  la  main  des  couronnes  de  chêne  liées  avec  des 
rubans  tricolores,  les  ont  embrassés  en  leur  disant  :  Recevez  le  prix  de 
votre  civisme  et  de  votre  incorruptibilité  (5)  ;  nous  donnons,  en  vous  cou- 
ronnant, le  signal  à  la  postérité;  et  les  applaudissemens,  les  bravo,   les 


(1)  Of.  Ji.  Hamel,  I,  559;  et  le  Point  du  Jour,  t.  XXVI,  pp.  568 
à  560. 

Le  5  octobre  1791,  Manuel  dir.a  à  la  tribune  des  Jacobins  à  propos 
de  Robespierre  :  «  Toujours  assis  à-côté  ae  Pétion;  c'étaient  les 
jumeaux  de  Ja  liberté  ».  (Cité  par  G.  "Walter,  p.  662,  note  79). 

t,2)  A  propos  de  Barnave,  Go  r  sa  s  écrit  dans  son  Courrier  (n°  31, 
p  491)  :  «  Messieurs  Péthion  et  Robespierre  ont  reçu  une  couronne 
civique  à  la  sortie  de  séance,  pendant  qu'on  affichait  dans  tous  les 
carrefours  La  figure  du  traître  et  méprisable  barnave,  avec  deux 
faces.  Hier  ià  minuit  a  cessé  l'inviolabilité.  Quelques  plaisans  ont 
attendu    cette   heure    pour    en    étriller    quelques-uns    »>. 

(3)  D'après  G.  Walter  (p.  126),  «  c'est  à  la  Société  fraternelle 
des  deux  sexes,  présidée  par  Tallien  que  revient  peut-être  l'initiative 
de  la  manifestation  patriotique  qui  eût  lieu  le  30  septembre  ».  11 
ajoute  que  Madame  Robert  y  aurait  également  joué  un  rôle  impor- 
tant, et  se  fonde  sur  un  passage  du  Babillard  (27  octobre  1791).  On 
retrouve  dans  le  Journal  de  la  Cour  et  de  la  Ville  (n°  29,  p.  227), 
la  mention  de  ce  fait  à  propos  de  la  séance  des  Jacobins  du  dimanche 
25  septembre:  «  M.  Varnet...  propose  une  fête  civique  qui  sera  décer- 
née par  La  patrie  reconnoissante  à  MM.  Robespierre,  Péthion,  etc... 
et  qui  sera  bien  plus  belle,  bien  plus  touchante,  bien  plus  fraternelle, 
enfin,  que  toutes  ces  fêtes  à  la  royale  qui  rappellent  l'ancienne 
idolâtrie  des  Badauds  (applaudi,  applaudi,  applaudi)  ».  (Mention 
dans  AuLard,   III,   149). 

(4)  D'après  La  Vedette  ou  Précis  de  toutes  les  nouvelles  du  jour 
(2  octobre  1791,  p.  5),  ce  sont:  «  Les  écoliers  du  collège  de  Louis  Le 
Grand,  où  a  étudié  M.  Robespierre,  qui  Lui  décernent  une  cou- 
ronne ». 

(5)  On  trouve  le  qualificatif  d'Incorruptible  accolé  aai  nom  de 
Robespierre  à  partir  de  mai  1791.  E.  Hamel  cite  un  passage  des 
Mémoires  sur  la  police,  attribué  à  tort  à  Peuchet  (I,  338)  où  l'on 
relate  qu'un  agent  .aurait  vainement  essayé  de  corrompre  Robes- 
pierre; mais  Hamel  ajoute  qu'il  n'a  pu  retrouver  les  originaux  de 
ces  pièces. 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  755 

cris  de  vivent  Pétion  et  Robespierre!  Vivent  les  tpuiês  sans  tache! 
(6)  mêlés  aux  accords  d'une  musique  militaire  placé  sur  la  terrasse  des 
feuiilans,  ont  rempli  ious  les  coeurs  de  la  plus  douce  ivresse.  En  vain, 
les  deux  législateurs  vouloient  se  dérober  à  ces  témoignages  de  la  recon- 
noissance  publique  :  comme  ils  fuyoient,  au  moins,  leur  a  dit  une  jeune 
dame  qu'ils  ont  rencontrée  dans  l'escalier  qui  conduit  au  garde-meuble, 
permettez  que  mon  enfant  vous  embrasse;  ce  qu'i.s  n'ont  pu  rehiser. 
Pour  échapper  au  concert  d'appîaudisseir.ens  qui  les  poursuivoit,  les  deux 
députés,  réfugiés  dans  une  maison  de  la  rue  .Saint- Honoré,  ont  monté 
en  fiacre.  Aussi-tôt,  dans  le  délire  de  l'enthousiasme,  on  a  dételé  les 
chevaux,  et  mille  bias  se  sont  empressés  de  traîner  la  voiture;  idolâtrie 
avilissante,  dont  ceux  qui  en  étoient  l'objet  ont  été  affligés  et  indignés. 
Dans  ce  moment  l'honorable  Robespierre,  saisi  d'une  sainte  indigna- 
tion, est  descendu  précipitamment  de  la  voiture.  «  Citoyens,  a-t-il  dit, 
que  faites-vous  ?  Quelle  posture  humiliante  allez-vous  prendre  ?  Est-ce 
là  le  prix  de  mes  travaux  pour  vous  pendant  deux  ans  ?  Ne  vous  sou- 
venez-vous déjà  plus  que  vous  êtes  un  peuple  libre?  »  (7)...  et  il  est 
remonté  avec  vivacité  aans  la  voiture  où  étoit  son  digne  collègue.  L'atti- 
tude et  l'admiration  des  citoyens  dans  ce  moment  ne  peut  se  décrire  : 
sublime  spectacle  !  Tu  fais  couler  des  larmes  délicieuses.  Un  a  laissé 
partir  la  voiture  au  bruit  des  fanfares,  des  applaudissemens,  des  cris 
et  des  bénédictions  les  plus  énergiques.  Puissent  ceux  qui  auroient  pu 
mériter  un  pareil  triomphe  sécher  de  dépit,  en  comparant  cet  excès  de 
reconnoissance  au  silence  du  mépris,  ou  aux  malédictions  de  la  haine 

(6)  Montlosier,  dans  ses  Mémoires,  insiste  sur  ce  fait:  «  Au 
moment  où  nous  avancions,  Robespierre  et  Pétion  sont  l'objet  de 
mêmes  transports.  On  les  porte  en  triomphe.  De  tous  côtés,  on 
entend  proclamer  l'incorruptible  Robespierre,  le  vertueux  Pétion  •> 
(cité  par  G.  Walter,  p.  124).  On  associe  à  leurs  noms  celui  du  Roi 
dont  la  présence  à  cette  dernière  séance  de  l'Assemblée  a  paru 
comme  un  heureux  présage  (cf.   Journal  général  du  Pas-de-Calais). 

(7-)  Les  contre-révolutionnaires  craignaient  depuis  le  14  Juillet 
la  popularité  grandissante  de  Robespierre,  et  devaient  oiser  de  tous 
les  moyens  pour  empêcher  aine  manifestation  organisée  en  son  hon- 
neur. Cette  lettre  de  Périsse  du  Luc  à  WuiHermoz,  du  30  octobre 
1791  (Bibl.  Lyon  ms.  5430,  n°  44),  est  très  nette  à  cet  égard:  «  Les 
Jacobins  de  Paris  enragent  de  ce  qu'ils  n'ont  qu'une  petite  minorité 
dans  l'assemblée  nationale,  et  que  cette  minorité  même  y  est  mépri- 
sée, par  ses  efforts  incendiaires,  vagues  et  sans  talents.  Gare,  gare, 
nos  législateurs  ne  tarderont  pas  à  être  persécutés,  proscrits,  calom- 
niés comme  les  bons  citoyens  de  l'Assemblée  Constituante  l'ont  été 
depuis  le  commencement  de  Juillet  et  après  ;  mais  le  ridicule  des 
éloges,  des  apothéoses,  des  couronnes  décernées  au  ridicule  trio  de 
Robespierre,  Péthion,  Grégoire,  hommes  médiocres,  qui  n'ont  pas 
fait  une  panse  d'à  dans  la  Constitution,  de  qui  il  n'existe  pas  un 
seul  décret,  une  iseule  loi  sur  aucune  matière,  les  cooivre  de  honte 
dans  la  Capitale,  et  ce  n'est  qu'en  province  que  les  Empyrique* 
purent  faire  croire,  comme  ici  à  la  lie  du  Peuple,  que  rs  h.i> 
prétendus  grands  hommes  sont  les  héros  de  la  Patrie  ». 


756  LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

qui  les  ont  accompagnés.  Puisse  surtout  cet  exemple  touchant  nous  pro- 
duire des  Pétion  et  des  Robespierre  dans  la  nouvelle  législation  '  » 

Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  t.  VIII,  n°  98,  p.   18-22. 

«  Mais  j'éprouvai  un  autre  genre  de  jouissance,  qui  dilata  mon 
cœur,  me  fit  aimer  d'avantage  ce  bon  peuple,  ce  peuple  sensible  et 
reconnoissant  qu'on  a  tant  calomnié,  quand  je  vis  couvrir  d'applaudisse- 
mens  et  bénédictions,  les  Prieur,  les  Buzot,  les  Grégoire,  les  Rœderer, 
et  tous  ceux  qui  n'ont  jamais  abandonné  la  bonne  cause.  Mais  lorsque 
s'avancèrent  les  deux  Catons  de  la  législature,  Péthion  et  Robespierre, 
ô  vertu!  que  ta  récompense  me  parût  mille  fois  préférable,  à  celle  que 
promet  la  carrière  ténébreuse  et  empoisonnée  de  l'intrigue  !  Au  bruit 
des  applaudissemens  unanimes,  des  cris  d'allégresse  d'un  peuple  trans- 
porté, unis  aux  accords  d'une  musique  militaire  placée  sur  la  terrasse 
des  Feuillans,  on  les  couronne  de  chêne  civique.  —  Recevez,  leur 
dit-on,  recevez  le  prix  de  votre  civisme  et  de  votre  incorruptibilité  ;  en 
vous  couronnant,  nous  donnons  le  signal  à  la  postérité  —  On  leur  remit 
aussi  ce  quatrain  : 

«  Que  d'autres  éblouis  d'un  éclat  imposteur, 

«  Courent   se   prosterner   autour  du   diadème; 

«  Nous   couronnons   en  vous,    le  vrai   législateur; 

«  De  vos  mâles  vertus,  ces  festons  sont  l'emblème.  » 
«  Tout  mauvais  qu'il  est,  ce  quatrain  étoit  excellent,  c'est  le  cœur 
qui  l'avoit  composé  (8). 

«  La  vertu  véritable  est  modeste,  elle  se  refuse  aux  honneurs  qu'elle 
mérite;  Péthion  et  Robespierre  veulent  se  dérober  au  tribut  si  légitime 
de  ceux  qu'on  leur  rend;  de  jeunes  femmes  les  arrêtent.  .  Sexe  char- 
mant que  vous  êtes  digne  de  notre  amour,  lorsque  vos  mains  couronnent 
la  vertu  !  L'une  d'elles,  suivant  un  de  ces  mouvemens  spontanés  de 
l'âme  que  les  femmes  éprouvent  d'une  manière  plus  exquise  que  nous, 
leur  présente  sa  petite  fille,  de  la  figure  la  plus  intéressante  :  Au  moins, 


(8)  Cf.  également  Les  Lettres  bougrement  patriotiques  du  Père 
Duchesne  (Lemaire)  n°  187  (cité  par  G.  Walter,  p.  66(2,  note  80).  Au 
début  de  septembre  1791,  les  Jacobins  décidèrent  d'offrir  à  Robes- 
pierre un  buste  couronné  de  feuilles  de  chêne  et  de  laurier  (Cf.  Le 
Babillard,  4  octobre  1791,  cité  par  G.  Walter,  p.  126).  On  trouve  en 
effet  un  curieux  prospectus  annonçant  la  mise  en  souscription 
des  bustes  de  Mirabeau  de  Robespierre  et  de  Pétion,  au  prix  de 
72  liv.  pour  Paris,  et  84  pour  la  province,  exécutés  par  le  statuaire 
Peseine,  sourd-muet  de  naissance,  domicilié  rue  de  Provence  aux 
Ecuries  de  M.  d'Orléans  <B.N.  Lb10  640,  cité  par  Tourneux,  II, 
n°  9-208,  p.  393).  Le  Club  des  Halles  proposa  même  d'offrir  le  buste 
de  Robespierre  à  la  prochaine  législature.  La  Feuille  du  Jour 
fn°  268,  p.  693)  ajoute  qu'on  pourra  ainsi  «  se  venger  de  l'Assem- 
blée, qui  l'en  a  constamment  écarté  ».  Enfin,  le  même  club  désigne 
une  députation  chargée  de  porter  au  domicile  de  Robespierre  l'hom- 
mage de  ses  membres. 


LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  757 

dit-elle,  vous  permettrez  que  mon  enfant  vous  embrasse.  Des  larmes 
roulent  dans  les  yeux  des  deux  pères  de  la  patrie,  ils  prennent  l'enfant 
dans  leurs  bras,  et  les  applaudissemens,  les  bravo,  les  cris  de  vivent  les 
braves  législateurs,  les  députés  sans  tache,  redoublent  et  les  reconduisent. 

«  Pour  échapper  au  peuple,  qui  accouroit  de  toute  part  avec,  la 
musique,  les  deux  héros  de  la  fête  s'empressent  de  monter  en  fiacre. 
(Des  Chapelier,  des  Barnave,  des  Lameth  ont  des  carasses  magnifiques; 
malheur  à  celui  qui  ne  préféreroit  pas  l'humble  fiacre  de  Péthion  et 
de  Robespierre).  Aussi- tôt  les  chevaux  sont  dételés,  et  des  citoyens 
veulent  traîner  la  voiture.  A  cette  vue  les  députés  s'élancent  et  tentent 
de  se  sauver.  De  bons  citoyens  parviennent  à  les  retenir,  et  à  faire 
entendre  au  peuple  que  cette  idolâtrie  d'esclave  est  avilissante  pour 
des  hommes  libres,  et  qu'elle  donneroit  des  armes  à  la  calomnie.  On  les 
laisse  donc  partir  au  bruit  des  fanfares,  des  applaudissemens  et  des 
acclamations;  récompense  bien  légitime  de  trois  années  de  travaux 
pénibles,  de  soins,  de  courage,  d'incorruptibilité  et  de  persécutions. 

«  Que  le  ministère  d'un  écrivain  est  plein  de  charmes,  lorsqu'il 
'etrace  de  pareilles  scènes  !  Que  son  âme  jouit  délicieusement  '  Heureux 
celui  qui  écrit,  quand  des  noms  purs  et  chéris  viennent  se  placer  sous 
sa  plume,  escortés  de  témoignages  d'estime,  d'amour  et  de  recor.nois- 
sance  (9). 


(9)  La  popularité  de  Robespierre  dépasse  3e  cadre  de  la  capitale. 
Gorsas  souligne  (n°  29,  p  457)  que  «  l'énergie  est-  à  son  comble  dans 
Ifts  déparfcèmens.  On  va  jusqu'à  baptiser  les  enfants  sous  les  noms 
des  B'uzot,  des  Péthion,  des  Roberspierre;  c'est  un  fait,  je  puis 
l'attester,  car  j'en  ai  baptisé  un  moi-même  auquel  les  parents  don- 
nèrent ce  dernier  nom  ».  Les  sociétés  jacobines  envoient  de  même 
aux  députés  patriotes,  de  multiples  adresses,  telles  celles  repro- 
duites ci-après  : 

1°  (Mercure  Universel,  17  octobre,  p.  243): 

«  Strasbourg,  9  octobre.  —  La  société  des  amis  de  la  constitution, 
dans  sa  dernière  séance,  a  arrêté,  à  l'iunanimité,  qu'il  seroit  envoyé 
deux  couronnes  de  chêne  à  Robespierre  et  Péthion.  Voici  la  lettre 
d'envoi  : 

«  Frères  et  Amis, 

«  Nous  les  avons  vu  croître  ces  branches  de  chêne,  qui  doivent 
ceindre  votre  front.  Soiis  les  yeux  des  amis  et  des  ennemis  de  la 
France,  elles  ont  ombragé  jusqu'ici  la  rive  libre  du  Bas-Rhin,  et  les 
défenseurs  de  l'immortelle  constitution  que  nous  devons  à  votre 
patriotisme.  Recevez  donc  cette  couronne  civique,  que  des  cœurs 
purs  et  sensibles,  des  bras  invincibles  armés  pour  le  soutien  de  votre 
ouvrage,  vous  offrent  avec  enthousiasme.  Qu'elle  vous  soit  le  gage  de 
notre  éternelle  reconnoissance,  et  de  l'obligation  que  nous  renou- 
velions à  la  face  de  l'univers  de  mourir  s'il  le  faut  pour  le  salut 
de    la    patrie,    tout    comme    vous    avez    vécu    pour    elle. 

«  Nous  sommes  avec  cordialité,  vos  frères  et  amis:  suivent  qava- 
I  )■(■  cens  signatures.  » 

2°  (Annales  patriotiques  et  littéraires,  6  novembre  1791,  p.  2173): 

«  («Extrait  des  registres  des  délibérations  de  la  société  des  amis 
de  la  constitution  de  Tulle,  séance  du  26  octobre):  «  La  société  vote 


758  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE. 

«  Une  société  de  dames  patriotes  Revoit  alleT  porter  des  couronnes 
c  Péthion.  à  Robespierre,  accompagnée  d'vn  cortège  nombreux  de  gar- 
des et  de  musique;  elles  étoient  déjà  en  assez?  grand  nombre;  tout  étoit 
préparé  pour  cette  fête  civiaue,  quand  différens  émissaires  sont  venus 
les  intimider,  les  menacei  même  de  désagrémens  si  elles  ne  renonçoient 


dos  remercienienr  publies  tsrrx  sacres  lé^sl^eurs  oui  ont  demeuré 
fermes  et  inébranlables»  dans  les  vrais  principes,  tels  que  les  Robes- 
pierre, les  Pétion  les  Grégoire,  les  Roederer.  les  Prieur,  les  Bu^ot 
le;=  Camus  etc.  ;  enf>  déclare  oue  leurs  noms  précieux  seront  à  jamais 
gravés  sur  ses  rentres  et  da.ns  le  cœur  de  tons  ses  membres:  la 
postérité  saura  «"'ils  ont  panv<s  la.  -no+^ip  que  ]a  liberté  est  leur 
ouvr3?°    p*  lpnr  mémoire  sera  immortelle.  » 

3°  (Révolution*  dp  Fnn^p  p*  d°  Ttrabant,  n°  100.  p.  3-5): 
«    A    Pr,lïosïr>iprrp  et  à    P<£+hion 
«  T,„q  o0f»;/<-^  nonùlairp  des   Amis  de  Ta  Ponatinution.  instituée 

dans    Ips    tre^te-iine.    section?    df>    la    ville    dp    'Lvon,     répn;es    en 

flnrm'f^  oentr^l.   le  18  octobre  'l^fil.   l'an  troisième  de  la  Liberté. 

((  Vpvfnpn-v-  ^ifnvpng.  permettez  à  une  société  oomnosée  d'homme-s 
peu  favorisés  de  la,  fortune,  mais  a.imant  la  v^ité  et  les  vertus.  f\f 
vous  donner  les  +émnia;naa-ps  de  reoonnnït?p.anee  que  vous  ave/  méri- 
tés en  parcourant  l'honorable  et  périlleuse  carrière  dont  vous  venez 
de  sortir. 

«  Déîà.  •■législateurs  sublimes  !  vous  avez  reçu  àp  la  r>ar+  d'un 
peuple,  toujours  mste  ouand  il  a<rir  dp  snn  propre  mouvorpent,  la 
récompense  et  les  honneurs  oui  sont  dus  à  la  vertu  Persécuté?!,  à 
l'homme  oui  a  hipn  servi  sa  patrie:  mais  tous  les' citoyens .  dont 
vous  avez  défendu  la  plaise  et  irarpnti  Ips  droits,  n'ont  noint  parti- 
cipé à  -"et  acte  de  instice.  Par  l'effet  d'un  trop  arrand  éloisrnement, 
nous  n'avons  pu  .assister  à  la  fête  civique  oui  vous  fut  donnée  au 
moment  où  vous  êtes  rentrés  dans  la  classe  commune  des  citovèn-s  ; 
il  est  donc  b;en  naturel  aue  nous  cherchions  aujourd'hui  à  mettre 
un  nouveau  f'p'^on  à  la  couronne  dont  vos  têtes  furent  ornées  par 
nos  frères  de  Paris. 

Nous  no  eor»"r>r>iseons  o^int  l'art  do  faire  des  phrases  élop-itioues, 
qu'on  enseio'noit  iadi?  anv  "Franeoip  esolaves.  mais  nnns  savons  pon- 
noîtrp  et  sentir  le  prix  de  la.  vertu  :  pouf  saurons  conserver  à  i  a/mai  S 
la  mémoire  des  citovens  tels  oue  vous,  des  citovens  oui  ont  bravé 
tous  les  da.ne-ers  résisté  à  tonte?  Ips  fâchons  n'érvrisé  l'or  et  Ips 
caresses  des  dominateurs  d«  la  tprre  Pour  sortir  les  pennies  de 
l'oppression  et  dp  la  servitude.  Si  vos  e-pop>eux  efforts  n'ont  pas  eu 
tout  le  succès  qu'on  'a  voit  droit  d'attendre,  nous  en  connoissons 
la  cause,  nous  savons  qu'il  est  peu  d'hommps  capables  de  s'^ever 
au-dessus  dps  antiones  oréiiieés.  et  assez  fermes  pour  enpourîr  de 
sang-froid  la  haine  des  tyrans  :  nous  savons  que  les  amis  dn  peuple, 
les  professeurs  des  bons  principes  sont  infiniment  rares:  nous  savons 
que  vous  avez  eu  pour  coopérat-eur?.  des  lâches,  des  fourbes  qui, 
pour  complaire  à  une  faction  puissante,  ont  outr&sr-é  la  nature  et 
trahi  la  cause  du  peuple  ;  nous  savons  que  la  majeure  partie  dès 
habitans  de  cette  terre,  si  long-temps  malheureuse,  sont  encore  assez 
stupides  pour  fléchir  le  genou  devant  les  hommes  riches  et  puissans 
qui  les  dévorent:  nous  savons  enfin  que  votre  constance,  votre 
inflexibilité,  votre  énergie  vous  ont  procuré  tous  les  genres  de  per- 
sécutions, et  que  la  calomnie  a  aiguisé  ses  traits  pour  vous  perdre, 
pour  vous  ôter  toute  espèce  de  confiance.   » 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  759 

à  leur  projet;  ils  ont  tant  fait  que  la  fête  n'a  pas  eu  lieu  (10).  Une  de 
ces  aimables  patriotes  devoit  prononcer  un  discours  à  chacun  de  ces 
deux  législateurs;  je  rapporte  celui  qui  étoit  destiné  pour  Robespierre, 
je  rapporterai  l'autre  si  je  puis  me  le  procurer  : 

«^  Robespierre.  —  Des  citoyennes  libres  et  reconnoissantes,  vien- 
nent t'offrir  un  hommage  que  la  France  entière  te  doit. 

«  Eloignées  par  leur  sexe  et  leurs  occupations  paisibles,  du  théâtre 
où  l'intrigue  prépare  des  lauriers  au  vice,  et  aiguise  les  poignards  de  la 
calomnie  pour  les  tourner  contre  la  vertu,  nous  ne  jugeons  ceux  qui  ont 
été  honorés  de  la  confiance  de  la  patrie,  que  par  le  bien  qu'ils  ont  fait, 
ou  qu'ils  ont  voulu   faire. 

«  Au  milieu  de  la  corruption,  tu  n'as  cessé  d'être  l'inébranlable 
soutien  de  la  vérité;  toujours  ferme,  toujours  incorruptible.,  toujours 
d'accord  avec  ta  conscience,  tu  as  combattu  pour  qu'aucun  alliage  impur 
ne  se  mêlât  à  une  constitution,  que  la  philosophie  devoit  dicter  pour 
le  bonheur  du  genre-humain. 

«  Le  peuple  à  qui  tu  as  dévoué  ta  vie,  pour  qui  tu  as  fait  avec 
joie  le  sacrifice  de  ton  repos,  et  des  avantages  que  promet  la  fortune; 
le  peuple  dont  ton  unique  ambition  est  d'être  le  bienfaiteur  et  l'ami; 
le  peuple  dont  la  cause  t'a  mérité  tant  d'atroces  calomnies,  tant  de 
cruelles,   mais  honorables  persécutions, 

«  Le  peuple,  dis-je,  ne  prononce  ton  nom  qu'avec  estime;  tu  es 
son  ange  tutélaire,  son  espoir,  sa  consolation.  O  Robespierre,  son  amour, 
sa  vénération,  te  vengeront  toujours  des  noirs  et  vilains  complets  de  tes 
lâches  détracteurs. 

«  Législateur  courageux  !  reçois  donc  la  couronne  que  tes  travaux 
et  tes  vertus  ont  méritée.  Nous  ne  faisons  que  devancer  la  France  et  le 
monde.  Plus  éclairées  les  nations  s'empresseront  un  jour  d'offrir  le  tribut 
de  leur  reconnaissance  à  l'apôtre  le  plus  fidelle  le  plus  énergique  de  la 
liberté  de  l'humanité. 

«  Dans  ces  momens  de  langueur,  si  le  triomphe  momentané  des 
ennemis  de  la  patrie,  si  le  règne  passager  des  intrigano  empêche  la 
grande  famille  des  Français  de  s'unir  à  nous,  Robespierre  !  la  gloire 
n'en  acquiert  que  plus  de  lustre;  tu  as  des  autels  dans  tous  les  cœurs 
de    tous    les   bons   citoyens.    » 

Journal  de  Rouen,  1791,  n°  275,  p.   1326. 

«  Les  sociétés  patriotiques  de  la  capitale  viennent  de  faire  une 
démarche  remarquable  :  elles  avoient  arrêté  de  porter  une  couronne 
civique  à  MM.  Péthion  et  Robertspierre,  comme  incorruptibles  défen- 
seurs des  droits  du  peuple  :  elles  l'ont  exécuté. 

a  Dans  l'impatience  où  elles  étaient  de  s'acquitter  de  ce  glorieux 

<10)  C.   Desmoulins  sépare  nettement  la  manifestation   populaire 
spontanée  de  celle  qu'organisa  la  Société  patriotique  des  deux  sexes. 


760  LES    DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

devoir,  M.  Robertspierre  a  été  saisi  au  sortir  de  la  salle,  lorsqu'il  entroit, 
sur  les  quatre  heures,  aux  Tuileries  •  on  l'a  porté  en  triomphe,  et  on  lui 
a  posé  la  couronne  sur  la  t?te. 

«  Ce  n'est  pas  la  première  fois  que  la  reconnoissance  publique 
s'est  manifestée  dune  manière  aussi  signifiante;  il  va  8  à  10  jours 
qu'au  salon  du  Louvre  on  mit,  au  bas  de  son  portrait,  ces  mots  très- 
expressifs  :    Législateur    incorruptible    »    (11). 

Gazette  universelle,  n°  275,  p.    1098. 

Journal  général  du  Pas-de-Calais,  n"   29,  p.  291-292  (12). 

«  L'enthousiasme  causé  par  la  conduite  affectueuse  du  roi,  a  donné 
lieu  à  une  scène  assez  bizarre  et  propre  à  peindre  le  caratère  françois 
et  les  circonstances  actuelles.  Dans  la  société  fraternelle,  il  avoit  été 
proposé  de  couronner  MM.  Péthion  et  Robespierre  à  la  sortie  de  la 
dernière  séance.  Elle  étoit  à  peine  finie,  qu'on 'fut  chercher  dans  la 
salle  les  deux  héros  de  la  constitution;  c'est  ainsi  qu'on  les  appelloit, 
quoiqu'il  soit  bien  difficile  de  citer  un  seul  article  constitutionnel  qui 
soit  éclos  de  leur  tête,  et  qu'on  sache  au  contraire  qu'ils  ont  constam- 
ment attaqué  presque  tous  les  systèmes.  On  sait  que  MM.  Péthion, 
Robespierre  se  sont  sur-tout  déclarés  contre  la  partie  monarchique,  et 
qu'il  n'a  pas  tenu  à  eux  que  nous  n'ayons  eu  un  gouvernement  purement 
républicain  :  aussi  étoit-ce  une  chose  fort  plaisante  de  voir,  en  voulant 


(11)  'L'exposition  d'un  portrait  de  Robespierre  au  Salon  de  pein- 
ture donna  lieu  également  à  des  manifestations  de  sympathie  à  *on 
égard.  La  Fouille  du  Jour  (n1  297,  p.  925)  souligne  que:  «  tous 
le?  jours  il  faut  allonger  le  papier  qui  se  laisse  charger  de  vers 
niais  en  l'honneur  de  l'Incorruptible.  Cette  guirlande  n'est  pas 
prête  de  finir,  si  ton';  jacobin  se  propose  d'y  mettre  son  pavot.  O  . 
lit  au  bas  du  second  portrait  de  ce  législateur:  «  A  tous  "tes  cœurs 
bien  né.?,  que  Robespierre  est  cher!  Parodie  mélodieuse  du  célèbre 
vers  de  Tancrède  ».  D'après  Buffenoir  (Les  portraits  de  Robespierre, 
in-8°,  222  p.,  Leroux,  Paris,  1910),  le  salon  de  1791  se  serait  en  effet 
orné  de  deux  pastels  représentant  Robespierre,  l'un  dû  à  une  élève 
de  La  Tour:  Mme  Guyard,  l'autre  de  Boze.  Par  la  suite,  Gérard  et 
David  firent  son  portrait  en  pied.  Le  croquis  au  crayon  rehaussé  de 
pastel,  attribué  à  Gérard  et  qui  lui  servit  à  composer  ce  portrait, 
est  actuellement  la  propriété  de  Mme  veuve  Gautier,  à  Paris.  L'un 
de  nos  amis,  M.  Jean  Durand,  en  a  exécuté  une  très  fidèle  copie 
dont  il  vient  de  faire  don  à  la  iSoeiété  des  Etudes  Robesoierristes. 
Qu'il  trouve  ici  l'expression  de  notre  vive  gratitude. 

(12)  Les  journaux  royalistes  tournent  en  dérision  ces  marques 
de  popularité.  Le  Journal  général  du  Pas-de-Calais  (n°  29.  p.  292) 
écrit  à  propos  du  Chib  des  Halles:  «  Au  milieu  des  applaudissemens 
unanimes,  le  Cicéron  de  la  Société  propose  par  accommodement  de 
susnendre  1^  buste  [dp  Robespierre]  à  la  corde  d'un  kistre,  afin  que 
la  lumière  frappe  de  tous  côtés,  l'image  de  celui  qui  la  répand  par- 
tout. Cette  euspenrdon  est  décrétée  ». 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  761 

couronner  ces  fiers  ennemis  de  la  royauté,  les  groupes  céder  au  délire 
général,  et  crier  à  tue-tête  :  vive  le  roi  (13). 

«  On  devine  aisément  quels  sont  les  auteurs  de  cette  farce  ridi- 
cule; MM.  Pétion  et  Robespierre  auroient  dû  sentir  que  l'exaltation  de 
ceux  qui  les  couronnoient  déshonoroit  la  nation.  François,  évitons  les 
excès  de  tous  les  systèmes;  soyez  sages.  L'adulation  fit  les  tyrans; 
redoutez  d'applaudir  à  tout  ce  qui  ressemble  à  une  faction;  vous 
seriez  cent  fois  plus  à  plaindre  que  sous  le  fer  du  plus  dur  despotisme.  » 

[Mention  de  cette  scène  dans  Les  Révolutions  de  Paris,  n°  116, 
p.  516;  La  Chronique  de  Paris,  n°  275;  Le  Législateur  français,  n°  1  ; 
Le  Journal  général,  n°  244,  p.  999  et  n°  246,  p.  1006;  Le  Mercure 
universel,  l*r  octobre  1791,  p.  496;  La  Vedette  ou  Précis  de  toutes 
les  nouvelles  du  jour,  2  octobre  1791,  p.  5;  L'Auditeur  national,  2  octo- 
bre 1791,  p.  5;  Le  Courrier  extraordinaire-..,  2  octobre  1791,  p.  8; 
Le  Mercure  de  France,  8  octobre  1791,  p.  125;  L'Ami  des  Citoyens, 
n°  1,  p.  4  (5  octobre  1791);  L'Ami  du  Peuple  (Marat),  t.  IX,  n°  565, 
p.  8;  Le  Réviseur  universel  et  impartial,  nos  118  et  122;  La  Chronique 
scandaleuse,  n°  22,  p.  4;  Le  Babillard,  27  octobre  1791.] 


(13)  Cet  article  donna  lieu  à  la  protestation  suivante  (Courrier 
de  Corsas,  n°  2,  3  octobre  1791,  p.  30)  :  «  Vous  avez  rendu  compté, 
M.,  de  l'hommage  que  des  citoyens  reconnoissans  ont  rendu  à 
MM.  Jioberspierre  et  Péthion  ;  je  suis  l'un  de  ceux  qui  y  ont  coopéré. 
Je  ne  nuis  pas  de  la  société  fraternelle,  ni  d'aucun  club;  vingt  hon- 
nêtes gens,  qui  partageoient  mon  enthousiasme  et  celui  de  mille  bons 
citoyens,  n'étoient  pas  non  plus  de  cette  société.  Comment  d">nc 
est-il  possible  que  la  Gazette  universelle  ait  emprunté,  pour  nous 
ridiculiser,  un  langage  que  ne  désavoueroit  pas  l'Ami  du  Roi.  [Suit 
le  passage  cité  ci-dessus].  Veuillez,  M.,  insérer  ma  réclamation  ;  jo 
suis  lâché  qu'elle  soit  dirigée  contre  une  feuille  que  j'ai  cru  plus 
impartiale  et  moins  ouvertement  ministérielle.  Je  suis...  (Si^né,  au 
nom  de  MM.,  etc.  (27  noms).  Plein  ville,  soldat-citoyen  du  départe- 
ment du  Jura,  député  à  la  fédération  du  14  Juillet  1790,  actuelle- 
ment  à  Paris.   »). 


INDEX  DES  JOURNAUX, 
PROCES-VERBAUX  ET  PAMPHLETS 

CITÉ8    DANS   TES    DEUX   PREMIERS   VOLUMES   (i) 


Actes  des  Apôtres,  Les.  I,  xvn,  148  n,  454. 
Actes  des  Bons  Apôtres,   Les,    I,   595. 
Affiches  d'Angers,  Les,  II,  497,  546  n,  505, 

579,    645. 
Affiches  d'Artois,   du  Boulonnais  et  du  Ca- 

laisis,   I,  xxiv,  21,   25,   50,  52,   78,  135  n, 

136,    140.    161,    191,    193,    230,    318,    356, 

369   n. 

Ami  de  la  Bévolution,  L\  II,  199,  200, 
250,  361,   450,  502  n,  553,  569. 

Ami  des  Citoyens,  L',  I,  546,  587,  426,  443, 
447  ;  II,   744  n,   761. 

Ami  des  Honnêtes  Gens  ou  l'Optimiste,  L\ 
I,   128. 

Ami  des  Patriotes,  U,  !.  650  n  ;  II,  54, 
100  n,    105,   365,  579,  455,  495,  552  n. 

Ami  des   Vieillards,  L,   II,   569. 

Ami  du  Peuple.  L'  (Marat).  I,  xix,  xxv,  73, 
79,  105  n,  174,  191,  195,  584,  595,  406, 
496,  553,  556,  556,  545  n,  552,  564,  570, 
OU  ;  II,  45  n,  54,  74,  87  n,  147,  159» 
180,  307,  542,  545,  424  n,  445,  461,  477, 
498,  507,  518,  557  n,  541,  569,  570,  579, 
593   n,    593   n,    596   n,    650,   646   n,    659, 

659,  085,  687,  695,  703,  719,   701. 

Ami  du  Peuple,  et  Fidèle  Observateur,  L' 
(Guignet),   I,   215,   269. 

Ami  du  Boi,  L'  (Royou  et  Montjoie),  I.  xv.n, 
411,  414,  426,  449,  450,  452,  'i74,  485, 
485,   505. 

Ami  du  Boi,  L'  (Rovou),  I,  xvm,  533,  541, 
544,  548,  553,  58Ï,  584,  075;  II,  41,  40, 
52,  01  70,  73,  79  n,  84.  105,  110,  118, 
128,  154,  194,  225,  227,  244,  200,  269, 
290,  292,  298,  505,  310,  539,  564,  579, 
419,  422,  445,  455,  487,  498,  505,  540. 
546  -n,    565,    595   n,    607,    027,    655,    657. 

660,  065,  077,  687,  690  n,   704,  708,  714, 
725,   740. 


Ami    du    Boi,    L'  (Monljoie),    I,  xvm,  529, 

544  n,   547,   686  ;  II,   111,   120,   134,  145, 

148,    151,    156,  198,    200,    205,  215,  227, 

243,    251,    255,  200,    270,    282,  508,  310, 

517,    545,    561,  570,    581,    401,  419,  495, 

557,    548,    550,  555,   509,   570,  579,  617, 

629,    655,    638,  652,    660,    664,  673,  677, 
089,    702,   724. 

Annales  Patriotiques   et  Littéraires,    I,  111, 

142,    150,    179,    185,    192,    212,    265,  284, 

506,    518.    558,    545,    551,    561,   569,  403. 

426,    454,    467,    475,    477,    481,    500,  bW, 

5<i6,    570,    580,    584,   049,    673,    676,  686, 

690  ;  II,  16,  17,  71,  87  n,  105,  119,  135, 

148,   149  n,  215,  226,  275,  282,  293,  297, 

308,  550,  563,  579,  592  n,  599.  617,  631, 

655,    059,    060,    664,    674,    687,    695,  705, 

708,   719,   745,   744  n,  752,   754,   757  n. 

Annales  Universelles  et  Méthodiques  (Poli- 
tique), I,  188,  194,  554,  552,  422,  434, 
445,  '460,  478,  511,  546,  551,  555,  570, 
575,  607,  658,  676  ;  II,  15,  57,  58,  40, 
53,  01,  84,  90,  100,  107,  119. 

Anti-Marat,    L',    II,    119. 

Apocalypse,   L',   I,   268,   454  n,  565  n. 

Argus  Patriote,  L',  II,  498,  555,  550,  558  n, 
569,  595  n,  608,  651,  064,  687,  719, 
727,  743. 

Assemblée  Nationale  (Beaulieu),  I,  190, 
194,  199,  208,  262,  275,  285,  287,  503, 
460,  469,  493,  495,  497,  510,  512,  517, 
525,  552,  559.  559,  570,  575,  001  ;  II,  84. 

Assemblée  Nationale  et  Commune  de  Paris 
(Perlet),  I,  xxiii,  118,  122,  134,  142,  150, 
159,  105,  179,  183,  190,  194,  198,  206, 
213,  274,  312,  327,  529,  544,  352,  361, 
500,  375,  580,  592,  590,  401,  424,  428, 
459,  449,  461,  465,  478,  495,  500,  502, 
500,  519,  532,  545,  551,  503  n,  509,  580, 
070,  1.80,  090  ;  II,  (Assemblée  Nationale, 
Corps  administratifs),   16.   18,   58,   79,   84, 


(1)  Nous  indiquons,  à  fia  suite  du  titre  du  journal,  son  le  nom  du  principal  rédacteur, 
soit  la  cote,  chaque  fois  qu'une  différenciation  apparaît  nécessaire  avec  des  publications 
analogues.  Les  références  aux  pages,  suivies  de  la  let're  n,  se  rapportent  aux  notes 
de  ces  pages. 


LES   DISCOURS   DE   ROBESPIERRE 


763 


86,  105,  140,  135,  199,  204,  215,  226, 

228,  255.  247,  277,  282,  293,  308,  318, 

565,  374,  582,  420,  457,  461,  498,  553, 

55!',  566,  009,  654,  639,  644,  645,  652. 

660,  678,  687.  693,  708,  719,  726,  745, 


Paris 
,  191, 
,  289, 
,  382, 
,  459, 
,  506, 
,  554, 
3,  17, 
,   105, 


Assemblée  Nationale  et  Commune  de 
(imitation),  I,  xxiu,  158,  164,  177 
193,  205,  250,  236.  251,  269,  276 
501,  516,  321,  324,  352,  341,  546 
589,  404,  405,  406,  412,  425,  453 
445,  449,  457,  460,  467,  478,  495 
510,  512,  517,  552,  541,  546,  550 
557,  576,  607,  670,  676,  684  ;  II,  1 
20,  22,  60,  67,  76,  84,  86,  88,  97 
107,    109,    117,    127,    133. 

Assemblée     Nationale,      Correspondance     de 
,  Bretagne  (puis  Bulletin   de  la  Correspon- 
dance de  Bennes)  (Yatar),   I,   xxiv,   29   n, 
47,  56,   152,  281,   471. 

Assemblée  Nationale  (Extrait  du  Journal  de 
Paris),  I,    120,   152,  146  n,  299,  578,  598. 

Assemblée  Nationale  ou  Becueil  très  intéres- 
sant ...  (Angers),  (Ars.  8°  Jo  21964  A),  I, 
29  n,   51,  53. 

Auditeur  National,  L\   II,   761. 

Avant-Coureur,   L',   I,   529. 

Avocat   du   Peuple,    L',    I,    191,    214. 

Babillard  du  Palais-Royal,  Le,  II,  xvi,  466 
n,  502  n,  558  n,  570,  585  n,  585  n, 
586  n,  595  n,  608,  617,  650,  659,  660, 
686,    756    n,    761. 

Bouche  de  Fer,  La,  II,  19,  54,  195,  194, 
199,  205,  215,  254,  518,  545,  561,  565, 
402,    498,    584   n,    590,   599   n. 

Bulletin   d'Aujourd'hui,   Le,   I,   381. 

Bulletin  d<;  l'Assemblée  Nationale  (Maret) 
(Ars.  8o  Jo  20250),  I,  xx,  41,  45,  49, 
58,  59,  62,  66,  71,  72,  76,  98,  108,  110, 
112,  115.  119,  159,  140,  141,  145,  159, 
167,  196.  201,  215,  228,  254,  241,  272, 
282,  287,  295,  515,  510,  522,  529,  556. 
540,  549,  559,  564,  572,  373,  377,  586, 
405,  407,  415,  425,  427,  429,  458,  442, 
444,   456,   457,   465. 

Bulletin  et  Journal  des  Journaux,  II,  55, 
118,  150.  450,  446,  498,  551,  579,  716  n, 
719. 

Bulletin  Manuscrit  du  Sieur  de  Riolle,  I, 
105. 

Censeur  PaCriote,   I,  xvm. 

Chronique  de  Paris,  I,   105  n,  267.  339,  345. 

367,   592.    478,    492,    565  et   n,   570,  578, 

000,   072.  075  ;  II,   16,   205,  206,  247,  518, 

545,   361,   457,   458.   406  m,   497,  551,  55!», 

569,    585   n,    592    n,    609,    039,    644,  663, 
075,   705    719,  726,  745,  761. 


Chronique  Scandaleuse,  La,  II,  xvn,  726, 
761. 

Cicéron   à  Paris,   II,   121. 

Contrepoison,   Le,    II,   217  n. 

Correspondance...  d'An%ou  (puis  Correspon- 
dance... du  Maine-et-Loire...)  (Pilastre  et 
Leclerc,  I,  51,  36,  48  n,  50,  54  n,  96  n, 
120,    136   n,    158,    190. 

Correspondance    Générale    des    Départemens 
,  de  France,  I,  650  ;  II,  119,   180,  568,  402. 

Correspondance  Générale  ou  Journal  de  la 
Société  des  LXXXIII  départemens,  II,  402. 

Correspondance  Nationale.  II,  105,  107,  128, 
155,  198.  205,  255,  245,  252,  282,  308, 
318.  520  n,  345.  301,  376,  582,  420,  423, 
446,  458,  466  n,  497,  502  n,  509,  531, 
569,   579. 

Correspondant  Féâéralif  des  83  Départe- 
mens, I,  565  n,  581,  569. 

Cowrier  d'Avignon,  ou  Journal  politique 
d'Avignon,  Le,  I,  xxiv,  187,  244,  559, 
596,  436  et  n  ;  II,  79,  89,  105,  144,  157, 
197,  204.  255,  280,  295,  295,  508,  309, 
361,    379. 

Courrier  de  Lyon.  I,  xxiv,  151,  192,  251, 
207,    504. 

Courier  de  Madon  (Dinocheau),  I,  xx,  156  n, 
158,  147,  155,  155,  165,  183,  197  n, 
228  n,  236,  259  n,  249,  279.  351,  554, 
585,  499,  555,  545,  546,  551,  555,  557, 
584,   007,  080  ;  II,  14. 

Courrier  de  Paris  ou  Le  Publiciste  Fran- 
çais, le,  I,  154,  152,  183,  212,  263  n,  280. 

Courier  de  Provence  (Mirabeau),  I,  xx,  F  8, 
62,  100,  113,  126,  148,  169,  179,  199, 
213  n,  261,  284,  289,  501,  515,  582,  403. 
414,  422,  455,  459,  466,  479,  491  n,  520, 
525.  579,  611,  612  n,  646,  680,  691  et  n  ; 
II,  18,  45  n,  50,  51,  61,  71,  73,  82,  86, 
104,  110.  119,  126,  154,  178,  191,  199, 
202,  247  n,  227,  291,  506,  540,  561,  420, 
441,  447  n,  456,  490,  557,  551,  567. 
570  n,  579.  598,  607,  617,  631,  639,  652, 
658,  674,  687,  701,  714,  729,  732  n,  752. 

Courrier  de  Versailles  à  Paris,  Le  (Gorsas), 
I,  40,  46,  51,  70,  78,  84,  105  n,  puis 
Courrier  de  Paris  dans  les  Provinces,  I, 
145,  144,  153,  163,  puis  Courrier  de  Paris 
dans  1rs  LXXXIII  départemens,  II,  18, 
45  n,  61,  110,  119,  160  n,  180,  193,  199, 
205  200,  220,  229.  246,  261,  293,  318, 
51.-,,  :,01,  565,  580  n,  382,  427,  430,  451, 
401.  106  n,  487,  500,  502  n,  529,  552, 
579,  :.82  n.  597  n,  609,  617,  650,  639, 
oon.  674,  070,  os:,,  690,  704,  708,  7i:>, 
727.   739.   754  n,   757  n,   761   n. 

Courrier  des  Francis,  II.  85,  97,  100,  164, 
109,  116,  120,  128,  153,  180,  199,  205, 
210,  225,  230,  255. 


764 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 


Courrier  du  Département  du  Vaucluse,  II, 
318,  565,  420,  422,  424,  450,  446,  458, 
177,  509. 

Courrier  Extraordinaire  ou  Le  Premier  Arri- 
vé, I,  317,  558,  359,  552,  584,  455,  454  n, 
470,  477,  499,  505,  510,  511  n,  512,  521, 
522,  542,  547,  551,  570,  581,  585,  676  ; 
II,  14.  85,  97,  118,  153,  175,  180,  205, 
211,  255,  247,  252,  261,  276,  281,  293, 
299,  308,  310,  518,  343,  376,  382,  402, 
420,  423,  450,  444,  457,  464,  497,  500, 
509,  531,  532,  761. 


Courier  Français, 

I,   4 

1,   42 

n,  46,   66 

,   74, 

78, 

82,  85,   104,   109 

,   128, 

,  135,  136, 

166, 

170, 

179,    182, 

195, 

211, 

216,    232, 

264. 

281, 

299,    338, 

351, 

371, 

575,    584, 

395, 

443, 

448,    451, 

455, 

456, 

461,   478, 

480, 

485, 

488,    491, 

499, 

517, 

535,    558, 

557, 

580. 

608,   658, 

676, 

688; 

II,   42,   71 

,   97, 

100, 

107.    110, 

116, 

125, 

128,    135, 

148, 

155, 

157,    180, 

189, 

200, 

204,    215, 

225, 

230, 

233,    256, 

276, 

282, 

299,    308, 

343, 

361, 

373  n,  398, 

420, 

440, 

445,  466  n, 

497. 

Courrier  National  ou  Journal  du  Citoyen 
(Beuvin),  I,  xxm,  54,  56,  73,  102,  112, 
118,  122,  131,  154,  158,  150,  159,  163, 
190,  198,  206,  216,  265,  274,  281,  288, 
501,  512,  515  n,  527,  344,  352,  561,  566, 
380,  592,  401,  413,  428,  459,  450  n,  461, 
465,  519,  552,  551,  563  n,  605.  675,  684  ; 
II,  58,  116,  135. 

Courrier  National  {de  Pussy),  I,  41,  51  n. 
9!)  n',  106,  114. 

Courrier  National  Politique  et  Littéraire. 
I,    128. 

Creuset,  Le.  II,  77  et  n,  128,  155,  175  n, 
205,  251,  254,  252,  255,  267  n,  272, 
2,82,  290,  295.  508,  518,  543,  382.  402 
432  n,  416,  457,  464,  466  n,  498,  502  n, 
515,  558  n,  547,  550,  569,  570,  575  n,  602. 

Défenseur  des  Opprimés,   Le,   II,   267. 

Défenseur  du  Peuple,  Le.,  II,  525,  548, 
550,  569,   572  n,   608,   705,   719. 

Encore  un  /  I,   525. 

Ephémérides  de  l'Assemblée  Nationale,  I, 
74,   77,   SI,  85. 

Esprit  des  Journauc  Français  et  Etrangers. 
L\    I,    xvi. 

Etats  de  1789  (Are  8»  H  26500  A),  I,  29  n, 
51,   55. 

Etats  Généraux,  Assemblée  Nationale  (Au- 
dran.  Rennes),  I,  xxiv,  41,  50,  57,  61, 
63,  71,  78,  80,  89.  98,  105,  109.  111,  120, 
124,  154,  141,  149,  158,  160,  162,  169, 
170.  172.  177,  181,  184,  191,  195,  210, 
255,  305.  317,  527,  545,  388,  434,  457. 
455. 


Etais  Généraux,  Journal  du  Premier  Député 
éten  communes  de  Chatellerault  (Creuzé- 
Litouche),  I,  xiv,  27,  28,  29  n,  30,  53, 
5:,.   59,   44. 

Factionnaire  Clairvoyant  ou  Argus  Impartial, 
Le,   IL   655,   839.  ' 

Feuille  du  Jour,  La,  I,  615,  686  ;  II,  61, 
7ii.  87,  91,  105,  119,  121,  152,  155,  194, 
19f,  216,  221,  255,  282,  311,  345,  561, 
568,  582,  599,  430,  498,  507,  509,  559, 
542,  570,  580,  585  n,  602,  617,  728  n, 
743,   756  n,  760  n. 


National,   Le,   I,   127,   217. 


Gazette  de  Berne,  La,  II,  458,  502  n.  705, 
728,    743. 

Gazelle  de  France,   I,  435. 

Gazette  de  Paris,  I,  211,  405,  420,  448,  451, 
507,  512,  563,  608  ;  II,  180,  251.  458, 
495,   500.   569,  578,  718. 

Gazelle  Nationale  ou  Extrait  (Ars  8"  Jo 
20110),  1,  xxiv,  22  n,  26  n,  29  n,  53,  37, 
56.  6'.),  118,  122,  146,  163,  171,  181,  183, 
207,  235,  241,  271,  568,  382,  591,  402, 
409,  417,  424,  430,  456,  445,  448,  471  n, 
495,  499,  504,  517,  522,  525,  527,  529, 
554,  566,  601,  606,  610,  669,  687  ;  II,  116, 
146,  180  n,  188  n,  199,  205,  209,  255, 
247,  252,  261.  277,  282,  295,  299,  505, 
310,  565,  582,  402,  461,  466  n,  497,  559, 
566,  609,  610.  615,  652,  659,  643,  652, 
660,   664,   675,   705,   708,   742. 

Gazette  Nationale  ou  le  Moniteur  Universel, 
I,  xx,  xxvn  n,  154  n,  155,  159,  164,  165, 
170,  175,  175,  178,  185,  185,  193,  196, 
201,  214,  218,  226,  228,  234,  239  n,  241, 
264  n,  269,  272,  280,  282,  285  n,  287, 
295,  507  n,  515,  514  n,  521,  522,  323, 
325,  529,  556,  559  n,  340,  349,  554,  564, 
572,  575,  577,  586,  400,  405,  407,  425, 
427,  428  n,  429,  458,  442,  444,  456,  457, 
470,  471  n,  472,  476,  482,  484,  486,  487, 
489,  494,  497,  503,  504,  507,  508,  511  n, 
515,  524,  526,  528,  530,  534,  556,  545. 
551,  554,  56 i.  568,  572,  585,  597,  651  n, 
65';.  663,  677,  685,  689,  691,  695,  694  n  ; 
lï,  10,  17,  19,  45  n,  50,  01.  68,  75,  82, 
88.  92,  99,  101,  108,  114,  151,  159,  156, 
157,  180,  187,  195,  197,  204,  212,  229, 
251,  259,  242,  248,  255  n,  255,  260  et  n, 
207,  277,  289,  294,  296,  503,  308  n,  509, 
314,  556,  544,  550,  562,  364  n,  573,  377. 
578,  394,  417,  422,  425,  429,  437,  449, 
458  n,  459,  466  n,  467,  484,  500,  504. 
511,  515.  529,  530,  556,  549,  558,  570, 
571  n,  577,  591  n,  598,  606,  614,  625, 
055.  642,  650,  656,  662,  670,  676,  684, 
692,   695  n,   707,   725,   729,   743. 


les  discours  de  Robespierre 


765 


Gazette   Universelle,   I,    180,    189,  213,  216, 

229,    289,    304,    519,    325,    332,  545,  552, 

308,  584.  595,  405,  450  n,  478,  505,  521  ; 

II,    19,    41,    71,    84,    119,    128,  177,  200, 

277,    298,  "310,    561,   400,    420,  446,  467, 

551,  555,  579,  608,  617,  651,  645,  660, 
678,  687,  693,   719,   727,   745,   752,   760. 

IndéperuUtns,   Les,   II,  401. 

Jacobinière,  Parade  comme  il  n'y  en  a  pas, 
Lu,   U,    91,   96. 

Journal  de  Bien{aisance,   II,   628. 

Journal  de  Duquesnoy,  I,  xiv,  25,  68  n, 
113,  122,  151,  157,  150,  154  et  n,  157, 
161,   184,   196,   201,   251,   258,   450  n. 

Journal  de  la  Noblesse,  de  la  Magistrature, 
du  Sacerdoce  et  du  Militaire,  1,  II,  xix, 
16,    54,    59,    81,    94,   105,    J55,    148,    190, 

199,  205.  215,  229,  242,  254,  276,  279, 
295,  518,  580,  597,  418,  440,  458,  466  n, 
495,  515,  556,  548,  568,  579,  655,  652, 
664,   674,   675,   705,   708,   727,   752. 

m 

Journal  de  la  Révolution,  I,  555,  614  n  ; 
II,  97,  251,  235,  258,  258,  277,  511,  519, 
402,  456,  551,  569,  579  n,  651,  652,  660, 
705,    719. 

Journal  de  la  Société  des  Amis  de  la  Cons- 
titution Monarchique,  II,  511,  461. 

tournai  de   la   Ville,   I,    78. 

Journal  de  Louis  XVI  et  de  son  Peuple,  II, 

84,  97,  147,  518,  445,  458,  490,  550,  569, 

660,  687,  705,  708,  719,  743. 
Journal  ou  Annales  de  Normandie,   I,   xxiv, 

127,  199,  215,  268,  303,  539,  345,  362, 
583,  595,  455,  560,  570  ;  puis  Journal  de 
Normandie  ou  de  Piouen,  I,  579,  672  ; 
puis  Journal  de  Normandie,  II,  14,  57, 
71,    75,    85,    88,    94,    100,    104,    109,    120, 

128,  133,  148,  156,  158,  180,  191,  199, 
204,  206,  214,  226,  230,  252,  255,  246, 
252,  261,  276,  293,  299,  308,  310,  518, 
542,  560,  573  et  n.  382,  402,  420,  424, 
429,  446,  437,  461,  466  n,  497,  515,  332, 
554,  548,  550,  509,  570,  579,  651,  639, 
0i3,  052,  660,  664,  678,  687,  693,  705, 
708,   723,   742,   752,   759. 

Journal  de  M.   Suleau,    II,    361. 
Journal  de   Paris,    I,    xxiv,    50,   55,   57,    75, 
135,    146,    161,    171,    190,    197,    210,    216, 

200,  299,  518,  378,  593,  421  ri,  425,  459, 
493,  495,  501,  510,  529,  558,  577,  675. 
685,  689.  ;  II,  15,  17,  21,  23  n,  51,  61, 
06,  72,  85,  94,  104,  106,  134,  146,  154, 
194,  195.  200,  205,  225,  251,  266,  293, 
7,55,  378,  598,  446,  458.  495,  507,  536, 
340  n,  548,  560,  598,  631,  636,  644,  652, 
604,  675.  677,  605,  695  n,  708,  710,  719, 
726,   742,   752. 


Journal  dé  Versailles,  I,  51,  54,  67,  71, 
78,  85,  110,  115,  127,  155,  142,  154,  170, 
188,  193.  267,  284,  289,  305,  506,  316, 
319,  521,  529,  558,  352,  565,  585,  594, 
415,  445  400,  482,  492,  498,  521,  525, 
552,  540,  551,  605,  675,  676,  687. 

Journal  des  Amis  de  ia  Constitution  de  Ver- 
sailles.   II,    515,   618. 

Journal  des  Clubs,  I,  650  n  ;  II,  45,  44, 
89  n,   252,   600,   601,   608. 

Journal  des  Débats  de  la  Société  des  Amis 
de  lu  Constitution,  II,  465  n,  466  n,  499, 
50!»,  592,  595  n,  599,  601,  602,  603,  632, 
640,  542,  544,  552,  580,  581,  584,  645. 
035,  064,  687,  694  n,  706,  727. 

;   Débals   et   des  Décrets,    1,    xx, 

n,  48  n,  50  n,  62  n,  65  n,  65  n, 

82,  96,  98,   105,  108,   113,   115, 

126,    140,    142,    149,    152,    159, 

174,    177,    181,    182,    187,    194. 

250,    256,    257,    270,    278,    285. 

504,    506,    517,    519,    520,    524, 

558,    540,    542,   545,    547,    550, 

550,    561,    565,    570,    572,    575, 

401,   412,    427,    428,    455,   440, 

451,    457,    404,    474,    477,    481, 

485,    488,    490,    496,    498,    502, 

508,    511,   517,    526,    527,    529, 

558,    540,    541,   545,    562,    574, 

056,  008,  674,  686,  689  ;  II,  12, 

48,  56,  61,   69,  72,   76,  80,  84, 

107,    114,    120,    126,    152,    141, 

9,  194,  195,  200,  214,  224,  227, 

254,    260,    282,    295,    298,    510, 

577,    578,    420,    422,    424,    450, 

461,    467,    498,    508,    529    n, 

558.  551  et  n,  561,  570,  582  n, 

010,    615,    651,    652,    659,    643, 

664,    674,    685,    688,    693,    705, 

.   743,   751. 

Journal  des  Décrets  de  l'Assemblée  Natio- 
nale pour  les  habitans  des  campagnes,  I, 
102,  501,  517,  545,  555,  370,  377  n,  426, 
438,  553,  553.  567,  582,  607,  673,  687  ; 
il.  57.  58,  95,  204,  226,  250,  254,  293, 
543,  561,  565,  402,  442,  466  n,  498,  509, 
509.  052,  674.  695,  705,  708,  717,  752. 
Journal  des  Etats  Généraux  (Devaux),  I, 
xxiv,  158,  160,  162,  172,  177,  179,  180  n, 
181,  183,  184,  195,  199,  207,  227,  235, 
246,  281,  280,  291,  524,  326,  328,  351, 
541,  554,  560,  368,  382,  391,  597,  402, 
409,  417,  424,  430,  436. 
Journal  des  Etats  Généraux  (Le  Hodey),  I, 
xvir  n,  47,  52,  54  n,  55,  62,  65,  68,  69, 
74  77,  81,  84,  105,  108,  115,  114,  125, 
152  134,  141,  149,  151,  157,  103,  170, 
175  176,  180,  209,  230,  258,  269,  271, 
277,  281,  284,  296,  516,  527,  330,  337, 
-,]\.  545,  517.  354,  307,  579,  588,  4(12, 
M6  '.H»  425.  '.32.  '..57,  444  n,  448,  451, 
',32     S.,',,    456,    158,    W6,    4(58,    472,    477, 


57  i 

i,  40  ] 

71   i 

î,   78, 

116, 

118, 

103, 

169, 

209, 

210, 

285, 

289, 

329^ 

551, 

353, 

555, 

579, 

590, 

442, 

446, 

482^ 

484, 

505, 

504, 

551, 

556, 

600, 

611, 

19, 

45  n, 

88, 

101, 

100 

n,    17 

228, 

246, 

518, 

545, 

440, 

454, 

551, 

.,52, 

597, 

39!), 

052, 

600, 

719, 

720, 

766 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 


493,    495,    501,    505,    510,   518,   523,  528, 

532,    550,    56<i,    569,    576,    602,    658,  671, 

675,  687,  688  ;  II,  15,  45  n,  176  n,  puis 
Journal  des  Etals  Généraux  ou  Journal 
Logographiquc,   II,  22,  57,  58,  39,  41,  42, 

43,    46,    57,    62,    64,    71,    73,    76,   85,  87, 

95,   97,   98,   103,   105,   109,   110,    114,  120, 

123,    152,    156,    150,   157,    176,    177,  178, 

184,    190,    201,    205,    210,    222,    226,  227, 

228,    231,    234,    240,    247,    255,    259,  261, 

2S0,    286,   294,    299,    310,    312,    334,  344, 

547.    565,    569,    376,   389,    421,    425,  425, 

428,    451,    452,    449,    459,   477,    499,  501, 

514,    516,    517,   529,    552,    535,   540,  543, 

546,    549,    553,    570,    576,    598,    604,  609. 

610,    611,    618.    631,    654,    641,    646,  654. 

661,    666,    674,    679,    688,    690,   697,  706, 

,    709,    720,    729,   745,   755. 

Journal   des  Impartiaux,    I,   268. 

Journal  des  Journaux.  I,  xvi. 

Journal  des  Mécontcns,  II,  198,  205,  215, 
2-2U,  281,  542,  567  et  n,  458,  496r  498  n, 
500,   539. 

Journal  du   Diable,    I,   571,   404. 

Journal  du  Soir  (Beaulieu),  1,  075  ;  II,  22, 
45.  52,  36,  59,  70.  74,  96,  99,  105,  119, 
189,  199,  204,  210,  225,  228,  255,  246, 
261,  273,  357,  373,  466  n,  530,  566,  599, 
708,   743.,   752. 

Journal  du  Soir  (des  Frères  Ghaignieau),  I, 
xxin,  550.  554,  557,  601,  670,  676,  683  ; 
II,  14,  52,  59,  72,  97,  105,  109,  120,  148. 
153,  205,  206,  211,  235,  247,  253,  308, 
318,  545,  558,  365,  376,  581,  579,  651, 
663,  C73,   705,   708,  719. 

Journal  du  Soir  sans  réflexions,  II,  534, 
509,   742. 

Journal    Général  (Abbé    Fontenai),    1,  xix  ; 

II.   50,    80,    95,  102,    119,   128,   148,  150, 

155,   158.    177,  180,    192,    199,    205,  215, 

226,    229!    246,  250,    261,    277,    282,  295, 

29.»,    310,    345,  561,    576,   425,    428,  431, 

446,    438,    460,  494,   509,    551,    553,  550, 

624,  653,   664,  674.  687.   717,   743,   761. 

Journal    Général  de    France,    I,    xix,  104, 

120,    152,    159,  155,    170,    175,    180,  260, 

278,    375,    385,  391,   413,    459,    496,  520, 

533,    549,    549,  567  ;    II,    119,    158,  192, 

205,    245,    250,  261,    279,    293,   '298,  518, 

340,    346,    559,  568,    382,    402,    446,  455, 

463,    516,    551,  532,    542,    639,    644,  660, 

675,  687,  693,  702,  708,  709  n,  719, 
725,  745. 

Journal  General  de  la  Cour  et  de  la  Ville, 
1,  xix,  155,  148,  593.  492,  504,  521.  503 
n,  566,  570,  608  ;  II,  256,  437,  502  ri, 
507,  550,  553,  703,  743,  754  n. 

tournai  Centrai  de  l'Europe  (Lebrun),  I, 
wii,  85,  194,  120,  127,  159,  162,  291  n, 
293  ;  II,   617,   660,  673. 


Journal  Général  du  département  du  Pas-de- 
Calais,    II,    89.    256,    559,    545,    551,    569, 

579,  59"2  n,  599,  624,  059,  644,  652,  660, 
604,  678,  682  n,  687,  689,  701,  705,  708, 
710  n,   719,   727,   752,   760.    - 

Journal  gratuit,   I,   552. 

Journal  Logographique  de  l'Assemblée  Na- 
tionale,  I,  682. 

Journal  manuscrit  de  Devisme,  1,  23  n,  25, 

138,    167. 
Journal  manuscrit  de  Peilerin,  I,  xv,  29  n, 

49,   52   11,   56,   59,   61,   64,   68   n,   69,   77, 

80,   83,   99,    110,   113. 

Journal  manuscrit  du  Comte  de  CasleUane, 

I,  xv,  117,  122,  258. 

Journal  Politique  ou  Gazette  des  Gazelles 
(Bouillon;,   1,   50,   55,   57,   75,   149,   153. 

Journal  Universel,  I,  155,  164,  174,  191, 
250,  502,  516,  523,  558,  351,  561,  568, 
581,  592,  427,  428,  446,  436,  481,  4S5. 
499,  505,  510,  520,  546,  565  u,  567,  569, 

580,  007,  611,  612  et  n,  650  n,  658,  675, 
680  ;  II,  70,  104,  110,  119,  120,  123  n, 
128,  158,  194,  199,  202,  246,  256,  293, 
296,  508,  518,  543,  561,  575,  582,  402, 
420,  430.  440,  458,  466  n,  467,  484,  502 
n,  548,  550,  5o9,  579,  627,  651  n,  659, 
644,  652,  660,  664,  674,  678,  695,  705, 
710  n,   716  n,   726,   743,   752. 

Junius  Français,  Le,  I,  594,  405. 

Législateur  Français,  Le  (Beaulieu),  I,  xxm; 

II,  45,  12,  56,  59,  70,  96,  99,  105,  119, 
127,  189.  199,  204,  210,  225,  228,  233, 
246,  250,  273,  282,  295,  295,  502,  518, 
545,  557,  565,  575,  579,  595,  450,  446, 
458,  467,  477,  550,  551,  558,  547,  550, 
509,  570,  579,  598,  606,  617,  628,  653, 
638,  644,  652,  675,  687,  705,  719,  726, 
752,  761. 

Lendemain,  Le,  I,  xix,  565  n,  582,  675  ;  II, 
21,  84,  89,  107,  119,  151,  155  et  n,  221. 
229,  258,  252,  258,  261,  282,  295,  299^ 
311,  517.  520,  558,  545,  561,  567,  402, 
420,  423,  450,  440,  452,  458,  465,  609. 

Lettres  à  M.  le  Comte  de  B...,  I,  xvm,  178. 

Lettres  de  Gaultier  de  Biauzat,  I,  xiv,  35, 
04,   67. 

Logographe,  Journal  National,  Le,  I,  xxm; 
II,    425,    449. 

Loisirs  d'un  Patriote  Français,  I,  40. 

Mar'.irologe,   Le,   I,  451. 

Mercure  de  France,  I,  57,  41,  46,  51  n,   75. 

81.    100,    141,    158,    169,    174,    179,  189; 

195,    199,    207,    229,    237,    235,    269,  279, 

288,    300,    518,    325,    552,    335,    544,  350, 

354,    360.    370,    575,    584,    389,    402,  426, 

449,  450  n,  452,  467,  469,  473,  478,  519, 

525,   546,  550,  554,  565  n,  564,  569,  603, 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 


767 


010,  050  n.  671,  685  ;  II,  16,  41,  53, 
57.  76,  84,  87,  88,  89,  105,  110,  116,  120, 
147,  199,  215,  224,  227,  250,  247,  249, 
261,  282,  293,  299,  506,  310,  518,  345, 
561,  565.  581,  400,  423,  450,  445,  452, 
460  496,  500,  508,  531,  533,  539,  569, 
575  n,  616,  625,  659,  650  n,  652,  660, 
664,  675,  678,  686,  693,  703.  708,  719, 
726,    752,   761. 

Mercure  National  ou  Journal  d'Etat  et  du 
Citoyen  (Robert),  I,  xxi,  104,  112,  145, 
149.'  190,  195,  210,  266,  274  n,  279,  505, 
510,  545,  552,  559,  509,  577,  594,  598. 
408,   418.    447,   461,   476.      • 

Mercure  National  et  Etranger  ou  Journal 
Politique  de  l'Europe,  II,  41,  61,  174  n, 
247,  252,  255,  261,  274,  295,  508,  518, 
561,  582,  402,  446,  492,  551. 

Mercure  National  et  Révolutions  de  l'Eu- 
rope, I,  542,  566,  569,  580,  586  n,  604, 
612  n,  614,  650  n,  670,  687  ;  II,  16,  84. 

Mercure  Universet  (Tournon),  1, 
86  n,  89  n,  90,  97,  105,  111, 
152,  153.  155,  158,  174,  180, 
255,  256,  252,  256,  267  n,  277, 
304,  309,  311,  546,  558,  566, 
596,  420,  426,  444,  461  et  n, 
524,  552,  564,  571  n,  579,  581, 
584  n,  586  n,  587,  592,  595, 
601,  617,  051,  655,  659,  665, 
687,  694  n,  706,  707,  717,  723, 
755,   757  n,   761. 

Modérateur.  Le,  I,  183,  189,  209, 
305. 

Noncialeur   ou    les   Nouvelles   du  Jour,    Le, 

I,    75,   82    85,    114  et  n,    120,  128,   158, 

145,    149,    170,    171,    190,    194,  197,    210, 

241,  269,  272,  299,  518,  556,  578,  595, 
425,   434,    4-46. 

Nouvelles  Ephémérides  de  l'Assemblée  Na- 
tionale,  I,    66,   67,   72. 

Nouvelliste  National  ou  Journal  de  Toulouse, 
Le,  l,  165,  212,  216,  265,  284,  306,  318, 
338,  545,  551,  369,  372,  595,  459,  467, 
477. 

Nouvelliste   Universel,  Le,   I,   71,  82. 

Observateur  Français  ou  Le  Publiciste  Véri- 
d.ique  et  Impartial,  V.  II,  75,  84,  105, 
119. 

Orateur  du  Peuple,  L'  (Fréron),  I,  xix,  395, 
498,   556,   545,   565  n.   581,   584,   614  n  ; 

11,  151  n,  159  n,  174,  281,  316,  520  n, 
561,  402,  502  n,  514  n,  518,  519  n, 
537  n,  549.  551,  569,  575  n.  584  n,  628, 
726. 

Pacquebot  Le,  II,  569,  579,  617,  651,  644, 
652,  060,  087,  708,  719,  727,  743. 

Patriote  Fiançais,  Le  (Brissot),  I,  xxiv,  62, 
82,    112,    115,    129,    142,    150,    152,    185, 


XXIII 

;  ii, 

129, 

149, 

217, 

250, 

282, 

299, 

577, 

379; 

497, 

498, 

585, 

584, 

597, 

599. 

664, 

672, 

758, 

748, 

270, 


211  n,  306,  531,  358,  340,  551,  370,  392, 
405,  426,  499,  512,  521,  523,  543  n,  547, 
550,  563  et  n,  568,  607,  610,  615,  671  ; 
II,  17,  60,  72,  75,  79,  84,  87,  89,  95, 
105,  110,  122,  125  n,  127,  135,  144  n, 
148,  150,  155  et  n,  457,  180,  194,  199, 
205,  216,  229;  252,  255,  256,  267  n,  277, 
282,  291.  295,  307,  315,  320  n,  341,  561, 
564  n,  375,  576  n,  382,  424,  450,  446, 
461,  497,  505  n,  509,  516,  528  n,  550, 
535,  556,  551.  552  n,  558  n,  569,  575  n, 
582  n,  585  n,  586  n,  592  n,  595  n,  598, 
617,  051,'  652,  675,  678,  679,  687,  695, 
097  n,   705,   708,   719,   727,   741. 

Père  Duchesne,  Le,  Je  suis  le  véritable  Père 
Duchène  (Robin)  (B.N.  8"  LC2  519  bis),  II. 
134,  502  n. 

Père  Duchesne.  Le,   I,  xxv,   756  n. 

Point  du  Jour,  Le  (Rarère),  I,  xx,  xxi, 
xxm,  26,  29  n,  51,  54,  40,  45,  47,  50, 
51  n,  57,  58,  60,  61,  65,  08,  70,  80,  84, 
97,  98.  105,  109,  111,  H9,  124,  151,  154, 
159,  140,  142.  140,  151  n,  155,  157,  162, 
166,  168,  175,  181,  185,  186,  194,  197, 
204,  215,  226,  250,  255,  235,  244,  270, 
275,  281,  295,  507,  525,  529,  531,  543, 
547,  551,  556,  557,  565,  572,  374  et  n, 
599,  406,  411,  417,  420,  451,  458,  443, 
445,  457,  461,  462,  468,  470  n,  479,  486. 
488,  490,  496,  499,  508,  509  et  n,  51  t. 
514,  522,  525,  520  n,  527  n,  528  n,  529 
et  n,  550,  555  et  11,  559  et  n,  540  n,  545, 
5-48  n,  554,  555  508,  581,  582,  585,  609 
et  n.  012  n,  659,  680,  681,  689,  692,  695. 
695  ;  II,  8  et  n,  40,  42,  44,  45  n,  49'. 
56,  60,  62  n,  64,  66.  72,  76,  77  n,  79  n, 
84,  96.  97,  99,  105,  106,  112,  125,  150, 
156  n,  148,  151  n,  154,  157,  175,  177, 
180,  181,  194,  198,  200,  201  n,  205,  206, 
207.  215  n,  216.  225,  227,  229,  253,  259, 
245,  249.  233  n,  256,  261,  267  n,  282. 
297,    507.    509,    541,    545,    555,    565,    571  ; 

—  577,  579,  492,  420,  425,  425,  451,  446, 
447,  467,  484,  500,  515,  517,  531,  555, 
557,  545,  558,  579,  607,  610,  617,  626, 
629  n,  057,  652.  658,  664,  672,  676,  687, 
688,   689   n,    693,    694  n,   708,    717,    726, 

*  745,  752,  755  et  n. 

Postillon,  Le  (Calais),  I,  xxn,  xxv,  287,  298, 
503  n,  318,  550,  557,  544,  366,  376,  403, 
412,  428,  439,  460,  -467,  493,  511,  525 
(2  fois),  542,  560,  563  n,  570  ;  II,  16,  54, 
97.  100,  105,  119,  205,  206,  567,  660, 
095,    719,    742. 

Postillon  Extraordinaire  ou  Le  Premier  Ar  ri- 
vet  Le,   I,  594. 
Postillon  Français,   Le,   I,  351. 
Hosti'lon,  Le  (imitation),  I,  337,  461,  466. 
Postillon,  Le  (par  le  Père  Duchène),  I,  543. 


768 


LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 


Procès-Verbal  de  V Assemblée  Nationale  (et 
pièces  pour  servir  à  la  rédaction  du  pro- 
cès-verbal), I,  54,  57,  58  n,  42  n,  48  n, 
48  n,  76  n,  85  n,  96  n,  155  n,  226  n, 
519  n.  596  n,  455  n.  462,  468,  409  n, 
472,  479  n,  695  ;  II,  45  n,  176  n,  177  n. 

Réveil  Malin  ou  Journal  de  Paris,  Le,  I, 
257. 

Réviseur  Moniteur,  Le,  I,  554. 

Réviseur  Universel  et  Impartial,  Le,  II,  761. 

Révolution  de  France,  ou  Correspondance 
a<;ec  un  Etranger,  La,   I,  455. 

Révolutions  de  France  et  de  Brabant,  I,  xxi 
165,  258,  549  n,  447,  479,  491,  496,  498. 
50!,  552,  557,  545  n,  565  n,  597  n,  615, 
647  ;  II,  54,  55  et  n,  87  n,  89  n,  118, 
145,  144  n,  258  n,  505,  508,  508  n,  517, 
561,  564  n,  575,  598,  405  n,  420,  502  n, 
518,  519  n,  528  n,  552  n,  570  n,  578, 
582  n,  585  n,  596,  742,  752,  756,  758  n. 

Révolutions  de  l'Europe  (Tournon),  I,  571, 
584,  594,  554,  557. 

Révolutions  de  Paris  (Prudhomme),  I,  xix, 
68  115,  129  n,  150,  155  n,  596,  429, 
529  n,  565  n,  570,  617  n  ;  II,  16,  54, 
155,  178  n,  205,  299,  582,  456,  460,  509 
591   n,  599,  660,  761. 

Révolutions  de  Paris  (Tournon),  I,  152,  167 
n,   170,  549  n,  558  n,  552  n. 

Révolution*  Nationales  (Poinçot),  I,  81. 

Rocambole,  La,  II,  595,  601,  678,  687,  705, 
718,    752. 

Rôdeur  Français,  Le,  I,   xxiv,   164. 

Sabats   Jacobites,    Les,    II,    xvn,    155,    220. 

Secrétaire  de  VAssemblée  Nationale,  Le,  I, 
76,   79,   82. 


Sentinelle  du  Peuple,   La,   I,   129,  153. 

Sottises  de  la   Semaine,    I,   266. 

Sottises  et  Vérités  de  la  Semaine,  1,  454. 

Spc-tatcur  à  VAssemblée  Nationale,  Le,  I, 
76;    106. 

Spectateur  National,    Le,    I,    413,  449,  467, 

474,    479.    495,    501,    555,    542,  549,  569, 

582,    584,    605,    614   n,   658  ;   II,    15,  18, 

55,   57.   85,   102,   109,   111,   119,  158,  200, 

205,    247,    250,    255,    281,    293,  295,  299, 

507,    510.    516,    545.    346,    380,  401,  423, 
429. 

Stalionnaire  Patriote  aux  frontières,  Le,  II, 
59   n. 

Suite  des  Nouvelles  de  Versailles  (Beaulieu), 
1,  41,  42,  67,  68  n.  74,  84,  106,  120,  154, 
142,    150,   152,  159,   170. 

Thermomètre  du  four,   II,   629,   754. 

Union  ou   Le   Journal   de   la   Liberté,    L\    I, 

xxii,  159,    142,    147,    165,    169,    174,    180, 

181,  188,    198,    2 12,    215,    229,    256,    265, 

279,  285,    288,   304,    317,    568,    581,    594, 

459,  460,   495,  499,   505,  510. 

Vedette  ou  Précis  de  toides  les  Nouvelles 
du  Jour,  II.  194,  450,  502  n,  551,  569. 
570  n,  715,   752,  754  n,  761. 

Veillées  d'un  Français  (Jolv),  I,  xxm,  57, 
58,  00,  01,  65,  65,  68,  70,  78,  84,  98, 
102,    111,   125,    131,   153. 

Véridique  ou  Le  Courrier  Patriote,  Le,  I, 
128,    151,    170. 

Versailles    et    Paris    (Perlet),    I,    48    n,    56, 

60,   73,   102,   112. 
Voix  du  Peuple,  La,   1,   82. 
Vrai  Citoyen,  Le,  II,  361 


INDEX  DES  NOMS  DE  PERSONNES  ET  DE  LIEUX 


ACIIVRD    DR    BONVOULOIR,     II,    468    II. 

Affenois,   1,  '238  à  268. 

Aiguillon  (duc  d"),  I,  154,  237,  238,  254, 
487,  488,  480,  490  ;  II,  44,  87  n,  311. 

Aix  nu  Rémy  (baron  d'),  I,  12  n,  14  n,  15  n. 

Albert  de  Riovis  (d!),  I,  156  à  159,  184  à 
19-2,  463  à  466,  546. 

Alger,    I,   463  n. 

Alquier,  II.  135,  679,  687. 

Alsace,   I,   '251. 

Mtkirch,   II,  107. 

Aiini.ï   (d'),    I,    429,   434. 

Amiens,   I,   4'2  n. 

André  ùi),  I,  60,  156,  571,  406,  552,  555, 
585,  584.  610,  094  ;  II,  56,  72  à  76,  93, 
94,  98,  240  à  246.  259,  293  à  294,  335  n, 
559,  599,  466  à  467,  499,  502  n,  506, 
516  n.  521.  537  n,  544,  549  à  550,  571  n, 
575  n,  576,  598,  651,  653  à  660,  674, 
688,   690  à  693,  720  à  726,  743  à  751. 

A.ndrieu,    député  de   Riom,   I,   33. 

Angleterre,  anglais,  I,  109,  110,  200,  356 
à  362,  458  n,  462  à  467,  486,  488  ; 
II,   55. 

Ansart,    I,    11. 

Anson,  I,  192  à  194,  214,  285;  II,  112. 
213,    216. 

Antkoixe.  1,  557.  566,  683,  584;  II,  267, 
•258  ri,   497,   511,   551,  652. 

Aouk'j    (marquis   d),    I,    57. 

Àrdennet,  I,  486. 

Armand,  député  de  Saint-Flour,  II,  228. 

Amay-le-Duc,    II,    77. 

Arras,  1,  6.  7,  9,  10  à  17,  19  n,  52,  355, 
350,  408,  488  ;  II.  678  à  687. 

Artois,  I,  5  à  22,  32,  52,  55.  201,  202, 
204,  865,  266,  207,  208,  209,  217  à  226, 
273,  280.  281,  523,  347.  386  ;  II,  42  n,  76. 

Artois  (comte  d'),   1,  43,   45  ;  II,   520. 
Asr   (d'),    président   au    Parlement   de    Tou- 
louse,   II,    175. 
Ai'Dii  r-Massillo.v,    I,   502. 

Autriche,   I,  486,   487  n  ;  H,   55,  520. 

Auvirgne,   1,   241.   257. 

Avifinon,    I,    475    à    479,    527,    585   a   608  ; 

II       245,    247    à    252,    256   à    258.    277    à 

2X2    296  à  511,  424  n. 


ï 

Baco   de   la   Chamelle,    I,    674,   675. 

Baii.lt,  I,  28,  34,  35,  38  n,  43  à  48,  105  n, 
107  n,  164  *n,  362  n  ;  II,  500  n,  502  n, 
557    n. 

Ramai,    dépulj   de    Comminges,    I,    416. 

Babèbe  de  Vieizac,  I,  34,  58.  106,  133  à 
135,  196,  574,  505  à  506  ;  II,  78,  238, 
420,  634. 

Rarnave,  I,  23  n,  26,  34,  49  n,  50,  51,  57, 
76,  79  à82,  86,  121,  135,  141,  142,  143, 
144,  149,  150,  151,  177  n,  192  à  195 
196  à  199,  236,  237,  268,  270,  316,  318! 
558,  546,  597,  403,  404,  416,  428,  444, 
454,  613,  530  à  535,  585  ;  II,  20,  43,  46, 
51  :  53,  79  n,  80,  81  à  84,  87  n,  119,  122, 
157  n,  158,  178,  19i,  195,  202  n,  203  n, 
207,  215,  550,  551,  367  à  368,  369  à  376, 
405  n,  426  à  427,  428,  514,  525  n,  557 
n,  57u  n,  575  et  n,  576  n,  606  à  609, 
618,  646  n,  666  à  673,  709  n,  710  à  719, 
727  à  742,  745,  754  n, 

Bassart,  président  du  District  de  Versailles, 

I,  440  n. 

Béarn,    I,    509  à  511. 

Reauharnais  (Alexandre,  vicomte  de),  I,  537: 

II,  558  n,  631. 

Reaumetz   :  voir  Briois  de  Beaumetz. 

Begouen,   député  de  Caux,   II,   728. 

Rehix,  curé  d'Hersin-Coupigny,  député  du 
clergé  d'Artois,   I,   21   n,   53. 

Bclfort,  II,   152  n. 

Belgique   :  voir   Provinces   belgiques. 

Bellevue..    II,    77. 

Rergasse-Laziroule,  I,  21  n,  23  n,  68. 

Rertier  de  Sauvigny,  1,  42. 

Besançon,  I,  616  n. 

Rezenval  (baron  de),  I,  48  à  50. 

Béziers,    I,   242  à   248. 

Riauzat  (Gaultier  de),  I,  54  n,  63,  14»  à 
151.  497,  500,  555,  558,  547  ;  II,  44,  90, 
107  à  110,  122,  128,  136  n,  143,  144, 
221   n,  226,  576  n,  581,  705,  712,  728. 

Rigot-I'réameneu,   II,   502   n. 

Rio\,  député  de  Loudun,  I,'  139  n. 

Riron  (duc  de),   I,  341,   356. 

BlaconS  (marquis  de),   I,  57. 

/;/'//, i  i-Manteaux  (district  dos),   I,   48. 

Miîv,  député  de  Nantes,  I,  192,  194,  195. 

BoiSGEU*  ps  Cyc*,   I,  58,  67,  113,  385. 

Knww,  (François  de),  évoque  de  Clermont, 
I,    (M),    235. 


fco. 


770 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 


Bonnat   (marquis   de),    I,    85,    325.    450   n, 

475,    092. 
Bo.xne-Carhère,    II,    155,   420,   427. 
Bon.\e-Savardi\,    I,   500,   501   a,   515  à   521. 
Bonkevai  (<nJbbé),   1,   100,   184. 
liowiviï  li;  (Nicolas),   I,   653  n. 
Bonmèrks   (Adrien-Louis  de)    :  voir  duc  de 

G  unies. 
Bordeaux,   II,   62. 
Bouche,   I,  00,   63,   104,  602  n,  007  ;  II,  80, 

05,    94,    201,    247,   250. 
Boucher  d'Argis,  I,  107  n  ;  II,  21  n,  55. 
Bot  cnoTTL.   I,   33,   00,  216,   515,   518  à  520. 
Boudard,   I,  21   n,  53. 
Boufflers    (marquis   de),    I,    418   n. 
Bouille   (marquis   de),    I,    527   à   535,    536, 

557  ;  II,    140  n,  548,  551,  554  à  567,  570, 

644.    065   à    000. 
Bourdox    député  de  Caux,   I,   340  ;   II,   599. 
Boura-la-Reine,    I,    554,    535. 
Bourgogne,   I,  40. 

B0UR\'AZF.L,     I,     54,     55. 

BouiiMssAC.   I,   155  n. 

BoUSMARD     DF    Cil  \:V  J-R.UNF    (d«)r     I,    544. 

Boussion  député  d'Agen,  I,  268. 
Bomthilijer  (marquis  de),  I,  538. 
Boutteviile-Dlwietz,   1,    171,    174,   270,   482, 

602  ;  II,  56,  88,  128,  138  à  146. 
Bouvier,  député  d'Orange,  I,  477  n. 
Boye'i,    procureur    des    Avignonais,    I,    475, 

476. 
Bramas   (duc   de),    1.    485.    484. 
Brassart,  avocat  à  Arras,  I,  15,  19  n,  20, 

21   n,  53. 
Brest,    I,    185,    180,    457    à    459,    540  ;    H, 

150,    708  à  719. 
Brevet  de  Beaujolr,  I,  505,  506. 
Bretagne,  1.  40,  52  n,   227,  229,  258  à  268. 
Brie-Comtr-Boberl,    I,    48  ;    II,    500    à    508, 

545  à  348,  604  à  609. 
Briois  de  Beaumetz,  I,  21  n,  55.  156,  171  à 

174,  526,  534  à  338,  544  à  545,  356,  468, 

480,   505  à   505,   686,   692  ;   II,   77  n,   87. 

120,   203  n    252  n,   554  à  545,   382,   399 

à  401,  618,  023,  637,  694. 
Brissot,   I,    10    "21,    120  n  ;   H,   118  n,   552 

n,  558  n,  001,  709  n,  713  n,  728  n. 
Broglie  (duc   de),   I,   63,   357,   361,   549  n  ; 

II,   111,   152,   175,  405  n,   711,  715. 
Brostaret,    I,    547. 
Brouet,     avocat    -iu    Parlement    de    Paris, 

I,  211. 
Buissart,    I,    23,    26    n,    34,    75    n,    76    n, 

152  n,  157  n,  152  n,  172  n,  172  n,  274  n, 

352    n. 
Buzoï,    I.   54,   57  n,   58,   41,   121,   259,   522, 

525,  085  à  688  ;  II,  65,  81  à  84,  92  à  97, 

100   à    104,    105   à    106,    155   à   155,    175, 

185   n,    200,    205   11,    215,    216,   229,   230, 

239,    295    ù    295,    554    à    342,    544,    380, 

40"  n,   420,   508,   520  n,   525  à  558,   553, 

558   n.    571    ,.,   573  et   n,   601,   615,    618, 

027  ù  050    839,   744  n,  754. 


Calas,  il,  48  ù  54. 

(kimbrésis,  I,  52  n,  145  ù  151,  217  à  226, 
275. 

Camus,  I,    55,    54,    51,    135,    182,    185,   592, 

593,  404,    414,    458,   440,    478,    479,    497, 

il»8  500   n,   534,   557,   558,   6o9  ;   II,    80, 

654,  688,    753. 

Caraaiax  (comte  de),  I,  155  n,  185. 

Cabiox,   curé   d  Issy-1'Evêque,    II,    129. 

Carpenlrus,   I,   5y0,   594,   595. 

Carra,    1,   250  ;  U,   766  n,   710  n. 

Oas&el,  11,  151  n,  216. 

Castellam:  (coinie  oe),  I,  59,  116,  176,  282 
447,   42S. 

Castbleet  (marquis  de),    I,   484,   508. 

Casielnaij  de  Llrieres  (baron),  1,  45,  46. 

Cauwe't  de  Baly,  lieutenant  général  du  gou- 
verncriient  d  Artois,   I,   16,   19. 

Cavlus  (auc  de),  I,  361. 

Cazales  (Ue),  !,  l2ô,  126,  129,  150,  165, 
192,  195,  252,  255,  246,  262,  270,  519, 
562,  565,  407,  408,  410,  413,  476,  4?J, 
480,  481,  484,  485,  489  à  493,  691  ;  II. 
20,  22,  64  à  70,  79,  118,  147,  181,  199  n, 
580,  500,  410,  421  à  425,  424,  468,  487, 
4U-J,   500. 

Cluuiti,    If,   457. 

'■..elle,   1,   489.     • 

CiiAiiRouD,  I,  57  n,  107  n,  482,  483,  507, 
508,  570,  571,  580,  581,  583,  584  ;  II, 
20,  89,  98,   149,  555  à  558,  576,  678,  687. 

tUiàlons-sur-Marne,  I,  513  n. 

Chamuon   de   Saii\t-Juliex   (César),    I,    184. 

Champion'  de  Cicé,   I,   202  n,  429  n. 

CllARAMOXD,     I,     9     n. 

CiivssET,  1,  60,  106,  415,  427,  428,  457,  548. 
C  (tleau-ïhierry,   I,  52  n,  545. 
Chateauneuf-Bandon   (marquis   de),    II,    711. 
Châteauvieux  (régiment  de),   I,   555  à  557  ; 

11,    140. 
Chûtelet  (tribunal   du),   I,    107   n,    117,   124, 

12.),    128,    150,    155,    161,    186,    520,    429, 

406,   501   11,   515  à  521,   558,   567  à  570  ; 

II,    loi   à  155,   252. 
Chuelet-Lomont  (duc  du),  I,  563,  569,  585, 

607,  656  à  658  ;  II,    107  à  110 
Chat'zbl,   I,   57. 
Chaumont,    II,    47    n. 
Ché.mer  (André),  II,   455. 
Chéi'y  fils  (Pierre),  II,  122,  258  n,  586. 
Clnnon,    I,    226  à   227. 
Choderlos  ce  Laclos,  II,  519,  509,  511,  581, 

585,    595. 
Choisei  l-Pr.\slix  (comte  de),    I,    75  n,   505, 

369,  537  :  II,  64. 
Clav.ère.  II,  100  n. 
CiiiuioNï-LoDÈvE    (marquis    de),    I,    284    n  ; 

II,   277  ù  281. 
Cleumont-Towerre    (Stanislas,     comte    de\ 

f,  57  el  n.  48  n.  75.  76,  117  ,à  120,  125  n, 

167,   109,    170,   178  à  180,    190,    191,    192, 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 


771 


268,    422,    450   n,    585   a,    005,    007  ,    Il 

z\M  à   "298. 
Clopts  (Anurcharsis),  I,   430  n  ;  II,  457. 
Cochard    I,   274,   280. 

COWIFREL,     II,     716. 

Collaud    DE    la    Salcette,    I,    192,    195,    191, 

l«g  ;   11,   070 
Colmar.  avocat,  1,  408  à  470. 
Colonies,    1,    4ui  ;   11,    ib  a   i8,    709  à   719, 

727  à  743. 
Comial    y  euutsain,    1,    585   à   008  ;    II,    245, 

ï4/  à  -toi,  -^yo,  511. 
Comme  (prince  uej,   1,  489  à  495  ;  II,  520. 
LoNiiORcE',   II,  150,  552. 
Conxié  (Aigr  de),  I,  18. 
Coroeil,    II,   250,   231. 

C'ORKOLLER     DL     .t.OUSTOlR,     I,     57   \     II,     585     « 

Ml,  001,  005,   712,   754. 
Corse,  1,   190  à  200,  552,  535. 
uiLti  (comte  de),  1,  37. 
Coui-iÉ   (Gobr-el-Uyacinthe),   II,   137. 
Couturier,    11,    514. 
cre-  zl-latoul1ie,    ii,    005. 
Crillox   (comte   ne),    1,   o62,   568,   404,   405, 

0:13  ;  II,   158,  281. 
Croia   (comte  tk'),*I,    21   n,   55,   280,   284. 
Cl.^hy   (comte  d<:),   I,   7  n. 
curt  (Louis  de),  11,  740. 
Cussv   (Gabriel   de),    11,    704. 
Custini    (comte  de),   député,   I,   41,  528  ;  II, 

U'.l,  275,  298,  079  à  685. 


Ûamiem,  huissier,  II,  720  à  726. 

b'.MOJ,    II.     111. 

Danton    1,  416  ;  H,   122,  155,  520,  551,  581, 

5<Sti  n,  719  à  724. 
Darciie  (lharlesj,    1,   96  n,    156. 
Dapjvaudat,    I,    509.   511   B. 
Da;  i.iiv,   II,   405  n,  545. 
Uaaphinc,  I,  52  n. 
Deitrmon    les    Ckapelières,    I,    41,   63,    11V 

n,   141,    142,   540,   552,  553;  II,  62,    178, 

545,  646. 
Oeillrs,   11,   605. 
Deiandi.ne,    I,    672. 
Itr.im.M..    Il,    107   à   110,   428  a  450,   460, 

7::).  727. 

Del w! lie   Le    Hollx,    1.    462.    465,    582. 
De  Lattre,  député  dWbbeville,  II,  346. 
Delaï  d'Acier,   I,  450  n. 
Dlmmmir,    I.   51,    110,   5(8,   348,   437.    439, 

440,   444,    462,    467     500  à   502,    611  :    II. 

00     02    Ù    1)7,    99,     105,     125.     195,    203. 

207.   215,   227,    228,    231,   2.12.    238  el    n, 

258   à   280.    519    399.   421.    12 1     425,   427, 

516,   557   n,    559,   542,   570,    571    n,    037. 

641),  665,  669,  674,  720  à  726. 
Df.schamps,  I.  116  et  n. 
Ursu'Zî'  ris,    I.    7,    M. 

i\e  (Canine)    I.  T.")  n.  166  n.  241  n, 
416,    m    ù    500     543  :    II,    122, 

!  ',",  n    52b  n,  759  n. 


DlIvTSME,    1,     185. 

Dieppe,   I,  540  à  342. 

Dili.on,    curé    du    Vieux-Pouzauges,    I,    60, 

160. 
Dillon  (Arthur,  comte),  I,  445  à  448,  471  ; 

II,    157. 
Dixociieau,    I,   557  n,   659. 
Dioxis  nu  Séjour,  I,   176. 
'  m:,  curé  de  Ligny.  1,  21  n,  53. 
0.)  ssiT  (duc  de),   I,  45  n. 

ok.axs  (comte  de),  I,   545. 
nouai,   II,   129  à   148,   150,   154. 
Dreux-Lrézf.  (marquis  de),   I,  35. 
Dubois  df   Chance,    I,   286,  500  à   502,   508, 

537  ;   II.    45   n,    74   n,   87   n,   252,   275  n, 

291,   295,  319,  542. 
Dubois    de    Iosse  x.    1,    9    n,    11,    13,    14, 

15  n,   555  n,  556  n. 
Dubreuil,   II,   727. 
Dubi  isson,    l,   55,   581. 
Dultiastei  i .El   (Ach  lie).   II,  552  n. 
Du(.los-Dufre«noy,   I.   49. 
Duia  ,    l'eui  ii  ut      arli'lerie   à    Strasbourg, 

I,  480.   481. 

Dulau  (Jean-Marie;,  archevêque  d  Aix,  II, 
670. 

Dcmetz  :  vo'r  Boulteville-Dumetz. 

Du    Morier   (Joseph-Pierre;,    U,   728  n. 

Difaty,  II,  47  n. 

Dupi  rssi  Bertaux,   II,  542  n. 

Dupovr  de  Nemours,  I,  357,  361,  467  ;  II, 
36i  n. 

Duport,  I,  65,  fi*.  106,  150.  155,  167,  170, 
252,  255,  286  à  289,  515  n.  674,  675, 
687  ;  II,  7,  20,  21  n,  22,  46.  65,  64.  71, 
74  n.  89  n,  120.  155,  175,  202  n,  319, 
364  n,  405  el  n.  415,  451.  452  n,  442. 
406  à  467,  502  n.  506,  534,  553,  555  n, 
585,  053,  697  n,  700,  702,  706,  720  à  726. 

DtipoRïAii,   II.  149  n,  521,  644. 

Dupuf,    député  de   Carcassonne,   II.   148. 

Diqitsnoy,  I,  60.  104,  201,  534.  611,  650 
n  :  II,  122,  552  n. 

D-  R«n  de  Maillane,  I,  33,  585,  607  ;  H, 
258. 

Durget,    I,    106. 

Du  Rosoy,  1,  55. 

Dotai  i>  Brtdtewim.,  I.  196,  198.  199,  228, 
229.  253.  246,  262,  284,  444  à  449,  539  ; 

II,  79,  609  n. 


Ecmont   (comte   de),    I,    166. 

R';gs     1.    513. 

El  brcq   (baron   d'),    I,   486. 

i:\uii  in.    I,   529  à   531,   537,    693;   II,    157, 

\:>x.  534,  657  n,  571  n. 
Kipaane,  1,  563  à  57  i,  31)6  à  362,  458,  404, 

m,    524,    525,    526:    II,    641    a   643. 
I.viuv:   (comle   d'),    I,   153,    441. 
Bbti  «hazy  (courte  d'),  I.  ;,(>.  :)7,  96. 
Kstikwi  .  journaliste,  II,  M  n.-* 


772 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 


Estourmei.  (marquis  d'),   I,  206,  564  et  n 

II,  661,   079  à  687. 
FMta-Unis  $  Amérique,  I,  472  h  475. 
Kwiu.v  0«bb.'-;.    I,   595,   595,   417. 


Faure  b'Eclantine,    II,   256. 

Faucigny  de  Lucinge  (comte  de),  I,  551. 

Faure,  II,  502  n. 

Fêraiid,   1,   507,  512,   514. 

Flandre,   I,  52  n,   217  à  226,   272,   275,   280, 

5 17 . 
Fleurit,  député,  J,  20,  21  n,  55. 
Ferrures  (marquis   de),    I,    107   n,   125  n. 

129  n,  261  n  ;  II.  580  n,  446  n. 
l'iMin,    II,    89,    595. 
J  n.ornv    I,   485. 
Foix  (comté  de),   I,  52  a. 
Folleville   (marquis   de),    I,    502,    694  ;    II, 

40:    76  à   77,    158,   251. 
Folcauld-Lardimalie   (marquis    de),    I,    152, 

195,    228,    229,    247,    251,   ,258,    268,    269, 

515  à  521,   611,   694  n  ;   II,   100. 
Foulon,  I,  42. 
Fouaorin,  I,  21  n. 
François,   I,  121  n. 
Frékon,  I,  498  n. 
Fréteau    de    Saint-Jijst,    I,    270,    285,    575, 

417  )i,  450,  456,  487,  526,  691  ;  II,  47  n, 

107    à    110,    540,    499,    516,    641    à    645, 

679,  987,  704. 
Fribourg,    I,    452. 
Fromentin  de   Sartee,    I,   555  n. 
Fumel-Montséglr  (marquis  de),   I,  214,  252, 

255,  258. 


Garai  l'Aîné,  I.  25  n,  60.  75,  155,  154,  155, 
174.  197,  199,  252,  258,  268,  269,  285, 
521,  416.  429,  455  ;  II,  99,   175,  228,  577, 

,  580,    581. 

Garât  le  Jeune,  1,  155,  155,  529. 

Car r an  de  Collom,  I,  501  n. 

Cènes,   I,  196  à  200. 

Gerle  (don»),  I.  176,  519. 

GlLLET    DE    LA    J.ACQUEMINIÈRE,    I,    525. 

Girarpin  (Hené-Louis,   marquis  de),   II,   464. 

GiveL    II,   152  n. 

Glezen,   I,   41,   42,   55  n. 

Gobel,   évoque  de  Lydda,    I,   60. 

Godart,   I,   441   n. 

Gomrert,   II,  711,  712. 

Gorsas,  I,  145  n. 

Gossin,    I,  557  ;  II,    156  n. 

Goudard,   I,  694. 

GouGF.Tdksi  andres   (Maurice),    II,   421. 

Gmn.iART,    maire    de    Soissoras,    I,    481    n; 

II,   89. 
Goupil   de  Préfeln,   I,   106,  155,   247,  518, 

557,   501,   585,    592,   595,   571,   581,   582  ; 

II.    175.    221,    226,    228,    256,   299  à   508, 

421,  422,   509,  555  n,  600,  665,  674,   700, 

712  à  719. 


Goi  pilleau  (de  Fontenay),  I,   155,  520,  554; 

II,  425. 
Gouttes  (abbé),  I,  181,  226,  571,  394,  484, 

185,  526,  554  ;  H,  79  n,  100. 
Goever.net  (de),  I,  441. 
Gouv  d'Arsy,  1,  45,  58,  67  ;  II,  158,  716 

728  à  742. 
(inwciER,  I,  529. 
Grégoire  (abbé),  I,  57  et  n,  106,  107,  150, 

155.  155,  227,  274,  524,  546,  547,  401, 

438,  452  :  II,  275  n,  554  à  345,  547,  549, 

575,  576,  553,  575,  576  n,  651,  659,  709 

n,  752,  754. 
Guàdet,  I,  19,  21  ;  II,  728  n. 

GUERNOVAL    llLsoiJELBECQ,    II,    156    ri. 

Gi  ffroï,    I,    135  ii,   200  n  ;  II,  682  n. 
Geignard  :  voir  Sainl-Priesi. 
Guillaume  (Louis-Marie),  II,  655,  665  à  075. 
Geillin  de  Montel  (Mme),  II,  628  n. 
Glillotin,   1,   60,   72. 
Gr  ims  kluc  de),  I,  5,  6,  18,  19,  21. 
G  ru:    secrétaire  de  la  Société  des  Amis  de 
la  Constitution  de  Besançon,  I,  016. 

H  I  J  K 

Uainaul,    I,   52  n,    217  ù   220,   275. 
Hébrard  (Pierre),  II,  661. 
IIe.s,)in,    I,   52,   655  à  658. 
HeURTAILI    DE  Lamerville,    I,   346. 

Hollande,   I,   402,  467. 

Hongrie,    1,   487. 

IIoudon,    sculpteur,    II,    255, 

Huningue,  II,  107. 

Issy-V  Evèque,   II,   129  à  455. 

Jacquemart  (abbé),   1,  597  a  403,   585,   005, 

007. 
Jeandon  Saint-André,   I,  505  n. 
Jessé  (baron  de),   II,  119. 
Joir,   I,   48. 

Jones  (Paul.),   I,   472,   475. 
Joehert    (Pierre- Mathieu),    évèque    d'Augou- 

lême,   I,   57. 
Jeuae,  *le   Tabngo,   I,  471,  472. 
Il'ifs,   I,   167  à  170,  215,  214,  485  à  48k 
Julien  (abbé),    II,    700. 
Kereaim,   II,   111,  121,  128,  217. 


Lablaciie,   I,   60,  511. 

Lauorde  de  Méréville,  I,  20,  65  ;  II,  555. 
557. 

Lwhèse,  député  de  Cahors,   I,  60,  537. 

Luti-èdf  (de),   II,  502  n. 

Lacroix,   I,   441   n. 

La  Tare  (de),  évèque  de  Nancy,  I,  109, 
170,    232,    255. 

Lai  arge,  financier,  II,  100  à  105. 

La  Fayette  ("Marie-Joseph  du  Motier,  mar- 
quis de).  I,  75,  121  n,  427,  428,  440, 
491  n,  555.  611  ;  II,  54  n,  55,  90  n, 
575  n,  502  n,  520  n,  557  n,  575  n,  088. 

Lamari'f:   (de),    II,   18. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 


773 


Lally-Tolevdal,  I,  37  n,  39,  40  et  n,  41, 
42  46,  48  n,  75,  99  n. 

La  Luzerne  (de),  évêque  de  Langrcs,  I,  40, 
47,  60,  471. 

La  Marck  (comte  de),  I,  585  n  ;  II,  89  n. 

Lambert  de  Frondeville,  I,  513  n. 

Lameth  (Alexandre  de),  I,  7  n,  145,  180, 
557,  407,  498,  5-28,  693  ;  II,  41,  45,  74  n, 
lit»,  122,  123,  140.  149,  202  n,  255  à  256, 
•258.  575  n,  496,  549,  557  n,  571  n, 
575  n,  585,  675,  679  à  687,  709,  710  à 
719,  728  n. 

Lameth  (Charles  de),  I,  21  n,  53,  69,  71, 
125.  127,  155,  155,  134,  192  à  195,  211 
n,  252.  257,  238,  254,  507,  516  à  318, 
354  à  559,  72,  404,  405,  416,  428,  441  n, 
479,  489,  492,  500  n,  509,  MO,  526,  527, 
615  à  615  ;  II,  55,  74  n,  119,  128.  195 
à  198,  205  n,  258.  291,  295,  296  à  299, 
511.  360  à  568,  375  n,  405  n,  496,  510. 
525  n,  571  n,  599  n,  634,  640,  675,  679 
à  687,  710  a  719,  728  n. 

La  mi  tu  (Théodore  de),  II,  715. 

Langlade,  II,  48. 

La\jmnais,  I,  29,  227  à  230,  270,  274,  502, 
543  ;  II,  57,  183  n,  228,  261,  276,  347, 
424,   654,   720. 

I.annoï  (coinle  de),  I,  280. 

Laporte  (de),  intendant  de  la  liste  civile, 
II,   514,   525  n. 

La  Poi  le,  1,  450  n  ;  II,  221. 

La   Poype  (marquis  de),   II,   581. 

La  Revi  i.lière-Lépeaux,  II,  83  à  84,  403. 

La  Rochefoucauld  (l/Ouis-Alexandre,  duc 
de),  I,  37,  61,  85,  192,  194,  195,  251. 
257,  262,  346,  428  ;  II,  64,  299.  508,  545, 
655  à  Ô60. 

La  Roque  (de),   II,  682  n. 

La  Salle  (marquis  de),   I,   73,   74. 

La  Tour  du  Pin-Gouvernet  (de),  I,  480,  481. 
527,  555,  656,  693  ;  II,  41  n. 

La   Tour   Maubourg  (de),   I,   163  n  ;  II,  247. 

Latude,    II,    80,    128,    129. 

Lai  va  y   (de).    I,   58. 

Laurent,   II,  652. 

La   Vauguyon  (duc  de),    I,   53,   54. 

Lavenue,   I,  417 

Lavicne,    II,    712. 

Lavie  (Paul-Marie  Arnaud  de),  I,  157  n,  159, 
280  :  II,  456,  545  à  547,  609,  680.  697  n, 
700,  718,  745. 

Lavoisieb,    H,   118. 

bt  Blanc  de  Verneuil,   I,  320  n. 

Lebrun,  député  de  Dourda-n,  I,  455  à  457: 
il.    112,   119. 

l.i  Chapelier,  I,  22,  23  et  n,  26,  34,  57  n, 
67.  82,  83  à  85,  145,  149,  150,  151,  160 
à  165.  193,  214,  257.  2M,  298,  397.  405, 
404,  411.  413,  414,  427,  428,  555,  566, 
567,  568,  371  et  n,  611,  694;  II,  18  a 
19  20.  13,  il.  72.  78.  79  n  80  ,'  M, 
X7  à  88,  92,  110,  111,  120.  140,  175,  161, 
203   n,   512  à   318,   334  à  543,   344,   382, 


599  a  401.  420  a  422,  537  n,  571  n, 
575  n,  609  631  n,  657.  665.  688,  '06, 
720,  743  à  752,  753. 

Lechon,   I,   19  n. 

Lecierc  (abbé),  I,  385. 

Leclerc    ni:    Juigne,    archevêque    de    Paris, 

I,  252. 
I.ec.uxtre,  I,  441. 

Le   Couteuj.x   de   Ca.xteleu,    I.   180   n,   194, 

214,  216,  285  ;  II,  157  n. 
I. invar   d'Ormesson,   I,   154. 
Le  Franc  de  Pompignan,  I,  37  n. 
Le   fiiuzRr:  de   Kervélégan,   I,  38. 
I.i«.i:m)re,    II,   55,    551. 
Lfgraxd,  député  de  Bourges,   I,  32,  34. 

LeGBAND    DE    BorSLANDRY,     I,    468. 
Legravd,  accusateur  puhlic,  II,  608. 
Le  Havre,  I,  55,  54,  465  n,  465  ;  II,  709  n. 
L'Eleu    de   la   Ville-aux-JBois,    I,   325,    572,- 

405. 
Lepélbtifr  de  Saixt-Fargeau,  I,  77,  78,  79, 

505,  306,   428  n,  489  à  493,   503  à  506  ; 

H,   58  à  61,  432. 
LÉrmoR  (Michel),   II,  111,   320. 
I. T-Ipinay  du  Lut  (de),  I,  239. 
Le   Houlx,   curé  de  Saint-Pol,    I,  21   n,  53. 
Lissart     (Claude-Antoine    Valdec    de),     II, 

522.    524. 
I.i  si  iu.im  d'Isbercces,  I,  21  n,  53. 

I.KSOING,     I,     16. 

Levai  liant  d'Oisy,  I,  19  n. 

Liancourt  (Alexandre-François  dé  La  Ro- 
chefoucauld, duc  de),  I,  45,  44  n,  46, 
162,    165.   190,    191,   192,   231,  455,   537  ; 

II,  418,   499,   555. 

Liège   'évoque   de),   I,   486  n. 

Limousin    (Bas),    I,    227. 

Lixguet,  conseil  de  l'Assemblée  de  Saint- 
Marc,    II,    156,    194,    195. 

loi. s  XVI,  I,  22.  27,  38,  59,  103  n,  357, 
509  ;  II,  514  à  539,  548,  551. 

Loi  si. mot,   I,  549  n,  543. 

Ion,   I.  2*4.  482,  483,  687,  691  ;  II,  459. 

h -hersai:  (de),   I,  38. 

luiirrille,    I,    555. 

Lucas,    I,    427  ;  IL   265,   268,   362. 

la  chet   (do),    publiciiste,    78   n. 


Macate  (vicomte  de),  I,  37. 

M.xii.i.aiu»   (Stanislas),    I,    107   et   n. 

Mui.i.iiK.is.   I,   500.   501  n,  513. 

Haioi  m.  I,  21  n.  55  n,  63,  75,  155,  156 
à  180,  101,  465  nù,  466,  476,  492.  496, 
498.  5(18,  527.  585.  607,  611  ;  II,  20,  64, 
15  i.  299  à  50X.  309,  446  n,  009  n,  615, 
721    à   72C. 

Malseigne,  I,  528  n. 

Marx.,  I,  118  n,  496;  II,  43  n,  54  à  56, 
72  ii,  74  n,  159.  323  n. 

\I\ik  ramo  (Mme),  I,  21  n. 

Mxu.ii -huttes  (kiron  <!.'),   I.  65,   160,   102. 

Uan  ■nhourf),    I,    56,    96,    136   n. 

Marquis,  I,  38. 


774 


LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 


Uui  cille,  1,  155,  185,  180,  189,  648;  II. 
...  n,  4z(J  i»  427. 

Mali. nf.au,  II,  '52J,  500,  r40S,  526,  583-584, 
611  ;  II,  175,  196  à  198,  210,  277,  538, 
502  n. 

Masceliv,   I,  155. 

Masse,  «Je  Tabago,   I,  471,  472. 

Massiac  (Club),   II,  16  n. 

Haury,  I.  8^,  145  j  151,  154,  169,  170,  192 
a  194,  i96,  199.  214,  227,  228,  248,' 282, 
a95,  548,  551.  552,  469,  470,  472  à  '474, 
476,  477,  479,  498,  524,  525,  544,  566, 
567,  568,  585  n,  607  ;  II,  19  n,  46  à  48, 
57  à  61,   71  à  72,  296. 

Méditerranée  (Commerce  en).  I.   465  n. 

\lelun,   II,  604  à  609. 

Mf.ndouze,  11,  602. 

Menol  (baron  de),  I,  519,  525,  416  ;  II,  59, 
45  n,  74  n,  87  n,  90,  199,  252,  240  n,  247. 
277  à  281,  299. 

Mercier,    I,    545. 

Merle,    II,    150. 

Merlin  (do  Douai),  I,  270,  271,  281,  520, 
521,  524,  527,  529  II  56,  87,  120,  175, 
508  à  510,   582,   500,   504  n,   674. 

Merlin  (de  Thionville),  II,   149  n. 

Ifrtz,    I,    157   à   139.    483,   484.   545,   547. 

ileuithc,   I,  555. 

Miciiaud,   1, 1516. 

Mirablau  (comte  de),  I,  21  n,  26,  57  cl  n. 
42  n,  48,  51,  54,  60,  62  n,  68  n,  69  à 
71,  72,  76,  81,  85,  85,  97,  107  n,  108, 
109,  121,  126  n,  129  n,  150,  135,  155,. 
155.  160,  179.  180,  196,  199  et  n,  251, 
255,  261,  348,  551,  557,  572,  575,  588  n. 
489  à  495,  508,  524,  525,  526,  528,  555^ 
556  568  n,  585,  608,  612  à  615  ;  II,  45, 
79,  89  n,  100  à  104.  105,  106,  125,  155, 
178  à   180.   181,   194,  204,  255. 

MiR\i;i:.\r  (vicomte  de),  I,  137  à  139,  161  à 
166.   348,   498. 

y»nto<t'>an.    I,  562.   565,   484  à   485. 

MONTIJAILLI,     II,    48. 

MoxTBOissiFR  (comte  de),  II,  46. 

Montcai  m  (de),  I,  54. 

Vovrn  air,   II.  500  n. 

•'ont;  osier  (Reynaud  de),   I,   172,   178,   179, 

180,    202.    207,    564   n.    611  ;    II,    50,    55. 

W,  4M   n,  502  n.  694  n,  755  n. 
•'ontuohfncy  (de),   I,   527. 
.Vontmorin    (comte    de),    I.    55,    251    n,    556, 

486  n,  487,  526  ;  II,  240  n,  271,  458,  516. 

520,   525. 
Moreal-  df  Smnt-Méry,  I,  540  ;  II,  16  à  18, 

554,  561   à  365. 
tloreU    II.    77. 

'  O'.ITON  ClARRIlLANf.    II.    510.    644,    727. 
Mokmns  re  Roquefort,  I,  51,  176,  505,  506, 

585,  •  677,    685,    684,    686,    692  ;    II,    175, 

452    n. 
"n"\i.-n.   I.  25  n,  52.  34,  35,  37  n,  48  n, 

M.    65.    67. 
Muguet  de  Nanthou,   I,   99,   104,   270,   271  ; 


II,  89  n,  548,   553.  575,  576,  604  ù  600, 

7il   à   719. 
M  urinai  s  (comte  de),  1,  289,  529,  364  et  n, 

lui,  416,  507  ;  11.   158,   177,  505.   508. 
Mi  scarb,    II,    lis   à    150,   525. 

\   0 

.Vantv,  1,  527  à  554,  555,  557  ;  II,  525  n. 
ni;  kir,   I,  28,  58    48.  97,  469,  470. 
Mines,   I,  478,  594  n,  595  ;  II,    176,   177. 
Aoaiiiis  (v.conile  <Ie),   I.   72,   86,    195,    194, 
195,   214,    270.   015,   615;  II,   85  n,   245, 
311,  544. 
N'ompèrf    de    Champagny,    I,    184,    192,    457, 

159,    !6Ô,   506. 
iVooïka   Si  \i),    I,   556,   444  n. 
Normandie     I.   40  n,   258  à  268. 
.oi  t  (de),   II     150  n. 

I.    175  à  477,  592,  594. 
ne  d).    I.    11,7  n,  568  n  ;  II,  064. 
Orléans,   II,    72 


Paini:    (Thomas),    II,    552. 

Paun,   II,   311. 

P\o  i.    I.   200,   552.   555. 

Pans,    I.   57.   58.   59,   75  n,   104.   107,    108, 

121.  548  à  555.  451.  562  ;  II,  44,  90  n. 
l»\s -ai-ip,    II.    427   n. 
Pov  rie  Calais,    I.    «38,    486   à    488;    II,    il. 

70.   77    089  à  690. 
Pau  (Château  de),   I,  509. 
Pa*o,  I,  20,  21   n,  53. 

î'fi:ri\    DF    IA    B'XiÈRi:.    I,    60. 

Pf-urtin.    I     509. 

PrHgnrd.   I,  227,  265. 

Pk  ussf  nu  L»  .-.  I,  64.  65,  67,  68  ;  II,  444 
n.   594  n.  72**  n,  755  n. 

Pfrrotin.  abbé  de  Barmont,  I,  513  à  521  ; 
II.    151   a  155. 

Pi;n<  i\ori''nr   t>f    ia    Bv  dinii-re,    I     547. 

Pêtion  de  Vi"e\f"vf.  I,  26  54,  58,  50, 
51,  68  n.  72,  82.  83.  97.  98.  106.  121. 
128,  155,  155.  155.  237.  285.  346.  505  à 
571,  427,  4°8.  4i)9  à  454  497,  49°  500  n, 
521.  557.  585,  605.  607,  685  à  6*7,  689  ; 
II.  17  à  18,  42.  45  n  65  •>  70.  74  n. 
Si  à  Si.  86.  92  à  97,  98  à  99.  107  à  110, 
1I2  à  119,  125  à  '128,  140.  175,  183  n, 
194,  195  à  198  226.  227.  258  n.  240.  H5, 
249,  275  n.  281,  291.  295.  506.  509  n. 
511.  312  à  518,  541,  575  et  376,  577, 
599!  405.  420.  452  n  442,  445  467, 
502  n.  54i.  542,  545  551,  5^3.  509. 
571  n,  576  n,  580,  595,  600.  601,  011 
à  617.  618  à  630.  634,  645,  653  à  060, 
665.  679  •.  087,  690  n,  706,  709  n,  728  n, 
744  n.  754. 

Petit,  I,  21  n.  55.  • 

Petits  Aiiguitins.  II,  153. 

Pichfreau  de  Greffus,  I,  226  n. 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 


775 


Pintevh.i.e  (rinrwi   de   Cornon),   T,  486,   489 

à  493. 
Pisôn  du  f.wiwr..   I.  34,  60,  63,   268,  270, 

545 
Poissy,    I,   39,   40. 
Polei/mieux,  II,  028  n. 
Popllus,    I,    29,   31   11,    271,    417   n,   450  n. 

470  n  ;  II,  545. 
Porentruy,   II,  239,  544. 
Port-Louis   (Ile-de-France),   I,   47î. 
Portsmouth,  I,  465,  465. 
Prieur    (de    la    Marne),    I,    104,    106,    182, 

185,    204.    527,    414,    610,    674,    676,    683, 

687,  692,  693  ;  II    71.  87.  128.  175,  199  n, 

203  n,  210,  228,  238  et  ri,  280  à  281,  311. 

500,   542  11,  553,  570,   576,  631),   706,   745 

à  752,  754. 
Provence  (comte  de),   II,  77,   576  n. 
Provence,  I,  52  n,  587,  595. 
Provinces    Belgique  s,    I,    207    à    215,    259    :ï 

263,  486  n,  487. 
Prugnon,    I,    537,   571,   580,   672,   687,   094  ; 
•        II,    382,    432,    441,    445,    553,    569,    571. 

574,  575,  618. 
Pi  ysfgcr   Crlnl    I,   404. 


Q   B 

Quercy,    I,    227,    233,    237   à   255. 

Rabalt  Saint-Etienne,  I,  22,  23  et  n'  24, 
58,  60,  151,  152,  610  à  612,  615  ;  II,  227, 
258,  207  n,  293,  571  n. 

Raiuond,   II,   367,  368 

Ramfi.-Aogaret,  I,  155,  156  ;  II,  22,  450. 
545. 

l'.AVNAi.  (abbé),   II,  446  à  458. 

Rebon,    I.   03,   280  n. 

Regnaud  de  Sunt-Jean  d'Angely,  I,  38,  72, 
101,  171,  192.  194,  195.  233,  347,  396, 
442  443  ;  II,  38,  122  n,  143  n,  226, 
50!).  554  à  542,  421  n,  466  à  467,  501  à 
508,   515,   653  à  660. 

l'.iïivu  in   d'Epercy,    I,    182. 

l'.H.MiK   (Cteude-Aiïibroise),   I,   123,  307. 

Ilnines,  I.  100  à   160  ;  II,   709  n. 

Un  1:11.1.  1.  33,  43,  49  n,  51,  67,  84,  85, 
325,  529,  362,  568,  456,  557  :  II.  45  n, 
74  n,  87,  89  n,  98,  100,  107  à  110,  120, 
240  à  240.  275  n,  511,  369  à  376,  382, 
40f,  551.  544,  581,  598,  055.  054,  660, 
72H.    728,    752. 

lin,   I.   687  :   11.   8. 

Revbaz,    1,    50   11,   588   n. 

Ric*rd  de  Si  m  1.   1,    184  à  192,  427,  428. 

Richier  (de),   I,  77. 

Riffarr  de  Saint-Martin,  I,  574  ;  II,  181  n, 
190,   705  à  706. 

Ri*  (Orangis),    I,    450  n. 

Riston  (de),    I,  520. 

Rom  iu    (Mme),    I,   408  II. 

RoBESMfc&BK  le  Jfune,   1,  17  n,  151  n,  58S 


n  :  II,  089  n. 

Rocuambeau  (comte  de),  II,  681  à  087. 

P.oljerer.  I,  1C0,  161.  162,  167,  252,  253, 
270.  2X0  à  289,  317,  318,  418,  424,  425. 
427.  428,  547  n,  552,  554,  582  ;  II,  112, 
119,  201,  205  n,  511.  421,  458,  461,  512, 
545,  551,  576  n,  592,  601,  603,  611  à  617, 
(lis.  027,  059,  652,  090  n,  702,  705,  744 
n,    752,   754. 

Romme,    I,   415,  416. 

Rouen,   I,   43  n.  119,  180;  II,  709  n. 

nowrgne,   I,   227 

Roi  ssn  ion,  I,  42;  II,  176,  545  à  547,  679 
à   087,    710,    728. 

Roieh  (abbé),   II,   576  n,  595  n,  653. 

ftus-iie,  I,  200. 

Ritiedge,   II.   159,  230. 


S'.tiiit-Dcnia,    I,    354,    555. 
Saint-Domingue,   II,    156,   348  n,   497  n. 

Saint-François  (Ordre  de),  I,  544. 
Saint-Germain-en-Laye,  I,  39. 
Saivi-Hi-ruge  (marquis  de),  I,  75  n. 

Saint-huai-de-Luz,    I,    321,    522. 
SainMmer,  I,  0,  7  n,  18  n,  359,  540,  468, 

480  ;  II,  216,  217. 
Saint-Paul,   port  de  Paris,   I,  75. 
mint-Priest  (Guignard,  comte  de),  I,  42  n, 

500  à  502,  509.  515,  516,  520. 
Sain'e-Ctaire-d'Auxonne     (Yonne),     II,     545j 

540. 
Salicf.tti,    I,    196. 
Salies,  I,  214,  215,  216,  554,  658  ;  II,  590, 

597,  654,  688,  706  n, 
Salle  de  Choux-,  I,  58  n,  86,  655  à  658. 
Salomox  de  la  Saugerie,  I,  51,  55,  56. 
Santerrf,   II,  90. 
Swïiiowx,   I,  410. 
S.iimus,   I,   520,  521. 
Sïuov.iue  (de).  I,  48  n,  54,  55. 
Sergent,   II,    544.   602. 
Skuvièrfs  Me),  I,  166. 
Sizi:  (de),   38 
Sk.ud,    II,   551. 
Siev.s,   I.   52.  54.  37  n,  55,   75,  491   n  ;  II, 

401,  509,  571  n. 
Sii.ifry  (Brulard  de),    II,   559,   527   n,   644. 

004. 
Sihviv.  If,  54. 
Stdùatu,    I.    481    à    483,    515,    545   à    547  ; 

11,     Si)    ;.    90. 

Snnota  (marrjjis  de),  I,  196  n. 
Strasbourg,   II,   632. 
Suède,    II.    520. 


Tabago,   I.  443  à  449,  471  a  472. 
Tai  1 1  Miami  -Pi  'r;i;ori(    (de),    évêque   d'Autun, 
I,   215  n      II,   181. 


776 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 


Tallien,    II,    599    n. 

Tarascon,    I,   571,   372. 

i  ahc.iï,  I,  2T>  n.  20.  34,  49  n,  51,  58,  03, 
67,  68  n,  82,  121,  133,  !  55,  171,  178, 
•200  n,   211    n,   521,   522,   440;  H,   577. 

TiirniEK,   I,  355. 

Thfvenot,  I,  502. 

ThïunvUle,   II,  642  à  6Ï5. 

Tiiomassix.   fermier  à  Poissv,  I,  59. 

Thoumeï,  I,  54.  544.  427,  428,  502,  522, 
525,  673,  688  n  ;  7  n,  10  n,  581  n,  582, 
599,  401,  405,  425,  465,  551,  558  n, 
571  n,  609,  (Il  à  617,  618,  651,  654,  63», 
646,   054,   600,   005,   688,   753. 

Thuault,    II,    517. 

Tissot,   I,   456  n  ;  II,   247  n. 

Toulon,   I,  156  à  160.  184  à  192,  457,   508, 

594  ;  159,   426  à  427. 
ToulonCeon  (vicomte  de),   I,  37,  437,  459. 
Toulouse,  I,  548  à  552  ;  II,  175,  176. 
Toumk«e-Laitri:c  (comte  de),  I,  429  à  438, 
Tourxox,   pubHciste,    II,    603. 
Toi  nzEi.  (Mme  de),   II,  577. 
Tracv  Destutt  (comte  de),  I,  289. 
Trf.ii.hard,   1,   143,    150,  252,   234,  585,  595, 

418,  420  429    559,  541,  544  ;  II,  609. 
Tréguier  (cvèque  de),    I,    7   n,    117   à   120. 

125  n,  126,  150,  259  n. 
Troxchet,    I„   38,   527,    590.    659  ;   II,    7   n, 

181,   249,   706. 
Troycs,   I,   42  n,  290.   291,  505. 


U  V  X  Y  Z 

îlzè.g,  II.   170  à  177. 

\  idier,    II.    553    631    n,   644,   660. 

Vaillant,   1,  20,  21  n,  53. 

l'ation   {Comtat   Venaissin),   H,   247   n. 

Valence,   I,  105. 

V.uux,    II,    529. 

\  kSSELIN.    II,   445. 

Vin.-,   secrétaire  de  la  Société  des  Amis  de 

la   Constitution  de  Besançon,   I,   616. 
Verdun,    II.   641     043  n. 
Vermer,   I.  65  ;  II,   76,  87,  89  n,  686,  690, 

711    n. 
Versailles,  I.   57,   75  n,  99,  lOi  et  n,  415, 

410.    410  à   443,   563.  . 

Vieillard,  1,  239  n,  540,  365  n;  II,  455. 
Vienne,  II,  167  à  110. 
V. (.mu,   I,  429,  455. 
YilLffiaiiche-de-Rouergiw,    I,    51,    55. 
VUtcnatuc   (Marne),    I,   48. 
Vincennes,   H,   90,   120. 
ViKiEu  (comte  de),   I,   59,   60,  65,   75,    160, 

178.   179,    252,   233. 
Y il.    (Jean-P.eorges-Charles),    I,    429,    489. 

513,  534,  535,  545,  540;  II,  54,  128,  138, 

147,    255,    571   n,    640,    665. 
Volnly   (Cluissebeuf  de),    I,    25   n,    50,    502, 

568  ;  II,  377  n. 
Vuiimont   (de),    conseiller  au   Parlement   de 

Xïuicy,   I.  520. 
Wimpiex,    II,    100,    752. 
Y\Tn\.u,i.T,  député  du  Berry.  I,  57. 


l'A  BLE  DES  MATIERES 


1791 

202  4  janvier  Sur  l'organisation  de  la  justice  cri- 
minelle :  sur  la  nécessité  d'une  pro- 
cédure   écrite     7 

203-     11        —        <soir)    Sur   les   pouvoirs  du   comité   colonial.       16 

204.  13        -—        (soir)    Sur    le    règlement   des   théâtres    .. 18 

205.  19        --        Sur  l'organisation  de  la  justice  crimi- 

nelle   (suite) 20 

206.  20        —        Sur  l'organisation  de  la  justice  crimi- 

nelle  (suite)    20 

lrc  intervention  :  Sur  la  discussion 
de  l'ensemble  du  projet; 

2°  intervention:  iSur  les  commis- 
saires du   roi; 

3'  intervention .  Sur  la  durée  des 
fonctions  de  l' accusateur  public. 

Discours  imprimé  sur  l'organisation 
des  jurés. 

207.  21        —        Sur  l'organisation  de  la  justice  crimi- 

nelle  (suite)    36 

1"  intervention  :  Sur  les  fonctions  du 

président  du  tribunal  criminel; 
2'   intervention  :  iSur  les  pouvoirs  de 

l'accusateur  public. 

208.  28        —  Pc   intervention:   Sur    l'armement   des 

gardes    nationales    39 

■2'    intervention  :  Sur   la  suppression 

de  la  milice  ; 
3°  intervention  :  Sur     la     levée     des 

soldats  auxiliaires  ; 
4°  intervention  :  Sur    le    rapport    de 
Mirabeau  concernant  la  sûreté  du 
royaume. 
Sur    l'organisation    des    gardes    natio- 
nales          43 

Sur    la    surveillance    des    administra- 
tions et  la  permanence  des  sections      44 
Sur  l'organisation  de  la  justice  crimi- 
nelle: Sur  les  contumaces 44 

Sur  l'organisation  de  la  justice  crimi- 
nelle   (suite)  :    Sur    la    nécessité    do 

l'unanimité  des  jurés   46 

Sur   une   dénonciation    contre  IMarat..       54 
Sur  l'organisation  de  La  justice  crimi- 
nelle   (suite)     56 

V  intervention:  Sur  la  forme  de  la 

déclaration  des  jurés; 
2e  intervention  :  Sur       le      caractère 
irrévocable  du  jugement. 


209. 

28 

—       Jaeobins  . . . 

?,10 

B9 

211 

|rr 

212 

2 

213. 
214. 

2 
3 

Jjicohins   ... 

778  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

215.  3        — r        (soir) Sur  la  répression  des  actes  d'indisci- 

pline des  matelots    62 

216.  5        —        Sur  l'organisation  de  la  justice  crimi- 

nelle   (suite)    63 

Ve  intervention  :  Sur  l'indemnité  due 

aux  accusés  innocents  ; 
2e  intervention  :  Sur     le     choix     des 

jurés  ; 
3e  intervention  :  Sur    l'admission   des 

ecclésiastiques    dans    les    jurys    de 

jugement. 

217.  8        —        Sur  le  siège  de  la  Hau<te  Cour  natio- 

nale            72 

218.  12        —        Sur   la  perception  des  droits   sur   les 

eaux  de  vie  dans  le  département  du 
Pas-de-Calais   76 

219.  22        —        jacobins   . . .   Sur  les  sanctions  à  prendre  contre  les 

membres    de    la    famille    royale    qui 
'quitteraient  la  France   77 

220.  25        —        Sur  la  résidence  d-u  roi  et  de  la  famille 

royale    78 

221.  26        —        (soir)    Sur     une     indemnité     en     faveur     de 

iLatude    80 

222.  28        —        Sur  le  respect  dû  à  la  loi  80 

223.  28        —        (suite)    Sur    le    secret    de    la    correspondance.  85 

224.  28        —        {suite)    Sur  un  projet  de  loi  sur  l'émigration.  87 

225.  2  mars  Jacobins    Sur    une    demande   d'affiliation   de    la 

Société   de    Soissons    89 

226.  2      —  —      (suite)  Sur    le    projet    de    réorganisation    des 

corps    administratifs    90 

227.  3      —       Sur   l'organisation  des  corps  adminis- 

tratifs           92 

lre  intervention  :  iSur  une  discussion 
d'ensemble  du  projet; 

2e  intervention  :  S'ur  la  signature  des 
arrêtés  pris  par  les  administra- 
tions; 

3e   intervention:   Sur    la  publication 
de    décisions     contraires    aux    dé- 
crets. 
-—      (soir)   Sur  un  projet  de  tontine  viagère   100 

—      Sur   le  jugement  des  contestations  en 

matière   électorale    K>5 

—  (soir)    Sur   une   demande  d'extradition  de   la 

Cour   de   Vienne    107 

—       Sur  la  publicité  des  séances  des  corps 

administratifs 110 

—  Jacobins   Sur  l'organisation  du  ministère   111 

Sur  la  nomination  des  administrateurs 

du    Trésor    national    112 

—  (soir)   Sur   la  démolition  du   donjon  de  Vin- 

cennes 120 

—  Jacobins  lr(>    intervention:    Sur    la    responsabi- 
lité  des   ministres    121 

2l    intervention  :    Sur    l'impression    du 
discours    de    Kersaint    122 


228. 
229. 

3 
6 

230. 

5 

231. 

6 

232. 
233. 

6 
9 

234. 

9 

235. 

11 

239. 

17 

240. 

19 

241. 

20 

242. 

21 

243. 

23 

245. 

28 

246. 

30 

247. 

30 

248. 

31 

LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE  779 

236.     11  mars  Jacobins  (suite)  Sur  une  adresse  aux  Sociétés  affiliées, 

rédigées   par    Barnave    122 

237.  13      —       Sur  le  jugement  des  contestations  en 

matière   électorale   (suite)    123 

238.  13      —      Jacobins  Sur  une  demande  de  secours  adressée 

par  Latude  à  l'Assemblée  nationale.     128 

(soir^   Sur   l'affaire  du   curé   d'Issyd'Evêque.     129 

(soir)    Sur    les   troubles   de   Douai    135 

Jacobins  Sur   l'affaire   Muscard 148 

Sur  les  troubles  de  Douai  (suite)   150 

Sur  le  caractère  électif  ou  héréditaire 

de  la  régence   151 

244.     25      —      Jacobins  Sur  le  renvoi  des  pétitions  au  comité 

des  recherches  de  l'Assemblée  natio- 
nale      . 152 

—  Sur  les  distinctions  entre  les  citoyens.     153 

Sur  la  nomination  des  commissaires  du 

roi  près   les   tribunaux   criminels    . .     153 

Jacobins  Sur   la   rédaction   du  procès- verbal  et 

sur   une  opinion  de  Danton   155 

(soir)    Sur  une  députation  de  l'assemblée  co- 
loniale de  Saint-Marc    156 

F'  intervention  :  Sur  la  qualification 
de   l'assemblée  coloniale  de  Saint- 
Ma  rc  ; 
2e  intervention  :  Sur  la  remise  de  la 
suite  du  discours  de  Linguet. 

249.  Avril  Discours   imprimé   sut  la  nécessité  de 

révoquer  les  décrets  qui  attachent 
l'exercice  des  droits  du  citoyen  à 
la  contribution  du  marc  d'argent, 
ou  d'un  nombre  déterminé  de  jour- 
nées  d'ouvrier 158 

249  bis.      — Principes    de    l'organisation    des   jurés 

(rappel   du   discours  imprimé)    174 

259.     1er     —     Sur    les    successions    comprenant    des 

biens  ci  -devant  nobles   ]  74 

—  (soir)    Sur  les  troubles  de  Toulouse 175 

—  —       (suite)..   Sur   les  troubles  de  Nimes  et  d'Uzès.     176 

—     Sur    les    honneurs    funèbres    décernés 

aux  grands   hommes    178 

—     Sur  les  inégalités  dans  les  successions    181 

—  (soir)    Sur  la  députation  de  l'assemblée  colo- 
niale  de   Saint-Marc    (suite) 194 

256.      6      —     Sur  le  projet  d'organisation  du  minis- 
tère  /••••.••     195 

]ro     intervention:    Sur     la    nécessité 

d'une  discussion  d'ensemble; 
2J    intervention:    Sur    la   responsabi- 
lité des  ministres. 

7      —     Sur    la    nomination    des    membres    de 

l'Assemblée    au    ministère    201 

258.      8      — Sur  la  durée  de  la  prescription  en  ma- 
tière   de    responsabilité   ministérielle    205 
259       9      —     Sur    la    délimitation   des   fonctions   mi- 
nistérielles          207 


251. 

2 

252. 

2 

253. 

3 

254. 

5 

2Ô5. 

5 

2r> 


260. 

10 

261. 

10 

262. 

10 

263. 

11 

780  LES   DISCOURS    DE   ROBESPIERRE 

Su r  les  attributions  du  ministre  de  la 

Justice    215 

Jacobins  Sur  les  menées  des  aristocrates  contre 

les  sociétés  patriotiques    216 

—  (suite)  Sur   la   délimitation  des  fonctions   mi- 
nistérielles          217 

Sur  le  projet  d'organisation  du  minis- 
tère  (suite)   ,     221 

lr     intervention  :    Sur    les    attribu- 
tions   du    ministre    de    la    Justice 
(suite) ; 
2e  intervention  :  d°  (§  7) 

3°  intervention  :  'Sur  le  titre  des  mi- 
nistres   français    auprès    des    puis- 
sances étrangères  ; 
4°    intervention  :    Sur    le    traitement 
des  ministres. 

264.  11      —     Jacobins  Sur   l'aliénation   des  moulins   de   Gor- 

beil . 230 

265.  13      —     Sur  le  projet  d'organisation  du  minis- 

tère  (suite) 231 

lrf'  intervention  :  Sur  les  pouvoirs  du 
ministre  des  Contributions  publi- 
ques ; 

2e  intervention  :  Sur  les  pouvoirs  du 
ministre  de  l'Intérieur. 

3°  intervention  •  Sur   la   retraite  des 
Ministres. 
Sur  le  buste  de  Mirabeau   235 

—  (suite)  Sur    les    pouvoirs    du    Ministre    de    la 
Justice 236 

Sur    l'organisation   de   la   sûreté   inté- 
rieure du   royaume    238 

(soir)    Sur    l'incapacité    du    comité    diploma- 
tique          239 

Sur     les     troubles    d'Avignon     et    du 

Conitat 247 

Sur  les  procès  intentés  pour  crime  de 

lèse-nation     252 

(soir)   Sur  la  lettre  du  roi  aux  ambassadeurs    253 

Jacobins  Sur   l'affaire   d'Avignon    256 

Sur    l'organisation   des    gardes    natio- 
nales         258 

lro  intervention  :  Sur  la  méthode  de 

discussion  ; 
2e  intervention  :  Sur  l'admission  dans 
la    garde     nationale    des     citoyens 
domiciliés. 

275.  28      — Sur    l'affaire   d'Avignon 277 

276.  28      —     (suite)   Sur    l'organisation    des    gardes    natio- 

nales   (suite)    282 

Ve  intervention  : 
2°   intervention  : 

277.  30      —     Sur    l'affaire    d'Avignon   (saiite)    296 

278.  2  mai    Sur    l'affaire   d'Avistnon   (suite)    299 

279.  4    —     d°  308 


266. 
267. 

13 
13 

268. 

14 

269. 

19 

270. 

21 

271. 

22 

272. 
273. 
274 

23 
25 

•27 

LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 


781 


280.  4  —  Jacobins    

281.  9  — 

882.  9  —  Jacobins    

283.  10  —  

284.  10  —  

285.  12  —  

286.  13  —  

287.  13  —  Jacobins  

288.  15  —  

289.  16  —  

290.  18  -•  

291.  19  —  

292.  27  — 

293.  27  —  Jacobins  

294.  28  —  

295.  30  —  

296.  30  —  (suite)     

297.  31  —  

298.  1er  juin  

299.  8  —  Jacobins  

300.  9  — 

301.  10  —  , 

302.  10  —  Jacobins  

303.  11  — 

304.  18  —  (soir)    

305.  19  -  Jacobins   

306.  20    -  Jacobins 

de  Versailles 


Sur  l'affaire  d'Avignon  et  les  menaces 

de   contre-révolution    310 

f&ur  le  droit  de  pétition   312 

(Sur  la  liberté  de  1-a  presse   319 

Sur  le  droit  de  pétition  (suite)   334 

Sur     la     pétition    des     religieuses    de 

Sainte-Claire   d'Auxonne    345 

Sur  la  condition  des  hommes  libres  de 

couleur     346 

d°  {suite)    361 

d°  366 

d°  (suite)    368 

Sur  l'éligibilité  des  députés  de  l'as- 
semblée    nationale     à     la     première 

législature     377 

lre  intervention  : 
2e    intervention  : 
Sur    la    rééligibilité    des    députés    de 
l'assemblée  nationale  à   la  première 

législature    (suite) 403 

lre  intervention  : 
2e    intervention  : 
iSur  l'éligibilité  des  ministres  à  la  légis- 
lature          423 

Sur  le  lieu  de  réunion  des  assemblées 
primaires    424 

Sur  le  renouvellement  des  comités  de 
correspondance  et  de  présentation 
de  la  Société  ,. . .     426 

Sur   le  marc  d'argent    427 

Sur  la  nomination  d'un  commissaire 
du  roi  près  du  Tribunal  criminel  de 
Pari.s     431 

Sur   l'abolition  de  la  peine  de  mort..     432 

iSur   une  lettre  de  l'abbé  Raynal    446 

Sur  une  demande  de  poursuites  judi- 
ciaires contre    un   journaliste    458 

Sur  le  licenciement  des  officiers  de 
l'armée 461 

Sur  l'incompatibilité  entre  les  fonc- 
tions législatives  et  administratives 
ou   judiciaires    465 

Sur  Le  licenciement  des  officiers  de 
l'armée    468 

Sur  un  projet  d'adresse  aux  assem- 
blées   primaires    498 

Sur  le  licenciement  des  officiers  de 
l'armée    (suite)    

Sur  les  troubles  de  lirie-Comte-Kobcrt    500 

Sur  l'adresse  aux  àjsembléea  primai- 
res   (suite)     .")(»'.» 

Sur     I  anniversaire    du    Serment    du 

Jeu  de   Paume    513 


782  LES   DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 

307.    21    au    23    (séance   per-  Sur  la  fuite  du  roi  514 

manente) 1'"°  intervention  :    Sur   les  mesures  à 

prendre; 
2°    intervention  : 
3°   intervention  : 
4e   intervention  : 

308  21'-    —    Jacobins  Sur    les   mesures   à   prendre   après   la 

fuite    du    roi    517 

309  23    au    26    (séance    per-  Sur  la  fuite  du  roi  (suite)  529 

manente) W    intervention  . 

6°  intervention  : 
7e  intervention  : 
8e   intervention  : 

310.      5  juillet  Sur    la   police   municipale    539 

lre    intervention  :    Sur    l'inviolabilité 

du  domicile; 
2e   intervention  :    Sur   la   déclaration 

des    réunions    des    sociétés    et   des 

clubs. 

—  Jacobins  Sur  les  Tableaux  de  la  Révolution   . .     542 

— Sur   l'exposition  et  la  vente  d'images 

obscènes    542 

—  Jacobins  Sur    l'affaire  de   Porentruy    544 

—  Sur  le  mode  de  calcul  de  la  contribu- 
tion foncière  applicable  aux  tour- 
bières      545 

—  (soir)    Sur  les  troubles  de  Brie-Comte-Robert 

(suite)    545 

— Sur  l'impression  du  rapport  des  comi- 
tés concernant  la  fuite  du  roi 548 

—  Jacobins  Sur    l'inviolabilité    royale    551 

—       d°  553 

Fe   interventionj    Sur    l'adoption   du 

rapport  des  comités  concernant  la 
fuite  du  roi; 
2e  intervention  :  Sur  une  proposition 
de    Démeunier    sur    la    suspension 
du  roi. 

319.  —       •  •   Dernier    discours   de   M.    Roberspierre 

sur    la   fuite   du    roi    571 

320.  15      —       •  •  Sur    le    jugement   de    Monsieur,    com- 

plice  du   roi    575 

321      15      —      Jacobins lr"  intervention  :  Sur  des  propos  inju- 
rieux contre   Robespierre    579 

2e     intervention  :     Sur      l'inviolabilité 

royale  (suite); 
3e  intervention  :  Sur   une   adresse  aux 
sociétés   affiliées. 

322.  16      —      Sur  les  menées  contre-révolutionnaires    586 

323.  17      —      Sur     les     événements    du    Champ    de 

Mars    591 

lre  intervention  : 
-  2°   intervention  : 

"•24.     1S      —       Sur  Ta  conduite  des  Jacobins   594 

325.  .  23      —       Sur   îa  création   d'un   tribunal  spécial 

pour  juger  'es  auteurs  de  la  «  rébel- 
lion »  du  Champ  de  Mars  597 


311. 
312. 

6 

7 

313. 
314. 

9 
12 

315. 

12 

316. 

13 

317. 
318. 

13 

14 

326. 
327. 

24 
1er 

328. 

3 

329. 

5 

330. 

6 

331. 

8 

332. 

10 

LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE  783 

— Sur   la   scission    des   Feuillants    599 

août,  Jacobins   (Sur  uu  projet  d'adresse  au  sujet  des 

événements  du  Champ  de  Mars  G01 

—  —  Sur  un  compte  rendu  tendancieux  du 

Journal  des  débats  de  la  Société   . .     602 

—  —  Sur   un  projet  d'adresse  au   sujet  des 

•événements     du      Champ     de     Mars 
(suite)    603 

—  (soir)   Sur    les    troubles    de    Brie-Comte-Ho- 

bert  (suite)   604 

— Sur    le    mode    de    discussion    pour    la 

révision  de  la  constitution  609 

—      Discussion    du    projet  de   constitution.    610 

lre  intervention  :  Sur  le  rôle  des  offi- 

ciers municipaux; 
2e  intervention  :  Sur  les  principes  de 
la  souveraineté. 

333.  11      —       Discussion   du    projet   de   Constitution 

(suite)  :  Sur   le  marc  d'argent  et  le 
cens   électoral   617 

334.  12      — Discussion    du   projet  de   Constitution 

(suite)  •  Sur   le  marc  d'argent  et  le 
cens    électoral    (suite)    631 

335.  12      —      Jacobins Sur   le  discours  du   député  de   la  So- 

ciété de  Strasbourg    632 

336.  15      —       '  Discussion   du   projet    de    Constitution 

(suite) 632 

lre  intervention  :  Sur  les  délais  de  la 

sanction  royale; 
2e    intervention:    Sur    l'exercice    du 

pouvoir  législatif; 
3e  intervention  :  Sur  l'admission  des 
ministres  aux  séances  de  l'Assem- 
blée législative. 

Jacobins  Sur     l'admission     des     ministres     aux 

séances   de    l'Assemblée    législative..     639 

Discussion   du    projet   de   Constitution 

(suite)  •     Sur     l'administration    inté- 
rieure du  royaume  641 

Sur  la  défense  des  frontières  de  l'Est    641 

Jacobins  Sur  une  proposition  de  réunion  adres- 
sée   aux    Feuillants    •  644 

Sur  la  liberté  de  la  presse   646 

Jacobins  Sur  la  liberté  de  la  presse  652 

Sur   la   liberté  de  la  presse  (suite)    ..     653 

Sur  la  garde  du  roi   660 

Jacobins  Sur  les  droits  des  membres  de  la  fa- 
mille   royale     664 

Sur  le  titre  à  donner  aux  membres  de 

ht   famille   royale   665 

d°  (suite)    674 

Sur   le   rétablissement   de  la  discipline 

dans  l'année    678 

Jacobins  Sur  le  compte   rendu  de  la  séance  de 

['Assemblée    nationale    687 

Sur    les  nationales   ej    ta 

révision  de   la  Constitution    ...'. 088 


337. 

15 

338. 

16 

339. 
340. 

18 
24 

341. 
342. 
343. 
344. 
345. 

sa 

22 
23 
24 
24 

346. 

-'■> 

347. 

348. 

26 

2^ 

349. 

23 

350. 

30 

784 


LES    DISCOURS    DE    ROBESPIERRE 


351. 

30 

352. 

31 

353. 

1er 

364. 
355. 
356. 
357. 

1er 
2 
3 
5 

358. 

17 

359. 
360. 

21 
24 

361. 
362. 
363. 

29 
29 
30 

—      Sur    la    proposition    d'une    députation 

d'électeurs  du  Pas-de-Calais  

—      Sur    le?    conventions    nationales   et   la 

révision  de  la  Constitution  (suite)., 
septembre  Sur    la    présentation    de    la    Constitu- 
tion au  roi 

—  Jacobins.  Sur  le  droit  de  grâce 

.  iSur   la  correspondance  de  la  Société, 
le  droit  de  grâce   (suite)   


364.     30 


t&UI 

(séance  ex- 
traordinaire) Sur 


—  Jacobins. 


(soir) 


(suite) 


les  troubles  des  colonies   

Sur  le  droit  de  police  des  assemblées 

électorales 

Sur  l'examen  des  comptes  du  trésorier 
Sur   les  droits  politiques   des  hommes 

de   couleur 

Sur  les  droits  des  sociétés  et  des  clubs 
Sur  le  projet  de  code  pénal  militaire 
Sur  les  droits  des  sociétés  et  des  clubs 

(suite) 

Séparation  de  l'Assemblée  nationale  et 

hommage   du   peuple   à   Robespierre. 


705 
706 
706 

708 

719 

727 

727 
743 
752 

753 

753 


Index   des    noms  de   journaux,    procès-verbaux   et   pamphlets    cités 

dans   les    deux   premiers    volumes 7^2 

Index  des  noms  de  personnes  et  de  lieux 769 

Table   des  matières 777 


DEP01 

LEGAL 

lrt  édition 

1er  trimestre 

195? 

TOUS    DROITS 
de  traduction,  de  reproduction 
et    d'adaptation    réservés   pour  tous   pays 

N° 

23.109 

Uairick    LAVERGNE,    Imprimeur;    289:    Rui:    Saint-Jacques, 


),    —   FAMS    (Ve) 


DC 
U6 
R6A2 
1910 
t. 7 


Robespierre,   Maxirail ien  .Marie 
Isidore  de 

Oeuvres  complètes 


PLEASE  DO  NOT  REMOVE 
CARDS  OR  SLIPS  FROM  THIS  POCKET 

UNIVERSITY  OF  TORONTO  LIBRARY